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À propos de L'Amour de la femme vénale - Octave Mirbeau

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complexité <strong>de</strong> sa vie affective. Ce passé vénal n’empêche pas <strong>Mirbeau</strong> d’approfondir sare<strong>la</strong>tion amoureuse, conclue par un mariage. La légèreté grivoise, l’accent graveleux quiaccompagnent généralement l’évocation du <strong>de</strong>mi-mon<strong>de</strong>, <strong>la</strong> carrière d’une courtisanequalifiée par <strong>de</strong>s <strong>propos</strong> hardis dans le plus pur style du Gil B<strong>la</strong>s, toute cette imagerie fin-<strong>de</strong>siècleliée à <strong>la</strong> prostituée et au rapport vénal ne correspon<strong>de</strong>nt pas à <strong>la</strong> situation <strong>de</strong> <strong>Mirbeau</strong>.Ce <strong>de</strong>rnier offre effectivement le rare exemple d’un homme qui a su nourrir et mener à termeun sentiment amoureux ébauché auprès d’une ancienne prostituée. Ce mariage provoqued’ailleurs un certain nombre d’interrogations. Défi aux conventions sociales, volontéd’atteindre à une plénitu<strong>de</strong> sexuelle et affective, désir d’expiation sont les premièreshypothèses envisagées. Aussi, L’Amour <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>femme</strong> <strong>vénale</strong> présente-t-il <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong>réponse précieux sur les rapports <strong>Octave</strong>-Alice. Contrairement aux confessions pessimistes<strong>de</strong>s Contes cruels, aux semi-aveux sur ses déboires conjugaux disséminés dans son œuvreromanesque et sa correspondance, ce manuscrit dévoile un homme qui <strong>propos</strong>e unepossible carte du tendre à partir <strong>de</strong> l’alcôve <strong>vénale</strong>. Le lecteur est vite pénétré par <strong>la</strong> sincérité<strong>de</strong>s sentiments exposés. Une pitié tendre, un regard <strong>de</strong> dilection sont posés sur <strong>la</strong> <strong>femme</strong>prostituée et en même temps sont confessés le goût <strong>de</strong> <strong>la</strong> souillure, l’attirance <strong>de</strong> l’abjection,une tentation sadienne pour le sacrilège.Mais cette vénalité envahit également sa vie professionnelle. A<strong>la</strong>in Corbin et Pierre Michelinsistent longuement sur l’aspect vénal <strong>de</strong> sa carrière journalistique. Enrôlé dans l’aventurebonapartiste sous l’égi<strong>de</strong> <strong>de</strong> Dugué <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fauconnerie (4) , caudataire obligé <strong>de</strong>s traînesimpériales, le fougueux pamphlétaire a appréhendé très tôt cette corruption politique liée aumon<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> presse, comme le développe Pierre Albert dans son Histoire générale <strong>de</strong> <strong>la</strong>presse française (5) . Ce pénible porte-à-faux a <strong>de</strong>ux conséquences. D’une part, l’auteur <strong>de</strong>sGrimaces va établir un lien constant entre sa situation <strong>de</strong> chroniqueur vénal et le fait qu’il soitl’époux d’une ancienne prostituée. D’autre part, cette obsession <strong>de</strong> <strong>la</strong> prostitution va l’ai<strong>de</strong>r àdéterminer ses choix politiques et nourrir durablement son œuvre romanesque. Lorsque<strong>Mirbeau</strong> exécute ses premières gammes à L’Ordre <strong>de</strong> Paris, il consacre plusieurs articles à<strong>la</strong> ga<strong>la</strong>nterie. Son rôle <strong>de</strong> chroniqueur l’obligeant à rendre compte <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie parisienne, il vapeindre une République aux institutions sans vertus. Au lieu d’employer les arguments d’unbonapartisme misonéiste, il va étayer son