Cavaliere 29 - Pascal Lahure

Portrait Isabelle Barrallié
« Mes chevaux
m’ont sauvé la vie »
Depuis ses 18 ans, Isabelle Barrallié souffre d’anorexie. Pour l’aider à s’en sortir, ses parents et sa
grand-mère lui offrent un cheval. Pour pouvoir le monter, elle va reprendre du poids et confiance en
elle. Après quelques années de bonheur, elle rechute. La mort de son étalon ne va faire qu’accroitre sa
souffrance. Aujourd’hui, elle est bien décidée à remonter la pente.
Par Mélanie Courtois, photos Pascal Lahure
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Sans «
mes chevaux, je ne serais plus là
aujourd’hui », explique Isabelle Barrallié,
d’une voix tremblante. À 28 ans, cette jeune
femme a traversé des moments très difficiles :
elle est anorexique depuis 10 ans et vient de
perdre, au mois de janvier, Quintero, son magnifique étalon,
voué pourtant à une belle carrière. L’équithérapie, elle
y croit et à tous les niveaux. « Les chevaux jouent un rôle
aussi bien sur le plan psychologique que physique : ils m’ont
permis de prendre confiance en moi mais aussi de trouver
la force de garder mon corps en état, pour pouvoir les monter.
Et ils créent aussi du lien, avec d’autres passionnés qui
ont su m’apporter énormément de soutien lorsque j’en ai eu
besoin. » Si elle n’a pas toujours pu en parler ouvertement,
Isabelle n’a aujourd’hui plus peur de l’affirmer : « Je me
serais laissée mourir sans l’arrivée de Magnifico. »
Pour ses 20 ans, Isabelle
voit débarquer el
magnifico, un pre de 6
ans, petit, retif, arrivant
d’espagne. pendant un an
elle reprend goût
à la vie.
« Magnifico, le cheval de ma vie »
À 17 ans, l’année de son Bac, Isabelle est hospitalisée. Elle
est à bout de force et même si elle aime ses proches, elle
ne trouve plus de raisons de se lever le matin. « Heureusement,
mes parents et ma grand-mère ont eu une idée génialissime,
raconte la jeune femme. Ils savaient que j’aimais
les chevaux. Déjà en maternelle, j’en dessinais tout le temps.
J’ai ensuite fait du club de mes 11 ans à mes 16 ans. Mais
j’ai été vite déçue : l’approche ne me plaisait pas. J’aimais
davantage m’occuper de l’animal que de lui monter dessus.
J’ai donc arrêté en me disant qu’un jour, j’aurais mon propre
équidé. Voyant que j’étais au fond du gouffre, mes parents
m’ont proposé une sorte de contrat, ils m’ont dit ‘‘si tu arrives
à avoir une meilleure condition physique pendant un an,
nous t’offrons un cheval’’. Ça a été dur mais j’ai tenu bon. »
C’est ainsi que pour l’anniversaire de ses 20 ans, Isabelle
voit débarquer dans sa vie El Magnifico, un PRE de 6
ans, petit (1,55 m alors qu’Isabelle mesure 1,78 m), rétif,
arrivant d’Espagne. Pendant un an, la jeune fille reprend
goût à la vie. Le couple part en balade et s’offre de grands
galops, dans la campagne ou sur la plage. « C’était une vraie
période de détente », explique Isabelle. Elle rencontre alors
Carole Marti, monitrice et cavalière de dressage de haut
niveau, et part faire une semaine de stage chez elle. Elle a
alors une révélation pour le dressage. « De retour dans mes
écuries, je décide de tout tester : les longues rênes, le carrousel
avec des amis qui avaient une troupe, la doma vaquera
(discipline équestre inspirée du travail des cavaliers andalous
avec les troupeaux bovins : il s’agit de reproduire dans
une carrière de dressage, les figures faites dans les champs
face au taureau). J’ai découvert et appris seule : je regardais
des vidéos ou d’autres cavaliers et j’essayais de reproduire.
