Gorbatchev vu de province - Pouvoirs

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62 Ariette Sennegon-Meisterpolitique qui repose sur le pouvoir démesuré du premier secrétairede l'organisation locale du parti. Celui-ci, souvent comparé à un roi,sert de courroie de transmission entre le pouvoir central et la popu¬lation locale et, tout en satisfaisant Moscou formeUement, laisse lesystème de clientèle se perpétuer en accord avec la culture et lestraditions. Dans le discours surtout, la « perestroïka est déjà de l'his¬toire ancienne » : pour le secrétaire du Parti azerbaidjannais eUedate du moment où il y a déjà plusieurs années on a commencé « àtraire les vaches mécaniquement », alors que le responsable d'un petitatelier de joaUlerie au Daghestan précise en montrant quelquesobjets ciselés : « Nous l'avons faite depuis longtemps... une bonnefabrique n'en a pas besoin... mais U faut de la discipline pour lesouvriers paresseux. » Ce secrétaire du parti d'une viUe de montagne,lui, souhaite aimablement la bienvenue aux étrangers au Daghestan,« au nom de la perestroïka ».Mais la tentative gorbatchévienne de démocratiser l'appareUpolitique, par une plus grande « participation » à la base et une luttecontre la corruption par l'épuration dela nomenklatura locale,dérange le statu quo, et est considérée comme une tentative debriser la spécificité musulmane, et de maintenir l'emprise du pouvoirde Moscou. Ceci est conforté par le fait qu'aucune déclaration officieUen'est venue remplacer les violentes attaques du secrétaire général àTachkent en novembre 1986 « contre toutes formes de manifestationsreligieuses ». Le remplacement du chef du Parti kazakh par un Russedix jours plus tard et les émeutes qui ont suivi font dire à plus d'unque Gorbatchev ne connaît pas la province et ne tient en aucun cascompte des réalités des républiques islamiques.Toutes les mesures prises par Moscou pour accélérer le dévelop¬pement de ces régions, comme le transfert de nombreuses famUlestadjiks vers le nord avec le but avoué par les autorités de leur assurerune formation professionnelle et paUier le manque de cadres locaux(la main-d'ouvre rurale est pléthorique et justifie le choix des Russespour l'encadrement, alors que l'intelligentsia locale dénonce uneformation au rabais) ou le programme de planning familial visant àstopper la croissance démographique inquiétante de cette région, sontinterprétées comme un moyen de démanteler les famiUes soudées parla tradition musulmane.L'Ousbekistan résout le problème en contentant Moscou par desrenouveUements successifs de cadres sans toucher aux plus hautesinstances. Et l'on se demande en coulisses : « Quand donc finira-t-eUecette perestroïka ? »
Gorbatchev vu de province 63Pour la Glasnost se référer à MoscouSi pour ce jeune mUitant ouzbéque, grâce à la Glasnost « on peutmaintenant critiquer les vieux cadres autrefois intouchables duparti », pour ce jeune Sibérien « eUe n'est qu'un slogan articulé parla presse centrale ». Interrogé sur un article paru dans un journalmoscovite sur l'impopularité croissante de la guerre d'Afghanistanparmi les jeunes, le directeur de la radio et télévision répond « qu'iciau Tadjiskistan, chaque jeune est fier, jusqu'à nouvel ordre, de faireson devoir internationaliste ».Là, comme en Ukraine ou ailleurs, la Pravda est difficUe à seprocurer, « seul organe habilité à véhiculer officiellement la Glasnost »,la presse locale ne se hasardant pas à prendre les devants dans cedomaine : l'exemple de ce rédacteur en chef d'un journal local deVladimir en Russie, qui voulait publier un article sur les abus de pouvoirdes autorités locales et s'en est vu empêché par la section locale duparti, sous prétexte qu'eUe saperait l'autorité du parti, n'est pasun cas isolé.Si beaucoup définissent la démocratisation comme une « aérationdu climat social », qui se manifeste par le fait qu'on ait moins peurde parler ou d'être dénoncé par ses voisins, les provinciaux en généralse plaignent des pouvoirs démesurés des organes de sécurité locauxà la merci desquels ils se trouvent placés encore aujourd'hui, victimes,loin de l'attention des médias et observateurs étrangers, de chantages,tracasseries et de nombreuses persécutions.Toutes ces visions, interprétations et rêves de perestroïka luiconfèrent une espèce d'intemporalité telle qu'elle donne à beaucoupl'impression d'avoir été déjà vécue, sans avoir vraiment commencépour eux. Bien rares sont les cas où on lui reconnaît le mérite del'innovation et encore plus ceux où l'on apprécie à juste titre laportée économique de cette réforme. Et la tendance à l'assimUer à desmesures disciplinaires ou encore plus, à une nouvelle série de mesuresadministratives (qu'on pourra donc aisément contourner) montrequ'eUe est restée dans l'ensemble incomprise.Peut-être parce que, comme l'exprime ce Moscovite, « on veutremplacer les combines qui nous ont permis de survivre jusqu'ici,par quelque chose de nouveau et incertain, dont on a oublié de nousdonner le mode d'emploi ».Résumé. Des républiques baltes ou de celles d'Asie centrale, de Sibérieou de Géorgie, on juge avec circonspection la réforme de Moscou. La peres¬troïka est perçue comme une autre directive venant de Moscou.
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