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résumés des cours et travaux - Collège de France

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ANNUAIRE<br />

DU<br />

COLLÈGE DE FRANCE<br />

2007-2008<br />

RÉSUMÉ<br />

DES COURS ET TRAVAUX<br />

108 e année<br />

PARIS<br />

11, place Marcelin-Berthelot (V e )


Photo couverture : Statue <strong>de</strong> Guillaume Budé (1467-1540)<br />

à l’origine <strong>de</strong> la fondation du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

(par M. Bourgeois, 1880)<br />

La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes <strong><strong>de</strong>s</strong> alinéas 2 <strong>et</strong> 3 <strong>de</strong> l’article 41, d’une<br />

part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste <strong>et</strong><br />

non <strong><strong>de</strong>s</strong>tinées à une utilisation collective » <strong>et</strong>, d’autre part, que les analyses <strong>et</strong> les courtes<br />

citations dans un but d’exemple <strong>et</strong> d’illustration, « toute représentation ou reproduction<br />

intégrale, ou partielle, faite sans le consentement <strong>de</strong> l’auteur ou <strong>de</strong> ses ayants droit ou ayants<br />

cause, est illicite » (alinéa 1 er <strong>de</strong> l’article 40).<br />

C<strong>et</strong>te représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc<br />

une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 <strong>et</strong> suivants du Co<strong>de</strong> pénal.<br />

© <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 2008,<br />

ISSN 0069-5580<br />

ISBN 978-2-7226-0082-9


LE COLLÈGE DE FRANCE<br />

QUELQUES DONNÉES SUR SON HISTOIRE<br />

ET SON CARACTÈRE PROPRE<br />

I. LES ORIGINES<br />

Les lecteurs royaux. — Le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> doit son origine à l’institution<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> lecteurs royaux par le roi François I er , en 1530.<br />

L’Université <strong>de</strong> Paris avait alors le monopole <strong>de</strong> l’enseignement dans toute<br />

l’étendue <strong>de</strong> son ressort. Attachée à ses traditions comme à ses privilèges, elle se<br />

refusait aux innovations. Ses quatre facultés : Théologie, Droit, Mé<strong>de</strong>cine, Arts,<br />

prétendaient embrasser tout ce qu’il y avait d’utile <strong>et</strong> <strong>de</strong> licite en fait d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> savoir. Le latin était la seule langue dont on fît usage. Les sciences proprement<br />

dites, sauf la mé<strong>de</strong>cine, se réduisaient en somme au quadrivium du moyen âge.<br />

L’esprit étroit <strong>de</strong> la scolastique déca<strong>de</strong>nte y régnait universellement. Les écoles <strong>de</strong><br />

Paris étaient surtout <strong><strong>de</strong>s</strong> foyers <strong>de</strong> dispute. On y argumentait assidûment ; on y<br />

apprenait peu <strong>de</strong> chose. Et il semblait bien difficile que c<strong>et</strong>te corporation, jalouse<br />

<strong>et</strong> fermée, pût se réformer par elle-même ou se laisser réformer.<br />

Pourtant, un esprit nouveau, l’esprit <strong>de</strong> la Renaissance, se répandait à travers<br />

l’Europe. Les intelligences s’ouvraient à <strong><strong>de</strong>s</strong> curiosités inédites. Quelques précurseurs<br />

faisaient savoir quels trésors <strong>de</strong> pensée étaient contenus dans ces chefs-d’œuvre <strong>de</strong><br />

l’Antiquité, que l’imprimerie avait commencé <strong>de</strong> propager. On se reprochait <strong>de</strong> les<br />

avoir ignorés ou méconnus. On <strong>de</strong>mandait <strong><strong>de</strong>s</strong> maîtres capables <strong>de</strong> les interpréter<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> les commenter. Sous l’influence d’Érasme, un généreux mécène flamand,<br />

Jérôme Buslei<strong>de</strong>n, venait <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>r à Louvain, en 1518, un <strong>Collège</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> trois langues,<br />

où l’on traduisait <strong><strong>de</strong>s</strong> textes grecs, latins, hébreux, au grand scandale <strong><strong>de</strong>s</strong> aveugles<br />

champions d’une tradition sclérosée. L’Université <strong>de</strong> Paris restait étrangère à ce<br />

mouvement.<br />

François I er , conseillé par le savant humaniste Guillaume Budé, « maître <strong>de</strong> sa<br />

librairie », ne s’attarda pas à la convaincre. Il institua en 1530, en vertu <strong>de</strong> son


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autorité souveraine, six lecteurs royaux, <strong>de</strong>ux pour le grec, Pierre Danès <strong>et</strong><br />

Jacques Toussaint ; trois pour l’hébreu, Agathias Guidacerius, François Vatable<br />

<strong>et</strong> Paul Paradis ; un pour les mathématiques, Oronce Finé ; puis, un peu plus<br />

tard, en 1534, un autre lecteur, Barthélémy Masson (Latomus), pour l’éloquence<br />

latine. Les langues orientales autres que l’hébreu firent leur entrée au <strong>Collège</strong> avec<br />

Guillaume Postel (1538-1543), l’arabe en particulier, avec Arnoul <strong>de</strong> L’isle<br />

(1587-1613).<br />

Le succès justifia c<strong>et</strong>te heureuse initiative. Les auditeurs affluèrent auprès <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

nouveaux maîtres. Par là, un coup mortel venait d’être porté aux arguties stériles,<br />

aux discussions à coups <strong>de</strong> syllogismes, aux recueils artificiels qui avaient trop<br />

longtemps tenu la place <strong><strong>de</strong>s</strong> textes eux-mêmes. Par l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> langues, on remontait<br />

aux sources. On y r<strong>et</strong>rouvait le pur jaillissement d’une pensée libre <strong>et</strong> fécon<strong>de</strong>.<br />

Ainsi naquit le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>. Ne relevant que du roi, dégagés <strong><strong>de</strong>s</strong> entraves<br />

qu’imposaient aux maîtres <strong>de</strong> l’Université les statuts d’une corporation trois fois<br />

séculaire, affranchis <strong><strong>de</strong>s</strong> traditions <strong>et</strong> <strong>de</strong> la routine, novateurs par <strong><strong>de</strong>s</strong>tination, les<br />

lecteurs royaux furent, pendant tout le xvi e siècle, les meilleurs représentants <strong>de</strong> la<br />

science française. Le <strong>Collège</strong>, pourtant, n’avait pas encore <strong>de</strong> domicile à lui. Il ne<br />

constituait même pas une corporation distincte, à proprement parler ; il n’existait,<br />

comme personne morale, que par le groupement <strong>de</strong> ses maîtres sous le patronage<br />

du grand aumônier du roi. Mais son unité résultait <strong>de</strong> leur indépendance même.<br />

Et déjà, il assurait son avenir par la valeur <strong>et</strong> l’influence <strong>de</strong> quelques-uns d’entre<br />

eux, tels qu’Adrien Turnèbe, Pierre Ramus, Jean Dorat, Denis Lambin, Jean<br />

Passerat, comme aussi par la reconnaissance qu’ils inspiraient à d’illustres auditeurs,<br />

un Joachim du Bellay, un Ronsard, un Baïf, un Jacques Amyot. Leurs métho<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

d’enseignement étaient variées. Les uns faisaient surtout œuvre <strong>de</strong> critiques <strong>et</strong><br />

d’éditeurs <strong>de</strong> textes ; d’autres commentaient, quelquefois éloquemment, comme<br />

Pierre Ramus, les orateurs ou les philosophes, les historiens ou les poètes <strong>de</strong><br />

l’antiquité classique. Tous, ou presque tous, étaient vraiment <strong><strong>de</strong>s</strong> initiateurs en<br />

même temps que <strong><strong>de</strong>s</strong> érudits.<br />

II. LE DÉVELOPPEMENT HISTORIQUE<br />

C<strong>et</strong>te bonne renommée <strong>de</strong> l’institution royale se soutint pendant les xvii e <strong>et</strong><br />

xviii e siècles. Le <strong>Collège</strong> vit alors se préciser son organisation <strong>et</strong> s’accroître ses<br />

chaires, au nombre d’une vingtaine à la fin <strong>de</strong> l’Ancien Régime.<br />

Depuis le xvii e siècle, les lecteurs royaux forment vraiment un corps, symbolisé<br />

par l’apparition, sur les affiches <strong>de</strong> <strong>cours</strong>, du nom définitif, sous sa forme latine :<br />

Collegium regium Galliarum. En 1610, le proj<strong>et</strong> d’une <strong>de</strong>meure propre, élaboré<br />

sous Henri IV, connaît un début <strong>de</strong> réalisation : Louis XIII, âgé <strong>de</strong> 9 ans, pose la<br />

première pierre du <strong>Collège</strong> royal. Mais c’est seulement à la fin du xviii e siècle que<br />

Chalgrin le mènera à terme sur <strong><strong>de</strong>s</strong> plans entièrement remaniés ; les lecteurs royaux


possè<strong>de</strong>nt désormais, sur la place <strong>de</strong> Cambrai, un lieu spécifique où enseigner <strong>et</strong><br />

relèvent directement du secrétaire d’État chargé <strong>de</strong> la Maison du roi.<br />

En 1772, une décision royale réorganise entièrement la répartition <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires<br />

<strong>de</strong> manière à intégrer les enseignements novateurs : physique <strong>de</strong> Newton, turc <strong>et</strong><br />

persan, syriaque, droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens, mécanique, littérature française,<br />

histoire, histoire naturelle, chimie — à côté <strong><strong>de</strong>s</strong> domaines <strong>de</strong> recherche déjà en<br />

place : mé<strong>de</strong>cine, anatomie, arabe, philosophie grecque, langue grecque, éloquence<br />

latine, poésie latine, droit canon, hébreu, mathématiques.<br />

Le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> semble viser à justifier l’ambitieuse <strong>de</strong>vise <strong>de</strong> son blason :<br />

Doc<strong>et</strong> omnia <strong>et</strong>, <strong>de</strong> fait, il a « vocation à tout enseigner ».<br />

En même temps, son ouverture au mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> l’originalité <strong>de</strong> sa conception lui<br />

valent, presque seul entre les institutions <strong>de</strong> l’Ancien Régime, d’être épargné par la<br />

Révolution ; <strong>et</strong>, malgré plusieurs proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> réformation qui n’aboutirent pas, il se<br />

r<strong>et</strong>rouve au temps <strong>de</strong> l’Empire, <strong>et</strong> par-<strong>de</strong>là, tel qu’il était auparavant, bénéficiant<br />

même d’une liberté accrue : la loi du 11 floréal an X (1 er mai 1802) lui accor<strong>de</strong> en<br />

eff<strong>et</strong> l’initiative <strong>de</strong> présentation <strong><strong>de</strong>s</strong> candidats, à l’origine <strong>de</strong> l’actuel système <strong>de</strong><br />

cooptation. La souplesse <strong>de</strong> son organisation va lui perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> s’adapter sans<br />

peine à <strong><strong>de</strong>s</strong> conceptions changeantes <strong>et</strong> <strong>de</strong> se prêter à tous les progrès.<br />

Ainsi s’expliquent son extension considérable au <strong>cours</strong> du xix e siècle <strong>et</strong> son rôle<br />

dans le développement d’un grand nombre <strong>de</strong> sciences. En fait, sous une apparence<br />

inchangée, il a subi une réelle transformation qui se continue au xx e siècle. Elle<br />

s’est accomplie, comme il est naturel, en accord intime avec celle qui se produisait<br />

simultanément au-<strong>de</strong>hors dans presque tous les ordres <strong>de</strong> connaissance. Mais il est<br />

à noter que, très souvent, c’est le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> qui a frayé ou élargi les voies<br />

nouvelles, <strong>et</strong> qu’il continue <strong>de</strong> le faire.<br />

Pour compléter <strong>et</strong> préciser les données précé<strong>de</strong>ntes, on pourra se reporter à l’ouvrage<br />

d’Abel Lefranc, intitulé Histoire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Paris, 1893 ; au livre<br />

jubilaire Le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, publié en 1932, où vingt-cinq notices ont été consacrées<br />

à l’histoire <strong>de</strong> l’enseignement donné au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> dans les principales disciplines<br />

<strong>de</strong> l’ordre littéraire <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’ordre scientifique ; à la Revue <strong>de</strong> l’Enseignement supérieur<br />

qui a publié, sous la plume <strong>de</strong> Marcel Bataillon, dans son n o 2 <strong>de</strong> 1962 (p. 1 à 50)<br />

un aperçu <strong>de</strong> l’histoire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, <strong>de</strong> son fonctionnement institutionnel <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> ses moyens d’action ; à la conférence d’ Yves Laporte publiée en 1990 sous forme<br />

<strong>de</strong> plaqu<strong>et</strong>te par le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ; à Christophe Charle <strong>et</strong> Éva Telkès, Les<br />

Professeurs du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, dictionnaire biographique 1901-1939, Institut<br />

national <strong>de</strong> Recherche pédagogique <strong>et</strong> Éditions du CNRS, Paris, 1988 ; Christophe<br />

Charle, « Le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> », dans Les lieux <strong>de</strong> mémoire, sous la direction <strong>de</strong><br />

Pierre Nora, II : La Nation, t. 3, p. 389-424. En 1998 est également publié le livre<br />

Les origines du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (1500-1560), sous la direction <strong>de</strong> Marc Fumaroli,<br />

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aux Éditions Klincksieck, <strong>et</strong> en 2006 le premier tome <strong>de</strong> l’Histoire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong> : I. La Création 1530-1560, sous la direction d’André Tuilier, avec une<br />

préface <strong>de</strong> Marc Fumaroli, aux Éditions Fayard.<br />

III. LES CHAIRES DU COLLÈGE DE FRANCE<br />

DEPUIS LE XIX e SIÈCLE<br />

Antiquité grecque <strong>et</strong> romaine. — Dans la chaire <strong>de</strong> Langue <strong>et</strong> littérature<br />

grecques où s’étaient illustrés Jean-Baptiste Gail (1791-1829) <strong>et</strong> Jean-François<br />

Boissona<strong>de</strong> (1829-1855), Jean-Pierre Rossignol (1855-1892) eut comme<br />

successeurs Maurice Crois<strong>et</strong> (1893-1930) <strong>et</strong> Émile Bourgu<strong>et</strong> (1932-1938). Une<br />

chaire d’Épigraphie <strong>et</strong> antiquités grecques a été instituée en 1877, <strong>et</strong> occupée<br />

successivement par Paul Foucart (1877-1926), Maurice Holleaux (1927-1932)<br />

<strong>et</strong> Louis Robert (1939-1974). Une chaire dénommée La Grèce <strong>et</strong> la formation <strong>de</strong><br />

la pensée morale <strong>et</strong> politique a été créée en 1973 pour M me Jacqueline <strong>de</strong> Romilly,<br />

première femme à occuper une chaire au <strong>Collège</strong> (1973-1984), puis transformée,<br />

en 1984, en chaire <strong>de</strong> Tradition <strong>et</strong> critique <strong><strong>de</strong>s</strong> textes grecs pour M. Jean Irigoin<br />

(1986-1992). — Gabriel Mill<strong>et</strong>, qui occupa <strong>de</strong> 1926 à 1937 la chaire d’Esthétique<br />

<strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art, l’orienta vers l’étu<strong>de</strong> du byzantinisme, auquel fut consacrée une<br />

chaire d’Archéologie paléo-chrétienne <strong>et</strong> byzantine pour André Grabar (1946-1966)<br />

puis une chaire d’Histoire <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> Byzance pour Paul Lemerle (1967-1973) ;<br />

elle est <strong>de</strong>venue Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong> byzantin pour M. Gilbert Dagron<br />

<strong>de</strong> 1975 à 2001. En 1992, a été créée une chaire d’Histoire économique <strong>et</strong> monétaire<br />

<strong>de</strong> l’Orient hellenistique pour M. Georges Le Ri<strong>de</strong>r (1993-1998), <strong>et</strong> en 2002, une<br />

chaire d’Épigraphie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> cités grecques occupée par M. Denis Knoepfler à<br />

partir <strong>de</strong> 2003.<br />

Une chaire <strong>de</strong> Philosophie grecque <strong>et</strong> latine eut comme titulaires Édouard<br />

Bosquillon (1775-1814), Jean-François Thurot (1814-1832), Théodore<br />

Jouffroy (1832-1837), Jules Barthélémy Saint-Hilaire (1838-1852), Émile<br />

Saiss<strong>et</strong> (chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> 1853-1857), Charles Lévêque (chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> 1857-1860,<br />

titulaire 1861-1900), Henri Bergson (1900-1904). Une chaire d’Histoire <strong>de</strong> la<br />

pensée hellénistique <strong>et</strong> romaine a été créée en 1981 pour M. Pierre Hadot (1982-<br />

1991).<br />

Pour l’enseignement du latin, <strong>de</strong>ux chaires existaient <strong>de</strong>puis l’Ancien Régime :<br />

l’Éloquence latine, tenue successivement par Pierre Gueroult (1809-1816),<br />

Jean-Louis Burnouf (1817-1844), Désiré Nisard (1844-1852), Wilhelm Rinn<br />

(1853-1854), Ernest Hav<strong>et</strong> (1854-1885), <strong>et</strong> la Poésie Latine, par Jacques Delille<br />

(1778-1813), Pierre-François Tissot (1813-1821), Joseph Naud<strong>et</strong> (1821-1830),<br />

Pierre-François Tissot à nouveau (1830-1854), Charles-Augustin <strong>de</strong> Sainte-Beuve<br />

(1854-1869) qui, toutefois, ne put jamais enseigner. La prédominance <strong>de</strong> curiosités<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles se manifesta par la transformation <strong>de</strong> la chaire d’Éloquence


latine en Philologie latine, avec pour titulaire Louis Hav<strong>et</strong> (1885-1925), <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

Poésie latine en Histoire <strong>de</strong> la littérature latine, occupée par Gaston Boissier (1869-<br />

1906) <strong>et</strong> Paul Monceaux (1907-1934). Ces enseignements ont été complétés par<br />

ceux <strong>de</strong> disciplines qui attestaient l’élargissement <strong>de</strong> l’horizon scientifique ; une<br />

chaire d’Épigraphie <strong>et</strong> antiquités romaines, créée en 1861, pour Léon Renier (1861-<br />

1885) a été occupée par Ernest Desjardins (1886), <strong>et</strong> ensuite par René Cagnat<br />

(1887-1930), puis, sous le titre élargi <strong>de</strong> Civilisation romaine, par Eugène Albertini<br />

(1932-1941), André Piganiol (1942-1954), <strong>et</strong> Jean Gagé (1955-1972) ; elle est<br />

<strong>de</strong>venue, <strong>de</strong> 1975 à 1999, Histoire <strong>de</strong> Rome pour M. Paul Veyne. Une chaire<br />

d’Histoire <strong>de</strong> l’Afrique du Nord, où furent spécialement étudiées les pério<strong><strong>de</strong>s</strong> romaine<br />

<strong>et</strong> post-romaine, a eu pour titulaire Stéphane Gsell (1912-1932). Une chaire<br />

d’Histoire <strong>de</strong> la langue latine, occupée par Alfred Ernout (1944-1951), a été<br />

transformée en 1951 en chaire <strong>de</strong> Littérature latine pour Pierre Courcelle (1951-<br />

1980). En 2000, une chaire intitulée Religion, institutions <strong>et</strong> société <strong>de</strong> la Rome<br />

antique a été créée pour M. John Scheid <strong>et</strong> est occupée <strong>de</strong>puis 2001.<br />

Une chaire <strong>de</strong> Numismatique <strong>de</strong> l’Antiquité <strong>et</strong> du Moyen Âge, inaugurée en 1908<br />

par Ernest Babelon, a été transformée, en 1924, en une chaire <strong>de</strong> Numismatique<br />

<strong>de</strong> l’Antiquité, que Théodore Reinach a occupée jusqu’en 1928.<br />

Philosophie. — Un enseignement <strong>de</strong> Philosophie mo<strong>de</strong>rne créé en 1874 a été<br />

assuré par Jean Nourrisson (1874-1899), Gabriel Tar<strong>de</strong> (1900-1904), Henri<br />

Bergson (1904-1921), Édouard Le Roy (1921-1940), Louis Lavelle (1941-1951),<br />

Maurice Merleau-Ponty (1952-1961). En 1962, fut créée une chaire <strong>de</strong> Philosophie<br />

<strong>de</strong> la connaissance pour Jules Vuillemin qui l’occupa jusqu’en 1990. Une chaire<br />

d’Histoire <strong>de</strong> la philosophie au Moyen Âge, tenue <strong>de</strong> 1932 à 1950 par Étienne Gilson,<br />

a été remplacée par une chaire d’Histoire <strong>et</strong> technologie <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes philosophiques<br />

pour Martial Guéroult (1951-1962), <strong>et</strong> dénommée ensuite chaire d’Histoire <strong>de</strong> la<br />

pensée philosophique pour Jean Hyppolite (1963-1968). C<strong>et</strong>te chaire a été<br />

transformée en chaire d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> pensée pour Michel Foucault<br />

(1970-1984), puis, <strong>de</strong> 1985 à 1990, en chaire d’Épistémologie comparative pour<br />

M. Gilles-Gaston Granger. Une chaire <strong>de</strong> Philosophie du langage <strong>et</strong> <strong>de</strong> la connaissance,<br />

créée en 1994, est occupée <strong>de</strong>puis 1995 par M. Jacques Bouveresse.<br />

En 1999, ont été créées une chaire <strong>de</strong> Philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences biologiques <strong>et</strong><br />

médicales pour M me Anne Fagot-Largeault <strong>et</strong> une chaire <strong>de</strong> Philosophie <strong>et</strong> histoire<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> concepts scientifiques pour M. Ian Hacking (2001-2006).<br />

Linguistique générale. — L’enseignement <strong>de</strong> la Grammaire comparée fut<br />

inauguré au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> par Michel Bréal (1866-1905), qui eut pour<br />

successeurs Antoine Meill<strong>et</strong> (1906-1936) <strong>et</strong> Émile Benveniste (1937-1972).<br />

Pendant un temps s’y trouva rattaché un Laboratoire <strong>de</strong> phonétique expérimentale,<br />

dont le premier directeur fut l’abbé Rousselot ; une chaire <strong>de</strong> Phonétique<br />

expérimentale fut occupée par ce savant <strong>de</strong> 1923 à 1924. Une chaire <strong>de</strong> Théorie<br />

linguistique est créée en 1986 pour M. Clau<strong>de</strong> Hagège (1988-2006).<br />

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Langues, histoire <strong>et</strong> littératures occi<strong>de</strong>ntales. — L’enseignement <strong>de</strong> la<br />

Littérature française fut d’abord représenté par Antoine <strong>de</strong> Cournand (1784-1814)<br />

<strong>et</strong> Stanislas Andrieux (1814-1833). Ce fut le début d’une tradition à laquelle se<br />

rattachent les noms <strong>de</strong> Jean-Jacques Ampère (1833-1864), <strong>de</strong> Louis <strong>de</strong> Loménie<br />

(1864-1878), <strong>de</strong> Paul Albert (1878-1880), d’Émile Deschanel (1881-1903),<br />

d’Abel Lefranc (1904-1937). La chaire a été transformée en une chaire <strong>de</strong> Poétique,<br />

occupée par Paul Valéry (1937-1945), puis en une chaire d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> créations<br />

littéraires en <strong>France</strong> pour Jean Pommier (1946-1964). C<strong>et</strong>te chaire a été ensuite<br />

consacrée à l’enseignement <strong>de</strong> la Littérature française mo<strong>de</strong>rne ; elle a été occupée<br />

par M. Georges Blin <strong>de</strong> 1965 à 1988. Une chaire <strong>de</strong> Sémiologie littéraire a été créée<br />

pour Roland Barthes (1976-1980). En 1986, a été créée une chaire intitulée<br />

Rhétorique <strong>et</strong> société en Europe (xvi e -xvii e siècles) pour M. Marc Fumaroli (1987-<br />

2002) ; <strong>et</strong> une chaire <strong>de</strong> Littératures mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’Europe néolatine a été créée pour<br />

M. Carlo Ossola en 1998. En 2005 sont créées une chaire <strong>de</strong> Littérature française<br />

mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine : histoire, critique, théorie, occupée à partir <strong>de</strong> 2006 par<br />

M. Antoine Compagnon, <strong>et</strong> une chaire intitulée Écrit <strong>et</strong> culture dans l’Europe<br />

mo<strong>de</strong>rne, occupée <strong>de</strong>puis 2006 par M. Roger Chartier.<br />

Une chaire spécialement consacrée à la Langue <strong>et</strong> littérature françaises du Moyen<br />

Âge, a été inaugurée par Paulin Paris (1853-1872), qui eut pour successeurs Gaston<br />

Paris (1872-1903), puis Joseph Bédier (1903-1936). Remplacée ensuite par une<br />

chaire d’Histoire du vocabulaire français occupée par Mario Roques (1937-1946),<br />

elle a été rétablie sous son ancien titre pour Félix Lecoy, <strong>de</strong> 1947 à 1974, puis en<br />

1993 sous le titre <strong>de</strong> Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale pour M. Michel Zink.<br />

En 1905, une chaire d’Histoire <strong>et</strong> antiquités nationales s’y ajouta pour Camille<br />

Jullian (1905-1930), tenue ensuite par Albert Grenier (1936-1948).<br />

En 1964, a été créée une chaire d’Archéologie <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> la Gaule pour<br />

Paul-Marie Duval (1964-1982), transformée en 1983 en chaire d’Antiquités<br />

nationales pour M. Christian Goudineau.<br />

D’autre part, <strong>de</strong>ux chaires nouvelles instituées en 1925 <strong>et</strong> en 1932, concernaient<br />

l’Europe médiévale : l’une, occupée par Edmond Faral (1925-1954), s’intitulait<br />

Littérature latine du Moyen Âge, l’autre déjà mentionnée en philosophie, fut occupée<br />

par Étienne Gilson, <strong>de</strong> 1932 à 1950. En 1969 a été créée une chaire d’Histoire<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés médiévales pour Georges Duby, <strong>de</strong>venue en 1991 Histoire <strong>de</strong> l’occi<strong>de</strong>nt<br />

méditerranéen au Moyen Âge pour M. Pierre Toubert, qui l’a occupée <strong>de</strong> 1992 à<br />

2003.<br />

Consacrée à l’activité extérieure <strong>de</strong> la <strong>France</strong>, une chaire, fondée par les principales<br />

colonies d’alors, a été occupée sous le titre d’Histoire coloniale par Alfred Martineau<br />

(1921-1935), puis, sous le titre d’Histoire <strong>de</strong> la colonisation, par Edmond<br />

Chassigneux (1939-1946), <strong>et</strong> ensuite, sous le titre d’Histoire <strong>de</strong> l’expansion <strong>de</strong><br />

l’Occi<strong>de</strong>nt, par Robert Montagné (1948-1954).


Enfin a été créée, en 1984, une chaire d’Histoire <strong>de</strong> la <strong>France</strong> contemporaine, pour<br />

M. Maurice Agulhon, qui l’a occupée jusqu’en 1997.<br />

La chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> littératures slaves fut inaugurée en 1840 par le poète<br />

polonais, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong>, Adam Mickiewicz (1840-1852) puis par Cyprien<br />

Robert (chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> 1852-1857) <strong>et</strong> Alexandre Chodzko (chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />

1857-1883), <strong>et</strong> occupée plus tard par Louis Léger (1885-1923), André Mazon<br />

(1923-1951) <strong>et</strong> André Vaillant (1952-1962). En 1992 a été créée une chaire<br />

d’Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine du mon<strong>de</strong> russe pour M. François-Xavier<br />

Coquin (1993-2001).<br />

Une chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’Europe méridionale, qui eut pour titulaires<br />

successifs Edgar Quin<strong>et</strong> (<strong>de</strong> 1841 à 1852 <strong>et</strong> <strong>de</strong> 1870 à 1875), Paul Meyer (1876-<br />

1906), Alfred Morel-Fatio (1907-1924), a été rétablie, en 1925, sous le titre<br />

d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> littératures comparées <strong>de</strong> l’Europe méridionale <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Amérique latine<br />

pour Paul Hazard (1925-1944). Depuis, <strong>de</strong>ux <strong><strong>de</strong>s</strong> domaines qu’elle recouvrait ont<br />

été distingués par la création, en 1945 <strong>et</strong> en 1946, <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux chaires consacrées l’une<br />

aux Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> la péninsule ibérique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Amérique latine, tenue par<br />

Marcel Bataillon (1945-1965), puis par Israël Révah (1966-1973) ; l’autre à<br />

l’Histoire <strong>de</strong> la civilisation italienne pour Augustin Renaud<strong>et</strong> <strong>de</strong> 1946 à 1950,<br />

transformée en chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> civilisation italienne pour André Pézard <strong>de</strong><br />

1951 à 1963. En 1992, une chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> littératures romanes a été créée<br />

pour M. Harald Weinrich, qui l’occupa jusqu’en 1998.<br />

Une chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique eut pour premiers<br />

titulaires Philarète Chasles (1841-1873) <strong>et</strong> Guillaume Guizot (1874-1892).<br />

Celui-ci fut suppléé par Jean-Jules Jusserand, puis par Arthur Chuqu<strong>et</strong>, qui<br />

<strong>de</strong>vint titulaire <strong>de</strong> la chaire en 1893 <strong>et</strong> l’occupa jusqu’en 1925. Lui succédèrent<br />

Charles Andler (1926-1933), Ernest Tonnelat (1934-1948), Fernand Mossé<br />

(1949-1956), <strong>et</strong> Robert Min<strong>de</strong>r <strong>de</strong> 1957 à 1973. En 1984 a été créée une chaire<br />

<strong>de</strong> Grammaire <strong>et</strong> pensée alleman<strong><strong>de</strong>s</strong>, pour M. Jean-Marie Zemb, qui l’occupa<br />

jusqu’en 1998.<br />

Une chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> littératures celtiques a été occupée par Henry d’arbois<br />

<strong>de</strong> Jubainville (1882-1910) puis par Joseph Loth (1910-1930).<br />

Une chaire <strong>de</strong> Civilisation américaine, créée en 1931, pour Bernard Faÿ (révoqué<br />

en 1945), a été transformée pour Marcel Giraud, <strong>de</strong> 1947 à 1971, en chaire<br />

d’Histoire <strong>de</strong> la civilisation <strong>de</strong> l’Amérique du Nord.<br />

Une chaire d’Étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la création littéraire en langue anglaise a été créée en 2001<br />

pour M. Michael Edwards (2003-2008).<br />

Langues, histoires <strong>et</strong> littératures orientales. — L’enseignement <strong>de</strong><br />

l’Hébreu, le plus ancien <strong>de</strong> tous, donné par Étienne Quatremère (1819-1857),<br />

puis par Louis Dubeux (chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> 1857-1861), a été illustré ensuite par<br />

Ernest Renan (1862-1864 <strong>et</strong> 1870-1892), par Salomon Munk (1864-1867) <strong>et</strong> par<br />

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Philippe Berger (1893-1910). Celui <strong>de</strong> l’Araméen a été assuré par Rubens Duval<br />

(1895-1907). Après un long intervalle, une chaire intitulée Hébreu <strong>et</strong> Araméen a<br />

été instituée <strong>de</strong> 1963 à 1971 pour André Dupont-Sommer ; puis pour André<br />

Caquot <strong>de</strong> 1972 à 1994. Une chaire d’Épigraphie <strong>et</strong> antiquités sémitiques a été<br />

créée pour Charles Clermont-Ganneau (1890-1923), une autre d’Histoire<br />

ancienne <strong>de</strong> l’Orient sémitique a été occupée par Isidore Lévy (1932-1941) <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

1995 à 2001, une chaire d’Antiquités sémitiques occupée par M. Javier Teixidor.<br />

L’égyptologie a fait son entrée au <strong>Collège</strong> avec son fondateur, Jean-François<br />

Champollion (1831-1832), dans une chaire d’Archéologie tenue ensuite par<br />

Jean-Antoine L<strong>et</strong>ronne (1837-1848), puis par Charles Lenormant (1849-1859).<br />

Elle <strong>de</strong>vint chaire <strong>de</strong> Philologie <strong>et</strong> archéologie égyptiennes avec Emmanuel <strong>de</strong> Rougé<br />

(1860-1872) <strong>et</strong> Gaston Maspero (1874-1916), fut reprise par Alexandre Mor<strong>et</strong><br />

(1923-1938), <strong>et</strong> occupée successivement par Pierre Lacau (1938-1947), Pierre<br />

Mont<strong>et</strong> (1948-1956), Étienne Drioton (1957-1960), <strong>et</strong> Georges Posener (1961-<br />

1978). Elle a subsisté sous le titre d’Égyptologie pour M. Jean Leclant (1979-1990),<br />

puis pour M. Jean Yoyotte (1991-1997). En 1999, une chaire <strong>de</strong> Civilisation<br />

pharaonique : archéologie, philologie, histoire a été créée pour M. Nicolas Grimal.<br />

L’enseignement <strong>de</strong> l’assyriologie a été ouvert aussi par un fondateur, Jules Oppert<br />

(1874-1905), dans une chaire <strong>de</strong> Philologie <strong>et</strong> archéologie assyriennes où lui a succédé<br />

Charles Fossey (1906-1939). Après un intervalle, il a été repris par Édouard<br />

Dhorme (1945-1951) sous le titre <strong>de</strong> Philologie <strong>et</strong> archéologie assyro-babyloniennes<br />

<strong>et</strong> poursuivi sous celui d’Assyriologie par René Labat <strong>de</strong> 1952 à 1974, puis par<br />

M. Paul Garelli, <strong>de</strong> 1986 à 1995 <strong>et</strong> par M. Jean-Marie Durand <strong>de</strong>puis 1999.<br />

Une chaire d’Archéologie <strong>de</strong> l’Asie occi<strong>de</strong>ntale a été créée en 1953 pour Clau<strong>de</strong><br />

Schaeffer-Forrer qui l’a occupée jusqu’en 1969. Enfin, en 1973 était créée une<br />

chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> l’Asie Mineure pour Emmanuel Laroche, qui<br />

l’a occupée jusqu’en 1985.<br />

Une chaire d’Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong> achéméni<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’empire d’Alexandre<br />

a été créée en 1998 pour M. Pierre Briant, qui l’occupe <strong>de</strong>puis 1999.<br />

La chaire d’Arabe a été tenue successivement par Antoine Caussin <strong>de</strong> Perceval<br />

(1783-1833), Armand-Pierre Caussin <strong>de</strong> Perceval (1833-1871), Charles-François<br />

Defrémery (1871-1883), Stanislas Guyard (1884), Adrien Barbier <strong>de</strong> Meynard<br />

(1885-1908), Paul Casanova (1909-1926), William Marçais (1927-1943). Elle a<br />

été transformée en chaire d’Histoire du mon<strong>de</strong> arabe pour Jean Sauvag<strong>et</strong><br />

(1946-1950). Devenue chaire <strong>de</strong> Langue <strong>et</strong> littérature arabes, elle a été occupée par<br />

Gaston Wi<strong>et</strong> (1951-1959). À côté d’elle, furent fondées : en 1902, une chaire <strong>de</strong><br />

Sociologie <strong>et</strong> sociographie musulmanes, inaugurée par Alfred le Chatelier<br />

(1902-1925), occupée ensuite par Louis Massignon (1926-1954), modifié en<br />

chaire <strong>de</strong> Sociologie musulmane pour Henri Laoust <strong>de</strong> 1956 à 1975, <strong>et</strong> transformée<br />

en 1976 en une chaire <strong>de</strong> Langue <strong>et</strong> littérature arabes classiques pour M. André<br />

Miquel, occupée jusqu’en 1997 — puis en 1941, une chaire d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> arts <strong>de</strong>


l’Orient musulman pour Albert Gabriel (1941-1953). En 1956 était créée une<br />

chaire d’Histoire sociale <strong>de</strong> l’Islam contemporain, occupée par Jacques Berque<br />

jusqu’en 1981. Une chaire d’Histoire contemporaine du mon<strong>de</strong> arabe est créée en<br />

2003 pour M. Henry Laurens.<br />

Les chaires <strong>de</strong> turc <strong>et</strong> <strong>de</strong> persan ont été réunies <strong>de</strong> 1784 à 1805 par Pierre Ruffin,<br />

qui abandonna à partir <strong>de</strong> 1805 le persan au plus illustre islamisant <strong>de</strong> l’époque,<br />

Isaac Silvestre <strong>de</strong> Sacy (1806-1838). Lui succédèrent : Amédée Jaubert (1838-<br />

1847), Jules Mohl (1850-1876), Adrien Barbier <strong>de</strong> Meynard (1876-1885),<br />

James Darmest<strong>et</strong>er (1885-1894). Après Pierre Ruffin (1805-1822) l’enseignement<br />

du turc seul a été assuré par Daniel Kieffer (1822-1833), Alix Desgranges (1833-<br />

1854), Mathurin-Joseph Cor (1854), Abel Pav<strong>et</strong> <strong>de</strong> Courteille (chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />

1854-1861, titulaire 1861-1889). En 1997, a été créée une chaire d’Histoire turque<br />

<strong>et</strong> ottomane pour M. Gilles Veinstein, qui l’occupe <strong>de</strong>puis 1999.<br />

Les domaines <strong>de</strong> recherche nouveaux entrés dans l’enseignement du <strong>Collège</strong> au<br />

xix e siècle ont d’abord été ceux <strong>de</strong> l’In<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Chine, dont l’étu<strong>de</strong> avait été<br />

amorcée en Europe par plusieurs orientalistes du <strong>Collège</strong> au siècle précé<strong>de</strong>nt. En<br />

1814, furent créées ensemble les chaires <strong>de</strong> Sanscrit <strong>et</strong> <strong>de</strong> Chinois.<br />

La première a été inaugurée par Léonard <strong>de</strong> Chézy (1814-1832), illustrée par<br />

Eugène Burnouf (1932-1852), <strong>et</strong> reprise après un intervalle <strong>de</strong> suppléances par<br />

Édouard Foucaux (1862-1894), puis Sylvain Lévi (1894-1935) <strong>et</strong> Jules Bloch<br />

(1937-1951). L’enseignement y débordant traditionnellement le domaine du<br />

sanscrit, elle a repris en 1951, la dénomination <strong>de</strong> chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> littératures<br />

<strong>de</strong> l’In<strong>de</strong> <strong>et</strong> a eu pour titulaire Jean Filliozat <strong>de</strong> 1952 à 1978. En 1983 a été créée<br />

une chaire d’Histoire du mon<strong>de</strong> indien pour M. Gérard Fussman, <strong>et</strong>, en 1993, une<br />

chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> religions indo-iraniennes pour M. Jean Kellens.<br />

La secon<strong>de</strong>, dont l’enseignement s’est, <strong>de</strong> son côté, constamment étendu à<br />

l’ensemble <strong>de</strong> la sinologie, a été tenue par Jean-Pierre Abel-Rémusat (1814-1932),<br />

Stanislas Julien (1832-1873), Léon d’Hervey <strong>de</strong> Saint-Denys (1874-1892),<br />

Édouard Chavannes (1893-1918), Henri Maspero (1921-1945), Paul Demiéville<br />

(1946-1964), M. Jacques Gern<strong>et</strong> (1975-1992) ; <strong>de</strong>puis 1991 une chaire d’Histoire<br />

<strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne est occupée par M. Pierre-Étienne Will <strong>et</strong> une chaire d’Histoire<br />

intellectuelle <strong>de</strong> la Chine est confiée en 2008 à M me Anne Cheng.<br />

Étendant le champ <strong><strong>de</strong>s</strong> enseignements aux pays d’influence indienne <strong>et</strong> chinoise<br />

<strong>et</strong> aux civilisations propres à ces pays, trois chaires ont été créées : la première <strong>de</strong><br />

Langues, histoire <strong>et</strong> archéologie <strong>de</strong> l’Asie centrale pour Paul Pelliot (1911-1945),<br />

qui <strong>de</strong>vait prendre le titre d’Histoire <strong>et</strong> civilisations <strong>de</strong> l’Asie centrale pour<br />

Louis Hambis, <strong>de</strong> 1965 à 1977, <strong>et</strong> se transformer en chaire <strong>de</strong> Sociographie <strong>de</strong><br />

l’Asie du Sud-Est pour Lucien Bernot (1978-1985) ; la <strong>de</strong>uxième d’Histoire <strong>et</strong><br />

philologie indochinoises pour Louis Finot (1920-1930), auquel ont succédé Jean<br />

Przyluski (1931-1944), puis Émile Gaspardone, <strong>de</strong> 1946 à 1965, <strong>et</strong> qui a été<br />

alors transformée en chaire d’Étu<strong>de</strong> du mon<strong>de</strong> chinois : institutions <strong>et</strong> concepts pour<br />

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Rolf A. Stein (1966-1981) ; enfin la troisième, sous le titre <strong>de</strong> Civilisations<br />

d’Extrême-Orient, a été occupée par Paul Mus (1946-1969). Une chaire d’Étu<strong>de</strong><br />

du Bouddhisme a été créée en 1970 pour André Bareau, qui l’a occupée jusqu’en<br />

1991. Enfin, en 1979, a été créée une chaire <strong>de</strong> Civilisation japonaise pour Bernard<br />

Frank qui l’a occupée jusqu’en 1996.<br />

Droit <strong>et</strong> sciences humaines. — Depuis l’Ancien Régime existait une chaire<br />

<strong>de</strong> Droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens, tenue au xix e siècle par Pierre <strong>de</strong> Pastor<strong>et</strong><br />

(1804-1821), Xavier <strong>de</strong> Port<strong>et</strong>s (1822-1854), Adolphe Franck (1856-1887). En<br />

1831 commençait, avec Eugène Lerminier (1831-1849), un enseignement<br />

d’Histoire générale <strong>et</strong> philosophique <strong><strong>de</strong>s</strong> législations comparées, qui fut continué par<br />

Édouard Laboulaye (1849-1883), <strong>et</strong> par Jacques Flach (1884-1919). En 1979,<br />

une chaire <strong>de</strong> Droit international est créée pour René-Jean Dupuy qui l’a occupée<br />

jusqu’en 1989. Une chaire d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives <strong>et</strong> internationalisation<br />

du droit a été créée en 2001 pour M me Mireille Delmas-Marty qui l’occupe<br />

<strong>de</strong>puis 2002.<br />

Dès 1831, était instituée pour Jean-Baptiste Say une chaire d’Économie politique,<br />

qui fut occupée après lui par Pellegrino Rossi (1833-1840), Michel Chevalier<br />

(1840-1879), <strong>et</strong> Paul Leroy-Beaulieu (1880-1916). Une chaire d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

doctrines économiques, créée en 1871 pour Émile Levasseur, fut transformée sur sa<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> en 1885 en chaire <strong>de</strong> Géographie, histoire <strong>et</strong> statistiques économiques. En<br />

1911, elle <strong>de</strong>vint chaire d’Étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> faits économiques <strong>et</strong> sociaux pour Marcel<br />

Marion (1912-1932). De 1955 à 1974 une chaire d’Analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> faits économiques<br />

<strong>et</strong> sociaux a été occupée par François Perroux ; en 1987 a été créée une chaire<br />

d’Analyse économique pour M. Edmond Malinvaud qui l’a occupée jusqu’en 1993.<br />

Une chaire <strong>de</strong> Théorie économique <strong>et</strong> organisation sociale a été créée en 1998 pour<br />

M. Roger Guesnerie, qui l’occupe <strong>de</strong>puis 2000.<br />

En 1958 une chaire d’Anthropologie sociale était créée pour M. Clau<strong>de</strong> Lévi-<br />

Strauss (1959-1982), <strong>et</strong> en 1971, une chaire d’Anthropologie physique pour Jacques<br />

Ruffié (1972-1992). En 1981, a été créée pour M me Françoise Héritier une<br />

chaire d’Étu<strong>de</strong> comparée <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés africaines (1982-1998) <strong>et</strong> en 1992 pour<br />

M. Nathan Wachtel une chaire d’Histoire <strong>et</strong> anthropologie <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés méso- <strong>et</strong> sudaméricaines<br />

(1992-2005). En 1999, une chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la nature a été<br />

créée pour M. Philippe Descola, qui l’occupe <strong>de</strong>puis 2000.<br />

En 1917, un <strong>cours</strong> complémentaire d’Assurances sociales fondé par Alfred Mayen,<br />

a été transformé, aux frais <strong>de</strong> la Ville <strong>de</strong> Paris <strong>et</strong> du Département <strong>de</strong> la Seine, en<br />

une chaire <strong>de</strong> Prévoyance <strong>et</strong> assistance sociales, qu’occupa Édouard Fuster<br />

(1917-1935).<br />

En 1920, une chaire instituée pour dix ans, à l’initiative <strong>de</strong> la Fédération <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Sociétés coopératives, <strong>et</strong> affectée à l’Enseignement <strong>de</strong> la Coopération, a eu pour<br />

titulaire Charles Gi<strong>de</strong> jusqu’en 1930.


Dans le même ordre d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, d’autres développements se sont encore produits.<br />

Une chaire <strong>de</strong> Philosophie sociale, créée pour Jean Izoul<strong>et</strong> (1897-1929), a été<br />

transformée en chaire <strong>de</strong> Sociologie pour Marcel Mauss (1931-1942), puis en chaire<br />

<strong>de</strong> Psychologie collective pour Maurice Halbwachs (1944-1945). Une chaire<br />

d’Histoire <strong>et</strong> structure sociales <strong>de</strong> Paris <strong>et</strong> <strong>de</strong> la région parisienne, fondée par la Ville<br />

<strong>de</strong> Paris en 1950, a été occupée par Louis Chevalier (1952-1981). Une chaire<br />

d’Histoire du travail, fondée en 1907 par la Ville <strong>de</strong> Paris, a été occupée par Georges<br />

Renard (1907-1930), par François Simiand (1932-1935), puis, <strong>de</strong> 1936 à 1957,<br />

par Émile Coornaert. Une chaire <strong>de</strong> Démographie sociale : la vie <strong><strong>de</strong>s</strong> populations,<br />

lui a succédé <strong>et</strong> a eu pour titulaire Alfred Sauvy <strong>de</strong> 1959 à 1969. C<strong>et</strong>te chaire a<br />

été transformée en chaire <strong>de</strong> Sociologie <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne pour Raymond<br />

Aron <strong>de</strong> 1970 à 1978. Enfin a été créée, en 1981, une chaire <strong>de</strong> Sociologie pour<br />

Pierre Bourdieu (1981-2001). Une chaire d’Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine du<br />

politique a été créée en 2001 pour M. Pierre Rosanvallon. En 2005 est créée une<br />

chaire <strong>de</strong> Rationalité <strong>et</strong> sciences sociales, occupée par M. Jon Elster.<br />

Géographie. — Une chaire <strong>de</strong> Géographie humaine, créée grâce à une libéralité<br />

d’Albert Kahn, a été occupée <strong>de</strong> 1912 à 1930 par Jean Brunhes.<br />

En 1932 était créée la chaire <strong>de</strong> Géographie économique <strong>et</strong> politique, où enseigna<br />

André Siegfried (1933-1946). La Géographie historique <strong>de</strong> la <strong>France</strong> fut enseignée,<br />

<strong>de</strong> 1892 à 1911, par Auguste Longnon ; elle a été rétablie <strong>de</strong> 1947 à 1968 pour<br />

Roger Dion, puis transformée en chaire <strong>de</strong> Géographie du continent européen pour<br />

Maurice Le Lannou, <strong>de</strong> 1969 à 1976. Une chaire d’Étu<strong>de</strong> du mon<strong>de</strong> tropical<br />

(géographie physique <strong>et</strong> humaine) a été créée en 1946 pour Pierre Gourou<br />

(1947-1970).<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions. — Une chaire d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions, créée en 1880,<br />

a eu pour titulaires Albert Réville (1880-1906), Jean Réville (1907-1908), Alfred<br />

Loisy (1909-1932), Jean Baruzi (1933-1951) <strong>et</strong> Henri-Charles Puech (1952-<br />

1972).<br />

Une chaire d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> mentalités religieuses dans l’Occi<strong>de</strong>nt mo<strong>de</strong>rne a été créée<br />

en 1973 pour M. Jean Delumeau qui l’a occupée <strong>de</strong> 1975 à 1994 <strong>et</strong> une chaire<br />

d’Étu<strong>de</strong> comparée <strong><strong>de</strong>s</strong> religions antiques en 1973 pour Jean-Pierre Vernant, qui l’a<br />

occupée <strong>de</strong> 1975 à 1984.<br />

En 1977, a été créée une chaire intitulée Christianisme <strong>et</strong> gnoses dans l’Orient<br />

préislamique pour Antoine Guillaumont qui l’a occupée jusqu’en 1986 <strong>et</strong> en<br />

1990 une chaire d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> syncrétismes <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> l’Antiquité pour M. Michel<br />

Tardieu (1991-2008). En 2006 est créée une chaire intitulée Milieux bibliques<br />

pour M. Thomas Römer.<br />

Préhistoire. — Fut créée, en 1929 une chaire <strong>de</strong> Préhistoire, tenue par l’abbé<br />

Henri Breuil (1929-1947), discipline reprise <strong>de</strong> 1969 à 1982 par André Leroi-<br />

Gourhan, puis transformée en 1982 en chaire <strong>de</strong> Paléoanthropologie <strong>et</strong> préhistoire<br />

pour M. Yves Coppens (1983-2005), elle-même transformée en chaire <strong>de</strong><br />

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Paléontologie humaine en 2005. En 1993, une chaire <strong>de</strong> civilisations <strong>de</strong> l’Europe au<br />

Néolithique <strong>et</strong> à l’Âge du Bronze a été créée pour M. Jean Guilaine (1994-2007).<br />

Histoire générale. — L’histoire générale était professée au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

<strong>de</strong>puis le <strong>de</strong>rnier tiers du xviii e siècle. On l’associait alors à la morale, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te<br />

union persista, nominalement au moins, pendant tout le xix e siècle. À Pierre<br />

Daunou (1819-1830), succédèrent Jean-Antoine L<strong>et</strong>ronne (1831-1837), <strong>et</strong> Jules<br />

Michel<strong>et</strong> (1838-1852), puis, un peu plus tard, Joseph Guigniaut (1857-1862),<br />

<strong>et</strong> Alfred Maury (1862-1892).<br />

Une chaire d’Histoire <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne tenue par Lucien Febvre<br />

(1933-1949), puis par Fernand Brau<strong>de</strong>l (1950-1972), subsiste pour M. Emmanuel<br />

Le Roy Ladurie, qui l’occupa <strong>de</strong> 1973 à 1999. En 1997, une chaire d’Histoire <strong>de</strong><br />

la <strong>France</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Lumières créée pour M. Daniel Roche (1999-2005), transformée en<br />

chaire intitulée Écrit <strong>et</strong> cultures dans l’Europe mo<strong>de</strong>rne pour M. Roger Chartier<br />

(2006).<br />

Une chaire <strong>de</strong> Civilisation indo-européenne a été occupée <strong>de</strong> 1948 à 1968 par<br />

Georges Dumézil. Une chaire d’Histoire générale <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences, créée en 1891, a été<br />

occupée par Pierre Laffitte (1892-1903), Grégoire Wyrouboff (1903-1913) <strong>et</strong><br />

Pierre Boutroux (1920-1922).<br />

Art. — Une chaire d’Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art, créée en 1878, a eu pour<br />

titulaires, successivement Charles Blanc (1878-1882), Eugène Guillaume<br />

(1882-1905) ; Georges Lafenestre (1905-1919), André Michel (1920-1925)<br />

(qui la spécialisa en Histoire <strong>de</strong> l’art français), Gabriel Mill<strong>et</strong> (1926-1937), Henri<br />

Focillon (1938-1943). En 1970 a été créée une chaire d’Art <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> la<br />

Renaissance en Italie pour André Chastel (1970-1984). Une <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires fondées<br />

par la Ville <strong>de</strong> Paris, affectée en 1933 à l’Histoire <strong>de</strong> l’art monumental, a été occupée<br />

par Paul Léon (1933-1944). Une autre a été affectée à la Psychologie <strong><strong>de</strong>s</strong> arts<br />

plastiques pour René Huyghe <strong>de</strong> 1951 à 1976 ; désormais chaire d’État, elle a été<br />

transformée en 1976 en Histoire <strong>de</strong> la création artistique en <strong>France</strong> pour M. Jacques<br />

Thuillier, qui l’a occupée <strong>de</strong> 1977 à 1998. En 2000, une chaire d’Histoire <strong>de</strong> l’art<br />

européen médiéval <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne a été créée pour M. Roland Recht qui l’occupe<br />

<strong>de</strong>puis 2001.<br />

Une chaire d’Intervention, technique <strong>et</strong> langage en musique a été créée en 1975<br />

pour M. Pierre Boulez (1976-1995) ; elle fut transformée <strong>de</strong> 1996 à 1999 pour<br />

Jerzy Grotowski en chaire d’Anthropologie théâtrale. En 1980, a été créée pour<br />

M. Yves Bonnefoy, une chaire d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> comparées <strong>de</strong> la fonction poétique<br />

(1981-1993).<br />

Mathématiques. — L’enseignement <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques fut assuré par Antoine-<br />

Rémy Mauduit (1770-1815), Sylvestre-François Lacroix (1815-1843), Guillaume<br />

Libri-Carucci (1843-1848), Joseph Liouville (1851-1882), Camille Jordan<br />

(1883-1912), Georges Humbert (1912-1921), Henri Lebesgue (1921-1941). S’y<br />

ajoutait l’Astronomie, professée par Jérôme <strong>de</strong> Lalan<strong>de</strong> (1768-1807), puis par


Jean-Baptiste Delambre (1807-1822) <strong>et</strong> Jacques Bin<strong>et</strong> (1823-1856). La chaire<br />

d’Astronomie fut transformée, en 1856, en une chaire <strong>de</strong> Mécanique céleste pour<br />

Joseph Serr<strong>et</strong> (1861-1885). Elle <strong>de</strong>vint chaire <strong>de</strong> Mécanique analytique <strong>et</strong><br />

mécanique céleste pour Maurice Lévy (1885-1908), <strong>et</strong> Jacques Hadamard<br />

(1909-1937). Une chaire <strong>de</strong> Mathématique <strong>et</strong> mécanique a été occupée <strong>de</strong> 1938 à<br />

1972 par Szolem Man<strong>de</strong>lbrojt, puis transformée en chaire d’Analyse mathématique<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur contrôle pour Jacques-Louis Lions (1973-1998). Une chaire<br />

<strong>de</strong> Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> équations différentielles <strong>et</strong> fonctionnelles a été occupée par Jean Leray<br />

<strong>de</strong> 1947 à 1978. Une chaire d’Algèbre <strong>et</strong> géométrie occupée par M. Jean-Pierre<br />

Serre <strong>de</strong> 1956 à 1994 a été transformée, en 1995, en chaire intitulée Équations<br />

différentielles <strong>et</strong> systèmes dynamiques pour M. Jean-Christophe Yoccoz. Une chaire<br />

<strong>de</strong> Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes a été créée pour M. Jacques Tits (1973-2000) ainsi qu’une<br />

chaire d’Analyse <strong>et</strong> géométrie <strong>de</strong>puis 1983 pour M. Alain Connes. En 1999, une<br />

chaire <strong>de</strong> Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> Nombres a été créée pour M. Don Zagier qui l’occupe <strong>de</strong>puis<br />

2000. Une chaire d’Équations aux dérivées partielles <strong>et</strong> applications a été créée en<br />

2001 pour M. Pierre-Louis Lions qui l’occupe <strong>de</strong>puis 2002.<br />

Physique. — En 1769, une chaire <strong>de</strong> Physique mathématique remplaça l’ancienne<br />

chaire <strong>de</strong> Philosophie grecque <strong>et</strong> latine ; Jacques-Antoine Cousin l’occupa jusqu’en<br />

1800 ; il eut pour successeur Jean-Baptiste Biot, à la fois physicien <strong>et</strong> mathématicien<br />

(1801-1862).<br />

Devenue chaire <strong>de</strong> Physique générale <strong>et</strong> mathématique, elle fut occupée par Joseph<br />

Bertrand (1862-1900), Marcel Brillouin (1900-1931) ; sous le titre <strong>de</strong> Physique<br />

théorique, elle a été occupée par Léon Brillouin (1932-1949) <strong>et</strong> par Jean Laval<br />

(1950-1970), puis transformée en 1971 en chaire <strong>de</strong> Physique <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée<br />

pour Pierre-Gilles <strong>de</strong> Gennes (1971-2004). D’autre part, en 1786, fut créée une<br />

chaire <strong>de</strong> Physique générale <strong>et</strong> expérimentale, occupée par Louis Lefèvre-Gineau<br />

jusqu’en 1823, André-Marie Ampère (1824-1836), Félix Savart (1836-1841),<br />

Henri-Victor Régnault (1841-1871), Élie Mascart (1872-1908), Paul Langevin<br />

(1909-1946). À la chaire <strong>de</strong> Physique générale <strong>et</strong> expérimentale, tenue par Maurice<br />

<strong>de</strong> Broglie <strong>de</strong> 1942 à 1944 <strong>et</strong> sur laquelle fut réintégré Paul Langevin, révoqué<br />

en 1940, succéda une chaire <strong>de</strong> Physique atomique <strong>et</strong> moléculaire par transformation<br />

<strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Physique mathématique créée en 1933 pour Albert Einstein <strong>et</strong> qu’il<br />

n’avait jamais occupée. Elle eut pour titulaire <strong>de</strong> 1946 à 1972 Francis Perrin<br />

auquel succéda M. Clau<strong>de</strong> Cohen-Tannoudji, <strong>de</strong> 1973 à 2004. Une nouvelle<br />

chaire <strong>de</strong> Physique mathématique a été créée en 1951 pour André Lichnerowicz<br />

(1952-1986). Une chaire <strong>de</strong> Chimie nucléaire occupée par Frédéric Joliot (1937-<br />

1958) a été transformée <strong>de</strong> 1958 à 1972 en chaire <strong>de</strong> Physique nucléaire pour Louis<br />

Leprince-Ringu<strong>et</strong> puis en chaire <strong>de</strong> Physique corpusculaire <strong>de</strong> 1973 à 2004 pour<br />

M. Marcel Froissart. Une chaire <strong>de</strong> Physique cosmique, occupée <strong>de</strong> 1944 à 1962<br />

par Alexandre Dauvillier, a été transformée en 1962 en chaire d’Astrophysique<br />

théorique pour M. Jean-Clau<strong>de</strong> Pecker (1964-1988), puis, en 1989, en chaire<br />

d’Astrophysique observationnelle pour M. Antoine Labeyrie. Une chaire <strong>de</strong><br />

Magnétisme nucléaire, créée en 1959, a été occupée par M. Anatole Abragam<br />

17


18<br />

jusqu’en 1985 <strong>et</strong> une chaire <strong>de</strong> Métho<strong><strong>de</strong>s</strong> physiques <strong>de</strong> l’astronomie par André<br />

Lallemand <strong>de</strong> 1961 à 1974. En 1982, une chaire <strong>de</strong> Physique statistique a été créée<br />

pour M. Philippe Nozières (1983-2001).<br />

Une chaire nouvelle, créée par la loi <strong>de</strong> Finances <strong>de</strong> 1964, <strong>et</strong> portant le titre <strong>de</strong><br />

Physique théorique <strong><strong>de</strong>s</strong> particules élémentaires a été occupée par M. Jacques Prentki<br />

jusqu’en 1983. En 2000, une chaire <strong>de</strong> Physique quantique a été créée pour M. Serge<br />

Haroche qui l’occupe <strong>de</strong>puis 2001. M. Gabriele Veneziano occupe <strong>de</strong>puis 2004<br />

la chaire <strong>de</strong> Particules élémentaires, gravitation <strong>et</strong> cosmologie créée l’année précé<strong>de</strong>nte.<br />

En 2005 est créée une chaire <strong>de</strong> Physique mésoscopique, occupée <strong>de</strong>puis 2007 par<br />

M. Michel Devor<strong>et</strong>.<br />

Chimie. — Une chaire <strong>de</strong> Chimie <strong>et</strong> une chaire d’Histoire naturelle, fondées en<br />

1774, furent quelque temps réunies, sous le titre <strong>de</strong> chaire <strong>de</strong> Chimie <strong>et</strong> histoire<br />

naturelle pour Jean Darc<strong>et</strong>, qui d’ailleurs limita son enseignement à la première<br />

<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux sciences. Le titre primitif <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Chimie fut repris quand la<br />

chaire fut attribuée à Nicolas Vauquelin (1801-1804) auquel succéda Louis-<br />

Jacques Thénard (1804-1845). En 1845, elle se spécialisa sous le titre <strong>de</strong> Chimie<br />

minérale, <strong>et</strong> elle eut pour titulaires Théophile-Jules Pelouze (1845-1850), Antoine-<br />

Jérôme Balard (1851-1876), Paul Schützenberger (1876-1897), Henri Le<br />

Chatelier (1898-1907) <strong>et</strong> Camille Matignon (1908-1934). Une autre chaire,<br />

attribuée à la Chimie organique, eut pour premier titulaire Marcelin Berthelot<br />

(1865-1907), auquel succédèrent Émile-Clément Jungfleisch (1908-1916),<br />

Charles Moureu (1917-1929), Marcel Delépine (1930-1941) <strong>et</strong> Charles<br />

Dufraisse (1942-1955) ; elle a été transformée en 1955 en chaire <strong>de</strong> Chimie<br />

organique <strong><strong>de</strong>s</strong> hormones, pour Alain Horeau (1956-1980). En 1979 a été créée<br />

pour M. Jean-Marie Lehn une chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions moléculaires, <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

1996 à 1998 pour Jean Rouxel une chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> soli<strong><strong>de</strong>s</strong>. En 2000, une<br />

chaire <strong>de</strong> Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée a été créée pour M. Jacques Livage qui<br />

l’occupe <strong>de</strong>puis 2001. En 2007 est créée une chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> processus<br />

biologiques pour M. Marc Fontecave.<br />

Histoire naturelle <strong>et</strong> sciences biologiques. — L’enseignement <strong>de</strong> l’histoire<br />

naturelle fondé en 1774 n’étant pas effectivement donné par Jean Darc<strong>et</strong>, une<br />

chaire consacrée à la seule Histoire naturelle fut créée en 1778 <strong>et</strong> attribuée à Louis<br />

Daubenton (1778-1799), puis à Georges Cuvier (1800-1832). C<strong>et</strong>te chaire<br />

nouvelle ne tarda pas à être elle-même dédoublée. D’une part, une chaire d’Histoire<br />

naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps inorganiques fut donnée à Léonce Élie <strong>de</strong> Beaumont (1832-1874)<br />

<strong>et</strong> fut ensuite occupée par Charles Sainte-Claire Deville (1875-1876), Ferdinand<br />

Fouqué (1877-1904), Auguste Michel-Lévy (1905-1911). À c<strong>et</strong>te chaire<br />

succè<strong>de</strong>nt une chaire <strong>de</strong> Géologie, occupée par Lucien Cayeux (1912-1936) puis<br />

une chaire <strong>de</strong> Géologie méditerranéenne pour Paul Fallot (1938-1960) <strong>et</strong> une<br />

chaire <strong>de</strong> Géodynamique pour M. Xavier Le Pichon (1986-2008). En 2000 est<br />

créée une chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan pour M. Édouard Bard. Entr<strong>et</strong>emps,<br />

une création temporaire <strong>de</strong> chaire consacrée aux Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> coloniales, protistologie


pathologique a eu pour titulaire Louis Nattan-Larrier (1923-1943). D’autre part,<br />

une secon<strong>de</strong> chaire fut consacrée à l’Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés : elle eut<br />

pour titulaires Georges Duvernoy (1837-1855), Pierre-Jean-Marie Flourens<br />

(1855-1867), Étienne-Jules Marey (1869-1904), Nicolas François-Franck<br />

(1905-1921), <strong>et</strong> André Mayer (1922-1946) ; elle a été transformée pour Jean<br />

Roche, <strong>de</strong> 1947 à 1972, en chaire <strong>de</strong> Biochimie générale <strong>et</strong> comparée, puis en chaire<br />

<strong>de</strong> Biochimie cellulaire pour M. François Gros (1973-1996) <strong>et</strong> enfin en 1996 en<br />

chaire d’Immunologie moléculaire pour M. Philippe Kourilsky. En 1980, une<br />

chaire <strong>de</strong> Bio-Énergétique cellulaire a été créée pour M. Pierre Joliot (1981-2002).<br />

En 1995 a été créée pour M. Armand <strong>de</strong> Ricqlès une chaire <strong>de</strong> Biologie historique<br />

<strong>et</strong> évolutionnisme.<br />

En 1844 fut créée une chaire d’Embryogénie comparée, tenue par Victor Coste<br />

(1844-1873), Édouard Balbiani (1874-1899), Félix Henneguy (1900-1928),<br />

puis par Emmanuel Fauré-Frémi<strong>et</strong> (1928-1954). Consacrée ensuite à l’Embryologie<br />

expérimentale, elle a été occupée <strong>de</strong> 1955 à 1974 par Étienne Wolff. Depuis 1974<br />

elle a été transformée en chaire <strong>de</strong> Communications cellulaires pour M. Jean-Pierre<br />

Changeux (1976-2006).<br />

Enfin, en 1964, une chaire nouvelle a été créée par la loi <strong>de</strong> Finances sous le<br />

titre <strong>de</strong> Génétique cellulaire pour M. François Jacob (1965-1991). Elle a été<br />

transformée en chaire <strong>de</strong> Génétique moléculaire pour M. Pierre Chambon<br />

(1992-2002), puis en chaire <strong>de</strong> Génétique humaine pour M. Jean-Louis Man<strong>de</strong>l<br />

(2003). En 1967 était créée pour Jacques Monod une chaire <strong>de</strong> Biologie moléculaire,<br />

qui l’occupa jusqu’en 1973. Une chaire <strong>de</strong> Génétique <strong>et</strong> physiologie cellulaire a été<br />

créée en 2000 pour M me Christine P<strong>et</strong>it, qui l’occupe <strong>de</strong>puis 2001, <strong>et</strong> une chaire<br />

<strong>de</strong> Processus morphogénétiques est créée en 2006, occupée à partir <strong>de</strong> 2007 par<br />

M. Alain Prochiantz.<br />

Mé<strong>de</strong>cine. — La mé<strong>de</strong>cine, enseignée au <strong>Collège</strong> dès le xvi e siècle, disposait <strong>de</strong><br />

quatre chaires, progressivement spécialisées.<br />

L’anatomie fut professée par Antoine Portal <strong>de</strong> 1773 à 1832, tandis que la<br />

mé<strong>de</strong>cine dite pratique était attribuée à d’autres titulaires, parmi lesquels Jean-<br />

Nicolas Corvisart (1796-1804), Jean-Noël Hallé (1805-1822), René-Théophile<br />

Laennec (1822-1826), <strong>et</strong> Joseph Récamier (1827-1830). François Magendie<br />

(1830-1855) eut pour successeurs Clau<strong>de</strong> Bernard (1855-1878), Charles Brown-<br />

Séquard (1878-1894), Arsène d’Arsonval (1894-1930) <strong>et</strong> Charles Nicolle<br />

(1932-1936). Une chaire d’Épidémiologie fut créée pour Hyacinthe Vincent<br />

(1925-1936). La chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine a été occupée par René Leriche (1937-1950) ;<br />

transformée ensuite en chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine expérimentale, elle a été occupée par<br />

Antoine Lacassagne (1951-1954), Charles Oberling (1955-1960), Bernard<br />

Halpern (1961-1975), M. Jean Dauss<strong>et</strong> (1977-1987), <strong>et</strong> subsiste sous c<strong>et</strong>te<br />

même dénomination pour M. Pierre Corvol (1989).<br />

19


20<br />

Furent encore créées successivement plusieurs chaires nouvelles : en 1875, une<br />

chaire d’Anatomie générale, occupée par Louis-Antoine Ranvier (1875-1911), <strong>et</strong><br />

transformée d’abord en chaire d’Histologie comparée pour Jean Nageotte<br />

(1912-1937) puis en chaire <strong>de</strong> Morphologie expérimentale <strong>et</strong> endocrinologie pour<br />

Robert Courrier, <strong>de</strong> 1938 à 1966, puis en chaire <strong>de</strong> Physiologie cellulaire <strong>de</strong> 1967<br />

à 1993 pour François Morel ; enfin en chaire <strong>de</strong> Biologie moléculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes<br />

pour Joseph Schell <strong>de</strong> 1994 à 1998. En 1903, une chaire <strong>de</strong> Pathologie générale<br />

<strong>et</strong> comparée fut créée pour Albert Charrin (1903-1907). C<strong>et</strong>te chaire fut<br />

transformée en chaire <strong>de</strong> Biologie générale, successivement occupée par le<br />

physiologiste Émile Gley <strong>de</strong> 1908 à 1930 <strong>et</strong> par le physico-chimiste Jacques<br />

Duclaux <strong>de</strong> 1931 à 1948. Elle fut remplacée par une chaire <strong>de</strong> Neuro-physiologie<br />

générale pour Alfred Fessard, <strong>de</strong> 1949 à 1971, <strong>et</strong> modifiée en 1971 en chaire <strong>de</strong><br />

Neurophysiologie pour M. Yves Laporte, <strong>de</strong> 1972 à 1991. Elle est <strong>de</strong>venue <strong>de</strong>puis<br />

1992 chaire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action pour M. Alain Berthoz.<br />

En 1925, une chaire d’Histophysiologie, attribuée à Justin Jolly (1925-1940), a été<br />

remplacée par une chaire <strong>de</strong> Radiobiologie expérimentale, occupée par Antoine<br />

Lacassagne <strong>de</strong> 1941 à 1951 où il <strong>de</strong>vint titulaire <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine<br />

expérimentale mentionnée au paragraphe précé<strong>de</strong>nt ; c<strong>et</strong>te chaire a repris <strong>de</strong> 1951<br />

à 1966, son ancienne affectation pour Jacques Benoit ; elle est <strong>de</strong>venue en 1973<br />

chaire <strong>de</strong> Physiologie du développement pour Alfred Jost (1974-1987), puis, chaire<br />

d’Embryologie cellulaire <strong>et</strong> moléculaire pour M me Nicole Le Douarin (1988-2000).<br />

En 1993, une chaire <strong>de</strong> Fon<strong>de</strong>ments <strong>et</strong> Principes <strong>de</strong> la reproduction humaine a été<br />

créée pour M. Étienne-Émile Baulieu (1993-1998), transformée en 1998, en<br />

chaire <strong>de</strong> Biologie <strong>et</strong> génétique du développement pour M. Spyros Artavanis-<br />

Tsakonas qui l’occupe <strong>de</strong>puis 2000. En 2006 est créée la chaire <strong>de</strong> Microbiologie<br />

<strong>et</strong> maladies infectieuses pour M. Philippe Sanson<strong>et</strong>ti.<br />

En 1929, une chaire <strong>de</strong> Mécanique animale appliquée à l’aviation, attribuée à<br />

Antoine Magnan (1929-1938), a subsisté <strong>de</strong> 1939 à 1955 sous le titre d’Aérolocomotion<br />

mécanique <strong>et</strong> biologique, <strong>et</strong> a été occupée par Étienne Oehmichen.<br />

À ces disciplines s’ajoutèrent, en 1887, l’enseignement alors nouveau <strong>de</strong> la<br />

Psychologie expérimentale <strong>et</strong> comparée, confié successivement à Théodule Ribot<br />

(1888-1901) <strong>et</strong> à Pierre Jan<strong>et</strong> (1902-1934), puis les chaires <strong>de</strong> : Physiologie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

sensations, attribuée à Henri Piéron (1923-1951), Psychologie <strong>et</strong> éducation <strong>de</strong><br />

l’enfance occupée par Henri Wallon (1937-1949) ainsi que Neuropsychologie du<br />

développement créée en 1975 pour Julian <strong>de</strong> Ajuriaguerra qui l’occupa jusqu’en<br />

1981 <strong>et</strong> qui a été transformée, en 1982, en chaire <strong>de</strong> Neuropharmacologie pour<br />

M. Jacques Glowinski (1983-2006). En 2005 est créée la chaire <strong>de</strong> Psychologie<br />

cognitive expérimentale, confiée à M. Stanislas Dehaene la même année.<br />

Chaire européenne. — C<strong>et</strong>te chaire <strong><strong>de</strong>s</strong>tinée à une personnalité scientifique<br />

originaire d’un pays membre <strong>de</strong> la communauté économique européenne, pour<br />

une année académique, a été créée en 1989. Elle a été occupée par M. Harald<br />

Weinrich, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Munich qui a traité <strong>de</strong> la Mémoire


linguistique <strong>de</strong> l’Europe pendant l’année 1989-1990. Le Professeur Cesare Vasoli,<br />

<strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Florence, nommé pour l’année 1990-1991, n’a pu assurer son<br />

enseignement à la suite d’un acci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> santé. En 1991-1992, M. Wolf Lepenies,<br />

Professeur au Wissenschaftskolleg <strong>de</strong> l’Université libre <strong>de</strong> Berlin a traité du suj<strong>et</strong><br />

suivant : Les intellectuels <strong>et</strong> la politique <strong>de</strong> l’esprit dans l’histoire européenne ; en 1992-<br />

1993, M. Umberto Eco, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Bologne, <strong>de</strong> La quête d’une<br />

langue parfaite dans l’histoire <strong>de</strong> la culture européenne ; en 1993-1994, M. Werner<br />

Hil<strong>de</strong>nbrand, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Bonn, du Contenu empirique <strong><strong>de</strong>s</strong> théories<br />

économiques ; M. Norbert Ohler, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Fribourg, en 1994-<br />

1995, <strong>de</strong> l’Apport <strong><strong>de</strong>s</strong> pèlerins à la formation <strong>de</strong> l’Europe ; M. Klaus Rajewski,<br />

Professeur à l’Université <strong>de</strong> Cologne, en 1995-1996, <strong><strong>de</strong>s</strong> Nouvelles approches<br />

génétiques chez la souris ; M. Pi<strong>et</strong>er Westbroek, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Ley<strong>de</strong>,<br />

en 1996-1997, <strong>de</strong> Géophysique : esquisse d’une nouvelle Science <strong>de</strong> la Terre ;<br />

M. Abram <strong>de</strong> Swaan, Professeur à l’Université d’Amsterdam, en 1997-1998, <strong>de</strong><br />

Langue <strong>et</strong> culture dans la société transnationale ; M. Thomas W. Gaehtgens,<br />

Professeur à l’Université libre <strong>de</strong> Berlin, en 1998-1999, <strong>de</strong> l’Image <strong><strong>de</strong>s</strong> collections en<br />

Europe au XVIII e siècle ; M. Hans-Wilhelm Müller-Gärtner, Professeur à la<br />

Faculté <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> Düsseldorf, en 1999-2000, <strong><strong>de</strong>s</strong> Bases neuronales <strong>de</strong> la<br />

conscience : apport <strong>de</strong> l’imagerie cérébrale ; M. Michael Edwards, Professeur à<br />

l’Université <strong>de</strong> Warwick, en 2000-2001, <strong>de</strong> Poétiques <strong>de</strong> l’anglais <strong>et</strong> du français ;<br />

M. Claudio Magris, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Trieste, en 2001-2002, <strong>de</strong><br />

Nihilisme <strong>et</strong> mélancolie. Jacobsen <strong>et</strong> son Niels Lyhne ; M. Hans Belting, Professeur<br />

à l’Université <strong>de</strong> Hei<strong>de</strong>berg, en 2002-2003, <strong>de</strong> L’histoire du regard. Représentation<br />

<strong>et</strong> vision en Occi<strong>de</strong>nt ; M. Theodor Berchem, Professeur émérite <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong><br />

Wurzbourg, <strong>de</strong> L’Avenir <strong>de</strong> l’Université — l’Université <strong>de</strong> l’Avenir, en 2003-2004 ;<br />

M. Sandro Stringari, Directeur du Research and Development Center on Bose-<br />

Einstein Con<strong>de</strong>nsation à Trente, <strong>de</strong> Con<strong>de</strong>nsation <strong>de</strong> Bose-Einstein <strong>et</strong> superfluidité, en<br />

2004-2005. Les titulaires <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te chaire ont été ensuite, en 2005-2006, M. Maurice<br />

Bloch : L’anthropologie cognitive à l’épreuve du terrain ; en 2006-2007, M. Daniele<br />

Vitali : Les Celtes d’Italie ; en 2007-2008, M. Manfred Kropp : Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> coraniques.<br />

En 2008-2009, c<strong>et</strong>te chaire est thématisée « Savoirs contre pauvr<strong>et</strong>é » <strong>et</strong> confiée à<br />

M me Esther Duflo.<br />

Chaire internationale. — Créée en 1992 pour accueillir, pendant une année<br />

académique, <strong><strong>de</strong>s</strong> personnalités scientifiques originaires <strong><strong>de</strong>s</strong> pays <strong>de</strong> l’Europe <strong>de</strong> l’Est<br />

ou appartenant à d’autres continents, c<strong>et</strong>te chaire a eu pour premier titulaire<br />

Bronislaw Geremek, Professeur à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong> Varsovie, qui a traité<br />

en 1992-1993 du suj<strong>et</strong> suivant : Histoire sociale : exclusions <strong>et</strong> solidarités. En 1993-<br />

1994, M. Zhang Guangda, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Pékin, a traité <strong>de</strong> La Chine <strong>et</strong><br />

les civilisations <strong>de</strong> l’Asie centrale du VII e au XI e siècle ; M. Orest Ranum, Professeur à<br />

l’Université Johns Hopkins <strong>de</strong> Baltimore, en 1994-1995, <strong>de</strong> La <strong>France</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> années<br />

1650 ; histoire <strong>et</strong> historiographie ; M. Harris Memel-Fotê, Professeur à l’Université<br />

d’Abidjan, en 1995-1996, <strong>de</strong> L’esclavage lignager africain <strong>et</strong> l’anthropologie <strong><strong>de</strong>s</strong> Droits<br />

<strong>de</strong> l’Homme ; M. Igor Mel’čuk, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Montréal, en 1996-1997,<br />

21


22<br />

<strong>de</strong> Linguistique « Sens-Texte » ; M. Brian Stock, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Toronto,<br />

en 1997-1998, <strong>de</strong> La Connaissance <strong>de</strong> soi <strong>et</strong> la littérature autobiographique au Moyen<br />

Âge ; M. Patrice Higonn<strong>et</strong>, Professeur à l’Université d’Harvard, en 1998-1999, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Mythes <strong>de</strong> Paris, <strong><strong>de</strong>s</strong> Lumières au Surréalismes ; M. James Watson Cronin, Professeur<br />

à l’Université <strong>de</strong> Chicago, en 1999-2000, du Développement <strong>de</strong> la physique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

particules <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> expériences ; M. Miklós Szabó, Professeur à l’Université<br />

Eötvös Loránd <strong>de</strong> Budapest, en 2000-2001, <strong>de</strong> l’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> Celtes danubiens <strong>et</strong> leur<br />

romanisation ; M. Paul Farmer, Professeur à la Harvard Medical School <strong>de</strong> Boston,<br />

en 2001-2002, <strong>de</strong> La violence struturelle <strong>et</strong> la matérialité du social ; M. Stuart<br />

E<strong>de</strong>lstein, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Genève, en 2002-2003, <strong><strong>de</strong>s</strong> Mécanismes <strong>de</strong> la<br />

transduction du signal en biologie. M. Jayant Vishnu Narlikar, Professeur à l’Inter-<br />

University centre for Astronomy and Astrophysics <strong>de</strong> Pune (In<strong>de</strong>) a traité en 2003-<br />

2004 <strong>de</strong> Cosmology : Theory and Observations ; M. A. M. Celâl Şengör, Professeur à<br />

l’Université technique d’Istanbul, en 2004-2005, <strong>de</strong> L’histoire <strong>de</strong> la tectonique <strong>de</strong>puis<br />

les temps les plus reculés jusqu’à l’apparition <strong>de</strong> la tectonique <strong><strong>de</strong>s</strong> plaques : une étu<strong>de</strong><br />

épistémologique. Les titulaires <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te chaire ont été ensuite, en 2005-2006,<br />

M. Thomas Pavel : Comment écouter la littérature ? ; en 2006-2007, M. Guy Orban :<br />

La vision, mission du cerveau ; en 2007-2008, à M. Pierre Magistr<strong>et</strong>ti : Cellules<br />

gliales, neuroénergétique <strong>et</strong> maladies neuropsychiatriques. En 2008-2009, c<strong>et</strong>te chaire<br />

est thématisée « Développement durable » <strong>et</strong> est confiée à M. Henri Leridon.<br />

Chaire <strong>de</strong> création artistique. — Créée en 2004 pour accueillir, pendant<br />

une année académique, une personnalité illustrant la création artistique<br />

contemporaine, <strong>et</strong> consacrée à toutes les formes <strong>de</strong> création artistique, c<strong>et</strong>te chaire<br />

a eu pour premier titulaire, en 2005-2006, M. Christian <strong>de</strong> Portzamparc,<br />

architecte, qui a traité <strong>de</strong> : Architecture : figures du mon<strong>de</strong>, figures du temps. La<br />

chaire est ensuite occupée, en 2006-2007, par M. Pascal Dusapin, compositeur,<br />

dont le <strong>cours</strong> a pour titre : Composer : musique, paradoxe, flux. En 2007-2008, la<br />

chaire est confiée à M me Ariane Mnouchkine <strong>et</strong> en 2008-2009 à M. Pierre-<br />

Laurent Aimard.<br />

Chaire d’innovation technologique-Liliane B<strong>et</strong>tencourt. — Créée en<br />

2007, en partenariat avec la fondation B<strong>et</strong>tencourt-Schueller, c<strong>et</strong>te chaire a pour<br />

vocation d’accueillir, pour chaque année académique, un nouveau titulaire chargé<br />

<strong>de</strong> proposer un enseignement à la pointe <strong>de</strong> la recherche dans les secteurs hautement<br />

innovants <strong><strong>de</strong>s</strong> nanotechnologies, <strong>de</strong> l’informatique, <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux <strong>de</strong> communication,<br />

du transfert <strong>et</strong> du cryptage <strong>de</strong> données, <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences du vivant. Le premier titulaire,<br />

en 2006-2007, a été M. Jean-Paul Clozel, chercheur <strong>et</strong> P.-D.G. <strong>de</strong> la société<br />

ActelionLtd, qui a traité <strong>de</strong> : La biotechnologie : <strong>de</strong> la science au médicament. En<br />

2007-2008, la chaire est occupée par M. Gérard Berry, directeur scientifique <strong>de</strong><br />

Esterel Technologies, qui s’est consacré à la question : Pourquoi <strong>et</strong> comment le mon<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>vient numérique. Lui succè<strong>de</strong>, pour 2008-2009, M. Mathias Fink, professeur à<br />

l’École supérieure <strong>de</strong> physique <strong>et</strong> <strong>de</strong> chimie industrielles <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Paris <strong>et</strong><br />

directeur du Laboratoire On<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> acoustique.


TABLEAU DES CHAIRES DEPUIS 1800<br />

Chaire ancienne Chaire nouvelle<br />

1800 1<br />

Physique mathématique Physique mathématique<br />

Jacques-Antoine Cousin (1769-1800) Jean-Baptiste Biot (1801-1862)<br />

Histoire naturelle Histoire naturelle<br />

Louis Daubenton (1778-1799) Georges Cuvier (1800-1832)<br />

1801<br />

Chimie Chimie<br />

Jean Darc<strong>et</strong> (1774-1801) Nicolas Vauquelin (1801-1804)<br />

1804<br />

Droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens Droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens<br />

Mathieu-Antoine Bouchaud (1773-1804) Pierre <strong>de</strong> Pastor<strong>et</strong> (1804-1821)<br />

Chimie Chimie<br />

Nicolas Vauquelin (1801-1804) Louis-Jacques Thénard (1804-1845)<br />

Création Grec mo<strong>de</strong>rne<br />

Jean-Baptiste d’Ansse <strong>de</strong> Villoison<br />

(1804-1805)<br />

1805<br />

Persan <strong>et</strong> Turc Persan<br />

Pierre Ruffin (1784-1805) Antoine-Isaac Silvestre <strong>de</strong> Sacy<br />

(1806-1838)<br />

Mé<strong>de</strong>cine Mé<strong>de</strong>cine<br />

Jean-Nicolas Corvisart (1796-1804) Jean-Noël Hallé (1805-1822)<br />

1. L’année indiquée est celle <strong>de</strong> la délibération <strong>de</strong> l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> Professeurs sur la création,<br />

le maintien ou la transformation <strong>de</strong> la chaire.


24<br />

Grec mo<strong>de</strong>rne Turc<br />

Jean-Baptiste d’Ansse <strong>de</strong> Villoison Pierre Ruffin (1805-1822)<br />

(1804-1805)<br />

1807<br />

Astronomie Astronomie<br />

Jérôme <strong>de</strong> Lalan<strong>de</strong> (1768-1807) Jean-Baptiste Delambre (1807-1822)<br />

1809<br />

Éloquence latine Éloquence latine<br />

Charles-François Dupuis (1787-1809) Pierre Guéroult (1809-1816)<br />

1812<br />

Histoire <strong>et</strong> morale Histoire <strong>et</strong> morale<br />

Pierre-Charles Lévesque (1791-1812) Étienne Clavier (1812-1817)<br />

1813<br />

Poésie latine Poésie latine<br />

Jacques Delille (1778-1813) Pierre-François Tissot (1813-1821)<br />

1814<br />

Philosophie grecque <strong>et</strong> latine Langue <strong>et</strong> philosophie grecques<br />

Édouard Bosquillon (1775-1814) Jean-François Thurot (1814-1832)<br />

Littérature française Littérature française<br />

Antoine <strong>de</strong> Cournand (1784-1814) Stanislas Andrieux (1814-1833)<br />

Création Langues <strong>et</strong> littératures chinoise <strong>et</strong><br />

tartare-mandchoue<br />

Jean-Pierre Abel-Remusat (1814-1832)<br />

Création Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites<br />

Léonard <strong>de</strong> Chézy (1815-1832)<br />

1815<br />

Mathématiques Mathématiques<br />

Antoine-Rémy Mauduit (1770-1815) Sylvestre-François Lacroix (1815-1843)<br />

1816<br />

Éloquence latine Éloquence latine<br />

Pierre Guéroult (1809-1816) Jean-Louis Burnouf (1817-1844)<br />

1817<br />

Histoire <strong>et</strong> morale Histoire <strong>et</strong> morale<br />

Étienne Clavier (1812-1817) Pierre Daunou (1819-1830)<br />

1819<br />

Hébreu Hébreu<br />

Prosper-Gabriel Audran (1799-1819) Étienne-Marc Quatremère (1819-1857)


1821<br />

Droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens Droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens<br />

Pierre <strong>de</strong> Pastor<strong>et</strong> (1804-1821) Xavier <strong>de</strong> Port<strong>et</strong>s (1822-1854)<br />

Poésie latine Poésie latine<br />

Pierre-François Tissot (révoqué) Joseph Naud<strong>et</strong> (1821-1830)<br />

(1813-1821)<br />

1822<br />

Mé<strong>de</strong>cine Mé<strong>de</strong>cine<br />

Jean-Noël Hallé (1805-1822) René-Théophile Laennec (1822-1826)<br />

Turc Turc<br />

Pierre Ruffin (1805-1822) Daniel Kieffer (1822-1833)<br />

Astronomie Astronomie<br />

Jean-Baptiste Delambre (1807-1822) Jacques Bin<strong>et</strong> (1823-1856)<br />

1823<br />

Physique générale <strong>et</strong> expérimentale Physique générale <strong>et</strong> expérimentale<br />

Louis Lefèvre-Gineau (révoqué) André-Marie Ampère (1824-1836)<br />

(1786-1823)<br />

1826<br />

Mé<strong>de</strong>cine Mé<strong>de</strong>cine<br />

René-Théophile Laennec (1822-1826) Joseph Récamier (1827-1830)<br />

1829<br />

Langue <strong>et</strong> littérature grecques Langue <strong>et</strong> littérature grecques<br />

Jean-Baptiste Gail (1791-1829) Jean-François Boissona<strong>de</strong> (1829-1855)<br />

1830<br />

Histoire <strong>et</strong> morale Histoire <strong>et</strong> morale<br />

Pierre Daunou (1819-1830) Jean-Antoine L<strong>et</strong>ronne (1831-1837)<br />

Poésie latine Poésie latine<br />

Joseph Naud<strong>et</strong> (1821-1830) Pierre-François Tissot (rétabli)<br />

(1830-1854)<br />

1831<br />

Mé<strong>de</strong>cine Mé<strong>de</strong>cine<br />

Joseph Récamier (1827-1830) François Magendie (1831-1855)<br />

Création Économie politique<br />

Jean-Baptiste Say (1831-1832)<br />

Création Archéologie<br />

Jean-François Champollion (1831-1832)<br />

Création Histoire générale <strong>et</strong> philosophique<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> législations comparées<br />

Eugène Lerminier (1831-1849)<br />

25


26<br />

1832<br />

Anatomie<br />

Antoine Portal (1773-1832)<br />

Chaire supprimée<br />

Histoire naturelle Histoire naturelle, puis Histoire naturelle<br />

Georges Cuvier (1800-1832) <strong><strong>de</strong>s</strong> corps inorganiques<br />

Léonce Élie <strong>de</strong> beaumont (1832-1874)<br />

Langues <strong>et</strong> littératures chinoise <strong>et</strong> Langues <strong>et</strong> littératures chinoise <strong>et</strong><br />

tartare-mandchoue tartare-mandchoue<br />

Jean-Pierre Abel-Rémusat (1814-1832) Stanislas Julien (1832-1873)<br />

Langue <strong>et</strong> philosophie grecques Philosophie grecque <strong>et</strong> latine<br />

Jean-François Thurot (1814-1832) Théodore Jouffroy (1832-1837)<br />

Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites<br />

Léonard <strong>de</strong> Chézy (1815-1832) Eugène Burnouf (1832-1852)<br />

Économie politique Économie politique<br />

Jean-Baptiste Say (1831-1832) Pellegrino Rossi (1833-1840)<br />

1833<br />

Arabe Arabe<br />

Antoine Caussin <strong>de</strong> Perceval Armand-Pierre Caussin <strong>de</strong> Perceval<br />

(1784-1833) (1833-1871)<br />

Littérature française Littérature française<br />

Stanislas Andrieux (1814-1833) Jean-Jacques Ampère (1833-1853)<br />

Turc Turc<br />

Daniel Kieffer (1822-1833) Alix Desgranges (1833-1854)<br />

1836<br />

Physique générale <strong>et</strong> expérimentale Physique générale <strong>et</strong> expérimentale<br />

André-Marie Ampère (1824-1836) Félix Savart (1836-1841)<br />

1837<br />

Archéologie Archéologie<br />

Jean-François Champollion (1831-1832) Jean-Antoine L<strong>et</strong>ronne (1837-1848)<br />

Histoire <strong>et</strong> morale Histoire <strong>et</strong> morale<br />

Jean-Antoine L<strong>et</strong>ronne (1831-1837) Jules Michel<strong>et</strong> (1838-1852)<br />

Philosophie grecque <strong>et</strong> latine Philosophie grecque <strong>et</strong> latine<br />

Théodore Jouffroy (1832-1837) Jules Barthélémy Saint-Hilaire<br />

(1838-1852)<br />

Création Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés<br />

Georges Duvernoy (1837-1855)<br />

1838<br />

Persan Persan<br />

Antoine-Isaac Silvestre <strong>de</strong> Sacy Amédée Jaubert (1838-1847)<br />

(1806-1838)


1840<br />

Économie politique Économie politique<br />

Pellegrino Rossi (1833-1840) Michel Chevalier (1840-1879)<br />

Création Langue <strong>et</strong> littérature slaves<br />

1841<br />

Adam Mickiewicz, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />

(1840-1852)<br />

Physique générale <strong>et</strong> expérimentale Physique générale <strong>et</strong> expérimentale<br />

Félix Savart (1836-1841) Henri-Victor Régnault (1841-1871)<br />

Création Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique<br />

Philarète Chasles (1841-1853)<br />

Création Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’Europe méridionale<br />

1843<br />

Edgar Quin<strong>et</strong> (1841-1852)<br />

Mathématiques Mathématiques<br />

Sylvestre-François Lacroix (1843-1848) Guillaume Libri-Carucci (1815-1843)<br />

1844<br />

Éloquence latine Éloquence latine<br />

Jean-Louis Burnouf (1817-1844) Désiré Nisard (1844-1852)<br />

Création Embryogénie comparée<br />

Victor Coste (1844-1873)<br />

1845<br />

Chimie Chimie minérale<br />

Louis-Jacques Thénard (1804-1845) Théophile-Jules Pelouze (1845-1850)<br />

1847<br />

Persan Persan<br />

Amédée Jaubert (1838-1847) Jules Mohl (1850-1876)<br />

27


28<br />

1848<br />

Le 7 avril 1848, un décr<strong>et</strong> du gouvernement provisoire supprima cinq chaires :<br />

Économie politique, Droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens, Législations comparées, Turc <strong>et</strong> Poésie<br />

latine,<br />

pour en créer douze nouvelles <strong><strong>de</strong>s</strong>tinées à instituer une École d’Administration dont<br />

l’existence fut éphémère :<br />

Droit politique français <strong>et</strong> droit politique comparé, Jean Reynaud<br />

Droit international <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> traités, Alphonse <strong>de</strong> Lamartine<br />

Droit privé, Armand Marrast<br />

Droit criminel, Faustin Hélie<br />

Économie générale <strong>et</strong> statistique <strong>de</strong> la population, Augustin Serres<br />

Économie générale <strong>et</strong> statistique <strong>de</strong> l’agriculture, Joseph Decaisne<br />

Économie générale <strong>et</strong> statistique <strong><strong>de</strong>s</strong> mines, usines, arts <strong>et</strong> manufactures, Jean-Martial Bineau<br />

Économie générale <strong>et</strong> statistique <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> publics, Alfred-Charles Franqu<strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> Franqueville<br />

Économie générale <strong>et</strong> statistique <strong><strong>de</strong>s</strong> finances <strong>et</strong> du commerce, Louis-Antoine Garnier-Pagès<br />

Droit administratif, Louis-Marie Delahaye <strong>de</strong> Cormenin<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> institutions administratives françaises <strong>et</strong> étrangères, Alexandre Ledru-Rollin<br />

Mécanique, Jean-Victor Poncel<strong>et</strong>.<br />

Le 14 novembre 1848, l’Assemblée Nationale rétablit les cinq chaires supprimées <strong>et</strong> leurs<br />

titulaires furent réintégrés au <strong>Collège</strong>.<br />

Chaire ancienne Chaire nouvelle<br />

1849<br />

Histoire générale <strong>et</strong> philosophique Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> législations comparées<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> législations comparées<br />

Édouard Laboulaye (1849-1883) Eugène Lerminier (1831-1849)<br />

Archéologie Archéologie<br />

Jean-Antoine L<strong>et</strong>ronne (1837-1848) Charles Lenormant (1849-1859)<br />

1850<br />

Mathématiques Mathématiques<br />

Guillaume Libri-Carucci (1843-1848) Joseph Liouville (1851-1882)<br />

Chimie minérale Chimie minérale<br />

Théophile-Jules Pelouze (1845-1850) Antoine-Jérôme Balard (1851-1876)<br />

1852<br />

Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites<br />

Eugène Burnouf (1832-1852) Théodore Pavie, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />

(1853-1857)<br />

Révocation <strong>de</strong> Quin<strong>et</strong>, Michel<strong>et</strong>, Mickiewicz.<br />

Langue <strong>et</strong> littérature slaves Langue <strong>et</strong> littérature slaves<br />

Adam Mickiewicz, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> Cyprien Robert, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />

(1840-1852) (1852-1857)


Éloquence latine Éloquence latine<br />

Désiré Nisard (1844-1852) Wilhelm Rinn (1853-1854)<br />

1853<br />

Littérature française Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes<br />

Jean-Jacques Ampère (1833-1853) Jean-Jacques Ampère (1853-1864)<br />

Philosophie grecque <strong>et</strong> latine Philosophie grecque <strong>et</strong> latine<br />

Jules Barthélémy Saint-Hilaire Émile Saiss<strong>et</strong>, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />

(1838-1852)<br />

Fusion <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires <strong>de</strong> :<br />

(1853-1857)<br />

— Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> littératures étrangères <strong>de</strong><br />

l’Europe méridionale l’Europe mo<strong>de</strong>rne<br />

Edgar Quin<strong>et</strong> (révoqué) (1841-1852)<br />

— Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique<br />

Philarète Chasles (1841-1853)<br />

Philarète Chasles (1853-1870)<br />

Création Langue <strong>et</strong> littérature françaises du Moyen Âge<br />

Paulin Paris (1853-1872)<br />

1854<br />

Droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens Droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens<br />

Xavier <strong>de</strong> Port<strong>et</strong>s (1822-1854) Adolphe Franck, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />

(1854-1856), titulaire (1856-1887)<br />

Poésie latine Poésie latine<br />

Pierre-François Tissot (1830-1854) Charles-Augustin <strong>de</strong> Sainte-Beuve<br />

(1854-1869)<br />

Turc Turc<br />

Alix Desgranges (1833-1854) Mathurin-Joseph Cor (1854)<br />

Histoire <strong>et</strong> morale Histoire <strong>et</strong> morale<br />

Jules Michel<strong>et</strong> (révoqué) (1838-1852) Joseph Guigniaut, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />

(1854-1857), titulaire (1857-1862)<br />

Éloquence latine Éloquence latine<br />

Wilhelm Rinn (1853-1854) Ernest Hav<strong>et</strong> (1854-1885)<br />

Turc Turc<br />

Mathurin-Joseph Cor (1854) Abel Pav<strong>et</strong> <strong>de</strong> Courteille, chargé <strong>de</strong><br />

<strong>cours</strong> (1854-1861), titulaire (1861-1889)<br />

1855<br />

Langue <strong>et</strong> littérature grecques Langue <strong>et</strong> littérature grecques<br />

Jean-François Boissona<strong>de</strong> (1855-1892) Jean-Pierre Rossignol (1829-1855)<br />

Mé<strong>de</strong>cine Mé<strong>de</strong>cine<br />

François Magendie (1831-1855) Clau<strong>de</strong> Bernard (1855-1878)<br />

Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés<br />

Georges Duvernoy (1837-1855) Pierre-Jean-Marie Flourens (1855-1867)<br />

29


30<br />

1857<br />

Hébreu Langues hébraïque, chaldaïque, <strong>et</strong> syriaque<br />

Étienne-Marc Quatremère (1819-1857) Louis Dubeux, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />

(1857-1861)<br />

Langue <strong>et</strong> littérature slaves Langue <strong>et</strong> littérature slaves<br />

Cyprien Robert, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> Alexandre Chodzko, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />

(1852-1857) (1857-1883)<br />

Philosophie grecque <strong>et</strong> latine Philosophie grecque <strong>et</strong> latine<br />

Émile Saiss<strong>et</strong>, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> Charles Lévêque, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />

(1853-1857) (1857-1860), titulaire (1861-1900)<br />

Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites<br />

Théodore Pavie, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> Édouard Foucaux, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />

(1853-1857) (1857-1862), titulaire (1862-1894)<br />

1860<br />

Astronomie Mécanique céleste<br />

Jacques Bin<strong>et</strong> (1823-1856) Joseph Serr<strong>et</strong> (1861-1885)<br />

Archéologie Philologie <strong>et</strong> archéologie égyptiennes<br />

Charles Lenormant (1849-1859) Emmanuel <strong>de</strong> Rougé (1860-1872)<br />

Langues hébraïque, chaldaïque, <strong>et</strong> syriaque Langues hébraïque, chaldaïque, <strong>et</strong> syriaque<br />

Louis Dubeux, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> (1857-1861) Ernerst Renan (1862-1864)<br />

Création Épigraphie <strong>et</strong> antiquités romaines<br />

Léon Renier (1861-1885)<br />

1862<br />

Physique mathématique Physique générale <strong>et</strong> mathématique<br />

Jean-Baptiste Biot (1801-1862) Joseph Bertrand (1862-1900)<br />

Histoire <strong>et</strong> morale Histoire <strong>et</strong> morale<br />

Joseph Guigniaut (1857-1862) Alfred Maury, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> (1861),<br />

titulaire (1862-1892)<br />

1864<br />

Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes<br />

Jean-Jacques Ampère (1853-1864) Louis <strong>de</strong> Loménie (1864-1878)<br />

Langues hébraïque, chaldaïque, <strong>et</strong> syriaque Langues hébraïque, chaldaïque, <strong>et</strong> syriaque<br />

Ernest Renan (révoqué) (1862-1864) Salomon Munk (1864-1867)<br />

Création Grammaire comparée<br />

Michel Bréal, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />

(1864-1865), titulaire (1866-1905)<br />

1865<br />

Création Chimie organique<br />

Marcelin Berthelot (1865-1907)


1869<br />

Poésie latine Poésie latine<br />

Charles-Augustin De Sainte-Beuve Gaston Boissier (1869-1885)<br />

(1854-1869)<br />

Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés<br />

Pierre-Jean-Marie Flourens (1855-1867) Étienne-Jules Marey (1869-1904)<br />

1870<br />

Langues <strong>et</strong> littératures étrangères <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> littératures d’origine<br />

l’Europe mo<strong>de</strong>rne germanique<br />

Philarète Chasles (1853-1870) Philarète Chasles (1870-1873)<br />

Langues hébraïque, chaldaïque, <strong>et</strong> syriaque Langues hébraïque, chaldaïque, <strong>et</strong> syriaque<br />

Salomon Munk (1864-1867) Ernest Renan (rétabli) (1870-1892)<br />

Rétablissement Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’Europe<br />

méridionale<br />

Edgar Quin<strong>et</strong> (1870-1875)<br />

1871<br />

Arabe Arabe<br />

Armand-Pierre Caussin <strong>de</strong> Perceval Charles-François Defrémery<br />

(1833-1871) (1871-1883)<br />

Création Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> doctrines économiques<br />

Émile Levasseur (1871-1885)<br />

1872<br />

Physique générale <strong>et</strong> expérimentale Physique générale <strong>et</strong> expérimentale<br />

Henri-Victor Régnault (1841-1871) Élie Mascart (1872-1908)<br />

Langue <strong>et</strong> littérature françaises du Langue <strong>et</strong> littérature françaises du<br />

Moyen Âge Moyen Âge<br />

Paulin Paris (1853-1872) Gaston Paris (1872-1903)<br />

1873<br />

Langues <strong>et</strong> littératures chinoise <strong>et</strong> Langues <strong>et</strong> littératures chinoise <strong>et</strong><br />

tartare-mandchoue tartare-mandchoue<br />

Stanislas Julien (1832-1873) Léon d’Hervey <strong>de</strong> Saint-Denys<br />

(1874-1892)<br />

31


32<br />

Embryogénie comparée Embryogénie comparée<br />

Victor Coste (1844-1873) Édouard Balbiani (1874-1899)<br />

Philologie <strong>et</strong> archéologie égyptiennes Philologie <strong>et</strong> archéologie égyptiennes<br />

Emmanuel <strong>de</strong> Rougé (1860-1872) Gaston Maspero (1874-1916)<br />

Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique<br />

Philarète Chasles (1870-1873) Guillaume Guizot (1874-1892)<br />

1874<br />

Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps inorganiques Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps inorganiques<br />

Léonce Élie <strong>de</strong> Beaumont Charles Sainte-Claire Deville<br />

(1832-1874) (1875-1876)<br />

Création Histoire <strong>de</strong> la philosophie mo<strong>de</strong>rne<br />

Jean Nourrisson (1874-1899)<br />

Création Philologie <strong>et</strong> archéologie assyriennes<br />

Jules Oppert (1874-1905)<br />

1875<br />

Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’Europe Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’Europe<br />

méridionale méridionale<br />

Edgar Quin<strong>et</strong> (1870-1875) Paul Meyer (1876-1906)<br />

Création Anatomie générale<br />

Louis Ranvier (1875-1911)<br />

1876<br />

Persan Persan<br />

Jules Mohl (1850-1876) Adrien Barbier Demeynard (1876-1885)<br />

Chimie minérale Chimie minérale<br />

Antoine-Jérôme Balard (1851-1876) Paul Schützenberger (1876-1897)<br />

Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps inorganiques Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps inorganiques<br />

Charles Sainte-Claire<strong>de</strong>ville (1875-1876) Ferdinand Fouqué (1877-1904)<br />

1877<br />

Création Épigraphie <strong>et</strong> antiquités grecques<br />

Paul Foucart (1877-1926)<br />

1878<br />

Mé<strong>de</strong>cine Mé<strong>de</strong>cine<br />

Clau<strong>de</strong> Bernard (1855-1878) Charles-Édouard Brown-Séquard<br />

(1878-1894)<br />

Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes<br />

Louis <strong>de</strong> Loménie (1864-1878) Paul Albert (1878-1880)<br />

Création Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art<br />

Charles Blanc (1878-1882)


1880<br />

Économie politique Économie politique<br />

Michel Chevalier (1840-1879) Paul Leroy-Beaulieu (1880-1916)<br />

Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes<br />

Paul Albert (1878-1880) Émile Deschanel (1881-1903)<br />

Création Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions<br />

Albert Réville (1880-1906)<br />

1882<br />

Mathématiques Mathématiques<br />

Joseph Liouville (1851-1882) Camille Jordan (1883-1912)<br />

Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art<br />

Charles Blanc (1878-1882) Eugène Guillaume (1882-1905)<br />

Création Langues <strong>et</strong> littératures celtiques<br />

Henry d’Arbois <strong>de</strong> Jubainville<br />

(1882-1910)<br />

1883<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> législations comparées Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> législations comparées<br />

Édouard Laboulaye (1849-1883) Jacques Flach (1884-1919)<br />

Arabe Arabe<br />

Charles-François Defrémery (1871-1883) Stanislas Guyard (1884)<br />

1884<br />

Langue <strong>et</strong> littérature slaves Langues <strong>et</strong> littératures slaves<br />

Alexandre Chodzko, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />

(1857-1883)<br />

Louis Léger (1885-1923)<br />

Arabe Arabe<br />

Stanislas Guyard (1884) Adrien Barbier <strong>de</strong> Meynard (1885-1908)<br />

1885<br />

Éloquence latine Philologie latine<br />

Ernest Hav<strong>et</strong> (1854-1885) Louis Hav<strong>et</strong> (1885-1925)<br />

Mécanique céleste Mécanique analytique <strong>et</strong> mécanique céleste<br />

Joseph Serr<strong>et</strong> (1861-1885) Maurice Lévy (1885-1908)<br />

Épigraphie <strong>et</strong> antiquités romaines Épigraphie <strong>et</strong> antiquités romaines<br />

Léon Renier (1861-1885) Ernest Desjardins (1886)<br />

Poésie latine Histoire <strong>de</strong> la littérature latine<br />

Gaston Boissier (1869-1885) Gaston Boissier (1885-1906)<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> doctrines économiques Géographie, histoire, <strong>et</strong> statistiques<br />

Émile Levasseur (1871-1885) économiques<br />

Émile Levasseur (1885-1911)<br />

Persan Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> la Perse<br />

Adrien Barbier <strong>de</strong> Meynard (1876-1885) James Darmest<strong>et</strong>er (1885-1894)<br />

33


34<br />

1886<br />

Épigraphie <strong>et</strong> antiquités romaines Épigraphie <strong>et</strong> antiquités romaines<br />

Ernest Desjardins (1886) René Cagnat (1887-1930)<br />

1887<br />

Droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens Psychologie expérimentale <strong>et</strong> comparée<br />

Adolphe Franck (1856-1887) Théodule Ribot (1888-1901)<br />

1890<br />

Turc Épigraphie <strong>et</strong> antiquités sémitiques<br />

Abel Pav<strong>et</strong> <strong>de</strong> Courteille (1861-1889) Charles Clermont-Ganneau (1890-1923)<br />

1892<br />

Histoire <strong>et</strong> morale Géographie historique <strong>de</strong> la <strong>France</strong><br />

Alfred Maury (1862-1892) Auguste Longnon (1892-1911)<br />

Création Histoire générale <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences<br />

Pierre Laffitte (1892-1903)<br />

1893<br />

Langue <strong>et</strong> littérature grecques Langue <strong>et</strong> littérature grecques<br />

Jean-Pierre Rossignol (1855-1892) Maurice Crois<strong>et</strong> (1893-1930)<br />

Langues hébraïque, chaldaïque Langues <strong>et</strong> littératures hébraïque,<br />

<strong>et</strong> syriaque chaldaïque, <strong>et</strong> syriaque<br />

Ernest Renan (1870-1892) Philippe Berger (1893-1910)<br />

Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique<br />

Guillaume Guizot (1874-1892) Arthur Chuqu<strong>et</strong> (1893-1925)<br />

Langues <strong>et</strong> littératures chinoise <strong>et</strong> Langues <strong>et</strong> littératures chinoise <strong>et</strong><br />

tartare-mandchoue tartare-mandchoue<br />

Léon d’Hervey <strong>de</strong> Saint-Denys<br />

(1874-1892)<br />

Édouard Chavannes (1893-1918)<br />

1894<br />

Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites<br />

Édouard Foucaux (1862-1894) Sylvain Lévi (1894-1935)<br />

Mé<strong>de</strong>cine Mé<strong>de</strong>cine<br />

Charles-Édouard Brown-Séquard<br />

(1878-1894)<br />

Arsène d’Arsonval (1894-1930)<br />

Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> la Perse Langue <strong>et</strong> littérature araméennes<br />

James Darmest<strong>et</strong>er (1885-1894) Rubens Duval (1894-1907)<br />

1897<br />

Chimie minérale Chimie minérale<br />

Paul Schützenberger (1876-1897) Henri Le Chatelier (1898-1907)<br />

Création Philosophie sociale<br />

Jean Izoul<strong>et</strong> (1897-1929)


1899<br />

Histoire <strong>de</strong> la philosophie mo<strong>de</strong>rne Philosophie mo<strong>de</strong>rne<br />

Jean Nourrisson (1874-1899) Gabriel Tar<strong>de</strong> (1900-1904)<br />

Embryogénie comparée Embryogénie comparée<br />

Édouard Balbiani (1874-1899) Félix Henneguy (1900-1928)<br />

1900<br />

Philosophie grecque <strong>et</strong> latine Philosophie grecque <strong>et</strong> latine<br />

Charles Lévêque (1861-1900) Henri Bergson (1900-1904)<br />

Physique générale <strong>et</strong> mathématique Physique générale <strong>et</strong> mathématique<br />

Joseph Bertrand (1862-1900) Marcel Brillouin (1900-1931)<br />

1901<br />

Psychologie expérimentale <strong>et</strong> comparée Psychologie expérimentale <strong>et</strong> comparée<br />

Théodule Ribot (1888-1901) Pierre Jan<strong>et</strong> (1902-1934)<br />

1902<br />

Création Sociologie <strong>et</strong> sociographie musulmanes<br />

Alfred Le Chatelier (1902-1925)<br />

1903<br />

Langue <strong>et</strong> littérature françaises du Moyen Âge Langue <strong>et</strong> littérature françaises du Moyen Âge<br />

Gaston Paris (1872-1903) Joseph Bédier (1903-1936)<br />

Histoire générale <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences Histoire générale <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences<br />

Pierre Laffitte (1892-1903) Grégoire Wyrouboff (1903-1913)<br />

Création Pathologie générale <strong>et</strong> comparée<br />

Albert Charrin (1903-1907)<br />

1904<br />

Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés<br />

Étienne-Jules Marey (1869-1904) Nicolas François-Franck (1905-1921)<br />

Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps inorganiques Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps inorganiques<br />

Ferdinand Fouqué (1877-1904) Auguste Michel-Lévy (1905-1911)<br />

Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes<br />

Émile Deschanel (1881-1903) Abel Lefranc (1904-1937)<br />

Philosophie mo<strong>de</strong>rne Philosophie mo<strong>de</strong>rne<br />

Gabriel Tar<strong>de</strong> (1900-1904) Henri Bergson (1904-1921)<br />

1905<br />

Grammaire comparée Grammaire comparée<br />

Michel Bréal (1866-1905) Antoine Meill<strong>et</strong> (1906-1936)<br />

Philologie <strong>et</strong> archéologie assyriennes Philologie <strong>et</strong> archéologie assyriennes<br />

Jules Oppert (1874-1905) Charles Fossey (1906-1939)<br />

Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art<br />

Eugène Guillaume (1882-1905) Georges Lafenestre (1905-1919)<br />

35


36<br />

Philosophie grecque <strong>et</strong> latine Histoire <strong>et</strong> antiquités nationales<br />

Henri Bergson (nommé en 1904 titulaire Camille Jullian (1905-1930)<br />

<strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong>Philosophie mo<strong>de</strong>rne)<br />

(1900-1904)<br />

1906<br />

Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’Europe Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’Europe<br />

méridionale méridionale<br />

Paul Meyer (1876-1906) Alfred Morel-Fatio (1907-1924)<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions<br />

Albert Réville (1880-1906) Jean Réville (1907-1908)<br />

Histoire <strong>de</strong> la littérature latine Histoire <strong>de</strong> la littérature latine<br />

Gaston Boissier (1885-1906) Paul Monceaux (1907-1934)<br />

1907<br />

Chimie organique Chimie organique<br />

Marcelin Berthelot (1865-1907) Émile Jungfleisch (1908-1916)<br />

Chimie minérale Chimie minérale<br />

Henri Le Chatelier (1898-1907) Camille Matignon (1908-1934)<br />

Pathologie générale <strong>et</strong> comparée Biologie générale<br />

Albert Charrin (1903-1907) Émile Gley (1908-1930)<br />

Création Histoire du travail<br />

Georges Renard (1907-1930)<br />

1908<br />

Physique générale <strong>et</strong> expérimentale Physique générale <strong>et</strong> expérimentale<br />

Élie Mascart (1872-1908) Paul Langevin (1909-1946) (révoqué<br />

en 1940, réintégré en 1944)<br />

Arabe Langue <strong>et</strong> littérature arabes<br />

Adrien Barbier Demeynard (1885-1908) Paul Casanova (1909-1926)<br />

Langue <strong>et</strong> littérature araméennes Numismatique <strong>de</strong> l’Antiquité <strong>et</strong> du<br />

Rubens Duval (1895-1907) Moyen Âge<br />

Ernest Babelon (1908-1924)<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions<br />

Jean Réville (1907-1908) Alfred Loisy (1909-1932)<br />

1909<br />

Mécanique analytique <strong>et</strong> mécanique céleste Mécanique analytique <strong>et</strong> mécanique céleste<br />

Maurice Lévy (1885-1908) Jacques Hadamard (1909-1937)<br />

1910<br />

Langues <strong>et</strong> littératures celtiques Langues <strong>et</strong> littératures celtiques<br />

Henry d’Arbois <strong>de</strong> Jubainville Joseph Loth (1910-1930)<br />

(1882-1910)


1911<br />

Langues <strong>et</strong> littératures hébraïque, Langues, histoire <strong>et</strong> archéologie <strong>de</strong><br />

chaldaïque, <strong>et</strong> syriaque l’Asie centrale<br />

Philippe Berger (1893-1910) Paul Pelliot (1911-1945)<br />

1912<br />

Anatomie générale Histologie comparée<br />

Louis Ranvier (1875-1911) Jean Nageotte (1912-1937)<br />

Mathématiques Mathématiques<br />

Camille Jordan (1883-1912) Georges Humbert (1912-1921)<br />

Géographie, histoire <strong>et</strong> statistiques Étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> faits économiques <strong>et</strong><br />

économiques sociaux<br />

Émile Levasseur (1885-1911) Marcel Marion (1912-1932)<br />

Géographie historique <strong>de</strong> la <strong>France</strong> Histoire <strong>de</strong> l’Afrique du Nord<br />

Auguste Longnon (1892-1911) Stéphane Gsell (1912-1932)<br />

Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps inorganiques Géologie<br />

Lucien Cayeux (1912-1936) Auguste Michel-Lévy (1905-1911)<br />

Création temporaire (fondation Albert Géographie humaine<br />

Kahn) Jean Brunhes (1912-1930)<br />

1914<br />

Histoire générale <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences Chaire supprimée<br />

Grégoire Wyrouboff (1903-1913)<br />

1916<br />

Philologie <strong>et</strong> archéologie égyptiennes Chaire supprimée<br />

Gaston Maspero (1874-1916)<br />

Chimie organique Chaire supprimée<br />

Émile Jungfleisch (1908-1916)<br />

Création Prévoyance <strong>et</strong> assistance sociales<br />

(fondation <strong>de</strong> la Ville <strong>de</strong> Paris) Édouard Fuster (1917-1935)<br />

1917<br />

Économie politique Chimie organique<br />

Paul Leroy-Beaulieu (1880-1916) Charles Moureu (1917-1929)<br />

1919<br />

Langues <strong>et</strong> littératures chinoise <strong>et</strong> Langue <strong>et</strong> littérature chinoises<br />

tartare-mandchoue<br />

Édouard Chavannes (1893-1918)<br />

Henri Maspero (1921-1945)<br />

Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art Histoire <strong>de</strong> l’art français<br />

Georges Lafenestre (1905-1919) André Michel (1920-1925)<br />

1920<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> législations comparées Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences<br />

Jacques Flach (1884-1919) Pierre Boutroux (1920-1922)<br />

37


38<br />

Création Histoire <strong>et</strong> philologie indochinoises<br />

Louis Finot (1920-1930)<br />

Création temporaire Enseignement <strong>de</strong> la coopération<br />

Charles Gi<strong>de</strong> (1921-1930)<br />

1921<br />

Philosophie mo<strong>de</strong>rne Philosophie<br />

Henri Bergson (1904-1921) Édouard Leroy (1921-1940)<br />

Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés<br />

Nicolas François-Franck (1905-1921) André Mayer (1922-1946)<br />

Mathématiques Mathématiques<br />

Georges Humbert (1912-1921) Henri Lebesgue (1921-1941)<br />

Création Histoire coloniale<br />

Alfred Martineau (1921-1935)<br />

1922<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences Égyptologie<br />

Pierre Boutroux (1920-1922) Alexandre Mor<strong>et</strong> (1923-1938)<br />

1923<br />

Langues <strong>et</strong> littératures slaves Langues <strong>et</strong> littératures slaves<br />

Louis Léger (1885-1923) André Mazon (1923-1951)<br />

Épigraphie <strong>et</strong> antiquités sémitiques Physiologie <strong><strong>de</strong>s</strong> sensations<br />

Charles Clermont-Ganneau (1890-1923) Henri Piéron (1923-1951)<br />

Création Phonétique expérimentale<br />

Jean Rousselot (1923-1924)<br />

Création temporaire Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> coloniales, protistologie pathologique<br />

Louis Nattan-Larrier (1923-1943)<br />

1924<br />

Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’Europe<br />

méridionale<br />

Littérature latine du Moyen Âge<br />

Edmond Faral (1925-1954) Alfred Morel-Fatio (1907-1924)<br />

Numismatique <strong>de</strong> l’Antiquité <strong>et</strong> du Numismatique <strong>de</strong> l’Antiquité<br />

Moyen Âge<br />

Théodore Reinach (1924-1928)<br />

Ernest Babelon (1908-1924)<br />

1925<br />

Philologie latine Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> littératures comparées <strong>de</strong> l’Europe<br />

Louis Hav<strong>et</strong> (1885-1925) méridionale <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Amérique latine<br />

Paul Hazard (1925-1944)<br />

Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique<br />

Arthur Chuqu<strong>et</strong> (1893-1925) Charles Andler (1926-1933)<br />

Phonétique expérimentale Histophysiologie<br />

Jean Rousselot (1923-1924) Justin Jolly (1925-1940)


Création Épidémiologie<br />

Hyacinthe Vincent (1925-1936)<br />

1926<br />

Épigraphie <strong>et</strong> antiquités grecques Épigraphie grecque<br />

Paul Foucart (1877-1926) Maurice Holleaux (1927-1932)<br />

Sociologie <strong>et</strong> sociographie musulmanes Sociologie <strong>et</strong> sociographie musulmanes<br />

Alfred Le Chatelier (1902-1925) Louis Massignon (1926-1954)<br />

Langue <strong>et</strong> littérature arabes Langue <strong>et</strong> littérature arabes<br />

Paul Casanova (1909-1926) William Marçais (1927-1943)<br />

Histoire <strong>de</strong> l’art français Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art<br />

André Michel (1920-1925) Gabriel Mill<strong>et</strong> (1926-1937)<br />

1928<br />

Embryogénie comparée Embryogénie comparée<br />

Félix Henneguy (1900-1928) Emmanuel Fauré-Frémi<strong>et</strong> (1928-1954)<br />

1929<br />

Philosophie sociale Sociologie<br />

Jean Izoul<strong>et</strong> (1897-1929) Marcel Mauss (1931-1942)<br />

Chimie organique Chimie organique<br />

Charles Moureu (1917-1929) Marcel Delépine (1930-1941)<br />

Numismatique <strong>de</strong> l’Antiquité Préhistoire<br />

Théodore Reinach (1924-1928) Henri Breuil (1929-1947)<br />

Création Mécanique animale appliquée <strong>de</strong> l’aviation<br />

Antoine Magnan (1929-1938)<br />

1930<br />

Histoire <strong>et</strong> philologie indochinoises Histoire <strong>et</strong> philologie indochinoises<br />

Louis Finot (1920-1930) Jean Przyluski (1931-1944)<br />

1931<br />

Épigraphie <strong>et</strong> antiquités romaines Civilisation romaine<br />

René Cagnat (1887-1930) Eugène Albertini (1932-1941)<br />

Langue <strong>et</strong> littérature grecques Langue <strong>et</strong> littérature grecques<br />

Maurice Crois<strong>et</strong> (1893-1930) Émile Bourgu<strong>et</strong> (1932-1938)<br />

Mé<strong>de</strong>cine Mé<strong>de</strong>cine<br />

Arsène d’Arsonval (1894-1930) Charles Nicolle (1932-1936)<br />

Physique générale <strong>et</strong> mathématique Physique théorique<br />

Marcel Brillouin (1900-1931) Léon Brillouin (1932-1949)<br />

Histoire du travail Histoire du travail<br />

Georges Renard (1907-1930) François Simiand (1932-1935)<br />

Biologie générale Biologie générale<br />

Émile Gley (1908-1930) Jacques Duclaux (1931-1948)<br />

39


40<br />

Langues <strong>et</strong> littératures celtiques Histoire <strong>de</strong> la philosophie au Moyen Âge<br />

Joseph Loth (1910-1930) Étienne Gilson (1932-1950)<br />

Création Civilisation américaine<br />

Bernard Faÿ (1932-1945)<br />

1932<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions Histoire <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne<br />

Alfred Loisy (1909-1932) Lucien Febvre (1933-1949)<br />

Histoire <strong>de</strong> l’Afrique du Nord Histoire ancienne <strong>de</strong> l’Orient sémitique<br />

Stéphane Gsell (1912-1932) Isidore Lévy (1932-1941)<br />

Étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> faits économiques <strong>et</strong> sociaux Géographie économique <strong>et</strong> politique<br />

Marcel Marion (1912-1932) André Siegfried (1933-1946)<br />

Création temporaire Histoire <strong>de</strong> l’art monumental<br />

(fondation <strong>de</strong> la Ville <strong>de</strong> Paris) Paul Léon (1932-1944)<br />

1933<br />

Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique<br />

Charles Andler (1926-1933) Ernest Tonnelat (1934-1948)<br />

Épigraphie grecque Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions<br />

Maurice Holleaux (1927-1932) Jean Baruzi (1933-1951)<br />

Création (pour A. Einstein, qui ne Physique mathématique<br />

<strong>de</strong>vait jamais l’occuper)<br />

Suppression par décr<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires <strong>de</strong> :<br />

Psychologie expérimentale <strong>et</strong> comparée<br />

Pierre Jan<strong>et</strong> (1902-1934)<br />

Histoire <strong>de</strong> la littérature latine<br />

Paul Monceaux (1907-1934)<br />

Chimie minérale<br />

Camille Matignon (1908-1934)<br />

1934<br />

1935<br />

Histoire <strong>et</strong> antiquités nationales Antiquités nationales<br />

Camille Jullian (1905-1930) Albert Grenier (1936-1948)<br />

Prévoyance <strong>et</strong> assistance sociales Psychologie <strong>et</strong> éducation <strong>de</strong> l’enfance<br />

Édouard Fuster (1917-1935) Henri Wallon (1937-1949)<br />

Histoire du travail Histoire du travail<br />

François Simiand (1932-1935) Émile Coornaert (1936-1957)<br />

1936<br />

Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites Chimie nucléaire<br />

Sylvain Lévi (1894-1935) Frédéric Joliot (1937-1958)<br />

Mé<strong>de</strong>cine Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites<br />

Charles Nicolle (1932-1936) Jules Bloch (1937-1951)


1937<br />

Langue <strong>et</strong> littérature françaises du Moyen Âge Histoire du vocabulaire français<br />

Joseph Bédier (1903-1936) Mario Roques (1937-1946)<br />

Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes Poétique<br />

Paul Valéry (1937-1945) Abel Lefranc (1904-1937)<br />

Grammaire comparée Grammaire comparée<br />

Antoine Meill<strong>et</strong> (1906-1936) Émile Benveniste (1937-1972)<br />

Géologie Géologie méditerranéenne<br />

Lucien Cayeux (1912-1936) Paul Fallot (1938-1960)<br />

Histoire coloniale Histoire <strong>de</strong> la colonisation<br />

Alfred Martineau (1921-1935) Edmond Chassigneux (1939-1946)<br />

Épidémiologie Mé<strong>de</strong>cine<br />

Hyacinthe Vincent (1925-1936) René Leriche (1937-1950)<br />

1938<br />

Mécanique analytique <strong>et</strong> mécanique céleste Mathématique <strong>et</strong> mécanique<br />

Jacques Hadamard (1909-1937) Szolem Man<strong>de</strong>lbrojt (1938-1972)<br />

Histologie comparée Morphologie expérimentale <strong>et</strong> endocrinologie<br />

Jean Nageotte (1912-1937) Robert Courrier (1938-1966)<br />

Égyptologie Égyptologie<br />

Alexandre Mor<strong>et</strong> (1923-1938) Pierre Lacau (1938-1947)<br />

Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art<br />

Gabriel Mill<strong>et</strong> (1926-1937) Henri Focillon (1938-1942)<br />

Mécanique animale appliquée à l’aviation Aérolocomotion mécanique <strong>et</strong> biologique<br />

Antoine Magnan (1929-1938) Étienne Œhmichen (1939-1955)<br />

Langue <strong>et</strong> littérature grecques Épigraphie <strong>et</strong> antiquités grecques<br />

Émile Bourgu<strong>et</strong> (1932-1938) Louis Robert (1939-1974)<br />

1941<br />

Philologie <strong>et</strong> archéologie assyriennes Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> arts <strong>de</strong> l’Orient musulman<br />

Charles Fossey (1906-1939) Albert Gabriel (1941-1953)<br />

Physique générale <strong>et</strong> expérimentale Physique générale <strong>et</strong> expérimentale<br />

Paul Langevin (1909-1946) (révoqué Maurice Debroglie (1942-1944),<br />

en 1940, réintégré en 1944) puis à nouveau Paul Langevin<br />

Philosophie Philosophie<br />

Édouard Leroy (1921-1940) Louis Lavelle (1941-1951)<br />

Mathématiques<br />

Henri Lebesgue (1921-1941)<br />

Affectation réservée<br />

Histophysiologie Radiobiologie expérimentale<br />

Justin Jolly (1925-1940) Antoine Lacassagne (1941-1951)<br />

Chimie organique Chimie organique<br />

Marcel Delépine (1930-1941) Charles Dufraisse (1942-1955)<br />

41


42<br />

Civilisation romaine Civilisation romaine<br />

Eugène Albertini (1932-1941) André Piganiol (1942-1954)<br />

1943-1944<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> littératures comparées <strong>de</strong> l’Europe Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> la péninsule<br />

méridionale <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Amérique latine ibérique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Amérique latine<br />

Paul Hazard (1925-1944) Marcel Bataillon (1945-1965)<br />

Sociologie Psychologie collective<br />

Marcel Mauss (1931-1942) Maurice Halbwachs (1944-1945)<br />

Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art Histoire <strong>de</strong> la langue latine<br />

Henri Focillon (révoqué) (1938-1942) Alfred Ernout (1944-1951)<br />

Mathématique <strong>et</strong> mécanique Physique cosmique<br />

Szolem Man<strong>de</strong>lbrojt (1938-1972)<br />

(révoqué en 1942, réintégré en 1944)<br />

Alexandre Dauvillier (1944-1962)<br />

1945 2<br />

Langue <strong>et</strong> littérature chinoises Langue <strong>et</strong> littérature chinoises<br />

Henri Maspero (1921-1945) Paul Demiéville (1946-1964)<br />

Langue <strong>et</strong> littérature arabes Histoire du mon<strong>de</strong> arabe<br />

William Marçais (1927-1943) Jean Sauvag<strong>et</strong> (1946-1950)<br />

Histoire ancienne <strong>de</strong> l’Orient sémitique Philologie <strong>et</strong> archéologie assyro-babyloniennes<br />

Isidore Lévy (1932-1941) Édouard Dhorme (1945-1951)<br />

Physique mathématique Physique atomique <strong>et</strong> moléculaire<br />

(chaire créée pour A. Einstein en 1933) Francis Perrin (1946-1972)<br />

Poétique Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> créations littéraires en <strong>France</strong><br />

Paul Valéry (1937-1945) Jean Pommier (1946-1964)<br />

Psychologie collective Histoire <strong>de</strong> la civilisation italienne<br />

Maurice Halbwachs (1944-1945) Augustin Renaud<strong>et</strong> (1946-1950)<br />

1946<br />

Physique générale <strong>et</strong> expérimentale Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> équations différentielles<br />

Paul Langevin (1909-1946) <strong>et</strong> fonctionnelles<br />

Jean Leray (1947-1978)<br />

Langues, histoire <strong>et</strong> archéologie <strong>de</strong> l’Asie centrale Archéologie paléochrétienne <strong>et</strong> byzantine<br />

Paul Pelliot (1911-1945) André Grabar (1946-1966)<br />

Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés Biochimie générale <strong>et</strong> comparée<br />

André Mayer (1922-1946) Jean Roche (1947-1972)<br />

Histoire <strong>et</strong> philologie indochinoises Histoire <strong>et</strong> philologie indochinoises<br />

Jean Przyluski (1931-1944) Émile Gaspardone (1946-1965)<br />

2. L’année indiquée est celle <strong>de</strong> la délibération <strong>de</strong> l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> Professeurs, l’arrêté ministériel<br />

déclarant la vacance <strong>de</strong> la chaire, postérieur <strong>de</strong> quelques mois, peut être parfois daté <strong>de</strong> l’année<br />

suivante.


Civilisation américaine Histoire <strong>de</strong> la civilisation <strong>de</strong><br />

Bernard Faÿ (révoqué) (1932-1945) l’Amérique du Nord<br />

Marcel Giraud (1947-1971)<br />

Géographie économique <strong>et</strong> politique Étu<strong>de</strong> du mon<strong>de</strong> tropical<br />

André Siegfried (1933-1946) Pierre Gourou (1947-1970)<br />

Histoire du vocabulaire français Langue <strong>et</strong> littérature françaises du Moyen Âge<br />

Mario Roques (1937-1946) Félix Lecoy (1947-1974)<br />

Création Civilisations <strong>de</strong> l’Extrême-Orient<br />

Paul Mus (1946-1969)<br />

1947<br />

Préhistoire Géographie historique <strong>de</strong> la <strong>France</strong><br />

Henri Breuil (1929-1947) Roger Dion (1948-1968)<br />

Égyptologie Égyptologie<br />

Pierre Lacau (1938-1947) Pierre Mont<strong>et</strong> (1948-1956)<br />

Histoire <strong>de</strong> la colonisation Histoire <strong>de</strong> l’expansion <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt<br />

Edmond Chassigneux (1939-1946) Robert Montagné (1948-1954)<br />

1948<br />

Biologie générale Neurophysiologie générale<br />

Jacques Duclaux (1931-1948) Alfred Fessard (1949-1971)<br />

Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique<br />

Ernest Tonnelat (1934-1948) Fernand Mossé (1949-1956)<br />

Antiquités nationales Civilisation indo-européenne<br />

Albert Grenier (1936-1948) Georges Dumézil (1949-1968)<br />

1949<br />

Physique théorique Physique théorique<br />

Léon Brillouin (1932-1949) Jean Laval (1950-1970)<br />

Histoire <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne Histoire <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne<br />

Lucien Febvre (1933-1949) Fernand Brau<strong>de</strong>l (1950-1972)<br />

Psychologie <strong>et</strong> éducation <strong>de</strong> l’enfance Psychologie <strong><strong>de</strong>s</strong> arts plastiques<br />

Henri Wallon (1937-1949) René Huyghe (1951-1976)<br />

1950<br />

Mé<strong>de</strong>cine Mé<strong>de</strong>cine expérimentale<br />

René Leriche (1937-1950) Antoine Lacassagne (1951-1954)<br />

Histoire <strong>de</strong> la civilisation italienne Littérature <strong>et</strong> civilisation italiennes<br />

Augustin Renaud<strong>et</strong> (1946-1950) André Pézard (1951-1963)<br />

Histoire du mon<strong>de</strong> arabe Langue <strong>et</strong> littérature arabes<br />

Jean Sauvag<strong>et</strong> (1946-1950) Gaston Wi<strong>et</strong> (1951-1959)<br />

Création Histoire <strong>et</strong> structure sociales <strong>de</strong> Paris<br />

(fondation <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Paris) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la région parisienne<br />

Louis Chevalier (1952-1981)<br />

43


44<br />

1951<br />

Langues <strong>et</strong> littératures slaves Langues <strong>et</strong> littératures slaves<br />

André Mazon (1923-1951) André Vaillant (1952-1962)<br />

Physiologie <strong><strong>de</strong>s</strong> sensations Physique mathématique<br />

Henri Piéron (1923-1951) André Lichnerowicz (1952-1986)<br />

Histoire <strong>de</strong> la philosophie au Moyen Âge Histoire <strong>et</strong> technologie <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes<br />

Étienne Gilson (1932-1950) philosophiques<br />

Martial Guéroult (1951-1962)<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions<br />

Jean Baruzi (1933-1951) Henri-Charles Puech (1952-1972)<br />

Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’In<strong>de</strong><br />

Jules Bloch (1937-1951) Jean Filliozat (1952-1978)<br />

Philosophie Philosophie<br />

Louis Lavelle (1941-1951) Maurice Merleau-Ponty (1952-1961)<br />

Histoire <strong>de</strong> la langue latine Littérature latine<br />

Alfred Ernout (1944-1951) Pierre Courcelle (1952-1980)<br />

Philologie <strong>et</strong> archéologie assyro-babyloniennes Assyriologie<br />

Édouard Dhorme (1945-1951) René Labat (1952-1974)<br />

Radiobiologie expérimentale Histophysiologie<br />

Antoine Lacassagne (nommé en Jacques Benoit (1952-1966)<br />

1951, titulaire <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong><br />

Mé<strong>de</strong>cine expérimentale créée<br />

l’année précé<strong>de</strong>nte)<br />

1953<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> arts <strong>de</strong> l’Orient musulman Archéologie <strong>de</strong> l’Asie occi<strong>de</strong>ntale<br />

Clau<strong>de</strong> Schaeffer-Forrer (1954-1969) Albert Gabriel (1941-1953)<br />

1954<br />

Littérature latine du Moyen Âge Analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> faits économiques <strong>et</strong> sociaux<br />

Edmond Faral (1925-1954) François Perroux (1955-1974)<br />

Embryogénie comparée Embryologie expérimentale<br />

Emmanuel Fauré-Frémi<strong>et</strong> (1928-1954) Étienne Wolff (1955-1974)<br />

Civilisation romaine Civilisation romaine<br />

André Piganiol (1942-1954) Jean Gagé (1955-1972)<br />

Mé<strong>de</strong>cine expérimentale Mé<strong>de</strong>cine expérimentale<br />

Antoine Lacassagne (1951-1954) Charles Oberling (1955-1960)<br />

1955<br />

Sociologie <strong>et</strong> sociographie musulmanes Sociologie musulmane<br />

Louis Massignon (1926-1954) Henri Laoust (1956-1975)<br />

Aérolocomotion mécanique <strong>et</strong> biologique Algèbre <strong>et</strong> géométrie<br />

Étienne Œhmichen (1939-1955) Jean-Pierre Serre (1956-1994)


Chimie organique Chimie organique <strong><strong>de</strong>s</strong> hormones<br />

Charles Dufraisse (1942-1955) Alain Horeau (1956-1980)<br />

Histoire <strong>de</strong> l’expansion <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt Histoire sociale <strong>de</strong> l’Islam contemporain<br />

Robert Montagné (1948-1954) Jacques Berque (1956-1981)<br />

1956<br />

Égyptologie Philologie <strong>et</strong> archéologie égyptiennes<br />

Pierre Mont<strong>et</strong> (1948-1956) Étienne Drioton (1957-1960)<br />

1957<br />

Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique<br />

Fernand Mossé (1949-1956) Robert Min<strong>de</strong>r (1957-1973)<br />

1958<br />

Histoire du travail Démographie sociale : la vie <strong><strong>de</strong>s</strong> populations<br />

Émile Coornaert (1936-1957) Alfred Sauvy (1959-1969)<br />

Chimie nucléaire Physique nucléaire<br />

Frédéric Joliot (1937-1958) Louis Leprince-Ringu<strong>et</strong> (1959-1972)<br />

Création Anthropologie sociale<br />

Clau<strong>de</strong> Lévi-Strauss (1959-1982)<br />

1959<br />

Langue <strong>et</strong> littérature arabes Magnétisme nucléaire<br />

Gaston Wi<strong>et</strong> (1951-1959) Anatole Abragam (1960-1985)<br />

1960<br />

Géologie méditerranéenne Métho<strong><strong>de</strong>s</strong> physiques <strong>de</strong> l’astronomie<br />

Paul Fallot (1938-1960) André Lallemand (1961-1974)<br />

Mé<strong>de</strong>cine expérimentale Mé<strong>de</strong>cine expérimentale<br />

Charles Oberling (1955-1960) Bernard Halpern (1961-1975)<br />

Philologie <strong>et</strong> archéologie égyptiennes Philologie <strong>et</strong> archéologie égyptiennes<br />

Étienne Drioton (1957-1960) Georges Posener (1961-1978)<br />

1961<br />

Philosophie Philosophie <strong>de</strong> la connaissance<br />

Maurice Merleau-Ponty (1952-1961) Jules Vuillemin (1962-1990)<br />

1962<br />

Histoire <strong>et</strong> technologie <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes Histoire <strong>de</strong> la pensée philosophique<br />

philosophiques<br />

Martial Guéroult (1951-1962)<br />

Jean Hyppolite (1963-1968)<br />

Langues <strong>et</strong> littératures slaves Hébreu <strong>et</strong> araméen<br />

André Vaillant (1952-1962) André Dupont-Sommer (1963-1971)<br />

45


46<br />

1963<br />

Physique cosmique Astrophysique théorique<br />

Alexandre Dauvillier (1944-1962) Jean-Clau<strong>de</strong> Pecker (1964-1988)<br />

Langue <strong>et</strong> littérature chinoises Histoire <strong>et</strong> civilisations <strong>de</strong> l’Asie centrale<br />

Paul Démiéville (1946-1964) Louis Hambis (1965-1977)<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> créations littéraires en <strong>France</strong> Littérature française mo<strong>de</strong>rne<br />

Georges Blin (1965-1988) Jean Pommier (1946-1964)<br />

Littérature <strong>et</strong> civilisation italiennes Archéologie <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> la Gaule<br />

André Pézard (1951-1963) Paul-Marie Duval (1964-1982)<br />

Création Physique théorique <strong><strong>de</strong>s</strong> particules élémentaires<br />

Jacques Prentki (1965-1983)<br />

Création Génétique cellulaire<br />

François Jacob (1965-1991)<br />

1965<br />

Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> la péninsule Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> la péninsule<br />

ibérique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Amérique latine ibérique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Amérique latine<br />

Marcel Bataillon (1945-1965) Israël Révah (1966-1973)<br />

Histoire <strong>et</strong> philologie indochinoises Étu<strong>de</strong> du mon<strong>de</strong> chinois : institutions<br />

Émile Gaspardone (1946-1965) <strong>et</strong> concepts<br />

Rolf A. Stein (1966-1981)<br />

1967<br />

Morphologie expérimentale <strong>et</strong> endocrinologie Physiologie cellulaire<br />

Robert Courrier (1938-1966) François Morel (1967-1993)<br />

Archéologie paléochrétienne <strong>et</strong> byzantine Histoire <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> Byzance<br />

André Grabar (1946-1966) Paul Lemerle (1967-1973)<br />

Histophysiologie Biologie moléculaire<br />

Jacques Benoit (1952-1966) Jacques Monod (1967-1973)<br />

1968<br />

Civilisation indo-européenne Préhistoire<br />

Georges Dumézil (1949-1968) André Leroi-Gourhan (1969-1982)<br />

1969<br />

Géographie historique <strong>de</strong> la <strong>France</strong> Géographie du continent européen<br />

Roger Dion (1948-1968) Maurice Lelannou (1969-1976)<br />

Archéologie <strong>de</strong> l’Asie occi<strong>de</strong>ntale Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés médiévales<br />

Clau<strong>de</strong> Schaeffer-Forrer (1954-1969) Georges Duby (1970-1991)<br />

Démographie sociale : la vie <strong><strong>de</strong>s</strong> populations Sociologie <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne<br />

Alfred Sauvy (1959-1969) Raymond Aron (1970-1978)<br />

Histoire <strong>de</strong> la pensée philosophique Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> pensée<br />

Jean Hyppolite (1963-1968) Michel Foucault (1970-1984)


1970<br />

Civilisations <strong>de</strong> l’Extrême-Orient Art <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> la Renaissance en Italie<br />

Paul Mus (1946-1969) André Chastel (1970-1984)<br />

Étu<strong>de</strong> du mon<strong>de</strong> tropical Étu<strong>de</strong> du Bouddhisme<br />

Pierre Gourou (1947-1970) André Bareau (1971-1991)<br />

Physique théorique Physique <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée<br />

Jean Laval (1950-1970) Pierre-Gilles <strong>de</strong> Gennes (1971-2004)<br />

1971<br />

Histoire <strong>de</strong> la civilisation <strong>de</strong> Anthropologie physique<br />

l’Amérique du Nord<br />

Marcel Giraud (1947-1971)<br />

Jacques Ruffié (1972-1992)<br />

Neurophysiologie générale Neurophysiologie<br />

Alfred Fessard (1949-1971) Yves Laporte (1972-1991)<br />

Hébreu <strong>et</strong> araméen Hébreu <strong>et</strong> araméen<br />

André Dupont-Sommer (1963-1971) André Caquot (1972-1994)<br />

1972<br />

Physique atomique <strong>et</strong> moléculaire Physique atomique <strong>et</strong> moléculaire<br />

Francis Perrin (1946-1972) Clau<strong>de</strong> Cohen-Tannoudji (1973-2004)<br />

Biochimie générale <strong>et</strong> comparée Biochimie cellulaire<br />

Jean Roche (1947-1972) François Gros (1973-1996)<br />

Physique nucléaire Physique corpusculaire<br />

Louis Leprince-Ringu<strong>et</strong> (1959-1972) Marcel Froissart (1973-2004)<br />

1973<br />

Grammaire comparée Langues <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> l’Asie Mineure<br />

Émile Benveniste (1937-1972) Emmanuel Laroche (1973-1985)<br />

Mathématique <strong>et</strong> mécanique Analyse mathématique <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes<br />

Szolem Man<strong>de</strong>lbrojt (1938-1972) <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur contrôle<br />

Jacques-Louis Lions (1973-1998)<br />

Histoire <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne Histoire <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne<br />

Fernand Brau<strong>de</strong>l (1950-1972) Emmanuel Le Roy Ladurie (1973-1999)<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions La Grèce <strong>et</strong> la formation <strong>de</strong> la pensée morale<br />

Henri-Charles Puech (1952-1972) <strong>et</strong> politique<br />

Jacqueline <strong>de</strong> Romilly (1973-1984)<br />

Civilisation romaine Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes<br />

Jean Gagé (1955-1972) Jacques Tits (1973-2000)<br />

Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique Étu<strong>de</strong> comparée <strong><strong>de</strong>s</strong> religions antiques<br />

Robert Min<strong>de</strong>r (1957-1973) Jean-Pierre Vernant (1975-1984)<br />

Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> la péninsule Histoire sociale <strong>et</strong> intellectuelle <strong>de</strong> la Chine<br />

ibérique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Amérique latine<br />

Israël Révah (1966-1973)<br />

Jacques Gern<strong>et</strong> (1975-1992)<br />

47


48<br />

Biologie moléculaire Physiologie du développement<br />

Jacques Monod (1967-1973) Alfred Jost (1974-1987)<br />

Histoire <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> Byzance Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> mentalités religieuses<br />

Paul Lemerle (1967-1973) dans l’Occi<strong>de</strong>nt mo<strong>de</strong>rne<br />

Jean Delumeau (1975-1994)<br />

1974<br />

Embryologie expérimentale Communications cellulaires<br />

Étienne Wolff (1955-1974) Jean-Pierre Changeux (1975-2006)<br />

Métho<strong><strong>de</strong>s</strong> physiques <strong>de</strong> l’astronomie Neuropsychologie du développement<br />

André Lallemand (1961-1974) Julian <strong>de</strong> Ajuriaguerra (1975-1981)<br />

1975<br />

Épigraphie <strong>et</strong> antiquités grecques Sémiologie littéraire<br />

Louis Robert (1939-1974) Roland Barthes (1976-1980)<br />

Langue <strong>et</strong> littérature françaises du Moyen Âge Invention, technique <strong>et</strong> langage en musique<br />

Félix Lecoy (1947-1974) Pierre Boulez (1976-1995)<br />

Assyriologie Histoire <strong>de</strong> Rome<br />

René Labat (1952-1974) Paul-Marie Veyne (1976-1999)<br />

Analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> faits économiques <strong>et</strong> sociaux Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong> byzantin<br />

François Perroux (1955-1974) Gilbert Dagron (1975-2001)<br />

Sociologie musulmane Langue <strong>et</strong> littérature arabes classiques<br />

Henri Laoust (1956-1975) André Miquel (1976-1997)<br />

1976<br />

Psychologie <strong><strong>de</strong>s</strong> arts plastiques Histoire <strong>de</strong> la création artistique en <strong>France</strong><br />

René Huyghe (1951-1976) Jacques Thuillier (1977-1998)<br />

Mé<strong>de</strong>cine expérimentale Mé<strong>de</strong>cine expérimentale<br />

Bernard Halpern (1961-1975) Jean Dauss<strong>et</strong> (1977-1987)<br />

Géographie du continent européen Christianisme <strong>et</strong> gnoses dans l’Orient<br />

Maurice Lelannou (1969-1976) préislamique<br />

Antoine Guillaumont (1977-1986)<br />

1977<br />

Histoire <strong>et</strong> civilisations <strong>de</strong> l’Asie centrale Sociographie <strong>de</strong> l’Asie du Sud-Est<br />

Louis Hambis (1965-1977) Lucien Bernot (1978-1985)<br />

1978<br />

Philologie <strong>et</strong> archéologie égyptiennes Égyptologie<br />

Georges Posener (1961-1978) Jean Leclant (1979-1990)<br />

1979<br />

Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> équations différentielles Droit international<br />

<strong>et</strong> fonctionnelles René-Jean Dupuy (1979-1989)<br />

Jean Leray (1947-1978)


Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’In<strong>de</strong> Civilisation japonaise<br />

Jean Filliozat (1952-1978) Bernard Frank (1979-1996)<br />

Sociologie <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions moléculaires<br />

Raymond Aron (1970-1978) Jean-Marie Lehn (1979)<br />

1980<br />

Chimie organique <strong><strong>de</strong>s</strong> hormones Bio-Énergétique cellulaire<br />

Alain Horeau (1956-1980) Pierre Joliot (1981-2002)<br />

Sémiologie littéraire Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> comparées <strong>de</strong> la fonction poétique<br />

Roland Barthes (1976-1980) Yves Bonnefoy (1981-1993)<br />

1981<br />

Littérature latine Sociologie<br />

Pierre Courcelle (1952-1980) Pierre Bourdieu (1981-2001)<br />

Histoire <strong>et</strong> structure sociales <strong>de</strong> Paris Étu<strong>de</strong> comparée <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés africaines<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> la région parisienne<br />

Louis Chevalier (1952-1981)<br />

Françoise Héritier (1982-1998)<br />

Étu<strong>de</strong> du mon<strong>de</strong> chinois : institutions Histoire <strong>de</strong> la pensée hellénistique<br />

<strong>et</strong> concepts <strong>et</strong> romaine<br />

Rolf A. Stein (1966-1981) Pierre Hadot (1982-1991)<br />

1982<br />

Histoire sociale <strong>de</strong> l’Islam contemporain Physique statistique<br />

Jacques Berque (1956-1981) Philippe Nozières (1983-2001)<br />

Préhistoire Paléoanthropologie <strong>et</strong> préhistoire<br />

André Leroi-Gourhan (1969-1982) Yves Coppens (1983-2005)<br />

Neuropsychologie du développement Neuropharmacologie<br />

Julian <strong>de</strong> Ajuriaguerra (1975-1981) Jacques Glowinski (1982-2006)<br />

1983<br />

Anthropologie sociale Histoire du mon<strong>de</strong> indien<br />

Clau<strong>de</strong> Lévi-Strauss (1959-1982) Gérard Fussman (1984)<br />

Archéologie <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> la Gaule Antiquités nationales<br />

Paul-Marie Duval (1964-1982) Christian Goudineau (1984)<br />

Physique théorique <strong><strong>de</strong>s</strong> particules élémentaires Analyse <strong>et</strong> géométrie<br />

Jacques Prentki (1964-1983) Alain Connes (1984)<br />

1984<br />

La Grèce <strong>et</strong> la formation <strong>de</strong> la pensée morale Tradition <strong>et</strong> critique <strong><strong>de</strong>s</strong> textes grecs<br />

<strong>et</strong> politique<br />

Jacqueline <strong>de</strong> Romilly (1973-1984)<br />

Jean Irigoin (1986-1992)<br />

Étu<strong>de</strong> comparée <strong><strong>de</strong>s</strong> religions antiques Grammaire <strong>et</strong> pensée alleman<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Jean-Pierre Vernant (1975-1984) Jean-Marie Zemb (1986-1998)<br />

49


50<br />

1985<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> pensée Épistémologie comparative<br />

Michel Foucault (1970-1984) Gilles-Gaston Granger (1986-1991)<br />

Art <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> la Renaissance en Italie Histoire <strong>de</strong> la <strong>France</strong> contemporaine<br />

André Chastel (1970-1984) Maurice Agulhon (1986-1997)<br />

Langues <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> l’Asie Mineure Assyriologie<br />

Emmanuel Laroche (1973-1985) Paul Garelli (1986-1995)<br />

1986<br />

Physique mathématique Analyse économique<br />

André Lichnerowicz (1952-1986) Edmond Malinvaud (1987-1993)<br />

Magnétisme nucléaire Géodynamique<br />

Anatole Abragam (1960-1985) Xavier Le Pichon (1987-2008)<br />

Christianisme <strong>et</strong> gnoses dans l’Orient Théorie linguistique<br />

préislamique<br />

Antoine Guillaumont (1977-1986)<br />

Clau<strong>de</strong> Hagège (1988-2006)<br />

Sociographie <strong>de</strong> l’Asie du Sud-Est Rhétorique <strong>et</strong> société en Europe<br />

Lucien Bernot (1978-1985) (XVIe-XVII esiècles) Marc Fumaroli (1987-2002)<br />

1987<br />

Physiologie du développement Embryologie cellulaire <strong>et</strong> moléculaire<br />

Alfred Jost (1974-1987) Nicole Le Douarin (1988-2000)<br />

1988<br />

Mé<strong>de</strong>cine expérimentale Mé<strong>de</strong>cine expérimentale<br />

Jean Dauss<strong>et</strong> (1977-1987) Pierre Corvol (1989)<br />

1989<br />

Astrophysique théorique Astrophysique observationnelle<br />

Jean-Clau<strong>de</strong> Pecker (1964-1988) Antoine Labeyrie (1991)<br />

Droit international Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> syncrétismes <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong><br />

René-Jean Dupuy (1979-1989) l’Antiquité<br />

Michel Tardieu (1991-2008)<br />

Création Chaire européenne<br />

Harald Weinrich (1989-1990)<br />

1990<br />

Littérature française mo<strong>de</strong>rne Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne<br />

Georges Blin (1965-1988) Pierre-Étienne Will (1991)<br />

Égyptologie Égyptologie<br />

Jean Leclant (1979-1990) Jean Yoyotte (1991-1997)


1991<br />

Philosophie <strong>de</strong> la connaissance Langues <strong>et</strong> littératures romanes<br />

Jules Vuillemin (1962-1990) Harald Weinrich (1992-1998)<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés médiévales Histoire <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt méditerranéen<br />

Georges Duby (1970-1991) au Moyen Âge<br />

Pierre Toubert (1992-2003)<br />

Neurophysiologie Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action<br />

Yves Laporte (1972-1991) Alain Berthoz (1992)<br />

Épistémologie comparative Histoire <strong>et</strong> anthropologie <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés<br />

Gilles-Gaston Granger (1986-1990) méso- <strong>et</strong> sud-américaines<br />

Nathan Wachtel (1992-2005)<br />

Chaire européenne Wolf Lepenies (1991-1992)<br />

1992<br />

Génétique cellulaire Génétique moléculaire<br />

François Jacob (1964-1991) Pierre Chambon (1993-2002)<br />

Étu<strong>de</strong> du Bouddhisme Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine<br />

André Bareau (1971-1991) du mon<strong>de</strong> russe<br />

François-Xavier Coquin (1993-2001)<br />

Histoire sociale <strong>et</strong> intellectuelle <strong>de</strong> la Chine Langues <strong>et</strong> religions indo-iraniennes<br />

Jacques Gern<strong>et</strong> (1975-1992) Jean Kellens (1993)<br />

Histoire <strong>de</strong> la pensée hellénistique Histoire économique <strong>et</strong> monétaire <strong>de</strong><br />

<strong>et</strong> romaine l’Orient hellénistique<br />

Pierre Hadot (1982-1991) Georges Le Ri<strong>de</strong>r (1993-1998)<br />

Chaire européenne Umberto Eco (1992-1993)<br />

Création Chaire internationale<br />

Bronislaw Geremek (1992-1993)<br />

1993<br />

Anthropologie physique Fon<strong>de</strong>ments <strong>et</strong> principes <strong>de</strong> la<br />

Jacques Ruffié (1972-1992) reproduction humaine<br />

Étienne Baulieu (1993-1998)<br />

Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> comparées <strong>de</strong> la fonction poétique Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale<br />

Yves Bonnefoy (1981-1993) Michel Zink (1994)<br />

Tradition <strong>et</strong> critique <strong><strong>de</strong>s</strong> textes grecs Les civilisations <strong>de</strong> l’Europe au néolithique<br />

Jean Irigoin (1986-1992) <strong>et</strong> à l’âge du bronze<br />

Jean Guilaine (1994-2007)<br />

Chaire européenne Werner Hil<strong>de</strong>nbrand (1993-1994)<br />

Chaire internationale Zhang Guangda (1993-1994)<br />

1994<br />

Physiologie cellulaire Biologie moléculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes<br />

François Morel (1967-1993) Joseph Schell (1994-1998)<br />

Hébreu <strong>et</strong> araméen Antiquités sémitiques<br />

André Caquot (1972-1994) Javier Teixidor (1995-2001)<br />

51


52<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> mentalités religieuses Biologie historique <strong>et</strong> évolutionnisme<br />

dans l’Occi<strong>de</strong>nt mo<strong>de</strong>rne<br />

Jean Delumeau (1975-1994)<br />

Armand <strong>de</strong> Ricqlès (1995)<br />

Analyse économique Philosophie du langage <strong>et</strong> <strong>de</strong> la connaissance<br />

Edmond Malinvaud (1987-1993) Jacques Bouveresse (1995)<br />

Chaire européenne Norbert Ohler (1994-1995)<br />

Chaire internationale Orest Ranum (1994-1995)<br />

1995<br />

Algèbre <strong>et</strong> géométrie Équations différentielles <strong>et</strong> systèmes dynamiques<br />

Jean-Pierre Serre (1956-1994) Jean-Christophe Yoccoz (1996)<br />

Invention, technique <strong>et</strong> langage en musique Anthropologie théâtrale<br />

Pierre Boulez (1976-1995) Jerzy Grotowski (1996-1999)<br />

Assyriologie Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> soli<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Paul Garelli (1986-1995) Jean Rouxel (1996-1998)<br />

Chaire européenne Klaus Rajewski (1995-1996)<br />

Chaire internationale Harris Memel-Fotê (1995-1996)<br />

1996<br />

Biochimie cellulaire Immunologie moléculaire<br />

François Gros (1973-1996) Philippe Kourilsky (1998)<br />

Chaire européenne Pi<strong>et</strong>er Westbroek (1996-1997)<br />

Chaire internationale Igor Mel’čuk (1996-1997)<br />

1997<br />

Civilisation japonaise Histoire <strong>de</strong> la <strong>France</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Lumières<br />

Bernard Frank (1979-1996) Daniel Roche (1999-2005)<br />

Égyptologie Histoire turque <strong>et</strong> ottomane<br />

Jean Yoyotte (1991-1997) Gilles Veinstein (1999)<br />

Chaire européenne Abram Deswaan (1997-1998)<br />

Chaire internationale Brian Stock (1997-1998)<br />

1998<br />

Langue <strong>et</strong> littérature arabes classiques Assyriologie<br />

André Miquel (1976-1997) Jean-Marie Durand (1999)<br />

Étu<strong>de</strong> comparée <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés africaines Littératures mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’Europe néolatine<br />

Françoise Héritier (1982-1998) Carlo Ossola (1999)<br />

Histoire <strong>de</strong> la <strong>France</strong> comtemporaine Théorie économique <strong>et</strong> organisation sociale<br />

Maurice Agulhon (1986-1997) Roger Guesnerie (2000)<br />

Langues <strong>et</strong> littératures romanes Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong> achéméni<strong>de</strong><br />

Harald Weinrich (1992-1998) <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’empire d’Alexandre<br />

Pierre Briant (1999)


Fon<strong>de</strong>ments <strong>et</strong> principes <strong>de</strong> la Biologie <strong>et</strong> génétique du développement<br />

reproduction humaine<br />

Spyros Artavanis-Tsakonas (2000)<br />

Étienne-Émile Baulieu (1993-1998)<br />

Chaire européenne Thomas W. Gaehtgens (1998-1999)<br />

Chaire internationale Patrice Higonn<strong>et</strong> (1998-1999)<br />

1999<br />

Analyse mathématique <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> Nombres<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> leur contrôle<br />

Jacques-Louis Lions (1973-1998)<br />

Don Zagier (2000)<br />

Histoire <strong>de</strong> la création artistique en <strong>France</strong> Philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences biologiques<br />

Jacques Thuillier (1977-1998) <strong>et</strong> médicales<br />

Anne Fagot-Largeault (2000)<br />

Grammaire <strong>et</strong> pensée alleman<strong><strong>de</strong>s</strong> Philosophie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> concepts<br />

Jean-Marie Zemb (1986-1998) scientifiques<br />

Ian Hacking (2000-2006)<br />

Histoire économique <strong>et</strong> monétaire <strong>de</strong> Anthropologie <strong>de</strong> la Nature<br />

l’Orient hellénistique<br />

Georges Le Ri<strong>de</strong>r (1993-1998)<br />

Philippe Descola (2000)<br />

Biologie moléculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes Physique quantique<br />

Joseph Schell (1994-1998) Serge Haroche (2001)<br />

Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> soli<strong><strong>de</strong>s</strong> Civilisation pharaonique : Archéologie,<br />

Jean Rouxel (1996-1998) philologie, histoire<br />

Nicolas Grimal (2000)<br />

Chaire européenne Hans-Wilhelm Müler-Gärtner<br />

(1999-2000)<br />

Chaire internationale James Watson Cronin (1999-2000)<br />

2000<br />

Histoire <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée<br />

Emmanuel Le Roy Ladurie (1973-1999) Jacques Livage (2001)<br />

Histoire <strong>de</strong> Rome Histoire <strong>de</strong> l’art européen médiéval <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne<br />

Paul Veyne (1976-1999) Roland Recht (2001)<br />

Physique statistique Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan<br />

Philippe Nozières (1983-2001) Édouard Bard (2001)<br />

Embryologie cellulaire <strong>et</strong> moléculaire Génétique <strong>et</strong> physiologie cellulaire<br />

Nicole Le Douarin (1988-2000) Christine P<strong>et</strong>it (2001)<br />

Anthropologie théâtrale Religion, institutions <strong>et</strong> société <strong>de</strong> la<br />

Jerzy Grotowski (1996-1999) Rome antique<br />

John Scheid (2001)<br />

53


54<br />

Chaire européenne Michael Edwards (2000-2001)<br />

Chaire internationale Miklós Szabó (2000-2001)<br />

2001<br />

Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine<br />

Jacques Tits (1973-2000) du politique<br />

Pierre Rosanvallon (2001)<br />

Sociologie Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives <strong>et</strong><br />

Pierre Bourdieu (1981-2001) internationalisation du droit<br />

Mireille Delmas-Marty (2002)<br />

Antiquités sémitiques Équations aux dérivées partielles <strong>et</strong><br />

Javier Teixidor (1995-2001) applications<br />

Pierre-Louis Lions (2002)<br />

Chaire européenne Claudio Magris (2001-2002)<br />

Chaire internationale Paul Farmer (2001-2002)<br />

2002<br />

Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong> byzantin Étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la création littéraire en<br />

Gilbert Dagron (1975-2001) langue anglaise<br />

Michael Edwards (2003-2008)<br />

Rhétorique <strong>et</strong> sociétés en Europe Épigraphie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> cités grecques<br />

(XVIe-XVIIesiècles) Marc Fumaroli (1987-2002)<br />

Denis Knoepfler (2003)<br />

Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine Histoire contemporaine du mon<strong>de</strong> arabe<br />

du mon<strong>de</strong> russe<br />

François-Xavier Coquin (1993-2001)<br />

Henry Laurens (2003)<br />

Génétique moléculaire Génétique humaine<br />

Pierre Chambon (1993-2002) Jean-Louis Man<strong>de</strong>l (2003)<br />

Chaire européenne Hans Belting (2002-2003)<br />

Chaire internationale Stuart E<strong>de</strong>lstein (2002-2003)<br />

2003<br />

Bioénergétique cellulaire Particules élémentaires, gravitation <strong>et</strong><br />

Pierre Joliot (1981-2002) cosmologie<br />

Gabriele Veneziano (2004)<br />

Chaire européenne Theodor Berchem (2003-2004)<br />

Chaire internationale Jayant Vishnu Narlikar (2003-2004)<br />

2004<br />

Physique atomique <strong>et</strong> moléculaire Rationalité <strong>et</strong> sciences sociales<br />

Clau<strong>de</strong> Cohen-Tannoudji (1973-2004) Jon Elster (2006)<br />

Histoire <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt méditerranéen Psychologie cognitive expérimentale<br />

au Moyen-Âge<br />

Pierre Toubert (1992-2003)<br />

Stanislas Dehaene (2005)


Chaire européenne Sandro Stringari (2004-2005)<br />

Chaire internationale Celâl Sengör (2004-2005)<br />

2005<br />

Physique <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée Physique mésoscopique<br />

Pierre-Gilles <strong>de</strong> Gennes (1971-2004) Michel Devor<strong>et</strong> (2007)<br />

Physique corpusculaire Littérature française mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong><br />

Marcel Froissart (1973-2004) contemporaine : histoire, critique, théorie<br />

Antoine Compagnon (2006)<br />

Histoire <strong>de</strong> la <strong>France</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Lumières Écrit <strong>et</strong> cultures dans l’Europe mo<strong>de</strong>rne<br />

Daniel Roche (1999-2005) Roger Chartier (2006)<br />

Chaire européenne Maurice Bloch (2005-2006)<br />

Chaire internationale Thomas Pavel (2005-2006)<br />

Chaire <strong>de</strong> création artistique Christian <strong>de</strong> Portzamparc (2005-2006)<br />

2006<br />

Histoire <strong>et</strong> anthropologie <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés Processus morphogénétiques<br />

méso-<strong>et</strong> sud-américaines<br />

Nathan Wachtel (1992-2005)<br />

Alain Prochiantz (2007)<br />

Chaire européenne Daniele Vitali (2006-2007)<br />

Chaire internationale Guy Orban (2006-2007)<br />

Chaire <strong>de</strong> création artistique Pascal Dusapin (2006-2007)<br />

Chaire d’innovation technologique-<br />

Liliane B<strong>et</strong>tencourt<br />

Jean-Paul Clozel (2006-2007)<br />

2007<br />

Communications cellulaires Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> processus biologiques<br />

Jean-Pierre Changeux (1975-2006) Marc Fontecave (2008)<br />

Neuropharmacologie Microbiologie <strong>et</strong> maladies infectieuses<br />

Jacques Glowinski (1982-2006) Philippe Sanson<strong>et</strong>ti (2007)<br />

Paléoanthropologie <strong>et</strong> préhistoire Paléontologie humaine<br />

Yves Coppens (1983-2005) Michel Brun<strong>et</strong> (2007)<br />

Théorie linguistique Milieux bibliques<br />

Clau<strong>de</strong> Hagège (1988-2006) Thomas Römer (2007)<br />

Les civilisations <strong>de</strong> l’Europe au néolithique<br />

<strong>et</strong> à l’âge du bronze<br />

Jean Guilaine (1994-2007)<br />

Physique <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée<br />

Philosophie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> concepts scientifiques Histoire intellectuelle <strong>de</strong> la Chine<br />

Ian Hacking (2000-2006) Anne Cheng (2008)<br />

55


56<br />

Chaire européenne Manfred Kropp (2007-2008)<br />

Chaire internationale Pierre Magistr<strong>et</strong>ti (2007-2008)<br />

Chaire <strong>de</strong> création artistique Ariane Mnouchkine (2007-2008)<br />

Chaire d’innovation technologique- Gérard Berry (2007-2008)<br />

Liliane B<strong>et</strong>tencourt<br />

2008<br />

Chaire européenne - Développpement durable Henri Leridon (2008-2009)<br />

Chaire internationale - Savoirs contre pauvr<strong>et</strong>é Esther Duflo (2008-2009)<br />

Chaire <strong>de</strong> création artistique Pierre-Laurent Aimard (2008-2009)<br />

Chaire d’innovation technologique- Mathias Fink (2008-2009)<br />

Liliane B<strong>et</strong>tencourt


IV. LE RÔLE PROPRE ET L’ORGANISATION<br />

DU COLLÈGE DE FRANCE<br />

De c<strong>et</strong> historique <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires, il ressort que le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> a servi souvent,<br />

selon l’esprit <strong>de</strong> son royal fondateur, à <strong><strong>de</strong>s</strong> enseignements nouveaux qui n’avaient<br />

pas encore reçu ailleurs droit <strong>de</strong> cité. C’est ce qui a fait dire à Ernest Renan<br />

qu’« à côté <strong><strong>de</strong>s</strong> établissements où se gar<strong>de</strong> le dépôt <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances acquises, il<br />

est donc nécessaire qu’il y ait <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires indépendantes où s’enseignent, non les<br />

branches <strong>de</strong> la Science qui sont faites, mais celles qui sont en voie <strong>de</strong> se faire »<br />

(Questions contemporaines p. 144).<br />

Le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> recrute sans condition <strong>de</strong> gra<strong><strong>de</strong>s</strong> universitaires ; <strong>et</strong> par là,<br />

il lui est possible d’appeler à lui <strong><strong>de</strong>s</strong> savants qui ne sont pas <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs <strong>de</strong><br />

carrière mais qui se sont signalés par <strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes, par <strong><strong>de</strong>s</strong> vues personnelles,<br />

par <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> originaux. Il suffit qu’on soit en droit d’attendre d’eux, dans le<br />

domaine <strong>de</strong> leurs recherches propres, <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats nouveaux.<br />

D’autre part, il ne prépare à aucun examen <strong>et</strong>, par conséquent, ses enseignements<br />

ne sont assuj<strong>et</strong>tis à d’autre programme que celui défini chaque année par le titulaire<br />

<strong>de</strong> la chaire <strong>et</strong> approuvé par l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> Professeurs. Nulle part, la recherche<br />

scientifique ne jouit d’une indépendance aussi large. De plus en plus, c<strong>et</strong>te liberté<br />

est <strong>de</strong>venue sa loi, parce qu’elle est sa raison d’être ; <strong>et</strong>, <strong>de</strong> plus en plus, elle a<br />

déterminé son organisation.<br />

N’étant pas enfermé dans un cycle d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> invariables, le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> n’a<br />

pas, en principe, <strong>de</strong> chaires permanentes. Selon que les sciences diverses se modifient<br />

<strong>et</strong> selon que se produisent <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes aptes à les faire progresser, les enseignements<br />

anciens peuvent disparaître ou se transformer, <strong><strong>de</strong>s</strong> enseignements nouveaux peuvent<br />

être institués.<br />

Le nombre <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires <strong>de</strong> professeurs titulaires est actuellement <strong>de</strong> cinquante<strong>de</strong>ux<br />

(décr<strong>et</strong> du 22 juin 1934, loi <strong>de</strong> finances du 24 mai 1951, du 4 août 1956,<br />

du 30 décembre 1957 <strong>et</strong> <strong>de</strong> 1964 ; à partir <strong>de</strong> 1969 intégration <strong><strong>de</strong>s</strong> trois chaires<br />

municipales dans le budg<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’État). Chaque fois qu’un <strong>de</strong> ces traitements <strong>de</strong>vient<br />

disponible par r<strong>et</strong>raite, démission ou décès d’un titulaire, l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs<br />

est appelée, <strong>de</strong> droit, à déci<strong>de</strong>r à quel enseignement il conviendrait d’affecter le<br />

crédit qui se trouve ainsi sans emploi. Elle peut <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r au Ministre le maintien<br />

<strong>de</strong> l’enseignement dont le titulaire vient <strong>de</strong> disparaître ; elle peut, si elle juge<br />

préférable, l’inviter à y substituer un enseignement différent. Dans un cas comme<br />

dans l’autre, dès que sa proposition est acceptée, elle désigne <strong>de</strong>ux candidats, l’un<br />

en première ligne, l’autre en secon<strong>de</strong> ; <strong>et</strong>, comme il a été dit plus haut, elle n’est<br />

liée, dans c<strong>et</strong>te désignation, par aucune condition <strong>de</strong> gra<strong>de</strong>. Elle transm<strong>et</strong> les<br />

procès-verbaux <strong>de</strong> ses délibérations <strong>et</strong> ses votes au Ministre, qui communique les<br />

documents à l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> cinq Académies <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong> : celle-ci présente, à<br />

son tour, <strong>et</strong> dans les mêmes formes, <strong>de</strong>ux candidats. Il appartient au Ministre <strong>de</strong><br />

57


58<br />

choisir, entre les candidats proposés, le futur professeur ; celui-ci est nommé par<br />

un décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République.<br />

À partir <strong>de</strong> 1970 le principe <strong>de</strong> chaires <strong>de</strong> « professeur associé » a été admis, <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong>ux crédits <strong>de</strong> chaire ont été ouverts à c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> au budg<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’État. Des savants<br />

étrangers sont ainsi invités chaque année par l’Assemblée à venir au <strong>Collège</strong> donner,<br />

pendant un ou <strong>de</strong>ux mois, un enseignement relatif à leurs recherches.<br />

En outre <strong>de</strong>ux chaires perm<strong>et</strong>tant l’accueil <strong>de</strong> savants étrangers pour la durée<br />

d’une année académique ont été créées :<br />

— en 1989, une chaire dite européenne, <strong><strong>de</strong>s</strong>tinée à une personnalité scientifique<br />

originaire d’un pays membre <strong>de</strong> la Communauté économique européenne ;<br />

— en 1991, une chaire dite internationale, <strong><strong>de</strong>s</strong>tinée à une personnalité originaire<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> pays <strong>de</strong> l’Europe <strong>de</strong> l’Est ou d’autres continents.<br />

Puis, en 2004 est créée une chaire <strong>de</strong> création artistique, consacrée à toutes les<br />

formes <strong>de</strong> création artistique, qui accueille chaque année un professeur différent.<br />

Enfin, en 2007, est créée une nouvelle chaire annuelle, chaire d’Innovation<br />

technologique-Liliane B<strong>et</strong>tencourt, en partenariat avec la fondation B<strong>et</strong>tencourt-<br />

Schueller.<br />

Dans la pratique, sans doute, la liberté <strong>de</strong> transformation, qui est un élément<br />

constitutif <strong>de</strong> l’institution du <strong>Collège</strong>, ne saurait être absolue ; l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Professeurs cherche à conserver une juste proportion entre chaires <strong>de</strong> Sciences<br />

exactes <strong>et</strong> chaires <strong>de</strong> L<strong>et</strong>tres <strong>et</strong> Sciences humaines. En outre, il arrive qu’on juge<br />

nécessaire <strong>de</strong> conserver une chaire, bien que <strong>de</strong> nombreuses chaires <strong>de</strong> même titre<br />

existent dans les Universités, s’il y a lieu <strong>de</strong> faire place à un maître original.<br />

Dans l’enseignement aussi prédomine le même principe <strong>de</strong> liberté. Chaque<br />

professeur choisit, d’année en année, le suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> son <strong>cours</strong> dans le domaine<br />

scientifique qui lui est propre, <strong>et</strong> généralement dans l’ordre particulier <strong>de</strong> recherches<br />

auxquelles il s’applique à ce moment. Il le soum<strong>et</strong> ensuite à l’approbation <strong>de</strong><br />

l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs du <strong>Collège</strong>, comme il a été indiqué plus haut. Une<br />

partie <strong>de</strong> l’enseignement peut être donné dans <strong><strong>de</strong>s</strong> institutions françaises en <strong>de</strong>hors<br />

<strong>de</strong> Paris, en <strong>France</strong> ou dans d’autres pays ; c<strong>et</strong>te possibilité a été étendue à l’ensemble<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> établissements d’enseignement supérieur européens à partir <strong>de</strong> 1989,<br />

extraeuropéens à partir <strong>de</strong> 1992.<br />

Quelle qu’en soit la forme, les enseignements ont pour règle commune <strong>de</strong> viser<br />

au développement <strong>de</strong> la science. La simple vulgarisation en est exclue. Les<br />

professeurs s’accor<strong>de</strong>nt à prendre comme point <strong>de</strong> départ ce qui est connu <strong>et</strong> se<br />

proposent toujours d’y ajouter quelques éléments nouveaux : faits d’expérience,<br />

éclaircissements personnels, vues ou interprétations propres, analyses plus exactes<br />

ou synthèses plus suggestives. Il est entendu, au reste, que c<strong>et</strong> enseignement même<br />

n’est que l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> formes extérieures <strong>de</strong> leur activité scientifique, laquelle se traduit<br />

aussi bien, ou mieux, par <strong><strong>de</strong>s</strong> publications, par <strong><strong>de</strong>s</strong> missions, par les <strong>travaux</strong> divers<br />

qu’ils font eux-mêmes ou qu’ils suscitent <strong>et</strong> dirigent.


C’est pourquoi, aux leçons proprement dites, viennent s’adjoindre les directions<br />

données aux recherches individuelles qui se font dans les divers laboratoires. Bien<br />

entendu, ces recherches comportent toujours, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> ceux qui les font auprès<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs, un travail personnel <strong>et</strong> vraiment scientifique. Il ne s’agit en aucun<br />

cas <strong>de</strong> préparation aux examens universitaires, exception faite pour les doctorats,<br />

qui ne sont pas assuj<strong>et</strong>tis à <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes. Elles sont surtout l’affaire <strong>de</strong> chercheurs<br />

déjà engagés dans une voie déterminée, qui viennent <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r les conseils <strong>de</strong><br />

savants connus, se familiariser avec leur métho<strong>de</strong>, profiter <strong>de</strong> leurs suggestions <strong>et</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> ressources spéciales qu’ils ont pu réunir.<br />

Les <strong>cours</strong> du <strong>Collège</strong> étant ouverts à tous, il n’y a ni immatriculation ni droits<br />

à payer. L’accès <strong><strong>de</strong>s</strong> salles d’enseignement est entièrement libre, dans la limite <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

places disponibles.<br />

Le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ne fait pas partie <strong><strong>de</strong>s</strong> Universités <strong>de</strong> Paris. Il relève<br />

directement <strong>de</strong> son protecteur, le Chef <strong>de</strong> l’État, <strong>et</strong>, par délégation, du ministre<br />

ayant en charge l’Enseignement supérieur <strong>et</strong> la Recherche.<br />

C’est à l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs qu’appartiennent, sous réserve <strong>de</strong> l’approbation<br />

ministérielle, toutes les décisions relatives aux intérêts généraux <strong>de</strong> l’établissement.<br />

L’exécution <strong>de</strong> ces décisions <strong>et</strong> la direction <strong><strong>de</strong>s</strong> services sont confiées à un<br />

Administrateur. Celui-ci doit être pris parmi les professeurs. Il est présenté par ses<br />

collègues <strong>et</strong> nommé par trois ans par décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt à la République, sur la<br />

proposition du Ministre. Il prési<strong>de</strong> l’Assemblée, dont le bureau comprend, à côté<br />

<strong>de</strong> lui, un vice-prési<strong>de</strong>nt, nommé selon les mêmes règles, <strong>et</strong> un secrétaire, choisis<br />

l’un <strong>et</strong> l’autre parmi les professeurs.<br />

Par une loi du 31 décembre 1932, l’établissement, qui déjà était investi <strong>de</strong> la<br />

personnalité civile, a été également doté <strong>de</strong> l’autonomie financière. Un décr<strong>et</strong> du<br />

5 octobre 1990 portant organisation du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, modifie les textes<br />

antérieurs (décr<strong>et</strong>s <strong>de</strong> 1911 <strong>et</strong> 1935). Il stipule notamment que « le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong> est administré par l’Assemblée du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>. Il est dirigé par un<br />

administrateur assisté <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux directeurs adjoints, l’un chargé <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires culturelles<br />

<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> relations extérieures, l’autre chargé <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires administratives <strong>et</strong> financières.<br />

Il est doté d’un Conseil d’établissement ».<br />

L’Assemblée du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> comprend les 52 professeurs titulaires avec<br />

voix délibérative ; les <strong>de</strong>ux professeurs associés dans les chaires européenne,<br />

internationale <strong>et</strong> <strong>de</strong> création artistique peuvent y siéger avec voix consultative. Elle<br />

détermine la politique scientifique <strong>de</strong> l’établissement <strong>et</strong> joue également le rôle d’un<br />

Conseil d’administration. L’avis du Conseil d’établissement — qui comprend,<br />

outre l’Administrateur, neuf professeurs, quatorze représentants élus <strong><strong>de</strong>s</strong> personnels<br />

<strong>et</strong> quatre personnalités extérieures — doit précé<strong>de</strong>r la délibération <strong>de</strong> l’Assemblée<br />

dans les matières énumérées par le décr<strong>et</strong>.<br />

Voici la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> Administrateurs du <strong>Collège</strong>, <strong>de</strong>puis l’institution <strong>de</strong> ce titre :<br />

Louis Lefèvre-Gineau (1800-1823), Isaac Silvestre <strong>de</strong> Sacy (1824-1838),<br />

Louis Thénard (1838-1840), Jean-Antoine L<strong>et</strong>ronne (1840-1848), Jules<br />

59


60<br />

Barthélémy Saint-Hilaire (1848-1852), Xavier Deport<strong>et</strong>s (1852-1853),<br />

Wilhelm Rinn (1853-1854), Stanislas Julien (1854-1873), Édouard Laboulaye<br />

(1873-1883), Ernest Renan (1883-1892), Gaston Boissier (1892-1894), Gaston<br />

Paris (1894- 1903), Émile Levasseur (1903-1911), Maurice Crois<strong>et</strong> (1911-<br />

1929), Joseph Bédier (1929-1936), Edmond Faral (1937-1954), Marcel<br />

Bataillon (1955-1965), Étienne Wolff (1966-1974), Alain Horeau (1974-<br />

1980), Yves Laporte (1980-1991), André Miquel (1991-1997), Gilbert Dagron<br />

(1997-2000), Jacques Glowinski (2000-2006), Pierre Corvol.<br />

V. DONATIONS<br />

Les ressources mises à la disposition du <strong>Collège</strong> par divers donateurs lui<br />

perm<strong>et</strong>tent, chaque année, <strong>de</strong> favoriser certains efforts <strong>de</strong> la pensée scientifique.<br />

Don Singer-Polignac<br />

Le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> a reçu <strong>de</strong>puis 1950, en souvenir <strong>de</strong> Winnar<strong>et</strong>ta Singer,<br />

princesse Edmond <strong>de</strong> Polignac, <strong><strong>de</strong>s</strong> dons importants dont les revenus doivent<br />

servir, <strong>de</strong> façon générale, « au progrès <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances ». L’affectation précise <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

fonds est déterminée chaque année par l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs.<br />

Donations Gustave Schlumberger<br />

Par décr<strong>et</strong> du 24 juin 1932, l’administrateur du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> a été autorisé<br />

à accepter les legs faits au <strong>Collège</strong> par Gustave Schlumberger. Les revenus <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

sommes provenant <strong>de</strong> ces legs doivent être affectés d’une part à <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> d’histoire<br />

<strong>et</strong> d’archéologie byzantines, d’autre part à <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> numismatique.<br />

Donation Jean Ébersolt<br />

M me Jean Ébersolt a fait une donation en 1968 dont les arrérages doivent être<br />

affectés au développement <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> d’Histoire <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> Byzance.<br />

Donation Voronoff<br />

Par décr<strong>et</strong> du 28 septembre 1920, l’administrateur du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> a été<br />

autorisé à accepter, au nom du <strong>Collège</strong>, la donation faite à c<strong>et</strong> établissement par<br />

M me <strong>France</strong>s Évelyn Bostwick, épouse Voronoff, pour la création <strong>et</strong> l’entr<strong>et</strong>ien<br />

d’une « Station <strong>de</strong> chirurgie expérimentale, fondation Voronoff ».<br />

Depuis le décès <strong>de</strong> la donatrice, <strong>et</strong> selon sa volonté, le revenu annuel est attribué<br />

aux laboratoires <strong>de</strong> biologie, d’histologie ou autres laboratoires similaires, selon<br />

l’avis <strong>de</strong> l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs.


Fondation Paul Dellheim<br />

Par décr<strong>et</strong> du 5 juin 1956, l’administrateur du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> a été autorisé<br />

à accepter le legs fait au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> par M me J. Dellheim « pour ai<strong>de</strong>r les<br />

jeunes savants peu fortunés qui, après avoir fait <strong>de</strong> fortes étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, seront jugés aptes<br />

à poursuivre leurs <strong>travaux</strong> dans les laboratoires du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, en vue <strong>de</strong><br />

recherches scientifiques susceptibles <strong>de</strong> contribuer au soulagement <strong>de</strong> l’humanité ».<br />

Le prix Dellheim pour l’année 2004 est attribué à M. Fazilleau, pour l’année<br />

2005 à M. Liyuan <strong>et</strong> pour l’année 2006 à M. Mariano Sigman. Le prix Delheim<br />

est attribué en 2007 à M. Stéphane Romero.<br />

Fondation Antoine Lacassagne<br />

Par décr<strong>et</strong> du 6 janvier 1964, l’administrateur du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> a été autorisé<br />

à accepter le don fait au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> par Antoine Lacassagne, qui fut<br />

titulaire <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine expérimentale (<strong>de</strong> 1951 à 1954), du montant du<br />

prix <strong>de</strong> 10 000 dollars que lui a décerné l’organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations Unies pour ses<br />

<strong>travaux</strong> sur le cancer.<br />

Les revenus <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te somme perm<strong>et</strong>tent d’inviter <strong>de</strong> jeunes biologistes français<br />

ou étrangers à venir chaque année au <strong>Collège</strong> exposer, en français, les résultats <strong>de</strong><br />

leurs recherches.<br />

L’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs du 20 février 1977, a décidé que désormais serait<br />

attribué un prix Antoine Lacassagne auquel seraient associées <strong>de</strong>ux conférences ;<br />

son montant est <strong>de</strong> 1 600 €.<br />

Des conférences ont été données en 1966, par le Docteur J. Harel ; en 1967,<br />

par M. François Gros ; en 1968, par le Docteur Patrick Derome ; en 1970, par<br />

M. Georges N. Cohen ; en 1971, par le Docteur Michel Boiron ; en 1972,<br />

par M. François Chapeville ; en 1973, par M me Nicole Le Douarin ; en 1974,<br />

par M. Clau<strong>de</strong> Kordon ; en 1975, par M. Luc Montagnier ; en 1976, par<br />

M. Jean- Paul Lévy ; en 1977, par M. Robert M. Fauve.<br />

Prix décerné en 1977 à M me Andrée Tixier-Vidal, en 1978 à M. Serge Jard,<br />

en 1979 à M. Michel Imbert, en 1980 à M. Jacques Glowinski, en 1981 à<br />

M. Guy Blaudin <strong>de</strong> Thé, en 1982 à M. Jean Girard, en 1983 à M. Pierre<br />

Freych<strong>et</strong>, en 1984 à M. François Cuzin, en 1985 à M. Michel Hamon, en 1986<br />

à M. Dominique Stehelin, en 1987 à M. Emmanuel Pierrot-Deseilligny, en<br />

1988 à M. Pierre Tiollais, en 1989 à M. Jean-François Nicolas, en 1990 à<br />

M. Philippe Kourilsky, en 1991 à M me Françoise Di<strong>et</strong>erlen, en 1992 à<br />

M me Anne-Marie Thierry, en 1993 à M. Gérard Couly, en 1994 à M. Alain<br />

Douc<strong>et</strong>, en 1995 à M. Antonio Coutinho, en 1996 à M. Jean-Antoine Giraud,<br />

en 1997 à M. Alexeï Grantyn, en 1998 à M me Marie-Aimée Teill<strong>et</strong>, en 1999 à<br />

M. Jules-Alphonse Hoffmann, en 2002 à M. Werner Graf, en 2004 à M. Michel<br />

Bornens, en 2005 à M me Ana Cumano, en 2006 à M. Philippo Rijli, en 2007<br />

à M. Thomas Bourgeron.<br />

61


62<br />

Legs Antoine Meill<strong>et</strong><br />

Par décr<strong>et</strong> du 1 er septembre 1937, l’administrateur du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> a été<br />

autorisé à accepter le legs fait au <strong>Collège</strong> par Antoine Meill<strong>et</strong>, qui fut titulaire <strong>de</strong><br />

la chaire <strong>de</strong> Grammaire comparée (<strong>de</strong> 1906 à 1936). Les revenus <strong>de</strong> ce legs sont<br />

affectés à <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> linguistique théorique, suivant les vœux du donateur.<br />

Fondation Clau<strong>de</strong>-Antoine Peccot<br />

Plusieurs donations successives (en 1886, en 1894, en 1897, en 1902) ont<br />

permis <strong>de</strong> créer d’abord <strong><strong>de</strong>s</strong> bourses, transformées par la suite en prix ; puis, en<br />

outre, à partir <strong>de</strong> 1900, une charge <strong>de</strong> <strong>cours</strong>, au bénéfice <strong>de</strong> mathématiciens âgés<br />

<strong>de</strong> moins <strong>de</strong> trente ans <strong>et</strong> s’étant signalés dans l’ordre <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques théoriques<br />

ou appliquées.<br />

Voici, <strong>de</strong>puis l’origine, la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> personnes qui ont bénéficié <strong><strong>de</strong>s</strong> prix ou ont<br />

reçu la charge du <strong>cours</strong> :<br />

Bourses <strong>et</strong> prix<br />

À partir <strong>de</strong> 1885 : L. Bortniker, Jacques Hadamard, Élie Cartan, Jules Bocqu<strong>et</strong>,<br />

Jules Drach, Louis-Emmanuel Leroy, Adolphe Bühl, Gabriel Mesur<strong>et</strong>, Pierre<br />

Fatou, René-Maurice Fréch<strong>et</strong>, Henri Galbrun, Osée Marcus, Jean Chazy, Albert<br />

Labor<strong>de</strong>-Scar, Paul Frion, Gabriel Pélissier, René Garnier, Emmanuel Fauré-<br />

Fremi<strong>et</strong>, Émile Terroine, Roux, Maurice Gevrey, F. Lafore, Joseph Marty,<br />

Georges Giraud, Maurice Jan<strong>et</strong>, Coty, Paul Lévy, Gaston Julia, Léon Brillouin,<br />

Marcel Courtines, Szolem Man<strong>de</strong>lbrojt, Yves Rocard, Wladimir Bernstein,<br />

Henri Cartan, André Weil, Jean Dieudonné, Paul Dubreil, René <strong>de</strong> Possel, Jean<br />

Leray, Georges Bourion, Jean-Louis Destouches, Jacques Solomon, Clau<strong>de</strong><br />

Chevalley, Frédéric Roger, Daniel Dugué, Gérard P<strong>et</strong>iau, Hubert Delange,<br />

Jacques Dufresnoy, Laurent Schwartz, Jacqueline Ferrand, Roger Apéry, Jacques<br />

Deny, Jean-Louis Koszul, Jean Combes, Jean-Pierre Serre, Paul Malliavin,<br />

Maurice Roseau, Bernard Malgrange, François Bruhat, Pierre Cartier, Paul-<br />

André Meyer, Marcel Froissart, Michel Demazure, Gabriel Mokobodzki, Hervé<br />

Jacqu<strong>et</strong>, Haïm Brézis, Alain Connes, Grégory Choodnovsky, Jean-Pierre<br />

Demailly, Jean-Benoît Bost, Noam Elkies, Laurent Lafforgue, Philippe Michel,<br />

Vincent Lafforgue, Cédric Vilani, Gaëtan Chenevier.<br />

1900. Émile Borel.<br />

1901. Émile Borel.<br />

1902. Émile Borel.<br />

1903. Henri Lebesgue.<br />

1904. René Baire.<br />

1905. Henri Lebesgue.<br />

1906. Guillaume Servant.<br />

Chargés <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />

1907. Pierre Boutroux.<br />

1908. Pierre Boutroux.<br />

1909. Ludovic Zor<strong>et</strong>ti.<br />

1910. Émile Traynard.<br />

1911. Louis Rémy.<br />

1912. Jean Chazy.<br />

Albert Chatel<strong>et</strong>.


1913. Arnaud Denjoy.<br />

1914. Édouard-René Garnier.<br />

Maurice Gevrey.<br />

1915. Édouard-René Garnier.<br />

1918. Gaston Julia.<br />

1919. Georges Giraud.<br />

Paul Lévy.<br />

1920. Léon Brillouin.<br />

Gaston Julia.<br />

1921. Maurice Jan<strong>et</strong>.<br />

1922. René Thiry.<br />

1923. Robert Deltheil.<br />

Torsten Carleman.<br />

1924. René Lagrange.<br />

1925. Marcel Legaut.<br />

1926. Henri Milloux.<br />

1927. Joseph Kampé Deféri<strong>et</strong>.<br />

Yves Rocard.<br />

1928. Szolem Man<strong>de</strong>lbrojt.<br />

1929. Jean Favard.<br />

1930. Wladimir Bernstein.<br />

1931. Jean Delsarte.<br />

1932. Henri Cartan.<br />

André Weil.<br />

1933. Jean Dieudonné.<br />

Paul Dubreil.<br />

1934. René Depossel.<br />

Jean Leray.<br />

1935. Marie-Louise<br />

Dubreil-Jacotin.<br />

1936. Georges Bourion.<br />

Jean-Louis Destouches.<br />

1937. Jacques Solomon.<br />

Clau<strong>de</strong> Chevalley.<br />

1938. Frédéric Marty.<br />

1941. Clau<strong>de</strong> Chabauty.<br />

1942. Gérard Pétiau.<br />

1943. Jean Ville.<br />

Marie-Antoin<strong>et</strong>te Tonnelat.<br />

1944. Hubert Delange.<br />

Jacques Dufresnoy.<br />

1945. André Lichnerowicz.<br />

1946. Laurent Schwartz.<br />

Jacqueline Ferrand.<br />

1947. Gustave Choqu<strong>et</strong>.<br />

1949. Roger Apéry.<br />

1950. Jacques Deny.<br />

1951. Jean-Louis Koszul.<br />

Evry Schatzman.<br />

1952. Roger Go<strong>de</strong>ment.<br />

Michel Hervé.<br />

1953. Jean Combes.<br />

1954. Yvonne Fourès-Bruhat.<br />

1955. Jean-Pierre Serre.<br />

1956. Paul Malliavin.<br />

Maurice Roseau.<br />

1957. Jean-Pierre Kahane.<br />

1958. Marcel Berger.<br />

Alexandre Grothendieck.<br />

1959. Jacques-Louis Lions.<br />

Bernard Malgrange<br />

1960. François Bruhat.<br />

1961. Pierre Cartier.<br />

1962. Jacques Neveu.<br />

1963. Jean-Paul Benzécri.<br />

Philippe Nozières.<br />

1964. Paul-André Meyer.<br />

1965. Marcel Froissart.<br />

Pierre Gabriel.<br />

1966. Yv<strong>et</strong>te Amice.<br />

1967. Michel Demazure.<br />

Jean Ginibre.<br />

1968. Uriel Frisch.<br />

Pierre Grisvard.<br />

1969. Yves Meyer.<br />

Clau<strong>de</strong> Morl<strong>et</strong>.<br />

Michel Raynaud.<br />

1970. Gabriel Mokobodzki.<br />

Roger Temam.<br />

1971. Jean-Pierre Ferrier.<br />

Hervé Jacqu<strong>et</strong>.<br />

Gérard Schiffmann.<br />

1972. Louis Bout<strong>et</strong> <strong>de</strong> Monvel.<br />

Pierre Deligne.<br />

1973. Jean-Michel Bony.<br />

François Lau<strong>de</strong>nbach.<br />

1974. Haïm Brézis.<br />

Michel Duflo.<br />

Jean Zinn-Justin.<br />

1975. Jean-Marc Fontaine.<br />

André Neveu.<br />

Robert Roussarie.<br />

1976. Alain Connes.<br />

Bernard Teissier.<br />

63


64<br />

1977. Luc Tartar.<br />

Michel Waldschmidt.<br />

1978. Jean Lannes.<br />

Arnauld Beauville.<br />

1979. Bernard Gaveau.<br />

Grégory Choodnovsky.<br />

1980. Gilles Robert.<br />

1981. Michel Talagrand.<br />

Gilles Pisier.<br />

Christophe Soulé.<br />

1982. Jean-Bernard Baillon.<br />

Jean-Luc Brylinski.<br />

1983. Jean-Loup Waldspurger.<br />

1984. Pierre-Louis Lions.<br />

Guy Henniart.<br />

Laurent Clozel.<br />

1985. Joseph Oesterlé.<br />

1986. Jean-Pierre Demailly.<br />

1987. Jean-Michel Coron.<br />

Jean-Christophe Yoccoz.<br />

1988. Jean-Lin Journé.<br />

Jean-Clau<strong>de</strong> Sikorav.<br />

1989. Bernard Larrouturou.<br />

Jean-François Legall.<br />

1990. Jean-Benoît Bost.<br />

Benoît Perthame.<br />

1991. Olivier Mathieu.<br />

Clau<strong>de</strong> Viterbo.<br />

1992. Claire Voisin.<br />

Fabrice B<strong>et</strong>huel.<br />

Noam Elkies.<br />

Fondation Loubat<br />

1993. Marc Rosso.<br />

François Golse.<br />

1994. Ricardo Perez-Marco.<br />

Frédéric Helein.<br />

1995. Éric Séré.<br />

Loïc Merel.<br />

1996. Laurent Lafforgue.<br />

1997. Christophe Breuil.<br />

Christine Lescop.<br />

1998. Philippe Michel.<br />

Wen<strong>de</strong>lin Werner.<br />

1999. Emmanuel Grenier.<br />

Raphaël Rouquier.<br />

2000. Vincent Lafforgue.<br />

Frédéric Leroux.<br />

2001. Denis Auroux.<br />

Thierry Bodineau.<br />

2002. Franck Barthe.<br />

Cédric Villani.<br />

2003. Laurent Fargues.<br />

Laure Saint-Raymond.<br />

2004. Artur Avila.<br />

Stefaan Vaes.<br />

2005. Laurent Berger.<br />

Emmanuel Breuillard.<br />

2006. Erwan Rousseau.<br />

Jérémie Szeftel.<br />

2007. Karine Beauchard.<br />

Gaëtan Chenevier.<br />

2008. Joseph Ayoub.<br />

Julien Dubédat.<br />

Par <strong>de</strong>ux décr<strong>et</strong>s en date du 16 avril 1902 <strong>et</strong> 28 juill<strong>et</strong> 1903, le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

a été autorisé à accepter la donation faite par le duc <strong>de</strong> Loubat, membre associé<br />

<strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong>, en vue <strong>de</strong> la fondation, dans l’établissement, d’un <strong>cours</strong><br />

complémentaire d’Antiquités américaines.<br />

Ce <strong>cours</strong> a été confié à Léon Lejeal (1902-1907), puis au docteur Louis Capitan<br />

(1908-1929). Depuis 1939, les revenus <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te fondation ont permis <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> conférences à <strong><strong>de</strong>s</strong> américanistes.<br />

Voici la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> conférenciers qui ont répondu à l’appel du <strong>Collège</strong> :<br />

1939. Jacques Soustelle.<br />

1941. André Leroi-Gourhan.<br />

1942. Raoul d’Harcourt 1943<br />

Maurice Leenhardt.<br />

1945. Marcel Giraud.<br />

1946. Henri Vallois.<br />

1948. Guy Stresser-Péan.<br />

1950. Clau<strong>de</strong> Lévi-Strauss.


1952. Paul Riv<strong>et</strong>.<br />

1953. Alfred Métraux.<br />

1955. Jehan Vellard.<br />

1965. Pierre Clastres.<br />

1969. Frédéric Engel.<br />

1973. A. Laming-Emperaire.<br />

1974. Jean-Clau<strong>de</strong> Quilici.<br />

1975. Georges Larrouy.<br />

Fondation Michonis<br />

1977. Nathan Wachtel.<br />

1980. Christian Duverger.<br />

1995. Serge Gruzinski.<br />

1996. Philippe Descola.<br />

1997. Carmen Bernand.<br />

1998. Jacques Galinier.<br />

2002. Danielle Lavallée.<br />

2004. Jon Landaburu.<br />

Par décr<strong>et</strong> du 10 mars 1903, M. G. Michonis a légué au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> une<br />

somme dont les revenus doivent servir à « faire faire, toutes les fois que ce sera<br />

possible, par un savant ou un penseur étranger désigné par les professeurs ou<br />

l’administrateur du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, <strong>et</strong> qui sera, autant que les circonstances le<br />

perm<strong>et</strong>tront, au moins une fois sur trois un philosophe ou un historien <strong>de</strong> sciences<br />

religieuses, une série <strong>de</strong> conférences ». L’exécution <strong><strong>de</strong>s</strong> volontés <strong>de</strong> M. Michonis<br />

a commencé en 1905.<br />

Voici la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> conférenciers invités par le <strong>Collège</strong> :<br />

1905. Édouard Naville.<br />

Franz Cumont.<br />

1906. Guglielmo Ferrero.<br />

1908. Charles Michel.<br />

Xénopol.<br />

1910. Christophe Nyrop.<br />

Édouard Mont<strong>et</strong>.<br />

1912. Lorentz.<br />

Gomperz.<br />

1914. Maxime Kowalewsky.<br />

1915. Georges Doutrepont.<br />

Delannoy.<br />

Albert Brach<strong>et</strong>.<br />

1916. Charles <strong>de</strong> La Vallée-Poussin.<br />

1917. Joséphine Ioteyko.<br />

1918. Paul Frédéricq.<br />

1919. Henri Pirenne-Anesaki.<br />

1920. Michel Rostovtzeff.<br />

Jorga.<br />

1922. Albert Einstein.<br />

1923. Raffaele Altamira.<br />

1924. Ettore Pais.<br />

1925. Holger Pe<strong>de</strong>rsen.<br />

1926. Nicolas Alexeieff.<br />

1927. Ernest Mur<strong>et</strong>.<br />

1929. Wolfgang Koehler.<br />

1930. Georges D. Birkoff.<br />

1933. Magnus Olsen.<br />

1934. Harl Jaberg.<br />

Jacob Jud.<br />

1935. Stanislas Kot.<br />

1936. Jacques Pirenne.<br />

1937. Albert Michotte.<br />

1938. Giorgio Levi Della Vida.<br />

1940. Hrozny.<br />

1942. Jean Piag<strong>et</strong>.<br />

1943. Franz Cumont.<br />

1945. Alexandre Ros<strong>et</strong>ti.<br />

1947. Georges Dossin.<br />

Hans Selye.<br />

1948. Charles D<strong>et</strong>olnay.<br />

1951. Étienne Lamotte.<br />

1956. Gino Luzzatto.<br />

Walter E. P<strong>et</strong>rascheck.<br />

1961. Théodor W. Adorno.<br />

1965. V.I. Abaev.<br />

1968. Théodor W. Adorno.<br />

1973. Ludovico Geymonat.<br />

1984. Jean Rudhart.<br />

1989. David Wiggins.<br />

2002. Oleg Grabar.<br />

2007. Philippe Borgeaud.<br />

65


66<br />

Fondation Saintour<br />

Par décr<strong>et</strong> du 25 juill<strong>et</strong> 1889, l’administrateur du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> a été autorisé<br />

à accepter le legs fait au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> par le D r Saintour pour la fondation<br />

d’un prix. Ce prix, périodiquement revalorisé, est décerné tous les <strong>de</strong>ux ans par<br />

l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs, sur la présentation qui lui est faite, d’après un<br />

roulement déterminé, par l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> trois sections instituées à c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong>. Chaque<br />

section regroupe les titulaires <strong>de</strong> chaire pour lesquels les différentes Académies<br />

composant l’Institut ont concurremment avec le <strong>Collège</strong> le droit <strong>de</strong> présentation.<br />

Les trois sections comprennent ensemble la totalité <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs.<br />

Ce prix a été attribué <strong>de</strong>puis sa fondation (1893) à M. Matignon, M. Chassinoit,<br />

M. Abel Lefranc, M. Philippe Glangeaud, M. Laurent, M. Chauvin,<br />

M. Hallion, M. Lenestour, M. Lacôte, M. Ernest Charles, M. Léon Lecornu,<br />

M. Homo, M. Jules Chauvin, M. Paul Langevin, M. Gaston Colin, M. Gaston<br />

Cohen, M. Pierre Leroux, M. Georges Mayer, M. Alexandre Dufour, M. Alfred<br />

Ernout, M. Louis Bodin, M. Paul Mazon, M. René Henry, M. Julien Barat,<br />

M lle Chevroton, M lle Loyez, M. Delaruelle, M. Valois, M. Chabot,<br />

M. Édouard Salles, M. Copaux, M. Clau<strong>de</strong> Blanchel, M. Jules Bloch,<br />

M. Boudréaux, M. Gaffiot, M. Virolleaud, M. Brillaut, M. Henri Clouzot,<br />

M. Georges Lecarpentier, M. Achille Millien, M. Champy, M. Leroux, M. Lévy,<br />

M. <strong>et</strong> M me Marouseau, M. Lejeune, M. Terroine, M. Roux, M me Boudréaux,<br />

M. Ouveriaux, M. Foul<strong>et</strong>, M lle Blanchard Demonge, M. Boulard, M. Bernard<br />

Leroy, M. André Pézard, M. Randouin, M lle Ioteyko, M. Prosper Alfaric,<br />

M. Doutrepont, M lle Maitr<strong>et</strong>, M. Delapparent, M. Alfred Quinquaud,<br />

M. Meyerson, M. Henri Heine, M. Taha Hussein, M. André Vaillant,<br />

M. Marty, l’abbé Busson, M. Sartre, M. Fréjacques, M. Émile Benveniste,<br />

M. Sommerfelt, M. Caridroit, M. Misconi, M. baudot, M. Albert Houstin,<br />

M lle Marie Coch<strong>et</strong>, M. Millon, M lle Marchal, Mlle bezard, M. Contineau,<br />

M. Umbegaun, M. P. Noailhon, M. Boris Ephrussi, M. Casteras, M. Salovine,<br />

M. Samara, M. Martini, M. Paul Émard, M lle Alice Hulub<strong>et</strong>, M. Robert<br />

Courrier, M. Jean Filliozat, M. Pierre Pascal, M. Marc Cohn, M. Maurice<br />

Leenhardt, M. Étienne Wolff, M me d’Also, M. Chapire, M. Rolland,<br />

M. Biquard, M. Jean Fourqu<strong>et</strong>, M. André Chevalier, M. Albert Dauzat,<br />

M. René Clozier, M. Jules Driessens, M. René Pintard, M. Klein, M. René<br />

Vallois, M. Charles Morazé, M. A. Jost, M. Marcel Simon, M. Lemagnen,<br />

M. Paul-Henri Michel, M. André Adam, M me Skreb-Guilcher, Rév. Père<br />

Estugière, M. Yves Lecorre, M. Adigard <strong><strong>de</strong>s</strong> Gautries, M. Pierre Rancastel,<br />

M. Armand Hampé, M. Jacques Fontaine, M. Roger Guillemin, M. Louis-<br />

Charles Damais, M. Jean Pouilloux, M. Guy Lasserre, M. Paul Kessler, M. Paul<br />

Garelli, M me Martha Spitzer, M. Henri Rolland, M. Paul Pelissier, M. André<br />

Lan<strong><strong>de</strong>s</strong>man, M. Jean Riché, M. W. Streiff, M. Valentin Nikiprow<strong>et</strong>zky,<br />

M. Richard Gascon, M. Gilles Granger, M. Hans Glattli, M lle Od<strong>et</strong>te Taffanel,<br />

M. Michel Gaudin, M. Hervé Savon, M. Victor Goldschmidt, M. Neil Sullivan,<br />

M. Venceslas Kruta, M. M. Flato, M. R. Turcan, M. Daniel Estève, M. Jean-


Pierre Mahé, M. André Langaney, M. Jean-Marie Durand, M me Marianne<br />

Mahn-Lot, M. Loïc Merel, M. Willy Clarysse, M. Clau<strong>de</strong> Ghesquière,<br />

M. Pierre Milza, M. Piemontese, M. Christian Giaume.<br />

Fondation Hugot du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

En 1977, l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> Professeurs du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> décidait à l’unanimité<br />

<strong>de</strong> créer une fondation dite Fondation Hugot du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> consacrée,<br />

conformément aux intentions <strong>de</strong> ses bienfaiteurs, Hélène <strong>et</strong> Jean-Pierre Hugot, à<br />

favoriser au mieux <strong>de</strong> ses moyens <strong>et</strong> en étroit accord avec le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />

« la rencontre <strong>de</strong> diverses disciplines qui œuvrent à la connaissance, à la formation<br />

<strong>et</strong> à l’épanouissement <strong>de</strong> l’homme, le rapprochement, par <strong>de</strong>là toutes les frontières,<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> meilleurs esprits animés <strong>de</strong> ce même souci ».<br />

Pour ce faire, la Fondation s’efforce <strong>de</strong> développer toutes étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, recherches <strong>et</strong><br />

activités ayant un double caractère à la fois humaniste <strong>et</strong> pluridisciplinaire.<br />

Le Conseil d’État, par décr<strong>et</strong> en date du 7 février 1979, faisait droit à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> l’Assemblée reconnaissant comme établissement d’utilité publique autonome<br />

ladite Fondation.<br />

En 2001, le Conseil d’Administration <strong>de</strong> la Fondation a décidé <strong>de</strong> la création<br />

d’un « Prix <strong>de</strong> la Fondation Hugot du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ». Ce prix consiste en<br />

l’attribution d’un poste <strong>de</strong> Maître <strong>de</strong> conférences au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

(traditionnellement pour un an, éventuellement renouvelable une fois) ainsi qu’une<br />

somme <strong>de</strong> 4 000 € versée par la Fondation Hugot. Il a été décidé que ce prix serait<br />

attribué dans une discipline différente chaque année.<br />

Le premier lauréat, pour l’année 2003-2004, est un mathématicien mexicain,<br />

M. Ricardo Uribevargas. Le lauréat <strong>de</strong> l’année 2004-2005 est M. Han Hee-Jin,<br />

philosophe coréen, celui <strong>de</strong> 2005-2006 est M. Wouter Henkelman, historien<br />

néerlandais <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> 2007-2008 est M. Jacques Bout<strong>et</strong> <strong>de</strong> Monvel, biophysicien<br />

<strong>de</strong> la cochlée.<br />

Station Marine <strong>de</strong> Concarneau<br />

La Station <strong>de</strong> Biologie Marine <strong>de</strong> Concarneau a été fondée en 1859 par Victor<br />

Coste titulaire <strong>de</strong> la chaire d’Embryogénie au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>. L’établissement<br />

ainsi créé, connu également sous le nom <strong>de</strong> Vivier-Laboratoire fut le premier d’une<br />

longue série : Naples, Roscoff, Banyuls, Plymouth, Woods Hole.<br />

C’est à Concarneau que furent réalisés les premiers élevages <strong>de</strong> poissons marins.<br />

Les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> Laurent Chabry dans les années 1880 ont apporté les bases techniques<br />

<strong>et</strong> conceptuelles <strong>de</strong> l’embryologie expérimentale.<br />

Plus près <strong>de</strong> nous, les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Jean Roche <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses collaborateurs ont j<strong>et</strong>é les<br />

bases d’une biochimie comparée s’appuyant sur la gran<strong>de</strong> diversité structurale <strong>et</strong><br />

fonctionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes marins.<br />

67


68<br />

Ainsi, la Station <strong>de</strong> Biologie Marine <strong>de</strong> Concarneau a offert sur près <strong>de</strong> 140 ans,<br />

l’exemple d’une recherche parfois marginale au regard <strong><strong>de</strong>s</strong> activités pratiquées dans<br />

les autres laboratoires marins : endocrinologie comparée, écobiochimie, biologie<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> espèces <strong><strong>de</strong>s</strong> grands fonds sous leurs aspects fondamentaux mais aussi pratiques :<br />

biotechnologies, enzymes, biomatériaux, gestion <strong>de</strong> l’espace marin.<br />

Depuis 1996, la station est <strong>de</strong>venue Station <strong>de</strong> Biologie Marine du Muséum<br />

National d’Histoire Naturelle <strong>et</strong> du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, la gestion scientifique <strong>et</strong><br />

administrative étant assurée dans le cadre du Muséum National d’Histoire<br />

Naturelle.<br />

Un programme <strong>de</strong> réhabilitation <strong><strong>de</strong>s</strong> viviers, partie historique du laboratoire,<br />

d’extension du Marinarium, exposition ouverte au public <strong>et</strong> <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

locaux scientifiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’accueil <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs <strong>et</strong> stagiaires a été élaboré. Ce<br />

proj<strong>et</strong> bénéficie du con<strong>cours</strong> du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, du Muséum, <strong>de</strong> fonds euro-<br />

péens <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> collectivités locales.<br />

Fondation du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

Le décr<strong>et</strong> <strong>de</strong> création <strong>de</strong> la Fondation du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, reconnue d’utilité<br />

publique, a été publié au Journal officiel du 7 avril 2008. C<strong>et</strong>te Fondation a pour<br />

but, dans l’esprit du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> son ouverture, le soutien, le<br />

développement <strong>et</strong> la valorisation <strong><strong>de</strong>s</strong> activités d’enseignement, <strong>de</strong> recherche, <strong>de</strong><br />

formation, <strong>de</strong> diffusion <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances, en <strong>France</strong> <strong>et</strong> à l’étranger.<br />

Les fonds privés mobilisés perm<strong>et</strong>tront <strong>de</strong> répondre aux besoins <strong>de</strong> financement<br />

<strong>de</strong> proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> l’Institution, d’accroître les ressources nécessaires à<br />

l’animation <strong>de</strong> la vie scientifique <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires, <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rniser <strong><strong>de</strong>s</strong> laboratoires,<br />

d’acquérir <strong><strong>de</strong>s</strong> équipements techniques <strong>de</strong> <strong>de</strong>rnière génération, d’amplifier la<br />

formation <strong><strong>de</strong>s</strong> jeunes chercheurs, <strong>de</strong> favoriser l’accès aux connaissances <strong>et</strong> aux<br />

<strong>de</strong>rnières recherches menées par les chaires <strong>et</strong> par les équipes accueillies. Ils serviront<br />

l’exigence d’une recherche <strong>de</strong> haut niveau tournée vers la société.<br />

La Fondation est administrée par un Conseil constitué <strong>de</strong> 12 membres (le collège<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> membres fondateurs constitué <strong>de</strong> professeurs <strong>de</strong> l’Institution, le collège <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

personnalités qualifiées qui fait appel à <strong><strong>de</strong>s</strong> personnalités <strong>de</strong> la société civile <strong>et</strong><br />

académique <strong>et</strong> le collège <strong><strong>de</strong>s</strong> donateurs). La composition du Conseil illustre la<br />

volonté <strong>de</strong> dialogue <strong>et</strong> d’échange <strong>de</strong> la Fondation avec la société civile <strong>et</strong> les acteurs<br />

du mon<strong>de</strong> économique. Le Conseil d’administration est assisté d’un Comité<br />

d’orientation scientifique composé <strong>de</strong> 6 à 8 membres issus du corps professoral du<br />

<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.


CHRONIQUE<br />

DE L’ANNÉE ACADÉMIQUE 2007-2008<br />

2007<br />

20 juill<strong>et</strong> .............. Décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République (publié au Journal<br />

officiel du 22 juill<strong>et</strong> 2007) nommant M. Manfred Kropp<br />

professeur associé à temps plein au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la<br />

Chaire européenne 2007-2008.<br />

23 juill<strong>et</strong> .............. Décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République (publié au Journal<br />

officiel du 25 juill<strong>et</strong> 2007) nommant M me Ariane Mnouchkine<br />

professeure associée à temps plein au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la<br />

chaire <strong>de</strong> Création artistique 2007-2008.<br />

30 juill<strong>et</strong> .............. Décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République (publié au Journal<br />

officiel du 1 er août 2007) nommant M. Pierre Magistr<strong>et</strong>ti<br />

professeur associé à temps plein au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, sur la<br />

Chaire internationale 2007-2008, <strong>et</strong> M. Gérard Berry<br />

professeur associé à temps plein au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la<br />

chaire d’Innovation technologique-Liliane B<strong>et</strong>tencourt 2007-<br />

2008<br />

4 août .................. Publication au Journal officiel <strong>de</strong> l’avis <strong>de</strong> création <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires<br />

<strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> processus biologiques <strong>et</strong> d’Histoire intellectuelle<br />

<strong>de</strong> la Chine.<br />

13 septembre........ Par arrêté ministériel, MM. Michael Edwards <strong>et</strong> Michel<br />

Tardieu sont admis à faire valoir leurs droits à la r<strong>et</strong>raite à<br />

compter du 1 er septembre 2008.<br />

19 novembre ........ Décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République (publié au Journal<br />

officiel du 21 novembre 2007) nommant M. Michel Brun<strong>et</strong><br />

professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la chaire <strong>de</strong> Paléontologie<br />

humaine, <strong>et</strong> M. Thomas Römer professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong> sur la chaire <strong>de</strong> Milieux bibliques.<br />

23 novembre ........ Décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République (publié au Journal<br />

officiel du 28 novembre 2007) nommant M. Philippe<br />

Sanson<strong>et</strong>ti professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la chaire <strong>de</strong><br />

Microbiologie <strong>et</strong> maladies infectieuses.<br />

25 novembre ........ Délibération <strong>de</strong> l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> Professeurs <strong>de</strong>mandant la<br />

création d’une chaire <strong>de</strong> Physique <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée (en<br />

remplacement <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Civilisations <strong>de</strong> l’Europe au<br />

Néolithique <strong>et</strong> à l’âge <strong>de</strong> bronze).


70 CHRONIQUE DE L’ANNÉE ACADÉMIQUE 2007-2008<br />

2008<br />

19 février.............. Publication au Journal officiel <strong>de</strong> l’avis <strong>de</strong> création <strong>de</strong> la chaire<br />

<strong>de</strong> Physique <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée.<br />

7 avril ................... Publication au Journal officiel du décr<strong>et</strong> <strong>de</strong> création <strong>de</strong> la<br />

Fondation du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, reconnue d’utilité publique.<br />

2 mai ................... Décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République (publié au Journal<br />

officiel du 4 mai 2008) nommant M me Anne Cheng<br />

professeure au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la chaire d’Histoire<br />

intellectuelle <strong>de</strong> la Chine <strong>et</strong> M. Marc Fontecave professeur<br />

au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> processus<br />

biologiques.<br />

19 mai ................. Décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République (publié au Journal<br />

officiel du 21 mai 2008) nommant M me Esther Duflo<br />

professeure associée à temps plein au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la<br />

chaire internationale – Savoirs contre pauvr<strong>et</strong>é 2008-2009.<br />

11 juin ................. Par arrêté ministériel, M me Anne Fagot-Largeault est admise<br />

à faire valoir ses droits à la r<strong>et</strong>raite à compter du 1 er septembre<br />

2009.<br />

5 juill<strong>et</strong> ................ Décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République (publié au Journal<br />

officiel du 9 juill<strong>et</strong> 2008) nommant M. Henri Léridon<br />

professeur associé à temps plein au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la<br />

chaire européenne – développement durable 2008-2009 <strong>et</strong><br />

M. Mathias Fink professeur associé à temps plein au <strong>Collège</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la chaire d’innovation technologique – Liliane<br />

B<strong>et</strong>tencourt 2008-2009.<br />

27 août ................ Décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République (publié au Journal<br />

officiel du 29 août 2008) nommant M. Pierre-Laurent Aimard<br />

professeur associé à temps plein au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la<br />

chaire <strong>de</strong> Création artistique 2008-2009.


NÉCROLOGIE<br />

François MOREL<br />

(1923-2007)<br />

Le 9 mai 2007, François Morel nous quittait à l’âge <strong>de</strong> 84 ans, après toute une<br />

vie consacrée à la recherche sur la physiologie rénale qu’il a réalisée en gran<strong>de</strong> partie<br />

au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> où il a été titulaire <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Physiologie cellulaire <strong>de</strong><br />

1967 à 1993. François Morel était né à Genève en 1923. Son père était titulaire<br />

<strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Psychiatrie dans c<strong>et</strong>te ville, ce qui l’a sans doute incité à entreprendre<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine. En fait, il n’a jamais exercé la mé<strong>de</strong>cine car, très vite, il a<br />

été attiré par la démarche expérimentale. En 1944, quatre ans avant <strong>de</strong> passer son<br />

diplôme <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine, il est licencié ès sciences <strong>et</strong>, par le fait <strong>de</strong> rencontres fortuites,<br />

il découvre le laboratoire <strong>de</strong> Robert Courrier, titulaire <strong>de</strong> la chaire d’Endocrinologie<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> morphologie expérimentale (1938-1966) au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, à qui il<br />

succé<strong>de</strong>ra en 1967.<br />

À c<strong>et</strong>te époque, François Morel conclut sa leçon inaugurale au <strong>Collège</strong> par la<br />

mention d’un compagnon <strong>de</strong> longue date, le rein, en citant une réflexion du<br />

poète danois Isak Dienesen qui m<strong>et</strong> dans la bouche d’un marin arabe naviguant<br />

au large <strong><strong>de</strong>s</strong> côtes africaines sous un ciel étoilé : « Qu’est-ce en définitive que<br />

l’homme quand on y réfléchit un peu, sinon un dispositif extraordinairement précis<br />

<strong>et</strong> ingénieux, pour transformer, avec un art consommé, le vin rouge <strong>de</strong> Chiraz en<br />

urine ? » Tout François Morel est là, dans c<strong>et</strong>te ironie distante vis-à-vis <strong>de</strong> son<br />

travail qui, effectivement, s’est concentré sur la compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes<br />

cellulaires aboutissant à la réabsorption <strong>de</strong> l’eau <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> électrolytes par le rein. Il<br />

ne s’est jamais départi <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ligne <strong>de</strong> recherche, <strong>de</strong> 1947 jusqu’à la fin <strong>de</strong> son<br />

par<strong>cours</strong> au <strong>Collège</strong> en 1993.<br />

Comme beaucoup <strong>de</strong> physiologistes rénaux dans les années cinquante, François<br />

Morel aurait pu exploiter la technique <strong><strong>de</strong>s</strong> clairances rénales pour étudier la<br />

fonction du rein. C<strong>et</strong>te approche perm<strong>et</strong> d’abor<strong>de</strong>r in vivo, <strong>de</strong> façon globale <strong>et</strong><br />

quantitative, la capacité du rein à réabsorber l’eau, les électrolytes ou d’autres<br />

substances mais elle ne donne aucune indication sur les mécanismes <strong>de</strong> transport,


72 NÉCROLOGIE<br />

<strong>de</strong> sécrétion <strong>et</strong> <strong>de</strong> réabsorption qui sont impliqués. Afin <strong>de</strong> comprendre en finesse<br />

les mécanismes mis en jeu dans les différents secteurs du rein, François Morel<br />

étudie in vitro les différentes entités qui composent le tube néphronique en<br />

analysant les caractéristiques propres <strong><strong>de</strong>s</strong> différents segments du néphron.<br />

Méthodologiste précis <strong>et</strong> rigoureux, il m<strong>et</strong> au point plusieurs micro-techniques<br />

ingénieuses <strong>et</strong> novatrices. Il utilise la toute naissante technique <strong>de</strong> microperfusion<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> tubules rénaux. Il sépare les différents segments du néphron par microdissection<br />

<strong>et</strong> développe les micrométho<strong><strong>de</strong>s</strong> biochimiques nécessaires à ses <strong>travaux</strong>. Sa phrase<br />

favorite, que ses nombreux élèves français <strong>et</strong> étrangers ont gardée en mémoire, était<br />

« Voyez, c’est tout simple <strong>et</strong> ça marche ». Il suit le transport <strong><strong>de</strong>s</strong> ions <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’eau à<br />

travers les membranes cellulaires en utilisant les isotopes radioactifs dont c’était<br />

l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> premières applications en biologie. Il analyse ensuite mathématiquement<br />

les résultats <strong>de</strong> ses expériences, les modélise <strong>et</strong> en tire les conclusions.<br />

Ses premières recherches ont été favorisées par sa rencontre avec Frédéric Joliot-<br />

Curie au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, qui lui a permis d’utiliser <strong><strong>de</strong>s</strong> produits radioactifs<br />

provenant du tout jeune CEA. François Morel est engagé comme mé<strong>de</strong>cin<br />

biologiste au CEA en 1948 <strong>et</strong> <strong>de</strong>viendra chef du laboratoire <strong>de</strong> Physiologie physicochimique<br />

du département <strong>de</strong> Biologie du CEA <strong>de</strong> Saclay. Il installera par la suite<br />

son laboratoire au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, à partir <strong>de</strong> 1967.<br />

Dans les années 70, François Morel s’intéresse à l’action <strong><strong>de</strong>s</strong> hormones sur les<br />

différentes régions du néphron. Il caractérise les récepteurs membranaires <strong>de</strong> la<br />

parathormone, <strong>de</strong> la vasopressine, du glucagon, <strong>de</strong> la calcitonine, <strong><strong>de</strong>s</strong> α-adrénergiques.<br />

Il m<strong>et</strong> au point une micrométho<strong>de</strong> extrêmement sensible <strong>de</strong> dosage l’adénylate<br />

cyclase qui lui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> déterminer les cellules cibles <strong><strong>de</strong>s</strong> hormones. Il montre la<br />

complexité <strong>et</strong> l’hétérogénéité <strong><strong>de</strong>s</strong> différents segments du néphron, la fonction <strong>de</strong><br />

divers types cellulaires dans un même segment tubulaire en termes <strong>de</strong> métabolisme<br />

intermédiaire <strong>et</strong> <strong>de</strong> réponse hormonale. Afin <strong>de</strong> résoudre certaines questions <strong>de</strong><br />

physiologie, il fait appel à la physiologie comparée : pour étudier les mécanismes<br />

aboutissant à l’élaboration d’une urine concentrée, il analyse les propriétés<br />

particulières du rein <strong>de</strong> la gerboise, un rongeur du désert qui n’excrète que quelques<br />

microlitres d’urine par mois. L’épithélium <strong>de</strong> batracien, qui possè<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> analogies<br />

avec le tube urinifère <strong>de</strong> mammifère, lui sert à analyser le transport vectoriel du<br />

sodium. Ce fut une pério<strong>de</strong> pionnière <strong>de</strong> la physiologie <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’endocrinologie rénales<br />

qui, comme il le souligne lui-même, lui a permis pendant plusieurs années d’avoir le<br />

rare privilège d’accumuler <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats originaux en l’absence <strong>de</strong> compétiteurs.<br />

En s’appuyant sur la physiologie rénale, il a parfaitement démontré que l’on<br />

pouvait disséquer un organe complexe en ses différentes fonctions cellulaires <strong>et</strong><br />

étudier en r<strong>et</strong>our comment le travail <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules spécialisées assure une gran<strong>de</strong><br />

fonction intégrée <strong>de</strong> l’organisme.<br />

François Morel possédait les qualités qu’une telle recherche exigeait : extrême<br />

minutie, rigueur <strong>de</strong> l’analyse, ténacité <strong>et</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong>tie. Il ne se donnait pas un rôle<br />

dans sa recherche mais valorisait son équipe <strong>et</strong> était attentif à ceux qui l’entouraient.


NÉCROLOGIE 73<br />

Il se décrivait comme un manuel, comme un artisan qui, à l’inverse <strong>de</strong> l’artiste, ne<br />

signe pas ses œuvres. Il a vécu <strong>de</strong> près un débat scientifique entre <strong>de</strong>ux théories<br />

qui s’opposaient sur les mécanismes <strong>de</strong> concentration <strong><strong>de</strong>s</strong> urines. Celle <strong>de</strong> Khun <strong>et</strong><br />

Wirtz, qui supposait un mécanisme <strong>de</strong> concentration à contre-courant <strong><strong>de</strong>s</strong> urines,<br />

avait la faveur <strong>de</strong> François Morel. Elle s’est avérée exacte, mais François Morel<br />

disait mo<strong><strong>de</strong>s</strong>tement qu’il avait eu la chance d’être du bon côté <strong>de</strong> la balance. Luimême<br />

ne s’est jamais attribué une gran<strong>de</strong> théorie bien qu’il ait été souvent<br />

l’initiateur <strong>de</strong> nouveaux concepts.<br />

François Morel n’avait rien d’un mondain, ni d’un homme <strong>de</strong> pouvoir. C’était un<br />

homme <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir. Il a estimé qu’il ne pouvait rester en marge <strong><strong>de</strong>s</strong> questions qui se<br />

posaient alors <strong>et</strong> déjà ! sur l’orientation <strong>et</strong> le développement <strong>de</strong> la recherche en<br />

<strong>France</strong>. Il s’est impliqué dans plusieurs actions concertées <strong>de</strong> la Direction générale <strong>de</strong><br />

la Recherche scientifique <strong>et</strong> technique (DGRST), notamment comme Prési<strong>de</strong>nt<br />

d’une action « Membranes biologiques » dans les années 60 où il a joué un rôle<br />

important. Son action a été aussi déterminante comme membre du Conseil supérieur<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> universités dans la réforme <strong><strong>de</strong>s</strong> Diplômes d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> épprofondies en 1985.<br />

Chez François Morel, il y avait le goût du bel ouvrage <strong>et</strong> l’émerveillement <strong>de</strong>vant<br />

la nature. Sa collection <strong>de</strong> papillons, qu’il a constituée en partie avec Christian <strong>de</strong><br />

Rouffignac, un <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs <strong>de</strong> son laboratoire au CEA, est exceptionnelle. Il l’a<br />

constituée par 18 voyages qu’il avait intitulés « Calendrier <strong>de</strong> mes chasses aux<br />

papillons exotiques ». A la fois esthète <strong>et</strong> scientifique, il admirait la beauté <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

papillons <strong>et</strong> cherchait à en comprendre le mimétisme.<br />

Nous gardons <strong>de</strong> lui un souvenir vivace. Lors <strong>de</strong> ma leçon inaugurale au <strong>Collège</strong>,<br />

je rappelais les <strong>cours</strong> <strong>de</strong> François Morel sur le mo<strong>de</strong> d’action <strong><strong>de</strong>s</strong> hormones que<br />

nombre d’entre nous, scientifiques ou mé<strong>de</strong>cins, suivaient assidûment. Scientifique<br />

mo<strong><strong>de</strong>s</strong>te, affable, prêt à rendre service <strong>et</strong> <strong>de</strong> haute tenue morale, il a marqué toute<br />

une génération <strong>de</strong> chercheurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> néphrologues qu’il a formée à une méthodologie<br />

rigoureuse <strong>et</strong> innovante au service d’idées <strong>et</strong> <strong>de</strong> concepts originaux. La communauté<br />

scientifique nationale <strong>et</strong> internationale perd l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> pionniers <strong>de</strong> la physiologie <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> l’endocrinologie rénales, <strong>et</strong> le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> un ami.<br />

Pierre Corvol, le 29 juin 2008


RÉSUMÉ DES COURS<br />

ET TRAVAUX<br />

DE L’ANNÉE ACADÉMIQUE 2007-2008<br />

I. SCIENCES MATHÉMATIQUES,<br />

PHYSIQUES ET NATURELLES


Caractérisation spectrale <strong><strong>de</strong>s</strong> variétés<br />

1. Introduction<br />

Analyse <strong>et</strong> géométrie<br />

M. Alain Connes, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />

J’ai donné c<strong>et</strong>te année dans mon <strong>cours</strong> la solution d’un problème que j’avais<br />

formulé il y a quelques années <strong>et</strong> qui donne une caractérisation spectrale <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

variétés Riemanniennes.<br />

2. Les axiomes <strong>et</strong> la caractérisation<br />

Les cinq conditions, en dimension p, sont<br />

(1) La valeur caractéristique μn <strong>de</strong> la résolvante <strong>de</strong> D vérifie μn = O(n –1/p ).<br />

(2) [[D, a], b] = 0 ∀a, b ∈ A.<br />

(3) Pour tout a ∈ A, a <strong>et</strong> [D, a] appartiennent au domaine <strong>de</strong> δm , pour tout<br />

entier m où δ est la dérivation : δ(T ) = [|D|, T ].<br />

(4) Il existe un cycle <strong>de</strong> Hochschild c ∈ Zp (A, A) tel que πD (c) = 1 pour p<br />

impair, alors que pour p pair, πD (c) = γ est une �/2 graduation.<br />

(5) Le A-module H∞ = ∩ Dom Dm est projectif <strong>de</strong> type fini. De plus l’égalité<br />

suivante le dote d’une structure hermitienne ( | ) : 〈ξ, aη〉 = ∫ – a (ξ|η) |D|–p , ∀a ∈ A,<br />

∀ξ, η ∈ H∞. L’application π D est définie par<br />

(2.1) πD (a0 ⊗ a1 ⊗ … ⊗ a p ) = a0 [D, a1 ] … [D, a p ], ∀a j ∈ A.<br />

Le symbole ∫ – représente la trace <strong>de</strong> Dixmier.


78 ALAIN CONNES<br />

Théorème 2.1. Soit (A, H, D) un tripl<strong>et</strong> spectral, avec A commutative, vérifiant<br />

les cinq conditions ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus, on suppose que :<br />

— la régularité (3) est vérifiée par tous les endomorphismes <strong>de</strong> H ∞ ;<br />

— le cycle <strong>de</strong> Hochschild c est antisymétrique.<br />

Il existe alors une variété compacte orientée X telle que A soit l’algèbre C ∞ (X ) <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

fonctions <strong>de</strong> classe C ∞ sur X.<br />

De plus toute variété compacte orientée apparaît <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te manière. On a aussi la<br />

variante suivante qui ne suppose plus la régularité forte, définie ainsi :<br />

Définition 2.2. Un tripl<strong>et</strong> spectral est fortement régulier si tous les endomorphismes<br />

du A-module H ∞ appartiennent au domaine <strong>de</strong> δ m , pour tout entier m.<br />

Théorème 2.3. Soit (A, H, D) un tripl<strong>et</strong> spectral, avec A commutative, vérifiant<br />

les cinq conditions ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus, avec c antisymétrique. On suppose que la multiplicité <strong>de</strong><br />

l’action <strong>de</strong> A ′′ dans H est 2 p/2 . Il existe alors une variété compacte X (spinc ) telle que<br />

A = C ∞ (X ).<br />

C<strong>et</strong>te hypothèse <strong>de</strong> multiplicité est une forme faible <strong>de</strong> la dualité <strong>de</strong> Poincaré<br />

qui était la condition (6) <strong>de</strong> ma formulation du problème. J’avais montré dans un<br />

<strong>cours</strong> antérieur que l’opérateur D est alors un opérateur <strong>de</strong> Dirac. La condition <strong>de</strong><br />

réalité sélectionne ensuite les variétés spinorielles <strong>et</strong> l’action spectrale sélectionne la<br />

connection <strong>de</strong> Levi-Civita.<br />

Il y a trois étapes dans la démonstration :<br />

a) Montrer que le spectre X <strong>de</strong> l’algèbre A est suffisamment grand i.e. que<br />

l’image d’une « carte locale » aα contient un ouvert <strong>de</strong> �p .<br />

j<br />

b) Montrer que la mesure spectrale <strong><strong>de</strong>s</strong> aα ( j><br />

0 ) sur une « carte locale » est la<br />

mesure <strong>de</strong> Lebesgue.<br />

c) Appliquer l’estimation <strong>de</strong> l’obstruction <strong>de</strong> Voiculescu sur les unités quasicentrales<br />

<strong>et</strong> en déduire que les « cartes locales » sont localement injectives.<br />

3. Topologie <strong>de</strong> A<br />

Le lemme suivant montre que le tripl<strong>et</strong> spectral (A, H, D) est uniquement<br />

déterminé par ( A ′′ , H, D) où A ′′ est l’algèbre <strong>de</strong> von Neumann commutative<br />

ferm<strong>et</strong>ure faible <strong>de</strong> A.<br />

Lemme 3.1. Soit T ∈ A ′′ . Les conditions suivantes sont équivalentes :<br />

(1) T ∈ A<br />

(2) [D, T ] est borné <strong>et</strong> T <strong>et</strong> [D, T ] sont dans le domaine <strong>de</strong> δm , pour tout entier m<br />

(3) T est dans le domaine <strong>de</strong> δm , pour tout entier m<br />

(4) TH∞ ⊂ H∞


ANALYSE ET GÉOMÉTRIE 79<br />

On utilise l’égalité :<br />

m � �<br />

m<br />

(3.1) m<br />

D T<br />

k m−k ξ= ∑ δ ( T) D ξ,<br />

∀ξ ∈ Dom|D|<br />

k<br />

k=<br />

0<br />

m<br />

On montre alors que A est une algèbre <strong>de</strong> Fréch<strong>et</strong> avec les semi-normes sousmultiplicatives<br />

(3.2) pk( xy) ≤ pk( x) pk( y)<br />

, ∀x, y ∈ A<br />

associées à la condition <strong>de</strong> régularité,<br />

� x δ( x) � k � δ ( x)/ k!<br />

(3.3) pk(x) = �ρk(x)�, ρk(x)= 0<br />

�<br />

x<br />

�<br />

�<br />

x<br />

�<br />

δ(<br />

x)<br />

0 � 0 x<br />

où ρk est une représentation <strong>de</strong> A.<br />

Le Lemme 3.1 donne <strong><strong>de</strong>s</strong> estimés <strong>de</strong> Sobolev. Soient ημ <strong><strong>de</strong>s</strong> générateurs du<br />

A-module H∞, on définit les normes <strong>de</strong> Sobolev sur A par<br />

(3.4) �a�sobolev = ( �( 1+ D2) s 2a<br />

� )<br />

On a<br />

s<br />

∑<br />

μ<br />

/<br />

2<br />

η 12 /<br />

μ<br />

, ∀a ∈ A<br />

Proposition 3.2.<br />

(1) Munie <strong><strong>de</strong>s</strong> normes (3.4), A est un espace <strong>de</strong> Fréch<strong>et</strong> nucléaire séparable.<br />

(2) On a <strong><strong>de</strong>s</strong> estimés <strong>de</strong> Sobolev <strong>de</strong> la forme<br />

(3.5) p ( a) ≤c �a�sobolev, p ( [ D, a]) ≤ c′ �a�sobolev, ∀a ∈ A<br />

k k s k k k s′<br />

k<br />

k < ∞, ′ k < ∞ <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> suites sk > 0, s′<br />

k > 0.<br />

avec c c<br />

(3) Le spectre X = Spec(A) est métrisable.<br />

(4) Tout T ∈ EndA H∞ agit continûment dans H∞ <strong>et</strong> définit un opérateur borné<br />

dans H.<br />

(5) L’isomorphisme algébrique H∞ = eAn est topologique.<br />

(6) L’application (a, ξ) � aξ <strong>et</strong> le produit à valeurs dans A sont <strong><strong>de</strong>s</strong> applications<br />

continues A × H∞ → H∞ <strong>et</strong> H∞ × H∞ → A.<br />

On a <strong>de</strong> plus la stabilité par calcul fonctionnel démontrée par Varilly <strong>et</strong><br />

Rennie :<br />

Proposition 3.3. Soient a j = a*,<br />

j n éléments auto-adjoints <strong>de</strong> A <strong>et</strong> f : �n � �<br />

une fonction <strong>de</strong> classe C ∞ définie sur un voisinage du spectre <strong><strong>de</strong>s</strong> aj. Alors<br />

f (a1,…, an) ∈ A appartient à A ⊂ A.


80 ALAIN CONNES<br />

4. Fonctions implicites <strong>et</strong> cartes locales<br />

Soit (A, H, D) un tripl<strong>et</strong> spectral vérifiant les cinq conditions du §2.<br />

Lemme 4.1. Soit B l’algèbre <strong><strong>de</strong>s</strong> endomorphismes of H ∞. On a une décomposition<br />

finie <strong>de</strong> la forme<br />

(4.1) [ Da , ] = ∑δ j( a)<br />

γ j,<br />

∀a ∈ A,<br />

où γj ∈ B <strong>et</strong> les δj sont <strong><strong>de</strong>s</strong> dérivations<br />

(4.2) δj( a) = i( ξj [ D, a]<br />

ξj),<br />

∀a ∈ A,<br />

pour ξj ∈ H∞. Par hypothèse le cycle c est <strong>de</strong> la forme :<br />

∑ α α α ∑<br />

p<br />

α β<br />

α β<br />

() 1<br />

( )<br />

(4.3) c = a0ω , ω = ε( β)<br />

1⊗a<br />

⊗�⊗a α<br />

β<br />

μ<br />

où l’on peut supposer que les aα sont auto-adjoints pour μ > 0. Le module<br />

projectif <strong>de</strong> type fini H∞ sur A est <strong>de</strong> la forme H∞ = eAn , où e ∈ Mn(A) est un<br />

i<strong>de</strong>mpotent auto-adjoint. La trace τ = Tr( e) = ∑ejj<br />

∈A<br />

détermine uniquement<br />

les projecteurs pj ∈ A associés à la dimension j <strong>de</strong> la fibre, par l’égalité<br />

∑ ∑<br />

(4.4) τ = Tr( e) = j pj pj<br />

= 1.<br />

On note que p0 = 0. On définit une espérance conditionnelle EA :<br />

EndA(H∞) → A, par<br />

(4.5)<br />

1<br />

EA( T)<br />

= ∑ pj j ∑Tkk,<br />

∀T = (Tkl ) ∈ eMn(A)e j><br />

0<br />

On définit alors ρ α ∈ A par<br />

α α β<br />

α β<br />

p( p+<br />

1)<br />

∑<br />

β<br />

() 1<br />

( p)<br />

(4.6) ρ = i 2 EA ( γ ε( β)<br />

[ Da , ] �[<br />

Da , ] ).<br />

On pose<br />

(4.7) C α = {x ∈ X | ρ α(x) = 0}<br />

<strong>et</strong> on désigne par U C c<br />

α = α son complément i.e. l’ouvert où ρα ne s’annule pas.<br />

Lemme 4.2. Les U α forment un recouvrement ouvert <strong>de</strong> X = Spec(A).<br />

On utilise alors le lemme suivant :<br />

Lemme 4.3. Soit A commutative, <strong>et</strong> a = (a j ), p éléments auto-adjoints <strong>de</strong> A. Soit<br />

χ un caractère <strong>de</strong> A, <strong>et</strong> δj ∈ DerA <strong><strong>de</strong>s</strong> dérivations telles que<br />

— chaque δj s’exponentie ;<br />

— le déterminant <strong>de</strong> la matrice χ(δj(ak )) n’est pas nul.


ANALYSE ET GÉOMÉTRIE 81<br />

Alors l’image par a <strong>de</strong> tout voisinage <strong>de</strong> χ dans Spec(A) contient un voisinage <strong>de</strong><br />

a(χ) dans � p . Il existe <strong>de</strong> plus une famille <strong>de</strong> classe C ∞ , σ t ∈ Aut(A), t ∈ � p , un<br />

voisinage Z <strong>de</strong> χ dans X = Spec(A) <strong>et</strong> W <strong>de</strong> 0 ∈ � p tels que, pour tout κ ∈ Z,<br />

l’application t � a(κ ◦ σ t) soit un diffeomorphisme, dépendant continûment <strong>de</strong> κ, <strong>de</strong><br />

W avec un voisinage <strong>de</strong> a(κ) dans � p .<br />

5. Dérivations dissipatives<br />

Commençons par la propriété <strong>de</strong> dissipativité <strong><strong>de</strong>s</strong> dérivations. On a en eff<strong>et</strong> :<br />

Lemme 5.1. Supposons que les dérivations <strong>de</strong> la forme (4.2) s’exponentient. Alors,<br />

pour tout h = h ∗ ∈ A, le commutateur [D, h] est nul là où h atteint son maximum.<br />

Réciproquement, c<strong>et</strong>te propriété entraîne que les dérivations ± δ j <strong>de</strong> la forme (4.2) sont<br />

dissipatives i.e.<br />

(5.1.) �x + λδ j(x)� ≥ �x�, ∀x ∈ A, λ ∈ �.<br />

On notera que la commutativité <strong>de</strong> [D, h] avec h <strong>et</strong> l’auto-adjonction <strong>de</strong> D ne<br />

suffisent pas à entraîner la conclusion du Lemme 5.1. En eff<strong>et</strong> considérons le<br />

tripl<strong>et</strong> spectral<br />

(5.2.) A = C∞ ([0, 1]), H = L2 ([0, 1]) ⊗ �2 � �<br />

, D =<br />

0 ∂x<br />

avec la condition au bord<br />

−∂x<br />

0<br />

� �<br />

ξ<br />

(5.3.) Dom D = {ξ = 1 |ξ1(0) = 0, ξ2(1) = 0}<br />

ξ2<br />

Pour tout h ∈ A on a [D, h] = ∂x h γ1, � �<br />

0 1<br />

γ 1 =<br />

−1 0<br />

Ainsi [D, h] commute avec h. Mais pour h(x) = x le maximum est en x = 1 <strong>et</strong><br />

[D, h] ne s’annule pas en ce point.<br />

Un point crucial est la détermination du symbole principal <strong>de</strong> |D| sous la<br />

forme,<br />

Proposition 5.2. Soit h = h ∗ ∈ A, alors on a pour la convergence en norme dans<br />

H :<br />

(5.4) lim τ −1eih τ | D| e−ih τ ξ= | [ D, h]<br />

| ξ , ∀ξ ∈ Dom D.<br />

τ→∞<br />

Remarque 5.3. La Proposition 5.2 montre que, sous l’hypothèse <strong>de</strong> régularité,<br />

(5.5) [|[D, h]|, [D, a]] = 0, ∀h = h ∗ , a ∈ A.<br />

Si l’on fait l’hypothèse <strong>de</strong> régularité forte <strong>de</strong> la Définition 2.2 on obtient<br />

(5.6) [D, h] 2 ∈ A, ∀h = h ∗ ∈ A.


82 ALAIN CONNES<br />

On montre <strong>de</strong> plus que la régularité suffit à assurer la propriété <strong>de</strong> dissipativité<br />

du Lemme 5.1.<br />

Théorème 5.4. Soit (A, H, D) un tripl<strong>et</strong> spectral régulier, vérifiant la condition<br />

d’ordre un. Alors pour tout h = h ∗ ∈ A, le commutateur [D, h] s’annule là où h atteint<br />

son maximum, i.e. pour toute suite b n ∈ A, �b n� ≤ 1, <strong>de</strong> support tendant vers {χ},<br />

|χ(h)| maximum, on a<br />

�[D, h]b n� → 0.<br />

Corollaire 5.5. Soit (A, H, D) un tripl<strong>et</strong> spectral avec A commutative vérifiant<br />

les cinq conditions du §2. Les dérivations ±δ j du Lemme 4.1 sont dissipatives.<br />

Cela résulte du Théorème 5.4 <strong>et</strong> du Lemme 5.1.<br />

Corollaire 5.6. Soit h = h∗ ∈ A. Le symbole principal <strong>de</strong> l’opérateur<br />

(5.7) Grad(h) = [D2 , h]<br />

est nul là où h atteint son maximum.<br />

6. Dérivations auto-adjointes<br />

Nous dirons qu’un opérateur borné A est régulier si il appartient au domaine <strong>de</strong><br />

δ m pour tout m.<br />

Proposition 6.1. Soit A un opérateur régulier. Alors l’opérateur H = A∗DA <strong>de</strong><br />

domaine Dom D est essentiellement auto-adjoint. Le domaine <strong>de</strong> la ferm<strong>et</strong>ure <strong>de</strong> H<br />

est l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> ξ ∈ H pour lesquels A∗DA(1 + ε|D|) –1ξ converge en norme pour<br />

ε → 0. La limite <strong><strong>de</strong>s</strong> A∗DA(1 + ε|D|) –1ξ donne Hξ.<br />

On applique ce résultat aux endomorphismes du A-module H∞ qui sont <strong>de</strong><br />

rang un, pour obtenir un opérateur <strong>de</strong> A dans A.<br />

Lemme 6.2. Soit ξ, η ∈ H∞, la formule suivante définit un endomorphisme du<br />

A-module H∞ :<br />

(6.1) Tξ,η(ζ) = (η|ζ)ξ, ∀ζ ∈ H∞ où (η|ζ) est le produit à valeurs dans A. On a<br />

(6.2) Taξ, bη = ab∗Tξ,η, ∀a, b ∈ A, T∗ ξη , = Tη,<br />

ξ<br />

Le résultat principal est le suivant :<br />

Théorème 6.3. Soit (A, H, D) un tripl<strong>et</strong> spectral fortement régulier, avec A<br />

commutative, vérifiant les cinq conditions du §2. Alors toute dérivation <strong>de</strong> A <strong>de</strong> la


ANALYSE ET GÉOMÉTRIE 83<br />

forme (4.2) i.e. δ 0(a) = i(ξ|[D, a]ξ), ∀a ∈ A, est le générateur d’un groupe à un<br />

paramètre d’automorphismes σ t ∈ Aut(A) tels que<br />

— ∂ t σ t(a) = δ 0(σ t(a).<br />

— L’application (t, a) ∈ � × A � σ t(a) ∈ A est continue.<br />

On peut alors montrer directement la continuité absolue <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures σ ∗<br />

t ( λ ) par<br />

rapport à λ. Nous dirons qu’une mesure μ est fortement équivalente à υ si <strong>et</strong><br />

seulement si il existe c > 0 tel que cυ ≤ μ ≤ c –1υ. Proposition 6.4. Soit (A, H, D), δ0 <strong>et</strong> σt comme dans le Théorème 6.3. Alors<br />

pour tout t ∈ � la mesure λ<br />

� �<br />

<strong>de</strong><br />

(6.3) ad λ = – a|D| –p , ∀a ∈ C(X ).<br />

est fortement équivalente à ses transformées par σ t .<br />

7. Multiplicité spectrale<br />

La mesure (6.3) est localement équivalente à la mesure spectrale <strong>de</strong> la<br />

représentation <strong>de</strong> A = C(X ) dans H. On a en eff<strong>et</strong> :<br />

Lemme 7.1. Pour tout ouvert V ⊂ X les mesures suivantes sont fortement<br />

équivalentes :<br />

— la restriction λ| V à V <strong>de</strong> la mesure λ <strong>de</strong> (6.3) ;<br />

— la restriction à V <strong>de</strong> la mesure spectrale associée à un vecteur ξ ∈ H ∞ pour lequel<br />

(ξ, ξ) est strictement positif sur V.<br />

On a <strong>de</strong> plus<br />

Théorème 7.2. Soit V ⊂ Uα un ouvert <strong>et</strong> a j α | V la restriction <strong><strong>de</strong>s</strong> a j α ∈A au sousespace<br />

1V H ⊂ H. Alors<br />

— la mesure spectrale jointe <strong><strong>de</strong>s</strong> a j α | V est la mesure <strong>de</strong> Lebesgue sur sα(V ) ;<br />

— la multiplicité spectrale mac(y) vérifie<br />

(7.1) mac( y) ≥ n( y) =#{ sα( y) V}<br />

−1 � , ∀y ∈ sα(V ),<br />

presque partout pour la mesure <strong>de</strong> Lebesgue.<br />

8. Forme locale <strong><strong>de</strong>s</strong> estimés L (p, 1)<br />

L’obstruction <strong>de</strong> Voiculescu relative à un idéal J d’opérateurs compacts est donnée par<br />

(8.1) k ( { a } ) lim inf max �[ A, a ] �<br />

J j<br />

=<br />

A∈R+ 1 , A↑1<br />

où R 1 + est l’ensemble partiellement ordonné <strong><strong>de</strong>s</strong> opérateurs positifs <strong>de</strong> rang fini,<br />

<strong>de</strong> norme ≤ 1, dans H.<br />

j J


84 ALAIN CONNES<br />

Théorème 8.1. Il existe une constante finie κ p telle que pour tous a j ∈ A <strong>et</strong> tout<br />

compact K ⊂ X on ait, avec J = L (p, 1) , l’inégalité<br />

où :<br />

(8.2) κ J ({a j 1 K }) ≤ κ p max �δ(a j)� ∞(λ(K)) 1/p<br />

λ(K ) = inf<br />

b∈ A + , b1K= 1 K<br />

�<br />

–b|D| –p .<br />

Corollaire 8.2. Il existe C < ∞ tel que la multiplicité spectrale mV ac( x)<br />

du spectre<br />

absolument continu <strong>de</strong> la restriction a j α | V <strong><strong>de</strong>s</strong> a j α , à 1VH vérifie :<br />

(8.3) mV ac( x)≤ C,<br />

∀x ∈ W = sα(V )<br />

Corollaire 8.3. Il existe m < ∞ tel que<br />

(8.4) #( sα( x) V) m<br />

−1 � ≤ , ∀x ∈ W = sα(V )<br />

9. Théorème <strong>de</strong> Reconstruction<br />

On utilise le Corollaire 8.3 ainsi que l’existence <strong>de</strong> suffisamment d’automorphismes<br />

<strong>de</strong> A pour démontrer le lemme clef suivant :<br />

Lemme 9.1. Pour tout point χ ∈ X il existe p éléments auto-adjoints x μ ∈ A <strong>et</strong><br />

une famille, <strong>de</strong> classe C ∞ , τ t ∈ Aut(A), t ∈ � p , τ 0 = id, tels que<br />

— les x μ définissent un homéomorphisme d’un voisinage <strong>de</strong> χ avec un ouvert <strong>de</strong><br />

� p ;<br />

— l’application t � h(t) = χ ◦ τ t est un homéomorphisme d’un voisinage <strong>de</strong> 0 dans<br />

� p avec un voisinage <strong>de</strong> χ ;<br />

— l’application x ◦ h est un difféomorphisme local.<br />

Il en résulte alors<br />

Lemme 9.2. L’algèbre A est localement l’algèbre <strong><strong>de</strong>s</strong> restrictions <strong>de</strong> fonctions C ∞<br />

sur � p à un ouvert borné <strong>de</strong> � p .<br />

En utilisant ce lemme, l’on montre que l’on peut doter le spectre X <strong>de</strong> A d’une<br />

unique structure <strong>de</strong> variété compacte lisse telle que A = C ∞ (X ).


ANALYSE ET GÉOMÉTRIE 85<br />

Conférences<br />

Septembre 2007, 1 conférence à Oberwolfach.<br />

Octobre 2007, 1 conférence à NYU, New York.<br />

Octobre 2007, 1 conférence à Rutgers.<br />

Octobre 2007, 1 conférence à ICTP, Trieste.<br />

Mai 2008, 5 conférences à Van<strong>de</strong>rbilt (Fifth Spring Institute in Non-commutative<br />

Geom<strong>et</strong>ry and Operator Algebras).<br />

Mai 2008, 1 conférence à l’IHÉS (50 e anniversaire).<br />

Mai 2008, 3 conférences à Toronto (Fields Lectures).<br />

Publications<br />

A. Connes, M. Marcolli, Noncommutative Geom<strong>et</strong>ry, Quantum Fields, and Motives,<br />

Colloquium Publications, Vol. 55, American Mathematical Soci<strong>et</strong>y, 2008.<br />

A. Connes, C. Consani, M. Marcolli, Fun with � 1. A paraître dans JNT.


Équations différentielles <strong>et</strong> systèmes dynamiques<br />

M. Jean-Christophe Yoccoz, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />

Cours : cocycles uniformément hyperboliques<br />

1. Le <strong>cours</strong> a présenté <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats obtenus en collaboration avec A. Avila <strong>et</strong><br />

J. Bochi.<br />

Soient X un espace topologique, f un homéomorphisme <strong>de</strong> X, <strong>et</strong> p: E → X un<br />

fibré vectoriel <strong>de</strong> base X. Un cocycle linéaire au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus <strong>de</strong> f est un isomorphisme<br />

F <strong>de</strong> E vérifiant f �p = p�F. Un tel cocycle est uniformément hyperbolique s’il<br />

existe 0< λ < 1, c > 0 <strong>et</strong> une décomposition F-invariante<br />

E = Es ⊕ Eu<br />

vérifiant<br />

F n(<br />

v ) ≤cλ n v pour n≥0, v ∈E<br />

s ,<br />

s<br />

−n( n<br />

u ) λ<br />

s<br />

F v ≤ c vupour<br />

n≥0, vu∈E u .<br />

On va considérer la situation spécifique suivante : X est un sous-décalage <strong>de</strong> type<br />

fini ∑ sur un alphab<strong>et</strong> fini A, f est le décalage σ : ∑→∑, E est le produit ∑ × R2 ,<br />

<strong>et</strong> F est déterminé par une application A : ∑ → SL( 2, R ) qui ne dépend que <strong>de</strong> la<br />

l<strong>et</strong>tre en position zéro dans un élément <strong>de</strong> ∑. Le cocycle F est donc déterminé par<br />

une famille ( Aα) α∈A∈( SL(<br />

2, R)) A via la formule<br />

avec<br />

F n ( x , v ) = ( σσ<br />

n ( x ), A n ( x ) v<br />

),<br />

A n ( x ) = A x … A<br />

n − 1 x 0 si n ≥ 0 ,<br />

= A − 1 … A − 1 si<br />

n < 0 .<br />

x x<br />

n<br />

Le sous-décalage ∑ étant fixé, l’espace <strong><strong>de</strong>s</strong> paramètres est donc ( SL( 2, R)) A . Les<br />

cocycles uniformément hyperboliques correspon<strong>de</strong>nt à une partie ouverte H qu’on<br />

se propose d’étudier.<br />

2. Un critère classique d’uniforme hyperbolicité est basé sur l’existence d’un<br />

champ <strong>de</strong> cônes vérifiant certaines propriétés. Dans la situation considérée, nous<br />

−1<br />

s


88 JEAN-CHRISTOPHE YOCCOZ<br />

avons découvert un critère alternatif, d’emploi plus simple, basé sur la notion <strong>de</strong><br />

multicône. Nous appelons multicône une partie ouverte <strong>de</strong> P1 = P1 (R), non vi<strong>de</strong><br />

<strong>et</strong> distincte <strong>de</strong> P1 , qui a un nombre fini <strong>de</strong> composantes connexes. Le critère est<br />

plus simple à énoncer lorsque ∑ est un décalage compl<strong>et</strong>. Dans ce cas, le cocycle<br />

associé à ( Aα) α∈A est uniformément hyperbolique si <strong>et</strong> seulement s’il existe un<br />

multicône M tel que Aα M est contenu dans M pour tout α ∈A .<br />

Dans le cas général d’un décalage <strong>de</strong> type fini, la condition est qu’il existe <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

multicônes Mα , α ∈A tels que AβMα ⊂ Mβpour<br />

chaque transition admissible<br />

α → β.<br />

Pour voir que ces conditions impliquent l’uniforme hyperbolicité, on fait appel<br />

à un autre critère d’uniforme hyperbolicité (valable pour les cocycles à valeurs dans<br />

SL (2, R) sur une base compacte) : il faut <strong>et</strong> il suffit que la norme <strong><strong>de</strong>s</strong> produits<br />

A n (x) croisse <strong>de</strong> façon uniformément exponentielle. C<strong>et</strong>te croissance est obtenue<br />

en munissant les multicônes <strong>de</strong> leur métrique <strong>de</strong> Hilbert.<br />

Supposons inversement que le cocycle défini par ( Aα) α∈A soit uniformément<br />

hyperbolique. Pour x ∈ � , notons e s (x), e u (x) les directions stables <strong>et</strong> instables<br />

(considérées comme <strong><strong>de</strong>s</strong> points <strong>de</strong> P1 ).<br />

Lorsque ∑ est un décalage compl<strong>et</strong>, posons K s = e s (∑), K u = e u (∑). Appelons<br />

noyau instable (resp. stable) la partie U (resp. S) <strong>de</strong> P1 dont le complémentaire<br />

est l’union <strong><strong>de</strong>s</strong> composantes connexes <strong>de</strong> P1 – Ku qui rencontrent K s (resp. <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

composantes connexes <strong>de</strong> P1 – K s qui rencontrent K u ). Alors S <strong>et</strong> U sont <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

parties compactes non vi<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> disjointes <strong>de</strong> P1 qui n’ont qu’un nombre fini <strong>de</strong><br />

composantes connexes. De plus, les composantes connexes <strong>de</strong> U <strong>et</strong> S sont alternées<br />

pour l’ordre cyclique <strong>de</strong> P1 <strong>et</strong> on a AαU⊂ U , A−<br />

1<br />

α S ⊂S<br />

pour tout α ∈A. Le<br />

multicône M est alors un épaississement approprié <strong>de</strong> U (ne rencontrant pas S).<br />

Lorsque ∑ est un décalage <strong>de</strong> type fini général, on doit définir, pour chaque<br />

α ∈A<br />

��<br />

K s es α = es α = ({ x ∈ , x 0 = αα<br />

}),<br />

��<br />

K u = e u ({ x ∈ , x = αα<br />

}).<br />

αα<br />

−<br />

1<br />

Le noyau instable (resp. stable) U α (resp. Sα ) est alors le complémentaire <strong>de</strong><br />

qui rencontrent A K s<br />

α α (resp. <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

qui rencontrent A−1 K u<br />

α α).<br />

Les parties U α , Sα<br />

l’union <strong><strong>de</strong>s</strong> composantes connexes <strong>de</strong> P1 − K u α<br />

composantes connexes <strong>de</strong> P1 − K s α<br />

sont compactes non vi<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> n’ont qu’un nombre fini <strong>de</strong> composantes connexes. Les<br />

parties U α <strong>et</strong> AαSα sont disjointes <strong>et</strong> leurs composantes connexes sont alternées.<br />

On a AβUα ⊂ U β, A−1<br />

α Sβ ⊂Sα<br />

pour chaque transition admissible α → β.<br />

Le<br />

multicône Mα est un épaississement approprié <strong>de</strong> U α .<br />

On notera que les cônes stables <strong>et</strong> instables dépen<strong>de</strong>nt continûment <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

paramètres. En particulier, le nombre <strong>de</strong> composantes connexes, <strong>et</strong> la façon dont<br />

elles sont envoyées les unes dans les autres par les A α, restent les mêmes dans une<br />

composante connexe du lieu d’hyperbolicité H.


ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES ET SYSTÈMES DYNAMIQUES 89<br />

3. On suppose dans c<strong>et</strong>te section que ∑ est un décalage compl<strong>et</strong> sur<br />

N ≥ 2 symboles. Une composante connexe <strong>de</strong> H est dite principale s’il existe<br />

( εα) α∈A∈ { −1, + 1 } A tel que ( εαA) α∈<br />

A appartienne à c<strong>et</strong>te composante pour<br />

toute matrice A telle que TrA > 2. Il y a 2N composantes principales ; leur union<br />

est notée H0. On montre aisément qu’un N-upl<strong>et</strong> hyperbolique ( Aα) α∈A appartient à H0 si <strong>et</strong><br />

seulement si le cône instable U est connexe. D’autre part, si un N-upl<strong>et</strong> ( Aα) α∈A<br />

appartient à la frontière ∂H0, alors soit l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> matrices Aα est parabolique, soit il<br />

existe <strong><strong>de</strong>s</strong> indices distincts α, β tels que uA = s α A . On a désigné par u β<br />

A (resp. sA) la<br />

direction stable (resp. instable) d’une matrice hyperbolique A ; lorsque A est<br />

parabolique mais distincte <strong>de</strong> ± id, on notera uA = sA l’unique direction invariante.<br />

4. Nous décrivons dans c<strong>et</strong>te section le lieu d’hyperbolicité H lorsque ∑ est le<br />

décalage compl<strong>et</strong> sur 2 symboles.<br />

Considérons la partie ouverte H id <strong>de</strong> (S L(2, R)) 2 formée <strong><strong>de</strong>s</strong> matrices (A, B) telles<br />

que Tr A > 2, Tr B > 2, Tr AB > 2, TrATrB TrAB < 0 . Notons H id + la partie <strong>de</strong><br />

H id formée <strong><strong>de</strong>s</strong> matrices telles que TrA > 2, TrB > 2, TrAB < −2.<br />

On montre que Hid est contenu dans H − H0. En fait, H +<br />

id est l’union <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

composantes connexes <strong>de</strong> H qui se déduisent l’une <strong>de</strong> l’autre par une conjugaison<br />

renversant l’orientation <strong>de</strong> P1 <strong>et</strong> Hid est donc union <strong>de</strong> huit composantes <strong>de</strong> H.<br />

Les éléments <strong>de</strong> Hid sont exactement les paires ( AB , ) ∈H telles que le noyau<br />

instable U a <strong>de</strong>ux composantes connexes.<br />

Pour décrire toutes les composantes connexes <strong>de</strong> H, on introduit les<br />

difféomorphismes <strong>de</strong> (S L(2, R)) 2<br />

F +(A, B) = (A, AB),<br />

F −(A, B) = (BA, B),<br />

<strong>et</strong> on note M le monoï<strong>de</strong> (libre) engendré par F +, F −. Pour F ∈M, on pose<br />

H F = F −1 (H id). Chaque H F a donc 8 composantes connexes.<br />

Théorème – Les composantes <strong>de</strong> H sont exactement les composantes <strong>de</strong> H 0 <strong>et</strong> les<br />

composantes <strong><strong>de</strong>s</strong> H F , F décrivant M. Deux composantes connexes distinctes sont<br />

d’adhérences disjointes. De plus, une partie compacte <strong>de</strong> (SL(2,R)) 2 ne rencontre qu’un<br />

nombre fini <strong>de</strong> composantes connexes.<br />

On désigne par E l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> paramètres ( Aα) α∈A tels qu’il existe un point<br />

périodique x <strong>de</strong> ∑ (<strong>de</strong> pério<strong>de</strong> n) telle que la matrice An (x) associée soit elliptique.<br />

C’est une partie ouverte <strong>de</strong> l’espace <strong><strong>de</strong>s</strong> paramètres, disjointe <strong>de</strong> H.<br />

Pour un sous-décalage <strong>de</strong> type fini général, Avila a montré que E est <strong>de</strong>nse dans<br />

le complémentaire <strong>de</strong> H. Pour le décalage compl<strong>et</strong> sur <strong>de</strong>ux symboles, on a un<br />

résultat plus précis.


90 JEAN-CHRISTOPHE YOCCOZ<br />

Théorème – On a ∂ E =∂ H= ( H∪E) c .<br />

Indiquons quel est le lemme principal dans la démonstration <strong><strong>de</strong>s</strong> théorèmes<br />

précé<strong>de</strong>nts. On dit qu’une paire (A, B) est tordue si A <strong>et</strong> B ne sont pas elliptiques<br />

<strong>et</strong> (A, B) n’appartient pas à H 0.<br />

Lemme – Si (A, B) est tordue, alors une <strong>et</strong> une seule <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre propriétés suivantes<br />

est satisfaite :<br />

i) AB est elliptique ;<br />

ii) ( AB , ) ∈ Hid ;<br />

iii) (A, AB) est tordue ;<br />

iv) (BA, B) est tordue.<br />

Ceci étant, on veut montrer que (SL(2, R)) 2 est l’union disjointe <strong>de</strong> H0, E <strong>et</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> HF , F ∈M. On prend donc une paire (A, B) qui n’appartient pas à H0 ∪ E<br />

<strong>et</strong> on applique le lemme. Le cas i) est impossible par hypothèse. Si on se trouve<br />

dans les cas iii) ou iv) on applique à nouveau le lemme à la paire obtenue. Il s’agit<br />

<strong>de</strong> voir qu’on ne peut indéfiniment éviter le cas ii), ce qui résulte <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />

dynamique sur les tripl<strong>et</strong>s (tr A, tr B, tr AB) au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> ce processus.<br />

5. On dispose d’une <strong><strong>de</strong>s</strong>cription explicite <strong><strong>de</strong>s</strong> multicônes correspondant aux<br />

composantes non principales <strong>de</strong> H pour le décalage compl<strong>et</strong> sur 2 symboles.<br />

Notons M* le monoï<strong>de</strong> opposé <strong>de</strong> M ; pour F ∈M*, posons jF ( )= pq,<br />

où<br />

q désigne la longueur du mot F(AB) <strong>et</strong> p le nombre d’occurences <strong>de</strong> B dans ce<br />

mot. L’application j est une bijection <strong>de</strong> M* sur Q ∩( 01. ,)<br />

Fixons pq∈Q ∩(,)<br />

01. Posons IA = [0, 1 − p/q), IB = [1 − pq, 1), <strong>et</strong> notons<br />

θ : [ 01 , ] → { A,B } l’application qui vaut A sur IA <strong>et</strong> B sur IB. Notons Rp/q l’application x � x+ p q mod 1. Pour x ∈[01 ,), posons<br />

Θ( x) = ( θ( Ri pqx))<br />

0 ≤< i q.<br />

L’image Θ( [01 , )) = : O( pq ) est un ensemble <strong>de</strong> q mots <strong>de</strong><br />

longueur q qui se déduisent les uns <strong><strong>de</strong>s</strong> autres par permutation cyclique.<br />

Soit [ p0 q0, p1 q1]<br />

l’intervalle <strong>de</strong> Farey dont pq est le centre. On munit<br />

l’union disjointe O: = O(<br />

pq ) ⊔ O( p0 q0<br />

) ⊔ O( p1 q1<br />

) <strong>de</strong> l’ordre cyclique<br />

suivant (où Θ0, Θ1 sont définis à partir <strong>de</strong> p0 q0,<br />

p1 q1<br />

comme l’a été Θ à partir<br />

<strong>de</strong> pq) : on commence par Θ0(0), Θ(0), Θ1(0) puis on rencontre alternativement,<br />

par ordre lexicographique croissant, les mots Θ( i ( 0 )) <strong>et</strong> Θ1 1 1 0 ( i ( )) ,<br />

q 1 0 1<br />

R pq<br />

R p q<br />

1<br />

0 < i < q 1,<br />

puis le mot Θ( R pq(<br />

)) = Θ(<br />

− ) , <strong>et</strong> enfin alternativement, par ordre<br />

q<br />

lexicographique décroissant, les mots Θ0 0 0 0 ( ( )) R − j<br />

− j<br />

p q <strong>et</strong> Θ( R pq(<br />

0 )) , 0 < j < q 0.<br />

Si (A, B) appartient à une composante connexe <strong>de</strong> H associée à p q , les cônes<br />

stable <strong>et</strong> instable ont chacun q composantes connexes, <strong>et</strong> les 2q composantes<br />

connexes du complémentaire <strong>de</strong> S ⊔ U sont naturellement paramétrées par O :<br />

pour C ∈O, il existe une composante <strong>de</strong> (S ⊔ U ) c dont les extrémités sont sC <strong>et</strong> uC.


ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES ET SYSTÈMES DYNAMIQUES 91<br />

6. On suppose dans c<strong>et</strong>te section que ∑ est un décalage compl<strong>et</strong> sur<br />

N ≥ 2symboles. On a remarqué plus haut que le nombre <strong>de</strong> composantes <strong>de</strong> S <strong>et</strong><br />

U , ainsi que la dynamique induite par les A α sur les composantes <strong>de</strong> S <strong>et</strong> U ,<br />

restent invariants par déformation donc constants dans chaque composante<br />

connexe <strong>de</strong> H.<br />

Pour formaliser ceci, on introduit la notion <strong>de</strong> multicône combinatoire : un<br />

ensemble fini M = M u ⊔ M s muni d’un ordre cyclique tel que M u <strong>et</strong> M s soient <strong>de</strong><br />

même cardinal <strong>et</strong> alternés. On appelle rang <strong>de</strong> M le cardinal q = # M s = # M u. Les<br />

éléments <strong>de</strong> M s (reps. M u) correspon<strong>de</strong>nt aux composantes <strong>de</strong> S (resp. U ).<br />

On appelle correspondance monotone une partie C <strong>de</strong> M × M telle que<br />

i) C ⊂ (Ms × Ms) ∪ (Mu × Mu) ;<br />

ii) C ∩ (Ms × Ms) est le graphe {(Cs(xs), xs), xs ∈ Cs} d’une application<br />

Cs : Ms→ Ms;<br />

iii) C ∩ (Mu × Mu) est le graphe {(xu, Cu (xu)), xu ∈ Cu} d’une application<br />

Cu : Mu → Mu<br />

;<br />

iv) C peut être muni d’un ordre cyclique tel que l’élément suivant (x, y) est soit<br />

(x ++ , y), soit (x + , y + ), soit (x, y ++ ) (on note x + l’élément suivant x pour l’ordre<br />

cyclique <strong>de</strong> M).<br />

Les correspondances monotones forment un monoï<strong>de</strong> associatif C (M) pour la<br />

composition.<br />

On dit qu’une correspondance monotone est constante si C s <strong>et</strong> C u le sont.<br />

Notons F N le monoï<strong>de</strong> libre à N générateurs (in<strong>de</strong>xés par l’alphab<strong>et</strong> A. Chaque<br />

A α définit une correspondance monotone C α , donc on a un homomorphisme <strong>de</strong><br />

F N dans C (M).<br />

C<strong>et</strong> homomorphisme possè<strong>de</strong> <strong>de</strong> plus les propriétés suivantes : il est hyperbolique,<br />

c’est-à-dire que l’image <strong>de</strong> tout mot assez long est une correspondance constante ;<br />

<strong>et</strong> il est réduit, c’est-à-dire que les images <strong><strong>de</strong>s</strong> C u α recouvrent Mu <strong>et</strong> les images <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

C s α recouvrent Ms.<br />

En résumé, à chaque composante <strong>de</strong> H est associée un multicône combinatoire<br />

M <strong>et</strong> un morphisme hyperbolique réduit <strong>de</strong> F N dans C (M).<br />

Inversement, lorsque N = 2, tout morphisme hyperbolique réduit est associé à<br />

exactement 4 composantes <strong>de</strong> H (se déduisant les unes <strong><strong>de</strong>s</strong> autres par changements<br />

<strong>de</strong> signes).<br />

Par contre, on peut construire <strong><strong>de</strong>s</strong> exemples <strong>de</strong> morphismes hyperboliques<br />

réduits avec N > 2 qui ne sont associés à aucune composante <strong>de</strong> H.<br />

7. On revient dans c<strong>et</strong>te section au cadre général d’un décalage ∑ <strong>de</strong> type fini.<br />

Soient alors H une composante connexe du lieu d’hyperbolicité H, <strong>et</strong> (A α) α∈A un<br />

paramètre appartenant à ∂H.


92 JEAN-CHRISTOPHE YOCCOZ<br />

Théorème – L’une au moins <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux propriétés suivantes a lieu :<br />

i) il existe un point périodique x <strong>de</strong> ∑, <strong>de</strong> pério<strong>de</strong> k, tel que |trA k (x)| = 2 ;<br />

ii) (connexion hétérocline) il existe <strong><strong>de</strong>s</strong> points périodiques x, y <strong>de</strong> ∑, <strong>de</strong> pério<strong>de</strong> respective<br />

k <strong>et</strong> l, un entier n ≥ 0 <strong>et</strong> un point z ∈W u x nW s<br />

loc( ) ∩σloc(<br />

y)<br />

− tels que Ak (x), Al (y)<br />

soient hyperboliques <strong>et</strong> on ait :<br />

A n (z) · u(A k (x)) = s(A l (y)).<br />

De plus, les entiers k, l, n sont majorés par une constante ne dépendant que <strong>de</strong> H.<br />

Corollaire – Chaque composante connexe <strong>de</strong> H est un ensemble semi-algébrique.<br />

Le bord <strong>de</strong> chaque composante est aussi semi-algébrique.<br />

Par contre, H lui-même n’est pas (en général) semi-algébrique, puisqu’il a une<br />

infinité <strong>de</strong> composantes connexes. Lorsque ∑ est un décalage compl<strong>et</strong>, H n’est pas<br />

une composante principale, <strong>et</strong> (Aα) ∈ ∂H comme ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus, on peut montrer<br />

qu’aucun produit <strong><strong>de</strong>s</strong> Aα ne peut être égal à ± id.<br />

8. On a vu que, pour le décalage compl<strong>et</strong> sur 2 symboles, toute partie compacte<br />

<strong>de</strong> l’espace <strong><strong>de</strong>s</strong> paramètres ne rencontre qu’un nombre fini <strong>de</strong> composantes<br />

connexes <strong>de</strong> H. Ceci n’est plus vrai quand on considère le décalage compl<strong>et</strong> sur<br />

3 symboles, en raison d’un phénomène <strong>de</strong> bifurcation hétérocline.<br />

On a étudié une occurrence <strong>de</strong> ce phénomène : on a un tripl<strong>et</strong> (A0, B0, C0) ∈<br />

(SL(2, R)) 3 avec ( A0, B0) ∈ Hid + Cu 0 B = s 0 A.<br />

Localement dans l’espace <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

0<br />

paramètres, l’hypersurface {CuB = sA} sépare un voisinage V <strong>de</strong> (A0, B0, C0) en <strong>de</strong>ux<br />

composantes ; l’une est contenue dans H tandis que l’autre rencontre H suivant<br />

une suite <strong>de</strong> composantes connexes dont les combinatoires associées sont <strong>de</strong> plus<br />

en plus compliquées.<br />

9. De nombreuses questions concernant H <strong>et</strong> ses composantes connexes restent<br />

ouvertes, même pour les décalages compl<strong>et</strong>s sur N ≥ 3 symboles.<br />

Mentionnons ici simplement l’une d’entre elles : existe-t-il <strong><strong>de</strong>s</strong> composantes<br />

connexes H <strong>de</strong> H qui soient bornées modulo conjugaison, c’est-à-dire telles qu’il<br />

existe une partie compacte K <strong>de</strong> (SL(2, R)) N vérifiant H ⊂ �<br />

g gKg −1 ?<br />

On dispose d’un critère intéressant pour tester c<strong>et</strong>te propriété : une partie Z <strong>de</strong><br />

(SL(2,R)) N est bornée modulo conjugaison si <strong>et</strong> seulement si chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions<br />

trAα, trAαAβ est bornée sur Z.<br />

On aimerait aussi savoir si on a toujours ∂H = ∂E = (H ⊔ E ) c , comme c’est le<br />

cas pour le décalage compl<strong>et</strong> sur 2 symboles.


ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES ET SYSTÈMES DYNAMIQUES 93<br />

Conférences, Missions<br />

11 octobre 2007 : Colloquium à l’Université <strong>de</strong> Provence.<br />

26 novembre-7 décembre 2007 : Mission à l’Instituto <strong>de</strong> Matematica Pura e Aplicada à<br />

Rio <strong>de</strong> Janeiro, Brésil.<br />

17 décembre-21 décembre 2007 : Mission à la Scuola Normale Superiore <strong>de</strong> Pise,<br />

Italie.<br />

4-8 février 2008 : Mini-<strong>cours</strong> <strong>de</strong> 4 conférences dans le cadre d’une École d’hiver à Séville,<br />

Espagne.<br />

5 mars 2008 : Conférence lors <strong>de</strong> la journée <strong>de</strong> Rham à l’École Polytechnique <strong>de</strong><br />

Lausanne, Suisse.<br />

16 avril 2008 : Colloquium à l’Université Paris-Nord.<br />

5-16 mai 2008 : Mission à l’Université <strong>de</strong> Montréal, Canada. Titulaire <strong>de</strong> la chaire<br />

Aisenstadt, j’ai donné 4 conférences dans ce cadre, <strong>et</strong> une cinquième lors d’un workshop la<br />

semaine suivante.<br />

26-30 mai 2008 : Coorganisateur d’un colloque à la mémoire d’Adrien Douady à l’IHP,<br />

Paris.<br />

2-6 juin 2008 : Une conférence lors d’un workshop “Dynamique dans l’espace <strong>de</strong><br />

Teichmüller” à Roscoff.<br />

14 juin 2008 : Conférence au Séminaire Bourbaki, IHP, Paris.<br />

7-18 juill<strong>et</strong> 2008 : Co-directeur d’une école d’été en Systèmes dynamiques à l’ICTP,<br />

Trieste, Italie.<br />

Publications<br />

– Ensembles <strong>de</strong> Julia <strong>de</strong> mesure positive <strong>et</strong> disques <strong>de</strong> Siegel <strong><strong>de</strong>s</strong> polynômes quadratiques<br />

[d’après X. Buff <strong>et</strong> A. Chéritat], Séminaire Bourbaki, Volume 2005/2006, exposé n° 966,<br />

Astérisque (311), 2007, 385-401.<br />

– Exponential mixing for the Teichmüller flow, Publ. Math. IHES (104), 143-211 (avec<br />

A. Avila <strong>et</strong> S. Gouezel).


Équations aux dérivées partielles <strong>et</strong> applications<br />

M. Pierre-Louis Lions, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), Professeur<br />

Cours : Jeux à champ moyen (suite)<br />

1. Introduction<br />

Le <strong>cours</strong>, suite <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> l’an <strong>de</strong>rnier, a porté sur une théorie nouvelle élaborée<br />

en collaboration avec M. Jean-Michel Lasry, appelée théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> « jeux à champ<br />

moyen ». L’objectif <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te théorie est d’introduire rigoureusement, d’analyser <strong>et</strong><br />

d’appliquer dans différents contextes une nouvelle classe <strong>de</strong> modèles mathématiques<br />

perm<strong>et</strong>tant d’étudier <strong><strong>de</strong>s</strong> situations faisant intervenir un très grand nombre <strong>de</strong><br />

joueurs rationnels (au sens <strong>de</strong> l’Économie, c’est-à-dire optimisant leur<br />

comportement), chaque joueur interagissant avec les autres en « moyenne ». Ce<br />

type <strong>de</strong> situations est fréquent en Économie <strong>et</strong> en Finance où chaque agent (joueur)<br />

optimise ses actions en tenant compte d’informations globales c’est-à-dire<br />

moyennées sur l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> joueurs. D’autres domaines d’applications concernent<br />

les transports <strong>et</strong> l’étu<strong>de</strong> du trafic ou la Biologie <strong>et</strong> l’Écologie.<br />

Plus précisément, nous considérons <strong><strong>de</strong>s</strong> équilibres <strong>de</strong> Nash à N joueurs, faisons<br />

tendre N vers l’infini, obtenons ainsi <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes d’un type nouveau d’Équations<br />

aux Dérivées Partielles (EDP en abrégé) non linéaires modélisant <strong><strong>de</strong>s</strong> équilibres (ou<br />

points <strong>de</strong> Nash) pour <strong><strong>de</strong>s</strong> continua <strong>de</strong> joueurs, <strong>et</strong> analysons mathématiquement<br />

ces systèmes. Les équations que nous introduisons <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te manière sont très<br />

générales <strong>et</strong> contiennent comme cas particuliers <strong>de</strong> nombreux systèmes <strong>et</strong> équations<br />

classiques : les équations elliptiques semilinéaires, les équations <strong>de</strong> type Hartree <strong>de</strong><br />

la Mécanique Quantique, les équations d’Euler compressibles <strong>de</strong> la Mécanique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Flui<strong><strong>de</strong>s</strong>, les modèles cinétiques (équations <strong>de</strong> Vlasov, Fokker-Planck, Boltzmann…),<br />

les équations <strong><strong>de</strong>s</strong> milieux poreux, les équations du transport optimal <strong>de</strong> masse<br />

(problème <strong>de</strong> Monge-Kantorovich) ou les équations d’Euler-Lagrange associées à<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes <strong>de</strong> contrôle optimal d’EDP…


96 PIERRE-LOUIS LIONS<br />

La terminologie « champ moyen » provient <strong>de</strong> la Physique <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Mécanique<br />

<strong>et</strong> est naturelle puisque notre approche contient effectivement les théories classiques<br />

<strong>de</strong> champ moyen en Physique <strong>et</strong> en Mécanique (voir d’ailleurs les exemples<br />

mentionnés plus haut). Indiquons simplement qu’un cas particulier <strong>de</strong> notre<br />

théorie est celui où les joueurs n’ont plus <strong>de</strong> possibilité d’influer sur (en optimisant)<br />

leur comportement <strong>et</strong> sont alors soumis passivement aux interactions avec le reste<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> joueurs ce qui est bien sûr le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> « particules » en Physique ou <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments<br />

<strong>de</strong> matière en Mécanique <strong><strong>de</strong>s</strong> milieux continus.<br />

Il est donc clair que la classe <strong>de</strong> systèmes que nous obtenons par c<strong>et</strong>te approche<br />

<strong>de</strong> modélisation est extrêmement vaste <strong>et</strong> que <strong>de</strong> très nombreuses questions<br />

d’Analyse Mathématique se posent, dont beaucoup restent à résoudre. Signalons<br />

en outre une direction importante <strong>de</strong> notre théorie : dans tout ce qui précè<strong>de</strong>, nous<br />

avons implicitement considéré un ensemble homogène <strong>de</strong> joueurs « i<strong>de</strong>ntiques »<br />

(en fait, ayant les mêmes caractéristiques). Il est en fait utile <strong>et</strong> souvent réaliste<br />

d’introduire plusieurs catégories <strong>de</strong> joueurs (ou agents, ou organismes vivants…),<br />

chaque catégorie étant composée d’un très grand nombre <strong>de</strong> « joueurs i<strong>de</strong>ntiques ».<br />

De plus, le nombre total <strong>de</strong> joueurs n’est pas nécessairement constant dans le<br />

temps (naissance <strong>et</strong> mort, échanges d’attributs…). Les systèmes que nous<br />

introduisons dans ces cas contiennent alors comme cas particuliers <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles <strong>de</strong><br />

dynamique <strong><strong>de</strong>s</strong> populations ou <strong>de</strong> réactions chimiques…<br />

C<strong>et</strong>te année, le <strong>cours</strong> a porté sur le cadre théorique mathématique nécessaire à<br />

la justification (rigoureuse) <strong>de</strong> la limite quand le nombre <strong>de</strong> joueurs N tend vers<br />

l’infini. Ce cadre mathématique perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> comprendre le comportement<br />

asymptotique <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions symétriques d’un grand nombre <strong>de</strong> variables <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur<br />

calcul différentiel, ainsi que <strong><strong>de</strong>s</strong> solutions symétriques d’EDP en très gran<strong>de</strong><br />

dimension. Signalons le travail antérieur d’A. Grunbaum 1 qui contient une<br />

esquisse du cadre général abstrait que nous introduisons, <strong>et</strong> les considérations<br />

heuristiques d’A. Matytsin 2 . Enfin, indiquons que les résultats que nous présentons<br />

s’appliquent à <strong>de</strong> nombreux autres suj<strong>et</strong>s que la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> jeux à champ moyen :<br />

EDP à N variables quand N tend vers l’infini, gran<strong><strong>de</strong>s</strong> déviations pour <strong><strong>de</strong>s</strong> EDP<br />

stochastiques, théorie du transport <strong>et</strong> systèmes <strong>de</strong> particules (éventuellement<br />

stochastiques) en interaction.<br />

2. Fonctions symétriques d’un grand nombre <strong>de</strong> variables<br />

Afin <strong>de</strong> simplifier la présentation <strong>et</strong> les notations, nous ne considérons ici que<br />

le cas <strong>de</strong> variables décrivant un ensemble Q = O où O est un ouvert borné régulier<br />

<strong>de</strong> � d ( d ≥1 ) muni <strong>de</strong> la métrique euclidienne usuelle (|x – y|) — nous pourrions<br />

aussi bien considérer le tore ou [0, 1] d avec périodicité, ou aussi simplement le cas<br />

1. Propagation of chaos for the Boltzmann Equation, Arch. Rat. Mech. Anal., 42 (1971),<br />

p. 323-345.<br />

2. On the large N limit of the Itzykson-Zuber integral, preprint.


ÉQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET APPLICATIONS 97<br />

d’un espace métrique Q compact quelconque. L’objectif étant <strong>de</strong> comprendre le<br />

comportement quand N tend vers l’infini <strong>de</strong> suites <strong>de</strong> fonctions « continues »<br />

u N(x 1, …, x N) symétriques par rapport à (x 1, …, x d) ∈ Q N (i.e. u N (X ) = u N (X σ),<br />

∀ X ∈ Q N , ∀ σ ∈ S N , où X = (x 1, …, x N), X σ = (x σ(1), …, x σ(N ))) <strong>et</strong> S N désigne le<br />

groupe <strong><strong>de</strong>s</strong> permutations <strong>de</strong> l’ensemble {1, …, N }), il nous faut introduire diverses<br />

métriques sur QN (<strong>et</strong> sur l’espace quotient QN /SN ) : d� ( X, Y) = ( 1 x − y ) 1/<br />

p N i<br />

� LP ( , ) = inf { ε> / (#{ / N i<br />

i=<br />

1<br />

i > ε})< ε}<br />

LP ( , ) = inf<br />

σ∈S<br />

N<br />

�<br />

LP ( , σ ) .<br />

N<br />

∑<br />

i p p<br />

(pour 1 � p � ∞), d X Y 0 1 i x − y , dp (X, Y ) =<br />

inf d� ( X, Y ) , d X Y d X Y<br />

σ<br />

∈S N<br />

p<br />

σ<br />

L’idée essentielle sera <strong>de</strong> considérer un point X = (x1, …, xN) ∈ QN (i<strong>de</strong>ntifié à ses<br />

permutations…) comme soit une mesure <strong>de</strong> probabilité « empirique »<br />

m X N<br />

=<br />

N<br />

1<br />

N ∑<br />

i=<br />

1<br />

δ , soit une variable aléatoire dans un espace <strong>de</strong> probabilité (Ω, F, P)<br />

x<br />

i<br />

nontrivial (fixé dans tout ce qui suit) prenant les valeurs x1, …, xN avec probabilité<br />

1 . On note enfin P = P (Q) l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures <strong>de</strong> probabilité sur Q, espace<br />

N<br />

métrique compact pour les distances dites <strong>de</strong> Wasserstein dp (m1, m2) =<br />

inf {E [|X – Y| p ] 1/p / X ∈ L p (Ω ; �d ), X a pour loi m1, Y a pour loi m2} (en tout cas<br />

pour p < ∞) ou <strong>de</strong> Lévy-Prohorov dLP (m1, m2) = inf {ε > 0, P (|X – Y | > ε) < ε}.<br />

Malheureusement, la terminologie consacrée oublie que les distances dp ont été<br />

introduites (<strong>et</strong> i<strong>de</strong>ntifiées dans le cas p = 1) par Monge <strong>et</strong> Kantorovich. Toutes ces<br />

distances (à nouveau si p < ∞) induisent sur P la convergence faible <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures <strong>et</strong><br />

on a bien dpmXm N<br />

Y N ( , ) = dp (X, Y), dLP mXm N<br />

Y N ( , ) = dLP (X, Y ). Enfin, on notera<br />

Pp l’espace P muni <strong>de</strong> la distance dp <strong>et</strong> P = P2. En observant que les mesures m X N sont <strong>de</strong>nses dans P, on obtient facilement le<br />

Théorème 1 : Soit u N ∈ C (Q N ) symétrique. On suppose que<br />

⎧⎪<br />

sup sup | uN( X) | < ∞,<br />

lim sup sup { | uN( X)<br />

⎪<br />

(1)<br />

N X∈Q d<br />

ε→0 N<br />

⎨<br />

⎪<br />

⎪<br />

⎪−<br />

uN( Y) | X, Y ∈Q<br />

N / , d�<br />

⎩⎪<br />

LP ( XY , )< ε} = 0<br />

Alors, on peut extraire une sous-suite (encore notée uN pour simplifier) telle qu’il<br />

existe U ∈ C (P ) vérifiant<br />

(2) lim sup | uN( X) −U( m ) | = 0<br />

N →∞ X∈Q N<br />

Remarques : i) De multiples variantes <strong>et</strong> extensions <strong>de</strong> ce résultat sont possibles<br />

(plusieurs groupes <strong>de</strong> variables symétriques, réitération, modules <strong>de</strong> continuité<br />

en d � ∞, <strong>de</strong>mi-limites au sens <strong><strong>de</strong>s</strong> solutions <strong>de</strong> viscosité…),<br />

X N


98 PIERRE-LOUIS LIONS<br />

ii) Un exemple important <strong>de</strong> fonctions U dans C (P ) est fourni par les polynômes<br />

i.e. les combinaisons linéaires finies <strong>de</strong> monômes définis par, étant donnés k � 1<br />

(ordre) <strong>et</strong> ϕ ∈ C (Qk ) ou pour simplifier C ∞ (Qk ) symétrique (coefficient),<br />

� �k<br />

(3) Mk( m) = ϕ dm( xi)<br />

.<br />

Q K<br />

i=<br />

1<br />

Et l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> polynômes est <strong>de</strong>nse dans C (application du théorème <strong>de</strong><br />

Stone-Weierstrass ou démonstration constructive directe…),<br />

iii) Il sera utile dans la suite d’observer qu’une fonction U dans C (P p) peut être<br />

i<strong>de</strong>ntifiée à une fonction dans C (L p ) (où L p = L p (Ω ; � d )) possédant la propriété<br />

d’invariance ou <strong>de</strong> symétrie suivante : U (X ) = U (Y ) si X <strong>et</strong> Y ont la même loi.<br />

On note C L le sous-espace vectoriel formé composé <strong>de</strong> telles fonctions.<br />

Le résultat ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous est en quelque sorte dual d’un résultat classique à savoir le<br />

théorème d’Hewitt <strong>et</strong> Savage (que l’on peut en fait redémontrer très simplement<br />

grâce à notre point <strong>de</strong> vue…). Rappelons que, si ( f N) N � 1 est une suite <strong>de</strong> mesures<br />

<strong>de</strong> probabilité sur Q N symétriques, après extraction éventuelle d’une sous-suite, on<br />

peut supposer que les marginales fNf X dx dx<br />

k = ∫ N( ) k+ 1… N convergent<br />

faiblement, pour tout k � 1, vers f k ∈ P (Q k ) symétrique. Bien sûr, f k = ∫ f k + 1<br />

dx k + 1 (∀k � 1). Et la donnée d’une telle suite consistante ( f k ) k � 1 est équivalente<br />

(Hewitt-Savage) à la donnée d’une mesure <strong>de</strong> probabilité π sur P telle que<br />

�k<br />

f k = ∫ m( x d m<br />

P i ) π ( ) . On dit alors que fN converge vers π (<strong>et</strong> on dira que uN i=<br />

1<br />

converge vers U si (2) a lieu).<br />

Théorème 2 : Soient U ∈ C (P), π ∈ P (P), uN ∈ C (QN ) symétrique <strong>et</strong> fN ∈ P (QN )<br />

symétrique. On suppose que uN converge vers U <strong>et</strong> que fN converge vers π. Alors, on a<br />

� �<br />

(4)<br />

u d f → U( m) dπ( m) si N →∞<br />

Q N<br />

N N<br />

P<br />

Remarque : Si π = δf (« chaos moléculaire »…) alors on déduit <strong>de</strong> (4) le fait<br />

suivant<br />

(5)<br />

� �<br />

| u − u df | 2 df →0siN →∞<br />

Q<br />

3. Calcul différentiel<br />

N<br />

Q<br />

N N<br />

N N N<br />

Le but est <strong>de</strong> définir sur P un calcul différentiel compatible avec la limite<br />

considérée au paragraphe précé<strong>de</strong>nt, ce qui n’est pas le cas du calcul différentiel<br />

élaboré (ou esquissé) dans l’espace (dit) <strong>de</strong> Wasserstein par <strong>de</strong> nombreux auteurs.<br />

La présentation la plus simple <strong>de</strong> notre calcul différentiel consiste en se servir d’une<br />

part <strong>de</strong> la structure Hilbertienne <strong>de</strong> L 2 (Ω) <strong>et</strong> du calcul différentiel induit <strong>et</strong> d’autre<br />

part <strong>de</strong> la troisième remarque faite après le théorème 1.


ÉQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET APPLICATIONS 99<br />

L Plus précisément, on note l’application qui à X ∈ L2 (Ω) associe sa loi. Si U<br />

est une fonction définie sur P (ou sur un voisinage <strong>de</strong> m0 ∈ P ) alors U �L est<br />

définie sur L2 L L<br />

<strong>et</strong> U � ( X) = U � ( Y)<br />

si X <strong>et</strong> Y ont même loi. Bien sûr,<br />

U ∈ C 0, α L<br />

(P ) (0 � α � 1) si <strong>et</strong> seulement si U �L ∈C L<br />

0 L<br />

L<br />

, α<br />

( 2 ) . On dit alors que<br />

U est différentiable en m0 ∈ P s’il existe X0 tel que ( X0) = m0<br />

<strong>et</strong> U �L est<br />

différentiable en X0 (on peut vérifier que c<strong>et</strong>te propriété est équivalente à la<br />

différentiabilité <strong>de</strong> U �L en tout point <strong>de</strong> −1(<br />

m 0)<br />

). En i<strong>de</strong>ntifiant différentielle<br />

<strong>et</strong> gradient grâce à la structure Hilbertienne <strong>de</strong> L2 (Ω), on peut démontrer que si<br />

�U est différentiable en X0 ∈ L2 L <strong>et</strong> U�∈C ( L2<br />

) (par exemple), alors U définie par<br />

Um ( ) = UX ( ) � L L si ( X) = m est différentiable en m0 = ( X0)<br />

<strong>et</strong> � U′ ( X )( ∈L2 0 ( Ω))<br />

est mesurable par rapport à la tribu engendrée par X0. Ensuite, il est naturel <strong>de</strong> définir les fonctions C k , C k, a (0 < α � 1) sur P par ce<br />

biais : par exemple, U ∈ C 1 (P) si U �L ∈C1( L2)…<br />

Se posent alors les questions <strong>de</strong> savoir si le calcul différentiel que nous venons<br />

<strong>de</strong> définir est i) d’une part intrinsèque, ii) d’autre part cohérent avec la limite<br />

« N → ∞ ». Tel est bien le cas <strong>et</strong> nous nous contenterons d’illustrer ces <strong>de</strong>ux faits<br />

par quelques exemples. Tout d’abord, la notion naturelle <strong>de</strong> variations dans P<br />

correspond au transport <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures par <strong><strong>de</strong>s</strong> champs <strong>de</strong> vecteur B sur � d (ou sur<br />

Q…) supposés, pour simplifier, réguliers. En notant par (m t ) t ∈ � le groupe induit,<br />

on montre que si U est différentiable en m 0 alors U (m t ) est dérivable en t = 0 <strong>et</strong><br />

L<br />

L (6)<br />

d<br />

Um ( t) | t=<br />

0= E[ ∇(<br />

U� dt<br />

)( X0) BX ( 0)]<br />

où ( X0) = m0<br />

De plus, on démontre que U ∈ C1 (P ) si <strong>et</strong> seulement si il existe un module <strong>de</strong><br />

continuité uniforme ω tel que, pour toute mesure M (x, y) ∈ P (Q 2 ), d<br />

( )| = 0+<br />

dt Umt t<br />

existe <strong>et</strong><br />

d<br />

(7) | Um Um U m | m m m m<br />

dt d<br />

( ) ( ) ( ) ( , ) ( , ))<br />

(<br />

1 − 0 − 1 � d 2 0 1 ω 2 0 1 ,<br />

où mt est défini par ∫Q ϕ dmt = ∫Q2 ϕ ((1 – t) x + ty) dM (x, y), ∀ϕ C (Q).<br />

Enfin, U est différentiable en m0 si <strong>et</strong> seulement si on peut trouver U, U ∈C ( P)<br />

1<br />

telles que : U �U � U sur P <strong>et</strong> U( m0) = Um ( 0)<br />

.<br />

Le <strong>de</strong>uxième point, à savoir la cohérence avec la limite étudiée précé<strong>de</strong>mment,<br />

peut s’illustrer par l’exemple suivant <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats que nous avons obtenus. En<br />

notant πN U la fonction symétrique définie sur QN par π NU( X) = U( mN<br />

X ) , on<br />

démontre que U ∈ C1 (P) si <strong>et</strong> seulement si πN U ∈ C 1 (QN ) <strong>et</strong> il existe un module<br />

<strong>de</strong> continuité uniforme ω indépendant <strong>de</strong> N tel que, pour tous X, Y ∈ QN ,<br />

(8) |(π N U ) (Y ) – (π N U ) (X ) – (∇(π N U ) (X ), Y – X )| � d 2 (X, Y ) ω (d 2 (X, Y )).<br />

Remarque : Bien sûr, les résultats mentionnés ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus ne sont que <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

échantillons (à peine) représentatifs du calcul différentiel mis en place <strong>et</strong> présenté<br />

dans le <strong>cours</strong>. Signalons qu’il est possible d’obtenir <strong>de</strong> nombreuses autres


100 PIERRE-LOUIS LIONS<br />

caractérisations, d’introduire <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> régularisation <strong>et</strong> d’étudier<br />

l’approximation (par exemple par <strong><strong>de</strong>s</strong> polynômes)… Enfin, nous pouvons ainsi<br />

introduire une notion <strong>de</strong> fonction convexe sur P (U est convexe si U �L est<br />

convexe sur L 2 ) qui a <strong>de</strong> nombreuses applications…<br />

4. Équations aux dérivées partielles<br />

Là encore, nous nous contenterons <strong>de</strong> quelques exemples.<br />

Exemple 1 : Équation eikonale<br />

On considère la solution uN (solution <strong>de</strong> viscosité) <strong>de</strong><br />

∂u<br />

(9)<br />

N<br />

+ N = × +<br />

∂ ∑| ∇x uN<br />

| d N ∞<br />

i<br />

t<br />

i<br />

2 0dans ( � ) ] 0,<br />

[<br />

avec la condition initiale<br />

(10) u | = = u<br />

0<br />

N t 0 N<br />

où u 0<br />

N est symétrique <strong>et</strong> u U C P<br />

N N<br />

0 → 0 ∈ ( ). La solution (<strong>de</strong> viscosité) <strong>de</strong> (9) est<br />

donnée par la formule <strong>de</strong> Lax-Oleinik<br />

� 1<br />

(11) uN( X, t) = inf uN( Y ) + d� �<br />

( X, Y)<br />

2<br />

2 ;<br />

2t<br />

Bien sûr, uN est symétrique <strong>et</strong> u U C P<br />

NN ��� ∈ ( × [ 0 , +∞[<br />

) donnée par<br />

� 1 �<br />

(12) Umt ( , ) = inf U ( m′<br />

) + d ( m, m′<br />

) 2<br />

0 2 .<br />

m′∈P 2t<br />

Grâce au calcul différentiel introduit ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus, on peut alors écrire une équation<br />

« Eikonale » dans P <strong>et</strong> démontrer que la formule (12) est bien l’unique solution<br />

(<strong>de</strong> viscosité) <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te équation.<br />

Exemple 2 : Équation <strong>de</strong> diffusion à coefficients constants<br />

On considère la solution uN <strong>de</strong><br />

(13) ∂<br />

N<br />

N<br />

uN<br />

α2β2 − ∑Δxu − N − ∑ ∇x∇x UN<br />

= 0dans ( � d) N×<br />

] 0,<br />

+ ∞[<br />

i i j<br />

∂t<br />

2 2<br />

i=<br />

1<br />

ij , = 1<br />

avec la condition initiale (10). Là encore, on démontre que u U C P<br />

NN ��� ∈ ( × [ 0 , ∞[<br />

)<br />

où U est l’unique solution (<strong>de</strong> viscosité par exemple) d’une équation <strong>de</strong> diffusion<br />

sur P que l’on peut écrire formellement comme<br />

∂U<br />

∂ ∂<br />

(14) +∇U<br />

Δm<br />

∑D<br />

U = = =<br />

∂t<br />

∂ ∂<br />

=<br />

m<br />

d<br />

α2 β2<br />

m<br />

( , ) − 2 ( , ) 0 <strong>et</strong> U | t U 0<br />

0<br />

2 2<br />

xi<br />

x<br />

i 1<br />

i<br />

Il est bien sûr possible <strong>et</strong> utile d’aller au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux exemples, ce que nous<br />

ferons dans le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année 2008-2009.


ÉQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET APPLICATIONS 101<br />

Cours <strong>et</strong> Séminaire<br />

Cours : Le <strong>cours</strong> a eu lieu du 12 octobre 2007 au 11 janvier 2008.<br />

Séminaire <strong>de</strong> Mathématiques Appliquées<br />

— 12 octobre 2007 : Olivier Pironneau (Laboratoire J.-L. Lions, Université Paris 6).<br />

Zooms numériques <strong>et</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> sous-domaines.<br />

— 19 octobre 2007 : Bruno Bouchard (Cerema<strong>de</strong>, Université Paris-Dauphine). Régularité<br />

d’EDS rétrogra<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> approches probabilistes pour la résolution d’équations semilinéaires<br />

paraboliques.<br />

— 9 novembre 2007 : Christian Klingenberg (Université <strong>de</strong> Wuerzburg, Allemagne). New<br />

numerical solvers for Hydro- and Magn<strong>et</strong>ohydrodynamics.<br />

— 16 novembre 2007 : Xavier Blanc (Laboratoire J.-L. Lions, Université Paris 6). Vortex<br />

dans <strong><strong>de</strong>s</strong> con<strong>de</strong>nsats <strong>de</strong> Bose-Einstein en rotation rapi<strong>de</strong>.<br />

— 23 novembre 2007 : Nizar Touzi (CMAP, École Polytechnique). Métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> Monte<br />

Carlo pour les EDP non linéaires.<br />

— 30 novembre 2007 : Albert Cohen (Laboratoire J.-L. Lions, Université Paris 6).<br />

Triangulations adaptatives <strong>et</strong> algorithmes greedy pour l’approximation <strong>et</strong><br />

l’apprentissage.<br />

— 7 décembre 2007 : Stefano Olla (Cerema<strong>de</strong>, Université Paris-Dauphine). Modèles<br />

microscopiques pour la conductivité thermique.<br />

— 14 décembre 2007 : Clément Mouhot (Cerema<strong>de</strong>, Université Paris-Dauphine). Quelques<br />

résultats d’hypocoercivité en théorie cinétique collisionnelle.<br />

— 11 janvier 2008 : Jean-Michel Morel (CMLA-ENS Cachan). Encore <strong>et</strong> toujours<br />

l’équation <strong>de</strong> la chaleur.<br />

— 18 janvier 2008 : Pierre Cardaliagu<strong>et</strong> (Université <strong>de</strong> Brest). Propagation d’interfaces avec<br />

termes non locaux.<br />

— 25 janvier 2008 : Stéphane Gaubert (INRIA-Rocquencourt). De la théorie <strong>de</strong> Perron-<br />

Frobenius à la programmation dynamique <strong>et</strong> vice versa.<br />

— 1 er février 2008 : Sylvia Serfaty (Université <strong>de</strong> Paris 6 & Courant Institute, New York).<br />

Configurations <strong>de</strong> vortex dans le modèle <strong>de</strong> Ginzburg-Landau <strong>de</strong> la supraconductivité.<br />

— 8 février 2008 : Sergio Guerrero Rodriguez (Université <strong>de</strong> Paris 6). Contrôle optimal<br />

singulier pour quelques équations aux dérivées partielles.<br />

— 15 février 2008 : Jean-François Le Gall (Université <strong>de</strong> Paris-Sud 11). Autour <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

cartes planaires aléatoires.<br />

— 14 mars 2008 : Radu Ignat (Université <strong>de</strong> Paris-Sud 11). Un résultat <strong>de</strong> compacité pour<br />

l’état <strong>de</strong> Landau en micromagnétisme.<br />

— 21 mars 2008 : P<strong>et</strong>er Constantin (Université <strong>de</strong> Chicago). Particles and Fluids.<br />

— 28 mars 2008 : Herbert Koch (Université <strong>de</strong> Bonn). Strong uniqueness for elliptic and<br />

parabolic equations.<br />

— 4 avril 2008 : Tony Lelièvre (CERMICS, ENPC). Métho<strong><strong>de</strong>s</strong> adaptatives en dynamique<br />

moléculaire.<br />

— 11 avril 2008 : Clau<strong>de</strong> Viterbo (École Polytechnique). Homogénéisation symplectique.<br />

— 16 mai 2008 : Antonin Chambolle (École Polytechnique). « Rigidité » dans les matériaux<br />

fracturés.<br />

— 23 mai 2008 : Na<strong>de</strong>r Masmoudi (Courant Institute of Mathematical Science). Passage<br />

à la limite <strong>de</strong> Klein-Gordon-Zakharov vers Schrödinger non linéaire.


102 PIERRE-LOUIS LIONS<br />

— 30 mai 2008 : François Golse (École Polytechnique). Le gaz <strong>de</strong> Lorentz périodique dans<br />

la limite <strong>de</strong> Boltzmann-Grad.<br />

— 6 juin 2008 : Massimiliano Gubinelli (Université <strong>de</strong> Paris-Sud). Sur l’équation du<br />

transport stochastique <strong>et</strong> les EDS avec dérive irrégulière.<br />

— 13 juin 2008 : Ivan Gentil (Cerema<strong>de</strong>, Université Paris-Dauphine). Convergence<br />

entropique <strong>et</strong> inégalités fonctionnelles.<br />

— 20 juin 2008 : Graeme Milton (University of Utah). Variational principles for<br />

elastodynamics and Maxwell’s equations in inhomogeneous bodies.<br />

Publications<br />

— Towards a self-consistent theory of volatility. En collaboration avec J.-M. Lasry. A paraître<br />

dans J. Maths. Pures Appl.<br />

— On the energy of some microscopic stochastic lattices. En collaboration avec X. Blanc <strong>et</strong><br />

C. Le Bris. Arch. Rat. Mech. Anal., 184 (2007), p. 303-340.<br />

— Correlations and bounds for stochastic volatility mo<strong>de</strong>ls. En collaboration avec M. Musiela.<br />

Annales <strong>de</strong> l’I.H.P. Non Linear Analysis, 24 (2007), p. 1-16.<br />

— Large investor trading impacts on volatility. En collaboration avec J.-M. Lasry. Annales <strong>de</strong><br />

l’I.H.P. Non Linear Analysis, 24 (2007), p. 311-323.<br />

— Instantaneous self-fulfilling of long-term prophecies on the probabilistic distribution of<br />

financial ass<strong>et</strong> values. En collaboration avec J.-M. Lasry. Annales <strong>de</strong> l’I.H.P. Non Linear<br />

Analysis, 24 (2007), p. 361-368.<br />

— Mean Field Games. En collaboration avec J.-M. Lasry. Japanese Journal of Mathematics,<br />

2 (2007), p. 229-260.<br />

— Deux remarques sur les flots généralisés d’équations différentielles ordinaires. En collaboration<br />

avec M. Hauray <strong>et</strong> C. Le Bris. C.R. Acad. Sci. Paris. 344 (2007), p. 759-764.<br />

— Global existence of weak solutions to some micro-macro mo<strong>de</strong>ls. En collaboration avec<br />

N. Masmoudi. C.R. Acad. Sci. Paris, 345 (2007), p. 15-20.<br />

— A discussion about the homogenization of moving interfaces. En collaboration avec<br />

P. Cardialagu<strong>et</strong> <strong>et</strong> P.E. Souganidis.<br />

— Préface du numéro spécial <strong>de</strong> ESAIM M 2 AN sur la Modélisation Moléculaire, 41 (2007).<br />

— Atomistic to continuum limits for computational materials science. En collaboration avec<br />

X. Blanc <strong>et</strong> C. Le Bris. ESAIM M 2 AN, 41 (2007), p. 391-426.<br />

— Stochastic homogenization and random lattices. En collaboration avec X. Blanc <strong>et</strong><br />

C. Le Bris.<br />

— Convexity and non-convexity of option prices for SABR mo<strong>de</strong>ls. En collaboration avec<br />

M. Musiela.<br />

— Trois chapitres du Lecture Notes in Maths. # 1919, Paris-Princ<strong>et</strong>on Lectures In Mathematical<br />

Finance 2004, En collaboration avec J.-M. Lasry. Springer, Berlin, (2007), p. 103-172.<br />

— Résumé du Cours au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (2006-2007) : Jeux à champ moyen.<br />

— Existence and uniqueness of solutions to Fokker-Planck type equations with irregular<br />

coefficients. En collaboration avec C. Le Bris. Comm. P.D.E., 33 (2008),<br />

p. 1272-1317.<br />

— Molecular simulation and related topics : some open mathematical problems. Non-linearity,<br />

21 (2008).<br />

— Préface <strong>de</strong> Finance and Sustainable Developement, Economica, Paris, 2008. En<br />

collaboration avec P.-A. Chiappori <strong>et</strong> J.-M. Lasry.


ÉQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET APPLICATIONS 103<br />

Missions, Invitations, Conférences<br />

— Conférence au Colloque « Geom<strong>et</strong>ric Function Theory and Nonlinear Analysis », on<br />

the occasion of the 60 th birthday of Ta<strong>de</strong>usz Iwaniec, Ischia, Naples (11-14 octobre<br />

2007).<br />

— Conférence à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences d’Autriche : Johann Radon Lectures, Vienne<br />

(17 octobre 2007).<br />

— Conférence dans un lycée dans le cadre <strong>de</strong> la « Junior Aca<strong>de</strong>my », Vienne, (18 octobre<br />

2007).<br />

— Conférence pour l’élection à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences d’Argentine, « Analyses, modèles<br />

<strong>et</strong> simulations », Rosario (26 octobre 2007).<br />

— Cours (8 h) à l’Université du Texas à Austin (13-26 janvier 2008).<br />

— Conférences du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> à Tunis « L’homme artificiel », Bibliothèque Nationale<br />

(4 février 2008).<br />

— Conférence publique à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences, Tunis (5 février 2008).<br />

— Cours (8 h) à l’Université du Texas à Austin (10-21 février 2008).<br />

— Cours (2 h) à l’Université <strong>de</strong> La Havane (28 février 2008).<br />

— Conférence au Congrès « 8 th International Conference on Operations Research »,<br />

La Havane, Cuba (28 février 2008).<br />

— Cours (6 h) dans le cadre du « <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> à Bruxelles », Bruxelles (15-16 avril<br />

2008, 21-22 avril 2008).<br />

— Cours (4 h) à l’École d’Été, « Topics in PDE and applications 2008 », Grena<strong>de</strong> (7-9 avril<br />

2008).<br />

— Conférence « Magna », Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences du Brésil, Rio <strong>de</strong> Janeiro (6 mai 2008).<br />

— Conférence COPEA, UFRJ, Rio <strong>de</strong> Janeiro (8 mai 2008).<br />

— Conférence au Colloque « Chicago-Paris Workshop in Financial Mathematics », Château<br />

<strong>de</strong> la Princesse, Mello (27 juin 2008).<br />

Responsabilités collectives <strong>et</strong> fonctions diverses<br />

— Membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences ; <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Technologies ; <strong>de</strong> l’Académie<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences d’Italie, d’Argentine <strong>et</strong> du Brésil ; <strong>de</strong> l’Istituto Lombardo.<br />

— Professeur à temps partiel à l’École Polytechnique.<br />

— Prési<strong>de</strong>nt du Conseil Scientifique <strong>de</strong> l’ENS puis Membre du Conseil d’Administration<br />

<strong>de</strong> l’ENS.<br />

— Prési<strong>de</strong>nt du Conseil Scientifique du CEA-DAM.<br />

— Prési<strong>de</strong>nt du Conseil Scientifique d’EDF.<br />

— Prési<strong>de</strong>nt du Conseil Scientifique <strong>de</strong> <strong>France</strong> Telecom.<br />

— Prési<strong>de</strong>nt du Conseil Scientifique <strong>de</strong> la Fondation <strong>de</strong> Recherche pour l’Aéronautique <strong>et</strong><br />

l’Espace.<br />

— Prési<strong>de</strong>nt du Conseil Scientifique <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Finance <strong>et</strong> Développement Durable<br />

<strong>de</strong> l’Université Paris-Dauphine.<br />

— Prési<strong>de</strong>nt du Conseil Scientifique <strong>de</strong> ParisTech.<br />

— Prési<strong>de</strong>nt du jury du prix « Science <strong>et</strong> Défense ».<br />

— Membre du Haut Conseil <strong>de</strong> la Science <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Technologie.<br />

— Membre du Visiting Committee du CEA.


104 PIERRE-LOUIS LIONS<br />

— Membre du Conseil Scientifique <strong>de</strong> l’Institut Europlace <strong>de</strong> Finance.<br />

— Membre du Scientific Advisory Panel <strong>de</strong> l’European Mathematical Soci<strong>et</strong>y.<br />

— Membre fondateur du Comité International <strong>de</strong> l’« International Summer School of<br />

Applied Mathematics », Morningsi<strong>de</strong> Institute, Chinese Aca<strong>de</strong>my of Sciences.<br />

— Membre du Comité <strong><strong>de</strong>s</strong> Programmes Scientifiques du CNES.<br />

— Membre <strong>de</strong> l’International Advisory Board <strong>de</strong> l’Institute of Mathematical Sciences <strong>de</strong><br />

l’Imperial College.<br />

— Membre du Conseil Scientifique <strong>de</strong> la Fondation du Risque.<br />

— Membre du Board of Trustees <strong>et</strong> du Conseil Scientifique <strong>de</strong> l’IMDEA (Madrid).<br />

— Membre du Conseil d’Administration <strong>et</strong> du Conseil Scientifique <strong>de</strong> la Fondation<br />

Sciences Mathématiques <strong>de</strong> Paris.<br />

— Membre du Conseil d’Administration <strong>de</strong> la Fondation d’Entreprise IXIS.<br />

— Membre du Comité d’Orientation <strong>de</strong> l’ENS.<br />

— Membre <strong>de</strong> la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Amis du Palais <strong>de</strong> la Découverte.<br />

— Membre <strong>de</strong> l’International Advisory Board of the Scuola di Dottorato in Scienze<br />

Astronomiche, Chimiche, Fisiche e Mathematiche « Vito Volterra ».<br />

— Administrateur <strong>de</strong> Sark <strong>et</strong> Channel Bridge.<br />

— Conseiller Scientifique auprès <strong>de</strong> BNP PARIBAS, CALYON, EADS-ST, REECH.


Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres<br />

M. Don Zagier, professeur<br />

Cours : Fonctions <strong>de</strong> Green <strong>et</strong> valeurs spéciales <strong>de</strong> fonctions L<br />

Le thème du <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année était le lien entre les valeurs spéciales <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

fonctions L motiviques (<strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs dérivées) d’un côté <strong>et</strong> les invariants algébrogéométriques<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s auxquels ces fonctions sont liées <strong>de</strong> l’autre. Les invariants<br />

en question, du type « régulateur généralisé », se calculent à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> fonctions<br />

spéciales telles que les fonctions logarithme ou polylogarithme dans les situations<br />

les plus simples <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions <strong>de</strong> Green dans <strong><strong>de</strong>s</strong> situations plus générales.<br />

Travaux d’Euler<br />

L’année 2007 ayant été le 300e anniversaire <strong>de</strong> la naissance d’Euler, le <strong>cours</strong> a<br />

commencé par un aperçu historique <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> d’Euler sur les fonctions zêta.<br />

C<strong>et</strong>te partie ne sera pas reproduite ici, sauf pour rappeler qu’Euler, dans ses <strong>travaux</strong><br />

datés <strong>de</strong> 1734 <strong>et</strong> 1749, a trouvé :<br />

• la définition <strong>de</strong> la fonction zêta dite « <strong>de</strong> Riemann » comme somme infinie,<br />

ζ( s)<br />

∞<br />

= ∑ 1<br />

n s<br />

n=<br />

1<br />

• la décomposition multiplicative <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te fonction comme produit portant sur<br />

les nombres premiers,<br />

ζ()<br />

s = ∏ 1<br />

1 ;<br />

• les formules<br />

p premier<br />

;<br />

− − p s<br />

π 2 π 4 π 6<br />

ζ(<br />

2)<br />

= , ζ(<br />

4)<br />

= , ζ(<br />

6)<br />

= , …<br />

6 90 945


106 DON ZAGIER<br />

<strong>et</strong> plus généralement<br />

Bk<br />

ζ( k)<br />

=− ( 2 iπ)<br />

k<br />

2k<br />

(k > 0 pair, Bk = k-ième nombre <strong>de</strong> Bernoulli) (1)<br />

pour les valeurs <strong>de</strong> ζ (s) pour s un entier pair strictement positif ;<br />

• l’extension <strong>de</strong> ζ (s) à <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs <strong>de</strong> s inférieures à 1 ;<br />

• les formules<br />

1<br />

1<br />

1<br />

ζ( 0)<br />

=− , ζ( − 1)<br />

=− , ζ( − 2) = 0, ζ( − 3)<br />

= , ζ(<br />

− 4) = 0,<br />

…<br />

2 12<br />

120<br />

<strong>et</strong> plus généralement<br />

ζ( 1− ) = ( −1) 1 − B<br />

k k k<br />

k<br />

(k > 0, Bk = k-ième nombre <strong>de</strong> Bernoulli) (2)<br />

pour les valeurs <strong>de</strong> ζ (s) pour s un entier négatif ;<br />

• l’équation fonctionnelle (sans démonstration)<br />

πs<br />

Γ()<br />

s<br />

ζ(<br />

1− s)<br />

= 2cos(<br />

) ζ()<br />

s<br />

2 ( 2π)<br />

s<br />

<strong>de</strong> la fonction ζ (s) pour s réel, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> arguments théoriques <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> vérifications<br />

numériques à haute précision pour appuyer c<strong>et</strong>te conjecture ;<br />

• la définition <strong>de</strong> la série L « <strong>de</strong> Dirichl<strong>et</strong> »<br />

∞<br />

∑<br />

n=<br />

1<br />

n<br />

Ls<br />

n s<br />

χ(<br />

) 1 1<br />

(, χ)<br />

= = 1−<br />

+ −<br />

3 s 5s …<br />

pour le caractère χ (n) = (– 4/n) <strong>et</strong> les généralisations <strong>de</strong> toutes les propriétés ci<strong><strong>de</strong>s</strong>sus<br />

(produit d’Euler, prolongement à s < 1, valeurs spéciales pour s = 1, 3, 5, 7, ...<br />

<strong>et</strong> pour s ∈ � ≤ 0, énoncé <strong>de</strong> l’équation fonctionnelle) pour c<strong>et</strong>te fonction.<br />

En d’autres mots, Euler a trouvé toutes les propriétés essentielles <strong>de</strong> la fonction<br />

zêta connues actuellement sauf la preuve <strong>de</strong> l’équation fonctionnelle <strong>et</strong> l’énoncé <strong>de</strong><br />

l’hypothèse <strong>de</strong> Riemann, donnés tous les <strong>de</strong>ux par Riemann dans son mémoire<br />

célèbre <strong>de</strong> 1859.<br />

Fonctions zêta motiviques<br />

La liste <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés <strong>de</strong> ζ (s) trouvées par Euler peut nous servir encore<br />

aujourd’hui comme gui<strong>de</strong> dans l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions zêta <strong>et</strong> fonctions L qui nous<br />

intéressent en théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres. Une telle fonction est toujours donnée par une<br />

∞<br />

série <strong>de</strong> Dirichl<strong>et</strong> du type L() s = LX() s = an ( ) ns<br />

∑ n=<br />

1 / où les an sont <strong><strong>de</strong>s</strong> entiers<br />

(ou <strong><strong>de</strong>s</strong> entiers algébriques) liés aux propriétés d’un certain obj<strong>et</strong> algébrique ou


THÉORIE DES NOMBRES 107<br />

géométrique X (qui peut être un corps <strong>de</strong> nombres, une représentation galoisienne,<br />

une variété algébrique sur un corps <strong>de</strong> nombres, une forme automorphe, <strong>et</strong>c.) ; elle<br />

a un produit d’Euler <strong>de</strong> la forme LX (s) = �<br />

p φp ( p –s ), où φp (t) est une fonction<br />

rationnelle dont les coefficients sont liés aux propriétés p-adiques <strong>de</strong> X ; elle a une<br />

équation fonctionnelle du type<br />

�L (): s = γ () s L s �L<br />

k s<br />

X X () =± ( − )<br />

(3)<br />

X<br />

(où quelquefois �L () s = wL � ( k− s)<br />

avec |w| = 1, où X* est un obj<strong>et</strong> algébrique/<br />

X X*<br />

géométrique « dual » à X ) pour un certain entier k > 0, où γ (s) est une fonction<br />

<strong>de</strong> la forme<br />

α α<br />

γ()<br />

s Ass+<br />

1 s+<br />

d<br />

= Γ( ) … Γ(<br />

) ( A ∈�> 0, α1, …, α d ∈�)<br />

(4)<br />

2 2<br />

liée aux propriétés <strong>de</strong> X sur le corps � ou � ; <strong>et</strong> il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> formules spéciales qui<br />

donnent les valeurs <strong>de</strong> L X (s) pour certaines valeurs intégrales <strong>de</strong> l’argument s. Plus<br />

précisément, dans les cas les plus intéressants, la fonction L X (s) est une fonction<br />

dont on sait ou dont on conjecture qu’elle est entière (ou ne possè<strong>de</strong> qu’un nombre<br />

fini <strong>de</strong> pôles, comme le pôle en s = 1 <strong>de</strong> ζ (s)) ; les fonctions φ p (t) intervenant dans<br />

le produit d’Euler ont la forme 1/P p (t) où P p (t) est un polynôme <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré d pour<br />

presque tout nombre premier p (<strong>et</strong> < d pour les autres), avec le même entier d que<br />

dans (4) ; les racines du polynôme P p (t) (pour les p pour lesquels le <strong>de</strong>gré est égal<br />

à d ) <strong>et</strong> tous leurs conjugués algébriques ont la valeur absolue p –(k–1)/2 , avec le même<br />

entier k que dans (3) (hypothèse <strong>de</strong> Riemann locale) ; <strong>et</strong> on conjecture que toutes<br />

les racines <strong>de</strong> la fonction � L () s se trouvent sur la droite � (s) = k/2, toujours avec<br />

X<br />

le même k (hypothèse <strong>de</strong> Riemann globale).<br />

Regardons quelques exemples avant <strong>de</strong> continuer.<br />

1. Fonction zêta <strong>de</strong> Riemann, ζ (s). Ici on a a (n) = 1 pour tout n, la fonction<br />

φp (t) est égale à 1/(1 – t) pour tout p, <strong>et</strong> on a l’équation fonctionnelle (3) avec<br />

k = 1, signe +, <strong>et</strong> γ (s) = π –s/2 Γ (s/2).<br />

2. Fonctions L <strong>de</strong> Dirichl<strong>et</strong>, L (s, χ). Ici on a a (n) = χ (n), où χ : � → � est un<br />

caractère <strong>de</strong> Dirichl<strong>et</strong>, la fonction φp (t) est égale à 1/(1 – χ (p)t), <strong>et</strong> on a une<br />

équation fonctionnelle du type (3) avec k = 1, signe +, <strong>et</strong> γ (s) comme dans (4) avec<br />

d = 1 <strong>et</strong> α1 = 0 ou 1 selon la valeur <strong>de</strong> χ (– 1).<br />

3. Fonctions zêta <strong>de</strong> De<strong>de</strong>kind, ζ F (s). Dans ce cas le nombre a (n) ∈ � ≥0 compte<br />

le nombre <strong><strong>de</strong>s</strong> idéaux entiers <strong>de</strong> norme n dans un corps <strong>de</strong> nombre fixé F ; l’entier k<br />

dans l’équation fonctionnelle (3) est égal à 1, l’entier d défini par (4) ou par le<br />

<strong>de</strong>gré <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs d’Euler <strong>de</strong> la fonction zêta est égal au <strong>de</strong>gré [F : �], <strong>et</strong> les α j<br />

dans (4) sont égaux à 0 ou à 1, le nombre <strong>de</strong> chaque type étant déterminé par le<br />

nombre <strong>de</strong> plongements réels <strong>de</strong> F dans �.<br />

4. Fonctions L d’Artin, L (s, ρ). Ces fonctions, qui généralisent les trois<br />

précé<strong>de</strong>ntes, sont attachées à une représentation irréductible ρ du groupe <strong>de</strong> Galois<br />

d’une extension galoisienne F/�. Ici encore on a k = 1, tandis que le nombre d


108 DON ZAGIER<br />

(défini soit par le nombre <strong>de</strong> fonctions gamma intervenant dans le facteur gamma<br />

<strong>de</strong> l’équation fonctionnelle, soit par le <strong>de</strong>gré <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs d’Euler typiques <strong>de</strong> la<br />

fonction L) est égal au <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> la représentation ρ.<br />

Tous ces exemples sont liés aux corps <strong>de</strong> nombres ou aux « motifs <strong>de</strong> dimension 0 »<br />

<strong>et</strong> ont k = 1 (c’est-à-dire que l’équation fonctionnelle relie les valeurs s <strong>et</strong> 1 – s <strong>de</strong><br />

l’argument <strong>de</strong> la fonction zêta, que les racines <strong><strong>de</strong>s</strong> polynômes Pp (t) ont toutes la<br />

valeur absolue 1, <strong>et</strong> que l’hypothèse <strong>de</strong> Riemann généralisée prédit ℜ () s =<br />

1 2 pour<br />

les racines <strong>de</strong> la fonction zêta dont il s’agit). Ça ne sera plus le cas dans les exemples<br />

venant <strong>de</strong> la géométrie. En voici quelques-uns.<br />

5. Fonction L d’une courbe elliptique, L (E, s). Pour une courbe elliptique E/� on<br />

définit L (E, s) = � Pp ( p –s ) –1 , où Pp (t) = 1 – a ( p)t + pt2 avec a ( p) = p + 1 – |E (�p)| pour presque tout p. On n’a aucune définition directe <strong>de</strong> ces fonctions comme séries<br />

<strong>de</strong> Dirichl<strong>et</strong> (<strong>et</strong> c’est l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons principales pour la difficulté <strong>de</strong> démontrer<br />

leurs propriétés essentielles telles que le prolongement analytique ou l’équation<br />

fonctionnelle). L’hypothèse <strong>de</strong> Riemann locale, avec k = d = 2, est l’inégalité connue,<br />

mais non-triviale, | ap ( ) | ≤ 2 p.<br />

Le prolongement analytique <strong>de</strong> L (E, s) <strong>et</strong><br />

l’équation fonctionnelle, avec k = 2, d = 2, α1 = 0 <strong>et</strong> α2 = 1, sont également connus,<br />

mais extrêmement difficiles (théorème <strong>de</strong> Wiles <strong>et</strong> al.).<br />

6. Fonction L d’une courbe, L (C, s). La définition <strong>de</strong> la fonction L dans ce cas<br />

est analogue au cas <strong><strong>de</strong>s</strong> courbes elliptiques, sauf que les polynômes P p (t) pour p<br />

générique ont le <strong>de</strong>gré d = 2g, où g est le genre <strong>de</strong> la courbe C définie sur �.<br />

L’hypothèse <strong>de</strong> Riemann locale est connue encore dans ce cas, mais le prolongement<br />

analytique <strong>et</strong> l’équation fonctionnelle restent conjecturales sauf pour certains cas<br />

particuliers comme les courbes modulaires.<br />

7. Fonctions L associées à la cohomologie d’une variété. Dans c<strong>et</strong> exemple, qui<br />

généralise les <strong>de</strong>ux précé<strong>de</strong>nts, on associe au groupe i-ième <strong>de</strong> cohomologie d’une<br />

variété X définie sur � une fonction L donnée par un produit eulerien dans lequel<br />

P p (t) est un polynôme <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré d = dim H i (X ) (i-ième nombre <strong>de</strong> B<strong>et</strong>ti) <strong>et</strong> qui<br />

satisfait à l’hypothèse <strong>de</strong> Riemann locale avec k = i + 1 (conjecture <strong>de</strong> Weil,<br />

démontrée par Deligne). Bien sûr, on n’a aucune démonstration du prolongement<br />

analytique ou <strong>de</strong> l’équation fonctionnelle en général.<br />

Enfin, il y a les fonctions L attachées aux formes automorphes (mais qui seront,<br />

d’après le programme <strong>de</strong> Langlands, i<strong>de</strong>ntiques avec les fonctions du type 7. dans<br />

beaucoup <strong>de</strong> cas). On en mentionne <strong>de</strong>ux.<br />

∞<br />

8. Fonction L <strong>de</strong> Hecke d’une forme modulaire, L ( f , s). Si f ( z) = a( n) e2iπ nz<br />

n=<br />

0<br />

est une forme modulaire sur Γ0 (N ), propre pour les opérateurs <strong>de</strong> Hecke <strong>et</strong><br />

normalisée par a (1) = 1, alors la série <strong>de</strong> Dirichl<strong>et</strong> L (f, s) = �<br />

n >0 a (n)n –s a un<br />

produit d’Euler � Pp (p –s ) –1 avec Pp (t) = 1 – a (p)t + pk–1t 2 pour p ∤ N <strong>et</strong> possè<strong>de</strong><br />

un prolon gement analytique (entière si f est parabolique, <strong>et</strong> avec un seul pôle en<br />

s = k sinon) <strong>et</strong> équation fonctionnelle du type (3) avec d = 2, α1 = 0, α2 = 1. Les<br />


THÉORIE DES NOMBRES 109<br />

résultats d’Eichler <strong>et</strong> Shimura (pour k = 2) <strong>et</strong> Deligne (en général) implique que<br />

c<strong>et</strong>te fonction est du type 7. <strong>et</strong> donc que l’hypothèse <strong>de</strong> Riemann locale<br />

|a (p)| ≤ 2p (k–1)/2 (hypothèse <strong>de</strong> Ramanujan) est vérifiée.<br />

9. Fonction L du carré symétrique d’une forme modulaire, L (Sym 2 f, s). Pour f<br />

comme ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus, c<strong>et</strong>te fonction L est donnée par un produit eulerien du type<br />

� Pp (p –s ) –1 avec P p (t) = (1 – p k–1 t) (1 – (a (p) 2 – 2p k–1 ) t + p 2k–2 t 2 ) pour p ∤ N.<br />

Son prolongement méromorphe a été démontré par Rankin <strong>et</strong> Selberg <strong>et</strong> son<br />

prolongement holomorphe (pour f parabolique) par Shimura <strong>et</strong> l’auteur. On a une<br />

équation fonctionnelle du type (3) (avec k remplacé par 2k – 1) <strong>et</strong> facteur gamma<br />

donné par (4) avec d = 3. Des propriétés semblables sont conjecturées, <strong>et</strong> démontrées<br />

dans certains cas, pour les fonctions L associées aux produits symétriques <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré<br />

supérieur <strong>de</strong> f.<br />

Valeurs spéciales<br />

Les valeurs spéciales (1) <strong>et</strong> (2) <strong>de</strong> ζ (s) données par Euler ont une vaste généralisation<br />

conjecturale due à Deligne. Supposons donnée une fonction L motivique, avec<br />

équation fonctionnelle donnée par (3) <strong>et</strong> (4). On appelle critique une valeur entière<br />

s0 <strong>de</strong> l’argument s telle que ni s0 ni k – s0 sont <strong><strong>de</strong>s</strong> pôles du facteur gamma γ (s). Alors<br />

la valeur <strong>de</strong> L (s0), sera conjecturalement un multiple algébrique d’une certaine<br />

pério<strong>de</strong> (= intégrale d’une forme différentielle définie sur � − sur un cycle fermé).<br />

Plus généralement, d’après <strong><strong>de</strong>s</strong> conjectures dues à Bloch, Beilinson <strong>et</strong> Scholl, si s0 est<br />

un entier quelconque <strong>et</strong> on note par r l’ordre <strong>de</strong> � Ls () en s = s0 (ou s = k – s0), alors la<br />

valeur <strong>de</strong> la dérivée r-ième <strong>de</strong> � Ls () en s = s0 (ou s = k – s0) sera le produit d’une<br />

pério<strong>de</strong> <strong>et</strong> d’un « régulateur » défini comme le déterminant d’une certaine matrice<br />

réelle <strong>de</strong> taille r × r. Ces conjectures contiennent comme cas spéciaux <strong><strong>de</strong>s</strong> conjectures<br />

classiques célèbres telle que la conjecture <strong>de</strong> Stark, où L (s) est du type 4. ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus,<br />

s0 = 0, <strong>et</strong> les éléments <strong>de</strong> la matrice qui définit le régulateur sont <strong><strong>de</strong>s</strong> logarithmes<br />

d’unités algébriques, ou la conjecture <strong>de</strong> Birch <strong>et</strong> Swinnerton-Dyer, dans laquelle<br />

L (s) est la fonction L d’une courbe elliptique E sur �, s0 = 1, r est conjecturalement<br />

égal au rang du groupe <strong>de</strong> Mor<strong>de</strong>ll-Weil <strong>de</strong> E, <strong>et</strong> les éléments <strong>de</strong> la matrice qui<br />

définit le régulateur sont donnés par les hauteurs <strong><strong>de</strong>s</strong> points rationnels sur E. Une<br />

autre généralisation <strong>de</strong> la conjecture <strong>de</strong> Deligne est l’énoncé que si l’argument central<br />

s0 = k/2 est critique, alors la valeur <strong>de</strong> la série L en s0, divisée par une pério<strong>de</strong><br />

correctement normalisée, sera un carré dans son corps <strong>de</strong> définition naturel. C’est le<br />

cas, par exemple, dans la conjecture <strong>de</strong> Birch <strong>et</strong> Swinnerton-Dyer (où la valeur<br />

centrale normalisée est égale à l’ordre du groupe <strong>de</strong> Shafarevich-Tate, qui est toujours<br />

un carré) <strong>et</strong> pour les valeurs centrales <strong><strong>de</strong>s</strong> séries L associées aux caractères <strong>de</strong> Hecke,<br />

qui, correctement normalisées, sont toujours <strong><strong>de</strong>s</strong> carrés (théorème <strong>de</strong> Villegas <strong>et</strong><br />

l’auteur ; voir le résumé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> <strong>de</strong> 2001-2002).<br />

De nombreux exemples spéciaux <strong>de</strong> ces conjectures ont été discutés dans le<br />

<strong>cours</strong>. Nous en reprenons quelques-uns ici.


