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Aux sources de la calligraphie

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« Avec le naturel <strong>de</strong>s nuages » : les secrets <strong>de</strong> l’art du trait<br />

Le pinceau ou bi, l’instrument du tracé<br />

Pour le pinceau, il faut aller chercher <strong>de</strong>s<br />

poils <strong>de</strong> <strong>la</strong>pin au sommet <strong>de</strong>s hautes<br />

montagnes et les recueillir aux huitième et<br />

neuvième mois lunaires ; les poils du pinceau<br />

doivent avoir un pouce <strong>de</strong> long, cinq pouces<br />

pour le manche, <strong>la</strong> pointe doit être uniforme,<br />

le milieu ferme.<br />

Dame Wei (272-349) P<strong>la</strong>n <strong>de</strong> bataille du pinceau<br />

L’étymologie même du caractère archaïque<br />

désignant le pinceau suggère visuellement<br />

l’instrument du peintre et du calligraphe :<br />

un manche <strong>de</strong> bambou prolongé d’une touffe <strong>de</strong><br />

poils enserrés par <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> soie. Les pinceaux<br />

sont le plus souvent en poils <strong>de</strong> martre pour les<br />

poils durs ou <strong>de</strong> <strong>la</strong>pin et <strong>de</strong> chèvre pour les poils<br />

mous. La touffe s’organise autour d’une pointe<br />

centrale, un faisceau <strong>de</strong> poils plus longs<br />

éventuellement raidis et soudés entre eux par<br />

un léger encol<strong>la</strong>ge. La pointe est entourée par<br />

plusieurs manteaux successifs <strong>de</strong> poils plus<br />

courts. A l’intérieur <strong>de</strong> <strong>la</strong> touffe entre le manteau<br />

et <strong>la</strong> pointe est aménagé un espace vi<strong>de</strong> qui sert<br />

<strong>de</strong> réservoir à l’encre. Plongée dans l’encre,<br />

<strong>la</strong> touffe se gonfle, aspire et retient par<br />

capil<strong>la</strong>rité une charge d’encre assez<br />

considérable. L’encre est délivrée par <strong>la</strong> pointe,<br />

<strong>de</strong> façon ténue ou généreuse en fonction <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> pression exercée par <strong>la</strong> pointe sur le papier.<br />

Le pinceau se tient verticalement, le corps entier<br />

participant à <strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong>s caractères,<br />

les poils du pinceau, souples et mous,<br />

transmettent sur le papier les moindres<br />

mouvements du corps. Les lettrés chinois<br />

qui passaient leur vie un pinceau à <strong>la</strong> main<br />

concevaient une véritable vénération pour<br />

cet instrument : il leur arrivait même <strong>de</strong> creuser<br />

<strong>de</strong> petits cimetières avec stèles et épitaphes<br />

pour leurs pinceaux usagés.<br />

Le papier, une invention chinoise<br />

Le papier est à rechercher en s’inspirant <strong>de</strong><br />

l’aspect <strong>de</strong>s œufs <strong>de</strong> poisson du Donyang :<br />

souple, lisse et pur<br />

Dame Wei (272-349), P<strong>la</strong>n <strong>de</strong> bataille du pinceau<br />

Avant <strong>de</strong> servir <strong>de</strong> support à l’écriture, le papier<br />

était utilisé comme matériau <strong>de</strong> protection.<br />

Moins onéreux que <strong>la</strong> soie, il a accéléré <strong>la</strong><br />

diffusion <strong>de</strong> l’écrit. Par les différents procédés<br />

d’imprimerie (xylographie et estampage) il<br />

permet en outre <strong>la</strong> diffusion en grand nombre<br />

<strong>de</strong>s écrits et <strong>de</strong>s images.<br />

Selon <strong>la</strong> légen<strong>de</strong>, le papier aurait été inventé<br />

par un eunuque du pa<strong>la</strong>is impérial, Cai Lun, qui<br />

aurait le premier « eu l’idée d’utiliser <strong>de</strong> l’écorce,<br />

du chanvre, <strong>de</strong>s chiffons et <strong>de</strong>s filets <strong>de</strong> pêche<br />

pour fabriquer du papier ». Il aurait ainsi présenté<br />

son invention à <strong>la</strong> Cour en 105 <strong>de</strong> notre ère.<br />

Cependant <strong>de</strong>s découvertes archéologiques<br />

récentes révèlent un usage du papier antérieur<br />

d’au moins <strong>de</strong>ux siècles. Le plus souvent<br />

plusieurs fibres différentes sont associées dans<br />

<strong>la</strong> pâte et diverses substances végétales ou<br />

animales sont ajoutées pour donner au papier<br />

finesse, résistance et lustre. Les textes citent<br />

par exemple le rotin, l’hibiscus, ou le santal bleu<br />

qui confère au papier <strong>de</strong> Xuan ses qualités <strong>de</strong><br />

b<strong>la</strong>ncheur et <strong>de</strong> finesse. De l’arsenic pouvait<br />

