Les jeunes et le VIH
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dossier<br />
par Pierre Bienvault<br />
Jeunes gays, ne pas rester seuls<br />
face au risque du <strong>VIH</strong><br />
Depuis dix ans, l’épidémie ne cesse de progresser chez <strong>le</strong>s <strong>jeunes</strong> homosexuels qui,<br />
sans être insouciants, m<strong>et</strong>tent souvent à distance <strong>le</strong> risque d’infection par <strong>le</strong> <strong>VIH</strong>.<br />
Une maladie bana<strong>le</strong>, <strong>le</strong> sida ? Une infection qui ne<br />
fait plus peur à personne ? Ce n’est pas complètement<br />
<strong>le</strong> sentiment de Serge Hefez, psychiatre <strong>et</strong><br />
responsab<strong>le</strong> de l’Espace social <strong>et</strong> psychologique d’aide aux<br />
personnes touchées par <strong>le</strong> <strong>VIH</strong>. Lieu où il reçoit régulièrement<br />
de <strong>jeunes</strong> homosexuels masculins qui viennent de<br />
découvrir <strong>le</strong>ur séropositivité. « Bien souvent, ils <strong>le</strong> vivent<br />
comme une véritab<strong>le</strong> catastrophe, raconte-t-il. On voit<br />
des <strong>jeunes</strong> littéra<strong>le</strong>ment effondrés, qui ne s’attendaient<br />
pas à ressentir un tel choc en apprenant <strong>le</strong>ur contamination.<br />
Évidemment, ils savent qu’il existe des traitements<br />
efficaces <strong>et</strong> qu’ils ne seront pas morts dans six mois.<br />
Ils se disent néanmoins que c<strong>et</strong>te infection transformera<br />
en profondeur <strong>le</strong>ur existence, <strong>le</strong>urs rapports aux autres,<br />
<strong>le</strong>urs relations amoureuses. Ils ne savent pas comment<br />
ils vont l’annoncer à <strong>le</strong>urs parents, ni à qui ils pourront<br />
en par<strong>le</strong>r. » Et Serge Hefez de poursuivre : « Ces <strong>jeunes</strong><br />
comprennent que vivre avec <strong>le</strong> <strong>VIH</strong>, ce n’est pas seu<strong>le</strong>ment<br />
faire des examens sanguins réguliers, ni prendre<br />
des comprimés tous <strong>le</strong>s jours. Ils sont conscients qu’en<br />
devenant séropositif, c’est un autre stigmate identitaire<br />
qui vient d’entrer dans <strong>le</strong>ur vie. » Le psychiatre reconnaît<br />
par ail<strong>le</strong>urs que tous <strong>le</strong>s <strong>jeunes</strong> gays ne réagissent pas de<br />
la même manière : « Il existe bien sûr un biais de sé<strong>le</strong>ction,<br />
puisque ce sont plutôt <strong>le</strong>s <strong>jeunes</strong> qui ne vont pas<br />
bien qui font la démarche d’al<strong>le</strong>r voir un psychiatre. Et je<br />
sais par mes confrères infectiologues que d’autres <strong>jeunes</strong><br />
vivent <strong>le</strong>ur contamination de façon beaucoup moins dramatique.<br />
Pour eux, il y a des traitements, ils vont <strong>le</strong>s<br />
prendre <strong>et</strong> c’est tout. »<br />
La maladie de l’autre. Mais pourquoi n’arrive-t-on pas à<br />
faire baisser la courbe de l’épidémie chez <strong>le</strong>s <strong>jeunes</strong> homosexuels<br />
masculins ? Question réccurente à la publication<br />
de chaque nouvel<strong>le</strong> étude épidémiologique (lire p. 4-6).<br />
Car la tendance de fond est là, solide : au sein des nouvel<strong>le</strong>s<br />
générations, l’épidémie sévit principa<strong>le</strong>ment chez<br />
<strong>le</strong>s gays. En 2013, en France, 686 <strong>jeunes</strong> de 18 à 24 ans<br />
ont découvert <strong>le</strong>ur séropositivité. Parmi eux, <strong>le</strong>s deux tiers<br />
étaient des hommes, majoritairement contaminés lors de<br />
rapports sexuels entre hommes (pour 75 % d’entre eux).<br />
Le plus préoccupant est que l’épidémie non seu<strong>le</strong>ment ne<br />
baisse pas, mais gagne du terrain dans c<strong>et</strong>te population.<br />
« Depuis 2003, <strong>le</strong> nombre de découvertes de séropositivité<br />
<strong>VIH</strong> chez <strong>le</strong>s <strong>jeunes</strong> hommes a plus que doublé, en<br />
lien avec une augmentation chez ceux contaminés par<br />
rapports sexuels entre hommes (+157 %). C<strong>et</strong>te augmentation<br />
est beaucoup plus marquée chez <strong>le</strong>s hommes<br />
de 18-24 ans que chez <strong>le</strong>s adultes de 25 ans <strong>et</strong> plus<br />
(+30 %) », souligne l’Institut de veil<strong>le</strong> sanitaire (InVS).<br />
Comme c’est <strong>le</strong> cas pour <strong>le</strong>urs aînés, <strong>le</strong>s <strong>jeunes</strong> gays<br />
sont donc très n<strong>et</strong>tement la population la plus exposée<br />
au virus. Mais <strong>le</strong> message a encore du mal à passer. « En<br />
fait, certains ont une vision très déformée de la réalité<br />
de l’épidémie. Ils pensent que <strong>le</strong> <strong>VIH</strong> touche surtout <strong>le</strong>s<br />
personnes hétérosexuel<strong>le</strong>s ou <strong>le</strong>s “vieux homos”. Il y a<br />
une mise à distance du risque pour eux-mêmes », indique<br />
Annie Velter, sociodémographe, en charge des enquêtes<br />
sur <strong>le</strong>s hommes ayant des relations sexuel<strong>le</strong>s avec des<br />
hommes (HSH) à l’InVS.<br />
Un avis partagé par Gabriel Girard, sociologue, postdoctorant<br />
à l’Institut de recherche en santé publique de<br />
l’université de Montréal. D’après lui, il faut nuancer c<strong>et</strong>te<br />
idée selon laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s <strong>jeunes</strong> gays seraient d’une tota<strong>le</strong><br />
insouciance face au <strong>VIH</strong>. « À part quelques têtes brûlées,<br />
qui sont dans <strong>le</strong> déni ou la prise de risque tota<strong>le</strong>,<br />
personne n’a envie d’être infectée. Mais <strong>le</strong>s messages de<br />
prévention ne sont pas forcément adaptés. Ces <strong>jeunes</strong><br />
gays ne sont pas indifférents au sida, mais ils n’ont pas<br />
<strong>le</strong> sentiment d’être directement concernés. Ils pensent<br />
que <strong>le</strong> <strong>VIH</strong> n’est pas présent dans <strong>le</strong>ur réseau amical <strong>et</strong><br />
sexuel », souligne Gabriel Girard. Comme si, fina<strong>le</strong>ment,<br />
<strong>le</strong> <strong>VIH</strong> « était encore <strong>et</strong> toujours la maladie de l’autre »,<br />
selon <strong>le</strong>s mots de Serge Hefez.<br />
Atteindre la dématérialisation des rencontres. Pour sa<br />
part, Annie Velter m<strong>et</strong> en avant une autre mutation générationnel<strong>le</strong><br />
: <strong>le</strong> fait que la « socialisation » des <strong>jeunes</strong> gays<br />
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Transversal n° 81 mars/avril 2016