Ça ne marchait pas, ça ne marchait pas… jusqu’au jour où
ça marchait. Petit à petit, j’ai découvert tous les ‘‘boutons’’
de mon cheval. J’ai passé énormément de temps avec lui, à
pieds. » Le couple commence à sortir en démonstration : il
fait un « pas de deux » au cabaret équestre du salon Cheval
passion en janvier 2006, participe à des concours ou fêtes
locales (le Sud de la France ne manque pas d’animations
l’été !). Il se classe notamment 4 e lors du concours national
« Jeunes talents du spectacle équestre » de Montferrat,
avec un numéro aux longues rênes. « Nous avons continué à
beaucoup travailler et l’été 2007 a été une très bonne saison.
J’ai remporté deux concours jeunes talents, à Montferrat et
à Cagnes sur Mer, avec un solo de garrocha (ndlr : bâton de
3,50 m aidant au tri des taureaux dans les champs espagnols.
Le cavalier monte les rênes dans la main gauche, la
garrocha dans la droite et doit exécuter au pas et au galop
toutes les figures classiques de dressage ainsi que celles
imitant les réactions du cheval en train de travailler face
au taureau. C’est l’une des facettes de la doma vaquera).
J’avais acheté un bâton et petit à petit j’avais travaillé avec.
La première fois, Magnifico l’a regardé bizarrement puis il
s’est habitué jusqu’à ce qu’il me fasse une pirouette dessous.
J’avoue qu’il nous est arrivé de nous prendre quelques coups
mais nous nous connaissions par cœur et nous avons beaucoup
progressé. » Les deux inséparables multiplient les fêtes
ibériques, les représentations et les concours. Isabelle et
Isabelle et El Magnifico
Isabelle et Genio XXVII
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Portrait Isabelle Barrallié
isabelle a encore beaucoup
de mal à réaliser que
quintero ne reviendra
jamais. mais avec genio,
une nouvelle histoire
commence.
Isabelle et Quintero XVII
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son cheval s’éclatent. Mais la jeune femme aimerait bien
participer également à des masters ibériques (concours
de dressage réservés aux équidés de Pure race espagnole
et Pur-sang lusitaniens où le cavalier monte en costume
traditionnel). Pour cela, le cheval doit avoir des papiers ce
qui n’est pas le cas de Magnifico. Isabelle part donc à la
recherche d’une deuxième monture.
« Quintero, le cheval de mes rêves »
Elle en voit plusieurs mais rien ne se passe jusqu’à ce coup
de cœur pour un jeune entier de 4 ans, pas débourré,
grand, enrobé, très frimeur. Ce sera lui, Quintero XVII. Il
débarque à Toulon où vit Isabelle en novembre 2007. Elle a
25 ans. « Je le débourre en un mois, très facilement, dans une
carrière ouverte. Je ne savais pas trop comment m’y prendre,
je ne l’avais jamais fait mais cela s’est très bien passé, même
s’il s’est révélé très sensible, raconte la jeune femme. Il ne
me pardonnait aucune faute. Je devais doser mes aides. Très
vite, je l’emmène chez la troupe de mes amis pour l’habituer
à travailler avec d’autres entiers. Et dès l’été, soit 5 mois
après son débourrage, il faisait ses premiers carrousels à la
féria de Béziers, à celle de Saint Gilles… Je continuais aussi à
présenter mes numéros solos avec Magnifico. Quintero nous
a accompagnés partout. Comme cela, il s’est habitué à l’ambiance
bruyante et chaleureuse de ces manifestations ». Il fait
sensation : les spectateurs tombent sous le charme de ce
beau cheval. Isabelle et Magnifico se classent 2 e au concours
de Montferrat lors d’un « pas de deux » avec Paul Giraud
et Sisco. Elle participe aussi à son premier Master ibérique
