02.07.2013 Views

Tu ou vous ? *

Tu ou vous ? *

Tu ou vous ? *

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

plupart des j<strong>ou</strong>rnalistes, signalent de façon linguistique les hauts et les bas, de même<br />

que d’autres variables, d’une relation entre interlocuteurs. Schoch (1978 : 67-68) observe<br />

qu’en vue de consoler quelqu’un, le rec<strong>ou</strong>rs explicite au tutoiement – qui est plus<br />

réconfortant, car plus intime – peut être préférable au v<strong>ou</strong>voiement d’usage. D’autres<br />

passages temporaires du v<strong>ou</strong>s au tu sont inspirés par le désir d’insulter l’interlocuteur, <strong>ou</strong><br />

d’exprimer le mépris qu’on ressent envers lui (situations à comparer à celles, décrites<br />

plus haut, d’usages marqués du tutoiement dans les incidents de rage au volant et par<br />

les forces de l’ordre). En cas de désaccord, au c<strong>ou</strong>rs d’une discussion très passionnée<br />

(chargée d’émotion), il n’est pas inhabituel que, t<strong>ou</strong>t d’un c<strong>ou</strong>p, le v<strong>ou</strong>voiement cède le<br />

pas à un tutoiement manipulatoire, lorsque l’un des locuteurs essaie de convaincre<br />

l’autre du bien-fondé de ses arguments. La communication s’en tr<strong>ou</strong>verait facilitée,<br />

dans la mesure où la formalité est perçue comme un obstacle. En revanche, t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs<br />

selon Schoch (1978), le rec<strong>ou</strong>rs à la forme dite polie p<strong>ou</strong>r exprimer un sentiment de<br />

mépris <strong>ou</strong> de colère envers quelqu’un qu’on a l’habitude de tutoyer, <strong>ou</strong> bien p<strong>ou</strong>r manifester<br />

qu’on n’est pas d’accord, s’observe de moins en moins s<strong>ou</strong>vent.<br />

Finalement, les usages non réciproques n’ont pas disparu, mais sont devenus eux aussi<br />

marqués : plutôt que d’être naturels et attendus, ils sont porteurs d’un message très spécifique.<br />

Ce message concerne le rapport qui existe entre ceux qui participent à une conversation<br />

<strong>ou</strong> un acte communicatif. Dire tu et exiger qu’on réponde en disant v<strong>ou</strong>s, c’est<br />

signaler qu’on est dans une relation de p<strong>ou</strong>voir <strong>ou</strong> d’inégalité hiérarchique. Dire v<strong>ou</strong>s à<br />

quelqu’un qui v<strong>ou</strong>s tutoie, c’est signaler soit qu’on accepte qu’il existe une relation de<br />

p<strong>ou</strong>voir (quelconque), soit que le tutoiement est inapproprié. On connaît la réponse<br />

« acquiesçante » et s<strong>ou</strong>vent citée de François Mitterrand à ce militant qui lui demandait<br />

à brûle-p<strong>ou</strong>rpoint s’il p<strong>ou</strong>vait le tutoyer. La réaction ne se fit pas attendre : « Si v<strong>ou</strong>s<br />

v<strong>ou</strong>lez… ». D’autres réactions sont bien moins subtiles : on pense notamment aux<br />

remarques glaciales du type : « Dites… Que je sache, n<strong>ou</strong>s n’avons pas gardé les cochons<br />

ensemble ! »<br />

5. Tendances récentes<br />

Il y a trente ans, en essayant de faire le point sur la base d’une enquête dans un lycée de<br />

T<strong>ou</strong>lon, Bustin-Lekeu (1973 : 782) constatait que ce qui était autrefois un système d’une<br />

clarté et d’une précision exemplaires était devenu un dédale d’une complexité oppressive.<br />

Elle en cherchait l’explication dans la possibilité qu’on avait d’ignorer, sans en être<br />

obligé, certaines « barrières sociales » naguère incont<strong>ou</strong>rnables. On, c’était avant t<strong>ou</strong>t<br />

l’échantillon relativement réduit des 36 lycéens et lycéennes âgés de quatorze à seize ans<br />

qu’elle avait observés et qui semblaient, jusqu’à un certain point, avoir adopté le tutoiement<br />

réciproque généralisé qui, dit-on s<strong>ou</strong>vent, était dans l’air depuis les événements de<br />

mai 1968 – événements qui marqueraient « le début des années ‹ tu › ». 17 Les quelques<br />

enquêtes qui ont été réalisées plus récemment, dans diverses parties de la francophonie,<br />

montrent combien les étiquettes de ce genre peuvent être trompeuses si on les prend au<br />

pied de la lettre. Le tu réciproque généralisé ne s’est jamais imposé au-delà de certaines<br />

classes d’âge ni au-delà de certaines classes socioprofessionnelles.<br />

N<strong>ou</strong>s commencerons notre aperçu en Suisse, plus particulièrement à Lausanne où<br />

Schoch (1978) a mené une enquête dont les résultats valent la peine d’être brièvement<br />

évoqués. Elle a constaté que, des trois gr<strong>ou</strong>pes d’âge observés, les plus jeunes (âgés de<br />

17 Renaud Michiels, « <strong>Tu</strong> <strong>ou</strong> v<strong>ou</strong>s ? » (cf. note 5).<br />

26

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!