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Haiti Liberte 18 Mars 2020

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Notre Mémoire se Souvient<br />

Rachel Corrie, morte sous les chenilles d'un bulldozer israélien*<br />

Par Frantz Latour<br />

Le 16 mars 2003, Rachel Corrie,<br />

militante pour la paix de 23 ans, a été<br />

tuée par un bulldozer conduit par un<br />

soldat de l’armée israélienne.<br />

Rien ne prédestinait Rachel Corrie à<br />

devenir un symbole. Née le 10 avril<br />

1979 à Olympia, une petite ville de<br />

la côte Ouest des Etats-Unis, la jeune<br />

femme grandit dans une famille peu<br />

militante. Dans ses écrits personnels,<br />

que Katharine Viner a utilisés pour la<br />

pièce de théâtre Mon nom est Rachel<br />

Corrie, l’Américaine raconte avoir commencé<br />

à militer pour la paix après le<br />

11-Septembre, avec peu à peu l’envie<br />

d’aller voir sur le terrain à quoi ses<br />

impôts servaient. Après un stage avec<br />

l’ISM, elle part fin janvier 2003 dans la<br />

bande de Gaza.<br />

Alors âgée de 23 ans, Rachel<br />

Corrie va s’installer à Rafah, une ville<br />

de 140 000 habitants dans la bande<br />

de Gaza, avec sept autres volontaires<br />

américains et britanniques du Mouvement<br />

de solidarité internationale<br />

(ISM), pour jouer les boucliers humains<br />

entre la population palestinienne et<br />

l’armée israélienne. Depuis le début<br />

de la seconde intifada en septembre<br />

2000, les habitants de ce petit territoire<br />

palestinien vivent au rythme des<br />

incursions de l’armée qui procède à des<br />

arrestations, des bombardements et des<br />

destructions de maisons en représailles<br />

aux attentats-suicides perpétrés sur le<br />

sol israélien.<br />

‘‘Je suis en Palestine depuis deux<br />

semaines et une heure, et les mots me<br />

manquent encore pour décrire ce que<br />

je vois’’, raconte Rachel Corrie dans un<br />

courriel envoyé le 7 février 2003 à sa<br />

famille, qui vit à Olympia, dans l’Etat<br />

de Washington, aux Etats-Unis. “Je<br />

ne sais pas si beaucoup d’enfants ici<br />

ont jamais vécu sans voir des trous<br />

d’obus dans leurs murs et les miradors<br />

d’une armée d’occupation les surveillant<br />

constamment depuis les proches<br />

alentours”, déplore-t-elle, prenant pour<br />

la première fois conscience de l’enfance<br />

privilégiée qu’a été la sienne.<br />

Prônant l’action directe et non-violente,<br />

les volontaires internationaux<br />

de l’ISM sont conscients des risques<br />

qu’ils prennent, mais ils se croient<br />

protégés par leur passeport étranger et<br />

entendent faire bénéficier les Palestiniens<br />

de cette protection. “Personne ne<br />

peut imaginer ce qu’il se passe avant<br />

de l’avoir vu – et même alors, on a toujours<br />

conscience que notre expérience<br />

ne reflète pas la réalité : du fait des<br />

difficultés auxquelles l’armée israélienne<br />

serait confrontée si elle tuait un<br />

citoyen américain non-armé ; du fait<br />

que j’ai, moi, les moyens d’acheter de<br />

l’eau quand l’armée détruit des puits<br />

et surtout parce que j’ai la possibilité<br />

de partir”, raconte ainsi Rachel Corrie<br />

dans le courriel envoyé le 7 février.<br />

Cachant la blondeur de ses cheveux<br />

sous un foulard, Rachel Corrie<br />

va vivre pendant plusieurs semaines<br />

le quotidien des habitants de Rafah,<br />

qui l’hébergent et la choient en signe<br />

de gratitude. “J’ai très peur pour les<br />

gens ici. Hier, j’ai vu un père emmener<br />

ses deux petits-enfants, qui lui<br />

tenaient la main, hors de portée des<br />

tanks, des snipers, des bulldozers et<br />

des jeeps parce qu’il pensait que sa<br />

maison allait exploser. Jenny et moi<br />

sommes restées dans la maison avec<br />

plusieurs autres femmes et deux petits<br />

bébés. (...) J’étais terrifiée à l’idée de<br />

penser que cet homme trouvait moins<br />

Rachel Corrie à Rafah en 2003,<br />

cachant la blondeur de ses cheveux<br />

sous un foulard : « Personne ne<br />

peut imaginer ce qui se passe avant<br />

de l'avoir vu – et même alors, on<br />

a toujours conscience que notre<br />

expérience ne reflète pas la réalité<br />

: du fait que j'ai, moi, les moyens<br />

d'acheter de l'eau quand l'armée<br />

détruit des puits et surtout parce<br />

que j'ai la possibilité de partir »,<br />

a-t-elle écrit<br />

risqué de marcher à portée des viseurs<br />

