mémoire - Anne Pons, musicothérapeute
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Musicothérapie, technologies audio-numériques, et soins palliatifs en gériatrie.<br />
Réflexions à partir de la prise en charge en musicothérapie auprès d’une personne<br />
atteinte d’un syndrome parkinsonien dégénératif atypique de stade évolué<br />
et présentant un « locked-in syndrome ».<br />
<strong>Anne</strong> <strong>Pons</strong><br />
Mémoire de Diplôme Universitaire de Musicothérapeute - Mention Très Bien-<br />
Université Paul Valéry - Montpellier III<br />
Département Musique Filière Musicothérapie<br />
Directeur de <strong>mémoire</strong> :<br />
Carole Serrier – psychologue clinicienne<br />
(UMSSP – CHI du Bassin de Thau)<br />
La musicothérapie est l’utilisation de la musique dans une démarche de soin. La musique est<br />
employée comme médiateur dans la relation entre le patient et le thérapeute. La<br />
musicothérapie utilise deux techniques fondamentales, l’une dite réceptive est basée sur<br />
l’écoute musicale ; l’autre, qualifiée d’active, s’appuie sur le jeu instrumental.<br />
Ce <strong>mémoire</strong> s’inscrit dans le contexte d’un stage clinique de fin d’étude d’une durée de huit<br />
mois, effectué au Centre Hospitalier Intercommunal du Bassin de Thau, sur le site<br />
gérontologique sétois Les Pergolines, dans le service de Soins de Longue Durée.<br />
Les objectifs de ce <strong>mémoire</strong> sont de montrer l’apport du travail de relation et de<br />
communication du <strong>musicothérapeute</strong> auprès de la personne malade, et au sein de l’équipe<br />
pluridisciplinaire gériatrique. A travers l’étude du cas clinique de la prise en charge en<br />
musicothérapie d’une personne présentant un état de « locked-in syndrome », la question de la<br />
spécificité de la musicothérapie et de ses apports, est mis en lumière, ainsi que les<br />
répercussions de cette prise en charge, hors du commun, dans le service.<br />
La première partie de ce travail retrace la mise en place de la musicothérapie, discipline<br />
nouvelle dans le service : observation du fonctionnement institutionnel, communication<br />
auprès du personnel des Pergolines (présentation de la musicothérapie, séances de<br />
sensibilisation), lien interdisciplinaire préliminaire aux prises en charge (demande des<br />
équipes, entretiens et bilans psychomusicaux, établissement de projets thérapeutiques).<br />
La deuxième partie présente la patiente, le contexte de son institutionnalisation, sa<br />
pathologie, ainsi que sa prise en charge par le service.<br />
Mme B., prise en charge à domicile par une équipe pluridisciplinaire coordonnée par<br />
l’Unité Mobile de Soutien et de Soins Palliatifs du CHIBT, fut institutionnalisée à l’USLD,<br />
durant mon stage, suite au décès soudain de son compagnon.<br />
Placée à l’USLD par défaut, faute d’établissement proche, adapté à son cas, d’allure<br />
particulière (immobile, yeux fermés, tête tombant en avant, visage éclairé d’un très léger<br />
sourire), elle constituait un cas particulier dans le service par son âge (54 ans), et sa<br />
situation clinique extrême : complètement paralysée, sans l’usage de la parole, sa<br />
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compréhension semblait préservée, elle ne pouvait communiquer que par l’utilisation de<br />
deux très légers mouvements volontaires préservés : pression du pouce et signe de tête.<br />
Atteinte d’un syndrome parkinsonien atypique dégénératif de stade évolué, diagnostiqué<br />
dégénérescence corticobasale en cours d’évolution (bien que les bilans d’imagerie ne soient<br />
pas typiques de cette affection), sa pathologie est étudiée au regard de la littérature [1] [2] [3] [4]:<br />
épidémiologie, hétérogénéité des signes cliniques, traitements et prise en charge.<br />
Les manifestations cliniques qu’elle présentait sont exposées :<br />
- syndrome extrapyramidal et tétrapyramidal<br />
- troubles praxiques, hypertonie axiale, tétraplégie, dysphonie, dysarthrie (gastrostomie)<br />
- paralysie supranucléaire avec apraxie palpébrale (rare ouverture des yeux, regard fixe)<br />
- état dépressif (refus du soutien psychologique proposé régulièrement par l’UMSSP).<br />
La problématique de sa prise en charge en USLD est posée :<br />
- relais entre les équipes (à domicile, UMSSP, USLD)<br />