110 DON ZAGIER<br />

Le régulateur dans la conjecture <strong>de</strong> Birch <strong>et</strong> Swinnerton-Dyer<br />

Soit E/� une courbe elliptique avec groupe <strong>de</strong> Mor<strong>de</strong>ll-Weil <strong>de</strong> rang r, avec<br />

générateurs (modulo torsion) P 1, ..., P r. La conjecture <strong>de</strong> Birch <strong>et</strong> Swinnerton-<br />

Dyer prédit que la série L <strong>de</strong> E aura un zéro d’ordre exactement r en s = 1 (ce que<br />

l’on sait dans certains cas) <strong>et</strong> que la dérivée L (r) (E, 1) sera, à un facteur élémentaire<br />

près, égale au produit <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> réelle Ω E <strong>de</strong> E <strong>et</strong> du régulateur R = d<strong>et</strong> (〈P i,<br />

P j〉 i,j =1,...,r), où 〈⋅, ⋅〉 est l’accouplement canonique sur E (�) ⊗ �. Un cas particulier<br />

d’un résultat <strong>de</strong> Scholl, qui a été explicité dans un article <strong>de</strong> M. Kontsevich <strong>et</strong><br />

l’auteur il y a quelques années <strong>et</strong> présenté dans le <strong>cours</strong>, dit que le produit Ω ER<br />

s’écrit lui-même comme le déterminant d’une matrice, c<strong>et</strong>te fois <strong>de</strong> taille<br />

(r + 1) × (r + 1), dont les coefficients sont <strong><strong>de</strong>s</strong> pério<strong><strong>de</strong>s</strong> « mixtes » <strong>de</strong> la courbe. La<br />

gran<strong>de</strong> question, encore non résolue, serait alors <strong>de</strong> démontrer que la valeur<br />

L (r) (E, 1) aussi s’exprime en termes <strong><strong>de</strong>s</strong> pério<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> formes algébriques ; si c’était<br />

le cas, <strong><strong>de</strong>s</strong> conjectures générales sur les pério<strong><strong>de</strong>s</strong> nous perm<strong>et</strong>traient d’espérer<br />

pouvoir démontrer l’égalité voulue, au moins dans <strong><strong>de</strong>s</strong> cas concr<strong>et</strong>s. (Pour l’instant<br />

la conjecture <strong>de</strong> Birch <strong>et</strong> Swinnerton-Dyer n’est vérifiée que numériquement dans<br />

aucun cas avec r > 1.)<br />

Valeurs <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions zêta <strong>de</strong> De<strong>de</strong>kind <strong>et</strong> polylogarithmes<br />

Il s’agit ici <strong><strong>de</strong>s</strong> conjectures énoncées il y a quelques années par l’auteur, <strong>et</strong><br />

démontrées dans certains cas par Deligne, Beilinson <strong>et</strong> Goncharov, d’après<br />

lesquelles les valeurs en s = m <strong>de</strong> la fonction zêta <strong>de</strong> De<strong>de</strong>kind ζ F (s) d’un corps <strong>de</strong><br />

nombres F quelconque, <strong>et</strong> pour un entier m > 1 quelconque, s’exprimeraient<br />

comme le déterminant d’une matrice ayant comme coefficients <strong><strong>de</strong>s</strong> combinaisons<br />

linéaires rationnelles <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs <strong>de</strong> la m-ième fonction polylogarithme D m<br />

(convenablement définie) avec arguments dans F. L’espace vectoriel sous-jacent à<br />

c<strong>et</strong>te matrice est le « m-ième groupe <strong>de</strong> Bloch » <strong>et</strong> <strong>de</strong>vrait être isomorphe au<br />

K-groupe algébrique K 2m–1 (F ) ⊗ �. C<strong>et</strong>te conjecture, qui est appuyée par<br />

beaucoup <strong>de</strong> calculs numériques <strong>et</strong> arguments théoriques, est dans un certain sens<br />

typique <strong>de</strong> la situation générale. On a expliqué aussi comment on peut r<strong>et</strong>rouver<br />

les fonctions D m (x) comme <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions <strong>de</strong> Green associées au quotient du <strong>de</strong>miplan<br />

<strong>de</strong> Poincaré modulo le groupe <strong><strong>de</strong>s</strong> translations par <strong><strong>de</strong>s</strong> entiers, avec la métrique<br />

hyperbolique.<br />

Fonctions L <strong><strong>de</strong>s</strong> courbes sur � en s = 2<br />

Si E est une courbe elliptique, <strong><strong>de</strong>s</strong> idées <strong>et</strong> résultats <strong>de</strong> Bloch <strong>et</strong> <strong>de</strong> Beilinson<br />

impliquent que la valeur non-critique L (E, 2) peut s’exprimer comme un multiple<br />

simple d’une combinaison linéaire, à coefficients dans �, <strong>de</strong> la fonction dilogarithme<br />

elliptique associée à E, évaluée dans <strong><strong>de</strong>s</strong> points algébriques <strong>de</strong> E. (Si on écrit E (�)<br />

comme �*/q � pour un nombre complexe q avec |q| < 1, la fonction dilogarithme<br />

elliptique dont il s’agit est définie comme la somme sur une orbite <strong>de</strong> q � <strong>de</strong> la


THÉORIE DES NOMBRES 111<br />

fonction dilogarithme modifiée qui intervient dans le calcul <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

fonctions zêta <strong>de</strong> De<strong>de</strong>kind en s = 2.) Une <strong><strong>de</strong>s</strong>cription précise <strong><strong>de</strong>s</strong> combinaisons<br />

linéaires permises a été donnée il y a quelques années par l’auteur (avec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

corrections dues à Schappacher <strong>et</strong> Rolshausen dans certains cas) <strong>et</strong> présentée dans<br />

le <strong>cours</strong>. Si on remplace E par une courbe C/� <strong>de</strong> genre g > 1, les conjectures<br />

générales impliquent toujours une expression pour L (C, 2) en termes d’un certain<br />

régulateur dont les coefficients sont <strong><strong>de</strong>s</strong> intégrales sur la courbe, mais ne sont plus<br />

donnés en termes d’une fonction explicite comme le dilogarithme elliptique. Le<br />

groupe sur lequel ces intégrales doivent être évaluées est le K-groupe algébrique<br />

K 2 (C/�). Ce cas, qui a été étudié <strong>et</strong> vérifié numériquement dans beaucoup <strong>de</strong> cas<br />

(tous hyperelliptiques, <strong>de</strong> genre allant jusqu’à 6) dans un article récent <strong>de</strong> R. <strong>de</strong><br />

Jeu, T. Dokchitser <strong>et</strong> l’auteur, a été discuté en détail. Le problème <strong>de</strong> construire<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> éléments non-triviaux du K-groupe K 2 (C ) dans ces cas mène à <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes<br />

élémentaires en théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres où il s’agit <strong>de</strong> trouver <strong><strong>de</strong>s</strong> polynômes f définis<br />

sur � pour lesquels f (x) 2 – f (0) 2 se factorise en autant <strong>de</strong> facteurs rationnels que<br />

possible, un exemple typique étant la décomposition (x 6 + 2x 5 – 787x 4 – 188x 3<br />

+ 150012x 2 – 149040x – 3326400) 2 – 3326400 2 = (x – 22) (x – 20) (x – 18)<br />

(x – 12) (x – 10) (x – 1)x (x + 7) (x + 15) (x + 18) (x + 23) (x + 24).<br />

Valeurs <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions <strong>de</strong> Green modulaires<br />

Dans <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> joints avec B. Gross il y a un certain nombre d’années, un lien<br />

a été établi entre les dérivées centrales L′ (f, k/2) <strong><strong>de</strong>s</strong> séries L <strong><strong>de</strong>s</strong> formes modulaires<br />

(propres pour les opérateurs <strong>de</strong> Hecke) <strong>de</strong> poids pair k <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs <strong>de</strong> certaines<br />

fonctions <strong>de</strong> Green modulaires associées aux quotients du <strong>de</strong>mi-plan <strong>de</strong> Poincaré<br />

par un groupe fuchsien, avec la métrique hyperbolique. Ces résultats dans le cas<br />

k = 2 avaient <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences pour la conjecture <strong>de</strong> Birch <strong>et</strong> Swinnerton-Dyer,<br />

mais aussi (dans le même cas) pour l’étu<strong>de</strong> arithmétique <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs <strong>de</strong> la fonction<br />

modulaire j (z) dans <strong><strong>de</strong>s</strong> points z à multiplication complexe. Pour k > 2, ils ont<br />

mené à une conjecture d’après laquelle les valeurs <strong>de</strong> ces fonctions <strong>de</strong> Green dans<br />

les arguments à multiplication complexe seraient dans certains cas les logarithmes<br />

<strong>de</strong> nombres algébriques. Un nombre <strong>de</strong> résultats obtenus par l’auteur dans l’entr<strong>et</strong>emps,<br />

<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats très récents <strong>de</strong> A. Mellit qui démontrent l’algébricité prédite<br />

dans certains cas (notamment quand k = 4, le groupe modulaire en question est<br />

SL (2, �), <strong>et</strong> l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> arguments <strong>de</strong> la fonction <strong>de</strong> Green est −1) ont été présentés<br />

dans le <strong>cours</strong>, mais sont trop techniques pour être repris ici. Un aspect intéressant<br />

est le lien entre les fonctions <strong>de</strong> Green qui interviennent ici <strong>et</strong> les fonctions<br />

polylogarithmes qui interviennent dans les conjectures concernant les valeurs<br />

spéciales <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions zêta <strong>de</strong> De<strong>de</strong>kind. Les conjectures <strong>et</strong> résultats peuvent<br />

s’interpréter aussi comme <strong><strong>de</strong>s</strong> énoncés sur les valeurs spéciales <strong>de</strong> certaines fonctions<br />

qui satisfont à une équation différentielle à coefficients rationnels ou algébriques.


112 DON ZAGIER<br />

Cours à l’École Normale Supérieure : « Bouillon Mathématique »<br />

Dans le <strong>cours</strong> « Bouillon » <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année on a présenté <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> explicites<br />

qui perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> résoudre <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses types <strong>de</strong> problèmes asymptotiques tels que :<br />

1. Quel est le comportement asymptotique quand x tend vers 0 d’une série<br />

∞<br />

∑ 1<br />

lentement convergente <strong>de</strong> la forme f ( nx)<br />

, où f (x) est une fonction dont<br />

n=<br />

le comportement pour x p<strong>et</strong>it est connu ?<br />

2. Comment trouve-t-on une formule asymptotique précise pour <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres<br />

an (par exemple, an pourrait être le nombre <strong>de</strong> partitions <strong>de</strong> n) dont on connaît<br />

∞<br />

« explicitement » la fonction génératrice a xn?<br />

∑n= 0 n<br />

3. Si on a une suite <strong>de</strong> nombres An (par exemple, An pourrait être le nombre<br />

<strong>de</strong> courbes algébriques <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré n passant par 3n – 1 points génériques dans le<br />

plan, pour lequel Kontsevich a trouvé une récurrence non-linéaire) dont on<br />

conjecture qu’ils ont un comportement asymptotique <strong>de</strong> la forme<br />

An ∼ nαe An (C0 + C1n –1 + C2n –2 + …), comment peut-on trouver les premiers<br />

coefficients A, α, C0, C1, C2, … à haute précision à partir d’un nombre limité (par<br />

exemple, A 1, …, A 500) <strong><strong>de</strong>s</strong> A n ?<br />

∞<br />

∑ 1<br />

4. Comment calculerait-on la valeur <strong>de</strong> la fonction S( x) = sin( x/ n)/ n<br />

n=<br />

<strong>de</strong> Hardy-Littlewood pour, disons, x = 1060 à 100 chiffres près ?<br />

De tels problèmes se posent partout en mathématiques <strong>et</strong> en physique<br />

mathématique mais les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> pour les résoudre <strong>de</strong> façon efficace ne sont en<br />

général pas très bien connues.<br />

Conférences invitées<br />

Bor<strong>de</strong>aux, octobre 2007 : Quantum modular forms. Conférence à l’occasion du 60 e anniversaire<br />

d’Henri Cohen, Université <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux I.<br />

Bonn, Allemagne, octobre 2007 : Verknot<strong>et</strong>e Modulformen. Conférence à l’occasion du<br />

80 e anniversaire <strong>de</strong> Friedrich Hirzebruch, Universität Bonn.<br />

Banff, Canada, octobre 2007 : Modularity and three-manifolds. Conférence sur « Lowdimensional<br />

Topology and Number Theory », Banff International Research Station.<br />

Paris, novembre 2007 : Les « mock th<strong>et</strong>a functions » <strong>de</strong> Ramanujan (d’après Zwegers <strong>et</strong><br />

Bringmann-Ono). Séminaire Bourbaki, Institut Henri Poincaré.<br />

Lille, décembre 2007 : Les fausses formes modulaires. Colloque, Université <strong>de</strong> Lille I.<br />

Bonn, Allemagne, janvier 2008 : The Riemann z<strong>et</strong>a function and the Selberg z<strong>et</strong>a function<br />

as d<strong>et</strong>erminants. Workshop « Random matrices and number theory », Hausdorff Mathematics<br />

Institute.<br />

Bonn, Allemagne, janvier 2008 : Gaussian periods and finite projective planes. Number<br />

Theory Seminar, Max-Planck-Institut für Mathematik.<br />

Bonn, Allemagne, janvier <strong>et</strong> février 2008 : Asymptotic m<strong>et</strong>hods (<strong>de</strong>ux conférences).<br />

Conférences pour membres <strong>de</strong> l’école doctorale « IMPRS », Max-Planck-Institut für<br />

Mathematik.


THÉORIE DES NOMBRES 113<br />

Pa<strong>de</strong>rborn, Allemagne, janvier 2008 : Warum ich von Primzahlen träume. Conférence<br />

populaire dans le cadre du programme « Zahlen, bitte! », Nixdorf-Zentrum.<br />

Bonn, Allemagne, février 2008 : Spectral <strong>de</strong>composition and the Rankin-Selberg m<strong>et</strong>hod.<br />

Second Japanese-German number theory workshop.<br />

Amsterdam, Pays-Bas, février 2008 : Mock th<strong>et</strong>a functions and their applications.<br />

Colloquium, Universiteit Amsterdam.<br />

Utrecht, Pays-Bas, février 2008 : Finite projective planes, Fermat curves, and Gaussian<br />

periods. Colloquium Universiteit Utrecht.<br />

Amsterdam, Pays-Bas, février 2008 : Modular Green’s functions. Intercity number theory<br />

seminar « L-functions and friends ».<br />

Dublin, Irlan<strong>de</strong>, avril 2008 : Gaussian periods and finite projective planes. Colloquium,<br />

University College Dublin <strong>et</strong> Trinity College.<br />

Dublin, Irlan<strong>de</strong>, avril 2008 : The amazing five-term relation. Conférence populaire,<br />

Trinity College.<br />

Dublin, Irlan<strong>de</strong>, avril 2008 : Modular forms and not-so-modular forms in mathematics and<br />

physics. Workshop on Gauge Theory, Moduli spaces and Representation Theory, Trinity<br />

College.<br />

Vienne, Autriche, avril 2008 : Quantum i<strong>de</strong>as in number theory and vice versa. Conférence<br />

plénière à l’occasion du 15e anniversaire <strong>de</strong> l’Institut Ernst Schrödinger.<br />

Baton Rouge, Louisiana, États-Unis, avril 2008 : The « q » of « quantum » (trois<br />

conférences). Porcelli Lectures 2008, Louisiana State University.<br />

Austin, Texas, États-Unis, avril 2008 : Mock modular forms. Number theory seminar,<br />

University of Texas.<br />

Bonn, Allemagne, mai 2008 : Diophant und die diophantischen Gleichungen. Conférence<br />

pour lycéens, Max-Planck-Institut für Mathematik.<br />

Bar-Ilan, Israël, mai 2008 : Differential equations and curves on Hilbert modular surfaces.<br />

Conférence « Hirz80 » en l’honneur du 80e anniversaire <strong>de</strong> Friedrich Hirzebruch, Université<br />

<strong>de</strong> Bar-Ilan.<br />

Haifa, Israël, mai 2008 : The mysterious mock th<strong>et</strong>a functions of Ramanujan. Colloquium,<br />

University of Haifa.<br />

Bonn, Allemagne, juin 2008 : Das Geheimleben <strong>de</strong>r Zahlen. Conférence d’intérêt général<br />

dans le cadre du programme « Mathe für alle—Vorlesungen im Freien ».<br />

Bielefeld, Allemagne, juin 2008 : On the conjecture of Birch and Swinnerton-Dyer.<br />

Conférence générale dans la série « Jahrtausendprobleme <strong>de</strong>r Mathematik ».<br />

Bonn, Allemagne, juin <strong>et</strong> juill<strong>et</strong> 2008 : Periods of modular forms (trois conférences).<br />

Conférences pour membres <strong>de</strong> l’école doctorale « IMPRS », Max-Planck-Institut für<br />

Mathematik.<br />

Bonn, Allemagne, juill<strong>et</strong> 2008 : Von Zahlentheorie zu Knotentheorie zu Quantentheorie.<br />

Conférence populaire, « Nacht <strong>de</strong>r offenen Tür » du Max-Planck-Institut für Mathematik.<br />

Bayreuth, Allemagne, juill<strong>et</strong> 2008 : Diophantische Gleichungen: 2000 Jahre alt und noch<br />

nicht gelöst. Conférence spéciale dans le cadre du Tag <strong>de</strong>r Mathematik <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong><br />

Bayreuth.<br />

Bonn, Allemagne, juill<strong>et</strong> 2008 : Mock th<strong>et</strong>a functions, in<strong>de</strong>finite th<strong>et</strong>a series and wallcrossing<br />

formulas. Workshop on Mirror Symm<strong>et</strong>ry, Hausdorff Institute for Mathematics.<br />

Bonn, Allemagne, juill<strong>et</strong> 2008 : Teichmüller curves and modular forms. Workshop on<br />

Co<strong><strong>de</strong>s</strong>, Invariants and Modular Forms, Max-Planck-Institut für Mathematik.


114 DON ZAGIER<br />

Tokyo, Japon, août 2008 : q-series and modularity. Algebra Colloquium, Tokyo<br />

University.<br />

Tokyo, Japon, août 2008 : The mathematics of and around Seki Takakazu as seen through<br />

the eyes of a contemporary mathematician. International Conference on History of Mathematics<br />

in Memory of Seki Takakazu, Tokyo University of Science.<br />

Autres Missions <strong>et</strong> Activités<br />

Bonn, Allemagne, février 2008 : Entr<strong>et</strong>ien enregistré avec Deutschlandfunk, diffusé le<br />

12 mai 2008.<br />

Bonn, Allemagne, mars 2008 : Entr<strong>et</strong>ien enregistré avec WDR, diffusé le 29 avril<br />

2008.<br />

Bar-Ilan, Israël, mai 2008 : Beirat (comité scientifique), Emmy No<strong>et</strong>her Institute.<br />

Utrecht, Pays-Bas, mai 2009 : Membre du jury, thèse <strong>de</strong> Oliver Lorscheid (« Toroidal<br />

automorphic forms for function fields »), Universiteit Utrecht.<br />

Bonn, Allemagne, juin 2008 : Rapporteur <strong>et</strong> membre du jury pour la thèse <strong>de</strong> mon<br />

étudiant Anton Mellit (« Higher Green’s functions for modular forms »), Universität<br />

Bonn.<br />

Berlin, Allemagne, juin 2008 : « Mathematik im Gespräch », discussion publique avec<br />

R. Taschner, Aka<strong>de</strong>mientag, Deutsche Union <strong>de</strong>r Aka<strong>de</strong>mien <strong>de</strong>r Wissenschaften.<br />

Paris, juin 2008 : Rapporteur <strong>et</strong> membre du jury, thèse <strong>de</strong> Sarah Carr (« Multiz<strong>et</strong>a<br />

values : Lie algebras and periods on � 0,n »), Université <strong>de</strong> Paris 6.<br />

Publications <strong>et</strong> Prépublications<br />

(avec L. Weng) Deligne products of line bundles over moduli spaces of curves. Commun.<br />

in Math. Phys. 281 (2008), n o 3, 793-803.<br />

Evaluation of S (m, n). Appendice à « Low energy expansion of the four-particle genusone<br />

amplitu<strong>de</strong> in type II superstring theory » par M. Green, J. Russo <strong>et</strong> P. Vanhove,<br />

JHEP 02 (2008), 020, pp. 33-34.<br />

Integral solutions of Apéry-like recurrence equations. A paraître dans Groups and<br />

Symm<strong>et</strong>ries : From the Neolithic Scots to John McKay, CRM Proceedings and Lecture Notes<br />

of the American Mathematical Soci<strong>et</strong>y, 47 (2008), Centre <strong>de</strong> Recherches Mathématiques,<br />

18 pages.<br />

Ramanujan’s mock th<strong>et</strong>a functions and their applications (d’après Zwegers and<br />

Bringmann-Ono). Séminaire Bourbaki, 60 e année, 2006-2007, n o 986, à paraître dans<br />

Astérisque, 20 pages.<br />

(avec A. Zinger) Some properties of hypergeom<strong>et</strong>ric series associated with mirror<br />

symm<strong>et</strong>ry. Dans Modular Forms and String Duality, Fields Institute Communications 54<br />

(2008), pp. 163-177.<br />

Exact and asymptotic formulas for v n. Appendice à « Sequences of enumerative geom<strong>et</strong>ry :<br />

congruences and asymptotics » par D. Grünberg <strong>et</strong> P. Moree, pp. 21-24, à paraître dans<br />

Experimental Mathematics.


Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année 2007-2008<br />

Physique quantique<br />

M. Serge Haroche, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />

Le <strong>cours</strong> donné au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, <strong>de</strong> janvier à mars 2008, était intitulé<br />

« Mesures quantiques non <strong><strong>de</strong>s</strong>tructives ». Il a analysé les propriétés fondamentales<br />

<strong>de</strong> la mesure en physique quantique <strong>et</strong> ses relations avec les concepts <strong>de</strong><br />

complémentarité, d’intrication <strong>et</strong> <strong>de</strong> décohérence. Il s’est ensuite focalisé sur<br />

l’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures non <strong><strong>de</strong>s</strong>tructives (Quantum Non-Demolition ou QND en<br />

anglais). Celles-ci proj<strong>et</strong>tent le système mesuré dans un <strong><strong>de</strong>s</strong> états propres <strong>de</strong><br />

l’observable mesurée <strong>et</strong> peuvent être répétées un grand nombre <strong>de</strong> fois, en redonnant<br />

le même résultat tant que le système n’est pas perturbé. C<strong>et</strong>te propriété les rend<br />

potentiellement utiles à la détection ultra-sensible <strong>de</strong> faibles perturbations. L’histoire<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> mesures QND <strong>de</strong> la lumière a été rappelée <strong>et</strong> les expériences récentes<br />

d’électrodynamique quantique en cavité qui ont permis la détection non <strong><strong>de</strong>s</strong>tructive<br />

<strong>de</strong> photons uniques ont été décrites. Ces expériences sont réalisées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> champs<br />

<strong>de</strong> quelques photons piégés pendant une fraction <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> dans une cavité <strong>de</strong><br />

très grand facteur <strong>de</strong> qualité. Elles constituent une nouvelle façon <strong>de</strong> « voir » la<br />

lumière en suivant en temps réel les trajectoires stochastiques du nombre <strong>de</strong><br />

photons <strong>et</strong> en enregistrant les sauts quantiques associés à la perte ou à la création<br />

d’un seul quantum. Ces mesures QND perm<strong>et</strong>tent la reconstruction complète <strong>de</strong><br />

l’état quantique du champ dans la cavité, ouvrant la voie à l’étu<strong>de</strong> détaillée <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

états <strong>de</strong> type « chat <strong>de</strong> Schrödinger », superpositions cohérentes d’états photoniques<br />

<strong>de</strong> phase ou d’amplitu<strong><strong>de</strong>s</strong> différentes. Chaque leçon était accompagnée d’une<br />

présentation par ordinateur consultable dès le jour du <strong>cours</strong> sur le site intern<strong>et</strong> du<br />

<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Ecole normale supérieure ou, plus directement, à l’adresse<br />

intern<strong>et</strong> www.cqed.org.<br />

Un tiers <strong>de</strong> l’enseignement <strong>de</strong> la chaire a par ailleurs été donné à Chicago, à<br />

l’invitation <strong>de</strong> l’université <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ville. Un <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> a été présenté dans le cadre<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Colloquiums du département <strong>de</strong> physique <strong>de</strong> l’université <strong>et</strong> les autres donnés


116 SERGE HAROCHE<br />

aux étudiants <strong>et</strong> post-docs dans le domaine <strong>de</strong> la physique atomique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’optique<br />

quantique. Dans ces présentations, j’ai décrit les mesures non-<strong><strong>de</strong>s</strong>tructives <strong>de</strong><br />

lumière réalisées dans mon groupe <strong>de</strong> recherche à l’ENS (voir plus loin).<br />

Le <strong>cours</strong> donné à Paris, réparti sur sept leçons, a traité les questions suivantes :<br />

1. Mesures projectives en physique quantique.<br />

2. Mesures généralisées <strong>et</strong> POVM (Positive Operator Valued Measures).<br />

3. Généralités sur les mesures quantiques non-<strong><strong>de</strong>s</strong>tructives (QND).<br />

4. Expériences QND en électrodynamique quantique avec <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes <strong>de</strong><br />

Rydberg.<br />

5. Comptage QND <strong>de</strong> 0 ou 1 photon.<br />

6. Comptage QND <strong>de</strong> N photons : projection progressive du champ.<br />

7. Perspectives ouvertes par les mesures QND en électrodynamique quantique<br />

en cavité.<br />

La première leçon a commencé par rappeler <strong>de</strong> façon générale les propriétés<br />

essentielles <strong>de</strong> la mesure d’un système microscopique en physique quantique. Par<br />

« mesure » on comprend au sens large toute expérience qui extrait <strong>de</strong> l’information<br />

d’un système quantique. Alors qu’en physique classique, le système étudié peut se<br />

trouver dans un état indépendant <strong>de</strong> tout observateur <strong>et</strong> être mesuré sans<br />

perturbation, en physique quantique une mesure est un processus plus complexe,<br />

dans lequel l’état <strong>de</strong> l’obj<strong>et</strong> mesuré est en général modifié. Le résultat <strong>de</strong> la mesure <strong>et</strong><br />

son eff<strong>et</strong> sur le système sont décrits <strong>de</strong> façon statistique, la théorie ne pouvant que<br />

déterminer la loi <strong>de</strong> probabilité du processus (« Dieu joue aux dés »). Les propriétés<br />

<strong>de</strong> la mesure quantique entraînent <strong><strong>de</strong>s</strong> limitations (certaines mesures sont<br />

incompatibles entre elles — cf. relations d’incertitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Heisenberg) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

impossibilités (par exemple théorème <strong>de</strong> « non-clonage » d’un état inconnu). Ces<br />

caractéristiques, souvent décrites négativement, peuvent être exploitées <strong>de</strong> façon<br />

positive pour réaliser <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations impossibles en physique classique (cryptographie<br />

<strong>et</strong> calcul quantiques).<br />

Après ces rappels généraux, la leçon a abordé le problème plus spécifique <strong>de</strong> la<br />

mesure quantique <strong>de</strong> la lumière. Le champ électromagnétique est un système central<br />

en physique. L’essentiel <strong>de</strong> l’information qui nous provient du mon<strong>de</strong> est véhiculé<br />

par lui. Comprendre la mesure <strong>de</strong> la lumière dans la théorie quantique a toujours<br />

préoccupé les physiciens, <strong>de</strong>puis Planck (1900), Einstein (1905) <strong>et</strong> les débuts <strong>de</strong> la<br />

mécanique quantique mo<strong>de</strong>rne (expériences <strong>de</strong> pensée <strong>de</strong> Bohr, Einstein <strong>et</strong><br />

Schrödinger). La dualité <strong>de</strong> la lumière (on<strong>de</strong> <strong>et</strong> ensemble <strong>de</strong> photons à la fois) joue<br />

un rôle fondamental dans c<strong>et</strong>te théorie. L’optique quantique, née avec le laser en<br />

1960, a reposé dans un contexte mo<strong>de</strong>rne les questions posées dans les années 1920.<br />

La théorie <strong>de</strong> la mesure <strong>de</strong> la lumière, le comptage <strong>de</strong> photons, établie par R. Glauber<br />

(1963), constitue le cadre d’analyse <strong>de</strong> toutes les expériences d’optique.<br />

La mesure <strong>de</strong> la lumière implique son interaction avec un milieu matériel auquel<br />

l’information véhiculée par le champ est transférée. Ce transfert s’effectue en général


PHYSIQUE QUANTIQUE 117<br />

par absorption d’énergie (eff<strong>et</strong> photo-électrique étudié par Einstein en 1905), si bien<br />

que le champ est détruit par la mesure. C<strong>et</strong>te <strong><strong>de</strong>s</strong>truction est une limitation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

expériences d’optique non imposée par la physique quantique. Les physiciens se sont<br />

<strong>de</strong>mandés, <strong>de</strong>puis les années 1970, comment détecter les photons <strong>de</strong> façon non<br />

absorptive, les laissant présents après la mesure. Un tel procédé dit QND (pour<br />

Quantum Non-Demolition) ouvrirait la voie à <strong>de</strong> nombreuses applications.<br />

Nous avons ensuite décrit différents modèles d’appareils réalisant une mesure<br />

projective idéale. Nous avons en particulier analysé un modèle simple dans lequel<br />

l’appareil <strong>de</strong> mesure est un moment angulaire, superposition symétrique <strong>de</strong> spins ½.<br />

L’importance <strong>de</strong> la décohérence dans le processus <strong>de</strong> mesure a été soulignée. Les<br />

incertitu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur les mesures <strong>de</strong> variables conjuguées ont été rappelées, <strong>et</strong> la limite que<br />

ces incertitu<strong><strong>de</strong>s</strong> imposent sur la précision <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures a été discutée. Certains aspects<br />

« paradoxaux » <strong>de</strong> la mesure ont été soulignés (eff<strong>et</strong> Zenon). Enfin, les propriétés <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

corrélations entre mesures effectuées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> parties spatialement séparées d’un<br />

système nous ont conduit à rappeler l’aspect non-local <strong>de</strong> la physique quantique.<br />

Dans la <strong>de</strong>uxième leçon, nous avons décrit <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures « généralisées » n’obéissant<br />

pas aux critères restrictifs <strong>de</strong> la mesure projective idéale <strong>de</strong> von Neumann. Ces<br />

mesures qui donnent une information plus ou moins partielle sur l’état d’un<br />

système quantique correspon<strong>de</strong>nt souvent à <strong><strong>de</strong>s</strong> situations plus proches <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

expériences réelles que les mesures projectives. Un cas particulier important <strong>de</strong><br />

mesure généralisée est défini par un ensemble d’opérateurs hermitiques positifs<br />

formant un « POVM » (Positive Operator Valued Measure). Le lien entre mesures<br />

généralisées, POVM <strong>et</strong> mesure projective a été rappelé <strong>et</strong> un certain nombre<br />

d’exemples intéressants pour la suite ont été présentés.<br />

Comme nous l’avions vu dans la première leçon, un modèle simple <strong>de</strong> processus<br />

<strong>de</strong> mesure est réalisé par le couplage d’un système quantique S à un ensemble <strong>de</strong><br />

N spins ou « qubits » <strong>de</strong> mesure indépendants (constituant un moment angulaire<br />

J = N/2). Nous avons montré que l’acquisition partielle d’information résultant du<br />

couplage <strong>de</strong> S avec un seul qubit est un POVM <strong>et</strong> avons décrit comment<br />

l’accumulation <strong>de</strong> mesures POVM résultant du couplage avec un ensemble <strong>de</strong><br />

qubits se transforme en mesure projective. Nous avons aussi montré que l’acquisition<br />

d’information sur S résultant <strong>de</strong> la mesure POVM s’apparente à un processus<br />

d’inférence bayesienne en théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> probabilités. Nous avons conclu la leçon en<br />

considérant un exemple curieux <strong>de</strong> mesure, dans lequel il semble que l’information<br />

soit obtenue « sans que le système mesuré ait interagi avec l’appareil ». Le paradoxe<br />

provient, comme dans d’autres cas du même genre, <strong>de</strong> l’utilisation indue <strong>de</strong><br />

concepts classiques pour décrire une situation quantique.<br />

La troisième leçon a introduit les mesures QND du champ électromagnétique.<br />

Le but en est <strong>de</strong> mesurer une observable du champ sans la perturber <strong>de</strong> façon à<br />

pouvoir répéter la mesure <strong>et</strong> r<strong>et</strong>rouver le même résultat dans une mesure ultérieure.<br />

Il s’agit <strong>de</strong> la mesure projective d’une observable qui ne change pas entre <strong>de</strong>ux<br />

détections successives sous l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’évolution Hamiltonienne. L’énergie du


118 SERGE HAROCHE<br />

champ <strong>et</strong> son nombre <strong>de</strong> photons sont <strong><strong>de</strong>s</strong> observables pouvant être mesurées <strong>de</strong><br />

façon QND, à condition d’éviter l’absorption <strong>de</strong> photons dans le détecteur. Nous<br />

avons présenté quelques modèles simples <strong>de</strong> mesures QND, basées soit sur la<br />

détection <strong>de</strong> la pression <strong>de</strong> radiation exercée sur un miroir (mesures optomécaniques),<br />

soit sur l’eff<strong>et</strong> Kerr croisé dans un milieu optique non linéaire. Nous<br />

avons analysé l’eff<strong>et</strong> en r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> la mesure sur la phase du champ, ce qui nous a<br />

conduit à définir <strong>de</strong> façon rigoureuse un opérateur <strong>de</strong> phase. L’analyse s’appuie soit<br />

sur une <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong><strong>de</strong>s</strong> champs en terme <strong>de</strong> vecteurs d’états (ce qui est bien adapté<br />

au cas où la mesure proj<strong>et</strong>te le champ sur un état <strong>de</strong> Fock), soit sur une discussion<br />

en terme <strong>de</strong> bruit <strong>de</strong> photon, commo<strong>de</strong> lorsque la mesure ne discrimine pas les<br />

photons individuels <strong>et</strong> que le champ apparaît comme une variable continue<br />

fluctuante. Les <strong>de</strong>ux approches sont bien sûr équivalentes à la limite continue.<br />

A partir <strong>de</strong> la quatrième leçon, nous avons abordé la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription du comptage non<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>tructif <strong>de</strong> photons micro-on<strong><strong>de</strong>s</strong> dans une cavité <strong>de</strong> très grand facteur <strong>de</strong> qualité.<br />

C<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> QND, qui atteint la résolution <strong><strong>de</strong>s</strong> quanta <strong>de</strong> rayonnement, exploite<br />

les concepts <strong>de</strong> l’Electrodynamique Quantique en Cavité (CQED), dont nous avons<br />

commencé par rappeler les principes. Nous avons évoqué brièvement <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences<br />

<strong>de</strong> CQED faites dans le domaine optique pour les distinguer <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> micro-on<strong>de</strong><br />

qui nous intéresseront plus particulièrement ici. La métho<strong>de</strong> QND <strong>de</strong> comptage<br />

utilise pour détecter les photons les propriétés remarquables <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes <strong>de</strong> Rydberg<br />

dans <strong><strong>de</strong>s</strong> états circulaires couplés à une cavité micro-on<strong>de</strong> supraconductrice. Nous<br />

avons consacré l’essentiel <strong>de</strong> la leçon aux atomes, <strong>et</strong> laissé la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong>de</strong> la cavité<br />

pour la leçon suivante. Un aspect remarquable du principe <strong>de</strong> correspondance est<br />

que les propriétés <strong><strong>de</strong>s</strong> états circulaires (dont tous les nombres quantiques sont grands)<br />

peuvent se comprendre à partir d’une <strong><strong>de</strong>s</strong>cription quasi-classique, en n’introduisant<br />

les concepts quantiques (quantification <strong><strong>de</strong>s</strong> orbites atomiques <strong>et</strong> du champ rayonné)<br />

que <strong>de</strong> façon minimale, à l’image <strong>de</strong> la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong>de</strong> l’ancienne théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> quanta<br />

<strong>de</strong> Bohr. Nous avons décrit ainsi classiquement le rayonnement <strong>de</strong> ces états<br />

circulaires, leur susceptibilité aux champs électriques <strong>et</strong> leur couplage à la cavité.<br />

Nous avons enfin analysé les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> préparation <strong>et</strong> <strong>de</strong> détection <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes <strong>de</strong><br />

Rydberg circulaires <strong>et</strong> leur sélection en vitesse.<br />

La cinquième leçon a été consacrée aux expériences d’électrodynamique en cavité<br />

micro-on<strong>de</strong> détectant, sans les détruire, <strong><strong>de</strong>s</strong> photons uniques piégés. Les son<strong><strong>de</strong>s</strong> du<br />

champ sont <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes <strong>de</strong> Rydberg traversant un à un la cavité C. Le champ laisse<br />

une empreinte sur la phase d’une superposition d’états atomiques, préparée avant<br />

l’entrée <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes dans C par une première impulsion micro-on<strong>de</strong> R 1 <strong>et</strong> analysée,<br />

après C, par une secon<strong>de</strong> impulsion R 2. L’ensemble R 1-R 2 est un interféromètre<br />

<strong>de</strong> Ramsey. Le détecteur D mesure l’état final <strong>de</strong> l’atome. L’information fournie<br />

par chaque atome est binaire, ce qui suffit pour discriminer entre 0 <strong>et</strong> 1 photon.<br />

Le photon n’étant pas détruit, la mesure peut en principe être indéfiniment répétée.<br />

Deux expériences ont été analysées. La première (1999) exploite une interaction<br />

atome-cavité résonnante, la condition QND étant réalisée en ajustant le temps<br />

d’interaction pour que l’atome revienne dans son état initial, sans absorber le


PHYSIQUE QUANTIQUE 119<br />

photon (impulsion Rabi 2π). Elle a été faite dans une cavité amortie en un temps<br />

T C = 1 ms, trop court pour <strong>de</strong> multiples répétitions <strong>de</strong> la mesure. La secon<strong>de</strong><br />

expérience (2006) utilise une interaction dispersive non-résonnante <strong>et</strong> une cavité<br />

stockant les photons pendant un temps très long (Tc = 0,13 s). Des centaines <strong>de</strong><br />

mesures indépendantes du même photon ont permis d’observer pour la première<br />

fois les sauts quantiques associés à l’annihilation <strong>et</strong> la création <strong>de</strong> photons dans les<br />

miroirs <strong>de</strong> la cavité. Avant <strong>de</strong> décrire ces expériences, nous avons commencé par<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> rappels théoriques sur les états du système atome-champ dans la cavité.<br />

La sixième leçon a montré comment la métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> mesure QND dispersive <strong>de</strong> 0<br />

ou 1 photon peut être généralisée au comptage d’un nombre <strong>de</strong> photons supérieur à<br />

1. Nous avons rappelé que la mesure d’un quantum <strong>de</strong> lumière unique nécessitait<br />

que le déphasage Φ 0 induit par un photon sur le dipôle atomique vaille π. Chaque<br />

atome, décrit comme un spin, sort alors <strong>de</strong> l’appareil en pointant le long <strong>de</strong> l’une <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ux directions opposées, indiquant que C contient 0 ou 1 photon. Le réglage Φ 0=π<br />

est adapté à la mesure <strong>de</strong> la parité du nombre n <strong>de</strong> quanta, assimilable à n si le<br />

champ, très faible, a une probabilité négligeable <strong>de</strong> contenir plus d’un photon. Pour<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> champs plus grands, le comptage QND reste possible en modifiant Φ 0. La valeur<br />

<strong>de</strong> n ne peut plus être obtenue à l’ai<strong>de</strong> d’un seul ‘spin’ mais doit être extraite d’un<br />

ensemble d’atomes. En détectant les ‘spins’ <strong>de</strong> c<strong>et</strong> ensemble un à un, on observe<br />

l’évolution progressive du champ vers un état <strong>de</strong> Fock, ce qu’on appelle l’effondrement<br />

ou ‘collapse’ <strong>de</strong> sa fonction d’on<strong>de</strong>. La répétition <strong>de</strong> la mesure correspondant au<br />

passage dans C d’ensembles d’atomes successifs, révèle la casca<strong>de</strong> en marches<br />

d’escalier du nombre <strong>de</strong> photons vers le vi<strong>de</strong>, due à la relaxation du champ. Après<br />

quelques rappels <strong>et</strong> remarques générales, nous avons analysé c<strong>et</strong>te procédure <strong>de</strong><br />

mesure idéale <strong>de</strong> la lumière en l’appliquant à un p<strong>et</strong>it champ cohérent.<br />

La septième <strong>et</strong> <strong>de</strong>rnière leçon nous a permis d’apporter quelques précisions sur les<br />

mesures QND <strong>de</strong> champs piégé micro-on<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> conclure le <strong>cours</strong> sur quelques<br />

perspectives. Nous avons vu (leçon 6) que la mesure d’une séquence <strong>de</strong> m atomes<br />

traversant un à un une cavité C en étant tous soumis au même déphasage par<br />

photon Φ 0 réduit progressivement le champ à un état <strong>de</strong> Fock |n>. Le nombre m<br />

augmente comme n m 2 , où nm est la borne supérieure <strong>de</strong> n. Nous avons décrit le<br />

principe d’une variante <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te expérience, utilisant successivement <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes<br />

soumis à <strong><strong>de</strong>s</strong> déphasages Φ 0 = π, π/2, π/4…, qui peut déterminer n avec seulement<br />

m~log 2 n m atomes.<br />

Nous nous sommes intéressé ensuite au premier état intermédiaire du champ,<br />

entre l’état initial cohérent <strong>et</strong> l’état <strong>de</strong> Fock final. L’action en r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> la mesure<br />

QND produit après détection du premier atome une superposition d’états du<br />

champ avec 2 phases classiques différentes. Quand Φ 0 = π, les composantes <strong>de</strong> ce<br />

« chat <strong>de</strong> Schrödinger » ont <strong><strong>de</strong>s</strong> amplitu<strong><strong>de</strong>s</strong> opposées <strong>et</strong> ne contiennent, suivant<br />

l’état final <strong>de</strong> l’atome, qu’un nombre pair ou impair <strong>de</strong> photons. En injectant dans<br />

C un champ cohérent d’homodynage <strong>et</strong> en continuant à mesurer <strong>de</strong> façon QND<br />

avec les atomes suivants la parité <strong>de</strong> n, on reconstruit la fonction <strong>de</strong> Wigner <strong>de</strong> ces


120 SERGE HAROCHE<br />

‘chats’ <strong>et</strong> on étudie en temps réel leur décohérence. Nous avons présenté le principe<br />

<strong>de</strong> ces expériences qui ont été décrites plus en détail dans le séminaire <strong>de</strong> I. Dotsenko<br />

qui faisait suite au <strong>cours</strong>. Nous avons enfin conclu la leçon par la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription d’une<br />

expérience d’eff<strong>et</strong> Zénon sur un champ mesuré <strong>de</strong> façon répétée <strong>et</strong> par une brève<br />

présentation <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur la non-localité que nous comptons effectuer, dans le<br />

prolongement <strong>de</strong> ces expériences, avec <strong>de</strong>ux cavités.<br />

Enseignement du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> « hors les murs »<br />

L’enseignement donné à Chicago en octobre 2008 était <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné aux étudiants <strong>et</strong><br />

chercheurs du département <strong>de</strong> physique <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Chicago. Deux leçons<br />

étaient réservées aux étudiants en thèse (graduate stu<strong>de</strong>nts) <strong>et</strong> aux post-docs en<br />

physique atomique <strong>et</strong> en optique quantique. Elles ont porté sur la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

expériences QND en électrodynamique quantique en cavité traitées dans le <strong>cours</strong><br />

donné à Paris (contenu <strong><strong>de</strong>s</strong> leçons 5 à 7 décrites ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus). Deux autres leçons<br />

étaient <strong><strong>de</strong>s</strong>tinées aux étudiants en maîtrise (un<strong>de</strong>rgraduates) <strong>et</strong> ont constitué une<br />

introduction générale à l’optique quantique <strong>et</strong> au refroidissement <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes par<br />

laser. Enfin, un colloquium plus général intitulé « Counting photons without<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>troying them: an i<strong>de</strong>al measurement of light » a été donné à l’ensemble du<br />

département <strong>de</strong> physique <strong>de</strong> l’université.<br />

Les séminaires <strong>de</strong> l’année 2007-2008<br />

Une série <strong>de</strong> sept séminaires accompagnait le <strong>cours</strong> du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> à Paris<br />

en le complétant <strong>et</strong> en en illustrant différents aspects. En voici la liste dans l’ordre<br />

où ils ont été donnés :<br />

21 janvier 2008 : Interférence à un photon, complémentarité <strong>et</strong> expérience à choix r<strong>et</strong>ardé<br />

<strong>de</strong> Wheeler.<br />

Jean-François Roch, ENS-Cachan.<br />

28 janvier 2008 : Circuit QED : Quantum Optics of Electrical Circuits.<br />

Steven Girvin, Yale University.<br />

4 février 2008 : Optical manipulation of quantum dot spins.<br />

Atac Imamoglu, ETH Zurich.<br />

11 février 2008 : Chatons <strong>de</strong> Schrödinger <strong>et</strong> états non gaussiens <strong>de</strong> la lumière : <strong>de</strong> nouveaux<br />

outils pour les communications quantiques.<br />

Philippe Grangier, Institut d’Optique, Palaiseau.<br />

25 février 2008 : Cavity-free efficient coupling of single photons and single emitters.<br />

Vahid Sandoghdar, ETH, Zurich.<br />

3 mars 2008 : Precision quantum m<strong>et</strong>rology with lattice-confined ultracold atoms.<br />

Jun Ye, JILA <strong>et</strong> Université <strong>de</strong> Boul<strong>de</strong>r, Colorado.<br />

10 mars 2008 : Tomography of photonic Schrödinger cats in a cavity.<br />

Igor Dotsenko, LKB- ENS <strong>et</strong> <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.


Autres conférences <strong>et</strong> séminaires <strong>de</strong> Serge Haroche<br />

PHYSIQUE QUANTIQUE 121<br />

En <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> ses <strong>cours</strong> au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> à Chicago, S. Haroche a donné<br />

les séminaires, <strong>cours</strong> <strong>et</strong> conférences suivants entre juill<strong>et</strong> 2007 <strong>et</strong> juin 2008 :<br />

— Août 2007 : Communication invitée à la Gordon Research Conference on Quantum<br />

Control of Light and Matter : « From Quantum Non-<strong>de</strong>molition measurements of photons to<br />

the control of quantum states of light in a cavity », Newport, États-Unis.<br />

— Août 2007 : Quatre <strong>cours</strong> à l’École Latino Américaine <strong>de</strong> Physique, ELAF 2007 :<br />

« Quantum information with atoms and photons in cavities », Mexico.<br />

— Septembre 2007 : Communication invitée à la Conférence « Photons, Atoms and<br />

Qubits » <strong>de</strong> la Royal Soci<strong>et</strong>y : « Quantum non-<strong>de</strong>molition counting of photons in a cavity: an<br />

i<strong>de</strong>al measurement of light », Londres.<br />

— Septembre 2007 : Communication invitée à la Conférence QuAMP 2007 : « Quantum<br />

non-<strong>de</strong>molition counting of photons applied to the investigation of non-classical states of light »,<br />

University College, Londres.<br />

— Octobre 2007 : Colloquium à Argonne National Laboratories : « Quantum non<strong>de</strong>molition<br />

measurement of light : The birth, life and <strong>de</strong>ath of trapped photons », Argonne,<br />

Illinois.<br />

— Octobre 2007 : Communication invitée à la Conférence QIPC 2007 : « Quantum<br />

Non-Demolition Counting of Photons in a Cavity : an i<strong>de</strong>al measurement of light »,<br />

Barcelone.<br />

— Novembre 2007 : Colloquium à l’Université d’Oxford : « Counting photons without<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>troying them: an i<strong>de</strong>al measurement of light ».<br />

— Décembre 2007 : Colloquium à MIT : « Trapping and counting photons without<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>troying them: a new way to look at light », Cambridge, États-Unis.<br />

— Décembre 2007 : Séminaire à Harvard University : « Quantum Non-Demolition<br />

measurement of light and tomography of photonic Schrödinger cats in Cavity QED », Cambridge,<br />

États-Unis.<br />

— Janvier 2008 : Communication invitée à la Conférence « Quantum Noise in Strongly<br />

Correlated Systems : “Non-<strong><strong>de</strong>s</strong>tructive photon counting and reconstruction of photonic ‘Schrödinger<br />

cat’ states” in cavity QED », Institut Weizman, Israël.<br />

— Janvier 2008 : Conférence à l’École polytechnique : « Voir sans détruire la lumière : vie<br />

<strong>et</strong> mort <strong>de</strong> photons dans une cavité ».<br />

— Janvier 2008 : Présentation au Colloque ANR Lumière : « Champs mésoscopiques nonlocaux<br />

en electrodynamique quantique en cavité », Orsay.<br />

— Février 2008 : Colloquium à Los Alamos : « Quantum Non Demolition counting of<br />

photons and Schrödinger cat tomography in Cavity QED experiments », Los Alamos, Nouveau-<br />

Mexique, États-Unis.<br />

— Février 2008 : Communication invitée au Workshop SQUINT (Southwest Quantum<br />

information and technology) : « Quantum Non-Demolition counting of photons in Cavity<br />

QED », Santa Fe, Nouveau-Mexique, États-Unis.<br />

— Mars 2008 : Présentation invitée à la Young Atom Optician Conference : « Trapping<br />

and counting photons without <strong><strong>de</strong>s</strong>troying them : a new way to look at light », Florence, Italie.<br />

— Mars 2008 : Conférence invitée au Me<strong>et</strong>ing <strong>de</strong> la Société Finlandaise <strong>de</strong> Physique :<br />

« Trapping and counting photons without <strong><strong>de</strong>s</strong>troying them: a new way to look at light », Turku,<br />

Finlan<strong>de</strong>.


122 SERGE HAROCHE<br />

— Avril 2008 : Rydberg lecture à l’Université <strong>de</strong> Lund : « Trapping and counting photons<br />

without <strong><strong>de</strong>s</strong>troying them: a new way to look at light », Lund, Suè<strong>de</strong>.<br />

— Avril 2008 : Communication invitée à la Conference on precision measurements with<br />

quantum gases : « QND photon counting applied to the preparation and reconstruction of<br />

Schrödinger cat states of light trapped in a cavity », Trente, Italie.<br />

— Avril 2008 : Colloquium à l’Université du Wisconsin : « Trapping and counting photons<br />

without <strong><strong>de</strong>s</strong>troying them: a new way to look at light », Madison, Wisconsin, États-Unis.<br />

— Avril 2008 : Séminaire à l’Université du Wisconsin : « Reconstructing the Wigner<br />

function of a photonic Schrödinger cat in a cavity : a movie of <strong>de</strong>coherence », Madison,<br />

Wisconsin, États-Unis.<br />

— Avril 2008 : Colloquium à l’université <strong>de</strong> Bielefeld : « Trapping and counting photons<br />

without <strong><strong>de</strong>s</strong>troying them : a new way to look at light », Bielefeld, Allemagne.<br />

— Avril 2008 : Colloquium à l’Université d’Innsbruck : « Quantum non-<strong>de</strong>molition<br />

photon counting & Schrödinger cat states reconstruction in a cavity », Innsbruck, Autriche.<br />

— Mai 2008 : Présentation invitée au Solvay Workshop on Bits, Quanta, and Complex<br />

System: « Generating and reconstructing non-classical photonic states in Cavity QED : present<br />

stage and perspectives », Bruxelles.<br />

— Mai 2008 : Conférence invitée au Workshop on Quantum Phenomena and<br />

Information « Reconstructing the Wigner function of photonic Schrödinger cats in a cavity : a<br />

movie of <strong>de</strong>coherence », Trieste, Italie.<br />

— Mai 2008 : Colloquium à l’Université technologique <strong>de</strong> Vienne : « Time-resolved<br />

reconstruction of photonic Schrödinger cats in a cavity : a movie of <strong>de</strong>coherence », Vienne,<br />

Autriche.<br />

— Juin 2008 : Conférence invitée au Symposium en l’Honneur du 75 e anniversaire <strong>de</strong><br />

P<strong>et</strong>er Toschek : « From atom to light quantum jumps : applying to photons the wizard tricks<br />

learned from P<strong>et</strong>er Toschek and his ion trapper colleagues », Hambourg.<br />

Activités <strong>de</strong> recherche<br />

Le travail <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> S.Haroche se déroule au sein du Laboratoire Kastler<br />

Brossel (LKB) <strong>de</strong> l’École normale supérieure. Il y co-dirige, avec ses collègues Jean-<br />

Michel Raimond (Professeur à Paris VI <strong>et</strong> à l’Institut universitaire <strong>de</strong> <strong>France</strong>) <strong>et</strong><br />

Michel Brune (Directeur <strong>de</strong> recherche au CNRS) une équipe <strong>de</strong> chercheurs <strong>et</strong><br />

d’étudiants (groupe d’électrodynamique quantique en cavité). Un <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs<br />

du groupe est un visiteur postdoctoral recruté sur un poste <strong>de</strong> maître <strong>de</strong> conférence<br />

au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Monsieur Igor Dotsenko (<strong>de</strong> nationalité ukrainienne).<br />

Le thème général <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches du groupe porte sur l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s quantiques<br />

(intrication, complémentarité <strong>et</strong> décohérence) <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs applications dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

systèmes constitués d’atomes en interaction avec <strong><strong>de</strong>s</strong> photons. Un rapport d’activité<br />

compl<strong>et</strong> est rédigé tous les <strong>de</strong>ux ans pour le comité national du CNRS <strong>et</strong> contient<br />

une analyse détaillée <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes scientifiques abordés par le groupe <strong>et</strong> un bilan<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> résultats nouveaux.<br />

Nos recherches se poursuivent <strong>de</strong>puis quelques années dans <strong>de</strong>ux directions :<br />

d’une part, nous étudions <strong><strong>de</strong>s</strong> états non-classiques <strong>de</strong> champs mésoscopiques piégés<br />

dans <strong><strong>de</strong>s</strong> cavités <strong>de</strong> très grand facteur <strong>de</strong> qualité, d’autre part nous réalisons <strong><strong>de</strong>s</strong>


PHYSIQUE QUANTIQUE 123<br />

« puces » à atomes piégeant <strong>de</strong> p<strong>et</strong>its échantillons d’atomes froids au voisinage <strong>de</strong><br />

circuits supraconducteurs. La problématique <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux types d’expériences a été<br />

détaillée dans le résumé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> <strong>et</strong> <strong>travaux</strong> antérieurs <strong>et</strong> nous nous contenterons<br />

d’indiquer ici les résultats obtenus au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière année.<br />

1) Gel <strong>de</strong> l’évolution cohérente d’un champ quantique dans une cavité :<br />

une démonstration <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> Zénon quantique<br />

La mesure QND du champ décrite dans le résumé <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> l’année<br />

<strong>de</strong>rnière perm<strong>et</strong> une observation répétée d’un système quantique. On sait que dans<br />

ces conditions, toute évolution cohérente du système peut se trouver inhibée, en<br />

raison <strong>de</strong> sa projection répétée sur l’état initial. Il s’agit du fameux eff<strong>et</strong> Zénon,<br />

analysé théoriquement <strong>de</strong>puis longtemps en physique quantique <strong>et</strong> observé sur un<br />

certain nombre <strong>de</strong> systèmes simples au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>rnières années. Avec notre<br />

montage nous avons pu en faire une démonstration spectaculaire en gelant le<br />

champ dans une cavité excitée par une succession d’impulsions micro-on<strong>de</strong> en<br />

phase. Si le champ est laissé libre entre ces impulsions, il se bâtit dans la cavité<br />

sous l’eff<strong>et</strong> constructif <strong><strong>de</strong>s</strong> excitations successives. Si on le mesure entre <strong>de</strong>ux<br />

impulsions, c<strong>et</strong>te construction du champ est empêchée <strong>et</strong> il reste très proche <strong>de</strong><br />

son état initial, le vi<strong>de</strong>. L’expérience confirme en tous points les prévisions<br />

théoriques <strong>et</strong> perm<strong>et</strong> d’interpréter c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> Zénon comme résultant <strong>de</strong> l’action en<br />

r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> la mesure du nombre <strong>de</strong> photons sur la phase du champ.<br />

2) Reconstruction d’états non classiques du champ piégé dans une cavité<br />

La mesure quantique non <strong><strong>de</strong>s</strong>tructive (QND) du nombre <strong>de</strong> photons a également<br />

ouvert la voie à <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences nouvelles <strong>de</strong> reconstruction complète <strong>de</strong> l’état d’un<br />

champ piégé. Bien que la mesure QND ne fournisse en principe qu’une information<br />

sur le nombre <strong>de</strong> photons, on peut l’utiliser pour réaliser une « tomographie »<br />

complète d’un état quantique arbitraire préparé dans la cavité. En eff<strong>et</strong> notre<br />

mesure du nombre <strong>de</strong> photons perm<strong>et</strong>, en la répétant un grand nombre <strong>de</strong> fois,<br />

<strong>de</strong> mesurer la probabilité d’occurrence d’un nombre <strong>de</strong> photon donné dans un état<br />

quelconque du champ. On peut ainsi directement mesurer les éléments diagonaux<br />

<strong>de</strong> la matrice <strong>de</strong>nsité du champ dans la base <strong><strong>de</strong>s</strong> états nombre. En couplant une<br />

source classique au mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> la cavité contenant le champ à mesurer, on réalise une<br />

simple opération <strong>de</strong> translation <strong>de</strong> l’état du champ dans l’espace <strong><strong>de</strong>s</strong> phases (plan<br />

<strong>de</strong> Fresnel). C<strong>et</strong>te opération redistribue les éléments <strong>de</strong> matrice non diagonaux <strong>de</strong><br />

l’opérateur <strong>de</strong>nsité du champ <strong>de</strong> sorte que la mesure <strong>de</strong> la probabilité du nombre<br />

<strong>de</strong> photons <strong>de</strong> l’état translaté <strong>de</strong>vient sensible à ces éléments non diagonaux. Si on<br />

réalise c<strong>et</strong>te mesure pour un nombre suffisant <strong>de</strong> translations différentes <strong>de</strong> l’état<br />

à mesurer, on obtient un ensemble <strong>de</strong> contraintes qui déterminent complètement<br />

l’opérateur <strong>de</strong>nsité du champ, ou, <strong>de</strong> façon équivalente, sa distribution <strong>de</strong><br />

Wigner.


124 SERGE HAROCHE<br />

Nous venons d’appliquer c<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> à la mesure <strong>de</strong> la fonction <strong>de</strong> Wigner<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> états nombre <strong>de</strong> photons (états <strong>de</strong> Fock) préparés par notre métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> mesure<br />

non <strong><strong>de</strong>s</strong>tructive, <strong>et</strong> d’états « chats <strong>de</strong> Schrödinger » du champ. Ces états,<br />

superpositions quantiques <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux champs quasi-classiques <strong>de</strong> phases différentes,<br />

sont préparés par la détection du premier atome utilisé pour la mesure QND du<br />

champ. Leur préparation peut être vue comme l’action en r<strong>et</strong>our d’une mesure<br />

QND du nombre <strong>de</strong> photons sur son observable conjuguée, la phase du champ.<br />

En appliquant notre protocole <strong>de</strong> reconstruction complète <strong>de</strong> l’état quantique du<br />

champ après un délai variable, nous pouvons enregistrer le film <strong>de</strong> la décohérence<br />

d’un chat <strong>de</strong> Schrödinger, c’est à dire observer toutes les étapes <strong>de</strong> son passage à<br />

travers la frontière floue entre les mon<strong><strong>de</strong>s</strong> quantique <strong>et</strong> classique.<br />

3) Expérience <strong>de</strong> puce à atome cryogénique<br />

Après la réalisation <strong>de</strong> pièges à atome sur puce à courants supraconducteurs <strong>et</strong><br />

l’observation <strong>de</strong> la première con<strong>de</strong>nsation <strong>de</strong> Bose Einstein dans ce système (voir<br />

résumé <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> précé<strong>de</strong>nt), nous avons passé la <strong>de</strong>rnière année à analyser la<br />

durée <strong>de</strong> vie <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes dans ce type <strong>de</strong> piège, très différent <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes à<br />

température ambiante réalisés jusqu’alors. Un <strong><strong>de</strong>s</strong> principaux défis posé par les<br />

puces à atomes est <strong>de</strong> parvenir à amener l’échantillon atomique à proximité <strong>de</strong> la<br />

surface. C’est en eff<strong>et</strong> dans ce régime que l’on obtient les plus grands confinements,<br />

importants pour <strong>de</strong> nombreuses expériences. Il a malheureusement été observé que<br />

le temps <strong>de</strong> vie <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes dans le piège décroît <strong>de</strong> manière importante à très<br />

courte distance <strong>de</strong> surfaces métalliques. On comprend bien les raisons physiques<br />

<strong>de</strong> ce phénomène : les atomes s’approchent en eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> matériaux dans lesquels<br />

existent <strong><strong>de</strong>s</strong> fluctuations thermiques <strong>de</strong> courant. Ces <strong>de</strong>rnières rayonnent un champ<br />

magnétique aléatoire au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes dont certaines composantes spectrales<br />

induisent <strong><strong>de</strong>s</strong> transitions vers <strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux Zeeman non piégés. Le bruit magnétique<br />

<strong>de</strong>vient très important à courte distance du fait du rayonnement en champ proche<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> sources <strong>de</strong> courant. On attend une situation radicalement différente dans le<br />

cas <strong><strong>de</strong>s</strong> supraconducteurs.<br />

Le théorème fluctuation-dissipation perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> relier le taux <strong>de</strong> pertes du piège à la<br />

dissipation du métal par eff<strong>et</strong> Joule à la fréquence <strong>de</strong> transition atomique. Or ce type<br />

<strong>de</strong> perte est diminué drastiquement dans le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> matériaux supraconducteurs. Les<br />

modèles les plus simples <strong>de</strong> supraconductivité prédisent une augmentation <strong>de</strong> la<br />

durée <strong>de</strong> vie <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes dans le piège <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 6 ordres <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>urs par rapport à<br />

un métal normal. Toute la difficulté est cependant <strong>de</strong> disposer d’un modèle théorique<br />

qui ren<strong>de</strong> bien compte <strong>de</strong> la réponse du supraconducteur. Il y a un certain débat sur<br />

c<strong>et</strong>te question au sein <strong>de</strong> la communauté <strong><strong>de</strong>s</strong> théoriciens <strong>de</strong> la supraconductivité, en<br />

particulier dans le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> supraconducteurs <strong>de</strong> type II (comme le niobium) dans<br />

lesquels existent <strong><strong>de</strong>s</strong> vortex <strong>de</strong> champ magnétique. Nous avons engagé une<br />

collaboration avec <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs du Laboratoire Pierre Aigrain spécialistes <strong>de</strong> la<br />

question. Nous <strong>de</strong>vrions bientôt apporter <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses théoriques sur l’eff<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

vortex sur le temps <strong>de</strong> vie <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes. Il semble, au vu <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats préliminaires,


PHYSIQUE QUANTIQUE 125<br />

que la présence <strong><strong>de</strong>s</strong> vortex raccourcisse la durée <strong>de</strong> vie <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes, mais qu’elle la<br />

laisse cependant très supérieure à ce qu’elle est en présence <strong>de</strong> métaux normaux. Pour<br />

vérifier ces prévisions, il est essentiel du point <strong>de</strong> vue expérimental <strong>de</strong> pouvoir<br />

mesurer <strong>de</strong> très longs temps <strong>de</strong> vie dans le piège sans être limité par <strong><strong>de</strong>s</strong> causes <strong>de</strong><br />

bruit technique. Atteindre ou approcher les très longs temps <strong>de</strong> piégeage prédits par<br />

la théorie est un but difficile, mais indispensable si l’on veut tirer avantage <strong><strong>de</strong>s</strong> puces<br />

cryogéniques. Nous avons à c<strong>et</strong>te fin réduit significativement les sources <strong>de</strong> bruit<br />

technique dans notre expérience. Ceci nous a permis d’augmenter d’un facteur 5 le<br />

temps <strong>de</strong> vie rapporté précé<strong>de</strong>mment <strong>et</strong> ouvre la voie à une mesure réaliste <strong>de</strong> la<br />

dissipation dans les puces supraconductrices.<br />

Publications du groupe d’électrodynamique quantique en cavité<br />

(juill<strong>et</strong> 2007 - juin 2008)<br />

1. C. Guerlin, J. Bernu, S. Deléglise, C. Sayrin, S. Gleyzes, S. Kuhr, M. Brune,<br />

J.-M. Raimond <strong>et</strong> S. Haroche, « Progressive field state collapse and quantum non-<strong>de</strong>molition<br />

photon counting », Nature, 448, 889 (2007).<br />

2. S. Haroche, M. Brune <strong>et</strong> J.-M. Raimond, « Measuring the photon number parity in a<br />

cavity : from light quantum jumps to the tomography of non-classical field states », Journal<br />

of Mo<strong>de</strong>rn Optics, 54, 2101 (2007).<br />

3. S. Haroche, « A short history of Cavity Quantum Elecrodynamics » dans Coherence<br />

and Quantum Optics IX, N.P. Bigelow, J.H. Eberly <strong>et</strong> C.R. Stroud, éditeurs, AIP (2008).<br />

4. M. Brune, S. Gleyzes, S. Kuhr, C. Guerlin, J. bernu, S. Deléglise, U. Busk Hoff,<br />

J.-M. Raimond <strong>et</strong> S. Haroche, « Observing quanum jumps of light by Quantum<br />

Non-Demolition measurements » dans Coherence and Quantum Optics IX, N.P. Bigelow,<br />

J.H. Eberly <strong>et</strong> C.R. Stroud, éditeurs, AIP (2008).<br />

5. S. Haroche, C. Guerlin, J. Bernu, S. Deléglise, C. Sayrin, S. Gleyzes, S. Kuhr,<br />

M. Brune <strong>et</strong> J.-M. Raimond, « Quantum Non-Demolition counting of photons in a cavity »<br />

dans Laser Spectrsocopy XVIII, L. Holberg , J. Bergquist <strong>et</strong> M. Kasevich editeurs, World<br />

Scientific (2008).<br />

6. S. Haroche, J.-M. Raimond and M. Brune, « Schrödinger cat states and <strong>de</strong>coherence<br />

studies in cavity QED », Proceedings of the Durban Conference « Theor<strong>et</strong>ical and<br />

experimental foundations of mo<strong>de</strong>rn technologies », European Physical Journal-Special<br />

Topics, Volume : 159 pages : 19 (2008).<br />

7. C. Roux, A. Emmert, A. Lupascu, T. Nierregarten, G. Nogues, M. Brune,<br />

J.-M. Raimond <strong>et</strong> S. Haroche : Bose-Einstein con<strong>de</strong>nsation on a superconducting atom<br />

chip, Ero. Phys. L<strong>et</strong>t. 81, 56004 (2008).<br />

8. S. Deléglise, I. Dotsenko, C. Sayrin, J. Bernu, M. Brune, J.-M. Raimond <strong>et</strong> S. Haroche,<br />

Reconstruction of non-classical cavity field states and movie of their <strong>de</strong>coherence, soumis à<br />

publication (juin 2008).<br />

9. J. Bernu, S. Deléglise, C. Sayrin, S. Kuhr, I. Dotsenko, M. Brune, J.-M. Raimond <strong>et</strong><br />

S. Haroche, Freezing coherent field growth in a cavity by quantum Zeno effect, soumis à<br />

publication (juill<strong>et</strong> 2008).


1. Enseignement au <strong>Collège</strong><br />

Physique mésoscopique<br />

M. Michel Devor<strong>et</strong>, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />

1.1. Cours <strong>de</strong> l’année 2008 : « Signaux <strong>et</strong> circuits quantiques »<br />

En informatique, la notion <strong>de</strong> bit, unité élémentaire d’information, est souvent<br />

discutée en termes abstraits, dissociés d’une implémentation particulière. C’est le<br />

cas par exemple lorsqu’on abor<strong>de</strong> les opérations booléennes. Ceci est justifié par<br />

l’universalité <strong>de</strong> la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> protocoles <strong>de</strong> communication,<br />

lesquels sont largement indépendants <strong><strong>de</strong>s</strong> détails <strong>de</strong> la représentation. Toutefois,<br />

quand on s’intéresse aux limites ultimes <strong><strong>de</strong>s</strong> paramètres du traitement <strong>de</strong><br />

l’information comme le débit, le volume <strong>de</strong> données, la consommation d’énergie,<br />

le temps <strong>de</strong> latence, <strong>et</strong>c., la nature physique <strong>et</strong> les interactions mutuelles <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>grés<br />

<strong>de</strong> liberté porteurs <strong>de</strong> l’information <strong>de</strong>viennent cruciales. Dans ce <strong>cours</strong>, est<br />

explorée la physique <strong><strong>de</strong>s</strong> dispositifs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes électroniques qui traitent<br />

l’information au niveau le plus élémentaire : le un <strong>et</strong> le zéro sont représentés par<br />

la présence <strong>et</strong> l’absence d’un quantum d’excitation <strong><strong>de</strong>s</strong> champs électromagnétiques<br />

dans le circuit. Les leçons <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année ont constitué une introduction à ce<br />

domaine, limitée aux situations où le traitement quantique <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

circuits est en continuation la plus directe du traitement classique.<br />

La première leçon a commencé par quelques rappels <strong>de</strong> théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits<br />

classiques, comme les définitions concernant les variables <strong>de</strong> nœuds <strong>et</strong> les variables<br />

<strong>de</strong> boucles, les lois <strong>de</strong> Kirchhoff <strong>et</strong> les relations constitutives <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments du<br />

circuit, à partir <strong>de</strong> l’exemple simple d’un circuit résonant LC (inductance +<br />

capacitance). L’élément d’information quantique, le bit quantique est constitué<br />

d’une paire <strong>de</strong> niveaux quantiques — généralement le niveau fondamental <strong>et</strong> le<br />

premier niveau excité — d’un <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> liberté élémentaire, en l’occurrence celui<br />

d’un mo<strong>de</strong> électromagnétique du circuit. On a compris <strong>de</strong>puis le milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> années<br />

90 que l’information quantique est extrêmement puissante quand il s’agit <strong>de</strong>


128 MICHEL DEVORET<br />

représenter <strong>de</strong> façon minimale les relations contenues dans la donnée d’une<br />

fonction. Mais comment en pratique implémenter les bits quantiques ? Peut-on<br />

tout simplement utiliser les niveaux quantiques d’un circuit LC, comme on<br />

utiliserait ceux d’un oscillateur harmonique mécanique ? En fait, ce <strong>de</strong>rnier possè<strong>de</strong><br />

la désagréable propriété d’avoir toutes les transitions entre niveaux voisins situées<br />

à la même fréquence. Il faut donc introduire dans le circuit un élément nonlinéaire,<br />

non-dissipatif, pour isoler une paire <strong>de</strong> niveaux. C<strong>et</strong> élément est une<br />

jonction tunnel Josephson, qui joue le rôle d’une inductance dont la valeur varie<br />

avec le courant. On arrive ainsi au circuit quantique élémentaire qui comprend un<br />

minimum d’élément, la boîte à paires <strong>de</strong> Cooper, qui est constituée d’une simple<br />

jonction tunnel en série avec une capacité <strong>et</strong> une source <strong>de</strong> courant. Ce circuit est<br />

l’équivalent d’un simple atome hydrogénoï<strong>de</strong> en physique atomique.<br />

Dans la secon<strong>de</strong> leçon, nous avons abordé le problème que pose l’écriture <strong>de</strong><br />

l’hamiltonien dans un circuit quantique arbitraire. Pour les atomes, l’hamiltonien<br />

quantique s’obtient simplement en traitant les variables conjuguées du problème<br />

classique — position <strong>et</strong> impulsion <strong><strong>de</strong>s</strong> électrons — comme <strong><strong>de</strong>s</strong> opérateurs qui ne<br />

commutent pas. Qu’en est-il dans les circuits ? Le rôle <strong>de</strong> la position <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l’impulsion est joué par le flux <strong>et</strong> la charge. Ces opérateurs canoniquement<br />

conjugués sont définis à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> intégrales temporelles <strong>de</strong> la tension <strong>et</strong> du<br />

courant dans une branche du circuit. On peut se convaincre <strong>de</strong> la validité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

relations <strong>de</strong> commutation entre charge <strong>et</strong> flux à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> relations <strong>de</strong><br />

commutation entre champ électrique <strong>et</strong> champ magnétique en électrodynamique<br />

quantique. Parmi les notions surprenantes <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits quantiques, il y a celle <strong>de</strong><br />

flux généralisé aux bornes d’un élément quelconque qui n’est pas nécessairement<br />

une inductance. On arrive ainsi à la quantification <strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> électromagnétiques<br />

d’une ligne <strong>de</strong> transmission, en traitant celle-ci comme une chaîne d’oscillateurs<br />

LC couplés.<br />

La troisième leçon a été consacrée à la décomposition d’un signal se propageant<br />

le long d’une ligne <strong>de</strong> transmission en mo<strong><strong>de</strong>s</strong> discr<strong>et</strong>s orthogonaux. Nous avons<br />

introduit les concepts <strong>de</strong> base <strong>de</strong> la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> on<strong>de</strong>l<strong>et</strong>tes. Il est remarquable<br />

qu’un signal d’énergie finie puisse être décomposé sur une base d’on<strong><strong>de</strong>s</strong> continues<br />

à la fois localisées en temps <strong>et</strong> en fréquence. Chaque on<strong>de</strong> <strong>de</strong> base peut être<br />

représentée par un rectangle dans le plan temps-fréquence, lequel rappelle la portée<br />

d’une partition <strong>de</strong> musique. La largeur du rectangle correspond au pas en temps<br />

<strong>de</strong> la base, <strong>et</strong> sa hauteur, au pas en fréquence <strong>de</strong> la base. C<strong>et</strong>te segmentation<br />

discrète correspond à une « première quantification » <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux. Lorsque les<br />

propriétés <strong>de</strong> celle-ci sont bien acquises, on peut introduire la secon<strong>de</strong><br />

quantification : elle consiste à déclarer comme variables conjuguées les amplitu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

complexes <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mo<strong><strong>de</strong>s</strong> discr<strong>et</strong>s <strong>de</strong> même in<strong>de</strong>x <strong>de</strong> position en temps, mais avec<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> in<strong>de</strong>x opposés en fréquence. C<strong>et</strong>te secon<strong>de</strong> quantification implique l’existence<br />

d’états discr<strong>et</strong>s pour la fonction d’on<strong>de</strong> décrivant l’amplitu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux mo<strong><strong>de</strong>s</strong>. On<br />

arrive ainsi aux états discr<strong>et</strong>s correspondant aux photons, les on<strong>de</strong>l<strong>et</strong>tes sousjacentes<br />

constituant la « fonction d’on<strong>de</strong> » <strong><strong>de</strong>s</strong> photons. Il faut remarquer que


PHYSIQUE MÉSOSCOPIQUE 129<br />

c<strong>et</strong>te fonction d’on<strong>de</strong> ne peut pas avoir tous ses moments finis à la fois en<br />

fréquence <strong>et</strong> en temps, comme une fonction gaussienne, <strong>et</strong> servir en même temps<br />

<strong>de</strong> patron pour une base discrète.<br />

Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la quatrième leçon, nous avons établi l’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> opérateurs <strong>de</strong><br />

champ dans l’espace <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences, à partir <strong>de</strong> la décomposition du signal en on<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>de</strong> vecteurs d’on<strong>de</strong> bien déterminés. Le commutateur <strong>de</strong> ces opérateurs <strong>de</strong> champ est<br />

singulier : il est donné par une fonction <strong>de</strong> Dirac faisant intervenir la somme <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

fréquences. De même, dans l’état thermique, la valeur moyenne <strong>de</strong> l’anti-commutateur<br />

est donnée par la même fonction <strong>de</strong> Dirac, mais multipliée par une fonction analogue<br />

au nombre moyen <strong>de</strong> photons d’un oscillateur. On arrive ainsi à <strong><strong>de</strong>s</strong> expressions<br />

commo<strong><strong>de</strong>s</strong> pour les calculs ; mais pour r<strong>et</strong>rouver le sens physique <strong><strong>de</strong>s</strong> opérateurs, il<br />

faut introduire les opérateurs <strong>de</strong> création <strong>et</strong> d’annihilation <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>, à partir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

on<strong>de</strong>l<strong>et</strong>tes définies dans la leçon précé<strong>de</strong>nte. Ces opérateurs <strong>de</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong><br />

spécifier rigoureusement l’état du champ dans une ligne <strong>de</strong> transmission, par exemple<br />

un état semi-classique du champ. On peut représenter un état semi-classique par une<br />

généralisation du vecteur <strong>de</strong> Fresnel, surnommée parfois « suc<strong>et</strong>te <strong>de</strong> Fresnel » : on<br />

munit le segment du vecteur, qui représente l’amplitu<strong>de</strong> <strong>et</strong> la phase moyenne <strong>de</strong> l’état<br />

dans le plan <strong><strong>de</strong>s</strong> quadratures, non pas d’une pointe <strong>de</strong> flèche, mais d’un disque dont le<br />

rayon donne l’écart type <strong><strong>de</strong>s</strong> fluctuations, en l’occurrence celles <strong>de</strong> point zéro. En<br />

revanche, un état avec un nombre <strong>de</strong> photons bien déterminé (état dit <strong>de</strong> Fock)<br />

correspond à une figure avec symétrie <strong>de</strong> rotation comportant une série d’anneaux, le<br />

nombre d’anneaux étant égal au nombre <strong>de</strong> photons.<br />

La cinquième leçon a commencé par le rappel <strong>de</strong> la relation entre le nombre<br />

<strong>de</strong> photons dans un mo<strong>de</strong> propagatif <strong>et</strong> les valeurs moyennes quadratiques<br />

correspondantes <strong><strong>de</strong>s</strong> courants <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> tensions. À partir <strong>de</strong> ce type <strong>de</strong> relation, on<br />

peut calculer les fluctuations <strong><strong>de</strong>s</strong> quantités électriques pour un circuit LC, <strong>et</strong> par<br />

là, établir pour une impédance quelconque la relation entre la partie réelle <strong>de</strong><br />

l’impédance <strong>et</strong> la <strong>de</strong>nsité spectrale <strong><strong>de</strong>s</strong> fluctuations du bruit Johnson. Dans le cas<br />

quantique, c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>nsité spectrale est asymétrique : les fréquences positives, qui<br />

correspon<strong>de</strong>nt aux processus d’émission spontanée <strong>et</strong> stimulée du circuit connecté<br />

à l’impédance, sont plus intenses que les fréquences négatives, qui correspon<strong>de</strong>nt<br />

aux processus d’absorption. Nous avons présenté ce calcul <strong>de</strong> la <strong>de</strong>nsité spectrale<br />

à la fois en prenant le point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> Cal<strong>de</strong>ira-Legg<strong>et</strong>t, où l’impédance est<br />

remplacée par une série infinie d’oscillateurs harmoniques (mo<strong><strong>de</strong>s</strong> stationnaires),<br />

<strong>et</strong> le point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> Nyquist, qui remplace la partie dissipative <strong>de</strong> l’impédance<br />

par une ligne <strong>de</strong> transmission semi-infinie (mo<strong><strong>de</strong>s</strong> propagatifs), peuplée par un<br />

champ thermique inci<strong>de</strong>nt. Le formalisme entrée-sortie est très utile pour passer<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> équations du circuit avec les <strong>de</strong>ux termes <strong>de</strong> dissipation <strong>et</strong> <strong>de</strong> forçage, aux<br />

équations <strong>de</strong> diffusion <strong><strong>de</strong>s</strong> champs sur le noyau formé <strong>de</strong> la partie réactive du<br />

circuit. Ainsi, le théorème fluctuation-dissipation quantique peut-il être vu comme<br />

une conséquence <strong>de</strong> la propriété <strong>de</strong> symétrie du circuit : ce <strong>de</strong>rnier ne peut pas<br />

distinguer, dans le processus <strong>de</strong> diffusion <strong><strong>de</strong>s</strong> champs conduits par la ligne <strong>de</strong><br />

transmission, un signal déterministe du bruit thermique.


130 MICHEL DEVORET<br />

La sixième leçon a été consacrée au processus d’amplification paramétrique. Le<br />

point <strong>de</strong> départ est le théorème <strong>de</strong> Caves, qui stipule qu’un amplificateur préservant la<br />

phase doit nécessairement ajouter au signal une intensité <strong>de</strong> bruit — comptée en se<br />

référant à l’entrée — équivalente à un <strong>de</strong>mi-photon par mo<strong>de</strong> du signal. Comment<br />

atteindre c<strong>et</strong>te limite quantique ? La solution, dans le cas <strong>de</strong> l’amplificateur<br />

paramétrique non-dégénéré, est simple : il faut utiliser le nombre minimum <strong>de</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

possibles, c’est-à-dire 2, si l’on compte le mo<strong>de</strong> à amplifier. Au mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> signal doit<br />

donc être adjoint un mo<strong>de</strong> image, circulant dans une ligne annexe. Le modèle le plus<br />

élémentaire <strong>de</strong> ce type d’amplificateur consiste en <strong>de</strong>ux circuits LC couplés par une<br />

inductance mutuelle variant sinusoïdalement dans le temps à la fréquence <strong>de</strong> la pompe.<br />

Chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> oscillateurs est couplé à la ligne <strong>de</strong> transmission servant à injecter <strong>et</strong> à<br />

extraire les mo<strong><strong>de</strong>s</strong> signal <strong>et</strong> image, ce qui est réalisé en pratique avec un circulateur. En<br />

nous basant sur la théorie entrée-sortie, nous avons établi la matrice <strong>de</strong> diffusion pour<br />

un tel circuit. C<strong>et</strong>te matrice possè<strong>de</strong> la remarquable propriété d’être symplectique,<br />

laquelle propriété traduit à son tour mathématiquement la conservation <strong>de</strong><br />

l’information par ce circuit actif, en dépit <strong>de</strong> la non-conservation <strong>de</strong> l’énergie. En<br />

pratique l’implémentation <strong>de</strong> la mutuelle variable dans le temps est réalisée à l’ai<strong>de</strong><br />

d’un modulateur en anneau Josephson, qui comprend quatre jonctions tunnel formant<br />

une boucle dans laquelle est envoyé un <strong>de</strong>mi-quantum <strong>de</strong> flux magnétique. La symétrie<br />

<strong>de</strong> type pont <strong>de</strong> Wheatstone du modulateur en anneau privilégie les termes <strong>de</strong> mélange<br />

à trois on<strong><strong>de</strong>s</strong> dans l’hamiltonien, par rapport aux termes <strong>de</strong> couplage parasites qui<br />

favorisent le chaos dynamique <strong>et</strong> donc un excès <strong>de</strong> bruit. Expérimentalement, on peut<br />

donc avec un tel dispositif observer la compression du bruit dans les corrélations entre<br />

le signal direct <strong>et</strong> le signal image, en les mesurant par interférence.<br />

La leçon s’est achevée par une courte discussion sur le programme <strong>de</strong> l’année<br />

2008-2009, qui poursuivra c<strong>et</strong>te revue <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes quantiques dans les circuits<br />

supraconducteurs microon<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong>et</strong> qui se focalisera sur les aspects non-perturbatifs.<br />

2. Enseignement en <strong>de</strong>hors du <strong>Collège</strong><br />

5, 7 <strong>et</strong> 12 novembre 2007 : Série <strong>de</strong> trois leçons données au département <strong>de</strong><br />

Physique Appliquée <strong>de</strong> Yale, dans le cadre <strong>de</strong> la chaire F.W. Beinecke. Ce <strong>cours</strong><br />

<strong>de</strong> physique mésoscopique s’intitulait « Single Electron Effects ».<br />

2 juill<strong>et</strong> 2008 : Série <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux leçons données dans le cadre <strong>de</strong> l’International<br />

School of Physics « Enrico Fermi », Quantum Coherence in Solid State Systems.<br />

3. Activité <strong>de</strong> recherche<br />

3.1. Signaux <strong>et</strong> circuits quantiques (en collaboration avec Nicolas Bergeal,<br />

Flavius Schakert, Archana Kamal <strong>et</strong> Adam Marblestone)<br />

Le phénomène d’amplification <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux électriques par un composant<br />

électronique actif est à la base d’un grand nombre d’applications dans tous les<br />

domaines <strong>de</strong> la physique. Il est soumis à un principe dérivé <strong>de</strong> la relation


PHYSIQUE MÉSOSCOPIQUE 131<br />

d’incertitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Heisenberg : un amplificateur préservant la phase ajoute au moins<br />

un bruit dont l’énergie correspond à un <strong>de</strong>mi-photon à la fréquence du signal.<br />

Aucune limitation n’intervient en revanche pour un amplificateur qui ne mesure<br />

d’un signal qu’une composante ou que son énergie. Le but <strong>de</strong> notre recherche est<br />

d’abord <strong>de</strong> montrer que l’on peut effectivement atteindre en pratique le régime où<br />

le bruit d’un amplificateur « utile » n’est limité que par le bruit quantique, <strong>et</strong><br />

ensuite <strong>de</strong> vérifier les prédictions théoriques concernant le bruit ajouté au signal.<br />

Nous travaillons dans le régime micro-on<strong>de</strong>, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences <strong>de</strong> signaux aux<br />

alentours <strong>de</strong> f = 10 GHz <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> températures T


132 MICHEL DEVORET<br />

4. Publications<br />

[1] Boaknin E., Manucharian V., Fiss<strong>et</strong>te S., M<strong>et</strong>calfe M., Frunzio L., Vijay R., Siddiqi I.,<br />

Wallraff A., Schoelkopf R. and Devor<strong>et</strong> M.H., Dispersive Bifurcation of a Microwave<br />

Superconducting Resonator Cavity incorporating a Josephson Junction, [Cond-Mat/0702445],<br />

Submitted to Physical Review L<strong>et</strong>ters.<br />

[2] Manucharian V., Boaknin E., M<strong>et</strong>calfe M., Fiss<strong>et</strong>te S., Vijay R., Siddiqi I. and<br />

Devor<strong>et</strong> M.H., Rf Bifurcation of a Josephson Junction : Microwave Embedding Circuit<br />

Requirements, [Cond-Mat/0612576] Phys. Rev. B 76, 014524 (2007).<br />

[3] Schuster D.I., Houck A.A., Schreier J.A., Wallraff A., Gamb<strong>et</strong>ta J.M., Blais A.,<br />

Frunzio L., Johnson B., Devor<strong>et</strong> M.H., Girvin S.M., Schoelkopf R.J., Resolving Photon<br />

Number States in a Superconducting Circuit, Nature (London) 445, 515-518 (2007) [Cond-<br />

Mat/0608693].<br />

[4] Houck A.A., Schuster D.I., Gamb<strong>et</strong>ta J.M., Schreier J.A., Johnson B.R., Chow J.M.,<br />

Frunzio L., Majer J., Devor<strong>et</strong> M.H., Girvin S.M., Schoelkopf R.J., Generating single<br />

microwave photons in a circuit, Nature 449, 328 - 331 (2007).<br />

[5] Boulant N., Ithier G., Meeson P., Nguyen F., Vion D., Esteve D., Siddiqi I.,<br />

Vijay R., Rig<strong>et</strong>ti C., Pierre, F. and Devor<strong>et</strong> M., Quantum Non<strong>de</strong>molition Readout Using a<br />

Josephson Bifurcation amplifier, Phys. Rev. B 76, 014525 (2007).<br />

[6] Majer J., Chow J.M., Gamb<strong>et</strong>ta J.M., Koch Jens, Johnson B.R., Schreier J.A.,<br />

Frunzio L., Schuster D.I., Houck A.A., Wallraff A., Blais A., Devor<strong>et</strong> M.H., Girvin S.M.,<br />

Schoelkopf R.J., Coupling superconducting qubits via a cavity bus, Nature 449, 443-447<br />

(2007).<br />

[7] M<strong>et</strong>calfe M., Boaknin E., Manucharyan V., Vijay R., Siddiqi I., Rigg<strong>et</strong>ti C.,<br />

Frunzio L., and Devor<strong>et</strong> M.H., Measuring a Quantronium qubit with the Cavity Bifurcation<br />

Amplifier, Phys. Rev. 76, 174516 (2007) [Cond-Mat, arXiv:0706.0765].<br />

[8] Koch J., Yu T.M., Gamb<strong>et</strong>ta J., Houck A.A., Schuster D.I., Majer J., Blais A.,<br />

Devor<strong>et</strong> M.H., Girvin S.M., and Schoelkopf R.J., Charge insensitive qubit <strong><strong>de</strong>s</strong>ign from<br />

optimizing the Cooper-Pair Box, Phys. Rev. A 76, 042319 (2007).<br />

[9] Devor<strong>et</strong>, M., Girvin, S., Schoelkopf, R.S., Circuit-QED: How strong can the coupling<br />

b<strong>et</strong>ween a Josephson junction atom and a transmission line resonator be ?, Annalen Der Physik<br />

16, 767-779 (2007).<br />

[10] Houck A.A., Schreier J.A., Johnson, B.R., Chow J.M, Koch Jens, Gamb<strong>et</strong>ta J.M.,<br />

Schuster D.I., Frunzio L., Devor<strong>et</strong> M.H., Girvin S.M., Schoelkopf R.J., Controlling the<br />

spontaneous emission of a superconducting transmon qubit, Phys. Rev. L<strong>et</strong>t 101, 080502<br />

(2008).<br />

[11] Schreier J.A., Houck A.A., Koch Jens, Schuster D.I., Johnson B.R., Chow J.M.,<br />

Gamb<strong>et</strong>ta J.M., Majer J., Frunzio L., Devor<strong>et</strong> M.H., Girvin S.M., and Schoelkopf R.J.,<br />

Suppressing charge noise <strong>de</strong>coherence in superconducting charge qubits, Phys. Rev. B 77,<br />

180502(R) (2008).<br />

[12] Bergeal N., Vijay R., Manucharyan V. E., Siddiqi I., Schoelkopf R. J., Girvin S. M.<br />

and Devor<strong>et</strong> M. H., Analog information processing at the quantum limit with a Josephson ring<br />

modulator, Submitted to Nature Physics (2008) [arXiv:0805.3452].<br />

[13] Devor<strong>et</strong> M., De l’atome aux machines quantiques, Leçon inaugurale, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong> / Fayard, 2008 (à paraître).<br />

[14] Bergeal N., Schakert F., Frunzio L., Schoelkopf R.J., Girvin S.M. and Devor<strong>et</strong> M.H.,<br />

Param<strong>et</strong>ric Amplification with the Josephson Ring Modulator, en préparation.


5. Conférences<br />

5.1 Exposés donnés sur invitation<br />

PHYSIQUE MÉSOSCOPIQUE 133<br />

Octobre 2007 : CIFAR me<strong>et</strong>ing on Quant. Inf. Proc., Newport, Rho<strong>de</strong> Island, USA.<br />

Décembre 2007 : Decoherence in Superconducting Qubits, Berkeley, California, USA.<br />

Janvier 2008 : Physics of Quantum Electronics, Snowbird, Utah, USA.<br />

Mars 2008 : Physics Colloquium, Penn State University, State College, Pennsylvania,<br />

USA.<br />

Avril 2008 : Stanford Photonics Research Center Me<strong>et</strong>ing, Stanford, California, USA.<br />

Avril 2008 : Quantum Information Seminar, MIT, Cambridge, Massachuss<strong>et</strong>ts, USA.<br />

Mai 2008 : Journées Supraconductivité, ESPCI, Paris.<br />

Juin 2008 : Séminaire général <strong>de</strong> Physique, ESPCI, Paris.


1. Enseignement au <strong>Collège</strong><br />

Particules élémentaires, gravitation <strong>et</strong> cosmologie<br />

M. Gabriele Veneziano, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />

1.1. Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année 2007-2008 : « Le modèle standard <strong>et</strong> ses extensions »<br />

Après la parenthèse 2006-2007 (<strong>cours</strong> donné entièrement à l’étranger), le <strong>cours</strong><br />

<strong>de</strong> l’année 2007-2008 a repris le chemin initié en 2004-2005 <strong>et</strong> 2005-2006 afin<br />

<strong>de</strong> compléter la présentation du modèle standard <strong><strong>de</strong>s</strong> particules élémentaires. Les<br />

<strong>de</strong>ux <strong>cours</strong> précé<strong>de</strong>nts ayant porté sur les interactions fortes (dans leurs aspects<br />

perturbatives <strong>et</strong> non perturbatives respectivement), ce <strong>de</strong>rnier <strong>cours</strong> se concentra<br />

sur le secteur dit électrofaible du Modèle Standard (MS).<br />

Le <strong>cours</strong> s’est déroulé en 18 heures, dont 11 <strong>de</strong> <strong>cours</strong> proprement dit <strong>et</strong> 7 heures<br />

<strong>de</strong> séminaires, donné en partie par le professeur Riccardo Barbieri <strong>de</strong> l’École<br />

Normale (Scuola Normale) <strong>de</strong> Pise <strong>et</strong> en partie par le professeur Ferruccio Feruglio<br />

<strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Padoue.<br />

Chaque <strong>cours</strong> <strong>et</strong> séminaire, présenté avec l’ai<strong>de</strong> d’un fichier « Power Point », a<br />

été imprimé <strong>et</strong> distribué avant chaque <strong>cours</strong>, <strong>et</strong> ensuite inséré sur les sites en<br />

français <strong>et</strong> en anglais <strong>de</strong> la chaire.<br />

Le premier <strong>cours</strong>, « Théories <strong>de</strong> jauge : un rappel », fut un résumé <strong><strong>de</strong>s</strong> principales<br />

notions (déjà discutée en 2004-2005) qui sont à la base <strong><strong>de</strong>s</strong> théories <strong>de</strong> jauge.<br />

Nous sommes revenu, en particulier, sur l’importante distinction entre le cas <strong>de</strong><br />

fermions dans une représentation réelle du groupe <strong>de</strong> jauge (les cas <strong>de</strong> la QED <strong>et</strong><br />

QCD) <strong>et</strong> celui d’une représentation complexe (fermions « chiraux »), le cas d’intérêt<br />

pour les interactions faibles.<br />

Le <strong>de</strong>uxième <strong>cours</strong>, « QED <strong>et</strong> QCD : un rappel », fut, à son tour, un résumé <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

concepts <strong>de</strong> base <strong>de</strong> la QED (comme théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions électro magnétiques)<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> la QCD (comme théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions fortes) qui avaient été couverts dans<br />

les <strong>cours</strong> 2004-2005 <strong>et</strong> 2005-2006.


136 GABRIELE VENEZIANO<br />

Le troisième <strong>cours</strong>, « Interactions faibles : du modèle <strong>de</strong> Fermi à une théorie <strong>de</strong><br />

jauge », a r<strong>et</strong>racé, dans ses gran<strong><strong>de</strong>s</strong> lignes, le développement <strong>de</strong> la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

interactions faibles, à partir <strong>de</strong> sa première formulation par Enrico Fermi en 1934.<br />

On a rappelé comment, à travers les différentes découvertes expérimentales, l’idée<br />

est née qu’une théorie <strong>de</strong> jauge puisse décrire, d’une façon unifiée, les interactions<br />

électromagnétiques <strong>et</strong> faibles en utilisant le groupe <strong>de</strong> jauge SU(2)xU(1). Ensuite,<br />

nous avons discuté <strong><strong>de</strong>s</strong> représentations auxquelles les fermions doivent appartenir<br />

<strong>et</strong>, en même temps, nous avons souligné la nécessité d’un mécanisme <strong>de</strong> brisure<br />

<strong>de</strong> la symétrie <strong>de</strong> jauge sans quoi tous les fermions resteraient sans masse.<br />

Dans le quatrième <strong>cours</strong>, « Brisure spontanée <strong>de</strong> symétries », après avoir souligné<br />

l’importante distinction entre la brisure <strong>de</strong> symétries globales <strong>et</strong> locales, nous avons<br />

discuté <strong><strong>de</strong>s</strong> principales caractéristiques <strong>et</strong> conséquences <strong>de</strong> chacune <strong>et</strong>, en particulier<br />

pour c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière, le fameux mécanisme <strong>de</strong> Higgs dans le cas le plus simple du<br />

groupe U(1). Nous avons aussi souligné que ce mécanisme, au moins dans sa<br />

forme la plus simple, nécessite l’introduction d’un champ scalaire à côté <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

champs <strong>de</strong> jauge <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> champs <strong>de</strong> fermions.<br />

Dans le cinquième <strong>cours</strong>, « Boson <strong>de</strong> Higgs <strong>et</strong> Lagrangien pour une seule famille »,<br />

nous avons utilisé les éléments déjà introduits pour définir le modèle standard <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

interactions électrofaibles dans les cas d’une seule famille (ou génération) <strong>de</strong> quarks<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> leptons. Nous avons aussi observé que le neutrino reste sans masse, malgré<br />

la brisure <strong>de</strong> la symétrie, au moins d’introduire un nouveau type <strong>de</strong> neutrino qui<br />

est neutre par rapport à toutes les interactions <strong>de</strong> jauge.<br />

Le sixième <strong>cours</strong>, « Prédictions au niveau arbre pour une famille », nous avons tiré les<br />

conséquences expérimentales du modèle présenté au <strong>cours</strong> précé<strong>de</strong>nt dans<br />

l’approximation dite à « arbre », c’est-à-dire sans tenir compte <strong><strong>de</strong>s</strong> corrections radiatives.<br />

L’accord est qualitativement bon, mais quantitativement pas encore parfait.<br />

Dans le septième <strong>cours</strong>, « Plusieurs familles : mécanisme <strong>de</strong> GIM <strong>et</strong> matrice<br />

CKM », nous avons discuté <strong>de</strong> la généralisation du modèle précédant au cas,<br />

apparemment choisi par la Nature, où il y a trois familles <strong>de</strong> quarks <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

leptons. Même si conceptuellement la généralisation est simple, ses conséquences<br />

phénoménologiques sont très importantes. Pourtant, le MS avec trois générations<br />

évite d’une façon très naturelle l’apparition <strong>de</strong> courants neutres avec changement<br />

<strong>de</strong> saveur (FCNC) <strong>et</strong>, en même temps, est capable d’introduire les mélanges<br />

observés dans les courants chargées aussi qu’une phase qui détermine la violation<br />

<strong>de</strong> la symétrie CP.<br />

Le huitième <strong>cours</strong>, « Autres conséquences du Modèle Standard », a porté sur<br />

d’autres conséquences du modèle standard en particulier dans la physique <strong>de</strong><br />

mésons K neutres <strong>et</strong> (en préparation <strong><strong>de</strong>s</strong> séminaires spécialisés du professeur<br />

Feruglio, voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous) en ce qui concerne les masses <strong>et</strong> les oscillations <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

neutrinos. Nous avons terminée avec un exemple <strong>de</strong> calculs <strong><strong>de</strong>s</strong> corrections<br />

radiatives, celui qui concerne le soi-disant paramètre ρ.


PARTICULES ÉLÉMENTAIRES, GRAVITATION ET COSMOLOGIE 137<br />

Après une première série <strong>de</strong> séminaires par les professeurs Riccardo Barbieri <strong>et</strong><br />

Ferruccio Feruglio (voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous), le neuvième <strong>cours</strong>, « Secteur <strong>de</strong> Higgs : questions<br />

<strong>de</strong> réglage fin » a entamé une critique bien connue du MS comme ayant besoin<br />

d’une quantité importante <strong>de</strong> « réglage fin » afin <strong>de</strong> maintenir la masse du boson<br />

<strong>de</strong> Higgs suffisamment basse. C’était, en même temps, une introduction à certains<br />

modèles qui vont au-<strong>de</strong>là du MS, le suj<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers <strong>cours</strong> <strong>et</strong> séminaires.<br />

Ainsi, le dixième <strong>cours</strong>, « Supersymétrie <strong>et</strong> le MSSM », a introduit le concept <strong>de</strong><br />

supersymétrie, d’abord comme construction théorique <strong>et</strong> après comme une possible<br />

résolution du problème <strong>de</strong> réglage fin discuté dans le neuvième <strong>cours</strong>. Néanmoins,<br />

la supersymétrie n’élimine pas complètement ce problème. En même temps elle<br />

perm<strong>et</strong> à priori certains processus qui ne sont pas observés. Donc la supériorité du<br />

modèle supersymétrique par rapport au modèle standard n’est pas <strong>de</strong> tout évi<strong>de</strong>nte.<br />

Le nouvel accélérateur <strong>de</strong> particules du CERN, le LHC, nous dira sans doute si la<br />

supersymétrie existe bien aux énergies qui seront atteignables.<br />

Dans le onzième <strong>cours</strong>, « Théories <strong>de</strong> Grand Unification », nous avons présenté<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> modèles, dits <strong>de</strong> Grand Unification (GUT), où les trois interactions non<br />

gravitationnelles découleraient d’une théorie <strong>de</strong> jauge basée sur un groupe <strong>de</strong> jauge<br />

techniquement dit « simple » <strong>et</strong> donc avec <strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre les différentes<br />

constants <strong>de</strong> couplage <strong>et</strong> les différentes masses <strong><strong>de</strong>s</strong> particules. Les exemples <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

groupes SU(5) <strong>et</strong> O(10), avec leurs avantages relatifs, ont été discutés.<br />

1.2. Les séminaires liés au <strong>cours</strong><br />

Après les premières 8 heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong>, le professeur Riccardo Barbieri (Scuola<br />

Normale Superiore, Pise, Italie) a donné <strong>de</strong>ux séminaires intitulés « La physique<br />

<strong>de</strong> la saveur dans le MS » <strong>et</strong> « Violation <strong>de</strong> la symétrie CP dans le MS ». Le premier<br />

été centré sur la phénoménologie <strong>de</strong> la matrice CKM, les tests d’unitari<strong>et</strong>é, les<br />

mélanges <strong>et</strong> oscillations <strong><strong>de</strong>s</strong> mésons K neutres, aussi que sur les bornes relatives aux<br />

processus <strong>de</strong> FCNC (tels que μ → e γ). Dans le <strong>de</strong>uxième séminaire, le professeur<br />

Barbieri a illustré les phénomènes <strong>de</strong> violation <strong>de</strong> la symétrie CP (toujours dans le<br />

système <strong><strong>de</strong>s</strong> K neutres) <strong>et</strong> leur calcul dans le modèle standard.<br />

Ces séminaires ont été suivis par <strong>de</strong>ux autres donnés par le professeur Ferruccio<br />

Feruglio (Université <strong>de</strong> Padoue, Italie), qui a développé la physique <strong><strong>de</strong>s</strong> neutrinos<br />

dans le MS sous les titres « Masses, mélanges <strong>et</strong> oscillations <strong><strong>de</strong>s</strong> neutrinos : les données<br />

expérimentales » <strong>et</strong> « Masses, mélanges <strong>et</strong> oscillations <strong><strong>de</strong>s</strong> neutrinos : la théorie ». Il a<br />

donné ainsi un cadre très compl<strong>et</strong> <strong>de</strong> la situation actuelle à la fois expérimentale<br />

<strong>et</strong> théorique dans ce nouveau domaine très excitant <strong>de</strong> la physique <strong><strong>de</strong>s</strong> particules.<br />

Ensuite, le professeur Barbieri est encore intervenue à trois reprises.<br />

Premièrement, dans « Le tests <strong>de</strong> précision du MS », il a fait le point sur les tests<br />

<strong>de</strong> précision du MS à travers <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences <strong>de</strong> physique atomique <strong>et</strong> surtout avec<br />

les données <strong>de</strong> l’accélérateur LEP du CERN. Il a souligné qu’un accord entre la


138 GABRIELE VENEZIANO<br />

théorie <strong>et</strong> les données expérimentales a besoin <strong>de</strong> corrections radiatives <strong>et</strong> que c<strong>et</strong><br />

accord est tout à fait remarquable si le boson <strong>de</strong> Higgs est assez léger pour être<br />

produit aux énergies du LHC.<br />

Ensuite le séminaire « Modèles sans le boson <strong>de</strong> Higgs », porta sur <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles où<br />

le mécanisme <strong>de</strong> Higgs est induit par autre chose qu’un champ scalaire. Dans ce<br />

cas <strong>de</strong> figure, il n’y aurait pas une véritable particule <strong>de</strong> Higgs. Un exemple <strong>de</strong> ce<br />

genre c’est la théorie dite du « techni-couleur ». Même si c<strong>et</strong>te classe <strong>de</strong> théorie est<br />

esthétiquement attrayante, son accord avec les tests <strong>de</strong> précision est loin d’être<br />

évi<strong>de</strong>nt.<br />

Dans son <strong>de</strong>rnier séminaire, « Où la nouvelle physique peut-elle se cacher ? », le<br />

professeur Barbieri a donné un panorama très compl<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences qui<br />

pourraient dénicher <strong>de</strong> la physique qui va au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> celle du MS soit en utilisant<br />

<strong>de</strong> très hautes énergies (comme au LHC) soit par <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures à basse énergie mais<br />

d’une très gran<strong>de</strong> précision.<br />

2. Enseignement en <strong>de</strong>hors du <strong>Collège</strong><br />

Mai 2008 : « 40 anni di teoria <strong>de</strong>lle stringhe : passato, presente e futuro ».<br />

Conférence sur la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> cor<strong><strong>de</strong>s</strong> pour les étudiants <strong><strong>de</strong>s</strong> lycées à Florence: son<br />

but était d’expliquer en quoi consiste la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> cor<strong><strong>de</strong>s</strong>, comment elle s’est<br />

développée <strong>de</strong>puis sa découverte, <strong>et</strong> pourquoi les théoriciens <strong>de</strong> particules y sont<br />

tellement intéressés aujourd’hui. Une conférence portant le même titre, mais<br />

réadaptée, a été donnée, peu après, au « Collegio di Milano » (un <strong>Collège</strong> qui<br />

réunit un nombre sélectionné d’étudiants universitaires <strong>de</strong> la métropole milanaise<br />

<strong>de</strong> toutes disciplines), suivie d’un débat.<br />

3. Activité <strong>de</strong> recherche<br />

Elle a porté sur les trois suj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l’intitulé <strong>de</strong> la chaire en particulier sur les<br />

questions liées à la gravitation classique <strong>et</strong> quantique dans le cadre <strong>de</strong> la théorie<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> cor<strong><strong>de</strong>s</strong>. Depuis 2005, la chaire fait aussi partie <strong>de</strong> la Fédération « Interactions<br />

Fondamentales » avec le LPT-ENS, les LPNHE <strong>et</strong> LPTHE <strong>de</strong> Paris 6, <strong>et</strong> le APC<br />

(après son départ du <strong>Collège</strong>).<br />

Voici un aperçu <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te activité <strong>de</strong> recherche, suivi d’une liste <strong><strong>de</strong>s</strong> publications<br />

scientifiques correspondantes.<br />

3.1. Particules élémentaires<br />

Avec le professeur Jacek Wosiek (Université <strong>de</strong> Cracovie, Pologne) nous avons<br />

essayé <strong>de</strong> généraliser les modèles <strong>de</strong> mécanique quantique matricielle déjà étudiés<br />

au cas d’une théorie <strong>de</strong> champs supersymétrique en <strong>de</strong>ux dimensions spatiotemporelles.<br />

En dépit d’un progrès indiscutable, nous sommes toujours confrontés<br />

à <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes <strong>de</strong> divergences infrarouges qui nous empêchent, pour l’instant,<br />

d’arriver à <strong><strong>de</strong>s</strong> conclusions fermes.


3.2. Gravitation<br />

PARTICULES ÉLÉMENTAIRES, GRAVITATION ET COSMOLOGIE 139<br />

L’étu<strong>de</strong> théorique <strong><strong>de</strong>s</strong> collisions entre particules légères à énergies transplanckiennes,<br />

a été poursuivie dans le but <strong>de</strong> mieux comprendre le problème <strong>de</strong><br />

l’information en physique quantique <strong><strong>de</strong>s</strong> trous noirs.<br />

C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière année, avec les professeurs Daniele Amati (Université <strong>de</strong> Trieste)<br />

<strong>et</strong> Marcello Ciafaloni (Université <strong>de</strong> Florence), un progrès considérable sur ce<br />

problème a été accompli. Utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> à la fois analytiques <strong>et</strong> numériques,<br />

nous avons résolu les équations <strong>de</strong> mouvement qui découlent d’une action efficace<br />

en <strong>de</strong>ux dimensions <strong>de</strong> l’espace que nous avions proposé il y a une quinzaine<br />

d’années. C<strong>et</strong>te ligne <strong>de</strong> recherche a été poursuivie en collaboration avec le<br />

professeur Jacek Wosiek. Les résultats, obtenus dans un contexte complètement<br />

quantique, s’accor<strong>de</strong>nt très bien avec les estimations classiques <strong>et</strong> pourraient<br />

indiquer la façon avec laquelle l’information est récupérée dans un processus<br />

quantique <strong>de</strong> collision <strong>de</strong> particules ou <strong>de</strong> cor<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />

3.3. Cosmologie<br />

La théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> cor<strong><strong>de</strong>s</strong> suggère <strong>de</strong> nouveaux scénarios cosmologiques où la<br />

« singularité » du big-bang (c’est-à-dire l’instant où plusieurs quantités physiques<br />

seraient <strong>de</strong>venues infinies) est remplacé par un « big bounce », une phase <strong>de</strong><br />

contraction qui, soudain, se transforme en expansion sans qu’aucune quantité<br />

physique ne dépasse les bornes dictées par les dimensions finies <strong><strong>de</strong>s</strong> cor<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

(« cosmologie à rebondissement »).<br />

Récemment, avec le professeur Maurizio Gasperini (Universitè <strong>de</strong> Bari) <strong>et</strong> un<br />

jeune chercheur, le docteur Giovanni Marozzi (Université <strong>de</strong> Bologne), nous avons<br />

essayé <strong>de</strong> vérifier si la contre-réaction à la production cosmologique <strong>de</strong> particules<br />

pourrait induire le rebondissement désiré. Nous avons fait <strong><strong>de</strong>s</strong> progrès considérables,<br />

mais, pour l’instant, rien est sortie en forme <strong>de</strong> publication sur ce suj<strong>et</strong>.<br />

4. Publications<br />

1. « Towards and S-Matrix <strong><strong>de</strong>s</strong>cription of gravitational collapse » (avec D. Amati <strong>et</strong><br />

M. Ciafaloni), JHEP02 (2008) 049.<br />

2. « Exploring an S-Matrix for gravitational collapse » (avec J. Wosiek), JHEP09 (2008)<br />

023.<br />

3. « Exploring an S-Matrix for gravitational collapse II : a momentum space analysis » (avec<br />

J. Wosiek), JHEP09 (2008) 024.<br />

4. « Non-local field theory suggested by Dual Mo<strong>de</strong>ls » dans « String theory and fundamental<br />

interactions » (éditeurs : M. Gasperini <strong>et</strong> J. Maharana), Springer (2008), p. 29. Il s’agit <strong>de</strong><br />

la publication d’un manuscrit, écrit en 1973, que je n’avais jamais terminé. Il est maintenant<br />

publié dans sa forme originale dans un livre avec les contributions d’un nombre <strong>de</strong> mes<br />

collaborateurs en l’occasion <strong>de</strong> mes 65 ans.


140 GABRIELE VENEZIANO<br />

5. Conférences<br />

5.1. Conférences sur invitation<br />

1. « Planar equivalence : an update », atelier sur « Non-perturbative gauge theories »<br />

Édimbourg, août 2007.<br />

2. « La théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> cor<strong><strong>de</strong>s</strong> est-elle morte ? », Émission <strong>de</strong> Radio <strong>France</strong> (<strong>France</strong> Culture), Paris,<br />

septembre 2007.<br />

3. « Farewell talk : A sample of y<strong>et</strong> unfinished projects », CERN, Genève, septembre<br />

2007.<br />

4. « Did Time have a beginning ? », symposium « The two cultures : shared problems »,<br />

Venise, octobre 2007.<br />

5. « Transplanckian Superstring Collisions I », UCLA, novembre 2007.<br />

6. « Transplanckian Superstring Collisions II », UCLA, décembre 2007.<br />

7. « String Theory : Is Einstein’s dream being realized ? », Université <strong><strong>de</strong>s</strong> Hawaii, décembre<br />

2007.<br />

8. « Transplanckian scattering, black holes, and the information paradox », Université <strong>de</strong><br />

Californie à Irvine, décembre 2007.<br />

9. « Towards an S-matrix for gravitational collapse », UCSB/KITP, Santa Barbara,<br />

décembre 2007.<br />

10. « Diverse prosp<strong>et</strong>tive di sviluppo <strong>de</strong>lla teoria quantistica <strong>de</strong>lla gravitazione », Conférence<br />

« Spazio, tempo e materia : l’ultima parola è ancora quella di Einstein ? », Université <strong>de</strong><br />

Padoue, janvier 2008.<br />

11. « Towards an S-matrix for gravitational collapse », séminaire joint <strong><strong>de</strong>s</strong> théoriciens,<br />

IHP, Paris, avril 2008.<br />

12. « Le Modèle standard <strong>de</strong> l’Univers : Succès <strong>et</strong> énigmes », Colloque Université Pierre <strong>et</strong><br />

Marie Curie, avril 2008.<br />

13. « L’unité <strong>de</strong> la physique <strong>et</strong> la cosmologie », Conférence grand public, série « Cultures<br />

d’Europe », Bruxelles, avril 2008.<br />

14. « Towards an S-matrix <strong><strong>de</strong>s</strong>cription of gravitational collapse », Universitad Autonoma<br />

Madrid, avril 2008.<br />

15. « Towards an S-matrix <strong><strong>de</strong>s</strong>cription of gravitational collapse », Università di Roma, La<br />

Sapienza, mai 2008.<br />

16. « 40 anni di teoria <strong>de</strong>lle stringhe : passato presente e futuro », conférence pour étudiants<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Lycées, Sesto Fiorentino, mai 2008.<br />

17. « Il mo<strong>de</strong>llo standard <strong>de</strong>ll’Universo : successi ed enigmi », Colloque à l’Universitè <strong>de</strong><br />

Bologne, mai 2008.<br />

18. « 40 anni di teoria <strong>de</strong>lle stringhe : passato presente e futuro », conférence pour les<br />

étudiants du « Collegio di Milano », mai 2008.<br />

19. « Planar equivalence : an update », conférence « Non perturbative gauge theories »<br />

GGI, Florence, juin 2008.<br />

20. « Le grand Collisionneur d’hadrons (LHC) du CERN <strong>et</strong> ses enjeux », mardi <strong>de</strong><br />

l’Administrateur, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, juin 2008.<br />

21. « Towards an S-matrix <strong><strong>de</strong>s</strong>cription of gravitational collapse », (à l’occasion <strong>de</strong> la chaire<br />

Blaise Pascal du Professeur Michail Shifman), Orsay, juin 2008.<br />

22. « Recent progress in transplanckian scattering », conférence pour le 50 e anniversaire <strong>de</strong><br />

l’IHES, Bures-sur-Yv<strong>et</strong>te, juin 2008.


PARTICULES ÉLÉMENTAIRES, GRAVITATION ET COSMOLOGIE 141<br />

5.2. Organisation <strong>de</strong> conférences <strong>et</strong> d’ateliers<br />

Comme membre <strong>de</strong> la FRIF (Fédération <strong>de</strong> Recherche Interactions Fondamentales) la<br />

chaire a contribué à l’organisation d’un nombre d’ateliers à Paris, notamment :<br />

— « Black holes, black rings and modular forms », ENS, Paris, août 2007.<br />

— « Gravitational scattering, black holes, and the information paradox», IHP, Paris, 26-28<br />

mai 2008.<br />

6. Participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> Comités<br />

— Comité d’évaluation <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> doctorat Galileo Galilei <strong>de</strong> l’ Université <strong>de</strong> Pise.<br />

— Chaire <strong>de</strong> l’« Advisory Committee » <strong>de</strong> l’Institut Galileo Galilei (GGI) à Arc<strong>et</strong>ri<br />

(Florence). En novembre 2007, le comité s’est réuni pour sélectionner les propositions<br />

d’atelier pour l’année 2009. Trois propositions ont été sélectionnées.<br />

— Depuis janvier 2007 l’Institut <strong>de</strong> Physique Nucléaire Italien (INFN) m’a chargé <strong>de</strong><br />

suivre les activités du GGI avec une présence <strong>de</strong> plusieurs semaines pendant chaque atelier.<br />

J’ai donc passé au GGI quelques semaines en automne 2007 <strong>et</strong> au printemps 2008 <strong>et</strong> je<br />

planifie d’y r<strong>et</strong>ourner pendant l’automne 2008.<br />

— Chaire du « Wolfgang Pauli Committee », CERN, Genève.<br />

— Membre du Comité d’organisation <strong>de</strong> la Conférence « Marcel Grossmann », Paris,<br />

juill<strong>et</strong> 2009.<br />

7. Groupes <strong>de</strong> travail<br />

Le groupe <strong>de</strong> travail <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences « Unités <strong>de</strong> base <strong>et</strong> constantes fondamentales »,<br />

dont je faisais partie, a présenté ses recommandations finales au Bureau international <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Poids <strong>et</strong> Mesures en octobre 2006. Depuis, je fais partie d’un nouveau comité <strong>de</strong> l’Académie<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> sciences, nommé « Science <strong>et</strong> métrologie », qui, poursuivant le même but, a commencé<br />

ses <strong>travaux</strong> à l’automne 2007.<br />

8. Prix, distinctions<br />

Juill<strong>et</strong> 2008 : James Joyce Award, Literary and Historical Soci<strong>et</strong>y, University College<br />

Dublin, Irlan<strong>de</strong> (sera consigné officiellement en mai 2009).


COURS : Le <strong>cours</strong> n’a pas eu lieu.<br />

Géodynamique<br />

M. Xavier Le Pichon, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />

Un colloque aura lieu à Saint Maximin dans le Var les 1 er , 2 <strong>et</strong> 3 octobre 2008<br />

pour mener une réflexion sur les grands problèmes <strong>de</strong> géodynamique qui ont été<br />

traités <strong>de</strong>puis 1986 dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> géodynamique. Ce<br />

colloque donnera lieu à la publication d’un livre.<br />

Activités scientifiques <strong>de</strong> juin 2007 à juin 2008<br />

Xavier Le Pichon avait dirigé le Laboratoire <strong>de</strong> Géologie <strong>de</strong> l’École normale<br />

supérieure. Au 1 er juill<strong>et</strong> 2003, il s’est délocalisé près du laboratoire du Cérège sur<br />

l’Europôle <strong>de</strong> l’Arbois, près d’Aix-en-Provence, dans <strong><strong>de</strong>s</strong> locaux fournis par l’université<br />

Paul Cézanne d’Aix-Marseille, pour que l’équipe <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> sa chaire <strong>de</strong><br />

Géodynamique forme avec l’équipe <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> la chaire d’Evolution du climat<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan d’Édouard Bard une antenne du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> accueillie par<br />

l’université Paul Cézanne. L’équipe <strong>de</strong> géodynamique comprend en 2008 treize<br />

personnes : trois chercheurs permanents, six post-doctorants, un chercheur en <strong>cours</strong><br />

<strong>de</strong> thèse, un ingénieur informatique <strong>et</strong> un agent technique permanents, un agent<br />

technique sous contrat temporaire. Le 16 septembre 2005 le nouveau bâtiment dit<br />

« Trocadéro » mis à la disposition <strong>de</strong> l’antenne du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> par l’Europôle <strong>de</strong><br />

l’Arbois a été inauguré, ce qui a permis une interaction plus étroite avec le laboratoire<br />

d’Édouard Bard. Notre équipe <strong>de</strong> recherche a un accord-cadre avec la compagnie<br />

pétrolière Total pour profiter <strong><strong>de</strong>s</strong> synergies dans nos intérêts <strong>de</strong> recherche.<br />

L’intérêt <strong>de</strong> l’équipe repose sur la relation entre les processus <strong>de</strong> déformation<br />

superficielle <strong>et</strong> les processus profonds en m<strong>et</strong>tant l’accent sur l’importance <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

forces <strong>de</strong> gravité <strong>et</strong> sur le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> flui<strong><strong>de</strong>s</strong>. La connaissance du contexte géodynamique<br />

<strong>et</strong> tectonique est utile à la recherche pétrolière <strong>et</strong> c’est sur c<strong>et</strong>te base qu’une<br />

collaboration scientifique avec l’industrie pétrolière a pu être développée.


144 XAVIER LE PICHON<br />

L’originalité <strong>de</strong> notre équipe tient à la coopération étroite avec l’industrie qui se<br />

traduit dans le financement <strong>de</strong> thèses, <strong>de</strong> post-doctorants <strong>et</strong> <strong>de</strong> recherches, toutes les<br />

recherches conduisant à <strong><strong>de</strong>s</strong> publications. L’axe principal <strong>de</strong> nos recherches est l’étu<strong>de</strong><br />

géodynamique <strong>de</strong> zones tectoniquement actives menées avec la collaboration <strong>de</strong><br />

grands organismes <strong>de</strong> recherche publics <strong>et</strong> industriels (CEA, Total) <strong>et</strong> <strong>de</strong> PME locales<br />

(SOACSY, EOSYS). C<strong>et</strong> axe est sous la responsabilité <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Rangin. Un second<br />

axe est lié à la technologie sous-marine avec en particulier une participation aux<br />

efforts internationaux pour implanter <strong><strong>de</strong>s</strong> observatoires sous-marins sur les marges<br />

continentales. C<strong>et</strong> axe est sous la responsabilité <strong>de</strong> Pierre Henry.<br />

L’étu<strong>de</strong> géodynamique <strong>de</strong> zones tectoniquement actives en collaboration avec<br />

l’Industrie s’appuie sur un accord-cadre avec la compagnie Total, un contrat <strong>de</strong><br />

recherche avec le CEA, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> contrats ponctuels avec les PME locales. Avec Total<br />

les proj<strong>et</strong>s sont centrés sur la déformation <strong><strong>de</strong>s</strong> réservoirs dans le bassin du Bengale<br />

<strong>et</strong> le Golfe du Mexique en privilégiant les relations entre déformation crustale <strong>et</strong><br />

glissements superficiels dans leur cadre géodynamique global. Deux sur les trois<br />

thèses sous contrat engagées sur ce thème ont été défendues à la fin <strong>de</strong> l’année<br />

2007. Avec le CEA <strong>et</strong> en collaboration avec Total, nous étudions la part <strong>de</strong> la<br />

tectonique gravitaire dans la tectonique active <strong>de</strong> la Provence en testant un modèle<br />

<strong>de</strong> glissement en masse sur <strong><strong>de</strong>s</strong> couches sédimentaires ductiles. L’analyse <strong>de</strong> profils<br />

sismiques <strong>et</strong> leur vérité terrain est privilégiée. Mais grâce à l’IRSN, nous avons pu<br />

disposer <strong><strong>de</strong>s</strong> données du réseau sismique <strong>de</strong> la Moyenne Durance, ce qui nous<br />

perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> relocaliser la microsismicité <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te région prise en compte dans la<br />

détermination du risque sismique pour la centrale <strong>de</strong> Cadarache <strong>et</strong> le nouveau<br />

proj<strong>et</strong> ITER. Ce travail a été présenté lors du colloque organisé en juin 2007 à Aix<br />

en Provence. Il fera l’obj<strong>et</strong> d’un numéro spécial <strong>de</strong> la Société Géologique <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong> qui sera publié au début <strong>de</strong> l’année 2009.<br />

L’objectif principal <strong>de</strong> la participation <strong>de</strong> l’équipe aux proj<strong>et</strong>s d’observatoire<br />

sous-marin est la compréhension du couplage flui<strong>de</strong>-mécanique dans les zones <strong>de</strong><br />

faille <strong>et</strong> sous les pentes sous-marines instables. Les principaux chantiers sont l’étu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> la zone sismogène sur la marge <strong>de</strong> subduction japonaise dans le cadre du<br />

programme <strong>de</strong> forage IODP, la surveillance <strong>de</strong> la faille Nord Anatolienne en Mer<br />

<strong>de</strong> Marmara <strong>et</strong> le vol<strong>et</strong> puits instrumentés <strong>de</strong> l’observatoire en Mer Ligure, conçu<br />

en collaboration avec Géosciences Azur <strong>et</strong> l’Ifremer. Une campagne effectuée avec<br />

le navire Atalante <strong>et</strong> le submersible Nautile d’Ifremer en mer <strong>de</strong> Marmara a eu lieu<br />

en mai <strong>et</strong> juin 2007 sous la direction <strong>de</strong> Pierre Henry pour étudier les sorties <strong>de</strong><br />

flui<strong>de</strong> le long <strong>de</strong> la Faille Nord Anatolienne <strong>et</strong> leur lien possible avec l’activité<br />

sismique. Les chantiers Marmara <strong>et</strong> Ligure entrent dans le cadre du réseau<br />

d’excellence Européen Eson<strong>et</strong>. Le début <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations <strong>de</strong> forage IODP avec le<br />

navire Japonais Chikyu a eu lieu fin 2007 sur Nankai (proj<strong>et</strong> Nantroseize). Ces<br />

trois proj<strong>et</strong>s sont <strong><strong>de</strong>s</strong> proj<strong>et</strong>s à long terme.<br />

Un effort considérable a continué à se porter sur la compréhension du contexte<br />

géodynamique du grand séisme <strong>de</strong> Sumatra du 26 décembre 2004 qui avait été


GÉODYNAMIQUE 145<br />

l’obj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong> principal <strong>de</strong> Xavier Le Pichon en 2006. Une participation <strong>de</strong><br />

Clau<strong>de</strong> Rangin à la campagne <strong>de</strong> l’IFREMER « Sumatra Aftershocks » avait permis<br />

<strong>de</strong> participer à une analyse fine <strong>de</strong> la déformation sur c<strong>et</strong>te marge <strong>de</strong> subduction<br />

très particulière. Par ailleurs, Jing Yi Lin <strong>et</strong> Tanguy Maury ont repris la localisation<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> microséismes enregistrés durant la campagne. Les résultats obtenus ont été<br />

publiés dans <strong>de</strong>ux articles <strong>et</strong> les résultats finaux ont été présentés dans <strong>de</strong>ux autres<br />

articles soumis à publication. Ils m<strong>et</strong>tent en évi<strong>de</strong>nce le rôle structurant <strong><strong>de</strong>s</strong> ri<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> zones <strong>de</strong> fracture océaniques qui sont subduites obliquement sous la marge.<br />

Il faut enfin noter la publication c<strong>et</strong>te année à la Société Géologique <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong> <strong>et</strong> à l’American Association of P<strong>et</strong>roleum Geologists d’un recueil <strong>de</strong><br />

<strong>travaux</strong> concernant la partie occi<strong>de</strong>ntale du Golfe du Mexique. Ce recueil m<strong>et</strong><br />

à la disposition <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs sous forme électronique <strong>et</strong> graphique les synthèses<br />

géodynamiques (données <strong>et</strong> interprétations) obtenues dans le cadre <strong>de</strong> notre<br />

collaboration avec TOTAL <strong>et</strong> PEMEX. Il est le fruit <strong>de</strong> la stratégie <strong>de</strong> recherche<br />

que nous avons adoptée dans notre programme <strong>de</strong> géodynamique <strong><strong>de</strong>s</strong> zones actives<br />

menées avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’industrie. Nous préparons maintenant un nouveau recueil<br />

sur nos programmes concernant la Marge du Golfe du Bengale.<br />

Activités diverses <strong>de</strong> Xavier Le Pichon<br />

Le 11 juill<strong>et</strong> 2007 : Réunion <strong>de</strong> travail chez TOTAL / La Défense — Réunion <strong>de</strong> travail<br />

sur proj<strong>et</strong>s Mexique <strong>et</strong> Sumatra.<br />

Du 19/09/07 au 20/09/07 : Conférence au Colloque OCT (Ocean-Continent<br />

Transition) à l’Institut Océanographique à Paris.<br />

Du 17/08/07 au 21/08/07 : Conférence au Colloque « Science and Truth » à Rimini<br />

(Italie).<br />

Du 17/10/07 au 19/10/07 : Conférence au Colloque du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> à Paris : « De<br />

l’autorité ».<br />

Du 16/11/07 au 19/11/07 : Me<strong>et</strong>ing DPDC — Proj<strong>et</strong> STOQ — Universités Pontificales<br />

Romaines à Rome (Italie).<br />

Du 03/12/07 au 05/12/07 : Conférence inaugurale au Symposium « Middle East Basins<br />

Evolution » à Paris.<br />

Le 23 janvier 2008 : Séminaire au Laboratoire Départemental <strong>de</strong> la Préhistoire du<br />

Lazar<strong>et</strong> à Nice.<br />

Du 21/02/08 au 28/02/08 : « Comité DPDC du Concile Pontifical pour la Culture »<br />

(Réunion <strong>et</strong> visite d’évaluation à Rome (Italie).<br />

Du 08/04/08 au 11/04/08 : Dis<strong>cours</strong> inaugural du Consortium Interuniversitaire<br />

« Scuola per l’Alta Formazione » du 8 au 11 avril à Catane (Italie).<br />

Du 15 au 16/04/08 : Conférence pour l’Office Chrétien <strong><strong>de</strong>s</strong> handicapés à Bruxelles<br />

(Belgique).<br />

Le 24 avril 2008 : Conférence pour la Société <strong>de</strong> Géographie à Marseille.<br />

Le 11 juin 2008 : Conférence sur la Tectonique <strong><strong>de</strong>s</strong> Plaques au Musée <strong>de</strong> la Géologie<br />

<strong>de</strong> Digne (Alpes <strong>de</strong> Haute Provence).


146 XAVIER LE PICHON<br />

Publications <strong>de</strong> l’équipe <strong>de</strong> Géodynamique <strong>de</strong>puis juin 2007<br />

Origin of the Southern Okinawa Trough volcanism from d<strong>et</strong>ailed seismic tomography.<br />

J. Geophys. Res., 112, B08308, doi : 10.1029/2006JB004703. Lin, J.Y., Sibu<strong>et</strong>, J.C.,<br />

Lee, C.S., Hsu, S.-K., and Klingelhoefer, F.<br />

Spatial variations in the frequency magnitu<strong>de</strong> distribution of earthquakes in the<br />

southwestern Okinawa Trough. Earth Plan<strong>et</strong>s Space, 59, 221-225, 2007. Lin, J.-Y.,<br />

Sibu<strong>et</strong>, J.C., Lee, C. S., and Hsu, S.-K.<br />

Numerical mo<strong>de</strong>l of fluid pressure solitary wave propagation along the <strong>de</strong>collement of an<br />

accr<strong>et</strong>ionary wedge : application to the Nankaï wedge, Geofluids, 6, 1-12, 2007.<br />

Bourlange, S., Henry, P.<br />

Sumatra Earthquake research indicates why rupture propagated northward, EOS, 86,<br />

497-502. SINGH, S., and the Sumatra Aftershocks Team, 2005, dont Rangin Clau<strong>de</strong>.<br />

26 th December 2004 Great Sumatra-Andaman Earthquake : co-seismic and post-seismic<br />

motions in northern Sumatra. Earth Plan<strong>et</strong>ary Science L<strong>et</strong>ters, in press. Sibu<strong>et</strong>, J.-C.,<br />

Rangin, C., Le Pichon, X., Singh, S., Catteneo, A., Graindorge, D., Klingelhoefer, F.,<br />

Lin, J.-Y., Malod, J., Maury, T., Schnei<strong>de</strong>r, J.-L., Sultan, N., Umber, M., Yamaguchi, H.,<br />

and the Sumatra Aftershocks Team, 2007. Earth Plan<strong>et</strong>. Sci. L<strong>et</strong>t., doi: 10.1016/j.<br />

epsl2007.09.005, 263, 88-103.<br />

Le Pichon, Xavier. Active margins, in The establishment of the outer limits of the<br />

continental shelf beyond 200 nautical miles — Its international circumstances and its<br />

scientific aspects, 153-165, figures on CD, editor : Ocean Policy Research Foundation,<br />

Tokyo, Japan, 2007.<br />

Zitter T.A.C., Henry, P., Aloisi, G., Delaygue, G., Cagatay, M.N., Mercier <strong>de</strong> Lepinay, B.,<br />

Al-Samir, M., Fornacciari, F., Tesmer, M., Pek<strong>de</strong>ger, A., Wallmann, K., and Lericolais, G.,<br />

2008. Cold seeps along the main Marmara fault in the Sea of Marmara (Turkey), Deep Sea<br />

Research Part 1 55 (4), 552-270. doi :10.1016/j.dsr.2008.01.002.<br />

Henry, P., Zitter, T. (2008). Flui<strong>de</strong> rime-t-il avec séisme. In : Lima, P. (Eds) — Le<br />

printemps <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs 2008 : 44-47. Inserm.<br />

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Plate Motions: The western margin of the Gulf of Mexico, Introduction, Bull<strong>et</strong>in <strong>de</strong> la<br />

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Rangin, C., Le Pichon X., Flotte N. and L. Husson. Tertiary extension in the northern<br />

Gulf of Mexico, a new interpr<strong>et</strong>ation of multichannel seismic data, Bull. Soc. Geol. <strong>France</strong>,<br />

179, n° 2, 117-128.<br />

Husson L., Le Pichon X., Henry P., Flotte N. and C. Rangin. Thermal regime of the<br />

NW shelf of the Gulf of Mexico. Heat Flow, Bull. Soc. Geol. <strong>France</strong>, 179,<br />

n° 2, 139-145.<br />

Flotté N., Martinez Reyes J., Rangin C., Husson L., Tardy M., and Le Pichon X.<br />

(2008). The Rio Bravo Fault, a major late Eocene-Oligocene left-lateral shear zone,Bull.<br />

Soc. Geol. <strong>France</strong>, 179, n° 2, 147-160<br />

Le Roy C. and Rangin C. (2008). Cenozoic crustal <strong>de</strong>formation of the offshore Burgos<br />

basin region (NE Gulf of Mexico). A new interpr<strong>et</strong>ation of <strong>de</strong>ep pen<strong>et</strong>ration multichannel<br />

seismic reflection lines. Bull. Soc. Geol. <strong>France</strong>, 179, n° 2, 161-174.<br />

Le Roy C., Rangin C., Le Pichon X., Aranda-García M., Hai Nguyen Thi Ngoc,<br />

Andréani L. and Martínez-Reyes J. (2008). Neogene crustal shear zone along the western<br />

Gulf of Mexico margin and its implications for gravity sliding processes: Evi<strong>de</strong>nces from<br />

2D and 3D multichannel seismic data. Bull. Soc. Geol. <strong>France</strong>, 179, n° 2, 175-185.<br />

Andréani L., Rangin C. and Martinez-Reyes J., Charlotte Le Roy C., Aranda-Garcia<br />

M., Le Pichon X., and P<strong>et</strong>erson-Rodriguez R. (2008). Neogene left-lateral shearing along


GÉODYNAMIQUE 147<br />

the Veracruz Fault: the eastern boundary of the Southern Mexico Block. Bull. Soc. Geol.<br />

<strong>France</strong>, 179, n° 2, 195-208.<br />

Andréani L., Le Pichon X., Rangin C. and Martinez-Reyes J., The Southern Mexico<br />

Block : main boundaries and new estimation for its Quaternary motion, Bull. Soc. Geol.<br />

<strong>France</strong>, 179, n° 2, 209-223.<br />

Lin J.-Y., Sibu<strong>et</strong> J.-C., Lee C. S., Hsu S.-K., Klingelhoefer F., Auffr<strong>et</strong> Y., Pelleau P. and<br />

Crozon J. (2008). Microseisismicity and faulting in the southwestern Okinawa Trough.<br />

Tectonophysics, doi :10.1016/j.tecto.2007.11.030, in press, available online 28 November<br />

2007.<br />

Klingelhoefer, F., Lee C. S., Lin J.-Y. and Sibu<strong>et</strong> J.-C. (2008). Structure of the Okinawa<br />

Trough from reflection and wi<strong>de</strong>-angle seismic data. Tectonophysics, doi :10.1016/j.<br />

tecto.2007.11.031, in press, available online 28 November 2007.<br />

Lin, J.-Y., Sibu<strong>et</strong> J.-C. and Hsu S.-K. (2008). Variations of b-values at the western edge<br />

of the Ryukyu subduction zone, northeastern Taiwan. Terra Nova, 20, 150-153.<br />

Lin J.-Y., Sibu<strong>et</strong> J.-C., Hsu S.-K., Lee C. S. and Klingelhoefer F. (2008). Sismicité <strong>et</strong><br />

volcanisme dans le sud-ouest du bassin arrière-arc d’Okinawa (Nord-Est Taiwan). Bull<strong>et</strong>in<br />

<strong>de</strong> la Société Géologique <strong>de</strong> <strong>France</strong>, accepted.<br />

Le Pichon, X (2008). L’adoption d’une théorie scientifique, la Tectonique <strong><strong>de</strong>s</strong> Plaques,<br />

l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre, in Antoine Compagnon (sous la direction <strong>de</strong>), De l’autorité, Paris, Odile<br />

Jacob, 195-216.<br />

Maurin, T., Pollitz, F. Masson, F., Rangin, C., Le Pichon, X., Chamot-Rooke, N.,<br />

Delescluse, M., Collard, P., U Min Swe, U Win Naing, U Than Min, U Khin Maung Kyi<br />

(2008). Northward rupture propagation of the 2004 Sumatra-Andaman Earthquake to<br />

18°N: Evi<strong>de</strong>nces from geod<strong>et</strong>ic and marine data in southern Myanmar. J. Geophys. Res.,<br />

accepted.<br />

Maurin, T. and Rangin, C. (2008). Structure and kinematics of the Indo-Burmese<br />

Wedge : recent and fast growth of the outer wedge. Tectonics, accepted.<br />

Crespy, A., Revil, A., Lin<strong>de</strong>, N., Byrdina, S., Jardani, A., Bolève, A., and Henry, P.<br />

D<strong>et</strong>ection and localization of hydromechanical disturbances in a sandbox using the slfpotential<br />

m<strong>et</strong>hod, J. Geophys. Res., in press.


Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan<br />

M. Édouard Bard, professeur<br />

Histoire du climat : d’une Terre chau<strong>de</strong> à l’Eocène<br />

aux glaciations du Pléistocène<br />

Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année a été consacré à la suite <strong>de</strong> l’histoire du climat <strong>de</strong> la<br />

Terre abordé en 2006-2007. La pério<strong>de</strong> en question va <strong>de</strong> l’optimum du début <strong>de</strong><br />

l’ère Tertiaire aux glaciations du Quaternaire.<br />

Après avoir revu brièvement les causes <strong>de</strong> l’optimum éocène, nous avons abordé<br />

en détail la transition Eocène-Oligocène. Il s’agit d’une transition climatique<br />

majeure mise en évi<strong>de</strong>nce à l’échelle mondiale dans les sédiments marins <strong>et</strong><br />

continentaux à toutes les latitu<strong><strong>de</strong>s</strong>. Elle correspond aussi à une transition faunistique<br />

bien connue <strong>de</strong>puis le début du xx e siècle (« Gran<strong>de</strong> Coupure » <strong>de</strong> Stehlin). Lors<br />

du <strong>cours</strong>, une attention particulière a été portée sur l’événement Oi-1, il y a<br />

environ 33 millions d’années. La comparaison entre les données <strong><strong>de</strong>s</strong> isotopes <strong>de</strong><br />

l’oxygène <strong>et</strong> <strong>de</strong> paléotempératures océaniques suggèrent que c<strong>et</strong> événement<br />

correspond à une augmentation drastique du volume <strong><strong>de</strong>s</strong> glaces polaires. L’étu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> la distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> débris rocheux transportés par les icebergs, en Atlantique<br />

Nord <strong>et</strong> dans les Océans Arctique <strong>et</strong> Austral, montre bien que les <strong>de</strong>ux pôles se<br />

sont englacés <strong>de</strong> façon synchrone. C<strong>et</strong>te glaciation a été accompagnée d’une<br />

perturbation massive <strong>de</strong> l’érosion chimique globale mise en évi<strong>de</strong>nce par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

indicateurs isotopiques (par ex. isotopes du strontium) <strong>et</strong> minéralogiques<br />

(distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> minéraux argileux). Le cycle du carbone a lui aussi subi une<br />

variation importante, matérialisée par une augmentation <strong>de</strong> la productivité<br />

planctonique <strong>de</strong> la zone australe, une élévation du rapport 13 C/ 12 C océanique <strong>et</strong><br />

un approfondissement, d’environ un kilomètre, <strong>de</strong> la profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> compensation<br />

<strong>de</strong> la calcite. Ces variations du cycle du carbone ont été accompagnées d’une chute<br />

<strong>de</strong> la teneur atmosphérique en gaz carbonique (plus <strong>de</strong> 500 ppm en moins <strong>de</strong><br />

10 millions d’années).


150 ÉDOUARD BARD<br />

Plusieurs types <strong>de</strong> causes ont été proposés pour expliquer la dégradation<br />

climatique <strong>de</strong> la transition Eocène-Oligocène. Des causes physiographiques<br />

(ouverture <strong><strong>de</strong>s</strong> passages <strong>de</strong> Drake <strong>et</strong> <strong>de</strong> Tasmanie) expliquant l’établissement du<br />

courant circumpolaire <strong>de</strong> l’Océan Austral qui aurait entrainé l’isolement climatique<br />

<strong>de</strong> l’Antarctique <strong>et</strong> son entrée en glaciation. Des causes d’origine astronomique,<br />

avec une configuration orbitale particulière caractérisée par une faible insolation<br />

estivale aux hautes latitu<strong><strong>de</strong>s</strong>. Et enfin, <strong><strong>de</strong>s</strong> causes liées à l’influence <strong>de</strong> la<br />

géodynamique sur le cycle du carbone : d’une part, une baisse limitée d’environ<br />

un quart du taux d’accrétion océanique <strong>et</strong> d’autre part (surtout) la conséquence <strong>de</strong><br />

la collision <strong>de</strong> la plaque Indienne avec le continent asiatique. En eff<strong>et</strong>, la surrection<br />

<strong>de</strong> l’Himalaya <strong>et</strong> du plateau Tibétain a eu un impact majeur sur la circulation<br />

atmosphérique, la mousson <strong>et</strong> sur l’altération physique <strong>et</strong> chimique <strong><strong>de</strong>s</strong> roches<br />

cristallines <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te région du globe. La modélisation numérique prenant en compte<br />

ces différents eff<strong>et</strong>s, indique que le forçage prépondérant est l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre du gaz<br />

carbonique. Les variations orbitales expliqueraient la nature abrupte du phénomène.<br />

L’ouverture <strong><strong>de</strong>s</strong> passages <strong>de</strong> Drake <strong>et</strong> <strong>de</strong> Tasmanie <strong>et</strong> l’établissement du courant<br />

circumpolaire antarctique, n’auraient qu’un rôle secondaire.<br />

L’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> isotopes <strong>de</strong> l’oxygène aux différentes latitu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> l’océan mondial,<br />

montre que le climat mondial se réchauffe fortement à la transition Oligocène-<br />

Miocène, il y a environ 25 millions d’années. L’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> sédiments océaniques <strong>et</strong><br />

continentaux confirme le caractère mondial du réchauffement miocène. C<strong>et</strong>te<br />

pério<strong>de</strong> correspond aussi à l’expansion <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes en C4, adaptées à <strong>de</strong> basses<br />

teneurs en CO 2, à <strong>de</strong> fortes températures <strong>et</strong> à <strong><strong>de</strong>s</strong> saisons sèches. La transition <strong>de</strong><br />

la flore est reconstituée à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> pollens, notamment ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> graminées, ainsi<br />

qu’à partir d’une hausse généralisée du rapport isotopique 13 C/ 12 C mesuré dans<br />

les <strong>de</strong>nts d’herbivores, les paléosols <strong>et</strong> la matière organique sédimentaire. Les faunes<br />

se sont adaptées à ces changements <strong>de</strong> la végétation <strong>et</strong> du climat, en particulier les<br />

mammifères avec les évolutions caractéristiques <strong><strong>de</strong>s</strong> équidés <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> proboscidiens<br />

traduisant les changements <strong>de</strong> régime alimentaire (folivore vs. graminivore) <strong>et</strong><br />

l’adaptation à la <strong>cours</strong>e dans un paysage <strong>de</strong> steppes <strong>et</strong> <strong>de</strong> savanes ouvertes.<br />

Le climat mondial se refroidit progressivement à partir du milieu du Miocène,<br />

mais ce n’est que vers trois millions d’années avant le présent que le climat se<br />

dégra<strong>de</strong> vraiment avec une nouvelle intensification glaciaire au Pliocène. Plusieurs<br />

causes ont été envisagées pour expliquer la dégradation mio-pliocène. Les<br />

reconstitutions <strong>de</strong> la teneur en gaz carbonique ne montrent pas d’accord entre les<br />

différents indicateurs. Néanmoins, l’enregistrement considéré comme le plus fiable<br />

ne montre pratiquement pas <strong>de</strong> variation <strong>de</strong> la pCO 2 entre 20 <strong>et</strong> 7 millions<br />

d’années avant le présent ce qui suggère que d’autres causes sont à l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

fluctuations climatiques observées.<br />

Les variations orbitales pourraient expliquer certains événements comme l’épiso<strong>de</strong><br />

glaciaire Mi-1 vers 23 millions d’années <strong>et</strong> l’intensification <strong><strong>de</strong>s</strong> glaciations à partir<br />

<strong>de</strong> trois millions d’années. Néanmoins, ces configurations orbitales favorables aux


ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 151<br />

glaciations sont cycliques <strong>et</strong> il est donc probable que d’autres causes sont responsables<br />

<strong>de</strong> la tendance à long terme sur plus <strong>de</strong> dix millions d’années.<br />

Même si les continents avaient à peu près leurs géométries <strong>et</strong> positions actuelles,<br />

plusieurs « p<strong>et</strong>its » changements <strong>de</strong> la physiographie ont probablement eu un<br />

impact sur la circulation océanique globale. La pério<strong>de</strong> considérée correspond<br />

effectivement à l’établissement <strong>de</strong> la circulation mo<strong>de</strong>rne avec l’ouverture du<br />

détroit <strong>de</strong> Fram, la ferm<strong>et</strong>ure <strong>de</strong> l’Isthme <strong>de</strong> Panama <strong>et</strong> un changement <strong>de</strong> la<br />

géométrie du Passage Indonésien. L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la répartition <strong><strong>de</strong>s</strong> faunes <strong>et</strong> la mise<br />

en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> migrations à gran<strong>de</strong> échelle (ex. <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux Amériques), ont permis<br />

<strong>de</strong> suivre ces changements sur les continents.<br />

L’impact <strong>de</strong> ces variations physiographiques sur la circulation océanique est<br />

indéniable comme le montre l’analyse géochimique comparée <strong><strong>de</strong>s</strong> sédiments<br />

carbonatés <strong>de</strong> l’Atlantique <strong>et</strong> du Pacifique, traduisant les contrastes <strong>de</strong> salinité <strong>de</strong><br />

surface <strong>et</strong> <strong>de</strong> ventilation profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux océans. D’autres séries géochimiques<br />

ont permis <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en évi<strong>de</strong>nce l’établissement <strong>de</strong> la stratification en salinité du<br />

Pacifique Nord (halocline) vers trois millions d’années avant le présent.<br />

Ces multiples modifications <strong>de</strong> l’océan ont eu <strong>de</strong> nombreuses répercussions sur<br />

le climat mondial, conduisant globalement à l’installation <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> calottes <strong>de</strong><br />

glace dans l’hémisphère nord. Afin <strong>de</strong> quantifier l’impact <strong><strong>de</strong>s</strong> variations <strong><strong>de</strong>s</strong> flux<br />

<strong>de</strong> chaleur océanique sur l’évaporation <strong>et</strong> les précipitations, il est nécessaire <strong>de</strong><br />

considérer les résultats <strong>de</strong> la modélisation numérique. Les simulations récentes<br />

confirment l’impact <strong>de</strong> la ferm<strong>et</strong>ure <strong>de</strong> l’Isthme <strong>de</strong> Panama sur la température <strong>et</strong><br />

les précipitations <strong>de</strong> l’hémisphère nord. La prise en compte <strong>de</strong> la stratification du<br />

Pacifique Nord semble indispensable pour expliquer l’installation <strong>de</strong> la calotte<br />

nord-américaine. Au niveau <strong>de</strong> la zone intertropicale, la migration vers le Nord<br />

<strong>de</strong> la Nouvelle-Guinée serait à l’origine du refroidissement <strong>de</strong> l’Océan Indien<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’assèchement <strong>de</strong> l’Afrique <strong>de</strong> l’Est entre quatre <strong>et</strong> trois millions d’années<br />

avant le présent.<br />

Au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre <strong>de</strong>rniers millions d’années, on assiste à une évolution<br />

caractéristique <strong><strong>de</strong>s</strong> cycles glaciaires : d’une part une lente intensification <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

glaciations (les calottes sont <strong>de</strong> plus en plus volumineuses) <strong>et</strong>, d’autre part, une<br />

évolution <strong>de</strong> la fréquence <strong><strong>de</strong>s</strong> épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> glaciaires : avec une cyclicité <strong>de</strong> 41 000 ans<br />

avant 1,4 million d’années <strong>et</strong> d’environ 100 000 ans après 700 000 ans avant le<br />

présent. Le cycle <strong>de</strong> 41 000 ans est clairement lié au cycle <strong>de</strong> l’obliquité <strong>de</strong> l’axe<br />

<strong>de</strong> rotation <strong>de</strong> la Terre. Par contre, la cyclicité d’environ 100 000 ans fait encore<br />

l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> nombreuses recherches car le cycle <strong>de</strong> l’excentricité orbitale, d’environ<br />

100 000 ans, ne peut en rendre compte, son influence sur l’insolation étant<br />

extrêmement faible. Par ailleurs, la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> fréquence <strong>de</strong> 100 000 ans est<br />

relativement diffuse <strong>et</strong> pourrait être liée à <strong><strong>de</strong>s</strong> multiples <strong>de</strong> l’obliquité (82 000 <strong>et</strong><br />

123 000 ans). L’évolution du volume <strong><strong>de</strong>s</strong> glaces continentales, étudiée finement à<br />

partir du rapport 18 O/ 16 O <strong>de</strong> l’océan profond, montre que l’influence du cycle <strong>de</strong><br />

précession d’environ 19-23 000 ans est pratiquement absent avant 900 000 ans <strong>et</strong>


152 ÉDOUARD BARD<br />

qu’il apparaît dans les enregistrements avec le cycle <strong>de</strong> 100 000 ans. Ce<br />

bouleversement <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques, en amplitu<strong>de</strong> <strong>et</strong> fréquence du phénomène<br />

glaciaire, est appelé la « transition mi-Pléistocène » (MPT en Anglais).<br />

Pour comprendre les causes <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te évolution, j’ai fait quelques rappels sur la<br />

dynamique <strong><strong>de</strong>s</strong> calottes <strong>de</strong> glace, notamment les différents facteurs qui régissent<br />

l’accumulation hivernale <strong>et</strong> l’ablation estivale. Le bilan <strong>de</strong> masse dépend évi<strong>de</strong>mment<br />

<strong>de</strong> la température <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> précipitations sous forme <strong>de</strong> neige. Il est aussi crucial <strong>de</strong><br />

tenir compte d’autres facteurs qui agissent sur le bilan <strong>de</strong> glace, comme l’élévation<br />

<strong>de</strong> l’inlandsis qui contribue à sa préservation, la subsi<strong>de</strong>nce isostatique qui entraîne<br />

une rétroaction positive sur la croissance <strong>et</strong> la fonte <strong>de</strong> la calotte, la formation<br />

d’une plate-forme ou barrière <strong>de</strong> glace (ice shelf en Anglais) lorsque la calotte<br />

débor<strong>de</strong> sur l’océan, la présence en base <strong>de</strong> calotte <strong>de</strong> sédiments gorgés d’eau qui<br />

favorisent l’écoulement (couche lubrifiante), ce phénomène pouvant être amplifé<br />

par l’eau <strong><strong>de</strong>s</strong> lacs supraglaciaires, formée pendant la fonte estivale, qui peut pénétrer<br />

dans les crevasses jusqu’en base <strong>de</strong> calotte.<br />

Plusieurs mécanismes ont été envisagés pour expliquer les caractéristiques <strong>de</strong> la<br />

transition mi-Pléistocène. L’absence <strong><strong>de</strong>s</strong> cycles <strong>de</strong> précession dans l’enregistrement<br />

du volume <strong><strong>de</strong>s</strong> glaces continentales pourrait être expliqué par une compensation<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> variations <strong><strong>de</strong>s</strong> inlandsis <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux hémisphères subissant <strong><strong>de</strong>s</strong> changements<br />

d’insolation en antiphase. Le faible volume <strong><strong>de</strong>s</strong> calottes antérieures à la transition<br />

serait une condition <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te compensation. D’autres chercheurs pensent que<br />

l’énergie solaire totale reçue en été contrôle la vitesse <strong>de</strong> variation en masse <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

calottes. C<strong>et</strong>te énergie totale estivale dépend essentiellement <strong>de</strong> l’obliquité ce qui<br />

expliquerait la dominance <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te fréquence avant la transition mi-Pléistocène.<br />

Néanmoins, les paramètres orbitaux ne perm<strong>et</strong>tent pas d’expliquer à eux seuls la<br />

transition graduelle en amplitu<strong>de</strong> <strong>et</strong> fréquence. Plusieurs hypothèses ont donc été<br />

proposées pour en rendre compte. Certains chercheurs ont envisagé qu’une baisse<br />

à long terme <strong>de</strong> la teneur atmosphérique en gaz carbonique aurait favorisé les<br />

glaciations. Cependant, les données disponibles sur la pCO 2 ne suggèrent pas<br />

d’évolution significative dans ce sens (l’enregistrement sur 800 000 ans à partir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

bulles d’air <strong><strong>de</strong>s</strong> glaces <strong>de</strong> l’Antarctique montrant même une augmentation <strong>de</strong> la<br />

pCO 2 <strong><strong>de</strong>s</strong> pério<strong><strong>de</strong>s</strong> glaciaires).<br />

Une autre explication possible est l’érosion mécanique du régolithe. C<strong>et</strong>te<br />

hypothèse est fondée sur <strong><strong>de</strong>s</strong> observations géologiques suggérant que les calottes<br />

précédant la transition auraient été très étendues en surface alors même que leurs<br />

masses étaient plus faibles (en particulier la calotte nord-américaine). Avant la<br />

transition mi-Pléistocène, la présence du régolithe, couche d’altérite formée aux<br />

pério<strong><strong>de</strong>s</strong> chau<strong><strong>de</strong>s</strong> du Tertiaire, aurait conduit à l’étalement <strong><strong>de</strong>s</strong> calottes. L’érosion<br />

<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te couche lubrifiante aurait ensuite permis aux calottes <strong>de</strong> croître beaucoup<br />

plus en altitu<strong>de</strong> <strong>et</strong> donc en volume global.


ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 153<br />

Des inlandsis beaucoup plus gros auraient conduit à une synchronisation<br />

interhémisphérique, notamment en raison <strong>de</strong> l’influence <strong>de</strong> l’océan sur les plateformes<br />

<strong>de</strong> glace périphériques ainsi que d’autres connexions possibles liées à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

rétroactions du cycle du carbone comme en témoignent l’émergence du cycle à<br />

100 000 <strong>de</strong> la pCO 2 atmosphérique <strong>et</strong> les variations du rapport isotopique 13 C/ 12 C<br />

benthique <strong>de</strong> l’Atlantique <strong>et</strong> du Pacifique (<strong>et</strong> du gradient entre ces <strong>de</strong>ux océans).<br />

Ces gran<strong><strong>de</strong>s</strong> fluctuations du cycle du carbone à partir <strong>de</strong> la transition mi-Pléistocène<br />

signalent la séquestration du CO 2 dans l’océan profond <strong>et</strong> illustrent l’importance<br />

probable <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre pour expliquer la sévérité <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions glaciaires<br />

postérieures à la transition.<br />

De multiples indicateurs mesurés dans plusieurs types d’archives géologiques<br />

perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> reconstituer le climat <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> glaciations du <strong>de</strong>rnier million<br />

d’années. En particulier, la comparaison entre les enregistrements <strong><strong>de</strong>s</strong> sédiments<br />

marins <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> glaces polaires montre que les grands cycles glaciaires d’environ<br />

100 000 ans sont caractérisés par <strong><strong>de</strong>s</strong> variations <strong>de</strong> température, <strong>de</strong> niveau marin<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> pCO 2 globalement en phase. La datation uranium-thorium <strong><strong>de</strong>s</strong> coraux<br />

fossiles indique que le niveau marin s’est abaissé <strong>de</strong> plus d’une centaine <strong>de</strong> mètres<br />

pendant les glaciations <strong>et</strong> a dépassé le niveau actuel pendant quelques pério<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

rares <strong>et</strong> brèves, notamment le Dernier Interglaciaire centré vers 125 000 ans avant<br />

le présent (environ + 7 m). La moitié <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te hausse serait liée à la réduction <strong>de</strong><br />

moitié <strong>de</strong> la calotte Groenlandaise.<br />

Les données paléothermométriques indiquent un refroidissement généralisé<br />

d’environ 4 °C pendant les phases glaciaires, avec une amplification marquée sur<br />

les continents <strong>et</strong> les latitu<strong><strong>de</strong>s</strong> les plus hautes. La comparaison <strong>de</strong> séries <strong>de</strong> température<br />

aux différentes latitu<strong><strong>de</strong>s</strong> indique une amplification d’environ un facteur <strong>de</strong>ux à<br />

trois, traduisant l’existence <strong>de</strong> rétroactions positives spécifiques aux zones polaires.<br />

Par exemple, la cartographie <strong><strong>de</strong>s</strong> banquises <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux hémisphères suggère que leur<br />

influence était beaucoup plus marquée pendant les phases froi<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />

Le bilan <strong><strong>de</strong>s</strong> forçages radiatifs <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière glaciation suggère que la baisse <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

teneurs en gaz à eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre, notamment le CO 2 (baisse <strong>de</strong> 100 ppm), est<br />

responsable pour environ un tiers <strong>de</strong> la perturbation climatique. Ce forçage serait<br />

dominant sous les tropiques ce qui expliquerait leur refroidissement d’environ<br />

2 °C. Au premier ordre, les observations <strong>de</strong> l’amplification polaire <strong>et</strong> du<br />

refroidissement tropical sont compatibles avec la sensibilité climatique estimée par<br />

les modèles numériques.<br />

La <strong>de</strong>rnière transition glaciaire-interglaciaire a été étudiée avec une bonne<br />

résolution temporelle ce qui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> quantifier les déphasages entre les multiples<br />

paramètres du climat. Le réchauffement post-glaciaire est rapi<strong>de</strong> à l’échelle<br />

géologique, mais relativement lent en moyenne mondiale : quelques <strong>de</strong>grés sur dix<br />

mille ans. L’augmentation postglaciaire du CO 2 atmosphérique n’est pas la cause<br />

du réchauffement initial, mais il n’est pas non plus une simple réponse au<br />

réchauffement océanique. Ainsi, l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> la solubilité (4 %/°C ≈ 10 ppm/°C) n’est


154 ÉDOUARD BARD<br />

responsable que d’environ 20 ppm. L’augmentation <strong>de</strong> CO 2 observée, environ<br />

100 ppm, est liée à <strong>de</strong> nombreuses rétroactions du cycle du carbone impliquant<br />

notamment l’océan profond comme le montrent les enregistrements du 13 C/ 12 C<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> foraminifères benthiques.<br />

La chronologie <strong>et</strong> la structure du réchauffement postglaciaire sont variables<br />

d’une région à une autre. Dans certaines zones, les enregistrements indiquent<br />

même <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> amplitu<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong><strong>de</strong>s</strong> accélérations brusques (par ex. 10 °C en quelques<br />

décennies au Groenland) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> refroidissements transitoires : l’événement du<br />

Dryas Récent dans l’Hémisphère Nord <strong>et</strong> le Renversement Froid Antarctique dans<br />

la zone Australe (Antarctic Cold Reversal en Anglais). Le réchauffement semble<br />

avoir été initié par l’augmentation <strong>de</strong> l’insolation estivale liée aux variations <strong>de</strong><br />

l’orbite terrestre. L’augmentation <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre (CO 2, CH 4, N 2O) a suivi les<br />

premiers signes locaux d’élévation <strong>de</strong> température, mais précè<strong>de</strong> l’essentiel du<br />

réchauffement. Il s’agit d’une rétroaction positive expliquant environ le tiers <strong>de</strong><br />

l’amplitu<strong>de</strong> thermique.<br />

La fonte <strong><strong>de</strong>s</strong> calottes <strong>de</strong> glace peut être étudiée en cartographiant <strong>et</strong> en datant<br />

les moraines terminales sur les continents. Néanmoins, l’enregistrement le plus<br />

fiable est celui du niveau marin obtenu par la datation uranium-thorium <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

coraux fossiles prélevés en forant les récifs coralliens, notamment ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> îles <strong>de</strong><br />

La Barba<strong>de</strong> dans les Caraïbes <strong>et</strong> <strong>de</strong> Tahiti en Polynésie. Globalement, le niveau<br />

marin suit le réchauffement postglaciaire avec un r<strong>et</strong>ard <strong>de</strong> plusieurs millénaires.<br />

La remontée moyenne est relativement lente, 130 m en 15 000 ans, mais elle<br />

ponctuée d’accélération(s) causée(s) par la débâcle <strong><strong>de</strong>s</strong> calottes : plusieurs mètres<br />

par siècle pour l’événement « Melt Water Pulse 1A » qui a eu lieu, il y a environ<br />

14 500 ans. La comparaison <strong>et</strong> la modélisation géophysique <strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux marins<br />

observés en Atlantique <strong>et</strong> dans le Pacifique perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> localiser les sources <strong>de</strong><br />

glace <strong>et</strong> la chronologie <strong>de</strong> la fonte <strong><strong>de</strong>s</strong> différents inlandsis <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière pério<strong>de</strong><br />

glaciaire.<br />

Pour compléter le <strong>cours</strong> sur l’histoire du climat, un colloque <strong>de</strong> séminaires a été<br />

consacré au rôle du Soleil comparé à ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> autres forçages climatiques.<br />

Le flux d’énergie reçue du Soleil, la « constante solaire » (l’éclairement ou<br />

l’irradiance), varie en fait à <strong>de</strong> nombreuses échelles <strong>de</strong> temps. Depuis la formation<br />

du Soleil, il y a environ 4,6 milliards d’années, son activité a augmenté d’environ<br />

30 %. Dans sa jeunesse, la surface <strong>de</strong> la Terre recevait donc moins d’énergie, ce<br />

qui a probablement contribué à expliquer certaines pério<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> glaciation extrême.<br />

Plus proches <strong>de</strong> nous, au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>rniers siècles, différentes observations ont<br />

permis <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en évi<strong>de</strong>nce la variabilité <strong>de</strong> l’activité du soleil. Les aurores<br />

boréales, ainsi que les taches solaires observées <strong>de</strong>puis l’invention <strong>de</strong> la lun<strong>et</strong>te<br />

astronomique, ont permis ainsi <strong>de</strong> démontrer l’existence d’une cyclicité très<br />

prononcée <strong>de</strong> 11 ans, ainsi que <strong><strong>de</strong>s</strong> variations cycliques ou irrégulières sur plusieurs<br />

dizaines <strong>et</strong> centaines d’années.


ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 155<br />

Ces variations <strong>de</strong> l’activité solaire ont pu être rapprochées <strong><strong>de</strong>s</strong> hauts <strong>et</strong> bas<br />

climatiques en Europe, reconstitués par les historiens, <strong>et</strong> confirmés par les<br />

paléoclimatologues. Ainsi, le « P<strong>et</strong>it Age Glaciaire » du xiv e au xviii e siècle<br />

correspond globalement à une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> faible activité du Soleil (Minima <strong>de</strong><br />

Maun<strong>de</strong>r, Spörer <strong>et</strong> Wolf), tandis que le réchauffement global du climat qui a suivi<br />

est contemporain d’une augmentation <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te activité.<br />

Pourtant, il a fallu attendre les mesures suffisamment précises <strong><strong>de</strong>s</strong> satellites, <strong>de</strong>puis<br />

seulement une trentaine d’années, pour pouvoir quantifier ce flux d’énergie solaire <strong>et</strong><br />

en démontrer les variations. L’éclairement total varie ainsi d’environ 0,1 % au <strong>cours</strong><br />

d’un cycle <strong>de</strong> 11 ans. Ces trente années d’observations ne perm<strong>et</strong>tent pas <strong>de</strong> prouver<br />

l’existence d’une tendance pluridécennale <strong>de</strong> l’éclairement, tendance qui au plus<br />

serait très limitée. C’est pour c<strong>et</strong>te raison que le Groupe d’experts Intergouvernemental<br />

sur l’Evolution du Climat (GIEC) n’attribue à l’augmentation du flux d’énergie<br />

solaire qu’une contribution très limitée au réchauffement global du <strong>de</strong>rnier siècle.<br />

D’autres mesures indirectes <strong>de</strong> l’activité du soleil perm<strong>et</strong>tent <strong><strong>de</strong>s</strong> reconstitutions<br />

avant l’ère <strong><strong>de</strong>s</strong> satellites. Des mesures du flux <strong>de</strong> particules cosmiques mais aussi <strong>de</strong> la<br />

perturbation du champ magnétique à la surface <strong>de</strong> la Terre, tous <strong>de</strong>ux contrôlés par<br />

le champ magnétique solaire, perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> remonter sur plus d’un siècle.<br />

Au-<strong>de</strong>là, les isotopes cosmogéniques, formés par l’interaction du rayonnement<br />

cosmique sur l’atmosphère, notamment le carbone-14 <strong>et</strong> le béryllium-10, sont <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

outils très précieux car ils perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> remonter sur plusieurs milliers d’années<br />

dans le passé. Comme l’origine commune aux enregistrements <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux isotopes<br />

est l’activité du Soleil, leur très bonne correspondance est une preuve <strong>de</strong> leur<br />

fiabilité comme traceurs <strong>de</strong> l’activité du Soleil. Malheureusement, tous ces<br />

enregistrements sont trop indirects pour perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> quantifier par eux-mêmes<br />

les variations du flux d’énergie solaire. Pour c<strong>et</strong>te raison, les nombreuses étu<strong><strong>de</strong>s</strong> qui<br />

ont tenté d’expliquer les variations climatiques <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>rniers siècles aux <strong>de</strong>rniers<br />

millénaires à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’activité du soleil ne reposent que sur <strong><strong>de</strong>s</strong> corrélations<br />

empiriques. Les mécanismes physiques qui pourraient expliquer l’impact climatique<br />

<strong>de</strong> l’activité solaire restent à découvrir. L’enjeu <strong>de</strong> c<strong>et</strong> impact sur la prévision <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

changements climatiques futurs est tel qu’il est très important <strong>de</strong> progresser par<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> approches pluridisciplinaires associant les astrophysiciens aux climatologues.<br />

Tel était le but <strong>de</strong> ce colloque, qui se proposait ainsi <strong>de</strong> faire le point à la fois sur<br />

le fonctionnement du Soleil <strong>et</strong> sur celui du système climatique, notamment <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

différentes composantes sensibles à l’activité du soleil.<br />

Sylvaine Turck-Chièze, du Laboratoire Plasmas Stellaires <strong>et</strong> Astrophysique<br />

Nucléaire du CEA, à Saclay, a ainsi exposé l’apport <strong>de</strong> la modélisation à la<br />

connaissance du fonctionnement <strong>de</strong> notre étoile. Des modèles <strong>de</strong> complexités<br />

différentes perm<strong>et</strong>tent ainsi <strong>de</strong> tester différentes hypothèses <strong>de</strong> fonctionnement,<br />

mais aussi d’en prévoir l’évolution. Elle a aussi dressé un bilan <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances<br />

actuelles <strong>et</strong> rappelé que les observations du satellite SoHO, lancé en 1995, ont<br />

conduit à une vision nouvelle du Soleil. Une partie <strong>de</strong> la dynamique interne du


156 ÉDOUARD BARD<br />

Soleil a été élucidée, cependant <strong><strong>de</strong>s</strong> questions persistent encore sur le cœur solaire<br />

<strong>et</strong> sur l’interaction entre le champ magnétique <strong>de</strong> la région radiative <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> la<br />

région convective.<br />

Gérard Thuillier, du Service d’Aéronomie du CNRS, à Verrières-le-Buisson, a<br />

ensuite exposé les principaux forçages climatiques <strong>et</strong> les mécanismes possibles <strong>de</strong><br />

l’impact climatique du soleil. Il n’existe pas d’accord général pour les reconstitutions<br />

<strong>de</strong> l’éclairement solaire total pour le passé, mais <strong>de</strong> nouveaux proj<strong>et</strong>s sont en <strong>cours</strong><br />

afin <strong>de</strong> fournir <strong>de</strong> nouvelles données. Ainsi, Gérard Thuillier nous a présenté<br />

l’expérience PICARD dont l’objectif est <strong>de</strong> mesurer l’irradiance solaire totale ainsi<br />

que le diamètre du soleil, ces <strong>de</strong>ux paramètres étant peut-être liés. C<strong>et</strong>te expérience<br />

embarquée <strong>de</strong>vrait être mise en orbite l’année prochaine dans les conditions idéales<br />

<strong>de</strong> développement du prochain cycle solaire, le cycle 24.<br />

Thierry Dudok <strong>de</strong> Wit, du Laboratoire <strong>de</strong> Physique <strong>et</strong> Chimie <strong>de</strong> l’Environnement<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Université d’Orléans, a montré quels sont les impacts <strong>de</strong> l’activité du Soleil<br />

sur l’environnement <strong>de</strong> la planète Terre, en termes <strong>de</strong> bombar<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> particules<br />

<strong>et</strong> d’émissions d’on<strong><strong>de</strong>s</strong> électromagnétiques notamment. Il a également insisté sur<br />

la composante ultraviol<strong>et</strong>te (UV) <strong>de</strong> ces émissions, qui présente une variabilité bien<br />

supérieure à celle <strong>de</strong> l’irradiance totale, <strong>et</strong> dont l’impact sur la stratosphère (via la<br />

formation <strong>de</strong> l’ozone) pourrait représenter un mécanisme important.<br />

Olivier Boucher, <strong>de</strong> l’Office Météorologique Britannique (M<strong>et</strong>eorological Office,<br />

Hadley Centre), a expliqué comment les modèles actuels du climat prennent en<br />

compte les interactions internes au système climatique basées sur les cycles<br />

biogéochimiques, notamment le cycle du carbone. Ces modèles sont utilisés pour<br />

réaliser <strong><strong>de</strong>s</strong> projections <strong><strong>de</strong>s</strong> changements climatiques sur le prochain siècle,<br />

notamment dans le cadre du GIEC. Ces modèles prévoient ainsi que ces interactions<br />

amplifient un réchauffement dû aux gaz à eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre, plutôt que <strong>de</strong> le limiter.<br />

Claudia Stubenrauch, du Laboratoire <strong>de</strong> Météorologie Dynamique du CNRS <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> l’Ecole Polytechnique, a exposé les principales propriétés radiatives <strong><strong>de</strong>s</strong> nuages<br />

<strong>et</strong> les différents moyens <strong>de</strong> mesure <strong>de</strong> ces propriétés à l’échelle globale. Les nuages<br />

jouent <strong><strong>de</strong>s</strong> rôles importants mais complexes dans le système climatique. En outre,<br />

il a été proposé que leur formation pourrait être influencée par l’activité du Soleil,<br />

il est donc capital d’avoir <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures aussi complètes que possible <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

composante. Claudia Stubenrauch a ainsi montré que les différents types <strong>de</strong><br />

mesures par satellites sont complémentaires <strong>et</strong> doivent être associées afin d’avoir<br />

une information complète sur les différents nuages <strong>et</strong> leurs propriétés.<br />

Enfin, Sandrine Bony-Léna, du même Laboratoire <strong>de</strong> Météorologie Dynamique,<br />

a montré comment les modèles climatiques perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> mieux comprendre la<br />

réponse du climat à une perturbation externe (sensibilité du climat à un forçage).<br />

En particulier, les modèles perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> décomposer c<strong>et</strong>te réponse entre les<br />

différentes interactions propres au système climatique. Un <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats importants<br />

est <strong>de</strong> limiter la contribution <strong><strong>de</strong>s</strong> nuages à environ un quart <strong>de</strong> la réponse globale


ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 157<br />

du climat. Ainsi, même si l’activité solaire jouait un rôle via ces nuages, c<strong>et</strong>te<br />

composante du climat ne pourrait amplifier les variations <strong>de</strong> l’activité solaire <strong>de</strong><br />

manière plus importante.<br />

C<strong>et</strong>te journée consacrée aux variations climatiques <strong>et</strong> au rôle du Soleil <strong>et</strong> autres<br />

forçages externes fut l’occasion <strong>de</strong> réunir <strong><strong>de</strong>s</strong> scientifiques appartenant à différentes<br />

communautés, mais dont les objectifs <strong>de</strong> recherche se rejoignent. Ce colloque a<br />

permis <strong>de</strong> faire le point sur l’état <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances actuelles <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> nombreuses<br />

questions qui subsistent encore.<br />

Les séminaires <strong>de</strong> l’année 2007-2008<br />

En complémentarité avec les douze <strong>cours</strong> (à Paris, Chicago, Kiel, Utrecht-Texel, Bruxelles<br />

<strong>et</strong> Cambridge), neuf séminaires ont été organisés dont la liste est donnée ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous par<br />

ordre chronologique.<br />

Dans le cadre du colloque intitulé « Climats du passé <strong>et</strong> du futur » organisé le 13 février<br />

2008 au Palais <strong><strong>de</strong>s</strong> Académies <strong>de</strong> Belgique (Bruxelles) en collaboration avec l’Université<br />

Libre <strong>de</strong> Bruxelles :<br />

— André Berger (Université Catholique <strong>de</strong> Louvain, Belgique) « Notre exceptionnellement<br />

long interglaciaire ».<br />

— Roland Souchez (Université Libre <strong>de</strong> Bruxelles, Belgique) « Isotopes <strong><strong>de</strong>s</strong> gaz dans la<br />

glace <strong>et</strong> changements climatiques ».<br />

Dans le cadre du colloque intitulé : « Variations climatiques : rôle du Soleil <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> autres<br />

forçages externes » organisé le 30 mai 2008 à Paris (Amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong><br />

Navarre) :<br />

— Edouard Bard (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>) « Perspectives historiques <strong>et</strong> paléoclimatiques ».<br />

— Sylvaine Turck-Chièze (Laboratoire Plasmas Stellaires <strong>et</strong> Astrophysique Nucléaire du<br />

CEA, Saclay) « Fonctionnement du Soleil <strong>et</strong> origines <strong>de</strong> sa variabilité ».<br />

— Gérard Thuillier (Service d’Aéronomie du CNRS, Verrières-le-Buisson) « Les forçages<br />

externes du système climatique <strong>et</strong> l’expérience PICARD ».<br />

— Thierry Dudok <strong>de</strong> Wit (Laboratoire <strong>de</strong> Physique <strong>et</strong> Chimie <strong>de</strong> l’Environnement,<br />

CNRS <strong>et</strong> Université d’Orléans) « Relations Soleil-Terre <strong>et</strong> le rôle <strong>de</strong> la composante UV ».<br />

— Olivier Boucher (M<strong>et</strong>eorological Office, Hadley Centre, Angl<strong>et</strong>erre) « Cycles biogéochimiques<br />

<strong>et</strong> rétroactions climatiques ».<br />

— Claudia Stubenrauch (Laboratoire <strong>de</strong> Météorologie Dynamique, CNRS, Ecole<br />

Normale Supérieure, Ecole Polytechnique) « Propriétés <strong><strong>de</strong>s</strong> nuages <strong>et</strong> leur variabilité à partir<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> observations spatiales ».<br />

— Sandrine Bony-Léna (Laboratoire <strong>de</strong> Météorologie Dynamique, CNRS, Ecole<br />

Normale Supérieure, Ecole Polytechnique) « Modélisation <strong>de</strong> la réponse du climat à un<br />

forçage externe ».<br />

Autres <strong>cours</strong> <strong>et</strong> conférences <strong>de</strong> l’année 2007-2008<br />

Aix-en-Provence, 3 décembre 2007. Europôle <strong>de</strong> l’Arbois : « Variations climatiques<br />

naturelles <strong>et</strong> anthropiques ».<br />

Aix-en-Provence, 22 janvier 2008. Institut d’Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> Politiques : « Notre société face au<br />

climat ».<br />

Lamont-Doherty Earth Observatory <strong>de</strong> l’Université Columbia New York, 22 mai 2008 :<br />

« Paleomonsoon records viewed from the ocean ».


158 ÉDOUARD BARD<br />

Paris, 26 juin 2008. Sénat OPECST (Office parlementaire d’évaluation <strong><strong>de</strong>s</strong> choix<br />

scientifiques <strong>et</strong> technologiques) : « L’enjeu <strong>de</strong> la multidisciplinarité pour comprendre le<br />

changement climatique ».<br />

Activités <strong>de</strong> recherches<br />

C<strong>et</strong>te année, l’équipe <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> l’Évolution du Climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Océan a<br />

poursuivi son étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la variabilité solaire à long terme <strong>et</strong> <strong>de</strong> son impact sur le<br />

climat mondial.<br />

Nos recherches à ce suj<strong>et</strong> sont fondées sur la comparaison d’enregistrements<br />

totalement indépendants : le 14 C mesuré dans les cernes d’arbres <strong>et</strong> le béryllium 10<br />

analysé dans les glaces <strong>de</strong> l’Antarctique ( 14 C <strong>et</strong> 10 Be sont <strong>de</strong>ux cosmonucléi<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

formés dans la haute atmosphère). Ces séries ont permis, d’une part, <strong>de</strong> r<strong>et</strong>rouver<br />

les pério<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> faible activité solaire déjà connues <strong><strong>de</strong>s</strong> astronomes grâce aux<br />

comptages <strong><strong>de</strong>s</strong> taches solaires <strong>et</strong> aux observations directes d’aurores boréales, <strong>et</strong><br />

d’autre part, <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en évi<strong>de</strong>nce <strong><strong>de</strong>s</strong> minima solaires encore plus anciens. Notre<br />

reconstitution <strong>de</strong> l’irradiance solaire sur 1 000 ans a été choisie par les modélisateurs<br />

du climat comme courbe <strong>de</strong> forçage « étalon » (cf. p. 479 du rapport IPCC-GIEC<br />

2007). C<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong> est en <strong>cours</strong> d’extension pour les sept <strong>de</strong>rniers millénaires<br />

(comparaison <strong>de</strong> la courbe 14 C INTCAL04 avec les données 10 Be <strong>de</strong> la carotte <strong>de</strong><br />

glace <strong>de</strong> Vostok en Antarctique Central ; collaboration avec le CSNSM <strong>et</strong> le<br />

LSCE).<br />

Les mesures <strong>de</strong> 10 Be peuvent maintenant être faites au CEREGE à l’ai<strong>de</strong> du<br />

nouvel accélérateur <strong>de</strong> 5MV ASTER installé sur le campus <strong>de</strong> l’Arbois à Aix-en-<br />

Provence. La chimie préparative du béryllium (extraction <strong>et</strong> purification) est<br />

réalisée dans le laboratoire <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> l’évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan<br />

(bâtiment Trocadéro <strong>de</strong> l’Arbois). L’équipe est impliquée dans le programme <strong>de</strong><br />

mesure du 10 Be sur une nouvelle carotte <strong>de</strong> glace. Le forage <strong>de</strong> Dôme Talos, site<br />

proche <strong>de</strong> la mer <strong>de</strong> Ross, a atteint 1 619,20 m <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur. La glace formant<br />

le fond du forage est très ancienne, <strong>et</strong> d’après une première datation, la carotte<br />

couvre les <strong>de</strong>rniers 65 000 ans à une profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> 1 300 m. Le forage a été<br />

échantillonné pour les mesures du 10 Be <strong>et</strong> les échantillons <strong>de</strong> glace sont stockés<br />

dans un entrepôt frigorifique à proximité du CEREGE. Ce forage au Dôme Talos<br />

a été réalisé dans le cadre du proj<strong>et</strong> TALDICE mené principalement par une<br />

collaboration franco-italienne. Le proj<strong>et</strong> reçoit un soutien national <strong>de</strong> l’INSU<br />

(programme LEFE Talos Dome) <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’IPEV pour la logistique polaire.<br />

Publications<br />

2008<br />

Eris K.K., Ryan W.B.F., Cagatay M.N., Lericolais G., Sancar U., Menot G.,<br />

Bard E. Reply to Comment on « the timing and evolution of the post-glacial transgression<br />

across the Sea of Marmara shelf, south of Istanbul » by Hiscott <strong>et</strong> al., Marine Geology 254,<br />

230-236 (2008).


ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 159<br />

Tachikawa K., Sépulcre S., Toyofuku T., Bard E. Assessing influence of diagen<strong>et</strong>ic<br />

carbonate dissolution on planktonic foraminiferal Mg/Ca in the South-eastern<br />

Arabian Sea over the past 450 k years : Comparison b<strong>et</strong>ween Globigerinoi<strong><strong>de</strong>s</strong> ruber and<br />

Globigerinoi<strong><strong>de</strong>s</strong> sacculifer. Geochemistry Geophysics Geosystems (G-cubed) 9 (4), Q04037, doi :<br />

10.1029/2007GC001904, 1-16 (2008).<br />

Bard E., Delaygue G. Comment on « Are there connections b<strong>et</strong>ween the Earth’s<br />

magn<strong>et</strong>ic field and climate ? » by Courtillot <strong>et</strong> al. (2007), Earth and Plan<strong>et</strong>ary Science L<strong>et</strong>ters<br />

265, 302-307 (2008).<br />

2007<br />

Bard E., Raisbeck G., Yiou F., Jouzel J. Comment on « Solar activity during the last<br />

1000 yr inferred from radionucli<strong>de</strong> records » by Muscheler <strong>et</strong> al. (2007). Quaternary Science<br />

Reviews, 26, 3118-3133 (2007).<br />

Blanch<strong>et</strong> C.L., Thouveny N., Vidal L., Leduc G., Tachikawa K., Bard E.,<br />

Beaufort L. Terrigenous input response to glacial/interglacial climatic over southern Baja<br />

California : a rock magn<strong>et</strong>ic approach. Quaternary Science Reviews, sous presse.<br />

Buck C, Bard E. A calendar chronology for mammoth and horse extinction in North<br />

America based on Bayesian radiocarbon calibration. Quaternary Science Reviews, 26,<br />

2031-2035, (2007).<br />

Böning P., Bard E., Rose E. Towards direct micron-scale XRF elemental maps and<br />

quantitative profiles of w<strong>et</strong> marine sediments. Geochemistry Geophysics Geosystems (G-cubed)<br />

8 (5), doi : 10.1029/2006GC001480, 1-14 (2007).<br />

<strong>de</strong> Gari<strong>de</strong>l-Thoron T., Rosenthal Y., Beaufort L., Bard E., Sonzogni C., Mix A.<br />

A multiproxy assessment of the equatorial Pacific hydrography during the last 30 ky.<br />

Paleoceanography 22, PA3204, doi:10.1029/2006PA001269, 1-18 (2007).<br />

Eris K.K., Ryan W.B.F., Cagatay M.N., Sancar U., Lericolais G., Menot G.,<br />

Bard E. The timing and evolution of the post-glacial transgression across the Sea of<br />

Marmara shelf south of Istanbul, Marine Geology, 243, 57-76 (2007).<br />

Leduc G., Vidal L., Tachikawa K., Rostek F., Sonzogni C., Beaufort L., Bard E.<br />

Moisture transport across Central America as a positive feedback on abrupt climatic changes.<br />

Nature 445, 908-911 (2007).<br />

Pichevin L., Bard E., Martinez P., Billy I. Evi<strong>de</strong>nce of ventilation changes in the<br />

Arabian Sea during the Late Quaternary : implication for <strong>de</strong>nitrification and nitrous oxi<strong>de</strong><br />

emission. Global and Biogeochemical Cycles 21, GB4008, doi:10.1029/2006GB002852,<br />

1-12 (2007).<br />

Rickaby R.E.M., Bard E., Sonzogni C., Rostek F., Beaufort L., Barler S., Rees G.,<br />

Schrag D. Coccolith chemistry reveals secular variations in the global ocean carbon cycle ?<br />

Earth and Plan<strong>et</strong>ary Science L<strong>et</strong>ters 253, 83-95 (2007).<br />

Textes divers (vulgarisation, chapitre <strong>de</strong> livre, préface,<br />

principales interviews) :<br />

Bard E. Les variations climatiques du passé <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’avenir, in « Les géosciences au service<br />

<strong>de</strong> l’Homme : comprendre l’avenir », éditions Hirlé, 177-195 (2007).<br />

Collectif. « Quel temps fera-t-il <strong>de</strong>main ? », éditions Tallandier, 107-120 ; 167-174<br />

(2007).<br />

Bard E. Bac to basics : l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre. La Recherche, hors-série n° 3, 46-53 (2007).<br />

Bard E. L’océan <strong>et</strong> le changement climatique. La l<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences n° 21,<br />

15-19 (2007).


160 ÉDOUARD BARD<br />

L’Echo (Belgique), p. 11, 24 avril 2008. La paléoclimatologie nous parle.<br />

La Libre Belgique, p. 17, 14 février 2008. Accepter <strong><strong>de</strong>s</strong> actions qui nous coûtent.<br />

Le Figaro, p. 12, 3-4 février 2007. Comme si Paris était déplacée à la latitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

Bor<strong>de</strong>aux.<br />

Libération, p. 38-39, 27-28 janvier 2007. La menace d’un changement climatique<br />

dangereux se confirme.<br />

Conférences dans le cadre <strong>de</strong> colloques internationaux<br />

Londres, 8-10 janvier 2008 : Quaternary Research Association Annual Me<strong>et</strong>ing (Royal<br />

Geographical Soci<strong>et</strong>y). Bard E. The Wiley Lecture : The last <strong>de</strong>glaciation and its impacts<br />

in the North Atlantic and adjoining seas.<br />

Cambridge <strong>et</strong> Londres (Royal Soci<strong>et</strong>y), 10-13 mars 2008, The Leverhulme Climate<br />

Symposium 2008. Bard E. The solar variability.<br />

Vienne, 13-18 avril 2008 : European Geosciences Union General Assembly.<br />

— Böning P., Bard E. Millennial scale thermocline ventilation changes in the Indian<br />

Ocean as implied from aragonite preservation in the Arabian Sea.<br />

— Camoin G., Seard C., Deschamps P., Durand N., Yokoyama Y., Matsuzaki H.,<br />

Webster J., Braga J.C., Bard E., Hamelin B. Reef accr<strong>et</strong>ion during the post-glacial<br />

sea-level rise at Tahiti (French Polynesia) : I.O.D.P. #310 expedition « Tahiti sea level ».<br />

— Deschamps P., Durand N., Bard E., Hamelin B., Camoin G., Thomas A.L.,<br />

Hen<strong>de</strong>rson G., Yokoyama Y. Deglacial Melt Water Pulse 1A revisited from the new<br />

IODP Tahiti record.<br />

— Felis T., Asami R., Bard E., Cahyarini S.Y., Deschamps P., Durand N.,<br />

Hathorne E., Kölling M., Pfeiffer M. Pronounced interannual variability in South<br />

Pacific temperatures during the early <strong>de</strong>glacial — coral-based results from IODP Expedition<br />

310.<br />

— Leduc G., Vidal L., Cartapanis O., Bard E. Mo<strong><strong>de</strong>s</strong> of Eastern Equatorial Pacific<br />

thermocline variability : implications for ENSO dynamics over the last glacial period.<br />

— Naughton F., Sanchez Goni M.F., Kageyama M., Bard E., Duprat J., Cortijo E.,<br />

Malaizé B., Joly C., Rostek F., Turon J.-L. Alternative mechanisms explaining the<br />

complex pattern of Heinrich events in the North Atlantic mid-latitu<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />

— Thomas A.L., Hen<strong>de</strong>rson G.M., Deschamps P., Yokoyama Y., Bard E.,<br />

Hamelin B., Durand N., Camoin G. Lowstand sea levels from U-Th dating of pre-LGM<br />

corals : results from IODP expedition 310 « Tahiti sea level ».<br />

Vancouver, 13-18 juill<strong>et</strong> 2008, Goldschmidt Conference.<br />

— Thomas A.L., Hen<strong>de</strong>rson G.M., Deschamps P., Yokoyama Y., Bard E.,<br />

Hamelin B., Durand N., Camoin G. The timings of sea level change during the last<br />

glacial cycle, from U/Th dating of submerged corals : Results from IODP expedition 310<br />

« Tahiti sea level ».<br />

Responsabilités diverses :<br />

Directeur-Adjoint du Centre Européen <strong>de</strong> Recherche <strong>et</strong> d’Enseignement en Géosciences<br />

<strong>de</strong> l’Environnement (CEREGE UMR 6635).<br />

Membre nommé du Conseil <strong>de</strong> l’Agence d’évaluation <strong>de</strong> la recherche <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’enseignement<br />

supérieur (AERES) du ministère <strong>de</strong> l’Enseignement supérieur <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Recherche (MESR).<br />

Membre du Conseil du laboratoire NOSAMS <strong>de</strong> la Woods-Hole Oceanographic<br />

Institution (USA).


ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 161<br />

Membre <strong>de</strong> la délégation du gouvernement français accompagnant le Ministre J.-L. Borloo<br />

à la Conférence sur le Changement Climatique <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations Unies (Bali, Indonésie,<br />

décembre 2007).<br />

Participant à la table ron<strong>de</strong> sur le climat en présence du Prési<strong>de</strong>nt N. Sarkozy <strong>et</strong> du<br />

Prince Albert II (Monaco, 25 avril 2008).<br />

Participant à l’audition au Sénat (OPECST) au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la création d’un observatoire <strong>de</strong><br />

l’Arctique (Paris, 26 juin 2008).<br />

Distinction<br />

2008, Wiley Lecture <strong>de</strong> la Quaternary Research Association (Royal Geographical Soci<strong>et</strong>y,<br />

Londres),


I. Cours <strong>et</strong> séminaires<br />

Astrophysique observationnelle<br />

M. Antoine Labeyrie, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />

Les progrès en <strong>cours</strong> <strong>et</strong> prévisibles <strong><strong>de</strong>s</strong> observations astronomiques à haute<br />

résolution angulaire ont encore fait l’obj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année. La voie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

télescopes géants dilués, encore nommés « hypertélescopes », explorée <strong>de</strong>puis une<br />

dizaine d’années, apparaît prom<strong>et</strong>teuse. D’une part, la compréhension théorique <strong>de</strong><br />

ces instruments <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs propriétés d’imagerie progresse <strong>et</strong> confirme l’amélioration<br />

<strong>de</strong> leur sensibilité, par rapport aux interféromètres plus classiques comportant un<br />

p<strong>et</strong>it nombre <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> ouvertures. D’autre part, les techniques visant à leur mise en<br />

œuvre se m<strong>et</strong>tent en place. Un grand défi est <strong>de</strong> parvenir à rendre les hypertélescopes<br />

utilisables pour observer les obj<strong>et</strong>s les plus faiblement lumineux auxquels accè<strong>de</strong>nt les<br />

télescopes classiques <strong>et</strong> leurs versions à venir nommées « Extrêmement Grands<br />

Télescopes », comportant un miroir mosaïque <strong>de</strong> 25 à 42 m.<br />

Ces différents points ont été abordés dans le <strong>cours</strong>, <strong>et</strong> certains l’ont été dans les<br />

séminaires <strong>de</strong> Roberto Gilmozzi, Jean Sur<strong>de</strong>j, Michel Aurière, Didier Pelat, Lyu<br />

Abe, Jean-Gabriel Cuby, Tristan Guillot, Guy Perrin <strong>et</strong> Hervé Le Coroller.<br />

II. Activités <strong>de</strong> recherche du Laboratoire d’Interféromètrie Stellaire<br />

<strong>et</strong> Exo-planétaire ( LISE)<br />

Le groupe <strong>de</strong> recherche LISE associé à la chaire d’Astrophysique Observationnelle<br />

est hébergé à l’Observatoire <strong>de</strong> Haute Provence <strong>et</strong> à l’Observatoire <strong>de</strong> la Côted’Azur,<br />

sur ses sites <strong>de</strong> Grasse <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Observatoire <strong>de</strong> Calern.<br />

Hypertelescope prototype Carlina-tech (J. Dejonghe <strong>et</strong> H. Le Coroller)<br />

L’agrandissement du prototype est en chantier à l’Observatoire <strong>de</strong> Haute-<br />

Provence, avec une participation active <strong>de</strong> ses services techniques. Des essais<br />

d’observation utilisant trois miroirs espacés <strong>de</strong> 10 m sont prévus au début 2009.


164 ANTOINE LABEYRIE<br />

Prévu initialement pour une ouverture diluée dont la dimension atteindrait 18 m,<br />

il pourrait être agrandi ultérieurement à 36 m s’il s’avère possible <strong>de</strong> construire un<br />

correcteur focal d’aberration sphérique ouvert à F/1. Le nombre <strong><strong>de</strong>s</strong> p<strong>et</strong>its miroirs<br />

collecteurs pourrait aussi être accru, jusqu’à une centaine éventuellement, s’il<br />

s’avère utile, en attendant la disponibilité <strong>de</strong> la version agrandie mentionnée<br />

ci-après, d’entreprendre un programme d’observation sur <strong><strong>de</strong>s</strong> étoiles super-géantes,<br />

bien résolues avec les dimensions d’ouverture <strong>de</strong> 18 ou 36 m. Cela nécessiterait le<br />

déménagement <strong>de</strong> l’instrument sur un site plus favorable.<br />

Après les premiers essais d’interférence qui ont validé partiellement le concept<br />

dit d’hypertélescope Carlina, J. Dejonghe <strong>et</strong> H. Le Coroller, revenu <strong>de</strong> séjour postdoctoral<br />

à Hawaii, ont augmenté le prototype en installant un troisième miroir<br />

collecteur, <strong>et</strong> un correcteur focal à <strong>de</strong>ux miroirs. Ils ont aussi, avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

stagiaires, fait un montage d’essai du système <strong>de</strong> métrologie à laser servant à<br />

co-sphériser les miroirs collecteurs avec une précision <strong>de</strong> l’ordre du micron. Ils<br />

préparent <strong><strong>de</strong>s</strong> observations <strong>de</strong> franges à trois ouvertures, en attendant un plus<br />

grand nombre. Une caméra à comptage <strong>de</strong> photons, perm<strong>et</strong>tant <strong><strong>de</strong>s</strong> temps <strong>de</strong><br />

pause très courts afin <strong>de</strong> « figer » la turbulence, a été construite en collaboration<br />

avec l’Observatoire <strong>de</strong> la Côte-d’Azur. Le <strong>de</strong>nsifieur <strong>de</strong> pupille, dispositif optique<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>tiné a concentrer la lumière sur un nombre réduit <strong>de</strong> franges, a été étudié à<br />

l’ai<strong>de</strong> du logiciel <strong>de</strong> simulations optiques Zemax <strong>et</strong> est en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> construction à<br />

l’Observatoire <strong>de</strong> Haute-Provence. Enfin, un système d’asservissement perm<strong>et</strong>tant<br />

<strong>de</strong> stabiliser le trépied <strong>de</strong> câbles du ballon a hélium <strong>et</strong> ainsi d’améliorer la stabilité<br />

<strong>de</strong> l’ensemble du dispositif optique <strong>de</strong> l’hypertélescope est actuellement réalisé par<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> techniciens <strong>et</strong> ingénieurs <strong>de</strong> l’Observatoire <strong>de</strong> Haute-Provence. La mise en<br />

service du prototype Carlina à l’Observatoire <strong>de</strong> Haute-Provence, prévue pour<br />

2009/2010, perm<strong>et</strong>tra <strong>de</strong> vali<strong>de</strong>r l’intégralité <strong>de</strong> la chaîne optique <strong>de</strong> l’hypertélescope,<br />

<strong>et</strong> d’évaluer les performances intrinsèques <strong>de</strong> l’instrument, notamment en observant<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s faibles (magnitu<strong>de</strong> > 12). Elle <strong>de</strong>vrait ouvrir la voie pour un proj<strong>et</strong><br />

ultérieur à plus gran<strong>de</strong> échelle.<br />

Etu<strong>de</strong> d’un hypertélescope à ouverture <strong>de</strong> 100 à 200 m<br />

(A. Labeyrie, J. Dejonghe, H. Le Coroller, D. Vern<strong>et</strong>, P. Rabou)<br />

Une version agrandie, <strong><strong>de</strong>s</strong>tinée à entreprendre un programme scientifique<br />

d’imagerie directe sur <strong>de</strong> nombreuses étoiles <strong>et</strong> sources extra-galactiques, est<br />

simultanément étudiée. Elle pourrait comporter, au foyer d’un miroir primaire<br />

dilué dont le diamètre atteindrait 100 ou 200 m <strong>et</strong> l’ouverture relative F/1, un<br />

correcteur compact d’aberration sphérique <strong>et</strong> un <strong>de</strong>nsifieur <strong>de</strong> pupille. L’utilité<br />

d’entamer, à c<strong>et</strong>te échelle, <strong><strong>de</strong>s</strong> essais préalables sur une étoile artificielle ou bien sur<br />

l’étoile Polaire visée en exploitant la pente d’une falaise, est également étudiée. De<br />

tels essais sont peut-être évitables par une modélisation poussée du système (le<br />

télescope Hubble <strong>de</strong> la NASA n’avait pas été validé en visant une étoile avant son<br />

lancement, ce qui aurait révélé l’erreur catastrophique <strong>de</strong> fabrication optique<br />

apparue plus tard dans l’espace).


ASTROPHYSIQUE OBSERVATIONNELLE 165<br />

Après la construction, l’observation pourrait débuter avant <strong>de</strong> disposer d’optique<br />

adaptative corrigeant la turbulence atmosphérique, laquelle affecte la mise en phase<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> faisceaux. Il faudrait alors recourir à la métho<strong>de</strong> d’interféromètrie <strong><strong>de</strong>s</strong> tavelures,<br />

qui a permis <strong>de</strong> r<strong>et</strong>rouver la résolution théorique <strong><strong>de</strong>s</strong> grands télescopes classiques.<br />

Dans un second temps, une optique adaptative <strong>de</strong>vrait former directement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

images à haute résolution, riches en information. S’il s’avère possible d’ajouter un<br />

système d’étoile gui<strong>de</strong> laser, mentionné ci-après, l’instrument <strong>de</strong>viendrait utilisable<br />

sur <strong><strong>de</strong>s</strong> sources faibles, telles que les galaxies lointaines observées par les ELTs.<br />

Version pour hypertélescope d’une optique adaptative avec étoile gui<strong>de</strong> laser<br />

(A. Labeyrie)<br />

Les systèmes d’étoiles gui<strong>de</strong> laser, dont le principe fut d’abord publié par Foy <strong>et</strong><br />

Labeyrie en 1985, ont été mis en œuvre sur les plus grands télescopes, sur lesquels<br />

elles perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong>puis quelques années d’étendre à <strong><strong>de</strong>s</strong> sources très faiblement<br />

lumineuses les techniques d’optique adaptative, <strong>et</strong> donc d’observer <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s très<br />

lointains avec une résolution améliorée. Il ne semblait pas facile d’adapter une<br />

étoile laser à un hypertélescope, pour étendre à <strong><strong>de</strong>s</strong> sources très faibles ses capacités<br />

d’imagerie à haute résolution. Cependant, une possibilité <strong>de</strong> solution, utilisant un<br />

système laser modifié, est apparue. La théorie a pu être vérifiée en partie avec un<br />

montage <strong>de</strong> laboratoire. En attendant la construction d’hypertélescopes dans<br />

l’espace, <strong><strong>de</strong>s</strong> versions terrestres pourraient donc <strong>de</strong>venir utilisable pour les<br />

observations <strong>de</strong> cosmologie sur les galaxies faibles <strong>et</strong> lointaines.<br />

Faisabilité d’un hypertélescope couplé à un « Extremely Large Télescope »<br />

(ELT)<br />

Les proj<strong>et</strong>s actuels <strong>de</strong> construction d’ELTs, notamment par l’Europe, soulèvent la<br />

question <strong><strong>de</strong>s</strong> possibilités <strong>de</strong> couplage avec un hypertélescope. L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> sites candidats<br />

étudiés par l’Europe, sur la sierra Macon dans les An<strong><strong>de</strong>s</strong> d’Argentine, est une longue<br />

crête orientée nord-sud, interrompue par un col dont la topographie pourrait convenir<br />

pour un hypertélescope Carlina, lequel pourrait être couplé interféromètriquement<br />

avec l’ELT. Ce <strong>de</strong>rnier y gagnerait beaucoup quant à la science accessible, avec une<br />

résolution améliorée d’un facteur 10 à 20 (www.oamp.fr/lise/).<br />

Prospection <strong>de</strong> sites pour un hypertélescope<br />

(A. Labeyrie, J. Dejonghe, H. Le Coroller, D. Vern<strong>et</strong>, O. Lardière)<br />

La prospection entamée les années précé<strong>de</strong>ntes a été poursuivie en mesurant la<br />

turbulence sur l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> sites visités, à Barrosa dans les Pyrénées espagnoles. Une<br />

seule nuit d’observation avec un p<strong>et</strong>it télescope portant une caméra a montré que<br />

la turbulence locale peut atteindre une bonne qualité, sans toutefois renseigner sur<br />

la fréquence <strong><strong>de</strong>s</strong> nuits utilisables. Mais les données météorologiques ont permis<br />

d’en avoir une idée grossière en précisant les statistiques <strong>de</strong> vent <strong>et</strong> <strong>de</strong> nébulosité<br />

sur ce site, lesquelles sont plus favorables qu’aux latitu<strong><strong>de</strong>s</strong> plus basses pour le vent,


166 ANTOINE LABEYRIE<br />

<strong>et</strong> raisonnablement favorables pour la nébulosité. L’Observatoire du Pic du Midi,<br />

situé non loin sur le versant français <strong>de</strong> la chaîne, est réputé pour fournir<br />

occasionnellement <strong><strong>de</strong>s</strong> images exceptionnelles.<br />

Etu<strong>de</strong> d’un hypertélescope dans l’espace (A. Labeyrie)<br />

Après la proposition faite l’année précé<strong>de</strong>nte à l’Agence Spatiale Européenne<br />

(www.oamp.fr/infoglueDeliverLive/www/OHP/Actualit%E9s?contentId=1148),<br />

est apparue la possibilité d’une version « éthérée », utilisant <strong>de</strong> p<strong>et</strong>its miroirs piégés<br />

par <strong><strong>de</strong>s</strong> faisceaux <strong>de</strong> laser. De grands miroirs formés <strong>de</strong> nano-particules piégées par<br />

laser avaient été étudiés les années précé<strong>de</strong>ntes, mais il s’agirait maintenant <strong>de</strong><br />

constituer un grand miroir dilué en piégeant <strong>de</strong> p<strong>et</strong>its miroirs soli<strong><strong>de</strong>s</strong>. Le calcul <strong>de</strong><br />

leur comportement est plus facile, ainsi que leur mise en œuvre, laquelle peut être<br />

expérimentée en laboratoire. C<strong>et</strong>te version est mentionnée <strong>de</strong> façon préliminaire<br />

dans une publication résumant la proposition (Labeyrie <strong>et</strong> al., 2008, http://dx.doi.<br />

org/10.1007/s10686-008-9123-8).<br />

Astrophysique théorique <strong>et</strong> relativité générale (R. Krikorian)<br />

R. Krikorian a poursuivi l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> certains aspects <strong>de</strong> la supraconductivité dans<br />

un espace-temps courbe. L’interprétation physique <strong><strong>de</strong>s</strong> équations tensorielles<br />

décrivant la supraconductivité dans le cadre <strong>de</strong> la relativité générale présente <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

difficultés dues au fait que les relations perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> passer <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong>de</strong>urs<br />

tensorielles absolues aux gran<strong>de</strong>urs physiquement mesurables ne sont pas définies<br />

<strong>de</strong> manière univoque. Par exemple, il n’existe pas <strong>de</strong> façon unique <strong>de</strong> déduire du<br />

tenseur absolu champ électromagnétique les champs électrique <strong>et</strong> magnétique<br />

physiquement mesurables. Une première approche adoptée pour la formulation<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> équations tensorielles en terme <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>urs physiquement mesurables a été la<br />

métho<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> tétra<strong><strong>de</strong>s</strong>. Dans c<strong>et</strong>te approche les équations sont écrites à l’ai<strong>de</strong><br />

d’invariants vis-à-vis <strong><strong>de</strong>s</strong> transformations générales <strong><strong>de</strong>s</strong> coordonnées d’espac<strong>et</strong>emps.<br />

Les champs électrique <strong>et</strong> magnétique, définis à l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> composantes<br />

anholonomiques du tenseur champ électromagnétique sont donc <strong><strong>de</strong>s</strong> scalaires qui<br />

se transforment selon les lois <strong>de</strong> la relativité restreinte dans un changement <strong>de</strong><br />

repères orthonormés. C<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> a été notamment utilisée pour obtenir les<br />

expressions <strong><strong>de</strong>s</strong> champs électrique <strong>et</strong> magnétique à l’intérieur <strong><strong>de</strong>s</strong> supraconducteurs<br />

<strong>de</strong> type I <strong>et</strong> II (Nuovo Cimento, 2007, Astrophysics, 2008).<br />

Il existe dans la littérature une autre approche pour l’interprétation <strong><strong>de</strong>s</strong> équations<br />

tensorielles absolues <strong>de</strong> la relativité générale, la métho<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> projections <strong>de</strong><br />

Cattaneo. C<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong>, contrairement à l’approche anholonomique, a un<br />

caractère purement tensoriel ; les équations tensorielles absolues sont écrites sous<br />

une forme semblable à celle <strong>de</strong> la physique newtonienne <strong>et</strong> interprétées en<br />

employant le langage <strong>de</strong> la physique classique. Ce résultat est atteint : (i) par<br />

l’introduction, au moyen d’opérateurs <strong>de</strong> projections convenablement définis, <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong>urs « standard » relatives au système <strong>de</strong> référence associé au système <strong>de</strong>


ASTROPHYSIQUE OBSERVATIONNELLE 167<br />

coordonnées physiquement admissibles ; ces gran<strong>de</strong>urs se transformant selon les<br />

lois tensorielles classiques vis-à-vis <strong><strong>de</strong>s</strong> changements <strong>de</strong> coordonnées internes au<br />

système <strong>de</strong> référence ; (ii) en définissant un opérateur <strong>de</strong> dérivation transverse,<br />

partielle ou covariante. Les équations tensorielles absolues <strong>de</strong> London écrites à<br />

l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces gran<strong>de</strong>urs « standard » ont donc la même forme que les équations<br />

vectorielles classiques reliant la vitesse du superélectron au champ électromagnétique<br />

avec <strong><strong>de</strong>s</strong> termes supplémentaires représentant l’influence du champ <strong>de</strong> gravitation.<br />

Les expressions <strong><strong>de</strong>s</strong> champs électrique <strong>et</strong> magnétique déduites <strong><strong>de</strong>s</strong> équations<br />

« standard » ont été comparées à celles obtenues par la métho<strong>de</strong> anholonomique.<br />

Ce travail a fait l’obj<strong>et</strong> d’une publication. En collaboration avec D. Sedrakian,<br />

Université d’état d’Erevan, la métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> Cattaneo a été utilisée pour l’interprétation<br />

physique <strong><strong>de</strong>s</strong> équations covariantes décrivant les propriétés <strong><strong>de</strong>s</strong> supraconducteurs<br />

<strong>de</strong> type II. Ce travail sera soumis à la revue Phys. Rev. D.<br />

III. Publications, séminaires <strong>et</strong> conférences<br />

Krikorian R.A., « Superconductivity in curved space-time and the object of anholonomity »,<br />

Nuovo Cimento B 122, 401, 2007.<br />

Krikorian R.A. & Sedrakian D.M., « T<strong>et</strong>rad formulation of the dynamical equations of<br />

type II superconductors in curved space-time », Astrophysics 51, 58, 2008.<br />

Sedrakian D.M. & Krikorian R.A., « Covariant formulation of the basic equations of<br />

quantum vortices in type2 superconductors », Phys Rew B 76, 184501-1, 2007.<br />

Krikorian R.A., « Superconductivity in curved space-time and Cattaneo’s projection<br />

m<strong>et</strong>hod », Nuovo CimentoB, 123, 217, 2008.<br />

Labeyrie <strong>et</strong> al., 2008, « Luciola hypertelescope space observatory: versatile, upgradable<br />

high-resolution imaging, from stars to <strong>de</strong>ep-field cosmology », à paraître dans Experimental<br />

Astronomy, http://dx.doi.org/10.1007/s10686-008-9123-8.<br />

Labeyrie A., Le Coroller H. & Dejonghe J., « Steps toward hypertelescopes on Earth and<br />

in space », proc. SPIE conf., Marseille 2008<br />

Deux journées <strong>de</strong> discussion sur le « Cophasage <strong><strong>de</strong>s</strong> ELTs, interféromètres <strong>et</strong><br />

hypertélescopes », organisées au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> par H. Le Coroller <strong>et</strong> A. Labeyrie les<br />

18 <strong>et</strong> 19 mars 2008, ont rassemblé une vingtaine <strong>de</strong> chercheurs français <strong>et</strong> étrangers.<br />

Présentations invitées <strong>et</strong> séminaires<br />

A. Labeyrie, invité à faire une présentation au colloque « Extremely Large Telescopes at<br />

Different Wavelengths » à Lund (Suè<strong>de</strong>) les 29 <strong>et</strong> 30 novembre 2007, s’en est acquitté par<br />

vidéo-conférence.<br />

A. Labeyrie, « Etoile gui<strong>de</strong> laser pour hypertélescope », séminaire à l’Observatoire <strong>de</strong><br />

Lyon, 21 mars 2008.<br />

Conférence publique <strong>et</strong> site web<br />

A. Labeyrie, « Le regard <strong><strong>de</strong>s</strong> géants : les grands télescopes du futur changeront-ils notre<br />

conception actuelle <strong>de</strong> l’Univers ? » Planétarium <strong>de</strong> Vaulx-en-Velin, 20 mars 2008.<br />

Le site web du LISE (www.oamp.fr/lise) a été mis à jour <strong>et</strong> amélioré par Mme V. Garcia<br />

qui prend en charge sa maintenance <strong>et</strong> l’implantation d’une version en anglais.


Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions moléculaires<br />

M. Jean-Marie Lehn, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />

Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année 2007-2008 a porté sur « Autoorganisation moléculaire <strong>et</strong><br />

supramoléculaire ». Des <strong>cours</strong> ont été donnés à l’Université Louis Pasteur <strong>de</strong><br />

Strasbourg (3 h), à l’Université d’Etat M. V. Lomonossov <strong>de</strong> Moscou (4 h) <strong>et</strong> à la<br />

City University <strong>de</strong> Hong Kong (4 h).<br />

Cours au collège <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

1) Autoorganisation supramoléculaire d’architectures entrelacées<br />

L’autoorganisation d’architectures entrelacées <strong>de</strong> type rotaxanes, caténanes <strong>et</strong><br />

nœuds moléculaires m<strong>et</strong> à profit l’assistance d’eff<strong>et</strong>s supramoléculaires pour m<strong>et</strong>tre<br />

en place les différents composants qui seront ensuite connectés par <strong><strong>de</strong>s</strong> réactions<br />

post-assemblage. Ces eff<strong>et</strong>s supramoléculaires peuvent résulter <strong>de</strong> la coordination<br />

d’ions métalliques (<strong>cours</strong> 2005-2006), d’interactions électrostatiques, <strong>de</strong> la<br />

formation <strong>de</strong> liaisons hydrogène, <strong>de</strong> forces <strong>de</strong> Van <strong>de</strong>r Waals.<br />

a) Cavités organiques : cyclo<strong>de</strong>xtrines, cucurbituriles<br />

La formation <strong>de</strong> rotaxanes a mis en œuvre l’aptitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> cavités moléculaires <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong> taille, telles que celles <strong><strong>de</strong>s</strong> cyclo<strong>de</strong>xtrines <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cucurbituriles, à former <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

complexes d’inclusion avec <strong>de</strong> nombreux substrats moléculaires.<br />

Deux différentes stratégies <strong>de</strong> synthèse ont été mises au point, utilisant par<br />

exemple l’α-cyclo<strong>de</strong>xtrine.


170 JEAN-MARIE LEHN<br />

La formation <strong>de</strong> polyrotaxanes <strong>et</strong> <strong>de</strong> caténanes a aussi été réalisée.<br />

1.<br />

H 2N<br />

NO 2<br />

CD<br />

O<br />

O<br />

O<br />

O<br />

O<br />

O<br />

O 2N N<br />

O<br />

O<br />

O N NO2 H<br />

H<br />

O<br />

2.<br />

O<br />

O 2N<br />

O NH 2<br />

F NO 2<br />

De manière analogue, <strong><strong>de</strong>s</strong> rotaxanes dérivant <strong>de</strong> la [6] cucurbiturile ont été<br />

obtenus.<br />

O 2N


) Polyéthers macrocycliques<br />

CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 171<br />

Les polyéthers macrocycliques forment <strong><strong>de</strong>s</strong> rotaxanes avec <strong><strong>de</strong>s</strong> cations ammonium<br />

qui s’insèrent dans la cavité centrale par formation <strong>de</strong> liaisons hydrogène avec les<br />

sites oxygène.<br />

De nombreuses superstructures <strong>de</strong> ce type ont été obtenues, y compris <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

polyrotaxanes, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> cations polyammonium <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> caténanes.


172 JEAN-MARIE LEHN<br />

c) Macrocycles Accepteur/Donneur<br />

Structures RX<br />

L’introduction <strong>de</strong> groupements riches en électrons (Donneurs) ou pauvres en<br />

électrons (Accepteurs) dans un récepteur macrocyclique perm<strong>et</strong> l’insertion d’un<br />

substrat contenant le groupe complémentaire dans la cavité centrale. C<strong>et</strong>te approche<br />

s’est révélée particulièrement fructueuse <strong>et</strong> a permis d’obtenir <strong>de</strong> nombreuses<br />

architectures mono- <strong>et</strong> poly-rotaxanes <strong>et</strong> caténanes.<br />

+<br />

+<br />

Br Br<br />

86<br />

4PF 6<br />

+<br />

N<br />

N<br />

85.2PF 6<br />

2PF6<br />

+<br />

N<br />

N<br />

BPP34C10<br />

O O O<br />

O<br />

O<br />

+<br />

+<br />

O<br />

O<br />

O O O<br />

88.4PF 6<br />

MeCN<br />

Room Temperature<br />

O O O<br />

O<br />

O<br />

O<br />

O<br />

O O O<br />

NH 4 PF 6<br />

Cyclisation<br />

+<br />

+<br />

3X<br />

Br<br />

Br<br />

87.3X<br />

3X<br />

Insertion<br />

+<br />

+<br />

O O O<br />

O<br />

O<br />

+<br />

+<br />

O<br />

O<br />

O O O<br />

[2]rotaxane<br />

[87.BPP34C10].3X


20%<br />

+<br />

N<br />

N<br />

Br<br />

O O O O O<br />

+<br />

+<br />

O O O O O<br />

CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 173<br />

91.2PF 6<br />

92<br />

4PF6<br />

+<br />

N<br />

N<br />

Br<br />

93.4PF 6<br />

1.<br />

O<br />

O<br />

O O O O O<br />

O O<br />

O<br />

O O O O O<br />

+<br />

+<br />

O<br />

O O<br />

O<br />

O<br />

or<br />

O O O O O<br />

O O O O O<br />

BPP34C10 MeCN 1/5DN38C10<br />

2. NH 4PF 6 /H 2O<br />

or<br />

O O O O O<br />

+<br />

+<br />

O O O O O<br />

4PF 6<br />

94.4PF 6<br />

O O O O O<br />

+<br />

+<br />

O O O O O<br />

De tels rotaxanes ont été mis en œuvre pour la réalisation <strong>de</strong> dispositifs<br />

supramoléculaires présentant <strong><strong>de</strong>s</strong> mouvements moléculaires par déplacement<br />

contrôlé d’un composant par rapport à un autre.<br />

Contrôle Électrochimique <strong>de</strong> la Position du Cyclophane Tétracationique<br />

dans une « Nav<strong>et</strong>te » Supramoléculaire Linéaire à Deux Stations<br />

Des rotaxanes <strong>et</strong> caténanes ont aussi été obtenus en utilisant l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> support<br />

d’un anion complexé.<br />

2) Autoorganisation <strong>de</strong> brins moléculaires<br />

a) Chaînes polyhétérocycliques<br />

Le repliement <strong>de</strong> brins moléculaires peut être contrôlé par la mise en œuvre <strong>de</strong><br />

codons <strong>de</strong> repliement (« folding codons ») présentant une conformation préférée.<br />

31%


174 JEAN-MARIE LEHN<br />

Ainsi <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes aza-hétérocycliques connectés en position α <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes d’azote<br />

donnent lieu à une orientation transoï<strong>de</strong> par rapport aux liaisons C-C <strong>de</strong> connexion.<br />

Il en résulte qu’une séquence <strong>de</strong> quelques groupes, choisis <strong>de</strong> façon adéquate, force<br />

un brin moléculaire à adopter une forme hélicoïdale ou linéaire ou une combinaison<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux. On peut ainsi obtenir <strong><strong>de</strong>s</strong> hélices moléculaires à tours multiples.<br />

Ainsi une séquence pyridine-pyrimidine-pyridine est un codon d’hélicité <strong>et</strong> une<br />

séquence <strong>de</strong> groupes pyridine, un codon <strong>de</strong> linéarité.<br />

Le remplacement d’un groupe pyridine par une hydrazone facilite beaucoup la<br />

synthèse <strong>de</strong> ces brins moléculaires <strong>et</strong> perm<strong>et</strong> d’obtenir ainsi <strong><strong>de</strong>s</strong> hélices à tours<br />

multiples.<br />

C<br />

CH3<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N N N<br />

H3<br />

CH3 CH3<br />

CH3 CH3<br />

CH3 CH3<br />

CH3 CH3<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N N N N N N N N N N N N N N N N N<br />

11.60 Å<br />

N<br />

N<br />

N N<br />

N<br />

N<br />

N N<br />

N N N<br />

N<br />

N N<br />

N<br />

N N<br />

N<br />

N<br />

N N<br />

N<br />

N N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N N<br />

N<br />

N<br />

N N<br />

De plus c<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> rend accessible la génération <strong>de</strong> polymères hélicoïdaux<br />

par polycon<strong>de</strong>nsation.<br />

N<br />

N


H 2N<br />

R 1 =<br />

H<br />

N<br />

Me O<br />

N N<br />

R 1<br />

OMe<br />

H<br />

N<br />

OMe<br />

NH 2<br />

+<br />

CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 175<br />

O<br />

H<br />

C<br />

R 2 =<br />

N N<br />

b) Chaînes pyridine-carboxami<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

R 2<br />

H<br />

C<br />

O<br />

R 1<br />

R 2<br />

R 1<br />

R 2<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

H<br />

N R<br />

N 2<br />

N<br />

N<br />

N N n<br />

H<br />

H N<br />

N N NH<br />

N<br />

N<br />

N N<br />

NH<br />

N<br />

NH<br />

H<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N<br />

N N<br />

N<br />

H N<br />

H N<br />

N N NH<br />

N<br />

N<br />

N N<br />

NH NH<br />

N N<br />

Différents autres éléments structuraux ont été utilisés. En particulier, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

enchaînements <strong>de</strong> groupes pyridine-carboxami<strong><strong>de</strong>s</strong> conduisent au repliement en<br />

hélice, du fait <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong> liaisons hydrogène. De plus, ces brins hélicoïdaux<br />

ont aussi l’aptitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> former <strong><strong>de</strong>s</strong> dimères en double hélice.<br />

Crystal Structure of Double Helical Heptamer<br />

En conclusion, la mise au point <strong>de</strong> codons structuraux rend possible le contrôle<br />

<strong>de</strong> l’autoorganisation <strong>de</strong> brins moléculaires.<br />

Elle ouvre d’intéressantes perspectives pour la génération <strong>de</strong> molécules<br />

synthétiques <strong>de</strong> forme contrôlée <strong>et</strong> imposée, ainsi que pour la compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

facteurs déterminant la conformation <strong><strong>de</strong>s</strong> molécules biologiques.<br />

N<br />

N<br />

R 2


176 JEAN-MARIE LEHN<br />

À Paris :<br />

Séminaires<br />

— Olivia Reinaud (Université <strong>de</strong> Paris Descartes), Exploration <strong><strong>de</strong>s</strong> métallo-biosites avec<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> calixarènes « complexes », 22 février 2008.<br />

— Gérard Férey (Institut Lavoisier <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Versailles), Les métaux poreux sur<br />

mesure, 5 mars 2008.<br />

À Strasbourg :<br />

P<strong>et</strong>er Stang (University of Utah), Nanoscale Molecular Architecture : Design and Self-<br />

Assembly of M<strong>et</strong>allocyclic Polygons and Polyhedra via Coordination, 11 juill<strong>et</strong> 2007.<br />

Jean-Pierre Bucher (IPCMS, Strasbourg), Probing Electronic and Magn<strong>et</strong>ic Properties of<br />

Atomic and Molecular Clusters with Sharp Tips, 2 octobre 2007.<br />

Yoshihito Osada (Hokkaido University), Intelligent Gelsl – An Approach to Artificial<br />

Muscles and Soft Tissue, 22 octobre 2007.<br />

Adrian-Mihail Stadler (CNRS, ISIS, Strasbourg <strong>et</strong> Institut <strong>de</strong> Nanotechnologie,<br />

Karlsruhe), Auto-Organisation <strong>et</strong> Mouvements Moléculaires.<br />

Philippe Reutenauer (ETH Zürich), Expansion of the Scope of the [2 + 2] Cycloaddition/<br />

R<strong>et</strong>ro-Electrocyclisation Casca<strong>de</strong> B<strong>et</strong>ween Electron Rich Alkynes and TCNE, 11 décembre<br />

2007.<br />

Franck Zal (CNRS Roscoff), The Extracellular Hemoglobin of the Annelid Polycha<strong>et</strong>e<br />

Arenicola Marina : A Natural Oxygen Carrier for Human Health, 17 décembre 2007.<br />

Philippe Turek (Institut <strong>de</strong> Chimie, Strasbourg), Electron Paramagn<strong>et</strong>ic Resonance:<br />

A Tool for the Study of the Magn<strong>et</strong>ic Properties of Molecular Materials, 29 janvier 2008.<br />

Nathan Schultheiss (Kansas State University), Balancing Intermolecular Interactions in<br />

the Design and Synthesis of Supermolecules, 12 février 2008.<br />

Alexandros E. Koumbis (Aristotle University of Thessaloniki), Total Synthesis of Syributins,<br />

Secosyrins and Syringoli<strong><strong>de</strong>s</strong>, 26 février 2008.<br />

Steven Rokita (University of Maryland), Nuceloti<strong>de</strong> Sequence Controls the Efficiency<br />

of Electron Injection and Transport in Duplex DNA, 19 mars 2008.<br />

Alexandre Varnek (Université Louis Pasteur), From Databases to in silico Design<br />

of New Compounds, 1 er avril 2008.<br />

Raymond Weiss (Université Louis Pasteur), Les Peroxidases <strong>et</strong> leurs Mécanismes, 23 juin<br />

2008.<br />

Résumé <strong><strong>de</strong>s</strong> activités <strong>de</strong> recherche<br />

A) Laboratoire <strong>de</strong> chimie supramoléculaire<br />

(ISIS, Université Louis Pasteur, Strasbourg <strong>et</strong> UMR 7006 du CNRS)<br />

I — Dispositifs fonctionnels moléculaires <strong>et</strong> supramoléculaires<br />

1) Dispositifs optiques<br />

Les propriétés optiques d’assemblées supramoléculaires <strong>de</strong> groupes porphyriniques<br />

pourvus d’unités <strong>de</strong> reconnaissance moléculaire complémentaires ont été étudiées.


CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 177<br />

Elles sont le siège <strong>de</strong> transferts d’énergie dont la vitesse <strong>et</strong> l’efficacité dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />

la géométrie supramoléculaire (1).<br />

2) Dispositifs électroniques <strong>et</strong> magnétiques<br />

Les complexes linéaires multinucléaires du ruthénium(II) formés par <strong><strong>de</strong>s</strong> ligands<br />

polytopiques à sites tri<strong>de</strong>ndates présentent un remarquable comportement <strong>de</strong> « fil<br />

moléculaire » (2).<br />

Un complexe paramagnétique tétranucléaire du fer(II) en forme <strong>de</strong> grille [2 x 2]<br />

s’est révélé être une nanoson<strong>de</strong> magnétique <strong>de</strong> très haute sensibilité <strong>de</strong> la formation<br />

<strong>de</strong> liaisons hydrogène (A. Stefankiewicz).


178 JEAN-MARIE LEHN<br />

3) Dispositifs nanomécaniques<br />

Des mouvements moléculaires réversibles peuvent être induits dans <strong><strong>de</strong>s</strong> brins<br />

moléculaires oligopyridine-dicarboxami<strong>de</strong> par protonation <strong>et</strong> déprotonation (3).<br />

L’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mouvements moléculaires couplés par complexation <strong>et</strong> décomplexation<br />

successives <strong>de</strong> brins moléculaires polytopiques a été poursuivie (M. Stadler).<br />

II — Autoorganisation <strong>de</strong> systèmes inorganiques<br />

1) Hélicates<br />

Un ligand <strong>de</strong> type quaterpyridine forme <strong><strong>de</strong>s</strong> complexes hélicoïdaux mono- <strong>et</strong><br />

bi-nucléaires (hélicates) (4).<br />

2) Superstructures en « grille » [2 × 2]<br />

L’autoassemblage <strong>de</strong> grilles métallosupramoléculaires [2 × 2] à partir <strong>de</strong> ligands<br />

fonctionnalisés perm<strong>et</strong> la génération <strong>de</strong> multivalences avec présentation <strong>de</strong> huit<br />

groupements fonctionnels soit :<br />

— en position « axiale », à partir <strong>de</strong> composants hydrazino-pyridine,<br />

— en position « latérale », à partir <strong>de</strong> composants hydrazi<strong>de</strong> (X. Cao).<br />

La mise en évi<strong>de</strong>nce <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te multivalence repose sur l’apparition <strong>de</strong><br />

propriétés nouvelles, notamment complexantes (X. Cao).<br />

Des grilles fonctionnalisées <strong><strong>de</strong>s</strong>tinées notamment à l’autoorganisation sur surface<br />

métallique ou avec <strong><strong>de</strong>s</strong> nanoparticules métallique ont été synthétisées<br />

(A. Stefankiewicz).<br />

La formation sélective <strong>de</strong> grilles [2 × 2] hétérométalliques directement par<br />

autoorganisation avec sélection <strong><strong>de</strong>s</strong> cations <strong>et</strong> régiosélectivité a été étudiée<br />

(J. Ramirez, A.M. Stadler).<br />

Le mécanisme <strong>de</strong> formation <strong><strong>de</strong>s</strong> grilles [2 × 2] a été étudié par RMN<br />

(M.-N. Lalloz-Vogel, A. Marquis).<br />

Des ligands bis-tri<strong>de</strong>ntates forment avec <strong><strong>de</strong>s</strong> cations lourds (Hg II , Pb II ) <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

architectures <strong>de</strong> coordination <strong>de</strong> type grille ou ratelier (5).<br />

III — Autoorganisation <strong>de</strong> systèmes organiques<br />

1) Hélicité <strong>de</strong> brins moléculaires<br />

Des brins moléculaires contenant <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes 1,8-naphtyridine adoptent une<br />

conformation hélicoïdale <strong>et</strong> forment <strong><strong>de</strong>s</strong> assemblées oligomériques avec <strong><strong>de</strong>s</strong> cations<br />

oligo-ammoniums (6).


CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 179<br />

Des brins moléculaires à sous-unités hétérocycliques présentent une<br />

diastéréoisomérie hélicoïdale (7).<br />

2) Matériaux / Polymères supramoléculaires<br />

Des mesures <strong>de</strong> rhéologie <strong>et</strong> <strong>de</strong> diffusion <strong>de</strong> lumière dynamique ont permis<br />

d’étudier les propriétés dynamiques <strong>de</strong> solutions semi-diluées <strong>de</strong> polymères<br />

supramoléculaires (8).<br />

La structure moléculaire <strong>et</strong> la morphologie <strong>de</strong> polymères supramoléculaires<br />

formés à partir <strong>de</strong> monomères portant <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes <strong>de</strong> reconnaissance<br />

complémentaires <strong>de</strong> type Janus a été étudiée (9).<br />

Des monocouches incorporant <strong>de</strong>ux composants ont été obtenues <strong>et</strong> la formation<br />

d’ordre à l’échelle subnanométrique a été mise en évi<strong>de</strong>nce par STM (10).


180 JEAN-MARIE LEHN<br />

Une étu<strong>de</strong> détaillée par diffusion <strong>de</strong> neutrons aux p<strong>et</strong>its angles a été réalisée sur<br />

la modulation par décoration dynamique <strong>de</strong> la structure <strong>de</strong> gels générés par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

quadruplexes <strong>de</strong> guanosine (11).<br />

Les hydrogels basés sur <strong><strong>de</strong>s</strong> quadruplexes formés par un dérivé hydrazi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />

guanosine effectuent une sélection structurale <strong>et</strong> une libération controlée <strong>de</strong><br />

molécules bioactives (12).<br />

IV — Chimie Dynamique Constitutionnelle (CDC)<br />

1) Sélection / Adaptation en Chimie Dynamique Constitutionnelle<br />

L’évolution forcée d’une bibliothèque dynamique constitutionnelle (BDC) <strong>de</strong><br />

brins hélicoïdaux sous l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> la complexation d’ions a été étudiée par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

mesures <strong>de</strong> RMN DOSY. C<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> perm<strong>et</strong> d’analyser la composition <strong>de</strong> la<br />

bibliothèque en fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> rayons hydrodynamiques <strong><strong>de</strong>s</strong> espèces présentes (13).


CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 181<br />

La mise en œuvre d’une nouvelle réaction réservible en CDC, la formation<br />

d’hémiacétals entre alcools <strong>et</strong> groupes carbonyles, a été explorée. Elle perm<strong>et</strong> la<br />

génération <strong>de</strong> BDC, en particulier sous l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> la complexation <strong>de</strong> cations<br />

(D. Drahonovsky).<br />

La possibilité d’influencer le comportement d’une BDC par complexation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

constituants a été explorée (N. Schulteiss).<br />

L’adaptation d’une BDC à un changement <strong>de</strong> forme <strong>de</strong> l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> composants<br />

perm<strong>et</strong> d’opérer une commutation constitutionnelle entre <strong>de</strong>ux types d’espèces.<br />

Ainsi, l’interconversion entre <strong>de</strong>ux formes, <strong>de</strong> type W <strong>et</strong> U, a été réalisée dans un<br />

système dynamique. Elle conduit à une commutation entre un état macrocyclique<br />

<strong>et</strong> un état polymérique (14).<br />

Ce type <strong>de</strong> commutation constitutionnelle donne lieu à <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes très<br />

intéressants d’adaptation par sélection <strong>de</strong> composants sous l’eff<strong>et</strong> du changement<br />

<strong>de</strong> morphologie ainsi qu’en fonction <strong>de</strong> la nature <strong>de</strong> l’effecteur (ions métalliques<br />

<strong>de</strong> différentes tailles) (S. Ulrich).<br />

Des processus <strong>de</strong> sélection multiple faisant intervenir différents composants <strong>de</strong><br />

grilles [2 × 2] sont en <strong>cours</strong> d’étu<strong>de</strong> (M. Chmielewski).<br />

La mise au point <strong>de</strong> mesures <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’application d’un champ gravitationnel<br />

par ultracentrifugation sur une BDC a été poursuivie (F. Folmer-An<strong>de</strong>rsen).<br />

2) Dynamères covalents. Polymères covalents réversibles<br />

Des optodynamères ont été obtenus, conduisant à la génération <strong>de</strong> couleur <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

fluorescence à l’interface entre <strong>de</strong>ux films <strong>de</strong> dynamères différents (15).


182 JEAN-MARIE LEHN<br />

La transformation <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés mécaniques <strong>et</strong> optiques <strong>de</strong> films <strong>de</strong><br />

métallodynamères neutres par échange constitutionnel a été réalisée (16).<br />

Une modification <strong>de</strong> constitution <strong>de</strong> dynamères par interconversion entre une<br />

solution <strong>et</strong> un état soli<strong>de</strong> démontre une capacité d’adaptation <strong>de</strong> tels systèmes à<br />

l’environnement (17).<br />

La modification <strong>de</strong> taille <strong>de</strong> dynamères amphiphiles sous l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> la température<br />

<strong>et</strong> la sélection <strong>de</strong> composants par eff<strong>et</strong> hydrophobe ont été réalisées (F. Folmer-<br />

An<strong>de</strong>rsen).<br />

Une sélection <strong>de</strong> composants par complexation <strong>de</strong> cations métalliques a été<br />

démontrée pour <strong><strong>de</strong>s</strong> dynamères donneur- accepteur présentant un repliement <strong>de</strong><br />

chaine (S. Fujii).<br />

Les mélanges dynamiques obtenus par formation réversible d’hydrazones<br />

perm<strong>et</strong>tent d’effectuer une libération controlée d’aldéhy<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> cétones<br />

volatiles (18).


CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 183<br />

3) Biopolymères dynamiques- Biodynamères<br />

La synthèse <strong>de</strong> divers composants perm<strong>et</strong>tant la génération <strong>de</strong> BDC d’analogues<br />

d’aci<strong><strong>de</strong>s</strong> nucléiques a été réalisée (19).<br />

Les résultats obtenus sur la génération <strong>de</strong> glycodynamères fluorescents ont été<br />

publiés (20), <strong>de</strong> même que la formation d’analogues dynamiques d’oligosocchario<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>de</strong> type arabinofuranosi<strong>de</strong> (21).<br />

Une revue a été rédigée sur l’autoassemblage <strong>et</strong> la chimie combinatoire dynamique<br />

à la fois dans <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes chimiques <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes biologiques (22).<br />

V — Chimie Bioorganique <strong>et</strong> Médicinale<br />

La synthèse <strong>de</strong> différentes classes d’effecteurs allostériques <strong>de</strong> l’hémoglobine a été<br />

poursuivie (K. Fylaktakidou, A. Koumbis, S. Pothukanuri).<br />

L’action <strong>de</strong> ces effecteurs sur la courbe d’oxygénation <strong>de</strong> l’hémoglobine a été<br />

mesurée in vitro <strong>et</strong> in vivo (C. Duarte).<br />

L’effecteur inositol-trispyrophosphate (ITPP) présente <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés très<br />

prom<strong>et</strong>teuses à la fois dans le domaine cardiovasculaire <strong>et</strong> en oncologie.<br />

Publications<br />

1. T.S. Balaban, N. Berova, C.M. Drain, R. Hauschild, X. Huang, H. Kalt,<br />

S. Lebedkin, J.-M. Lehn, F. Nifaitis, G. Pescitelli, V. I. Prokhorenko, G. Rie<strong>de</strong>l,<br />

G. Smeureanu, J. Zeller, Syntheses and Energy Transfer in Multiporphyrinic Arrays Self-<br />

Assembled with Hydrogen-Bonding Recognition Groups and Comparison with Covalent Steroidal<br />

Mo<strong>de</strong>ls, Chem. Eur. J., 13, 8411-8427, 2007.<br />

2. F. Loiseau, F. Nastasi, A.-M. Stadler, S. Campagna, J.-M. Lehn, Molecular Wire<br />

Type Behavior of Polycationic Multinuclear Rack-Type RuII Complexes of Polytopic Hydrazone-<br />

Based Ligands, Angew. Chem. Int. Ed., 46, 6144-6147, 2007.<br />

3. E. Kolomi<strong>et</strong>s, V. Berl, J.-M. Lehn, Helical Folding of Oligopyridinedicarboxami<strong>de</strong><br />

Strands, Chem. Eur. J., 13, 5466-5479, 2007.<br />

4. A.R. Stefankiewicz, M. Walesa, P. Jankowski, A. Ciesielski, V. Patrioniak,<br />

M. Kubicki, Z. Hnatejko, J.M. Harrowfield, J.-M. Lehn, Quaterpyridine Ligands<br />

Forming Helical Complexes of Mono- and Dinuclear (Helicate) Forms, Eur. J. Inorg. Chem.,<br />

2910-2920, 2008.<br />

5. J. Ramirez, A.-Mihail Stadler, J.M. Harrowfield, L. Brelot, J. Huuskonen,<br />

K. Rissanen, L. Allouche, J.-M. Lehn, Coordination Architectures of Large Heavy M<strong>et</strong>al


184 JEAN-MARIE LEHN<br />

Cations (Hg 2+ and Pb 2+ ) with Bis-tri<strong>de</strong>ntate Ligands: Solution and Solid-State Studies,<br />

Z. Anorg. Allg. Chem., 633, 2435-2444, 2007.<br />

6. A. P<strong>et</strong>itjean, L.A. Cuccia, M. Schmutz, J.-M. Lehn, Naphthyridine-based helical<br />

foldamers and macrocycles: Synthesis, cation binding, and supramolecular assemblies, J. Org.<br />

Chem., 73, 2481-2495, 2008.<br />

7. M. Barboiu, J.-M. Lehn, Helical Diastereomerism in Self-Organization of Molecular<br />

Strands, Rev. Chim. (Bucuresti), 59, 255-259, 2008.<br />

8. E. Buhler, S.-J. Candau, E. Kolomi<strong>et</strong>s, J.-M. Lehn, Dynamical Properties of<br />

Semidilute Solutions of Hydrogen-Bon<strong>de</strong>d Supramolecular Polymers, Physical Review E, 76,<br />

061804-1-061804-8, 2007.<br />

9. D. Sarazin, M. Schmutz, J.-M. Guen<strong>et</strong>, A. P<strong>et</strong>itjean, J.-M. Lehn, Structure of<br />

Supramolecular Polymers Generated via Self-Assembly through Hydrogen Bonds, Mol. Cryst.<br />

Liq. Cryst., 468, 187-201, 2007.<br />

10. G. Pace, A. P<strong>et</strong>itjean, M.-N. Lalloz-Vogel, J. Harrowfield, J.-M. Lehn,<br />

P. Samori, Subnanom<strong>et</strong>er-resolved patterning of bicomponent self-assembled monolayers on<br />

Au(111), Angew. Chem. Int. Ed. 47, 2484-2488, 2008.<br />

11. E. Buhler, N. Sreenivasachary, S.-J. Candau, J.-M. Lehn, Modulation of the<br />

Supramolecular Structure of G-Quart<strong>et</strong> Assemblies by Dynamic Covalent Decoration, J. Am.<br />

Chem. Soc., 129, 10058-10059, 2007.<br />

12. N. Sreenivasachary, J.-M. Lehn, Structural Selection in G-Quart<strong>et</strong>-Based Hydrogels<br />

and Controlled Release of Bioactive Molecules, Chem. Asian J., 3, 134-139, 2008.<br />

13. N. Giuseppone, J.-L. Schmitt, L. Allouche, J.-M. Lehn, DOSY NMR Experiments<br />

as a Tool for the Analysis of Constitutional and Motional Dynamic Processes: Implementation<br />

for the Driven Evolution of Dynamic Combinatorial Libraries of Helical Strands, Angew.<br />

Chem. Int. Ed., 47, 2235-2239, 2008.<br />

14. S. Ulrich, J.-M. Lehn, Reversible switching b<strong>et</strong>ween macrocyclic and polymeric states<br />

by morphological control in a constitutional dynamic system, Angew. Chem. Int. Ed., 47,<br />

2240-2243, 2008.<br />

15. T. Ono, S. Fujii, T. Nobori, J.-M. Lehn, Optodynamers: Expression of Color and<br />

Fluorescence at the Interface b<strong>et</strong>ween two Films of Different Dynamic Polymers, Chem.<br />

Commun., 4360-4362, 2007.<br />

16. Cheuk-Fai Chow, S. Fujii, J.-M. Lehn, M<strong>et</strong>allodynamers : Neutral Dynamic<br />

M<strong>et</strong>allosupramolecular Polymers Displaying Transformation of Mechanical and Optical Properties<br />

on Constitutional Exchange, Angew. Chem. Int. Ed., 46, 5007-5010, 2007.<br />

17. C.-F. Chow, S. Fujii, J.-M. Lehn, Crystallization-Driven Constitutional Changes of<br />

Dynamic Polymers in Response to Neat/Solution Conditions, Chem Commun., 4363-4365,<br />

2007.<br />

18. B. Levrand, W. Fieber, J.-M. Lehn, A. Herrmann, Controlled Release of Volatile<br />

Al<strong>de</strong>hy<strong><strong>de</strong>s</strong> and K<strong>et</strong>ones from Dynamic Mixtures Generated by Reversible Hydrazone Formation,<br />

Helv. Chim. Acta, 90, 2281-2314, 2007.<br />

19. D.T. Hickman, N. Sreenivasachary, J.-M. Lehn, Synthesis of Components for the<br />

Generation of Constitutional Dynamic Analogues of Nucleic Acids, Helv. Chim. Acta, 91,<br />

1-20, 2008.<br />

20. Y. Ruff, J.-M. Lehn, Glycodynamers: Fluorescent dynamic analogues of polysacchari<strong><strong>de</strong>s</strong>,<br />

Angew. Chem Int. Ed., 47, 3556-3559, 2008.<br />

21. Y. Ruff, J.-M. Lehn, Glycodynamers: Dynamic analogs of arabinofuranosi<strong>de</strong><br />

oligosacchari<strong><strong>de</strong>s</strong>, Biopolymers, 89, 486-496, 2008.<br />

22. O. Ramström, J.-M. Lehn, Dynamic Ligand Assembly in Comprehensive Medicinal<br />

Chemistry II, D. Triggle, J. Taylor, Eds.; Elsevier, Ltd, Oxford, 959-976, 2007.


Professeur Jean-Marie Lehn<br />

47 conférences, dont par exemple :<br />

CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 185<br />

Conférences présentées sur invitation<br />

• Trends in Nanotechnology International Conference (TNT2007), San Sebastián,<br />

3 septembre 2007, Self-Organization and Functional Supramolecular Devices.<br />

• XVIIIth Men<strong>de</strong>leev Congress, Moscou, 23-28 septembre 2007, Perspectives in Chemistry:<br />

From Supramolecular Chemistry to Constitutional Dynamic Chemistry.<br />

• Symposium on M<strong>et</strong>al-Rich Compounds, Universität Karlsruhe (TH), Karlsruhe,<br />

8 octobre 2007, M<strong>et</strong>allosupramolecular Architectures and Beyond.<br />

• 100th Anniversary of Annual Korean Chemical Soci<strong>et</strong>y Me<strong>et</strong>ing, Daegu, 18 octobre<br />

2007, From Supramolecular Chemistry to Constitutional Dynamic Chemistry.<br />

• 3rd International Symposium on Novel Materials and Synthesis (NMS-III), Fudan<br />

University, Shangai, 20 octobre 2007, Functional Nanostructures and Dynamic Materials<br />

through Self-Organization.<br />

• <strong>France</strong>-Hong Kong Distinguished Lecture, City University of Hong Kong, 30 octobre<br />

2007, From Matter to Life : Chemistry ? Chemistry!<br />

• Ernst-Abbe-Kolloqium, Jena, 24 janvier 2008, Von <strong>de</strong>r Materie zum Leben : Chemie ?<br />

Chemie !<br />

• Séminaire “questions d’émergence”, École <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en Sciences Sociales<br />

(EHESS), Paris, 5 mars 2008, La Notion d’Émergence en Chimie.<br />

• Aca<strong>de</strong>mia Europaea – Klaus Tschira Foundation “Complexity”, Hei<strong>de</strong>lberg, 25-26 avril<br />

2008, Steps towards Complex Matter: Information, Self-Organization, and Adaption in<br />

Chemical Systems.<br />

• “Contemporary Chemistry Conferences”, National Symposium with International<br />

Participation, Bucarest, 1 er mai 2008, Perspectives in Chemistry: From Supramolecular<br />

Chemistry to Constitutional Dynamic Chemistry.<br />

• DeGennes Days, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Paris, 14 mai 2008, Perspectives in Chemistry: From<br />

Supramolecular Chemistry to Constitutional Chemistry.<br />

• Distinguished Schulich Lectureship Award Colloquium, Technion, Haifa, 18 mai<br />

2008, From Supramolecular Chemistry to Constitutional Dynamic Chemistry.<br />

• The Technion’s Nobel Laureates Symposium, Technion, Israel Institute of Technology,<br />

Haifa, 19 mai 2008, Chemistry: R<strong>et</strong>rospects and Prospects.<br />

• XXI Sitges Conference on Statistical Mechanics, Universitat <strong>de</strong> Barcelona, 6 juin 2008,<br />

Self-Organization by Design and by Selection.<br />

• III St P<strong>et</strong>ersburg Me<strong>et</strong>ing of Nobel Prize Laureates, Nanotechnologies: research and<br />

education, St P<strong>et</strong>ersburg, 26 juin 2008, Nanoscience and Nanotechnology — The Self-<br />

Organization Approach.<br />

B) laboratoire <strong>de</strong> chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions moléculaires<br />

<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

Du fait <strong><strong>de</strong>s</strong> difficultés engendrées par les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> rénovation <strong><strong>de</strong>s</strong> locaux, le<br />

laboratoire <strong>de</strong> Chimie <strong>de</strong> Interactions Moléculaires a été fermé.


186 JEAN-MARIE LEHN<br />

Il a été montré que les lipo-aminoglycosi<strong><strong>de</strong>s</strong> obtenus antérieurement présentent<br />

un transfert <strong>et</strong> une interférence <strong>de</strong> siRNA (23).<br />

23. L. Desigaux, M. Sainlos, O. Lambert, R. Chevre, E. L<strong>et</strong>rou-Bonneval,<br />

J.-P. Vigneron, P. Lehn, J.-M. Lehn, B. Pitard, Self-Assembled Lamellar Complexes of<br />

siRNA with Lipidic Aminoglycosi<strong>de</strong> Derivatives Promote Efficient siRNA Delivery and<br />

Interference, Proc. Nat. Acad. Sci. USA, 104, 42, 16534-16539, 2007.<br />

Distinctions — Prix — Nominations<br />

Jean-Marie Lehn a reçu <strong><strong>de</strong>s</strong> Doctorats Honoris Causa <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Patras<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Université Babeş-Bolyai (Cluj-Napoca) ainsi que la Médaille Costin<br />

Nenitzescu <strong>de</strong> la Société Roumaine <strong>de</strong> Chimie. Il a été nommé Membre d’Honneur<br />

<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te société ainsi que Grand Officier dans l’Ordre du Mérite Culturel <strong>de</strong><br />

Roumanie (section Recherche Scientifique). Il a été nommé Professeur Honoraire<br />

<strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Zhejiang (Hangzhou) <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Université Normale du Shaanxi<br />

(Xi’an).


Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée<br />

M. Jacques Livage, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />

Les matériaux nanostructurés<br />

L’élaboration <strong>de</strong> matériaux par l’homme remonte à la découverte du feu. Nous<br />

avons progressivement réussi à maîtriser le feu <strong>de</strong> façon à obtenir <strong><strong>de</strong>s</strong> températures<br />

<strong>de</strong> plus en plus élevées. Ceci nous a permis <strong>de</strong> passer <strong>de</strong> l’âge du cuivre <strong>et</strong> du<br />

bronze, à celui du fer. Aujourd’hui, à l’ère du silicium <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’informatique, nous<br />

cherchons à élaborer <strong><strong>de</strong>s</strong> matériaux nanostructurés répondant aux exigences <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

nanotechnologies mo<strong>de</strong>rnes.<br />

Dans ce domaine, le vivant nous offre <strong><strong>de</strong>s</strong> exemples remarquables qui remontent<br />

souvent au début du Cambrien. Le but <strong>de</strong> ce <strong>cours</strong> était <strong>de</strong> montrer comment <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

micro-organismes pouvaient intervenir dans l’élaboration <strong>de</strong> matériaux<br />

nanostructurés. Pour cela, nous avons développé les exemples suivants.<br />

1. Les diatomées, <strong><strong>de</strong>s</strong> biomatériaux nanostructurés<br />

Les diatomées, micro-algues unicellulaires, élaborent <strong><strong>de</strong>s</strong> exosquel<strong>et</strong>tes <strong>de</strong> silice<br />

(frustules) qui les protègent tout en laissant passer la lumière nécessaire à leur<br />

activité photosynthétique. Ces frustules, dont le diamètre est <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> quelques<br />

microns, présentent une structure poreuse tout à fait remarquable couramment<br />

utilisée pour la réalisation <strong>de</strong> filtres ou <strong>de</strong> supports <strong>de</strong> catalyseurs. Il est en fait<br />

possible d’utiliser directement ces frustules dans la conception <strong>de</strong> dispositifs<br />

électroniques. C’est ainsi, qu’en m<strong>et</strong>tant à profit la conductivité ou les propriétés<br />

<strong>de</strong> luminescence <strong><strong>de</strong>s</strong> frustules <strong>de</strong> silice, on peut réaliser <strong><strong>de</strong>s</strong> micro-capteurs capables<br />

<strong>de</strong> détecter <strong><strong>de</strong>s</strong> traces <strong>de</strong> certains gaz. La porosité régulière <strong>et</strong> hiérarchisée <strong>de</strong> ces<br />

frustules présente même <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés <strong>de</strong> cristal photonique On a montré<br />

récemment que la silice pouvait être modifiée chimiquement sans altérer la<br />

morphologie <strong><strong>de</strong>s</strong> frustules. On forme ainsi <strong><strong>de</strong>s</strong> nano-matériaux à base d’oxy<strong><strong>de</strong>s</strong>


188 JACQUES LIVAGE<br />

MgO, TiO 2 ou BaTiO 3. Il est même possible <strong>de</strong> réduire toute la silice en silicium<br />

élément <strong>de</strong> base <strong>de</strong> l’électronique mo<strong>de</strong>rne.<br />

2. Matériaux nanostructurés <strong>et</strong> polypepti<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Les pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> peuvent être utilisés pour lier entre-elles, <strong>de</strong> façon contrôlée, un<br />

ensemble <strong>de</strong> nanoparticules minérales (métaux, oxy<strong><strong>de</strong>s</strong>, semi-conducteurs). Les<br />

nanoparticules s’associent pour former nanostructures en chaînes, réseaux carrés,<br />

voire même <strong><strong>de</strong>s</strong> édifices 3D. Les pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> présentent souvent <strong><strong>de</strong>s</strong> structures<br />

tubulaires que l’on peut utiliser comme templates pour élaborer <strong><strong>de</strong>s</strong> nanotubes. Un<br />

choix judicieux <strong><strong>de</strong>s</strong> aci<strong><strong>de</strong>s</strong> aminés constituant le pepti<strong>de</strong> perm<strong>et</strong> d’initier la<br />

précipitation d’un composé choisi à la surface, intérieure ou extérieure du pepti<strong>de</strong>.<br />

C’est ainsi que l’équipe animée par Franck Artzner a utilisé un polypepti<strong>de</strong>, le<br />

lanréoti<strong>de</strong>, pour élaborer <strong><strong>de</strong>s</strong> nanotubes <strong>de</strong> silice. On peut aussi réaliser <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

nanotubes métalliques (Au, Cu, Pt,…) <strong>et</strong> les déposer entre <strong>de</strong>ux électro<strong><strong>de</strong>s</strong> pour<br />

réaliser <strong><strong>de</strong>s</strong> nanocircuits électroniques. Les chaperons moléculaires, qui se présentent<br />

sous forme d’anneaux peuvent être utilisés pour déposer <strong>de</strong> façon régulière, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

nanoparticules semi-conductrices qui pourraient intervenir comme nanocomposants<br />

dans les mémoires flash <strong><strong>de</strong>s</strong> clés USB !<br />

3. De l’ADN aux transistors<br />

L’ADN, molécule <strong>de</strong> base <strong>de</strong> la vie, a été abondamment étudiée comme template<br />

pour la réalisation <strong>de</strong> nanocomposants dans les circuits électroniques. Des ions<br />

métalliques peuvent être insérés entre les <strong>de</strong>ux brins <strong>de</strong> l’ADN ou fixés à leur<br />

surface via les groupements phosphates, puis réduits in situ pour donner <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

nanofils conducteurs ou semi-conducteurs. On peut jouer sur la complémentarité<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux brins d’ADN pour associer les nano-composants <strong>et</strong> réaliser <strong>de</strong> véritables<br />

circuits tels que <strong><strong>de</strong>s</strong> transistors à eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> champ !<br />

4. Virus <strong>et</strong> nanomatériaux<br />

De nombreux virus ont été utilisés pour élaborer <strong><strong>de</strong>s</strong> nanomatériaux. Le contrôle<br />

<strong>de</strong> l’information génétique (ARN ou ADN) perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> contrôler la nature <strong>de</strong><br />

l’enveloppe protéique qui les recouvrent <strong>et</strong> dans laquelle certains aci<strong><strong>de</strong>s</strong> aminés<br />

peuvent servir <strong>de</strong> germe pour nucléer la croissance <strong>de</strong> nanoparticules. Deux types<br />

<strong>de</strong> virus ont été pris comme exemples dans le <strong>cours</strong>.<br />

• Le virus <strong>de</strong> la mosaïque du tabac, qui se présente sous forme d’un bâtonn<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

300 nm <strong>de</strong> long. Il perm<strong>et</strong> d’élaborer <strong><strong>de</strong>s</strong> nanotubes d’oxy<strong><strong>de</strong>s</strong> (SiO 2, Fe 3O 4) <strong>de</strong><br />

semi-conducteurs (PbS, CdS) <strong>de</strong> métaux (Co, Cu, Ni, Pd, …) <strong>et</strong> même <strong>de</strong><br />

polymères (polyaniline). Des dispositifs <strong>de</strong> commutation ont même été publiés<br />

récemment dans lesquels les virus, recouverts <strong>de</strong> nanoparticules métalliques sont<br />

insérés entre <strong>de</strong>ux électro<strong><strong>de</strong>s</strong>. Une commutation réversible d’un état isolant (OFF)<br />

à un état conducteur (ON) est observée au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus d’une tension seuil.


CHIMIE DE LA MATIÈRE CONDENSÉE 189<br />

• Le bactériophage M13 a aussi été largement utilisé pour l’élaboration <strong>de</strong><br />

nanomatériaux, en particulier par l’équipe d’Angela Belcher aux USA. Ce virus,<br />

plus long que le précé<strong>de</strong>nt (880 nm), possè<strong>de</strong> un manteau protéïque plus complexe.<br />

Cinq familles <strong>de</strong> pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> différentes peuvent être génétiquement modifiées ce qui<br />

ouvre <strong>de</strong> vastes perspectives. La plus belle réalisation est sans aucun doute<br />

l’élaboration <strong>de</strong> nanofils d’oxy<strong>de</strong> <strong>de</strong> cobalt Co 3O 4 qui peuvent servir d’électro<strong>de</strong><br />

réversible dans <strong><strong>de</strong>s</strong> nanobatteries au lithium.<br />

5. Les bactéries<br />

Par rapport aux exemples précé<strong>de</strong>nts, les bactéries sont <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s vivants dont<br />

le métabolisme peut être mis à profit pour réaliser la synthèse <strong>de</strong> nanoparticules<br />

minérales. L’exemple <strong><strong>de</strong>s</strong> magnéto-bactéries qui élaborent <strong><strong>de</strong>s</strong> chaînes <strong>de</strong><br />

nanocristaux d’oxy<strong>de</strong> <strong>de</strong> fer magnétique Fe 3O 4 est bien connu. On peut, simplement<br />

en introduisant <strong><strong>de</strong>s</strong> ions étrangers dans le milieu <strong>de</strong> culture, transformer ces<br />

particules en spinelles, MFe 2O 4 (M = Co, Zn, Mn, …). Les cultures <strong>de</strong> bactéries<br />

vivant dans <strong><strong>de</strong>s</strong> milieux extrêmes perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> précipiter <strong><strong>de</strong>s</strong> sphères creuses <strong>de</strong><br />

ZnS, <strong><strong>de</strong>s</strong> nanosphères <strong>de</strong> sélénium, <strong><strong>de</strong>s</strong> nanocristaux <strong>de</strong> CdS <strong>et</strong> même <strong><strong>de</strong>s</strong> nanotubes<br />

<strong>de</strong> sulfure d’arsenic. Une application originale consiste à utiliser <strong><strong>de</strong>s</strong> bactéries,<br />

recouvertes <strong>de</strong> nanoparticules d’or, comme capteur d’humidité. Le gonflement<br />

réversible <strong>de</strong> la membrane <strong>de</strong> peptidoglycane modifie la distance entre particules<br />

métalliques <strong>et</strong> donc la résistivité du bio-composant.<br />

Les séminaires<br />

6 séminaires ont accompagné le <strong>cours</strong> afin <strong>de</strong> l’illustrer.<br />

• Micro-algues <strong>et</strong>, nanomatériaux par Roberta Brayner (Itodis, Paris VII)<br />

• Nanoparticules organométalliques : chimie <strong>de</strong> surface, contrôle <strong>de</strong> forme <strong>et</strong><br />

propriétés physiques par Bruno Chaudr<strong>et</strong> (Chimie <strong>de</strong> coordination – Toulouse)<br />

• La tectonique moléculaire, <strong><strong>de</strong>s</strong> molécules aux architectures périodiques par Mir<br />

Wais Hosseini (chimie <strong>de</strong> coordination organique – Strasbourg)<br />

• Les nano-médicaments, une nouvelle approche thérapeutique <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies<br />

graves par Patrick Couvreur (Pharmacie – Chatenay Malabry)<br />

• Matériaux hybri<strong><strong>de</strong>s</strong> nano-structurés par Clément Sanchez (Chimie <strong>de</strong> la<br />

matière con<strong>de</strong>nsée – Paris VI)<br />

• Molécules, surface <strong>et</strong> symétrie, un mariage à trois par Denis Fichou<br />

(Nanostructures – CEA)


190 JACQUES LIVAGE<br />

Cours <strong>et</strong> séminaires à l’étranger<br />

C<strong>et</strong>te année nous avons présenté <strong>de</strong>ux séries <strong>de</strong> <strong>cours</strong> <strong>et</strong> séminaires à<br />

l’étranger :<br />

• A Tunis, les 26 <strong>et</strong> 27 février 2008 sur la synthèse <strong>et</strong> les propriétés d’oxy<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong><br />

vanadium ;<br />

• A Uppsala, <strong>de</strong>ux <strong>cours</strong> ‘the sol-gel process’ <strong>et</strong> un séminaire ‘vanadium oxi<strong>de</strong><br />

gels, versatile precursors for nanostructured materials’.<br />

Activités <strong>de</strong> recherche 2007-2008<br />

Notre démarche vise à explorer les domaines d’interface entre la biologie <strong>et</strong> les<br />

sciences <strong><strong>de</strong>s</strong> matériaux. C<strong>et</strong>te démarche s’articule selon trois thématiques<br />

principales :<br />

— l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes <strong>de</strong> biominéralisation ;<br />

— l’élaboration <strong>de</strong> matériaux <strong>et</strong> nanomatériaux bio-composites à visées médicales<br />

ou biotechnologiques ;<br />

— la compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions <strong>de</strong> survie d’organismes vivants au sein <strong>de</strong><br />

structures minérales synthétique.<br />

Biominéralisation <strong>de</strong> la silice : approche analytique <strong>et</strong> modèles chimiques<br />

Les processus biologiques intervenant dans la formation <strong>de</strong> la silice chez les êtres<br />

vivants, en particulier chez les diatomées, sont encore mal connus. Un certain<br />

nombre <strong>de</strong> molécules associées à la silice biogénique ont pu être i<strong>de</strong>ntifiées mais<br />

l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> leur interaction vis-à-vis <strong>de</strong> la minéralisation ne perm<strong>et</strong> pas encore <strong>de</strong><br />

reproduire in vitro la complexité <strong><strong>de</strong>s</strong> organisations minérales observées in vivo.<br />

D’autre part, les traitements nécessaires à l’extraction <strong>de</strong> ces molécules peuvent<br />

entraîner leur dégradation. Aussi une étu<strong>de</strong> directe du matériau biologique est elle<br />

nécessaire.<br />

Dans ce cadre, nous avons étudié par RMN à l’état soli<strong>de</strong> la coquille siliceuse<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> diatomées, après leur culture puis en fonction <strong>de</strong> différents traitements<br />

chimiques. Ce travail a été effectué en collaboration avec V. Martin-Jézéquel<br />

(Université <strong>de</strong> Nantes) Afin <strong>de</strong> pouvoir mener une étu<strong>de</strong> simultanée <strong><strong>de</strong>s</strong> parties<br />

minérales <strong>et</strong> organiques, ces diatomées ont été cultivées en présence <strong>de</strong> substrats<br />

enrichis en 29Si, 13C <strong>et</strong> 15N <strong>et</strong> étudiées selon <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> polarisation<br />

croisée. C<strong>et</strong>te technique nous a permis <strong>de</strong> discriminer <strong><strong>de</strong>s</strong> molécules rigi<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong><br />

mobiles, c’est-à-dire associées ou non au réseau <strong>de</strong> silice. Nous avons ainsi pu<br />

démontrer que même après <strong><strong>de</strong>s</strong> traitements chimiques intensifs, la coquille<br />

contenait encore <strong><strong>de</strong>s</strong> carbohydrates, <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines mais aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> lipi<strong><strong>de</strong>s</strong>. Ce <strong>de</strong>rnier<br />

résultat est particulièrement intéressant car il suggère que le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> lipi<strong><strong>de</strong>s</strong> dans<br />

la formation <strong>de</strong> la silice chez les diatomées a été sous-évalué jusqu’à maintenant.


CHIMIE DE LA MATIÈRE CONDENSÉE 191<br />

Actuellement, ces étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sont poursuivies à travers l’établissement <strong>de</strong> cartes <strong>de</strong><br />

corrélation bi-dimensionnelle qui <strong>de</strong>vrait nous perm<strong>et</strong>tre d’i<strong>de</strong>ntifier les<br />

connectivités entre la matière organique <strong>et</strong> le réseau minéral.<br />

En parallèle, nous avons c<strong>et</strong>te année abordé un nouvel aspect lié à la<br />

biominéralisation chez les plantes supérieures. Il est en eff<strong>et</strong> connu que la silice est<br />

présente à <strong><strong>de</strong>s</strong> taux <strong>de</strong> 1 % à 10 % en masse chez certaines plantes. C<strong>et</strong>te silice<br />

joue un rôle <strong>de</strong> gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> stress biotiques <strong>et</strong> abiotiques mais les mécanismes<br />

associés sont encore mal connus. Nous cherchons donc à mimer <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus végétaux<br />

silicifiés en élaborant <strong><strong>de</strong>s</strong> matériaux hybri<strong><strong>de</strong>s</strong> cellulose/silice <strong>et</strong> à évaluer leur impact<br />

sur la stabilisation <strong>de</strong> systèmes enzymatiques liés à la gestion du stress oxydatif. Ce<br />

travail est effectué dans le cadre d’une thèse en co-encadrement avec l’USTHB<br />

(Algérie). Nous avons d’ores <strong>et</strong> déjà pu montrer que la présence <strong>de</strong> la silice<br />

perm<strong>et</strong>tait <strong>de</strong> stabiliser <strong><strong>de</strong>s</strong> solutions <strong>de</strong> carboxym<strong>et</strong>hylcellulose, modifiant ainsi<br />

leurs propriétés <strong>de</strong> diffusion. L’étu<strong>de</strong> actuelle porte sur l’encapsulation <strong>de</strong> catalase<br />

dans ces matériaux à teneur variable en silice <strong>et</strong> à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> stress hydrique,<br />

thermique <strong>et</strong> photochimique sur leur activité enzymatique.<br />

Matériaux <strong>et</strong> nanomatériaux biocomposites<br />

Depuis quelques années, nous cherchons à associer <strong><strong>de</strong>s</strong> macromolécules<br />

biologiques <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> phases inorganiques, afin <strong>de</strong> créer une synergie entre la complexité<br />

structurale <strong>et</strong> la biocompatibilité <strong><strong>de</strong>s</strong> premiers avec les propriétés physiques<br />

(optiques, magnétiques,…) <strong><strong>de</strong>s</strong> seconds. En particulier, dans le cadre du poste<br />

d’ATER du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>de</strong> F. Carn, nous avons poursuivi l’étu<strong>de</strong> concernant<br />

l’association entre <strong><strong>de</strong>s</strong> macromolécules <strong>de</strong> gélatine <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> clusters polyoxovanadates<br />

<strong>de</strong> type décavanadate [H 2V 10O 28] 4- connus pour être impliqués dans la formation<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> rubans <strong>de</strong> V 2O 5.<br />

En collaboration avec M. Djabourov (ESPCI), nous avons établi le diagramme <strong>de</strong><br />

phase du système [gélatine-vanadate] à 40 °C <strong>et</strong> pH aci<strong>de</strong>. Nous avons ainsi mis en<br />

évi<strong>de</strong>nce l’existence d’une séparation <strong>de</strong> phase en <strong>de</strong>ux temps laissant apparaître trois<br />

régions distinctes : liqui<strong>de</strong> homogène, dispersion colloïdale métastable, domaine<br />

macroscopiquement biphasique (une phase visqueuse riche en gélatine en équilibre<br />

avec une phase diluée). Sur la base d’une étu<strong>de</strong> détaillée <strong>de</strong> chaque région (RMN<br />

liqui<strong>de</strong> <strong>et</strong> soli<strong>de</strong> du 51 V, diffusion <strong>de</strong> la lumière), nous avons proposé un mécanisme<br />

<strong>de</strong> formation <strong>de</strong> ces phases fondé sur un processus <strong>de</strong> coacervation complexe déjà<br />

décrit pour <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes comprenant <strong>de</strong>ux espèces polyélectrolytes <strong>de</strong> charges<br />

opposées. Nous avons poursuivi les mesures <strong>de</strong> rhéologie dans le domaine liqui<strong>de</strong><br />

homogène que l’on a combiné à celles <strong>de</strong> μ-DSC dans le but <strong>de</strong> son<strong>de</strong>r l’influence<br />

d’espèces vanadate fortement chargées négativement sur le changement <strong>de</strong><br />

conformation <strong>de</strong> la gélatine. Nous avons mis en évi<strong>de</strong>nce une faible influence <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

clusters inorganiques sur la formation <strong><strong>de</strong>s</strong> triples hélices <strong>de</strong> gélatine à température<br />

ambiante <strong>et</strong> en revanche, un impact très significatif sur le processus <strong>de</strong> fusion <strong><strong>de</strong>s</strong>


192 JACQUES LIVAGE<br />

triples hélices. Ce résultat surprenant a été discuté <strong>et</strong> comparé au comportement<br />

« modèle » d’une solution <strong>de</strong> collagène natif (100 % <strong>de</strong> triples hélices).<br />

Enfin, nous avons effectué une caractérisation détaillée <strong>de</strong> la phase visqueuse<br />

obtenue dans le domaine bi-phasique après r<strong>et</strong>our à l’ambiante (ATG, DSC, RMN<br />

soli<strong>de</strong> 51 V, DRX, comportement mécanique en traction). Les mesures en traction<br />

ont été effectuées en collaboration avec B. Fayolle (ENSAM, Paris). Nous avons<br />

mis en évi<strong>de</strong>nce notamment que ce matériau hybri<strong>de</strong> possè<strong>de</strong> une stœchiométrie<br />

bien déterminée. Il peut être facilement mis sous forme <strong>de</strong> film <strong>et</strong> se comporte<br />

mécaniquement comme un élastomère avec une contribution significative du<br />

réseau <strong>de</strong> triples hélices. L’influence <strong>de</strong> la matrice organique sur la croissance d’un<br />

réseau <strong>de</strong> V 2O 5 a également été montrée.<br />

La spectroscopie RMN du soli<strong>de</strong> est une technique intéressante pour caractériser<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> matériaux hybri<strong><strong>de</strong>s</strong> désordonnés. Elle suppose cependant la connaissance <strong>de</strong> la<br />

réponse spectrale <strong>de</strong> composés modèles. C’est pourquoi, nous avons continué notre<br />

approche consistant à coupler <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences RMN à <strong><strong>de</strong>s</strong> calculs ab-initio sur le<br />

décavanadate <strong>de</strong> césium <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> phases lamellaires <strong>de</strong> type CsV 3O 8. Ce travail a été<br />

effectué en collaboration avec R. Hajjar, Y. Millot <strong>et</strong> P. Man (SIEN, UPMC) <strong>et</strong><br />

L. Truflandier, F. Boucher, M. Paris <strong>et</strong> C. Payen (IMN). Outre le noyau 51 V,<br />

d’autres noyaux comme 133 Cs ont également été étudiés <strong>et</strong> nous avons pu attribuer<br />

<strong>de</strong> façon claire les signaux RMN aux sites vanadium <strong>et</strong> césium <strong><strong>de</strong>s</strong> structures<br />

cristallographiques <strong>et</strong> préciser la localisation <strong><strong>de</strong>s</strong> sites OH du cluster inorganique.<br />

Nous avons également effectué <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences 133 Cs- 1 H HETCOR CP MAS qui<br />

n’ont jamais été reportées dans la littérature. Ces expériences perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> son<strong>de</strong>r<br />

l’espace interfoliaire <strong><strong>de</strong>s</strong> phases CsV 3O 8 ou les connectivités spatiales entre les ions<br />

Cs + <strong>et</strong> le réseau <strong>de</strong> liaisons hydrogène du décavanadate <strong>de</strong> césium.<br />

En parallèle, nous avons approfondi notre connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes<br />

nanoparticulaires hybri<strong><strong>de</strong>s</strong> associant un biopolymère <strong>et</strong> la silice. Dans un premier<br />

temps, nous avons cherché à optimiser notre approche <strong>de</strong> synthèse <strong>de</strong> nanocomposites<br />

gélatine/silice par nano-émulsion afin <strong>de</strong> réduire la dispersité en taille <strong><strong>de</strong>s</strong> particules<br />

obtenues, c<strong>et</strong>te dispersité ayant un très fort impact sur la délivrance <strong>de</strong> médicaments<br />

in vivo. Dans un <strong>de</strong>uxième temps, nous avons cherché à encapsuler une molécule<br />

antibiotique, la nitrofurantoïne, au sein <strong>de</strong> ces particules. Nous avons pu ainsi<br />

vérifier que ce médicament restait présent tout au long <strong>de</strong> la synthèse au sein <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

nanocomposites. C<strong>et</strong>te même molécule a été encapsulée dans <strong><strong>de</strong>s</strong> nanoparticules<br />

combinant aci<strong>de</strong> alginique <strong>et</strong> silice obtenues par voie aérosol. Dans ce cas, nous<br />

avons pu observer un départ très rapi<strong>de</strong> mais partiel <strong>de</strong> la molécule lors <strong>de</strong> sa<br />

dispersion en milieu aqueux, <strong>et</strong> ce indépendamment <strong>de</strong> la composition (rapport<br />

silice/alginate) <strong>de</strong> la particule. Ceci suggère qu’une fraction du médicament est<br />

adsorbée à la surface <strong><strong>de</strong>s</strong> nanocomposites <strong>et</strong> non encapsulée. Ces résultats nous<br />

perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> mieux appréhen<strong>de</strong>r les conditions optimales pour la mise au point<br />

<strong>de</strong> nanovecteurs hybri<strong><strong>de</strong>s</strong> afin <strong>de</strong> pouvoir étendre notre stratégie à d’autres<br />

biopolymères <strong>de</strong> structure <strong>et</strong> <strong>de</strong> charge différente.


Encapsulation cellulaire en milieu minéral<br />

CHIMIE DE LA MATIÈRE CONDENSÉE 193<br />

Le futur développement <strong>de</strong> nouveaux dispositifs biotechnologiques utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

activités cellulaires va dépendre <strong><strong>de</strong>s</strong> possibilités d’intégrer <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes vivants<br />

au sein <strong>de</strong> matériaux fonctionnels. Nous avons déjà démontré qu’il était possible<br />

d’immobiliser <strong><strong>de</strong>s</strong> bactéries au sein <strong>de</strong> gels <strong>de</strong> silice, <strong>de</strong> conserver leur activité<br />

métabolique pendant un mois <strong>et</strong> <strong>de</strong> les utiliser pour synthétiser <strong><strong>de</strong>s</strong> molécules<br />

d’intérêt thérapeutique. Notre démarche actuelle vise à étendre ce procédé à<br />

d’autres hôtes minéraux.<br />

La principale difficulté est <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre au point une voie <strong>de</strong> synthèse <strong>de</strong> la matrice<br />

minérale qui soit compatible avec la survie cellulaire. Un nombre important <strong>de</strong><br />

cations métalliques étant cytotoxique, nous avons exploré la possibilité <strong>de</strong> former<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> gels inorganiques par une voie colloïdale, c’est-à-dire à partir <strong>de</strong> nanoparticules<br />

préformées. C<strong>et</strong>te approche nous a permis <strong>de</strong> réaliser la première encapsulation<br />

cellulaire par voie sol-gel dans une matrice d’alumine. Nous avons observé une<br />

perte importante (60 %) <strong>de</strong> viabilité lors <strong>de</strong> l’encapsulation, probablement due à<br />

un temps <strong>de</strong> gel trop rapi<strong>de</strong> (quelques dizaines <strong>de</strong> secon<strong><strong>de</strong>s</strong> pour l’alumine contre<br />

3-4 minutes pour la silice), qui induit un stress important sur les bactéries<br />

Escherishia coli. Cependant, un taux <strong>de</strong> viabilité <strong>de</strong> 50 % est obtenu pour une<br />

durée d’un mois, en présence <strong>de</strong> glycérol. Ce résultat est similaire à celui obtenu<br />

pour les gels <strong>de</strong> silice <strong>et</strong> suggère que ces matrices d’alumine constituent un<br />

environnement favorable à la survie <strong><strong>de</strong>s</strong> bactéries. En suivant une approche<br />

similaire, nous avons cherché à encapsuler <strong><strong>de</strong>s</strong> bactéries E. coli dans <strong><strong>de</strong>s</strong> gels <strong>de</strong><br />

zircone. Dans ce cas, une lyse cellulaire a été observée lors d’une mise en contact<br />

prolongé <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules avec les colloï<strong><strong>de</strong>s</strong> inorganiques.<br />

Ces résultats indiquent que le succès <strong>de</strong> l’encapsulation dépend non seulement<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> paramètres chimiques <strong>de</strong> la synthèse mais aussi <strong>de</strong> facteurs physiques liés à la<br />

contrainte mécanique imposée par la formation du gel <strong>et</strong>/ou à l’interaction<br />

colloï<strong><strong>de</strong>s</strong>/paroi cellulaire. Afin <strong>de</strong> vérifier c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière hypothèse, nous cherchons<br />

actuellement à encapsuler <strong><strong>de</strong>s</strong> micro-algues au sein <strong>de</strong> gels inorganiques, afin<br />

d’évaluer la capacité <strong><strong>de</strong>s</strong> poly-sacchari<strong><strong>de</strong>s</strong> extra-cellulaires <strong>de</strong> ces organismes à<br />

protéger les cellules <strong><strong>de</strong>s</strong> stress physiques induits par l’encapsulation. Ce travail<br />

s’effectue en collaboration avec R. Brayner (ITODYS, Paris VII) <strong>et</strong> A. Couté<br />

(MNHN, Paris), dans le cadre d’une thèse en co-encadrement financée par le<br />

réseau C’nano IdF <strong>et</strong> le CNRS. En parallèle, nous étudions actuellement l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

la transition sol-gel sur le comportement <strong>et</strong> la survie <strong>de</strong> micro-algues présentant<br />

une importante motilité.


194 JACQUES LIVAGE<br />

Publications 2007-2008<br />

• Macrocyclic polysiloxane immobilized ligand system and its structural characterization,<br />

N.M. El-Ashgar, I.M. El-Nahal, M.M. Chehimi, C. Connan, F. Babonneau, J. Livage,<br />

J. Dispersion Sci. Technol. 28 (2007) 445-453.<br />

• A new route synthesis of immobilized-polysiloxane iminodiac<strong>et</strong>ic ligand system, its<br />

characterization and applications, N.M. El-Ashgar, I.M. El-Nahal, M.M. Chehimi,<br />

F. Babonneau, J. Livage, Mater. L<strong>et</strong>t. 61 (2007) 4553-4558.<br />

• Designing nanotextured vanadium oxi<strong>de</strong>-based macroscopic fibers : application as alcoholic<br />

sensors, C.M. Leroy, M.F. Achard, O. Babot, N. Steunou, P. Masse, J. Livage, L. Bin<strong>et</strong>,<br />

N. Brun, R. Backov, Chem. Mater. 19 (2007) 3988-3999.<br />

• Aqueous Silicates in Biological Sol-Gel : New Perspectives for Old Precursors, T. Coradin,<br />

J. Livage, Acc. Chem. Res. 40 (2007) 819.<br />

• Potentialities of silica/alginate nanoparticles as HYbrid MAgn<strong>et</strong>ic Carriers, M. Boissière,<br />

J. Allouche, C. Chanéac, R. Brayner, J.M. Devoisselle, J. Livage, T. Coradin, Int. J. Pharm.<br />

344 (2007) 128-134.<br />

• Sol-gel encapsulation of cells is not limited to silica : bacteria long-term viability in<br />

alumina matrices, M. Amoura, N. Nassif, C. Roux, J. Livage, T. Coradin, Chem. Commun.<br />

(2007) 4015-4017.<br />

• Design of iron oxi<strong>de</strong>/silica/alginate HYbrid MAgn<strong>et</strong>ic Carriers (HYMAC), M. Boissière,<br />

J. Allouche, R. Brayner, C. Chanéac, J. Livage, T. Coradin, J. Nanosci. Nanotechnol.<br />

7 (2007) 4649–4654.<br />

• Hydrothermal synthesis of amorphous MoS 2 nanofiber bundles via acidification of<br />

ammonium molybdate t<strong>et</strong>rahydrate. G. Nagaraju, C.N. Tharamani, G.T. Chandrappa,<br />

J. Livage, Nanoscale Res. L<strong>et</strong>t. 2 (2007) 461-468.<br />

• First Example of Biopolymer-Polyoxom<strong>et</strong>alate Complex Coacervation in Gelatin-<br />

Decavanadate Mixtures, F. Carn, N. Steunou, M. Djabourov, T. Coradin, F. Ribot, J. Livage,<br />

Soft Matter 4 (2008) 735-738.<br />

• Organically modified porous hydroxyapatites : a comparison b<strong>et</strong>ween alkylphosphonate<br />

grafting and citrate chelation, L. El-Hammari, H. Marroun, A. Laghzizil, A. Saoiabi,<br />

C. Roux, J. Livage, T. Coradin, J. Solid State Chem. 181 (2008) 848-854.<br />

• Contribution of multi-nuclear solid state NMR to characterization of the Thalassiosira<br />

pseudonana diatom cell wall., B. Tesson, S. Masse, G. Laurent, J. Maqu<strong>et</strong>, J. Livage,<br />

V. Martin-Jezequel, T. Coradin. Anal. Bioanal. Chem. 390 (2008) 1889-1898.<br />

• Biomim<strong>et</strong>ic dual templating of silica by poly-sacchari<strong>de</strong>/protein assemblies, C. Gautier,<br />

N. Abdoul-Aribi, C. Roux, P.J. Lopez, J. Livage, T. Coradin, Colloids Surf. B, 65 (2008)<br />

140-148.<br />

• From diatoms to bio-inspired materials… and back, T. Coradin, R. Brayner, C. Gautier,<br />

M. Hémadi, P.J. Lopez, J. Livage, dans Biomineralization : from Paleontology to Materials<br />

Science ; J.L. Arias, M.S. Fernan<strong>de</strong>z, eds ; Editorial Universitaria (2007) p. 419-430.<br />

• Bio-controlled growth of oxi<strong><strong>de</strong>s</strong> and m<strong>et</strong>allic nanoparticles, T. Coradin, R. Brayner,<br />

F. Fiév<strong>et</strong>, J. Livage, dans Bio-inorganic Hybrid Nanomaterials ; E. Ruiz-Hitzky, K. Ariga,<br />

Y. Lvov, eds. Wiley-VCH (2007) p. 159-192.


Enseignement<br />

Génétique humaine<br />

M. Jean-Louis Man<strong>de</strong>l, membre <strong>de</strong> l’institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />

Une série <strong>de</strong> 5 <strong>cours</strong> a été donnée au <strong>Collège</strong> en mars 2008 sur un thème <strong>de</strong><br />

très gran<strong>de</strong> actualité : « Évolution du génome humain <strong>et</strong> gènes soumis à sélection<br />

positive ». Des variations génétiques apparaissent à chaque génération <strong>et</strong> la plupart<br />

disparaissent ou restent extrêmement rares, mais certaines vont augmenter <strong>de</strong><br />

fréquence, jusqu’à la fixation éventuelle dans certaines populations, sous l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

la dérive génétique <strong>et</strong> <strong>de</strong> pression <strong>de</strong> sélection négative (pour les variants délétères)<br />

ou positive (pour les variants ayant une valeur adaptative). Depuis plus <strong>de</strong> 50 ans,<br />

ces phénomènes ont été étudié chez l’homme pour <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines puis pour <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

gènes « candidats » montrant <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés particulières : polymorphisme important<br />

(gènes HLA) ou montrant une gran<strong>de</strong> variation <strong>de</strong> fréquence dans diverses<br />

populations (<strong>et</strong> il faut rappeler évi<strong>de</strong>mment les <strong>travaux</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs au <strong>Collège</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>France</strong>, Jacques Ruffié <strong>et</strong> Jean Dauss<strong>et</strong>).<br />

Depuis une dizaine d’années, on constate une explosion <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances, grâce<br />

au séquençage du génome humain <strong>et</strong> <strong>de</strong> certains primates (chimpanzé en 2005,<br />

macaque rhésus en 2007) <strong>et</strong> à l’étu<strong>de</strong> systématique du polymorphisme du génome<br />

humain (proj<strong>et</strong> HapMap, caractérisant en 2007 plus <strong>de</strong> 3 millions <strong>de</strong> « Single<br />

Nucleoti<strong>de</strong> Polymorphisms » <strong>et</strong> leur organisation en haplotypes dans 4 populations<br />

humaines), <strong>et</strong> aux spectaculaires développements technologiques qui sous-ten<strong>de</strong>nt<br />

ces grands proj<strong>et</strong>s, <strong>et</strong> qui perm<strong>et</strong>tent <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ciblées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

populations particulières. Le séquençage en <strong>cours</strong> du génome d’homme <strong>de</strong><br />

Néan<strong>de</strong>rtal va apporter également <strong><strong>de</strong>s</strong> données précieuses. C<strong>et</strong>te série <strong>de</strong> <strong>cours</strong> a<br />

présenté les approches méthodologiques utilisées pour i<strong>de</strong>ntifier <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes soumis<br />

à sélection positive, <strong>et</strong> discuté certains <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats les plus marquants obtenus<br />

dans les <strong>de</strong>rnières années, en soulignant dans certains cas les controverses quant à<br />

leur interprétation.


196 JEAN-LOUIS MANDEL<br />

Le premier <strong>cours</strong> a présenté l’organisation en haplotypes <strong><strong>de</strong>s</strong> polymorphismes du<br />

génome <strong>et</strong> son interprétation, <strong>et</strong> les types <strong>de</strong> mesures perm<strong>et</strong>tant d’estimer, pour<br />

différentes échelles <strong>de</strong> temps <strong>de</strong>puis la séparation <strong>de</strong> l’ancêtre commun au<br />

chimpanzé <strong>et</strong> à l’homme, la probabilité d’une sélection positive dans une région<br />

du génome : proportion <strong>de</strong> changements fonctionnels (affectant la séquence<br />

protéique) au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> primates, distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences <strong>de</strong><br />

polymorphismes, <strong>et</strong> notamment <strong><strong>de</strong>s</strong> allèles dérivés (ceux qui ne correspon<strong>de</strong>nt pas<br />

à la séquence déduite <strong>de</strong> l’ancêtre commun <strong><strong>de</strong>s</strong> hominidés <strong>et</strong> du chimpanzé), <strong>et</strong><br />

enfin, pour l’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> évolutions plus récentes, différences <strong>de</strong> fréquence allélique<br />

entre populations <strong>et</strong> longueur <strong><strong>de</strong>s</strong> haplotypes communs (cf. Sab<strong>et</strong>i <strong>et</strong> al., Science<br />

2006 ; Nielsen <strong>et</strong> al., Nat. Rev. Gen<strong>et</strong>. 2007). Les exemples classiques (étudiés au<br />

<strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> 50 <strong>de</strong>rnières années) <strong>de</strong> sélection dans les régions d’endémie paludéenne<br />

<strong>de</strong> mutations affectant les gènes globine <strong>et</strong> responsables d’hémoglobinopathies<br />

(anémie falciforme, thalassémies) ou la glucose 6 phosphate <strong><strong>de</strong>s</strong>hydrogénase<br />

(G6PD), illustrent le fait que selon les cas, un même variant peut conférer un<br />

avantage sélectif ou être au contraire délétère. L’analyse approfondie <strong><strong>de</strong>s</strong> haplotypes<br />

perm<strong>et</strong> maintenant d’estimer l’âge <strong>de</strong> ces variants. Un <strong>cours</strong> a été consacré aux<br />

découvertes récentes concernant <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes <strong>et</strong> leurs variants associés aux différences<br />

<strong>de</strong> couleurs <strong>de</strong> peau, d’yeux ou <strong>de</strong> cheveux. La découverte du rôle du gène<br />

SLC24A5 dans la pigmentation <strong>de</strong> la peau humaine est particulièrement frappante,<br />

car débutant par l’analyse d’un mutant classique <strong>de</strong> pigmentation dans le poisson<br />

zèbre (le mutant gol<strong>de</strong>n), puis l’i<strong>de</strong>ntification d’un homologue humain du gène,<br />

définissant une gran<strong>de</strong> région <strong>de</strong> très faible diversité génétique dans la population<br />

européenne, <strong>et</strong> la présence d’une mutation inactivant ce gène dans c<strong>et</strong>te population<br />

(Lamason <strong>et</strong> al., 2005). L’hypothèse généralement admise est celle <strong>de</strong> la balance<br />

entre la protection contre l’eff<strong>et</strong> mutagénique <strong><strong>de</strong>s</strong> UV dans <strong><strong>de</strong>s</strong> régions très<br />

ensoleillées, favorisant une peau foncée, <strong>et</strong> le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> UV dans la transformation<br />

<strong>de</strong> la vitamine D (antirachitique), favorisant une peau claire dans <strong><strong>de</strong>s</strong> régions peu<br />

ensoleillées. Des étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ultérieures ont montré l’implication d’un gène similaire<br />

(SLC45A2) dans le même phénotype. Récemment, il a été montré qu’une<br />

combinatoire <strong>de</strong> polymorphismes dans 6 gènes est associée aux variations <strong>de</strong><br />

pigmentation <strong>de</strong> la peau, <strong><strong>de</strong>s</strong> yeux <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cheveux, sans perm<strong>et</strong>tre une prédiction<br />

individuelle exacte <strong>de</strong> ces phénotypes (Sulem <strong>et</strong> al., 2007). Le gène EDAR<br />

(récepteur <strong>de</strong> l’ectodysplasine) impliqué dans le développement <strong>de</strong> la peau, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

cheveux <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> glan<strong><strong>de</strong>s</strong> sudoripares, montre également <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques indiquant<br />

une sélection positive dans certaines populations.<br />

Un <strong>cours</strong> a été consacré à l’adaptation génétique aux conditions alimentaires<br />

dans les populations humaines. On observe une forte sélection <strong>de</strong> variants non<br />

codants modifiant la régulation <strong>de</strong> l’expression <strong>de</strong> la lactase dans la population<br />

européenne, mais aussi dans d’autres populations pratiquant une agriculture<br />

pastorale, où le lait est <strong>de</strong>venu un apport alimentaire important (la sélection <strong>de</strong><br />

variants différents est une exemple <strong>de</strong> convergence évolutive). Pour l’amylase<br />

(impliquée dans la digestibilité <strong>de</strong> l’amidon), c’est la variation du nombre <strong>de</strong> copies


GÉNÉTIQUE HUMAINE 197<br />

du gène qui paraît conférer une avantage sélectif. Enfin, les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> récentes <strong>de</strong><br />

polymorphismes prédisposant au diabète <strong>de</strong> type 2 (Sla<strong>de</strong>k <strong>et</strong> al., 2007) sont en<br />

faveur <strong>de</strong> la « thrifty gene hypothesis » qui propose que <strong><strong>de</strong>s</strong> variants perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong><br />

limiter la dépense énergétique dans <strong><strong>de</strong>s</strong> pério<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> restriction alimentaire ont été<br />

sélectionnés, <strong>et</strong> prédisposent aux maladies métaboliques (diabète, obésité) dans le<br />

mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie actuel. Un autre <strong>cours</strong> a été consacré aux étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, aux interprétations<br />

parfois controversées, impliquant <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes <strong>de</strong> sélection dans l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

fonctions cognitives pour les gènes FOXP2 (dans l’évolution du langage) <strong>et</strong> les<br />

gènes ASPM <strong>et</strong> MCPH1, dont <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations rares sont associées à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

microcéphalies monogéniques. Il est intéressant <strong>de</strong> noter que <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> impliquent<br />

également le gène FOXP2 dans la vocalisation ultrasonique chez les souris, <strong>et</strong> dans<br />

l’apprentissage <strong>de</strong> chants d’oiseau (modèle du mandarin, ou zebra finch).<br />

Les approches systématiques <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> régions soumises à sélection positive<br />

sur l’ensemble du génome ont été présentées <strong>et</strong> leurs limitations discutées<br />

(cf. Sab<strong>et</strong>i <strong>et</strong> al., Nature 2007, <strong>et</strong> Barreiro <strong>et</strong> al., <strong>de</strong> l’équipe <strong>de</strong> L. Quintana-Murci,<br />

Nature Gen<strong>et</strong>. 2008). Le <strong>de</strong>rnier <strong>cours</strong> a porté sur l’apparition ou la disparition<br />

<strong>de</strong> gènes au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> grands primates. Ainsi, l’apparition <strong>de</strong> la<br />

vision trichromate apparaît corrélée à la perte <strong>de</strong> nombreux gènes <strong>de</strong> récepteurs<br />

olfactifs ou <strong>de</strong> l’organe voméronasal (gène TRPC2). La datation <strong>de</strong> l’inactivation<br />

dans l’évolution humaine d’un gène myosine (MYH16) dont l’expression est<br />

spécifique <strong>de</strong> muscles masticatoires, <strong>et</strong> du rôle <strong>de</strong> c<strong>et</strong> événement dans la gracilisation<br />

<strong>de</strong> la mâchoire <strong><strong>de</strong>s</strong> hominidés <strong>et</strong> dans le développement <strong>de</strong> l’encéphale, sont très<br />

controversés (Stedman <strong>et</strong> al., 2004, McCollum <strong>et</strong> al., 2006), illustrant les difficultés<br />

<strong>de</strong> ces approches.<br />

Un <strong>cours</strong> au <strong>Collège</strong> <strong>et</strong> une conférence à l’Université <strong>et</strong> CHU Bor<strong>de</strong>aux 2 ont<br />

porté sur : Myopathies centronucléaires: un lien inattendu entre phosphoinositi<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines impliquées dans le remo<strong>de</strong>lage membranaire (dynamine 2,<br />

amphiphysine) (cf. ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous, rapport sur les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> recherche). Un <strong>cours</strong><br />

(4 h) sur la génétique <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies communes (multifactorielles) a été donné à<br />

l’Université <strong>de</strong> Strasbourg, <strong>et</strong> une conférence à l’Université Victor Segalen<br />

Bor<strong>de</strong>aux 2 sur « Maladies monogéniques, du gène aux mala<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> aux familles ».<br />

Un colloque intitulé « Actualités dans le domaine <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies monogéniques :<br />

mécanismes physiopathologiques, approches thérapeutiques » a été organisé dans le<br />

cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> enseignements <strong>de</strong> la chaire les 15 <strong>et</strong> 16 avril 2008, à l’amphithéâtre<br />

Guillaume Budé. Ce colloque soutenu par l’Association Française contre les<br />

Myopathies, qui a fait également partie <strong>de</strong> l’enseignement national pour les internes<br />

<strong>de</strong> la spécialité <strong>de</strong> génétique médicale, a été suivi par un public nombreux <strong>et</strong> attentif.<br />

Son programme a montré, au travers <strong>de</strong> 20 conférences, comment l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

mécanismes physiopathologiques <strong>de</strong> maladies monogéniques a permis <strong>de</strong> proposer<br />

<strong>et</strong> développer <strong><strong>de</strong>s</strong> stratégies thérapeutiques, allant dans plusieurs cas discutés au<br />

<strong>cours</strong> du colloque jusqu’à <strong><strong>de</strong>s</strong> essais cliniques. Les exposés ont également illustré la<br />

diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles expérimentaux utilisés : modèles cellulaires, modèles <strong>de</strong> souris


198 JEAN-LOUIS MANDEL<br />

génétiquement modifiées reproduisant les mutations observées chez l’homme, mais<br />

aussi utilisation d’organismes tels que le némato<strong>de</strong> C. elegans <strong>et</strong> la drosophile,<br />

perm<strong>et</strong>tant <strong><strong>de</strong>s</strong> cribles génétiques (pour la recherche <strong>de</strong> gènes pouvant modifier le<br />

phénotype) ou pharmacologiques. Les aspects précliniques d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

physiopathologiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> cibles thérapeutiques potentielles ont été abordés<br />

notamment pour le syndrome <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ard mental avec X fragile (modèles drosophile <strong>et</strong><br />

souris ayant abouti à l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> récepteurs au glutamate mGluR comme<br />

cible thérapeutique ; J.-L. Man<strong>de</strong>l, IGBMC, Illkirch/Strasbourg), la myopathie <strong>de</strong><br />

Duchenne (modèles némato<strong>de</strong> <strong>et</strong> souris, Laurent Segalat, CGMC CNRS, Lyon/<br />

Villeurbanne), l’ataxie <strong>de</strong> Friedreich (modèles souris, Hélène Puccio, IGBMC<br />

Illkirch/Strasbourg), les myopathies dues à un déficit en alpha-sarcoglycane (modèle<br />

souris, Isabelle Richard CNRS/Généthon, Evry), <strong>et</strong> le syndrome CADASIL <strong>de</strong><br />

démence vasculaire impliquant le gène NOTCH3 (modèle souris, Anne Joutel,<br />

INSERM/Paris 7). Le passage <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> physiopathologique à <strong><strong>de</strong>s</strong> essais cliniques<br />

en <strong>cours</strong> a été illustré par 1) Bart Loeys (Université <strong>de</strong> Gand), pour le syndrome <strong>de</strong><br />

Marfan impliquant la voie <strong>de</strong> signalisation du TGFβ, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats prom<strong>et</strong>teurs<br />

d’utilisation d’une thérapie pharmacologique (losartan) ; 2) Frédéric Becq (CNRS,<br />

Université <strong>de</strong> Poitiers) <strong>et</strong> Olivier Morand (Actelion Pharmaceuticals, Suisse), pour<br />

la proposition, à partir <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> modèles cellulaires, <strong>de</strong> l’utilisation d’une<br />

molécule, le miglustat (utilisé dans le traitement <strong>de</strong> la maladie <strong>de</strong> Gaucher), pour un<br />

traitement spécifique <strong><strong>de</strong>s</strong> patients atteints <strong>de</strong> mucoviscidose <strong>et</strong> porteurs <strong>de</strong> la<br />

mutation la plus fréquente, ΔF508 ; 3) Jean Bastin (CNRS/Necker-Enfants Mala<strong><strong>de</strong>s</strong>)<br />

pour la correction <strong>de</strong> déficits génétiques du métabolisme oxydatif mitochondrial par<br />

le bézafibrate ; 4) Nicolas Lévy (INSERM/CHU Timone Marseille), qui à partir <strong>de</strong><br />

modèles cellulaires <strong>et</strong> <strong>de</strong> souris a proposé l’utilisation d’un traitement combiné par<br />

statines <strong>et</strong> aminobiphosphonates pour inhiber la prénylation <strong><strong>de</strong>s</strong> formes tronquées<br />

<strong>de</strong> prélamine 1 responsables <strong>de</strong> la progeria, une maladie exceptionnellement rare<br />

entraînant un vieillissement accéléré ; 5) Arnold Munnich (INSERM/Université<br />

Descartes) qui a décrit un premier essai clinique d’un chélateur du fer dans l’ataxie<br />

<strong>de</strong> Friedreich. Thomas Voit (Institut <strong>de</strong> Myologie, Paris) a présenté les propriétés<br />

d’une molécule (PTC124) perm<strong>et</strong>tant un « readthrough » traductionnel <strong>de</strong><br />

mutations non-sens, mutations r<strong>et</strong>rouvées fréquemment dans <strong>de</strong> très nombreuses<br />

maladies génétiques, <strong>et</strong> les stratégies d’essais cliniques chez <strong><strong>de</strong>s</strong> patients atteints <strong>de</strong><br />

mucoviscidose ou <strong>de</strong> myopathie <strong>de</strong> Duchenne <strong>et</strong> porteurs <strong>de</strong> telles mutations. Des<br />

approches <strong>de</strong> thérapie génique ont été présentées : 1) pour la myopathie <strong>de</strong> Duchenne<br />

avec la stratégie <strong>de</strong> « saut d’exon » pour rétablir une phase <strong>de</strong> lecture dans l’ARN<br />

messager dystrophine, par Gert-Jan Van Ommen (Center for Human Gen<strong>et</strong>ics,<br />

Lei<strong>de</strong>n), qui développe une stratégie par oligonucléoti<strong><strong>de</strong>s</strong> anti-sens, qui a fait l’obj<strong>et</strong><br />

d’une première étu<strong>de</strong> clinique avec <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats biologiques encourageants ; <strong>et</strong> Luis<br />

Garcia (Institut <strong>de</strong> Myologie, INSERM), qui utilise un vecteur viral (AAV), <strong>et</strong><br />

également la correction <strong>de</strong> cellules souches ; 2) pour l’adrénoleucodystrophie, une<br />

maladie démyelinisante gravissime, par Nathalie Cartier (INSERM/Hôpital Saint-<br />

Vincent-<strong>de</strong>-Paul) qui développe avec Patrick Aubourg la thérapie génique utilisant<br />

un vecteur lentiviral, <strong>et</strong> qui a présenté les premières données <strong>de</strong> l’essai clinique en


GÉNÉTIQUE HUMAINE 199<br />

<strong>cours</strong>, le premier pour ce type <strong>de</strong> vecteur. Alain Fischer (INSERM/Hôpital Necker<br />

Enfants Mala<strong><strong>de</strong>s</strong>), pionnier dans le domaine <strong>de</strong> la thérapie génique, a brossé un<br />

tableau <strong><strong>de</strong>s</strong> déficits immunitaires monogéniques, <strong>et</strong> montré comment la<br />

compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> définir <strong><strong>de</strong>s</strong> approches thérapeutiques<br />

rationnelles par supplémentation <strong><strong>de</strong>s</strong> molécules déficientes, immunomodulation par<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> cytokines, thérapie cellulaire ou génique. Philippe Coubes (Centre Gui <strong>de</strong><br />

Chauliac/CNRS/INSERM Montpellier) a montré <strong>de</strong> manière spectaculaire<br />

comment, grâce aux progrès dans le domaine <strong><strong>de</strong>s</strong> neurosciences, <strong><strong>de</strong>s</strong> approches<br />

neurochirurgicales <strong>de</strong> neuromodulation électrique du cerveau perm<strong>et</strong>tent d’obtenir<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> résultats thérapeutiques importants dans <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies génétiques du tonus<br />

(dystonie) ou du mouvement (dyskinésie). Des aspects plus généraux <strong>de</strong> la<br />

problématique du développement thérapeutique pour les maladies rares que sont les<br />

maladies monogéniques ont été présentés par Philippe Moullier (INSERM <strong>et</strong> CHU<br />

Nantes, <strong>et</strong> College of Medicine, Gainesville FL USA) : Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> précliniques en<br />

thérapie génique ; Ségolène Aymé (Orphan<strong>et</strong>, INSERM SC11, Paris) : Des thérapies<br />

pour les maladies génétiques, succès <strong>et</strong> revers du règlement sur les médicaments<br />

orphelins ; Bernard Barataud (Généthon, Evry) : Généthon, <strong>de</strong> la cartographie du<br />

génome à l’Autorisation <strong>de</strong> Mise sur le Marché : le chemin du médicament. Enfin,<br />

une douzaine <strong>de</strong> communications par affiche sur les thèmes du colloque ont été<br />

présentées par <strong>de</strong> jeunes chercheurs, qui ont fait l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> discussions animées.<br />

Recherche<br />

Le groupe <strong>de</strong> recherche en génétique humaine fait partie du département <strong>de</strong><br />

Neurobiologie <strong>et</strong> Génétique <strong>de</strong> l’IGBMC (Institut <strong>de</strong> Génétique <strong>et</strong> Biologie<br />

Moléculaire <strong>et</strong> Cellulaire, UMR 7104 du CNRS, Unité Inserm U596 <strong>et</strong> Université<br />

Louis Pasteur <strong>de</strong> Strasbourg). Il se consacre essentiellement à l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes<br />

génétiques <strong>et</strong> physiopathologiques <strong>de</strong> maladies monogéniques neurologiques ou<br />

musculaires. Des aspects <strong>de</strong> recherche clinique sont également développés dans le<br />

laboratoire hospitalier <strong>de</strong> diagnostic génétique du CHU <strong>de</strong> Strasbourg, dirigé par<br />

J.-L. Man<strong>de</strong>l. Jean-Louis Man<strong>de</strong>l a été nommé en juin 2008 directeur <strong>de</strong> l’Institut<br />

Clinique <strong>de</strong> la Souris (ICS), une très importante plateforme technologique associée<br />

à l’IGBMC <strong>et</strong> impliquée dans la création <strong>et</strong> le phénotypage <strong>de</strong> souris génétiquement<br />

modifiées.<br />

Jean-Louis Man<strong>de</strong>l est plus particulièrement impliqué dans les thématiques<br />

suivantes :<br />

1) Syndrome <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ard mental avec chromosome X fragile <strong>et</strong> fonction <strong>de</strong> la<br />

protéine FMRP (avec Hervé Moine, CR1 CNRS).<br />

2) Myopathies myotubulaire <strong>et</strong> centronucléaires <strong>et</strong> analyse fonctionnelle d’une<br />

nouvelle famille <strong>de</strong> phosphoinositi<strong><strong>de</strong>s</strong> phosphatases : les myotubularines (équipe<br />

codirigée avec Jocelyn Laporte, promu DR2 INSERM en 2007, <strong>et</strong> labellisée équipe<br />

FRM 2007). Jocelyn Laporte a été également lauréat d’un Prix du comité Alsace<br />

<strong>de</strong> la Fondation pour la Recherche Médicale.


200 JEAN-LOUIS MANDEL<br />

3) En collaboration avec le P r Hélène Dollfus (EA3949 <strong>et</strong> Equipe AVENIR/<br />

INSERM ; Faculté <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> Strasbourg), nous menons une étu<strong>de</strong> génétique<br />

du syndrome <strong>de</strong> Bard<strong>et</strong>-Biedl.<br />

Yvon Trottier (DR2 INSERM) dirige <strong>de</strong>puis 2006 l’équipe qui se consacre aux<br />

mécanismes pathogéniques <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies neurodégénératives causées par <strong><strong>de</strong>s</strong> expansions<br />

<strong>de</strong> polyglutamine, dont la maladie <strong>de</strong> Huntington <strong>et</strong> l’ataxie spinocérébelleuse<br />

<strong>de</strong> type 7.<br />

L’équipe dirigée par Michel Kœnig (PU-PH) se consacre à l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong><br />

gènes impliqués dans <strong><strong>de</strong>s</strong> formes d’ataxies récessives, <strong>et</strong> aux étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> corrélation<br />

génotype/phénotype pour c<strong>et</strong>te pathologie très hétérogène.<br />

Hélène Puccio (promue DR2 INSERM en 2007) <strong>et</strong> son équipe s’intéressent aux<br />

mécanismes physiopathologiques <strong>de</strong> l’ataxie <strong>de</strong> Friedreich. Hélène Puccio est<br />

lauréate du prestigieux « ERC starting grant » du Conseil Européen <strong>de</strong> la Recherche<br />

pour son proj<strong>et</strong> « Comprendre les mécanismes moléculaires impliqués dans les<br />

ataxies récessives liées à <strong><strong>de</strong>s</strong> déficits mitochondriaux : implication du métabolisme<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> noyaux fer-soufre ».<br />

L’équipe d’André Hanauer (MCU) étudie les mécanismes du syndrome <strong>de</strong><br />

Coffin-Lowry (r<strong>et</strong>ard mental syndromique lié au chromosome X, impliquant la<br />

protéine kinase Rsk2).<br />

Stanislas du Manoir (CR1 INSERM) <strong>et</strong> son équipe développent <strong><strong>de</strong>s</strong> stratégies<br />

d’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> réarrangements chromosomiques (amplifications, délétions) présents<br />

dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs soli<strong><strong>de</strong>s</strong>, dans le but notamment d’i<strong>de</strong>ntifier <strong><strong>de</strong>s</strong> oncogènes<br />

impliqués dans la progression tumorale ou <strong><strong>de</strong>s</strong> marqueurs génomiques associés au<br />

pronostic vital.<br />

1) Syndrome <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ard mental avec chromosome X fragile <strong>et</strong> fonction<br />

<strong>de</strong> la protéine FMRP (thème codirigé par H. Moine <strong>et</strong> J.-L. Man<strong>de</strong>l).<br />

Le syndrome X-fragile représente la forme la plus fréquente <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ard mental<br />

monogénique. Ce syndrome résulte d’une expansion instable <strong>de</strong> répétitions CGG<br />

dans le gène FMR1, entraînant sa répression transcriptionnelle. FMR1 co<strong>de</strong> pour<br />

la protéine FMRP (Fragile X Mental R<strong>et</strong>ardation Protein) qui lie <strong><strong>de</strong>s</strong> ARN<br />

messagers au sein <strong>de</strong> complexes ribonucléoprotéiques associés aux polysomes <strong>et</strong><br />

joue un rôle <strong>de</strong> régulation <strong>de</strong> la traduction <strong>et</strong>/ou <strong>de</strong> transport <strong>de</strong> ces ARNm. Afin<br />

<strong>de</strong> caractériser la fonction <strong>et</strong> les mécanismes d’action <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te protéine, nous avons<br />

entrepris d’i<strong>de</strong>ntifier <strong>et</strong> caractériser <strong><strong>de</strong>s</strong> ARNm se liant à FMRP <strong>et</strong> pouvant<br />

constituer <strong><strong>de</strong>s</strong> cibles <strong>de</strong> son action. Nous avons montré antérieurement que FMRP<br />

se lie <strong>de</strong> manière spécifique <strong>et</strong> avec une forte affinité aux ARNm contenant un<br />

motif structural <strong>de</strong> type « G(uanine)-quart<strong>et</strong> » (Schaeffer <strong>et</strong> al., 2001). Nous avions<br />

r<strong>et</strong>rouvé ce motif dans l’ARNm <strong>de</strong> la phosphatase PP2A <strong>et</strong> suggéré un rôle <strong>de</strong><br />

FMRP dans le contrôle traductionnel <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te importante protéine régulatrice<br />

(Cast<strong>et</strong>s <strong>et</strong> al., 2005). Nos <strong>travaux</strong> récents suggèrent que l’interaction <strong>de</strong> FMRP


GÉNÉTIQUE HUMAINE 201<br />

avec son propre ARNm, au niveau d’un G-quart<strong>et</strong> présent dans la région codante<br />

(exon 15), peut moduler l’épissage alternatif du gène FMR1. En eff<strong>et</strong>, ce G-quart<strong>et</strong><br />

présente <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés activatrices <strong>de</strong> l’épissage <strong>et</strong> la liaison <strong>de</strong> FMRP avec ce<br />

motif pourrait constituer une boucle d’autorégulation (Didiot <strong>et</strong> al., 2008).<br />

En collaboration avec B. Bardoni (CNRS, Nice), nous avons caractérisé un<br />

nouvel ARNm lié par FMRP, l’ARNm SOD1. L’équipe <strong>de</strong> B. Bardoni a observé<br />

que l’expression <strong>de</strong> la protéine superoxy<strong>de</strong> dismutase 1 codée par ce gène était<br />

diminuée dans le cerveau <strong><strong>de</strong>s</strong> souris déficientes en FMRP. Nous avons montré que<br />

l’ARNm SOD1 ne contient pas <strong>de</strong> motif G-quart<strong>et</strong> <strong>et</strong> FMRP, en se liant à un<br />

motif structuré en tige-boucle présent au niveau du site d’initiation <strong>de</strong> la traduction,<br />

stimulerait la traduction <strong>de</strong> c<strong>et</strong> ARNm (résultats soumis).<br />

Le mécanisme d’action <strong>de</strong> FMRP sur ses différents ARNm cibles est encore mal<br />

compris. Nous avons récemment montré expérimentalement la présence <strong>de</strong> motifs<br />

G-quart<strong>et</strong> <strong>et</strong> leur liaison par FMRP au niveau <strong>de</strong> la région 3′ non traduite <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

gènes importants pour la plasticité synaptique <strong>et</strong> précé<strong>de</strong>mment proposés comme<br />

cible <strong>de</strong> FMRP (résultats non publiés). Nous avons entrepris d’analyser <strong>et</strong> comparer<br />

l’impact <strong>de</strong> FMRP sur le métabolisme <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux ARNm en culture <strong>de</strong> neurones<br />

primaires <strong>de</strong> souris : traduction, localisation, stabilité.<br />

En collaboration avec l’équipe du D r C. Branlant (CNRS Nancy) nous avons<br />

mis en évi<strong>de</strong>nce une nouvelle interaction entre FMRP <strong>et</strong> le complexe SMN<br />

d’assemblage <strong>de</strong> particules ribonucléoprotéiques du spliceosome (Piazzon <strong>et</strong> al.,<br />

2008). Le complexe SMN est déficient dans une importante pathologie du<br />

motoneurone, l’amyotrophie spinale (SMA).<br />

Nous avons récemment réanalysé l’association proposée par plusieurs laboratoires<br />

entre FMRP <strong>et</strong> le complexe RISC (RNA induced silencing complex). Nous avons<br />

montré que FMRP : 1) n’est pas nécessaire à l’activité RISC dans les cellules,<br />

2) présente <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés <strong>de</strong> localisation intracellulaire <strong>et</strong> d’association aux<br />

polysomes distinctes <strong>de</strong> celles du complexe RISC. Nous concluons à une implication<br />

<strong>de</strong> FMRP <strong>et</strong> RISC dans <strong><strong>de</strong>s</strong> voies fonctionnelles distinctes. FMRP contribuerait à<br />

l’efficacité <strong>de</strong> formation <strong><strong>de</strong>s</strong> granules <strong>de</strong> stress (article en préparation).<br />

2) Myopathies myotubulaire <strong>et</strong> centronucléaires <strong>et</strong> analyse fonctionnelle<br />

<strong>de</strong> la voie <strong><strong>de</strong>s</strong> myotubularines (équipe codirigée par J. Laporte <strong>et</strong> J.-L. Man<strong>de</strong>l,<br />

avec A. Buj-Bello).<br />

Les myopathies centronucléaires (CNM) regroupent <strong><strong>de</strong>s</strong> myopathies rares<br />

caractérisées par une gran<strong>de</strong> proportion <strong>de</strong> fibres musculaires atrophiques à noyaux<br />

centraux (les noyaux étant normalement périphériques). Les CNM sont regroupées<br />

en trois classes, <strong>et</strong> nous avons participé à l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> tous les gènes impliqués<br />

jusqu’à présent. La forme liée au chromosome X, appelée myopathie myotubulaire,<br />

est la plus sévère <strong>et</strong> se traduit par une hypotonie généralisée qui entraîne souvent la<br />

mort du patient dans la première année. Elle est due à <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations dans le gène


202 JEAN-LOUIS MANDEL<br />

MTM1 codant pour la myotubularine (Laporte <strong>et</strong> al., 1996), dont nous avons par la<br />

suite montré qu’elle définit une nouvelle famille <strong>de</strong> phosphoinositi<strong><strong>de</strong>s</strong> phosphatases,<br />

agissant sur le PI3P <strong>et</strong> le PI3,5P2 (Blon<strong>de</strong>au <strong>et</strong> al., 2000, Laporte <strong>et</strong> al., 2003). Les<br />

formes autosomiques dominantes (ADCNM) débutent à l’adolescence ou à l’âge<br />

adulte, <strong>et</strong> sont généralement dues à <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations <strong>de</strong> la dynamine 2, une protéine<br />

impliquée notamment dans les mécanismes d’endocytose <strong>et</strong> <strong>de</strong> trafic membranaire<br />

(Bitoun <strong>et</strong> al., 2005). Les formes infantiles autosomiques récessives (ARCNM) sont<br />

<strong>de</strong> sévérité intermédiaire <strong>et</strong> nous avons récemment montré que certaines familles<br />

sont mutées dans le gène BIN1 codant pour l’amphiphysine 2, une protéine<br />

interagissant avec la dynamine (Nicot <strong>et</strong> al., 2007).<br />

Nous avons poursuivi, en collaboration avec P. Guicheney (Paris), V. Biancalana<br />

(Strasbourg) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cliniciens, l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations dans la dynamine 2, dont<br />

certaines sont associées à une forme <strong>de</strong> neuropathie périphérique <strong>de</strong> Charcot-<br />

Marie-Tooth <strong>et</strong> tentons d’établir <strong><strong>de</strong>s</strong> corrélations génotype-phénotype. L’étu<strong>de</strong><br />

d’une gran<strong>de</strong> famille avec myopathie centronucléaire dominante due à une<br />

mutation dynamine 2 non décrite antérieurement, a montré également <strong><strong>de</strong>s</strong> signes<br />

<strong>de</strong> neuropathie périphérique <strong>et</strong> <strong>de</strong> déficit cognitif peu sévères, suggérant un<br />

recouvrement phénotypique entre myopathie <strong>et</strong> neuropathie, <strong>et</strong> une action sur le<br />

système nerveux central, pour certaines mutations <strong>de</strong> la dynamine 2 (Echaniz-<br />

Laguna <strong>et</strong> al., 2007).<br />

Nous avons poursuivi la recherche <strong>de</strong> gènes impliqués dans les myopathies<br />

centronucléaires récessives. Les familles recrutées étant peu informatives pour une<br />

analyse <strong>de</strong> liaison, nous avons opté pour une recherche <strong>de</strong> gènes candidats i<strong>de</strong>ntifiés<br />

par analyse bio-informatique, complémentée dans les familles consanguines, par<br />

cartographie d’homozygotie sur puces SNPs. L’amphiphysine 2 était un bon<br />

candidat fonctionnel car c<strong>et</strong>te protéine régule le trafic membranaire comme la<br />

myotubularine (Cao <strong>et</strong> al., 2007 <strong>et</strong> 2008) <strong>et</strong> la dynamine 2, <strong>et</strong> un mutant <strong>de</strong><br />

drosophile montre une faiblesse musculaire associée à <strong><strong>de</strong>s</strong> anomalies <strong><strong>de</strong>s</strong> tubules-T.<br />

Par séquençage direct, <strong>et</strong> à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> cartographie par homozygotie, nous avons<br />

trouvé 4 variants à l’état homozygote dans <strong><strong>de</strong>s</strong> familles consanguines, dont <strong>de</strong>ux<br />

mutations non sens (Nicot <strong>et</strong> al., 2007, <strong>et</strong> résultats non publiés). Les mutations<br />

faux-sens diminuent la fonction <strong>de</strong> tubulation <strong><strong>de</strong>s</strong> membranes alors qu’un <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

codons stop prématurés produit une protéine stable qui ne peut plus se lier avec<br />

un interacteur précé<strong>de</strong>mment connu <strong>de</strong> l’amphiphysine 2, la dynamine 2. La<br />

<strong>de</strong>uxième mutation stop, i<strong>de</strong>ntifiée très récemment dans une nouvelle famille, est<br />

en <strong>cours</strong> d’analyse. Ce travail a donc révélé un lien moléculaire <strong>et</strong> fonctionnel entre<br />

2 formes <strong>de</strong> myopathies centronucléaires.<br />

Nous avons poursuivi d’autre part nos <strong>travaux</strong> sur la physiopathologie <strong>de</strong> la forme<br />

liée au chromosome X, par l’étu<strong>de</strong> du modèle souris <strong>de</strong> déficience en myotubularine<br />

que nous avons construit antérieurement (Buj-Bello <strong>et</strong> al., 2002). Une étu<strong>de</strong><br />

transcriptomique globale au <strong>cours</strong> du développement <strong>de</strong> la pathologie musculaire<br />

dans ce modèle, ainsi que dans <strong><strong>de</strong>s</strong> biopsies musculaires <strong>de</strong> patients (en collaboration


GÉNÉTIQUE HUMAINE 203<br />

avec A. Beggs, Harvard Med. School) a montré <strong><strong>de</strong>s</strong> anomalies importantes<br />

(particulièrement dans le modèle souris) <strong>de</strong> l’expression <strong>de</strong> certains gènes impliqués<br />

dans la régulation <strong>de</strong> l’homéostasie calcique. Nous avons confirmé ces anomalies au<br />

niveau protéique, <strong>et</strong> montré que certaines d’entre elles survenaient précocément au<br />

<strong>cours</strong> du développement <strong>de</strong> la pathologie. Nous avons observé d’autre part <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

anomalies précoces <strong>de</strong> l’organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> tubules T, <strong>et</strong> avons entrepris, en<br />

collaboration avec Vincent Jacquemond (Université Lyon 1/CNRS, Villeurbanne)<br />

une étu<strong>de</strong> électrophysiologique <strong><strong>de</strong>s</strong> courants calciques <strong><strong>de</strong>s</strong> fibres musculaires <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

souris déficientes en myotubularine, qui montrent certaines altérations précoces<br />

dans l’évolution <strong>de</strong> la pathologie (manuscrit en préparation). Les anomalies <strong>de</strong><br />

l’organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> tubules T <strong>et</strong> <strong>de</strong> la fonctionnalité du couplage excitation<br />

contraction pourraient rendre compte <strong>de</strong> l’importante hypotonie musculaire<br />

observée chez les patients. Ceci perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> relier fonctionnellement les 3 protéines<br />

connues mutées dans les myopathies centronucléaires, à la fois par leur interaction<br />

avec les phosphoinositi<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong>et</strong> par leur rôle dans l’organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> tubules T.<br />

Nous avons aussi poursuivi une approche <strong>de</strong> thérapie génique à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> vecteur<br />

AAV (a<strong>de</strong>no-associated virus) exprimant la myotubularine, en collaboration avec<br />

le Généthon (Evry). Des résultats très positifs ont été obtenus sur notre modèle<br />

souris. En eff<strong>et</strong> une seule injection intramusculaire dans <strong><strong>de</strong>s</strong> souris déjà atteintes<br />

<strong>de</strong> faiblesse musculaire améliore <strong>de</strong> manière spectaculaire l’état pathologique du<br />

muscle, corrige le positionnement <strong><strong>de</strong>s</strong> noyaux <strong>et</strong> augmente la masse musculaire<br />

ainsi que la force, à un niveau quasi-normal (Buj-Bello <strong>et</strong> al., 2008). L’utilisation<br />

<strong>de</strong> la même approche pour surexprimer la myotubularine suggère que c<strong>et</strong>te protéine<br />

régule l’homéostasie du sarcolemme, la membrane plasmique <strong><strong>de</strong>s</strong> fibres musculaires<br />

(Buj-Bello <strong>et</strong> al., 2008). Nous testons maintenant par la même approche la capacité<br />

<strong>de</strong> protéines homologues à la myotubularine (MTMR1 <strong>et</strong> MTMR2) à améliorer<br />

le phénotype <strong><strong>de</strong>s</strong> souris Mtm1 KO, ce qui perm<strong>et</strong>trait à terme d’envisager une<br />

thérapie par réexpression <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes homologues <strong>et</strong> ainsi diminuer la réponse<br />

immunitaire. Sur un plan plus fondamental, ceci apportera également <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

informations précieuses sur les mécanismes <strong>de</strong> spécificité musculaire liées aux<br />

mutations du gène MTM1, son plus proche homologue MTMR2 étant muté dans<br />

une forme récessive sévère <strong>de</strong> neuropathie périphérique démyélinisante, avec<br />

atteinte <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules <strong>de</strong> Schwann (Chojnowski <strong>et</strong> al., 2007) <strong>et</strong> donc nous perm<strong>et</strong>tre<br />

<strong>de</strong> discriminer entre les alternatives <strong>de</strong> spécificité d’expression ou liée à la structure<br />

<strong>de</strong> la protéine.<br />

En collaboration avec l’équipe <strong>de</strong> T. Ogata (Tokyo), nous avons montré que le<br />

gène CXorf6, adjacent au gène MTM1, est muté dans <strong><strong>de</strong>s</strong> cas d’anomalies du<br />

développement génital masculin (hypospadias) (Fukami <strong>et</strong> al., 2007). Le gène<br />

CXorf6 co<strong>de</strong> pour une protéine avec un domaine <strong>de</strong> type mastermind, a <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

propriétés transactivatrices sur un gène <strong>de</strong> la voie Notch, le gène Hes3, <strong>et</strong> son<br />

inhibition augmente la production <strong>de</strong> testostérone par <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules <strong>de</strong> Leydig<br />

tumorales (Fukami <strong>et</strong> al., 2008).