avec Quintero. « Il s’en est très bien sorti, surtout que j’avais
fait une grosse chute une semaine avant, juste devant lui. Il
n’a pas pu éviter de me marcher sur la cuisse. J’étais ouverte
mais j’ai refusé de voir le médecin, je voulais absolument
participer à ce concours. » Elle consulte ensuite mais trop
tard : une infection s’est développée dans la jambe, elle doit
se faire opérer trois mois après, fait une phlébite quelque
temps plus tard… Elle continue pourtant à travailler ses
chevaux, en hiver 2008 et, avec une jambe en mauvais état,
elle accompagne sa troupe d’amis (la Finca de St Gilles)
à Cheval passion en janvier 2009 : carrousels, numéros
à plusieurs, présentation de chevaux PRE… « C’était
impressionnant de voir 10 étalons gris évoluer ensemble,
raconte Isabelle. Ce que je faisais avec Quintero n’était pas
très technique mais c’était propre, symétrique. J’étais très
fière de lui. » Elle initie ensuite Quintero à la garrocha au
printemps 2009 et reprend les concours : championnat de
France PRE et PSL, modèles et allures et Master ibérique à
Beaucaire. Elle participe également au spectacle officiel de
Montferrat (Broceliande, la légende du roi Arthur, mis en
scène par Philippe Chainet), avec Quintero. Et le présente
pour la première fois en solo lors de nombreux spectacles
tout l’été. C’est une évidente : il est né pour ça ! Magnifico
est toujours là, monté par Lola, une jeune (13 ans !) amie
de la famille. L’hiver 2009, les entraînements continuent.
La santé d’Isabelle se dégrade et sa grand-mère meurt. Elle
traverse une période difficile mais s’accroche. Elle décide
qu’il est temps pour Quintero de s’y mettre sérieusement.
« Je l’ai attendu car les PRE sont tardifs et j’ai bien fait. Il
était prêt et il m’a tout donné, raconte la jeune femme. Il
s’est révélé excellent en dressage et en doma vaquera. En juin
il pirouettait et en juillet il pirouettait sous la garocha. Il était
très bien dans sa tête et son corps. J’hésitais à le sortir en solo
cet été-là mais la troupe me confie des numéros seule et j’y
vais. Quintero me passe tout. Nous avons passé un été exceptionnel.
Je ne me suis jamais fait autant plaisir. Il avait 7 ans
et il était au top ! » Isabelle a plein de projets en tête mais
elle fait une rechute. « J’étais très fatiguée, j’avais des problèmes
sentimentaux, j’avais perdu ma grand-mère… mon
corps ne suivait plus et je me suis effondrée en décembre. »
Elle se fait hospitaliser et doit renoncer à Cheval Passion.
« J’avais besoin de faire un break et de vraiment travailler
sur ma maladie. Je n’avais jamais résolu les causes, j’avais
en quelque sorte mis un plâtre sur une jambe de bois. » En
janvier, elle obtient l’autorisation de sortir 4 jours et se
rend chez ses amis avec Quintero. Après un mois et demi
dans sa chambre d’hôpital, cela lui fait un bien fou. Elle se
remet en selle et son étalon exécute des figures de dressage
comme jamais. Elle repart regonfler à bloc. Mais le samedi
22 janvier 2011, elle reçoit un appel des écuries. Quintero
est mort. Elle ne veut pas y croire, puis elle s’effondre. Tout
allait si bien, il était en parfaite santé. Elle reste de longues
heures à ses côtés à le caresser. « Je ne pouvais pas le
quitter, on a dû m’arracher à lui. J’y suis retournée le lundi
pour la venue de l’équarrisseur. Je ne pouvais pas le laisser
partir comme un tas de viande, je lui devais au moins ça. »
L’autopsie révélera qu’il s’agit d’une rupture de l’aorte :
c’est imprévisible et insoignable. Le monde d’Isabelle s’effondre.
