Mat en 4123456789mars 201221
Un peu d’histoireJérôme MaufrasPal Benkö,d’ombre et de lumièreuLa fugue hongroisePal Benkö est un fuyard, un apatride, un survivant. Savie commence de façon tout à fait étonnante en Francepuisqu’il naît à Amiens, en 1928, où son père était ingénieur.La famil<strong>le</strong> quitte toutefois rapidement laFrance pour la Hongrie nata<strong>le</strong> <strong>des</strong> parents du champion.El<strong>le</strong> arrive en 1932 dans un pays dirigé d’unemain de fer par Miklos Horthy. Dans <strong>le</strong>s années Trente,sous la pression de l’opposition fascisante, <strong>le</strong> régimed’Horthy se rapproche d’ail<strong>le</strong>urs de plus en plus decelui d’Hit<strong>le</strong>r. En 1940, la Hongrie rejoint même l’Axe,dans l’espoir de retrouver <strong>le</strong>s territoires confisqués à lasuite de la première guerre mondia<strong>le</strong>.En 1944, Hit<strong>le</strong>r remplace Horthy par Ferenc Szálasi,<strong>le</strong>ader du Parti <strong>des</strong> Croix fléchées, un mouvement nazihongrois, afin d'éviter que la Hongrie ne rejoigne <strong>le</strong>sAlliés comme la Roumanie. À 16 ans, Benkö se retrouveainsi enrôlé de force dans l’armée et assigné àun régiment. Il s’échappe et est pris par <strong>le</strong>s Russes. Ilparvient à s’échapper à nouveau et retourne à Budapestoù il découvre que l’appartement familial a été bombardéet que son père et son frère ont été déportés enRussie pour travail<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong>s usines. Et il n’est pas aubout de ses peines : <strong>le</strong> froid, <strong>le</strong> manqué de protection,la rareté de la nourriture, la perte de son mari et de sonaîné, c’en est trop pour la maman du jeune homme quimeurt à 41 ans. Pal Benkö est bien sûr dévasté par l’accumulationde ces tragédies. Mais il reste une lueur devie dans toutes ces vies brisées : sa petite sœur. Palprend alors son courage à deux mains. Il la laisse entre<strong>des</strong> mains amies et se rend à Szeged où la participationà un petit tournoi lui permet de gagner de la farine etdu bacon. La performance de Benkö impressionne <strong>le</strong>sjoueurs qui lui proposent de faire partie de l’équipe loca<strong>le</strong>et même de donner <strong>des</strong> cours. C’était un environnementrelativement calme et <strong>le</strong> jeune homme putterminer ses étu<strong>des</strong> secondaires.D’un goulag l’autreSon père et son frère finissent par revenir <strong>des</strong> campsde travail soviétiques et la famil<strong>le</strong> connaît un semblantde retour à la norma<strong>le</strong>. Benkö termine ses étu<strong>des</strong> etdevient comptab<strong>le</strong>. Mais <strong>le</strong>s échecs <strong>le</strong> tenail<strong>le</strong>nt toujours.Il gagne ses galons en devenant champion deHongrie à 20 ans. Si seu<strong>le</strong>ment il avait accepté la présencesoviétique, la vie aurait été simp<strong>le</strong> pour lui. Maisson esprit libre ne peut s’accommoder <strong>des</strong> froi<strong>des</strong> exigencesmarxistes et de l’autoritarisme d’État. Lorsd’un tournoi à Berlin, il tente une première fois <strong>des</strong>’enfuir vers l’Al<strong>le</strong>magne de l’ouest. Mais il est pris,ramené à Budapest et mis derrière <strong>le</strong>s barreaux sansprocès pendant un an.Sorti de cet enfer à la Soljenitsyne, Benkö est excludu circuit échiquéen hongrois et mis sous surveillancerapprochée par la police secrète. S’enfuir dans cesconditions devient un véritab<strong>le</strong> pari sur la vie : réussirou mourir, tel<strong>le</strong> est l’alternative. L’occasion se présentelorsqu’on lui propose de jouer un tournoi qualificatifpour <strong>le</strong> zonal. Le premier se qualifierait d’officepour <strong>le</strong> grand tournoi zonal… qui se jouerait dans unpays satellite. Le deuxième irait disputer un barrageen Irlande. Motivé comme jamais, Benkö se retrouverapidement en tête du tournoi. Tant et si bien qu’ilrisque de gagner son bil<strong>le</strong>t pour une autre prison !☛suite22 mars 2012