Celle qui m'aime - Bienvenue sur le site Grinalbert
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CELLE QUI M’AIME<br />
I<br />
<strong>Cel<strong>le</strong></strong> <strong>qui</strong> m’aime est-el<strong>le</strong> grande dame, toute de soie, de dentel<strong>le</strong>s et de bijoux, rêvant à nos<br />
amours, <strong>sur</strong> <strong>le</strong> sofa d’un boudoir ? mar<strong>qui</strong>se ou duchesse, mignonne et légère comme un rêve,<br />
traînant languissamment <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s tapis <strong>le</strong>s fl ots de ses jupes blanches et faisant une petite moue<br />
plus douce qu’un sourire ?<br />
<strong>Cel<strong>le</strong></strong> <strong>qui</strong> m’aime est-el<strong>le</strong> grisette pimpante, trottant menu, se troussant pour sauter <strong>le</strong>s<br />
ruisseaux, quêtant d’un regard l’éloge de sa jambe fi ne ? Est-el<strong>le</strong> la bonne fi l<strong>le</strong> <strong>qui</strong> boit dans tous<br />
<strong>le</strong>s verres, vêtue de satin aujourd’hui, d’indienne grossière demain, trouvant dans <strong>le</strong>s trésors de<br />
son cœur un brin d’amour pour chacun ?<br />
<strong>Cel<strong>le</strong></strong> <strong>qui</strong> m’aime est-el<strong>le</strong> l’enfant blonde s’agenouillant pour prier au côté de sa mère ? la<br />
vierge fol<strong>le</strong> m’appelant <strong>le</strong> soir dans l’ombre des ruel<strong>le</strong>s ? Est-el<strong>le</strong> la brune paysanne <strong>qui</strong> me<br />
regarde au passage et <strong>qui</strong> emporte mon souvenir au milieu des blés et des vignes mûres ? la<br />
pauvresse <strong>qui</strong> me remercie de mon aumône ? la femme d’un autre, amant ou mari, que j’ai<br />
suivie un jour et que je n’ai plus revue ?<br />
<strong>Cel<strong>le</strong></strong> <strong>qui</strong> m’aime est-el<strong>le</strong> fi l<strong>le</strong> d’Europe, blanche comme l’aube ? fi l<strong>le</strong> d’Asie, au teint jaune et<br />
doré comme un coucher de so<strong>le</strong>il ? ou fi l<strong>le</strong> du désert, noire comme une nuit d’orage ?<br />
<strong>Cel<strong>le</strong></strong> <strong>qui</strong> m’aime est-el<strong>le</strong> séparée de moi par une mince cloison ? est-el<strong>le</strong> au delà des mers ?<br />
est-el<strong>le</strong> au delà des étoi<strong>le</strong>s ?<br />
<strong>Cel<strong>le</strong></strong> <strong>qui</strong> m’aime est-el<strong>le</strong> encore à naître ? est-el<strong>le</strong> morte il y a cent ans ?<br />
II<br />
Hier, je l’ai cherchée <strong>sur</strong> un champ de foire. Il y avait fête au faubourg, et <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> endimanché<br />
montait bruyamment par <strong>le</strong>s rues.<br />
On venait d’allumer <strong>le</strong>s lampions. L’avenue, de distance en distance, était ornée de poteaux<br />
jaunes et b<strong>le</strong>us, garnis de petits pots de cou<strong>le</strong>ur, où brûlaient des mèches fumeuses que <strong>le</strong> vent<br />
effarait. Dans <strong>le</strong>s arbres, vacillaient des lanternes vénitiennes. Des baraques en toi<strong>le</strong> bordaient<br />
<strong>le</strong>s trottoirs, laissant traîner dans <strong>le</strong> ruisseau <strong>le</strong>s franges de <strong>le</strong>urs rideaux rouges. Les faïences<br />
dorées, <strong>le</strong>s bonbons fraîchement peints, <strong>le</strong> clinquant des étalages, miroitaient à la lumière crue<br />
des <strong>qui</strong>nquets.<br />
Il y avait dans l’air une odeur de poussière, de pain d’épices et de gaufres à la graisse. Les<br />
orgues chantaient ; <strong>le</strong>s paillasses enfarinés riaient et p<strong>le</strong>uraient sous une grê<strong>le</strong> de souffl ets et de<br />
coups de pied. Une nuée chaude pesait <strong>sur</strong> cette joie.<br />
Au-dessus de cette nuée, au-dessus de ces bruits, s’élargissait un ciel d’été, aux profondeurs<br />
pures et mélancoliques. Un ange venait d’illuminer l’azur pour quelque fête divine, fête<br />
souverainement calme de l’infi ni.<br />
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