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VAREILLE, Arnaud, " Mirbeau l'obscène ", Cahiers Octave Mirbeau ...

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ce sont ces mêmes connotations qui, consubstantielles au Journal d’une femme de chambre 32 , puis,par le jeu de la rumeur et du succès, aux parutions mirbelliennes, qui provoquent le désir du lecteur.Cette captation de l’attention du narrateur-personnage et du lecteur par la figure féminine estd’autant plus nette que la femme prend en charge la conduite de l’action (Clara) ou de la narration(Célestine) à la première personne du singulier. Imposant sa silhouette, elle impose de surcroîtl’échange direct avec ses interlocuteurs par la forte puissance de sollicitation que possède le « je »dans l’échange communicationnel. <strong>Mirbeau</strong> semble avoir retenu la leçon du Déjeuner sur l’herbe deManet, dont Meyer Schapiro souligne l’une des causes du scandale qu’il suscita en évoquant « leregard de la femme [qui] s’adresse au spectateur et sollicite en retour le sien, comme si la nudité,parmi ces Parisiens en train de converser, représentait son moi social normal 33 ». Chez <strong>Mirbeau</strong>,nous retrouvons le principe du tableau : l’indécente apostrophe du lecteur par le personnageféminin. « L’œillade verbale » du texte fonctionne donc comme détournement, tant il est vrai que« [c]e qui séduit n’est pas tel ou tel tour féminin, mais bien que c’est pour vous. Il est séduisantd’être séduit, par conséquent c’est l’être séduit qui est séduisant 34 ».Cette relance de l’intérêt du texte par le détournement du but premier désigné et obscènedans son évidence, ressortit à la séduction dont « [l]a stratégie […] est celle du leurre 35 ».B. Mourir comme image : l’avènement de la parole.Destinée à capter le regard du lecteur, la figure féminine n’en laisse pas moins cristalliser surelle la thématique érotique, mais va user de cette prérogative pour fasciner le lecteur avant d’enrevenir au réel. Dans Le Jardin des supplices comme dans Le Journal d’une femme de chambre, lepersonnage s’extrait de la gangue de son être féminin, renvoyant à l’obscénité du corps sexué, pouraccéder à la parole. Euphémisation du réel, la figure féminine n’en oublie pas pour autant sa tâcherévélatrice et instaure, après la connivence première du désir, un véritable dialogue avec le lecteur,échange dont le but est bien la lutte pour imposer sa propre représentation de la réalité sociale contrecelle de l’interlocuteur :Les diagonales, ou les transversales de la séduction peuvent bien briser lesoppositions de termes, elles ne mènent pas à une relation fusionnelle ou confusionnelle, […]mais à une relation duelle, non pas une fusion mystique du sujet et de l’objet, ou du signifiantet du signifié, ou du masculin et du féminin, etc., mais une séduction, c’est-à-dire une relationduelle et agonistique 36 .Le Jardin des supplices propose un modèle complexe puisque Clara ne prendra la parole etn’orientera le texte qu’après que le narrateur-premier l’aura présentée sous l’apparence de la femmefatale. C’est dans le renversement des places qui s’instaure, dans la seconde partie de l’œuvre, danslaquelle Clara devient le mentor, le guide, tout autant fascinante par ses attributs que par les terriblesmystères qu’elle révèle, que le lecteur passe sous la domination de la voix féminine. Rien de pluspropre à cette volonté de capter l’attention de l’interlocuteur que cette fusion du regard, du corpsféminin et de la parole comme en témoigne la réplique du narrateur, littéralement sous le charme deClara : « Rien ne nous presse, ma chère Clara… Nous verrons toujours assez d’horreurs… Parlemoiencore comme tu me parlais il y a une seconde où j’aimais tant ta voix, où j’aimais tant tesyeux 37 ! »Célestine pour sa part assume d’emblée la responsabilité de l’énonciation et de la teneur despropos de son journal. Sa dimension charnelle apparaît au détour des pages, mais peu à peu c’estson regard sur le monde qui prévaut, entraînant à sa suite celui, scrutateur, que le lecteur, invité encela par le titre, portait sur elle seule.32On a déjà fait remarquer la puissance évocatrice du mot « journal » lorsqu’il présupposait l’irruption du lecteur dansl’intimité de son auteur et combien la fonction de Célestine était un facteur fantasmatique important. On peut ajouter quele succès de la publication partielle du Journal des Goncourt à partir de 1887, avec son lot de révélations avérées ouhasardeuses, accentue la dimension scandaleuse du genre.33Cité par H. Damisch, op. cit., p. 70.34Vincent Descombes, L’Inconscient malgré lui, cité par J. Baudrillard, op. cit., p. 96. C’est l’auteur qui souligne.35J. Baudrillard, op. cit., p. 99.36J. Baudrillard, op. cit., p. 145. C’est l’auteur qui souligne.37<strong>Mirbeau</strong>, Le Jardin des Supplices, Folio, 1997, p. 193.

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