être appliqué au papier pour le protéger contre<br />

les insectes, ce qui lui conférait parfois une<br />

teinte particulière. Parfois, le papier était<br />

apprêté à <strong>la</strong> cire chau<strong>de</strong>.<br />

Accor<strong>de</strong>r le cœur et <strong>la</strong> main<br />

Lorsque Yuke peignait un bambou, il voyait<br />

le bambou et ne se voyait plus. C’est peu dire<br />

qu’il ne se voyait plus.<br />

Comme possédé, il dé<strong>la</strong>issait son propre<br />

corps.<br />

Celui-ci se transformait, <strong>de</strong>venait bambou,<br />

Faisant jaillir sans fin <strong>de</strong> nouvelles fraîcheurs.<br />

Su-Shi (1036-1101)<br />

Accor<strong>de</strong>r le regard au mon<strong>de</strong><br />

Avant <strong>de</strong> peindre un bambou, que celui-ci<br />

pousse déjà en votre for intérieur. C’est alors<br />

que, le pinceau en main, le regard concentré,<br />

vous apercevez <strong>la</strong> vision entière et exacte<br />

surgir <strong>de</strong>vant vous. Cette vision, saisissez-<strong>la</strong><br />

sans tar<strong>de</strong>r par les traits du pinceau, aussi<br />

promptement qu’un faucon chasseur qui fond<br />

sur un lièvre prêt à bondir ! […] Pour réussir<br />

un seul trait, que d’exercices exigés !<br />

Su-Shi<br />

Désir ar<strong>de</strong>nt d’atteindre l’île aux Murailles<br />

Pourpres. Oiseau géant comme j’épouse<br />

ton vol fulgurant !<br />

Qian Qi<br />

On doit pousser son pinceau jusqu’au bout,<br />

d’une manière naturelle, comme le poisson<br />

qui nage à l’aise dans l’eau. On écrit ici avec<br />

douceur, là avec force […], mais toujours<br />

avec le naturel <strong>de</strong>s nuages, épais ou légers<br />

qui gravissent <strong>la</strong> cime d’une montagne.<br />

Meng Tian bijing<br />

S’abandonner au souffle<br />

La vraie règle n’a pas d’orient fixe ; les points<br />

se forment auprès du souffle !<br />

Shitao (1642-1707), connu sous le nom <strong>de</strong> moine<br />

Citrouille-amère<br />

Je n’eus pas <strong>de</strong> peine, à <strong>la</strong> vue du manuscrit, à y repérer<br />

aussitôt le diamant. Trois idéogrammes, détachés, forment une<br />

entité parfaite, unis dans une rythmique presque autonome : le<br />

premier, formé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux coups <strong>de</strong> pinceau rapi<strong>de</strong>s, crée un<br />

espace dynamique avec, opérant entre eux, le souffle du vi<strong>de</strong><br />

médian ; le <strong>de</strong>uxième, concrétisation d’un ar<strong>de</strong>nt désir d’être,<br />

fait <strong>de</strong> contraste et <strong>de</strong> complémentarité entre les traits droits<br />

incisifs et les courbes pleines d’une grâce charnelle ; puis le<br />

<strong>de</strong>rnier caractère au tracé impeccable qui termine le tout. Ce<br />

caractère qui veut dire « un », signifiant l’unité originelle,<br />

constitue, justement, l’« Unique Trait <strong>de</strong> Pinceau », <strong>la</strong> base<br />

même <strong>de</strong> tout l’art chinois.<br />

Extrait du Dix-Septième (Pelliot chinois 4642 rés.)<br />

(François Cheng, Chine : l’empire du trait, éditions BNF, 2004, avantpropos).<br />

Rejoindre « l’unique trait du pinceau »<br />

Chaque trait que trace le pinceau n’est pas<br />

une simple ligne, mais déjà une manière<br />

<strong>de</strong> dire. Le trait est à <strong>la</strong> fois Forme et<br />

Mouvement, il est une transcription visuelle<br />

du souffle.<br />

L’unique trait <strong>de</strong> pinceau est l’origine<br />

<strong>de</strong> toutes choses, <strong>la</strong> racine <strong>de</strong> tous<br />

les phénomènes.<br />

Shitao<br />

Faire corps avec les lignes naturelles <strong>de</strong>s choses<br />

Le wen au sens <strong>de</strong> « modèle dynamique »<br />

est déjà dans <strong>la</strong> nature, il suffit <strong>de</strong> le suivre<br />

à <strong>la</strong> façon du couteau du sculpteur <strong>de</strong> ja<strong>de</strong><br />

épousant les veines déjà inscrites dans<br />

<strong>la</strong> matière elle-même.<br />

De façon générale, dans l’univers, tout<br />

phénomène, tout être doit faire l’objet d’une<br />

stimu<strong>la</strong>tion selon ses propres tendances<br />

naturelles jusqu’à <strong>la</strong> suppression <strong>de</strong>s<br />

désaccords pour qu’ensuite se réalise <strong>la</strong><br />

paix : c’est ce qui s’appelle <strong>la</strong> raison céleste.<br />

Commentaire <strong>de</strong> Duan Yucai au Shuowen Jiezi,<br />

in Wangdao ou La Voie royale, vol. II,<br />

École française d’Extrême-Orient, 1980<br />

C’est bien <strong>la</strong> même idée que traduit<br />

le peintre-calligraphe Shitao<br />

lorsqu’il écrit : « du moment que<br />

l’esprit s’en forme d’abord une<br />

vision c<strong>la</strong>ire, le pinceau ira jusqu’à<br />

<strong>la</strong> racine <strong>de</strong>s choses ».<br />

Lenteurs et fulgurances<br />

Le geste lent produit <strong>la</strong> grâce, le geste rapi<strong>de</strong><br />

produit <strong>la</strong> force. Il faut cependant possé<strong>de</strong>r<br />

<strong>la</strong> rapidité pour maîtriser <strong>la</strong> lenteur.<br />

Jang Kui<br />

Vi<strong>de</strong> et plein<br />

C’est dans le vi<strong>de</strong> que voguent les nuages et<br />

volent les oiseaux ; c’est par le vi<strong>de</strong> que leurs<br />

mouvements se renouvellent sans cesse.<br />

Wenshi Zhenjing

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