- adaptation à l’institutionnalisation (refus de communiquer depuis le placement)<br />
- temps de disponibilité des soignants<br />
- moyens sollicitant et soutenant ses ressources<br />
- projet de vie.<br />
La troisième partie expose la prise en charge en musicothérapie.<br />
La demande faite conjointement par la psychologue de l’UMSSP et le médecin de l’USLD<br />
est située. La proposition de séances de musicothérapie est acceptée par Mme B. qui montre<br />
de vives réactions lors de la première rencontre (ouverture des yeux, visage expressif).<br />
Les problèmes et perspectives méthodologiques dans cette situation clinique extrême sont<br />
posés, à partir d’observations faites lors de rencontres préliminaires avec la patiente :<br />
- sans expression verbale du ressenti, l’écoute d’extraits musicaux peut provoquer<br />
des réactions difficiles à identifier<br />
- essayer d’exploiter le mouvement de pression du pouce comme gestuelle instrumentale<br />
- envisager d’utiliser un système informatique d’assistance à la communication<br />
La musicothérapie appliquée au champ des handicaps lourds et des soins palliatifs, en<br />
lien avec ce cas clinique, est étudiée, au regard de la littérature :<br />
- handicaps lourds [5] [6] : utilisation d’outils technologiques en musicothérapie active,<br />
(instruments électriques et électroniques, programmes informatiques, technologies<br />
d’assistance), pour permettre au patient d’avoir une action autonome, de communiquer<br />
plus facilement, de développer une expression personnelle, qui soutienne l’estime de soi<br />
par une production musicale sur du matériel ayant un bon rendu sonore<br />
- soins palliatifs [7] [8]: utilisation de la musicothérapie active et réceptive pour soutenir la<br />
qualité de vie du patient (d’un point de vue physiologique, psychologique, cognitif,<br />
émotionnel et social), soutenir les proches et les soignants.<br />
Un travail de concertation interdisciplinaire est effectué pour réunir des informations sur :<br />
- les moyens de communication adaptés (codes de communication, technologies<br />
d’assistance), auprès de l’ergothérapeute<br />
- les goûts musicaux, l’histoire personnelle et les habitudes de vie, auprès de la famille et<br />
de l’auxiliaire de vie.<br />
- les signes cliniques (informations complémentaires), auprès du médecin : pas de trouble<br />
sensoriel / pas de douleur / aucun bilan cognitif réalisé / ébauches d’expression du<br />
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visage/ état dépressif sévère depuis le début de la maladie / quelques mois à quelques<br />
années d’espérance de vie<br />
Une méthodologie souple est adoptée : des dispositifs évolutifs (cf. annexe) sont envisagés<br />
pour étayer les déficiences de Mme B. afin de lui permettre d’utiliser ses ressources et<br />
compétences, pour s’exprimer, occuper une place active :<br />
- dispositifs instrumentaux audio-numériques (boîte à rythme, clavier-sampleur) sollicitant<br />
le mouvement de pression du pouce comme gestuelle musicale, permettant l’élaboration<br />
d’un jeu instrumental qui favorise échange et créativité<br />
- dispositifs lexicaux (prête-mot, alphabet-pression) permettant l’expression du ressenti<br />
lors d’écoute d’extraits musicaux.<br />
Les bilans psychomusicaux concluent à une indication en musicothérapie active et<br />
réceptive:<br />
- entretien et bilan psychomusical actif adapté avec le dispositif instrumental boîte à rythme<br />
Mme B. répond à toutes les questions, elle arrive à utiliser l’instrument, elle montre des<br />
réactions lorsqu’elle déclenche les sons (ouverture des yeux, sourire, visage expressif,<br />
émission d’une longue note modulée, soupirs)<br />
elle révèle des ressources et compétences : compréhension des consignes, faculté de<br />
concentration, contrôle partiel de la gestuelle du pouce (mode de jeu rapide et syncopé<br />
avec de nombreuses variations, une pulsation et une adaptation à mon jeu), lui<br />
permettant une marge d’expression malgré une palette limitée ;<br />
- bilan psychomusical réceptif avec le dispositif lexical prête-mot (diffusion de 3 extraits) :<br />
Mme B. montre des réactions à l‘écoute (changement de respiration, sourire,<br />
ouverture des yeux), elle choisit 2 prête-mot malgré des difficultés de communication<br />