des tanks avec ses enfants que de rester<br />

chez lui. J’ai vraiment eu peur qu’ils<br />

soient tous abattus et j’ai essayé de<br />

rester postée entre eux et le tank”, raconte-t-elle<br />

dans un courriel adressé à<br />

sa mère, le 27 février.<br />

Chaque jour, Rachel et les autres<br />

volontaires s’interposent ainsi entre la<br />

population palestinienne et les tanks,<br />

les bulldozers ou les tireurs d’élite de<br />

l’armée israélienne. Des images qui<br />

la poursuivent la nuit, raconte-t-elle,<br />

dans ses cauchemars mais l’adrénaline<br />

a toujours raison de sa peur. Dans son<br />

dernier courriel, adressé le 28 février<br />

2003 à son père, elle lui dit : “Ne t’inquiète<br />

pas trop pour moi, pour le moment<br />

je suis plus inquiète par le fait<br />

que nous ne soyons pas très efficaces.<br />

Je ne me sens pas particulièrement en<br />

danger.”<br />

Le 16 mars 2003, Rachel Corrie<br />

essaie avec les autres membres de son<br />

organisation d’arrêter pacifiquement<br />

la démolition de la maison d’un médecin<br />

palestinien par deux bulldozers<br />

D9 dans le quartier de Hi Es Salam,<br />

à Rafah. “Rachel se tenait devant la<br />

maison d’une famille dont elle était<br />

très proche. Depuis trois mois un Européen<br />

ou un Américain y dormait chaque<br />

nuit, et Rachel y avait elle-même<br />

passé plusieurs nuits”, raconte Dreg<br />

Sha, un autre volontaire présent sur les<br />

lieux.<br />

Habillée d’un gilet orange fluo<br />

et armée d’un haut-parleur, Rachel<br />

Corrie bataille pendant deux heures<br />

avec les autres volontaires pour tenter<br />

d’empêcher l’avancée d’un bulldozer.<br />

“Rachel a tenu tête au bulldozer<br />

seule parce qu’elle connaissait cette<br />

famille et parce qu’elle pensait que<br />

son action était juste. S’approchant de<br />

plus en plus de Rachel, le bulldozer a<br />

commencé à pousser la terre sous ses<br />

pieds. A quatre pattes, elle essayait<br />

de rester au sommet de la pile qui ne<br />

cessait de monter. A un moment elle<br />

s’est retrouvée assez haut, presque<br />

sur la pelle. Suffisamment près pour<br />

que le conducteur puisse la regarder<br />

dans les yeux. Puis elle a commencé<br />

à s’enfoncer, avalée dans la terre sous<br />

la pelle du bulldozer. Le bulldozer n’a<br />

pas ralenti, ne s’est pas arrêté. Il a<br />

continué à avancer, pelle au niveau du<br />

sol, jusqu’à lui passer sur tout le corps.<br />

Alors il s’est mis en marche arrière, la<br />

pelle toujours au sol, et lui est repassé<br />

dessus”, poursuit Dreg Sha.<br />

Rachel gisait sur le sol, tordue de<br />

douleur et à moitié enterrée. Sa lèvre<br />

supérieure déchirée saignait abondamment.<br />

Elle ne put que dire ‘je me<br />

suis cassé le dos’. Après ça elle n’arriva<br />

plus à dire son nom ni même à parler.<br />

(...) Mais on pouvait voir son état<br />

se détériorer rapidement. Des signes<br />

indiquant une hémorragie interne à la<br />

tête apparurent bientôt. Après environ<br />

un quart d’heure des brancardiers sont<br />

arrivés et l’ont emmenée à l’hôpital”,<br />

raconte Dreg Sha.<br />

Rachel Corrie est morte des suites<br />

de ses blessures à l’hôpital. 17 ans<br />

après, continue le combat des Palestiniens<br />

qui n’ont pas oublié leur sœur,<br />

leur martyre. Les Palestiniens finiront<br />

par vaincre l’oppression et la cruauté<br />

de l’État d’Israël. Ce jour-là, il y aura un<br />

immense rassemblement pour célébrer<br />

Rachel et tous les autres morts pour<br />

une noble et juste cause.<br />

Dors heureuse, Rachel, fille aux<br />

rêves auréolés de paix pour une humanité<br />

piétinée, écrasée par une nation<br />

qui ne se souvient plus des camps d’extermination<br />

d’Auschwitz, des souffrances<br />

et de la cruauté dont ont souffert<br />

et sont morts des milliers d’hommes,<br />

de femmes et d’enfants juifs à Dachau,<br />

Buchenwald, Leichswitz, Breitenau et<br />

autres lieux de bestialitédes Naziz.<br />

Ndlr.<br />

*Texte par Hélène Sallon paru<br />

le 28 août 2012 dans Le Monde, avec<br />

modification et ajouts de F.L. Titre original<br />

: Qui était Rachel Corrie, morte<br />

sous les chenilles d’un bulldozer israélien<br />

?<br />

Source additionnelle :<br />

La voix de Rachel Corrie Association<br />

France Palestine Solidarité, 9 mars<br />

2007<br />

La mémoire au service des luttes : Castor Osende Afana<br />

Par FUIQP et Alain Saint-Victor<br />

