AU PARLEMENT DES INTERNAUTES
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Elle permet de développer des outils de prédiction, et peut-être bientôt de<br />
conditionnement, des comportements et des habitudes de vie, de profilage et<br />
de détection des comportements « anormaux ». Les champs d’application de<br />
ces big data gérées dans le nuage numérique sont particulièrement sensibles,<br />
puisqu’ils concernent le marketing ciblé, la personnalisation des recherches et<br />
induit des prises de décision automatiques et discriminatoires.<br />
Dans les faits, le big data réduit considérablement la portée de notre droit à la<br />
vie privée et des lois le protégeant. Il se traduit par un traçage accru des internautes,<br />
et rendent notre droit à l’oubli peu effectif. Il génère aussi des risques<br />
spécifiques, de divulgation, de failles de sécurité́, et d’utilisation détournée.<br />
Il conduit exactement à la situation dont nous voulions nous protéger par la<br />
loi : à la surveillance généralisée de notre société. Et à la marchandisation des<br />
données relatives à notre vie privée, sans que nous ne puissions ni le consentir,<br />
ni le refuser. Comme le souligne benoitement le Conseil d’Etat en 2014, « l’État<br />
est ainsi confronté à la possibilité que ses lois sur la protection des données<br />
personnelles, la liberté d’expression ou la propriété intellectuelle ne soient en<br />
définitive pas applicables à toutes les situations qu’il entend régir ».<br />
Liberté de conscience et d’expression.<br />
L’insaisissabilité des données sur internet, les fausses informations, le hacking<br />
soulèvent aussi la question de notre liberté de conscience, c’est à dire de notre<br />
droit à vivre selon des valeurs ou des principes que nous aurons choisis. La navigation<br />
sur internet relève en effet de la vie privée, et contribue à définir les<br />
valeurs dans lesquelles l’internaute se reconnaît. Dès lors que cette navigation<br />
peut être orientée, à des fins commerciales, culturelles ou idéologiques, il y a<br />
un risque de manipulation. Et donc d’une atteinte à la liberté de conscience,<br />
comme le révèlent les orientations idéologiques de la censure sur Facebook 10 ,<br />
ou la mise en évidence des interférences des hackers russes dans l’élection<br />
américaine de 2016.<br />
De même, l’absence de confidentialité véritable dans les communications individuelles<br />
réduit notre liberté d’expression, en plaçant potentiellement chacun<br />
de nos mots dans le domaine public. Ainsi, Tim Berners-Lee, un des créateurs<br />
de l’internet, constate l’établissement d’une autocensure diffuse et généralisée<br />
en ligne, et dénonce un « effet de refroidissement » de l’internet sur nos<br />
démocraties. Comme le souligne A. Rouvroy 11 , la surveillance généralisée induit<br />
« un phénomène de « conformisme anticipatif » dans une partie au moins de la<br />
population soucieuse d’éviter toute « friction » avec le système de surveillance,<br />
de contrôle ou d’observation. Le conformisme anticipatif est un mécanisme<br />
de disciplinarisation des individus particulièrement efficace et économique<br />
puisqu’il fonctionne sur l’autocensure ou l’auto-surveillance par les citoyens<br />
eux-mêmes, soucieux d’éviter d’être découverts et exposés par le système»<br />
Cette évolution forme le paradoxe de l’internet, qui a permis d’effacer le carcan<br />
des frontières, pour finalement constituer un espace de surveillance et d’autocensure.<br />
Droit à la sûreté.<br />
En droit constitutionnel français, la sûreté 12 est l’un des quatre « droits naturels<br />
et imprescriptibles de l’homme », selon l’article 2 de la déclaration des<br />
droits de l’homme et du citoyen de 1789. Les attaques terroristes qui frappent<br />
la France et nombre de pays occidentaux depuis 2015 constituent une atteinte<br />
considérable à ce droit à la sûreté. Le rôle de l’internet dans la constitution de<br />
9<br />
Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés<br />
10<br />
Facebook censure systématiquement toute représentation de la nudité (même artistiques,<br />
comme c’est la cas de la censure de l’origine du monde de Gustave Courbet), mais tolère plus<br />
facilement la représentation de la violence, y compris à l’endroit des femmes. Une telle hiérarchie<br />
de valeurs est conforme à la culture américaine, mais à bien des égards étrangère aux valeurs<br />
européennes.<br />
lejourdapres.eu<br />
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