pas de réponse (refus de répondre ?) ou réponse oui / non simultanée (signe de tête).<br />
Un projet thérapeutique est établi :<br />
- objectifs : proposer un espace de rencontre et de communication<br />
favoriser l’échange, créer un lien<br />
permettre et soutenir une expression individuelle, l’investissement<br />
d’une place de sujet, l’émergence de désirs<br />
- protocole : 2 séances (30 mn) / semaine, pendant 3 mois (fin de mon stage)<br />
chambre de Mme B.<br />
Le compte rendu clinique des séances est développé selon plusieurs éléments d’analyse :<br />
préparation / début / déroulement / fin / analyse et vécu personnel / lien interdisciplinaire<br />
Dans la quatrième partie, la synthèse de cette prise en charge est développée.<br />
Le bilan des séances est articulé selon plusieurs éléments d’analyse.<br />
- La démarche méthodologique est examinée :<br />
les dispositifs techniques de départ ont été modifiés en fonction de l’engagement<br />
de Mme B. dans les séances, de ses réactions, et préférences, afin de suivre au<br />
plus près son évolution, et lui permettre une plus grande expressivité<br />
Ces mécanismes d’adaptation opérés à l’intérieur du cadre thérapeutique ont<br />
soutenu la relation, et ont permis que s’établisse une aire de jeu transitionnelle<br />
(Winnicott) [9] qui a favorisé la rencontre, l’interaction musicale, l’expression, et<br />
la créativité.<br />
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- L’engagement de Mme B. dans les séances est analysé d’après les différents modes<br />
d’expression qu’elle a utilisés, signes et réactions que nous proposons de considérer<br />
comme l’expression d’un langage [10] [11] :<br />
la musique et les sons [12] [13] [14] [15] [16] (jeu instrumental, choix d’extraits musicaux)<br />
les émotions [17] [18] (pleurs, sourires, visage expressif, ouverture des yeux)<br />
le refus (de répondre, de faire des choix)<br />
les mots [19] [20] (Mme B. a construit 4 mots avec l’alphabet-pression : « merci »<br />
pour exprimer un mot libre / « désespoir » pour exprimer son état<br />
moral / « mal » pour exprimer son vécu de l’institutionnalisation /<br />
« entraînant » pour exprimer son ressenti à l’écoute d’un extrait choisi /<br />
elle n’a pas souhaité continuer, communiquant que cela lui était difficile.<br />
Les apports de la prise en charge sont mis en lumière :<br />
- Les séances de musicothérapie ont permis de révéler et valoriser des ressources et<br />
compétences « insoupçonnées » de Mme B. :<br />
motricité du pouce (capacité à contrôler partiellement son mouvement du pouce, à<br />
faire des variations, à répondre et s’adapter au jeu de l’autre)<br />
capacités mémorielles : <strong>mémoire</strong> à court terme (cohérence dans les choix effectués),<br />
et <strong>mémoire</strong> épisodique (lien fait entre les séances)<br />
capacités intellectuelles (respect des consignes, humour, prise d’initiatives, écoute<br />
du dispositif proposé et élaboration du jeu musical selon les paramètres disponibles)<br />
capacités langagières (constructions de mots parfaitement orthographiés)<br />
- Les séances ont permis un accompagnement qui à contribué à :<br />
lutter contre l’isolement de Mme B.<br />
favoriser son autonomie [21], son positionnement en tant que sujet « vivant » [22]<br />
soutenir sa dignité [23]<br />
Le cheminement personnel, en tant qu’apprentie thérapeute, est analysé :<br />
- angoisse face à la souffrance, au silence, à la mort [24]<br />
- questionnement sur la toute puissance du soignant face à la dépendance extrême [25]<br />
- repérage des mécanismes de défense [26] / analyse du contre transfert musical [27]<br />
- apprentissage du lâcher prise pour pouvoir accompagner et accueillir [28 ]<br />
- enrichissement par cette expérience humaine forte<br />
En conclusion, une réflexion est menée sur les répercussions de cette prise en charge<br />
dans le service, sur l’évolution de la perception du rôle du <strong>musicothérapeute</strong> par les<br />
soignants et de sa place au sein de l’équipe pluridisciplinaire.<br />
- Une dynamique s’est créée par un travail soutenu de concertation interdisciplinaire :<br />
bilans réguliers, transmission aux équipes des ressources et compétences que Mme B.,<br />
révélait dans les séances, et d’éléments (avec son accord) qui semblaient importants<br />
