Échecs & sociétéVincent MoretÉchec au handicap !14La Fédération Française Handisport compteplus de 25000 licenciés, répartis dans45 disciplines. Mais pas les échecs. Pasnécessaire. Le jeu d’échecs est un <strong>des</strong> trèsrares sports dans lequel le handicap n’est pasinvalidant. Qu’il s’agisse d’une déficiencesensorielle, motrice ou même intellectuelle.La preuve, avec deux exemples d’intégration, àla fois échiquéenne, mais aussi sociale etprofessionnelle. Adrien Hervais, huit foischampion de France <strong>des</strong> aveugles, estjournaliste radio. Yann Harmand, infirmemoteur cérébral, est responsable <strong>des</strong>ressources humaines dans une filiale d’EDF. Ilpratique les échecs en compétition, mais aussile ski, le parapente et le parachutisme !On estime à près de 12 millions le nombre de personnesen France qui présenteraient un quelconquehandicap pouvant occasionner une gêne dans leursactivités quotidiennes. Parmi eux, on recense près de3,5 millions de déficients mentaux, environ 3 millions dehandicapés moteurs et presque un million d’aveugles.Pour toutes ces personnes se pose de manière récurrentela question de l’intégration dans une société où le handicapest parfois moins lourd à porter que le regard qu’il suscite.« Une grande nation se juge aussi par la place qu'elleaccorde aux personnes handicapées », a affirmé RamaYade, la Ministre <strong>des</strong> sports, lors de son discours le 3 décembredernier à l’occasion de la Journée internationale <strong>des</strong>personnes handicapées. « Notre modèle est un modèled'intégration et de solidarité. Par le sport ! ».En plus de tous les bienfaits physiques incontestables, lesport est effectivement un véritable facteur d’intégrationsociale pour la personne handicapée. « Le sport comptebeaucoup pour nous », explique Gérard Masson, présidentde la Fédération Française Handisport. « Si, pour un valide,le sport est un bienfait, pour un handicapé, c’est une nécessité.Tout comme pour les personnes vali<strong>des</strong>, l’activité spor-
tive permet, pour un handicapé, de conserver une excellenteforme physique. Mais les bénéfices sont égalementtrès importants dans le domaine du développement personnel.Le sport aide la personne handicapée à vivre avecson handicap et à le dépasser en reprenant confiance ensoi. C’est cette confiance qui va lui permettre de s’estimeret d’aller à la rencontre <strong>des</strong> autres. Il faut savoir quelorsqu’on devient handicapé, on perd tous ses repères. Lesport permet de nous recadrer, de nous rééquilibrer mentalement,physiquement et surtout socialement ».Des règles légèrementadaptées pour les aveuglesBizarrement, ou plutôt pas bizarrement du tout, on netrouve pas les échecs parmi les 45 disciplines de laFédération Française Handisport, créée en 1954, toutcomme on ne trouve pas de section handisport à laFédération Française d’Échecs. « On ne s’est jamais réellementposé la question », reconnaît Jean-Claude Moingt, leprésident de la FFE. « Tout simplement parce qu’auxéchecs, on ne fait pas de distinction entre un joueur valideet un joueur handicapé. Tout le monde est ainsi sur un piedd’égalité. C’est la meilleure façon d’intégrer ces personneshandicapées ». Ce qui ne veut pas dire que la Fédération nes’intéresse pas à elles. « Bien évidemment, on reste attentifsà tout ce qui peut être fait pour les handicapés, notammenten terme d’accessibilité dans les tournois. On y estparticulièrement vigilants lorsqu’on décerne le label FFE à<strong>des</strong> opens ».Les aveugles et malvoyants ont certes leur propre fédérationet leur propre championnat (lire plus loin), mais toutest fait pour qu’ils s’intègrent au maximum dans les compétitionsde la FFE. Ce qui est le cas fréquemment, et celane nécessite que de légères adaptations au niveau <strong>des</strong>règles répertoriées dans le livre de l’arbitre.Il va de soi que les handicapés moteurs en fauteuil et lessourds-muets peuvent également concourir à armes la plupartdu temps totalement égales face à <strong>des</strong> adversairesvali<strong>des</strong>. Le jeu d’échecs est assurément un <strong>des</strong> seuls sportsdans ce cas. « Nous en sommes très fiers », assure Jean-Claude Moingt.Le jeu d’échecs commemoyen d’intégrationPar ailleurs, contrairement à une opinion faussementrépandue, même les déficients intellectuels peuvent pratiquerle célèbre jeu de stratégie. Et notamment les enfantstrisomiques. Stéphane Chéron, le président du clubd’Arcueil, n’a aucun doute sur la question. Il est enseignantspécialisé à l’hôpital national Saint-Maurice, un établissementde rééducation pour enfants handicapés, et aaccueilli dans sa classe, il y a quelques années, trois enfantstrisomiques. « Je me sers <strong>des</strong> échecs pour l’enseignement<strong>des</strong> <strong>mat</strong>hé<strong>mat</strong>iques, et les trois enfants trisomiques ont15parfaitement assimilé les règles du jeu. La difficulté réellen’est pas vraiment de leur apprendre, car ils n’ont pas deperte de mémoire. Il faut simplement être un peu pluspatient et simplifier les règles au maximum dans un premiertemps. Je me servais notamment du Chessquito qui sejoue sur un échiquier de 16 cases avec seulement4 pièces » . Un de ces enfants trisomiques a même participéau tournoi "échecs et socialisation" organisé en 2005 àCachan. « L’objectif était de réunir, le temps d’une journéeet dans le cadre d’un tournoi d’échecs, <strong>des</strong> enfants vali<strong>des</strong>issus de milieux favorisés et défavorisés, <strong>des</strong> handicapésmoteurs, et <strong>des</strong> enfants présentant <strong>des</strong> déficiencesvisuelles. » L’enfant trisomique a été parfaitement capablede s’intégrer dans cette compétition au milieu de 130 participants.« Il a même gagné 2 parties sur les 5. Ca l’a énormémentvalorisé ». Un autre de ces enfants trisomiques apoursuivi les échecs au sortir de son passage dans la classede Stéphane Chéron. « Il repasse de temps en temps à l’hôpital.Il a un niveau de 1 300 Elo et continue de jouer surinternet ».Stéphane Chéron : “utliser le jeu d’échecs comme un moyend’intégration pour les enfants handicapés”.Le tournoi "échecs et socialisation" de Cachan a étépérennisé et s’inscrit dans le projet de classe de StéphaneChéron : « Utiliser le jeu d’échecs comme un moyen d’intégrationpour les enfants handicapés ». Le tournoi de l’annéedernière a été gagné par une élève en fauteuil qui nepouvait pas déplacer elle-même les pièces. « Un enfantvalide s’est exclamé qu’il n’osait pas jouer contre elle tellementil la trouvait forte », raconte Stéphane Chéron. « Lanotion de valide-invalide en a été complètement dépassée». Le handicap mis en échec sur les 64 cases, tout unsymbole. ■mars - avril 2010