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Vendredi 19 octobre 2012 Alexis Descharmes A le x is D e sch arm es

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Cyc<strong>le</strong> Hommag<strong>es</strong><br />

L’hommage désigne dans la langue frança<strong>is</strong>e un témoignage d’admiration et de reconna<strong>is</strong>sance, empreint<br />

souvent de gravité lorsqu’il accomplit un travail de mémoire et de deuil, ma<strong>is</strong> parfo<strong>is</strong> aussi de légèreté quand,<br />

au pluriel, il devient expr<strong>es</strong>sion galante et d<strong>is</strong>crètement érotique. On y entend <strong>le</strong> mot « homme » : l’hommage <strong>es</strong>t<br />

toujours une célébration de l’humanité de celui à qui il <strong>es</strong>t adr<strong>es</strong>sé. Plus préc<strong>is</strong>ément, il instaure une dia<strong>le</strong>ctique<br />

entre la simp<strong>le</strong> humanité incarnée du d<strong>es</strong>tinataire et la igure plus impersonnel<strong>le</strong>, universel<strong>le</strong> et vouée à<br />

l’H<strong>is</strong>toire, de l’art<strong>is</strong>te qu’il <strong>es</strong>t.<br />

Le Tombeau de Verlaine par Mall<strong>arm</strong>é, m<strong>is</strong> en musique par Bou<strong>le</strong>z pour conclure Pli selon pli, oppose ainsi <strong>le</strong>s<br />

« pieus<strong>es</strong> mains / Tâtant sa r<strong>es</strong>semblance avec <strong>le</strong>s maux humains » à l’« immatériel deuil » d’un « astre mûri d<strong>es</strong><br />

<strong>le</strong>ndemains / Dont un scintil<strong>le</strong>ment argentera la fou<strong>le</strong> ». En <strong>19</strong>55, Bou<strong>le</strong>z inscrivait au programme d’un concert<br />

du Domaine musical, aux côtés d’œuvr<strong>es</strong> de Berg, Webern, Stravinski et de s<strong>es</strong> propr<strong>es</strong> Structur<strong>es</strong>, deux extraits<br />

de L’Art de la fugue de Bach, « pour marquer la continuité de l’invention d’un sièc<strong>le</strong> à l’autre ».<br />

L’hommage <strong>es</strong>t souvent pour <strong>le</strong>s compositeurs l’occasion d’un tel passage de témoin entre générations :<br />

… explosante-ixe… fait ainsi écho aux Symphoni<strong>es</strong> d’instruments à vent que Stravinski avait conçu<strong>es</strong> comme<br />

un « Tombeau de Claude Debussy » ; c’<strong>es</strong>t en revanche bien vivant que Pierre Bou<strong>le</strong>z lui-même reçoit en <strong>19</strong>85<br />

l’hommage « de Peter à Pierre », rendu dans Steine (« pierr<strong>es</strong> » en al<strong>le</strong>mand) par Peter Eötvös, auquel <strong>le</strong> jeune<br />

Genoël von Lilienstern (né en <strong>19</strong>79) dédie à son tour son Severed Garden.<br />

Exercice d’admiration, toujours, l’hommage donne lieu à une écoute créatrice, qui en fait éga<strong>le</strong>ment un<br />

« exercice de perception », selon la formu<strong>le</strong> de Bruno Mantovani : l’orch<strong>es</strong>tration d<strong>es</strong> Tab<strong>le</strong>aux d’une exposition<br />

<strong>es</strong>t ainsi <strong>le</strong> plus étincelant hommage que pouvait rendre Ravel à Moussorgski. Il s’agit de trouver dans l’œuvre<br />

du prédéc<strong>es</strong>seur un ferment de renouvel<strong>le</strong>ment.<br />

À propos d<strong>es</strong> Symphoni<strong>es</strong> d’instruments à vent, Stravinski raconte : « Dans ma pensée, l’hommage que je d<strong>es</strong>tina<strong>is</strong><br />

à la mémoire du grand musicien que j’admira<strong>is</strong> ne devait pas être inspiré par la nature même de s<strong>es</strong> idé<strong>es</strong> musica<strong>le</strong>s ;<br />

je tena<strong>is</strong>, au contraire, à l’exprimer dans un langage qui fût <strong>es</strong>sentiel<strong>le</strong>ment mien. » Cette d<strong>is</strong>tance néc<strong>es</strong>saire<br />

à l’authentique hommage peut se muer en véritab<strong>le</strong> rés<strong>is</strong>tance : « Socrate, avoue Nietz<strong>sch</strong>e, m’<strong>es</strong>t si proche<br />

que j’ai pr<strong>es</strong>que toujours un combat à livrer avec lui ». Bruno Mantovani, dont la Quatrième Cantate reprend <strong>le</strong><br />

texte du motet Komm, J<strong>es</strong>u, Komm de Bach, conçoit ainsi son hommage comme une lutte : contre l’écriture<br />

contrapuntique de Bach et contre la dévotion du texte, il inléchit l’ascét<strong>is</strong>me du motet vers l’« art brut ».<br />

L’émulation fait place à la gratitude lorsque <strong>le</strong>s compositeurs rendent hommage à <strong>le</strong>urs mécèn<strong>es</strong> et à <strong>le</strong>urs<br />

interprèt<strong>es</strong>, à plus forte ra<strong>is</strong>on lorsque c<strong>es</strong> deux fonctions sont réuni<strong>es</strong> chez une même personne, comme<br />

Frédéric II, qui imagina lui-même <strong>le</strong> thème de L’Ofrande musica<strong>le</strong> que lui adr<strong>es</strong>sa Bach, ou Paul Sacher, chef<br />

d’orch<strong>es</strong>tre et exceptionnel mécène à qui douze compositeurs dédièrent en <strong>19</strong>76 un cyc<strong>le</strong> de variations sur <strong>le</strong>s<br />

<strong>le</strong>ttr<strong>es</strong> de son nom.<br />

De la mort méditée à la vie célébrée, il semb<strong>le</strong> que l’hommage na<strong>is</strong>se chez <strong>le</strong>s compositeurs d’une inspiration<br />

trouvée dans la joie de se la<strong>is</strong>ser afecter par autrui, antidote à la solitude du créateur en proie au « dur désir de<br />

durer » (Éluard).<br />

Anne Roubet<br />

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