204 JEAN-LOUIS MANDEL<br />

3) Analyse génétique du syndrome <strong>de</strong> Bard<strong>et</strong>-Biedl<br />

(collaboration avec le P r H. Dollfus)<br />

Le syndrome <strong>de</strong> Bard<strong>et</strong>-Biedl (BBS), <strong>de</strong> transmission autosomique récessive,<br />

associe rétinite pigmentaire, obésité, polydactylie, anomalies rénales <strong>et</strong> atteinte<br />

cognitive. Il est caractérisé par une étonnante hétérogénéité génétique, contrastant<br />

avec la spécificité <strong>de</strong> la présentation clinique. De 2000 à 2005, 9 gènes (dénommés<br />

BBS1 à 9) avaient été i<strong>de</strong>ntifiés par <strong><strong>de</strong>s</strong> équipes américaines <strong>et</strong> anglaises, dont les<br />

mutations ne ren<strong>de</strong>nt compte que d’environ 50 % <strong><strong>de</strong>s</strong> patients. L’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong><br />

ces gènes, codant pour <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines <strong>de</strong> types très divers <strong>et</strong> dont les fonctions étaient<br />

initialement inconnues, a permis <strong>de</strong> relier le syndrome BBS à <strong><strong>de</strong>s</strong> défauts dans<br />

l’assemblage ou la fonction <strong>de</strong> structures ciliées (cil primaire) <strong>et</strong> du centrosome. Nous<br />

participons à une étu<strong>de</strong> initiée par le Prof. Hélène Dollfus (Faculté <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong><br />

Strasbourg), visant notamment à i<strong>de</strong>ntifier <strong>de</strong> nouveaux gènes BBS. L’utilisation<br />

d’une approche <strong>de</strong> cartographie par homozygotie dans <strong><strong>de</strong>s</strong> familles consanguines, à<br />

l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> « puces SNP (single nucleoti<strong>de</strong> polymorphism) », en collaboration avec<br />

l’équipe <strong>de</strong> bioinformatique d’Olivier Poch à l’IGBMC nous a permis d’i<strong>de</strong>ntifier en<br />

2005-2006 <strong>de</strong>ux nouveaux gènes (BBS10 <strong>et</strong> BBS12) particulièrement importants.<br />

BBS10 est un gène majeur, dont les mutations sont r<strong>et</strong>rouvées chez plus <strong>de</strong> 20 % <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

patients (Sto<strong>et</strong>zel <strong>et</strong> al., 2006), <strong>et</strong> BBS12 rend compte <strong>de</strong> 5-6 % <strong><strong>de</strong>s</strong> familles. De<br />

manière surprenante, alors que 8 <strong><strong>de</strong>s</strong> 9 gènes BBS précé<strong>de</strong>mment i<strong>de</strong>ntifiés sont très<br />

conservés dans l’évolution, entre tous les organismes ciliés (<strong>de</strong> l’homme au némato<strong>de</strong>,<br />

<strong>et</strong> même à l’algue Chlamydomonas), les gènes BBS10 <strong>et</strong> BBS12 co<strong>de</strong>nt pour <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

protéines spécifiques <strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés <strong>et</strong> dont la séquence protéique évolue beaucoup<br />

plus rapi<strong>de</strong>ment que pour les autres gènes BBS (à l’exception du gène BBS6). BBS10<br />

<strong>et</strong> BBS12 appartiennent, comme BBS6 à la superfamille <strong><strong>de</strong>s</strong> chaperonines <strong>de</strong> type II<br />

(Sto<strong>et</strong>zel <strong>et</strong> al., 2007). Nous avons montré que ces 3 gènes définissent une branche<br />

spécifique <strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés au sein <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te superfamille dont les autres membres ont une<br />

origine beaucoup plus ancienne (Sto<strong>et</strong>zel <strong>et</strong> al., 2007). Le phénotype indistinguable<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> patients porteurs <strong>de</strong> mutations dans <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes BBS différents suggère que les<br />

protéines correspondantes pourraient être impliquées dans <strong><strong>de</strong>s</strong> complexes<br />

macromoléculaires (l’absence <strong>de</strong> l’un ou l’autre d’entre eux ayant alors le même eff<strong>et</strong><br />

négatif sur la fonction du complexe). Des <strong>travaux</strong> récents paraissent confirmer une<br />

telle hypothèse pour 7 protéines BBS présentes <strong>de</strong> manière stoechiométrique dans un<br />

complexe nommé BBSome (Nachury <strong>et</strong> al., 2007). Les protéines BBS6, 10 <strong>et</strong> 12<br />

sont absentes <strong>de</strong> ce complexe, <strong>et</strong> on peut donc faire l’hypothèse d’un complexe<br />

« chaperonin-like » qui contiendrait ces 3 protéines. Des étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sont entreprises dans<br />

c<strong>et</strong>te direction, en collaboration également avec l’équipe <strong>de</strong> D. Moras à l’IGBMC.<br />

La création <strong>de</strong> mutants avec inactivation conditionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes BBS10 <strong>et</strong> 12<br />

chez la souris est en <strong>cours</strong>, qui <strong>de</strong>vraient notamment perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> répondre au<br />

problème du mécanisme (central ou périphérique) <strong>de</strong> l’obésité liée aux mutations<br />

BBS. Des résultats récents obtenus par V. Marion <strong>et</strong> H. Dollfus suggèrent que les<br />

protéines BBS <strong>et</strong> le cil primaire jouent un rôle important dans la différenciation<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> préadipocytes <strong>et</strong> dans l’adipogenèse (résultats soumis).


GÉNÉTIQUE HUMAINE 205<br />

La stratégie d’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> nouveaux gènes BBS se poursuit (il reste environ<br />

25 % <strong>de</strong> patients ne correspondant à aucun <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes connus). Les analyses<br />

effectuées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> familles consanguines pour lesquelles le gène n’est pas encore<br />

i<strong>de</strong>ntifié nous perm<strong>et</strong>tent d’exclure la présence d’un gène pouvant expliquer plus<br />

<strong>de</strong> 10 % <strong><strong>de</strong>s</strong> cas, <strong>et</strong> suggèrent au contraire une extrême hétérogénéité. Ceci<br />

complique l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> nouveaux gènes, en l’absence <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> familles<br />

informatives, car il existe <strong>de</strong> nombreuses régions candidates (sur la base <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

d’homozygotie) <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> taille, <strong>et</strong> contenant donc <strong>de</strong> très nombreux gènes. Nous<br />

avons récemment entrepris une nouvelle approche basée sur l’observation qu’une<br />

proportion en général faible <strong>de</strong> mutations responsables <strong>de</strong> perte <strong>de</strong> fonction<br />

correspon<strong>de</strong>nt à <strong><strong>de</strong>s</strong> délétions touchant plusieurs exons du gène cible. La très haute<br />

<strong>de</strong>nsité <strong>de</strong> puces ADN utilisables pour l’analyse <strong>de</strong> SNPs <strong>et</strong> <strong>de</strong> dosage génique<br />

<strong>de</strong>vrait perm<strong>et</strong>tre la détection <strong>de</strong> telles délétions, notamment en sélectionnant les<br />

régions d’homozygotie chez <strong><strong>de</strong>s</strong> patients issus <strong>de</strong> familles consanguines. Une<br />

vingtaine <strong>de</strong> familles avec syndrome <strong>de</strong> Bard<strong>et</strong>-Biedl <strong>et</strong> sans mutation dans les<br />

gènes connus sont actuellement en <strong>cours</strong> d’analyse sur <strong><strong>de</strong>s</strong> puces contenant<br />

1,8 million <strong>de</strong> positions analysables (puces 6.0 d’Affym<strong>et</strong>rix).<br />

Maladies à expansion <strong>de</strong> polyglutamine (Yvon Trottier, avec K. Mérienne)<br />

L’équipe <strong>de</strong> Y. Trottier étudie la physiopathologie <strong>de</strong> la maladie <strong>de</strong> Huntington<br />

(MH) <strong>et</strong> l’ataxie spinocérébelleuse <strong>de</strong> type 7 (SCA7). Ces maladies neurodégénératives<br />

héréditaires sont dues à une expansion <strong>de</strong> répétitions CAG codant pour un<br />

homopolymère <strong>de</strong> glutamines (polyQ) dans <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines cibles spécifiques <strong>de</strong><br />

chaque maladie. L’expansion <strong>de</strong> polyQ (au-<strong>de</strong>là d’environ 39 résidus) confère aux<br />

protéines mutées <strong>de</strong> nouvelles propriétés neurotoxiques, qui mènent entre autres à<br />

leur accumulation <strong>et</strong> leur agrégation dans le noyau <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones, entrainant une<br />

dérégulation <strong>de</strong> l’expression <strong>de</strong> certains gènes <strong>et</strong> une dysfonction puis une mort<br />

neuronale, avec une spécificité d’atteinte <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones qui diffère selon la<br />

maladie.<br />

L’équipe s’intéresse aux propriétés structurales <strong>et</strong> d’agrégation <strong><strong>de</strong>s</strong> polyQ. En<br />

collaboration avec le D r A. Podjarny (IGBMC), nous cherchons à éluci<strong>de</strong>r la<br />

structure spatiale <strong>de</strong> polyQ, un motif r<strong>et</strong>rouvé dans un grand nombre <strong>de</strong> protéines,<br />

mais dont la fonction reste inconnue. Notre stratégie consiste à déterminer la<br />

structure <strong>de</strong> polyQ <strong>de</strong> longueur déterminée interagissant avec un partenaire, en<br />

l’occurrence un anticorps monoclonal anti-polyQ, que nous avions caractérisé<br />

antérieurement (Trottier <strong>et</strong> al., 1995, Trottier 2003). Nous avons déjà élucidé la<br />

structure <strong>de</strong> l’anticorps dans <strong>de</strong>ux configurations différentes. C<strong>et</strong>te étape<br />

préliminaire nous gui<strong>de</strong> actuellement dans l’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> cristaux formés par le<br />

complexe polyQ:anticorps. C<strong>et</strong>te stratégie doit nous perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> révéler la<br />

structure <strong>de</strong> la polyQ, mais aussi celle <strong>de</strong> l’anticorps, ce qui <strong>de</strong>vrait fournir une<br />

base pour générer par modélisation <strong><strong>de</strong>s</strong> inhibiteurs <strong>de</strong> l’agrégation. D’autre part,<br />

sur la base <strong>de</strong> nos <strong>travaux</strong> antérieurs (Klein <strong>et</strong> al., 2007), nous avons conçu un


206 JEAN-LOUIS MANDEL<br />

polypepti<strong>de</strong> ayant <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés anti-agrégation in vitro. Nous poursuivons l’étu<strong>de</strong><br />

du potentiel thérapeutique <strong>de</strong> ce polypepti<strong>de</strong> dans un modèle drosophile <strong>de</strong><br />

maladie à polyQ en collaboration avec le D r Hervé Tricoire (CNRS/U. Paris 7).<br />

Également dans une perspective thérapeutique, nous étudions <strong>de</strong>ux molécules<br />

chimiques qui semblent prévenir l’accumulation ainsi que l’agrégation <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines<br />

mutées. Les analyses sont effectuées in vitro dans un modèle cellulaire <strong>et</strong> dans un<br />

modèle souris. Nous nous intéressons également aux mécanismes d’action <strong>de</strong> ces<br />

molécules. Ce proj<strong>et</strong> est issu d’une collaboration avec le D r Anne Bertolotti<br />

(Cambridge, UK) (Rousseau <strong>et</strong> al., 2004 ; Dehay <strong>et</strong> al., 2007) <strong>et</strong> le D r Nicolas<br />

Winssinger (ISIS, Strasbourg).<br />

Afin d’i<strong>de</strong>ntifier les mécanismes <strong>de</strong> dysfonction <strong>et</strong> <strong>de</strong> dégénérescence neuronale,<br />

nous étudions <strong>de</strong>puis plusieurs années un modèle souris SCA7, qui récapitule la<br />

dégénérescence rétinienne observée chez les patients. La rétine <strong>de</strong> ces souris se<br />

développe normalement jusqu’à 3 semaines d’âge, puis l’activité mesurée par<br />

électrorétinogramme (ERG) diminue progressivement <strong>et</strong> s’accompagne d’anomalies<br />

morphologiques <strong><strong>de</strong>s</strong> photorécepteurs : une perte <strong><strong>de</strong>s</strong> segments externes <strong>et</strong> internes,<br />

une disparition <strong><strong>de</strong>s</strong> cils connecteurs associée à une réapparition <strong>de</strong> centrosomes ou<br />

<strong>de</strong> cils primaires périnucléaires, une altération <strong>de</strong> l’architecture du noyau avec une<br />

décon<strong>de</strong>nsation <strong>de</strong> la chromatine (Helmlinger <strong>et</strong> al., 2004 ; Yefimova <strong>et</strong> al.,<br />

manuscrit en préparation). L’étu<strong>de</strong> du profil transcriptionnel <strong>de</strong> la rétine <strong><strong>de</strong>s</strong> souris<br />

SCA7 a révélé une forte répression <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes spécifiques <strong><strong>de</strong>s</strong> photorécepteurs,<br />

notamment <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs <strong>de</strong> transcription (Nrl, Crx, Nr2e3) qui contrôlent la<br />

différenciation <strong><strong>de</strong>s</strong> photorécepteurs (Abou-Sleymane <strong>et</strong> al., 2006 ; Helmlinger <strong>et</strong><br />

al., 2006 ). Ces données suggèrent que l’ataxine-7 mutée comprom<strong>et</strong> le programme<br />

génétique <strong>de</strong> différenciation <strong><strong>de</strong>s</strong> photorécepteurs. Ces photorécepteurs non<br />

différenciés <strong>et</strong> non fonctionnels survivent néanmoins jusqu’à un sta<strong>de</strong> tardif <strong>de</strong> la<br />

pathologie, où l’activité ERG est absente.<br />

Plusieurs voies pathogéniques pourraient participer à c<strong>et</strong>te « dédifférenciation »<br />

<strong>et</strong> sont actuellement à l’étu<strong>de</strong> dans notre laboratoire. Premièrement, l’ataxine-7<br />

mutée s’agrège dans les photorécepteurs <strong>et</strong> cause un stress en activant la voie Jnk/<br />

c-Jun (Mérienne <strong>et</strong> al., 2003). Nous avons montré que c-Jun régule le facteur Nrl,<br />

<strong>et</strong> que l’inactivation génétique <strong>de</strong> c-Jun r<strong>et</strong>ar<strong>de</strong> la rétinopathie <strong><strong>de</strong>s</strong> souris SCA7<br />

(Mérienne <strong>et</strong> al., 2007). Deuxièmement, comme l’ataxine-7 fait partie du complexe<br />

TFTC qui régule la transcription en acétylant les histones (Helmlinger <strong>et</strong> al.,<br />

2004), il semble que l’ataxine-7 mutée causerait une dysfonction <strong>de</strong> TFTC qui<br />

mènerait à la décon<strong>de</strong>nsation générale <strong>de</strong> la chromatine (par hyperacétylation) <strong>et</strong><br />

à la dérégulation <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes spécifiques aux photorécepteurs (Helmlinger <strong>et</strong> al.,<br />

2006). Troisièmement, nous avons récemment observé une activation microgliale<br />

importante aux sta<strong><strong>de</strong>s</strong> précoces <strong>de</strong> la rétinopathie <strong>de</strong> ces souris. Nous tentons<br />

actuellement <strong>de</strong> savoir quel est le rôle <strong>de</strong> l’activation <strong>de</strong> la microglie : soit la<br />

sécrétion <strong>de</strong> facteurs <strong>de</strong> survie, menant peut-être les photorécepteurs à se<br />

dédifférencier, ou bien la phagocytose <strong>de</strong> la couche <strong><strong>de</strong>s</strong> segments <strong><strong>de</strong>s</strong> photorécepteurs.


GÉNÉTIQUE HUMAINE 207<br />

Quatrièmement, nous avons constaté que la rétinopathie s’accompagne d’un stress<br />

oxydatif précoce important. Le rôle du stress oxydatif, qui est aussi présent dans<br />

la pathogenèse <strong>de</strong> la maladie <strong>de</strong> Huntington (MH), est actuellement à l’étu<strong>de</strong> dans<br />

la rétinopathie <strong>de</strong> ce modèle SCA7.<br />

L’expansion CAG dans le locus HD muté montre une forte instabilité -avec une<br />

tendance à un allongement additionnel- dans le striatum, la région cible principale<br />

<strong>de</strong> la pathologie, <strong>et</strong> peu d’instabilité dans le cervel<strong>et</strong>, une région épargnée. Comme<br />

les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> corrélatives génotype-phénotype antérieures ont révélé que plus<br />

l’expansion est longue, plus la pathologie est précoce <strong>et</strong> sévère, il est probable que<br />

l’instabilité — <strong>et</strong> l’allongement — <strong>de</strong> l’expansion CAG dans le striatum contribue<br />

à la dégénérescence sélective <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te région du cerveau. K. Mérienne étudie les<br />

mécanismes menant à l’instabilité sélective <strong>de</strong> l’expansion CAG dans le striatum.<br />

Physiopathologie <strong>de</strong> l’ataxie <strong>de</strong> Friedreich (équipe H. Puccio)<br />

L’équipe <strong>de</strong> H. Puccio s’intéresse aux mécanismes physiopathologiques <strong>de</strong><br />

l’ataxie <strong>de</strong> Friedreich (AF), par la construction <strong>et</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> modèles murins <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

modèles cellulaires.<br />

L’ataxie <strong>de</strong> Friedreich est une maladie autosomique récessive, gravement<br />

invalidante, caractérisée par une dégénérescence spino-cérébelleuse <strong>et</strong> une<br />

cardiomyopathie hypertrophique. Elle est due à la diminution quantitative d’une<br />

protéine mitochondriale, la frataxine, qui entraîne un déficit fonctionnel <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

protéines fer-soufre (Fe-S) <strong>et</strong> une accumulation intramitochondriale <strong>de</strong> fer. C<strong>et</strong>te<br />

équipe a créé <strong>de</strong>puis plusieurs années <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles souris <strong>de</strong> l’ataxie <strong>de</strong> Friedreich,<br />

par inactivation conditionnelle spatio-temporelle (système Cre-Lox) du gène <strong>de</strong> la<br />

frataxine (Puccio <strong>et</strong> al., 2001 ; Simon <strong>et</strong> al., 2004). Ces modèles conditionnels<br />

reproduisent l’essentiel <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques physiopathologiques <strong>et</strong> biochimiques<br />

<strong>de</strong> la pathologie humaine.<br />

Dans la levure, la mitochondrie joue un rôle central pour la biosynthèse <strong>de</strong> tous<br />

les noyaux Fe-S, indépendant <strong>de</strong> leur localisation cellulaire. Cependant, chez les<br />

mammifères, le rôle central <strong>de</strong> la mitochondrie reste controversé puisqu’une<br />

machinerie cytosolique d’assemblage <strong><strong>de</strong>s</strong> centres Fe-S indépendante a été proposée.<br />

A travers les différents modèles murins générés, nous avons récemment montré que<br />

la frataxine est nécessaire pour la biogenèse d’enzymes Fe-S nucléaires <strong>et</strong><br />

cytosoliques, <strong>et</strong> qu’il n’existe donc pas <strong>de</strong> machinerie <strong>de</strong> biosynthèse <strong><strong>de</strong>s</strong> noyaux<br />

Fe-S chez les mammifères complètement indépendante <strong>de</strong> la mitochondrie (Martelli<br />

<strong>et</strong> al., 2007). Ces résultats ouvrent la porte sur <strong>de</strong> nouvelles pistes physiopathologiques,<br />

notamment la voie <strong>de</strong> réparation d’ADN. Une collaboration avec l’équipe <strong>de</strong><br />

P r R. Lill (Marburg, Allemagne) a permis <strong>de</strong> montrer que la protéine cytosolique<br />

huNbp35, une P-loop NTPase, est essentielle pour les protéines à noyau Fe-S<br />

cytosoliques <strong>et</strong> nucléaires <strong>et</strong> joue un rôle dans la régulation du fer (Stehling <strong>et</strong> al.,<br />

2008). L’ensemble <strong>de</strong> ces résultats démontre l’existence d’une machinerie complexe<br />

pour l’assemblage <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines à noyau Fe-S qui est peu étudiée chez les


208 JEAN-LOUIS MANDEL<br />

mammifères. L’étu<strong>de</strong> fondamentale sur le métabolisme <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines à Fe-S<br />

proposée dans le cadre <strong>de</strong> notre proj<strong>et</strong> ERC perm<strong>et</strong>tra la compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

conséquences d’un déficit du métabolisme Fe-S <strong>de</strong> la mitochondrie dans les cellules<br />

neuronales.<br />

La frataxine (FXN) est une protéine mitochondriale synthétisée sous forme d’un<br />

précurseur <strong>de</strong> 210 aci<strong><strong>de</strong>s</strong> aminés. Son import <strong>et</strong> sa maturation dans la mitochondrie<br />

impliquent <strong>de</strong>ux clivages N-terminaux. Cependant, le site final <strong>de</strong> clivage <strong>de</strong> la<br />

forme mature m-FXN est suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> controverses. En eff<strong>et</strong>, trois formes différentes<br />

<strong>de</strong> la protéine mature ont été décrites : <strong>de</strong>puis 1998, une protéine commençant à<br />

l’aci<strong>de</strong> aminé 56 (m 56-FXN) <strong>et</strong> <strong>de</strong>ux autres récemment décrites en 2007, débutant<br />

à l’aci<strong>de</strong> aminé 78 ou 81 respectivement (m 78-FXN- and m 81-FXN). Par une<br />

analyse <strong>de</strong> spectrométrie <strong>de</strong> masse (en collaboration avec Manuela Argentini,<br />

IGBMC), nous avons démontré que m 81-FXN était la forme mature majoritaire<br />

in vivo, <strong>et</strong> que les <strong>de</strong>ux autres formes décrites n’existaient pas sous forme endogène<br />

(Schmucker <strong>et</strong> al., 2008). Nous avons également démontré que la forme m 78-FXN<br />

est capable <strong>de</strong> restaurer la survie cellulaire <strong>de</strong> cellules déficientes en frataxine. De<br />

plus, par <strong><strong>de</strong>s</strong> essais <strong>de</strong> mutagénèse dirigée, nous avons déterminé que la maturation<br />

se faisait en <strong>de</strong>ux étapes <strong>et</strong> que les formes m 56-FXN <strong>et</strong> m 78-FXN pouvaient être<br />

produites en conditions cellulaires lorsque que la maturation normale <strong>de</strong> la protéine<br />

était perturbée.<br />

Les lignées cellulaires <strong>de</strong> patients sont peu utiles pour <strong><strong>de</strong>s</strong> analyses biochimiques<br />

car phénotypiquement normales puisqu’elles sont issues <strong>de</strong> cellules épargnées par<br />

la maladie (lymphoblastes <strong>et</strong> fibroblastes). L’établissement <strong>de</strong> lignées cellulaires<br />

directement à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> souris mutantes constitue donc un excellent système pour<br />

étudier les anomalies biochimiques liées à l’absence totale <strong>de</strong> frataxine, donc plus<br />

sévère, ainsi que pour un criblage à gran<strong>de</strong> échelle <strong>de</strong> molécules potentiellement<br />

thérapeutiques.<br />

Nous avons utilisé <strong><strong>de</strong>s</strong> lignées cellulaires murines portant un allèle d’inactivation<br />

conditionnelle <strong>de</strong> la frataxine en combinaison avec l’expression d’une recombinase<br />

EGFP-Cre (en collaboration avec Brigitte Kieffer, IGBMC) pour isoler par<br />

cytométrie <strong>de</strong> flux <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules murines complètement délétées pour la frataxine.<br />

Ce système nous a permis <strong>de</strong> montrer que l’absence totale en frataxine dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

fibroblastes conduit à la mort cellulaire, probablement par un arrêt du cycle<br />

cellulaire, soulignant une nouvelle fois le rôle important <strong>de</strong> la frataxine (Carelle-<br />

Calmels <strong>et</strong> al., soumis).<br />

Nous avons généré un modèle cellulaire par une stratégie d’antisens par ribozyme,<br />

qui présente un défaut <strong>de</strong> prolifération cellulaire <strong>et</strong> certaines caractéristiques<br />

moléculaires <strong>de</strong> l’AF. Dans le but d’i<strong>de</strong>ntifier <strong>de</strong> nouvelles molécules potentiellement<br />

thérapeutiques, en collaboration avec la plateforme <strong>de</strong> criblage du genopôle Alsace-<br />

Lorraine, nous avons recherché <strong><strong>de</strong>s</strong> molécules susceptibles <strong>de</strong> restaurer le r<strong>et</strong>ard <strong>de</strong><br />

croissance cellulaire par criblage robotisé <strong><strong>de</strong>s</strong> molécules <strong>de</strong> la chimiothèque<br />

Prestwick (1 500 molécules) (Carelle-Calmels, en préparation). Le criblage s’est


GÉNÉTIQUE HUMAINE 209<br />

effectué en 3 étapes : criblage initial, confirmation <strong>et</strong> dose-réponse. Après<br />

confirmation, nous avions i<strong>de</strong>ntifié 48 molécules ayant un eff<strong>et</strong> positif sur la<br />

croissance <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules déficientes en frataxine. Malheureusement, aucune <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

molécules n’a été r<strong>et</strong>enue lors <strong>de</strong> la courbe dose-réponse. Un criblage à plus gran<strong>de</strong><br />

échelle est envisagé pour augmenter les chances <strong>de</strong> réussite.<br />

Récemment, l’anomalie génétique responsable d’une myopathie mitochondriale<br />

avec acidose lactique a été i<strong>de</strong>ntifiée : une mutation du gène ISCU menant à une<br />

anomalie d’épissage <strong>de</strong> son ARN messager. Ce gène est impliqué dans l’assemblage<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> noyaux Fe-S <strong>et</strong> est un partenaire direct <strong>de</strong> la frataxine. En accord avec le rôle<br />

<strong>de</strong> IscU, un déficit en succinate déshydrogénase <strong>et</strong> aconitase ainsi qu’une surcharge<br />

en fer est observée dans les muscles <strong><strong>de</strong>s</strong> patients. Nous avons récemment généré<br />

un modèle murin déficient en frataxine dans le muscle squel<strong>et</strong>tique. Ce modèle<br />

musculaire montre que l’absence totale <strong>de</strong> frataxine dans le muscle induit une<br />

myopathie mitochondriale avec <strong><strong>de</strong>s</strong> fibres musculaires <strong>de</strong> tailles variées, la présence<br />

<strong>de</strong> noyaux centraux, <strong><strong>de</strong>s</strong> fibres rouges déchiqu<strong>et</strong>ées (ragged red fibers), <strong><strong>de</strong>s</strong> dépôts<br />

mitochondriaux <strong>de</strong> fer <strong>et</strong> un déficit spécifique <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines à noyau Fe-S ainsi<br />

qu’une acidose lactique (Wattenhofer-Donzé, manuscrit en préparation). Il est<br />

intéressant <strong>de</strong> noter un cas clinique reporté dans la littérature d’un garçon avec un<br />

diagnostic moléculaire <strong>de</strong> l’AF présentant en plus <strong><strong>de</strong>s</strong> signes cliniques <strong>et</strong><br />

électrophysiologiques d’AF, une myopathie mitochondriale sévère avec une<br />

prolifération mitochondriale <strong>et</strong> une structure anormale <strong><strong>de</strong>s</strong> fibres musculaires. Ceci<br />

suggère qu’il serait peut-être intéressant d’élargir le phénotype associé à la perte <strong>de</strong><br />

fonction en frataxine, en la recherchant dans <strong><strong>de</strong>s</strong> myopathies mitochondriales nonexpliquées.<br />

Le D r Marie Wattenhofer-Donzé, qui étudie ce modèle, est titulaire<br />

d’un poste ATER du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> pour les années 2006-2008.<br />

Génétique moléculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> ataxies récessives (équipe M. Koenig)<br />

L’équipe avait précé<strong>de</strong>mment i<strong>de</strong>ntifié les gènes impliqués dans <strong><strong>de</strong>s</strong> formes<br />

d’ataxie avec apraxie oculomotrice (AOA1/gène aprataxine en 2001 ; AOA2/gène<br />

senataxine en 2004) ainsi que plusieurs familles avec une forme très rare d’ataxie<br />

avec apraxie oculomotrice due à une mutation fondatrice dans le gène MRE11<br />

(Fern<strong>et</strong> <strong>et</strong> al., 2005, Khan <strong>et</strong> al., 2008). Ces gènes co<strong>de</strong>nt pour trois protéines<br />

nucléaires, dont les <strong>de</strong>ux premières sont impliquées dans la réparation <strong><strong>de</strong>s</strong> cassures<br />

<strong>de</strong> l’ADN. L’analyse clinique <strong>de</strong> patients AOA2 confirmés par l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong><br />

mutations du gène <strong>de</strong> la sénataxine nous perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> mieux définir c<strong>et</strong>te nouvelle<br />

forme d’ataxie, en particulier l’âge <strong>de</strong> début toujours supérieur à 8 ans <strong>et</strong> l’association<br />

avec une élévation <strong>de</strong> l’alpha-fœtoprotéine sérique qui en font <strong>de</strong> très bons critères<br />

d’orientation diagnostique, <strong>et</strong> d’i<strong>de</strong>ntifier une élévation modérée <strong>de</strong> l’alphafœtoprotéine<br />

chez les porteurs hétérozygotes (Anheim <strong>et</strong> al., 2008, Tazir <strong>et</strong> al.,<br />

soumis, Gazulla <strong>et</strong> al., soumis). D’autres loci d’ataxie récessive ont été i<strong>de</strong>ntifiés<br />

par analyse <strong>de</strong> liaison dans <strong><strong>de</strong>s</strong> familles consanguines avec d’autres formes d’ataxie,<br />

<strong>et</strong> la recherche <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes mutés a été entreprise (Gribaa <strong>et</strong> al., 2007). Nous avons<br />

ainsi participé à l’i<strong>de</strong>ntification du gène du syndrome <strong>de</strong> Marinesco-Sjögren, qui


210 JEAN-LOUIS MANDEL<br />

associe une ataxie précoce, une cataracte <strong>et</strong> un r<strong>et</strong>ard du développement<br />

psychomoteur, en collaboration avec l’équipe du P r A.-E. Lehesjoki (Helsinki)<br />

(Anttonen <strong>et</strong> al., 2005).<br />

Nous avons plus récemment i<strong>de</strong>ntifié un nouveau gène d’ataxie récessive par<br />

l’analyse d’une gran<strong>de</strong> famille consanguine d’origine algérienne (Lagier-Tourenne<br />

<strong>et</strong> al., 2008). Les patients <strong>de</strong> quatre autres familles se sont avérés avoir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

mutations du même gène. Ce gène co<strong>de</strong> pour une kinase mitochondriale, ADCK3,<br />

impliquée dans la régulation <strong>de</strong> la synthèse du coenzyme Q10, un lipi<strong>de</strong> essentiel<br />

au transport <strong><strong>de</strong>s</strong> électrons dans la chaîne respiratoire mitochondriale. C<strong>et</strong>te ataxie<br />

est donc la cinquième forme d’ataxie récessive due à un déficit d’une protéine<br />

mitochondriale, confirmant que le dysfonctionnement <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te organelle en<br />

général <strong>et</strong> <strong>de</strong> la chaîne respiratoire en particulier, est la cause directe <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes<br />

dégénératifs <strong><strong>de</strong>s</strong> voies cérébelleuses <strong>et</strong> spinocérebelleuses dans un nombre important<br />

<strong>de</strong> cas. L’analyse rétrospective <strong><strong>de</strong>s</strong> patients avec mutations ADCK3 confirme la<br />

présence d’un déficit modéré en coenzyme Q10 dans les fibroblastes en culture <strong>et</strong><br />

d’une élévation modérée <strong><strong>de</strong>s</strong> lactates sanguins, au moins lors d’un exercice<br />

musculaire. Nous avons étudié l’expression d’ADCK4, qui est le paralogue le plus<br />

proche d’ADCK3, dans les lignées <strong>de</strong> patients mutés pour ADCK3. La divergence<br />

entre les gènes ADCK3 <strong>et</strong> – 4 a probablement commencé au moment <strong>de</strong> la<br />

duplication génomique liée à l’apparition <strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés. La divergence avec les<br />

autres membres <strong>de</strong> la famille ADCK (ADCK1, – 2 <strong>et</strong> – 5) est beaucoup plus<br />

ancienne puisque déjà présente chez les bactéries. Nous avons trouvé à la place<br />

d’une surexpression compensatrice attendue d’ADCK4, une co-répression <strong>de</strong> ce<br />

<strong>de</strong>rnier en présence <strong>de</strong> mutations ADCK3, <strong>et</strong> une corrélation entre le niveau <strong>de</strong><br />

répression d’ADCK4 <strong>et</strong> le taux résiduel en coenzyme Q10. Ces résultats suggèrent<br />

qu’ADCK4 est également impliqué dans la régulation <strong>de</strong> la synthèse du coenzyme<br />

Q10 (Lagier-Tourenne <strong>et</strong> al., 2008). L’analyse bioinformatique <strong>de</strong> la séquence<br />

ADCK3 <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines apparentées montre également qu’elles forment une<br />

famille <strong>de</strong> kinases ancestrales ayant <strong>de</strong> lointaines similitu<strong><strong>de</strong>s</strong> avec les<br />

phosphoinositi<strong>de</strong>-kinases <strong>et</strong> les choline-kinases, suggérant que le substrat d’ADCK3<br />

n’est pas nécessairement, ou probablement pas, une protéine. L’élucidation <strong>de</strong> la<br />

fonction d’ADCK3 <strong>de</strong>vrait perm<strong>et</strong>tre d’i<strong>de</strong>ntifier un mécanisme primitif <strong>de</strong><br />

régulation <strong>de</strong> la synthèse <strong>de</strong> l’ATP (chaîne respiratoire) par l’ATP lui-même<br />

(co-substrat <strong>de</strong> la kinase) <strong>et</strong> d’éclairer par un angle nouveau l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

mécanismes <strong>de</strong> régulation biologique par les kinases.<br />

Syndrome <strong>de</strong> Coffin-Lowry <strong>et</strong> kinase RSK2 (équipe A. Hanauer)<br />

L’équipe étudie les bases moléculaires du syndrome <strong>de</strong> Coffin-Lowry (r<strong>et</strong>ard<br />

mental syndromique lié au chromosome X, comportant notamment <strong><strong>de</strong>s</strong> anomalies<br />

squel<strong>et</strong>tiques progressives) <strong>et</strong> le rôle <strong>de</strong> la kinase RSK2 mutée dans ce syndrome<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> ses homologues RSK1, 3 <strong>et</strong> 4. Des souris invalidées pour le gène RSK2 ont<br />

été créées précé<strong>de</strong>mment par l’équipe. Elles présentent un r<strong>et</strong>ard <strong>de</strong> croissance<br />

osseuse (Yang <strong>et</strong> al., 2004), <strong><strong>de</strong>s</strong> anomalies <strong>de</strong> la <strong>de</strong>ntition (manuscrit en <strong>cours</strong> <strong>de</strong>


GÉNÉTIQUE HUMAINE 211<br />

préparation) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> déficits d’apprentissage <strong>et</strong> <strong>de</strong> mémoire spatiale (Poirier <strong>et</strong> al.,<br />

2006). L’équipe a récemment mis en évi<strong>de</strong>nce <strong><strong>de</strong>s</strong> anomalies <strong>de</strong> la voie<br />

dopaminergique au niveau du cortex <strong>de</strong> ces souris. Une étu<strong>de</strong> par chromatographie<br />

HPLC, en collaboration avec le groupe <strong>de</strong> Michael Gruss (Université <strong>de</strong><br />

Mag<strong>de</strong>bourg) <strong>de</strong> différents neurotransm<strong>et</strong>teurs a en eff<strong>et</strong> révélé une augmentation<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> concentrations en dopamine (+ 45 %, p = 0,001) au niveau du cortex, mais<br />

non <strong>de</strong> l’hippocampe. Tous les autres neurotransm<strong>et</strong>teurs étaient présents à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

taux normaux. Ce résultat a conduit l’équipe à explorer l’expression <strong>et</strong> la<br />

phosphorylation <strong>de</strong> différents acteurs <strong>de</strong> la voie dopaminergique. Nous avons<br />

montré que le taux <strong>de</strong> la forme phosphorylée (active) sur la sérine 31 <strong>de</strong> la tyrosine<br />

hydroxylase (TH), l’enzyme limitante <strong>de</strong> la synthèse <strong><strong>de</strong>s</strong> catécholamines, était<br />

significativement augmenté dans le cortex <strong>de</strong> la souris KO-RSK2 alors que le taux<br />

<strong>de</strong> protéine TH totale est similaire chez les souris KO <strong>et</strong> les souris WT. La sérine 31<br />

est essentiellement phosphorylée par la kinase ERK, <strong>et</strong> nous avons montré que le<br />

niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> formes phosphorylées (activées) <strong>de</strong> ERK1/2 était n<strong>et</strong>tement augmenté<br />

chez les souris mutantes (+ 50 %). Nous avons également observé <strong><strong>de</strong>s</strong> augmentations<br />

significatives <strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux d’expression du transporteur <strong>de</strong> la dopamine (DAT) <strong>et</strong><br />

du récepteur dopamine DRD2 chez les souris mutantes. C<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong> confirme<br />

enfin la fonction inhibitrice exercée par RSK2 sur la voie Ras-ERK (elle avait déjà<br />

été rapportée auparavant, mais basée sur <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> in vitro). L’ensemble <strong>de</strong> ces<br />

résultats ont été publiés (Marques Pereira <strong>et</strong> al., 2008). Les <strong>travaux</strong> en <strong>cours</strong><br />

portent sur la caractérisation <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te dérégulation du système<br />

dopaminergique pour la transmission synaptique.<br />

L’équipe a par ailleurs collaboré à une étu<strong>de</strong> portant sur les conséquences <strong>de</strong><br />

l’inactivation <strong>de</strong> RSK2 pour la croissance axonale <strong><strong>de</strong>s</strong> motoneurones. C<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong><br />

a montré que la survie <strong>de</strong> motoneurones (spinaux) <strong>de</strong> souris KO-RSK2 en culture<br />

était normale, mais que les axones avaient une longueur significativement plus<br />

importante que les axones <strong>de</strong> motoneurones WT. La surexpression d’une forme<br />

constitutivement active <strong>de</strong> RSK2 dans les motoneurones conduisait, au contraire,<br />

à une réduction <strong>de</strong> la croissance axonale. Comme dans le cadre <strong>de</strong> notre étu<strong>de</strong> sur<br />

le système dopaminergique, une augmentation <strong>de</strong> 30-40 % <strong>de</strong> l’activité <strong>de</strong> ERK1/2<br />

a aussi été constatée dans les motoneurones déficients pour RSK2 par rapport à<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> motoneurones WT. Finalement, en appliquant un inhibiteur pharmacologique<br />

<strong>de</strong> MEK à <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures <strong>de</strong> motoneurones déficients pour RSK2, l’excès <strong>de</strong> croissance<br />

axonale a pu être corrigé. L’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats suggère que dans <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions<br />

physiologiques normales RSK2 régule négativement l’allongement <strong><strong>de</strong>s</strong> axones via<br />

la voie <strong>de</strong> signalisation MAPK/ERK. Une dérégulation <strong>de</strong> la croissance <strong><strong>de</strong>s</strong> neurites<br />

pourrait ainsi contribuer au déficit fonctionnel du système nerveux <strong><strong>de</strong>s</strong> patients<br />

CLS <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> souris déficientes pour RSK2. Ces résultats ont été rapportés dans une<br />

publication qui vient d’être acceptée dans le Journal of Cell Biology (Fisher <strong>et</strong> al.,<br />

in press). Les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en <strong>cours</strong> portent sur la croissance <strong><strong>de</strong>s</strong> neurites <strong>de</strong> neurones<br />

corticaux <strong>et</strong> hippocampiques, ainsi que sur la morphogénèse <strong>de</strong> leurs épines<br />

<strong>de</strong>ndritiques.


212 JEAN-LOUIS MANDEL<br />

Finalement, une comparaison <strong><strong>de</strong>s</strong> transcriptomes d’hippocampe <strong>de</strong> souris<br />

invalidées pour RSK2 <strong>et</strong> <strong>de</strong> souris sauvages a été réalisée. Elle a révélé <strong><strong>de</strong>s</strong> différences<br />

d’expression significatives pour une cinquantaine <strong>de</strong> gènes. La validation d’une<br />

dizaine <strong>de</strong> ces gènes par RT-PCR quantitative <strong>et</strong> par Western-blot a déjà été<br />

réalisée. Parmi les gènes validés dont l’expression est n<strong>et</strong>tement augmentée dans<br />

l’hippocampe <strong>de</strong> souris déficientes pour RSK2, on trouve notamment un récepteur<br />

ionotropique, le facteur <strong>de</strong> transcription RunX <strong>et</strong> un facteur d’initiation <strong>de</strong> la<br />

traduction jouant un rôle très important dans la traduction locale au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>de</strong>ndrites. La validation <strong><strong>de</strong>s</strong> autres gènes est en <strong>cours</strong>.<br />

La recherche <strong>de</strong> nouveaux gènes <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ard mental lié au X par l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

translocation X-autosome chez <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes avec r<strong>et</strong>ard mental, qui avait été<br />

poursuivie ces <strong>de</strong>rnières années, a été arrêtée. Le <strong>de</strong>rnier cas étudié a montré que<br />

le point <strong>de</strong> cassure sur le chromosome X était localisé dans une région dépourvue<br />

<strong>de</strong> gènes, mais que le point <strong>de</strong> cassure autosomique interrompait le gène CDKL3<br />

(une protéine kinase cdc2-related), faisant <strong>de</strong> ce gène exprimé dans le cerveau un<br />

candidat pour <strong><strong>de</strong>s</strong> formes autosomiques <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ard mental (Dubos <strong>et</strong> al., 2008).<br />

Réarrangements génomiques dans les tumeurs soli<strong><strong>de</strong>s</strong> (équipe S. du Manoir)<br />

L’équipe du D r S. du Manoir développe <strong><strong>de</strong>s</strong> stratégies d’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> réarrangements<br />

chromosomiques (amplifications, délétions) <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs soli<strong><strong>de</strong>s</strong> par « CGH array »<br />

<strong>et</strong> analyse du transcriptome. Afin d’i<strong>de</strong>ntifier <strong><strong>de</strong>s</strong> marqueurs génomiques<br />

pronostiques associés à <strong><strong>de</strong>s</strong> paramètres cliniques comme la survie, trois étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ont<br />

été entreprises pour cribler les aberrations chromosomiques par CGH sur puces.<br />

Ces étu<strong><strong>de</strong>s</strong> rétrospectives construites sur <strong><strong>de</strong>s</strong> cohortes très homogènes concernent<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> carcinomes <strong>de</strong> l’ovaire (coll. N. Arnold), <strong><strong>de</strong>s</strong> cancers du poumon <strong>de</strong> type<br />

épi<strong>de</strong>rmoï<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> adénocarcinomes (coll. N. Martin<strong>et</strong>, Nancy). Notre étu<strong>de</strong><br />

épidémiologique concernant une série <strong>de</strong> 1 200 cancers du poumon opéré au<br />

CHU <strong>de</strong> Nancy <strong>de</strong>puis 1988 (constituant la tumorothèque <strong>de</strong> Nancy) confirme<br />

le besoin <strong>de</strong> marqueurs pronostics pour les patients <strong>de</strong> sta<strong>de</strong> I-II dont 45 %<br />

meurent <strong>de</strong> récurrence (publication soumise). Nous avons réalisé <strong>de</strong>ux étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

rétrospectives (Adénocarcinomes : 73 cas <strong>et</strong> Epi<strong>de</strong>rmoï<strong><strong>de</strong>s</strong> : 76 cas) <strong>de</strong> cancers du<br />

poumon <strong>de</strong> sta<strong>de</strong> I-II stratifiées en <strong>de</strong>ux groupes (survie < 25 mois <strong>et</strong> > 60 mois)<br />

par CGH-array. Nous avons développé une approche statistique originale pour<br />

i<strong>de</strong>ntifier les régions associées au pronostic. Pour les adénocarcinomes, une<br />

amplification est présente uniquement chez les courts surviveurs <strong>et</strong> plusieurs<br />

régions <strong>de</strong> gains <strong>et</strong> pertes sont trouvées préférentiellement chez ceux-ci. Pour les<br />

formes épi<strong>de</strong>rmoï<strong><strong>de</strong>s</strong>, la région la plus amplifiée est située en 3q <strong>et</strong> contient le gène<br />

SOX2 (manuscrit en préparation). Plusieurs régions sont associées au mauvais<br />

pronostic. Pour les <strong>de</strong>ux histologies, une ségrégation partielle est obtenue sur la<br />

base <strong>de</strong> ces aberrations. Ces signatures génomiques seront validées par un ensemble<br />

<strong>de</strong> procédures statistiques. Une confirmation par Q-PCR <strong><strong>de</strong>s</strong> aberrations trouvées<br />

<strong>de</strong>vrait perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> définir un s<strong>et</strong> minimal <strong>de</strong> régions qui pourrait être à la base<br />

d’un prototype <strong>de</strong> test pronostique. L’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes candidats sélectionnées


GÉNÉTIQUE HUMAINE 213<br />

par <strong><strong>de</strong>s</strong> filtres bibliographiques <strong>et</strong> bioinformatiques dans ces régions génomiques<br />

sera évaluée dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs humaines primaires <strong>et</strong> dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tests <strong>de</strong> croissance<br />

tumorale / micrométastase in vivo (souris Nu<strong><strong>de</strong>s</strong>).<br />

Nous sommes impliqués dans un programme visant à faciliter l’interprétation <strong>de</strong><br />

données <strong>de</strong> CGH sur puces dans le cadre <strong>de</strong> la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription d’aneusomies segmentales<br />

pour <strong><strong>de</strong>s</strong> patients souffrant <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ards mentaux, (programme DHOS en<br />

collaboration avec P. Jonveaux, Nancy), <strong>et</strong> dans le cadre d’une action du GIS<br />

maladies rares (en particulier, une étu<strong>de</strong> initiée par le Prof. Hélène Dollfus, Faculté<br />

<strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> Strasbourg, visant à i<strong>de</strong>ntifier <strong>de</strong> nouveaux gènes du syndrome<br />

<strong>de</strong> Bard<strong>et</strong>-Biedl). Pour faciliter l’interprétation <strong><strong>de</strong>s</strong> données <strong><strong>de</strong>s</strong> puces Agilent dans<br />

le contexte du r<strong>et</strong>ard mental, nous avons développé un programme automatisé,<br />

fournissant aux cliniciens une liste ordonnée <strong><strong>de</strong>s</strong> aberrations numériques ayant le<br />

plus <strong>de</strong> chances d’être causales du r<strong>et</strong>ard mental (sur la base <strong>de</strong> critères comme<br />

la taille <strong>et</strong> le contenu en gènes…) <strong>et</strong> <strong>de</strong>vant être confirmées <strong>de</strong> façon prioritaire.<br />

Dans le cadre <strong>de</strong> notre plateforme CGH-array, 190 cancers colorectaux ont été<br />

étudiés, 164 cancers du poumon (PNES-poumon) <strong>et</strong> 98 VADS (étu<strong>de</strong> du groupe<br />

<strong>de</strong> B. Wasylyk, IGBMC). Ce travail visait à i<strong>de</strong>ntifier une signature moléculaire<br />

pronostique <strong>de</strong> l’apparition ultérieure <strong>de</strong> métastases dans les cancers VADS par<br />

l’exploration du transcriptome <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> aberrations génomiques. C<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong> publiée<br />

par le groupe <strong>de</strong> B. Wasylyk (Rickman D.S. <strong>et</strong> al., 2008) rapporte plusieurs<br />

aberrations génomiques associées à la progression métastatique <strong>et</strong> pourraient être<br />

à la base du développement marqueurs pronostiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> cibles thérapeutiques<br />

dans les cancers VADS métastatiques.<br />

Liste <strong><strong>de</strong>s</strong> publications du groupe <strong>de</strong> génétique humaine <strong>de</strong> l’igbmc<br />

(<strong>de</strong>puis juill<strong>et</strong> 2007)<br />

Publications parues dans <strong><strong>de</strong>s</strong> revues <strong>de</strong> niveau international avec comité <strong>de</strong> lecture<br />

2007<br />

Cao C., Laporte J., Backer J.M., Wandinger-Ness A., Stein M.-P. Myotubularin lipid<br />

phosphatase binds the hVPS15/hVPS34 lipid kinase complex on endosomes. Traffic (2007)<br />

8 : 1052-1067.<br />

Echaniz-Laguna A., Nicot A.S., Carré S., Franques J., Tranchant C., Dondaine N.,<br />

Biancalana V., Man<strong>de</strong>l J.L., Laporte J. Subtle central and peripheral nervous system<br />

abnormalities in a family with centronuclear myopathy and a novel dynamin 2 gene<br />

mutation. Neuromuscular disor<strong>de</strong>rs (2007) 17 : 955-959.<br />

Gribaa M., Salih M., Anheim M., Lagier-Tourenne C., H’mida D., Drouot N.,<br />

Mohamed A., Elmalik S., Kabiraj M., Al-Rayess M., Almubarak M., Bétard C., Goebel H.<br />

and Kœnig M. A new form of childhood ons<strong>et</strong>, autosomal recessive spinocerebellar ataxia<br />

and epilepsy is localized at 16q21-q23. Brain (2007) 130 : 1921-1928.<br />

Klein F., Pastore A., Masino L., Ze<strong>de</strong>r-Lutz G., Nierengarten H., Oulad-Ab<strong>de</strong>lghani M.,<br />

Altschuh D., Man<strong>de</strong>l J.L. and Trottier Y. Pathogenic and non-pathogenic polyglutamine<br />

tracts have similar structural properties: towards a length <strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt toxicity gradient.<br />

J. Mol. Biol. (2007) 371 : 235-244.


214 JEAN-LOUIS MANDEL<br />

Marques Pereira P., Heron D. and Hanauer A. The first large duplication of the RSK2<br />

gene i<strong>de</strong>ntified in a Coffin-Lowry syndrome patient. Hum. Gen<strong>et</strong>. (2007) 122 : 541-543.<br />

Martelli A.*, Wattenhofer-Donzé M.*, Schmucker S., Bouv<strong>et</strong> S., Reutenauer L. and<br />

Puccio H. Frataxin is essential for extramitochondrial Fe-S cluster proteins in mammalian<br />

tissues. Hum. Mol. Gen<strong>et</strong>. (2007) 16 : 2651-2658.<br />

Nicot A.S.*, Toussaint A.*, Tosch V., Kr<strong>et</strong>z C., Wallgren-P<strong>et</strong>tersson C., Iwarsson E.,<br />

Kingston H., Garnier J.M., Biancalana V., Oldfors A., Man<strong>de</strong>l J.L. and Laporte J. Mutations<br />

in amphiphysin 2 (BIN1) disrupt interaction with dynamin 2 and cause autosomal recessive<br />

centronuclear myopathy. Nat. Gen<strong>et</strong>. epub 2007 Aug 5. (2007) 39 : 1134-1139. * equal<br />

contributors.<br />

2008<br />

Anheim M., Fleury M.C., Franques J., Moreira M.C., Delaunoy J.P., Stoppa-Lyonn<strong>et</strong> D.,<br />

Koenig M. and Tranchant C. Clinical and molecular findings of Ataxia with oculomotor<br />

apraxia type 2 in 4 families. Arch. Neurol. (2008) 65 (7) : 958-962.<br />

Bo<strong>et</strong>tcher C., Ulbricht E., Helmlinger D., Mack A.F., Reichenbach A., Wie<strong>de</strong>mann P.,<br />

Wagner H.J., Seeliger M.W., Bringmann A., Priller J. Long-term engraftment of systemically<br />

transplanted, gene-modified bone marrow-<strong>de</strong>rived cells in the adult mouse r<strong>et</strong>ina. British<br />

Journal of Ophthalmology (2008) 92 : 272-275.<br />

Boulon S., Marmier-Gourrier N., Prad<strong>et</strong>-Bala<strong>de</strong> B., Wurth L., Verheggen C., Jàdy B.E.,<br />

Rothé B., Pescia C., Robert M.C., Kiss T., Bardoni B., Krol A., Branlant C., Allmang C.,<br />

Bertrand E. and Charpentier B. The Hsp90 chaperone controls the biogenesis of L7Ae<br />

RNPs through conserved machinery. J. Cell Biol. (2008) 180 : 579-595.<br />

Buj-Bello A., Fougerousse F., Schwab Y., Messad<strong>de</strong>q N., Spehner D., Pierson C.R.,<br />

Durand M., Kr<strong>et</strong>z C., Danos O., Douar A.M., Beggs A.H., Schultz P., Montus M.,<br />

Denèfle P. and Man<strong>de</strong>l J.L. AAV-mediated intramuscular <strong>de</strong>livery of myotubularin corrects<br />

the myotubular myopathy phenotype in targ<strong>et</strong>ed murine muscle and suggests a function in<br />

plasma membrane homeostasis. Hum. Mol. Gen<strong>et</strong>. (2008) 17 : 2132-2143.<br />

Cao C., Backer J.M., Laporte J., Bedrick E.J. and Wandinger-Ness A. Sequential Actions<br />

of Myotubularin Lipid Phosphatases Regulate Endosomal PI(3)P and Growth Factor<br />

Receptor Trafficking. Mol. Biol. Cell. (2008) 19 : 3334-3346.<br />

Didiot M.C., Tian Z., Schaeffer C., Subramanian M., Man<strong>de</strong>l J.L., Moine H. The<br />

G-quart<strong>et</strong> containing FMRP Binding Site in FMR1 mRNA is a potent exonic splicing<br />

enhancer. Nucleic Acids Res. (2008) 36 : 4902-4912.<br />

Dubos A., Pann<strong>et</strong>ier S. and Hanauer A. Inactivation of the CDKL3 gene at 5q31.1 by a<br />

balanced t(X;5) translocation associated with nonspecific mild mental r<strong>et</strong>ardation. Am. J.<br />

Med. Gen<strong>et</strong>. (2008) Part A 146A : 1267-1279.<br />

Fukami M., Wada Y., Okada M., Kato F., Katsumata N., Baba T., Morohashi K.,<br />

Laporte J., Kitagawa M. and Ogata T. Mastermind-like domain-containing 1 (MAMLD1<br />

or CXorf6) transactivates the Hes3 promoter, augments testosterone production, and contains<br />

the SF1 targ<strong>et</strong> sequence. J. Biol. Chem. (2008) 283(9) : 5525-32.<br />

Khan A.O., Oystreck D.T., Kœnig M. and Salih M.A. Ophthalmic features of ataxia<br />

telangiectasia-like disor<strong>de</strong>r. J. Am. Ass. Pediatr. Opht. Strabisms (2008) 12 : 186-189.<br />

Lagier-Tourenne C., Tazir M., López L.C., Quinzii C.M., Assoum M., Drouot N.,<br />

Busso C., Makri S., Ali-Pacha L., Benhassine T., Anheim M., Lynch D., Thibault C.,<br />

Plewniak F., Bianch<strong>et</strong>ti L., Tranchant C., Poch O., DiMauro S., Man<strong>de</strong>l J.L., Barros M.H.,<br />

Hirano M. and Kœnig M. ADCK3, an ancestral kinase, is mutated in a form of recessive<br />

ataxia associated with coenzyme Q10 <strong>de</strong>ficiency. Am. J. Hum. Gen<strong>et</strong>. (2008) 82 :<br />

661-672.


GÉNÉTIQUE HUMAINE 215<br />

Laugel V., Cossée M., Matis J., <strong>de</strong> Saint-Martin A., Echaniz-Laguna A., Man<strong>de</strong>l J.L.,<br />

Astruc D., Fischbach M., Messer J. Diagnostic approach to neonatal hypotonia : r<strong>et</strong>rospective<br />

study on 144 neonates. Eur. J. Pediatr. (2008) 167 : 517-523.<br />

Marques Pereira P., Gruss M., Braun K., Foos N., Pann<strong>et</strong>ier S., Hanauer A. Dopaminergic<br />

system dysregulation in the mrsk2_KO mouse, an animal mo<strong>de</strong>l of the Coffin-Lowry<br />

syndrome. J. Neurochem. (2008) Sept. 24. [Epub ahead of print]<br />

Nicot A.S. and Laporte J. Endosomal phosphoinositi<strong><strong>de</strong>s</strong> and human diseases (Review).<br />

Traffic (2008) 9 : 1240-1249.<br />

Piazzon N., Rage F., Schlotter F., Moine H., Branlant C., Massen<strong>et</strong> S. In vitro and in<br />

cellulo evi<strong>de</strong>nces for association of the survival of motor neuron complex with the fragile<br />

X mental r<strong>et</strong>ardation protein. J. Biol. Chem. (2008) 283 : 5598-610.<br />

Schmucker S., Argentini M., Carelle-Calmels N., Martelli A., Puccio H. The in vivo<br />

mitochondrial two-step maturation of human frataxin. Human Molecular Gen<strong>et</strong>ics (2008)<br />

17 : 3521-3531.<br />

Stehling O., N<strong>et</strong>z D.J., Niggemeyer B., Rösser R., Eisenstein R.S., Puccio H., Pierik A.J.,<br />

Lill R. The human Nbp35 is essential for both cytosolic iron-sulfur protein assembly and<br />

iron homeostasis. Molecular and Cellular Biology (2008) 28 : 5517-5528.<br />

Zeniou-Meyer M., Liu Y., Béglé A., Olanish M., Hanauer A., Becherer U., R<strong>et</strong>tig J.,<br />

Ba<strong>de</strong>r M.F. and Vitale N. The Coffin-Lowry syndrome-associated protein RSK2 is implicated<br />

in calcium-regulated exocytosis through the regulation of PLD1. Proc. Natl. Acad. Sci.<br />

(2008) 105 : 8434-8439.<br />

Anheim M., Lagier-Tourenne C., Stevanin G., Fleury M., Durr A., Namer I.J., Denora P.,<br />

Brice A., Man<strong>de</strong>l J.L., Kœnig M. and C. Tranchant. SPG11 spastic paraplegia : a new cause<br />

of juvenile parkinsonism. Original communication - Journal of Neurology (in press).<br />

Articles <strong>de</strong> synthèse <strong>et</strong> chapitres <strong>de</strong> livres<br />

Puccio H. Conditional mouse mo<strong>de</strong>ls for Friedreich Ataxia, a neuro<strong>de</strong>generative disor<strong>de</strong>r<br />

associating cardiomyopathy. Handb. Exp. Pharmacol. (Springer Verlag). 2007 ; (178) :<br />

365-75. Review.<br />

*Babady N.E., *Carelle N., Wells R.D., Rouault T.A., Hirano M., Lynch D.R., Delatycki<br />

M.B., Wilson R.B., Isaya G. and Puccio H. Advancements in the pathophysiology of<br />

Friedreich’s Ataxia and new prospects for treatments. Molecular Gen<strong>et</strong>ics and M<strong>et</strong>abolism<br />

(2007) 92 : 23-35.<br />

Toussaint A., Nicot A.S., Man<strong>de</strong>l J.L. and Laporte J. Mutations <strong>de</strong> l’amphiphysine 2<br />

(BIN1) dans les myopathies centronucléaires récessives. M/S (2007) 12 : 1080-1082.<br />

Anheim M., Chaigne D., Fleury M. Santorelli F.M., De Sèze J., Durr A., Brice A.,<br />

Kœnig M., Tranchant C. : Ataxie spastique autosomique récessive <strong>de</strong> Charlevoix-Saguenay :<br />

étu<strong>de</strong> d’une famille <strong>et</strong> revue <strong>de</strong> la littérature. Revue Neurologique (2008) 164 : 363-368.<br />

Puccio H (2008). Multicellular mo<strong>de</strong>ls of Friedreich’s Ataxia. Journal of Neurology in<br />

press.<br />

Roh<strong>de</strong> H.M., Tronchère H., Payrastre B. and Laporte J. D<strong>et</strong>ection of myotubularin<br />

phosphatases activity on phosphoinositi<strong><strong>de</strong>s</strong> in vitro and ex vivo. M<strong>et</strong>hods in Mol. Biol. (2008)<br />

in press.


216 JEAN-LOUIS MANDEL<br />

Conférences grand public<br />

Conférences données par J.-L. Man<strong>de</strong>l<br />

(<strong>de</strong>puis juill<strong>et</strong> 2007)<br />

— 50 e anniversaire <strong>de</strong> l’association genevoise (INSIEME) <strong>de</strong> parents <strong>de</strong> personnes avec<br />

handicap mental. Genève, le 24 mai 2008. « 50 ans <strong>de</strong> recherche génétique dans le domaine<br />

<strong>de</strong> la déficience mentale ».<br />

— Université <strong>de</strong> Tous les Savoirs. Paris le 23 juin 2008. « Génome <strong>et</strong> mé<strong>de</strong>cine<br />

prédictive ».<br />

Conférences scientifiques, participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> congrès<br />

— Conférence « Des molécules à la cognition : Un hommage à Jean-Pierre Changeux<br />

(Institut Pasteur, Paris) du 17 au 19 septembre 2007. « Gen<strong>et</strong>ics of mental r<strong>et</strong>ardation ».<br />

— Assises <strong>de</strong> génétique humaine <strong>et</strong> médicale (Lille) du 17 au 19 janvier 2008. Modérateur<br />

<strong>de</strong> session.<br />

— Strasbourg-Weizmann symposium on « Transmembrane signaling » (IGBMC,<br />

Strasbourg-Illkirch) 11 <strong>et</strong> 12 février 2008 (co-organisateur).<br />

— « Myopathies centronucléaires : un lien inattendu entre phosphoinositi<strong><strong>de</strong>s</strong>, dynamine 2<br />

<strong>et</strong> amphiphysine » à l’Université Bor<strong>de</strong>aux 2, le 19 février 2008.<br />

— Conférence « Maladies monogéniques, du gène aux mala<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> aux familles » Université<br />

Victor Segalen Bor<strong>de</strong>aux 2, le 19 février 2008.<br />

— Colloque « Actualités dans le domaine <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies monogéniques : mécanismes<br />

physiopathologiques, approches thérapeutiques » au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (Paris) 15 <strong>et</strong> 16 avril<br />

2008. « De la drosophile à la souris : l’exemple du syndrome X fragile » (organisateur du<br />

colloque).<br />

— VIII National medical gen<strong>et</strong>ics congress (Çanakkale - Turkey) du 6 au 9 mai 2008.<br />

« Fragile X syndrome : from diagnostic applications to pathomechanisms ».<br />

— Colloque inaugural IFR148 « Sciences <strong>et</strong> ingénierie en biologie Santé », Brest le 4 juin<br />

2008. « Maladies génétiques : aspects physiopathologiques <strong>et</strong> pistes thérapeutiques ».<br />

— Colloque AFSTAL (Association Française <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>et</strong> Techniques <strong>de</strong> l’Animal <strong>de</strong><br />

Laboratoire) « Bonnes pratiques animales : partager l’éthique au quotidien » Strasbourg,<br />

4 au 6 juin 2008. « Les modèles génétiques animaux en recherche médicale ».


Génétique <strong>et</strong> physiologie cellulaire<br />

M me Christine P<strong>et</strong>it, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeure<br />

TRAITEMENT DES SIGNAUX ACOUSTIQUES :<br />

DE LA CELLULE SENSORIELLE AUDITIVE<br />

AU COMPLEXE OLIVAIRE SUPÉRIEUR<br />

Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année 2008 a présenté les avancées réalisées sur la transduction<br />

mécano-électrique auditive <strong>de</strong>puis 2002, date du précé<strong>de</strong>nt <strong>cours</strong>, suivies d’une<br />

introduction au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année 2009, qui portera sur la localisation <strong>de</strong> la source<br />

sonore.<br />

Les quatre <strong>cours</strong> ont traité <strong><strong>de</strong>s</strong> questions suivantes :<br />

1er <strong>cours</strong> : faut-il repenser l’amplificateur cochléaire ?<br />

2e <strong>cours</strong> : la transduction mécano-électrique : données physiologiques <strong>et</strong><br />

moléculaires récentes ;<br />

3e <strong>cours</strong> : l’environnement moléculaire <strong>de</strong> la transduction mécano-électrique, les<br />

fonctions <strong>de</strong> transfert (a) dépolarisation membranaire-exocytose synaptique <strong>et</strong> (b)<br />

exocytose synaptique-stimulation <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones auditifs ;<br />

4e <strong>cours</strong> : éléments du traitement du signal sonore par les neurones auditifs du<br />

ganglion cochléaire <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones <strong><strong>de</strong>s</strong> noyaux auditifs du tronc cérébral.<br />

1 er <strong>cours</strong> : Faut-il repenser l’amplificateur cochléaire ?<br />

Le <strong>cours</strong> a débuté par un rappel <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques physiques du son, son pur<br />

<strong>et</strong> son complexe : hauteur du son (fréquence : notion introduite par Galilée,<br />

définition <strong>de</strong> la fréquence caractéristique d’une cor<strong>de</strong> vibrante ou fréquence<br />

fondamentale, <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses harmoniques ou multiples entiers <strong>de</strong> la fréquence<br />

fondamentale), <strong>et</strong> intensité sonore (amplitu<strong>de</strong>) avec pour unité <strong>de</strong> mesure, le<br />

décibel (dB) (en réference à Graham Bell). A ces gran<strong>de</strong>urs physiques qui<br />

caractérisent la source sonore, s’ajoutent celles <strong>de</strong> la perception définies par la


218 CHRISTINE PETIT<br />

psychophysique <strong>et</strong> la psychoacoustique : tonie (sensation <strong>de</strong> la hauteur sonore, qui<br />

n’est pas la simple traduction <strong>de</strong> la fréquence sonore ; s’y rapporte le pitch anglosaxon,<br />

que certaines définitions restreignent cependant à la sensation <strong>de</strong> hauteur<br />

pour <strong><strong>de</strong>s</strong> sons mélodiques, musique, prosodie <strong>et</strong> langues tonales), sonie (perception<br />

<strong>de</strong> l’intensité sonore ; loudness en anglais) <strong>et</strong> timbre (perception sonore qui s’appuie<br />

sur le spectre fréquentiel, l’amplitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> chaque composante fréquentielle, <strong>et</strong> les<br />

caractérisiques temporelles <strong><strong>de</strong>s</strong> sons, temps d’installation <strong>de</strong> l’amplitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

l’enveloppe sonore, par exemple (McAdams <strong>et</strong> al, 1995).<br />

L’histoire du décibel est intimement liée à celle du téléphone. L’introduction du<br />

décibel répondait à la nécessité <strong>de</strong> disposer d’une mesure <strong>de</strong> la baisse <strong>de</strong> la puissance<br />

du son véhiculé par les câbles du téléphone. Son expression logarithmique repose sur<br />

la perception sensorielle, <strong>et</strong> « sa loi », connue sous le nom <strong>de</strong> loi <strong>de</strong> Fechner ou<br />

Weber-Fechner, selon laquelle la sensation d’intensité du son varie proportionellement<br />

avec le logarithme <strong>de</strong> l’intensité sonore physique, exprimée en watts/m 2 (R = C<br />

log(S), relation dans laquelle R représente la sensation d’intensité sonore, S l’intensité<br />

du son <strong>et</strong> C une constante). Le décibel correspond approximativement au plus p<strong>et</strong>it<br />

changement d’intensité sonore qu’un individu peut percevoir. Le décibel (dB) est<br />

un nombre sans dimension. L’intensité d’un son « IL » (IL = intensity level) s’exprime<br />

en dB par la relation IL = 10 log 10(I/I r) dB, soit le logarithme décimal du rapport <strong>de</strong><br />

l’intensité du son, I (en watts/m 2 ), à celle d’un son <strong>de</strong> référence, I r (le facteur 10<br />

traduisant l’expression en dB <strong>et</strong> non en Bel). En raison <strong>de</strong> la relation I = p 2 /Z c (où Zc<br />

est l’impédance caractéristique), la pression p, d’un son « SPL » (SPL = sound<br />

pressure level) en dB est donnée par, SPL = 10 log 10(p/p r) 2 = 20 log 10(p/p r), soit le<br />

logarithme décimal du rapport <strong>de</strong> la pression du son inci<strong>de</strong>nt, p (en newtons/m 2 ou<br />

pascal : 1 N/m 2 = 1 pascal (Pa)), à celle du son <strong>de</strong> référence, p r. Le son <strong>de</strong> référence a<br />

une intensité, I r, <strong>de</strong> 10 -12 W/m 2 , <strong>et</strong> une pression, p r, <strong>de</strong> 2 ⋅ 10 -5 N/m 2 (20 μPa ou<br />

2 ⋅ 10 -5 Pa). Il correspond à la plus p<strong>et</strong>ite intensité (<strong>et</strong> pression) décelée par l’oreille<br />

humaine, soit 0 dB (l’intensité du mouvement brownien est <strong>de</strong> – 20 dB). Pour un<br />

son donné, les valeurs en dB IL <strong>et</strong> en dB SPL sont i<strong>de</strong>ntiques. L’élévation d’un seuil<br />

<strong>de</strong> perception auditive <strong>de</strong> 60 dB correspond au fait que la pression seuil perçue est<br />

10 3 fois supérieure à la pression <strong>de</strong> référence <strong>et</strong> l’intensité seuil perçue est 10 6 fois<br />

l’intensité <strong>de</strong> référence; une variation <strong>de</strong> 20 dB correspond à une variation d’un<br />

ordre <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la pression acoustique <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ordres <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong><br />

l’intensité acoustique. En clinique, on utilise le décibel « hearing level » HL, rapport<br />

du seuil <strong>de</strong> pression auditive observé chez le patient à celui d’un individu dont<br />

l’audition est normale.<br />

Il a été rappelé que le milieu affecte la vitesse <strong>de</strong> propagation <strong>et</strong> l’intensité du son<br />

qui le traverse, mais ne modifie pas sa fréquence. La <strong>de</strong>nsité du milieu (ρ) <strong>et</strong> son<br />

module d’élasticité (κ) (changement <strong>de</strong> la pression d’un milieu sous l’eff<strong>et</strong> d’une<br />

force qui lui est appliquée, ou rigidité) modifient la vitesse <strong>de</strong> propagation (c) du<br />

son, en raison <strong>de</strong> la relation c = (κ/ρ) 1/2 . Plus le module d’élasticité est élevé, plus le<br />

son se propage vite ; plus la <strong>de</strong>nsité du milieu est élevée, moins le son se propage<br />

rapi<strong>de</strong>ment. Cependant, le son se propage plus vite dans l’eau que dans l’air car le


GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 219<br />

module d’élasticité <strong>de</strong> l’eau est beaucoup plus élevé que celui <strong>de</strong> l’air. Enfin,<br />

l’impédance caractéristique du milieu, Z c (mesurée en rayls), module à la fois<br />

l’intensité <strong>et</strong> la vitesse <strong>de</strong> propagation du son. L’impédance est l’inertie opposée par<br />

un système au passage d’un signal périodique (la gran<strong>de</strong>ur inverse est l’admittance).<br />

La relation entre l’impédance caractéristique <strong>et</strong> l’intensité sonore sus-mentionnée<br />

(I = p 2 /Z c) montre que plus l’impédance caractéristique du milieu traversé est forte,<br />

plus l’intensité sonore diminue ; la relation entre impédance caractéristique <strong>et</strong> vitesse<br />

<strong>de</strong> propagation du son, Z c = r oc, montre que plus l’impédance caractéristique d’un<br />

milieu est élevée, plus la vitesse <strong>de</strong> propagation du son est gran<strong>de</strong>. Par ailleurs, dans<br />

un milieu donné, l’intensité sonore varie en relation inverse avec le carré <strong>de</strong> la<br />

distance à la source sonore.<br />

L’anatomie <strong>et</strong> l’histologie cochléaires ont été brièvement rappelées. Les trois<br />

fonctions <strong>de</strong> la cochlée, organe sensoriel auditif <strong><strong>de</strong>s</strong> mammifères, ont ensuite été<br />

évoquées : analyse spectrale, amplification <strong>de</strong> la stimulation sonore, <strong>et</strong> transduction<br />

mécano-électrique. Celles-ci ren<strong>de</strong>nt compte <strong>de</strong> ses performances exceptionnelles :<br />

une discrimination fréquentielle qui atteint 0,2 % à 1 000 Hz chez l’homme dans<br />

les expériences psychoacoustiques, une détection <strong>de</strong> sons dont l’énergie est proche<br />

<strong>de</strong> celle du bruit thermique, <strong>et</strong> une précision temporelle <strong>de</strong> réponse <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong><br />

la dizaine <strong>de</strong> microsecon<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />

Le <strong>cours</strong> s’est ensuite concentré sur la question <strong>de</strong> l’amplificateur cochléaire.<br />

L’amplificateur cochléaire<br />

Les vagues <strong>de</strong> pression qui atteignent le tympan sont transmises à la périlymphe<br />

<strong>de</strong> la rampe vestibulaire (scala vestibuli) <strong>de</strong> la cochlée par les ossel<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l’oreille<br />

moyenne dont le <strong>de</strong>rnier, l’étrier, vient frapper la membrane <strong>de</strong> la fenêtre ovale<br />

qui obture c<strong>et</strong>te rampe. Une différence <strong>de</strong> pression est créée entre les différentes<br />

rampes <strong>de</strong> la cochlée, qui est transmise au canal membraneux cochléaire abritant<br />

le neuroépithélium auditif (organe <strong>de</strong> Corti). Il s’ensuit un déplacement, selon<br />

l’axe transverse, <strong>de</strong> la membrane basilaire sur laquelle repose l’organe <strong>de</strong> Corti. En<br />

examinant, par illumination stromboscopique au microscope, le mouvement <strong>de</strong> la<br />

membrane basilaire <strong>de</strong> cochlées humaines prélevées post mortem, von Bekesy avait<br />

observé que les pics <strong>de</strong> déplacement <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te membrane étaient distribués le long<br />

<strong>de</strong> l’axe longitudinal <strong>de</strong> la cochlée en fonction <strong>de</strong> la fréquence du son inci<strong>de</strong>nt.<br />

Pour chaque fréquence, il existait un emplacement spécifique le long <strong>de</strong> l’axe<br />

longitudinal <strong>de</strong> la cochlée où le déplacement <strong>de</strong> la membrane basilaire était<br />

maximal. Von Bekesy avait ainsi découvert l’existence d’une carte fréquentielle <strong>de</strong><br />

long <strong>de</strong> l’axe longitudinal <strong>de</strong> la cochlée (Von Bekesy, 1956). C<strong>et</strong>te relation entre<br />

la fréquence du son <strong>et</strong> l’emplacement où la vibration <strong>de</strong> la membrane basilaire est<br />

maximale, est appelée transformation tonopique. Von Bekesy reçut en 1961 le prix<br />

Nobel pour c<strong>et</strong>te découverte.


220 CHRISTINE PETIT<br />

Bien vite, ces données suscitèrent <strong><strong>de</strong>s</strong> interrogations. Les pics <strong>de</strong> déplacement <strong>de</strong> la<br />

membrane basilaire étaient très larges en regard <strong>de</strong> la discrimination fréquentielle<br />

mise en evi<strong>de</strong>nce par les expériences psychoacoustiques. Ces <strong>de</strong>rnières avaient, dès<br />

1954, trouvé une traduction physiologique par les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Ichiji Tasaki<br />

(Tasaki, 1954), qui montraient que chaque neurone auditif répond préférentiellement<br />

à une fréquence particulière. Ces courbes <strong>de</strong> réponse neuronale, dite courbes d’accord<br />

(seuil <strong>de</strong> la décharge neuronale en dB en fonction <strong>de</strong> la fréquence sonore), très<br />

pointues, plaidaient en faveur <strong>de</strong> l’existence d’un mécanisme additionnel <strong>de</strong> sélectivité<br />

fréquentielle. L’introduction <strong>de</strong> l’interférométrie-laser, qui autorisait <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures<br />

beaucoup plus précises du mouvement <strong>de</strong> la membrane basilaire que les analyses<br />

stroboscopiques, couplée à l’enregistrement <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses électriques neuronales, allait<br />

<strong>de</strong> fait montrer qu’in vivo, les vibrations maximales <strong>de</strong> la membrane basilaire étaient<br />

d’une part beaucoup plus amples, <strong>et</strong> d’autre part limitées à un emplacement plus<br />

restreint <strong>de</strong> la membrane basilaire pour une fréquence du son donnée. A la sélectivité<br />

« passive », grosssière, <strong>de</strong> la membrane basilaire (en rapport avec ses propriétés<br />

physiques), s’ajoutait donc une sélectivité « active » qui amplifiait le mouvement<br />

passif. Or l’existence d’un amplificateur cochléaire actif avait été prédite par Thomas<br />

Gold (Gold, 1948). En 1948, Gold avait souligné que la cochlée, remplie <strong>de</strong> liqui<strong>de</strong>,<br />

ne pouvait pas être le site d’une résonance mécanique passive d’amplitu<strong>de</strong> suffisante<br />

pour perm<strong>et</strong>tre la détection <strong>de</strong> sons dont l’énergie est proche <strong>de</strong> celle du bruit<br />

thermique, <strong>et</strong>, qui plus est, avec une bonne sélectivité fréquentielle. Il conclut à la<br />

nécessité d’une source d’énergie interne pour compenser la perte d’énergie par<br />

dissipation visqueuse.<br />

L’amplification du déplacement <strong>de</strong> la membrane basilaire varie <strong>de</strong> manière non<br />

linéaire avec l’intensité du stimulus. Le facteur d’amplification a trois régimes : il<br />

est maximal pour les intensités du son les plus faibles, décroit <strong>de</strong> manière non<br />

linéaire pour <strong><strong>de</strong>s</strong> intensités croissantes, <strong>et</strong> est quasiment nul au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> 60 dB. Au<br />

total, pour les 6 ordres <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la pression sonore auxquels la cochlée<br />

humaine est sensible, <strong>de</strong> 0 à 120 dB SPL, l’amplitu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> vibrations <strong>de</strong> la membrane<br />

basilaire varie d’un facteur 100 (le déplacement au seuil auditif est <strong>de</strong> 0,1 nm ; son<br />

maximum est <strong>de</strong> 10 nm à 120 dB). L’amplification, non linéaire, est donc aussi<br />

compressive, puisque le gain <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ordres <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur du déplacement <strong>de</strong> la<br />

membrane basilaire correspond à six ordres <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur pour la pression du son<br />

correspondant. C<strong>et</strong>te amplification est restreinte à la région <strong>de</strong> la cochlée où les<br />

cellules sensorielles ont une fréquence caractéristique proche <strong>de</strong> celle du son<br />

inci<strong>de</strong>nt. En eff<strong>et</strong>, chaque cellule sensorielle, dite cellule ciliée, répond<br />

préférentiellement à une fréquence particulière. L’amplification augmente donc<br />

aussi la sélectivité en fréquence <strong>de</strong> la réponse cochléaire. L’amplificateur, pour être<br />

efficace, doit imprimer une force sur la membrane basilaire en synchronie avec son<br />

déplacement cyclique provoqué par l’on<strong>de</strong> sonore. C<strong>et</strong> amplificateur a aussi pour<br />

action, pense-t-on, <strong>de</strong> perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> détecter <strong><strong>de</strong>s</strong> sons <strong>de</strong> haute fréquence, dont<br />

l’énergie dissipée par l’amortissement visqueux dans la cochlée est plus importante<br />

que pour les sons <strong>de</strong> basse fréquence.


GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 221<br />

En 1978, P<strong>et</strong>er Dallos (Dallos <strong>et</strong> Harris, 1978) montrait que les cellules ciliées<br />

externes (CCE) sont indispensables à la fonction d’amplification. La découverte <strong>de</strong><br />

l’électromotilité <strong>de</strong> ces cellules il y a bientôt 25 ans (Brownell <strong>et</strong> al, 1985) (le<br />

phénomène avait cependant été évoqué dès 1967 par Goldstein <strong>et</strong> Mizukoshi<br />

(Goldstein <strong>et</strong> Mizukoshi, 1967), cf. <strong>cours</strong> 2002), paraissait avoir résolu l’origine<br />

<strong>de</strong> l’amplification. William Brownell découvrait que si on applique une<br />

dépolarisation à une CCE, elle se contracte ; la longueur <strong>de</strong> sa paroi latérale<br />

diminue, c<strong>et</strong>te réduction pouvant atteindre 4 % <strong>de</strong> la longueur totale. Puis, il<br />

observait qu’un courant alternatif, qui mime en quelque sorte le cycle <strong>de</strong><br />

dépolarisation-repolarisation <strong>de</strong> la CCE induit par le son, augmente la longueur<br />

<strong>de</strong> la CCE durant sa phase hyperpolarisante <strong>et</strong> la raccourcit durant sa phase<br />

dépolarisante. Il y a donc variation <strong>de</strong> longueur en fonction du voltage, <strong>et</strong><br />

réciproquement, si on étire la cellule, elle s’hyperpolarise. Ces propriétés répon<strong>de</strong>nt<br />

à la définition d’un composant piézoélectrique. En réalité, ce n’est pas tant le<br />

changement <strong>de</strong> longueur que la force développée en parallèle avec ce changement<br />

<strong>de</strong> longueur qui est le paramètre physiologique à prendre en compte.<br />

Les caractéristiques <strong>de</strong> l’électromotilité <strong><strong>de</strong>s</strong> CCE répon<strong>de</strong>nt-elles à celles <strong>de</strong><br />

l’amplificateur cochléaire ? La force produite par l’électromotilité est d’environ<br />

100 pN/mV. La dépolarisation <strong>de</strong> la CCE peut atteindre 20 mV; la force produite<br />

peut donc atteindre environ 2 nN ; elle est du même ordre <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur que celle que<br />

les CCE appliquent sur la membrane basilaire. En revanche, c<strong>et</strong>te force varie quasi<br />

linéairement avec le potentiel électrique <strong>de</strong> membrane pour <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs physiologiques<br />

<strong>de</strong> ce potentiel. La rigidité du corps cellulaire varie aussi avec le voltage, <strong>de</strong> 1 à<br />

25 nN/mm, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te variation est, elle aussi, presque linéaire. Ceci ne constitue pas<br />

un argument contre le fait que l’électromotilité soit à l’origine <strong>de</strong> l’amplification. En<br />

eff<strong>et</strong>, la stimulation <strong>de</strong> la touffe ciliaire par le son engendre une variation non-linéaire<br />

du potentiel <strong>de</strong> membrane qui conférera une variation non-linéaire aux paramètres<br />

<strong>de</strong> l’électromotilité qui dépen<strong>de</strong>nt du voltage. L’idée qui prévaut est que<br />

l’amplificateur doit injecter <strong>de</strong> l’énergie, cycle par cycle, jusqu’à <strong>de</strong> très hautes<br />

fréquences, plus <strong>de</strong> 100 kHz chez la chauve-souris. Il n’est cependant pas démontré<br />

qu’une amplification à chaque cycle existe effectivement pour <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences très<br />

élevées du son. L’électromotilité peut-elle aussi opérer à <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences très élevées ?<br />

Quand <strong><strong>de</strong>s</strong> CCE sont soumises à un courant alternatif atteignant 70 kHz, leurs<br />

parois se contractent <strong>et</strong> se décontractent bien cycle par cycle. On notera toutefois<br />

qu’à ce jour, aucune vibration <strong>de</strong> la membrane basilaire excédant 13 kHz n’a été<br />

raportée. Enfin, un composant piézoélectrique a bien été i<strong>de</strong>ntifié dans les parois <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

CCE. Il s’agit d’une protéine intégrale <strong>de</strong> membrane, qui a été nommée prestine, en<br />

référence à son aptitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> réponse à <strong><strong>de</strong>s</strong> sons <strong>de</strong> haute fréquence.<br />

Pourtant, une interrogation <strong>de</strong>meure, qui a conduit certains à rem<strong>et</strong>tre en<br />

question l’électromotilité comme mécanisme <strong>de</strong> l’amplification. La dépolarisation<br />

<strong>de</strong> la touffe cilaire (structure <strong>de</strong> réception <strong>de</strong> la stimulation sonore <strong>et</strong> site <strong>de</strong> la<br />

transduction) doit se propager aux parois latérales <strong>de</strong> la CCE. Or la constante<br />

électrique <strong>de</strong> temps <strong>de</strong> la membrane (produit <strong>de</strong> sa résistance électrique <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa


222 CHRISTINE PETIT<br />

capacité) fait que c<strong>et</strong>te membrane se comporte comme un filtre « passe-bas »,<br />

c’est-à-dire qu’elle ne laisse passer sans déformation que <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences électriques<br />

inférieures à 1 kHz. Il y a là un véritable paradoxe, puisque l’électromotilité<br />

apparaît durant l’évolution chez les mammifères, quand l’organe auditif <strong>de</strong>vient<br />

sensible aux sons <strong>de</strong> haute fréquence. Or, elle ne pourrait agir qu’à basse fréquence,<br />

à cause <strong>de</strong> la contrainte imposée par la constante électrique <strong>de</strong> temps <strong>de</strong> la<br />

membrane. Soit il y a un maillon manquant dans la caractérisation <strong>de</strong> l’amplification<br />

ou la compréhension du mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> stimulation électrique <strong>de</strong> la membrane plasmique<br />

conduisant à l’électromotilité, soit l’amplificateur ne se situe pas dans la paroi <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

CCE. De surcroît, il faut souligner que les vertébrés inférieurs, qui n’ont pas <strong>de</strong><br />

CCE, ont cependant un seuil auditif très bas <strong>et</strong> une bonne sélectivité <strong>de</strong> leur<br />

réponse fréquentielle. C’est ainsi qu’au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>rnières années, une hypothèse<br />

alternative a été proposée, qui place l’amplificateur dans la touffe ciliaire. En<br />

parallèle, d’autres fonctions ont été proposées pour l’électromotilité. Ainsi, elle<br />

pourrait positionner la touffe ciliaire <strong><strong>de</strong>s</strong> CCE dans sa zone <strong>de</strong> sensibilité maximale<br />

à la stimulation sonore.<br />

L’hypothèse alternative repose sur l’existence <strong>de</strong> mouvements spontanés <strong>de</strong> la<br />

touffe cilaire <strong>et</strong> <strong>de</strong> mouvements déclenchés par l’adaptation. Des oscillations<br />

spontanées <strong>de</strong> la touffe ciliaire ont été observées chez <strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés inférieurs, d’abord<br />

la tortue (Crawford <strong>et</strong> F<strong>et</strong>tiplace, 1985), puis la grenouille (Martin <strong>et</strong> Hudsp<strong>et</strong>h,<br />

1999). Elles démontrent l’existence <strong>de</strong> mouvements actifs <strong>de</strong> la touffe cilaire (Martin<br />

<strong>et</strong> Hudsp<strong>et</strong>h, 1999). Les touffes ciliaires du saccule <strong>de</strong> grenouille (qui sont sensibles<br />

à <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences allant <strong>de</strong> 5 à 130 Hz) ont <strong><strong>de</strong>s</strong> oscillations spontanées bruitées, dont<br />

la fréquence va <strong>de</strong> 5 à 50 Hz, <strong>et</strong> l’amplitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> 25 à 100 nm. Leur stimulation par<br />

une fibre flexible à une fréquence donnée, conduit à une amplitu<strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

leur mouvement lorsque la fréquence du stimulateur est proche <strong>de</strong> la fréquence<br />

caractéristique <strong>de</strong> leur oscillation spontanée. Il y a donc bien amplification <strong>de</strong> la<br />

stimulation par la touffe ciliaire. De plus, c<strong>et</strong>te amplification a les caractéristiques <strong>de</strong><br />

celle observée chez les mammifères. Elle possè<strong>de</strong> une spécificité fréquentielle, <strong>et</strong><br />

opère <strong>de</strong> façon non linéaire. Cependant, le facteur d’amplification que produit la<br />

résonance <strong>de</strong> la touffe cilaire est <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> 5 à 10, <strong>et</strong> non <strong>de</strong> 100, comme attendu<br />

chez les mammifères. Il faut cependant noter qu’il s’agit ici <strong>de</strong> la réponse d’une<br />

cellule unique chez la grenouille, alors que l’amplification mesurée chez les<br />

mammifères est le résultat <strong>de</strong> l’activité <strong>de</strong> plusieurs cellules. Ces oscillations<br />

spontanées cessent si l’on bloque le canal <strong>de</strong> transduction mécano-électrique par la<br />

gentamicine. Autre élément à l’appui du rôle du canal dans ces oscillations : elles<br />

sont dépendantes <strong><strong>de</strong>s</strong> ions Ca 2+ , comme l’est la cinétique <strong>de</strong> ce canal (voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous).<br />

Si, par iontophorèse, on augmente la concentration <strong><strong>de</strong>s</strong> ions Ca 2+ à la pointe <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

stéréocils, on accélère le mouvement <strong>de</strong> la touffe ciliaire <strong>et</strong> on diminue son amplitu<strong>de</strong>.<br />

Si on chélate les ions Ca 2+ , on observe l’eff<strong>et</strong> inverse. Des déplacements <strong>de</strong> la touffe<br />

cilaire <strong><strong>de</strong>s</strong> CCI induits par un courant alternatif transépithélial ont récemment été<br />

observés aussi chez la gerbille, dans un dispositif experimental qui, comme celui<br />

utilisé précé<strong>de</strong>mment pour la grenouille, préserve l’intégrité <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux compartiments


GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 223<br />

liquidiens, endolymphatique <strong>et</strong> périlymphatique, <strong>de</strong> la cochlée (Chan <strong>et</strong> Hudsp<strong>et</strong>h,<br />

2005). Les déplacements induits <strong>de</strong> la touffe ciliaire persistaient quand les ions K + <strong>de</strong><br />

l’endolymphe étaient remplacés par les cations monovalents NMDG<br />

(N-m<strong>et</strong>hyl-D-glutamate), qui ne traversent pas le canal <strong>de</strong> transduction mécanoélectrique<br />

<strong>et</strong> le bloquent, tout en laissant passer les ions Ca 2+ . Dans ces conditions,<br />

c’est-à-dire en l’absence <strong>de</strong> dépolarisation (<strong>et</strong> donc d’électromotilité) mais en<br />

présence d’entrée d’ions Ca 2+ , les mouvements <strong>de</strong> la touffe ciliaire étaient encore<br />

observés. Si la stimulation était acoustique, l’amplitu<strong>de</strong> du déplacement <strong><strong>de</strong>s</strong> stéréocils<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> CCI augmentait <strong>de</strong> manière non-linéaire <strong>et</strong> compressive (modérément) avec<br />

l’intensité <strong>de</strong> la stimulation, tout comme les potentiels microphoniques, potentiels<br />

électriques extracellulaires provenant pour l’essentiel <strong>de</strong> l’activité électrique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

CCE. La dépendance <strong>de</strong> ces mouvements à l’égard <strong><strong>de</strong>s</strong> ions Ca 2+ renvoie aux <strong>de</strong>ux<br />

cibles calciques <strong>de</strong> la transduction mécano-électrique qui ont été proposées comme<br />

acteurs <strong>de</strong> l’adaptation (voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous), les myosines pour l’adaptation lente, <strong>et</strong> le<br />

canal <strong>de</strong> transduction lui-même, pour l’adaptation rapi<strong>de</strong>.<br />

L’autre considération à l’appui <strong>de</strong> la présence d’un amplificateur logé dans la<br />

touffe ciliaire est celle qui lie étroitement adaptation <strong>et</strong> mouvements <strong>de</strong> la touffe<br />

ciliaire. S’y ajoute un travail récent qui suggère l’existence d’une force produite par<br />

la touffe ciliaire <strong><strong>de</strong>s</strong> CCE. La discussion <strong>de</strong> ces <strong>travaux</strong> ne peut se faire sans un<br />

rappel <strong>de</strong> quelques éléments concernant la transduction mécano-électrique.<br />

Dès les premiers enregistrements du courant <strong>de</strong> transduction mécano-électrique,<br />

il est apparu que ce courant n’est pas nul lorsque la cellule sensorielle est dans une<br />

position <strong>de</strong> repos. Un certain pourcentage <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux <strong>de</strong> transduction mécanoélectrique<br />

sont donc ouverts lorsque la touffe ciliaire est dans sa position <strong>de</strong> repos.<br />

Lorsque la touffe ciliaire est soumise par le son à un mouvement sinusoïdal autour<br />

<strong>de</strong> sa position <strong>de</strong> repos, ou défléchie par une fibre <strong>de</strong> verre rigi<strong>de</strong>, son déplacement<br />

en direction <strong><strong>de</strong>s</strong> stéréocils les plus longs se traduit par une augmentation brutale<br />

du courant, liée à l’ouverture <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux <strong>de</strong> transduction. Défléchie dans le sens<br />

opposé, ces canaux se ferment, le courant diminue. Leur ouverture conduit à<br />

l’entrée d’ions K + <strong>et</strong> Ca 2+ , qui dépolarisent la cellule. Le seuil <strong>de</strong> déplacement <strong>de</strong><br />

la touffe ciliaire qui conduit à une dépolarisation est d’environ 1 nm. En termes<br />

<strong>de</strong> pression, la pression la plus faible perçue par le système auditif est <strong>de</strong> 20 μPa.<br />

Des mesures récentes effectuées chez le cobaye ont permis d’évaluer qu’en réponse<br />

à un déplacement <strong>de</strong> la membrane basilaire <strong>de</strong> 100 nm, l’apex <strong>de</strong> la touffe cilaire<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> CCES <strong>de</strong> cobaye se déplaçait d’environ 30 nm (Fridberger <strong>et</strong> <strong>de</strong> Monvel,<br />

2003 ; Fridberger <strong>et</strong> al, 2006).<br />

En 1984, Pickles découvre le lien apical <strong><strong>de</strong>s</strong> stéréocils (Pickles <strong>et</strong> al, 1984).<br />

D’emblée, son implication dans la transduction mécano-électrique est proposée.<br />

La transduction mécano-électrique auditive a alors été déjà bien explorée par le<br />

groupe <strong>de</strong> Jim Hudsp<strong>et</strong>h qui, compte tenu du temps très bref entre stimulation<br />

mécanique <strong>et</strong> enregistrement du courant, avait proposé un an plus tôt, un modèle<br />

pour c<strong>et</strong>te transduction, connu sous le nom <strong>de</strong> gating spring mo<strong>de</strong>l, que l’on peut


224 CHRISTINE PETIT<br />

traduire par modèle du « ressort d’ouverture » (Corey <strong>et</strong> Hudsp<strong>et</strong>h, 1983). Ce<br />

modèle stipule que l’ouverture du canal <strong>de</strong> transduction mécano-électrique est en<br />

rapport avec la tension qu’exercent sur lui <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments élastiques qui lui sont<br />

couplés. Ces éléments élastiques se comportent comme un ressort (ressort <strong>de</strong><br />

transduction). Si la tension dans ce ressort vient à baisser, les canaux se ferment.<br />

Le modèle associe donc la tension du ressort <strong>de</strong> transduction à la probabilité<br />

d’ouverture <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux <strong>de</strong> transduction. Il faut une tension mécanique pour ouvrir<br />

le canal, <strong>et</strong> réciproquement, l’ouverture du canal produit une force (Howard <strong>et</strong><br />

Hudsp<strong>et</strong>h, 1988).<br />

La rai<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la touffe ciliaire a été mesurée dans le saccule <strong>de</strong> grenouille en<br />

1988 (Howard <strong>et</strong> Hudsp<strong>et</strong>h, 1988), <strong>et</strong> estimée à environ 1 mN/m (dans ces<br />

mesures, les liens latéraux qui unissent les stéréocils avaient sans doute été éliminés<br />

par le traitement enzymatique effectué au préalable). La moitié <strong>de</strong> la rai<strong>de</strong>ur avait<br />

alors été attribuée au canal <strong>de</strong> transduction mécano-électrique lui-même, <strong>et</strong> l’autre<br />

aux pivots <strong><strong>de</strong>s</strong> stéréocils. L’ouverture <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux est par ailleurs associée à une<br />

baisse <strong>de</strong> rigidité <strong>de</strong> la touffe ciliaire, qui n’apparaît pas si le canal est bloqué alors<br />

que la touffe ciliaire est défléchie. C<strong>et</strong> assouplissement lié à l’ouverture <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux<br />

a reçu le nom <strong>de</strong> gating compliance (assouplissement d’ouverture).<br />

En 1991, Assad <strong>et</strong> Corey montraient qu’en présence <strong>de</strong> BAPTA, un chélateur<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> ions Ca 2+ , les liens apicaux étaient détruits <strong>et</strong> la transduction abolie ; les liens<br />

apicaux autorisés à régénérer, la transduction r<strong>et</strong>rouvait sa valeur initiale (Assad <strong>et</strong><br />

al, 1991). Ces auteurs produisirent alors un schéma <strong>de</strong> la transduction qui désignait<br />

le lien apical comme le ressort <strong>de</strong> transduction. En traitant les touffes ciliaires par<br />

le BAPTA, seul persiste 50 % <strong>de</strong> la rai<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la touffe ciliaire (tout comme après<br />

le blocage du canal <strong>de</strong> transduction mécano-électrique). Les calculs r<strong>et</strong>rouvaient<br />

une rai<strong>de</strong>ur du gating spring, K gs, d’une valeur <strong>de</strong> 0,5 à 1 mN/m.<br />

En 2000, <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en microscopie électronique conduites par Bechara Kachar<br />

(Kachar <strong>et</strong> al, 2000) révélèrent que le lien apical est composé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux protofilaments<br />

enroulés en une hélice <strong>de</strong>xtrogyre, dont la périodicité est d’environ 20 nm <strong>et</strong> le<br />

diamètre compris entre 5 <strong>et</strong> 10 nm, avec <strong>de</strong>ux insertions apicales <strong>et</strong> trois basales.<br />

C<strong>et</strong>te structure du lien apical suggérait qu’il pouvait être, non pas élastique, mais<br />

rigi<strong>de</strong>. Sa nature moléculaire, discutée dans le cadre du second <strong>cours</strong>, n’évoque pas,<br />

<strong>de</strong> fait, celle d’un lien élastique. L’idée prévaut aujourd’hui selon laquelle le gating<br />

spring est une structure intra-stéréociliaire associée directement ou indirectement<br />

au canal <strong>de</strong> transduction mécano-électrique.<br />

Comme mentionné précé<strong>de</strong>mment, une relation a été établie au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>de</strong>rnières années entre adaptation <strong>de</strong> la transduction mécano-électrique <strong>et</strong><br />

mouvement <strong>de</strong> la touffe cilaire. L’adaptation perm<strong>et</strong> à tout système sensoriel <strong>de</strong><br />

restaurer sa sensibilité à <strong>de</strong> p<strong>et</strong>ites stimulations transitoires, alors même qu’une<br />

forte stimulation statique se maintient. Si l’on prend l’exemple du saccule <strong>de</strong> la<br />

grenouille, organe vestibulaire très semblable, dans son fonctionnement, à la<br />

cochlée, il peut déceler <strong><strong>de</strong>s</strong> accélérations verticales du sol un million <strong>de</strong> fois plus


GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 225<br />

p<strong>et</strong>ites que celle du champ <strong>de</strong> gravitation terrestre (Narins <strong>et</strong> Lewis, 1984). Le<br />

processus d’adaptation consiste en la restauration <strong>de</strong> la probabilité d’ouverture <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

canaux <strong>de</strong> transduction mécano-électrique à une valeur proche <strong>de</strong> sa valeur <strong>de</strong><br />

repos. En d’autres termes, il y aurait restauration <strong>de</strong> la tension du ressort <strong>de</strong><br />

transduction, que la touffe ciliaire ait été défléchie en direction <strong><strong>de</strong>s</strong> grands stéréocils<br />

(ouverture <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux) ou dans le sens opposé (ferm<strong>et</strong>ure <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux). C’est ce que<br />

traduisent les courbes courant-déplacement établies à l’issue <strong>de</strong> l’adaptation,<br />

simples translations <strong>de</strong> la courbe initiale le long <strong>de</strong> l’axe <strong><strong>de</strong>s</strong> déplacements. La<br />

diminution du courant au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’adaptation a un caractère bimodal. Chaque<br />

mo<strong>de</strong> a <strong><strong>de</strong>s</strong> constantes <strong>de</strong> temps distinctes. Le premier a une constante <strong>de</strong> temps<br />

<strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> la millisecon<strong>de</strong> ou moins (adaptation dite rapi<strong>de</strong>), <strong>et</strong> le second, une<br />

constante <strong>de</strong> temps dix fois plus longue (adaptation dite lente). L’adaptation rapi<strong>de</strong><br />

a été étudiée en fonction <strong>de</strong> la fréquence caractéristique <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules sensorielles<br />

auditives chez la tortue. Plus ces cellules ont une fréquence caractéristique élevée,<br />

plus leur constante <strong>de</strong> temps d’adaptation est p<strong>et</strong>ite. C<strong>et</strong>te observation a été<br />

étendue aux CCE <strong>de</strong> rat. D’où l’idée proposée selon laquelle c’est la cinétique<br />

d’adaptation rapi<strong>de</strong> qui détermine la fréquence caractéristique <strong>de</strong> la cellule.<br />

Dans le 2 e <strong>et</strong> le 3 e <strong>cours</strong>, ont été présentées <strong><strong>de</strong>s</strong> avancées récentes portant sur la<br />

physiologie moléculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules sensorielles <strong>de</strong> la cochlée. L’implication <strong>de</strong> la<br />

cadhérine-23 <strong>et</strong> <strong>de</strong> la protocadhérine-15 dans la formation <strong>de</strong> liens transitoires <strong>de</strong><br />

la touffe ciliaire en développement <strong>et</strong> du lien apical (tip link) a été discutée.<br />

Les molécules proposées pour entrer dans la composition du canal <strong>de</strong> transduction<br />

mécano-électrique ont été examinées à la lumière <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés biophysiques <strong>de</strong> ce<br />

canal. C’est un canal cationique non sélectif qui a une forte perméabilité pour les<br />

ions Ca 2+ . Sa perméabilité aux ions Ca 2+ est 5 fois plus importante qu’aux ions Na + ,<br />

aussi bien chez la grenouille, que chez la tortue <strong>et</strong> les mammifères. Sa perméabilité<br />

aux cations monovalents s’ordonne comme suit : elle est plus élevée pour le Cs + que<br />

pour le K + , que pour le Na + , que pour le Li + . Bloqué par le Ca 2+ , ce canal l’est aussi<br />

par <strong>de</strong> fortes concentrations <strong>de</strong> magnésium (Mg 2+ ), par <strong>de</strong> très faibles concentrations<br />

<strong>de</strong> lanthanium (La 3+ ) ou <strong>de</strong> gadolinium (Gd 3+ ) ou d’amilori<strong>de</strong>, ou par la<br />

dihydrostreptomycine, 50 à 100 μM. Il n’est pas sensible au voltage.<br />

Bien que les canaux <strong>de</strong> type TRP puissent encore être considérés comme<br />

d’excellents candidats, les <strong>de</strong>ux qui ont été proposés à ce jour, TRPN1 <strong>et</strong> TRPA1,<br />

ont été éliminés.<br />

La nature moléculaire du moteur d’adaptation a fait l’obj<strong>et</strong> d’une présentation,<br />

<strong>et</strong> les arguments en faveur d’un rôle central <strong>de</strong> la myosine 1c ont été examinés. Les<br />

éléments qui plai<strong>de</strong>nt en faveur <strong>de</strong> l’implication d’une autre myosine, la<br />

myosine VIIa, ont été discutés. Le rôle <strong>de</strong> la pompe calcique Pmca2 dans le rej<strong>et</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> ions Ca 2+ hors <strong>de</strong> la touffe ciliaire a été rappelé, <strong>et</strong> son mo<strong>de</strong> d’action examiné,<br />

en tenant compte <strong>de</strong> données génétiques obtenues chez l’homme <strong>et</strong> la souris, qui<br />

établissent son couplage fonctionnel avec la cadhérine-23.


226 CHRISTINE PETIT<br />

4 e <strong>cours</strong> : éléments du traitement du signal sonore par les neurones auditifs<br />

du ganglion cochléaire <strong>et</strong> les neurones <strong><strong>de</strong>s</strong> noyaux auditifs du tronc cérébral.<br />

Ont été brièvement abordés, le traitement <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux acoustiques (fréquence,<br />

intensité <strong>et</strong> caractéristiques temporelles) dans les neurones du ganglion cochléaire,<br />

du noyau cochléaire, <strong>et</strong> les autres noyaux auditifs du tronc cérébral, complexe<br />

olivaire <strong>et</strong> noyaux du corps trapézoï<strong>de</strong>. Quelques éléments ont été introduits sur<br />

la localisation <strong><strong>de</strong>s</strong> sources sonores <strong>de</strong> basse fréquence dans le plan horizontal, avec<br />

les rebondissements récents qui rem<strong>et</strong>tent en cause un modèle bien établi, que l’on<br />

croyait généralisable à l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> espèces.<br />

Les neurones auditifs primaires: diversité <strong>et</strong> physiologie<br />

Dans le ganglion cochléaire, les neurones afférents, neurones <strong>de</strong> type I, sont dix<br />

foix plus nombreux que les CCI. Ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones bipolaires, qui ne contactent<br />

qu’une seule CCI <strong>et</strong> ne forment qu’une seule synapse. Au niveau <strong>de</strong> chaque ruban<br />

synaptique, n’existe qu’une seule synapse (rubans synaptiques <strong>et</strong> neurones auditifs<br />

sont dans un rapport <strong>de</strong> 1). Ces neurones sont myélinisés <strong>et</strong>, curiosité, c<strong>et</strong>te<br />

myélinisation s’étend au corps cellulaire, <strong>et</strong> même à la racine <strong>de</strong> la <strong>de</strong>ndrite.<br />

Ont été introduites, les notions <strong>de</strong> fréquence caractéristique (fréquence <strong>de</strong><br />

stimulation sonore pour laquelle le seuil <strong>de</strong> réponse est le plus bas) <strong>et</strong> <strong>de</strong> courbe<br />

d’accord (seuil <strong>de</strong> réponse à différentes fréquences) <strong>de</strong> ces neurones, <strong>et</strong> la mesure <strong>de</strong><br />

leur sélectivité fréquentielle par le facteur <strong>de</strong> qualité Q 10 dB (rapport entre la<br />

fréquence caractéristique du neurone <strong>et</strong> la différence <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences pour lesquelles<br />

les seuils <strong>de</strong> réponse du neurone sont supérieurs <strong>de</strong> 10 dB au seuil minimal). C<strong>et</strong>te<br />

valeur croît avec la sélectivité fréquentielle <strong>de</strong> la réponse. La courbe d’accord en<br />

fréquence <strong>de</strong> la membrane basilaire (définie pour une valeur donnée du déplacement)<br />

<strong>et</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> CCE (définie pour une valeur donnée du potentiel <strong>de</strong> récepteur) à un<br />

même emplacement cochléaire sont superposables. Les courbes d’accord en<br />

fréquence <strong><strong>de</strong>s</strong> CCI <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs neurones afférents sont également semblables.<br />

Tandis que les CCE répon<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> manière synchrone au déplacement <strong>de</strong> la<br />

membrane basilaire, les CCI répon<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> manière synchrone à sa vitesse <strong>de</strong><br />

déplacement. Dans les situations pathologiques où la touffe ciliaire <strong><strong>de</strong>s</strong> CCE perd<br />

son ancrage dans la membrane tectoriale, les CCE répon<strong>de</strong>nt alors, non plus<br />

au déplacement <strong>de</strong> la membrane basilaire, mais à sa vitesse <strong>de</strong> déplacement<br />

(Legan <strong>et</strong> al, 2000). Le mécanisme <strong>de</strong> la stimulation <strong><strong>de</strong>s</strong> CCI est assez mal connu ; il<br />

implique la dynamique <strong>de</strong> la membrane tectoriale, <strong>et</strong> sans doute aussi celle <strong>de</strong> la<br />

lame réticulée (structure rigi<strong>de</strong> formée par les régions apicales <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules sensorielles<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs cellules <strong>de</strong> soutien, ainsi que par les jonctions entre ces cellules).<br />

Quelques éléments <strong>de</strong> la fonction <strong>de</strong> transfert mécano-électrique <strong><strong>de</strong>s</strong> CCI ont<br />

été rappelés. La dépolarisation <strong>de</strong> la CCI sous l’eff<strong>et</strong> d’une stimulation sonore est<br />

au maximum <strong>de</strong> 20 mV (son potentiel <strong>de</strong> membrane passe ainsi d’environ – 60 mV<br />

à – 40 mV). Elle comporte <strong>de</strong>ux composantes : une composante alternative (AC),


GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 227<br />

<strong>et</strong> une composante continue, ou directe (DC). La composante AC, dont la<br />

fréquence est la même que celle du son, n’existe que pour <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences inférieures<br />

à 4 ou 5 kHz ; sa part ne cesse <strong>de</strong> décroître, au profit <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> la composante<br />

DC, à partir d’environ 1 kHz. Plus l’intensité du son augmente, jusqu’à 60 dB,<br />

plus, dans les CCI comme dans les CCE, les composantes DC <strong>et</strong> AC augmentent.<br />

Des données récentes indiquent qu’au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> 60 dB, la composante DC augmente<br />

davantage que la composante AC. La constante <strong>de</strong> temps électrique <strong>de</strong> la membrane<br />

détermine une limite <strong>de</strong> fréquence, au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> laquelle le potentiel <strong>de</strong> membrane<br />

cesse progressivement d’osciller. Les canaux BK, canaux potassiques <strong>de</strong> large<br />

conductance dépendant à la fois <strong><strong>de</strong>s</strong> ions Ca 2+ <strong>et</strong> du voltage (Oliver <strong>et</strong> al, 2003 ;<br />

Marcotti <strong>et</strong> al, 2004), sont responsables d’un courant potassique sortant <strong>de</strong><br />

cinétique rapi<strong>de</strong> (courant I K,f). Lorsqu’on supprime ces canaux chez <strong><strong>de</strong>s</strong> souris<br />

génétiquement modifiées, la constante <strong>de</strong> temps électrique <strong>de</strong> la membrane <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

CCI augmente. La dépolarisation maximale <strong>de</strong> la CCI augmente considérablement<br />

(<strong>de</strong> 20 mV, elle passe à 80 mV). La dépolarisation est très r<strong>et</strong>ardée, créant un délai<br />

dans la réponse du neurone auditif, <strong>et</strong> la repolarisation est très incomplète. La<br />

composante AC diminue, tandis que la composante DC augmente.<br />

La dépolarisation rapi<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> CCI stimule les canaux calciques dépendant du<br />

voltage, <strong>de</strong> type L (Cav1.3) ; ils sont au nombre <strong>de</strong> 1 700 environ par CCI. La<br />

présence <strong>de</strong> 10 à 30 rubans synaptiques par CCI indique qu’une centaine <strong>de</strong><br />

canaux calciques dépendant du voltage sont associés, en moyenne, à chaque ruban<br />

synaptique (leur répartition pourrait être très hétérogène).<br />

Les CCI matures ne sont innervées que par <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones afférents, ou neurones<br />

<strong>de</strong> type I. Chez le chat, Charles Liberman (Liberman, 1982) a pu diviser ces<br />

neurones en trois sous-populations en fonction <strong>de</strong> leur taux <strong>de</strong> décharge spontanée<br />

(<strong>de</strong> 0 à 100 potentiels d’action par secon<strong>de</strong>) <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur morphologie : neurones à<br />

taux <strong>de</strong> décharge spontanée faible (inférieur à 0,5 potentiel d’action par secon<strong>de</strong>)<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> très p<strong>et</strong>it diamètre, neurones à taux moyen <strong>de</strong> décharge spontanée (0,5 à<br />

17 potentiels d’action par secon<strong>de</strong>) <strong>et</strong> <strong>de</strong> diamètre plus grand, neurones à taux<br />

élevé <strong>de</strong> décharge spontanée (supérieur à 17,5 potentiels d’action par secon<strong>de</strong>) <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> grand diamètre. Ces propriétés sont corrélées avec <strong><strong>de</strong>s</strong> seuils <strong>de</strong> réponse distincts<br />

pour chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes. Plus le taux <strong>de</strong> décharge spontanée est élevé, plus le seuil<br />

<strong>de</strong> réponse du neurone est bas. Une CCI donnée paraît être innervée par plusieurs<br />

neurones <strong>de</strong> chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> sous-types. Ces neurones ont une répartition topologique<br />

particulière. Les neurones à haut taux <strong>de</strong> décharge spontanée (bas seuil) sont<br />

localisés dans la région <strong>de</strong> la CCI qui se situe à proximité <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules piliers<br />

internes. Il semble qu’ils établissent <strong><strong>de</strong>s</strong> synapses avec <strong><strong>de</strong>s</strong> rubans qui ont une taille<br />

plus p<strong>et</strong>ite que les autres, <strong>et</strong> un nombre plus faible <strong>de</strong> vésicules associées. Les<br />

projections centrales <strong>de</strong> ces différents sous-groupes <strong>de</strong> neurones sont elles aussi<br />

différentes. Tous ces neurones se proj<strong>et</strong>tent sur le noyau cochléaire, mais les<br />

neurones à taux <strong>de</strong> décharge spontanée faible ou moyen ont un beaucoup plus<br />

grand nombre <strong>de</strong> terminaisons nerveuses <strong><strong>de</strong>s</strong>tinées à une innervation préférentielle<br />

<strong>de</strong> la région périphérique <strong><strong>de</strong>s</strong> p<strong>et</strong>ites cellules (voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous). Ils sont à l’origine <strong>de</strong>


228 CHRISTINE PETIT<br />

réseaux neuronaux distincts au niveau du tronc cérébral, aussi, semble-t-il. Ces<br />

différents sous-groupes <strong>de</strong> neurones <strong>de</strong> type I sous-ten<strong>de</strong>nt donc un traitement<br />

distinct <strong>de</strong> l’information, qui concerne principalement l’intensité <strong>de</strong> la stimulation<br />

sonore. Ils ont aussi une dynamique <strong>de</strong> réponse différente d’un neurone à l’autre.<br />

Enfin, pour certains, leur seuil <strong>de</strong> réponse dépendrait <strong>de</strong> la durée <strong>de</strong> stimulation.<br />

Quelle est l’origine <strong>de</strong> leur hétérogéneité fonctionnelle ? La question sous-jacente<br />

est celle <strong>de</strong> la participation <strong>de</strong> la présynapse aux caractéristiques <strong>de</strong> la réponse<br />

neuronale. Comment ces neurones assurent-ils le codage en intensité <strong>et</strong> en<br />

fréquence ? Le codage en fréquence dans les neurones auditifs est différent pour<br />

les basses <strong>et</strong> les hautes fréquences. Les neurones auditifs ont <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences <strong>de</strong><br />

décharge <strong>de</strong> potentiels d’action qui, comme pour tout neurone, ne peuvent excé<strong>de</strong>r<br />

600 Hz à 1 kHz en raison <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> réfractaire qui suit le potentiel d’action.<br />

En réponse à une stimulation sonore <strong>de</strong> basse fréquence, 300 Hz par exemple, les<br />

pics <strong>de</strong> potentiel d’action peuvent atteindre c<strong>et</strong>te fréquence si l’intensité du son est<br />

forte. En tout état <strong>de</strong> cause, ces pics se situent tous précisément dans la même<br />

phase <strong>de</strong> l’on<strong>de</strong> sonore. Plus le son est <strong>de</strong> faible intensité, plus ces décharges sont<br />

rares. C’est collectivement que ces neurones peuvent reconstituer une fréquence <strong>de</strong><br />

décharge i<strong>de</strong>ntique <strong>et</strong> synchrone à celle <strong>de</strong> la stimulation sonore. Ceci s’applique<br />

aussi pour le traitement <strong><strong>de</strong>s</strong> sons jusqu’à 4 ou 5 kHz chez l’homme (peut-être<br />

jusqu’à 10 kHz). Chaque neurone décharge strictement dans la même phase <strong>de</strong><br />

l’on<strong>de</strong> sonore, mais c’est seulement collectivement que les neurones reconstituent<br />

une fréquence <strong>de</strong> décharge <strong>de</strong> quelques kHz. Ce co<strong>de</strong> temporel <strong>de</strong> l’information<br />

fréquentielle est fondé sur le « principe <strong>de</strong> la volée », par analogie avec une rangée<br />

<strong>de</strong> soldats qui, en tirant à différents moments, feraient un barrage <strong>de</strong> tir continu.<br />

Le codage fréquentiel pour les hautes fréquences repose exclusivement sur une<br />

information <strong>de</strong> position. La carte tonotopique cochléaire en est le socle. Elle est<br />

reproduite à chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> différents étages du système auditif (voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous).<br />

Comment s’effectue le codage en intensité <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses fréquences ? On sait par les<br />

<strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Rose (Rose <strong>et</strong> al, 1967) que l’intensité du son ne modifie ni la<br />

synchronisation au son <strong>de</strong> la réponse <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones <strong>de</strong> type I à basse fréquence, ni leur<br />

délai <strong>de</strong> réponse. C’est parce que le délai synaptique n’est pas modulable par l’intensité<br />

<strong>de</strong> stimulation que le codage temporel <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux sonores est extrêmement robuste.<br />

Sa haute précision est mise à profit pour localiser les sources sonores <strong>de</strong> basse fréquence<br />

(voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous). A la question <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes qui sous-ten<strong>de</strong>nt une synchronisation<br />

<strong>de</strong> décharges à l’i<strong>de</strong>ntique quelle que soit l’importance <strong>de</strong> la dépolarisation <strong>de</strong> la CCI,<br />

les <strong>travaux</strong> d’Elisab<strong>et</strong>h Glowatzki (Glowatzki <strong>et</strong> Fuchs, 2002) apportent <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments<br />

<strong>de</strong> réponse. En enregistrant les courants postsynaptiques au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> boutons<br />

<strong>de</strong>ndritiques <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones auditifs, elle a pu montrer que la fusion <strong><strong>de</strong>s</strong> vésicules<br />

synaptiques <strong>de</strong> la CCI à la membrane plasmique concerne en moyenne 4 à 7 vésicules<br />

en même temps, <strong>et</strong> que ces événements <strong>de</strong> fusion multivésiculaire sont les mêmes<br />

qu’il s’agisse <strong><strong>de</strong>s</strong> décharges spontanées ou <strong><strong>de</strong>s</strong> décharges provoquées, d’une faible ou<br />

d’une forte stimulation. Chaque événement <strong>de</strong> fusion est constant, il n’y a pas<br />

d’avance <strong>de</strong> phase lorsque l’intensité augmente (comme observé dans les autres


GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 229<br />

systèmes neuronaux). Seule varie, en fonction <strong>de</strong> l’intensité sonore, la probabilité<br />

d’apparition <strong>de</strong> l’événement. Ces étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ont également permis <strong>de</strong> conclure que 90 %<br />

<strong>de</strong> l’adaptation observée dans la réponse neuronale provient <strong>de</strong> la machinerie<br />

présynaptique. Quant aux neurones auditifs, c’est encore collectivement qu’ils<br />

reconstitueraient une réponse à un large spectre d’intensité.<br />

A partir <strong>de</strong> ces données, on est amené à penser que l’exocytose <strong>de</strong> la CCI est<br />

d’une extrême précision temporelle, que la cochlée traite le paramètre d’intensité<br />

sonore en termes <strong>de</strong> probabilité d’événements d’exocytose dans la CCI, <strong>et</strong> que<br />

conjointement, les neurones auditifs auraient une diversité <strong>de</strong> seuils <strong>de</strong> réponse.<br />

Les noyaux auditifs du tronc cérébral <strong>et</strong> du mésencéphale<br />

Cellules sensorielles cochléaires <strong>et</strong> neurones auditifs ont une même origine<br />

embryologique, la placo<strong>de</strong> otique, <strong>et</strong> constituent le système auditif périphérique.<br />

Au-<strong>de</strong>là, les voies auditives ascendantes appartiennent au système nerveux central.<br />

Le premier relais central est situé dans le noyau cochléaire. Ses projections sont<br />

principalement controlatérales. Au-<strong>de</strong>là du noyau cochléaire, les voies auditives<br />

ascendantes, d’ipsilatérales <strong>de</strong>viennent controlatérales.<br />

Le noyau cochléaire est situé dans la partie caudale du tronc cérébral. Il est divisé<br />

en trois gran<strong><strong>de</strong>s</strong> régions ou noyaux : noyau ventral antérieur (NVA), noyau ventral<br />

postérieur (NVP) <strong>et</strong> noyau dorsal (ND). Tout axone <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones auditifs <strong>de</strong><br />

type I qui pénétre dans le noyau cochléaire se divise en <strong>de</strong>ux branches, une branche<br />

antérieure (ou ascendante) <strong>et</strong> une branche postérieure (ou <strong><strong>de</strong>s</strong>cendante). La branche<br />

antérieure innerve le NVA. La branche postérieure innerve le NVP <strong>et</strong> le ND. Les<br />

projections <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones auditifs sont ordonnées en fonction <strong>de</strong> la fréquence<br />

caractéristique <strong>de</strong> ces neurones, <strong>et</strong> constituent une carte tonopique dans laquelle,<br />

comme dans la cochlée, les basses fréquences sont traitées à l’apex du noyau (région<br />

antérieure) <strong>et</strong> les hautes fréquences à sa base (région postérieure). Ainsi, on peut<br />

considérer qu’il existe trois cartes tonotopiques distinctes au niveau du noyau<br />

cochléaire. Elles reçoivent une information semblable, <strong>et</strong> doivent donc en extraire<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> informations différentes.<br />

La population neuronale du noyau cochléaire est hétérogène. On distingue huit<br />

types <strong>de</strong> neurones qui diffèrent par leur morphologie <strong>et</strong> leur réponse électrique.<br />

Dans le NVA prédominent les neurones « en buisson », que la coloration <strong>de</strong> Nissl<br />

perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> séparer en neurones « sphériques » <strong>et</strong> neurones « globulaires ». Dans le<br />

NVP dominent <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones « pieuvre » (octopus cells) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones<br />

« multipolaires » (en coloration <strong>de</strong> Nissl) ou « étoilés » (en coloration <strong>de</strong> Golgi).<br />

Dans le ND, qui a un aspect lamellaire, prédominent <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones fusiformes ou<br />

pyramidaux. C<strong>et</strong>te région comporte <strong>de</strong>ux autres types <strong>de</strong> neurones <strong>de</strong> plus p<strong>et</strong>ite<br />

taille, p<strong>et</strong>its neurones <strong>et</strong> neurones granulaires. Dans la profon<strong>de</strong>ur du noyau<br />

cochléaire, se logent <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones « géants ».


230 CHRISTINE PETIT<br />

Ces neurones ont <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses électriques très diverses : réponse voisine <strong>de</strong> celle<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> neurones auditifs primaires, réponse avec une périodicité en rapport avec la<br />

stimulation sonore mais comportant une encoche au démarrage, réponse dite « en<br />

hachoir » avec <strong><strong>de</strong>s</strong> pics qui ne sont pas synchrones au son, réponse restreinte à la<br />

mise en place <strong>de</strong> la stimulation (comme celle <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules « pieuvre »)…<br />

Des cellules peuvent appartenir à un même type <strong>et</strong> décharger selon plusieurs<br />

mo<strong><strong>de</strong>s</strong>. Ainsi, les neurones en buisson déchargent selon trois mo<strong><strong>de</strong>s</strong> : soit comme les<br />

neurones auditifs primaires, soit à la mise en place du signal acoustique, soit encore<br />

comme les neurones auditifs primaires, mais avec une encoche. Les neurones étoilés<br />

ou multipolaires ont <strong>de</strong>ux mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> réponse : l’un « en hachoir », l’autre lors <strong>de</strong> la<br />

mise en place du signal acoustique. Les cellules « pieuvre » déchargent à la mise en<br />

place du signal, <strong>et</strong> les cellules fusiformes ou pyramidales ont divers profils <strong>de</strong> réponse<br />

électrique. Ces réponses électriques distinctes traduisent l’extraction <strong>de</strong> différentes<br />

informations à partir <strong>de</strong> la réponse <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones auditifs primaires.<br />

Au-<strong>de</strong>là du noyau cochléaire, en raison <strong><strong>de</strong>s</strong> projections axonales bilatérales,<br />

chaque structure relais comporte une organisation tonotopique, <strong>et</strong> reçoit <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

informations provenant <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux oreilles.<br />

Le second relais central du système auditif, le complexe olivaire supérieur (COS),<br />

est aussi situé dans le tronc cérébral. Il comporte trois noyaux principaux, l’olive<br />

supérieure latérale (OSL), l’olive supérieure médiane (OSM), le corps trapézoï<strong>de</strong> <strong>et</strong><br />

ses trois noyaux, latéral, ventral, <strong>et</strong> médian (noyau médian du corps trapézoï<strong>de</strong> ou<br />

NMCT), ainsi qu’un ensemble <strong>de</strong> noyaux <strong>de</strong> p<strong>et</strong>ite taille (noyaux périolivaires). Ces<br />

structures ont toutes une organisation tonotopique. Du noyau cochléaire, émergent<br />

trois voies majeures : les stries acoustiques ventrale, intermédiaire, <strong>et</strong> dorsale. La strie<br />

acoustique ventrale, ou corps trapézoï<strong>de</strong>, est formée par les axones qui proviennent<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> neurones en buisson du NCVA, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones stellaires <strong>et</strong> « pieuvre » du<br />

NCVP. L’axone <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules « en buisson » se termine essentiellement sur les trois<br />

principaux noyaux du COS, tandis que certains <strong>de</strong> ces axones continuent leur route<br />

à travers le lemnisque latéral jusqu’au colliculus inférieur. Celui <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules<br />

sphériques en buisson se proj<strong>et</strong>te <strong>de</strong> façon bilatérale sur l’OSM, <strong>et</strong> ipsilatérale sur<br />

l’OSL, celui <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules globulaires en buisson se proj<strong>et</strong>te en controlatéral sur les<br />

neurones du NMCT venant inhiber l’activité <strong>de</strong> l’OSL déclenchée par les cellules<br />

sphériques en buisson. La strie acoustique intermédiaire, ou strie <strong>de</strong> Held, inclut les<br />

axones <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules « pieuvre » du NVP qui se terminent dans les noyaux périolivaires<br />

<strong>et</strong>, plus loin, dans le lemnisque latéral <strong>et</strong> le colliculus inférieur. Enfin, la « strie<br />

acoustique dorsale » contient les axones <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones du NCD. Elle n’envoie aucune<br />

projection sur le complexe olivaire supérieur, <strong>et</strong> se termine, comme la strie acoustique<br />

intermédiaire, sur le colliculus inférieur <strong>et</strong> les noyaux du lemnisque latéral. Enfin, il<br />

existe bon nombre <strong>de</strong> projections internes au sein du noyau cochléaire.<br />

Les neurones du NMCT comportent les synapses géantes, ou calices <strong>de</strong> Held,<br />

qui sont considérées comme les plus gran<strong><strong>de</strong>s</strong> terminaisons synaptiques du cerveau<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> mammifères. L’extrémité axonale <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules globulaires présentes dans le


GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 231<br />

noyau cochléaire opposé forme la région présynatique <strong><strong>de</strong>s</strong> calices <strong>de</strong> Held. Les<br />

neurones du NMCT qui forment la post-synapse, sont <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones inhibiteurs<br />

glycinergiques, <strong>et</strong> se proj<strong>et</strong>tent sur divers noyaux du COS.<br />

Les axones <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones du noyau cochléaire <strong>et</strong> du COS se proj<strong>et</strong>tent<br />

principalement vers le colliculus inférieur en formant un faisceau <strong>de</strong> fibres que l’on<br />

appelle le lemnisque latéral. Il existe aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> noyaux du lemnisque latéral qui sont<br />

situés à l’intérieur du faisceau <strong><strong>de</strong>s</strong> fibres du lemnisque, <strong>et</strong> reçoivent <strong><strong>de</strong>s</strong> afférences<br />

du noyau cochléaire <strong>et</strong> du complexe olivaire. Le noyau du lemnisque latéral<br />

comporte <strong>de</strong>ux zones, une zone dorsale <strong>et</strong> une zone ventrale.<br />

Le mésencéphale auditif se compose du colliculus inférieur. Il comporte quatre<br />

noyaux : central, dorsomédian, latéral, <strong>et</strong> dorsal. C’est un carrefour <strong>de</strong> voies<br />

auditives ascendantes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>cendantes. Le noyau central a une structure lamellaire,<br />

<strong>et</strong> ne reçoit que <strong><strong>de</strong>s</strong> afférences provenant <strong><strong>de</strong>s</strong> centres auditifs inférieurs. Il est le<br />

siège d’une tonotopie stricte <strong>et</strong> comporte <strong><strong>de</strong>s</strong> cartes <strong>de</strong> représentation <strong>de</strong> plusieurs<br />

paramètres <strong>de</strong> la stimulation sonore, comme une carte <strong><strong>de</strong>s</strong> latences, une carte <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

courbes d’accord (« carte <strong><strong>de</strong>s</strong> Q 10dB »), une carte <strong>de</strong> résolution temporelle, une<br />

carte <strong>de</strong> localisation spatiale… De nombreux facteurs indépendants du système<br />

auditif modulent l’activité électrique du colliculus inférieur : stimuli visuels <strong>et</strong><br />

tactiles par exemple.<br />

Localisation <strong>de</strong> la source sonore<br />

Pour terminer, quelques éléments introductifs au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année suivante sur<br />

la localisation <strong>de</strong> la source sonore ont été présentés. La capacité <strong>de</strong> localiser la<br />

source sonore, parce qu’elle perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> localiser proies <strong>et</strong> prédateurs, contribue bien<br />

évi<strong>de</strong>mment à la survie <strong><strong>de</strong>s</strong> animaux entendants. Orienter le pavillon <strong>de</strong> l’oreille<br />

ou tourner la tête pour déceler au mieux la localisation d’une proie, par exemple,<br />

perm<strong>et</strong> d’élaborer une stratégie d’attaque sans être vu.<br />

La vague sonore, produite par une source externe, est diffractée par son interaction<br />

avec le pavillon <strong>de</strong> l’oreille <strong>et</strong> l’ensemble <strong>de</strong> la tête. Ce sont les caractéristiques<br />

temporelles <strong>et</strong> d’intensité du son ainsi diffracté qui vont fournir les substrats <strong>de</strong> la<br />

localisation <strong>de</strong> la source sonore. Dans leur <strong><strong>de</strong>s</strong>cription, désormais classique, <strong>de</strong> la<br />

localisation <strong>de</strong> la source sonore en champ libre chez l’homme, Stevens <strong>et</strong> Newman,<br />

en 1936 (Stevens <strong>et</strong> Newman, 1936), observèrent que l’homme localisait au mieux<br />

la source sonore dans le plan horizontal pour <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences du son, soit inférieures<br />

à 1 kHz, soit supérieures à 5 kHz. Ceci suggérait l’existence <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mécanismes<br />

distincts <strong>de</strong> localisation <strong>de</strong> la source sonore dans le plan horizontal, l’un pour les<br />

basses fréquences, <strong>et</strong> l’autre pour les hautes fréquences.<br />

C<strong>et</strong>te dichotomie faisait écho à la théorie, dite théorie duplex, <strong>de</strong> l’écoute<br />

binaurale, proposée par Lord Rayleigh en 1907 (Strutt, 1907), <strong>et</strong> dont les premiers<br />

éléments avaient été apportés par Thomson en 1882. Selon Rayleigh, la tête peut<br />

créer une ombre acoustique pour l’oreille la plus distante <strong>de</strong> la source sonore, <strong>de</strong>


232 CHRISTINE PETIT<br />

sorte que l’intensité du son qui lui parvient est plus faible que celle du son qui<br />

parvient à l’autre oreille. Ces différences <strong>de</strong> niveau sonore sont dites différences<br />

d’intensité inter-auriculaires ou binaurales (en anglais interaural level difference,<br />

ILD en abrégé). Cependant, l’importance <strong>de</strong> la différence d’intensité interauriculaire<br />

dépend du contenu spectral <strong>de</strong> la stimulation. En eff<strong>et</strong>, la tête se<br />

comporte comme un filtre passe-bas. Elle laisse passer les fréquences basses qui la<br />

contournent en raison <strong>de</strong> leur gran<strong>de</strong> longueur d’on<strong>de</strong>, <strong>et</strong> qui par conséquent<br />

contribuent fort peu à la différence d’intensité interauriculaire. Avant Rayleigh, le<br />

temps qui sépare l’arrivée d’une on<strong>de</strong> sonore à une oreille <strong>et</strong> à l’autre, estimé à<br />

quelques centaines <strong>de</strong> microsecon<strong><strong>de</strong>s</strong>, avait été considéré comme trop bref pour<br />

être décelable par un système biologique. Rayleigh conclut au contraire que c<strong>et</strong>te<br />

différence temporelle interauriculaire est décelable, <strong>et</strong> il propose qu’elle soit le<br />

fon<strong>de</strong>ment du principe <strong>de</strong> localisation <strong><strong>de</strong>s</strong> sons <strong>de</strong> basse fréquence (en anglais<br />

interaural time difference, ITD en abrégé). L’idée d’un double système <strong>de</strong> localisation<br />

<strong>de</strong> la source sonore s’est imposée. L’un, dédié aux hautes fréquences mis en oeuvre<br />

dans l’OSL, est fondé sur les différences d’intensité, <strong>et</strong> l’autre, dédié aux basses<br />

fréquences, mis en oeuvre dans le noyau laminaire chez les oiseaux <strong>et</strong> dans l’OSM<br />

chez les mammifères, est fondé sur les différences temporelles.<br />

L’intérêt majeur <strong>de</strong> l’écoute binaurale rési<strong>de</strong> dans la localisation <strong>de</strong> la source<br />

sonore dans l’espace. Toutefois, un son sera perçu comme légèrement plus intense<br />

s’il est présenté aux <strong>de</strong>ux oreilles (gain d’environ 3 décibels). De c<strong>et</strong>te vision très<br />

schématique, il s’en suit que pour un patient qui a une surdité unilatérale, si le<br />

locuteur est situé du côté <strong>de</strong> l’oreille défaillante, l’oreille normale percevra<br />

correctement les basses fréquences, mais mal les hautes fréquences, en raison <strong>de</strong><br />

l’ombre <strong>de</strong> la tête. C<strong>et</strong>te théorie vaut pour les sons purs. Pour la localisation <strong>de</strong><br />

sources sonores complexes, la composante temporelle, même pour <strong><strong>de</strong>s</strong> sons <strong>de</strong><br />

haute fréquence, est importante. Interviennent aussi les modulations fréquentielles<br />

<strong>et</strong> les modulations en amplitu<strong>de</strong>.<br />

Seule a été discutée plus en détail la localisation dans le plan horizontal <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

sources sonores <strong>de</strong> basse fréquence. Soit une on<strong>de</strong> sonore située sur l’azimut 90°<br />

par rapport à la ligne médiane. L’on<strong>de</strong> sonore va parcourir le chemin d’une oreille<br />

à l’autre soit une distance égale au rayon <strong>de</strong> la tête plus une distance égale au quart<br />

<strong>de</strong> la circonférence <strong>de</strong> la tête. Le rayon <strong>de</strong> la tête est estimé à 9 cm, le quart <strong>de</strong> la<br />

circonférence <strong>de</strong> la tête à environ 14 cm, soit une distance totale à parcourir <strong>de</strong><br />

23 cm. Compte tenu <strong>de</strong> la vitesse du son dans l’air (343 m/s), la différence <strong>de</strong><br />

temps entre l’arrivée du son à l’une <strong>et</strong> l’autre oreille est 670 μs. C’est le temps<br />

maximum du par<strong>cours</strong>. En eff<strong>et</strong>, quand la source se rapproche <strong>de</strong> la position<br />

médiane, le délai entre l’arrivée <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux sonores à l’une <strong>et</strong> l’autre oreille est<br />

toujours plus p<strong>et</strong>it. Ce temps <strong>de</strong> 670 μs est égal à la pério<strong>de</strong> d’un son <strong>de</strong> 1 500 Hz.<br />

Il fixe la limite supérieure <strong>de</strong> la fréquence sonore d’une source qui pourra être<br />

localisée en se fondant sur la disparité temporelle binaurale. Pour <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences<br />

plus élevées, la localisation <strong>de</strong> la source sonore fait appel à la différence d’intensité<br />

(ILD).


GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 233<br />

Chez l’homme, le système auditif i<strong>de</strong>ntifie <strong>de</strong>ux sons comme provenant <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

sources distinctes si, l’une étant située dans le plan médian (0° azimutal), l’autre<br />

en est séparée d’au moins <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>grés. Ceci signifie que le système auditif distingue<br />

<strong>de</strong>ux sons qui parviennent à l’une <strong>et</strong> l’autre oreille avec un décalage temporel <strong>de</strong><br />

moins <strong>de</strong> 20 μs. C’est c<strong>et</strong> élément qui a permis <strong>de</strong> conclure à l’extrême précision<br />

temporelle du système auditif (au moins jusqu’à ses relais du tronc cérébral). Plus<br />

on s’éloigne <strong>de</strong> l’axe médian dans le plan horizontal, plus la capacité <strong>de</strong> résolution<br />

diminue. L’angle audible minimal varie avec la position azimutale <strong>et</strong> la fréquence<br />

<strong>de</strong> la source sonore. Sa valeur augmente quand la fréquence s’élève <strong>et</strong> que la source<br />

sonore s’approche du 90° azimutal. Pour toutes les fréquences, la perception <strong>de</strong> la<br />

directionalité est plus précise quand l’auditeur fait face à la source sonore. En<br />

l’absence <strong>de</strong> mobilité du pavillon <strong>de</strong> l’oreille, c’est la tête qui bouge pour optimiser<br />

la perception <strong>de</strong> la localisation <strong><strong>de</strong>s</strong> sources sonores.<br />

Nous avons ensuite brièvement considéré les bases neurales <strong>de</strong> la localisation<br />

azimutale <strong><strong>de</strong>s</strong> sources sonores <strong>de</strong> basse fréquence. Durant les cinquante <strong>de</strong>rnières<br />

années, un seul modèle a servi d’explication à la façon dont le cerveau détermine la<br />

position <strong>de</strong> la source sonore <strong>de</strong> basse fréquence dans le plan horizontal : le modèle <strong>de</strong><br />

coïnci<strong>de</strong>nce proposé par Lloyd Jeffress en 1948 (Jeffress, 1948). Il stipule que le<br />

cerveau transforme l’information du délai <strong>de</strong> temps relatif <strong>de</strong> l’arrivée du son à<br />

chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux oreilles en une carte, dite carte spatiale auditive ou « carte ITD ».<br />

Ce modèle pose l’existence <strong>de</strong> neurones détecteurs <strong>de</strong> coïnci<strong>de</strong>nce. Leur décharge est<br />

maximale quand les potentiels d’action qui leur parviennent, à partir <strong>de</strong> chaque<br />

oreille, arrivent simultanément. Dans ce modèle, ces détecteurs <strong>de</strong> coïnci<strong>de</strong>nce<br />

reçoivent <strong><strong>de</strong>s</strong> informations excitatrices, qui leur parviennent via <strong><strong>de</strong>s</strong> axones qui<br />

véhiculent <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux électriques provenant <strong>de</strong> chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux oreilles. Ce modèle<br />

repose sur trois hypothèses : 1) il existe <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones détecteurs <strong>de</strong> coïnci<strong>de</strong>nce ;<br />

ceux-ci reçoivent une information temporelle très précise venant <strong>de</strong> l’une <strong>et</strong> l’autre<br />

oreille ; ils ne peuvent interpréter qu’une information <strong>de</strong> décharge neuronale<br />

organisée en volée (voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus), c’est-à-dire synchronisée au son ; 2) ils répon<strong>de</strong>nt<br />

<strong>de</strong> façon maximale lorsque les potentiels d’action venus <strong>de</strong> l’une <strong>et</strong> l’autre oreille<br />

arrivent simultanément; ils sont très sensibles à <strong>de</strong> toutes p<strong>et</strong>ites disparités dans le<br />

temps d’arrivée <strong><strong>de</strong>s</strong> potentiels d’action provenant <strong>de</strong> l’une <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’autre oreille ; 3) ce<br />

sont <strong><strong>de</strong>s</strong> projections afférentes excitatrices venues <strong>de</strong> chaque oreille qui les stimulent,<br />

<strong>et</strong> c’est le temps cumulé <strong><strong>de</strong>s</strong> chemins acoustique <strong>et</strong> électrique parcourus <strong>de</strong>puis la<br />

source sonore jusqu’au détecteur (controlatéral par rapport à la source) qui est pris<br />

en compte. En ce qui concerne le chemin électrique, le modèle stipule que la<br />

détection <strong>de</strong> coïnci<strong>de</strong>nce est fondée sur le fait que les axones <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones excitateurs<br />

ont <strong><strong>de</strong>s</strong> longueurs différentes, qui introduisent <strong><strong>de</strong>s</strong> délais électriques (« délais <strong>de</strong><br />

ligne »). Le détecteur <strong>de</strong> coïnci<strong>de</strong>nce sera stimulé par <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones dont la longueur<br />

axonale va perm<strong>et</strong>tre une décharge synchrone <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones afférents issus <strong>de</strong> chacune<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux oreilles. Dans ce modèle, chaque neurone détecteur <strong>de</strong> coïnci<strong>de</strong>nce répond<br />

à un temps inter-auriculaire différent <strong>et</strong> spécifique, dit temps caractéristique <strong>de</strong> la<br />

détection temporelle. Les divers neurones dont le temps caractéristique <strong>de</strong> détection


234 CHRISTINE PETIT<br />

temporelle est différent sont organisés en une carte <strong>de</strong> temps caractéristique<br />

graduellement croissant. Un neurone détecteur signale la position <strong>de</strong> la source<br />

sonore par son taux <strong>de</strong> décharge maximal.<br />

Ce modèle a eu un impact considérable sur la recherche dans ce domaine. Il s’est<br />

révélé fécond pour interpréter la localisation <strong><strong>de</strong>s</strong> sources <strong>de</strong> basse fréquence chez<br />

l’oiseau. Les <strong>travaux</strong> élégants réalisés par Mazakazu Konishi <strong>et</strong> <strong>de</strong> Eric Knudsen<br />

[voir revue, (Knudsen, 2002)] à partir <strong>de</strong> 1978 sur la chou<strong>et</strong>te effraie, qui chasse<br />

la nuit en utilisant exclusivement son audition pour localiser ses proies, paraissent<br />

vali<strong>de</strong>r ce modèle. C<strong>et</strong>te chou<strong>et</strong>te se dirige vers ses proies grâce à une reconnaissance<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> vibrations qu’elles ém<strong>et</strong>tent. Celle-ci est fondée, dans le plan horizontal, sur<br />

les différences temporelles, <strong>et</strong> est particulièrement efficace pour <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences<br />

allant jusqu’à 7 ou 8 kHz. De fait, les décharges <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones afférents sont en<br />

phase avec le son jusqu’à ces valeurs <strong>de</strong> fréquence. Les neurones détecteurs <strong>de</strong><br />

coïnci<strong>de</strong>nce se situent dans le noyau laminaire. Pour lever toute ambiguïté dans<br />

l’interprétation <strong><strong>de</strong>s</strong> délais <strong>de</strong> réponse, c<strong>et</strong>te carte est couplée à une carte fréquentielle,<br />

qui a une orientation perpendiculaire. Ainsi, chaque fréquence est en quelque sorte<br />

équipée <strong>de</strong> son détecteur d’ITD. Une « carte ITD » est le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> représentation<br />

<strong>de</strong> toutes les localisations <strong><strong>de</strong>s</strong> sources sonores dans le plan horizontal. L’ITD zéro,<br />

toujours représenté par un maximum <strong>de</strong> neurones, est l’ITD pour lequel la<br />

décharge maximale correspond à la position médiane <strong>de</strong> la source. Beaucoup <strong>de</strong><br />

données électrophysiologiques obtenues chez la chou<strong>et</strong>te effraie sont en accord<br />

avec ce modèle, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> axones <strong>de</strong> longueur hétérogène ont bien été mis en évi<strong>de</strong>nce<br />

dans le noyau laminaire.<br />

Chez les mammifères, <strong><strong>de</strong>s</strong> détecteurs <strong>de</strong> coïnci<strong>de</strong>nce sont situés dans l’OSM,<br />

mais leur mo<strong>de</strong> d’activation paraît moins clair. Chez le chat, un substrat anatomique<br />

pour un mécanisme du type « délai <strong>de</strong> lignes » (différentes longueurs axonales) a<br />

été observé. Cependant, <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> menés chez la gerbille (Brand <strong>et</strong> al, 2002 ;<br />

Kapfer <strong>et</strong> al, 2002) indiquent le rôle indispensable <strong>de</strong> neurones inhibiteurs<br />

glycinergiques du NMCT dans la réponse à un délai caractéristique <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones<br />

<strong>de</strong> l’OSM. Ces neurones inhibiteurs, dont la décharge est aussi en phase avec le<br />

son, <strong>et</strong> non <strong><strong>de</strong>s</strong> longueurs d’axones différentes d’un neurone excitateur à l’autre,<br />

seraient le substrat <strong><strong>de</strong>s</strong> « cartes ITD » <strong><strong>de</strong>s</strong> mammifères.<br />

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Activité <strong>de</strong> recherche du laboratoire (2007-2008)<br />

Les avancées les plus significatives au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année 2007-2008 ont été :<br />

1. la découverte <strong>de</strong> l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> distorsions acoustiques par les cellules ciliées<br />

externes (Verpy <strong>et</strong> al, 2008),<br />

2. la mise en évi<strong>de</strong>nce d’un nouveau mécanisme responsable <strong>de</strong> la surdité liée à<br />

l’exposition au bruit (soumis pour publication),<br />

3. la mise en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> l’harmonine, protéine à domaines PDZ, au sein <strong>de</strong> la<br />

machinerie <strong>de</strong> transduction mécano-électrique <strong>et</strong> <strong>de</strong> son rôle dans l’adaptation,<br />

4. l’i<strong>de</strong>ntification d’un gène responsable <strong>de</strong> presbyacousie.<br />

Nous avons également contribué à éluci<strong>de</strong>r le rôle du kinocilium dans la<br />

formation <strong>de</strong> la touffe ciliaire (Jones <strong>et</strong> al, 2008), <strong>et</strong> avons apporté les premiers<br />

éléments <strong>de</strong> la pathogénie <strong>de</strong> la surdité liée à un déficit en adénylate kinase-2<br />

(Lagresle-Peyrou <strong>et</strong> al, 2008).<br />

1. Origine <strong><strong>de</strong>s</strong> distorsions acoustiques dans l’oreille interne<br />

(Elisab<strong>et</strong>h Verpy, Dominique Weil, Michel Leibovici, Carine Houdon,<br />

Jean-Pierre Har<strong>de</strong>lin, Christine P<strong>et</strong>it ; en collaboration avec Paul Avan,<br />

Richard J. Goodyear, Guy P. Richardson, Ghislaine Hamard) (Verpy <strong>et</strong> al,<br />

2008)<br />

C’est dans la cochlée que les messages sonores sont convertis par les cellules<br />

sensorielles auditives en dépolarisations qui libèrent le neurotransm<strong>et</strong>teur, créant<br />

une activation <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones auditifs qui se propage jusqu’au cortex. Pour ce faire,<br />

les cellules ciliées externes amplifient les vibrations sonores tout en les filtrant pour<br />

éliminer les sons parasites. Toutefois, le traitement ainsi appliqué au son engendre<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> distorsions <strong><strong>de</strong>s</strong> on<strong><strong>de</strong>s</strong> acoustiques considérables, au point d’être audibles sous<br />

forme <strong>de</strong> sons supplémentaires connus sous le nom <strong>de</strong> sons <strong>de</strong> Tartini, du nom<br />

du violoniste du xvii e siècle qui les décrivit. Parce que l’oreille les réém<strong>et</strong>, ces sons<br />

<strong>de</strong> Tartini servent à dépister les surdités dès la naissance. En eff<strong>et</strong>, leur absence<br />

traduit la lésion <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules ciliées externes, presque toujours accompagnée <strong>de</strong> celle<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> cellules ciliées internes, authentiques cellules sensorielles.


GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 237<br />

Jusqu’ici on pensait que toutes les performances <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules ciliées externes,<br />

amplification, filtrage <strong><strong>de</strong>s</strong> sons parasites, <strong>et</strong> distorsion, étaient dues à leurs canaux<br />

<strong>de</strong> transduction mécano-électrique pour lesquels la courbe courant/déplacement<br />

est sigmoï<strong>de</strong>. Nous avons montré, dans un travail mené en collaboration avec le<br />

P r Paul Avan (Université d’Auvergne, Clermont-Ferrand), que ce n’est probablement<br />

pas exact. Chez <strong><strong>de</strong>s</strong> souris dont le gène qui co<strong>de</strong> la stéréociline a été inactivé, il<br />

existe, avant l’apparition du déficit <strong>de</strong> l’acuité auditive, une courte pério<strong>de</strong> durant<br />

laquelle les cellules ciliées externes amplifient <strong>et</strong> filtrent normalement le son ; leurs<br />

canaux <strong>de</strong> transduction sont donc normaux, <strong>et</strong> pourtant elles ne distor<strong>de</strong>nt plus le<br />

son. Toute marque <strong>de</strong> distorsion <strong><strong>de</strong>s</strong> on<strong><strong>de</strong>s</strong> a disparu : un son pur ne produit plus<br />

d’harmoniques ; aucune distorsion, électrique ou acoustique, n’est décelable. Chez<br />

ces souris mutantes, l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> masquage sonore est très diminué : en présence d’un<br />

mélange <strong>de</strong> sons, les diverses composantes du mélange coexistent alors que<br />

normalement, les plus intenses empêchent les plus faibles d’être perçues par le<br />

système auditif. La perception <strong><strong>de</strong>s</strong> sons complexes chez ces souris mutantes est sans<br />

doute gravement perturbée.<br />

Nous avons observé que la stéréociline est un composant <strong>de</strong> liens latéraux<br />

apicaux <strong>de</strong> la touffe ciliaire <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules ciliées externes. Ces liens, dits top connectors,<br />

sont, avec le tip link, les seuls présents dans la touffe ciliaire adulte. Ceci nous a<br />

conduit à proposer que l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> distorsions acoustiques se tient dans les<br />

contraintes que ces liens latéraux imposent à la touffe ciliaire. Ils perm<strong>et</strong>traient à<br />

une rigidité non-linéaire <strong>de</strong> la touffe ciliaire, autre que celle du canal <strong>de</strong> transduction<br />

mécano-électrique, <strong>de</strong> se manifester sous la forme <strong>de</strong> distorsions d’on<strong><strong>de</strong>s</strong>. Une<br />

explication alternative serait que l’absence <strong>de</strong> ces liens déplace le « point<br />

d’opération » <strong>de</strong> la touffe ciliaire dans une zone <strong>de</strong> fonctionnement linéaire.<br />

2. Un nouveau mécanisme responsable <strong>de</strong> la surdité liée à l’exposition au bruit<br />

(Amel Bahloul, Vincent Michel, Michel Leibovici, Jean-Pierre Har<strong>de</strong>lin,<br />

Dominique Weil, Christine P<strong>et</strong>it ; en collaboration avec Paul Avan)<br />

(Bahloul <strong>et</strong> al, soumis pour publication)<br />

Nous avions découvert, il y a quelques années, une nouvelle protéine <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

jonctions d’adhérence, la vézatine (Küssel-An<strong>de</strong>rmann <strong>et</strong> al, 2000). Nous venons<br />

<strong>de</strong> définir sa topologie par une analyse biochimique. Elle comporte <strong>de</strong>ux domaines<br />

transmem branaires très proches l’un <strong>de</strong> l’autre, <strong>et</strong> ses régions N- <strong>et</strong> C-terminales<br />

sont cytoplasmiques. Dans la cochlée, l’immunoréactivité <strong>de</strong> la vézatine aux<br />

jonctions entre les cellules ciliées <strong>et</strong> les cellules <strong>de</strong> soutien augmente entre le 4 e <strong>et</strong><br />

le 16 e jour après la naissance, chez la souris. Nous avons observé, par<br />

immunomarquage <strong>de</strong> cellules MDCK, que la vézatine ne participe pas à la<br />

formation <strong>de</strong> leurs jonctions ; elle n’est recrutée aux jonctions que tardivement.<br />

Des doubles marquages réalisés sur <strong><strong>de</strong>s</strong> cochlées matures ont montré une<br />

colocalisation <strong>de</strong> la vézatine avec la radixine, la β-caténine <strong>et</strong> la caténine p120, aux<br />

jonctions entre cellules ciliées externes <strong>et</strong> cellules <strong>de</strong> Deiters. Vézatine <strong>et</strong> radixine


238 CHRISTINE PETIT<br />

co-précipitent dans <strong><strong>de</strong>s</strong> extraits protéiques cochléaires. Cependant, lorsque la<br />

radixine porte une mutation qui l’empêche <strong>de</strong> se lier aux filaments d’actine en<br />

raison d’un changement <strong>de</strong> conformation, la radixine ne co-précipite plus avec la<br />

vézatine. La vézatine interagit donc directement avec la forme « active » <strong>de</strong> la<br />

radixine. C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière pourrait donc perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> lier la vézatine aux filaments<br />

d’actine <strong><strong>de</strong>s</strong> jonctions cellulaires.<br />

Pour étudier le rôle <strong>de</strong> la vézatine aux jonctions entre les cellules ciliées cochléaires<br />

<strong>et</strong> leurs cellules <strong>de</strong> soutien, nous avons généré <strong><strong>de</strong>s</strong> souris mutantes chez lesquelles<br />

le gène est délété uniquement dans les cellules sensorielles (la délétion ubiquitaire<br />

est létale). Chez les souris mutantes, les seuils auditifs ne sont pas différents <strong>de</strong><br />

ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> animaux témoins jusqu’à la 7 e semaine. L’étu<strong>de</strong> morphologique <strong>de</strong> la<br />

cochlée ne détecte aucune anomalie jusqu’à c<strong>et</strong> âge. Cependant, après une<br />

exposition d’une minute à un son <strong>de</strong> 105 dB, les souris mutantes <strong>de</strong>viennent<br />

irréversiblement sour<strong><strong>de</strong>s</strong>. Les souris sauvages, soumises à c<strong>et</strong>te même stimulation<br />

sonore, ont une altération <strong>de</strong> leur seuil auditif <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> 10 dB, suivie d’un<br />

r<strong>et</strong>our à une audition normale. Diverses anomalies <strong>de</strong> la touffe ciliaire apparaissent<br />

chez les souris mutantes, accompagnées d’une perte massive <strong>de</strong> cellules ciliées, qui<br />

touche principalement les cellules ciliées externes. Les cellules <strong>de</strong> l’apex <strong>de</strong> la<br />

cochlée sont peu atteintes par la perte cellulaire induite par l’exposition au bruit.<br />

Les souris mutantes non exposées au bruit développent, après 7 semaines, une<br />

surdité progressive spontanée, qui augmente jusqu’à atteindre une perte <strong>de</strong> 110 dB<br />

à 24 semaines. C<strong>et</strong>te surdité est due à une mort cellulaire touchant les cellules<br />

ciliées, d’abord les cellules ciliées externes, qui disparaissent <strong>de</strong> la base <strong>de</strong> la cochlée<br />

(en accord avec la perte auditive qui porte sur les hautes fréquences), puis <strong>de</strong><br />

l’ensemble <strong>de</strong> la cochlée (24 semaines).<br />

Ce travail a dévoilé le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> jonctions cellulaires <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules sensorielles dans<br />

la surdité induite par le bruit, <strong>et</strong> le rôle <strong>de</strong> la vézatine dans la résistance au stress<br />

mécanique. De surcroît, nous avons observé que les produits <strong>de</strong> distorsion ont un<br />

seuil qui est affecté avant celui <strong>de</strong> l’audition. Ceci est une autre manifestation <strong>de</strong><br />

la dissociation qui peut exister entre amplification <strong>et</strong> distorsion.<br />

3. Rôle <strong>de</strong> l’harmonine dans la transduction mécano-électrique auditive<br />

(Nicolas Michalski, Vincent Michel, Gaelle Lefèvre, Dominique Weil,<br />

Christine P<strong>et</strong>it ; en collaboration avec Pascal Martin, Institut Curie)<br />

(Michalski <strong>et</strong> al., soumis pour publication)<br />

Nous avons montré chez la souris qu’à partir du jour 5 après la naissance (P5),<br />

l’harmonine-b est localisée au niveau du point supérieur d’insertion du lien apical<br />

dans le stéréocil (Lefèvre <strong>et</strong> al, 2008). De plus, l’harmonine peut interagir directement<br />

in vitro avec la protocadhérine-15 <strong>et</strong> la cadhérine-23, qui constitueraient le lien<br />

apical. Nous avons étudié le rôle <strong>de</strong> l’harmonine, <strong>et</strong> plus particulièrement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

isoformes b, dans la transduction mécanoélectrique <strong>et</strong> l’adaptation en m<strong>et</strong>tant à<br />

profit <strong>de</strong>ux modèles murins : une souris dont le gène <strong>de</strong> l’harmonine a été inactivé


GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 239<br />

(Hmn -/- ), <strong>et</strong> une souris mutante Dfcr-2J/Dfcr-2J, défectueuse uniquement pour les<br />

isoformes b <strong>de</strong> l’harmonine. Les résultats obtenus, <strong>et</strong> leur modélisation effectuée en<br />

collaboration avec Pascal Martin (Institut Curie), nous ont permis <strong>de</strong> conclure que<br />

l’harmonine-b se comporte comme le ressort dont l’existence a été postulée pour<br />

rendre compte <strong><strong>de</strong>s</strong> limites <strong>de</strong> l’étendue <strong>de</strong> l’adaptation. Ces données prédisent <strong>de</strong><br />

plus une liaison <strong>de</strong> l’harmonine-b aux moteurs d’adaptation. Or, nous avons mis en<br />

évi<strong>de</strong>nce une interaction directe entre l’harmonine <strong>et</strong> la myosine VIIa, moteur<br />

moléculaire que <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences antérieures ont impliqué dans l’adaptation.<br />

4. I<strong>de</strong>ntification d’un gène responsable <strong>de</strong> la presbyacousie<br />

(Dominique Weil, Anne Aubois, Anne-Laure Rou<strong>de</strong>vitch, Christine P<strong>et</strong>it)<br />

L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> formes familiales <strong>de</strong> presbyacousie, par analyse <strong>de</strong> liaison génétique<br />

portant sur l’ensemble du génome (en collaboration avec le Centre National <strong>de</strong><br />

Génotypage) nous a permis d’i<strong>de</strong>ntifier un locus impliqué. Par séquençage <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

gènes <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te région, nous avons trouvé <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations dans l’un d’eux. Alors que<br />

tout paraissait indiquer que c<strong>et</strong>te surdité <strong>de</strong>vait être mise sur le compte d’un<br />

désordre métabolique, <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats récents nous incitent à penser que, contre toute<br />

attente, c<strong>et</strong>te surdité est à m<strong>et</strong>tre en rapport avec une synthèse in situ <strong>de</strong> ce<br />

métabolite par les cellules sensorielles elles-mêmes. Elles en expriment également<br />

le récepteur, ce qui indique l’existence d’un mécanisme autocrine.<br />

Références<br />

Bahloul A., Simmler M.-C., Michel V., Leibovici M., Perf<strong>et</strong>tini I., Roux I., Weil D.,<br />

Nouaille S., Zuo J., Avan P., Har<strong>de</strong>lin J.-P., P<strong>et</strong>it C. Vezatin, an integral membrane protein<br />

of adherens junctions, is required for sound-resilience of cochlear hair cells. EMBO Mol<br />

Med (submitted).<br />

Küssel-An<strong>de</strong>rmann P., El-Amraoui A., Safieddine S., Nouaille S., Perf<strong>et</strong>tini I., Lecuit M.,<br />

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of the hair bundle in its cohesion, orientation and differential growth. Development, 135,<br />

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Verpy E., Weil D., Leibovici M., Goodyear R.J., Hamard G., Houdon C., Har<strong>de</strong>lin J.-P.,<br />

Richardson G.P., Avan P., P<strong>et</strong>it C. (2008) Stereocilin-<strong>de</strong>ficient mice reveal the origin of<br />

cochlear waveform distortions Nature, 456, 255-258.<br />

Michalski N., Michel V., Lefèvre G., Caberlotto E., Tinevez J.-Y., Bizard E., Weil D.,<br />

Martin P., P<strong>et</strong>it C. The adaptation process of mechanoelectrical transduction in hair cells<br />

involves harmonin-b, an actin-binding scaffold protein. Nature Neurosci. (submitted).


240 CHRISTINE PETIT<br />

2008<br />

Publications du laboratoire (2007-2008)<br />

Lagresle-Peyrou C., Six E.M., Picard C., Rieux-Laucat F., Michel V., Ditadi A.,<br />

Demerens-<strong>de</strong> Chappe<strong>de</strong>laine C., Morillon E., Valensi F., Simon-Stoos K.L., Mullikin J.C.,<br />

Noroski L.M., Besse C., Wulffraat N., Ferster A., Abecasis M.M., Calvo F., P<strong>et</strong>it C.,<br />

Candotti F., Abel L., Fischer A. <strong>et</strong> Cavazzana-Calvo M. (2008) Human a<strong>de</strong>nylate kinase<br />

2 <strong>de</strong>ficiency causes a profound haematopoi<strong>et</strong>ic <strong>de</strong>fect. Nature Gen<strong>et</strong> (sous presse).<br />

Legendre K., Safieddine S., Küssel-An<strong>de</strong>rmann P., P<strong>et</strong>it C. <strong>et</strong> El-Amraoui A. (2008)<br />

αII/βV spectrin bridges the plasma membrane and cortical lattice in the lateral wall of the<br />

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Verpy E., Weil D., Leibovici M., Goodyear R.J., Hamard G., Houdon C., Har<strong>de</strong>lin J.-P.,<br />

Richardson G.P., Avan P. <strong>et</strong> P<strong>et</strong>it C. (2008) Stereocilin-<strong>de</strong>ficient mice reveal the origin of<br />

cochlear waveform distortions Nature, 456, 255-258.<br />

Beurg M, Safieddine S, Roux I, Bouleau Y, P<strong>et</strong>it C <strong>et</strong> Dulon D (2008) Calcium- and<br />

otoferlin-<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt exocytosis by immature outer hair cells. J Neurosci 28, 1798-803.<br />

Hilgert N., Alasti F., Dieltjens N., Pawlik B., Wollnik B., Uyguner O., Delmaghani S.,<br />

Weil D., P<strong>et</strong>it C., Danis E., Yang T., Pan<strong>de</strong>lia E., P<strong>et</strong>ersen M., Goossens D., Favero J.,<br />

Sanati M., Smith R. <strong>et</strong> Van Camp G. (2008) Mutation analysis of TMC1 i<strong>de</strong>ntifies four<br />

new mutations and suggests an additional <strong>de</strong>afness gene at loci DFNA36 and DFNB7/11.<br />

Clin Gen<strong>et</strong> 74, 223-32.<br />

Jones C., Roper V.C., Foucher I., Qian D., Banizs B., P<strong>et</strong>it C., Yo<strong>de</strong>r B. <strong>et</strong> Chen P.<br />

(2008) Ciliary proteins link basal body polarization to planar cell polarity regulation. Nature<br />

Gen<strong>et</strong> 40, 69-77.<br />

Lefèvre G., Michel V., Weil D., Lepell<strong>et</strong>ier L., Bizard E., Wolfrum U., Har<strong>de</strong>lin J.-P. <strong>et</strong><br />

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Yanicostas C., Ernest S., Dayraud C., P<strong>et</strong>it C. <strong>et</strong> Soussi-Yanicostas N. (2008) Essential<br />

requirement for zebrafish anosmin-1a in the migration of the posterior lateral line<br />

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Molecular Motors, ed. Coluccio LM, pp. 353-73. New York : Springer.<br />

2007<br />

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6234.<br />

Etournay R., Zwaenepoel I., Perf<strong>et</strong>tini I., Legrain P., P<strong>et</strong>it C. <strong>et</strong> El-Amraoui A. (2007)<br />

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Kimberling W.J., Smith R.J., Weil D., P<strong>et</strong>it C., Otto E.A., Xu P.X. <strong>et</strong> Hil<strong>de</strong>brandt F.<br />

(2007) Transcription factor SIX5 is mutated in patients with Branchio-Oto-Renal syndrome.<br />

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GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 241<br />

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<strong>et</strong> Simmler M.C. (2007) Conditional knock-out reveals that zygotic vezatin-null mouse<br />

embryos die at implantation. Mech Dev 124, 449-462.<br />

Michalski N., Michel V., Bahloul A., Lefèvre G., Barral J., Yagi H., Char<strong>de</strong>noux S.,<br />

Weil D., Martin P., Har<strong>de</strong>lin J.-P., Sato M. <strong>et</strong> P<strong>et</strong>it C. (2007) Molecular characterization<br />

of the ankle link complex in cochlear hair cells and its role in the hair bundle functioning.<br />

J Neurosci 27, 6478-6488.<br />

Enseignement<br />

Enseignement au titre du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

1.a. Cours au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (6 heures)<br />

Les jeudis 14 février, 13, 20 <strong>et</strong> 27 mars 2008 :<br />

Traitement <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux acoustiques : <strong>de</strong> la cellule sensorielle auditive au complexe<br />

olivaire supérieur<br />

Jeudi 14 février 2008<br />

Cours : Physiologie moléculaire <strong>de</strong> la transduction mécano-électrique auditive :<br />

actualités<br />

Séminaire : Pascal Martin (Laboratoire PCC–CNRS UMR 168, Institut Curie, Paris) :<br />

Mouvements actifs <strong>de</strong> la touffe ciliaire <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules mécano-sensorielles ciliées <strong>de</strong><br />

l’oreille interne<br />

Jeudi 13 mars<br />

Cours : Les voies auditives afférentes <strong>et</strong> leurs relais<br />

Séminaire : Paul Avan (Laboratoire <strong>de</strong> Biophysique Sensorielle, Clermont-Ferrand) : Les<br />

distorsions cochléaires : essentielles à la perception auditive, mais <strong>de</strong> quelles origines ?<br />

Jeudi 20 mars<br />

Cours : Le codage <strong>de</strong> la stimulation sonore en fréquence <strong>et</strong> en intensité<br />

Séminaire : Paul Fuchs (Johns Hopkins University, School of Medicine, Baltimore,<br />

USA) : Time and intensity coding by the hair cell’s ribbon synapse<br />

Jeudi 27 mars<br />

Cours : Plasticité synaptique dans les voies auditives<br />

Séminaire : Christian Lorenzi (Psychologie <strong>de</strong> la Perception-Audition, Ecole Normale<br />

Supérieure, Paris) : Eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> lésions cochléaires sur la perception <strong>de</strong> la parole<br />

1.b. Cours en province<br />

Professeur invitant : Jean-Louis Man<strong>de</strong>l (Institut <strong>de</strong> Génétique <strong>et</strong> <strong>de</strong> Biologie Moléculaire<br />

<strong>et</strong> Cellulaire, IGBMC, Strasbourg).<br />

Faculté <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine, 29 mai 2008 : Surdités héréditaires: qu’avons-nous appris par<br />

l’i<strong>de</strong>ntification <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes impliqués ?<br />

IGBMC, 30 mai 2008 : Un<strong>de</strong>rstanding molecular and cellular mechanisms of hearing:<br />

what can <strong>de</strong>afness genes teach us.


242 CHRISTINE PETIT<br />

1.c. Cours à l’étranger :<br />

Uppsala - Suè<strong>de</strong> (1 heure), 10 juin 2008 ; Professeur invitant : Ulf P<strong>et</strong>terson (Rudbeck<br />

laboratory, University, Uppsala, Suè<strong>de</strong>) : Human hereditary <strong>de</strong>afness: beyond the genes,<br />

the path to the mechanisms of hearing.<br />

2. Enseignements autres<br />

M2 Génétique Humaine <strong>et</strong> Neurobiologie (Erasmus), Université Paris 7, déc 2007 :<br />

« Hereditary sensory <strong>de</strong>fects ».<br />

Thèses<br />

Raphaël Étournay, Thèse <strong>de</strong> Doctorat <strong>de</strong> l’Université Pierre <strong>et</strong> Marie Curie, 12-12-2007 :<br />

« Surdités héréditaires : rôles <strong>de</strong> la myosine VIIa dans le développement <strong>de</strong> la cellule<br />

sensorielle auditive ».<br />

Nicolas Michalski, Thèse <strong>de</strong> Doctorat <strong>de</strong> l’Université Pierre <strong>et</strong> Marie Curie, 4-7-2008 :<br />

« Cochlear mechano-electrical transduction : i<strong>de</strong>ntification and functional characterisation<br />

of its components ».<br />

Principaux séminaires <strong>et</strong> conférences sur invitation 2007-2008<br />

From Molecules to Cognition - a tribute to Jean-Pierre Changeux, International congress.<br />

Institut Pasteur, Paris, 15-17 Sept 2007 : « Hereditary <strong>de</strong>afness and molecular physiology<br />

of hearing ».<br />

Canadian College of Medical Gen<strong>et</strong>icists Congress. Vancouver, Canada, 16 Nov 2007:<br />

« Human hereditary <strong>de</strong>afness: from genes to pathogenesis ».<br />

Force-Gated Ion Channels: From Structure to Sensation. HHMI Janelia Farm Research<br />

Campus, Ashburn, USA, 18-21 May 2008 : « Fibrous links of the hair bundle : structure<br />

and function enlightened by human <strong>de</strong>afness genes ».<br />

International Symposium on Biotechnology. Sfax, Tunisia, 4-8 May 2008 : « From<br />

human hereditary <strong>de</strong>afness to the cellular and molecular mechanisms of hearing ».<br />

Faculté <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine, Strasbourg, 29 mai 2008 : « Surdités héréditaires : qu’avons-nous<br />

appris par l’i<strong>de</strong>ntification <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes impliqués ? ».<br />

IGBMC, Strasbourg, 30 May 2008 : « Un<strong>de</strong>rstanding molecular and cellular mechanisms<br />

of hearing : what can <strong>de</strong>afness genes teach us ».<br />

Rudbeck laboratory - Faculty of Medicine, University Uppsala, Swe<strong>de</strong>n, 10 June 2008.<br />

Invited by Pr Ulf P<strong>et</strong>tersson : « Human hereditary <strong>de</strong>afness: beyond the genes, the path to<br />

the mechanisms of hearing ».<br />

Karolinska Institut<strong>et</strong>, Stockholm, 12 June 2008, Invited by Pr Mats Ulfendahl : « Human<br />

hereditary <strong>de</strong>afness : From genes to the mechanisms of hearing ».<br />

NHS2008 Conference, Beyond Newborn Hearing Screening : Infant and Childhood Hearing<br />

in Science and Clinical Practice. Cernobbio (Como), Italy, 19-21 June 2008 : « Hereditary<br />

auditory neuropathies : from the genes to the pathogenesis ».<br />

International Congress on Systems Biology, Systems biology of Hearing, Göteborg, Swe<strong>de</strong>n,<br />

27 August 2008 : « Multidisciplinary experimental approaches and mo<strong>de</strong>lling of sensory<br />

hair bundle functioning ».


GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 243<br />

Centre <strong>de</strong> Recherche <strong><strong>de</strong>s</strong> Cor<strong>de</strong>liers, Université Pierre-<strong>et</strong>-Marie Curie, Paris, 5 sept<br />

2008 : « Surdités héréditaires : comment les gènes impliqués éclairent la physiologie<br />

auditive ».<br />

Institut interdisciplinaire <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences du Vivant <strong><strong>de</strong>s</strong> Saints-Pères, Université Paris<br />

Descartes, Paris, 15 sept 2008 : « Comment les surdités héréditaires humaines éclairent la<br />

physiologie moléculaire du système auditif ».<br />

Organisation <strong>de</strong> symposia <strong>et</strong> colloques<br />

« From Molecules to Cognition - a tribute to Jean-Pierre Changeux », International congress.<br />

Institut Pasteur, Paris, 15-17 sept 2007.<br />

Colloque Institut <strong>de</strong> la Vision-département <strong>de</strong> Neuroscience <strong>de</strong> l’Institut Pasteur, Paris,<br />

16 oct 2007.<br />

Réunion RTRS (Réseau Thématique <strong>de</strong> Recherche <strong>et</strong> <strong>de</strong> Soins), Audition, Paris, 29 oct<br />

2007.<br />

International Congress on Systems Biology, Systems biology of Hearing, Göteborg, Swe<strong>de</strong>n,<br />

27 August 2008 : « Multidisciplinary experimental approaches and mo<strong>de</strong>lling of sensory<br />

hair bundle functioning ».<br />

Conférences « Grand public »<br />

« Mystères <strong>de</strong> la science biomédicale », Institut Pasteur, Paris, 6 nov 2007.<br />

« Surdité héréditaire : quelles avancées ? quelles perspectives ? ».<br />

Colloques-débats<br />

Femmes d’Histoire - Femmes <strong>de</strong> sciences, Palais <strong><strong>de</strong>s</strong> Congrès <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Culture, Le Mans,<br />

27 jan 2008 : « Des femmes à la tête <strong>de</strong> la recherche ».<br />

Conférences <strong>de</strong> presse<br />

Appear « From Lab to Life », European Parliament, Bruxelles, 27 June 2007, Bringing<br />

the results of European research to the soci<strong>et</strong>y.<br />

Fondation pour la Recherche Médicale, Paris, 25 sept 2007.


Thème général <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong><br />

Biologie <strong>et</strong> génétique du développement<br />

M. Spyros Artavanis-Tsakonas, professeur<br />

La génétique moléculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes modèles :<br />

un paradigme <strong>de</strong> principes généraux en biologie<br />

Le développement harmonieux <strong>et</strong> cohérent d’un organisme multicellulaire<br />

nécessite une parfaite coordination <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions cellulaires. Leurs dérèglements<br />

sont très souvent à l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> dysfonctionnements cellulaires responsables <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

pathologies. Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> ces leçons, nous avons examiné les aspects <strong>de</strong> biologie<br />

cellulaire <strong>et</strong> moléculaire d’une voie <strong>de</strong> signalisation fondamentale conservée parmi<br />

tous les métazoaires. L’acquisition <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances <strong>de</strong> biologie fondamentale sur<br />

c<strong>et</strong>te voie conduit à abor<strong>de</strong>r <strong><strong>de</strong>s</strong> questions impliquées dans les processus<br />

pathologiques <strong>et</strong> en particulier lors <strong>de</strong> la tumorigenèse. Nous avons insisté, au<br />

<strong>cours</strong> <strong>de</strong> ces <strong>cours</strong>, sur l’usage <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes modèles développés chez les vertébrés<br />

<strong>et</strong> les invertébrés, pour répondre à ces différentes questions.<br />

Les séminaires ont été remplacés par un colloque, présenté en anglais le 21 mars<br />

sous le titre :<br />

« Drosophila melanogaster : un modèle expérimental pour l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

maladies humaines »<br />

Ce colloque d’une journée se proposait <strong>de</strong> donner à un novice un aperçu<br />

théorique détaillé <strong>de</strong> la mouche du fruit, Drosophila melanogaster, utilisée comme<br />

système modèle expérimental pour répondre à <strong><strong>de</strong>s</strong> questions-clé en biologie <strong>et</strong> en<br />

mé<strong>de</strong>cine.<br />

Drosophila est l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> plus importants organismes modèles utilisés <strong>de</strong> nos jours<br />

par les biologistes. Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la longue pério<strong>de</strong> historique <strong>de</strong> son utilisation, près<br />

d’un siècle, comme système modèle, la Drosophile a permis d’accroître <strong>de</strong> manière


246 SPYROS ARTAVANIS-TSAKONAS<br />

significative <strong>et</strong> sur une large échelle notre compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> aspects fondamentaux<br />

<strong>de</strong> la biologie, entraînant ainsi plusieurs découvertes qui ont ébranlé les<br />

connaissances acquises au préalable.<br />

Le séquençage du génome humain <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> la mouche <strong>et</strong> leur gran<strong>de</strong> homologie<br />

ont conduit les chercheurs à créer <strong><strong>de</strong>s</strong> outils sophistiqués disponibles dans la<br />

mouche <strong>et</strong> applicables aux maladies humaines. Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te journée, les<br />

participants aux colloque ont été invités à une démonstration <strong><strong>de</strong>s</strong> méthodologies<br />

génétiques <strong>et</strong> moléculaires disponibles couramment chez la mouche, m<strong>et</strong>tant en<br />

évi<strong>de</strong>nce ses contraintes <strong>et</strong> ses limites afin d‘appréhen<strong>de</strong>r aisément la littérature sur<br />

la Drosophile <strong>et</strong> concevoir <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences avec ce puissant système modèle.<br />

Les thèmes suivants ont été abordés :<br />

• Drosophila as a mo<strong>de</strong>l organism – Past, Present and Future<br />

• Basic Drosophila skills – Husbandry, Mutations and Phenoypes, Polytene and<br />

Balancer Chromosomes, Aneuploidy, Gene Mapping<br />

• Mutagenesis, Basic Gen<strong>et</strong>ic Screens and Cloning – Generating Mutations,<br />

Performing a Chemical Mutagenesis Screen, Transgenesis, P elements, P lacZ,<br />

GAL4-UAS System, Enhancer Trapping, Gain of Function Screens<br />

• Advanced gen<strong>et</strong>ics – Tissue-specific Expression, Gen<strong>et</strong>ic Mosaics, the FLP-FRT<br />

and MARCM Systems, Germline Mosaics and ovoD , Inducible GAL4 expression,<br />

GFP tagging, Reverse gen<strong>et</strong>ics, RNAi, Transposon insertion collections<br />

• Using flies to address human biology and behavior – Stem Cells, Spinal<br />

Muscular Atrophy, Huntington’s Disease, Alzheimer’s Disease, Cancer and<br />

M<strong>et</strong>astasis, Alcoholism, Drugs of Abuse, Sexual Behavior and Circuitry<br />

Les conférenciers étaient les suivants :<br />

Spyros Artavanis-Tsakonas – <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> – Department of Cell Biology,<br />

Harvard Medical School<br />

Doug Dimlich, Glenn Doughty, Mark Kankel, Anindya Sen - Department of<br />

Cell Biology, Harvard Medical School<br />

Activité générale du laboratoire<br />

Notre recherche se concentre sur l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes régissant le<br />

développement <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes multicellulaires. Nous essayons <strong>de</strong> comprendre<br />

comment une cellule souche indifférenciée répond pour se différencier à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

signaux <strong>et</strong> évolue ainsi vers un état plus avancé <strong>de</strong> son développement.<br />

La détermination d’une lignée cellulaire donnée, pendant le développement,<br />

dépend d’un ensemble complexe <strong>de</strong> signaux. Nous sommes plus particulièrement<br />

intéressés à définir la base moléculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> règles à l’origine <strong>de</strong> ces mécanismes<br />

pléiotropiques, <strong>et</strong> comment leurs actions sont intégrées dans différentes étapes du


BIOLOGIE ET GÉNÉTIQUE DU DÉVELOPPEMENT 247<br />

développement pour affecter <strong><strong>de</strong>s</strong> décisions spécifiques. L’analyse <strong>de</strong> ces phénomènes<br />

<strong>de</strong>vrait nous perm<strong>et</strong>tre non seulement <strong>de</strong> définir les processus biologiques<br />

fondamentaux, mais également <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en lumière les mécanismes liés aux<br />

pathologies humaines, notamment le cancer, qui correspond à l’incapacité <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules<br />

à répondre <strong>de</strong> manière appropriée aux signaux lors d’un développement normal.<br />

En utilisant la drosophile comme modèle expérimental, nous étudions une voie<br />

<strong>de</strong> signalisation fondamentale, conservée au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’évolution : la voie Notch.<br />

Des mutations génétiques <strong>de</strong> la voie <strong>de</strong> signalisation Notch peuvent entraîner le<br />

développement anormal d’un éventail très large <strong>de</strong> structures chez les métazoaires.<br />

Entre autres, le fonctionnement anormal <strong>de</strong> la voie Notch chez l’Homme a été<br />

associé à <strong>de</strong> nombreuses pathologies, dont celles dites néo-plasiques. L’élément<br />

central <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te voie <strong>de</strong> signalisation est le récepteur <strong>de</strong> surface appelé Notch. La<br />

voie <strong>de</strong> signalisation Notch ne semble pas donner d’instructions très précises quant<br />

au <strong>de</strong>venir d’une lignée cellulaire. En eff<strong>et</strong>, elle semble plutôt moduler la capacité<br />

d’une cellule non différenciée à recevoir <strong>et</strong>/ou interpréter <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux aboutissant<br />

à <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes aussi nombreux que variés, tels que la différentiation, la<br />

prolifération <strong>et</strong> l’apoptose. Ainsi, la voie Notch, qui est présente <strong>de</strong>puis le vers<br />

C. elegans jusqu’à l’homme est un régulateur fondamental <strong><strong>de</strong>s</strong> lignées cellulaires.<br />

La question centrale <strong>de</strong> notre travail est <strong>de</strong> comprendre comment les signaux<br />

Notch s’impliquent dans d’autres facteurs cellulaires pour affecter le développement<br />

<strong>et</strong> l’entr<strong>et</strong>ien <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes cellulaires.<br />

Nous utilisons <strong><strong>de</strong>s</strong> approches génétiques <strong>et</strong> moléculaires pour étudier le<br />

mécanisme <strong>de</strong> signalisation du récepteur Notch <strong>et</strong> les divers éléments associés à la<br />

casca<strong>de</strong> d’éléments biochimiques définissant la voie. Une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> notre<br />

travail concerne l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports génétiques <strong>et</strong> moléculaires entre les éléments<br />

<strong>de</strong> la voie Notch <strong>et</strong> d’autres éléments cellulaires qui peuvent agir pour modifier les<br />

signaux Notch. Nous essayons <strong>de</strong> comprendre les circuits cellulaires dans lesquels<br />

Notch est intégré pendant les processus <strong>de</strong> développement normaux <strong>et</strong><br />

pathologiques. Notre approche se fon<strong>de</strong> sur <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques <strong>de</strong> génétique <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

biochimie en utilisant la drosophile, la souris <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures cellulaires comme<br />

modèles expérimentaux. Depuis peu, nous utilisons aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> approches dites<br />

« génomiques » afin d’étudier la voie Notch dans le cadre d’une approche plus<br />

systématique.<br />

Dans l’avenir, nous poursuivrons ces <strong>travaux</strong> avec le proj<strong>et</strong> d’ajouter quelques<br />

moyens technologiques à notre base expérimentale <strong>et</strong> méthodologique. Les<br />

fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> notre proj<strong>et</strong> rési<strong>de</strong>nt dans les approches expérimentales décrites<br />

ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous :<br />

a) Nous poursuivons l’analyse <strong>et</strong> la dissection <strong>de</strong> la voie Notch chez la drosophile<br />

en utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> génétiques <strong>et</strong> moléculaires. Notre analyse génétique se<br />

fon<strong>de</strong> sur l’i<strong>de</strong>ntification <strong><strong>de</strong>s</strong> « modificateurs » du signal Notch dans différents<br />

contextes du développement. En outre, notre approche génétique visant à i<strong>de</strong>ntifier<br />

<strong>de</strong> nouveaux « interacteurs » <strong>de</strong> Notch se complète maintenant par l’analyse


248 SPYROS ARTAVANIS-TSAKONAS<br />

moléculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> complexes protéiques en utilisant la technique <strong>de</strong> chromatographie<br />

d’affinité suivie par analyse en spectrométrie <strong>de</strong> masse ainsi que la technique du<br />

double hybri<strong>de</strong> chez la levure. Afin d’i<strong>de</strong>ntifier les « modificateurs » <strong>de</strong> la voie<br />

Notch, nous effectuons aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> criblages RNAi <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> criblages <strong>de</strong> drogues, à haut<br />

débit. Plus particulièrement, nous tentons <strong>de</strong> comprendre les eff<strong>et</strong>s quantitatifs <strong>de</strong><br />

la signalisation Notch sur la qualité du développement. En d’autres mots, nous<br />

tentons <strong>de</strong> répondre aux questions suivantes :<br />

— La nature <strong>de</strong> la réponse en termes <strong>de</strong> développement dépend-elle <strong>de</strong> la<br />

quantité du signal Notch ?<br />

— Comment les signaux Notch intègrent-ils leurs activités dans les divers<br />

contextes cellulaires qu’ils rencontrent pendant le développement ?<br />

Ces questions sont essentielles pour appréhen<strong>de</strong>r les différents aspects <strong>de</strong> la voie<br />

Notch <strong>et</strong> sa pléiotropie. Répondre à ces questions nous perm<strong>et</strong>trait également <strong>de</strong><br />

comprendre la voie Notch en tant que système biologique <strong>et</strong>, par conséquent, <strong>de</strong><br />

prendre toute la mesure la complexité qui est la règle en biologie.<br />

b) Nous avons traditionnellement employé <strong><strong>de</strong>s</strong> moyens génétiques pour disséquer<br />

les circuits dans lesquels la signalisation Notch est intégrée. Cependant, il est<br />

<strong>de</strong>venu clair qu’une compréhension complète <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits Notch ne pourra se faire<br />

sans une cartographie complète <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions entre protéines, dans la cellule.<br />

C<strong>et</strong>te carte physique est en train d’être réalisée dans le cadre d’un proj<strong>et</strong> ambitieux<br />

que nous avons initié <strong>et</strong> qui associe trois laboratoires (Harvard, Berkeley <strong>et</strong> l’institut<br />

<strong>de</strong> TATA à Bangalore) ainsi qu’une entreprise <strong>de</strong> biotechnologies (Cellzome,<br />

Hei<strong>de</strong>lberg). Le proj<strong>et</strong> consiste à i<strong>de</strong>ntifier toutes les interactions physiques dans<br />

lesquelles l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines (le protéome) est impliqué. Notre approche<br />

comporte l’isolement biochimique <strong><strong>de</strong>s</strong> complexes <strong>de</strong> protéines par chromatographie<br />

d’affinité, à partir <strong>de</strong> lignées cellulaires <strong>et</strong> d’embryons <strong>de</strong> drosophile. Ensuite, les<br />

différents composants <strong><strong>de</strong>s</strong> complexes protéiques sont i<strong>de</strong>ntifiés par analyse <strong>de</strong><br />

spectrométrie <strong>de</strong> masse.<br />

c) Les approches génétiques classiques, bien qu’efficaces pour la dissection <strong>et</strong> la<br />

compréhension <strong>de</strong> la voie Notch, sont parfois quelque peu limitées, par le besoin<br />

<strong>de</strong> générer <strong>et</strong> d’i<strong>de</strong>ntifier les mutants. Notre laboratoire a aujourd’hui l’honneur<br />

d’être le « gardien » <strong>et</strong> le « distributeur » auprès <strong>de</strong> la communauté universitaire<br />

d’une collection très sophistiquée <strong>et</strong> unique <strong>de</strong> drosophiles, correspondant à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

mutants par insertion, qui couvre ~ 50 % du génome (la collection <strong>de</strong> mutants<br />

d’Exelixis). La collection se compose <strong>de</strong> presque 20 000 souches différentes. D’une<br />

part, la collection joue le rôle <strong>de</strong> dépôt pour <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations spécifiques qui sont<br />

caractérisées à l’échelle moléculaire. D’autre part, elle peut également être utilisée<br />

comme outil pour examiner <strong>de</strong> manière systématique <strong>et</strong> rapi<strong>de</strong> les modifications<br />

éventuelles <strong>de</strong> phénotypes spécifiques. Nous tirons profit <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ressource en<br />

effectuant <strong><strong>de</strong>s</strong> criblages génétiques à haut débit afin <strong>de</strong> trouver quels sont les<br />

éléments modificateurs <strong>de</strong> la voie Notch. D’ailleurs, notre capacité à effectuer <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

criblages à une vitesse sans précé<strong>de</strong>nt nous a incité à réexaminer quelques problèmes


BIOLOGIE ET GÉNÉTIQUE DU DÉVELOPPEMENT 249<br />

classiques <strong>de</strong> la biologie du développement chez la drosophile, tels que la<br />

détermination <strong>et</strong> la régénération ainsi que leur rapport possible avec Notch, <strong>de</strong><br />

manière systématique — encore impossible il y a peu <strong>de</strong> temps.<br />

d) Un autre proj<strong>et</strong>, que nous venons d’initier mais qui <strong>de</strong>vrait se développer<br />

dans les années à venir, se concentre sur les aspects structuraux <strong>de</strong> Notch. En<br />

collaboration avec un collègue à Harvard (Tom Walz), nous avons lancé une étu<strong>de</strong><br />

qui vise à comprendre <strong><strong>de</strong>s</strong> aspects structuraux du récepteur Notch en utilisant la<br />

microscopie électronique. Tout d’abord, nous nous intéressons à l’état oligomère<br />

du récepteur <strong>et</strong> à ses interactions avec <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs intracellulaires <strong>et</strong> extracellulaires.<br />

À ce jour, rien n’est vraiment connu au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> ces aspects structuraux <strong>et</strong> leurs<br />

implications dans la fonction <strong>de</strong> Notch. En utilisant la microscopie électronique<br />

ainsi que l’analyse en microscopie optique : la technique du FRET, nous <strong>de</strong>vrions<br />

pourvoir répondre à ces questions sur les aspects fondamentaux du processus <strong>de</strong><br />

transduction du signal Notch.<br />

e) Dans le cadre <strong>de</strong> nos étu<strong><strong>de</strong>s</strong> utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes mammifères, nous<br />

examinons, d’une part, comment la modulation <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux Notch peut influencer<br />

le <strong>de</strong>venir <strong>et</strong> le potentiel <strong>de</strong> prolifération <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules souches <strong>et</strong> nous essayons,<br />

d’autre part, d’analyser les situations pathologiques dans lesquelles Notch est<br />

impliqué. De nombreux <strong>travaux</strong> indiquent que Notch jouerait un rôle important<br />

dans divers aspects biologiques <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules souches. Notre collaboration avec le<br />

laboratoire <strong>de</strong> Pr. Daniel Louvard à l’Institut Curie à Paris, consiste à examiner<br />

comment Notch peut affecter la différentiation <strong>de</strong> cellules souches, dans l’intestin,<br />

chez la souris. Nous poursuivons la caractérisation moléculaire d’un modèle<br />

mammaire <strong>de</strong> cancer que nous avons développé chez la souris, où nous pouvons<br />

induire une néoplasie non-invasive en régression qui se développe en adénocarcinome<br />

invasif. Nous utilisons <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques génétiques <strong>et</strong> génomiques (puce à ADN)<br />

pour analyser les lésions qui contribuent à c<strong>et</strong>te transition. Nous caractérisons<br />

également <strong><strong>de</strong>s</strong> lésions en régression <strong>et</strong> les comparons à <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs induites par<br />

plusieurs oncogènes « classiques ». Notre analyse est également complétée par un<br />

proj<strong>et</strong> en collaboration avec le laboratoire <strong>de</strong> Joan Brugge (Harvard) qui utilise un<br />

système tridimensionnel <strong>de</strong> culture <strong>de</strong> cellules mammaires.<br />

Enfin, notre intérêt se porte aussi sur l’analyse <strong>et</strong> la compréhension <strong>de</strong> la base<br />

moléculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations associées aux syndromes <strong>de</strong> CADASIL <strong>et</strong> d’Alagille. Ces<br />

<strong>de</strong>ux maladies sont <strong><strong>de</strong>s</strong> syndromes humains pléiotropiques dominants qui affectent<br />

le récepteur Notch <strong>et</strong> son ligand Jagged. On utilise <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles transgéniques pour<br />

étudier ces problèmes.<br />

Proj<strong>et</strong> du laboratoire à l’Institut Curie<br />

Dans le cadre du nouveau pôle <strong>de</strong> Biologie du développement, actuellement en<br />

<strong>cours</strong> <strong>de</strong> construction à l’Institut Curie, un laboratoire dédié à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />

cancérogenèse va s’installer.


250 SPYROS ARTAVANIS-TSAKONAS<br />

L’implication <strong>de</strong> la voie Notch dans l’oncogenèse<br />

Le rôle <strong>de</strong> la voie Notch dans le développement comme dans tous les processus<br />

essentiels est pléiotropique, agissant à maintes reprises dans les différents contextes<br />

du développement. La dérégulation <strong>de</strong> Notch conduit à <strong><strong>de</strong>s</strong> déficiences dans<br />

chaque système biologique étudié, <strong>et</strong> par voie <strong>de</strong> conséquence à <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies ; ce<br />

qui n’est pas surprenant compte tenu <strong>de</strong> l’importance du rôle fondamental <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

voie <strong>de</strong> signalisation.<br />

Il a été démontré <strong>de</strong>puis longtemps la relation entre la dérégulation <strong>de</strong> Notch <strong>et</strong><br />

la prolifération cellulaire. Mais <strong>de</strong> récents <strong>travaux</strong> ont insisté sur la possibilité que<br />

le rôle <strong>de</strong> Notch dans les maladies humaines pouvait être plus ordinaire qu’il ne<br />

semblait initialement. Il est donc apparu évi<strong>de</strong>nt que la modulation du signal<br />

Notch pouvait être à la fois un paramètre important d’une maladie mais aussi une<br />

cible thérapeutique.<br />

Objectifs<br />

Par l’utilisation <strong>de</strong> souris transgéniques (déjà en notre possession), nous<br />

proposons<br />

1) d’étudier les conséquences <strong>de</strong> l’activation du récepteur Notch dans la glan<strong>de</strong><br />

mammaire <strong>et</strong> l’épithélium intestinal ;<br />

2) d’analyser <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments génétiques comme cibles d’activation <strong>de</strong> Notch ;<br />

3) d’examiner l’implication non autonome <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux Notch dans les étapes <strong>de</strong><br />

la prolifération <strong>et</strong> leur rôle potentiel sur les interactions épithélium-mésemchyme.<br />

Programme <strong>de</strong> recherche<br />

1) Nous avons établi <strong><strong>de</strong>s</strong> lignées <strong>de</strong> quatre souris transgéniques qui hébergent<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> formes activées «Floxed » <strong>de</strong> chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre récepteurs Notch 1, 2, 3, <strong>et</strong> 4<br />

introduites dans le chromosome Rosa. Des croisements avec <strong><strong>de</strong>s</strong> lignées Cre<br />

appropriées nous perm<strong>et</strong>tent d’activer le signal Notch dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus spécifiques<br />

<strong>et</strong> d’étudier pour la première fois <strong>et</strong> <strong>de</strong> manière systématique les différences<br />

quantitatives <strong>et</strong> qualitatives entre ces quatre récepteurs.<br />

C<strong>et</strong>te analyse commencera par une évaluation détaillée <strong>de</strong> l’activation <strong>de</strong> Notch<br />

en utilisant MMTV Cre dans l’épithélium mammaire, <strong>et</strong> Villin Cre dans<br />

l’épithélium intestinal. Dans les <strong>de</strong>ux cas, les résultats seront comparés aux modèles<br />

transgéniques, que nous avons développés en activant le récepteur Notch 1. Ces<br />

<strong>de</strong>ux modèles ont fait l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> publications ; ils définissent notre base <strong>de</strong> travail<br />

pour ces expériences.<br />

L’analyse phénotypique détaillée, utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> marqueurs immuno-cytochimiques<br />

<strong>et</strong> fluorescents requiert la disponibilité d’équipements d’imagerie optique<br />

spécifiques.


BIOLOGIE ET GÉNÉTIQUE DU DÉVELOPPEMENT 251<br />

2) Nous avons développé un modèle <strong>de</strong> souris transgénique dans lequel<br />

l’activation du récepteur Notch 1 dans l’épithélium mammaire induit le<br />

développement rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> néoplasmes dépendants <strong>de</strong> grossesse/lactation qui m<strong>et</strong>tent<br />

en évi<strong>de</strong>nce une combinaison histopathologique caractéristique. L’ensemble <strong>de</strong><br />

cellules activées par Notch conserve sa possibilité à répondre à <strong><strong>de</strong>s</strong> stimuli<br />

apoptotiques <strong>et</strong> régresse dès l’involution <strong>de</strong> la glan<strong>de</strong> mammaire, mais semble faire<br />

apparaître dans les grossesses ultérieures <strong><strong>de</strong>s</strong> adénocarcinomes malins non-régressifs.<br />

Il est donc significatif que les tumeurs régressives, observées dans la glan<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

lactation présentent un exemple <strong>de</strong> dérégulation <strong>de</strong> la prolifération qui semble<br />

précé<strong>de</strong>r un dérangement <strong>de</strong> la mort cellulaire. Les cellules dans ces tumeurs<br />

conservent leur aptitu<strong>de</strong> à répondre aux signaux apoptotiques pendant l’involution<br />

<strong>et</strong> en conséquence régressent, bien que <strong><strong>de</strong>s</strong> événements mutagéniques secondaires<br />

entraînent une malignité qualifiée. Dans nos tentatives pour i<strong>de</strong>ntifier ces<br />

événements secondaires, nous avons utilisé le CGH (Comparative Génomic<br />

Hybridization) pour comparer la régression avec la non-régression <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs<br />

Notch. Nous allons suivre les phénomènes biologiques <strong>et</strong> moléculaires <strong>de</strong> quelquesunes<br />

<strong>de</strong> ces cibles <strong>et</strong> prévoyons <strong>de</strong> vali<strong>de</strong>r celles-ci sur <strong><strong>de</strong>s</strong> échantillons humains.<br />

En outre, nous avons démontré par notre analyse in vivo que dans l’épithélium<br />

mammaire, la Cyclin D1 est une cible in vivo <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux Notch <strong>et</strong> que nous<br />

pouvons inhiber l’oncogenèse mammaire induite par Hras 1 dépendant <strong>de</strong> la<br />

cycline D1- en exprimant l’antagoniste Deltex <strong>de</strong> Notch.<br />

Nous souhaitons utiliser le même modèle pour étudier <strong>et</strong> comparer les<br />

conséquences sur la glan<strong>de</strong> mammaire <strong>de</strong> l’activation <strong>de</strong> Notch 2, 3, <strong>et</strong> 4 (voir<br />

ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus, objectifs 1 <strong>et</strong> 3).<br />

L’analyse, que nous avons poursuivie à la fois sur la drosophile <strong>et</strong> sur <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures<br />

<strong>de</strong> cellules mammaires, démontre que les cellules exprimant l’activation <strong>de</strong> Notch 1<br />

peuvent stimuler une activité mitotique chez leurs voisins cellulaires. Ce<br />

comportement cellulaire non autonome <strong>de</strong> Notch est le suj<strong>et</strong> d’une analyse<br />

systématique <strong>de</strong> notre laboratoire concernant la drosophile.<br />

Nous proposons d’étendre notre étu<strong>de</strong> aux souris en utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> xénogreffes.<br />

C<strong>et</strong>te approche expérimentale <strong>de</strong> notre analyse est fondée sur nos résultats se<br />

rapportant à une lignée cellulaire — (537M provenant <strong>de</strong> souris transgéniques<br />

MMTV) — capable d’induire <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs greffées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> « souris nu<strong><strong>de</strong>s</strong> » lorsque<br />

celle-ci est mélangée à <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules exprimant Notch activé tandis qu’elle n’induit<br />

pas la formation <strong>de</strong> tumeurs lorsqu’elle est mélangée à <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules qui n’expriment<br />

pas Notch. Ce mélange <strong>de</strong> cellules qui inclut l’expression <strong>de</strong> cellules dans Notch<br />

activé provoque une réduction <strong>de</strong> la lactation (<strong>de</strong> près <strong>de</strong> 50 %) <strong>et</strong> accroît le niveau<br />

apparent <strong>de</strong> croissance <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs. Une série d’expériences sont prévues pour tirer<br />

profit <strong>de</strong> ces observations afin d’étudier la capacité du signal Notch à agir sur<br />

divers types <strong>de</strong> cellules <strong>et</strong> aussi pour étudier en qualité <strong>et</strong> en quantité les différences<br />

sur les quatre récepteurs Notch.


252 SPYROS ARTAVANIS-TSAKONAS<br />

Publications récentes<br />

Hurlbut, G.D., Kankel, M.W., Lake, R.J., Artavanis-Tsakonas S. (2007). Crossing paths<br />

with Notch in the hyper-n<strong>et</strong>work. Curr. Opin. Cell. Biol. 19 (2) : 166-175.<br />

Kelly, D.F., Lake, R.J., Walz, T., Artavanis-Tsakonas S. (2007). Conformational variability<br />

of the intracellular domain of Drosophila Notch and its interaction with Suppressor of<br />

Hairless. Proc. Natl. Acad. Sci. USA 23 : 9591-6.<br />

Arboleda-Velasquez, J.F., Zhou, Z., Shin, H.K., Louvi, A., Kim, H.H., Savitz, S.I.,<br />

Liao, J.K., Salomone, S., Ayata, C., Moskowitz, M.A., Artavanis-Tsakonas, S. (2008).<br />

Linking Notch signaling to ischemic stroke. Proc. Natl. Acad. Sci. USA 25 ; 105 (12) :<br />

4856-61.<br />

Bentley, Anna M., Artavanis-Tsakonas, S., Stanford, J. (2008). Nano<strong>cours</strong>es : a Short<br />

Course Format as an Educational Tool in a Biological Sciences Graduate Curriculum.<br />

CBE-Life Sciences Education.<br />

Fre, Silvia, Ksh<strong>et</strong>rapal, Pallavi, Huyghe, Mathil<strong>de</strong>, Lae, Marick, Robine, Sylvie, Artavanis-<br />

Tsakonas, S. and Louvard, D. (2008). Notch and Wnt signals cooperatively control cell<br />

proliferation and tumorigenesis in the mouse intestine, soumis à Nature Medicine.<br />

Hurlbut, G., Kankel, M., Artavanis Tsakonas, S. Notch-Ras signal integration in<br />

Drosophila <strong>de</strong>velopment : nodal points and complexity, Soumis à Nature.


Processus morphogénétiques<br />

M. Alain Prochiantz, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />

Morphogènes <strong>et</strong> morphogenèse<br />

Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la chaire <strong><strong>de</strong>s</strong> Processus morphogénétiques portait c<strong>et</strong>te année sur la<br />

question <strong><strong>de</strong>s</strong> morphogènes. La première définition du terme <strong>de</strong> morphogène nous<br />

vient d’un article <strong>de</strong> 1952 d’Alan Turing « Les bases moléculaires <strong>de</strong> la<br />

morphogenèse ». Pour Turing, il s’agit d’évocateurs <strong>de</strong> formes, en référence aux<br />

évocateurs <strong>de</strong> Waddington. Il s’agit donc là d’une définition assez vague, très<br />

éloignée <strong><strong>de</strong>s</strong> critères un peu contraignants qui prési<strong>de</strong>nt aujourd’hui au classement<br />

d’une substance dans la catégorie <strong><strong>de</strong>s</strong> morphogènes. Il reste que Turing dans c<strong>et</strong><br />

article séminal a mis en place le principe <strong>de</strong> réaction-diffusion qui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

comprendre, en principe, comment à partir d’un champ homogène <strong>de</strong>ux<br />

morphogènes auto-inducteurs <strong>et</strong> inhibiteurs réciproques, peuvent créer <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

« patterns » à la suite d’un simple différentiel <strong>de</strong> diffusion.<br />

Au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> Turing <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> « gènes diffusibles », ce qui me semble<br />

constituer le fond <strong>de</strong> l’affaire, le point <strong>de</strong> départ du <strong>cours</strong> est le problème du<br />

drapeau français tel qu’il est posé par Lewis Wolpert dans un article très important<br />

<strong>de</strong> 1967. Dans c<strong>et</strong> article Wolpert propose un modèle très simple <strong>de</strong> patterning<br />

d’un champ morphogénétique. Une source <strong>de</strong> morphogène, à une certaine distance<br />

un puits qui dégra<strong>de</strong> le morphogène, <strong>et</strong> entre source <strong>et</strong> puits un gradient continue<br />

<strong>de</strong> ce morphogène. Chaque cellule du champ reçoit une certaine dose <strong>de</strong><br />

morphogène en fonction <strong>de</strong> sa position entre source <strong>et</strong> puits <strong>et</strong> répond à c<strong>et</strong>te<br />

information <strong>de</strong> position par l’expression d’un caractère. Si on ajoute <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s<br />

seuils, le champ peut être divisé en plusieurs zones qui expriment <strong><strong>de</strong>s</strong> caractères<br />

différents, par exemple une zone bleue, une blanche <strong>et</strong> une rouge, d’où le « drapeau<br />

français » <strong>de</strong> Wolpert.<br />

C<strong>et</strong> article pose dès le début un grand nombre <strong>de</strong> problèmes qui sont loin d’être<br />

résolus <strong>et</strong> qui ont fait la substance du <strong>cours</strong>. Le premier est la diffusion : les


254 ALAIN PROCHIANTZ<br />

morphogènes diffusent-ils ? Si on considère la surface <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules comme une toile<br />

cirée, rien ne s’y oppose. Mais la réalité est très éloignée <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te image. La surface<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> cellules est un maquis <strong>de</strong> protéines <strong>et</strong> <strong>de</strong> sucres complexes rendant très improbable<br />

que les morphogènes diffusent librement. Il est intéressant, <strong>et</strong> ironique, <strong>de</strong> constater<br />

que Wolpert lui-même vient d’écrire un article dans lequel il revient sur son idée <strong>de</strong><br />

départ pour déclarer que les morphogènes ne diffusent pas. Un <strong>de</strong>uxième problème<br />

est que les champs morphogénétiques ne sont pas stables. Les cellules se divisent,<br />

meurent, migrent <strong>et</strong> acquièrent continûment <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés nouvelles. Un troisième<br />

obstacle est celui du temps. Une cellule, en fonction <strong>de</strong> sa position est exposée, certes<br />

à une certaine concentration <strong>de</strong> morphogène, mais c<strong>et</strong>te exposition dure plus ou<br />

moins longtemps. Tout modèle doit donc intégrer c<strong>et</strong>te notion <strong>de</strong> durée d’exposition.<br />

Enfin (provisoirement car il ne s’agit pas d’être exhaustif), la concentration efficace<br />

<strong>de</strong> morphogène dépend aussi du mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> transduction du signal <strong>et</strong> <strong>de</strong> la régulation<br />

<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te transduction. Le problème est plus compliqué, donc, que ne le laisse penser<br />

ce modèle idéal proposé par Wolpert en 1967 <strong>et</strong> dont l’évi<strong>de</strong>nte simplicité rallia tous<br />

les esprits (les bons).<br />

Malgré ce caveat, le modèle <strong>de</strong> Wolpert fut considéré très longtemps comme<br />

incontournable, il est encore considéré comme valable dans certains <strong>de</strong> ses aspects.<br />

Aussi parce qu’il a reçu <strong>de</strong> forts soutiens expérimentaux. Le plus décisif fut l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

l’établissement <strong>de</strong> l’axe antéro-postérieur <strong>de</strong> l’embryon <strong>de</strong> Drosophile. Sans entrer<br />

dans les détails, l’équipe <strong>de</strong> Nüsslein-Volhard établit que la protéine Bicoïd est<br />

synthétisée au pôle antérieur, à partir <strong>de</strong> messagers ancrés à ce pôle <strong>et</strong> diffuse à travers<br />

l’embryon qui, à ce sta<strong>de</strong>, est un syncitium, c’est-à-dire que les noyaux se divisent<br />

mais baignent tous dans le même cytoplasme (les membranes se formeront plus<br />

tard). La taille totale <strong>de</strong> l’embryon est constante à ce sta<strong>de</strong> <strong>et</strong> la protéine diffuse<br />

librement, instruisant chaque noyau <strong>de</strong> sa position <strong>et</strong> régulant l’expression <strong>de</strong> gènes<br />

qui « coupent » l’embryon en trois domaines. On ne pouvait rêver mieux comme<br />

illustration du problème du drapeau français. C’est ainsi que Bicoïd, (pourtant un<br />

facteur <strong>de</strong> transcription !) fut longtemps considéré comme morphogène idéal.<br />

Sur ce modèle il fut découvert que <strong>de</strong> nombreux morphogènes apportent par<br />

diffusion une information <strong>de</strong> position déterminant le <strong>de</strong>venir morphologique <strong>et</strong><br />

physiologique d’ensembles cellulaires. Un excellent exemple chez les vertébrés est<br />

fourni par sonic hedgehog (sHH) dont la diffusion à partir <strong>de</strong> la notochor<strong>de</strong> puis<br />

<strong>de</strong> la plaque du plancher détermine, avec d’autres facteurs comme les Bone<br />

Morphogen<strong>et</strong>ic Proteins (BMPs), le patron d’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes <strong>de</strong> développement<br />

le long <strong>de</strong> l’axe dorso-ventral du tube nerveux. Son activité morphogénétique au<br />

niveau <strong>de</strong> la patte est aussi un grand classique. Dans ce cas comme dans celui<br />

d’autres morphogènes (BMPs, FGFs, Wnts,…) l’existence d’un gradient né d’une<br />

diffusion a toujours été postulée, parfois démontrée. La drosophile a constitué un<br />

obj<strong>et</strong> d’étu<strong>de</strong> essentiel à notre compréhension <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> du mo<strong>de</strong> d’action <strong>de</strong><br />

morphogènes, pas seulement pour le cas <strong>de</strong> Bicoïd que je viens d’évoquer, mais<br />

aussi pour d’autres <strong>de</strong> ces facteurs, dont DPP (une parente <strong><strong>de</strong>s</strong> BMP), Wingless


PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 255<br />

(Wg) <strong>et</strong> Hedgehog (HH). Mais avant <strong>de</strong> développer le rôle <strong>de</strong> ces morphogènes<br />

dans la construction <strong>de</strong> l’aile <strong>de</strong> drosophile, le <strong>cours</strong> s’est attardé sur Bicoïd.<br />

En 2002, Bahram Huchmandza<strong>de</strong>h, Eric Wieschaus <strong>et</strong> le mathématicien Stanislas<br />

Leibler publient un article dans lequel ils démontrent que le gradient <strong>de</strong> Bicoïd est<br />

très variable entre embryons mais que les bords qui sont déterminés <strong>et</strong> les domaines<br />

d’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes définissant les territoires morphogénétiques restent très<br />

stables dans leurs positions <strong>et</strong> étendues. D’où un problème intéressant <strong>de</strong> robustesse<br />

<strong>de</strong> la réponse malgré le bruit du signal. Trois années plus tard, l’équipe <strong>de</strong> Nathalie<br />

Dostatni publie un autre article qui démontre que « contrary to recent reports<br />

proposing that the Bcd gradient is not sufficient to establish precise positional<br />

information, we show that Bcd drives precise and sharp expression of its targ<strong>et</strong><br />

genes through a process that <strong>de</strong>pends exclusively on its ability to activate<br />

transcription ». Décryptons : Contrairement à ce que propose Huchmandza<strong>de</strong>h,<br />

Wieschaus <strong>et</strong> Liebler, aucun système <strong>de</strong> filtrage du bruit n’est nécessaire à la<br />

robustesse <strong>de</strong> la réponse génétique. Ce débat, va initier toute une série d’expériences<br />

au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>quelles il sera démontré que la constante <strong>de</strong> diffusion <strong>de</strong> Bicoïd est dix<br />

fois inférieure à ce qui serait nécessaire pour établir un gradient <strong>et</strong> surtout pour<br />

que la longueur scalaire soit constante. Ce qui semble exclure une diffusion passive<br />

à partir d’une source antérieure <strong>et</strong> oblige à s’interroger sur la façon dont le gradient<br />

<strong>de</strong> Bicoïd se m<strong>et</strong> en place au tout début du développement embryonnaire.<br />

C<strong>et</strong>te question <strong>de</strong> la diffusion <strong><strong>de</strong>s</strong> morphogènes est centrale <strong>et</strong> dépasse largement<br />

le cas <strong>de</strong> Bicoïd. Une gran<strong>de</strong> partie <strong><strong>de</strong>s</strong> exemples du <strong>cours</strong> pris dans la morphogenèse<br />

<strong>de</strong> l’aile <strong>de</strong> la Drosophile ont eu pour but <strong>de</strong> s’interroger sur ce point. Il y a<br />

plusieurs façons d’abor<strong>de</strong>r le problème. D’abord du côté <strong><strong>de</strong>s</strong> morphogènes <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

leur structure. Ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> molécules souvent chargées positivement <strong>et</strong> donc<br />

susceptibles d’interagir fortement avec <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines <strong>de</strong> la matrice extracellulaire ou<br />

<strong>de</strong> récepteurs <strong>de</strong> surface <strong>de</strong> type protéoglycans. Certains d’entre eux, Wnt/Wg <strong>et</strong><br />

sHH/HH par exemple, sont modifiés par l’addition <strong>de</strong> séquences lipidiques<br />

hydrophobes, ou d’un résidu cholestérol, ce qui induit <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions avec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

lipi<strong>de</strong> membranaires. Ce sont là <strong><strong>de</strong>s</strong> freins à la diffusion qui nécessitent <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

stratégies <strong>de</strong> « contournement » impliquant l’existence <strong>de</strong> transporteurs, <strong>de</strong><br />

mécanismes <strong>de</strong> clivage <strong><strong>de</strong>s</strong> domaines actifs, <strong>et</strong>c. Un autre paramètre est la structure<br />

du milieu. Si l’on prend l’épithélium à jonctions serrées du disque imaginal <strong>de</strong><br />

l’aile <strong>de</strong> drosophile, il est constitué <strong>de</strong> cellules polarisées avec une face basolatérale<br />

<strong>et</strong> une face apicale. La face basolatérale est extrêmement contournée <strong>et</strong> il est<br />

improbable que la diffusion puisse se faire autrement que par mouvement brownien,<br />

ce qui n’empêche pas que la présence <strong>de</strong> matrice <strong>et</strong> <strong>de</strong> récepteurs <strong>de</strong> surface bloque<br />

c<strong>et</strong>te diffusion.<br />

Sans vouloir énumérer tous les cas particuliers, une chose est certaine, le<br />

mouvement <strong><strong>de</strong>s</strong> morphogènes, le plus souvent, ne peut reposer sur une diffusion<br />

passive mais requiert <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> transport. Un <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> transport,<br />

« l’argosome », repose sur l’endocytose <strong>et</strong> l’exocytose <strong><strong>de</strong>s</strong> morphogènes. On se gar<strong>de</strong>ra


256 ALAIN PROCHIANTZ<br />

d’entrer trop avant dans le débat sur la nécessité, ou non, <strong>de</strong> l’endocytose pour que la<br />

signalisation prenne place. Débat intéressant cependant, car il est lié à la question <strong>de</strong><br />

la durée d’exposition à un morphogène, variable aussi importante que sa<br />

concentration. Si la signalisation <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une endocytose, le temps passé dans la<br />

vésicule d’endocytose, aussi vésicule <strong>de</strong> signalisation, peut influencer l’activité du<br />

morphogène. L’argosome peut signaliser mais il peut aussi en passant <strong>de</strong> cellule à<br />

cellule transporter les morphogènes sans que ceux-ci ne soient jamais, ou presque, en<br />

contact avec le mon<strong>de</strong> extérieur. Ce transport planaire est une façon élégante<br />

d’échapper aux obstacles à la diffusion présents dans l’espace intercellulaire. Un autre<br />

mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> transport à gran<strong>de</strong> distance est le cytonème. Il s’agit <strong>de</strong> longs prolongements<br />

cellulaires très fins, constitués <strong>de</strong> filaments d’actine, <strong>et</strong> qui contactent les morphogènes<br />

à <strong><strong>de</strong>s</strong> distances parfois très gran<strong><strong>de</strong>s</strong>. L’idée est que le temps mis pour que le signal<br />

remonte au corps cellulaire constitue une « mesure » <strong>de</strong> la distance.<br />

Mais le modèle le plus populaire aujourd’hui est celui du cil. Il est admis<br />

désormais que presque toutes les cellules ont un cil primaire. Ce cil est une sorte<br />

d’organe sensoriel qui présente <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs à son extrémité. Par exemple, sHH<br />

signale en se fixant à l’extrémité du cil sur son récepteur « patched/smoothened ».<br />

Mais, en même temps, les cils battent <strong>et</strong> ce battement est <strong>de</strong> nature à orienter les<br />

morphogènes. Cela est d’autant plus proche <strong>de</strong> la réalité que les cellules porteuses<br />

<strong>de</strong> cils forment un épithélium à polarité planaire conduisant à une synchronisation<br />

du battement ciliaire. L’implication <strong><strong>de</strong>s</strong> cils a été démontrée à toutes les étapes du<br />

développement (par exemple l’établissement d’une dissymétrie droite/gauche) non<br />

sans conséquences sur l’étiologie <strong>de</strong> plusieurs pathologies. Un exemple intéressant<br />

<strong>de</strong> ce concept se trouve dans la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription d’un cas <strong>de</strong> morphogenèse adulte, celui<br />

<strong>de</strong> la migration <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules neurales <strong>de</strong> la zone subventriculaire (SVZ) vers le bulbe<br />

olfactif. Ces cellules générées — à partir <strong>de</strong> cellules souches adultes — au niveau<br />

<strong>de</strong> l’épithélium qui bor<strong>de</strong> le ventricule latéral migrent selon un courant antérogra<strong>de</strong><br />

<strong>et</strong> renouvellent les interneurones GABAergiques du bulbe olfactif, la région la plus<br />

antérieure du cerveau. Des <strong>travaux</strong> récents impliquant plusieurs laboratoires <strong>et</strong><br />

coordonnés par Arturo Alvarez Buylla démontrent que c<strong>et</strong>te direction antérogra<strong>de</strong><br />

est induite par un facteur répulsif (Slit1/2) sécrété par le plexus choroï<strong>de</strong> <strong>et</strong> poussé<br />

en avant par le battement coordonné <strong><strong>de</strong>s</strong> cils qui bor<strong>de</strong>nt le ventricule. Pour<br />

résumer les cils ont une double action : mécanique sur le transport <strong><strong>de</strong>s</strong> morphogènes<br />

<strong>et</strong> transductrice du signal dans la mesure où ils portent <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs aux<br />

morphogènes.<br />

En conclusion, le <strong>cours</strong> a abordé ces questions avec pour objectif <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en<br />

évi<strong>de</strong>nce les zones d’ombres, les contradictions expérimentales <strong>et</strong> les simplifications<br />

abusives <strong>de</strong> nombre <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles qui circulent. Nous n’avons pas <strong>de</strong> proposition<br />

miracle, mais nous pensons que le phénomène <strong>de</strong> transduction <strong><strong>de</strong>s</strong> homéoprotéines,<br />

considérées comme <strong>de</strong> véritables morphogènes, constitue une solution intéressante.<br />

C<strong>et</strong>te solution a été examinée sur le plan théorique, en collaboration avec David<br />

Holcman, <strong>et</strong> sur le plan expérimental. Curieusement, quand il s’agit <strong>de</strong> la formation<br />

<strong>de</strong> bords, elle rejoint très exactement les propositions initiales d’Alan Turing.


PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 257<br />

Références principales du <strong>cours</strong> 2007-2008<br />

1. Affolter, M. & Basler, K. The Decapentaplegic morphogen gradient : from pattern<br />

formation to growth regulation. Nat Rev Gen<strong>et</strong> 8, 663-74 (2007).<br />

2. Ainsworth, C. Cilia : tails of the unexpected. Nature 448, 638-41 (2007).<br />

3. Ashe, H.L. & Briscoe, J. The interpr<strong>et</strong>ation of morphogen gradients. Development<br />

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4. Barkai, N. & Shilo, B.Z. Variability and robustness in biomolecular systems. Mol Cell<br />

28, 755-60 (2007).<br />

5. Bollenbach, T. <strong>et</strong> al. Precision of the Dpp gradient. Development 135, 1137-46<br />

(2008).<br />

6. Breitling, R. Greased hedgehogs : new links b<strong>et</strong>ween hedgehog signaling and cholesterol<br />

m<strong>et</strong>abolism. Bioessays 29, 1085-94 (2007).<br />

7. Brun<strong>et</strong>, I., Di Nardo, A.A., Sonnier, L., Beur<strong>de</strong>ley, M. & Prochiantz, A. The topological<br />

role of homeoproteins in the <strong>de</strong>veloping central nervous system. Trends in Neurosci. 30,<br />

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8. Bulow, H.E. & Hobert, O. The molecular diversity of glycosaminoglycans shapes<br />

animal <strong>de</strong>velopment. Annu Rev Cell Dev Biol 22, 375-407 (2006).<br />

9. Cadigan, K.M. Regulating morphogen gradients in the Drosophila wing. Semin Cell<br />

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10. Caspary, T. & An<strong>de</strong>rson, K.V. Patterning cell types in the dorsal spinal cord : what<br />

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11. Caspary, T., Larkins, C.E. & An<strong>de</strong>rson, K.V. The gra<strong>de</strong>d response to Sonic Hedgehog<br />

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12. Christensen, S.T. & Ott, C.M. Cell signaling. A ciliary signaling switch. Science<br />

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22. Gibson, M.C. Bicoid by the numbers : quantifying a morphogen gradient. Cell 130,<br />

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23. Gierer, A. & Meinhardt, H. A theory of biological pattern formation. Kybern<strong>et</strong>ik<br />

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258 ALAIN PROCHIANTZ<br />

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25. Gonzalez-Gaitan, M. & Stenmark, H. Endocytosis and signaling : a relationship<br />

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26. Greco, V., Hannus, M. & Eaton, S. Argosomes : a potential vehicle for the spread<br />

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28. Gregor, T., Tank, D.W., Wieschaus, E.F. & Bialek, W. Probing the limits to positional<br />

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nuclear dynamics of the bicoid morphogen gradient. Cell 130, 141-52 (2007).<br />

30. Guerrero, I. & Chiang, C. A conserved mechanism of Hedgehog gradient formation<br />

by lipid modifications. Trends Cell Biol 17, 1-5 (2007).<br />

31. Gurdon, J.B. & Bourillot, P.Y. Morphogen gradient interpr<strong>et</strong>ation. Nature 413,<br />

797-803 (2001).<br />

32. Holcman, D., Kasatkin, V. & Prochiantz, A. Mo<strong>de</strong>ling homeoprotein intercellular<br />

transfer unveils a parsimonious mechanism for gradient and boundary formation in early<br />

brain <strong>de</strong>velopment. J Theor Biol 249, 503-17 (2007).<br />

33. Houchmandza<strong>de</strong>h, B., Wieschaus, E. & Leibler, S. Establishment of <strong>de</strong>velopmental<br />

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34. Houchmandza<strong>de</strong>h, B., Wieschaus, E. & Leibler, S. Precise domain specification in<br />

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(2005).<br />

35. Hsiung, F., Ramirez-Weber, F.A., Iwaki, D.D. & Kornberg, T.B. Depen<strong>de</strong>nce of<br />

Drosophila wing imaginal disc cytonemes on Decapentaplegic. Nature 437, 560-3 (2005).<br />

36. Kasatkin, V., Prochiantz, A. & Holcman, D. Morphogen<strong>et</strong>ic gradients and the<br />

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156-78 (2008).<br />

37. Kerszberg, M. Noise, <strong>de</strong>lays, robustness, canalization and all that. Curr Opin Gen<strong>et</strong><br />

Dev 14, 440-5 (2004).<br />

38. Kerszberg, M. & Wolpert, L. Specifying positional information in the embryo :<br />

looking beyond morphogens. Cell 130, 205-9 (2007).<br />

39. Kicheva, A. & Gonzalez-Gaitan, M. The Decapentaplegic morphogen gradient : a<br />

precise <strong>de</strong>finition. Curr Opin Cell Biol 20, 137-43 (2008).<br />

40. Kicheva, A. <strong>et</strong> al. Kin<strong>et</strong>ics of morphogen gradient formation. Science 315, 521-5<br />

(2007).<br />

41. Kiecker, C. & Lums<strong>de</strong>n, A. Compartments and their boundaries in vertebrate brain<br />

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42. Kornberg, T. Pictures in cell biology. Cytonemes. Trends Cell Biol 9, 434 (1999).<br />

43. Lan<strong>de</strong>r, A.D. Morpheus unbound: reimagining the morphogen gradient. Cell 128,<br />

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44. Lawrence, P.A. & Struhl, G. Morphogens, compartments, and pattern : lessons from<br />

drosophila ? Cell 85, 951-61 (1996).<br />

45. McHale, P., Rappel, W.J. & Levine, H. Embryonic pattern scaling achieved by<br />

oppositely directed morphogen gradients. Phys Biol 3, 107-20 (2006).<br />

46. Meinhardt, H. Space-<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt cell d<strong>et</strong>ermination un<strong>de</strong>r the control of morphogen<br />

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PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 259<br />

47. Nusse, R. Wnts and Hedgehogs : lipid-modified proteins and similarities in signaling<br />

mechanisms at the cell surface. Development 130, 5297-305 (2003).<br />

48. O’Connor, M.B., Umulis, D., Othmer, H.G. & Blair, S.S. Shaping BMP morphogen<br />

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49. O’Leary, D.D., Chou, S.J. & Sahara, S. Area patterning of the mammalian cortex.<br />

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are required for Hedgehog and Wingless signalling. Nature 435, 58-65 (2005).<br />

51. Placzek, M. & Briscoe, J. The floor plate: multiple cells, multiple signals. Nat Rev<br />

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52. Ramirez-Weber, F.A. & Kornberg, T.B. Cytonemes : cellular processes that project to<br />

the principal signaling center in Drosophila imaginal discs. Cell 97, 599-607 (1999).<br />

53. Reeves, G.T., Muratov, C.B., Schupbach, T. & Shvartsman, S.Y. Quantitative mo<strong>de</strong>ls<br />

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54. Reinitz, J. Developmental biology : a ten per cent solution. Nature 448, 420-1<br />

(2007).<br />

55. Rogulja, D. & Irvine, K.D. Regulation of cell proliferation by a morphogen gradient.<br />

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56. Rohatgi, R., Milenkovic, L. & Scott, M. P. Patched1 regulates hedgehog signaling at<br />

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59. Sjodal, M., Edlund, T. & Gunhaga, L. Time of exposure to BMP signals plays a key<br />

role in the specification of the olfactory and lens placo<strong><strong>de</strong>s</strong> ex vivo. Dev Cell 13, 141-9<br />

(2007).<br />

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1938).<br />

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62. Teleman, A.A., Strigini, M. & Cohen, S. M. Shaping morphogen gradients. Cell<br />

105, 559-62 (2001).<br />

63. Turing, A.M. The chemical basis of morphogenesis. Phil trans B 237, 37-72<br />

(1952).<br />

64. Umulis, D., O’Connor, M.B. & Othmer, H.G. Robustness of embryonic spatial<br />

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65. Vincent, J.P. & Magee, T. Argosomes : membrane fragments on the run. Trends Cell<br />

Biol 12, 57-60 (2002).<br />

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67. Yucel, G. & Small, S. Morphogens : precise outputs from a variable gradient. Curr<br />

Biol 16, R29-31 (2006).<br />

68. Zhu, A.J. & Scott, M.P. Incredible journey : how do <strong>de</strong>velopmental signals travel<br />

through tissue ? Genes Dev 18, 2985-97 (2004).


260 ALAIN PROCHIANTZ<br />

Séminaire<br />

Le séminaire a été tenu sous la forme d’une journée dédiée au thème Forme <strong>et</strong><br />

Polarité cellulaire, le Lundi 10 décembre 2007. C<strong>et</strong>te journée a été divisée en<br />

4 thèmes :<br />

I. Organisation dynamique <strong>de</strong> la synapse, biologie cellulaire <strong>et</strong> modélisation<br />

Antoine Triller, INSERM <strong>et</strong> Ecole normale supérieure<br />

Maxime Dahan, CNRS <strong>et</strong> Ecole normale supérieure<br />

II. Transport <strong>et</strong> fusion vésiculaire, biologie cellulaire <strong>et</strong> modélisation<br />

Thiéry Galli, CNRS <strong>et</strong> Institut Jacques Monod/Université Denis Di<strong>de</strong>rot<br />

David Holcman, CNRS <strong>et</strong> Ecole normale supérieure<br />

III. Morphogenèse <strong>et</strong> polarités cellulaire <strong>et</strong> planaire<br />

Yohan Bellaïche, CNRS <strong>et</strong> Institut Curie<br />

Thomas Lecuit, CNRS <strong>et</strong> Université <strong>de</strong> Marseille-Luminy<br />

Hotoyoshi Yasuo, CNRS, Villefrance-sur-mer<br />

Alain Prochiantz, CNRS, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> Ecole normale supérieure<br />

Recherche<br />

La recherche du laboratoire se divise, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> recouvrements, entre une partie<br />

théorique <strong>et</strong> fondamentale <strong>et</strong> une autre plus orientée vers les applications<br />

technologiques ou thérapeutiques.<br />

Partie théorique <strong>et</strong> fondamentale<br />

Création <strong>de</strong> patterns<br />

Nous avons continué d’explorer la signification physiologique du mécanisme <strong>de</strong><br />

signalisation par transfert intercellulaire <strong>de</strong> protéines à homéodomaine. Ces étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

s’appuient sur quatre modèles. Un premier modèle est la formation <strong>de</strong> bords le<br />

long <strong>de</strong> l’axe dorso-ventral du tube nerveux aux pério<strong><strong>de</strong>s</strong> précoces du développement.<br />

La stratégie est <strong>de</strong> suivre la façon dont les frontières entre territoires dorso-ventraux<br />

peuvent être modifiés quand on bloque le passage intercellulaire <strong>de</strong> certains facteurs<br />

<strong>de</strong> transcription <strong>de</strong> la classe <strong><strong>de</strong>s</strong> homéoprotéines en particulier Pax6 <strong>et</strong> Nkx2.2. Ces<br />

étu<strong><strong>de</strong>s</strong> menées en collaboration avec l’équipe <strong>de</strong> Jean-Léon Thomas à la Salpêtrière<br />

viennent <strong>de</strong> débuter <strong>et</strong> il est encore trop tôt pour tracer l’état <strong><strong>de</strong>s</strong> lieux. Les<br />

premières données sont encourageantes dans la mesure où le blocage du passage<br />

intercellulaire <strong>de</strong> Pax6 chez le poul<strong>et</strong> au sta<strong>de</strong> E2 induit une modification du<br />

patron d’expression <strong>de</strong> MNR2 <strong>et</strong> HB9.


PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 261<br />

Dans le même ordre d’idée nous avons utilisé, en collaboration avec Forence<br />

Maschat (CNRS, Montpellier), une stratégie <strong>de</strong> blocage du passage <strong>de</strong><br />

l’homéoprotéine Engrailed dans le disque imaginal <strong>de</strong> l’aile <strong>de</strong> drosophile. Les<br />

données sont, ici encore, préliminaires mais elles suggèrent que c<strong>et</strong>te opération<br />

modifie <strong>de</strong> façon non autonome cellulaire le développement <strong>de</strong> la veine transverse<br />

dans la partie antérieure <strong>de</strong> l’aile (à proximité <strong>de</strong> la frontière antéro-postérieure).<br />

Guidage axonal<br />

Dans une étu<strong>de</strong> antérieure menée en collaboration avec le laboratoire <strong>de</strong> Christine<br />

Holt (Cambridge, UK) nous avons démontré (Brun<strong>et</strong> <strong>et</strong> al. Nature, 483, 94-98,<br />

2005) que les cônes <strong>de</strong> croissance <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones ganglionnaires <strong>de</strong> la rétine (RGCs)<br />

d’origine nasale <strong>et</strong> temporale répon<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> façon opposée (attraction <strong>et</strong> répulsion)<br />

quand ils sont placés dans un gradient <strong>de</strong> l’homéoprotéine Engrailed. C<strong>et</strong>te réponse<br />

requière l’internalisation <strong>de</strong> la protéine par les cônes <strong>et</strong> repose sur une régulation <strong>de</strong><br />

la traduction locale <strong><strong>de</strong>s</strong> ARN messagers <strong><strong>de</strong>s</strong> cônes par l’homéoprotéine, sans<br />

implication <strong>de</strong> la transcription. Cela nous a amené à développer le travail le long <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ux axes. D’une part vérifier que ce mécanisme opère in vivo au moment <strong>de</strong> la mise<br />

en place <strong><strong>de</strong>s</strong> connexion r<strong>et</strong>ine-tectum. D’autre part i<strong>de</strong>ntifier les ARN messagers<br />

régulés au niveau traductionnel après internalisation <strong>de</strong> l’homéoprotéine.<br />

La partie in vivo implique une collaboration avec Andrea Wizenmann <strong>et</strong><br />

Wolfgang Wurst (Tübingen <strong>et</strong> Munich, Allemagne), <strong>et</strong> Christine Holt (Cambridge,<br />

UK). Elle est pratiquement achevée <strong>et</strong> sera renvoyée, sous la forme d’un manuscrit<br />

révisé, à la revue Neuron dans les semaines qui viennent. Dans ce manuscrit nous<br />

démontrons sans ambiguïté les faits suivants :<br />

1. Engrailed (En1 <strong>et</strong> En2) sont exprimés à la surface du tectum selon un gradient<br />

antéro-postérieur. La quantité <strong>de</strong> protéine à la surface correspond à 5 % <strong>de</strong> son<br />

contenu nucléaire.<br />

2. La neutralisation <strong>de</strong> la protéine extracellulaire in vivo entraîne une projection<br />

ectopique <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones temporaux dans les domaines postérieurs du tectum.<br />

3. C<strong>et</strong>te activité d’Engrailed se fait en coopération avec les Ephrins, l’EphrinA5<br />

en particulier.<br />

Nous pouvons donc conclure que le transfert in vivo <strong>de</strong> l’homéoproteine<br />

Engrailed est nécessaire au patterning <strong><strong>de</strong>s</strong> projections <strong>de</strong> la rétine sur le tectum.<br />

Pour ce qui est <strong>de</strong> la caractérisation <strong><strong>de</strong>s</strong> messagers traduits, nous avons utilisé<br />

une approche par puces à ADN en comparant dans diverses situations (Engrailed<br />

internalisé ou non) le population <strong><strong>de</strong>s</strong> messagers en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> traduction (sur les<br />

polysomes). Nous avons aujourd’hui une dizaine <strong>de</strong> candidats sérieux qui seront<br />

bientôt testés (en collaboration avec le laboratoire <strong>de</strong> Christine Holt). Parmi ces<br />

candidats nous avons eu la surprise <strong>de</strong> trouver <strong><strong>de</strong>s</strong> messagers mitochondriaux <strong>et</strong><br />

nous développons, sur c<strong>et</strong>te base, l’hypothèse selon laquelle l’internalisation<br />

d’Engrailed entraîne une augmentation <strong>de</strong> l’activité du complexe I <strong>et</strong> la synthèse


262 ALAIN PROCHIANTZ<br />

d’ATP. C<strong>et</strong> ATP pourrait avoir une activité intracellulaire, mais aussi extracellulaire<br />

après sécrétion <strong>et</strong> fixation sur <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs purinergiques. Nous testons<br />

actuellement c<strong>et</strong>te hypothèse en mesurant l’ATP extracellulaire <strong>et</strong> en vérifiant si la<br />

réponse à Engrailed est modifiée par <strong><strong>de</strong>s</strong> agents pharmacologique interférant avec<br />

la voie <strong>de</strong> signalisation purinergique.<br />

Pério<strong>de</strong> critique<br />

Dans ce travail (collaboration avec Takao Hensch, Harvard Medical School,<br />

Boston, USA) nous avons démontré que la capture <strong>de</strong> l’homéoprotéine Otx2 par<br />

les interneurones GABAergiques à parvalbumine (couches 3 <strong>et</strong> 4 du cortex visuel<br />

binoculaire) ouvre la pério<strong>de</strong> critique (plasticité corticale) au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la maturation<br />

post-natale su système visuel. Ce travail fondé sur <strong><strong>de</strong>s</strong> pertes <strong>et</strong> gain <strong>de</strong> fonction<br />

d’Otx2 <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> enregistrements électrophysiologiques est actuellement sous presse<br />

(Sugiyama <strong>et</strong> al., Cell, 134, 508-520, 2008).<br />

Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong> nous avons observé qu’Otx2 infusé dans le cortex est<br />

spécifiquement internalisé par les neurones GABA à parvalbumine, suggérant un<br />

mécanisme <strong>de</strong> reconnaissance spécifique. Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année écoulée nous avons<br />

accumulé <strong><strong>de</strong>s</strong> données qui soutiennent l’hypothèse <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> sites <strong>de</strong> fixation<br />

constitués par <strong><strong>de</strong>s</strong> sucres complexes (glycosaminogycans). Nous avons i<strong>de</strong>ntifié<br />

dans la séquence d’Otx2 un domaine <strong>de</strong> 12 aci<strong><strong>de</strong>s</strong> aminés responsable <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

reconnaissance. La prochaine étape est donc <strong>de</strong> tester l’importance physiologique<br />

<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te reconnaissance en la bloquant in vivo au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> critique. Un<br />

autre point important est <strong>de</strong> comprendre le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> transduction du signal. Nous<br />

le faisons en recherchant les cibles transcriptionnelles <strong>et</strong> traductionnelle d’Otx2<br />

dans les neurones GABA à parvalbumine.<br />

Modélisation<br />

En collaboration avec David Holcman (Ecole normale supérieure), nous avons<br />

développé <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles pour tester les différents paramètres, tout particulièrement<br />

la robustesse, <strong>de</strong> ce mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> signalisation au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la mise en place <strong>de</strong> gradients<br />

morphogénétiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong> frontières entre territoires au sein du<br />

neuroépithélium. Reprenant les propriétés d’auto-activation <strong>et</strong> d’inhibition<br />

réciproque <strong><strong>de</strong>s</strong> homéoprotéines exprimées <strong>de</strong> part <strong>et</strong> d’autre d’une frontière, nous<br />

avons calculé que ce mécanisme, proche <strong>de</strong> celui proposé par Turing en 1952, est<br />

plausible <strong>et</strong> compatible avec les données <strong>de</strong> la littérature. Ces calculs ont été publiés<br />

(Holcman <strong>et</strong> al. J. Theor<strong>et</strong>ical Biol. 249, 503-517, 2007 ; Kasatkin <strong>et</strong> al., Bull<strong>et</strong>in<br />

of Mathematical Biology, 70, 156-178, 2008).


PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 263<br />

Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> technologiques <strong>et</strong> applications thérapeutiques<br />

Gliomes<br />

Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules souches adultes présentes dans le système nerveux<br />

central, Isabelle Caillé avait observé l’expression, dans l’hippocampe, <strong>de</strong> HOP<br />

(homeodomain only proteins) qui, comme son nom l’indique, est presque<br />

uniquement constituée d’un domaine <strong>de</strong> fixation à l’ADN (l’homéodomaine).<br />

Nous avons démontré, par perte <strong>et</strong> gain <strong>de</strong> fonction, que c<strong>et</strong>te mini-protéine est<br />

un anti-oncogène pour les cellules neurales souches adultes <strong>de</strong> l’hippocampe. C<strong>et</strong>te<br />

fonction est exercée à travers le contrôle <strong>de</strong> la mort programmée <strong>de</strong> ces précurseurs<br />

neuronaux. Grâce à une collaboration avec Ariel Ruiz i Altaba (Faculté <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine<br />

<strong>de</strong> Genève, CH), nous avons comparé l’expression <strong>de</strong> HOP dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus sains<br />

<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules souches tumorales <strong>de</strong> gliomes humains. HOP est réprimé dans ces<br />

cellules souches tumorales <strong>et</strong> l’induction <strong>de</strong> son expression les fait entrer en<br />

apoptose, suggérant un rôle important <strong>de</strong> HOP dans le processus oncogénique<br />

(De Toni <strong>et</strong> al. Neural Dev. 3, 13, 2008).<br />

Glaucome<br />

Le glaucome est provoqué par la mort <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules ganglionnaires rétiniennes<br />

(RGCs). Les causes <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te mort ne sont pas établies avec certitu<strong>de</strong>, même si l’idée<br />

prédominante implique une augmentation anormale <strong>de</strong> la pression intraoculaire.<br />

Sur la base d’observations préliminaires, nous avons formé l’hypothèse d’un<br />

contrôle <strong>de</strong> la survie <strong><strong>de</strong>s</strong> RGCs par le passage <strong>de</strong> la protéine Otx2 entre les cellules<br />

bipolaires <strong>et</strong> les RGCs. Dans le cadre d’un contrat industriel avec Fovea-SA, nous<br />

avons mis au point <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles in vitro <strong>et</strong> in vivo perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> tester les propriétés<br />

protectrices d’Otx2 sur la mort <strong><strong>de</strong>s</strong> RGCs adultes. Nos résultats suggèrent qu’Otx2<br />

internalisé par les RGCs protège ces neurones contre une mort induite soit par<br />

l’axotomie (in vitro) soit par une neurotoxicité glutamatergique (in vivo). Les<br />

hypothèses sur le rôle d’Otx2 comme protéine thérapeutique ont donné lieu à un<br />

dépôt <strong>de</strong> brev<strong>et</strong>.<br />

Maladie <strong>de</strong> Parkinson<br />

L’homéoprotéine Engrailed (En1 <strong>et</strong> En2) est exprimée, chez l’adulte, dans les<br />

noyaux dopaminergiques (DA) du mésencéphale, qui dégénèrent dans la maladie<br />

<strong>de</strong> Parkinson. Au <strong>cours</strong> d’un travail publie en 2007 (Sonnier <strong>et</strong> al., J. Neurosci.,<br />

27, 1063-1071, 2007), nous avions rapporté que la délétion d’un seul allèle En1<br />

(donc un allèle Engrailed sur quatre) s’accompagne d’une mort progressive <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

neurones DA chez l’adulte. C<strong>et</strong>te observation <strong>et</strong> d’autres raisons, que je ne<br />

développe pas, nous ont conduits a proposer qu’Engrailed pouvait se trouver dans<br />

le circuit génétique <strong>de</strong> la maladie <strong>de</strong> Parkinson. Depuis nous avons donné du poids<br />

à c<strong>et</strong>te hypothèse en démontrant qu’Engrailed internalisé par les neurones DA<br />

protège in vitro <strong>et</strong> in vivo contre leur mort spontanée, mais aussi induite par le<br />

MPP+, une drogue qui s’attaque au Complexe I mitochondrial. Nous sommes


264 ALAIN PROCHIANTZ<br />

actuellement en train d’i<strong>de</strong>ntifier les cibles transcriptionnelles <strong>et</strong> traductionnelles<br />

qui perm<strong>et</strong>traient d’expliquer c<strong>et</strong>te protection. A ce jour nous avons plusieurs<br />

cibles candidates dont nous vérifions la validité dans <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles in vivo. Parmi<br />

ces cibles, on r<strong>et</strong>rouve <strong><strong>de</strong>s</strong> messagers encodant <strong><strong>de</strong>s</strong> protéine du complexe I, ce qui<br />

— à travers la piste purinergique — trace un lien avec les <strong>travaux</strong> décrits plus haut<br />

sur le guidage <strong><strong>de</strong>s</strong> axones.<br />

Articles<br />

Publications <strong>et</strong> brev<strong>et</strong>s 2007-2008<br />

1. D. Holcman, V. Kasatkin & A. Prochiantz. (2007). Mo<strong>de</strong>ling homeoprotein<br />

intercellular transfer unveils a parsimonious mechanism for gradient and boundary formation<br />

in early brain <strong>de</strong>velopment. J. Theor. Biol., 249, 503-517.<br />

2. L. Sonnier, G. Le Pen, A. Hartman, J.-C. Bizot, F. Trovero, M.-O. Krebs &<br />

A. Prochiantz (2007). Progressive loss of dopaminergic neurons in the ventral midbrain of<br />

adult mice h<strong>et</strong>erozygote for Engrailed1 : a new gen<strong>et</strong>ic mo<strong>de</strong>l for neurological and psychiatric<br />

disor<strong>de</strong>rs. J. Neurosci., 27, 1063-1071.<br />

3. A. Di Nardo, S. Ne<strong>de</strong>lec (co-first), A. Trembleau, M. Volovitch, A. Prochiantz* & ML<br />

Montesinos (2007). Dendritic localization and activity-<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt translation of En1<br />

homeodomain transcription factor mRNA. Mol. Cell. Neurosci., 35, 230-236.<br />

4. A. von Holst, U. Egbers, A. Prochiantz & A. Faissner. (2007). Neural stem cell/<br />

progenitor cells express 20 tenascin isoforms that are differentially regulated by Pax6. J. Biol.<br />

Chem., 282, 9172-9181.<br />

5. B. Lesaffre, A. Joliot, A. Prochiantz & M. Volovitch. (2007). Direct non-cell autonomous<br />

Pax6 activity regulates eye <strong>de</strong>velopment in the zebrafish. Neural Development, 2, 2.<br />

6. E. Dupont, A. Prochiantz & A. Joliot (2007). I<strong>de</strong>ntification of a signal pepti<strong>de</strong> for<br />

unconventional secr<strong>et</strong>ion. J. Biol. Chem., 282, 8894-9000.<br />

7. V. Kasatkin, A. Prochiantz & D. Holcman (2008). Morphogen<strong>et</strong>ic gradients and the<br />

stability of boundaries b<strong>et</strong>ween neighbouring morphogen<strong>et</strong>ic regions. Bull<strong>et</strong>in of Mathematical<br />

Biology, 70, 156-178.<br />

8. A. De Toni, M. Zbin<strong>de</strong>n, J.A. Epstein, A. Ruiz, I. Altaba, A. Prochiantz & I. Caillé.<br />

(2008). Regulation of survival in adult hippocampal stem cell lineages by the homeodomain<br />

only protein HOP. Neural. Dev. 3, 13.<br />

9. S. Sugiyama, A. Di Nardo, S. Aizawa, I. Matsuo, M. Volovitch, A. Prochiantz* & TK<br />

Hensch*. (2008). Experience-<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt transport of Otx2 homeoprotein in the visual<br />

pathway activates postnatal cortical plasticity. Cell., 134, 508-520.<br />

Revues <strong>et</strong> commentaires<br />

1. I. Brun<strong>et</strong>, A. Di Nardo, L. Sonnier, M. Beur<strong>de</strong>ley & A. Prochiantz. Shaping neural<br />

pathways with messenger homeoproteins (2007). Trends in Neurosciences, 30, 260-267.<br />

2. A. Prochiantz. (2007). A protein fusion a day keeps the aggregates away. Molecular<br />

Therapy, 15, 226-227.<br />

3. Agid, Y. <strong>et</strong> al. (2007). How can drug discovery for psychiatric disor<strong>de</strong>rs be improved ?<br />

Nature Reviews Drug Discovery, 6, 189-201.<br />

4. A. Prochiantz. (2007). For protein transduction, chemistry can win over biology. Nat.<br />

M<strong>et</strong>hods, 4, 119-120.


Brev<strong>et</strong>s<br />

PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 265<br />

1. A. Prochiantz & K. Moya. Utilisation d’une Homéoprotéine <strong>de</strong> la famille Bicoïd pour<br />

le traitement du Glaucome. 9 janvier 2008, N° 08/00110.<br />

Conférences 2007-2008<br />

1. 7 th me<strong>et</strong>ing of the German Neuroscience Soci<strong>et</strong>y. Göttingen, Germany, March 29 th -<br />

April 1 st 2007.<br />

2. Molecular mechanisms in neural patterning and differentiation. CEINGE, Napoli<br />

April 20 th -22 nd 2007.<br />

3. Designing the Body Plan: Developmental mechanisms. June 4 th -8 th , Lei<strong>de</strong>n Lorentz<br />

center, 2007.<br />

4. 6 th international Symposium Neuronal mechanisms of Vision. Ruhr Universtät<br />

Bochum October 11 th -13 th , 2007.<br />

5. Brain Diseases and Molecular machines. March 25-28, Paris, <strong>France</strong>. Keynote<br />

lecture.<br />

6. Visual System Development Gordon Conference; August 10-15 2008, Newport<br />

Rho<strong>de</strong> Island, USA.<br />

7. The Cell-Pen<strong>et</strong>rating Pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> (CPP) Satellite Me<strong>et</strong>ing. 30-31 August 2008. Helsinki.<br />

Keynote lecture.<br />

8. Chemistry and Biology Symposium of the Japan Soci<strong>et</strong>y of Bioscience, Biotechnology<br />

and Agrochemistry. Nagoya September 27 th 2008. Keynote lecture.


I. Enseignement<br />

Immunologie moléculaire<br />

M. Philippe Kourilsky, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />

Le <strong>cours</strong> 2007-2008 a porté sur « Les systèmes immunitaires dans l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

espèces ». Il est accessible sur le site du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, <strong>et</strong> on n’évoquera ici que<br />

les enjeux scientifiques les plus importants.<br />

Tous les êtres vivants sont dotés <strong>de</strong> mécanismes <strong>de</strong> défense qui protègent leur<br />

intégrité <strong>et</strong> peuvent, au prix d’une extension <strong>de</strong> langage, être qualifiés d’immunitaires.<br />

Ainsi, certaines bactéries se défen<strong>de</strong>nt contre l’intrusion d’ADN extérieur (bactérien<br />

ou viral) par le système <strong>de</strong> restriction-modification. Les plantes possè<strong>de</strong>nt un<br />

système immunitaire développé, <strong>de</strong> même que les invertébrés. Bien entendu, le<br />

point <strong>de</strong> référence habituel est le système immunitaire <strong><strong>de</strong>s</strong> mammifères,<br />

principalement, celui <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> <strong>de</strong> la souris.<br />

Les approches expérimentales habituelles se sont récemment enrichies <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

analyses génomiques qui sont pratiquées sur un nombre croissant d’organismes.<br />

A partir <strong>de</strong> la séquence du génome entier d’une espèce donnée, on extrait, in silico,<br />

le sous-ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes impliqués dans les défenses immunitaires, i.e.<br />

l’immunome. On peut rechercher <strong><strong>de</strong>s</strong> filiations génétiques, tenter d’i<strong>de</strong>ntifier<br />

l’origine évolutive <strong>de</strong> tel ou tel gène, <strong>et</strong> se livrer à <strong><strong>de</strong>s</strong> comparaisons <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> hypothèses<br />

sur l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions.<br />

L’immunome <strong>de</strong> l’homme contient entre 5 % <strong>et</strong> 8 % <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes humains. Son<br />

périmètre est fonction <strong>de</strong> la définition du système immunitaire que l’on adopte <strong>et</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> appréciations que l’on porte sur la fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes. On y repère la<br />

classification majeure, produite par <strong><strong>de</strong>s</strong> décennies <strong>de</strong> recherche, entre immunité<br />

adaptative <strong>et</strong> immunité innée. La génération <strong>de</strong> la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> anticorps <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

récepteurs <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules T figure parmi les traits caractéristiques <strong>de</strong> l’immunité<br />

adaptative. C<strong>et</strong>te question a fasciné les immunologistes qui recherchent <strong>de</strong>puis<br />

longtemps leurs origines évolutives, au travers notamment <strong><strong>de</strong>s</strong> homologues <strong><strong>de</strong>s</strong>


268 PHILIPPE KOURILSKY<br />

gènes du Complexe Majeur d’Histocompatibilité (ou CMH). Toutefois, <strong>de</strong>puis<br />

1996, leur attention s’est à nouveau portée sur les gènes <strong>de</strong> l’immunité innée <strong>et</strong><br />

sur plusieurs familles <strong>de</strong> récepteurs qui agissent comme détecteurs <strong>de</strong> différentes<br />

classes d’agents infectieux.<br />

On s’est livré, au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> premières leçons, à une analyse « <strong><strong>de</strong>s</strong>cendante » <strong>de</strong><br />

l’immunité adaptative <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’immunité innée, partant <strong>de</strong> l’homme pour abor<strong>de</strong>r<br />

successivement les mammifères, d’autres vertébrés <strong>et</strong> enfin les invertébrés <strong>et</strong> les<br />

plantes. Une analyse transversale a conclu l’ensemble du <strong>cours</strong>.<br />

On observe que l’immunité adaptative, très développée <strong>et</strong> sophistiquée chez<br />

l’homme <strong>et</strong> chez la souris, l’est moins chez <strong><strong>de</strong>s</strong> mammifères plus anciens, les<br />

oiseaux <strong>et</strong> les poissons. Elle est absente chez les invertébrés. La frontière se situe<br />

entre poissons avec <strong>et</strong> sans mâchoires, les premiers disposant d’anticorps <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

CMH <strong>et</strong> les autres pas. Mais l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la lamproie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la myxine a montré que<br />

celles-ci fabriquent <strong><strong>de</strong>s</strong> anticorps d’un type totalement différent, caractérisés par<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> motifs moléculaires dits LRR (Leucine Rich Repeats) <strong>et</strong> non par <strong><strong>de</strong>s</strong> modules<br />

<strong>de</strong> type IgSF <strong>de</strong> la superfamille <strong><strong>de</strong>s</strong> immunoglobulines. Contrairement à ce que<br />

l’on avait cru, il n’y a donc pas eu une solution évolutive unique à la question <strong>de</strong><br />

la génération <strong>de</strong> la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> anticorps.<br />

Dans le même temps, on s’est aussi rendu compte que l’immunité innée est<br />

d’une complexité inattendue, en tant que telle, tout comme dans ses articulations<br />

avec l’immunité adaptative. Elle est particulièrement développée chez certains<br />

mammifères comme l’opossum. Chez ce <strong>de</strong>rnier, la phase <strong>de</strong> croissance extraplacentaire<br />

du nouveau-né implique que, pendant plusieurs semaines, sa survie<br />

dépend essentiellement <strong>de</strong> son immunité innée, qui semble effectivement très<br />

diversifiée.<br />

Les invertébrés n’ont pas d’immunité adaptative, mais leur immunité innée est<br />

parfois très sophistiquée, ce dont l’immunome <strong>de</strong> l’oursin donne un exemple.<br />

Dans tous les cas, on observe à la fois une forte conservation verticale <strong>de</strong> certains<br />

gènes qui représentent probablement une innovation évolutive critique, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

expansions horizontales, variables d’une espèce à l’autre, parfois considérables,<br />

m<strong>et</strong>tant en jeu jusqu’à <strong><strong>de</strong>s</strong> centaines <strong>de</strong> gènes. De plus, certains gènes donnent lieu<br />

à <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes d’épissage alternatif qui en diversifient les produits.<br />

Les plantes disposent d’un système d’immunité innée qui présente <strong>de</strong> nombreuses<br />

homologies avec celui <strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> invertébrés. Elles possè<strong>de</strong>nt un <strong>de</strong>uxième<br />

dispositif qui s’apparente à l’immunité adaptative, bien que fondé sur <strong><strong>de</strong>s</strong> agents<br />

moléculaires radicalement distincts, puisqu’il s’agit <strong><strong>de</strong>s</strong> p<strong>et</strong>its ARN interférants.<br />

La découverte, récente, <strong>de</strong> l’interférence ARN est l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> plus importantes <strong><strong>de</strong>s</strong> dix<br />

<strong>de</strong>rnières années. Les plantes l’utilisent pour se défendre contre les virus, mais le<br />

dispositif est plus largement exploité pour la lutte contre l’invasion <strong>de</strong> transposons <strong>et</strong><br />

la surveillance <strong>de</strong> l’intégrité du génome. Ces observations ont conduit à rechercher<br />

l’importance éventuelle <strong>de</strong> l’interférence ARN dans les systèmes immunitaires <strong><strong>de</strong>s</strong>


IMMUNOLOGIE MOLÉCULAIRE 269<br />

mammifères. Il est probable que ces <strong>de</strong>rniers exploitent effectivement ce mécanisme.<br />

Ils l’utilisent aussi pour surveiller l’intégrité du génome, mais s’en servent<br />

indirectement dans l’immunité adaptative, i.e. dans <strong><strong>de</strong>s</strong> processus <strong>de</strong> régulation<br />

plutôt que <strong>de</strong> reconnaissance directe. On soulignera que certains agents infectieux<br />

synthétisent <strong>de</strong> p<strong>et</strong>its ARN interférants pour circonvenir les défenses cellulaires.<br />

Dans ce cas, comme dans bien d’autres, on trouve les traces du combat évolutif entre<br />

les agents infectieux <strong>et</strong> leurs hôtes dans la multiplicité <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes d’échappement<br />

inventés par les agents infectieux <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> contre-systèmes développés par leurs hôtes.<br />

L’analyse évolutive <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes immunitaires induit donc un décentrage du<br />

regard. L’attention <strong><strong>de</strong>s</strong> immunologistes reste, très légitimement, concentrée sur<br />

l’homme, <strong>de</strong> même que sur la souris qui est censée lui servir — fort imparfaitement<br />

d’ailleurs — <strong>de</strong> modèle. La découverte d’autres principes fondateurs <strong>de</strong> l’immunité<br />

montre que, même pour une invention évolutive jugée remarquable, il y a plusieurs<br />

solutions. Ainsi, il existe chez les vertébrés au moins <strong>de</strong>ux catégories d’anticorps<br />

possibles, <strong>et</strong> les p<strong>et</strong>its ARN interférents constituent chez les plantes un système que<br />

l’on peut considérer comme adaptatif. De même, au niveau moléculaire, l’évolution<br />

a sélectionné au moins <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> colles « universelles » : les molécules à LRR<br />

<strong>et</strong> les modules <strong>de</strong> type IgSF. Au <strong>de</strong>meurant, les <strong>de</strong>ux sont utilisés, non seulement<br />

dans l’immunité adaptative, mais aussi dans l’immunité innée. L’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

récepteurs <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules NK chez l’homme <strong>et</strong> la souris fournit d’ailleurs un bel<br />

exemple d’évolution convergente, leur structure étant distincte <strong>et</strong> leur fonction<br />

quasi-i<strong>de</strong>ntique. Il n’y a donc aucune relation bi-univoque entre motifs structuraux<br />

<strong>et</strong> telle ou telle fonction <strong>de</strong> l’immunité adaptative ou innée.<br />

Ce qui brouille plus encore le tableau limpi<strong>de</strong> que propose la distinction<br />

académique entre immunité innée <strong>et</strong> immunité adaptative, est la notion d’immunité<br />

anticipative. Les vastes expansions génétiques observées dans <strong><strong>de</strong>s</strong> familles <strong>de</strong> gènes<br />

<strong>de</strong> l’immunité innée suggèrent qu’elles correspon<strong>de</strong>nt à une forme d’adaptation<br />

<strong>et</strong>/ou <strong>de</strong> sélection à telle ou telle niche écologique. Mais faut-il nécessairement en<br />

conclure que chaque gène a été sélectionné <strong>de</strong> façon précise, par exemple pour<br />

lutter contre un agent infectieux donné présent dans la niche en question ? On<br />

peut imaginer à l’inverse que certains dispositifs <strong>de</strong> l’immunité innée sont<br />

anticipatifs en ce sens qu’ils produisent (par diversification génétique <strong>et</strong> épissage<br />

alternatif), un jeu <strong>de</strong> structures capables d’anticiper la survenue <strong>de</strong> nouveaux<br />

agents infectieux, ou <strong>de</strong> variantes <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers. Le gène unique DSCAM, chez<br />

la drosophile, peut produire par épissage alternatif quelques 38 000 isoformes. Il<br />

sert à la diversification <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones, mais apparemment aussi dans l’immunité<br />

innée, <strong>et</strong> pourrait bien être un prototype <strong>de</strong> dispositif anticipatif. L’immunité<br />

anticipative pourrait donc faire le lien entre <strong>de</strong>ux catégories conceptuelles traitées<br />

jusqu’à présent <strong>de</strong> façon trop distincte.<br />

L’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes immunitaires dans l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces est donc riche<br />

d’enseignements. Elle ne se contente pas <strong>de</strong> nourrir l’histoire naturelle : elle est<br />

aussi source <strong>de</strong> nouveaux concepts.


270 PHILIPPE KOURILSKY<br />

Le séminaire <strong>de</strong> la chaire a été organisé sous forme <strong>de</strong> colloque :<br />

Titre : « L’Arche <strong>de</strong> Noé immunologique : L’immunité chez les êtres <strong><strong>de</strong>s</strong> airs, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

eaux <strong>et</strong> <strong>de</strong> la terre » (« Noah’s Ark and the Immune System : Immunity in<br />

living creatures from the sky, the water, and the earth »).<br />

Date : Mardi 8 avril 2008.<br />

Lieu : Amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>)<br />

Organisateurs : Philippe Kourilsky <strong>et</strong> Dominique Buzoni-Gatel (INRA)<br />

Intervenants / Programme :<br />

AN OVERVIEW :<br />

• Louis Du Pasquier, University of Basel, Switzerland.<br />

IMMUNE DEFENSES IN PLANTS :<br />

• Olivier Le Gall, INRA Bor<strong>de</strong>aux, <strong>France</strong>.<br />

— Multiple resistant traits control infection in plants<br />

• Olivier Voinn<strong>et</strong>, CNRS Strasbourg, <strong>France</strong>.<br />

— RNA Silencing pathways and anti viral <strong>de</strong>fense in plants<br />

BUGS AND INFECTION<br />

• Elena Levashina, CNRS Strasbourg, <strong>France</strong>.<br />

— Immunity in disease-vector mosquitoes<br />

• Christine Coustau, Institut Pasteur Lille, <strong>France</strong>.<br />

— Immunity in parasite-vector molluscs<br />

• Noël Tordo, Institut Pasteur Paris, <strong>France</strong><br />

— Bats as carrier of human diseases, strategies of prevention<br />

• Jean-Michel Escoubas, University of Montpellier, <strong>France</strong><br />

— X-tox : a new family of immune related protein specific to Lepidoptera.<br />

• Jonathan Ewbank, University of Marseille Luminy, <strong>France</strong><br />

— Resistance to fungal infection in Caenorhabditis elegans<br />

THE IMMUNE SYSTEM IN CREATURES FROM WATER<br />

• Pierre Boudinot, INRA Jouy-en-Josas, <strong>France</strong><br />

— A functional analysis of rainbow trout immune system<br />

• Jean-Pierre Levraud, Institut Pasteur Paris, <strong>France</strong><br />

— The zebrafish, an enlightening tool to study the immune system in fish<br />

THE HEN OR THE EGG<br />

• Yves Nys, INRA Nouzilly, <strong>France</strong><br />

— Eggs have their own antimicrobial <strong>de</strong>fense systems


IMMUNOLOGIE MOLÉCULAIRE 271<br />

• P<strong>et</strong>er Kaiser, Compton University, UK<br />

— Cytokines, chemokines and their implication in resistance to chicken<br />

infection (in ovo vaccination).<br />

• Jim Kaufman, University of Cambridge, UK<br />

— The genomic organisation of the chicken MHC leads to gene coevolution,<br />

resistance to infection and insight into the origin of the adaptive<br />

immune system.<br />

• Véronique Jestin, AFSSA Ploufragan, <strong>France</strong><br />

— Vaccination against avian influenza infection<br />

CONCLUSION<br />

• Philippe Kourilsky, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Paris, <strong>France</strong><br />

II. Conférences <strong>et</strong> colloques, interventions publiques<br />

Date Conférence ou Table ron<strong>de</strong> Lieu<br />

11.09.2007 Colloque « Les sciences à l’UNESCO : quelle<br />

implication pour la <strong>France</strong> ? »<br />

Table ron<strong>de</strong> : Développement Durable <strong>et</strong> environnement<br />

: « Présentation <strong>de</strong> Facts »<br />

10.10.2007 Conférence (CAS Albert Einstein Visiting Professorship)<br />

: « Health and Sustainable Development<br />

: What can Science do ? »<br />

12.10.2007 Conférence (CAS Albert Einstein Visiting Professorship)<br />

: « The Birth of Systems Immunology,<br />

How it may help fighting infectious diseases »<br />

23.10.2007 Symposium « Animal Genomics for Animal<br />

Health » [Organisation Mondiale <strong>de</strong> la Santé<br />

Animale (OIE)] : « The Human Genome and<br />

biomedicine : past and future impacts »<br />

06.11.2007 Chaire Santé <strong>et</strong> développement du CNAM :<br />

« La recherche sur les maladies oubliées dans le<br />

mon<strong>de</strong> »<br />

26.11.2007 Atelier technologique Société Française d’Immunologie<br />

(SFI) : « Les approches globales <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

répertoires immunitaires, <strong>de</strong> la recherche au diagnostic<br />

ex-vivo » : « Répertoires Immunitaires :<br />

Analyse du système immunitaire humain (cellules<br />

T <strong>et</strong> B) »<br />

Sénat, Palais du Luxembourg,<br />

Paris.<br />

Capital Medical University<br />

Pekin (Chine)<br />

Wuhan Institute of Virology<br />

(Chinese Aca<strong>de</strong>my of<br />

Sciences)<br />

Organisation Mondiale <strong>de</strong><br />

la Santé Animale (OIE) à<br />

Paris<br />

Conservatoire national <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

arts <strong>et</strong> métiers à Paris<br />

Ecole normale supérieure<br />

<strong>de</strong> Lyon (ENS)


272 PHILIPPE KOURILSKY<br />

Date Conférence ou Table ron<strong>de</strong> Lieu<br />

06.12.2007 5 e Forum Mondial du Développement Durable<br />

(FMDD), Session « régulation sanitaire, démographie<br />

<strong>et</strong> migrations » : « La question <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies<br />

négligées »<br />

28.01.2008 « Ren<strong>de</strong>z-vous parisiens » sur Radio Aligre.<br />

Emission consacrée au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (avec<br />

Michel Zink)<br />

15.04.2008 4 th Biomedical Asia : « The evolving biomedical<br />

science and industry »<br />

21.05.2008 Conférence organisée par l’association « Sciences<br />

Po pour l’Afrique : « La recherche dans le<br />

domaine <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies infectieuses, <strong>de</strong> la santé<br />

mondiale, <strong><strong>de</strong>s</strong> partenariats publics privés, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

enjeux, <strong>et</strong>c. »<br />

23.05.2008 Colloque Informatique <strong>et</strong> Bioinformatique<br />

(dans le cadre <strong>de</strong> la Chaire d’innovation technologique<br />

- Liliane B<strong>et</strong>tencourt - Prof. G. Berry) :<br />

« Le système immunitaire, un grand système d’information<br />

»<br />

06.06.2008 Conférence CLAS (pour le personnel CdF) :<br />

« Santé <strong>et</strong> Développement durable : Que peut faire<br />

la Science ? »<br />

III. Recherche<br />

Sénat, Palais du Luxembourg,<br />

Paris.<br />

Locaux <strong>de</strong> Radio Aligre,<br />

Paris<br />

Suntec Singapore International<br />

Convention and<br />

Exhibition Centre (Singapour)<br />

Sciences Po à Paris<br />

Amphithéâtre Marguerite<br />

<strong>de</strong> Navarre, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong><br />

Amphi Budé, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong><br />

Les activités <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> la Chaire d’Immunologie Moléculaire sont désormais<br />

conduites au sein <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux entités aux localisations distinctes.<br />

1. A Paris, dans l’U668 <strong>de</strong> l’INSERM (Directeur : J. Di Santo) en collaboration<br />

avec le groupe animé par A. Ban<strong>de</strong>ira, dans l’Unité dirigée par A. Cumano<br />

(cf. 1 er thème).<br />

2. A Singapour, au sein du Singapore Immunology N<strong>et</strong>work (SIgN), présidé par<br />

Philippe Kourilsky. SIgN, financé par l’Agence gouvernementale A*STAR, inclut<br />

un centre <strong>de</strong> recherches qui comprend 6 000 m 2 <strong>de</strong> laboratoires (cf. Annexe), où<br />

Philippe Kourilsky anime plus particulièrement <strong>de</strong>ux groupes <strong>de</strong> recherche<br />

(thèmes 2 <strong>et</strong> 3).


IMMUNOLOGIE MOLÉCULAIRE 273<br />

1 er thème : Répertoires <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules immunitaires <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules T<br />

régulatrices <strong>de</strong> la souris (A. Ban<strong>de</strong>ira, A. Lim)<br />

a) Poursuite <strong>de</strong> l’amélioration <strong>de</strong> l’Immunoscope (A. Lim)<br />

L’immunoscope reste une méthodologie <strong>de</strong> référence, très puissante pour étudier<br />

les répertoires <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules T <strong>et</strong> B. Elle a fait la preuve <strong>de</strong> son utilité dans le suivi<br />

clinique (1), tout autant que dans <strong>de</strong> nombreux problèmes <strong>de</strong> recherche chez la<br />

souris (2). Une amélioration technique importante réalisée en 2007-2008 a consisté<br />

à l’adapter, grâce notamment à l’écriture d’un nouveau logiciel, aux séquenceurs à<br />

capillaires à haut débit (3). D’autres développements en <strong>cours</strong> incluent la mise au<br />

point <strong>de</strong> l’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> chaînes alpha du TCR. Des métho<strong><strong>de</strong>s</strong> d’analyse statistique<br />

perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> mesurer plus rapi<strong>de</strong>ment que par le passé la dimension <strong>et</strong> la diversité<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> répertoires (J. Faro, Vigo, Portugal).<br />

b) Applications à l’immunologie humaine <strong>et</strong> à la clinique (A. Lim)<br />

. L’immunoscope est toujours utilisé pour le suivi d’un groupe d’enfants dont<br />

l’immunodéficience a été corrigée par thérapie génique (A. Fisher, Necker) (4).<br />

. L’adaptation <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> aux cellules B a permis d’entreprendre <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

en allergologie, avec M. Mempel (Munich, Allemagne) (5,6) <strong>et</strong> en <strong>de</strong>rmatologie<br />

avec l’Université <strong>de</strong> Californie (7). De plus, avec Ph. Mus<strong>et</strong>te (Rouen, <strong>France</strong>), une<br />

étu<strong>de</strong> clinique a été entreprise sur la reconstitution <strong><strong>de</strong>s</strong> répertoires B après traitement<br />

du pemphigus vulgaire par l’anti-CD20 (Rituximab) (8).<br />

c) Analyse <strong>de</strong> souris « humanisées » (J. Di Santo, A. Lim)<br />

Il s’agit <strong>de</strong> souris RAG2/γc, qui sont greffées avec <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules souches<br />

hématopoïétiques humaines dérivées <strong>de</strong> foie fœtal humain. La reconstitution <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

répertoires B <strong>et</strong> T est analysée par l’Immunoscope.<br />

d) Etu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules T régulatrices <strong>de</strong> la souris (A. Ban<strong>de</strong>ira)<br />

La dimension <strong><strong>de</strong>s</strong> répertoires <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules T CD4 + CD25 + a été estimée, avec<br />

l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> statistiques évoquées plus haut. Les résultats montrent que les<br />

Treg sont très diverses, avec une taille moyenne <strong><strong>de</strong>s</strong> clones <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux. De<br />

façon remarquable, le répertoire <strong><strong>de</strong>s</strong> Treg ne chevauche quasiment pas celui <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

cellules T naïves, ce qui suggère fortement que les Treg reconnaissent <strong><strong>de</strong>s</strong> ligands<br />

particuliers. Les expériences <strong>de</strong> confirmation avec <strong><strong>de</strong>s</strong> T CD4 + Fox P3 + ont été<br />

réalisées récemment, un article est en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> rédaction.<br />

2 e thème : Analyse systémique <strong><strong>de</strong>s</strong> macrophages humains (Wong Siew Cheng,<br />

SIgN)<br />

Deux populations <strong>de</strong> macrophages CD14 ++ CD16 – (80%) <strong>et</strong> CD14 + CD16 +<br />

(20 %) ont été étudiées. Le sous-ensemble minoritaire semble plus enclin à l’apoptose<br />

spontanée, pourrait être plus cytotoxique, <strong>et</strong> apparaît plus apte à l’adhésion <strong>et</strong> à la


274 PHILIPPE KOURILSKY<br />

migration. Les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> transcriptomique <strong>et</strong> <strong>de</strong> protéomique ont ouvert plusieurs<br />

voies d’investigation <strong>et</strong> hypothèses fonctionnelles. L’intervention <strong>de</strong> ces macrophages<br />

dans divers phénomènes infectieux est à l’étu<strong>de</strong>. La caractérisation <strong><strong>de</strong>s</strong> macrophages<br />

infiltrant <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs a été entreprise. Un modèle <strong>de</strong> co-culture tridimensionnelle in<br />

vitro est en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> mise au point (sphéroï<strong><strong>de</strong>s</strong>) pour étudier dans quelles conditions<br />

ces macrophages peuvent <strong>de</strong>venir pro-tumorigènes.<br />

3 e thème : Analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses immunitaires contre le virus chikungunya<br />

(Lisa Ng, SIgN)<br />

Le virus chikungunya est assez répandu en Asie (particulièrement en In<strong>de</strong>) <strong>et</strong><br />

quelques cas ont été rapportés à Singapour pour la première fois en 2007. Les<br />

<strong>travaux</strong> en <strong>cours</strong> visent à améliorer le diagnostic (les confusions avec l’infection par<br />

le virus <strong>de</strong> la Dengue doivent être évitées), ainsi qu’à i<strong>de</strong>ntifier les épitopes T<br />

immunodominants (avec l’ai<strong>de</strong> d’approches informatiques). Un proj<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

vaccinologie est à l’étu<strong>de</strong>. Un réseau régional <strong>de</strong> collecte d’échantillons <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

partage d’informations est en voie <strong>de</strong> constitution.<br />

Annexe : Singapore Immunology N<strong>et</strong>work (SIgN) http://www.sign.a-star.edu.sg/<br />

SIgN a pour mission <strong>de</strong> stimuler le développement <strong>de</strong> l’immunologie dans l’Etat<br />

<strong>de</strong> Singapour. Conformément au plan élaboré par Ph. Kourilsky en 2006 — plan<br />

approuvé par l’Agence A*STAR, il comprend une plate-forme sur le site <strong>de</strong> Biopolis<br />

<strong>et</strong> un réseau qui inclut les <strong>de</strong>ux universités <strong>et</strong> les institutions hospitalières <strong>de</strong><br />

Singapour. Sous l’impulsion <strong>de</strong> SIgN, a été notamment créée la Société<br />

Singapourienne d’Immunologie (dont le Prési<strong>de</strong>nt Honoraire est Ph. Kourilsky).<br />

Le centre <strong>de</strong> recherches qui se développe dans 6 000 m 2 <strong>de</strong> laboratoires comprend<br />

d’ores <strong>et</strong> déjà une douzaine <strong>de</strong> groupes <strong>de</strong> recherches <strong>et</strong> plus <strong>de</strong> cent chercheurs.<br />

Ces chiffres ont vocation à doubler dans les <strong>de</strong>ux ans à venir. Au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux<br />

<strong>de</strong>rnières années, SIgN a organisé sept colloques internationaux <strong>et</strong> noué <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

relations avec plusieurs institutions renommées, au premier chef le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong>, ainsi que l’Institut Pasteur <strong>et</strong> l’INSERM en <strong>France</strong>, l’Institut Riken au<br />

Japon, l’Institut Karolinska en Suè<strong>de</strong> <strong>et</strong> l’université <strong>de</strong> Milan, en Italie.<br />

IV. Autres activités <strong>et</strong> nouvelles <strong>de</strong> la chaire<br />

• Philippe Kourilsky a été, pour l’année 2007-2008, titulaire <strong>de</strong> la chaire Albert<br />

Einstein <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences en Chine (CAS Albert Einstein Visiting<br />

Professorship). Il a, à ce titre, effectué un séjour en Chine, principalement à Pékin<br />

(conférence au « Capital Medical University Pekin ») <strong>et</strong> à Wu-han, où se trouve un<br />

institut <strong>de</strong> virologie (conférence au Wuhan Institute of Virology), chargé entre<br />

autres, du pilotage du laboratoire <strong>de</strong> haute sécurité BLS-4. Ce <strong>de</strong>rnier est en <strong>cours</strong><br />

<strong>de</strong> construction dans le cadre d’un partenariat franco-chinois qui avait été mis en<br />

place sous l’égi<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Prési<strong>de</strong>nts <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux Républiques <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> Chine en<br />

2005 lors <strong>de</strong> la visite en <strong>France</strong> <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier. P. Kourilsky a co-présidé pendant<br />

2 ans le groupe <strong>de</strong> suivi.


IMMUNOLOGIE MOLÉCULAIRE 275<br />

• Le comité exécutif <strong>de</strong> l’Institut National <strong>de</strong> la Recherche Scientifique (INRS)/<br />

Université <strong>de</strong> Québec a renouvelé le mandat à titre <strong>de</strong> Professeur associé au Centre<br />

INRS-Institut Armand Frappier jusqu’au 31 mai 2010.<br />

• Philippe Kourilsky a été nommé en 2007, membre <strong>de</strong> la Commission du Livre<br />

Blanc <strong>de</strong> la Diplomatie Française. C<strong>et</strong>te commission présidée par M. Alain Juppé<br />

<strong>et</strong> Louis Schweitzer, a rendu ses conclusions début juill<strong>et</strong> 2008. Le livre blanc a<br />

servi <strong>de</strong> base à un train <strong><strong>de</strong>s</strong> réformes Ministères <strong><strong>de</strong>s</strong> Affaires Etrangères annoncées<br />

fin août 2008 par le Ministère <strong><strong>de</strong>s</strong> Affaires Etrangères à l’occasion <strong>de</strong> la<br />

XI e conférence <strong><strong>de</strong>s</strong> Ambassa<strong>de</strong>urs à Paris (28-29 août 2008).<br />

• L’initiative « FACTS » (Field Action Science)<br />

Développement, humanitaire, santé, éducation, environnement, autant <strong>de</strong><br />

thématiques qui, sans être exhaustives, mobilisent l’intervention <strong>de</strong> nombreux<br />

acteurs, ONG, organisations gouvernementales <strong>et</strong> multilatérales, institutions<br />

académiques, consultants, sur l’ensemble <strong>de</strong> la planète. De ces activités résultent<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances, <strong><strong>de</strong>s</strong> savoir-faire, <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> résolution<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes, qui sont peu ou pas diffusés <strong>et</strong> partagés entre les intervenants <strong>de</strong><br />

terrain. L’initiative FACTS, lancée par Philippe Kourilsky, se présente comme un<br />

outil <strong>de</strong> valorisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> consolidation du capital <strong>de</strong> connaissances produit sur le<br />

terrain, ayant pour objectif d’améliorer l’efficacité <strong><strong>de</strong>s</strong> actions.<br />

La finalité <strong>de</strong> FACTS initiative, promue par Philippe Kourilsky, est <strong>de</strong> collecter<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> diffuser un savoir, <strong><strong>de</strong>s</strong> méthodologies, <strong><strong>de</strong>s</strong> bonnes pratiques à l’ai<strong>de</strong> d’une<br />

revue internationale « FACTS Reports », fonctionnant selon les règles prévalant<br />

dans la communauté scientifique.<br />

La création <strong>de</strong> la revue internationale « FACTS Reports » a été rendue publique<br />

le 12 mars 2007, à Lyon, lors du Forum BioVision.<br />

Site intern<strong>et</strong> : http://www.institut.veolia.org/fr/facts-initiative.aspx<br />

V. Publications<br />

1. A. Bristeau-Leprince, V. Mateo, A. Lim, A. Magerus-Chatin<strong>et</strong>, E. Solary, A. Fischer,<br />

F. Rieux-Laucat and M.-L. Gougeon : Human TCR α/β+ CD4-CD8- double-negative T<br />

cells in patients with autoimmune lymphoproliferative syndrome (ALPS) express restricted<br />

Vβ TCR diversity and are clonally related to CD8+ T cells. J. Immunology (2008).<br />

2. F. Benjelloun, A. Garrigue, D.E. Demerens, C. Chappe<strong>de</strong>laine, P. Soulas-Sprauel,<br />

M. Malassis-Seris, D. Stockholm, J. Hauer, J. Blon<strong>de</strong>au, J. Rivière, A. Lim, M. Le Lorc’h,<br />

S. Romana, N. Brousse, F. Paques, A. Galy, P. Charneau, A. Fischer, J.-P. De Villartay and<br />

M. Cavazzana-Calvo : Stable and functional lymphoid reconstitution in Artemis-<strong>de</strong>ficient<br />

mice following lentiviral Artemis gene transfer into hematopoi<strong>et</strong>ic stem cells. Molecular<br />

Therapy (2008).<br />

3. A. Lim, B. Lemercier, X. Wertz, S. Lesjean Pottier, F. Hu<strong>et</strong>z and P. Kourilsky : Many<br />

human peripheral VH5-expressing IgM+ B cells display a unique heavy-chain rearrangement.<br />

Int Immunol. (2008), Jan. ; 20(1) : 105-16.


276 PHILIPPE KOURILSKY<br />

4. S. Hacein-Bey-Abina, A. Garrigue, P. Wang Gary, J. Soulier, A. Lim, E. Morillon,<br />

E. Clappier, L. Caccavelli, E. Delabesse, K. Beldjord, V. Asnafi, V. Macintyre,<br />

L. Dal Cortivo, I. Radford, N. Brousse, F. Sigaux, D. Moshous, J. Hauer, A. Borkhardt,<br />

B.H. Belohradsky, U. Wintergerst, M.C. Velez, L. Leiva, R. Sorensen, N. Wulffraat,<br />

S. Blanche, F.D. Bushman, A. Fischer and M. Cavazzana-Calvo : Insertional oncogenesis in<br />

4 patients after r<strong>et</strong>rovirus-mediated gene therapy of SCID-X1. J Clin Invest. (2008)<br />

Aug. 7.<br />

5. A. Lim, S. Lu<strong>de</strong>rschmidt, A. Weidinger, C. Schnopp, J. Ring, R. Hein, M. Ollert, M.<br />

Mempel : The IgE repertoire in PBMCs of atopic patients is characterized by individual<br />

rearrangements without variable region of the heavy immunoglobulin chain bias.J Allergy<br />

Clin Immunol. (2007), Sep. ; 120(3) : 696-706.<br />

6. B. Belloni, M. Ziai, A. Lim, B. Lemercier, M. Sbornik, S. Weidinger, C. Andres,<br />

C. Schnopp, J. Ring, R. Hein : Low-dose anti-IgE therapy in patients with atopic eczema<br />

with high serum IgE levels. J Allergy Clin Immunol. (2007), Nov. ; 120(5) : 1223-5.<br />

7. A.L. Forema, B. Lemercier, A. Lim, P. Kourlisky, T. Kenny, E. Gershwin,<br />

M. Gougeon : VH gene usage and CDR3 analysis of B cell receptor in the peripheral blood<br />

of patients with PBC. Autoimmunity (2008), Feb. ; 41(1) : 80-6.<br />

8. H. Mouqu<strong>et</strong>, P. Mus<strong>et</strong>te, M.-L. Gougeon, S. Jacquot, B. Lemercier, A. Lim,<br />

D. Gilbert, I. Dutot, J.-C. Roujeau, M. d’Incan, C. Bedane, F. Tron, and P. Joly : B-Cell<br />

Depl<strong>et</strong>ion Immunotherapy in Pemphigus : Effects on Cellular and Humoral Immune<br />

Responses. J. Invest. Dermatol. (2008), Jun. 19.


Enseignement<br />

Psychologie cognitive expérimentale<br />

M. Stanislas Dehaene, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />

Cours : les fon<strong>de</strong>ments cognitifs <strong>de</strong> l’arithmétique élémentaire<br />

Le <strong>cours</strong> 2008 s’est attaché à analyser, par les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la psychologie<br />

cognitive, la représentation mentale <strong>de</strong> l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> plus simples <strong>et</strong> cependant <strong><strong>de</strong>s</strong> plus<br />

fondamentaux <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s mathématiques : le concept <strong>de</strong> nombre entier naturel.<br />

La nature <strong>et</strong> l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s mathématiques font débat <strong>de</strong>puis l’Antiquité.<br />

De nombreux mathématiciens adhèrent, explicitement ou implicitement, à une<br />

hypothèse Platonicienne selon laquelle les mathématiques ne sont que l’exploration<br />

d’un mon<strong>de</strong> à part, régi par ses propres contraintes, <strong>et</strong> qui préexiste au cerveau<br />

humain. Citons par exemple Alain Connes dans son débat avec Jean-Pierre<br />

Changeux : « Lorsqu’il se déplace dans la géographie <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques, le<br />

mathématicien perçoit peu à peu les contours <strong>et</strong> la structure incroyablement riche<br />

du mon<strong>de</strong> mathématique. Il développe progressivement une sensibilité à la notion<br />

<strong>de</strong> simplicité qui lui donne accès à <strong>de</strong> nouvelles régions du paysage mathématique »<br />

(Changeux & Connes, 1989).<br />

Le psychologue du développement, cependant, ne peut qu’être frappé par la<br />

difficulté avec laquelle l’enfant se construit, p<strong>et</strong>it à p<strong>et</strong>it, une compétence<br />

mathématique. Il en conclut aisément à une pure construction mentale <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s<br />

mathématiques. Pour Piag<strong>et</strong>, la logique en constitue le fon<strong>de</strong>ment (« Le nombre<br />

entier peut ainsi être conçu comme une synthèse <strong>de</strong> la classe <strong>et</strong> <strong>de</strong> la relation<br />

asymétrique »). Pour d’autres, le langage joue un rôle essentiel (cf. Vygotsky : « la<br />

pensée ne s’exprime pas seulement en mots : elle vient au mon<strong>de</strong> à travers eux »).<br />

La position que j’ai défendue dans ce <strong>cours</strong>, <strong>et</strong> que l’on pourrait qualifier<br />

d’intuitionniste, n’appartient à aucun <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux camps. Elle postule que les<br />

fon<strong>de</strong>ments cognitifs <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques doivent être recherchés dans une série


278 STANISLAS DEHAENE<br />

d’intuitions fondamentales <strong>de</strong> l’espace, du temps, <strong>et</strong> du nombre, partagées par <strong>de</strong><br />

nombreuses espèces animales, <strong>et</strong> que nous héritons d’un lointain passé où ces<br />

intuitions jouaient un rôle essentiel à la survie. Les mathématiques se construisent<br />

par la formalisation <strong>et</strong> la mise en liaison consciente <strong>de</strong> ces différentes intuitions.<br />

Ainsi c<strong>et</strong>te position se rattache-t-elle, sans pour autant s’y i<strong>de</strong>ntifier, à<br />

l’intuitionnisme mathématique <strong>de</strong> Brouwer <strong>et</strong> Poincaré. Dès le xiii e siècle, Roger<br />

Bacon notait que « la connaissance mathématique est presque innée en nous… elle<br />

est la plus facile <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences, <strong>de</strong> tout évi<strong>de</strong>nce, en ce qu’aucun cerveau ne la<br />

rej<strong>et</strong>te : même les hommes du peuple <strong>et</strong> les ill<strong>et</strong>trés savent compter <strong>et</strong> calculer ».<br />

Pour les mathématiciens Philip David <strong>et</strong> Reuben Hersh, « au sein <strong><strong>de</strong>s</strong> idées, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

obj<strong>et</strong>s mentaux, les idées dont les propriétés sont reproductibles s’appellent <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

obj<strong>et</strong>s mathématiques, <strong>et</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s mentaux aux propriétés reproductibles<br />

s’appelle les mathématiques. L’intuition est la faculté qui nous perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> réfléchir<br />

<strong>et</strong> d’examiner ces obj<strong>et</strong>s mentaux internes » (Davis, Hersh, & Marchisotto, 1995,<br />

page 399).<br />

De fait, pratiquement tous les grands mathématiciens disent faire appel à leur<br />

intuition. Jacques Hadamard, dans l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> plus célèbres enquêtes sur c<strong>et</strong>te<br />

question, l’Essai sur la psychologie <strong>de</strong> l’invention dans le domaine mathématique<br />

(Hadamard, 1945), décrit comment la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes mathématiques<br />

font suite à une longue pério<strong>de</strong> d’ « incubation » sans progression apparente,<br />

suivie d’une illumination soudaine. Il cite également la célèbre l<strong>et</strong>tre d’Einstein :<br />

« les mots <strong>et</strong> le langage, écrits ou parlés, ne semblent pas jouer le moindre rôle<br />

dans le mécanisme <strong>de</strong> ma pensée. Les entités psychiques qui servent d’éléments à<br />

la pensée sont certaines signes ou <strong><strong>de</strong>s</strong> images plus ou moins claires, qui peuvent<br />

à “volonté” être reproduits ou combinés ». Henri Poincaré voit également dans<br />

l’intuition spatiale, motrice, ou numérique le fon<strong>de</strong>ment même <strong>de</strong> l’entreprise<br />

mathématique.<br />

La difficulté consiste à définir précisément ce que l’on entend par intuition. Il<br />

n’est pas certain, en eff<strong>et</strong>, que la variété <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés qu’on lui attribue soit issue<br />

d’un processus cognitif unique. Toutefois, dans le domaine <strong>de</strong> la cognition<br />

numérique élémentaire, les recherches récentes délimitent assez précisément un<br />

ensemble <strong>de</strong> connaissances que l’on pourrait qualifier d’intuition numérique ou <strong>de</strong><br />

sens <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres (Dehaene, 1997). Selon l’heureuse expression d’Elizab<strong>et</strong>h Spelke,<br />

l’arithmétique élémentaire semble faire partie du noyau <strong>de</strong> connaissances <strong>de</strong> l’espèce<br />

humaine. Un sens du nombre est présent chez le nourrisson <strong>et</strong> repose sur <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

circuits cérébraux spécifiques que l’on r<strong>et</strong>rouve chez d’autres primates. Il perm<strong>et</strong><br />

une rapi<strong>de</strong> évaluation du nombre d’obj<strong>et</strong>s présents dans <strong><strong>de</strong>s</strong> ensembles, leur<br />

comparaison, <strong>et</strong> leur combinaison par <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations d’addition <strong>et</strong> <strong>de</strong> soustraction.<br />

Son fonctionnement répond à trois traits caractéristiques <strong>de</strong> l’intuition : rapidité,<br />

automaticité, <strong>et</strong> inaccessibilité à l’introspection consciente. Ainsi l’intuition, loin<br />

d’être inaccessible à l’étu<strong>de</strong> scientifique, possè<strong>de</strong> une signature psychologique <strong>et</strong><br />

neurale déchiffrable, <strong>et</strong> nous verrons qu’un modèle mathématique simple peut en<br />

être proposé.


PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 279<br />

Les multiples fac<strong>et</strong>tes du concept <strong>de</strong> nombre<br />

Le concept <strong>de</strong> nombre recouvre <strong><strong>de</strong>s</strong> contenus assez divers. Il importe donc<br />

d’introduire d’emblée quelques distinctions terminologiques essentielles. Notre<br />

éducation nous a habitués aux symboles numériques : les nombres écrits en base 10<br />

à l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> chiffres arabes, tels que « 1053 », ou exprimés à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> noms <strong>de</strong><br />

nombres tels que « mille cinquante trois ». Cependant, la psychologie cognitive<br />

montre l’importance, chez l’animal <strong>et</strong> le très enfant, <strong>de</strong> la perception non-symbolique<br />

du nombre, où la quantité 13 peut être présentée sous la forme concrète d’un<br />

nuage <strong>de</strong> 13 points ou d’une séquence <strong>de</strong> 13 sons. Le nombre est ici considéré<br />

comme la propriété d’un ensemble, à laquelle on réfère souvent par les termes<br />

techniques <strong>de</strong> cardinalité ou <strong>de</strong> numérosité. Enfin, l’ordinalité fait référence au rang<br />

d’un élément dans une série ordonnée. On s’y réfère verbalement par le biais <strong>de</strong><br />

nombres ordinaux (par exemple « treizième »). Le concept <strong>de</strong> nombre, chez l’adulte<br />

éduqué, consiste en l’intégration harmonieuse <strong>de</strong> ces différentes fac<strong>et</strong>tes symboliques<br />

<strong>et</strong> non-symboliques du nombre.<br />

Il va <strong>de</strong> soi que le mathématicien souhaiterait prolonger c<strong>et</strong>te liste en direction<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> entiers relatifs, <strong><strong>de</strong>s</strong> fractions, <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres réels ou complexes, voire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

quaternions ou <strong><strong>de</strong>s</strong> matrices… Pour lui, peut-être considéré comme un nombre<br />

tout obj<strong>et</strong> mental susceptible d’être manipulé selon certaines opérations cohérentes.<br />

Pour l’instant, cependant, la psychologie cognitive ne s’est guère penchée sur ces<br />

concepts mathématiques <strong>de</strong> plus haut niveau. Nous nous en tiendrons donc à la<br />

perception non-symbolique <strong>de</strong> la numérosité <strong>et</strong> sa mise en liaison avec les symboles<br />

écrits ou parlés <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres.<br />

La perception <strong>de</strong> la numérosité<br />

L’adulte dispose d’au moins trois processus cognitifs distincts d’énumération,<br />

c’est-à-dire d’appréhension <strong>de</strong> la numérosité d’un ensemble d’obj<strong>et</strong>s :<br />

— la subitisation ou « subitizing » en anglais fait référence à l’appréhension<br />

immédiate <strong><strong>de</strong>s</strong> p<strong>et</strong>ites numérosités (un, <strong>de</strong>ux, ou trois obj<strong>et</strong>s) ;<br />

— l’estimation perm<strong>et</strong> d’évaluer, d’une manière approximative, la numérosité<br />

d’un ensemble <strong>de</strong> taille arbitraire. Les recherches <strong>de</strong> Véronique Izard, au laboratoire,<br />

ont montré qu’un adulte non-entraîné estime efficacement <strong>et</strong> rapi<strong>de</strong>ment <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

ensembles même très grands. Toutefois, le nombre perçu n’est pas toujours relié<br />

linéairement au nombre effectivement présenté : la sous-estimation est fréquente,<br />

<strong>et</strong> une loi <strong>de</strong> puissance relie les <strong>de</strong>ux quantités (Izard & Dehaene, 2008) ;<br />

— enfin, le comptage, dont les principes ont été étudiés par Gelman <strong>et</strong> Gallistel<br />

(1978), perm<strong>et</strong> d’énumérer avec précision un ensemble quelconque. Il consiste à<br />

apparier, un par un, chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s énumérés avec une liste <strong>de</strong> référence qui<br />

peut être verbale (noms <strong>de</strong> nombres) ou non-verbale (doigts, parties du corps).<br />

Des recherches récentes confirment que les trois processus <strong>de</strong> subitisation,<br />

d’estimation <strong>et</strong> <strong>de</strong> comptage sont dissociables. La distinction entre subitisation <strong>et</strong>


280 STANISLAS DEHAENE<br />

comptage est évi<strong>de</strong>nte lorsque l’on mesure le temps <strong>de</strong> dénomination <strong>de</strong> la<br />

numérosité d’un ensemble : au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> trois obj<strong>et</strong>s, le temps <strong>de</strong> réponse montre un<br />

soudain accroissement linéaire. L’imagerie cérébrale détecte, à c<strong>et</strong>te frontière, une<br />

soudaine amplification <strong>de</strong> l’activité dans un vaste réseau cérébral lié au comptage<br />

verbal, <strong>et</strong> qui comprend notamment les régions pariétales postérieures bilatérales<br />

associées aux mouvements <strong>de</strong> l’attention. L’activité <strong>de</strong> ces régions est si<br />

caractéristique qu’elle perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> distinguer, pratiquement essai par essai, si le suj<strong>et</strong><br />

a compté ou pas <strong>et</strong> combien d’obj<strong>et</strong>s ont été dénombrés (Piazza, Giacomini, Le<br />

Bihan, & Dehaene, 2003). Une dissociation entre subitisation <strong>et</strong> comptage<br />

s’observe également chez certains patients qui, à la suite d’une lésion cérébrale,<br />

développent une simultanagnosie (Dehaene & Cohen, 1994).<br />

Jusqu’à très récemment, il était possible <strong>de</strong> soutenir que l’estimation <strong>et</strong> la<br />

subitisation n’étaient que le refl<strong>et</strong> d’un seul <strong>et</strong> même processus. En eff<strong>et</strong>, l’estimation<br />

se caractérise par la loi <strong>de</strong> Weber : l’imprécision <strong>de</strong> l’estimation, mesurée par son écarttype,<br />

croît linéairement avec le nombre estimé, selon une constante <strong>de</strong> proportionalité<br />

appelée coefficient <strong>de</strong> variation ou fraction <strong>de</strong> Weber. Pour les tous p<strong>et</strong>its nombres, la<br />

loi <strong>de</strong> Weber pourrait expliquer la subitisation, car elle aboutit à une précision<br />

suffisante pour discriminer <strong>et</strong> nommer les numérosités 1, 2 ou 3 sans pratiquement<br />

faire d’erreur. Ainsi la subitisation se réduirait à une sorte d’« estimation précise ».<br />

Toutefois, la recherche <strong>de</strong> Susannah Revkin, au laboratoire, montre que c<strong>et</strong>te<br />

explication ne suffit pas (Revkin, Piazza, Izard, Cohen, & Dehaene, 2008). La<br />

précision avec laquelle nous détectons la présence d’un, <strong>de</strong>ux ou trois obj<strong>et</strong>s dépasse<br />

celle attendue selon la loi <strong>de</strong> Weber, car elle excè<strong>de</strong> <strong>de</strong> très loin celle avec laquelle<br />

nous discriminons 10, 20 ou 30 obj<strong>et</strong>s. Ainsi, la subitisation semble-t-elle faire appel<br />

à un système dédié, peut-être celui lié à l’appréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s discr<strong>et</strong>s (« object<br />

tracking » ou « object files » system, Feigenson, Dehaene, & Spelke, 2004).<br />

Le développement <strong>de</strong> la perception numérique<br />

Les tests Piagétiens <strong>de</strong> conservation du nombre <strong>et</strong> d’inclusion <strong>de</strong> classes ont<br />

initialement suggéré que le jeune enfant était dépourvu <strong>de</strong> mécanismes invariants<br />

d’appréhension du nombre. Cependant, c<strong>et</strong>te conclusion a été n<strong>et</strong>tement infirmée<br />

avec l’avènement <strong>de</strong> nouvelles métho<strong><strong>de</strong>s</strong> d’expérimentation chez le très jeune<br />

enfant, fondées sur l’adaptation <strong>et</strong> la réaction à la nouveauté ou à la violation <strong>de</strong><br />

lois physiques. De nombreuses étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ont démontré une sensibilité à la numérosité<br />

chez l’enfant <strong>de</strong> 4-6 mois. Par exemple, un bébé <strong>de</strong> six mois détecte quand la<br />

numérosité d’un ensemble change <strong>de</strong> 8 à 16 obj<strong>et</strong>s ou vice-versa, même lorsque<br />

les paramètres non-numériques tels que la <strong>de</strong>nsité <strong>et</strong> la surface totale sont constants<br />

(Xu & Spelke, 2000). Les enfants détectent également la violation <strong><strong>de</strong>s</strong> règles<br />

d’addition <strong>et</strong> <strong>de</strong> soustraction, au moins d’une façon approximative. Par exemple,<br />

lorsqu’ils voient 5 obj<strong>et</strong>s, puis 5 autres, disparaître <strong>de</strong>rrière un écran, ils s’atten<strong>de</strong>nt<br />

à voir apparaître environ 10 obj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> expriment leur surprise en regardant plus<br />

longuement lorsque l’écran s’abaisse <strong>et</strong> révèle seulement 5 obj<strong>et</strong>s (McCrink &<br />

Wynn, 2004 ; Wynn, 1992).


PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 281<br />

Si l’estimation est bien démontrée chez le très jeune enfant, la perception <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

p<strong>et</strong>ites numérosités 1, 2 ou 3 a été plus débattue. Certains ont suggéré que leur<br />

discrimination n’était due qu’à <strong><strong>de</strong>s</strong> paramètres confondants tels que la quantité<br />

totale <strong>de</strong> matière (voir Feigenson <strong>et</strong> al., 2004). Cependant <strong>de</strong> nouveaux résultats<br />

très récents indiquent que les enfants peuvent, selon le contexte, prêter attention<br />

soit à la numérosité, soit aux paramètres non-numériques (Feigenson, 2005).<br />

Cor<strong><strong>de</strong>s</strong> and Brannon (2008) vont jusqu’à suggérer qu’il est plus simple, pour<br />

l’enfant, <strong>de</strong> prêter attention au nombre qu’à la quantité totale <strong>de</strong> matière, dans la<br />

mesure où leur fraction <strong>de</strong> Weber est plus élevée dans le second cas. Au laboratoire,<br />

nous avons effectivement observé, à l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> potentiels évoqués, une discrimination<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> numérosités 2 <strong>et</strong> 3 en l’absence <strong>de</strong> tout artefact non-numérique (Izard,<br />

Dehaene-Lambertz, & Dehaene, 2008).<br />

Ainsi tant la subitisation que l’estimation <strong>et</strong> la capacité <strong>de</strong> calcul approximatif<br />

semblent présents chez l’espèce humaine dès la première année <strong>de</strong> vie. Il est<br />

fascinant <strong>de</strong> constater que c<strong>et</strong>te intuition numérique existe également chez <strong>de</strong><br />

nombreuses espèces animales (pigeons, rats, lions, singes, dauphins…). Elizab<strong>et</strong>h<br />

Brannon, en particulier, a systématiquement mis en parallèle les compétences<br />

arithmétiques <strong>de</strong> l’homme adulte <strong>et</strong> du singe macaque, dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches qui<br />

sollicitaient la perception approximative <strong><strong>de</strong>s</strong> numérosités, leur addition <strong>et</strong> leur<br />

comparaison (Cantlon & Brannon, 2007). Elle observe une psychophysique très<br />

similaire, la précision <strong><strong>de</strong>s</strong> calculs étant simplement meilleure chez l’homme.<br />

Liens avec l’arithmétique symbolique<br />

Dans quelle mesure ces compétences précoces pour la manipulation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

numérosités non-verbales sont-elles pertinentes pour la compréhension <strong>de</strong> l’intuition<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> symboles numériques à l’âge adulte ? De nombreuses expériences suggèrent que,<br />

dès qu’un adulte éduqué perçoit un nom <strong>de</strong> nombre ou un nombre en notation<br />

arabe, c<strong>et</strong>te entrée symbolique est rapi<strong>de</strong>ment <strong>et</strong> automatiquement traduite<br />

mentalement en une quantité approximative dont la manipulation interne obéit aux<br />

mêmes lois que celles <strong>de</strong> la manipulation <strong><strong>de</strong>s</strong> numérosités perçues sous forme<br />

d’ensembles d’obj<strong>et</strong>s. Ainsi, l’expérience fondatrice <strong>de</strong> Moyer <strong>et</strong> Landauer (1967) a<br />

montré que, lorsque nous décidons lequel <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux chiffres est le plus grand, notre<br />

temps <strong>de</strong> réponse varie en fonction inverse <strong>de</strong> la distance numérique qui les sépare.<br />

La taille <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres influe également sur le jugement comparatif <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres<br />

présentés sous forme symbolique, <strong>et</strong> la loi <strong>de</strong> Weber rend bien compte <strong>de</strong> l’ensemble<br />

<strong>de</strong> ces données. Plus surprenant encore, tel est également le cas lorsque nous jugeons<br />

si <strong>de</strong>ux nombres sont pareils ou différent — la réponse « différent » est plus lente<br />

pour 8 contre 7 que pour 8 contre 1. La vérification <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations symboliques<br />

démontre également un eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> distance numérique : lorsqu’une opération<br />

évi<strong>de</strong>mment fausse nous est proposée, la gran<strong>de</strong> distance qui sépare le résultat<br />

proposé du résultat correct nous perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> le rej<strong>et</strong>er sans faire le calcul exact (Ashcraft<br />

& Stazyk, 1981). Enfin, une lésion cérébrale peut faire perdre toute capacité <strong>de</strong>


282 STANISLAS DEHAENE<br />

calcul exact, tout en laissant intact c<strong>et</strong>te compétence basique pour l’approximation<br />

(Dehaene & Cohen, 1991). Ainsi l’approximation <strong><strong>de</strong>s</strong> quantités numériques, fondée<br />

sur la loi <strong>de</strong> Weber, apparaît-elle comme une compétence fondamentale qui<br />

transparaît dans <strong>de</strong> nombreuses tâches symboliques.<br />

Tout récemment, une étu<strong>de</strong> développementale a confirmé que l’intuition<br />

arithmétique <strong><strong>de</strong>s</strong> quantités approximatives précè<strong>de</strong> <strong>et</strong> sous-tend l’apprentissage<br />

ultérieur <strong>de</strong> l’arithmétique symbolique (Gilmore, McCarthy, & Spelke, 2007).<br />

Gilmore <strong>et</strong> coll. ont donné à <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants <strong>de</strong> 5 <strong>et</strong> 6 ans, en maternelle, <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes<br />

verbaux tels que « Sarah possè<strong>de</strong> 21 bonbons, <strong>et</strong> on lui en donne 30 <strong>de</strong> plus. Jean,<br />

lui, en a 34. Qui en a le plus ? » Les enfants n’avaient reçu aucun enseignement<br />

explicite <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te taille, ni <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations d’addition <strong>et</strong> <strong>de</strong> soustraction.<br />

Cependant, quel que soit leur niveau socio-économique, ils répondaient bien au <strong>de</strong>là<br />

du niveau du hasard (60-70 % <strong>de</strong> réussite), <strong>et</strong> leurs performances suivaient la loi <strong>de</strong><br />

Weber, ce qui laissait penser qu’ils traduisaient mentalement les problèmes<br />

symboliques en quantités afin d’exploiter leur intuition non-symbolique. Plus<br />

important encore, leurs performances dans c<strong>et</strong>te évaluation <strong>de</strong> l’intuition<br />

arithmétique corrélaient avec leur réussite en mathématiques à l’école. Holloway <strong>et</strong><br />

Ansari (2008) ont également rapporté, chez <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants un peu plus âgés (6-8 ans),<br />

que la variabilité <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> distance au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la comparaison numérique prédit<br />

la réussite scolaire en mathématiques, mais pas les scores <strong>de</strong> lecture. Dans l’ensemble,<br />

ces résultats suggèrent que l’appréhension <strong>de</strong> la numérosité approximative <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

relations <strong>de</strong> distance entre les nombres, fondée sur la loi <strong>de</strong> Weber, joue un rôle<br />

déterminant pour la bonne compréhension ultérieure <strong>de</strong> l’arithmétique symbolique.<br />

Les mécanismes cérébraux <strong>de</strong> l’arithmétique élémentaire<br />

Quels sont les mécanismes cérébraux <strong>de</strong> l’arithmétique élémentaire ? Les toutes<br />

premières étu<strong><strong>de</strong>s</strong> d’imagerie cérébrale, en SPECT, en TEP puis en IRM<br />

fonctionnelle, ont rapi<strong>de</strong>ment isolé une région importante : dès qu’un adulte<br />

calcule mentalement, on observe une activation bilatérale <strong><strong>de</strong>s</strong> flancs du sillon<br />

intrapariétal (voir Dehaene, Piazza, Pinel, & Cohen, 2003). C<strong>et</strong>te région occupe<br />

une position bien précise au sein d’une mosaïque <strong>de</strong> régions sensori-motrices<br />

impliquées dans les mouvements <strong><strong>de</strong>s</strong> yeux, <strong>de</strong> la main ou du doigt (Simon, Mangin,<br />

Cohen, Le Bihan, & Dehaene, 2002). Son activation est présente quel que soit le<br />

calcul effectué, <strong>et</strong> même lorsque le suj<strong>et</strong> se contente <strong>de</strong> comparer <strong>de</strong>ux nombres<br />

ou <strong>de</strong> détecter la présence d’un chiffre parmi <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres. La région intrapariétale<br />

semble jouer un rôle important dans la représentation abstraite <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres, dans<br />

la mesure où elle s’active quelle que soit la notation utilisée pour présenter les<br />

nombres (chiffres arabes, noms <strong>de</strong> nombres parlés ou écrits) <strong>et</strong> ce, dans toutes les<br />

cultures qui ont pu être testées (Chine, Japon, États-Unis, Israël, Europe).<br />

L’activation intrapariétale est également présente lorsque l’on présente <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

numérosités sous forme d’ensembles <strong>de</strong> points (Piazza, Izard, Pinel, Le Bihan, &<br />

Dehaene, 2004). Une métho<strong>de</strong> d’adaptation a permis <strong>de</strong> démontrer la convergence


PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 283<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> représentations symboliques <strong>et</strong> non-symboliques <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres dans c<strong>et</strong>te région<br />

(Piazza, Pinel, Le Bihan, & Dehaene, 2007). La même métho<strong>de</strong>, étendue à<br />

l’enregistrement <strong><strong>de</strong>s</strong> potentiels évoqués chez le bébé <strong>de</strong> 2-3 mois, a montré que le<br />

cortex intrapariétal est activé, particulièrement dans l’hémisphère droit, dès quelques<br />

mois <strong>de</strong> vie à la présentation d’ensemble d’obj<strong>et</strong>s dont la numérosité varie (Izard <strong>et</strong><br />

al., 2008). Des lésions intrapariétales précoces pourraient d’ailleurs être à l’origine<br />

<strong>de</strong> dyscalculies du développement chez certains enfants (Molko <strong>et</strong> al., 2004).<br />

Il est cependant évi<strong>de</strong>nt que c<strong>et</strong>te région intrapariétale n’est pas la seule à<br />

contribuer aux opérations arithmétiques. Chez l’adulte, <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux étendus,<br />

corticaux <strong>et</strong> sous-corticaux, interviennent à différentes étapes <strong>de</strong> représentation <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> manipulation <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres, notamment sous forme symbolique ou linguistique<br />

(Dehaene & Cohen, 1995). La manipulation <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres exacts <strong>et</strong> les opérations<br />

<strong>de</strong> récupération <strong><strong>de</strong>s</strong> faits arithmétiques en mémoire, en particulier, font appel à un<br />

vaste réseau qui implique le gyrus angulaire gauche <strong>et</strong> les aires périsylviennes du<br />

langage, tandis que la région intrapariétale elle-même est maximalement activée<br />

lors <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations d’approximation <strong>et</strong> <strong>de</strong> comparaison (Dehaene, Spelke, Pinel,<br />

Stanescu, & Tsivkin, 1999). Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’entraînement arithmétique, l’activité<br />

corticale se déplace progressivement <strong>de</strong>puis la région intrapariétale vers le gyrus<br />

angulaire à mesure que le participant enregistre les faits correspondants en mémoire<br />

verbale, particulièrement les tables <strong>de</strong> multiplication (Delazer <strong>et</strong> al., 2003 ;<br />

Ischebeck <strong>et</strong> al., 2006).<br />

Ces résultats concor<strong>de</strong>nt avec l’hypothèse d’un noyau <strong>de</strong> compétences numériques,<br />

associé au cortex intrapariétal bilatéral, présent dans toutes les cultures <strong>et</strong> indépendant<br />

du niveau d’éducation, <strong>et</strong> complété d’un second réseau associé aux stratégies <strong>de</strong><br />

calcul symbolique acquises au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’éducation. La neuropsychologie <strong>de</strong><br />

l’acalculie confirme globalement c<strong>et</strong>te double dissociation : les lésions intrapariétales<br />

focales ten<strong>de</strong>nt à perturber l’intuition même <strong><strong>de</strong>s</strong> quantités numériques, dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

tâches aussi simples que l’addition, la soustraction, la comparaison, ou l’estimation<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> numérosités, tandis que les lésions <strong><strong>de</strong>s</strong> aires périsylviennes ou <strong><strong>de</strong>s</strong> noyaux gris<br />

centraux <strong>de</strong> l’hémisphère gauche ten<strong>de</strong>nt à perturber les tables arithmétiques<br />

mémorisées (Lemer, Dehaene, Spelke, & Cohen, 2003).<br />

Les neurones <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres<br />

L’une <strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes les plus fascinantes <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières années est certainement<br />

celles <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes neurophysiologiques <strong>de</strong> l’arithmétique élémentaire chez le<br />

singe macaque. A la suite <strong>de</strong> <strong>travaux</strong> antérieurs <strong>de</strong> Thompson <strong>et</strong> coll. (1970) <strong>et</strong><br />

Sawamura <strong>et</strong> coll (2002), Andreas Nie<strong>de</strong>r <strong>et</strong> Earl Miller, au Massachuss<strong>et</strong>ts Institute<br />

of Technology puis à l’Université <strong>de</strong> Tübingen, ont enregistré l’activité <strong>de</strong> centaines<br />

<strong>de</strong> neurones chez <strong><strong>de</strong>s</strong> singes éveillés qui avaient été entraînés à réaliser une tâche<br />

<strong>de</strong> comparaison différée <strong><strong>de</strong>s</strong> numérosités <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ensembles d’obj<strong>et</strong>s. Ils ont<br />

découvert, dans le cortex préfrontal <strong>et</strong> intrapariétal, l’existence <strong>de</strong> populations <strong>de</strong><br />

neurones dont le taux <strong>de</strong> décharge varie avec le nombre d’obj<strong>et</strong>s présentés. Certains


284 STANISLAS DEHAENE<br />

neurones sont activés préférentiellement par un obj<strong>et</strong> unique, d’autres par <strong>de</strong>ux,<br />

par trois, par quatre ou par cinq obj<strong>et</strong>s (Nie<strong>de</strong>r, 2005), <strong>et</strong> même jusqu’à une<br />

trentaine d’obj<strong>et</strong>s (Nie<strong>de</strong>r & Merten, 2007).<br />

Le profil détaillé <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses <strong>de</strong> ces neurones indique un codage <strong>de</strong> la numérosité<br />

selon la loi <strong>de</strong> Weber, coïncidant précisément avec celui qui avait été inféré <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

étu<strong><strong>de</strong>s</strong> psychophysiques chez l’homme. Chaque neurone présente en eff<strong>et</strong> une<br />

courbe d’accord autour <strong>de</strong> sa numérosité préférée. Sur une échelle linéaire, la<br />

largeur <strong>de</strong> la courbe croit linéairement avec la numérosité préférée, ce qui correspond<br />

quantitativement à la loi <strong>de</strong> Weber. Mais la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription la plus compacte <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

réponses neuronales est une courbe d’accord constante, avec une variabilité fixe <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> forme Gaussienne, lorsque les numérosités sont représentées sur une échelle<br />

logarithmique. C<strong>et</strong>te représentation est dite « log-Gaussienne ». Elle implique<br />

qu’au niveau <strong>de</strong> la population <strong>de</strong> neurones, le paramètre <strong>de</strong> nombre est représenté<br />

par un groupe épars <strong>de</strong> neurones selon un co<strong>de</strong> partiellement distribué qui<br />

représente la numérosité approximative <strong>et</strong> non la cardinalité exacte.<br />

Ces « neurones <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres » sont localisés dans le cortex préfrontal dorsolatéral,<br />

mais également dans les lobes pariétaux, dans les profon<strong>de</strong>urs du sillon intrapariétal,<br />

dans l’aire ventrale intrapariétale (VIP). Il est à noter que les neurones pariétaux ont<br />

une réponse plus rapi<strong>de</strong>, tandis que les neurones préfrontaux répon<strong>de</strong>nt<br />

préférentiellement au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la phase <strong>de</strong> délai <strong>de</strong> la tâche <strong>de</strong> réponse différée. Ainsi,<br />

l’extraction initiale <strong>de</strong> l’information <strong>de</strong> numérosité se ferait dans l’aire VIP, tandis que<br />

sa mémorisation impliquerait préférentiellement le cortex préfrontal. Par sa localisation<br />

absolue, mais également relative à d’autres régions telles que les aires AIP <strong>et</strong> LIP<br />

impliquées dans les mouvements <strong><strong>de</strong>s</strong> yeux <strong>et</strong> <strong>de</strong> la main, l’aire VIP constitue un<br />

homologue plausible, chez le singe, du segment horizontal du sillon intrapariétal qui<br />

est activé chez l’homme au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> diverses opérations arithmétiques (Simon <strong>et</strong> al.,<br />

2002). De fait, la métho<strong>de</strong> d’adaptation en IRMf a permis à mon laboratoire <strong>de</strong><br />

démontrer, chez l’homme, l’existence d’un codage cérébral log-Gaussien <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

numérosités, très semblable à celui observé chez le singe macaque (Piazza <strong>et</strong> al., 2004).<br />

Notons que, tout récemment, Roitman <strong>et</strong> coll. (2007) ont découvert un second<br />

type <strong>de</strong> co<strong>de</strong> neural <strong>de</strong> la numérosité, dans une région pariétale plus latérale <strong>et</strong><br />

postérieure (l’aire LIP). Les neurones <strong>de</strong> l’aire LIP diffèrent <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong> l’aire VIP<br />

(étudiés par Nie<strong>de</strong>r <strong>et</strong> Miller) en plusieurs points. Tout d’abord, ils ne sont pas<br />

accordés à un nombre préféré, mais leur taux <strong>de</strong> décharge varie <strong>de</strong> façon monotone<br />

avec la numérosité, en croissant ou en décroissant avec le logarithme <strong>de</strong> la numérosité<br />

<strong>de</strong> l’ensemble présenté. En second lieu, ces neurones possè<strong>de</strong>nt <strong><strong>de</strong>s</strong> champs récepteurs<br />

limités <strong>et</strong> ne répon<strong>de</strong>nt donc qu’à la numérosité du sous-ensemble d’obj<strong>et</strong>s qui<br />

apparait dans une région rétinotopique bien délimitée — pas au nombre total<br />

d’obj<strong>et</strong>s présent sur la rétine. Les <strong>de</strong>ux propriétés — monotonie <strong>et</strong> rétinotopie — ont<br />

récemment été observées indirectement chez l’homme dans une illusion d’adaptation<br />

à la numérosité (Burr & Ross, 2008), ce qui suggère que ce second co<strong>de</strong> neuronal <strong>de</strong><br />

l’aire LIP pourrait également exister dans l’espèce humaine.


PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 285<br />

Un modèle mathématique <strong>de</strong> la décision numérique<br />

Pourquoi une telle coexistence <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux co<strong><strong>de</strong>s</strong> neuronaux distincts, l’un avec une<br />

variation monotone du taux <strong>de</strong> décharge en fonction <strong>de</strong> la numérosité, l’autre avec<br />

une courbe d’accord à une numérosité préférée ? Il convient d’interpréter ces<br />

résultats avec pru<strong>de</strong>nce, dans la mesure où ces <strong>de</strong>ux populations <strong>de</strong> neurones n’ont<br />

été observées que très récemment, dans <strong><strong>de</strong>s</strong> laboratoires différents, chez <strong><strong>de</strong>s</strong> animaux<br />

différents <strong>et</strong> entraînés à <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches numériques différentes. Toutefois, ces résultats<br />

s’accor<strong>de</strong>nt bien avec un modèle théorique qui suppose que les neurones monotones<br />

<strong>et</strong> accordés constituent <strong>de</strong>ux étapes distinctes <strong>de</strong> l’extraction d’une représentation<br />

invariante <strong>de</strong> la numérosité (Dehaene & Changeux, 1993 ; Verguts & Fias, 2004).<br />

Selon ce modèle, la numérosité approximative peut être extraite d’une carte<br />

rétinienne détaillée en trois étapes successives : (1) codage rétinotopique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

positions occupées par les obj<strong>et</strong>s, indépendamment <strong>de</strong> leur i<strong>de</strong>ntité <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur taille,<br />

donc avec une quantité fixe d’activation pour chaque obj<strong>et</strong> ; (2) addition<br />

approximative <strong>de</strong> ces activations à travers l’ensemble <strong>de</strong> la carte, par le moyen <strong>de</strong><br />

« neurones d’accumulation » dont le niveau d’activité varie <strong>de</strong> façon monotone en<br />

fonction <strong>de</strong> la numérosité ; (3) seuillage <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te activation par <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones avec<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> seuils croissants <strong>et</strong> une forte inhibition latérale, ce qui conduit à une population<br />

<strong>de</strong> neurones accordés aux différentes numérosités. La simulation <strong>de</strong> ce modèle par<br />

ordinateur, sous forme d’un réseau <strong>de</strong> neurones formels, montre qu’on aboutit<br />

naturellement, à ce <strong>de</strong>rnier niveau, à un codage log-Gaussien <strong>de</strong> la numérosité.<br />

Avec quelques adaptations, les neurones d’accumulation peuvent être i<strong>de</strong>ntifiés aux<br />

neurones <strong>de</strong> l’aire LIP étudiés par Roitman <strong>et</strong> coll., tandis que les neurones accordés<br />

à la numérosité correspondraient aux neurones <strong>de</strong> l’aire LIP enregistrés par Nie<strong>de</strong>r<br />

<strong>et</strong> Miller. Il est à noter qu’anatomiquement, les neurones <strong>de</strong> LIP proj<strong>et</strong>tent<br />

effectivement vers ceux <strong>de</strong> VIP. De plus, les neurones <strong>de</strong> VIP semblent répondre<br />

à l’ensemble du champ visuel, ce qui est compatible avec l’hypothèse qu’ils reçoivent<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> entrées convergentes <strong>de</strong> nombreux neurones rétinotopiques <strong>de</strong> l’aire LIP.<br />

A partir <strong>de</strong> ce co<strong>de</strong> neural log-Gaussien, un modèle mathématique <strong>de</strong> prise <strong>de</strong><br />

décision, capable <strong>de</strong> rendre compte <strong><strong>de</strong>s</strong> taux d’erreurs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> temps <strong>de</strong> réponse dans<br />

diverses tâches numériques élémentaires, a également été développé (Dehaene,<br />

2007). Lorsque la décision est prise en un temps fixe, sans pression <strong>de</strong> rapidité, <strong>et</strong><br />

que seul le taux d’erreurs doit donc être modélisé, la théorie <strong>de</strong> la détection du<br />

signal peut être appliquée très directement au co<strong>de</strong> log-Gaussien. Ce modèle rend<br />

bien compte <strong><strong>de</strong>s</strong> compétences animales <strong>et</strong> humaines dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches élémentaires<br />

<strong>de</strong> comparaison pareil-différent ou plus grand-plus p<strong>et</strong>it (Dehaene, 2007 ; Piazza<br />

<strong>et</strong> al., 2004). Il peut également être adapté à la dénomination <strong><strong>de</strong>s</strong> numérosités<br />

(Izard & Dehaene, 2008) <strong>et</strong> à l’addition ou à la soustraction <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux numérosités,<br />

moyennant quelques hypothèses supplémentaires sur la combinaison <strong><strong>de</strong>s</strong> variances<br />

associées à chaque opéran<strong>de</strong> (Barth <strong>et</strong> al., 2006 ; Cantlon & Brannon, 2007).<br />

Lorsque la tâche implique une décision rapi<strong>de</strong> en temps limité, la modélisation<br />

du temps <strong>de</strong> réponse fait appel à un modèle mathématique plus sophistiqué. Ce


286 STANISLAS DEHAENE<br />

modèle se fon<strong>de</strong> sur les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Mike Shadlen qui indiquent que la prise <strong>de</strong><br />

décision en temps réel, sur la base <strong>de</strong> signaux bruités, s’appuie sur certains neurones<br />

pariétaux <strong>et</strong> préfrontaux qui réalisent une accumulation <strong><strong>de</strong>s</strong> données stochastiques<br />

que les stimuli apportent en faveur <strong>de</strong> chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses possibles. C<strong>et</strong>te<br />

accumulation peut alors décrite mathématiquement comme une marche aléatoire<br />

apparentée à un mouvement Brownien. La décision est prise lorsque, pour l’un <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

réponses, la marche aléatoire <strong>de</strong> l’accumulateur atteint un seuil fixé à l’avance. La<br />

réponse correspondante est alors sélectionnée. On peut démontrer que ce mécanisme<br />

d’accumulation statistique avec seuil constitue un mécanisme optimal <strong>de</strong> prise <strong>de</strong><br />

décision en temps réel (Gold & Shadlen, 2002).<br />

L’analyse montre qu’au moins dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches très simples telles que la<br />

comparaison <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux nombres, le modèle log-Gaussien doublé d’une prise <strong>de</strong><br />

décision par accumulation conduit à <strong><strong>de</strong>s</strong> prédictions très étroitement ajustées aux<br />

données expérimentales. L’influence <strong>de</strong> la distance entre les nombres à comparer<br />

est correctement modélisée, <strong>et</strong> le modèle explique pourquoi la forme <strong>de</strong> c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong><br />

diffère selon que l’on considère le taux d’erreur ou le temps <strong>de</strong> réponse moyen. La<br />

distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> temps <strong>de</strong> réponse, <strong>et</strong> la manière dont celle-ci varie avec la présence<br />

d’une tâche interférente, sont également expliqués en grand détail (Sigman &<br />

Dehaene, 2005).<br />

L’impact <strong><strong>de</strong>s</strong> symboles sur la cognition numérique<br />

Le modèle décrit ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus suppose que l’acquisition <strong><strong>de</strong>s</strong> symboles numériques<br />

tels que les chiffres arabes consiste tout simplement à m<strong>et</strong>tre en relation ces formes<br />

arbitraires avec la représentation log-Gaussienne <strong><strong>de</strong>s</strong> numérosités correspondantes,<br />

en sorte que la prise <strong>de</strong> décision m<strong>et</strong> en jeu les quantités <strong>et</strong> non plus les symboles<br />

eux-mêmes. Cependant, plusieurs éléments convergents suggèrent que c<strong>et</strong>te vision<br />

est un peu trop simple, <strong>et</strong> que l’acquisition <strong>de</strong> symboles pour les nombres change<br />

également en profon<strong>de</strong>ur la représentation non-verbale <strong><strong>de</strong>s</strong> quantités numériques.<br />

Verguts <strong>et</strong> Fias (2004) ont simulé l’apprentissage non-supervisé dans un réseau <strong>de</strong><br />

neurones formels qui est exposé, soit à <strong><strong>de</strong>s</strong> numérosités seules, soit à <strong><strong>de</strong>s</strong> numérosités<br />

appariées avec le symbole correspondant. Dans le premier cas, le réseau développe<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> neurones « détecteurs <strong>de</strong> numérosité » très semblables à ceux décrits par Nie<strong>de</strong>r<br />

<strong>et</strong> Miller, avec une courbe d’accord log-Gaussienne. Cependant, l’appariement avec<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> symboles modifie profondément c<strong>et</strong>te représentation. Bien que les neurones<br />

restent accordés à la numérosité approximative, ils répon<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> façon très précise à<br />

chaque symbole numérique. La courbe d’accord <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones présente toujours un<br />

eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> distance, mais avec une gran<strong>de</strong> composante ‘tout-ou-rien’ doublé d’un p<strong>et</strong>it<br />

eff<strong>et</strong> linéaire. D’autre part, contrairement à la loi <strong>de</strong> Weber, tous les neurones<br />

présentent la même courbe d’accord, avec une largeur fixe pour tous les nombres<br />

testés (1 à 5). Ainsi, le réseau exposé aux symboles développe un nouveau type <strong>de</strong><br />

représentation que l’on qualifie <strong>de</strong> linéaire avec une variabilité fixe.


PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 287<br />

La proposition théorique <strong>de</strong> Verguts <strong>et</strong> Fias pourrait expliquer plusieurs aspects <strong>de</strong><br />

l’intuition attachée aux symboles numériques. L’analyse fine <strong><strong>de</strong>s</strong> temps <strong>de</strong> réponse<br />

montre <strong><strong>de</strong>s</strong> différences non-négligeables entre la comparaison <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres présentés<br />

sous forme symbolique <strong>et</strong> sous forme <strong>de</strong> numérosités d’ensembles <strong>de</strong> points, qui<br />

correspon<strong>de</strong>nt à l’emploi d’une représentation plus précise <strong>et</strong> plus linéaire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

symboles numériques (Dehaene, 2007). Les expériences d’IRM fonctionnelle <strong>de</strong><br />

Piazza <strong>et</strong> coll. (Piazza & Dehaene, 2004 ; Piazza <strong>et</strong> al., 2007) présentent également<br />

<strong>de</strong> subtiles asymétries qui suggèrent que, lorsque les nombres sont présentés sous<br />

forme symbolique, le codage <strong><strong>de</strong>s</strong> quantités semble plus précis dans l’hémisphère<br />

gauche que dans le droit <strong>et</strong> pourrait ressembler à celui prédit par le modèle. Le peu<br />

<strong>de</strong> données dont nous disposons sur l’IRM fonctionnelle du développement <strong>de</strong><br />

l’arithmétique suggère effectivement qu’au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’éducation, c’est surtout la<br />

région pariétale gauche qui est modifiée, tant dans son activité <strong>de</strong> base que dans la<br />

taille <strong>de</strong> son eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> distance, ce qui suggère un raffinement <strong>de</strong> la précision du codage<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> nombres au sein <strong>de</strong> l’hémisphère gauche (Ansari & Dhital, 2006).<br />

Tout récemment, Diester <strong>et</strong> Nie<strong>de</strong>r (2007) ont publié la toute première étu<strong>de</strong><br />

neurophysiologique <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes cérébraux <strong>de</strong> l’acquisition <strong><strong>de</strong>s</strong> symboles chez<br />

le primate non-humain. Ils ont entraîné <strong>de</strong>ux singes à apparier <strong><strong>de</strong>s</strong> chiffres arabes<br />

entre 1 <strong>et</strong> 4 avec les numérosités correspondantes. Dans le cortex préfrontal<br />

dorsolatéral, après l’apprentissage, <strong>de</strong> nombreux neurones codaient simultanément<br />

pour le même nombre, indépendamment <strong>de</strong> son format <strong>de</strong> présentation symbolique<br />

ou non-symbolique. Contrairement au modèle <strong>de</strong> Verguts <strong>et</strong> Fias, la courbe<br />

d’accord <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones ne se modifiait pas selon la notation. Etonnamment, dans<br />

le cortex intrapariétal, les neurones se spécialisaient soit pour les chiffres arabes,<br />

soit pour les numérosités, mais ne répondaient pas aux <strong>de</strong>ux formats simultanément.<br />

Ainsi, seul le cortex préfrontal, chez l’animal, semble susceptible <strong>de</strong> co<strong>de</strong>r la<br />

relation arbitraire entre un symbole <strong>et</strong> sa signification. Chez l’homme, un<br />

entraînement plus important, ainsi que <strong>de</strong> probables différences d’architecture<br />

cérébrale, pourraient entraîner une automatisation du signe <strong>et</strong> un transfert <strong>de</strong> ces<br />

neurones <strong>de</strong> conjonction vers les aires postérieures du cerveau. Dans leur étu<strong>de</strong><br />

d’IRM fonctionnnelle du développement arithmétique, Rivera <strong>et</strong> coll. (2005) ont<br />

effectivement observé un déplacement massif <strong>de</strong> l’activité préfrontale avec l’âge, au<br />

profit <strong>de</strong> régions occipito-temporales <strong>et</strong> pariétales gauches qui pourraient<br />

correspondre respectivement aux co<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> symboles <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> quantités.<br />

Représentation spatiale <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres <strong>et</strong> synesthésie numérique<br />

L’éducation arithmétique s’accompagne d’un autre changement important :<br />

l’apprentissage <strong>de</strong> liens systématiques entre les nombres <strong>et</strong> l’espace. L’intuition<br />

d’une échelle spatiale <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres joue un rôle essentiel en mathématiques, <strong>de</strong>puis<br />

la notion <strong>de</strong> mesure (géo-métrie) jusqu’à l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres irrationnels, <strong>de</strong> la<br />

droite réelle, <strong><strong>de</strong>s</strong> coordonnées Cartésiennes ou du plan complexe. De nombreuses<br />

étu<strong><strong>de</strong>s</strong> démontrent l’automaticité du lien entre les nombres <strong>et</strong> l’espace chez<br />

l’homme adulte : la simple présentation d’un chiffre arabe suffit à biaiser les


288 STANISLAS DEHAENE<br />

réponses motrices <strong>et</strong> l’attention visuo-spatiale, en direction <strong>de</strong> la droite pour les<br />

grands nombres <strong>et</strong> <strong>de</strong> la gauche pour les p<strong>et</strong>its nombres. C<strong>et</strong> « eff<strong>et</strong> SNARC »<br />

(spatial-numerical association of response co<strong><strong>de</strong>s</strong>) dépend <strong>de</strong> variables attentionnelles<br />

<strong>et</strong> culturelles telles que la direction <strong>de</strong> l’écriture — la direction <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> tend à<br />

s’inverser dans les cultures qui lisent <strong>de</strong> droite à gauche (Dehaene, Bossini, &<br />

Giraux, 1993).<br />

L’association nombre-espace elle-même semble provenir <strong><strong>de</strong>s</strong> liens anatomiques<br />

très étroits qu’entr<strong>et</strong>ient la région intrapariétale moyenne, impliquée dans le codage<br />

du nombre, avec les régions voisines impliquées dans le codage <strong>de</strong> l’espace. En<br />

particulier, un circuit relie les aires LIP <strong>et</strong> VIP, qui sont impliquées dans le<br />

mouvement <strong><strong>de</strong>s</strong> yeux <strong>et</strong> le codage <strong><strong>de</strong>s</strong> positions pertinentes <strong>de</strong> l’espace. Avec Ed<br />

Hubbard, sur la base d’une revue détaillée <strong>de</strong> ces questions, j’ai proposé que ce<br />

circuit VIP-LIP soit en partie recyclé pour l’arithmétique élémentaire (Hubbard,<br />

Piazza, Pinel, & Dehaene, 2005). Avec André Knops <strong>et</strong> Mariagrazia Ranzini, nous<br />

avons obtenu <strong><strong>de</strong>s</strong> données d’IRM fonctionnelle, <strong>de</strong> potentiels évoqués <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

comportement qui vont dans ce sens. En eff<strong>et</strong>, la simple présentation d’un nombre<br />

induit une activation latéralisée <strong><strong>de</strong>s</strong> régions pariétales postérieures (homologue<br />

plausible <strong>de</strong> l’aire LIP chez l’homme). De plus, l’addition <strong>et</strong> la soustraction<br />

évoquent automatiquement un mouvement vers la droite <strong>et</strong> la gauche respectivement.<br />

Ces liens spatio-numériques <strong>de</strong>meurent non-conscients chez la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

personnes testées. Cependant, chez <strong>de</strong> rares individus, leur accès à la conscience<br />

pourrait peut-être expliquer le phénomène <strong>de</strong> synesthésie numérique. Ces personnes,<br />

en eff<strong>et</strong>, affirment voir, au sens littéral, les nombres à <strong><strong>de</strong>s</strong> positions spatiales bien<br />

déterminées sur une échelle spatiale interne.<br />

Bien qu’intuitive <strong>et</strong> automatique, la correspondance entre nombres <strong>et</strong> espace<br />

n’est pas entièrement fixe. Elle se modifie considérablement au <strong>cours</strong> <strong>de</strong><br />

développement <strong>et</strong> en fonction <strong>de</strong> l’éducation. Siegler <strong>et</strong> Opfer (2003) ont présenté<br />

une tâche dans laquelle <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants doivent disposer les nombres qu’on leur énonce<br />

sur un segment étiqu<strong>et</strong>é par exemple avec le nombre 1 à gauche <strong>et</strong> le nombre 100<br />

à droite. Les enfants les plus jeunes (CP) placent les nombres en correspondance<br />

avec l’espace d’une façon certes monotone, mais non-linéaire. Ils accor<strong>de</strong>nt<br />

beaucoup plus <strong>de</strong> place aux p<strong>et</strong>its nombres <strong>et</strong> ten<strong>de</strong>nt à suivre une échelle<br />

compressive <strong>et</strong> logarithmique, selon laquelle 10 se situe au milieu <strong>de</strong> 1 <strong>et</strong> <strong>de</strong> 100.<br />

Les réponses ne <strong>de</strong>viennent linéaires que chez les enfants plus âgés, entre 8 <strong>et</strong><br />

10 ans. Avec Pierre Pica, Véronique Izard <strong>et</strong> Elizab<strong>et</strong>h Spelke, nous avons montré<br />

que l’éducation joue un rôle essentiel : chez les indiens Mundurucus d’Amazonie,<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> personnes adultes mais dépourvues d’éducation mathématique répon<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />

façon logarithmique à <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres entre 1 <strong>et</strong> 10 présentés <strong>de</strong> façon verbale ou<br />

non-symbolique (Dehaene, Izard, Spelke, & Pica, 2008). L’échelle <strong>de</strong> similarité<br />

logarithmique, qui dérive <strong>de</strong> la loi <strong>de</strong> Weber, semble donc faire partie <strong><strong>de</strong>s</strong> intuitions<br />

fondamentales <strong>de</strong> l’humanité (étant entendu que c<strong>et</strong>te intuition est approximative<br />

<strong>et</strong> n’inclut pas <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés mathématiques abstraites <strong>de</strong> la fonction logarithme<br />

telles que la transformation <strong><strong>de</strong>s</strong> sommes en produits). De nombreux indices


PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 289<br />

suggèrent que, chez l’adulte éduqué, la représentation logarithmique n’a pas<br />

vraiment disparu. Les échelles logarithmique <strong>et</strong> linéaire semblent coexister <strong>et</strong> être<br />

sélectionnées en fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> instructions <strong>et</strong> du contexte <strong>de</strong> la tâche.<br />

Conclusion<br />

L’intuition arithmétique humaine consiste en un réseau complexe <strong>de</strong> connaissances<br />

qui vont <strong>de</strong> la capacité d’estimer rapi<strong>de</strong>ment la cardinalité approximative d’un<br />

ensemble à celle d’anticiper le résultat d’une addition, <strong>de</strong> juger que 8 est plus grand<br />

que 3, ou <strong>de</strong> voir les nombres dans l’espace <strong>et</strong> d’évaluer que 3 est plus proche <strong>de</strong><br />

1 que <strong>de</strong> 10. Le noyau <strong>de</strong> ces connaissances numériques consiste en une<br />

représentation log-Gaussienne <strong>de</strong> la numérosité approximative. Ce noyau <strong>de</strong><br />

connaissances est déjà présent chez le très jeune enfant <strong>et</strong> <strong>de</strong> nombreuses espèces<br />

animales, <strong>et</strong> est associé à un circuit cérébral situé dans la région intrapariétale<br />

bilatérale. L’apprentissage <strong><strong>de</strong>s</strong> symboles <strong>de</strong> l’arithmétique formelle s’appuie<br />

fortement sur ce sens précoce <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres, bien que notre compréhension <strong>de</strong> la<br />

manière dont ce <strong>de</strong>rnier est modifié par l’éducation <strong>de</strong>meure très imparfaite. Ce<br />

sera l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> questions importantes <strong>de</strong> la recherche à venir. Un enjeu essentiel sera<br />

<strong>de</strong> mieux utiliser ces connaissances afin d’améliorer l’enseignement <strong>de</strong> l’arithmétique<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> mieux comprendre l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> dyscalculies.<br />

Séminaire<br />

En complément du <strong>cours</strong>, le séminaire a porté spécifiquement sur la représentation<br />

du nombre chez l’enfant. Son objectif explicite était <strong>de</strong> revisiter ce domaine<br />

initialement exploré par Jean Piag<strong>et</strong> <strong>et</strong> ses collaborateurs sous le regard critique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

contributions récentes <strong>de</strong> la psychologie cognitive du développement. Six chercheurs<br />

réputés sont venus présenter leurs contributions à ce domaine :<br />

— Marie-Pascale Noël (Université <strong>de</strong> Louvain) a présenté l’état actuel <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

connaissances sur la dyscalculie développementale, son évaluation, ses causes<br />

possibles <strong>et</strong> sa rééducation.<br />

— Lisa Feigenson (Johns Hopkins University) a décrit ses recherches sur la<br />

cognition numérique chez le nourrisson, qui démontre notamment une capacité<br />

hiérarchique d’appréhension du nombre d’ensembles d’obj<strong>et</strong>s.<br />

— Daniel Ansari (University of Western Ontario) s’est placé dans une<br />

perspective neuro-physiologique, en expliquant quelle pouvait être la contribution<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> outils d’imagerie cérébrale à la compréhension du développement cognitif <strong>de</strong><br />

l’enfant entre la naissance <strong>et</strong> l’adolescence. Il a présenté les toutes premières images<br />

du développement cérébral <strong>de</strong> l’arithmétique.<br />

— Michel Fayol (Université <strong>de</strong> Clermont-Ferrand) s’est intéressé aux mécanismes<br />

<strong>de</strong> l’apprentissage du comptage <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> faits arithmétiques, notamment chez l’enfant<br />

d’âge scolaire. Le calcul constitue, en eff<strong>et</strong>, l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> premiers écueils sur lesquels<br />

viennent buter les jeunes enfants.


290 STANISLAS DEHAENE<br />

— Matthieu Le Corre (Harvard University) est revenu sur une phase<br />

particulièrement importante du développement <strong>de</strong> l’enfant, entre 2 ans <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi <strong>et</strong><br />

3 ans <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi, où celui-ci comprend soudainement ce qu’est le comptage <strong>et</strong>, par<br />

ce biais, accè<strong>de</strong> à une représentation <strong>de</strong> la numérosité exacte.<br />

— Enfin Elizab<strong>et</strong>h Spelke (Harvard University) a présenté un panorama étendu<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> recherches <strong>de</strong> son groupe sur le noyau <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances numériques chez le<br />

très jeune enfant. Les recherches comportementales qu’elle a présentées visent à<br />

séparer les connaissances universelles <strong>de</strong> l’enfant <strong>de</strong> celles qu’il acquiert par le biais<br />

<strong>de</strong> l’éducation <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’immersion dans une culture <strong>et</strong> un environnement linguistique<br />

spécifique.<br />

Bibliographie succincte<br />

Le <strong>cours</strong> a repris <strong>et</strong> mis à jour <strong>de</strong> nombreux éléments <strong>de</strong> mon livre La bosse <strong><strong>de</strong>s</strong> maths<br />

(Odile Jacob, 1997). Il s’est appuyé sur plusieurs autres ouvrages <strong>et</strong> articles <strong>de</strong> revue :<br />

Piag<strong>et</strong>, J. and A. Szeminska (1941). La génèse du nombre chez l’enfant. Neuchâtel,<br />

Delachaux & Niestlé.<br />

Gelman, R. and C. R. Gallistel (1978). The child‘s un<strong>de</strong>rstanding of number. Cambridge<br />

Mass., Harvard University Press.<br />

Fuson, K. C. (1988). Children’s counting and concepts of number. New York : Springer-<br />

Verlag.<br />

Dehaene, S. (1993). Numerical Cognition. Oxford, Blackwell.<br />

Butterworth, B. (1999). The Mathematical Brain. London, Macmillan.<br />

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Nature Reviews in Neuroscience.<br />

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Principaux articles cités :<br />

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sulcus during nonsymbolic magnitu<strong>de</strong> processing : an event-related functional magn<strong>et</strong>ic<br />

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Ashcraft, M.H., & Stazyk, E.H. (1981). Mental addition : A test of three verification<br />

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Activités <strong>de</strong> recherche du laboratoire<br />

Nous m<strong>et</strong>tons ici en valeur quelques résultats qui nous paraissent importants.<br />

Vient ensuite une liste complète <strong><strong>de</strong>s</strong> publications du laboratoire.


PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 293<br />

Mécanismes <strong>de</strong> la lecture : rôles distincts <strong><strong>de</strong>s</strong> voies ventrale <strong>et</strong> dorsale<br />

Par le passé, les <strong>travaux</strong> du laboratoire sur les processus <strong>de</strong> lecture se sont souvent<br />

focalisés sur une p<strong>et</strong>ite région occipito-temporale gauche, l’aire <strong>de</strong> la forme visuelle<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> mots. En eff<strong>et</strong>, chez l’adulte bien entraîné, c<strong>et</strong>te région joue un rôle essentiel<br />

dans la lecture rapi<strong>de</strong>, non-consciente, <strong>et</strong> indépendante <strong>de</strong> la longueur <strong><strong>de</strong>s</strong> mots.<br />

Sur la base d’un modèle neuronal <strong>de</strong> l’architecture <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te région (Dehaene <strong>et</strong><br />

coll., TICS, 2005), nous avons toutefois prédit que c<strong>et</strong>te région <strong>de</strong>vrait cesser <strong>de</strong><br />

fonctionner efficacement dans certaines conditions <strong>de</strong> stimulation :<br />

— l’écartement <strong><strong>de</strong>s</strong> l e t t r e s , au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux espaces, <strong>de</strong>vrait empêcher<br />

l’activation <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones-bigrammes supposés essentiels à l’i<strong>de</strong>ntification rapi<strong>de</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> mots ;<br />

— la rotation du mot, au-<strong>de</strong>là d’environ 40 <strong>de</strong>grés, <strong>de</strong>vrait empêcher les<br />

neurones <strong>de</strong> répondre à leur stimulus préféré, qu’il s’agisse <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres, <strong><strong>de</strong>s</strong> bigrammes<br />

ou ou <strong><strong>de</strong>s</strong> morphèmes <strong><strong>de</strong>s</strong> mots ;<br />

— enfin la présentation du mot dans l’hémichamp gauche a un eff<strong>et</strong> délétère<br />

bien connu, sans doute parce qu’elle empêche l’accès rapi<strong>de</strong> aux connaissances<br />

orthographiques stockées dans les régions visuelles <strong>de</strong> l’hémisphère gauche.<br />

Nous avons donc mené une expérience <strong>de</strong> comportement <strong>et</strong> d’IRM fonctionnelle<br />

où ces trois facteurs (écartement, rotation, déplacement) étaient manipulés <strong>de</strong><br />

façon paramétrique (Cohen <strong>et</strong> coll., NeuroImage, 2008). Les résultats ont montré<br />

un important ralentissement du temps <strong>de</strong> lecture, qui survenait précisément aux<br />

valeurs paramétriques prédites par le modèle (par exemple, <strong>de</strong>ux espaces d’écart<br />

entre les l<strong>et</strong>tres). Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te valeur seuil, les temps <strong>de</strong> lecture étaient<br />

soudainement affectés d’un important eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> longueur du mot, suggérant une<br />

lecture attentive, avec effort, voire l<strong>et</strong>tre à l<strong>et</strong>tre.<br />

L’IRM a révélé les mécanismes cérébraux <strong>de</strong> ces phénomènes comportementaux :<br />

la lecture avec effort s’accompagne <strong>de</strong> l’entrée en activité d’un vaste réseau dorsal<br />

qui comprend systématiquement, dans les trois conditions <strong>de</strong> ralentissement, les<br />

régions pariétales postérieures bilatérales (homologue plausible <strong>de</strong> l’aire LIP chez<br />

l’homme). La lecture sérielle s’accompagne également d’une amplification sélective<br />

<strong>de</strong> la partie postérieure <strong>de</strong> l’aire occipito-temporale ventrale, à un site correspondant<br />

au codage putatif <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres isolées. Le réseau dorsal mis en évi<strong>de</strong>nce dans c<strong>et</strong>te<br />

expérience joue vraisemblablement un rôle important dans toutes les conditions<br />

où la lecture est dégradée <strong>et</strong> rendue difficile, notamment au début <strong>de</strong> l’apprentissage<br />

chez l’enfant. Il semble important, à l’avenir, d’examiner sa possible contribution<br />

aux troubles <strong>de</strong> la lecture chez certains enfants dyslexiques.<br />

Compréhension du langage parlé :<br />

l’importance <strong>de</strong> la région temporale antérieure<br />

Anne-Dominique Devauchelle, dans l’équipe <strong>de</strong> Christophe Pallier, a réalisé une<br />

thèse sur la représentation cérébrale <strong><strong>de</strong>s</strong> structures <strong>de</strong> phrases. L’expérience qui fait<br />

l’obj<strong>et</strong> d’une première publication (Devauchelle <strong>et</strong> coll., Journal of Cognitive


294 STANISLAS DEHAENE<br />

Neuroscience, sous presse) visait à utiliser l’amorçage en IRM fonctionnelle afin<br />

d’examiner s’il existe <strong><strong>de</strong>s</strong> régions cérébrales qui co<strong>de</strong>nt pour <strong><strong>de</strong>s</strong> structures<br />

syntaxiques.<br />

Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’expérience, les participants lisaient ou écoutaient <strong><strong>de</strong>s</strong> phrases<br />

organisées par groupes <strong>de</strong> quatre, qui pouvaient partager ou non, soit la même<br />

construction syntaxique, soit le même contenu lexico-sémantique. Dans un cas<br />

extrême, la même phrase était répétée quatre fois. Un fort eff<strong>et</strong> d’adaptation à la<br />

répétition était alors observé dans la majorité du réseau <strong>de</strong> traitement <strong><strong>de</strong>s</strong> phrases,<br />

ce qui confirmait que ces régions linguistiques se prêtent bien à une étu<strong>de</strong> par la<br />

métho<strong>de</strong> d’adaptation. Dans la condition « lexico-sémantique », le même contenu<br />

était répété à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> constructions syntaxiques distinctes, par exemple « le taxi<br />

dépose le client », « le client a été déposé par le taxi », « c’est le taxi qui dépose le<br />

client », <strong>et</strong>c. Dans c<strong>et</strong>te condition également, un fort eff<strong>et</strong> d’amorçage était observé,<br />

particulièrement dans la région temporale antérieure. Celle-ci apparaît comme un<br />

candidat intéressant pour la représentation du sens <strong><strong>de</strong>s</strong> phrases <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’agencement<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> rôles thématiques <strong>de</strong> leurs constituants.<br />

Le résultat le plus surprenant, toutefois, était l’absence d’eff<strong>et</strong> d’amorçage dans<br />

une condition où l’on respectait toujours la même structure syntaxique,<br />

indépendamment <strong><strong>de</strong>s</strong> mots utilisés pour la réaliser (par exemple « c’est le taxi qui<br />

dépose le client ; ce sont vos amis qui détestent les poireaux ; <strong>et</strong>c.). Ce résultat<br />

suggère que la construction syntaxique abstraite n’est pas représentée<br />

indépendamment <strong><strong>de</strong>s</strong> mots qui la véhiculent, ou bien n’est pas conservée sous une<br />

forme explicite par <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones reproductibles <strong>et</strong> suj<strong>et</strong>s à l’adaptation. Une<br />

hypothèse très intéressante est que les régions temporales antérieures soient<br />

impliquées dans l’extraction <strong>de</strong> la structure abstraite ou « profon<strong>de</strong> » <strong><strong>de</strong>s</strong> phrases,<br />

réalisant ainsi une forme d’invariance pour leurs variations plus superficielles.<br />

Cognition numérique : les liens entre le nombre <strong>et</strong> l’espace<br />

Depuis 2002, en collaboration avec Pierre Pica, Elizab<strong>et</strong>h Spelke, Véronique<br />

Izard, notre laboratoire s’intéresse à la cognition numérique chez les indiens<br />

Mundurucus d’Amazonie. Ce peuple présente un lexique numérique restreint aux<br />

tous premiers nombres, <strong>et</strong> n’a guère accès à l’éducation mathématique. Ainsi<br />

pouvons-nous étudier, avec les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la psychologie cognitive, les intuitions<br />

mathématiques non-verbales. Dans une étu<strong>de</strong> récente, nous avons montré que ces<br />

indiens possè<strong>de</strong>nt un sens intuitif <strong><strong>de</strong>s</strong> relations nombre-espace (Dehaene <strong>et</strong> coll.,<br />

Science, 2008).<br />

De nombreux <strong>travaux</strong>, réalisés chez <strong><strong>de</strong>s</strong> adultes occi<strong>de</strong>ntaux, montrent que, le<br />

simple fait <strong>de</strong> penser à un nombre ou d’effectuer un calcul évoque automatiquement<br />

un biais spatial. C<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> trouve son origine dans les liens qu’entr<strong>et</strong>iennent les<br />

représentations numériques <strong>et</strong> spatiales dans le lobe pariétal (voir le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

année). Nos nouveaux résultats indiquent que l’intuition d’une association régulière<br />

entre les nombres <strong>et</strong> l’espace pré-existe à toute éducation en mathématiques.


PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 295<br />

L’expérience consiste à présenter aux Mundurucus, sur un écran d’ordinateur, une<br />

droite étiqu<strong>et</strong>ée à gauche par une représentation du nombre un <strong>et</strong> à droite par une<br />

représentation du nombre 10 (présentés sous forme <strong>de</strong> nuages <strong>de</strong> points). On leur<br />

présente ensuite divers nombres, soit sous forme non-symbolique (nuages <strong>de</strong><br />

points, séquences <strong>de</strong> sons), soit sous forme symbolique (noms <strong>de</strong> nombres en<br />

langue Mundurucu ou en portugais pour ceux qui le connaissent). Pour chaque<br />

nombre, on leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> le positionner sur c<strong>et</strong>te droite. Seuls <strong>de</strong>ux essais<br />

d’entraînement sont proposés, l’un avec le nombre 1, l’autre avec le nombre 10.<br />

Dans la mesure où ces nombres ne font intervenir que les extrémités <strong>de</strong> l’échelle,<br />

ils laissent les personnes entièrement libres <strong>de</strong> leurs choix pour les nombres<br />

intermédiaires. Cependant, tous les participants ont positionné intuitivement<br />

chaque nombre dans un ordre monotone, qui respectait une relation systématique<br />

entre le nombre <strong>et</strong> l’espace. Ainsi c<strong>et</strong>te relation apparaît intuitive <strong>et</strong> spontanée,<br />

même en l’absence d’éducation mathématique.<br />

De façon plus surprenante, toutefois, la forme que prend c<strong>et</strong>te relation n’est pas<br />

linéaire. Les Mundurucus organisent spontanément les nombres dans l’espace<br />

suivant une échelle logarithmique. Lorsqu’on leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> situer le nombre 5<br />

par exemple sur une droite graduée <strong>de</strong> 1 à 10, ils ne le placent pas vers le milieu,<br />

mais à proximité <strong>de</strong> 10 — c’est plutôt 3 ou 4 qui, selon leur intuition, doit se<br />

situer au milieu <strong>de</strong> 1 <strong>et</strong> <strong>de</strong> 10. C<strong>et</strong>te représentation suit la loi <strong>de</strong> Weber. La<br />

similarité entre les nombres semble jugée sur une échelle logarithmique car celle-ci<br />

respecte les rapports entre les nombres : 3 est placé au milieu <strong>de</strong> 1 <strong>et</strong> 9 en sorte<br />

qu’il y ait le même rapport entre 3 <strong>et</strong> 1 qu’entre 9 <strong>et</strong> 3.<br />

Par contraste, tous les adultes occi<strong>de</strong>ntaux adoptent spontanément une<br />

représentation linéaire, dans laquelle les nombres consécutifs sont équidistants<br />

quelle que soit leur taille – la même opération <strong>de</strong> « successeur » ou « + 1 » s’applique<br />

tout au long <strong>de</strong> la ligne numérique mentale. Nos résultats signifient donc que ce<br />

sens <strong>de</strong> la mesure <strong>et</strong> <strong>de</strong> la linéarité <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres s’apprend <strong>et</strong> n’est pas immédiatement<br />

intuitif. Chez l’enfant occi<strong>de</strong>ntal, Siegler <strong>et</strong> Opfer ont observé que la nature <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

liens entre nombre <strong>et</strong> espace change au <strong>cours</strong> du développement. C’est entre 6 <strong>et</strong><br />

10 ans que l’enfant passe d’une représentation logarithmique à une représentation<br />

linéaire du nombre. Ainsi, c<strong>et</strong>te recherche m<strong>et</strong> en valeur le rôle essentiel <strong>de</strong><br />

l’éducation dans le développement mathématique : en son absence, semble-t-il,<br />

nous ignorerions même qu’il existe un espacement constant entre les nombres 1,<br />

2, 3, 4…<br />

Cognition numérique : la distinction entre subitisation <strong>et</strong> estimation<br />

Un autre travail, réalisé lors <strong>de</strong> la thèse <strong>de</strong> Susannah Revkin, a exploré les<br />

mécanismes d’appréhension <strong>de</strong> la numérosité d’un ensemble d’obj<strong>et</strong>s. On sait que<br />

les tous p<strong>et</strong>its ensembles d’obj<strong>et</strong>s (jusqu’à 3 ou 4) sont énumérés très rapi<strong>de</strong>ment<br />

<strong>et</strong> pratiquement sans erreurs. C<strong>et</strong>te « subitisation » <strong><strong>de</strong>s</strong> p<strong>et</strong>its nombres est connue<br />

<strong>de</strong>puis plus d’un siècle, mais reste inexpliquée. Un modèle classique suppose que


296 STANISLAS DEHAENE<br />

la subitisation n’est qu’une forme d’« estimation précise » : nous disposerions d’un<br />

mécanisme générique d’estimation soumis à la loi <strong>de</strong> Weber, c’est-à-dire que son<br />

imprécision augmente <strong>de</strong> façon proportionnelle au nombre représenté. Pour les<br />

tous p<strong>et</strong>its nombres, la précision du codage numérique <strong>de</strong>viendrait suffisante pour<br />

discriminer chaque nombre <strong>de</strong> ses voisins, ce qui perm<strong>et</strong>trait une dénomination<br />

rapi<strong>de</strong> <strong>et</strong> précise. C<strong>et</strong>te théorie unifiée <strong>de</strong> la subitisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’estimation est<br />

séduisante dans la mesure où, chez l’animal, <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones codant pour la numérosité<br />

<strong>et</strong> soumis à la loi <strong>de</strong> Weber ont effectivement été enregistrés, sans qu’ils présentent<br />

la moindre discontinuité pour les p<strong>et</strong>its nombres par rapport aux grands nombres.<br />

Toutefois d’autres dissociations, particulièrement chez le très jeune enfant, militent<br />

en faveur d’un autre modèle selon lequel la subitisation fait appel à un mécanisme<br />

entièrement distinct <strong>et</strong> dédié.<br />

Afin <strong>de</strong> séparer ces possibilités théoriques, nous avons testé une conséquence<br />

directe <strong>de</strong> la loi <strong>de</strong> Weber : la précision <strong>de</strong>vrait être la même lorsque les participants<br />

discriminent <strong>et</strong> dénomment les nombres 1, 2, 3, 4… <strong>et</strong> les nombres 10, 20, 30,<br />

40… (dans la mesure où leur rapports sont i<strong>de</strong>ntiques). Nous avons donc entraîné<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> participants français à dénommer rapi<strong>de</strong>ment <strong>et</strong> approximativement les dizaines<br />

<strong>de</strong> 10 à 80, <strong>et</strong> avons comparé ces résultats à ceux <strong>de</strong> la tâche classique <strong>de</strong> dénomination<br />

<strong>de</strong> 1 à 8 points. Les résultats ont mis en évi<strong>de</strong>nce une violation très n<strong>et</strong>te <strong>de</strong> la loi <strong>de</strong><br />

Weber : la précision est bien supérieure, <strong>et</strong> le temps <strong>de</strong> réponse n<strong>et</strong>tement plus<br />

rapi<strong>de</strong>, pour les numérosités 1 à 4 que pour tous les autres nombres <strong>et</strong> notamment<br />

les dizaines <strong>de</strong> 10 à 40. Ces résultats réfutent, d’une manière directe, l’hypothèse<br />

qu’un seul <strong>et</strong> même mécanisme sous-tend l’estimation <strong>et</strong> le comptage. Le mécanisme<br />

qui perm<strong>et</strong> la subitisation reste inconnu, mais la recherche doit s’orienter vers <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

propriétés spécifiques à la représentation visuelle <strong><strong>de</strong>s</strong> p<strong>et</strong>its ensembles d’obj<strong>et</strong>s.<br />

Cognition numérique : le sens <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres chez le bébé <strong>de</strong> trois mois<br />

De nombreuses recherches comportementales indiquent qu’une authentique<br />

compétence numérique est présente chez l’enfant <strong>de</strong> quelques mois. Jusqu’à<br />

présent, cependant, les mécanismes cérébraux <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te compétence restaient<br />

indéterminés. Seule l’IRM avait permis <strong>de</strong> montrer l’implication <strong>de</strong> la région<br />

pariétale, en particulier dans l’hémisphère droit, dans le traitement <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres<br />

chez l’enfant <strong>de</strong> 4 ans (Cantlon <strong>et</strong> coll., 2006).<br />

En collaboration avec Véronique Izard <strong>et</strong> Ghislaine Dehaene-Lambertz, nous<br />

avons pu montrer les premières images <strong>de</strong> l’activité cérébrale au <strong>cours</strong> d’un<br />

traitement numérique chez le bébé <strong>de</strong> trois mois (Izard <strong>et</strong> coll., PLOS Biology,<br />

2008). Nous avons comparé les potentiels évoqués par <strong><strong>de</strong>s</strong> changements<br />

imprévisibles au sein d’un ensemble d’obj<strong>et</strong>s, qui consistaient soit en un changement<br />

<strong>de</strong> nombre (2 contre 3, 4 contre 8, ou 4 contre 12), soit en un changement <strong>de</strong><br />

l’i<strong>de</strong>ntité <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s. Les topographies <strong><strong>de</strong>s</strong> voltages au niveau du scalp ont démontré<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> réponses massives <strong>et</strong> bien différenciées aux <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> changements. Un<br />

modèle réaliste du scalp <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> sources corticales distribuées, rendu possible par


PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 297<br />

notre travail antérieur d’IRM du bébé, a montré que le changement d’i<strong>de</strong>ntité<br />

entrainait l’activation <strong><strong>de</strong>s</strong> régions occipito-temporales ventrales, particulièrement à<br />

gauche, tandis que le changement <strong>de</strong> nombre activait la région pariétale droite.<br />

Ces résultats suggèrent que le cerveau du bébé est hautement organisé <strong>et</strong> que la<br />

gran<strong>de</strong> division entre voies visuelles dorsale <strong>et</strong> ventrale est déjà présente à trois mois<br />

<strong>de</strong> vie. Ils soulignent la continuité du « sens <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres » au fil du développement<br />

<strong>et</strong> pointent vers un biais d’organisation en faveur du lobe pariétal droit, qui pourrait<br />

sous-tendre le développement ultérieur <strong>de</strong> l’intuition arithmétique.<br />

Accès à la conscience : limites <strong>de</strong> l’introspection<br />

Le laboratoire s’intéresse, <strong>de</strong>puis plus d’une dizaine d’années, aux mécanismes qui<br />

perm<strong>et</strong>tent à une information d’accé<strong>de</strong>r à la conscience. Avec Guido Corallo, Jérôme<br />

Sackur <strong>et</strong> Mariano Sigman, nous avons développé une nouvelle métho<strong>de</strong> d’étu<strong>de</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> capacités <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> limites <strong>de</strong> l’introspection consciente (Corallo <strong>et</strong> coll., Psychological<br />

Science, 2008). C<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> d’« introspection quantifiée » se situe au confluent <strong>de</strong><br />

nos recherches sur les nombres <strong>et</strong> sur la conscience. En eff<strong>et</strong>, elle consiste à interroger<br />

le volontaire, après chaque essai d’une tâche chronométrique, sur son introspection<br />

<strong>de</strong> son propre temps <strong>de</strong> réponse. Contrairement à beaucoup d’autres étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, c<strong>et</strong>te<br />

introspection n’est pas seulement qualitative ou verbale, mais elle est finement<br />

quantifiée : le volontaire utilise un curseur analogique ou une réponse numérique<br />

afin d’estimer, en millisecon<strong><strong>de</strong>s</strong>, ce qu’il estime être son temps <strong>de</strong> réponse. De c<strong>et</strong>te<br />

manière, <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques classiques <strong>de</strong> chronométrie mentale telles que la métho<strong>de</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs additifs <strong>de</strong> Sternberg peuvent être appliquées au temps <strong>de</strong> réponse<br />

introspectif, <strong>et</strong> l’on peut étudier les limites <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te introspection.<br />

Nos résultats démontrent que, dans une tâche <strong>de</strong> comparaison simple, le temps<br />

<strong>de</strong> réponse introspectif est une mesure très sensible, étroitement corrélée au temps<br />

<strong>de</strong> réponse objectif, <strong>et</strong> affectée par les mêmes facteurs expérimentaux. Toutefois,<br />

dans une situation <strong>de</strong> « pério<strong>de</strong> psychologique réfractaire » où <strong>de</strong>ux tâches entrent<br />

en collision <strong>et</strong> sont réalisées l’une après l’autre, une partie <strong><strong>de</strong>s</strong> traitements mis en<br />

jeu n’est plus accessible à l’introspection. En particulier, le délai objectif qui affecte<br />

la secon<strong>de</strong> tâche disparaît totalement <strong>de</strong> l’introspection <strong><strong>de</strong>s</strong> participants. Ceux-ci<br />

ne se ren<strong>de</strong>nt pas compte que leurs réponses sont considérablement différées par<br />

l’exécution <strong>de</strong> la première tâche, <strong>et</strong> préten<strong>de</strong>nt avoir répondu à vitesse constante,<br />

quel que soit l’intervalle entre les cibles associées à chaque tâche.<br />

Nous en concluons que l’introspection subjective du temps consacré à une<br />

opération mentale corrèle avec la disponibilité d’un « espace <strong>de</strong> travail global » où<br />

se prennent les décisions <strong>et</strong> qui ne peut réaliser qu’une tâche à la fois. Les étapes<br />

<strong>de</strong> perception <strong>et</strong> d’exécution motrices ne sont accessibles à l’introspection que<br />

lorsque c<strong>et</strong>te espace est disponible, ce qui n’est pas le cas lorsqu’une pression<br />

temporelle s’exerce pour réaliser <strong>de</strong>ux tâches conjointes le plus rapi<strong>de</strong>ment possible.<br />

Notre introspection semble limitée aux informations qui parviennent à ce goulot<br />

d’étranglement central.


298 STANISLAS DEHAENE<br />

Analyse temporelle <strong>de</strong> la collision mentale entre <strong>de</strong>ux tâches<br />

Avec Mariano Sigman, nous avons développé <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> d’analyse temporelle<br />

en IRM fonctionnelle <strong>et</strong> en potentiels évoqués, afin d’i<strong>de</strong>ntifier précisément les<br />

aires corticales <strong>et</strong> les étapes d’activation cérébrale associées à ce goulot d’étranglement<br />

central (Sigman <strong>et</strong> Dehaene, Journal of Neuroscience, 2008).<br />

Par le passé, nous avions montré que l’idée répandue que l’IRM fonctionnelle<br />

est largement dépourvue <strong>de</strong> résolution temporelle est fausse. L’IRM est effectivement<br />

limitée par la lenteur <strong>de</strong> la réponse hémodynamique, qui se déploie avec plusieurs<br />

secon<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ard par rapport à l’activité neuronale. Toutefois, Mariano Sigman<br />

<strong>et</strong> moi-même avons montré qu’une analyse <strong>de</strong> Fourier perm<strong>et</strong>tait <strong>de</strong> dépasser ces<br />

limites <strong>et</strong> d’obtenir <strong><strong>de</strong>s</strong> informations sur le dé<strong>cours</strong> temporel <strong>de</strong> l’activité neuronale<br />

sous-jacente, à l’échelle <strong>de</strong> la centaine <strong>de</strong> millisecon<strong><strong>de</strong>s</strong> (Sigman <strong>et</strong> al., NeuroImage<br />

2007).<br />

Dans notre nouveau travail, nous avons appliqué c<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> au phénomène<br />

<strong>de</strong> « pério<strong>de</strong> psychologique réfractaire », qui fait référence à l’impossibilité <strong>de</strong><br />

réaliser <strong>de</strong>ux tâches simultanément. Diverses expériences comportementales ont<br />

conduit à l’hypothèse, formulée clairement par Pashler, que les étapes perceptives<br />

<strong>et</strong> motrices peuvent être menées en parallèles, mais qu’une étape <strong>de</strong> décision<br />

centrale impose un goulot d’étranglement où les opérations sont réalisées en série,<br />

l’une après l’autre. Pour tester c<strong>et</strong>te hypothèse, nous avons <strong>de</strong>mandé à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

volontaires <strong>de</strong> réaliser <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches doubles, qui impliquaient <strong>de</strong> prendre simultanément<br />

une décision auditive (comparaison <strong>de</strong> hauteur tonale) <strong>et</strong> une décision visuelle<br />

abstraite (comparison <strong>de</strong> nombres). Un délai <strong>de</strong> 300 millisecon<strong><strong>de</strong>s</strong> était injecté<br />

dans la tâche auditive, soit pendant la pério<strong>de</strong> d’interférence, soit en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong><br />

c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong>. A l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’IRM, <strong>et</strong> bien que l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations soit réalisé<br />

en environ une secon<strong>de</strong>, nous avons pu diviser les réseaux corticaux en souscomposantes<br />

en fonction <strong>de</strong> leurs caractéristiques temporelles. Les aires sensorielles<br />

suivaient étroitement le moment <strong>de</strong> présentation du stimulus, tandis qu’un réseau<br />

pariéto-préfrontal bilatéral montrait un eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> délai lié au goulot d’étranglement.<br />

De plus, un réseau étendu qui impliquait les régions pariétales postérieures, le<br />

cortex prémoteur, la partie antérieure <strong>de</strong> l’insula <strong>et</strong> le cervel<strong>et</strong> était partagé par les<br />

<strong>de</strong>ux étapes successives <strong>de</strong> décision. L’enregistrement <strong><strong>de</strong>s</strong> potentiels évoqués à<br />

256 électro<strong><strong>de</strong>s</strong> a montré que le goulot d’étranglement se traduisait par un délai<br />

massif <strong>de</strong> la composante P3, qui reflète effectivement l’entrée en activité d’un<br />

réseau distribué d’aires corticales associatives, tandis que les activations sensorielles<br />

antérieures (< 250 ms) étaient strictement non-affectées par l’interférence.<br />

Les résultats confirment que le cerveau se comporte comme une architecture à<br />

la fois massivement parallèle (aux niveaux perceptifs <strong>et</strong> moteurs) <strong>et</strong> strictement<br />

sérielle (au niveau décisionnel). De plus, ils délimitent les contours anatomiques<br />

<strong>et</strong> fonctionnels <strong>de</strong> ce réseau décisionnel qui semble systématiquement associé aux<br />

régions pariétales <strong>et</strong> préfrontales bilatérales — un système très proche <strong>de</strong> celui que<br />

nos <strong>travaux</strong> antérieurs associent à l’accès à la conscience.


Articles originaux<br />

PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 299<br />

Publications (2007-2008)<br />

Thirion. B., Pinel, P., Meriaux, S., Roche, A., Dehaene, S., Poline, J.B. Analysis of<br />

a large fMRI cohort : Statistical and m<strong>et</strong>hodological issues for group analyses. NeuroImage,<br />

2007, 35, 105-120.<br />

Golestani., N., Molko, N., Dehaene, S., Lebihan, D., Pallier, C. Brain structure<br />

predicts the learning of foreign speech sounds. Cerebral Cortex, 2007, 17, 575-582.<br />

Landmann, C., Dehaene, S., Pappata, S., Jobert, A., Bottlan<strong>de</strong>r, M., Roumenov, D.,<br />

Lebihan, D. Dynamics of prefrontal and cingulate activity during a reward-based logical<br />

<strong>de</strong>duction task. Cerebral Cortex, 2007, 17, 749-759.<br />

Sigman, M., Jobert, A., Lebihan, D., Dehaene, S. Parsing a sequence of brain<br />

activations at psychological times using fMRI. NeuroImage, 2007, 35, 655-668.<br />

Piazza, M., Pinel, P., Le Bihan, D., Dehaene, S. A magnitu<strong>de</strong> co<strong>de</strong> common to<br />

numerosities and number symbols in human intrapari<strong>et</strong>al cortex. Neuron, 2007, 53, 293-<br />

305.<br />

Dehaene, S. A few steps toward a science of mental life. Mind, Brain and Education,<br />

2007, 1, 28-47.<br />

Vinckier, F., Dehaene, S., Jobert, A., Dubus, J.P., Sigman, M., Cohen, L. Hierarcical<br />

coding of l<strong>et</strong>ter strings in the ventral stream : dissecting the inner organization of the visual<br />

word-form system, Neuron, 2007, 55, 143-156.<br />

Reuter, F., Del Cul, A., Audoin B., Malikova, I., Naccache, L., Ranjeva, J.P.,<br />

Lyon-Caen, O., Cherif, A.A., Cohen, L. Dehaene, S., Pell<strong>et</strong>ier, J. Intact subliminal<br />

processing and <strong>de</strong>layed conscious access in multiple sclerosis. Neuropsychologia, 2007, 45,<br />

2683-2691.<br />

Koui<strong>de</strong>r, S., Dehaene, S., Jobert, A., Le Bihan, D. Cerebral Bases of Subliminal and<br />

Supraliminal Priming during Reading. Cerebral Cortex, 2007, 17, 2019-2029.<br />

Gaillard, R., Cohen, L., Adam, C., Clemenceau, S., Hasboun, D., Baulac, M.,<br />

Willer, J.C., Dehaene, S., Naccache, L. Subliminal words durably affect neuronal<br />

activity. NeuroReport, 2007, 18, 1527-1531.<br />

Pinel, P., Thirion, B., Meriaux, S., Jobert, A., Serres, J., Le Bihan, D., Poline, J.-P.<br />

Dehaene, S. Fast reproducible i<strong>de</strong>ntification and large-scale databasing of individual<br />

functional cognitive n<strong>et</strong>works. BMC Neuroscience, 2007, 81, 91<br />

Dehaene, S., Cohen, L. Cultural recycling of cortical maps. Neuron, 2007, 56, 384-<br />

398.<br />

Nakamura, K., Dehaene, S., Jobert, A., Le Bihan, D., Koui<strong>de</strong>r S. Talk-specific<br />

change of unconscious neural priming in the cerebral language n<strong>et</strong>work. PNAS, 2007, 104,<br />

19643-19648.<br />

Del Cul, A., Baill<strong>et</strong>, S., Dehaene, S. Brain dynamics un<strong>de</strong>rlying the non-linear<br />

threshold for access to consciousness. PLOS Biology, 2007, 5(10), e260.<br />

McCrink, K., Dehaene, S., & Dehaene-Lambertz, G. Moving along the number line :<br />

Operational momentum in non-symbolic arithm<strong>et</strong>ic. Perception & Psychophysics, 2007, 69,<br />

1324-3333.<br />

Sigman, M. Sackur, J., Del Cul, A. Dehaene, S. Illusory displacement due to object<br />

substitution near the consciousness threshold., Journal of Vision, 2008, 8, 13, 1-10.<br />

Izard, V., Dehaene, S. Calibrating the mental number line. Cognition, 2008, 106,<br />

1221-1247.


300 STANISLAS DEHAENE<br />

Cohen, L., Dehaene, S.¸ Vinckier, F., Jobert, A., Montavont, A. Reading normal<br />

and <strong>de</strong>gra<strong>de</strong>d words : contribution of the dorsal and ventral visual pathways. NeuroImage,<br />

2008, 40, 353-366.<br />

Izard, V., Dehaene-Lambertz, G., Dehaene, S. Distinct cerebral pathways for object<br />

i<strong>de</strong>ntity and number in human infants. PLOS Biol, 2008, 6, e11.<br />

Revkin, S.K., Piazza, M., Izard, V., Cohen, L., & Dehaene, S. Does subitizing reflect<br />

numerical estimation ? Psychological Science, 2008, 19, 606-614.<br />

Dehaene, S., Izard, V., Spelke, E., Pica, P. Log or Linear ? Distinct intuitions of the<br />

number scale in western and Amazonian indigene cultures. Science, 2008, 320, 1217-<br />

1220.<br />

Sackur, J., Naccache, L., Pradat-Diehl, P., Azouvi, P., Mazev<strong>et</strong>, D., Katz, R.,<br />

Cohen, L., Dehaene, S. Semantic processing of neglected numbers. Cortex, 2008, 44,<br />

673-682.<br />

Sigman, M., Dehaene, S. Brain mechanisms of serial and parallel processing during<br />

dual-task performance. J Neuroscience (sous presse).<br />

Epelbaum, S., Pinel, P., Gaillard, R., Delmaire, C., Perrin, M., Dupont, S.,<br />

Dehaene, S. Pure alexia as a disconnection syndrome : New diffusion imaging evi<strong>de</strong>nce for<br />

an old concept. Cortex (special issue) (sous presse).<br />

Corallo, G., Sackur, J., Dehaene, S., Sigman, M. Limits on introspection : Distorted<br />

subjective time during the dual-task bottleneck. Psychological Science (sous presse).<br />

Devauchelle, A.D., Oppenheim, C., Rizzi, L., Dehaene, S., Pallier, C. Sentence<br />

syntax and content in the human temporal lobe. J. Cogn. Neurosci. (sous presse).<br />

Livres<br />

Dehaene, S. Les Neurones <strong>de</strong> la lecture. Paris : Odile Jacob, 2007.<br />

Articles <strong>de</strong> revue<br />

Koui<strong>de</strong>r, S., Dehaene, S. Levels of processing during non-conscious perception : a<br />

critical review of visual masking. Philosophical Translations of the Royal Soci<strong>et</strong>y B, 2007, 362,<br />

857-875.<br />

Pica, P., Lemer, C., Izard, V., Dehaene, S. Quels sont les liens entre arithmétique <strong>et</strong><br />

langage ? Une étu<strong>de</strong> en Amazonie. Cahiers <strong>de</strong> l’Herne consacré à Chomsky, 2007.<br />

Chapitres <strong>de</strong> livre<br />

Wilson, A.J., Dehaene, S. Number sense and <strong>de</strong>velopmental dyscalculia. In Donna<br />

Coch, Geraldine Dawson, Kurt W. Fischer (Eds) Human behavior, learning and the<br />

<strong>de</strong>veloping brain : Atypical <strong>de</strong>velopment, The Guilford Press New, 2007, pp. 212-238.<br />

Dehaene, S. Symbols and quantities in pari<strong>et</strong>al cortex : elements of a mathematical<br />

theory of number representation and manipulation. In Attention & Performance XXII.<br />

Sensori-motor foundations of higher cognition, Haggard, P. and Ross<strong>et</strong>ti, Y. (Ed) Cambridge,<br />

mass., Harvard University Press. 2007, 24, pp. 527-374.<br />

Dehaene, S. L’imagerie cérébrale peut-elle séparer mémoires conscientes <strong>et</strong> non<br />

conscientes ? In, La Mémoire, ses mécanismes, ses désordres. Editions Le Manuscrit, 2007,<br />

pp. 49-69.<br />

Dehaene, S., Conscious and Nonconscious Processes. Distinct forms of evi<strong>de</strong>nce<br />

accumulation ? In B<strong>et</strong>ter than conscious ? Implications for Performance and Institutional<br />

Analysis. Engel C., and W. Singer, eds. Strüngmann Forum Report 1. Cambridge, MA :<br />

MIT Press, 2008, pp. 1-29.


PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 301<br />

Platt, M., Dehaene, S., Mccabe, K., Menzel, R., Phelps, E., Plassmann H.,<br />

Ratcliff, R., Shadlen, M., Singer, W. In B<strong>et</strong>ter than conscious ? Implications for Performance<br />

and Institutional Analysis. Engel C., and W. Singer, eds. Strüngmann Forum Report 1.<br />

Cambridge, MA : MIT Press, 2008, pp. 125-154.<br />

Changeux, J.-P., Dehaene, S. The neuronal workspace mo<strong>de</strong>l : conscious processing<br />

and learning. In : Learning and Memory : A Comprehensive Reference, R. Menzel (Ed.)<br />

Elsevier, 2008.<br />

Cohen, L., Wilson, A.J., Izard, V., Dehaene, S. Acalculia and Gerstmann’s syndrome.<br />

In Cognitive and Behavioral Neurology of Stroke, Go<strong>de</strong>froy, O. & Boyousslavsky, J. (Eds)<br />

Cambridge University Press. 2008, 8, 125-147.<br />

Dehaene, S., Cerebral constraints in reading and arithm<strong>et</strong>ic: Education as a neuronal<br />

recycling process. In The educated brain, A. Battro (Ed), Cambridge University Press, 2008,<br />

14, pp. 232-248.<br />

Dehaene, S., Cohen, L. Neural coding in written words in the visual word form area.<br />

In The visual word form area, P.L. Cornelissen, P.C. Hansen & K. Pugh (Eds), Oxford,<br />

Oxford University Press (sous presse)<br />

Hubbard, E.M., Piazza, M., Pinel, P. Dehaene, S. Numerical and spatial intuitions:<br />

A role for posterior pari<strong>et</strong>al cortex ? In Cognitive Biology : Evolutionary and Developmental<br />

Perspectives on Mind, Brain and Behavior. L. Tommasi, L. Na<strong>de</strong>l and M.A. P<strong>et</strong>erson (Eds.)<br />

Cambridge, MA : MIT Press (sous presse).<br />

Distinctions<br />

Stanislas Dehaene a été nommé au gra<strong>de</strong> <strong>de</strong> Chevalier dans l’Ordre national du<br />

mérite. Il a également été nommé membre <strong>de</strong> l’Académie Pontificale <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences,<br />

<strong>et</strong> a reçu le Dr A.H. Heineken Prize for Cognitive Science <strong>de</strong> l’Académie Royale <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Pays-Bas.


Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action<br />

M. Alain Berthoz, Membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), Professeur<br />

Cours<br />

Principes simplificateurs dans les mécanismes cérébraux<br />

<strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action<br />

Le <strong>cours</strong> a été consacré aux principes simplificateurs qui sous ten<strong>de</strong>nt la<br />

perception <strong>et</strong> le contrôle du mouvement. Ces <strong>cours</strong> ont été donnés respectivement<br />

dans les Universités suivantes 1 :<br />

— Massachus<strong>et</strong>ts Institute of Technology : 2 <strong>cours</strong>, l’un au département <strong>de</strong><br />

Cognitive <strong>et</strong> Brain Sciences <strong>et</strong> l’autre au département d’Astronautics ;<br />

— Département <strong>de</strong> Neurosciences du California Institute of Technology<br />

(Caltech) à Los Angeles : 1 <strong>cours</strong> ;<br />

— Département <strong>de</strong> Psychologie <strong>de</strong> l’Université Santa Barbara : 1 <strong>cours</strong> ;<br />

— Laboratoire MBARI <strong>de</strong> Robotique <strong>et</strong> Biologie Marine à Monterey :<br />

1 <strong>cours</strong> ;<br />

— Institut <strong>de</strong> Brain Sciences <strong>et</strong> à l’Hôpital Neurologique <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong><br />

Portland : 2 <strong>cours</strong> ;<br />

— Département <strong>de</strong> Computer Sciences <strong>et</strong> à l’Institut d’étu<strong>de</strong> avancée <strong>de</strong><br />

Colombie Britannique (Vancouver, Canada) : 3 <strong>cours</strong> ;<br />

— Département <strong>de</strong> Psychologie <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Harvard (Cambridge, USA) :<br />

1 <strong>cours</strong>.<br />

Dans c<strong>et</strong>te série, nous avons abordé divers vol<strong>et</strong>s du problème <strong><strong>de</strong>s</strong> principes qui<br />

perm<strong>et</strong>tent au cerveau <strong>de</strong> simplifier la « Neurocomputation ».<br />

1. Tous ces <strong>cours</strong> ont rempli les critères <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> ont été annoncés<br />

comme tels (public large <strong>et</strong> interdépartemental ou grand public).


304 ALAIN BERTHOZ<br />

Une première catégorie <strong>de</strong> principes simplificateurs concerne la perception.<br />

Nous avons décrit le fonctionnement du système visuel en analysant les mécanismes<br />

simplificateurs dans les bases neurales <strong>de</strong> l’anticipation perceptive, la ségrégation<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> voies visuelles en modules spécialisés, le contrôle du regard <strong>et</strong> la relation entre<br />

vision <strong>et</strong> motricité oculaire. Nous avons décrit les <strong>travaux</strong> expérimentaux <strong>de</strong> notre<br />

laboratoire concernant l’enregistrement intracrânien <strong>de</strong> l’activité cérébrale chez <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

patients épileptiques dans les voies visuelles <strong>et</strong> oculomotrices.<br />

Un <strong><strong>de</strong>s</strong> aspects les plus remarquables <strong>de</strong> la simplification dans les systèmes<br />

perceptifs vient <strong><strong>de</strong>s</strong> modalités <strong>de</strong> coopération multisensorielle <strong>et</strong> du caractère actif<br />

<strong>de</strong> la perception. Nous avons décrit <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur les mécanismes <strong>de</strong> la décision<br />

<strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r.<br />

Une <strong>de</strong>uxième catégorie <strong>de</strong> principes concerne le contrôle <strong>de</strong> la posture <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

marche. J’ai fait une synthèse <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> notre laboratoire. J’ai suggéré que les<br />

mêmes lois simplificatrices très générales sont utilisées pour contrôler les trajectoires<br />

<strong>de</strong> la main <strong>et</strong> les trajectoires locomotrices. J’ai résumé ces lois (co-variation planaire,<br />

loi <strong>de</strong> la puissance 1/3, séparation du contrôle <strong>de</strong> la direction <strong>et</strong> la distance, <strong>et</strong>c.).<br />

Ensuite, dans plusieurs conférences, j’ai fait une synthèse <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> sur les<br />

référentiels spatiaux pour montrer que le cerveau peut utiliser une variété <strong>de</strong><br />

référentiels pour le contrôle <strong>de</strong> l’équilibre <strong>et</strong> <strong>de</strong> la locomotion (grâce au système<br />

vestibulaire qui crée une plateforme céphalique stabilisé).<br />

J’ai aussi décrit <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> très récents utilisant l’imagerie cérébrale <strong>et</strong> la réalité<br />

virtuelle concernant différents réseaux du cerveau qui sous ten<strong>de</strong>nt la manipulation<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> référentiels spatiaux <strong>et</strong> j’ai esquissé une théorie nouvelle que nous élaborons<br />

avec <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiciens concernant le fait que le cerveau n’utilise pas seulement<br />

la géométrie euclidienne mais aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> géométries affinées.<br />

L’ensemble <strong>de</strong> ces <strong>travaux</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> ces conférences faites <strong>de</strong>vant <strong><strong>de</strong>s</strong> publics très<br />

variés dans <strong><strong>de</strong>s</strong> Universités toutes <strong>de</strong> très haut niveau m’ont donné l’occasion <strong>de</strong><br />

confronter mes idées avec <strong><strong>de</strong>s</strong> collègues éminents. J’ai dégagé <strong>de</strong> tout ce travail<br />

d’enseignement <strong>et</strong> <strong>de</strong> résultats <strong>de</strong> nos <strong>travaux</strong> un concept nouveau qui va donner<br />

lieu à un livre à paraître au printemps 2009, chez O. Jacob, sous le titre<br />

« La simplexité ». J’ai en eff<strong>et</strong> forgé un concept nouveau qui rend compte <strong>de</strong> ce<br />

remarquable travail <strong>de</strong> l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes vivants pour résoudre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

problèmes complexes avec <strong><strong>de</strong>s</strong> solutions qui ne sont pas simples mais simplexes,<br />

car elles supposent souvent en réalité <strong><strong>de</strong>s</strong> processus très élaborés, mais qui perm<strong>et</strong>tent<br />

aux organismes vivants d’agir très vite, avec précision <strong>et</strong> avec <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> capacités<br />

d’adaptation <strong>et</strong> <strong>de</strong> flexibilité. J’ai beaucoup apprécié la possibilité donnée aux<br />

Professeurs du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>de</strong> donner leur <strong>cours</strong> à l’étranger car ce « grand<br />

tour » d’Universités <strong>de</strong> haut niveau <strong>et</strong> la confrontation d’opinions qu’elle à induite<br />

a été très fructueuse pour mes recherches <strong>et</strong> celles <strong>de</strong> notre laboratoire <strong>et</strong>, je l’espère,<br />

pour ceux qui voudront bien lire mon livre. Elles ont aussi permis d’engager <strong>de</strong><br />

nouvelles collaborations, en particulier avec l’Université <strong>de</strong> Vancouver.


PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 305<br />

Séminaires<br />

Le cerveau, le réel <strong>et</strong> le virtuel<br />

Le séminaire du <strong>cours</strong> a été consacré c<strong>et</strong>te année au thème suivant : « Le cerveau,<br />

le réel <strong>et</strong> le virtuel ». La question du réel est importante <strong>et</strong> donne lieu aujourd’hui<br />

à <strong><strong>de</strong>s</strong> approches multidisciplinaires qui vont <strong>de</strong> la neuropsychologie à la robotique.<br />

C<strong>et</strong>te question a été discutée par <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences <strong>de</strong> psychiatres, <strong><strong>de</strong>s</strong> spécialistes <strong>de</strong><br />

l’hypnose, <strong><strong>de</strong>s</strong> neurologues. Nous avons aussi accordé une attention particulière à<br />

la question <strong>de</strong> la mémoire autobiographique <strong>et</strong> les applications <strong>de</strong> la réalité<br />

virtuelle.<br />

Une série <strong>de</strong> conférences a été donnée par le P r I. Takanishi sur la robotique<br />

humanoï<strong>de</strong>. En eff<strong>et</strong>, la construction <strong>de</strong> robots humanoï<strong><strong>de</strong>s</strong> est un champ nouveau<br />

<strong>de</strong> l’intelligence artificielle <strong>et</strong> donne lieu à <strong><strong>de</strong>s</strong> coopérations importantes entre<br />

neurosciences <strong>et</strong> robotique.<br />

— 16 janvier : P r N. Franck (Institut <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences Cognitives CNRS Lyon),<br />

« Les hallucinations. Altérations <strong>de</strong> la prise en compte du réel dans les psychoses » ;<br />

D r M.-O. Krebs & D r I. Amada (INSERM. Hôpital Sainte-Anne Paris), « Hallucination <strong>et</strong><br />

schizophrénie ».<br />

— 23 janvier : D r J. Becchio (Université Paris Sud Orsay), « Données récente sur les<br />

bases neurales <strong>et</strong> les applications cliniques <strong>de</strong> l’hypnose » ; D r J.-P. Lachaux (INSERM<br />

Lyon), D r Ph. Kahane (Hôpital Nord, Grenoble) <strong>et</strong> D r K. Jerbi (LPPA <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>),<br />

« Brain TV : voir, contrôler <strong>et</strong> moduler l’activité <strong>de</strong> son cerveau. Bases du neurofeedback <strong>et</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> interfaces cerveau-machine ».<br />

— 30 janvier : P r P. Haggard (Institute of Cognitive Neuroscience University College<br />

Londres), « Sensation corporelle <strong>et</strong> représentation <strong>de</strong> soi » (en anglais avec traduction<br />

française) ; discussion : P r A. Berthoz <strong>et</strong> P r J.-L. P<strong>et</strong>it, « La notion <strong>de</strong> corps virtuel ».<br />

— 6 février : P r L. Manning (Laboratoire <strong>de</strong> Neuropsychologie CNRS, Université <strong>de</strong><br />

Strasbourg), « Le réel <strong>et</strong> la fiction dans la mémoire autobiographique. Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> comportementales<br />

<strong>et</strong> en imagerie cérébrale » ; P r P. Piolino (Université Paris V), « A la recherche du temps<br />

perdu : bases neurales <strong>de</strong> la mémoire autobiographique <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses dysfonctionnements ».<br />

— 13 février : P r S. Aglioti (Université La Sapienza, Rome), « Le corps <strong>et</strong> le soi dans le<br />

cerveau » ; P r A. Berthoz, H. Hicheur, J. Grèzes, J. Houben, L. Yahia-Cherif (LPPA <strong>Collège</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> Ecole Jacques Lecoq), « L’expression corporelle <strong><strong>de</strong>s</strong> émotions ».<br />

— 20 février : P r D. Thalmann (Ecole polytechnique <strong>de</strong> Lausanne, Laboratoire <strong>de</strong> Réalité<br />

virtuelle) « La simulation <strong><strong>de</strong>s</strong> foules par la réalité virtuelle » ; D r S. Donikian (IRISA /CNRS<br />

Université <strong>de</strong> Rennes) « Comment s’inspirer <strong><strong>de</strong>s</strong> comportements humains pour réaliser <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

créatures virtuelles avec <strong><strong>de</strong>s</strong> images numériques ».<br />

— Bérangère Thirioux, LPPA <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>. P r Olaf Blanke, EPFL Lausanne.<br />

P r Gérard Jorland, EHESS. P r A. Berthoz, LPPA. « Danser avec un funambule virtuel :<br />

étu<strong>de</strong> en EEG <strong><strong>de</strong>s</strong> bases neurales <strong>de</strong> l’empathie ».<br />

Ces séminaires on été complétés par un Colloque international les 11 <strong>et</strong> 12 juin<br />

2008, organisé avec les Professeurs Brian Stock (Université <strong>de</strong> Toronto) <strong>et</strong> Carlo<br />

Ossola (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), intitulé : « La pluralité interprétative. Fon<strong>de</strong>ments<br />

cognitifs <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> point <strong>de</strong> vue ». Près <strong>de</strong> 20 orateurs ont présenté <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>travaux</strong> interdisciplinaires. Ce colloque sera publié par O. Jacob dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

« Travaux du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ».


306 ALAIN BERTHOZ<br />

La pluralité interprétative.<br />

Fon<strong>de</strong>ments historiques <strong>et</strong> cognitifs <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> point <strong>de</strong> vue<br />

Jeudi 12 juin 2008<br />

— Brian Stock (Université <strong>de</strong> Toronto), Sources historiques <strong>de</strong> la pluralité.<br />

— Alain Berthoz (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), La manipulation mentale <strong><strong>de</strong>s</strong> points <strong>de</strong> vue :<br />

un <strong><strong>de</strong>s</strong> fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> la tolérance ?<br />

— Olivier Houdé (Université Paris Descartes <strong>et</strong> Institut Universitaire <strong>de</strong> <strong>France</strong>), Aux<br />

origines du dialogue <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures chez l’enfant.<br />

— Edy Veneziano (Université Paris Descartes - CNRS), Utilisations du langage <strong>et</strong><br />

développement <strong>de</strong> la capacité à maîtriser plusieurs points <strong>de</strong> vue chez l’enfant.<br />

— Stéphanie Burn<strong>et</strong>t <strong>et</strong> Sarah Blakemore (University College, Cognitive Neuroscience<br />

Center. Londres), Cognitive <strong>de</strong>velopment during adolescence.<br />

— Francisco Jarauta (Université <strong>de</strong> Murcia), Dialogue <strong><strong>de</strong>s</strong> interprétations : les Tre<br />

filosofi <strong>de</strong> Giorgione.<br />

— Dan Sperber (Ecole Normale Supérieure. Institut Jean Nicot. CNRS), Pragmatique<br />

<strong>de</strong> l’interprétation.<br />

— Carlo Severi (Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en Sciences Sociales <strong>et</strong> <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>),<br />

Pluralité <strong>de</strong> points <strong>de</strong> vue <strong>et</strong> culture : réflexions sur le conflit culturel.<br />

— Sara Cigada (Université <strong>de</strong> Milan), L’émotion <strong>et</strong> la persuasion politique : lectures<br />

<strong>de</strong> Robespierre.<br />

— Mikkel Wallentin (Center for Semiotics and Functionally Integrative Neuroscience,<br />

Aarhus University Hospital, Danemark), What is it to you ? Spatial perspectives in<br />

language and brain.<br />

— Annick Paternoster (Universités <strong>de</strong> Leeds <strong>et</strong> Lugano), Politesse <strong>et</strong> point <strong>de</strong> vue dans<br />

les dialogues <strong>de</strong> la Renaissance italienne.<br />

Vendredi 13 juin<br />

— Michel Tardieu (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), Le pluralisme religieux.<br />

— Barbara Cassin (Centre Léon Robin <strong>de</strong> Recherche sur la pensée antique. CNRS/Paris<br />

IV, ENS), Relativité <strong>de</strong> la traduction <strong>et</strong> relativisme.<br />

— Jean-Clau<strong>de</strong> Schmitt (Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> en Sciences Sociales), Visions <strong>et</strong> voix :<br />

une herméneutique médiévale par les gestes, les images <strong>et</strong> la musique.<br />

— Carlo Ossola (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), Le paradoxe herméneutique.<br />

— Philippe Mongin (Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> Commerciales. CNRS), Waterloo <strong>et</strong> les<br />

miroirs croisés <strong>de</strong> l’interprétation, <strong>de</strong> Stendhal à la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> jeux.<br />

— Julie Grèzes (INSERM. ENS), Bases neurales <strong><strong>de</strong>s</strong> relations avec autrui.<br />

— Roland Jouvent (Université Paris VI - Hôpital <strong>de</strong> la Salpétrière), Les ambiguïtés du<br />

jugement.<br />

— Anne Andronikof (Université Paris X), Interpréter le dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’autre en<br />

psychologie clinique : projections <strong>et</strong> déviances.<br />

— Heike Jung (Université <strong>de</strong> la Sarre, Département <strong>de</strong> Sciences juridiques), Les formes<br />

<strong>et</strong> modèles du procès pénal - sauvegar<strong><strong>de</strong>s</strong> contre la manipulation ?<br />

— Emmanuel Decaux (Université Paris II), Universalité <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong><br />

pluralité interprétative : l’exemple <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’enfant.


PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 307<br />

Séminaires divers du laboratoire<br />

— 10 janvier : D r J. Del R. Millan (IDIAP Research Institute, EPFL, Lausanne Suisse),<br />

« Cognitive signals for brain - Computer interaction ».<br />

— 25 <strong>et</strong> 27 février : P r A. Takanishi (Professeur à l’Université Waseda <strong>de</strong> Tokyo, Japon),<br />

invité par l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> Professeurs, sur la proposition du professeur Alain Berthoz. Deux<br />

conférences sur les suj<strong>et</strong>s suivants : 1. Relations entre la robotique <strong><strong>de</strong>s</strong> humanoï<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> la<br />

culture <strong>et</strong> la société au Japon. 2. Les robots humanoï<strong><strong>de</strong>s</strong> comme outils pour l’étu<strong>de</strong><br />

scientifique du comportement humain.<br />

— 3 mars : D r L. Rossini (ESA/ESTEC N<strong>et</strong>herlands), « Neuro-inspired motor<br />

anticipatory interface for teleoperation ».<br />

— 26 mars : P r A. Sirota (CMBN Rutgers Newark NJ, USA), « Role of oscillations in<br />

coordination of activity within and b<strong>et</strong>ween the neocortex and hippocampus ».<br />

— 12 <strong>et</strong> 19, 26 juin : P r G. Buzsaki (Professeur à Rutgers University, Newark, USA)<br />

invité par l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> Professeurs, sur la proposition du professeur Alain Berthoz, a<br />

donné une série <strong>de</strong> leçons sur Rythms of the brain : 1. Neuronal synchrony : m<strong>et</strong>abolic and<br />

wiring costs of excitatory and inhibitory systems, 2. Neuronal synchrony : oscillatory and<br />

non-oscillatory emergence of cell assemblies, 3. Neuronal synchrony : internally advancing<br />

assemblies in the hippocampus, 4. Neuronal synchrony : coupling of hippocampal and<br />

neocortical systems.<br />

— 30 juin : D r T. Pozzo (INSERM U887, Dijon), « le codage central <strong>de</strong> la gravité :<br />

approche comportementale <strong>et</strong> corrélats neuronaux ».<br />

— 3 juill<strong>et</strong> : D r E.B. Torres (California Institute of Technology, USA), « Learning<br />

movement time from space in the primate Posterior Pari<strong>et</strong>al Cortex ».<br />

Travaux <strong>de</strong> recherche <strong><strong>de</strong>s</strong> équipes du laboratoire<br />

1. APPROCHE PROBABILISTE ET PERCEPTION ACTIVE<br />

1.1. Perception visuelle <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> du mouvement<br />

J. Droulez, C. Morvan, C. Devisme, C. Boucheny<br />

Notre équipe étudie la perception <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques géométriques <strong>et</strong> dynamiques<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s, notamment dans le contexte <strong>de</strong> la perception active c’est-à-dire lorsque<br />

le suj<strong>et</strong> est engagé dans une tâche motrice impliquant une interaction forte entre<br />

le traitement <strong><strong>de</strong>s</strong> informations sensorielles <strong>et</strong> l’exécution d’une action motrice :<br />

mouvement du regard, déplacement <strong>de</strong> la tête, mouvement <strong>de</strong> la main. Ces<br />

recherches sont organisées autour <strong>de</strong> 2 thèses, dont une a été soutenue c<strong>et</strong>te année.<br />

Elle a également étudié l’influence <strong>de</strong> la vitesse oculaire pendant la poursuite sur<br />

la perception <strong>de</strong> la direction du mouvement d’une cible visuelle. La thèse <strong>de</strong> Céline<br />

Devisme (contrat Cifre avec Essilor) est centrée sur l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gradients <strong>de</strong><br />

disparité binoculaires horizontaux <strong>et</strong> verticaux <strong>et</strong> leur influence sur la perception<br />

du relief en vision périphérique. Ces étu<strong><strong>de</strong>s</strong> perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> quantifier l’inci<strong>de</strong>nce<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> distorsions induites par le port <strong>de</strong> verres ophtalmiques. La thèse <strong>de</strong> Christian<br />

Boucheny (codirigée avec Georges-Pierre Bonneau, contrat Cifre EDF) a pour<br />

objectif l’étu<strong>de</strong> psychophysique <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> visualisation scientifique,


308 ALAIN BERTHOZ<br />

notamment les techniques <strong>de</strong> rendu volumique <strong>et</strong> <strong>de</strong> restitution cinématique. Il a<br />

également mis en place <strong>de</strong> nouvelles métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> visualisation interactive, couplant<br />

un oculomètre <strong>de</strong> précision à <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes <strong>de</strong> simplification dans le cadre <strong>de</strong> la<br />

visualisation <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> bases <strong>de</strong> données tridimensionnelles. Enfin, dans le cadre<br />

d’un stage post-doctoral, Camille Morvan a terminé une étu<strong>de</strong> sur l’intégration <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

signaux rétiniens <strong>et</strong> <strong>de</strong> la copie efférente <strong>de</strong> la comman<strong>de</strong> oculaire dans la perception<br />

<strong>de</strong> la vitesse d’une cible.<br />

1.2. Modélisation bayésienne <strong><strong>de</strong>s</strong> comportements sensori-moteurs<br />

J. Droulez, F. Colas, S. Capern, J. Laurens<br />

Dans le cadre du programme européen BACS dont l’objectif est <strong>de</strong> démontrer<br />

l’intérêt <strong>de</strong> l’approche Bayésienne en robotique <strong>et</strong> pour les sciences cognitives,<br />

notre équipe s’intéresse plus particulièrement à l’implementation <strong>de</strong> l’inférence<br />

bayésienne par <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux <strong>de</strong> neurones biologiquement plausibles <strong>et</strong> à la<br />

modélisation <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions multi-sensorielles (fusion d’informations) par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

réseaux bayésiens auto-adaptatifs. Nous avons développé un modèle bayésien<br />

dynamique <strong>de</strong> la perception du mouvement propre à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> informations<br />

vestibulaires (thèse <strong>de</strong> Jean Laurens). Dans ce modèle, les caractéristiques<br />

dynamiques <strong>de</strong> la perception du mouvement <strong>et</strong> les ambiguïtés qui résultent <strong>de</strong><br />

l’équivalence gravité-inertie sont expliquées par les connaissances a priori quantifiées<br />

<strong>de</strong> façon probabiliste. Nous avons également développé un modèle unifié <strong>de</strong> la<br />

perception <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s tridimensionnels à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> informations visuels (flux<br />

optique) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la connaissance du mouvement propre (signaux vestibulaires <strong>et</strong><br />

moteurs). Ce modèle perm<strong>et</strong> d’intégrer <strong>de</strong> façon cohérente les hypothèses <strong>de</strong><br />

rigidité <strong>et</strong> <strong>de</strong> stationnarité <strong>et</strong> reproduit un grand nombre <strong>de</strong> résultats psychophysiques<br />

(thèse <strong>de</strong> Francis Colas, codirigée par Pierre Bessière). Enfin, la thèse <strong>de</strong> Simon<br />

Capern est centrée sur la modélisation <strong>de</strong> la perception du mouvement <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

réseaux neuronaux codant les fréquences spatio-temporelles <strong><strong>de</strong>s</strong> stimuli visuels.<br />

Une revue <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles <strong>de</strong> détection du mouvement a été réalisée, ainsi qu’un<br />

modèle (en collaboration avec Daniel Bennequin) <strong>de</strong> la distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses<br />

aux fréquences spatio-temporelles dans V1 qui rend compte <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats décrits<br />

en imagerie optique.<br />

1.3. Approche probabiliste <strong>de</strong> la fusion d’information<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong> signaux biologiques<br />

J. Droulez, L. Foubert, en collaboration avec T. Chaperon & D. Bennequin<br />

De nouveaux outils probabilistes ont été développés pour la calibration <strong>et</strong> à<br />

l’estimation <strong>de</strong> la pose <strong>de</strong> caméra ainsi qu’à l’extraction <strong>de</strong> données 3D à partir <strong>de</strong><br />

séquences vidéo dans différentes conditions d’éclairage dans le cadre d’une<br />

collaboration avec EDF. Ces algorithmes sont utilisés dans l’interprétation <strong>et</strong> la<br />

numérisation 3D <strong>de</strong> bâtiments ou <strong>de</strong> sites préhistoriques (Lascaux) <strong>et</strong> archéologiques<br />

(Delphes). La modélisation par mixture <strong>de</strong> gaussiennes <strong>de</strong> la distribution <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

boutons synaptiques fournit une représentation quantitative <strong>de</strong>nse <strong><strong>de</strong>s</strong> données


PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 309<br />

neuro-anatomiques <strong>et</strong> un outil précis <strong>de</strong> détermination <strong><strong>de</strong>s</strong> clusters (thèse <strong>de</strong> Luc<br />

Foubert, codirigée par Chantal Miller<strong>et</strong>). Enfin l’analyse statistique fine du bruit<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> données d’imagerie optique corticale a permis <strong>de</strong> proposer <strong>de</strong> nouvelles<br />

métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> traitement applicables aux enregistrements en fluorescence voltagedépendante.<br />

1.4. Implementation <strong><strong>de</strong>s</strong> calculs probabilistes<br />

par les interactions biochimiques<br />

J. Droulez, A. Houillon, en collaboration avec P. Bessière<br />

Les modèles Bayésiens sont particulièrement efficaces pour rendre compte du<br />

comportement <strong>et</strong> <strong>de</strong> la perception face à <strong><strong>de</strong>s</strong> situations incertaines <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> stimuli<br />

ambigus. Ces modèles supposent que le cerveau est capable <strong>de</strong> représenter <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

distributions <strong>de</strong> probabilités sur <strong><strong>de</strong>s</strong> variables pertinentes (forme, mouvement,<br />

position, <strong>et</strong>c.) <strong>et</strong> d’effectuer <strong><strong>de</strong>s</strong> calculs probabilistes sur ces distributions. Une<br />

question ouverte est donc <strong>de</strong> comprendre par quels mécanismes <strong>et</strong> à quel niveau<br />

les probabilités sont codées <strong>et</strong> manipulées. En collaboration avec Pierre Bessière,<br />

nous explorons l’idée selon laquelle les réseaux biochimiques complexes <strong>de</strong> la<br />

signalisation cellulaire sont capables d’effectuer ces tâches computationnelles. Dans<br />

le cadre <strong>de</strong> sa thèse, Audrey Houillon développe c<strong>et</strong>te idée en l’appliquant au<br />

fonctionnement <strong><strong>de</strong>s</strong> photorécepteurs.<br />

2. INTÉGRATION INTERHÉMISPHÉRIQUE<br />

ET PERCEPTIF SENSORIELLE<br />

C. Miller<strong>et</strong>, A. Grantyn, L. Foubert, J. Ribot.<br />

En collaboration avec S. Tanaka (Riken BSI, Tokyo, Japon), J. Droulez<br />

(LPPA) <strong>et</strong> D. Bennequin (Institut <strong>de</strong> Mathématiques, Université Paris 7).<br />

2.1. Mise au point <strong>de</strong> l’utilisation <strong>de</strong> colorants sensibles au potentiel<br />

<strong>de</strong> membrane pour l’imagerie optique. Premières données expérimentales<br />

L. Foubert, C. Miller<strong>et</strong>.<br />

En collaboration avec S. Tanaka. (Riken BSI, Tokyo, Japon)<br />

La technique d’imagerie optique perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en image l’architecture<br />

fonctionnelle du cortex tant les domaines spatiaux que temporels. Son principe <strong>de</strong><br />

fonctionnement en est le suivant : une caméra CCD à haute fréquence <strong>de</strong><br />

rafraîchissement (500 Hz) est placée au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus <strong>de</strong> la préparation <strong>et</strong> enregistre les<br />

variations <strong>de</strong> réflexion d’une lumière inci<strong>de</strong>nte qui varient avec l’activité corticale.<br />

En appliquant un colorant fluorescent voltage-sensible sur le cortex, courant 2007,<br />

nous avons obtenu <strong><strong>de</strong>s</strong> cartes corticales avec une résolution spatiale <strong>de</strong> 20 μm <strong>et</strong><br />

une résolution temporelle <strong>de</strong> 3 ms sur <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> étendues <strong>de</strong> cortex, simultanément<br />

au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> 2 hémisphères, ce qui correspond à une réelle prouesse technique.<br />

Tout récemment, nous avons en outre obtenu nos premières cartes transcalleuses<br />

au niveau du cortex visuel primaire du chat.


310 ALAIN BERTHOZ<br />

2.2. Analyse quantitative <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s d’une occlusion monoculaire<br />

précoce sur la morphologie <strong><strong>de</strong>s</strong> axones calleux<br />

L. Foubert, C. Miller<strong>et</strong>. En collaboration avec J. Droulez (LPPA)<br />

<strong>et</strong> D. Bennequin (Institut <strong>de</strong> Mathématiques, Université Paris 7)<br />

Sur la base <strong>de</strong> simples observations, nous avons antérieurement montré que :<br />

1) Chez le chat adulte normal (NR), la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> terminaisons callosales présentes<br />

dans le cortex visuel primaire ont un tronc principal dont le diamètre est compris<br />

entre 0,45 <strong>et</strong> 2,25 μm. Elles sont localisées presque exclusivement dans les couches<br />

supragranulaires (II/III) <strong>de</strong> la bordure entre les aires visuelles primaires 17 <strong>et</strong> 18<br />

(TZ), avec un nombre relativement limité <strong>de</strong> boutons synaptiques. L’équipe l’a<br />

bien établi en collaboration avec G. Innocenti (Houzel <strong>et</strong> al., 1994). Nous l’avons<br />

confirmé récemment, en combinant imagerie optique <strong>et</strong> étu<strong>de</strong> anatomique<br />

(Rochefort <strong>et</strong> al., en préparation). 2) Chez le chat adulte ayant subi une occlusion<br />

monoculaire précoce (MD), ces mêmes terminaisons calleuses ont un tronc<br />

principal <strong>de</strong> diamètre similaire à ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> animaux normaux. Mais ils envahissent<br />

c<strong>et</strong>te fois très largement TZ, A17 <strong>et</strong> A18. Parallèlement, le nombre <strong>de</strong> boutons<br />

synaptiques terminaux s’accroît très significativement par rapport à la normale,<br />

mais restent toutefois confinés aux couches supragranulaires.<br />

Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année qui vient <strong>de</strong> s’écouler, nous avons tenté <strong>de</strong> parfaire c<strong>et</strong>te<br />

analyse comparative <strong><strong>de</strong>s</strong> axones calleux NR <strong>et</strong> MD par 2 analyses quantitatives<br />

sophistiquées <strong>de</strong> la dispersion globale <strong><strong>de</strong>s</strong> branches terminales <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> boutons. Par<br />

une approximation ellipsoïdale, nous avons montré que : a) La surface corticale<br />

occupée par chaque terminaison calleuse chez les animaux MD est en moyenne<br />

2 fois celle qui est observée chez les animaux NR ; b) Le volume occupé par chaque<br />

terminaison axonale (= volume <strong>de</strong> l’ellipsoï<strong>de</strong>) est également en moyenne <strong>de</strong>ux fois<br />

celui qui est occupé chez les animaux NR ; c) Les arborisations terminales se<br />

terminent à 80 % dans TZ chez les animaux NR alors qu’elles ne terminent plus<br />

qu’à 20 % dans c<strong>et</strong>te même région chez les animaux MD ; d) L’angle général <strong>de</strong><br />

la distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> branches terminales <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> boutons synaptiques avec TZ est <strong>de</strong><br />

70° chez les NR alors qu’il est seulement <strong>de</strong> 49° chez les MD. Par la secon<strong>de</strong><br />

métho<strong>de</strong> quantitative, nous avons aussi montré que l’occlusion monoculaire<br />

précoce : a) double l’étendue <strong>et</strong> le volume <strong>de</strong> l’arborisation terminale <strong><strong>de</strong>s</strong> axones<br />

calleux au niveau cortical chez l’adulte ; b) double également le nombre d’amas<br />

synaptiques formés par ses arborisations ; c) divise par 10 le rapport entre le volume<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> amas synaptiques <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> l’arborisation terminale totale ; en d’autres termes,<br />

la <strong>de</strong>nsité synaptique est gran<strong>de</strong>ment diminuée. Au-<strong>de</strong>là, ces nouvelles métho<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

d’analyse <strong>de</strong>vraient perm<strong>et</strong>tre d’établir dans le futur une corrélation assez étroite<br />

entre l’anatomie <strong>et</strong> la fonction cérébrale. Dans le contexte qui nous intéresse, elle<br />

<strong>de</strong>vrait beaucoup nous ai<strong>de</strong>r à établir une corrélation précise entre les connexions<br />

calleuses <strong>et</strong> les cartes spatio-temporelles qu’elles définissent. Par là même, on<br />

<strong>de</strong>vrait mieux comprendre comment le corps calleux contribue à l’élaboration <strong>de</strong><br />

la perception visuelle.


PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 311<br />

3. MÉMOIRE SPATIALE ET NAVIGATION<br />

S.I. Wiener, M. Khamassi, A. Peyrache, V. Douchamps, K. Benchenane,<br />

E. Tabuchi (LPPA), en collaboration avec P. Tierney, F. Battaglia<br />

(Université <strong>de</strong> Amsterdam)<br />

Afin <strong>de</strong> mieux comprendre les interactions dynamiques au niveau <strong>de</strong> structures<br />

impliquées dans la planification <strong>et</strong> la prise <strong>de</strong> décision au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la navigation,<br />

nous continuons à employer une double approche comportementale <strong>et</strong><br />

électrophysiologie. Nous avons continué nos analyses <strong><strong>de</strong>s</strong> enregistrements multivoies<br />

chez les rats effectuant <strong>de</strong>ux tâches différentes dans le même labyrinthe en<br />

forme <strong>de</strong> Y (trois bras séparés <strong>de</strong> 120°), chacune faisant appel aux mêmes réponses<br />

comportementales <strong>et</strong> présentant <strong><strong>de</strong>s</strong> indices comparables. Mais chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches<br />

implique <strong><strong>de</strong>s</strong> types <strong>de</strong> traitements d’informations différents, qui dépen<strong>de</strong>nt <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

caractéristiques propres <strong><strong>de</strong>s</strong> régions impliquées (connexions anatomiques,<br />

architecture synaptique <strong>et</strong> neurochimique). En comparant <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses <strong>de</strong> neurones<br />

lorsque l’animal m<strong>et</strong> en œuvre différents processus cognitifs, nous déterminons le<br />

profil d’activité d’ensemble <strong>de</strong> neurones correspondant, <strong>et</strong> l’état <strong>de</strong> synchronisation<br />

entre les structures.<br />

3.1. Analyses <strong>de</strong> l’activité d’ensembles <strong>de</strong> neurones lors <strong>de</strong><br />

l’apprentissage <strong>et</strong> alternations <strong>de</strong> stratégie<br />

Les analyses <strong>de</strong> réactivations jusqu’à présent ne sont pas explicitement reliées à<br />

l’apprentissage <strong>de</strong> la tâche. En eff<strong>et</strong>, il ne s’agit que d’une étu<strong>de</strong> d’activité globale<br />

reposant sur <strong><strong>de</strong>s</strong> comparaisons <strong>de</strong> corrélations. Nos approches perm<strong>et</strong>tent à<br />

comprendre le lien qu’il existerait entre ces réactivations <strong>et</strong> l’apprentissage per se.<br />

La première approche à ce problème est d’analyser les corrélats comportementaux<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> cellules impliquées fortement dans les composantes principales. Des classes <strong>de</strong><br />

cellules peuvent être ainsi définies selon leurs sélectivités : préparation <strong>de</strong> l’action,<br />

récompense, préférence spatiale, préférence à la position <strong>de</strong> la lumière, <strong>et</strong>c. Le<br />

travail consistera alors à vérifier <strong>et</strong> à spécifier l’existence d’invariants (<strong>de</strong> façon<br />

purement spéculative — <strong>et</strong> à titre d’exemple — il se pourrait que seules les<br />

composantes principales recrutant <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules corrélées à la préparation <strong>de</strong> l’action<br />

<strong>et</strong> à au résultat <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te action se réactivent). Inversement, dans une approche<br />

analytique a priori, les composantes principales seront calculées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> sousgroupes<br />

<strong>de</strong> cellules prédéfinies en fonction <strong>de</strong> leurs corrélats comportementaux. Il<br />

sera alors vérifié si ces composantes principales ten<strong>de</strong>nt à se réactiver ou non. De<br />

façon assez similaire, la restriction du calcul <strong><strong>de</strong>s</strong> composantes principales peut se<br />

faire non pas sur les variables (l’activité cellulaire) mais sur <strong><strong>de</strong>s</strong> pério<strong><strong>de</strong>s</strong> d’intérêt<br />

définies <strong>de</strong> façon ad hoc (par exemple les pério<strong><strong>de</strong>s</strong> précé<strong>de</strong>nt ou suivant la<br />

récompense). Finalement, une <strong>de</strong>rnière approche serait <strong>de</strong> trouver les composantes<br />

principales qui maximisent la réactivation (par exemple en calculant les<br />

composantes principales sur les pério<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> sommeil suivant la tâche) <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

regar<strong>de</strong>r les corrélats comportementaux <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules que les sous groupes cellulaires


312 ALAIN BERTHOZ<br />

se réactivant recrutent. C<strong>et</strong>te mesure <strong>de</strong> réactivation ne fournit en rien les détails<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes physiologiques sous-jacents, tout au plus point elle les moments<br />

d’intérêt aussi bien pendant le sommeil (maximum <strong>de</strong> réactivation) que pendant<br />

l’éveil. En eff<strong>et</strong>, la mesure <strong>de</strong> réactivation appliquée au pério<strong>de</strong> d’éveil fournit les<br />

temps pendant lesquels la mesure « prend » sa valeur (la corrélation est calculé sur<br />

une grand pério<strong>de</strong>, mais seul certain laps <strong>de</strong> temps peuvent être cruciaux pour<br />

l’établissement d’une corrélation significative). Il sera très intéressant par exemple<br />

<strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r l’activité cellulaire pendant les pics <strong>de</strong> réactivations. Deux possibilités<br />

vont être alors possibles : ces pics correspon<strong>de</strong>nt à <strong><strong>de</strong>s</strong> coactivations ayant lieu<br />

toujours dans le même sens (pour <strong>de</strong>ux cellules anti corrélées pendant l’éveil, les<br />

pics correspon<strong>de</strong>nt toujours à l’activation <strong>de</strong> l’une <strong>et</strong> à l’inhibition <strong>de</strong> l’autre) ou<br />

non. S’il s’avère que les coactivations respectent un schéma invariant, l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

corrélats comportementaux <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux cellules pourrait apporter une information<br />

d’un grand intérêt sur la nature <strong>de</strong> la réactivation. Cependant, cela ne relève pas<br />

forcément du mécanisme physiologique. Le sommeil à on<strong><strong>de</strong>s</strong> lentes est caractérisé<br />

par <strong><strong>de</strong>s</strong> oscillations corticales, thalamo-corticales <strong>et</strong> hippocampiques tout à fait<br />

particulière. Ces phénomènes oscillatoires ne sont pas indépendants <strong>et</strong>, au<br />

contraire, <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> synchronisations sont observées lors <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te phase <strong>de</strong><br />

sommeil. L’enregistrement simultané <strong><strong>de</strong>s</strong> potentiels <strong>de</strong> champs locaux dans le<br />

cortex préfrontal médian <strong>et</strong> l’hippocampe va nous perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> corréler l’activité<br />

physiologique aux réactivations. Pour étudier les relations entre les activités <strong>de</strong><br />

l’hippocampe <strong>et</strong> du cortex préfrontal par biais <strong><strong>de</strong>s</strong> analyses <strong><strong>de</strong>s</strong> LFPs, nous<br />

étudions les cohérences entre les potentiels <strong>de</strong> champs locaux dans la ban<strong>de</strong> thêta<br />

entre l’hippocampe <strong>et</strong> le cortex préfrontal. Nos données montrent que les jours<br />

ou le rat atteint le critère <strong>de</strong> réussite <strong>de</strong> la tâche, on observe une augmentation <strong>de</strong><br />

la cohérence au point <strong>de</strong> décision (bifurcation) dans le labyrinthe.<br />

3.2. Le système noradrénergique dans la plasticité <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux<br />

neuronaux lors <strong>de</strong> la remémoration <strong>et</strong> <strong>de</strong> la reconsolidation<br />

Susan J. Sara, DR1 (emerita)<br />

L’apprentissage modifie le pattern <strong>de</strong> sommeil consécutif chez le Rat, <strong>et</strong> augmente<br />

la <strong>de</strong>nsité <strong><strong>de</strong>s</strong> fuseaux dans l’EEG cortical. Au niveau <strong>de</strong> l’hippocampe, nous avons<br />

observé une augmentation du taux <strong><strong>de</strong>s</strong> oscillations à haut fréquence (ripples)<br />

(Eschenko <strong>et</strong> al., 2008). De plus, il y a une augmentation systématique du taux<br />

<strong>de</strong> décharge <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones noradrénergiques du LC pendant le SWS, 2 h après<br />

l’apprentissage (Eschenko & Sara, 2008). Les décharges <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules du LC sont<br />

synchronisées avec les oscillations lentes <strong>et</strong> les spindles au niveau du cortex<br />

préfrontal. On peut donc estimer que le LC est, avec l’hippocampe <strong>et</strong> le néocortex,<br />

un acteur important dans le traitement « off-line » <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles informations,<br />

pendant le SWS. Nous évaluons maintenant la relation entre les décharges<br />

neuronales du LC <strong>et</strong> l’activité en ripples au niveau <strong>de</strong> l’hippocampe (en collaboration<br />

avec Adrien Peyrache, O. Eschenko, Max Planck Institute for Biological<br />

Cybern<strong>et</strong>ics). A la lumière <strong>de</strong> ces résultats impliquant le système noradrénergique


PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 313<br />

dans le traitement d’information pendant le SWS, nous évaluerons la relation<br />

entre le décharge les neurones du LC <strong>et</strong> le « replay » <strong><strong>de</strong>s</strong> configurations d’activations<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> ensembles <strong>de</strong> cellules au niveau hippocampique <strong>et</strong> corticale. Le couplage avec<br />

l’enregistrement <strong><strong>de</strong>s</strong> ensembles, déjà pratiqué au sein <strong>de</strong> l’équipe, perm<strong>et</strong>tra<br />

d’élargir <strong>et</strong> approfondir nos connaissances sur la manière dont s’effectuent les<br />

interactions entre les réseaux neuronaux lors <strong>de</strong> l’apprentissage <strong>et</strong> la mise en<br />

mémoire, ainsi que le rôle facilitateur du système noradrénergique dans ces<br />

interactions.<br />

4. MÉMOIRE SPATIALE ET CONTRÔLE DU MOUVEMENT<br />

4.1. Physiologie <strong>de</strong> l’action <strong>et</strong> phénoménologie<br />

J.-L. P<strong>et</strong>it (Université <strong>de</strong> Strasbourg), A. Berthoz (LPPA)<br />

L’ouvrage paru à l’automne 2006 (traduction anglaise à Oxford University Press<br />

2008) a mis en place une interprétation <strong>de</strong> la physiologie <strong>de</strong> l’action dans la<br />

perspective du <strong>de</strong>rnier Husserl. Renonçant à faire reposer le sens propositionnel<br />

sur les capacités théorique <strong>et</strong> linguistique du suj<strong>et</strong> pensant, Husserl enracinait le<br />

sens du mon<strong>de</strong> vécu <strong>de</strong> l’agent humain dans les systèmes kinesthésiques <strong>de</strong> son<br />

organisme. L’originalité <strong>de</strong> l’approche <strong>de</strong> la perception par la physiologie <strong>de</strong><br />

l’action ressortait ainsi clairement par rapport à l’idéologie <strong>de</strong> la cognition à base<br />

<strong>de</strong> représentation <strong>et</strong> <strong>de</strong> transformation d’information externe. Etaient du même<br />

coup posés <strong>de</strong> nouveaux problèmes que nous avons traités en répondant à diverses<br />

invitations à <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences dans <strong><strong>de</strong>s</strong> congrès internationaux. Quelle contribution<br />

les mécanismes fonctionnels du système nerveux peuvent-ils apporter au sens <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

actions pour l’agent lui-même ou un partenaire ? La découverte <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes<br />

résonnants du cerveau va-t-elle relancer le mouvement <strong>de</strong> naturalisation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

sciences sociales en donnant la clé <strong>de</strong> l’empathie, <strong>de</strong> l’imitation <strong>et</strong> <strong>de</strong> la formation<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> entités collectives ? La théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> « actes <strong>de</strong> parole » (Austin-Searle-<br />

Van<strong>de</strong>rveken) qui repose sur l’interprétation <strong><strong>de</strong>s</strong> actes sociaux en termes d’attitu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

propositionnelles — donc <strong>de</strong> proposition — pourra-t-elle r<strong>et</strong>rouver la dimension<br />

posturale <strong><strong>de</strong>s</strong> attitu<strong><strong>de</strong>s</strong> en renouant avec l’action ? Les données sur les corrélats<br />

neuraux <strong>de</strong> la préférence <strong>et</strong> du jugement <strong>de</strong> valeur suffisent-elles à combler le fossé<br />

entre l’être naturel <strong>et</strong> le <strong>de</strong>voir être ? A toutes ces questions la phénoménologie<br />

laisse entrevoir une réponse cohérente, sinon unique, sur la base <strong><strong>de</strong>s</strong> affinités entre<br />

son analyse du vécu <strong>et</strong> la conception du dynamisme fonctionnel du cerveau<br />

comme théâtre d’un « effort <strong>de</strong> l’être vers le sens ». Contre la croyance en l’existence<br />

d’un seuil du sens ou d’une frontière entre non sens <strong>et</strong> sens, nous avons donc<br />

travaillé à une conception <strong>de</strong> la gradation continue du « faire sens » <strong>de</strong>puis les<br />

valeurs biologiques dont se chargent les patrons d’activité fonctionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits<br />

cérébraux jusqu’aux actes intentionnels orientés vers un but <strong>et</strong> accessibles à<br />

l’expression dans le langage naturel.


314 ALAIN BERTHOZ<br />

4.2. Modèles computationnels contractants <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits saccadiques :<br />

du tronc cérébral au cortex<br />

B. Girard, N. Tabareau, A. Berthoz, en collaboration avec D. Bennequin<br />

(Institut <strong>de</strong> Mathématiques, Paris 7) & J.-J. Slotine (NSL, MIT USA)<br />

Les sacca<strong><strong>de</strong>s</strong> oculaires sont un obj<strong>et</strong> d’étu<strong>de</strong> privilégié en neurosciences, qui a<br />

donné lieu à <strong>de</strong> nombreux allers-r<strong>et</strong>ours entre modélisateurs <strong>et</strong> expérimentateurs<br />

<strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> 30 ans. La génération <strong>de</strong> sacca<strong><strong>de</strong>s</strong> implique l’activation <strong>de</strong> nombreux<br />

circuits neuronaux sous-corticaux (formation réticulée, colliculus supérieur, cervel<strong>et</strong>,<br />

ganglions <strong>de</strong> la base) <strong>et</strong> corticaux (champs oculaires frontaux, cortex intra-pariétal<br />

latéral, <strong>et</strong>c.). La richesse <strong><strong>de</strong>s</strong> données accumulées perm<strong>et</strong> d’envisager la modélisation<br />

<strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> ces circuits. Un tel modèle a été proposé dans une série <strong>de</strong> <strong>travaux</strong><br />

menés par l’équipe <strong>de</strong> Dominey <strong>et</strong> Arbib au début <strong><strong>de</strong>s</strong> années 90, cependant, <strong>de</strong><br />

nombreux résultats expérimentaux récents suffisent à en justifier une mise à jour.<br />

Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te simple mise à jour, ce proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> recherche a pour objectif d’évaluer,<br />

dans le cas concr<strong>et</strong> <strong>et</strong> très documenté <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits saccadiques, l’idée proposée par<br />

Slotine <strong>et</strong> Berthoz que la théorie <strong>de</strong> la contraction (Lohmiller <strong>et</strong> Slotine, 1998)<br />

peut ai<strong>de</strong>r à comprendre la stabilité <strong>de</strong> fonctionnement du cerveau.<br />

4.2.1. Génération <strong><strong>de</strong>s</strong> mouvements saccadiques<br />

Le colliculus supérieur a un rôle central dans l’exécution <strong><strong>de</strong>s</strong> mouvements<br />

saccadiques, il est composé d’un empilement <strong>de</strong> cartes rétinotopiques encodant la<br />

position <strong><strong>de</strong>s</strong> cibles dans le champ visuel. Ces cartes ont <strong><strong>de</strong>s</strong> géométries particulières :<br />

linéaires ou logarithmiques-complexes. Une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’élaboration <strong>de</strong> la comman<strong>de</strong><br />

saccadique dans le colliculus supérieur <strong>et</strong> la formation réticulée (Tabareau <strong>et</strong> al.,<br />

2007) a permis la mise en place d’une preuve mathématique fondée sur <strong><strong>de</strong>s</strong> données<br />

neurobiologiques reliant c<strong>et</strong>te élaboration à la géométrie <strong><strong>de</strong>s</strong> cartes. Un nouveau<br />

schéma <strong>de</strong> recollement a été proposé <strong>et</strong> s’est montré capable <strong>de</strong> corriger les erreurs<br />

systématiques <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> standard proposée par van Gisbergen <strong>et</strong> al. (1987). Ce<br />

modèle a été conçu comme contractant. Une implementation robotique préliminaire<br />

a été menée en collaboration avec le laboratoire ARTS (Scuola Superiore Sant’Anna,<br />

Pise) dans le cadre du proj<strong>et</strong> Neurobotics (Manfredi <strong>et</strong> al. 2006).<br />

4.2.2. Sélection <strong>de</strong> l’action<br />

B. Girard, N. Tabareau, Q.C. Pham, A. Coninx, A. Berthoz (LPPA),<br />

en collaboration avec J.J. Slotine (NSL, MIT)<br />

Les ganglions <strong>de</strong> la base sont un ensemble <strong>de</strong> noyaux sous-corticaux interconnectés<br />

formant <strong><strong>de</strong>s</strong> boucles parallèles avec le cortex frontal. Ils semblent impliqués dans<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> processus généraux <strong>de</strong> sélection, guidés par apprentissage par renforcement.<br />

Nous avons proposé un nouveau modèle <strong>de</strong> ces boucles, intégrant <strong><strong>de</strong>s</strong> connexions<br />

entre noyaux usuellement négligées, doté d’une capacité <strong>de</strong> sélection supérieure à<br />

celle du précé<strong>de</strong>nt modèle <strong>de</strong> (Gurney <strong>et</strong> al., 2001a,b) <strong>et</strong> capable d’amplification<br />

sélective du signal cortical (Girard <strong>et</strong> al., 2005, 2006). Nous avons également<br />

démontré la contraction <strong><strong>de</strong>s</strong> /locally projected dynamical systems /(lPDS) introduits


PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 315<br />

par (Dupuis <strong>et</strong> Nagurney, 1993) <strong>et</strong> avons proposé <strong>de</strong> les utiliser comme nouveau<br />

modèle <strong>de</strong> neurones artificiels (Girard <strong>et</strong> al., 2008). Le modèle contractant résultant<br />

a été appliqué à la résolution d’une tâche standard <strong>de</strong> survie en robotique autonome,<br />

afin <strong>de</strong> montrer son efficacité en tant que Système <strong>de</strong> sélection <strong>de</strong> l’action.<br />

4.2.3. Modèle Bayésien <strong>de</strong> la sélection <strong>de</strong> sacca<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

F. Colas, F. Flacher, B. Girard, A. Berthoz (LPPA),<br />

en collaboration avec P. Bessière (LIG, INRIA, Grenoble), L. Canto Pereira,<br />

T. Tanner <strong>et</strong> C. Curio (MPI, Tübingen)<br />

Afin d’étudier le rôle <strong>de</strong> la prise en compte explicite <strong>de</strong> l’incertitu<strong>de</strong> dans les<br />

processus <strong>de</strong> sélection <strong>de</strong> l’action, un modèle <strong>de</strong> sélection <strong>de</strong> cibles pour les<br />

mouvements <strong><strong>de</strong>s</strong> yeux formalisé dans le cadre <strong>de</strong> la programmation bayésienne est<br />

en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> développement. Il est fondé sur <strong><strong>de</strong>s</strong> cartes d’occupation reprenant la<br />

géométrie du colliculus supérieur. Parallèlement, une nouvelle tâche expérimentale,<br />

inspirée du protocole MOT (Multiple Object Tracking) <strong>de</strong> Pylyshyn, mais réalisée<br />

avec un champ <strong>de</strong> vision plus large <strong>et</strong> avec les yeux libres <strong>de</strong> bouger a été proposée.<br />

Des mesures <strong>de</strong> mouvements <strong><strong>de</strong>s</strong> yeux dans c<strong>et</strong>te tâche ont été menées, ces données<br />

sont utilisées au LPPA pour tester <strong>et</strong> ajuster les paramètres du modèle. Ce travail<br />

est intégré au proj<strong>et</strong> européen Bayesian Approach to Cognitive Systems (BACS).<br />

4.3. Contributions sensorielles pour la perception du mouvement<br />

M. Vidal, A. Capelli (LPPA), en coopération avec P. Pr<strong>et</strong>to,<br />

H. Bülthoff (MPI, Tübingen)<br />

Ces <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> recherches s’inscrivent dans le cadre général <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />

perception du mouvement. Lorsque nous nous déplaçons, nous disposons d’un<br />

ensemble d’informations qui sont traitées par le cerveau <strong>et</strong> renseignent sur notre<br />

mouvement relatif <strong>et</strong> notre position dans le mon<strong>de</strong>.<br />

4.3.1 Perception <strong><strong>de</strong>s</strong> vitesses lors <strong>de</strong> mouvements propres visuels<br />

M. Vidal, en collaboration avec P. Pr<strong>et</strong>to <strong>et</strong> H.H. Bülthoff (MPI)<br />

Le traitement du flux optique joue un rôle fondamental dans l’analyse <strong>de</strong> notre<br />

mouvement. Je travaille actuellement en collaboration avec Paolo Pr<strong>et</strong>to au MPI<br />

à Tübingen, sur un proj<strong>et</strong> cherchant à caractériser l’extraction <strong>de</strong> la vitesse propre<br />

lors <strong>de</strong> translations visuelles sur un plan. Je m’intéresse dans ce proj<strong>et</strong> aux<br />

informations visuelles non localisantes, en d’autres termes j’exclue l’utilisation <strong>de</strong><br />

toute stratégie cognitive <strong>de</strong> navigation reposant sur <strong><strong>de</strong>s</strong> repères visuels pour la<br />

perception du mouvement. La relation entre la vitesse angulaire (rétinienne) <strong>et</strong><br />

linéaire (égocentrique) n’est pas triviale, <strong>et</strong> pourtant le mon<strong>de</strong> que nous percevons<br />

ne se déforme pas lorsque nous nous déplaçons. Nous avons mené une série<br />

d’expériences avec l’écran panoramique du Max Planck Institute (240° × 120° <strong>de</strong><br />

champ) afin <strong>de</strong> caractériser le mécanisme <strong>de</strong> compensation <strong>de</strong> l’inclinaison du<br />

regard <strong>et</strong> l’influence <strong>de</strong> la zone visuelle disponible (champ <strong>de</strong> vision total, vision<br />

centrale, vision périphérique), <strong>et</strong> du contraste. Ce <strong>de</strong>rnier point, suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> débats


316 ALAIN BERTHOZ<br />

dans la littérature, présente un intérêt majeur pour les simulateurs <strong>de</strong> conduite lors<br />

<strong>de</strong> la reproduction <strong>de</strong> situations acci<strong>de</strong>ntogènes provoquées par le brouillard. Les<br />

résultats préliminaires montrent une amélioration du mécanisme <strong>de</strong> compensation<br />

rétino-topique vers égocentrique pour la perception <strong><strong>de</strong>s</strong> vitesses lors du stimulation<br />

large champs, mais aussi lorsque les yeux peuvent accompagner le mouvement.<br />

4.3.2 Perception <strong>et</strong> mémorisation <strong>de</strong> mouvements visio-vestibulaires<br />

M. Vidal, A. Capelli, en collaboration avec H.H. Bülthoff (MPI)<br />

Des informations inertielles sont fournies par le système vestibulaire <strong>et</strong> les<br />

organes internes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> informations <strong>de</strong> position sont fournies par la proprioception.<br />

De nombreuses étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> informations vestibulaires dans la perception<br />

du mouvement ont été réalisées au LPPA dans le passé. Dans le cadre d’un proj<strong>et</strong><br />

Européen Moves, nous étudions comment les informations internes (vestibulaires<br />

<strong>et</strong> proprioceptives) se combinent avec le flux optique pour créer un percept <strong>de</strong><br />

mouvement propre. L’objectif est <strong>de</strong> déterminer quelle sera la contribution<br />

respective <strong>de</strong> chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> modalités <strong>et</strong> en particulier s’il y a une intégration<br />

continue avec les informations visuelles ou juste une prise en compte ponctuelle<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> informations vestibulaires. Des <strong>travaux</strong> préliminaires ont déjà été effectués par<br />

M. Vidal au MPI, afin d’étudier le cas <strong>de</strong> rotations en lac<strong>et</strong> dans un contexte<br />

visio-vestibulaire. Les résultats m<strong>et</strong>tent en évi<strong>de</strong>nce une dominance visuelle dans<br />

l’intégration sensorielle pour la perception <strong>de</strong> rotations pures.<br />

4.3.3 Estimation du temps restant avant l’impact lors <strong>de</strong> mouvements propres<br />

A. Capelli, M. Vidal<br />

Peu d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ont mis en évi<strong>de</strong>nce l’utilisation <strong><strong>de</strong>s</strong> informations d’accélération <strong>de</strong><br />

l’obj<strong>et</strong> pour l’estimation du Temps restant avant l’impact (TTC) dans les tâches<br />

d’interception (Rosenbaum, 1975 ; McIntyre <strong>et</strong> al., 2001). Dans ces étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, la<br />

tâche consistait à estimer le TTC entre un observateur <strong>et</strong> un obj<strong>et</strong> en mouvement<br />

accéléré vers lui. Nous avons examiné si à partir <strong>de</strong> stimulations visuelles seules,<br />

l’information d’accélération peut être extraite afin d’effectuer correctement<br />

l’extrapolation du mouvement <strong>et</strong> donc l’estimation du TTC. Nous avons utilisé<br />

l’écran courbe du LPPA (185° <strong>de</strong> champ horizontal). La tâche du suj<strong>et</strong> était <strong>de</strong><br />

préciser à quel moment il atteindrait un drapeau placé <strong>de</strong>vant lui sur chemin, <strong>et</strong><br />

vers il était visuellement déplacé. Les résultats indiquent une prise en compte <strong>de</strong><br />

l’accélération dans l’extrapolation du mouvement propre, mais dans le cas <strong>de</strong><br />

mouvements décélérés, il semblerait que l’estimation soit basée sur <strong><strong>de</strong>s</strong> informations<br />

<strong>de</strong> 1 er ordre (prologation <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière vitesse). Nous envisageons également<br />

d’étudier l’estimation du temps restant avant l’impact lors <strong>de</strong> stimulations visiovestibulaires<br />

car la mesure <strong>de</strong> l’accélération par nos capteurs vestibulaires pourrait<br />

venir compléter les informations visuelles afin d’améliorer les estimations du TTC<br />

établies à partir <strong>de</strong> celles-ci.


PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 317<br />

4.4. Influence <strong><strong>de</strong>s</strong> stimulations visuelles <strong>et</strong> haptiques<br />

sur la représentation du schéma corporel<br />

I. Olive & A. Berthoz<br />

Nous cherchons à savoir le rôle <strong>de</strong> la plasticité rapi<strong>de</strong> du schéma corporel humain<br />

dans le processus <strong>de</strong> substitution sensorielle visuo-haptique. Notre protocole<br />

expérimental consiste dans l’adaptation <strong><strong>de</strong>s</strong> manipulations portant sur l’induction<br />

<strong>de</strong> la plasticité rapi<strong>de</strong> <strong>et</strong> réversible du schéma corporel humain, tels que l’Illusion<br />

<strong>de</strong> la Main en Caoutchouc (Rubber Hand illusion). Nous y introduisons un<br />

component sensorimoteur afin d’évaluer le potentiel rôle <strong>de</strong> l’agencivité <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

processus efférents dans la modulation <strong><strong>de</strong>s</strong> processus <strong>de</strong> plasticité rapi<strong>de</strong> du schéma<br />

corporel humain. Notre protocole expérimental en psychophysiologie évalue les<br />

eff<strong>et</strong>s comportementals <strong>de</strong> l’individu confronté à un conflit <strong>de</strong> caractère<br />

multisensoriel visuo-haptique fondé sur l’introduction d’une incongruité spatiale<br />

entre l’endroit d’acquisition du r<strong>et</strong>our d’effort haptique <strong>et</strong> la localisation visuelle<br />

<strong>de</strong> ce même endroit. C<strong>et</strong>te incongruité est censé provoquer une modulation <strong>et</strong>/où<br />

une déviation <strong>de</strong> la localisation du r<strong>et</strong>our d’effort haptique au-<strong>de</strong>là <strong><strong>de</strong>s</strong> limites du<br />

schéma corporel envahissant l’espace péripersonal <strong>de</strong> l’individu. Une telle déviation<br />

est corrélée directement à la plasticité rapi<strong>de</strong> <strong>et</strong> réversible du schéma corporel<br />

humain, en représentant, en conséquence, son indice.<br />

4.5. Bases neurales <strong>de</strong> la perception <strong><strong>de</strong>s</strong> actions, intentions<br />

<strong>et</strong> émotions d’autrui<br />

J. Grezes (LPPA), Collaborateurs : Professeur A. Berthoz, S. Pichon,<br />

L. Pouga, F. Fruchart, C. Bay<strong>et</strong>ti (LPPA CNRS <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Paris),<br />

Professeur B. <strong>de</strong> Gel<strong>de</strong>r (Don<strong>de</strong>rs Lab for cognitive and affective neuroscience,<br />

Tilburg University, The N<strong>et</strong>herlands), D r S. Berthoz (Service <strong>de</strong> Psychiatrie <strong>de</strong><br />

l’adolescent <strong>et</strong> du jeune adulte, Institut Mutualiste Montsouris, Paris),<br />

D r B. Wicker (Institut <strong>de</strong> Neurosciences Cognitives <strong>de</strong> la Méditerranée-INCM,<br />

CNRS, Marseille), D r C. Calmels (INSEP, Paris)<br />

Notre proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> recherche porte sur la perception <strong>et</strong> la compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

comportements moteurs réalisés par autrui, qui jouent un rôle crucial dans la<br />

communication <strong>et</strong> l’interaction sociale. Le but est <strong>de</strong> décrire les mécanismes<br />

cognitifs <strong>et</strong> d’i<strong>de</strong>ntifier les corrélats neuroanatomiques qui sont impliqués dans les<br />

capacités à comprendre la signification du comportement d’autrui, à détecter les<br />

intentions <strong>et</strong> les émotions qui sont à l’origine <strong>de</strong> ce comportement <strong>et</strong> qui leurs<br />

sont associés. Ce proj<strong>et</strong> combine <strong><strong>de</strong>s</strong> approches, comportementales <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques<br />

<strong>de</strong> neuro-imagerie fonctionnelle (IRMf) chez le suj<strong>et</strong> normal <strong>et</strong> pathologique.<br />

4.5.1. La perception <strong><strong>de</strong>s</strong> actions d’autrui<br />

La perception d’une action est associée à <strong><strong>de</strong>s</strong> activations au sein <strong>de</strong> régions<br />

cérébrales connues pour leurs rôles dans préparation <strong>et</strong> l’exécution d’une action,<br />

en particulier le cortex prémoteur <strong>et</strong> le cortex pariétal (Grèzes <strong>et</strong> al. 2003). Ces<br />

structures sont activées <strong>de</strong> façon plus prononcée lorsque le suj<strong>et</strong> est capable <strong>de</strong>


318 ALAIN BERTHOZ<br />

reproduire, par rapport à une action n’appartenant pas à son répertoire moteur<br />

(Calvo-Mérino <strong>et</strong> al. 2004, Calvo-Merino <strong>et</strong> al. 2006). En collaboration avec le<br />

D r C. Calmels, un proj<strong>et</strong> actuellement en <strong>cours</strong> a pour but d’examiner si ce<br />

phénomène <strong>de</strong> résonance motrice est activé chez <strong><strong>de</strong>s</strong> sportifs <strong>de</strong> haut niveau blessés,<br />

sachant que ceux-ci sont temporairement dans l’incapacité <strong>de</strong> réaliser certains gestes<br />

en utilisant la technique d’IRMf. La gymnastique artistique a été choisie car c’est<br />

une <strong><strong>de</strong>s</strong> rares disciplines sportives où un/une athlète blessé(e) au membre supérieur<br />

(membre inférieur) peut poursuivre son entraînement en réalisant <strong><strong>de</strong>s</strong> mouvements<br />

sollicitant les membres inférieurs (membres supérieurs). Des films ont été réalisés,<br />

édités, validés. L’expérience en IRMf a débuté en septembre 2007. Une meilleure<br />

connaissance du mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> fonctionnement du système résonance motrice pourrait<br />

avoir <strong><strong>de</strong>s</strong> implications directes par exemple dans le cadre <strong>de</strong> la rééducation.<br />

4.5.2. La perception <strong><strong>de</strong>s</strong> expressions corporelles émotionnelles d’autrui<br />

C<strong>et</strong>te partie du proj<strong>et</strong>, en collaboration avec le Professeur Alain Berthoz, le<br />

Professeur Béatrice De Gel<strong>de</strong>r, Swann Pichon <strong>et</strong> Lydia Pouga, a pour but d’étudier<br />

les bases neurales associées à la perception d’expressions corporelles d’émotions (peur<br />

<strong>et</strong> colère) <strong>et</strong> <strong>de</strong> tester le couplage entre émotion <strong>et</strong> action. Les résultats <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux<br />

premières étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle suggéraient<br />

que la perception d’expressions corporelles <strong>de</strong> peur <strong>et</strong> <strong>de</strong> colère, par rapport à une<br />

expression neutre, engage une étape supplémentaire, celle <strong>de</strong> se préparer à agir en<br />

réaction à l’émotion perçue (Grèzes <strong>et</strong> al. 2007, Pichon <strong>et</strong> al. 2007). Une même<br />

étu<strong>de</strong> sur la peur a été réalisée chez <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s sains <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s autistes — Asperger<br />

en collaboration avec le Dr Bruno Wicker. Nous montrons qu’il existe <strong><strong>de</strong>s</strong> différences<br />

cérébrales au sein <strong>de</strong> la population normale entre <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s ayant <strong><strong>de</strong>s</strong> difficultés à<br />

i<strong>de</strong>ntifier <strong>et</strong> à exprimer leurs émotions, suj<strong>et</strong>s dits « alexithymique » <strong>et</strong> les autres au<br />

sein <strong>de</strong> l’amygdale, région ayant un rôle crucial dans l’évaluation émotionnelle, ainsi<br />

que dans le cortex cingulaire antérieur qui joue un rôle dans la régulation<br />

émotionnelle (Pouga <strong>et</strong> al., en préparation). Enfin, seuls les témoins par rapport aux<br />

suj<strong>et</strong>s autistes présentent <strong><strong>de</strong>s</strong> activations au sein du système émotionnel (amygdale,<br />

gyrus frontal inférieur <strong>et</strong> cortex prémoteur ; Grèzes <strong>et</strong> al, soumis).<br />

4.6. Planification <strong>et</strong> contrôle <strong>de</strong> la locomotion chez l’homme<br />

H. Hicheur (Hertie Institut, Allemagne), A. Crétual, A.-H. Olivier<br />

(Université <strong>de</strong> Rennes), J. Wiener (Freiburg University, Allemagne),<br />

J.-P. Laumond (LAAS, Toulouse), D. Bennequin (Université Paris VI),<br />

J.-J. Slotine (MIT)<br />

Nos recherches actuelles portent principalement sur l’exploration <strong><strong>de</strong>s</strong> principes<br />

biologiques <strong>et</strong> mathématiques sous-tendant la formation <strong><strong>de</strong>s</strong> trajectoires<br />

locomotrices chez l’homme. Nous nous intéressons par exemple à la locomotion<br />

exécutée dans diverses conditions expérimentales (avec/sans vision <strong>de</strong> la cible, en<br />

marche avant/arrière, vitesse lente/rapi<strong>de</strong>,...) afin <strong>de</strong> dégager l’influence <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

modalités sensorielles <strong>et</strong> motrices sur la formation <strong><strong>de</strong>s</strong> trajectoires complexes. En


PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 319<br />

partant <strong>de</strong> ces observations expérimentales, nous construisons <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles<br />

mathématiques qui font intervenir <strong><strong>de</strong>s</strong> principes tels que le contrôle optimal<br />

stochastique ou la géométrie affine <strong>et</strong> équi-affine.<br />

Un autre axe <strong>de</strong> recherche que nous poursuivons est l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> systèmes<br />

dynamiques avec la théorie <strong>de</strong> la Contraction Nonlinéaire. Nous sommes en<br />

particulier entrain <strong>de</strong> développer une version stochastique <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te théorie. Du<br />

point <strong>de</strong> vue <strong><strong>de</strong>s</strong> applications, nous étudions par exemple la stabilité <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux<br />

<strong>de</strong> neurones synchronisés soumis à <strong><strong>de</strong>s</strong> perturbations aléatoires.<br />

4.7. Navigation humaine dans <strong><strong>de</strong>s</strong> environnements complexes :<br />

contribution <strong><strong>de</strong>s</strong> indices kinesthésiques <strong>et</strong> eff<strong>et</strong> d’A PRIORI<br />

M. Lafon, J. Wiener, A. Berthoz<br />

L’objectif est d’étudier les stratégies cognitives <strong>de</strong> navigation <strong>de</strong> l’homme.<br />

L’originalité <strong>de</strong> ce travail rési<strong>de</strong> dans la définition <strong>et</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> kinesthèses ou indices<br />

du mouvement. De plus, ce travail s’appuie sur <strong><strong>de</strong>s</strong> protocoles expérimentaux<br />

nouveaux : l’utilisation d’informations présentées préalablement à l’apprentissage<br />

d’un environnement, l’introduction d’incertitu<strong>de</strong> spatiale dans l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />

planification <strong>de</strong> traj<strong>et</strong>, l’utilisation <strong>de</strong> modifications posturales pour l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

kinesthèses. La thèse est également le résultat d’échanges entre le mon<strong>de</strong> industriel <strong>et</strong><br />

le mon<strong>de</strong> académique. Lors <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux premières expériences, nous avons pu tester<br />

l’eff<strong>et</strong> d’un amorçage <strong>de</strong> type carte sur un apprentissage kinesthésique d’un traj<strong>et</strong>.<br />

Nous avons <strong>de</strong>mandé au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> réaliser plusieurs tâches d’orientation <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

navigation pour nous rendre compte <strong>de</strong> l’interaction possible entre les représentations<br />

mais aussi entre les stratégies. Nous concluons que l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’amorçage sur un<br />

apprentissage kinesthésique d’un traj<strong>et</strong> est très différent suivant le type <strong>de</strong> tâche<br />

<strong>de</strong>mandée, <strong>et</strong> que certains a priori biologiques influencent notre représentation <strong>de</strong><br />

l’espace. Lors d’une troisième expérience, nous avons étudié l’eff<strong>et</strong> d’un changement<br />

postural <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’habituation sur le maintien d’un pattern locomoteur. Une quatrième<br />

expérience nous a permis <strong>de</strong> montrer que la planification avec incertitu<strong>de</strong> d’un traj<strong>et</strong><br />

connu était réalisée <strong>de</strong> manière extrêmement performante par les suj<strong>et</strong>s, <strong>et</strong> nous<br />

avons étudié le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> kinesthèses lors <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te planification <strong>de</strong> traj<strong>et</strong>. Enfin, une<br />

cinquième expérience m<strong>et</strong> en évi<strong>de</strong>nce les contributions relatives <strong><strong>de</strong>s</strong> informations<br />

visuelles géométriques <strong>et</strong> <strong>de</strong> type « amers visuels ». Le mémoire se termine sur les<br />

étu<strong><strong>de</strong>s</strong> effectuées dans un contexte industriel. La discussion <strong>de</strong> ce travail se focalise<br />

sur l’interaction possible <strong><strong>de</strong>s</strong> représentations <strong>de</strong> l’espace <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> stratégies associées<br />

puis ouvre sur les questions théoriques que pose la thèse.<br />

4.8. Étu<strong>de</strong> du changement <strong>de</strong> perspective visuelle<br />

dans la navigation spatiale humaine<br />

L. Laou, J. Barra, A. Berthoz (Proj<strong>et</strong> Européen Bacs)<br />

(Proj<strong>et</strong> SCAN, en coopération avec ARCHIVIDEO)<br />

Nous utilisons principalement <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> perspective visuelle pour mémoriser<br />

un traj<strong>et</strong> dans l’espace : la perspective route <strong>et</strong> la perspective survol. La perspective


320 ALAIN BERTHOZ<br />

route (ou perspective égocentrée) correspond à la vision <strong>de</strong> l’espace en trois<br />

dimensions telle qu’un individu la perçoit lorsqu’il se déplace physiquement dans un<br />

environnement. La perspective survol (ou perspective allocentrée) correspond quant<br />

à elle à une vue aérienne ou <strong>de</strong> type carte <strong>de</strong> l’environnement, c’est-à-dire à une<br />

vision <strong>de</strong> l’espace en <strong>de</strong>ux dimensions. Les représentations <strong>de</strong> type route utilisent un<br />

cadre <strong>de</strong> référence égocentré dans lequel la localisation d’un obj<strong>et</strong> se fait par rapport à<br />

celle <strong>de</strong> l’individu, tandis que les représentations <strong>de</strong> type survol sont construites dans<br />

un cadre <strong>de</strong> référence allocentré basé sur les relations spatiales entre les repères. Sur le<br />

plan comportemental, il a été montré que ces <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> perspective pouvaient<br />

engendrer <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> performances différentes. Sur le plan neural, nous<br />

avons montré que <strong>de</strong>ux réseaux partageant certaines aires cérébrales étaient impliqués<br />

dans ces <strong>de</strong>ux stratégies (égocentrée <strong>et</strong> allocentrée) <strong>et</strong> que ces <strong>de</strong>rnières pouvaient être<br />

mémorisées en parallèle. Actuellement, nos <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> recherche portent sur l’eff<strong>et</strong><br />

du changement <strong>de</strong> perspective sur les performances <strong>de</strong> navigation dans une ville<br />

virtuelle (collaboration avec Archividéo <strong>et</strong> Clarté). Nous cherchons également à<br />

mieux caractériser les corrélats neuro-anatomiques <strong><strong>de</strong>s</strong> stratégies égocentrée <strong>et</strong><br />

allocentrée en utilisant l’Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle (IRMf,<br />

collaboration avec NeuroSpin). De plus, un objectif complémentaire <strong>de</strong> nos <strong>travaux</strong><br />

consiste à rechercher l’existence <strong>de</strong> différences entre les hommes <strong>et</strong> les femmes tant<br />

au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> stratégies <strong>de</strong> navigation que <strong><strong>de</strong>s</strong> régions cérébrales impliquées.<br />

4.9. Empathie <strong>et</strong> Referentiels spatiaux<br />

B. Thirioux, P r Jorland (EHESS) & A. Berthoz (LPPA),<br />

en coopération avec O. Blanke (EPFL, Lausanne)<br />

Au <strong>cours</strong> d’expériences en électroencéphalographie, menées en collaboration avec<br />

le P r Blanke (EPFL, Suisse), nous avons réutilisé notre paradigme <strong>de</strong> symétrie par<br />

rotation <strong>et</strong> réflexion, élaboré en 2006 (Thirioux <strong>et</strong> al., soumis) pour explorer les<br />

mécanismes neurocognitifs du changement <strong>de</strong> perspective lors d’une interaction<br />

spontanée avec autrui (Jorland <strong>et</strong> Thirioux, 2008, sous presse). Nos résultats<br />

montrent que lors d’une interaction sans tâche explicite avec un avatar présenté <strong>de</strong><br />

face, profile ou dos, les suj<strong>et</strong>s prennent spontanément la perspective visuo-spatiale <strong>de</strong><br />

celui-ci, par une transformation mentale du corps, reflétée dans le comportement par<br />

une symétrie par rotation. Ce changement <strong>de</strong> perspective spontané active<br />

bilatéralement la jonction temporo-pariétale vers 500-600 ms, 450-550 ms <strong>et</strong><br />

400-500 ms après l’ons<strong>et</strong> du stimulus, en fonction <strong>de</strong> la présentation <strong>de</strong> face, <strong>de</strong><br />

profil ou <strong>de</strong> dos <strong>de</strong> la funambule, confirmant l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> rotation. En fonction <strong>de</strong><br />

l’augmentation du <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> translation spatiale nécessaire à la transformation<br />

mentale, on observe une activation prédominante <strong>de</strong> la TPJ droite mais aussi une<br />

activation sélective du lobule pariétal inférieur gauche pour l’orientation <strong>de</strong> face. Une<br />

tâche imposée <strong>de</strong> symétrie par réflexion active les systèmes résonnants, en particulier<br />

le cortex dorsolatéral préfrontal droit <strong>et</strong> les aires prémotrices droites, selon un axe<br />

antéro-postérieur en fonction <strong>de</strong> l’orientation <strong>de</strong> l’avatar, mais aussi, <strong>de</strong> façon<br />

sélective le cortex occipital droit pour l’orientation <strong>de</strong> face (Thirioux <strong>et</strong> al., 2008a, en


PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 321<br />

préparation pour Journal of Neuroscience). Une nouvelle analyse a montré qu’un<br />

changement <strong>de</strong> perspective spontané, semblable à un changement <strong>de</strong> perspective<br />

imposé dans une phase tardive <strong><strong>de</strong>s</strong> PE (entre 400 <strong>et</strong> 600 ms), s’en distingue cependant<br />

entre 70-100 ms après l’ons<strong>et</strong> du stimulus, activant l’insula gauche alors que la<br />

rotation imposée active l’insula droite (Thirioux <strong>et</strong> al., 2008b, en préparation pour<br />

Nature Neuroscience). Ces résultats indiquent une activation très précoce <strong><strong>de</strong>s</strong> régions<br />

impliquées dans l’utilisation <strong><strong>de</strong>s</strong> référentiels spatiaux. Enfin une <strong>de</strong>rnière analyse<br />

révèle le dynamisme <strong><strong>de</strong>s</strong> changements <strong>de</strong> référentiels spatiaux précédant la stratégie<br />

définitive (rotation ou réflexion). Pour l’orientation <strong>de</strong> face, les résultats montrent<br />

une activation <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes résonants entre 0 <strong>et</strong> 500 ms, précédant le changement <strong>de</strong><br />

perspective spontané. On observe le pattern inverse pour l’orientation <strong>de</strong> dos. Ces<br />

résultats montrent que les suj<strong>et</strong>s, pour la mise en place <strong>de</strong> leur stratégie d’interaction<br />

avec autrui, passent <strong>de</strong> leur propre perspective visuo-spatiale à celle d’autrui, suggérant<br />

qu’une i<strong>de</strong>ntification avec autrui, non observable dans le comportement, précè<strong>de</strong>rait<br />

neurophysiologiquement le changement <strong>de</strong> perspective <strong>et</strong> la distinction avec autrui.<br />

4.10. Dynamique <strong><strong>de</strong>s</strong> changements <strong>de</strong> perspective<br />

dans la navigation humaine<br />

E. Dupierrix, A. Berthoz, Proj<strong>et</strong> MATISS, en coopération avec RENAULT<br />

La navigation humaine est une activité complexe nécessitant la manipulation<br />

simultanée ou successive <strong>de</strong> différentes perspectives <strong>de</strong> l’environnement, comme le<br />

point <strong>de</strong> vue « route » ou le point <strong>de</strong> vue « survol ». Le point <strong>de</strong> vue route (ou<br />

égocentré) coïnci<strong>de</strong> à la perspective perçue par l’individu lorsqu’il se déplace<br />

physiquement dans l’espace tandis que le point <strong>de</strong> vue survol (ou perspective<br />

allocentrée) correspond à une vue aérienne <strong>de</strong> l’espace. Si les recherches se sont<br />

centrées sur les processus liés à la manipulation <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux stratégies spatiales, très<br />

peu d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ont concerné les mécanismes liés au changement <strong>de</strong> stratégies. Notre<br />

proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> recherche vise à étudier la dynamique <strong><strong>de</strong>s</strong> changements <strong>de</strong> stratégies<br />

spatiales pour la navigation humaine. Il s’agit plus particulièrement <strong>de</strong> caractériser<br />

(dé<strong>cours</strong> temporel, coût <strong>de</strong> traitement, corrélats neuronaux) les processus sousjacents<br />

au changement <strong>de</strong> point <strong>de</strong> vue en combinant les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> comportementales<br />

<strong>et</strong> d’imageries cérébrales (EEG).<br />

4.11. Conséquences perceptives <strong>et</strong> motrices <strong><strong>de</strong>s</strong> asymétries cérébelleuses<br />

<strong>et</strong> vestibulaires dans la scoliose idiopathique<br />

D. Rousie (Université <strong>de</strong> Lille), A. Berthoz, (Proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la Fondation Cotrel)<br />

Dans une étu<strong>de</strong> précé<strong>de</strong>nte, nous avons démontré qu’il existait chez les suj<strong>et</strong>s<br />

scoliotiques une asymétrie statistiquement significative <strong>de</strong> la base postérieure du<br />

crâne reflétant une asymétrie cérébelleuse sous-jacente. Nous avons également mis<br />

en évi<strong>de</strong>nce un lien direct entre ces asymétries <strong>et</strong> la présence <strong>de</strong> malformations au<br />

niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux semi-circulaires <strong>de</strong> l’oreille interne grâce à une modélisation<br />

réalisée à partir <strong>de</strong> données IRM. Pour vérifier une implication neurophysiologique<br />

<strong>de</strong> ces anomalies, une étu<strong>de</strong> oculomotrice approfondie <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s scoliotiques a été


322 ALAIN BERTHOZ<br />

menée : elle a permis <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en évi<strong>de</strong>nce <strong><strong>de</strong>s</strong> torsions <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> anomalies <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

poursuites oculaires relevant <strong>de</strong> dysfonctions vestibulaires. Par ailleurs, <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

expérimentales récentes ont mis en évi<strong>de</strong>nce <strong><strong>de</strong>s</strong> liens génétiques entre la formation<br />

du cervel<strong>et</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’oreille interne. Ces premiers résultats suggèrent <strong>de</strong> nouveaux<br />

axes <strong>de</strong> recherche. Ceux-ci ont reçu le soutien <strong>de</strong> la Fondation Yves Cotrel en<br />

novembre 2007 pour une durée <strong>de</strong> trois ans.<br />

1. Axe génétique : une collaboration avec le Professeur Nancy Miller, également<br />

membre <strong>de</strong> la fondation Y.Cotrel, a été mis en place. Elle a pour but l’i<strong>de</strong>ntification<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> gènes codant pour la formation <strong>de</strong> l’oreille interne <strong>et</strong> du cervel<strong>et</strong> chez l’homme<br />

puis la comparaison <strong><strong>de</strong>s</strong> loci i<strong>de</strong>ntifiés entre suj<strong>et</strong>s scoliotiques <strong>et</strong> suj<strong>et</strong>s sains.<br />

2. Axe neurophysiologique : au niveau vestibulaire <strong>et</strong> cérébelleux : nous avions,<br />

dans la première étu<strong>de</strong> focalisé notre attention sur les canaux semi-circulaires. Il<br />

est maintenant indispensable <strong>de</strong> nous intéresser à la fonction otolithique également<br />

impliquée dans la fonction posturale (étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> Lacour, <strong>de</strong> Pompeiano, <strong>de</strong><br />

De Waele…). Des <strong>travaux</strong> récents sur le cervel<strong>et</strong> (Ito) ont ciblé <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions<br />

cognitives insoupçonnées du cervel<strong>et</strong> (représentation spatiale, perception du schéma<br />

corporel… en plus <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions classiques <strong>de</strong> régulation motrices) : <strong>de</strong> nouveaux<br />

tests d’appréciation <strong>de</strong> la fonction cérébelleuse vont donc être utilisés. Au niveau<br />

oculaire, les anomalies oculomotrices que nous avons mises en évi<strong>de</strong>nce dans la<br />

première étu<strong>de</strong> doivent être poursuivies notamment au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> poursuites<br />

oculaires. C<strong>et</strong>te partie <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> sera assurée par le Docteur Salv<strong>et</strong>ti, ophtalmologiste<br />

en charge <strong><strong>de</strong>s</strong> bilans oculaires <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s.<br />

Activités <strong>de</strong> la Chaire<br />

Publications<br />

Publications <strong>de</strong> l’équipe : Mémoire spatiale <strong>et</strong> contrôle du mouvement<br />

Responsable : Alain Berthoz<br />

Revue à comité <strong>de</strong> lecture<br />

2007<br />

— Capelli, A., Deborne, R., Israël, I. : Temporal intervals production during passive<br />

self-motion in darkness, Current Psychology L<strong>et</strong>ters, 22 (2).<br />

— Hicheur, H., Pham, Q.-C., Arechaval<strong>et</strong>a, G., Laumond, J.-P., Berthoz, A. : The<br />

Formation of Trajectories during Goal-Oriented Locomotion in Humans. I. A Stereotyped<br />

Behavior, European Journal of Neuroscience, 26(8) : 2376-90.<br />

— Khonsari, R., Lobel, E., Milea, D., Lehericy, S., Pierrot-Deseilligny, C. &<br />

Berthoz, A. : Lateralized pari<strong>et</strong>al activity during <strong>de</strong>cision and preparation of sacca<strong><strong>de</strong>s</strong>,<br />

Neuroreport., 18(17) : 1797-800.<br />

— Lachaux, J.-P., Jerbi, K., Bertrand, O., Minotti, L., Hoffmann, D.,<br />

Schoendorff, B. & Kahane, P. : A Blueprint for Real-Time Functional Mapping via<br />

Human Intracranial Recordings ?, PLoS ONE, 2(10) : e1094.


PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 323<br />

— Lambrey, S., Amorim, M.A., Samson, S., Noulhiane, M., Hasboun, D.,<br />

Dupont, S., Baulac, M. & Berthoz, A. : Distinct visual perspective taking strategies<br />

involve differently the left and right MTL structures, Brain, Feb 2008 ; 131(2) : 523-34.<br />

— Lambrey, S. & Berthoz, A. : Gen<strong>de</strong>r differences in the use of external landmarks<br />

versus spatial representations updated by self-motion, J. Intergr. Neurosc., 6(3) : 379-401.<br />

— Milea, D., Lobel, E., Lehericy, S. Leboucher, P., Pochon, J-B., Pierrot-<br />

Desseilligny, C. & Berthoz, A.(2007) : Prefrontal cortex is involved in internal <strong>de</strong>cision<br />

of forthcoming sacca<strong><strong>de</strong>s</strong>, NeuroReport, 18(12) : 1221-4.<br />

— P<strong>et</strong>it, J.-L. : Commentary to Helena De Preester : The <strong>de</strong>ep bodily origins of the<br />

subjective perspective : mo<strong>de</strong>ls and their problems ?, Consciousness and Cognition, 16(3) :<br />

604-18.<br />

— Pham, Q.-C., Hicheur, H., Arechaval<strong>et</strong>a, G., Laumond, J.-P., Berthoz, A. : The<br />

Formation of Trajectories during Goal-Oriented Locomotion in Humans. II. A Maximum<br />

Smoothness Mo<strong>de</strong>l, European Journal of Neuroscience, 26(8) : 2391-2403.<br />

— Schmidt, D., Krause, B.J., Weiss, P.H., Fink, G.R., Shah, N.J., Amorin, M.A.,<br />

Muller, H.W. & Berthoz, A. : Visuospatial working memory and changes of the point<br />

of view in 3D space, NeuroImage, 36(3) : 955-68.<br />

— Tabareau, N., Bennequin, D., Berthoz, A., Slotine, J.-J. and Girard, B. :<br />

Geom<strong>et</strong>ry of the superior colliculus mapping and efficient oculomotor computation,<br />

Biological Cybern<strong>et</strong>ics, 97(4) : 279-92.<br />

— Van Heijnsbergen, C.C.R.J., Meeren, H.K.M., Grèzes, J., <strong>de</strong> Gel<strong>de</strong>r, B. : Rapid<br />

d<strong>et</strong>ection of fear in body expressions, an ERP study, Brain Research, 1186 : 233-41.<br />

2008<br />

— Girard, B., Tabareau, N., Pham, Q.C., Berthoz, A. & Slotine, J.-J. : Where<br />

Neuroscience and dynamic system theory me<strong>et</strong> autonomous robotics : a contracting basal<br />

ganglia mo<strong>de</strong>l for action selection. Neural N<strong>et</strong>works, 21(4) : 628-641.<br />

— Lambrey, S., Amorim, M.A., Samson, S., Noulhiane, M., Hasboun, D., Dupont,<br />

S., Baulac, M., Berthoz, A. : Distinct visual perspective-taking strategies involve the left<br />

and right medial temporal lobe structures differently. Brain., 131 (Pt 2) : 523-34.<br />

— Mossio, M., Vidal, M., & Berthoz, A. : Traveled distances : New insights into the<br />

role of optic flow, Vision Research, 48, 289-303.<br />

— Wiener, J.M., Lafon, M., Berthoz, A. : Path planning un<strong>de</strong>r spatial uncertainty.<br />

Mem Cognit., 36(3) : 495-504.<br />

Publications <strong>de</strong> l’équipe « Perception <strong>et</strong> exploration actives <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s »<br />

Responsable : Jacques Droulez<br />

Revue à comité <strong>de</strong> lecture<br />

2007<br />

— Colas, F., Droulez, J., Wexler, M. & Bessière, P. : A unified probabilistic mo<strong>de</strong>l<br />

of the perception of three-dimensional structure from optic flow, Biological Cybern<strong>et</strong>ics,<br />

97(5) : 461-77.


324 ALAIN BERTHOZ<br />

2008<br />

— Bullot, N. & Droulez J. : Keeping track of invisible individuals while exploring a<br />

spatial layout with partial cues : location-based and <strong>de</strong>ictic direction-based strategies,<br />

Philosophical Psychology, 21(1) : 15-46.<br />

— Devisme, C., Drobe, B., Monot A. & Droulez, J. : Stereoscopic <strong>de</strong>pth perception<br />

in peripheral field and global processing of horizontal disparity gradient pattern, Vision<br />

Research, 48(6) : 753-64.<br />

Publications <strong>de</strong> l’équipe : Développement perceptif <strong>et</strong> intégration<br />

interhémisphérique<br />

Responsable : Chantal Miller<strong>et</strong><br />

Revue à comité <strong>de</strong> lecture<br />

2007<br />

— Rochefort, N., Buzas, P., Kisvarday, Z., Eysel, U.T. & Miller<strong>et</strong>, C. : Layout of<br />

transcallosal activity in cat visual cortex revealed by optical imaging, NeuroImage, 36(3) :<br />

804-21.<br />

2008<br />

— Ribot, J., O’Hashi, K., Ayaka, A., Tanaka, S. : Anisotropy in the representation of<br />

direction preferences in cat area 18, Eur. J. Neuroscience, 27(10) : 2773-80.<br />

Publications <strong>de</strong> l’équipe « Mémoire spatiale <strong>et</strong> navigation »<br />

Responsable : Sidney Wiener<br />

Revue à comité <strong>de</strong> lecture<br />

2007<br />

— Cacquevel, M., Launay, S., Castel, H., Benchenane, K., Cheenne, S., Buee, L.,<br />

Moons, L., Delacourte, A., Carmeli<strong>et</strong>, P., Vivien, D. : Ageing and amyloid-b<strong>et</strong>a pepti<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>position contribute to an impaired brain tissue plasminogen activator activity by different<br />

mechanisms, Neurobiol Dis, 27(2) : 164-73.<br />

2008<br />

— Eschenko, O., Ramadan, W., Mölle, M., Born, J., Sara, S.J. : Sustained increase<br />

in hippocampal sharp-wave ripple activity during slow-wave sleep after learning, Learn<br />

Mem., 15(4) : 222-8.<br />

Chapitres d’ouvrages collectifs<br />

2008<br />

— Battaglia, F.P., Peyrache, A., Khamassi, M. & Wiener S.I. : « Spatial <strong>de</strong>cisions and<br />

neuronal activity in hippocampal projection zones in prefrontal cortex and striatum ». In :


PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 325<br />

Hippocampal place fields : Relevance to learning and memory. Ed : S.J.Y. Mizumori.<br />

Oxford University Press, pp. 289-311.<br />

— Sara, S.J. : « Reconsolidation : historical perspectives and theor<strong>et</strong>ical aspects ». In :<br />

Learning and Memory : A Comprehensive Reference. Ed : J. Byrne. Oxford, Elsevier, Vol. 1,<br />

pp. 461-75.<br />

Chapitres d’ouvrages collectifs<br />

Autres <strong>travaux</strong> <strong>et</strong> activités <strong>de</strong> Alain Berthoz<br />

— Berthoz, A. (2007) : « L’homme virtuel ». In : L’homme artificiel. Eds : J.-P. Changeux<br />

<strong>et</strong> al. Paris, O. Jacob, pp. 224-36.<br />

— Freyermuth S., Lachaux J.-P., Kahane P. & Berthoz A. (2007) : « Neural Basis of<br />

Saccadic Decision Making in the Human Cortex ». In : Representation and Brain. Ed.<br />

F. Shintaro. Springer, pp. 199-216.<br />

Conférences<br />

2007<br />

— Berthoz, A. : « Development and function of the balance system in the early years »,<br />

19 th European Conference Neuro<strong>de</strong>velopment and learning difficulties, Conférence Plénière,<br />

Institute for Neuro-physiological psychology, Pise, Italie, 22-23 septembre.<br />

— Berthoz, A. : « Comment le cerveau s’y prend pour déci<strong>de</strong>r. Les apports <strong>de</strong> la neurophysiologie<br />

à la compréhension <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> décision », Séminaire Approches plurielles <strong>de</strong><br />

la décision, Ecole Nationale d’Administration, Paris, 28 septembre.<br />

— Berthoz, A. : « Quels rapports l’homme entr<strong>et</strong>ient-il avec ses espaces ? », Colloque<br />

Maladie d’Alzheimer : S’adapter au patient. Paris, 16 octobre.<br />

— Berthoz, A. : « Bases neurales <strong>de</strong> la décision », Colloque la neurophysiologie <strong>de</strong> la<br />

décision, Ecole Normale supérieure, Paris, 22 octobre.<br />

— Berthoz, A. : « Réalité virtuelle <strong>et</strong> Neurosciences », Conférence plénière. Colloque<br />

STIC Cité <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences à Paris. 5 novembre.<br />

— Berthoz, A. : « Les théories <strong>de</strong> Bergson sur la perception, la mémoire <strong>et</strong> le rire, au<br />

regard <strong><strong>de</strong>s</strong> données <strong><strong>de</strong>s</strong> neurosciences cognitives actuelles », Colloque L’Evolution créatrice<br />

<strong>de</strong> Bergson cent ans après (1907-2007) : Epistémologie <strong>et</strong> Métaphysique. <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />

Paris, 23 novembre.<br />

— Berthoz, A. : « Comment le cerveau s’y prend pour déci<strong>de</strong>r », Réunion SGA, Ecole<br />

militaire, Paris, 29 novembre.<br />

— Berthoz, A. : « Neural basis of the perception of space, movement and emotions »,<br />

Fourth International Conference on Virtual Storytelling, Saint-Malo, 5-7 décembre.<br />

— Berthoz, A. : « Perceptive integration and postural control », Conférence Plénière.<br />

Congrès Neuroriabilitazione e Robotica, Rome, 13-14 décembre.<br />

— Girard, B., Tabareau, N., Bennequin, D., Slotine, J.-J., & Berthoz, A. :<br />

« A mathematical proof of the coupling of the spatiotemporal transformation and the<br />

superior colliculus mapping », Congrès annuel <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong> Neuroscience américaine,<br />

San Diego, USA, 3-7 novembre.<br />

— Jerbi, K., Kahane, P., Minotti, L., Bertrand, O., Berthoz, A. & Lachaux, J.-P. :<br />

« Towards Novel Brain Computer Interfaces via Online D<strong>et</strong>ection of Gamma Oscillations<br />

in Intracerebral Recordings », From Neural Co<strong>de</strong> to Brain/Machine Interface, Château <strong>de</strong><br />

Montvillargenne, Gouvieux les Chantilly, Oise, <strong>France</strong>, 27-29 septembre 2007.


326 ALAIN BERTHOZ<br />

2008<br />

— Berthoz, A. : « La pensée <strong>de</strong> Merleau-Ponty sur la perception au regard <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

neurosciences cognitives actuelles », Le temps <strong>et</strong> l’espace chez Merleau-Ponty, Ecole Normale<br />

Supérieure, Paris, 5-7 juin.<br />

— Berthoz, A. : « Neural principles of natural eye and limb movements that might be<br />

used in robotics », Neurobotics Symposium, Freiburg, 20-22 juill<strong>et</strong>.<br />

— Berthoz, A. : « Motricité, cognition, perception», 21 e Journée d’étu<strong>de</strong> La paralysie<br />

cérébrale, <strong><strong>de</strong>s</strong> situations complexes, <strong><strong>de</strong>s</strong> pratiques en mutation, Conférence Plénière, Palais<br />

<strong>de</strong> l’UNESCO, Paris, 24 janvier.<br />

— Berthoz, A.: « The human brain “projects” upon the world simplying principles and<br />

rules for perception and action », Journée IPSEN Neurobiology of Umwelt : comment les<br />

êtres humains perçoivent le mon<strong>de</strong>, Paris, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 18 février.<br />

— Berthoz, A. : « Cinématique <strong>de</strong> l’expression corporelle <strong><strong>de</strong>s</strong> émotions pendant la<br />

marche », Colloque Analyse 3D du Mouvement, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 3 juin.<br />

— Berthoz, A. : « La manipulation mentale <strong><strong>de</strong>s</strong> points <strong>de</strong> vue : un <strong><strong>de</strong>s</strong> fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> la<br />

tolérance ? », Colloque La pluralité interprétative <strong>et</strong> les fon<strong>de</strong>ments historiques <strong>et</strong> cognitifs<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> changements <strong>de</strong> point <strong>de</strong> vue, Paris, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 12 juin.<br />

Organisation <strong>de</strong> réunions<br />

2007<br />

— Berthoz, A. & Kemeny, A. : Séminaire « Images Virtuelles », <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />

Paris, 14 juin.<br />

— Berthoz, A. & Laroche, S. : Colloque final ACI, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Paris, 11 <strong>et</strong><br />

12 juin.<br />

— Berthoz, A. &. Dario, P. : Brain - Machines Interfaces, Volterra, Italie,<br />

16-21 septembre.<br />

— Clarac, F., Berthoz, A. & al : Colloque From Neural co<strong>de</strong> : to brain/machine<br />

interface. Château <strong>de</strong> Montvillargenne, Gouvieux-les-Chantilly, Oise, <strong>France</strong>, 27-29 septembre<br />

2007.<br />

2008<br />

— Berthoz, A. <strong>et</strong> en coopération avec la Fondation IPSEN : Journée IPSEN<br />

Neurobiology of Umwelt « Comment les êtres humains perçoivent le mon<strong>de</strong> », Paris,<br />

18 février.<br />

— Berthoz, A. & Biom<strong>et</strong>rics : Colloque Analyse 3D du Mouvement, à l’occasion du<br />

15 e anniversaire <strong><strong>de</strong>s</strong> Réunions <strong><strong>de</strong>s</strong> Utilisateurs Vicon, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Paris, 3 juin.<br />

— Girault, J.-A. & Chemin, J.-Y., Berthoz, A. & al. : Colloque « Mathématiques en<br />

Neurosciences », Ecole Nationale Supérieure <strong>de</strong> chimie <strong>de</strong> Paris, Paris, 10 juin.<br />

— Berthoz, A., Stock, B. & Ossola, C. : Colloque « La pluralité interprétative<br />

fon<strong>de</strong>ments historiques <strong>et</strong> cognitifs <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> point <strong>de</strong> vue », <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Paris,<br />

12-13 juin.<br />

Enseignement<br />

— Dario, P., Jerbi, K., Berthoz, A. : NEUROBOTICS Summer School 2007 Brain-<br />

Machine Interface, Volterra, Italie, 16-21 septembre 2007.


PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 327<br />

Participation à l’organisation <strong>de</strong> la recherche<br />

— Membre du Comité <strong><strong>de</strong>s</strong> Programmes scientifiques du CNES.<br />

— Membre du Conseil consultatif pour la Science <strong>France</strong>/Japon.<br />

— Membre du Conseil scientifique <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> Neurosciences <strong>de</strong> Trinity College à<br />

Dublin.<br />

— Membre du Conseil pédagogique du Mastère <strong>de</strong> Sciences cognitives (Ecole doctorale<br />

3C).<br />

— Prési<strong>de</strong>nt du Comité scientifique <strong>de</strong> l’œuvre Falr<strong>et</strong> pour les maladies mentales.<br />

— Membre du Conseil scientifique du NEUROPOLE Ile-<strong>de</strong>-<strong>France</strong> <strong>et</strong> du RTRA « Ecole<br />

<strong>de</strong> Neurosciences <strong>de</strong> Paris ».<br />

— Membre du Conseil scientifique <strong>de</strong> l’institut Max Planck, Tübingen.<br />

— Membre <strong>de</strong> la Commission <strong>de</strong> diffusion culturelle du Conservatoire <strong><strong>de</strong>s</strong> Arts <strong>et</strong><br />

Métiers.<br />

— Membre du Comité Scientifique <strong>de</strong> l’AIST-CNRS Joint Japanese-French Robotics<br />

Laboratory (JRL).<br />

Collaboration avec l’Industrie<br />

— Contrat avec la société Peugeot.<br />

— Proj<strong>et</strong> Européen Euréka MOVES sur les simulateurs avec la Société Renault <strong>et</strong> Max<br />

Planck Institut, Tuebingen, <strong>et</strong> TNO Hollan<strong>de</strong>.<br />

— Proj<strong>et</strong> SCAN Pôle <strong>de</strong> compétitivité Br<strong>et</strong>agne avec la Société Archividéo.<br />

— Organisation <strong>et</strong> Prési<strong>de</strong>nce du séminaire <strong>de</strong> prospective <strong>de</strong> la RATP sur « Cognition<br />

<strong>et</strong> mobilité », 5 séances <strong>et</strong> un atelier, 2007 & 2008.<br />

Contrats <strong>de</strong> recherche <strong>et</strong> coopérations internationales<br />

— Proj<strong>et</strong> BACS : proj<strong>et</strong> européen dans le cadre <strong>de</strong> Cognitive Systems.<br />

— Proj<strong>et</strong> « Asymétries cranio-faciales », Fondation Cotrel-Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences (avec<br />

Mme D. Rousié).<br />

— Proj<strong>et</strong> NEST WAYFINDING n° 12959, FP6-2003-Nest-Path <strong>de</strong> la Communauté<br />

européenne.<br />

— Programme Human Frontier Science Program (Coordinateur B. <strong>de</strong> Gel<strong>de</strong>r-Tilbury)<br />

« L’Expression corporelle <strong><strong>de</strong>s</strong> émotions ».<br />

— Proj<strong>et</strong> NEUROPROBES, IP dans le EC IST programme « Integrating and<br />

strengthening the European research area (2002-2006) ».<br />

— Proj<strong>et</strong> NEUROBOTICS, Programme européen « Information Soci<strong>et</strong>y Technologie-<br />

Furture and Emerging Technologies ».<br />

Thèses<br />

— Lafon, M. (2008) : « Navigation humaine dans <strong><strong>de</strong>s</strong> environnements complexes :<br />

contribution <strong><strong>de</strong>s</strong> indices kinesthésiques <strong>et</strong> eff<strong>et</strong> d’a priori », <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 29 mai 2008.


Mé<strong>de</strong>cine expérimentale<br />

M. Pierre Corvol, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />

L’Apéline<br />

Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine expérimentale a porté sur les propriétés d’un<br />

nouveau pepti<strong>de</strong> vasoactif, l’apéline. Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année précé<strong>de</strong>nte avait montré<br />

que plusieurs pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> vasoactifs étaient impliqués dans la formation <strong>de</strong> nouveaux<br />

vaisseaux par <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes impliquant l’angiogenèse <strong>et</strong> le remo<strong>de</strong>lage vasculaire.<br />

Ainsi, l’angiotensine <strong>et</strong> l’endothéline contrôlent non seulement le tonus vasculaire<br />

<strong>et</strong> régulent le flux sanguin régional mais ont aussi un eff<strong>et</strong> proangiogénique <strong>et</strong><br />

exercent un rôle dans la croissance <strong>de</strong> la paroi vasculaire. D’autres pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> vasoactifs<br />

exercent une propriété similaire, telle que l’apéline.<br />

La découverte <strong>de</strong> l’apéline illustre bien la démarche actuelle <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong><br />

certaines nouvelles molécules naturelles biologiques. En eff<strong>et</strong>, c’est par une démarche<br />

<strong>de</strong> « pharmacologie inverse » qu’a été i<strong>de</strong>ntifiée l’apéline comme le ligand d’un<br />

récepteur jusque là orphelin, l’APJ. Le récepteur APJ a été cloné en 1993 lors d’une<br />

recherche systématique <strong>de</strong> récepteurs apparentés au récepteur <strong>de</strong> l’angiotensine II.<br />

Il s’agit d’un récepteur à sept domaines transmembranaires découvert chez l’homme<br />

par O’Dowd <strong>et</strong> al. (Gene, 1993). Bien qu’il soit analogue au récepteur <strong>de</strong><br />

l’angiotensine II, ce récepteur ne lie pas l’angiotensine. Il partage une homologie <strong>de</strong><br />

structure avec le récepteur CXC <strong><strong>de</strong>s</strong> chimiokines (CXCR4) <strong>et</strong> il agit comme<br />

co-récepteur du CD4 pour l’entrée du virus HIV-1 <strong>et</strong> SIV dans les cellules.<br />

L’isolement <strong>et</strong> la caractérisation du ligand endogène du récepteur APJ humain ont<br />

été réalisés par l’équipe <strong>de</strong> Tatemoto <strong>et</strong> al. (BBRC, 1998). En utilisant une lignée <strong>de</strong><br />

culture cellulaire exprimant le récepteur APJ, <strong>et</strong> en suivant son activation par la<br />

mesure <strong>de</strong> l’acidification extracellulaire, ces auteurs ont découvert qu’un pepti<strong>de</strong><br />

présent dans l’estomac <strong>de</strong> bœuf stimulait l’APJ. La purification, le séquençage <strong>et</strong><br />

le clonage <strong><strong>de</strong>s</strong> fractions peptidiques actives a révélé qu’il existait trois pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> actifs<br />

<strong>de</strong> 36, 17 <strong>et</strong> 13 aci<strong><strong>de</strong>s</strong> aminés, issus d’un précurseur commun, la pré-proapéline. La


330 PIERRE CORVOL<br />

pré-proapéline (77 aci<strong><strong>de</strong>s</strong> aminés) est convertie en apéline 36 puis en apéline 17 <strong>et</strong><br />

13. Le processus <strong>de</strong> maturation <strong>de</strong> la pré-proapéline en apéline 36 n’est pas connu ;<br />

la conversion <strong>de</strong> l’apéline 36 en apélines 17 <strong>et</strong> 13 est effectuée vraisemblablement<br />

par <strong><strong>de</strong>s</strong> proconvertases. L’apéline sous ses différentes formes, 36, 17 <strong>et</strong> 13, est présente<br />

dans les tissus, le plasma <strong>et</strong> divers liqui<strong><strong>de</strong>s</strong> biologiques. L’apéline 17 est prédominante<br />

dans le plasma chez l’homme. Son origine tissulaire n’est pas connue avec précision<br />

(hypophysaire, cardiaque, tissu adipeux, autres, ?…). Le catabolisme <strong>de</strong> ces pepti<strong><strong>de</strong>s</strong>,<br />

leur <strong>de</strong>mi-vie <strong>et</strong> leur clairance ont peu été étudiés. L’angiotensin-converting enzyme<br />

2 (ACE-2) hydrolyse avec une bonne efficacité catalytique l’apéline 13 en apéline 12<br />

qui conserve une activité biologique.<br />

Les apélines 36, 17 <strong>et</strong> 13 ont une affinité similaire pour le récepteur APJ. Le<br />

récepteur est couplé <strong>de</strong> façon négative à l’adénylyl cyclase par une protéine Gi.<br />

Différentes voies <strong>de</strong> signalisation intracellulaire sont activées par le récepteur APJ,<br />

selon le tissu concerné : phosphorylation <strong>de</strong> Akt, activation <strong>de</strong> la p70 S6 kinase,<br />

impliquée dans la progression du cycle cellulaire, activation <strong>de</strong> la phospholipase C<br />

<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines kinases C par la voie Gq. In vitro, les différents fragments d’apéline<br />

ont une affinité similaire pour APJ <strong>et</strong> agissent préférentiellement par la voie Gi1<br />

ou Gi2, mais la désensibilisation du récepteur dépend du type <strong>de</strong> fragment <strong>de</strong><br />

l’apéline (L. Messari <strong>et</strong> al., J. Neurochem., 2004).<br />

L’apéline <strong>et</strong> son récepteur sont présents principalement dans le cerveau,<br />

l’hypophyse, le cœur, le poumon, l’intestin. L’apéline est aussi présente dans le tissu<br />

adipeux, au niveau du rein <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> surrénales. C<strong>et</strong>te distribution correspond à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

actions chez l’homme qui peuvent être brièvement synthétisées ainsi : au niveau<br />

central, l’apéline inhibe la production <strong>de</strong> vasopressine, module la prise d’eau <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

nourriture <strong>et</strong> stimule la libération d’ACTH. L’apéline exerce un eff<strong>et</strong> cardiaque<br />

inotrope positif <strong>et</strong> abaisse transitoirement <strong>et</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong>tement la pression artérielle.<br />

L’apéline agit sur les cellules gastriques en stimulant la libération <strong>de</strong> cholécystokinine ;<br />

elle inhibe la secrétion d’insuline. Elle joue enfin un rôle important dans le<br />

développement cardiovasculaire ainsi que l’ont révélé différents <strong>travaux</strong>.<br />

Deux étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ont montré le rôle <strong>de</strong> l’apéline <strong>et</strong> <strong>de</strong> son récepteur dans le<br />

développement cardiaque chez le poisson zèbre (Scott <strong>et</strong> al., Developmental Cell,<br />

2007 <strong>et</strong> Zeng <strong>et</strong> al., Developmental Cell, 2007) : dans c<strong>et</strong>te espèce, le système<br />

apéline joue un rôle à un sta<strong>de</strong> très précoce, dans la migration <strong><strong>de</strong>s</strong> futurs précurseurs<br />

myocardiques au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la gastrulation. L’inactivation du système à ce sta<strong>de</strong><br />

entraîne <strong><strong>de</strong>s</strong> anomalies du développement cardiaque. En revanche, on n’observe<br />

pas d’anomalies <strong>de</strong> l’angiogenèse primaire. Chez la grenouille (Xénope), le récepteur<br />

APJ est exprimé dans tous les vaisseaux (en fait, il existe <strong>de</strong>ux isoformes <strong>de</strong> ce<br />

récepteur). L’apéline est exprimée précocément dans les régions intersomitiques<br />

avant même que ne se m<strong>et</strong>te en place la formation <strong><strong>de</strong>s</strong> veines <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te région. Le<br />

système apéline n’est pas impliqué dans la vasculogenèse <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te espèce mais dans<br />

l’angiogenèse <strong><strong>de</strong>s</strong> vaisseaux intersomitiques : l’inactivation du système perturbe le<br />

développement <strong><strong>de</strong>s</strong> vaisseaux intersomitiques tandis que la surexpression d’apéline


MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 331<br />

induit une angiogenèse prématurée <strong><strong>de</strong>s</strong> veines intersomitiques. Le récepteur APJ<br />

<strong>de</strong> l’apéline est exprimé dans tous les territoires vasculaires <strong>de</strong> l’embryon <strong>de</strong> souris<br />

<strong>et</strong> l’apéline est présente dans les vaisseaux en formation (vaisseaux intersomitiques,<br />

bourgeons <strong>de</strong> membres) (Kalin <strong>et</strong> al., Dev. Biol. 2007). L’apéline <strong>et</strong> son récepteur<br />

sont exprimés dans les vaisseaux rétiniens en post-natal, au front <strong><strong>de</strong>s</strong> branches <strong>de</strong><br />

division <strong><strong>de</strong>s</strong> capillaires en formation (tip cells) (Saint-Geniez <strong>et</strong> al., Gene Expression<br />

Pattern, 2003). En définitive, chez le poisson zèbre, le xénope <strong>et</strong> la souris, on note<br />

une expression temporelle quasi simultanée <strong>de</strong> l’apéline <strong>et</strong> <strong>de</strong> son récepteur, une<br />

co-expression spatiale <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux molécules. L’apéline est exprimée dans les tip<br />

cells <strong>et</strong> les veines mais elle n’est pas impliquée dans la vasculogenèse. Ses eff<strong>et</strong>s<br />

s’exercent <strong>de</strong> façon autocrine <strong>et</strong> paracrine <strong>et</strong> sont indépendants du VEGF.<br />

Le système apéline – récepteur APJ joue un rôle in vitro <strong>et</strong> in vivo dans<br />

l’angiogenèse. L’apéline est un agent angiogénique in vitro : elle a un eff<strong>et</strong><br />

mitogénique sur les cellules endothéliales (HUVEC) <strong>et</strong> un eff<strong>et</strong> chimiotactique.<br />

Elle augmente la perméabilité <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules endothéliales, induit la formation <strong>de</strong><br />

tubes pseudocapillaires en matrigel <strong>et</strong> elle participe au remo<strong>de</strong>lage vasculaire au<br />

niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules musculaires lisses vasculaires. L’apéline accroît le bourgeonnement<br />

<strong>de</strong> capillaires à partir d’explants aortiques <strong>et</strong> provoque une néoangiogenèse dans le<br />

modèle <strong>de</strong> la membrane chorioallantoïdienne <strong>de</strong> poul<strong>et</strong>. Enfin, elle favorise<br />

l’angiogenèse dans la cornée avasculaire, la formation <strong>de</strong> capillaires chez l’animal<br />

lorsqu’elle est implantée en sous-cutanée, elle contrôle la perméabilité capillaire <strong>et</strong><br />

est angiogénique dans le modèle <strong>de</strong> la patte ischémique chez le rongeur. Son eff<strong>et</strong><br />

dans l’angiogenèse tumorale reste encore à préciser, même s’il semble que l’apéline<br />

soit exprimée dans les tumeurs (Sorli <strong>et</strong> al., Oncogène 2007). Le mécanisme<br />

d’action <strong>de</strong> l’apéline est complexe <strong>et</strong> pourrait impliquer l’angiopoïétine 1 <strong>et</strong> son<br />

récepteur Tie2. L’angiopoïétine induit l’expression d’apéline dans les vaisseaux<br />

<strong>de</strong>rmiques <strong>de</strong> souris transgéniques surexprimant l’angiopoïétine 1 dans le <strong>de</strong>rme.<br />

L’apéline pourrait contrôler l’assemblage <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules endothéliales <strong>et</strong> leur jonction<br />

intercellulaire par l’intermédiaire <strong>de</strong> protéines d’adhésion intercellulaires telles que<br />

VE-cadhérine <strong>et</strong> Claudin-5. Selon un travail récent (Kidoya <strong>et</strong> al. EMBO J., 2008),<br />

le système apéline serait impliqué dans la régulation du calibre vasculaire durant<br />

l’angiogenèse : le calibre <strong><strong>de</strong>s</strong> vaisseaux sanguins (notamment <strong><strong>de</strong>s</strong> vaisseaux <strong>de</strong>rmiques<br />

<strong>et</strong> trachéaux) est réduit chez les souris dont le gène <strong>de</strong> l’apéline a été inactivé.<br />

Le rôle physiologique du système apéline a été étudié chez <strong><strong>de</strong>s</strong> souris adultes<br />

dont le récepteur <strong>de</strong> l’apéline ou le gène <strong>de</strong> l’apéline a été inactivé par knock-out.<br />

Ishida <strong>et</strong> al. (J. Biol. Chem., 2004) ont montré que l’inactivation du récepteur <strong>de</strong><br />

l’apéline n’entraînait pas d’anomalie macroscopique <strong><strong>de</strong>s</strong> organes étudiés chez la<br />

souris adulte (vaisseaux, cœur, poumon, reins). La pression basale <strong>de</strong> ces animaux<br />

est normale mais les animaux APJ -/- ont une réponse pressive accrue à la perfusion<br />

d’angiotensine II, suggérant que l’apéline s’oppose à l’action vasopressive <strong>de</strong><br />

l’angiotensine II. C<strong>et</strong>te observation est à rapprocher <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> hypotenseur<br />

mo<strong><strong>de</strong>s</strong>te <strong>et</strong> transitoire <strong>de</strong> l’administration d’apéline par voie systémique. Deux<br />

autres expériences plai<strong>de</strong>nt en faveur d’une contre-régulation <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> hypertenseur


332 PIERRE CORVOL<br />

<strong>de</strong> l’angiotensine par le système apéline : en l’absence d’angiotensine II endogène<br />

(traitement par un inhibiteur <strong>de</strong> l’enzyme <strong>de</strong> conversion) ou en cas d’inactivation<br />

du récepteur <strong>de</strong> l’angiotensine II (animaux knock-out pour le récepteur AT 1), la<br />

perfusion d’angiotensine II entraîne une élévation <strong>de</strong> la pression artérielle plus<br />

importante chez les animaux dépourvus du récepteur APJ.<br />

L’eff<strong>et</strong> hypotenseur <strong>de</strong> l’apéline est médié par le monoxy<strong>de</strong> d’azote, NO. L’apéline<br />

se comporte comme un vasodilatateur artériel <strong>et</strong> veineux dont l’eff<strong>et</strong> dépend <strong>de</strong> la<br />

production <strong>de</strong> NO par l’endothélium. L’apéline est exprimée au niveau <strong>de</strong><br />

l’endothélium <strong><strong>de</strong>s</strong> artères coronaires, <strong>et</strong> l’apéline <strong>et</strong> son récepteur sont aussi présents<br />

dans les cellules musculaires lisses <strong>de</strong> ces artères. L’apéline est exprimée dans les<br />

oreill<strong>et</strong>tes ainsi qu’à un niveau plus faible son récepteur (Kleinz <strong>et</strong> al., Regul.<br />

Pepti<strong><strong>de</strong>s</strong>, 2004). L’apéline produite par les cellules endothéliales agit <strong>de</strong> façon<br />

autocrine en stimulant le récepteur APJ endothélial qui induit la production <strong>de</strong><br />

monoxy<strong>de</strong> d’azote, ce qui entraîne à son tour la vasodilatation. L’apéline agit<br />

également <strong>de</strong> façon paracrine sur les cellules musculaires lisses vasculaires sousjacentes<br />

<strong>de</strong> la paroi vasculaire. L’interaction avec le récepteur APJ entraîne alors<br />

une vasoconstriction. In vivo, l’apéline a une action tout à fait originale <strong>et</strong><br />

intéressante car elle entraîne à la fois une réduction <strong>de</strong> la précharge ventriculaire<br />

gauche <strong>et</strong> <strong>de</strong> la postcharge via une dilatation artérielle <strong>et</strong> veineuse. L’apéline exerce<br />

une action inotrope positive puissante directe in vitro <strong>et</strong> in vivo. Elle augmente la<br />

contractilité myocardique, ainsi que le débit cardiaque <strong>et</strong> la réserve contractile sans<br />

qu’il y ait toutefois <strong>de</strong> développement d’une hypertrophie cardiaque. C<strong>et</strong>te action<br />

inotrope positive s’observe sur le cœur sain <strong>et</strong> lors <strong>de</strong> l’insuffisance cardiaque<br />

(Hashley <strong>et</strong> al., Cardiovasc. Res. 2005).<br />

Les mécanismes intracellulaires <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> inotrope positif <strong>de</strong> l’apéline pourraient<br />

impliquer plusieurs effecteurs : l’augmentation <strong>de</strong> la sensibilité <strong><strong>de</strong>s</strong> cardiomyocytes<br />

au calcium intracellulaire, l’activation <strong>de</strong> l’échangeur sodium-proton via PLC <strong>et</strong><br />

PKC <strong>et</strong> l’activation indirecte <strong>de</strong> l’échangeur Na + /Ca ++ via l’activation <strong>de</strong> Na + /H + . Il<br />

n’existe pas d’anomalie cardiovasculaire apparente peu après la naissance chez la<br />

souris dont le gène <strong>de</strong> l’apéline a été inactivé dans l’étu<strong>de</strong> rapportée par Kuba <strong>et</strong> al.<br />

(Circ. Res. 2007). Toutefois, à six mois, on observe un développement progressif<br />

d’une altération <strong>de</strong> la fonction contractile cardiaque à type <strong>de</strong> dysfonction systolique,<br />

sans anomalie histologique cardiaque patente. Ces anomalies peuvent être corrigées<br />

par la perfusion d’apéline 1-13 chez l’animal pendant 2 semaines. De même, une<br />

insuffisance cardiaque s’observe chez la souris dont le gène <strong>de</strong> l’apéline a été inactivé<br />

lorsque l’on créé une surcharge <strong>de</strong> pression (bandage aortique), sans que l’on observe<br />

toutefois <strong>de</strong> modification <strong>de</strong> type hypertrophie cardiaque. L’apéline joue donc<br />

probablement un rôle dans l’adaptation <strong>de</strong> la contractilité cardiaque au <strong>cours</strong> du<br />

vieillissement <strong>et</strong> en cas <strong>de</strong> surcharge <strong>de</strong> pression. Ainsi, on peut faire l’hypothèse<br />

qu’une élévation compensatrice <strong>de</strong> l’apéline aurait lieu dans un premier temps lors<br />

<strong>de</strong> l’insuffisance cardiaque par surcharge <strong>de</strong> pression, suivie d’ une baisse secondaire<br />

du pepti<strong>de</strong> qui pourrait contribuer au développement <strong>de</strong> l’insuffisance cardiaque. Il<br />

pourrait en être <strong>de</strong> même chez l’homme. Une étu<strong>de</strong> du transcriptome du ventricule


MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 333<br />

gauche avant <strong>et</strong> après assistance circulatoire chez <strong><strong>de</strong>s</strong> patients en insuffisance<br />

cardiaque terminale a montré que le gène <strong>de</strong> l’apéline s’élève <strong>de</strong> façon marquée après<br />

transplantation cardiaque ou après assistance circulatoire (Chang <strong>et</strong> al., Circulation<br />

2003), au moment où la fonction cardiaque a été améliorée.<br />

L’apéline pourrait constituer une piste thérapeutique intéressante en pathologie<br />

cardiovasculaire car elle accroît la contractilité cardiaque en réduisant simultanément<br />

la pré- <strong>et</strong> <strong>de</strong> la post-charge ventriculaire. Ses eff<strong>et</strong>s inotropes positifs sont préservés<br />

au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’insuffisance cardiaque congestive expérimentale, elle a un eff<strong>et</strong><br />

cardioprotecteur lors <strong>de</strong> la souffrance myocardique aiguë <strong>et</strong> chronique <strong>et</strong> son<br />

administration n’entraîne pas d’hypertrophie cardiaque. Il serait donc intéressant<br />

d’étudier les eff<strong>et</strong>s régionaux <strong>et</strong> globaux <strong>de</strong> la perfusion <strong>de</strong> différents fragments<br />

d’apéline chez l’homme, travail qui n’a pas été réalisé à ce jour. De même, il<br />

apparaît utile <strong>de</strong> mesurer avec précision les taux d’apéline plasmatiques au <strong>cours</strong><br />

<strong>de</strong> l’insuffisance cardiaque. Les premiers <strong>travaux</strong> montreraient une élévation <strong>de</strong><br />

l’apéline plasmatique durant les premiers sta<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> l’insuffisance cardiaque puis<br />

une baisse au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’insuffisance cardiaque décompensée. Toutefois, les résultats<br />

publiés jusqu’à présent sont dans l’ensemble difficiles à interpréter du fait <strong>de</strong> la<br />

difficulté du dosage, <strong>de</strong> l’hétérogénéité <strong><strong>de</strong>s</strong> patients en insuffisance cardiaque <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

la nécessité <strong>de</strong> tenir compte <strong><strong>de</strong>s</strong> autres facteurs qui peuvent être impliqués dans les<br />

variations <strong><strong>de</strong>s</strong> taux d’apéline plasmatiques, telle que l’osmolalité plasmatique.<br />

L’apéline est abondante dans l’hypophyse <strong>et</strong> l’hypothalamus <strong>et</strong> est co-exprimée<br />

avec l’arginine vasopressine (AVP) dans les corps cellulaires du noyau supraoptique.<br />

Il existe une interaction entre système apélinergique <strong>et</strong> vasopressinergique : l’activité<br />

électrique phasique <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones AVP est diminuée par l’administration d’apéline<br />

par voie intracérébroventriculaire (De Mota <strong>et</strong> al., PNAS 2004). Ceci suggère que<br />

l’apéline pourrait être régulée <strong>de</strong> façon inverse à l’AVP par l’osmolalité. L’AVP s’élève<br />

au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’hyperosmolalité <strong>et</strong> négative la clairance <strong>de</strong> l’eau libre. L’apéline pourrait<br />

s’abaisser en cas d’hyperosmolalilé. Les premiers <strong>travaux</strong> ont montré qu’effectivement<br />

la déshydratation induit <strong><strong>de</strong>s</strong> variations inverses <strong><strong>de</strong>s</strong> taux d’apéline <strong>et</strong> d’AVP dans le<br />

plasma <strong>et</strong> l’hypothalamus chez le rat (De Mota <strong>et</strong> al., PNAS 2004). Un travail<br />

effectué chez l’homme sain a précisé les relations entre l’osmolalité plasmatique,<br />

l’apéline <strong>et</strong> l’AVP plasmatique. L’étu<strong>de</strong> a été réalisée dans <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions<br />

physiologiques, au <strong>cours</strong> d’une perfusion <strong>de</strong> serum salé hypertonique <strong>et</strong> au <strong>cours</strong><br />

d’une charge aqueuse afin <strong>de</strong> provoquer respectivement un état d’hyper- <strong>et</strong> d’hypoosmolalité<br />

plasmatique. C<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong> a montré pour la première fois que l’apéline<br />

était régulée par un stimulus osmolaire chez l’homme : l’hyperosmolalité induite<br />

par le serum salé hypertonique provoque une élévation du taux d’AVP <strong>et</strong> un<br />

abaissement du taux d’apéline. Toutefois, la volémie intervient aussi dans la<br />

régulation <strong>de</strong> l’apéline plasmatique. L’élévation <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 10 % du volume<br />

plasmatique entraîne une augmentation du taux d’apéline (Azizi <strong>et</strong> al., JASN 2008).<br />

L’apéline est donc régulée à la fois par <strong><strong>de</strong>s</strong> barorécepteurs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> volorécepteurs, <strong>de</strong><br />

façon indépendante <strong>de</strong> l’AVP. Ces résultats sont à rapprocher <strong>de</strong> ceux obtenus chez<br />

l’animal qui montrent que l’apéline joue un rôle dans l’homéostasie <strong><strong>de</strong>s</strong> volumes


334 PIERRE CORVOL<br />

sanguins au niveau central <strong>et</strong> rénal. Ils amènent à se poser <strong>de</strong> nouvelles questions :<br />

quel peut-être le rôle physiologique <strong>de</strong> l’élévation <strong>de</strong> l’apéline plasmatique <strong>et</strong> sa<br />

contribution à la diurèse ? ; quel est le mécanisme d’action <strong>de</strong> c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> (eff<strong>et</strong> anti-<br />

AVP, possible eff<strong>et</strong> intrarénal) ? ; quel pourrait être l’intérêt d’une classification <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

états d’hypo-osmolalité avec anomalie <strong>de</strong> concentration — dilution <strong><strong>de</strong>s</strong> urines par la<br />

mesure <strong><strong>de</strong>s</strong> taux d’apéline plasmatique ? quel serait l’intérêt <strong>de</strong> développer <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

agonistes ou <strong><strong>de</strong>s</strong> antagonistes <strong>de</strong> l’apéline sur le plan thérapeutique ?<br />

L’apéline doit être aussi considérée comme une adipokine. L’apéline est exprimée<br />

dans l’estomac <strong>et</strong> stimule la secrétion <strong>de</strong> cholécystokinine in vitro dans une lignée<br />

<strong>de</strong> cellules murines entéro-endocrine (Wang <strong>et</strong> al., Endocrinology, 2004). Toutefois,<br />

il n’est pas certain que l’apéline passe dans la lumière intestinale <strong>et</strong> qu’elle exerce<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s au niveau central. L’apéline est exprimée au niveau du tissu adipeux <strong>et</strong><br />

dans le stroma vasculaire. Son expression s’accroît durant la différenciation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

pré-adipocytes en adipocytes (Boucher <strong>et</strong> al., Endocrinology 2005). Les variations<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> taux plasmatiques d’apéline sont parallèles à ceux <strong>de</strong> l’insulinémie : chez la<br />

souris, l’apéline du tissu adipeux s’abaisse au <strong>cours</strong> du jeûne <strong>et</strong> s’élève durant<br />

la reprise alimentaire, <strong>de</strong> façon similaire à l’insuline. Les taux d’apéline plasmatique<br />

<strong>et</strong> dans le tissu adipeux <strong>et</strong> le plasma sont associés à un état d’obésité avec<br />

hyperinsulinémie chez la souris. In vitro, ainsi qu’in vivo, l’apéline pourrait<br />

participer à la régulation <strong>de</strong> la secrétion <strong>et</strong>/ou <strong>de</strong> la production d’insuline<br />

(Winzell <strong>et</strong> al., Regul. Pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> 2005). L’apéline, à dose pharmacologique, régule<br />

le métabolisme lipidique <strong>et</strong> l’adiposité chez la souris normale <strong>et</strong> obèse, sans eff<strong>et</strong><br />

apparent sur la prise <strong>de</strong> nourriture. Elle abaisse le taux d’insuline <strong>et</strong> les triglycéri<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

plasmatiques, stimule les protéines découplantes <strong>et</strong> augmente la dépense énergétique<br />

(Higuchi <strong>et</strong> al., Endocrinology 2007). En accord avec ces données chez l’animal,<br />

une élévation <strong><strong>de</strong>s</strong> taux d’apéline chez les patients obèses avec hyperinsulinisme a<br />

été constatée chez l’homme (Boucher <strong>et</strong> al., Endocrinology 2005). L’élévation <strong>de</strong><br />

l’apéline pourrait être une réponse adaptative aux anomalies liées à l’obésité ou<br />

encore être corrélée à l’augmentation <strong>de</strong> la masse adipocytaire.<br />

Ce <strong>cours</strong> a tenté <strong>de</strong> faire le point sur le système apélinergique, un nouveau<br />

système impliqué dans différentes fonctions : cardiovasculaire, métabolisme<br />

énergétique <strong>et</strong> hydrominéral, <strong>et</strong>c. L’apéline joue un rôle dans le développement<br />

cardiovasculaire chez le poisson zèbre, le Xénope. Elle exerce <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s bénéfiques<br />

sur la fonction cardiovasculaire (eff<strong>et</strong> inotrope positif avec action vasodilatrice dans<br />

les territoires artériel <strong>et</strong> veineux). Elle s’oppose à l’action <strong>de</strong> la vasopressine <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l’angiotensine II. Par ailleurs, l’apéline est élevée au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’insuffisance cardiaque<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’obésité chez l’homme. Il reste à savoir si c<strong>et</strong>te augmentation correspond à<br />

un rôle causal direct ou indirect <strong>de</strong> l’apéline dans le mécanisme <strong>de</strong> ces affections.<br />

Actuellement, la recherche sur l’apéline souffre du manque d’agonistes <strong>et</strong><br />

d’antagonistes peptidiques ou, mieux encore, non peptidiques <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te molécule.<br />

Peu <strong>de</strong> choses sont connues sur l’origine <strong>de</strong> l’apéline plasmatique, sur ses mécanismes<br />

<strong>de</strong> dégradation <strong>et</strong> d’élimination. Les connaissances sur les fragments spécifiques <strong>de</strong><br />

l’apéline (apéline 36, 17, 13) sont rudimentaires. Des inhibiteurs <strong>de</strong> la dégradation


MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 335<br />

<strong>de</strong> l’apéline pourraient perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> potentialiser les différents pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> d’éluci<strong>de</strong>r<br />

leurs eff<strong>et</strong>s en physiopathologie.<br />

En résumé, l’apéline est un pepti<strong>de</strong> à eff<strong>et</strong> pléïotropique, comme l’angiotensine<br />

II dont elle semble contrecarrer certains <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s. Ce système découvert il y a<br />

quelques dix ans, apparaît promoteur tant sur une vue intégrée <strong>de</strong> la fonction<br />

cardiovasculaire que sur les possibles applications en thérapeutique.<br />

Rapport d’activité du laboratoire<br />

I — Contrôle moléculaire du développement vasculaire<br />

Équipe : A. Eichmann, L. Pardanaud, F. Lebrin, C. Freitas, S. Sutching,<br />

E. Jones, B. Larrivée, R. Del-Toro Estevez, I. Brun<strong>et</strong>, Y. Xu, K. Bouvrée,<br />

T. Mathiv<strong>et</strong>, A. Jabouille, C. Bréant, L. Pibouin<br />

1. Discrimination entre défauts génétiques <strong>et</strong> hémodynamiques<br />

chez <strong><strong>de</strong>s</strong> mutants du récepteur <strong>de</strong> la neuropiline-1<br />

La délétion <strong>de</strong> gènes importants pour le développement vasculaire provoque<br />

souvent <strong><strong>de</strong>s</strong> anomalies du flux sanguin. Puisque les forces hémodynamiques sont<br />

importantes dans l’acquisition <strong>de</strong> la forme <strong><strong>de</strong>s</strong> vaisseaux, la présence <strong>de</strong> défauts<br />

dans le flux sanguin empêche souvent la mise en évi<strong>de</strong>nce précise du rôle du<br />

produit du gène muté. Nous avons développé un système simple pour distinguer<br />

les défauts du flux sanguin <strong>de</strong> ceux dus à la perte <strong>de</strong> fonction du récepteur <strong>de</strong> la<br />

neuropiline-1 chez la souris (Jones E. <strong>et</strong> al., Development, 2008). Notre analyse<br />

d’embryons <strong>de</strong> souris homozygotes pour une délétion <strong>de</strong> ce récepteur a montré<br />

que <strong><strong>de</strong>s</strong> défauts dans le remo<strong>de</strong>lage du système vasculaire du sac vitellin apparaissent<br />

au moment <strong>de</strong> la mise en place du flux sanguin. Pour distinguer les défauts induits<br />

par la perte <strong>de</strong> fonction <strong>de</strong> la Neuropiline-1 <strong>de</strong> ceux secondaires à une perfusion<br />

anormale, nous avons cultivés les embryons ex utero en absence <strong>de</strong> flux sanguin.<br />

Ces embryons ‘no flow’ ont été créés en pratiquant une incision au niveau du cœur<br />

qui empêche la circulation embryonnaire. Les embryons peuvent survivre jusqu’à<br />

24 heures dans une chambre rotative <strong>et</strong> leur réseau vasculaire est analysé par<br />

marquage immunohistochimique. Nous avons observé que les défauts du<br />

développement du réseau vasculaire chez les embryons neuropiline-1 KO se<br />

développaient en absence <strong>de</strong> flux sanguin. De plus, l’injection d’un anticorps<br />

bloquant la liaison du VEGF à la neuropiline-1 dans <strong><strong>de</strong>s</strong> embryons sauvages<br />

reproduisait les anomalies du développement vasculaire. Une analyse <strong>de</strong> la migration<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> cellules endothéliales a montré que les cellules <strong><strong>de</strong>s</strong> embryons knockout étaient<br />

incapables <strong>de</strong> migrer à travers la matrice extracellulaire mais restaient piégées dans<br />

les vaisseaux déjà formés, formant ainsi <strong><strong>de</strong>s</strong> vaisseaux anormalement élargis <strong>et</strong><br />

dépourvus <strong>de</strong> points <strong>de</strong> branchement.


336 PIERRE CORVOL<br />

Ces données montrent que les défauts du développement vasculaire chez les<br />

embryons neuropiline-1 knockout sont causés par la perte <strong>de</strong> fonction du récepteur<br />

<strong>et</strong> ne sont pas secondaires à une perfusion vasculaire anormale. Ce système<br />

relativement simple peut être appliqué aux nombreux mutants chez lesquels <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

défauts hémodynamiques sont suspectés.<br />

2. Contrôle moléculaire du guidage <strong><strong>de</strong>s</strong> capillaires : sélection <strong><strong>de</strong>s</strong> ‘tip cells’<br />

L’angiogenèse par bourgeonnement procè<strong>de</strong> <strong>de</strong> manière analogue à la<br />

morphogenèse <strong><strong>de</strong>s</strong> tubes épithéliaux <strong>de</strong> la trachée chez la Drosophile. Pendant ce<br />

processus, <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules uniques sont sélectionnées pour former le ‘tip’ (l’extrémité)<br />

d’un bourgeon ; ces cellules répon<strong>de</strong>nt au facteur FGF (branchless) par une extension<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> filopo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> prennent la tête du bourgeon croissant. Les cellules situées en arrière<br />

suivent, mais ne <strong>de</strong>viennent pas ‘tip’. Ni les tip cells, ni les autres cellules ne sont préspécifiées,<br />

mais il y a une compétition entre plusieurs cellules afin que celles<br />

présentant le plus fort taux d’activité du récepteur FGF prennent la tête, alors que<br />

celles ayant une activité moindre prennent la suite. C<strong>et</strong>te compétition implique une<br />

inhibition latérale médiée par Notch qui empêche <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules surnuméraires <strong>de</strong><br />

prendre la tête du bourgeon (Ghabrial & Krasnow, 2006, Nature 441 : 746-9).<br />

La sélection <strong><strong>de</strong>s</strong> ‘tip cells’ dans le système vasculaire est sous contrôle <strong>de</strong> voies <strong>de</strong><br />

signalisation similaires. Les cellules tip à la tête <strong><strong>de</strong>s</strong> capillaires en bourgeonnement<br />

sont induites par la mise en jeu du VEGF via son récepteur VEGFR2<br />

(Gerhardt <strong>et</strong> al., 2003, J Cell Biol 161 : 1163-77). Les cellules tip expriment aussi<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> taux importants <strong>de</strong> Delta-like 4 (Dll4), un ligand <strong>de</strong> Notch. L’expression <strong>de</strong><br />

Dll4 est en aval <strong>de</strong> la signalisation du VEGF, puisque le blocage <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te signalisation<br />

par un bloqueur du VEGF, le VEGFR soluble, diminue l’expression <strong>de</strong> DLL4<br />

dans les tip cells. L’inactivation génique d’un allèle <strong>de</strong> dll4 chez la souris provoque<br />

une formation excessive <strong>de</strong> tip cells dans le réseau capillaire <strong>de</strong> la rétine<br />

(Suchting S. <strong>et</strong> al., PNAS 2007 ; Suchting S. <strong>et</strong> al., Med. Sci. 2007). Un phénotype<br />

similaire est obtenu après inactivation pharmacologique <strong>de</strong> Notch au moyen<br />

d’inhibiteurs <strong><strong>de</strong>s</strong> γ-sécrétases ou après la délétion endothélial-spécifique inductible<br />

du récepteur Notch-1 (Hellström <strong>et</strong> al., 2007, Nature 445 : 776-80). L’inactivation<br />

<strong>de</strong> dll4 s’accompagne d’un changement du taux d’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs du<br />

VEGF (Tammela T. <strong>et</strong> al., Nature 2008), indiquant que DLL4 régule négativement<br />

la réponse <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules endothéliales au VEGF <strong>et</strong> agit comme un frein <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

signalisation, contrôlant ainsi la formation d’un nombre limité <strong>de</strong> tip cells.<br />

3. Facteurs <strong>de</strong> guidage <strong><strong>de</strong>s</strong> axones dans le système vasculaire<br />

Le bourgeonnement <strong><strong>de</strong>s</strong> capillaires partage <strong><strong>de</strong>s</strong> similarités avec celle du guidage<br />

axonal. Comme les tip cells situées en tête <strong><strong>de</strong>s</strong> capillaires, les cônes <strong>de</strong> croissances<br />

situés à l’extrémité <strong>de</strong> l’axone éten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> nombreux filopo<strong><strong>de</strong>s</strong> qui répon<strong>de</strong>nt aux<br />

facteurs <strong>de</strong> guidage présentes dans l’environnement, y compris les Nétrines. Parmi<br />

les récepteurs <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs <strong>de</strong> guidage axonal, plusieurs ont une expression restreinte


MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 337<br />

aux vaisseaux sanguins. Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’évolution <strong>et</strong> <strong>de</strong> la diversification <strong>de</strong> ces<br />

familles, l’expression d’un certain nombre <strong>de</strong> récepteurs a donc été annexée par le<br />

système vasculaire. Parmi les récepteurs <strong>de</strong> la Nétrine-1, UNC5B est exprimé<br />

sélectivement dans les cellules endothéliales, y compris dans les tip cells. Des étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>de</strong> perte <strong>de</strong> fonction par délétion <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes codant pour ces récepteurs chez la<br />

souris montrent que leur fonction <strong>de</strong> récepteur <strong>de</strong> guidage est conservée dans leur<br />

nouvel environnement tissulaire : les souris déficientes en unc5b ont une arborisation<br />

vasculaire aberrante aussi bien pendant la vie embryonnaire que pendant la<br />

néovascularisation induite expérimentalement chez l’adulte (Larrivée B. <strong>et</strong> al.,<br />

Gene & Dev. 2007). La possibilité <strong>de</strong> diriger la croissance vasculaire pourrait avoir<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> implications thérapeutiques importantes. En eff<strong>et</strong>, le traitement par la Nétrine-1<br />

empêche la progression <strong>de</strong> ‘tip’ capillaires exprimant unc5b lors <strong>de</strong> la<br />

néovascularisation tumorale chez la souris (Larrivée B. <strong>et</strong> al., Gene & Dev. 2007).<br />

L’expression vasculaire d’unc5b est conservé au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’évolution chez la souris<br />

<strong>et</strong> le poul<strong>et</strong> (Bouvrée K. <strong>et</strong> al., Dev. Biol. 2008) <strong>et</strong> son rôle comme récepteur <strong>de</strong><br />

guidage répulsif empêchant une vascularisation excessive semble aussi conservé<br />

(Bouvrée K. <strong>et</strong> al., Dev. Biol. 2008 ; Freitas C. <strong>et</strong> al., Angiogenesis 2008 ;<br />

Suchting S. <strong>et</strong> al., Novartis Fund. Symp. 2008).<br />

II — Hypoxie, angiogenèse : protéines matricielles en pathologie<br />

cardiovasculaire <strong>et</strong> tumorale<br />

Équipe : S. Germain, C. Monnot, L. Muller, A. Barr<strong>et</strong>,<br />

C. Ardidie-Robouant, J. Philippe, E. Etienne, E. Gomez, A. Cazes,<br />

A. Galaup, N. Bréchot, J. Verine, C. Chomel, M. Bignon, S. Gauvrit,<br />

M. Durand<br />

Moduler l’angiogenèse, la formation <strong>de</strong> nouveaux vaisseaux sanguins à partir <strong>de</strong><br />

vaisseaux préexistants, est une approche thérapeutique prom<strong>et</strong>teuse dans <strong>de</strong><br />

nombreuses situations pathophysiologiques, notamment dans les cancers <strong>et</strong><br />

les ischémies cardiovasculaires. L’hypoxie est un stimulus majeur <strong>de</strong> l’angiogenèse.<br />

Le but <strong>de</strong> notre équipe est i) la recherche <strong>de</strong> nouveaux gènes par <strong>de</strong>ux approches<br />

complémentaires, transcriptomique <strong>et</strong> protéomique <strong>et</strong> ii) l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> leur rôle au<br />

<strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’hypoxie cellulaire ou tissulaire ainsi que dans la régulation <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes<br />

étapes <strong>de</strong> l’angiogenèse réactionnelle.<br />

C<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong> a été initiée par le criblage différentiel <strong><strong>de</strong>s</strong> ARNm (cDNA RDA) <strong>de</strong><br />

cellules endothéliales soumises à un stress hypoxique par rapport aux mêmes<br />

cellules cultivées en condition témoin (normoxie). Trois cent gènes dont l’expression<br />

est induite par l’hypoxie ont été i<strong>de</strong>ntifiés. Les résultats <strong>de</strong> ce criblage ont été<br />

vérifiés par <strong><strong>de</strong>s</strong> approches complémentaires telles que l’hybridation <strong>de</strong> puces cDNA,<br />

sur lesquelles ont été immobilisés les cDNAs issus du criblage (en collaboration<br />

avec l’INSERM U533). L’analyse statistique <strong><strong>de</strong>s</strong> puces nous a permis <strong>de</strong> vérifier <strong>de</strong><br />

façon globale l’induction par l’hypoxie d’une majorité <strong>de</strong> gènes issus du criblage <strong>et</strong><br />

d’i<strong>de</strong>ntifier <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes dont les rôles dans les mécanismes <strong>de</strong> régulation <strong>de</strong><br />

l’angiogenèse par l’hypoxie ne sont pas caractérisés : l’IGF-Binding Protein 3, la


338 PIERRE CORVOL<br />

neuritine <strong>et</strong> la Thioredoxin-interacting protein. L’hybridation in situ nous a permis<br />

<strong>de</strong> caractériser l’expression <strong>de</strong> ces gènes apportant ainsi la preuve <strong>de</strong> la validité du<br />

criblage <strong>et</strong> la pertinence <strong>de</strong> certains marqueurs dans les tissus hypoxiques <strong>et</strong><br />

angiogéniques (Le Jan, 2006).<br />

Afin d’étudier la fonction <strong>de</strong> certains <strong>de</strong> ces gènes, les critères <strong>de</strong> choix suivants<br />

ont été appliqués : 1) constituent-ils <strong><strong>de</strong>s</strong> marqueurs <strong>de</strong> pathologies (ischémie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

membres inférieurs ou cancer) ? 2) Sont-ils <strong><strong>de</strong>s</strong> cibles thérapeutiques potentielles<br />

(protéines sécrétées ou récepteurs) ? 3) Comment sont-ils susceptibles <strong>de</strong> moduler<br />

la réponse angiogénique ? tsp1 <strong>et</strong> angptl4, d’une part, étaient les gènes dont<br />

l’expression était la plus fortement induite, à la fois après criblage cDNA RDA <strong>et</strong><br />

analyse <strong>de</strong> puces cDNA, <strong>et</strong> d’autre part, présentaient, le profil d’expression le plus<br />

convainquant sur <strong><strong>de</strong>s</strong> pièces d’amputation <strong>de</strong> patients souffrant d’ischémie critique<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> membres inférieurs ainsi que dans les pathologies tumorales (Le Jan, 2003).<br />

Nos efforts se sont donc concentrés sur l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la fonction d’Angiopoi<strong>et</strong>in-like<br />

4 (ANGPTL4) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la thrombospondine-1 (TSP1).<br />

ANGPTL4 appartient à la famille <strong><strong>de</strong>s</strong> angiopoiétines, protéines impliquées dans la<br />

maturation <strong>et</strong> la stabilisation <strong><strong>de</strong>s</strong> vaisseaux ainsi que dans le développement du<br />

système. Nous avons montré que l’expression <strong>de</strong> ce gène est induite par l’hypoxie<br />

dans les cellules endothéliales. L’ARNm d’ANGPTL4 est aussi exprimé spécifiquement<br />

dans les cellules tumorales <strong><strong>de</strong>s</strong> cancers conventionnels du rein (ou à cellules claires)<br />

pour lesquels ce gène constitue un marqueur diagnostique (Le Jan, 2003). Puis, nous<br />

avons montré qu’ANGPTL4 est une protéine sécrétée dans les cultures primaires <strong>de</strong><br />

cellules endothéliales humaines issues <strong>de</strong> macro- ou <strong>de</strong> microvaisseau <strong>et</strong> soumises à<br />

l’hypoxie. Elle est présente sous <strong>de</strong>ux formes distinctes : 1- ANGPTL4 soluble,<br />

présente dans le milieu <strong>de</strong> culture <strong>et</strong> soumise à une protéolyse extracellulaire (forme<br />

longue <strong>de</strong> 55 kDa <strong>et</strong> protéolysée <strong>de</strong> 35 kDa) 2- ANGPTL4 matricielle, associée à la<br />

matrice extracellulaire subendothéliale <strong>et</strong> non protéolysée (55 kDa). C<strong>et</strong>te forme<br />

matricielle interagit très fortement avec la matrice extracellulaire, en particulier par<br />

l’intermédiaire <strong><strong>de</strong>s</strong> héparanes sulfates protéoglycans. In vivo, une accumulation <strong>de</strong> la<br />

forme entière d’ANGPTL4 est observée dans les muscles ischémiques dans un modèle<br />

murin d’ischémie <strong>de</strong> patte (ligature-excision <strong>de</strong> l’artère fémorale) suggérant<br />

qu’ANGPTL4 pourrait exercer un rôle modulateur <strong>de</strong> l’angiogenèse sur les cellules<br />

<strong>de</strong> la paroi vasculaire dans un contexte hypoxique. Les analyses fonctionnelles réalisées<br />

in vitro ont confirmé c<strong>et</strong>te hypothèse. L’interaction matricielle d’ANGPTL4 participe<br />

à la constitution d’un réservoir <strong>de</strong> molécules bioactives qui inhibe la migration <strong>et</strong><br />

l’adhésion <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules endothéliales, au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> processus hypoxiques. Ces<br />

évènements s’accompagnent d’un étalement intermédiaire <strong><strong>de</strong>s</strong> HUVEC, associé à<br />

une modification du cytosquel<strong>et</strong>te objectivée par une diminution <strong><strong>de</strong>s</strong> fibres <strong>de</strong> stress<br />

<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> points focaux d’adhésion. Enfin, ANGPTL4 matricielle inhibe le<br />

bourgeonnement endothélial <strong>et</strong> la formation <strong>de</strong> tubes (Cazes, 2006).<br />

ANGPTL4, étant induit par l’hypoxie <strong>et</strong> interagissant avec la matrice<br />

extracellulaire, pourrait modifier le micro-environnement tumoral <strong>et</strong> ainsi affecter


MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 339<br />

les cellules tumorales mais aussi les cellules endothéliales intratumorales. La<br />

technique d’électrotransfert d’ADN a été utilisée pour exprimer ANGPTL4 in vivo<br />

chez la souris. Nous avons montré, en collaboration avec l’UMR 8121 IGR, que<br />

les cellules <strong>de</strong> carcinome pulmonaire 3LL xénogreffées sous la peau <strong>de</strong> souris <strong>et</strong> les<br />

cellules <strong>de</strong> mélanome murin B16F0 injectées dans le sinus rétro-orbital, développent<br />

moins <strong>de</strong> métastases pulmonaires chez les souris électrotransférées avec ANGPTL4<br />

que dans les souris contrôle. Les cellules B16 forment <strong><strong>de</strong>s</strong> nodules qui restent<br />

intravasculaires au niveau pulmonaire, montrant qu’ANGPTL4 inhibe aussi le<br />

processus d’extravasation. De plus, ANGPTL4 inhibe la perméabilité vasculaire<br />

dans un test <strong>de</strong> Miles en réponse à l’histamine. In vitro, l’expression d’ANGPTL4<br />

par les cellules B16 inhibe leurs propriétés <strong>de</strong> migration, d’invasion <strong>et</strong> d’adhésion.<br />

Ces phénomènes s’accompagnent d’une désorganisation du cytosquel<strong>et</strong>te d’actine<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> cellules exprimant ANGPTL4. La formation <strong>de</strong> points focaux d’adhésion est<br />

aussi fortement réduite. Ces résultats montrent qu’ANGPTL4 inhibe les processus<br />

métastatiques en affectant la perméabilité vasculaire <strong>et</strong> les propriétés <strong>de</strong> motilité <strong>et</strong><br />

d’invasion <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules tumorales (Galaup, 2006).<br />

Il est maintenant important <strong>de</strong> déterminer les caractéristiques moléculaires <strong>et</strong><br />

fonctionnelles <strong>de</strong> l’interaction d’ANGPTL4 avec la matrice extracellulaire, la<br />

modulation <strong>de</strong> ces interactions pouvant contrôler la biodisponibilité d’ANGPTL4<br />

dans les pathologies ischémiques tumorales comme cardiovasculaires (Chomel, 2008<br />

soumis). Les analyses <strong><strong>de</strong>s</strong> cibles moléculaires (récepteurs, intégrines) <strong>et</strong> cellulaires<br />

(cellules <strong>de</strong> la paroi vasculaire ou cellules tumorales) ainsi que l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> souris<br />

invalidées pour le gène (angptl4 KO), disponibles au laboratoire, est en <strong>cours</strong>.<br />

Dans le cadre d’un réseau INSERM dédié à l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules souches, nous<br />

étudions le transcriptome ainsi que les propriétés angiogéniques <strong>de</strong> progéniteurs<br />

endothéliaux circulants adultes (Smadja, 2007) <strong>et</strong> (Smadja, 2008 soumis).<br />

L’objectif <strong>de</strong> l’équipe est aussi d’analyser les modifications du microenvironnement<br />

vasculaire dans un contexte hypoxique, par une analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines <strong>de</strong> la matrice<br />

extracellulaire produite par les cellules endothéliales in vitro. Les processus<br />

angiogéniques s’accompagnent d’un profond remo<strong>de</strong>lage matriciel qui consiste<br />

aussi bien en la dégradation <strong>de</strong> la matrice extracellulaire en place qu’en<br />

l’établissement d’une matrice provisoire associée aux phénomènes dynamiques <strong>de</strong><br />

migration cellulaire, puis à la formation d’une lame basale perm<strong>et</strong>tant la stabilisation<br />

du vaisseau néoformé. Le remo<strong>de</strong>lage matriciel résulte donc à la fois <strong><strong>de</strong>s</strong> variations<br />

d’expression <strong>de</strong> gènes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> modifications post-traductionnelles <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines<br />

exprimées. Dans ce contexte, il est important d’analyser le « sous-protéome »<br />

matriciel <strong>et</strong> en particulier l’expression <strong>de</strong> certains constituants matriciels, notamment<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> protéines matricellulaires auxquelles ANGPTL4 est apparentée. Les cellules<br />

endothéliales expriment effectivement certains membres <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te famille tels que<br />

les CCN (Cyr61, Nov <strong>et</strong> CTGF), ostéonectine (SPARC) ou la thrombospondine 1<br />

(TSP1) <strong>et</strong> IGFBP3. Le profil d’expression <strong>de</strong> Cyr61, Nov, TSP1 <strong>et</strong> ANGPTL4 a<br />

été établi au laboratoire dans le milieu <strong>de</strong> sécr<strong>et</strong>ion <strong>et</strong> la MEC <strong>de</strong> cultures primaires


340 PIERRE CORVOL<br />

d’HUVEC (Cazes, 2006). De plus, l’expression <strong>de</strong> la TSP1 in vivo est analysée<br />

dans les tissus ischémiques du modèle murin <strong>de</strong> patte ligaturée. Les conséquences<br />

fonctionnelles <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te expression sont en <strong>cours</strong> dans le modèle <strong>de</strong> la patte<br />

ischèmique chez les souris sauvages <strong>et</strong> les souris invalidées pour le gène (tsp1 KO)<br />

(Bréchot, 2008 soumis).<br />

Parallèlement à c<strong>et</strong>te caractérisation <strong>de</strong> protéines matricellulaires candidates, une<br />

approche protéomique différentielle, sans a priori, a été réalisée par séparation en<br />

électrophorèse bidimensionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines <strong>de</strong> la MEC <strong>de</strong> cultures primaires <strong>de</strong><br />

cellules endothéliales <strong>de</strong> micro- <strong>et</strong> macrovaisseaux cultivées en normoxie ou<br />

hypoxie. C<strong>et</strong>te approche perm<strong>et</strong> l’analyse <strong>de</strong> facteurs bioactifs associés aux<br />

composants structuraux <strong>de</strong> la MEC. Ainsi, nous avons i<strong>de</strong>ntifié par spectrométrie<br />

<strong>de</strong> masse <strong><strong>de</strong>s</strong> protéases <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> enzymes <strong>de</strong> pontage <strong>et</strong> <strong>de</strong> réticulation <strong>de</strong> la MEC.<br />

Certaines <strong>de</strong> ces protéines sont accumulées dans la MEC subendothéliale hypoxique,<br />

en association avec <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux <strong>de</strong> collagènes <strong>et</strong> <strong>de</strong> laminines. L’expression <strong>de</strong> ces<br />

protéines est aussi fortement augmentée dans les tissus ischémiques <strong>de</strong> pattes <strong>de</strong><br />

souris ligaturées. Les analyses <strong>de</strong> ces protéines <strong>de</strong> pontage <strong>de</strong> la MEC se poursuivent<br />

afin <strong>de</strong> déterminer leur rôle dans le remo<strong>de</strong>lage matriciel <strong>et</strong> les réponses<br />

angiogéniques <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules vasculaires.<br />

L’ensemble <strong>de</strong> ces <strong>travaux</strong> perm<strong>et</strong>tra <strong>de</strong> caractériser l’action concertée <strong>de</strong> protéines<br />

matricielles régulées par l’hypoxie, contribuant aux modifications du microenvironnement<br />

<strong>et</strong> impliquées dans les processus angiogéniques.<br />

III — Angiogenèse normale <strong>et</strong> pathologique<br />

Équipe : P. Corvol, G. Nguyen, C. Hubert, J-M. Gasc, H. Kempf,<br />

N. Lamandé, A. Michaud, I. Queguiner, M. Clemessy, A. Bessonnat,<br />

E. Larger, S. Ledoux, F. Vincent, A. Caillard, S. Cal<strong>de</strong>rari, C. Cousin,<br />

D. Bracquard, C. Chougn<strong>et</strong>, M. Fysekidis, M. Leroux-Berger, J. Sainz<br />

L’équipe « Angiogenèse normale <strong>et</strong> pathologique » s’intéresse à différents suj<strong>et</strong>s<br />

<strong>de</strong> recherche : 1) le rôle du système rénine-angiotensine dans la régulation du<br />

système cardiovasculaire <strong>et</strong> la fonction rénale ; 2) la genèse <strong><strong>de</strong>s</strong> calcifications<br />

vasculaires <strong>et</strong> 3) l’angiogenèse du pancréas au <strong>cours</strong> du développement embryonnaire<br />

<strong>et</strong> son implication éventuelle dans le diabète. Seuls seront brièvement rapportés ici<br />

les <strong>de</strong>ux premiers suj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> recherche, le <strong>de</strong>rnier étant encore au sta<strong>de</strong> d’élaboration<br />

<strong>de</strong> programme <strong>de</strong> recherche.<br />

1. Système rénine-angiotensine<br />

a) Activation constitutive du récepteur <strong>de</strong> l’angiotensine II<br />

Le rôle du système rénine-angiotensine a été essentiellement étudié par la<br />

surexpression ou l’inactivation <strong>de</strong> ses différents composants chez l’animal. Il n’existait<br />

pas jusqu’à présent <strong>de</strong> données concernant les eff<strong>et</strong>s d’une activation constitutive <strong>de</strong><br />

l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes <strong>de</strong> ce système. Le laboratoire avait montré qu’il était possible <strong>de</strong> créer


MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 341<br />

une activation constitutive du récepteur AT 1 <strong>de</strong> l’angiotensine II (AT 1R) in vitro en<br />

associant une mutation ponctuelle (N111S) <strong>et</strong> une délétion <strong>de</strong> l’extrémité<br />

C-terminale intra-cytoplasmique. Dans ces conditions, le récepteur AT 1R est<br />

spontanément activé, même en l’absence d’angiotensine II, <strong>et</strong> n’est que partiellement<br />

internalisé <strong>et</strong> désensibilisé (Bill<strong>et</strong> S. <strong>et</strong> al., J. Clin. Invest. 2007). Afin <strong>de</strong> connaître<br />

les conséquences physiologiques d’une telle activation, un modèle knock-in <strong>de</strong><br />

souris a été réalisé. Le récepteur constitutivement activé remplace le récepteur AT 1R.<br />

Les données in vivo sont en accord avec celles observées in vitro : la réponse<br />

hypertensive <strong>et</strong> la durée <strong>de</strong> l’élévation <strong>de</strong> la pression artérielle sous angiotensine II<br />

sont plus marquées que chez les animaux sauvages. Les souris chez qui AT 1R<br />

est constitutivement activé développent une discrète hypertension artérielle<br />

(+ 20 mmHg), avec une n<strong>et</strong>te fibrose au niveau cardiaque <strong>et</strong> rénal. Ceci suggère<br />

que la fibrose dans ce cas n’est pas seulement liée à l’élévation <strong>de</strong> la pression<br />

artérielle, somme toute mo<strong><strong>de</strong>s</strong>te, mais à l’activation locale du système rénineangiotensine.<br />

Les données hormonologiques (rénine plasmatique basse, aldostérone<br />

paradoxalement à <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs « normales », compte tenu <strong>de</strong> l’abaissement du taux <strong>de</strong><br />

rénine) sont similaires à celles observées dans un groupe d’hypertendus catégorisé<br />

comme à rénine basse <strong>et</strong> aldostérone normale. Ce nouveau modèle expérimental<br />

s’avère utile pour préciser le rôle <strong>de</strong> l’angiotensine II dans les organes cibles dans un<br />

contexte proche <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> certaines formes d’hypertension humaine (S. Bill<strong>et</strong> <strong>et</strong> al.,<br />

J. Clin. Invest. 2007).<br />

b) Enzyme <strong>de</strong> conversion <strong>de</strong> l’angiotensine (ACE). Rôle du domaine C-terminal<br />

<strong>et</strong> phylogénie<br />

Rôle du domaine C-terminal. L’ACE joue un rôle central dans le système rénineangiotensine<br />

car il convertit l’angiotensine I, inactive, en un octapepti<strong>de</strong> actif,<br />

l’angiotensine II. Par ailleurs, l’ACE inactive la bradykinine, un pepti<strong>de</strong><br />

vasodilatateur <strong>et</strong> natriurétique. Il existe <strong>de</strong>ux sites, catalytique dans l’ACE, l’un<br />

appelé N-terminal <strong>et</strong> l’autre C-terminal. Ces <strong>de</strong>ux sites N- <strong>et</strong> C-terminaux<br />

catalysent tous <strong>de</strong>ux ces réactions enzymatiques in vitro mais leur rôle respectif<br />

in vivo n’a jamais pu être évalués, faute d’inhibiteurs puissants <strong>et</strong> sélectifs. En<br />

collaboration avec K. Bernstein (Emory Univ., Atlanta, USA), nous avons créé une<br />

série <strong>de</strong> souris génétiquement modifiées pour le gène <strong>de</strong> l’ACE. Le domaine<br />

N-terminal a été inactivé sélectivement <strong>et</strong> un knock-in réalisé. Aucun phénotype<br />

patent n’a été observé, ce qui laissait suggérer que le domaine C-terminal suffisait<br />

à assurer l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés physiologiques <strong>de</strong> l’ACE (Fuchs S. <strong>et</strong> al., J. Biol.<br />

Chem. 2004).<br />

Afin <strong>de</strong> répondre à c<strong>et</strong>te question, <strong><strong>de</strong>s</strong> souris chez qui le site catalytique du domaine<br />

C-terminal a été inactivé ont été créées (knock-in). De telles souris produisent un<br />

ACE dans les tissus somatiques <strong>et</strong> germinaux comme chez les souris sauvages. Elles<br />

ne possè<strong>de</strong>nt qu’un site N-terminal actif. Elles ont une pression artérielle <strong>et</strong> une<br />

fonction rénale apparemment proches <strong>de</strong> celles <strong><strong>de</strong>s</strong> souris sauvages. Toutefois, la<br />

régulation <strong>de</strong> la pression artérielle est maintenue grâce à une stimulation intense <strong>de</strong>


342 PIERRE CORVOL<br />

la production rénale <strong>de</strong> rénine, ce qui suggère que le domaine N-terminal ne peut<br />

compenser par lui seul l’activité du domaine C-terminal. De même, si la fonction<br />

rénale apparaît normale en situation physiologique habituelle, les souris dont le<br />

domaine C-terminal <strong>de</strong> l’ACE est inactif ne peuvent pas concentrer <strong>de</strong> façon<br />

satisfaisante leurs urines lorsqu’elles sont soumises à une déshydratation. Ces résultats<br />

montrent que le domaine C-terminal est le principal site <strong>de</strong> clivage in vivo <strong>de</strong><br />

l’angiotensine I. Par ailleurs, les souris dépourvues d’un site catalytique C-terminal<br />

actif sont infertiles, ce qui montre le rôle <strong>de</strong> l’activité enzymatique <strong>de</strong> l’ACE<br />

testiculaire dans la fertilité masculine (S. Fuchs <strong>et</strong> al., Hypertension 2008).<br />

Présence d’une enzyme <strong>de</strong> conversion <strong>de</strong> l’angiotensine active<br />

chez une bactérie.<br />

L’ACE est présente dans plusieurs espèces d’invertébrés alors même que ces<br />

espèces sont dépourvues <strong><strong>de</strong>s</strong> autres constituants du système rénine-angiotensine.<br />

L’ACE chez les insectes <strong>et</strong> la sangsue sont <strong><strong>de</strong>s</strong> ACE possédant un seul site catalytique<br />

(à l’inverse <strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés chez qui existent <strong>de</strong>ux sites catalytiques) <strong>et</strong> dépourvues<br />

d’une pièce hydrophobe d’ancrage transmembranaire. L’ACE pourrait jouer un<br />

rôle dans la reproduction chez les insectes.<br />

L’analyse in silico <strong>de</strong> données génomiques révèle qu’une séquence d’ADN pourrait<br />

co<strong>de</strong>r pour <strong><strong>de</strong>s</strong> enzymes <strong>de</strong> type ACE. Le clonage d’un tel ACE putatif a été réalisé<br />

dans une bactérie phytopathogène, Xanthonomas axonopodis, <strong>et</strong> l’ACE correspondant<br />

a été appelé XcACE. L’expression <strong>et</strong> la caractérisation <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ACE révèle qu’il s’agit<br />

d’une dipeptidyl-carboxypeptidase fonctionnelle. C<strong>et</strong>te protéine clive l’angiotensine<br />

I en angiotensine II, est sensible à l’eff<strong>et</strong> du chore <strong>et</strong> peut être inhibée par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

inhibiteurs d’ACE <strong>de</strong> mammifère. Ces données montrent que XcACE est une ACE<br />

ancestrale, fonctionnelle dont le rôle n’est pas connu. Elle représente un élément <strong>de</strong><br />

plus pour répondre aux questions sur les relations structure/activité <strong>et</strong> sur la<br />

spécialisation <strong>de</strong> l’ACE au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’évolution (G. Rivière <strong>et</strong> al., Genes 2007).<br />

c) Récepteur <strong>de</strong> la rénine<br />

Les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur les fonctions pléiotropiques du récepteur <strong>de</strong> la rénine <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

(pro)rénine (P)RR sont poursuivies dans le groupe <strong>de</strong> G. Nguyen dans plusieurs<br />

directions :<br />

— Une étu<strong>de</strong> sur l’expression <strong>de</strong> (P)RR a été réalisée dans le cerveau <strong>de</strong> souris<br />

adulte. Son rôle possible dans la différenciation neuronale a débuté, en collaboration<br />

avec Ann<strong>et</strong>te Koulakoff (Inserm U840 <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> Paris) <strong>et</strong> Charles Schwartz<br />

(Greenwood Gen<strong>et</strong>ic Center, USA). Manuscrit soumis.<br />

— La caractérisation <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes formes moléculaires <strong>de</strong> (P)RR <strong>et</strong>, en<br />

particulier, la recherche d’une forme soluble du récepteur. Les <strong>travaux</strong> se porteront<br />

notamment sur l’enzyme responsable du clivage intracellulaire <strong>de</strong> (P)RR <strong>et</strong> sur les<br />

fonctions du (P)RR soluble.


MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 343<br />

— Une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’expression <strong>de</strong> (P)RR dans le rein embryonnaire a été réalisée.<br />

En outre, les conséquences <strong>de</strong> l’exposition du fœtus à un diabète maternel sur les<br />

taux <strong>de</strong> (P)RR seront étudiées. Ce programme est financé par le Conseil régional<br />

d’Ile <strong>de</strong> <strong>France</strong> sous la forme d’une allocation doctorale <strong>de</strong> 3 ans.<br />

— Enfin, le laboratoire <strong>de</strong>vrait disposer très bientôt <strong>de</strong> souris floxées pour<br />

(P)RR. Ces souris seront croisées avec <strong><strong>de</strong>s</strong> souris Cre sous contrôle <strong>de</strong> différents<br />

promoteurs (podocine spécifique <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules épithéliales rénales, SM22 spécifiques<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> cellules musculaires lisses vasculaires), afin d’étudier le rôle <strong>de</strong> physiologique<br />

<strong>de</strong> (P)RR ainsi que son implication dans différents modèles pathologiques, diabète,<br />

hypertension.<br />

2. Bases moléculaires <strong><strong>de</strong>s</strong> calcifications vasculaires<br />

Dans les conditions physiologiques, la minéralisation <strong>de</strong> la matrice extracellulaire<br />

(MEC) apparaît exclusivement dans les os (<strong>et</strong> les <strong>de</strong>nts) qui se forment soit<br />

directement par différentiation ostéoblastique soit par l’intermédiaire <strong>de</strong> cartilage<br />

lors d’une différentiation chondro-ostéoblastique. Toutefois, dans certaines<br />

conditions pathologiques, une minéralisation ectopique <strong>et</strong> anormale peut se<br />

développer dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus mous, telles que les artères. C<strong>et</strong>te minéralisation<br />

ectopique <strong><strong>de</strong>s</strong> vaisseaux, appelée plus couramment calcification vasculaire, est<br />

fréquemment observée chez le suj<strong>et</strong> âgé ou comme complication chez le patient<br />

atteint <strong>de</strong> pathologies, telles que l’athérosclérose, le diabète, l’hypercholestérolémie,<br />

ou encore l’insuffisance rénale. Bien que longtemps considérées comme bénignes,<br />

il est désormais clairement établi que les calcifications vasculaires sont associées à<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> évènements cardiovasculaires. La minéralisation <strong>de</strong> la paroi vasculaire est un<br />

indicateur important <strong>de</strong> la morbi-mortalité cardiovasculaire.<br />

Bien que la physiopathologie <strong>de</strong> ces calcifications/minéralisations vasculaires soit<br />

bien documentée, peu <strong>de</strong> choses sont connues sur les processus moléculaires<br />

impliqués dans leur formation <strong>et</strong> leur développement dans la paroi artérielle. Il<br />

apparaît donc évi<strong>de</strong>nt qu’une meilleure compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes impliqués<br />

dans l’initiation <strong>et</strong> la progression <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te pathologie est essentielle pour améliorer<br />

la prévention <strong>et</strong> le traitement <strong>de</strong> ces minéralisations ectopiques. L’essentiel <strong>de</strong> la<br />

littérature suggère que le développement <strong><strong>de</strong>s</strong> calcifications vasculaires est due à<br />

la différentiation ostéoblastique <strong>de</strong> cellules musculaires lisses vasculaires en cellules<br />

osseuses dont la MEC subit une minéralisation. Cependant, d’autres résultats<br />

générés par l’analyse <strong>de</strong> souris mutées, telles que celles dépourvues <strong>de</strong> Matrix Gla<br />

Protein (Mgp, une protéine γ-carboxylée <strong>de</strong> la MEC), démontrent que la<br />

minéralisation <strong>de</strong> la paroi artérielle peut être initiée en absence d’ostéoblastes mais<br />

en présence <strong>de</strong> chondroblastes. Ces résultats suggèrent que, lors <strong><strong>de</strong>s</strong> calcifications<br />

vasculaires, la paroi artérielle peut être le siège, par <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes qu’il reste à<br />

découvrir, à la fois d’une différentiation chondroblastique à l’origine <strong>de</strong> l’apparition<br />

<strong>de</strong> cellules cartilagineuses dans le vaisseau affecté <strong>et</strong> d’une minéralisation<br />

indépendante <strong>de</strong> la présence d’ostéoblastes <strong>de</strong> ce même vaisseau.


344 PIERRE CORVOL<br />

Pour éluci<strong>de</strong>r les mécanismes moléculaires responsables <strong>de</strong> l’initiation <strong>de</strong> la<br />

minéralisation pathologique <strong><strong>de</strong>s</strong> vaisseaux, les buts <strong>de</strong> notre proj<strong>et</strong> sont : 1) d’étudier<br />

les signaux <strong>et</strong> facteurs <strong>de</strong> transcription (notamment mais pas exclusivement certains<br />

candidats tels que Shh, BMPs <strong>et</strong> GATA6, Nkx3 .2 respectivement), responsables<br />

<strong>de</strong> la formation <strong>de</strong> cartilage ectopique dans les artères, grâce à l’analyse <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

modèles d’animaux présentant <strong><strong>de</strong>s</strong> calcifications vasculaires importantes ; 2) <strong>de</strong><br />

déterminer, en culture mais également in vivo, les rôles <strong>et</strong> interactions spécifiques<br />

<strong>de</strong> ces molécules dans la transition phénotypique <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules musculaires lisses en<br />

cellules cartilagineuses ; 3) d’i<strong>de</strong>ntifier <strong>et</strong> <strong>de</strong> caractériser <strong><strong>de</strong>s</strong> nouveaux régulateurs<br />

impliqués dans la minéralisation indépendante <strong>de</strong> l’apparition d’osteoblastes.<br />

Les résultats préliminaires obtenus au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers mois montrent :<br />

— La disparition <strong>de</strong> marqueurs <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules musculaires lisses au profit <strong>de</strong><br />

l’apparition <strong>de</strong> l’expression <strong>de</strong> marqueurs <strong>de</strong> cartilage lors du développement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

calcifications vasculaires dans le modèle <strong><strong>de</strong>s</strong> souris déficientes en Mgp. Ceci<br />

confirme l’existence d’une trans-différentiation <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules musculaires lisses<br />

vasculaire en cellules <strong>de</strong> cartilage au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> processus <strong>de</strong> calcification.<br />

— L’existence d’une inhibition <strong>de</strong> l’activité <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs vasculaires par les<br />

facteurs chondrogéniques. Inversement les facteurs vasculaires empêchent l’activité<br />

transcriptionnelle <strong>de</strong> facteurs pro-chondrogéniques. Ces résultats suggèrent ainsi<br />

que, dans les conditions physiologiques, il existe une modulation réciproque <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> facteurs qui maintiennent chaque cellule qui les exprime dans leur<br />

phénotype propre. En conditions pathologiques, la surexpression <strong>de</strong> facteurs prochondrogéniques<br />

pourrait être responsable <strong>de</strong> la conversion <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules musculaires<br />

lisses en chondrocytes.<br />

En i<strong>de</strong>ntifiant les signaux <strong>et</strong> facteurs <strong>de</strong> transcription impliqués dans la transition<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> cellules musculaires lisses vasculaires en chondrocytes, ce programme <strong>de</strong><br />

recherche fournira <strong><strong>de</strong>s</strong> informations nouvelles <strong>et</strong> déterminantes sur les mécanismes<br />

qui régulent les étapes précoces <strong><strong>de</strong>s</strong> complications cardiovasculaires. Par conséquent,<br />

nous espérons que les résultats obtenus au terme <strong>de</strong> ce proj<strong>et</strong> pourront ouvrir <strong>de</strong><br />

nouvelles stratégies thérapeutiques <strong><strong>de</strong>s</strong>tinées à bloquer très précocement l’apparition<br />

<strong>et</strong> le développement <strong><strong>de</strong>s</strong> calcifications chez les suj<strong>et</strong>s à risque.<br />

Liste <strong>de</strong> publications du laboratoire 2007-2008<br />

Achard V., Boullu-Ciocca S., Desbriere R., Nguyen G. and Grino M. Renin<br />

receptor expression in human adipose tissue. Am. J. Physiol. Regul. Integr. Comp. Physiol.<br />

292 : R274-R282, 2007.<br />

Magnon C., Galaup A., Rouffiac V., Opolon P., Connault E., Rose M.,<br />

Perricaud<strong>et</strong> M., Roche A., Germain S., Griscelli F. and Lassau N. Dynamic assessment<br />

of antiangiogenic therapy by monitoring both tumoral vascularization and tissue<br />

<strong>de</strong>generation. Gene Ther. 14 : 108-117, 2007.


MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 345<br />

Sihn G., Walter T., Klein J.-C., Queguiner I., Iwao H., Nicolau C., Lehn J.-M.,<br />

Corvol P. and Gasc J.-M. Anti-angiogenic properties of myo-inositol tripyrophosphate in<br />

ovo and growth reduction of implant. FEBS L<strong>et</strong>t. 581 : 962-966, 2007.<br />

Suchting S., Freitas C., Le Noble F., Benedito R., Breant C., Duarte A. and<br />

Eichmann A. The Notch ligand Delta-like 4 negatively regulates endothelial tip cell<br />

formation and vessel branching. Proc. Natl. Acad. Sci. USA 104 : 3225-3230, 2007.<br />

Batenburg W.W., Krop M., Garrelds I.M., De Vries R., De Bruin R.J., Müller D.<br />

N., Ba<strong>de</strong>r M., Nguyen G. and Danser A.H. Prorenin is the endogenous agonist of the<br />

(pro)renin receptor. Binding kin<strong>et</strong>ics of renin and prorenin in rat vascular smooth muscle<br />

cells overexpressing the human (pro)renin receptor. J. Hypertens. 25 : 2441-2453, 2007.<br />

Krebs C., Hamming I., Sadaghiani S., Steinm<strong>et</strong>z O.M., Meyer-Schwesinger C.,<br />

Fehr S., Stahl R.A., Garrelds I.M., Danser A.H., Van Goor H., Contrepas A.,<br />

Nguyen G. and Wenzel U. Antihypertensive therapy upregulates renin and (pro)renin<br />

receptor in the clipped kidney of Goldblatt hypertensive rats. Kidney Int. 72 :725-730,<br />

2007.<br />

Padilla B.E., Cottrell G.S., Roosterman D., Pikios S., Muller L., Steinhoff M.<br />

and Bunn<strong>et</strong>t N.W. Endothelin-converting enzyme-1 regulates endosomal sorting of<br />

calcitonin receptor-like receptor and b<strong>et</strong>a-arrestins. J. Cell. Biol. 179 : 981-997, 2007.<br />

Smadja D.M., Bieche I., Helley D., Lauren<strong>de</strong>au I., Simonin G., Muller L.,<br />

Aiach M. and Gaussem P. Increased VEGFR2 expression during human late endothelial<br />

progenitor cells expansion enhances in vitro angiogenesis with up-regulation of integrin<br />

alpha(6). J. Cell. Mol. Med. 11 : 1149-1161, 2007.<br />

Roosterman D., Cottrell G.S., Padilla B.E., Muller L., Eckman C.B.,<br />

Bunn<strong>et</strong>t N.W. and Steinhoff M. Endothelin-converting enzyme 1 <strong>de</strong>gra<strong><strong>de</strong>s</strong> neuropepti<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

in endosomes to control receptor recycling. Proc. Natl. Acad. Sci. USA 104 : 11838-11843,<br />

2007.<br />

Magnon C., Opolon P., Ricard M., Connault E., Ardouin P., Galaup A.,<br />

M<strong>et</strong>ivier D., Bidart J.-M., Germain S., Perricaud<strong>et</strong> M. and Schlumberger M.<br />

Radiation and angiogenesis inhibition synergize to induce HIF-1α-mediated tumor<br />

apoptotic switch. J. Clin. Invest. 117 : 1844-1855, 2007.<br />

Larrivee B., Freitas C., Trombe M., Lv X., Delafarge B., Yuan L., Bouvree K.,<br />

Breant C., Del Toro R., Brechot N., Germain S., Bono F., Dol F., Claes F., Fischer C.,<br />

Autiero M., Thomas J.L., Carmeli<strong>et</strong> P., Tessier-Lavigne M. and Eichmann A. Activation<br />

of the UNC5B receptor by N<strong>et</strong>rin-1 inhibits sprouting angiogenesis. Genes & Dev. 21 :<br />

2433-2447, 2007.<br />

Bill<strong>et</strong> S., Bardin S., Verp S., Baudrie V., Michaud A., Conchon S., Muffat-Joly M.,<br />

Escoub<strong>et</strong> B., Souil E., Hamard G., Bernstein K.E., Gasc J.-M., Elghozi J.-L.,<br />

Corvol P. and Clauser E. Gain-of-function mutant of angiotensin II receptor, type 1A,<br />

causes hypertension and cardiovascular fibrosis in mice. J. Clin. Invest. 117 : 1914-1925,<br />

2007.<br />

Bobrie G., Postel-Vinay N., Delonca J., Corvol P. and S<strong>et</strong>hi Investigators. Selfmeasurement<br />

and self-titration in hypertension: a pilot telemedicine study. Am. J. Hypertens.<br />

20 : 1314-1320, 2007.<br />

Riviere G., Michaud A., Corradi H.R., Sturrock E.D., Ravi Acharya K., Cogez V.,<br />

Bohin J.-P., Vieau D. and Corvol P. Characterization of the first angiotensin-converting<br />

like enzyme in bacteria: Ancestor ACE is already active. Gene 399 : 81-90, 2007.<br />

Brand M., Laman<strong>de</strong> N., Larger E., Corvol P. and Gasc J.-M. Angiotensinogen<br />

impairs angiogenesis in the chick chorioallantoic membrane. J. Mol. Med. 85 : 451-460,<br />

2007.


346 PIERRE CORVOL<br />

Kempf H., Ionescu A., Udager A.M. and Lassar A.B. Prochondrogenic signals induce<br />

a comp<strong>et</strong>ence for Runx2 to activate hypertrophic chondrocyte gene expression. Dev. Dyn.<br />

236 : 1954-1962, 2007.<br />

Suchting S., Freitas C., Le Noble F., Benedito R., Breant C., Duarte A.,<br />

Eichmann A. Negative regulators of vessel patterning. Novartis Found. Symp. 283 : 77-80,<br />

2007.<br />

Zingg-Schenk A., Bacch<strong>et</strong>ta J., Corvol P., Michaud A., Stallmach T., Cochat P.,<br />

Gribouval O., Gubler M.-C. and Neuhaus T.J. Inherited renal tubular dysgenesis: the<br />

first patients surviving the neonatal period. Eur. J. Pediatr. 167 : 311-316, 2008.<br />

Sluimer J., Gasc J.-M., Hamming I., Van Goor H., Michaud A., Van Den Akker L.,<br />

Jütten B., Cleutjens J., Bijnens A., Corvol P., Daemen M. and Heeneman S.<br />

Angiotensin-converting enzyme 2 (ACE2) expression and activity in human carotid<br />

atherosclerotic lesions. J. Pathol. 215 : 273-279, 2008.<br />

Feldman D.L., Jin L., Xuan H., Contrepas A., Zhou Y., Webb R.L., Mueller D.N.,<br />

Feldt S., Cumin F., Maniara W., Persohn E., Schu<strong>et</strong>z H., Jan Danser A.H. and<br />

Nguyen G. Effects of Aliskiren on blood pressure, albuminuria, and (pro)renin receptor<br />

expression in diab<strong>et</strong>ic TG(mREN-2)27 rats. Hypertension 52 : 130-136, 2008.<br />

Feldt S., Batenburg W.W., Mazak I., Maschke U., Wellner M., Kvakan H.,<br />

Dechend R., Fiebeler A., Burckle C., Contrepas A., Jan Danser A.H., Ba<strong>de</strong>r M.,<br />

Nguyen G., Luft F.C. and Muller D.N. Prorenin and renin-induced extracellular signalregulated<br />

kinase 1/2 activation in monocytes is not blocked by aliskiren or the handleregion<br />

pepti<strong>de</strong>. Hypertension 51 :682-688, 2008.<br />

Batenburg W.W., De Bruin R.J., Van Gool J.M., Müller D.N., Ba<strong>de</strong>r M., Nguyen G.<br />

and Danser A.H. Aliskiren-binding increases the half life of renin and prorenin in rat aortic<br />

vascular smooth muscle cells. Arterioscler. Thromb. Vasc. Biol. 28 :1151-1157, 2008.<br />

Sluimer J.C., Gasc J.-M., Van Wanroij J.L., Kisters N., Groeneweg M., Sollewijn<br />

Gelpke M.D., Cleutjens J.P., Van Den Akker L.H., Corvol P., Wouters B.G.,<br />

Daemen M.J. and Bijnens A.P. Hypoxia, hypoxia-inducible transcription factor, and<br />

macrophages in human atherosclerotic plaques are correlated with intraplaque angiogenesis.<br />

J. Am. Coll. Cardiol. 51 : 1258-1265, 2008.<br />

Hamming I., Van Goor H., Turner A.J., Rushworth C.A., Michaud A., Corvol P.<br />

and Navis G. Differential regulation of renal angiotensin-converting enzyme (ACE) and<br />

ACE2 during ACE inhibition and di<strong>et</strong>ary sodium restriction in healthy rats. Exp. Physiol.<br />

93 : 631-638, 2008.<br />

Fuchs S., Xiao H.D., Hubert C., Michaud A., Campbell D.J., Adams J.W.,<br />

Capecchi M.R., Corvol P. and Bernstein K.E. Angiotensin-converting enzyme C-terminal<br />

catalytic domain is the main site of angiotensin I cleavage in vivo. Hypertension 51 : 267-<br />

274, 2008.<br />

David L., Mall<strong>et</strong> C., Keramidas M., Laman<strong>de</strong> N., Gasc J.-M., Dupuis-girod S.,<br />

Plauchu H., Feige J.J. and Bailly S. Bone morphogen<strong>et</strong>ic protein-9 is a circulating<br />

vascular quiescence factor. Circ. Res. 102 : 914-922, 2008.<br />

Sabaa N., De <strong>France</strong>schi L., Bonnin P., Castier Y., Malpeli G., Debbabi H.,<br />

Galaup A., Maier-re<strong>de</strong>lsperger M., Van<strong>de</strong>rmeersch S., Scarpa A., Janin A., Levy B.,<br />

Girot R., Beuzard Y., Leboeuf C., Henri A., Germain S., Dussaule J.-C. and<br />

Tharaux P.L. Endothelin receptor antagonism prevents hypoxia-induced mortality and<br />

morbidity in a mouse mo<strong>de</strong>l of sickle-cell disease. J. Clin. Invest. 118 : 1924-1933, 2008<br />

Thaunat O., Loue<strong>de</strong>c L., Graff-dubois S., Dai J., Groyer E., Yacoub-youssef H.,<br />

Mand<strong>et</strong> C., Bruneval P., Kaveri S., Caligiuri G., Germain S., Michel J.-B. and<br />

Nicol<strong>et</strong>ti A. Antiangiogenic treatment prevents adventitial constrictive remo<strong>de</strong>ling in graft<br />

arteriosclerosis.Transplantation 85 : 281-289, 2008.


MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 347<br />

Freitas C., Larrivee B. and Eichmann A. N<strong>et</strong>rins and UNC5 receptors in angiogenesis.<br />

Angiogenesis 11 : 23-29, 2008.<br />

Bouvree K., Larrivee B., Lv X., Yuan Y., Delafarge B., Freitas C., Mathiv<strong>et</strong> T.,<br />

Breant C., Tessier-lavigne M., Bikfalvi A., Eichmann A. and Pardanaud L. N<strong>et</strong>rin-1<br />

inhibits sprouting angiogenesis in <strong>de</strong>veloping avian embryos. Dev. Biol. 318 : 172-183,<br />

2008.<br />

Jones E.A.V., Yuan L., Bréant C., Watts R.J. and Eichmann A. Separating gen<strong>et</strong>ic and<br />

hemodynamic <strong>de</strong>fects in neuropilin-1 knockout embryos. Development 135 : 2479-2488,<br />

2008.<br />

Revues, Ouvrages<br />

Galaup A. and Germain S. Blocking PlGF, a future in anti-angiogenic therapy? Med Sci<br />

(Paris) 24 : 459-462, 2008.<br />

Nguyen G. The (pro)renin receptor: pathophysiological roles in cardiovascular and renal<br />

pathology. Curr. Opin. Nephrol. Hypertens. 16 : 129-133, 2007.<br />

Suchting S., Freitas C. and Eichmann A. L’angiogenèse passe sous contrôle <strong>de</strong> Delta-<br />

Notch Med. Sci. (Paris) 23 : 347-348, 2007.<br />

Nguyen G. The (pro)renin receptor: a new kid in town. Semin. Nephrol. 27 : 519-523,<br />

2007.<br />

Nguyen G. and Danser A.H. Prorenin and (pro)renin receptor: a review of available<br />

data from in vitro studies and experimental mo<strong>de</strong>ls in ro<strong>de</strong>nts. Exp. Physiol. 93 : 557-563,<br />

2008.<br />

Corvol P., Michaud A., Gribouval O., Gasc J.-M. and Gubler M.-C. Can we live<br />

without a functional renin-angiotensin system? Clin. Exp. Pharmacol. Physiol. 35 : 431-433,<br />

2008.<br />

Nguyen G. and Contrepas A. The (pro)renin receptors. J. Mol. Med. 86 :643-646,<br />

2008.<br />

Nguyen G. and Contrepas A. Physiology and pharmacology of the (pro)renin receptor.<br />

Curr. Opin. Pharmacol. 8 : 127-132, 2008.<br />

Thèses<br />

Liste <strong><strong>de</strong>s</strong> diplômés<br />

Aurélie Cazes : Thèse <strong>de</strong> Doctorat d’Université Paris VI,<br />

Spécialité : Physiologie <strong>et</strong> Physiopathologie<br />

Soutenue le 9 juill<strong>et</strong> 2007<br />

Interaction <strong>de</strong> l’Angiopoi<strong>et</strong>in-like 4 avec le microenvironnement<br />

<strong>et</strong> modulation <strong><strong>de</strong>s</strong> comportements cellulaires en contexte hypoxique tumoral<br />

<strong>et</strong> vasculaire


ENSEIGNEMENTS<br />

1. Cours 2007-2008<br />

Biologie historique <strong>et</strong> évolutionnisme<br />

Armand <strong>de</strong> Ricqlès, professeur<br />

Vendredi 11, 18, 25 janvier ; 1, 8, 15, 22 février, 7 <strong>et</strong> 9 mars 2008 (18 heures)<br />

Le r<strong>et</strong>our à la source : l’évolution secondaire <strong><strong>de</strong>s</strong> tétrapo<strong><strong>de</strong>s</strong> vers les milieux aquatiques<br />

2 — Les formes mésozoïques<br />

En prologue au Cours annoncé, j’ai consacré les <strong>de</strong>ux premières séances à un point<br />

d’histoire <strong>de</strong> la paléontologie : les débuts <strong>de</strong> l’interprétation réaliste <strong><strong>de</strong>s</strong> fossiles. Ce<br />

choix résulte <strong><strong>de</strong>s</strong> contraintes <strong>de</strong> l’actualité. En un temps où le « néo-créationnisme »<br />

tente <strong>de</strong> s’emparer <strong><strong>de</strong>s</strong> esprits <strong>et</strong> essaye, sur tous les continents, <strong>de</strong> subvertir à l’école<br />

les enseignements scientifiques sur l’évolution, il est réconfortant <strong>et</strong> salutaire <strong>de</strong> se<br />

tourner vers les « pères fondateurs ». Comment, à leur époque, <strong>et</strong> malgré un<br />

environnement créationniste (<strong>et</strong> diluvianiste) dominant, ceux-ci ont-ils été<br />

progressivement capables <strong>de</strong> construire une interprétation naturaliste, réaliste <strong>et</strong><br />

scientifiquement fondée <strong><strong>de</strong>s</strong> fossiles ? J’ai montré en détail comment les<br />

« glossopètres » <strong>de</strong> l’Ile <strong>de</strong> Malte ont joué un rôle éminent dans c<strong>et</strong>te aventure<br />

intellectuelle qui se déroule <strong>de</strong> la Renaissance à l’Age classique. Les héros en sont<br />

Conrad Gesner (1565), Michele Mercati (1574), Nicolas Stenon (1667,1669),<br />

Agostino Scilla (1670) <strong>et</strong> Paolo Boccone (1671). Les « glossop<strong>et</strong>rae » ne sont pas la<br />

langue pétrifiée <strong>de</strong> Saint Paul (évangélisateur <strong>de</strong> Malte) <strong>et</strong> multipliée dans le sol « par<br />

la vertu <strong><strong>de</strong>s</strong> roches », ni <strong><strong>de</strong>s</strong> « jeux <strong>de</strong> la nature » mais bien <strong>de</strong> véritables <strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />

squales, fossilisées <strong>et</strong> conservées dans les sédiments marins formant les assises <strong>de</strong> l’île.<br />

J’ai brièvement présenté ensuite, au titre <strong>de</strong> « l’actualité » <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> la chaire,<br />

les activités conduites <strong>de</strong>puis plusieurs années au Maroc, visant à la réalisation d’un<br />

Musée sur site (gisement dinosaurien <strong>de</strong> Tazouda) s‘intégrant dans un vaste proj<strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> « Géoparc » dans le Haut Atlas.


350 ARMAND DE RICQLÈS<br />

Le <strong>cours</strong> proprement dit a débuté par un rappel <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments biologiques<br />

présentés l’année <strong>de</strong>rnière à propos <strong>de</strong> l’adaptation secondaire <strong>de</strong> certains amphibiens<br />

aux milieux aquatiques (hétérochronies <strong>de</strong> développement dans l’histologie<br />

squel<strong>et</strong>tique) en posant la question <strong>de</strong> la possible pertinence <strong>de</strong> ces mêmes<br />

mécanismes mais c<strong>et</strong>te fois chez les amniotes (Reptilia). Parmi ces <strong>de</strong>rniers, <strong>de</strong><br />

nombreuses lignées s’adaptent en eff<strong>et</strong> secondairement aux milieux aquatiques à<br />

partir d’ancêtres p<strong>résumés</strong> terrestres. On a envisagé, c<strong>et</strong>te année, l’évolution à c<strong>et</strong><br />

égard <strong>de</strong> groupes d’importance variée, soit par leur biodiversité, soit par leur<br />

longévité géologique ou pour leur importance écologique. Après un rappel <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

caractéristiques ostéologiques fondamentales <strong><strong>de</strong>s</strong> amniotes (problème <strong><strong>de</strong>s</strong> fosses<br />

temporales, membres...) on a d’abord traité <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux p<strong>et</strong>its groupes anciens, souvent<br />

rapprochés <strong><strong>de</strong>s</strong> Synapsi<strong><strong>de</strong>s</strong> (lignée mammalienne) : Mésosaures <strong>et</strong> Thalattosaures.<br />

J’ai traité ensuite en détail le cla<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Ichthyosaures (Ichthyopterygia ou<br />

« Parapsi<strong><strong>de</strong>s</strong> »). J’ai enfin passé en revue le grand cla<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Sauropterygia ou<br />

« Euryapsi<strong><strong>de</strong>s</strong> » (Nothosaures, Placodontes <strong>et</strong> Plésiosaures). Comme d’habitu<strong>de</strong>,<br />

j’ai tenté <strong>de</strong> croiser, pour chaque groupe, les données d’histoire <strong>de</strong> la paléontologie<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> la systématique (premières découvertes puis compréhension « classique » du<br />

groupe) avec les données récentes issues <strong>de</strong> la recherche mo<strong>de</strong>rne (nouvelles<br />

découvertes, analyse phylogénétique, déploiement biostratigraphique <strong>et</strong> paléogéographique,<br />

biomécanique, paléobiologie, paléoécologie, extinction…).<br />

Les Mésosaures constituent un p<strong>et</strong>it groupe d’amniotes primitifs <strong>de</strong> taille<br />

médiocre (50 cm à 1,50 m) représentant les plus anciens reptiles très modifiés par<br />

leur adaptation à la vie aquatique (Carbonifère supérieur, Permien inférieur). Ils<br />

sont célèbres par les implications paléogéographiques <strong>de</strong> leur répartition (Afrique<br />

du Sud <strong>et</strong> Amérique du sud exclusivement), ayant servi d’argument fort en faveur<br />

du « Continent <strong>de</strong> Gondwana » bien avant l’élaboration <strong>de</strong> la « tectonique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

plaques ». Ils ont vécu dans une mer épicontinentale sur le Gondwna, ayant suivi<br />

les dépôts <strong>de</strong> tillites glaciaires en Afrique du Sud (Groupe <strong>de</strong> Dwyka). La<br />

reconstitution du crâne chez Mesosaurus <strong>et</strong> Stereosternum avec <strong><strong>de</strong>s</strong> fosses temporales<br />

<strong>de</strong> type « synapsi<strong>de</strong> » n’est pas certaine <strong>et</strong> c<strong>et</strong> argument n’est plus guère accepté<br />

pour rapprocher les Mésosaures <strong>de</strong> la lignée mammalienne. Les phénomènes<br />

extensifs <strong>de</strong> pachyostéosclérose intéressant la morphologie (côtes « en bananes ») <strong>et</strong><br />

l’histologie <strong>de</strong> tout l’endosquel<strong>et</strong>te sont très marqués <strong>et</strong> suggèrent que, comme<br />

chez les Urodèles, <strong><strong>de</strong>s</strong> hétérochronies <strong>de</strong> développement du squel<strong>et</strong>te sont associées<br />

à l’adaptation secondaire au milieu aquatique.<br />

Les Thalattosaures forment un autre p<strong>et</strong>it groupe <strong>de</strong> reptiles aquatiques découvert<br />

au début du xx e siècle dans le Trias supérieur <strong>de</strong> Californie. Thalattosaurus <strong>et</strong><br />

Nectosaurus ont une fosse temporale « basse » techniquement <strong>de</strong> type synapsi<strong>de</strong><br />

(lignée mammalienne) bien que le reste <strong>de</strong> l’anatomie évoque plutôt les diapsi<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />

De taille moyenne (1 à 3 m <strong>de</strong> long) ils ont <strong><strong>de</strong>s</strong> membres courts mais pas<br />

transformés en pal<strong>et</strong>tes natatoires. Les découvertes <strong>de</strong> l’Ecole Suisse <strong>de</strong> Peyer dans<br />

le Trias <strong><strong>de</strong>s</strong> Alpes tessinoises (années 1930) <strong>de</strong> reptiles marins diapsi<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

(Macrocnemus, Askeptosaurus, <strong>et</strong>c.) assez comparables aux thalattosaures ont fait


BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 351<br />

rapi<strong>de</strong>ment soupçonner que ces <strong>de</strong>rniers pourraient être <strong><strong>de</strong>s</strong> diapsi<strong><strong>de</strong>s</strong> modifiés par<br />

perte <strong>de</strong> la fosse temporale supérieure. C<strong>et</strong>te hypothèse a été confirmée à partir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

années 2000 par la découverte <strong>de</strong> formes nouvelles dans le Trias supérieur du<br />

Guizhou (Chine). Anshunsaurus, Xinpunsaurus <strong>et</strong> d’autres taxons ont récemment<br />

permis la construction d’un cladogramme du groupe, qui semble s’être dispersé au<br />

Trias sur la rive nord <strong>de</strong> la Téthys.<br />

Avec le groupe <strong><strong>de</strong>s</strong> Ichthyopterygia (Ichthyosaures) constituant un grand cla<strong>de</strong><br />

naturel, on abor<strong>de</strong> une radiation majeure <strong>de</strong> tétrapo<strong><strong>de</strong>s</strong> r<strong>et</strong>ournés au milieu<br />

aquatique. La découverte <strong>de</strong> ce groupe en Angl<strong>et</strong>erre au début du xix e siècle nous<br />

ramène aux origines mêmes <strong>de</strong> la paléontologie <strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés. Nous avons relaté<br />

l’histoire <strong>de</strong> ces premières découvertes (1814) sur les côtes du Dors<strong>et</strong> par Mary<br />

Anning, la création du Genre Ichthyosaurus par Koenig (1817) <strong>et</strong> l’intérêt <strong>de</strong><br />

Cuvier qui fait ach<strong>et</strong>er le premier spécimen pour le Muséum (1820). On a<br />

également relaté l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> premières iconographies <strong>de</strong> vulgarisation<br />

paléontologique à propos <strong><strong>de</strong>s</strong> ichthyosaures par <strong>de</strong> la Beche (1830) <strong>et</strong> Parley<br />

(1837). On est passé ensuite à la présentation anatomique générale du groupe, en<br />

notant l’importance <strong><strong>de</strong>s</strong> « fossilisations exceptionnelles » <strong><strong>de</strong>s</strong> traces du tégument,<br />

comme à Holzma<strong>de</strong>n (Toarcien du Wurtemberg), perm<strong>et</strong>tant ainsi <strong>de</strong> découvrir<br />

l’existence <strong>de</strong> nageoires dorsale <strong>et</strong> caudale supérieure uniquement tégumentaires.<br />

La disposition crânienne <strong><strong>de</strong>s</strong> Ichthyosaures était apparue comme très singulière. Il<br />

s’agit <strong>de</strong> diapsi<strong><strong>de</strong>s</strong>, mais la fosse temporale supérieure est particulière car<br />

typiquement limitée infèro-latéralement par le post frontal <strong>et</strong> le supra temporal.<br />

Pendant la plus gran<strong>de</strong> partie du xx e siècle, c<strong>et</strong>te disposition a justifié <strong>de</strong> placer les<br />

ichthyosaures dans une « sous classe » particulière <strong><strong>de</strong>s</strong> Reptilia : les Parapsi<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />

A partir <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1970 <strong>de</strong> nouvelles étu<strong><strong>de</strong>s</strong> (Romer, Mc Gowan) avaient mis en<br />

doute l’existence <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te disposition anatomique, <strong>et</strong> donc la pertinence même du<br />

concept <strong>de</strong> parapsi<strong>de</strong> : il s’agirait <strong>de</strong> diapsi<strong><strong>de</strong>s</strong> typiques. En fait, les <strong>travaux</strong><br />

comparatifs récents prenant en compte les formes du Trias <strong>et</strong> du Jurassique ont<br />

permis <strong>de</strong> résoudre le problème. Des phénomènes <strong>de</strong> déplacements, fusions,<br />

recouvrements <strong>et</strong> disparitions <strong><strong>de</strong>s</strong> os <strong>de</strong>rmiques <strong>de</strong> la joue <strong>et</strong> <strong>de</strong> la région temporale<br />

sont intervenus dans diverses lignées d’ichthyosaures. A partir d’une disposition<br />

diapsi<strong>de</strong> « typique » plésiomorphe (Trias inférieur) une disposition parapsi<strong>de</strong> typique<br />

se réalise bien secondairement, dès la base du Lias dans certaines lignées. Les <strong>de</strong>nts<br />

sont généralement coniques à carènes coupantes (fonction prédatrice), mais<br />

quelques formes triasiques (Phalarodon, Omphalosaurus…) se sont adaptées à la<br />

durophagie, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>nts à couronnes bulbeuses. Les membres antérieurs <strong>et</strong><br />

postérieurs sont complètement transformés en pal<strong>et</strong>tes natatoires, dont l’origine à<br />

partir d’une membre pentadactyle « typique » <strong>de</strong> vertébré terrestre peut être<br />

désormais assez bien documentée grâce à la découverte <strong>de</strong> formes très primitives<br />

(Chaohusaurus) récemment décrites du Trias inférieur d’Anhui (Chine). Il y a<br />

toujours hyperphalangie mais le nombre <strong>de</strong> doigts peut se réduire, la pal<strong>et</strong>te<br />

<strong>de</strong>venant alors étroite <strong>et</strong> très allongée (lignées « longipinnates » : Shastasauridés du<br />

Trias supérieur). Au contraire la pal<strong>et</strong>te peut s’élargir (« latipinnates ») avec


352 ARMAND DE RICQLÈS<br />

hyperdactylie, comme chez Platypterygius du Crétacé inférieur. De façon générale,<br />

la morphologie <strong><strong>de</strong>s</strong> formes primitives (Trias inférieur) présente un corps allongé,<br />

adapté à la nage anguilliforme, avec une caudale dans le prolongement du tronc.<br />

Au fur <strong>et</strong> à mesure <strong>de</strong> leur évolution les ichthyosaures réalisent un profil plus<br />

hydrodynamique avec un tronc plus court, renflé, <strong>et</strong> une caudale falciforme adaptée<br />

à la nage thuniforme.<br />

La phylogénie d’ensemble du groupe est désormais établie dans ses gran<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

lignes par l’analyse cladistique. Les formes archaïques du Trias inférieur <strong>et</strong> moyen<br />

(Mixosaurus, Phalarodon) sont <strong>de</strong> p<strong>et</strong>ite taille, vivant dans <strong><strong>de</strong>s</strong> environnements<br />

néritiques. Les Shastasauridés du Trias supérieur, au corps encore allongé<br />

<strong>et</strong> à la caudale plésiomorphe, représentent les premiers grands ichthyosaures<br />

(Cymbospondylus) <strong>et</strong> contiennent les géants du groupe (Shonisaurus : 15 à 20 m ?).<br />

La biodiversité du groupe s’effondre lors <strong>de</strong> la transition Trias/Lias mais la lignée<br />

se poursuit avec <strong><strong>de</strong>s</strong> formes adaptées à la vie pélagique (Néoichthyosauria). Ce<br />

sont les types « classiques » d’ichthyosaures du Jurassique, constituant <strong>de</strong> nombreux<br />

taxons <strong>de</strong> taille moyenne (3 m) à gran<strong>de</strong> (7 m) <strong>et</strong> présentant chacun <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

autapomorphies variées (forme du rostre, taille <strong><strong>de</strong>s</strong> orbites…) (Ichthyosaurus,<br />

Leptopterygius, Stenopterygius, Ophtalmosaurus, <strong>et</strong>c.). Au Jurassique terminal, le<br />

groupe subit une nouvelle diminution <strong>de</strong> sa diversité mais persiste au Crétacé avec<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> formes telles que Platypterygius présentant une polydactylie, <strong>et</strong> qui proviennent<br />

<strong>de</strong> formes du Jurassique phylogénétiquement moins dérivées que le groupe<br />

Ichthyosaurus-Ophtalmosaurus.<br />

On a discuté ensuite <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> la répartition spatiale du cla<strong>de</strong> qui est<br />

relativement bien documentée. Les ichthyosaures apparaissent au Trias inférieur <strong>de</strong><br />

Chine (Chaohusaurus). Au Trias supérieur ils sont largement répartis <strong>de</strong>puis la<br />

région orientale (Japon, Chine), en Europe alpine <strong>et</strong> centrale, au Spitzberg <strong>et</strong> en<br />

bordure du Pacifique (Colombie britannique, Névada) surtout dans <strong><strong>de</strong>s</strong> sédiments<br />

marins côtiers. Au Jurassique moyen, les principaux gisements européens<br />

« classiques » sont en Angl<strong>et</strong>erre <strong>et</strong> en Allemagne <strong>et</strong> le groupe est également connu<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> bordures du Pacifique : Neuquèn (Argentine) <strong>et</strong> Wyoming (USA). A l’Albien<br />

(Somm<strong>et</strong> du Crétacé inférieur) leur répartition est encore très vaste : « continental<br />

seaway » sur l’Amérique du nord, Europe centrale, Russie du Sud <strong>et</strong> région<br />

australienne.<br />

En ce qui concerne la paléobiologie, nous avons présenté <strong>et</strong> discuté les données<br />

<strong>et</strong> l’argumentation concernant divers aspects du mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie. L’histologie suggère<br />

une croissance rapi<strong>de</strong> dans un contexte adaptatif très comparable à celui <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Cétacés. La morphométrie renseigne sur l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> nage <strong>et</strong> suggère<br />

une physiologie « pseudo-endothermique » chez les espèces thuniformes. La<br />

taphonomie informe sur la reproduction (viviparité) <strong>et</strong> l’alimentation (poissons,<br />

céphalopo<strong><strong>de</strong>s</strong>). Enfin la sédimentologie perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> préciser les habitats (formes<br />

néritiques ou pélagiques). De nombreuses questions restent toutefois ouvertes, telle<br />

la concentration d’individus immatures <strong>et</strong> <strong>de</strong> femelles gestantes dans d’éventuels


BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 353<br />

« sites <strong>de</strong> reproduction » à la façon <strong><strong>de</strong>s</strong> Cétacés (Holzma<strong>de</strong>n ?). J’ai enfin évoqué<br />

les problèmes d’origine <strong>et</strong> d’extinction du groupe. Quand celui-ci disparaît, bien<br />

avant la fin du Crétacé supérieur, à la suite d’une réduction progressive <strong>de</strong> son aire<br />

d’extension géographique connue, les <strong>de</strong>rniers ichthyosaures, très peu modifiés par<br />

rapport aux formes jurassiques, étaient déjà <strong><strong>de</strong>s</strong> « fossiles vivants » dans les<br />

écosystèmes marins du Crétacé. Le problème <strong>de</strong> l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> ichthyosaures <strong>de</strong>meure<br />

largement ouvert. S’il paraît clair désormais qu’ils dérivent <strong>de</strong> quelque diapsi<strong>de</strong><br />

terrestre « généralisé » <strong>et</strong> encore inconnu, la dynamique <strong>de</strong> leur différenciation<br />

donne toujours lieu à controverses. Pour les uns, le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> spécialisation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

premiers ichthyosaures connus du Spathien (Trias inférieur) implique une longue<br />

histoire permienne encore totalement inconnue. Pour les autres, sensibles à<br />

l’énorme extinction fini-permienne, l’origine du groupe participe d’une dynamique<br />

<strong>de</strong> recolonisation rapi<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> habitats par rediversification <strong><strong>de</strong>s</strong> écosystèmes après la<br />

crise. Dans ce cas, la différenciation initiale <strong><strong>de</strong>s</strong> ichthyosaures aurait été très rapi<strong>de</strong><br />

<strong>et</strong> concentrée à la base du Trias (base du Scythien). De futures découvertes <strong>de</strong><br />

terrain perm<strong>et</strong>tront sans doute <strong>de</strong> tester ces hypothèses.<br />

L’autre grand rameau évolutif envisagé c<strong>et</strong>te année est celui <strong><strong>de</strong>s</strong> Sauropterygia<br />

(ou Euryapsi<strong><strong>de</strong>s</strong>) dont les représentants les plus connus sont les plésiosaures.<br />

Globalement, les sauroptérygiens montrent une plus gran<strong>de</strong> biodiversité <strong>et</strong> un plus<br />

long succès évolutif que les ichthyosaures, ne disparaissant qu’avec l’événement<br />

fini-Crétacé. Les sauroptérygiens présentent un mo<strong>de</strong> d’adaptation à la propulsion<br />

aquatique fondamentalement différent <strong>de</strong> celui <strong><strong>de</strong>s</strong> ichthyosaures. Chez ces <strong>de</strong>rniers<br />

la propulsion était assurée par <strong><strong>de</strong>s</strong> ondulations latérales du tronc <strong>et</strong> <strong>de</strong> la queue,<br />

comme chez les poissons, les membres pairs ne conservant que <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions <strong>de</strong><br />

stabilisateurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> gouvernes. Chez les sauroptérygiens, les membres pairs euxmêmes<br />

(<strong>et</strong> leurs ceintures) conservent toujours un rôle important, voire majeur,<br />

dans la locomotion, selon <strong><strong>de</strong>s</strong> modalités toutefois assez variées. Comme celle <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

ichthyosaures, la découverte <strong><strong>de</strong>s</strong> plésiosaures ramène aux origines mêmes <strong>de</strong> la<br />

paléontologie scientifique. J’ai relaté les soupçons <strong>de</strong> Cuvier <strong><strong>de</strong>s</strong>sinant en Angl<strong>et</strong>erre<br />

dès 1818 <strong><strong>de</strong>s</strong> os isolés <strong>de</strong> plésiosaures, la découverte du premier squel<strong>et</strong>te compl<strong>et</strong><br />

par Mary Anning (1821) <strong>et</strong> l’achat par Constant Prévost, missionné par Cuvier,<br />

du second squel<strong>et</strong>te sub-compl<strong>et</strong> pour le Muséum dès 1824.<br />

Le terme d’Euryapsi<strong>de</strong>, désignant classiquement une « Sous Classe » <strong><strong>de</strong>s</strong> Reptilia,<br />

fait allusion à la disposition particulière <strong><strong>de</strong>s</strong> fosses temporales, caractéristique du<br />

groupe. Seule est présente une fosse temporale supérieure homologue à celle <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

diapsi<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong>et</strong> donc limitée latéralement par le post orbitaire <strong>et</strong> le squamosal. En<br />

revanche il n’y a pas <strong>de</strong> fosse temporale inférieure. A sa place, une émargination<br />

<strong>de</strong> la bordure inféro-latérale <strong>de</strong> la joue <strong>et</strong> l’absence <strong>de</strong> quadrato-jugal suggèrent<br />

qu’une fosse temporale inférieure <strong>de</strong> diapsi<strong>de</strong> aurait pu être initialement présente.<br />

L’articulation carré/articulaire est reportée très postérieurement. Classiquement, le<br />

cla<strong>de</strong> débute au Trias avec les nothosaures, formes encore amphibies, <strong>de</strong> taille<br />

p<strong>et</strong>ite ou moyenne, <strong>et</strong> les placodontes, très spécialisés dans la consommation <strong>de</strong><br />

coquillages. Il se poursuit au Jurassique par les formes pélagiques bien connues <strong><strong>de</strong>s</strong>


354 ARMAND DE RICQLÈS<br />

plésiosaures à cou allongé <strong>et</strong> tête p<strong>et</strong>ite, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> pliosaures à cou court <strong>et</strong> à tête<br />

allongée. On r<strong>et</strong>rouve les uns <strong>et</strong> les autres au Crétacé, les plésiosaures y culminant<br />

avec <strong><strong>de</strong>s</strong> formes terminales <strong>de</strong> très gran<strong>de</strong> taille, les élasmosaures. Nous avons<br />

montré combien ce schéma général avait été enrichi <strong>et</strong> modulé par les recherches<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières décennies, du fait <strong>de</strong> nouvelles découvertes <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’application<br />

<strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> cladistique.<br />

L’histoire paléontologique du groupe débute au Trias inférieur avec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

organismes lacertiformes <strong>de</strong> p<strong>et</strong>ite taille (50 cm). Le cou, le tronc <strong>et</strong> la queue sont<br />

allongés tandis que les membres pentadactyles sont relativement courts <strong>et</strong> robustes,<br />

avec toutefois <strong><strong>de</strong>s</strong> autopo<strong><strong>de</strong>s</strong> allongés mais sans hyperphalangie. La forme la plus<br />

basale est Keichousaurus, <strong>de</strong> Chine, dont l’ontogénie est connue, qui se regroupe<br />

avec d’autres taxons <strong>de</strong> très p<strong>et</strong>ite taille <strong>et</strong> un peu plus récents du Trias inférieur<br />

<strong>et</strong> moyen d’Europe centrale (Dactylosaurus, Anarosaurus, <strong>et</strong>c.). L’analyse cladistique<br />

<strong>de</strong> ces taxons, initialement classés parmi les nothosaures, montre qu’ils constituent<br />

un premier cla<strong>de</strong> basal <strong><strong>de</strong>s</strong> Sauropterygiens : les pachypleurosaures. Ce cla<strong>de</strong> est<br />

caractérisé, entre autres synapomorphies, par une histomorphogenèse squel<strong>et</strong>tique<br />

particulière, que nous avons détaillée, <strong>et</strong> qui est très proche <strong>de</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> mésosaures<br />

(voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus). A la suite <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> récentes <strong>de</strong> O. Rieppel <strong>et</strong> coll., j’ai détaillé,<br />

à titre d’exemple, les problèmes paléobiologiques <strong>et</strong> évolutifs concenant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

pachypleurosaures un peu plus récents <strong>et</strong> <strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong> taille, provenant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

célèbres gisements du Monte San Giorgio (Tessin). Les taxons concernés :<br />

Serpianosaurus <strong>et</strong> trois espèces successives <strong>de</strong> Neusticosaurus (Pachypleurosaurus) :<br />

N. pusillus, N. peyeri <strong>et</strong> N. edwardsii se succè<strong>de</strong>nt localement dans la série<br />

stratigraphique. Avec ce modèle on dispose <strong>de</strong> « paléopopulations » (contrôle<br />

statistique) représentées par <strong><strong>de</strong>s</strong> individus compl<strong>et</strong>s (contrôle anatomique),<br />

comprenant <strong><strong>de</strong>s</strong> séries <strong>de</strong> croissance (contrôle ontogénique), se succédant dans le<br />

temps (contrôle stratigraphique) <strong>et</strong> l’espace en un même lieu (contrôle<br />

géographique). Que souhaiter <strong>de</strong> mieux dans la documentation paléontologique ?<br />

La série stratigraphique représente une durée <strong>de</strong> 5 MA au maximum, à la limite<br />

Anisien/Ladinien (Trias moyen), mais les quatre principales séquences fossilifères<br />

successives n’en représentent qu’un faible pourcentage temporel. L’analyse<br />

cladistique place Serpianosaurus comme taxon basal, les trois autres espèces <strong>de</strong><br />

Neusticosaurus étant <strong>de</strong> plus en plus dérivées, ce qui est conforme à leurs situations<br />

stratigraphiques respectives. Le cladogramme suggère l’existence <strong>de</strong> plusieurs<br />

« lignées fantômes » répondant aux cladogenèses successives aboutissant aux quatre<br />

taxons décrits. En revanche, on n’en a nulle trace dans la documentation<br />

morphométrique <strong>et</strong> stratophénétique disponible, qui suggère plutôt l’existence<br />

d’une seule lignée évoluant par anagenèse. On saisit sur c<strong>et</strong> exemple en quoi<br />

l’analyse logique <strong>de</strong> la répartition taxinomique <strong><strong>de</strong>s</strong> états <strong>de</strong> caractères (analyse<br />

cladistique) pourrait éventuellement différer <strong>de</strong> la phylogénie concrète.<br />

Les Nothosaures proprement dits (Nothosaurus, Ceresiosaurus, Lariosaurus,<br />

Simosaurus, Cymatosaurus...) sont généralement <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes plus spectaculaires<br />

que les pachypleurosaures (1,50 m à 4 m), présentant une gran<strong>de</strong> diversité dans


BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 355<br />

leurs proportions crâniennes. La tête triangulaire, <strong>et</strong> plus ou moins allongée, était<br />

<strong>de</strong> relativement p<strong>et</strong>ite taille <strong>et</strong> portée par un cou allongé. Les membres pentadactyles<br />

assez peu modifiés sont cependant déjà adaptés à la vie aquatique, mais <strong>de</strong>vaient<br />

encore perm<strong>et</strong>tre la locomotion au sol (on a comparé leur situation, à c<strong>et</strong> égard, à<br />

celle <strong><strong>de</strong>s</strong> pinnipè<strong><strong>de</strong>s</strong> parmi les mammifères). La nage pouvait encore impliquer <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

ondulations latérales du corps <strong>et</strong> <strong>de</strong> la queue. C’était <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes plutôt<br />

néritiques à rôle <strong>de</strong> superprédateurs dans les mers du Trias moyen <strong>et</strong> supérieur<br />

(Europe centrale (Muschekalk), Trias alpin, Moyen Orient, Chine…). L’analyse<br />

phylogénétique du groupe, très complexe, n’a pas encore abouti à <strong><strong>de</strong>s</strong> conclusions<br />

robustes. Les nothosaures ne dépassent pas le somm<strong>et</strong> du Trias mais sont relayés<br />

dés le Lias par les premiers plésiosaures. Ceci pose le problème <strong>de</strong> l’origine <strong>de</strong> ces<br />

<strong>de</strong>rniers. On avait soupçonné <strong>de</strong>puis longtemps qu’une famille très mal connue <strong>de</strong><br />

nothosaures du Trias moyen, les pistosaures, aurait été à l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> plésiosaures.<br />

C<strong>et</strong>te hypothèse a été confirmée récemment par la découverte <strong>de</strong> nouveaux<br />

pistosaures beaucoup plus compl<strong>et</strong>s. L’analyse phylogénétique <strong><strong>de</strong>s</strong> caractères<br />

d’Angustasaurus, du Trias moyen du Nevada <strong>et</strong> <strong>de</strong> Yunguisaurus du Trias moyen<br />

<strong>de</strong> Chine relativement aux nothosaures <strong>et</strong> à Plesiosaurus (2006) confirme la position<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> pistosaures comme groupe-frêre externe <strong><strong>de</strong>s</strong> Plésiosaures.<br />

Les plésiosaures apparaissent avec la transgression liasique en Europe, avec<br />

d’emblée <strong><strong>de</strong>s</strong> formes pélagiques à tête plutôt p<strong>et</strong>ite <strong>et</strong> à cou long (plésiosaures<br />

proprement dits : Cryptocleidus) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> formes à gran<strong>de</strong> tête <strong>et</strong> à cou court (type<br />

pliosaure : Peloneustes). L’analyse cladistique d’ensemble du groupe tend à montrer<br />

que c<strong>et</strong>te subdivision est plus écologique que phylogénétique, répondant à la<br />

réalisation itérative <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux « types adaptatifs » différents <strong>de</strong> grands prédateurs<br />

marins. Les membres sont toujours transformés en pal<strong>et</strong>tes natatoires plus ou<br />

moins allongées par un forte hyperphalangie (pas d‘hyperdactylie) <strong>et</strong> sont associés<br />

à un développement ventral considérable <strong><strong>de</strong>s</strong> ceintures scapulaires <strong>et</strong> pelviennes.<br />

Celles-ci sont reliées ventralement par un puissant système <strong>de</strong> gastralia. La région<br />

troncale, armée par <strong><strong>de</strong>s</strong> côtes puissantes, s’élargit assez considérablement <strong>et</strong> s’aplatit.<br />

Les portions dorsales <strong><strong>de</strong>s</strong> ceintures étaient sans doute reliées à l’axe vertébral par<br />

<strong>de</strong> puissants systèmes ligamentaires, transm<strong>et</strong>tant l’effort propulsif. Les pal<strong>et</strong>tes<br />

natatoires postérieures (pelviennes) sont un peu plus développées que les antérieures<br />

(pectorales) chez les pliosaures, contrairement aux plésiosaures. On a relaté l’histoire<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> interprétations successives <strong>de</strong> la locomotion chez ces organismes. Pendant une<br />

bonne partie du xx e siècle, on en est resté à une reconstruction proposée par<br />

Watson (1924) faisant <strong><strong>de</strong>s</strong> plésiosaures <strong><strong>de</strong>s</strong> « rameurs ». Une analyse critique serrée<br />

<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te conception par Robinson (1975-76) tant du point <strong>de</strong> vue anatomique<br />

qu’écologique <strong>et</strong> énergétique a entraîné son abandon. Désormais on voit dans les<br />

plésiosaures (comme à la fin du xix e siècle) <strong><strong>de</strong>s</strong> pratiquants du « vol subaquatique »<br />

à la manière <strong><strong>de</strong>s</strong> tortues marines <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> manchots actuels. Ils disposaient toutefois<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux « modules propulsifs » (pectoral <strong>et</strong> pelvien) au lieu d’un seul (pectoral)<br />

chez leurs analogues actuels. Des considérations hydrodynamiques <strong>et</strong> énergétiques<br />

suggèrent que les plésiosaures « classiques » à p<strong>et</strong>ite tête <strong>et</strong> long cou étaient <strong><strong>de</strong>s</strong>


356 ARMAND DE RICQLÈS<br />

nageurs d’endurance mais peu rapi<strong><strong>de</strong>s</strong>. Les pliosaures, beaucoup plus<br />

hydrodynamiques, auraient été <strong><strong>de</strong>s</strong> nageurs plus rapi<strong><strong>de</strong>s</strong> que l’on a pu comparer<br />

écologiquement à <strong><strong>de</strong>s</strong> orques, dans la nature actuelle. La position <strong><strong>de</strong>s</strong> plésiosaures<br />

<strong>et</strong> pliosaures au sein <strong><strong>de</strong>s</strong> écosystèmes marins du Jurassique supérieur a été<br />

systématiquement analysée sur le modèle <strong>de</strong> l’Oxford Clay (Martill 1994). La<br />

biomécanique <strong>de</strong>ntaire <strong>et</strong> crânienne d’un superprédateur comme Pliosaurus a été<br />

analysée en détail <strong>et</strong> il a pu être montré que <strong><strong>de</strong>s</strong> carcasses flottées <strong>de</strong> dinosaures<br />

pouvaient entrer dans le régime (Taylor <strong>et</strong> al. 1993).<br />

Le « type pliosaure » est bien représenté au Crétacé par les Polycotylidés. Des<br />

<strong>travaux</strong> phylogénétiques récents, fondés en particulier sur la structure du palais<br />

chez Dolichorhynchops du Campanien (Crétacé supérieur) du Kansas, ont montré<br />

que ce groupe n’était pas apparenté directement aux pliosaures jurassiques mais<br />

qu’il fait partie d’un cla<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Cryptocleidoi<strong>de</strong>a (O’Keefe 2004) comprenant<br />

basalement <strong><strong>de</strong>s</strong> plésiosaures comme Muraenosaurus du Jurassique. Très récemment,<br />

les découvertes d’Albright <strong>et</strong> al. en Utah (2007) ont confirmé que les Polycotylidés<br />

font partie d’un groupe <strong>de</strong> « plésiosaures à cou court » ou « faux pliosaures ». Ainsi<br />

les pliosaures apparaissent bien comme un écotype ayant évolué <strong>de</strong> façon<br />

polyphylétique.<br />

Les plésiosaures à cou long évoluent au Crétacé vers <strong><strong>de</strong>s</strong> formes <strong>de</strong> très gran<strong>de</strong><br />

taille, les élasmosaures, pouvant atteindre 12 à 15 mètres <strong>de</strong> long, pour <strong><strong>de</strong>s</strong> crânes<br />

<strong>de</strong> 30 à 50 cm chez les formes du Crétacé supérieur connues du centre <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’ouest<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> USA, telles que Thalassomedon, Styxsosaurus ou Hydrotherosaurus. Le cou très<br />

mobile s’allonge démesurément tandis que la queue se raccourcit en proportions<br />

relatives. Les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>nts faisaient saillies extérieurement, les supérieures <strong>et</strong> les<br />

inférieures s’entrecroisant, <strong>et</strong> réalisant ainsi une « trappe » à poissons ou à<br />

céphalopo<strong><strong>de</strong>s</strong>. Nous avons relaté une succession <strong>de</strong> découvertes récentes concernant<br />

le groupe. Celle d’un élasmosaure primitif dans le Jurassique inférieur français<br />

(Bard<strong>et</strong> 1999) est venue documenter l’origine <strong>de</strong> ces formes dominantes au Crétacé,<br />

dont l’histoire peut être suivie en détail dans les régions Néo-Zélandaises,<br />

Australiennes <strong>et</strong> Sud-Américaine/Antarctique, <strong>et</strong> ce jusqu’au Crétacé terminal, avec<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> formes parfois écologiquement très spécialisées dans la microphagie (Aristonectes).<br />

Les rares données européennes issues du Maestrichthyen éponyme (Mul<strong>de</strong>r 2000)<br />

indiquent également une persistance mo<strong><strong>de</strong>s</strong>te du groupe jusqu’à l’extrême fin du<br />

Mésozoïque. Les <strong>travaux</strong> paléohistologiques sur <strong><strong>de</strong>s</strong> séries <strong>de</strong> croissance<br />

d’élasmosaures <strong>et</strong> <strong>de</strong> pliosaures du Crétacé supérieur <strong>de</strong> Nouvelle Zélan<strong>de</strong> ont<br />

apporté <strong><strong>de</strong>s</strong> données intéressantes. Tandis que les jeunes ont un squel<strong>et</strong>te<br />

pachyostique suggérant un rôle <strong>de</strong> « ballast » dans <strong><strong>de</strong>s</strong> environnements néritiques,<br />

à la façon <strong><strong>de</strong>s</strong> formes triasiques, les adultes acquièrent ensuite un squel<strong>et</strong>te <strong>de</strong><br />

structure allégée, « <strong>de</strong> type cétacé », sans doute en relation avec la vie pélagique<br />

(Wiffen <strong>et</strong> al. 1995).<br />

J’ai traité à part le groupe triasique <strong><strong>de</strong>s</strong> Placodontes, dont les relations<br />

phylogénétiques avec les autres Euryapsi<strong><strong>de</strong>s</strong> ne font pas consensus. J’ai commencé


BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 357<br />

par la présentation <strong>de</strong> Placodus gigas, une gran<strong>de</strong> forme (2 à 3 m) du Muschelkalk<br />

(Trias moyen) du domaine marin épicontinental (plates formes carbonatées)<br />

d’Europe centrale bordant le nord-ouest du domaine téthysien profond. C’était un<br />

animal plongeur au tronc rebondi <strong>et</strong> à la queue allongée. Les membres, relativement<br />

courts mais peu modifiés, ne <strong>de</strong>vaient guère perm<strong>et</strong>tre une locomotion terrestre.<br />

Les ostéo<strong>de</strong>rmes dorsaux ne forment pas <strong>de</strong> carapace. Les côtes <strong>de</strong> morphologie<br />

complexe étaient complétées ventralement par <strong><strong>de</strong>s</strong> gastralia. Le crâne, massif <strong>et</strong><br />

soli<strong>de</strong>, est adapté à un régime conchylophage. Les puissantes incisives proclives<br />

sont suivies sur le palais <strong>et</strong> la mandibule par quelques énormes « <strong>de</strong>nts en pavés »<br />

à l’émail épais, propres à broyer les coquilles <strong>de</strong> mollusques marins. L’évolution du<br />

groupe est dominée par l’adaptation à ce régime. Les autres familles <strong>de</strong> placodontes<br />

(Cyamodontidés : Cyamodus, Sinocyamodus, Psephochelys, Psepho<strong>de</strong>rma, Plachochelyidés<br />

: Plachochelys, Henodontidés : Henodus, <strong>et</strong>c.) se spécialisent davantage. Le<br />

crâne prend une forme triangulaire, se raccourcit <strong>et</strong> s’élargit postérieurement pour<br />

faire place à une énorme musculature adductrice <strong>de</strong> la mandibule. Des ostéo<strong>de</strong>rmes<br />

se sou<strong>de</strong>nt à sa marge postéro-latérale <strong>et</strong> le corps s’aplatit dorso-ventralement, la<br />

queue reste allongée. Une carapace constituée par <strong><strong>de</strong>s</strong> ostéo<strong>de</strong>rmes polygonaux se<br />

différencie dorsalement <strong>et</strong> ces placodontes en viennent ainsi à ressembler beaucoup,<br />

mais superficiellement, à <strong><strong>de</strong>s</strong> chéloniens. Chez Cyamodus <strong>et</strong> Psepho<strong>de</strong>rma, la<br />

carapace est en <strong>de</strong>ux parties distinctes, la région pelvienne ayant une armure<br />

indépendante. Chez Henodus, elle prend une forme en selle, plus large que longue.<br />

Les membres, peu spécialisés, restent bien développés. Depuis une vingtaine<br />

d’années, <strong>de</strong> nombreux placodontes ont été découverts dans le Trias supérieur <strong>de</strong><br />

Chine (Guizhou) : le groupe semble avoir évolué pendant tout le Trias dans les<br />

mers chau<strong><strong>de</strong>s</strong> épicontinentales bordant le Nord <strong>de</strong> la T<strong>et</strong>hys. Aucun placodonte<br />

ne dépasse le somm<strong>et</strong> du Trias. On a fait remarquer à c<strong>et</strong> égard que ces organismes<br />

spécialisés aux milieux néritiques n’ont pu s’adapter aux gran<strong><strong>de</strong>s</strong> transgressions<br />

liasiques, contrairement aux autres Sauropterygiens <strong>et</strong> aux Ichthyosaures qui<br />

s’adaptent alors à <strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> vie pélagiques.<br />

2. Séminaire 2007-2008. La notion <strong>de</strong> fonction : <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences <strong>de</strong> la vie à la<br />

technologie, les 21-23 mai 2008<br />

Organisé avec le Professeur Jean Gayon (Université Paris I Panthéon Sorbonne)<br />

dans le cadre <strong>de</strong> l’action concertée incitative (ACI), La notion <strong>de</strong> fonction dans les<br />

sciences humaines, biologiques <strong>et</strong> médicale (Coordinat. J. Gayon, partenaires scientifique<br />

A. <strong>de</strong> Ricqlès, O. Houdé, Fr. Parot).<br />

Pour le biologiste, la notion <strong>de</strong> fonction est aussi familière qu’omniprésente dans<br />

tous les aspects <strong>de</strong> son travail. Comme Monsieur Jourdain faisant <strong>de</strong> la prose sans<br />

le savoir, le biologiste utilise c<strong>et</strong>te notion à chaque instant <strong>de</strong> son activité. Il s’agit<br />

pour lui, en quelque sorte, d’un « outil intellectuel spontané » dont la disponibilité<br />

pratique permanente fait qu’il n’éprouve pas souvent le besoin, au fil <strong>de</strong> la<br />

recherche, <strong>de</strong> s’interroger sur sa pertinence ou sa signification.


358 ARMAND DE RICQLÈS<br />

Un premier aspect frappant <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> fonction est donc la constance <strong>de</strong> son<br />

usage par le biologiste — <strong>et</strong> je comprends sous ce terme aussi bien le biologiste<br />

moléculaire dans son laboratoire que le naturaliste <strong>de</strong> terrain qui peuvent être encore<br />

parfois — <strong>et</strong> heureusement — une seule <strong>et</strong> même personne. Pour tous, la fonction<br />

est apparemment une notion d’une gran<strong>de</strong> utilité, à toutes les échelles <strong>de</strong> l’intégration<br />

organique du vivant puisqu’on la r<strong>et</strong>rouve à tous les niveaux. Qu’il s’agisse du « site<br />

fonctionnel » <strong>de</strong> l’enzyme, du rôle du neuromédiateur trans-synaptique, <strong>de</strong> celui <strong>de</strong><br />

l’hormone, <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> la cellule plus ou moins spécialisée, ou <strong>de</strong> celui du tissu, <strong>de</strong><br />

l’organe, du système, <strong>et</strong> jusqu’à celui <strong>de</strong> l’organisme en tant que totalité intégrée au<br />

sein <strong>de</strong> la population, voire du rôle <strong>de</strong> l’espèce au sein <strong>de</strong> l’écosystème, la fonction est<br />

partout. Elle nous propose donc un perpétuel cheminement bi-directionnel selon<br />

l’axe <strong>de</strong> l’intégration organique, soit selon la voie ascendante du compositionnisme,<br />

soit selon la voie <strong><strong>de</strong>s</strong>cendante du réductionnisme.<br />

A tous les niveaux <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te hiérarchie, l’omniprésente utilité <strong>de</strong> la fonction se<br />

comprend assez facilement parce qu’elle propose, ne serait-ce que <strong>de</strong> façon implicite<br />

<strong>et</strong> ramassée, une justification <strong><strong>de</strong>s</strong> données observées, autrement dit l’apparence<br />

d’une explication rationnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> faits. Evoquer la fonction, c’est donc toujours<br />

donner à saisir l’amorce d’une explication. Songeons par exemple à la définition<br />

<strong>de</strong> l’hormone : « substance chimiquement définie, produite par une glan<strong>de</strong><br />

endocrine, véhiculée par le sang, <strong>et</strong> allant exercer sur un organe cible particulier<br />

appelé récepteur une action spécifique qui est son seul rôle ». La fonction <strong>de</strong><br />

l’hormone, autrement dit l’explication <strong>de</strong> sa présence, c’est donc d’aller réguler la<br />

marche <strong>de</strong> tel organe, dans telle circonstance physiologique.<br />

Amorce d’une explication rationnelle, ou plutôt apparence seulement d’une<br />

explication ? En science, en eff<strong>et</strong>, une explication doit être causale. Expliquer, c’est<br />

donc remonter rétrospectivement <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s aux causes, la cause <strong>de</strong>vant toujours<br />

précé<strong>de</strong>r l’eff<strong>et</strong>. Dans le cas <strong>de</strong> l’hormone <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa définition physiologique, on<br />

constate immédiatement un paradoxe, l’explication <strong>de</strong> l’hormone, c’est-à-dire la<br />

cause <strong>de</strong> son existence, est dans son eff<strong>et</strong> physiologique lui même : on a donc<br />

affaire à une « explication finale » <strong>et</strong> non pas causale, au sens où l’enten<strong>de</strong>nt les<br />

sciences physico-chimiques. La « cause finale », au sens aristotélicien, qui inverse<br />

le sens <strong>de</strong> l’explication relativement au déroulement du temps, est irrecevable pour<br />

les sciences ordinaires. De fait, l’interprétation, l’explication par la fonction, si<br />

satisfaisante <strong>et</strong> si naturelle en apparence, a pu souvent conduire, en biologie, à un<br />

finalisme plus ou moins généralisé, plus ou moins revendiqué, ou plus ou moins<br />

honteux . L’explication par les causes finales est-elle inéluctable pour les sciences<br />

biologiques ? A mon sens, aucun scientifique ne <strong>de</strong>vrait se résoudre à l’adm<strong>et</strong>tre.<br />

Il y a dans l’apparente légitimité <strong><strong>de</strong>s</strong> explications finales en biologie un « tour <strong>de</strong><br />

passe-passe » <strong>de</strong> la nature qui découle <strong>de</strong> la dimension historique <strong>et</strong> généalogique<br />

<strong>de</strong> l’évolution, dimension non prise en compte par les sciences nomologiques.<br />

Un <strong>de</strong>uxième aspect frappant <strong>de</strong> la fonction, c’est paradoxalement sa réalité<br />

efficiente, concrète <strong>et</strong> opérationnelle relativement au niveau biologique où l’on


BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 359<br />

situe son exercice, <strong>et</strong> cependant son apparence assez abstraite, dès que l’on tente<br />

d’isoler conceptuellement sa nature propre, parce qu’elle est avant tout interaction<br />

plutôt que substance.<br />

En eff<strong>et</strong>, à tous les niveaux d’intégration où on l’envisage, la fonction ne peut<br />

se concevoir effectivement sans l’existence <strong>de</strong> structures matérielles qui la sousten<strong>de</strong>nt<br />

<strong>et</strong> en constituent en quelque sorte le support.<br />

Ainsi, dans le cadre <strong>de</strong> la pratique <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences biologiques, <strong>et</strong> <strong>de</strong> façon générale<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> sciences positives, la fonction ne peut être opérationnellement traitée comme<br />

une abstraction, ou comme un concept général, ainsi que pourrait le faire le<br />

philosophe, mais bien comme une action, ou une interaction spécifique, en tant<br />

que manifestation concrète, hic <strong>et</strong> nunc, <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés particulières d’obj<strong>et</strong>s<br />

matériels, ou structures. Les structures, en tant qu’obj<strong>et</strong>s concr<strong>et</strong>s figurés, avec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

caractéristiques précises en matière <strong>de</strong> composition, <strong>de</strong> taille, <strong>de</strong> forme <strong>et</strong><br />

d’énergétique, ont <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés spécifiques qui découlent avec un <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> nécessité<br />

très fort, <strong><strong>de</strong>s</strong> lois <strong>de</strong> la physico-chimie, <strong>de</strong> la géométrie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la topologie. On peut<br />

donc dire que les fonctions <strong><strong>de</strong>s</strong> structures sont <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés émergentes <strong>de</strong> cellesci,<br />

émanant <strong>de</strong> leur constitution même. De là à considérer que les fonctions <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

structures sont la raison même <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières, c’est franchir un pas<br />

considérable autant que périlleux, qui débouche, on l’a vu, sur tout le problème<br />

<strong>de</strong> la finalité. Ainsi, pour le biologiste, qui dit fonction dit en réalité, concrètement,<br />

l’existence d’un couple structuro-fonctionnel indissociable. Comme le notait<br />

Wainwright avec humour, « les structures sans les fonctions sont <strong><strong>de</strong>s</strong> cadavres, les<br />

fonctions sans les structures sont <strong><strong>de</strong>s</strong> fantômes ». Le vivant est Janus bifrons, à la fois<br />

structural <strong>et</strong> fonctionnel, indissociablement.<br />

Le couple structure-fonction a trouvé son illustration la plus évi<strong>de</strong>nte, au niveau<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> organismes, dans le dialogue — ou la confrontation — entre l’anatomie <strong>et</strong> la<br />

physiologie mais il serait aisé <strong>de</strong> montrer que c<strong>et</strong>te opposition organise une<br />

systématique <strong>de</strong> tout l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> disciplines biologiques, <strong>de</strong> la molécule à<br />

l’écosystème. On pourrait dire, par exemple, que selon l’axe <strong><strong>de</strong>s</strong> disciplines<br />

fonctionnelles, l’écologie est une métaphysiologie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions supra-spécifiques.<br />

Son pendant, sur l’axe <strong><strong>de</strong>s</strong> disciplines structurales, pourrait être la démographie.<br />

La congruence entre la structure <strong>et</strong> la fonction s’observe partout en biologie<br />

comme en technologie. A c<strong>et</strong> égard la ressemblance entre les solutions fonctionnelles<br />

observées dans la nature <strong>et</strong> celles choisies en ingénièrie, ainsi que le nombre limité<br />

<strong>de</strong> solutions structurales à un problème fonctionnel donné, suggèrent que les<br />

systèmes <strong>de</strong> contraintes, conséquences <strong>de</strong> l’universalité <strong><strong>de</strong>s</strong> lois physiques, pèsent<br />

fortement sur toutes les réalisations structuro-fonctionnelles, en canalisant le<br />

champ <strong><strong>de</strong>s</strong> possibles. Si la finalité intentionnelle consciente qui se manifeste dans<br />

les technologies humaines ne pose pas problème, sa transposition dans le domaine<br />

biologique soulève, comme on l’a déjà souligné, <strong><strong>de</strong>s</strong> difficultés fondamentales.


360 ARMAND DE RICQLÈS<br />

La relation <strong>de</strong> congruence <strong>de</strong> la structure à la fonction, évi<strong>de</strong>nte dans la<br />

machinerie vivante comme dans la technologie humaine, amène immédiatement<br />

au concept clé d’adaptation, concept jouant un rôle moteur <strong>et</strong> central dans<br />

l’évolutionnisme. Toutes les structures organiques sont-elles strictement adaptées<br />

à une ou à <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions spécifiques ? tout changement évolutif se réalise-t-il<br />

nécessairement par l’adaptation <strong><strong>de</strong>s</strong> structures aux fonctions, c’est à dire par la<br />

« traque » progressive par <strong><strong>de</strong>s</strong> structures potentiellement modifiables <strong>de</strong> fonctions<br />

<strong>de</strong> plus en plus congruentes aux conditions <strong>de</strong> milieux, conditions elles mêmes<br />

perpétuellement changeantes ? La pluralité fonctionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> structures, au prix<br />

d’une adaptation sub-optimale n’est elle pas la clé du changement évolutif ?<br />

La théorie synthétique <strong>de</strong> l’évolution, dans ses aspects les plus orthodoxes, a pu<br />

sembler verser parfois dans un « pan-adaptationnisme » un peu excessif, où<br />

l’organisme peut être atomisé en une infinité <strong>de</strong> « traits structuro-fonctionnels »,<br />

chacun à la fois suscité, modulé <strong>et</strong> contrôlé par la sélection naturelle, celle-ci étant<br />

considérée comme un agent d’optimisation tout puissant. L’apport <strong>de</strong> l’œuvre<br />

d’un Stephen Jay Gould (1946-2002) a été largement <strong>de</strong> montrer combien ce<br />

« pan adaptationnisme » exagéré laissait sur le bord du chemin une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

considérations indispensables à une synthèse évolutive encore plus générale <strong>et</strong><br />

pertinente. Quoi qu’il en soit, la critique gouldienne du pan-adaptationnisme ne<br />

rem<strong>et</strong> pas en cause l’intérêt du concept <strong>de</strong> fonction, tel qu’il est généralement mis<br />

en œuvre par l’évolutionnisme contemporain, c’est-à-dire un fonctionnalisme<br />

explicite éludant, en contexte darwinien, toute référence au finalisme.<br />

Relativement au couple structure/fonction, la notion <strong>de</strong> système occupe une<br />

situation intermédiaire <strong>et</strong> quelque peu ambivalente. En eff<strong>et</strong>, un système est<br />

souvent délimité, c’est-à-dire pratiquement défini, par la ou les foncions qu’il<br />

réalise : c’est donc un ensemble fonctionnel. Les interactions intervenant entre les<br />

éléments d’un système, ou entre le système <strong>et</strong> l’extérieur constituent <strong><strong>de</strong>s</strong> activités,<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> évènements qui, en contexte approprié, peuvent effectivement répondre à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

fonctions, mais ce n’est pas toujours le cas, comme nous le rappellent tous les<br />

dysfonctionnements systémiques. D’un autre coté, un système constitue toujours<br />

une structure, ou mieux un ensemble structuré <strong>de</strong> sous-structures co-organisées.<br />

En ce sens, c’est bien aussi un concept structural. Ainsi, comme pour celles <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

structures, les fonctions <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes sont <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés émergentes déterminées<br />

par la constitution <strong>et</strong> la configuration même <strong>de</strong> ceux-ci. Une fois encore, les<br />

systèmes existent-ils « pour » accomplir les fonctions qu’ils remplissent ici <strong>et</strong><br />

maintenant, ou pour <strong>de</strong> toutes autres raisons ? On voit poindre au travers <strong>de</strong> ces<br />

interrogations les origines <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux gran<strong><strong>de</strong>s</strong> conceptions concurrentes — émergence<br />

systémique anhistorique ou fruit <strong>de</strong> l’histoire sélective — que l’épistémologie<br />

mo<strong>de</strong>rne propose pour <strong><strong>de</strong>s</strong> concepts <strong>de</strong> fonction débarrassés <strong>de</strong> tout finalisme.


BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 361<br />

Programme<br />

Mercredi 21 mai<br />

Introduction : Armand <strong>de</strong> Ricqlès & Jean Gayon<br />

Session 1 :<br />

Origines du dis<strong>cours</strong> fonctionnel dans les sciences <strong>de</strong> la vie <strong>et</strong> en psychologie<br />

Origins of functional discorse in the life sciences and in psychology<br />

Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> séance/Chair : Jean Gayon (IHPST)<br />

James Lennox (Un. <strong>de</strong> Pittsburgh, USA, Center for Philosophy of Science) : Functions<br />

and history [Le concept <strong>de</strong> fonction : importance <strong>de</strong> l’histoire].<br />

François Duchesneau (Un. <strong>de</strong> Montréal, Canada, Département <strong>de</strong> philosophie) : Rôle<br />

du couple « structure/fonction » dans la constitution <strong>de</strong> la biologie comme science [Role of the<br />

« structure/function » dichotomy in the constitution of Biology as a science].<br />

Laurent Clauza<strong>de</strong> (Un. Paris 1 & IHPST, Paris) : Phénomènes, propriétés, fonctions : le<br />

terme « fonction » dans la biologie française du début du XIX e s. [Phenomena, properties,<br />

functions: the term « function » in French biology in the early 19 th Cy].<br />

Françoise Parot (Un. Paris Descartes & IHPST, Paris) : Les psychologues fonctionnalistes<br />

<strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> Chicago <strong>et</strong> le premier béhaviorisme [The functionalist psychologists of the<br />

Chicago School and the original Behaviorism].<br />

Session 2 :<br />

Théories philosophiques <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions<br />

Philosophical theories of function<br />

Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> séance/Chair : Françoise Parot (Un. Paris 5)<br />

Marie-Clau<strong>de</strong> Lorne (Université <strong>de</strong> Brest & IHPST, Paris) : La téléologie, l’explication <strong>et</strong><br />

l’esprit : 50 ans <strong>de</strong> réflexion sur la fonction biologique <strong>et</strong> l’explication fonctionnelle [Teleology,<br />

explanation and the mind : 50 years of thinking about biological function and functional<br />

explanation].<br />

Karen Nean<strong>de</strong>r (Duke Un., USA, Department of Philosophy) : The Etiological Theory:<br />

An Update [L’approche étiologique : une mise à jour].<br />

P<strong>et</strong>er McLaughlin (Un. <strong>de</strong> Hei<strong>de</strong>lberg, Allemagne, Department of philosophy) : «What<br />

functions are good for »? [À quoi les fonctions sont-elles bonnes ?].<br />

Session 3 :<br />

Fonction, selection <strong>et</strong> adaptation<br />

Function, selection , and adaptation<br />

Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> séance : Anne Fagot-Largeault (Professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>)<br />

Jean Gayon (IHPST, Paris) : Raisonnement fonctionnel <strong>et</strong> niveaux d’intégration en biologie<br />

[Functional reasoning and levels of organization in biology].<br />

Philippe Huneman (IHPST, Paris) : Fonctions <strong>et</strong> adaptations : une démarcation conceptuelle<br />

[Function and adaptations: a conceptual <strong>de</strong>marcation].<br />

Matteo Mossio (IHPST, Paris) & Cristian Saborido (Departamento <strong>de</strong> Logica y<br />

Filosofía <strong>de</strong> la Ciencia, Un. <strong>de</strong>l País Basco, Espagne) : Functions and self-maintenance<br />

[Fonction <strong>et</strong> auto-maintien].


362 ARMAND DE RICQLÈS<br />

Jeudi 22 mai<br />

Session 4 :<br />

Structures <strong>et</strong> fonctions en morphologie <strong>et</strong> paléontologie<br />

Structures and functions in morphology and palaeontology<br />

Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> séance/Chair : Olivier Houdé (Professeur à l’Université Paris 5)<br />

Armand <strong>de</strong> Ricqlès (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>) & Jorge Cubo (Un. Paris 6, UMR 7179) : Le<br />

problème <strong>de</strong> la causalité complexe aux sources <strong>de</strong> la relation structuro-fonctionnelle ; 1) généralités,<br />

2) l’exemple du tissu osseux [Complex causality as the root of the structure/function relation<br />

problem : 1) general consi<strong>de</strong>rations ; 2) the example of the bone tissue].<br />

Christine Argot (Muséum National d’Histoire Naturelle, Département Histoire <strong>de</strong> la<br />

Terre) : L’analyse fonctionnelle en paléontologie <strong><strong>de</strong>s</strong> mammifères — Forme, fonction <strong>et</strong> adaptation<br />

[Functional analysis in paleontology of mammals — form, function and adaptation].<br />

Stéphane Peigné (Muséum National d’Histoire Naturelle, Département Histoire <strong>de</strong> la<br />

Terre) : Structure <strong>et</strong> fonction chez les Carnivores placentaires : inférences morpho-fonctionnelles<br />

à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>nts <strong>et</strong> du squel<strong>et</strong>te post-crâniens [Structure and function in placental Carnivores ;<br />

morpho-functional inferences from te<strong>et</strong>h and post-cranial skel<strong>et</strong>on].<br />

Fe<strong>de</strong>rica Marcolini (Dip. Scienze Geologiche, Università Roma Tre, Roma, Italie) :<br />

Enamel structure analysis as a tool for reconstructing feeding behavior of fossil voles (Arvicolidae,<br />

Ro<strong>de</strong>ntia, Mammalia) [Analyse <strong>de</strong> la structure <strong>de</strong> l’émail comme outil pour reconstruire le<br />

comportement alimentaire <strong><strong>de</strong>s</strong> campagnols fossiles (Arvicolidae, Ro<strong>de</strong>ntia, Mammalia].<br />

Michel Laurin (CNRS, UMR 7179) : Structure, fonction <strong>et</strong> évolution <strong>de</strong> l’oreille moyenne<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés actuels <strong>et</strong> éteints : interprétations paléobiologiques <strong>et</strong> phylogénétiques [Structure,<br />

fonction and evolution of the middle ear of extant and extinct vertebrates : paleobiological<br />

and phylogen<strong>et</strong>ic interpr<strong>et</strong>ations].<br />

Philippe Janvier (Muséum National d’Histoire Naturelle, Département Histoire <strong>de</strong> la<br />

Terre) : Anatomies éteintes, fonctions énigmatique [Extinct anatomies, enigmatic functions].<br />

Session 5 :<br />

Structures <strong>et</strong> fonctions cognitives<br />

Cognitive structures and fucntions<br />

Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> séance/Chair : Alain Berthoz (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>)<br />

Olivier Houdé (Un. Paris Descartes, équipe « Développement <strong>et</strong> fonctionnement<br />

cognitifs », UMR 6095) : Fonctions <strong>et</strong> structure du développement cognitif [Functions and<br />

structure in cognitive <strong>de</strong>velopment].<br />

Denis Forest (Un. Jean-Moulin-Lyon 3 <strong>et</strong> IHPST, Paris) : Architecture <strong>et</strong> évolution <strong>de</strong> la<br />

fonction du langage [Architecture and evolution of the function of language].<br />

Session 6 :<br />

Attributions fonctionnelles en biologie expérimentale<br />

Functional ascriptions in experimental biology<br />

Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> séance/Chair : Philippe Kourilsky (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>)<br />

Michel Morange (Ecole Normale Supérieure <strong>et</strong> IHPST, Paris) : Les fonctions <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines<br />

[The functions of proteins].<br />

Jean-Clau<strong>de</strong> Dupont (Université <strong>de</strong> Picardie <strong>et</strong> IHPST, Paris) : Physiologie : L’histoire <strong>de</strong><br />

l’intégration, <strong>de</strong> Spencer à Sherrington <strong>et</strong> après [Physiology : the history of integration, from<br />

Spencer to Sherrington and beyond].


BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 363<br />

Charles Galperin (IHPST, Paris) : Fonction, fonctionnement, multifonctionnalité en<br />

génétique du développement [Functions, functioning, multi-functionality in the Gen<strong>et</strong>ics of<br />

<strong>de</strong>velopment].<br />

Thomas Pra<strong>de</strong>u (Un. <strong>de</strong> Caen & IHPST, Paris) : Peut-on attribuer une fonction au<br />

système immunitaire ? [Can a function be ascribed to the immune system ?].<br />

Vendredi 23 mai<br />

Session 7 :<br />

Fonctions <strong>et</strong> origines <strong>de</strong> la vie<br />

Functions and the origins of life<br />

Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> séance/Chair : François Duchesneau (Un. <strong>de</strong> Montréal).<br />

Christophe Malaterre (IHPST, Paris) : Attributions fonctionnelles dans le mon<strong>de</strong><br />

prébiotique : le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> ribozymes [Functional Ascription in the Prebiotic World : the Case of<br />

Ribozymes].<br />

Alvaro Moreno (Universidad <strong>de</strong>l Pais Vasco, Departamento <strong>de</strong> Filosofía, Espagne) : The<br />

problem of the emergence of functional diversity in prebiotic evolution [Le problème <strong>de</strong><br />

l’émergence <strong>de</strong> la diversité fonctionnelle dans l’évolution prébiotique].<br />

Stéphane Tirard (Un. <strong>de</strong> Nantes & Equipe REHSEIS, Paris) : Aspects métaboliques <strong>de</strong> la<br />

fonction <strong>de</strong> nutrition dans le débat sur les origines <strong>de</strong> la vie au milieu du XX e s. [M<strong>et</strong>abolic aspects<br />

of the nutrition function in the <strong>de</strong>bate over the Origins of Life in middle 20 th Cy].<br />

Session 8 :<br />

Fonction and dysfonction<br />

Function and dysfunction<br />

Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> séance/Chair : Pierre Corvol (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>).<br />

Ulrich Krohs (Universität Hamburg, Department of Philosophy), Dys-’, ‘mal-’ and ‘non-’ :<br />

the other si<strong>de</strong> of functionality [‘Dys-’, ‘mal-’ <strong>et</strong> ‘non-’ : l’autre côté <strong>de</strong> la fonctionnalité].<br />

Elodie Giroux (Un. Lyon 3 & IHPST, Paris), Du concept <strong>de</strong> fonction biologique au<br />

concept <strong>de</strong> santé : les limites d’un transfert dans le domaine <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine [From the concept<br />

of biological function to the concept of health : the limits of a transfer into the field of<br />

medicine].<br />

Arnaud Plagnol (Université <strong>de</strong> Paris 8, LPN & IHPST, Paris), Le raisonnement<br />

fonctionnel en psychiatrie [Functional reasoning in Psychiatry].<br />

Session 9 :<br />

Le raisonnement fonctionnel dans les sciences <strong>de</strong> l’ingénieur<br />

<strong>et</strong> dans les sciences <strong>de</strong> la vie<br />

Functional reasoning in engineering and the life sciences<br />

Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> séance : Armand <strong>de</strong> Ricqlès (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>).<br />

Daniel Becquemont (Un. Lille 3) : « Design » histoire du mot <strong>et</strong> du concept : sciences <strong>de</strong><br />

la nature, théologie, esthétique [“Design” : history of the word and history of the concept :<br />

the concept — natural sciences, theology, aesth<strong>et</strong>ics].<br />

Tim Lewens (Cambridge Un., UK) : Foot on Natural Goodness : Normativity in Organisms<br />

and Artefacts [Foot <strong>et</strong> la bonté naturelle : <strong>de</strong> la normativité dans les organismes <strong>et</strong> dans les<br />

artéfacts].


364 ARMAND DE RICQLÈS<br />

Anick Abourachid (Muséum National d’Histoire Naturelle, Département Ecologie <strong>et</strong><br />

Gestion <strong>de</strong> la Biodiversité, UMR 7179) & Vincent Hugel (Université <strong>de</strong> Versailles,<br />

Laboratoire d’Ingénierie <strong><strong>de</strong>s</strong> Systèmes <strong>de</strong> Versailles) : L’idée <strong>de</strong> fonction en biologie <strong>et</strong> en<br />

robotique : témoignage d’une collaboration autour <strong>de</strong> « RoboCoq » [The i<strong>de</strong>a of function in<br />

biology and robotics : testimony on a collaboration around « RoboCoq »].<br />

Pi<strong>et</strong>er Vermaas (Delft Un. of Technology, Department of Philosophy) & Wybo Houkes<br />

(Eindhoven Un. of Technology, Philosophy and Ethics of Technology) : Making artefacts<br />

and <strong><strong>de</strong>s</strong>igning functions [Fabriquer <strong><strong>de</strong>s</strong> artéfacts <strong>et</strong> concevoir <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions].<br />

Françoise Longy (Un. <strong>de</strong> Strasbourg 2 <strong>et</strong> IHPST, Paris) : Pourquoi une même théorie pour<br />

les fonctions <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> artefacts ? [Why looking for a unified theory of function in<br />

organisms and artefacts ?].<br />

Discussion-Conclusion<br />

Débat avec la salle, animé par les responsables scientifiques <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes <strong>de</strong> l’ACI /<br />

Debate with the public, led by the scientific coordinators of the programme (Jean Gayon,<br />

Olivier Houdé, Françoise Parot, Armand <strong>de</strong> Ricqlès).<br />

RECHERCHE<br />

1. Généralités, statuts <strong>et</strong> situation institutionnelle (juin 2008)<br />

Au titre du CNRS la Chaire <strong>de</strong> Biologie historique <strong>et</strong> Evolutionnisme du <strong>Collège</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>France</strong>, dirigée par A. <strong>de</strong> Ricqlès, est rattachée à l’UMR 7179 CNRS/UPMC-<br />

P6/MNHN/<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> « Mécanismes adaptatifs : <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes aux<br />

communautés » dirigée par le D r Martine Perr<strong>et</strong>, Directeur <strong>de</strong> recheches au CNRS,<br />

<strong>et</strong> constituée <strong>de</strong> quatre équipes. Le Docteur Michel Laurin à pris, au 01/01/2007<br />

le relais du Professeur Jacques Castan<strong>et</strong> (Université Paris 6) pour assurer la direction<br />

<strong>de</strong> l’équipe <strong>de</strong> recherche « Squel<strong>et</strong>te <strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés » dont la Chaire <strong>de</strong> Biologie<br />

historique <strong>et</strong> Evolutionnisme fait partie. Ces dispositions resteront valables jusqu’au<br />

31/12/2008.<br />

Les contraintes du « classement <strong>de</strong> Shangaï » ont entraîné, pour <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons <strong>de</strong><br />

« lisibilité », une modification <strong>de</strong> la politique <strong>de</strong> certains <strong>de</strong> nos organismes <strong>de</strong><br />

tutelles relativement aux UMR « multisceaux » comme la nôtre. C’est ainsi que<br />

notre équipe <strong>de</strong> recherche s’est vue contrainte <strong>de</strong> disparaître <strong>de</strong> facto. Ses<br />

composantes CNRS <strong>et</strong> Muséum rejoindront au 01/01/2009 l’UMR 7180 au<br />

MNHN tandis que ses composantes Paris VI rejoindront à la même date l’UFR 918<br />

Géologie <strong>et</strong> Biodiversité/UMR-ISTEP (Directeur Professeur Ph. Huchon) à<br />

l’Université Paris VI.<br />

Ainsi s’achève institutionnellement une aventure intellectuelle trans-disciplinaire<br />

<strong>et</strong> inter-établissements débutée en 1982 sous forme d’un contrat « jeune équipe »<br />

entre l’Université Paris VII, le CNRS <strong>et</strong> le MNHN sur le thème <strong>de</strong> la biologie<br />

comparative <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus squel<strong>et</strong>tiques <strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés.


BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 365<br />

S’est donc posé le problème du rattachement institutionnel <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong><br />

Biologie historique <strong>et</strong> Evolutionnisme du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> relativement aux<br />

divers organismes impliqués. Bien que <strong>de</strong> forts liens humains <strong>et</strong> thématiques nous<br />

attachent <strong>de</strong>puis toujours au Muséum <strong>et</strong> à l’UMR 7180, nous avons cru <strong>de</strong> notre<br />

<strong>de</strong>voir <strong>de</strong> rattacher plutôt notre chaire à l’UFR 918/UMR-ISTEP <strong>de</strong> Paris VI. En<br />

eff<strong>et</strong>, la composante Paris VI <strong>de</strong> notre équipe représente un très p<strong>et</strong>it nombre <strong>de</strong><br />

jeunes biologistes évolutionnistes rejoignant une grosse UFR <strong>de</strong> Géologie pour<br />

contribuer à l’animation d’un nouveau « pôle naturaliste » à l’Université. Il nous a<br />

donc semblé que le soutien apporté par notre chaire à nos collègues <strong>et</strong> à ce proj<strong>et</strong><br />

justifiait ce choix.<br />

2. Activités <strong>de</strong> recherche 2007-2008 <strong>et</strong> <strong>travaux</strong> en <strong>cours</strong><br />

Publications <strong>et</strong> Travaux 2007-2008<br />

2007 (suite)<br />

Buffrénil V. <strong>de</strong>, Bard<strong>et</strong> N., Pereda-Suberbiola X. & Bouya B. 2007. Specialization of<br />

bone structure in Pachyvaranus crassispondylus Arambourg, 1952, an aquatic squamate from<br />

the Late Cr<strong>et</strong>aceous of the southern T<strong>et</strong>hyan margin. L<strong>et</strong>haia 41 : 59-69.<br />

Buffrénil V <strong>de</strong>, Hémery G. 2007. Harvest of the Nile monitor, Varanus niloticus,<br />

in Sahelian Africa. Part I : Demographic impact of professional capture technique.<br />

In : H-G. Horn, W. Böhme & U. Krebs (eds.) Advances in monitor Research III.<br />

Mertensiella. 16 :181-194.<br />

Buffrénil V. <strong>de</strong> Hémery G. Harvest of the Nile monitor, Varanus niloticus, in Sahelian<br />

Africa. Part II : Life history traits of harvested monitors. In : H-G. Horn, W. Böhme &<br />

U. Krebs (eds.) Advances in monitor Research III. Mertensiella 16 : 195-217.<br />

Lord C., Fermon Y., Meunier F.J., Jegu M. & Keith P. 2007. Croissance <strong>et</strong> longévité<br />

du Watau yaike, Tom<strong>et</strong>es lebaili (Osteichthyes, Teleostei, Serrasalminae) dans le bassin du<br />

haut Maroni (Guyane française). Cybium, 31(3) : 359-367.<br />

Khemiri S., Gaamour A., Meunier F.J. & Zylberberg L. 2007. Age and growth of<br />

Engraulis encrasicolus (Clupeiformes ; Engraulidae) in the Tunisian waters. Cah. Biol. Mar.,<br />

48 : 259-269.<br />

Ricqlès A. <strong>de</strong>. 2007. Fifty years after Enlow and Brown’s « Comparative histological<br />

study of fossil and recent bone tissues » (1956-58) : a review of Professor Donald H. Enlow’s<br />

contribution to paleohistology and comparative histology of bone. Comptes Rendus Palevol<br />

(6) 591-601.(1.152)<br />

Zaragü<strong>et</strong>a Bagils R., Bourdon E., 2007. Three-item analysis : hierarchical representation<br />

and treatment of missing and inapplicable data. Comptes Rendus Palevol 6(6-7) :<br />

527-534.<br />

2008 <strong>et</strong> sous presse<br />

Bourdon E., Amaghzaz M. & Bouya B. (In Press). A new seabird (Aves, cf. Pha<strong>et</strong>hontidae)<br />

from the Lower Eocene phosphates of Morocco. Geobios.<br />

Bourdon E., Mourer-Chauviré C., Amaghzaz M. & Bouya B. (In Press). New specimens<br />

of Lithoptila abdounensis (Aves, Propha<strong>et</strong>hontidae) from the Lower Paleogene of Morocco.<br />

Journal of Vertebrate Paleontology.


366 ARMAND DE RICQLÈS<br />

Bourdon E., Ricqlès A. & Cubo J. (In Press). A new Transantarctic relationship:<br />

morphological evi<strong>de</strong>nce for a Rheidae-Dromaiidae-Casuariidae cla<strong>de</strong> (Aves, Palaeognathae,<br />

Ratitae). Zoological Journal of the Linnean Soci<strong>et</strong>y.<br />

Buffrénil V. <strong>de</strong>, Astibia H., Pereda Suberbiola X., Berr<strong>et</strong>eaga A., Bard<strong>et</strong> N. 2008. Bone<br />

histology of basal sirenians from the Middle Eocene of Western Europe. Geodiversitas,<br />

30(2) : 425-432.<br />

Buffrénil V. <strong>de</strong>, Houssaye A., Böhme W. 2008. Bone vascular supply in monitor lizards<br />

(Squamata : Varanidae) : influence of size, growth and phylogeny. Journal of Morphology,<br />

269 : 533-543.<br />

Cao N., Bourdon E., El Azawi M., Zaragü<strong>et</strong>a Bagils R. (In Press). Three-item analysis<br />

and parsimony, intersection tree and strict consensus : a biogeographical example. Bull<strong>et</strong>in<br />

<strong>de</strong> la Société Géologique <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />

Cubo J., Legendre P., Ricqlès A. <strong>de</strong>, Montès L., Margerie E. <strong>de</strong>, Castan<strong>et</strong> J., Des<strong>de</strong>vises Y.<br />

2008. Phylogen<strong>et</strong>ic, functional and structural components of variation in bone growth rate<br />

of amniotes. Evolution and Development, 10 : 217-227.<br />

Deschamps M.H., Kacem A., Ventura R., Courty G., Haffray P., Meunier F.J. &<br />

Sire J.Y. 2008. Assesment of « silent » vertebral abnormalities, bone mineralization and<br />

bone compactness in farmed rainbow trout. Aquaculture, 279 : 11-17.<br />

Houssaye A., Buffrénil V. <strong>de</strong>, Rage J.C., Bard<strong>et</strong> N. 2008. Analysis of vertebral<br />

« pachyostosis » in Carentonosaurus mineaui (Mosasauroi<strong>de</strong>a, Squamata) from the<br />

Cenomanian (early Late Cr<strong>et</strong>aceous) of <strong>France</strong>, with comments on its phylogen<strong>et</strong>ic and<br />

functional significance. Journal of Vertebrate Paleontology, 28 (3) : 685-691.<br />

Meunier F.J., Deschamps M.H., Lecomte F. & Kacem A. 2008. Le squel<strong>et</strong>te <strong><strong>de</strong>s</strong> poissons<br />

téléostéens : structure, développement, physiologie, pathologie. Bull. Soc. Zool. Fr. (sous<br />

presse).<br />

Ricqlès A. <strong>de</strong>, Padian K., Knoll F., Horner J.R. 2008. On the origin of rapid growth<br />

rates in archosaurs and their ancient relatives: complementary histological studies on Triassic<br />

archosauriforms and the problem of a « phylogen<strong>et</strong>ic signal » in bone histology. Annales <strong>de</strong><br />

Paléontologie, 94 : 57-76.<br />

Sanchez S., Klembara J., Castan<strong>et</strong> J., Steyer S. 2008. Salaman<strong>de</strong>r-like <strong>de</strong>velopment in a<br />

seymouriamorph revealed by palaeohistology. Biology l<strong>et</strong>ters, Doi : 1098/rsbl.2008.0159.<br />

Zylberberg L. & Meunier F.J. (sous presse). New data on the structure and the<br />

chondrocyte populations of the haemal cartilage of abdominal vertebrae in the adult carp<br />

Cyprinus carpio (Teleostei, ostariophysii, Cyprinidae). Cybium.<br />

Ouvrages <strong>et</strong> chapitres d’ouvrages<br />

2007 (suite)<br />

Schmitz H., Ud<strong>de</strong>nberg N., Östensson P. 2007. Linné — Une passion pour la classification.<br />

Laurin M., traducteur. Paris : Belin.<br />

2008 <strong>et</strong> sous presse<br />

Deschamps M.H., Meunier F.J., Sire J.Y. (sous presse). Le Squel<strong>et</strong>te <strong>de</strong> la Truite Arcen-Ciel.<br />

In : B. Jalabert (edt.), INRA.<br />

Laurin M. (sous presse a.) Paleontological evi<strong>de</strong>nce. In : Bels V., Renous S., editors.<br />

Vertebrates reach the land. Paris : Muséum National d’Histoire Naturelle.


BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 367<br />

Laurin M. (sous presse b.). Limb origin and <strong>de</strong>velopment. In : Bels V., Renous S.,<br />

editors. Vertebrates reach the land. Paris : Muséum National d’Histoire Naturelle.<br />

Laurin M. (sous presse c.). Le PhyloCo<strong>de</strong>. In : Prat D., Raynal A., Roguenant A., editors.<br />

Linné <strong>et</strong> la systématique aujourd’hui — Faut-il classer le vivant ? Paris : Belin.<br />

Meunier F.J., Erdmann M.V., Fermon Y., Caldwell R.L. (sous presse). Can the<br />

comparative study of the morphology and histology of the scales of Latimeria menadoensis<br />

and L. chalumnae (Sarcopterygii, Actinistia, Coelacanthidae) bring new insight on the<br />

biogeography of recent coelacanthids ? In : Cavin L., Longbottom A. <strong>et</strong> Richter M. (Eds)<br />

Fishes and the break-up of Pangaea. Geol. Soc. London, Special publ. 295 : 351-360.<br />

Ricqlès A. <strong>de</strong>. 2008. L’Evolution, nouveau « récit <strong>de</strong> création » ou synthèse <strong>de</strong> toute la<br />

biologie ? pp.13-28, In : Le Récit (W. Marx Direct), Actes <strong>de</strong> Savoirs, 4/2008, PUF.<br />

Actes <strong>de</strong> colloques Internationaux dans <strong><strong>de</strong>s</strong> revues in<strong>de</strong>xées<br />

2007 (suite)<br />

Bourdon E. 2007. A new phylogeny of extant ratite birds. 8 th International Congress of<br />

Vertebrate Morphology. Université Pierre <strong>et</strong> Marie Curie, Paris, <strong>France</strong>, 16-21 juill<strong>et</strong>.<br />

J. Morphol., 268(12) : 1052.<br />

Brito P., Meunier F.J. & De Leal M.E. 2007. Origine <strong>et</strong> diversification <strong>de</strong> l’ichtyofaune<br />

néotropicale. In : 3 es rencontres d’Ichtyologie en <strong>France</strong>, Soc. Fra. Ichtyol., Cybium, 31<br />

(2) : 139-153.<br />

Chan<strong>et</strong> B., Guintard C., B<strong>et</strong>ti E., Clement G., Meunier F.J., Ahlberg P. Experiment<br />

anatomical imaging in osteichthyan fishes. 8 th Intern. Congress of Vertebrate Morphology,<br />

Paris, 16-21 juill<strong>et</strong> 2007 (Poster). J. Morphol., 268(12) : 1058.<br />

Cubo J., Montes L., Castan<strong>et</strong> J. 2007. Resting m<strong>et</strong>abolic rates, bone growth rates and<br />

bone tissue types in Amniotes. (Com. orale). 8 th International Congress of Vertebrate<br />

Morphology. Université Pierre <strong>et</strong> Marie Curie, Paris, <strong>France</strong>, 16-21 juill<strong>et</strong>. J. Morphol.,<br />

268(12) : 1062 .<br />

Montes L., Castan<strong>et</strong> J. and Cubo J. 2007. Relationship b<strong>et</strong>ween bone growth rate and<br />

bone vascular <strong>de</strong>nsity in amniotes : a first test of Amprino’s rule in a phylogen<strong>et</strong>ic context.<br />

(Com. orale). 8 th International Congress of Vertebrate Morphology. Université Pierre <strong>et</strong><br />

Marie Curie, Paris, <strong>France</strong>, 16-21 juill<strong>et</strong>. J. Morphol., 268(12) : 1108.<br />

Laurin M. Morphological evolution of vertebrates in the conquest of land. 8 th International<br />

Congress of Vertebrate Morphology. Université Pierre <strong>et</strong> Marie Curie, Paris, <strong>France</strong>,<br />

16-21 juill<strong>et</strong> 2007 (résumé). J. Morphol., 268(12) : 71.<br />

Laurin M., Cantino P.D. 2007. Second me<strong>et</strong>ing of the International Soci<strong>et</strong>y for<br />

Phylogen<strong>et</strong>ic Nomenclature : a report. Zoologica Scripta, 36 : 109-117 (2.338).<br />

Le Roy N., Cubo J. A predictive mo<strong>de</strong>l of paleobiological estimation of bone growth<br />

rate from bone tissue types in extinct archosaurs. 8 th International Congress of Vertebrate<br />

morphology (ICVM8), Université Pierre <strong>et</strong> Marie Curie, Paris, 16-21 juill<strong>et</strong> 2007 (Poster).<br />

J. Morphol., 268(12) : 1098.<br />

Meunier F.J. & Saur F. 2007. Etu<strong>de</strong> morphologique <strong>et</strong> structurale <strong><strong>de</strong>s</strong> écailles <strong>de</strong><br />

T<strong>et</strong>ragonurus cuvieri (Osteichthyes, Perciformes, T<strong>et</strong>ragonuridae) <strong>et</strong> <strong>de</strong> Cleidopus gloriamaris<br />

(Osteichthyes, Beryciformes, Monocentridae). Cybium, 31(2) : 123-132.


368 ARMAND DE RICQLÈS<br />

Montes L., Castan<strong>et</strong> J., Cubo J. Relationship b<strong>et</strong>ween bone growth rate and bone<br />

vascular <strong>de</strong>nsity in amniotes: a first tes t of Amprino’s rule in a phylogen<strong>et</strong>ic context. 8 th<br />

International Congress of Vertebrate morphology (ICVM8), Paris, 16-21 juill<strong>et</strong> 2007.<br />

Com. Orale. Résumé. J. Morphol., 268(12) : 1108.<br />

Ricqlès A. <strong>de</strong>. 2007. Towards a classificatory scheme and nomenclature of bone histology<br />

in 8 th International Congress of Vertebrate morphology (ICVM8), Université Pierre <strong>et</strong><br />

Marie Curie, Paris, 16-21 juill<strong>et</strong> 2007. Com orale. J. Morphol., 268(12) : 1066.<br />

2008 <strong>et</strong> sous presse<br />

Thireau M., Meunier F.J., Bauchot M.L., Hamonou-Mahieu A. & Pi<strong>et</strong>sch T.W. 2008.<br />

L’œuvre icthyologique <strong>de</strong> Charles Plumier, lors <strong>de</strong> ses trois voyages aux Antilles (1689,<br />

1693 <strong>et</strong> 1695). 130 e Congrès national <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés historiques <strong>et</strong> scientifiques, La Rochelle,<br />

18-23 avril 2005.<br />

Colloques <strong>et</strong> Congrès Nationaux <strong>et</strong> autres<br />

2007 (suite)<br />

Dieux-Coëslier A., Zylberberg L., Silve C., Fron D., Manouvrier S., Le Merrer M.<br />

Unusual epiphyseal and m<strong>et</strong>aphyseal dysplasia associated with major advanced bone<br />

maturation and severe asymm<strong>et</strong>ric lower limbs <strong>de</strong>formation. 8 th International me<strong>et</strong>ing on<br />

chondrodysplasy. Albi 19-21 juill<strong>et</strong> 2007. Résumé in Actes du Colloque p. 87.<br />

Kacem A. & Meunier F.J. Caractéristiques histo-morphométriques du <strong>de</strong>ntaire du<br />

saumon atlantique, Salmo salar L. (Teleostei, Salmonidae) lors <strong>de</strong> sa migration anadrome.<br />

1 er Congrès Franco-Maghrébin <strong>de</strong> Zoologie <strong>et</strong> d’Ichtyologie, 3-7 novembre 2007, El Jadida,<br />

Maroc, (communication orale).<br />

Laurin M. Recent works on the conquest of land by vertebrates. 5th Me<strong>et</strong>ing of the<br />

European Association of Vertebrate Paleontologists. Carcassonne, 15-19 mai 2007, p. 40<br />

(résumé).<br />

Laurin M. Développements récents du PhyloCo<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’ISPN. First Mediterranean<br />

Herp<strong>et</strong>ological Congress. Marrakech (Maroc), 16-20 avril 2007, p. 39 (résumé).<br />

Marjanovic D., Laurin M. Paleontological and molecular perspectives on the origin and<br />

diversification of lissamphibians. 5th Me<strong>et</strong>ing of the European Association of Vertebrate<br />

Paleontologists. Carcassonne, <strong>France</strong>, 15-19 mai 2007, p. 43 (résumé).<br />

Marjanovic D., Laurin M. A paleontological and molecular perspective on the origin of<br />

lissamphibians. First Mediterranean Herp<strong>et</strong>ological Congress. Marrakech, Morocco,<br />

16-20 avril 2007, p. 39 (résumé).<br />

Meunier F.J., & J.Y. Sire. L’os acellulaire <strong>de</strong> la dora<strong>de</strong> royale, Sparus aurata (Teleostei,<br />

Perciformes). 1 er Congrès Franco-Maghrébin <strong>de</strong> Zoologie <strong>et</strong> d’Ichtyologie, 3-7 novembre<br />

2007, El Jadida, Maroc, (communication orale).<br />

Meunier F.J., Les diverses métho<strong><strong>de</strong>s</strong> sclérochronologiquespour estimer l’âge individuel<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> poissons marins. 8 es Journées annuelles ATS Mer, 15-17 décembre 2007, Tabarka<br />

(Tunisie) (Conférence invitée).<br />

Meunier F.J. Sur l’œuvre ichtyologique <strong>de</strong> Théodore Monod. 4 e Forum méhariste,<br />

Saint-Poncy (Cantal), les 19-22 juill<strong>et</strong> 2007 (communication orale).<br />

Meunier F.J. & Geistdoerfer P. Les espèces invasives en Mer Méditerranée : l’exemple<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Poissons 111 es Journées annuelles <strong>de</strong> la SZF, Bastia, 18-25 septembre 2007<br />

(communication orale).


BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 369<br />

Meunier F.J. Guillaume Ron<strong>de</strong>l<strong>et</strong> (1507-1566). Un zoologiste mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> innovateur.<br />

Fac. Mé<strong>de</strong>cine Montpellier, 29 sept. 2007, Hommage à G. Ron<strong>de</strong>l<strong>et</strong> (communication<br />

orale).<br />

Zaragü<strong>et</strong>a Bagils R., Bourdon E. 2007. Three-item analysis : representation of missing<br />

and non-applicable data. Palaeobotany and the evolution of plants : current issues, <strong>Collège</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>France</strong>, Paris, 23-25 mai 2007, p. 43 (résumé).<br />

2008 <strong>et</strong> sous presse<br />

Bourdon E., Ricqlès A. & Cubo J. 2008. Quantification of the phylogen<strong>et</strong>ic signal in<br />

bone microstructure in ratites (Aves, Palaeognathae) using a new morphological phylogeny.<br />

7 th International Me<strong>et</strong>ing of the Soci<strong>et</strong>y of Avian Paleontology and Evolution, Australian<br />

Museum, Sydney, Australie, 18-22 août 2008.<br />

Bourdon E., Castan<strong>et</strong> J., Cubo J. & Ricqlès A. 2008. Bone growth marks in ratites<br />

(Aves, Neornithes, Palaeognathae). 7 th International Me<strong>et</strong>ing of the Soci<strong>et</strong>y of Avian<br />

Paleontology and Evolution, Australian Museum, Sydney, Australie, 18-22 août 2008.<br />

Castan<strong>et</strong> J., Bourdon E., Cubo J., Ricqlès A. <strong>de</strong>. 2008. Bone growth marks suggest<br />

protracted growth in Apteryx (Aves, Neornithes, Ratitae), In : XX Congrès International <strong>de</strong><br />

Zoologie (ICZ2008). Paris 26-29 août 2008 (Poster). Résumé Integrative zoology.<br />

Ricqlès A. <strong>de</strong>. 2008 (sous presse). Cent ans après : l’Evolution créatrice au péril <strong>de</strong><br />

l’évolutionnisme contemporain. (Colloque pour le centenaire <strong>de</strong> l’Evolution créatrice d’Henri<br />

Bergson, Paris, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> ENS), Ann. Bergson (sous presse).<br />

Diffusion <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances<br />

2007 (suite)<br />

Meunier F.J. 2007. Léon Bertin (1896-1956). SFI-Info, 42-43 : 8-9.<br />

Ricqlès A. <strong>de</strong>. 2007. Travaux <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Biologie historique <strong>et</strong> Evolutionnisme<br />

2005-2006. Annales du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 106 : 336-348.<br />

2008 <strong>et</strong> sous presse<br />

Keith P. & Meunier F.J. 2008 (sous presse). La mangrove, In : La Guyane littorale<br />

(D. Guiral & R. Leguen, edts.<br />

Laurin M. (sous presse). Review of HALL, B. K. (ed.) 2007. Fins into Limbs : Evolution,<br />

Development and Transformation, 433 pages. University of Chicago Press, Chicago. Copeia<br />

(0.840).<br />

Meunier F.J. 2008. Johannes Schmidt (1877-1933). SFI-Info, 45 : 3-5.<br />

Meunier F.J. 2008 (sous presse). Les innovations zoologiques <strong>de</strong> Guillaume Ron<strong>de</strong>l<strong>et</strong><br />

(1507-1566). Cah. Nat.<br />

Meunier F.J. 2008 (Comments on ). « Zebrafish. A practical approach », 2002, C. Nüsslein-<br />

Volhard & R. Dahm, Oxford Univ. Press, 303 pages, In : Cybium, 2008, 32(1) : 42.<br />

Meunier F.J. 2008 (Comments on). « Le léman <strong>et</strong> sa vie microscopique », 2007.<br />

J.C. Druart & G. Balvay, In : Cybium 2008, 32(2).<br />

Ricqlès A. <strong>de</strong> 2008. Structures <strong>et</strong> Fonctions L<strong>et</strong>tre du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 23 : 26-27.<br />

Schmitt St. <strong>et</strong> Ricqlès A. <strong>de</strong> (sous presse). Evolutionnisme. Encyclopaedia Universalis,<br />

Paris.


370 ARMAND DE RICQLÈS<br />

Autres productions, vulgarisation, formation permanente<br />

2007 (suite)<br />

Meunier F.J. 2008. Le Muséum national d’Histoire naturelle. Le jardin <strong><strong>de</strong>s</strong> Plantes.<br />

Culture <strong>et</strong> Temps libre, Draveil, le 5 février 2008.<br />

Meunier F.J. 2008. Le Muséum national d’Histoire naturelle. Le jardin <strong><strong>de</strong>s</strong> Plantes.<br />

Culture <strong>et</strong> Temps libre, Yerres, le 27 mai 2008.<br />

2008 <strong>et</strong> sous presse<br />

Meunier F. & Derouch M. 2008. Fascicule <strong>de</strong> <strong>cours</strong>. Stage d’Ichtyologie : initiation.<br />

ONEMA ed., 215 pp. Boves 80332.<br />

Ricqlès A. <strong>de</strong>. Enseigner l’évolutionnisme scientifique face au néo-créationnisme<br />

contemporain. http://e.geologie.free.fr/ffg/l<strong>et</strong>tre/l<strong>et</strong>tre2.html.<br />

Thèses<br />

Etudiants <strong>et</strong> stagiaires 2007-2008<br />

Germain D. 2003-2007. Anatomie <strong><strong>de</strong>s</strong> lépospondyles <strong>et</strong> origine <strong><strong>de</strong>s</strong> lissamphibiens.<br />

Muséum National d’Histoire Naturelle (encadrant : M. Laurin). Thèse soutenue Juin<br />

2007, mention très hon. avec félicitations.<br />

Houssaye A. 2006-2009. La pachyostose <strong><strong>de</strong>s</strong> squamates du Crétacé supérieur : implications<br />

phylogénétiques, morphofonctionnelles <strong>et</strong> paléoécologiques (encadrant : V. <strong>de</strong> Buffrénil).<br />

Marjanovic D. 2006-2009. Révision systématique <strong><strong>de</strong>s</strong> placodontes, phylogénie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

amniotes <strong>et</strong> origine <strong><strong>de</strong>s</strong> tortues. UMPC/U. <strong>de</strong> Vienne (encadrants : M. Laurin,<br />

G. Steiner).<br />

Montes L. 2005-2008. Relation entre le taux métabolique standard <strong>et</strong> les taux <strong>de</strong><br />

croissance corporelle <strong>et</strong> squel<strong>et</strong>tique chez les amniotes. UMPC (encadrants : J. Castan<strong>et</strong> <strong>et</strong><br />

J. Cubo).<br />

M2<br />

Canoville A. Diversité microstructurale <strong>de</strong> l’humérus <strong>et</strong> inférence du mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie <strong>de</strong><br />

taxons éteints. M2 Sciences <strong>de</strong> l’Univers, Environnement <strong>et</strong> Ecologie, spécialité SEP :<br />

Systématique, Evolution <strong>et</strong> Paléontologie, UPMC/MNHN. Soutenue le 26 juin 2007<br />

(encadrant : M. Laurin).<br />

Laville S. Extinctions <strong>et</strong> taille corporelle au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> crises biologiques <strong>de</strong> la fin du<br />

Permien <strong>et</strong> du Trias. M2 Sciences <strong>de</strong> l’Univers, Environnement <strong>et</strong> Ecologie, spécialité SEP :<br />

Systématique, Evolution <strong>et</strong> Paléontologie, UPMC/MNHN. Soutenue le 26 juin 2007<br />

(encadrant : M. Laurin).<br />

Le Roy N. Prédiction du taux <strong>de</strong> croissance osseuse chez les amniotes fossiles à partir<br />

d’un modèle paléobiologique. M2 Sciences <strong>de</strong> l’Univers, Environnement <strong>et</strong> Ecologie,<br />

spécialité SEP : Systématique, Evolution <strong>et</strong> Paléontologie, UPMC/MNHN. Soutenue le<br />

26 juin 2007 (encadrant : J. Cubo).


M1<br />

BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 371<br />

Blottière L. Stage <strong>de</strong> Licence du 10 janvier au 30 juin 2008. Responsable : Jorge Cubo.<br />

Elle a travaillé avec La<strong>et</strong>itia dans le proj<strong>et</strong>. Relations entre la croissance <strong>et</strong> le taux métabolique<br />

chez les amniotes : approches micro <strong>et</strong> macroévolutives (encadrant J. Cubo).<br />

Post docs<br />

Bourdon E. ATER <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> 2007-2008 Recherche d’un signal phylogénétique<br />

dans l’histologie osseuse : le modèle Ratite (encadrants : J. Cubo <strong>et</strong> A. <strong>de</strong> Ricqlès).<br />

Piras P. Stage post-doctoral du 1 er janvier au 31 décembre 2008 financé par l’Université<br />

Pierre <strong>et</strong> Marie Curie. Responsable : Jorge Cubo. Suj<strong>et</strong> : Quantification <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux<br />

écologique <strong>et</strong> phylogénétique dans la forme <strong>et</strong> la microstructure <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments squel<strong>et</strong>tiques<br />

chez Arvicola (Ro<strong>de</strong>ntia) (encadrant : J. Cubo).<br />

Enseignement<br />

Travaux <strong><strong>de</strong>s</strong> personnels rattachés pour ordre<br />

à la Chaire <strong>de</strong> Biologie historique <strong>et</strong> Evolutionnisme<br />

Pascal PICQ, Maître <strong>de</strong> Conférences au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

— Introduction à la mé<strong>de</strong>cine évolutionniste. UE2 génétique <strong>et</strong> évolution : grands<br />

mécanismes du Master mention génétique <strong>de</strong> la Faculté <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine Xavier Bichat.<br />

Université Paris VII. Cours <strong>et</strong> Travaux Dirigés. Printemps 2008.<br />

— Origines <strong>et</strong> évolution <strong>de</strong> l’homme. Formation au CAPES interne. Université Pierre<br />

<strong>et</strong> marie Curie. Paris, le 27 janvier 2008.<br />

— Université Paris VII. Faculté <strong>de</strong> Chirurgie <strong>de</strong>ntaire <strong>de</strong> Garancière. Série <strong>de</strong> séminaires<br />

sur L’évolution <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> l’évolution <strong>et</strong> l’adaptation du crâne <strong><strong>de</strong>s</strong> hominidés.<br />

Printemps 2008.<br />

— La sexualité humaine. DU <strong>de</strong> Sexologie <strong>de</strong> l’université Paris XIII (13 janvier<br />

2008).<br />

Publications<br />

Livres<br />

— Pascal Picq, Laurent Sagart, Ghislaine Dehaene <strong>et</strong> Cécile Lestienne. La plus belle<br />

Histoire du Langage. Paris, le Seuil (192 p.) 2008.<br />

— Pascal Picq. Les Animaux amoureux. Photographies d’Eric Travers. Paris, Editions du<br />

Chêne (264 p.) 2007.<br />

— Pascal Picq <strong>et</strong> Michel Hall<strong>et</strong>-Eghayan. Danser avec l’Evolution. Paris, Le Pommier<br />

(112 p.) 2007.<br />

Contributions à <strong><strong>de</strong>s</strong> ouvrages collectifs<br />

— Pascal Picq. L’Homme <strong>et</strong> sa nature : <strong>de</strong> l’Hominsation à la fin <strong><strong>de</strong>s</strong> certitu<strong><strong>de</strong>s</strong>. In : Spyros<br />

Theodérou (dir.) : Lexiques <strong>de</strong> l’Incertain. Editions Parenthèses, 2008, p. 55-80.<br />

— Pascal Picq. Le créationnisme. In Mathieu Vidard (dir.) : Abécédaire <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences pour<br />

les Curieux. Editions Sciences Humaines/<strong>France</strong> Inter, 2008.


372 ARMAND DE RICQLÈS<br />

— Pascal Picq. L’émergence <strong>de</strong> l’Homme <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Humain. In : Max Poty (éd.) Emergence :<br />

actes du colloque <strong>de</strong> Mouans-Sartoux. Les éditions Ovadia, 2007,11-130, 2007.<br />

— Pascal Picq. Homo : le singe à rebrousse poil. In : Clau<strong>de</strong> Gudin : Une Histoire naturelle<br />

du Poil. Postface, p. 139-148. Panama, 2007.<br />

Articles<br />

— Les Révolutions <strong><strong>de</strong>s</strong> origines (p. 10-13) <strong>et</strong> R<strong>et</strong>our vers les Lumières (68-71). Les Textes<br />

qui ont changé le Mon<strong>de</strong>. Le Point Hors Série 18, juin-juill<strong>et</strong> 2008.<br />

— Sur la Trace <strong>de</strong> nos Ancêtres. Dossier Pour la Science n° 57, octobre/décembre 2007 :<br />

Editeur invité <strong>et</strong> rédaction d’articles :<br />

A l’ouest d’Homo sapiens, p. 4-8.<br />

L’outil ne fait pas l’homme, p. 40.<br />

De l’importance <strong>de</strong> sauver les grands singes, avec Sabrina Krief, p. 68-69.<br />

La bipédie est-elle spécifique à l’homme ? p. 76-77.<br />

Les trois candidats à l’ancêtre commun, p. 98-103.<br />

— Faits <strong>et</strong> causes pour l’évolution. Pour la Science 357 : 41-40, 2007.<br />

— Créationnisme <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>sein intelligent. Pour la Science 357 : 50-51, 2007.<br />

— Que répondre aux créationnistes ? Pour la Science : 52-54, 2007.<br />

— Darwin menacé par les religions ? Science <strong>et</strong> Avenir 729 (numéro spécial 60 ans)<br />

p. 114, novembre 2007.<br />

— Evolution : rencontres avec Yves Coppens <strong>et</strong> Pascal Picq. Archéologia 447, septembre<br />

2007, p. 40-51.<br />

Fonctions diverses <strong>et</strong> responsabilités administratives (extraits)<br />

— Membre du conseil scientifique <strong>de</strong> la Cité <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong> la Vill<strong>et</strong>te.<br />

— Membre du conseil scientifique du Musée <strong><strong>de</strong>s</strong> Confluences, Lyon.<br />

— Membre du conseil scientifique du Palais <strong>de</strong> la Découverte.<br />

— Membre du comité <strong>de</strong> rédaction <strong>de</strong> la Revue du Palais <strong>de</strong> la Découverte.<br />

— Membre du conseil scientifique <strong>de</strong> la revue Le Magazine du Développement durable.<br />

— Membre du Jury <strong><strong>de</strong>s</strong> bourses <strong>de</strong> la Chancellerie ; disciplines Littérature <strong>et</strong> Sciences<br />

humaines.<br />

— Scientifique référant auprès <strong>de</strong> l’Education nationale pour l’enseignement <strong>de</strong><br />

l’évolution <strong>de</strong> l’Homme.<br />

— Membre du conseil scientifique <strong>de</strong> la fondation Nicolas Hulot pour l’Homme <strong>et</strong> la<br />

Nature.<br />

— Prési<strong>de</strong>nt du jury <strong>de</strong> La Science se Livre.<br />

Colloques, séminaires, réunions scientifiques (extraits)<br />

Colloques <strong>et</strong> réunions scientifiques, séminaires<br />

— SSSSH … sexe, sélection sexuelle <strong>et</strong> sexualité humaine. 5 e Congrès Int. Francophone <strong>de</strong><br />

Gynécologie <strong>et</strong> Andrologie psychosomatique. Paris, Espace Cardin, le 25 janvier 2008.<br />

— La canine <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés : évolution <strong>et</strong> adaptation. Congrès <strong>de</strong> la CNO/SOP <strong>de</strong> Paris.<br />

Hôtel Mariott, le 17 janvier 2008.<br />

— L’Homme <strong>et</strong> la machine : progrès technique ou évolution ? 1 er Salon IMMOTOC-<br />

DOMOTIC. Agora Einstein, Sophia Antipolis le 7 décembre 2007.


BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 373<br />

— Une archéologie vivante <strong><strong>de</strong>s</strong> langues <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mythes : l’approche structurale. Colloque<br />

UISPP/CISENP Les Expressions intellectuelles <strong>et</strong> spirituelles <strong><strong>de</strong>s</strong> Peuples sans Ecriture.<br />

Musée <strong>de</strong> l’Homme, Paris 22-23 octobre 2007.<br />

— Quand l’évolution est <strong>de</strong> bon goût : du fruit à la cognition. Forum Les Voies du Goût.<br />

Biennale Internationale <strong><strong>de</strong>s</strong> Arts Culinaires, Dijon 11-13 octobre 2007.<br />

Diffusion <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances scientifiques (extraits)<br />

Expositions, activités auprès <strong><strong>de</strong>s</strong> Musées<br />

— Le Zizi sexuel. Exposition <strong>de</strong> la Cité <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences (conseiller scientifique), 2007.<br />

— Dérives. Echanges <strong>et</strong> textes. Exposition d’art contemporain à l’espace Paul Ricard,<br />

2007.<br />

Martin Pickford,<br />

Maître <strong>de</strong> conférences au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

Activité 2007-2008<br />

Participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> Congrès 2007 (suite) (après le 30/06/2007)<br />

Pickford, M., Wanas, H., Mein, P., & Soliman, H., 2008. Humid conditions in the<br />

Western Desert of Egypt during the Vallesian (Late Miocene). The Third International<br />

Conference on the Geology of the T<strong>et</strong>hys, South Valley University, Aswan, Egypte, janvier,<br />

2008.<br />

Publications scientifiques 2007 (suite)<br />

Nakatsukasa, M., Pickford, M., Egi, N., & Senut, B., 2007. Body weight, femoral length<br />

and stature of Orrorin tugenensis, a 6 Ma hominid from Kenya. Primates, 48 : 171-178.<br />

Pickford, M., 2007. Revision of the Mio-Pliocene bunodont otter-like mammals of the<br />

Indian Subcontinent. Estudios geologicos, 63 (1) : 83-127.<br />

Raghavan, P., Pickford, M., Patnaik, R., & Gayathri, P., 2007. First fossil small-clawed<br />

otter, Amblonyx, with a note on some specimens of Lutra, from the Upper Siwaliks, India<br />

Estudios geologicos, 63(2) : 135-146.<br />

Pickford, M., & Hlusko, L., 2007. Late Miocene procaviid hyracoids (Hyracoi<strong>de</strong>a :<br />

Dendrohyrax) from Lemudong’o, Kenya. Kirtlandia, 56 : 106-111.<br />

Publications scientifiques 2008 <strong>et</strong> sous presse<br />

Pickford, M., 2008. Libycosaurus p<strong>et</strong>rocchii Bonarelli, 1947, and Libycosaurus anisae<br />

(Black, 1972) (Anthracotheriidae, Mammalia) : nomenclatural and geochronological<br />

implications. Ann. Paléont. 94 : 39-55.<br />

Pickford, M., 2008. The myth of the hippo-like anthracothere : The <strong>et</strong>ernal problem of<br />

homology and convergence. Revista Espanola <strong>de</strong> Paleontologia. 23 : 31-90.<br />

Pickford , M., Wanas, H., Mein, P., & Soliman, H., 2008. Humid conditions in the<br />

Western Desert of Egypt during the Vallesian (Late Miocene). Proceedings of the Third<br />

International Conference on the Geology of the T<strong>et</strong>hys, South Valley University, Aswan,<br />

January, 2008, pp. 1-17.


Paléontologie humaine<br />

M. Michel Brun<strong>et</strong>, professeur<br />

Les hominidés anciens… une nouvelle histoire<br />

à la lumière <strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes récentes<br />

Origine, évolution, phylogénie, paléoenvironnements,<br />

paléobiogéographie, chronologie<br />

Leçon inaugurale, le 27 mars 2008 : Origine <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> hominidés…<br />

Nouveaux paradigmes<br />

Depuis 1994, les plus anciens hominidés connus sont passés <strong>de</strong> 3,6 Ma à 7 Ma<br />

aujourd’hui, avec trois nouvelles espèces du Miocène supérieur : Ardipithecus<br />

kadabba l’Ethiopien <strong>et</strong> Orrorin tugenensis le Kenyan, tandis que le plus ancien<br />

(7 Ma) est Sahelanthropus tcha<strong>de</strong>nsis dit Toumaï, le tchadien.<br />

Vers 4 Ma, ces hominidés anciens du Miocène supérieur ont donné naissance<br />

aux Australopithèques ; eux-mêmes sûrement à l’origine entre 2 <strong>et</strong> 3 Ma <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

premiers représentants, H. habilis <strong>et</strong> H. rudolfensis, du genre Homo qui va partir<br />

(H. erectus) à la conquête du reste <strong>de</strong> l’Ancien Mon<strong>de</strong> où les plus anciens sont<br />

actuellement connus à un peu moins <strong>de</strong> 2 Ma en Géorgie au Caucase. Vers<br />

800 000 ans on connaît Homo hei<strong>de</strong>lbergensis qui donnera naissance en Europe aux<br />

Néan<strong>de</strong>rthaliens, Homo nean<strong>de</strong>rthalensis, qui après une courte cohabitation vont<br />

être remplacés vers 28-30 000 ans par les hommes mo<strong>de</strong>rnes.<br />

Herto, le plus ancien (155-160 000 ans) représentant actuellement décrit <strong>de</strong><br />

notre espèce, H. sapiens idaltu, est également africain (Ethiopie). C’est lui ou l’un<br />

<strong>de</strong> ses frères qui partira à la conquête du reste du Mon<strong>de</strong> avec le succès que nous<br />

connaissons.


376 MICHEL BRUNET<br />

Cours du 2 avril : L’Histoire <strong>de</strong> notre Histoire<br />

Les Sciences <strong>de</strong> l’Antiquité confondaient l’Origine <strong>de</strong> l’Univers, l’Origine <strong>de</strong> la<br />

Terre <strong>et</strong> l’Origine <strong>de</strong> l’Homme. Les Sciences mo<strong>de</strong>rnes ont montré que ces trois<br />

évènements étaient en réalité séparés par <strong><strong>de</strong>s</strong> milliards d’années.<br />

La notion d’Homme fossile n’a été reconnue qu’en 1856, au moment <strong>de</strong> la mise<br />

au jour <strong><strong>de</strong>s</strong> premiers restes <strong>de</strong> l’Homme <strong>de</strong> Nean<strong>de</strong>rtal.<br />

Comme l’avait prédit Charles Darwin dès 1871, les plus anciens préhumains<br />

fossiles, à ce jour datés <strong>de</strong> 7 Ma, sont donc bien connus en Afrique <strong>et</strong> témoignent<br />

d’une origine africaine <strong>et</strong> ancienne (au moins 8 Ma) <strong>de</strong> l’humanité.<br />

Pourtant le courant néocréationniste, habilement grimé en « pseudoscience »<br />

sous le nom <strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>sein intelligent, fait preuve d’une vigueur persistante, non<br />

seulement par sa soli<strong>de</strong> implantation sur le Continent Nord Américain, mais aussi<br />

dans l’Ancien mon<strong>de</strong>, ainsi qu’en témoignent l’édition <strong>et</strong> la diffusion récentes d’un<br />

album photos couleur <strong>de</strong> luxe intitulé « Livre <strong>de</strong> la création ».<br />

Cours du 9 avril : Biodiversité <strong><strong>de</strong>s</strong> Primates actuels<br />

Les Humains sont <strong><strong>de</strong>s</strong> Mammifères qui appartiennent à l’ordre <strong><strong>de</strong>s</strong> Primates<br />

(les Premiers), créé par Linné en 1758. C<strong>et</strong> Ordre est actuellement représenté par<br />

plus <strong>de</strong> 200 espèces principalement arboricoles <strong>et</strong> vivant essentiellement dans les<br />

forêts tropicales <strong>et</strong> subtropicales.<br />

Les Primates se divisent en <strong>de</strong>ux grands groupes les Strepsirhini (Lémuriformes<br />

s.l.) caractérisés par la présence d’un rhinarium <strong>et</strong> d’une lèvre supérieure fendue,<br />

<strong>et</strong> les Haplorhini : Tarsiiformes & Simiiformes (= les singes) sans rhinarium <strong>et</strong> à<br />

lèvre supérieure soudée. Les Simiiformes regroupent les singes du Nouveau mon<strong>de</strong><br />

(Platyrrhini) <strong>et</strong> ceux <strong>de</strong> l’Ancien mon<strong>de</strong> (Catarrhini). Ces <strong>de</strong>rniers se divisent à<br />

leur tour en <strong>de</strong>ux groupes les singes : Cercopithécoï<strong><strong>de</strong>s</strong> (Cercopithèques,<br />

Babouins,..), <strong>et</strong> les grands singes : Hominoï<strong><strong>de</strong>s</strong> (Gibbons, Siamangs, Orangsoutans,<br />

Gorilles, Chimpanzés <strong>et</strong> Humains).<br />

Dans le <strong>cours</strong>, les hominidés (= ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> humains actuels <strong>et</strong> fossiles, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

préhumains) sont considérés comme le groupe frère <strong><strong>de</strong>s</strong> Panidés (= les chimpanzés<br />

<strong>et</strong> les bonobos) avec lesquels ils partagent un ancêtre commun.<br />

Cours <strong><strong>de</strong>s</strong> 16 avril <strong>et</strong> 7 mai : Primates actuels <strong>et</strong> fossiles, anatomie, rapports<br />

<strong>de</strong> parenté, biochronologie, biogéographie<br />

D’un point <strong>de</strong> vue paléontologique, les Hominidés se distinguent <strong><strong>de</strong>s</strong> grands<br />

singes par <strong><strong>de</strong>s</strong> caractères anatomiques particuliers <strong>de</strong> leur <strong>de</strong>nture (canines p<strong>et</strong>ites <strong>et</strong><br />

assymétriques, canine supérieure sans crête aiguisoir, complexe C/P 3 non aiguisoir<br />

mais <strong>de</strong> type broyeur, émail <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>nts plus épais que chez les grands singes,…) <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

la base <strong>de</strong> leur crâne (trou occipital en position antérieure, face nucale très inclinée


PALÉONTOLOGIE HUMAINE 377<br />

vers l’arrière) en liaison avec un squel<strong>et</strong>te appendiculaire (notamment au membre<br />

postérieur le pelvis, le fémur <strong>et</strong> le tibia) adapté à une locomotion bipè<strong>de</strong>.<br />

Dès 1967 Sarich <strong>et</strong> Wilson <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Californie à Berkeley ont montré<br />

que notre proximité génétique avec les chimpanzés est si gran<strong>de</strong> (moins <strong>de</strong> 2 % <strong>de</strong><br />

différence) que nous partageons un ancêtre commun.<br />

Toumaï daté <strong>de</strong> 7 Ma est sûrement proche <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière dichotomie qui<br />

peut, dans l’état actuel <strong>de</strong> nos connaissances être voisine <strong>de</strong> 8 Ma. C<strong>et</strong>te population<br />

ancestrale (DAC : <strong>de</strong>rnier ancêtre commun = LCA : last common ancestor) est<br />

sûrement Africaine. Elle constitue le groupe frère <strong><strong>de</strong>s</strong> Gorilles dont elle s’est séparée<br />

vers 9-10 Ma. L’origine <strong>de</strong> c<strong>et</strong> ensemble (Gorilles ((Chimpanzés) (Humains))) est<br />

généralement considérée comme africaine, mais <strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes récentes en Eurasie<br />

soulèvent la question <strong>de</strong> la possibilité <strong>de</strong> leur origine asiatique. Seule la découverte<br />

<strong>de</strong> nouveaux fossiles perm<strong>et</strong>tra <strong>de</strong> choisir entre ces <strong>de</strong>ux hypothèses.<br />

Cours du 14 mai : Les Hominidés du Miocène supérieur<br />

Depuis 1994, les plus anciens hominidés connus sont passés <strong>de</strong> 3,6 Ma à 7 Ma.<br />

Dès le début du troisième millénaire trois nouvelles espèces ont été décrites dans<br />

le Miocène supérieur : Ardipithecus kadabba l’Ethiopien, Orrorin tugenensis le<br />

Kenyan, tandis que le plus ancien (7 Ma) est Sahelanthropus tcha<strong>de</strong>nsis dit Toumaï,<br />

un hominidé tchadien.<br />

Depuis 1994 j’ai initié <strong>et</strong> dirigé la Mission Paléoanthropologique Franco-<br />

Tchadienne (M.P.F.T. = une soixantaine <strong>de</strong> chercheurs <strong>de</strong> 10 nationalités) qui<br />

conduit un programme <strong>de</strong> recherches transdisciplinaires autour <strong>de</strong> l’origine <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> hominidés anciens <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs environnements successifs. La<br />

M.P.F.T. prospecte <strong>et</strong> fouille dans le désert du Djourab au Nord Tchad, 2 500 km<br />

à l’Ouest du grand Rift Africain, où successivement elle a mis au jour un nouvel<br />

australopithèque, Australopithecus bahrelghazali, surnommé Abel (3,58 Ma), le<br />

premier trouvé à l’ouest <strong>de</strong> la vallée du grand Rift Africain (Brun<strong>et</strong> <strong>et</strong> al., 1995)<br />

<strong>et</strong> plus tard un nouvel hominidé Sahelanthropus tcha<strong>de</strong>nsis (Brun<strong>et</strong> <strong>et</strong> al., 2002) du<br />

Miocène supérieur (7 Ma).<br />

Ce plus ancien hominidé connu est une découverte majeure qui montre<br />

définitivement que les hypothèses d’une origine australe ou orientale du cla<strong>de</strong><br />

humain doivent être reconsidérées.<br />

Sahelanthropus tcha<strong>de</strong>nsis possè<strong>de</strong> une combinaison unique <strong>de</strong> caractères primitifs<br />

<strong>et</strong> dérivés qui montre clairement qu’il ne peut être rapproché ni <strong><strong>de</strong>s</strong> gorilles, ni <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

chimpanzés, mais indique au contraire son appartenance au rameau humain <strong>et</strong> sa<br />

proximité temporelle avec le <strong>de</strong>rnier ancêtre commun aux chimpanzés <strong>et</strong> aux<br />

humains. Dans le Miocène supérieur du Tchad, les données sédimentologiques <strong>et</strong><br />

paléobiologiques témoignent d’une mosaïque <strong>de</strong> paysages. Actuellement dans le<br />

Kalahari central, au Bostwana, le <strong>de</strong>lta <strong>de</strong> l’Okavango m’apparaît être un bon<br />

analogue avec un paysage mosaïque similaire <strong>de</strong> rivières, <strong>de</strong> lacs, <strong>de</strong> marécages, <strong>de</strong>


378 MICHEL BRUNET<br />

zones boisées, d’îlots forestiers, <strong>de</strong> savane arborée, <strong>de</strong> prairies herbeuses <strong>et</strong> <strong>de</strong> zones<br />

désertiques. Dans c<strong>et</strong>te mosaïque les préférences écologiques <strong>de</strong> Toumaï sont<br />

encore en <strong>cours</strong> d’étu<strong>de</strong>. Notamment l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> isotopes stables du carbone (13 C)<br />

<strong>de</strong> l’émail <strong>de</strong>ntaire <strong>de</strong>vrait perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> mieux préciser son régime alimentaire.<br />

Mais très probablement, comme les autres hominidés du Miocène supérieur<br />

Toumaï <strong>de</strong>vait fréquenter <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces boisés. De plus, compte tenu <strong>de</strong> ce que l’on<br />

sait <strong>de</strong> leur crâne ou <strong>de</strong> leurs membres, ces trois hominidés du Miocène supérieur<br />

sont sûrement bipè<strong><strong>de</strong>s</strong>. Aussi l’hypothèse qui invoquait le rôle déterminant <strong>de</strong> la<br />

savane herbeuse dans l’origine du rameau humain <strong>et</strong> <strong>de</strong> la bipédie fait dorénavant<br />

partie <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> notre histoire. Maintenant, il est <strong>de</strong> plus en plus clair que<br />

ces premiers hominidés fréquentaient <strong><strong>de</strong>s</strong> environnements boisés <strong>et</strong> n’étaient pas<br />

restreints à l’Afrique Australe <strong>et</strong> Orientale mais vivaient au contraire dans une zone<br />

géographique plus vaste incluant une partie <strong>de</strong> l’Afrique Sahélo-Saharienne : au<br />

moins l’Afrique centrale (Tchad) <strong>et</strong> probablement la Libye mais aussi l’Egypte <strong>et</strong><br />

le Soudan.<br />

Cours <strong><strong>de</strong>s</strong> 21 <strong>et</strong> 28 mai : Les Australopithèques (1)<br />

Dans l’état actuel <strong>de</strong> nos connaissances on peut penser que vers 4 Ma ces<br />

hominidés anciens du Miocène supérieur ont probablement donné naissance aux<br />

Australopithèques : A. anamensis pour le moment le plus ancien mais aussi le plus<br />

primitif, puis A. afarensis (Lucy), A. bahrelghazali (Abel), A. garhi, <strong>et</strong>c. ; eux-<br />

mêmes sûrement à l’origine entre 2 <strong>et</strong> 3 Ma <strong><strong>de</strong>s</strong> premiers représentants, H. habilis<br />

<strong>et</strong> H. rudolfensis, du genre Homo.<br />

Parmi leurs principales caractéristiques anatomiques il faut citer : <strong><strong>de</strong>s</strong> incisives <strong>et</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> canines p<strong>et</strong>ites / au poids du corps ; une première prémolaire inf. (P 3) sans<br />

fac<strong>et</strong>te aiguisoir pour une canine sup. sans crête aiguisoir ; <strong><strong>de</strong>s</strong> molaires plutôt<br />

gran<strong><strong>de</strong>s</strong> à émail épais <strong>et</strong> cuspi<strong><strong>de</strong>s</strong> bulbeuses ; une face gran<strong>de</strong> <strong>et</strong> un cerveau<br />

relativement p<strong>et</strong>it ; une face moins prognathe que chez les grands singes ; Foramen<br />

magnum en position antérieure ; locomotion bipè<strong>de</strong>.<br />

Toutes les espèces décrites sont africaines. L’espèce type du genre Australopithecus<br />

africanus (3,5-2,3 Ma) a été décrite en Afrique du Sud (enfant <strong>de</strong> Taung) par<br />

Raymond Dart en 1925. En Afrique orientale la plus ancienne est Australopithecus<br />

anamensis (4,2-3,9 Ma) ; la mieux connue Australopithecus afarensis (3,9-2,7 Ma)<br />

dont Lucy (3,2 Ma) est la plus célèbre représentante, une forme plus récente<br />

(Bouri, Middle Awash, Ethiopie, 2,5 Ma), Australopithecus ghari, est associée à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

artefacts <strong>et</strong> à <strong><strong>de</strong>s</strong> ossements portant <strong><strong>de</strong>s</strong> traces <strong>de</strong> boucherie. C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière espèce<br />

a été considérée par ses auteurs comme une forme ancestrale <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes mo<strong>de</strong>rnes,<br />

dérivée <strong>de</strong> A. africanus <strong>et</strong>/ou A. afarensis.<br />

Enfin en 1995 j’ai décrit avec mon équipe la MPFT la première espèce connue<br />

à l’Ouest du grand Rift au Tchad dans le désert du Djourab, Australopithecus<br />

bahrelghazali (3,58 Ma).


PALÉONTOLOGIE HUMAINE 379<br />

Tous ces Australopithèques sont marqués par un fort dimorphisme sexuel. Ainsi<br />

Lucy <strong>et</strong> ses frères avaient une taille moyenne <strong>de</strong> 105 à 150 cm pour un poids<br />

d’environ 30 kg pour la plus p<strong>et</strong>ite femelle <strong>et</strong> 45 kg pour les grands mâles. En ce<br />

qui concerne la locomotion, à <strong><strong>de</strong>s</strong> caractères <strong>de</strong> bipè<strong>de</strong> sont associés d’autres<br />

caractères qui indiquent encore la possibilité <strong>de</strong> grimper aux arbres : orientation <strong>de</strong><br />

l’omoplate ; phalanges <strong>de</strong> la main courbes ; pisiforme grand ; phalanges du pied<br />

longues <strong>et</strong> courbes ; membres postérieurs encore courts. Sur le sol le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

locomotion est la bipédie mais un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie arboricole est conservé pour dormir,<br />

échapper aux prédateurs <strong>et</strong> se nourrir.<br />

Cours du 4 juin : Les Paranthropes<br />

Vers 2,5 Ma un groupe d’australopithèques va spécialiser son régime alimentaire<br />

impliquant un changement morphologique vers <strong><strong>de</strong>s</strong> formes dites « robustes » qui<br />

sont généralement regroupées dans le genre Paranthropus.<br />

Trois espèces ont été décrites, <strong>de</strong>ux en Afrique orientale dont la plus ancienne :<br />

P. a<strong>et</strong>hiopicus, « Black Skull » (2,6-2,3 Ma, Vallée <strong>de</strong> l’Omo, Ethiopie) <strong>et</strong> P. boisei<br />

(2,1-1,1 Ma, Afrique <strong>de</strong> l’Est) ; une espèce en Afrique du sud : P. robustus<br />

(1,5-2 Ma, Swartkrans, Kromdraai <strong>et</strong> Drimolen, Afrique du sud).<br />

Leur <strong>de</strong>nture antérieure (incisives <strong>et</strong> canines) est très réduite tandis que les <strong>de</strong>nts<br />

jugales (Pm <strong>et</strong> M) sont au contraire très développées.<br />

P. robustus a <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>nts avec un taux élevé <strong>de</strong> 13 C, suggérant un régime alimentaire<br />

avec <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes en C4 (graminées) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la vian<strong>de</strong>.<br />

Les relations <strong>de</strong> parenté entre ces formes robustes dépend <strong>de</strong> la nature <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

caractères partagés : homologues ou homoplasiques… <strong>et</strong> est donc l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

discussion au sein <strong>de</strong> la communauté scientifique.<br />

De même certains auteurs considèrent les paranthropes comme appartenant au<br />

genre Australopithecus.<br />

Cours du 11 juin : Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> préhumains… Ce que l’on croit savoir…<br />

Ce que l’on ne sait pas…<br />

En fonction <strong>de</strong> la diversité <strong>et</strong> <strong>de</strong> la multiplicité <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles données <strong>de</strong> leur<br />

origine africaine au peuplement du reste du Mon<strong>de</strong> l’histoire <strong>et</strong> l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

hominidés anciens doivent être reconsidérées dans le cadre <strong>de</strong> nouveaux paradigmes.<br />

Ces nouvelles approches, principalement sur le terrain la prospection <strong>de</strong> nouvelles<br />

aires géographiques (notamment toute l’Afrique Sahélo-Saharienne) mais aussi<br />

l’utilisation <strong>de</strong> nouvelles technologies (scanners synchrotron, imagerie 3D,<br />

biogéochimie isotopique, paléo ADN, <strong>et</strong>c.) vont induire immanquablement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

changements drastiques pour l’ensemble <strong>de</strong> notre histoire.


380 MICHEL BRUNET<br />

De telle sorte que les interrogations anciennes : D’où venons-nous… Qui sommesnous…<br />

Qui est l’ancêtre, où <strong>et</strong> quand est-il apparu ? … Bien qu’elles soient <strong>de</strong> mieux<br />

en mieux contraintes <strong>de</strong>meurent toujours <strong><strong>de</strong>s</strong> questions d’actualité.<br />

Séminaires 2007-2008<br />

2 avril : Principes <strong>de</strong> l’analyse morphologique en paléoanthropologie :<br />

histoire <strong>de</strong> formes <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> formes<br />

avec Stéphane Ducrocq, DR2 CNRS, IPHEP Université <strong>de</strong> Poitiers<br />

La forme est l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés les plus importantes <strong>de</strong> la matière <strong>et</strong> constitue<br />

un marqueur essentiel <strong>de</strong> la biodiversité. C’est également le seul élément à la<br />

disposition du paléontologue lui perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> baser ses interprétations. La forme<br />

peut exprimer une fonction, l’histoire d’un individu ou du développement d’un<br />

individu. L’apparition <strong>de</strong> la bipédie chez l’homme livre <strong>de</strong> nombreux exemples <strong>de</strong><br />

changements qui sont exprimés dans la morphologie squel<strong>et</strong>tique, changement qui<br />

à leur tour ont eu une influence sur l’anatomie <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus mous <strong>et</strong> la physiologie<br />

<strong>de</strong> l’individu. D’un point <strong>de</strong> vue quantitatif, le principe d’allométrie perm<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

définir la relation existant entre la forme <strong>et</strong> la taille d’un obj<strong>et</strong>. La paléontologie<br />

est donc une science pluri-disciplinaire qui exploite plusieurs outils (anatomie,<br />

biologie, biomécanique, mathématiques, informatique). L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> outils perm<strong>et</strong>tant<br />

<strong>de</strong> replacer une forme dans un cadre temporel <strong>et</strong> évolutif (relation ancêtre<strong><strong>de</strong>s</strong>cendant)<br />

est la cladistique. Pour ce faire, il est nécessaire <strong>de</strong> définir les états<br />

primitifs <strong>et</strong> évolués <strong><strong>de</strong>s</strong> caractères étudiés <strong>de</strong> façon à les replacer dans la phylogénie<br />

d’un ensemble d’individus. C<strong>et</strong>te phylogénie nous informe à terme sur<br />

l’i<strong>de</strong>ntification <strong>et</strong> la classification <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes, <strong>et</strong> elle ai<strong>de</strong> souvent à comprendre<br />

pourquoi une espèce a développé une adaptation plutôt qu’une autre. Le but<br />

ultime <strong>de</strong> l’information phylogénétique consiste à donner un sens aux schémas<br />

observés dans la nature.<br />

9 avril : Fossiles, imagerie, reconstructions 3D<br />

<strong>et</strong> analyse <strong>de</strong> la variabilité morphologique<br />

avec Renaud Lebrun, Dr. <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Montpellier II<br />

Grâce aux développements <strong>de</strong> l’imagerie médicale <strong>et</strong> <strong>de</strong> la microtomographie il<br />

est aujourd’hui possible d’accé<strong>de</strong>r à la structure osseuse crânienne <strong>de</strong> fossiles très<br />

minéralisés, ou d’individus <strong>de</strong> très p<strong>et</strong>ite taille, avec une résolution spatiale<br />

appropriée. De plus, l’utilisation <strong>de</strong> techniques <strong>de</strong> reconstruction tridimensionnelle<br />

ouvre la possibilité d’effectuer <strong><strong>de</strong>s</strong> analyses comparatives en incorporant <strong><strong>de</strong>s</strong> fossiles<br />

incompl<strong>et</strong>s <strong>et</strong>/ou déformés. Différentes stratégies pour la reconstruction <strong>de</strong> fossiles<br />

<strong>de</strong> crânes <strong>de</strong> primates fossiles ont été présentées.<br />

Parallèlement aux progrès dans l’acquisition <strong>de</strong> données tridimensionnelles,<br />

l’introduction <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> morphométrie géométrique a constitué une


PALÉONTOLOGIE HUMAINE 381<br />

véritable révolution pour la biologie comparative. Ces métho<strong><strong>de</strong>s</strong> perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong><br />

quantifier les changements phénotypiques au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong> manière<br />

globale, en préservant la géométrie <strong>de</strong> l’obj<strong>et</strong> lors <strong><strong>de</strong>s</strong> analyses : ceci perm<strong>et</strong> d’étudier<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> patrons <strong>de</strong> variabilité complexes à un niveau <strong>de</strong> détail inégalé. Une application<br />

<strong>de</strong> ces métho<strong><strong>de</strong>s</strong> pour l’analyse <strong>de</strong> la variabilité <strong>de</strong> la morphologie crânienne chez<br />

les primates fossiles <strong>et</strong> actuels est donnée.<br />

16 avril : Origine <strong>et</strong> évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> Primates anthropoï<strong><strong>de</strong>s</strong> en Asie :<br />

Relations avec la paléogéographie <strong>et</strong> les paléoenvironnements<br />

avec Jean-Jacques Jaeger, Professeur <strong>et</strong> Directeur IPHEP UMR 6046, CNRS<br />

Université <strong>de</strong> Poitiers<br />

Depuis <strong><strong>de</strong>s</strong> décennies, il est admis que l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> Primates anthropoï<strong><strong>de</strong>s</strong> s’est<br />

située en Afrique, <strong>et</strong> cela malgré les informations contraires apportées par la<br />

phylogénie moléculaire. Mais récemment, c<strong>et</strong>te situation s’est trouvée modifiée<br />

grâce à la découverte d’Anthropoï<strong><strong>de</strong>s</strong> primitifs dans <strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux anciens <strong>de</strong> l’Eocène<br />

moyen <strong>et</strong> supérieur d’Asie. Dans le même temps, les données qui soutenaient une<br />

origine africaine ont pu être démenties grâce à d’autres découvertes paléontologiques.<br />

Ces données récentes illustrent l’importance <strong>de</strong> la première partie <strong>de</strong> l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Anthropoï<strong><strong>de</strong>s</strong> en Asie. Les recherches en In<strong>de</strong>, Pakistan, Chine, Thaïlan<strong>de</strong> <strong>et</strong><br />

Birmanie perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en évi<strong>de</strong>nce d’une part la très gran<strong>de</strong> ancienn<strong>et</strong>é<br />

<strong>de</strong> ce groupe en Asie (55 Ma) ainsi que son extrême diversité. En eff<strong>et</strong>, la radiation<br />

Eocène asiatique comprend <strong><strong>de</strong>s</strong> formes <strong>de</strong> très p<strong>et</strong>ite taille (moins <strong>de</strong> 200 grammes)<br />

ainsi que <strong><strong>de</strong>s</strong> formes pouvant atteindre une dizaine <strong>de</strong> kilogrammes, ce qui les situe<br />

au sein <strong><strong>de</strong>s</strong> formes les plus gran<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> leur temps. Parmi ces formes <strong>de</strong> gran<strong>de</strong><br />

taille, les Amphipithécidés se distinguent par leurs caractères très mo<strong>de</strong>rnes<br />

(position frontale <strong><strong>de</strong>s</strong> orbites <strong>et</strong> caractères <strong>de</strong> leur squel<strong>et</strong>te post-crânien) par<br />

rapport à leurs contemporains africains. Ils semblent avoir évolué sous un climat<br />

marqué par une forte saisonnalité, qui a permis l’apparition <strong><strong>de</strong>s</strong> caractères mo<strong>de</strong>rnes<br />

du crâne <strong>et</strong> <strong>de</strong> la <strong>de</strong>nture qui traduisent une adaptation à un régime alimentaire à<br />

base <strong>de</strong> nourriture dure <strong>et</strong> abrasive. Une adaptation similaire, mais beaucoup plus<br />

récente, s’est également produite, plus <strong>de</strong> 25 millions d’années après, chez les<br />

premiers hominidés. L’évolution <strong>de</strong> ces formes constitue donc un excellent modèle<br />

pour comprendre les modalités <strong>et</strong> les causes <strong>de</strong> ces mêmes transformations chez les<br />

Hominidés.<br />

Actuellement les plus anciens Anthropoï<strong><strong>de</strong>s</strong> africains indiscutables sont datés <strong>de</strong><br />

37 millions d’années <strong>et</strong> proviennent du Fayoum en Egypte <strong>et</strong> en Algérie. Mais <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

découvertes très récentes, dans <strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux un peu plus anciens, du désert <strong>de</strong><br />

Libye, témoignent <strong>de</strong> la présence <strong>de</strong> formes asiatiques en Afrique dès 37,5 millions<br />

d’années. Une connaissance plus détaillée <strong>de</strong> ces immigrations, vraisemblablement<br />

multiples, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> voies paléogéographiques suivies entre l’Asie du Sud <strong>et</strong> l’Afrique<br />

se révèlent maintenant indispensable pour suivre en détail l’histoire ancienne <strong>de</strong><br />

notre rameau.


382 MICHEL BRUNET<br />

7 mai : Les Hominoï<strong><strong>de</strong>s</strong> eurasiatiques du Miocène<br />

<strong>et</strong> l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidae<br />

avec Louis <strong>de</strong> Bonis, Professeur émérite <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Poitiers<br />

Les Hominoï<strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong>de</strong>rnes renferment les grands singes, gibbon (Hylobates),<br />

siamang (Symphalangus), orang-outan (Pongo), gorille (Gorilla) <strong>et</strong> chimpanzé (Pan),<br />

<strong>et</strong> l’homme. La recherche <strong><strong>de</strong>s</strong> liens <strong>de</strong> parenté par différentes métho<strong><strong>de</strong>s</strong> a montré que<br />

nous étions plus proches <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux d’entre eux, le gorille <strong>et</strong> surtout le chimpanzé, que<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> autres. Les bifurcations entre les lignées conduisant aux formes actuelles se sont<br />

produites au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’époque Miocène (entre – 23 <strong>et</strong> – 5,5 millions d’années).<br />

Les formes ancestrales <strong><strong>de</strong>s</strong> gibbons <strong>et</strong> siamangs (famille <strong><strong>de</strong>s</strong> Hylobatidae) sont<br />

mal connues mais elles étaient probablement asiatiques <strong>de</strong>puis longtemps.<br />

Des genres apparentés, à l’orang se rencontrent au Miocène, également en Asie.<br />

Sivapithecus dans le sous-continent indien, Khoratpithecus en Thaïlan<strong>de</strong>, ou<br />

Ankarapithecus en Asie Mineure. Il nous faut aussi mentionner l’immense<br />

Gigantopithecus du Pléistocène <strong>de</strong> Chine, le plus grand primate connu (beaucoup<br />

plus grand qu’un gorille), <strong>et</strong> son proche parent du Miocène supérieur Indopithecus.<br />

En Europe, le genre Dryopithecus, présent <strong>de</strong> l’Espagne à la mer Noire <strong>de</strong>puis le<br />

Miocène moyen, disparaît au milieu du Miocène supérieur (– 8,5 Ma). Ce primate,<br />

adapté au milieu forestier, se déplaçait dans la canopée à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses bras allongés.<br />

Se nourrissant <strong>de</strong> fruits ou <strong>de</strong> feuilles comme le montre sa <strong>de</strong>ntition, il avait un<br />

mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie sans doute proche <strong>de</strong> celui <strong><strong>de</strong>s</strong> grands singes africains actuels. A la<br />

même époque, au sud-est <strong>de</strong> l’Europe, existait un autre primate, le genre<br />

Ouranopithecus. Vivant dans un milieu différent semblable à une savane, sa robuste<br />

<strong>de</strong>ntition lui perm<strong>et</strong>tait <strong>de</strong> subsister sous un climat plus sec en ajoutant à son<br />

régime <strong><strong>de</strong>s</strong> tubercules ou <strong><strong>de</strong>s</strong> racines, qu’il broyait grâce à ses robustes mâchoires.<br />

Sa <strong>de</strong>nture <strong>et</strong> l’usure <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>nts sont voisines <strong>de</strong> celles <strong><strong>de</strong>s</strong> australopithèques<br />

découverts en Afrique dans <strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux plus récents <strong>et</strong> ces similitu<strong><strong>de</strong>s</strong> révèlent une<br />

proche parenté entre ces <strong>de</strong>ux ensembles. Limité jusqu’à une date récente à la Grèce<br />

du nord, il pourrait avoir été présent en Bulgarie <strong>et</strong> en Turquie tandis qu’une forme<br />

semblable mais appelée Nakalipithecus vient d’être découverte en Afrique dans un<br />

site daté <strong>de</strong> 10 Ma. Ces primates à la <strong>de</strong>nture robuste constituent probablement<br />

la souche ancestrale dans laquelle s’enracinent les hominiens plus récents.<br />

14 mai : Le temps en géologie : datations absolues<br />

avec Didier Bourles, Professeur <strong>de</strong> l’Université d’Aix-Marseille<br />

(CEREGE, UMR CNRS IRD).<br />

Contraindre temporellement les événements remarquables qui ont jalonné<br />

l’histoire géologique <strong>et</strong> biologique <strong>de</strong> la planète Terre est une préoccupation<br />

essentielle <strong>de</strong> l’humanité <strong>de</strong>puis le développement <strong>de</strong> la pensée rationnelle. C<strong>et</strong>te<br />

quête perpétuelle a conduit aux développements <strong>de</strong> nombreux concepts <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

techniques qui peuvent être tout d’abord classés en <strong>de</strong>ux catégories : les métho<strong><strong>de</strong>s</strong>


PALÉONTOLOGIE HUMAINE 383<br />

<strong>de</strong> datation relative <strong>et</strong> les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> datation absolue. La datation relative<br />

regroupe l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> datation perm<strong>et</strong>tant d’ordonner<br />

chronologiquement <strong><strong>de</strong>s</strong> événements géologiques ou biologiques, les uns par rapport<br />

aux autres. Les principes géométriques (le principe <strong>de</strong> superposition, le principe <strong>de</strong><br />

recoupement, le principe <strong>de</strong> continuité <strong>et</strong> le principe d’inclusion) <strong>et</strong> le principe<br />

d’i<strong>de</strong>ntité paléontologique. La datation absolue est une datation aboutissant à<br />

un résultat chiffré, exprimé en années. Elle peut concerner un événement, un<br />

obj<strong>et</strong>, une couche géologique ou un niveau archéologique. Le plus souvent, les<br />

métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> datation absolue utilisent <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes <strong>de</strong> transformations<br />

physico-chimiques dont la vitesse est connue. La mesure du <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> transformation<br />

perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> dater le début du processus considéré. Quatre groupes principaux <strong>de</strong><br />

métho<strong><strong>de</strong>s</strong> peuvent être distingués : les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> basées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes <strong>de</strong><br />

diffusion, <strong>de</strong> racémisation ; les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> basées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes cycliques<br />

(<strong>de</strong>ndrochronologie…) ; les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> basées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> défauts cristallins<br />

(thermoluminescence, EPR/ESR,…) ; les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> basées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes<br />

radioactifs, parmi lesquelles on distingue les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> isochrones<br />

(U/Th, Rb/Sr…) <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> directes (Ar/Ar, nucléi<strong><strong>de</strong>s</strong> cosmogéniques,…).<br />

Depuis maintenant un peu plus <strong>de</strong> 25 ans, une nouvelle technique, la Spectrométrie<br />

<strong>de</strong> Masse par Accélérateur (SMA), a été développée afin <strong>de</strong> perm<strong>et</strong>tre d’i<strong>de</strong>ntifier<br />

puis <strong>de</strong> compter les atomes formés dans l’environnement lors d’interactions entre<br />

les particules très énergétiques issues du rayonnement cosmique <strong>et</strong> les atomes<br />

constituant l’environnement terrestre. Au moins un million <strong>de</strong> fois plus sensible<br />

que toute autre technique existante, la SMA a non seulement permis <strong>de</strong> pousser à<br />

ses limites extrêmes la datation par le C-14, soit jusque vers 45 000 ans, mais<br />

également <strong>de</strong> développer l’utilisation <strong>de</strong> nouveaux nucléi<strong><strong>de</strong>s</strong> cosmogéniques, tel<br />

que le Be-10, perm<strong>et</strong>tant potentiellement une datation absolue <strong>et</strong> continue sur les<br />

15 <strong>de</strong>rniers millions d’années. Récemment (2008) adaptée pour dater <strong><strong>de</strong>s</strong> dépôts<br />

sédimentaires continentaux déposés lors d’épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> Lac Méga-Tchad dans le nord<br />

du bassin du lac Tchad, c<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> a permis <strong>de</strong> dater <strong>de</strong> manière absolue les<br />

restes d’hominidés qui y furent découverts <strong>et</strong> notamment l’actuel doyen <strong>de</strong><br />

l’humanité : Toumaï.<br />

L’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> principes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes impliqués dans les diverses métho<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>de</strong> datation relative <strong>et</strong> absolue les plus communément utilisées a tout d’abord été<br />

exposé, la technique <strong>de</strong> SMA étant plus particulièrement développée. Enfin, les<br />

plus récents développements <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te technique ont été présentés à travers son<br />

application à la datation <strong><strong>de</strong>s</strong> restes d’hominidés Mio-Pliocène mis au jour dans le<br />

bassin du lac Tchad.<br />

21 mai : Sédimentologie, milieux <strong>de</strong> dépôts<br />

<strong>et</strong> paléo-environnements <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés<br />

avec Mathieu Schuster, CR CNRS à l’Université <strong>de</strong> Poitiers<br />

L’évolution biologique est une résultante <strong>de</strong> la pression <strong>de</strong> sélection du milieu<br />

sur les êtres vivants. Ainsi, l’évolution <strong>de</strong> la faune <strong>et</strong> <strong>de</strong> la flore, <strong>et</strong> en particulier


384 MICHEL BRUNET<br />

celles <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés, est directement liée à l’environnement <strong>et</strong> à ses modifications<br />

au <strong>cours</strong> du temps. La connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> paléo-environnements successifs <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Hominidés est donc indispensable pour comprendre leur évolution <strong>et</strong> leur<br />

distribution géographique.<br />

Le terme <strong>de</strong> « paléo-environnement » désigne une réalité qui comprend aussi<br />

bien le paysage physique que l’écosystème, c’est-à-dire un milieu naturel, siège à la<br />

fois d’une activité biologique <strong>et</strong> d’une activité géologique. Ainsi, la reconstitution<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> paléo-environnements est par essence une démarche pluridisciplinaire où<br />

chaque spécialité apporte <strong><strong>de</strong>s</strong> données indépendantes mais complémentaires. Le<br />

faisceau <strong>de</strong> données ainsi obtenu contribue à restituer les environnements<br />

anciens.<br />

La sédimentologie, à travers l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> roches sédimentaires, renseigne sur les<br />

milieux <strong>de</strong> dépôts, leur dynamique <strong>et</strong> leur évolution dans l’espace <strong>et</strong> au <strong>cours</strong> du<br />

temps. Elle perm<strong>et</strong> ainsi <strong>de</strong> restituer les paysages physiques (e.g., fleuves, lacs,<br />

reliefs) qui structurent les paléo-environnements. La géologie sédimentaire est<br />

avant tout une discipline <strong>de</strong> terrain, basée sur l’observation <strong><strong>de</strong>s</strong> dépôts sédimentaires<br />

à différentes échelles (lamine, strate, affleurement, bassin sédimentaire) <strong>et</strong> qui se<br />

nourrit <strong>de</strong> la connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes sédimentaires actuels. L’étu<strong>de</strong><br />

géomorphologique par télédétection (photos aériennes, images satellites, modèles<br />

numériques <strong>de</strong> terrain) est un complément indispensable à c<strong>et</strong>te démarche <strong>et</strong><br />

perm<strong>et</strong> par exemple d’i<strong>de</strong>ntifier dans le paysage les marques <strong><strong>de</strong>s</strong> anciens systèmes<br />

sédimentaires (e.g. réseau hydrographique fossile) ou <strong>de</strong> repérer <strong><strong>de</strong>s</strong> zones<br />

d’affleurements.<br />

Chaque environnement possè<strong>de</strong> sa signature sédimentaire propre (lithologie,<br />

structures sédimentaires, géométrie) appelée faciès sédimentaire. Sur le terrain,<br />

l’observation directe sur l’affleurement est une étape cruciale car elle perm<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

collecter les indices nécessaires à l’i<strong>de</strong>ntification <strong><strong>de</strong>s</strong> faciès sédimentaires. Un<br />

changement <strong>de</strong> faciès dans l’enregistrement sédimentaire marque un changement<br />

dans la dynamique <strong>de</strong> dépôt. Le « principe <strong>de</strong> Walther » qui propose que les<br />

superpositions <strong>de</strong> faciès représentent l’image verticale <strong>de</strong> ce qui existait <strong>de</strong> manière<br />

horizontale dans l’espace, perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> passer <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> dépôts sédimentaires à<br />

la reconstruction <strong>de</strong> l’organisation spatiale <strong><strong>de</strong>s</strong> environnements à un moment<br />

donné.<br />

C<strong>et</strong>te démarche, appliquée aux archives sédimentaires du Bassin du Tchad,<br />

contribue à la reconstruction <strong><strong>de</strong>s</strong> paléo-environnements <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés anciens du<br />

Tchad (Sahelanthropus tcha<strong>de</strong>nsis <strong>et</strong> Australopithecus bahrelghazali). Divers types <strong>de</strong><br />

dépôts ont été reconnus : e.g., <strong><strong>de</strong>s</strong> dunes éoliennes, <strong><strong>de</strong>s</strong> sols à conduits racinaires<br />

<strong>et</strong> nidifications d’insectes, <strong><strong>de</strong>s</strong> crues éphémères <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> lacs. Les milieux <strong>de</strong> dépôts<br />

i<strong>de</strong>ntifiés j<strong>et</strong>tent ainsi les bases d’un décor péri-lacustre que complète l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

paléo-faunes <strong>et</strong> paléo-flores afin <strong>de</strong> restituer les paléo-environnements <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

région-clef pour la compréhension <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> notre Histoire.


PALÉONTOLOGIE HUMAINE 385<br />

28 mai : La lecture <strong>de</strong> l’environnement <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés anciens<br />

à l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> paramètres biotiques<br />

avec Patrick Vignaud, Maître <strong>de</strong> Conférences <strong>et</strong> Directeur adjoint<br />

UMR 6046, IPHEP Université <strong>de</strong> Poitiers<br />

Depuis une quinzaine d’années, les découvertes <strong>de</strong> restes fossiles d’Hominidés<br />

anciens se multiplient dans les sédiments mio-pliocènes d’Afrique <strong>de</strong> l’Est <strong>et</strong> du<br />

Sud mais aussi d’Afrique Centrale. C<strong>et</strong>te augmentation du nombre <strong>de</strong> restes fossiles<br />

oblige maintenant à reconsidérer les relations phylogénétiques entre les différentes<br />

formes mises au jour dans ces régions.<br />

D’autre part, il est dorénavant clair que les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> portant sur l’origine <strong>et</strong><br />

l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés ne peuvent pas s’appréhen<strong>de</strong>r hors d’un contexte<br />

paléoenvironnemental bien compris. Pour ce faire, <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> paramètres sont<br />

pris en compte dans les analyses : les paramètres abiotiques <strong>et</strong> les paramètres<br />

biotiques.<br />

L’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> flores <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> faunes découvertes associées aux restes d’Hominidés<br />

perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> préciser les conditions environnementales <strong><strong>de</strong>s</strong> écosystèmes dans lesquels<br />

sont apparus puis ont évolué les Hominidés.<br />

A partir d’exemples précis, choisis dans le Mio-Pliocène du désert du Djourab<br />

au Nord Tchad, les différentes métho<strong><strong>de</strong>s</strong> d’investigation ont été développées <strong>et</strong> les<br />

données interprétées.<br />

Une partie <strong><strong>de</strong>s</strong> interprétations paléoenvironnementales effectuées à l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

faunes est basée sur le principe d’actualisme. Il est ainsi possible <strong>de</strong> préciser un type<br />

d’écosystème à l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques d’un assemblage faunique, soit en<br />

comparant le milieu <strong>de</strong> vie d’une forme actuelle par rapport à une forme fossile<br />

proche, soit en analysant la structuration <strong>de</strong> l’assemblage. Ces métho<strong><strong>de</strong>s</strong>, très<br />

précises, nécessitent cependant le maximum <strong>de</strong> restes fossiles perm<strong>et</strong>tant ainsi <strong>de</strong><br />

contraindre au mieux les interprétations.<br />

L’analyse du couvert végétal nécessite moins <strong>de</strong> matériel fossile mais est souvent<br />

plus délicate à interpréter. Les macro-restes <strong>de</strong> végétaux étant très rarement<br />

conservés dans les sédiments, <strong>de</strong>ux approches indirectes sont classiquement utilisées.<br />

L’analyse <strong>de</strong> la composition isotopique <strong>de</strong> l’émail <strong>de</strong>ntaire <strong><strong>de</strong>s</strong> mammifères<br />

consommateurs <strong>de</strong> végétaux (l’émail <strong>de</strong>ntaire conserve une « trace » <strong><strong>de</strong>s</strong> signatures<br />

biochimiques <strong><strong>de</strong>s</strong> végétaux consommés). Enfin, l’étu<strong>de</strong> approfondie <strong><strong>de</strong>s</strong> microrestes<br />

végétaux (grains <strong>de</strong> pollens <strong>et</strong> phytolithes) perm<strong>et</strong> aussi d’apporter <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

informations qui seront confrontées aux autres données issues <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />

faune <strong>et</strong> <strong>de</strong> la flore afin <strong>de</strong> dresser un tableau <strong><strong>de</strong>s</strong> «paléo-paysages» dans lesquels<br />

sont apparus puis ont évolué les Hominidés.


386 MICHEL BRUNET<br />

4 juin : Apports <strong>de</strong> la modélisation climatique à l’histoire <strong>de</strong> l’évolution<br />

<strong>de</strong> la vie <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> hominidés<br />

avec Gilles Ramstein, Directeur <strong>de</strong> Recherches au CEA, LSCE Gif-sur-Yv<strong>et</strong>te<br />

Irradiée par le Soleil jeune <strong>et</strong> moins puissant qu’actuellement, la Terre a pu<br />

échapper pendant la quasi totalité <strong>de</strong> son histoire à une glaciation totale grâce aux<br />

gaz à eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre. Pourtant par 2 fois au moins (au Paléoprotérozoique <strong>et</strong> au<br />

Néoprotérozoique) la Terre a pu être totalement englacée. Les mécanismes physiques<br />

qui ont pu conduire <strong>et</strong> m<strong>et</strong>tre fin à c<strong>et</strong>te glaciation ont été exposés, ainsi que les<br />

implications éventuelles <strong><strong>de</strong>s</strong> glaciations/déglaciations globales sur le développement<br />

<strong>de</strong> la vie avant « l’explosion Cambrienne ». Depuis 540 millions d’années, le climat<br />

<strong>de</strong> la Terre est régulé par la tectonique <strong><strong>de</strong>s</strong> plaques, par son eff<strong>et</strong> sur le climat <strong>et</strong><br />

le cycle du Carbone. Notre planète a connu <strong><strong>de</strong>s</strong> pério<strong><strong>de</strong>s</strong> chau<strong><strong>de</strong>s</strong> (Crétacé) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

glaciations (Permo-Carbonifère). Sur ces 2 exemples il a été montré que la<br />

modélisation du Climat apporte aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments importants. Le Quaternaire <strong>et</strong><br />

particulièrement les <strong>de</strong>rniers cycles climatiques sont très bien documentés grâce<br />

aux calottes <strong>de</strong> glace <strong>et</strong> aux sédiments marins <strong>et</strong> continentaux. De plus, les causes<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> glaciations sont i<strong>de</strong>ntifiées (cycle <strong>de</strong> Milankovitch). A partir d’une hiérarchie<br />

<strong>de</strong> modèles climatiques, il a été montré qu’on peut rendre compte <strong><strong>de</strong>s</strong> variations<br />

glaciaires/interglaciaires, mais également <strong>de</strong> la variabilité climatique très forte <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

pério<strong><strong>de</strong>s</strong> glaciaires. Enfin, à l’échelle <strong>de</strong> quelques centaines d’années, le<br />

bouleversement en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la composition <strong>de</strong> l’atmosphère terrestre d’origine<br />

anthropique qui impacte aussi les systèmes à temps <strong>de</strong> réponse plus long (dynamique<br />

<strong>de</strong> l’océan <strong>et</strong> <strong>de</strong> la cryosphère), pourrait induire une déstabilisation <strong><strong>de</strong>s</strong> calottes <strong>de</strong><br />

glace <strong>et</strong> faire basculer une nouvelle fois le climat vers son mo<strong>de</strong> le plus stable :<br />

chaud <strong>et</strong> sans calotte glaciaire.<br />

11 juin : Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> préhumains…<br />

Ce que l’on croit savoir…Ce que l’on ne sait pas…<br />

Perspectives <strong>et</strong> discussions en rapport avec le <strong>cours</strong> avec Michel Brun<strong>et</strong><br />

En science l’absence <strong>de</strong> preuve… n’est jamais la preuve <strong>de</strong> l’absence... <strong>et</strong> en<br />

paléontologie la validité d’une hypothèse a souvent une durée <strong>de</strong> vie qui s’arrête<br />

avec la découverte du prochain fossile mis au jour... !<br />

Toumaï avec ses 7 Ma, parce qu’il est le plus ancien d’entre nous, nous dit que<br />

ce que nous savons aujourd’hui <strong>de</strong> notre Histoire perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> confirmer la prédiction<br />

faite par Darwin en 1871, notre origine est bien Africaine <strong>et</strong> unique. Lui <strong>et</strong> nous,<br />

tous ensemble, nous partageons la même population ancestrale. Nous sommes<br />

donc tous sœurs <strong>et</strong> frères <strong>et</strong> nos différences majeures sont essentiellement marquées<br />

par la diversité <strong>de</strong> nos cultures… une richesse liée à notre histoire…


PALÉONTOLOGIE HUMAINE 387<br />

Enseignement hors <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

— Formation académique SVT, Conférence, Rouen, 21 septembre 2007 ;<br />

— Ecole thématique du CNRS, « Les Climats pré-Quaternaire : Des premières glaciations<br />

jusqu’à l’apparition <strong><strong>de</strong>s</strong> premiers Hominidés », Propriano, 10-12 octobre 2007 (Michel<br />

Brun<strong>et</strong>, conférencier invité) ;<br />

— Formation académique SVT, Conférence, Orléans, 25 février 2008 ;<br />

— UE <strong>de</strong> Master 1 : « L’évolution en questions », Université Paris XI, Orsay, 20 mars<br />

2008 ; <strong>cours</strong> sur les hominidés anciens ;<br />

— Université du temps libre Versailles, Conférence, 15 avril 2008 ;<br />

— <strong>Collège</strong> Lenain <strong>de</strong> Tillemont, Montreuil (93), rencontre avec les classes <strong>de</strong> 6 e autour<br />

<strong>de</strong> l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés, 17 avril 2008.<br />

Recherche<br />

Thématique : Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés anciens (Mio-Pliocène) <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs<br />

paléoenvironnements<br />

Mots clés : Paléontologie, Hominidés anciens, Mammifères Ongulés, Evolution, Systématique,<br />

Phylogénie, Biochronologie, Paléoécologie, Paléoenvironnements, Paléobiogéographie.<br />

Parmi les résultats les plus saillants :<br />

Mio-Pliocène d’Afrique Centrale: Découverte au Tchad <strong><strong>de</strong>s</strong> premiers Australopithèques<br />

(Australopithecus bahrelghazali Brun<strong>et</strong> & al. 1996) connus à l’Ouest <strong>de</strong> la Rift Valley (Nature<br />

378, 273-275, 1995 ; PNAS 105 (9) : 3226-3231, 2008), <strong><strong>de</strong>s</strong> plus anciens Hominidés<br />

(Sahelanthropus tcha<strong>de</strong>nsis Brun<strong>et</strong> & al. 2002) du continent africain (Nature 418 : 145-151,<br />

2002 ; Nature 419 : 582, 2002 ; Nature 434 : 752-755, 2005 ; Nature 434 : 755-759,<br />

2005 ; PNAS 102(52) :18836-41, 2005 ; PNAS 105(9) : 3226-3231, 2008 ) <strong>et</strong> <strong>de</strong> plus <strong>de</strong><br />

500 sites à vertébrés fossiles dans le Mio-Plio-Quaternaire du Tchad (Nature 418 : 152-155,<br />

2002 ; Science 311 : 821, 2006 ; PNAS 105 (9) : 3226-3231, 2008).<br />

L’ensemble <strong>de</strong> ces découvertes récentes en Afrique Centrale conduit à revoir <strong>de</strong> manière<br />

drastique nos conceptions sur l’origine <strong>et</strong> les premières phases <strong>de</strong> l’histoire du rameau<br />

humain.<br />

Direction ou participation<br />

à <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes scientifiques nationaux <strong>et</strong> internationaux<br />

— M.P.F.E. : Mission Paléoanthropologique <strong>et</strong> Paléontologique Franco-Egyptienne (Dir.<br />

M. Brun<strong>et</strong>), collaboration scientifique entre <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Université <strong>de</strong> Poitiers <strong>et</strong><br />

Université du Caire ; <strong>de</strong>ux missions <strong>de</strong> terrain ont eu lieu <strong>de</strong>puis 2007 ;<br />

— M.P.F.L. : Mission Paléoanthropologique <strong>et</strong> Paléontologique Franco-Libyenne (Dir.<br />

M. Brun<strong>et</strong>), convention <strong>de</strong> recherche signée le 25 novembre 2005 entre l’Université <strong>de</strong><br />

Poitiers <strong>et</strong> l’Université Al Fateh <strong>de</strong> Tripoli ; trois missions <strong>de</strong> terrain ont eu lieu <strong>de</strong>puis<br />

2006 ;<br />

— M.P.F.T. : Mission Paléoanthropologique Franco-Tchadienne (Dir. M. Brun<strong>et</strong>) <strong>de</strong>puis<br />

1994 ; convention <strong>de</strong> recherche entre l’Université <strong>de</strong> Poitiers, le CNAR <strong>et</strong> l’Université <strong>de</strong>


388 MICHEL BRUNET<br />

N’Djamena (<strong>de</strong>puis1995). Ce programme international (10 nationalités) <strong>et</strong> pluridisciplinaire<br />

regroupe maintenant une soixantaine <strong>de</strong> chercheurs ;<br />

— Middle Awash Research Project (Ethiopie) — Dir. T.D. White, Pr. University of<br />

California, Berkeley, USA (<strong>de</strong>puis 2000) ;<br />

— GDRI CNRS regroupant : Chaire <strong>de</strong> Paléontologie humaine du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ;<br />

IPHEP UMR CNRS 6046 <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Poitiers ; Anthropology Department Harvard<br />

University, Cambridge, USA ; Human Evolution Research Center (HERC) University of<br />

California at Berkeley, USA ; Département <strong>de</strong> Paléontologie Université <strong>de</strong> N’Djamena ;<br />

Department of Mineral Resources, Cenozoic Paleontological Section, Bangkok (THAILAND)<br />

(Directeur M. Brun<strong>et</strong>, 01-01-2008) ;<br />

— CNRS/ECLIPSE : Les Hominidés anciens d’Afrique Centrale (2000-2008) ;<br />

— Porteur d’un programme ANR 2005-2008 : « <strong>de</strong> l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> Anthropoï<strong><strong>de</strong>s</strong> à<br />

l’émergence <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés : Evolution <strong>et</strong> environnements », (<strong>de</strong>ux partenaires : Université<br />

<strong>de</strong> Poitiers <strong>et</strong> Université <strong>de</strong> Montpellier II) ;<br />

— N.S.F./R.H.O.I. : « Revealing Hominid Origins Initiative », National Science<br />

Foundation Project (co- P.I.’s Pr. F.C. Howell & T.D. White, University of California at<br />

Berkeley), <strong>de</strong>puis 2003.<br />

Prospections géologiques <strong>et</strong> fouilles paléontologiques en <strong>cours</strong><br />

AFRIQUE : Tchad, Libye, Egypte<br />

Thèses <strong>de</strong> doctorat, Université <strong>de</strong> Poitiers<br />

Lebatard E.A. — Datations <strong><strong>de</strong>s</strong> séries sédimentaires à Hominidés anciens du Paléolac<br />

Tchad <strong>de</strong>puis le Miocène jusqu’à l’actuel (Direction : M. BRUNET <strong>et</strong> D. Bourlès, CEREGE)<br />

soutenue le 19 décembre 2007.<br />

Pinton A. — Etu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la phylogénie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la biodiversité <strong><strong>de</strong>s</strong> Mochokidae (Téléostéens,<br />

Siluriformes) du Miocène à l’Actuel : implications paléobiogéographiques dans la<br />

connaissance <strong>de</strong> la dispersion <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés anciens. Direction : O. Otero <strong>et</strong> J.F. Agèse<br />

(IRD Montpellier) <strong>et</strong> D. Paugy (IRD Paris). Allocation MENRT (soutenue le 11 juill<strong>et</strong><br />

2008) (M. BRUNET Prési<strong>de</strong>nt du Jury).<br />

Bienvenu T. — La morphologie cérébrale <strong>de</strong> Toumaï (Miocène sup. du Tchad).<br />

Reconstitution 3D, anatomie, morphométrie <strong>et</strong> comparaison avec les Hominoï<strong><strong>de</strong>s</strong> actuels<br />

<strong>et</strong> fossiles. IPHEP UMR 6046, Université <strong>de</strong> Poitiers, Allocation MENRT, Direction :<br />

M. BRUNET <strong>et</strong> F. Guy, Allocation MENRT. Depuis octobre 2008.<br />

HDR<br />

Otero O. — Milieux <strong>de</strong> vie <strong>et</strong> voies <strong>de</strong> dispersions <strong><strong>de</strong>s</strong> hominidés <strong>et</strong> anthropoï<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

anciens. Apports croisés <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> paléontologique <strong><strong>de</strong>s</strong> paléoichtyofaunes <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

biogéochimie. Mémoire d’Habilitation à Diriger <strong><strong>de</strong>s</strong> Recherches, IPHEP UMR 6046,<br />

Université Poitiers. Soutenue le 18 décembre 2007 (M. BRUNET Prési<strong>de</strong>nt du Jury).<br />

Barriel V. — Du caractère… à l’arbre phylogénétique », UMR 5143, Paléodiversité <strong>et</strong><br />

Paléoenvironnements, MNHN Paris soutenue le 21 janvier 2008 (M. BRUNET<br />

Rapporteur).


PALÉONTOLOGIE HUMAINE 389<br />

Congrès <strong>et</strong> séminaires<br />

— Université Européenne d’été, « Evolution <strong>et</strong> développement » (Michel BRUNET,<br />

Conférencier invité) Saint-Jean-d’Angely, 29-30 août 2007 ;<br />

— Colloque CNRS « ECLIPSE 2 », Auditorium Marie Curie CNRS Paris,<br />

15-17 octobre 2007 ;<br />

— XIV e Colloque <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong> Biométrie Humaine, 14-16 novembre 2007, MNHN<br />

Paris : communication « Paléontologie <strong>et</strong> i<strong>de</strong>ntification : du désert du Djourab à l’autoroute<br />

A10 » par P. Fronty, M. Sapan<strong>et</strong> <strong>et</strong> M. BRUNET) ;<br />

— Third International Conference on the Geology of the T<strong>et</strong>hys, 8-11 January, 2008,<br />

South Valley University — Aswan Town, Egypte (Michel BRUNET, invited speaker) ;<br />

— International Conference on Paleoanthropology, Paleontology and Archaeology in<br />

Ethiopia. January 12-14, 2008. Economic Commission for Africa, ECA, Addis Ababa,<br />

Ethiopia. Communication : « BRUNET M., Guy F., Vignaud P. <strong>et</strong> MPFT — Elsewhere in<br />

Africa...10 years of fieldwork in Chad » ;<br />

— Colloque annuel <strong>de</strong> la Société d’Histoire <strong>et</strong> d’Epistémologie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong> la Vie,<br />

« Rien en biologie n’a <strong>de</strong> sens sinon à la lumière <strong>de</strong> l’évolution », T. Dobzhansky, CCSTI<br />

Pierre Mendès <strong>France</strong> Poitiers, 13 mars 2008 (M. BRUNET, Conférencier invité) ;<br />

— Colloque Edgar Morin : « La dimension humaine », communication M. BRUNET :<br />

« L’Humanité Première », Paris 11 avril 2008 ;<br />

— Project NSF/RHOI (Collaboration HERC University of California, Berkeley) :<br />

Revealing Hominid Origins Initiative (RHOI); Analytic Working Group – Carnivora ;<br />

Carnivores of Africa from the middle Miocene to the Pleistocene : new data, systematics,<br />

evolution, biogeography ; Workshop in the University of Poitiers : May 20 th to May 23 rd<br />

2008 (coordinator L. <strong>de</strong> Bonis) ;<br />

— EGU annual me<strong>et</strong>ing, April 2008, Vienna (Austria), communication « Lebatard A.<br />

E., Bourlès D., Duringer Ph., Joliv<strong>et</strong>, M., Braucher R., Schuster M., Lihoreau F.,<br />

Mackaye, H.T., Vignaud P., BRUNET M. 2008. Cosmogenic nucli<strong>de</strong> dating of Australopithecus<br />

bahrelghazali and Sahelanthropus tcha<strong>de</strong>nsis : Plio-Miocene Hominids from Chad » ;<br />

— Colloque « Emergencia <strong>de</strong> una Nueva Conciencia Ecologica », Ambiente 21, Santiago<br />

du Chili, 14 juin 2008 (M. BRUNET, invited speaker).<br />

Conférences invitées<br />

Toutes les conférences ont traité <strong>de</strong> l’histoire évolutive <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs environnements<br />

à la lumière <strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes nouvelles.<br />

— Office Cantonal <strong>de</strong> la Culture, Section Archéologie & Paléontologie, Porrentruy<br />

(Suisse), 13 septembre 2007 ;<br />

— Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong> Chatellerault, 20 septembre 2007 ;<br />

— Institut <strong>de</strong> Physique du Globe (IPG), UPMC Paris, 27 septembre 2007 ;<br />

— CCF N’Djaména (Tchad), 4 octobre 2007 ;<br />

— CCSTI Pierre Mendès <strong>France</strong>, Fête <strong>de</strong> la Science, Poitiers, 8 octobre 2007 ;<br />

— Université <strong>de</strong> Rennes, Géosciences, Année internationale <strong>de</strong> la Planète Terre,<br />

13 novembre 2007 ;<br />

— Chanteloup, Vouneuil-sous-Biard (86), 5 mars 2008 ;<br />

— Institut ISIS, Université Pasteur Strasbourg, 10 mars 2008 ;


390 MICHEL BRUNET<br />

— Médiathèque, Issy-les-Moulineaux, 15 mars 2008 ;<br />

— Auditorium Maurice Ravel, Jarnac, SEMLH 8 mai 2008 ;<br />

— Santiago du Chili, Diego Portales, 14 juin 2008.<br />

Radio-TV<br />

<strong>France</strong> Inter : La tête au carrée, Mathieu Vidal, 8 mars ; <strong>France</strong> Culture : Travaux publics<br />

par Jean Lebrun, 31 mars 2008 ; <strong>France</strong> 2 & <strong>France</strong> 3.<br />

Presse écrite<br />

Nombreux interviews <strong>et</strong> articles.<br />

Films<br />

— Festival du documentaire scientifique, présentation du documentaire fiction « Toumaï<br />

le nouvel Ancêtre » par Michel Brun<strong>et</strong>, Amiens, 1er avril 2008.<br />

— <strong>France</strong> 2 : Un jour un <strong><strong>de</strong>s</strong>tin « Chirac intime » (participation M. Brun<strong>et</strong>) diffusé le<br />

27 juin 2008.<br />

— « Humains » Long métrage <strong>de</strong> fiction autour d’hominidés fossiles, tournage été 2008<br />

(Michel Brun<strong>et</strong>, consultant scientifique).<br />

Distinction<br />

Officier dans l’Ordre national du mérite : 29 février 2008.<br />

Articles scientifiques parus au <strong>cours</strong> du second semestre 2007<br />

<strong>et</strong> du premier semestre 2008<br />

dans <strong><strong>de</strong>s</strong> revues internationales à comité <strong>de</strong> lecture <strong>et</strong> IF<br />

Bonis <strong>de</strong> L., Peigné S., Likius A., Makaye H.T., Vignaud P. <strong>et</strong> BRUNET M. (2007)<br />

— First occurrence of the ‘hunting hyena’ Chasmaporth<strong>et</strong>es in the late Miocene fossil bearing<br />

localities of Toros Menalla, Chad (Africa). Bull. Soc. Géol. Fr., 178 (4) : 317-326.<br />

Bonis <strong>de</strong> L., Peigné S., Likius A., Mackaye H.T., Vignaud P. <strong>et</strong> BRUNET M. (2007)<br />

— The ol<strong><strong>de</strong>s</strong>t African fox (Vulpes riffautae n. sp., Canidae, Carnivora) recovered in late<br />

Miocene <strong>de</strong>posits of the Djurab <strong><strong>de</strong>s</strong>ert, Chad. Naturwissenschaften, 94 : 575-580.<br />

Duringer P., Schuster M., Genise J.F., Mackaye H.T., Vignaud P. <strong>et</strong> BRUNET M.<br />

(2007) — New termite trace fossils : Galleries, nests and fungus combs from the Chad basin<br />

of Africa (Upper Miocene-Lower Pliocene). Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology,<br />

251 : 323-353.<br />

Lopez-Martinez N., Likius A., Mackaye H.T., Vignaud P. <strong>et</strong> Brun<strong>et</strong> M. (2007) — A<br />

new Lagomorph from the Late Miocene of Chad (Central Africa). Revista Espanola <strong>de</strong><br />

Paleontologia, 22(1) : 1-20.<br />

Otero O., Likius A., Vignaud P. <strong>et</strong> BRUNET M. (2007) — A new Claroteid Catfish<br />

(Siluriformes) from the Upper Miocene of Toros-Menalla, Late Miocene, Chad :<br />

Auchenoglanis soye sp. nov. J. Vert. Pal. 27(2) : 285-294.


PALÉONTOLOGIE HUMAINE 391<br />

Geraads D., Blon<strong>de</strong>l C., Likius A., Mackaye H.T., Vignaud P. <strong>et</strong> BRUNET M. (2008)<br />

— New Hippotragini (Bovidae, Mammalia) from the late Miocene of Toros-Menalla<br />

(Chad). J. Vert. Pal. 28(1) : 231-242.<br />

Guy F., Mackaye HT., Likius A., Vignaud P., Schmittbuhl M. <strong>et</strong> BRUNET M. (2008)<br />

— Symphyseal shape variation in extant and fossil hominoids, and the symphysis of<br />

Australopithecus bahrelghazali. Journal of Human Evolution 55 (2008) 37-47.<br />

Joliv<strong>et</strong> M., Lebatard A.E., Reyss J.L., Mackaye H.T., Lihoreau F., Vignaud P. <strong>et</strong><br />

BRUNET M. (2008) — Can fossil bones and te<strong>et</strong>h be dated using fission track analysis ?<br />

Chemical Geology, 247 : 81-99.<br />

Lebatard A.E., Bourlès D.L., Duringer P., Joliv<strong>et</strong> M., Braucher R., Carcaill<strong>et</strong> J.,<br />

Schuster M., Arnaud N., Monie P., Lihoreau F., Likius A., Mackaye H.T., Vignaud P.<br />

<strong>et</strong> BRUNET M. (2008) — Cosmogenic nucli<strong>de</strong> dating of Sahelanthropus tcha<strong>de</strong>nsis and<br />

Australopithecus bahrelghazali : Mio-Pliocene hominids from Chad. Proc. Nat. Acad. Sci.<br />

USA., 105, 9 : 3226-3231.<br />

Mackaye H.T., Coppens Y., Vignaud P., Lihoreau F. <strong>et</strong> BRUNET M. (2008) — De<br />

nouveaux restes <strong>de</strong> Primelephas dans le Mio-Pliocène du Nord du Tchad <strong>et</strong> révision du genre<br />

Primelephas. C. R. Palevol, 7 (2008) 227-236.<br />

Peigné S., <strong>de</strong> Bonis L., Likius A., Mackaye H.T., Vignaud P. <strong>et</strong> BRUNET M. (2008)<br />

— Late Miocene Carnivora from Chad : Lutrinae (Mustelidae). Zool. J. Linn. Soc., 152 :<br />

793-846.<br />

Sepulchre P., Schuster M., Ramstein G., Krinner G., Girard J.-F., Vignaud P.,<br />

BRUNET M. (2008) — Evolution of Lake Chad Basin hydrology during the mid-Holocene :<br />

a preliminary approach from lake to climate mo<strong>de</strong>lling. Global and Plan<strong>et</strong>ary Change, 61,<br />

41-48.


II. SCIENCES PHILOSOPHIQUES<br />

ET SOCIOLOGIQUES


A. Cours<br />

Philosophie du langage <strong>et</strong> <strong>de</strong> la connaissance<br />

M. Jacques Bouveresse, professeur<br />

On a repris <strong>et</strong> poursuivi l’examen <strong>de</strong> la question dont on était parti l’année <strong>de</strong>rnière,<br />

à savoir celle qui concerne le genre d’avenir que l’on peut raisonnablement attribuer<br />

en philosophie à la construction <strong>de</strong> systèmes <strong>et</strong> le genre d’intérêt que l’on peut, si on<br />

est convaincu que la philosophie <strong>de</strong>vrait désormais renoncer à s’exprimer dans la<br />

forme du système, attribuer encore aujourd’hui aux systèmes philosophiques qui ont<br />

été construits dans le passé. Il est possible que, pour pouvoir construire encore <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

systèmes, il faille avoir conservé une forme <strong>de</strong> naïv<strong>et</strong>é dont nous ne sommes plus<br />

capables ou qu’un excès d’intelligence nous empêche désormais <strong>de</strong> prendre<br />

suffisamment au sérieux ce genre d’exercice. Cela pourrait constituer une explication<br />

si on pense que la construction <strong>de</strong> systèmes philosophiques relève largement <strong>de</strong> la<br />

fiction <strong>et</strong> s’apparente à la création <strong>de</strong> mythes savants d’une certaine sorte.<br />

On peut penser par exemple à ce que dit, sur ce point, T. S. Eliot à propos <strong>de</strong><br />

l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Valéry <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons pour lesquelles il n’était pas <strong>et</strong> ne pouvait pas être<br />

philosophe, en tout cas au sens où il comprenait lui-même le mot « philosophie ».<br />

Pour être philosophe, il faut avoir une forme <strong>de</strong> foi <strong>et</strong> Valéry, qui se désigne luimême,<br />

pour ce qui est <strong>de</strong> sa relation à la philosophie, comme une sorte <strong>de</strong> barbare<br />

dans Athènes, était, selon Eliot, trop profondément incroyant pour pouvoir prendre<br />

réellement au sérieux les efforts <strong><strong>de</strong>s</strong> philosophes <strong>et</strong> les inventions auxquelles ils<br />

aboutissent :<br />

« […] Je pense que l’impression prédominante que l’on recevait <strong>de</strong> Valéry était celle <strong>de</strong><br />

l’intelligence.<br />

Intelligence au suprême <strong>de</strong>gré, <strong>et</strong> type d’intelligence qui exclut la possibilité <strong>de</strong> la foi,<br />

implique une profon<strong>de</strong> mélancolie. On a appelé Valéry un philosophe. Mais un<br />

philosophe, au sens ordinaire, est un homme qui construit, ou qui défend, un système<br />

philosophique ; <strong>et</strong> nous pouvons, dans ce sens, dire que Valéry était trop intelligent pour<br />

être un philosophe. Il faut au philosophes constructif une foi religieuse, ou quelque


396 JACQUES BOUVERESSE<br />

substitut qui en tienne lieu ; <strong>et</strong>, généralement, il ne lui est permis <strong>de</strong> construire que parce<br />

qu’il peut rester aveugle aux autres points <strong>de</strong> vue, ou insensible aux raisons émotives qui<br />

l’attachent à son système particulier. Valéry était bien trop luci<strong>de</strong> pour pouvoir philosopher<br />

<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te façon ; en sorte que sa philosophie se trouve exposée à l’accusation <strong>de</strong> n’être<br />

qu’un jeu compliqué. Précisément, — mais pouvoir jouer ce jeu, pouvoir y goûter <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

joies artistiques, c’est une <strong><strong>de</strong>s</strong> manifestations <strong>de</strong> l’homme civilisé. Il n’y a qu’un seul <strong>de</strong>gré<br />

plus élevé qu’il est possible à l’homme civilisé d’atteindre — <strong>et</strong> c’est d’unir le scepticisme<br />

le plus profond à la plus profon<strong>de</strong> foi. Mais Valéry n’était pas Pascal, <strong>et</strong> nous n’avons pas<br />

le droit <strong>de</strong> lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r cela. Son esprit était, je crois, profondément <strong><strong>de</strong>s</strong>tructeur, — <strong>et</strong><br />

même nihiliste 1 . »<br />

On peut être tenté, du reste, <strong>de</strong> considérer que le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la philosophie luimême<br />

est probablement partagé entre <strong>de</strong>ux catégories <strong>de</strong> praticiens : ceux qui se<br />

comportent à l’égard <strong>de</strong> la philosophie comme <strong>de</strong> véritables croyants <strong>et</strong> ceux — <strong>de</strong><br />

beaucoup les moins nombreux — qui adoptent, sur ce point, une attitu<strong>de</strong> qui<br />

s’efforce, au contraire, <strong>de</strong> ressembler aussi peu que possible à la croyance <strong>et</strong> encore<br />

moins à la foi.<br />

L’incroyant radical qu’est Valéry ne suggère, bien entendu, en aucune façon que<br />

le genre d’exercice auquel se livrent, le plus souvent avec passion, les philosophes<br />

est dépourvu d’intérêt, mais seulement qu’il est sans enjeu réel ou, plus exactement,<br />

que ce qui s’y déci<strong>de</strong> n’est pas forcément plus important que l’issue d’une simple<br />

partie d’échecs :<br />

« Discussion métaphysique. Si l’espace est fini, si les figures semblables sont possibles, si <strong>et</strong>c.<br />

Ces disputes, <strong>de</strong> plus en plus serrées, ont le passionnant <strong>et</strong> les conséquences nulles d’une partie<br />

d’échecs.<br />

A la fin, rien n’est plus — sinon que A est plus fort joueur que B.<br />

Parfois il en ressort aussi qu’il ne faut pas jouer tel coup désormais. On se ferait battre.<br />

Ou qu’il faut prendre telle précaution… 2 »<br />

Mais s’il est entendu, dans <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures comme les nôtres, que l’on est tenu,<br />

malgré tout, d’éprouver une certaine admiration <strong>et</strong> même une admiration spéciale<br />

pour la philosophie, qu’est-ce qui, dans une œuvre philosophique, mérite exactement<br />

d’être admiré ? Sont-ce en premier lieu les mérites <strong>de</strong> l’œuvre elle-même ou plutôt,<br />

en réalité, ceux <strong>de</strong> son auteur ? Ni<strong>et</strong>zsche, dans La Philosophie à l’époque tragique<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Grecs, affirme que tous les systèmes philosophiques du passé ont été réfutés <strong>et</strong><br />

que ce qui peut encore nous intéresser dans un système philosophique, une fois<br />

qu’il a été réfuté, est uniquement ce qu’il appelle la personnalité. C’est, dit-il, ce<br />

qui explique sa façon, effectivement assez particulière, <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> la<br />

philosophie :<br />

« Je raconte en la simplifiant l’histoire <strong>de</strong> ces philosophes : je ne veux extraire <strong>de</strong> chaque<br />

système que ce point qui est un fragment <strong>de</strong> personnalité <strong>et</strong> appartient à c<strong>et</strong>te part<br />

d’irréfutable <strong>et</strong> d’indiscutable que l’histoire se doit <strong>de</strong> préserver. C’est un premier pas pour<br />

r<strong>et</strong>rouver <strong>et</strong> reconstruire par comparaison ces personnages, <strong>et</strong> pour faire enfin résonner à<br />

1. T. S. Eliot, « Leçon <strong>de</strong> Valéry », in « Paul Valéry vivant », Cahiers du Sud, 1946, p. 75-77.<br />

2. Paul Valéry, Analecta, Gallimard, Paris, 1935, p. 223-224.


PHILOSOPHIE DU LANGAGE ET DE LA CONNAISSANCE 397<br />

nouveau la polyphonie du tempérament grec. Ma tâche consiste à m<strong>et</strong>tre en lumière ce<br />

que nous serons obligés d’aimer <strong>et</strong> <strong>de</strong> vénérer toujours, <strong>et</strong> qu’aucune connaissance ultérieure<br />

ne pourra nous ravir : le grand homme 3 . »<br />

On peut peut-être réfuter un système, mais on ne peut sûrement pas réfuter un<br />

grand homme. Dans quel sens, cependant, faut-il comprendre exactement le mot<br />

« réfuter » quand on dit que tous les systèmes philosophiques qui ont été construits<br />

jusqu’à présent ont été réfutés ? Ni<strong>et</strong>zsche ne donne pas beaucoup d’indications sur<br />

ce point. Ont-ils été réfutés parce qu’ils affirmaient <strong><strong>de</strong>s</strong> choses dont la fauss<strong>et</strong>é a<br />

été établie <strong>de</strong>puis, par exemple grâce à <strong><strong>de</strong>s</strong> progrès qui ont été réalisés dans le<br />

domaine <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences ou dans celui <strong>de</strong> la connaissance en général ? Parce que nous<br />

avons tout simplement cessé <strong>de</strong> croire <strong>et</strong> considérons comme impossible <strong>de</strong> croire<br />

ce qu’ils affirment ? Ou bien pour une raison différente, à la fois plus radicale <strong>et</strong><br />

plus générale, à savoir que c’est l’idée même <strong>de</strong> construire <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes qui a cessé<br />

d’être crédible ?<br />

La réponse <strong>de</strong> Ni<strong>et</strong>zsche à ce genre <strong>de</strong> question est malgré tout assez claire <strong>et</strong><br />

bien connue. La réfutation la plus décisive, à ses yeux, est la réfutation par l’histoire<br />

<strong>et</strong> la généalogie <strong>et</strong> elle est aussi la plus définitive, celle sur laquelle on ne reviendra<br />

pas : « La réfutation historique comme la réfutation définitive. — Il y a eu un temps<br />

où on on cherchait à démontrer qu’il n’y a pas <strong>de</strong> Dieu, — aujourd’hui, on montre<br />

comment la croyance qu’il y a un Dieu a pu naître <strong>et</strong> d’où c<strong>et</strong>te croyance tient le<br />

poids <strong>et</strong> l’importance qu’elle a : <strong>de</strong> ce fait, une preuve du contraire établissant qu’il<br />

n’y a pas <strong>de</strong> Dieu <strong>de</strong>vient superflue » (Morgenröte, I, § 95). C’est <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te façon-là<br />

que les philosophies peuvent être réfutées : en montrant comment elles ont pu<br />

apparaître <strong>et</strong> ce qui les a rendues pour un temps importantes. Mais, bien entendu,<br />

comme une <strong><strong>de</strong>s</strong> choses dont les philosophes sont généralement le plus dépourvus<br />

est justement, selon Ni<strong>et</strong>zsche, le sens historique, il ne faut pas s’attendre à ce que<br />

les « réfutations » <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te sorte produisent beaucoup d’eff<strong>et</strong> sur eux.<br />

Ni<strong>et</strong>zsche nous dit aussi que, même quand les systèmes philosophiques sont<br />

reconnus comme faux, ils n’en contiennent pas moins quelque chose d’irréfutable.<br />

Et il semble vouloir dire par là que, même si nous ne pouvons plus être d’accord<br />

avec leurs objectifs, <strong>et</strong> en particulier avec celui qui semble avoir été le plus important<br />

<strong>de</strong> tous, à savoir la vérité, les moyens mis en œuvre pour les atteindre peuvent<br />

continuer à susciter notre admiration parce qu’ils ont rendu possible la manifestation<br />

<strong>de</strong> quelque chose d’impérissable, à savoir une personnalité <strong>et</strong> un caractère<br />

exceptionnels.<br />

Il semble, <strong>de</strong> façon générale, relativement facile <strong>de</strong> trouver <strong><strong>de</strong>s</strong> objections<br />

possibles contre n’importe quel système philosophique, <strong>et</strong> même <strong>de</strong> le réfuter, mais<br />

3. Friedrich Ni<strong>et</strong>zsche, La Philosophie à l’époque tragique <strong><strong>de</strong>s</strong> Grecs, suivi <strong>de</strong> Sur l’avenir <strong>de</strong> nos<br />

établissements d’enseignement, textes <strong>et</strong> variantes établis par G. Coli <strong>et</strong> M. Montinari, traduit <strong>de</strong><br />

l’allemand par Jean-Louis Backès, Michel Haar <strong>et</strong> Marc B. <strong>de</strong> Launay, Gallimard, Paris, 1975,<br />

p. 9-10.


398 JACQUES BOUVERESSE<br />

beaucoup plus difficile <strong>de</strong> concevoir que l’un quelconque d’entre eux puisse être<br />

vrai <strong>et</strong> <strong>de</strong> démontrer qu’il l’est effectivement. Wilhelm Busch, l’immortel auteur<br />

<strong>de</strong> Max und Moritz dit que : « Le philosophe, <strong>de</strong> même que le propriétaire <strong>de</strong><br />

maison, ont toujours <strong><strong>de</strong>s</strong> réparations à faire. » On peut avoir le sentiment qu’à<br />

partir d’un certain moment, les systèmes philosophiques sont susceptibles, comme<br />

les maisons, <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir irréparables. Mais même ce genre <strong>de</strong> chose n’est peut-être<br />

qu’une impression trompeuse. Si l’on en croit Edgar Poe : « Il est amusant <strong>de</strong> voir<br />

la facilité avec laquelle tout système philosophique peut être réfuté. Mais aussi<br />

n’est-il pas désespérant <strong>de</strong> constater l’impossibilité d’imaginer qu’aucun système<br />

particulier soit vrai 4 ? » La première chose a plutôt tendance à réjouir les ennemis<br />

<strong>de</strong> la philosophie, la <strong>de</strong>uxième <strong>de</strong>vrait les inquiéter <strong>et</strong> le ferait probablement s’ils<br />

n’étaient pas justement <strong><strong>de</strong>s</strong> ennemis <strong>de</strong> la philosophie.<br />

Mais la dissymétrie à laquelle Poe fait référence est-elle aussi réelle qu’il le<br />

suggère ? Autrement dit, est-il certain que les systèmes philosophiques soient aussi<br />

faciles à réfuter qu’il le dit ? Il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> auteurs qui pensent que, s’ils ne sont<br />

assurément pas vérifiables, ils ne sont pas non plus, à proprement parler, réfutables.<br />

Gueroult <strong>et</strong> Vuillemin, par exemple, soutiennent que, même si l’on peut hésiter à<br />

dire d’eux qu’ils sont vrais, au sens usuel du terme, ils n’en continuent pas moins<br />

à représenter <strong><strong>de</strong>s</strong> possibilités <strong>de</strong> vérité entre lesquelles le philosophe est obligé <strong>de</strong><br />

choisir, tout en sachant que d’autres choix, qui contredisent le sien, sont également<br />

possibles <strong>et</strong> respectables.<br />

Dans les <strong>de</strong>rnières séances du <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année <strong>de</strong>rnière, on a évoqué ce que<br />

Christopher Peacocke appelle le « défi <strong>de</strong> l’intégration », un défi qui a trait à la<br />

difficulté que l’on peut avoir, en rapport avec une entreprise cognitive quelconque,<br />

à fournir à la fois une métaphysique <strong>et</strong> une épistémologie acceptables <strong>de</strong> la vérité<br />

pour les propositions <strong>de</strong> la discipline concernée. Selon Peacocke :<br />

« Nous pouvons avoir une conception claire <strong><strong>de</strong>s</strong> moyens par lesquels nous en venons<br />

ordinairement à connaître les propositions en question. Néanmoins en même temps nous<br />

pouvons être incapables <strong>de</strong> fournir une quelconque explication plausible <strong>de</strong> conditions <strong>de</strong><br />

vérité dont la connaissance du fait qu’elles sont satisfaites pourrait être obtenue par ces<br />

moyens. Ou bien nous pouvons avoir une conception claire <strong>de</strong> ce qui est impliqué dans<br />

la vérité <strong>de</strong> la proposition, mais être incapables <strong>de</strong> voir comment nos métho<strong><strong>de</strong>s</strong> réelles <strong>de</strong><br />

formation <strong>de</strong> la croyance à propos <strong>de</strong> l’obj<strong>et</strong> sur lequel elles portent peuvent être suffisantes<br />

pour connaître leur vérité. Dans certains cas nous pouvons ne pas avoir les idées claires<br />

sur aucune <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux choses.<br />

J’appelle la tâche générale consistant à fournir, pour un domaine déterminé, une<br />

métaphysique <strong>et</strong> une épistémologie simultanément acceptables <strong>et</strong> à montrer qu’elles le<br />

sont, le Défi <strong>de</strong> l’Intégration pour ce domaine 5 . »<br />

Ce que cela veut dire est que, si nous considérons une discipline quelconque qui<br />

a une prétention à la connaissance que l’on peut présumer légitime, nous sommes<br />

4. Edgar Allan Poe, Marginalia <strong>et</strong> autres fragments, textes choisis, présentés <strong>et</strong> traduits <strong>de</strong><br />

l’anglais par Lionel Menasché, Editions Allia, Paris, 2007, p. 103.<br />

5. Christopher Peacocke, Being Known, Clarendon Press, Oxford, 1999, p. 1-2.


PHILOSOPHIE DU LANGAGE ET DE LA CONNAISSANCE 399<br />

en droit <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r qu’elle dispose à la fois d’un concept compréhensible <strong>et</strong><br />

acceptable <strong>de</strong> la vérité <strong>et</strong> d’une explication également compréhensible <strong>et</strong> acceptable<br />

<strong>de</strong> la manière dont la vérité en question peut être atteinte par les moyens dont<br />

nous disposons. Il faut que le concept <strong>de</strong> vérité philosophique, tel qu’il est expliqué<br />

par ceux qui l’utilisent, ne ren<strong>de</strong> pas impossible à comprendre <strong>et</strong> complètement<br />

mystérieux ou invraisemblable, au regard <strong>de</strong> l’idée que nous nous faisons <strong>de</strong> ce que<br />

peut être la connaissance en général, la manière dont nous pouvons, avec les<br />

moyens que nous sommes censés avoir à notre disposition, en venir à connaître la<br />

vérité en question. Et, inversement, il ne doit pas y avoir une discordance complète<br />

ni même un écart trop important entre ce que nous savons <strong><strong>de</strong>s</strong> processus par<br />

lesquels se forment les croyances <strong>et</strong> les certitu<strong><strong>de</strong>s</strong> philosophiques, <strong>et</strong> l’idée que nous<br />

nous faisons du genre <strong>de</strong> vérités à la connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong>quelles nous sommes censés<br />

avoir réussi à accé<strong>de</strong>r grâce à eux. Il est probable qu’en réalité nous n’avons les idées<br />

tout à fait claires ni sur le sens auquel il peut être question <strong>de</strong> vérité dans le cas<br />

d’une discipline comme la philosophie, ni sur les moyens <strong>de</strong> connaissance dont<br />

nous disposons pour accé<strong>de</strong>r à une vérité <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te sorte.<br />

La raison pour laquelle le défi <strong>de</strong> l’intégration est important n’est pas difficile à<br />

comprendre, tout au moins pour ceux qui souhaitent défendre dans tous les<br />

domaines, à commencer, bien entendu, par celui <strong>de</strong> la philosophie, un point <strong>de</strong><br />

vue rationaliste. Peacocke s’exprime sur ce point <strong>de</strong> la façon suivante dans la<br />

conclusion <strong>de</strong> son livre, The Realm of Reason :<br />

« Finalement, nous <strong>de</strong>vrions, en poursuivant l’agenda rationaliste à travers plus <strong>de</strong><br />

domaines <strong>et</strong> <strong>de</strong> questions, viser à obtenir une meilleure compréhension <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong><br />

connaissance <strong>de</strong> ce que c’est pour un contenu que d’être vrai. J’ai argué que nous ne<br />

pouvons pas caractériser la rationalité sans invoquer c<strong>et</strong>te notion. Elle informe notre<br />

conception <strong>de</strong> ce que c’est pour une transition que d’être rationnelle. La notion <strong>de</strong><br />

connaître ce que c’est pour un contenu donné que d’être vrai elle-même lie ensemble le<br />

métaphysique <strong>et</strong> l’épistémologique. Quand on échoue à réaliser l’intégration, dans un<br />

domaine donné, <strong>de</strong> notre métaphysique avec notre épistémologie, cela fait <strong>de</strong> façon<br />

caractéristique apparaître comme manifestement défectueuses les explications <strong>de</strong> ce que<br />

c’est pour un contenu concernant ce domaine que d’être vrai. Comprendre la connaissance<br />

<strong>de</strong> ce que c’est pour une chose que d’être le cas, ce serait disposer d’une clé non seulement<br />

pour l’épistémologie <strong>et</strong> la métaphysique <strong>de</strong> ce domaine, mais pour la nature <strong>de</strong> nousmêmes<br />

comme penseurs rationnels. Comprendre notre appréhension <strong>de</strong> la vérité est une<br />

partie essentielle <strong>de</strong> nous comprendre nous-mêmes 6 . »<br />

Ce n’est pas, semble-t-il, faire preuve d’un pessimisme exagéré que <strong>de</strong> dire que<br />

nous n’avons apparemment pas, pour un domaine comme celui <strong>de</strong> la philosophie,<br />

d’explication satisfaisante <strong>de</strong> ce que c’est pour un contenu ayant trait à ce domaine<br />

que d’être connu comme vrai. Et on peut s’attendre à ce que ce défaut d’explication<br />

se révèle <strong>de</strong> façon particulièrement flagrante dans l’incapacité <strong>de</strong> résoudre le défi<br />

<strong>de</strong> l’intégration <strong>et</strong> même peut-être déjà <strong>de</strong> le prendre au sérieux. Le défi <strong>de</strong><br />

l’intégration constitue un problème qui a été discuté abondamment dans le cas <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

6. Christopher Peacocke, The Realm of Reason, Clarendon Press, Oxford, 2004, p. 267.


400 JACQUES BOUVERESSE<br />

mathématiques. Il l’a été beaucoup plus rarement dans le cas <strong>de</strong> la philosophie <strong>et</strong><br />

pourtant il y aurait <strong>de</strong> nombreuses raisons <strong>de</strong> le poser, puisqu’il pourrait bien y<br />

avoir <strong><strong>de</strong>s</strong> difficultés particulières, pour ceux qui acceptent d’utiliser le concept <strong>de</strong><br />

vérité à propos <strong>de</strong> la philosophie, à concilier la métaphysique <strong>et</strong> l’épistémologie <strong>de</strong><br />

la vérité philosophique. L’attitu<strong>de</strong> la plus répandue, sur ce point, semble être, <strong>de</strong><br />

façon particulièrement regr<strong>et</strong>table, celle qui consiste à éviter pru<strong>de</strong>mment le<br />

problème.<br />

De quelle façon faut-il se représenter, dans le cas <strong>de</strong> la philosophie, la relation qui<br />

existe entre la vérité <strong>et</strong> la possibilité pour nous <strong>de</strong> la reconnaître ? Est-il admissible<br />

que la philosophie utilise, pour ses propres propositions, un concept <strong>de</strong> vérité qui<br />

transcen<strong>de</strong> largement toute possibilité <strong>de</strong> vérification, ce qui expliquerait que, si les<br />

philosophes n’ont pas cessé <strong>de</strong> présenter comme vraies <strong>et</strong> d’asserter <strong><strong>de</strong>s</strong> propositions<br />

<strong>de</strong> l’espèce la plus diverse, on ne peut malheureusement dire d’aucune d’entre elles<br />

qu’elle ait été, à proprement parler, vérifiée, dans un sens du mot « vérifier » qui soit,<br />

bien entendu, approprié à la nature <strong>de</strong> la discipline ? Ou bien « vrai » doit-il vouloir<br />

dire dans le cas <strong>de</strong> la philosophie elle-même, à peu près la même chose que<br />

« vérifiable » ou « susceptible d’être affirmé avec <strong>de</strong> bonnes raisons » ? Autrement<br />

dit, est-il concevable que les propositions philosophiques soient bel <strong>et</strong> bien vraies ou<br />

fausses, mais le soient d’une manière telle que nous ne parviendrons peut-être jamais<br />

à savoir ce qu’il en est ? Ou bien faut-il rej<strong>et</strong>er complètement c<strong>et</strong>te idée, ce qui risque<br />

<strong>de</strong> nous placer dans une situation à bien <strong><strong>de</strong>s</strong> égards encore plus inconfortable ?<br />

Comme le dit Göran Sundholm :<br />

« Il y a <strong>de</strong>ux principes traditionnels qui jouent un rôle central dans l’interaction entre la<br />

logique <strong>et</strong> l’épistémologie. Le premier est, bien entendu, la loi du Tiers Exclu, ou toutefois,<br />

comme le Prof. Dumm<strong>et</strong>t nous en a fait prendre conscience plus que n’importe qui d’autre,<br />

la loi <strong>de</strong> la Bivalence. L’autre principe, qui est aussi vénérable que celui <strong>de</strong> la Bivalence, est le<br />

principe auquel le Prof. Dumm<strong>et</strong>t s’est référé comme étant le principe K, probablement<br />

pour signifier knowledge : si une proposition est vraie, alors il est possible en principe <strong>de</strong><br />

savoir qu’elle est vraie. C’est seulement en 1908 que la tension entre ce principe <strong>de</strong><br />

Connaissabilité <strong>et</strong> le principe <strong>de</strong> Bivalence a été ressentie simultanément dans <strong>de</strong>ux endroits<br />

différents, à savoir Cambridge <strong>et</strong> Amsterdam. G. E. Moore est le premier à envisager <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

propositions vraies inconnaissables, compte tenu du fait que, étant un Réaliste, il ne<br />

pourrait pas adm<strong>et</strong>tre l’abolition <strong>de</strong> la loi <strong>de</strong> Bivalence. L. E. J. Brouwer, en revanche, a<br />

adopté l’issue opposée, dans sa réaction à c<strong>et</strong>te tension dilemmatique <strong>et</strong> a choisi <strong>de</strong> conserver<br />

le principe <strong>de</strong> Connaissabilité <strong>de</strong> la vérité, mais il a dû alors s’abstenir <strong>de</strong> reconnaître la loi<br />

<strong>de</strong> Bivalence <strong>et</strong> la loi du Tiers Exclu qui s’ensuit, dans leur généralité complète 7 . »<br />

C’est la façon dont les philosophes ont réagi à c<strong>et</strong>te tension qui est à l’origine<br />

<strong>de</strong> la distinction qui doit être faite pour commencer, selon Vuillemin, entre <strong>de</strong>ux<br />

gran<strong><strong>de</strong>s</strong> classes <strong>de</strong> systèmes philosophiques : les systèmes dogmatiques <strong>et</strong> les<br />

systèmes <strong>de</strong> l’examen, dont l’intuitionnisme est une <strong><strong>de</strong>s</strong> formes fondamentales,<br />

7. Göran Sundholm, « Vestiges of Realism », in The Philosophy of Michael Dumm<strong>et</strong>t, edited by<br />

Brian McGuinness and Gianluigi Oliveri, Kluwer Aca<strong>de</strong>mic Publishers, Dordrecht/Boston/<br />

London, 1994, p. 139-140.


PHILOSOPHIE DU LANGAGE ET DE LA CONNAISSANCE 401<br />

l’autre étant le scepticisme. Les systèmes du premier type, comme leur nom<br />

l’indique, utilisent une notion dogmatique <strong>de</strong> la vérité, comprise comme consistant<br />

dans l’adéquation <strong>de</strong> la proposition avec un état <strong>de</strong> choses objectif qui est réalisé<br />

ou ne l’est pas, indépendamment <strong>de</strong> la possibilité que nous avons (ou n’avons<br />

peut-être pas) <strong>de</strong> savoir s’il l’est ou non. Les systèmes <strong>de</strong> l’examen choisissent<br />

d’utiliser une notion <strong>de</strong> la vérité qui ne peut être dissociée à ce point <strong>de</strong> celle <strong>de</strong><br />

la vérifiabilité (dans le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques, <strong>de</strong> la démontrabilité). On s’est<br />

intéressé c<strong>et</strong>te année, <strong>de</strong> façon particulièrement détaillée, à l’opposition qui existe<br />

entre l’option réaliste <strong>et</strong> l’option intuitionniste, non pas seulement sur le terrain<br />

<strong>de</strong> la philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong> la connaissance en général,<br />

mais également dans le domaine <strong>de</strong> la philosophie pratique elle-même.<br />

Avant d’abor<strong>de</strong>r c<strong>et</strong> aspect du problème, on a jugé nécessaire <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> près<br />

les ressemblances <strong>et</strong> les différences qui existent entre Quine <strong>et</strong> Vuillemin, en ce qui<br />

concerne à la fois leurs conceptions respectives <strong>de</strong> la philosophie, l’idée qu’ils se<br />

font <strong><strong>de</strong>s</strong> relations qui existent entre la philosophie <strong>et</strong> les sciences, <strong>et</strong> le genre <strong>de</strong><br />

critères <strong>et</strong> <strong>de</strong> métho<strong>de</strong> qu’ils utilisent pour distinguer <strong>et</strong> classer les ontologies <strong>et</strong> les<br />

philosophies. On pourrait sans doute être tenté d’objecter à c<strong>et</strong>te confrontation<br />

que Quine n’a pas réellement cherché à construire une classification en bonne <strong>et</strong><br />

due forme <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes espèces <strong>de</strong> philosophies <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques <strong>et</strong> encore<br />

moins, bien entendu, <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes espèces <strong>de</strong> philosophies tout court. Il a plutôt<br />

cherché, plus mo<strong><strong>de</strong>s</strong>tement, à montrer comment les trois espèces principales <strong>de</strong><br />

philosophies <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques qui se sont divisées <strong>et</strong> affrontées au vingtième<br />

siècle : le logicisme, l’intuitionnisme <strong>et</strong> le formalisme, peuvent être distinguées par<br />

les engagements ontologiques auxquels elles consentent ou refusent <strong>de</strong> consentir <strong>et</strong><br />

comment le critère <strong>de</strong> l’engagement ontologique qu’il propose perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> clarifier<br />

les désaccords qu’il y a entre elles. Mais ce n’est sûrement pas le point le plus<br />

important. Car cela n’interdit évi<strong>de</strong>mment pas <strong>de</strong> se poser la question <strong>de</strong> savoir<br />

quelle position exacte est susceptible d’occuper une philosophie comme celle <strong>de</strong><br />

Quine dans la classification <strong>de</strong> Vuillemin <strong>et</strong> celle <strong>de</strong> savoir si la classification <strong>de</strong><br />

Quine comporte ou non une lacune qui pourrait la rendre, par exemple, incapable<br />

<strong>de</strong> définir l’intuitionnisme au sens <strong>de</strong> Vuillemin. C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière question constitue,<br />

bien entendu, une occasion <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r aussi s’il est indispensable d’adopter<br />

une définition comme celle que Vuillemin donne <strong>de</strong> l’intuitionnisme pour pouvoir<br />

comprendre l’intuitionnisme comme philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques <strong>et</strong> rendre<br />

justice à ce qu’il a été.<br />

Un <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes que soulève la position <strong>de</strong> Quine est évi<strong>de</strong>mment que, comme<br />

l’a souligné Joseph Vidal-Ross<strong>et</strong>, si le critère <strong>de</strong> l’engagement ontologique est simple,<br />

objectif <strong>et</strong> impartial, on est obligé <strong>de</strong> reconnaître qu’il ne s’embarrasse pas <strong>de</strong> nuances,<br />

ce qui pourrait avoir pour conséquence qu’il ne fait pas suffisamment <strong>de</strong> différences.<br />

Un exemple typique <strong>de</strong> cela est la façon dont Quine traite le réalisme, puisque,<br />

comme on l’a rappelé, il ne fait guère <strong>de</strong> différence véritable entre <strong>de</strong>ux positions<br />

comme ce qu’on pourrait appeler le platonisme dogmatique, qui soutient que les<br />

entités abstraites existent en soi <strong>et</strong> indépendamment <strong>de</strong> nos activités <strong>de</strong> connaissance,


402 JACQUES BOUVERESSE<br />

<strong>et</strong> le platonisme que l’on pourrait appeler « pragmatique », qui se contente d’affirmer<br />

que nous sommes contraints d’accepter l’existence au moins <strong>de</strong> certains d’entre eux<br />

pour les besoins <strong>de</strong> la science, <strong>et</strong> donc d’une façon qui n’est pas vraiment dissociable<br />

<strong>de</strong> l’entreprise <strong>de</strong> la connaissance elle-même. Or c<strong>et</strong>te différence peut sembler<br />

justement essentielle, du point <strong>de</strong> vue philosophique.<br />

La façon dont Quine traite la question du réalisme entraîne un affaiblissement<br />

certain <strong>de</strong> la position réaliste <strong>et</strong> nous laisse pour finir avec un réalisme qui est<br />

véritablement minimal <strong>et</strong> ne conserve indiscutablement, même dans le cas <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

mathématiques, pas grand-chose <strong>de</strong> proprement platonicien. Un autre problème,<br />

qu’on a déjà mentionné, est celui <strong>de</strong> savoir comment il faut comprendre<br />

l’intuitionnisme <strong>et</strong> à quel endroit il convient exactement <strong>de</strong> le situer dans la<br />

classification <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes. Et il y a enfin la question <strong>de</strong> savoir quelle est la place<br />

qui doit être attribuée à une philosophie comme celle <strong>de</strong> Quine dans la classification<br />

<strong>de</strong> Vuillemin, si toutefois on la considère comme suffisamment systématique pour<br />

mériter une place dans une classification qui est avant tout celle <strong><strong>de</strong>s</strong> formes <strong>de</strong><br />

systèmes philosophiques. (Le pragmatisme <strong>et</strong> l’éclectisme qui caractérisent la<br />

démarche <strong>de</strong> Quine <strong>et</strong> celle d’un bon nombre <strong>de</strong> philosophies contemporaines<br />

suscitent évi<strong>de</strong>mment, chez Vuillemin, <strong><strong>de</strong>s</strong> réserves qui n’ont rien <strong>de</strong> surprenant.)<br />

Ce qui est constitutif <strong>de</strong> l’intuitionnisme, dans l’interprétation <strong>de</strong> Vuillemin, est<br />

moins le choix d’une réponse déterminée à la question ontologique <strong>de</strong> l’admissibilité<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s abstraits que celui qui consiste à exiger <strong>de</strong> tous les obj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> connaissance<br />

possibles, qu’ils soient concr<strong>et</strong>s ou abstraits, qu’ils puissent exhiber la métho<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

construction par laquelle ils peuvent être atteints, ce qui, comme on pouvait s’y<br />

attendre, nous renvoie, dans la classification <strong><strong>de</strong>s</strong> formes d’assertion fondamentales,<br />

à ce qu’il appelle les « jugements <strong>de</strong> métho<strong>de</strong> ». « Je donne, dit-il au mot<br />

intuitionnisme un sens voisin <strong>de</strong> celui qu’il a reçu en philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques.<br />

Un mathématicien est dit intuitionniste quand il requiert d’une preuve d’existence<br />

qu’elle fournisse le moyen <strong>de</strong> construire l’obj<strong>et</strong>. De même un philosophe est<br />

intuitionniste […] quand il requiert <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> la connaissance qu’ils fassent voir<br />

quelle métho<strong>de</strong> les rend légitimes. Les mathématiciens intuitionnistes se disputent<br />

sur la nature <strong>et</strong> la limite <strong><strong>de</strong>s</strong> constructions admissibles. De même, les philosophes<br />

intuitionnistes se disputent sur la nature <strong>et</strong> les limites <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la<br />

connaissance 8 » Descartes <strong>et</strong> Kant peuvent évi<strong>de</strong>mment être considérés, en ce senslà,<br />

comme <strong><strong>de</strong>s</strong> philosophes typiquement intuitionnistes.<br />

Le point <strong>de</strong> vue intuitionniste, compris <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te façon, peut être appliqué, <strong>de</strong><br />

façon très naturelle, non seulement aux obj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> la connaissance proprement dite,<br />

mais également à ceux <strong>de</strong> la morale <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’esthétique. Et c’est <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te façon-là que<br />

le terme « intuitionnisme » est utilisé par Vuillemin dans sa classification, ce qui<br />

perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> ranger Épicure, par exemple, à côté <strong>de</strong> Descartes <strong>et</strong> <strong>de</strong> Kant dans la<br />

catégorie générale <strong><strong>de</strong>s</strong> intuitionnistes. Un philosophe intuitionniste qui a construit<br />

8. Jules Vuillemin, L’Intuitionnisme kantien, Vrin, Paris, 1994, p. 7.


PHILOSOPHIE DU LANGAGE ET DE LA CONNAISSANCE 403<br />

un système philosophique compl<strong>et</strong> appliquera au cas du vrai, du bien <strong>et</strong> du beau<br />

le même genre <strong>de</strong> traitement, que Vuillemin décrit <strong>de</strong> la façon suivante :<br />

« Appelons intuitionniste un système qui rend ses définitions du vrai, du bien <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

beauté dépendantes <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> par laquelle la connaissance, la conscience morale <strong>et</strong><br />

le jugement <strong>de</strong> goût parviennent jusqu’à eux. En éthique, l’intuitionnisme subordonne le<br />

souverain bien aux règles <strong>de</strong> la liberté. Ou plutôt, comme il est sous le contrôle <strong>de</strong> notre<br />

volonté, le souverain bien n’est rien d’autre que la législation <strong>de</strong> notre liberté, alors que<br />

le fait d’être dépossédé <strong>de</strong> notre liberté est le principe du mal. L’autarcie épicurienne, la<br />

maîtrise <strong>de</strong> soi cartésienne, l’autonomie kantienne résultent d’une reconnaissance<br />

commune <strong>de</strong> la primauté <strong>de</strong> la liberté, en contraste aussi bien avec le dogmatisme qu’avec<br />

le scepticisme moral 9 . »<br />

Une partie conséquente du <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année a été consacrée à c<strong>et</strong> aspect<br />

important <strong>et</strong> souvent un peu trop négligé <strong>de</strong> la confrontation entre l’intuitionnisme,<br />

au sens élargi, <strong>et</strong> son adversaire réaliste, autrement à <strong><strong>de</strong>s</strong> questions du type suivant :<br />

1) la théorie intuitionniste <strong>de</strong> la finalité esthétique chez Kant <strong>et</strong> la philosophie<br />

intuitionniste <strong>de</strong> la beauté dans la nature <strong>et</strong> dans l’art ; 2) l’intuitionnisme moral<br />

<strong>et</strong> le problème <strong>de</strong> la décision ; 3) la philosophie du droit <strong>de</strong> Kant <strong>et</strong> la théorie <strong>de</strong><br />

la justice <strong>de</strong> Rawls (Vuillemin a entrepris <strong>de</strong> démontrer que c<strong>et</strong>te théorie s’est<br />

trompée sur ses véritables ancêtres <strong>et</strong> que, contrairement à ce qu’a soutenu son<br />

auteur, elle ne s’apparente pas à une forme d’intuitionnisme, d’inspiration<br />

kantienne, mais plutôt à une forme <strong>de</strong> scepticisme qui ne se reconnaît pas comme<br />

telle) ; 4) la part <strong>de</strong> la foi <strong>et</strong> celle <strong>de</strong> la raison dans la philosophie <strong>et</strong> dans l’opposition<br />

entre les philosophies : la confrontation entre saint Anselme <strong>et</strong> Kant comme<br />

exemple d’une opposition entre le rationalisme dogmatique <strong>et</strong> le rationalisme<br />

intuitionniste ; 5) le problème <strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre la vérité, la connaissance <strong>et</strong> la<br />

croyance, dans le cas général <strong>et</strong> dans la philosophie en particulier.<br />

Dans la <strong>de</strong>rnière partie du <strong>cours</strong>, on est revenu à l’aporie <strong>de</strong> Diodore comme<br />

constituant un principe <strong>de</strong> division entre les systèmes <strong>de</strong> la nécessité, <strong>de</strong> la<br />

contingence <strong>et</strong> <strong>de</strong> la liberté, <strong>et</strong>, <strong>de</strong> ce fait, entre les systèmes <strong>de</strong> philosophie pratique.<br />

L’opposition entre les systèmes se traduit notamment par une divergence entre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

conceptions différentes <strong>de</strong> ce qu’est, à proprement parler, une loi <strong>de</strong> la nature.<br />

« Pour appliquer la métho<strong>de</strong> synthétique au dominateur, explique Vuillemin, il<br />

faudra […] assigner, dans un système philosophique, le principe en vertu duquel<br />

le doute doit se porter sur l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> axiomes <strong>de</strong> l’argument <strong>et</strong> montrer l’étroite<br />

convenance <strong>de</strong> chaque système avec l’usage spécifique qu’il fait d’une modalité<br />

fondamentale pour définir ce qu’il entend par loi naturelle 10 . » Tous les systèmes<br />

intuitionnistes, par exemple, adm<strong>et</strong>tent la contingence <strong><strong>de</strong>s</strong> lois <strong>de</strong> la nature, ce qui<br />

est une conséquence inévitable <strong><strong>de</strong>s</strong> exigences <strong>de</strong> constructivité imposées à la vérité,<br />

ils optent <strong>de</strong> préférence pour le mécanisme strict <strong>et</strong> ils ne tolèrent la finalité qu’à<br />

titre d’idée régulatrice <strong>de</strong> la recherche. Vuillemin procè<strong>de</strong> en remontant <strong>de</strong> la<br />

9. « Kant’s Moral Intuitionism », in L’intuitionnisme kantien, p. 57.<br />

10. Jules Vuillemin, Nécessité ou contingence, L’argument <strong>de</strong> Diodore <strong>et</strong> les systèmes<br />

philosophiques, Editions <strong>de</strong> Minuit, 1984, p. 275.


404 JACQUES BOUVERESSE<br />

prémisse qui est récusée par un système philosophique dans l’aporie <strong>de</strong> Diodore à<br />

la conception d’un type déterminé <strong>de</strong> loi naturelle, puis à l’édifice philosophique<br />

compl<strong>et</strong> dans lequel c<strong>et</strong>te loi trouve sa place.<br />

Au terme d’un analyse détaillée <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes espèces <strong>de</strong> lois (les lois<br />

classificatoires, dont il existe quatre espèces différentes, les lois causales <strong>et</strong> les règles<br />

<strong>de</strong> l’examen) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la façon dont se comportent à leur égard les différents systèmes<br />

philosophiques, on en arrive, en suivant Vuillemin, au tableau <strong><strong>de</strong>s</strong> correspondances<br />

qui existent entre une forme <strong>de</strong> système philosophique, un type <strong>de</strong> loi naturelle<br />

reconnu par elle comme valable <strong>et</strong> le choix d’une prémisse déterminée, explicite<br />

ou implicite, <strong>de</strong> l’argument dominateur qui doit, selon elle, être mise en doute.<br />

Ainsi, par exemple, le réalisme platonicien m<strong>et</strong> en question le principe <strong>de</strong><br />

nécessité conditionnelle, le conceptualisme aristotélicien m<strong>et</strong> en question le<br />

principe <strong>de</strong> bivalence, le nominalisme <strong><strong>de</strong>s</strong> choses m<strong>et</strong> en question la troisième<br />

prémisse, qui énonce qu’il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> possibles qui ne se réalisent pas, Épicure, dont<br />

la doctrine est une forme d’intuitionnisme, m<strong>et</strong> en question le principe du tiers<br />

exclu, <strong>et</strong>c. On peut remarquer également que, « mis en <strong>de</strong>meure <strong>de</strong> préciser le<br />

statut du concept <strong>de</strong> possible qui ne se réalise jamais, les systèmes intuitionnistes<br />

font preuve d’une même hésitation pour aboutir à une même fin <strong>de</strong> non recevoir »<br />

(Nécessité ou contingence, p. 391). C’est vrai d’Épicure, même s’il donne l’impression<br />

<strong>de</strong> chercher à tout prix à conserver la troisième prémisse du Dominateur, <strong>de</strong><br />

Descartes, pour autant que l’idée d’un possible qui ne se réaliserait jamais semble<br />

constituer une limite imposée <strong>de</strong> façon inacceptable à la toute-puissance <strong>de</strong> Dieu,<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> Kant. Mais il faut remarquer que, alors que les nominalistes rej<strong>et</strong>tent<br />

dogmatiquement c<strong>et</strong>te prémisse, les intuitionnistes se contentent <strong>de</strong> la critiquer.<br />

On peut constater une fois <strong>de</strong> plus qu’il y a une différence importante entre refuser<br />

simplement d’asserter un principe <strong>et</strong> affirmer explicitement sa négation.<br />

C’est à ce sta<strong>de</strong> que s’est arrêté le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année, sans avoir malheureusement<br />

permis d’entrer réellement dans les détails <strong>de</strong> l’argumentation qui perm<strong>et</strong> à<br />

Vuillemin d’aboutir aux résultats qu’il expose. Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année prochaine, qui<br />

sera consacré à la façon dont on peut situer la philosophie <strong>de</strong> la nécessité <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

contingence <strong>de</strong> Leibniz par rapport au défi que représente l’aporie <strong>de</strong> Diodore,<br />

<strong>de</strong>vra donc commencer par un r<strong>et</strong>our sur celle-ci <strong>et</strong> sur le rôle déterminant <strong>et</strong><br />

structurant que Vuillemin a choisi <strong>de</strong> lui faire jouer dans sa tentative <strong>de</strong> construction<br />

d’une sorte <strong>de</strong> métasystématique <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> philosophie pratique.<br />

B. Séminaire<br />

Le séminaire <strong>de</strong> l’année 2007-2008 a été consacré à un thème qui était directement<br />

en rapport avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong> <strong>et</strong> qui a donné l’occasion d’entendre une série <strong>de</strong><br />

treize exposés, qui se sont succédé <strong>de</strong> la façon suivante :<br />

9 janvier 2008 : Delphine Chapuis-Schmitz (University of Pittsburgh), Théorie,<br />

métho<strong>de</strong> <strong>et</strong> vérité : en quel sens la philosophie peut-elle être systématique ?


PHILOSOPHIE DU LANGAGE ET DE LA CONNAISSANCE 405<br />

16 janvier : Pierre Jacob (Institut Jean Nicod, Paris), Le naturalisme méthodologique<br />

<strong>et</strong> le naturalisme métaphysique.<br />

23 janvier : Au<strong>de</strong> Bandini (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), La philosophie <strong>et</strong> les <strong>de</strong>ux images<br />

du mon<strong>de</strong>.<br />

30 janvier : Ophélia Deroy (Université Paris 12), La philosophie contemporaine<br />

doit-elle être relativiste <strong>et</strong> peut-elle l’être ?<br />

6 février : Denis Perrin (Université <strong>de</strong> Grenoble), La présentation synoptique :<br />

ressemblance <strong>et</strong> morphologie.<br />

13 février : Gabriella Crocco (Université d’Aix-en-Provence), Sur les rapports <strong>de</strong><br />

la philosophie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la science dans la pensée contemporaine.<br />

20 février : Jocelyn Benoist (Université Paris 1), Le prix du réalisme.<br />

27 février : Fabrice Pataut (IHPST, Paris), La philosophie analytique doit-elle être<br />

systématique ?<br />

5 mars : Claudine Tiercelin (Université Paris 12), L’ontologie est-elle la clé d’un<br />

système philosophique ?<br />

12 mars : Gerhard Heinzmann (Archives Poincaré, Nancy), La systématicité du<br />

dialogue en tant que « structure pragmatique » <strong>de</strong> la proposition élémentaire.<br />

19 mars : Kevin Mulligan (Université <strong>de</strong> Genève), Description, Apories <strong>et</strong><br />

Système.<br />

25 mars : Jean-Jacques Rosat (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), Pourquoi une philosophie <strong>de</strong> la<br />

psychologie doit-elle être synoptique <strong>et</strong> peut-elle l’être ?<br />

2 avril : Jacques Bouveresse (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), Martial Gueroult <strong>et</strong> la philosophie<br />

<strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> la philosophie.<br />

On pourrait dire, en reprenant le titre <strong>de</strong> l’un d’entre eux, que la série <strong>de</strong> ces<br />

exposés a permis d’obtenir une vue à la fois beaucoup plus précise <strong>et</strong> plus complète<br />

du prix que l’on doit être prêt à payer aussi bien pour défendre le réalisme que<br />

pour défendre l’antiréalisme, la systématicité que l’antisystématicité, <strong>et</strong>c., en<br />

philosophie. Ils ont montré, en tout cas, que la question <strong>de</strong> savoir si la philosophie<br />

doit être systématique <strong>et</strong> en quel sens n’a rien perdu <strong>de</strong> son intérêt <strong>et</strong> que,<br />

contrairement, à ce qui a été affirmé à maintes reprises, elle est toujours aussi loin<br />

d’être réglée. Il n’y a pas d’accord en vue entre les philosophies, mais il n’y en a<br />

pas non plus sur le genre <strong>de</strong> chose que doit être la philosophie.<br />

Au travail effectué dans le séminaire s’est ajouté celui du p<strong>et</strong>it groupe <strong>de</strong> recherche<br />

franco-allemand qui se réunit <strong>de</strong>puis plusieurs années pour réfléchir à la question<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre la littérature <strong>et</strong> la philosophie. Le groupe a tenu c<strong>et</strong>te année<br />

quatre séances, au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>quelles ont été entendues <strong>et</strong> discutées <strong><strong>de</strong>s</strong> contributions<br />

<strong>de</strong> Jean-François Laplénie, Catrin Misselhorn, Fabian Goppelsrö<strong>de</strong>r <strong>et</strong> Jacques<br />

Bouveresse. Les participants sont tombés d’accord pour essayer <strong>de</strong> poursuivre dans<br />

les années qui viennent une expérience qui s’est révélée, une fois <strong>de</strong> plus,<br />

particulièrement positive <strong>et</strong> éclairante.


406 JACQUES BOUVERESSE<br />

A. Ouvrages<br />

Publications<br />

— Les Voix <strong>de</strong> Karl Kraus : le satiriste <strong>et</strong> le prophète, Editions Agone, Marseille, 2007.<br />

— La Connaissance <strong>de</strong> l’écrivain, Sur la littérature, la vérité <strong>et</strong> la vie, Editions Agone,<br />

Marseille, 2008.<br />

B. Articles <strong>et</strong> conférences<br />

— « Precisamos da verda<strong>de</strong> ? », in Que valores para este tempo ?, Fundacaon Calouste<br />

Gulbenkian/Gradiva, Lisbonne, 2007. p. 37-56.<br />

— « Peut-on ne pas croire ? », conférence donnée à l’invitation <strong><strong>de</strong>s</strong> Amis du Mon<strong>de</strong><br />

diplomatique (Versailles), 13 octobre 2007.<br />

— « “Au commencement était la presse …” Le pouvoir <strong><strong>de</strong>s</strong> médias <strong>et</strong> la rébellion <strong>de</strong> Karl<br />

Kraus : une leçon <strong>de</strong> résistance pour notre temps ? », conférence donnée à l’invitation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Amis du Mon<strong>de</strong> diplomatique (ENS, Ulm), 16 octobre 2007 (à paraître dans la revue<br />

Agone, n° 40)<br />

— « L’éthique <strong>de</strong> la croyance <strong>et</strong> la question du poids <strong>de</strong> l’autorité », contribution au<br />

Colloque <strong>de</strong> rentrée du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 18-19 octobre 2007 (à paraître dans les Actes<br />

du Colloque, aux Editions Odile Jacob).<br />

— « Science <strong>et</strong> religion », conférence-débat organisée par a Librairie Pax, Liège,<br />

14 novembre 2007 .<br />

— « Le pluralisme, l’éclectisme <strong>et</strong> le problème <strong>de</strong> la décision en philosophie », contribution<br />

à la Journée sur La connaissance philosophique, organisée par le Département <strong>de</strong> Philosophie<br />

<strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Genève, 20 novembre 2007.<br />

— « Connaissance <strong>et</strong> littérature», conférence inaugurale donnée aux Rencontres du Livre<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences Humaines, Espace <strong><strong>de</strong>s</strong> Blancs Manteaux, 22 février 2008.<br />

— « Littérature, vérité <strong>et</strong> connaissance », conférence-débat organisée par la librairie<br />

L’O<strong>de</strong>ur du Temps, Marseille, 29 février 2008.<br />

— « Go<strong>et</strong>he <strong>et</strong> Lichtenberg : le bleu du ciel, les ombres colorées <strong>et</strong> la nature <strong>de</strong> la<br />

couleur », TECHNE, n° 26, 2007, p. 20-36.<br />

— Préface à la traduction française <strong>de</strong> Karl Bühler, Sprachtheorie (1934), à paraître aux<br />

Editions Agone, Marseille, automne 2008.<br />

— « Le besoin <strong>de</strong> croyance <strong>et</strong> le besoin <strong>de</strong> vérité », Agone, n° 38/39, 2008, p. 281-306.<br />

— « Littérature <strong>et</strong> politique : Karl Kraus <strong>et</strong> “la troisième nuit <strong>de</strong> Walpurgis” », conférence<br />

donnée à l’Université <strong>de</strong> Lausanne (Institut d’Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> Politiques <strong>et</strong> Internationales), 28 mai<br />

2008 (à paraître).


Philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences biologiques <strong>et</strong> médicales<br />

Anne Fagot-Largeault, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeure<br />

L’enseignement <strong>de</strong> l’année 2007-2008 inclut un <strong>cours</strong> sur l’ontologie du <strong>de</strong>venir<br />

(suite), fait à Paris du 31 janvier au 27 mars 2008 (les jeudis, <strong>de</strong> 10 h 30 à 12 h 30,<br />

amphithéâtre Halbwachs), <strong>et</strong> un séminaire sur les méthodologies <strong>de</strong> la recherche<br />

en psychiatrie, qui s’est tenu en trois <strong>de</strong>mi-journées, <strong>de</strong>ux fois à Paris, les 10 avril<br />

<strong>et</strong> 5 mai 2008 (salle 4), <strong>et</strong> une fois à Bonn (Allemagne), le 19 juin 2008. En outre,<br />

un symposium international <strong>de</strong> philosophie <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine a été organisé à<br />

l’occasion du Congrès mondial <strong>de</strong> philosophie : WCP 2008, Séoul, Corée, les 4<br />

<strong>et</strong> 5 août 2008.<br />

Cours<br />

Ontologie du <strong>de</strong>venir, 2<br />

Le <strong>cours</strong> comportait sept leçons <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux heures chacune (14 heures). La sixième<br />

leçon a été donnée par un orateur invité : Pr. Denis Duboule, Université <strong>de</strong><br />

Genève <strong>et</strong> Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences. Un document était mis à la disposition <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

participants (<strong>et</strong> affiché après chaque leçon sur les sites web du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>).<br />

Ce document donnait, outre les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> lignes <strong>de</strong> la leçon (reproduites ci-après),<br />

<strong>et</strong> quelques illustrations (dont certaines sont reproduites ci-après), <strong><strong>de</strong>s</strong> indications<br />

bibliographiques détaillées (non reproduites ici).<br />

31 01 08 — 2.1. Approches du <strong>de</strong>venir — science <strong>et</strong> philosophie<br />

« there are not many real evolutionnists in this world » (Ghiselin, 1997).<br />

Intr. D’un univers stable à un univers en <strong>de</strong>venir. Ontologie biologique : <strong>de</strong> la<br />

reproduction à l’évolution, sur une p<strong>et</strong>ite planète Terre où notre espèce prend<br />

conscience <strong>de</strong> sa précarité. Être c’est <strong>de</strong>venir : l’expérience musicale. Interroger les<br />

sciences du vivant sur leur ontologie : quelle philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences ?


408 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />

« Il s’agit d’opérer la conversion <strong>de</strong> l’âme d’un jour aussi ténébreux que la nuit vers le jour<br />

véritable, c’est-à-dire, <strong>de</strong> l’élever jusqu’à l’être ; <strong>et</strong> c’est ce que nous appellerons la vraie<br />

philosophie [...] Quelle est donc, Glaucon, la science qui arrache l’âme à ce qui <strong>de</strong>vient <strong>et</strong> la<br />

tire vers ce qui est? » (Platon, République).<br />

« La musique est un exercice <strong>de</strong> métaphysique inconscient, dans lequel l’esprit ne sait pas qu’il<br />

fait <strong>de</strong> la philosophie » (Schopenhauer, Le Mon<strong>de</strong>...).<br />

« Le charme opéra <strong>de</strong> nouveau. Il me fallut poser par instants le livre, en suspendre parfois la<br />

lecture comme on voudrait ralentir le flot <strong>de</strong> certaines musiques pour qu’elles ne passent point,<br />

bien qu’il leur faille passer pour être » (Gilson, 1960).<br />

1. Réception du message évolutionniste, lien entre science <strong>et</strong> philosophie<br />

Philosophie <strong>de</strong> la nature (ou physique) d’Aristote. Cosmotheôros <strong>de</strong> Huyghens,<br />

Philosophie zoologique <strong>de</strong> Lamarck <strong>et</strong> philosophie naturelle <strong>de</strong> Herschel. La philosophie<br />

comme prolongement spéculatif <strong>de</strong> la recherche scientifique, selon Cournot.<br />

Esquisse chez Peirce d’une théorie instructiviste <strong>de</strong> l’évolution. La tradition religieuse<br />

occi<strong>de</strong>ntale plus accueillante pour l’idée darwinienne d’évolution que la tradition<br />

philosophique? Rappel : outils conceptuels proposés par la philosophie au xx e siècle :<br />

créativité (Bergson), processus (Whitehead), individuation (Simondon). Métho<strong><strong>de</strong>s</strong> ?<br />

« Nous ne pouvons pas être sûrs à priori que les lois <strong>de</strong> la nature sont immuables : nous ne<br />

pouvons que nous assurer si elles changent ou ne changent pas. Or, toutes les recherches que<br />

l’on a faites à c<strong>et</strong> égard établissent qu’elles sont invariables » (Herschel, 1830).<br />

« La philosophie sans la science perd bientôt <strong>de</strong> vue nos rapports réels avec la création, pour<br />

s’égarer dans <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces imaginaires ; la science sans la philosophie mériterait encore d’être<br />

cultivée pour les applications aux besoins <strong>de</strong> la vie ; mais hors <strong>de</strong> là on ne voit pas qu’elle offre<br />

à la raison un élément digne d’elle, ni qu’elle puisse être prise pour le <strong>de</strong>rnier but <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong><br />

<strong>de</strong> l’esprit. [...] Partout dans les sciences nous r<strong>et</strong>rouvons la spéculation philosophique<br />

intimement unie à la partie positive ou proprement scientifique » (Cournot, 1851).<br />

« Would you advise me to tell Murray that my book is not more unorthodox than the subject<br />

makes inevitable. That I do not discuss origin of man. That I do not bring in any discussions<br />

about Genesis <strong>et</strong>c., & only give facts, & such conclusions from them as seem to me fair »<br />

(Darwin, 1859).<br />

« Toute science <strong>de</strong> la nature est <strong>de</strong> la philosophie <strong>et</strong> toute vraie philosophie est une science<br />

naturelle » (Haeckel, 1866).<br />

[La doctrine <strong>de</strong> l’évolution bien comprise <strong>de</strong>vient] « une magnifique explication <strong>de</strong> la<br />

succession <strong><strong>de</strong>s</strong> époques indiquées dans la Genèse, <strong>et</strong> les procédés darwiniens sont probablement<br />

au nombre <strong>de</strong> ceux que Dieu a employés dans son œuvre » (Cte Begouen, 1879).<br />

« In short, diversification is the vestige of chance spontaneity; and wherever diversity is<br />

increasing, there chance must be operative. On the other hand, wherever uniformity is<br />

increasing, habit must be operative » (Peirce, 1898).<br />

2. Bergson : la voie <strong>de</strong> l’intuition philosophique<br />

L’exposé <strong>de</strong> Le Roy précè<strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Bergson. Il y a <strong>de</strong>ux voies d’accès au réel, elles<br />

sont complémentaires. Celle <strong>de</strong> la science est pratique <strong>et</strong> schématisante, celle <strong>de</strong> la


PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 409<br />

philosophie est contemplative <strong>et</strong> particularisante. Bergson précise : il veut développer<br />

une « métaphysique positive », c’est-à-dire (comme la science) « incontestée <strong>et</strong><br />

susceptible d’un progrès rectiligne <strong>et</strong> indéfini », mais procédant à rebours <strong>de</strong> la<br />

« pente naturelle » <strong>de</strong> notre intelligence qui est <strong>de</strong> plaquer sur une réalité mobile <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

concepts rigi<strong><strong>de</strong>s</strong>. Par l’intuition la philosophie « s’installe dans le mouvant <strong>et</strong> adopte<br />

la vie même <strong><strong>de</strong>s</strong> choses ». Objections : sur l’opposition intellection/intuition, sur le<br />

caractère mystique (<strong>et</strong> non communicable ?) <strong>de</strong> l’intuition, <strong>et</strong>c.<br />

« Si nous aimons à <strong><strong>de</strong>s</strong>cendre par une intuition pénétrante <strong>et</strong> subtile jusqu’aux profon<strong>de</strong>urs<br />

intimes <strong><strong>de</strong>s</strong> Choses pour en saisir plus concrètement <strong>de</strong> jour en jour l’originalité fuyante <strong>et</strong><br />

l’infinie richesse, il nous plaît aussi <strong>de</strong> réduire la Nature en formules <strong>de</strong> manière à la tenir<br />

con<strong>de</strong>nsée dans un schème que nous sachions résoudre en ses éléments premiers <strong>et</strong> reconstruire<br />

pièce à pièce avec les seules ressources <strong>de</strong> la raison. Suivant que l’on a pris l’une <strong>de</strong> ces voies<br />

ou l’autre... »] (Le Roy, 1899).<br />

« Mais choses <strong>et</strong> états ne sont que <strong><strong>de</strong>s</strong> vues prises par notre esprit sur le <strong>de</strong>venir. Il n’y a pas <strong>de</strong><br />

choses, il n’y a que <strong><strong>de</strong>s</strong> actions » (Bergson, 1907).<br />

« Plus nous nous habituons à penser <strong>et</strong> à percevoir toutes choses sub specie durationis, plus<br />

nous nous enfonçons dans la durée réelle. Et plus nous nous y enfonçons, plus nous nous<br />

replaçons dans la direction du principe, pourtant transcendant, dont nous participons <strong>et</strong> dont<br />

l’éternité ne doit pas être une éternité d’immutabilité, mais une éternité <strong>de</strong> vie : comment,<br />

autrement, pourrions-nous vivre <strong>et</strong> nous mouvoir en elle ? In ea vivimus <strong>et</strong> movemur <strong>et</strong><br />

sumus » (Bergson, 1911).<br />

« The outcome of the evolution of life on different plan<strong>et</strong>s, if life exists on them, would have<br />

to be diverse. Evolution is a creative process. Evolution is creative because it brings about<br />

novelties which never existed in the past » (Dobzhansky, 1966).<br />

3. Husserl : l’ancrage <strong>de</strong> la science dans la philosophie<br />

L’ambition <strong>de</strong> Husserl est <strong>de</strong> restaurer l’idéal scientifique, perdu par les sciences<br />

« positives », en renouant le lien <strong>de</strong> la connaissance avec l’évi<strong>de</strong>nce fondatrice du<br />

cogito. C’est la tâche <strong>de</strong> la philosophie, « la plus sublime <strong>et</strong> la plus rigoureuse <strong>de</strong><br />

toutes les sciences », <strong>de</strong> r<strong>et</strong>rouver ce lien, <strong>et</strong> <strong>de</strong> maintenir le travail scientifique<br />

« dans <strong><strong>de</strong>s</strong> sphères d’intuition directe », perm<strong>et</strong>tant la « saisie phénoménologique<br />

<strong>de</strong> l’essence ». Plus que les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Husserl, ceux <strong>de</strong> biologistes influencés par<br />

ses idées montrent ce qu’on peut attendre <strong>de</strong> la philosophie sur c<strong>et</strong>te voie. Il est<br />

douteux que le passage par l’épochè soit nécessaire. Par ailleurs, les philosophesphénoménologues<br />

se sont intéressés à la vie vécue plutôt qu’à la vie biologique.<br />

« Je ne dis pas que la philosophie soit une science imparfaite, je dis tout simplement qu’elle n’est<br />

point encore une science, qu’elle n’a pas encore fait son début comme science » (Husserl, 1911).<br />

« Le besoin ici provient <strong>de</strong> la science. Mais seule la science peut définitivement surmonter le<br />

besoin qui vient <strong>de</strong> la science. [...] Il ne faut pas que l’impulsion philosophique surgisse <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

philosophies, mais <strong><strong>de</strong>s</strong> choses <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes » (Husserl, 1911).<br />

« Naturalistes <strong>et</strong> historicistes luttent pour la Weltanschauung, <strong>et</strong> les <strong>de</strong>ux travaillent à changer<br />

la signification <strong><strong>de</strong>s</strong> idées en faits — à transformer toute réalité, toute vie, en un fatras<br />

incompréhensible <strong>de</strong> faits dont les idées sont absentes. La superstition du fait leur est commune »<br />

(Husserl, 1911).


410 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />

« Les réactions <strong>et</strong> les activités spontanées <strong>de</strong> l’animal ne sont compréhensibles que si nous y<br />

voyons <strong><strong>de</strong>s</strong> actes. Mais, ce faisant, nous adm<strong>et</strong>tons que nous envisageons l’animal comme un<br />

suj<strong>et</strong> » (Buytendijk, tr. fr. 1952).<br />

« La philosophie actuelle se trouve... dans c<strong>et</strong>te transition d’une phénoménologie du sens vers<br />

un renouveau <strong>de</strong> l’ontologie » (van Peursen, in : Rencontre Encounter Begegnung, 1957).<br />

Concl. Diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> approches en philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences. L’approche<br />

« analytique » est formelle <strong>et</strong> atemporelle. L’approche « historico-épistémologique »<br />

s’occupe surtout <strong><strong>de</strong>s</strong> démarches cognitives (concepts, métho<strong><strong>de</strong>s</strong>). Chercher une<br />

ontologie du côté <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences du vivant relève <strong>de</strong> la tradition <strong><strong>de</strong>s</strong> « philosophies<br />

<strong>de</strong> la nature ».<br />

[... Les scientifiques rencontrent couramment <strong><strong>de</strong>s</strong> questions théoriques que l’expérience<br />

ne perm<strong>et</strong> pas (encore) <strong>de</strong> trancher, <strong>et</strong> qui appellent <strong><strong>de</strong>s</strong> conjectures : celles-ci] restent dans<br />

le domaine <strong>de</strong> la spéculation philosophique, dont la science, quoi qu’on fasse, ne peut s’isoler<br />

complètement, <strong>et</strong> dont elle ne s’isolerait, si la chose était possible, qu’aux dépens <strong>de</strong> sa propre<br />

dignité » (Cournot, 1851).<br />

« We need to g<strong>et</strong> beyond the language and come to grips with what the dis<strong>cours</strong>e is all about,<br />

which in science is the entities that populate the universe and what really goes on in world of<br />

objective reality’ » (Ghiselin, 1997).<br />

07 02 08 — 2.2. Les sciences <strong>de</strong> la vie comme sciences historiques<br />

« Nothing in biology makes sense except in the light of evolution » (Dobzhansky, 1973).<br />

Intr. Donné qu’on s’intéresse ici au mon<strong>de</strong> vivant, <strong>et</strong> qu’il s’agit d’un mon<strong>de</strong> en<br />

évolution dont le principe d’ordre est généalogique, on s’attend à ce que les sciences<br />

du vivant soient <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences historiques, <strong>et</strong> à ce qu’elles nous éclairent sur nos<br />

origines (phylogénies, parentés génétiques). Mais il y a un problème <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences<br />

historiques...<br />

1. Les sciences historiques sont-elles <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences ?<br />

Whewell traite séparément les sciences classificatoires (qui opèrent selon la<br />

ressemblance : histoire naturelle, minéralogie) <strong>et</strong> les sciences palætiologiques (histoire<br />

<strong>de</strong> la terre, <strong><strong>de</strong>s</strong> langues, <strong><strong>de</strong>s</strong> styles artistiques) qui cherchent dans le passé l’origine<br />

causale d’un état présent. Cournot juge essentiel <strong>de</strong> distinguer, dans nos<br />

connaissances, les éléments historiques <strong>et</strong> les éléments scientifiques ; aussi érudit <strong>et</strong><br />

impartial que soit l’historien, le tableau qu’il donne implique une part <strong>de</strong><br />

spéculation, <strong>et</strong> « la composition historique tient plus <strong>de</strong> l’art que <strong>de</strong> la science ».<br />

L’orthodoxie épistémologique <strong>de</strong> la première partie du xxe siècle promeut le<br />

modèle nomologique <strong>de</strong> la science, <strong>et</strong> marginalise le modèle historique. Celui-ci<br />

est réhabilité à la fin du xxe siècle par l’historien A. Crombie, comme l’un <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

« styles » <strong>de</strong> la pensée scientifique.<br />

« [science <strong>de</strong> la terre ou géologie] : in this science we have to treat, not only of the subterraneous<br />

forces by which parts of the earth’s crust are shaken, elevated or ruptured, but also of the causes<br />

which may change the climate of a portion of the earth’s surface, making a country hotter or


PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 411<br />

col<strong>de</strong>r than in former ages; again, we have to treat of the causes which modify the forms and<br />

habits of animals and veg<strong>et</strong>ables, and of the extent to which the effects of such causes can<br />

proceed ; wh<strong>et</strong>her, for instance, they can extinguish old species and produce new » (Whewell,<br />

1840).<br />

« La liaison historique consiste... dans une influence exercée par chaque événement sur les<br />

événements postérieurs, influence qui peut s’étendre plus ou moins loin... » (Cournot,<br />

1851).<br />

« prenons un exemple tiré <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses langues humaines. Si nous possédions l’arbre généalogique<br />

compl<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’humanité, un arrangement généalogique <strong><strong>de</strong>s</strong> races humaines présenterait la<br />

meilleure classification <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses langues parlées actuellement dans le mon<strong>de</strong> entier ; »<br />

(Darwin, 1859, tr fr Barbier).<br />

« the obvious logical impossibility of re-enacting a given happening in the past does not prove<br />

that historical explanations for it are not testable, and are therefore incapable of being<br />

objectively groun<strong>de</strong>d » (Nagel, 1961).<br />

« Descartes established a <strong>de</strong>monstrative style in the philosophical history of nature. Using the<br />

m<strong>et</strong>hod of hypoth<strong>et</strong>ical mo<strong>de</strong>lling, he based his analysis and <strong>de</strong>monstrations upon the ontological<br />

and m<strong>et</strong>hodological principle of uniformity, by which the causation of change in the past could<br />

be inferred from observation of it in the present, which could thus in turn be <strong>de</strong>rived from<br />

the past » (Crombie, 1994).<br />

2. Le problème du récit historique<br />

Le Comité International <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences Historiques (voir : CISH/ICHS, online)<br />

regroupe 53 pays <strong>et</strong> atteste <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> ce type <strong>de</strong> science. Mais la jonction entre<br />

sciences historiques au sens étroit (histoire humaine) <strong>et</strong> au sens large (aspects<br />

historiques <strong>de</strong> la recherche en sciences <strong>de</strong> l’univers, <strong>de</strong> la terre, <strong>de</strong> la vie) n’est pas<br />

réalisée, <strong>et</strong> les critères <strong>de</strong> « scientificité » du récit historique restent flous. Crombie<br />

pense que l’ambition d’une cosmogonie scientifique, montrant comment le mon<strong>de</strong> a<br />

été engendré par une série <strong>de</strong> processus naturels, est aussi ancienne que la philosophie<br />

grecque (ex. Démocrite). Mais qu’est-ce qui distingue le récit <strong>de</strong> l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

vivants tel qu’il résulte <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances accumulées (en anatomie comparée,<br />

paléontologie, génétique moléculaire, <strong>et</strong>c.) du récit biblique <strong>de</strong> la création ? Force<br />

logique <strong>de</strong> la temporalité, preuve par accumulation, consilience <strong><strong>de</strong>s</strong> présomptions ?<br />

A. <strong>de</strong> Ricqlès évoque l’hypothèse <strong>de</strong> l’abandon du récit comme objectif <strong>de</strong> l’historien.<br />

« Tout fait en histoire <strong>de</strong> l’évolution se caractérise fondamentalement par sa singularité. »<br />

(Mayr, 1982).<br />

« Les explications sur le mo<strong>de</strong> du récit apparaissent dans la théorie <strong>de</strong> l’évolution à chaque<br />

moment où l’on discute d’événements singuliers d’importance majeure pour l’histoire <strong>de</strong> la vie<br />

... Les explications <strong>de</strong> ce type sont construites sans référence à <strong><strong>de</strong>s</strong> lois générales... Les explications<br />

historiques forment une part essentielle <strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong> l’évolution » (Goudge, 1961).<br />

« Proposition XVI. La méga-évolution n’est qu’une somme <strong>de</strong> micro- <strong>et</strong> <strong>de</strong> macro-évolutions <strong>et</strong><br />

la saisie d’une opportunité » (Delsol, 1991).


412 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />

« L’évolution étant la seule gran<strong>de</strong> théorie unificatrice <strong>de</strong> toute la biologie, son exposé <strong>et</strong> ses<br />

justifications scientifiques doivent faire appel à tous ses aspects : le récit doit y contribuer, mais<br />

n’y suffit pas » (Ricqlès, 2007).<br />

3. Une thèse ontologique « hérétique ». Les espèces vivantes comme individus<br />

Dilemme <strong><strong>de</strong>s</strong> classifications, controverses taxonomiques. Le problème <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

universaux en biologie. Un article soumis en 1965 au journal Systematic Zoology.<br />

Classes <strong>et</strong> sous-classes, en théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> ensembles (ex. tranches d’âge) : les classes<br />

sont <strong><strong>de</strong>s</strong> universaux abstraits, auxquels peuvent s’appliquer <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés<br />

définitionnelles, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> « lois ». Tout <strong>et</strong> parties : l’individu est un tout non réductible<br />

à la juxtaposition <strong>de</strong> ses parties, existant concrètement <strong>et</strong> ayant une relative<br />

autonomie ontologique ; il n’y a ni lois générales, ni propriétés définitionnelles,<br />

pour les individus. Thèse <strong>de</strong> Ghiselin (1966) : pour un spécialiste <strong>de</strong> l’évolution,<br />

les espèces sont <strong><strong>de</strong>s</strong> individus. Les organismes qui font partie <strong>de</strong> l’espèce sont aussi<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> individus. L’unité <strong>de</strong> l’espèce résulte <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions entre ses parties : l’espèce<br />

est une communauté reproductive, l’organisme est une communauté <strong>de</strong> cellules.<br />

L’ontologie biologique est une ontologie stratifiée.<br />

« Si les espèces n’existent pas, comment peuvent-elles évoluer ? » (Darwin, 1860).<br />

« Canada and Ontario are both individuals, the latter being a part of the former. They stand<br />

to each other in the same relation as Homo sapiens does to any one of us human beings »<br />

(Ghiselin, 1985).<br />

« different kinds of comp<strong>et</strong>ition occur b<strong>et</strong>ween species and within them. Interspecifically we<br />

have the struggle for the means of existence only. Intraspecifically there occurs a comp<strong>et</strong>ition<br />

with respect to gen<strong>et</strong>ical resources as well, and even the resources conten<strong>de</strong>d for by organisms<br />

irrespective of species in the final analysis are directed toward the intraspecific struggle for<br />

reproductive success. Species, then, are the most extensive units in the natural economy such<br />

that reproductive comp<strong>et</strong>ition occurs among their parts » (Ghiselin, 1974).<br />

« heresy has evolved into consensus » (Ghiselin, 1997).<br />

4. Histoire vs. lois. L’inférence historique<br />

Les individus changent (ils sont en <strong>de</strong>venir). Les organismes s’adaptent, les<br />

espèces évoluent. Mayr souligne que « évolution » ne signifie pas « progrès ». Les<br />

faits d’évolution sont <strong><strong>de</strong>s</strong> processus. Les processus affectent <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres réels. Quel<br />

processus est la spéciation ? Darwin a trouvé son modèle dans les sciences<br />

économiques. Reconstituer l’histoire d’une lignée (phylogénie) ou d’une stratégie<br />

évolutive (ontogénie) <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, non seulement qu’on ait amassé suffisamment <strong>de</strong><br />

données empiriques sur <strong><strong>de</strong>s</strong> individus réels, mais aussi qu’on sache distinguer entre<br />

ce qui tenait à <strong><strong>de</strong>s</strong> contraintes logiques ou naturelles (lois), <strong>et</strong> ce qui est<br />

historiquement contingent.<br />

« Change is virtually a necessity un<strong>de</strong>r the concept of natural selection because the combined<br />

forces of comp<strong>et</strong>ition and natural selection leave little alternative but either extinction or<br />

evolutionary progression » (Mayr, 1997).


PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 413<br />

« The world is ma<strong>de</strong> up of wholes and parts, each whole and each part itself being an<br />

individual. The only entities in the universe that can change or “do” anything are individuals »<br />

(Ghiselin, 1987).<br />

« Darwin never attributed anything to “chance” as a causal agent, but only said that variations<br />

and the like are fortuitous » (Ghiselin, 1981).<br />

« In evolution, as in economic life, success means, among other things, the ability to change.<br />

For a lineage of organisms, that means changing its genes. For an organism, that means<br />

<strong>de</strong>veloping and maturing. For a reproducing organism, that means making copies of itself, but<br />

not ones that are i<strong>de</strong>ntical with itself » (Ghiselin, 1987).<br />

« The laws of nature may tell us what is possible, but that only limits the number of acceptable<br />

theses. An i<strong>de</strong>al evolutionary biology would present the entire history of life, in a manner that<br />

ma<strong>de</strong> it clear what was historical acci<strong>de</strong>nt and what was nomologically necessary, and of<br />

<strong>cours</strong>e what laws applied and why, but that i<strong>de</strong>al is only beginning to be realized » (Ghiselin,<br />

1997).<br />

« Our goal is an historical narrative that explains the successive configurations of living matter<br />

in terms of both individual events and laws of nature » (Ghiselin, 1997).<br />

Concl. Ghiselin ne va pas jusqu’à dire que les individus sont <strong><strong>de</strong>s</strong> processus. Mais<br />

il insiste sur l’importance pour les biologistes d’abandonner l’ontologie<br />

aristotélicienne (il n’existe que <strong><strong>de</strong>s</strong> individus, <strong>et</strong> ces individus ont une nature —<br />

une « essence » ou type). L’essentialisme est incompatible avec une philosophie <strong>de</strong><br />

l’évolution. Ghiselin se donne quatre catégories ontologiques : ce qui change (les<br />

substances, i.e. les individus), le processus du changement (action ou affection), la<br />

place (situation dans l’espace-temps), ce qui caractérise le changement (la propriété :<br />

quantité/qualité/relation/posture/état). La science <strong>de</strong> l’évolution est synthétique<br />

quand elle perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> produire un récit perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> repérer ce qui dans le <strong>cours</strong><br />

<strong>de</strong> l’évolution tient à <strong><strong>de</strong>s</strong> lois ou régularités naturelles, <strong>et</strong> ce qui est contingent<br />

(l’occasion propice exploitée par un individu).<br />

14 02 08 — 2.3. Éléments nomologiques — lois, causes, entités ?<br />

« Gen<strong>et</strong>ics is, among the biological disciplines, the most tightly associated<br />

with a <strong>de</strong>finition of life » (Morange, 2007).<br />

Intr. Depuis la fin <strong>de</strong> l’année 2007 il est possible à chacun d’obtenir son profil<br />

génétique en s’adressant à un site intern<strong>et</strong>. On peut aussi se tenir au courant, à<br />

mesure qu’elles sont publiées, <strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes relatives aux SNPs (polymorphismes<br />

nucléotidiques simples). Les SNPs sont, sur une séquence d’ADN, les variations<br />

d’une seule base qui peuvent modifier le risque d’une maladie ou d’un trait (Science,<br />

11 Jan 2008, 319 : 139).<br />

1. Lois <strong>de</strong> Men<strong>de</strong>l, entité gène, maladies <strong>de</strong> cause génétique, thérapies géniques...<br />

Jusqu’aux années 1970 le gène paraît être un bon candidat pour fon<strong>de</strong>r une<br />

ontologie biologique, en « réduisant » la biologie à la physico-chimie (Bouchard, in :<br />

FRT, ch. 5). I. Men<strong>de</strong>l (1866) m<strong>et</strong> en évi<strong>de</strong>nce <strong><strong>de</strong>s</strong> régularités dans la <strong><strong>de</strong>s</strong>cendance


414 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />

<strong>de</strong> plantes hybri<strong><strong>de</strong>s</strong>. De Vries, Correns <strong>et</strong> von Tschermak redécouvrent ses <strong>travaux</strong><br />

en 1900, <strong>de</strong> Vries développe la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations (1901-3), Bateson introduit les<br />

termes gène <strong>et</strong> génétique (1905) <strong>et</strong> Johannsen ceux <strong>de</strong> génotype <strong>et</strong> phénotype. Morgan<br />

avec son équipe (Sturtevant, Bridges, Muller) étudie les mutations chez la drosophile<br />

<strong>et</strong> propose une théorie chromosomique <strong>de</strong> l’hérédité. II. Le lien entre facteur<br />

génétique <strong>et</strong> protéine, pressenti par Garrod (1902), est relancé par le slogan <strong>de</strong><br />

Beadle & Tatum (un gène, une enzyme, 1941) ; Avery, McLeod <strong>et</strong> McCarthy<br />

i<strong>de</strong>ntifient la nature chimique (ADN, 1944) du facteur responsable <strong>de</strong> la virulence<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> pneumocoques ; Pauling qualifie l’anémie falciforme <strong>de</strong> maladie moléculaire ;<br />

Watson <strong>et</strong> Crick inventent la structure en double hélice <strong>de</strong> l’ADN (1953) ; Crick<br />

énonce le dogme central <strong>de</strong> la biologie moléculaire (l’ADN est transcrit en ARN qui<br />

est traduit en protéine, 1958) ; Nirenberg <strong>et</strong> coll. déchiffrent le co<strong>de</strong> génétique<br />

(1961-6). La voie du génie génétique est ouverte par Berg (ADN recombinant, 1972)<br />

<strong>et</strong> Mullis (PCR : 1983-4), aboutissant à la production d’insuline humaine par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

bactéries (1978) <strong>et</strong> d’albumine humaine par <strong><strong>de</strong>s</strong> plants <strong>de</strong> tabac (1988). Tentatives<br />

<strong>de</strong> thérapie génique (1990), premier succès sur <strong><strong>de</strong>s</strong> « enfants-bulles » (Fischer, 2000).<br />

III. Essais <strong>de</strong> séquençage dès 1977, amélioration <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> (Olson, 1987). Sont<br />

séquencés : un chromosome <strong>de</strong> levure (Nature, 1992) ; le génome d’un procaryote<br />

(haemophilus influenzae, 1995), le génome d’un eucaryote (Saccharomyces cerevisiae,<br />

1996), une région du génome mitochondrial d’un reste <strong>de</strong> néan<strong>de</strong>rthalien (1997), le<br />

génome d’un némato<strong>de</strong> (Caenorhabditis elegans, 1998), le chromosome humain 22<br />

(1999), un génome <strong>de</strong> plante (Arabidopsis thaliana, 2000), un génome <strong>de</strong> souris<br />

(Nature, 5 Dec 2002), un génome humain (2003). IV. Exploration <strong>de</strong> la diversité<br />

humaine : proj<strong>et</strong> HapMap (2002-6), 1000 Genomes Project (2007).<br />

« There is no consensus of opinion amongst gen<strong>et</strong>icists as to what the genes are — wh<strong>et</strong>her they<br />

are real or purely fictitious — because at the level at which the gen<strong>et</strong>ic experiments lie, it does<br />

not make the slightest difference wh<strong>et</strong>her the gene is a hypoth<strong>et</strong>ical unit, or wh<strong>et</strong>her the gene<br />

is a material particle. In either case the unit is associated with a specific chromosome, and can<br />

be localized there by purely gen<strong>et</strong>ic analysis » (Morgan, 1934).<br />

« La fibre chromosomique contient, chiffré dans une sorte <strong>de</strong> co<strong>de</strong> miniature, tout le <strong>de</strong>venir<br />

d’un organisme, <strong>de</strong> son développement, <strong>de</strong> son fonctionnement... Les structures chromosomiques<br />

détiennent aussi les moyens <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre ce programme à exécution. Elles sont tout à la fois la loi<br />

<strong>et</strong> le pouvoir exécutif, le plan <strong>de</strong> l’architecte <strong>et</strong> la technique du constructeur » (Schrödinger,<br />

1944).<br />

« Chaque œuf contient, dans les chromosomes reçus <strong>de</strong> ses parents, tout son propre avenir, les<br />

étapes <strong>de</strong> son développement, la forme <strong>et</strong> les propriétés <strong>de</strong> l’être qui en émergera. […] L’être<br />

vivant représente bien l’exécution d’un <strong><strong>de</strong>s</strong>sein, mais qu’aucune intelligence n’a conçu. Il tend<br />

vers un but, mais qu’aucune volonté n’a choisi. Ce but, c’est <strong>de</strong> préparer un programme<br />

i<strong>de</strong>ntique pour la génération suivante. C’est <strong>de</strong> se reproduire » (Jacob, 1970).<br />

2. L’organisme : régularité vs. variabilité, l’ontogenèse: développement vs. évolution<br />

Au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1970 l’unité théorique <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> gène s’effrite (Gros,<br />

1986). Multiples fonctions (gènes <strong>de</strong> régulation/<strong>de</strong> structure), composition éclatée :<br />

dans les cellules eucaryotes les gènes sont fragmentés (exons/introns), la redondance


PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 415<br />

est considérable (bégaiement), il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> familles <strong>de</strong> gènes (isogènes) présentant<br />

comme <strong><strong>de</strong>s</strong> variations sur un même thème, une hiérarchie <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes (gènes<br />

architectes), <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes sauteurs (transposons : reconnus dès 1942 par McClintock).<br />

L’idée du programme est mise en question par la « reprogrammation » du noyau<br />

lors d’un clonage. Il faut « <strong><strong>de</strong>s</strong>serrer l’étreinte que les gènes ont constituée pour<br />

l’imagination <strong><strong>de</strong>s</strong> biologistes » (Keller, 2000). L’entreprise <strong>de</strong> « réduction » a<br />

échoué (Gayon, in FRT, ch. 6). La génétique n’a pas transformé la biologie en une<br />

science déductive, sûre <strong>de</strong> ses fon<strong>de</strong>ments physico-chimiques, <strong>et</strong> dotée <strong>de</strong> lois<br />

perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> prédire le développement <strong>de</strong> l’organisme à partir <strong>de</strong> son génome.<br />

L’inférence <strong>de</strong> la partie au tout est impru<strong>de</strong>nte. En rester à la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

individus ? Les mé<strong>de</strong>cins ont une conscience aiguë <strong>de</strong> la variabilité inter- <strong>et</strong> intraindividuelle.<br />

En biologie ou paléontologie le specimen est volontiers pris comme<br />

représentatif <strong>de</strong> l’espèce. En embryologie expérimentale, la « loi <strong>de</strong> Haeckel » a<br />

couvert <strong><strong>de</strong>s</strong> généralisations <strong>de</strong> l’ontogenèse à la phylogenèse... Mais loin que<br />

l’évolution soit un développement, c’est le développement qui est évolutif.<br />

« the genes, as unit of physiological action... are obviously not megamolecules. They are<br />

processes, or functions, not atomic edifices. [...] For convenience of speech we may continue to<br />

call gene the structure, when there is no danger of confusion, provi<strong>de</strong>d we keep in mind that<br />

we are using a figure of speech as when in <strong>France</strong> we use the same word for tongue and<br />

language » (Pontecorvo, 1952).<br />

« les gènes <strong><strong>de</strong>s</strong> eucaryotes ne sont en aucune manière, comme on l’a pensé à l’aube <strong>de</strong> la<br />

génétique, <strong>et</strong> comme on en a un peu trop propagé l’idée, <strong><strong>de</strong>s</strong> entités d’une immuable stabilité.<br />

[…] Non, l’ADN eucaryotique est, comme l’a bien décrit F. Jacob, le siège d’un bricolage<br />

incessant » (Gros, 1986).<br />

« In announcing the <strong>de</strong>ath of the gene, I do not wish to argue that genes are not important<br />

in <strong>de</strong>velopment. What I wish to lay to rest is the notion of the gene as a master molecule<br />

controlling and organising <strong>de</strong>velopment. I wish to dislodge the gene from the privileged site it<br />

has occupied in our accounts of <strong>de</strong>velopment and evolution... I have aimed to illustrate how<br />

evolution can be narrated from a <strong>de</strong>velopmental systems perspective that does not privilege any<br />

component of the system » (Gray, 1992).<br />

« There is probably no hope to construct a general or unified concept of the gene. At best, such<br />

a concept would be an in<strong>de</strong>finite disjunctive list of many possible structures and processes »<br />

(Gayon, 2007).<br />

« in evolutionary biology sweeping generalizations are rarely correct. Even when som<strong>et</strong>hing<br />

occurs “usually”, this does not mean that it must occur always » (Mayr, 1997).<br />

3. L’espèce : robustesse <strong>et</strong> historicité<br />

Cavalli-Sforza <strong>et</strong> Feldman (2003) font le point <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> issues <strong>de</strong> la<br />

génétique, qui nous renseignent sur l’évolution humaine. Francisco Ayala (in :<br />

FRT, 2007) examine les résultats. Les lignées conduisant respectivement à l’homme<br />

<strong>et</strong> au chimpanzé ont divergé il y a cinq ou six millions d’années. L’examen <strong>de</strong><br />

l’ADN mitochondrial (transmis par la lignée maternelle) conforte l’hypothèse que<br />

notre Eve ancestrale est née en Afrique, l’examen d’un fragment du chromosome Y


416 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />

(transmis par la lignée paternelle) conforte la même hypothèse pour l’Adam<br />

ancestral, avec une marge d’incertitu<strong>de</strong> liée au caractère fragmentaire <strong><strong>de</strong>s</strong> données;<br />

cela, à la condition <strong>de</strong> supposer que ces « premiers parents » étaient une population<br />

d’au moins cent mille, chiffre conclu d’un examen <strong>de</strong> l’horloge moléculaire <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

polymorphismes <strong>de</strong> fragments <strong>de</strong> gènes du système immunitaire (<strong>et</strong> confirmé par<br />

une simulation sur ordinateur). Cela écarte la théorie du « goulot d’étranglement »<br />

à l’origine <strong>de</strong> notre espèce. Une remarque d’Ayala, citant Tobias (1991), signale le<br />

risque <strong>de</strong> circularité <strong>de</strong> ces raisonnements, qui <strong>de</strong> l’état <strong><strong>de</strong>s</strong> génomes en divers<br />

points du temps (selon les restes fossiles dont on dispose) infère une histoire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

génomes, tandis que l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> génomes (leur déploiement généalogique)<br />

explique leur état à un moment donné. En appui à la reconstruction historique,<br />

connaît-on <strong><strong>de</strong>s</strong> « mécanismes » évolutifs généraux qui régissent l’évolution ? La<br />

sélection naturelle (où l’on cherche à démêler la part <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations aléatoires <strong>et</strong><br />

celle <strong><strong>de</strong>s</strong> pressions <strong>de</strong> sélection) perm<strong>et</strong> d’expliquer <strong><strong>de</strong>s</strong> divergences évolutives. On<br />

voit ré-émerger <strong><strong>de</strong>s</strong> hypothèses sur <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes <strong>de</strong> convergence évolutive<br />

(mutualisme, symbiose). Mais ces mécanismes sont inférés a posteriori <strong>de</strong><br />

constatations relatives à l’histoire, <strong>et</strong> ne dispensent pas d’une réflexion sur le statut<br />

du lien généalogique dans une science historique (ce que Lorenzano appelle law of<br />

matching, ou loi synoptique, in FRT, ch. 7).<br />

« Le plan du chromosome préfigure le plan <strong>de</strong> l’animal » (Le Douarin, 2000).<br />

« Pour un biologiste s’intéressant à l’évolution, ce qu’il y a d’intrigant dans la découverte <strong>de</strong><br />

ces gènes Hox […] est la conservation extraordinaire <strong>de</strong> ces gènes au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’évolution, alors<br />

que les structures dont ils programment le développement ont changé du tout au tout. »<br />

(Maynard Smith, 1998).<br />

« mo<strong>de</strong>rn human mtDNA sequences coalesce in an ancestral sequence, known as mitochondrial<br />

Eve, present in Africa about 200 000 Years ago... This Eve, however, is not the only woman<br />

from which all present day humans <strong><strong>de</strong>s</strong>cend, but a mtDNA molecule from which all current<br />

mtDNA molecules <strong><strong>de</strong>s</strong>cend » (Ayala, 2007).<br />

« in or<strong>de</strong>r for actual humanity to possess 59 alleles of the gene DRB1, human ancestral<br />

populations must have consisted, on average, of at least 100 000 individuals during the last<br />

2 million years... The minimum number of reproductive individuals who could have lived at<br />

any one time would have never been smaller than b<strong>et</strong>ween 4 500 and 10 000 individuals »<br />

(Ayala, 1997).<br />

Concl. Répétition vs. nouveauté. Contre l’éclipse du récit dans l’épistémologie<br />

positiviste <strong>et</strong> dans l’école <strong><strong>de</strong>s</strong> Annales, Ricœur argumente en faveur <strong>de</strong> la composition<br />

narrative en histoire, comme technique <strong>de</strong> mise en intrigue contrastant ce que les<br />

acteurs voulaient faire <strong>et</strong> ce que les événements ont été (en particulier, les<br />

conséquences non voulues). Mais ce modèle (qui ne vise que l’histoire au sens étroit)<br />

n’est pas transposable aux sciences <strong>de</strong> la vie. Un philosophe <strong>de</strong> la biologie comme<br />

Sober adm<strong>et</strong> qu’il a <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences historiques (au sens large), ou plutôt qu’il y a dans<br />

toutes les sciences un mélange d’aspects historiques <strong>et</strong> nomologiques. Mais, bien<br />

qu’ayant concédé que c<strong>et</strong>te distinction ne recouvre pas l’opposition entre sciences<br />

dures <strong>et</strong> molles, il privilégie la formulation <strong>de</strong> lois générales, ou <strong>de</strong> modèles


PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 417<br />

d’évolution, les données historiques servant seulement à choisir le modèle le plus<br />

vraisemblable. Le schéma généalogique qui rendrait compte à la fois <strong><strong>de</strong>s</strong> répétitions<br />

<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> innovations est à trouver.<br />

« métier d’historien, épistémologie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences historiques <strong>et</strong> phénoménologie génétique<br />

additionnent leurs ressources pour réactiver c<strong>et</strong>te visée noétique fondamentale <strong>de</strong> l’histoire que,<br />

pour faire bref, nous avons appelée intentionnalité historique » (Ricœur, 1983).<br />

« Some sciences try to discover general laws ; others aim to uncover particular sequences of<br />

historical events... Reconstructing genealogical relationships is the goal of a historical science »<br />

(Sober, 2000).<br />

21 02 08 — 2.4. Enrichissement ontologique — épigenèse, émergence,<br />

créativité naturelle<br />

« En même temps que l’organisme animal ou végétal se détruit par le fait même<br />

du fonctionnement vital, il se rétablit par une sorte <strong>de</strong> synthèse organisatrice,<br />

<strong>de</strong> processus formatif, que nous avons appelé la création vitale <strong>et</strong> qui forme la contrepartie<br />

<strong>de</strong> la <strong><strong>de</strong>s</strong>truction vitale » (Cl. Bernard, 1878).<br />

Intr. Les progrès <strong>de</strong> la microscopie optique ont permis, au xix e siècle, <strong>de</strong> formuler<br />

la théorie cellulaire, en <strong>de</strong>ux propositions: « tous les organismes vivants sont<br />

constitués <strong>de</strong> cellules » (Schlei<strong>de</strong>n & Schwann, 1838-39), <strong>et</strong> « toute cellule naît<br />

d’une cellule » (Virchow, 1858). Schwann disait s’être convaincu <strong>de</strong> « l’individualité<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> cellules ». N. Le Douarin (2007) affirme que les cellules souches sont « une<br />

invention <strong>de</strong> la multicellularité », <strong>et</strong> résume à trois les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> inventions <strong>de</strong> la vie<br />

sur notre planète : procaryotes (cellules sans noyau), eucaryotes (cellules à noyau,<br />

architecturées), organismes multicellulaires impliquant division du travail, fragilité<br />

(extinctions, apoptose), <strong>et</strong> r<strong>et</strong>our périodique à l’état unicellulaire (reproduction).<br />

« aux 21 éléments <strong>de</strong> Bichat, aux 21 tissus qui formaient pour lui les matériaux <strong>de</strong> l’organisme,<br />

nous avons substitué un seul élément, la cellule, i<strong>de</strong>ntique dans les <strong>de</strong>ux règnes, chez l’animal<br />

comme chez le végétal, fait qui démontre l’unité <strong>de</strong> structure <strong>de</strong> tous les êtres vivants. »<br />

(Cl. Bernard, 1878).<br />

1. Épigenèse, épigénétique<br />

Le mot épigenèse vient du verbe grec épigignesthai (survenir). Il aurait été lancé par<br />

Harvey. Il s’agit du développement embryonnaire. I. Aux xvii e <strong>et</strong> xviii e siècles, le<br />

grand débat entre partisans <strong>de</strong> l’épigenèse (Harvey, Descartes) <strong>et</strong> partisans <strong>de</strong> la<br />

préformation (Swammerdam, Hartsoeker, Ch. Bonn<strong>et</strong>) tourne plutôt à l’avantage<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> seconds, parce que la thèse d’une formation progressive d’organes à partir d’une<br />

semence qui ne les contient pas semble aller contre le principe « qu’il doit y avoir au<br />

moins autant <strong>de</strong> réalité dans la cause que dans son eff<strong>et</strong> », à moins <strong>de</strong> supposer l’action<br />

d’une force occulte (Wolff). La solution vient avec la théorie cellulaire, le repérage <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

gamètes comme cellules, <strong>et</strong> l’observation du processus <strong>de</strong> fécondation constitutif <strong>de</strong><br />

la première cellule embryonnaire (Hertwig, 1875). II. La génétique éluci<strong>de</strong> les mo<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>de</strong> transmission <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes, <strong>et</strong> établit <strong><strong>de</strong>s</strong> liens entre certains gènes <strong>et</strong> certains traits <strong><strong>de</strong>s</strong>


418 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />

organismes (ex. gènes “peau claire”) ; mais elle n’explique pas comment, au <strong>cours</strong> du<br />

développement, le génotype produit le phénotype. Waddington, au milieu du<br />

xx e siècle, propose qu’une science épigénétique étudie la manière dont les gènes<br />

interagissent avec leur environnement lors <strong>de</strong> la différenciation <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules<br />

embryonnaires, <strong>et</strong> <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong> l’organisme. III. Depuis les années 1970, on<br />

appelle épigénétique tout ce qui modifie l’action <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes sans modifier la séquence<br />

d’ADN : régulation <strong>de</strong> l’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes (transcription, traduction), interférence<br />

<strong>de</strong> p<strong>et</strong>its ARN dans le processus <strong>de</strong> reproduction, influence sur l’architecture du<br />

cerveau (synaptogenèse) <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions sensori-motrices avec le mon<strong>de</strong> extérieur.<br />

« We have in the study of <strong>de</strong>velopment rather the opposite situation to that which confronts us<br />

in the study of heredity . Whereas the latter has seemed, since Men<strong>de</strong>l’s day, to cry aloud for<br />

an atomistic theory, the former seems to <strong>de</strong>mand organismic or non-atomistic theories »<br />

(Waddington, 1961).<br />

« L’invention <strong>de</strong> l’épigénétique a été, à chaque fois, une réaction contre les “insuffisances” <strong>de</strong><br />

la génétique... Les modèles épigénétiques ont toujours porté avec eux un parfum d’hérésie »<br />

(Morange, 2005).<br />

« Les riches modalités <strong>de</strong> l’épigénome... suggèrent <strong>de</strong> ne pas cé<strong>de</strong>r à la tentation d’attribuer a<br />

priori au génome une part majeure <strong>de</strong> l’information cellulaire, tentation visiblement alimentée<br />

par la relative facilité d’accès à sa séquence. Elles nous incitent à abandonner la naïv<strong>et</strong>é du<br />

déterminisme purement génétique sans sombrer dans un indéterminisme démenti par les<br />

faits. » (Kepes, 2005).<br />

« L’inactivation du chromosome X est un processus cellulaire normal mis en place tôt au <strong>cours</strong><br />

<strong>de</strong> l’embryogenèse chez les mammifères femelles... La stabilité <strong>de</strong> l’état inactif du chromosome X<br />

dans les cellules somatiques est due aux multiples marques épigénétiques qui sont mises en place<br />

au <strong>cours</strong> du développement. C<strong>et</strong>te extrême stabilité semble compromise dans les cellules<br />

transformées ou cancéreuses » (Heard, 2007).<br />

« “Epigénétique”, au sens où je l’emploie, combine <strong>de</strong>ux significations : l’idée <strong>de</strong> superposition<br />

à l’action <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes, suite notamment à l’action <strong>de</strong> l’apprentissage <strong>et</strong> à l’expérience, <strong>et</strong> celle <strong>de</strong><br />

développement coordonné <strong>et</strong> organisé » (Changeux, 2002).<br />

2. Émergence<br />

La distinction entre fait émergent (surprenant, non prédictible mécaniquement)<br />

<strong>et</strong> fait résultant (prédictible) date du xix e siècle. Les théories <strong>de</strong> l’émergence sont<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> théories du <strong>de</strong>venir créateur. L’évolution biologique vue comme « création<br />

naturelle » d’espèces vivantes <strong>de</strong> complexité croissante suggère aux initiateurs<br />

anglais <strong>de</strong> l’émergentisme (années 1920 : Alexan<strong>de</strong>r, Morgan) la notion <strong>de</strong> « saut<br />

qualitatif » sur fond <strong>de</strong> continuité matérielle. Émergentisme vs. réductionnisme,<br />

émergence vs. survenance (supervenience). Marginalisation, puis r<strong>et</strong>our <strong>de</strong><br />

l’émergence <strong>de</strong>puis le milieu du xx e siècle à travers la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription, l’analyse fine, la<br />

modélisation <strong>de</strong> processus émergents vus comme processus <strong>de</strong> structuration<br />

(morphogenèse) : changements d’état <strong>de</strong> la matière à certains seuils <strong>de</strong> température,<br />

émergence <strong>de</strong> l’œil au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> espèces, genèse <strong><strong>de</strong>s</strong> formes au <strong>cours</strong><br />

du développement embryonnaire, maladies émergentes <strong>et</strong> propagation épidémique,


PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 419<br />

ou plus généralement genèse <strong>de</strong> la complexité dans la nature <strong>et</strong> paliers <strong>de</strong> complexité.<br />

Les problématiques <strong>de</strong> l’émergence incluent celles <strong>de</strong> l’épigénétique.<br />

« I shall use the term “organic whole” to <strong>de</strong>note the fact that a whole has an intrinsic value<br />

different in amount from the sum of the values of its parts. » (Moore, 1903).<br />

« The higher quality emerges from the lower level of existence and has its roots therein, but it<br />

emerges therefrom, and it does not belong to that lower level, but constitutes its possessor a new<br />

or<strong>de</strong>r of existent with its special laws of behaviour. » (Alexan<strong>de</strong>r, 1920).<br />

« What is supervenient at any emergent stage of evolutionary progress is a new kind of<br />

relatedness — new terms in new relations — hitherto not in being. […] The higher entities<br />

are not only different in themselves ; but they act and react differently in presence of others »<br />

(Morgan, 1923).<br />

3. Cellules souches<br />

Les faits <strong>de</strong> régénération (hydre, planaire, salamandre) <strong>et</strong> <strong>de</strong> réparation<br />

(cicatrisation) sont connus <strong>de</strong>puis longtemps. Au xix e siècle Cl. Bernard, puis<br />

P. Bert, anticipent la possibilité <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus en culture, ce qui est réalisé<br />

en 1910. Qu’il existe <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules souches (CS : précurseurs <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules différenciées,<br />

<strong>et</strong> source <strong>de</strong> la régénération permanente <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes) dans les tissus adultes<br />

(ex. le sang), on le sait dès le début du xx e siècle. Le propre <strong><strong>de</strong>s</strong> CS est qu’elles<br />

peuvent à la fois se multiplier à l’i<strong>de</strong>ntique, pour redonner <strong><strong>de</strong>s</strong> CS, <strong>et</strong> se différencier<br />

pour engendrer <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules spécialisées (« division asymétrique »). Paradoxe <strong>de</strong> la<br />

différenciation : un organisme complexe vient d’une seule cellule, <strong>et</strong> toutes les<br />

cellules <strong>de</strong> l’organisme achevé ont le même génome ; lors <strong>de</strong> l’embryogenèse, la<br />

cellule initiale totipotente donne lieu à <strong><strong>de</strong>s</strong> lignées cellulaires pluripotentes qui<br />

engendrent les cellules fonctionnelles spécialisées ; ce par<strong>cours</strong> est en principe<br />

irréversible (« dogme <strong>de</strong> l’irréversibilité <strong>de</strong> l’état différencié » : Le Douarin, 2007,<br />

III, 4). Le sort <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules différenciées est <strong>de</strong> mourir <strong>et</strong> d’être remplacées<br />

(ex. renouvellement <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules <strong>de</strong> l’épithélium intestinal). Depuis qu’on sait<br />

cultiver <strong><strong>de</strong>s</strong> CS issues <strong>de</strong> la masse cellulaire interne d’embryons au sta<strong>de</strong> blastocyte<br />

(embryons murins : 1981, humains 1998), les chercheurs ont appris à dériver <strong>de</strong><br />

ces CS <strong><strong>de</strong>s</strong> lignées <strong>et</strong> à conduire leur différenciation en cellules musculaires,<br />

nerveuses, <strong>et</strong>c. Ces <strong>travaux</strong> suscitent espoirs <strong>de</strong> thérapies régénératives (myopathies,<br />

traumatismes <strong>de</strong> la moelle épinière, <strong>et</strong>c.) <strong>et</strong> soucis relatifs à l’instrumentalisation<br />

d’embryons. La technique du transfert <strong>de</strong> noyau utilisée par Wilmut <strong>et</strong> coll., qui a<br />

permis en 1997 la naissance <strong>de</strong> la brebis Dolly, a montré que le noyau d’une<br />

cellule somatique (différenciée) peut être « reprogrammé » par le cytoplasme d’un<br />

ovocyte <strong>et</strong> r<strong>et</strong>rouver sa totipotence. En 2006-7 la voie <strong>de</strong> la reprogrammation a<br />

été i<strong>de</strong>ntifiée. Le dogme est tombé.<br />

« Si l’évolution a aboli le pouvoir <strong>de</strong> régénérer, elle a laissé celui <strong>de</strong> réparer» (Le Douarin,<br />

2007).<br />

« Les succès récents du clonage animal démontrent que le noyau d’une cellule somatique adulte<br />

différenciée peut r<strong>et</strong>ourner à un état <strong>de</strong> type embryonnaire, lui perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> repasser par les<br />

étapes qui conduisent à la naissance d’un animal viable <strong>et</strong> normal. […] Les mécanismes


420 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />

moléculaires sous-jacents font désormais l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> nombreuses étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, notamment pour<br />

comprendre les modifications <strong><strong>de</strong>s</strong> marques épigénétiques <strong>et</strong> les remaniements <strong>de</strong> structure<br />

chromatinienne impliqués dans c<strong>et</strong>te reprogrammation » (Beaujean N., Martin C., Debey<br />

P., Renard J.-P., 2005).<br />

« Limitations on a differentiated cell’s pluripotency can be erased by nuclear transfer or by<br />

fusion with embryonic stem cells, but attempts to recapitulate this process of nuclear<br />

reprogramming by molecular means have failed. In this issue of Cell, Takahashi and Yamanaka<br />

(2006) take a rational approach to i<strong>de</strong>ntifying a suite of embryonic transcription factors whose<br />

overexpression restores pluripotency to adult somatic cells » (Rodolfa & Eggan, 2006).<br />

« La confirmation éclatante <strong>de</strong> ces données par <strong>de</strong>ux équipes <strong>de</strong> Harvard (Etats-Unis), celle <strong>de</strong><br />

R. Jaenisch <strong>et</strong> celle <strong>de</strong> K. Hochedlinger, vient d’être publiée... c<strong>et</strong>te découverte fera date, <strong>et</strong> les<br />

conséquences sur le plan conceptuel <strong>et</strong> médical seront sans doute considérables s’il s’avère que les<br />

observations peuvent être dupliquées chez l’homme » (Coulombel, 2007).<br />

« en 1962 J.B. Gurdon publiait les résultats d’expériences pionnières sur le transfert <strong>de</strong> noyau<br />

somatique dans <strong><strong>de</strong>s</strong> œufs <strong>de</strong> xénope, <strong>et</strong> l’obtention <strong>de</strong> grenouilles normales. Dans une revue<br />

autobiographique publiée en 2006, un mois avant la publication <strong>de</strong> Takahashi, il anticipait :<br />

“it may become possible to convert cells of an adult to an embryonic state without needing<br />

to use eggs. Overexpression of a DNA <strong>de</strong>m<strong>et</strong>hylase and other reprogramming molecules<br />

may be sufficient to generate ES-like cells”. Nous y sommes ! » (Coulombel, 2008).<br />

Concl. Clameurs <strong>de</strong> soulagement du côté <strong><strong>de</strong>s</strong> défenseurs <strong>de</strong> l’embryon humain :<br />

les chercheurs n’auront plus besoin d’aller chercher les embryons abandonnés dans<br />

les congélateurs <strong>de</strong> la procréation médicalement assistée, pour m<strong>et</strong>tre au point<br />

d’utiles thérapies régénératives ? Mais la réalité est beaucoup moins limpi<strong>de</strong> :<br />

a-t-on trouvé une nouvelle façon <strong>de</strong> faire <strong><strong>de</strong>s</strong> embryons « artificiels », ou une<br />

métho<strong>de</strong> dangereuse si elle conduisait à <strong><strong>de</strong>s</strong> applications thérapeutiques (le vecteur<br />

utilisé pour la reprogrammation est un rétrovirus), ou une machine à remonter le<br />

temps ? Le <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> la cellule vivante est-il réversible ?<br />

« After the initial excitement, both si<strong><strong>de</strong>s</strong> [advocates and opponents of ES cell research] are finding<br />

that although iPS cells have answered some questions, they have also raised new ones » (Science,<br />

1 Feb 2008).<br />

13 03 08 — 2.5. Créativité scientifique — clones, hybri<strong><strong>de</strong>s</strong>, cybri<strong><strong>de</strong>s</strong>,<br />

biologie <strong>de</strong> synthèse<br />

« Il m’a semblé que l’esprit <strong>de</strong> découverte était un fait <strong>de</strong> la vie, un phénomène naturel »<br />

(Ch. Nicolle, 1932).<br />

Intr. Début 2008 : la synthèse complète d’un génome bactérien est annoncée<br />

dans Science par l’équipe <strong>de</strong> Craig Venter <strong>et</strong> Hamilton Smith ; onze étudiants<br />

franciliens remportent le premier prix du con<strong>cours</strong> iGEM (international Gen<strong>et</strong>ically<br />

Engineered Machine comp<strong>et</strong>ition), organisé par le MIT (Massachus<strong>et</strong>ts Institute<br />

of Technology, Boston, nov 2007), pour leur invention d’un modèle d’organisme<br />

« multicellulaire bactérien ». Après l’ingénierie génétique <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1970, voici<br />

l’avènement <strong>de</strong> l’ingénierie biologique (biological engineering).


PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 421<br />

« We have synthesized a 582970 base pair Mycoplasma genitalium genome. This synth<strong>et</strong>ic<br />

genome, named M. genitalium JCVI-1.0, contains all the genes of wild-type M. Genitalium<br />

G37 except MG408, which was disrupted by an antibiotic marker to block pathogenicity...<br />

The m<strong>et</strong>hods <strong><strong>de</strong>s</strong>cribed here will be generally useful for constructing large DNA molecules from<br />

chemically synthesized pieces and also from combinations of natural and synth<strong>et</strong>ic DNA<br />

segments » (“Compl<strong>et</strong>e chemical synthesis, assembly and cloning of a Mycoplasma<br />

genitalium genome”, Science, 29 Feb 2008).<br />

1. La synthèse comme programme <strong>de</strong> recherche<br />

Synthèse <strong>de</strong> l’urée, 1828 (Wöhler). De Lavoisier à Berthelot : naissance <strong>de</strong> la<br />

chimie <strong>de</strong> synthèse au xix e siècle. Implications ontologiques <strong>et</strong> épistémologiques :<br />

(1) la nature n’est pas saturée (il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> possibles non actualisés, le naturel inclut<br />

le possible), (2) l’investigation scientifique porte sur les possibles, (3) la science est<br />

créatrice (techniquement, artistiquement), elle invente <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres nouveaux. Certaines<br />

pratiques biotechnologiques sont très anciennes (art <strong><strong>de</strong>s</strong> fermentations : vin,<br />

fromage), la bioingénierie naît au xx e siècle. La construction par Paul Berg en 1972<br />

d’une molécule d’ADN hybri<strong>de</strong>, ou « recombinée », marque le début <strong>de</strong> l’ingénierie<br />

génétique (Debru, 2003, ch. 3). Avec le déchiffrage <strong><strong>de</strong>s</strong> génomes, le programme<br />

analytique atteint sa limite. Il est relayé au tournant du xxi e siècle par une jeune<br />

<strong>et</strong> turbulente biologie systémique (holiste) <strong>et</strong>/ou constructiviste. Le laboratoire <strong>de</strong><br />

Brenner réussit en 1984 la synthèse d’un gène codant pour une protéine, <strong>et</strong> invente<br />

en 1989 un système d’information génétique artificiellement étendu (AEGIS : six<br />

l<strong>et</strong>tres au lieu <strong>de</strong> quatre) qui montre à quoi la vie pourrait ressembler, ailleurs...<br />

« La synthèse, procédant en vertu d’une loi génératrice, reproduit non-seulement les substances<br />

naturelles, mais aussi une infinité d’autres substances qui n’auraient jamais existé dans la<br />

nature. » « La chimie crée son obj<strong>et</strong>. C<strong>et</strong>te faculté créatrice, semblable à celle <strong>de</strong> l’art lui-même,<br />

la distingue essentiellement <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences naturelles <strong>et</strong> historiques » (Berthelot, 1864).<br />

« La chimie supramoléculaire présente <strong>de</strong> multiples connotations ; notamment, comme analyse<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre molécules, elle forme en quelque sorte une sociologie moléculaire. Les<br />

interactions moléculaires y définissent le lien interspécifique, l’action <strong>et</strong> la réaction, bref, le<br />

comportement <strong><strong>de</strong>s</strong> individus <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> populations moléculaires... » (Lehn, 1980).<br />

« L’homme recrée la nature. Avec l’invention technique il va plus loin <strong>et</strong> introduit dans le<br />

mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres qui ne s’y trouvaient pas. » (Leclercq, 1959).<br />

« possibility is more fundamental than existence » (Ghiselin, 1997).<br />

« ce que nous enseigne l’histoire <strong>de</strong> la connaissance est l’accroissement du champ du possible <strong>et</strong><br />

la décroissance corrélative du champ <strong>de</strong> l’impossible » (Debru, 2003).<br />

« The 1990s was a festival of information about molecules [anatomy]. We were due for a<br />

move back to physiology. Systems biology is usually now taken to mean that in or<strong>de</strong>r to<br />

un<strong>de</strong>rstand the behavior of a biological ensemble, one needs to study the whole, rather than<br />

its isolated parts » (Brent, 2004).<br />

« Synthesis offers opportunities for achieving these goals that observation and analysis do not.<br />

The use of synthesis in a way that complement analysis will be a main theme... » (Benner &<br />

Sismour, 2005).


422 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />

2. Clones, chimères, hybri<strong><strong>de</strong>s</strong>, cybri<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Agriculture <strong>et</strong> élevage emploient <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques <strong>de</strong> croisement entre espèces ou<br />

variétés différentes (mul<strong>et</strong>, bardot). La biologie du développement, <strong>et</strong> la mise au<br />

point <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la procréation médicalement assistée, ont <strong>de</strong>puis une<br />

trentaine d’années suscité <strong><strong>de</strong>s</strong> discussions autour d’une série <strong>de</strong> problèmes qu’un<br />

rapport britannique explicite (HFEA 2007). La fusion <strong>de</strong> cellules humaines <strong>et</strong><br />

animales est largement utilisée dans la recherche, elle a été l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques<br />

utilisées pour la cartographie du génome humain. La création d’un hybri<strong>de</strong> par<br />

fécondation d’un œuf <strong>de</strong> hamster par spermatozoï<strong>de</strong> humain est un test classique<br />

<strong>de</strong> la fertilité masculine (le développement est arrêté après la première division <strong>de</strong><br />

l’œuf fécondé). La production d’hormone <strong>de</strong> croissance humaine par une souris<br />

implique le transfert d’un gène humain à l’embryon murin. Les animaux<br />

chimériques résultant <strong>de</strong> l’ajout à un embryon animal <strong>de</strong> cellules souches humaines<br />

perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> tester la pluripotence <strong>de</strong> celles-ci. Les cybri<strong><strong>de</strong>s</strong>, obtenus par transfert<br />

d’un noyau dans le cytoplasme d’une cellule embryonnaire d’espèce différente, ont<br />

aidé à comprendre le rôle du génome mitochondrial ; ils ont aussi permis <strong><strong>de</strong>s</strong> essais<br />

<strong>de</strong> clonage d’espèces en voie <strong>de</strong> disparition. Après une large consultation publique<br />

au printemps 2007, l’Autorité britannique a donné permission <strong>de</strong> créer <strong><strong>de</strong>s</strong> cybri<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

humains pour la recherche, « avec précaution <strong>et</strong> sous surveillance ». C<strong>et</strong>te technique<br />

a été éprouvée en Chine, en utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> ovocytes <strong>de</strong> lapine. Les pays qui interdisent<br />

la création d’embryons humains pour la recherche n’ont pas à se poser la question<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> cybri<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />

« There is a strong increase in agreement with creating embryos which contain mostly human<br />

and a small amount of animal gen<strong>et</strong>ic material in research if it may help to un<strong>de</strong>rstand some<br />

diseases, for example Parkinson’s and Motor neurone disease (61 % agree compared to 35 %<br />

who agree with scientists creating an embryo which contains mostly human with a small<br />

amount of animal gen<strong>et</strong>ic material purely for research) » (HFEA, 2007).<br />

« If gam<strong>et</strong>es can be termed “artificial ”, might children born of these gam<strong>et</strong>es likewise be seen<br />

as artificial in some sense ? Can a stem cell be a parent ? » (Newsom & Smajdor, 2006).<br />

« The transplantation of adult human neural stem cells into prenatal non-humans offers an<br />

avenue for studying human neural cell <strong>de</strong>velopment without direct use of human embryos.<br />

However, such experiments raise significant <strong>et</strong>hical concerns about mixing human and nonhuman<br />

materials in ways that could result in the <strong>de</strong>velopment of human-nonhuman chimeras. »<br />

(Karpowicz, Cohen, van <strong>de</strong>r Kooy, 2005).<br />

« Consi<strong>de</strong>r work by Yilin Cao and colleagues (1997), in which researchers evaluated wh<strong>et</strong>her<br />

a polymer template could be used to grow cartilage in the shape of a 3-year-old child’s auricle.<br />

In or<strong>de</strong>r to provi<strong>de</strong> a hospitable environment for the cartilage to form, the template was<br />

inserted un<strong>de</strong>r the skin on the back of a mouse. Pictures from this experiment […] have been<br />

used by anti-biotechnology organizations to elicit negative aesth<strong>et</strong>ic reactions... » (Streffer,<br />

2005).<br />

« Any child who knows that her gen<strong>et</strong>ic parents were two men, or one man and two women,<br />

would know she is different. But knowing about this difference need not harm her — unless,<br />

of <strong>cours</strong>e, we tell her the difference is <strong>de</strong>viant » ( Johnston, 2007).


PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 423<br />

3. La biologie <strong>de</strong> synthèse (synth<strong>et</strong>ic biology)<br />

Premiers congrès mondiaux : MIT Boston 2004, Berkeley 2006, Zurich 2007 ;<br />

le prochain à Hong Kong, oct. 2008. Une discipline émergente aux pouvoirs<br />

divins (Morton), ou le simple prolongement du génie génétique en génie biologique<br />

(Szybalski) ? « Life is what we make it » (Nature, 2005). Diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> approches<br />

(ingénieurs vs. théoriciens). Objectifs en vue : simplifier, standardiser, routiniser<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> montages biologiques (interrupteurs, calculateurs) ; construire <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes<br />

(bactéries, levures) producteurs <strong>de</strong> carburants (biofuel, éthanol), ou sécréteurs <strong>de</strong><br />

médicaments (contre le paludisme), ou fabricants <strong>de</strong> nouveaux matériaux<br />

(caoutchouc, textiles), ou détecteurs <strong>de</strong> polluants (arsenic), ou chasseurs <strong>de</strong> cellules<br />

mala<strong><strong>de</strong>s</strong> (cancer, HIV), ou capables <strong>de</strong> dégra<strong>de</strong>r <strong><strong>de</strong>s</strong> contaminants dans le sol<br />

(pestici<strong><strong>de</strong>s</strong>). Risques <strong>et</strong> soucis : protéger la collectivité contre toute dissémination<br />

(acci<strong>de</strong>ntelle ou intentionnelle) d’organismes pathogènes, éviter la privatisation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

nouvelles formes <strong>de</strong> vie (brev<strong>et</strong>s), définir une politique <strong>de</strong> recherche lisible <strong>et</strong><br />

démocratiquement débattue à l’échelle <strong>de</strong> la planète.<br />

« We want to <strong>de</strong>monstrate what the heck life is by constructing it » (Steen Rasmussen, in :<br />

Holmes, 2005).<br />

« When asked by interviewers [Daily Telegraph, May 27, 2006] if they are playing God,<br />

Venter’s Colleague Hamilton Smith gives a characteristically hubristic response : “We don’t<br />

play” » (ETCgroup, 2007).<br />

« A group of MIT engineers wanted to mo<strong>de</strong>l the biological world. But, damn, some of nature’s<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>igns were complicated ! So they started rebuilding from the ground up — and gave birth<br />

to synth<strong>et</strong>ic biology » (Morton, “Life, reinvented”, WIRED magazine, Jan 2005, online).<br />

« The recent and ongoing interest in synth<strong>et</strong>ic biology is being driven by at least four different<br />

groups : biologists, chemists, “re-writers” and engineers » (Endy, 2005).<br />

« Using BioBrick* standard biological parts [BB*], a synth<strong>et</strong>ic biologist or biological engineer<br />

can already, to some extent, program living organisms in the same way a computer scientist<br />

can program a computer. » (the BioBricks Foundation, online bbf.openw<strong>et</strong>ware.org).<br />

« There are a small number of projects that try to reduce the genome size of bacteria to a bare<br />

minimum (the top-down approach to synth<strong>et</strong>ic organisms). In particular, two organisms have<br />

been addressed : E. coli and B. subtilis. And there is at least one minimal genome project that<br />

follows the reverse (bottom up) approach, which is to start with a bacterium that already<br />

appears to be stripped down to a bare minimum » (European Commission, 2005).<br />

« Synth<strong>et</strong>ic biology represents a shift... from molecular biology to modular biology. The<br />

introduction of the modular approach in biology implies fundamental changes in the type of<br />

questions that are supposed to be asked in biology, how these are structured and the answers<br />

probed for. Therefore, we can speak of a paradigm shift » (<strong>de</strong> Vriend, 2006).<br />

« Synth<strong>et</strong>ic biology aims to <strong><strong>de</strong>s</strong>ign and build new biological parts and systems or to modify<br />

existing ones to carry out novel tasks. It is an emerging research area, <strong><strong>de</strong>s</strong>cribed by one researcher<br />

as “moving from reading the gen<strong>et</strong>ic co<strong>de</strong> to writing it”. Prospects inclu<strong>de</strong> new therapeutics,<br />

environmental biosensors and novel m<strong>et</strong>hods to produce food, drugs, chemicals or energy »<br />

(UK POSTnote, 2008).


424 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />

Concl. À l’enthousiasme <strong><strong>de</strong>s</strong> promoteurs <strong>de</strong> la biologie <strong>de</strong> synthèse répond la<br />

virulence <strong>de</strong> ses détracteurs (qui évoquent le danger <strong>de</strong> bioterrorisme), <strong>et</strong> la<br />

pru<strong>de</strong>nce <strong><strong>de</strong>s</strong> institutions soucieuses <strong>de</strong> bonne gouvernance (programme européen<br />

SYNBIOSAFE). Certains pensent qu’il faudrait réunir un « Asilomar 2 » (Tucker<br />

& Zilinskas), d’autres penchent pour un dispositif d’accompagnement vigilant<br />

(ONG) ou d’encadrement (institutionnel, légal). La réflexion sur les enjeux<br />

psychosociaux <strong>et</strong> éthiques (synthétique !) est beaucoup plus avancée que la réflexion<br />

proprement philosophique : comment situer dans notre ontologie le vivant<br />

artificiel, ou <strong>de</strong> synthèse ?<br />

« At present, synth<strong>et</strong>ic biology’s myriad implications can be glimpsed only dimly. The field<br />

clearly has the potential to bring about epochal changes in medicine, agriculture, industry,<br />

<strong>et</strong>hics, and politics, and a few <strong>de</strong>ca<strong><strong>de</strong>s</strong> from now it may have a profound influence on the<br />

<strong>de</strong>finition of life, including what it means to be human. » (Tucker & Zilinskas, 2006).<br />

20 03 08 — 2.6. L’évolution biologique <strong>et</strong> ses mécanismes.<br />

Orateur invité : Pr Denis Duboule<br />

Denis Duboule parle <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes architectes, <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur pléiotropie (mutifonctionnalité)<br />

qui m<strong>et</strong> à mal le réductionnisme génétique. Il est réservé sur la<br />

possibilité que les sciences du développement <strong>et</strong> celles <strong>de</strong> l’évolution se fon<strong>de</strong>nt en<br />

une seule discipline (evo-<strong>de</strong>vo), en raison <strong><strong>de</strong>s</strong> différences qu’elles présentent, tant<br />

dans leur statut épistémologique, que dans leurs référentiels <strong>de</strong> temps.<br />

Le ppt <strong>de</strong> ce <strong>cours</strong> a été affiché sur le site du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />

27 03 08 — 2.7. Quelle ontologie pour les sciences <strong>de</strong> la vie ?<br />

« La philosophie n’est pas seulement le r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> l’esprit à lui-même […] Elle est<br />

l’approfondissement du <strong>de</strong>venir en général, l’évolutionnisme vrai, <strong>et</strong> par conséquent le vrai<br />

prolongement <strong>de</strong> la science » (Bergson, 1907).<br />

Intr. Les êtres vivants sont <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres en <strong>de</strong>venir. Ils sont le produit d’une histoire.<br />

L’explication par l’histoire a fait son entrée en biologie : exemple du gène « peau<br />

claire » (Gibbons A., « European skin turned pale only recently », Science, 2007,<br />

316 : 364). On s’essaie ici à « l’approfondissement du <strong>de</strong>venir ».<br />

« Décrire un système vivant, c’est se référer aussi bien à la logique <strong>de</strong> son organisation qu’à<br />

celle <strong>de</strong> son évolution » (F. Jacob, 1970).<br />

1. Temps, <strong>de</strong>venir, durée<br />

L’univers est en <strong>de</strong>venir. Dans le mon<strong>de</strong> d’Aristote il y avait un temps <strong>et</strong> un<br />

mouvement <strong>de</strong> référence (ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> astres). Le système newtonien suppose un<br />

temps absolu <strong>et</strong> universel. La découverte que la propagation <strong>de</strong> la lumière n’est pas<br />

instantanée, <strong>et</strong> la réflexion d’Einstein sur la simultanéité, ont conduit à l’abandon<br />

du temps universel. Avec la théorie <strong>de</strong> la relativité, il faut s’habituer à penser que<br />

le temps <strong>de</strong> chaque être est son temps propre, qui reflète son « être-au-mon<strong>de</strong> » (sa


PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 425<br />

participation au <strong>de</strong>venir cosmologique). Les horloges biologiques, les rythmes<br />

circadiens, sont endogènes ; ils s’ajustent avec une certaine plasticité aux cycles<br />

cosmologiques ou à d’autres périodicités. On appelle <strong>de</strong>venir le temps interne, <strong>et</strong><br />

durée le temps vécu. Le temps n’est pas réversible. Il peut être ralenti, ou<br />

accéléré.<br />

« le temps est cause par soi <strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>truction plutôt que <strong>de</strong> génération... à vrai dire, le temps n’en<br />

est pas la cause efficiente » « le temps est partout le même » (Aristote, Physique).<br />

« L’univers, quel qu’il puisse être, est tout d’une pièce, comme un océan » (Leibniz, Théodicée,<br />

1710) — « tout corps se ressent <strong>de</strong> tout ce qui se fait dans l’univers » (Leibniz, Monadologie,<br />

1714).<br />

« chaque être a sa durée particulière, en sorte qu’un instant <strong>de</strong> la durée <strong>de</strong> l’un peut coexister<br />

<strong>et</strong> coexiste en eff<strong>et</strong> à plusieurs instants <strong>de</strong> la durée d’un autre. [...] Si l’on fait attention que<br />

nous n’avons pas proprement d’idée d’autre durée que la nôtre, puisque nous ne saurions nous<br />

former l’idée d’une durée quelconque que par comparaison avec la succession <strong>de</strong> nos pensées,<br />

on verra que c’est bien gratuitement qu’on suppose une durée qui soit la commune mesure <strong>de</strong><br />

celle <strong>de</strong> tous les êtres » (Condillac, 1748).<br />

« Au temps immatériel <strong><strong>de</strong>s</strong> coordonnées cartésiennes, au temps théologique <strong>de</strong> Newton, le<br />

paradigme <strong>de</strong> causalité propagée <strong>de</strong> la relativité nous oblige à substituer un temps individuel,<br />

attaché à chaque chose <strong>et</strong> à chaque être » (R. Lestienne, 1990, 2003, p. 109).<br />

2. Morphogenèse / individuation<br />

La genèse <strong>de</strong> formes (spatio-temporelles) n’est pas un privilège du vivant. Si l’on<br />

accepte l’hypothèse initiée par Lemaître (univers en expansion à partir <strong>de</strong> l’explosion<br />

d’un noyau initial), bien avant l’apparition <strong>de</strong> la vie terrestre, <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres se forment<br />

dans l’univers : particules <strong>de</strong> matière, galaxies... Les vivants terrestres sont d’un<br />

ordre <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur intermédiaire entre les très grands obj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> les très p<strong>et</strong>its. D’Arcy<br />

Thompson montre que les formes vivantes sont relatives à <strong><strong>de</strong>s</strong> contraintes physiques.<br />

La forme inscrit dans le présent quelque chose du passé. Devenir, c’est prendre<br />

forme ? Un photon, une galaxie, sont-ils individués ? Processus d’individuation,<br />

critères d’individualité.<br />

« Faut-il qu’une goutte d’huile ou <strong>de</strong> graisse enten<strong>de</strong> la géométrie, pour s’arrondir sur la surface<br />

<strong>de</strong> l’eau ? » (Leibniz, Théodicée, 1710).<br />

« En <strong>de</strong>venant présent, ce qui advient se matérialise ; mais du même coup, la matière s’est<br />

métamorphosée <strong>et</strong> a pris la forme <strong>de</strong> ce qui advient » (N. Grimaldi, 1993).<br />

« Life has a range of magnitu<strong>de</strong> narrow in<strong>de</strong>ed compared to that with which physical science<br />

<strong>de</strong>als; but it is wi<strong>de</strong> enough to inclu<strong>de</strong> three such discrepant conditions as those in which a<br />

man, an insect and a bacillus have their being and play their several roles. […] The<br />

predominant factors are no longer those of our scale ; we have come to the edge of a world of<br />

which we have no experience, and where all our preconceptions must be recast » (D’Arcy<br />

W. Thompson, 1917).


426 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />

3. Vivre : persévérer dans l’être<br />

Le souci <strong>de</strong> l’individu vivant : subsister. Cellule, organisme, espèce : la<br />

conservation par le changement. Le « tout » survit en renouvelant ses parties.<br />

Cl. Bernard le dit <strong>de</strong> l’organisme : « nous nous représentons un courant <strong>de</strong> matière<br />

qui traverse incessamment l’organisme <strong>et</strong> le renouvelle dans sa substance en le<br />

maintenant dans sa forme » (1878, I, p. 35-36). Notions <strong>de</strong> structure dissipative <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> système ouvert en thermodynamique loin <strong>de</strong> l’équilibre. Auto-organisation <strong>et</strong><br />

hétéro-asservissement. Solidarité du vivant <strong>et</strong> <strong>de</strong> son mon<strong>de</strong>. « Interaction<br />

constructive » (Pra<strong>de</strong>u, 2007).<br />

« Les corps inanimés ne dépen<strong>de</strong>nt pas du temps. Les corps vivants lui sont indissolublement<br />

liés. Chez eux, aucune structure ne peut être détachée <strong>de</strong> l’histoire » (Jacob, 1970).<br />

« La vie, réduite à sa notion la plus simple <strong>et</strong> la plus générale, est essentiellement caractérisée<br />

par le double mouvement continu d’absorption <strong>et</strong> d’exhalation, dû à l’action réciproque <strong>de</strong><br />

l’organisme <strong>et</strong> du milieu ambiant, <strong>et</strong> propre à maintenir, entre certaines limites <strong>de</strong> variation,<br />

pendant un temps déterminé, l’intégrité <strong>de</strong> l’organisation » (Comte, 1835).<br />

« How would we express in terms of the statistical theory the marvellous faculty of a living<br />

organism, by which it <strong>de</strong>lays the <strong>de</strong>cay into thermodynamical equilibrium (<strong>de</strong>ath) ? We said<br />

before : “It feeds upon negative entropy”, attracting, as it were, a stream of negative entropy<br />

upon itself, to compensate the entropy increase it produces by living and thus to maintain itself<br />

on a stationary and fairly low entropy level » (Schrödinger, 1944).<br />

« Ce qui se présente comme une structure permanente à un certain niveau n’est en fait<br />

maintenu que par un échange continu <strong>de</strong> composants au niveau inférieur... » (von Bertalanffy,<br />

1968 ; tr fr 1973).<br />

« Le <strong>de</strong>gré d’organisation ou <strong>de</strong> création <strong>de</strong> néguentropie que nous pouvons obtenir est toujours<br />

inférieur à la quantité <strong>de</strong> néguentropie qu’il a fallu dépenser pour obtenir c<strong>et</strong>te information<br />

préalable » (Lestienne, 2003).<br />

4. Le <strong>de</strong>venir du vivant : naître, vivre, se reproduire <strong>et</strong> mourir<br />

Comment la vie est apparue, on l’ignore ; elle continue. Les êtres monocellulaires<br />

se reproduisent par division, d’où l’hypothèse d’August Weismann (« La durée <strong>de</strong><br />

la vie », 1881) que la vie est potentiellement immortelle. Le <strong>de</strong>venir cellulaire dans<br />

un organisme complexe est un processus <strong>de</strong> différenciation, en principe irréversible :<br />

le <strong><strong>de</strong>s</strong>tin <strong>de</strong> l’organisme complexe est le vieillissement <strong>et</strong> la mort. « Les <strong>de</strong>ux<br />

inventions les plus importantes sont le sexe <strong>et</strong> la mort » (Jacob, 1970, p. 330)<br />

— elles « conditionnent » la possibilité d’une évolution. La mort inéluctable ?<br />

Eléments actuels du débat : cellules iPS, vieillissement <strong><strong>de</strong>s</strong> bactéries. Importance<br />

<strong>de</strong> la conservation dans l’évolution : la vie bâtit du neuf sur du déjà routinisé.<br />

« L’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments nucléaires révéla beaucoup <strong>de</strong> propriétés surprenantes. Ces structures,<br />

tout en pénétrant dans chaque cellule du corps, étaient, si l’on peut dire, à l’abri <strong><strong>de</strong>s</strong> caprices<br />

hasar<strong>de</strong>ux <strong>de</strong> l’existence... » (Darlington, 1953, tr fr 1957).<br />

« D’après la théorie <strong>de</strong> la sélection naturelle, l’extinction <strong><strong>de</strong>s</strong> formes anciennes <strong>et</strong> la production<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> formes nouvelles perfectionnées sont <strong>de</strong>ux faits intimement connexes » (Darwin, 1859, tr<br />

fr 1896).


PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 427<br />

« Sans pensée pour le dicter, sans imagination pour le renouveler, le programme génétique se<br />

transforme en se réalisant » (Jacob, 1970).<br />

5. Emboîtements <strong>et</strong> <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> complexité<br />

Lamarck voit la « chaîne animale » comme une série dont l’ordre naturel (celui<br />

dans lequel la nature l’a produite) va du simple au composé : la nature engendre<br />

les plus simples (génération spontanée), <strong>et</strong> on monte les <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> l’organisation<br />

par un mécanisme que résume l’adage aristotélicien « les habitu<strong><strong>de</strong>s</strong> forment une<br />

secon<strong>de</strong> nature » (1809, I, ch. 7). Darwin n’accepte ni l’idée d’un plan <strong>de</strong> la nature,<br />

ni celle d’une tendance <strong><strong>de</strong>s</strong> vivants à compliquer leur organisation ; mais il adm<strong>et</strong><br />

que la différenciation <strong><strong>de</strong>s</strong> parties », <strong>et</strong> leur spécialisation pour diverses fonctions,<br />

puisse constituer un avantage adaptatif (1859, ch. 5). Les faits <strong>de</strong> sélection naturelle<br />

ren<strong>de</strong>nt compte <strong>de</strong> l’impact, sur le tout, d’événements survenus au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

parties (p<strong>et</strong>ites variations). Les faits <strong>de</strong> symbiose ren<strong>de</strong>nt compte <strong>de</strong> l’impact sur<br />

les parties d’événements globaux (réorganisations).<br />

« S’il est vrai que tous les corps vivans soient <strong><strong>de</strong>s</strong> productions <strong>de</strong> la nature, on ne peut se refuser<br />

à croire qu’elle n’a pu les produire que successivement, <strong>et</strong> non tous à la fois dans un temps sans<br />

durée ; or, si elle les a formés successivement, il y a lieu <strong>de</strong> penser que c’est par les plus simples<br />

qu’elle a commencé, n’ayant produit qu’en <strong>de</strong>rnier lieu les organisations les plus composées »<br />

(Lamarck, 1809).<br />

« Il ne semble pas qu’il y ait une plus gran<strong>de</strong> finalité dans la variabilité <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres organiques<br />

ou dans l’action <strong>de</strong> la sélection naturelle, que dans la direction où souffle le vent » (Darwin,<br />

Autobiographie).<br />

« Tout obj<strong>et</strong> que considère la biologie représente un système <strong>de</strong> systèmes... chaque niveau<br />

d’organisation doit être envisagé par référence à ceux qui lui sont juxtaposés » (Jacob,<br />

1970).<br />

« The concr<strong>et</strong>e enduring entities are organisms, so that the plan of the whole influences the<br />

very characters of the various subordinate organisms which enter into it » (Whitehead,<br />

1925).<br />

6. Le <strong>de</strong>venir en acte<br />

Bergson revendique pour la philosophie une intuition <strong>de</strong> la durée (qu’il refuse à<br />

la science). Simondon préconise une démarche analogique, <strong>et</strong> recourt à <strong>de</strong><br />

nombreux exemples (dont celui <strong>de</strong> la cristallisation) pour dégager un schéma du<br />

processus d’individuation : une forme émerge d’un fond, la forme prend en un<br />

point (« acte structurant »), puis elle se propage (« opération transductive ») ;<br />

l’instant décisif est celui <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> forme. Lavelle médite sur l’actualisation <strong>de</strong><br />

l’être au présent. Whitehead au contraire saisit l’instant présent comme ce qui relie<br />

le passé au futur. Pour Canguilhem, l’acte du vivant affirme une préférence, un<br />

choix <strong>de</strong> valeur. Ghiselin (1997, ch. 2) n’oublie pas l’autre aspect du processus<br />

(action/ affection, génération/<strong><strong>de</strong>s</strong>truction), que Jonas (1966, III, App. 2) reproche<br />

à Whitehead d’avoir gommé...


428 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />

« Tout changement pouvant être (a) possible, (b) en train <strong>de</strong> s’accomplir, (c) accompli, l’expression<br />

“en acte” s’applique d’abord au moment b, par opposition, d’une part au moment a que désigne<br />

l’expression “en puissance” (ou “potentiellement”) ; <strong>de</strong> l’autre au moment c, c’est-à-dire au<br />

donné qui résulte <strong>de</strong> ce changement (Aristote tend à désigner le moment b par “energeia”, <strong>et</strong><br />

le moment c par “entelecheia”) » (d’après Lalan<strong>de</strong>, Vocabulaire <strong>de</strong> la philosophie).<br />

« L’individu n’est pas un être mais un acte, <strong>et</strong> l’être est individu comme agent <strong>de</strong> c<strong>et</strong> acte<br />

d’individuation par lequel il se manifeste <strong>et</strong> existe. » (Simondon, 1964).<br />

« S’il n’y a point d’autre être réel que l’être qui est en acte, c’est que l’être est l’acte même. Il<br />

est dans <strong>et</strong> par l’opération qui le produit ; il est c<strong>et</strong>te opération » (Lavelle, 1939).<br />

« The creativity of the world is the throbbing emotion of the past hurling itself into a new<br />

transcen<strong>de</strong>nt fact » (Whitehead, 1933).<br />

« Nous pensons... que le fait pour un vivant <strong>de</strong> réagir par une maladie à une lésion, à une<br />

infestation, à une anarchie fonctionnelle traduit le fait fondamental que la vie n’est pas<br />

indifférente aux conditions dans lesquelles elle est possible, que la vie est polarité <strong>et</strong> par làmême<br />

position inconsciente <strong>de</strong> valeur, bref que la vie est en fait une activité normative »<br />

(Canguilhem, 1943).<br />

7. Les forces vives ?<br />

L’acte d’individuation ne requiert-il pas un suj<strong>et</strong> (le Temps ?), un principe<br />

directeur (une Idée, un plan ?), une force (un vouloir) ? Le « principe vital » a été<br />

postulé sous diverses i<strong>de</strong>ntités : âme, entéléchie, vouloir vivre, élan vital, téléonomie,<br />

<strong>et</strong> dans la version chinoise le « qi », flux d’énergie vitale coulant le long <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

« méridiens ». Des mé<strong>de</strong>cines « alternatives » recourent à ces principes pour justifier<br />

les pratiques <strong>de</strong> « transfert d’énergie ». Le physicien R. Lestienne (2003, p. 242)<br />

qualifie le temps <strong>de</strong> « sève du réel » <strong>et</strong> « âme <strong>de</strong> la matière » ; la durée bergsonienne<br />

est créatrice. L’embryologiste Hans Driesch reprend à Aristote le terme « entéléchie »<br />

pour désigner l’ordonnateur du développement, qui conduit un paqu<strong>et</strong> <strong>de</strong> cellules<br />

à <strong>de</strong>venir un organisme différencié ; <strong>et</strong> la biologie du développement a <strong><strong>de</strong>s</strong> « gènes<br />

architectes ». Le cas <strong>de</strong> Freud est intéressant : parti <strong>de</strong> la distinction commune<br />

entre la faim (visant l’autoconservation) <strong>et</strong> l’amour (visant la conservation <strong>de</strong><br />

l’espèce), il en vient à « désintriquer » ces pulsions en une « pulsion <strong>de</strong> mort »<br />

(visant le r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> la vie à l’état inorganique) <strong>et</strong> une pulsion sexuelle (qui par une<br />

« contrainte <strong>de</strong> répétition » fait un long détour pour aboutir au même point).<br />

« une morphologie est très importante, mais une énergétique est nécessaire » (Simondon,<br />

1960).<br />

« l’entéléchie désigne ce qu’il y a d’autonome <strong>et</strong> d’irréductible dans l’ordre qui prési<strong>de</strong> à la<br />

morphogenèse » « La morphogenèse est une épigenèse, non seulement au sens <strong><strong>de</strong>s</strong>criptif, mais<br />

encore au sens théorique. Il y a production dans l’espace d’une diversité, là où n’existait<br />

préalablement aucune diversité... il n’y a qu’une épigenèse, mais une épigenèse vitalistique »<br />

(Driesch, 1909; tr fr 1921).<br />

« Pour moi le principe vital, ce n’est point l’âme, mais, si je puis me perm<strong>et</strong>tre une expression<br />

chimique, le radical <strong>de</strong> l’âme : la volonté. Ce qu’on appelle l’âme est déjà un composé : c’est


PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 429<br />

la liaison <strong>de</strong> la volonté avec le noûs, l’intellect. [...] Dans toutes les fonctions organiques du<br />

corps, autant que dans ses actions extérieures, c’est la volonté qui constitue l’agent. »<br />

(Schopenhauer, 1836, 1854 ; tr. fr. 1969).<br />

« Une pulsion serait une poussée inhérente à l’organique doué <strong>de</strong> vie en vue <strong>de</strong> la réinstauration<br />

d’un état antérieur que c<strong>et</strong> être doué <strong>de</strong> vie a dû abandonner sous l’influence <strong>de</strong> forces<br />

perturbatrices externes » (Freud, 1920 ; tr. fr. OC, vol. 15).<br />

Concl. Gilbert Simondon écrivait en 1964 que « le problème <strong>de</strong> l’individuation<br />

serait résolu si nous savions ce qu’est l’information dans son rapport aux autres<br />

gran<strong>de</strong>urs fondamentales comme la quantité <strong>de</strong> matière ou la quantité d’énergie ».<br />

Il n’est pas certain qu’une mesure <strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux d’organisation suffirait à tarir le<br />

questionnement ontologique.<br />

« La position centrale du problème <strong>de</strong> la vie ne signifie pas seulement qu’il faut lui accor<strong>de</strong>r<br />

une voix décisive quand il s’agit <strong>de</strong> juger une ontologie donnée, mais aussi que tout traitement<br />

<strong>de</strong> ce problème doit convoquer le tout <strong>de</strong> l’ontologie » (Jonas, 1966 ; tr. fr. 2001).<br />

Séminaires<br />

I<br />

Itinéraires <strong>de</strong> recherche en psychiatrie<br />

Sous la forme <strong>de</strong> trois <strong>de</strong>mi-journées <strong>de</strong> travail, le séminaire a entendu sept orateurs<br />

témoignant chacun d’une façon d’abor<strong>de</strong>r la recherche psychiatrique.<br />

2008-04-10, jeudi, 14 h-17 h 30, Paris, CDF, salle 4 : Frank Bellivier (CHU Créteil &<br />

INSERM U 841) analyse les difficultés <strong><strong>de</strong>s</strong> enquêtes génétiques (segregation analysis,<br />

linkage studies, pair studies, association studies, <strong>et</strong>c) visant à i<strong>de</strong>ntifier <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs <strong>de</strong><br />

vulnérabilité à divers types <strong>de</strong> troubles mentaux, <strong>et</strong> dressé un bilan provisoire <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats<br />

obtenus. Bruno Falissard (Hôpital Paul Brousse, Villejuif & INSERM U 669) explique<br />

comment dans sa pratique <strong>de</strong> psychiatre d’enfants <strong>et</strong> adolescents il concilie les enseignements<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> neurosciences <strong>et</strong> ceux <strong>de</strong> la psychanalyse.<br />

2008-05-05, lundi, 14 h-17 h 30, Paris, CDF, salle 2 : Pierre Magistr<strong>et</strong>ti (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong> & EPFL - Université <strong>de</strong> Lausanne) <strong>et</strong> Luc Mall<strong>et</strong> (Paris, Hôp. Pitié-Salpêtrière)<br />

présentent <strong>de</strong>ux types d’exploration du cerveau humain : d’un côté le bilan énergétique<br />

cérébral, <strong>de</strong> l’autre les observations psychiatriques faites à l’occasion <strong>de</strong> l’implantation<br />

d’électro<strong><strong>de</strong>s</strong> en vue du traitement <strong>de</strong> la maladie <strong>de</strong> Parkinson, ou <strong>de</strong> la maladie <strong>de</strong> Gilles<br />

<strong>de</strong> la Tour<strong>et</strong>te.<br />

2008-06-19, jeudi, Bonn, 9 h-13 h, Universitätsclub : Michael Quante (Universität<br />

Köln) démontre comment certains troubles psychiques m<strong>et</strong>tent en évi<strong>de</strong>nce les limites <strong>de</strong><br />

la notion traditionnelle <strong>de</strong> « personne ». Alain Leplège (Univ. Paris-VII Denis Di<strong>de</strong>rot)<br />

réfléchit sur les raisons pour lesquelles une évaluation <strong><strong>de</strong>s</strong> interventions psychothérapeutiques<br />

par leurs résultats a été rej<strong>et</strong>ée en <strong>France</strong> par les praticiens <strong><strong>de</strong>s</strong> psychothérapies analytiques.<br />

Felix Thiele (Europäische Aka<strong>de</strong>mie zur Erforschung wissenschaftlich-technischer<br />

Entwicklungen) cherche si la théorie <strong>de</strong> l’action en usage dans le droit pénal est compatible<br />

avec l’irresponsabilité reconnue aux mala<strong><strong>de</strong>s</strong> mentaux pour certains <strong>de</strong> leurs actes.


430 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />

II<br />

Philosophical problems in medicine<br />

Seoul, 04-05 Aug 2008<br />

Dans le cadre du 22 e Congrès mondial <strong>de</strong> philosophie (WCP 2008), qui s’est déroulé du<br />

30 juill<strong>et</strong> au 5 août 2008 sur le campus <strong>de</strong> l’université nationale <strong>de</strong> Séoul (SNU), <strong>et</strong> à<br />

l’invitation <strong>de</strong> l’Association coréenne <strong>de</strong> philosophie (KPA), trois sessions satellites du<br />

congrès, d’une <strong>de</strong>mi-journée chacune (coordonnées par AFL), se sont succédé les 4 <strong>et</strong> 5 août<br />

sous le titre général « Problèmes philosophiques en mé<strong>de</strong>cine ». Trois thèmes avaient été<br />

r<strong>et</strong>enus : Concepts centraux, Comparaisons Orient-Occi<strong>de</strong>nt, Problèmes cliniques. Douze<br />

orateurs ont contribué à l’échange :<br />

(1) « Core concepts » (KPA special session 09) — Chair Shinik Kang (Korea) ; Speakers<br />

AFL (<strong>France</strong>), In-Sok Yeo (Korea), Carlos Viesca (Mexico), Hee-Jin Han (Korea).<br />

(2) « East and West » (Roundtable) — Chair Hee-Jin Han (Korea) ; Speakers Sicheon<br />

Kim (Korea), Seonsam Na (Korea), Mark Kirsch (<strong>France</strong>), Renzong Qiu (China), Sukjoon<br />

Park (Korea).<br />

(3) « Clinical problems » (Roundtable) — Chair AFL ; Speakers Shinik Kang (Korea),<br />

Jean-Clau<strong>de</strong> K. Dupont (<strong>France</strong>), Jongduck Choi (Korea), Juliana Gonzalez (Mexico).<br />

C<strong>et</strong>te série s’est achevée par une réception amicale au siège <strong>de</strong> la (jeune) Association<br />

coréenne <strong>de</strong> philosophie <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine. Les textes <strong><strong>de</strong>s</strong> présentations au congrès seront<br />

publiés dans les Actes.<br />

Parallèlement au congrès, Vincent Guillin (<strong>France</strong>) a donné huit heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong> dans le<br />

cadre <strong>de</strong> l’école d’été, coordonnée par le P r Dong-Yun Son, qui proposait à <strong>de</strong> jeunes<br />

lycéens une initiation à la philosophie, en même temps que la possibilité d’assister à certaines<br />

conférences du Congrès mondial.<br />

Conférences invitées<br />

Autres interventions<br />

2007-09-20 : « De l’hygiène publique à la santé publique », aux Journées Jacques Lambert<br />

(Lambertiana), Grenoble.<br />

2007-10-07 : « Ontologie du <strong>de</strong>venir : Bergson <strong>et</strong> l’Évolution créatrice », au Congrès<br />

annuel <strong>de</strong> l’Académie internationale <strong>de</strong> philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences (AIPS), sur le thème du<br />

« temps, appréhendé à travers différentes disciplines ».<br />

2007-10-09 : « La causalité en mé<strong>de</strong>cine », dans le cadre du séminaire AssoMat « Causalité,<br />

santé <strong>et</strong> mé<strong>de</strong>cine », Paris, ENS, Institut Jean Nicod.<br />

2007-11-15 : « Styles in philosophy of science », conférence plénière, European Philosophy<br />

of Science Association (EPSA07), Madrid, Universidad Complutense.<br />

2007-11-23 : « Le philosophe <strong>et</strong> la science, selon Bergson », Colloque international <strong>de</strong><br />

clôture <strong>de</strong> l’Année Bergson, « L’évolution créatrice cent ans après. Épistémologie <strong>et</strong><br />

métaphysique », Journée « épistémologie », Paris, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />

2007-11-29 : Déposition à l’Assemblée nationale, OPCST, « Sciences du vivant <strong>et</strong><br />

société : la loi bioéthique <strong>de</strong> <strong>de</strong>main », audition publique.<br />

2008-02-18 : « Anthropological physiology : von Uexküll, Portmann, Buytendijk », au<br />

colloque organisé par A. Berthoz, « Neurobiology of Umwelt : How Living Beings Perceive<br />

the World », Paris (Neuilly).<br />

2008-04-03 : « Bioéthique <strong>et</strong> philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences », dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> Journées<br />

philosophiques 2008 <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Limoges – IUFM.


PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 431<br />

2008-04-17 : « Individualisation <strong>et</strong> personnalisation », dans le cadre d’un Cycle organisé<br />

par l’Institut du droit <strong>de</strong> la famille <strong>et</strong> du patrimoine <strong>et</strong> l’Académie <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine, « L’embryon,<br />

le fœtus, l’enfant. AMP <strong>et</strong> lois <strong>de</strong> bioéthique », 2e journée, « Le fœtus dans tous ses états :<br />

quel statut ? », Paris, Maison du Barreau.<br />

2008-05-15 : « Nouvelles biotechnologies humaines », Brest, Centre d’Instruction Naval,<br />

à l’invitation du Commandant du Centre.<br />

2008-06-17 « Qu’attendre <strong>de</strong> la connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> génomes », Paris, Université <strong>de</strong> tous les<br />

savoirs (Utls), série : « Qu’est-ce que la vie ? Où en est-on <strong>de</strong> la connaissance du<br />

génome ? ».<br />

2008-06-20 : « Overview of children and adolescent’s health in <strong>France</strong> », dans le cadre<br />

d’une Journée franco-alleman<strong>de</strong> sur « Santé <strong><strong>de</strong>s</strong> jeunes <strong>et</strong> défis pour la santé publique /<br />

Gesundheit for jungen Menschen und Herausfor<strong>de</strong>rungen an Public Health », Berlin,<br />

Ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />

2008-08-04 : « The challenge of <strong>et</strong>iological knowledge », Séoul, WCP 2008.<br />

Contributions à <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> collectifs<br />

1. réguliers<br />

— Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences, section (biologie humaine <strong>et</strong> sciences médicales), commissions<br />

(histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences <strong>et</strong> épistémologie, science <strong>et</strong> société, plis cach<strong>et</strong>és, CNFHPS), <strong>et</strong> groupe<br />

<strong>de</strong> travail sur la réforme <strong>de</strong> la première année <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> médicales (coordonné par Jean-<br />

François Bach, Secrétaire perpétuel).<br />

— Institut International <strong>de</strong> Philosophie (IIP). Négociation sur le statut <strong>de</strong> la Bibliographie<br />

internationale <strong>de</strong> la philosophie (avec B. Saint-Sernin, auprès <strong>de</strong> : Vrin, CNRS) ; <strong>et</strong><br />

participation aux Entr<strong>et</strong>iens annuels, Seoul (31 jul-2 aug 2008).<br />

— Agence <strong>de</strong> Biomé<strong>de</strong>cine : <strong>Collège</strong> d’experts « recherche sur l’embryon humain <strong>et</strong> les<br />

cellules embryonnaires ».<br />

— Haut Conseil <strong>de</strong> la Science <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Technologie (HCST).<br />

— <strong>France</strong>-Stanford Center for Interdisciplinary Studies : Executive Committee, le<br />

28 avril 2008 à Stanford, CA.<br />

2. ponctuels<br />

— Plan Alzheimer, automne 2007.<br />

— MSH Lille (CS), <strong>et</strong> CS du réseau national <strong><strong>de</strong>s</strong> MSH.<br />

— Société <strong><strong>de</strong>s</strong> amis <strong><strong>de</strong>s</strong> universités <strong>de</strong> Paris (CA).<br />

— Cité <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences (CS).<br />

— Comité pour la publication <strong><strong>de</strong>s</strong> Œuvres complètes <strong>de</strong> Georges Canguilhem (présidé<br />

par Jacques Bouveresse, Librairie philosophique Vrin).<br />

— Soutenances : sont mentionnées ici seulement les soutenances <strong>de</strong> personnes ayant<br />

travaillé sous direction AFL — trois doctorats fin 2007. Nicolas Lechopier, « Ethique <strong>de</strong><br />

la recherche <strong>et</strong> démarcation. La scientificité <strong>de</strong> l’épidémiologie à l’épreuve <strong><strong>de</strong>s</strong> normes <strong>de</strong><br />

confi<strong>de</strong>ntialité » (UP1, 27-09-07) ; Stéphanie Dupouy, « Le visage au scalpel : l’expression<br />

faciale dans l’œil <strong><strong>de</strong>s</strong> savants, 1750-1880 » (26-11-07) ; Fabrice Gzil « Problèmes<br />

philosophiques soulevés par la maladie d’Alzheimer – Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences, épistémologie,<br />

éthique » (07-12-07). Les trois soutenances se sont conclues par la mention ‘Très honorable<br />

avec félicitations’, la troisième a été, <strong>de</strong> plus, couronnée par un prix du journal Le Mon<strong>de</strong><br />

assorti <strong>de</strong> publication aux PUF.


432 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />

Livre<br />

Publications : 2007<br />

Fagot-Largeault Anne, Rahman Shahid, Torres Juan Manuel, eds., The Influence of<br />

Gen<strong>et</strong>ics on Contemporary Thinking, Dordrecht : Springer, 2007 (Series : Logic, Epistemology,<br />

and the Unity of Science, 6).<br />

Articles ou chapitres<br />

« Controversias sobre células troncales », in : Juliana Gonzáles Valenzuela, coordinadora,<br />

Dilemas <strong>de</strong> bioética, Mexico : Universidad Nacional Autonoma (UNAM), 2007, 39-63.<br />

« Interview of François Jacob », xxix-lvi, and « Is DNA revolutionizing medicine ? »,<br />

137-150, in : The Influence of Gen<strong>et</strong>ics on Contemporary Thinking, 2007 (ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus).<br />

« Philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences », in : Philosophie, Paris : Eyrolles, coll. Mention, 2007,<br />

109-133.<br />

« The f<strong>et</strong>us in perspective: the moral and the legal », in : Laurence Thomas, ed.,<br />

Contemporary Debates in Social Philosophy, Oxford : Blackwell, 2008, 113-121.<br />

« Vivre le handicap <strong>et</strong> ses prothèses », in : J.-P. Changeux, Dir., L’homme artificiel, Paris :<br />

Odile Jacob, 2007, 247-261 <strong>et</strong> 310-312.<br />

« La compassion », in : Francis Jacques, Dir., Souffrir <strong>et</strong> mourir. Comment vivre l’invivable ?<br />

La fracture <strong>et</strong> l’espérance, Paris : Editions Parole <strong>et</strong> Silence, 2007, 59-73.<br />

« L’ontologie du <strong>de</strong>venir dans L’Évolution créatrice », in : Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Académie<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> sciences morales <strong>et</strong> politiques, Centenaire <strong>de</strong> la parution <strong>de</strong> L’Évolution créatrice <strong>de</strong> Henri<br />

Bergson, Paris : Palais <strong>de</strong> l’Institut, 2007 n° 10, 59-72.<br />

« Problèmes philosophiques posés par les biotechnologies: l’exemple <strong>de</strong> la recherche sur<br />

les cellules souches », in : Ioanna Kuçuradi, ed., The Proceedings of the Twenty-first World<br />

Congress of Philosophy - Philosophy Facing World Problems, Vol. 13, Ankara : Philosophical<br />

Soci<strong>et</strong>y of Turkey, 137-146.<br />

Activités <strong>de</strong> la chaire<br />

L’excellente équipe 2007-08 se compose <strong>de</strong> Stéphane Soltani (secrétaire), Vincent<br />

Guillin (VG, Maître <strong>de</strong> conférences), Jean-Clau<strong>de</strong> K. Dupont (JCD, ATER).<br />

C<strong>et</strong>te équipe a organisé (avec F. Worms, ENS) la partie CDF du Colloque<br />

international <strong>de</strong> clôture <strong>de</strong> l’année Bergson (23 nov.), <strong>et</strong> prêté ai<strong>de</strong> au P r Pierre<br />

Magistr<strong>et</strong>ti pour l’organisation matérielle <strong>de</strong> son colloque « Neurosciences <strong>et</strong><br />

psychiatrie » (27 mai). Les conférenciers intervenant à la journée CDF du colloque<br />

Bergson « L’Évolution créatrice cent ans après. Épistémologie » étaient : P. Corvol,<br />

M. Canto-Sperber, A. Fagot-Largeault, J. Gayon, Dong-Hyun Son, F. Azouvi,<br />

A. François, A. <strong>de</strong> Ricqlès, P.-A. Miquel, Hee-Jin Han, A. Berthoz, H. Hu<strong>de</strong>,<br />

A. Prochiantz. VG s’est chargé <strong>de</strong> la collecte <strong><strong>de</strong>s</strong> textes <strong>et</strong> <strong>de</strong> la relecture du<br />

manuscrit, qui a été livré à l’éditeur (PUF) au début <strong>de</strong> l’été 2008.<br />

Le dynamisme <strong>de</strong> l’équipe a permis <strong>de</strong> commencer à rattraper quelques r<strong>et</strong>ards<br />

<strong>de</strong> publication. Le manuscrit issu du séminaire Georges Canguilhem (10 juin<br />

2005), resté en panne <strong>de</strong>puis le départ <strong>de</strong> H.-J. Han, a été relu <strong>et</strong> corrigé par JCD,


PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 433<br />

<strong>et</strong> livré à l’éditeur (Vrin) au printemps 2008. VG a pris en charge la relecture du<br />

manuscrit issu du séminaire « Evi<strong>de</strong>nce-Based Medicine » (28 mai 2004), qui sera<br />

prêt pour publication avant la fin <strong>de</strong> l’année 2008.<br />

Le séminaire interne, animé par VG, nous a permis d’entendre : François<br />

Lemaire (5 déc.) sur le second procès <strong>de</strong> Nuremberg, Jean-Noël Missa (31 jan.)<br />

sur l’histoire <strong>de</strong> la psychiatrie, un débat entre Fabrice Gzil, Valérie Gateau <strong>et</strong><br />

Nicolas Lechopier sur leur façon <strong>de</strong> pratiquer la philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences (27 mars),<br />

Marcela Iacub sur son livre Par le trou <strong>de</strong> la serrure. Histoire <strong>de</strong> la pu<strong>de</strong>ur publique<br />

(22 mai), Dan Kevles (4 juin) sur l’horticulture américaine au xix e siècle.<br />

En plus <strong>de</strong> la participation au Congrès mondial (WCP 2008), JCD a fait une<br />

communication à un colloque en Oregon (18 mai) sur « la technique argumentative<br />

<strong>de</strong> la Cour européenne <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme à la lumière <strong>de</strong> la Nouvelle rhétorique<br />

<strong>de</strong> Perelman » ; VG a fait une présentation à Oxford au colloque <strong>de</strong> la Société<br />

britannique d’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences (04 juil.) sur « l’éthologie <strong>de</strong> J.S. Mill ». Par<br />

ailleurs, VG rédige en vue <strong>de</strong> publication une version modifiée <strong>de</strong> sa thèse (London,<br />

LSE, 2007), <strong>et</strong> JCD rédige sa thèse <strong>de</strong> doctorat.


Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> syncrétismes <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> l’Antiquité<br />

M. Michel Tardieu, professeur<br />

Cours : Coutumes <strong>et</strong> légen<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la Haute-Mésopotamie<br />

d’après les recueils <strong>de</strong> contes syriaques<br />

La caravane <strong>de</strong> Midyat<br />

Parmi les divers recueils <strong>de</strong> contes oraux en araméen mo<strong>de</strong>rne relatifs à la Haute-<br />

Mésopotamie (régions du Jilu-Bohtan, Telkepe <strong>et</strong> Tûr ‘Abdîn), j’ai pour ma<br />

<strong>de</strong>rnière année <strong>de</strong> <strong>cours</strong> au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> fait le choix <strong>de</strong> m’en tenir aux<br />

collectages propres au Tûr ‘Abdîn <strong>et</strong>, dans ce domaine culturel extrêmement riche<br />

<strong>et</strong> diversifié malgré l’étendue restreinte <strong>de</strong> son territoire montagneux (500 km2 environ) qui domine la plaine <strong>de</strong> la Mésopotamie au Nord <strong>de</strong> Nisibe <strong>et</strong> que les<br />

gorges du Tigre délimitent au Nord <strong>et</strong> à l’Est, d’explorer <strong>de</strong> façon systématique le<br />

corpus publié par Prym <strong>et</strong> Socin à la fin du xixe siècle 1 . C<strong>et</strong> ouvrage représente,<br />

selon le mot d’Otto Jastrow (1968), un véritable musée <strong>de</strong> la culture syriaque<br />

vivante. Il a l’avantage d’être doublé par son corpus jumeau en kur<strong>de</strong> (Prym-Socin<br />

1887 <strong>et</strong> Socin 1890) provenant du même conteur. L’autre avantage, essentiel, du<br />

recueil syriaque <strong>de</strong> Prym <strong>et</strong> Socin par rapport aux autres collectages <strong>et</strong> en particulier<br />

1. Eugen Prym und Albert Socin, Der neu-aramaeische Dialekt <strong><strong>de</strong>s</strong> Tûr ‘Abdîn, Erster Teil : Die<br />

Texte, Zweiter Teil : Uebers<strong>et</strong>zung (une secon<strong>de</strong> page <strong>de</strong> titre donne pour c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>uxième partie<br />

également l’intitulé : Syrische Sagen und Maerchen aus <strong>de</strong>m Volksmun<strong>de</strong> gesammelt und uebers<strong>et</strong>zt),<br />

Göttingen, Van<strong>de</strong>nhoeck & Ruprecht, 1881. À lire en parallèle avec les ouvrages <strong>et</strong> <strong>travaux</strong><br />

suivants : Eugen Prym und Albert Socin, Kurdische Sammlungen. Erzaehlungen und Lie<strong>de</strong>r in <strong>de</strong>n<br />

Dialekten <strong><strong>de</strong>s</strong> Tûr ‘Abdîn und von Bohtan. Sammelt, herausgegeben und uebers<strong>et</strong>zt von Eugen<br />

Prym und Albert Socin, A. Die Texte ; B. Uebers<strong>et</strong>zung, St P<strong>et</strong>ersburg, 1887-1890. Hellmut Ritter,<br />

Tûrôyo. Die Volksprache <strong>de</strong>r syrischen Christen <strong><strong>de</strong>s</strong> Tûr ‘Abdîn, A/1 1967, A/2 1969, A/3 1971,<br />

Wiesba<strong>de</strong>n, Franz Steiner Verlag ; B, Wörterbuch, 1979 ; C, Grammatik, 1990. Otto Jastrow,<br />

« Ein Märchen im neuaramäischen Dialekt von Mîdin (Tûr ‘Abdîn) », Zeitschrift <strong>de</strong>r Deutschen<br />

Morgenländischen Gesellschaft, 118 (1968), p. 29-61. Bien que hors <strong>de</strong> la région étudiée, j’ajouterai<br />

cependant le collectage effectué à Axror par E. Cerulli, Testi neo-aramaici <strong>de</strong>ll’Iran s<strong>et</strong>tentrionale,<br />

Napoli, Istituto Orientale, 1971.


436 MICHEL TARDIEU<br />

à celui d’Hellmut Ritter (cinq volumes dont trois <strong>de</strong> textes, qui ont près <strong>de</strong><br />

700 pages chacun), est que Prym <strong>et</strong> Socin ont transmis les histoires d’un conteur<br />

unique, Câno, originaire <strong>de</strong> Midyat, <strong>et</strong> que ce conteur était totalement ill<strong>et</strong>tré,<br />

bien que parlant quatre langues (l’araméen, le kur<strong>de</strong> kurmanci, l’arabe <strong>et</strong> le turc).<br />

Les informateurs <strong>de</strong> Ritter sont soit <strong><strong>de</strong>s</strong> jeunes gens venus du Tûr ‘Abdîn à Istanbul<br />

faire <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ou prendre un emploi en attendant le visa <strong><strong>de</strong>s</strong> services <strong>de</strong><br />

l’émigration, ou bien <strong><strong>de</strong>s</strong> ecclésiastiques que Ritter a rencontrés au Tûr ‘Abdîn.<br />

Un exemple parmi d’autres : le transm<strong>et</strong>teur <strong>de</strong> sept contes recueillis par Ritter à<br />

Midyat (n° 21-27) est l’abouna Xori Nu‘man Aydın, chorévêque <strong>de</strong> l’église<br />

Barsaumo. Il est né en 1909 dans le village <strong>de</strong> Kfärze (Kefärze) à 25 km au NO<br />

<strong>de</strong> Midyat. Cinq ans après sa naissance, sa famille s’installe à Midyat, où il apprend<br />

à lire <strong>et</strong> <strong>de</strong>vient le chef <strong>de</strong> la communauté syro-jacobite <strong>de</strong> Barsaumo composée<br />

<strong>de</strong> 500 familles. Les contes <strong>de</strong> Nu‘mân Aydın <strong>et</strong> l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> contes du corpus<br />

<strong>de</strong> Ritter sont <strong><strong>de</strong>s</strong> histoires souvent jolies, mais c<strong>et</strong>te littérature orale gar<strong>de</strong> malgré<br />

tout l’empreinte <strong>de</strong> l’écrit, c’est-à-dire <strong>de</strong> la littérature ecclésiastique <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

préoccupations <strong><strong>de</strong>s</strong> prêtres. Elle ne peut s’empêcher d’être édifiante <strong>et</strong> <strong>de</strong> donner<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> leçons. On y cherchera en vain le rire <strong>et</strong> la satire, l’amour romantique <strong>et</strong> les<br />

plaisanteries grivoises, l’absur<strong>de</strong> <strong>et</strong> le merveilleux, la perfidie ou la révolte qu’on<br />

trouve dans les contes <strong>de</strong> Câno.<br />

Trois communautés, d’une même culture sociale <strong>et</strong> avec <strong><strong>de</strong>s</strong> liens tribaux<br />

i<strong>de</strong>ntiques, vivaient imbriquées dans la Midyat du début <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1860 : les<br />

Chrétiens jacobites qui sont <strong><strong>de</strong>s</strong> Araméens parlant syriaque, les Kur<strong><strong>de</strong>s</strong> qui sont<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> indo-européens musulmans (sunnites, yézidis, <strong>et</strong> quelques familles shi‘ites) <strong>et</strong><br />

qui parlent une langue iranienne (le kur<strong>de</strong> kumanci), les Mhallamiya qui sont<br />

musulmans, parlent un dialecte arabe avec beaucoup <strong>de</strong> traits dialectaux syriaques<br />

<strong>et</strong> dont l’origine <strong>et</strong>hnique est discutée : s’agit-il <strong>de</strong> Kur<strong><strong>de</strong>s</strong>, d’Arabes, ou bien<br />

d’anciens Araméens chrétiens convertis à l’islam ? Le premier voyageur européen à<br />

avoir signalé c<strong>et</strong>te population a été Niebuhr qui visita la région en 1766. Il considère<br />

les Mhallamiya comme <strong><strong>de</strong>s</strong> Kur<strong><strong>de</strong>s</strong>. Sykes, au début du xx e s., pense qu’il s’agit<br />

d’anciens chrétiens syriaques qui au xvi e s. auraient quitté l’Église jacobite <strong>et</strong> se<br />

seraient faits musulmans après le refus du patriarche <strong>de</strong> leur accor<strong>de</strong>r la permission<br />

<strong>de</strong> manger <strong>de</strong> la vian<strong>de</strong> durant le Carême, alors que sévissait une gran<strong>de</strong> famine.<br />

Leurs femmes portent <strong><strong>de</strong>s</strong> vêtements rouges <strong>et</strong> ne sont pas voilées. Les Kur<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong><br />

Turquie parlant le kurmanci ne les reconnaissent pas comme Kur<strong><strong>de</strong>s</strong>, ce sont pour<br />

eux <strong><strong>de</strong>s</strong> Arabes, étant donné qu’ils ne sont pas kurdophones (le critère d’i<strong>de</strong>ntification<br />

r<strong>et</strong>enu en ce cas est la langue). Quant aux Mhallamiya eux-mêmes, ils sont divisés<br />

sur la question <strong>de</strong> leur « i<strong>de</strong>ntité nationale ». Certains pensent qu’ils sont d’anciens<br />

Sûryanis, c’est-à-dire <strong><strong>de</strong>s</strong> chrétiens syriaques islamisés <strong>et</strong> arabisés (critère r<strong>et</strong>enu en<br />

ce cas : la religion), d’autres estiment qu’ils <strong><strong>de</strong>s</strong>cen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> tribus arabes établies<br />

dans la région au moment <strong><strong>de</strong>s</strong> conquêtes (explication par l’histoire politique). Une<br />

troisième position a <strong>cours</strong> également, selon laquelle ils <strong><strong>de</strong>s</strong>cendraient <strong>de</strong> tribus<br />

kur<strong><strong>de</strong>s</strong> qui se seraient arabisées. Selon c<strong>et</strong>te thèse pankurdiste, les syriaques seraient<br />

pareillement d’anciens Kur<strong><strong>de</strong>s</strong> convertis au christianisme.


HISTOIRE DES SYNCRÉTISMES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ 437<br />

Les orientalistes allemands, Eugen Prym <strong>et</strong> Albert Socin, n’ont pas connu Câno<br />

au Tûr ‘Abdîn, mais à Damas en mars 1869, où il travaillait comme manœuvre<br />

<strong>de</strong> chantier sur les échafaudages ou bien dans la fosse à chaux. Il appartenait à une<br />

colonie <strong>de</strong> chrétiens jacobites <strong>de</strong> Midyat établis à Damas <strong>de</strong>puis trois mois (fin<br />

décembre 1868). Tous ces gens avaient quitté leur patrie en raison <strong>de</strong> six années<br />

consécutives <strong>de</strong> famine due au fléau endémique <strong><strong>de</strong>s</strong> sauterelles <strong>et</strong> donné à leur<br />

migration la direction <strong>de</strong> Jérusalem. La marche <strong>de</strong> ces migrants syriaques prit-elle<br />

ainsi tout naturellement, comme l’explique Eugen Prym, la grand-route <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

caravanes, qui <strong>de</strong> l’Est <strong>de</strong> l’Empire turc menait, en contournant par le Nord en<br />

arc <strong>de</strong> cercle le désert syrien par Mardin, Diyarbakır <strong>et</strong> Urfa, aux gran<strong><strong>de</strong>s</strong> cités<br />

commerçantes d’Alep <strong>et</strong> Damas. Câno fit étape à Adana, le temps d’y gagner<br />

quelques sous pour perm<strong>et</strong>tre au groupe <strong>de</strong> poursuivre le voyage. Arrivés à Damas,<br />

les « pèlerins » <strong>de</strong> Jérusalem s’installèrent à Bâb Sharqî, vidé <strong>de</strong> ses habitants <strong>et</strong> en<br />

ruines <strong>de</strong>puis les massacres anti-chrétiens <strong>de</strong> 1860.<br />

Socialement, Câno était sûryani. À en juger par les histoires qu’il raconte, sa<br />

culture chrétienne semble totalement inexistante. Il n’y a pas le moindre indice,<br />

chez lui, d’une connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> Écritures. Deux seulement <strong>de</strong> ses histoires en<br />

araméen <strong>et</strong> en kur<strong>de</strong> portent sur <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s bibliques. Mais, au témoignage même<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> orientalistes qui l’ont connu, Câno ignorait qu’il s’agissait d’histoires bibliques.<br />

Le n° 8 <strong>de</strong> la collection <strong><strong>de</strong>s</strong> contes syriaques (Le douzième fils <strong>de</strong> Jacob) est l’histoire<br />

<strong>de</strong> Joseph (Gn 37-48 ; Coran XII). De quel récit est tributaire le conteur ? Sa<br />

source est-elle une épopée kur<strong>de</strong> qui réutiliserait le récit coranique ? Il est difficile<br />

<strong>de</strong> trancher. Le n° 5 <strong>de</strong> la collection <strong><strong>de</strong>s</strong> contes kur<strong><strong>de</strong>s</strong> (Le tyran impie) concerne,<br />

sans jamais le nommer, le personnage biblique <strong>de</strong> Nimrod, le géant impie,<br />

constructeur <strong>de</strong> la Tour <strong>de</strong> Babel. Selon l’historiographie jacobite, le géant<br />

nourrissait <strong>de</strong> sa chasse les constructeurs <strong>de</strong> la Tour, cela dura 40 ans, puis la Tour<br />

fut renversée par le vent <strong>et</strong> tua Nimrod. L’histoire chez Câno est probablement<br />

tributaire <strong>de</strong> ce qu’il a entendu raconter à l’église à ce suj<strong>et</strong>. Le gibbôr chasseur est<br />

chez lui la figure <strong>de</strong> l’impie absolu. Il défie la loi <strong>et</strong> la puissance divines en donnant<br />

ses filles en mariage à ses fils puis en construisant la Tour. La transgression <strong>de</strong><br />

l’inceste est le premier acte du combat contre Dieu.<br />

Rire <strong>et</strong> façons <strong>de</strong> dire<br />

Les <strong>de</strong>ux traits caractéristiques <strong><strong>de</strong>s</strong> dis<strong>cours</strong> narratifs <strong>de</strong> Câno sont d’abord<br />

l’inadéquation <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses aux questions posées, ce qui a pour conséquence que<br />

les mots sont faits pour rire <strong>de</strong> tout, ensuite le transfert massif <strong>de</strong> la société humaine<br />

aux mon<strong><strong>de</strong>s</strong> non-humains <strong><strong>de</strong>s</strong> animaux <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> géants. Le Tûr ‘Abdîn que décrivent<br />

archéologues <strong>et</strong> historiens est le pays <strong><strong>de</strong>s</strong> moines bâtisseurs. Pour Câno c’est la terre<br />

d’en-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous, sans églises ni couvents, ni noms propres <strong>de</strong> lieux, ni chemins tracés,<br />

à la différence du pays d’en-haut, où chaque lieu a un nom, où le même endroit<br />

possè<strong>de</strong> parfois plusieurs noms propres. Le territoire du conte syriaque se situe hors<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> villes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> villages, que délimitent les collines verdoyantes, les jardins <strong>et</strong> les<br />

vignes, espace indéfini, marqué par la montagne ari<strong>de</strong> <strong>et</strong> les maisons abandonnées,


438 MICHEL TARDIEU<br />

pays <strong>de</strong> la soif <strong>et</strong> <strong>de</strong> la faim, <strong><strong>de</strong>s</strong> bêtes sauvages <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> bandits, terre où le temps<br />

s’est arrêté, où les géants remplacent les humains, où les femmes ont <strong><strong>de</strong>s</strong> lieux qui<br />

leur sont propres (La fiancée du diable n° 45, La ville <strong>de</strong> Mush n° 19, Jeux d’enfants<br />

n° 30). Selon les conceptions cosmologiques du conteur, les quatre coins <strong>de</strong> la terre<br />

habitée reposent sur un rocher, <strong>et</strong> celui-ci sur <strong><strong>de</strong>s</strong> colonnes <strong>de</strong> fer. En <strong><strong>de</strong>s</strong>cendant<br />

le plan incliné <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te terre, on arrive là où repose le couvercle du ciel. Le côté<br />

intérieur du couvercle est occupé par la <strong>cours</strong>e diurne du soleil vers l’Occi<strong>de</strong>nt.<br />

Au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous <strong>de</strong> la terre commune (u-bäläd du-‘amm), se trouvent le pays <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

hommes nus ou <strong><strong>de</strong>s</strong> chiens, puis celui <strong><strong>de</strong>s</strong> djinns, au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous encore il y a le<br />

territoire <strong><strong>de</strong>s</strong> hybri<strong><strong>de</strong>s</strong>, puis celui <strong><strong>de</strong>s</strong> singes, ensuite celui <strong><strong>de</strong>s</strong> lions <strong>et</strong> enfin la terre<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> ténèbres. Le pays <strong><strong>de</strong>s</strong> nains, Hâcûc uMâcûc (Gog <strong>et</strong> Magog) est un peu partout<br />

entre ces mon<strong><strong>de</strong>s</strong>. Les Hâcûc sont nés <strong><strong>de</strong>s</strong> pertes séminales d’Adam mêlées à <strong>de</strong> la<br />

poussière, <strong>et</strong> ont pour particularité <strong>de</strong> prévoir leur mort. Ils s’accouplent comme<br />

les animaux <strong>et</strong> se déplacent avec une très gran<strong>de</strong> rapidité. Chaque jour, ils rongent<br />

le rempart <strong>de</strong> Dhû-l-Qarnayn pour tenter d’apercevoir le soleil briller <strong>de</strong> l’autre<br />

côté. C’est donc un peuple <strong>de</strong> la nuit <strong>et</strong> ils sont noirs <strong>de</strong> peau. Ils aiment beaucoup<br />

les eaux douces <strong><strong>de</strong>s</strong> fleuves, mais préfèrent à toutes celles du lac <strong>de</strong> Tibéria<strong>de</strong><br />

(Xenge n° 36, L’échange <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes n° 43, Le marchand <strong>de</strong> Mardin n° 44). Dans<br />

d’autres traditions, les Gog occupent le bout du mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> sont en lien avec les<br />

peuples turciques, chez Câno les Hâcûc sont l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> mon<strong><strong>de</strong>s</strong> hypochthoniens,<br />

sorte <strong>de</strong> fourmis <strong>de</strong> l’invisible. À l’extrémité <strong>de</strong> ces mon<strong><strong>de</strong>s</strong> se situe, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong><br />

l’In<strong>de</strong>, le pays enchanté <strong><strong>de</strong>s</strong> Gurc, couvert <strong>de</strong> buissons d’épines, sans gouvernement.<br />

Les filles y sont très jolies <strong>et</strong> appartiennent à tous.<br />

L’inadéquation <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses aux questions sert à fabriquer les histoires pour rire<br />

sur le dos <strong><strong>de</strong>s</strong> artisans <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> chefs tribaux (Le molla, le teigneux <strong>et</strong> le yézidi n° 12,<br />

L’agha qui avait un fils maboul n° 13), <strong>et</strong> pour se moquer <strong><strong>de</strong>s</strong> bureaucrates <strong>et</strong><br />

gratte-papiers (Le renard, l’âne <strong>et</strong> le chat n° 84, Le renard qui savait lire l’éthiopien<br />

n° 77). Les autorités <strong>et</strong> hiérarchies sociales dont les histoires <strong>de</strong> renard (au nombre<br />

<strong>de</strong> 22 dans le corpus syriaque) font la satire sont, d’un côté, l’institution politicojudiciaire<br />

que symbolise la fonction <strong>de</strong> kadi (syr. qoze) <strong>et</strong>, <strong>de</strong> l’autre, le clergé que<br />

représentent pour les communautés religieuses du Tûr les charges <strong>de</strong> molla (syr.<br />

malla) chez les musulmans <strong>et</strong> <strong>de</strong> curé (syr. qasho) chez les chrétiens. De par<br />

l’exercice <strong>et</strong> l’étendue <strong>de</strong> leurs attributions, ces dignitaires sont par excellence <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

professionnels <strong>de</strong> l’écriture, <strong>de</strong> l’encre, <strong><strong>de</strong>s</strong> registres, <strong><strong>de</strong>s</strong> livres.<br />

Un trait particulier <strong><strong>de</strong>s</strong> histoires <strong>de</strong> Câno est l’humour religieux (Le pèlerinage<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> animaux, kur<strong>de</strong> n° 3) <strong>et</strong> l’humour hagiographique (Le diable <strong>de</strong>venu portefaix,<br />

syriaque n° 53). Une contribution donnée aux MUSJ (59, 2006, p. 145-160) a<br />

traité du premier. J’ai donc cherché à comprendre le second par comparaison avec<br />

la légen<strong>de</strong> populaire du Tûr racontant la domestication du diable par s. Malke.<br />

Hasan El-Shamy (Types of the Folktale in the Arab World, Bloomington, Indiana<br />

University Press, 2004, p. 710) rattache le conte 53 <strong>de</strong> Câno à la série <strong><strong>de</strong>s</strong> contestypes<br />

AT 1168, Various Ways of Expelling Devils (the Devil), qui sont <strong><strong>de</strong>s</strong> relations<br />

d’exorcismes. Aucune <strong>de</strong> leurs versions signalées dans la classification internationale


HISTOIRE DES SYNCRÉTISMES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ 439<br />

ne correspond au conte araméen. Seul le premier épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> ce récit fait état d’une<br />

guérison par exorcisme. C<strong>et</strong>te hagiographie a en fait un autre but. Il s’agit d’une<br />

domestication humoristique du diable pour en faire un ai<strong>de</strong> <strong>et</strong> le m<strong>et</strong>tre au service<br />

du saint fondateur d’un monastère. La classification d’El-Shamy est donc erronée.<br />

L’origine <strong>de</strong> l’histoire paraît bien à sa place, en tout cas, dans le folklore syriaque<br />

du Tûr. Je la comprends comme relation orale ré-élaborée pour justifier une<br />

croyance populaire qui concernait un puits <strong>de</strong> la région <strong>de</strong> Midyat, lié au cycle <strong>de</strong><br />

Mor Malke. Dans la légen<strong>de</strong> hagiographique rapportée par Câno, le diable<br />

qu’expulse Mor Malke <strong>de</strong> la fille du roi d’Égypte est chargé <strong>de</strong> porter au cou <strong>et</strong><br />

sur la tête jusqu’au Tûr ‘Abdîn la margelle <strong>et</strong> l’auge, offertes par le roi d’Égypte<br />

reconnaissant <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>tinées à l’aménagement <strong>de</strong> l’eau que le saint a prévu pour son<br />

sanctuaire <strong>de</strong> Haute-Mésopotamie. Or, il existe une vie, en syriaque littéral, <strong>de</strong><br />

Mor Malke, éditée par Paul Bedjan dans les Acta martyrum <strong>et</strong> sanctorum (t. 5,<br />

Leipzig, Harrassowitz, 1895, p. 421-469) d’après un manuscrit <strong>de</strong> la fin du<br />

xii e siècle (BN 236, fol. 86 ; Zotenberg 1874, p. 187-188), complété par un<br />

manuscrit <strong>de</strong> Londres (BL Add.14733, fol. 83). Sur la cinquantaine <strong>de</strong> pages <strong>de</strong><br />

texte syriaque <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te vie, vingt portent sur l’histoire <strong>de</strong> la diablerie que Câno a<br />

racontée aux orientalistes allemands en araméen turoyo.<br />

Confrontons l’oral <strong>et</strong> l’écrit. La vie syriaque confirme que les pierres taillées que<br />

le saint fait transporter d’Égypte au Tûr ‘Abdîn par le diable sont effectivement<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>tinées au monastère <strong>de</strong> s. Malke (Deir Mor Malke), à 2 km au sud <strong>de</strong> Kharabe<br />

‘Ale (Khirbat Aleh, forme turcisée Harapali) dans le Djebel Izlo. La vie syriaque<br />

situe très correctement le monastère, non par le toponyme arabe, mais en utilisant<br />

l’ancien nom syro-grec <strong>de</strong> Kharabe ‘Ale : Arkah. Alors que la vie syriaque ainsi<br />

que le conte oral servent à montrer que l’apprivoisement du diable par le saint est<br />

nécessaire au transport <strong><strong>de</strong>s</strong> instruments <strong>de</strong> la distribution <strong>de</strong> l’eau <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l’organisation du paysage du monastère, en revanche on ne peut être que surpris<br />

<strong>de</strong> constater que l’hagiographie littéraire <strong>de</strong> s. Malke est organisée différemment<br />

que dans le conte oral. Chez Câno, le saint va en Égypte où il exorcise la fille du<br />

roi, mais ni le nom du roi ni celui <strong>de</strong> sa fille ne sont mentionnés, ni non plus<br />

d’ailleurs le nom du diable que le saint expulse du corps <strong>de</strong> la jeune fille. Dans la<br />

vie syriaque, c’est à Constantinople que le saint se rend, auprès <strong>de</strong> l’empereur<br />

Constantin qui l’a fait appeler pour qu’il guérisse sa propre fille, dénommée<br />

Asanasis. Le scénario <strong>de</strong> l’expulsion du diable <strong>et</strong> <strong>de</strong> la récompense du saint par le<br />

roi est i<strong>de</strong>ntique dans la vie <strong>et</strong> dans le conte, mais la vie transm<strong>et</strong> le nom du<br />

diable, Astratasis, qu’om<strong>et</strong> Câno. L’épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> la dispute chez les bédouins manque<br />

dans la vie syriaque. Celle-ci, en revanche, précise ce que dit Câno concernant les<br />

pierres portées par le diable jusqu’au monastère mésopotamien : autour du cou, en<br />

collier (un turban, dit un autre diable pour s’amuser) l’assise circulaire ou margelle<br />

formant le rebord supérieur visible du puits, <strong>et</strong> sur la tête, dressée comme une<br />

tour, la structure interne du puits en pierres <strong>de</strong> taille arrondies. Le spectacle <strong>de</strong>vait<br />

être assez réjouissant, en eff<strong>et</strong>. À qui donner l’avantage ici, à l’oral ou à l’écrit ?<br />

Florence Jullien a repéré que la trame <strong>de</strong> l’histoire racontée par Câno <strong>et</strong> la vie


440 MICHEL TARDIEU<br />

syriaque (guérison d’un possédé, transport d’une pierre par le diable, traversée du<br />

désert <strong>et</strong> construction d’un monastère) était réutilisée dans les traditions syroorientales<br />

<strong>de</strong> l’implantation du monachisme à al-Hîra <strong>et</strong> en Arabie du Nord-Est<br />

(communication faite au <strong>cours</strong> du 13 février 2008). La popularité <strong>de</strong> l’histoire<br />

hors <strong>de</strong> l’Église jacobite <strong>et</strong> la référence explicite à l’Égypte dans le conte oral<br />

donnent à penser plutôt à une dépendance <strong>de</strong> la vie littéraire par rapport à celui-ci<br />

<strong>et</strong> à un ajustement ecclésiastique gréco-orthodoxe. La mise en situation <strong>de</strong> la<br />

diablerie à la cour <strong>de</strong> Constantin n’est peut-être pas, cependant, une absurdité <strong>de</strong><br />

la vie syriaque. Elle a probablement servi à situer dans un passé lointain les liens<br />

supposés <strong><strong>de</strong>s</strong> fondateurs syriaques du Tûr ‘Abdîn au monachisme copte que<br />

protégeait le Basileus. Mor Malke était, dit-on, le neveu <strong>de</strong> Mar Awgin, qui était<br />

un Égyptien originaire <strong>de</strong> Clysma. L’oncle <strong>et</strong> le neveu sont du même village. Les<br />

monastères <strong>de</strong> l’oncle <strong>et</strong> du neveu sont voisins au Tûr ‘Abdîn. De ce fait, le conte<br />

oral ne manque pas <strong>de</strong> pertinence en plaçant la diablerie plutôt en Égypte, chez<br />

un roi imaginaire anonyme. Quant à la structure du puits qui traverse les déserts<br />

à la verticale portée sur la tête du diable, elle annonce c<strong>et</strong>te idiotie sublime prêtée<br />

à Nasr Eddin Hodja. Un jour, à la sortie <strong>de</strong> la mosquée, un paysan lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> :<br />

« Ô Hodja, toi qui as <strong><strong>de</strong>s</strong> lumières sur toute chose en matière <strong>de</strong> religion, peux-tu<br />

me dire comment les Arabes ont bien pu faire pour construire <strong><strong>de</strong>s</strong> minar<strong>et</strong>s en<br />

plein désert ? — C’était pourtant très facile, répond Nasr Eddin : il leur a suffi <strong>de</strong><br />

renverser les puits » (J.-L. Maunoury, Sublimes paroles <strong>et</strong> idioties <strong>de</strong> Nasr Eddin,<br />

Paris, Phébus, 2002, p. 417).<br />

Les autres catégories d’histoires <strong>de</strong> Câno étudiées dans ce <strong>cours</strong> ont été celles<br />

dans lesquelles interviennent <strong><strong>de</strong>s</strong> thèmes propres aux chansons d’amour <strong>de</strong> Câno<br />

en kur<strong>de</strong> par comparaison à celles <strong>de</strong> la même région en araméen chrétien <strong>et</strong> juif<br />

(Boucles d’oreilles, Les bords <strong>de</strong> chemins) <strong>et</strong>, d’autre part, les histoires traitant<br />

explicitement <strong>de</strong> pratiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> croyances religieuses (Le Barberousse jacobite <strong>de</strong><br />

Hâh <strong>et</strong> la légen<strong>de</strong> <strong>de</strong> la conversion du <strong>de</strong>rnier païen).<br />

Séminaire 2008<br />

M.T.<br />

Le séminaire <strong>de</strong> 2008 « Noms barbares 2 » a été la suite <strong>de</strong> celui organisé en<br />

2007. Il s’est déroulé sous la forme d’un colloque international, en lien avec<br />

l’Agence Nationale <strong>de</strong> la Recherche, l’EPHE-Sciences religieuses <strong>et</strong> le CNRS<br />

(UMR 8584), <strong>et</strong> s’est tenu dans l’amphithéâtre Maurice Halbwachs, le 18 juin<br />

2008. Les communications entendues ont été les suivantes : Michel Tardieu, La<br />

recherche sur les formes <strong>et</strong> les contextes <strong>de</strong> la pratique magique <strong><strong>de</strong>s</strong> noms barbares ;<br />

Lucia Sau<strong>de</strong>lli (ATER <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), Héraclite sur le nom <strong>de</strong> Zeus ; Jean<br />

Yoyotte (Professeur honoraire au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), Amon <strong>et</strong> Mout, <strong>et</strong> les mots<br />

nubiens ; Gregor Wurst (Université d’Augsbourg), Un magicien copte. Syncrétisme<br />

religieux dans l’Égypte chrétienne ; Gérard Roqu<strong>et</strong> (EPHE), Fonction incantatoire


HISTOIRE DES SYNCRÉTISMES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ 441<br />

du langage. Image, l<strong>et</strong>tre, son, sens : manipulations cryptologiques ; Yvan Koenig<br />

(CNRS), Des « trigrammes panthéistes » ramessi<strong><strong>de</strong>s</strong> aux gemmes magiques <strong>de</strong><br />

l’époque impériale : le cas d’Abrasax ; Amina Kropp (Université <strong>de</strong> Hei<strong>de</strong>lberg),<br />

Le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> noms barbares dans le déroulement d’une <strong>de</strong>fixio d’après le corpus<br />

électronique <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>fixiones latines ; Silvia Pieri (Université <strong>de</strong> Pise), Numero e<br />

filosofia. Alcune note sul cosidd<strong>et</strong>to Ottavo libro di Mosè (PGM XIII) ; Michel<br />

Tardieu, La diversification <strong>de</strong> Kalyptos <strong>et</strong> son modèle logique. Reconstruire<br />

Zostrien (NHC VIII 112-113) ; Paolo Scarpi (Université <strong>de</strong> Padoue), Le dis<strong>cours</strong><br />

vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> noms barbares ; Arnaud Sérandour (EPHE), Les noms barbares du Sefer<br />

ha-Razin ; Clau<strong>de</strong> Gilliot (Université <strong>de</strong> Provence), Les l<strong>et</strong>tres mystérieuses du<br />

Coran ; Manfred Kropp (Université <strong>de</strong> Mayence), Noms magiques d’Éthiopie ;<br />

Claudine Bess<strong>et</strong>-Lavoine, Émilie Clau<strong>de</strong>, Emiliano Fiori, Flavia Ruani, Anna Van<br />

<strong>de</strong>n Kerchove (Doctorantes <strong>et</strong> doctorant <strong>de</strong> l’EPHE), Noms barbares en rituels<br />

gnostiques. Essai d’interprétation scénique.<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> christianismes orientaux<br />

Bibliothèque<br />

La Bibliothèque d’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> christianismes orientaux (ex-Bibliothèque d’histoire<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> religions du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>) est un centre documentaire relevant <strong>de</strong> l’Institut<br />

du Proche-Orient ancien. Elle a été créée par Jean Baruzi en 1937. Ses spécialités<br />

d’origine sont la philosophie religieuse antique <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne (théories <strong>de</strong> la religion<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> la mystique) <strong>et</strong> l’histoire <strong>de</strong> la théologie hétérodoxe ancienne (surtout<br />

marcionite <strong>et</strong> gnostique). Ces orientations ont été poursuivies par H.-Ch. Puech,<br />

A. Guillaumont, <strong>et</strong> moi-même, aidé <strong>de</strong>puis 2001 <strong>de</strong> Florence Jullien (syriacisante<br />

<strong>de</strong> réputation internationale, ATER puis vacataire) avec la participation <strong>de</strong><br />

Christelle Jullien (Chercheur au CNRS), tout en y développant les domaines<br />

suivants : littérature apocryphe chrétienne, judéochristianisme baptiste <strong>et</strong><br />

mandéisme, monachisme syro-égyptien, manichéisme <strong>et</strong> iranologie, littérature<br />

syriaque dogmatique <strong>et</strong> historique. En alliant <strong>de</strong> la sorte philosophie <strong>et</strong> religion, ce<br />

centre documentaire représente un instrument <strong>de</strong> travail original <strong>et</strong> apprécié. La<br />

richesse <strong><strong>de</strong>s</strong> fonds dans certains <strong><strong>de</strong>s</strong> domaines énumérés, comme le mandéisme ou<br />

le manichéisme, en fait une bibliothèque <strong>de</strong> référence unique en <strong>France</strong>. Son<br />

service d’accueil <strong>et</strong> d’ai<strong>de</strong> à la recherche auprès <strong><strong>de</strong>s</strong> doctorants <strong>et</strong> chercheurs français<br />

<strong>et</strong> étrangers, venant le plus souvent <strong>de</strong> l’École pratique <strong><strong>de</strong>s</strong> hautes étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong>de</strong><br />

Paris IV-Sorbonne, <strong>de</strong> l’Institut Catholique <strong>de</strong> Paris <strong>et</strong> du CNRS, s’y effectue en<br />

collaboration avec les autres bibliothèques du site Cardinal Lemoine (Bibliothèque<br />

byzantine notamment <strong>et</strong> Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sémitiques). Le travail <strong>de</strong> catalogage en lien avec<br />

Catherine Piganiol (service général <strong><strong>de</strong>s</strong> Bibliothèques <strong>et</strong> Bibliothèque byzantine) a<br />

été engagé <strong>et</strong> mené à bien par Abdallah Khaldi <strong>de</strong> 2003 à 2008, afin d’enrichir la<br />

base bibliographique commune du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.


442 MICHEL TARDIEU<br />

Publications<br />

— « L’anneau perdu du roi Salomon : conte syriaque <strong>de</strong> la plaine <strong>de</strong> Mossoul », dans<br />

J.-L. Bacqué-Grammont (éd.), L’image <strong>de</strong> Salomon. Sources <strong>et</strong> postérités (Cahiers <strong>de</strong> la Société<br />

Asiatique, Nouvelle série 5), Paris-Louvain-Dudley, Pe<strong>et</strong>ers, 2007, p. 199-208.<br />

— « Le schème hérésiologique <strong>de</strong> désignation <strong><strong>de</strong>s</strong> adversaires dans l’inscription nestorienne<br />

chinoise <strong>de</strong> Xi’an », dans Christelle Jullien (éd.), Controverses <strong><strong>de</strong>s</strong> Chrétiens dans l’Iran<br />

sassani<strong>de</strong> (Studia Iranica 36, Chrétiens en terre d’Iran II), Paris, Association pour l’avancement<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> iraniennes, 2008, p. 207-226.<br />

— « Le sinapisme du missionnaire manichéen (P. Kellis Copte 35) », dans Estelle Oudot<br />

& Fabrice Poli (éd.), Epiphania. Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> orientales, grecques <strong>et</strong> latines offertes à Aline Pourkier<br />

(Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> anciennes, 34) Nancy, ADRA, & Paris, De Boccard, 2008, p. 461-472.<br />

— « L’apparition d’Aristote au calife al-Ma’mûn », Mélanges en hommage à Didier Pralon,<br />

Aix-en-Provence, Publications <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Provence, 2008.<br />

Autres activités<br />

— Prési<strong>de</strong>nt du jury <strong>de</strong> soutenance <strong>de</strong> l’HDR <strong>de</strong> Florence Jullien, « Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

institutions <strong>et</strong> traditions du mon<strong>de</strong> syriaque », Université <strong>de</strong> Provence, le 13 octobre<br />

2007.<br />

— Prési<strong>de</strong>nce du Colloque international « Barhebraeus <strong>et</strong> la renaissance syriaque »,<br />

organisé par Denise Aigle, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 3 décembre 2007. Communication : « Le but<br />

<strong>de</strong> Barhebraeus dans les Histoires drôles » ; ce Colloque est l’obj<strong>et</strong> d’un article, cosigné par<br />

D. Aigle <strong>et</strong> M. Tardieu, dans la L<strong>et</strong>tre du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, n° 22, février 2008, p. 32.<br />

— Participation aux <strong>travaux</strong> collectifs du proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Agence nationale <strong>de</strong> la recherche,<br />

CENOB (Corpus <strong><strong>de</strong>s</strong> énoncés <strong><strong>de</strong>s</strong> noms barbares) avec les groupes <strong>de</strong> Padoue <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

Bruxelles, EPHE-Sciences religieuses, le 7 mars 2008, <strong>et</strong> <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, le 17 juin<br />

2008.<br />

— Invitation aux Journées doctorales <strong>de</strong> l’université d’Aix-en-Provence sur les littéralismes<br />

dans les fondamentalismes, Le Caire, IFAO, 6-9 avril 2008. Communication : « Ignorer ce<br />

que lire veut dire chez les Sûryanis ».<br />

— Codirection <strong>de</strong> la thèse <strong>de</strong> doctorat <strong>de</strong> Lucia Sau<strong>de</strong>lli (ATER au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>),<br />

Héraclite <strong>et</strong> le témoignage <strong>de</strong> Philon d’Alexandrie, en co-tutelle franco-italienne (École<br />

Pratique <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, Université « Carlo Bo » d’Urbino) <strong>et</strong> prési<strong>de</strong>nt du jury <strong>de</strong><br />

soutenance, Paris, EPHE, 3 juill<strong>et</strong> 2008.<br />

— Prési<strong>de</strong>nce du Colloque international « Les monachismes d’Orient. Images, échanges,<br />

influences », organisé par Fl. Jullien <strong>et</strong> M.-J. Pierre, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 11 juin 2008.<br />

Communication : « L’image <strong><strong>de</strong>s</strong> moines <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> monastères dans les contes oraux<br />

syriaques ».<br />

— Participation au Colloque international « La pluralité interprétative. Fon<strong>de</strong>ments<br />

historiques <strong>et</strong> cognitifs <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> point <strong>de</strong> vue », organisé par A. Berthoz, C. Ossola,<br />

Br. Stock, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 12 <strong>et</strong> 13 juin 2008. Communication : « Le pluralisme<br />

religieux ».<br />

— Participation au colloque international « Paul Pelliot (1878-1945). De l’histoire à la<br />

légen<strong>de</strong> », organisé par Jean-Pierre Drège, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions<br />

<strong>et</strong> belles-l<strong>et</strong>tres, jeudi 2 - vendredi 3 octobre 2008. Communication : « Les Chrétiens<br />

d’Orient dans l’œuvre <strong>de</strong> Paul Pelliot ».


HISTOIRE DES SYNCRÉTISMES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ 443<br />

— Colloque international « Damascius <strong>et</strong> le néoplatonisme en région syrienne », organisé<br />

par Ph. Vallat, Damas, Institut Français du Proche-Orient, en lien avec l’EPHE-Sciences<br />

religieuses, 27-29 octobre 2008. Communication : « Le concept hellène précoranique <strong>de</strong><br />

religion abrahamique chez les néoplatoniciens syriens. Tenants <strong>et</strong> aboutissants <strong>de</strong> la<br />

profession <strong>de</strong> foi <strong>de</strong> Marinus <strong>de</strong> Naplouse ».<br />

— Prési<strong>de</strong>nce du Colloque international « Auteurs <strong>et</strong> autorité <strong><strong>de</strong>s</strong> anciens textes littéraires<br />

ou religieux. Livres <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes, livres <strong>de</strong>(s) dieu(x) », organisé par Maria Gorea, <strong>Collège</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>France</strong>, 1er <strong>et</strong> 2 décembre 2008. Communication : « La notion manichéenne d’auteur<br />

entre original <strong>et</strong> copie : statut comparé <strong><strong>de</strong>s</strong> livres à textes <strong>et</strong> à images ».<br />

Activités <strong>de</strong> la chaire<br />

Florence Jullien (Chercheur associé à l’Institut du Proche-Orient ancien du<br />

<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>) : responsable <strong>de</strong> la gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> périodiques, collections <strong>et</strong><br />

ouvrages <strong>de</strong> la Bibliothèque d’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> christianismes orientaux ; charge <strong>de</strong><br />

Conférence 2007-2008 à l’EPHE Section <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences Religieuses, chaire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Christianismes orientaux : « Le monachisme dans le golfe Persique à l’époque<br />

sassani<strong>de</strong> ; étu<strong>de</strong> du texte syriaque <strong>de</strong> la Chronique d’É<strong><strong>de</strong>s</strong>se : traduction <strong>et</strong><br />

commentaire (fin) » ; membre associé <strong>de</strong> l’équipe CNRS Centre d’Étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Religions du Livre (UMR 8584) ; membre statutaire du Conseil d’administration<br />

<strong>de</strong> la Société d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> syriaques.<br />

Activités<br />

— Participation à la table-ron<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Soci<strong>et</strong>y of Oriental and African Studies :<br />

Christianity and monasticism in Iraq, Londres, 5 mai 2007. Communication : « The Great<br />

Monastery on Mount Izla and the Defence of the East-Syrian I<strong>de</strong>ntity ».<br />

— Membre du conseil scientifique <strong>et</strong> <strong>de</strong> publication du Colloque « Barhebraeus <strong>et</strong> la<br />

renaissance syriaque », <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, UMR 8167, Laboratoire Islam médiéval, EPHE,<br />

3 décembre 2007 au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, organisé en collaboration avec M. Tardieu, D. Aigle<br />

<strong>et</strong> H. Teule. Communication : « Une question <strong>de</strong> controverse religieuse: la L<strong>et</strong>tre au<br />

catholicos nestorien Mar Denha Ier ».<br />

— Organisatrice du Colloque : « Monachismes d’Orient. Images, Échanges, Influences »,<br />

Paris, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 11 juin 2008. Communication : « Types <strong>et</strong> topiques <strong>de</strong> l’Égypte :<br />

sur quelques moines syro-orientaux <strong><strong>de</strong>s</strong> vie-viie s. ».<br />

— Collaboration au proj<strong>et</strong> onomastique <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong> Vienne (Autriche),<br />

co-dirigé par MM. Manfred Mayrhofer <strong>et</strong> Rüdiger Schmitt, en association avec<br />

M.P. Gignoux (DR honoraire EPHE-Sciences religieuses) <strong>et</strong> C. Jullien (UMR 7528) pour<br />

l’Iranisches Personennamenbuch, dictionnaire recensant tous les noms propres d’origine<br />

iranienne dans la littérature syriaque (parution prévue à la fin <strong>de</strong> l’année 2008).<br />

— Soutenance d’une Habilitation à diriger <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches : « Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> institutions <strong>et</strong><br />

traditions du mon<strong>de</strong> syriaque », Université <strong>de</strong> Provence, le 13 octobre 2007, <strong>de</strong>vant un jury<br />

composé <strong>de</strong> M. P.-G. Borbone (Professeur à l’Université <strong>de</strong> Pise), M. P. Boulhol (Professeur<br />

à l’Université <strong>de</strong> Provence), M. G. Dorival (Professeur à l’Université <strong>de</strong> Provence, Institut<br />

Universitaire <strong>de</strong> <strong>France</strong>), Mme M.-J. Pierre (Directeur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, EPHE-Sciences religieuses),<br />

M. M. Tardieu (Professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), M. D. Taylor (Professeur à l’Oriental<br />

Institute, Oxford).


444 MICHEL TARDIEU<br />

Publications<br />

— « S’affirmer en s’opposant : les polémistes du Grand monastère (vi e -vii e siècle) »,<br />

Controverses <strong><strong>de</strong>s</strong> Chrétiens dans l’Iran sassani<strong>de</strong> (Studia Iranica. Cahier 36), Paris 2008, p. 29-40.<br />

— Articles pour l’Encyclopaedia Iranica (parution prévue également sur le site web <strong>de</strong><br />

l’Encyclopédie) : « Xvadahoy » ; « Abraham of Kashkar » ; « Babiy the Great » ; « Dadisho‘ » ;<br />

« Rabban Shapur » ; « East-Syrian convents in Sasanian Iran », 2008.<br />

— Compte rendu <strong>de</strong> M.-F. Baslez, Les persécutions dans l’Antiquité. Victimes, héros,<br />

martyrs (Paris, Fayard, 2007, 408 p.), Les L<strong>et</strong>tres Nouvelles (à paraître).<br />

— « Le monachisme dans le golfe Persique à l’époque sassani<strong>de</strong> », Annuaire <strong>de</strong> l’EPHE<br />

Sciences religieuses, 116 (2007-2008), sous presse.<br />

— Le monachisme en Perse. La réforme d’Abraham le Grand, père <strong><strong>de</strong>s</strong> moines <strong>de</strong> l’Orient<br />

(collection Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 622, Subsidia 121), Louvain,<br />

2008, 293 p.<br />

Lucia Sau<strong>de</strong>lli (ATER au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> du 1 er septembre 2007 au 31 août<br />

2008) : en travaillant sous la direction du Professeur, elle a pu achever la rédaction<br />

<strong>de</strong> sa thèse doctorale : Eraclito e la testimonianza di Filone di Alessandria (Héraclite<br />

<strong>et</strong> le témoignage <strong>de</strong> Philon d’Alexandrie), 476 p. C<strong>et</strong>te thèse <strong>de</strong> doctorat en cotutelle<br />

franco-italienne (École Pratique <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, Paris, <strong>et</strong> Université<br />

« Carlo Bo » d’Urbino, Italie) a été soutenue à Paris, le 3 juill<strong>et</strong> 2008 <strong>et</strong> a obtenu<br />

la mention très honorable avec félicitations du jury à l’unanimité. M lle Sau<strong>de</strong>lli a<br />

en outre contribué très activement aux recherches scientifiques collectives <strong>de</strong> la<br />

Chaire (séminaires <strong>et</strong> publications), <strong>et</strong> collaboré à l’organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences <strong>et</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> colloques. Comme les autres utilisateurs <strong>et</strong> utilisatrices <strong>de</strong> la Bibliothèque <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

christianismes orientaux, elle a pris sa part <strong>de</strong> l’enrichissement <strong><strong>de</strong>s</strong> fonds<br />

documentaires <strong>et</strong> amélioré leur consultation, en se chargeant <strong>de</strong> la gestion <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

périodiques. Elle a procédé au renouvellement <strong>et</strong> à la mise à jour constante <strong>de</strong> la<br />

page Intern<strong>et</strong> du Professeur (bibliographie, agenda, <strong>travaux</strong> <strong>et</strong> proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l’équipe)<br />

en lien avec la responsable du site web du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />

Communications <strong>et</strong> articles<br />

— Participation au Colloque international <strong>de</strong> The International Association for Presocratic<br />

Studies, Brigham Young University, Provo, Utah (USA), les 23-27 juin 2008 ;<br />

communication : « I “cadaveri” di Eraclito (fr. 96 DK) e la polemica neoplatonica di<br />

Simplicio ».<br />

— Communication au séminaire « Noms barbares 2 », chaire d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> syncrétismes<br />

<strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> l’Antiquité <strong>de</strong> M. le Professeur M. Tardieu, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 18 juin 2008 :<br />

« Héraclite sur le nom <strong>de</strong> Zeus ».<br />

— Participation à la Commission <strong>de</strong> doctorat en « Discipline Umanistiche (Sciences<br />

humaines) » <strong>de</strong> l’université « Carlo Bo » d’Urbino (Urbino), 7 novembre 2007, exposé sur<br />

l’achèvement <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches <strong>de</strong> thèse.<br />

— « Kaulakau selon l’hérésiologie chrétienne », dans : Actes du Colloque international<br />

« Noms Barbares 1 » (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 2007), collection « Bibliothèque <strong>de</strong> l’École <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Hautes Étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, Sciences Religieuses », Paris, 2008 (à paraître).


HISTOIRE DES SYNCRÉTISMES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ 445<br />

— « Les fragments d’Héraclite <strong>et</strong> leur signification dans le corpus philonicum : le cas du<br />

fr. 60 DK », Actes du Colloque international « Philon d’Alexandrie » (Université libre <strong>de</strong><br />

Bruxelles, 2007), collection « Monothéismes <strong>et</strong> philosophie », Brepols, Turnhout 2008<br />

(à paraître).<br />

— « Les fragments d’Héraclite <strong>et</strong> l’influence gnostique chez Plotin, Enn. IV 8 [6], 1 »,<br />

dans Pensée grecque <strong>et</strong> sagesse d’Orient. Hommage à Michel Tardieu, Bibliothèque <strong>de</strong> l’École<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> hautes étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, Paris, 2008 (sous presse).<br />

— « La hodos anô kai katô d’Héraclite (fr. 22 B 60 DK/33 M) dans le De a<strong>et</strong>ernitate<br />

mundi <strong>de</strong> Philon d’Alexandrie », The Studia Philonica Annual, 19 (2007), p. 29-58.<br />

— Compte rendu <strong>de</strong> G.P. Luttikhuizen, Gnostic Revisions of Genesis Stories and Early<br />

Jesus Traditions (Lei<strong>de</strong>n-Boston 2006), Apocrypha 18 (2007), sous presse.


Le <strong>cours</strong> n’a pas eu lieu.<br />

Anthropologie <strong>de</strong> la nature<br />

M. Philippe Descola, professeur<br />

Publications<br />

— « Le commerce <strong><strong>de</strong>s</strong> âmes. L’ontologie animique dans les Amériques », in Frédéric<br />

Laugrand <strong>et</strong> Jarich Oosten (sous la direction <strong>de</strong>), La nature <strong><strong>de</strong>s</strong> esprits dans les cosmologies<br />

autochtones, Québec, Les Presses <strong>de</strong> l’Université Laval, 2007, pp. 3-30.<br />

— « Passages <strong>de</strong> témoins », Le Débat 147, novembre-décembre 2007, pp. 136-53.<br />

— « Umano, più che umano », pagin<strong>et</strong>te festival filosofia n° 9, Modène, Fondazione<br />

Collegio San Carlo, 2007.<br />

— « Préface » à Le jardin du casoar, la forêt <strong><strong>de</strong>s</strong> Kasua. Savoir-être <strong>et</strong> savoir-faire écologiques<br />

<strong>de</strong> Florence Brunois, Paris, CNRS Editions — Editions <strong>de</strong> la MSH, 2007.<br />

— « A qui appartient la nature ? »/ « Who owns nature ? », La vie <strong><strong>de</strong>s</strong> idées, publication<br />

en ligne le 21/01/2008 sur le site www.lavie<strong><strong>de</strong>s</strong>i<strong>de</strong>es.fr, rubrique « Essais ».<br />

— « Sur Lévi-Strauss, le structuralisme <strong>et</strong> l’anthropologie <strong>de</strong> la nature », entr<strong>et</strong>ien avec<br />

Marcel Hénaff, Philosophie 98, juin 2008, pp. 8-36.<br />

— « L’ombre <strong>de</strong> la croix », in Mark Alizart (sous la direction <strong>de</strong>) Traces du sacré :<br />

Visitations, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2008, pp. 65-88.<br />

Autres activités<br />

— Directeur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> à l’École <strong><strong>de</strong>s</strong> hautes Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en Sciences sociales.<br />

— Directeur du Laboratoire d’Anthropologie sociale (UMR 7130 du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />

du CNRS <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’EHESS).<br />

— Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Américanistes, vice-prési<strong>de</strong>nt du conseil scientifique <strong>de</strong> la<br />

Fondation Fyssen.


448 PHILIPPE DESCOLA<br />

Colloques, enseignements <strong>et</strong> missions à l’étranger<br />

1. Communications à <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques :<br />

— « La patrimonialisation <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces naturels », colloque « Figures <strong>et</strong> problèmes <strong>de</strong> la<br />

mondialisation », Institut du Mon<strong>de</strong> Contemporain, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 14/12/2007.<br />

— « From wholes to collectives », colloque « Beyond Holism », Université <strong>de</strong> Aarhus,<br />

Sandbjerg, 4-6 juill<strong>et</strong> 2008.<br />

2. Conférences :<br />

— Université <strong>de</strong> Besançon, département <strong>de</strong> philosophie, « Nature <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rnité », le<br />

3/10/2007.<br />

— Université <strong>de</strong> Lille 1, département <strong>de</strong> géographie, conférence-débat « L’homme <strong>et</strong> la<br />

nature : continuités, discontinuités », le 26/11/2007.<br />

— Institut national <strong>de</strong> la recherche agronomique, Paris, conférence-débat : « Une culture<br />

naturelle ou <strong><strong>de</strong>s</strong> natures culturelles ? Un point <strong>de</strong> vue anthropologique », 29/11/2007.<br />

— Université libre <strong>de</strong> Bruxelles, cycle <strong>de</strong> conférences « Cultures d’Europe », « Les natures<br />

<strong>de</strong> l’homme », le 8/02/2008.<br />

— Carl Friedrich von Siemens Stiftung (Munich), « The Making of Images. An<br />

anthropological approach », le 12/02/08.<br />

— Université <strong>de</strong> Hei<strong>de</strong>lberg, European Molecular Biology Laboratory, « Beyond Nature<br />

and Culture », le 20/02/2008.<br />

— Université <strong>de</strong> Cambridge, département d’anthropologie, « Ontology and Iconology »,<br />

le 6/03/2008.<br />

3. Missions à l’étranger :<br />

Le professeur a séjourné à Munich pendant une partie <strong>de</strong> l’année universitaire à<br />

l’invitation <strong>de</strong> la Carl Friedrich von Siemens Stiftung.


Chaire théorie économique <strong>et</strong> organisation sociale<br />

M. Roger Guesnerie, professeur<br />

L’équilibre général <strong>et</strong> ses modèles (suite) :<br />

macroéconomie <strong>et</strong> commerce international (2007-2008)<br />

Après avoir abordé les problèmes <strong>de</strong> la production, (2001-2002), les aspects<br />

économiques <strong>de</strong> la consommation, (2000-2001), le <strong>cours</strong> a ensuite porté l’attention<br />

sur les marchés, passant successivement en revue les marchés du travail, <strong>de</strong><br />

l’assurance, (2002-2003), les marchés <strong>de</strong> biens <strong>et</strong> la concurrence oligopolistique<br />

(2003-2004) <strong>et</strong> enfin les marchés financiers (2004-2006). Il a fait passer l’attention<br />

en 2007-2008 <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments d’un système, les marchés, au système lui-même, le<br />

marché, ou encore, dans le vocabulaire <strong>de</strong> la profession, <strong>de</strong> l’équilibre partiel à<br />

l’équilibre général. L’attention avait été d’abord focalisée sur le modèle abstrait <strong>de</strong><br />

l’équilibre général d’inspiration walrassienne, tel qu’il a été rénové par la théorie<br />

économique mo<strong>de</strong>rne. Le <strong>cours</strong> avait ainsi procédé à un examen critique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

mérites <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> limites du modèle, les séminaires éclairant la construction historique<br />

<strong>et</strong> ouvrant sur <strong><strong>de</strong>s</strong> applications ou <strong><strong>de</strong>s</strong> questions connexes.<br />

La problématique <strong>de</strong> l’équilibre général, même si le cœur walrassien du suj<strong>et</strong><br />

peut apparaître superficiellement démodé, reste au cœur <strong>de</strong> la construction <strong>de</strong> la<br />

discipline économique. Elle irrigue la culture économique contemporaine, en étant<br />

présente aussi bien dans la théorie macro-économique que dans la théorie <strong>de</strong> la<br />

croissance ou celle du commerce international. Ces suj<strong>et</strong>s étaient <strong>de</strong> fait au cœur<br />

du programme traité en 2007-2008. Si comme à l’habitu<strong>de</strong>, le <strong>cours</strong> s’adressait à<br />

ceux qui souhaitent avoir une vue générale sur le suj<strong>et</strong>, qu’ils en soient relativement<br />

éloignés, ou, qu’en étant plus proches, ils cherchent à s’en distancier, le champ<br />

couvert a été plus large qu’à l’habitu<strong>de</strong>. La théorie du commerce international, la<br />

théorie <strong>de</strong> la croissance <strong>et</strong> la théorie macroéconomique sont trois domaines <strong>de</strong><br />

spécialité dont le champ propre est vaste <strong>et</strong> dont les savoirs reposent sur <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

traditions largement différenciées. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> leur problématique commune


450 ROGER GUESNERIE<br />

d’équilibre général au sens large, il y a cependant <strong><strong>de</strong>s</strong> justifications à un traitement<br />

plus unifié <strong>de</strong> ces suj<strong>et</strong>s : la macroéconomie <strong>de</strong> court terme, que j’appelle<br />

macroéconomie tout court dans la suite <strong>et</strong> la macroéconomie <strong>de</strong> long terme, c’està-dire<br />

la théorie <strong>de</strong> la croissance, sont <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> plus en plus imbriqués, au sens<br />

où leur analyse sollicite <strong><strong>de</strong>s</strong> modélisations plus proches aujourd’hui qu’elles ne<br />

l’étaient hier. En particulier, le rapprochement entre les techniques d’analyse<br />

utilisées au sein <strong>de</strong> ces différents suj<strong>et</strong>s s’est accentué avec l’utilisation grandissante<br />

d’hypothèses à la Dixit-Stiglitz, qui perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> rompre avec la fiction du bien<br />

unique agrégé, pour introduire une variété <strong>de</strong> biens, <strong>et</strong> ce au prix d’une<br />

symmétrisation <strong>de</strong> l’espace <strong><strong>de</strong>s</strong> biens, qui même si elle est parfois très discutable<br />

voire caricaturale, enrichit l’analyse. De fait, <strong><strong>de</strong>s</strong> modélisations voisines ont été<br />

introduites aussi bien dans les nouvelles théories du commerce international que<br />

dans la théorie <strong>de</strong> la croissance endogène ou les nouveaux modèles keynésiens qui,<br />

aujourd’hui, donnent un rôle central à la concurrence oligopolistique.<br />

Le <strong>cours</strong> a normalement débuté par un bref rappel <strong>de</strong> la présentation faite<br />

antérieurement <strong>de</strong> l’équilibre général walrassien. Ce rappel m<strong>et</strong>tait en exergue les<br />

forces <strong>de</strong> l’approche aussi bien que ses point aveugles ; il soulignait aussi la logique<br />

équilibre général <strong>de</strong> suj<strong>et</strong>s qui allaient être abordés.<br />

Après c<strong>et</strong>te introduction, la première partie du <strong>cours</strong>, intitulée, « traditions <strong>et</strong><br />

mo<strong>de</strong>rnité <strong>de</strong> la modélisation » faisait un tour d’horizon <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles canoniques<br />

<strong>de</strong> chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s qui allaient être abordés, en soulignant les continuités <strong>et</strong> les<br />

ruptures.<br />

La théorie traditionnelle du commerce international a d’abord été présentée <strong>de</strong><br />

façon à en faire apparaître à la fois la logique, les limites <strong>et</strong> les ambiguïtés <strong><strong>de</strong>s</strong>criptives<br />

ou normatives. L’argumentaire <strong>de</strong> l’avantage comparé <strong>de</strong> Ricardo, puis la logique<br />

<strong>de</strong> l’égalisation du prix <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs ont d’abord été brièvement rappelés pour être<br />

ensuite plus systématiquement réexaminés dans le cadre traditionnellement r<strong>et</strong>enu,<br />

celui d’un modèle (dit modèle 2-2-2 ou modèle d’Heckscher-Ohlin) à <strong>de</strong>ux biens,<br />

<strong>de</strong>ux facteurs <strong>de</strong> production <strong>et</strong> <strong>de</strong>ux pays. La clé <strong>de</strong> l’analyse tient dans la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques — primales en termes <strong>de</strong> quantités ou duales, en termes <strong>de</strong><br />

prix — <strong>de</strong> la production agrégée atteignable, avec ou sans mobilité <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs,<br />

dans chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> pays <strong>et</strong> dans « le mon<strong>de</strong> » formé <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux pays. L’hypothèse<br />

<strong>de</strong> non renversement <strong><strong>de</strong>s</strong> intensités factorielles, qui donne un sens non ambigu au fait<br />

qu’un bien est plus intensif en un facteur qu’un autre, perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> renforcer les<br />

conclusions pour obtenir les énoncés célèbres <strong>de</strong> Stolper-Samuelson ou <strong>de</strong><br />

Ribczinskii. Les outils ainsi mis au point ouvrent la porte à la meilleure<br />

compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l’ouverture du commerce, tant en ce qui concerne la<br />

structure <strong>de</strong> la production, (spécialisation ou non), que les eff<strong>et</strong>s sur la rémunération<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs dans chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> pays participants. La théorie voit ainsi l’échange <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

biens, au moins jusqu’à un certain point, comme un voile à l’échange <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs.<br />

Tel était bien le point <strong>de</strong> vue d’Heckscher qui interprétait l’échange <strong>de</strong> produits


THÉORIE ÉCONOMIQUE ET ORGANISATION SOCIALE 451<br />

industriels européens contre <strong><strong>de</strong>s</strong> produits agricoles australiens au xixe siècle, comme<br />

l’échange du « travail européen contre la terre australienne ».<br />

La macroéconomie <strong>de</strong> court terme a été l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> débats intellectuels vifs <strong>de</strong>puis<br />

le début <strong><strong>de</strong>s</strong> années cinquante, débat dont le <strong>cours</strong> a tenté <strong>de</strong> clarifier les enjeux<br />

<strong>et</strong> d’éclairer la genèse. Le modèle IS-LM, référence dominante ou quasi-exclusive<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> manuels <strong>de</strong> macroéconomie <strong><strong>de</strong>s</strong> années cinquante, a été brièvement rappelé,<br />

d’abord dans une version walrassienne, puis dans la variante proposée par Hicks<br />

pour rendre compte <strong><strong>de</strong>s</strong> idées <strong>de</strong> Keynes. Aux critiques croissantes faites à ce que<br />

l’on a pu appeler la politique économique du modèle IS-LM, <strong>et</strong> dont les remises<br />

en question radicales <strong>de</strong> la courbe <strong>de</strong> Philips constituent un point d’orgue, se sont<br />

ajoutées toute une série <strong>de</strong> contestations méthodologiques. Paradoxalement, l’effort<br />

<strong>de</strong> rénovation théorique associé aux modèles à prix fixés, dont la logique <strong>et</strong> les<br />

résultats ont été soigneusement présentés dans le <strong>cours</strong>, a souligné les faiblesses du<br />

schéma plus qu’il n’y a remédié. Mais ce sont les progrès <strong>de</strong> l’économétrie <strong><strong>de</strong>s</strong> séries<br />

temporelles, rappelés <strong>de</strong> façon rapi<strong>de</strong> dans le <strong>cours</strong>, qui ont peu à peu changé la<br />

perspective <strong>de</strong> la preuve empirique. Les modèles <strong>de</strong> cycles réels, modèles à horizon<br />

infini <strong>et</strong> agent représentatif mais qui m<strong>et</strong>tent en avant <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes walrassiens,<br />

s’inscrivent dans c<strong>et</strong>te nouvelle perspective. Les outils (métho<strong><strong>de</strong>s</strong> récursives)<br />

nécessaires à leur analyse ont été introduits <strong>et</strong> leur fonctionnement a été présenté<br />

<strong>de</strong> la façon la plus intuitive possible. La macro-économie <strong><strong>de</strong>s</strong> cycles réels constitue<br />

apparemment un changement <strong>de</strong> paradigme (Walras contre Keynes). En fait,<br />

comme on le verra plus loin, le changement prendra dans la suite plutôt la forme<br />

d’un changement <strong>de</strong> programme.<br />

La théorie traditionnelle <strong>de</strong> la croissance a été élaborée dans les années cinquante<br />

<strong>et</strong> soixante <strong>et</strong> est associée en particulier au nom <strong>de</strong> Solow. On le sait, c<strong>et</strong>te théorie<br />

rend très imparfaitement compte <strong>de</strong> toute un série <strong>de</strong> faits empiriques sur les<br />

variations <strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux <strong>de</strong> développement, faits qui ont été discutés <strong>et</strong> mis en<br />

perspective (avec les discussions sur la « convergence »). Avant <strong>de</strong> souligner ses<br />

limites, le <strong>cours</strong> a présenté les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> lignes <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te théorie qui fait dépendre, à<br />

population constante, l’accroissement <strong>de</strong> la production <strong>de</strong> l’accumulation du<br />

capital <strong>et</strong> d’un progrès technique exogène. L’accumulation du capital par tête, qui<br />

rejoint asymptotiquement un niveau optimal, est gouverné par l’équation d’Euler<br />

qui décrit les interactions entre épargne <strong>et</strong> taux d’intérêt. Entre c<strong>et</strong>te théorie <strong>de</strong> la<br />

croissance exogène <strong>et</strong> les théories plus récentes dites <strong>de</strong> la croissance endogène, se<br />

situent toute une série <strong>de</strong> visions intermédiaires. Par exemple, l’introduction du<br />

capital humain, qui joue un rôle parallèle au capital physique <strong>et</strong> qui est produit<br />

par l’éducation, conduit à r<strong>et</strong>rouver une croissance exponentielle fondée sur<br />

l’accumulation indéfinie <strong><strong>de</strong>s</strong> capitaux plutôt que sur le <strong>de</strong>us ex machina du progrès<br />

technique. Les modèles <strong>de</strong> croissance endogène décrivent un mon<strong>de</strong> où la<br />

décroissance <strong>de</strong> la productivité marginale est mise en échec (elle est constante dans<br />

le modèle AK). L’accent a été mis sur ceux qui attribuent la croissance du produit<br />

soit à la multiplication <strong><strong>de</strong>s</strong> biens soit à l’amélioration <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques, produits <strong>de</strong><br />

la Recherche-Développement d’entreprises protégées par <strong><strong>de</strong>s</strong> brev<strong>et</strong>s. Dans le


452 ROGER GUESNERIE<br />

second cas, la croissance s’appuie sur la « <strong><strong>de</strong>s</strong>truction créatrice » chère à Schump<strong>et</strong>er.<br />

La mécanique comparée <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles évoqués, <strong>et</strong> il s’agit en l’occurrence <strong>de</strong><br />

mécaniques complexes, a été analysée <strong>de</strong> la façon la plus intuitive possible,<br />

C<strong>et</strong>te revue rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la croissance endogène constituait une transition avec la<br />

secon<strong>de</strong> partie du <strong>cours</strong> intitulée « quelques tendance récentes », à laquelle elle<br />

aurait d’ailleurs pu être rattachée.<br />

Le premier bloc <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te partie a été consacré à la macroéconomie <strong>de</strong> court<br />

terme. Plusieurs coups <strong>de</strong> projecteurs ont été donnés sur <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s traditionnellement<br />

sensibles ou intellectuellement actifs. A ainsi été évoquée la question classique <strong>de</strong><br />

l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> la monnaie sur l’activité <strong>et</strong> la position inspirée <strong>de</strong> Lucas sur les eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong><br />

relance <strong>de</strong> l’inflation non anticipée. Le cadre analytique a été rappelé, en même<br />

temps que la possibilité d’apparition <strong>de</strong> solutions hétérodoxes au problème <strong>de</strong><br />

Lucas. Deuxième coup <strong>de</strong> projecteur, c<strong>et</strong>te fois sur ce que l’on appelle le nouveau<br />

modèle keynésien. La mécanique du modèle repose sur les changements <strong>de</strong> prix<br />

opérés à intervalle aléatoire par <strong><strong>de</strong>s</strong> entreprises disposant d’un pouvoir <strong>de</strong> marché.<br />

Le modèle est keynésien au sens où les prix, révisés périodiquement, n’apurent pas<br />

les marchés comme est censé le faire le commissaire priseur walrassien, mais la<br />

solution mise en avant même si elle reste artificielle, est plus satisfaisante que celle<br />

imaginée par Walras. L’analyse est <strong>de</strong> fait quelque peu réminiscente <strong>de</strong> celle du<br />

modèle IS-LM. La hausse <strong><strong>de</strong>s</strong> prix reflète les conditions présentes du marché <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

intrants <strong>et</strong> les anticipations d’inflation, faisant écho aux arbitrages <strong>de</strong> la courbe <strong>de</strong><br />

Philips tandis qu’à l’équation d’Euler peut être associée une courbe <strong>de</strong> type IS.<br />

Troisième piste : l’incomplétu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> marchés. La contrainte d’end<strong>et</strong>tement par<br />

exemple modifie le comportement d’épargne <strong><strong>de</strong>s</strong> ménages, en suscitant une épargne<br />

<strong>de</strong> précaution, qui n’est pas liée à <strong><strong>de</strong>s</strong> hypothèses fines sur l’aversion au risque. Ce<br />

comportement a <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences tant sur le niveau d’épargne global que sur la<br />

propension marginale à consommer le revenu instantané, qui prend une valeur<br />

intermédiaire entre ce que suggère le modèle keynésien élémentaire <strong>et</strong> l’équation<br />

d’Euler <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles à horizon infini. Les contraintes d’end<strong>et</strong>tement auxquelles<br />

font face les entreprises accentuent également leur sensibilité à la conjoncture bien<br />

au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce que la logique <strong><strong>de</strong>s</strong> chocs <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles <strong>de</strong> cycle réels suggère.<br />

Le <strong>de</strong>rnier bloc portait sur les nouvelles théories du commerce. En m<strong>et</strong>tant en<br />

exergue les ren<strong>de</strong>ments croissants <strong>et</strong> la différenciation <strong><strong>de</strong>s</strong> produits, les nouvelles<br />

théories enrichissent plus qu’elles ne contredisent la théorie factorielle à la H-O.<br />

L’introduction <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>ments croissants a <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s significatifs sur l’analyse du<br />

commerce dans un contexte H-O, (« home magnification effect »). La concurrence<br />

sur les produits différenciés ajoute une dimension supplémentaire <strong>de</strong> gains à<br />

l’échange : le commerce enrichit la gamme <strong><strong>de</strong>s</strong> produits disponibles pour les<br />

consommateurs <strong><strong>de</strong>s</strong> pays participants. L’argumentaire est simple <strong>et</strong> convaincant<br />

dans le contexte d’une différenciation à la Dixit-Stiglitz, plus ambigu dans le cadre<br />

<strong>de</strong> différenciation horizontale. C<strong>et</strong> avatar récent <strong>de</strong> la théorie du commerce, tout<br />

comme l’original, n’a que <strong><strong>de</strong>s</strong> inci<strong>de</strong>nces limitées sur la compréhension <strong>de</strong> la


THÉORIE ÉCONOMIQUE ET ORGANISATION SOCIALE 453<br />

croissance dite « exogène ». La théorie du commerce est apparemment susceptible<br />

d’avoir <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions plus complexes avec la croissance, lorsque celle-ci est<br />

endogène. Les mécanismes mis en évi<strong>de</strong>nce dans les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> qui traitent <strong>de</strong> ces<br />

problèmes <strong>et</strong> évoqués dans le <strong>cours</strong> sont au moins <strong>de</strong> trois ordres :<br />

— L’accroissement <strong>de</strong> l’espace du marché dû au commerce accroît la rente <strong>de</strong><br />

détention du brev<strong>et</strong> <strong>et</strong> donc la recherche ; en d’autres termes, la taille du marché<br />

diminue le coût <strong>de</strong> production du progrès technique. Il y a donc là un bénéfice<br />

du commerce non pris en compte dans les modèles traditionnels. C<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> est en<br />

même temps atténué, voire inversé lorsque l’extension <strong>de</strong> l’imitation suscitée par<br />

le commerce diminue la rentabilité privée <strong>de</strong> la découverte<br />

— L’endogénéité du progrès technique conduit à reprendre en profon<strong>de</strong>ur à la<br />

fois l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s du commerce sur le développement <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses eff<strong>et</strong>s distributifs<br />

au Nord <strong>et</strong> au Sud sous <strong>de</strong> multiples angles. Par exemple, l’accroissement au Nord<br />

<strong>de</strong> la production <strong>de</strong> progrès technique défensif a <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s sur la rémunération<br />

relative <strong><strong>de</strong>s</strong> qualifiés <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> non qualifiés. Autre exemple, la spécialisation du Nord<br />

dans les technologies <strong>de</strong> pointe n’est elle pas, comme le soutenaient les auteurs<br />

marxistes <strong><strong>de</strong>s</strong> années 60 (Emmanuel <strong>et</strong> Amin) une spécialisation avantageuse, que<br />

dénature la théorie traditionnelle <strong>de</strong> l’avantage comparé ? N’est elle pas au contraire<br />

aujourd’hui, compte tenu <strong>de</strong> la stratégie du Sud <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s d’imitation, une<br />

planche <strong>de</strong> salut illusoire pour les pays du Nord ? Sans prétendre aller au fond <strong>de</strong><br />

tous ces problèmes, les modèles présentés dans le <strong>cours</strong> ont permis d’esquisser <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

théories certes parcellaires mais semble t-il, moins superficielles que celles qui sous<br />

ten<strong>de</strong>nt la discussion courante <strong>de</strong> politique économique.<br />

— La question <strong>de</strong> la mobilité <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs a été abordée sous <strong>de</strong>ux angles.<br />

D’abord, un coup <strong>de</strong> projecteur a été donné sur l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions qui<br />

assureraient l’optimalité d’un sentier <strong>de</strong> croissance endogène d’un mon<strong>de</strong> en <strong>de</strong>ux<br />

blocs, sans mobilité <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs, Ensuite, les eff<strong>et</strong>s théoriques <strong><strong>de</strong>s</strong> formes prises<br />

aujourd’hui par la délocalisation, le « dégroupage » <strong><strong>de</strong>s</strong> activités, ont été discutés.<br />

Deux colloques ont été organisés en parallèle au <strong>cours</strong>.<br />

1. Colloque sur « problèmes ouverts <strong>de</strong> la macoréconomie », 28 mai 2008<br />

L’obj<strong>et</strong> du colloque, dans la suite du <strong>cours</strong>, était <strong>de</strong> fournir une vue synthétique<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> recherches les plus récentes sur les fluctuations macro-économiques. Simulations,<br />

imperfections <strong>de</strong> marché, horizon <strong><strong>de</strong>s</strong> agents ont été les thèmes abordés le matin,<br />

tandis que l’après midi a mis l’accent sur les problèmes <strong>de</strong> formation <strong><strong>de</strong>s</strong> prix <strong>et</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> anticipations.<br />

La liste <strong><strong>de</strong>s</strong> intervenants extérieurs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> thèmes traités est la suivante : Michel<br />

Juillard (PSE) « Les simulations macroéconomiques » ; Xavier Ragot (PSE)<br />

« Macroéconomie <strong>et</strong> marchés incompl<strong>et</strong>s » ; Bertrand Wigniolle (PSE, Paris I)<br />

« Modèles à générations <strong>et</strong> macroéconomie » Arnaud Chéron (Université du Maine


454 ROGER GUESNERIE<br />

<strong>et</strong> EDHEC) « Les fluctuations macroéconomiques <strong>et</strong> le marché du travail » ; Florin<br />

Bilbiie (HEC, Paris) « The new keynesian mo<strong>de</strong>l : recent <strong>de</strong>velopments ».<br />

2. La notion <strong>de</strong> biens publics mondiaux : catégorie économique <strong>et</strong>/ou juridique<br />

Mercredi 25 juin (colloque organisé avec Mireille Delmas-Marty)<br />

La notion <strong>de</strong> bien public mondial, issue <strong>de</strong> la théorie économique, se trouve<br />

<strong>de</strong>puis une dizaine d’années à l’orée d’une réception par les systèmes <strong>de</strong> droit.<br />

Fortement présente dans les théories économiques qui inspirent bien <strong><strong>de</strong>s</strong> normes<br />

juridiques, comme par exemple <strong>de</strong>puis 1992 les instruments internationaux <strong>de</strong><br />

lutte contre le changement climatique, elle a acquis une place centrale dans la boîte<br />

à outils conceptuelle <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> institutions internationales. Dans ce contexte, un<br />

dialogue est nécessaire, entre économistes <strong>et</strong> juristes, sur la signification <strong>et</strong> le rôle<br />

<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te notion dans le processus <strong>de</strong> mondialisation.<br />

Les intervenants extérieurs ont été Jean-Charles Hourca<strong>de</strong>, directeur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> à<br />

l’EHESS, directeur du CIRED ; Joël Maurice, Conseil général <strong><strong>de</strong>s</strong> Ponts <strong>et</strong> École<br />

d’Économie <strong>de</strong> Paris ; Marie-Angèle Hermitte, directeur <strong>de</strong> recherche au CNRS,<br />

directeur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> à l’EHESS ; Jean-Bernard Auby, professeur à l’Institut d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Politiques <strong>de</strong> Paris ; Sandrine Maljean-Dubois, directeur <strong>de</strong> recherche au CNRS ;<br />

Anne P<strong>et</strong>ers, professeur ordinaire à l’Université <strong>de</strong> Bâle, chaire <strong>de</strong> Droit international<br />

public <strong>et</strong> droit constitutionnel.<br />

Activités<br />

1. Présentations invitées à <strong><strong>de</strong>s</strong> manifestations scientifiques :<br />

— 6-8 septembre 2007 : International Conference « General Equilibrium as Knowledge<br />

from Warlas Onwards », Université <strong>de</strong> Paris I Panthéon Sorbonne. Conférence invitée,<br />

« General Equilibrium : Meanings, Wrong Interpr<strong>et</strong>ations, and Misleading Interpr<strong>et</strong>ations<br />

».<br />

— 15 novembre 2007 : Conferencia Banco Central <strong>de</strong> Chile, Santiago <strong>de</strong> Chile.<br />

Conférence invitée, « Macroeconomic and Mon<strong>et</strong>ary Policies from the Eductive<br />

Viewpoint ».<br />

— 30 mai : Warwick, conférence en l’honneur <strong>de</strong> C. Blackorby, conférence invitée :<br />

« Long run discount rates for environmental goods ».<br />

— 14 juin : Salerne, Gerard Debreu lecture, European workshop of mathematical<br />

economics, « Expectational coordination in economic contexts : a comparison of comp<strong>et</strong>ing<br />

“eductive” criteria ».<br />

2. Autres participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> Conférences :<br />

— 15-16 juin 2007 : Colloque « Complementarities and Information », Barcelone.<br />

Présen tation du texte : « Expectational Coordination in a classe of Economic Mo<strong>de</strong>ls<br />

Strategic Substitutabilities versus Strategic Complementarities ».