(mots « désespoirs » et « mal »), lien avec l’ergothérapeute (ergonomie des dispositifs et<br />
projet de demande de budget pour un système informatique d’aide à la communication).<br />
- Le rôle révélateur de la musicothérapie dans cette prise en charge hors du commun, a<br />
contribué à changer le regard que portait l’équipe sur Mme B., sur la musicothérapie et<br />
ses effets, favorisant la reconnaissance de la spécificité de la musicothérapie dans ses<br />
capacités à apporter une réponse aux problèmes relationnels les plus complexes<br />
- Dans cette situation clinique extrême, qui posait la question de la problématique de<br />
l’institution gériatrique (dévalorisation, organisation du travail en série, confrontation à<br />
la mort, aux limites de la médecine) [29], la musicothérapie, soin relationnel, a pu<br />
proposer une alternative à la tendance institutionnelle d’uniformisation.<br />
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Boîte à Rythme (Sony Drum Pad DRP-2)<br />
<strong>Anne</strong>xe : Dispositifs techniques utilisés<br />
7 pads / déclenchement souple / 14 sons : percussions – bruitages - onomatopées / mode de jeu<br />
direct<br />
Clavier-Sampleur<br />
(Korg Poly 800 - Akaï S700)<br />
sampleur : enregistreur numérique Midi (Musical Instrument Digital Interface)<br />
stocke des évènements sonores de courte durée (de sources diverses : CD audio, microphone, etc.)<br />
peut les relire à volonté, sur un clavier Midi avec : transposition à toutes les hauteurs / variations de<br />
rythmes / fonctions d’édition (bouclage, endroit; envers, effet vibrato, temps de disparition du son<br />
après relâchement, etc.)<br />
En fonction de la gestuelle possible de Mme B. avec le capteur (touche du clavier), le travail du<br />
<strong>musicothérapeute</strong> a consisté à programmer des séquences sonores jouant avec des paramètres de durée<br />
/ hauteur / timbre / mélodie / harmonie / afin de permettre à Mme B. d’élaborer des variations de jeu<br />
selon les paramètres disponibles<br />
Prête-Mot<br />
propositions de mots-réponses à des questions fermées, sur le ressenti à l’écoute d’extraits musicaux<br />
sentiments ? joie / tristesse / indifférence / angoisse / souvenirs / ...<br />
sensations ? agréable / désagréable / mouvement / légèreté / inconfort / ...<br />
images ? voyage / paysage / couleurs / ...<br />
Alphabet-Pression<br />
énumération des lettres de l’alphabet dans leur ordre<br />
sélection lettre par lettre par pression du pouce pour construire un mot<br />
3X2 Œuvres<br />
technique de musicothérapie réceptive<br />
diffusion, par 3 fois, de 2 extraits enchaînés (associés par thèmes : rythme / mélodie, lent / rapide,..)<br />
proposition , après chaque association, de choisir 1 extrait et de s’exprimer sur ce choix<br />
puis demande de choisir un extrait préféré parmi les 3 choix<br />
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Références<br />
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Ed. Masson, 2007.<br />
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[21] Wary B. Soins palliatifs en milieu gériatrique. In Jacquemin D. Manuel de soins palliatifs : définitions et enjeux,<br />
pratiques de soins et accompagnement, psychologie et éthique. Ed. Dunod, Paris, 2001 p. 250-251.<br />
[22] Gagnebin M. Mort et création : de la pulsion de mort à l’expression. Ed. L’harmattan 1996. p.9.<br />
[23] Dupont P. L’homme malade et souffrant perd-il sa dignité ? In Marmet T. Ethique et fin de vie. Ed. Ed. Erès,<br />
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[24] Chalier C. La persévérance du mal. Ed. Cerf, Paris, 1987. p.128.<br />
[25] Renault M. Le désarroi hospitalier : patients et thérapeutes en mal de paroles. Ed. L’Harmattan, 2000. p.38-40.<br />
[26] Ruszniewski M. Face à la maladie grave. Ed. Dunod, Paris, 1999. p.15-33.<br />
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2001;28(1):79-85.<br />
[28] Lamau ML. Soins palliatifs : origine, inspiration, enjeux éthiques. Ed. Centurion, 1994. p.228.<br />
[29] Valorisation de l’exercice professionnel en gérontologie. Rapport d’étape, décembre 2005. Préfecture de<br />
la région / DRASS Ile de France. [en ligne] Décembre 2005. p.9-13<br />
http://www.c2rsante.fr/docs/355_Valorisation_exercice_professionnel_en_gerontologie_Decembre_2005.pdf