Il y a 54 ans, le 15 mars 1966, le dirigeant<br />

de la lutte de libération nationale<br />

camerounaise, Castor Osende<br />

Afana, était assassiné par l’armée<br />

néocoloniale camerounaise.<br />

Né en 1930 à Ngoksa dans la<br />

région Centre du Cameroun, il émigre<br />

avec ses parents à Yaoundé, la capitale<br />

du pays, où il poursuit ses études<br />

au lycée Leclercq. C’est au sein du<br />

lycée qu’il rencontre des militants<br />

nationalistes. Il décide d’abandonner<br />

son prénom Castor ne voulant<br />

garder que son prénom africain. En<br />

1952, il est l’un des meneurs de la<br />

grève des élèves noirs du lycée qui<br />

revendiquent une amélioration de<br />

leurs conditions de vie à l’internat. Il<br />

se rapproche de l’Union des Populations<br />

du Cameroun (UPC), organisation<br />

indépendantiste fondée par Um<br />

Nyobé en 1948.<br />

Il se rend ensuite en France,<br />

d’abord à Toulouse puis à Paris, pour<br />

y mener des études d’économie. Militant<br />

de la cellule de l’UPC, il est également<br />

animateur de l’UNEK (Union<br />

Nationale des Étudiants Kamerunais)<br />

section de la FEANF (Fédération des<br />

Étudiants d’Afrique noire de France).<br />

Il anime le journal de la FEANF et fait<br />

partie du Comité d’accueil qui gère<br />

les publications de l’UPC en France,<br />

notamment « la voix du Kamerun ».<br />

Il est surtout responsable de l’organisation<br />

des voyages de tous les cadres<br />

politiques du mouvement de l’UPC de<br />

passage en Europe.<br />

Ayant obtenu brillamment un<br />

doctorat d’État en économie, il devient<br />

le premier docteur en économie<br />

d’Afrique noire. Sa thèse de doctorat<br />

sera publiée aux Éditions Maspero<br />

sous le tire « l’Économie Ouest-africaine,<br />

perspectives et développement».<br />

Il y affirme qu’il n’y a pas<br />

de véritable indépendance sans indépendance<br />

monétaire. Il milite ainsi<br />

pour une monnaie africaine qu’il<br />

baptise Afrik. Osende Afana y défend<br />

également l'idée d'un développement<br />

économique autocentré, dans une<br />

perspective tiers-mondiste. Il met en<br />

garde contre les dangers du néocolonialisme:<br />

endettement, bourgeoisies<br />

compradores, corruptocratie, structure<br />

de dépendance à partir de l'aide<br />

au développement, etc.<br />

Au cours des années 1950, il<br />

développe une compréhension de<br />

plus en plus approfondie des problèmes<br />

du continent: pour lui, la seule<br />

solution viable passe par l'élaboration<br />

d'un panafricanisme politique, seule<br />

possibilité de résister à l'impérialisme<br />

et la montée du néocolonialisme. Il<br />

écrit à ce sujet: À l'échelle de l'Afrique,<br />

une des caractéristiques dominantes<br />

du mouvement anti-impérialiste<br />

est le courant unitaire qui soulève<br />

les masses populaires. À côté des<br />

conférences panafricaines des peuples,<br />

des paysans, des femmes, des<br />

jeunes, des étudiants ... , à côté des<br />

organisations permanentes issues de<br />

ces rencontres populaires ou gouvernementales,<br />

s'ébauchent de plus en<br />

plus des regroupements régionaux...<br />

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Mais cette unité est possible<br />

que par la lutte contre le néocolonialisme<br />

dans chaque pays.<br />

En 1963, il décide alors de<br />

rentrer au Cameroun pour participer<br />

à la lutte de son peuple. Il est chargé<br />

du deuxième front de guérilla, celui<br />

de l’Est du pays. Il est arrêté après<br />

une trahison, le 15 mars 1966. Il<br />

est immédiatement assassiné et décapité<br />

par l’armée néocoloniale camerounaise<br />

et ses parrains français. Il<br />

n'avait que 36 ans.<br />

Plus de quarante ans après,<br />

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les autorités camerounaises classent<br />

toujours comme « secret -défense »<br />

les informations sur les circonstances<br />

de cet assassinat.<br />

Ce sont de tels hommes qui ont<br />

libéré l’Afrique du colonialisme. La<br />

lutte contre le néocolonialisme est<br />

maintenant à l’ordre du jour.<br />

Repose en paix frère et camarade.<br />

Texte : FUIQP et<br />

Alain Saint-Victor<br />

Vol 13 # 37 • Du<strong>18</strong> au 24 <strong>Mars</strong> <strong>2020</strong><br />

<strong>Haiti</strong> Liberté/<strong>Haiti</strong>an Times<br />

13

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