antirépublicanisme par <strong>de</strong>s tableaux succincts etpercutants sur le mon<strong>de</strong> ga<strong>la</strong>nt dans <strong>la</strong> société parisienne. Ses articles révèlent cettedichotomie permanente entre le corps social et le corps prostitué. Par exemple, dans unarticle du 15 décembre 1875 (6) , il dénonce <strong>la</strong> vie ga<strong>la</strong>nte <strong>de</strong>s actrices. Se profile <strong>de</strong>rrièrecette scène parisienne <strong>la</strong> condamnation radicale <strong>de</strong> <strong>la</strong> République. Le chroniqueur détaillecette prostitution voilée chez les comédiennes, néfaste au Théâtre et au renouveaudramatique. Cette représentation attrayante <strong>de</strong> <strong>la</strong> dépravation, cette absence d’éthiqueavilissent le spectateur. La culture dans <strong>la</strong> propagan<strong>de</strong> républicaine ne sert qu’à asservirl’individu aux yeux <strong>de</strong> <strong>Mirbeau</strong>. Outre cette absence d’Idéal, il constate dans une chroniqueintitulée « Leurs sœurs » l’aberration <strong>de</strong>s décisions politiques envisagées par le régime :Les signataires <strong>de</strong> <strong>la</strong> pétition qui nous occupe, et parmi lesquels se trouve M. Rouvier, dont <strong>la</strong>compétence en pareille manière nous paraît tout au moins suspecte, feront bien <strong>de</strong> réfléchirsérieusement à toutes les conséquences déplorables auxquelles nous entraîneraient leurs idées,si, ce qui est peu probable, elles parvenaient à triompher <strong>de</strong>vant les Chambres. Il nous semble ànous, qui ne sommes pas républicains et qui ne nous bernons pas l’esprit d’idées nuageuses, qu’ily a mieux à faire pour les républicains qu’à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>la</strong> suppression <strong>de</strong> <strong>la</strong> police <strong>de</strong>s mœurs etqu’à protéger l’éclosion, à l’air libre, <strong>de</strong>s fleurs du mal (7) .Cette floraison <strong>de</strong> <strong>la</strong> vénalité ne cessera <strong>de</strong> surprendre <strong>Mirbeau</strong> et il en témoignera ànouveau dans un autre article <strong>de</strong> L’Ordre <strong>de</strong> Paris du 10 janvier 1877. Usant <strong>de</strong> son humourmystificateur et jouant les Candi<strong>de</strong>, il met en scène une <strong>femme</strong> dont <strong>la</strong> toilette permet <strong>de</strong>glisser subrepticement <strong>de</strong>s billets <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>z-vous.Hé bien ! décidément, <strong>la</strong> mo<strong>de</strong> n’est pas si bête. Avec ces poches friponnes, il n’est besoin ni <strong>de</strong>messager, ni <strong>de</strong> soubrette, ni <strong>de</strong> cette odieuse poste-restante, ni <strong>de</strong> bouquets à double fond. Ellesfont les affaires ga<strong>la</strong>ntes mieux et plus sûrement que <strong>la</strong> plus habile <strong>de</strong>s Marton ou le plus délié <strong>de</strong>sFrontin (8) .La pérennité <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>bles pratiques étonne le journaliste. Avec Nana, Zo<strong>la</strong> avait datél’ascension <strong>de</strong>s courtisanes au faîte <strong>de</strong> <strong>la</strong> société et l’avait expliquée par le Second Empire.Cependant, <strong>la</strong> République perpétue ces particu<strong>la</strong>rités sociales. Cette immuabilité <strong>de</strong>s mœursinspirera à <strong>Mirbeau</strong> les belles pages finales du Calvaire. Il associera régulièrement <strong>la</strong>ga<strong>la</strong>nterie à <strong>la</strong> République <strong>de</strong>s gambettistes et <strong>de</strong>s autres gran<strong>de</strong>s figures politiques <strong>de</strong> cette

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