Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus - Seuil
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histoire <strong>des</strong> <strong>grands</strong>-<strong>parents</strong> <strong>que</strong> <strong>je</strong> n’ai <strong>pas</strong> <strong>eus</strong><br />
années. Simple ouvrier. Pourquoi cette supposition ? Parce<br />
<strong>que</strong> aucun document ni aucun témoignage n’indi<strong>que</strong> qu’il<br />
possède une échoppe, et aussi parce qu’il fré<strong>que</strong>nte assidûment<br />
le Syndicat <strong>des</strong> métiers du cuir et les Jeunesses<br />
communistes. J’en conclus qu’il travaille pour un patron<br />
(C. Engelman, U. Engelman, D. Goldberg, A. Pilczer,<br />
J. Sokolowski ou S. Solarz, selon l’annuaire professionnel de<br />
1929), à moins qu’il ne soit au chômage. Dans tous les cas,<br />
il se situe au bas de l’échelle sociale, juste avant les indigents.<br />
C’est dommage pour lui, car il me paraît évident<br />
qu’un bourrelier à son compte ne man<strong>que</strong> <strong>pas</strong> d’ouvrage.<br />
Tout le monde circule en charrette ou en carriole, les paysans<br />
labourent avec <strong>des</strong> chevaux de trait, et tous ces harnais<br />
et ces bri<strong>des</strong> s’usent, se cassent : après la fabrication vient le<br />
service après vente. Aussi le bourrelier de Parczew prospèret-il<br />
comme aujourd’hui le garagiste de Châtillon-sur-Seine<br />
– tant qu’on n’établit <strong>pas</strong> devant sa bouti<strong>que</strong> un pi<strong>que</strong>t de<br />
boycott pour empêcher les chrétiens d’entrer.<br />
I<strong>des</strong>a est une beauté, tous les témoignages concordent sur<br />
ce point. Nous possédons en tout et pour tout six photos<br />
d’elle, ce qui n’est <strong>pas</strong> trop mal : un portrait de pied où,<br />
gamine maigrichonne en jupe plissée et escarpins, elle est<br />
figée comme un Pierrot lunaire sous la lumière d’un pro<strong>je</strong>cteur<br />
de studio, la main affectu<strong>eus</strong>ement posée sur l’épaule<br />
de sa mère, Ruchla Korenbaum ; une photo où elle est arrêtée,<br />
en compagnie d’un inconnu, un monsieur plus âgé,<br />
devant un arbre parmi les broussailles ; <strong>que</strong>l<strong>que</strong>s portraits<br />
d’identité où elle porte corsages et vestes à col pointu – ce<br />
devait être la mode. Sur une photo de groupe de la <strong>je</strong>unesse<br />
de Parczew, elle rayonne dans la plénitude de ses dix-sept<br />
ans (nous serions au début <strong>des</strong> années 1930). Son regard est<br />
aussi noir et aussi profond <strong>que</strong> sa chevelure. Dans le creux<br />
de son cou, autour de ses sourcils, dans ses fossettes, sur<br />
l’ourlet de ses lèvres charnues, <strong>des</strong> ombres font ressortir la<br />
blancheur veloutée de la peau. Les nattes brunes qui chutent<br />
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