Quintero était le cheval de ses rêves, avec lui elle
avait frôlé la perfection et s’attendait à vivre tellement de
moments inoubliables. Elle est en colère, ne comprend pas
l’injustice de cette mort. « Il s’en est allé au sommet de son
art. Souvent, avant, je ne pouvais croire qu’il était à moi, il
était tellement parfait. Je me disais ‘‘ce n’est pas possible, on
va venir me le reprendre’’. Peut-être avais-je senti quelque
chose. »
Genio, le cheval de la renaissance
Isabelle est au fond du gouffre, son état et son moral sont
au plus bas. Elle retourne à l’hôpital, se coupe du monde,
incapable de partager sa détresse. Mais elle n’oubliera
jamais l’élan de générosité des personnes qu’elle connaît,
en vrai ou via Internet. Elle reçoit des dizaines, des centaines
de courriers, de mails, d’appels téléphoniques. « Je
n’avais pas la force de leur répondre mais cette générosité
gratuite, ce soutien m’ont beaucoup touchée », raconte-t-elle,
des trémolos dans la voix. Ses proches lui proposent de
voir d’autres chevaux. Elle refuse, elle est à deux doigts de
tout arrêter. Elle est fatiguée et désespérée. Mais ses amis et
sa famille la forcent à sortir. Elle va même en Espagne voir
des PRE et accepte d’en faire remonter un pour l’essayer.
Le jour de son arrivée, elle remarque dans des écuries un
cheval dans un box. « Je demande qui c’est et on me répond
qu’on me l’a déjà montré. Je ne me souviens absolument
pas, je pleurais tellement que je n’y avais sûrement pas prêté
attention. Personne ne connaît son nom. Quelqu’un me le
sort du box et je ressens un pincement au cœur. Mais l’autre
cheval arrive dans l’après-midi d’Espagne et je ne peux pas
garder les deux. J’essaye quand même cet étalon de 4 ans, qui
n’est pas débourré mais accepte la selle. Je sens qu’il se passe
un truc. Mon père le ressent aussi. Alors je renonce à l’autre
et je dis oui à Genio, sans comprendre ce qui m’arrive. » Isabelle
lui fait passer une visite vétérinaire : tout est ok. « Je
suis donc devenue sa propriétaire en février, soit il y a un peu
plus d’un mois. Il manquait d’état, il est très sensible, à fleur
de peau. Nous sommes deux écorchés vifs. » Isabelle a encore
beaucoup de mal à réaliser que Quintero ne reviendra
jamais. Mais avec Genio XXVII (de la lignée Don Alvaro
Domecq, fondateur de l’école royale andalouse), une nouvelle
histoire commence. Sur cette page blanche, il y a tout
à écrire. « Je vais y aller doucement, je suis encore très fatiguée.
Nous sommes partis en balade pour la première fois
le week-end dernier avec Lola et Magnifico. Tout s’est très
bien passé. J’ai également fait deux premiers essais avec la
garrocha. Je peux déjà le galoper tout en tenant ce long bâton.
Il m’impressionne. J’espère commencer les spectacles dès cet
été. Je vais faire les solos avec Magnifico, qui a 14 ans maintenant
et Genio va nous suivre partout pour s’habituer et
participer à des carrousels. C’est un nouveau défi qui s’offre
à moi. Genio est le cheval de la renaissance. Il arrive à un
moment très critique de ma vie. Mais si à 18 ans, j’aurais
pu faire une bêtise et me laisser mourir, maintenant je sais
qu’il y a plein de belles choses à vivre. J’aime être avec mes
chevaux, quels que soient l’endroit ou le temps. Je ne peux pas
passer une journée sans les voir, les sentir, les toucher. C’est
vital ! Et lorsque je suis en selle, j’oublie instantanément tous
mes soucis. Je me fais confiance, je vais m’en remettre, je vais
retrouver une meilleure condition physique. J’espère aussi
un jour faire reproduire Genio comme cela était prévu pour
Quintero. Et surtout, je n’oublierai jamais ce que les chevaux
ont fait pour moi. »
Infos
Le site d’Isabelle consacré à El Magnifico
et Quintero XVII (qui sera bientôt mis à
jour) : www.quintero-etalon-pre.fr
Un nouveau site sera créé pour Genio XXVII.
De nombreuses vidéos sont disponibles sur
www.youtube.fr (son pseudo : bellevega)
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