THÉORIE ÉCONOMIQUE ET ORGANISATION SOCIALE 455<br />

— 28-29 septembre 2007 : Workshop Paris X-Nanterre, « Expectations, Ind<strong>et</strong>erminacy,<br />

and Economic Policy ». Conference intitulée « Expectational Coordination in a Class of<br />

Economic Mo<strong>de</strong>ls : Strategic Substitutabilities versus Strategic Complementarities ».<br />

— 1 er octobre 2007 : Table ron<strong>de</strong> dans le cadre du colloque « Climate and Development<br />

in the Changing World Or<strong>de</strong>r : Untying the Gordian Knot », Paris. Discussion <strong>de</strong> Joseph<br />

Stiglitz (Columbia University) <strong>et</strong> Michael Grubb (Cambridge University, UK).<br />

— 12 décembre 2007 : Colloque « Economie <strong>et</strong> finance du développement durable :<br />

approches quantitatives », Université Paris Dauphine. Conference intitulée « Le calcul<br />

coûts-avantages <strong><strong>de</strong>s</strong> politiques climatiques ».<br />

3. Autres présentations invitées<br />

— 10-11 septembre 2007 : World Bank Executive Directors’ Colloquium 2007,<br />

« Climate Change : Implications for the Bank’s Mission for Sustainable Development ».<br />

Conférence invitée « Optimal and Second-Best Carbon Mitigation Regimes ».<br />

— 17 octobre 2007 : European University Institute, Max Weber Lecture, « Global<br />

Warming and Climate Policies ».<br />

— 1 er décembre 2007 : Colloque « Finance <strong>et</strong> développement durable : opposition ou<br />

partenariat ? », Principauté <strong>de</strong> Monaco. Conférence invitée « La conception économique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

politiques climatiques ».<br />

4. Séminaires<br />

— 16 octobre 2007 : European University, Florence. Séminaire « Expectational<br />

Coordination in Financial Mark<strong>et</strong>s ».<br />

— 23 octobre 2007, Columbia University, « Questions about climate policies ».<br />

— 24 octobre 2007, Institute for Advanced Studies, Princ<strong>et</strong>on, « Expectational<br />

Coordination in a classe of Economic Mo<strong>de</strong>ls Strategic Substitutabilities versus Strategic<br />

Complementarities ».<br />

— 7 avril 2008 : séminaire Paris 1, « La coordination <strong><strong>de</strong>s</strong> anticipations en macroéconomie<br />

<strong>et</strong> politique monétaire : le point <strong>de</strong> vue « divinatoire ».<br />

— 20 mai, séminaire Centre Applications <strong>de</strong> Mathématiques Sociales, « La coordination<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> anticipations <strong><strong>de</strong>s</strong> agents économiques : une introduction au point <strong>de</strong> vue<br />

« divinatoire ».<br />

5. Autres interventions<br />

— 5 juin 2007 : Rencontres Economiques <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> la Gestion Publique <strong>et</strong> du<br />

Développement Economique, « La Régulation <strong>de</strong> l’économie en <strong>France</strong> <strong>et</strong> en Europe ».<br />

Intervention intitulée « Le marché <strong>et</strong> les règles : quel rôle pour les politiques <strong>de</strong><br />

concurrence ».<br />

— 24 septembre 2007 : Première rentrée solennelle <strong>de</strong> Clermont Université, conférence<br />

« Les enjeux <strong><strong>de</strong>s</strong> politiques climatiques ».<br />

— 18 <strong>et</strong> 19 octobre 2007 : Colloque <strong>de</strong> rentrée du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, intervention sur<br />

le thème « La suprématie <strong><strong>de</strong>s</strong> actionnaires en question(s) ».<br />

— 10 décembre 2007 : Colloque <strong>de</strong> la Fédération Française <strong><strong>de</strong>s</strong> Sociétés d’Assurance<br />

sous le titre « L’assurance <strong>et</strong> la planète », conférence plénière intitulée « Prendre la mesure<br />

du réchauffement climatique ».<br />

— 13 <strong>et</strong> 14 décembre 2007 : Colloque “Figures <strong>et</strong> problèmes <strong>de</strong> la mondialisation” sous<br />

les auspices <strong>de</strong> l’Institut du Mon<strong>de</strong> Contemporain du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>. Conférence<br />

intitulée “Gouvernance, marché, mondialisation”.


456 ROGER GUESNERIE<br />

— 11 janvier 2008 : Participation <strong>et</strong> intervention au Colloque IFFRI sur les politiques<br />

climatiques.<br />

— 12 février 2008 : Anniversaire du CEPII, Paris : Débat avec Francis Mer sur l’Europe<br />

<strong>et</strong> la politique climatique.<br />

— 11 avril : Intervention étudiants M1 PSE sur « science économique <strong>et</strong><br />

mathématiques ».<br />

— 26 mai : conférence MEDAD, « La conception économique <strong><strong>de</strong>s</strong> politiques<br />

climatiques ».<br />

— 5 juin : Journée <strong>de</strong> l’Association <strong><strong>de</strong>s</strong> Comptables Nationaux, Prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la session<br />

sur les « nouveaux indicateurs ».<br />

— 3 juin 2008 : Perpignan : débat avec Jean Bergougnoux, dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> journées<br />

Prebat.<br />

— 24 juin 2008 : Bruxelles : intervention à la journée Bruegel sur la politique<br />

climatique.<br />

Divers<br />

— Prési<strong>de</strong>nce du comité d’audit sur « les Sciences Economiques <strong>et</strong> Sociales au lycée »<br />

Réunions 20 mars, 25 mars, 8 avril, 18 avril, 13 mai, 29 mai, 12 juin 2008, remise du<br />

rapport au ministre, 4 juill<strong>et</strong>.<br />

— Prési<strong>de</strong>nce du Comité Stratégique <strong>de</strong> l’Ecole d’économie <strong>de</strong> Paris : 12 mars, 10 avril<br />

2008<br />

— Prési<strong>de</strong>nce du Conseil scientifique, Journées <strong>de</strong> l’Economie : 31 janvier, 9 avril,<br />

12 ou 16 juin. 2008.<br />

— 18 janvier 2008 : participation au Conseil Scientifique <strong>de</strong> l’IDEP, Marseille.<br />

— 28 mars 2008 : Participation au Conseil Scientifique <strong>de</strong> la Revue d’Economie<br />

Politique.<br />

— 8 avril 2008 : Présentation <strong><strong>de</strong>s</strong> conclusions du comité scientifique d’Economie <strong>et</strong><br />

Statistique au comité <strong>de</strong> direction <strong>de</strong> l’INSEE.<br />

— 17 avril 2008 : Jury <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires Blaise Pascal.<br />

— 20 juin 2008 : Conseil d’administration <strong>de</strong> l’université <strong>de</strong> Cergy-Pontoise.<br />

— Participation aux <strong>travaux</strong> du Conseil d’Analyse Economique.<br />

— Participation aux <strong>travaux</strong> du Comité Sen-Stiglitz.<br />

Rapports<br />

Publications<br />

— Synthèse <strong>de</strong> l’avis du CAE sur le proj<strong>et</strong> d’élargissement <strong>de</strong> l’assi<strong>et</strong>te <strong><strong>de</strong>s</strong> cotisations<br />

sociales employeurs, en collaboration avec M. Christian <strong>de</strong> Boissieu, juill<strong>et</strong> 2007.<br />

— Rapport du Groupe Guesnerie « Les Sciences Economiques <strong>et</strong> Sociales à l’Institut<br />

National <strong>de</strong> Recherche Agronomique ». Groupe composé <strong>de</strong> : Michel Callon, Armand<br />

Hatchuel, Alain Trannoy, Alain Trognon, <strong>et</strong> Roger Guesnerie.<br />

— Rapport au Ministre <strong>de</strong> l’Education Nationale <strong>de</strong> la mission d’audit <strong><strong>de</strong>s</strong> manuels <strong>et</strong><br />

programmes <strong>de</strong> sciences économiques <strong>et</strong> sociales au lycée, juill<strong>et</strong> 2008.


Ouvrages (direction)<br />

THÉORIE ÉCONOMIQUE ET ORGANISATION SOCIALE 457<br />

— « The <strong><strong>de</strong>s</strong>ign of climate policies », avec H. Tulkens, (MIT Press) (sous presse).<br />

Articles<br />

— « Commentaire sur le rapport Stern : quelques mots d’introduction », Revue d’Economie<br />

Politique, juill<strong>et</strong>-août 2007, 117, 457-462.<br />

Chapitres d’ouvrages<br />

— « The Economic <strong><strong>de</strong>s</strong>ign of climate institutions and policies » in « Finance and<br />

sustainable <strong>de</strong>velopment », sous la direction <strong>de</strong> J.M Lasry <strong>et</strong> D. Fessler, Economica, Paris,<br />

2008, p23-36<br />

— « The <strong><strong>de</strong>s</strong>ign of climate policies : selected questions in analytical perspective » in<br />

« The <strong><strong>de</strong>s</strong>ign of climate policies », sous la direction <strong>de</strong> R. Guesnerie <strong>et</strong> Henry Tulkens, à<br />

paraître.<br />

— « Macro-economic and mon<strong>et</strong>ary policies from the “edcutive” viewpoint », proceedings<br />

conference Banco Central <strong>de</strong> Chile (sous presse).


Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine du politique<br />

M. Pierre Rosanvallon, professeur<br />

Cours : « Les métamorphoses <strong>de</strong> la légitimité<br />

(la démocratie au XXI e siècle, III) »<br />

L’onction populaire <strong><strong>de</strong>s</strong> gouvernants est pour nous la principale caractéristique<br />

d’un régime démocratique. L’idée que le peuple est la seule source légitime du<br />

pouvoir s’est imposée avec la force <strong>de</strong> l’évi<strong>de</strong>nce. Nul ne songerait à la contester,<br />

ni même à la réfléchir. Nous en sommes toujours restés là. C<strong>et</strong> énoncé recouvre<br />

pourtant une approximation d’importance : l’assimilation pratique <strong>de</strong> la volonté<br />

générale à l’expression majoritaire. Mais elle n’a guère été discutée. Le fait que le<br />

vote <strong>de</strong> la majorité établisse la légitimité d’un pouvoir a en eff<strong>et</strong> aussi été<br />

universellement admis comme une procédure i<strong>de</strong>ntifiée à l’essence même du fait<br />

démocratique. Une légitimité définie en ces termes s’est d’abord naturellement<br />

imposée comme rupture avec un ancien mon<strong>de</strong> où <strong><strong>de</strong>s</strong> minorités dictaient leur loi.<br />

L’évocation <strong>de</strong> « la gran<strong>de</strong> majorité », ou <strong>de</strong> « l’immense majorité » suffisait alors à<br />

donner corps à l’affirmation <strong><strong>de</strong>s</strong> droits du nombre face à la volonté clairement<br />

particulière <strong>de</strong> régimes <strong><strong>de</strong>s</strong>potiques ou aristocratiques. L’enjeu décisif était <strong>de</strong><br />

marquer une différence quant à l’origine du pouvoir <strong>et</strong> aux fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong><br />

l’obligation politique. Partant <strong>de</strong> là, le principe <strong>de</strong> majorité s’est ensuite fait<br />

reconnaître dans son sens plus étroitement procédural.<br />

Le passage <strong>de</strong> la célébration du Peuple ou <strong>de</strong> la Nation, toujours au singulier, à<br />

la règle majoritaire ne va pourtant pas <strong>de</strong> soi, tant les <strong>de</strong>ux éléments se situent à<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux différents. Il y a d’un côté l’affirmation générale, philosophique si l’on<br />

veut, d’un suj<strong>et</strong> politique, <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’autre l’adoption d’une procédure pratique <strong>de</strong><br />

choix. Se sont ainsi mêlés dans l’élection démocratique un principe <strong>de</strong> justification<br />

<strong>et</strong> une technique <strong>de</strong> décision. Leur assimilation routinière a fini par masquer la<br />

contradiction latente qui les sous-tendait. Les <strong>de</strong>ux éléments ne sont en eff<strong>et</strong> pas<br />

<strong>de</strong> même nature. En tant que procédure, la notion <strong>de</strong> majorité peut s’imposer<br />

aisément à l’esprit, mais il n’en va pas <strong>de</strong> même si elle est comprise sociologiquement.


460 PIERRE ROSANVALLON<br />

Elle acquiert dans ce <strong>de</strong>rnier cas une dimension inévitablement arithmétique : elle<br />

désigne ce qui reste une fraction, même si elle est dominante, du peuple. Or la<br />

justification du pouvoir par les urnes a toujours implicitement renvoyé à l’idée<br />

d’une volonté générale, <strong>et</strong> donc d’un peuple figure <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> la société.<br />

C<strong>et</strong>te perspective sociologique n’a cessé d’être renforcée par le réquisit moral<br />

d’égalité <strong>et</strong> l’impératif juridique <strong>de</strong> respect <strong><strong>de</strong>s</strong> droits, appelant à considérer la<br />

valeur propre <strong>de</strong> chaque membre <strong>de</strong> la collectivité. C’est ainsi l’horizon <strong>de</strong><br />

l’unanimité qui a <strong>de</strong>puis l’origine sous-tendu l’idée démocratique : est démocratique,<br />

au sens le plus large du terme, ce qui exprime la généralité sociale (le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> 2007<br />

avait longuement exploré la question qui n’a donc été que brièvement évoquée en<br />

2008). On a seulement fait dans comme si le plus grand nombre valait pour la<br />

totalité, comme si c’était une façon acceptable d’approcher une exigence plus forte.<br />

Première assimilation doublée d’une secon<strong>de</strong> : l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> la nature d’un<br />

régime à ses conditions d’établissement. La partie valant pour le tout, <strong>et</strong> le moment<br />

électoral valant pour la durée du mandat : tels ont été les <strong>de</strong>ux présupposés sur<br />

lesquels a été assise la légitimité d’un régime démocratique.<br />

Le problème est que c<strong>et</strong>te double fiction fondatrice est progressivement apparue<br />

comme l’expression d’une insupportable approximation. Dès la fin du XIX e siècle,<br />

alors que le suffrage universel (masculin) commençait tout juste à se généraliser en<br />

Europe, les signes d’un précoce désenchantement se sont pour cela multipliés <strong>de</strong><br />

toutes parts. Au spectre du règne <strong><strong>de</strong>s</strong> masses, d’abord tant redouté par les libéraux,<br />

se trouva bientôt substitué le constat <strong>de</strong> l’avènement <strong>de</strong> régimes engoncés dans<br />

l’étroitesse <strong>de</strong> leurs préoccupations. Les mots <strong>de</strong> peuple <strong>et</strong> <strong>de</strong> nation qui n’avaient<br />

cessé <strong>de</strong> nourrir les attentes <strong>et</strong> les imaginations se sont alors trouvés comme<br />

rap<strong>et</strong>issés en étant noyés dans les méandres <strong>de</strong> l’agitation partisane <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> clientèles.<br />

Le système <strong><strong>de</strong>s</strong> partis, dont aucun <strong><strong>de</strong>s</strong> premiers théoriciens <strong>de</strong> la démocratie n’avait<br />

envisagé l’existence <strong>et</strong> le rôle, s’est imposé à partir <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> comme le cœur<br />

effectif <strong>de</strong> la vie politique, entraînant le règne <strong><strong>de</strong>s</strong> rivalités personnelles <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

coteries. Le Parlement, qui avait été <strong>de</strong> son côté considéré <strong>de</strong>puis l’origine comme<br />

l’institution qui résumait l’esprit <strong>et</strong> la forme du gouvernement représentatif, perdait<br />

à l’inverse sa centralité <strong>et</strong> voyait son fonctionnement changer <strong>de</strong> nature. L’idée<br />

première d’une enceinte <strong>de</strong> la raison publique où serait débattue à haute voix la<br />

définition <strong>de</strong> l’intérêt général s’est <strong>de</strong> fait dégradée en un système <strong>de</strong> marchandages<br />

asservis à <strong><strong>de</strong>s</strong> intérêts particuliers. Le moment électoral a continué <strong>de</strong> son côté à<br />

mobiliser les énergies <strong>et</strong> à exprimer <strong>de</strong> véritables enjeux. Mais il n’a plus été c<strong>et</strong>te<br />

fête chaleureuse <strong>de</strong> la citoyenn<strong>et</strong>é qui avait <strong><strong>de</strong>s</strong>siné le premier horizon du suffrage<br />

universel. Pendant toute c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1890-1920 au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> laquelle<br />

s’amoncellent les ouvrages qui auscultent la « crise <strong>de</strong> la démocratie », l’idée que le<br />

fonctionnement du système électoral majoritaire conduit à exprimer l’intérêt social<br />

a ainsi perdu toute crédibilité. Le mon<strong>de</strong> électoral-parlementaire est davantage<br />

apparu gouverné par <strong><strong>de</strong>s</strong> logiques <strong>de</strong> particularité que par une exigence <strong>de</strong> généralité.<br />

Le principe <strong>de</strong> l’élection <strong><strong>de</strong>s</strong> gouvernants a certes toujours <strong><strong>de</strong>s</strong>siné un horizon<br />

procédural indépassable, mais on a cessé <strong>de</strong> croire à l’automaticité <strong>de</strong> ses vertus.


HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE DU POLITIQUE 461<br />

Face à ce qui a été ressenti comme un profond ébranlement, ces années 1890-<br />

1920, encadrant la Gran<strong>de</strong> Guerre, vont s’efforcer <strong>de</strong> déterminer les moyens<br />

perm<strong>et</strong>tant à l’idéal démocratique <strong>de</strong> r<strong>et</strong>rouver sa dimension substantielle primitive.<br />

Les voies les plus extrêmes, on le sait, seront explorées, allant même jusqu’à ériger<br />

un moment le proj<strong>et</strong> totalitaire en figure désirable du bien public. Mais du sein<br />

<strong>de</strong> ce bouillonnement, va aussi émerger <strong>de</strong> façon plus discrète ce qui modifiera en<br />

profon<strong>de</strong>ur les régimes démocratiques : la formation d’un véritable pouvoir<br />

administratif. C’est en eff<strong>et</strong> pendant c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> que s’édifie partout un État plus<br />

fort <strong>et</strong> mieux organisé. Le fait important est que son développement a été<br />

indissociable d’une entreprise <strong>de</strong> refondation <strong>de</strong> ses principes. On a voulu que la<br />

« machine bureaucratique » puisse constituer en elle-même une force i<strong>de</strong>ntifiée à la<br />

réalisation <strong>de</strong> l’intérêt général. Les modèles du service public en <strong>France</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l’administration rationnelle aux Etats-Unis, ont alors illustré les <strong>de</strong>ux gran<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

façons <strong>de</strong> penser la poursuite <strong>de</strong> c<strong>et</strong> objectif. D’un côté, la vision d’une sorte <strong>de</strong><br />

corporatisme <strong>de</strong> l’universel, appelant structurellement les fonctionnaires à s’i<strong>de</strong>ntifier<br />

à leur mission, à <strong>de</strong>venir « intéressés au désintéressement ». De l’autre, la recherche<br />

d’un accès à la généralité par les vertus d’une gestion scientifique. Se trouvaient <strong>de</strong><br />

la sorte réactualisés <strong>et</strong> réinsérés dans l’univers démocratique les anciens idéaux du<br />

gouvernement rationnel <strong>et</strong> <strong>de</strong> la politique positive, qui, <strong><strong>de</strong>s</strong> Lumières à Auguste<br />

Comte, avaient invité à réaliser le bien public à l’écart <strong><strong>de</strong>s</strong> passions partisanes.<br />

Le but a été <strong>de</strong> corriger le proj<strong>et</strong> problématique d’une expression unifiée <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

volontés par une forme <strong>de</strong> mise en œuvre plus réaliste <strong>et</strong> plus objective <strong>de</strong> la généralité<br />

sociale. C<strong>et</strong>te entreprise a alors effectivement commencé à prendre corps, au moins<br />

partiellement. Sans que les choses n’aient jamais été pleinement conceptualisées, les<br />

régimes démocratiques ont ainsi progressivement reposé sur <strong>de</strong>ux pieds : le suffrage<br />

universel <strong>et</strong> l’administration publique. Celle-ci a cessé d’être la simple courroie <strong>de</strong><br />

transmission du pouvoir politique pour acquérir une marge d’autonomie fondée sur<br />

la compétence. Dans le cas français, ces <strong>de</strong>ux dimensions <strong>de</strong> « l’arche sainte » du<br />

suffrage universel <strong>et</strong> du service public ont explicitement superposé leurs valeurs<br />

respectives dans l’idéologie républicaine. Les « jacobins d’excellence » <strong>de</strong> la haute<br />

administration l’ont incarnée au même titre que les élus du peuple. À côté <strong>de</strong> la<br />

légitimité d’établissement, celle <strong>de</strong> la consécration par les urnes, une <strong>de</strong>uxième<br />

appréhension <strong>de</strong> la légitimité démocratique a ainsi vu le jour : celle d’une<br />

i<strong>de</strong>ntification à la généralité sociale. Elle a, dans les faits, joué un rôle décisif en tant<br />

qu’élément compensateur <strong>de</strong> l’affaiblissement <strong>de</strong> la légitimité électorale. Se liaient <strong>de</strong><br />

la sorte les <strong>de</strong>ux gran<strong><strong>de</strong>s</strong> façons <strong>de</strong> concevoir la légitimité : la légitimité dérivée <strong>de</strong> la<br />

reconnaissance sociale d’un pouvoir, <strong>et</strong> la légitimité comme adéquation à une norme<br />

ou à <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs. Ces <strong>de</strong>ux formes croisées <strong>de</strong> légitimité, procédurale <strong>et</strong> substantielle,<br />

avaient donné à partir du tournant du XX e siècle une certaine assise aux régimes<br />

démocratiques. C<strong>et</strong>te page a commencé à se tourner dans les années 1980.<br />

La légitimation par les urnes a d’abord reculé, du fait <strong>de</strong> la relativisation <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

la désacralisation <strong>de</strong> la fonction <strong>de</strong> l’élection. À l’âge « classique » du système<br />

représentatif, celle-ci valait mandat indiscutable pour gouverner ensuite


462 PIERRE ROSANVALLON<br />

« librement ». On présupposait en eff<strong>et</strong> que les politiques à venir étaient incluses<br />

dans les termes du choix électoral, du seul fait <strong>de</strong> l’inscription <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier dans<br />

un univers prévisible, structuré par <strong><strong>de</strong>s</strong> organisations disciplinées , aux programmes<br />

bien définis <strong>et</strong> aux clivages clairement <strong><strong>de</strong>s</strong>sinés. Ce n’est plus le cas. L’élection a<br />

dorénavant une fonction plus réduite : elle ne fait que vali<strong>de</strong>r un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

désignation <strong><strong>de</strong>s</strong> gouvernants. Elle n’implique plus une légitimation a priori <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

politiques qui seront ensuite menées. La notion <strong>de</strong> majorité, d’un autre côté, a<br />

changé <strong>de</strong> sens. Si elle reste parfaitement définie en termes juridiques, politiques<br />

<strong>et</strong> parlementaires, elle l’est beaucoup moins en termes sociologiques. L’intérêt du<br />

plus grand nombre, en eff<strong>et</strong>, ne peut plus être aussi facilement assimilé que dans<br />

le passé à celui d’une majorité. Le « peuple » ne s’appréhen<strong>de</strong> plus comme une<br />

masse homogène, il s’éprouve plutôt comme une succession d’histoires singulières,<br />

une addition <strong>de</strong> situations spécifiques. C’est pourquoi les sociétés contemporaines<br />

se comprennent <strong>de</strong> plus en plus à partir <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> minorité. La minorité n’est<br />

plus la « p<strong>et</strong>ite part » (<strong>de</strong>vant s’incliner <strong>de</strong>vant une « gran<strong>de</strong> part ») : elle est <strong>de</strong>venue<br />

une <strong><strong>de</strong>s</strong> multiples expressions diffractées <strong>de</strong> la totalité sociale. La société se manifeste<br />

désormais sous les espèces d’une vaste déclinaison <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions minoritaires.<br />

« Peuple » est désormais aussi le pluriel <strong>de</strong> « minorité ».<br />

De son côté, le pouvoir administratif a été fortement délégitimé. La rhétorique<br />

néo-libérale a joué son rôle, en affaiblissant la respectabilité <strong>de</strong> l’État <strong>et</strong> en invitant<br />

à ériger le marché en nouvel instituteur du bien-être collectif. Plus concrètement,<br />

les nouvelles techniques d’organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> services publics (le New Public<br />

Management) ont surtout introduit <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> qui ont conduit à dévaloriser la<br />

figure classique du fonctionnaire comme agent patenté <strong>de</strong> l’intérêt général. La<br />

haute fonction publique s’est trouvée la plus atteinte par c<strong>et</strong>te évolution, ne<br />

semblant plus capable d’incarner une force d’avenir dans un mon<strong>de</strong> plus ouvert <strong>et</strong><br />

moins prévisible. La reconnaissance d’une technocratie parée <strong><strong>de</strong>s</strong> vertus <strong>de</strong> la<br />

rationalité <strong>et</strong> du désintéressement a aussi perdu son évi<strong>de</strong>nce dans une société plus<br />

luci<strong>de</strong> <strong>et</strong> plus éduquée. L’ancien style d’une action publique « bienveillante »,<br />

surplombant une société considérée comme mineure, est <strong>de</strong>venu du même coup<br />

économiquement inopérant <strong>et</strong> sociologiquement inacceptable. Le pouvoir<br />

administratif a donc été dépossédé <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments moraux <strong>et</strong> professionnels qui lui<br />

avaient autrefois permis <strong>de</strong> s’imposer. L’affaiblissement <strong>de</strong> sa légitimité s’est ainsi<br />

ajouté à celui <strong>de</strong> la sphère électorale-représentative.<br />

L’affaissement <strong>de</strong> l’ancien système <strong>de</strong> double légitimité <strong>et</strong> les divers changements<br />

qui l’ont à la fois provoqué <strong>et</strong> accompagné à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1980 n’ont pas<br />

seulement entraîné un vi<strong>de</strong>. Si le sentiment d’une perte, voire d’une décomposition,<br />

s’est fortement fait ressentir, une sorte <strong>de</strong> recomposition silencieuse s’est aussi<br />

engagée. De nouvelles attentes citoyennes sont d’abord apparues. L’aspiration à voir<br />

s’instaurer un régime serviteur <strong>de</strong> l’intérêt général s’est exprimée dans un langage <strong>et</strong><br />

avec <strong><strong>de</strong>s</strong> références inédites. Les valeurs d’impartialité, <strong>de</strong> pluralité, <strong>de</strong> compassion<br />

ou <strong>de</strong> proximité se sont par exemple affirmées <strong>de</strong> façon sensible, correspondant à<br />

une appréhension renouvelée <strong>de</strong> la généralité démocratique, <strong>et</strong> partant <strong><strong>de</strong>s</strong> ressorts <strong>et</strong>


HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE DU POLITIQUE 463<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> formes <strong>de</strong> la légitimité. Des institutions comme les autorités indépendantes ou<br />

les <strong>cours</strong> constitutionnelles ont parallèlement vu leur nombre <strong>et</strong> leur rôle s’accroître<br />

considérablement. Une autre façon <strong>de</strong> gouverner semble enfin s’être esquissée avec la<br />

place croissante prise par l’attention à l’image <strong>et</strong> à la communication. Tout ceci<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>sine un paysage fort contrasté dont il faut appréhen<strong>de</strong>r la consistance <strong>et</strong> le <strong>de</strong>venir.<br />

Il convient donc <strong>de</strong> le décrire. Mais en même temps <strong>de</strong> ne pas en rester à ce sta<strong>de</strong>.<br />

L’essentiel est en eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> tenter <strong>de</strong> dégager les concepts qui peuvent rendre intelligible<br />

ce mon<strong>de</strong> émergent, <strong>et</strong> plus encore <strong>de</strong> discerner les nouvelles formes démocratiques<br />

vers lesquelles il pourrait positivement évoluer. Tout en gardant le souci d’une<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong><strong>de</strong>s</strong> dis<strong>cours</strong> <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences, en restant attentifs à leurs inachèvements,<br />

à leurs équivoques, voire à leurs dangers, il convient donc <strong>de</strong> forger les idéaux-types<br />

qui perm<strong>et</strong>traient <strong>de</strong> penser la maîtrise <strong>de</strong> c<strong>et</strong> univers en gestation. Rien ne semble<br />

en eff<strong>et</strong> joué. Se mêlent encore <strong>de</strong> façon confuse l’esquisse <strong>de</strong> nouveaux possibles <strong>et</strong><br />

l’amorce <strong>de</strong> pathologies menaçantes.<br />

Le trait majeur qui caractérise le tournant <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1980 consiste dans une<br />

reformulation latente <strong><strong>de</strong>s</strong> termes dans lesquels l’impératif démocratique d’expression<br />

<strong>de</strong> la généralité sociale est appréhendé. Pour bien prendre la mesure <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

évolution, il faut repartir <strong><strong>de</strong>s</strong> visions précé<strong>de</strong>mment dominantes <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te généralité.<br />

Le suffrage universel repose sur une définition agrégative <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière : c’est<br />

la masse <strong><strong>de</strong>s</strong> citoyens-électeurs dont l’expression <strong><strong>de</strong>s</strong>sine la figure <strong>de</strong> la volonté<br />

générale. Le service public renvoie quant à lui à l’idée d’une généralité objective :<br />

le fait que la raison publique ou l’intérêt général soient en quelque sorte i<strong>de</strong>ntifiés<br />

aux structures mêmes <strong>de</strong> l’État républicain. La généralité est dans les <strong>de</strong>ux cas<br />

considérée comme susceptible d’être adéquatement <strong>et</strong> positivement incarnée.<br />

Devant l’affaissement ressenti <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux façons d’abor<strong>de</strong>r les choses, on peut<br />

déceler l’émergence <strong>de</strong> trois autres manières, plus indirectes, d’approcher l’objectif<br />

<strong>de</strong> constitution d’un pouvoir <strong>de</strong> la généralité sociale. Leur <strong><strong>de</strong>s</strong>cription a été au<br />

cœur <strong><strong>de</strong>s</strong> développements du <strong>cours</strong> :<br />

— La réalisation <strong>de</strong> la généralité par détachement <strong><strong>de</strong>s</strong> particularités, distance<br />

raisonnée <strong>et</strong> organisée vis-à-vis <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes parties impliquées dans une question.<br />

Elle définit un pouvoir appréhendé comme un lieu vi<strong>de</strong>. La qualité <strong>de</strong> généralité<br />

d’une institution est constituée dans ce cas par le fait que personne ne peut se<br />

l’approprier. C’est une généralité négative. Elle renvoie à la fois à une variable <strong>de</strong><br />

structure qui en est le support (le fait d’être indépendant), <strong>et</strong> à une variable <strong>de</strong><br />

comportement (le maintien <strong>de</strong> la distance ou <strong>de</strong> l’équilibre). C’est elle qui définit<br />

la position d’institutions comme les autorités <strong>de</strong> surveillance ou <strong>de</strong> régulation <strong>et</strong><br />

les distingue au premier chef d’un pouvoir élu.<br />

— La réalisation <strong>de</strong> la généralité par le biais d’un travail <strong>de</strong> pluralisation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

expressions <strong>de</strong> la souverain<strong>et</strong>é sociale. Le but est là <strong>de</strong> compliquer les suj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> les<br />

formes <strong>de</strong> la démocratie pour en réaliser les objectifs. Il s’agit notamment <strong>de</strong><br />

corriger les inaccomplissements résultant <strong>de</strong> l’assimilation d’une majorité électorale<br />

à la volonté du corps social appréhendé dans sa globalité. C’est une généralité <strong>de</strong><br />

démultiplication. On peut considérer qu’une cour constitutionnelle participe d’une


464 PIERRE ROSANVALLON<br />

telle entreprise lorsqu’elle veille à passer au tamis <strong>de</strong> la règle constitutionnelle,<br />

exprimant ce qu’on pourrait appeler le peuple principe, les décisions du parti<br />

majoritaire.<br />

— La réalisation <strong>de</strong> la généralité par prise en considération <strong>de</strong> la multiplicité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

situations, reconnaissance <strong>de</strong> toutes les singularités sociales. Elle procè<strong>de</strong> d’une<br />

immersion radicale dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la particularité, marquée par le souci <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

individus concr<strong>et</strong>s. Ce type <strong>de</strong> généralité est associé à une qualité <strong>de</strong> comportement,<br />

il résulte <strong>de</strong> l’action d’un pouvoir qui n’oublie personne, qui s’intéresse aux problèmes<br />

<strong>de</strong> tous. Il est lié à un art <strong>de</strong> gouvernement qui est aux antipo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la vision<br />

nomocratique. À rebours <strong>de</strong> l’approche <strong>de</strong> la constitution du social par un principe<br />

d’égalité juridique, m<strong>et</strong>tant à distance toutes les particularités, la généralité est définie<br />

dans ce cas par un proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> prise en compte <strong>de</strong> la totalité <strong><strong>de</strong>s</strong> situations existantes,<br />

par l’étendue d’un champ d’attention. On pourrait parler pour cela d’une pratique<br />

<strong>de</strong> « <strong><strong>de</strong>s</strong>cente en généralité » 1 . C’est une généralité d’attention à la particularité.<br />

Ces différentes façons d’envisager la réalisation <strong>de</strong> la généralité ont en commun<br />

<strong>de</strong> reposer sur une approche <strong>de</strong> la totalité sociale qui n’est comprise ni sur le mo<strong>de</strong><br />

d’une agrégation arithmétique (avec l’idéal sous-jacent d’unanimité), ni dans une<br />

perspective moniste (avec la référence à un intérêt social conçu comme la propriété<br />

stable d’un corps collectif ou d’une structure). Elles renvoient à la valorisation<br />

d’une vision beaucoup plus « dynamique » d’opérations <strong>de</strong> généralisation. Elles<br />

correspon<strong>de</strong>nt en quelque sorte aux trois stratégies possibles pour explorer un<br />

univers dans sa totalité : le considérer au télescope, multiplier les coupes au<br />

microscope, le parcourir par <strong><strong>de</strong>s</strong> itinéraires différents. La généralité constitue dans<br />

c<strong>et</strong>te perspective un horizon régulateur ; elle n’est plus d’ordre substantiel, comme<br />

ce que suggéraient les notions <strong>de</strong> volonté générale <strong>et</strong> d’intérêt général.<br />

Trois nouvelles figures <strong>de</strong> la légitimité ont en conséquence commencé à se<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>siner : la légitimité d’impartialité (liée à la mise en œuvre <strong>de</strong> la généralité<br />

négative) ; la légitimité <strong>de</strong> réflexivité (associée à la généralité <strong>de</strong> démultiplication) ;<br />

la légitimité <strong>de</strong> proximité (suivant la généralité d’attention à la particularité). C<strong>et</strong>te<br />

véritable révolution <strong>de</strong> la légitimité participe d’un mouvement global <strong>de</strong> décentrement<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> démocraties. Se prolonge en eff<strong>et</strong> sur ce terrain la perte <strong>de</strong> centralité <strong>de</strong><br />

l’expression électorale déjà observée dans l’ordre <strong>de</strong> l’activité citoyenne. Dans La<br />

Contre-démocratie, j’ai ainsi décrit comment <strong>de</strong> nouvelles formes d’investissement<br />

politique avaient émergé, les figures du peuple-surveillant, du peuple-v<strong>et</strong>o <strong>et</strong> du<br />

peuple-juge <strong><strong>de</strong>s</strong>sinant leur nouvelle vitalité en contrepoint <strong>de</strong> celle d’un peupleélecteur<br />

effectivement plus morose. La vie <strong><strong>de</strong>s</strong> démocraties s’élargit donc <strong>de</strong> plus<br />

en plus au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la sphère électorale-représentative. Il y a dorénavant bien d’autres<br />

façons, à la fois concurrentes <strong>et</strong> complémentaires <strong>de</strong> la consécration par les urnes,<br />

d’être reconnu comme démocratiquement légitime.<br />

1. Par opposition à la notion sociologique usuelle <strong>de</strong> « montée en généralité », qui signifie<br />

prise <strong>de</strong> distance avec les cas d’espèces pour accé<strong>de</strong>r à une conceptualisation.


HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE DU POLITIQUE 465<br />

Contrairement aux légitimités d’établissement <strong>et</strong> d’i<strong>de</strong>ntification qui étaient<br />

indissociables <strong>de</strong> propriétés considérées comme appartenant intrinsèquement à<br />

certains pouvoirs (l’élection ou le con<strong>cours</strong> donnant un statut à ceux qui avaient<br />

triomphé <strong>de</strong> l’épreuve impliquée), ces formes émergentes sont constituées par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

qualités. La légitimité n’est donc jamais acquise dans leur cas. Elle reste toujours<br />

précaire, continuellement remise en jeu, dépendante <strong>de</strong> la perception sociale <strong>de</strong><br />

l’action <strong>et</strong> du comportement <strong><strong>de</strong>s</strong> institutions. Ce point est essentiel : il traduit le<br />

fait que ces nouvelles figures sortent du cadre <strong>de</strong> la typologie usuelle distinguant<br />

la légitimité comme produit d’une reconnaissance sociale <strong>et</strong> la légitimité comme<br />

adéquation à une norme. Les légitimités d’impartialité, <strong>de</strong> réflexivité <strong>et</strong> <strong>de</strong> proximité<br />

superposent en eff<strong>et</strong> les <strong>de</strong>ux dimensions ; elles ont un caractère hybri<strong>de</strong>. Elles<br />

dérivent <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques <strong><strong>de</strong>s</strong> institutions, <strong>de</strong> leur capacité à incarner <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs<br />

<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> principes, mais elles restent simultanément dépendantes du fait qu’elles<br />

doivent être socialement perçues comme telles. On peut <strong>de</strong> la sorte concevoir que<br />

leur déploiement puisse faire entrer les démocraties dans un nouvel âge. Le régime<br />

<strong>de</strong> légitimité qui émerge conduit en eff<strong>et</strong> à dépasser les termes <strong>de</strong> l’opposition<br />

traditionnelle entre les gardiens <strong>de</strong> la « généralité républicaine », surtout préoccupés<br />

par la substance <strong><strong>de</strong>s</strong> choses, <strong>et</strong> les champions d’une « démocratie forte », d’abord<br />

attentifs à l’intensité <strong>de</strong> la mobilisation sociale.<br />

Elles élargissent encore <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te façon les typologies classiques fondées sur la seule<br />

opposition <strong>de</strong> la légitimité par les fon<strong>de</strong>ments (input legitimacy) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la légitimité par<br />

les résultats (output legitimacy) C<strong>et</strong>te distinction a certes son utilité : elle rappelle que<br />

la façon dont sont appréciées les actions <strong><strong>de</strong>s</strong> gouvernants entre en ligne <strong>de</strong> compte<br />

dans le jugement que portent sur eux les citoyens (<strong>et</strong> elle suggère que <strong><strong>de</strong>s</strong> instances<br />

non élues peuvent être reconnues comme légitimes pourvu qu’elles contribuent à la<br />

production <strong>de</strong> ce qui est reconnu comme socialement utile). Nous avons montré<br />

dans le <strong>cours</strong> que la redéfinition <strong>de</strong> la légitimité procèdait d’une déconstruction <strong>et</strong><br />

d’une redistribution <strong>de</strong> l’idée <strong>de</strong> généralité sociale, conduisant à en pluraliser<br />

radicalement les formes. Il y a en eff<strong>et</strong> plusieurs manières d’agir ou <strong>de</strong> parler « au nom<br />

<strong>de</strong> la société » <strong>et</strong> d’être représentatif. Les trois nouvelles légitimités font pour cela<br />

système, se complétant pour définir <strong>de</strong> façon plus exigeante l’idéal démocratique.<br />

Séminaire : « L’État <strong>de</strong> la recherche en théorie politique (I) »<br />

Le séminaire a été organisé autour <strong>de</strong> six doubles séances au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>quelles a<br />

été présenté <strong>et</strong> discuté l’état <strong>de</strong> la recherche en théorie politique dans quelques<br />

domaines essentiels.<br />

1) Mercredi 12 mars : Philippe Urfalino (directeur <strong>de</strong> recherches au CNRS <strong>et</strong><br />

directeur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> à l’EHESS) : La démocratie délibérative.<br />

Ph. Urfalino a d’abord montré comment un certain nombre <strong>de</strong> <strong>travaux</strong>, consacrés<br />

à l’argumentation ou à la délibération, dans les années 1990 <strong>et</strong> 2000, ont préparé<br />

la littérature abondante sur la démocratie délibérative, alors que dans les années<br />

1960 on était loin <strong>de</strong> considérer que l’argumentation est au cœur <strong>de</strong> la vie politique.


466 PIERRE ROSANVALLON<br />

Pour ressaisir la littérature consacrée à la démocratie délibérative, il importe <strong>de</strong><br />

montrer qu’il faut la comprendre comme <strong><strong>de</strong>s</strong>tinée à répondre à trois questions. La<br />

démocratie délibérative se veut comme une réponse au pluralisme : dans nos<br />

sociétés ne peut plus dominer un ordre normatif perm<strong>et</strong>tant un consensus. Elle est<br />

aussi une manière d’organiser une raison publique à partir <strong>de</strong> la mise en place<br />

d’argumentation. Elle se veut enfin, dans une certaine mesure, un renouvellement<br />

<strong>de</strong> la démocratie représentative, dans la mesure où elle veut être une mise à l’épreuve<br />

<strong>de</strong> la responsabilité <strong><strong>de</strong>s</strong> gouvernants.<br />

2) Mercredi 19 mars : Yves Sintomer (Professeur à l’Université <strong>de</strong> Paris VIII,<br />

directeur adjoint du Centre Marc Bloch à Berlin) : La démocratie participative.<br />

La démocratie participative, selon Y. Sintomer, est un effort pour m<strong>et</strong>tre en place<br />

une discussion publique <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires <strong>de</strong> la cité. Il a montré que la théorie d’Habermas<br />

sur l’espace publique a ouvert <strong>de</strong>ux voies. La première a fondé en gran<strong>de</strong> partie les<br />

réflexions sur la démocratie délibérative (qui consiste à renforcer la légitimité<br />

démocratique en faisant appel, à tous les niveaux, à l’argumentation). La secon<strong>de</strong><br />

a présidé aux interrogations sur la possibilité d’une démocratie participative. Les<br />

expériences <strong>de</strong> démocratie participative sont nombreuses <strong>et</strong> diverses. Y. Sintomer<br />

l’a notamment montré en étudiant les usages du tirage au sort, dont la spécificité<br />

est qu’il perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> passer <strong>de</strong> l’égalité dans la décision (l’élection) à l’égalité dans la<br />

nomination.<br />

3) Mercredi 26 mars : Olivier Beaud (Professeur à l’Université <strong>de</strong> Paris II) :<br />

Expériences <strong>et</strong> théorie du fédéralisme.<br />

O. Beaud a d’abord présenté une vue d’ensemble <strong>de</strong> la littérature consacrée au<br />

fédéralisme, en soulignant l’absence d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> systématiques en <strong>France</strong>, où domine<br />

le modèle souverain. A la Révolution, le fédéralisme est associé au féodalisme. Si<br />

la notion r<strong>et</strong>rouve un certain crédit, c’est notamment parce que se créent <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

institutions internationales qui la m<strong>et</strong>tent en jeu (la SDN, l’Europe). Mais jamais<br />

dans c<strong>et</strong>te littérature le fédéralisme n’est étudié pour lui-même : il y est souvent<br />

décrit comme une forme <strong>de</strong> décentralisation, <strong>et</strong> non comme un ordre politique.<br />

O. Beaud a proposé, contre c<strong>et</strong>te littérature, <strong>de</strong> défendre l’hypothèse selon laquelle<br />

un système fédéral ne doit se comprendre ni comme un Etat ni comme un Empire.<br />

C’est une forme politique autonome, qui assume parfaitement d’être à la fois une<br />

union d’Etats <strong>et</strong> une institution, sachant que c<strong>et</strong>te institution <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aux Etats<br />

souverains <strong>de</strong> se transformer en Etats-membres.<br />

4) Mercredi 2 avril : Pasquale Pasquino (Directeur <strong>de</strong> recherche au CNRS <strong>et</strong><br />

Professeur à New York University) : Le principe <strong>de</strong> majorité.<br />

P. Pasquino s’est attaché à expliciter le rôle <strong>et</strong> la légitimité <strong><strong>de</strong>s</strong> organes non élus,<br />

<strong>et</strong> notamment <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> constitutionnelles. L’élection <strong><strong>de</strong>s</strong> représentants n’est qu’une<br />

partie seulement <strong>de</strong> la réalité constitutionnelle <strong>de</strong> nos démocraties mo<strong>de</strong>rnes. Or,<br />

la présence <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> constitutionnelles montre les limites du principe majoritaire.<br />

Celui-ci est à la fois une règle d’autorisation <strong>et</strong> une règle <strong>de</strong> nomination. Mais il


HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE DU POLITIQUE 467<br />

ne consiste pas à choisir une politique. Ce qui le justifie, c’est qu’il impose une<br />

forme spécifique d’égalité (toutes les opinions ont le même poids). Mais le principe<br />

<strong>de</strong> majorité ne peut déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> tout : il ne peut, par exemple, abolir la séparation<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> pouvoirs ou rem<strong>et</strong>tre en cause <strong><strong>de</strong>s</strong> droits établis comme inviolables. Le principe<br />

du souverain doit être limité par un certain nombre <strong>de</strong> contrôles qui ne doivent<br />

pas être liés aux élections.<br />

5) Mercredi 9 avril : Dominique Rousseau (Professeur à l’Université <strong>de</strong><br />

Montpellier I) : Constitutionnalisme <strong>et</strong> démocratie.<br />

Au nom <strong>de</strong> quoi interdire au peuple <strong>de</strong> vouloir ce qu’il veut ? C’est la question,<br />

selon D. Rousseau, que pose la question du constitutionalisme, doctrine qui pense<br />

la démocratie par la constitution. Or, il est en crise parce qu’on considère qu’il pèse<br />

sur les institutions issues du vote populaire. Ce qu’il faut souligner, c’est que la<br />

constitution comme garantie <strong><strong>de</strong>s</strong> droits fondamentaux produit une démocratie<br />

d’un certain type, caractérisée par trois éléments. D’abord, l’écart entre <strong>de</strong>ux<br />

espaces porteurs <strong>de</strong> volonté normative, les actes <strong>de</strong> lois votés par les représentants<br />

<strong>et</strong> les droits <strong><strong>de</strong>s</strong> représentés. Ensuite, la promotion <strong>de</strong> la délibération comme<br />

régime concurrentiel <strong>de</strong> la volonté générale. Enfin, l’avènement <strong>de</strong> la société <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

individus comme obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la constitution.<br />

6) Mercredi 16 avril : Clau<strong>de</strong> Lefort (Directeur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> à l’EHESS) : La pensée<br />

du politique : histoire <strong>et</strong> perspectives.<br />

Clau<strong>de</strong> Lefort s’est proposé d’éclairer la nature <strong>de</strong> la démocratie mo<strong>de</strong>rne à<br />

travers la distinction entre la politique (essentiellement tournée vers la considération<br />

du régime) <strong>et</strong> le politique, qui veut en penser les conditions sociales. La science<br />

politique méconnaît la nature profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la démocratie parce qu’elle laisse dans<br />

l’ombre la société dans laquelle elle s’est formée. La démocratie n’est pas localisable<br />

dans la société : elle est une forme <strong>de</strong> société. Dans l’Ancien Régime, le pouvoir<br />

monarchique était incorporé dans la personne du prince. La démocratie introduit<br />

dans c<strong>et</strong>te perspective un bouleversement : le pouvoir n’est plus incorporé, c’est un<br />

lieu vi<strong>de</strong>. Le conflit est alors institutionnalisé, le pouvoir dans une démocratie ne<br />

peut exister qu’en quête <strong>de</strong> sa légitimité. La démocratie n’est pas réductible à un<br />

certain nombre d’institutions.<br />

Publications scientifiques<br />

— « Intellectual History and Democracy », Journal of History of I<strong>de</strong>as, Volume 68,<br />

Numéro 4, octobre 2007, p. 701-715.<br />

— « Le sens <strong>de</strong> la Contre-démocratie », Commentaire, n° 120, Hiver 2007-2008,<br />

pp. 1113-1115.<br />

— « L’Universalisme démocratique : histoire <strong>et</strong> problèmes », Esprit, janvier 2008,<br />

p. 104-120.<br />

— « I<strong>de</strong>ntidad nacional y Democracia », Archivos <strong>de</strong>l Presente, n° 47, février 2008.


468 PIERRE ROSANVALLON<br />

Vulgarisation <strong>de</strong> la recherche<br />

— « La <strong><strong>de</strong>s</strong>confianza es una virtud civica » (entr<strong>et</strong>ien), La Nacion (Argentine),<br />

30 septembre 2007.<br />

— « Una <strong>de</strong>mocracia <strong>de</strong> espíritu religioso » (entr<strong>et</strong>ien), Clarin (Argentine), 24 novembre<br />

2007.<br />

— « La actividad diaria <strong>de</strong> los ciudadanos es actuar la <strong><strong>de</strong>s</strong>confianza » (entr<strong>et</strong>ien),<br />

Página 12 (Argentine), 26 novembre 2007.<br />

— « Un intelectual lejos panfl<strong>et</strong>o » (entr<strong>et</strong>ien), Página 12 (Argentine), 26 novembre<br />

2007.<br />

— « Entr<strong>et</strong>ien », Diasporiques, n° 44, décembre 2007.<br />

— « Peuple, public : Comment peut-on être vraiment démocrate », in Nicolas Truong<br />

(éd), Le Théatre <strong><strong>de</strong>s</strong> idées, Flammarion, 2008, p. 356-367.<br />

— « Le politique doit prouver son action » (entr<strong>et</strong>ien), Ouest-<strong>France</strong>, 10 janvier 2008.<br />

— « Le nouvel âge <strong><strong>de</strong>s</strong> démocraties », El Watan (Algérie), 25-26 avril 2008.<br />

— « La démocratie face au marché », Alternatives Économiques, hors série n° 77,<br />

2 e trimestre 2008.<br />

— « On fait comme si… » (entr<strong>et</strong>ien), Paris-Normandie, 6 mai 2008.<br />

Conférences invitées à l’<strong>et</strong>ranger<br />

— Institut Français du Royaume Uni (Londres), 8 novembre 2007 : Democracy and<br />

European Institutions.<br />

— Université <strong>de</strong> Buenos-Aires (Argentine), 20 novembre 2007 : Confianza y <strong><strong>de</strong>s</strong>confianza<br />

en la <strong>de</strong>mocracia.<br />

— Alliance Française <strong>de</strong> Buenos-Aires (Argentine), 21 novembre 2007 : L’Avenir <strong>de</strong> l’idée<br />

<strong>de</strong> nation dans un mon<strong>de</strong> globalisé.<br />

— Maison « Vlaams-Ne<strong>de</strong>rlands Huis <strong>de</strong> Buren » (Bruxelles), 29 novembre 2007 : La<br />

Démocratie multiple.<br />

— Université <strong>de</strong> Leuwen (Belgique), 30 novembre 2007 : Social Citizenship.<br />

— Séminaire du Gouvernement basque (Vitoria, Espagne), 18 avril 2008 : La nouvelle<br />

légitimité démocratique.<br />

— Gran<strong><strong>de</strong>s</strong> conférences d’El Watan (Alger), 26 avril 2008 : La démocratie <strong>et</strong> ses<br />

ennemis.<br />

— Université La Sapienza (Rome), Colloque européen d’Amalfi (Italie), 31 mai 2008 :<br />

Situation <strong>de</strong> la démocratie contemporaine.


1. Enseignement <strong>et</strong> recherche<br />

A. Cours<br />

Écrit <strong>et</strong> cultures dans l’Europe mo<strong>de</strong>rne<br />

M. Roger Chartier, professeur<br />

Les quatorze heures du <strong>cours</strong> donné entre octobre <strong>et</strong> décembre 2007 ont été<br />

consacrées à exposer les premiers résultats d’une recherche dont le point <strong>de</strong> départ<br />

se trouve dans un registre <strong>de</strong> comptes, celui où furent inscrits les paiements faits<br />

par le Trésorier <strong>de</strong> la Chambre du roi d’Angl<strong>et</strong>erre.<br />

Londres 1613<br />

En date du 20 mai 1613, il mentionne le versement <strong>de</strong> 93 livres, 6 shilling <strong>et</strong><br />

8 pence à John Heminge, l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> acteurs <strong>et</strong> propriétaires <strong>de</strong> la troupe <strong><strong>de</strong>s</strong> King’s<br />

Men, officiellement désignés comme Grooms of the Chamber, pour les représentations<br />

<strong>de</strong> quatorze pièces données durant les semaines ou les mois précé<strong>de</strong>nts <strong>de</strong>vant « the<br />

Princes Highnes the Lady Elizab<strong>et</strong>h [la fille <strong>de</strong> Jacques I er ] and the Prince Pallatyne<br />

Elector [Frédéric, le prince électeur du Palatinat] ».<br />

De ces quatorze pièces, six figureront dans le Folio <strong>de</strong> 1623 où le même John<br />

Heminge <strong>et</strong> son compagnon <strong>de</strong> scène Henry Con<strong>de</strong>ll réuniront, pour la première<br />

fois, les Comedies, Histories, & Tragedies <strong>de</strong> Shakespeare. Le même « warrant »<br />

ordonne le paiement <strong>de</strong> soixante livres au même John Heminge pour les<br />

représentations <strong>de</strong> six autres pièces, jouées elles aussi dans le palais royal <strong>et</strong> parmi<br />

elles « Car<strong>de</strong>nno ». Un mois <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi plus tard, le 9 juill<strong>et</strong> 1613, la somme <strong>de</strong><br />

6 livres, 13 shilling <strong>et</strong> 4 pence est payée à John Heminge <strong>et</strong> « the rest of his fellows<br />

his Majesties servants and Players » pour la représentation <strong>de</strong>vant le duc <strong>de</strong> Savoie,<br />

hôte du souverain anglais, d’une pièce « called Car<strong>de</strong>nna ». C’est c<strong>et</strong>te pièce, au<br />

nom variable, Car<strong>de</strong>nno ou Car<strong>de</strong>nna, dont c<strong>et</strong>te recherche voudrait percer le<br />

mystère.


470 ROGER CHARTIER<br />

Parmi les vingt pièces mentionnées par le paiement <strong>de</strong> la Chambre du Roi,<br />

pourquoi s’attacher plus particulièrement à « Car<strong>de</strong>nno » ? À l’évi<strong>de</strong>nce parce que<br />

ce titre renvoie à un livre publié par Edward Blount en 1612 : The History of the<br />

valorous and wittie Knight-Errant Don-Quixote of the Mancha. Un à peine après sa<br />

traduction par Thomas Shelton, l’histoire <strong>de</strong> Cervantès, dont la première partie<br />

(qui ne l’était pas encore à c<strong>et</strong>te date) a été imprimée à la fin <strong>de</strong> 1604 avec la date<br />

<strong>de</strong> publication <strong>de</strong> 1605 dans l’atelier madrilène <strong>de</strong> Juan <strong>de</strong> la Cuesta, inspire une<br />

pièce anglaise représentée à la cour. Il ne fait pas <strong>de</strong> doute, en eff<strong>et</strong>, que Car<strong>de</strong>nno<br />

est Car<strong>de</strong>nio, le jeune noble andalou, né à Cordoue, qui par désespoir d’amour a<br />

fait r<strong>et</strong>raite dans la Sierra Morena où il se conduit en homme sauvage, les habits<br />

déchirés, le visage brûlé par le soleil, sautant <strong>de</strong> rocher en rocher. Don Quichotte<br />

le rencontre au chapitre XXIII (<strong>de</strong> fait, le chapitre IX du Troisième Livre du<br />

volume <strong>de</strong> 1605 qui était divisé en quatre parties) <strong>et</strong> il apprend son nom <strong>et</strong> son<br />

histoire au chapitre suivant. Les malheurs <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, amoureux infortuné <strong>de</strong><br />

Luscinda <strong>et</strong> trahi par son ami Fernando, <strong>et</strong> leur dénouement finalement heureux,<br />

pouvaient fournir une belle matière pour une pièce, à la fois tragédie <strong>et</strong> comédie,<br />

représentée en <strong><strong>de</strong>s</strong> jours <strong>de</strong> peine <strong>et</strong> <strong>de</strong> joie à la cour d’Angl<strong>et</strong>erre : le 7 décembre<br />

1612 est mort Henry, le fils aîné <strong>de</strong> Jacques I er , <strong>et</strong> le 14 février 1613, jour <strong>de</strong> la<br />

Saint Valentin, sa fille Elizab<strong>et</strong>h a épousé le prince du Palatinat. Les festivités <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

douze jours <strong>et</strong> du Carnaval sont donc marquées par la douleur du <strong>de</strong>uil <strong>et</strong> la joie<br />

<strong>de</strong> l’hyménée. Durant tout le temps <strong><strong>de</strong>s</strong> banqu<strong>et</strong>s <strong>et</strong> spectacles <strong>de</strong> Noël auxquels<br />

assistent les futurs époux, le catafalque du prince Henry <strong>et</strong> son effigie <strong>de</strong> cire, parée<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> insignes monarchiques, sont exposés dans l’abbaye <strong>de</strong> Westminster.<br />

La traduction <strong>de</strong> Thomas Shelton s’inscrit dans un double contexte, théâtral <strong>et</strong><br />

éditorial. Son éditeur, Edward Blount, avait dès avant 1612 ouvert son catalogue<br />

aux traductions : en 1600, il a publié The Hospitall of incurable fooles <strong>de</strong> Tomaso<br />

Garzoni, en 1603 The Essayes or morall, politike and militarie dis<strong>cours</strong>es <strong>de</strong> Montaigne<br />

dans la traduction <strong>de</strong> John Florio (dont il avait édité en 1598 le dictionnaire<br />

italien-anglais A Worl<strong>de</strong> of Wor<strong><strong>de</strong>s</strong>), en 1604 The Naturall and morall historie of the<br />

East and West Indies du Père José <strong>de</strong> Acosta, en 1607 l’Ars aulica <strong>de</strong> Lorenzo Ducci<br />

<strong>et</strong> en 1608 Of wisdome <strong>de</strong> Pierre Charron. En 1623, avec William Jaggard, John<br />

Sm<strong>et</strong>hwick <strong>et</strong> William Aspley, il sera l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre libraires londoniens qui<br />

éditeront le Folio <strong>de</strong> Shakespeare <strong>et</strong> le seul dont le nom est mentionné à la <strong>de</strong>rnière<br />

ligne <strong>de</strong> la page <strong>de</strong> titre : « Printed by Isaac Jaggard, and Ed. Blount. 1623 ».<br />

Le second contexte est celui <strong>de</strong> la forte présence espagnole sur les scènes<br />

londoniennes. Elle prend différentes formes. Tout d’abord, la localisation <strong>de</strong><br />

l’action dramatique en Espagne : ainsi, avec la première <strong>et</strong> plus fameuse <strong><strong>de</strong>s</strong> pièces<br />

espagnoles, The Spanish Tragedy <strong>de</strong> Thomas Kyd. Écrite entre 1582 <strong>et</strong> 1591, <strong>et</strong><br />

vraisemblablement après 1585, la pièce situe dans la péninsule ibérique un thème<br />

majeur <strong><strong>de</strong>s</strong> drames élisabéthains : les implacables obligations <strong>de</strong> l’honneur outragé.<br />

Inaugurant le genre <strong><strong>de</strong>s</strong> « revenge plays », The Spanish Tragedy lie avec force le<br />

thème <strong>de</strong> la vengeance, inspiré par Sénèque, <strong>et</strong> la référence espagnole, <strong>et</strong> ce, même<br />

si l’intrigue, qui fait du vice-roi du Portugal un tributaire du roi d’Espagne entré


ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 471<br />

en guerre contre lui, s’écarte <strong>de</strong> la réalité historique contemporaine puisque, <strong>de</strong>puis<br />

1582, le Portugal est soumis directement à l’autorité du souverain castillan.<br />

Un second thème espagnol sur les scènes londoniennes est celui <strong>de</strong> l’Espagnol<br />

maniéré <strong>et</strong> poltron, tel Don Adriano <strong>de</strong> Armado, le poète alambiqué, amoureux<br />

ridicule <strong>et</strong> bravache fanfaron, pas plus invincible que le fut l’Armada <strong>de</strong> son roi, dans<br />

Love’s Labour’s Lost (Peines d’amour perdues) <strong>de</strong> Shakespeare, dont l’édition quarto<br />

— la première <strong>de</strong> toutes les éditions <strong>de</strong> ses pièces qui mentionne son nom sur la page<br />

<strong>de</strong> titre — est parue en 1598. La figure divertissante <strong>et</strong> dérisoire <strong>de</strong> l’extravagant<br />

Armado est comme un contrepoint rassurant aux <strong><strong>de</strong>s</strong>criptions dénonciatrices <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

cruautés infligées par les Espagnols aux habitants du Nouveau Mon<strong>de</strong>, rappelées<br />

pour m<strong>et</strong>tre en gar<strong>de</strong> contre celles qu’ils pourraient perpétrer contre les Protestants.<br />

Dans la guerre puis dans la paix, signée à Londres en 1604 <strong>et</strong> à Madrid en 1605, la<br />

référence espagnole habite l’imagination <strong><strong>de</strong>s</strong> auteurs anglais <strong>et</strong>, parmi eux, les<br />

dramaturges. En 1602 le libraire Henry Rockytt publie une pièce représentée par la<br />

troupe d’enfants <strong><strong>de</strong>s</strong> Children of Saint Paul, intitulée Blurt Master-Constable. Or the<br />

Spaniards Night-walke, attribuée à Thomas Dekker. Elle porte sur la scène un<br />

personnage qui porte le nom du premier <strong><strong>de</strong>s</strong> « pícaros » : Lazarillo <strong>de</strong> Tormes. La<br />

première traduction du roman a été publiée par Abell Jeffes en 1586. Dix ans plus<br />

tard est parue une traduction <strong>de</strong> la continuation du Lazarillo, due à William Phiston,<br />

<strong>et</strong> c’est sans doute dans c<strong>et</strong>te secon<strong>de</strong> partie, où Lazarillo est <strong>de</strong>venu soldat, que la<br />

pièce publiée en 1602 a trouvé son Espagnol. En eff<strong>et</strong>, le Lazarillo <strong>de</strong> la comédie est<br />

un proche parent <strong>de</strong> Don Adriano <strong>de</strong> Armado <strong>et</strong> sa supposée bravoure est démentie<br />

par les témoins <strong>de</strong> sa couardise. Sans grand rapport avec le Lazarillo castillan, le<br />

personnage ainsi nommé par Dekker s’inscrit dans la dénonciation comique <strong>de</strong><br />

l’Espagnol matamore <strong>et</strong> couard, vaniteux <strong>et</strong> superstitieux, maniéré <strong>et</strong> trompé. Mais<br />

son nom même atteste que les héros <strong><strong>de</strong>s</strong> fictions espagnoles sont familiers aux<br />

spectateurs <strong>et</strong> aux lecteurs anglais qui s’amusent <strong>de</strong> leurs multiples i<strong>de</strong>ntités.<br />

C’est dans ce contexte d’une forte présence théâtrale <strong>et</strong> éditoriale <strong>de</strong> la littérature<br />

castillane qu’est publiée en 1612 la traduction <strong>de</strong> Don Quichotte par Thomas<br />

Shelton. Dès avant sa publication, <strong><strong>de</strong>s</strong> allusions à l’histoire du chevalier errant<br />

apparaissent dans plusieurs pièces. La plus fameuse est The Knight of the Burning<br />

Pestle, Le Chevalier à l’ar<strong>de</strong>nt pilon, attribuée à Beaumont <strong>et</strong> Fl<strong>et</strong>cher sur la page<br />

<strong>de</strong> titre <strong><strong>de</strong>s</strong> éditions <strong>de</strong> 1635 mais considérée comme écrite par le seul Beaumont<br />

par la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> éditions mo<strong>de</strong>rnes. Si la première édition quarto ne date que <strong>de</strong><br />

1613, la pièce a sans doute été représentée quelques années auparavant par la<br />

compagnie d’enfants qui <strong>de</strong>puis 1600 jouait dans le théâtre installé dans l’ancien<br />

couvent <strong><strong>de</strong>s</strong> Blackfriars. Sa date pourrait être soit 1611, à suivre littéralement le<br />

texte <strong>de</strong> la dédicace <strong>de</strong> son éditeur Walter Burre à Robert Keysar, le « master of the<br />

Queen’s Revels Children » <strong><strong>de</strong>s</strong> Blackfriars, soit plus probablement 1607 ou 1608, si<br />

l’on privilégie la remarque <strong>de</strong> l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages, le Citizen, qui rappelle dans le<br />

prologue ou « induction » que <strong>de</strong>puis « seven years there hath been plays at this<br />

house » [« <strong>de</strong>puis sept ans on joue <strong><strong>de</strong>s</strong> pièces dans ce théâtre »].


472 ROGER CHARTIER<br />

L’une ou l’autre date, 1607-1608 ou 1611, pose la même question : celle du<br />

rapport <strong>de</strong> la pièce avec Don Quichotte dont la traduction n’avait pas encore été<br />

publiée. Même s’il faut se gar<strong>de</strong>r d’une mise en parallèle trop étroite <strong><strong>de</strong>s</strong> situations <strong>et</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> motifs <strong>de</strong> la comédie <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’histoire <strong>et</strong> même si Beaumont (avec ou sans Fl<strong>et</strong>cher)<br />

puise son inspiration directement dans les romans <strong>de</strong> chevalerie eux-mêmes, <strong>et</strong> non<br />

dans leur parodie, il paraît assuré que le dramaturge connaissait les aventures <strong>de</strong> Don<br />

Quichotte. Elles sont le contrepoint <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> Ralph, le commis d’épicerie qui se<br />

fait « Grocer Errant », « épicier errant », sur la scène <strong><strong>de</strong>s</strong> Blackfriars pour plaire à son<br />

patron <strong>et</strong> à la femme <strong>de</strong> celui-ci, lassés <strong><strong>de</strong>s</strong> satires contre les « Citizens » <strong>de</strong> Londres<br />

qui y sont jouées ordinairement. Tel sera le cas, pensent-ils, <strong>de</strong> The London Merchant,<br />

la pièce représentée par les Queen’s Revels Children, que les hauts faits du « chevalier à<br />

l’ar<strong>de</strong>nt pilon » interrompront à <strong>de</strong> maintes reprises.<br />

Comment l’œuvre <strong>de</strong> Cervantès a-t-elle pu être connue en Angl<strong>et</strong>erre avant la<br />

publication <strong>de</strong> sa traduction imprimée ? On ne peut écarter, tout d’abord,<br />

l’hypothèse <strong>de</strong> sa lecture dans l’une ou l’autre <strong><strong>de</strong>s</strong> éditions en castillan publiée<br />

avant 1608 : cinq en 1605 (<strong>de</strong>ux à Madrid, <strong>de</strong>ux à Lisbonne, une à Valence), une<br />

en 1607 (à Bruxelles), une en 1608 (à Madrid <strong>de</strong> nouveau). Avant la traduction<br />

<strong>de</strong> Shelton, <strong>de</strong>ux autres éditions du texte <strong>de</strong> Cervantès sont en circulation : celle<br />

<strong>de</strong> Milan en 1610 <strong>et</strong> la secon<strong>de</strong> <strong>de</strong> Bruxelles en 1611. Avec neuf éditions parues<br />

avant 1612, Don Quichotte connaît une large circulation, qui ne se limite ni à la<br />

péninsule ibérique, ni à l’Amérique espagnole. Lorsqu’il mentionne, dans le<br />

chapitre III <strong>de</strong> la Secon<strong>de</strong> Partie (parue en 1615) que l’« on a déjà imprimé plus<br />

<strong>de</strong> douze mille exemplaires <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te histoire », le bachelier Samson Carrasco est<br />

peut-être en <strong>de</strong>çà <strong>de</strong> la vérité si l’on rappelle avec Alonso Víctor <strong>de</strong> Pare<strong><strong>de</strong>s</strong>,<br />

compositeur <strong>et</strong> imprimeur à Séville puis Madrid, auteur vers 1680 du premier<br />

manuel sur l’art typographique en langue vulgaire, que le tirage normal d’une<br />

édition est <strong>de</strong> 1 500 exemplaires. Ce seraient donc 13 500 exemplaires du Quichotte<br />

qui circulèrent en castillan dans les dix années qui suivirent l’édition sortie <strong>de</strong><br />

l’atelier <strong>de</strong> Juan <strong>de</strong> la Cuesta en 1605. Il est plus que probable que certains lecteurs<br />

anglais ont lu Don Quichotte dans sa langue, d’autant qu’entre 1590 <strong>et</strong> 1605<br />

nombreux sont les grammaires, dictionnaires <strong>et</strong> manuels <strong><strong>de</strong>s</strong>tinés à enseigner<br />

l’espagnol publiés par les éditeurs londoniens.<br />

D’autres avaient pu le faire grâce à la circulation manuscrite <strong>de</strong> la traduction <strong>de</strong><br />

Shelton avant même sa publication imprimée. Le livre a été enregistré par Blount<br />

dans le Registre <strong>de</strong> la Stationers’ Company, la communauté <strong><strong>de</strong>s</strong> libraires <strong>et</strong> imprimeurs<br />

<strong>de</strong> Londres, le 19 janvier 1611, <strong>et</strong>, en 1612, dans la dédicace <strong>de</strong> sa traduction<br />

adressée à Lord Wal<strong>de</strong>n, Shelton indique qu’il a traduit Don Quichotte en quarante<br />

jours cinq ou six ans auparavant, soit en 1607. S’il dit vrai, cela explique pourquoi<br />

dès c<strong>et</strong>te date plusieurs dramaturges font allusion au combat du chevalier errant<br />

contre les moulins à vent — ainsi George Wilkins dans The Miseries of Enforced<br />

Marriage <strong>et</strong> Thomas Middl<strong>et</strong>on dans Your Five Gallant — <strong>et</strong> pourquoi en 1609<br />

dans Epicoene <strong>de</strong> Ben Jonson Truewit donne ce conseil à Sir Dauphine, s’il veut<br />

vraiment apprendre à connaître les femmes : « Vous <strong>de</strong>vez cesser <strong>de</strong> vivre dans votre


ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 473<br />

chambre <strong>et</strong> avec Amadis <strong>de</strong> Gaule ou Don Quixote, comme vous en avez l’habitu<strong>de</strong>,<br />

<strong>et</strong> vous rendre là où le thème est fréquent, à la cour, aux tournois, aux cérémonies<br />

<strong>et</strong> aux fêtes, dans les théâtres, <strong>et</strong> parfois dans les églises. »<br />

Les folies <strong>de</strong> don Quichotte ont donc été connues très tôt en Angl<strong>et</strong>erre. Mais<br />

pourquoi, alors, en 1613, la pièce représentée <strong>de</strong>ux fois par les King’s Men à<br />

Whitehall fait-elle <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, <strong>et</strong> non du chevalier errant son héros principal ?<br />

Pourquoi annonce-t-elle par son titre que son intrigue sera celle <strong><strong>de</strong>s</strong> amours<br />

contrariées <strong>et</strong> finalement satisfaites du jeune noble andalou, <strong>et</strong> non les aventures<br />

comiques <strong>de</strong> l’hidalgo <strong>et</strong> son écuyer ? La réponse n’est pas aisée puisque jamais la<br />

pièce ne fut publiée <strong>et</strong> qu’il n’en subsiste ni édition ni manuscrit. C<strong>et</strong>te situation,<br />

au <strong>de</strong>meurant, n’a rien d’extraordinaire puisque la majorité <strong><strong>de</strong>s</strong> pièces représentées<br />

en Angl<strong>et</strong>erre entre 1565 (date l’édition <strong>de</strong> la première tragédie anglaise, The<br />

Tragedie of Gordobuc <strong>de</strong> Thomas Norton <strong>et</strong> Thomas Sackville) <strong>et</strong> 1642 (date <strong>de</strong> la<br />

ferm<strong>et</strong>ure <strong><strong>de</strong>s</strong> théâtres) ne fut jamais imprimée. David Scott Kastan avance l’idée<br />

que moins du cinquième le fut alors que Douglas A. Brooks se montre un peu<br />

plus généreux <strong>et</strong> indique, à partir d’une comparaison entre le nombre <strong>de</strong> titres<br />

connus <strong>et</strong> celui <strong><strong>de</strong>s</strong> textes existant, que c’est un peu plus du tiers <strong><strong>de</strong>s</strong> pièces<br />

représentées qui a eu au moins une édition imprimée. En l’absence du Car<strong>de</strong>nio<br />

<strong>de</strong> 1613, seule une série d’hypothèses peut rendre compte <strong>de</strong> la décision qui<br />

transforme en une pièce <strong>de</strong> théâtre c<strong>et</strong>te histoire d’amours racontée par plusieurs<br />

<strong>de</strong> ses protagonistes au fil <strong><strong>de</strong>s</strong> chapitres <strong>de</strong> Don Quichotte.<br />

L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> reproches faits à Cervantès, tels que les rappelle Samson Carrasco, était<br />

d’avoir intercalé dans l’histoire du chevalier errant une « novela » : « L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> défauts<br />

que l’on reproche à c<strong>et</strong>te histoire, dit le bachelier, c’est que son auteur y a inséré une<br />

nouvelle intitulée : Le Curieux impertinent. Non pas qu’elle soit mauvaise ou mal<br />

écrite, mais parce qu’elle n’est pas à sa place <strong>et</strong> n’a rien à voir avec l’histoire du<br />

seigneur don Quichotte. » La nouvelle du « Curieux impertinent », qui occupe les<br />

chapitres XXXIII à XXXV, est en eff<strong>et</strong> un récit dans le récit, lu à haute voix par le<br />

curé aux autres personnages (sauf don Quichotte) <strong>et</strong> qui, hors l’interruption créée<br />

par le combat <strong>de</strong> l’hidalgo endormi contre les outres <strong>de</strong> vin prises pour le géant<br />

usurpateur du royaume <strong>de</strong> Micomicon, est tout à fait indépendant <strong>de</strong> l’histoire<br />

principale. Sa transformation en comédie était donc aisée <strong>et</strong>, d’ailleurs, elle le fut<br />

puisqu’en 1611 une pièce <strong>de</strong> Thomas Middl<strong>et</strong>on, The Second Mai<strong>de</strong>n Tragedy, porte<br />

sur la scène comme intrigue secondaire l’histoire d’Anselmo, le mari trop curieux ou<br />

trop sûr <strong>de</strong> la vertu <strong>de</strong> sa femme, <strong>et</strong> <strong>de</strong> Lotario (<strong>de</strong>venu Votarius), son ami pris au jeu<br />

<strong>de</strong> la séduction. Pourquoi, alors, le choix l’histoire <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio qui présentait <strong>de</strong><br />

plus gran<strong><strong>de</strong>s</strong> difficultés puisque, dans ce cas, la « nouvelle » se trouve fortement <strong>et</strong><br />

durablement liée aux pérégrinations du chevalier errant ?<br />

L’histoire <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio pouvait fournir une bonne intrigue pour le genre<br />

tragi-comique, alors à la mo<strong>de</strong>. Fl<strong>et</strong>cher l’avait ainsi défini dans l’adresse au lecteur<br />

qui précè<strong>de</strong> sa pièce, The Faithful Shepher<strong><strong>de</strong>s</strong>s, en 1608 : « Une tragi-comédie est<br />

ainsi appelée, non parce qu’elle allie la gaîté aux tueries, mais parce que personne


474 ROGER CHARTIER<br />

n’y trouve la mort (ce qui suffit à n’en pas faire une tragédie) bien que d’aucuns<br />

s’en approchent (ce qui suffit à n’en pas faire une comédie, laquelle doit être une<br />

représentation <strong>de</strong> personnages familiers, avec <strong>de</strong> ces complications qui ne m<strong>et</strong>tent<br />

nulle vie en cause). » Les amours <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio entraient tout à fait dans c<strong>et</strong>te<br />

définition. Les protagonistes y frôlent ou désirent la mort, mais leurs amours sont<br />

finalement heureusement renoués <strong>et</strong> tout est bien qui finit bien. Nous ne saurons<br />

sans doute jamais comment ce que Cervantès désigne comme « ces aventures si<br />

enchevêtrées <strong>et</strong> si désespérées » (« tan trabados y <strong><strong>de</strong>s</strong>esperados negocios ») fut porté<br />

sur la scène du palais <strong>de</strong> Whitehall par les comédiens du roi lorsqu’en 1613, par<br />

<strong>de</strong>ux fois, ils représentèrent Car<strong>de</strong>nio.<br />

Si la traduction <strong>de</strong> Shelton, fidèle au texte <strong>de</strong> Cervantès, proposait <strong><strong>de</strong>s</strong> matériaux<br />

immédiatement utilisables pour une pièce <strong>de</strong> théâtre, avec ses moments<br />

spectaculaires (la séduction <strong>de</strong> Dorotea par Fernando, le mariage entre celui-ci <strong>et</strong><br />

Luscinda, les reconnaissances <strong>et</strong> réconciliations entre les couples un temps désunis,<br />

les adieux), ses dialogues dramatiques <strong>et</strong> ses monologues intérieurs, il n’en allait<br />

pas <strong>de</strong> même avec la construction même <strong>de</strong> l’intrigue. Comment, en eff<strong>et</strong>,<br />

transformer en un récit linéaire ce qui était donné dans Don Quichotte comme une<br />

série <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ours en arrière où chaque narration ajoutait <strong><strong>de</strong>s</strong> épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> connus<br />

seulement par celui ou celle qui convoquait le passé dans sa mémoire ? Et, plus<br />

difficile encore, comment traiter sur le théâtre l’intrication <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux histoires qui<br />

advient dès lors que Dorotea accepte le rôle <strong>de</strong> la princesse Micomicona ? L’enjeu<br />

n’était pas mince car il pouvait conduire soit à représenter l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> amours <strong>de</strong><br />

Car<strong>de</strong>nio <strong>et</strong> Fernando sans la lier d’aucune manière aux aventures <strong>de</strong> don Quichotte,<br />

soit à inventer une formule qui perm<strong>et</strong>tait d’associer sur la scène la déraison<br />

comique du chevalier errant <strong>et</strong> la nouvelle sentimentale <strong><strong>de</strong>s</strong> amants séparés puis<br />

réunis. Une pièce fondée sur Don Quichotte pouvait-elle ignorer son héros principal ?<br />

Ou bien <strong>de</strong>vait-elle, comme l’histoire parue en 1605, jouer <strong><strong>de</strong>s</strong> multiples eff<strong>et</strong>s que<br />

produit la rencontre entre les folies <strong>de</strong> don Quichotte <strong>et</strong> celles <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio ? Le<br />

ou les auteurs <strong>de</strong> la pièce jouée à Londres en 1613 ne furent ni les seuls ni les<br />

premiers dramaturges à se confronter à un semblable dilemme. Quelques années<br />

auparavant, Guillén <strong>de</strong> Castro lui avait trouvé une solution.<br />

Espagne 1605-1608<br />

Les premières planches sur lesquelles montèrent don Quichotte <strong>et</strong> Car<strong>de</strong>nio furent<br />

celles d’un « corral <strong>de</strong> comedias ». Très tôt après la publication <strong>de</strong> l’histoire, peut-être<br />

en 1605 ou 1606 <strong>et</strong> en tous cas avant 1608, le dramaturge valencien Guillén <strong>de</strong><br />

Castro, à jamais fameux pour ses Moceda<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>l Cid, compose une comedia en trois<br />

« jornadas » ou trois actes intitulée Don Quijote <strong>de</strong> la Mancha. Elle sera publiée à<br />

Valence en 1618 avec ce titre <strong>de</strong> Don Quijote <strong>de</strong> la Mancha, mais les <strong>de</strong>rniers vers <strong>de</strong><br />

la pièce suggèrent qu’elle avait peut-être été représentée sous celui <strong><strong>de</strong>s</strong> « fils<br />

échangés » : « Y <strong>de</strong> los hijos trocados / aquí la comedia acaba, / y <strong>de</strong>l Caballero<br />

Andante / don Quijote <strong>de</strong> la Mancha » (vers 3100-3104) [« Et <strong><strong>de</strong>s</strong> fils échangés /<br />

Finit ici la comedia, / <strong>et</strong> du Chevalier Errant / don Quichotte <strong>de</strong> la Manche »].


ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 475<br />

Malgré le titre, l’histoire que Guillén <strong>de</strong> Castro porte sur la scène est bien celle<br />

<strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, Luscinda, Dorotea <strong>et</strong> Fernando, ici nommé « El Marqués », le fils du<br />

Duc auprès duquel Car<strong>de</strong>nio a été envoyé. Dès le premier acte, la comedia manifeste<br />

les transformations apportées à l’histoire qui lui sert <strong>de</strong> source directe. La plus<br />

fondamentale est celle qui fait <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, non plus un fils <strong>de</strong> noble, mais le fils<br />

d’un paysan nommé Lisardo. De ce fait, les <strong>de</strong>ux amours, celui du Marquis pour<br />

Dorotea, fille du paysan Fi<strong>de</strong>no, <strong>et</strong> celui plus immédiatement partagé par Car<strong>de</strong>nio<br />

<strong>et</strong> Lucinda, présentent une semblable inégalité <strong>de</strong> condition qui explique tant la<br />

réticence <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio à avouer son amour à une jeune « dama » dont le rang est<br />

sans commune mesure avec son propre état que la résistance <strong>de</strong> Dorotea face à la<br />

passion du Marquis.<br />

Ayant introduit c<strong>et</strong>te dissymétrie <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions dans chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux couples<br />

d’amants, Guillén <strong>de</strong> Castro en montre l’incongruité dès le premier acte. Car<strong>de</strong>nio,<br />

le fils <strong>de</strong> paysan, <strong>et</strong> le Marquis, fils <strong>de</strong> duc, <strong>de</strong>vraient être autres qu’ils ne sont.<br />

Avec la « comedia » <strong>de</strong> Guillén <strong>de</strong> Castro, l’histoire <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, ici fils <strong>de</strong> paysan<br />

amoureux d’une étoile, m<strong>et</strong> en scène le scandale <strong><strong>de</strong>s</strong> discordances entre condition<br />

<strong>et</strong> conduite, l’état <strong>et</strong> les sentiments. A la noblesse <strong>de</strong> cœur <strong>et</strong> la bravoure du paysan<br />

Car<strong>de</strong>nio s’opposent la vilenie <strong>et</strong> la couardise du fils du Duc, <strong>et</strong> chacun dans la<br />

pièce perçoit qu’il y a là une anomalie mystérieuse qui ne peut être qu’une erreur<br />

<strong>de</strong> la Nature.<br />

Ce n’est qu’à la fin <strong>de</strong> la scène XIII <strong>de</strong> la comedia (dans le découpage mo<strong>de</strong>rne<br />

du premier acte <strong>de</strong> la pièce) qu’entre en scène don Quichotte. L’indication scénique<br />

indique : « Sale don Quijote en Rocinante, y el vestido como le pintan en su<br />

libro » [« Entre don Quichotte, monté sur Rossinante <strong>et</strong> dans le costume qui est<br />

décrit dans son livre »]. La didascalie fait sans doute référence à la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong>de</strong><br />

don Quichotte au chapitre II, lorsqu’il apparaît aux <strong>de</strong>ux « dames », en fait <strong>de</strong>ux<br />

filles <strong>de</strong> joie, postées à la porte <strong>de</strong> l’auberge. La pièce établit d’emblée une complicité<br />

avec ceux <strong>et</strong> celles qui ont lu ou connaissent le livre paru en 1605.<br />

Guillén <strong>de</strong> Castro procè<strong>de</strong> avec l’histoire <strong>de</strong> Cervantès comme le fait don<br />

Quichotte avec les romans <strong>de</strong> chevalerie <strong>et</strong> les romances qu’il a lus. Il suppose que<br />

le livre qui raconte les exploits du chevalier errant est déjà présent dans la mémoire<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> spectateurs <strong>et</strong> que les mots prononcés sur la scène les feront souvenir <strong>de</strong> leur<br />

lecture. Ils se divertiront en reconnaissant <strong><strong>de</strong>s</strong> citations littérales <strong>et</strong> prendront<br />

plaisir aux allusions qui leur rappelleront les épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> l’histoire. Mais peut-on<br />

supposer que Don Quichotte était dès les premiers mois ou années qui ont suivi sa<br />

publication une histoire déjà si fortement connue ?<br />

Plusieurs données peuvent étayer une semblable hypothèse. Tout d’abord, le<br />

nombre <strong><strong>de</strong>s</strong> éditions : cinq dans la seule année 1605, une en 1607, une en 1608.<br />

Toutes ont été publiées dans les terres ibériques du roi très catholique (sauf celle<br />

<strong>de</strong> Bruxelles en 1607) : trois à Madrid chez Juan <strong>de</strong> la Cuesta, <strong>de</strong>ux à Lisbonne <strong>et</strong><br />

une à Valence chez Felipe Mey, l’imprimeur <strong>de</strong> la Primera Parte <strong>de</strong> Guillén <strong>de</strong><br />

Castro en 1618. Mey réemploie pour la page <strong>de</strong> titre <strong>de</strong> la comedia Don Quixote


476 ROGER CHARTIER<br />

<strong>de</strong> la Mancha le même bois gravé, qui représente un chevalier empanaché, entrant<br />

dans la lice la lance en avant, qu’il avait déjà utilisé en 1605 pour son édition <strong>de</strong><br />

Don Quixote <strong>et</strong> en 1616 pour celle <strong>de</strong> la Segunda Parte. Ensuite, très précoce est la<br />

présence <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux héros <strong>de</strong> l’histoire, le chevalier errant <strong>et</strong> son écuyer, dans les<br />

divertissements <strong>de</strong> cour <strong>et</strong> les mascara<strong><strong>de</strong>s</strong> populaires qui prolongent la longue<br />

tradition parodique qui, comme l’a montré Pedro Cátedra, dès les commencements<br />

du XVI e siècle, a accueilli dans les joutes <strong>et</strong> tournois aristocratiques <strong><strong>de</strong>s</strong> figures<br />

telles que « el Cavallero <strong>de</strong>l Mundo al Revés » ou « el Cavallero que da las Higas a<br />

la Ver<strong>de</strong> » — la couleur verte désignant les extravagances <strong>de</strong> la jeunesse, la folie <strong>et</strong>,<br />

parfois, l’homosexualité.<br />

Le 10 juin 1605, lors <strong>de</strong> la fête qui célèbre à Valladolid la naissance d’un héritier<br />

du trône, le prince Felipe, le portugais Thomé Pinheiro da Veiga décrit l’un <strong>de</strong> ses<br />

compatriotes, Jorge <strong>de</strong> Lima Barr<strong>et</strong>o, comme s’il était Don Quixóte, monté sur un<br />

pauvre roussin (« hum pobre quartão ruço »), vêtu d’un grand chapeau, d’une cape<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> chausses <strong>de</strong> velours, précédé par un « Sancho Panço » qui porte lun<strong>et</strong>tes <strong>et</strong><br />

un « habito <strong>de</strong> Christo ». La <strong><strong>de</strong>s</strong>cription n’implique pas que le noble portugais ait<br />

voulu se déguiser en don Quichotte, mais elle atteste pour le moins que, dès le<br />

milieu <strong>de</strong> 1605, l’histoire <strong>de</strong> Cervantès était déjà suffisamment connue pour que<br />

puissent être i<strong>de</strong>ntifiés à son héros les chevaliers les moins fortunés — ainsi ce<br />

Portugais qui utilise comme pauvre monture l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> chevaux <strong>de</strong> sa voiture. C’est<br />

également très tôt après la publication <strong>de</strong> l’histoire, en 1605 ou 1606, qu’une<br />

Relación <strong>de</strong> las calida<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> los españoles, rédigée en castillan par un voyageur<br />

allemand, désigne parmi les livres <strong>de</strong> divertissement les plus appréciés <strong><strong>de</strong>s</strong> Espagnols<br />

« D. Quixote <strong>de</strong> la Mancha », aux côtés <strong>de</strong> trois autres titres : La Celestina, Lazarillo<br />

<strong>de</strong> Tormes, <strong>et</strong> la Primera Parte <strong>de</strong>l Pícaro [i. e. Guzman <strong>de</strong> Alfarache].<br />

Très tôt également, le chevalier errant <strong>et</strong> ses compagnons sortent <strong><strong>de</strong>s</strong> pages du<br />

livre qui conte leurs aventures. En 1608, lors <strong>de</strong> l’entrée du duc <strong>de</strong> Lerma, le<br />

« valido » <strong>de</strong> Philippe III, dans la ville <strong>de</strong> Tu<strong>de</strong>la <strong>de</strong>l Duero, incorporée à ses<br />

domaines par la grâce royale, la corrida qui a lieu sur la place <strong>de</strong> l’hôtel <strong>de</strong> ville<br />

inclut la « Aventuras <strong>de</strong>l caballero don Quijote » <strong>et</strong> les festivités s’achèvent avec un<br />

pastiche <strong><strong>de</strong>s</strong> réjouissances <strong>de</strong> la cour, la « Máscara <strong>de</strong> invención a lo pícaro <strong>de</strong>l Dios<br />

Baco ». Un an auparavant, en 1607, le chevalier errant se trouvait sur l’autre rive<br />

<strong>de</strong> l’Atlantique <strong>et</strong> participait avec d’autres illustres chevaliers aux joutes, ou « fiesta<br />

<strong>de</strong> sortija » organisées par don Pedro <strong>de</strong> Salamanca, corregidor <strong>de</strong> Pausa, alors<br />

capitale <strong>de</strong> la province <strong>de</strong> Parinacochas au Pérou, pour célébrer la nomination<br />

comme nouveau vice-roi <strong>de</strong> don Juan <strong>de</strong> Mendoza y Luna, marquis <strong>de</strong> Montesclaros.<br />

Selon la relation manuscrite <strong>de</strong> la fête, plusieurs cavaliers entrent en compétition<br />

dans ce tournoi où il s’agit d’atteindre une cible placée dans la carrière. Tous se<br />

présentent déguisés en chevaliers <strong>de</strong> romans : le « corregidor », qui est aussi le<br />

« mantenedor » ou organisateur du tournoi, apparaît d’abord, en « Cavallero <strong>de</strong> la<br />

Ardiente Espada », surnom d’Amadis <strong>de</strong> Grecia, puis il change d’habit <strong>et</strong> concourt<br />

comme Bradaleon, d’autres entrent dans la carrière comme s’ils étaient le<br />

« Cavallero Antártico », avec une compagnie <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> cent Indiens, le « Cavallero


ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 477<br />

<strong>de</strong> la Selva », précédé par quatre « sauvages », le « Cavallero Venturoso » ou le<br />

« Dudado Furibundo » en habit <strong>de</strong> maure. L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> compétiteurs, Don Luis <strong>de</strong><br />

Córdoba qui, comme l’indique la relation, « anda en este rreyno disfraçado con<br />

nombre <strong>de</strong> Luis <strong>de</strong> Galves » [« est dans ce royaume connu sous le nom <strong>de</strong> Luis <strong>de</strong><br />

Galves »], a choisi un autre héros : il entre sur la place comme le « Cavallero <strong>de</strong> la<br />

Triste Figura don Quixote <strong>de</strong> la Mancha, tan al natural y propio <strong>de</strong> como lo pintan<br />

en su libro » [« aussi exactement qu’ il est peint dans son livre »].<br />

Le « livre » <strong>de</strong> don Quichotte, en eff<strong>et</strong>, n’est pas inconnu dans les In<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

espagnoles. À suivre les registres <strong>de</strong> l’Archivo General <strong>de</strong> Indias, dans la seule année<br />

1605, celle <strong><strong>de</strong>s</strong> premières éditions, 262 exemplaires sont embarqués sur l’Espíritu<br />

Santo pour Clemente <strong>de</strong> Valdés, « vecino <strong>de</strong> México », cent exemplaires que Diego<br />

Correa sont adressés sur un bateau du même nom à Antonio <strong>de</strong> Toro à Carthagène,<br />

trois exemplaires <strong><strong>de</strong>s</strong>tinés à Juan <strong>de</strong> Guevara font le voyage sur le Nuestra Señora<br />

<strong>de</strong>l Rosario qui lui aussi doit débarquer à Carthagène <strong>et</strong>, sur un autre bateau, le<br />

marchand Andrés <strong>de</strong> Hervas envoie 160 exemplaires en Nouvelle Espagne. Les<br />

libraires <strong>de</strong> la métropole font ainsi parvenir <strong>de</strong> nombreux exemplaires <strong>de</strong> Don<br />

Quichotte à leurs correspondants américains. En mars 1605, un libraire d’Alcalá <strong>de</strong><br />

Henares, Juan <strong>de</strong> Sarría, adresse à son confrère <strong>de</strong> Lima, Miguel Mén<strong>de</strong>z, soixante<br />

<strong>et</strong> une caisses <strong>de</strong> livres. Au <strong>cours</strong> du long voyage, huit caisses sont vendues à<br />

Panama <strong>et</strong> huit autres embarquées séparément pour atteindre Lima — les unes <strong>et</strong><br />

les autres contenant très vraisemblablement <strong><strong>de</strong>s</strong> exemplaires du livre <strong>de</strong> Cervantès.<br />

Ce sont donc quarante-cinq caisses <strong>de</strong> livres dont le fils <strong>de</strong> Juan <strong>de</strong> Sarria accuse<br />

réception en mai 1606, soit un an après leur départ <strong>de</strong> Séville. Dans l’inventaire<br />

qui en est dressé se rencontrent 2895 volumes dont soixante-douze exemplaires <strong>de</strong><br />

Don Quichotte. Il en emporte neuf à Cuzco alors que soixante-trois restent dans la<br />

capitale. Si l’affirmation selon laquelle la quasi totalité <strong>de</strong> la première édition <strong>de</strong><br />

l’histoire a été envoyée en Amérique semble quelque peu exagérée, il n’en <strong>de</strong>meure<br />

pas moins que très nombreux en sont les exemplaires qui y arrivent dès 1605, soit<br />

à travers le commerce <strong>de</strong> librairie, soit parce que certains <strong><strong>de</strong>s</strong> voyageurs<br />

transatlantiques ont emporté le livre avec eux.<br />

À Pausa en 1607, dans une localité justement située sur le chemin <strong>de</strong> Cuzo<br />

emprunté par Juan <strong>de</strong> Sarría <strong>et</strong> ses exemplaires <strong>de</strong> l’histoire, don Quichotte, monté<br />

sur un cheval efflanqué, est doté d’un casque orné <strong>de</strong> plumes <strong>et</strong> d’une fraise<br />

[« morrión con mucha plumerería <strong>de</strong> gallos, cuello <strong>de</strong> dozabo »], ce qui l’apparente<br />

aux chevaliers parodiques <strong><strong>de</strong>s</strong> fêtes aristocratiques du siècle précé<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> l’éloigne,<br />

malgré ce que dit la relation, <strong>de</strong> la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription qui le « peint » dans son livre. Il<br />

porte un masque « muy al propossito que rrepresentaba » [« tout à fait approprié<br />

pour le personnage qu’il représentait »] <strong>et</strong> est accompagné par Sancho, juché sur<br />

son âne <strong>et</strong> portant le heaume <strong>de</strong> Mambrin, par le curé <strong>et</strong> le barbier, vêtus en<br />

écuyer, <strong>et</strong> par la « ynfanta Micomicona ». La nuit venue <strong>et</strong> achevée la fête où se sont<br />

côtoyés chevaliers <strong>de</strong> littérature, faux maures, véritables indiens <strong>et</strong> les élites<br />

espagnoles <strong>de</strong> Pausa, le prix <strong>de</strong> la meilleure « invention » est donné au « Cavallero<br />

<strong>de</strong> la Triste Figura » pour l’exactitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa représentation <strong>et</strong> le rire général qu’elle


478 ROGER CHARTIER<br />

a suscité. Les héros <strong>de</strong> Cervantès <strong>de</strong>meureront durablement <strong><strong>de</strong>s</strong> figures familières,<br />

mobilisées dans <strong>de</strong> nombreuses fêtes, en Espagne lors <strong><strong>de</strong>s</strong> célébrations <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

béatifications <strong>de</strong> Thérèse d’Avila ou Ignace <strong>de</strong> Loyola, en Amérique (ainsi à Mexico<br />

en 1621 lors la fête <strong>de</strong> béatification <strong>de</strong> San Isidro organisée par les ouvriers <strong>de</strong> la<br />

Platería Real), <strong>et</strong> dans toute l’Europe — ainsi à Dessau en 1614 pour le baptême<br />

du fils du Prince d’Anhalt.<br />

Guillén <strong>de</strong> Castro déploie le second acte <strong>de</strong> la comedia entre <strong>de</strong>ux fortes scènes<br />

<strong>de</strong> Don Quichotte : d’une part, la séduction <strong>de</strong> Dorotea par Fernando, telle que la<br />

raconte la jeune paysanne, d’autre part, le mariage <strong>de</strong> Luscinda <strong>et</strong> Fernando dont<br />

plusieurs récits (ceux <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, Dorotea <strong>et</strong> finalement Fernando lui-même)<br />

décrivent les épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> successifs. Sur la scène, leur traitement est fort différent.<br />

L’ acte commence alors que Dorotea a déjà été séduite <strong>et</strong> abandonnée. En quelques<br />

vers, le Marquis résume <strong>et</strong> la reddition <strong>de</strong> Dorotea, convaincue par la promesse <strong>de</strong><br />

mariage, <strong>et</strong> le brusque changement <strong>de</strong> ses propres sentiments.<br />

En contraste avec c<strong>et</strong>te ellipse initiale, la mise en scène spectaculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> péripéties<br />

du mariage clôt l’acte. Averti par un bill<strong>et</strong> <strong>de</strong> Lucinda que lui rem<strong>et</strong> Dorotea <strong>et</strong><br />

qui lui annonce son prochain mariage, Car<strong>de</strong>nio se rend sur les lieux. Caché<br />

comme l’est Dorotea, il est témoin <strong>de</strong> l’acceptation <strong>de</strong> Lucinda après que son père<br />

lui a ordonné <strong>de</strong> donner sa main au Marquis (« Sí la doy, pero forzada : / ¡pongo<br />

por testigo al Cielo! », vers 1985-1987 [« Oui, je la donne, mais contrainte : / que<br />

le Ciel m’en soit témoin ! »]). Après son départ, la scène continue comme chez<br />

Cervantès avec l’évanouissement <strong>de</strong> Lucinda, la découverte du bill<strong>et</strong> <strong>et</strong> du poignard<br />

qu’elle celait sur son sein, la fureur du Marquis <strong>et</strong>, finalement, la fuite <strong>de</strong> la jeune<br />

fille. Guillén <strong>de</strong> Castro n’a donc pas manqué d’exploiter la théâtralité déjà présente<br />

dans le récit en prose, mais il l’a con<strong>de</strong>nsée dans une action rapi<strong>de</strong> (moins d’une<br />

centaine <strong>de</strong> vers séparent l’entrée du père <strong>de</strong> Lucinda accompagné du Marquis <strong>et</strong><br />

le départ <strong>de</strong> Lucinda, au milieu <strong>de</strong> la plus gran<strong>de</strong> confusion) qui culmine avec<br />

l’acceptation forcée <strong>de</strong> la jeune fille.<br />

C<strong>et</strong>te brièv<strong>et</strong>é n’est pas sans modifier profondément la signification <strong>de</strong> la scène.<br />

Chez Cervantès, elle respecte à la l<strong>et</strong>tre le rituel catholique du mariage. C’est un<br />

prêtre qui prononce les paroles rituelles : « Je dirai, poursuivit Car<strong>de</strong>nio, qu’étant<br />

tous réunis dans la salle le curé <strong>de</strong> la paroisse entra ; <strong>et</strong> leur prenant à tous <strong>de</strong>ux<br />

la main pour faire ce qui en tel cas est requis, il vint à dire : “Voulez-vous prendre<br />

Madame Luscinda, le seigneur don Fernando ici présent pour votre légitime époux,<br />

ainsi que l’ordonne notre sainte mère l’Église ?” ». Les oui <strong><strong>de</strong>s</strong> époux <strong>et</strong> l’anneau<br />

passé au doigt <strong>de</strong> Luscinda les unissent à jamais : « je l’entendis déclarer d’une voix<br />

faible <strong>et</strong> mourante : “Oui, je le veux”. Don Fernando répondit <strong>de</strong> même <strong>et</strong>, tandis<br />

qu’il lui passait l’anneau, ils se trouvèrent unis d’un indissoluble nœud. »<br />

Le ressort dramatique dans le Quichotte vient du fait que ce mariage, célébré en<br />

pleine conformité avec le rituel <strong>de</strong> l’Eglise, l’est entre <strong>de</strong>ux époux qui sont déjà<br />

unis à un autre conjoint par la promesse qu’ils lui ont faite. Dorotea rappelle<br />

qu’elle n’a cédé à Fernando qu’après les serments réitérés <strong>de</strong> celui-ci qui, au moment


ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 479<br />

<strong>de</strong> la quitter, lui passe un anneau au doigt. Pour Dorotea, l’union célébrée entre<br />

Fernando <strong>et</strong> Luscinda est pour celui-ci un « second mariage » dont le départ brutal<br />

<strong>de</strong> Fernando puis la fuite <strong>de</strong> Luscinda ont empêché la consommation. Elle voit là<br />

une raison pour gar<strong>de</strong>r espoir en la possible annulation <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te secon<strong>de</strong> union.<br />

C’est c<strong>et</strong>te même puissance <strong>de</strong> la parole donnée, suffisante pour que le mariage<br />

soit reconnu <strong>et</strong> consacré, qui fait affirmer à Luscinda dans le bill<strong>et</strong> trouvé sur son<br />

sein après son évanouissement qu’elle est déjà l’épouse <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio.<br />

La restauration <strong><strong>de</strong>s</strong> premières unions, fondées sur l’échange <strong>de</strong> promesses, sans<br />

cérémonie, sans présence ecclésiastique, sans accord <strong><strong>de</strong>s</strong> pères, suppose, dans<br />

l’histoire <strong>de</strong> Cervantès, que soit reconnu le primat <strong>de</strong> la parole donnée sur le rituel<br />

religieux <strong>et</strong> que soit annulé le mariage célébré entre Fernando <strong>et</strong> Luscinda. C’est<br />

ce que répètent les mots <strong>de</strong> Dorotea, qui s’est j<strong>et</strong>ée aux pieds <strong>de</strong> Fernando lorsque<br />

les <strong>de</strong>ux couples se r<strong>et</strong>rouvent <strong>et</strong> se reconnaissent dans l’auberge <strong>de</strong> Juan<br />

Palomeque. Mais c’est surtout ce que confirme le curé qui rappelle au fils du duc<br />

l’obligation aristocratique <strong>et</strong> chrétienne qu’entraîne une promesse <strong>de</strong> mariage tout<br />

en justifiant les unions socialement inégales lorsqu’elles sont accompagnées par<br />

d’honnêtes sentiments. Fernando entend ces raisons, revient à Dorotea <strong>et</strong> à sa<br />

promesse, <strong>et</strong> rend Luscinda à son Car<strong>de</strong>nio. L’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> amants enfin réunis n’en<br />

dit pas plus sur la manière dont <strong>de</strong>vra <strong>et</strong> pourra être annulée l’union célébrée dans<br />

la maison <strong><strong>de</strong>s</strong> parents <strong>de</strong> Luscinda.<br />

En un temps où est vive la tension entre ces <strong>de</strong>ux définitions du mariage, celle<br />

qui tient pour nécessaire mais suffisant l’échange <strong><strong>de</strong>s</strong> consentements <strong>et</strong> celle qui<br />

suppose la parole sacerdotale, Guillén <strong>de</strong> Castro a préféré éviter la difficulté.<br />

Lucinda donne sa main au Marquis sur l’injonction <strong>de</strong> son père, mais en l’absence<br />

<strong>de</strong> tout prêtre aucune parole rituelle n’est prononcée avant le départ du Marquis à<br />

la suite du violent affrontement qui l’oppose à Teodoro. De semblable manière,<br />

Guillén <strong>de</strong> Castro édulcore la signification <strong>de</strong> la parole donnée par le Marquis à<br />

Dorotea. Certes, il lui a promis <strong>de</strong> l’épouser, mais comme l’atteste le dialogue entre<br />

Car<strong>de</strong>nio <strong>et</strong> le Marquis qui suit c<strong>et</strong> aveu, <strong>et</strong> qui est un très bref rappel <strong>de</strong> la scène<br />

<strong>de</strong> la séduction <strong>de</strong> Dorotea, c<strong>et</strong>te promesse n’est pas considérée comme suffisante<br />

pour sceller une union matrimoniale. La promesse <strong>de</strong> mariage est ici privée <strong>de</strong> la<br />

force sacramentelle qu’elle conserve dans le récit <strong>de</strong> Cervantès. Jamais Dorotea,<br />

trahie par son séducteur, ou Lucinda, promise contre son gré à un homme qu’elle<br />

n’aime pas, n’invoquent dans la comedia une promesse qui serait un premier<br />

mariage. Une telle pru<strong>de</strong>nce rend plus aisé le dénouement, sans nécessité<br />

d’annulation d’une précé<strong>de</strong>nte union <strong>et</strong> sans excessive contradiction entre les<br />

paroles qui furent données <strong>et</strong> une cérémonie déjà célébrée.<br />

Dans le second acte, plus encore que dans le premier, don Quichotte remplit<br />

l’emploi du « gracioso », du personnage grotesque <strong>et</strong> burlesque. La servante qui<br />

accompagne Lucinda le prend au mot lorsqu’il affirme qu’il est capable <strong>de</strong> vaincre<br />

dix géants <strong>et</strong> <strong>de</strong> défendre <strong>de</strong>ux femmes en même temps, en l’occurrence Lucinda <strong>et</strong><br />

Dorotea: « Para estas ocasiones / soy Leandro el Animoso » (vers 1599-1600) [« En


480 ROGER CHARTIER<br />

ces occasions / je suis Léandre le vaillant »]. La spirituelle « doncella » entre<br />

immédiatement dans le jeu <strong>et</strong> déclare que s’il est Léandre, elle est Héro. Comme la<br />

prêtresse <strong>de</strong> Vénus, elle allumera un flambeau au somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> la tour où elle attendra<br />

son amoureux. La flamme lui indiquera qu’il peut se j<strong>et</strong>er à la mer <strong>et</strong> traverser<br />

l’Hellespont pour la rejoindre. Sous les moqueries <strong>de</strong> la duègne <strong>de</strong> Lucinda, don<br />

Quichotte <strong>et</strong> la servante échangent les paroles que requièrent leurs nouveaux<br />

personnages : « Don Quijote : Répétons ce que vous direz / quand j’arriverai dans<br />

vos bras / mouillé <strong>et</strong> détruit » — « Je te dirai quand tu arriveras, / moins chau<strong>de</strong> que<br />

froi<strong>de</strong> / dans tes har<strong><strong>de</strong>s</strong> mouillées / ‘Ah ! Léandre <strong>de</strong> mes yeux !’ » (vers 1896-1898).<br />

« ¡Ay, Leandro <strong>de</strong> mis ojos! » : ce vers est une parodie <strong><strong>de</strong>s</strong> romances qui s’étaient<br />

emparés <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> Héro <strong>et</strong> Léandre transmise par les auteurs anciens. L’histoire,<br />

mise en vers par Musée <strong>et</strong> Ovi<strong>de</strong> dans les Héroï<strong><strong>de</strong>s</strong> (livres XVII-XVIII) est évoquée<br />

par Virgile dans les Géorgiques (Livre III, vers 257-263). En introduisant ce motif<br />

dans sa « comedia », alors qu’il n’apparaît pas dans le répertoire <strong><strong>de</strong>s</strong> rôles endossés par<br />

le héros chez Cervantès, Guillén <strong>de</strong> Castro s’amuse à une double parodie : d’une<br />

part, celle <strong><strong>de</strong>s</strong> romances qui narraient la triste histoire <strong>de</strong> Léandre, noyé une nuit où le<br />

vent a éteint la flamme qui le guidait, <strong>et</strong> <strong>de</strong> Héro, qui s’est j<strong>et</strong>ée du haut <strong>de</strong> la tour où<br />

elle l’attendait (l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> plus fameux est le romance burlesque <strong>de</strong> Góngora <strong>de</strong> 1589) ;<br />

d’autre part, celle <strong><strong>de</strong>s</strong> comédies mythologiques, telle la pièce intitulée Ero y Leandro<br />

que Lope <strong>de</strong> Vega mentionne dans la liste <strong>de</strong> ses comedias qu’il publie en 1604 dans<br />

la préface son roman chrétien, El peregrino en su patria.<br />

La transformation <strong>de</strong> don Quichotte en Léandre perm<strong>et</strong> également à Guillén <strong>de</strong><br />

Castro <strong>de</strong> situer, juste avant la tension dramatique <strong>de</strong> la scène du mariage, un<br />

moment <strong>de</strong> franc comique. Don Quichotte, convaincu d’être au bord <strong>de</strong> la mer <strong>et</strong><br />

d’apercevoir le flambeau allumé par Héro, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Sancho <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>r à ôter ses<br />

vêtements, avant <strong>de</strong> se j<strong>et</strong>er dans l’Hellespont imaginaire qu’est la scène du théâtre<br />

où il se m<strong>et</strong> à nager : « Va nadando por el tablado, como si estuviera <strong>de</strong>ntro <strong>de</strong>l<br />

agua » / « Il nage sur les planches, comme s’il était dans l’eau ». Sancho craint fort<br />

que son maître ne tombe <strong>de</strong> la scène (« ¡Qué te vas a <strong><strong>de</strong>s</strong>peñar! », vers 1893 [« Tu<br />

vas basculer ! »]), mais celui-ci sort en nageant <strong>et</strong> en se lamentant <strong>de</strong> ne point être<br />

accueilli par sa chère Héro. Don Quichotte remplit ainsi parfaitement le rôle <strong>de</strong><br />

« gracioso », <strong>de</strong> personnage comique <strong>et</strong> risible que lui a assigné Guillén <strong>de</strong> Castro.<br />

La duègne <strong>de</strong> Lucinda lui reconnaît explicitement c<strong>et</strong> emploi lorsqu’elle s’exclame :<br />

« ¡El loco es gracioso! » (vers 1669), ce qui est dire à la fois que ce fou est amusant<br />

<strong>et</strong> qu’il compose à merveille l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages obligés <strong>de</strong> toute comedia.<br />

Dans sa pièce, Guillén <strong>de</strong> Castro donne au Duc une importance qu’il n’a pas<br />

chez Cervantès. Dès le début du troisième acte, <strong>de</strong> la troisième « jornada », il<br />

accueille les plaintes <strong>de</strong> Teodoro <strong>et</strong> <strong>de</strong> Fi<strong>de</strong>no, qui lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt justice pour le<br />

tort que son fils le Marquis a fait à leurs filles respectives : Lucinda, enlevée alors<br />

qu’elle se déclare dans le bill<strong>et</strong> trouvée sur elle épouse <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, <strong>et</strong> Dorotea,<br />

enlevée elle aussi. Les <strong>de</strong>ux pères s’adressent à l’autorité suprême du Duc pour qu’il<br />

leur ren<strong>de</strong> leur honneur. Teodoro lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> son se<strong>cours</strong> pour laver l’affront qui


ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 481<br />

lui a été fait <strong>et</strong> c’est une même raison qui conduit Fi<strong>de</strong>no auprès du Duc. Guillén<br />

<strong>de</strong> Castro noue ainsi le thème fréquent dans les comedias <strong>de</strong> l’honneur insulté, qui<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> réparation, <strong>et</strong> la figure du prince souverain dont seule la justice peut<br />

châtier les coupables <strong>et</strong> rétablir dans leur dignité ceux <strong>et</strong> celles qui furent leurs<br />

victimes. Bien plus que l’histoire écrite par Cervantès, la comedia <strong>de</strong> Guillén <strong>de</strong><br />

Castro exalte le pouvoir du prince, arbitre <strong><strong>de</strong>s</strong> conflits <strong>et</strong> garant <strong><strong>de</strong>s</strong> unions. On le<br />

voit lorsqu’il lève l’épée contre le Marquis, avant <strong>de</strong> le faire désarmer, <strong>et</strong> au<br />

dénouement <strong>de</strong> la pièce, c’est sous son autorité que Car<strong>de</strong>nio donne sa main à<br />

Lucinda <strong>et</strong> que le Marquis obtient son pardon en épousant Dorotea.<br />

Mais les unions qui avaient été nouées par les engagements échangés entre les<br />

amants ne peuvent advenir qu’une fois restauré l’accord qui doit exister entre le<br />

caractère <strong>et</strong> l’état. Comme l’a tant <strong>de</strong> fois pressenti ou désiré le Duc, qui reconnaissait<br />

son fils dans le valeureux Car<strong>de</strong>nio bien plus que dans le vil Marquis, les <strong>de</strong>ux<br />

enfants ont bel <strong>et</strong> bien été échangés. Sur son lit <strong>de</strong> mort, comme le rapporte<br />

Lisardo, sa femme a confessé <strong>de</strong>vant un notaire <strong>et</strong> <strong>de</strong> nombreux témoins que<br />

Car<strong>de</strong>nio n’était pas son fils, mais le fils du duc qu’elle avait reçu en nourrice, <strong>et</strong><br />

que le Marquis était, lui, le fils qu’elle avait eu avec son mari. L’histoire confirme<br />

non seulement les sentiments du Duc mais aussi la règle qui gouverne<br />

immanquablement la relation entre les vertus <strong>et</strong> les conditions. En faisant du<br />

valeureux Car<strong>de</strong>nio un fils <strong>de</strong> paysan qui, en fait, était celui d’un duc, Guillén <strong>de</strong><br />

Castro ajoute une péripétie romanesque, dans le goût <strong><strong>de</strong>s</strong> histoires tragiques <strong>et</strong><br />

sentimentales, au récit qui inspire sa pièce. Mais il fait plus. Il rappelle aux<br />

spectateurs <strong>et</strong> aux lecteurs que l’ordre social obéit à <strong><strong>de</strong>s</strong> lois infaillibles qui font que<br />

bon sang ne saurait mentir.<br />

Comme dans la comedia El Curioso impertinente, que Guillén <strong>de</strong> Castro composa<br />

dans les mêmes années que Don Quijote <strong>de</strong> la Macha, entre 1607 <strong>et</strong> 1609, il adapte<br />

avec liberté une « nouvelle » rencontrée dans le livre récemment paru <strong>de</strong> Cervantès.<br />

Dans les <strong>de</strong>ux pièces, il invente <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages absents du premier récit <strong>et</strong> modifie<br />

l’intrigue selon les nécessités du théâtre — ou <strong>de</strong> l’idéologie. Aux r<strong>et</strong>ours sur le<br />

passé <strong>de</strong> Don Quichotte est ainsi substitué le déroulement chronologique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

événements ; à l’égalité <strong>de</strong> conditions entre Car<strong>de</strong>nio <strong>et</strong> Luscinda, la fable du fils<br />

<strong>de</strong> duc pris pour un fils <strong>de</strong> paysan, <strong>et</strong> à l’absence du Duc, son autorité souveraine,<br />

seule capable <strong>de</strong> régler les conflits <strong>et</strong> <strong>de</strong> sceller les unions. Mais à la différence du<br />

Curioso impertinente, véritable « novela » sans rapport avec les exploits du chevalier<br />

errant qui n’en est pas même auditeur, les amours <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio <strong>et</strong> Luscinda, <strong>de</strong><br />

Dorotea <strong>et</strong> <strong>de</strong> Fernando étaient fortement <strong>et</strong> durablement imbriqués avec les<br />

extravagances <strong>de</strong> don Quichotte. Guillén <strong>de</strong> Castro a pris le parti <strong>de</strong> conserver<br />

c<strong>et</strong>te trame complexe <strong>et</strong>, s’il a détaché les scènes où « el loco es gracioso », comme<br />

dit la duègne, <strong>et</strong> où la folie <strong>de</strong> don Quichotte le m<strong>et</strong> dans <strong><strong>de</strong>s</strong> situations ridicules<br />

<strong>et</strong> grotesques (don Quichotte battu par les serviteurs du Marquis, don Quichotte<br />

traversant la scène en nageant, don Quichotte dans sa cage), il a multiplié les<br />

rencontres <strong>et</strong> les dialogues où se croisent le héros <strong>et</strong> les autres personnages. La<br />

double désignation <strong>de</strong> la pièce, « Don Quichotte <strong>de</strong> la Manche, ou les fils


482 ROGER CHARTIER<br />

échangés », exprime bien le lien maintenu entre les <strong>de</strong>ux histoires : celle <strong>de</strong><br />

Car<strong>de</strong>nio, celle <strong>de</strong> don Quichotte.<br />

En allait-il <strong>de</strong> même dans la pièce représentée quelques années plus tard à<br />

Whitehall ? Si le Don Quijote <strong>de</strong> la Mancha <strong>de</strong> Guillén était très largement l’histoire<br />

<strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, le Car<strong>de</strong>nio joué par les King’s Men était-il aussi l’histoire <strong>de</strong> don<br />

Quichotte ? De l’œuvre, il ne subsiste aucun manuscrit <strong>et</strong> elle n’a jamais été<br />

imprimée. L’historien en est donc réduit à <strong><strong>de</strong>s</strong> hypothèses. Un second détour par<br />

le continent, en <strong>France</strong> c<strong>et</strong>te fois-ci, peut ai<strong>de</strong>r à les étayer.<br />

Paris, 1628<br />

En 1628, les comédiens <strong>de</strong> l’Hôtel <strong>de</strong> Bourgogne jouèrent une pièce d’un auteur<br />

dont on ne sait presque rien, pas même le prénom : Pichou. Un an plus tard, le<br />

26 août 1629, le libraire parisien François Targa, reçoit un privilège <strong>de</strong> six ans pour<br />

la publication <strong>de</strong> l’œuvre, intitulée Les Folies <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio. Achevée d’imprimer en<br />

septembre, le livre comportant la pièce <strong>et</strong> les « Autres œuvres poëtiques du Sieur<br />

Pichou » (à savoir six poèmes) paraîtra avec la date <strong>de</strong> 1630. Les Folies <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio<br />

sont l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre pièces composées par Pichou dans les trois années précédant<br />

sa mort, survenue sans doute à la fin <strong>de</strong> 1630 ou au commencement <strong>de</strong> 1631. Les<br />

trois autres, elles aussi donnés à l’Hôtel <strong>de</strong> Bourgogne entre 1628 <strong>et</strong> 1630, sont<br />

Les Avantures <strong>de</strong> Rosileon, tirée <strong>de</strong> l’Astrée, L’Infi<strong>de</strong>le confi<strong>de</strong>nte, inspirée par une<br />

nouvelle <strong>de</strong> Céspe<strong><strong>de</strong>s</strong> y Meneses, traduite par Lancelot mais lue dans l’original<br />

castillan par Pichou, <strong>et</strong> La Filis <strong>de</strong> Scire, dont la source est une traduction française<br />

en prose d’une « favola pastorale » <strong>de</strong> Guidobaldo Bonarelli <strong>de</strong>lla Rovere. Dans<br />

leurs éditions <strong>de</strong> 1630 <strong>et</strong> 1631, Les Folies <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio <strong>et</strong> L’Infi<strong>de</strong>le Confi<strong>de</strong>nte sont<br />

qualifiées au titre <strong>de</strong> « tragi-comédie », La Filis <strong>de</strong> Scire <strong>de</strong> « comédie-pastorale ».<br />

La pièce <strong>de</strong> Pichou est la première adaptation théâtrale en <strong>France</strong> <strong>de</strong> Don<br />

Quichotte. Tout comme en Angl<strong>et</strong>erre, l’histoire écrite par Cervantès avait circulé<br />

<strong>de</strong> diverses manières <strong>et</strong> était <strong>de</strong>venu fameuse. Dès 1608 <strong>et</strong> 1609, Nicolas Baudoin<br />

<strong>et</strong> un traducteur anonyme en avaient donné <strong><strong>de</strong>s</strong> extraits en français : le premier en<br />

traduisant la « Nouvelle du Curieux impertinent » dans une édition qui proposait<br />

face à face le texte espagnol <strong>et</strong> le texte français, le second en publiant selon la même<br />

formule une traduction <strong><strong>de</strong>s</strong> amours tragiques du berger Chrysostome (rebaptisé<br />

Philidon) <strong>et</strong> <strong>de</strong> Marcelle, racontés par Cervantès aux chapitres XII <strong>et</strong> XIII, <strong>et</strong> en y<br />

insérant un dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> don Quichotte comparant les armes <strong>et</strong> les l<strong>et</strong>tres qui suivait<br />

celui qu’il prononce aux chapitres XXXVII <strong>et</strong> XXVIII, mais qui reprenait mais<br />

aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments du chapitre XXI.<br />

Après ces traductions partielles, qui anticipent sur toutes les adaptations qui<br />

s’attacheront aux « nouvelles » plus qu’à la totalité <strong>de</strong> l’histoire, la première<br />

traduction complète <strong>de</strong> l’histoire, due à César Oudin, paraît en 1614. Celle <strong>de</strong> la<br />

Secon<strong>de</strong> partie est publiée en 1618 dans une traduction <strong>de</strong> François <strong>de</strong> Ross<strong>et</strong>,<br />

traducteur avec François d’Audiguier <strong><strong>de</strong>s</strong> Nouvelles exemplaires en 1615 <strong>et</strong>, c<strong>et</strong>te<br />

même année 1618, <strong><strong>de</strong>s</strong> Epreuves <strong>et</strong> Travaux <strong>de</strong> Persilès <strong>et</strong> Sigismunda, le <strong>de</strong>rnier


ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 483<br />

roman <strong>de</strong> Cervantès, publié <strong>de</strong> manière posthume en 1617. Les rééditions <strong>de</strong> la<br />

traduction <strong>de</strong> la Première partie (en 1616, 1620, 1625), celle <strong>de</strong> la Secon<strong>de</strong> en<br />

1622 chez Denis Moreau, ainsi que la première édition qui rassemble les <strong>de</strong>ux<br />

parties en 1625 attestent le succès <strong>de</strong> l’œuvre, d’autant que <strong>de</strong> nombreux lecteurs<br />

l’ont sans doute lue dans le texte original. Cervantès en donne lui-même témoignage.<br />

Après être entrés dans le royaume <strong>de</strong> <strong>France</strong>, les pèlerins du Persilès n’ont aucune<br />

difficulté à se faire entendre <strong><strong>de</strong>s</strong> trois belles dames françaises rencontrées dans une<br />

hôtellerie provençale, qui s’approchent d’Auristela <strong>et</strong> Costanza : « Elles leur<br />

adressèrent la parole, leur <strong>de</strong>mandant qui elles étaient, en castillan, car elles avaient<br />

reconnu <strong><strong>de</strong>s</strong> Espagnoles en ces pélerins ; or, en <strong>France</strong>, il n’est homme ni femme<br />

qui laisse d’apprendre la langue castillane. » L’exagération est évi<strong>de</strong>nte mais,<br />

néanmoins, il est certain que la connaissance <strong>de</strong> l’espagnol était fort répandue<br />

parmi les élites françaises du premier XVII e siècle.<br />

Mais tout comme en Espagne <strong>et</strong> en Amérique, don Quichotte <strong>et</strong> Sancho sortirent<br />

très tôt <strong><strong>de</strong>s</strong> pages <strong><strong>de</strong>s</strong> livres qui, en castillan ou en français, disent leur histoire. Ils<br />

sont présents dans les ball<strong>et</strong>s <strong>et</strong> les mascara<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la Cour. Le 3 février 1614, quatre<br />

mois avant la publication <strong>de</strong> César Oudin, le Ball<strong>et</strong> <strong>de</strong> Don Quichot est dansé au<br />

Louvre, <strong>et</strong> le 29 janvier 1620, dans ce même Louvre <strong>et</strong> en présence du roi, don<br />

Quichotte apparaît dans un autre ball<strong>et</strong> intitulé Les Chercheurs <strong>de</strong> Midy à Quatorze<br />

Heures. Dans une mascara<strong>de</strong>, L’Entrée en <strong>France</strong> <strong>de</strong> Don Quichot <strong>de</strong> la Manche (sans<br />

doute représentée entre 1616 <strong>et</strong> 1625), le chevalier errant est escorté par ses<br />

prédécésseurs (les chevaliers <strong>de</strong> la Table ron<strong>de</strong>, les Amadis, Magis d’Aigremont, les<br />

quatre fils Aymon, Astolphe) <strong>et</strong> il est accompagné par Sancho, le curé, le barbier<br />

<strong>et</strong> le géant Ferragus, gar<strong>de</strong> du corps <strong>de</strong> Dulcinée. Après que les ambassa<strong>de</strong>urs <strong>de</strong><br />

la Reine <strong>de</strong> Chine <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Infante <strong><strong>de</strong>s</strong> Isles fortunées lui ont remis les l<strong>et</strong>tres <strong>de</strong> leurs<br />

souveraines qui lui prom<strong>et</strong>tent leur royaume <strong>et</strong> leur personne, c’est la princesse<br />

Micomicona qui lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> le se<strong>cours</strong> <strong>de</strong> son bras. Mais, défié par un chevalier<br />

suédois, le chevalier espagnol se révèle n’être qu’un bravache sans courage, qui<br />

s’enfuit au premier coup <strong>de</strong> feu. À n’en pas douter, la mascara<strong>de</strong> mobilise la figure<br />

classique du matamore espagnol au service d’une politique, celle qui récuse l’alliance<br />

du roi <strong>de</strong> <strong>France</strong> avec l’Espagne, nouée par les mariages <strong>de</strong> 1614 <strong>et</strong> enjeu<br />

fondamental dans la guerre européenne qui durera trente ans, commencée en<br />

Bohême en 1618.<br />

Pichou pouvait donc aisément jouer avec la familiarité avec une histoire déjà<br />

connue <strong>de</strong> la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> spectateurs avait déjà. Il ne manque pas l’allusion à l’un <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

plus célèbres épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> livre 1605 : le combat contre les moulins à vent. Son don<br />

Quichotte se désigne à l’acte III comme « Celui qui, malgré l’art <strong><strong>de</strong>s</strong> enchanteurs<br />

malins / Domte <strong><strong>de</strong>s</strong> Rodomons transformez en moulins » (vers 993-994). La scène<br />

était <strong>de</strong>venu si fameuse, tant en Angl<strong>et</strong>erre qu’en <strong>France</strong>, que le frontispice <strong>de</strong> la<br />

traduction française <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> partie en 1618, qui est la première gravure à<br />

montrer dans une édition du texte don Quichotte <strong>et</strong> Sancho au naturel (sans recourir<br />

comme les éditions lisboètes ou valencienne <strong>de</strong> 1605 à un bois utilisé pour <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

romans <strong>de</strong> chevalerie), place un moulin au <strong>de</strong>rnier plan <strong>de</strong> l’image. Blount reprendra


484 ROGER CHARTIER<br />

la même gravure pour son édition <strong>de</strong> 1620 <strong>de</strong> la Secon<strong>de</strong> partie <strong>et</strong> l’insérera dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

exemplaires <strong>de</strong> la traduction <strong>de</strong> la première partie, qu’il avait publiée en 1612.<br />

Pichou n’a donc pas ignoré don Quichotte. Mais, comme l’indiquent le titre <strong>et</strong><br />

l’« Argument » <strong>de</strong> sa tragi-comédie, l’histoire principale qu’elle porte sur la scène est<br />

celle <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, pas celle du chevalier errant. Celui-ci n’apparaît qu’à la cinquième<br />

scène <strong>de</strong> l’acte III. Les <strong>de</strong>ux premiers actes sont donc entièrement consacrés à<br />

l’intrigue nouée par la trahison <strong>de</strong> Fernant (le Fernando <strong>de</strong> Pichou) qui, après avoir<br />

séduit Dorotée, s’en est éloigné <strong>et</strong> ne désire plus que conquérir Luscin<strong>de</strong>. Tout<br />

comme Guillén <strong>de</strong> Castro, Pichou ne manque pas <strong>de</strong> mobiliser sur le théâtre les<br />

ressources dramatiques <strong>de</strong> la scène du mariage entre Luscin<strong>de</strong> <strong>et</strong> Fernant, mais en les<br />

transformant à sa façon. Dans la comedia, la cérémonie est conduite par le père <strong>de</strong><br />

Lucinda qui enjoint à sa fille <strong>de</strong> donner sa main au Marquis sans qu’aucun prêtre ne<br />

soit présent, alors que le récit <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio chez Cervantès mentionnait le rôle central<br />

du curé <strong>de</strong> la paroisse dans le rituel ainsi que la formule catholique du consentement<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> époux. Pichou choisit une troisième voie en faisant officier un personnage<br />

nommé « le sacrificateur », qui ouvre le rituel en rappelant le rôle civilisateur du<br />

mariage <strong>et</strong>, également, la nécessité du consentement. Le « saint » mariage est ainsi<br />

détaché <strong>de</strong> toute référence au rituel catholique <strong>et</strong> les serments ou promesses échangés<br />

par les jeunes gens ne sont que <strong><strong>de</strong>s</strong> signes leur fidélité amoureuse, sans la force<br />

sacramentelle <strong><strong>de</strong>s</strong> « espousailles », qui était le mot choisi par César Oudin pour<br />

traduire, lors <strong>de</strong> la scène <strong>de</strong> séduction <strong>de</strong> Dorotea par Fernando, le terme <strong>de</strong><br />

« <strong><strong>de</strong>s</strong>posorio » utilisé par Cervantès. Faut-il voir dans c<strong>et</strong>te double récusation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

définitions chrétiennes du mariage une pru<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> Pichou, réticent à m<strong>et</strong>tre sur la<br />

scène <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes d’Eglise puisque, <strong>de</strong> même façon, le curé du village <strong>de</strong> don<br />

Quichotte, désigné comme tel par Cervantès <strong>et</strong> Guillén <strong>de</strong> Castro, n’apparaît chez<br />

lui que comme « le licentié »? Ou bien doit-on interpréter la théologie toute naturelle<br />

du « sacrificateur » comme une trace <strong><strong>de</strong>s</strong> idées <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> amitiés libertines <strong>de</strong> Pichou,<br />

qui avait consacré un long poème intitulé « Stances sur la mort <strong>de</strong> Théophile en l’an<br />

1626 » à Théophile <strong>de</strong> Viau, le poète que le parlement <strong>de</strong> Paris a condamné par<br />

contumace à être brûlé vif pour crime <strong>de</strong> lèse majesté divine en 1623 <strong>et</strong> qui est mort<br />

à Paris trois ans plus tard, après plusieurs mois d’incarcération <strong>et</strong> <strong>de</strong> service dans les<br />

armées <strong>de</strong> Montmorency ?<br />

Dans les <strong>de</strong>ux premières scènes du troisième acte Pichou fait montre <strong>de</strong> sa maîtrise<br />

en contrastant l’immense monologue <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio « dans le <strong><strong>de</strong>s</strong>ert », long <strong>de</strong><br />

118 alexandrins, <strong>et</strong> les six strophes <strong><strong>de</strong>s</strong> stances <strong>de</strong> Luscin<strong>de</strong> « dans le monastere ». Le<br />

monologue est un bel exemple <strong>de</strong> la poésie du macabre qui caractérise l’esthétique<br />

qu’il est convenu, après Rouss<strong>et</strong>, <strong>de</strong> qualifier <strong>de</strong> baroque. Il se déploie en plusieurs<br />

temps. Le premier est, pour Car<strong>de</strong>nio, celui d’une plainte qui dit sa douleur <strong>de</strong>vant la<br />

double trahison (« Un rival me trahit <strong>et</strong> Luscin<strong>de</strong> me quitte », vers 704), la peine<br />

suscitée par la perte <strong>de</strong> l’être aimé, le regr<strong>et</strong> <strong>de</strong> n’avoir pas tiré vengeance <strong>de</strong> l’insulte :<br />

« Au lieu que je pouvais, irrité par l’injure, / Chastier l’inconstante <strong>et</strong> punir le parjure »<br />

(vers 719-720). Seule la mort espérée pourra m<strong>et</strong>tre fin à un sort si malheureux.


ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 485<br />

« C’est trop peu d’un transport si paisible <strong>et</strong> si doux, / Il faut que mon esprit<br />

s’abandonne au courroux » (vers 737-738) : avec ces vers la plainte <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio se<br />

fait plus violente <strong>et</strong> emplit la nature toute entière. Les fleurs, les rochers, les arbres<br />

doivent entendre le « bruit affreux » <strong>de</strong> ses pleurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses sanglots. La didascalie<br />

indique que le mo<strong>de</strong> du monologue a changé : « Il entre en folie. » Celle-ci, comme<br />

dans tant d’autres œuvres qui, elles aussi, ont mis en vers ce motif obligé, s’exprime<br />

par les visions <strong>de</strong> celui qui a perdu la raison. Renonçant à Luscin<strong>de</strong> (« Je brise vos<br />

liens, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>ja ces <strong><strong>de</strong>s</strong>ers / Offrent à mon désir <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s que je sers » (vers 757-<br />

758), Car<strong>de</strong>nio est transporté dans le mon<strong>de</strong> délicieux <strong><strong>de</strong>s</strong> amours pastorales où<br />

les » nymphes <strong>de</strong> ces forests » <strong>et</strong> les « <strong>de</strong>ïtez bocagères » (vers 759) méritent son<br />

amour bien mieux que la cruelle infidèle.<br />

L’enchantement <strong>de</strong> dure pas : « Mais le prompt changement qui m’arrive en ces<br />

lieux ! Quelle nouvelle horreur espouvante mes yeux » (vers 777-778). La vision <strong>de</strong><br />

béatitu<strong>de</strong> se change en vision effroyable. Corps morts <strong>et</strong> fantômes habitent un<br />

paysage bouleversé par d’horribles prodiges : « Ces arbres ont perdu leur figure <strong>et</strong><br />

leur rang, / Ce rocher est <strong>de</strong> flame, <strong>et</strong> ce fleuve est <strong>de</strong> sang » (vers 789-790). Dans<br />

son hallucination, Car<strong>de</strong>nio ne trouve son salut qu’en traversant à la nage le<br />

« torrent furieux » qui lui barre le passage. Sa folie métamorphose la nature au gré<br />

<strong>de</strong> ses imaginations successives. Le « changement » est la règle dans un mon<strong>de</strong> où<br />

la déraison fait <strong>de</strong> l’illusion une réalité plus réelle que celle livrée par les sens :<br />

« Spectres qui presentez dans l’horreur <strong><strong>de</strong>s</strong> tenebres / A nos sens endormis vos<br />

images funebres, / Ne sont-ce point icy vos fausses visions / Qui trompent mon<br />

esprit <strong>de</strong> ces illusions ? / Non, ces obj<strong>et</strong>s sont vrais, <strong>et</strong> ma peur qui redouble / Voit<br />

que la terre tremble, <strong>et</strong> que le ciel se trouble » (vers 783-787).<br />

Les stances <strong>de</strong> Luscin<strong>de</strong> opposent le silence du couvent aux visions furieuses <strong>de</strong><br />

Car<strong>de</strong>nio, la clôture du lieu saint à la nature ensauvagée, la paix r<strong>et</strong>rouvée aux<br />

tourments jamais apaisés. Pourtant, Luscin<strong>de</strong> n’y trouve pas le repos qu’inspire le<br />

« divin mouvement » (vers 831) capable <strong>de</strong> détourner du faux dieu <strong>de</strong> l’amour :<br />

« Mais que me servent ces exemples, / Puisque mon amour est si fort / Qu’il<br />

conserve un premier effort / Parmy la saint<strong>et</strong>é <strong><strong>de</strong>s</strong> temples ? » (vers 835-838). Sa<br />

passion est intacte, plus forte que la « celeste ar<strong>de</strong>ur » (vers 823) qui anime ses<br />

compagnes. Doit-on entendre c<strong>et</strong> avantage donné à la passion humaine sur l’amour<br />

divin, que rien ne suggère dans le texte <strong>de</strong> Cervantès, <strong>et</strong> encore moins dans la<br />

comedia <strong>de</strong> Guillén <strong>de</strong> Castro puisque Lucinda s’y réfugie chez une amie <strong>et</strong> non<br />

dans un monastère, comme un autre signe du libertinage <strong>de</strong> Pichou ? Peut-être.<br />

En tous cas, il lui perm<strong>et</strong>, après avoir construit les <strong>de</strong>ux monologues <strong>de</strong> façon<br />

antithétique, <strong>de</strong> montrer la commune passion qui les habite.<br />

C’est à scène V <strong>de</strong> ce troisième acte que don Quichotte <strong>et</strong> Sancho entrent en<br />

scène. Tout comme Guillén <strong>de</strong> Castro, Pichou s’appuie sur ce que les spectateurs<br />

savent déjà du personnage <strong>et</strong> <strong>de</strong> son histoire (le combat contre les moulins, on l’a<br />

dit, au vers 994, l’île promise à Sancho au vers 1003, le heaume <strong>de</strong> Mambrin au<br />

vers 1134) pour <strong><strong>de</strong>s</strong>siner un double portrait <strong>de</strong> don Quichotte : comme bravache,


486 ROGER CHARTIER<br />

selon le stéréotype <strong>de</strong> l’Espagnol pleutre <strong>et</strong> vantard, <strong>et</strong> comme amoureux. La<br />

rencontre avec Car<strong>de</strong>nio, qui « en folie sort d’un coin du bois », se j<strong>et</strong>te sur Sancho<br />

<strong>et</strong> le roue <strong>de</strong> coups, perm<strong>et</strong> à Pichou <strong>de</strong> lier les <strong>de</strong>ux histoires, les <strong>de</strong>ux folies. La<br />

folie hallucinée <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio <strong>et</strong> les illusions <strong>de</strong> don Quichotte, qui déchiffre le<br />

mon<strong>de</strong> avec les yeux <strong><strong>de</strong>s</strong> chevaliers <strong>de</strong> papier <strong>de</strong> ses chers romans, ne sont pas<br />

i<strong>de</strong>ntiques, mais toutes <strong>de</strong>ux participent d’une déraison qui dissocient les mots <strong>et</strong><br />

les choses.<br />

Partis à la recherche <strong>de</strong> don Quichotte dans son « <strong><strong>de</strong>s</strong>ert », le licencié <strong>et</strong> le curé<br />

savent l’ar<strong>de</strong>ur du chevalier pour c<strong>et</strong>te « beauté toute imaginaire » (vers 1144),<br />

pour c<strong>et</strong> « obj<strong>et</strong> chimérique » (vers 1152) qu’est Dulcinée. Leur rencontre avec<br />

Car<strong>de</strong>nio à la <strong>de</strong>uxième scène <strong>de</strong> l’acte IV offre à Pichou la possibilité d’un nouveau<br />

<strong>et</strong> fort contraste. La première réplique <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio « en folie » inverse le mouvement<br />

<strong>de</strong> son grand monologue <strong>de</strong> l’acte précé<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> conduit <strong><strong>de</strong>s</strong> ténébres à la lumière.<br />

La vision qu’il rappelle est celle d’un effroyable mon<strong>de</strong> à l’envers : « Tous les astres<br />

cachoient leurs visages ternis, / Et les quatre elemens paroissoient <strong><strong>de</strong>s</strong>unis ; / Le<br />

sejour <strong>de</strong> Pluton estoit <strong><strong>de</strong>s</strong>sus la terre, / Il avait <strong><strong>de</strong>s</strong>armé Jupiter du tonnerre. » (vers<br />

1189-1192). Seule l’apparition <strong>de</strong> Luscin<strong>de</strong> a rétabli dans son ordre c<strong>et</strong> univers<br />

déréglé <strong>et</strong>, ainsi, s’est apaisée la frayeur <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio : « Lors qu’un astre amoureux,<br />

forçant ces lieux funebres, / A fait sortir le jour du milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> tenebres » (vers<br />

1195-1196).<br />

La scène bascule alors dans le comique, voire la farce puisque, <strong><strong>de</strong>s</strong>sillé <strong>de</strong> son<br />

horrible hallucination <strong>et</strong> tout à l’exaltation <strong>de</strong> son « adorable merveille », Car<strong>de</strong>nio<br />

prend le barbier pour Luscin<strong>de</strong> <strong>et</strong> lui dit avec une explicite ar<strong>de</strong>ur le désir qui<br />

l’habite : « Nos esprits s’uniront sur les bors <strong>de</strong> nos bouches, / Mille amours<br />

voleront à l’entour <strong>de</strong> nos couches / Et, versant tous leurs traits sur nos corps<br />

embrassez, / Nous recompenseront <strong><strong>de</strong>s</strong> outrages passez. / Il me semble <strong><strong>de</strong>s</strong>ja que<br />

ma main se <strong><strong>de</strong>s</strong>robe / Aux merveilles que cache une envieuse robe, / <strong>et</strong> que ma<br />

passion languissante à <strong><strong>de</strong>s</strong>sein / S’egare entre les lys du visage <strong>et</strong> du sein » (vers<br />

1227-1234). Effarouché par ces extravagances, le barbier rapproche une nouvelle<br />

fois les <strong>de</strong>ux folies <strong>de</strong> don Quichotte <strong>et</strong> <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio (« En recherchant un fou, je<br />

treuve un insensé », vers 1222), avant que ce <strong>de</strong>rnier, interrompu par le licencié,<br />

ne l’agresse comme s’il était le parjure Fernant. Pour bâtir c<strong>et</strong>te scène burlesque,<br />

Pichou se souvient, à la fois, du chapitre XXVII, lorsque le barbier doit être déguisé<br />

en <strong>de</strong>moiselle affligée dans le stratagème inventé par le curé pour ramener don<br />

Quichotte dans son village, <strong>et</strong> du chapitre XXIII, quand le chevrier raconte<br />

comment Car<strong>de</strong>nio, dans ses fureurs, a molesté l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> bergers en le traitant <strong>de</strong><br />

« fementido Fernando », <strong>de</strong> perfi<strong>de</strong> Fernando ». En les liant, il introduit dans sa<br />

tragi-comédie un moment <strong>de</strong> rire carnavalesque.<br />

À la <strong>de</strong>rnière scène <strong>de</strong> l’acte, don Quichotte persévère dans la double i<strong>de</strong>ntité<br />

que lui a donnée Pichou. Amoureux ridicule, il lit à Sancho la l<strong>et</strong>tre qu’il a écrite<br />

à Dulcinée <strong>et</strong> que Pichou a rédigée pour lui en alexandrins pompeux <strong>et</strong> convenus<br />

que l’édition présente sous le titre <strong>de</strong> « galimatias ». Ils se veulent un équivalent


ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 487<br />

français <strong><strong>de</strong>s</strong> archaïsmes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> extravagances dont le premier don Quichotte, celui<br />

<strong>de</strong> Cervantès, a parsemé sa propre l<strong>et</strong>tre à Dulcinea <strong>de</strong>l Toboso. Bravache sans<br />

courage, le don Quichotte <strong>de</strong> Pichou est mis en fuite par Fernant, son écuyer <strong>et</strong><br />

l’ami qui les a accompagnés dans le monastère dont ils ont arraché Luscin<strong>de</strong>.<br />

Fernant rosse Sancho <strong>et</strong> se moque <strong>de</strong> don Quichotte.<br />

Au <strong>de</strong>rnier acte <strong>de</strong> la tragi-comédie, les « folies » <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio <strong>de</strong>viennent celles<br />

<strong>de</strong> don Quichotte. À l’instar <strong>de</strong> Guillén <strong>de</strong> Castro, Pichou achève sa pièce avec<br />

l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> folies <strong>de</strong> l’hidalgo. Il ne choisit pas celle où le chevalier mis en cage se<br />

croit victime d’un enchantement. Il préfère faire r<strong>et</strong>our au chapitre XXXV, lorsque<br />

le chevalier errant dit avoir vaincu le géant usurpateur du royaume <strong>de</strong> la princesse<br />

Micomicona. Mais le temps <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre fin à la feinte n’est pas encore venue <strong>et</strong> la<br />

tragi-comédie s’achève avec le départ <strong>de</strong> don Quichotte en route pour le royaume<br />

<strong>de</strong> l’infante restaurée dans son droit. Dorotée <strong>et</strong> Car<strong>de</strong>nio continuent l’artifice qui<br />

maintient don Quichotte dans sa fantaisie : « Menez-nous, gran<strong>de</strong> reyne, où<br />

l’honneur nous appelle, / Bastir les fon<strong>de</strong>mens d’une paix <strong>et</strong>ernelle » (vers<br />

2105-2106). Ainsi finit la comédie. Ou presque. Pichou, en eff<strong>et</strong>, conclut sa pièce<br />

avec un monologue désabusé <strong>de</strong> Sancho, r<strong>et</strong>iré <strong>de</strong> la fable. « Au diable soit le<br />

maistre <strong>et</strong> sa chevalerie ! / Ce penible mestier vient <strong>de</strong> sa resverie. / J’ay tout quitté<br />

pour luy, mes enfans, ma maison, / J’ay souffert mille maux, j’ay perdu mon<br />

grison : / O dieux, que je connay mon esperance vaine, / Que j’ay mal employé<br />

ma jeunesse <strong>et</strong> ma peine » (vers 2113-2118). Quarante plus tard, un autre serviteur,<br />

lui aussi désenchanté, réclamera ses gages à son maître précipité dans les flammes<br />

infernales.<br />

Des représentations <strong>de</strong> la tragi-comédie à l’Hôtel <strong>de</strong> Bourgogne, nous ne savons<br />

rien, hors son décor : au fond <strong>de</strong> la scène, un palais doté <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ailes, sur celle<br />

située côté cour se trouve la fenêtre où Luscin<strong>de</strong> apparaît à Car<strong>de</strong>nio (Acte II,<br />

scène 2) ; plus en avant, côté cour, l’ermitage où Dorotée a cherché refuge <strong>et</strong>, côté<br />

jardin, une maison au toit <strong>de</strong> chaume qui est la taverne d’où sortent les personnages<br />

au <strong>de</strong>rnier acte. En revanche les trois rééditions <strong>de</strong> la pièce en 1633 puis en 1634<br />

(l’une chez Clau<strong>de</strong> Mar<strong>et</strong>te en infraction du privilège <strong>de</strong> 1629, l’autre chez François<br />

Targa, qui avait publié les <strong>de</strong>ux premières), attestent le bon accueil <strong>de</strong> la pièce.<br />

Lecteur très attentif du texte <strong>de</strong> Cervantès, Pichou en a r<strong>et</strong>enu les « amoureuses<br />

traverses », comme il écrit dans son « Argument », qui lui perm<strong>et</strong>taient, tout<br />

ensemble, <strong>de</strong> pratiquer le genre nouveau <strong>de</strong> la tragi-comédie <strong>et</strong> <strong>de</strong> composer <strong>de</strong><br />

longs monologues poétiques mobilisant les motifs favoris d’une esthétique <strong>de</strong><br />

l’inconstance <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments, située entre les plaintes <strong>de</strong> la pastorale <strong>et</strong><br />

l’effroi du macabre. Dans les Folies <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, tout comme chez Guillén<br />

<strong>de</strong> Castro (en dépit du titre <strong>de</strong> la comedia), don Quichotte ne pouvait être que<br />

le contrepoint burlesque <strong><strong>de</strong>s</strong> infortunes <strong><strong>de</strong>s</strong> amants séparés. Il ne figure donc dans<br />

la pièce <strong>de</strong> Pichou qu’en relation avec eux : la rencontre avec Car<strong>de</strong>nio à l’acte III,<br />

la feinte <strong>de</strong> la princesse Micomicona à l’acte V. Mais, même ainsi cantonné, le<br />

personnage impose progressivement sa présence dans la tragi-comédie <strong>et</strong> ce sont<br />

ses extravagances qui ouvrent <strong>et</strong> achèvent le cinquième acte.


488 ROGER CHARTIER<br />

Les trois œuvres qui ont porté <strong><strong>de</strong>s</strong> épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> du livre <strong>de</strong> 1605 sur la scène (la<br />

comedia <strong>de</strong> Guillén <strong>de</strong> Castro, la pièce jouée à Londres, la tragi-comédie <strong>de</strong> Pichou)<br />

ont donc privilégié l’histoire sentimentale que Cervantès a croisée avec les exploits<br />

du chevalier <strong>et</strong> <strong>de</strong> son écuyer. Si dans les <strong>de</strong>ux textes qui nous sont parvenus grâce<br />

à leur éditions imprimées, ceux <strong>de</strong> Guillén <strong>de</strong> Castro <strong>et</strong> <strong>de</strong> Pichou, don Quichotte<br />

<strong>et</strong> Sancho ne sont pas absents, <strong>et</strong> même <strong>de</strong> plus en plus présents au fil <strong><strong>de</strong>s</strong> actes<br />

<strong>de</strong> la pièce française, ils <strong>de</strong>meurent comme un contrepoint comique dans une<br />

intrigue qui est d’abord celle du mélancolique <strong>et</strong> furieux Car<strong>de</strong>nio, du fourbe <strong>et</strong><br />

finalement généreux Fernando <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux jeunes femmes constantes dans leur<br />

amour.<br />

Dès les premiers temps <strong>de</strong> sa réception, Don Quichotte est apparu non seulement<br />

comme la parodie comique <strong><strong>de</strong>s</strong> romans <strong>de</strong> chevalerie (<strong>et</strong> d’autres genres, picaresque,<br />

pastoral ou théâtral), mais aussi comme une anthologie <strong>de</strong> « nouvelles » qui<br />

pouvaient fournir aux dramaturges une matière riche en coups <strong>de</strong> théâtre, en<br />

scènes dramatiques, en sentiments violents <strong>et</strong> contrastés. Guillén <strong>de</strong> Castro a lu<br />

ainsi le livre puisqu’il a porté sur les tréteaux <strong><strong>de</strong>s</strong> « corrales » non seulement l’histoire<br />

<strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, mais aussi celle du « Curioso impertinente ». Il a pu en aller <strong>de</strong> même<br />

dans l’Angl<strong>et</strong>erre <strong><strong>de</strong>s</strong> commencements du XVII e siècle où les adaptations théâtrales<br />

<strong>de</strong> nouvelles ou <strong><strong>de</strong>s</strong> romans étaient communes. La circulation du livre <strong>de</strong> Cervantès<br />

<strong>et</strong> sa traduction par Shelton offraient <strong>de</strong> nouvelles possibilités avec ses histoires<br />

emboîtées dans l’histoire, celles <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, du curieux impertinent <strong>et</strong> du captif<br />

évadé <strong><strong>de</strong>s</strong> bagnes d’Alger. En 1613, c’est la première histoire qui fut représentée<br />

par les King’s Men qui reçurent rétribution pour avoir diverti la cour. L’argent fut<br />

versé à John Heminge, l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> acteurs <strong>et</strong> propriétaires, ou « sharehol<strong>de</strong>rs » <strong>de</strong> la<br />

compagnie, <strong>et</strong> non pas à l’auteur, jamais nommé dans les comptes du trésorier <strong>de</strong><br />

la Chambre du Roi.<br />

Londres 1653<br />

Le 9 septembre 1653 le libraire Humphrey Moseley fait enregistrer par la<br />

communauté <strong><strong>de</strong>s</strong> libraires <strong>et</strong> imprimeurs londoniens, la Stationers’ Company, les<br />

titres <strong>de</strong> quarante <strong>et</strong> une pièces <strong>de</strong> théâtre sur lesquelles il possè<strong>de</strong> dès lors un<br />

« right in copy », c’est-à-dire un droit <strong>de</strong> propriété exclusive. Il lui en coûte<br />

20 shillings <strong>et</strong> 6 pence qui lui assurent, selon les règles <strong>de</strong> la communauté, le<br />

monopole <strong>de</strong> l’impression <strong><strong>de</strong>s</strong> œuvres qu’il a ainsi « entered », fait enregistrer. Parmi<br />

ces quarante <strong>et</strong> une pièces (<strong>et</strong> peut-être plus si l’on adm<strong>et</strong> que, pour réduire le droit<br />

versée à la Stationers’ Company, Moseley a présenté comme une seule pièce portant<br />

un double titre, selon un usage commun du temps, ce qui était en fait <strong>de</strong>ux pièces<br />

différentes), quatre sont attribuées à Master William Shakespeare: « Henry ye.<br />

First, & Hen: ye 2d. by Shakespeare, & Davenport », « The merry Devill of<br />

Edmonton. By Wm: Shakespeare », <strong>et</strong> « The History of Car<strong>de</strong>nio, by Mr Fl<strong>et</strong>cher.<br />

& Shakespeare ». Des <strong>de</strong>ux Henry, on ne sait rien, sinon qu’une pièce intitulée The<br />

History of Henry the First avait été autorisée, « licensed », en 1624 <strong>et</strong> attribuée alors<br />

à « Damport » (pour Davenport). The Merry Devill of Edmonton a pour sa part été


ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 489<br />

enregistrée en 1607 <strong>et</strong> publiée quatre fois entre 1608 <strong>et</strong> 1653. Reste The History<br />

of Car<strong>de</strong>nio qui est sans doute la pièce jouée quarante ans plus tôt à Whitehall <strong>et</strong><br />

dont, pour la première fois, les auteurs sont nommés : Fl<strong>et</strong>cher <strong>et</strong> Shakespeare.<br />

En 1613, une telle collaboration entre les <strong>de</strong>ux auteurs est tout à fait<br />

vraisemblable puisqu’entre 1612 <strong>et</strong> 1614 ils composèrent ensemble <strong>de</strong>ux autres<br />

pièces : d’abord, All is True, <strong>de</strong>venue dans le Folio <strong>de</strong> 1623 The Famous History of<br />

the Life of Henry the Eight (Henry VIII) <strong>et</strong> qui fut peut-être écrite pour le mariage<br />

du 14 février 1613 entre la princesse Elizab<strong>et</strong>h <strong>et</strong> le prince Fre<strong>de</strong>rick, l’Électeur<br />

palatin ; ensuite, The Two Noble Kinsmen (Les <strong>de</strong>ux nobles cousins), publiée seulement<br />

en 1634. La page <strong>de</strong> titre indique que la pièce a été « Written by the memorable<br />

Worthies/ of their time / Mr. John Fl<strong>et</strong>cher, and / Mr. William Shakespeare. Gent. »<br />

dont les <strong>de</strong>ux noms sont enserrés dans une gran<strong>de</strong> accola<strong>de</strong> qui les unit, l’abréviation<br />

« Gent. » étant placée à la hauteur <strong>de</strong> l’interligne qui les sépare. The History <strong>de</strong><br />

Car<strong>de</strong>nio serait, à suivre le registre <strong>de</strong> la Stationer’s Company, la troisième <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

collaborations entre les <strong>de</strong>ux dramaturges.<br />

Le sort <strong><strong>de</strong>s</strong> trois pièces fut fort différent. Heminge <strong>et</strong> Con<strong>de</strong>ll exclurent<br />

The Two Noble Kinsmen du Folio <strong>de</strong> 1623, fidèle à leur proj<strong>et</strong> qui entend réunir,<br />

pour leur édition <strong><strong>de</strong>s</strong> « Comedies, Histories, & Tragedies » <strong>de</strong> Shakespeare, « his owne<br />

writings », ses propres écrits, comme ils le disent dans leur adresse « To the great<br />

Vari<strong>et</strong>y of Rea<strong>de</strong>rs ». À la différence du Folio <strong>de</strong> 1616 voulu par Ben Jonson <strong>et</strong> qui<br />

présente sous le titre <strong>de</strong> « THE WORKES OF Benjamin Jonson » seulement neuf<br />

<strong>de</strong> ses pièces, mais aussi ses masques, ses épigrammes <strong>et</strong> ses poèmes, le Folio<br />

construit par Heminge <strong>et</strong> Con<strong>de</strong>ll comprend toutes les œuvres théâtrales écrites<br />

par Shakespeare, soit dix-neuf pièces, dont les « rights in copy » ont été apportés ou<br />

rach<strong>et</strong>és à leurs confrères par les libraires du consortium, <strong>et</strong> dix-huit autres pièces<br />

jamais publiées <strong>et</strong> ach<strong>et</strong>ées à la troupe <strong><strong>de</strong>s</strong> King’s Men. Heminge <strong>et</strong> Con<strong>de</strong>ll n’ont<br />

donc r<strong>et</strong>enu que les pièces dont ils avaient la certitu<strong>de</strong> qu’elles avaient été produites<br />

par le seul génie <strong>de</strong> Shakespeare. De ce fait, ils ont écarté les pièces dont ils savaient<br />

ou supposaient qu’elles avaient été écrites en collaboration : ainsi, Sir Thomas More,<br />

une pièce probablement composée en 1592 ou 1593, jamais imprimée <strong>et</strong> que<br />

Shakespeare, à suivre le manuscrit qui en a été conservé, révisa en 1603 ou 1604<br />

avec Henry Ch<strong>et</strong>tle, Thomas Dekker <strong>et</strong>, sans doute, Thomas Heywood, Pericles,<br />

Prince of Tyre, alors même que l’édition quarto <strong>de</strong> 1609 mentionnait le nom <strong>de</strong><br />

Shakespeare sur la page <strong>de</strong> titre <strong>et</strong> qui a sans doute été écrite avec George Wilkins,<br />

ou The Two Noble Kinsmen. La monumentalisation <strong>de</strong> Shakespeare par le Folio,<br />

hautement manifestée par les préliminaires (le portrait gravé, les poèmes <strong>de</strong> louange,<br />

l’adresse aux lecteurs), suppose l’effacement <strong>de</strong> la pratique collective du théâtre au<br />

profit <strong>de</strong> la construction d’un auteur singulier. Le Folio donne donc à lire au<br />

lecteur, sans écart, les œuvres telles que l’« Author » les a « uttered », c’est-à-dire<br />

énoncées comme <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes <strong>et</strong> émises comme <strong><strong>de</strong>s</strong> monnaies. La rhétorique <strong>de</strong><br />

Heminge <strong>et</strong> Con<strong>de</strong>ll soustrait le texte shakespearien, à la fois, aux corruptions<br />

introduites par les éditions fautives, publiées par d’« injurieux imposteurs »<br />

(« injurious impostors ») <strong>et</strong> aux contraintes imposées par la collaboration. En


490 ROGER CHARTIER<br />

imprimant les « papers » <strong>de</strong> Shakespeare sans ratures ni repentirs, le Folio donne à<br />

lire pour la première fois toutes les pièces qu’il a entièrement conçues. Heminge<br />

<strong>et</strong> Con<strong>de</strong>ll <strong>de</strong>vaient penser qu’il en allait ainsi <strong>de</strong> All is True, ou Henry VIII, mais<br />

s’ils possédaient un manuscrit <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, ils l’ont traité comme The Two Noble<br />

Kinsmen, <strong>et</strong> non comme All is True. Ils l’ont donc exclu du Folio.<br />

Leurs successeurs ne seront pas plus généreux. Si dans la secon<strong>de</strong> émission du<br />

troisième Folio, parue en 1664, sept pièces sont ajoutées au trente-sept qui figurent<br />

dans les premier <strong>et</strong> le second Folios (1623 <strong>et</strong> 1632) ainsi que dans le premier état du<br />

troisième, paru en 1663. La page <strong>de</strong> titre du livre <strong>de</strong> 1664, publié par Philip<br />

Ch<strong>et</strong>win<strong>de</strong>, indique : « Mr. WILLIAM SHAKESPEAR’S Comedies, Histories, and<br />

Tragedies. Published according to the true Original Copies. The third Impression.<br />

And unto this Impression is ad<strong>de</strong>d seven Playes, never before Printed in Folio ». The<br />

History of Car<strong>de</strong>nio n’en fait pas partie. La raison en est simple : Car<strong>de</strong>nio n’a jamais<br />

été imprimée alors que les nouvelles pièces qui entrent dans le corpus shakespearien<br />

(<strong>et</strong> qui y resteront dans le quatrième Folio <strong>de</strong> 1685 <strong>et</strong> les éditions <strong>de</strong> Rowe <strong>et</strong> Pope en<br />

1709 <strong>et</strong> 1725) ont toutes été publiées en format quarto au début du XVII e siècle soit<br />

avec le nom <strong>de</strong> Shakespeare sur la page <strong>de</strong> titre (ainsi, The London Prodigal, A<br />

Yorkshire Tragedy, Pericles, Prince of Tyre <strong>et</strong> Sir John Oldcastle Lord Cobhan imprimées<br />

en 1605, 1608, 1609 <strong>et</strong> 1619 avec, dans ce cas, une fausse date <strong>de</strong> 1600), soit avec<br />

seulement les initiales W.S. (ainsi, The Tragedy of Locrine, The Life and Death of<br />

Thomas Lord Cromwell <strong>et</strong> The Puritan Widow, publiées en 1595, 1602 <strong>et</strong> 1607). Des<br />

sept pièces acceptées alors comme shakespeariennes en 1664-65, seule Pericles le<br />

<strong>de</strong>meurera, même si la paternité a dû en être partagée avec Thomas Wilkins.<br />

The History of Car<strong>de</strong>nio n’entrait donc pas dans les logiques qui ont<br />

construit, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> dimensions variables, les œuvres, ou l’œuvre <strong>de</strong> William<br />

Shakespeare. Mais la pièce, si Humphrey Moseley est exact, avait un second auteur<br />

<strong>et</strong> aurait pu figurer dans l’édition <strong><strong>de</strong>s</strong> œuvres théâtrale <strong>de</strong> John Fl<strong>et</strong>cher, mort en<br />

1625, neuf ans après Shakespeare. Il n’en a rien été. En 1647, le même Moseley<br />

associé à Robinson publie les Comedies and Tragedies écrites par Francis Beaumont<br />

<strong>et</strong> John Fl<strong>et</strong>cher « Gentlemen » dans un Folio (le troisième pour le genre théâtral<br />

après ceux <strong>de</strong> 1616 <strong>et</strong> 1623) <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné à rassembler les pièces jamais imprimées que<br />

les <strong>de</strong>ux dramaturges avaient composées ensemble ou non — ou comme l’annonce<br />

la page <strong>de</strong> titre « Never printed before, and now published by the Authours<br />

Originall Copies ». En 1647, lorsqu’il publie les trente-cinq pièces qui composent<br />

le Folio, Moseley ne disposait vraisemblablement pas <strong>de</strong> tous les manuscrits qu’il<br />

fit enregistrer par la Stationers’ Company six années plus tard <strong>et</strong> parmi eux la seule<br />

pièce attribuée à John Fl<strong>et</strong>cher dans la liste, The History of Car<strong>de</strong>nio. La réédition<br />

du Folio en 1679 (où sont ajoutées dix-huit pièces) ne comprend pas, elle non<br />

plus, la pièce que Moseley avait acquise mais qu’il n’imprima jamais.<br />

L’attribution en 1653 <strong>de</strong> The History of Car<strong>de</strong>nio à <strong>de</strong>ux dramaturges (le<br />

nom <strong>de</strong> Fl<strong>et</strong>cher étant donné en premier <strong>et</strong> séparé <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Shakespeare par un<br />

point, comme si ce <strong>de</strong>rnier avait été ajouté) témoigne pour l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques


ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 491<br />

essentielles <strong>de</strong> la production théâtrale dans l’Angl<strong>et</strong>erre <strong><strong>de</strong>s</strong> XVI e <strong>et</strong> XVII e siècles :<br />

l’écriture à plusieurs mains. Dans le journal <strong>de</strong> l’entrepreneur <strong>de</strong> théâtre Philip<br />

Henslowe, Thomas Dekker apparaît comme auteur <strong>de</strong> quarante-cinq pièces : trente<br />

<strong>et</strong> une fois il a écrit en collaboration (dont dix-huit fois avec <strong>de</strong>ux co-auteurs ou<br />

plus) <strong>et</strong> cinq fois il a travaillé sur <strong><strong>de</strong>s</strong> textes existants. Thomas Heywood, qui<br />

prétendait en 1633 avoir écrit 220 pièces « in which I have had either an entire<br />

hand, or at least a maine finger » [dans lesquelles j’ai mis ma seule main ou au<br />

moins le principal doigt], est présent onze fois dans le journal : six fois pour une<br />

pièce écrite en collaboration (dont <strong>de</strong>ux fois avec Dekker <strong>et</strong> d’autres dramaturges),<br />

une fois pour <strong><strong>de</strong>s</strong> additions. Sur les 282 pièces mentionnées par Henslowe entre<br />

1590 <strong>et</strong> 1609, les <strong>de</strong>ux tiers ont au moins <strong>de</strong>ux auteurs — mais souvent plus. Un<br />

trait frappant est l’écart entre ce pourcentage très élevé d’œuvres écrites en<br />

collaboration <strong>et</strong> celui, beaucoup plus mo<strong><strong>de</strong>s</strong>te, <strong><strong>de</strong>s</strong> pièces attribuées, pour les<br />

mêmes décennies, à plusieurs auteurs dans les éditions imprimées <strong>et</strong> les registres<br />

<strong>de</strong> la Stationers’ Company, à savoir 15 % pour 1590-99 <strong>et</strong> 18 % pour 1600-1609.<br />

La différence renvoie à la logique éditoriale qui, sur les pages <strong>de</strong> titre <strong><strong>de</strong>s</strong> éditions<br />

imprimées, assigne à un seul auteur, ou à aucun, les pièces écrites à plusieurs<br />

mains. Sans doute moins que d’autres, Shakespeare a lui aussi, à différents moments<br />

<strong>de</strong> sa carrière <strong>de</strong> dramaturge, écrit avec un autre — ou d’autres. Comme All is<br />

True, comme The Two Noble Kinsmen, le Car<strong>de</strong>nio perdu <strong>de</strong>vait juxtaposer au fil<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> scènes les styles fort différents <strong>de</strong> Fl<strong>et</strong>cher <strong>et</strong> <strong>de</strong> Shakespeare.<br />

En 1653, l’enregistrement d’une « copy » <strong>de</strong> The Tragedy of Car<strong>de</strong>nio par<br />

Humphrey Moseley peut être situé dans un double contexte. Le premier est donné<br />

par la politique éditoriale du libraire, membre <strong>de</strong> la Stationer’ Company <strong>de</strong>puis<br />

1633 <strong>et</strong> fervent royaliste. À partir <strong>de</strong> 1645, il publie une série d’ouvrages qui<br />

proposent aux lecteurs les œuvres <strong><strong>de</strong>s</strong> poètes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> dramaturges anglais<br />

contemporains. Les volumes ont <strong><strong>de</strong>s</strong> formats homogènes (octavo pour les poèmes<br />

<strong>et</strong> les collections <strong>de</strong> pièces d’un même auteur, quarto pour les pièces publiées<br />

séparément), leurs pages <strong>de</strong> titre ont <strong><strong>de</strong>s</strong> dispositions similaires <strong>et</strong> les frontispices<br />

présentent un portrait <strong>de</strong> l’auteur. En un temps où ne sont reconnues ni la<br />

spécificité <strong>de</strong> la « littérature » ni la dignité <strong>de</strong> l’écriture pour la scène, comme<br />

l’atteste l’exclusion <strong><strong>de</strong>s</strong> pièces <strong>de</strong> théâtre <strong>de</strong> la bibliothèque rassemblée à Oxford<br />

par Bodley <strong>et</strong> ses bibliothécaires, l’entreprise <strong>de</strong> Moseley donne cohérence à un<br />

corpus qui sépare la poésie <strong>et</strong> le théâtre d’autres genres textuels (histoire, récits,<br />

voyages, <strong>et</strong>c.) <strong>et</strong> construit un répertoire qui ne r<strong>et</strong>ient que <strong><strong>de</strong>s</strong> auteurs mo<strong>de</strong>rnes<br />

— ce qui lui confère une importance primordiale dans l’invention <strong>de</strong> l’idée même<br />

<strong>de</strong> « littérature anglaise ».<br />

Pour mener à bien son proj<strong>et</strong>, Moseley a acquis <strong>et</strong> fait enregistrer par la Stationers’<br />

Company un très grand nombre <strong>de</strong> pièces <strong>de</strong> théâtre du temps d’Elisab<strong>et</strong>h <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

premiers Stuarts. Le geste avait aussi une signification politique puisque <strong>de</strong>puis<br />

1642 les théâtres avaient été fermés <strong>et</strong> les représentations publiques interdites.<br />

C’est ainsi qu’en 1646 Moseley <strong>et</strong> Robinson avaient « entré » trente pièces <strong>de</strong><br />

Beaumont <strong>et</strong> Fl<strong>et</strong>cher (qui seront publiées dans le Folio <strong>de</strong> 1647), quatre pièces <strong>de</strong>


492 ROGER CHARTIER<br />

Davenant, cinq <strong>de</strong> Shirley (qu’il éditera en 1653), <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> Carlell, une <strong>de</strong> Wilson<br />

<strong>et</strong> une pièce anonyme. Dans c<strong>et</strong>te perspective, The History of Car<strong>de</strong>nio enregistrée<br />

en 1653 n’avait pas une particulière importance, si ce n’est qu’avec trois autres<br />

titres (les <strong>de</strong>ux parties <strong>de</strong> Henry the First <strong>et</strong> The Merry Devill of Edmonton), elle<br />

avait été composée, au moins en partie, par l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre dramaturges dont les<br />

œuvres avaient été rassemblées dans le prestigieux format du Folio.<br />

Le « right in copy » acquis par Moseley sur une pièce inspirée par Don<br />

Quichotte peut être également situé dans un autre contexte : le « revival » <strong>de</strong><br />

l’histoire <strong>de</strong> Cervantès à la mi-XVII e siècle en Angl<strong>et</strong>erre. En 1652, est publiée <strong>et</strong><br />

pour la première fois dans le format in-folio une réédition <strong>de</strong> la traduction <strong>de</strong><br />

Shelton, corrigée <strong>et</strong> amendée, <strong>et</strong> en 1654, Edmund Gayton fait paraître son<br />

ouvrage Pleasant Notes upon Don Quixot. L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes <strong><strong>de</strong>s</strong> préliminaires,<br />

intitulé « On Don Quixot with Annotations », commence ainsi : « The famous<br />

Errant Knight of Spaine / Once more here sallies forth againe, / Remounted upon<br />

Rosinante » [« Le fameux Chevalier Errant d’Espagne / Une fois <strong>de</strong> plus sort <strong>de</strong><br />

chez lui, / Monté <strong>de</strong> nouveau sur Rossinante »]. Le même poème présente<br />

l’« auteur » du livre : « Nor is our Author a Translator, / But a Criticall Commentator ;<br />

/ His Notes he to the Text doth fit, / With English matching Spanish wit. » [Notre<br />

Auteur n’est pas un Traducteur, / Mais un Commentateur Critique ; / Ses Annotations<br />

sont appropriées au Texte, / L’esprit Anglais égalant l’Espagnol].<br />

Gayton m<strong>et</strong> à profit la nouvelle édition <strong>de</strong> la traduction <strong>de</strong> Shelton. Chaque<br />

chapitre <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre livres est introduit par un argument en vers qu’il a composé,<br />

puis suivent les commentaires en prose accrochés à <strong>de</strong> courtes citations copiées<br />

presque littéralement <strong>de</strong> la traduction <strong>de</strong> Shelton. Dans ce texte curieux, qui inscrit<br />

le texte <strong>de</strong> Cervantes dans le double registre du burlesque <strong>et</strong> du carnavalesque <strong>et</strong><br />

qui associe remarques grivoises, références érudites aux Anciens <strong>et</strong> allusions aux<br />

contemporains, Gayton propose un troisième récit en anglais <strong><strong>de</strong>s</strong> amours <strong>de</strong><br />

Car<strong>de</strong>nio <strong>et</strong> Luscinda <strong>et</strong> <strong>de</strong> Dorotea <strong>et</strong> Fernando, après la traduction <strong>de</strong> 1612,<br />

rééditée en 1652, <strong>et</strong> la pièce <strong>de</strong> 1613, enregistrée en 1653. Car<strong>de</strong>nio <strong>et</strong> don<br />

Quichotte ne sont donc pas absents la révolution anglaise <strong>de</strong> la mi-XVII e siècle.<br />

Moseley aurait pu ou aurait dû en profiter pour publier le titre sur lequel il avait<br />

propriété <strong>de</strong>puis le 9 septembre 1653. Mais il ne l’a pas fait, nous léguant ainsi le<br />

mystère du Car<strong>de</strong>nio perdu.<br />

B. Séminaire<br />

Les sept séances du séminaire ont toutes été consacrées à <strong><strong>de</strong>s</strong> commentaires <strong>de</strong><br />

textes liés au <strong>cours</strong>. Ouverts par une lecture <strong>de</strong> la fable <strong>de</strong> Borges El espejo y la<br />

máscara / Le miroir <strong>et</strong> le masque qui désigne avec une fulgurante acuité le chemin<br />

à suivre pour que les enchantements <strong>de</strong> la fiction soient replacés au sein <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

pratiques <strong>de</strong> l’écrit qui les nourrissent, s’en emparent <strong>et</strong> les transm<strong>et</strong>tent, les<br />

commentaires se sont attachés à l’ « Induction » du Knight of the Burning Pestle <strong>de</strong><br />

Beaumont (<strong>et</strong> peut-être Fl<strong>et</strong>cher), au <strong>de</strong>rnier acte <strong>de</strong> The Spanish Tragedy <strong>de</strong>


ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 493<br />

Thomas Kyd, à la scène du mariage <strong>de</strong> Luscinda dans la comedia Don Quijote <strong>de</strong><br />

la Mancha <strong>de</strong> Guillén <strong>de</strong> Castro, aux tira<strong><strong>de</strong>s</strong> d’Alcandre sur le théâtre (Acte II,<br />

scène II <strong>et</strong> Acte V, scène V) dans l’Illusion comique <strong>de</strong> Corneille, aux <strong>de</strong>ux premiers<br />

recueils <strong>de</strong> lieux communs qui utilisent <strong><strong>de</strong>s</strong> citations <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes <strong>et</strong> pièces <strong>de</strong><br />

Shakespeare, le Belvedre, or The Gar<strong>de</strong>n of Muses <strong>et</strong> l’England’s Parnassus, tous <strong>de</strong>ux<br />

parus en 1600, <strong>et</strong>, pour finir, aux passages qui dans Haml<strong>et</strong> m<strong>et</strong>tent en scène<br />

l’écriture à plusieurs mains.<br />

C. Publications<br />

1. Ouvrages personnels<br />

— Inscription and Erasure. Literature and Written Culture from the Eleventh to the Eighteenth<br />

Century, tr. Arthur Goldhammer, Phila<strong>de</strong>lphia, University of Pennsylvania Press, 2007.<br />

— Inscrever e apagar. Cultura escrita e literatura (séculos XI-XVIII), tr. Luzmara Curcino<br />

Ferreira, São Paulo, Editora Unesp, 2007.<br />

— La historia o la lectura <strong>de</strong>l tiempo, tr. Mar Garita Polo, Barcelone, Gedisa, 2007.<br />

— Écouter les morts avec les yeux, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> / Fayard, 2008.<br />

— Escuchar a los muertos con los ojos, tr. Laura Fólica, Buenos Aires, Katz, 2008.<br />

2. Contributions à <strong><strong>de</strong>s</strong> ouvrages collectifs<br />

— « Les chemins <strong>de</strong> l’écrit, ou le r<strong>et</strong>our à Monte Verità », Scripta volant, verba manent.<br />

Schriftkultuen in Europa zwischen 1500 und 1900 / Les cultures <strong>de</strong> l’écrit en Europe entre 1500<br />

<strong>et</strong> 1900, Herausgegeben von Alfred Messerli un Roger Chartier, Bâle, Schwabe Verlag,<br />

2007, pp. 483-493.<br />

— « La muraille <strong>et</strong> les livres », Qu’est-ce qu’écrire une Encyclopédie en Chine ?, préparé par<br />

Florence Br<strong>et</strong>elle-Establ<strong>et</strong> <strong>et</strong> Karine Chemla, Presses Universitaires <strong>de</strong> Vincennes, Extrême<br />

Orient, Extrême-Occi<strong>de</strong>nt, Hors-Série, 2007, pp. 205-216.<br />

— « De la scène à la page », Le Parnasse du théâtre. Les recueils d’œuvres complètes <strong>de</strong> théâtre<br />

au XVIIIe siècle, Georges Forestier, Edric Caldicott <strong>et</strong> Clau<strong>de</strong> Bourqui (dir.), Paris, Presses<br />

<strong>de</strong> l’Université Paris-Sorbonne, 2007, pp. 17-41.<br />

— « Mémoire <strong>et</strong> oubli. Lire avec Ricœur », Paul Ricœur <strong>et</strong> les sciences humaines, sous la<br />

direction <strong>de</strong> Christian Delacroix, François Dosse <strong>et</strong> Patrick Garcia, Paris, La Découverte,<br />

2007, pp. 231-248.<br />

— « The Printing Revolution. A Reappraisal », Agent of Change. Print Culture after<br />

Elizab<strong>et</strong>h L. Eisenstein, Edited by Sabrina Alcorn Baron, Eric N. Lindquist, and Eleanor F.<br />

Shevlin, Amhertst and Boston, University of Massachus<strong>et</strong>ts Press, 2007, pp. 397-408.<br />

— « A escrita na tela : or<strong>de</strong>m do discurso, or<strong>de</strong>m dos livros, maneiras <strong>de</strong> ler », Questões<br />

<strong>de</strong> leitura no hipertexto, Miguel R<strong>et</strong>temaier, Tania M. K. Taussig (org.), Editora Universida<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> Passo Fundo, 2007, pp. 200-219.<br />

— « L’apparition du livre imprimé », Le grand atelier. Chemins <strong>de</strong> l’art en Europe<br />

V e-XVIII e siècle, Bruxelles, Europalia International/Fonds Mercator, 2007, pp. 29-34.<br />

— « La materialità <strong>de</strong>llo scritto. Che cos’è un libro ? Risposte a una <strong>de</strong>manda di Kant »,<br />

Testi, forme, e usi <strong>de</strong>l libro. Teorie e pratiche di cultura editriale, a cura di Lodovica Braida e<br />

Albero Cadioli, Milan, Edizioni Sylvestre Bonnard, 2007, pp. 13-25.


494 ROGER CHARTIER<br />

— « La universidad y la edición », Innovación y r<strong>et</strong>os <strong>de</strong> la edición universitaria, Magda<br />

Polo Pujadas (coord.), Madrid, Unión <strong>de</strong> Editoriales Universitarias Españolas <strong>et</strong> Logroño,<br />

Universidad <strong>de</strong> la Rioja, 2007, pp. 13-28.<br />

— « La matérialité du texte : Réponse à une question <strong>de</strong> Kant », Théorie <strong>et</strong> mythologie du<br />

livre. Le livre français en <strong>France</strong> <strong>et</strong> en Russie, Moscou, 2007, pp. 5-16 (en russe).<br />

— « Afterword», Why <strong>France</strong> ? American Historians Reflection an Enduring Fascination,<br />

Edited by Laura Lee Downs and Stéphane Gerson, Ithaca <strong>et</strong> Londres, Cornell University<br />

Press, 2007, pp. 227-232.<br />

— « Postface », Pourquoi la <strong>France</strong> ? Des historiens américains racontent leur passion pour<br />

l’Hexagone, sous la direction <strong>de</strong> Laura Lee Downs <strong>et</strong> Stéphane Gerson, Paris, Seuil, 2007,<br />

pp. 361-367.<br />

3. Articles<br />

— « Les auteurs n’écrivent pas les livres, pas même les leurs. Francisco Rico, auteur du<br />

Quichotte », Agenda <strong>de</strong> la pensée contemporaine, 7, Printemps 2007, pp. 13-27.<br />

— « El pasado en el presente. Literatura , historia, memoria », Historia, Antropología y<br />

Fuentes Orales, 37, 2007, pp. 127-140.<br />

— « The Or<strong>de</strong>r of Books Revisited », Mo<strong>de</strong>rn Intellectual History, 4, 3, 2007, pp. 509-<br />

519.<br />

— « Lo privado y lo público. Construcción histórica <strong>de</strong> una dicotomía », « El pasado en<br />

el presente. Literatura, memoria e historia », « Lectores y lecturas populares. Entre imposición<br />

y apropiación », « ¿La muerte <strong>de</strong>l libro ? Or<strong>de</strong>n <strong>de</strong>l discurso y or<strong>de</strong>n <strong>de</strong> los libros »,<br />

Co-herencia. Revista <strong>de</strong> Humanida<strong><strong>de</strong>s</strong>, Vol. 4, n° 7, 2007, pp. 65-81, pp. 83-102, pp. 103-117<br />

<strong>et</strong> pp. 119-129.<br />

— « Storie senza frontera : Brau<strong>de</strong>l e Cervantes », Dimensioni e problemi <strong>de</strong>lla ricerca<br />

storica, 2, 2007, pp. 145-157.<br />

D. Missions <strong>et</strong> Conférences<br />

1. Conférences prononcées à l’étranger<br />

[Les titres <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences sont donnés dans la langue dans laquelle elles ont été<br />

prononcées.]<br />

— 4 conférences sur le thème Literatura y cultura escrita (¿Qué es un libro ?, Lo privado<br />

y lo publico, El pasado en el presente, Lecturas y lectores populares), 31 août-1er septembre<br />

2007, Me<strong>de</strong>llin (Colombie), Université EAFIT.<br />

— Car<strong>de</strong>nio entre páginas, fiestas y tablas, 19 septembre 2007, Tucumán (Argentine)<br />

Université <strong>de</strong> Tucumán.<br />

— Shakespeare b<strong>et</strong>ween Binding and Commonplacing, 16 octobre 2007, Glasgow,<br />

Université <strong>de</strong> Glasgow.<br />

— Car<strong>de</strong>nio entre lenguas, géneros y lugares, 22 octobre 2007, Alcalá <strong>de</strong> Henares,<br />

Université <strong>de</strong> Alcaá <strong>de</strong> Henares.<br />

— La censura <strong>de</strong> la imprenta : los Voyages <strong>de</strong> Cyrano entre la circulación manuscrita y el<br />

taller tipográfico, 12 décembre 2007, Barcelone, Université <strong>de</strong> Barcelone.<br />

— Car<strong>de</strong>nio without Shakespeare : Guillén <strong>de</strong> Castro and Pichou, 4 février 2008,<br />

Phila<strong>de</strong>lphia, University of Pennsylvania, (Material Text Seminar).


ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 495<br />

— Car<strong>de</strong>nio, or How to Read and Perform a Lost Play, 21 février 2008, Durham, Duke<br />

University.<br />

— Movilidad y materialidad <strong>de</strong> los textos : Don Quijote, 27 février 2008, Princ<strong>et</strong>on,<br />

Princ<strong>et</strong>on University (Department of Spanish Language and Literature).<br />

— Brau<strong>de</strong>l and Cervantes, 27 mars 2008, Princ<strong>et</strong>on, Princ<strong>et</strong>on University.<br />

— Social Mobility and Textual Mobility. From the Exemplary Novels to Don Quixote,<br />

21 avril 2008, Windsor (Canada), University of Windsor.<br />

— « Cómo lo pintan en su libro ». Las tres primeras iconografías <strong>de</strong> Don Quijote, 12 mai<br />

2008, Madrid, Circulo <strong>de</strong> Bellas Artes.<br />

— 4 conférences sur le thème Literatura y cultura escrita (La fábrica <strong>de</strong>l libro, La<br />

materialidad <strong>de</strong> las obras, La movilidad <strong>de</strong> los textos, La construcción <strong>de</strong>l sentido), 2-5 juin<br />

2008, Mexico, Instituto Mora (Cátedra Marcel Bataillon).<br />

— Apren<strong>de</strong>r a leer, leer para apren<strong>de</strong>r, 6 juin 2008, Mexico, Fondo <strong>de</strong> Cultura<br />

Económica.<br />

— ¿La muerte <strong>de</strong>l libro ?, 9 juin 2008, Mexico, Universidad Nacional Autónoma <strong>de</strong><br />

Mexico (Departamento <strong>de</strong> Biblioteconomía).<br />

— Car<strong>de</strong>nio y Don Quijote sobre las tablas, 20 juin 2008, Rio <strong>de</strong> Janeiro, UNIRIO.<br />

— Representaciones <strong>de</strong> las prácticas, prácticas <strong>de</strong> la representación, 21 juill<strong>et</strong> 2008, San<br />

José, Université du Costa Rica.<br />

2. Colloques internationaux<br />

— Cultura escrita : nuevos r<strong>et</strong>os, nuevas perspectivas, 10-13 septembre 2007, Madrid,<br />

Círculo <strong>de</strong> Bellas Artes <strong>et</strong> Université Carlos III.<br />

— Jornadas Interescuelas <strong>de</strong> Historia, 19-21 septembre 2007, Tucumán, Université <strong>de</strong><br />

Tucumán.<br />

— Censorship in Early Mo<strong>de</strong>rn Europe, 11-12 décembre 2007, Barcelone, Université <strong>de</strong><br />

Barcelone.<br />

— Publishing in Spain and Latin America, 28 février 2008, Princ<strong>et</strong>on, Princ<strong>et</strong>on<br />

University.<br />

— Congreso <strong>de</strong> la Asociación <strong>de</strong> los Bibliotecarios <strong>de</strong> América Latina, 11 juin 2008,<br />

Mexico, Universidad Nacional Autónoma <strong>de</strong> Mexico.<br />

— Congreso <strong>de</strong> los Historiadores <strong>de</strong> América Central, 21-25 juill<strong>et</strong> 2008, San José,<br />

Université <strong>de</strong> Costa Rica.<br />

3. Cours <strong>et</strong> séminaires<br />

Cours à l’Université <strong>de</strong> Pennsylvanie, Phila<strong>de</strong>lphie, entre janvier <strong>et</strong> avril 2008<br />

— The Mediterranean World at the Age of Don Quixote (séminaire pour<br />

un<strong>de</strong>rgraduates).<br />

— What Is a Book ? (séminaire pour graduate stu<strong>de</strong>nts).<br />

Cours à l’Université International Menén<strong>de</strong>z Pelayo, Valencia, 2-4 juill<strong>et</strong> 2008<br />

— Cultura escrita y literatura (siglos XVI-XVIII).


Histoire contemporaine du mon<strong>de</strong> arabe<br />

M. Henry Laurens, professeur<br />

Le <strong>cours</strong> a été consacré à la question <strong>de</strong> Palestine <strong>de</strong> juin 1967 à octobre 1969,<br />

c’est-à-dire la majeure partie <strong>de</strong> la « guerre <strong><strong>de</strong>s</strong> trois ans ». La métho<strong>de</strong> suivie a été<br />

à la fois une procédure annalistique distinguant chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> conjonctures dans<br />

leur originalité propre <strong>et</strong> l’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> grands thèmes sous-jacents. Comme le<br />

contenu <strong>de</strong> l’enseignement est disponible en téléchargement MP3 sur le site du<br />

<strong>Collège</strong> <strong>et</strong> qu’il sera ultérieurement publié dans une version plus complète, il paraît<br />

inutile d’en donner ici un résumé.<br />

Le séminaire a porté comme les années précé<strong>de</strong>ntes sur l’autobiographie politique<br />

dans le mon<strong>de</strong>. On a terminé la lecture commentée du véritable monument que<br />

constituent les Mémoires d’Akram al-Hawrani, source inestimable pour l’histoire<br />

du Proche-Orient au xx e siècle.<br />

Une journée d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en commun avec la chaire d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives<br />

<strong>et</strong> internationalisation du droit a porté le 4 juin sur une typologie historique <strong>et</strong><br />

communauté <strong>de</strong> valeurs. En voici le programme indicatif.<br />

Thème d’actualité s’il en est, le terrorisme mobilise non seulement les acteurs<br />

politiques, mais également les différents champs <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences sociales, pour<br />

comprendre les significations qui lui sont attribuées <strong>et</strong> les pratiques qu’il revêt. Les<br />

aspects historiques <strong>et</strong> juridiques du terrorisme font l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la réflexion théorique<br />

engagée, au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te journée, par les chaires <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs Mireille Delmas<br />

Marty (d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives <strong>et</strong> internationalisation du droit) <strong>et</strong> Henry<br />

Laurens (Histoire du mon<strong>de</strong> arabe contemporain), qui convient au débat <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

juristes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> historiens. Pour la partie historique, il s’agit <strong>de</strong> tenter une typologie<br />

historique du terrorisme, articulée autour <strong>de</strong> la construction <strong><strong>de</strong>s</strong> États-nations <strong>et</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> formes <strong>de</strong> contestations politiques. L’objectif étant <strong>de</strong> repérer dans le temps les<br />

glissements <strong>et</strong> la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> formes <strong>de</strong> violence politique.


498 HENRY LAURENS<br />

Pour la partie juridique, la démarche consiste à évoquer les définitions actuelles<br />

du terrorisme dans une perspective critique éclairée par différentes branches du<br />

droit, interne <strong>et</strong> international. L’objectif étant <strong>de</strong> repérer les transformations, <strong>de</strong> la<br />

répression pénale à la guerre contre le terrorisme, au regard <strong>de</strong> l’émergence d’une<br />

communauté mondiale <strong>de</strong> valeurs.<br />

Session I : Pour une typologie historique du terrorisme.<br />

Henry Laurens, Professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> : Le terrorisme comme personnage<br />

historique.<br />

Hamit Bozarslan, Directeur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> à l’EHESS : De l’action révolutionnaire aux<br />

« ban<strong><strong>de</strong>s</strong> » au pouvoir : les komtajiliks ottomans au tournant du xx e siècle.<br />

Barbara Lambauer, Chercheur à l’I.E.P. <strong>de</strong> Paris : Le terrorisme selon l’Allemagne nazie<br />

<strong>et</strong> sa répression, 1939-1945.<br />

Session II : Le terrorisme entre droit national, régional <strong>et</strong> international.<br />

Mireille Delmas-Marty, Professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> : Typologie juridique du<br />

terrorisme : durcissement <strong><strong>de</strong>s</strong> particularismes ou émergence d’une communauté mondiale<br />

<strong>de</strong> valeurs ?<br />

Stefano Manacorda, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Naples II : Les conceptions <strong>de</strong> l’Union<br />

européenne en matière <strong>de</strong> terrorisme.<br />

Michel Rosenfeld, Professeur à la Benjamin N. Cardozo School of Law, titulaire <strong>de</strong> la<br />

Chaire Blaise Pascal : Terrorisme <strong>et</strong> droit constitutionnel comparé.<br />

Emmanuel Decaux, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Paris II - Panthéon Assas : Terrorisme<br />

<strong>et</strong> droit international <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme.<br />

Mireille Delmas-Marty <strong>et</strong> Henry Laurens : conclusions.<br />

Quatre heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong> ont été données sur la Question <strong>de</strong> Palestine à l’université<br />

Saint Joseph <strong>de</strong> Beyrouth. La conjoncture politique a fait que les <strong>cours</strong> suivants<br />

n’ont pu être donnés.<br />

Dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> activités <strong>de</strong> l’Institut du Contemporain, un colloque conjoint<br />

avec la chaire <strong>de</strong> Rationalité <strong>et</strong> sciences sociales <strong>de</strong> Jon Elster a été tenu les 6 <strong>et</strong><br />

7 décembre 2007 sur le suj<strong>et</strong> « Mimétisme <strong>et</strong> fausses représentations dans les<br />

guerres civiles ».<br />

Masques <strong>et</strong> voiles dans les guerres civiles, 6-7 décembre 2007.<br />

Présentation du colloque par Jon Elster <strong>et</strong> Henry Laurens.<br />

Stephen Holmes, New York University, Hobbes. La guerre civile <strong>et</strong> les faux prophètes.<br />

Olivier Christin, Université Lyon II, Raisons <strong>et</strong> déraison <strong>de</strong> l’iconoclasme : Saumur,<br />

1562.<br />

Jean-Pierre Babelon, Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles L<strong>et</strong>tres, Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Les<br />

Guise <strong>et</strong> la Couronne <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />

Denis Crouz<strong>et</strong>, Université Paris IV, Noblesse <strong>et</strong> aristocratie françaises entre conquête <strong>de</strong><br />

l’État <strong>et</strong> quête du salut au début <strong><strong>de</strong>s</strong> guerres <strong>de</strong> religion.<br />

Jon Elster, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Un dilemme herméneutique.


HISTOIRE CONTEMPORAINE DU MONDE ARABE 499<br />

Jim Fearon, Stanford University, Comments on Leonard Bin<strong>de</strong>r’s « I<strong>de</strong>ntity, Culture, and<br />

Collective Action ».<br />

Henry Laurens, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Qu’est-ce qu’une communauté confessionnelle ?<br />

Édouard Méténier, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, La production sociale <strong>de</strong> la violence politique : le<br />

cas <strong>de</strong> l’Irak.<br />

Jihane Sfeir, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Par<strong>cours</strong> politiques <strong>et</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> d’engagement <strong>de</strong> combattants<br />

chiites dans la guerre civile libanaise.<br />

Reina Sarkis, Université Paris VII Altérations psychiques <strong>et</strong> guerres infinies.<br />

Au mois <strong>de</strong> mai 2008, le professeur invité : M. Ahmad BEYDOUN, Professeur<br />

à l’Université <strong>de</strong> Beyrouth (Liban) a fait les quatres conférences suivantes :<br />

1. Du Pacte <strong>de</strong> 1943 à l’accord <strong>de</strong> Taef : les résistances à la déconfessionnalisation.<br />

2. Ce qu’« indépendance » voulait dire...<br />

3. Une nouvelle donne intercommunautaire ?<br />

4. Le système politique libanais a-t-il un avenir ?<br />

Une publication rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces conférences est prévue.<br />

En coopération avec l’IISMM-EHESS <strong>et</strong> en liaison avec la Mairie <strong>de</strong> Paris un<br />

cycle <strong>de</strong> 16 conférences publiques a été organisé sur l’intitulé général Connaissance<br />

<strong>de</strong> l’Islam, 1 re session, le Moyen-Orient, zone <strong>de</strong> conflits ?, 2 e session, l’Islam au<br />

quotidien.<br />

M. Laurens a participé au colloque <strong>de</strong> rentrée du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur l’autorité<br />

avec une communication l’Autorité sans l’État, le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> Palestiniens.<br />

Quatre conférences ont eu lieu à l’Université <strong>de</strong> Georg<strong>et</strong>own <strong>et</strong> au Centre<br />

culturel français <strong>de</strong> Washington en février 2008.<br />

Une conférence à Mascate en Oman à l’invitation du Ministère <strong><strong>de</strong>s</strong> Affaires<br />

religieuses en mars 2008.<br />

Deux conférences en Tunisie en avril 2008 à l’invitation <strong>de</strong> l’École normale<br />

supérieure <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Chaire UNESCO <strong>de</strong> philosophie.<br />

Nombreuses interventions dans différentes instances allant <strong>de</strong> l’association<br />

parlementaire <strong>France</strong>-Égypte, la Délégation <strong>de</strong> la Communauté Européenne à<br />

Paris, l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences morales, <strong><strong>de</strong>s</strong> Universités inter-âges, <strong><strong>de</strong>s</strong> associations<br />

culturelles, le lycée <strong>de</strong> Bondy.<br />

Participations à diverses émissions radiophoniques <strong>et</strong> télévisuelles ainsi qu’à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

documentaires télévisuelles.<br />

Plusieurs entr<strong>et</strong>iens dans la presse <strong>et</strong> dans <strong><strong>de</strong>s</strong> revues.<br />

Quatre participations à <strong><strong>de</strong>s</strong> jurys <strong>de</strong> thèse <strong>et</strong> d’habilitation.


500 HENRY LAURENS<br />

Participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques :<br />

« Quelle Méditerranée pour la <strong>France</strong>, l’Italie <strong>et</strong> l’Europe ? »<br />

Séminaire <strong>de</strong> l’Observatoire franco-italien, Turin le 21 septembre 2007.<br />

Quel avenir pour les chrétiens d’Orient ?<br />

Vendredi 16 <strong>et</strong> samedi 17 novembre 2007.<br />

Colloque international organisé par l’Institut Européen en sciences <strong><strong>de</strong>s</strong> religions (IESR)<br />

l’École Pratique <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> (EPHE).<br />

Sous le parrainage du Ministère <strong><strong>de</strong>s</strong> Affaires Étrangères.<br />

Citoyenn<strong>et</strong>é <strong>et</strong> I<strong>de</strong>ntité palestiniennes.<br />

Institute of Palestinian Studies <strong>et</strong> Institut Français du Proche-Orient.<br />

Beyrouth les 14 <strong>et</strong> 16 décembre 2007.<br />

Troisième Conférence <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Ateliers Culturels sur le Dialogue entre les Peuples <strong>et</strong> les Cultures<br />

dans la Zone Euroméditerranéenne <strong>et</strong> <strong>de</strong> Golfe. Alexandrie 19-21 janvier 2008.<br />

Participation aux sessions générales <strong>et</strong> aux ateliers.<br />

La Greffe <strong>de</strong> la démocratie : les paradoxes <strong>de</strong> la longue durée.<br />

Première Rencontre européenne d’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés politiques.<br />

Paris 1er février 2008.<br />

Les Sciences Sociales à L’épreuve du Mon<strong>de</strong> Contemporain.<br />

Hommage à Alain Roussillon, Le Caire, 15, 16 <strong>et</strong> 17 juin 2008.<br />

Activité <strong>de</strong> l’équipe<br />

Édouard Méténier, ATER au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

Installé à mon poste <strong>de</strong>puis le 1er septembre 2007, mon activité a consisté à<br />

poser les bases du travail pour lequel le professeur Henry Laurens m’a proposé <strong>de</strong><br />

rejoindre son équipe <strong>de</strong> jeunes chercheurs, étant entendu que ma mission première<br />

rési<strong>de</strong> dans l’achèvement <strong>de</strong> la rédaction <strong>de</strong> ma thèse <strong>de</strong> doctorat, dont la soutenance<br />

est prévue en décembre 2008.<br />

— Assistance à l’activité d’enseignement <strong>de</strong> la chaire :<br />

Rédaction <strong>de</strong> la présentation du <strong>cours</strong> 2007-2008 pour publication sur la webpage <strong>de</strong><br />

celle-ci, sur le site intern<strong>et</strong> du <strong>Collège</strong>.<br />

Création <strong>de</strong> la page Laboratoire sur la webpage <strong>de</strong> la chaire, sur le site intern<strong>et</strong> du<br />

<strong>Collège</strong>.<br />

— Participation à l’activité <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> la chaire :<br />

Préparation d’un atelier <strong>de</strong> travail pour décembre 2008 sur le thème « L’écriture <strong>de</strong><br />

l’histoire <strong>et</strong> ses enjeux : le cas <strong>de</strong> l’Irak » organisé conjointement par la chaire <strong>et</strong> par le<br />

CERMOM/INALCO.<br />

Préparation d’une journée d’étu<strong>de</strong> : « Les <strong>de</strong>mocratization studies à l’épreuve du terrain :<br />

le cas du Greater Middle-East » organisée par la chaire avec l’appui <strong>de</strong> l’IMC, prévue en<br />

juin 2009.<br />

Mise en place avec Jihane SFEIR, <strong>de</strong> l’équipe <strong>de</strong> recherche constituée autour <strong>de</strong> la chaire,<br />

d’un séminaire <strong>de</strong> recherche organisé conjointement par la chaire <strong>et</strong> l’IISMM sur le<br />

thème « Historiographie(s) du Mon<strong>de</strong> Arabe Contemporain — Entre histoire(s) <strong>et</strong><br />

mémoire(s) : formes <strong>et</strong> enjeux <strong><strong>de</strong>s</strong> conflits <strong>de</strong> légitimité » dont la mise en route est<br />

programmée pour le premier semestre 2009.


HISTOIRE CONTEMPORAINE DU MONDE ARABE 501<br />

— Participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> rencontres académiques :<br />

Conférence internationale « Unity and Diversity in Iraq : the Nation’s Past and Future »<br />

organisée les 26, 27 <strong>et</strong> 28 octobre 2007 à Istanbul par le TAARII <strong>et</strong> le Hollings Center.<br />

Colloque « Masques <strong>et</strong> voiles dans les guerres civiles » organisé les 6 <strong>et</strong> 7 décembre 2007<br />

au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> par les professeurs Jon Elster <strong>et</strong> Henry Laurens.<br />

Conférence internationale « L’ivresse <strong>de</strong> la liberté : la révolution <strong>de</strong> 1908 dans l’empire<br />

ottoman » organisé les 5, 6 <strong>et</strong> 7 juin 2008 au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> par la chaire d’histoire<br />

ottomane <strong>et</strong> l’UMR 8032 Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> turcs <strong>et</strong> ottomanes du CNRS.<br />

— Publications remises aux éditeurs au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année :<br />

« La production sociale <strong>de</strong> la violence dans l’Irak post-baathiste », en collaboration avec<br />

Louloua Al-Rachid, pour la revue A Contrario (IUED/Université <strong>de</strong> Genève), vol. 5<br />

(2007/2), numéro spécial dirigé par Riccardo Bocco : Situations conflictuels au Moyen-<br />

Orient.<br />

« Kurdicités irakiennes : Aperçus historiques sur la présence kur<strong>de</strong> à Bagdad à l’époque<br />

mo<strong>de</strong>rne » pour la revue Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> kur<strong><strong>de</strong>s</strong> (Paris), 2008/1, numéro spécial dirigé par Boris<br />

James, Les Kur<strong><strong>de</strong>s</strong> d’Irak : approches historiques.<br />

Recherche<br />

Jihane Sfeir, chercheure associée<br />

2008-2009 : Post-doctorante responsable <strong>de</strong> la coordination du programme ANR<br />

Archiver : les pratiques historiographies au Moyen-Orient. Institut d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> l’Islam <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Sociétés du Mon<strong>de</strong> Musulman (EHESS)/<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>. Paris.<br />

2007-2009 : Participation au programme ANR « Mémoires <strong>de</strong> guerre » Institut Français<br />

du Proche-Orient <strong>et</strong> Université Saint-Joseph. Beyrouth.<br />

2006-2008 : Participation au proj<strong>et</strong> Cedre (CEIFR/CNRS/USJ) « Le passage <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

frontières ». Paris-Beyrouth.<br />

Enseignement<br />

2008-2009 : Responsable du séminaire IISMM/<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> : « Historiographie<br />

contemporaine du mon<strong>de</strong> arabe ». Co-direction avec Édouard Méténier.<br />

Septembre 2007-décembre 2007 : Assistant Professor, Université Américaine <strong>de</strong> Paris<br />

« M<strong>et</strong>hodology on Islam (Master Middle-East Studies) : Frantz Fanon Wr<strong>et</strong>ched of the<br />

Earth, Edward Said Orientalism » <strong>et</strong> « Palestinian Condition : History, Refugees and Every<br />

Day Life » (Master Middle-East Studies).<br />

Publications<br />

Ouvrage<br />

L’exil palestinien au Liban : le temps <strong><strong>de</strong>s</strong> origines 1947-1952, IFPO/Karthala, Beyrouth/<br />

Paris, 2008.<br />

Contributions à <strong><strong>de</strong>s</strong> ouvrages collectifs<br />

« Palestinians in Lebanon : the Birth of the Enemy Within », in M.A. Khalidi <strong>et</strong> Diane<br />

Riskedahl (ed.), Palestinian Citizenships and I<strong>de</strong>ntities, IPS/IFPO, Beyrouth (à paraître<br />

2008).


502 HENRY LAURENS<br />

« Éclatement d’une société <strong>et</strong> dispersion d’un peuple : les récits <strong>de</strong> la Hijra <strong>de</strong> 1948 », in<br />

Leslie Tramontini <strong>et</strong> Chibli Mallat (ed.), From Baghdad to Beirut, Arab and Islamic Studies<br />

in honor of John J. Donohue s.j., Orient-Institut, Beyrouth, 2007, pp. 427-462.<br />

Interventions<br />

2007<br />

13-14 décembre : participation au colloque « Palestinian Citizenships and I<strong>de</strong>ntities »,<br />

organisé par l’Institut Français du Proche-Orient (IFPO) <strong>et</strong> l’Institute for Palestine Studies<br />

(IPS) à l’Université Américaine <strong>de</strong> Beyrouth. Intervention : « Palestinians in Lebanon : the<br />

Birth of the Enemy Within ». Beyrouth.<br />

6-7 décembre : Participation au colloque organisé au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> : « Masques <strong>et</strong><br />

voiles dans les guerres civiles » (sous la direction <strong>de</strong> Henry Laurens <strong>et</strong> <strong>de</strong> Jon Elster).<br />

Intervention sur « Par<strong>cours</strong> politiques <strong>de</strong> combattants chiites dans la guerre civile libanaise ».<br />

Paris.<br />

5 décembre : participation à une journée d’étu<strong>de</strong> organisée par le Laboratoire<br />

d’Anthropologie Urbaine (UPR34/CNRS), dans le cadre du programme ANR « Liban,<br />

mémoires <strong>de</strong> guerre : pratiques, traces <strong>et</strong> usages » entamé à l’Institut Français du Proche-<br />

Orient, en partenariat avec l’Université Saint-Joseph <strong>de</strong> Beyrouth en janvier 2007.<br />

Intervention : « Nom <strong>de</strong> guerre : Bassel ; Portrait d’un combattant chiite. ». Paris.<br />

29 novembre : intervention au séminaire « Guerre <strong>et</strong> société dans le mon<strong>de</strong> arabe<br />

contemporain : les figures du combattant » dirigé par Nadine Picaudou (CEMAf, Univ.<br />

Paris I) ; Pierre Vermeren (CEMAf, Univ. Paris I) ; Raphaëlle Branche (CHS, Univ.<br />

Paris I) ; Sylvie Thénault, (CHS, CNRS) : « Par<strong>cours</strong> politiques <strong>et</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> d’engagement <strong>de</strong><br />

combattants chiites dans la guerre civile libanaise ». Paris.<br />

29-31 octobre : Participation à la table-ron<strong>de</strong> « Regards croisés sur les recompositions<br />

sociales, territoriales <strong>et</strong> i<strong>de</strong>ntitaires dans les pays du Sud », Programme <strong>de</strong> Coopération pour<br />

la Recherche Universitaire <strong>et</strong> Scientifique, (CORUS/ENA Meknès/IRD), Rabat.<br />

Intervention : « Citoyenn<strong>et</strong>és, I<strong>de</strong>ntités <strong>et</strong> territorialités palestiniennes». Rabat.<br />

17 octobre : présentation avec Édouard Méténier du séminaire d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> IISMM/<strong>Collège</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>France</strong> : « Historiographie contemporaine du mon<strong>de</strong> arabe ». Paris.<br />

2008<br />

19 juin : Intervention dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> jeudis <strong>de</strong> l’Institut du Mon<strong>de</strong> Arabe sous le titre :<br />

« La mémoire palestinienne <strong>de</strong> 1948 ». Paris.<br />

24 Avril : Conférence à l’Institut Français du Proche-Orient autour <strong>de</strong> « L’exil palestinien<br />

au Liban ». Beyrouth.<br />

15 Mai : Intervention au Centre <strong>de</strong> Formation <strong><strong>de</strong>s</strong> Journalistes. Paris.<br />

18 Mai : Participation à la conférence autour <strong><strong>de</strong>s</strong> 60 ans <strong>de</strong> la Nakba. Bruxelles.<br />

4 mars : Présentation <strong>de</strong> mon ouvrage « L’exil palestinien au Liban : le temps <strong><strong>de</strong>s</strong> origines,<br />

1947-1952 » Édité par Karthala <strong>et</strong> l’Institut français du Proche-Orient (2008). <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong>. Paris.<br />

Leyla Dakhli<br />

De février à juin 2008, animation d’un séminaire sur « Le mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> journalistes arabes,<br />

un milieu, un métier : questionnements <strong>et</strong> itinéraires » (séminaire EHESS accueilli dans les<br />

locaux du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>).


HISTOIRE CONTEMPORAINE DU MONDE ARABE 503<br />

Participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques <strong>et</strong> ateliers :<br />

— Nouveaux médias dans le mon<strong>de</strong> arabe, « Les premiers temps <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnisation<br />

du paysage médiatique arabe. L’exemple <strong>de</strong> la presse écrite levantine dans l’entre-<strong>de</strong>uxguerres<br />

», colloque organisé par l’université <strong>de</strong> Lyon II, 9-10 février.<br />

— Panel sur l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la presse arabe, Mediterranean Me<strong>et</strong>ing, Florence, mars 2008<br />

« Pour une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’émergence <strong>de</strong> la presse d’opinion dans le Bilad al-Shâm : le courrier<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> lecteurs ». Institut Européen Robert Schuman <strong>de</strong> Florence, 12 au 16 mars.<br />

Publications<br />

— Une génération d’intellectuels arabes. Syrie <strong>et</strong> Liban, 1908-1940, éditions Khartala-<br />

IISMM (à paraître en septembre 2008).<br />

— « The “Mahjar” as literary and political territory in the first <strong>de</strong>ca<strong><strong>de</strong>s</strong> of the 20 th<br />

century : the example of Amîn Rîhânî (1876-1940) », in The Arab Intellectual and the<br />

Question of Mo<strong>de</strong>rnity, forthcoming 2009, Routledge.<br />

— « Le pouvoir aux savants, par<strong>cours</strong> d’une génération intellectuelle en Syrie <strong>et</strong> au Liban<br />

(1908-1940) », in Savoirs <strong>et</strong> pouvoirs. Genèse <strong><strong>de</strong>s</strong> traditions <strong>et</strong> traditions réinventées,<br />

Maisonneuve <strong>et</strong> Larose, octobre 2007.<br />

— Note <strong>de</strong> lecture <strong>de</strong> Bernard Rougier, Everyday Jihad, The Rise of Militant Islam among<br />

Palestinians in Lebanon, Harvard University Press, Cambridge MA, 2007, pour Le<br />

Mouvement Social. http://mouvement-social.univ-paris1.fr/document.php?id=1091.<br />

— Note <strong>de</strong> lecture <strong>de</strong> Mansoor Moad<strong>de</strong>l, Islamic Mo<strong>de</strong>rnism, Nationalism, and<br />

Fundamentalism. Episo<strong>de</strong> and Dis<strong>cours</strong>e, The University of Chicago Press, Chicago, 2005,<br />

pour les Annales HSS (à paraître n° 4 - 2008).


Rationalité <strong>et</strong> sciences sociales<br />

M. Jon Elster, professeur<br />

L’irrationalité<br />

Ce <strong>cours</strong> sur l’irrationalité fait suite au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année précé<strong>de</strong>nte sur le<br />

désintéressement. Comme dans ce <strong>de</strong>rnier <strong>cours</strong>, j’ai fait appel à <strong>de</strong>ux corps<br />

théoriques distincts, d’un côté les classiques <strong>de</strong> la pensée, <strong>de</strong> Montaigne à<br />

Tocqueville, <strong>et</strong> d’un autre la psychologie <strong>et</strong> l’économie récentes, cherchant les<br />

bonnes questions chez les classiques pour essayer ensuite <strong>de</strong> trouver les bonnes<br />

réponses chez les mo<strong>de</strong>rnes. Ensemble, les <strong>de</strong>ux <strong>cours</strong> constituent les <strong>de</strong>ux vol<strong>et</strong>s<br />

d’une critique <strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong> l’homme économique, ou homo economicus. Dans<br />

ce qui suit, je propose non pas tant un résumé du <strong>cours</strong> en tant que tel qu’une<br />

explicitation du concept d’irrationalité tel que le <strong>cours</strong> l’a déroulé.<br />

Sans trop caricaturer, on peut dire qu’un grand nombre d’économistes continuent<br />

d’utiliser les <strong>de</strong>ux hypothèses du choix rationnel <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> motivations intéressées, qui<br />

ont en leur faveur la simplicité <strong>et</strong> la parcimonie. Dans la mesure où la recherche <strong>de</strong><br />

vérité doit l’emporter sur la quête <strong>de</strong> simplicité <strong>et</strong> dans la mesure où l’hypothèse <strong>de</strong><br />

l’homme économique est réfutée par les observations empiriques, je défends dans le<br />

<strong>cours</strong> l’idée qu’il faut y renoncer. J’ajoute qu’en faisant appel à d’autres hypothèses<br />

(par exemple la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> perspectives proposée par Daniel Kahneman <strong>et</strong> Amos<br />

Tversky ou la théorie <strong>de</strong> l’escompte hyperbolique proposée par R.H. Strotz <strong>et</strong><br />

élaborée par George Ainslie), on peut éviter l’arbitraire en déduisant <strong>de</strong> celles-ci <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

faits nouveaux (les novel facts <strong>de</strong> Imre Lakatos). Le fait que ces hypothèses alternatives<br />

ne se laissent pas intégrer dans une théorie unifiée, semblable à c<strong>et</strong> égard à la théorie<br />

du choix rationnel, ne saurait constituer une objection décisive.<br />

Concernant les <strong>de</strong>ux composantes <strong>de</strong> la théorie économique que je viens <strong>de</strong><br />

mentionner, la rationalité <strong>et</strong> les motivations intéressées, il n’est pas vrai <strong>de</strong> dire que<br />

la première implique la secon<strong>de</strong>. Il s’agit là d’une vue simpliste <strong>et</strong> fausse, qui<br />

comporte souvent un brin <strong>de</strong> mauvaise foi. Pour attaquer la théorie du choix


506 JON ELSTER<br />

rationnel il est sans doute commo<strong>de</strong> <strong>de</strong> s’en prendre à ses avocats les plus grossiers,<br />

pour lesquels il semble en eff<strong>et</strong> aller <strong>de</strong> soi que l’agent rationnel ne poursuit que<br />

son intérêt propre. Or c’est une victoire trop facile, car c’est une position qui n’est<br />

défendue par aucun économiste sérieux. En réalité, une motivation désintéressée<br />

comme l’altruisme est non seulement compatible avec la rationalité, mais elle<br />

l’exige. Si j’alloue une partie <strong>de</strong> mon revenu à la réduction <strong>de</strong> la pauvr<strong>et</strong>é dans le<br />

tiers-mon<strong>de</strong>, le même souci désintéressé qui m’y conduit doit aussi me faire<br />

rechercher la fondation philanthropique qui en fasse le meilleur usage. Si mon<br />

argent finit par profiter plus aux fonctionnaires <strong>de</strong> la fondation — ou aux<br />

dictateurs — qu’aux pauvres, on pourra m<strong>et</strong>tre en question non seulement mon<br />

altruisme mais également ma rationalité. Le <strong>cours</strong> explore à c<strong>et</strong> égard ce que les<br />

économistes appellent le « warm glow » (dans ma terminologie « l’eff<strong>et</strong> Valmont »)<br />

qui correspond au plaisir ressenti dans toute action altruiste.<br />

Il est tout à fait possible que certains comportements d’apparence altruiste soient<br />

en eff<strong>et</strong> motivés par un désir d’autosatisfaction. Or il faut ajouter que dans c<strong>et</strong>te<br />

hypothèse il faut aussi présupposer l’irrationalité, sous la forme <strong>de</strong> la duperie <strong>de</strong><br />

soi-même. Afin d’obtenir la satisfaction intime d’avoir fait le bien, il faut penser<br />

avoir agi pour le bien d’autrui. En <strong>de</strong> tels cas, on ne peut pas gar<strong>de</strong>r à la fois<br />

l’hypothèse <strong>de</strong> motivations égocentriques <strong>et</strong> l’hypothèse <strong>de</strong> rationalité.<br />

La théorie <strong>de</strong> l’homme économique comporte aussi une troisième composante :<br />

l’hypothèse que chaque agent est parfaitement informé <strong>de</strong> la situation <strong>de</strong> tous les<br />

autres acteurs. Il sait en particulier qu’ils sont rationnels, leur motivation intéressée,<br />

<strong>et</strong> qu’ils sont eux aussi parfaitement informés. C<strong>et</strong>te composante est surtout<br />

importante dans les jeux stratégiques. Elle est un peu moins essentielle que les <strong>de</strong>ux<br />

autres composantes, en ce sens qu’on peut souvent obtenir <strong><strong>de</strong>s</strong> prédictions précises<br />

même dans le cas d’information imparfaite. Elle a pourtant une place dans le type<br />

idéal <strong>de</strong> l’homme économique.<br />

Une quatrième composante, dont le statut est assez différent, est celle <strong>de</strong><br />

l’individualisme méthodologique, selon lequel, en gros, l’élucidation complète <strong>de</strong><br />

la psychologie individuelle ferait disparaître la sociologie. Il n’entre pas dans mon<br />

propos ici <strong>de</strong> défendre c<strong>et</strong>te doctrine, à laquelle je souscris profondément. Il<br />

convient néanmoins d’observer que, contrairement à ce que l’on peut lire chez les<br />

durkheimiens, l’individualisme méthodologique n’implique ni la rationalité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

agents ni leur motivation intéressée. En fait, tout ce que je dis dans ce <strong>cours</strong> sur<br />

les comportements irrationnels présuppose un cadre individualiste. On peut donc<br />

r<strong>et</strong>enir c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière composante <strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong> l’homme économique tout en<br />

rej<strong>et</strong>ant ou en critiquant les trois autres.<br />

Trois <strong><strong>de</strong>s</strong> idées dont je viens <strong>de</strong> parler — la rationalité, les motivations intéressées,<br />

<strong>et</strong> l’individualisme méthodologique — sont strictement indépendantes les unes <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

autres. Il existe pourtant une idéologie bien-pensante selon laquelle elles sont<br />

étroitement solidaires <strong>et</strong>, bien entendu, sont toutes à rej<strong>et</strong>er. Qui défend l’une<br />

d’entre elles est accusé, par réflexe, d’accepter les autres. Le présent <strong>cours</strong> est


RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 507<br />

largement une critique <strong>de</strong> la force explicative <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> rationalité. Je tiens<br />

à souligner que du point <strong>de</strong> vue normatif, la rationalité est une idée incontournable<br />

— transculturelle <strong>et</strong> transhistorique — au contraire <strong>de</strong> l’idée <strong>de</strong> motivations<br />

intéressées.<br />

Ce <strong>cours</strong> opère ainsi un va-<strong>et</strong>-vient constant entre le normatif <strong>et</strong> l’explicatif. La<br />

force normative <strong>de</strong> la rationalité sert <strong>de</strong> correctif permanent aux tendances<br />

irrationnelles spontanées. C’est ainsi que l’on peut expliquer tous les dispositifs que<br />

nous construisons — ou que la société m<strong>et</strong> à notre disposition — pour combattre<br />

la faiblesse <strong>de</strong> volonté, ainsi que je les ai décrits dans un livre récent, Agir contre<br />

soi. Or comme toujours lorsqu’il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> moyens <strong>de</strong> correction, il peut aussi y avoir<br />

hypercorrection. C’est ce que j’appellerai « surrationalité ». La force normative <strong>de</strong><br />

la rationalité est si puissante que nous sommes souvent tentés <strong>de</strong> l’appliquer hors<br />

<strong>de</strong> son domaine naturel. Ainsi la « critique » <strong>de</strong> la rationalité que je proposerai est<br />

en partie une critique au sens kantien, ou peut-être pascalien : « Il n’y a rien <strong>de</strong> si<br />

conforme à la raison que ce désaveu <strong>de</strong> la raison ».<br />

Le <strong>cours</strong> a suivi en gros le plan suivant :<br />

10 janvier. Introduction générale<br />

17 janvier. Les structures élémentaires <strong>de</strong> la rationalité<br />

24 janvier. Indétermination <strong>et</strong> irrationalité<br />

31 janvier. La surrationalité<br />

7 février. Réduction <strong>et</strong> production <strong>de</strong> dissonance cognitive<br />

14 février. La faiblesse <strong>de</strong> volonté<br />

21 février. Les croyances motivées<br />

13 mars. L’escompte du futur<br />

20 mars. Les passions<br />

27 mars. Les passions (suite)<br />

3 avril. Biais <strong>et</strong> heuristiques<br />

10 avril. La théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> perspectives<br />

17 avril. Vue d’ensemble<br />

Introduction<br />

L’idée d’irrationalité est d’origine relativement récente, comme l’est aussi celle<br />

<strong>de</strong> rationalité par contraste avec laquelle elle se définit. On affirme souvent que la<br />

notion <strong>de</strong> rationalité instrumentale dans son sens contemporain date <strong><strong>de</strong>s</strong> années<br />

1860-1870, quand eut lieu la révolution marginaliste en économie. Il me semble<br />

plus exact <strong>de</strong> remonter à Leibniz, qui concevait le choix par Dieu du meilleur <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

mon<strong><strong>de</strong>s</strong> possibles par analogie avec l’entrepreneur rationnel.<br />

Même si l’idée <strong>de</strong> la rationalité instrumentale est <strong>de</strong> date assez récente, le<br />

comportement rationnel est <strong>de</strong> tous les temps. Il en va <strong>de</strong> même <strong>de</strong> l’irrationalité.<br />

Pour les anciens, cependant, les phénomènes irrationnels étaient liés aux<br />

perturbations physiologiques <strong>et</strong> viscérales. L’irrationalité était essentiellement


508 JON ELSTER<br />

« chau<strong>de</strong> ». Or nous savons aujourd’hui qu’il existe également une irrationalité<br />

« froi<strong>de</strong> » qui n’est accompagnée d’aucune perturbation <strong>de</strong> l’organisme. Pour en<br />

donner un exemple, considérons une personne qui marche vers <strong>de</strong>ux bâtiments,<br />

qu’on va supposer transparents.<br />

1 2 3 4<br />

Lorsque la personne se trouve au point 1, à quelque distance <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux bâtiments,<br />

leurs gran<strong>de</strong>urs apparentes relatives <strong>et</strong> leurs gran<strong>de</strong>urs réelles relatives sont les<br />

mêmes. Le bâtiment le plus grand apparaît comme le plus grand. Or quand la<br />

personne arrive au point 2, le bâtiment plus p<strong>et</strong>it domine le plus grand. Il s’agit<br />

là d’une simple illusion que le cerveau corrige automatiquement sans que nous y<br />

fassions attention.<br />

On peut aussi lire le diagramme <strong>de</strong> manière différente, en interprétant l’axe<br />

horizontal comme une dimension temporelle plutôt que spatiale <strong>et</strong> les hauteurs <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

bâtiments comme <strong><strong>de</strong>s</strong> biens qui <strong>de</strong>viennent accessibles aux moments 3 <strong>et</strong> 4<br />

respectivement. Les lignes obliques représentent maintenant la valeur présente <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>de</strong>ux biens aux divers moments du temps. Lorsque la personne contemple le choix<br />

entre les biens au moment 1, le bien plus grand lui semble préférable, mais au<br />

moment 2 la préférence s’est renversée. Elle va donc choisir le bien moins grand.<br />

De manière qualitative, le diagramme suggère pourtant ce qui sera confirmé plus<br />

loin, à savoir qu’il peut y avoir un changement <strong>de</strong> préférences sans que rien ne se<br />

passe, sauf le passage du temps. C’est un cas paradigmatique <strong>de</strong> l’irrationalité<br />

froi<strong>de</strong>. A ce point <strong>de</strong> l’exposé, l’essentiel est <strong>de</strong> comprendre que le présupposé<br />

traditionnel <strong>et</strong> implicite selon lequel l’irrationnel découle toujours <strong><strong>de</strong>s</strong> passions, au<br />

sens large <strong><strong>de</strong>s</strong> anciens, n’est plus tenable aujourd’hui.<br />

Dans les trente <strong>de</strong>rnières années, les sciences sociales ont découvert un grand<br />

nombre <strong>de</strong> mécanismes précis qui sont générateurs <strong>de</strong> comportements irrationnels<br />

<strong>et</strong> dont il est longuement question dans ce <strong>cours</strong>. Pour pouvoir affirmer l’irrationalité<br />

<strong>de</strong> tel ou tel comportement, il faut a priori définir la notion <strong>de</strong> rationalité dont on<br />

se sert. Prenons le comportement <strong>de</strong> quelqu’un qui se soucie peu <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences<br />

éloignées dans le temps <strong>de</strong> ses actions présentes, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences négatives<br />

pour sa santé, ses finances <strong>et</strong> ses relations personnelles. D’un point <strong>de</strong> vue intuitif,


RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 509<br />

on dirait sans doute que c<strong>et</strong> individu constitue le paradigme même <strong>de</strong> l’irrationalité.<br />

Du point <strong>de</strong> vue que j’adopte dans ce <strong>cours</strong>, il n’en est rien. Je serais prêt à dire<br />

qu’il se comporte bêtement, mais la bêtise n’est pas la même chose que l’irrationalité.<br />

D’un point <strong>de</strong> vue objectif, c<strong>et</strong> individu souffre <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> ses actions, ce qui<br />

n’exclut pas que <strong>de</strong> son point <strong>de</strong> vue subjectif il fasse ce qui lui semble le mieux.<br />

Dans ce <strong>cours</strong>, j’adopte une définition résolument subjective <strong><strong>de</strong>s</strong> notions du<br />

rationnel <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’irrationnel, non pas que c<strong>et</strong>te définition soit plus « correcte »<br />

qu’une autre, idée qui d’ailleurs n’a pas <strong>de</strong> sens, mais simplement parce qu’elle me<br />

semble la plus utile à mes fins.<br />

En ce qui concerne ces fins, elles sont surtout explicatives. La théorie du choix<br />

rationnel suggère <strong><strong>de</strong>s</strong> hypothèses dont on peut se servir pour rendre compte <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

comportements observés. De même, l’intérêt <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes <strong>de</strong> l’irrationalité est<br />

<strong>de</strong> fournir <strong><strong>de</strong>s</strong> outils pour l’explication <strong>de</strong> l’action. Cela dit, la théorie du choix<br />

rationnel est aussi, <strong>et</strong> même d’abord, une théorie normative. Elle dicte à l’agent ce<br />

qu’il doit faire afin <strong>de</strong> réaliser ses proj<strong>et</strong>s au mieux possible. Une fois établie c<strong>et</strong>te<br />

prescription, l’observateur peut la transformer en prédiction. En posant comme<br />

hypothèse explicative que l’individu dont il s’agit est en eff<strong>et</strong> rationnel, on vérifie<br />

celle-ci en comparant son comportement observé avec le comportement que<br />

recomman<strong>de</strong> la théorie.<br />

Il importe <strong>de</strong> voir que c<strong>et</strong>te vérification fournit un critère nécessaire mais non<br />

suffisant <strong>de</strong> la rationalité du comportement. Autrement dit, même un comportement<br />

qui est conforme aux prescriptions <strong>de</strong> la théorie du choix rationnel pourrait être le<br />

résultat d’un mécanisme irrationnel. Ou bien, pour le dire encore autrement, la<br />

rationalité ou l’irrationalité d’une action n’est pas un attribut <strong>de</strong> l’action elle-même<br />

mais du processus qui l’engendre. Le <strong>cours</strong> explore également les mécanismes<br />

susceptibles <strong>de</strong> « mimer » la rationalité (c’est-à-dire où tout se passe « comme si »<br />

l’agent était animé par la rationalité subjective, même lorsque l’on peut démontrer<br />

que tel n’est pas le cas), tels que la sélection naturelle. On rencontre parfois l’idée <strong>de</strong><br />

la rationalité <strong><strong>de</strong>s</strong> émotions, fondée sur l’efficacité <strong><strong>de</strong>s</strong> réactions émotionnelles <strong>et</strong><br />

quasi automatiques aux situations dangereuses. Or à mon avis il ne faut pas confondre<br />

le caractère adaptatif <strong>de</strong> ces réactions <strong>et</strong> leur prétendu caractère rationnel. Le fait que<br />

la sélection naturelle ait produit <strong><strong>de</strong>s</strong> comportements qui sont souvent les mêmes que<br />

ceux qu’aurait choisis un agent rationnel ne prouve en rien qu’il s’agit d’actions<br />

rationnelles. De manière plus importante, je montre dans les <strong>de</strong>ux conférences sur<br />

les passions que la simulation <strong>de</strong> la rationalité par la sélection naturelle risque d’être<br />

imparfaite, <strong>et</strong> que les réactions émotionnelles au danger enfreignent souvent les<br />

normes <strong>de</strong> la rationalité. Le comportement <strong><strong>de</strong>s</strong> gouvernements occi<strong>de</strong>ntaux à la suite<br />

du 11 septembre 2001 en offre sans doute un exemple.<br />

A mon avis, l’influence <strong>de</strong> la sélection naturelle sur la capacité à faire <strong><strong>de</strong>s</strong> choix<br />

rationnels délibérés est beaucoup plus importante que l’existence en nous, produite<br />

par l’évolution, <strong>de</strong> réactions automatiques capables <strong>de</strong> simuler la rationalité. Il<br />

s’agit en quelque sorte d’une distinction entre la vente en gros <strong>et</strong> la vente au détail.


510 JON ELSTER<br />

Dans un environnement complexe, la capacité à former <strong><strong>de</strong>s</strong> croyances bien fondées<br />

<strong>et</strong> à opérer <strong><strong>de</strong>s</strong> arbitrages cohérents entre les diverses fins qui s’imposent est<br />

essentielle. Le <strong>cours</strong> traite à c<strong>et</strong> égard du problème <strong><strong>de</strong>s</strong> poids relatifs qu’il convient<br />

d’accor<strong>de</strong>r aux biens proches dans le temps <strong>et</strong> aux biens plus éloignés. Il existe<br />

maintenant une littérature considérable suggérant fortement que c<strong>et</strong> arbitrage est<br />

typiquement incohérent, comme je l’ai indiqué dans le diagramme <strong>de</strong> tout à<br />

l’heure. On pourrait penser que c<strong>et</strong>te incohérence constitue un handicap sévère<br />

pour l’organisme, mais apparemment il n’en est rien.<br />

En second lieu, on peut faire appel à une analogie sociale <strong>de</strong> la sélection naturelle,<br />

notamment à la concurrence du marché. Ainsi, l’on pourrait réconcilier l’hypothèse<br />

<strong>de</strong> l’agent rationnel avec certaines modélisations <strong>de</strong> la rationalité qui lui imposent<br />

un far<strong>de</strong>au cognitif très lourd. Adm<strong>et</strong>tons que <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes <strong>de</strong> chair<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> sang soient incapables d’accomplir les calculs pour lesquels les chercheurs ont<br />

besoin <strong>de</strong> plusieurs pages <strong>de</strong> mathématiques avancées. Dans la réalité, les agents<br />

sociaux utilisent <strong><strong>de</strong>s</strong> critères <strong>de</strong> décisions souvent très grossiers. Ils coupent la poire<br />

en <strong>de</strong>ux, imitent le voisin, recherchent un seuil <strong>de</strong> satisfaction plutôt qu’un<br />

maximum, <strong>et</strong>c. On peut néanmoins affirmer qu’ils se comportent comme s’ils<br />

étaient capables <strong>de</strong> calculs sophistiqués, puisque ceux qui s’écartent du<br />

comportement optimal sont éliminés par le marché. L’irrationalité, dans c<strong>et</strong>te<br />

perspective, ne serait qu’un phénomène passager <strong>et</strong> éphémère.<br />

Ce raisonnement, qui est au fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> l’hypothèse <strong>de</strong> la rationalité<br />

« comme si » adoptée par l’économie mo<strong>de</strong>rne, est pourtant extrêmement faible. Il<br />

y a <strong>de</strong> nombreuses disanalogies entre la sélection naturelle <strong>et</strong> la concurrence du<br />

marché, dont la plus importante découle peut-être du fait que l’environnement<br />

économique change trop vite pour que la concurrence ait le temps d’éliminer les<br />

agents qui auraient choisi <strong><strong>de</strong>s</strong> critères <strong>de</strong> décision sous-optimaux. De plus, la<br />

plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> choix <strong><strong>de</strong>s</strong> agents sociaux ne se font pas dans le cadre d’une situation<br />

concurrentielle dont les perdants seraient éliminés. Finalement, dans l’histoire du<br />

mon<strong>de</strong>, les sociétés <strong>de</strong> marché constituent un phénomène exceptionnel.<br />

Il convient ainsi <strong>de</strong> bien distinguer les <strong>de</strong>ux propositions suivantes. D’une part,<br />

une proposition empirique : ni les émotions ni le marché ne ten<strong>de</strong>nt en général à<br />

produire, <strong>de</strong> manière systématique, <strong><strong>de</strong>s</strong> comportements adaptatifs. D’autre part,<br />

une proposition conceptuelle : l’adaptation, qui est un fait objectif, n’a rien à voir<br />

avec la rationalité, qui est un fait subjectif. Dans la suite <strong>de</strong> ce <strong>cours</strong>, j’insisterai<br />

toujours sur le caractère radicalement subjectif <strong>de</strong> la rationalité, même si <strong>de</strong> temps<br />

en temps il me faudra faire face aux implications contre-intuitives <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te approche.<br />

N’est-il pas absur<strong>de</strong>, par exemple, d’affirmer que le toxicomane soit rationnel ?<br />

Je répondrai que ce n’est pas absur<strong>de</strong>, même si, le plus souvent, c’est faux.<br />

Supposons maintenant que nous nous proposions <strong>de</strong> vérifier l’hypothèse <strong>de</strong><br />

l’homme économique dans une situation précise, <strong>et</strong> qu’elle s’avère fausse. Puisque<br />

l’hypothèse comporte les diverses composantes qu’on a vues, il est difficile <strong>de</strong><br />

savoir ce qu’il faut en conclure. Selon la thèse dite <strong>de</strong> Duhem-Quine, nos


RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 511<br />

hypothèses ne confrontent pas le mon<strong>de</strong> une par une, mais en bloc <strong>et</strong> <strong>de</strong> manière<br />

simultanée. Même lorsqu’une expérience est conçue afin <strong>de</strong> son<strong>de</strong>r une hypothèse<br />

précise, un résultat négatif n’infirme pas forcément celle-ci, car il se peut que le<br />

coupable soit l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> hypothèses auxiliaires adoptées implicitement ou<br />

explicitement par le chercheur. Dans le cas qui nous concerne ici, il est parfois<br />

difficile <strong>de</strong> savoir si les résultats d’une expérience donnée réfutent l’hypothèse <strong>de</strong><br />

la rationalité ou celle d’une motivation intéressée. Dans mon <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année<br />

<strong>de</strong>rnière, j’ai cité le comportement électoral comme un exemple possible. Pour<br />

expliquer pourquoi les électeurs se donnent la peine <strong>de</strong> voter, on peut comprendre<br />

leur vote comme un don à la société. Ce serait l’explication par le désintéressement.<br />

On pourrait également interpréter leur décision <strong>de</strong> se déplacer pour voter comme<br />

l’eff<strong>et</strong> d’une sorte <strong>de</strong> pensée magique. Chaque individu se dirait, <strong>de</strong> manière plus<br />

ou moins consciente, que s’il vote, d’autres avec les mêmes caractéristiques que lui<br />

le feront également. « Si je vote, ceux qui sont comme moi voteront aussi. » Ce<br />

serait l’explication par l’irrationalité.<br />

Je voudrais dire <strong>de</strong>ux mots sur le rôle <strong>de</strong> l’inconscient dans les phénomènes<br />

irrationnels. Il me semble évi<strong>de</strong>nt que les processus inconscients y jouent un rôle<br />

important. La réduction <strong>de</strong> la dissonance cognitive <strong>et</strong> la formation <strong>de</strong> croyances<br />

motivées sont <strong><strong>de</strong>s</strong> processus qui se déroulent « dans le dos » <strong>de</strong> l’agent, sans qu’il<br />

en soit conscient. Il ne s’agit pas là d’un constat empirique, mais d’une vérité<br />

conceptuelle. La nature exacte <strong>de</strong> ces processus nous est largement inconnue. On<br />

peut déduire leur existence à partir <strong>de</strong> leurs eff<strong>et</strong>s, un peu comme on a déduit<br />

l’existence <strong>de</strong> la matière noire dans l’univers.<br />

Il serait tentant <strong>de</strong> conclure, avec le premier Freud, que les processus <strong>de</strong><br />

l’inconscient sont suj<strong>et</strong>s au Principe <strong>de</strong> Plaisir. Ainsi l’on adopte parfois une<br />

opinion ou une croyance non pas parce qu’elle est appuyée par les observations ou<br />

les expériences, mais pour le plaisir qu’on en tire. Le <strong>cours</strong> en examine <strong>de</strong> nombreux<br />

exemples. La propriété fondamentale <strong>de</strong> ces processus inconscients consiste en ce<br />

qu’ils sont dirigés vers la satisfaction immédiate. L’inconscient est incapable <strong>de</strong><br />

reculer pour mieux sauter. Agir en vue d’une fin éloignée présuppose que celle-ci<br />

soit représentée sur l’écran mental <strong>de</strong> l’agent, ce qui justement est un trait constitutif<br />

<strong>de</strong> la conscience. Attribuer c<strong>et</strong>te capacité à l’inconscient serait donc en faire une<br />

conscience. Je citerai pourtant aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> cas dans lesquels un agent semble adopter<br />

une croyance qui ne correspond ni à ce qu’il a <strong>de</strong> bonnes raisons <strong>de</strong> croire ni à ce<br />

qu’il désire être le cas. Qu’on pense par exemple à la jalousie d’Othello ou à celle<br />

du Narrateur chez Proust. Pour comprendre ces comportements, peut-on faire<br />

appel au second Freud, celui <strong>de</strong> Au-<strong>de</strong>là du principe <strong>de</strong> plaisir ? A mon avis, l’idée<br />

<strong>de</strong> la pulsion <strong>de</strong> mort est trop spéculative pour être d’une utilité quelconque. Le<br />

<strong>cours</strong> n’offre pas <strong>de</strong> meilleure alternative, malheureusement.<br />

Une autre question très difficile concerne l’existence <strong>de</strong> croyances <strong>et</strong> d’émotions<br />

inconscientes. Dans les phénomènes <strong>de</strong> mauvaise foi ou <strong>de</strong> duperie <strong>de</strong> soi-même,<br />

il semble y avoir non seulement une croyance motivée, mais également la


512 JON ELSTER<br />

suppression d’une croyance initiale plus pénible encore que mieux fondée. Or<br />

comme on le sait <strong>de</strong>puis Sartre, nommer l’instance mentale qui effectue c<strong>et</strong>te<br />

suppression cause <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes formidables.<br />

De plus, il faut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si les croyances inconscientes ont en commun avec<br />

les croyances conscientes <strong>de</strong> pouvoir servir <strong>de</strong> prémisses à l’action. Considérons<br />

l’exemple hypothétique suivant. Un homme se ment à lui-même sur la fidélité <strong>de</strong><br />

son épouse, ayant supprimé la conscience du fait qu’elle le trompe avec son<br />

meilleur ami. Afin qu’il puisse rester ignorant au niveau <strong>de</strong> la conscience, son<br />

inconscient l’empêche <strong>de</strong> se promener dans les parties <strong>de</strong> la ville où il risquerait <strong>de</strong><br />

rencontrer son épouse avec son amant. En principe, on pourrait tester l’hypothèse<br />

d’une croyance inconsciente en annonçant au suj<strong>et</strong> que l’amant <strong>de</strong> sa femme va se<br />

trouver en tel lieu, où le suj<strong>et</strong> se rend régulièrement, un jour donné, pour voir s’il<br />

évite d’y aller. Dans la conférence sur les croyances motivées on voit que certaines<br />

expériences psychologiques suggèrent la possibilité d’une telle manipulation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

suj<strong>et</strong>s par leur inconscient. Tant que le problème <strong>de</strong> l’instance <strong>de</strong> la suppression<br />

n’est pas résolu, l’interprétation <strong>de</strong> ces résultats reste pourtant fragile. L’idée<br />

d’émotion inconsciente est ambiguë. Il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> émotions qui s’ignorent, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

émotions qu’on supprime. Un observateur peut constater la colère ou l’amour<br />

chez une personne qui n’a pas elle-même conscience <strong>de</strong> ressentir ces émotions.<br />

Dans une culture qui n’a pas conceptualisé la notion <strong>de</strong> dépression, comme c’est<br />

apparemment le cas à Tahiti, un jeune homme dont l’amie l’a quitté pour un<br />

autre <strong>et</strong> qui exhibe toutes les signes cliniques <strong>de</strong> la dépression, dira simplement<br />

qu’il est « fatigué ».<br />

Les émotions qu’on supprime mais qui persistent dans l’inconscient présentent<br />

un problème plus aigu. Nous avons tous, sans doute, observé la transmutation <strong>de</strong><br />

l’émotion <strong>de</strong> l’envie en indignation. Un observateur constate sans difficulté la<br />

persistance <strong>de</strong> l’envie, par le ton <strong><strong>de</strong>s</strong> remarques dérogatoires que fait le suj<strong>et</strong> envieux<br />

sur l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> son émotion, mais le suj<strong>et</strong> lui-même se voit dans un état <strong>de</strong> juste<br />

colère. Nous avons affaire dans ce cas non pas à une simple ignorance, mais à une<br />

ignorance motivée. La nature hi<strong>de</strong>use <strong>de</strong> l’envie induit un désir <strong>de</strong> la supprimer<br />

ou <strong>de</strong> la transmuer, mais même reléguée à l’inconscient, elle continue d’exercer<br />

une influence causale sur le comportement. On ne comprend pas très bien<br />

comment cela se fait, mails il est difficile <strong>de</strong> nier l’existence du phénomène.<br />

Voici le schéma <strong>de</strong> base qui sert <strong>de</strong> cadre conceptuel pour le <strong>cours</strong> tout entier.<br />

Les flèches épaisses ont une double interprétation, puisqu’elles représentent à la<br />

fois <strong><strong>de</strong>s</strong> relations <strong>de</strong> causalité <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> relations d’optimalité. Considérons les rapports<br />

entre action, désirs <strong>et</strong> croyances. D’une part, les flèches indiquent que l’action<br />

choisie est le meilleur moyen <strong>de</strong> réaliser les désirs <strong>de</strong> l’agent, étant donné ses<br />

croyances. D’autre part, elles indiquent que ces désirs <strong>et</strong> ces croyances constituent<br />

les causes <strong>de</strong> l’action. Nous avons vu que Max Weber, en soulignant uniquement<br />

l’optimalité <strong>de</strong> l’action rationnelle, a sous-estimé l’importance <strong><strong>de</strong>s</strong> relations<br />

causales.


RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 513<br />

Action<br />

Désirs (préférences) Croyances (opinions)<br />

Informations<br />

Les flèches minces, en revanche, représentent <strong><strong>de</strong>s</strong> relations causales qui ne sont<br />

pas en même temps <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports d’optimalité. Dans le <strong>cours</strong>, ces relations causales<br />

ont évi<strong>de</strong>mment une gran<strong>de</strong> importance. Sans entrer dans tous les détails,<br />

considérons simplement la flèche qui va <strong><strong>de</strong>s</strong> désirs vers les croyances. C<strong>et</strong>te<br />

influence causale équivaut en gros à prendre ses désirs pour <strong><strong>de</strong>s</strong> réalités. On forme<br />

la croyance que le mon<strong>de</strong> est tel qu’on voudrait qu’il soit. Je dis « en gros »,<br />

puisqu’on a déjà vu <strong><strong>de</strong>s</strong> cas, comme celui <strong>de</strong> la jalousie d’Othello, dans lesquels<br />

l’agent tend à former les croyances qu’il a intérêt à trouver fausses.<br />

Le schéma représente l’explication non seulement d’une action, mais également<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> croyances <strong>de</strong> l’agent <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa recherche d’information. De manière plus précise,<br />

ce <strong>de</strong>rnier explanandum comprend la quantité <strong>de</strong> ressources — que ce soit en<br />

temps ou en argent — que l’agent consacre à l’acquisition <strong>de</strong> nouvelles informations,<br />

en sus <strong>de</strong> celles qu’il possè<strong>de</strong> déjà. C<strong>et</strong>te variable, souvent négligée dans l’analyse<br />

du choix rationnel, est d’une importance fondamentale. On verra notamment que<br />

plusieurs formes d’irrationalité ont leurs origines dans un investissement soit<br />

insuffisant soit excessif dans l’acquisition d’information.<br />

L’acquisition d’information est une action ou un ensemble d’actions. Donc <strong>de</strong><br />

manière générale, l’action principale se double d’une action secondaire ou préalable,<br />

sauf si l’agent déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> ne recueillir aucune information supplémentaire. Dans


514 JON ELSTER<br />

certains cas, l’action principale <strong>et</strong> l’action secondaire coïnci<strong>de</strong>nt. Dans la guerre,<br />

dit Napoléon, « on s’engage <strong>et</strong> puis on voit ». Supposons qu’un général, avant <strong>de</strong><br />

livrer une bataille, cherche à déterminer l’esprit combatif <strong><strong>de</strong>s</strong> troupes adverses.<br />

Pour y parvenir, la métho<strong>de</strong> la plus sûre est souvent d’engager le combat. Dans le<br />

cas typique, il s’agit pourtant d’actions distinctes. L’achat d’une voiture est autre<br />

chose que les visites chez les ven<strong>de</strong>urs d’automobiles <strong>et</strong> la lecture <strong><strong>de</strong>s</strong> brochures.<br />

En revanche, la formation <strong>de</strong> croyances ne constitue pas une action. On ne peut<br />

pas se déci<strong>de</strong>r à croire, même dans le cas où avoir une certaine croyance serait<br />

avantageuse. Considérons par exemple le cas du fumeur qui voudrait arrêter <strong>de</strong><br />

fumer mais qui n’y arrive pas. Il sait que s’il croyait que le risque <strong>de</strong> développer<br />

un cancer du poumon était certain, il arrêterait. Il a donc intérêt à y croire. Or les<br />

croyances se comman<strong>de</strong>nt en amont, par les raisons qui les justifient, non pas d’en<br />

aval, par les conséquences qui en découlent. Comme l’a démontré Bernard Williams<br />

dans un article justement célèbre,<br />

On ne peut pas à la fois croire que p <strong>et</strong> croire que la croyance que p est une conséquence<br />

<strong>de</strong> la décision <strong>de</strong> croire que p (Bernard Williams, « Deciding to believe », in Problems of<br />

the Self).<br />

Cela dit, comment comprendre la formation <strong><strong>de</strong>s</strong> croyances ? Au fond, c’est un<br />

processus passif. Sartre dit quelque part qu’on tombe en mauvaise foi comme on<br />

tombe en sommeil, <strong>et</strong> c’est vrai aussi, je pense, pour les croyances ordinaires. On<br />

se trouve avoir telle ou telle opinion.<br />

Dans c<strong>et</strong>te perspective, l’idée <strong>de</strong> croyances rationnelles pourrait sembler<br />

mystérieuse. A mon avis, elle est étroitement liée aux qualités <strong>de</strong> jugement <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

bon sens. Chez celui qui possè<strong>de</strong> ces qualités, la synthèse spontanée <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses<br />

éléments d’information, <strong>de</strong> pertinence <strong>et</strong> <strong>de</strong> fiabilité souvent très variables, se fait<br />

d’une manière qui accor<strong>de</strong> à chacune d’entre elles son poids approprié. On peut<br />

citer ici les observations d’un économiste éminent, Paul Krugman, sur l’ancien<br />

directeur <strong>de</strong> la Réserve Fédérale aux Etats-Unis Alan Greenspan. Plutôt que <strong>de</strong><br />

s’appuyer sur <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles formels <strong>de</strong> l’économie,<br />

Greenspan avait la capacité <strong>de</strong> <strong>de</strong>viner, à partir <strong>de</strong> données fragmentaires <strong>et</strong> parfois<br />

contradictoires, la direction du vent économique (Paul Krugman, New York Times, octobre<br />

28 2005).<br />

La formation <strong>de</strong> croyances rationnelles est ainsi une question <strong>de</strong> capacités<br />

personnelles <strong>et</strong> intimes, dont le possesseur lui-même ignore le mo<strong>de</strong> d’opération,<br />

plutôt que <strong>de</strong> procédures mécaniques susceptibles d’être enseignées <strong>et</strong> transmises.<br />

Certes, c<strong>et</strong>te proposition est controversée. Les spécialistes <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences <strong>de</strong> la<br />

décision proposent toute une gamme <strong>de</strong> techniques qui sont supposées perm<strong>et</strong>tre<br />

la formation <strong>et</strong> la mise à jour <strong>de</strong> croyances rationnelles. A mon avis, ces idées n’ont<br />

pourtant aucune réalité psychologique. Comme je ne suis pas moi-même spécialiste<br />

en la matière, ce jugement pourrait sembler téméraire. Le <strong>cours</strong> essaie dans une<br />

certaine mesure <strong>de</strong> le justifier.


RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 515<br />

Pour revenir au schéma, les antécé<strong>de</strong>nts directs <strong>de</strong> l’action sont les désirs (ou<br />

préférences) <strong>et</strong> les croyances (ou opinions) <strong>de</strong> l’agent. Dans ma conception, les<br />

croyances <strong>et</strong> les opinions sont <strong>de</strong> nature exclusivement positive. Même si l’on dit<br />

couramment, « A mon avis l’avortement est inacceptable », je compte <strong>de</strong> telles<br />

propositions comme l’expression d’une préférence plutôt que d’une opinion. Pour<br />

éviter tout malentendu, il convient aussi <strong>de</strong> préciser que je n’utilise pas le mot<br />

« préférence » au sens d’un simple goût, ni le mot « désir » au sens d’une impulsion<br />

plus ou moins violente. Ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> termes techniques qui couvrent toutes sortes<br />

<strong>de</strong> motivations, hédoniques, esthétiques, éthiques ou autres.<br />

Il vaut peut-être la peine <strong>de</strong> s’attar<strong>de</strong>r un instant sur <strong>de</strong>ux différences entre la<br />

notion <strong>de</strong> désir <strong>et</strong> celle <strong>de</strong> préférence. Les préférences m<strong>et</strong>tent nécessairement en<br />

jeu <strong>de</strong>ux obj<strong>et</strong>s ou plusieurs, pour les comparer, tandis qu’un désir porte sur un<br />

seul obj<strong>et</strong> <strong>et</strong> ne comporte en lui-même aucun élément comparatif. Ainsi on peut<br />

parler d’un renversement <strong>de</strong> préférences, mais seulement d’un changement <strong>de</strong><br />

l’obj<strong>et</strong> du désir. C<strong>et</strong>te distinction va s’avérer importante dans les analyses <strong>de</strong> ce que<br />

l’on peut appeler l’irrationalité diachronique.<br />

Un système <strong>de</strong> préférences est susceptible d’être incohérent, si par exemple on<br />

préfère un obj<strong>et</strong> X à un autre obj<strong>et</strong> Y, l’obj<strong>et</strong> Y à l’obj<strong>et</strong> Z, <strong>et</strong> enfin Z à X. Un<br />

désir est incohérent si la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong>de</strong> son obj<strong>et</strong> comporte une contradiction,<br />

comme c’est le cas du désir d’être présent à ses propres funérailles pour y entendre<br />

son oraison funèbre. C<strong>et</strong>te distinction est pertinente pour les analyses <strong>de</strong><br />

l’irrationalité synchronique.<br />

J’opère également une distinction dans le <strong>cours</strong> entre préférences substantielles<br />

<strong>et</strong> préférences formelles. Les premières expriment l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’agent envers <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

obj<strong>et</strong>s spécifiques, comme une préférence pour les oranges sur les pommes ou la<br />

préférence pour un candidat politique sur un autre. Les <strong>de</strong>rnières expriment<br />

l’attitu<strong>de</strong> envers le temps <strong>et</strong> envers le risque. On peut ainsi préférer un bien<br />

moindre immédiat à un bien plus important mais futur. Je parlerai alors<br />

d’impatience. Un agent peut aussi avoir une préférence pour l’action immédiate<br />

par rapport à une action différée. Dans ce cas, je parlerai d’urgence. Enfin, on<br />

observe souvent l’aversion pour le risque, quand un agent préfère un bien sûr à un<br />

bien incertain ayant une valeur attendue plus élevée.<br />

Pour illustrer :<br />

L’impatience : l’agent préfère 100 euros aujourd’hui à 200 euros dans un an.<br />

L’urgence : l’agent préfère agir aujourd’hui pour obtenir 100 euros après-<strong>de</strong>main plutôt<br />

qu’agir <strong>de</strong>main pour obtenir 200 euros après-<strong>de</strong>main.<br />

Le risque : l’agent préfère 100 euros à une loterie qui lui donne ou bien 50 euros avec<br />

une probabilité <strong>de</strong> 50 % ou bien 200 euros avec une probabilité <strong>de</strong> 50 %.<br />

Tandis que l’impatience <strong>et</strong> le risque sont <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes bien connus, l’urgence<br />

l’est moins. Dans le <strong>cours</strong>, je défends néanmoins l’idée que dans les choix faits sous<br />

l’impulsion <strong>de</strong> l’émotion, l’urgence est susceptible <strong>de</strong> prendre une importance<br />

considérable.


516 JON ELSTER<br />

Les croyances sont ou bien factuelles ou bien causales. Autrement dit, elles portent<br />

sur l’existence <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses actions qu’on pourrait choisir ainsi que sur les<br />

conséquences du choix <strong>de</strong> l’une d’entre elles. On risque <strong>de</strong> mal choisir faute d’avoir<br />

assez réfléchi aux conséquences à long terme <strong>de</strong> chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> actions possibles, mais<br />

aussi faute d’avoir parcouru une gamme d’options suffisamment large. La distinction<br />

est importante surtout en ce qui concerne la recherche d’informations<br />

supplémentaires. Il y a souvent un arbitrage entre l’exploration en profon<strong>de</strong>ur <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

conséquences du choix <strong>de</strong> l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> options connues <strong>et</strong> l’exploration en extension<br />

du champ <strong><strong>de</strong>s</strong> options. C<strong>et</strong> arbitrage est pourtant suj<strong>et</strong> à une incertitu<strong>de</strong> profon<strong>de</strong>.<br />

Les croyances qui portent sur les conséquences <strong>de</strong> l’action sont susceptibles<br />

d’avoir <strong>de</strong>ux composantes. D’une part, l’agent peut croire que s’il fait A, une <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

conséquences X, Y ou Z va se produire, tandis qu’il peut exclure les conséquences<br />

V <strong>et</strong> W. D’autre part, il peut assigner une probabilité numérique précise à chacune<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences. Comme toute probabilité, il s’agit d’une évaluation subjective,<br />

même si elle peut s’appuyer en partie sur <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences objectives. Si la croyance<br />

comporte la première composante mais non pas la secon<strong>de</strong>, nous avons une<br />

situation d’incertitu<strong>de</strong>, tandis que la présence <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux composantes définit une<br />

situation <strong>de</strong> risque.<br />

Pourtant il convient <strong>de</strong> nuancer un peu. Dans la définition technique <strong>de</strong><br />

l’incertitu<strong>de</strong>, on suppose qu’exactement une <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences possibles va se<br />

produire. Elles sont mutuellement exclusives <strong>et</strong> conjointement exhaustives. Pour<br />

que l’agent puisse faire c<strong>et</strong>te appréciation très précise, il faut évi<strong>de</strong>mment qu’il ait<br />

une connaissance très approfondie <strong>de</strong> la situation. Dans la pratique, on imagine<br />

mal qu’il ne puisse pas s’appuyer sur c<strong>et</strong>te connaissance afin <strong>de</strong> former une opinion<br />

sur la probabilité relative <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses conséquences. Même s’il est incapable<br />

d’assigner <strong><strong>de</strong>s</strong> probabilités quantitatives précises, il peut du moins conclure que<br />

telle conséquence est plus probable que telle autre.<br />

Par contraposition, si l’agent est vraiment incapable <strong>de</strong> dire quoi que ce soit sur<br />

la probabilité relative <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences, on ne peut pas lui imputer une appréciation<br />

précise <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences possibles. Selon la formule désormais célèbre <strong>de</strong> Donald<br />

Rumsfeld, la situation peut comporter <strong><strong>de</strong>s</strong> « inconnus inconnus », unknown<br />

unknowns, qui viennent en sus <strong><strong>de</strong>s</strong> « inconnus connus» dont on connaît la nature<br />

tout en ignorant leur probabilité. Dans la présence d’inconnus inconnus, il convient<br />

<strong>de</strong> parler d’ignorance plutôt que d’incertitu<strong>de</strong>. Le réchauffement climatique en est<br />

sans doute un bon exemple. Les eff<strong>et</strong>s lointains <strong>et</strong> indirects du réchauffement sont<br />

susceptibles, <strong>et</strong> même presque certains, <strong>de</strong> prendre <strong><strong>de</strong>s</strong> formes dont nous n’avons<br />

aujourd’hui aucune idée.<br />

La pertinence <strong>de</strong> ces questions pour le thème du <strong>cours</strong> est double. D’une part, les<br />

phénomènes d’incertitu<strong>de</strong> <strong>et</strong> d’ignorance affaiblissent la force normative <strong>et</strong> prédictive<br />

<strong>de</strong> la théorie du choix rationnel. Puisque l’agent fait son choix en fonction <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

conséquences probables <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses options, une connaissance moins complète <strong>de</strong><br />

celles-ci limite sa capacité à faire un choix rationnel. Même s’il est parfois possible


RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 517<br />

d’exclure certaines actions comme étant manifestement irrationnelles, il aura souvent<br />

l’embarras du choix parmi celles qui restent. Ainsi il faudrait substituer à la notion<br />

<strong>de</strong> choix rationnel celle, plus faible, <strong>de</strong> choix non irrationnel.<br />

D’autre part, <strong>et</strong> il s’agit là d’une implication <strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong> portée, l’incertitu<strong>de</strong><br />

<strong>et</strong> l’ignorance sont <strong><strong>de</strong>s</strong> sources profon<strong><strong>de</strong>s</strong> d’irrationalité. L’esprit humain a horreur<br />

du vi<strong>de</strong>. Il nous est très difficile d’accepter le fait que nous n’avons pas suffisamment<br />

d’information pour avoir une opinion sur un suj<strong>et</strong> donné. Dans une bouta<strong>de</strong><br />

amusante, Albert Hirschman caractérise une certaine culture latino-américaine par<br />

le besoin d’avoir « une opinion ferme <strong>et</strong> instantanée sur n’importe quel suj<strong>et</strong> ».<br />

Même si ce trait est en l’occurrence culturel, il s’agit aussi d’une tendance tout à<br />

fait universelle. Selon Montaigne,<br />

Il s’engendre beaucoup d’abus au mon<strong>de</strong> : ou pour dire plus hardiment, tous les abus du<br />

mon<strong>de</strong> s’engendrent, <strong>de</strong> ce, qu’on nous apprend à craindre <strong>de</strong> faire profession <strong>de</strong> nostre<br />

ignorance ; <strong>et</strong> sommes tenus d’accepter, tout ce que nous ne pouvons refuter (Montaigne,<br />

Essais III. XI.).<br />

Le <strong>cours</strong> se penche longuement sur les manifestations <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te crainte d’adm<strong>et</strong>tre<br />

notre ignorance ou, dans le langage <strong><strong>de</strong>s</strong> psychologues, du manque <strong>de</strong> tolérance <strong>de</strong><br />

l’ambiguïté.<br />

Dans le schéma <strong>de</strong> l’action rationnelle, les croyances <strong>et</strong> les opinions ont<br />

uniquement une valeur instrumentale. Elles servent à rendre plus probable ou<br />

moins coûteuse la réalisation <strong><strong>de</strong>s</strong> fins <strong>de</strong> l’agent. Sans doute sont-elles aussi parfois<br />

sources <strong>de</strong> satisfaction intrinsèque, comme lorsqu’on a une bonne opinion <strong>de</strong> soi,<br />

mais c<strong>et</strong> avantage n’entre pas parmi les éléments du schéma.<br />

Il est vrai que certains chercheurs ont proposé l’idée selon laquelle un agent<br />

rationnel cherche l’arbitrage optimal entre une opinion plaisante ou agréable <strong>et</strong><br />

une opinion bien fondée. Puisque le plaisir constitue la fin ultime <strong>de</strong> toute action,<br />

il serait irrationnel, selon eux, <strong>de</strong> négliger les plaisirs que l’on peut tirer <strong>de</strong> la<br />

croyance que le mon<strong>de</strong> est tel qu’on voudrait qu’il le soit. Celui qui ignore les<br />

signes d’un cancer naissant aura peut-être une espérance <strong>de</strong> vie plus courte, mais<br />

en revanche il aura vécu, supposons le, avec moins d’angoisse.<br />

Les multiples absurdités <strong>de</strong> ce raisonnement sont sans doute évi<strong>de</strong>ntes, mais il<br />

sera néanmoins utile <strong>de</strong> les épeler. En premier lieu, il faudrait évi<strong>de</strong>mment que le<br />

choix d’une opinion agréable, plutôt que d’une opinion bien fondée, soit un choix<br />

inconscient. Afin <strong>de</strong> tirer du plaisir d’une croyance agréable (le « warm glow ou<br />

eff<strong>et</strong> Valmont »), il faut croire qu’elle est bien fondée. En <strong>de</strong>uxième lieu, il n’y a<br />

aucune raison — empirique ou théorique — <strong>de</strong> penser que l’inconscient soit<br />

capable <strong>de</strong> faire les arbitrages qui s’imposent. Comme j’en ai fait la remarque plus<br />

haut, imputer à l’inconscient la capacité <strong>de</strong> calculer, c’est le faire trop semblable à<br />

la conscience. En <strong>de</strong>rnier lieu, la prémisse selon laquelle le plaisir est la fin ultime<br />

<strong>de</strong> toute action est indéfendable. Celui qui se bat pour une cause ne le fait pas<br />

pour son plaisir personnel, même si celui-ci est susceptible d’être augmenté par la<br />

surestimation <strong><strong>de</strong>s</strong> chances <strong>de</strong> victoire.


518 JON ELSTER<br />

L’acquisition d’information est guidée par ce qu’on appelle « la règle d’arrêt<br />

rationnelle ». Avant <strong>de</strong> commencer la collecte d’information, on doit définir les<br />

conditions dans lesquelles on arrêtera <strong>de</strong> chercher pour passer à l’action, conditions<br />

qui dépen<strong>de</strong>nt à la fois <strong><strong>de</strong>s</strong> désirs <strong>de</strong> l’agent <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses croyances.<br />

Considérons d’abord comment l’investissement dépend <strong><strong>de</strong>s</strong> bénéfices <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> coûts<br />

attendus <strong>de</strong> l’information. En ce qui concerne les bénéfices, on frôle le paradoxe,<br />

car comment peut-on déterminer la valeur d’informations supplémentaires sans<br />

déjà les possé<strong>de</strong>r ? Dans les situations qui se répètent régulièrement, l’expérience<br />

peut nous gui<strong>de</strong>r. Ainsi les mé<strong>de</strong>cins ont <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances très précises <strong>de</strong><br />

l’accroissement <strong>de</strong> la probabilité <strong>de</strong> détection d’un cancer qui se produit avec chaque<br />

test supplémentaire. Dans les situations sans précé<strong>de</strong>nt, ou ayant seulement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

précé<strong>de</strong>nts partiels, il est plus difficile <strong>et</strong> parfois même impossible <strong>de</strong> déterminer la<br />

valeur attendue <strong>de</strong> la recherche. Je reviendrai sur ce point la semaine prochaine.<br />

Il est parfois possible <strong>de</strong> résoudre c<strong>et</strong>te difficulté par une sorte <strong>de</strong> tâtonnement,<br />

représente par la boucle du diagramme. Supposons que je sois parti cueillir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

champignons dans une région que je connais mal. Je sais qu’en général les<br />

champignons poussent en groupes, mais j’ignore la distribution <strong>de</strong> ceux-ci sur le<br />

terrain. La question qui se pose est la suivante: quand dois-je arrêter <strong>de</strong> chercher<br />

<strong>et</strong> commencer, tant bien que mal, à cueillir ? Même s’il n’y a pas <strong>de</strong> réponse<br />

générale, la solution peut se présenter d’elle-même si je tombe sur une concentration<br />

<strong>de</strong> champignons tellement <strong>de</strong>nse que j’en aurai assez pour remplir mon panier. De<br />

manière semblable, on m<strong>et</strong> parfois fin à <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences médicales avant le temps<br />

prévu si le traitement expérimental s’avère rapi<strong>de</strong>ment si efficace qu’il serait<br />

contraire à l’éthique <strong>de</strong> le refuser au groupe <strong>de</strong> contrôle.<br />

Les coûts d’acquisition <strong>de</strong> l’information se divisent en coûts directs <strong>et</strong> en coûts<br />

d’opportunité. Si l’on va <strong>de</strong> magasin en magasin pour ach<strong>et</strong>er un produit donné<br />

le moins cher possible, il faut tenir compte du prix du taxi ou du tick<strong>et</strong> <strong>de</strong> métro.<br />

Il y a ensuite le coût d’opportunité, qui est la valeur <strong>de</strong> la meilleure utilisation<br />

alternative du temps consacré à la collecte d’information. Même si le prix du tick<strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> métro est inférieur au gain brut escompté par l’achat au prix le plus bas, la<br />

<strong>de</strong>mi-heure <strong>de</strong> voyage aurait pu être consacrée à <strong><strong>de</strong>s</strong> activités qui, pour l’agent, ont<br />

plus <strong>de</strong> valeur que le gain n<strong>et</strong>. Comme on le voit dans le <strong>cours</strong>, la négligence <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

coûts d’opportunité est susceptible d’être source d’irrationalité.<br />

Si nous passons à l’impact <strong><strong>de</strong>s</strong> préférences sur l’acquisition d’information,<br />

considérons d’abord l’impact <strong><strong>de</strong>s</strong> préférences formelles. Supposons que nous ayons<br />

affaire à un agent « myope », mot que j’utilise systématiquement pour nommer un<br />

agent qui attache peu d’importance aux conséquences éloignées dans le temps <strong>de</strong><br />

son choix présent. Dans l’achat d’un bien <strong>de</strong> consommation durable comme une<br />

voiture ou une machine à laver, c<strong>et</strong>te personne n’a pas intérêt à passer beaucoup<br />

<strong>de</strong> temps à comparer la durée <strong>de</strong> vie <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses marques. De même, l’attitu<strong>de</strong><br />

envers le risque peut influer sur les ressources qu’on investit pour déterminer les<br />

taux d’acci<strong>de</strong>nt <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes compagnies aériennes.


RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 519<br />

Les préférences substantielles façonneront également l’acquisition d’informations<br />

supplémentaires. Considérons <strong>de</strong>ux personnes qui ont été licenciées <strong>et</strong> qui cherchent<br />

un nouvel emploi, dans le cadre d’un régime d’assurances-chômages généreuses qui<br />

leur perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> maintenir un niveau <strong>de</strong> vie assez élevé. L’une d’entre elles ne<br />

s’intéresse au travail que pour le revenu qu’il lui procure, tandis que pour l’autre<br />

avoir un emploi est une condition essentielle du respect <strong>de</strong> soi, sans lequel elle tire<br />

peu <strong>de</strong> plaisir <strong>de</strong> ses activités <strong>de</strong> loisir. C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>uxième personne investira<br />

certainement un plus grand effort que la première dans sa quête d’un emploi, en<br />

cherchant <strong><strong>de</strong>s</strong> informations précises <strong>et</strong> détaillées sur le marché du travail qui lui<br />

perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> former <strong><strong>de</strong>s</strong> croyances bien fondées sur ses chances d’être embauché.<br />

Comme j’en ai déjà fait la remarque, un impact direct <strong><strong>de</strong>s</strong> préférences sur les<br />

croyances n’est pas compatible avec les principes <strong>de</strong> la rationalité. On vient <strong>de</strong> voir<br />

qu’un impact indirect, par l’intermédiaire <strong>de</strong> la collecte d’information, n’a en soi<br />

rien d’irrationnel. Si vous regar<strong>de</strong>z encore une fois le diagramme, vous constatez<br />

pourtant qu’il y a aussi une ligne mince — donc un mécanisme causal non<br />

rationnel — qui part <strong><strong>de</strong>s</strong> désirs pour arriver à l’information. Parfois, la formation<br />

<strong>de</strong> croyances motivées s’opère en eff<strong>et</strong> par un mécanisme plus subtil que la simple<br />

tendance à prendre ses désirs pour <strong><strong>de</strong>s</strong> réalités. Au lieu <strong>de</strong> la règle d’arrêt rationnelle,<br />

on peut adopter une « règle d’arrêt hédonique » <strong>et</strong> cesser la collecte d’information<br />

lorsque la croyance justifiée par les données accumulées est celle qu’on aimerait<br />

croire vraie. Il semble par exemple que Gregor Men<strong>de</strong>l, le père <strong>de</strong> la génétique<br />

quantitative, ait utilisé ce principe dans ses recherches statistiques. On observe un<br />

comportement apparenté chez les mé<strong>de</strong>cins qui arrêtent leur examen quand ils ont<br />

i<strong>de</strong>ntifié une cause, sans se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s’il pourrait y en avoir d’autres.<br />

J’en arrive maintenant à une question que vous vous êtes sans doute posée, à<br />

savoir le rôle unique <strong>et</strong> spécial <strong><strong>de</strong>s</strong> désirs dans l’analyse <strong>de</strong> l’action rationnelle.<br />

Comme vous le constatez, il n’y a aucune flèche épaisse qui aboutisse aux désirs.<br />

Les désirs constituent les données primitives à partir <strong><strong>de</strong>s</strong>quelles se construisent les<br />

diverses optimisations dont je viens <strong>de</strong> parler. Puisqu’ils servent <strong>de</strong> critères <strong>de</strong><br />

rationalité, ils ne sont pas susceptibles d’être évalués comme étant eux-mêmes plus<br />

ou moins rationnels.<br />

Certains trouveront sans doute bizarre l’affirmation qu’on peut être à la fois bête<br />

<strong>et</strong> rationnel. Le paradoxe disparaît pourtant dans le contexte explicatif, dans lequel<br />

il s’agit uniquement <strong>de</strong> comprendre le comportement <strong>de</strong> l’agent à partir <strong>de</strong> la seule<br />

hypothèse <strong>de</strong> la rationalité subjective. Un agent rationnel chercherait si nécessaire<br />

à ajuster ses croyances, en acquérant <strong><strong>de</strong>s</strong> informations supplémentaires, mais il n’a<br />

aucune incitation d’ajuster ses désirs.<br />

On peut néanmoins qualifier un désir ou un système <strong>de</strong> préférences d’irrationnel<br />

s’il est incohérent. J’ai déjà donné quelques illustrations <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te idée. Un exemple<br />

plus complexe, brièvement mentionné ici <strong>et</strong> dont je reparle longuement dans le<br />

<strong>cours</strong>, concerne les renversements <strong>de</strong> préférence à la suite du passage du temps. Or<br />

dans <strong>de</strong> tels cas, il ne s’agit pas d’évaluer un désir ou un ordre <strong>de</strong> préférence d’un<br />

point <strong>de</strong> vue externe, mais simplement <strong>de</strong> constater leur incohérence interne.


520 JON ELSTER<br />

Le <strong>cours</strong> couvre également les cas <strong>de</strong> figure dans lesquels l’agent est piégé dans<br />

<strong>et</strong> par ses croyances, semblable à l’agent myope qui est piégé dans <strong>et</strong> par son<br />

horizon temporel court, ainsi que <strong>de</strong> « l’ignorance pluraliste », c’est-à-dire les<br />

comportements collectifs qui se maintiennent par les croyances fausses, stables <strong>et</strong><br />

s’auto-justifiant qu’ont les agents sociaux les uns <strong><strong>de</strong>s</strong> autres. Pour simplifier il s’agit<br />

d’une situation où on suppose que la croyance ou le désir en question est peu<br />

répandu mais qu’il y une croyance très répandue qu’ils sont très répandus.<br />

J’explique dans le <strong>cours</strong> la logique <strong>de</strong> l’ignorance pluraliste par <strong><strong>de</strong>s</strong> exemples qui<br />

perm<strong>et</strong>tent aussi d’introduire une application importante <strong>de</strong> la théorie du choix<br />

rationnel, à savoir la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> jeux. A travers les exemples du Dilemme du<br />

Prisonnier ou du Jeu <strong>de</strong> l’Assurance, je propose <strong>de</strong> distinguer l’irrationalité non<br />

seulement <strong>de</strong> la bêtise, mais également <strong>de</strong> la malchance, qui s’avère en fait subsumer<br />

la bêtise. Il serait facile, par exemple, <strong>de</strong> taxer <strong>de</strong> bêtise le toxicomane qui meurt<br />

d’une surdose à vingt ans. Dans certains cas, l’accusation est sans doute justifiée,<br />

mais elle ne l’est pas si la seule <strong>et</strong> unique cause <strong>de</strong> son addiction se trouve dans le<br />

fait d’avoir un taux d’escompte du futur élevé. Bien que la psychologie ne soit pas<br />

encore en mesure d’expliquer la myopie <strong>de</strong> certains individus, il est certain que<br />

celle-ci n’est jamais choisie. L’individu myope est piégé.<br />

Publications 2007-2008<br />

« The night of August 4 1789 : A study in collective <strong>de</strong>cision making », Revue Européenne<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> sciences sociales, 2007.


Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives <strong>et</strong> internationalisation du droit<br />

Mireille Delmas-Marty, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences morales <strong>et</strong> politiques), professeure<br />

COURS : VERS UNE COMMUNAUTÉ DE VALEURS ? — LES DROITS FONDAMENTAUX<br />

Dans notre quête <strong>de</strong> valeurs communes, nous étions partis d’une intuition : on<br />

i<strong>de</strong>ntifie plus facilement ce qui choque la conscience commune que ce qui lui plaît.<br />

Nous avions donc choisi <strong>de</strong> commencer par la face la plus sombre, celle <strong><strong>de</strong>s</strong> Interdits<br />

fondateurs, ceux dont la violation caractérise les crimes à vocation universelle.<br />

Il fallut pourtant reconnaître que ces crimes internationaux, y compris le très<br />

emblématique crime « contre l’humanité », ne pourraient jouer le rôle fondateur<br />

d’une future communauté mondiale <strong>de</strong> valeurs qu’à la condition d’éviter tout<br />

fondamentalisme juridique, donc à la condition, en intégrant <strong><strong>de</strong>s</strong> variables <strong>de</strong><br />

temps <strong>et</strong> <strong>de</strong> lieu, d’adm<strong>et</strong>tre une interprétation évolutive <strong>et</strong> à plusieurs niveaux.<br />

Un tel constat nous suggérait alors <strong>de</strong> renoncer à la métaphore architecturale <strong>de</strong><br />

l’édifice construit sur <strong><strong>de</strong>s</strong> fondations qui se voudraient définitives. D’où l’énigme<br />

<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te communauté mondiale qui pour <strong>de</strong>venir inter/humaine, <strong>et</strong> pas seulement<br />

inter/étatique, se construit sans fondations préalables.<br />

Quand on passe à l’autre face, <strong><strong>de</strong>s</strong> interdits fondateurs aux droits que l’on persiste<br />

à nommer « fondamentaux », le mystère ne s’éclaircit pas pour autant. Même à<br />

l’échelle nationale, le « socle » <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme a été inscrit dans les constitutions<br />

bien après les « piliers » <strong>de</strong> la légalité <strong>et</strong> <strong>de</strong> la garantie judiciaire : en <strong>France</strong>, il<br />

faut attendre 1971 pour que le Conseil constitutionnel intègre la Déclaration <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

droits <strong>de</strong> l’homme <strong>de</strong> 1789 au « bloc <strong>de</strong> constitutionnalité » <strong>et</strong> 1974 pour qu’une<br />

réforme élargissant la procédure <strong>de</strong> saisine à un groupe <strong>de</strong> soixante parlementaires<br />

vienne transformer le Conseil en organe <strong>de</strong> contrôle quasi juridictionnel 1 . Au plan<br />

international, il faut attendre la même année 1974 pour que la <strong>France</strong> ratifie la<br />

1. C’est seulement en 2008 que sera créée l’exception d’inconstitutionnalité.


522 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />

Convention européenne <strong>de</strong> sauvegar<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme (CESDH), puis 1981<br />

pour qu’elle accepte le contrôle <strong>de</strong> la cour européenne <strong>et</strong> simultanément ratifie les<br />

<strong>de</strong>ux pactes internationaux <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations unies sur les droits <strong>de</strong> l’homme.<br />

Pour résoudre l’énigme, il faut non seulement déplacer le regard, <strong><strong>de</strong>s</strong> interdits<br />

fondateurs aux droits fondamentaux, mais encore parcourir un long chemin, <strong>de</strong> la<br />

renaissance du droit naturel à la naissance d’un droit commun.<br />

Les droits <strong>de</strong> l’homme ne peuvent en eff<strong>et</strong> donner naissance à un véritable droit<br />

commun que s’ils sont perçus, non pas comme un acte <strong>de</strong> foi énonçant <strong><strong>de</strong>s</strong> axiomes<br />

indémontrables, mais comme un processus dynamique. A la fois évolutifs <strong>et</strong> interactifs,<br />

les droits <strong>de</strong> l’homme ainsi compris ne « fon<strong>de</strong>nt » pas à proprement parler un<br />

édifice immobile mais suscitent un mouvement d’internationalisation <strong><strong>de</strong>s</strong> droits.<br />

Mais pour relever le défi d’une communauté qui se construit sans fon<strong>de</strong>ments<br />

préalables, il faut sans doute dépasser la vision qui assimile les droits fondamentaux<br />

aux seuls droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> amorcer une réflexion plus large afin <strong>de</strong> situer<br />

l’universalisme <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs au confluent d’une triple évolution : l’évolution biologique<br />

(hominisation), éthique (humanisation) <strong>et</strong> technologique (globalisation).<br />

Si les droits <strong>de</strong> l’homme semblent encore écartelés entre une hominisation<br />

unificatrice <strong>et</strong> une humanisation qui s’est construite sur la différentiation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

cultures, l’apparition <strong>de</strong> l’expression <strong>de</strong> « biens publics mondiaux » doit également<br />

être prise en considération car elle pourrait ai<strong>de</strong>r à résoudre les tensions entre<br />

hominisation <strong>et</strong> humanisation <strong>et</strong> contribuer ainsi à l’émergence <strong>de</strong> valeurs<br />

universalisables. A condition <strong>de</strong> ne pas imposer, au nom <strong>de</strong> la globalisation, une<br />

unification trop rapi<strong>de</strong> qui risquerait d’affaiblir l’humanisation.<br />

Car il reste à résoudre la contradiction entre l’universalisme affirmé par la Déclaration<br />

universelle <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme (DUDH) <strong>et</strong> le relativisme d’une humanisation<br />

qui s’est réalisée par différenciation, comme le confirme la convention <strong>de</strong> l’Unesco sur<br />

la diversité culturelle, qui présente c<strong>et</strong>te diversité comme « caractéristique inhérente à<br />

l’humanité », <strong>et</strong> la qualifie, elle aussi (tout comme la déclaration <strong>de</strong> 1997 l’avait fait<br />

du génome), <strong>de</strong> « patrimoine commun <strong>de</strong> l’humanité ». Si la dynamique interactive<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme peut contribuer à résoudre la contradiction, une solution pourrait<br />

aussi venir d’une vision élargie <strong><strong>de</strong>s</strong> droits fondamentaux qui engloberait non seulement<br />

les droits <strong>de</strong> l’homme mais encore les « biens publics mondiaux ». Malgré la<br />

dissymétrie apparente entre « droits » <strong>et</strong> « biens », c<strong>et</strong>te notion exprime en eff<strong>et</strong>,<br />

notamment dans le langage du Programme <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations unies pour le développement<br />

(PNUD) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Banque mondiale, l’idée qu’il serait possible <strong>de</strong> répondre à la globalisation<br />

par une solidarité transnationale <strong>et</strong> même transtemporelle.<br />

En somme, pour que les biens publics mondiaux puissent renforcer la dynamique<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> contribuer à la formation <strong>de</strong> valeurs universelles, il<br />

faudrait que la synergie ainsi créée soit assez puissante pour ordonner les valeurs<br />

<strong>et</strong> responsabiliser ceux qui les transgressent, les <strong>de</strong>ux conditions d’une véritable<br />

communauté <strong>de</strong> droit.


ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 523<br />

Les droits <strong>de</strong> l’homme : <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs universelles en question<br />

Soixante ans après la Déclaration du 18 décembre 1948, les droits <strong>de</strong> l’homme<br />

se sont à la fois enrichis <strong>et</strong> obscurcis.<br />

Ils se sont enrichis, tant par la multiplication <strong><strong>de</strong>s</strong> sources juridiques <strong>et</strong> la<br />

diversification <strong>de</strong> leur contenu que par leur mise en œuvre par les juridictions,<br />

nationales, internationales ou supranationales, désormais compétentes. Cependant,<br />

même en Occi<strong>de</strong>nt, c<strong>et</strong>te juridicisation <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme ne va pas <strong>de</strong> soi.<br />

C’est d’ailleurs l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> limites <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sociologiques ou philosophiques qui<br />

situent l’émergence d’un champ <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme au carrefour du droit <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

la politique que <strong>de</strong> ne pas suffisamment tenir compte <strong>de</strong> la tradition, comme si<br />

l’intégration <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme au champ juridique marquait une évolution<br />

continue. Pour être complète, l’observation ne <strong>de</strong>vrait pas seulement porter sur<br />

l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> juridicisation <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme dans le champ politique, mais aussi<br />

sur leur eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> perturbation politique dans le champ juridique traditionnel. Nous<br />

avions montré au début <strong>de</strong> ce <strong>cours</strong> comment le « flou du droit », sinon créé du<br />

moins fortement accentué par le droit <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme, avait bouleversé les<br />

montages institutionnels traditionnels.<br />

Du même coup, les droits <strong>de</strong> l’homme se sont obscurcis, à mesure que la<br />

rédaction <strong><strong>de</strong>s</strong> textes, puis les problèmes posés par leur interprétation, révélaient<br />

non seulement les conflits potentiels entre divers droits <strong>de</strong> l’homme mais aussi<br />

entre divers choix culturels sous-jacents. Pour résoudre ces conflits, on r<strong>et</strong>rouve<br />

sans surprise les <strong>de</strong>ux voies, que nous avions commencé à explorer à propos <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

interdits fondateurs, du dialogue <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’approfondissement.<br />

Le dialogue fut entrouvert à propos <strong>de</strong> la Déclaration universelle (DUDH). Certes<br />

le proj<strong>et</strong> avait été conçu à partir <strong>de</strong> la collecte <strong><strong>de</strong>s</strong> textes existants, qui étaient tous<br />

d’origine occi<strong>de</strong>ntale, mais il y eut un début d’échange transculturel, notamment à<br />

propos <strong>de</strong> l’article 1. Pour ne pas comprom<strong>et</strong>tre l’universalisme <strong>de</strong> la déclaration, les<br />

rédacteurs ont finalement choisi d’éviter tout parti pris sur l’origine <strong>de</strong> l’égale dignité,<br />

en supprimant toute référence à Dieu comme à la nature.<br />

Le dialogue sera relancé, notamment auprès <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> régionales <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong><br />

l’homme, chaque fois que <strong><strong>de</strong>s</strong> désaccords apparaissent, qu’il s’agisse <strong>de</strong> situer le<br />

commencement <strong>de</strong> la vie (avortement) ou sa fin (euthanasie, peine <strong>de</strong> mort), <strong>de</strong><br />

caractériser les peines <strong>et</strong> traitements inhumains ou dégradants (débats sur la torture,<br />

ou les châtiments corporels), ou encore <strong>de</strong> concevoir le statut <strong><strong>de</strong>s</strong> non humains<br />

(débat ouvert par la Déclaration sur les droits <strong><strong>de</strong>s</strong> animaux).<br />

Mais le mon<strong>de</strong> n’est pas immobile <strong>et</strong> les découvertes scientifiques, ainsi que les<br />

nouvelles technologies qui en résultent (procréation médicalement assistée,<br />

recherche sur les cellules souches, clonage humain <strong>et</strong>c.), renouvellent chacun <strong>de</strong> ces<br />

débats, obligeant chaque culture à s’approfondir pour chercher une réponse<br />

compatible avec ses repères. Au choc <strong><strong>de</strong>s</strong> certitu<strong><strong>de</strong>s</strong> culturelles contradictoires<br />

s’ajoute l’instabilité née <strong><strong>de</strong>s</strong> incertitu<strong><strong>de</strong>s</strong> scientifiques.


524 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />

C’est ainsi que sont nés les comités d’éthique dont les avis, purement consultatifs,<br />

sont rendus au cas par cas. Si les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> sont apparemment opposées, entre un<br />

droit international <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme qui commence par définir <strong><strong>de</strong>s</strong> principes<br />

que l’on espère stables <strong>et</strong> la démarche éthique qui dégage <strong><strong>de</strong>s</strong> solutions nécessairement<br />

évolutives, les interactions sont évi<strong>de</strong>ntes, comme en témoignent d’une part <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

textes comme la convention sur « les droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> la biomé<strong>de</strong>cine »<br />

(Conseil <strong>de</strong> l’Europe) ou la déclaration sur « les droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> la bioéthique »<br />

(Unesco), d’autre part la casuistique <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> internationales.<br />

En somme, qu’on invoque les droits <strong>de</strong> l’homme directement ou par le biais <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

comités d’éthique, l’universalisme se cherche toujours par le dialogue <strong>et</strong> l’approfondissement.<br />

D’où notre hypothèse que, même s’ils sont dits « fondamentaux », les<br />

droits <strong>de</strong> l’homme fonctionnent moins comme <strong><strong>de</strong>s</strong> concepts constituant un socle <strong>de</strong><br />

valeurs universelles, qui détermineraient <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses supposées définitives, que<br />

comme <strong><strong>de</strong>s</strong> processus transformateurs qui déclenchent un mouvement <strong>de</strong> mise en<br />

compatibilité <strong><strong>de</strong>s</strong> différences.<br />

Nous avons tenté <strong>de</strong> le montrer à partir <strong>de</strong> trois couples antagoniques : « vie/<br />

mort », « humain/inhumain » <strong>et</strong> « humain/non humain ». S’ils n’épuisent évi<strong>de</strong>mment<br />

pas la question <strong>de</strong> l’universalisme <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme, du moins ces couples<br />

ont-ils le mérite d’illustrer la dynamique selon laquelle les droits <strong>de</strong> l’homme contribuent<br />

à l’élaboration, interactive <strong>et</strong> évolutive, <strong>de</strong> valeurs universalisables.<br />

Le couple « vie/mort »<br />

Si toutes les cultures valorisent la vie humaine, les instruments internationaux<br />

n’en font pas une valeur absolue, adm<strong>et</strong>tant explicitement diverses exceptions, <strong>de</strong><br />

la peine <strong>de</strong> mort à la guerre, en passant par la légitime défense, <strong>et</strong> laissant ouvertes<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> questions comme l’avortement ou l’euthanasie, renvoyées à la jurispru<strong>de</strong>nce<br />

nationale <strong>et</strong> internationale.<br />

Qu’il s’agisse d’attribuer le pouvoir <strong>de</strong> disposer <strong>de</strong> la vie, ou encore <strong>de</strong> situer le<br />

moment <strong>de</strong> la naissance <strong>et</strong> <strong>de</strong> la mort, les réponses s’inscrivent en eff<strong>et</strong> dans une<br />

diversité culturelle <strong>de</strong>venue source <strong>de</strong> désaccords. Hannah Arendt évoquait la<br />

différence entre la vie humaine bornée par un commencement <strong>et</strong> une fin (bios) <strong>et</strong><br />

le mouvement cyclique que la nature (zôè) impose à tout ce qui vit, « ne connaissant<br />

ni mort ni naissance au sens où nous entendons ces mots » 2 . C’est pourquoi,<br />

constatant que « la naissance <strong>et</strong> la mort <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres humains ne sont pas <strong>de</strong> simples<br />

évènements naturels », elle avait clairement souligné leur origine culturelle.<br />

D’où les nombreux désaccords, culturels <strong>et</strong> souvent religieux, car les questions<br />

liées au respect du droit à la vie s’inscrivent dans <strong><strong>de</strong>s</strong> conceptions fortement<br />

enracinées dans l’histoire <strong>de</strong> chaque peuple. Il n’est donc pas surprenant que les<br />

<strong>cours</strong> régionales <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme soient restées particulièrement circonspectes<br />

2. H. Arendt, Condition <strong>de</strong> l’homme mo<strong>de</strong>rne, Calmann-Lévy, 1988, p. 142.


ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 525<br />

dans leurs interprétations, qu’il s’agisse <strong>de</strong> situer le commencement du droit à la<br />

vie — avortement volontaire ou involontaire, sur soi-même ou sur autrui — ou<br />

<strong>de</strong> définir ses conséquences quant au droit <strong>de</strong> choisir sa propre mort — du suici<strong>de</strong><br />

à l’euthanasie.<br />

S’ajoutent les incertitu<strong><strong>de</strong>s</strong> nées <strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes scientifiques <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles<br />

technologies biomédicales, car la convergence apparente entre l’universalisme <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

sciences <strong>et</strong> celui <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme ne doit pas laisser croire qu’ils sont<br />

i<strong>de</strong>ntiques. Certes la rencontre s’est faite lors du procès <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins nazis <strong>de</strong>vant<br />

les juges américains <strong>et</strong> le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> Nuremberg a servi <strong>de</strong> référence à l’adoption <strong>de</strong><br />

la Déclaration d’Helsinki par l’Association médicale mondiale en 1964. Et le droit<br />

dit <strong>de</strong> la bioéthique reste marqué par c<strong>et</strong>te origine commune avec le droit<br />

international pénal <strong>et</strong> celui <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme. Pourtant un juriste comme<br />

Bernard Mathieu n’hésite pas à soutenir la thèse selon laquelle l’universalisme <strong>de</strong><br />

la bioéthique est pour l’essentiel dérogatoire au regard <strong>de</strong> l’universalisme <strong><strong>de</strong>s</strong> droits<br />

<strong>de</strong> l’homme (dont il reconnaît d’ailleurs l’inspiration occi<strong>de</strong>ntale) 3 .<br />

L’hypothèse que nous avons proposé <strong>de</strong> vérifier est un peu différente dès lors que<br />

les droits <strong>de</strong> l’homme sont perçus, non comme <strong><strong>de</strong>s</strong> concepts déjà stabilisés (<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

textes sacrés), mais comme <strong><strong>de</strong>s</strong> processus transformateurs. A ce titre, ils sont en<br />

interaction avec les données <strong>de</strong> fait, y compris les données scientifiques qui peuvent<br />

être une incitation, comme les confrontations nées du dialogue <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures, à<br />

approfondir la réflexion confrontée aux nouvelles questions soulevées par les<br />

découvertes scientifiques. La difficulté est que certaines innovations technologiques,<br />

comme la procréation médicalement assistée (PMA renommée AMP par la loi <strong>de</strong><br />

1994), ont été admises avant que le travail d’approfondissement ait permis à<br />

chaque culture d’adapter ses représentations <strong>de</strong> la vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la mort aux nouvelles<br />

questions qu’elles suscitent, comme la recherche sur l’embryon.<br />

Seul un renouvellement du formalisme juridique peut faciliter l’harmonisation<br />

internationale, en préservant <strong><strong>de</strong>s</strong> marges nationales, mais il ne dispense pas <strong>de</strong> fixer<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> limites à ne pas franchir, au nom <strong>de</strong> valeurs communes qui pourraient conduire<br />

vers <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses universalisables, comme on commence à l’envisager pour<br />

l’interdiction du clonage reproductif humain ou l’abolition <strong>de</strong> la peine <strong>de</strong> mort.<br />

Apparemment très différents, ces <strong>de</strong>ux exemples ont pour point commun <strong>de</strong> relier<br />

la vie au respect <strong>de</strong> la dignité humaine, comprise à la fois par référence à l’homme<br />

<strong>et</strong> à l’humanité.<br />

Il est donc impossible <strong>de</strong> conclure sur ce seul couple vie/mort, profondément<br />

marqué par la diversité culturelle, en même temps que perturbé par les incertitu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

scientifiques. S’il ouvre malgré tout la voie vers un certain universalisme <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs,<br />

ce n’est pas en opposant la mort à la vie, mais sans doute en rappelant que le droit<br />

3. B. Mathieu, « La bioéthique ou comment déroger au droit commun <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme »,<br />

in La société internationale <strong>et</strong> les enjeux bioéthiques, dir. S. Maljean-Dubois, Pedone, 2006, p. 85 sq.


526 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />

à la vie est, bien au-<strong>de</strong>là du simple droit d’exister, la reconnaissance d’une spécificité<br />

humaine qui interdit d’infliger volontairement la mort dans <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions<br />

« inhumaines ».<br />

Le couple « humain/inhumain »<br />

Du couple « vie/mort » au couple « humain / inhumain », l’évolution dans la<br />

représentation <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs à vocation universelle est tardive <strong>et</strong> sans doute inachevée.<br />

Tardive car il faudra <strong><strong>de</strong>s</strong> pratiques massives <strong>de</strong> déshumanisation, notamment<br />

dans les camps nazis, pour que le refus <strong>de</strong> l’inhumain trouve à s’exprimer. Annoncé<br />

en tête <strong>de</strong> la DUDH, par le préambule qui vise les « actes <strong>de</strong> barbarie qui révoltent<br />

la conscience <strong>de</strong> l’humanité », le principe égale dignité <strong>de</strong> tous les êtres humains<br />

est inscrit à l’article 1er <strong>et</strong> sera placé par la suite en tête <strong>de</strong> la Charte <strong>de</strong> l’Union<br />

européenne sur les droits fondamentaux.<br />

Au plan national, le principe <strong>de</strong> dignité humaine est consacré en 1945 par la loi<br />

fondamentale alleman<strong>de</strong>, dont l’exemple sera suivi par <strong>de</strong> nombreuses constitutions.<br />

En <strong>France</strong>, il faut toutefois attendre 1994 pour qu’une décision du Conseil<br />

constitutionnel vienne tirer <strong>de</strong> la référence à « la victoire remportée par les peuples<br />

libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir <strong>et</strong> <strong>de</strong> dégra<strong>de</strong>r la personne humaine »<br />

(Préambule Constitution 1946 intégré au bloc <strong>de</strong> constitutionalité) le principe<br />

d’une protection constitutionnelle <strong>de</strong> la dignité humaine.<br />

Ce n’est pas un hasard si le Conseil a eu l’idée <strong>de</strong> « constitutionaliser » le principe<br />

<strong>de</strong> dignité à propos <strong><strong>de</strong>s</strong> lois bioéthiques : entre 1946 <strong>et</strong> 1994, le risque d’inhumanité<br />

a changé <strong>de</strong> visage. On savait que l’inhumain pouvait se conjuguer avec le respect<br />

<strong>de</strong> la vie — l’esclavage <strong>et</strong> la torture ne tuent pas toujours — <strong>et</strong> l’on connaissait<br />

déjà les dérives <strong>de</strong> l’eugénisme, mais on découvrait seulement, dans les années 90,<br />

les formes nouvelles <strong>de</strong> sélection, liées à l’AMP, ou même <strong>de</strong> fabrication d’êtres<br />

humains (clonage reproductif).<br />

C’est pourquoi le changement dans la représentation <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs est sans doute<br />

inachevé car <strong>de</strong> telles questions ne peuvent être résolues sur le seul plan <strong><strong>de</strong>s</strong> droits<br />

individuels reconnus à chaque être humain. C’est <strong>de</strong> l’humanité qu’il s’agit, présente<br />

<strong>et</strong> à venir : il ne s’agit plus seulement <strong>de</strong> la dignité propre à chaque être humain,<br />

mais <strong>de</strong> la dignité emblème <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te communauté interhumaine qui accompagne<br />

la globalisation.<br />

En somme, qu’il traduise le refus <strong>de</strong> la déshumanisation d’êtres humains ou celui<br />

<strong>de</strong> leur fabrication, le refus <strong>de</strong> l’inhumain déclenche un double processus <strong>de</strong><br />

transformation <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs : l’extension <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme à la dignité, <strong>et</strong><br />

l’apparition <strong>de</strong> droits <strong>de</strong> l’humanité, mutation plus radicale qui pourrait annoncer<br />

<strong>de</strong> nouveaux conflits, ceux <strong>de</strong> l’homme dressé contre l’humanité.<br />

Quant à l’extension <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme à la dignité, nous l’avions évoquée l’an<br />

<strong>de</strong>rnier à travers le « droit pénal <strong>de</strong> l’inhumain » qui se construit à partir <strong><strong>de</strong>s</strong>


ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 527<br />

paradigmes du crime <strong>de</strong> guerre <strong>et</strong> du crime contre l’humanité. Il s’agit ici d’appliquer<br />

la même métho<strong>de</strong>, du droit à l’éthique, non plus à <strong><strong>de</strong>s</strong> crimes internationaux<br />

imputables à <strong><strong>de</strong>s</strong> individus, mais au droit international <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme, qui<br />

oppose aux États l’inhumanité <strong>de</strong> la torture <strong>et</strong> traitements assimilés. C’est un défi<br />

considérable car ces pratiques sont parfois prévues en toute légalité par le droit<br />

pénal national.<br />

Dès lors il fallait innover car les droits <strong>de</strong> l’homme traditionnels étaient<br />

insuffisants : c’est au nom <strong>de</strong> la dignité que l’article 5 <strong>de</strong> la DUDH pose le principe<br />

que « nul ne sera soumis à la torture, ni à <strong><strong>de</strong>s</strong> peines ou traitements cruels,<br />

inhumains ou dégradants », parfois opposé à la peine <strong>de</strong> mort. Mais la peine <strong>de</strong><br />

mort n’épuise pas le débat sur les autres peines, notamment les châtiments corporels,<br />

ou plus largement les pratiques carcérales : la <strong>France</strong> a été à nouveau critiquée sur<br />

ce point par le Comité européen <strong>de</strong> prévention <strong>de</strong> la torture (rapport 2007). On<br />

peut aussi s’interroger sur la nouvelle mesure <strong>de</strong> rétention <strong>de</strong> sûr<strong>et</strong>é (loi février<br />

2008). Certes le Conseil constitutionnel juge qu’il ne s’agit pas d’une peine ; mais<br />

ne pourrait-on qualifier <strong>de</strong> traitement inhumain une privation <strong>de</strong> liberté qui, par<br />

tranches d’un an, peut être renouvelée sans limite sur la base d’une dangerosité<br />

dont les critères restent incertains ?<br />

Tout se passe comme si la question <strong>de</strong> l’inhumain se déplaçait à mesure que les<br />

pratiques se font plus inventives. C’est d’ailleurs pourquoi l’extension <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong><br />

l’homme à la dignité ne suffit pas : confrontés aux découvertes scientifiques qui<br />

pourraient conduire à l’inhumain par une autre voie, en fabricant l’être humain,<br />

les réponses juridiques laissent <strong>de</strong>viner un autre processus <strong>de</strong> transformation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

valeurs : l’apparition <strong>de</strong> droits <strong>de</strong> l’humanité.<br />

L’apparition <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’humanité <strong>de</strong>vient en eff<strong>et</strong> nécessaire face aux nouvelles<br />

technologies biomédicales d’intervention <strong>de</strong> plus en plus intrusives. Où situer<br />

désormais l’inhumain ? En écartant <strong>de</strong> l’art. 1 er toute référence à Dieu comme à la<br />

nature, les rédacteurs <strong>de</strong> la DUDH n’ont pas facilité la tâche ; ils obligent à<br />

approfondir notre vision <strong>de</strong> l’humanité comme valeur à protéger au besoin contre les<br />

pratiques <strong><strong>de</strong>s</strong> États, mais aussi contre les désirs <strong><strong>de</strong>s</strong> individus <strong>de</strong> sélectionner leurs<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>cendants (eugénisme), ou même <strong>de</strong> les fabriquer à leur image (par clonage). De<br />

l’homme à l’humanité, il n’y aurait pas seulement extension mais aussi mutation car<br />

on quitterait la philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme — défendre l’individu contre le<br />

risque <strong>de</strong> pratiques arbitraires du pouvoir — pour une philosophie <strong>de</strong> l’humanité<br />

— reconnaître l’appartenance <strong>de</strong> tous à une même communauté, interhumaine <strong>et</strong><br />

pas seulement interétatique, <strong>et</strong> protéger celle-ci, au besoin contre l’autonomie<br />

revendiquée par les individus. Bernard E<strong>de</strong>lman considère qu’il y aurait là <strong>de</strong>ux<br />

systèmes <strong>de</strong> valeurs radicalement différents : si « la liberté est l’essence <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong><br />

l’homme, la dignité est l’essence <strong>de</strong> l’humanité » 4 .<br />

4. B. E<strong>de</strong>lman, « La dignité <strong>de</strong> la personne humaine : un concept nouveau », in La dignité <strong>de</strong><br />

la personne humaine, dir. M.L. Pavia <strong>et</strong> Th. Rev<strong>et</strong>, Economica, 1999, p. 28-29.


528 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />

Notre analyse un peu différente : certes l’apparition <strong>de</strong> droits <strong>de</strong> l’humanité est<br />

une mutation par rapport aux seuls droits <strong>de</strong> l’homme, mais la dignité, loin <strong>de</strong> les<br />

séparer, perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> relier les <strong>de</strong>ux conceptions : elle est <strong>de</strong> l’essence <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong><br />

l’homme quand elle concerne l’être humain pris comme individu <strong>et</strong> le défend, par<br />

exemple, contre <strong><strong>de</strong>s</strong> pratiques <strong>de</strong> déshumanisation par autrui (torture commise par<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> agents <strong>de</strong> l’État) ; mais elle caractérise aussi l’humanité, comme valeur<br />

universalisable.<br />

Pour résoudre les questions pratiques liées aux possibilités, nouvelles ou<br />

renouvelées, <strong>de</strong> sélection d’être humains par eugénisme, ou <strong>de</strong> production d’êtres<br />

humains par clonage, voire <strong>de</strong> fabrication d’êtres quasi humains (robots<br />

« humanoï<strong><strong>de</strong>s</strong> »), on r<strong>et</strong>rouve les difficultés que nous avions rencontrées à propos<br />

du crime contre l’humanité. Et la réponse proposée semble transposable, consistant<br />

à définir l’humanité-valeur (formée selon <strong>de</strong>ux processus <strong>de</strong> différentiation <strong>et</strong><br />

d’intégration) par une double composante: la singularité <strong>de</strong> chaque être humain <strong>et</strong><br />

son égale appartenance à la même communauté.<br />

En somme, le refus <strong>de</strong> la déshumanisation comme celui <strong>de</strong> la fabrication d’être<br />

humains s’inscriraient au confluent <strong>de</strong> l’hominisation autour d’une seule espèce <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> la différenciation <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures qui caractérise l’humanisation.<br />

Encore faut-il réussir à temps c<strong>et</strong>te synthèse entre hominisation <strong>et</strong> humanisation<br />

qui comman<strong>de</strong>rait l’universalisme du couple « humain/inhumain ». A défaut d’y<br />

parvenir, Henri Atlan nous annonce déjà que « le débat sur le clonage repartira <strong>de</strong><br />

plus belle quand l’ectogénèse humaine [c’est-à-dire la gestation extracorporelle,<br />

dans un utérus artificiel] sera <strong>de</strong>venue possible » 5 . Il explique que l’implantation<br />

dans un utérus naturel reste « un repère en même temps qu’un verrou, perm<strong>et</strong>tant<br />

<strong>de</strong> contrôler les techniques <strong>et</strong> d’empêcher l’application éventuelle à l’espèce<br />

humaine <strong>de</strong> reproductions non sexuées, telles que le clonage ou la parthénogénèse » ;<br />

or ce verrou, « à la fois technique <strong>et</strong> symbolique », risque <strong>de</strong> disparaître, annonc<strong>et</strong>-il,<br />

dès lors que l’ectogénèse sera <strong>de</strong>venue une pratique familière — sinon familiale !<br />

– adoptée par une proportion non négligeable <strong>de</strong> femmes ».<br />

Un autre verrou risque <strong>de</strong> disparaître avec les nouveaux développements<br />

technologiques qui nous annoncent déjà, avec « l’homme artificiel » 6 , la possibilité<br />

d’hybri<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> vivants <strong>et</strong> <strong>de</strong> machines. Il y aurait donc urgence à se m<strong>et</strong>tre d’accord<br />

sur le couple « humain/inhumain ».<br />

Mais la synthèse que nous suggérons semble rem<strong>et</strong>tre en cause un humanisme<br />

qui était traditionnellement conçu comme un dualisme qui sépare nature /culture<br />

(y compris les technologies). Du même coup, elle fait surgir d’autres interrogations,<br />

sur la place <strong>de</strong> l’humain confronté, non plus à l’inhumain, mais au non humain.<br />

5. H. Atlan, L’utérus artificiel, Seuil, 2005, pp. 43-81.<br />

6. Voir L’homme artificiel, Colloque du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, dir. J.P. Changeux, éd. Odile Jacob,<br />

2007.


ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 529<br />

Le couple humain/non humain<br />

L’une <strong><strong>de</strong>s</strong> questions les plus obscures que posent les droits « <strong>de</strong> l’homme », dans<br />

leur prétention à l’universel, est <strong>de</strong> savoir où situer l’humain par rapport au non<br />

humain, qu’il renvoie à l’animal ou à la nature.<br />

C’est une conception séparatiste, à la fois dualiste <strong>et</strong> anthropocentrique, qui a<br />

finalement émergé <strong>et</strong> s’est stabilisée en Europe au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>rniers siècles. Philippe<br />

Descola la nomme « naturaliste » <strong>et</strong> la distingue <strong>de</strong> trois autres conceptions du<br />

couple humain / non humain en ce qu’elle considère les humains comme « les seuls<br />

à possé<strong>de</strong>r le privilège <strong>de</strong> l’intériorité tout en se rattachant au continuum <strong><strong>de</strong>s</strong> nonhumains<br />

par leurs caractéristiques matérielles » 7 .<br />

Dans le champ juridique, ce modèle semble avoir inspiré le droit international,<br />

conduisant à déclarer universel l’irréductible humain (art. 1 DUDH proclamant<br />

l’égale dignité <strong>de</strong> tous les êtres humains). Pourtant tout se passe comme si le droit<br />

était à présent en première ligne pour rem<strong>et</strong>tre en cause les certitu<strong><strong>de</strong>s</strong> du naturalisme.<br />

Sous l’eff<strong>et</strong> conjugué <strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes scientifiques <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> innovations technologiques,<br />

la résistance <strong><strong>de</strong>s</strong> courants écologiques se radicalise. Les certitu<strong><strong>de</strong>s</strong> qui nourrissaient<br />

c<strong>et</strong> humanisme juridique <strong>de</strong> séparation sont en eff<strong>et</strong> ébranlées par une évolution<br />

qui suggère un renouvellement <strong>de</strong> l’humanisme juridique.<br />

L’ébranlement <strong><strong>de</strong>s</strong> certitu<strong><strong>de</strong>s</strong> humanistes pourrait conduire à l’éclatement car il<br />

tient à <strong>de</strong>ux mouvements apparemment contradictoires. D’une part la notion même<br />

d’humanisme juridique serait affaiblie, voire menacée, par <strong><strong>de</strong>s</strong> propositions comme<br />

celle d’une Déclaration <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’animal (adoptée lors d’une conférence à<br />

l’Unesco en1978, mod. 1989) qui semble calquer ces droits sur les droits <strong>de</strong> l’homme.<br />

Il est en eff<strong>et</strong> affirmé dès le préambule que « tout être vivant possè<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> droits<br />

naturels <strong>et</strong> que tout animal doté d’un système nerveux possè<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> droits particuliers »<br />

<strong>et</strong> l’article 8 va jusqu’à définir comme « génoci<strong>de</strong> » tout acte « comprom<strong>et</strong>tant la<br />

survie d’une espèce sauvage <strong>et</strong> toute décision conduisant à un tel acte ».<br />

Mais d’autre part l’humanité, élargie aux générations futures, se trouverait<br />

renforcée dans ses prérogatives, comme titulaire d’un patrimoine : on se souvient<br />

en eff<strong>et</strong> que la notion <strong>de</strong> « patrimoine commun <strong>de</strong> l’humanité », apparue lors<br />

d’une conférence sur le droit <strong>de</strong> la mer, fut inscrite dans plusieurs conventions<br />

internationales pour désigner certains espaces naturels tels que la lune <strong>et</strong> autres<br />

corps célestes (convention 1979), ou encore le fond <strong><strong>de</strong>s</strong> mers <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> océans<br />

(convention 1982).<br />

Écartelé entre la personnification <strong>de</strong> l’animal <strong>et</strong> la patrimonialisation <strong>de</strong> la<br />

nature, le non humain ne se séparerait plus aussi n<strong>et</strong>tement <strong>de</strong> l’humain dans c<strong>et</strong>te<br />

nouvelle conception du mon<strong>de</strong> qui semble privilégier un monisme centré sur<br />

7. Ph. Descola, « La patrimonialisation <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces naturels », in Figures <strong>et</strong> problèmes <strong>de</strong> la<br />

mondialisation, Colloque du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 13-14 déc. 2007, inédit ; également Par-<strong>de</strong>là<br />

nature <strong>et</strong> culture, Gallimard, 2005, notamment p. 176 <strong>et</strong> les tableaux pp. 382, 416.


530 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />

l’homme. Mais ce n’est sans doute qu’un modèle transitoire car aucun <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux<br />

mouvements n’est encore stabilisé.<br />

Par ses excès mêmes, un tel ébranlement pourrait annoncer une recomposition<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs conduisant vers un humanisme juridique d’un type nouveau qui ne<br />

reprend aucun <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles existants, mais esquisse une sorte <strong>de</strong> synthèse entre eux.<br />

Le droit maintient en eff<strong>et</strong> une distinction entre l’humain <strong>et</strong> le non humain, donc<br />

un certain dualisme, mais ce dualisme est atténué par une relation qui semble<br />

progressivement se dégager <strong>de</strong> l’anthropocentrisme, qu’il s’agisse <strong>de</strong> l’animal, perçu<br />

comme un être sensible qui ne serait assimilable ni à une personne physique, ni à<br />

une chose, ou <strong>de</strong> la nature, considérée non pas comme patrimoine mais plutôt<br />

comme bien commun.<br />

Philippe Descola, suggérait la voie d’un « universalisme relatif », au sens propre,<br />

c’est-à-dire se rapportant à une relation. C’est c<strong>et</strong>te hypothèse que nous avons<br />

voulu transposer dans le champ juridique <strong>et</strong> explorer comme évolution possible<br />

d’un humanisme juridique « <strong>de</strong> mise en relation », qui construirait la relation <strong>de</strong><br />

l’humain à l’animal, <strong>et</strong> plus largement à la nature, échappant ainsi à la fois au<br />

dualisme qui maintient une stricte opposition entre l’humain <strong>et</strong> le non humain <strong>et</strong><br />

au monisme qui marque une continuité sans doute excessive.<br />

Plus l’on s’interroge sur la nature juridique <strong>de</strong> l’animal, plus le choix binaire entre<br />

le dualisme (l’animal est une chose qui n’a rien à voir avec l’homme) <strong>et</strong> le monisme<br />

(l’animal est une personne assimilable à l’homme) paraît inadapté pour rendre<br />

compte d’une évolution qui maintient une séparation entre l’humain <strong>et</strong> le non<br />

humain, mais organise leur relation. C’est ainsi que les promoteurs <strong>de</strong> la Charte<br />

constitutionnelle française <strong>de</strong> 2005 sur l’environnement, rappelant qu’elle avait été<br />

conçue « pour l’homme <strong>et</strong> non pour la nature elle-même », ont tenu à qualifier leur<br />

démarche d’écologie humaniste. Il reste à savoir quelle signification donner à c<strong>et</strong>te<br />

formule d’apparence consensuelle. Certains commentateurs y voient la confirmation<br />

d’un humanisme centré sur l’homme. Toutefois le préambule souligne aussi « que<br />

l’homme exerce une influence croissante sur les conditions <strong>de</strong> la vie <strong>et</strong> sur sa propre<br />

évolution » <strong>et</strong> que « la diversité biologique, l’épanouissement <strong>de</strong> la personne <strong>et</strong> le<br />

progrès <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés humaines sont affectés par certains mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> consommation ou<br />

<strong>de</strong> production <strong>et</strong> par l’exploitation excessive <strong><strong>de</strong>s</strong> ressources naturelles ». Il en résulte<br />

que « les choix <strong><strong>de</strong>s</strong>tinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas<br />

comprom<strong>et</strong>tre la capacité <strong><strong>de</strong>s</strong> générations futures <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> autres peuples à satisfaire<br />

leurs propres besoins ». D’où l’énonciation, rare en matière constitutionnelle,<br />

exprimée sous la forme d’un <strong>de</strong>voir : « toute personne a le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> prendre part à la<br />

préservation <strong>et</strong> à l’amélioration <strong>de</strong> l’environnement » (art. 2). Quelles que soient les<br />

doutes sur la portée pratique <strong>de</strong> ce dispositif, il ouvre la voie à une protection plus<br />

autonome, que viennent d’ailleurs renforcer les articles 3 (<strong>de</strong>voir <strong>de</strong> prévention) <strong>et</strong> 5<br />

(le fameux principe dit <strong>de</strong> précaution, alors qu’il incite plutôt à l’anticipation).<br />

Peut-être arrivons-nous ici aux limites <strong><strong>de</strong>s</strong> possibilités offertes par le concept<br />

<strong>de</strong> droits « <strong>de</strong> l’homme ». Ce qui <strong>de</strong>vrait inciter les juristes à concevoir une relation


ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 531<br />

d’un type nouveau entre l’humain <strong>et</strong> le non humain, afin <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre le droit au<br />

service <strong>de</strong> la relation entre les humains <strong>et</strong> les autres espèces vivantes, plutôt qu’au<br />

seul service du bon fonctionnement <strong>de</strong> la société humaine. La voie la plus radicale<br />

consisterait à faire <strong>de</strong> la diversité biologique un suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> droit à part entière <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

reconnaître ainsi la valeur intrinsèque du vivant non humain (cf. Constitution <strong>de</strong><br />

la Confédération suisse).<br />

Mais c<strong>et</strong>te valeur intrinsèque semble un leurre dès lors qu’on ne peut la définir<br />

<strong>et</strong> la défendre sans passer par l’homme. Pour imaginer ce qu’il nomme « le<br />

parlement <strong><strong>de</strong>s</strong> choses », Bruno Latour, empruntant à la fois aux mo<strong>de</strong>rnes (la<br />

séparation <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong>de</strong> la société), aux prémo<strong>de</strong>rnes (la non séparabilité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

choses <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> signes), <strong>et</strong> aux postmo<strong>de</strong>rnes (la dénaturalisation), s’oriente vers une<br />

autre voie, celle d’un « humanisme redistribué » où l’humain <strong>de</strong>viendrait<br />

médiateur 8 .<br />

J’y vois une invitation à dépasser l’asymétrie du rapport juridique, qu’il s’agisse<br />

d’un droit <strong>de</strong> l’humain sur le non humain ou <strong>de</strong> l’inverse, <strong>de</strong> sorte que, dans sa<br />

relation au non humain, l’humanisme abandonne la forme bilatérale d’un droit<br />

pour celle unilatérale d’un « <strong>de</strong>voir ». Le changement est déjà inscrit dans <strong>de</strong><br />

nombreux textes, qu’il s’agisse <strong><strong>de</strong>s</strong> animaux ou <strong>de</strong> la nature ; mais il ne suffit pas<br />

à définir un régime juridique. Pour y parvenir, nous tenterons d’explorer les<br />

possibilités offertes par c<strong>et</strong> étrange concept <strong>de</strong> « bien mondial », qui renvoie<br />

simultanément à l’économie (bien collectif), à la politique (bien public) <strong>et</strong> à<br />

l’éthique (bien commun), <strong>et</strong> pourrait contribuer, par son ambiguïté même, à la<br />

formation <strong>de</strong> valeurs universelles.<br />

Les biens publics mondiaux : <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs universelles en formation ?<br />

Pour faire comprendre c<strong>et</strong>te notion issue <strong>de</strong> la science économique, Roger<br />

Guesnerie cite un passage <strong>de</strong> Victor Hugo évoquant l’amour <strong>de</strong> la mère pour ses<br />

enfants : « Chacun en a sa part <strong>et</strong> tous l’ont tout entier » qui résume les<br />

caractéristiques du bien public mondial, dont l’archétype serait la qualité du<br />

climat : « chacun en a sa part, » c’est-à-dire qu’on ne peut exclure quiconque <strong>de</strong><br />

son usage, <strong>et</strong> « tous l’ont tout entier », c’est-à-dire qu’il n’y a pas <strong>de</strong> rivalité pour<br />

sa consommation. Ainsi « ma consommation ne détruit pas <strong>et</strong> n’interdit pas sa<br />

consommation par quiconque » 9 .<br />

A première vue ces critères (bien non rival <strong>et</strong> non exclusif), utilisés principalement<br />

par le PNUD <strong>et</strong> la Banque mondiale, sont difficilement transposables en droit.<br />

Pourtant le terme <strong>de</strong> bien public mondial émerge dans le champ juridique <strong>de</strong>puis<br />

dizaine d’années. Qu’il s’agisse <strong>de</strong> capacités humaines comme la santé ou <strong>de</strong><br />

8. B. Latour, Nous n’avons jamais été mo<strong>de</strong>rnes, La découverte, 1997, p. 186.<br />

9. R. Guesnerie, Kyoto <strong>et</strong> l’économie <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre, rapport Conseil d’analyse économique,<br />

La documentation française, 2003, p. 22.


532 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />

ressources naturelles, comme le climat, l’on pourrait y voir un processus<br />

dynamique qui perm<strong>et</strong>trait une synergie entre le marché <strong>et</strong> les droits <strong>de</strong> l’homme,<br />

les valeurs marchan<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> non marchan<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />

Appliquée à la qualité du climat, la qualification <strong>de</strong> bien public mondial conduit<br />

à introduire dans le droit <strong>de</strong> l’environnement un marché <strong><strong>de</strong>s</strong> permis d’émission,<br />

permis <strong>de</strong> polluer dit-on parfois, mais aussi permis fondés sur <strong><strong>de</strong>s</strong> quotas <strong><strong>de</strong>s</strong>tinés<br />

à limiter la quantité d’émission <strong>de</strong> gaz à eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> serre (convention-cadre <strong>de</strong> Rio<br />

en 1992 <strong>et</strong> protocole <strong>de</strong> Kyoto en 1997). En revanche, appliquée à la santé, la<br />

même qualification, par une dynamique inverse, perm<strong>et</strong>, pour certains médicaments,<br />

<strong>de</strong> créer <strong><strong>de</strong>s</strong> licences obligatoires qui limitent la logique du marché, comme en<br />

témoigne l’évolution du droit <strong><strong>de</strong>s</strong> brev<strong>et</strong>s à l’OMC après la conférence <strong>de</strong> Doha<br />

en 2001.<br />

Les capacités humaines : santé <strong>et</strong> accès aux médicaments<br />

Définir la santé comme bien mondial n’est pas une évi<strong>de</strong>nce. D’abord perçue<br />

comme rupture <strong>de</strong> l’harmonie, la santé ne s’est différenciée <strong><strong>de</strong>s</strong> autres formes <strong>de</strong><br />

malheur <strong>et</strong> <strong>de</strong> souffrance que progressivement <strong>et</strong> par <strong><strong>de</strong>s</strong> voies propres à chaque<br />

culture, déterminant <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles différents <strong>de</strong> prévention sanitaire, qui vont du<br />

modèle magico-religieux au modèle contractuel, en passant par diverses formes <strong>de</strong><br />

contrainte.<br />

En <strong>France</strong>, il faut attendre la Constitution <strong>de</strong> 1946 <strong>et</strong> la création <strong>de</strong> la « sécurité<br />

sociale » pour voir affirmé dans le préambule, repris par celui <strong>de</strong> 1958, que la<br />

Nation doit garantir à tous la protection <strong>de</strong> la santé. Un principe également<br />

consacré par le droit international, à partir <strong>de</strong> la création <strong>de</strong> l’Organisation mondiale<br />

<strong>de</strong> la santé (OMS) dont l’acte constitutif <strong>de</strong> 1946 affirme pour la première fois<br />

que « la possession du meilleur état <strong>de</strong> santé qu’il est capable d’atteindre constitue<br />

l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> droits fondamentaux <strong>de</strong> tout être humain ». Peu après, la DUDH, associant<br />

les droits économiques, sociaux <strong>et</strong> culturels au droit à la dignité (art. 22), reconnaît<br />

explicitement à toute personne le droit à un niveau <strong>de</strong> vie suffisant pour assurer sa<br />

santé <strong>et</strong> les soins médicaux nécessaires (art. 25).<br />

Si la légitimité du droit à la santé semble ainsi admise, il resterait à le rendre<br />

universalisable à l’échelle mondiale. On mesure le chemin qui reste à parcourir<br />

quand on réalise que les habitants <strong><strong>de</strong>s</strong> pays en développement, qui représentent<br />

75 % <strong>de</strong> la population mondiale, ne consomment que 8 % <strong><strong>de</strong>s</strong> médicaments<br />

vendus dans le mon<strong>de</strong>. Malgré la création <strong>de</strong> l’OMS, le droit à la santé est sans<br />

doute resté l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> droits le plus inégalement appliqués. Et les inégalités risquent<br />

<strong>de</strong> croître encore : à mesure que les systèmes <strong>de</strong> santé <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong> plus en plus<br />

dépendants <strong><strong>de</strong>s</strong> développements technologiques, <strong>et</strong> nécessitent <strong><strong>de</strong>s</strong> investissements<br />

<strong>de</strong> plus en plus lourds, on peut craindre qu’ils s’orientent vers les produits <strong><strong>de</strong>s</strong>tinés<br />

aux consommateurs les plus prospères, notamment en ce qui concerne la mise au<br />

point <strong><strong>de</strong>s</strong> médicaments, dont le prix intègre les droits <strong>de</strong> propriété intellectuelle.


ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 533<br />

Après la DUDH, <strong>de</strong> nombreux instruments internationaux reprennent <strong>et</strong><br />

développent pourtant le principe d’un droit à la santé opposable aux États : à l’échelle<br />

mondiale avec le pacte international sur les droits économiques, sociaux <strong>et</strong> culturels<br />

PIDESC Onu (1966), ou les conventions sur la protection <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes (1979) ou<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> enfants (1989) ; <strong>et</strong> à l’échelle régionale avec la charte sociale européenne (1961),<br />

la charte africaine (1981), le protocole additionnel à la Convention américaine<br />

(1988) <strong>et</strong> plus récemment la charte <strong><strong>de</strong>s</strong> droits fondamentaux <strong>de</strong> l’UE (Ch. IV<br />

Solidarité, art. 34 <strong>et</strong> 35), l’Europe étant seule à garantir le droit à l’assistance sociale<br />

<strong>et</strong> médicale. Mais c’est pourtant tardivement que les mécanismes <strong>de</strong> contrôle <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

mise en œuvre seront mis en place, <strong>et</strong> ils restent très faibles au niveau mondial.<br />

Jointe à une certaine éclipse <strong>de</strong> l’OMS , c<strong>et</strong>te faiblesse pourrait expliquer la<br />

montée en puissance <strong>de</strong> nouveaux acteurs, comme la Banque mondiale <strong>et</strong> le<br />

PNUD, qui vont introduire une logique économique : <strong>de</strong> droit opposable aux<br />

États, la santé <strong>de</strong>viendrait un bien relevant <strong><strong>de</strong>s</strong> marchés privés dont l’OMC serait<br />

le pivot : dérogeant au droit <strong><strong>de</strong>s</strong> brev<strong>et</strong>s après la conférence <strong>de</strong> Doha en novembre<br />

2001, certains médicaments <strong>et</strong> produits pharmaceutiques sont placés au confluent<br />

du marché <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme. L’Accord sur les aspects <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> propriété<br />

intellectuelle (ADPIC), dont l’article 31 énonce un certain nombre <strong>de</strong> situations<br />

dans lesquelles les licences obligatoires sont compatibles avec la liberté du commerce,<br />

a en eff<strong>et</strong> été complété en 2005 par une décision du 6 décembre 2005 (conférence<br />

<strong>de</strong> Hong Kong) qui ébauche une synergie entre marché <strong>et</strong> droits <strong>de</strong> l’homme.<br />

Les membres <strong>de</strong> l’OMC ont alors réussi à se m<strong>et</strong>tre d’accord sur un suj<strong>et</strong> qui, au<strong>de</strong>là<br />

<strong>de</strong> leurs intérêts commerciaux immédiats, concerne la santé publique <strong>et</strong> plus<br />

directement la vie <strong>de</strong> millions <strong>de</strong> personnes, notamment en Afrique, touchées par<br />

certaines maladies infectieuses comme le VIH/sida, la tuberculose ou le paludisme.<br />

Le nouvel article 31bis a en eff<strong>et</strong> pour objectif <strong>de</strong> perm<strong>et</strong>tre aux pays membres <strong>de</strong><br />

l’OMC d’accor<strong>de</strong>r les licences obligatoires en vue d’exporter <strong><strong>de</strong>s</strong> médicaments vers<br />

les pays sans capacités <strong>de</strong> fabrication, ou avec <strong><strong>de</strong>s</strong> capacités insuffisantes ; mais le<br />

contenu du texte est d’une extrême complexité. Malgré un premier bilan positif<br />

quant au traitement antirétroviral, le nouveau dispositif, critiqué à la fois par les<br />

ONG <strong>et</strong> par l’industrie pharmaceutique, est contourné par la multiplication<br />

d’accords bilatéraux qui se substituent à la vision multilatérale <strong>de</strong> l’OMC.<br />

La synergie entre marchés <strong>et</strong> droits <strong>de</strong> l’homme est d’autant plus difficile à<br />

réaliser que le droit à la santé ne peut être totalement séparé du droit à un<br />

environnement sain, le débat sur le couple « humain/non humain » étant désormais<br />

réactualisé sous l’angle <strong><strong>de</strong>s</strong> biens publics mondiaux.<br />

Les ressources naturelles : qualité du climat <strong>et</strong> maîtrise <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre<br />

Pour comparer droits fondamentaux <strong>et</strong> biens publics mondiaux, il faut confronter<br />

la protection juridique du non humain aux mécanismes <strong>de</strong> marché introduits pour<br />

protéger le climat <strong>et</strong> maîtriser l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre.


534 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />

En ce qui concerne les droits fondamentaux, la protection du non humain reste<br />

incertaine. Pendant un siècle (1872-1972), le modèle <strong><strong>de</strong>s</strong> Parcs nationaux a<br />

privilégié les valeurs esthétiques <strong>et</strong> la préservation <strong><strong>de</strong>s</strong> cycles naturels <strong>et</strong> le phénomène<br />

s’est encore accéléré à partir <strong>de</strong> 1972 : la superficie <strong><strong>de</strong>s</strong> zones protégées au titre <strong>de</strong><br />

réserves naturelles a été multipliée par quatre, sous l’impulsion d’organismes<br />

internationaux comme l’UNESCO, l’Union Internationale pour la Conservation<br />

<strong>de</strong> la Nature, ou l’United Nations Environment Program. L’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> sites<br />

terrestres <strong>et</strong> marins concernés couvrent environ 19 millions <strong>de</strong> km², soit<br />

approximativement 12 % <strong>de</strong> la surface terrestre mondiale. Mais c<strong>et</strong>te croissance<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> aires protégées s’accompagnait <strong>de</strong> fortes disparités <strong>de</strong> statut, la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

intérêts en jeu conduisant à un certain désordre conceptuel, marqué par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

glissements progressifs, <strong><strong>de</strong>s</strong> parcs nationaux à la biodiversité, puis <strong><strong>de</strong>s</strong> ressources<br />

biologiques au développement durable.<br />

Inscrit en 1987 dans le rapport Bruntland pour tenter <strong>de</strong> concilier la poursuite<br />

<strong>de</strong> la croissance industrielle avec la préservation <strong>de</strong> l’environnement <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> ressources<br />

biologiques, le développement durable serait caractérisé par les <strong>de</strong>ux principes <strong>de</strong><br />

gestion rationnelle (Déclaration <strong>de</strong> Stockholm, 1972) <strong>et</strong> <strong>de</strong> gestion intégrée, c’està-dire<br />

coordonnée à l’échelle globale (Agenda <strong>de</strong> Rio, 1992). Mais l’expression,<br />

critiquée comme le résultat confus d’un compromis diplomatique, ne suffit pas à<br />

résoudre les conflits <strong>de</strong> valeurs. La biodiversité reste en eff<strong>et</strong> une abstraction qui ne<br />

prend sens qu’au plan global, y compris dans les pays développés, alors qu’au plan<br />

local apparaissent les aspects négatifs d’une protection qui contrarie les besoins<br />

économiques <strong>et</strong> sociaux <strong>de</strong> la population.<br />

Il n’en reste pas moins que le <strong>de</strong>rnier rapport mondial sur le développement<br />

humain, élaboré par le PNUD pour la pério<strong>de</strong> 2007-2008, présente le changement<br />

climatique comme le problème « le plus important <strong>et</strong> le plus urgent ». Inspiré du<br />

4 e rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat<br />

(GIEC, 2007), qui établit, malgré les incertitu<strong><strong>de</strong>s</strong> scientifiques, la part déterminante<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> activités humaines dans le changement climatique, <strong>et</strong> du rapport <strong>de</strong> Nicholas<br />

Stern The Economics of Climate Change, qui démontre que la prévention est plus<br />

économique que l’immobilisme, le rapport du PNUD place d’emblée le débat sur<br />

un plan éthique.<br />

Mais l’énoncé du problème ne donne pas la solution. La coopération internationale<br />

a permis d’améliorer la protection <strong>de</strong> la couche d’ozone (convention <strong>de</strong> Vienne,<br />

1985 <strong>et</strong> protocole <strong>de</strong> Montréal, 1987). Il faudra attendre la convention-cadre <strong>de</strong><br />

1992 pour entrevoir, au nom du développement durable, un début <strong>de</strong> réponse aux<br />

changements climatiques. Pour assurer une certaine équité à l’échelle globale, il a<br />

fallu imaginer le principe <strong>de</strong> « responsabilités communes mais différenciées » (art.<br />

3 principe 1). Il reste à le m<strong>et</strong>tre en œuvre, en tenant compte <strong>de</strong> la spécificité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

priorités nationales <strong>et</strong> régionales <strong>de</strong> développement (voir notamment art. 4, les<br />

engagements <strong><strong>de</strong>s</strong> pays développés <strong>et</strong> assimilés figurant à l’annexe 1), sans pour<br />

autant renoncer à l’objectif <strong>de</strong> protection <strong>de</strong> la planète.


ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 535<br />

D’où l’innovation qui consiste à donner toute sa signification à l’expression <strong>de</strong><br />

bien public mondial en faisant intervenir les marchés comme instruments privilégiés<br />

d’une politique globale, à vocation supra/nationale, <strong><strong>de</strong>s</strong>tinée à renforcer une<br />

coopération limitée aux relations inter/nationales.<br />

A défaut <strong>de</strong> gouvernement mondial, on tente ainsi <strong>de</strong> mondialiser la lutte contre<br />

l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre en utilisant les stratégies du marché. Pour évaluer ce choix, qui<br />

repose sur l’efficacité supposée du marché, il faut rappeler que le protocole <strong>de</strong><br />

Kyoto définit les quantités d’émission <strong>de</strong> GES autorisées pour 2008-2012 selon<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> quotas fixés à chaque pays par référence à ses émissions en 1990. Pour entrer<br />

en vigueur le texte <strong>de</strong>vait être ratifié par 55 pays représentant au moins 55 % <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

émissions. La secon<strong>de</strong> condition fut remplie en 2004, avec la ratification par la<br />

Russie. Et pourtant, bien qu’il ait été en 2007 ratifié par 156 États, la faiblesse du<br />

protocole est qu’il couvre seulement un tiers <strong><strong>de</strong>s</strong> émissions mondiales.<br />

La raison tient d’une part au refus persistant <strong>de</strong> la trentaine d’États qui n’ont ni<br />

signé, ni ratifié ce dispositif, y compris les USA qui détiennent pourtant le record du<br />

mon<strong>de</strong> avec 6 tonnes <strong>de</strong> carbone par tête <strong>et</strong> par an (contre moins d’une <strong>de</strong>mi tonne<br />

pour l’In<strong>de</strong>) <strong>et</strong> 25 % <strong><strong>de</strong>s</strong> émissions mondiales. D’autre part, <strong>et</strong> c’est sans doute le<br />

point le plus faible du dispositif <strong>de</strong> Kyoto, l’espace du marché « carbone » qu’il<br />

instaure est limité, en application du principe <strong><strong>de</strong>s</strong> responsabilités différenciées qui a<br />

conduit à cantonner la mise en œuvre immédiate aux seuls pays développés. En<br />

termes d’efficacité, la solution consisterait à ouvrir l’Espace Kyoto aux pays en<br />

développement (PED). Mais ces <strong>de</strong>rniers rappellent à juste titre que l’accumulation<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> gaz à eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre dans l’atmosphère relève <strong>de</strong> la responsabilité historique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

pays développés, soulevant ainsi la question <strong><strong>de</strong>s</strong> critères <strong>de</strong> légitimité.<br />

C’est pourquoi la logique du marché ne suffit pas. Encore faut-il assurer la<br />

légitimité politique, qui conditionne la possibilité d’un contrôle international<br />

malgré l’absence <strong>de</strong> gouvernement mondial, <strong>et</strong> la légitimité éthique, qui perm<strong>et</strong>trait<br />

<strong>de</strong> résoudre les conflits <strong>de</strong> valeurs malgré l’absence <strong>de</strong> constitution mondiale.<br />

Car le plus difficile à résoudre est le conflit que l’on peut rattacher, au-<strong>de</strong>là <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

biens publics mondiaux, à la notion sous-jacente <strong>de</strong> bien commun, qui semble<br />

prise entre un commun uniformisateur <strong>et</strong> un commun pluraliste. À c<strong>et</strong> égard, la<br />

technique juridique <strong><strong>de</strong>s</strong> responsabilités différenciées apparaît comme une tentative<br />

pour concevoir un commun qui ne soit uniforme ni dans l’espace ni dans le temps.<br />

Sans doute imparfaite, car elle laisse encore sans réponse la question <strong><strong>de</strong>s</strong> pays en<br />

développement, c<strong>et</strong>te technique ne doit cependant pas être abandonnée, mais<br />

perfectionnée, <strong>et</strong> peut-être élargie à la solution d’autres conflits <strong>de</strong> valeurs, car elle<br />

perm<strong>et</strong> d’adm<strong>et</strong>tre <strong><strong>de</strong>s</strong> hiérarchies variables selon les questions posées.<br />

On entrevoit ainsi que la véritable synergie entre droits fondamentaux <strong>et</strong> biens<br />

publics mondiaux repose sur la capacité <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> droit à remplir un double<br />

rôle qui relie communauté <strong>de</strong> valeurs <strong>et</strong> communauté <strong>de</strong> droit : ordonner les<br />

valeurs <strong>et</strong> responsabiliser les acteurs.


536 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />

Le rôle du droit dans l’émergence d’une communauté <strong>de</strong> valeurs<br />

Comme révélateur <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs, les systèmes <strong>de</strong> droit font surtout apparaître les<br />

incohérences qui les sous-ten<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> la mondialisation semble annoncer, comme<br />

nous en avons vu <strong>de</strong> nombreux exemples, le grand désordre juridique du mon<strong>de</strong>.<br />

Désordre juridique, mais aussi « anarchie <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs » selon Paul Valadier, une<br />

anarchie qui risquerait <strong>de</strong> nous condamner soit à un pessimisme <strong>de</strong> résignation, soit<br />

à un dogmatisme aveugle. « Mais le moraliste, ajoute-t-il, ne peut pas attendre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

len<strong>de</strong>mains supposés meilleurs pour proposer comme sensée la moralisation <strong>de</strong> soi <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> l’histoire : il lui faut donc tenter <strong>de</strong> montrer ou <strong>de</strong> suggérer, <strong>et</strong> telle est sa<br />

responsabilité intellectuelle, que <strong><strong>de</strong>s</strong> issues sont possibles <strong>et</strong> que les pleureurs sont au<br />

fond les complices du relativisme <strong>et</strong> du désespoir qu’ils dénoncent en en vivant » 10 .<br />

Quand au juriste, il doit se souvenir que le droit ne se limite pas à nommer <strong>et</strong><br />

classer les valeurs, il est aussi un instrument normatif <strong>et</strong> comme tel un processus<br />

transformateur, y compris dans la sphère internationale où, malgré l’absence <strong>de</strong><br />

gouvernement mondial, les normes juridiques perm<strong>et</strong>traient <strong>de</strong> dépasser le désordre<br />

<strong>et</strong> l’anarchie pour ordonner les valeurs, ou ordonner, par référence aux valeurs, les<br />

choix d’action ; <strong>et</strong> les ordonner <strong>de</strong> façon suffisamment rationnelle <strong>et</strong> objective pour<br />

réussir à responsabiliser les acteurs, publics ou privés, individuels ou collectifs, dans<br />

l’exercice <strong>de</strong> leurs pouvoirs.<br />

Ordonner les valeurs<br />

Du niveau national au niveau mondial, la transposition est difficile car les choix<br />

<strong>de</strong> valeurs, rarement explicités par <strong><strong>de</strong>s</strong> juges internationaux, ne sont ni débattus<br />

<strong>de</strong>vant un parlement souverain, ni garantis dans leur mise en œuvre par un<br />

gouvernement mondial, mais négociés au gré <strong><strong>de</strong>s</strong> États. Il en résulte une prolifération<br />

<strong>de</strong> normes juridiques <strong>et</strong> leur fragmentation, à la fois verticale <strong>et</strong> horizontale. Telle<br />

que nous avons pu l’observer à propos <strong><strong>de</strong>s</strong> crimes à vocation universelle, <strong><strong>de</strong>s</strong> droits<br />

<strong>de</strong> l’homme, puis <strong><strong>de</strong>s</strong> biens publics mondiaux, c<strong>et</strong>te fragmentation entraine la<br />

pluralité <strong><strong>de</strong>s</strong> échelles qui ordonnent les valeurs.<br />

La pluralité n’empêche pas toute tentative <strong>de</strong> mise en ordre, mais elle la rend<br />

plus incertaine qu’au niveau national. Même quand il s’agit <strong>de</strong> résoudre <strong><strong>de</strong>s</strong> conflits<br />

<strong>de</strong> valeurs propres à chaque système, <strong>et</strong> a fortiori quand il s’agit d’un conflit<br />

« intersystémique », les processus <strong>de</strong> mise en ordre perm<strong>et</strong>tent rarement <strong>de</strong><br />

hiérarchiser <strong>et</strong> <strong>de</strong> stabiliser les valeurs. Pour assurer à la fois l’universalisme, le<br />

pluralisme <strong>et</strong> le pragmatisme, il faut le plus souvent tenter d’équilibrer les valeurs,<br />

en les conciliant <strong>de</strong> façon non exclusive, <strong>et</strong> d’anticiper sur les évolutions dans le<br />

temps. C’est dire la complexité <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> mise en ordre.<br />

Pour résoudre les conflits <strong>de</strong> valeurs, les juristes disposent en eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

modèles. L’un consiste, en présence <strong>de</strong> plusieurs énoncés contradictoires, à ne<br />

10. P. Valadier, L’anarchie <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs, Albin Michel, 1997, p. 165.


ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 537<br />

prendre en compte qu’un seul d’entre eux (au nom <strong>de</strong> la dignité écarter <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

pratiques comme la torture ou la peine <strong>de</strong> mort ayant pour but <strong>de</strong> protéger la<br />

sécurité). L’autre opère par conciliation ou pondération, afin d’appliquer<br />

partiellement chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs en conflit (sécurité <strong>et</strong> liberté, vie privée <strong>et</strong> liberté<br />

d’expression, propriété privée <strong>et</strong> protection <strong>de</strong> l’environnement, <strong>et</strong>c.). En somme,<br />

le modèle d’exclusivité — ou <strong>de</strong> sub/ordination d’une valeur à l’autre car il impose<br />

la norme supérieure <strong>et</strong> écarte la norme inférieure — repose sur un processus <strong>de</strong><br />

hiérarchisation, mais aussi <strong>de</strong> stabilisation quand la hiérarchie est fixée par avance<br />

selon la vision traditionnelle (mo<strong>de</strong>rne) <strong>de</strong> l’ordre, à la fois hiérarchique <strong>et</strong> stable.<br />

En revanche le modèle <strong>de</strong> pluralité — ou <strong>de</strong> co/ordination — suggère plutôt un<br />

processus <strong>de</strong> conciliation <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs. Toutefois les exemples étudiés, notamment<br />

dans le domaine <strong><strong>de</strong>s</strong> biotechnologies <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> biens publics mondiaux, montrent que<br />

c<strong>et</strong>te conciliation est réalisée <strong>de</strong> façon tantôt simultanée (équilibrage), tantôt<br />

successive (anticipation marquant l’importance nouvelle <strong>de</strong> la relation au temps <strong>et</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> vitesses <strong>de</strong> transformation). D’où l’émergence d’un autre type d’ordre (post<br />

mo<strong>de</strong>rne ?), interactif <strong>et</strong> évolutif, qui superpose au rêve, ou au cauchemar, <strong>de</strong><br />

valeurs universelles reconnues à l’i<strong>de</strong>ntique par une communauté humaine unifiée<br />

une réalité beaucoup plus complexe.<br />

Pour concilier <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs à première vue contraires <strong>et</strong> promouvoir une autre<br />

vision <strong>de</strong> l’ordre, interactif <strong>et</strong> évolutif, les juristes ont imaginé <strong>de</strong>ux principes : le<br />

principe <strong>de</strong> proportionnalité, qui introduit une pondération facilitant l’équilibrage,<br />

<strong>et</strong> plus récemment le principe dit <strong>de</strong> précaution qui introduit en réalité une<br />

dynamique d’anticipation perm<strong>et</strong>tant d’intégrer le temps à la solution <strong><strong>de</strong>s</strong> conflits<br />

<strong>de</strong> valeurs (générations « futures », développement « durable »).<br />

Visant à prévenir <strong><strong>de</strong>s</strong> risques non seulement potentiels, mais graves <strong>et</strong>/ou<br />

irréversibles, le principe <strong>de</strong> précaution apparaît à la fois comme principe d’action,<br />

qui conditionne la prise <strong>de</strong> décision politique, <strong>et</strong> principe d’imputation, qui<br />

comman<strong>de</strong> l’attribution d’un nouveau type <strong>de</strong> responsabilité. Dans les <strong>de</strong>ux<br />

perspectives, il traduit un processus d’anticipation. Comme principe d’action, il<br />

incite, ou <strong>de</strong>vrait inciter, les responsables politiques à ne pas attendre que le risque<br />

soit avéré pour m<strong>et</strong>tre en place <strong><strong>de</strong>s</strong> procédures <strong>de</strong> recherche <strong>et</strong> d’évaluation sur les<br />

incertitu<strong><strong>de</strong>s</strong> qui concernent la menace <strong>de</strong> risques majeurs. Comme principe<br />

d’imputation, le principe <strong>de</strong> précaution aurait l’ambition <strong>de</strong> faire entrer l’évaluation<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>grés d’incertitu<strong>de</strong> dans le champ juridique. C’est dire le lien indissociable<br />

entre le type d’ordre qui sous-tend l’émergence d’une communauté mondiale <strong>de</strong><br />

valeurs <strong>et</strong> la façon <strong>de</strong> responsabiliser les acteurs.<br />

Responsabiliser les acteurs<br />

Si le rôle du droit, dans l’émergence d’une communauté mondiale <strong>de</strong> valeurs,<br />

n’est pas <strong>de</strong> créer ces valeurs mais <strong>de</strong> contribuer à les ordonner, il est aussi, en cas<br />

<strong>de</strong> transgression, <strong>de</strong> responsabiliser les acteurs.


538 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />

Mais comment limiter l’irresponsabilité souveraine <strong><strong>de</strong>s</strong> États <strong>et</strong> chefs d’États,<br />

non seulement dans le cas <strong>de</strong> crimes à vocation universelle, mais encore en cas <strong>de</strong><br />

violation <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme ou <strong>de</strong> transgression <strong>de</strong> valeurs qualifiées <strong>de</strong> biens<br />

publics mondiaux ? Et plus largement, comment reconnaître que la détention d’un<br />

pouvoir d’échelle globale (qu’il soit politique, économique, scientifique, médiatique,<br />

religieux ou culturel) implique le corollaire d’une responsabilité globale ?<br />

A ces questions, les réponses apportées dans les trois domaines que nous avons<br />

explorés sont à la fois fragmentaires <strong>et</strong> hétérogènes : si la responsabilité est au cœur<br />

du droit international pénal, elle ne concerne que les quelques individus accusés<br />

<strong>de</strong> crimes à vocation universelle ; en revanche, dans le domaine plus large <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

droits <strong>de</strong> l’homme, la responsabilité se limite pour l’essentiel aux États <strong>et</strong> semble<br />

refoulée pour les autres responsables potentiels, individus ou entreprises, comme<br />

s’il s’agissait <strong>de</strong> la face cachée <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme. Enfin la responsabilité reste<br />

quasiment absente du débat sur les biens publics mondiaux, pour lesquels l’efficacité<br />

est d’abord recherchée dans les logiques du marché (politique <strong><strong>de</strong>s</strong> prix ou politique<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> quantités, par ex, pour les gaz à eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre).<br />

C’est pourtant dans ces trois domaines, où nous avons repéré l’émergence <strong>de</strong><br />

valeurs communes, que pourrait se déployer, au confluent <strong>de</strong> l’universalisme <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

valeurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> la globalisation <strong>de</strong> certains acteurs, un nouveau type <strong>de</strong> responsabilité,<br />

caractérisé par une double extension : une extension <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s<br />

qui se traduit par une sorte <strong>de</strong> dilatation dans l’espace <strong>et</strong> dans le temps ; <strong>et</strong> une<br />

extension <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> droit qui entraîne la multiplication <strong><strong>de</strong>s</strong> acteurs.<br />

Quant à la dilatation <strong>de</strong> la responsabilité, les premières prises <strong>de</strong> conscience se<br />

situent dans les domaines apparemment très différents <strong>de</strong> la responsabilité pénale<br />

pour crimes à vocation universelle <strong>et</strong> <strong>de</strong> la responsabilité d’abord civile ou<br />

administrative, mais parfois pénale, dans les domaines <strong>de</strong> l’environnement <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

santé, au confluent <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> biens publics mondiaux.<br />

Comme la notion <strong>de</strong> crime « contre l’humanité », celle <strong>de</strong> préjudice « écologique »<br />

est exemplaire car elle fait entrer dans la sphère juridique l’idée <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>r une<br />

obligation <strong>de</strong> répondre non pas à la personne directement lésée par notre faute,<br />

civile ou pénale, mais <strong>de</strong> répondre afin <strong>de</strong> préserver un état nécessaire à la vie<br />

collective.<br />

Significative d’une extension <strong>de</strong> la responsabilité hors <strong>de</strong> la sphère interindividuelle,<br />

c<strong>et</strong>te conception évoque la notion <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir qui avait toujours été maintenue à<br />

l’ombre <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme pour éviter le risque <strong>de</strong> récupération politique par<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> régimes autoritaires ou totalitaires. Comme nous l’avons précé<strong>de</strong>mment noté,<br />

à propos du couple humain/non humain, le terme <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir s’impose pourtant<br />

pour définir une responsabilité humaine quand il s’agit <strong>de</strong> protéger <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs<br />

relevant du mon<strong>de</strong> non humain, en raison <strong>de</strong> la dissymétrie qui caractérise notre<br />

relation à l’animal comme à la nature. Plutôt que <strong>de</strong> rattacher le <strong>de</strong>voir aux droits<br />

<strong>de</strong> l’homme, mieux vaut le déduire <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> bien public mondial, ce qui


ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 539<br />

perm<strong>et</strong> d’y introduire le mécanisme <strong>de</strong> la responsabilité. Telle est d’ailleurs, sembl<strong>et</strong>-il,<br />

la logique qui inspire, dans le prolongement du « Grenelle <strong>de</strong> l’environnement »,<br />

le rapport <strong>de</strong> la Mission Lepage (15 janvier 2008).<br />

Dans le temps, la dilatation est plus difficile encore à concevoir, s’agissant d’une<br />

responsabilité dont le fait générateur, au lieu d’être inscrit dans le passé (punition<br />

<strong>de</strong> la faute) ou circonscrit au présent (réparation du dommage), se place au futur<br />

(conservation du vivant) <strong>et</strong> comme tel risque <strong>de</strong> s’étendre à l’infini. Comment<br />

concevoir un régime applicable à l’incertain <strong>et</strong> à l’infini ?<br />

A c<strong>et</strong>te question redoutable, <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses juridiques sont proposées, tant pour<br />

définir un régime <strong>de</strong> preuve, qui perm<strong>et</strong>trait d’évaluer le risque <strong>de</strong> préjudice <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

prouver le risque <strong>de</strong> causalité, que pour prévoir <strong><strong>de</strong>s</strong> faits justificatifs fondés sur<br />

l’acceptabilité sociale <strong><strong>de</strong>s</strong> risques.<br />

A défaut d’un tel régime juridique, l’extension <strong>de</strong> la responsabilité dans l’espace<br />

<strong>et</strong> l’allongement dans le temps <strong>de</strong> la portée <strong>de</strong> la responsabilité, pourraient avoir<br />

un eff<strong>et</strong> inverse <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> souhaité dans la mesure où le suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la responsabilité<br />

pourrait ainsi <strong>de</strong>venir insaisissable, d’autant que la dilatation <strong>de</strong> la responsabilité<br />

s’accompagne d’un phénomène <strong>de</strong> multiplication <strong><strong>de</strong>s</strong> acteurs, qu’il s’agisse <strong>de</strong><br />

déterminer les personnes imputables ou les titulaires <strong>de</strong> l’action en responsabilité.<br />

Quant aux personnes imputables, la responsabilité est d’abord attribuée aux<br />

États. Même si le droit international général conventionnel a peu progressé, une<br />

responsabilité peut être attribuée, en cas <strong>de</strong> violation <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme, aux<br />

États qui ont accepté le re<strong>cours</strong> individuel <strong>de</strong>vant les <strong>cours</strong> régionales (Europe,<br />

Amérique latine, Afrique) ou le comité <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations unies<br />

<strong>et</strong> peuvent faire l’obj<strong>et</strong> d’un contrôle international. Encore faut-il distinguer du<br />

contrôle juridictionnel, mis en place au plan régional, le contrôle non juridictionnel,<br />

notamment celui du Comité <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations unies, seul<br />

applicable au niveau mondial, qui a également fait son apparition dans le domaine<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> biens publics mondiaux, avec le dispositif d’observance prévu par le protocole<br />

<strong>de</strong> Kyoto à propos du changement climatique.<br />

Mais une communauté mondiale interhumaine ne saurait se limiter aux seuls<br />

États. Vu le rôle croissant <strong><strong>de</strong>s</strong> acteurs non étatiques, il est nécessaire <strong>de</strong> leur<br />

reconnaître une responsabilité. Outre les individus — dont la responsabilité peut<br />

être mise en cause pour <strong><strong>de</strong>s</strong> crimes à vocation universelle <strong>de</strong>vant les juridictions<br />

pénales, soit internationales, soit nationales —, on entrevoit, s’agissant <strong>de</strong> la<br />

protection <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs qui sous-ten<strong>de</strong>nt les droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> les biens publics<br />

mondiaux, une tendance nouvelle à responsabiliser les acteurs économiques déjà<br />

mondialisés que sont les entreprises multinationales, tant à partir du droit interne<br />

que du droit international.<br />

Quant aux titulaires d’actions en responsabilité, on est encore loin d’une<br />

conception harmonisée. S’agissant <strong>de</strong> l’action en responsabilité pénale pour <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

crimes à vocation universelle, la constitution <strong>de</strong> partie civile est exclue <strong>de</strong>vant les


540 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />

juridictions internationales mais la victime peut intervenir au procès <strong>et</strong> le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

personnes morales, <strong>et</strong> notamment <strong><strong>de</strong>s</strong> organisations non gouvernementales, est<br />

admis pour soutenir l’action <strong><strong>de</strong>s</strong> victimes <strong>et</strong> informer les juridictions pénales.<br />

S’agissant <strong>de</strong> l’action contre les États, il faut surtout noter la révolution juridique<br />

créée par la clause dite du re<strong>cours</strong> individuel en matière <strong>de</strong> droits <strong>de</strong> l’homme. Si<br />

le re<strong>cours</strong> auprès du Comité <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme se limite en eff<strong>et</strong> aux victimes<br />

individuelles, il est élargi auprès <strong>de</strong> la Cour européenne à toute ONG ou tout<br />

groupe <strong>de</strong> particuliers qui se préten<strong>de</strong>nt victimes d’une violation <strong>et</strong> s’accompagne<br />

d’un rôle d’information plus largement admis. C<strong>et</strong>te mission d’information, voire<br />

<strong>de</strong> surveillance, apparaissant aussi comme un appoint à la mise en œuvre <strong>de</strong> la<br />

responsabilité en matière <strong>de</strong> biens publics mondiaux.<br />

Mais la technicité du débat ne doit pas occulter l’importance du changement<br />

éthique. Répondre à la victime, du dommage ou <strong>de</strong> la faute, dont les droits ont<br />

été lésés n’a pas le même sens que <strong>de</strong> répondre au nom d’un <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> préservation<br />

<strong>de</strong> valeurs universelles qui concernent l’humanité présente <strong>et</strong> à venir <strong>et</strong> englobent<br />

la protection du non humain. D’une certaine façon, c’est aussi ce changement<br />

éthique que traduit la multiplication <strong><strong>de</strong>s</strong> titulaires d’une action en responsabilité<br />

qui <strong>de</strong>vient action en solidarité.<br />

En conclusion, le re<strong>cours</strong> à la valeur serait-il le talisman que l’on brandit hors<br />

contexte <strong>et</strong> hors histoire ? Paul Valadier suggère une réponse, plus mo<strong><strong>de</strong>s</strong>te <strong>et</strong> plus<br />

pragmatique, « le re<strong>cours</strong> à la valeur […] est un élément essentiel pour rassembler<br />

dans une unité (provisoire) <strong>de</strong> sens la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> données constitutives <strong>de</strong> l’action<br />

humaine » 11 . Il invite à porter le poids du réel afin <strong>de</strong> découvrir dans c<strong>et</strong>te épreuve<br />

jamais achevée non pas le chemin mais les chemins <strong>de</strong> la sagesse, <strong><strong>de</strong>s</strong> chemins sur<br />

lesquels il faut affronter <strong>de</strong> plein fou<strong>et</strong> « le désaveu <strong>de</strong> l’idéal par le réel phénoménal ».<br />

Ces chemins, il engage à les suivre à travers ce qu’il nomme une « praxéologie »,<br />

une pratique qui ne renonce pas à l’éthique <strong>et</strong> pourrait mener vers un universel<br />

concr<strong>et</strong> qu’il associe au bien commun.<br />

Aux juristes, il revient <strong>de</strong> montrer comment le droit pourrait réunir lui aussi une<br />

pratique <strong>et</strong> une éthique pour cheminer vers une communauté <strong>de</strong> valeurs. Empruntée<br />

à Vieira da Silva, la métaphore <strong>de</strong> « l’issue lumineuse » suggère que le droit pourrait<br />

éclairer les réponses en termes <strong>de</strong> valeurs <strong>et</strong> qu’un nouvel humanisme<br />

juridique, relationnel plutôt qu’anthropocentrique, est sans doute possible. Sans<br />

renoncer à la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures, ni aux acquis <strong><strong>de</strong>s</strong> humanisations, il se donnerait<br />

les moyens <strong>de</strong> les ordonner, <strong>de</strong> façon ouverte car interactive <strong>et</strong> évolutive, autour<br />

<strong>de</strong> couples bipolaires, comme l’égale dignité ou le développement durable. C’est<br />

seulement par une telle humanisation réciproque que nous pourrons relever le défi<br />

d’une communauté sans <strong>de</strong>hors, désormais élargie à toute la planète, <strong>et</strong> concevoir<br />

ensemble un <strong><strong>de</strong>s</strong>tin commun.<br />

11. P. Valadier, précité, p. 157.


ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 541<br />

Séminaires<br />

— Séminaire conjoint avec la Chaire d’Histoire contemporaine du mon<strong>de</strong> arabe<br />

(Henry Laurens), Typologie du terrorisme <strong>et</strong> communauté(s) <strong>de</strong> valeurs, 4 juin<br />

2008.<br />

Thème d’actualité s’il en est, le terrorisme mobilise non seulement les acteurs<br />

politiques, mais également les différents champs <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences sociales. La partie<br />

historique, dont l’objectif était <strong>de</strong> repérer dans le temps les glissements <strong>et</strong> la<br />

diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> formes <strong>de</strong> violence politique, s’est orientée vers une typologie historique<br />

du terrorisme, articulée autour <strong>de</strong> la construction <strong><strong>de</strong>s</strong> États-nations <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> formes<br />

<strong>de</strong> contestations politiques. La partie juridique visait, quant à elle, à repérer les<br />

transformations, <strong>de</strong> la répression pénale à la guerre contre le terrorisme, au regard<br />

<strong>de</strong> l’émergence d’une communauté mondiale <strong>de</strong> valeurs. Les définitions actuelles<br />

du terrorisme telles qu’elles résultent <strong>de</strong> différentes branches du droit, révèlent<br />

l’inadaptation tant du droit interne que du droit international aux réalités<br />

multiformes du terrorisme dans un mon<strong>de</strong> globalisé. Les solutions proposées ont<br />

conduit à formuler une alternative : soit reconnaître les faiblesses du concept <strong>de</strong><br />

terrorisme <strong>et</strong> préconiser l’utilisation d’autres qualifications pénales telles que les<br />

crimes <strong>de</strong> droit commun ou les crimes contre l’humanité selon les cas ; soit parvenir<br />

à une définition globale du terrorisme. Chaque hypothèse nécessite le respect <strong>de</strong><br />

conditions à la fois <strong>de</strong> fond (proportionnalité <strong>de</strong> la réponse à l’attaque, respect <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

valeurs fondamentales <strong>de</strong> la communauté internationale comme la dignité<br />

humaine…) <strong>et</strong> <strong>de</strong> forme (trouver un arbitre qui puisse pallier l’absence d’une cour<br />

mondiale <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme).<br />

— Séminaire conjoint avec la Chaire <strong>de</strong> Théorie économique <strong>et</strong> Organisation<br />

sociale (Roger Guesnerie), La notion <strong>de</strong> biens publics mondiaux : catégorie<br />

économique <strong>et</strong>/ou juridique, 25 juin 2008.<br />

La notion <strong>de</strong> bien public mondial, issue <strong>de</strong> la théorie économique, se trouve<br />

<strong>de</strong>puis une dizaine d’années à l’orée d’une réception par les systèmes <strong>de</strong> droit. Dans<br />

ce contexte, un dialogue est nécessaire, entre économistes <strong>et</strong> juristes, sur la<br />

signification <strong>et</strong> le rôle <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te notion dans le processus <strong>de</strong> mondialisation. La<br />

partie économique s’est d’abord orientée vers la terminologie <strong>et</strong> son rôle dans<br />

l’analyse : l’examen <strong><strong>de</strong>s</strong> négociations climatiques d’une part, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions <strong>de</strong><br />

la politique climatique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’exploitation <strong><strong>de</strong>s</strong> énergies fossiles d’autre part, a<br />

permis <strong>de</strong> souligner les tensions entre considérations économiques <strong>et</strong> juridiques,<br />

ainsi que la complexité <strong>de</strong> l’analyse politico-économique. Juridiquement, la notion<br />

<strong>de</strong> bien public mondial, à la différence, notamment, <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> patrimoine<br />

commun <strong>de</strong> l’humanité, n’a pas été consacrée par <strong><strong>de</strong>s</strong> textes normatifs. Même si<br />

elle n’est pas directement opératoire <strong>et</strong> malgré les obstacles que rencontre c<strong>et</strong>te<br />

notion, il n’est pas exclu qu’elle puisse être utilisée comme un processus dynamique,<br />

dont la mise en œuvre appelle une évaluation critique. A défaut d’une véritable<br />

synergie entre l’approche économique <strong>et</strong> l’approche juridique, le séminaire a permis


542 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />

d’i<strong>de</strong>ntifier une perspective institutionnelle (en l’absence <strong>de</strong> gouvernement mondial<br />

la notion <strong>de</strong> BPM perm<strong>et</strong> d’ouvrir <strong>de</strong> nouveaux espaces <strong>de</strong> négociations <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

suivi) <strong>et</strong> une perspective substantielle (la seule conception acceptable <strong>de</strong> la notion<br />

<strong>de</strong> bien commun étant un commun pluraliste perm<strong>et</strong>tant tout à la fois d’ordonner<br />

les valeurs, <strong>de</strong> responsabiliser les acteurs <strong>de</strong> façon différenciée <strong>et</strong> non uniforme).<br />

La recherche d’un bien commun pluraliste impose <strong>de</strong>ux conditions : en pratique,<br />

il doit reposer à la fois sur le droit international <strong>et</strong> le droit interne <strong>et</strong>, en théorie,<br />

il impose <strong>de</strong> dépasser la vision traditionnelle d’un ordre juridique hiérarchisé <strong>et</strong><br />

stable pour se donner les moyens <strong>de</strong> concevoir <strong>et</strong> m<strong>et</strong>tre en œuvre un ordre<br />

interactif <strong>et</strong> évolutif.<br />

Enseignements à l’étranger<br />

Brésil : Université <strong>de</strong> São-Paulo (Chaire Levi-Strauss), du 3 au 17 octobre 2007, <strong>cours</strong><br />

sur : « Le droit pénal <strong>de</strong> l’inhumain » <strong>et</strong> séminaires en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>.<br />

Publications<br />

Ouvrage collectif<br />

Les chemins <strong>de</strong> l’harmonisation pénale, Harmonising Criminal Law, sous la direction <strong>de</strong><br />

Mireille Delmas-Marty, Mark Pi<strong>et</strong>h <strong>et</strong> Ulrich Sieber, UMR <strong>de</strong> droit comparé <strong>de</strong> Paris,<br />

volume 15, Paris, Société <strong>de</strong> législation comparée, 2008.<br />

Ouvrage (traduction)<br />

Les grands systèmes <strong>de</strong> politique criminelle, version en persan, vol. 2, Mizan, Téhéran (vol. 1<br />

publié en 2002)<br />

Articles<br />

— « L’Adieu aux Barbares », Presses Univ. <strong>de</strong> Laval, Coll. Mercure du Nord/Verbatim,<br />

2007, 44 p.<br />

— « Le paradigme <strong>de</strong> la guerre contre le crime : légitimer l’inhumain ? », RSC 2007,<br />

n° 3, pp. 461-472.<br />

— « Il paradigma <strong>de</strong>lla guerra contro il crimine : legittimare l’inumano ? » in Studi sulla<br />

questione criminale, Nuova serie di “Dei <strong>de</strong>litti e <strong>de</strong>lle pene”, Carocci, Quadrimestrale, anno<br />

II, n. 2, 2007, pp. 21-37.<br />

— « La justice entre le robot <strong>et</strong> le roseau », in J.-P. Changeux (dir.) L’Homme artificiel,<br />

Odile Jacob, 2008, pp. 239-246.<br />

— « Au pays <strong><strong>de</strong>s</strong> nuages ordonnés », Revue ASPECTS, 2008, n° 1, pp. 13-26.<br />

— « Mondialisation <strong>et</strong> montée en puissance <strong><strong>de</strong>s</strong> juges » in Le dialogue <strong><strong>de</strong>s</strong> juges, Actes du<br />

Colloque organisé le 28 avril 2006 à l’Université libre <strong>de</strong> Bruxelles, Les Cahiers <strong>de</strong> l’Institut<br />

d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur la Justice n° 9, Bruxelles, Bruylant, 2007, pp. 95-114.<br />

— « Universalisme <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> dialogue <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures : l’énigme d’une<br />

communauté mondiale sans fondations », in Aliança das Civilizaçoes, Interculturalismo e<br />

Direitos Humanos, Rio <strong>de</strong> Janeiro, Educam, pp. 85-97.


ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 543<br />

— « Le paradigme du crime contre l’humanité : construire l’humanité comme valeur »,<br />

in Pierre Robert Baduel (dir), Construire un mon<strong>de</strong> ? Mondialisation, pluralisme <strong>et</strong><br />

universalisme, Paris, Maisonneuve & Larose, 2007, p. 227 sq.<br />

— « Globalization and Transnational Corporations », in Strafrecht und Wirtschaftsstrafrecht,<br />

Festrschrift für Klaus Tiedmann, Carl Heymanns Verlag, Munich, 2008, pp. 1291-1301.<br />

Réseaux ID :<br />

Laboratoire<br />

— Réseau ID franco-brésilien, Première rencontre 12 , « Les violations graves <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong><br />

l’homme <strong>et</strong> la lutte contre l’impunité — Évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre droit international <strong>et</strong><br />

droit interne », São-Paulo, 15-16 octobre 2007.<br />

— Réseau ID franco-américain, Troisième rencontre 13 , « La qualité du climat <strong>et</strong><br />

l’internationalisation du droit », Paris, 1-2 juill<strong>et</strong> 2008.<br />

12. Participants : Sérgio Adorno (Professeur <strong>de</strong> sociologie <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> São Paulo,<br />

Directeur du Núcleo <strong>de</strong> estudos da violência) ; Luiz Olavo Baptista (Professeur <strong>de</strong> droit international<br />

à l’Université <strong>de</strong> São Paulo, membre <strong>de</strong> la Cour permanente d’arbitrage <strong>de</strong> La Haye) — excusé<br />

<strong>et</strong> représenté par Evandro Menezes <strong>de</strong> Carvalho (Professeur <strong>de</strong> « droit global <strong>et</strong> alternatives<br />

institutionnelles » à la Fondation G<strong>et</strong>úlio Vargas <strong>de</strong> Rio <strong>de</strong> Janeiro) ; Joaquim Barbosa (Juge au<br />

Supremo Tribunal Fe<strong>de</strong>ral) ; Fabio Comparato (Professeur <strong>de</strong> droit public <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> São<br />

Paulo) ; Emmanuel Decaux (Professeur <strong>de</strong> droit international à l’Université <strong>de</strong> Paris II) ; Mireille<br />

Delmas-Marty (Professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Membre <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong>) ; Jorge<br />

Fontoura (Consultant juridique du Sénat, Professeur <strong>de</strong> L’Institut Rio Branco) ; Celso Lafer<br />

(Professeur <strong>de</strong> droit international à l’Université <strong>de</strong> São Paulo, ancien Ministre <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires<br />

étrangères) ; Kathia Martin-Chenut (Chercheur <strong>et</strong> Coordinatrice du Réseau ID franco-brésilien<br />

au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>) ; Leonardo Nemer Brant (Professeur <strong>de</strong> droit international <strong>de</strong> l’Université<br />

fédérale <strong>de</strong> Minas Gerais, Prési<strong>de</strong>nt du CEDIN) ; Alain Pell<strong>et</strong> (Professeur <strong>de</strong> droit international<br />

à l’Université <strong>de</strong> Paris X) ; Claudia Perrone-Moises (Professeur <strong>de</strong> droit international à<br />

l’Université <strong>de</strong> São Paulo, chercheur au Centre d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur la violence <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> São<br />

Paulo) ; Jean-Pierre Puissoch<strong>et</strong> (ancien juge à la Cour <strong>de</strong> Justice <strong><strong>de</strong>s</strong> Communautés européennes) ;<br />

Francisco Rezek (ancien juge à la Cour internationale <strong>de</strong> justice <strong>et</strong> au Supremo Tribunal Fe<strong>de</strong>ral,<br />

ancien Ministre <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires étrangères du Brésil, ancien professeur <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Brasília,<br />

actuellement avocat <strong>et</strong> professeur à l’UNICEUB).<br />

13. Participants : Diane Marie Amann, Professor, University of California, Davis, School of<br />

Law (Martin Luther King, Jr Hall) ; Jean-Bernard Auby, Professeur <strong>de</strong> droit public <strong>et</strong> directeur<br />

<strong>de</strong> la Chaire « Mutations <strong>de</strong> l’action publique <strong>et</strong> du droit public » à Sciences Po Paris ; George<br />

Bermann, Professor, Columbia University School of Law ; Stephen Breyer, Associate Justice,<br />

United States Supreme Court ; Guy Caniv<strong>et</strong>, membre du Conseil constitutionnel ; Vivian<br />

Curran, Professor, University of Pittsburgh School of Law ; Mireille Delmas-Marty, professeur<br />

au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ; Olivier Dutheill<strong>et</strong> <strong>de</strong> Lamotte, membre du Conseil constitutionnel ;<br />

Hélène Ruiz Fabri, professeur à l’Université <strong>de</strong> Paris I Panthéon-Sorbonne, directrice <strong>de</strong> l’UMR<br />

<strong>de</strong> droit comparé <strong>de</strong> Paris ; William A. Fl<strong>et</strong>cher, Circuit Judge, United States Court of Appeals<br />

for the Ninth Circuit ; Charles Fried, Professor, Harvard University Law School ; Harold<br />

Hongju Koh, Dean, Yale Law School ; Antoine Garapon, secrétaire général <strong>de</strong> l’Institut <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

hautes étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur la justice ; Roger Guesnerie, Professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, titulaire <strong>de</strong> la<br />

chaire « Théorie économique <strong>et</strong> organisation sociale », prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’École d’économie <strong>de</strong> Paris ;<br />

Mathias Guyomar, maître <strong><strong>de</strong>s</strong> requêtes au Conseil d’État ; Horatia Muir-Watt, professeur à<br />

l’Université <strong>de</strong> Paris I Panthéon-Sorbonne ; Michel Rosenfeld, Professor, Benjamin Cardozo<br />

School of Law ; Jonathan Wiener, Professor, Duke Law School.


544 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />

Recherche Figures <strong>de</strong> l’harmonisation du droit — Amérique Latine<br />

— Deuxième réunion, São Paulo, EDESP-FGV, 4 octobre 2007.<br />

— Troisième réunion <strong>et</strong> présentation publique, Brasilia, CEUB, 5-6 octobre 2007.<br />

— Quatrième réunion, São Paulo, EDESP-FGV, 5 août 2008.<br />

Recherche ATLAS (Armed Conflict, Peacekeeping, Transitional Justice : Law<br />

as Solution)<br />

— Programme européen (7 e PCRDT) — Réunion <strong>de</strong> lancement, 7 février 2008, <strong>Collège</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />

Colloques, conférences, Entr<strong>et</strong>iens<br />

— « La mondialisation du droit », Conférence-débat ((cycle L’Occi<strong>de</strong>nt en question),<br />

Bibliothèque <strong>de</strong> la Part-Dieu, Lyon, 13 septembre2007.<br />

— « Conclusions », XV e Congrès international <strong>de</strong> Défense sociale, Le droit pénal entre la<br />

guerre <strong>et</strong> la paix : Justice <strong>et</strong> coopération pénale dans les interventions militaires internationales,<br />

Tolè<strong>de</strong>, Espagne, 20-22 sept. 2007.<br />

— Controverse avec Roger Pol-Droit « Peut-on éviter la torture ? », animée par Catherine<br />

Clément, Musée du Quai Branly, 25 octobre 2007.<br />

— Colloque <strong>de</strong> Paris (universités NYU Law, Cardozo <strong>et</strong> UMR <strong>de</strong> droit comparé <strong>de</strong><br />

Paris I) Repenser le constitutionnalisme à l’âge <strong>de</strong> la mondialisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> la privatisation,<br />

Prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la table-ron<strong>de</strong> « Faut-il ordonner le pluralisme ? », La Sorbonne, 25-26 octobre<br />

2007.<br />

— Evening Lecture, « Dignité Humaine <strong>et</strong> Droits <strong>de</strong> l’Homme : vers un Univers Pluriel ? »,<br />

European Science Foundation-LiU, Pathways of Human Dignity : From Cultural Traditions to<br />

a New Paradigm, Vadstena, Suè<strong>de</strong>, 31 octobre-4 novembre 2007.<br />

— « Le paradigme du crime contre l’humanité : construire l’humanité comme valeur »,<br />

Conférence Institut <strong>de</strong> recherche sur le Maghreb contemporain, 23 novembre 2007, Tunis,<br />

Tunisie.<br />

— Participation au débat organisé autour du livre La Chine <strong>et</strong> la démocratie (M. Delmas-<br />

Marty <strong>et</strong> P.-E. Will (dir.), Paris, Fayard, 2007) par le Centre d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur la Chine mo<strong>de</strong>rne<br />

<strong>et</strong> contemporaine, EHESS, Paris, 4 décembre 2007.<br />

— « Universalisme <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> dialogue <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures : l’énigme d’une<br />

communauté mondiale sans fondations préalables », Conférence internationale, Alliance of<br />

Civilizations, Interculturalism and Human Rights, Université Candido Men<strong><strong>de</strong>s</strong>, Rio <strong>de</strong><br />

Janeiro, Brésil, 8-10 décembre 2007.<br />

— « Gouvernance <strong>et</strong> État <strong>de</strong> droit » <strong>et</strong> « La notion <strong>de</strong> biens publics mondiaux », in<br />

Figures <strong>et</strong> problèmes <strong>de</strong> la mondialisation, Institut du Mon<strong>de</strong> Contemporain, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong>, 13 <strong>et</strong> 14 décembre 2007.<br />

— « Violence <strong>et</strong> massacres : vers un droit pénal <strong>de</strong> l’inhumain ? », Conférence Institut<br />

italien <strong>de</strong> Sciences humaines, Palazzo Strozzi, Florence, 3 mars 2008.<br />

— « La mondialisation du droit : vers une communauté <strong>de</strong> valeurs ? », Conférence ENS,<br />

Lyon, 24 janvier 2008.<br />

— « Le rôle du droit dans l’émergence d’une communauté <strong>de</strong> valeurs », Communication<br />

à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences morales <strong>et</strong> politiques, 7 juill<strong>et</strong> 2008.


ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 545<br />

— Entr<strong>et</strong>iens : avec Marianne Durand-Lacaze, « Les forces imaginantes du droit », Canal<br />

Académie, 1 er février 2008, « La Chine <strong>et</strong> la démocratie », 2 mars 2008 ; avec Marc Kirsch,<br />

La l<strong>et</strong>tre du <strong>Collège</strong>, mars 2008 ; avec M. Brillié-Champaux <strong>et</strong> S. Lavric, « La Chine, les<br />

droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> les biens communs », 1 er août 2008, Blog Dalloz, http://blog.dalloz.<br />

fr/blogdalloz/2008/08/la-chine-les-dr.html ; avec Geneviève Fraisse, « l’Europe <strong><strong>de</strong>s</strong> idées »,<br />

BNF 16 avril 2008, diffusion <strong>France</strong> Culture 2 août 2008.<br />

Emmanuel Breen<br />

Activités <strong>de</strong> l’Équipe<br />

Emmanuel Breen, maître <strong>de</strong> conférences en droit public, a été mis à la disposition<br />

<strong>de</strong> la Chaire « Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives <strong>et</strong> internationalisation du droit » par<br />

l’Université <strong>de</strong> Paris VIII Vincennes – Saint-Denis, durant l’année universitaire<br />

2007-2008. Prenant la suite <strong>de</strong> Naomi Norberg, il a assuré la coordination du<br />

Réseau ID franco-américain, prenant en charge l’organisation d’une réunion<br />

internationale <strong>de</strong> juges <strong>et</strong> d’universitaires les 1 er <strong>et</strong> 2 juill<strong>et</strong> 2008 à la Fondation<br />

Hugot du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, sur le thème : « Qualité du climat <strong>et</strong> internationalisation<br />

du droit ». Il a également assuré la traduction <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences du professeur Onuma<br />

Yasuaki <strong>et</strong> conduit <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches sur le thème <strong><strong>de</strong>s</strong> biens publics mondiaux <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

la bonne gouvernance, contribuant ainsi à l’organisation du séminaire sur les biens<br />

publics mondiaux (25 juin 2008), après avoir participé au séminaire <strong>de</strong> la Chaire<br />

« Mutations <strong>de</strong> l’action publique <strong>et</strong> du droit public » <strong>de</strong> Sciences-Po Paris (11 avril<br />

2008). Emmanuel Breen a été recruté par l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV) à<br />

compter du 1er septembre 2008, comme maître <strong>de</strong> conférences.<br />

Isabelle Fouchard<br />

Isabelle Fouchard a été affectée à la Chaire d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives <strong>et</strong><br />

internationalisation du droit, en qualité d’ATER, le 1 er septembre 2006. Elle a<br />

poursuivi ses recherches doctorales sur le suj<strong>et</strong> « Crime international : entre<br />

internationalisation du droit pénal <strong>et</strong> pénalisation du droit international », <strong>et</strong> a<br />

soutenu sa thèse à Genève le 3 septembre 2008. En outre, elle a contribué à la<br />

préparation <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> par la réalisation <strong>de</strong> recherches documentaires <strong>et</strong> la rédaction<br />

<strong>de</strong> notes, notamment sur la jurispru<strong>de</strong>nce <strong><strong>de</strong>s</strong> tribunaux pénaux internationaux, le<br />

droit international général, le droit international humanitaire <strong>et</strong> le droit international<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme. Isabelle Fouchard a également participé au proj<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

recherches « Les figures <strong>de</strong> l’internationalisation du droit » en tant que rapporteur<br />

sur le thème « Statut <strong>de</strong> Rome <strong>et</strong> mise en place <strong>de</strong> la justice pénale internationale » ;<br />

ainsi qu’à l’organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> séminaires <strong>et</strong> à la valorisation <strong><strong>de</strong>s</strong> activités <strong>de</strong> la Chaire,<br />

y compris leur diffusion. Elle a enfin collaboré à la réponse à un appel d’offre <strong>de</strong><br />

la Commission européenne (7 e PCRDT), qui a donné naissance au proj<strong>et</strong> ATLAS<br />

(Armed Conflict, Peacekeeping, Transitional Justice : Law as Solution) auquel le<br />

<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> est associé avec six grands centres <strong>de</strong> recherches européens. Le<br />

proj<strong>et</strong> ATLAS, coordonné par le CERDIN (Centre <strong>de</strong> recherche en droit


546 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />

international) <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Paris I (Panthéon-Sorbonne), a débuté le 1 er février<br />

2008, pour 4 ans. Isabelle Fouchard occupera le poste <strong>de</strong> chercheur attaché au<br />

<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> pour ce proj<strong>et</strong> à partir du 1 er septembre 2008.<br />

Kathia Martin-Chenut<br />

Kathia Martin-Chenut a été affectée à la Chaire comme ATER (2005-2007),<br />

puis comme chercheur attaché au <strong>Collège</strong> pour le proj<strong>et</strong> ATLAS mentionné<br />

ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus (fév.-août 2008). Dans le cadre <strong>de</strong> ce proj<strong>et</strong>, elle a développé <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches<br />

sur la protection <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants dans les conflits armés. Elle s’est également consacrée<br />

au développement <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux proj<strong>et</strong>s lancés en 2005 : le proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> recherche « Les<br />

figures <strong>de</strong> l’internationalisation du droit — Amérique Latine », dont elle assure la<br />

co-direction <strong>et</strong> le « Réseau ID franco-brésilien », dont elle assure la coordination.<br />

A c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong>, elle a organisé pour le proj<strong>et</strong> « Figures <strong>de</strong> l’Internationalisation du<br />

droit » <strong>de</strong>ux rencontres <strong>de</strong> l’équipe (São Paulo <strong>et</strong> Brasília, les 4 <strong>et</strong> 5 octobre 2007)<br />

<strong>et</strong> une présentation publique <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats partiels <strong>de</strong> la recherche (Brasília, le<br />

6 octobre 2007) ; tout en participant elle-même aux <strong>travaux</strong> en tant que rapporteur<br />

sur « l’internationalisation <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’enfant » <strong>et</strong> co-rapporteur sur<br />

« l’internationalisation <strong>de</strong> la justice pénale ». Elle a assuré la coordination du Réseau<br />

ID franco-brésilien <strong>et</strong> pris en charge l’organisation <strong>de</strong> ses premières rencontres, qui<br />

ont eu lieu les 15 <strong>et</strong> 16 octobre 2007 à São Paulo sur un thème intitulé « Les<br />

violations graves <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> la lutte contre l’impunité — Évolution<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre droit international <strong>et</strong> droit interne ». Elle a, en outre, entrepris<br />

les démarches nécessaires pour que ces <strong>de</strong>ux proj<strong>et</strong>s soient intégrés en 2009 aux<br />

activités officielles <strong>de</strong> l’Année <strong>de</strong> la <strong>France</strong> au Brésil. Kathia Martin-Chenut a<br />

également participé à une réunion d’experts <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations unies sur les droits <strong>de</strong><br />

l’homme <strong>et</strong> l’administration <strong>de</strong> la justice par les tribunaux militaires (Brasília, 27 à<br />

29 novembre 2007) <strong>et</strong> à <strong>de</strong>ux séminaires <strong>de</strong> l’UNESCO (Programme « Chemins<br />

<strong>de</strong> la pensée » : Rio <strong>de</strong> Janeiro, 13 <strong>et</strong> 14 novembre 2007 ; Paris, 10 juin 2008).<br />

Enfin, elle a soutenu une Habilitation à diriger <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches (HDR) à l’Université<br />

<strong>de</strong> Paris I en février 2008 <strong>et</strong> enseigné à l’Institut d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> politiques <strong>de</strong> Paris<br />

(Sciences-Po) dans le cadre du <strong>cours</strong> « Les grands enjeux <strong>de</strong> la justice ».


III. SCIENCES HISTORIQUES<br />

PHILOLOGIQUES ET ARCHÉOLOGIQUES


Cours <strong>et</strong> séminaire<br />

Civilisation pharaonique : archéologie, philologie, histoire<br />

M. Nicolas Grimal, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres), professeur<br />

Le temple d’Amon-Rê à Karnak : Héliopolis <strong>et</strong> l’Empire<br />

On a poursuivi c<strong>et</strong>te année l’historique <strong>de</strong> la redécouverte <strong><strong>de</strong>s</strong> temples <strong>de</strong> Karnak,<br />

tout d’abord au <strong>cours</strong> du pachalik <strong>de</strong> Méhém<strong>et</strong> Ali, soit pratiquement toute la<br />

première moitié du xix e siècle (1805-1848).<br />

Partagée entre la recherche d’une affirmation nationale face à la Sublime Porte<br />

<strong>et</strong> un désir profond d’Occi<strong>de</strong>nt, l’Egypte, fortement marquée par l’impulsion que<br />

lui donna Bonaparte, s’ouvre alors aux influences européennes. Mais, si Méhém<strong>et</strong><br />

Ali avait parfaitement compris le parti que son pays pouvait tirer <strong>de</strong> l’Europe <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> l’industrialisation, il offrait également à ses nouveaux partenaires une terre<br />

d’opportunités, attirant par là même ceux que poussait le désir <strong>de</strong> nouveaux<br />

horizons ou <strong>de</strong> fortunes rapi<strong><strong>de</strong>s</strong>. L’engouement pour le passé <strong>de</strong> l’Egypte fut l’un<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> principaux moteurs <strong>de</strong> la venue d’hommes qui, pour <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons diverses, se<br />

trouvaient à l’étroit dans une Europe que la Révolution française, puis les campagnes<br />

<strong>de</strong> Bonaparte avaient ouverte sur le mon<strong>de</strong>. Fuyant une société dans laquelle ils ne<br />

trouvaient pas leur place, ou plus simplement poussés par l’appât du gain, ils<br />

apportèrent avec eux un esprit d’aventure, mûri <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances popularisées par<br />

les Lumières sur un fonds <strong>de</strong> réminiscences classiques.<br />

Deux figures <strong>de</strong> condottieres se détachent tout particulièrement : Bernardino<br />

Drov<strong>et</strong>ti <strong>et</strong> Giovanni Belzoni. Le premier est très représentatif <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te génération<br />

déracinée par les tourmentes <strong>de</strong> la fin du xviii e siècle. En 1794, à 18 ans, il<br />

s’engage dans les troupes <strong>de</strong> Bonaparte, participe comme simple soldat à la<br />

campagne d’Egypte en 1798. Il fait ensuite la campagne d’Italie, se couvre <strong>de</strong><br />

gloire en 1800 à Marengo contre les Autrichiens <strong>et</strong> finit colonel. Lorsque le Premier<br />

Consul <strong>de</strong>manda à Talleyrand d’envoyer au Caire un homme sûr pour occuper le<br />

poste nouvellement créé <strong>de</strong> consul général permanent, c’est lui qui fut choisi.


550 NICOLAS GRIMAL<br />

Débarqué en Egypte en 1802, il se consacra immédiatement à la recherche<br />

d’antiquités, dans l’intention <strong>de</strong> vendre les collections ainsi amassées, à la <strong>France</strong><br />

d’abord, au plus offrant sinon. La première, la plus importante, fut ach<strong>et</strong>ée en<br />

1824 par roi <strong>de</strong> Piémont-Sardaigne, Carlo-Felice. C’est c<strong>et</strong>te collection qui fournit,<br />

dès juin 1824, à Jean-François Champollion le terrain sur lequel m<strong>et</strong>tre à l’épreuve<br />

sa théorie. Seule la <strong>de</strong>uxième <strong><strong>de</strong>s</strong> trois collections que rassembla Belzoni fut acquise<br />

par la <strong>France</strong>, en 1827, grâce au même Jean-François Champollion, mandaté par<br />

Charles X. La troisième alla à la Prusse en 1836.<br />

Les premières années du xix e siècle restent assez confuses au Caire, du moins<br />

jusqu’à ce que Méhém<strong>et</strong> Ali l’emporte définitivement sur les Mamelouks, en 1811.<br />

Dès c<strong>et</strong> instant les autres puissances européennes s’empressent auprès <strong>de</strong> lui, avant<br />

tout pour faire pièce à la Sublime Porte. Ainsi se r<strong>et</strong>rouvent associés contre un rival<br />

commun <strong><strong>de</strong>s</strong> pays opposés entre eux sur d’autres terrains : l’empire ottoman, lié à<br />

l’autrichien, réunit contre lui la <strong>France</strong> <strong>et</strong> le Royaume Uni, qui se déchiraient<br />

encore naguère en Egypte. C<strong>et</strong>te alliance — si tant est que l’on puisse employer<br />

le terme — ne se fait pas vraiment entre Etats, mais plutôt par groupements<br />

sociaux, comme celui <strong>de</strong> la Franc-Maçonnerie : son essor fut largement favorisé<br />

par Méhém<strong>et</strong> Ali <strong>et</strong> se poursuivra jusque sous le règne <strong>de</strong> Farouk. Elle constituait<br />

un puissant outil politique pour Napoléon, qui sut en jouer avec habil<strong>et</strong>é dans les<br />

pays que dominait son empire, cristallisant les oppositions locales sur les thèmes<br />

issus <strong>de</strong> la Révolution, tout particulièrement celui <strong>de</strong> la liberté <strong><strong>de</strong>s</strong> nations.<br />

L’opposition à l’empire ottoman trouvait un fon<strong>de</strong>ment humaniste <strong>et</strong> libertaire<br />

dans la libération <strong><strong>de</strong>s</strong> peuples d’Egypte, d’Italie ou <strong><strong>de</strong>s</strong> îles ioniennes. L’expédition<br />

<strong>de</strong> Morée, sous Charles X, puis Louis-Philippe concrétiseront la <strong>de</strong>rnière. Garibaldi,<br />

tout comme Méhém<strong>et</strong> Ali feront <strong>de</strong> même…<br />

C’est dans ce contexte que le Royaume Uni envoie, en 1815, Henry Salt comme<br />

consul au Caire. Les <strong>de</strong>ux consuls, le français <strong>et</strong> l’anglais, s’engagent alors dans une<br />

compétition sans merci, n’épargnant aucun moyen, aucune ruse, s’attachant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

hommes que leur passion a aussi j<strong>et</strong>és dans c<strong>et</strong>te aventure. Du côté <strong>de</strong> Drov<strong>et</strong>ti,<br />

ce sont essentiellement le nantais Frédéric Caillaud qui poussa son exploration<br />

jusqu’à la lointaine Méroë, le sculpteur marseillais Jacques Rifaud, qui, lui aussi,<br />

était allé jusqu’en Nubie dès 1805. Henry Salt, lui, engage Giovanni Belzoni, un<br />

autre personnage haut en couleurs : né en 1778, ce padouan est un véritable<br />

colosse; <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné à la vie monastique, il y renonce <strong>et</strong> se lance dans <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

d’hydraulique. A 25 ans, en 1803, il fuit l’Italie, probablement à cause <strong><strong>de</strong>s</strong> Français,<br />

qu’il détestera toute sa vie. Emigré à Londres, il gagne sa vie pendant une dizaine<br />

d’années comme lutteur <strong>de</strong> foire, jouant <strong>de</strong> sa force exceptionnelle. Une tournée<br />

le conduit du Portugal à Malte, puis en Egypte, où il arrive en 1815. Si ses<br />

compétences d’hydraulicien n’intéressent pas Méhém<strong>et</strong> Ali, le personnage r<strong>et</strong>ient,<br />

en revanche, l’attention d’Henry Salt, lorsque Johann Burckhardt — autre<br />

aventurier converti à l’islam, sous le nom <strong>de</strong> Cheikh Ibrahim, découvreur <strong>de</strong> P<strong>et</strong>ra<br />

<strong>et</strong> Abou Simbel — le lui présenta. L’infatigable lutteur mécanicien, en quatre<br />

années, déplaça jusqu’en Alexandrie un <strong><strong>de</strong>s</strong> colosses du Ramesseum, l’obélisque <strong>de</strong>


CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 551<br />

Philae, entra dans le temple d’Abou Simbel, la <strong>de</strong>uxième pyrami<strong>de</strong> <strong>de</strong> Gîza, la<br />

tombe <strong>de</strong> Ramsès I er <strong>et</strong> <strong>de</strong> Séthi I er dans la Vallée <strong><strong>de</strong>s</strong> Rois, <strong>et</strong>, naturellement,<br />

fouilla à Karnak.<br />

Il s’attaque, en 1816, à l’enceinte <strong>de</strong> Mout, dans l’espoir <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre au jour <strong>de</strong><br />

nouvelles statues <strong>de</strong> Sekhm<strong>et</strong> <strong>et</strong> au motif que « l’envahisseur français » y avait déjà<br />

porté la pioche. Or, les hasards <strong>de</strong> la politique française font que Drov<strong>et</strong>ti est<br />

désormais totalement libre <strong>de</strong> son temps pour se consacrer à l’exploration<br />

archéologique <strong>de</strong> l’Egypte <strong>et</strong> du Soudan : il est, en eff<strong>et</strong>, écarté <strong>de</strong> ses fonctions<br />

officielles, pour cause <strong>de</strong> Restauration, <strong>de</strong> 1816 à 1820. Jouant <strong>de</strong> ses appuis<br />

égyptiens, il fait occuper le terrain dès que le padouan a terminé sa première<br />

campagne ; celui-ci se tourne en 1817 vers le 8 e pylône, mais se heurte à nouveau<br />

à l’équipe <strong>de</strong> son rival. L’année suivante, la confusion atteint son comble : Belzoni<br />

se brouille avec Salt, qui, à son tour, vient contrecarrer ses proj<strong>et</strong>s à Thèbes ; les<br />

rivaux en viennent aux mains à Karnak, <strong><strong>de</strong>s</strong> coups <strong>de</strong> feu sont échangés… En<br />

1819, Drov<strong>et</strong>ti reste maître du terrain. Mais jusque vers les années 1830, le site<br />

est le théâtre d’affrontements entre une poignée d’aventuriers hauts en couleurs,<br />

dont les monuments sont les premières victimes.<br />

Le premier à conduire réellement <strong><strong>de</strong>s</strong> fouilles fut le marseillais Jean-Jacques<br />

Rifaud, qui se mit au service <strong>de</strong> Drov<strong>et</strong>ti dès son arrivée en Alexandrie en 1814.<br />

Il toucha à peu près tous les secteurs <strong>de</strong> Karnak ; il reste toutefois difficile <strong>de</strong><br />

savoir quelles furent exactement ses recherches. Car il n’a laissé aucune <strong><strong>de</strong>s</strong>cription<br />

<strong>de</strong> ses fouilles, qui ne sont connues que par les obj<strong>et</strong>s qui en sont sortis, <strong>et</strong> dont<br />

on r<strong>et</strong>rouve en partie la trace sur les planches qu’il avait préparées à partir <strong>de</strong><br />

croquis pour les réunir dans un Voyage en Egypte, en Nubie <strong>et</strong> lieux circonvoisins,<br />

<strong>de</strong>puis 1805 jusqu’en 1928, illustré <strong>de</strong> 300 lithographies : seulement 250 ont été<br />

imprimées <strong>et</strong> leurs vestiges sont conservés au Musée communal <strong>de</strong> Nivelles en<br />

Belgique. La confrontation <strong>de</strong> ces <strong><strong>de</strong>s</strong>sins aux monuments originaux — en<br />

particulier pour les reliefs du temple d’Op<strong>et</strong> — montre <strong><strong>de</strong>s</strong> qualités que l’on a<br />

parfois déniées à tort à Rifaud. Certes, les hiéroglyphes sont approximatifs — mais<br />

que l’on se souvienne <strong><strong>de</strong>s</strong> fureurs que prenait Jean-François Champollion contre<br />

ceux <strong>de</strong> la Description ! Il ne faut, en eff<strong>et</strong>, pas oublier que le marseillais en ignorait<br />

la signification.<br />

Le véritable élan va suivre, naturellement, la découverte <strong>de</strong> Champollion. La<br />

L<strong>et</strong>tre à M. Dacier en 1822, puis la visite à Turin en 1824 <strong>et</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la première<br />

collection Drov<strong>et</strong>ti marquent <strong>de</strong>ux étapes essentielles <strong>de</strong> l’extraordinaire production<br />

scientifique <strong>de</strong> Jean-François Champollion. Il trouve en Ippolito Rosellini un ami<br />

<strong>et</strong> un allié, avec lequel il monte l’expédition franco-toscane en Egypte qu’ils<br />

conduiront tous <strong>de</strong>ux en 1828. Angelleli, qui accompagnait l’expédition a<br />

immortalisé les jours passés à étudier les temples <strong>de</strong> Karnak dans la magnifique<br />

toile qu’il réalisa pour le palais Pitti, <strong>et</strong> qui est aujourd’hui conservée au Musée<br />

archéologique <strong>de</strong> Florence. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’exotisme oriental — que l’on r<strong>et</strong>rouve<br />

dans le portrait <strong>de</strong> Champollion, probablement dû également à Angelleli, <strong>de</strong> la


552 NICOLAS GRIMAL<br />

collection Chateauminois à Vif — on y sent l’intense exaltation <strong>de</strong> ces jeunes<br />

savants, vivant une aventure extraordinaire, dans le droit fil <strong>de</strong> leurs prédécesseurs<br />

<strong>de</strong> l’expédition <strong>de</strong> Bonaparte.<br />

La moisson est riche. Elle ne commencera à être connue du public,<br />

malheureusement, que <strong>de</strong>ux ans après la mort <strong>de</strong> Champollion. Revenu épuisé <strong>de</strong><br />

son expédition, il enseignera à peine un an au <strong>Collège</strong> royal dans la « chaire<br />

d’archéologie » qui fut créée pour lui le 12 mars 1831, <strong>et</strong> mourra le 4 mars 1832.<br />

C’est son frère qui publiera les Monuments d’Egypte & <strong>de</strong> Nubie, <strong>de</strong> 1833 à 1845.<br />

Karnak y figure en bonne place, avec, pour la première fois, <strong><strong>de</strong>s</strong> lectures exactes<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> textes, augmentées d’abondants commentaires.<br />

Car c’est surtout aux sources écrites que Champollion s’était intéressé sur place,<br />

<strong>et</strong> principalement aux textes <strong>et</strong> représentations historiques, qui lui perm<strong>et</strong>taient <strong>de</strong><br />

préciser les cadres d’une civilisation qu’il était le premier à lire. C<strong>et</strong>te tradition du<br />

primat <strong><strong>de</strong>s</strong> données textuelles sur l’archéologie aura la vie dure en égyptologie, <strong>et</strong><br />

le premier qui eût à lutter contre fut le premier vrai fouilleur <strong>de</strong> Karnak : Auguste<br />

Mari<strong>et</strong>te.<br />

Dans les années 1840, en eff<strong>et</strong>, dans le mouvement <strong>de</strong> développement économique<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’industrialisation voulues par Méhém<strong>et</strong> Ali, <strong>de</strong>venu maître héréditaire <strong>de</strong><br />

l’Egypte en 1840, les monuments, <strong>et</strong> tout particulièrement ceux <strong>de</strong> Karnak,<br />

<strong>de</strong>vinrent autant <strong>de</strong> carrières <strong>de</strong> pierres pour les chaufourniers. Les pylônes, en<br />

particulier, furent partiellement vidés <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments <strong>de</strong> remploi qu’ils contenaient,<br />

ce qui détermina c<strong>et</strong>te curieuse particularité, qui se r<strong>et</strong>rouve, hélas ! un peu partout<br />

dans le pays : seuls les monuments bâtis en grès furent épargnés, tandis que les<br />

autres disparaissaient à tout jamais. On ne connaîtra ainsi, <strong>de</strong> l’architecture en<br />

calcaire <strong>de</strong> Karnak, pratiquement que les monuments démontés qui ont échappé<br />

aux chaufourniers. Le vidage <strong><strong>de</strong>s</strong> parties <strong><strong>de</strong>s</strong> pylônes épargné donnera ainsi aux<br />

égyptologues une idée <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments antérieurs à ceux qui les remploient faussée<br />

jusque là par c<strong>et</strong>te question du matériau. Le remo<strong>de</strong>lage du temple datant, en eff<strong>et</strong>,<br />

essentiellement du Nouvel Empire, l’idée s’est durablement installée, au terme <strong>de</strong><br />

laquelle on aurait construit à Karnak, en calcaire au Moyen Empire, puis en grès<br />

plus tard. Nous verrons ce qu’il convient d’en penser…<br />

Avant Mari<strong>et</strong>te, une autre figure <strong>de</strong> l’égyptologie naissante s’est rendue à Karnak :<br />

Achille Constant Théodore Emile Prisse d’Avennes. Engagé dans <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

d’ingénieur, il s’en éloigne <strong>et</strong> participe en 1826 à la guerre d’indépendance grecque ;<br />

on le r<strong>et</strong>rouve ensuite secrétaire du gouverneur général <strong><strong>de</strong>s</strong> In<strong><strong>de</strong>s</strong>, puis à Jérusalem,<br />

d’où il repart, chevalier du Saint-Sépulcre, pour l’Egypte, où il rési<strong>de</strong> <strong>de</strong> 1827 à<br />

1844. Il y <strong>de</strong>vient un familier <strong>de</strong> Méhém<strong>et</strong>-Ali, qui lui confie l’éducation <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants<br />

d’Ibrahim Pacha. Il est dans le même temps successivement ingénieur civil,<br />

hydrographe, professeur <strong>de</strong> topographie à l’Académie militaire (Djihad Abad),<br />

d’architecture militaire à l’Ecole d’infanterie <strong>de</strong> Dami<strong>et</strong>te. Mais en 1836, lassé <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

querelles administratives <strong>et</strong> fasciné par les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Champollion, il abandonne<br />

c<strong>et</strong>te brillante carrière pour se consacrer à l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> hiéroglyphes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> civilisations


CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 553<br />

orientales. Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> son séjour au Proche-Orient, il a parcouru la Turquie, la<br />

Perse, la Syrie, la Palestine, l’Arabie — où il visite la Mecque <strong>et</strong> Médine —, l’Egypte,<br />

la Nubie, l’Ethiopie, l’Abyssinie. Il a relevé, décrit, mais aussi collectionné.<br />

Deux monuments particulièrement importants sont aujourd’hui conservés en<br />

<strong>France</strong> grâce à lui. Le premier est le papyrus qui porte son nom, qu’il acquit<br />

probablement au Caire — <strong>et</strong> non en Thébaï<strong>de</strong> — en 1843 1 , aujourd’hui conservé<br />

à la Bibliothèque nationale <strong>de</strong> <strong>France</strong>, <strong>et</strong> que l’on considère généralement comme<br />

le plus ancien traité <strong>de</strong> morale égyptien : les préceptes <strong>de</strong> Kagemni <strong>et</strong> les maximes<br />

<strong>de</strong> Ptahhotep y ont, en eff<strong>et</strong>, été compilés au début du <strong>de</strong>uxième millénaires, soit<br />

environ cinq siècles après la disparition <strong>de</strong> leurs auteurs. Le second, lui, vient <strong>de</strong><br />

Karnak. Il s’agit <strong>de</strong> la « chambre <strong><strong>de</strong>s</strong> Ancêtres », conservée au Louvre. L’histoire <strong>de</strong><br />

son démontage par Prisse, puis <strong>de</strong> son transport, au nez <strong>et</strong> à la barbe <strong>de</strong> Lepsius,<br />

qui espérait bien, lui aussi « sauver » le précieux monuments ont déjà été maintes<br />

fois relatés 2 . On a brièvement décrit c<strong>et</strong>te année la « chambre » <strong>et</strong> indiqué les<br />

pistes d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> qui perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> r<strong>et</strong>racer, grâce à elle, une partie <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong><br />

Karnak avant la gran<strong>de</strong> réfection d’Ip<strong>et</strong>-sout réalisée par les souverains du Nouvel<br />

Empire. On y reviendra plus en détails l’an prochain 3 .<br />

De r<strong>et</strong>our en <strong>France</strong>, Prisse est fait chevalier <strong>de</strong> la Légion d’Honneur, <strong>de</strong>vient<br />

un personnage officiel… Surtout, il publie, entre autres, en 1848 chez Firmin<br />

Didot ses Monuments égyptiens […] pour faire suite aux Monuments <strong>de</strong> l’Egypte <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> la Nubie <strong>de</strong> Champollion-le-Jeune : la première planche est consacrée à la chambre<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Ancêtres 4 , <strong>et</strong> Karnak y tient une gran<strong>de</strong> place, avec 14 planches sur 50.<br />

Excellent <strong><strong>de</strong>s</strong>sinateur, Prisse y donne <strong><strong>de</strong>s</strong> relevés très exacts, en particulier <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

premiers éléments amarniens connus, avec le talent <strong>et</strong> la verve que l’on r<strong>et</strong>rouve<br />

dans ses autres ouvrages consacrés à l’art égyptien <strong>et</strong> à l’art oriental. Chargé par<br />

Napoléon III <strong>de</strong> missions en Egypte <strong>et</strong> au Proche-Orient, Prisse rapporte en<br />

<strong>France</strong>, en 1860, 300 <strong><strong>de</strong>s</strong>sins <strong>et</strong> peintures in-folio (certains atteignent huit mètres<br />

<strong>de</strong> long !), plus <strong>de</strong> 400 m d’estampages, 150 prises <strong>de</strong> vues architecturales <strong>et</strong> autant<br />

<strong>de</strong> photographie stéréoscopiques, une masse énorme <strong>de</strong> notes <strong>et</strong> 29 momies, dont<br />

il fait don au Louvre… Ce personnage hors du commun fut, en fait, le premier<br />

successeur <strong>de</strong> Champollion, auquel il vouait une admiration sans borne.<br />

Au moment même où Prisse d’Avennes emportait la chambres <strong><strong>de</strong>s</strong> Ancêtres,<br />

Karl Richard Lepsius arrivait en Thébaï<strong>de</strong>, à la tête d’une expédition commanditée<br />

par le roi <strong>de</strong> Prusse, <strong>et</strong> dont la moisson scientifique marque une étape capitale dans<br />

l’étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> la connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments égyptiens, tout particulièrement pour<br />

1. Voir M. Dewachter, RdE 39 (1988), p. 209-210.<br />

2. Voir l’excellent feuill<strong>et</strong>on d’A. Sackho-Autissier : www.egypt.edu/feuill<strong>et</strong>on/prisse.<br />

3. L’étu<strong>de</strong> complète en paraîtra dans les Hommages dédiés à D. Silverman.<br />

4. Dont Prisse avait donné une étu<strong>de</strong> en 1845 dans la Revue archéologique t. II, p. 1-16. On<br />

trouvera sur le site www.egyptologues.n<strong>et</strong> la bibliographie exhaustive <strong><strong>de</strong>s</strong> temples <strong>de</strong> Karnak,<br />

compilée par Alain Arnaudiès.


554 NICOLAS GRIMAL<br />

Karnak. Les relevés, <strong><strong>de</strong>s</strong>sins <strong>et</strong> commentaires parus dans les Denkmäler aus Aegypten<br />

und Nubien, qui paraissent <strong>de</strong> 1849 à 1858 constituent à la fois un précieux état<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> lieux <strong>et</strong> un outil <strong>de</strong> travail toujours utilisé <strong>de</strong> nos jours.<br />

C’est à la même époque que les techniques <strong>de</strong> relevé connaissent un changement<br />

qui sera déterminant pour l’avenir : la photographie naissante vient dans un<br />

premier temps compléter le <strong><strong>de</strong>s</strong>sin, auquel elle ne se substituera jamais, mais auquel<br />

elle sert aujourd’hui <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong> support.<br />

Hector Horeau ouvre la voie à l’utilisation du daguerréotype comme support au<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>sin architectural en publiant en 1841 son Panorama d’Egypte <strong>et</strong> <strong>de</strong> Nubie, avec<br />

un portrait <strong>de</strong> Méhém<strong>et</strong>-Ali <strong>et</strong> un texte orné <strong>de</strong> vign<strong>et</strong>tes, à compte d’auteur <strong>et</strong> en<br />

souscription, à l’Imprimerie Bouchard-Buzard, à Paris. Il y donne la définition <strong>de</strong><br />

c<strong>et</strong>te nouvelle technique : « <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>sins faits sur place <strong>et</strong> <strong>de</strong> bienveillantes<br />

communications <strong>de</strong> vues daguerréotypées m’ont permis d’apporter une gran<strong>de</strong><br />

exactitu<strong>de</strong> dans la reproduction <strong><strong>de</strong>s</strong> merveilles <strong>de</strong> la vallée du Nil ». Le résultat est<br />

un ouvrage atypique, combinant <strong><strong>de</strong>s</strong> vues réalistes, — entre autres <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments<br />

du Caire, un panorama développé <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong>puis la Cita<strong>de</strong>lle —, <strong><strong>de</strong>s</strong> détails<br />

d’architecture, mais aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> vues à caractère <strong>et</strong>hnographiques, voire une restitution<br />

<strong>de</strong> la ville antique <strong>de</strong> Karnak vue <strong>de</strong>puis le toit <strong>de</strong> la salle hypostyle, à tout prendre<br />

encore supérieure à <strong><strong>de</strong>s</strong> tentatives plus récentes. Karnak <strong>et</strong> la Thébaï<strong>de</strong> y tiennent<br />

la première place, fournissant <strong>de</strong> précieux aperçus <strong>de</strong> l’état <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments avant<br />

les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Mari<strong>et</strong>te.<br />

Le milieu du xix e siècle voit les premiers photographes, dont la technique<br />

naissante a besoin d’une lumière forte <strong>et</strong> constante, partir à la découverte <strong><strong>de</strong>s</strong> pays<br />

du sud méditerranéen. L’Egypte, naturellement, leur fournit un terrain <strong>de</strong> choix 5 .<br />

L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> premiers clichés est publié par Joseph-Philibert Girault <strong>de</strong> Prangey, dans<br />

ses Monuments arabes d’Egypte, <strong>de</strong> Syrie <strong>et</strong> d’Asie Mineure, Paris, 1846, chez Hauser :<br />

il s’agit d’un daguerréotype non signé représentant une maison <strong>de</strong> Ros<strong>et</strong>te, en<br />

briques apparentes <strong>et</strong> en encorbellement.<br />

C’est à peu près le même cliché que Maxime du Camp réalise, dix ans plus tard,<br />

dans le quartier franc du Caire ; la différence vient d’un personnage placé au<br />

premier plan : son compagnon <strong>de</strong> voyage, Gustave Flaubert. Pendant <strong>de</strong>ux années,<br />

les <strong>de</strong>ux hommes parcourent la vallée du Nil, amassant souvenirs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>criptions<br />

pour l’un, clichés <strong>et</strong> observations pour l’autre. Gustave Flaubert raconte son voyage<br />

dans Par les champs & par les grèves. Voyage en Orient. Maxime du Camp, lui,<br />

affiche d’autres ambitions, que révèle le titre <strong>de</strong> l’ouvrage qu’il fait paraître en 1852<br />

à Paris, chez Gi<strong>de</strong> <strong>et</strong> Baudry : En Egypte, Nubie, Palestine <strong>et</strong> Syrie : <strong><strong>de</strong>s</strong>sins<br />

photographiques recueillis pendant les années 1849, 1850 <strong>et</strong> 1851, accompagnés d’un<br />

texte explicatif <strong>et</strong> précédés d’une introduction par Maxime Du Camp, chargé d’une<br />

mission archéologique en Orient par le ministère <strong>de</strong> l’Instruction publique.<br />

5. Voir l’excellent ouvrage <strong>de</strong> Nicolas Le Guern, L’Egypte <strong>et</strong> ses premiers photographes. Etu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

différentes techniques <strong>et</strong> du matériel utilisés <strong>de</strong> 1839 à 1869, Paris, 2001.


CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 555<br />

Karnak tient, naturellement, une gran<strong>de</strong> place, aussi bien dans le texte que dans<br />

les <strong>de</strong>ux volumes d’album qui l’accompagnent, <strong>et</strong> le témoignage ainsi apporté sur<br />

l’état <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments est <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> valeur. Toutefois, malgré le propos scientifique<br />

affiché par l’auteur, c<strong>et</strong> ouvrage reste plus un récit <strong>de</strong> voyage qu’une <strong><strong>de</strong>s</strong>cription<br />

scientifique. Une comparaison entre les <strong>de</strong>ux récits — celui <strong>de</strong> Gustave Flaubert<br />

<strong>et</strong> celui <strong>de</strong> Maxime du Camp — montre que, si la qualité littéraire n’est pas<br />

forcément du côté où on l’attendrait, l’œil du photographe donne au texte qui<br />

accompagnent ses clichés un sens <strong>de</strong> l’observation qui fait défaut au romancier. Je<br />

n’en prends qu’un exemple : la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong>de</strong> la visite <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux compagnons <strong>de</strong><br />

voyage à Debod.<br />

Flaubert décrit ainsi l’épiso<strong>de</strong> : « DEBOUT : Mercredi matin. Temple. Trois<br />

portes encore <strong>de</strong>bout en enfila<strong><strong>de</strong>s</strong>. Le temple est fort ruiné; il n’a pas été achevé,<br />

le mur en certains endroits n’est pas encore ciselé, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> carrés <strong>de</strong> pierres sur les<br />

portes atten<strong>de</strong>nt que l’on sculpte le globe avec l’uræus. Je reste à l’ombre dans un<br />

coin, fouillant le sol avec mon bâton <strong>de</strong> palmier : j’ai trouvé la moitié du sabot<br />

d’une vache. Un p<strong>et</strong>it oiseau blanc à tête <strong>et</strong> queue noires, <strong><strong>de</strong>s</strong>cendant du mur qui<br />

est <strong>de</strong>rrière moi, est venu se poser tout en face <strong>et</strong> près <strong>de</strong> moi ; quand tout le<br />

mon<strong>de</strong> a été parti, <strong>de</strong>ux autres sont venus se m<strong>et</strong>tre sur le chapiteau d’une colonne,<br />

à gauche. Avant <strong>de</strong> nous rembarquer, un sorcier nègre, au nez épaté, nous dit la<br />

bonne aventure. Dans un panier plat, plein <strong>de</strong> sable, il fait <strong><strong>de</strong>s</strong> cercles, <strong>et</strong> <strong>de</strong> ces<br />

cercles partent <strong><strong>de</strong>s</strong> lignes qu’il trace avec le doigt. Il me prédit que « je recevrai à<br />

Assouan <strong>de</strong>ux l<strong>et</strong>tres, qu’il y a une dame vieille qui pense beaucoup à moi, que<br />

j’avais eu l’intention d’emmener ma femme avec moi en voyage, mais que, tout<br />

bien décidé, je suis parti seul ; que j’ai à la fois envie <strong>de</strong> voyager <strong>et</strong> d’être chez moi,<br />

qu’il y a dans mon pays un homme très puissant qui me veut beaucoup <strong>de</strong> bien,<br />

<strong>et</strong> que <strong>de</strong> r<strong>et</strong>our dans ma patrie je serai comblé d’honneurs 6 ».<br />

Maxime du Camp est plus disert, plus précis également : « Malgré un vent<br />

violent qui, ralentissant la marche <strong>de</strong> la barque, me permit <strong>de</strong> faire une longue<br />

<strong>cours</strong>e sous les palmiers <strong>et</strong> dans les champs <strong>de</strong> Demhid, nous arrivâmes le len<strong>de</strong>main<br />

au village <strong>de</strong> Debou<strong>de</strong>h, où se dressent trois propylônes, placés à d’inégales<br />

distances <strong>et</strong> précédant un temple dédié à Ammon-Ra, à Hathor, <strong>et</strong> subsidiairement<br />

à Osiris <strong>et</strong> à Isis. Commencé par Ataramoun, roi éthiopien, contemporain <strong>de</strong><br />

Ptolémée Phila<strong>de</strong>lphe, il fut continué <strong>et</strong> achevé par Auguste <strong>et</strong> Tibère. Parmi les<br />

sculptures mutilées <strong>et</strong> d’un style peu châtié, je ne vois rien qui offre un grand<br />

intérêt, si ce n’est un roi à tête crépue, sur lequel Ammon-Bélier <strong>et</strong> Osiris-Epervier<br />

versent un flot <strong>de</strong> croix ansées qui, comme je te l’ai déjà dit, sont un symbole <strong>de</strong><br />

divinité. Dans une <strong><strong>de</strong>s</strong> salles gît une niche monolithe en granit rose, haute d’environ<br />

cinq pieds <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi; elle est écornée <strong>et</strong> brisée, mais on peut voir encore les trous où<br />

s’enfonçait la grille aujourd’hui absente. C’était sans doute la cage, <strong><strong>de</strong>s</strong>tinée à la<br />

gar<strong>de</strong> d’un épervier sacré.<br />

6. Par les champs & par les grèves. Voyage en Orient, éd. 1974 p. 513.


556 NICOLAS GRIMAL<br />

Lorsque j’arrivai à la cange, je vis Joseph qui m’attendait <strong>de</strong>bout sur le pont ; il<br />

vint à moi rapi<strong>de</strong>ment :<br />

— Savez-vous ce qu’il y a <strong>de</strong> nouveau, signor, me dit-il, voilà un strego (sorcier)<br />

qui prétend pouvoir lire dans le sable, <strong>et</strong> qui veut vous dire votre bonne<br />

aventure.<br />

En eff<strong>et</strong>, j’aperçus parmi les matelots un noir dont le visage intelligent dénotait<br />

une gran<strong>de</strong> finesse ; il se dirigea vers moi, me prit la main, la baisa <strong>et</strong> resta<br />

immobile. Je consentis volontiers à l’expérience que me proposait Joseph. Le<br />

Nubien tira <strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>sous sa longue robe bleue un p<strong>et</strong>it plat en cuivre, le fit remplir<br />

<strong>de</strong> sable <strong>et</strong> s’accroupit près <strong><strong>de</strong>s</strong> bastingages pendant que je me tenais <strong>de</strong>vant lui. Il<br />

appliqua la paume <strong>de</strong> sa main droite sur le sable, y traça certains signes entrecroisés,<br />

<strong>et</strong>, parlant lentement, il me dit sans lever les yeux sur moi :<br />

— Ton esprit n’a point <strong>de</strong> patrie, tu dors aussi bien sous la tente que dans la<br />

maison ; ton coeur est noir, car ceux qui l’habitaient sont maintenant dans la<br />

tromp<strong>et</strong>te <strong>de</strong> l’ange du jugement <strong>de</strong>rnier ; tu penses trouver <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres à Assouan,<br />

mais il n’yen a pas : tu n’en recevras qu’au Kaire ; en les lisant, un grand orage<br />

s’élèvera dans ta poitrine, <strong>et</strong> tu pleureras comme un nouveau-né ; tu reviendras dans<br />

ton pays, où tu as été longtemps mala<strong>de</strong> ; tu n’y resteras pas, car les pieds te<br />

démangent dès que tu es en repos ; tu feras encore <strong><strong>de</strong>s</strong> voyages sur <strong><strong>de</strong>s</strong> dromadaires.<br />

Il s’arrêta. Plusieurs choses étaient vraies parmi celles qu’il venait <strong>de</strong> me dire,<br />

mais Joseph avait pu les lui indiquer après les avoir apprises <strong>de</strong> mon domestique.<br />

Malgré son horoscope, je trouvai le surlen<strong>de</strong>main <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres à Assouan ; mais au<br />

Kaire, en eff<strong>et</strong>, je <strong>de</strong>vais apprendre d’exécrables nouvelles. Je payai le magicien <strong>et</strong><br />

la cange partit. 7 »<br />

Autant Flaubert se lasse d’un voyage qui jour après jour l’ennuie un peu plus<br />

— n’écrit-il pas au bout <strong>de</strong> quelques semaines : « les temples égyptiens m’embêtent<br />

profondément — est-ce que ça va <strong>de</strong>venir comme les églises en Br<strong>et</strong>agne <strong>et</strong> comme<br />

les casca<strong><strong>de</strong>s</strong> dans les Pyrénées ? ô la réussite ! Faire ce qu’il faut faire ! être comme<br />

un jeune homme comme un voyageur (<strong>et</strong>c en poussant cela à l’infini) doit<br />

être ! » ? — , autant Maxime du Camp se passionne pour c<strong>et</strong>te entreprise qui lui<br />

vaudra louanges <strong>et</strong> honneurs.<br />

C’est un autre voyage en Orient qui va perm<strong>et</strong>tre d’imposer définitivement la<br />

photographie comme témoin <strong>de</strong> l’histoire : celui que Gustave Le Gray entreprend<br />

aux côtés, lui aussi, d’un homme <strong>de</strong> l<strong>et</strong>tres, Alexandre Dumas. Le Gray est alors<br />

un peintre reconnu, mais surtout l’inventeur, en 1850, du négatif sur verre au<br />

collodion humi<strong>de</strong> <strong>et</strong>, en 1851, du négatif sur papier ciré sec. Fondateur <strong>de</strong> la<br />

Société héliographique — la future Société française <strong>de</strong> photographie — il participe<br />

à la Mission héliographique. Il est connu <strong>de</strong>puis quelques années pour les superbes<br />

7. Le Nil. Egypte <strong>et</strong> Nubie, 5 e éd., Hach<strong>et</strong>te, 1889, p. 166-167.


CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 557<br />

marines qu’il a réalisées sur la côte norman<strong>de</strong> en combinant <strong>de</strong>ux clichés : l’un du<br />

ciel, l’autre <strong>de</strong> la mer ; le résultat est une série <strong>de</strong> paysages marins au ciel tourmenté,<br />

dont le romantisme suscite alors l’enthousiasme. Napoléon III a fait <strong>de</strong> lui le<br />

photographe officiel <strong>de</strong> la Cour ; mais Le Gray est aussi mauvais gestionnaire que<br />

bon photographe, <strong>et</strong> il fuit ses créanciers en accompagnant Dumas en Italie. Il<br />

« couvre » la révolution garibaldienne, prend <strong><strong>de</strong>s</strong> clichés poignants <strong>de</strong> Palerme<br />

bombardée <strong>et</strong> une photo romantique du dictateur autoproclamé qui fera le tour<br />

<strong>de</strong> l’Europe.<br />

Abandonné sans ressources par Alexandre Dumas à Malte, il se rend en Syrie ;<br />

blessé, il s’installe en Alexandrie, puis, en 1864, au Caire, où Ismaïl Pacha le prend<br />

sous sa protection. De ce long séjour égyptien datent <strong>de</strong> nombreux clichés, dont<br />

beaucoup, hélas ! sont perdus. Mais Gustave Le Gray a une postérité abondante <strong>et</strong><br />

à sa suite, les photographes s’installeront durablement en Egypte, maîtrisant un art<br />

désormais adulte, <strong>et</strong> que le tourisme naissant rendra rapi<strong>de</strong>ment rentable.<br />

Parmi ces pionniers, pour la plupart hauts en couleurs figure Francis Frith. Elevé<br />

dans le Derbyshire par les Quakers, il abandonne la coutellerie en 1850 pour<br />

ouvrir un studio photographique à Liverpool. Cinq ans plus tard, il quitte tout <strong>et</strong><br />

part en Egypte, Syrie <strong>et</strong> Palestine. De r<strong>et</strong>our dans le Surrey, après neuf ans, il se<br />

marie <strong>et</strong> crée sa propre société. Il se lance dans une vaste entreprise <strong>de</strong> relevé<br />

photographique <strong>de</strong> chaque ville <strong>et</strong> village du Royaume Uni, <strong>de</strong>vient pasteur quaker<br />

<strong>et</strong> finit dans la peau d’un libéral extrême. De son relevé photographique vont<br />

naître <strong><strong>de</strong>s</strong> centaines <strong>de</strong> cartes postales, vendues rapi<strong>de</strong>ment dans plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

milles boutiques du Royaume-Uni.<br />

C’est c<strong>et</strong>te nouvelle industrie que vont développer <strong><strong>de</strong>s</strong> photographes comme<br />

Félix Bonfils. Il était, à l’origine, relieur à Saint-Hippolyte-du-Fort. Il apprend la<br />

photographie avec Niepce <strong>de</strong> Saint-Victor, le neveu <strong>de</strong> Nicephor Niepce, <strong>et</strong>, à<br />

36 ans, s’installe comme photographe à Beyrouth. Sa femme, Lidye, réalise <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

portraits en studio, tandis que lui multiplie les prises <strong>de</strong> vue, essentiellement en<br />

Egypte, Palestine <strong>et</strong> Syrie. Il constitue ainsi un fonds <strong>de</strong> 15 000 tirages <strong>et</strong><br />

9 000 plaques stéréoscopiques. Ses clichés égyptiens lui valent une médaille <strong>de</strong> la<br />

Société française <strong>de</strong> photographie. En 1872, il publie aux éditions Ducher un<br />

album <strong>de</strong> 100 photographies du Proche-Orient, vendu dans le mon<strong>de</strong> entier par<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> agents, puis il rentre en <strong>France</strong> en 1876 <strong>et</strong> publie une série <strong>de</strong> cinq albums,<br />

Souvenirs d’Orient : album pittoresque <strong><strong>de</strong>s</strong> sites, villes <strong>et</strong> ruines les plus remarquables.<br />

Il obtient en 1878 une médaille à l’Exposition universelle <strong>de</strong> Paris. Ses clichés<br />

servent <strong>de</strong> base à d’innombrables cartes postales. Le fonds Bonfils est d’autant plus<br />

important qu’il est poursuivi jusqu’en 1918 par son fils, Adrien, qui lui succè<strong>de</strong> à<br />

Beyrouth, puis par l’associé <strong>de</strong> celui-ci, Abraham Guiragossian, jusqu’à la veille <strong>de</strong><br />

la Secon<strong>de</strong> Guerre mondiale.<br />

Il faudrait encore citer les frères Béchard, Henri <strong>et</strong> Emile, qui collaborèrent à la<br />

fin du xix e siècle avec plusieurs archéologues, dont Gaston Maspero, <strong>et</strong> laissèrent<br />

<strong>de</strong> nombreuses vues <strong>de</strong> monuments, en particulier <strong>de</strong> Karnak.


558 NICOLAS GRIMAL<br />

Deux personnages, enfin, sont à r<strong>et</strong>enir pour notre propos : les frères Beato.<br />

D’origine vénitienne <strong>et</strong> sans doute tous <strong>de</strong>ux nés à Corfou, ils <strong>de</strong>vinrent britanniques<br />

en même temps que leur île natale. Ils enrichirent considérablement le fonds<br />

photographique <strong>de</strong> la fin du xix e siècle, chacun dans une partie <strong>de</strong> l’empire<br />

britannique : l’un, Felice, en Extrême Orient, le second, Antonio, essentiellement<br />

en Egypte, plus particulièrement à Louqsor, où il exerça <strong>de</strong> 1860 jusqu’à sa mort,<br />

en 1906. Il fut témoin <strong><strong>de</strong>s</strong> premiers grands <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Karnak, sur lesquels il<br />

apporte un témoignage qui vient compléter les premières photos prises par les<br />

archéologues eux-mêmes. Ses clichés sont, aujourd’hui encore, vendus comme<br />

cartes postales sur place.<br />

Le premier vrai fouilleur <strong>de</strong> Karnak fut Auguste Mari<strong>et</strong>te. Point n’est besoin <strong>de</strong><br />

revenir ici sur sa carrière ni sur l’œuvre immense qu’il accomplit en Egypte. À<br />

Karnak, il entreprit <strong>de</strong> rapi<strong><strong>de</strong>s</strong> campagnes <strong>de</strong> déblaiement, <strong>de</strong> la fin 1858 à 1860<br />

<strong>et</strong> dans les premiers mois <strong>de</strong> 1874.<br />

Il dégagea ainsi dans l’enceinte <strong>de</strong> Montou une statue d’albâtre d’Amenardis <strong>et</strong><br />

une, <strong>de</strong> bronze, d’Isis actuellement au musée Vleeshuis d’Anvers. Dans l’enceinte<br />

d’Amon, il découvre le socle du naos d’Amon, daté d’Amenemhat I er . Jusqu’à la<br />

découverte <strong>de</strong> la colonne d’Antef, ce sera le plus ancien vestige connu. Il i<strong>de</strong>ntifie<br />

également l’emplacement <strong>de</strong> la fondation <strong>de</strong> Sésostris I er , dans ce que l’on appelle<br />

<strong>de</strong>puis la « cour du Moyen Empire. Surtout, Mari<strong>et</strong>te publie en 1875 le premier<br />

ouvrage entièrement consacré à Karnak, Karnak. Etu<strong>de</strong> topographique <strong>et</strong><br />

archéologique, avec un appendice comprenant les principaux textes hiéroglyphiques<br />

découverts ou recueillis pendant les fouilles exécutées à Karnak. Ouvrage publié sous les<br />

auspices <strong>de</strong> son altesse Ismail Khédive d’Egypte, auquel il ajoute la première étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

listes <strong>de</strong> peuples figurées sur les parois <strong>et</strong> pylônes du temple : Les listes géographiques<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> pylônes <strong>de</strong> Karnak comprenant la Palestine, l’Ethiopie, le pays <strong><strong>de</strong>s</strong> Somâl. Ouvrage<br />

publié sous les auspices <strong>de</strong> son altesse Ismail khédive d’Egypte, Atlas,<br />

Il faudra attendre 1895 pour que les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> dégagement <strong>et</strong> d’entr<strong>et</strong>ien du<br />

temple soient, en quelque sorte, institutionnalisés <strong>et</strong> placés sous la responsabilité du<br />

tout jeune service <strong><strong>de</strong>s</strong> Antiquités. Gaston Maspero <strong>et</strong> Georges Legrain constituent le<br />

premier « couple », associant un égyptologue <strong>et</strong> un architecte, d’une série qui s’est<br />

continuée jusqu’à récemment. L’espace limité <strong>de</strong> ce rapport ne perm<strong>et</strong> pas d’évoquer<br />

en détails les recherches <strong>et</strong> découvertes qui ont marqué plus d’un siècle <strong>de</strong> l’histoire<br />

récente du temple, <strong>de</strong> la prodigieuse découverte <strong>de</strong> la cour <strong>de</strong> la Cach<strong>et</strong>te aux <strong>de</strong>rniers<br />

<strong>travaux</strong> du Centre franco-égyptien <strong><strong>de</strong>s</strong> temples <strong>de</strong> Karnak. Nous y reviendrons plus<br />

tard, au fur <strong>et</strong> à mesure <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses parties du temple.<br />

Les Annales <strong>de</strong> Thoutmosis III : étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> commentaire<br />

On a étudié c<strong>et</strong>te année les colonnes 88 à 103, soit la fin <strong>de</strong> la campagne <strong>de</strong><br />

l’an 23. On trouvera ci-après la traduction provisoire <strong>de</strong> ce passage, ainsi que celle<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> colonnes 56 à 88, que je n’ai pu, faute <strong>de</strong> place, intégrer aux rapports <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

années précé<strong>de</strong>ntes.


Annales I, 56-84<br />

CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 559<br />

« L’an 23, 19 e jour du premier mois <strong>de</strong> l’été : réveil en [vie] (57) dans la tente<br />

<strong>de</strong> (Celui qui est) doué <strong>de</strong> vie, santé <strong>et</strong> force à proximité <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> A[rou]na.<br />

Marche (58) vers le nord par Ma Majesté, sous l’étendard <strong>de</strong> père [Amon-<br />

Rê Seigneur <strong><strong>de</strong>s</strong> Trônes du Double Pays, qui ouvrait les chemins (59) <strong>de</strong>vant <br />

Majesté, (tandis que) Horakhty confortait le cœur <strong>de</strong> troupes, (60) <strong>et</strong> que<br />

père Amon {Seigneur <strong><strong>de</strong>s</strong> Trônes <strong><strong>de</strong>s</strong> Deux Terres} [ren]forçait le glaive <strong>de</strong><br />

[Ma Majesté Montou étendant sa protection sur (61) Ma] Majesté.<br />

Sa [Majesté fit] marche [à la tête <strong>de</strong>] son [armée], form[ée] (62) en nombreux<br />

bataillons, [sans rencontrer] un seul [ennemi, l’] (63) aile sud étant à Ta[anak, (64)<br />

l’]aile nord sur le côté sud <strong>de</strong> […]<br />

(65) Et Sa Majesté <strong>de</strong> haranguer : « [… (66) …] <strong>et</strong> ce vi[l] ennemi doit<br />

être abattu (67) [… (68) …] Amon [… (69) … (70) … Sa] Majesté […] au glaive<br />

plus puissant que (?) (71) […] l’ar[mée] <strong>de</strong> [Sa] Majesté [arriva] à (72) Arouna.<br />

Puis, tandis que l’arrière <strong>de</strong> l’armée victorieuse <strong>de</strong> Sa Majesté était à la hauteur <strong>de</strong><br />

la place (73) d’Arouna, l’avant <strong>de</strong> sortir à la hauteur <strong>de</strong> la vallée <strong>de</strong> Qena, (74)<br />

jusqu’à remplir la plaine <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te vallée.<br />

Ils dirent alors à Sa Majesté — qu’Elle soit en vie, santé <strong>et</strong> force ! : (75) «“ Oui !<br />

Sa Majesté est sortie avec [ses] troupes victorieuses <strong>et</strong> ils o[n]t investi la (76) vallée.<br />

Que notre maître victorieux nous écoute c<strong>et</strong>te fois-ci ! (77) Que notre maître<br />

atten<strong>de</strong> l’arrière <strong>de</strong> [son] arm[ée avec ses gens], (78) [<strong>et</strong> lorsque sera parvenu<br />

jusqu’à nous], l’arrière <strong>de</strong> l’armée, alors, [nous combattrons contre (79) ces<br />

montagnards], sans avoir à nous soucier [<strong>de</strong> l’arrière <strong>de</strong>] (80) notre [armée]. ”<br />

Sa Majesté fit [donc halte], en plein air, assi[se] (81) là, attendant l’arrière [<strong>de</strong>]<br />

son [armée] victorieuse. Et lorsque l’arrière <strong>de</strong> [la trou] (82) pe fut sorti sur ce<br />

chemin, (83) l’ombre [avait franchi (83) midi].<br />

Sa Majesté atteignit le sud <strong>de</strong> Megiddo, au bord <strong>de</strong> la rivière Qena, à la septième<br />

heure du jour. Alors on établit là le camp pour Sa Majesté, <strong>et</strong> on fit c<strong>et</strong>te<br />

proclamation <strong>de</strong>vant le front <strong><strong>de</strong>s</strong> troupes : “ Equipez-vous, fourbissez vos armes.<br />

Car on va affronter au combat ce vil ennemi <strong>de</strong>main. Car on va [ … ]. ”<br />

(84) Se reposer dans les quartiers <strong>de</strong> Celui qui est en Vie, Santé <strong>et</strong> Force. Assurer<br />

l’approvisionnement <strong><strong>de</strong>s</strong> officiers <strong>et</strong> les vivres pour les serviteurs. Passer en revue<br />

les veilleurs <strong>de</strong> l’armée, après leur avoir passé la consigne: “ Ferm<strong>et</strong>é ! ” <strong>et</strong><br />

“ Vigilance ! ”<br />

Réveil en vie dans la tente <strong>de</strong> Celui qui est en vie, santé <strong>et</strong> force. On vient dire<br />

à Sa Majesté : “ (la situation du) désert alentour est favorable, (celle <strong><strong>de</strong>s</strong>) troupes<br />

au sud <strong>et</strong> au nord également ! ” »


560 NICOLAS GRIMAL<br />

Annales I, 84-87<br />

« 23 e année <strong>de</strong> règne, premier mois <strong>de</strong> l’été, 21 e jour, le jour <strong>de</strong> la fête <strong>de</strong> la<br />

Nouvelle Lune, exactement. Apparition du roi au p<strong>et</strong>it matin.<br />

Alors, on donna à l’armée tout entière l’ordre du jour pour marcher [contre les<br />

ennemis].<br />

(85) Sa Majesté avance sur le char d’électrum,<br />

Parée <strong><strong>de</strong>s</strong> ornements du combat,<br />

Tel Horus le Vaillant, le Maître <strong><strong>de</strong>s</strong> rites,<br />

Tel Montou thébain,<br />

père Amon donnant la force à ses bras.<br />

L’aile sud <strong>de</strong> l’armée <strong>de</strong> Sa Majesté s’étend vers la colline qui est au sud <strong>de</strong> [la<br />

vallée] <strong>de</strong> Qena, l’aile nord au nord-est <strong>de</strong> Megiddo, Sa Majesté au milieu, Amon<br />

assurant sa protection la mêlée, la force [<strong>de</strong> S<strong>et</strong>h s’étendant sur] (86) ses<br />

membres.<br />

Sa Majesté était ainsi plus puissante qu’eux, à la tête <strong>de</strong> son armée, <strong>et</strong> lorsqu’ils<br />

virent que Sa Majesté était plus forte qu’eux, ils s’enfuirent en trébuchant vers<br />

Megiddo, le visage plein <strong>de</strong> terreur. Ils abandonnèrent leurs chevaux <strong>et</strong> leurs chars<br />

d’argent <strong>et</strong> d’électrum, <strong>et</strong> on les tira vers le haut par leurs vêtements dans c<strong>et</strong>te<br />

ville. Car ces gens là avaient fermé c<strong>et</strong>te ville, tout en [laissant pendre (87)] <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

vêtements, afin <strong>de</strong> les tirer en haut dans c<strong>et</strong>te ville.<br />

Si seulement l’armée <strong>de</strong> Sa Majesté ne s’était pas alors attachée à piller les biens<br />

<strong>de</strong> ces ennemis, alors elle [serait entrée] dans Megiddo sur le champ, tandis que<br />

l’on hissait le vil ennemi <strong>de</strong> Qa<strong><strong>de</strong>s</strong>h, ainsi que le vil ennemi <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ville, en hâte,<br />

pour les faire entrer dans leur ville !<br />

Annales I 88-103<br />

Alors la crainte <strong>de</strong> Sa Majesté [entre dans (88) leur corps], leurs bras sont sans<br />

force, [<strong>et</strong>] l’uræus s’empare d’eux. Leurs chevaux <strong>et</strong> leurs chars plaqués d’or <strong>et</strong><br />

d’électrum sont mis au pillage immédiatement comme libre [butin], leurs [batail]ons<br />

renversés au sol, tels les poissons dans la poche d’eau.<br />

Et l’armée victorieuse <strong>de</strong> Sa Majesté <strong>de</strong> compter ses biens ! Et on pilla la tente<br />

<strong>de</strong> [ce vil enne]mi, qui était plaqu[ée d’ (89)...] .<br />

Et l’armée tout entière <strong>de</strong> marteler sa joie,<br />

De rendre grâce à Am[on,<br />

Pour la victoire]<br />

Qu’il a donnée à son [fils] en ce jour,<br />

Et chanter les louanges] <strong>de</strong> Sa Majesté,<br />

D’exalter Sa victoire.<br />

Et ils emportèrent alors le butin qu’ils avaient fait: mains, prisonniers, chevaux<br />

<strong>et</strong> [ch]ars d’or plaqué d’électrum, […] multicolores (90) […]


CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 561<br />

[Sa Majesté fit alors] c<strong>et</strong>te [pro]clamation à son armée :<br />

« Allez ! [Courage, mes b]raves [soldats] !<br />

Oui, [c’est bien par la volonté <strong>de</strong> Rê que tous ces pays] se r<strong>et</strong>rouvent<br />

[dans c<strong>et</strong>te cité] aujourd’hui,<br />

Puisque tous les chefs <strong>de</strong> tous les pays y sont en cage,<br />

Et que ce sera prendre mille cités que prendre Megiddo !<br />

Allez ! Courage !<br />

Oui, [c’est bien (91) …] »<br />

[…] Et les chefs <strong>de</strong> corps d’exhor[ter leurs soldats, <strong>de</strong> faire connaître à ] chacun<br />

sa place. Ils prirent la mesure <strong>de</strong> [c<strong>et</strong>te vill]e, (la) prenant au piège à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> talus,<br />

l’entourant <strong>de</strong> (palissa<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>) bois frais (faites) <strong>de</strong> tous leurs arbres fruitiers.<br />

Dans le même temps, Sa Majesté en personne fermait l’est <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te cit[é, <strong>et</strong> le<br />

surveillaitt en (92) personne, nuit <strong>et</strong> jour …] qu’il entou]re d’un mur d’enceinte<br />

[…] à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> son enceinte, à qui on donna le nom <strong>de</strong> « Menkheperrê prend au<br />

piège les Asiatiques ».<br />

On plaça <strong><strong>de</strong>s</strong> [gens] pour gar<strong>de</strong>r la tente <strong>de</strong> Sa Majesté, en leur disant : « Courage<br />

<strong>et</strong> soyez vi[gilants] ! ».<br />

[Puis Sa Majesté] (93) […empêchant qu’un] seul d’entre eux sorte par l’arrière<br />

<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te muraille, sauf pour aller frapper à la porte <strong>de</strong> leur prison.<br />

Quant à tout ce que Sa Majesté a fait contre c<strong>et</strong>te cité, contre ce vil ennemi <strong>et</strong><br />

sa vile armée, cela a été consigné avec l’indication par jour à Son nom <strong>et</strong> par<br />

campagne [… (94) …] consigné sur un rouleau <strong>de</strong> cuir dans la <strong>de</strong>meure d’Amon<br />

à la date <strong>de</strong> ce jour.<br />

Alors, les chefs <strong>de</strong> ce pays vinrent, à plat-ventre, flairer le sol <strong>de</strong>vant la puissance<br />

<strong>de</strong> Sa Majesté, implorer le souffle pour leur nez, tant est gran<strong>de</strong> Sa force, tant est<br />

puis[sante la crainte d’Amon sur les pays étrangers (95) [… pays étrang]ers. [A]lors<br />

[tous les] chefs d’apporter à Sa puissance, chargés <strong>de</strong> leurs tributs : or, argent, lapislazuli,<br />

turquoise, — d’apporter grain, vin, bœufs, p<strong>et</strong>it bét[ail] pour l’armée <strong>de</strong> Sa<br />

Majesté. Une partie d’entre e[ux, chargée <strong>de</strong> tributs, prit le chemin du] Sud.<br />

Puis Sa Majesté entreprit <strong>de</strong> [confir]mer les chefs (96) [<strong>de</strong> chaque cité …]<br />

[Liste <strong><strong>de</strong>s</strong> prises emportées par l’armée <strong>de</strong> Sa Majesté <strong>de</strong> la cité <strong>de</strong> Megiddo :]<br />

340 prisonniers,<br />

83 mains,<br />

2 041 chevaux,<br />

191 poulinières,<br />

6 étalons,<br />

[...] poulains […],<br />

le char plaqué d’or <strong>et</strong> aux parements en or <strong>de</strong> ce vil ennemi,<br />

le splendi<strong>de</strong> char plaqué d’électrum du [chef <strong>de</strong>] (97) [Megiddo …],<br />

chars <strong>de</strong> sa vile armée : 892.<br />

Soit un total <strong>de</strong> 924.


562 NICOLAS GRIMAL<br />

Bronze : belle cuirasse <strong>de</strong> combat <strong>de</strong> ce vil vaincu : 1.<br />

Bronze : belle cuirasse <strong>de</strong> combat du chef <strong>de</strong> Megi[ddo : 1.<br />

Bronze] : belles cuirasses <strong>de</strong> combat <strong>de</strong> sa vile armée : 200.<br />

Arcs : 502.<br />

[Piqu<strong>et</strong>s en bois ] — mery plaqué d’argent <strong>de</strong> la tente <strong>de</strong> ce vaincu : 7.<br />

[L’armée <strong>de</strong> (98) Sa Majesté] s’empara également <strong>de</strong> […] 387 […], 1 929 bœufs,<br />

2 000 chèvres <strong>et</strong> 20 500 moutons.<br />

Liste <strong>de</strong> ce que le roi a emporté ensuite <strong><strong>de</strong>s</strong> biens <strong>de</strong> la <strong>de</strong>meure <strong>de</strong> ce vaincu,<br />

— celle <strong>de</strong> [Yen]oam, <strong>de</strong> Anouges, <strong>de</strong> [Helenker, ainsi que les biens <strong>de</strong>] ceux qui<br />

avaient fait allégeance [emportés par] (99) : […] dont 30 [Maryanou] ; 47 enfants<br />

<strong>de</strong> ce [vaincu] <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> chefs qui sont avec lui, dont 5 Maryanou ; 1 796 serviteurs<br />

<strong>et</strong> servantes, avec leurs enfants ; 103 <strong>de</strong> ceux qui se sont rendus, poussés par la<br />

fa[im] à quitter [ce vaincu].<br />

Soit un total <strong>de</strong> 2 503.<br />

Ainsi que :<br />

Pierres fines <strong>et</strong> or : <strong><strong>de</strong>s</strong> coupes-<strong>de</strong>d<strong>et</strong> <strong>et</strong> divers vases, (100) […] un grand vaseakounou<br />

en travail <strong>de</strong> Syrie, <strong><strong>de</strong>s</strong> gobel<strong>et</strong>s-tjebou, <strong><strong>de</strong>s</strong> coupes-<strong>de</strong>d<strong>et</strong>, <strong><strong>de</strong>s</strong> coupeskhentou,<br />

divers vases à boire, <strong>de</strong> grands chaudrons, [X +] 27 couteaux. Soit un total<br />

<strong>de</strong> 1 784 <strong>de</strong>ben.<br />

Or en lingots trouvés aux mains <strong><strong>de</strong>s</strong> artisans, en même temps que <strong>de</strong> l’argent en<br />

nombreux lingots : 966 <strong>de</strong>ben <strong>et</strong> 1 kite.<br />

Argent : une statue représentant (101) [ … ], la tête en or, trois hampes à tête<br />

humaine.<br />

Ivoire, ébène <strong>et</strong> cèdre plaqués or : 6 fauteuils <strong>de</strong> ce vaincu <strong>et</strong> 6 repose-pieds qui<br />

vont avec.<br />

Ivoire <strong>et</strong> cèdre : 6 gran<strong><strong>de</strong>s</strong> tables.<br />

Cèdre recouvert d’or <strong>et</strong> <strong>de</strong> toutes sortes <strong>de</strong> pierres précieuses : un lit en forme<br />

<strong>de</strong> couche <strong>de</strong> ce vaincu, entièrement plaqué d’or.<br />

Ebène plaqué (102) d’or : une statue <strong>de</strong> ce vaincu dont la tête est en l[apislazuli<br />

? …].<br />

[…] ce […], vases <strong>de</strong> bronze, nombreux vêtements <strong>de</strong> ce vaincu.<br />

Ensuite, les champs furent transformés en domaines, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> agents du domaine<br />

royal établir le recensement, afin que leur récolte soit emportée.<br />

Liste <strong>de</strong> la récolte emportée par Sa Majesté <strong><strong>de</strong>s</strong> domaines <strong>de</strong> Megiddo : 2 007 300<br />

[+ X] sacs <strong>de</strong> farine, (103) sans compter ce qui a été coupé lors <strong>de</strong> la prise par<br />

l’armée <strong>de</strong> Sa Majesté […]. »


CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 563<br />

Travaux <strong>et</strong> publications 8<br />

— En collaboration avec Emad Adly <strong>et</strong> Alain Arnaudiès, chroniques archéologiques :<br />

Bull<strong>et</strong>in d’information archéologique <strong>et</strong> « Fouilles <strong>et</strong> <strong>travaux</strong> en Egypte <strong>et</strong> au Soudan », pour<br />

la revue Orientalia.<br />

— Campagne d’étu<strong>de</strong> à Karnak en novembre 2007 <strong>et</strong> décembre 2007.<br />

— Expertise auprès <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong> Vienne pour la section Proche-Orient,<br />

27-28 mars 2008.<br />

Publications<br />

— « L’œuvre architecturale <strong>de</strong> Thoutmosis III dans le temple <strong>de</strong> Karnak », dans Compte<br />

rendus <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions & Belles-L<strong>et</strong>tres 2006, p. 231-249.<br />

— « Civilisation pharaonique : archéologie, philologie, histoire », Annuaire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong> 2007 ; rapport compl<strong>et</strong> en ligne sur www.egyptologues.n<strong>et</strong>.<br />

— Hommage à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions & Belles-L<strong>et</strong>tres : « Christophe Barbotin, La<br />

voix <strong><strong>de</strong>s</strong> hiéroglyphes. Promena<strong>de</strong> au département <strong><strong>de</strong>s</strong> Antiquités égyptiennes du musée du Louvre,<br />

Institut Khéops — Musée du Louvre, Paris, 2005 », dans Comptes rendus <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Inscriptions & Belles-L<strong>et</strong>tres 2006, p. 296-298.<br />

— « Les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> expéditions scientifiques du xixe siècle sur support numérique : la<br />

Description <strong>de</strong> l’Egypte », Comptes rendus <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions & Belles-L<strong>et</strong>tres 2006,<br />

p. 359-364.<br />

— En collaboration avec Emad Adly, Bull<strong>et</strong>in d’information archéologique 35 (janvierjuin<br />

2007), www.egyptologues.n<strong>et</strong>.<br />

« Langue <strong>et</strong> culture dans le Proche-Orient antique », dans Géopolitique. Revue <strong>de</strong> l’Institut<br />

international <strong>de</strong> Géopolitique 100, p. 7-12.<br />

— En collaboration avec Emad Adly, Bull<strong>et</strong>in d’information archéologique 36 (juill<strong>et</strong>décembre<br />

2007), www.egyptologues.n<strong>et</strong>.<br />

— En collaboration avec Emad Adly <strong>et</strong> Alain Arnaudiès, « Fouilles <strong>et</strong> <strong>travaux</strong> en Egypte<br />

<strong>et</strong> au Soudan, 2005-2007 », dans Orientalia 76, p. 176-283 <strong>et</strong> pl. XIII-XXXVII.<br />

Conférences <strong>et</strong> colloques<br />

— « L’Egypte pharaonique <strong>et</strong> l’ordre du mon<strong>de</strong> antique », conférence prononcée à<br />

l’Université <strong>de</strong> Neufchâtel, 12 décembre 2007.<br />

— « Temps <strong>et</strong> espace : la civilisation pharaonique est-elle immortelle ? », conférence<br />

prononcée à l’Association Guillaume Budé, Lyon, 17 janvier 2008.<br />

— Organisation, avec Nathalie Beaux <strong>et</strong> Bernard Pottier du colloque international<br />

« Image <strong>et</strong> conception du mon<strong>de</strong> dans les écritures figuratives », <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong><br />

Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres, 24-25 janvier 2008.<br />

— Participation au colloque international <strong>de</strong> la Société française d’Archéologie Classique<br />

« Grecs <strong>et</strong> Romains en Egypte. Territoires, espaces <strong>de</strong> la vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la mort, obj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> prestige<br />

<strong>et</strong> du quotidien », 15 mars 2008, INHA.<br />

8. A la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’Administration du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, ne figurent dans ce rapport que<br />

les activités du titulaire <strong>de</strong> la chaire. Le rapport compl<strong>et</strong>, incluant les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> l’équipe <strong>et</strong> du<br />

cabin<strong>et</strong> d’égyptologie peut être consulté en ligne à l’adresse suivante : www.egyptologues.n<strong>et</strong>.


564 NICOLAS GRIMAL<br />

Jurys <strong>de</strong> thèses<br />

— Prési<strong>de</strong>nce du jury <strong>de</strong> thèse <strong>de</strong> Doctorat présentée par Hanane Gaber-Kerious, sous<br />

le titre Recherches sur les tombes inédites d’Amennakht <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses fils Nebenmaât <strong>et</strong> Kham<strong>et</strong>eri<br />

(Deir el-Médina TT 218, TT 219, TT 220). Edition <strong><strong>de</strong>s</strong> tombes <strong>et</strong> étu<strong>de</strong> comparative <strong><strong>de</strong>s</strong> livres<br />

funéraires en contextes royal <strong>et</strong> privé, à l’Université Marc Bloch (Strasbourg-II), le mardi<br />

11 septembre 2007.<br />

— Participation au jury <strong>de</strong> thèse <strong>de</strong> Doctorat <strong>de</strong> l’Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> en Sciences<br />

Sociales (Discipline : Archéologie) présentée par Nathalie Buchez, <strong>et</strong> intitulée Chronologie<br />

<strong>et</strong> transformations structurelles <strong>de</strong> l’habitat au <strong>cours</strong> du prédynastique. Apports <strong><strong>de</strong>s</strong> mobiliers<br />

céramiques funéraires <strong>et</strong> domestiques du site d’Adaïma (Haute-Egypte), Toulouse, 29 février<br />

2008.<br />

— Participation au jury <strong>de</strong> thèse <strong>de</strong> Doctorat <strong>de</strong> l’Université libre <strong>de</strong> Bruxelles présentée<br />

par Laurent Bavay sous le titre « Dis au potier qu’il me fasse une poterie-kôtôn ». Archéologie<br />

<strong>et</strong> céramique <strong>de</strong> l’Antiquité tardive à nos jours dans la tombe thébaine n° 29 à Cheikh abd<br />

el-Gourna, Egypte (fouilles <strong>de</strong> l’Université Libre <strong>de</strong> Bruxelles), Bruxelles, 12 février 2008.<br />

— Prési<strong>de</strong>nce du jury <strong>de</strong> thèse <strong>de</strong> Doctorat présentée par Aurélia Masson, Le quartier<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> prêtres à l’est du lac Sacré dans le temple d’Amon <strong>de</strong> Karnak, <strong>de</strong>vant l’Université <strong>de</strong> Paris<br />

Sorbonne le 12 mars 2008.<br />

— Prési<strong>de</strong>nce du jury <strong>de</strong> thèse <strong>de</strong> Doctorat présentée par Marie Mill<strong>et</strong>, Installations<br />

ante rieu res au Nouvel Empire au sud-est du lac Sacré du temple d’Amon <strong>de</strong> Karnak, <strong>de</strong>vant<br />

l’Université <strong>de</strong> Paris Sorbonne le 23 juin 2008.


Assyriologie<br />

M. Jean-Marie Durand, professeur<br />

Dans l’imaginaire occi<strong>de</strong>ntal concernant le Proche-Orient, le mon<strong>de</strong> politique<br />

est soumis à la puissance d’un seul : le roi a confisqué la toute puissance <strong>et</strong>, face à<br />

lui, il n’a que <strong><strong>de</strong>s</strong> serviteurs : à cela s’oppose la conception <strong>de</strong> l’individu libre, le<br />

citoyen grec.<br />

Pendant les années précé<strong>de</strong>ntes, pour une pério<strong>de</strong> très bien documentée comme<br />

le xviii e siècle av. n. è., on a vu que c’est plutôt la notion <strong>de</strong> groupe qui existe <strong>et</strong><br />

chacun essaie d’y trouver sa place, chef comme contribules ; c’est une réalité au<br />

sein <strong>de</strong> laquelle le chef du groupe <strong>et</strong> les membres pratiquent <strong><strong>de</strong>s</strong> relations complexes<br />

<strong>de</strong> solidarités.<br />

À partir <strong>de</strong> la présente année, en choisissant toujours la documentation dans le<br />

même domaine très riche, il s’agissait d’examiner un autre thème à propos <strong>de</strong><br />

l’exercice du pouvoir : <strong>de</strong> l’extérieur <strong>de</strong> la Mésopotamie, on considère, en eff<strong>et</strong>, que<br />

face à la toute puissance du roi, il existe en revanche la toute puissance <strong><strong>de</strong>s</strong> dieux.<br />

Il s’agit, là encore, d’une vision en apparence négative : les dieux mésopotamiens<br />

semblent avoir été <strong><strong>de</strong>s</strong> réalités lointaines, peu épanouies, jalouses, soucieuses<br />

uniquement <strong>de</strong> leur propre bien-être, jusqu’à la bêtise, ne rêvant que <strong>de</strong> dormir.<br />

Ils ont gardé pour eux la vie, ils sont donc immortels, ils ont tout caché aux<br />

humains, surtout leur avenir. Il faut ainsi leur arracher les secr<strong>et</strong>s <strong>de</strong> la santé <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

la réussite dans l’action.<br />

Certains chercheurs du domaine mésopotamien ont beaucoup durci c<strong>et</strong>te notion<br />

selon laquelle les dieux ont besoin <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes qui par ailleurs les gênent.<br />

C’est <strong>de</strong> c<strong>et</strong> effort pour contraindre les dieux que seraient apparues la magie <strong>et</strong><br />

la divination dont l’Antiquité proche-orientale se trouve être sinon la patrie<br />

exclusive, au moins l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> patries.


566 JEAN-MARIE DURAND<br />

A) Pas <strong>de</strong> divination sumérienne<br />

Il y a, à l’heure actuelle, un consensus selon lequel il n’existait pas <strong>de</strong> divination<br />

sumérienne ; rien n’en suggère <strong>de</strong> fait la pratique au moins au niveau <strong>de</strong> l’État qui<br />

est le seul à nous être vraiment documenté. Il est peu vraisemblable, cependant,<br />

que l’homme sumérien particulier n’ait pas été intéressé par son avenir <strong>et</strong> qu’il n’ait<br />

eu la possibilité <strong>de</strong> rencontrer ou <strong>de</strong> solliciter, sur les places publiques, dans les<br />

marchés <strong>et</strong> au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> ses voyages, <strong><strong>de</strong>s</strong> gens d’autres cultures qui y recourraient.<br />

Cela rentre dans la problématique du rapport entre « public » <strong>et</strong> « privé » qui est<br />

pour nous très difficile d’accès à l’heure actuelle. Si cela apparaissait au détour<br />

d’une <strong><strong>de</strong>s</strong> rares l<strong>et</strong>tres gardées pour le III e millénaire, ou d’un proverbe, il n’en<br />

resterait pas moins qu’une telle anecdote n’irait pas au <strong>de</strong>là d’elle-même.<br />

De fait, le vocabulaire <strong>de</strong> la divination, au moment où s’en multiplient les<br />

attestations, c’est-à-dire surtout dans les textes <strong>de</strong> Mari, semble libre d’influences<br />

sumériennes ; ce n’est que dans l’usage récent qu’apparaissent <strong>de</strong> nombreux<br />

idéogrammes, d’origine savante. Les textes les plus anciens ont c<strong>et</strong>te caractéristique<br />

d’être écrits <strong>de</strong> façon phonétique.<br />

Beaucoup <strong>de</strong> faits militent pour montrer l’origine populaire <strong>de</strong> la divination : les<br />

tabl<strong>et</strong>tes divinatoires sont aussi grossières que les tabl<strong>et</strong>tes scolaires. Elles ne<br />

semblent pas présenter un savoir réservé : elles <strong>de</strong>vaient être accessibles à quiconque<br />

savait lire. Les scribes qui les ont rédigées n’appartenaient pas à un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> très<br />

haute culture.<br />

Au III e millénaire les hautes questions politiques ne semblent pas être réglées au<br />

moyen d’actes <strong>de</strong> divination. Les <strong>de</strong>ux seuls suj<strong>et</strong>s abordés, la nomination <strong>de</strong> la<br />

gran<strong>de</strong> prêtresse <strong>et</strong> l’autorisation <strong>de</strong> faire reconstruire son temple donnée par le<br />

dieu, datent <strong>de</strong> la fin du mon<strong>de</strong> sumérien. Il pourrait s’agir là <strong>de</strong> marqueurs <strong>de</strong> la<br />

pénétration du vieux mon<strong>de</strong> sumérien par un esprit nouveau apporté par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

populations <strong>de</strong> sentimentalité différente.<br />

Le nom du <strong>de</strong>vin en sumérien est d’ailleurs « celui qui prend le chevreau », ce<br />

qui ne fait pas allusion à l’agneau cher aux Mésopotamiens. Il « touche » l’animal,<br />

mais rien ne dit qu’il en regar<strong>de</strong> les entrailles.<br />

Il semble donc bien que la divination soit un fait sémitique <strong>et</strong> récent, qui<br />

provient <strong>de</strong> pratiques populaires, non encore intégrées au savoir <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>trés ; à leur<br />

apparition elles sont encore très proches d’une science orale <strong>et</strong> le <strong>de</strong>vin est avant<br />

tout un praticien.<br />

B) La pratique <strong>de</strong> la divination<br />

À l’époque paléo-babylonienne, on constate la très gran<strong>de</strong> importance <strong>de</strong><br />

l’hépatoscopie, soit l’examen du foie mais, en fait, on procédait alors à un examen<br />

général <strong><strong>de</strong>s</strong> entrailles, les tîrânu. De plus, les l<strong>et</strong>tres <strong>de</strong> Mari montrent une autre<br />

pratique très populaire, celle <strong><strong>de</strong>s</strong> « oiseaux <strong>de</strong> trou ». Parallèlement, à Babylone, on


ASSYRIOLOGIE 567<br />

recourait à l’aleuromancie ou la lécanomancie, c’est-à-dire la distribution <strong>de</strong> j<strong>et</strong>s <strong>de</strong><br />

farine ou les irisations produites par <strong>de</strong> l’huile sur une surface plane ou liqui<strong>de</strong>.<br />

Avec le temps apparaissent à côté <strong><strong>de</strong>s</strong> actes isolés, la constitution <strong>de</strong> grands<br />

corpus, joyaux <strong><strong>de</strong>s</strong> bibliothèques royales récentes, babyloniennes <strong>et</strong> assyriennes,<br />

accompagnés d’un vaste ensemble <strong>de</strong> commentaires, qui recourent à <strong><strong>de</strong>s</strong> observations<br />

<strong>de</strong> bien plus gran<strong>de</strong> ampleur : une série part <strong><strong>de</strong>s</strong> événements fortuits dans le<br />

mon<strong>de</strong> : une autre <strong>de</strong> l’observation <strong><strong>de</strong>s</strong> astres.<br />

C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière est au I er millénaire la vraie science qui remplace la divination à<br />

partir <strong><strong>de</strong>s</strong> entrailles <strong>et</strong> <strong>de</strong>vient la discipline reine.<br />

Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’histoire mésopotamienne, on ne voit pas le <strong>de</strong>vin évoluer vers la<br />

figure du mage qui est celle par excellence du personnage oriental qui s’intéresse à<br />

l’avenir, mais vers celle du savant <strong>et</strong> du théoricien, à partir d’une observation<br />

méticuleuse <strong>de</strong> données naturelles, établissant une grille <strong>de</strong> lecture <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> critères<br />

d’explications qui perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> porter un verdict en introduisant le moins possible<br />

<strong>de</strong> critères personnels <strong>de</strong> choix. C’est ce que Jean Bottéro considérait comme la<br />

naissance <strong>de</strong> l’esprit scientifique : l’observation du réel <strong>et</strong> l’oubli <strong><strong>de</strong>s</strong> critères<br />

personnels dans la décision.<br />

C’est au moins la théorie car tous les cas ne sont pas prévus, les traditions se<br />

contredisent <strong>et</strong> plus d’une fois le <strong>de</strong>vin est obligé d’avouer qu’il est dans l’embarras<br />

ou que les critères à disposition conduisent à <strong><strong>de</strong>s</strong> choix ambigus.<br />

La consultation du corpus épistolaire mariote donne la possibilité d’observer la<br />

divination au fil <strong><strong>de</strong>s</strong> jours <strong>et</strong> dans son contexte événementiel précis. On n’est donc<br />

plus dans le domaine <strong>de</strong> la théorie <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> constructions par induction ou déduction<br />

qui sont censées avoir produit les grands corpus du I er millénaire.<br />

On se rend très vite compte que le souci n’est pas fondamentalement <strong>de</strong> connaître<br />

son avenir <strong>de</strong> façon précise. C<strong>et</strong>te possibilité n’est qu’une <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences <strong>de</strong> la<br />

divination, pratique dont le but est en fait tout autre.<br />

L’acte divinatoire hépatoscopique se passe au moment du sacrifice. Ce <strong>de</strong>rnier,<br />

dans l’idéologie mésopotamienne, consiste d’abord à faire manger la divinité. C’est<br />

le même terme qui sert à dire « repas » <strong>et</strong> « sacrifice ». Ce <strong>de</strong>rnier est donc compris<br />

comme un acte d’hospitalité où l’on fait manger les dieux <strong>et</strong> au <strong>cours</strong> duquel on<br />

engage la conversation avec eux. Il s’y noue un rapport personnel. Beaucoup<br />

d’anecdotes <strong>de</strong> Mari montrent que c’est au <strong>cours</strong> d’un repas qu’on fait parler<br />

l’autre, en général après l’avoir bien fait boire, lorsqu’il est «dans sa bière ». Le<br />

moment <strong>de</strong> la boisson termine le banqu<strong>et</strong>.<br />

Un mo<strong>de</strong>rne peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r comment soûler une divinité. On a une bonne<br />

illustration du fait dans la Nekyomancie d’Homère (Odyssée xi) où Ulysse fait<br />

parler les morts après leur avoir fait boire le sang <strong><strong>de</strong>s</strong> victimes. Lors du sacrifice<br />

aux dieux, un liqui<strong>de</strong> précieux leur est versé, le sang <strong>de</strong> la victime; le terme<br />

technique utilisé nîqum signifie exactement « versement ».


568 JEAN-MARIE DURAND<br />

À l’époque, il y a <strong>de</strong>ux sortes <strong>de</strong> sang même si on ne sait pas exactement lequel<br />

est utilisé ; le terme qui signifie « serment » est le même que celui qui signifie<br />

« vie ». La divinité est en réalité attirée, lors du sacrifice, dans le mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes<br />

<strong>et</strong> c’est alors que le contact se noue.<br />

Inversement, dans le rêve qui est un produit du sommeil, lequel est à l’image <strong>de</strong><br />

la mort, ou lors d’une incubation, le rêveur quitte le mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes <strong>et</strong> entre<br />

dans un univers où il peut r<strong>et</strong>rouver la divinité qui lui délivre un message, ou lui<br />

répond.<br />

Le moment divinatoire est ainsi celui où l’on peut savoir où l’on en est dans ses<br />

rapports avec la divinité. C’est fondamentalement un phénomène général <strong>de</strong><br />

communion qui n’est d’habitu<strong>de</strong> pas perçu dans la documentation d’origine<br />

irakienne, parce que ceux qui l’étudient aujourd’hui sont obnubilés par la<br />

complexité <strong><strong>de</strong>s</strong> considérations techniques résultant <strong>de</strong> l’observation <strong><strong>de</strong>s</strong> données<br />

physiques : hépatoscopiques, puis astrales. L’essence même <strong>de</strong> l’interrogation<br />

ominale est cachée par tous les arbres <strong><strong>de</strong>s</strong> faits relevant <strong>de</strong> la technique.<br />

On parle donc avec la divinité, tant dans l’acte hépatoscopique, que dans le rêve,<br />

pour s’en tenir aux <strong>de</strong>ux domaines privilégiés <strong>de</strong> la divination ancienne, aussi bien du<br />

présent, que du futur <strong>et</strong> — surtout — que du passé. On voit ainsi que la « divination »<br />

n’est pas obligatoirement, comme on le croit souvent naïvement, tournée vers le<br />

futur humain ni la connaissance (inquiète) du sort réservé à l’individu.<br />

Un autre point très important est que la divinité n’est pas, comme on le croirait,<br />

passive, ou piégée : elle peut prendre les <strong>de</strong>vants pour donner un avis à un homme<br />

(surtout le roi, d’après notre documentation) pour l’informer (ou s’informer !) sur<br />

le passé, le présent ou le futur.<br />

Lors du sacrifice la divinité peut déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> parler d’autre chose que du suj<strong>et</strong> où on<br />

l’invite ou <strong>de</strong> quelqu’un d’autre que celui qui l’interroge <strong>et</strong> il en est du même pour le<br />

rêve, <strong>de</strong> la même façon qu’il y a envoi <strong>de</strong> messagers ou échanges épistolaires entre<br />

l’humain <strong>et</strong> le divin. C<strong>et</strong>te conduite englobe d’ailleurs prophéties <strong>et</strong> ordalies.<br />

C) Le concr<strong>et</strong> <strong>et</strong> le théorique<br />

La divination semble avoir été à Mari plus archaïque <strong>et</strong> plus concrète, ce qui<br />

explique qu’elle représente une conduite moins élaborée qu’à Babylone, laquelle<br />

recourt effectivement à une enquête plus théorique, déconnectée <strong><strong>de</strong>s</strong> contingences,<br />

en marche vers une discipline qui pose ses principes <strong>et</strong> en tire <strong><strong>de</strong>s</strong> déductions, même<br />

si c<strong>et</strong>te conduite est, à nos yeux <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnes, en porte-à-faux sur le mon<strong>de</strong> réel.<br />

1. Une gran<strong>de</strong> différence tient au fait qu’à Babylone, on interroge les dieux dans<br />

le cadre général <strong>de</strong> l’hémérologie ; on réalise ainsi l’antiquité <strong>de</strong> pratiques que l’on<br />

croyait n’apparaître qu’à basse époque, avec la fin <strong>de</strong> l’empire néo-assyrien, ce que<br />

l’on ne pouvait soupçonner en m<strong>et</strong>tant en fiche la seule technique hépatoscopique.<br />

L’hémérologie crée <strong><strong>de</strong>s</strong> « jours tabous » qui déterminent l’action humaine.


ASSYRIOLOGIE 569<br />

On connaît l’importance du Livre <strong><strong>de</strong>s</strong> Fastes à Rome : fās est différent <strong>de</strong> jūs<br />

dans la mesure où s’opposent le droit dit par les dieux <strong>et</strong> celui qui est dit par les<br />

hommes. C’est <strong>de</strong> la connaissance <strong>de</strong> ses données que dépendaient sessions <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

tribunaux <strong>et</strong> réunions <strong><strong>de</strong>s</strong> citoyens.<br />

À Mari le munûtum (« comput ») détenu par le roi <strong>et</strong> qu’on lui réclame comportait<br />

une sorte <strong>de</strong> calendrier cultuel. On ne sait malheureusement pas s’il s’agissait <strong>de</strong><br />

la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> fêtes oraculairement permises ou <strong>de</strong> celles décidées par le roi. Il n’existe<br />

qu’au début du règne <strong><strong>de</strong>s</strong> Bensim’alites, il est inattesté ensuite. Il pourrait donc<br />

s’agir d’un héritage <strong>de</strong> l’ancien ordre <strong>de</strong> choses, celui <strong>de</strong> la dynastie qu’il avait<br />

renversée <strong>et</strong> qui tirait ses origines du pays d’Akkad, auquel Babylone appartenait.<br />

2. Le second point tient à la détermination du suj<strong>et</strong> oraculaire.<br />

Elle montre le lien qui relie divination <strong>et</strong> magie.<br />

La magie a effectivement besoin <strong>de</strong> fragments <strong>de</strong> la personnalité visée pour<br />

opérer, ou <strong>de</strong> faire entrer en contact l’ensorceleur <strong>et</strong> son obj<strong>et</strong> comme on le voit<br />

par le texte ARM XXVI 253 :<br />

« Voici ce qu’on a fait dire à la femme : “(Je jure) que ma fille, Mârat-Eštar n’a<br />

pas fait d’ensorcellement contre NP”. C<strong>et</strong>te femme, ni à la porte ni ailleurs,<br />

n’a donné du bois ensorcelé, ni ne l’a fait “manger” à NPl, sous forme <strong>de</strong> pain, <strong>de</strong><br />

nourriture, <strong>de</strong> bière ou <strong>de</strong> quoi que ce soit. »<br />

Dans l’acte hépatoscopique il y a également nécessité d’être « tout près » du<br />

suj<strong>et</strong>. Dans l’acte sacrificiel, le <strong>de</strong>vin « touche » : il m<strong>et</strong> le doigt sur la personne<br />

concernée pour la désigner. Ainsi trouve-t-on dans A.3308+ :<br />

« J’ai fait recopier la route que l’armée doit prendre <strong>et</strong> j’ai fait envoyer (le tout)<br />

chez mon Seigneur. On doit lire c<strong>et</strong>te tabl<strong>et</strong>te <strong>de</strong>vant mon Seigneur. En accord<br />

avec les instructions <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te tabl<strong>et</strong>te, il faut que les <strong>de</strong>vins touchent le front <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

gui<strong><strong>de</strong>s</strong> afin que, pour l’expédition dont les présages seront bons, leurs gui<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

prennent la tête <strong><strong>de</strong>s</strong> 3 000 hommes que mon Seigneur m’a envoyés… »<br />

De même lit-on dans ARM XXVI 114 :<br />

« J’ai procédé à l’interrogation oraculaire. J’ai touché le front du chef <strong>de</strong> pâture.<br />

Les oracles que j’ai obtenus étaient bons… »<br />

Le geste <strong>de</strong> « toucher le front » revenait à marquer une personne explicitement<br />

comme le suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’interrogation oraculaire.<br />

Lorsqu’il s’agit d’un suj<strong>et</strong> « lointain », plusieurs re<strong>cours</strong> étaient connus:<br />

a) en ce qui concerne les lieux, on opérait sur une motte <strong>de</strong> terre qui en<br />

provenait.<br />

b) pour les personnes, on se servait <strong>de</strong> sa sissiktum <strong>et</strong> d’une boucle <strong>de</strong> ses<br />

cheveux.


570 JEAN-MARIE DURAND<br />

On trouve ici un écho avec les rituels du Droit, dont le domaine extrêmement<br />

conservateur dans ses pratiques est très proche <strong><strong>de</strong>s</strong> manipulations magiques. La<br />

sissiktum a d’ailleurs valeur juridique : c’est un substitut du sceau qui définit la<br />

singularité d’une personne par le symbolisme <strong><strong>de</strong>s</strong> figures ou l’énonciation d’un<br />

nom <strong>et</strong> <strong>de</strong> la situation sociale (parenté, titre). Les cheveux sont, également, la<br />

marque <strong>de</strong> la personne, tout comme l’ongle dont l’empreinte peut servir à signer<br />

un texte. « Cheveux » <strong>et</strong> « ongle » sont les parties vivantes du corps, du fait <strong>de</strong> leur<br />

dynamisme qui les fait croître <strong>et</strong> qu’on peut prélever sans dommage pour l’intégrité<br />

physique ; en opposition les <strong>de</strong>ux sangs que définit l’époque amorrite comportent<br />

les notions <strong>de</strong> vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> race <strong>et</strong> ne servent que pour le rite <strong>de</strong> communion qui<br />

perm<strong>et</strong> d’accroître la famille : ils participent à d’autres rituels étudiés d’autres<br />

années auparavant.<br />

3. Détermination du libellé <strong>de</strong> l’interrogation<br />

L’important était <strong>de</strong> prononcer une formule très précise pour que la réponse du<br />

sort ne soit pas ambiguë, comme le montre le détail <strong>de</strong> la conscription pour la<br />

campagne contre une ville (Tamîtu n° 1).<br />

Ô Soleil, dieu du serment, Ô Tempête, dieu <strong>de</strong> la divination !<br />

les soldats du palais, ceux <strong>de</strong> la porte du palais, ceux <strong>de</strong> la charrerie,<br />

les fantassins, les forces mobiles <strong>et</strong> les patrouilleurs,<br />

ceux qui forment le gros <strong><strong>de</strong>s</strong> troupes, le corps <strong><strong>de</strong>s</strong> Soutéens,<br />

<strong>et</strong> ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> pâtures du pays, soldats qui obéissent à Marduk,<br />

tous ceux dont Hammu-rabi <strong>de</strong> Babylone<br />

forme sa troupe, tant gens <strong>de</strong> métier que démobilisables —<br />

doit-il (y) choisir <strong>et</strong> sélectionner chars <strong>et</strong> fantassins ?<br />

Pour ce qui est <strong>de</strong> la détermination <strong>de</strong> la route, nous n’avons plus gardé à Mari<br />

que <strong><strong>de</strong>s</strong> indications sommaires, comme celles <strong>de</strong> A.3308 :<br />

« J’ai fait recopier la route que l’armée doit prendre <strong>et</strong> j’ai fait envoyer (le tout)<br />

chez mon Seigneur. »<br />

De tels textes succincts doivent être explicités par d’autres comme celui <strong>de</strong> la<br />

Tamîtu n° 4 :<br />

« Doivent-ils quitter par la porte <strong>de</strong> Padnu <strong>et</strong> marcher vers la casca<strong>de</strong> du<br />

Campement du Félin, vers la Borne-frontière du (mont) Nikkur, vers la grand<br />

Grotte, vers le wadi du Défilé, vers le terrain planté <strong>de</strong> buissons, vers le Figuier du<br />

combat, vers le Pistachier rabougri, vers le Moulin en ruine, vers le lieu aux<br />

Térébinthes ?<br />

Au soir <strong>de</strong> ce jour, doivent-ils bivouaquer aux Térébinthes ?<br />

Au soleil levant, à l’aube, doivent-ils quitter les Térébinthes, vers les Gypses, vers<br />

la couche du…, <strong>et</strong>c. »


4. L’interrogation ominale<br />

ASSYRIOLOGIE 571<br />

Le fait <strong>de</strong> questionner la divinité n’inclut pas <strong>de</strong> terme technique <strong>et</strong> se dit<br />

normalement « questionner », à la fois à Babylone <strong>et</strong> à Mari. Mais Mari utilise<br />

pour « fixer le libellé d’une question oraculaire » le verbe kapâdum, usage inconnu<br />

à Babylone.<br />

« À la tête <strong>de</strong> la troupe <strong>de</strong> mon Seigneur marchera NP, le <strong>de</strong>vin, serviteur <strong>de</strong> mon<br />

Seigneur, <strong>et</strong>, avec la troupe <strong>de</strong> Babylone, marchera un <strong>de</strong>vin babylonien. Ces six<br />

cents hommes <strong>de</strong> troupe s’établiront à (Nlieu). Les <strong>de</strong>vins formuleront le libellé <strong>de</strong><br />

leurs présages <strong>et</strong>, selon le caractère favorable <strong><strong>de</strong>s</strong> présages qu’ils auront obtenus, il y<br />

aura <strong><strong>de</strong>s</strong> patrouilles par groupe <strong>de</strong> 150 hommes. » (ARM II 22 = LAPO 17 585).<br />

Si l’exigence <strong>de</strong> la précision est i<strong>de</strong>ntique à Mari <strong>et</strong> à Babylone, l’usage <strong>de</strong><br />

kapâdum marque une différence entre les <strong>de</strong>ux centres d’interrogation oraculaire :<br />

à Babylone, ce terme se prend en mauvaise part <strong>et</strong> signifie « prendre une décision<br />

mauvaise », « comploter ». Il est très souvent associé à un verbe qui a le sens<br />

d’ « avoir un grand désir ». Il signifie en babylonien « avoir un désir incoercible »,<br />

il est associé à la colère, au désir instinctif d’agir. Sans étymologie claire, il a généré<br />

dans la langue tardive un adverbe signifiant « rapi<strong>de</strong>ment ».<br />

On peut conclure <strong>de</strong> l’usage <strong>de</strong> Mari que « choisir les termes <strong>de</strong> la question<br />

oraculaire » est à peu près l’équivalent <strong>de</strong> notre « avoir un flash », « sentir en soi le<br />

désir inspiré <strong><strong>de</strong>s</strong> dieux » <strong>de</strong> poser une question. Le <strong>de</strong>vin est donc celui qui a les<br />

moyens <strong>de</strong> savoir quoi <strong>et</strong> comment <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à la divinité pour en avoir une<br />

réponse fiable.<br />

À Mari le rôle du <strong>de</strong>vin relève plutôt <strong>de</strong> l’inspiration que <strong>de</strong> la réflexion. Il n’est<br />

donc pas étonnant qu’à Mari, à côté du <strong>de</strong>vin bârûm, « celui qui lit », il existe la<br />

possibilité que se tienne un homme inspiré (l’âpilum, le « traducteur ») qui prend<br />

la parole <strong>et</strong> qui commente par enthousiasme, au sens propre du mot (enthousiasmos :<br />

le fait que le dieu soit en soi).<br />

5. La préparation <strong>de</strong> l’agneau du sacrifice<br />

Nous avons encore pour ce qui concerne la Babylonie : le rituel du <strong>de</strong>vin.<br />

« Ô Soleil du jugement ! Ô Tempête du vœu <strong>et</strong> <strong>de</strong> la divination !<br />

Me voici porteur pour vous d’un mâle, pur (B.)/ en bonne santé (A), fils d’une<br />

femelle, une oblation, un agneau à teinte indécise,<br />

frotté (?), dont la toison boucle, pur, qui vient d’être déversé <strong>de</strong> “l’étroitesse” <strong>de</strong><br />

la femelle ;<br />

(Lui) dont le pâtre n’a pas arraché <strong>de</strong> boucle à droite ni à gauche :<br />

voici que j’arrache pour toi à gauche <strong>et</strong> à droite une boucle <strong>de</strong> lui <strong>et</strong> que je la<br />

dépose pour toi ! »


572 JEAN-MARIE DURAND<br />

Sur c<strong>et</strong> animal qui est présenté comme un être encore indécis, le <strong>de</strong>vin prie pour<br />

indiquer les marques ominales qu’il veut voir apparaître.<br />

(Invocation aux dieux.)<br />

Sur l’animal qui vient <strong>de</strong> naître, sur qui n’ont eu d’action ni mon<strong>de</strong> extérieur ni<br />

hommes, qui est sans histoire, comme une page blanche, on <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à la divinité<br />

d’inscrire les sorts que le technicien aura pour tâche <strong>de</strong> repérer <strong>et</strong> d’interpréter.<br />

Comment interpréter c<strong>et</strong>te gran<strong>de</strong> prière ?<br />

Il est évi<strong>de</strong>nt que le <strong>de</strong>vin tente d’orienter la volonté divine en énumérant tout<br />

ce qui lui perm<strong>et</strong>trait <strong>de</strong> lire que le sort réservé à son patient est bon ; mais en<br />

même temps on peut considérer que c<strong>et</strong>te interminable énumération représente le<br />

pacte explicite passé entre <strong>de</strong>vin <strong>et</strong> dieu pour fixer leur accord sur ce qui est bon<br />

<strong>et</strong> mauvais, comme <strong>de</strong>ux alliés humains énumèrent, lors d’un accord, ce qu’il faut<br />

faire <strong>et</strong> ne pas faire.<br />

6. La signification du sacrifice <strong>de</strong> l’agneau à Babylone<br />

Le <strong>de</strong>vin entreprend <strong>de</strong> fendre en <strong>de</strong>ux l’agneau, certainement vivant.<br />

C’est un acte hautement symbolique qui évoque le bris <strong>de</strong> l’enveloppe en argile<br />

qui protège un message. Elle ne porte que l’adresse <strong>et</strong> les signes <strong>de</strong> reconnaissance<br />

comme l’empreinte du sceau <strong>de</strong> l’expéditeur. En accédant aux viscères, le <strong>de</strong>vin<br />

prend connaissance du texte rédigé en toute liberté par le dieu.<br />

Le <strong>de</strong>vin ne choisit pas à l’aveugl<strong>et</strong>te son agneau comme une « poch<strong>et</strong>te surprise »<br />

qui révèle au déballage ses mystères. Aussi étudie-t-il le comportement du mouton<br />

<strong>de</strong> sacrifice pour <strong>de</strong>viner si son sacrifice sera pour le bien ou non.<br />

D) Les procédés à Mari<br />

L’interrogation unitaire porte le nom <strong>de</strong> qâtum (« main ») c’est l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

présages constatés lors du sacrifice d’un mouton. Linguistiquement, qâtum est<br />

l’équivalent du français « fois ». Pour reprendre le vocabulaire du jeu <strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cartes<br />

à jouer, c’est la « donne ».<br />

L’interrogation n’est jamais simple. Elle comporte toujours une « contreépreuve<br />

» ou « vérification ». C’est la piqittum. Sa nécessité perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> comprendre<br />

l’apparent désordre entre le singulier têrtum (présage) <strong>et</strong> son pluriel têrêtum. Le<br />

pluriel signifie que le <strong>de</strong>vin a fait la contre-épreuve ou l’a confiée à un assistant ou<br />

un collègue. De fait, tous les prédictions sont au pluriel šalmâ, magrâ (« bon ») ou<br />

lupputâ (« mauvais »).<br />

Lorsqu’une interrogation a un mauvais résultat, le <strong>de</strong>vin réclame d’obtenir une<br />

nouvelle «donne » comme le montre ARM XXVI 186 :<br />

« Les présages que nous obtenons ne sont pas sains. Donne-nous <strong><strong>de</strong>s</strong> agneaux<br />

que nous r<strong>et</strong>ournions <strong>de</strong>main à la “donne” <strong>et</strong> que nous reprenions les présages. »


ASSYRIOLOGIE 573<br />

Chaque interrogation <strong>de</strong>man<strong>de</strong> le sacrifice d’un nouvel animal.<br />

Quel était le libellé <strong>de</strong> la piqittum ? Un texte particulièrement détaillé indique<br />

qu’on y posait l’inverse <strong>de</strong> la question précé<strong>de</strong>nte.<br />

1. Prouver la divination<br />

Par <strong>de</strong>là la pratique <strong>de</strong> la « confirmation » piqittum, la divination par<br />

l’hépatoscopie était-elle la seule technique <strong>de</strong> déterminer l’avenir ? Cela pose la<br />

question du re<strong>cours</strong> à la technique <strong><strong>de</strong>s</strong> oiseaux.<br />

J. Nougayrol a publié un texte intitulé « “Oiseau” ou oiseau ? » (Revue<br />

d’Assyriologie 61, 1967). Le texte dit :<br />

Si, au bas <strong>de</strong> l’aisselle droite, une tache rouge se trouve ; présence <strong>de</strong><br />

(Divinité),<br />

Si l’aile <strong>de</strong> l’oiseau, <strong>de</strong> droite, se soulève plusieurs fois : en campagne, l’ennemi<br />

réglera le compte <strong>de</strong> mon armée. » <strong>et</strong>c.<br />

La question était <strong>de</strong> savoir s’il s’agissait d’un vrai oiseau dont on examinait les<br />

taches corporelles ou d’une métonymie pour « mouton », ou une partie <strong>de</strong> son<br />

foie. C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière position est celle <strong><strong>de</strong>s</strong> Dictionnaires.<br />

En fait, les textes <strong>de</strong> Mari lèvent l’ambiguïté. ARM XXVI 22 dit :<br />

« J’ai mené l’enquête par le moyen <strong><strong>de</strong>s</strong> “oiseaux <strong>de</strong> trou”. Le rêve est réel. »<br />

Dans ARM XXVI 145, il est dit :<br />

« Dans le district où j’habite, il n’y a pas <strong>de</strong> <strong>de</strong>vin, on ne me donne pas <strong>de</strong><br />

colombes. »<br />

Tous les textes s’accor<strong>de</strong>nt à nous dire que ces colombes sont <strong><strong>de</strong>s</strong> oiseaux qui<br />

vivent dans les « fenêtres », à l’époque <strong>de</strong> simples trous dans le mur. C’est donc<br />

bien un oiseau réel.<br />

Il s’agit, en fait, tout comme pour la lécanomancie ou l’aleuromancie, <strong>de</strong><br />

techniques <strong>de</strong> substitution. Les techniques ne concourent pas entre elles, mais<br />

semblent s’exclure : elles ont en fait <strong><strong>de</strong>s</strong> motivations économiques propres, bien<br />

moins coûteuses que le sacrifice <strong>de</strong> moutons.<br />

2. Les présages fortuits<br />

C’est un domaine où la comparaison <strong>de</strong> Mari <strong>et</strong> Babylone est intéressante. Il y<br />

a bien à l’Est pluralité <strong>de</strong> techniques pour prédire l’avenir. Elles donnent plus tard<br />

naissance à l’immense corpus <strong><strong>de</strong>s</strong> prédictions qui fut exporté <strong>de</strong> par tout le Proche-<br />

Orient lorsque la culture babylonienne essaima, recouvrant les cultures divinatoires<br />

indigènes, au <strong>de</strong>là <strong><strong>de</strong>s</strong> frontières occi<strong>de</strong>ntales <strong><strong>de</strong>s</strong> Hittites vers le mon<strong>de</strong> grec, puis<br />

jusqu’au lointain Occi<strong>de</strong>nt où chaque technique fut repensée <strong>et</strong> reconstruite.


574 JEAN-MARIE DURAND<br />

Mari montre au xviii e siècle av. n.è. une attention soutenue à l’égard d’événements<br />

auxquels on prête attention parce qu’on y voit un signe divin qu’il convient <strong>de</strong><br />

déchiffrer. Mais le fait n’a pas valeur par lui-même.<br />

Un <strong><strong>de</strong>s</strong> cas les plus n<strong>et</strong>s est celui <strong><strong>de</strong>s</strong> izbu. On appelle ainsi les nouveau-nés,<br />

humains ou animaux, qui naissent avec une malformation. Le Protocole <strong><strong>de</strong>s</strong> Devins<br />

<strong>de</strong> Mari fait allusion au phénomène.<br />

ARM XXVI 1 : « Le mauvais oracle défavorable qui se produira <strong>et</strong> que je verrai<br />

lors <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> présages pour Zimri-Lim, mon Seigneur, dans une naissance<br />

anormale… »<br />

ARM XXVI 241 en donne un exemple :<br />

« (L’agneau) n’a qu’une tête ; sa face est celle d’un ovin mâle ; il n’a qu’une<br />

poitrine, (qu’un) cœur (qu’un seul) ensemble <strong>de</strong> viscères ; (mais), <strong>de</strong>puis son<br />

nombril jusqu’à sa hanche, (il a) <strong>de</strong>ux corps. À sa naissance, une <strong>de</strong> ses épaules a<br />

été arrachée <strong>et</strong> l’on a, <strong>de</strong> ce fait, endommagé sa tête. »<br />

Il n’y a pas <strong>de</strong> commentaire sur le fait rapporté. L’attitu<strong>de</strong> ne serait pas la même<br />

au I er millénaire, où l’on fait immédiatement un rituel expiatoire.<br />

Il en est <strong>de</strong> même concernant les événements <strong>de</strong> la vie. On constate qu’aucun<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> événements rapportés qui feraient sens ominal au I er millénaire n’a d’autre<br />

conséquence que <strong>de</strong> déclencher une interrogation oraculaire pour qu’on sache si<br />

c’est un signe <strong><strong>de</strong>s</strong> dieux ou non.<br />

Les événements astraux eux-mêmes entrent dans la même problématique, comme<br />

une éclipse <strong>de</strong> lune. Or, là, on est sûr qu’à Babylone, on considérait déjà que<br />

l’éclipse avait un sens pour la divination <strong>de</strong> l’avenir.<br />

On opposera ARM XXVI 81 :<br />

« Le 14 du mois, il y a eu une éclipse <strong>de</strong> lune <strong>et</strong> l’existence même <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te éclipse<br />

est un fait désagréable. J’ai pris les oracles pour le bien-être <strong>de</strong> mon Seigneur <strong>et</strong><br />

celui du district supérieur. Les oracles étaient sains. Il faut, maintenant que mon<br />

Seigneur, là où il est, fasse prendre <strong><strong>de</strong>s</strong> oracles pour son bien être <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> la<br />

ville <strong>de</strong> Mari. Que mon seigneur ne s’inquiète pas ! »<br />

avec un texte qui énumère les éclipses en fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> mois :<br />

« Si au mois <strong>de</strong> Tammuz, il se produit une éclipse, il y aura une famine <strong>et</strong> un<br />

roi qui a du renom [mourra]. La population <strong>de</strong> la ville s’enfuira.<br />

Si au mois d’Abum, il se produit une éclipse, la moisson se passera bien ; l’armée<br />

du roi recevra une mission glorieuse. » <strong>et</strong>c.<br />

Le texte a été r<strong>et</strong>rouvé à Mari, mais il vient d’une voisine <strong>de</strong> Babylone, à en juger<br />

par la ménologie.


ASSYRIOLOGIE 575<br />

L’observation <strong><strong>de</strong>s</strong> astres ne sert encore que <strong>de</strong> datations du calendrier agricole,<br />

analogues aux Géorgiques <strong>de</strong> Virgile.<br />

On voit donc qu’en définitive, il n’y a à l’Ouest qu’une discipline reine : c’est<br />

l’hépatoscopie qui est seule à pouvoir expliquer ce qui inquiète. Les Amorrites<br />

n’ont développé une typologie du signe ominal qu’à l’Est ; à l’Ouest ; il y a encore<br />

une dichotomie très forte entre observations du quotidien <strong>et</strong> pratique <strong>de</strong><br />

l’hépatoscopie.<br />

C’est là que l’on constate le clivage entre mentalités <strong>de</strong> l’Est <strong>et</strong> l’Ouest.<br />

E) Divination <strong>et</strong> représentation du mon<strong>de</strong><br />

1. La symbolique du foie : aller au palais réaliser ses désirs.<br />

Le foie ominal a été compris par les Babyloniens comme ce qui perm<strong>et</strong>tait<br />

d’interpréter le mon<strong>de</strong>. Un traité récent, la 16e tabl<strong>et</strong>te <strong>de</strong> l’hépatoscopie, porte un<br />

titre évocateur « Si le foie est le miroir du ciel. » C’est une vision récente, le miroir<br />

magique où l’on peut voir le refl<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> volontés divines.<br />

En fait, lorsque l’on suit les noms <strong><strong>de</strong>s</strong> parties du foie qu’examine le <strong>de</strong>vin<br />

babylonien, c’est un microcosme d’où l’on induit l’état du macrocosme.<br />

En Babylonie ancienne il s’agit d’arriver à un palais <strong>et</strong> d’y obtenir ce que l’on<br />

désire du roi divin. Voici la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> parties dans l’ordre <strong>de</strong> consultation du foie :<br />

manzazzum = « présence divine »; var. naplastum « regard »<br />

padânum = le chemin<br />

pû tâbum = le mot agréable / bakchich<br />

danânum = renforcement » = zone royale surveillée<br />

bâb ekallim = porte du palais = on entre chez le roi / dieu<br />

šulmum = « salutation »<br />

martum = la vésicule = le Chef<br />

nîdi kussîm = les assises du trône<br />

ubânum = le doigt (le ministre, l’action)<br />

sibtum = prise, tenure (= la réussite <strong>de</strong> ce que l’on cherche).<br />

C’est donc bien une visite chez le roi/dieu pour avoir quelque chose.<br />

Chacune <strong>de</strong> ces zones comprend <strong><strong>de</strong>s</strong> sous-parties ; la casuistique ominale fait<br />

l’obj<strong>et</strong> d’autres étu<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />

Or, les différentes parties du foie (dans la mesure ou on les connaît) ne donnent<br />

pas à Mari l’image du même mon<strong>de</strong> qu’à Babylone.<br />

On trouve ainsi la sissiktum au lieu du manzazzum.<br />

La vésicule est appelée « pasteur » ; une zone toute entière est appelée « enclos ».<br />

On n’est plus dans l’image d’une civilisation <strong>de</strong> citadins mais <strong>de</strong> pasteurs.


576 JEAN-MARIE DURAND<br />

Pušqum « étroitesse » dans la zone du padânum est remplacé par le puzrum<br />

« zone royale ».<br />

Deux remarques : (a) les particularismes mariotes se r<strong>et</strong>rouvent dans l’hépatoscopie<br />

hittite <strong>et</strong> les textes d’Emar, à l’époque moyenne, montrent l’existence d’une double<br />

tradition : syrienne (héritée <strong>de</strong> Mari) <strong>et</strong> babylonienne (empruntée).<br />

(b) On a déjà à Mari <strong><strong>de</strong>s</strong> parties ominales qui étaient tenues pour n’apparaître<br />

qu’à partir du I er millénaire : c’est un indice qu’il y a eu <strong><strong>de</strong>s</strong> traditions divergentes<br />

<strong>de</strong> la doctrine babylonienne <strong>et</strong> qu’elles ont continué jusqu’à ce que les érudits du<br />

I er millénaire entreprennent leur collecte, intégrant à leur savoir toutes les traditions<br />

divergentes connues. C’est un trait constant dans les conduites magiques ou<br />

médicales <strong>de</strong> toutes époques.<br />

2. Le prophète à côté du <strong>de</strong>vin<br />

Le terme kapâdum a montré une différence essentielle entre <strong>de</strong>vins babyloniens<br />

<strong>et</strong> mariotes. Les premiers posent une question ; les seconds trouvent les mots qu’il<br />

faut.<br />

Or, ce kapâdum, n’est pas, on l’a vu, un verbe <strong>de</strong> sens positif : il signifie une<br />

idée plutôt irrationnelle, qui provient <strong>de</strong> l’aspect ténébreux <strong>de</strong> l’individualité, non<br />

<strong>de</strong> l’intelligence rayonnante.<br />

Cela explique une autre différence majeure <strong>de</strong> l’Ouest avec Babylone. Dans la<br />

région <strong>de</strong> l’Oronte, tout à fait à l’Occi<strong>de</strong>nt, le <strong>de</strong>vin est doublé par un prophète,<br />

l’âpilum.<br />

FM VII 39 : « Lors <strong><strong>de</strong>s</strong> interrogations oraculaires, le dieu Tempête <strong>de</strong> Kallassu<br />

est présent :<br />

« Ne suis-je pas le dieu Tempête <strong>de</strong> Kallassu, qui l’ai élevé sur le haut <strong>de</strong> mes<br />

cuisses <strong>et</strong> qui l’ai fait revenir sur le trône <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> son père ? Depuis que<br />

je l’ai fait revenir sur le trône <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> son père, je lui ai donné à nouveau<br />

une rési<strong>de</strong>nce. Maintenant, puisque je l’ai fait revenir sur le trône <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong><br />

son père, je m’approprierai un bien dans son Domaine. S’il ne (me le) donne pas,<br />

le maître du trône, <strong><strong>de</strong>s</strong> territoires <strong>et</strong> <strong>de</strong> la ville c’est moi, <strong>et</strong> ce que j’ai donné je<br />

(le) reprendrai. Si au contraire il accè<strong>de</strong> à mon désir, je lui donnerai trône sur<br />

trône, maison sur maison, territoire sur territoire, ville sur ville, <strong>et</strong> je lui livrerai le<br />

pays, <strong>de</strong> son levant à son ponant. »<br />

Voilà ce qu’ont déclaré les répondants.<br />

De fait, lors <strong><strong>de</strong>s</strong> interrogations oraculaires, (le dieu Tempête) est chaque fois<br />

présent. »<br />

L’interrogation oraculaire se poursuit en prophétie. La constatation <strong>de</strong> la présence<br />

du suj<strong>et</strong> ominal est un préliminaire obligé ; il <strong>de</strong>vrait s’en suivre l’interprétation


ASSYRIOLOGIE 577<br />

d’un signe omineux <strong>et</strong> une apodose comme « Si tel signe se produit, un dieu qui<br />

t’a jusqu’ici favorisé te reprendra ses faveurs/ce qu’il t’a donné. »<br />

C<strong>et</strong>te apodose est remplacée par un dis<strong>cours</strong> grandiloquent <strong>et</strong> d’expression<br />

poétique qui va bien au <strong>de</strong>là. La prophétie est ici une apodose amplifiée.<br />

Nous sommes dans l’extrême Ouest, où les <strong>de</strong>ux genres <strong>de</strong> divination,<br />

l’hépatoscopique <strong>et</strong> l’élocution prophétique, sont complètement imbriqués : il<br />

s’agit d’un niveau encore plus primitif que dans la zone médiane que documente<br />

Mari. Le « répondant » « traduit » la pensée du dieu puisque tel est à l’époque le<br />

sens <strong>de</strong> la racine sur laquelle son nom est construit.<br />

Il y a bien <strong><strong>de</strong>s</strong> répondants à Babylone, comme il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> prophéties dites par une<br />

divinité d’Ešnunna, mais si le fait existe c’est parce que ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> Amorrites qui<br />

se sont installés dans ces régions. En revanche, il est intéressant <strong>de</strong> se rendre compte<br />

que nul texte officiel du pays d’Akkad ni du pays <strong>de</strong> Sumer ne documente leur<br />

dire. On constatait à l’époque où <strong><strong>de</strong>s</strong> Akkadiens dominent à Mari, l’inexistence <strong>de</strong><br />

prophéties ; désormais l’une est apparue dans un document <strong>de</strong> leur époque. Elle<br />

perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> voir que (a) il y avait bien alors autour du grand dieu local, Dagan, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

prophéties, mais que (b) on n’y prêtait pas attention.<br />

C<strong>et</strong>te indifférence du pays d’Akkad envers le couple Devin-Prophète est<br />

signifiante. Mari considère que le <strong>de</strong>vin appartient à un mon<strong>de</strong> inspiré ; ce <strong>de</strong>rnier<br />

pratique bien le genre <strong>de</strong> l’apodose ; son verdict <strong>de</strong> <strong>de</strong>vin se coule déjà dans la<br />

forme rhétorique qui comman<strong>de</strong>ra la rédaction <strong><strong>de</strong>s</strong> grands corpus divinatoires.<br />

C’est un fait d’emprunt à l’Est. Mais l’extrême-Ouest a conservé un état <strong>de</strong> choses<br />

plus ancien.<br />

La présence obligatoire d’un <strong>de</strong>vin au moment du sacrifice mariote montre que<br />

l’on pense que le sacrifice n’est pas seulement un moyen <strong>de</strong> savoir où l’on en est avec<br />

son dieu (favorable/non favorable) ; c<strong>et</strong> acte sacré est aussi interprété comme<br />

l’occasion pour la divinité <strong>de</strong> dépasser le rapport avec son fidèle pour proclamer<br />

quelque chose à un être plus lointain. Le <strong>de</strong>vin, comme on le verra, jure d’observer si,<br />

au moment du sacrifice d’un homme du peuple, le dieu entreprend <strong>de</strong> parler au roi.<br />

À Babylone, le présage porte sa signification propre. L’apodose précise à<br />

l’occasion, à propos d’une observation sur le foie, « pour un particulier cela signifie<br />

telle chose ; pour un homme important telle autre chose ». Il n’y a plus <strong>de</strong> message<br />

pour le roi <strong>de</strong>rrière la réponse faite au particulier, cela est préalablement codifié.<br />

Conclusion<br />

Dans c<strong>et</strong>te introduction à la divination, on a voulu montrer tout particulièrement<br />

qu’il n’existait pas simplement une divination, comme on le croit généralement,<br />

laquelle se sclérose <strong>de</strong> plus en plus pour donner les grands recueils, vi<strong><strong>de</strong>s</strong> d’utilité<br />

d’ailleurs, au I er millénaire. Il y avait en fait plusieurs façons d’appréhen<strong>de</strong>r c<strong>et</strong>te<br />

technique selon les lieux <strong>et</strong> les mentalités.


578 JEAN-MARIE DURAND<br />

Il apparaît, selon ces analyses, que l’hépatoscopie est un fait originaire <strong>de</strong> l’Ouest,<br />

non <strong>de</strong> l’Est suméro-akkadien ; dans l’Ouest, elle a encore gardé à l’époque <strong>de</strong><br />

Mari un aspect concr<strong>et</strong>, qui révèle ses origines ; dans l’Est, s’est construit désormais<br />

tout un système autonome qui entreprend <strong>de</strong> dégager <strong><strong>de</strong>s</strong> principes <strong>et</strong> d’en tirer<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> conclusions.<br />

Dans l’Ouest, il s’agissait en principe <strong>de</strong> savoir où l’on en était <strong>de</strong> ses rapports<br />

avec la divinité ; ce n’était qu’un complément normal au sacrifice ; dans l’Est, on<br />

est en route vers une herméneutique qui doit déboucher sur la possibilité <strong>de</strong> forcer<br />

les secr<strong>et</strong>s <strong><strong>de</strong>s</strong> dieux.<br />

Dans l’Ouest, les formes primitives <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te conduite humaine montrent le<br />

<strong>de</strong>vin comme quelqu’un qui fait la part <strong>de</strong> l’enthousiasme en lui ; il est donc<br />

normalement assisté d’un prophète ; dans l’Est, les <strong>de</strong>ux conduites ten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> plus<br />

en plus à diverger <strong>et</strong> l’enthousiasme est remplacé par un esprit <strong>de</strong> logique déductive,<br />

avec re<strong>cours</strong> à la prière ou aux purifications lorsque l’on se rend compte qu’il y a<br />

péril en la <strong>de</strong>meure.<br />

Maintenant que le cadre est posé, il s’agira <strong>de</strong> voir comme c<strong>et</strong>te attitu<strong>de</strong> envers<br />

les secr<strong>et</strong>s <strong><strong>de</strong>s</strong> Dieux peut influer sur l’exercice du pouvoir.<br />

Publications du professeur<br />

Activités <strong>de</strong> la chaire<br />

Livres<br />

— La Nomenclature <strong><strong>de</strong>s</strong> habits <strong>et</strong> textiles dans les textes <strong>de</strong> Mari, Matériaux pour le<br />

Dictionnaire <strong>de</strong> Babylonien <strong>de</strong> Paris 1, Archives Royales <strong>de</strong> Mari XXX, Paris, sous presse.<br />

— La Religion à l’époque amorrite d’après les archives <strong>de</strong> Mari, Orientalia Lovaniensia<br />

Analecta 169, Louvain, sous presse.<br />

Articles<br />

— « Histoire d’une redécouverte : l’évolution d’une problématique (centre <strong>et</strong> périphérie) »,<br />

dans « Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au Dictionnaire <strong>de</strong> la Bible 14, Paris, 2008,<br />

col. 214-216.<br />

— « L’amorrite <strong>et</strong> les particularités syriennes face au “suméro-akkadien” », dans<br />

« Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au Dictionnaire <strong>de</strong> la Bible 14, Paris, 2008,<br />

col. 216-220.<br />

— « Les noma<strong><strong>de</strong>s</strong> », dans « Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au Dictionnaire <strong>de</strong> la<br />

Bible 14, Paris, 2008, col. 298-324.<br />

— « Le panthéon <strong>et</strong> les temples », dans « Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au<br />

Dictionnaire <strong>de</strong> la Bible 14, Paris, 2008, col. 356-371.<br />

— « La vengeance <strong>et</strong> les cas royaux », dans « Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au<br />

Dictionnaire <strong>de</strong> la Bible 14, Paris, 2008, col. 435-436.<br />

— « Chroniques du Moyen-Euphrate 6. Mesures mariotes avant la babylonisation <strong>de</strong><br />

l’écriture », RA 100, 2006 [2007], p. 97-99.


ASSYRIOLOGIE 579<br />

— « “Un habit pour un oracle ! ” À propos d’une prophétie <strong>de</strong> Mari », dans T. Tarhan,<br />

A. Tib<strong>et</strong> & E. Konyar (éd.), Muhibbe Darga Armagani, Istanbul, 2008, p. 231-235.<br />

Notes brèves<br />

— « Le nom du désert en amorrite », NABU 2007/56.<br />

— « À propos <strong><strong>de</strong>s</strong> shakkanakku <strong>de</strong> Mari », NABU 2008/18.<br />

— « ARM XXI 59 // ARM XXI 396 », NABU 2008/19.<br />

— « Nouveaux textes <strong>de</strong> Tell Tâban », NABU 2008/43.<br />

Colloques<br />

Le professeur a organisé une table ron<strong>de</strong> se tenant à la fondation Hugot du<br />

<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, ayant pour thème, « Les Shakkanakku <strong>de</strong> Mari, état <strong>de</strong> la<br />

question », le 7 décembre 2007 <strong>et</strong> y a présenté une communication sur « la réforme<br />

<strong>de</strong> l’écriture à Mari ».<br />

Le professeur a organisé avec N. Ziegler une table ron<strong>de</strong> se tenant à la fondation<br />

Hugot du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ayant pour thème « Du Habur vers l’Euphrate au<br />

II e millénaire. Recherches <strong>de</strong> géographie historique », le 10 décembre 2007, <strong>et</strong> y a<br />

présenté une communication sur « Le royaume <strong>de</strong> Nagar d’après les archives d’Ebla<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> Mari ».<br />

Le professeur a participé aux 8 e journées d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> franco-syriennes sur les<br />

Archives <strong>de</strong> Mari (14-15 avril 2008), à Damas, sur le thème « Originalité <strong>de</strong> la<br />

culture syrienne dans l’Antiquité » où il a présenté une communication sur<br />

« l’écriture en Syrie à l’époque amorrite ».<br />

Le professeur a organisé le 5 e colloque orientaliste « Divination <strong>et</strong> magie dans<br />

les cultures <strong>de</strong> l’Orient », au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, les 19-20 juin 2008, en collaboration<br />

avec les P r P. Filliozat, J.-P. Mahé, <strong>et</strong> J.-L. Bacqué-Grammont.<br />

Invitations<br />

Deux professeurs étrangers ont été invités à donner <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong>. M me Maria Giovanna Biga, Professeur à l’Université « La Sapienza » <strong>de</strong><br />

Rome, en février 2008, a présenté quatre conférences sur le thème « La Syrie au<br />

III e millénaire av. J.-C. d’après les archives d’Ebla », <strong>et</strong> M. Leonid Kogan, Professeur<br />

à l’Université d’Etat <strong>de</strong> Russie, a présenté quatre conférences sur le thème « Les<br />

noms <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes akkadiennes dans leur contexte sémitique ».<br />

Missions <strong>de</strong> terrain<br />

Le professeur a accompli 3 missions en Syrie. Une première d’une semaine en<br />

janvier 2008 <strong>de</strong> déchiffrement <strong>de</strong> textes cunéiformes au musée <strong>de</strong> Raqqa (Syrie).<br />

Une secon<strong>de</strong> d’un mois en avril 2008 <strong>et</strong> une troisième <strong>de</strong> trois semaines en<br />

septembre-octobre 2008 <strong>de</strong> déchiffrement <strong>de</strong> textes cunéiformes au musée <strong>de</strong><br />

Dêr ez-Zôr (Syrie).


Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong> achéméni<strong>de</strong><br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’empire d’Alexandre<br />

M. Pierre Briant, professeur<br />

Alexandre le Grand aujourd’hui (VI)<br />

Histoire d’Alexandre <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’expansion <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité européennes (iii).<br />

Alexandre dans l’œuvre <strong>de</strong> Voltaire.<br />

Introduit à plusieurs reprises ici même <strong>de</strong>puis trois ans, Voltaire l’a été d’une<br />

manière à la fois indirecte <strong>et</strong> insistante l’an <strong>de</strong>rnier, puisque l’on avait dédié une<br />

gran<strong>de</strong> partie du <strong>cours</strong> à l’analyse du Siècle d’Alexandre (1762 1 ; 1769 2 ), dont<br />

l’auteur (Lingu<strong>et</strong>) se présentait sans mo<strong><strong>de</strong>s</strong>tie comme l’héritier <strong>et</strong> le défenseur <strong>de</strong><br />

la métho<strong>de</strong> historienne <strong>de</strong> Voltaire ; d’une certaine manière Lingu<strong>et</strong> développa<br />

jusqu’à son terme la fameuse affirmation <strong>de</strong> Voltaire, selon laquelle il n’existait<br />

guère au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’histoire que quatre siècles dignes d’être maintenus dans la<br />

mémoire <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes ; le Siècle d’Alexandre venait en premier (Annuaire 2006-7,<br />

p. 618-622). L’on sait que traditionnellement Voltaire est considéré comme l’un<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> trois auteurs (avec Montesquieu <strong>et</strong> Lingu<strong>et</strong>) à s’être montrés « favorables au<br />

conquérant ». L’on a déjà observé pourquoi une telle opinion, sans être erronée,<br />

reste partielle <strong>et</strong> lacunaire (Annuaire 2004-5, p. 595-6). On a aussi rappelé qu’aux<br />

yeux d’Elias Bikerman (Renaissance 1944/5), Voltaire <strong>et</strong> les déistes anglais avaient<br />

déjà partiellement formulé la conception que Droysen exprima d’un Alexandre<br />

ouvrant la voie qui allait mener à l’avènement du christianisme. C’est à définir plus<br />

précisément la place <strong>de</strong> Voltaire dans l’historiographie d’Alexandre qu’a été<br />

consacré le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année, mais aussi, bien entendu, à m<strong>et</strong>tre au jour les<br />

raisons pour lesquelles Voltaire a si fréquemment introduit le cas d’Alexandre dans<br />

le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> son œuvre.<br />

Contrairement à Montesquieu (qui a réservé au suj<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> développements très<br />

cohérents <strong>et</strong> très argumentés dans l’Esprit <strong><strong>de</strong>s</strong> Lois X.13-14 <strong>et</strong> XXI.8), <strong>et</strong> à Lingu<strong>et</strong><br />

(qui lui a consacré un livre), ou encore à <strong><strong>de</strong>s</strong> auteurs d’histoire grecque qui, tels<br />

Rollin <strong>et</strong> Mably en <strong>France</strong>, ont explicité dans <strong><strong>de</strong>s</strong> chapitres parfois très longs leurs


582 PIERRE BRIANT<br />

vues sur le conquérant <strong>et</strong> les résultats <strong>de</strong> sa conquête, Voltaire n’a jamais ressenti<br />

la nécessité <strong>de</strong> consacrer un développement suivi <strong>et</strong> spécifique à Alexandre, encore<br />

moins un livre.<br />

On s’est interrogé sur ce constat. L’une <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons, probablement la raison<br />

première, c’est qu’aux yeux <strong>de</strong> Voltaire, il n’était d’histoire que mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong><br />

contemporaine, c’est-à-dire l’histoire née du mouvement nouveau créé <strong>et</strong> symbolisé<br />

par l’imprimerie, la boussole, la conquête turque <strong>de</strong> Constantinople, <strong>et</strong> plus encore<br />

par les découvertes <strong>et</strong> la dilatation du mon<strong>de</strong> connu :<br />

« Un nouveau système <strong>de</strong> politique s’établit ; on fait, avec le se<strong>cours</strong> <strong>de</strong> la boussole, le tour<br />

<strong>de</strong> l’Afrique, <strong>et</strong> on commerce avec la Chine plus aisément que <strong>de</strong> Paris à Madrid. L’Amérique<br />

est découverte ; on subjugue un nouveau mon<strong>de</strong>, <strong>et</strong> le nôtre est presque tout changé ;<br />

l’Europe chrétienne <strong>de</strong>vient une espèce <strong>de</strong> république immense, où la balance du pouvoir<br />

est établie mieux qu’elle ne le fut en Grèce. Une correspondance perpétuelle en lie toutes les<br />

parties, malgré les guerres que l’ambition <strong><strong>de</strong>s</strong> rois suscite, <strong>et</strong> même malgré les guerres <strong>de</strong><br />

religion, encore plus <strong><strong>de</strong>s</strong>tructives. Les arts, qui font la gloire <strong><strong>de</strong>s</strong> États, sont portés à un<br />

point que la Grèce <strong>et</strong> Rome ne connurent jamais. Voilà l’histoire qu’il faut que tout homme<br />

sache ; c’est là qu’on ne trouve ni prédictions chimériques, ni oracles menteurs, ni faux<br />

miracles, ni fables insensées : tout y est vrai, aux p<strong>et</strong>its détails près, dont il n’y a que les<br />

p<strong>et</strong>its esprits qui se soucient beaucoup… » (Remarques sur l’histoire 1742).<br />

L’opposition est fermement marquée avec l’histoire ancienne, royaume <strong><strong>de</strong>s</strong> fables,<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> légen<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mensonges. (« Faut-il qu’au siècle où nous vivons on imprime<br />

encore le conte <strong><strong>de</strong>s</strong> Oreilles <strong>de</strong> Smerdis, <strong>et</strong> <strong>de</strong> Darius qui fut déclaré roi par son<br />

cheval, lequel hennit le premier ?... »). D’où ses conseils aux jeunes hommes « d’avoir<br />

une légère teinture <strong>de</strong> ces temps reculés ». Une étu<strong>de</strong> sérieuse <strong>de</strong> l’histoire ne <strong>de</strong>vrait<br />

se faire que <strong>de</strong>puis « le temps où elle <strong>de</strong>vient réellement intéressante pour nous : il<br />

me semble que c’est vers la fin du xv e siècle […] ».<br />

Tout est dit (<strong>et</strong> souvent répété !) : mépris pour les contes <strong>et</strong> légen<strong><strong>de</strong>s</strong>, refus <strong>de</strong><br />

l’érudition, admiration pour les transformations du mon<strong>de</strong> induites par les gran<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

découvertes…, tout éloigne Voltaire d’un intérêt intrinsèque pour l’histoire ancienne.<br />

Certes, il établit <strong><strong>de</strong>s</strong> distinctions : pour lui comme chez tous ses contemporains<br />

(Rollin, Mably) <strong>et</strong> prédécesseurs (Bossu<strong>et</strong>), on connaît mieux l’histoire ancienne à<br />

partir <strong>de</strong> la confrontation entre Grecs <strong>et</strong> Perses (cf. « Histoire » dans Encyclopédie,<br />

1765, ou Pyrrhonisme IX, 1768). Mais, fondamentalement, l’Antiquité n’est pas pour<br />

lui un obj<strong>et</strong> d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> digne pour l’historien : elle reste d’abord <strong>et</strong> avant tout une<br />

référence, où l’on peut puiser <strong><strong>de</strong>s</strong> exemples <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> précé<strong>de</strong>nts. De même pour l’histoire<br />

d’Alexandre, car les contradictions entre auteurs anciens paraissent insurmontables,<br />

sauf pour les « compilateurs,… mo<strong>de</strong>rnes perroqu<strong>et</strong>s qui répètent <strong><strong>de</strong>s</strong> paroles<br />

anciennes… » (Bible, 1776). Il convient donc <strong>de</strong> s’en tenir à l’essentiel, soit :<br />

« Après c<strong>et</strong>te guerre du Péloponnèse, décrite par Thucydi<strong>de</strong>, vient le tems célèbre<br />

d’Alexandre, prince digne d’être élevé par Aristote, qui fon<strong>de</strong> beaucoup plus <strong>de</strong> villes que<br />

les autres n’en ont détruit, & qui change le commerce <strong>de</strong> l’Univers » (Encyclopédie,<br />

Histoire).


HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE 583<br />

En-<strong>de</strong>hors <strong>de</strong> l’entrée « Alexandre » <strong><strong>de</strong>s</strong> Questions sur l’Encyclopédie (1771) <strong>et</strong><br />

plus encore le commentaire sur le Livre II <strong><strong>de</strong>s</strong> Maccabées dans La Bible enfin<br />

expliquée (1776), les références à Alexandre sont casuelles <strong>et</strong> le plus souvent<br />

répétitives. Au fond, si l’on voulait résumer son opinion positive, ou sa thèse, sur<br />

le roi macédonien, il suffirait presque <strong>de</strong> citer ses Conseils à un journaliste sur la<br />

philosophie, l’histoire, le théâtre (1737) :<br />

« Si vous ren<strong>de</strong>z compte <strong>de</strong> l’histoire ancienne, proscrivez, je vous en conjure, toutes ces<br />

déclamations contre certains conquérants. Laissez Juvénal <strong>et</strong> Boileau donner, du fond <strong>de</strong><br />

leur cabin<strong>et</strong>, <strong><strong>de</strong>s</strong> ridicules à Alexandre, qu’ils eussent fatigué d’encens s’ils avaient vécu sous<br />

lui ; qu’ils appellent Alexandre insensé ; vous, philosophe impartial, regar<strong>de</strong>z dans Alexandre<br />

ce capitaine général <strong>de</strong> la Grèce… chargé <strong>de</strong> venger son pays… Ne le faites pas voir<br />

seulement subjuguant tout l’empire <strong>de</strong> l’ennemi <strong><strong>de</strong>s</strong> Grecs, <strong>et</strong> portant ses conquêtes jusqu’à<br />

l’In<strong>de</strong>, où s’étendait la domination <strong>de</strong> Darius ; mais représentez-le donnant <strong><strong>de</strong>s</strong> lois au<br />

milieu <strong>de</strong> la guerre, formant <strong><strong>de</strong>s</strong> colonies, établissant le commerce, fondant Alexandrie <strong>et</strong><br />

Scan<strong>de</strong>ron, qui sont aujourd’hui le centre du négoce <strong>de</strong> l’Orient. C’est là surtout qu’il faut<br />

considérer les rois ; <strong>et</strong> c’est ce qu’on néglige. Quel bon citoyen n’aimera pas mieux qu’on<br />

l’entr<strong>et</strong>ienne <strong><strong>de</strong>s</strong> villes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> ports que César a bâtis, du calendrier qu’il a réformé, <strong>et</strong>c., que<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> hommes qu’il a fait égorger ?» (Œuvres XXII, p. 244).<br />

En <strong>de</strong>ux mots : contre les « déclamateurs » qui, tel Boileau, ont déconsidéré<br />

Alexandre en conquérant <strong>et</strong> en guerrier téméraire <strong>et</strong> insensé, il convient <strong>de</strong> voir en<br />

lui un Législateur, <strong>et</strong> l’ouvreur <strong>de</strong> routes commerciales nouvelles semées <strong>de</strong> villes<br />

neuves, dont le rôle commercial reste toujours aussi puissant <strong>de</strong> notre temps<br />

(c’est-à-dire celui <strong>de</strong> Voltaire).<br />

Il y a évi<strong>de</strong>mment ici <strong>et</strong> là <strong><strong>de</strong>s</strong> jugements moins favorables, car le contexte<br />

discursif l’impose. Ainsi dans les Dialogues d’Evhémère (1777), le dialogue entre<br />

Evhémère <strong>et</strong> Callicrate, au <strong>cours</strong> duquel le philosophe réduit Alexandre à un<br />

guerrier assoiffé <strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>tructions <strong>et</strong> <strong>de</strong> sang :<br />

« Je ne l’ai vu que dans l’In<strong>de</strong> <strong>et</strong> dans Babylone, où j’avais couru comme les autres, dans<br />

la vaine espérance <strong>de</strong> m’instruire. On m’a dit qu’en eff<strong>et</strong> il avait commencé ses expéditions<br />

comme un héros, mais il les a finies comme un fou : j’ai vu ce <strong>de</strong>mi-dieu, <strong>de</strong>venu le plus<br />

cruel <strong><strong>de</strong>s</strong> barbares après avoir été le plus humain <strong><strong>de</strong>s</strong> Grecs. J’ai vu le sobre disciple<br />

d’Aristote changé en un méprisable ivrogne. J’arrivai auprès <strong>de</strong> lui lorsqu’au sortir <strong>de</strong> table<br />

il s’avisa <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre le feu au superbe temple d’Esthékar, pour contenter le caprice d’une<br />

misérable débauchée nommée Thaïs. Je le suivis dans ses folies <strong>de</strong> l’In<strong>de</strong> ; enfin je l’ai vu<br />

mourir à la fleur <strong>de</strong> son âge dans Babylone, pour s’être enivré comme le <strong>de</strong>rnier <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

goujats <strong>de</strong> son armée ».<br />

On r<strong>et</strong>rouve là les accusations habituellement portées <strong>de</strong>puis l’Antiquité contre<br />

l’évolution jugée négative d’Alexandre (<strong><strong>de</strong>s</strong>truction <strong>de</strong> Persépolis, massacres en<br />

In<strong>de</strong>, ivrognerie…), accusations que l’on trouve aussi au xviii e siècle chez <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

auteurs (Rollin, Mably), contre lesquels Voltaire a polémiqué régulièrement. De<br />

même la position d’Alexandre est plutôt reléguée dans l’ombre dès lors que Voltaire<br />

oppose les victoires militaires du roi macédonien à « ce que Pierre le Grand a fait<br />

d’utile pour le genre humain » (L<strong>et</strong>tre à Prévost d’Exiles du 16 mars 1737), ou qu’il<br />

adresse <strong><strong>de</strong>s</strong> louanges <strong>de</strong> courtisan à Catherine : « Elle me paraît autant au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus<br />

d’Alexandre que le fondateur est au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus du <strong><strong>de</strong>s</strong>tructeur » (L<strong>et</strong>tre à Shouvalov du


584 PIERRE BRIANT<br />

18 février 1768). Il n’entend pas non plus nier ou passer sous silence les meurtres<br />

jugés inexcusables : « Celui qui, en écrivant l’histoire d’Alexandre, nierait ou<br />

excuserait le meurtre <strong>de</strong> Clitus, s’attirerait le mépris <strong>et</strong> l’indignation » (L<strong>et</strong>tre au<br />

même du 27 mai 1759).<br />

Lancées dans le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> propos très polémiques <strong>et</strong> très engagés (auprès <strong>de</strong><br />

souverains dont il loue les qualités en les opposant aux vices d’Alexandre), ou<br />

introduites au <strong>cours</strong> d’un dialogue dont Voltaire n’est pas à proprement parler un<br />

locuteur, ces accusations ne sont que <strong>de</strong> peu <strong>de</strong> poids dès lors qu’on les rapporte<br />

à l’ensemble <strong>de</strong> l’œuvre. De toute façon, les « vices privés » d’Alexandre sont<br />

parfaitement compatibles avec ses « vertus publiques 1 », exactement comme dans<br />

le cas <strong>de</strong> Pierre <strong>de</strong> Russie :<br />

« Il avait <strong>de</strong> grands défauts, sans doute ; mais n’étaient-ils pas couverts par c<strong>et</strong> esprit<br />

créateur, par c<strong>et</strong>te foule <strong>de</strong> proj<strong>et</strong>s tous imaginés pour la gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> son pays, <strong>et</strong> dont<br />

plusieurs ont été exécutés ? N’a-t-il pas établi les arts ? N’a-t-il pas enfin diminué le<br />

nombre <strong><strong>de</strong>s</strong> moines ? Votre Altesse royale a gran<strong>de</strong> raison <strong>de</strong> détester ses vices <strong>et</strong> sa<br />

férocité 2 […] Je ne dissimulerai pas ses fautes, mais j’élèverai le plus haut que je pourrai,<br />

non seulement ce qu’il a fait <strong>de</strong> grand <strong>et</strong> <strong>de</strong> beau, mais ce qu’il a voulu faire. Je voudrais<br />

qu’on eût j<strong>et</strong>é au fond <strong>de</strong> la mer toutes les histoires qui ne nous r<strong>et</strong>racent que les vices<br />

<strong>et</strong> les fureurs <strong><strong>de</strong>s</strong> rois […] » (L<strong>et</strong>tre à Frédéric en janvier 1738).<br />

C’est ce qui explique que Voltaire a repris inlassablement les mêmes propos<br />

favorables à Alexandre dans nombre <strong>de</strong> ses œuvres, par exemple :<br />

« Il n’est plus permis <strong>de</strong> parler d’Alexandre que pour dire <strong><strong>de</strong>s</strong> choses neuves <strong>et</strong> pour<br />

détruire les fables historiques, physiques <strong>et</strong> morales, dont on a défiguré l’histoire du seul<br />

grand homme qu’on ait jamais vu parmi les conquérants <strong>de</strong> l’Asie.<br />

Quant on a un peu réfléchi sur Alexandre, qui, dans l’âge fougueux <strong><strong>de</strong>s</strong> plaisirs <strong>et</strong> dans<br />

l’ivresse <strong><strong>de</strong>s</strong> conquêtes, a bâti plus <strong>de</strong> villes que tous les autres vainqueurs <strong>de</strong> l’Asie n’en<br />

ont détruit, quand on songe que c’est un jeune homme qui a changé le commerce du<br />

mon<strong>de</strong>, on trouve assez étrange que Boileau le traite <strong>de</strong> fou, <strong>de</strong> voleur <strong>de</strong> grand chemin,<br />

<strong>et</strong> qu’il propose au lieutenant <strong>de</strong> police la Reynie, tantôt <strong>de</strong> le faire enfermer <strong>et</strong> tantôt <strong>de</strong><br />

le faire pendre… ».<br />

« Tout ce qu’on peut recueillir <strong>de</strong> certain, c’est qu’Alexandre, à l’âge <strong>de</strong> vingt-quatre ans,<br />

avait conquis la Perse par trois batailles, qu’il eut autant <strong>de</strong> génie que <strong>de</strong> valeur ; qu’il<br />

changea la face <strong>de</strong> l’Asie, <strong>de</strong> la Grèce, <strong>de</strong> l’Égypte, <strong>et</strong> celle du commerce du mon<strong>de</strong> ; <strong>et</strong><br />

qu’enfin Boileau ne <strong>de</strong>vait pas tant se moquer <strong>de</strong> lui, attendu qu’il n’y a pas d’apparence<br />

que Boileau en eût fait autant en si peu d’années » (Questions sur l’Encyclopédie, s.v.<br />

Alexandre. 1771).<br />

1. Voir par exemple l’échange <strong>de</strong> l<strong>et</strong>tres entre Voltaire <strong>et</strong> Frédéric <strong>de</strong> Prusse en janvier-février<br />

1774 : « Alexandre, le plus dissolu <strong>et</strong> le plus emporté <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes […] Il est certain qu’un<br />

caractère aussi peu modéré ne pouvait en aucune façon être comparé à Socrate. Mais il est vrai<br />

aussi que si Socrate s’était trouvé à la tête <strong>de</strong> l’expédition contre les Perses, il n’aurait peut-être<br />

pas égalé l’activité ni les résolutions hardies par lesquelles Alexandre dompta tant <strong>de</strong> nations »<br />

(réponse <strong>de</strong> Frédéric).<br />

2. A ce point, rapprochement avec Alexandre <strong>et</strong> le meurtre <strong>de</strong> Clitus.


Ou encore :<br />

HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE 585<br />

« Alexandre, que <strong><strong>de</strong>s</strong> déclamateurs n’ont regardé que comme un <strong><strong>de</strong>s</strong>tructeur, <strong>et</strong> qui<br />

cependant fonda plus <strong>de</strong> villes qu’il n’en détruisit, homme sans doute digne du nom <strong>de</strong><br />

grand malgré ses vices, avait <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné sa ville d’Alexandrie à être le centre du commerce <strong>et</strong><br />

le lien <strong><strong>de</strong>s</strong> nations : elle l’avait été en eff<strong>et</strong>, <strong>et</strong> sous les Ptolémées, <strong>et</strong> sous les Romains, <strong>et</strong><br />

sous les Arabes. Elle était l’entrepôt <strong>de</strong> l’Égypte, <strong>de</strong> l’Europe <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> In<strong><strong>de</strong>s</strong> » (Essai sur les<br />

mœurs, Chap. CXLI).<br />

« Les Orientaux comparent Tamerlan à Alexandre ; mais [il est] fort inférieur au<br />

Macédonien, en ce qu’il naquit chez une nation barbare, <strong>et</strong> qu’il détruisit beaucoup <strong>de</strong><br />

villes comme Gengis, sans en bâtir une seule : au lieu qu’Alexandre, dans une vie très<br />

courte, <strong>et</strong> au milieu <strong>de</strong> ses conquêtes rapi<strong><strong>de</strong>s</strong>, construisit Alexandrie <strong>et</strong> Scan<strong>de</strong>ron, rétablit<br />

c<strong>et</strong>te même Samarcan<strong>de</strong>, qui fut <strong>de</strong>puis le siège <strong>de</strong> l’empire <strong>de</strong> Tarmerlan, <strong>et</strong> bâtit <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

villes jusque dans les In<strong><strong>de</strong>s</strong>, établit <strong><strong>de</strong>s</strong> colonies grecques au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’Oxus, envoya en<br />

Grèce les observations <strong>de</strong> Babylone, <strong>et</strong> changea la face du commerce <strong>de</strong> l’Asie, <strong>de</strong> l’Europe<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Afrique, dont Alexandrie <strong>de</strong>vint le magasin universel. Voilà, ce me semble, en quoi<br />

Alexandre l’emporte sur Tamerlan, sur Gengis, <strong>et</strong> sur tous les conquérants qu’on veut lui<br />

égaler » (Essai sur les mœurs, I, p. 807).<br />

La plume se fait même plus élogieuse encore dans l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>rnières œuvres <strong>de</strong><br />

Voltaire, La Bible enfin expliquée (1776), où il reprend <strong><strong>de</strong>s</strong> idées <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> jugements<br />

déjà exposés à plusieurs reprises, mais auxquels il donne une vigueur encore accrue.<br />

Il polémique contre tous les auteurs <strong>de</strong> son temps, y compris « <strong><strong>de</strong>s</strong> compilateurs<br />

estimables » (Pri<strong>de</strong>aux, Rollin), qui ont répété <strong><strong>de</strong>s</strong> fables inventées par Diodore,<br />

Plutarque, Justin. Il estime qu’Alexandre a mené une « guerre légitime », <strong>et</strong> une<br />

entreprise qui se distingue par ce qu’elle a légué à l’avenir, en particulier <strong><strong>de</strong>s</strong> villes<br />

nombreuses <strong>et</strong> un développement inédit <strong><strong>de</strong>s</strong> liaisons commerciales. « J’oserais lui<br />

rendre grâce au nom du genre humain ».<br />

L’image que Voltaire s’est faite d’Alexandre s’insère parfaitement dans son<br />

dis<strong>cours</strong> sur le héros <strong>et</strong> le grand homme 3 . Comme il le précise dans son article<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Questions sur l’Encyclopédie, la seule « valeur » (dans le domaine militaire) n’est<br />

pas le critère <strong>de</strong> distinction décisif : il faut aussi du « génie » (dans le domaine <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

réalisations durables). Tel est bien le cas d’Alexandre, dont le génie a été utile au<br />

genre humain (fondations <strong>de</strong> villes, extension du commerce). En cela le roi<br />

macédonien est ‘mo<strong>de</strong>rne’. Au <strong>de</strong>meurant, dans le chapitre CXLI <strong>de</strong> l’Essai sur les<br />

mœurs sur le commerce <strong><strong>de</strong>s</strong> Portugais, Voltaire interprète aussi le voyage <strong>de</strong> Vasco<br />

<strong>de</strong> Gama comme une sorte <strong>de</strong> fin <strong>de</strong> cycle ouvert par Alexandre : la circumnavigation<br />

<strong>de</strong> l’Afrique « changea le commerce <strong>de</strong> l’Univers », <strong>et</strong> elle vint m<strong>et</strong>tre fin à la<br />

prospérité d’Alexandrie, que son fondateur (« homme sans doute digne du nom <strong>de</strong><br />

grand malgré ses vices ») « avait <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné[e] à être le centre du commerce <strong>et</strong> le lien<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> nations ». Parlant <strong>de</strong> l’empire d’Alexandre, Voltaire aurait donc pu parfaitement<br />

utiliser la formule introduite pour caractériser le mon<strong>de</strong> nouveau né après les<br />

3. Entre autres nombreux exemples, cf. la l<strong>et</strong>tre à M. Thériot (15 juill<strong>et</strong> 1735) : « J’appelle<br />

grands hommes tous ceux qui ont excellé dans l’utile ou dans l’agréable. Les saccageurs <strong>de</strong><br />

provinces ne sont que héros. »


586 PIERRE BRIANT<br />

gran<strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes : « Une correspondance perpétuelle en lie toutes les parties ».<br />

En cela, Alexandre n’est pas simplement un précé<strong>de</strong>nt, il est aussi un pionnier <strong>de</strong><br />

l’aventure européenne.<br />

C’est la raison pour laquelle Voltaire place Alexandre parmi les très rares<br />

personnages qui ont réellement modifié leur temps, d’où l’expression « Siècle<br />

d’Alexandre » : « On n’a point assez remarqué, que le temps d’Alexandre fit une<br />

révolution dans l’esprit humain aussi gran<strong>de</strong> que celle <strong><strong>de</strong>s</strong> empires <strong>de</strong> la terre. »<br />

Dans l’esprit <strong>de</strong> Voltaire, Alexandre est l’héritier d’Athènes (« c<strong>et</strong>te lumière venait<br />

<strong>de</strong> la seule Athènes »), mais en même temps, « nul homme n’eut plus d’esprit, plus<br />

<strong>de</strong> grâces <strong>et</strong> <strong>de</strong> goût, plus d’amour pour les sciences que ce conquérant [….] Ce<br />

fut un temps à peu près semblable à ce qu’on vit <strong>de</strong>puis sous César <strong>et</strong> Auguste, <strong>et</strong><br />

sous les Médicis. Les hommes s’accoutumèrent peu-à-peu à penser plus<br />

raisonnablement… ». Même sous une forme balbutiante <strong>et</strong> très incomplète, c’est<br />

en quelque sorte le premier siècle <strong><strong>de</strong>s</strong> lumières à l’échelle du mon<strong>de</strong> connu : « Une<br />

nouvelle lumière, quoique mêlée d’ombres épaisses, vint éclairer l’Europe, l’Asie,<br />

<strong>et</strong> une partie <strong>de</strong> l’Afrique septentrionale ».<br />

Grâce à Alexandre <strong>et</strong> à ses généraux, la richesse <strong>de</strong> la pensée <strong>et</strong> <strong>de</strong> la réflexion<br />

grecques passa aux « Juifs hellénistes ». À terme, « c’est dans le second livre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Maccabées que l’on voit pour la première fois une notion claire <strong>de</strong> la vie éternelle<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> la résurrection, qui <strong>de</strong>vint bientôt le dogme <strong><strong>de</strong>s</strong> pharisiens. On remarque<br />

encore dans ce second livre la croyance anticipée d’une espèce <strong>de</strong> purgatoire… ».<br />

C’est évi<strong>de</strong>mment c<strong>et</strong>te œuvre <strong>de</strong> Voltaire que Bikerman avait à l’esprit lorsque<br />

dans son article <strong>de</strong> 1944/5, il insiste sur le rôle pionnier joué par le philosophe<br />

français dans la mise au jour <strong>de</strong> ce qui sera, chez Droysen, la caractéristique<br />

fondamentale <strong>de</strong> l’époque hellénistique.<br />

L’histoire d’Alexandre s’intègre bien au souci <strong>de</strong> Voltaire <strong>de</strong> ne pas limiter ni<br />

restreindre le point <strong>de</strong> vue à la Grèce <strong>et</strong> à Rome 4 : Alexandre a parcouru tout<br />

l’espace entre la Macédoine <strong>et</strong> l’Indus, car son objectif constant a été la conquête <strong>de</strong><br />

tout l’empire achéméni<strong>de</strong> 5 . D’où aussi les comparaisons <strong>et</strong> rapprochements<br />

nombreux entre les différents « conquérants <strong>de</strong> l’Asie ». Il refuse toute assimilation<br />

entre Alexandre <strong>et</strong> Tamerlan, qui, en réalité, est « fort inférieur…, en ce qu’il naquit<br />

chez une nation barbare, <strong>et</strong> qu’il détruisit beaucoup <strong>de</strong> villes comme Gengis, sans en<br />

bâtir une seule… » (EM). L’opposition entre Tamerlan/barbare <strong>et</strong> Alexandre/civilisé<br />

va l’amener à évoquer parallèlement Alexandre <strong>et</strong> Pierre <strong>de</strong> Russie, l’un <strong>et</strong> l’autre<br />

confrontés à leurs barbares, Scythes dans le cas du premier, Tartares dans le cas du<br />

second. Traitant <strong>de</strong> la marche du Csar contre la Perse, Voltaire (Histoire <strong>de</strong> Russie)<br />

4. Voir par exemple Nouveau plan : « Frappés <strong>de</strong> l’éclat <strong>de</strong> c<strong>et</strong> empire [romain], <strong>de</strong> ses<br />

accroissements <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa chute, nous avons jusqu’à présent dans la plupart <strong>de</strong> nos histoires<br />

universelles traité les autres hommes comme s’ils n’existaient pas. La Grèce, les Romains, se sont<br />

emparés <strong>de</strong> toute notre attention… ».<br />

5. Comme bien d’autres idées <strong>de</strong> Voltaire, celle-ci fut reprise <strong>et</strong> développée par Lingu<strong>et</strong><br />

(Annuaire 2006-7, p. 625-6).


HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE 587<br />

ne manque pas <strong>de</strong> renvoyer à Alexandre, dès lors que Pierre parvient aux Portes <strong>de</strong><br />

Fer, <strong>et</strong> il souligne la nécessité <strong>de</strong> se protéger <strong><strong>de</strong>s</strong> barbares (en les attaquant). Scythes<br />

<strong>et</strong> Tartares ont en eff<strong>et</strong> ont été <strong>de</strong>puis l’Antiquité une menace constante 6 . Contre<br />

beaucoup d’auteurs (Sainctyon, Galand, P<strong>et</strong>is <strong>de</strong> la Croix…) qui ont écrit <strong><strong>de</strong>s</strong> pages<br />

très positives sur Gengis <strong>et</strong> sur Tamerlan, Voltaire ne croit pas que ni l’un ni l’autre<br />

puissent être rangés dans sa catégorie du « grand homme ». Il ne croit pas au « bon<br />

sauvage 7 ». C’est ce qui, dans le même ouvrage (Histoire <strong>de</strong> Russie) <strong>et</strong> ailleurs,<br />

l’amène à contester avec une extrême énergie la réalité du dis<strong>cours</strong> que Quinte-Curce<br />

fait tenir <strong>de</strong>vant Alexandre à un ambassa<strong>de</strong>ur scythe. Déjà introduit dans les<br />

discussions <strong><strong>de</strong>s</strong> érudits sur la crédibilité <strong>de</strong> l’auteur latin 8 , le passage est c<strong>et</strong>te fois<br />

utilisé par Voltaire à <strong><strong>de</strong>s</strong> fins <strong>de</strong> politique contemporaine. Il établit une assimilation<br />

entre les Scythes <strong>et</strong> les Tartares, <strong>et</strong> entre les Tartares <strong>et</strong> les Turcs :<br />

« Les Scythes sont ces mêmes barbares que nous avons <strong>de</strong>puis appelés Tartares ; ce sont<br />

ceux-là mêmes qui, longtemps avant Alexandre, avaient ravagé plusieurs fois l’Asie, <strong>et</strong> qui<br />

ont été les déprédateurs d’une gran<strong>de</strong> partie du continent. Tantôt, sous le nom <strong>de</strong><br />

Mongols ou <strong>de</strong> Huns, ils ont asservi la Chine <strong>et</strong> les In<strong><strong>de</strong>s</strong> ; tantôt, sous le nom <strong>de</strong> Turcs,<br />

ils ont chassé les Arabes qui avaient conquis une partie <strong>de</strong> l’Asie. C’est <strong>de</strong> ces vastes<br />

campagnes que partirent les Huns pour aller jusqu’à Rome. Voilà ces hommes désintéressés<br />

<strong>et</strong> justes dont nos compilateurs vantent encore aujourd’hui l’équité quand ils copient<br />

Quinte-Curce. C’est ainsi qu’on nous accable d’histoires anciennes, sans choix <strong>et</strong> sans<br />

jugement ; on les lit à peu près avec le même esprit qu’elles ont été faites, <strong>et</strong> on ne se m<strong>et</strong><br />

dans la tête que <strong><strong>de</strong>s</strong> erreurs ».<br />

Vis-à-vis <strong><strong>de</strong>s</strong> Tartares, Pierre, selon lui, se trouve donc dans la même situation<br />

qu’Alexandre face aux Scythes. Ils sont l’un <strong>et</strong> l’autre <strong><strong>de</strong>s</strong> « grands hommes », qui<br />

éten<strong>de</strong>nt le domaine <strong>de</strong> la civilisation, en utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> moyens i<strong>de</strong>ntiques ou<br />

comparables (fondations <strong>de</strong> ville, extension du commerce), qui ont permis au<br />

premier d’« embellir les déserts », contre <strong><strong>de</strong>s</strong> peuples voués à transformer les pays<br />

fertiles en autant <strong>de</strong> déserts :<br />

« Les rhéteurs qui ont cru imiter Quinte-Curce se sont efforcés <strong>de</strong> nous faire regar<strong>de</strong>r ces<br />

sauvages du Caucase <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> déserts, affamés <strong>de</strong> rapine <strong>et</strong> <strong>de</strong> carnage, comme les hommes<br />

du mon<strong>de</strong> les plus justes ; <strong>et</strong> ils ont peint Alexandre, vengeur <strong>de</strong> la Grèce <strong>et</strong> vainqueur<br />

<strong>de</strong> celui qui voulait l’asservir, comme un brigand qui courait le mon<strong>de</strong> sans raison <strong>et</strong> sans<br />

justice. On ne songe pas que ces Tartares ne furent jamais que <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>tructeurs, <strong>et</strong><br />

6. Sur ce point, on a présenté en détail le beau livre <strong>de</strong> Rolando Minuti, Oriente barbarico e<br />

storiografia s<strong>et</strong>tecentesca, Venise, 1994.<br />

7. Voir par exemple ce qu’il écrit à propos <strong><strong>de</strong>s</strong> Gaulois <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Germains dans l’Avant-Propos<br />

<strong>de</strong> l’EM (« Ce que nous savons <strong><strong>de</strong>s</strong> Gaulois, par Jules César <strong>et</strong> par les autres auteurs romains,<br />

nous donne l’idée d’un peuple qui avait besoin d’être soumis par une nation éclairée »), en<br />

concluant : « Vous avez donc gran<strong>de</strong> raison <strong>de</strong> vouloir passer d’un coup aux nations qui ont été<br />

civilisées les premières ».<br />

8. Cf. La Mothe Le Vayer dès 1646. Dans la <strong>de</strong>uxième édition <strong>de</strong> son Examen critique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

anciens historiens d’Alexandre (1804), Sainte-Croix consacre un long passage au dis<strong>cours</strong> scythe ;<br />

il considère que Quinte-Curce « y a très bien suivi le style sentencieux <strong>et</strong> figuré <strong>de</strong> l’éloquence<br />

propre aux nations sauvages » ; suit un rapprochement (classique à c<strong>et</strong>te époque) avec le dis<strong>cours</strong><br />

d’un chef indien <strong>de</strong> la nation Oneida, qu’il a lu dans le Voyage dans la Haute-Pensylvanie <strong>de</strong><br />

Crèvecœur (1801).


588 PIERRE BRIANT<br />

qu’Alexandre bâtit <strong><strong>de</strong>s</strong> villes dans leur propre pays ; c’est en quoi j’oserais comparer Pierre<br />

le Grand à Alexandre : aussi actif, aussi ami <strong><strong>de</strong>s</strong> arts utiles, plus appliqué à la législation,<br />

il voulut changer comme lui le commerce du mon<strong>de</strong>, <strong>et</strong> bâtit ou répara autant <strong>de</strong> villes<br />

qu’Alexandre » (Histoire <strong>de</strong> Russie).<br />

La comparaison entre Alexandre <strong>et</strong> Pierre n’est pas propre à Voltaire. L’un <strong>et</strong><br />

l’autre « ont voulu changer le commerce du mon<strong>de</strong> », <strong>et</strong> Saint-P<strong>et</strong>ersbourg est<br />

rapprochée d’Alexandrie, comme dans l’Éloge funèbre du Csar (« le conquérant<br />

académicien ») prononcé par Fontenelle <strong>de</strong>vant l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences en<br />

novembre 1725 :<br />

« C<strong>et</strong>te Ville, à qui il avait donné la naissance <strong>et</strong> son nom, était pour lui ce qu’était<br />

Alexandrie pour Alexandre son fondateur, <strong>et</strong> comme Alexandrie, se trouva si heureusement<br />

située qu’elle changea la face du Commerce d’alors, <strong>et</strong> en <strong>de</strong>vint la capitale à la place <strong>de</strong><br />

Tir, <strong>de</strong> même P<strong>et</strong>ersbourg changerait les Routes d’aujourd’huy <strong>et</strong> <strong>de</strong>viendrait le centre<br />

d’un <strong><strong>de</strong>s</strong> plus grands Commerces <strong>de</strong> l’Univers ».<br />

Mais, chez Voltaire, au-<strong>de</strong>là <strong><strong>de</strong>s</strong> Scythes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Tartares, ce sont les Turcs dont<br />

il est question, car ceux-ci « étaient compris parmi ces Tartares que l’Antiquité<br />

nommait Scythes » (EM, chap. LIII). Voltaire a en eff<strong>et</strong> soutenu sans faillir Pierre<br />

puis Catherine dans leur lutte contre les Turcs. Le débat sur le « dis<strong>cours</strong> scythe »<br />

<strong>et</strong> sur Quinte-Curce est un élément <strong>de</strong> la polémique pro-russe <strong>et</strong> anti-turque <strong>de</strong><br />

Voltaire, qui fut parfois d’une extrême violence.<br />

On est revenu sur Mably <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa contestation <strong><strong>de</strong>s</strong> positions <strong>de</strong> Voltaire, y<br />

compris le rapprochement entre Alexandre <strong>et</strong> Pierre. Mably y recourt lui aussi,<br />

mais dans un sens opposé à celui que Voltaire a voulu lui donner. Après avoir mis<br />

fortement en doute dans ses Observations sur les Grecs (1749 <strong>et</strong> 1762) la vision<br />

développée par Montesquieu d’un Alexandre Législateur 9 , il fait <strong>de</strong> même <strong>de</strong><br />

l’image <strong>de</strong> Pierre chez Voltaire dans De l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’histoire (1783). La solidité <strong>de</strong><br />

l’œuvre <strong>de</strong> Pierre avait déjà été mise en doute par Rousseau dans le Contrat social<br />

(1762), contre lequel Voltaire avait polémiqué dans la Préface <strong>de</strong> l’Histoire <strong>de</strong><br />

Russie 10 . Mably y revient en 1783 :<br />

« Vous avez créé <strong><strong>de</strong>s</strong> matelots, <strong><strong>de</strong>s</strong> constructeurs, <strong><strong>de</strong>s</strong> soldats, <strong><strong>de</strong>s</strong> commerçants, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

artistes ; mais si vous ne leur avez pas d’abord appris à être citoyens, quel avantage durable<br />

la Russie r<strong>et</strong>irera-t-elle <strong>de</strong> vos <strong>travaux</strong>, <strong>de</strong> leurs connaissances <strong>et</strong> <strong>de</strong> vos talents ? Ce n’est<br />

point par ses chantiers, ses canaux <strong>et</strong> ses digues que la Hollan<strong>de</strong> est admirable, c’est par<br />

c<strong>et</strong> esprit qui l’a formée, c’est par les lois qui ont établi sa liberté ».<br />

Le rapprochement qui suit entre Pierre <strong>et</strong> Alexandre, vient redoubler la polémique<br />

menée par Mably contre Montesquieu :<br />

« Rien n’était impossible à Alexandre, <strong>et</strong> il aurait pu donner aux Perses même le goût <strong>de</strong><br />

la liberté, s’il eût été capable d’en concevoir le <strong><strong>de</strong>s</strong>sein. On peut reprocher au czar Pierre<br />

9. « Montesquieu, Mably <strong>et</strong> Alexandre le Grand », Revue Montesquieu 8, 2005-2006,<br />

p. 151-185.<br />

10. Sur la polémique entre Voltaire <strong>et</strong> Rousseau, c<strong>et</strong>te fois à propos d’Alexandre, voir L<strong>et</strong>tre à<br />

Frédéric <strong>de</strong> Prusse vers le 25 janvier 1774, <strong>et</strong> la réponse du roi en date du 16 février 1774.


HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE 589<br />

premier <strong>de</strong> n’avoir pas profité <strong>de</strong> ses succès <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses victoires pour établir un nouveau<br />

gouvernement dans son pays. C’est pour ne l’avoir pas du moins tenté, qu’il sera confondu<br />

avec les princes qui ont un règne glorieux ; mais il ne sera jamais placé au rang <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

législateurs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> bienfaiteurs <strong>de</strong> leur nation ».<br />

Pour terminer, on a explicité <strong>et</strong> analysé les vues <strong>de</strong> Voltaire sur les ruines <strong>de</strong><br />

Persépolis, <strong>et</strong> on les a évaluées <strong>et</strong> interprétées dans le contexte <strong><strong>de</strong>s</strong> récits <strong>de</strong><br />

voyageurs, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur l’histoire <strong>de</strong> la civilisation <strong>et</strong> sur l’histoire <strong>de</strong> l’art.<br />

Voltaire se place résolument du côté <strong>de</strong> ceux qui (<strong>de</strong> Pauw par exemple), comme<br />

Winckelmann, méprisent l’art <strong>de</strong> Persépolis, au motif qu’il n’y a <strong>de</strong> beauté qu’à<br />

Athènes <strong>et</strong> en Grèce (cf. par exemple EM, Introduction, chap. XXIV ; voir aussi<br />

Annuaire 2006-7, p. 621-622, à propos <strong>de</strong> Lingu<strong>et</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses vues sur l’art perse,<br />

largement empruntées à Voltaire). L’on a complété l’analyse par un exposé du<br />

débat né sur ce thème entre le comte <strong>de</strong> Caylus <strong>et</strong> le baron <strong>de</strong> Sainte-Croix.<br />

Séminaire<br />

Le Séminaire a eu lieu sous forme d’un Colloque international tenu au <strong>Collège</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>France</strong> les 9 <strong>et</strong> 10 novembre 2007 sur le suj<strong>et</strong> suivant : « Organisation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

pouvoirs <strong>et</strong> contacts culturels dans les pays <strong>de</strong> l’empire achéméni<strong>de</strong> ».<br />

Cours à l’étranger<br />

Oxford, 27-28 novembre 2007 : 1. From Darius to Alexan<strong>de</strong>r : some thoughts about<br />

continuity and change (Classics Centre); 2. Achaemenid Art and the Intern<strong>et</strong> (Maison française<br />

d’Oxford).<br />

Conférences <strong>et</strong> participations à <strong><strong>de</strong>s</strong> Colloques<br />

4 avril 2008, University of Brown (E.U.), communication : From the Indus Countries to<br />

the Mediterranean : Administration and Logistics on the High Roads of the Achaemenid Empire,<br />

dans le cadre du Colloque Highways and Road Systems : Comparative Perspectives (4-6 April<br />

2008).<br />

7 avril 2008, University of Brown (E.U.), conférences : 1. The Virtual and Interactive<br />

Achaemenid Museum; 2. Alexan<strong>de</strong>r and the irrigation-works in Babylonia and Elam.<br />

8 avril 2008, Oriental Institute, Chicago, conference : The current state of the achemen<strong>et</strong><br />

and MAVI programs.<br />

11 avril 2008, University of Tampa (Flori<strong>de</strong>), communication : Who Spoke to Whom ?<br />

Languages and Communication in the Achaemenid World and Alexan<strong>de</strong>r’s Empire, dans le<br />

cadre <strong>de</strong> l’Annual Me<strong>et</strong>ing of the Association of Ancient Historians (April 10-13).<br />

Publications du professeur<br />

« Alexandre ‘héros <strong><strong>de</strong>s</strong> Lumières’ », in : Cahiers parisiens, 3, 2007, p. 321-345.<br />

« De Thémistocle à Lamartine. Remarques sur les concessions <strong>de</strong> terres <strong>et</strong> <strong>de</strong> villages en<br />

Asie mineure occi<strong>de</strong>ntale, <strong>de</strong> l’époque achéméni<strong>de</strong> à l’époque ottomane », in : P. Brun (éd.),<br />

Scripta Anatolica. Hommages à Pierre Debord (Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> 18), Bor<strong>de</strong>aux-Paris, 2007,<br />

p. 165-191.


590 PIERRE BRIANT<br />

« Histoire du Siècle d’Alexandre <strong>de</strong> Lingu<strong>et</strong> », Annuaire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> 197, 2006-7,<br />

p. 613-634.<br />

« L’Art achéméni<strong>de</strong> », in : Le profane <strong>et</strong> le divin. L’art <strong>de</strong> l’Antiquité. Fleurons du musée<br />

Barbier-Mueller, Genève, 2008, p. 106-115.<br />

« Michael Rostovtzeff <strong>et</strong> le passage du mon<strong>de</strong> achéméni<strong>de</strong> au mon<strong>de</strong> hellénistique »,<br />

Studi Ellenistici XX, 2008, p. 137-154.<br />

« R<strong>et</strong>our sur Alexandre <strong>et</strong> les katarrraktes du Tigre. II (Suite <strong>et</strong> fin) », Studi Ellenistici XX,<br />

2008, p. 155-218.<br />

Pouvoir central <strong>et</strong> polycentrisme culturel dans l’empire achéméni<strong>de</strong>. (Recueil d’articles traduits<br />

en persan par Nahid Forughan), Téhéran, Éd. Akhtaran, 2008<br />

Travaux <strong><strong>de</strong>s</strong> collaborateurs<br />

M. Wouter Henkelman (maître <strong>de</strong> conférences associé 2006-8) a achevé la<br />

révision <strong>de</strong> sa thèse (Lei<strong>de</strong>n 2006), qui doit paraître en octobre 2008 dans la<br />

collection Achaemenid History (Lei<strong>de</strong>n). Il a également contribué à l’édition<br />

scientifique <strong><strong>de</strong>s</strong> Actes du Colloque 2006 sur les archives <strong>de</strong> Persépolis, sous-presse<br />

dans la Collection Persika. Il a pris part à diverses missions dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

programmes achemen<strong>et</strong> <strong>et</strong> MAVI, dont il est maintenant co-directeur éditorial aux<br />

côtés <strong>de</strong> M me Yannick Lintz (Musée du Louvre), sous la direction du professeur.<br />

Il a donné <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences à l’EPHE (sur la langue élamite <strong><strong>de</strong>s</strong> tabl<strong>et</strong>tes <strong>de</strong><br />

Persépolis) <strong>et</strong> présenté <strong><strong>de</strong>s</strong> communications lors du Colloque achéméni<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

novembre 2007, <strong>et</strong> lors d’un Colloque organisé par J.-M. Durand en mai 2008.<br />

Enfin, W. Henkelman a effectué plusieurs séjours <strong>de</strong> travail à l’Oriental Institute<br />

<strong>de</strong> Chicago, dans le cadre du programme <strong>de</strong> publication <strong><strong>de</strong>s</strong> tabl<strong>et</strong>tes <strong>de</strong><br />

Persépolis.<br />

M. José Paumard, maître <strong>de</strong> conférences en Génie informatique à Paris-XIII, est<br />

<strong>de</strong>puis septembre 2007 rattaché aux chaires <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs Briant <strong>et</strong> Scheid.<br />

Directeur technique <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes achemen<strong>et</strong> <strong>et</strong> MAVI, il a poursuivi activement<br />

le développement d’une nouvelle version (dénommée Open melodie) du software,<br />

qui perm<strong>et</strong>tra au programme MAVI (ou à tout autre) <strong>de</strong> gérer ses données internes<br />

<strong>de</strong> façon autonome. Le <strong>de</strong>uxième objectif est <strong>de</strong> publier c<strong>et</strong>te plateforme sous<br />

licence open-source, <strong>de</strong> façon à perm<strong>et</strong>tre à toute équipe souhaitant m<strong>et</strong>tre en<br />

ligne <strong><strong>de</strong>s</strong> données scientifiques <strong>de</strong> la complexité <strong>de</strong> celles du MAVI, <strong>de</strong> pouvoir<br />

utiliser gratuitement c<strong>et</strong>te plateforme, éventuellement <strong>de</strong> la faire évoluer, <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

compléter ses fonctionnalités. Open melodie est actuellement en bêta-test interne,<br />

la plateforme est capable d’enregistrer les données du MAVI <strong>et</strong> <strong>de</strong> les restituer<br />

<strong>de</strong>puis quelques mois. La <strong>de</strong>uxième phase consiste en le développement d’une<br />

interface en ligne pour le cœur du système, donnant accès à l’ensemble <strong>de</strong> ses<br />

fonctionnalités. L’objectif est <strong>de</strong> disposer d’une version fonctionnelle en<br />

décembre 2008, puis <strong>de</strong> la développer au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mois qui suivent. Par ailleurs,<br />

J. Paumard a établi une collaboration avec plusieurs chercheurs dans le cadre du<br />

programme Adonis du CNRS.


HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE 591<br />

Missions dans le cadre du MAVI<br />

P. Briant <strong>et</strong> W. Henkelman ont mené une mission à Berlin les 22-23 janvier<br />

2008. Ils y ont rencontré M. Sven Hansen, Directeur <strong>de</strong> l’Eurasien Abteilung du<br />

Deutsche Archäologisches Institut (DAI), <strong>et</strong> son équipe, afin <strong>de</strong> discuter d’une<br />

collaboration avec le MAVI (numérisation <strong>de</strong> plusieurs milliers <strong>de</strong> photos prises<br />

sur <strong><strong>de</strong>s</strong> sites iraniens). La mission a été redoublée le 9 juin, en compagnie <strong>de</strong> José<br />

Paumard <strong>et</strong> Salima Larabi. Un accord <strong>de</strong> collaboration a été conclu officiellement.<br />

Dans ce cadre, S. Larabi a mené une troisième mission <strong>de</strong> huit jours en juill<strong>et</strong> 2008 :<br />

elle a procédé à la numérisation <strong>de</strong> 1 300 photos, qui seront disposées sur la base<br />

du MAVI. Une <strong>de</strong>uxième mission sur place <strong>de</strong>vra être menée pour achever le<br />

travail <strong>de</strong> numérisation.<br />

Par ailleurs, P. Briant <strong>et</strong> W. Henkelman ont discuté à Bruxelles avec le Directeur<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Musées d’Art royaux (le 13 mai 2008), en vue d’une collaboration entre le<br />

Musée <strong>et</strong> le MAVI. Un accord a été conclu <strong>et</strong> il entrera en application<br />

prochainement. — Lors <strong>de</strong> missions menées indépendamment en avril <strong>et</strong> en juill<strong>et</strong><br />

2008, ils ont également eu <strong><strong>de</strong>s</strong> conversations avec le Directeur <strong>de</strong> l’Oriental<br />

Institute <strong>de</strong> Chicago (Gil Stein) <strong>et</strong> le Directeur du musée (Geoff Emberling) : le<br />

principe d’une collaboration est désormais acquis.<br />

Collection Persika<br />

Outre ses interventions <strong>et</strong> missions dans le cadre d’Achemen<strong>et</strong> (dont elle assure<br />

le Secrétariat éditorial) <strong>et</strong> du MAVI (voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus), Salima Larabi, assistante du<br />

professeur, a réalisé <strong>de</strong>ux nouveaux ouvrages :<br />

Jean Kellens, Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> avestiques <strong>et</strong> mazdéennes 2 (Persika 10), <strong>de</strong> Boccard, Paris, 2007.<br />

Pierfrancesco Callieri, L’archéologie du Fārs à l’époque hellénistique. Quatre leçons au<br />

<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 8, 15, 22 <strong>et</strong> 29 mars 2007 (Persika 11), <strong>de</strong> Boccard, Paris, 2007.


Épigraphie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> cités grecques<br />

M. Denis Knoepfler, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres), professeur<br />

Cours : Une cité au cœur du mon<strong>de</strong> méditerranéen antique.<br />

Érétrie <strong>et</strong> son territoire, histoire <strong>et</strong> institutions<br />

Séminaire : Lecture d’inscriptions eubéennes en rapport avec le <strong>cours</strong><br />

Trois ans durant (2005-2007), le professeur a entr<strong>et</strong>enu l’auditoire <strong>de</strong> ses<br />

recherches sur les cités béotiennes telles qu’elles apparaissent à travers le prisme <strong>de</strong><br />

la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong>de</strong> Pausanias au livre IX <strong>de</strong> la Périégèse <strong>et</strong> dans les inscriptions. En<br />

passant c<strong>et</strong>te année <strong>de</strong> la Béotie vers l’Eubée, il n’a pas changé <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>, tant c<strong>et</strong>te<br />

gran<strong>de</strong> île, longue <strong>de</strong> quelque 200 km, est proche <strong>de</strong> la Grèce continentale : dès<br />

l’Antiquité, elle y était même reliée par un pont sur l’Euripe, au passage le plus<br />

étroit du canal Euboïque. Ce n’est donc pas sans raison que le grand historien<br />

Éphore, au milieu du ive siècle avant J.-C., considérait l’Eubée comme un simple<br />

prolongement péninsulaire <strong>de</strong> la Béotie (voir Strabon, Géographie IX, 2, 2). Les<br />

contacts entre ces <strong>de</strong>ux pays ont été extrêmement étroits à toutes les époques. Il<br />

n’en reste pas moins vrai que, par rapport au pays béotien, même l’Eubée centrale<br />

constitue un espace distinct, tant du point <strong>de</strong> vue linguistique, culturel <strong>et</strong> religieux<br />

que, le plus souvent, politique.<br />

Prendre l’île d’Eubée pour obj<strong>et</strong> d’étu<strong>de</strong>, c’est donc être confronté à <strong><strong>de</strong>s</strong> sources<br />

littéraires <strong>et</strong> documentaires en partie différentes <strong>de</strong> celles qui ont été sollicitées<br />

pour la Béotie. Force est <strong>de</strong> prendre congé, en particulier, du gui<strong>de</strong> commo<strong>de</strong> <strong>et</strong><br />

fiable (le plus souvent) qu’est Pausanias, car c<strong>et</strong> auteur n’a pas laissé <strong>de</strong> chapitre<br />

eubéen, bien qu’il ait probablement eu l’ambition d’intégrer à sa Périégèse c<strong>et</strong>te île<br />

pour ainsi dire continentale, <strong>de</strong> même qu’il eut assurément le proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> traiter <strong>de</strong><br />

la Locri<strong>de</strong> Opontienne ou Orientale, après avoir achevé, au livre X, sa <strong><strong>de</strong>s</strong>cription<br />

<strong>de</strong> l’autre Locri<strong>de</strong>, celle <strong>de</strong> l’Ouest ; le chapitre eubéen ou Euboïkè syngraphè aurait<br />

ainsi pu former la matière d’un livre XI (selon un découpage qui ne remonte pas<br />

à l’auteur) où, par la région d’Oponte <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Thermopyles qui fait face au cap


594 DENIS KNOEPFLER<br />

Kénaion, le Pérégète aurait parcouru l’île dans toute sa longueur <strong>de</strong>puis l’extrémité<br />

nord-ouest, revenant en quelque sorte à son point <strong>de</strong> départ, puisque la région <strong>de</strong><br />

Carystos se trouve à une p<strong>et</strong>ite journée <strong>de</strong> navigation du cap Sounion, par quoi<br />

s’ouvre en eff<strong>et</strong> le livre I <strong>de</strong> la Périégèse. Telle est du moins l’opinion personnelle<br />

que le professeur croit pouvoir soutenir sur c<strong>et</strong>te question controversée. Mais à<br />

défaut <strong>de</strong> Pausanias, d’autres auteurs anciens — <strong><strong>de</strong>s</strong> plus prestigieux aux plus<br />

obscurs — fournissent <strong>de</strong> quoi éclairer le <strong><strong>de</strong>s</strong>tin <strong>de</strong> la cité d’Érétrie, qui a bénéficié<br />

à c<strong>et</strong> égard <strong>de</strong> sa proximité avec Athènes. Par ailleurs, une œuvre aussi tardive <strong>et</strong><br />

marginale (ou tenue pour telle) que Les vies <strong><strong>de</strong>s</strong> philosophes illustres <strong>de</strong> Diogène<br />

Laërce s’est avérée être une source capitale pour la phase hellénistique <strong>de</strong> l’histoire<br />

eubéenne par le biais <strong>de</strong> la biographie très bien informée que c<strong>et</strong> auteur du iii e siècle<br />

<strong>de</strong> notre ère a laissée du philosophe <strong>et</strong> homme d’État Ménédème d’Érétrie.<br />

Si c<strong>et</strong>te cité mérite, au sein <strong>de</strong> la tétrapole eubéenne, une attention particulière,<br />

ce n’est pas parce qu’elle n’aurait cessé d’occuper une position prépondérante par<br />

rapport aux trois autres gran<strong><strong>de</strong>s</strong> poleis <strong>de</strong> l’île. Certes, durant la pério<strong>de</strong> archaïque<br />

(vii e -vi e s.), elle est indiscutablement une <strong><strong>de</strong>s</strong> cités majeures <strong>de</strong> la Grèce propre.<br />

Mais les Érétriens furent parmi les peuples grecs les plus touchés par les guerres<br />

médiques (490-479), puis par la lour<strong>de</strong> domination athénienne ; le redressement<br />

<strong>de</strong> leur cité est spectaculaire à partir <strong>de</strong> 411, pas au point cependant qu’ils<br />

puissent prétendre exercer l’hégémonie sur l’ensemble <strong>de</strong> l’Eubée, où les <strong>de</strong>ux<br />

cités <strong>de</strong> Chalcis <strong>et</strong> d’Histiée, d’une taille comparable à celle d’Érétrie, connaissent<br />

également un notable essor, qui se maintient, en dépit <strong><strong>de</strong>s</strong> vicissitu<strong><strong>de</strong>s</strong>, pendant la<br />

plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> l’époque hellénistique <strong>et</strong> encore sous la domination <strong>de</strong><br />

Rome. Érétrie, elle, tend alors à se dépeupler <strong>et</strong> elle disparaîtra, <strong>de</strong> fait, à une date<br />

relativement précoce (vers le iv e s. <strong>de</strong> notre ère), tandis que ses <strong>de</strong>ux voisines<br />

immédiates, Carystos <strong>et</strong> surtout Chalcis, subsistent durant toute la pério<strong>de</strong><br />

médiévale <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne.<br />

Ce qui fait, objectivement, l’importance exceptionnelle d’Érétrie pour l’historien<br />

<strong>de</strong> l’Antiquité, c’est la qualité <strong>de</strong> la documentation qui s’y rapporte, tant sur le plan<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> sources littéraires que, surtout, au point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’épigraphie <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’archéologie.<br />

Le site d’Érétrie est, en eff<strong>et</strong>, le seul <strong>de</strong> l’Eubée qui ait fait l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> fouilles<br />

systématiques, d’abord au tournant du xix e <strong>et</strong> du xx e s., puis <strong>de</strong> 1964 à nos jours<br />

par une équipe d’archéologues suisses en collaboration avec le Service grec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Antiquités. Et si les investigations y ont été particulièrement fructueuses, cela est<br />

dû en partie au fait qu’elles ont eu pour cadre un site dépourvu <strong>de</strong> toute implantation<br />

byzantine ou ottomane <strong>et</strong> relativement épargné encore par l’expansion urbaine <strong>de</strong><br />

l’époque mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine. Parallèlement, la recherche sur l’histoire<br />

millénaire <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te cité a connu un notable développement, auquel le professeur a<br />

lui-même contribué par d’assez nombreux <strong>travaux</strong> <strong>de</strong>puis bientôt quarante ans. Le<br />

<strong>cours</strong> donné en 2008 a donc permis <strong>de</strong> présenter un état <strong><strong>de</strong>s</strong> lieux, qui, sans<br />

négliger les phases antérieures, privilégie l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> iv e <strong>et</strong> iii e s. avant J.-C.,<br />

époque d’apogée pour la cité, comme en témoigne la gran<strong>de</strong> majorité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

inscriptions, tant publiques que privées. Signalons ici qu’un aperçu synthétique du


ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 595<br />

site <strong>et</strong> <strong>de</strong> son histoire figure dans l’ouvrage collectif édité par l’École suisse<br />

d’archéologie en Grèce en 2004, Érétrie. Gui<strong>de</strong> <strong>de</strong> la cité antique. À la même date<br />

paraissait le livre <strong>de</strong> Keith G. Walker, Archaic Er<strong>et</strong>ria, dont les vues audacieuses,<br />

trop souvent étayées <strong>de</strong> manière insuffisante, voire erronée, ont été critiquées à<br />

diverses reprises.<br />

Réflexions préliminaires sur la phase archaïque <strong>de</strong> l’histoire d’Érétrie<br />

C’est en eff<strong>et</strong> aux débuts obscurs <strong>de</strong> la ville, puis <strong>de</strong> la cité en tant qu’État que<br />

le professeur a consacré ses premières leçons. Le problème <strong>de</strong> la fondation ne<br />

saurait, bien sûr, être traité en vase clos, en <strong>de</strong>hors du phénomène très complexe,<br />

<strong>de</strong> la naissance <strong>de</strong> la polis grecque, obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> nombreuses étu<strong><strong>de</strong>s</strong> récentes 1 ; d’autant<br />

moins que, précisément, la connaissance que l’on a pu acquérir <strong><strong>de</strong>s</strong> commencements<br />

d’Érétrie sert souvent, aujourd’hui, <strong>de</strong> référence, sinon <strong>de</strong> modèle, à <strong><strong>de</strong>s</strong> tentatives<br />

plus générales d’explication <strong>de</strong> la « poléogénèse ». Ce qui semble désormais établi<br />

en l’occurrence, c’est que la ville appelée Er<strong>et</strong>ria n’est pas extrêmement ancienne.<br />

L’absence presque totale <strong>de</strong> mythe <strong>de</strong> fondation <strong>et</strong> plus généralement <strong>de</strong> passé<br />

héroïque autour d’une dynastie royale était déjà, dans les sources littéraires, un<br />

indice allant n<strong>et</strong>tement en ce sens. De fait, on cherchera en vain le toponyme<br />

Er<strong>et</strong>ria sur la « carte du tragique » (pour reprendre le titre d’un livre <strong>de</strong> A. Bernand<br />

publié en 1985), c’est-à-dire dans le répertoire <strong>de</strong> la tragédie attique du ve s. :<br />

quelle différence avec Thèbes, sans parler d’Argos ! Ce qui est remarquable, ce n’est<br />

donc pas que le nom Er<strong>et</strong>ria fasse son apparition seulement dans le Catalogue <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Vaisseaux au chant II <strong>de</strong> l’Ilia<strong>de</strong> — pièce rapportée qui ne saurait, en tout état <strong>de</strong><br />

cause, être antérieure au viie s. —, c’est bien plutôt le fait qu’aucun texte même<br />

plus tardif ne suggère une origine plus ancienne que l’époque d’Homère. Mais cela<br />

ne préjuge évi<strong>de</strong>mment pas <strong>de</strong> la date, qui pourrait être sensiblement plus haute,<br />

à laquelle s’est formée la communauté désignée, à partir du viiie s., par l’<strong>et</strong>hnique<br />

Er<strong>et</strong>rieis. L’exploration archéologique est venue confirmer c<strong>et</strong>te induction, puisque<br />

la fouille extensive n’a livré aucun vestige significatif remontant à l’époque dite<br />

mycénienne, c’est-à-dire aux xv-xiie s. avant notre ère. Cela ne signifie assurément<br />

pas que le site soit resté totalement vierge jusque vers 750, date <strong>de</strong> l’émergence du<br />

premier habitat, réparti en <strong>de</strong> nombreux secteurs du site, qu’il s’agisse d’espaces<br />

sacrés, publics ( ?), domestiques <strong>et</strong>/ou funéraires. Mais il est désormais certain qu’il<br />

n’y a pas <strong>de</strong> ville, ni même <strong>de</strong> bourga<strong>de</strong> à c<strong>et</strong> emplacement avant l’époque désignée<br />

sous le nom <strong>de</strong> « géométrique » (ixe-viiie s.).<br />

La question qui se pose est donc <strong>de</strong> savoir pour quelles raisons ce site doté à<br />

première vue <strong>de</strong> maints avantages naturels, avec son port protégé par une presqu’île,<br />

son espace constructible <strong>de</strong> bonne étendue entre le rivage <strong>et</strong> une colline rocheuse<br />

culminant à un peu plus <strong>de</strong> 100 m, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> possibilités <strong>de</strong> défense autour <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

1. Voir par exemple D. Novaro, dans Ktema 2007, <strong>et</strong> pour Érétrie en particulier, Cl. Bérard<br />

dans Technai, Paris 2007 = Mètis n.s. 5, 2007, p. 393 sqq. ; plus généralement A. Schnapp-<br />

Gourbeillon, Aux origines <strong>de</strong> la Grèce, Paris 2002.


596 DENIS KNOEPFLER<br />

cita<strong>de</strong>lle (qui valut à la ville la même épithète que Corinthe avec l’Acrocorinthe,<br />

soit ophruoessa, « sourcilleuse », accolée au nom d’Érétrie dans l’épopée tardive 2 ).<br />

Mais c<strong>et</strong>te impression est trompeuse, car au début du I er millénaire encore, la zone<br />

<strong>de</strong> la future ville, on le sait désormais, n’était en réalité qu’un <strong>de</strong>lta en formation,<br />

d’où aussi la dispersion <strong>de</strong> l’habitat primitif. Il ne semble pas y avoir une fondation<br />

stricto sensu, avec délimitation d’un espace urbain <strong>et</strong> implantation d’une ligne <strong>de</strong><br />

défense : <strong>de</strong> fait, contrairement à ce que l’on a pu croire (ainsi encore Walker), il<br />

n’y a pas d’enceinte urbaine, ni non plus acropolitaine à Érétrie avant la fin <strong>de</strong><br />

l’époque dite archaïque, c’est-à-dire le milieu du vi e s. au plus tôt 3 . L’absence d’un<br />

véritable port naturel — puisqu’au viii e s. encore la presqu’île orientale reste un<br />

îlot — n’enlevait certes pas au site tout intérêt sur le plan <strong><strong>de</strong>s</strong> relations maritimes.<br />

Située exactement en face <strong>de</strong> la baie d’Oropos (la mo<strong>de</strong>rne Skala Oropou), la ville<br />

d’Érétrie se trouve placée à un endroit <strong>de</strong> passage <strong><strong>de</strong>s</strong> plus favorables, puisque pour<br />

un navire longeant la côte septentrionale <strong>de</strong> l’Attique, la baie d’Oropos est la<br />

première à offrir un mouillage ; c’est surtout le point d’arrivée d’une route terrestre<br />

fort importante qui, au départ d’Athènes, contourne le massif du Parnès, <strong>et</strong> perm<strong>et</strong><br />

ensuite d’atteindre l’Eubée par voie <strong>de</strong> mer (sur ces <strong>de</strong>ux routes, les réflexions <strong>de</strong><br />

Thucydi<strong>de</strong>, VII 28,1 sont fondamentales). En fait c’est l’existence <strong>de</strong> ce passage<br />

qui a conditionné, négativement ou positivement, toute l’histoire d’Érétrie, ville<br />

qu’on pourrait qualifier <strong>de</strong> « porthmique » (du mot porthmos, « traversée maritime »),<br />

comme d’autres cités commerçantes — ainsi Corinthe ou Chalcis — sont<br />

« isthmiques », maîtresses d’un isthmos naturel ou artificiel.<br />

L’importance <strong>de</strong> ce facteur géographique dans le choix du site est confirmée par<br />

les fouilles menées en ces <strong>de</strong>rnières années à l’ouest <strong>de</strong> l’actuelle Skala Oropou,<br />

d’abord en un endroit caractérisé par un habitat dont les niveaux les plus anciens<br />

paraissent remonter à l’époque « protogéométrique » (x e s.), puis, à 0,5 km <strong>de</strong> là<br />

environ vers l’ouest, une nouvelle implantation très remarquable datant, elle, du<br />

milieu du viii e s., soit <strong>de</strong> l’époque même <strong>de</strong> ce qu’il est convenu d’appeler la<br />

fondation d’Érétrie. Comme l’a vu le fouilleur, le professeur Alexandros Mazarakis<br />

Ainian 4 , ce nouvel établissement continental, à vocation clairement artisanale,<br />

doit nécessairement être mis en relation avec la première phase <strong>de</strong> l’histoire<br />

érétrienne. De fait, on doit avoir affaire au site <strong>de</strong> Graia, localité mentionnée dans<br />

le Catalogue homérique parmi les villes béotiennes, mais disparue ensuite sans<br />

laisser d’autres traces que littéraires chez Aristote <strong>et</strong> Strabon, qui la situaient près<br />

d’Oropos ; le grammairien Stéphane <strong>de</strong> Byzance, <strong>de</strong> son côté, parle <strong>de</strong> Γραiα πoλις<br />

’Ερετρiας, expression bizarre en grec, mais qui <strong>de</strong>vient parfaitement intelligible si<br />

l’on fait <strong>de</strong> Er<strong>et</strong>rias l’adjectif féminin ’Ερετριaς, désormais bien attesté dans les<br />

2. Chez Nonnos <strong>de</strong> Panopolis, Dionysiaques, livre XIII au vers 199 : cf. D. Knoepfler, Ant.<br />

Kunst 12, 1969, p. 82 sqq.<br />

3. Ant. Kunst 51, 2004, p. 91 sq,, en particulier 94-95 ; cf. Gui<strong>de</strong> <strong>de</strong> la cité antique, p. 27.<br />

4. Voir notamment sa communication dans les actes du colloque <strong>de</strong> Naples en 1998 (Euboica)<br />

ou, plus récemment, <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Volo sur la Thessalie <strong>et</strong> la Grèce Centrale (2006).


ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 597<br />

inscriptions. C<strong>et</strong>te ville <strong>de</strong> Graia était dite « érétrienne », car il s’agissait d’un<br />

comptoir fondé par les insulaires, ce qu’atteste du reste explicitement un fragment<br />

<strong>de</strong> l’historien local Nikokratès qualifiant Oropos <strong>de</strong> « fondation <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens »<br />

(ktisma Erétriéôn) ; <strong>et</strong> le professeur a rappelé que, selon lui, le nom même d’Oropos<br />

s’explique comme une variante dialectale d’origine érétrienne <strong>de</strong> l’hydronyme<br />

Asopos, fleuve béotien dont l’embouchure est toute voisine <strong>de</strong> ces établissements<br />

archaïques. Oropos est ainsi à placer dans le même contexte historique que celui<br />

qui vit les Eubéens <strong>de</strong> Chalcis <strong>et</strong> d’Érétrie fon<strong>de</strong>r <strong><strong>de</strong>s</strong> « colonies » (apoikiai) en<br />

Occi<strong>de</strong>nt (Sicile <strong>et</strong> Campanie) <strong>et</strong> dans le nord <strong>de</strong> l’Égée (golfe Thermaïque <strong>et</strong><br />

péninsule Chalcidique). On a montré aussi qu’un lien étroit existait entre ces divers<br />

théâtres d’opération, comme le suggérait déjà, chez Plutarque, l’épiso<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Érétriens à Corcyre <strong>et</strong> à Méthone (Quaest. Gr. 11 ; Mor. 293A.), dont la datation<br />

dans la secon<strong>de</strong> moitié du viii e s. est désormais corroborée par <strong><strong>de</strong>s</strong> fouilles exécutées<br />

à Méthone même.<br />

Reste évi<strong>de</strong>mment la question <strong>de</strong> savoir quelle était l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> gens qui vinrent<br />

occuper le site d’Érétrie. On ne peut certes exclure l’arrivée d’éléments étrangers à<br />

l’Eubée, à commencer par l’Attique toute proche puisque une tradition faisait venir<br />

d’Athènes les fondateurs <strong>de</strong> Chalcis <strong>et</strong> d’Érétrie (chose dont il existe un écho<br />

— longtemps méconnu — dans les sources documentaires : voir Bull. épigr. 2008,<br />

n° 267). Néanmoins, la plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> la population paraît avoir été <strong>de</strong><br />

souche locale, à en juger par l’uniformité <strong>de</strong> la céramique « géométrique » à travers<br />

toute l’Eubée centrale. Depuis longtemps, la conjecture a été faite que les premiers<br />

Érétriens pourraient avoir eu pour rési<strong>de</strong>nce le site archéologique <strong>de</strong> Lefkandi à<br />

10 km à l’ouest d’Érétrie, qui, <strong>de</strong> fait, après une phase très brillante à l’époque<br />

proto-géométrique encore, fut progressivement déserté à partir <strong>de</strong> 750, sans doute<br />

au profit d’un endroit plus aisé à défendre. C<strong>et</strong>te hypothèse ne manque pas <strong>de</strong><br />

séduction, mais on a fait voir qu’elle repose sur <strong><strong>de</strong>s</strong> bases en réalité assez fragiles.<br />

En tout cas, il est totalement abusif d’alléguer en sa faveur la distinction faite à<br />

<strong>de</strong>ux reprises par Strabon (IX 2, 1 <strong>et</strong> X 1, 10) entre une ancienne ville (Παλαιà<br />

Èρbτρια) <strong>et</strong> la ville actuelle (â νäν Èρbτρια) puisque, selon le Géographe, l’ancienne<br />

aurait été détruite en 490 seulement <strong>et</strong> aurait été située dans la direction opposée.<br />

La tradition strabonienne comporterait, par conséquent, une double erreur, à la<br />

fois chronologique <strong>et</strong> topographique, ce qui suffit à rendre bien douteuse c<strong>et</strong>te<br />

théorie 5 . Le temps paraît donc venu d’y renoncer.<br />

Quelle qu’ait été l’importance <strong>de</strong> Lefkandi (dont le nom antique n’est pas connu<br />

avec certitu<strong>de</strong>, l’i<strong>de</strong>ntification au bourg chalcidien d’Argoura, proposée naguère<br />

par le professeur, restant toujours la plus probable à ses yeux), un autre site<br />

protohistorique doit être pris en considération, qui a aujourd’hui les meilleures<br />

chances d’avoir été la véritable « capitale » <strong><strong>de</strong>s</strong> futurs Érétriens : c’est, à une dizaine<br />

5. Elle n’en continue pas moins à avoir d’assez nombreux a<strong>de</strong>ptes : ainsi V. Parker, Der<br />

lelantische Krieg, 1997, ou Walker dans sa récente synthèse érétrienne.


598 DENIS KNOEPFLER<br />

Plan du site archéologique d’Érétrie


ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 599<br />

Carte du territoire d’Érétrie dans l’Antiquité<br />

<strong>de</strong> km à l’est, la colline <strong>de</strong> Paléoekklisiès — plus connue désormais sous le nom<br />

antique d’Amarynthos — au pied <strong>de</strong> laquelle se trouvait très certainement le<br />

sanctuaire d’Artémis Amarysia (longtemps cherché, mais à tort, à proximité<br />

immédiate <strong><strong>de</strong>s</strong> remparts d’Érétrie, sur la base d’un texte <strong>de</strong> Strabon dont on a<br />

montré dès 1988 qu’une fois corrigé <strong>de</strong> manière très légère il vient en réalité<br />

corroborer une i<strong>de</strong>ntification d’Amarynthos à Paléoekklisiès). Les fouilles entamées<br />

là, à l’instigation du professeur, par l’École suisse d’archéologie en Grèce ont<br />

confirmé l’ancienn<strong>et</strong>é en même temps que la permanence <strong>de</strong> l’occupation <strong><strong>de</strong>s</strong>


600 DENIS KNOEPFLER<br />

lieux. C<strong>et</strong>te haute antiquité résultait déjà du caractère préhellénique du toponyme<br />

Amarynthos, chose qui, au surplus, a été confirmée encore par l’apparition <strong>de</strong> ce<br />

nom même dans les archives mycéniennes <strong>de</strong> la Cadmée <strong>de</strong> Thèbes, sous la forme<br />

A-ma-ru-to-<strong>de</strong> (adverbe <strong>de</strong> lieu-direction signifiant « vers Amarynthos »). On ne<br />

saurait donc plus douter qu’Amarynthos ait été, dans la secon<strong>de</strong> moitié du<br />

II e millénaire avant J.-C., une sorte <strong>de</strong> capitale régionale.<br />

Plus tard, dans un contexte politique profondément différent, il y eut déplacement<br />

du centre <strong>de</strong> gravité : la population <strong>de</strong> la plaine côtière vint s’installer sur le site<br />

plus aisément défendable d’Érétrie, sans abandonner pour autant le vieux bourg<br />

d’Amarynthos, qui <strong>de</strong>vait conserver tout son prestige sur le plan religieux. Ce<br />

changement <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce eut nécessairement <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences à la fois sur le trafic<br />

entre l’île <strong>et</strong> le point le plus proche du continent — d’où l’émergence du comptoir<br />

d’Oropos (appelé encore Graia à c<strong>et</strong>te date) — <strong>et</strong> sur les relations, très rapi<strong>de</strong>ment<br />

conflictuelles, <strong><strong>de</strong>s</strong> habitants <strong>de</strong> la ville nouvelle avec les cultivateurs <strong>et</strong> éleveurs <strong>de</strong><br />

la riche plaine lélantine ; d’où, à terme, l’abandon du site <strong>de</strong> Lefkandi, sans doute<br />

au profit <strong>de</strong> Chalcis. Même si l’enchaînement <strong><strong>de</strong>s</strong> faits ne peut pas être reconstitué,<br />

il y a là l’origine probable <strong>de</strong> la longue dispute entre les <strong>de</strong>ux cités voisines désormais<br />

en plein essor. Conflit aussi célèbre qu’obscur, à vrai dire, que c<strong>et</strong>te guerre<br />

« lélantine » (comme l’appellent les mo<strong>de</strong>rnes), sur laquelle on ne s’est arrêté que<br />

le temps d’en définir le cadre le plus vraisemblable. La première chose à noter est<br />

que la victoire ne fut chalcidienne que dans la mesure où la cité <strong>de</strong> l’Euripe parvint<br />

à conserver la possession <strong>de</strong> toute la plaine, y compris sa partie orientale, au-<strong>de</strong>là<br />

du fleuve Lélas ou Lélantos (comme on peut le déduire <strong>de</strong> la localisation du bourg<br />

chalcidien d’Argoura au voisinage <strong>de</strong> Lefkandi). D’autre part, une lecture critique<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux sources principales, Hérodote (V 99, 1) <strong>et</strong> Thucydi<strong>de</strong> (I 15, 3), impose<br />

<strong>de</strong> dater la phase panhellénique du conflit <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> l’époque archaïque seulement,<br />

vers 600-580 : il ne s’agit donc pas, à proprement parler, d’une guerre liée à la<br />

colonisation, du moins pas pour Chalcis <strong>et</strong> Érétrie elles-mêmes. Car il faut rapporter<br />

à ce conflit international — malgré les objections exprimées récemment à l’encontre<br />

d’une brillante suggestion faite en 1967 par J. <strong>et</strong> L. Robert — l’allusion qui est<br />

faite à un mégas polémos dans une longue épigramme <strong>de</strong> Mil<strong>et</strong> gravée vers 200 avant<br />

J.-C. sur un tombeau commun ou polyandreion, évoquant par ailleurs l’activité<br />

coloniale <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te cité dans le Pont-Euxin <strong>et</strong> faisant mention <strong><strong>de</strong>s</strong> gens <strong>de</strong> Mégare<br />

en tant qu’adversaires <strong><strong>de</strong>s</strong> Milésiens (P. Herrmann, Inschr. von Mil<strong>et</strong> VI 2, 732). Il<br />

paraît certain en eff<strong>et</strong> que Mégare fut mêlée, comme Corinthe, à la guerre<br />

« lélantine » quand Mil<strong>et</strong> prit le parti d’Érétrie <strong>et</strong> Samos celui <strong>de</strong> Chalcis. Or,<br />

l’alliance <strong>de</strong> Corinthe <strong>et</strong> <strong>de</strong> Samos, attestée pour l’extrême fin du viii e s. par<br />

Thucydi<strong>de</strong>, n’implique nullement que, plus d’un siècle après, les tyrans <strong>de</strong> Corinthe<br />

soient restés dans l’orbite chalcido-samienne. Vers 580, par conséquent, Mégare<br />

— éternelle rivale <strong>de</strong> Corinthe — a fort bien pu être dans le camp <strong><strong>de</strong>s</strong> adversaires<br />

<strong>de</strong> Mil<strong>et</strong>, d’autant plus que Mégariens <strong>et</strong> Milésiens se trouvaient alors en concurrence<br />

dans la Proponti<strong>de</strong> <strong>et</strong> le Pont-Euxin ; or, tel est justement le contexte indiqué par


ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 601<br />

l’épigramme 6 . Le fait que les Thessaliens aient participé à c<strong>et</strong>te guerre aux côtés<br />

<strong>de</strong> Chalcis (Plutarque, Erot. 17) est un argument supplémentaire en faveur d’une<br />

datation basse, puisque c’est seulement au début du vi e siècle que se constitue un<br />

État thessalien très actif en Grèce centrale <strong>et</strong> dans l’Amphictionie pyléo-<strong>de</strong>lphique,<br />

avec du reste un débouché sur le golfe Euboïque en Mali<strong>de</strong> 7 . Ce conflit ayant pu<br />

se développer sur plusieurs théâtres d’opération, il est loisible d’y rattacher divers<br />

épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> guerriers que nous font connaître d’autres sources littéraires ou<br />

documentaires : ainsi, d’après l’historien Konon (résumé dans la Bibliothèque <strong>de</strong><br />

Photoius, 186, 44), une guerre livrée par les Milésiens en Eubée même contre les<br />

gens <strong>de</strong> Carystos, cité toute voisine <strong>et</strong> donc a priori rivale d’Érétrie, chose que paraît<br />

confirmer un papyrus d’Oxyrhinchos (n° 2508) contenant les bribes d’un poème<br />

élégiaque qui fait mention côte à côte, dans un contexte militaire, <strong><strong>de</strong>s</strong> Carystiens<br />

<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens (Erétriéôn chôron). La guerre « lélantine » n’a pu, en revanche, se<br />

prolonger après la conquête <strong>de</strong> l’Ionie par les Perses à partir du milieu du vi e s.<br />

Oligarchie <strong><strong>de</strong>s</strong> hippeis <strong>et</strong> « tyrannie » <strong>de</strong> Diagoras<br />

À c<strong>et</strong>te date, du reste Chalcis <strong>et</strong> Érétrie se trouvaient également à l’aube <strong>de</strong> grands<br />

changements politiques. Jusque-là, en eff<strong>et</strong>, le pouvoir y avait été exercé par les<br />

membres d’une aristocratie équestre, les Hippobotai ou « éleveurs <strong>de</strong> chevaux ».<br />

C’est sous leur domination, comme le relève Strabon en citant un ouvrage perdu<br />

d’Aristote, que Chalcis <strong>et</strong> Érétrie avaient fondé notamment leurs colonies <strong>de</strong><br />

Chalcidique : « lorsque prévalait le régime politique dit <strong><strong>de</strong>s</strong> Hippobotes » (X 1, 8 C<br />

447 : hé tôn Hippobotôn kalouménè politieia), qui était <strong>de</strong> caractère n<strong>et</strong>tement<br />

censitaire (apo timèmatôn) pour l’accès aux magistratures. De fait, l’auteur <strong>de</strong> la<br />

Politique, établit un lien explicite entre gouvernement oligarchique <strong>et</strong> élevage <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

chevaux, hippotrophia, avec une cavalerie dont le rôle était « autrefois » — donc<br />

bien avant le iv e siècle — prédominant dans la conduite <strong>de</strong> la guerre chez les<br />

Érétriens <strong>et</strong> les Chalcidiens notamment (Pol. IV 1289b 35 : oion Er<strong>et</strong>rieis,<br />

Khaliki<strong>de</strong>is, <strong>et</strong>c.). Il ressort d’autre part d’Hérodote V 99 (cf. aussi Aristote,<br />

Athénaiôn Politieia, XV 2-3) que l’oligarchie <strong><strong>de</strong>s</strong> hippeis était encore au pouvoir à<br />

Érétrie à l’époque du r<strong>et</strong>our à Athènes du tyran Pisistrate, vers 545, puisque celui-ci<br />

put visiblement compter sur leur appui pour mener à bien ses affaires en Thrace,<br />

dans une zone dès alors colonisée par les Érétriens (établissement <strong>de</strong> Rhaikélos 8<br />

non loin <strong>de</strong> Méthone <strong>et</strong> <strong>de</strong> la future Dikaia). Les jours <strong>de</strong> ce régime n’en étaient pas<br />

moins comptés, car c’est encore avant la fin du vi e s. qu’il faut placer son<br />

renversement par un certain Diagoras, dont Aristote est ici encore pratiquement<br />

6. De fait, comme le suggère un jeune historien roumain, M. Adrian Robu, dans une thèse<br />

tout récemment soutenue sur la colonisation mégarienne, il paraît y avoir eu rivalité aiguë entre<br />

ces <strong>de</strong>ux cités lors <strong>de</strong> la fondation d’Héraclée Pontique vers 560-550.<br />

7. Voir B. Helly, L’État thessalien ; cf. Bull. épigr. 1995, 308.<br />

8. Localisation : cf. M. Zarhnt, Olynth, p. 218, qui m<strong>et</strong> ce comptoir au cap Karabournou,<br />

dans le territoire d’Aineia ; D. Viviers, JHS 197, 1987, p. 193-193, « Peissitratos’ Establishment<br />

on the Thermaic Gulf : a connection with Er<strong>et</strong>rian colonization ? ».


602 DENIS KNOEPFLER<br />

seul à faire mention (V 6, 1306a). La cause <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te katalysis (« dissolution ») aurait<br />

été un mariage, ce qui ne surprend guère quand on sait le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> alliances<br />

matrimoniales dans la société aristocratique <strong>et</strong> « tyrannique » grecque : <strong>de</strong>ux<br />

exemples m<strong>et</strong>tant précisément en scène un Érétrien, Lysanias, ou une Érétrienne,<br />

Koisyra, ont pu être évoqués, qui montrent combien c<strong>et</strong>te aristocratie terrienne était<br />

liée, directement ou indirectement, à celle d’Athènes. En témoigne du reste un p<strong>et</strong>it<br />

document parmi les inscriptions archaïques d’Érétrie, l’épitaphe fort remarquable <strong>et</strong><br />

souvent commentée (encore récemment) d’un certain « Chairiôn d’Athènes,<br />

appartenant aux Eupatri<strong><strong>de</strong>s</strong> », Eupatridôn (IG I 3 , 1516 ; cf. Bull. épigr. 2006, 213).<br />

Mais à quel moment situer le coup d’État <strong>de</strong> Diagoras ? On le saurait sans doute<br />

mieux si l’on possédait encore la « Constitution <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens » (Erétriôn Politieia)<br />

produite vers 330 par l’École d’Aristote ; mais seules <strong>de</strong> rares citations en ont été<br />

conservées, dont une concerne justement ce Diagoras : en route pour Sparte, le<br />

personnage serait décédé à Corinthe, ce qui amena les Érétriens à lui élever une<br />

« statue-portrait », eikôn (Héracli<strong>de</strong> Lembos = FHG II 217). À défaut d’indice<br />

chronologique précis, on a longtemps été tenté <strong>de</strong> placer c<strong>et</strong>te révolution<br />

« démocratique » le plus tard possible, vers 508, dans le sillage <strong>de</strong> l’instauration <strong>de</strong> la<br />

démocratie à Athènes par Clisthène, dont Diagoras aurait été l’émule. Mais à c<strong>et</strong>te<br />

datation basse on a préféré généralement la chronologie plus haute préconisée par Fr.<br />

Geyer (Topographie und Geschichte <strong>de</strong>r Insel Euboia, 1906), qui situe la chose entre<br />

540 <strong>et</strong> 510, puisque les Pisistrati<strong><strong>de</strong>s</strong>, chassés d’Athènes en 510, ne purent<br />

apparemment plus bénéficier <strong>de</strong> l’appui <strong><strong>de</strong>s</strong> hippeis d’Érétrie. C<strong>et</strong>te conclusion paraît<br />

effectivement raisonnable, <strong>et</strong> elle est adoptée maintenant par Walker (Archaic<br />

Er<strong>et</strong>ria), qui a toutefois cru pouvoir faire un très audacieux pas supplémentaire en<br />

adm<strong>et</strong>tant que ces trois décennies correspondaient à la durée effective du « règne »<br />

<strong>de</strong> Diagoras, dont la tyrannie aurait été ainsi plus longue que celle <strong>de</strong> Pisistrate ou <strong>de</strong><br />

Périandre ! Hypothèse bien invraisemblable. En revanche, il apparaît <strong>de</strong> plus en plus<br />

clairement, au vu <strong>de</strong> plusieurs <strong>travaux</strong> récents sur les débuts <strong>de</strong> la démocratie grecque<br />

— même si ceux-ci ignorent superbement l’exemple érétrien pourtant tout voisin<br />

d’Athènes 9 — que nulle part ne s’observe un passage direct <strong>de</strong> l’oligarchie à la<br />

démocratie : quand une phase <strong>de</strong> transition, <strong>de</strong> caractère « démagogique », n’est pas<br />

expressément attestée, il faut pratiquement dans tous les cas en supposer l’existence.<br />

Force serait donc <strong>de</strong> voir en Diagoras un « bon tyran » à la manière <strong>de</strong> Pisistrate<br />

(comme le fait Walker avec décision) ou au moins une espèce <strong>de</strong> Solon érétrien,<br />

maintenant l’équilibre entre les prérogatives <strong><strong>de</strong>s</strong> anciens oligarques <strong>et</strong> les nouvelles<br />

aspirations populaires. Cela expliquerait qu’il ait pu ou dû, à un certain moment,<br />

quitter sa patrie <strong>et</strong> qu’il ait été honoré post mortem par une statue (honneur si<br />

considérable pour l’époque archaïque qu’on pourrait y voir un anachronisme,<br />

puisque Solon lui-même ne paraît pas y avoir eu droit, les premières statues<br />

9. Ainsi E. W. Robinson, The First Democracies, Stuttgart 1997, ou plus récemment encore,<br />

Claudia <strong>de</strong> Oliveira Gomes, La cité tyrannique. Histoire politique <strong>de</strong> la Grèce archaïque, paru à<br />

Rennes en 2007.


ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 603<br />

honorifiques à Athènes étant celles <strong><strong>de</strong>s</strong> tyrannoctones Harmodios <strong>et</strong> Aristogiton peu<br />

après 508). Diagoras d’Érétrie se distingue néanmoins sur un point fondamental<br />

d’un législateur comme Solon : c’est précisément par le fait qu’il est l’auteur d’un<br />

acte révolutionnaire qui m<strong>et</strong> fin au régime ancestral, à la patrios politeia, provoquant<br />

ainsi une rupture dans l’histoire <strong>de</strong> la cité. On est ainsi acculé à penser que si Diagoras<br />

a pu renverser les hippeis soli<strong>de</strong>ment installés au pouvoir <strong>de</strong>puis <strong><strong>de</strong>s</strong> générations, c’est<br />

qu’il eut bel <strong>et</strong> bien le pouvoir d’un tyran, chose qui avait été pressentie par certains<br />

historiens mo<strong>de</strong>rnes 10 . De fait, n’aurait-il pas été bien étonnant que l’Érétrie<br />

archaïque eût échappé à c<strong>et</strong>te forme <strong>de</strong> pouvoir, quand pratiquement toutes les<br />

gran<strong><strong>de</strong>s</strong> cités — y compris sa voisine Chalcis (cf. Aristote, Pol. V 12, 1316a 22) —<br />

connaissait une pério<strong>de</strong> plus ou moins prolongée <strong>de</strong> tyrannie ? D’autres tyrans ont,<br />

du reste, pu exister dans c<strong>et</strong>te cité, dont le nom même n’est pas connu ou n’apparaît<br />

qu’inci<strong>de</strong>mment (celui <strong>de</strong> Lysanias, par exemple, grand personnage allié aux tyrans<br />

<strong>de</strong> Sicyone). En conclusion, il paraît probable que Diagoras fut à Érétrie l’homme<br />

qui sut saisir l’occasion <strong>de</strong> débarrasser sa cité d’un régime obsolète en s’appuyant<br />

d’abord sur une faction d’aristocrates mécontents, puis sur l’élément populaire, cela<br />

à un moment où les fils <strong>de</strong> Pisistrate connaissaient, vers 514, leurs premiers revers. Il<br />

dut avoir la sagesse <strong>de</strong> ne pas s’accrocher au pouvoir lorsque se produisit à Athènes la<br />

révolution <strong>de</strong> Clisthène. Ainsi rendrait-on compte au mieux <strong>de</strong> ce que le personnage<br />

ait été gran<strong>de</strong>ment honoré par ses compatriotes : en votant une statue à ce<br />

« dissoluteur » <strong>de</strong> l’oligarchie <strong><strong>de</strong>s</strong> hippeis, amis <strong><strong>de</strong>s</strong> tyrans athéniens, le peuple<br />

d’Érétrie n’aurait fait, en somme, qu’inaugurer ce culte <strong><strong>de</strong>s</strong> libérateurs qui apparaissait<br />

aux yeux d’un Cicéron encore (voir son Pro Milone) comme une pratique<br />

typiquement hellénique. Ce qui est certain — quoi qu’on en ait dit encore récemment<br />

(ainsi Walker) — c’est que le plus ancien document attestant l’existence à Érétrie du<br />

régime démocratique (IG XII Suppl. 549 ; cf. Décr<strong>et</strong>s érétriens n° I) ne saurait être<br />

antérieur à 500 <strong>et</strong> doit même être sensiblement postérieur à c<strong>et</strong>te date (cela a pu être<br />

démontré en séminaire).<br />

Une cité dans la tourmente <strong><strong>de</strong>s</strong> guerres médiques :<br />

les Érétriens en expédition à Chypre <strong>et</strong> en déportation à Ar<strong>de</strong>rrika <strong>de</strong> Susiane<br />

Ce n’est donc, en fin <strong>de</strong> compte, que bien peu d’années avant le début du conflit<br />

avec l’Empire perse qu’Érétrie dut entrer en « isonomie », sans doute au sortir d’un<br />

bref intermè<strong>de</strong> <strong>de</strong> tyrannie populaire : c<strong>et</strong>te réforme constitutionnelle pourrait<br />

<strong>de</strong>voir être mise en relation plus ou moins directe avec la mainmise <strong><strong>de</strong>s</strong> Athéniens<br />

sur les terres <strong><strong>de</strong>s</strong> « hippobotes » chalcidiens (Hérodote V 77 ; cf. Bull. épigr.<br />

2008, 236), avec l’ai<strong>de</strong> au moins passive <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens. Or, c’est précisément en<br />

506 que la Chronique d’Eusèbe, dans sa liste <strong><strong>de</strong>s</strong> « thalassocraties », fait commencer<br />

la pério<strong>de</strong> où Érétrie aurait été la principale puissance navale. En 490, à l’heure <strong>de</strong><br />

10. Ainsi déjà Busolt-Swoboda, Griechische Staatskun<strong>de</strong>, Munich 1926 ; cf. surtout H. Berve,<br />

Griechische Tyrannis, Darmstadt 1967.


604 DENIS KNOEPFLER<br />

l’attaque perse, le régime <strong><strong>de</strong>s</strong> hippeis appartenait en tout cas au passé <strong>de</strong> la cité. Dès<br />

499 les Érétriens s’étaient engagés aux côtés <strong><strong>de</strong>s</strong> Athéniens dans le soulèvement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

cités <strong>de</strong> l’Ionie contre le Grand Roi. On a fait valoir les raisons <strong>de</strong> penser que leur<br />

engagement fut plus considérable qu’on ne le croit, ce qui explique la rigueur du<br />

châtiment qu’ils eurent à subir. Déjà le témoignage d’Hérodote est révélateur,<br />

puisqu’il en ressort que c’est pour ai<strong>de</strong>r les gens <strong>de</strong> Mil<strong>et</strong>, en vertu d’une ancienne<br />

alliance, <strong>et</strong> non point par crainte <strong>de</strong> leurs désormais puissants voisins d’Athènes,<br />

qu’ils furent pratiquement les seuls Grecs continentaux à venir au se<strong>cours</strong> <strong>de</strong> leurs<br />

frères d’Ionie (V 99). On a noté au passage que si les autres Eubéens s’abstinrent,<br />

c’est qu’ils n’avaient pas ou plus <strong>de</strong> flotte à c<strong>et</strong>te date, tandis que les Érétriens<br />

disposaient certainement d’au moins vingt navires, qui leur perm<strong>et</strong>taient <strong>de</strong><br />

contrôler le trafic maritime dans tout le canal euboïque (au témoignage d’une<br />

célèbre inscription archaïque 11 ) ; c<strong>et</strong>te orientation vers les choses <strong>de</strong> la mer<br />

transparaît en d’autres documents érétriens : ainsi, à la fin du v e s. encore, la belle<br />

dédicace d’un collège <strong>de</strong> « marins éternels », Aeinautai 12 (le mot lui-même était<br />

déjà attesté une fois, pour Mil<strong>et</strong> — chose notable — par un texte <strong>de</strong> Plutarque,<br />

Quaest. Gr. 32). Malgré la faiblesse <strong>de</strong> leurs effectifs (quelques centaines d’hommes<br />

transportés sur cinq vaisseaux), les Érétriens s’illustrèrent durant l’expédition contre<br />

Sar<strong><strong>de</strong>s</strong>, capitale régionale <strong>de</strong> l’Empire perse, puisque leur chef, l’athlète Eualkidas,<br />

perdit la vie en combattant, ce qui lui valut d’être chanté par le poète Simoni<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> Kéos dans une épigramme malheureusement perdue. Hérodote n’a pas méconnu<br />

ce haut fait, même si Plutarque, dans son traité Sur la Malignité d’Hérodote, accuse<br />

le grand historien d’avoir passé sous silence leur principal exploit, dont c<strong>et</strong> auteur<br />

dit avoir trouvé la mention dans les Er<strong>et</strong>ri(a)ka d’un certain Lysanias <strong>de</strong> Mallos<br />

(FGHist 426 F) : à savoir leur participation à une expédition navale <strong><strong>de</strong>s</strong>tinée à<br />

repousser la flotte perse, par quoi ils avaient contribué à la victoire <strong><strong>de</strong>s</strong> forces<br />

ioniennes sur les Chypriotes au large <strong>de</strong> la Pamphylie. Ce texte tardif a été le plus<br />

souvent rej<strong>et</strong>é ou ignoré, sous prétexte qu’il contient une évi<strong>de</strong>nte erreur<br />

chronologique (l’expédition vers Chypre ayant eu lieu après <strong>et</strong> non point avant la<br />

marche contre Sar<strong><strong>de</strong>s</strong>) ; mais il est aisé <strong>de</strong> la rectifier sans comprom<strong>et</strong>tre l’information<br />

<strong>de</strong> base, <strong>de</strong> même qu’on doit, <strong>de</strong> toute nécessité, amen<strong>de</strong>r le texte pour faire du<br />

complément bκ Κuπρου non pas la patrie <strong><strong>de</strong>s</strong> adversaires <strong><strong>de</strong>s</strong> Grecs en c<strong>et</strong>te bataille<br />

navale (les Chypriotes ayant été d’emblée les alliés <strong><strong>de</strong>s</strong> Ioniens), mais le simple<br />

point <strong>de</strong> départ <strong>de</strong> la flotte perse en marche contre l’Ionie. D’autre part <strong>et</strong> surtout,<br />

on a négligé un témoignage numismatique d’un grand intérêt, fourni dès 1935 par<br />

un trésor monétaire trouvé fortuitement à Larnaka 13 (l’ancienne Kition), qui avait<br />

fait connaître, entre autres émissions chypriotes <strong><strong>de</strong>s</strong> alentours <strong>de</strong> 500, celle d’un<br />

atelier inconnu, dont le type <strong>de</strong> droit est certes assez commun (gueule <strong>de</strong> lion),<br />

alors que celui du revers, infiniment plus rare, imite très fidèlement l’octapo<strong>de</strong> ou<br />

11. Reprise en <strong>de</strong>rnier lieu chez H. Van Effenterre-F. Ruzé, Recueil d’inscriptions politiques <strong>et</strong><br />

juridiques <strong>de</strong> l’archaïsme grec, 1, n° 91.<br />

12. SEG XXXIV 898. Cf. Walker, p. 127, qui la date comme toujours beaucoup trop haut.<br />

13. P. Dikaios <strong>et</strong> S. Robinson Num. Chron. 1935, p. 165-190 (cf. 1937) = IGCH n° 1272.


ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 605<br />

poulpe <strong><strong>de</strong>s</strong> monnaies frappées à Érétrie (avec, au droit, une vache se r<strong>et</strong>ournant<br />

pour lécher son sabot, ce bovidé, bous, étant en quelque sorte l’emblème <strong>de</strong> l’Eubée<br />

riche en bovins, euboia). Une telle convergence ne saurait être fortuite, pas plus<br />

qu’est due au hasard la présence <strong><strong>de</strong>s</strong> types érétriens dans le monnayage <strong>de</strong> Dikaia,<br />

colonie d’Érétrie sur la côte thrace. C’est donc la preuve qu’un roi chypriote, au<br />

moment <strong>de</strong> l’expédition <strong>de</strong> 499, voulut marquer ainsi son alliance avec les Érétriens<br />

venus à son se<strong>cours</strong>. Tout récemment, un nouveau trésor est venu non seulement<br />

confirmer que ces monnaies circulaient avec celles d’Érétrie même (comme l’avait<br />

fait voir dès 1978 le célèbre trésor d’Asyut en Égypte) mais apporter, grâce à un<br />

exemplaire <strong>de</strong> grand module — aujourd’hui au Cabin<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Médailles <strong>de</strong> Paris<br />

— le nom du souverain qui les avait émises, soit (en syllabaire local), A-ri-si-to-pato,<br />

c’est-à-dire Aristophantos 14 . Si l’éditrice, la numismate suisse S. Hurter, a bien<br />

compris l’intérêt historique <strong>de</strong> ce trésor, le témoignage <strong>de</strong> Plutarque lui a échappé<br />

(comme à tous ses <strong>de</strong>vanciers), qui seul perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> comprendre la raison d’être <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

émissions du roi Aristophantos, dont on situera la capitale sur la côte nord <strong>de</strong> l’île,<br />

peut-être à Marion ou mieux à Soloi, dans la baie même où se livra la bataille<br />

navale, en face <strong>de</strong> la Pamphylie. Quant à la cité <strong>de</strong> Mallos, patrie <strong>de</strong> l’historien<br />

Lysanias, elle se trouve en face <strong>de</strong> la pointe orientale <strong>de</strong> Chypre, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te proximité<br />

géographique pourrait bien être à l’origine <strong>de</strong> l’intérêt qu’un citoyen d’une ville<br />

cilicienne fut amené à porter à l’histoire d’Érétrie.<br />

Mais <strong>de</strong> c<strong>et</strong> auteur on n’a rien conservé d’autre. L’essentiel <strong>de</strong> ce que l’on sait sur<br />

les péripéties <strong>de</strong> la cité pendant la première guerre médique (490) vient d’Hérodote<br />

qui, ayant vécu temporairement à Athènes, <strong>de</strong>vait être bien informé sur la gran<strong>de</strong> île<br />

voisine. Son récit <strong>de</strong> l’expédition punitive envoyée par Darius contre les Athéniens <strong>et</strong><br />

les Érétriens témoigne en tout cas <strong>de</strong> sa connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> réalités topographiques (VI<br />

100-101). Après un premier débarquement à Carystos, les Perses se rapprochèrent le<br />

plus possible <strong>de</strong> la ville d’Érétrie par voie <strong>de</strong> mer, ne laissant pas aux habitants le<br />

moyen <strong>de</strong> livrer bataille dans <strong>de</strong> bonnes conditions, ce qui explique assez pourquoi,<br />

obligés <strong>de</strong> s’enfermer dans leurs murs, ils ne purent résister bien longtemps <strong>et</strong> furent<br />

victimes d’une trahison, alors que les Athéniens, eux, eurent le temps <strong>de</strong> se porter<br />

contre l’ennemi débarqué à Marathon, évitant ainsi <strong>de</strong> voir <strong><strong>de</strong>s</strong> traîtres ouvrir aux<br />

Perses les portes <strong>de</strong> la ville. En eff<strong>et</strong>, contrairement à ce que donnent à penser la<br />

plupart les éditeurs <strong>et</strong> traducteurs, le premier <strong><strong>de</strong>s</strong> trois bourgs érétriens mentionnés<br />

par Hérodote dans ce contexte ne s’appelait pas Tamynai : ce nom résulte d’une<br />

correction érudite au xviii e s., qui aurait dû être abandonnée <strong>de</strong>puis longtemps, car<br />

on sait aujourd’hui que Tamynai était non pas une localité côtière (près d’Aliveri)<br />

mais une bourga<strong>de</strong> située à l’intérieur <strong><strong>de</strong>s</strong> terres (près d’Avlonari), à une bonne<br />

vingtaine <strong>de</strong> km au nord-est <strong>de</strong> la ville. En réalité, le nom authentique, dans les<br />

manuscrits, est Téménos, qu’il faut chercher sur le littoral s’étendant d’Érétrie à<br />

Amarynthos, exactement comme les <strong>de</strong>ux autres localités (Aigilea/Aigalè <strong>et</strong><br />

14. S. Hurter, Qua<strong>de</strong>rni Ticinesi 2006, p. 54-56 ; pour l’inscription cf. aussi M. Eg<strong>et</strong>meyer,<br />

Kadmos 46, 2007 (2008).


606 DENIS KNOEPFLER<br />

Choiriéai 15 ). C’est donc à une faible distance <strong>de</strong> la ville que les Perses débarquèrent,<br />

ce qui eut à la fois un eff<strong>et</strong> positif <strong>et</strong> un eff<strong>et</strong> négatif pour le peuple <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens : si<br />

la ville elle-même fut, au moins partiellement, livrée au flamme — l’étendue <strong>de</strong> la<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>truction est l’obj<strong>et</strong> d’une vive discussion entre archéologues (notamment sur le<br />

point <strong>de</strong> savoir dans quelle mesure fut détruit le temple d’Apollon Daphnéphoros,<br />

achevé une quinzaine d’années plus tôt) — <strong>et</strong> si la population urbaine eut à l’évi<strong>de</strong>nce<br />

beaucoup à souffrir <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te attaque, bon nombre <strong>de</strong> citoyens vivant à la campagne<br />

put, en revanche, échapper à la vindicte <strong><strong>de</strong>s</strong> Perses, quoi qu’ait prétendu la tradition<br />

historiographique en <strong>de</strong>hors d’Hérodote.<br />

Dès une époque relativement ancienne, en eff<strong>et</strong>, la tendance a été <strong>de</strong> dramatiser<br />

à l’extrême la prise d’Érétrie, qui aurait abouti, d’une part, à l’anéantissement <strong>de</strong><br />

la ville (<strong><strong>de</strong>s</strong>truction si totale que son site en ruine aurait encore été visible, sous le<br />

nom <strong>de</strong> Palaia Er<strong>et</strong>ria, <strong><strong>de</strong>s</strong> siècles après l’événement selon Strabon) <strong>et</strong>, d’autre part,<br />

à la capture <strong>de</strong> toute la population par l’application <strong>de</strong> la tactique dite <strong>de</strong> la « prise<br />

au fil<strong>et</strong> » (sagèneia), décrite, il est vrai, par Hérodote lui-même (III 149 <strong>et</strong> surtout<br />

VI 32), mais en d’autres circonstances. En fait, le récit <strong>de</strong> l’historien <strong><strong>de</strong>s</strong> guerres<br />

médiques prouve que le chiffre <strong><strong>de</strong>s</strong> prisonniers fut relativement mo<strong><strong>de</strong>s</strong>te, puisque<br />

ces malheureux purent être tous parqués, quelques jours durant, dans un îlot<br />

extrêmement exigu <strong>de</strong> la ra<strong>de</strong> <strong>de</strong> Styra, non loin <strong>de</strong> la baie <strong>de</strong> Marathon. Pour un<br />

territoire aussi vaste que l’était dès alors l’Érétria<strong>de</strong>, la métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> la sagèneia était<br />

clairement inapplicable. Ce n’est pas sans étonnement, dès lors, que l’on constate<br />

l’adoption <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te version chez les auteurs <strong>de</strong> l’époque impériale (Secon<strong>de</strong><br />

sophistique). Mais ce succès s’explique bien, en réalité, puisque, dès le début du<br />

iv e s. avant J.-C., Platon lui-même s’en fit le garant dans le Ménéxène (40 B-C)<br />

d’abord à travers le dis<strong>cours</strong> patriotique <strong>de</strong> Socrate — censé reproduire un logos<br />

épitaphios d’Aspasie, maîtresse <strong>de</strong> Périclès — puis dans les Lois (III 698 C-D), sous<br />

une forme certes un peu atténuée, comme une rumeur propagée par les Perses<br />

eux-mêmes <strong>et</strong> non nécessairement avérée. Ces <strong>de</strong>ux passages convergents prouvent<br />

donc qu’il existait à Athènes une tradition bien accréditée selon laquelle aucun<br />

Érétrien n’avait échappé à la captivité, sinon à la mort. Si les Athéniens étaient<br />

attachés à c<strong>et</strong>te version, au mépris <strong>de</strong> celle, bien plus crédible, d’Hérodote, c’est<br />

que le malheur même <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens donnait un relief accru au courage <strong>et</strong> à la valeur<br />

militaire <strong><strong>de</strong>s</strong> fils d’Athènes face à un tel adversaire. Il s’agit donc bien d’un dis<strong>cours</strong><br />

idéologique, dont la portée historique est assez faible. On peut adm<strong>et</strong>tre cependant<br />

qu’il reposait en <strong>de</strong>rnière analyse sur une tradition remontant peut-être à Hellanicos<br />

<strong>de</strong> Lesbos, auteur d’une histoire <strong>de</strong> l’Attique déjà connue <strong>de</strong> Thucydi<strong>de</strong> 16 .<br />

Ce qui est sûr, c’est qu’un certain nombre d’Érétriens furent effectivement<br />

emmenés en captivité jusque à Suse, rési<strong>de</strong>nce du roi Darius : le récit d’Hérodote<br />

15. Pour la situation <strong><strong>de</strong>s</strong>quelles voir D. Knoepfler, Décr<strong>et</strong>s érétriens, 2001, p. 103 sqq.<br />

16. Mais on signalera que pour M. Moggi, Studi Classici e Orientali 17, 1986, p. 213 sq.,<br />

Platon n’a pas eu d’autre source qu’Hérodote.


ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 607<br />

en porte témoignage, qui précise que ces prisonniers — après un très long voyage<br />

— furent installés à une quarantaine <strong>de</strong> km <strong>de</strong> la capitale <strong>de</strong> l’Empire, à Ar<strong>de</strong>rrika,<br />

à proximité — relève l’historien (VI 119) — d’un « puits extraordinaire » fournissant<br />

trois produits différents : « car on y puise du bitume (asphaltos), du sel (hals) <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l’huile (élaion) » : nul doute, comme cela a été reconnu <strong>de</strong> longue date, que ces<br />

déportés se trouvèrent ainsi placés dans les parages d’un puits <strong>de</strong> pétrole, le premier<br />

qui soit attesté dans l’histoire <strong>de</strong> l’humanité ! Mais sa localisation dans la région<br />

<strong>de</strong> Dizful (peut-être à Kir-Ab, nom signifiant du reste « Eau bitumineuse »)<br />

<strong>de</strong>meure d’autant plus problématique qu’on est là dans une zone bouleversée par<br />

l’exploitation industrielle du précieux liqui<strong>de</strong> <strong>et</strong> peut-être par les récents<br />

affrontements entre l’Iran <strong>et</strong> l’Irak. Si Hérodote n’a pas nécessairement décrit c<strong>et</strong><br />

endroit <strong>de</strong> visu, il put visiblement recueillir <strong>de</strong> la bouche d’un témoin oculaire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

informations sur les Érétriens d’Ar<strong>de</strong>rrika, puisqu’il les décrit comme parlant<br />

toujours, à l’époque où lui-même écrivait (mekhri emeou), leur ancienne langue<br />

(tèn archaian glôssan), c’est-à-dire leur parler d’origine 17 . Mais quel fut après c<strong>et</strong>te<br />

date, à situer vers 440, le sort <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens d’Ar<strong>de</strong>rrika ?<br />

Si Xénophon, chose normale du reste, ne les mentionne pas dans son Anabase,<br />

on a pu montrer que le souvenir d’une population grecque installée au cœur <strong>de</strong><br />

l’Empire perse subsistait chez les historiens d’Alexandre (ainsi Quinte-Curce<br />

comme aussi Diodore) <strong>et</strong> d’abord, bien sûr, dans les sources contemporaines<br />

(perdues), non sans confusion parfois sur leur origine <strong>et</strong>hnique ou sur le lieu <strong>de</strong><br />

leur déportation. De ces témoignages se dégage l’impression que vers la fin du<br />

iv e s. c<strong>et</strong>te population d’ores <strong>et</strong> déjà bilingue (diglôssos) n’était plus très éloignée<br />

<strong>de</strong> perdre définitivement son i<strong>de</strong>ntité ; car si Strabon, à l’extrême fin <strong>de</strong> l’époque<br />

hellénistique, évoque encore ces Érétriens établis en Gordyène (XVII 1, 24), cela<br />

ne prouve évi<strong>de</strong>mment pas qu’ils existaient toujours à l’époque d’Auguste. On est<br />

d’autant plus surpris d’apprendre que le village <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens aurait encore été<br />

visité, au milieu du i er siècle <strong>de</strong> notre ère, par le philosophe, prédicateur <strong>et</strong><br />

thaumaturge Apollonios <strong>de</strong> Tyane au <strong>cours</strong> du long voyage qu’il aurait fait jusqu’en<br />

In<strong>de</strong>. Le personnage est certainement historique, mais sa biographie, qui nous est<br />

connue essentiellement par la Vie d’Apollonios du sophiste Philostrate, au début du<br />

iii e siècle ap. J.-C., comporte un nombre élevé d’épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> entièrement fictifs. Dans<br />

un mémoire en préparation <strong>de</strong>puis longtemps, le professeur montre que tel est bien<br />

le caractère <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te prétendue visite, qui fourmille d’invraisemblances <strong>et</strong><br />

d’anachronismes. Mais ce long excursus sur la situation <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens, leurs activités<br />

professionnelles, leur état <strong>de</strong> santé, leurs monuments funéraires <strong>et</strong> honorifiques<br />

(pour les rois <strong><strong>de</strong>s</strong> Perses, <strong>de</strong> Darius le Grand à Daridaios, alias Dareiaios ou<br />

Darius II, mort en 404) remonte manifestement à un témoin oculaire beaucoup<br />

plus ancien. Sur la base d’indices remarquablement convergents, on peut i<strong>de</strong>ntifier<br />

sûrement ce témoin au mé<strong>de</strong>cin Ctésias <strong>de</strong> Cni<strong>de</strong>, qui séjourna à la cour <strong>de</strong> Suse<br />

aux alentours <strong>de</strong> 400 avant J.-C. Dès lors, c<strong>et</strong> extrait <strong>de</strong> la romanesque Vie<br />

17. Pour le sens <strong>de</strong> archaios/palaios chez Hdt. voir Edm. Lévy, Ktéma 2007, avec c<strong>et</strong> exemple.


608 DENIS KNOEPFLER<br />

d’Apollonios <strong>de</strong>vra être considéré, pour son noyau essentiel, comme un « fragment »<br />

supplémentaire, jusqu’ici méconnu, <strong><strong>de</strong>s</strong> Persika <strong>de</strong> Ctésias (ouvrage récemment<br />

édité dans la Collection <strong><strong>de</strong>s</strong> Universités <strong>de</strong> <strong>France</strong> par les soins <strong>de</strong> D. Lenfant),<br />

d’un grand intérêt pour la biographie du personnage, puisque du chiffre 88 indiqué<br />

par Philostrate pour le nombre d’années pendant lequel les Érétriens continuèrent<br />

à faire usage <strong>de</strong> l’écriture il <strong>de</strong>vient possible d’inférer que le passage <strong>de</strong> Ctésias à<br />

Ar<strong>de</strong>rrika (probablement lors d’un déplacement <strong>de</strong> Suse à Ecbatane en compagnie<br />

<strong>de</strong> son royal patient Artaxerxès II) eut lieu exactement en 402 av. J.-C., fournissant<br />

ainsi la preuve définitive que Ctésias était à la cour <strong><strong>de</strong>s</strong> Achéméni<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>puis 404<br />

au moins. À l’extrême fin du v e s., les <strong><strong>de</strong>s</strong>cendants <strong><strong>de</strong>s</strong> prisonniers <strong>de</strong> 490 non<br />

seulement parlaient toujours le grec, mais ils l’écrivaient encore, utilisant pour cela,<br />

selon toute vraisemblance, le vieil alphab<strong>et</strong> eubéen « épichorique », alors qu’à<br />

Érétrie même celui-ci était justement en passe <strong>de</strong> sortir complètement <strong>de</strong> l’usage,<br />

comme l’atteste en particulier un célèbre décr<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’année 411. On a fait voir aux<br />

auditeurs, par plusieurs exemples examinés en séminaire, ce qui différencie les<br />

inscriptions érétriennes traditionnelles <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments gravés selon le nouvel<br />

alphab<strong>et</strong>, dit attico-ionien.<br />

« La Cité <strong>de</strong> Ménédème » (IV e -III e siècles avant J.-C.)<br />

On résumera ici plus succinctement la partie du <strong>cours</strong> qui a été consacrée à<br />

l’histoire <strong>de</strong> la cité après la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> domination athénienne (446-411). En eff<strong>et</strong>,<br />

la libération d’Érétrie à l’automne 411 ouvre une pério<strong>de</strong> qui a fait l’obj<strong>et</strong>, <strong>de</strong> la<br />

part du professeur, d’assez nombreuses étu<strong><strong>de</strong>s</strong> — <strong>travaux</strong> auxquels il est aisé <strong>de</strong><br />

renvoyer le lecteur curieux d’en savoir davantage ou <strong>de</strong> mesurer la complexité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

problèmes — <strong>et</strong> qui, surtout, doit être présentée <strong>de</strong> manière synthétique dans un<br />

ouvrage en préparation, <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné à paraître sous le titre <strong>de</strong> La cité <strong>de</strong> Ménédème.<br />

L’époque qui mérite pleinement l’appellation <strong>de</strong> « siècle <strong>de</strong> Ménédème », du nom<br />

du plus célèbre <strong><strong>de</strong>s</strong> citoyens d’Érétrie, est sensiblement plus courte, il est vrai, ne<br />

s’étendant guère que <strong>de</strong> la fin du iv e s. au milieu du iii e s., plus précisément <strong>de</strong> la<br />

guerre appelée lamiaque (323-322) à celle dite <strong>de</strong> Chrémonidès (268/7-261/1),<br />

toutes <strong>de</strong>ux en relation avec l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> cités dans leurs rapports avec la monarchie<br />

macédonienne. Mais l’auteur est convaincu que c<strong>et</strong>te courte pério<strong>de</strong> d’autonomie<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> prospérité relatives pour les Érétriens forme en réalité un tout, sur le plan<br />

institutionnel <strong>et</strong> social, avec ce qui précè<strong>de</strong> comme avec ce qui suit immédiatement.<br />

Car c’est précisément l’expansion consécutive à l’année 411 qui donne à l’État<br />

érétrien la forme <strong>et</strong> les structures qu’il conservera intactes, autant qu’on en puisse<br />

juger, jusqu’à la fin <strong>de</strong> la domination macédonienne au moins. De fait, c’est une<br />

nouvelle pério<strong>de</strong> qui s’ouvre avec la mainmise romaine sur la Grèce, quelle que soit<br />

la date précise qu’il faille arrêter dans le cas d’Érétrie <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Eubée : 198, 194 ou<br />

191, voire seulement 167 ou 146. Il y a donc bien une « Cité <strong>de</strong> Ménédème » qui<br />

se m<strong>et</strong> en place dès le début du iv e s. <strong>et</strong> qui subsiste pour l’essentiel, en dépit d’une<br />

longue série <strong>de</strong> vicissitu<strong><strong>de</strong>s</strong>, jusqu’à l’extrême fin du iii e s. au moins.


ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 609<br />

Dans c<strong>et</strong>te longue tranche d’histoire, les questions qui ont été proposées à<br />

l’attention <strong>et</strong> à la critique <strong><strong>de</strong>s</strong> auditeurs ont été principalement les suivantes :<br />

I. L’arrière-plan politique <strong>de</strong> la libération <strong>de</strong> la cité, suite à la défaite <strong><strong>de</strong>s</strong> oligarques<br />

athéniens <strong>de</strong>vant le port d’Érétrie en 411. On a montré que le récit <strong>de</strong> Thucydi<strong>de</strong><br />

(VIII 95) contenait une indication dont l’importance avait totalement échappé<br />

jusqu’ici aux commentateurs. En eff<strong>et</strong>, si les Athéniens ont pu croire qu’ils avaient<br />

affaire à une cité « amie », ce n’est point par naïv<strong>et</strong>é ou aveuglement : c’est parce<br />

que les Érétriens avaient adopté précé<strong>de</strong>mment le régime oligarchique prôné par<br />

les Quatre-Cents à Athènes ; Thucydi<strong>de</strong> l’a expressément signalé pour d’autres cités<br />

comme Thasos ; s’il a omis <strong>de</strong> le dire pour Érétrie, c’est faute d’avoir eu le loisir<br />

<strong>de</strong> revoir ce livre VIII, clairement inachevé. Ainsi s’explique également qu’il ait<br />

utilisé le terme <strong>de</strong> épiteichisma (à ne pas corriger en teichisma avec la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

éditeurs) pour désigner le fort où quelques Athéniens purent se réfugier à l’issue<br />

<strong>de</strong> la bataille navale ; car ce fort situé probablement sur la presqu’île <strong>de</strong> Pezonisi,<br />

à la sortie du port, <strong>de</strong>meura en mains athéniennes même après la perte <strong>de</strong> l’Eubée,<br />

comme en témoigne indirectement le compte <strong><strong>de</strong>s</strong> Hellénotames <strong>de</strong> l’année 409<br />

(conservé au Louvre) : <strong>de</strong>puis 411 <strong>et</strong> jusqu’en 405, époque où Thucydi<strong>de</strong> rédigeait<br />

ce livre VIII, l’ancien teichisma était donc <strong>de</strong>venu un épiteichisma, un fort installé<br />

en territoire ennemi, ce qu’il n’était à l’évi<strong>de</strong>nce pas lors <strong>de</strong> la bataille <strong>de</strong> 411 : c’est<br />

un autre indice d’inachèvement <strong>de</strong> la rédaction.<br />

On s’est <strong>de</strong>mandé d’autre part, en séance <strong>de</strong> séminaire, si les historiens mo<strong>de</strong>rnes<br />

étaient fondés à m<strong>et</strong>tre en relation avec c<strong>et</strong>te bataille l’épigramme qui surmontait,<br />

au témoignage <strong>de</strong> Pausanaias (I 29, 13), un grand monument du Dèmosion Sèma<br />

athénien. Il est apparu que c<strong>et</strong>te opinion conduisait à une impasse <strong>et</strong> que le texte<br />

en question n’avait rien à voir avec les événements <strong><strong>de</strong>s</strong> années 413-411 (gran<strong>de</strong><br />

expédition <strong>de</strong> Sicile <strong>et</strong> campagnes subséquentes) mais qu’il <strong>de</strong>vait être rapporté à<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> péripéties militaires diverses survenues en l’an 424. On a contesté également<br />

que <strong>de</strong>ux fragments d’une liste — dont un tout récemment publié (cf. Bull. épigr.<br />

2005, 24) — d’Athéniens morts à la guerre, soient les restes du tombeau public<br />

évoqué (certainement <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> main) par Pausanias : jusqu’ici, par conséquent,<br />

aucun vestige assuré ne paraît subsister du monument élevé pour les Athéniens<br />

morts à Érétrie en 411.<br />

II. Érétrie dans les affres <strong>de</strong> la guerre civile. La nouvelle loi contre la tyrannie.<br />

À la lumière <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te importante inscription, publiée en 2002-2003 par les soins du<br />

professeur, il importait <strong>de</strong> reconsidérer une phase particulièrement troublée <strong>de</strong><br />

l’histoire <strong>de</strong> la cité, entre 366 (date où la tyrannie fait son apparition pour Érétrie<br />

dans les sources littéraires), <strong>et</strong> 341 (époque où le tyran Kleitarchos fut abattu manu<br />

militari au terme d’une expédition menée par Athènes dans le but <strong>de</strong> libérer l’Eubée<br />

<strong>de</strong> l’emprise du roi Philippe <strong>de</strong> Macédoine). Il a ainsi été possible <strong>de</strong> faire le point<br />

sur plusieurs documents athéniens mentionnant les Érétriens, en particulier le décr<strong>et</strong><br />

IG II 2 125, dont le professeur avait montré naguère qu’il ne pouvait s’appliquer à la


610 DENIS KNOEPFLER<br />

conjoncture <strong>de</strong> 357 mais <strong>de</strong>vait être rapporté aux événements dramatiques <strong>de</strong> l’année<br />

348 <strong>et</strong> ne datait lui-même que <strong><strong>de</strong>s</strong> alentours <strong>de</strong> 343, datation qui, avec les restitutions<br />

nouvelles qu’elle impliquait, a été largement entérinée par les spécialistes (cf. en<br />

<strong>de</strong>rnier lieu S. Lambert, ZPE 161, 2007, p. 68). Temporairement libérés <strong>de</strong> leur<br />

« tyran » Ploutarchos (allié <strong>de</strong> Midias, l’ennemi personnel <strong>de</strong> Démosthène), les<br />

Érétriens connaissent une nouvelle <strong>et</strong> ultime phase <strong>de</strong> tyrannie en 342 -341, qui<br />

mène la cité au bord <strong>de</strong> la guerre civile : « pauvres <strong>et</strong> malheureux Érétriens »,<br />

s’exclame l’auteur <strong>de</strong> la Midienne dans un dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’hiver 342/1 (IX 66). C’est<br />

manifestement à c<strong>et</strong>te époque <strong>de</strong> lutte intense contre Kleitarchos <strong>et</strong> ses acolytes que<br />

se réfère, dans sa partie la plus originale, la loi votée au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> la libération <strong>de</strong><br />

341, puisqu’elle prévoit, dans les termes les plus précis, la manière d’organiser la<br />

guérilla contre les adversaires du régime démocratique (fort précisément défini<br />

comme étant la politeia où tous les citoyens sont admis au tirage au sort donnant<br />

accès à la boulè). Chemin faisant, on a examiné quelques problèmes subsistant dans<br />

la restitution <strong>et</strong> l’interprétation <strong>de</strong> ce texte amputé. Si un nouveau supplément<br />

proposé par l’historien britannique Robert Parker a pu être d’emblée accepté, le<br />

professeur a dû combattre en revanche l’interprétation <strong>et</strong> la chronologie d’une jeune<br />

historienne alleman<strong>de</strong> (A. Dössel : cf. Bull. épigr. 2008 n° 265), qui voudrait distinguer<br />

pas moins <strong>de</strong> trois lois dans c<strong>et</strong> ensemble, la <strong>de</strong>rnière pouvant être, selon elle, l’œuvre<br />

du seul parti démocratique installé à Porthmos avant son expulsion en 342 : ce texte<br />

législatif est certes constitué <strong>de</strong> strates successives, mais il a été tout entier réécrit au<br />

moment <strong>de</strong> la libération (comme la loi d’Eukratès à Athènes en 336), <strong>et</strong> c’est<br />

l’Artémision d’Amarynthos qui, jusqu’à preuve du contraire, reste le lieu d’exposition<br />

le plus vraisemblable <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te gran<strong>de</strong> stèle, non pas la forteresse <strong>de</strong> Porthmos.<br />

C’était l’occasion aussi <strong>de</strong> reprendre en séminaire l’examen du règlement<br />

instituant un con<strong>cours</strong> musical aux Artémisia, car c<strong>et</strong>te belle inscription publiée il<br />

y a plus d’un siècle appartient manifestement au même contexte politique (même<br />

s’il faut adm<strong>et</strong>tre, <strong>de</strong> toute nécessité, un écart <strong>de</strong> quelques années entre elle <strong>et</strong> la<br />

loi contre la tyrannie). Il est apparu que le commentaire en était à reprendre sur<br />

plus d’un point, le sens <strong>de</strong> plusieurs expressions ayant été méconnu : cela concerne<br />

en particulier le calendrier, l’emplacement <strong>de</strong> la fête, le déroulement <strong>de</strong> la procession,<br />

les victimes à sacrifier, <strong>et</strong>c. ; le professeur en donnera très prochainement une<br />

réédition critique — assortie pour la première fois d’une traduction française —<br />

dans le cadre <strong>de</strong> ses recherches archéologiques sur l’Artémision d’Amarynthos.<br />

III. Les fon<strong>de</strong>ments chronologiques <strong>de</strong> la biographie du philosophe <strong>et</strong> homme d’État<br />

Ménédème <strong>et</strong> les décr<strong>et</strong>s d’Érétrie entre 323 <strong>et</strong> 304. L’importance <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te biographie<br />

pour l’histoire <strong>de</strong> la Grèce à la fin du iv e <strong>et</strong> plus encore au début du iii e s. n’est plus à<br />

démontrer : elle s’explique d’un côté par le fait que Ménédème a côtoyé bien <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

souverains hellénistiques <strong>et</strong> qu’il a lui-même exercé <strong>de</strong> hautes charges dans sa cité, <strong>et</strong><br />

tient d’un autre côté au fait que le récit <strong>de</strong> Diogène Laërce s’appuie en <strong>de</strong>rnière<br />

analyse sur un noyau pratiquement contemporain, l’œuvre du biographe Antigone<br />

<strong>de</strong> Carystos, alors que les sources historiographiques font dramatiquement défaut


ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 611<br />

entre 300 <strong>et</strong> 250 environ. Mais les informations fournies par ce texte ne sont<br />

utilisables que si elles peuvent être datées. Or, le cadre chronologique <strong>de</strong> la Vie <strong>de</strong><br />

Ménédème a été l’obj<strong>et</strong>, <strong>de</strong>puis au moins un siècle, <strong>de</strong> vives discussions : autour <strong>de</strong> la<br />

date-pivot qu’a constitué la bataille <strong>de</strong> Lysimacheia en 278, s’ajoutant à la conviction<br />

que Ménédème était mort à 74 ans, une chronologie haute s’était imposée, qui faisait<br />

naître le philosophe vers 350 déjà <strong>et</strong> disparaître dès après c<strong>et</strong>te victoire du roi<br />

Antigone sur les Galates, tandis que, <strong>de</strong>puis l’historien Beloch en 1927, on préférait<br />

à juste titre, mais non sans rencontrer <strong>de</strong> sérieuses difficultés, une chronologie basse,<br />

où Ménédème né vers 339 seulement, prolongeait son existence jusque vers 267. En<br />

1991, le professeur a pu démontrer que ces <strong>de</strong>ux systèmes étaient l’un <strong>et</strong> l’autre<br />

rendus caducs par une erreur remontant à la fin du xvii e s. : la préférence,<br />

philologiquement injustifiée, donnée à la leçon <strong>de</strong> la vulgate pour l’âge <strong>de</strong> Ménédème,<br />

soit 74 ans, alors que la leçon authentique lui donne en réalité 84 ans d’existence.<br />

C<strong>et</strong>te rallonge <strong>de</strong> dix ans a permis <strong>de</strong> dater correctement un épiso<strong>de</strong> capital <strong>de</strong> la<br />

biographie : l’envoi, à l’âge <strong>de</strong> 20 ans environ, du futur philosophe à Mégare comme<br />

garnisaire. Le professeur a pu montrer en eff<strong>et</strong> aux auditeurs que seul le soulèvement<br />

<strong>de</strong> la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> cités <strong>de</strong> Grèce propre contre le pouvoir macédonien à la mort<br />

d’Alexandre en 323, perm<strong>et</strong>tait <strong>de</strong> rendre compte <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te opération insolite,<br />

Mégariens <strong>et</strong> Érétriens ayant été alors parmi les très rares peuples à <strong>de</strong>meurer fidèles<br />

au régent Antipatros. Dès lors, tout s’éclaire : Ménédème, né vers 345/4, eut tout le<br />

loisir, entre 322 <strong>et</strong> 310 environ <strong>de</strong> faire les longs séjours <strong>de</strong> formation à l’étranger<br />

qu’évoque le biographe, <strong>et</strong> c’est seulement après 304, voire plus tard encore, qu’il a<br />

entamé sa carrière politique à Érétrie ; son décès n’est survenu que vers 262, plusieurs<br />

années après qu’il eut été obligé <strong>de</strong> fuir sa patrie pour <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons politiques, laps <strong>de</strong><br />

temps pendant lequel il essaya en vain d’obtenir du roi Antigone, son ancien élève,<br />

que fût rendu à ses compatriotes le régime démocratique aboli ou suspendu après la<br />

prise <strong>de</strong> la ville par ce monarque 268/7 très probablement. C’est donc dans ce cadre<br />

qu’il convient d’ordonner désormais les autres épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> marquants <strong>de</strong> la biographie.<br />

Par ailleurs, on a essayé <strong>de</strong> reconstituer, à l’ai<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te fois <strong><strong>de</strong>s</strong> décr<strong>et</strong>s érétriens<br />

parvenus jusqu’à nous, les vicissitu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la « cité <strong>de</strong> Ménédème », entre 322 <strong>et</strong> 301,<br />

pério<strong>de</strong> particulièrement bien documentée (voir Décr<strong>et</strong>s érétriens, n° VI-XIV).<br />

Quelques-uns <strong>de</strong> ces documents ont été examinés en séances <strong>de</strong> séminaire. Ce<br />

fut le cas en particulier, même s’il n’a pas été possible d’en envisager tous les<br />

aspects, d’une inscription érétrienne particulièrement fameuse, datable <strong><strong>de</strong>s</strong> années<br />

315-310, la convention pour l’assèchement du lac <strong>de</strong> Ptéchai, document étudié<br />

naguère par le professseur dans le cadre d’un symposium du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

organisé par son collègue Pierre Briant, <strong>et</strong> pour l’interprétation duquel il a bénéficié<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> recherches <strong>de</strong> son élève <strong>et</strong> assistant Thierry Châtelain sur les modalités<br />

techniques d’une telle entreprise <strong>de</strong> drainage. C<strong>et</strong>te inscription parvenue au Musée<br />

épigraphique d’Athènes est malheureusement fort endommagée ; cependant, outre<br />

un texte d’un intérêt capital sur le plan juridique <strong>et</strong> institutionnel, elle conserve<br />

un fragment <strong>de</strong> sculpture en relief, où l’on a fait voir qu’il fallait reconnaître, tout<br />

à gauche, la déesse-mère Léto tenant un sceptre, précédée <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux divinités


612 DENIS KNOEPFLER<br />

majeures <strong>de</strong> la cité, Artémis Amarysia à la torche puis Apollon Daphéphoros<br />

(entièrement perdu) représenté avec la cithare comme sur un autre relief érétrien,<br />

tandis que tout à droite figurait sans doute le dieu au nom duquel l’entrepreneur<br />

étranger Chairéphanès s’engageait vis-à-vis <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens.<br />

IV. La cité à l’époque du roi Démétrios, les ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> Ménédème avant <strong>et</strong> après le<br />

tournant <strong>de</strong> 286. C’est en bonne partie sous le règne <strong>de</strong> ce roi Démétrios Poliorcète,<br />

dont Plutarque a laissé une biographie riche en informations, que s’est développée la<br />

carrière politique <strong>de</strong> Ménédème. Mais il n’est plus possible d’adm<strong>et</strong>tre que la<br />

première ambassa<strong>de</strong> du philosophe auprès <strong>de</strong> ce souverain — celle où il plaida « avec<br />

gravité » (<strong>et</strong> sans doute succès) la cause <strong>de</strong> la p<strong>et</strong>ite cité d’Oropos, toute vosine<br />

d’Érétrie — eut lieu dès 304, quand ce fils d’Antigone le Borgne se rendit maître <strong>de</strong><br />

toute la région : malgré l’autorité <strong>de</strong> Louis Robert, qui l’avait prônée en 1960, c<strong>et</strong>te<br />

datation se heurte eff<strong>et</strong> à <strong><strong>de</strong>s</strong> difficultés insurmontables : il faut donc abaisser<br />

l’époque <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong> jusque vers 295, quand Oropos put être arrachée à la<br />

domination <strong><strong>de</strong>s</strong> Athéniens qui étaient alors les adversaires déclarés <strong>de</strong> Démétrios.<br />

Proche à certains égards <strong>de</strong> ce souverain, Ménédème fut plus d’une fois député auprès<br />

<strong>de</strong> lui par ses compatriotes : vers la fin du règne, il se vit confier la mission difficile<br />

d’obtenir un allègement <strong>de</strong> la très lour<strong>de</strong> d<strong>et</strong>te que les Érétriens avaient accumulée<br />

(200 talents, une somme colossale pour une cité <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te taille). Il sut également lui<br />

résister : dans un passage mal interprété ou même incorrectement édité, le biographe<br />

indique qu’en tant que haut magistrat (proboulos), il fit obstacle à ceux qui cherchait<br />

à s’appuyer sur le roi pour établir une oligarchie, sauvant ainsi sa cité <strong>de</strong> la menace<br />

« <strong><strong>de</strong>s</strong> tyrans ». Un tel épiso<strong>de</strong> est parfaitement en situation dans la pério<strong>de</strong> 294-287,<br />

quand Démétrios imposait un régime <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te nature aux Athéniens eux-mêmes.<br />

De fait, Ménédème continua à exercer <strong>de</strong> hautes magistratures après le tournant <strong>de</strong><br />

287-286, quand, partant pour l’Asie, le roi dut relâcher sa tutelle sur les cités<br />

<strong>de</strong> Grèce propre, puis leur restituer <strong>de</strong> fait leur autonomie. De ce r<strong>et</strong>our à la liberté<br />

vers 285 on a un témoignage épigraphique méconnu pendant plus d’un <strong>de</strong>mimillénaire<br />

: c’est la « loi sacrée » copiée en 1436 par le célèbre voyageur Cyriaque<br />

d’Ancône, décr<strong>et</strong> qui fait état d’une libération <strong>de</strong> la cité <strong>et</strong> du rétablissement <strong>de</strong> la<br />

démocratie après le départ inopiné d’une garnison. Depuis un fameux mémoire <strong>de</strong><br />

Maurice Holleaux en 1897 — qui est un chef-d’œuvre insurpassable d’érudition<br />

critique <strong>et</strong> <strong>de</strong> rhétorique au service <strong>de</strong> l’intelligence historique — on a été convaincu<br />

que c<strong>et</strong>te libération était à m<strong>et</strong>tre en relation avec un épiso<strong>de</strong> sensiblement plus<br />

ancien <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’Eubée dans ses rapports avec le Koinon béotien (Holleaux<br />

ayant su démontrer que la cité avait adhéré à la confédération voisine au moment <strong>de</strong><br />

promulguer la loi en question). Mais c<strong>et</strong>te exégèse si séduisante se heurte aujourd’hui<br />

à <strong><strong>de</strong>s</strong> objections dirimantes. Il faudra donc savoir y renoncer en faveur d’une datation<br />

au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> années 280, époque <strong>de</strong> renouveau pour l’État fédéral béotien. Il n’en<br />

reste pas moins certain que la pério<strong>de</strong> béotienne d’Érétrie ne fut pas <strong>de</strong> longue durée.<br />

Plusieurs documents attestent un prompt r<strong>et</strong>our à l’autonomie <strong>et</strong> à ses institutions<br />

ancestrales : c’est déjà le cas du décr<strong>et</strong> proposé par Ménédème en personne au<br />

len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> la victoire du roi Antigone à Lysimacheia en 278, décr<strong>et</strong> non r<strong>et</strong>rouvé


ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 613<br />

mais conservé en partie par Diogène Laërce. La magistrature traditionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

probouloi survécut même à la mise sous tutelle <strong>de</strong> la cité après 267, comme le prouve<br />

un décr<strong>et</strong> publié par le professeur en 2001 (Décr<strong>et</strong>s érétriens, n° 15), qui témoigne<br />

éloquemment <strong>de</strong> la situation politique <strong>et</strong> financière critique d’Érétrie vers 260-250,<br />

à la veille <strong>de</strong> la sécession d’Alexandre fils Cratère, gouverneur royal dont le nom<br />

figure en tête <strong>de</strong> ce document.<br />

Dans une séance <strong>de</strong> séminaire tenue le 18 avril 2008, le professeur d’abord puis<br />

surtout M me Brigitte Le Guen, professeur à l’Université <strong>de</strong> Paris VIII, ont examiné<br />

avec les auditeurs une inscription eubéenne justement célèbre, la loi sur les<br />

« technites dionysiaques » (acteurs <strong>et</strong> musiciens) émanant <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre cités <strong>de</strong> l’île<br />

<strong>et</strong> datant à coup sûr <strong>de</strong> la domination <strong>de</strong> Démétrios Poliorcète (soit très<br />

probablement <strong><strong>de</strong>s</strong> années 295-287 environ). Spécialiste reconnue <strong>de</strong> l’histoire du<br />

théâtre grec en général <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> associations d’artistes en particulier, elle a pu m<strong>et</strong>tre<br />

en évi<strong>de</strong>nce l’intérêt exceptionnel <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te inscription, bien au-<strong>de</strong>là du cadre<br />

historique strictement eubéen (cf. Bull. épigr. 2007, 328).<br />

V. La structure du corps civique <strong>et</strong> l’organisation du territoire à la haute époque<br />

hellénistique. Deux séances ont été finalement consacrées à c<strong>et</strong> aspect <strong>de</strong> l’enquête<br />

sur l’histoire d’Érétrie, qui n’est certes pas le moins intéressant, compte tenu du fait<br />

que très rares sont en définitive les cités qui offrent une documentation comparable<br />

sur les subdivisions territoriales <strong>et</strong> d’abord civiques. C’est d’une part que l’Érétria<strong>de</strong><br />

ou Érétrique était un pays d’une étendue assez considérable, presque la moitié <strong>de</strong><br />

l’Attique ou territoire d’Athènes ; <strong>et</strong> c’est d’autre part que les Érétriens ont<br />

visiblement été influencés par le modèle athénien, qu’ils ont toutefois su adapter<br />

sans servilité aux réalités géographiques <strong>et</strong> démographiques locales. L’exposé du<br />

professeur a essayé <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en lumière les principales étapes <strong>de</strong> la recherche <strong>de</strong>puis<br />

plus d’un siècle, quand apparurent les premières listes <strong>de</strong> citoyens portant un<br />

démotique. Une étape importante fut franchie en 1947 avec l’étu<strong>de</strong> du canadien<br />

W. Wallace, qui put établir <strong>de</strong> façon incontestable que les quelque cinquante dèmes<br />

ou villages connus alors étaient regroupés en cinq « districts », lesquels, comme cela<br />

fut plus tard démontré, s’appelaient en fait chôroi. C’est fort récemment seulement,<br />

en revanche, que les <strong>travaux</strong> du professeur ont fait apparaître une structure qui avait<br />

été totalement négligée jusque-là, celle <strong><strong>de</strong>s</strong> phylai ou tribus. Il a montré qu’elles<br />

<strong>de</strong>vaient être au nombre <strong>de</strong> six ; <strong>et</strong> c’est en fonction <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te division « tribale » que<br />

— sauf cas particulier (contexte militaire notamment) — se répartissaient les citoyens<br />

sur les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> stèles conservées en totalité ou en partie. Il en a administré une<br />

nouvelle preuve en examinant un fragment encore inédit se rattachant à un morceau<br />

déjà connu (IG XII 9, 247). C’est le reste d’une <strong><strong>de</strong>s</strong> six stèles où fut gravé, à l’époque<br />

<strong>de</strong> Ménédème (dont le nom figure sur une <strong><strong>de</strong>s</strong> stèles), un recensement compl<strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

population adulte mâle. Tout récemment (2006), l’historien danois Mogens Hansen<br />

a essayé <strong>de</strong> tirer parti <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te documentation désormais exploitable à <strong><strong>de</strong>s</strong> fins <strong>de</strong><br />

démographie historique. Sa métho<strong>de</strong> <strong>et</strong> les résultats obtenus ont fait l’obj<strong>et</strong> d’une<br />

présentation critique (cf. Bull. épigr. 2007, n° 327).


614 DENIS KNOEPFLER<br />

Lors d’une séance <strong>de</strong> séminaire (16 mai 2008), M. Sylvian Fachard, secrétaire<br />

scientifique <strong>de</strong> École suisse d’achéologie en Grèce, auteur d’une thèse maintenant<br />

achevée sur Les fortifications <strong>de</strong> l’Érétria<strong>de</strong> à l’époque classique <strong>et</strong> hellénistique, a<br />

entr<strong>et</strong>enu le public <strong>de</strong> ses recherches <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses fouilles ; son exposé très richement<br />

illustré a montré tout ce qu’une exploration systématique du territoire apportait à<br />

la connaissance <strong>de</strong> la polis Er<strong>et</strong>riéôn, <strong>de</strong> son organisation, <strong>de</strong> son économie <strong>et</strong><br />

d’abord, bien sûr, <strong>de</strong> son système <strong>de</strong> défense.<br />

La nouvelle inscription <strong>de</strong> Dikaia, colonie d’Érétrie<br />

Le 30 mai 2008, au séminaire comme déjà dans le <strong>cours</strong>, le professeur Emmanuel<br />

Voutiras (Université <strong>de</strong> Thessalonique) a présenté le très important document qu’il<br />

vient <strong>de</strong> publier avec son collègue K. Sismanidis, Ancient Macedonia. Papers read<br />

at the VIIth Symposium, 2007 p. 253-274, en grec mo<strong>de</strong>rne). En attendant le texte<br />

qu’il donnera dans les CRAI 2008, 2 e fascicule (assorti <strong><strong>de</strong>s</strong> remarques du titulaire<br />

<strong>de</strong> la chaire lors <strong>de</strong> la communication faite par c<strong>et</strong> historien à l’Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong> ;<br />

cf. aussi Bull. épig. 2008, n° 263 <strong>et</strong> 339), on trouvera ici un bref résumé <strong>de</strong> sa<br />

présentation.<br />

Trouvée au printemps 2001 par le propriétaire d’un terrain situé sur une colline<br />

du village d’Aghia Paraskevi, dans la basse vallée <strong>de</strong> l’Anthémonte, à environ 15 km<br />

au sud-est <strong>de</strong> Thessalonique, c<strong>et</strong>te inscription, longue <strong>de</strong> 105 lignes, contient une<br />

série <strong>de</strong> décr<strong>et</strong>s portant sur les conditions <strong>et</strong> modalités <strong>de</strong> la réconciliation à<br />

effectuer au sein <strong>de</strong> la cité <strong><strong>de</strong>s</strong> Dikaiopolites, ainsi que le texte du serment par<br />

lequel ils s’engagent tous à maintenir la paix civile en respectant les accords <strong>et</strong><br />

l’amnistie décrétés. Le texte est daté par la mention du roi Perdikkas III <strong>de</strong><br />

Macédoine (365-359 av. J.-C.), qui est le garant du traité. Le premier résultat <strong>de</strong><br />

l’étu<strong>de</strong> a été <strong>de</strong> perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> localiser la colonie érétrienne <strong>de</strong> Dikaia sur la côte<br />

orientale du golfe Thermaïque, non pas certes à l’endroit d’où proviendrait la stèle<br />

selon le paysan qui l’a remise au Service archéologique (malgré l’existence, là, d’un<br />

établissement archaïque <strong>et</strong> classique <strong>de</strong> caractère agricole), mais, sur la base d’un<br />

témoignage décisif <strong>et</strong> d’un faisceau d’indices, au site occupé aujourd’hui par la<br />

p<strong>et</strong>ite ville côtière <strong>de</strong> Nea Kallikrateia (à quelques 40 km <strong>de</strong> Thessalonique), qui<br />

s’est avéré être le véritable lieu <strong>de</strong> la découverte. La localisation <strong>de</strong> Dikaia sur la<br />

côte <strong>de</strong> la Croussi<strong>de</strong> s’accor<strong>de</strong> parfaitement avec les témoignages épigraphiques,<br />

notamment avec la mention <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te cité entre Aineia <strong>et</strong> Potidaia dans la liste <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

théarodoques d’Épidaure. La seule difficulté est que Dikaia ne figure pas dans<br />

l’énumération détaillée <strong><strong>de</strong>s</strong> bourga<strong><strong>de</strong>s</strong> côtières <strong>de</strong> la Croussi<strong>de</strong> que fournit, chez<br />

Hérodote, l’itinéraire <strong>de</strong> la flotte <strong>de</strong> Xerxès vers Thermè. Mais c<strong>et</strong>te objection peut<br />

aisément être écartée, si la colonie érétrienne <strong>de</strong> Dikaia été fondée seulement après<br />

les guerres médiques, vers 470 av. J.-C. (date limite basse). De fait, on connaît<br />

dans c<strong>et</strong>te région d’autres colonies datant du v e siècle av. J.-C., plus précisément<br />

<strong>de</strong> la pentékontaétia entre les guerres médiques <strong>et</strong> la guerre du Péloponnèse : c’est<br />

le cas <strong>de</strong> Bréa <strong>et</strong> surtout d’Amphipolis, toutes <strong>de</strong>ux colonies athéniennes.


ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 615<br />

Bien qu’il ne s’agisse pas d’un texte purement dialectal, l’inscription n’est sans<br />

intérêt pour la langue parlée à Dikaia, car elle contient <strong><strong>de</strong>s</strong> formes ioniennes qui se<br />

r<strong>et</strong>rouvent dans les inscriptions d’Eubée (<strong>et</strong> en particulier d’Érétrie) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

Chalcidique. On notera cependant l’absence du rhotacisme, trait spécifiquement<br />

érétrien attesté au v e <strong>et</strong> dans la première moitié du iv e s. av. J.-C., absence qui pourrait<br />

s’expliquer <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manières, soit que Dikaia eût été fondée à une date encore<br />

antérieure à l’apparition <strong>de</strong> ce phénomène, soit qu’elle eût subi <strong>de</strong> bonne heure<br />

l’influence du dialecte eubéen <strong>de</strong> ses voisins les Chalcidiens <strong>de</strong> Thrace, lequel ne<br />

connaît effectivement pas le rhotacisme. Compte tenu <strong>de</strong> la date proposée ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus<br />

pour la fondation <strong>de</strong> Dikaia, c’est la secon<strong>de</strong> explication qui paraît <strong>de</strong>voir être<br />

r<strong>et</strong>enue. Il faut remarquer aussi que l’onomastique <strong>de</strong> Dikaia, telle qu’elle apparaît<br />

dans ce document, est purement érétrienne, puisque tous les noms <strong>de</strong> personnes se<br />

r<strong>et</strong>rouvent à Érétrie, à l’exception d’un seul, Argaios, qui est sans aucun doute<br />

d’origine macédonienne.<br />

À l’intérieur du bref règne <strong>de</strong> Perdikkas III (365-359 av. J.-C.), il paraît possible <strong>de</strong><br />

préciser encore davantage la date <strong>de</strong> l’inscription en fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> événements<br />

survenus dans la région au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> ces six ans. L’intérêt <strong><strong>de</strong>s</strong> rois <strong>de</strong> Macédoine pour<br />

la vallée <strong>de</strong> l’Anthémonte <strong>et</strong> la Croussi<strong>de</strong> remonte haut dans le temps. Mais au début<br />

du iv e s. c<strong>et</strong>te zone du golfe Thermaïque limitrophe <strong>de</strong> la Confédération chalcidienne<br />

était <strong>de</strong>venue un enjeu important dans les manœuvres <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> puissances. Ayant<br />

adhéré à la Secon<strong>de</strong> ligue athénienne dès sa fondation en 377 av. J.-C., Dikaia se<br />

trouvait dans le camp <strong><strong>de</strong>s</strong> adversaires <strong><strong>de</strong>s</strong> Chalcidiens, toujours hostiles aux tentatives<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Athéniens pour rem<strong>et</strong>tre la main sur Amphipolis. Dans ce but, Athènes avait<br />

cherché à gagner le soutien <strong><strong>de</strong>s</strong> rois <strong>de</strong> Macédoine. C’est ce qu’avait fait notamment<br />

Iphicrate, ami personnel d’Amyntas III, en 370/69, sans grand succès, faute <strong>de</strong><br />

moyens suffisants. Mais en été 364 l’Athénien Timothéos revint avec une flotte plus<br />

importante <strong>et</strong>, avec l’appui du jeune roi Perdikkas désormais majeur, il parvint à<br />

s’emparer <strong>de</strong> Potidée <strong>et</strong> <strong>de</strong> Toronè aux dépens <strong><strong>de</strong>s</strong> Chalcidiens. C<strong>et</strong>te victoire permit<br />

sans doute à Perdikkas d’étendre son influence sur la Croussi<strong>de</strong>, y compris Dikaia.<br />

On peut montrer que si Perdikkas s’allia alors avec Timothéos, c’est pour lutter<br />

contre Pausanias, prétendant au trône <strong>de</strong> Macédoine, qui « disposait d’une armée <strong>de</strong><br />

soldats grecs <strong>et</strong> s’était emparé d’Anthémonte, <strong>de</strong> Therma, <strong>de</strong> Strepsa <strong>et</strong> <strong>de</strong> quelques<br />

autres places ». La base <strong>de</strong> son pouvoir se trouvait donc dans la Mygdonie orientale.<br />

Or, on r<strong>et</strong>rouve ce Pausanias parmi les théarodoques d’Épidaure (vers 360 av. J.-C.)<br />

où il représente Kalindoia, une cité <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te région, <strong>de</strong> même que sur <strong><strong>de</strong>s</strong> monnaies<br />

<strong>de</strong> la même pério<strong>de</strong>. Très vraisemblablement, Pausanias avait le soutien <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Chalcidiens <strong>de</strong> Thrace, ennemis à la fois d’Athènes <strong>et</strong> du royaume <strong>de</strong> Macédoine.<br />

L’inscription fournit également <strong>de</strong> précieuses informations sur la topographie<br />

publique <strong>et</strong> sacrée <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Dikaia : outre l’agora <strong>et</strong> le sanctuaire d’Apollon<br />

Daphnéphoros, elle mentionne un sanctuaire d’Athéna, située sans doute sur<br />

l’acropole, exactement comme celui qu’ont révélé tout récemment, à Érétrie même,<br />

les fouilles menées sur l’acropole par S. Huber. Toutefois, il ne fait aucun doute<br />

qu’Apollon Daphnéphoros était la divinité principale <strong>de</strong> Dikaia comme d’Érétrie :


616 DENIS KNOEPFLER<br />

c’est ce dieu, en eff<strong>et</strong>, qui garantit le serment, <strong>et</strong> c’est à son profit que seront<br />

confisqués les biens <strong><strong>de</strong>s</strong> contrevenants éventuels. On y apprend par ailleurs que<br />

« les sanctuaires les plus saints » <strong>de</strong> la cité étaient au nombre <strong>de</strong> trois (l. 6) : il est<br />

donc raisonnable <strong>de</strong> penser que la troisième <strong>de</strong> ces divinités majeures n’était autre<br />

qu’Artémis Amarysia, exactement comme dans la métropole.<br />

La prééminence du culte d’Apollon Daphnéphoros est mise en évi<strong>de</strong>nce par la<br />

mention d’un mois nommé Daphnéphoriôn, attesté ici pour la première fois : il<br />

s’agit sans aucun doute d’un emprunt au calendrier érétrien, étudié naguère par le<br />

professeur Knoepfler dans le cadre d’une étu<strong>de</strong> d’ensemble sur les calendriers <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

cités <strong>de</strong> l’Eubée <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs colonies (Journal <strong><strong>de</strong>s</strong> Savants, 1989). Il faudra désormais<br />

en modifier partiellement les conclusions en fonction <strong>de</strong> ce nouveau nom <strong>de</strong> mois,<br />

que l’on est tenté <strong>de</strong> placer en tête <strong>de</strong> l’année chalcido-érétrienne (qui commençait<br />

aux alentours du solstice d’hiver). Le nom <strong>de</strong> ce nouveau mois invite en outre à<br />

postuler l’existence, à Dikaia comme d’abord à Érétrie, d’une gran<strong>de</strong> fête annuelle<br />

appelée Daphnéphoria.<br />

Activités diverses<br />

Comme les années précé<strong>de</strong>ntes, le professeur a poursuivi en Grèce ses <strong>travaux</strong><br />

épigraphiques en rapport avec la topographie <strong>et</strong> l’histoire <strong>de</strong> la Béotie (édition<br />

commentée du livre IX <strong>de</strong> Pausanias) comme aussi <strong>de</strong> l’Eubée (dossiers d’inscriptions<br />

à publier). En août-septembre 2007, il a assumé la responsabilité scientifique <strong>de</strong> la<br />

secon<strong>de</strong> campagne <strong>de</strong> fouille menée près d’Érétrie en Eubée par l’École suisse<br />

d’archéologie en Grèce en vue <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre au jour le grand sanctuaire d’Artémis à<br />

Amarynthos. Si les sondages <strong>de</strong> 2006 n’avaient pas été entièrement concluants à<br />

c<strong>et</strong> égard, ceux <strong>de</strong> 2007 ont révélé une structure fort importante, que l’on a <strong>de</strong><br />

bonnes raisons <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en relation avec le sanctuaire recherché <strong>de</strong>puis si<br />

longtemps. C<strong>et</strong>te découverte, qui a reçu un large écho dans la presse grecque <strong>et</strong><br />

helvétique, a fait l’obj<strong>et</strong> d’un rapport détaillé d’ores <strong>et</strong> déjà publié (voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous<br />

n° 7). L’i<strong>de</strong>ntification définitive dépendra <strong><strong>de</strong>s</strong> trouvailles, notamment épigraphiques,<br />

à venir dans les terrains à investiguer au voisinage.<br />

À l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres, il a patronné la note d’information<br />

présentée par le professeur E. Voutiras (Université <strong>de</strong> Salonique) sur une nouvelle<br />

inscription <strong>de</strong> Dikaia <strong>de</strong> Thrace (1 er juin 2008) ; il a été chargé par la même<br />

Académie <strong>de</strong> faire rapport sur le mémoire <strong>de</strong> M. Cédric Brélaz, membre étranger<br />

<strong>de</strong> 3 e année <strong>de</strong> l’École française d’Athènes, intitulé : « Les premiers comptes du<br />

sanctuaire d’Apollon à Délion <strong>et</strong> le con<strong>cours</strong> panbéotien <strong><strong>de</strong>s</strong> Délia » (travail à<br />

paraître dans le périodique <strong>de</strong> c<strong>et</strong> établissement).<br />

Le professeur a été associé au jury <strong>de</strong> la thèse M. Thibaut Boulay, Les cités<br />

grecques <strong>et</strong> la guerre en Asie Mineure à l’époque hellénistique, thèse dirigée par le<br />

professeur Maurice Sartre (Institut Universitaire <strong>de</strong> <strong>France</strong>) <strong>et</strong> soutenue <strong>de</strong>vant


ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 617<br />

l’Université <strong>de</strong> Tours le 7 décembre 2007. D’autre part, dans le cadre <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>rnière<br />

année d’enseignement à l’Université <strong>de</strong> Neuchâtel (Suisse), il a eu la satisfaction <strong>de</strong><br />

mener à soutenance la moitié environ <strong><strong>de</strong>s</strong> quelque dix thèses qu’il y dirigeait<br />

encore, à savoir :<br />

— M. Thierry Châtelain (thèse en cotutelle avec l’Université <strong>de</strong> Paris IV-<br />

Sorbonne, prof. André Laron<strong>de</strong>) : La perception <strong>et</strong> l’exploitation <strong><strong>de</strong>s</strong> milieux palustres<br />

dans l’Antiquité : La Grèce <strong>et</strong> ses marais (29 novembre 2007) ;<br />

— Nathan Badoud (thèse en cotutelle avec l’Université <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux 3, prof.<br />

Alain Bresson) : La cité <strong>de</strong> Rho<strong><strong>de</strong>s</strong> : <strong>de</strong> la chronologie à l’histoire (20 décembre<br />

2007) ;<br />

— Adrian Robu (thèse en cotutelle avec l’Université du Mans, prof. Alexandru<br />

Avram) : La cité <strong>de</strong> Mégare <strong>et</strong> ses établissements coloniaux en Sicile, dans la Proponti<strong>de</strong><br />

<strong>et</strong> le Pont Euxin : histoire <strong>et</strong> institutions (19 février 2008) ;<br />

— Fabienne Marchand : Tanagraïka Mnêmata : recherches sur le matériel<br />

archéologique <strong>et</strong> épigraphique provenant <strong><strong>de</strong>s</strong> anciennes fouilles <strong>de</strong> Tanagra en Béotie<br />

(l er avril 2008) ;<br />

— Frédéric Hurni : Théramène ne plai<strong>de</strong>ra pas coupable. Un homme politique<br />

athénien dans les révolutions athéniennes <strong>de</strong> la fin du V e siècle avant J.-C. (19 mai<br />

2008).<br />

Toutes ces thèses ont obtenu l’appréciation la plus favorable (summa cum lau<strong>de</strong>)<br />

<strong>et</strong> seront, pour la plupart, publiées à très brève échéance.<br />

Distinction<br />

Le professeur a reçu le Prix 2008 <strong>de</strong> l’Institut Neuchêlois, organe culturel <strong>de</strong> la<br />

République <strong>et</strong> Canton <strong>de</strong> Neuchâtel (Suisse). C<strong>et</strong>te distinction lui a été octroyée lors<br />

d’une cérémonie publique le 15 mars 2008 au Musée Internationale <strong>de</strong> l’Horlogerie<br />

à La Chaux-<strong>de</strong>-Fonds. La laudatio du lauréat a été prononcée par l’helléniste André<br />

Hurst, ancien recteur <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Genève. Après un intermè<strong>de</strong> au <strong>cours</strong> duquel<br />

<strong>de</strong>ux jeunes musiciennes suisses domiciliées à Bruxelles exécutèrent une sonate <strong>de</strong> K.<br />

Szymanowski, Mythes — dont Narcisse en <strong>de</strong>uxième mouvement —, le professeur fit<br />

une conférence illustrée sur La patrie <strong>de</strong> Narcisse : un mythe antique enraciné dans la<br />

terre <strong>et</strong> dans l’histoire d’une cité grecque, texte dont une version remaniée <strong>et</strong> étoffée<br />

paraîtra très prochainement chez un éditeur parisien.<br />

Par ailleurs, en juin 2008, au moment <strong>de</strong> quitter la Faculté <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres <strong>et</strong> sciences<br />

humaines <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Neuchâtel où il aura enseigné trente ans durant,<br />

d’abord en tant que maître assistant, puis, dès 1984, comme professeur titulaire <strong>de</strong><br />

la chaire d’archéologie classique <strong>et</strong> d’histoire ancienne, il a reçu le titre <strong>de</strong><br />

« professeur honoraire » <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te Université.


618 DENIS KNOEPFLER<br />

Colloques, Conférences<br />

1. « Enseigner au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> : pour quel public, sur quelles matières, dans quelles<br />

conditions ? », causerie présentée <strong>de</strong>vant le Lycéum-Club <strong>de</strong> Neuchâtel, 8 novembre 2007.<br />

2. « Du vallon <strong><strong>de</strong>s</strong> Muse Héliconia<strong><strong>de</strong>s</strong> à l’Éros thespien <strong>de</strong> Praxitèle avec Pausanias <strong>et</strong><br />

François Chamoux », communication à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres dans le<br />

cadre <strong>de</strong> la journée d’hommage à l’helléniste François Chamoux (1915-2007), Paris,<br />

11 janvier 2008.<br />

3. « L’Étolie victorieuse <strong><strong>de</strong>s</strong> Galates à Delphes <strong>et</strong> à Thermos : réflexions autour d’une<br />

statue-trophée <strong>et</strong> <strong>de</strong> son image monétaire à l’époque <strong><strong>de</strong>s</strong> monarchies hellénistiques »,<br />

communication donnée au colloque Image du pouvoir, Pouvoir <strong>de</strong> l’image, organisé à<br />

l’Université <strong>de</strong> Bâle par l’Association interdisciplinaire EIKONES, Bâle, 19 mai 2008.<br />

4. « L’institution du con<strong>cours</strong> musical <strong><strong>de</strong>s</strong> Artémisia d’Amarynthos : r<strong>et</strong>our sur une<br />

inscription d’Érétrie un siècle après sa découverte », conférence-séminaire donnée à la Scuola<br />

Normale Superiorie di Pisa, à l’invitation <strong>de</strong> son directeur, le prof. Carmine Ampolo, Pise,<br />

12 juin 2008.<br />

5. Présentation à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres du volume collectif intitulé<br />

Old and New Worlds in Greek Onomastics, edited by Elaine Matthews, London, The British<br />

Aca<strong>de</strong>my 2007, Paris, 26 septembre 2008.<br />

Publications<br />

1. « Polymnis est-il l’authentique patronyme d’Épaminondas ? », in : M.B. Hatzopoulos<br />

(éd.), ΦωΝΗΣ ΧΑΡΑΚΤΗΡ ΕΘΝΙΚΩΣ. Actes du V e Congrès International <strong>de</strong> dialectologie<br />

grecque, Athènes 28-30 septembre 2006 (Mélétémata 52), Athènes 2007, p. 117-135, avec<br />

une pl.<br />

2. « Pausanias en Béotie, 3e partie : la Béotie du Copaïs », Annuaire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />

Résumés <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> <strong>et</strong> <strong>travaux</strong> 2006-2007, 107, 2008, p. 637-662.<br />

3. « Un don <strong><strong>de</strong>s</strong> amis du Louvre au Département <strong><strong>de</strong>s</strong> Antiquités grecques, étrusques <strong>et</strong><br />

romaines : la l<strong>et</strong>tre d’Hadrien aux habitants <strong>de</strong> Naryka (Locri<strong>de</strong>) », avec Alain Pasquier,<br />

Comptes Rendus <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres 2006 (2008), p. 1283-1313.<br />

4. « Débris d’évergésie au gymnase d’Érétrie », in : O. Curty <strong>et</strong> M. Piérart (éd.),<br />

Évergétisme <strong>et</strong> gymnasiarchie dans les cités hellénistiques, Fribourg-Paris, 2008, p. 203-257.<br />

5. « Un apport épigraphique au texte reçu <strong><strong>de</strong>s</strong> Stratagèmata <strong>de</strong> Polyen », Revue <strong>de</strong><br />

Philologie, <strong>de</strong> littérature <strong>et</strong> d’histoire ancienne, 80, 1, 2006 (2008), p. 57-62.<br />

6. « Béotie - Eubée », dans le Bull<strong>et</strong>in épigraphique <strong>de</strong> la Revue <strong><strong>de</strong>s</strong> Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> Grecques 120,<br />

2007, p. 665-686 n° 304-334.<br />

7. « Bilan <strong>et</strong> perspectives [conclusion du rapport sur la secon<strong>de</strong> campagne <strong>de</strong> fouille <strong>de</strong><br />

l’École suisse d’archéologie en Grèce à Amarynthos, Eubée] », Antike Kunst 51, 2008,<br />

p. 165-171.<br />

8. « Un exemple d’aménagement du territoire dans l’Antiquité gréco-romaine : le dossier<br />

épigraphique <strong>de</strong> Coronée (Béotie) », avec la collaboration <strong>de</strong> Thierry Châtelain, La L<strong>et</strong>tre<br />

du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> 21, 2007, p. 10-11 (= The L<strong>et</strong>ter of <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 3, 2008,<br />

p. 17-18).<br />

9. « Un témoignage helvétique sur le quatrième centenaire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> », La<br />

L<strong>et</strong>tre du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> 23, 2008, p. 55-56.


ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 619<br />

Activités <strong><strong>de</strong>s</strong> collaborateurs<br />

Les titulaires <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux postes d’ATER accordés à la chaire d’épigraphie <strong>et</strong><br />

d’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> cités grecques sont arrivés à la fin <strong>de</strong> leur mandat en septembre 2008.<br />

L’un, M. Thierry Châtelain, titulaire d’un DEA <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Paris IV-<br />

Sorbonne, a pu achever sa thèse <strong>de</strong> doctorat consacrée à l’exploitation <strong><strong>de</strong>s</strong> terres<br />

marécageuses en Grèce ancienne, qu’il a soutenue à Neuchâtel le 29 novembre<br />

2007 (voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus sous « Autres activités ») <strong>et</strong> dont il prépare maintenant la<br />

publication ; cela lui a permis d’obtenir l’inscription sur la liste d’aptitu<strong>de</strong> à un<br />

poste <strong>de</strong> maître <strong>de</strong> conférence, mais, tout en ayant été fort honorablement classé<br />

en diverses universités françaises, il n’a pas été en mesure <strong>de</strong> décrocher un poste<br />

dès c<strong>et</strong>te année. Par ailleurs, il a poursuivi <strong>et</strong> poursuivra encore avec le professeur<br />

sa collaboration à l’entreprise <strong><strong>de</strong>s</strong> Testimonia Er<strong>et</strong>riensia, qu’il s’est engagé à mener<br />

jusqu’à son terme. Il est coauteur <strong>de</strong> l’article signalé ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus sous le n° 8.<br />

L’autre poste a été occupé, <strong>de</strong> 2006 à 2008 également, par M lle Claire Gren<strong>et</strong>,<br />

diplômée <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Lyon 2-Lumière. qui a pu avancer considérablement<br />

sa thèse sur la cité <strong>de</strong> Chéronée en Béotie, patrie <strong>de</strong> Plutarque (voir rapport<br />

précé<strong>de</strong>nt). C<strong>et</strong>te année, elle a travaillé en particulier sur le corpus épigraphique,<br />

constituée <strong>de</strong> près <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cent cinquante inscriptions, qui lui perm<strong>et</strong>tront <strong>de</strong><br />

présenter une analyse précise <strong><strong>de</strong>s</strong> instituions politiques <strong>et</strong> religieuses ; son intérêt<br />

s’est porté également sur la manière dont c<strong>et</strong>te p<strong>et</strong>ite cité frontalière a été intégrée<br />

dans les structures <strong>et</strong> les organes <strong>de</strong> la Confédération béotienne, tout en conservant<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> liens privilégiés avec ses voisines immédiates en Phoci<strong>de</strong> ou avec la gran<strong>de</strong> cité<br />

d’Orchomène sur le Copaïs, sans oublier ses rapports avec les autorités romaines<br />

jusque sous l’Empire. En juin 2008, elle a pu effectuer un nouveau séjour en Grèce<br />

(Ecole française d’Athènes) pour compléter sa connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> réalités<br />

archéologiques <strong>de</strong> la ville <strong>et</strong> du territoire <strong>de</strong> Chéronée. Au terme <strong>de</strong> son mandat<br />

au <strong>Collège</strong>, elle a pu obtenir un poste d’ATER au Département d’histoire <strong>de</strong><br />

l’Université <strong>de</strong> Rennes 2 pour la rentrée universitaire 2008, ce qui lui perm<strong>et</strong>tra<br />

certainement d’achever sa thèse d’ici une année. Les <strong>de</strong>ux nouveaux titulaires <strong>de</strong><br />

ces postes pour l’année 2008/2009 sont MM. Damien Aubri<strong>et</strong>, doctorant à<br />

l’Université <strong>de</strong> Paris IV-Sorbonne (thèse sur Mylasa <strong>de</strong> Carie avec le prof. André<br />

Laron<strong>de</strong>), qui a fait carrière jusqu’ici dans l’enseignement secondaire, <strong>et</strong> Adrian<br />

Robu, jeune chercheur roumain, qui vient <strong>de</strong> soutenir à l’Université <strong>de</strong> Neuchâtel<br />

une thèse d’histoire ancienne (Mégare <strong>et</strong> ses colonies) élaborée sous la direction du<br />

professeur en cotutelle avec l’Université du Mans (prof. Alexandru Avram).


Religion, institutions <strong>et</strong> société <strong>de</strong> la Rome antique<br />

M. John Scheid, professeur<br />

1. COURS : LE CULTE DES EAUX ET DES SOURCES DANS LE MONDE ROMAIN<br />

UN SUJET PROBLÉMATIQUE, DÉTERMINÉ PAR LA MYTHOLOGIE MODERNE<br />

Nullus enim fons non sacer, « il n’y a <strong>de</strong> source, en eff<strong>et</strong>, qui ne soit sacrée ». C’est<br />

en ces termes que le commentateur <strong>de</strong> l’Enéi<strong>de</strong> <strong>de</strong> Virgile, Servius, expliquait l’emploi<br />

par le poète, <strong>de</strong> l’expression sacer fons, « source sacrée », au vers 84 du livre 7.<br />

C<strong>et</strong>te formule lapidaire m<strong>et</strong> à l’aise le lecteur mo<strong>de</strong>rne qui est persuadé que le<br />

suj<strong>et</strong> n’a rien <strong>de</strong> surprenant. La source est sacrée, on vénère <strong>et</strong> on supplie le sacré<br />

qui est dans l’eau pour obtenir un bienfait, généralement la santé. Voilà ce que le<br />

lecteur entend en lisant le commentaire <strong>de</strong> Servius. C’est la sacralité active <strong>de</strong> l’eau<br />

qui semble en cause, c’est cela que les Anciens étaient censés rechercher. Et le<br />

lecteur pense immédiatement à Lour<strong><strong>de</strong>s</strong>, à Vichy, Ax, Ferrières, Spa, Bagnères-<strong>de</strong>-<br />

Bigorre <strong>et</strong> tant d’autres stations thermales. La formule <strong>de</strong> Servius n’a toutefois pas<br />

le sens que les mo<strong>de</strong>rnes ont tendance à lui accor<strong>de</strong>r après un siècle <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi <strong>de</strong><br />

thermalisme. Pour désarmer le contresens potentiel, nous avons examiné le mythe<br />

mo<strong>de</strong>rne qui détermine notre perception du culte <strong><strong>de</strong>s</strong> sources. Depuis l’époque<br />

romantique, il existe en eff<strong>et</strong> une approche particulière <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes naturels<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> leur culte, qui exprime une vision chrétienne <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses merveilles,<br />

<strong>et</strong> qui s’inspire <strong><strong>de</strong>s</strong> pratiques populaires. Le thème du culte <strong>de</strong> l’eau s’est répandu<br />

à travers l’Europe du Nord, en Allemagne <strong>et</strong> en <strong>France</strong> notamment, où le thème<br />

s’est fortement développé. On le trouve déjà dans la Deutsche Mythologie <strong>de</strong> Jakob<br />

Grimm, qui fut publiée en 1835. En <strong>France</strong>, le thème est ressassé <strong>de</strong>puis la même<br />

époque. Le début <strong>de</strong> la XV e leçon sur La religion <strong><strong>de</strong>s</strong> Gaulois d’Alexandre Bertrand<br />

(Paris 1887, 191-212) suffit pour résumer le thème : « À côté du culte <strong><strong>de</strong>s</strong> pierres,<br />

à côté du culte du soleil <strong>et</strong> du feu existait en Gaule le culte <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux, <strong><strong>de</strong>s</strong> sources,<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> fontaines, <strong><strong>de</strong>s</strong> lacs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> rivières. Ce culte très répandu paraît même avoir été<br />

celui qui répondait le mieux aux instincts religieux <strong>de</strong> nos populations primitives,


622 JOHN SCHEID<br />

celui qui parlait le mieux à leur esprit <strong>et</strong> à leur cœur. Ce culte a laissé sur le sol les<br />

traces les plus nombreuses <strong>et</strong> les plus profon<strong><strong>de</strong>s</strong>. Nous oserions le qualifier <strong>de</strong> culte<br />

national par excellence. » Quant à l’antiquité évi<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> ce culte, Bertrand<br />

considérait qu’il n’avait pas « été introduit par Rome en Gaule ; l’influence religieuse<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Romains en Gaule, tout à fait superficielle, se fit à peine sentir aux couches<br />

profon<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la population. On ne peut l’attribuer aux Galates conquérants qui,<br />

sans clergé <strong>et</strong> d’ailleurs relativement peu nombreux, avaient abandonné aux drui<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

le gouvernement <strong><strong>de</strong>s</strong> âmes. Ces superstitions, ces pratiques qui relèvent <strong>de</strong> la vieille<br />

croyance aux esprits, peuvent avoir été plus ou moins réglées, réglementées par les<br />

drui<strong><strong>de</strong>s</strong>, comme cela paraît avoir également été pour les feux solsticiaux ; les drui<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

n’en ont point été les premiers missionnaires. Ce culte, comme celui <strong><strong>de</strong>s</strong> pierres,<br />

comme celui du feu, est prédruidique, s’il n’est pas préceltique. Il est le produit <strong>de</strong><br />

la race. »<br />

Ce thème cher aux folkloristes eut une fortune particulière chez les historiens <strong>de</strong><br />

l’Antiquité. Jules Toutain le reprend dans le premier volume <strong>de</strong> ses Cultes païens dans<br />

l’Empire Romain (Paris, 1907, I, 372-284), il l’a aussi étendu au culte <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux dans<br />

la Grèce antique (Nouvelles étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> mythologie <strong>et</strong> d’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions antiques,<br />

Paris 1935, 268-294). Camille Jullian a écrit dans sa monumentale Histoire <strong>de</strong> la<br />

Gaule (VI, Paris 1920, 56) que « la moitié <strong>de</strong> la vie dévote, pour le moins, se passe<br />

auprès <strong><strong>de</strong>s</strong> fontaines ; <strong>et</strong> les lieux <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>z-vous les plus populaires, ceux où l’on<br />

rassemble le plus d’idoles, <strong>de</strong> chapelles <strong>et</strong> <strong>de</strong> croyants, sont ceux où la multiplicité<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> eaux peut faire croire aux hommes que les dieux y tiennent assemblée ». Dans la<br />

lignée <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te tradition, Albert Grenier a consacré l’épais IV e volume <strong>de</strong> son Manuel<br />

d’architecture gallo-romain (Paris 1960) aux Villes <strong>et</strong> sanctuaires <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux. Comme S.<br />

Deyts, par exemple, l’a déjà souligné (« Cultes <strong>et</strong> sanctuaires <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux en Gaule »,<br />

dans Archeologia 37, 1986, 9-30, notamment p. 19), le recensement fait par Grenier<br />

oriente « parfois le lecteur vers certaines conclusions hâtives ». S. Deyts conclut avec<br />

beaucoup <strong>de</strong> bons sens : « Un sanctuaire, tout comme un village ou un établissement<br />

agricole, ne peut s’installer qu’à proximité d’un point d’eau. De ce fait, la liaison<br />

entre vital <strong>et</strong> sacramental ne peut pas être prise comme postulat. »<br />

Ce genre <strong>de</strong> raisonnements n’est pas l’apanage exclusif <strong><strong>de</strong>s</strong> historiens <strong>et</strong><br />

archéologues français. Pour prendre un exemple, je peux citer l’article <strong>de</strong> Giancarlo<br />

Susini, l’épigraphiste éminent <strong>de</strong> Bologne, qui, dans un article important réunissant<br />

les données sur les cultes salutaires <strong>et</strong> les cultes <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux en Italie Cispadane, écrit<br />

qu’on trouvera difficilement un acte ou une manifestation <strong>de</strong> religiosité antique ou<br />

médiévale qui n’implique pas au fond un culte <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux (Giancarlo Susini, « Culti<br />

salutari e <strong>de</strong>lle acque : materiali antichi nella Cispadana », dans Studi romagnoli 26,<br />

1975, 321-338, notamment 322).<br />

À c<strong>et</strong>te approche héritée <strong>de</strong> l’époque romantique <strong>et</strong> nationaliste s’est ajoutée plus<br />

récemment un thème tout aussi efficace : celui <strong>de</strong> la phénoménologie religieuse,<br />

telle qu’elle s’est diffusée sous l’influence <strong><strong>de</strong>s</strong> œuvres <strong>de</strong> Mircea Elia<strong>de</strong>. À la base<br />

<strong>de</strong> ces théories se trouve le postulat que tous les phénomènes religieux sont


RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 623<br />

i<strong>de</strong>ntiques, partout <strong>et</strong> toujours. Ce principe a conduit à une sorte <strong>de</strong> comparatisme<br />

direct dans lequel tout est censé correspondre à tout, <strong>et</strong> a créé <strong><strong>de</strong>s</strong> figures comme<br />

les Déesses mères, ou a attribué à <strong><strong>de</strong>s</strong> divinités indiennes <strong><strong>de</strong>s</strong> noms latins <strong>et</strong> viceversa.<br />

Et ainsi <strong>de</strong> suite. La critique <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te approche n’est plus à faire. Sous<br />

l’influence <strong><strong>de</strong>s</strong> anthropologues, les historiens se sont progressivement aperçu que<br />

le comparatisme universel que pratique M. Elia<strong>de</strong> <strong>et</strong> ceux qui le suivent est en fait<br />

une interprétation du mon<strong>de</strong> suivant <strong><strong>de</strong>s</strong> critères occi<strong>de</strong>ntaux mo<strong>de</strong>rnes. C<strong>et</strong>te<br />

inclination à assimiler toute conception religieuse à la nôtre rejoint la perspective<br />

romantique <strong>et</strong> sa vénération <strong>de</strong> la nature sacralisée, <strong>et</strong> a eu pour conséquence que<br />

les théories phénoménologiques se sont harmonieusement coulées dans le moule<br />

<strong>de</strong> l’historiographie traditionnelle.<br />

Pour ce qui concerne le culte <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux, M. Elia<strong>de</strong> institue les cultes <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux à côté<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> dieux ouraniens, <strong><strong>de</strong>s</strong> cultes solaires, <strong>de</strong> la mystique lunaire, <strong><strong>de</strong>s</strong> pierres <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

arbres sacrés, <strong>de</strong> la terre <strong>et</strong> <strong>de</strong> la fécondité (Traité d’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions, Paris 1974 2 ,<br />

165-187). Son cinquième chapitre, consacré au Eaux <strong>et</strong> au symbolisme aquatique<br />

commence par c<strong>et</strong>te phrase : « Dans une formule sommaire, on pourrait dire que les<br />

eaux symbolisent la totalité <strong><strong>de</strong>s</strong> virtualités ; elles sont à la fois fons <strong>et</strong> origo, la matrice<br />

<strong>de</strong> toutes les formes d’existence. » À l’appui, M. Elia<strong>de</strong> cite <strong><strong>de</strong>s</strong> textes védiques. C<strong>et</strong>te<br />

virtualité <strong>de</strong> toutes les formes, les Eaux (avec majuscule) la remplissent partout :<br />

« Quelle que soit la structure <strong><strong>de</strong>s</strong> ensembles culturels dans lesquels elles se trouvent,<br />

elles précè<strong>de</strong>nt toute forme <strong>et</strong> supportent toute création. L’immersion dans l’eau<br />

symbolise la régression dans le préformel, la régénération totale, la nouvelle naissance,<br />

car une immersion équivaut à une dissolution <strong><strong>de</strong>s</strong> formes, à une réintégration dans le<br />

mo<strong>de</strong> indifférencié <strong>de</strong> la préexistence… Le contact avec l’eau implique toujours la<br />

régénération ; d’une part, parce que la dissolution est suivie d’une ‘nouvelle<br />

naissance’, d’autre part, parce que l’immersion fertilise <strong>et</strong> augmente le potentiel <strong>de</strong><br />

vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> création. L’eau confère une ‘nouvelle naissance’ par un rite initiatique, elle<br />

guérit par un rituel magique », <strong>et</strong> ainsi <strong>de</strong> suite. Un peu plus loin (169), nous lisons<br />

que « Symbole cosmogonique, réceptacle <strong>de</strong> tous les germes, l’eau <strong>de</strong>vient la<br />

substance magique <strong>et</strong> médicinale par excellence ; elle guérit, elle rajeunit, assure la<br />

vie éternelle ». Et encore « L’eau vive rajeunit <strong>et</strong> donne la vie éternelle ; toute eau, par<br />

un processus <strong>de</strong> participation <strong>et</strong> <strong>de</strong> dégradation… est efficiente, fécon<strong>de</strong> ou<br />

médicinale. De nos jours encore, dans la Cornouaille, les enfants mala<strong><strong>de</strong>s</strong> sont<br />

immergés trois fois dans le puits <strong>de</strong> Saint-Mandron. En <strong>France</strong>, le nombre <strong>de</strong><br />

fontaines <strong>et</strong> <strong>de</strong> rivières guérissantes est considérable… hors <strong>de</strong> ces sources, d’autres<br />

eaux possè<strong>de</strong>nt une valeur en mé<strong>de</strong>cine populaire. » Comme preuve pour ces<br />

affirmations, Elia<strong>de</strong> cite le Folkore <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>de</strong> Paul Sébillot, notamment au volume<br />

II, 175-303 (Paris 1905), <strong>et</strong> d’autres folkloristes, anglais ou allemands, qui tous<br />

reprennent <strong>et</strong> développent les théories romantiques sur les cultes naturels, sur le sacré<br />

qui rési<strong>de</strong>rait <strong>et</strong> se manifesterait dans les phénomènes naturels. Jamais un document<br />

précis n’est cité dans son contexte ; seules sont invoqués quelques citations <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>résumés</strong> établis par <strong><strong>de</strong>s</strong> folkloristes. Rien dans c<strong>et</strong>te superficialité anachronique ne<br />

surprend le lecteur d’aujourd’hui, <strong>et</strong> pour cause : elle exprime élégamment la


624 JOHN SCHEID<br />

communis opinio <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt mo<strong>de</strong>rne, <strong>et</strong> son point <strong>de</strong> vue sur la religiosité, tel<br />

qu’il a été forgé par quinze siècles <strong>de</strong> pensée <strong>et</strong> <strong>de</strong> pratique judéo-chrétienne. Le<br />

véritable intérêt du Traité d’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions <strong>de</strong> M. Elia<strong>de</strong>, tout comme les écrits<br />

plus anciens <strong><strong>de</strong>s</strong> folkloristes <strong>et</strong> <strong>de</strong> ceux qui s’en inspirent rési<strong>de</strong> dans une réflexion<br />

contemporaine sur la religiosité, la nôtre <strong>et</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> autres, mesurée à l’aune <strong>de</strong> nos<br />

concepts <strong>et</strong> a priori.<br />

Les pages que Georg Wissowa (Religion und Kultus <strong>de</strong>r Römer, Munich 1912 2 ,<br />

219-229) a consacrées aux divinités <strong><strong>de</strong>s</strong> sources <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> fleuves donnent toutes les<br />

informations sur les divinités en cause, sur leur culte <strong>et</strong> leurs particularités <strong>et</strong><br />

reconnaissent parfaitement le caractère guérisseur <strong>de</strong> certaines <strong>de</strong> ces divinités, mais<br />

sans invoquer comme argument la survivance <strong>de</strong> ces fonctions dans le folklore<br />

mo<strong>de</strong>rne. De la même manière, G. Dumézil se conforme à la constatation qu’il<br />

fait dans le chapitre <strong>de</strong> sa Religion romaine archaïque intitulé Forces <strong>et</strong> éléments (Paris<br />

1987 2 , 379) : « En face <strong>de</strong> (l’)imposante représentation <strong><strong>de</strong>s</strong> forces qui animent<br />

l’agriculture <strong>et</strong> l’élevage, en face <strong>de</strong> Tellus qui les soutient <strong>et</strong> <strong>de</strong> Carna qui en rend<br />

efficaces les produits, les Romains n’ont pas fait large la part divine <strong>de</strong> l’eau. » Et<br />

dans la suite, sur <strong>de</strong>ux pages, il donne un résumé <strong>de</strong> Wissowa, avec quelques<br />

remarques <strong>de</strong> son crû. Pas davantage que chez Wissowa, le naturalisme religieux <strong>et</strong><br />

ses avatars romantiques ne jouent un rôle dans l’œuvre <strong>de</strong> Dumézil. C’est ce point<br />

<strong>de</strong> vue que nous avons adopté au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> ces leçons.<br />

Mais l’intitulé du <strong>cours</strong>, la mention du culte <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux, ne sont-ils pas déjà un<br />

choix, une concession faite à la phénoménologie ou au folklore ? D’une certaine<br />

manière oui, mais il faut bien se comprendre <strong>et</strong> savoir <strong>de</strong> quoi on parle. En<br />

revanche, les eaux <strong>et</strong> les sources ne sont pas pour nous les éléments vénérés en tant<br />

que tels, mais la propriété <strong><strong>de</strong>s</strong> divinités <strong><strong>de</strong>s</strong> sources ou <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> d’eau, près <strong><strong>de</strong>s</strong>quels<br />

<strong>et</strong> dans lesquels elles rési<strong>de</strong>nt.<br />

Revenons aux théories du passé concernant les eaux <strong>et</strong> les sources. Chez les<br />

folkloristes aussi bien que M. Elia<strong>de</strong> (cf. Traité 38) <strong>et</strong> ceux qui adoptent leurs idées,<br />

on décèle trois a priori avant tout. Le premier est fondamental <strong>et</strong> dépasse largement<br />

les eaux <strong>et</strong> les sources : tout phénomène naturel est censé être sacré. Et par sacré,<br />

ces théories enten<strong>de</strong>nt une qualité intrinsèque <strong>et</strong> agissante, presque indépendante<br />

<strong>de</strong> la divinité qui est en cause, telle qu’elles a été définie dans le célèbre livre <strong>de</strong><br />

Rudolf Otto sur Das Heilige (1917, traduit en français sous le titre Le Sacré en<br />

1929), ou dans les autres <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> la phénoménologie religieuse, comme ceux <strong>de</strong><br />

Van <strong>de</strong>r Leeuw ou <strong>de</strong> L. Lévy-Bruhl. Tous ces <strong>travaux</strong> conféraient une substance<br />

suprahistorique à c<strong>et</strong>te notion, à c<strong>et</strong>te essence, même si elle était liée, les documents<br />

obligent, à une hiérophanie. C’est une interprétation philosophique <strong>et</strong> théologique<br />

<strong>de</strong> l’histoire religieuse, qui aboutit au mystère <strong>de</strong> l’incarnation, comme chez Elia<strong>de</strong>,<br />

<strong>et</strong> non une enquête historique. Il va sans dire que c<strong>et</strong>te position ne peut aller <strong>de</strong><br />

pair qu’avec une approche très superficielle <strong>et</strong> réductrice <strong><strong>de</strong>s</strong> sources. En tout cas,<br />

le fait que dans les phénomènes naturels insolites se manifeste « le Sacré » est un<br />

premier a priori qu’il faut vérifier.


RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 625<br />

La déduction <strong>de</strong> ce premier a priori est que l’eau, en tant que phénomène naturel<br />

souvent surprenant, est sacrée en elle-même. C<strong>et</strong>te déduction, qui paraît être<br />

confirmée par <strong><strong>de</strong>s</strong> documents comme le passage <strong>de</strong> Servius cité plus haut, n’implique<br />

toutefois pas que ce caractère sacré doive être interprété comme le font Elia<strong>de</strong> ou<br />

les folkloristes. Enfin, le troisième a priori rési<strong>de</strong> dans la vertu guérisseuse <strong>de</strong> l’eau.<br />

C<strong>et</strong>te affirmation non plus n’est pas fausse. Il existe <strong><strong>de</strong>s</strong> divinités <strong>de</strong> sources qui<br />

ont <strong><strong>de</strong>s</strong> vertus salutaires ou curatives. Mais c<strong>et</strong>te activité thérapeutique n’est pas la<br />

raison <strong>de</strong> leur caractère sacré <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur culte. Malgré un avertissement (« Épigraphie<br />

<strong>et</strong> sanctuaires guérisseurs en Gaule », dans Mélanges <strong>de</strong> l’École Française <strong>de</strong> Rome.<br />

Antiquité 104, 1992, 25-40), que certains collègues ont pris au sérieux,<br />

l’interprétation traditionnelle continue. On peut par exemple lire dans un article<br />

<strong>et</strong> un ouvrage récents que nous ne parlerions en fait que <strong><strong>de</strong>s</strong> textes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions,<br />

mais que dans la réalité, sur le terrain, dans l’archéologie, il en irait différemment.<br />

On nous apprend dans c<strong>et</strong> article qu’« il convient… <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre entre parenthèses,<br />

sur <strong><strong>de</strong>s</strong> matières aussi délicates <strong>et</strong> qui touchent aux mentalités profon<strong><strong>de</strong>s</strong>, le<br />

scepticisme <strong>de</strong> mise chez les purs intellectuels — il s’agit <strong>de</strong> l’auteur <strong>de</strong> ce <strong>cours</strong> —,<br />

qui risquent <strong>de</strong> passer à côté <strong>de</strong> survivances précieuses » (Raymond Chevallier,<br />

« Problématique <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cultes <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux thermales : Gaule <strong>et</strong> Italie du Nord »,<br />

dans Lidio Gasperini, Usus veneratioque fontium. Fruizione e culto <strong>de</strong>lle acque<br />

salutari nell’Italia romana , Tivoli 2006, 139-160, notamment 153). Nous<br />

nous sommes par conséquent attaché dans ces <strong>cours</strong> à prouver une fois <strong>de</strong> plus,<br />

non seulement à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> documents explicites, qu’il s’agisse <strong><strong>de</strong>s</strong> textes littéraires<br />

<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions, nourriture du « pur intellectuel », mais encore à l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

sources archéologiques explicites, explorées la truelle <strong>et</strong> le crayon à la main, que<br />

toutes les sources <strong>et</strong> eaux ne sont pas guérisseuses, <strong>et</strong> que celles qui le sont opèrent<br />

selon d’autres modalités que nos centres thermaux mo<strong>de</strong>rnes ou nos hôpitaux.<br />

À ce propos, nous avons brièvement mentionné l’argument <strong>de</strong> la survivance, qui<br />

est régulièrement invoqué <strong>de</strong>puis le XIX e s. Tel qu’il est utilisé dans la bibliographie<br />

plus ancienne, c’est-à-dire <strong>de</strong> façon très superficielle <strong>et</strong> acritique, il ne vaut rien.<br />

Constater que telle source se trouve près d’une église où se déroulent <strong><strong>de</strong>s</strong> dévotions <strong>et</strong><br />

où auraient lieu <strong><strong>de</strong>s</strong> miracles, ne suffit pas pour établir l’existence d’un culte <strong>de</strong> source<br />

antique, <strong>et</strong> notamment d’une source guérisseuse. Le suj<strong>et</strong> est en lui-même passionnant,<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong>vrait mériter une attention scientifique plus gran<strong>de</strong>. Mais pour ce faire, il<br />

convient <strong>de</strong> travailler sur les documents plutôt que <strong>de</strong> se fon<strong>de</strong>r sur <strong><strong>de</strong>s</strong> intuitions<br />

déterminées par le folklore chrétien ou l’hagiographie mineure. Ainsi, par exemple,<br />

l’étu<strong>de</strong> récemment parue <strong>de</strong> Giovanna Alvino <strong>et</strong> <strong>de</strong> Tersilio Leggio (« Acque e culti<br />

salutari in Sabina », dans Lidio Gasperini, Usus veneratioque fontium. Fruizione e culto<br />

<strong>de</strong>lle acque salutari nell’Italia romana , Tivoli 2006, 17-54) examine-t-elle la<br />

question <strong><strong>de</strong>s</strong> Aquae Cutiliae. Il s’agit sans aucun doute d’un <strong><strong>de</strong>s</strong> cultes aquatiques les<br />

plus connus <strong>de</strong> l’Italie antique, <strong>et</strong> du culte le plus important <strong>de</strong> Sabine. Or les<br />

bâtiments <strong>et</strong> installations antiques furent rapi<strong>de</strong>ment abandonnés, <strong>et</strong> au <strong>cours</strong> du<br />

Moyen Âge le site ne fut plus utilisé du tout, notamment en raison <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations<br />

religieuses <strong>et</strong> du style <strong>de</strong> vie. Et même plus tard, au XVI e s., les humanistes


626 JOHN SCHEID<br />

reconnaissaient que le souvenir thérapeutique <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux avait survécu sur le plan local,<br />

mais que les qualités <strong>de</strong> l’eau ne correspondaient pas aux indications <strong>de</strong> Pline<br />

l’Ancien. En tout cas, les <strong>de</strong>ux savants démontrent que l’utilisation <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux était<br />

désormais épisodique <strong>et</strong> dépourvue <strong>de</strong> tout aspect religieux. Et il en va <strong>de</strong> même avec<br />

beaucoup d’autres sites antiques, qui ne sont plus un lieu <strong>de</strong> cure <strong>de</strong> nos jours, <strong>et</strong><br />

inversement, beaucoup <strong>de</strong> sites thermaux actuels n’ont pas été utilisés dans<br />

l’Antiquité. Pour se prononcer sur l’existence d’une survivance du culte d’une source,<br />

il convient donc <strong>de</strong> disposer d’une documentation qui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> reconstituer la vie<br />

du site pendant le Moyen Âge <strong>et</strong> l’époque mo<strong>de</strong>rne, <strong>et</strong> <strong>de</strong> documents antiques<br />

établissant sans ambiguïté l’existence d’une exploitation <strong>de</strong> la source <strong>et</strong> <strong>de</strong> son culte.<br />

L’intérêt <strong>de</strong> ce type d’enquête dépasse le problème <strong><strong>de</strong>s</strong> cultes <strong>de</strong> source <strong>et</strong> concerne<br />

tous les lieux <strong>de</strong> culte, surtout ceux qui étaient situés sur le territoire rural <strong><strong>de</strong>s</strong> cités.<br />

Bien souvent, quand nous disposons <strong>de</strong> sources documentaires, nous nous rendons<br />

compte qu’entre la réutilisation d’un site au Moyen Âge ou l’époque mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong><br />

l’abandon du lieu <strong>de</strong> culte antique, il existe une longue solution <strong>de</strong> continuité. Et<br />

quand le site est réutilisé, le contexte religieux du sanctuaire <strong>et</strong> sa fonction sont très<br />

différents. Autrement dit, la question <strong><strong>de</strong>s</strong> survivances n’est nullement inintéressante.<br />

Elle est trop importante pour être invoquée à tort <strong>et</strong> à travers, <strong>et</strong> sans le support d’un<br />

socle documentaire sérieux.<br />

Le concept <strong>de</strong> sanctuaire naturel dans l’Antiquité<br />

Nous avons conduit l’enquête en <strong>de</strong>ux temps. Nous avons d’abord feuill<strong>et</strong>é les<br />

auteurs antiques pour découvrir quelle signification avaient pour eux les phénomènes<br />

naturels <strong>et</strong> notamment les sanctuaires <strong>de</strong> sources. Dans un premier temps, nous<br />

avons repris le dossier <strong><strong>de</strong>s</strong> bois sacrés, tel que nous l’avions développé il y a quelques<br />

années dans un colloque (O. <strong>de</strong> Cazanove (éd.), Les bois sacrés, Naples, 10, 1993,<br />

13-20), en y ajoutant quelques précisions, Le spectacle <strong>de</strong> la nature intacte,<br />

impressionnante <strong>et</strong>, pour ainsi dire, originelle, suscitait chez les Anciens un certain<br />

effroi, qui ne provoquait toutefois pas l’extase mystique. Tout au contraire, le frisson<br />

éveillait la raison <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> réactions religieuses tout à fait rationnelles. Les forêts<br />

profon<strong><strong>de</strong>s</strong>, les marécages, les lacs insondables <strong>et</strong> la haute montagne situés à l’extérieur<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> espaces habités passaient pour chaotiques, laids <strong>et</strong> terrifiants, ils n’attiraient<br />

personne. Ils correspondaient à ce que les philologues appellent le locus horridus,<br />

contraire du locus amoenus (cf. Ermanno Malaspina, « Tipologia <strong>de</strong>ll’inameno nella<br />

l<strong>et</strong>teratura latina. Locus horridus, paesaggio eroico, paesaggio dionisiaco : una<br />

proposta di risistemazione », dans Aufidus 23, 1994, 7-22). Seuls les phénomènes<br />

naturels inclus dans l’espace humain pouvaient susciter <strong><strong>de</strong>s</strong> émotions profon<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />

L’effroi qu’ils soulevaient débouchait sur une réflexion concernant l’ordre <strong><strong>de</strong>s</strong> choses.<br />

Nous avons ensuite regardé <strong>de</strong> près les <strong>de</strong>ux textes qui développent la signification<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes naturels, ceux <strong>de</strong> Sénèque (L<strong>et</strong>tres à Lucilius 3, 41, 1-5) <strong>et</strong> <strong>de</strong> Pline<br />

l’Ancien (Histoire naturelle 12, 3-5) que tous les auteurs ont invoqué <strong>de</strong>puis le début


RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 627<br />

du XIX e s. Sénèque <strong>et</strong> Pline considèrent les bois sacrés dans leur majesté comme <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

lieux intacts, sombres, déserts, stériles, autrement dit comme <strong><strong>de</strong>s</strong> réalités non<br />

artificielles, non créées, non entr<strong>et</strong>enues <strong>et</strong> non habitées par l’homme. Avant d’aller<br />

plus loin, nous avons souligné que les <strong>de</strong>ux auteurs n’assimilent nullement les bois<br />

sacrés ou les autres phénomènes naturels surprenants à <strong><strong>de</strong>s</strong> divinités. Dans un exposé<br />

général sur les qualités <strong><strong>de</strong>s</strong> arbres, Pline affirme que jadis les forêts servaient <strong>de</strong><br />

temples aux divinités ; avant <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>r dans <strong><strong>de</strong>s</strong> temples construits <strong>de</strong> main<br />

d’homme, c’est dans les forêts que les dieux habitaient. D’autre part, un arbre pouvait<br />

être dédié à une divinité, en raison <strong>de</strong> son aspect remarquable ou <strong>de</strong> son essence<br />

particulière. Enfin, Pline rappelle que les mythes ont peuplé les forêts <strong>de</strong> Silvains, <strong>de</strong><br />

Faunes <strong>et</strong> <strong>de</strong> diverses sortes <strong>de</strong> déesses. Nulle part, toutefois, il ne déclare que les<br />

dieux étaient <strong><strong>de</strong>s</strong> arbres, ou les arbres <strong><strong>de</strong>s</strong> dieux ; aucun culte n’est rendu à <strong><strong>de</strong>s</strong> arbres.<br />

Chez Sénèque, il s’agit d’illustrer à Lucilius comment un spectacle extraordinaire<br />

conduit à la supposition qu’un dieu est à l’œuvre dans c<strong>et</strong>te chose, ou dans c<strong>et</strong><br />

homme. Car Sénèque veut démontrer qu’il y a un dieu qui agit dans chacun d’entre<br />

nous. Les phénomènes naturels servent <strong>de</strong> preuve à son argumentation. Le spectacle<br />

d’un vieux bois sacré provoque un choc, mais c<strong>et</strong> ébranlement frappe l’animus,<br />

« l’esprit », <strong>et</strong> suscite un mouvement <strong>de</strong> recul respectueux plutôt qu’un élan mystique.<br />

L’aspect exceptionnel du lieu signale l’intervention d’un dieu, d’une uis ou d’un<br />

numen divins. Créé <strong>et</strong> poussé à <strong><strong>de</strong>s</strong> hauteurs ou <strong><strong>de</strong>s</strong> profon<strong>de</strong>urs effarantes par la<br />

volonté d’un dieu, un lucus révèle par son aspect miraculeux qu’il n’est pas <strong>de</strong> ce<br />

mon<strong>de</strong>, ou que son créateur <strong>et</strong> maître ne sont pas du mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> humains. Le numen<br />

évoqué par Sénèque ne désigne jamais, jusqu’à l’époque d’Auguste, <strong>et</strong> même au-<strong>de</strong>là,<br />

une « réalité numineuse » ou une « divinité ». G. Dumézil (La religion romaine<br />

archaïque, Paris 1987 2 , 36-48 pour la bibliographie) a prouvé définitivement, contre<br />

les tenants <strong>de</strong> l’animisme, que ni les emplois du terme, ni les contextes ne prouvent<br />

l’existence <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te forme divine diffuse <strong>et</strong> anonyme, qui ressemble tant à la Weltseele<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Romantiques. Le texte <strong>de</strong> Sénèque est parfaitement clair, comme le sont<br />

également celui <strong>de</strong> Virgile racontant la visite d’Énée sur le site du futur Capitole<br />

(Enéi<strong>de</strong>. 8, 352), ou la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong>de</strong> l’Antre <strong>de</strong> Cilicie par Pomponius Mela<br />

(Chorographie 1, 72-75) : les dieux habitent ces lieux, « ils se révèlent avec une sorte<br />

<strong>de</strong> puissance divine ». Virgile n’écrit pas quis <strong>de</strong>us, incertum est, est <strong>de</strong>us, mais quis<br />

<strong>de</strong>us, incertum est, habitat <strong>de</strong>us. Et le specus <strong>de</strong> Cilicie est augustus <strong>et</strong> uere sacer<br />

habitarique a diis <strong>et</strong> dignus <strong>et</strong> creditus, nihil non uenerabile <strong>et</strong> quasi cum aliquo numine<br />

se ostentat. Le merveilleux est un signe du divin, il renvoie à l’intervention d’une<br />

divinité, à son action, sa volonté (numen), à sa présence dans un lieu, <strong>et</strong> non à la<br />

divinité <strong>de</strong> ce lieu ou <strong>de</strong> c<strong>et</strong> être, <strong>et</strong> à la Nature créatrice. Autrement l’homme idéal<br />

imaginé par Sénèque, dont on reconnaît qu’il est habité par le souffle d’un dieu,<br />

serait lui-même dieu, ce qui ne correspond ni à l’intention ni à l’opinion <strong>de</strong> Sénèque.<br />

Par conséquent, les exemples pris par Sénèque pour illustrer son argumentation ne<br />

peuvent pas être interprétés différemment : les bois sacrés, les cavernes (non manu<br />

factas, « qui ne sont faites <strong>de</strong> main humaine »), les fluminum capita, « les sources <strong>de</strong><br />

fleuves », les sources chau<strong><strong>de</strong>s</strong> ou les étangs insondables sont l’œuvre, la propriété <strong>et</strong>/<br />

ou le lieu <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce d’une divinité, ils ne sont pas <strong><strong>de</strong>s</strong> dieux eux-mêmes.


628 JOHN SCHEID<br />

Sacrés en tant que propriété <strong>et</strong> lieu <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce d’une divinité, les bois sacrés<br />

portent la marque du non-humain, du surhumain. Car, il faut encore le souligner,<br />

sacer signifie, malgré les emplois métaphoriques du terme, « ce qui appartient à un<br />

dieu », <strong>et</strong> cela seulement « après consécration officielle par un agent du Peuple<br />

romain ». Les textes <strong>de</strong> Sénèque <strong>et</strong> <strong>de</strong> Pomponius Mela contiennent <strong>de</strong> nombreux<br />

renvois à la signification précise du terme sacer : habitare — augustus <strong>et</strong> uere sacer<br />

— habitarique a diis ; uis isto diuina <strong><strong>de</strong>s</strong>cendit ; caelestis potentia agitat ; sine<br />

adminiculo numinis — cum aliquo numine se ostentat. Le problème <strong>de</strong> la relation<br />

entre la nature <strong>et</strong> la religion se pose sans doute en d’autres termes dans d’autres<br />

civilisations, mais il semble que, dans le mon<strong>de</strong> romain, c’est <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te manière qu’il<br />

faut comprendre les sources.<br />

Quelle est alors la signification religieuse <strong><strong>de</strong>s</strong> bois sacrés à Rome ? Il ne s’agit pas <strong>de</strong><br />

donner d’emblée une réponse globale, applicable à la fois aux représentations que<br />

nous trouvons dans les documents littéraires <strong>et</strong> aux témoignages liturgiques <strong>et</strong><br />

archéologiques. Ces <strong>de</strong>ux ordres <strong>de</strong> documents appartiennent à <strong>de</strong>ux univers<br />

différents, dont les lois ne sont pas les mêmes. Dans les rituels <strong>et</strong> sur le terrain, un<br />

bois sacré est une réalité « mu<strong>et</strong>te », dont seuls l’agencement <strong>et</strong> les règles liturgiques<br />

peuvent définir le caractère, <strong>de</strong> manière implicite <strong>et</strong> suivant <strong><strong>de</strong>s</strong> contextes très<br />

variables. Même si elles ne s’appuient pas sur c<strong>et</strong>te même réalité cultuelle, les<br />

définitions <strong>et</strong> les <strong><strong>de</strong>s</strong>criptions <strong><strong>de</strong>s</strong> antiquaires, grammairiens, poètes ou philosophes<br />

appartiennent à l’ordre <strong>de</strong> l’interprétation, <strong>et</strong> se placent sur un plan général <strong>et</strong> dans<br />

une logique qui n’est régie par aucune contrainte rituelle. On peut certes s’attendre à<br />

ce que ces <strong>de</strong>ux ordres <strong>de</strong> sources se rejoignent, mais la pru<strong>de</strong>nce recomman<strong>de</strong> <strong>de</strong> les<br />

analyser séparément. L’approche archéologique <strong>et</strong> liturgique du problème est difficile.<br />

Devant l’apparent « silence » <strong><strong>de</strong>s</strong> sources non littéraires, il est nécessaire d’explorer<br />

dans un premier temps la signification du terme lucus chez les auteurs latins, sans<br />

vouloir réduire entièrement les sources archéologiques <strong>et</strong> rituelles à c<strong>et</strong>te définition.<br />

Les érudits romains donnent <strong><strong>de</strong>s</strong> bois sacrés <strong>de</strong>ux définitions concurrentes, qui ne<br />

sont pas exclusives. D’une part, un lucus est, à proprement parler, une « clairière »<br />

ouverte dans un bois (Ernout-Meill<strong>et</strong>, Dictionnaire étymologique <strong>de</strong> la langue<br />

latine s.v. ; Thesaurus Linguae latinae s.v.). D’autre part, sur un plan plus général, les<br />

Romains établissent également une opposition entre le lucus, <strong>et</strong> les <strong>de</strong>ux autres<br />

termes désignant les forêts, nemus <strong>et</strong> silua. Le texte <strong>de</strong> référence est extrait du<br />

Commentaire <strong>de</strong> l’Enéi<strong>de</strong> par le grammairien Servius, dans la version <strong>de</strong> P. Daniel :<br />

« Un lucus est un ensemble d’arbres soumis à <strong><strong>de</strong>s</strong> obligations religieuses, le nemus un<br />

ensemble d’arbres bien ordonné, <strong>et</strong> la silua une forêt épaisse <strong>et</strong> sans entr<strong>et</strong>ien »<br />

(Servius <strong>de</strong> P. Daniel, Commentaire <strong>de</strong> l’Énéi<strong>de</strong> 1, 310 : Interest… inter nemus <strong>et</strong><br />

siluam <strong>et</strong> lucum ; lucus enim est arborum multitudo cum religione, nemus uero composita<br />

multitudo arborum ; silua diffusa <strong>et</strong> inculta.) C<strong>et</strong>te définition est celle d’un<br />

grammairien du V e s., il faut le préciser, <strong>et</strong> ne donne pas forcément le sens <strong>de</strong> ces<br />

termes <strong>et</strong> <strong>de</strong> ces réalités religieuses, qui ont pu en outre varier selon le lieu <strong>et</strong> le<br />

temps. Mais faute <strong>de</strong> mieux, nous pouvons débuter un raisonnement à partir <strong>de</strong> ces<br />

définitions.


RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 629<br />

Même s’ils sont composés d’arbres en nombre important, le lucus <strong>et</strong> le nemus ne<br />

sont ni épais ni privés d’entr<strong>et</strong>ien. Le nemus est soumis à l’activité humaine, qui<br />

l’ordonne en bois harmonieux, composita multitudo. La silua est manifestement<br />

soustraite à toute action : elle est un ensemble d’arbres non entr<strong>et</strong>enus. Enfin,<br />

d’après notre définition, le lucus n’est apparemment ni harmonieusement composé,<br />

ni abandonné à lui-même ; d’autre part, contrairement au nemus ou à la silua, le<br />

lucus possè<strong>de</strong> un statut sacré, il est soumis à <strong><strong>de</strong>s</strong> obligations religieuses. Par rapport<br />

aux trois autres types <strong>de</strong> bois, le lucus seul est toujours sacré, lié à <strong><strong>de</strong>s</strong> observations<br />

religieuses. Des autres rien <strong>de</strong> tel n’est dit. Et comme l’écrivent le grammairien<br />

Servius <strong>et</strong> le philologue italien Erm. Malaspina (« Nemus sacrum ? Il ruolo di nemus<br />

nel campo semantico <strong>de</strong>l bosco sino a Virgilio : osservazioni di lessico e di<br />

<strong>et</strong>imologia », dans Qua<strong>de</strong>rni <strong>de</strong>l dipartimento di filologi, a linguistica e tradizione<br />

classica 1995 ; 75-97, notamment 77), sacer signifie « cultuel, rituel » c’est-à-dire<br />

désigne une qualité créée par les mortels <strong>et</strong> non par les dieux. En revanche, comme<br />

Malaspina le prouve, nemus n’a jamais la valence religieuse, même si dans la langue<br />

poétique le terme peut s’appliquer aussi bien à silua qu’à saltus. Si Caton (Origines<br />

II, 21 Jordan = 58 P<strong>et</strong>er = II, 28 Chassign<strong>et</strong> : Lucum Dianium in Nemore Aricino<br />

Egerius Baebius Tusculanus <strong>de</strong>dicauit dictator Latinus) situe le Lucus Dianius in<br />

Nemore Aricino, cela signifie, d’après Malaspina, que le Nemus Aricinus était un<br />

toponyme. La partie sacrée <strong>de</strong> ce grand bois <strong><strong>de</strong>s</strong> Collines albaines, appelé le Nemus<br />

d’Aricie, était le lucus, la clairière cultuelle <strong>de</strong> Diane.<br />

Deux faits perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> mieux comprendre la nature <strong><strong>de</strong>s</strong> bois sacrés. D’un côté,<br />

ils sont propriété d’une divinité, qui est reconnue <strong>et</strong> enregistrée comme telle par<br />

les humains, après que les dieux eux-mêmes se sont consacré ces lieux. Quand Énée<br />

visite le site <strong>de</strong> Rome, le Capitole l’impressionne, parce qu’il ressent qu’une divinité<br />

y est déjà à l’œuvre. (Enéi<strong>de</strong> 8, 352). Il en va <strong>de</strong> même avec les lieux foudroyés.<br />

D’un lieu où la foudre était tombée, les Romains « pensaient qu’il <strong>de</strong>venait<br />

d’emblée religiosus, parce que la divinité paraissait l’avoir dédié à elle-même » (Paul<br />

Diacre, Abrégé <strong>de</strong> Festus, p. 82 édition Lindsay : Fulguritum, id quod est fulmine<br />

ictum, qui locus statim fieri putabatur religiosus, quod eum <strong>de</strong>us sibi dicasse vi<strong>de</strong>r<strong>et</strong>ur).<br />

Dans ce texte religiosus désigne ce qui est marqué d’une obligation religieuse, avec<br />

sans doute une nuance péjorative, étant donné le côté négatif <strong>de</strong> l’événement. Ce<br />

qui paraît important, c’est, pour citer le dictionnaire <strong>de</strong> Festus, le fait que les<br />

divinités paraissaient s’être consacré ces lieux à elles-mêmes. Dans un cas, une<br />

intervention directe, la foudre qui tombe <strong>et</strong> désigne un lieu, dans l’autre un espace<br />

qui par ses caractéristiques apparaît comme une propriété divine.<br />

Mais il convient <strong>de</strong> nuancer c<strong>et</strong>te conclusion : il s’agit d’interprétations <strong>et</strong> non<br />

<strong>de</strong> données cultuelles. En fait, les bois sacrés étaient définis, libérés <strong>et</strong> consacrés<br />

comme les temples, ainsi que Filippo Coarelli a raison <strong>de</strong> le souligner (dans O. <strong>de</strong><br />

Cazanove (éd.), Les bois sacrés, Naples, 1993, 13-20). Par exemple, d’après Caton,<br />

que nous venons <strong>de</strong> citer, le dictateur latin Egerius Baebius dédia (<strong>de</strong>dicauit) le<br />

bois sacré <strong>de</strong> Diane dans le Bois d’Aricie. La différence est aussi marquée quand<br />

les augures définissent par la parole <strong>et</strong> libèrent un terrain afin <strong>de</strong> l’inaugurer,


630 JOHN SCHEID<br />

c’est-à-dire pour en faire un templum au sens premier, un terrain orienté selon les<br />

points cardinaux <strong>et</strong> définis après consultation <strong>de</strong> Jupiter. Le templum est un lieu<br />

installé en commun par Jupiter <strong>et</strong> les représentants <strong>de</strong> la cité, le bois sacré qui<br />

existait par exemple au Capitole avant la libération du lieu <strong>de</strong> toute servitu<strong>de</strong>, sa<br />

définition par la parole <strong>et</strong> enfin l’inauguration, était un lieu que les dieux avaient<br />

eux-mêmes créé <strong>et</strong> occupé. Enfin, les rites <strong><strong>de</strong>s</strong> arvales en leur bois sacré montrent<br />

que le côté impénétrable <strong>et</strong> sauvage est en fait construit par les interdits, les<br />

expiations <strong>et</strong> l’élagage rituel qui a lieu chaque année. Le lucus est une catégorie<br />

rituelle, le reste ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> commentaires <strong>de</strong> rites ou <strong><strong>de</strong>s</strong> définitions lexicographiques.<br />

Mais ces interprétations ont l’avantage <strong>de</strong> révéler comment les Anciens comprenaient<br />

les phénomènes naturels surprenants.<br />

Les sanctuaires <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux d’après les Anciens<br />

À côté d’autres documents examinés, la plus belle <strong><strong>de</strong>s</strong>cription d’un sanctuaire <strong>de</strong><br />

source est celle que Pline le Jeune fait <strong>de</strong> sa visite aux sources du Clitumne, près<br />

<strong>de</strong> Mévania, en Ombrie (L<strong>et</strong>tres 8, 8).<br />

La l<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> Pline décrit avec une relative précision l’aménagement du site <strong>et</strong> les<br />

pratiques cultuelles qui étaient pratiquées. Il est extraurbain, <strong>et</strong> appartient à la<br />

colonie <strong>de</strong> Hispellum (Spello), formant <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce une enclave sur le territoire<br />

<strong>de</strong> Spolète. Le lieu <strong>de</strong> culte n’a jamais été r<strong>et</strong>rouvé. Dans le sanctuaire du Clitumne,<br />

la divinité rési<strong>de</strong> avant tout dans un élément naturel, ici la source jaillissante, mais<br />

elle dispose également d’un temple construit au bord du bassin, <strong>de</strong> la même manière<br />

que dans un bois sacré existe souvent un temple (E. Lefèvre, « Plinius-Studien IV.<br />

Die Naturauffassung in <strong>de</strong>n Beschreibungen <strong>de</strong>r Quelle am Lacus Larius (4, 30), <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Clitumnus (8, 8) und <strong><strong>de</strong>s</strong> Lacus Vadimo (8, 20) », dans Gymnasium, 95, 1988, 236-<br />

269). Ce temple <strong>de</strong>vait être mo<strong><strong>de</strong>s</strong>te, car il n’a laissé aucune trace. Pline décrit<br />

l’aménagement <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> lieu cultuel <strong>de</strong> manière très précise. Au sanctuaire<br />

<strong>de</strong> Clitumne, les clivages spatiaux sont n<strong>et</strong>tement soulignés. Le centre du sanctuaire<br />

est constitué par une source située au pied d’une colline à pente douce boisée <strong>de</strong><br />

cyprès : « Une médiocre hauteur se dresse, boisée <strong>et</strong> ombragée par d’antiques cyprès.<br />

À son pied la source jaillit <strong>et</strong> se répand par plusieurs fil<strong>et</strong>s inégaux ; une fois dégagée<br />

du bouillonnement qu’elle forme, elle s’étale en un large bassin, limpi<strong>de</strong> <strong>et</strong><br />

transparente, si bien qu’il est possible d’y compter les pièces (stipes) qu’on y j<strong>et</strong>te <strong>et</strong><br />

les cailloux qui brillent ». Pline parle d’une colline boisée <strong>et</strong> sombre, qui peut<br />

correspondre au lucus <strong>de</strong> Clitumne évoqué par Properce (cf. pour toutes les citations,<br />

A. Dubourdieu, « Les sources du Clitumne. De l’utilisation <strong>et</strong> du classement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

sources littéraires », dans Cahiers du Centre Gustave Glotz 8, 1997, 131-149). Par<br />

ailleurs, toujours d’après Pline, <strong><strong>de</strong>s</strong> frênes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> peupliers entourent le bassin <strong>de</strong> la<br />

source. On a donc l’impression que, comme dans les bois sacrés que nous avons vus<br />

précé<strong>de</strong>mment, le lieu <strong>de</strong> culte proprement dit s’étend dans une sorte <strong>de</strong> clairière,<br />

puisqu’il s’ouvre dans une forêt opaque.


RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 631<br />

Sur le bord <strong>de</strong> ce bassin se dresse un templum avec une statue <strong>de</strong> Clitumne en toge<br />

prétexte. C<strong>et</strong>te tenue n’est pas anodine, car elle indique que dans ce sanctuaire public<br />

la divinité exerce le pouvoir, autrement dit que son numen y est présent ; sa volonté<br />

<strong>et</strong> son pouvoir sont efficaces en ce lieu. Maître du lieu, Clitumne n’est pas seul dans<br />

son sanctuaire. Conformément aux principes du polythéisme antique, son temple<br />

est entouré <strong><strong>de</strong>s</strong> chapelles d’un certain nombre d’autres divinités. « Chacune a son<br />

culte spécial, son nom <strong>et</strong> quelques unes même leurs sources. Car outre Clitumne qui<br />

est comme le père <strong><strong>de</strong>s</strong> autres, il y en a <strong>de</strong> plus p<strong>et</strong>ites, ayant chacune leur lieu<br />

d’origine, mais qui viennent se mêler à la rivière sur laquelle est un pont. ». Nous<br />

ignorons quels sont ces dieux, mais ce ne sont pas forcément <strong><strong>de</strong>s</strong> divinités <strong>de</strong> sources,<br />

car Pline précise que certaines <strong>de</strong> ces divinités possè<strong>de</strong>nt même une source. Nous<br />

découvrons donc que les divinités vénérées près d’une source ne sont pas simplement<br />

la source, mais les propriétaires <strong>de</strong> la source. Pline distingue donc les Aquae, le fons<br />

ou les Nymphes <strong>de</strong> la divinité qui est leur maître.<br />

Un peu plus bas que le temple <strong>et</strong> son bassin, un pont se j<strong>et</strong>te sur le Clitumne,<br />

qui représente « la limite du sacré <strong>et</strong> du profane », is terminus sacri profanique<br />

(8, 8, 5). En amont, on peut seulement se déplacer en barque, donc à la surface<br />

<strong>de</strong> l’eau inviolable ; en <strong>de</strong>çà du pont, l’eau est profane, c’est-à-dire propre à<br />

l’utilisation par les humains. La partie sacrée <strong>de</strong> la source, donc tout ce qui est en<br />

amont du pont, est aussi inviolable qu’un lucus, une aire consacrée ou la cella d’une<br />

ae<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong>et</strong> on y pénètre uniquement pour célébrer le culte, pour préparer ou pour<br />

entr<strong>et</strong>enir le sanctuaire.<br />

La distinction entre sacré <strong>et</strong> profane, entre propriété inviolable <strong>de</strong> la divinité <strong>et</strong><br />

espace ouvert à l’utilisation humaine, est attestée également sur une inscription <strong>de</strong><br />

Tivoli (ILLRP 510), <strong>et</strong> dans les fameux règlements <strong><strong>de</strong>s</strong> bois sacrés <strong>de</strong> Spolète <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

Lucérie (ILLRP 505-6 <strong>et</strong> 504), ou <strong>de</strong> l’autel <strong>de</strong> Vulcain au Quirinal (ILS 4914).<br />

C’est donc une règle <strong>de</strong> droit sacrée générale que Pline décrit ici, une règle qui est<br />

attestée ailleurs. De même qu’un chemin donne accès à un bois sacré, on peut<br />

atteindre par barque le centre du sanctuaire, sans toutefois pouvoir pénétrer dans<br />

l’eau. Pline ne décrit que l’aspect touristique <strong>de</strong> ce traj<strong>et</strong> en barque, mais il est<br />

vraisemblable que la même voie était empruntée par ceux qui célébraient le culte<br />

ou consultaient, par exemple, l’oracle. Les règles concernant le lac sacré Vadimon,<br />

décrit par Pline quelques l<strong>et</strong>tres plus loin (8, 20, 5), sont plus sévères, car toute<br />

navigation y est interdite, sans doute parce que le lieu <strong>de</strong> culte proprement dit se<br />

situait en marge du lac, <strong>et</strong> qu’on n’avait pas besoin d’aller plus loin.<br />

Le sanctuaire <strong>de</strong> Clitumne ou le lac Vadimon appartiennent au même type <strong>de</strong><br />

sanctuaire que les sources <strong><strong>de</strong>s</strong> grands <strong>cours</strong> d’eau, les bois sacrés, les grottes, les<br />

sources chau<strong><strong>de</strong>s</strong> ou les lacs d’une profon<strong>de</strong>ur insondable, pour utiliser l’énumération<br />

<strong>de</strong> Sénèque que nous avons commentée au début du <strong>cours</strong>. Autrement dit, il s’agit<br />

toujours <strong>de</strong> phénomènes naturels surprenants. Le sanctuaire du Clitumne l’était par<br />

la clarté exceptionnelle <strong>de</strong> son eau, <strong>et</strong> pas sa puissance : quand il jaillit, il possè<strong>de</strong><br />

tout <strong>de</strong> suite une force <strong>et</strong> une puissance extraordinaires (8, 8, 2 ). Le Lac Vadimon


632 JOHN SCHEID<br />

est merveilleux par ses îles flottantes. Ces lieux naturels surprenants n’étaient pas<br />

sacrés en eux-mêmes, comme nous l’avons vu. Et Pline n’écrit rien <strong>de</strong> tel. Ils l’étaient<br />

en tant qu’ils étaient la création immédiate d’une divinité <strong>et</strong> une propriété divine<br />

immédiate, que les hommes se bornaient à reconnaître <strong>et</strong> à consacrer comme telles.<br />

D’un côté le bassin qui est sacré, qui est la rési<strong>de</strong>nce du dieu <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses pairs, où l’on<br />

ne peut pénétrer, <strong>de</strong> l’autre la même eau, désormais profane, où l’on peut pénétrer <strong>et</strong><br />

dont ont peut aussi se servir. Les eaux sacrées sont donc intouchables par les humains.<br />

Ceux-ci peuvent les contempler, se mouvoir à leur surface, y faire <strong><strong>de</strong>s</strong> offran<strong><strong>de</strong>s</strong>, mais<br />

jamais s’en servir pour <strong><strong>de</strong>s</strong> activités humaines. C<strong>et</strong>te règle, qu’il faudra essayer <strong>de</strong><br />

détecter ailleurs, est en tous points conforme aux qualités spécifiques <strong>de</strong> l’espace<br />

sacré dans le droit sacré romain ; elle vaut pour les bois sacrés aussi bien que pour les<br />

temples, pour les espaces qualifiés <strong>de</strong> sacrés.<br />

Nous avons ensuite r<strong>et</strong>rouvé c<strong>et</strong>te représentation du sanctuaire <strong>de</strong> source dans<br />

<strong>de</strong>ux images, celles qui ornent la patère dite d’Otañez (Fr. Diez <strong>de</strong> Velasco,<br />

Termalismo y religion. La sacralización <strong>de</strong>l agua termal en la Peninsula Ibérica y el<br />

norte <strong>de</strong> Africa en el mundo antico, Madrid 1988, 47-48) <strong>et</strong> le manche d’une patère<br />

<strong>de</strong> Capheaton (Northumberland, au British Museum). Dans les <strong>de</strong>ux cas, la source<br />

<strong>et</strong> l’eau qui s’en échappe sont clairement séparées d’un bassin ou d’un réceptacle,<br />

contenant une eau qui est utilisable par les mortels.<br />

Tous les documents examinés perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> dresser la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> principales<br />

caractéristiques que les auteurs antiques donnent <strong>de</strong> l’aménagement rituel d’une<br />

source.<br />

a. La source jaillit dans un bois sacré, dans une clairière. Dans un cas, la source<br />

jaillit sous un temple. Le texte <strong>de</strong> Pline, mais aussi l’inscription <strong>de</strong> la patère d’Otañez<br />

(Salus Umeritana) signalent <strong><strong>de</strong>s</strong> qualités surprenantes, la force <strong>et</strong> la blancheur, ou<br />

la salubrité, qui sont autant <strong>de</strong> signes qu’une divinité est à l’œuvre ;<br />

b. la source se déverse dans un premier bassin qui est sacré, ce qui signifie sur le<br />

plan rituel, que les mortels ne peuvent pas entrer physiquement en contact avec elle ;<br />

c. la seule activité possible dans c<strong>et</strong>te partie du lieu est le culte, célébré à distance<br />

pru<strong>de</strong>nte. On peut aussi regar<strong>de</strong>r la source, sur le Clitumne on peut même faire<br />

une promena<strong>de</strong> en barque, <strong>et</strong> offrir <strong><strong>de</strong>s</strong> monnaies ;<br />

d. une limite, qui est un pont dans les <strong>de</strong>ux documents explicites : le Clitumne<br />

<strong>et</strong> la patère d’Otañez, marque la transition vers le <strong>de</strong>uxième bassin <strong>de</strong> la source,<br />

qui est profane. Les mortels peuvent désormais se plonger dans l’eau <strong>de</strong> la source,<br />

la puiser <strong>et</strong> la manipuler.<br />

Enquête <strong>de</strong> terrain : les sanctuaires <strong>de</strong> sources dans le mon<strong>de</strong> romain<br />

occi<strong>de</strong>ntal<br />

Nous avons ensuite parcouru la partie occi<strong>de</strong>ntale <strong>de</strong> l’empire, du Nord au Sud,<br />

pour vérifier si l’aménagement <strong><strong>de</strong>s</strong> sanctuaires <strong>de</strong> source indubitables <strong>et</strong> bien attestés<br />

correspondait à ce portrait. En dépit <strong>de</strong> l’insuffisance <strong>de</strong> la documentation dans <strong>de</strong>


RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 633<br />

nombreux cas, le résultat <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te enquête a été positif. Nous avons r<strong>et</strong>rouvé la même<br />

bipartition <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces, entre le lieu sacré, propriété <strong>de</strong> la divinité, <strong>et</strong> la partie profane,<br />

où les mortels peuvent vaquer à leurs occupations. À Bath, par exemple, on discerne<br />

très bien la volonté <strong>de</strong> respecter la forme irrégulière <strong>de</strong> la source, autour <strong>de</strong> laquelle<br />

sont construits, d’un côté, le temple <strong>et</strong> ses annexes, strictement réservés au culte, <strong>de</strong><br />

l’autre les thermes utilisant la source. En revanche le captage <strong>de</strong> la source n’est<br />

accessible aux visiteurs que par le regard. La même configuration <strong>de</strong> l’espace est par<br />

exemple attestée à Villards d’Héria, chez les Séquanes (W. Van Andringa, « Un grand<br />

sanctuaire <strong>de</strong> la cité <strong><strong>de</strong>s</strong> Séquanes : Villards d’Héria », dans M. Dondin-Payre,<br />

M.Th. Raepsa<strong>et</strong>-Charlier, Sanctuaires, pratiques cultuelles <strong>et</strong> territoires civiques dans<br />

l’Occi<strong>de</strong>nt romain, Bruxelles 2006, 121-134.), en pays trévire, à Wallerborn<br />

(W. Binsfeld, « Das Quellheiligtum Wallenborn bei Heckenmünster », dans Trierer Zeitschrift 32, 1969, 239-268.) ou à Hochscheid<br />

(G. Weisgerber, Das Pilgerheiligtum <strong><strong>de</strong>s</strong> Apollo und <strong>de</strong>r Sirona von Hochscheid im<br />

Hunsrück, Bonn 1975 ), <strong>et</strong> à Balaruc, en Narbonnaise (Carte Archéologique <strong>de</strong> la<br />

Gaule 03, 1989). En Afrique romaine correspon<strong>de</strong>nt encore à ce modèle les<br />

sanctuaires <strong>de</strong> source <strong><strong>de</strong>s</strong> Aquae Septimianae près <strong>de</strong> Timgad (L. Leschi, Etu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

d’épigraphie, d’archéologie <strong>et</strong> d’histoire africaines, Paris 1957, 240-245 ; M. Le Glay,<br />

« Un centre <strong>de</strong> syncrétisme en Afrique : Thamugadi <strong>de</strong> Numidie », dans Africa<br />

Romana 8, 1991, 67-78.), les Aquae Flavianae, près <strong>de</strong> Théveste (J. Birebent, Aquae<br />

Romanae. Recherches d’hydraulique romaine dans l’Est algérien, Alger 1962 (1964),<br />

237-243 ; J.-P. Laporte, « Henchir el-Hammam (antique Aquae Flavianae) », dans<br />

Aouras 3, 2006, 284-321) ou les sanctuaires <strong>de</strong> Zaghouan <strong>et</strong> <strong>de</strong> Jebel Oust en Tunisie<br />

(Friedrich Rakob, « Das Quellheiligtum in Zaghouan und die römische Wasserleitung<br />

nach Karthago », dans Mitteilungen <strong><strong>de</strong>s</strong> Deutschen archäologischen Instituts, Römische<br />

Abteilung, 81, 1974, 41-89 ; A. Ben Abed, J. Scheid « Nouvelles recherches<br />

archéologiques à Jebel Oust (Tunisie) », dans Comptes Rendus <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres 2005, 321-349).<br />

Qu’est-ce en fin <strong>de</strong> compte une source dans l’antiquité ?<br />

1. Nous avons constaté, en lisant <strong><strong>de</strong>s</strong> textes <strong><strong>de</strong>s</strong>criptifs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions antiques,<br />

que les Anciens ne vénéraient pas la Nature ou les Eaux, mais <strong><strong>de</strong>s</strong> divinités qui<br />

sont actives dans la nature, ou y agissent. Ces lieux sont généralement signalés par<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes extraordinaires : eau bouillonnante, chau<strong>de</strong>, très froi<strong>de</strong>, à<br />

température toujours égale, soufrée, résurgence d’une source ou d’un <strong>cours</strong> d’eau,<br />

puissance <strong>de</strong> l’eau, qui est souvent à l’origine d’un fleuve, lac profond ou lac doté<br />

d’îles flottantes. Bref, toute une série <strong>de</strong> signes qu’une divinité occupe ce lieu, <strong>et</strong><br />

se l’est même façonné pour son usage.<br />

2. Quelle est la présence divine dans ces lieux ? Deux situations sont attestées :<br />

soit nous trouvons <strong><strong>de</strong>s</strong> « grands » dieux, qui possè<strong>de</strong>nt la source, comme un bien,<br />

<strong>et</strong> comme un instrument pour faire le bien. Soit nous trouvons seulement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Nymphes ou <strong><strong>de</strong>s</strong> Eaux, qui sont comme <strong><strong>de</strong>s</strong> p<strong>et</strong>ites divinités fonctionnelles, telles


634 JOHN SCHEID<br />

les Son<strong>de</strong>rgötter <strong>de</strong> H. Usener, qui représentent la force <strong>de</strong> ces eaux. Mais il arrive<br />

que l’on dédouble encore leur fonction, pour leur adjoindre les Vires, le Numen,<br />

ou en Afrique, le Serpent, le Draco. Tout ceci est très romain. Parfois les Nymphes<br />

sont seules, ou alors elles sont aux côtés <strong>de</strong> la divinité qui possè<strong>de</strong> le site. Elles ne<br />

sont pas immortelles pour toujours, mais disparaissent quand le lieu lui-même<br />

disparaît. Leur personnalité est limitée à leur fonction : salubrité, sonorité (<strong>et</strong> par<br />

ce biais elles renvoient aux Muses), <strong>et</strong>c. Nous avons aussi noté que si les Nymphes<br />

renvoient à la force propre <strong><strong>de</strong>s</strong> sources, les Aquae en revanche expriment une vertu<br />

plus topographique, alors que Fons, le dieu Source, semble gérer l’ensemble <strong>de</strong> ce<br />

domaine. À leurs côtés on peut trouver encore d’autres divinités. Le Genius loci,<br />

qui exprime toutes les qualités du lieu, Silvanus, qui renvoie à la sauvagerie du site,<br />

Mercure, le dieu du passage, Hercule, grand découvreur <strong>de</strong> sources, mais aussi<br />

guérisseur à l’occasion, puisqu’il terrasse le mal, Apollon, qui est aussi medicus,<br />

comme son fils, le technicien Esculape avec sa parèdre Hygie, la Santé, exprimant<br />

l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> son action.<br />

3. Ce n’est pas n’importe quelle source qui est sacrée. Certes, en elle-même une<br />

source l’est toujours, comme le soulignait le commentateur <strong>de</strong> Virgile que nous<br />

avons cité au début, puisque l’eau qui surgit du sol est un phénomène extraordinaire.<br />

Mais toutes les sources ne sont pas l’obj<strong>et</strong> d’un culte organisé, <strong>de</strong> même que tous<br />

les bois, <strong>et</strong> tous les phénomènes naturels ne sont pas l’obj<strong>et</strong> d’un culte. Les habitants<br />

d’une cité créent toujours un paysage religieux, ils sélectionnent quelques sources,<br />

quelques bois sacrés, quelques lacs ou grottes, qui doivent exprimer leur relation<br />

avec l’action divine dans le territoire <strong>de</strong> leur cité. Souvent, ce sont les sources dont<br />

l’activité est spectaculaire qui sont vénérées. En tout cas, ce choix n’est pas<br />

systématique. Il ne faut pas considérer toute fontaine, toute vasque, tout therme<br />

comme un sanctuaire <strong>de</strong> source. Il ne faut pas oublier que le culte a besoin d’eau,<br />

pour les ablutions, pour la cuisine sacrificielle, <strong>et</strong> c’est à cela que servent beaucoup<br />

<strong>de</strong> bassins, nymphées <strong>et</strong> thermes.<br />

4. L’eau est sacrée, dans le cadre d’un culte. Elle a été consacrée par le signe<br />

divin, choisissant le lieu, <strong>et</strong> ensuite par la consécration publique (ou privée dans<br />

un domaine).<br />

5. L’organisation du lieu <strong>de</strong> culte est toujours très particulière. Elle comprend,<br />

comme dans tout temple romain, une partie sacrée, <strong>et</strong> une partie profane. C<strong>et</strong>te<br />

bipartition <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces, peut être observée sous plusieurs formes dans tout le mon<strong>de</strong><br />

romain occi<strong>de</strong>ntal, si seulement la documentation est assez précise.<br />

6. Toute l’eau d’un sanctuaire <strong>de</strong> source n’est donc pas sacrée, elle peut provenir<br />

d’une eau sacrée, comme les parts <strong>de</strong> vian<strong>de</strong> que l’on consomme lors du banqu<strong>et</strong><br />

sacrificiel proviennent d’une victime consacrée <strong>et</strong> immolée à une divinité, <strong>et</strong> elle<br />

gar<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> qualités éminentes qui énoncent certaines vertus <strong>de</strong> la source : salubrité,<br />

efficacité, pur<strong>et</strong>é. C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière est même divinisée dans certains contextes.


RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 635<br />

2. Séminaire : SANCTUAIRES ET CULTES<br />

Le séminaire a développé <strong>et</strong> approfondi certains aspects du <strong>cours</strong>. Nous avons<br />

ainsi examiné le problème archéologique <strong>de</strong> la mise en évi<strong>de</strong>nce d’un bois sacré, la<br />

reconstruction détaillée <strong>et</strong> l’interprétation <strong>de</strong> la topographie du sanctuaire <strong>de</strong> Jebel<br />

Oust, ainsi que les fragments d’inscriptions qui paraissent renvoyer au culte <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Cereres à Carthage.<br />

Le professseur a fait cinq séminaires en relation avec le suj<strong>et</strong>. Un sixième<br />

séminaire a été consacré au thème <strong><strong>de</strong>s</strong> Biens <strong><strong>de</strong>s</strong> sanctuaires en Italie, traité en 2007<br />

sous forme <strong>de</strong> symposium. Il a permis à M. Yan Thomas (E.H.E.S.S.) <strong>de</strong> réagir<br />

aux exposés faits en 2007.<br />

3. Enseignements délocalisés<br />

Le professeur a donné un <strong>cours</strong> (« Der Sinn <strong><strong>de</strong>s</strong> Rituals bei <strong>de</strong>n Römern ») <strong>et</strong><br />

un séminaire (« Die Ritualpraxis und das Verständnis <strong>de</strong>r religiösen Institutionen<br />

Roms ») à l’Université <strong>de</strong> Bonn, le 15 <strong>et</strong> le 16 janvier 2008.<br />

Les 27 <strong>et</strong> 28 mars 2008, le professeur a donné quatre séminaires à l’université<br />

Marc Bloch <strong>de</strong> Strasbourg sur « Les sanctuaires <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux ».<br />

4. Conférences <strong>et</strong> participations à <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques<br />

— Conférence lors <strong>de</strong> la séance d’ouverture au Congrès international d’épigraphie grecque<br />

<strong>et</strong> romaine, à Oxford (« L’épigraphie latine <strong>et</strong> la religion »).<br />

— Participation au colloque La « norme » religieuse à Lyon en novembre 2007.<br />

— Participation au colloque Les politiques du pardon à l’Université <strong>de</strong> Paris XIII (« La<br />

clémence d’Auguste ») en décembre 2007.<br />

— Participation au VI Collegio di Diritto Romano (« Appartenenza religiosa e esclusione<br />

dalla città ») en janvier <strong>et</strong> septembre 2008.<br />

— Participation au colloque Iconographie <strong>et</strong> Religions dans le Maghreb antique <strong>et</strong> médiéval<br />

à Tunis (« Comment interpréter <strong><strong>de</strong>s</strong> figurations religieuses mu<strong>et</strong>tes ? L’exemple du décor <strong>de</strong><br />

l’architrave du temple <strong>de</strong> Dea Dia à Rome ») en février 2008.<br />

— Participation au colloque Staging Festivity. Figurationen <strong><strong>de</strong>s</strong> Theatralen in Europa, Freie<br />

Universität Berlin (« Theater und Spiele im Rahmen <strong>de</strong>r Ludi Saeculares von 17 vor und<br />

204 nach Christus ») en mars 2008.<br />

— Conférence à l’Université Marc Bloch <strong>de</strong> Strasbourg (« Hiérarchies spatiales <strong>et</strong><br />

hiérarchies théologiques dans les sanctuaires romains ») le 27 mars 2008.<br />

— Participation au colloque sur The Centrality of Animal Sacrifice in Greek Religion :<br />

Ancient Reality or Mo<strong>de</strong>rn Construct ?, Université <strong>de</strong> Chicago (« Roman Sacrifice and the<br />

System of Being ») en avril 2008.<br />

— Workshop sur les Questions romaines <strong>de</strong> Plutarque, Université <strong>de</strong> Chicago (16 avril<br />

2008).<br />

— Conférence à l’Université <strong>de</strong> Yale (« Ritual and meaning of religion ») en avril 2008


636 JOHN SCHEID<br />

— Séminaires à l’Université <strong>de</strong> Foggia (Italie).<br />

— Quatre leçons sur « Storia, storia <strong>de</strong>lle religioni, archeologia <strong>de</strong>l rito » à l’Istituto<br />

Italiano di Scienze Umane <strong>de</strong> Florence en mai 2008.<br />

— Co-direction <strong>de</strong> la mission archéologique <strong>de</strong> Jebel Oust (Tunisie) en mai-juin.<br />

— Participation à la Commission <strong>de</strong> recrutement <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux professeurs d’histoire ancienne<br />

à l’Université <strong>de</strong> Fribourg-en-Brisgau (avril/novembre 2008).<br />

Le professeur a été nommé membre du Comité Supérieur <strong>de</strong> la Recherche <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l’Innovation au Grand-Duché <strong>de</strong> Luxembourg).<br />

5. Publications<br />

— (avec Th. Drew-Bear) « Les fragments <strong><strong>de</strong>s</strong> Res Gestae Divi Augusti découverts à<br />

Apollonia <strong>de</strong> Pisidie », dans G. Paci (éd.), Contributi all’epigrafia d’<strong>et</strong>à augustea (Actes <strong>de</strong> la<br />

XIII e Rencontre franco-italienne sur l’épigraphie du mon<strong>de</strong> romain), Tivoli 2006,<br />

131-144.<br />

— « Körperbestattung und Verbrennungssitte aus <strong>de</strong>r Sicht <strong>de</strong>r schriftlichen Quellen »,<br />

dans Fasold, P., Struck, M., Witteyer, M. (éd.). Körpergräber <strong><strong>de</strong>s</strong> 1.-3. Jahrhun<strong>de</strong>rts in <strong>de</strong>r<br />

römischen Welt (Frankfurt, 19-10 nov. 2004), Frankfort 2007, 19-26.<br />

— « Carmen <strong>et</strong> prière. Les hymnes dans le culte public <strong>de</strong> Rome », dans Y. Lehmann,<br />

L’hymne antique <strong>et</strong> son public, Tournai 2007, 439-450.<br />

— « Le pontife <strong>et</strong> le flamine : religion <strong>et</strong> histoire à Rome (Entr<strong>et</strong>ien) », dans Europe,<br />

janvier-février 2008, 159-190.<br />

— « Religions in contact », dans S.I. Johnston (éd.), Ancient Religions, Cambridge, MA,<br />

2007, 112-127.<br />

— « Sacrifices for Gods and Ancestors », dans J. Rüpke (éd.), A Companion to Roman<br />

Religion, 2007, 263-272.<br />

— « Le sens <strong><strong>de</strong>s</strong> rites. L’exemple romain », dans Rites <strong>et</strong> croyances dans les religions du<br />

mon<strong>de</strong> romain (Entr<strong>et</strong>iens sur l’Antiquité, Fondation Hardt, t. LIII), Genève 2007, 39-71.<br />

— « Les activités religieuses <strong><strong>de</strong>s</strong> magistrats romains », dans R. Haensch, J. Heinrichs<br />

(éd.), Herrschen und Verwalten. Der Alltag <strong>de</strong>r römischen Administration in <strong>de</strong>r Hohen<br />

Kaiserzeit, Cologne 2007, 126-144.<br />

— (avec E. Wirbelauer), « La correspondance entre Georg Wissowa <strong>et</strong> Theodor Mommsen<br />

(1883-1901) », dans C. Bonn<strong>et</strong>, V. Krings (éds.), S’écrire <strong>et</strong> écrire sur l’Antiquité. L’apport <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

correspondances à l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> Travaux scientifiques, Grenoble 2008, 155-212.<br />

— « Il culto di Minerva in epoca romana e il suo rapporto colla Minerva di Travo », dans<br />

Minerva Medica in Valtrebbia, Plaisance 2008, 85-91.<br />

6. Activités <strong>de</strong> M. Fabrice Bessière, ATER<br />

1. Elaboration <strong>de</strong> la base <strong>de</strong> données sur les lieux <strong>de</strong> cultes <strong>de</strong> l’Italie antique (Fana<br />

Templa Delubra) en collaboration avec J. Scheid <strong>et</strong> J. Paumard (maître <strong>de</strong> conférences associé<br />

au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>). Il s’agissait d’affiner la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> « champs » nécessaires à l’enregistrement<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> données, c’est-à-dire, en premier lieu, <strong>de</strong> définir le niveau <strong>de</strong> détail que l’on souhaite<br />

atteindre dans l’acquisition <strong>de</strong> l’information dans la perspective <strong>de</strong> perm<strong>et</strong>tre un<br />

enregistrement représentatif <strong>et</strong> rapi<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> données. La réflexion a ensuite porté sur


RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 637<br />

l’organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> blocs <strong>de</strong> champs à l’intérieur du système informatique <strong>et</strong> sur leur relation<br />

les uns avec les autres. C<strong>et</strong>te phase est achevée <strong>et</strong> une première version <strong>de</strong> la base est en<br />

<strong>cours</strong> <strong>de</strong> programmation.<br />

2. Reprise <strong><strong>de</strong>s</strong> données <strong>de</strong> terrain <strong>et</strong> rédaction du rapport d’activité <strong>de</strong> la campagne <strong>de</strong><br />

fouilles à Jebel Oust (Tunisie) pendant l’année 2007.<br />

3. Début <strong>de</strong> la compilation <strong>de</strong> la documentation graphique du chantier <strong>de</strong> Jebel Oust,<br />

afin <strong>de</strong> constituer le plan général du sanctuaire <strong>et</strong> du clivus. Vectorisation du plan levé<br />

manuellement (années 2001-2006) <strong>et</strong> ajout <strong><strong>de</strong>s</strong> plans partiels liés aux opérations <strong>de</strong> fouille.<br />

Périodisation <strong><strong>de</strong>s</strong> vestiges.<br />

4. Stage <strong>de</strong> formation aux techniques <strong>de</strong> relevés archéologiques par « photoplan » <strong>et</strong> aux<br />

techniques <strong>de</strong> relevés topographiques au tachéomètre laser sous la direction <strong>de</strong> J. M<strong>et</strong>zler <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> C. Gaeng, Musée du Luxembourg.<br />

5. Séjours <strong>de</strong> travail à Rome chez l’éditeur Quasar qui publie la version papier du Corpus<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> lieux <strong>de</strong> cultes.<br />

6. Mission <strong>de</strong> fouilles à Jebel Oust (Tunisie) dans le cadre <strong>de</strong> la campagne programmée<br />

sur la voie menant <strong><strong>de</strong>s</strong> thermes au sanctuaire (avril-mai 2008).<br />

M. Bessière a été nommé le 1 er mai 2008 Coordinateur du programme <strong>de</strong><br />

recherche du Centre Européen du Mont-Beuvray (Bibracte EPCC).


Langues <strong>et</strong> religions indo-iraniennes<br />

M. Jean Kellens, professeur<br />

Cours : 1. Métamorphose du panthéon avestique ; 2. Controverses récentes<br />

sur les textes vieil-avestiques.<br />

Huit leçons ont été consacrées à la première partie du <strong>cours</strong>. Elles ont permis <strong>de</strong><br />

dégager les conclusions suivantes sur les chapitres 16 à 21 du Yasna.<br />

1. Les litanies en yazamai<strong>de</strong> « nous sacrifions » du Y(asna) 16 témoignent du fait<br />

que le panthéon avestique a atteint son sta<strong>de</strong> ultime <strong>de</strong> développement, celui qui<br />

donne sa structure au calendrier religieux. La troisième strophe montre que le<br />

groupe <strong><strong>de</strong>s</strong> six entités formant avec Ahura Mazdā l’hepta<strong>de</strong> canonique dite <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Immortels bienfaisants était constituée <strong>et</strong> avait trouvé son rang énumératif, après<br />

Ahura Mazdā <strong>et</strong> avant les autres dieux du panthéon. C<strong>et</strong>te strophe est aussi la seule<br />

du corpus avestique à justifier c<strong>et</strong>te relative préséance : ces entités sont les « créations<br />

créées en premier » d’Ahura Mazdā.<br />

2. L’introduction (Y19.1-11) au commentaire <strong>de</strong> la première formule liminaire<br />

<strong>de</strong> l’Avesta ancien, l’Ahuna Vairiia, n’est, pour une part, qu’une <strong><strong>de</strong>s</strong> nombreuses <strong>et</strong><br />

banales magnifications <strong>de</strong> la magie <strong><strong>de</strong>s</strong> textes sacrés. Mais elle a c<strong>et</strong>te autre<br />

particularité <strong>de</strong> présenter avec insistance la récitation primordiale <strong>de</strong> l’Ahuna Vairiia<br />

par Ahura Mazdā comme le facteur déclenchant <strong>de</strong> la cosmogonie. Trois strophes<br />

situent c<strong>et</strong>te récitation avant l’apparition du mon<strong>de</strong> matériel, mais après celle <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Immortels bienfaisants, si bien que le commentaire du texte <strong>de</strong> l’Ahuna Vairiia est<br />

aussi un commentaire sur la notion <strong>de</strong> « créations créées en premier ».<br />

3. L’idée <strong>de</strong> base du commentaire <strong>de</strong> l’Ahuna Vairiia (Y19.12-14) est qu’il y a<br />

entre Ahura Mazdā <strong>et</strong> ses créations un lien d’appartenance réciproque. Le créateur<br />

appartient à ses créations, en tant qu’il est leur maître, <strong>et</strong> les créations appartiennent<br />

à leur créateur, en tant qu’elles sont son œuvre. L’autorité du créateur sur ses<br />

créations résulte du fait que le créateur est nécessairement antérieur à ses créations.


640 JEAN KELLENS<br />

Du point <strong>de</strong> vue cosmogonique, la récitation primordiale <strong>de</strong> l’Ahuna Vairiia<br />

implique l’existence du premier (Vohu Manah, allégorie <strong>de</strong> la pensée) <strong>et</strong> du<br />

troisième (Xšaϑra, allégorie <strong>de</strong> la capacité) <strong><strong>de</strong>s</strong> Immortels bienfaisants.<br />

4. Le Y19 parle très peu <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux « esprits » (Mainiiu) incarnant le bien <strong>et</strong> le<br />

mal. Le « bon » est sollicité, juste avant le commentaire proprement dit, pour<br />

appuyer les déclarations d’Ahura Mazdā sur les pouvoirs <strong>de</strong> l’Ahuna Vairiia<br />

(Y19.9-11). Le « mauvais » entre en scène tout <strong>de</strong> suite après la récitation<br />

primordiale <strong>de</strong> l’Ahuna Vairiia, pour être banni (Y19.15). Nous n’apprenons rien<br />

<strong>de</strong> leur origine, <strong>de</strong> leur fonction, <strong>de</strong> leur rapport au panthéon. Tout se passe<br />

comme s’ils se situaient hors cosmogonie <strong>et</strong> n’étaient pas <strong><strong>de</strong>s</strong> créations.<br />

5. Le <strong>de</strong>uxième niveau du commentaire (Y19.16-18) fait l’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> divisions<br />

essentielles <strong>de</strong> l’Ahuna Vairiia, qui comporte, nous dit-il, trois vers, quatre figures<br />

<strong>et</strong> style <strong>et</strong> cinq mots-clés. Ces notions rhétoriques sont ensuite assimilées à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

facteurs culturels <strong>et</strong> sociaux, les vers avec la tria<strong>de</strong> rituelle pensée-mot-geste, les<br />

figures <strong>de</strong> style avec les fonctions sociales (prêtre, guerrier, agriculteur, plus le<br />

pressurage <strong>de</strong> haoma, qui renvoie à la fonction <strong>de</strong> commanditaire du sacrifice), les<br />

mots-clés avec les cercles <strong>de</strong> l’appartenance sociale (famille, clan, tribu, nation,<br />

pouvoir religieux supranational). La nécessité conceptuelle <strong>de</strong> ce transfert paraît<br />

simple <strong>et</strong> univoque : l’autorité sur les divers cercles sociaux <strong>et</strong> l’appartenance à une<br />

fonction spécialisée sont les critères selon lesquels les officiants à peine investis<br />

(Y13.1-3) configurent l’assistance (peut-être virtuelle) au sacrifice.<br />

6. Le troisième niveau du commentaire (Y19.19-21) situe la tria<strong>de</strong> pensée-motgeste<br />

dans la cosmogonie. Le premier vers-pensée suscite chez Ahura Mazdā la<br />

prise <strong>de</strong> conscience que quelqu’un est pourvu <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong> « conforme à<br />

l’Agencement » (ašauuan), le <strong>de</strong>uxième vers-parole suscite la composition <strong>et</strong> la<br />

récitation <strong>de</strong> tout l’Avesta ancien, le troisième vers-geste perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> souligner<br />

l’énoncé du nom <strong><strong>de</strong>s</strong> Immortels bienfaisants. Un développement supplémentaire<br />

est accordé au niveau <strong>de</strong> la pensée. Le dieu qui a perçu l’homme comme ašauuan<br />

<strong>et</strong> l’homme qui a été proclamé ašauuan par le dieu ont en commun d’être « très<br />

bons » (vahišta). La différence est que le premier a le pouvoir d’être très bon<br />

(xšaiiamna) <strong>et</strong> que le <strong>de</strong>uxième n’en a pas la liberté (auuasō.xšaϑra). La suite<br />

explique comment c<strong>et</strong>te imperfection a pu être corrigée.<br />

7. Le commentaire <strong>de</strong> l’Ašem Vohū consiste à définir la singularité d’Aša, allégorie<br />

<strong>de</strong> l’ordre cosmique, qui est le <strong>de</strong>uxième Immortel bienfaisant dans l’ordre<br />

énumératif. Alors que la relation d’Ahura Mazdā aux entités Vohu Manah <strong>et</strong><br />

Xšaϑra se traduit par l’appartenance réciproque, Aša a le privilège <strong>de</strong> l’appartenance<br />

réflexive (« Aša appartient à Aša »). Puis, après s’être ainsi refermé sur lui-même, le<br />

lien d’appartenance s’ouvre <strong>et</strong> se transm<strong>et</strong> en chaîne : la « capacité » (xšaϑra)<br />

appartient à Aša <strong>et</strong> Aša appartient à la suite ininterrompue <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes qui l’ont<br />

pris pour règle <strong>et</strong> ont entrepris <strong>de</strong> sacrifier. Via Aša, les hommes ont accès à ce<br />

pouvoir qui leur fait originellement défaut. Selon quelles procédures ?


LANGUES ET RELIGIONS INDO-IRANIENNES 641<br />

8. Le commentaire du YéAhē Hātąm (Y21) prolonge sous forme <strong>de</strong> dialogue le<br />

récit cosmogonique que tisse la succession <strong><strong>de</strong>s</strong> commentaires. Après qu’Ahura<br />

Mazdā l’a perçu <strong>et</strong> proclamé ašauuan, Zaraϑuštra prend la parole <strong>et</strong> prononce le<br />

YéAhē Hātąm, par lequel il fon<strong>de</strong> le sacrifice. Ahura Mazdā le remercie en récitant<br />

la strophe gâthique Y43.1 qui fait du sacrifice le moyen par lequel l’homme peut<br />

accé<strong>de</strong>r à la haute « capacité » divine <strong>et</strong> gagner l’immortalité.<br />

9. En faisant place au commentaire <strong><strong>de</strong>s</strong> trois formules liminaires <strong>de</strong> l’Avesta<br />

ancien, l’arrangeur du Yasna poursuit un double but. D’une part, il justifie la<br />

structure <strong>de</strong> son panthéon par l’ordre <strong>de</strong> succession <strong><strong>de</strong>s</strong> créations, d’autre part, il<br />

explique l’origine archétypique <strong>et</strong> la finalité <strong>de</strong> ce que le collège sacerdotal vient<br />

d’entreprendre : un sacrifice.<br />

10. Nous <strong>de</strong>vons à la préservation <strong>de</strong> ces textes trois informations essentielles.<br />

1) Nous disposons du récit <strong>de</strong> la première phase <strong>de</strong> la création, celle du mon<strong>de</strong> à<br />

l’état spirituel, une doctrine que l’on ne croyait documentée en avestique que par<br />

le misérable fragment introduit dans la traduction pehlevie du Vi<strong>de</strong>vdad 2.19.<br />

2) La question <strong>de</strong> la dignité sacrificielle <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses divinités a été récurrente dans<br />

l’histoire du mazdéisme. Elle hante pareillement l’auteur vieil-avestique du Y51.22,<br />

l’adaptateur moyen-avestique du YéAhē Hātąm <strong>et</strong> le commentateur avestique récent<br />

du Y21. Tous trois répon<strong>de</strong>nt par le même paradoxe : le sacrifice est dû à un seul<br />

<strong>et</strong> à tous, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> nuances donnant à comprendre que c’est un peu plus à un seul<br />

qu’à tous. 3) De nombreux indices sur la chronologie relative <strong><strong>de</strong>s</strong> textes avestiques<br />

<strong>de</strong>vront être examinés soigneusement.<br />

La <strong>de</strong>uxième partie du <strong>cours</strong>, qui a fait l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux leçons visant aussi à<br />

introduire aux conférences <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs invités, est d’ores <strong>et</strong> déjà parue au<br />

Journal Asiatique (voir bibliographie).<br />

Séminaire : Lecture <strong>de</strong> textes en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong><br />

Les textes lus sont ceux qui ont été commentés lors du <strong>cours</strong>.<br />

Cours extra muros<br />

Trois <strong>cours</strong> sur le Bagān Yašt <strong>et</strong> trois séminaires sur <strong><strong>de</strong>s</strong> questions <strong>de</strong> langues <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> religions iraniennes anciennes ont été faits à l’Université <strong>de</strong> Bologne au siège <strong>de</strong><br />

Ravenne entre le 26 mars <strong>et</strong> le 1er avril 2008.<br />

Invitation <strong>de</strong> savants <strong>et</strong>rangers<br />

M. Albert <strong>de</strong> Jong, professeur à l’Université <strong>de</strong> Lei<strong>de</strong>n, a donné quatre <strong>cours</strong><br />

intitulés « Les quatre phases <strong>de</strong> la religion mazdéenne » pendant le mois <strong>de</strong><br />

mai 2008. M. Martin Schwartz, professeur à l’Université <strong>de</strong> Berkeley, a donné<br />

<strong>de</strong>ux conférences intitulées « The po<strong>et</strong>ry of the Gathas : Mysteries of composition,<br />

and the composition of mysteries » pendant la même pério<strong>de</strong>.


642 JEAN KELLENS<br />

Colloques<br />

Participation à la VI e Conférence <strong>de</strong> la Soci<strong>et</strong>as Iranologica Europaea à Vienne du 18 au<br />

22 septembre 2007.<br />

Participation à la conférence « Zoroastrian Past and Present » <strong>de</strong> l’Ancient India and Iran<br />

Trust à Cambridge le 7 <strong>et</strong> 8 juin 2008.<br />

Activités diverses<br />

Une conférence sur le rituel mazdéen a été faite pour l’Association Clio à Paris le<br />

16 janvier 2008.<br />

Prési<strong>de</strong>nce du jury lors <strong>de</strong> la soutenance <strong>de</strong> la thèse L’Ard-Yašt <strong>de</strong> l’Avesta par M. Hossein<br />

Najari, le 28 mai 2008.<br />

Publications<br />

« L’amphipolarité sémantique <strong>et</strong> la démonisation <strong><strong>de</strong>s</strong> daivas », Indogermanica. Festschrift<br />

für Gert Klingenschmitt, Taimering 2005 [2007], 283-288.<br />

« Liturgie <strong>et</strong> dialectique <strong><strong>de</strong>s</strong> âmes », Rites <strong>et</strong> croyances dans les religions du mon<strong>de</strong> romain,<br />

Entr<strong>et</strong>iens <strong>de</strong> la Fondation Hardt, Vandœuvres — Genève 2007, 289-308.<br />

« Quand Darius parle à Darius », Iranian Languages and Texts from Iran and Turfan.<br />

Ronald E. Emmmerick Memorial Volume, Wiesba<strong>de</strong>n 2007, 143-146.<br />

« Controverses actuelles sur la composition <strong><strong>de</strong>s</strong> Gâthâs », Journal Avestique 295.2, 2007,<br />

257-289.<br />

« Résumé <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> <strong>et</strong> <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> religions indo-iraniennes du<br />

<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> », Annuaire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> 2006-2007, 2008, 685-694 (avec une<br />

participation <strong>de</strong> Xavier Tremblay).<br />

« Les cosmogonies iraniennes entre héritage <strong>et</strong> innovation », Chomolangma, Demawend<br />

und Kasbeck. Festschrift für Roland Bielmeier, Halle 2008, 505-512.


Histoire du mon<strong>de</strong> indien<br />

M. Gérard Fussman, Professeur<br />

Cours <strong>et</strong> séminaire : Lecture du texte sanskrit du Vimalakīrtinir<strong>de</strong>śa<br />

Le Vimalakīrtinir<strong>de</strong>śa (désormais Vkn) est l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> plus anciens <strong>et</strong> plus célèbres<br />

textes du mahāyāna. Il expose sous forme d’aphorismes souvent énigmatiques le<br />

concept central du mahāyāna, la doctrine <strong>de</strong> la śūnyatā (littéralement : la viduité<br />

ou vacuité), selon laquelle on ne peut rien dire <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes car ceux-ci ne sont<br />

qu’apparence, y compris la doctrine <strong>de</strong> la vacuité. C’est la reconnaissance <strong>de</strong> ce fait<br />

(donc la <strong><strong>de</strong>s</strong>truction <strong>de</strong> l’ignorance) qui perm<strong>et</strong> la libération. La date manifestement<br />

ancienne du Vkn <strong>et</strong> la n<strong>et</strong>t<strong>et</strong>é <strong>de</strong> ses affirmations l’ont souvent fait considérer<br />

comme une <strong><strong>de</strong>s</strong> sources du madhyamaka <strong>de</strong> Nāgārjuna. N’était c<strong>et</strong>te question <strong>de</strong><br />

date, qui est plus le problème <strong>de</strong> la date <strong>de</strong> Nāgārjuna que celui <strong>de</strong> la date du Vkn,<br />

on croirait plutôt le contraire : dans bien <strong><strong>de</strong>s</strong> cas le Vkn semble illustrer ou résumer<br />

Nāgārjuna. Mais la majeure partie <strong><strong>de</strong>s</strong> savants préfère considérer que c’est l’inverse :<br />

Nāgārjuna développe les thèses du Vkn.<br />

Exception faite d’être l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> textes supposés avoir influencé Nāgārjuna, le Vkn<br />

ne semble pas avoir eu une très gran<strong>de</strong> popularité en In<strong>de</strong>. C’est sans doute la<br />

raison pour laquelle l’original sanskrit en était perdu. Par contre il fut l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

très nombreuses traductions chinoises (8) <strong>et</strong> <strong>de</strong> traductions tibétaines (2 ou 3),<br />

sogdienne (1) <strong>et</strong> khotanaise (1). Les Chinois semblent avoir été fascinés par la<br />

façon dont le bodhisattva laïc Vimalakīrti « celui dont la gloire est sans tache » fait<br />

la leçon (nir<strong>de</strong>śa) aux moines arhant premiers compagnons du Buddha <strong>et</strong> les<br />

ridiculise. Le Vkn a été connu en Europe au travers <strong><strong>de</strong>s</strong> versions chinoises <strong>et</strong> traduit<br />

en français par É. Lamotte à partir d’une <strong><strong>de</strong>s</strong> trois traductions tibétaines.<br />

La traduction <strong>de</strong> Lamotte 1 est, comme toujours, un modèle d’érudition <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

clarté. On y trouve la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> traductions <strong>et</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> sources, une analyse du<br />

1. L’Enseignement <strong>de</strong> Vimalakīrti (Vimalakīrtinir<strong>de</strong>śa) traduit <strong>et</strong> annoté par Étienne Lamotte,<br />

Bibliothèque du Muséon, vol. 51, Louvain 1962.


644 GÉRARD FUSSMAN<br />

contenu, une tentative <strong>de</strong> datation <strong>et</strong> <strong>de</strong> très nombreuses notes indiquant si telle ou<br />

telle expression du Vkn est héritée ou au contraire novatrice. Lamotte restitue la<br />

phraséologie sanskrite du Vkn à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> équivalences du grand dictionnaire<br />

sanskrit-tibétain dit Mahāvyutpatti. Mais il ne connaissait pas le texte sanskrit luimême.<br />

Un manuscrit <strong>de</strong> celui-ci fut découvert en 1999 dans la bibliothèque du<br />

Potala, à Lhasa. Nos collègues japonais <strong>de</strong> l’Université Taishō obtinrent en 2002<br />

l’autorisation <strong>de</strong> le publier. Une première édition (copie diplomatique, avec en<br />

parallèle les traductions tibétaine <strong>et</strong> chinoises) parut en 2004 ; une <strong>de</strong>uxième édition,<br />

suggérant quelques corrections, sans les textes tibétain <strong>et</strong> chinois, en 2006.<br />

La remarquable traduction d’É. Lamotte perm<strong>et</strong> d’étudier le texte sanskrit en<br />

ayant l’illusion <strong>de</strong> connaître à travers elle les traductions chinoises <strong>et</strong> tibétaines <strong>et</strong><br />

en se dispensant <strong>de</strong> la plus gran<strong>de</strong> partie <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches <strong>de</strong> sources indispensables<br />

à la compréhension d’un tel texte. Bien que les éditeurs japonais, dont la rapidité<br />

mérite tous les éloges, aient assuré que le texte sanskrit n’apportait pas <strong>de</strong> nouveautés<br />

majeures par rapport à la traduction chinoise <strong>de</strong> Xuangzang, sa lecture minutieuse<br />

est loin d’être sans intérêt. Elle exige quand même <strong>de</strong> l’auditoire un minimum <strong>de</strong><br />

connaissances préalables. C’est la raison pour laquelle le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année s’est<br />

confondu avec le séminaire, ce qui a permis un dialogue constant avec l’auditoire.<br />

Je remercie tout particulièrement mes collègues sinologues <strong>et</strong> tibétologues qui ont<br />

bien voulu participer à ses séances avec, sous les yeux, le texte <strong><strong>de</strong>s</strong> versions chinoises<br />

<strong>et</strong> tibétaine <strong>et</strong> ainsi suppléer à ma coupable ignorance en ce domaine.<br />

Le livre dans lequel se trouve le texte sanskrit du Vkn comprend un autre texte, le<br />

Jñānālokālamkāra, « Ornement du flambeau <strong>de</strong> la connaissance ». Les <strong>de</strong>ux textes<br />

n’ont guère <strong>de</strong> rapport l’un avec l’autre, mais ils ont été copiés à un mois <strong>de</strong> distance par<br />

le même scribe, Cāndoka, sur l’ordre du même moine, Śīladhvaja, i<strong>de</strong>ntifié par<br />

M. Kapstein à un moine tibétain du même nom ayant séjourné à Vikramaśīla, au<br />

Bengale, vers 1150. Cela correspond à la date assignée au manuscrit par l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa<br />

graphie <strong>et</strong> explique le nom du moine : « Drapeau <strong><strong>de</strong>s</strong> vertus (héroïques)/<strong>de</strong><br />

Vikramaśīla ». C’est une <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses possibles à la question que nous nous étions<br />

posée lors du séminaire <strong>de</strong> 2004 (Les bibliothèques <strong><strong>de</strong>s</strong> monastères bouddhiques<br />

indiens, Annuaire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> 2003-2004, 929-955) : comment sont choisis<br />

les textes qui figurent dans <strong><strong>de</strong>s</strong> recueils composites ? La réponse est ici que Śīladhvaja a<br />

probablement fait copier <strong>de</strong>ux textes qui n’existaient pas dans la bibliothèque <strong>de</strong> son<br />

monastère <strong>et</strong> qu’il les a réunis pour obtenir un volume <strong>de</strong> taille normale. En d’autres<br />

termes, il n’est nul besoin que <strong>de</strong>ux textes soient apparentés pour qu’ils soient réunis en<br />

un seul volume, sauf lorsque c<strong>et</strong>te réunion est manifestement systématique car plusieurs<br />

fois attestée (cas du Bhaisajyaguru-sūtra suivi ou précédé du Vajracchedikā-sūtra).<br />

Voici le texte non corrigé <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux colophons en question.<br />

Deyadharmo’yam pravaramahāyānayāyinah bhiksuśīladhvajasya cad hatra punyam<br />

tat bhavatu ācāryopādhyāyamātāpitrpūrvamgamam krtvā sakalasatvarāśer anuttara<br />

jn � ānaphalāvāptaya iti// mahārājādhirājaśrīmadgopāla<strong>de</strong>varājye samvat 12 śrāmanadine<br />

30 likhitam idam upasthāyakacāndoken<strong>et</strong>i // (Jñānālokālamkāra)


HISTOIRE DU MONDE INDIEN 645<br />

Deyadharmo’yam pravaramahāyānayāyino bhiksuśīladhvajasya yad atra punyam tad<br />

bhavatu ācāryopādhyāyamātāpitrpūrvamgamam krtvā sakalasatvarāśer anuttarajn � āna<br />

phalāvāptaya iti// śrīmadgopāla<strong>de</strong>varājye samvat 12 bhādradine 29 likhiteyam<br />

upasthāyakacāndokasy<strong>et</strong>i // (Vkn)<br />

Ces colophons, rédigés par les mêmes personnes (probablement Śīladhvaja pour<br />

la première ligne, Cāndoka pour la secon<strong>de</strong>) à un mois <strong>de</strong> distance, perm<strong>et</strong>tent<br />

<strong>de</strong> juger <strong>de</strong> la connaissance du sanskrit au Bengale au XII e siècle. La première<br />

ligne mêle un sanskrit recherché (suffixe -yāyin, sakala- au lieu <strong>de</strong> sarva- en raison<br />

<strong>de</strong> l’utilisation du mot rāśi-) à <strong><strong>de</strong>s</strong> constructions <strong>de</strong> type moyen ou même néoindien<br />

(non déclinaison <strong>de</strong> bhiksu-, utilisation <strong>de</strong> rāśi- comme suffixe <strong>de</strong> pluriel =<br />

bengali -lok). La secon<strong>de</strong> ligne montre que le rédacteur <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te partie du<br />

colophon prononçait iyam le neutre idam <strong>et</strong> utilisait le génitif en fonction<br />

d’instrumental tout en connaissant les formes <strong>et</strong> usages corrects. En d’autres<br />

termes, il écrivait du sanskrit « hybri<strong>de</strong> » en plein XII e siècle. Cela <strong>de</strong>vrait nous<br />

m<strong>et</strong>tre en gar<strong>de</strong> contre la tentation <strong>de</strong> dater un texte en fonction <strong>de</strong> son seul<br />

aspect linguistique.<br />

C<strong>et</strong>te même secon<strong>de</strong> ligne est historiquement intéressante : Śīladhvaja utilise<br />

comme scribe son serviteur personnel (upasthāyaka) Cāndoka. Tous <strong>de</strong>ux, dans un<br />

texte à usage privé, utilisent le comput du royaume bengali, c’est-à-dire se<br />

considèrent comme tout à fait indiens. Ils étaient probablement considérés comme<br />

tels par les moines <strong>de</strong> Vikramaśīla. L’origine tibétaine <strong>de</strong> Śīladhvaja n’y était pas<br />

plus exotique pour un Bengali <strong>de</strong> l’époque qu’une origine tamoule ou gilgitie. Tous<br />

appartenaient à la partie indienne du catur-diśa samgha. Ce n’était manifestement<br />

pas le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> moines chinois qui nous disent dans leurs récits ou avoir été traités<br />

avec mépris ou avoir suscité étonnement <strong>et</strong> admiration. C<strong>et</strong>te même secon<strong>de</strong> ligne<br />

<strong>de</strong>vrait m<strong>et</strong>tre en gar<strong>de</strong> les historiens contre <strong><strong>de</strong>s</strong> analyses hâtives <strong><strong>de</strong>s</strong> variations <strong>de</strong><br />

titres. Entre août <strong>et</strong> septembre <strong>de</strong> l’an 12, Gopāla<strong>de</strong>va (III, probablement) n’a<br />

certainement pas cessé d’être un mahārājādhirāja.<br />

La découverte du manuscrit contenant le texte sanskrit perm<strong>et</strong> d’affiner la date<br />

du texte ou <strong><strong>de</strong>s</strong> états successifs du Vkn. Comme presque toujours, la date <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

traductions chinoises constitue la donnée majeure. La traduction la plus ancienne<br />

conservée, <strong>et</strong> probablement réalisée (Lamotte, p. 70), est celle <strong>de</strong> Zhi Qian,<br />

effectuée entre 222 <strong>et</strong> 229 <strong>de</strong> n.è. Le texte en est donné dans l’édition japonaise<br />

<strong>de</strong> 2004, ainsi que celui <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux traductions postérieures, celle <strong>de</strong> Kumārajīva,<br />

achevée en 406, <strong>et</strong> celle <strong>de</strong> Xuangzang, achevée en 650, donc <strong>de</strong> beaucoup<br />

antérieure à notre manuscrit. Le texte traduit par Xuanzang <strong>de</strong>vait être très proche<br />

<strong>de</strong> celui conservé dans le manuscrit sanskrit : on ne constate que <strong><strong>de</strong>s</strong> variations<br />

minimes <strong>et</strong> lorsqu’il y a divergence, le manuscrit donne souvent un sens meilleur,<br />

ou en tout cas plus attendu. Kumārajīva est plus bref, mais cela tient sans doute à<br />

son style <strong>de</strong> traduction (Lamotte, p. 10). Lamotte, p. 4, semble considérer que<br />

Zhi Qian a utilisé un texte sanskrit un peu plus court. La comparaison du texte<br />

sanskrit avec celui <strong>de</strong> Zhi Qian, facilitée par la disposition très claire <strong>de</strong> l’édition


646 GÉRARD FUSSMAN<br />

japonaise, montre que dans les premiers chapitres en tout cas Zhi Qian n’om<strong>et</strong><br />

rien d’essentiel <strong>et</strong> traduit assez bien <strong><strong>de</strong>s</strong> passages en fort bon sanskrit. Il est donc<br />

tout à fait possible que Zhi Qian ait utilisée une version du Vkn très semblable à<br />

celle dont nous disposons aujourd’hui <strong>et</strong> qu’il ait choisi d’en résumer ou d’en<br />

om<strong>et</strong>tre <strong><strong>de</strong>s</strong> passages relativement brefs <strong>et</strong> jugés par lui d’importance secondaire.<br />

On peut donc adm<strong>et</strong>tre que le Vkn sanskrit, dans l’unique version que nous en<br />

possédions, était achevé pour l’essentiel en 222.<br />

Les quelques sondages faits dans le texte, <strong>et</strong> qui sont loin d’être suffisants ni<br />

véritablement démonstratifs, donnent l’impression qu’il y a eu au moins trois<br />

« mains » dans le texte. L’analyse porte non sur le contenu philosophique ou<br />

pseudo-philosophique du contenu, mais sur le style <strong>et</strong> l’état <strong>de</strong> la langue dans les<br />

parties non doctrinales. On remarquera très facilement que coexistent <strong><strong>de</strong>s</strong> passages<br />

très plats, faits <strong>de</strong> répétitions, en sanskrit bouddhique correct mais maladroit, <strong>et</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> passages beaucoup plus brillants, beaucoup plus vivaces, en sanskrit plus<br />

élégant. Le texte incorpore en outre <strong>de</strong>ux passages versifiés en sanskrit dit<br />

« hybri<strong>de</strong> », déjà i<strong>de</strong>ntifiés (je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> comment) par Lamotte p. 1,<br />

probablement plus anciens que les passages en prose <strong>et</strong> en sanskrit correct, mais<br />

qui n’ayant pas un rapport nécessaire au texte peuvent y avoir été incorporés<br />

postérieurement. Zhi Qian ne traduit pas le premier stotra (les stances <strong>de</strong> Ratnākara<br />

en I, 10), ce qui ne signifie pas nécessairement qu’il ne l’ait pas connu : il peut<br />

avoir jugé inutile <strong>de</strong> traduire ces très médiocres vers.<br />

Sous réserve d’une étu<strong>de</strong> détaillée <strong>de</strong> l’ensemble du texte, <strong>et</strong> en prenant gar<strong>de</strong> à<br />

ne pas tomber dans une critique subjective (higher criticism) qui attribuerait aux<br />

auteurs anciens nos goûts esthétiques, on peut donc reconnaître au moins trois<br />

« mains » dans ce texte dont l’unité foncière ne fait cependant pas <strong>de</strong> doute : c’est<br />

un texte très savamment composé, pas un texte fait <strong>de</strong> bric <strong>et</strong> <strong>de</strong> broc. Ces trois<br />

« mains » supposent une élaboration assez longue, peut-être trois générations, <strong>et</strong><br />

laissent supposer l’existence d’une première version vers 100 <strong>de</strong> n.è. au plus tard.<br />

C’est l’opinion <strong>de</strong> Lamotte (p. 77), qui la justifie avec <strong><strong>de</strong>s</strong> arguments plus forts<br />

que les miens.<br />

La version sanskrite copiée par Cāndoka, très proche <strong>et</strong> <strong>de</strong> la traduction <strong>de</strong><br />

Xuanzang (650) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la traduction tibétaine <strong>de</strong> Dharmatāśīla (c. 810) 2 , est, malgré<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> inégalités incontestables <strong>de</strong> style ou <strong>de</strong> langue, d’une qualité littéraire bien<br />

supérieure à celle <strong><strong>de</strong>s</strong> grands sūtra du mahāyāna. Le vocabulaire est parfois très<br />

recherché. Ainsi, lorsque les restitutions sanskrites <strong>de</strong> Lamotte ne correspon<strong>de</strong>nt<br />

pas au texte que nous lisons aujourd’hui grâce à nos collègues japonais, c’est en<br />

général parce que le Vkn emploie <strong><strong>de</strong>s</strong> mots plus rares <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> expressions plus<br />

2. Il a en fait existé trois traductions tibétaines, dont <strong>de</strong>ux uniquement conservées <strong>de</strong> façon<br />

fragmentaire par <strong><strong>de</strong>s</strong> manuscrits <strong>de</strong> Dunhuang (Lamotte, p. 19). La version <strong>de</strong> Dharmatāśīla<br />

utilisée par Lamotte diffère légèrement <strong>de</strong> celle imprimée par les éditeurs japonais du texte<br />

sanskrit.


HISTOIRE DU MONDE INDIEN 647<br />

recherchées que les équivalents choisis par Lamotte dans la Mahāvyutpatti. Le sens<br />

est en général le même, le niveau <strong>de</strong> vocabulaire est différent.<br />

La composition est très savante <strong>et</strong> perm<strong>et</strong> une lecture chapitre par chapitre, <strong>et</strong><br />

même passage par passage à l’intérieur d’un chapitre. Il y a toujours un eff<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

surprise : on se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce que va dire Vimalakīrti. Dans le chapitre III, ainsi, les<br />

arhant sont ridiculisés <strong>de</strong> façon très fine : ils sont décrits dans <strong><strong>de</strong>s</strong> situations<br />

correspondant au caractère <strong>et</strong> aux qualités que la légen<strong>de</strong> leur attribue. Il y a <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

jeux <strong>de</strong> mots, pas toujours vus par Lamotte qui traduit le texte comme s’il était<br />

uniquement philosophique. Par exemple, au début <strong>de</strong> III, le Vkn joue sur les <strong>de</strong>ux<br />

sens du mot pratisamlayana-, l’un très technique (méditation d’après déjeuner),<br />

l’autre très courant (sieste en début d’après-midi), pour se moquer <strong>de</strong> Śāriputra.<br />

Les exemples <strong>de</strong> ce type pourraient être multipliés.<br />

L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> passages les plus significatifs <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’humour <strong>de</strong> l’auteur du Vkn <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

sa maîtrise du sanskrit, est celui relatif à Upāli (III, 33-37). Lorsqu’on lit, même<br />

(<strong>et</strong> uniquement en ce qui me concerne) à travers Lamotte, les traductions chinoises<br />

<strong>et</strong> tibétaines, on ne comprends pas pourquoi Upāli est interrogé par <strong>de</strong>ux moines<br />

sur un point <strong>de</strong> discipline (sa spécialité). La réponse est dans le texte sanskrit qui<br />

emploie, <strong>et</strong> uniquement en c<strong>et</strong> endroit, <strong><strong>de</strong>s</strong> formes rares en sanskrit bouddhique<br />

car trop classiques ou trop grammaticales par rapport au niveau <strong>de</strong> langue ordinaire<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> mahāyānasūtra. Ainsi Upāli s’adresse-t-il aux <strong>de</strong>ux moines en utilisant le duel.<br />

Vimalakīrti, quant à lui, s’adresse à Upāli en utilisant un vocabulaire relevé, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

composés cvī <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> injonctifs (āgādhīkārsīh, āvilīkārsīh). Or Upāli, barbier, donc<br />

<strong>de</strong> basse caste, normalement ne doit pas connaître le sanskrit <strong>et</strong> n’est même pas<br />

autorisé à l’entendre.<br />

On est passé rapi<strong>de</strong>ment sur le contenu pseudo-philosophique du texte. On a<br />

montré en eff<strong>et</strong> que pour un Européen, il y avait contradiction entre les passages<br />

narratifs, dont le récit-cadre, avec leurs millions <strong>de</strong> personnages <strong>et</strong> leurs miracles à<br />

répétition, <strong>et</strong> une prédication affirmant que tout cela est illusion <strong>et</strong> détourne <strong>de</strong> la<br />

vraie connaissance <strong>et</strong> <strong>de</strong> la vraie libération. D’un point <strong>de</strong> vue bouddhiste, il n’y a<br />

pas contradiction. Comme dans la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> sūtra du mahāyāna, il n’y a aucune<br />

démonstration. La vérité (jn � āna) se voit, elle ne s’apprend pas. La science (vidyā)<br />

est d’abord croyance en la vérité <strong>de</strong> l’enseignement <strong>et</strong> perception intuitive <strong>et</strong><br />

inexprimable <strong>de</strong> ses vérités. Il n’y a recherche <strong>de</strong> démonstration que chez les<br />

philosophes comme Nāgārjuna <strong>et</strong> les abhidharmistes. Dans le Vkn, l’enseignement<br />

<strong>de</strong> Vimalakīrti n’est en rien discursif. C’est une suite d’aphorismes qui s’imposent<br />

d’eux-mêmes au croyant. L’essentiel est <strong>de</strong> croire en la vérité <strong>de</strong> ces affirmations<br />

tranchées. Dans d’autres religions on appellerait cela le mystère <strong>de</strong> la foi (śraddhā).<br />

Les fééries du récit-cadre ne sont pas plus stupéfiantes que les vérités énoncées par<br />

Vimalakīrti.<br />

On a très rapi<strong>de</strong>ment fait un sort à l’émerveillement chinois <strong>de</strong>vant le caractère<br />

laïc <strong>de</strong> Vimalakīrti : tous les bodhisattva sont laïcs, <strong>et</strong> représentés en la:cs, souvent<br />

en rois ou princes (kumāra). Le texte sanskrit du Vkn n’utilise pas très souvent


648 GÉRARD FUSSMAN<br />

l’expression grhapati, « maître <strong>de</strong> maison, riche propriétaire », pour désigner<br />

Vimalakīrti. Ce n’est manifestement pas sa caractéristique essentielle. Le début du<br />

chapitre II insiste sur le fait que son apparence <strong>de</strong> laïc n’est elle aussi qu’une<br />

illusion, un moyen <strong>de</strong> vivre dans le mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> laïcs pour les amener au salut, un<br />

eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> son habil<strong>et</strong>é en moyens salvifiques (upāya-kauśalya). II, 4 nous dit qu’à<br />

l’occasion il exerce les fonctions d’un roi (rājakāryānupravistah) <strong>et</strong> II, 5 qu’il est un<br />

grhapati pour les grhapati, un ksatriya pour les ksatriya, un brahmane pour les<br />

brahmanes <strong>et</strong>c. Le passage le plus significatif est III, 36 : « ne croyez pas que ce<br />

soit un grhapati. Pourquoi ? Il n’y a personne qui puisse m<strong>et</strong>tre son éloquence en<br />

défaut, ni moine ni bodhisattva, excepté le/un tathāgata : telle est la lumière<br />

qu’apporte sa sapience » (traduction libre ; tibétain <strong>et</strong> chinois autres). En d’autres<br />

termes, Vimalikīrti est un tathāgata.<br />

L’essentiel du <strong>cours</strong> a porté sur la lecture mot à mot du texte. Après Lamotte <strong>et</strong><br />

en partie grâce à lui, on constate qu’une gran<strong>de</strong> partie <strong><strong>de</strong>s</strong> notions <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> formules<br />

se trouvait déjà dans les sūtra anciens : idéologiquement le mahāyāna puise dans<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> conceptions anciennes. Le nombre <strong>de</strong> ces parallèles prouve surtout que la<br />

composition <strong><strong>de</strong>s</strong> mahāyānasūtra fut le fait <strong>de</strong> gens parfaitement au courant <strong>de</strong><br />

notions <strong>et</strong> <strong>de</strong> textes enseignés seulement dans les monastères. En d’autres termes,<br />

ce fut le fait <strong>de</strong> moines, dont rien ne perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> dire qu’ils aient défroqué. Il n’était<br />

pas inutile <strong>de</strong> le rappeler à propos d’un texte qui ridiculise ces mêmes moines.<br />

L’étu<strong>de</strong> a aussi porté sur la caractérisation linguistique du texte. Le sanskrit n’a<br />

rien <strong>de</strong> très particulier. C’est du sanskrit bouddhique ordinaire, mais le ou les<br />

auteurs étaient capables <strong>de</strong> faire beaucoup mieux : en témoigne le passage sur Upāli<br />

(supra). En d’autres termes, le sanskrit bouddhique tient plus à une volonté<br />

d’utiliser la langue-type <strong><strong>de</strong>s</strong> sūtra qu’à une incapacité à écrire du sanskrit paninéen.<br />

Quant au moyen-indien sous-jacent au stotra très sanskritisé <strong>de</strong> I, 10, il est d’une<br />

variété jusqu’à présent inconnue, en particulier en ce qui concerne certaines formes<br />

adjectivo-verbales 3 .<br />

La lecture du texte s’étant arrêtée, faute <strong>de</strong> temps, à la fin du chapitre III, le<br />

<strong>cours</strong>-séminaire sur le Vkn se poursuivra en 2008-2009. Aucune publication n’est<br />

envisagée, le Professeur ayant malheureusement d’autres obligations.<br />

Activités <strong>de</strong> la chaire<br />

M. Éric Ollivier, architecte-cartographe, gère l’informatique <strong>de</strong> la chaire <strong>et</strong><br />

supervise l’i<strong>de</strong>ntification, le catalogage informatisé dans Portfolio Extensis <strong>et</strong> la<br />

numérisation <strong><strong>de</strong>s</strong> collections <strong>de</strong> photographies données à la photothèque <strong>de</strong><br />

l’Institut d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> Indiennes du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (plus <strong>de</strong> 26 000 clichés à ce<br />

3. M me Scherrer-Schaub a fait remarquer qu’il suffit <strong>de</strong> couper naivātra ātma na ca kāraku<br />

vedako vā en I, 10, 4c pour que le texte soit compréhensible <strong>et</strong> bouddhiquement correct. De<br />

même il faut couper en I, 10, 5c yasmin na vedita ca cittamanahpracārā. I, 10, 4a na ca nāma asti<br />

na ca nāsti giram prabhāsi fait difficulté, d’autres passages aussi.


HISTOIRE DU MONDE INDIEN 649<br />

jour). Il a participé à l’élaboration <strong>et</strong> à la réalisation du livre Monuments bouddhiques<br />

<strong>de</strong> la région <strong>de</strong> Caboul paru c<strong>et</strong>te année (infra). Il a considérablement avancé son<br />

catalogue commenté <strong><strong>de</strong>s</strong> estampilles arabes en verre <strong>de</strong> la Bibliothèque nationale<br />

<strong>et</strong> Universitaire <strong>de</strong> Strasbourg.<br />

Monsieur Christian Bouy, maître <strong>de</strong> conférences, a géré le catalogage <strong>et</strong> le rétrocatalogage<br />

<strong>de</strong> la Bibliothèque d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> Indiennes.<br />

M me Isabelle Szelagowski, maître <strong>de</strong> conférences, s’est occupée <strong>de</strong> recherches<br />

documentaires <strong>et</strong> bibliographiques en relation avec le programme d’enseignement<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> la chaire. Elle assure par ailleurs le secrétariat <strong>de</strong> la chaire, gère<br />

les comman<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> livres <strong>et</strong> les publications <strong>de</strong> l’Institut d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> Indiennes <strong>et</strong><br />

rédige la L<strong>et</strong>tre d’Information annuelle dudit Institut. Elle en fera paraître le n° 20<br />

en octobre 2008.<br />

M me Nathalie Lapierre a participé à la fouille <strong>de</strong> Kampyr Tepe (Ouzbékistan)<br />

sous la direction <strong>de</strong> notre collègue E. Rtveladze du 15 avril au 8 mai 2008.<br />

Professeurs étrangers invités<br />

M me Kapila Vatsyayan, foun<strong>de</strong>r and former Secr<strong>et</strong>ary, Indira Gandhi Center for<br />

the Arts (New-Delhi) a donné le vendredi 4 avril 2008 une conférence intitulée<br />

« The building of the main cultural institutions in in<strong>de</strong>pendant India » (voir La<br />

L<strong>et</strong>tre du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, n° 23 », juin 2008, 12-13).<br />

Publications<br />

« Cours : Les Guptas <strong>et</strong> le nationalisme indien. Séminaire : relecture d’inscriptions déjà<br />

plusieurs fois éditées », Annuaire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> 2006-2007, 695-713.<br />

Gérard Fussman avec la collaboration d’Eric Ollivier <strong>et</strong> <strong>de</strong> Baba Murad, Monuments<br />

bouddhiques <strong>de</strong> la région <strong>de</strong> Caboul/Kabul Buddhist Monuments, II, Publications <strong>de</strong> l’Institut<br />

<strong>de</strong> Civilisation Indienne, fasc. 761 <strong>et</strong> 762 , Paris 2008, 373 pages.<br />

Missions <strong>de</strong> M. Fussman <strong>et</strong> autres activités<br />

Direction <strong>de</strong> l’Institut d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> Indiennes du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />

Prési<strong>de</strong>nt, délégué <strong>de</strong> l’Administrateur, du Conseil scientifique <strong><strong>de</strong>s</strong> bibliothèques du<br />

<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />

Appartenance au Conseil scientifique <strong>de</strong> la BULAC (Bibliothèque Universitaire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Langues <strong>et</strong> Civilisations).


650 GÉRARD FUSSMAN<br />

Appartenance au Comité Directeur <strong>de</strong> la Forschungsstelle für Felsbil<strong>de</strong>r und Inschriften<br />

am Karakorum Highway <strong>de</strong> l’Académie d’Hei<strong>de</strong>lberg.<br />

Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la SEECHAC (Société Européenne pour l’Étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Civilisations <strong>de</strong><br />

l’Himalaya <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Asie Centrale).<br />

�<br />

Conférence <strong>de</strong>vant le personnel du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (pour le CLAS) le 10 janvier 2008<br />

<strong>et</strong> au Musée Cernuschi (pour la SEECHAC) le 31 janvier 2008 : « Monuments bouddhiques<br />

<strong>de</strong> la région <strong>de</strong> Caboul ».<br />

�<br />

Mission d’expertise <strong>de</strong> l’AERES (11 janvier 2008, UMR 7528).<br />

Mission en In<strong>de</strong> (7 au 16 février 2008) : visite <strong><strong>de</strong>s</strong> grottes bouddhiques <strong>de</strong> la région <strong>de</strong><br />

Bombay pour la préparation d’un futur <strong>cours</strong>.


Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne<br />

M. Pierre-Étienne Will, professeur<br />

C<strong>et</strong>te quatrième <strong>et</strong> <strong>de</strong>rnière livraison sur l’histoire du Guanzhong (la plaine<br />

centrale du Shaanxi, capitale Xi’an) au début <strong>de</strong> l’époque républicaine s’est<br />

concentrée sur la lente <strong>et</strong> difficile mise en route d’un « cycle vertueux <strong>de</strong><br />

développement » dans la région à partir <strong>de</strong> la décennie 1930. Nous avions r<strong>et</strong>racé<br />

dans nos <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> trois <strong>de</strong>rnières années l’histoire chaotique du Guanzhong<br />

pendant les <strong>de</strong>ux décennies précé<strong>de</strong>ntes : la guerre civile, la famine, les proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong><br />

mo<strong>de</strong>rnisation avortés, la spirale <strong><strong>de</strong>s</strong>cendante du sous-développement… L’automne<br />

1930 marque un point tournant à beaucoup d’égards. Politiquement <strong>et</strong><br />

militairement, d’abord, c’est la fin ce qu’on peut appeler le cycle <strong><strong>de</strong>s</strong> seigneurs <strong>de</strong><br />

la guerre. Dès les len<strong>de</strong>mains <strong>de</strong> la révolution <strong>de</strong> 1911, ou presque, la vie <strong>de</strong> la<br />

région (comme celle <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> régions en Chine) avait été dominée <strong>et</strong><br />

rythmée par les rivalités <strong>de</strong> ces chefs d’armées dont le but principal, sinon toujours<br />

exclusif, était d’accroître leur propre puissance en exploitant sans scrupule les<br />

ressources <strong><strong>de</strong>s</strong> territoires qu’ils étaient capables <strong>de</strong> contrôler. Certains ont réussi à<br />

occuper plus ou moins longtemps le poste <strong>de</strong> gouverneur militaire du Shaanxi,<br />

avec la sanction du gouvernement central, mais leur pouvoir ne s’étendait jamais<br />

qu’à une fraction limitée du territoire <strong>de</strong> la province, le reste étant aux mains <strong>de</strong><br />

militaristes locaux qui n’obéissaient à aucun ordre. Ces <strong>de</strong>rniers ont été réduits un<br />

à un en 1927 <strong>et</strong> 1928 par les lieutenants <strong>de</strong> Feng Yuxiang, l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> « grands »<br />

seigneurs <strong>de</strong> la guerre <strong>de</strong> l’époque, qui nourrissait <strong><strong>de</strong>s</strong> ambitions nationales <strong>et</strong> à qui<br />

le nouveau gouvernement nationaliste avait été contraint <strong>de</strong> laisser le contrôle du<br />

Nord-Ouest, ce qui ne l’avait pas empêché <strong>de</strong> se r<strong>et</strong>ourner contre lui. Le régime<br />

<strong>de</strong> Nankin n’impose définitivement son pouvoir à Xi’an qu’en octobre 1930, après<br />

avoir défait les forces <strong>de</strong> Feng Yuxiang, <strong>et</strong> c’est à partir <strong>de</strong> là que le Shaanxi cesse<br />

<strong>de</strong> servir périodiquement <strong>de</strong> champ <strong>de</strong> bataille pour factions militaristes rivales.<br />

(La guerre contre les bases communistes situées dans le nord <strong>de</strong> la province est<br />

l’exception, mais elle a été conduite assez mollement <strong>et</strong> a cessé avec la proclamation<br />

du second « Front uni » fin 1936.)


652 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />

La fin <strong>de</strong> 1930 marque aussi la sortie d’une sécheresse qui dure <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux ans<br />

<strong>et</strong> qui s’est conjuguée aux exactions <strong><strong>de</strong>s</strong> militaires <strong>et</strong> à la désorganisation générale<br />

<strong>de</strong> la société pour causer l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> plus épouvantables famines <strong>de</strong> l’histoire au<br />

Shaanxi <strong>et</strong> dans la province voisine du Gansu. Le r<strong>et</strong>our à l’ordre que laisse espérer<br />

l’entrée <strong><strong>de</strong>s</strong> nationalistes à Xi’an a convaincu les principales organisations<br />

philanthropiques du pays <strong>de</strong> revenir dans une région qu’elles avaient pour la<br />

plupart d’entre elles désertée par manque <strong>de</strong> sécurité. Elles bénéficient du plein<br />

appui <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles autorités provinciales, <strong>et</strong> le mot d’ordre désormais est non<br />

seulement <strong>de</strong> secourir les populations affamées, mais aussi <strong>de</strong> j<strong>et</strong>er les bases du<br />

développement économique. L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> proj<strong>et</strong>s phares, la réhabilitation du système<br />

d’irrigation du Weibei (sur la rive gauche <strong>de</strong> la rivière Wei, directement au nord<br />

<strong>de</strong> Xi’an), dont on parlait <strong>de</strong>puis 1912 <strong>et</strong> pour laquelle <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> approfondies<br />

avaient été conduites au début <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1920 sous la direction <strong>de</strong> l’ingénieur Li<br />

Yizhi, peut démarrer dès la fin 1930 grâce à l’appui <strong>de</strong> la China International<br />

Famine Relief Commission (CIFRC), l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> principaux organismes<br />

philanthropiques <strong>de</strong> l’époque en Chine. Il est clair que la réalisation relativement<br />

rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> ce chantier — la première tranche <strong>de</strong> ce qui s’appelle désormais le canal<br />

Jinghui 涇惠渠 a été inaugurée en juin 1932 — a été un signal fort pour les<br />

populations locales.<br />

De fait, comme nous l’avions vu l’an passé, c’est un véritable sentiment <strong>de</strong><br />

renaissance qui s’exprime dans une quantité d’articles publiés à Xi’an juste après le<br />

changement <strong>de</strong> régime : c<strong>et</strong>te transition politique <strong>de</strong> la fin 1930 a été vécue comme<br />

une sortie du tunnel <strong>et</strong> comme l’orée d’un nouveau cycle <strong>de</strong> tranquillité <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

progrès économique. Certes il ne s’agit encore que d’espoirs <strong>et</strong> <strong>de</strong> proj<strong>et</strong>s, <strong>et</strong> ces<br />

éléments virtuels ont mis du temps à s’actualiser <strong>et</strong> à produire leurs eff<strong>et</strong>s. Pour ne<br />

prendre qu’un exemple, si le r<strong>et</strong>our à l’ordre a été proclamé dès sa prise <strong>de</strong> fonctions<br />

par le nouveau gouverneur <strong>de</strong> la province, le général Yang Hucheng, en réalité<br />

certains inci<strong>de</strong>nts dont il sera question plus loin montrent qu’en 1932 ou 1933<br />

encore l’insécurité était gran<strong>de</strong>, même à proximité <strong>de</strong> Xi’an, <strong>et</strong> que dans <strong><strong>de</strong>s</strong> zones<br />

assez étendues le contrôle du gouvernement provincial restait très limité.<br />

Mais il est clair qu’une nouvelle dynamique s’est instaurée dans la région <strong>et</strong> que,<br />

si une action dans la durée a été possible, c’est parce qu’en dépit <strong>de</strong> quelques<br />

soubresauts sans grand eff<strong>et</strong> sur les conditions <strong>de</strong> vie <strong>de</strong> la population le Guanzhong<br />

a bénéficié, à partir <strong>de</strong> l’installation du pouvoir nationaliste à Xi’an, d’une stabilité<br />

politique qu’il n’avait pas connue <strong>de</strong>puis le milieu du xix e siècle.<br />

Notre exposé s’est concentré sur <strong>de</strong>ux grands suj<strong>et</strong>s : d’une part, le rôle <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong><br />

étrangère dans le processus <strong>de</strong> développement auquel on vient <strong>de</strong> faire allusion, <strong>et</strong><br />

plus précisément la nature <strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre Chinois <strong>et</strong> experts étrangers ; d’autre<br />

part, l’impact technique <strong>et</strong> économique du modèle <strong>de</strong> développement symbolisé<br />

par la mo<strong>de</strong>rnisation du site du Weibei.<br />

La coopération entre Chinois <strong>et</strong> étrangers, nous l’avons examinée principalement<br />

dans le cadre <strong>de</strong> la CIFRC, qui était par sa constitution même un organisme


HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 653<br />

sino-étranger <strong>et</strong> qui est restée une présence importante au Shaanxi jusqu’au milieu<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> années 1930 : c’est elle qui a relancé le proj<strong>et</strong> du Weibei (auquel elle s’était<br />

déjà intéressée pendant la décennie précé<strong>de</strong>nte), ses ingénieurs en ont eux-mêmes<br />

conçu <strong>et</strong> réalisé la partie techniquement la plus difficile, <strong>et</strong> en fin <strong>de</strong> compte elle<br />

a assuré l’essentiel du financement jusqu’en 1934, bien au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce qui avait été<br />

prévu dans le contrat signé avec le gouvernement <strong>de</strong> la province. C<strong>et</strong>te<br />

contribution est minimisée, voire passée sous silence, dans la plus gran<strong>de</strong> partie<br />

<strong>de</strong> la littérature consacrée en Chine populaire à la reconstruction économique <strong>de</strong><br />

la région après 1930. Un autre <strong><strong>de</strong>s</strong> grands proj<strong>et</strong>s d’ingénierie civile <strong>de</strong> la CIFRC<br />

en Chine du Nord concernait également le Shaanxi : la transformation <strong>de</strong><br />

l’ancienne route impériale reliant Xi’an <strong>et</strong>, 700 km à l’ouest, Lanzhou, la capitale<br />

du Gansu, en une route adaptée à la circulation automobile (appelée route Silan,<br />

i.e. Xi-Lan 西蘭, dans les sources occi<strong>de</strong>ntales) qui a permis <strong>de</strong> réduire le temps<br />

<strong>de</strong> par<strong>cours</strong> <strong>de</strong> 18 à 3 jours <strong>et</strong> a notablement contribué à désenclaver l’extrême<br />

nord-ouest <strong>de</strong> la Chine.<br />

Pour toutes ces raisons il était intéressant d’examiner la nature même, sur le<br />

terrain, <strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre les ingénieurs <strong>et</strong> les administrateurs <strong>de</strong> la CIFRC <strong>et</strong> les<br />

habitants du Shaanxi avec lesquels ils étaient en contact constant : les travailleurs<br />

employés sur les chantiers, les fournisseurs, les intermédiaires chargés <strong>de</strong> recruter<br />

la main d’œuvre, les autorités locales civiles <strong>et</strong> militaires, <strong>et</strong> le gouvernement<br />

provincial. Comment les étrangers — même travaillant dans le cadre d’entreprises<br />

<strong>de</strong> nature philanthropique, donc en principe pour le bien <strong>de</strong> la Chine — étaient-ils<br />

considérés par leurs interlocuteurs chinois, comment leur rôle <strong>et</strong> leur attitu<strong>de</strong><br />

étaient-ils perçus <strong>et</strong> ressentis ? À l’inverse, comment les étrangers travaillant dans<br />

le cadre <strong>de</strong> l’assistance philanthropique considéraient-ils leurs interlocuteurs<br />

chinois ? Ces questions sont plus culturelles, politiques mêmes, que strictement<br />

économiques, mais elles sont omniprésentes dans les sources traitant <strong>de</strong> problèmes<br />

<strong>de</strong> développement, d’expertise technique <strong>et</strong> d’ai<strong>de</strong> internationale, qu’il s’agisse <strong>de</strong><br />

la CIFRC ou <strong>de</strong> tout autre organisme comparable, comme la Croix-rouge<br />

américaine, ou même <strong>de</strong> la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations.<br />

Avant <strong>de</strong> les abor<strong>de</strong>r nous sommes revenu beaucoup plus en détail que<br />

précé<strong>de</strong>mment sur l’organisation <strong>et</strong> le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> fonctionnement <strong>de</strong> la CIFRC,<br />

fondée, rappelons-le, en novembre 1921, au terme <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> famine <strong>de</strong><br />

1920-1921 en Chine du Nord, dans le but <strong>de</strong> fédérer les associations provinciales<br />

sino-étrangères alors en activité <strong>et</strong> <strong>de</strong> créer une structure permanente <strong>et</strong> préventive.<br />

La CIFRC était un organisme centralisé, doté d’un comité exécutif, d’un secrétariat<br />

général <strong>et</strong> <strong>de</strong> bureaux spécialisés. L’un <strong>de</strong> ses principes fondateurs était la parité<br />

entre responsables chinois <strong>et</strong> étrangers. (Parmi ces <strong>de</strong>rniers la majorité venaient du<br />

milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> missions protestantes anglo-saxonnes.) Elle comptait un certain nombre<br />

<strong>de</strong> comités provinciaux (sept en 1922, quinze en 1935) dont les activités étaient<br />

encadrées <strong>de</strong> près par les instances centrales. Dès sa fondation elle a été l’organisation<br />

non gouvernementale disposant <strong><strong>de</strong>s</strong> moyens les plus importants en Chine, mais sa<br />

réputation reposait aussi sur la qualité <strong>et</strong> la rigueur <strong>de</strong> sa gestion, sur un ensemble


654 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />

<strong>de</strong> procédures bien rodées, <strong>et</strong> sur son carn<strong>et</strong> d’adresses à l’étranger. Jusqu’à ce que<br />

le gouvernement nationaliste ne tente sérieusement <strong>de</strong> reprendre la main au début<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> années 1930, les autorités se reposaient presque entièrement sur elle pour les<br />

<strong>travaux</strong> d’infrastructure lancés au moment <strong><strong>de</strong>s</strong> désastres naturels <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> famines,<br />

basés sur le principe <strong><strong>de</strong>s</strong> se<strong>cours</strong> en échange <strong>de</strong> travail (gongzhen 工賑) : outre les<br />

moyens qu’elle était capable <strong>de</strong> mobiliser, elle était la seule à possé<strong>de</strong>r le savoir-faire<br />

<strong>et</strong> les capacités d’organisation nécessaires, sans parler du bureau d’ingénierie dont<br />

il sera question plus bas.<br />

L’instance décisionnelle <strong>de</strong> la CIFRC était son comité exécutif, composé <strong>de</strong><br />

11 personnes (6 Occi<strong>de</strong>ntaux <strong>et</strong> 5 Chinois jusqu’en 1928, l’inverse après c<strong>et</strong>te<br />

date), où les membres du bureau exerçaient <strong>de</strong> facto une influence dominante : le<br />

prési<strong>de</strong>nt, le vice-prési<strong>de</strong>nt, les <strong>de</strong>ux trésoriers <strong>et</strong> le secrétaire général, ce <strong>de</strong>rnier<br />

étant en fait le personnage clé <strong>de</strong> tout le dispositif. Pendant la plus gran<strong>de</strong> partie<br />

<strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> la Commission les responsabilités <strong>de</strong> secrétaire général ont été<br />

assumées par un seul <strong>et</strong> même personnage, Zhang Yuanshan 章元善 (Y.S. Djang),<br />

un ingénieur chimiste diplômé <strong>de</strong> l’Université Cornell dont il sera plus longuement<br />

question ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous. La plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> membres du comité exécutif étaient <strong><strong>de</strong>s</strong> grands<br />

notables bien connectés dans les milieux universitaires, dans les milieux d’affaires,<br />

au gouvernement <strong>et</strong> dans les ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> étrangères.<br />

Dès sa fondation la CIFRC avait mis sur pied une douzaine <strong>de</strong> sous-comités<br />

spécialisés (changshe fenwei banhui 常設分委辦會) où étaient invités divers experts<br />

supposés conduire <strong><strong>de</strong>s</strong> enquêtes <strong>et</strong> soum<strong>et</strong>tre <strong><strong>de</strong>s</strong> propositions aux instances<br />

dirigeantes. L’administration centrale (zonghui shiwusuo 總會事務所), placée sous<br />

l’autorité du secrétaire général, comportait également un certain nombre <strong>de</strong><br />

bureaux spécialisés où travaillaient les employés <strong>de</strong> la Commission. C<strong>et</strong>te double<br />

structure n’allait pas sans redondance, <strong>et</strong> dans les faits la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> sous-comités<br />

ont progressivement perdu <strong>de</strong> leur influence au profit <strong><strong>de</strong>s</strong> bureaux, qui s’avéraient<br />

n<strong>et</strong>tement plus efficaces. Tel a été en particulier le cas du bureau d’ingénierie<br />

(gongcheng gu 工程股) placé sous la direction <strong>de</strong> l’ingénieur américain O.J. Todd,<br />

recruté par la CIFRC en 1923 <strong>et</strong> que nous avons déjà souvent évoqué : Todd, qui<br />

ne craignait pas les conflits, a rapi<strong>de</strong>ment marginalisé les ingénieurs distingués qui<br />

composaient le « comité technique » (jishu bu 技術部), lequel a été dissout dès<br />

1925 pour cause d’insuffisance <strong>de</strong> travail.<br />

D’un intérêt particulier pour notre propos sont les relations entre dirigeants<br />

chinois <strong>et</strong> étrangers au sein <strong>de</strong> la Commission. En surface au moins la coopération<br />

était harmonieuse. Huang Wen<strong>de</strong> 黃文德, à qui l’on doit la monographie la plus<br />

complète sur la CIFRC (publiée à Taiwan en 2004), remarque que ces bonnes<br />

relations sont d’autant plus remarquables que le nationalisme chinois était intense<br />

à l’époque <strong>et</strong> que dans <strong>de</strong> larges milieux les étrangers, même affichant le plus<br />

grand dévouement à la cause <strong>de</strong> la Chine, étaient soupçonnés <strong>de</strong> servir les intérêts<br />

<strong>de</strong> l’impérialisme. Mais l’examen <strong><strong>de</strong>s</strong> archives privées <strong>de</strong> l’ingénieur Todd,<br />

conservées à la Hoover Institution <strong>de</strong> Stanford, démontre que la CIFRC n’était pas


HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 655<br />

toujours la réunion d’idéalistes passionnément dévoués au sauv<strong>et</strong>age <strong>de</strong> la Chine<br />

que suggère sa littérature officielle — ou plus précisément, que si ses dirigeants<br />

étaient incontestablement idéalistes <strong>et</strong> dévoués, ils ne s’entendaient pas toujours<br />

entre eux, <strong>et</strong> qu’en particulier il pouvait y avoir <strong>de</strong> fortes tensions entre Chinois <strong>et</strong><br />

Occi<strong>de</strong>ntaux. C’est ce que suggèrent également un certain nombre <strong>de</strong> publications<br />

chinoises récentes, sur le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la philanthropie en général <strong>et</strong> sur la CIFRC en<br />

particulier, qui font appel à <strong><strong>de</strong>s</strong> publications, à <strong><strong>de</strong>s</strong> archives <strong>et</strong> à <strong><strong>de</strong>s</strong> témoignages<br />

inconnus jusqu’alors.<br />

Les membres chinois <strong>de</strong> la direction <strong>de</strong> la CIFRC étaient tous anglophones,<br />

chrétiens la plupart du temps, <strong>et</strong> diplômés d’universités européennes ou américaines ;<br />

beaucoup avaient servi dans la diplomatie, <strong>et</strong> tous étaient <strong><strong>de</strong>s</strong> notables qui savaient<br />

comment parler <strong>et</strong> se comporter dans les milieux occi<strong>de</strong>ntaux <strong>de</strong> Chine (plusieurs<br />

étaient membres du Rotary Club) — bref, <strong>de</strong> ces gens dont les Occi<strong>de</strong>ntaux<br />

aimaient à penser qu’ils leur ressemblaient, ou ne désiraient rien tant que <strong>de</strong> leur<br />

ressembler le plus possible. Mais les indices ne manquent pas pour montrer que<br />

les choses étaient plus complexes. Même on ne peut plus occi<strong>de</strong>ntalisés, les Chinois<br />

du comité exécutif <strong>de</strong> la CIFRC ou d’autres instances similaires restaient chinois,<br />

<strong>et</strong> tenaient à le rester. Exerçant par ailleurs <strong>de</strong> multiples responsabilités dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

instances purement chinoises, on peut supposer qu’ils n’étaient pas toujours à l’aise<br />

avec c<strong>et</strong>te asymétrie en vertu <strong>de</strong> laquelle la CIFRC, bien que sino-étrangère, était<br />

d’abord anglophone <strong>et</strong> fonctionnait suivant <strong><strong>de</strong>s</strong> principes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> procédures<br />

d’inspiration occi<strong>de</strong>ntale. Et ils avaient inévitablement quelque difficulté à accepter<br />

l’attitu<strong>de</strong> paternaliste naturellement adoptée par leurs collègues européens <strong>et</strong><br />

américains, peut-être pas envers eux-mêmes, mais certainement envers la société<br />

chinoise, autrement dit leur société. Les publications officielles <strong>de</strong> la CIFRC nous<br />

informent <strong><strong>de</strong>s</strong> décisions <strong>de</strong> la Commission, <strong>de</strong> ses analyses, <strong><strong>de</strong>s</strong> politiques qu’elle<br />

préconise, mais elles ne nous disent rien <strong><strong>de</strong>s</strong> débats, <strong><strong>de</strong>s</strong> désaccords <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> rivalités<br />

en amont, ni <strong>de</strong> l’existence possible <strong>de</strong> factions au sein <strong>de</strong> l’équipe dirigeante,<br />

défendant <strong><strong>de</strong>s</strong> intérêts qui ne coïnci<strong>de</strong>nt pas toujours <strong>et</strong>, surtout, exprimant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

sensibilités différentes — chinoises d’un côté, <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’autre occi<strong>de</strong>ntales, certains<br />

diraient même coloniales.<br />

De tout cela, qui a très certainement tenu une place importante dans la vie <strong>de</strong><br />

la Commission, nous n’avons que <strong><strong>de</strong>s</strong> traces. Le seul exemple dont nous ayons<br />

connaissance un peu concrètement concerne les relations difficiles entre le secrétaire<br />

général Y.S. Djang — l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> fondateurs <strong>de</strong> la CIFRC <strong>et</strong> l’âme <strong>de</strong> l’organisation<br />

pendant une quinzaine d’années — <strong>et</strong> l’ingénieur en chef O.J. Todd. Les frictions<br />

entre l’un <strong>et</strong> l’autre étaient en partie déterminées par les choix stratégiques <strong>de</strong> la<br />

CIFRC. Celle-ci en eff<strong>et</strong> avait assez vite été conduite à concentrer ses efforts sur<br />

<strong>de</strong>ux grands programmes, visant l’un <strong>et</strong> l’autre à renforcer les capacités <strong>de</strong> résistance<br />

<strong>de</strong> la société rurale face aux désastres naturels <strong>et</strong> en même temps à diminuer<br />

l’impact potentiel <strong>de</strong> ces désastres par <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures préventives. Le premier était la<br />

mise en place d’un réseau <strong>de</strong> coopératives <strong>de</strong> crédit rural ayant pour obj<strong>et</strong> d’ai<strong>de</strong>r<br />

les paysans à sortir <strong>de</strong> la pauvr<strong>et</strong>é en leur enseignant comment s’organiser entre


656 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />

eux, économiquement <strong>et</strong> socialement ; le second, c’étaient les grands <strong>travaux</strong><br />

(digues, systèmes d’irrigation, routes) relevant du domaine <strong>de</strong> l’ingénierie civile,<br />

qui perm<strong>et</strong>taient <strong>de</strong> combiner se<strong>cours</strong> <strong>et</strong> édification d’infrastructures suivant la<br />

formule <strong><strong>de</strong>s</strong> se<strong>cours</strong> en échange <strong>de</strong> travail déjà mentionnée.<br />

À la CIFRC l’homme <strong><strong>de</strong>s</strong> coopératives rurales était Y.S. Djang, qui avait lancé<br />

le mouvement dès 1923 <strong>et</strong> en est resté l’inspirateur <strong>et</strong> le responsable pendant toute<br />

l’histoire <strong>de</strong> la Commission. La réussite du programme <strong>de</strong> crédit rural dans la<br />

province pilote du Hebei (où se trouve Pékin <strong>et</strong> qui a gardé son nom impérial <strong>de</strong><br />

Zhili jusqu’en 1928), à laquelle on l’avait volontairement limité pendant les<br />

premières années, a suffisamment contribué à la réputation <strong>de</strong> Y.S. Djang pour<br />

qu’en 1931, au moment <strong><strong>de</strong>s</strong> inondations catastrophiques du Yangzi, les autorités<br />

nationalistes fassent appel à lui pour étendre le mouvement aux provinces du Sud<br />

<strong>de</strong> la Chine ; là encore, le succès <strong>de</strong> l’opération a conduit les autorités à lui confier<br />

en fin <strong>de</strong> compte la direction du programme <strong>de</strong> coopératives du gouvernement<br />

lui-même, poste que Djang a assumé <strong>de</strong> 1935 à 1937. Même si dans ses souvenirs,<br />

rédigés en Chine populaire en 1960, Djang tend à minimiser l’importance <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

coopératives en en parlant comme d’un mouvement réformiste incapable <strong>de</strong><br />

s’attaquer aux causes socio-politiques profon<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la misère rurale, <strong>et</strong> <strong>de</strong> plus mené<br />

au nom d’une organisation qu’il dénonce comme un instrument <strong>de</strong> l’impérialisme<br />

américain, il n’en reste pas moins qu’il est visiblement très fier <strong>de</strong> ce qui a été sans<br />

conteste l’œuvre <strong>de</strong> sa vie, <strong>et</strong> dont il avait tiré à l’époque une gran<strong>de</strong> renommée.<br />

Todd, en revanche, n’en avait que pour les grands proj<strong>et</strong>s d’infrastructure <strong>et</strong><br />

essayait par tous les moyens <strong>de</strong> développer son département d’ingénierie <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

renforcer sa propre position au sein <strong>de</strong> la CIFRC, comme l’illustrent d’abondance<br />

les correspondances conservées dans ses archives. Il y avait là, inévitablement, une<br />

source <strong>de</strong> frictions, non seulement parce que Todd ne cachait pas son dédain pour<br />

le programme <strong>de</strong> coopératives rurales, mais aussi parce que les <strong>de</strong>ux principales<br />

activités <strong>de</strong> la Commission se trouvaient en concurrence pour mobiliser ses<br />

ressources humaines <strong>et</strong> matérielles. Particulièrement problématique, du point <strong>de</strong><br />

vue <strong>de</strong> la Commission, était l’ambition <strong>de</strong> Todd d’entr<strong>et</strong>enir en permanence un<br />

département d’ingénierie en état <strong>de</strong> marche <strong>et</strong> pourvu d’une équipe d’ingénieurs<br />

au compl<strong>et</strong>, plutôt que d’avoir à limiter ses activités aux épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> calamités<br />

naturelles où la CIFRC avait vocation à intervenir <strong>et</strong> à solliciter <strong><strong>de</strong>s</strong> financements<br />

extérieurs (américains notamment, pour lesquels le principal conduit était une<br />

organisation appelée China Famine Relief USA Inc., domiciliée à New York). En<br />

<strong>de</strong>hors <strong>de</strong> ces pério<strong><strong>de</strong>s</strong> on était obligé <strong>de</strong> renvoyer le personnel <strong>et</strong>, comme le<br />

confirme le témoignage d’un certain Ma Xiqing 馬席慶, un ingénieur chinois<br />

employé un temps à la CIFRC, cela nuisait incontestablement à la qualité <strong>et</strong> à la<br />

continuité du travail du département.<br />

Or, après 1930 environ les priorités <strong>de</strong> la CIFRC ont commencé à changer dans<br />

un sens défavorable aux grands <strong>travaux</strong>, alors qu’au moment <strong>de</strong> sa fondation<br />

ceux-ci avaient été désignés comme sa principale vocation. La raison majeure <strong>de</strong>


HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 657<br />

ce r<strong>et</strong>ournement, qui ne s’est pleinement matérialisé qu’au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1930,<br />

était le désir du gouvernement nationaliste <strong>de</strong> prendre directement en charge les<br />

programmes d’infrastructure, plutôt que <strong>de</strong> les sous-traiter à <strong><strong>de</strong>s</strong> entreprises<br />

philanthropiques en partie contrôlées par <strong><strong>de</strong>s</strong> étrangers, telle la CIFRC. L’organisme<br />

gouvernemental à qui était confiée la mise en œuvre <strong>de</strong> ces nouveaux programmes<br />

était la National Economic Commission (NEC), ou Jingji weiyuanhui 經濟委員<br />

會, fondée en 1931 mais qui n’a réellement exercé sa fonction <strong>de</strong> coordination<br />

nationale, <strong>et</strong> avec <strong><strong>de</strong>s</strong> moyens conséquents, qu’à partir <strong>de</strong> 1933. Son patron était<br />

le beau-frère <strong>de</strong> Chiang Kai-chek, T. V. Soong (Song Ziwen 宋子文), alors ministre<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> finances <strong>et</strong> sans conteste l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes d’État les plus compétents au sein<br />

du gouvernement nationaliste ; <strong>et</strong> sa référence en matière d’expertise technique<br />

était la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations, très active en Chine au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1930 <strong>et</strong> dont<br />

la concurrence était plutôt mal vue <strong><strong>de</strong>s</strong> Américains, qui n’en faisaient pas partie.<br />

Quoi qu’il en soit, la propension <strong>de</strong> Todd à critiquer publiquement les choix<br />

stratégiques <strong>de</strong> la CIFRC, ainsi que ses responsables lorsqu’il était en désaccord<br />

avec eux, <strong>et</strong> peut-être plus encore une attitu<strong>de</strong> impatiente <strong>et</strong> passablement arrogante<br />

envers les Chinois qui semble avoir créé beaucoup <strong>de</strong> problèmes, lui étaient<br />

régulièrement reprochées par ses amis. Elles n’ont pu que s’ajouter au r<strong>et</strong>ournement<br />

<strong>de</strong> conjoncture dont il vient d’être question pour m<strong>et</strong>tre en péril son emploi comme<br />

ingénieur en chef à la CIFRC : dès 1930 — alors que plusieurs <strong>de</strong> ses proj<strong>et</strong>s<br />

majeurs sont en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> réalisation — quantité <strong>de</strong> correspondances nous montrent<br />

ses efforts pour trouver <strong><strong>de</strong>s</strong> financements extérieurs <strong>et</strong> sauver aussi bien son poste<br />

que son département ; <strong>et</strong> à l’en croire, l’homme qui cherchait à le faire tomber<br />

n’était autre que le secrétaire général Djang. Il est à vrai dire difficile <strong>de</strong> se faire<br />

une idée précise, mais il semble assez clair que le coût du département d’ingénierie<br />

<strong>et</strong> le « salaire d’expatrié » versé à son chef (65 % du budg<strong>et</strong> <strong>de</strong> fonctionnement du<br />

département en 1933, <strong>et</strong> en plus il voulait être augmenté !) suscitaient <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

oppositions au sein du Comité exécutif, la ligne <strong>de</strong> partage se situant plus ou moins<br />

entre Chinois <strong>et</strong> Américains : ce sont apparemment les membres chinois du Comité<br />

qui font adopter en juill<strong>et</strong> 1934 la décision <strong>de</strong> fermer le département d’ingénierie<br />

<strong>de</strong> la CIFRC <strong>et</strong> <strong>de</strong> remercier Todd. (Il travaillera cependant pendant une année <strong>de</strong><br />

plus pour la CIFRC avec <strong><strong>de</strong>s</strong> financements extérieurs.)<br />

Le rôle <strong>de</strong> Y.S. Djang dans tout cela n’est pas facile à évaluer ; mais il est peu<br />

douteux qu’il ressentait l’attitu<strong>de</strong> d’un personnage qui laissait dire, d’après un<br />

témoignage chinois, qu’il n’avait pas la stature d’un « secrétaire », tout au plus celle<br />

d’un simple commis (clerk). Tout indique par ailleurs que Djang affichait un<br />

nationalisme sans concession, jusque dans son vêtement <strong>et</strong> son style <strong>de</strong> vie, alors<br />

même que ses fonctions l’amenaient à fréquenter quotidiennement la gran<strong>de</strong><br />

bourgeoisie sino-occi<strong>de</strong>ntale, avec laquelle il était d’ailleurs parfaitement à l’aise.<br />

En présence <strong><strong>de</strong>s</strong> étrangers, si l’on en croit les souvenirs <strong>de</strong> ses proches, il ne se<br />

montrait ni humble ni hautain mais tenait à « préserver sa dignité <strong>de</strong> Chinois ».<br />

Les témoignages abon<strong>de</strong>nt également sur son intégrité, <strong>et</strong> lui-même, dans ses<br />

souvenirs sur la CIFRC publiés en 1960, insiste sur le réglementarisme très


658 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />

sourcilleux qu’il tentait non sans mal d’imposer à ses collègues étrangers. En fait,<br />

<strong>de</strong> façon très frappante si l’on se souvient que la CIFRC était supposée faire<br />

coopérer Chinois <strong>et</strong> étrangers, ces souvenirs incluent une section intitulée « la lutte<br />

avec les étrangers » (tong yangren <strong>de</strong> douzheng 同洋人的斗爭) — ces collaborateurs<br />

étrangers dont il n’a <strong>de</strong> cesse <strong>de</strong> souligner l’arrogance, la désinvolture <strong>et</strong> le complexe<br />

<strong>de</strong> supériorité <strong>et</strong> dont il explique comment il lui fallait les rem<strong>et</strong>tre à leur place, à<br />

la gran<strong>de</strong> satisfaction du personnel chinois. (Dans un épiso<strong>de</strong> au moins Todd est<br />

directement mis en cause, mais comme toujours il est difficile d’évaluer la réalité<br />

d’accusations d’ailleurs assez vagues.)<br />

Dans tout les cas, ce genre d’accusation dépasse largement le cadre <strong>de</strong> la CIFRC.<br />

L’on pourrait dire qu’on a d’abord affaire à une opposition entre <strong>de</strong>ux styles,<br />

aggravée par beaucoup <strong>de</strong> préjugés <strong>de</strong> part <strong>et</strong> d’autre, entre <strong>de</strong>ux sensibilités qui<br />

avaient du mal à cohabiter, <strong>et</strong> même à se comprendre. Mais c’est un fait que<br />

l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Todd, en particulier, ne faisait que refléter, même si c’était en la<br />

grossissant, une façon d’être en Chine extrêmement répandue chez les Occi<strong>de</strong>ntaux<br />

qui y travaillaient, même les plus dévoués dans leurs efforts pour ai<strong>de</strong>r le pays à se<br />

sortir <strong>de</strong> ses difficultés <strong>et</strong> à se mo<strong>de</strong>rniser. Comme le remarquait en son temps<br />

John K. Fairbank dans son classique The United States and China, jusqu’en 1949<br />

la relation entre les <strong>de</strong>ux pays a toujours été placée sous le signe <strong>de</strong> l’inégalité, la<br />

Chine étant le partenaire en position <strong>de</strong> faiblesse, bénéficiaire <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

philanthropie américaines. La bonne conscience américaine ne pouvait que heurter<br />

le nationalisme <strong><strong>de</strong>s</strong> Chinois, même les plus cosmopolites <strong>et</strong> les mieux disposés<br />

envers l’Occi<strong>de</strong>nt, tels les dirigeants <strong>de</strong> la CIFRC.<br />

Mais nous avons aussi voulu explorer ces relations en nous intéressant non plus<br />

aux notables occi<strong>de</strong>ntalisés, mais aux travailleurs <strong>et</strong> aux collaborateurs avec qui les<br />

ingénieurs étrangers, américains notamment, étaient en contact quotidien sur les<br />

chantiers. Là encore les nombreux articles <strong>et</strong> conférences d’O.J. Todd, ainsi qu’un<br />

certain nombre <strong>de</strong> textes conservés dans ses archives, sont une source importante<br />

car personne, semble-t-il, ne s’est exprimé <strong>de</strong> façon aussi concrète ni aussi abondante<br />

sur le fonctionnement <strong><strong>de</strong>s</strong> grands sites <strong>de</strong> <strong>travaux</strong> publics en Chine <strong>et</strong> sur la façon<br />

dont on y vivait, sans parler du fait que l’on ne trouve pour ainsi dire rien sur ce<br />

suj<strong>et</strong> en langue chinoise. (L’abondance <strong><strong>de</strong>s</strong> écrits d’O.J. Todd s’explique autant par<br />

son sens <strong>de</strong> la promotion que par le lea<strong>de</strong>rship qui lui était reconnu dans la<br />

profession en Chine <strong>et</strong> la nécessité où il était <strong>de</strong> financer son département.)<br />

En <strong>de</strong>hors <strong><strong>de</strong>s</strong> aspects purement techniques du métier, être à la tête d’un chantier<br />

en Chine comportait une gran<strong>de</strong> part <strong>de</strong> gestion financière, <strong>de</strong> négociation avec<br />

les autorités locales <strong>et</strong> les pourvoyeurs <strong>de</strong> main-d’œuvre, <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>ment <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

mobilisation, <strong>de</strong> maintien <strong>de</strong> l’ordre, <strong>de</strong> résolution <strong><strong>de</strong>s</strong> conflits, sans parler du<br />

contrôle sanitaire <strong>et</strong> <strong>de</strong> la prévention <strong><strong>de</strong>s</strong> épidémies. Avant l’apparition <strong>de</strong> l’ingénieur<br />

mo<strong>de</strong>rne la plupart <strong>de</strong> ces responsabilités étaient assumées par <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctionnaires<br />

impériaux ; mais dans le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> ingénieurs étrangers travaillant en Chine à l’époque<br />

républicaine elles posaient <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes particuliers puisqu’elles supposaient une


HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 659<br />

interaction directe <strong>et</strong> quotidienne avec <strong><strong>de</strong>s</strong> cadres <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> travailleurs appartenant à<br />

une autre culture, n’ayant pas les mêmes traditions professionnelles ni le même<br />

rapport au travail, <strong>et</strong> ne parlant pas la même langue. Or, l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> traits distinctifs<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> grands chantiers en Chine (jusque très récemment) était la masse considérable<br />

<strong>de</strong> travailleurs non qualifiés qu’il fallait conduire à la manœuvre, s’expliquant par<br />

le niveau très faible <strong>de</strong> mécanisation <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations <strong>de</strong> construction <strong>et</strong> <strong>de</strong> transport<br />

<strong>et</strong> le coût extrêmement bas <strong>de</strong> la main-d’œuvre, surtout sur <strong><strong>de</strong>s</strong> chantiers, comme<br />

ceux <strong>de</strong> la CIFRC, basés sur le principe <strong><strong>de</strong>s</strong> se<strong>cours</strong> en échange <strong>de</strong> travail <strong>et</strong> où<br />

l’on payait les travailleurs en rations calculées d’après le minimum vital.<br />

Même si la con<strong><strong>de</strong>s</strong>cendance pointe toujours, les étrangers dont nous avons les<br />

témoignages, surtout les Américains, affichent en général une certaine sympathie,<br />

voire même une réelle admiration pour la dur<strong>et</strong>é à la tâche, l’ingéniosité <strong>et</strong> la<br />

bonne humeur <strong>de</strong> ceux qu’on appelait les « coolies », autrement dit les paysans qui<br />

constituaient l’essentiel <strong>de</strong> la force <strong>de</strong> travail. (Il est intéressant <strong>de</strong> noter que le mot<br />

« coolie », qui appartenait au jargon colonial <strong>de</strong> l’époque <strong>et</strong> n’a pas ici <strong>de</strong> connotation<br />

particulièrement péjorative, était parfois employé, notamment par les ingénieurs<br />

chinois s’exprimant en anglais à propos <strong>de</strong> leurs compatriotes, pour signifier<br />

« rétrogra<strong>de</strong> », voire « stupi<strong>de</strong> ».)<br />

Mais ces « coolies » constituaient malgré tout une masse dont il était essentiel <strong>de</strong><br />

gar<strong>de</strong>r le contrôle <strong>et</strong> qui pouvait <strong>de</strong>venir rétive, dangereuse même, en tout cas<br />

prompte à écouter toutes les rumeurs, <strong>et</strong> qu’il fallait savoir manipuler <strong>et</strong> discipliner<br />

pour ne pas se laisser débor<strong>de</strong>r. Quels que fussent les sentiments <strong>de</strong> sympathie<br />

occasionnellement exprimés par les ingénieurs occi<strong>de</strong>ntaux travaillant dans l’intérieur<br />

du pays ou par les militants <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes philanthropiques, dont l’ouverture <strong>et</strong> le<br />

dévouement au progrès <strong>de</strong> la Chine ne sauraient être mis en question, dès lors qu’ils<br />

rencontraient une difficulté ou se heurtaient à <strong><strong>de</strong>s</strong> manières d’être ou <strong>de</strong> faire qui ne<br />

répondaient pas à leurs attentes ils étaient prompts à exprimer leur impatience ou<br />

leur inconfort sous la forme <strong>de</strong> clichés sur les Chinois renvoyant aux préjugés les plus<br />

répandus dans la société <strong><strong>de</strong>s</strong> expatriés <strong>de</strong> Shanghai ou d’ailleurs.<br />

Il est évi<strong>de</strong>mment impossible <strong>de</strong> généraliser. L’aptitu<strong>de</strong> à communiquer en<br />

chinois faisait certainement une différence. Todd, dont les capacités <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong><br />

vue semblent être toujours restées très limitées malgré ses quelque vingt années en<br />

Chine, remarque à plusieurs reprises que les missionnaires, surtout ceux <strong>de</strong><br />

l’intérieur, qui ont beaucoup assisté la CIFRC <strong>et</strong> avant elle la Croix-rouge américaine<br />

dans leurs entreprises <strong>de</strong> <strong>travaux</strong> publics, doivent à leur relation aux gens ordinaires<br />

<strong>et</strong> à leur connaissance <strong>de</strong> la langue un contact beaucoup plus direct, <strong>et</strong> sans doute<br />

moins problématique, avec leurs interlocuteurs chinois, <strong>et</strong> qu’ils sont souvent les<br />

plus efficaces lorsqu’il s’agit <strong>de</strong> recruter <strong><strong>de</strong>s</strong> travailleurs ou <strong>de</strong> négocier avec les chefs<br />

d’équipe <strong>et</strong> les fournisseurs.<br />

Sans doute faut-il aussi tenir compte <strong>de</strong> ce qu’on pourrait appeler l’« exception<br />

américaine ». Dans la Chine <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1920 <strong>et</strong> 1930 l’Amérique était n<strong>et</strong>tement<br />

mieux perçue que les autres puissances, notamment la Gran<strong>de</strong>-Br<strong>et</strong>agne, qui <strong>de</strong>puis


660 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />

la guerre <strong>de</strong> l’Opium était l’incarnation par excellence <strong>de</strong> l’impérialisme <strong>et</strong> l’est<br />

restée jusqu’à la guerre du Pacifique (la diabolisation <strong>de</strong> l’impérialisme américain<br />

date <strong>de</strong> la guerre froi<strong>de</strong>). En dépit <strong>de</strong> leur participation active au système <strong><strong>de</strong>s</strong> traités<br />

<strong>et</strong> à l’invasion économique <strong>de</strong> la Chine les États-Unis ont toujours prétendu à la<br />

neutralité <strong>et</strong> se sont faits les champions <strong>de</strong> la politique <strong>de</strong> la porte ouverte, excluant<br />

toute conquête territoriale. Il existait en outre aux État-Unis un fort courant <strong>de</strong><br />

sympathie à l’égard <strong>de</strong> la Chine, encouragé par les missions protestantes à l’origine<br />

<strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> tradition américaine d’intervention humanitaire dans ce pays,<br />

également par la présence nombreuse <strong>de</strong> boursiers chinois dans les universités<br />

américaines, dont beaucoup étaient financés sur les fonds payés au titre <strong>de</strong><br />

l’« in<strong>de</strong>mnité boxeurs » <strong>et</strong> réaffectés au développement <strong>de</strong> l’éducation en Chine.<br />

Enfin, la capitulation du gouvernement Wilson <strong>de</strong>vant les exigences japonaises au<br />

moment du traité <strong>de</strong> Versailles en 1919 avait provoqué une vague d’indignation<br />

dans l’opinion publique américaine <strong>et</strong> ce que certains n’ont pas hésité à appeler un<br />

sentiment <strong>de</strong> culpabilité à l’égard <strong>de</strong> la Chine. Par là s’explique la réponse<br />

enthousiaste du public américain aux appels pour secourir les victimes <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong><br />

famine <strong>de</strong> 1920-1921 — les organisations charitables américaines ont alors déversé<br />

sur la Chine <strong><strong>de</strong>s</strong> millions <strong>de</strong> dollars —, <strong>et</strong> en général sa promptitu<strong>de</strong> à répondre<br />

aux sollicitations répétées <strong><strong>de</strong>s</strong> nombreuses entreprises philanthropiques actives<br />

pendant toute c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> : la CIFRC, qui était fondamentalement une entreprise<br />

sino-américaine, en est un <strong><strong>de</strong>s</strong> meilleurs exemples. L’Amérique en r<strong>et</strong>irait une réelle<br />

popularité, jusque dans <strong><strong>de</strong>s</strong> régions aussi reculées que le Shaanxi ou le Gansu, <strong>et</strong><br />

ses ressortissants en tiraient d’incontestables avantages aussi bien moraux que<br />

commerciaux.<br />

Beaucoup d’Américains en Chine non seulement rêvaient d’établir une « relation<br />

spéciale » entre la Chine <strong>et</strong> l’Amérique, mais encore se sentaient investis d’une<br />

mission. Les ingénieurs auxquels nous nous intéressons se qualifient volontiers<br />

d’« ingénieurs-missionnaires » : leur vocation est non seulement d’équiper la Chine<br />

pour la sortir du sous-développement, mais encore, <strong>et</strong> surtout, <strong>de</strong> former une élite<br />

<strong>de</strong> cadres <strong>et</strong> <strong>de</strong> techniciens compétents, cela va sans dire, mais aussi imbus <strong>de</strong><br />

valeurs typiquement américaines telles que le dévouement, l’intégrité, l’esprit<br />

d’équipe, <strong>et</strong>c., car ce sont en fin <strong>de</strong> compte ces gens-là qui sauveront la Chine. Or,<br />

nos ingénieurs-missionnaires semblent considérer qu’il reste encore beaucoup à<br />

faire <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue. À les en croire, contrairement aux sympathiques coolies<br />

les membres plus favorisés <strong>de</strong> la société ont tendance à être paresseux, jouisseurs,<br />

corrompus, truqueurs, dénués <strong>de</strong> « morale nationale », <strong>et</strong> incapables <strong>de</strong> coopérer à<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> entreprises communes : tout cela, c’est un problème <strong>de</strong> civilisation <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

« coutumes ». Plus proche <strong>de</strong> notre suj<strong>et</strong>, nombre d’auteurs déplorent chez une<br />

majorité d’ingénieurs chinois, en particulier les jeunes, une tendance à considérer<br />

que le travail manuel est indigne d’eux — d’aucuns y voient un eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> la tradition<br />

mandarinale — <strong>et</strong> un faible intérêt pour le travail pratique : ils préfèrent le bureau<br />

au terrain <strong>et</strong> le confort <strong>de</strong> la ville aux rigueurs d’un exil <strong>de</strong> plusieurs mois dans une<br />

région isolée, voire dangereuse. Les « r<strong>et</strong>ours <strong>de</strong> l’étranger », qui ont reçu une


HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 661<br />

formation théorique <strong>de</strong> haut niveau <strong>et</strong> sont particulièrement soucieux <strong>de</strong> promotion<br />

sociale, semblent les plus exposés à ces faiblesses. On regr<strong>et</strong>te aussi, surtout au<br />

début <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1920, que les jeunes ingénieurs formés en Chine manquent trop<br />

souvent d’initiative, <strong>de</strong> créativité, <strong>et</strong> d’autorité sur le terrain.<br />

Telle est donc la « mission » que s’assignent Todd <strong>et</strong> ses collègues : enseigner par<br />

l’exemple à la jeune génération <strong><strong>de</strong>s</strong> ingénieurs chinois les vertus du contact avec<br />

les réalités physiques <strong>et</strong> sociales du terrain <strong>et</strong> la valeur du lea<strong>de</strong>rship <strong>et</strong> du management<br />

à l’américaine. Ce que sont d’ailleurs incapables <strong>de</strong> leur inculquer, d’après eux, les<br />

ingénieurs européens envoyés par la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations, avec lesquels ils<br />

entr<strong>et</strong>iendront une polémique assez violente au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1930 : à ces<br />

« ingénieurs en chambre » ils opposent les « ingénieurs en bras <strong>de</strong> chemise qui<br />

connaissent la Chine <strong>et</strong> ses rivières » — c’est-à-dire eux-mêmes, que leur familiarité<br />

avec les problèmes <strong>de</strong> rivières « longues <strong>et</strong> boueuses » comme le Mississipi ou le<br />

Colorado rend particulièrement aptes à travailler sur le fleuve Jaune ou le Yangzi.<br />

Ils se reconnaissent d’ailleurs <strong><strong>de</strong>s</strong> alliés sur place, qui partagent les mêmes valeurs<br />

professionnelles <strong>et</strong> dont les sources montrent qu’ils les considèrent comme leurs<br />

égaux, d’autant que la plupart ont été formés dans les mêmes universités qu’eux :<br />

Li Yizhi est l’exemple type <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te élite d’ingénieurs civils chinois chevronnés qui<br />

dans les années 1930 vont être appelés à concevoir <strong>et</strong> diriger les grands proj<strong>et</strong>s du<br />

gouvernement nationaliste. (Beaucoup sont membres <strong>de</strong> l’Association of Chinese<br />

and American Engineers, basée à Pékin, à laquelle nous avons consacré un exposé<br />

lors du séminaire mentionné ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous.)<br />

Outre le personnel <strong><strong>de</strong>s</strong> chantiers <strong>et</strong> les jeunes collègues chinois qui les assistaient,<br />

les ingénieurs occi<strong>de</strong>ntaux en charge <strong>de</strong> grands proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong>vaient en permanence<br />

négocier avec les autorités locales, sans la collaboration ou au moins la neutralité<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>quelles la conduite d’un chantier en pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> famine, bien souvent dans une<br />

région reculée <strong>et</strong> dangereuse, <strong>de</strong>venait extrêmement difficile. Seuls les « magistrats »<br />

responsables <strong><strong>de</strong>s</strong> districts disposaient <strong>de</strong> l’usage <strong>de</strong> la force, quand ils voulaient<br />

bien s’en servir (ou la facturer) pour protéger les chantiers contre les attaques <strong>de</strong><br />

bandits poussés par la misère, par la perspective <strong>de</strong> la récolte d’opium en train<br />

d’être mise sur le marché, ou simplement parce que c’était le jour <strong>de</strong> la paye —<br />

nous en avons cité plusieurs exemples. De la même façon, la garantie <strong>de</strong> prix<br />

acceptables <strong>et</strong> prévisibles pour les approvisionnements <strong>et</strong> les fournitures ainsi que<br />

l’établissement d’une norme officielle pour les poids <strong>et</strong> mesures <strong>et</strong> pour les<br />

rémunérations, seul moyen <strong>de</strong> décourager les contestations, rien <strong>de</strong> cela n’était<br />

concevable indépendamment du contexte administratif <strong>et</strong> politique dans lequel se<br />

déroulaient les <strong>travaux</strong>. Or, pendant les <strong>de</strong>ux premières décennies <strong>de</strong> la République<br />

(<strong>et</strong> au-<strong>de</strong>là) ce contexte était souvent chaotique, à tout le moins dominé par les<br />

impératifs militaires <strong>et</strong> fiscaux <strong>de</strong> gouvernements provinciaux i<strong>de</strong>ntifiés peu ou<br />

prou avec les seigneurs <strong>de</strong> la guerre, si bien que du point <strong>de</strong> vue <strong><strong>de</strong>s</strong> pouvoirs<br />

locaux les grands <strong>travaux</strong> philanthropiques risquaient d’être une occasion <strong>de</strong><br />

squeeze autant que <strong>de</strong> coopération pour le bien <strong><strong>de</strong>s</strong> populations. De même, <strong>et</strong> c’est<br />

un point important, fallait-il s’entendre avec les pouvoirs locaux <strong>et</strong> provinciaux


662 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />

pour qu’ils évaluent les emprises à exproprier (right-of-way) <strong>et</strong>, surtout, qu’ils les<br />

in<strong>de</strong>mnisent, ce que les associations philanthropiques qui ouvraient les chantiers<br />

se refusaient à faire. Il y avait là une source constante <strong>de</strong> difficultés, <strong>de</strong> trafic<br />

d’influence <strong>et</strong> <strong>de</strong> mécontentement.<br />

Il était donc indispensable que la CIFRC (ou tout autre organisme comparable)<br />

établisse <strong><strong>de</strong>s</strong> relations <strong>de</strong> confiance avec les différentes autorités <strong>de</strong> la région, <strong>et</strong> que<br />

celles-ci s’investissent dans la réussite <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> entrepris <strong>et</strong> démontrent leur<br />

volonté <strong>de</strong> coopération. Nous sommes revenu vers le Shaanxi <strong>et</strong> les chantiers dont<br />

nous avons déjà maintes fois parlé pour examiner la situation <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue.<br />

Dans la mesure où le Weibei <strong>et</strong> la route Silan étaient <strong><strong>de</strong>s</strong> proj<strong>et</strong>s en coopération<br />

entre la CIFRC <strong>et</strong> le gouvernement provincial, celui-ci était évi<strong>de</strong>mment intéressé à<br />

leur réussite <strong>et</strong> donc à maintenir <strong>de</strong> bonnes relations avec la CIFRC <strong>et</strong> ses<br />

représentants sur place. Bien que les sources officielles évoquent une collaboration<br />

sans nuages, ces relations s’avèrent avoir été parfois assez compliquées, probablement<br />

plus que même les sources privées ne veulent bien le dire. C’est ce que suggèrent en<br />

tout cas <strong>de</strong>ux inci<strong>de</strong>nts révélateurs <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions socio-politiques extrêmement<br />

difficiles dans lesquelles s’est enclenché le cycle <strong>de</strong> développement du Guanzhong.<br />

Au moment <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> pouvoir <strong><strong>de</strong>s</strong> nationalistes à Xi’an fin 1930 le r<strong>et</strong>our à<br />

l’ordre <strong>et</strong> l’éradication du banditisme avaient été proclamés comme une priorité<br />

absolue, car c’était à ce prix seulement qu’on pouvait espérer attirer <strong>de</strong> nouveau la<br />

philanthropie dans la région <strong>et</strong> impulser enfin le développement économique. Or,<br />

les inci<strong>de</strong>nts en question montrent que <strong>de</strong>ux ou trois ans plus tard le gouvernement<br />

<strong>de</strong> la province n’était pas toujours en mesure d’assurer la sécurité d’experts étrangers<br />

travaillant avec un organisme philanthropique sous contrat avec lui, même à quelques<br />

kilomètres <strong>de</strong> Xi’an, <strong>et</strong> qu’en outre son attitu<strong>de</strong> n’était pas toujours très claire.<br />

La première affaire survient très peu <strong>de</strong> temps après la mise en service <strong>de</strong> la<br />

première tranche du canal Jinghui en juin 1932. Jusque-là les relations entre la<br />

CIFRC <strong>et</strong> les autorités <strong>de</strong> Xi’an (à commencer par le bureau d’hydraulique dirigé<br />

par Li Yizhi) avaient été dans l’ensemble harmonieuses en dépit <strong>de</strong> quelques<br />

problèmes techniques ou financiers, vite oubliés dans l’enthousiasme <strong><strong>de</strong>s</strong> cérémonies<br />

d’inauguration. Surtout, le chantier du Weibei était resté une oasis <strong>de</strong> sécurité au<br />

milieu d’un environnement où le banditisme restait endémique : en eff<strong>et</strong> le proj<strong>et</strong><br />

était populaire, <strong>et</strong> en outre, à en croire certaines sources, une partie <strong><strong>de</strong>s</strong> « bandits<br />

locaux » (tufei) travaillaient en fait sur le chantier. Mais ces relations vont <strong>de</strong>venir<br />

extrêmement tendues après le meurtre d’un missionnaire suédois travaillant pour<br />

la CIFRC comme responsable administratif du chantier <strong>de</strong> la route Silan, un<br />

certain Tornvall, en compagnie <strong>de</strong> trois autres personnes alors qu’ils circulaient en<br />

voiture aux abords <strong>de</strong> Xi’an. Les agresseurs sont <strong><strong>de</strong>s</strong> soldats <strong>de</strong> l’armée régulière,<br />

les voitures ont été volées <strong>et</strong> les corps ne seront jamais r<strong>et</strong>rouvés.<br />

C<strong>et</strong> inci<strong>de</strong>nt, considéré par Todd <strong>et</strong> les autorités <strong>de</strong> la CIFRC comme un crime<br />

crapuleux <strong>et</strong> un grand scandale, dont les autorités <strong>de</strong> Xi’an auront à répondre <strong>et</strong><br />

pour lequel elles <strong>de</strong>vront payer <strong><strong>de</strong>s</strong> dédommagements, a en réalité tout <strong>de</strong> la


HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 663<br />

ténébreuse affaire. Deux sources chinoises indépendantes l’une <strong>de</strong> l’autre suggèrent<br />

que les victimes n’étaient peut-être pas entièrement innocentes, que Tornvall<br />

cherchait à sortir <strong>de</strong> la province une somme importante en dollars d’argent à un<br />

moment où c’était prohibé, <strong>et</strong> qu’un <strong>de</strong> ses compagnons <strong>de</strong> route, un Japonais,<br />

était un espion. Les sources évoquent aussi un obscur trafic <strong>de</strong> voitures non encore<br />

payées (<strong>de</strong> tels trafics étaient fréquents dans le Far-West chinois à l’époque, <strong>et</strong> l’une<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> victimes <strong>de</strong> l’inci<strong>de</strong>nt était un représentant américain <strong><strong>de</strong>s</strong> automobiles Ford en<br />

tournée dans la région) : il n’est nullement exclu qu’un contrôle militaire près <strong>de</strong><br />

Xi’an, peut-être basé sur <strong><strong>de</strong>s</strong> informations reçues, ait mal tourné <strong>et</strong> qu’une grosse<br />

bavure ait ensuite été camouflée en crime, les responsables étant par ailleurs<br />

couverts par leurs chefs <strong>et</strong> par les autorités (le gouverneur du Shaanxi, Yang<br />

Hucheng, était également chef <strong><strong>de</strong>s</strong> armées <strong>et</strong> le détachement incriminé dépendait<br />

d’un <strong>de</strong> ses proches lieutenants, le général Sun Weiru 孫蔚如). D’après les souvenirs<br />

en général très bien informés d’un proche <strong>de</strong> Yang Hucheng, un nommé Li<br />

Zhigang 李志剛, les voyageurs étaient en fait <strong><strong>de</strong>s</strong> espions recrutés par leur<br />

compagnon japonais <strong>et</strong> Yang Hucheng les aurait fait délibérément exécuter par ses<br />

troupes, suscitant un grave problème avec Chiang Kai-shek <strong>et</strong> <strong>de</strong> très vives pressions<br />

(attestées par ailleurs) <strong>de</strong> la part <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> concernées. Enfin, une allusion<br />

dans une l<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> J.E. Baker — un expert américain proche <strong>de</strong> la CIFRC, présent<br />

au Shaanxi pendant la famine <strong>de</strong> 1930 — suggère une sombre affaire <strong>de</strong><br />

détournements <strong>de</strong> fonds <strong>et</strong> laisse entendre que Tornvall aurait pu être dénoncé par<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> personnes appartenant au comité provincial <strong>de</strong> la CIFRC.<br />

On discerne <strong>de</strong> toute façon <strong>de</strong>rrière l’inci<strong>de</strong>nt tout un arrière-plan <strong>de</strong> manœuvres,<br />

<strong>de</strong> tractations <strong>et</strong> d’initiatives dont il est difficile <strong>de</strong> savoir ce que connaissaient<br />

exactement Todd <strong>et</strong> ses collègues lorsqu’ils sont venus sur place pour enquêter <strong>et</strong><br />

exiger <strong><strong>de</strong>s</strong> réparations : même dans leurs correspondances privées on soupçonne<br />

beaucoup <strong>de</strong> non-dit. Pour un temps les relations entre la CIFRC <strong>et</strong> l’administration<br />

<strong>de</strong> Yang Hucheng vont <strong>de</strong>venir exécrables. Les ingénieurs <strong>de</strong> la CIFRC sont r<strong>et</strong>irés<br />

du terrain <strong>et</strong> les chantiers en <strong>cours</strong> sont arrêtés. Ils reprendront quelques mois plus<br />

tard (début 1933) après le versement <strong>de</strong> compensations, même jugées insuffisantes,<br />

par le gouvernement du Shaanxi : il eût été dans tous les cas embarrassant <strong>de</strong> laisser<br />

en friche <strong><strong>de</strong>s</strong> proj<strong>et</strong>s proches <strong>de</strong> la finition (la route Silan était réalisée à 70 %),<br />

déjà financés, <strong>et</strong> dont on attendait beaucoup en termes <strong>de</strong> développement<br />

économique <strong>et</strong>, précisément, <strong>de</strong> sécurité.<br />

C’est alors qu’éclate la secon<strong>de</strong> affaire, qui fera plus <strong>de</strong> bruit encore : le kidnapping<br />

<strong>de</strong> l’ingénieur Eliassen, un employé <strong>de</strong> la CIFRC qui avait dirigé le chantier du<br />

canal Jinghui, par un parti <strong>de</strong> bandits sur le site même du canal où il était r<strong>et</strong>ourné<br />

pour inspecter l’état <strong><strong>de</strong>s</strong> installations, en avril 1933. Eliassen <strong>et</strong> son compagnon <strong>de</strong><br />

captivité, un assistant ingénieur nommé Henry S. Chuan, réussissent à s’échapper<br />

séparément après avoir été promenés pendant une vingtaine <strong>de</strong> jours <strong>de</strong> cache en<br />

cache dans les collines escarpées qui surplombent le site au nord, <strong>et</strong> avant que la<br />

rançon qui avait été négociée par les autorités n’ait été versée. (Henry Chuan, ou<br />

Quan Shaozhou, qui était cousin d’un <strong><strong>de</strong>s</strong> dirigeants <strong>de</strong> la CIFRC, va s’avérer au


664 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />

<strong>cours</strong> d’un épilogue assez divertissant avoir escroqué les fonds supposés avoir payé<br />

sa propre libération <strong>et</strong> se conduire <strong>de</strong> manière quelque peu paranoïaque une fois<br />

démasqué <strong>et</strong> expulsé <strong>de</strong> l’organisation.) Par <strong>de</strong>là ses aspects rocambolesques, qu’on<br />

peut reconstituer à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> archives Todd — lesquelles confirment presque point<br />

par point la version romancée publiée vingt ans plus tard par Eliassen sous le titre<br />

Dragon Wang’s River —, l’affaire est à plusieurs égards révélatrice <strong>de</strong> la situation qui<br />

régnait alors dans la région. Il y a d’abord ce détail inattendu, que les bandits locaux<br />

qui se sont emparés d’Eliassen <strong>et</strong> Chuan s’étaient alliés avec un groupe <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong><br />

communiste venu du nord <strong>de</strong> la province, alors qu’on n’aurait pas soupçonné que<br />

les guérillas communistes <strong>de</strong> la région soient à c<strong>et</strong>te date capables d’agir, même<br />

clan<strong><strong>de</strong>s</strong>tinement, si près <strong>de</strong> la capitale du Shaanxi. (Il semble y avoir eu à peu près<br />

à la même époque une tentative avortée pour créer un sovi<strong>et</strong> rural dans le nord <strong>de</strong><br />

la région du Weibei.) Mais les communistes, dont les chefs semblent fort cultivés<br />

politiquement, se font manipuler par leurs contacts locaux <strong>et</strong> quittent assez vite la<br />

scène, non sans avoir dénoncé <strong>de</strong>vant Eliassen la collaboration <strong>de</strong> la CIFRC avec<br />

l’impérialisme <strong>et</strong> son exploitation éhontée <strong><strong>de</strong>s</strong> travailleurs sur ses chantiers, autant<br />

<strong>de</strong> thèmes qu’on trouve formulés ailleurs dans la littérature du Parti à l’époque.<br />

Le plus remarquable est l’osmose entre bandits, paysans, soldats <strong>et</strong> travailleurs du<br />

chantier : tout le mon<strong>de</strong> se connaît <strong>et</strong> l’on passe sans difficulté d’un groupe à l’autre.<br />

Lorsque les récoltes sont mauvaises <strong>et</strong> que c’est la dis<strong>et</strong>te — comme c’est alors le cas<br />

dans la région —, les rangs <strong><strong>de</strong>s</strong> bandits grossissent rapi<strong>de</strong>ment. C<strong>et</strong>te écologie<br />

dangereuse semble surtout caractéristique <strong>de</strong> la région dite du « plateau », dominant<br />

le par<strong>cours</strong> du canal Jinghui, qui ne bénéficie pas <strong>de</strong> l’irrigation alors que ses habitants<br />

avaient mis <strong>de</strong> grands espoirs dans les proj<strong>et</strong>s formulés par Li Yizhi <strong>et</strong> d’autres <strong>de</strong>puis<br />

les années 1920. C’est <strong>de</strong> ce « bandit-land » que vient le chef <strong><strong>de</strong>s</strong> hors-la-loi, un certain<br />

Miao Jiaxiang, qui lui aussi semble avoir multiplié les états — ancien officier <strong>de</strong><br />

l’armée régulière, ancien agent du bureau d’irrigation du Shaanxi <strong>et</strong> responsable <strong>de</strong> la<br />

paye sur le chantier du Weibei, chef <strong>de</strong> l’association <strong><strong>de</strong>s</strong> paysans du Weibei-Ouest, <strong>et</strong><br />

à présent lea<strong>de</strong>r <strong><strong>de</strong>s</strong> paysans passés au banditisme —, que tout le mon<strong>de</strong> connaît <strong>et</strong><br />

auquel tout le mon<strong>de</strong> s’adresse pour négocier (Li Yizhi notamment). Comme le note<br />

Eliassen lui-même, après une douzaine d’années <strong>de</strong> famine <strong>et</strong> <strong>de</strong> combats dans tout le<br />

Guanzhong le banditisme <strong>et</strong> la violence restent le moyen <strong>de</strong> survie le mieux adapté<br />

pour les habitants <strong>de</strong> ces piémonts particulièrement misérables.<br />

On voit en fait se <strong><strong>de</strong>s</strong>siner une dichotomie croissante entre ces terrasses<br />

inaccessibles à l’irrigation, où la seule eau disponible est celle qui tombe du ciel<br />

— <strong>et</strong> l’année 1933 a été catastrophique <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue —, <strong>et</strong> la plaine<br />

immédiatement en <strong><strong>de</strong>s</strong>sous, dont le développement est en train <strong>de</strong> s’amorcer grâce<br />

au système hydraulique du Weibei en <strong>cours</strong> d’achèvement <strong>et</strong> où la valeur <strong>de</strong> la terre<br />

augmente corrélativement. Les paysans <strong>de</strong> la plaine, encouragés semble-t-il par<br />

Li Yizhi en personne, tentent d’intervenir pour faire libérer les prisonniers en<br />

manifestant <strong>et</strong> en pétitionnant dans les villages du plateau : beaucoup profitent<br />

déjà <strong>de</strong> l’irrigation, mais la CIFRC a menacé <strong>de</strong> ne pas terminer le chantier <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

r<strong>et</strong>irer ses financements. Son ambition, <strong>et</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> technocrates locaux dont


HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 665<br />

Li Yizhi est le mentor respecté, est à terme d’enclencher un cycle <strong>de</strong> prospérité <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> sécurité économique qui profite à toute la région <strong>et</strong> conduise par là-même à<br />

l’extinction du banditisme. Or, si au moment <strong>de</strong> l’enlèvement d’Eliassen au<br />

printemps 1933 <strong><strong>de</strong>s</strong> progrès importants ont été accomplis au regard <strong>de</strong> la situation<br />

qui prévalait à la fin <strong>de</strong> 1930, la situation reste précaire <strong>et</strong> il suffit d’un r<strong>et</strong>our <strong>de</strong><br />

sécheresse pour que l’insécurité re<strong>de</strong>vienne un problème majeur.<br />

On découvre aussi que la construction du canal Jinghui n’a pas fait que <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

heureux. Si Todd ou Eliassen ten<strong>de</strong>nt à donner une vision un peu idyllique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

relations entre direction <strong>et</strong> travailleurs sur leurs chantiers (l’on ne dispose d’aucun<br />

témoignage chinois là-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus), il existe quand même <strong><strong>de</strong>s</strong> indices suggérant que les<br />

choses ne se passaient pas toujours sans tensions, frustrations <strong>et</strong> contestations du<br />

côté <strong>de</strong> la force <strong>de</strong> travail, <strong>et</strong> qu’aussi bien la CIFRC que le bureau d’hydraulique<br />

du Shaanxi, responsable <strong>de</strong> la partie aval du chantier, n’évitaient pas toujours <strong>de</strong><br />

recourir à la coercition. Il y avait en outre, parmi les mécontents, tous ceux dont<br />

la vie quotidienne avait été bouleversée par c<strong>et</strong> immense chantier, notamment les<br />

propriétaires qui avaient été expropriés <strong>de</strong> tout ou partie <strong>de</strong> leur patrimoine.<br />

Plusieurs témoignages d’ingénieurs étrangers travaillant en Chine montrent qu’à<br />

c<strong>et</strong>te époque les problèmes d’expropriation <strong>et</strong> d’in<strong>de</strong>mnisation étaient loin d’avoir<br />

été résolus, même si les dispositions légales existaient, <strong>et</strong> à leurs yeux c’était là un<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> principaux obstacles à une politique efficace d’infrastructures : partout sont<br />

dénoncées la mauvaise volonté <strong><strong>de</strong>s</strong> autorités à verser les in<strong>de</strong>mnisations promises,<br />

ainsi que les manœuvres <strong><strong>de</strong>s</strong> gens influents pour éviter d’être expropriés <strong>de</strong> terrains<br />

avantageusement situés ou <strong>de</strong> cim<strong>et</strong>ières familiaux, <strong>et</strong> ce en toute ignorance <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

contraintes techniques. (Les ingénieurs chinois semblent parfois plus sensibles à ces<br />

impératifs religieux ou sociaux que leurs collègues occi<strong>de</strong>ntaux considèrent comme<br />

injustifiables.) Le proj<strong>et</strong> du Weibei n’a pas échappé à ces problèmes, <strong>et</strong> apparemment<br />

Eliassen était tenu responsable par certains <strong>de</strong> ses ravisseurs du non remboursement<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> terres expropriées, alors qu’il s’agissait contractuellement d’une responsabilité<br />

du gouvernement <strong>de</strong> la province <strong>et</strong> qu’il n’avait rien à y voir ; <strong>et</strong> Todd se plaint en<br />

eff<strong>et</strong> dans une l<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> ce que la plus gran<strong>de</strong> partie <strong><strong>de</strong>s</strong> terres expropriées pour le<br />

canal Jinghui n’a jamais été remboursée. Ce qu’il ne dit pas, mais qu’il sait<br />

certainement — ne serait-ce que par son ami Li Yizhi, qui a toujours été aux côtés<br />

<strong>de</strong> la CIFRC dans ses démêlés avec le gouvernement du Shaanxi —, c’est que pour<br />

toutes sortes <strong>de</strong> raisons, militaires notamment, ce gouvernement qu’il accuse d’être<br />

mauvais payeur pour tout, y compris les salaires <strong>de</strong> ses propres ingénieurs, est alors<br />

dans une situation financière proche <strong>de</strong> la banqueroute.<br />

Pendant la captivité d’Eliassen <strong>et</strong> dans les semaines qui suivent, l’embarras <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

autorités provinciales du Shaanxi est extrême <strong>et</strong> le ton adopté par Todd, qui s’est<br />

autoproclamé négociateur au nom <strong>de</strong> la CIFRC, se fait particulièrement agressif.<br />

(L’un <strong>de</strong> ses thèmes favoris à ce moment est d’opposer l’anarchie <strong>et</strong> l’arriération<br />

qui règnent au Shaanxi à la sécurité <strong>et</strong> à l’attitu<strong>de</strong> coopérative <strong><strong>de</strong>s</strong> autorités dans<br />

la province voisine du Shanxi, placée sous la houl<strong>et</strong>te <strong>de</strong> son inamovible « gouverneur<br />

modèle », Yan Xishan 閻錫山, pour le compte <strong>de</strong> qui Todd conduit un programme


666 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />

d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en vue d’édifier divers ouvrages d’hydraulique.) Les choses changent<br />

notablement quelques mois plus tard lorsque c’est au tour <strong>de</strong> la CIFRC d’être<br />

embarrassée par les détournements <strong>de</strong> fonds publics <strong>de</strong> son employé Henry Chuan ;<br />

mais elles changent aussi parce qu’entre temps Yang Hucheng, victime, entre autres<br />

choses, <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires précé<strong>de</strong>mment évoquées, a été démis <strong>de</strong> ses fonctions <strong>de</strong><br />

prési<strong>de</strong>nt du Shaanxi (il reste commandant <strong><strong>de</strong>s</strong> troupes <strong>de</strong> la province) <strong>et</strong> remplacé<br />

par un proche <strong>de</strong> Chiang Kai-shek, Shao Lizi 邵力子 (1882-1967), qui conservera<br />

le poste jusqu’à la fin 1936.<br />

Le personnage <strong>de</strong> Shao Lizi est d’autant plus difficile à cerner qu’il a été récupéré<br />

comme « patriote » <strong>et</strong> compagnon <strong>de</strong> route, voire comme crypto-communiste, par<br />

l’historiographie officielle — ses sympathies <strong>de</strong> gauche étaient en eff<strong>et</strong> connues <strong>et</strong><br />

en 1949 il est passé sans états d’âme du côté du nouveau régime —, si bien que<br />

les quelques <strong>travaux</strong> qui lui ont été consacrés versent systématiquement dans<br />

l’hagiographie <strong>et</strong> sont inutilisables. (Les récentes élucubrations sur son statut <strong>de</strong><br />

« taupe communiste » dans un ouvrage à succès sur Mao Zedong ne valent guère<br />

mieux.) Mais tous les témoignages que nous avons cités s’accor<strong>de</strong>nt sur son<br />

intelligence, son intégrité <strong>et</strong> son urbanité, ainsi que son empressement à rencontrer<br />

les étrangers <strong>de</strong> passage : pour ces <strong>de</strong>rniers en tout cas le contraste <strong>de</strong>vait être assez<br />

fort avec le général <strong>et</strong> ex-chef <strong>de</strong> bandits Yang Hucheng, avec qui d’ailleurs Shao<br />

Lizi a conservé d’excellentes relations dans les années suivantes.<br />

Shao Lizi semble avoir œuvré avec une certaine efficacité pour sortir la province<br />

<strong>de</strong> l’arriération. Il est vrai qu’il recueillait le fruit <strong><strong>de</strong>s</strong> efforts accomplis <strong>de</strong>puis 1930,<br />

si incompl<strong>et</strong>s aient-ils été, <strong>et</strong> qu’il bénéficiait d’un environnement politique <strong>et</strong><br />

économique beaucoup plus favorable que son prédécesseur. Les politiques <strong>de</strong><br />

développement menées au Shaanxi sous son égi<strong>de</strong> doivent en eff<strong>et</strong> être replacées<br />

dans le cadre plus général <strong><strong>de</strong>s</strong> efforts d’édification d’un État <strong>et</strong> d’une économie<br />

mo<strong>de</strong>rnes entrepris par le régime nationaliste à partir du début <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1930, <strong>de</strong><br />

façon beaucoup plus systématique <strong>et</strong> organisée qu’avant. Des proj<strong>et</strong>s forts <strong>de</strong> réforme<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> reconstruction avaient été lancés dès l’installation du nouveau gouvernement<br />

à Nankin en 1928, mais ils avaient été compromis par l’hostilité <strong>de</strong> plusieurs satrapes<br />

provinciaux au pouvoir <strong>de</strong> Chiang Kai-shek <strong>et</strong> par les conflits qui en étaient résultés<br />

(ainsi avec Feng Yuxiang), ainsi que par <strong><strong>de</strong>s</strong> désastres naturels majeurs comme la<br />

gran<strong>de</strong> sécheresse <strong>de</strong> 1928-1930 dans le Nord-Ouest ou les inondations<br />

catastrophiques <strong>de</strong> la vallée du Yangzi en 1931, ceci sans parler <strong><strong>de</strong>s</strong> blocages causés<br />

par les conflits internes au Guomindang. L’année 1933 marque sans doute un point<br />

tournant, avec la mainmise <strong><strong>de</strong>s</strong> technocrates <strong>de</strong> la NEC <strong>et</strong> du ministère <strong>de</strong> l’Industrie<br />

sur l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> politiques <strong>de</strong> développement. Dans leur vision comme dans celle<br />

<strong>de</strong> leur patron politique, le ministre <strong><strong>de</strong>s</strong> finances T.V. Soong, l’édification d’une<br />

Chine prospère <strong>et</strong> indépendante doit d’abord passer par celle d’une base industrielle<br />

« nationale » (minzu), c’est-à-dire libérée <strong>de</strong> l’emprise <strong><strong>de</strong>s</strong> capitaux étrangers ; <strong>et</strong> c’est<br />

donc dans ce sens qu’ils ont surtout œuvré, non sans un certain succès étant donné<br />

les contraintes qu’ils <strong>de</strong>vaient affronter <strong>et</strong>, surtout, le peu <strong>de</strong> temps dont ils ont<br />

disposé avant que la guerre avec le Japon n’emporte tout.


HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 667<br />

Dans c<strong>et</strong>te vision le développement <strong>de</strong> l’agriculture sert avant tout à soutenir la<br />

croissance industrielle en améliorant l’offre en matières premières <strong>et</strong> en développant<br />

un marché national pour les produits industriels mo<strong>de</strong>rnes. C’est ce qu’illustre le cas<br />

<strong>de</strong> la filière coton (étudié par Margherita Zanassi dans un chapitre <strong>de</strong> Saving the<br />

Nation, 2006), qui fait l’obj<strong>et</strong> d’une attention soutenue <strong>de</strong> la part du gouvernement<br />

à partir <strong>de</strong> 1933 <strong>et</strong> pour laquelle est mise sur pied une « Commission <strong>de</strong> direction du<br />

coton » (Mianye tongzhi weiyuanhui 棉業統制委員會). Tout ceci intéresse<br />

directement le Shaanxi puisqu’il s’agit <strong>de</strong>puis les Qing d’une <strong><strong>de</strong>s</strong> principales régions<br />

productrices <strong>de</strong> coton en Chine. L’expansion <strong>de</strong> la production cotonnière du<br />

Guanzhong, son amélioration surtout (pour la rendre compatible avec les normes<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> filatures industrielles), enfin la mise en place <strong>de</strong> coopératives rurales pour soutenir<br />

le mouvement, tout cela a notablement contribué à la sortie du sous-développement<br />

qui s’amorce pour <strong>de</strong> bon, à ce moment, dans la région. Le Guanzhong au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

années 1930 offre un peu l’image en réduction du dynamisme <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’optimisme<br />

alors tellement frappants dans les régions plus proches du centre, <strong>de</strong> c<strong>et</strong> effort<br />

frénétique <strong>de</strong> mise en valeur <strong><strong>de</strong>s</strong> ressources du pays <strong>et</strong> <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation socioéconomique<br />

basée sur le progrès scientifique, avec l’encouragement <strong>et</strong> la collaboration<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> experts <strong>de</strong> la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations. Là encore le temps n’a pas été laissé pour que<br />

c<strong>et</strong> effort puisse influencer en profon<strong>de</strong>ur les conditions <strong>de</strong> vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> production dans<br />

le mon<strong>de</strong> rural — du moins pas partout.<br />

Nous sommes en eff<strong>et</strong> revenu en conclusion sur la question <strong>de</strong> l’irrigation au<br />

Shaanxi, qui avait été notre point <strong>de</strong> départ. Or, là se produit incontestablement<br />

une mutation qu’on peut dire « scientifique », <strong>et</strong> qui a eu <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s importants à<br />

long terme. Avant toutefois d’évoquer les fondamentaux <strong>de</strong> l’économie rurale (le<br />

crédit, les techniques, la gestion, l’enseignement), il nous a paru intéressant <strong>de</strong><br />

proposer un panorama, un peu impressionniste sans doute, <strong>de</strong> ce que nous avons<br />

appelé les signes extérieurs <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnisation dans la région du Guanzhong<br />

pendant la même pério<strong>de</strong>. En eff<strong>et</strong>, les « fondamentaux » en question ne peuvent<br />

être dissociés d’un cadre où beaucoup d’autres choses étaient en train <strong>de</strong> changer,<br />

parfois très sérieusement.<br />

Il y a d’abord la capitale provinciale, Xi’an, dont l’histoire urbaine au xx e siècle<br />

reste à écrire mais où les quelques témoignages <strong>de</strong> visiteurs étrangers que nous<br />

avons cités suggèrent d’assez considérables transformations pendant les années qui<br />

nous concernent (entre 1932 <strong>et</strong> 1937, plus précisément). On voit ainsi apparaître<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> immeubles mo<strong>de</strong>rnes — administrations, grands magasins, immeubles <strong>de</strong><br />

bureaux, banques, hôtels — dont certains sont d’une qualité architecturale<br />

comparable à ce qu’on trouve dans les concessions <strong>de</strong> la côte est, l’électricité <strong>et</strong> le<br />

téléphone se généralisent (mais il n’y a pas encore <strong>de</strong> système d’adduction d’eau),<br />

la circulation automobile cesse d’être une curiosité, les institutions mo<strong>de</strong>rnes<br />

d’enseignement se multiplient, <strong>et</strong>c. Mais le point crucial, ce sont les communications<br />

avec l’extérieur. Avant que le chemin <strong>de</strong> fer ne finisse par les atteindre, Xi’an <strong>et</strong><br />

son hinterland n’étaient reliés aux centres vitaux du pays que par une route <strong>de</strong> terre<br />

(l’ancienne route impériale), plus ou moins carrossable <strong>de</strong>puis le début <strong><strong>de</strong>s</strong> années


668 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />

1920 mais totalement impraticable par temps <strong>de</strong> pluie : l’on a du célèbre sinologue<br />

tchèque Jaroslav Průšek, qui séjournait alors en Chine comme étudiant, une<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>cription dantesque du traj<strong>et</strong> sous la pluie entre Tongguan, à l’accès oriental du<br />

Guanzhong, <strong>et</strong> Xi’an, qu’il compare à une forteresse assiégée au milieu d’un océan<br />

<strong>de</strong> boue. Peut-être Průšek, qui a eu la malchance <strong>de</strong> visiter le Guanzhong dans <strong>de</strong><br />

mauvaises conditions météorologiques, en rem<strong>et</strong>-il un peu, <strong>et</strong> une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

l’ingénieur Todd sur les routes carrossables du Shaanxi au début 1931 donne en<br />

fait une image un peu moins catastrophique <strong>de</strong> la situation ; mais il est incontestable<br />

que l’arrivée du chemin <strong>de</strong> fer a tout changé.<br />

Le prolongement vers l’ouest <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> transversale ferroviaire du Longhai,<br />

d’abord jusqu’à Tongguan en 1931, puis jusqu’à Xi’an en décembre 1934, était<br />

programmé <strong>de</strong>puis avant la chute <strong>de</strong> l’empire, mais il avait dû être repoussé à plusieurs<br />

reprises par manque <strong>de</strong> financement ou pour cause <strong>de</strong> guerre civile. Les choses ont<br />

commencé à changer après l’invasion <strong>de</strong> la Mandchourie en septembre 1931, lorsque<br />

la confrontation avec le Japon est apparue inévitable <strong>et</strong> que, pour c<strong>et</strong>te raison,<br />

l’édification d’un « grand arrière » communiquant avec l’Asie centrale <strong>et</strong> l’URSS est<br />

<strong>de</strong>venue une priorité stratégique pour l’État. Ce n’est pourtant qu’à l’été 1933 que le<br />

gouvernement nationaliste réussit à rétablir suffisamment son crédit international<br />

pour contracter <strong><strong>de</strong>s</strong> emprunts importants à l’étranger, <strong>et</strong> que par conséquent le<br />

chantier du Longhai peut trouver un financement adéquat <strong>et</strong> être mené à bien en un<br />

peu plus d’un an. Pendant les <strong>de</strong>ux années qui suivent la voie est prolongée <strong>de</strong> 173 km<br />

vers l’ouest, jusqu’à Baoji, <strong>et</strong> jusqu’au Gansu au début <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1940.<br />

L’arrivée du chemin <strong>de</strong> fer a radicalement désenclavé l’économie <strong>de</strong> la vallée <strong>de</strong><br />

la Wei. Les échanges avec les provinces centrales changent d’échelle. Du jour au<br />

len<strong>de</strong>main Xi’an sort <strong>de</strong> la stagnation à laquelle elle semblait condamnée, r<strong>et</strong>rouvant<br />

d’une certaine manière le rôle <strong>de</strong> centre <strong>de</strong> redistribution qui était le sien à l’époque<br />

impériale, sinon sa splen<strong>de</strong>ur du temps <strong>de</strong> la route <strong>de</strong> la soie, <strong>et</strong> <strong>de</strong>venant accessible<br />

aux conforts <strong>de</strong> la vie mo<strong>de</strong>rne. Surtout, le chemin <strong>de</strong> fer a rendu possible un<br />

début d’industrialisation, accéléré encore par la guerre sino-japonaise lorsque<br />

certaines industries <strong>de</strong> l’intérieur sont venues se m<strong>et</strong>tre à l’abri au Guanzhong.<br />

Pour E.B. Vermeer, l’auteur qui a étudié le plus en détail l’économie <strong>de</strong> la vallée<br />

<strong>de</strong> la Wei entre 1930 <strong>et</strong> 1980 (dans un ouvrage paru en 1988), l’on ne peut<br />

vraiment parler <strong>de</strong> développement économique au Shaanxi qu’après la connexion<br />

<strong>de</strong> Xi’an au réseau ferré. Il nous semble cependant que ce cycle <strong>de</strong> développement<br />

s’est amorcé un peu avant, avec les premiers proj<strong>et</strong>s formulés au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong><br />

l’installation du pouvoir nationaliste à Xi’an, <strong>et</strong> parfois effectivement réalisés, à<br />

commencer par l’édification du système d’irrigation du Weibei.<br />

Il faut aussi tenir compte d’éléments moins immédiatement matériels (ou<br />

économiques) que ceux que nous venons d’énumérer, tels que le développement<br />

du système éducatif <strong>et</strong>, ce qui est lié, le niveau d’expertise scientifique disponible<br />

localement. Concernant ce <strong>de</strong>rnier point l’on est par exemple frappé par la qualité<br />

<strong>de</strong> la revue mensuelle d’hydraulique fondée par Li Yizhi en 1932, le Shaanxi shuili


HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 669<br />

yuekan 陝西水利月刊, qui contient une quantité d’articles techniques <strong>et</strong><br />

d’économie agraire <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> qualité <strong>et</strong> a continué <strong>de</strong> paraître jusqu’en 1942.<br />

L’investissement dans l’enseignement technique remonte en fait au début <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

années 1920, <strong>et</strong> là encore il faut citer en premier Li Yizhi, qui avait alors fondé un<br />

collège d’ingénierie dont la section d’hydraulique <strong>de</strong>vait <strong>de</strong>venir, après diverses<br />

péripéties, le département d’hydraulique du célèbre Institut agronomique <strong>de</strong><br />

Wugong <strong>et</strong> a été une pépinière d’ingénieurs pour le Shaanxi <strong>et</strong> au-<strong>de</strong>là.<br />

La création <strong>de</strong> l’Institut agronomique du Nord-Ouest (Xibei nongxueyuan 西北<br />

農學院), qui date <strong>de</strong> 1932, passe pour avoir été initiée par <strong>de</strong>ux anciens du régime<br />

dissi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’Armée <strong>de</strong> Pacification Nationale dont nous avions longuement parlé<br />

les années précé<strong>de</strong>ntes : Yu Youren, <strong>de</strong>venu une personnalité influente du régime<br />

nationaliste, <strong>et</strong> le gouverneur Yang Hucheng. L’Institut est également appelé l’École<br />

<strong>de</strong> Wugong 武功, du nom du district où il avait son siège, situé sur la Wei un peu<br />

à l’ouest <strong>de</strong> Xi’an <strong>et</strong> réputé être le lieu où Houji 后稷, l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> héros fondateurs<br />

<strong>de</strong> la civilisation chinoise, aurait enseigné l’agriculture à l’humanité. L’École <strong>de</strong><br />

Wugong semble avoir commencé à fonctionner dès 1932 ; parvenue à son plein<br />

développement, en 1936, elle se composait <strong>de</strong> six départements couvrant tous les<br />

domaines <strong>de</strong> l’agronomie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la science forestière, disposait <strong>de</strong> vastes terrains<br />

expérimentaux, <strong>et</strong> était logée dans <strong><strong>de</strong>s</strong> bâtiments high-tech édifiés par une <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

entreprises shanghaïennes les plus réputées <strong>de</strong> l’époque. Ce n’était pas la seule <strong>de</strong><br />

son genre dans la région — on en mentionne <strong>de</strong>ux autres fondées pendant la<br />

même pério<strong>de</strong>, à Zhouzhi <strong>et</strong> à Xianyang —, mais elle a rapi<strong>de</strong>ment acquis la<br />

réputation nationale qu’elle possè<strong>de</strong> encore aujourd’hui.<br />

L’Institut d’agronomie <strong>de</strong> Wugong a joué un rôle <strong>de</strong> premier plan, mais les<br />

recherches qu’on y poursuivait <strong>et</strong> l’enseignement qu’on y dispensait n’ont été qu’un<br />

élément parmi d’autres dans la mutation <strong>de</strong> l’agriculture du Guanzhong qui<br />

s’amorce pendant ces quelques années <strong>et</strong> dont les eff<strong>et</strong>s se sont fait très<br />

progressivement sentir. Certaines <strong><strong>de</strong>s</strong> personnalités associées à la création <strong>de</strong><br />

l’Institut avaient une vision globale — <strong>et</strong> non pas simplement agronomique — du<br />

développement qu’ils appelaient <strong>de</strong> leurs vœux dans une région qui était encore,<br />

essentiellement, sous-développée. De nouveau le nom <strong>de</strong> Li Yizhi s’impose, à la<br />

fois pour son œuvre en tant que chef du bureau d’hydraulique du Shaanxi, où il<br />

a servi jusqu’à son <strong>de</strong>rnier jour, <strong>et</strong> parce qu’il est représentatif d’une génération<br />

d’ingénieurs qui défendaient une approche intégrée <strong>de</strong> l’ingénierie hydraulique,<br />

dans laquelle il ne s’agissait pas simplement d’accroître la productivité <strong>et</strong> la sécurité<br />

<strong>de</strong> l’agriculture, mais bien d’impulser un développement économique multiforme.<br />

David Pi<strong>et</strong>z a montré dans son ouvrage sur les programmes d’aménagement <strong>de</strong> la<br />

rivière Huai à l’époque républicaine (Engineering the State, 2002) que c<strong>et</strong>te vision<br />

combinant amélioration <strong>de</strong> l’agriculture, aménagements hydrauliques, institutions<br />

<strong>de</strong> crédit, industrialisation, transports mo<strong>de</strong>rnes <strong>et</strong> enseignement était déjà celle <strong>de</strong><br />

l’homme d’État mo<strong>de</strong>rnisateur Zhang Jian 張謇 (1853-1926), qu’on peut<br />

considérer comme un <strong><strong>de</strong>s</strong> pères <strong>de</strong> l’ingénierie civile mo<strong>de</strong>rne en Chine, <strong>et</strong> qu’on<br />

la r<strong>et</strong>rouve au sein du comité d’ingénieurs en charge du programme <strong>de</strong> la Huai


670 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />

après 1928, dont Li Yizhi était le chef. Au Shaanxi, Li Yizhi propose au len<strong>de</strong>main<br />

<strong>de</strong> l’inauguration du canal Jinghui un plan visant à faire <strong>de</strong> la région du Weibei ce<br />

qu’il appelle « une zone économique complète » (zhengge <strong>de</strong> jingji quyu 整個的經<br />

濟區域), financée par les revenus <strong>de</strong> l’irrigation <strong>et</strong> servant progressivement <strong>de</strong><br />

modèle à l’ensemble <strong>de</strong> la région.<br />

Indépendamment <strong>de</strong> tout input scientifique, le modèle d’irrigation du Weibei,<br />

qui donnera dans les vingt années suivantes naissance à sept autres proj<strong>et</strong>s sur le<br />

pourtour <strong>de</strong> la vallée <strong>de</strong> la Wei, <strong>de</strong> moindre ampleur mais techniquement<br />

comparables, a eu <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s spectaculaires, <strong>et</strong> immédiats : triplement (au minimum)<br />

<strong>de</strong> la productivité par mu (confirmé par plusieurs sources concernant la culture du<br />

coton), décuplement <strong>de</strong> la valeur <strong>de</strong> la terre, <strong>et</strong>, par <strong>de</strong>là, repeuplement <strong>et</strong><br />

reconstruction <strong><strong>de</strong>s</strong> villages dévastés par la famine, ouverture sur le marché national<br />

grâce au chemin <strong>de</strong> fer, <strong>et</strong>c. Mais on observe aussi l’amorce d’une mutation<br />

qualitative. Ainsi la Commission <strong>de</strong> direction du coton, déjà mentionnée, s’efforc<strong>et</strong>-elle<br />

<strong>de</strong> disséminer les meilleures variétés <strong>de</strong> semences <strong>et</strong> <strong>de</strong> soutenir<br />

économiquement les producteurs au moyen d’un programme <strong>de</strong> coopératives<br />

rurales leur donnant accès à un crédit moins cher <strong>et</strong> facilitant la commercialisation<br />

<strong>de</strong> leur production. Le Shaanxi dans les années 1930 a un peu été une terre <strong>de</strong><br />

mission du mouvement coopératif rural né, comme on l’a vu, dans la province du<br />

Hebei sous l’égi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la CIFRC <strong>et</strong> <strong>de</strong> son secrétaire général Zhang Yuanshan<br />

(Y.S. Djang). Dès 1933 la CIFRC <strong>et</strong> le bureau <strong>de</strong> reconstruction <strong>de</strong> la province<br />

lancent le mouvement en organisant un stage qui semble avoir débouché sur la<br />

création rapi<strong>de</strong> (hâtive, diront les experts <strong>de</strong> la SDN) d’une trentaine <strong>de</strong> coopératives<br />

au Guanzhong ; <strong>et</strong> l’année suivante Djang est invité par le gouverneur Shao Lizi à<br />

venir diriger le bureau <strong>de</strong> coopération <strong>de</strong> la province, poste qu’il occupera pendant<br />

<strong>de</strong>ux ans (sans y être très présent, <strong>de</strong> son propre aveu) avant d’être recruté par le<br />

gouvernement nationaliste pour prendre en charge le mouvement coopératif à<br />

l’échelle <strong>de</strong> tout le pays.<br />

Pour en revenir aux intrants fondamentaux <strong>de</strong> la production agricole, la mutation<br />

dont nous avons parlé s’observe autant dans la gestion <strong>de</strong> l’irrigation que dans les<br />

pratiques agricoles proprement dites ; <strong>et</strong> dans les <strong>de</strong>ux cas l’on peut parler d’une<br />

constante négociation entre les principes <strong>et</strong> le vocabulaire nouveaux introduits par les<br />

réformateurs <strong>et</strong> les traditions auxquelles les paysans restent par définition attachés.<br />

La mutation dans la gestion <strong>de</strong> l’irrigation avait en fait été initiée dès 1928,<br />

lorsque les autorités se réclamant <strong>de</strong> la révolution nationaliste avaient tenté <strong>de</strong><br />

centraliser <strong>et</strong> rationaliser les pratiques dans certains systèmes locaux à travers <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

associations hydrauliques élues démocratiquement <strong>et</strong> fonctionnant sous le contrôle<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> bureaux officiels d’hydraulique. Certains textes que nous avons découverts dans<br />

les archives locales avec notre collègue Christian Lamouroux montrent que c<strong>et</strong>te<br />

volonté <strong>de</strong> centralisation rencontrait les plus vives oppositions <strong>de</strong> la part <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

notables traditionnellement responsables <strong><strong>de</strong>s</strong> communautés d’irrigation <strong>et</strong> du<br />

règlement <strong><strong>de</strong>s</strong> conflits, qui supportaient mal que les précé<strong>de</strong>nts consignés <strong>de</strong>puis


HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 671<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> siècles dans les registres ou gravés dans la pierre puissent être remis en question,<br />

en même temps que leur pouvoir coutumier. Mais il est clair que le mouvement<br />

était irréversible : même s’il ménageait <strong><strong>de</strong>s</strong> compromis avec l’organisation<br />

traditionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> communautés en matière <strong>de</strong> partage <strong>de</strong> l’eau <strong>et</strong> d’entr<strong>et</strong>ien <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

canaux, le modèle instauré à gran<strong>de</strong> échelle avec la mo<strong>de</strong>rnisation <strong>de</strong> l’irrigation<br />

dans le Weibei sous l’égi<strong>de</strong> du bureau d’hydraulique dirigé par Li Yizhi s’est<br />

rapi<strong>de</strong>ment imposé. Ces nouvelles procédures introduisaient <strong>de</strong> nouveaux concepts<br />

qu’on peut qualifier <strong>de</strong> « mo<strong>de</strong>rnes », qu’elles s’attachaient à diffuser par le moyen<br />

<strong>de</strong> manuels distribués aux utilisateurs : métho<strong><strong>de</strong>s</strong> « scientifiques » pour mesurer le<br />

terrain, les débits, les charges d’alluvions ou les temps d’irrigation, rationalisation<br />

<strong>de</strong> la distribution <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’utilisation <strong>de</strong> l’eau en tenant compte <strong><strong>de</strong>s</strong> différents types<br />

<strong>de</strong> culture <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> différents moments du cycle agricole, <strong>et</strong> règles strictes pour le<br />

paiement <strong><strong>de</strong>s</strong> droits sur l’eau <strong>et</strong> le financement <strong>de</strong> l’entr<strong>et</strong>ien, tout cela sous la<br />

supervision étroite du bureau d’hydraulique. Il s’agissait en somme d’optimiser les<br />

eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l’irrigation <strong>et</strong> d’éviter les gaspillages <strong>et</strong> les disputes qui étaient le pain<br />

quotidien <strong><strong>de</strong>s</strong> organisations traditionnelles. C<strong>et</strong> héritage sera repris au moment <strong>de</strong><br />

la collectivisation dans les années 1950, mais ce sera alors dans un contexte socioéconomique<br />

<strong>et</strong> politique entièrement nouveau.<br />

*<br />

Nous avons donné <strong>de</strong>ux <strong>cours</strong> à l’Université Ca’Foscari <strong>de</strong> Venise sur les suj<strong>et</strong>s<br />

suivants : « Engineers and State Building in Republican China : Li Yizhi (1882-<br />

1938) and his circle », <strong>et</strong> « Militarism and the Revolutionary Connection in Late-<br />

Qing and Early Republican Shaanxi Province », ainsi qu’un séminaire consacré aux<br />

sources <strong>de</strong> l’histoire mo<strong>de</strong>rne du Shaanxi.<br />

*<br />

Le séminaire <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année a pris la forme d’un colloque qui s’est réuni les<br />

23 <strong>et</strong> 24 juin 2008 <strong>et</strong> a traité <strong>de</strong> « L’émergence <strong>de</strong> la profession d’ingénieur en<br />

Chine ». Il s’agissait <strong>de</strong> faire état <strong>de</strong> nouvelles recherches sur l’introduction en<br />

Chine <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes disciplines <strong>de</strong> l’ingénierie mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong>puis la fin <strong><strong>de</strong>s</strong> Qing<br />

jusqu’à la fin <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1930, ainsi que sur les aspects économiques, sociaux <strong>et</strong><br />

politiques du développement <strong>de</strong> la profession d’ingénieur. Des éléments <strong>de</strong><br />

comparaison internationale ont également été présentés.<br />

Les interventions suivantes ont été proposées :<br />

Pierre-Étienne Will (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>) : « Présentation générale <strong>et</strong> problématique ».<br />

Marianne Bastid-Bruguière (CNRS, Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences Morales <strong>et</strong> Politiques) :<br />

« La naissance du métier d’ingénieur en Chine : du génie maritime au génie civil,<br />

1866-1911 ».<br />

Bruno Belhoste (Université Paris 1) : « Le système <strong>de</strong> formation <strong><strong>de</strong>s</strong> ingénieurs dans la<br />

première mondialisation : organisations nationales <strong>et</strong> circulations internationales ».<br />

Iwo Amelung (Université <strong>de</strong> Francfort) : « The Yellow River in Germany. On engineering<br />

interaction b<strong>et</strong>ween China and Germany in the first half of the 20th century ».<br />

Delphine Spicq (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>) : « Par<strong>cours</strong> d’ingénieur <strong>et</strong> enseignement technique à<br />

Tianjin ».


672 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />

Xiaohong Xiao-Planes (INALCO) : « La formation <strong>et</strong> l’émergence <strong><strong>de</strong>s</strong> ingénieursentrepreneurs<br />

dans les années 1920 <strong>et</strong> 1930 ».<br />

Pierre-Étienne Will : « L’Association of Chinese and American Engineers <strong>et</strong> sa revue (1920-<br />

1940) ».<br />

Françoise Kreissler (INALCO) : « La Chine républicaine <strong>et</strong> la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations :<br />

contextes <strong>et</strong> programmes d’une coopération technique transcontinentale ».<br />

Natalie Delan<strong>de</strong>-Liu (Département d’Histoire <strong>de</strong> l’Architecture, Architecture-Ville-<br />

Design, Université Paris 1) : « De l’ingénieur à l’architecte : genèse d’une mo<strong>de</strong>rnisation<br />

professionnelle dans l’industrie architecturale à Shanghai (fin xix e -début xx e siècle) ».<br />

Konstantinos Chatzis (École Nationale <strong><strong>de</strong>s</strong> Ponts <strong>et</strong> Chaussées) : « L’émergence <strong>et</strong><br />

l’affermissement <strong>de</strong> la profession d’ingénieur en Grèce, 1830-1940 ».<br />

Publications<br />

« La génération 1911 : Xi’an, 1905-1930 », in Alain Roux, Yves Chevrier <strong>et</strong> Xiaohong<br />

Xiao-Planes (éd.), Citadins <strong>et</strong> citoyens dans la Chine du XX e siècle (Paris, Éditions <strong>de</strong> la<br />

Maison <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong> l’Homme, 2008), pp. 347-418.<br />

« Views of the Realm in Crisis : Testimonies on imperial audiences in the nin<strong>et</strong>eenth<br />

century », Late Imperial China, 29, n° 1 Supplement (June 2008), pp. 125-159.<br />

« Virtual Constitutionalism in Late Imperial China : The Case of the Ming Dynasty », in<br />

Stephanie Balme <strong>et</strong> Michael Dowdle (éd.), Constitutionalism and judicial power in China,<br />

New York, Palgrave Mac Millan, sous presse.


I. COURS<br />

Antiquités nationales<br />

M. Christian Goudineau, professeur<br />

Un colloque international s’étant tenu au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> en juill<strong>et</strong> 2006 sur<br />

le thème « Celtes <strong>et</strong> gaulois : l’archéologie face à l’histoire », organisé conjointement<br />

par la chaire d’Antiquités nationales <strong>et</strong> le Centre Archéologique européen <strong>de</strong><br />

Bibracte (Mont-Beuvray), le <strong>cours</strong> a été consacré à <strong><strong>de</strong>s</strong> réflexions reprenant quelques<br />

conclusions — centrées sur la pério<strong>de</strong> la plus récente <strong>de</strong> la protohistoire — <strong>et</strong><br />

ouvrant quelques pistes <strong>de</strong> recherche.<br />

Un mot cependant sur les pério<strong><strong>de</strong>s</strong> « anciennes ». Pendant près <strong>de</strong> cent cinquante<br />

ans, on a considéré que, à partir d’une région « originelle » (indéterminée), les<br />

Celtes s’étaient lancés dans <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> migrations comme celles que, plus tard,<br />

Tite-Live nous signale <strong>et</strong> décrit en Italie. La linguistique (notamment fondée sur<br />

l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la culture <strong>de</strong> Golasecca) <strong>et</strong> l’archéologie démontrent <strong><strong>de</strong>s</strong> contacts anciens<br />

(Bronze final, début du premier Âge du Fer) entre diverses populations <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

contacts évi<strong>de</strong>nts avec les Celtes. Aujourd’hui, on ne peut plus r<strong>et</strong>enir l’hypothèse<br />

d’un « berceau hallstattien » qui aurait essaimé vers les VI e -V e siècles. Reste que,<br />

comme pour les « Indo-Européens », on ne dispose d’aucune théorie convaincante<br />

concernant l’origine <strong>et</strong> l’expansion (la culture dite campaniforme ?), ce qui signifie<br />

probablement que le problème est mal posé, ou plutôt que nous le posons en <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

termes simplificateurs. Qu’est-ce qu’un Français ? On remonte aux Francs ? Mais<br />

ceux-ci étaient très romanisés. On remonte jusqu’où ? Impasse <strong>de</strong> nos connaissances<br />

qui ne se fon<strong>de</strong>nt que sur <strong><strong>de</strong>s</strong> graffiti rarissimes <strong>et</strong> sur <strong><strong>de</strong>s</strong> vestiges archéologiques<br />

dont l’interprétation varie au fil <strong><strong>de</strong>s</strong> temps.<br />

Le problème essentiel tient à ce que les historiens actuels dénomment<br />

« instrumentalisation », celle <strong><strong>de</strong>s</strong> Gaulois, constituée pour l’essentiel au XIX e siècle,<br />

<strong>et</strong> que nous n’arrivons pas à surmonter, car elle est liée à notre histoire nationale,<br />

celle qui a forgé notre i<strong>de</strong>ntité. Pour en saisir la force, nous avons évoqué une


674 CHRISTIAN GOUDINEAU<br />

exposition <strong>et</strong> un livre consacrés à « L’archéologie nazie à l’ouest du Reich », où l’on<br />

trouve ces paroles prononcées le 20 juin 1942 à Berlin par un préhistorien français,<br />

invité par Heinrich Himmler <strong>de</strong>vant l’Institut scientifique <strong>de</strong> la SS : « Le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong><br />

l’Allemagne victorieuse est <strong>de</strong> libérer le pays bourguignon, <strong>de</strong> le rendre à la<br />

communauté germanique (…). Nous pourrons peut-être bientôt entrer dans un<br />

Reich agrandi, non pas en tant que vaincus mais en tant qu’affranchis ! ».<br />

Permanence <strong><strong>de</strong>s</strong> oppositions qui remonte (au moins) à Jules César opposant<br />

Gaulois <strong>et</strong> Germains, les premiers assimilables, les seconds à laisser dans leur<br />

sauvagerie. Que l’archéologie nazie ait tenté <strong>de</strong> se réapproprier nombre <strong>de</strong> sites<br />

celtiques <strong>de</strong> l’est <strong>de</strong> la <strong>France</strong> n’a donc rien d’étonnant, mais on ne savait guère<br />

qu’elle avait tenté <strong>de</strong> « récupérer » les mégalithes armoricains <strong>et</strong> même nombre <strong>de</strong><br />

vestiges du Bronze final, <strong>de</strong> Normandie jusqu’en Gascogne, dénommés « indogermaniques<br />

». Voilà qui démontre à la fois nos incertitu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur la protohistoire<br />

ancienne <strong>et</strong> la force <strong><strong>de</strong>s</strong> nationalismes.<br />

Les actuels manuels d’histoire offerts aux collégiens n’inspirent que consternation.<br />

D’abord, parce que l’archéologie <strong>de</strong> la <strong>France</strong> passe directement <strong><strong>de</strong>s</strong> grottes ornées<br />

du paléolithique supérieur à la pério<strong>de</strong> romaine — en ignorant toutes les découvertes<br />

qui ont démontré l’incroyable richesse du néolithique, <strong><strong>de</strong>s</strong> Âges du Bronze <strong>et</strong> du<br />

Fer — avec (toujours !) quelques lignes apitoyées ou réprobatrices sur ces malheureux<br />

(ou horribles) Gaulois que — heureusement — Rome vint civiliser. Un<br />

exemple :<br />

« LA GAULE, UN MONDE À CONQUÉRIR.<br />

Le territoire <strong>de</strong> la <strong>France</strong> était autrefois appelé la Gaule. Il était peuplé <strong>de</strong><br />

Celtes venus du centre <strong>de</strong> l’Europe.<br />

• Les peuples <strong>de</strong> la Gaule sont organisés en tribus qui se querellent<br />

fréquemment. Leurs villes, peu nombreuses, sont avant tout <strong><strong>de</strong>s</strong> places<br />

fortes (oppida) construites sur <strong><strong>de</strong>s</strong> sites défensifs où l’on se rassemble pour<br />

la guerre.<br />

• Les Gaulois sont polythéistes. À la différence <strong><strong>de</strong>s</strong> dieux grecs, leurs dieux<br />

apparaissent sous <strong><strong>de</strong>s</strong> formes terrifiantes. Les Gaulois les honorent dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

lieux sacrés, souvent <strong><strong>de</strong>s</strong> forêts, autour d’un arbre ou d’une source.<br />

• Les Gaulois sont habiles au travail du bois <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> métaux. Ils ont laissé<br />

<strong>de</strong> très beaux obj<strong>et</strong>s : casques, parures, harnachements. Ils contrôlent <strong>de</strong><br />

gran<strong><strong>de</strong>s</strong> routes <strong>de</strong> commerce, comme la route <strong>de</strong> l’étain, <strong>de</strong> la Br<strong>et</strong>agne à<br />

Massilia, en passant par les sources <strong>de</strong> la Seine. »<br />

Des tribus, la guerre, <strong><strong>de</strong>s</strong> dieux terrifiants, les cultes naturistes, mais <strong>de</strong> l’habil<strong>et</strong>é :<br />

c’est une <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong>de</strong> type colonialiste (ou impérialiste). Aucune connaissance<br />

<strong>de</strong> l’archéologie ni <strong><strong>de</strong>s</strong> réflexions récentes <strong>et</strong> actuelles. On croirait lire un mauvais<br />

ouvrage <strong><strong>de</strong>s</strong> environs <strong>de</strong> 1840. Tel est l’état <strong>de</strong> notre enseignement <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

« culture » infligée aux élèves.


ANTIQUITÉS NATIONALES 675<br />

L’important est <strong>de</strong> comprendre pourquoi règnent <strong>de</strong> telles pesanteurs. Elles<br />

remontent très haut. Si l’on se réfère à l’historiographie grecque, on voit l’intérêt<br />

porté aux Égyptiens, aux Scythes ou aux Perses, mais une quasi-indifférence vis-àvis<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Celtes, sauf pour quelques traits <strong>de</strong> mœurs ou pour leur localisation<br />

géographique, d’ailleurs très floue. Il faudra qu’éclatent <strong><strong>de</strong>s</strong> conflits, que ces<br />

« barbares » s’en prennent à l’Italie ou lancent <strong><strong>de</strong>s</strong> incursions en Grèce pour qu’ils<br />

s’attirent l’attention <strong><strong>de</strong>s</strong> historiens — après avoir r<strong>et</strong>enu celle <strong><strong>de</strong>s</strong> politiques ! La<br />

création d’une confédération galate en Anatolie, les campagnes périodiques qui ont<br />

opposé ces Celtes aux rois <strong>de</strong> Pergame ont contribué à la constitution d’un « cliché »<br />

qui <strong>de</strong>vait avoir la vie longue — les civilisés contre les barbares, les Dieux contre<br />

les Géants —, dont nous avons étudié l’iconographie originelle <strong>et</strong> sa longue<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>cendance.<br />

Avec l’irruption <strong><strong>de</strong>s</strong> Celtes-Gaulois dans l’histoire du mon<strong>de</strong> civilisé, vont se<br />

diffuser — surtout à Rome — les stéréotypes que l’on r<strong>et</strong>rouve en Europe au<br />

XIX e siècle (<strong>et</strong> parfois encore aujourd’hui en d’autres lieux du mon<strong>de</strong>) : c’est<br />

l’ennemi, il menace les vraies valeurs, il s’oppose au grand <strong><strong>de</strong>s</strong>sein (« intelligent<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>ign ») que les dieux ou la Provi<strong>de</strong>nce ont chargé Rome d’accomplir. Les <strong>de</strong>ux<br />

caractéristiques <strong>de</strong> l’« étranger » sont réunies chez eux : différence <strong>et</strong> inversion. Des<br />

auteurs plus récents, comme Strabon, écrivant après la conquête, nuanceront le<br />

tableau en ajoutant <strong><strong>de</strong>s</strong> correctifs. Nous avons tenté, à partir du texte <strong>de</strong> Strabon,<br />

<strong>de</strong> reconstituer celui <strong>de</strong> Poséidonios — antérieur à la guerre <strong><strong>de</strong>s</strong> Gaules — en<br />

gommant les ajouts ultérieurs. Voici, à notre avis, ce qu’était la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription :<br />

« Dans son ensemble, la race qu’on appelle aujourd’hui soit gallique soit galatique est à la<br />

fois éprise <strong>de</strong> guerre, impulsive <strong>et</strong> prompte à prendre les armes, mais par ailleurs dépourvue<br />

d’artifice <strong>et</strong> <strong>de</strong> vice. Voilà qui explique leurs conduites. Si on leur cherche querelle, comme<br />

un seul homme, ils se précipitent au combat, ouvertement, sans la moindre réflexion<br />

préalable si bien qu’ils se font battre facilement par quiconque se donne la peine <strong>de</strong><br />

manœuvrer ! De fait, si on les provoque (quels que soient le lieu, le moment ou le prétexte),<br />

on les voit prêts à tout risquer sans autre allié que leur force <strong>et</strong> leur résolution ! Leur force<br />

vient d’abord <strong>de</strong> leur physique, car ils sont grands, <strong>et</strong> ensuite <strong>de</strong> leur nombre. Leurs<br />

rassemblements énormes sont facilités par leur naïv<strong>et</strong>é <strong>et</strong> leur spontanéité, car ils s’indignent<br />

toujours <strong><strong>de</strong>s</strong> injustices dont — à leur idée ! — leurs proches sont victimes ! C’est aussi ce<br />

trait qui explique que leurs migrations se soient faites facilement : ils se déplaçaient en bloc,<br />

tous guerriers réunis, <strong>et</strong> plus encore en rassemblant tous leurs parents, lorsque plus fort<br />

qu’eux les expulsait. Donc, ce sont tous <strong><strong>de</strong>s</strong> guerriers par nature, mais ils sont meilleurs<br />

cavaliers que fantassins. Ajoutons que, plus on va vers le Nord <strong>et</strong> vers l’Océan, plus leurs<br />

qualités <strong>de</strong> guerriers augmentent. Leur armement est à la mesure <strong>de</strong> leur gran<strong>de</strong> taille :<br />

longue épée suspendue au côté droit, long bouclier, lances en proportion <strong>et</strong> enfin le<br />

« madaris », un genre <strong>de</strong> javelot. Certains se servent également d’arcs <strong>et</strong> <strong>de</strong> fron<strong><strong>de</strong>s</strong>. Il existe<br />

aussi une sorte d’arme en bois qui ressemble au « grosphos », qui se lance à la main sans<br />

propulseur, dont la portée dépasse celle d’une flèche <strong>et</strong> qu’ils utilisent tout particulièrement<br />

pour la chasse aux oiseaux. Leur insondable légèr<strong>et</strong>é les rend insupportables quand ils sont<br />

vainqueurs mais, s’ils ont le <strong><strong>de</strong>s</strong>sous, elle les plonge dans la stupeur. Leur simplicité d’esprit<br />

<strong>et</strong> leur impulsivité s’augmentent <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> stupidité, <strong>de</strong> vantardise <strong>et</strong> d’amour <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

bijoux. C’est ainsi que non seulement ils portent <strong><strong>de</strong>s</strong> parures d’or (colliers au cou, bracel<strong>et</strong>s<br />

aux bras <strong>et</strong> aux poign<strong>et</strong>s) mais les personnages <strong>de</strong> haut rang portent <strong><strong>de</strong>s</strong> vêtements <strong>de</strong><br />

couleur brillante brodés d’or. Ils portent le « sagum », se laissent pousser les cheveux <strong>et</strong>


676 CHRISTIAN GOUDINEAU<br />

utilisent <strong><strong>de</strong>s</strong> pantalons larges, bouffants <strong>et</strong>, au lieu <strong>de</strong> « chitônes », ils portent <strong><strong>de</strong>s</strong> tuniques<br />

fendues, à manches, qui leur <strong><strong>de</strong>s</strong>cen<strong>de</strong>nt jusqu’au bas-ventre <strong>et</strong> aux fesses. C’est avec une<br />

laine à la fois fibreuse <strong>et</strong> aux extrémités touffues qu’ils tissent les « sagums » épais, qu’ils<br />

appellent « lainal ». C’est à même le sol que dorment, aujourd’hui encore, la plupart d’entre<br />

eux, <strong>de</strong> même qu’ils s’assoient sur <strong><strong>de</strong>s</strong> lits faits <strong>de</strong> végétaux pour prendre leurs repas ! La<br />

nourriture surabondante, à base <strong>de</strong> lait <strong>et</strong> <strong>de</strong> vian<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> toutes sortes, tout particulièrement<br />

<strong>de</strong> porc, aussi bien frais que salé (leurs porcs, même la nuit, sont en liberté ; par la taille<br />

comme la vigueur <strong>et</strong> la rapidité, ils sont exceptionnels — aussi est-il dangereux <strong>de</strong> s’en<br />

approcher si l’on n’est pas habitué à eux, y compris pour un loup !). Quant à leurs maisons,<br />

faites <strong>de</strong> poteaux <strong>et</strong> <strong>de</strong> clayonnages, elles sont gran<strong><strong>de</strong>s</strong>, arrondies, <strong>et</strong> ils les recouvrent d’un<br />

chaume épais. (…) »<br />

On pourrait placer face à un tel texte nombre <strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>criptions presque i<strong>de</strong>ntiques<br />

écrites par <strong><strong>de</strong>s</strong> explorateurs ou <strong><strong>de</strong>s</strong> conquérants européens découvrant les civilisations<br />

d’Orient, d’Afrique ou d’Amérique. Pourtant, Grecs, Romains <strong>et</strong> Celtes s’étaient<br />

rencontrés <strong>de</strong>puis bien longtemps, Poséidonios écrit durant la première moitié du<br />

I er siècle avant J.-C. Comment mieux démontrer la totale incompatibilité,<br />

l’inintelligibilité entre <strong>de</strong>ux mon<strong><strong>de</strong>s</strong> ? Rome avait conquis l’Italie du Nord —<br />

peuplée <strong>de</strong> Celtes —, la Grèce avait lancé <strong><strong>de</strong>s</strong> enquêtes <strong>et</strong>hnographiques. Rien n’y<br />

fait. Les Celtes, les Gaulois : l’étranger. Certes, ils peuvent êtres domesticables, ils<br />

peuvent se plier à l’action civilisatrice <strong>de</strong> Rome, mais leur nature <strong>de</strong>meure ce<br />

qu’elle est. En 48 avant J.-C., quatre ans après Alésia, le magistrat monétaire<br />

L. Hostilius Saserna fait ém<strong>et</strong>tre à Rome un <strong>de</strong>nier célébrant une fois <strong>de</strong> plus la<br />

victoire <strong>de</strong> César. Or, pour se conformer aux stéréotypes, il fait représenter un<br />

personnage hirsute, portant moustache <strong>et</strong> barbe non taillées — le contraire <strong>de</strong> ce<br />

que montrent les <strong>de</strong>niers frappés en Gaule ou les statues d’aristocrates <strong>de</strong>puis<br />

plusieurs décennies ; même le char <strong>de</strong> combat avait <strong>de</strong>puis longtemps laissé place<br />

à d’autres techniques guerrières. Mais telle est la force <strong><strong>de</strong>s</strong> images mentales.<br />

Les années récentes, sans doute en raison <strong>de</strong> phénomènes comme la colonisation,<br />

ont permis d’apprécier le poids <strong><strong>de</strong>s</strong> préjugés que nous ont transmis les textes grecs<br />

<strong>et</strong> latins. De même, on a beaucoup avancé sur une piste qui s’avère <strong>de</strong> plus en plus<br />

fécon<strong>de</strong> : la conception géographique du mon<strong>de</strong> qui a inspiré nombre <strong>de</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>criptions <strong>et</strong> <strong>de</strong> commentaires. J’ai repris un dossier ouvert ici-même il y a vingt<br />

ans, lorsque j’avais tenté <strong>de</strong> comprendre la bizarrerie <strong>de</strong> l’organisation qu’imposa,<br />

lorsqu’il s’occupa du cas <strong><strong>de</strong>s</strong> Gaules, l’Empereur Auguste. J’avais montré à l’époque<br />

que nous ne pouvions rien comprendre en nous en tenant à la géographie telle que<br />

nous la connaissons, qu’il fallait au contraire se référer aux conceptions <strong>de</strong> l’époque,


ANTIQUITÉS NATIONALES 677<br />

avec les Pyrénées nord-sud, le Cemmène (les chaînes du Massif Central) ouest-est,<br />

les fleuves coulant du sud au nord (sauf le Rhône).<br />

L’organisation se comprend donc fort bien, si l’on suit ce cadre (carte ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus),<br />

qui <strong>de</strong>vait subsister trois siècles. Sauf que Strabon <strong>et</strong> Pline signalent, dans <strong><strong>de</strong>s</strong> textes<br />

longtemps négligés ou incompris, <strong><strong>de</strong>s</strong> tentatives initiales bien différentes, mais<br />

toutes fondées sur la conception que le mon<strong>de</strong> est organisé en formes géométriques,<br />

rectangles ou carrés, qu’a voulues la Provi<strong>de</strong>nce — conception philosophique<br />

remontant au plus loin <strong>de</strong> la pensée grecque <strong>et</strong> que le stoïcisme a diffusés. Nous<br />

avons repris le cas <strong>de</strong> la Gaule dans c<strong>et</strong>te optique, tout en signalant que les nouvelles<br />

éditions <strong><strong>de</strong>s</strong> géographes <strong>et</strong> <strong>et</strong>hnographes antiques ne peuvent désormais échapper<br />

à ce cadre (on vient <strong>de</strong> le voir pour l’Ibérie).<br />

C<strong>et</strong>te réflexion nous a amené à prendre quelques exemples régionaux, notamment<br />

puisés dans les <strong>travaux</strong> récents <strong>de</strong> Patrick Thollard <strong>et</strong> Matthieu Poux, en y ajoutant<br />

notre grain <strong>de</strong> sel. Nous avons examiné, entre autres, le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> Volques <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Voconces du Midi, puis celui <strong><strong>de</strong>s</strong> Arvernes. Histoire, archéologie, géographie s’y<br />

mêlent intimement, non seulement pour <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes <strong>de</strong> délimitation <strong>de</strong><br />

territoires mais aussi pour d’éventuelles expansions ou rétractions. Les notions <strong>de</strong><br />

la géographie contemporaine sont-elles adaptées à l’antiquité, <strong>de</strong>puis les « polygones<br />

<strong>de</strong> Thyssen » jusqu’à la conception <strong>de</strong> « capitale multipolaire » ? Le foisonnement<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> idées, l’insertion <strong>de</strong> nos étu<strong><strong>de</strong>s</strong> dans <strong><strong>de</strong>s</strong> débats contemporains, voilà qui suscite<br />

l’optimisme.<br />

II. SÉMINAIRES<br />

Les séminaires ont porté sur :<br />

— Les fouilles <strong>de</strong> l’Institut Curie à Paris, avec M. Didier Busson, Chargé <strong>de</strong><br />

mission pour l’Archéologie à la Commission du Vieux-Paris.


678 CHRISTIAN GOUDINEAU<br />

— Recherches récentes sur le site <strong>de</strong> la Cathédrale Saint-Pierre à Genève, avec<br />

M. Charles Bonn<strong>et</strong>, ancien Archéologue cantonal.<br />

— Les nouvelles fouilles d’Aix-en-Provence, avec M me Núria Nin, Archéologue<br />

<strong>de</strong> la Ville.<br />

— Douze ans <strong>de</strong> recherches sur le sanctuaire <strong>de</strong> Mars Mullo à Allonnes (Sarthe),<br />

avec M me Katherine Gruel, Directrice <strong>de</strong> recherche au CNRS.<br />

— Cent cinquante ans après la découverte <strong>de</strong> la Tène : état <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches sur<br />

l’Âge du Fer en Suisse, avec M. Gilbert Kaenel, Directeur du Musée Cantonal<br />

d’Archéologie <strong>et</strong> d’Histoire <strong>de</strong> Lausanne.<br />

III. RESPONSABILITÉS, ACTIVITÉS, MISSIONS<br />

Le Professeur a été renommé au Conseil d’Administration <strong>de</strong> l’Institut National <strong>de</strong><br />

Recherche Archéologique Préventive (INRAP). Il est membre du Comité scientifique<br />

<strong>de</strong> la Maison Méditerranéenne <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong> l’Homme d’Aix-en-Provence, <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

celui <strong>de</strong> la Carte Archéologique <strong>de</strong> la Gaule (CNRS, MEN, Culture).<br />

Le Professeur est allé en mission pour <strong><strong>de</strong>s</strong> séminaires, <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences ou <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

colloques, à Lyon, Grenoble, La Turbie, Nantes, Francfort, Louvain, Autun,<br />

Bologne, Budapest, Dublin, Caen, Rouen, Tulle, Toulouse, La Rochelle.<br />

L’exposition sur la religion celtique, présentée à Lyon en 2006, a été reprise au<br />

Latenium <strong>de</strong> Neuchâtel, avant <strong>de</strong> se rendre à Berne, puis dans d’autres musées<br />

européens.<br />

Le Professeur a été fait docteur honoris causa <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Bologne.<br />

Il a présidé plusieurs jurys <strong>de</strong> thèse, <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> l’HDR <strong>de</strong> Patrick Thollard.<br />

IV. PUBLICATIONS<br />

Ouvrage :<br />

— Regard sur la Gaule, Actes Sud, Babel, 2007.<br />

Articles :<br />

— Plusieurs contributions dans Archéopages, revue <strong>de</strong> l’INRAP.<br />

— « La Gaule, les Gaulois <strong>et</strong> le sentiment national au XIX e siècle », Alésia <strong>et</strong> la<br />

bataille du Teutoburg, Beihefte <strong>de</strong>r Francia, 66, 2008, 53-71.<br />

— « La Querelle <strong><strong>de</strong>s</strong> Origines », Pouvoirs. Représenter le pouvoir en <strong>France</strong>,<br />

Catalogue d’exposition, Nantes, 2008, p. 152-157.<br />

Nombreuses participations ou interviews dans la presse écrite <strong>et</strong> audio-visuelle.<br />

DVD sur Lutèce, sur les fouilles suisses <strong>de</strong> Mormont, diffusions sur Arte.


Histoire turque <strong>et</strong> ottomane<br />

M. Gilles Veinstein, professeur<br />

COURS : Istanbul, carrefour diplomatique : l’établissement <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

permanentes européennes<br />

La pénétration ottomane en Europe, à partir du milieu du xive siècle,<br />

s’accompagne, bien entendu, <strong>de</strong> relations <strong>de</strong> guerre avec les Etats chrétiens<br />

européens, mais aussi <strong>de</strong> relations qu’on peut qualifier <strong>de</strong> diplomatiques. Elles sont<br />

naturellement amenées par les limites <strong><strong>de</strong>s</strong> capacités militaires du conquérant, aux<br />

prises avec <strong><strong>de</strong>s</strong> adversaires qui ne sont pas inertes, qui nouent entre eux (ainsi<br />

d’ailleurs qu’avec <strong><strong>de</strong>s</strong> partenaires musulmans en Asie) <strong><strong>de</strong>s</strong> coalitions d’une certaine<br />

puissance. Elles sont favorisées aussi par les divisions existant entre ces adversaires,<br />

aux visées divergentes <strong>et</strong> concurrentes. C’est à c<strong>et</strong>te diplomatie ottomane en<br />

Europe, <strong><strong>de</strong>s</strong> origines au xviiie siècle, qu’ont été consacrés les trois <strong>de</strong>rniers <strong>cours</strong>.<br />

Des traités <strong>de</strong> différents types sont conclus dont la nature renvoie aux principes<br />

fondamentaux du droit musulman <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports avec les infidèles, les Ottomans ne<br />

faisant qu’en donner une adaptation, d’ailleurs <strong>de</strong> plus en plus souple. Ces<br />

constatations ont fait l’obj<strong>et</strong> du premier <strong>cours</strong>. Se conformant aux usages<br />

immémoriaux en la matière, les Ottomans pratiquent la diplomatie à travers<br />

l’échange d’ambassa<strong>de</strong>urs extraordinaires <strong>de</strong> différents rangs <strong>et</strong> caractères. Comme<br />

on a toujours fait, <strong>de</strong> par le mon<strong>de</strong>, ils en reçoivent, mais, ce qui est moins connu,<br />

ils en envoient aussi à chaque fois que le besoin s’en fait sentir. C<strong>et</strong>te question a<br />

fait l’obj<strong>et</strong> du <strong>de</strong>uxième <strong>cours</strong>. En revanche, ils n’adoptent pas, au long <strong>de</strong> la<br />

pério<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne, c<strong>et</strong>te innovation qui apparaît dans l’Italie du xve siècle <strong>et</strong> qui<br />

sera désormais l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs essentiels <strong>de</strong> la diplomatie européenne :<br />

l’établissement d’ambassa<strong>de</strong>urs rési<strong>de</strong>nts ou permanents. Plus exactement, ils ne<br />

l’adopteront qu’à moitié : eux-mêmes n’établiront pas <strong>de</strong> semblables ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

dans les principales capitales européennes avant l’extrême fin du xviiie siècle.<br />

En revanche — <strong>et</strong> cela reste significatif <strong>de</strong> leur attitu<strong>de</strong> vis-à-vis du mon<strong>de</strong><br />

extérieur — ils accepteront très tôt <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> permanentes chez eux. Il en<br />

résultera une dissymétrie souvent remarquée. Voltaire parlera ainsi <strong>de</strong> « la mauvaise


680 GILLES VEINSTEIN<br />

politique <strong>de</strong> la Porte d’avoir toujours par vanité <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs <strong><strong>de</strong>s</strong> princes<br />

chrétiens à Constantinople <strong>et</strong> <strong>de</strong> ne pas entr<strong>et</strong>enir un seul agent dans les <strong>cours</strong><br />

chrétiennes ». Le <strong>de</strong>rnier <strong>cours</strong> s’est attaché à c<strong>et</strong>te particularité : les Turcs reçoivent<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs permanents (quelques-uns du moins) mais n’en établissent pas à<br />

leur tour. Nous nous sommes <strong>de</strong>mandé si, comme la formule qui précè<strong>de</strong>, tend à<br />

le suggérer, ce comportement résultait d’un principe, d’un axiome politique conçu<br />

a priori (dont le moteur aurait, par exemple, été la vanité) ou s’il n’avait pas été<br />

plutôt le fruit <strong>de</strong> circonstances dans lesquelles les gouvernants ottomans auraient<br />

été plus ou moins passifs, quitte à ce qu’ils y trouvent <strong><strong>de</strong>s</strong> avantages à l’usage <strong>et</strong><br />

donc <strong><strong>de</strong>s</strong> justifications après coup. En d’autres termes, nous nous sommes penché<br />

sur les conditions <strong>de</strong> création <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre premières ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> permanentes à<br />

Constantinople : celles <strong>de</strong> Venise (1454), <strong>de</strong> <strong>France</strong> (1535), d’Angl<strong>et</strong>erre (1583)<br />

<strong>et</strong> enfin <strong><strong>de</strong>s</strong> Pays-Bas (1612). Les autres qui suivront au xviii e siècle, ne feront<br />

qu’emprunter une voie désormais bien tracée. Dans chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre cas considérés<br />

<strong>de</strong> plus près, nous avons cherché à évaluer ce qui revenait à l’Etat représenté <strong>et</strong> ce<br />

qu’avait été le comportement <strong>de</strong> la Porte.<br />

Le cas vénitien<br />

Le premier ambassa<strong>de</strong>ur permanent dans la Constantinople ottomane fut le<br />

baile (bailo), c’est-à-dire le représentant <strong>de</strong> la république <strong>de</strong> Venise — <strong>et</strong> <strong>de</strong> loin<br />

puisqu’il est apparu dès 1454, soit dès l’année qui a suivi la conquête <strong>de</strong> la ville.<br />

Encore s’agit-il d’un cas bien différent <strong>de</strong> celui qui suivra quatre-vingts ans plus<br />

tard (l’établissement <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), puisqu’il ne s’agit en rien d’une<br />

innovation mais <strong>de</strong> la simple reprise d’une institution bien antérieure. Le baile <strong>de</strong><br />

Venise auprès du sultan ne fait en eff<strong>et</strong> que prendre la suite du baile <strong>de</strong> Venise à<br />

Byzance — une institution très ancienne, remontant au xie siècle, mais qui n’avait<br />

acquis toute son importance <strong>et</strong> ses caractéristiques qu’après la reconquête <strong>de</strong><br />

Byzance par Michel Paléologue en 1265-1268. Comme ce sera le cas à l’époque<br />

ottomane, la fonction se situe au somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> la carrière diplomatique vénitienne ;<br />

elle est détenue par <strong><strong>de</strong>s</strong> membres <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> familles patriciennes spécialisées dans<br />

les affaires du Levant ; elle comprend trois vol<strong>et</strong>s principaux : le baile est à la fois<br />

un ambassa<strong>de</strong>ur en charge <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires politiques ; un consul, protecteur <strong><strong>de</strong>s</strong> intérêts<br />

commerciaux <strong>de</strong> Venise <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> ses marchands ; un chef <strong>de</strong> communauté,<br />

administrant <strong>et</strong> jugeant les ressortissants vénitiens. Son autorité ne se limite pas à<br />

la capitale, mais s’étend à l’empire byzantin dans son ensemble : il est Baiulus<br />

Ven<strong>et</strong>orum in Constantinopoli <strong>et</strong> in toto imperio Romanie.<br />

Au surplus, dès avant la conquête <strong>de</strong> Constantinople, le baile accrédité auprès<br />

du basileus byzantin, joue, <strong>de</strong> fait, <strong>de</strong> par sa position géopolitique, un rôle déjà<br />

important dans les relations diplomatiques entre le jeune Etat ottoman (dont les<br />

capitales sont successivement Bursa puis Edirne) <strong>et</strong> la Sérénissime, que lui-même<br />

(parmi d’autres dignitaires) serve d’ambassa<strong>de</strong>ur extraordinaire auprès <strong><strong>de</strong>s</strong> sultans,<br />

ou qu’il envoie ses émissaires à ces <strong>de</strong>rniers. Dans ces conditions, la substitution<br />

du pouvoir ottoman au pouvoir byzantin à Constantinople n’apporte pas <strong>de</strong>


HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 681<br />

changement radical au dispositif diplomatique vénitien dans la région (même si,<br />

par ailleurs, une menace formidable pèsera désormais <strong>de</strong> ce fait sur le Dominio da<br />

Mar <strong>de</strong> la République <strong>et</strong> ne cessera plus).<br />

Encore fallait-il pour que la continuité s’opère ainsi que le conquérant ottoman<br />

s’y prêtât. Rien n’était a priori évi<strong>de</strong>nt sur ce point puisque les Vénitiens présents<br />

dans la capitale, à commencer par le baile lui-même, Gerolamo Minotto, avaient<br />

apporté activement leur con<strong>cours</strong> au basileus assiégé. Minotto sera même exécuté<br />

en conséquence par les vainqueurs. Au <strong>de</strong>meurant, une fois le succès militaire<br />

obtenu, Mehmed II dont l’objectif est d’assurer désormais la renaissance <strong>et</strong> la<br />

prospérité <strong>de</strong> la ville conquise dont il a décidé <strong>de</strong> faire sa nouvelle capitale, <strong>et</strong><br />

d’autre part <strong>de</strong> poursuivre ses conquêtes, notamment en Grèce, fait preuve d’un<br />

réalisme consommé. De même qu’il conclut un traité avec les Génois <strong>de</strong> Galata<br />

(qui l’avaient pourtant trahi durant le siège), il traite avec Venise. Le même<br />

Bartolomeo Marcello que le sénat vénitien avait dépêché à l’origine pour persua<strong>de</strong>r<br />

le jeune sultan <strong>de</strong> faire la paix avec le basileus, avait vu l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> son ambassa<strong>de</strong><br />

être modifié en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> route, Constantinople étant tombée entre-temps : par une<br />

décision du 17 juill<strong>et</strong>, le sénat, ayant pris acte <strong>de</strong> la disparition du basileus, ne<br />

prescrivait plus à son ambassa<strong>de</strong>ur que d’obtenir le renouvellement, l’orage étant<br />

passé, du traité vénéto-ottoman antérieur <strong>de</strong> 1451. Le sultan y consent par un acte<br />

du 18 avril 1454, ratifié ensuite à Venise : le sultan a besoin <strong>de</strong> Venise, <strong>de</strong> son<br />

commerce <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa neutralité. L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> objectifs <strong>de</strong> la République est <strong>de</strong> rétablir le<br />

baile à Constantinople dans la plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses fonctions <strong>et</strong> prérogatives <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

garantir ce statut par un traité (une « capitulation ») accordé sous serment par le<br />

sultan (un ‘ahdnâme). Elle n’y parviendra pas d’un seul coup, se heurtant donc<br />

apparemment à <strong><strong>de</strong>s</strong> résistances <strong>de</strong> l’autre partie. On peut constater, à travers les<br />

renouvellements successifs <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations vénitiennes, dans la secon<strong>de</strong> moitié du<br />

xv e <strong>et</strong> encore au début du xvi e siècle, combien la diplomatie vénitienne progresse<br />

sur c<strong>et</strong>te voie <strong>et</strong> réussit finalement à faire reconnaître par le sultan, en vertu <strong>de</strong> son<br />

‘ahdnâme, la totalité <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>et</strong> prérogatives <strong>de</strong> l’ancien baile <strong>de</strong> Byzance.<br />

Le traité <strong>de</strong> 1454 acceptait déjà qu’un baile <strong>de</strong> Venise séjourne à Istanbul, avec<br />

sa suite, ce qui était déjà un acquis essentiel, mais ce baile ne pouvait <strong>de</strong>meurer<br />

que pendant un an, au terme duquel il <strong>de</strong>vait être remplacé. Dans c<strong>et</strong>te restriction<br />

manifestement imputable à la partie ottomane, on peut discerner la méfiance<br />

suscitée par c<strong>et</strong>te présence étrangère, <strong>et</strong> peut-être aussi un souci <strong>de</strong> se conformer à<br />

la durée du séjour autorisé à un musta’min, tel qu’il est fixé par le droit hanéfite.<br />

Une durée aussi brève ne pouvait que sembler incommo<strong>de</strong> à la partie vénitienne.<br />

Elle <strong>de</strong>vra néanmoins attendre le traité ottomano-vénitien <strong>de</strong> 1503, consécutif à la<br />

guerre entre les <strong>de</strong>ux Etats <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1499-1502, pour que le sultan Bayezid II<br />

leur accor<strong>de</strong> un délai plus satisfaisant <strong>de</strong> trois ans. Les négociateurs vénitiens<br />

n’avaient d’ailleurs obtenu c<strong>et</strong>te concession que in extremis. Dans une l<strong>et</strong>tre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

3-12 octobre 1503, Bayezid II, tirant les conclusions <strong><strong>de</strong>s</strong> négociations qui avaient<br />

été menées à ce suj<strong>et</strong>, annonçait au doge Leonardo Loredan son intention d’allonger<br />

jusqu’à trois ans le séjour du baile (Archives d’Etat <strong>de</strong> Venise, Bailo a Costantinopoli,


682 GILLES VEINSTEIN<br />

busta 1, n° 109). Le doge répond au sultan par une l<strong>et</strong>tre du 19 avril 1504 qu’il<br />

ratifie la correction apportée à la <strong>de</strong>rnière capitulation, faisant passer à trois ans la<br />

durée d’exercice <strong>de</strong> l’office du baile (M.-P. Pedani, I « Documenti Turchi »<br />

<strong>de</strong>ll’Archivio di Stato di Venezia, 1994, p. 41, n° 149). C<strong>et</strong>te disposition est<br />

confirmée dans la capitulation suivante, celle <strong>de</strong> 1513 qui institue en outre un<br />

principe <strong>de</strong> succession automatique qui n’avait pas été formulé jusqu’ici. Il stipule<br />

en eff<strong>et</strong> : « qu’il parte avant qu’une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> trois années ne s’achève, <strong>et</strong> qu’un<br />

autre vienne à sa place, <strong>de</strong> la même façon » (üç yıl tamam olmadın ol gi<strong>de</strong>, anun<br />

yerine ol vechile bir dahi gele).<br />

Il est à noter que c<strong>et</strong>te durée réglementaire <strong>de</strong> trois ans (appelée à un grand<br />

avenir puisqu’elle est encore la durée moyenne <strong>de</strong> séjour <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs dans les<br />

usages internationaux) ne sera pas toujours strictement respectée dans les faits : <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

durées <strong>de</strong> séjour supérieures <strong><strong>de</strong>s</strong> bailes (quatre, cinq, six ans <strong>et</strong> même sept ans)<br />

seront observées dans la secon<strong>de</strong> moitié du xvi e <strong>et</strong> au xvii e siècle, en raison <strong>de</strong><br />

circonstances particulières, sans opposition <strong><strong>de</strong>s</strong> autorités ottomanes.<br />

Outre la question <strong>de</strong> la durée <strong>de</strong> la mission, essentielle à la notion d’ambassa<strong>de</strong><br />

permanente, d’autres articles relatifs au baile apparaîtront également dans les<br />

‘ahdnâme vénitiens successifs. L’essentiel est déjà présent dans celui <strong>de</strong> 1482, émis<br />

à l’occasion <strong>de</strong> l’avènement <strong>de</strong> Bayezid II. Il y est énoncé : « qu’il [le baile] vienne<br />

avec sa suite <strong>et</strong> qu’il s’établisse à Istanbul, <strong>de</strong> sorte qu’il s’y occupe <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

marchands vénitiens <strong>et</strong> qu’il règle les litiges <strong>de</strong> toutes natures qui lui seront soumis,<br />

conformément à leurs usages (ayinlerince) ».<br />

Non seulement les droits <strong>de</strong> justice du baile sur ses administrés sont ainsi<br />

reconnus, mais il lui est également loisible <strong>de</strong> recourir, en cas <strong>de</strong> besoin, à la force<br />

publique ottomane : « que l’officier <strong>de</strong> police (subașı) en fonctions à Istanbul, lui<br />

prête assistance dans les affaires qui le concernent ». En ce sens, le baile est en<br />

quelque sorte intégré à l’appareil d’Etat ottoman. De nouvelles clauses seront<br />

ajoutées dans les ‘ahdnâme <strong>de</strong> 1513 <strong>et</strong> 1517, selon lesquelles les marchands vénitiens<br />

désireux <strong>de</strong> se rendre à Bursa <strong>et</strong> dans d’autres lieux <strong>de</strong> l’Empire, ne pourront le<br />

faire sans l’autorisation du baile. S’ils désobéissent (<strong>et</strong> <strong>de</strong> fait les marchands voyaient<br />

d’un mauvais oeil l’immixtion du baile <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> autres consuls vénitiens dans leurs<br />

affaires), les officiers <strong>de</strong> police locaux <strong>de</strong>vaient prêter main-forte aux bailes pour<br />

faire plier les récalcitrants.<br />

Par ailleurs, les mêmes traités reconnaissaient au baile certaines immunités<br />

constituant une sorte d’embryon d’un statut diplomatique du baile, préfigurant dans<br />

une certaine mesure les notions d’immunité diplomatique <strong>et</strong> <strong>de</strong> privilège<br />

d’exterritorialité, qui s’imposeront par la suite dans le « droit <strong><strong>de</strong>s</strong> gens » (jus gentium),<br />

tel qu’il sera codifié en Occi<strong>de</strong>nt. Ces immunités sont avant tout d’ordre judicaire.<br />

Selon les capitulations <strong>de</strong> 1513, le baile ne pourra être tenu pour responsable <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

d<strong>et</strong>tes <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s vénitiens ; s’il est impliqué dans un procès, celui-ci ne sera pas du<br />

ressort du juge local, mais <strong>de</strong>vra être porté <strong>de</strong>vant le « divan impérial ». Ces affaires<br />

font donc partie <strong><strong>de</strong>s</strong> « causes réservées » <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te juridiction suprême. Si le sultan est


HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 683<br />

absent <strong>de</strong> la capitale, le baile sera entendu par son substitut, le kaymakam, en présence<br />

du cadi d’Istanbul. D’autres immunités du baile sont au contraire absentes <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

‘ahdnâme, mais entreront dans l’usage <strong>et</strong> seront d’ailleurs régulièrement confirmées<br />

par c<strong>et</strong>te autre source <strong>de</strong> droit que sont les ordres impériaux. Il s’agit d’immunités<br />

fiscales : l’exemption <strong>de</strong> droits <strong>de</strong> douane <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> autres taxes sur les <strong>de</strong>nrées <strong><strong>de</strong>s</strong>tinées<br />

à l’approvisionnement du baile, <strong>de</strong> son personnel <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa suite (notamment les<br />

raisins, le vin <strong>et</strong> les porcs). Absentes <strong><strong>de</strong>s</strong> traités, ces <strong>de</strong>rnières immunités étaient peutêtre<br />

conçues par la Porte comme situées sur un autre registre : celui <strong><strong>de</strong>s</strong> lois <strong>de</strong><br />

l’hospitalité. L’ambassa<strong>de</strong>ur est en eff<strong>et</strong> un hôte, en même temps — nous y<br />

reviendrons — qu’il est virtuellement un otage (les Français, quant à eux, n’en<br />

prendront pas moins la précaution <strong>de</strong> faire inscrire ces franchises fiscales <strong>de</strong><br />

l’ambassa<strong>de</strong>ur dans leurs capitulations, plus tard, à partir <strong>de</strong> 1604).<br />

Si tout ce qui définit la position du baile, n’est pas inclus dans les ‘ahdnâme (il<br />

est d’ailleurs bien <strong><strong>de</strong>s</strong> domaines dans lesquels ces traités ne sont pas le seul<br />

instrument juridique applicable aux Vénitiens en général), ceux-ci constituent<br />

néanmoins un corpus auxquels les muftis peuvent se référer dans leurs consultations<br />

juridiques (f<strong>et</strong>vâ), au même titre que les autres sources <strong>de</strong> droit reconnues dans<br />

l’empire. On trouvera ainsi dans les archives du baile, une f<strong>et</strong>vâ qu’il avait<br />

vraisemblablement sollicitée lui-même, portant sur la question suivante : le baile<br />

étant le représentant (vekil <strong>et</strong> kaymakam) <strong><strong>de</strong>s</strong> marchands vénitiens, ces <strong>de</strong>rniers<br />

sont-ils habilités à lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong><strong>de</strong>s</strong> in<strong>de</strong>mnités pour les marchandises qu’ils ont<br />

perdues ? Pour argumenter sa réponse, le mufti ne cite pas d’autre autorité que les<br />

passages <strong><strong>de</strong>s</strong> ‘ahdnâme relatifs au baile (ASV, Bailo, B. 339, n° 53).<br />

Il est à noter également que les capitulations vénitiennes se réfèrent surtout au<br />

baile, dans <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses fonctions que nous avions déjà citées, celles <strong>de</strong> consul <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> chef <strong>de</strong> la communauté vénitienne. De fait, bien que souvent négligée par les<br />

historiens, la fonction consulaire gar<strong>de</strong> toute son importance à l’époque ottomane.<br />

Comme l’écrivait la Seigneurie vénitienne au baile Marino Cavalli (1560), étudié<br />

naguère par le regr<strong>et</strong>té Bruno Simon :<br />

« Nous vous avons envoyé là-bas pour être notre baile, comme le veut la coutume,<br />

<strong>et</strong>, finalement, vous recomman<strong>de</strong>rez les marchands <strong>et</strong> nos suj<strong>et</strong>s à Sa Majesté [le<br />

sultan], comme il vous paraîtra expédient, pendant le temps où vous serez en sa<br />

présence. Vous ne manquerez pas dans toutes les occasions où cela leur sera nécessaire<br />

<strong>de</strong> donner à ces marchands <strong>et</strong> à nos suj<strong>et</strong>s toute ai<strong>de</strong> <strong>et</strong> faveur possibles, car cela est<br />

une <strong><strong>de</strong>s</strong> principales raisons pour lesquelles nous vous avons envoyé là-bas ».<br />

Le fait qu’à l’époque ottomane, les Vénitiens per<strong>de</strong>nt au profit <strong>de</strong> nouveaux<br />

venus <strong>de</strong> l’ouest <strong>de</strong> l’Europe la place qui avait été la leur à l’époque byzantine (où<br />

seuls les Génois étaient pour eux <strong><strong>de</strong>s</strong> concurrents sérieux) n’exclut pas, bien au<br />

contraire, la nécessité pour le baile <strong>de</strong> protéger <strong>et</strong> d’essayer <strong>de</strong> promouvoir, dans<br />

ce contexte difficile, l’activité <strong>de</strong> ses nationaux. Dans c<strong>et</strong>te tâche, il est assisté,<br />

comme à l’époque précé<strong>de</strong>nte, par un conseil <strong>de</strong> douze marchands (qui perdra<br />

toutefois <strong>de</strong> son importance après la guerre <strong>de</strong> Chypre) <strong>et</strong>, d’autre part, par le


684 GILLES VEINSTEIN<br />

réseau <strong><strong>de</strong>s</strong> consuls <strong>de</strong> Venise, que le sultan confirme par <strong><strong>de</strong>s</strong> exæquatur appelés<br />

berat. Ces consuls, comme l’a montré M. Géraud Poumarè<strong>de</strong> dans sa thèse, ne<br />

dépen<strong>de</strong>nt d’ailleurs pas tous au même titre du baile : si ce <strong>de</strong>rnier gar<strong>de</strong>, comme<br />

au Moyen Âge, le droit <strong>de</strong> nommer <strong><strong>de</strong>s</strong> consuls dans les zones proches d’Istanbul,<br />

les anciens <strong>et</strong> prestigieux consuls <strong>de</strong> Syrie <strong>et</strong> d’Egypte restent désignés par le<br />

Maggior Consiglio <strong>et</strong> il leur arrive <strong>de</strong> correspondre directement avec la Porte qui<br />

leur donne volontiers, à eux aussi, le titre <strong>de</strong> bailes (ces <strong>de</strong>ux consulats qui auront<br />

perdu beaucoup <strong>de</strong> leur importance seront finalement supprimés au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

années 1670). De même, Venise créera <strong><strong>de</strong>s</strong> postes consulaires nouveaux dans les<br />

colonies qui lui auront été enlevées par les Ottomans, <strong>et</strong> ces postes seront laissés à<br />

la discrétion d’une institution créée par Venise au début du xvi e siècle pour<br />

réactiver son commerce, les Cinque savi alla mercanzia.<br />

Pour ce qui est du rôle du baile comme chef <strong>de</strong> sa nation, il se poursuit tout<br />

naturellement au sein <strong>de</strong> la structure communautaire <strong>de</strong> l’Empire ottoman. Non<br />

seulement la Porte le reconnaît comme représentant <strong>de</strong> sa communauté, mais,<br />

comme nous l’avons vu, elle lui offre son appui dans l’exercice <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te responsabilité.<br />

Si, en revanche, les ‘ahdnâme ne citent pas expressément son rôle politique qui en<br />

fait non pas seulement un consul mais un authentique ambassa<strong>de</strong>ur, les autorités<br />

ottomanes le reconnaissent d’autant plus naturellement dans les faits que les<br />

problèmes politiques avec Venise ne manquent pas <strong>et</strong> que, dans la paix comme dans<br />

la guerre, elles ont besoin <strong>de</strong> c<strong>et</strong> interlocuteur que viennent d’ailleurs fréquemment<br />

rejoindre à Constantinople <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs extraordinaires quand les circonstances<br />

le réclament. Les rapports étroits (<strong>et</strong> même, semble-t-il, amicaux) ayant pu exister<br />

entre un Marc’Antonio Barbaro, baile au moment <strong>de</strong> la guerre <strong>de</strong> Chypre <strong>et</strong> le grand<br />

vizir Sokollu Mehmed pacha, sont emblématiques <strong>de</strong> la place que le représentant<br />

vénitien peut tenir dans la capitale ottomane. Au surplus, la Porte m<strong>et</strong> à profit sa<br />

présence pour bénéficier <strong>de</strong> l’incomparable réseau d’informations vénitien sur la<br />

situation politique <strong>et</strong> militaire <strong><strong>de</strong>s</strong> Etats européens, particulièrement <strong>de</strong> ceux qui<br />

l’intéressent le plus. Elle compense en partie par ce biais, sa propre absence <strong>de</strong><br />

rési<strong>de</strong>nts à l’extérieur. Conscientes <strong>de</strong> c<strong>et</strong> atout dans leur jeu avec les Turcs, les<br />

autorités vénitiennes élaborent complaisamment <strong><strong>de</strong>s</strong> sortes <strong>de</strong> bull<strong>et</strong>ins<br />

d’information, les avvisi, qu’elles font traduire en turc à l’intention <strong>de</strong> leurs<br />

partenaires ottomans. Ces <strong>de</strong>rniers en sont friands <strong>et</strong> atten<strong>de</strong>nt avec impatience leur<br />

arrivée à Istanbul, accordant un crédit total au renseignement vénitien.<br />

Ce rôle politique notable est ce qui fait tout l’attrait <strong>de</strong> la fonction auprès <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

diplomates vénitiens. Ottavio Bon, en 1604, comparait l’office à un jardin « dans<br />

lequel les roses <strong>et</strong> les autres fleurs sont les affaires publiques, tandis que les épines<br />

<strong>et</strong> les mauvaises herbes sont les affaires <strong><strong>de</strong>s</strong> personnes privées, ayant trait à leurs<br />

bateaux, aux contrats qu’elles font <strong>et</strong> aux avanies qui leur sont imposées… »<br />

Cependant, c’est aussi ce rôle politique qui fait le danger <strong>de</strong> la fonction, dans le<br />

contexte mouvementé <strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre le Grand Turc <strong>et</strong> la République (outre<br />

que c<strong>et</strong>te fonction est onéreuse <strong>et</strong> expose par ailleurs le détenteur aux terribles<br />

épidémies sévissant en Orient).


HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 685<br />

Les Ottomans ont en eff<strong>et</strong> pour principe <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre aux arrêts, soit en les j<strong>et</strong>ant<br />

carrément en prison, soit en les assignant du moins à rési<strong>de</strong>nce les ambassa<strong>de</strong>urs<br />

(<strong>et</strong> tous les ressortissants qui tombent entre leurs mains) <strong><strong>de</strong>s</strong> pays avec lesquels ils<br />

sont en guerre. Cela s’applique d’ailleurs aussi bien aux ambassa<strong>de</strong>urs extraordinaires<br />

qu’aux rési<strong>de</strong>nts, mais les seconds, au moins, par nature, seront toujours à<br />

disposition. Les Vénitiens en ont fait l’expérience dès avant la conquête <strong>de</strong><br />

Constantinople, lors <strong>de</strong> la guerre vénéto-ottomane pour la possession <strong>de</strong> Salonique<br />

(1425-1430). A en croire certaines chroniques, les <strong>de</strong>ux ambassa<strong>de</strong>urs successifs<br />

(Nicolo Zorzi <strong>et</strong> Giacomo Dandolo) auraient non seulement été emprisonnés mais<br />

mis à mort par leurs geôliers, ce qui n’arrivera plus par la suite. Paolo Pr<strong>et</strong>o dit<br />

même que la prison pouvait parfois être « dorée » <strong>et</strong> que la détention n’était pas<br />

toujours très sévère. Par exemple, lors <strong>de</strong> la guerre vénéto-ottomane <strong>de</strong> 1537-1540,<br />

le baile est bien entendu emprisonné, mais il sera libéré dès novembre 1539 pour<br />

assister aux gran<strong><strong>de</strong>s</strong> fêtes <strong>de</strong> circoncision <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux fils <strong>de</strong> Soliman le Magnifique<br />

auxquelles il est convié (il est vrai que <strong><strong>de</strong>s</strong> pourparlers <strong>de</strong> paix étaient d’ores <strong>et</strong> déjà<br />

engagés ; Charrière, I, p. 417). Pendant c<strong>et</strong>te même guerre, un autre représentant<br />

vénitien, le consul à Damas, également aux arrêts dans la forteresse <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ville,<br />

n’en entr<strong>et</strong>ient pas moins une abondante correspondance avec le gouverneur<br />

vénitien <strong>de</strong> Chypre. A c<strong>et</strong>te fin, comme lui-même le confie, il utilise les services<br />

d’ « un janissaire digne <strong>de</strong> confiance ». Le fait que les guerres avec Venise soient<br />

considérées comme <strong><strong>de</strong>s</strong> crises certes graves mais passagères <strong>et</strong> qui doivent<br />

immanquablement, une fois les buts <strong>de</strong> guerre atteints, être suivies d’une reprise<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> bonnes relations habituelles, explique la relative modération présidant à ces<br />

détentions. Impulsions intempestives <strong>et</strong> tentatives d’intimidation n’étaient toutefois<br />

pas exclues. On rapporte ainsi qu’au début <strong>de</strong> la guerre <strong>de</strong> Crète, le sultan Ibrahim<br />

aurait eu l’intention <strong>de</strong> faire exécuter le baile <strong>de</strong> Venise. Il aurait fallu l’intervention<br />

du grand vizir, du grand mufti <strong>et</strong> <strong>de</strong> plusieurs autres dignitaires pour l’en dissua<strong>de</strong>r<br />

<strong>et</strong> le ramener au principe traditionnel <strong>de</strong> la simple captivité (Hammer, X, p. 112).<br />

C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière, appliquée aux Vénitiens comme elle le sera à tout ambassa<strong>de</strong>ur<br />

dont le pays entrait en guerre avec le sultan, répondait, semble-t-il, à <strong>de</strong>ux<br />

motivations : il fallait interdire à l’agent du pays ennemi toute activité d’espionnage<br />

<strong>et</strong> menées subversives ; mais il y avait sans doute aussi dans la mesure une dimension<br />

<strong>de</strong> rétorsion, <strong>de</strong> vengeance dont l’ambassa<strong>de</strong>ur faisait les frais, en même temps<br />

qu’un chantage plus ou moins explicite exercé à travers lui sur son gouvernement:<br />

il <strong>de</strong>venait alors pleinement l’otage qu’il avait été virtuellement jusque là. Un<br />

témoignage en est fourni, se rapportant non à un ambassa<strong>de</strong>ur vénitien, mais au<br />

comportement <strong>de</strong> Soliman le Magnifique vis-à-vis <strong>de</strong> Malvezzi, ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong><br />

Ferdinand <strong>de</strong> Habsbourg. Lorsque ce <strong>de</strong>rnier réclama au sultan l’élargissement <strong>de</strong><br />

son ambassa<strong>de</strong>ur, il lui fut rétorqué que « les ambassa<strong>de</strong>urs répondaient <strong>de</strong> la<br />

parole donnée par leurs maîtres <strong>et</strong> [que], en leur qualité d’otages, ils <strong>de</strong>vaient<br />

expier la violation » (Charrière, II, p. 211). Même, sous contrôle (quelles que<br />

fussent les circonstances, aucun ambassa<strong>de</strong>ur chrétien en poste à Istanbul ne fut<br />

jamais exécuté), c<strong>et</strong>te prise en otage <strong><strong>de</strong>s</strong> représentants étrangers fut fortement<br />

exploitée à l’appui <strong>de</strong> la thèse, selon laquelle les Ottomans restaient en <strong>de</strong>hors du


686 GILLES VEINSTEIN<br />

droit <strong><strong>de</strong>s</strong> gens, donnaient l’exemple emblématique <strong>de</strong> la violation <strong><strong>de</strong>s</strong> immunités<br />

diplomatiques. Lorsque Wickford, auteur <strong>de</strong> L’ambassa<strong>de</strong>ur <strong>et</strong> ses fonctions <strong>et</strong><br />

diplomate lui-même, s’attira par ses activités d’espionnage une arrestation dans le<br />

pays où il représentait le duc <strong>de</strong> Brunswick-Lunebourg, la Hollan<strong>de</strong>, il compare<br />

naturellement ses geôliers aux barbares turcs :<br />

« Les avanies étaient autrefois particulières aux Turcs, écrit-il, mais, <strong>de</strong>puis<br />

quelque temps, elles se sont si bien communiquées à la chrétienté que les circoncis<br />

y pourraient venir apprendre quelque chose <strong>de</strong> plus que ce qu’ils savent ».<br />

Le cas français<br />

Si Venise a, la première, longtemps avant les autres Etats européens, j<strong>et</strong>é les bases<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> représentations permanentes à Istanbul, elle n’avait fait qu’obtenir<br />

progressivement <strong>de</strong> Mehmed II <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses successeurs, le rétablissement intégral <strong>de</strong><br />

la position <strong>de</strong> son principal agent diplomatique <strong>et</strong> commercial en Méditerranée<br />

orientale : le baile. Les sultans s’étaient peu à peu laissés convaincre <strong>de</strong> revenir sur<br />

ce point comme sur divers autres au statu quo antérieur à la conquête. Par rapport<br />

à ces particularités du cas vénitiens, le cas français apparaît dans toute sa singularité,<br />

son exceptionnalité. L’ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> n’aura donc pas été la première,<br />

contrairement à ce qui sera durablement la version officielle française, soucieuse<br />

d’appuyer sur l’antériorité chronologique du représentant du roi sa primauté<br />

hiérarchique dans le corps diplomatique stambouliote, comme, plus généralement,<br />

un traitement privilégié <strong><strong>de</strong>s</strong> Français dans l’Empire ottoman. En revanche, elle<br />

présente l’originalité d’être une innovation absolue.<br />

Le rapprochement franco-ottoman naît <strong>de</strong> l’antagonisme entre François 1 er <strong>et</strong><br />

Charles-Quint, héritier <strong><strong>de</strong>s</strong> « rois catholiques » d’Espagne <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> ducs <strong>de</strong> Bourgogne,<br />

chef <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> Habsbourg <strong>et</strong> Empereur élu du Saint Empire romain<br />

germanique. Charles-Quint s’oppose aux prétentions italiennes du Valois (sur<br />

Gênes <strong>et</strong> Milan, voire sur le royaume <strong>de</strong> Naples). Lui-même a <strong><strong>de</strong>s</strong> revendications<br />

sur l’héritage bourguignon <strong>et</strong> il constitue une menace pour le royaume qu’il<br />

encercle presque entièrement <strong>de</strong> ses possessions. La <strong>France</strong> cherche un contrepoids<br />

à ce redoutable adversaire en nouant <strong><strong>de</strong>s</strong> contacts avec les Etats chrétiens du reste<br />

<strong>de</strong> l’Europe (Pologne, Hongrie, Transylvanie), mais elle n’y trouve pas un se<strong>cours</strong><br />

suffisant. La situation <strong>de</strong>vient critique en 1525, à la suite <strong>de</strong> la défaite <strong>de</strong> Pavie <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> l’emprisonnement <strong>de</strong> François 1 er à Madrid. C’est alors que la régente, Louise<br />

<strong>de</strong> Savoie, mère du roi, <strong>et</strong> le roi lui-même se déci<strong>de</strong>nt à tourner le dos à la politique<br />

traditionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> « rois très-chrétiens » vis-à-vis <strong>de</strong> l’islam en général <strong>et</strong> en <strong>de</strong>rnier<br />

lieu, vis-à-vis <strong><strong>de</strong>s</strong> Ottomans. Le roi, en grave difficulté, est <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur <strong>et</strong> le sultan,<br />

Soliman le Magnifique, immédiatement conscient <strong><strong>de</strong>s</strong> avantages symboliques <strong>et</strong><br />

stratégiques d’une telle alliance, accor<strong>de</strong> son amitié à un prince dont il ne méconnaît<br />

nullement la place sur l’échiquier européen — amitié qu’il inscrit d’emblée dans<br />

un rapport inégalitaire <strong>de</strong> protecteur à protégé. Compte tenu <strong>de</strong> l’innovation<br />

scandaleuse que représente ce rapprochement, la <strong>France</strong> fait d’abord appel dans


HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 687<br />

une première phase à <strong><strong>de</strong>s</strong> émissaires secr<strong>et</strong>s ou au moins discr<strong>et</strong>s, le cas échéant<br />

officiellement accrédités auprès du roi <strong>de</strong> Hongrie <strong>et</strong> non directement auprès du<br />

sultan. Tout <strong>de</strong>vrait se passer à l’insu, non seulement <strong>de</strong> l’ennemi, mais d’une<br />

partie <strong>de</strong> l’entourage du roi qui désapprouve entièrement c<strong>et</strong>te orientation. Le<br />

« secr<strong>et</strong> du roi » n’en est pas moins rapi<strong>de</strong>ment éventé par le réseau d’espions <strong>de</strong><br />

Charles-Quint. La connivence avec l’Infidèle est violemment dénoncée ; le désastre<br />

hongrois <strong>de</strong> Mohács <strong>de</strong> 1526 lui est imputé ; les agents du roi sont traqués entre<br />

<strong>France</strong> <strong>et</strong> Turquie. Pour remplir <strong><strong>de</strong>s</strong> missions aussi délicates <strong>et</strong> dangereuses auprès<br />

<strong>de</strong> son nouvel allié, bien différentes <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> ordinaires, François 1 er choisira<br />

dans une première phase <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes au profile particulier : ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> étrangers<br />

(le cas échéant <strong>de</strong> haute lignée), ayant une certaine connaissance <strong>et</strong> expérience <strong>de</strong><br />

l’est <strong>et</strong> du sud <strong>de</strong> l’Europe <strong>et</strong> résolument en rupture avec le système politique <strong>de</strong><br />

Charles-Quint, <strong><strong>de</strong>s</strong> esprits avisés en même temps que <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes d’action<br />

intrépi<strong><strong>de</strong>s</strong>. Interviendront ainsi dans les premières années <strong>de</strong> l’alliance, le croate<br />

Jean-François Frangipani, le Castillan Antonio Rincon, le Napolitain César<br />

Cantelmo, un autre Italien, Camillo Orsino, le marchand Ragusain Séraphin<br />

Guč<strong>et</strong>ić (ou Séraphin <strong>de</strong> Gozo). A ce <strong>de</strong>rnier, il reviendra <strong>de</strong> négocier secrètement<br />

avec le grand vizir Ibrahim pacha, à Alep, au printemps 1534, le premier traité<br />

franco-ottoman, une « trêve marchan<strong>de</strong> » dont le genre hybri<strong>de</strong> trahit bien la<br />

difficulté à donner forme — une forme avouable — à une entente sans précé<strong>de</strong>nt.<br />

François 1 er ne la publiera qu’en janvier 1535, acte signifiant sa volonté d’afficher<br />

désormais ouvertement son union avec le Turc.<br />

Pour Soliman <strong>et</strong> ses pachas qui, <strong>de</strong> leur côté, ne font pas les distinguos auxquels les<br />

Européens sont attachés, entre les différentes sortes <strong>et</strong> les « caractères » inégaux <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

ambassa<strong>de</strong>urs, ces émissaires d’un genre particulier, sont purement <strong>et</strong> simplement<br />

les « ambassa<strong>de</strong>urs (elçi) du pâdișâh <strong>de</strong> <strong>France</strong> » auxquels sont rendus les honneurs<br />

correspondant à l’état <strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre le sultan <strong>et</strong> le prince qu’ils représentent <strong>et</strong><br />

dont l’incognito n’est nullement respecté, dès lors qu’il est utile au sultan <strong>de</strong> faire<br />

sonner bien haut leur présence aux oreilles <strong>de</strong> leurs adversaires. L’agent Antonio<br />

Rincon sera ainsi reçu par Soliman, en juill<strong>et</strong> 1532, dans son camp <strong>de</strong> Belgra<strong>de</strong><br />

comme un ambassa<strong>de</strong>ur à part entière. Des coups <strong>de</strong> canon seront tirés ; les tentes<br />

seront illuminées — un spectacle <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné à impressionner les <strong>de</strong>ux émissaires <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Habsbourg, Joseph <strong>de</strong> Lamberg <strong>et</strong> Léonard <strong>de</strong> Nogarella, également présents dans le<br />

camp <strong>et</strong> impatients <strong>de</strong> faire avancer leurs négociations avec les Turcs. Comme le<br />

note le journal <strong>de</strong> campagne <strong>de</strong> Soliman, le 5 juill<strong>et</strong>, l’ambassa<strong>de</strong>ur français, ainsi<br />

que celui du roi <strong>de</strong> Pologne <strong>et</strong> les envoyés <strong>de</strong> Ferdinand, sont admis au baisemain<br />

avec le cérémonial observé dans la campagne précé<strong>de</strong>nte, celle <strong>de</strong> 1529, à l’occasion<br />

<strong>de</strong> la réception du roi <strong>de</strong> Hongrie, Jean Zapolya (Hammer, V, p. 478).<br />

Par rapport à c<strong>et</strong>te première phase, <strong>de</strong> l’avis général <strong><strong>de</strong>s</strong> historiens <strong><strong>de</strong>s</strong> relations<br />

franco-ottomanes, l’ambassa<strong>de</strong> à Constantinople <strong>de</strong> Jean <strong>de</strong> la Forêt (Jehan <strong>de</strong> la<br />

Forest), en 1535, aurait marqué un tournant. Il est en eff<strong>et</strong> unanimement considéré<br />

comme le premier véritable ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> <strong>France</strong> auprès du sultan : non plus un<br />

simple agent mais un ambassa<strong>de</strong>ur en titre <strong>et</strong> établi à <strong>de</strong>meure ; par conséquent


688 GILLES VEINSTEIN<br />

un ambassa<strong>de</strong>ur permanent. En fait, <strong><strong>de</strong>s</strong> sources précises sur ce qu’ont été alors les<br />

intentions <strong><strong>de</strong>s</strong> gouvernants français, les débats qu’a pu susciter le suj<strong>et</strong>, les décisions<br />

prises, n’ont pas été mis au jour (contrairement aux cas anglais <strong>et</strong> hollandais que<br />

nous verrons plus loin). Nous <strong>de</strong>vons donc déduire <strong><strong>de</strong>s</strong> quelques faits connus. Le<br />

profile <strong>de</strong> La Forêt est tout à fait distinct <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> ses prédécesseurs : c’est un<br />

Français, originaire <strong>de</strong> la Limagne, en Auvergne, <strong>de</strong>venu « notaire <strong>et</strong> secrétaire du<br />

roi » ; un clerc attaché à la maison du chancelier Duprat, un <strong><strong>de</strong>s</strong> grands artisans<br />

<strong>de</strong> l’alliance franco-ottomane qui rédigera d’ailleurs ses instructions. Rien d’un<br />

aventurier par conséquent. Cependant, c’est aussi un homme qui avait voyagé dans<br />

sa jeunesse ; qui avait résidé à Rome, à Venise <strong>et</strong> à Florence ; qui avait été l’élève<br />

<strong>de</strong> Lascaris, émigré <strong>de</strong> Constantinople <strong>et</strong> bibliothécaire érudit <strong>de</strong> Laurent <strong>de</strong><br />

Médicis. Il avait acquis ainsi <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances en grec ancien <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> en<br />

italien, qui pourraient être utiles à sa mission. Par ailleurs, comme il convient à un<br />

véritable ambassa<strong>de</strong>ur, La Forêt avait été doté d’une suite qui comprenait<br />

notamment un secrétaire, Charles <strong>de</strong> Marillac, son propre cousin, ainsi qu’un<br />

érudit, prodigieux polyglotte, Guillaume Postel. Ce <strong>de</strong>rnier était chargé <strong>de</strong><br />

rechercher <strong><strong>de</strong>s</strong> manuscrits grecs. Sa présence donnait une teinture « culturelle » à<br />

la délégation : facteur <strong>de</strong> prestige mais peut-être aussi masque <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné à en dissimuler<br />

l’obj<strong>et</strong> véritable. Autre particularité <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ambassa<strong>de</strong> qui n’est probablement pas<br />

fortuite : pour la première fois, on a conservé, dans les archives <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires<br />

étrangères, le texte <strong><strong>de</strong>s</strong> instructions remises à l’ambassa<strong>de</strong>ur avant son départ.<br />

Duprat y a détaillé les offres <strong>et</strong> les <strong>de</strong>man<strong><strong>de</strong>s</strong> que l’ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>vait présenter<br />

successivement à l’amiral <strong>de</strong> la flotte, Hayreddîn Barberousse à Alger, puis au<br />

sultan lui-même à Istanbul. Certaines précautions avaient été prises pour ne pas<br />

faire apparaître le roi comme trahissant, <strong>de</strong> son propre chef, la cause <strong>de</strong> la solidarité<br />

chrétienne, mais c’est bien <strong>de</strong> plans d’action militaire concertée avec le sultan qu’il<br />

s’agissait très précisément, ainsi que d’une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’ai<strong>de</strong> financière (« ung million<br />

d’or »). En revanche, le texte qui nous est parvenu ne précise rien sur ce qui nous<br />

préoccupe ici : la nature exacte <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong> conçue par le roi <strong>et</strong> son chancelier.<br />

La l<strong>et</strong>tre royale que La Forêt <strong>de</strong>vrait rem<strong>et</strong>tre à Soliman en disait assurément plus<br />

à ce suj<strong>et</strong>, mais nous ignorons jusqu’à quel point puisque c<strong>et</strong>te l<strong>et</strong>tre a disparu <strong>et</strong><br />

que nous ne connaissons d’elle que l’allusion du sultan dans sa réponse, comme<br />

nous le verrons plus loin. Pourquoi, à ce sta<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> relations bilatérales, établir une<br />

ambassa<strong>de</strong> permanente <strong>et</strong> comment la concevait-on ? Nous connaissons, en général,<br />

la propension <strong>de</strong> François 1 er à l’établissement d’ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> permanentes puisque<br />

d’une seule qui existait au début <strong>de</strong> son règne, il en portera le nombre à dix à la<br />

fin. Quelle durée était envisagée pour celle-là ? La seule indication dont nous<br />

disposions à c<strong>et</strong> égard est le relevé selon lequel La Forêt avait reçu du Trésor, le<br />

13 janvier 1535, la somme <strong>de</strong> 11 260 livres tournois « pour sa dépense <strong>de</strong> 563 jours<br />

qu’il pourroit vacquer en l’estat <strong>et</strong> charge d’ambassa<strong>de</strong>ur pour le Roy <strong>de</strong>vers aucuns<br />

Princes <strong>et</strong> seigneurs du Pays d’aultre mer [Barberousse <strong>et</strong> Soliman qu’on évitait <strong>de</strong><br />

nommer] ». C<strong>et</strong>te durée — grosso modo un an <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi — correspondait-elle à la<br />

durée totale prévue (en fonction <strong>de</strong> quels critères ?) ou s’agissait-il d’un premier<br />

versement, à compléter éventuellement ? Rétrospectivement, la mission <strong>de</strong> La


HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 689<br />

Forêt aura duré <strong>de</strong>ux ans <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi, mais cela ne renseigne guère sur les intentions<br />

françaises initiales puisque <strong>de</strong>ux impondérables interviendront : la décision <strong>de</strong><br />

Soliman d’emmener l’ambassa<strong>de</strong>ur avec lui en Albanie dans sa campagne <strong>de</strong> 1537,<br />

puis le décès <strong>de</strong> La Forêt à Vlorë (Avlonya) au début <strong>de</strong> septembre 1537.<br />

Par ailleurs, un autre document apporte quelque lumière sur ce que pourrait être à<br />

l’avenir un rési<strong>de</strong>nt français à la Porte : les passages concernant le « baile <strong>de</strong> <strong>France</strong> »<br />

dans ce qu’on a trop longtemps considéré à tort comme les capitulations <strong>de</strong> 1536<br />

entre François 1 er <strong>et</strong> Soliman le Magnifique. Il s’agit en réalité d’un texte préparatoire<br />

<strong>de</strong> traité, rédigé par La Forêt (Rincon le caractérisera en 1539 comme « <strong><strong>de</strong>s</strong> articles<br />

<strong>et</strong> capitulations qu’autrefois, du vivant d’Ibrahim Bacha, le feu <strong>de</strong> La Forest avoit<br />

faites <strong>et</strong> proposées » ; Charrière, I, p. 413-414) ; peut-être après discussion avec<br />

Ibrahim pacha (le texte y fait allusion mais il pourrait s’agir d’une simple anticipation<br />

<strong>de</strong> ce qui aurait dû se produire). Ce proj<strong>et</strong> ne fut jamais ratifié <strong>et</strong> promulgué par le<br />

sultan, <strong>et</strong> il n’entra donc pas en vigueur. Une <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons possibles <strong>de</strong> l’interruption<br />

du processus est l’exécution du grand vizir, le 5 mars 1536. La genèse du texte <strong>de</strong><br />

La Forêt pose également question : l’obtention <strong>de</strong> capitulations faisait-elle partie<br />

<strong>de</strong> sa mission (mais ses instructions n’en soufflent mot) ou prit-il l’initiative d’engager<br />

une négociation sur ce point, <strong>et</strong> le choix <strong><strong>de</strong>s</strong> articles était-il <strong>de</strong> son fait ? Quoi qu’il en<br />

soit, les articles r<strong>et</strong>enus proviennent en droite ligne du modèle vénitien <strong>et</strong> le terme <strong>de</strong><br />

baile appliqué au représentant français confirme bien la filiation. Si on y r<strong>et</strong>rouve les<br />

principales prérogatives du baile vénitien, telles que nous les avons r<strong>et</strong>racées plus<br />

haut, il est à noter que le rédacteur du texte français a écarté ce qui, dans le précé<strong>de</strong>nt<br />

vénitien, fixait la durée <strong>de</strong> séjour du baile <strong>et</strong> instituait son remplacement automatique<br />

au bout <strong>de</strong> trois ans. D’une manière générale, le baile français dont La Forêt a<br />

esquissé le portrait, fait, dirions-nous, profile bas. Le lieu <strong>de</strong> sa rési<strong>de</strong>nce elle-même<br />

est laissé dans le vague : « Constantinople, Péra ou autre lieu <strong>de</strong> c<strong>et</strong> empire ». Bien<br />

plus, le rédacteur note à chaque fois que les prérogatives <strong>de</strong>mandées pour lui sont<br />

celles d’un baile ou d’un consul. D’une manière générale, rien ne distingue vraiment<br />

le baile envisagé d’un simple consul, tel que la <strong>France</strong> en possè<strong>de</strong> déjà un : le consul<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Français <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Catalans d’Alexandrie — poste qui date <strong>de</strong> l’époque mamelouke<br />

<strong>et</strong> dont, précisément, Soliman a récemment, en 1528, confirmé les privilèges.<br />

Comment expliquer c<strong>et</strong>te r<strong>et</strong>enue sinon par un double souci : d’un côté, celui <strong>de</strong> ne<br />

pas trop comprom<strong>et</strong>tre ni engager le roi <strong>de</strong> <strong>France</strong> ; d’un autre celui <strong>de</strong> ne pas<br />

effaroucher le sultan par une innovation trop ambitieuse dont il risquerait <strong>de</strong> prendre<br />

ombrage ? On discerne bien là la différence avec le cas vénitien : la relation vénétoottomane<br />

était structurelle pour les <strong>de</strong>ux pays. La relation avec la <strong>France</strong> n’est encore<br />

que conjoncturelle. Il est à relever aussi pour mieux situer la place <strong>de</strong> La Forêt que<br />

lui-même ne s’assimile pas personnellement à ce baile dont il esquisse la mo<strong><strong>de</strong>s</strong>te<br />

figure : dans le préambule <strong>de</strong> son texte, il se désigne au contraire comme « conseillersecrétaire<br />

<strong>et</strong> ambassa<strong>de</strong>ur du très-excellent <strong>et</strong> très-puissant prince François ».<br />

Si les conditions d’élaboration <strong>de</strong> l’innovation française ne nous sont ainsi pas<br />

entièrement connues, il est clair en tout cas qu’elle ne fit l’obj<strong>et</strong> d’aucune<br />

concertation préalable avec le sultan <strong>et</strong> que celui-ci ne fut pas même averti qu’était


690 GILLES VEINSTEIN<br />

envoyé vers lui, en ce printemps <strong>de</strong> 1535, un ambassa<strong>de</strong>ur d’un genre inédit,<br />

différent, par exemple, <strong>de</strong> celui qu’il recevra le 26 mai suivant, dans le cadre <strong>de</strong> sa<br />

campagne <strong>de</strong> Baghdad, à la frontière <strong>de</strong> l’Irak <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Syrie. Le journal <strong>de</strong> campagne<br />

désigne ce <strong>de</strong>rnier comme França kralının elçisi, sans plus <strong>de</strong> précision : il s’agit<br />

vraisemblablement, comme l’a montré autrefois Jorjo Tadić, <strong>de</strong> Séraphin <strong>de</strong> Gozo,<br />

accomplissant là une nouvelle mission. Pour le reste, l’ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong> La Forêt fut<br />

marquée par la malchance : lorsqu’il débarque à Istanbul le 8 juin 1535 (comme<br />

l’attestent les documents <strong>de</strong> Simanca découverts par Jean Aubin), le sultan <strong>et</strong> le<br />

grand vizir sont absents, menant au loin leur campagne contre la Perse. Il est reçu<br />

par le gouverneur <strong>de</strong> la capitale, un simple sancakbey <strong>et</strong> il est si mal reçu qu’on<br />

peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si c<strong>et</strong> officier avait été seulement informé <strong>de</strong> l’arrivée <strong>de</strong> ce<br />

représentant <strong>de</strong> l’allié <strong>de</strong> son maître (qui avait dû pourtant bénéficier d’un saufconduit)<br />

: à en croire le récit d’un témoin direct, Postel, il l’aurait accusé <strong>de</strong> n’être<br />

qu’un espion « explorateur du royaume » (Le thrésor <strong><strong>de</strong>s</strong> prophéties <strong>de</strong> l’Univers) <strong>et</strong><br />

il fallut bien <strong>de</strong> la présence d’esprit au nouveau venu pour se tirer <strong>de</strong> ce mauvais<br />

pas. Il eut ensuite à attendre dans une relative inaction le r<strong>et</strong>our à Istanbul <strong>de</strong> ses<br />

interlocuteurs : Ibrahim pacha à qui ses instructions prescrivaient <strong>de</strong> s’adresser en<br />

premier, <strong>et</strong> le sultan lui-même. Peu après ce r<strong>et</strong>our, l’exécution d’Ibrahim pacha<br />

prive l’ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> son partenaire privilégié. Dans ces conditions, il faudra<br />

attendre le 5 avril 1536 (soit dix mois après l’arrivée <strong>de</strong> La Forêt) pour que Soliman<br />

accuse enfin réception à François 1 er <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres d’accréditation <strong>de</strong> son ambassa<strong>de</strong>ur.<br />

Dans l’importante l<strong>et</strong>tre émise ce jour, le sultan relate au roi l’accueil qui a été<br />

réservé à son ambassa<strong>de</strong>ur — un accueil qui, peut-être en raison <strong><strong>de</strong>s</strong> circonstances<br />

politiques particulières, n’a, paradoxalement, pas été aussi honorifique que pour<br />

ses prédécesseurs : il a été reçu par le « divan sublime », <strong>de</strong>vant lequel il a fait part<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> instructions reçues <strong>de</strong> son maître, <strong>et</strong>, dans un second temps ses propos ont été<br />

rapportés au sultan. C<strong>et</strong>te formulation laisse supposer qu’Ibrahim pacha était<br />

encore en fonction au moment <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te audience <strong>et</strong> qu’en ne mentionnant pas le<br />

grand vizir, mais seulement le « divan sublime », Soliman ne fait que sacrifier à la<br />

damnatio memoriæ <strong>de</strong> son ancien favori. Il reste que si La Forêt a eu droit à<br />

l’audience <strong><strong>de</strong>s</strong> vizirs, il n’a pas été admis au baisemain, c’est-à-dire à l’audience du<br />

sultan qui suivait généralement <strong>et</strong> dont Rincon, par exemple, comme nous l’avons<br />

vu, avait bénéficié. Mais par ailleurs, le sultan rassure pleinement son correspondant<br />

sur la poursuite <strong>de</strong> leur amitié <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur concor<strong>de</strong>, dans <strong><strong>de</strong>s</strong> formules rituelles qui<br />

prennent cependant ici une force particulière, après la condamnation d’Ibrahim<br />

pacha. Enfin le sultan réagit à l’initiative diplomatique du roi que, manifestement,<br />

il n’a découverte qu’après son r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> Perse : « vous avez ordonné à votre<br />

ambassa<strong>de</strong>ur susdit <strong>de</strong> <strong>de</strong>meurer ici, à notre Porte <strong>de</strong> félicité : qu’il <strong>de</strong>meure ! ».<br />

L’ambassa<strong>de</strong> permanente est donc acceptée, mais sans le moindre commentaire <strong>et</strong><br />

sans la moindre précision : c’est le bon plaisir du prince qui fait <strong>et</strong> défait sans<br />

explication. Il n’y aucune garantie pour l’avenir comme les Vénitiens en avaient<br />

fait inscrire dans leurs ‘ahdnâme.


HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 691<br />

D’ailleurs dans le contexte d’étroite collaboration militaire avec la <strong>France</strong>, le<br />

sultan ne tar<strong>de</strong> pas à constater l’intérêt d’avoir constamment sous la main un<br />

intermédiaire avec son allié qu’il considère comme étant autant à son service <strong>et</strong><br />

soumis à ses ordres qu’à ceux du roi. Peut-être y voit-il également le vivant symbole,<br />

aux yeux <strong>de</strong> l’Europe chrétienne, du coin qu’il a enfoncé en son sein. Ainsi<br />

s’expliquerait qu’il tienne à se faire accompagner dans sa gran<strong>de</strong> campagne maritime<br />

<strong>et</strong> terrestre <strong>de</strong> 1537 par l’ambassa<strong>de</strong>ur <strong>et</strong> sa suite, une pratique qui se reproduisit<br />

par la suite, en faveur <strong>de</strong> son successeur d’Aramon. Au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> revirements<br />

continuels <strong>de</strong> l’allié français, ce rési<strong>de</strong>nt était aussi un otage. Le secrétaire <strong>de</strong> La<br />

Forêt, Marillac, qui exercera l’intérim après la mort du premier, y voyait la véritable<br />

raison du refus du sultan <strong>de</strong> lui accor<strong>de</strong>r le congé qu’il désirait ar<strong>de</strong>mment, « soubz<br />

couleur <strong>de</strong> dire qu’il n’a homme avec qui il puisse traicter les affaires ».<br />

L’ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Forêt ne fut pas heureuse : il échoua à maintenir <strong>de</strong> bonnes<br />

relations entre Venise <strong>et</strong> la Porte. La campagne <strong>de</strong> 1537 qui fut marquée par le<br />

siège <strong>de</strong> Corfu, possession vénitienne, signifiait son échec <strong>et</strong>, frappé par la peste,<br />

il y laissa la vie. Marillac renvoya alors en <strong>France</strong> les membres <strong>de</strong> la suite du défunt<br />

pour qui tout ce séjour semble n’avoir été qu’une longue épreuve, « tant pour avoir<br />

souffert en ce pays l’espace <strong>de</strong> trois ans tant <strong>de</strong> travaulx, maladies, ennuys <strong>et</strong><br />

fascheryes avec ceste barbare nation qu’il leur serait trop grief en endurer<br />

davantaige ». Triste oraison pour une première ambassa<strong>de</strong> !<br />

Le principe <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs rési<strong>de</strong>nts à Istanbul n’en fut pas moins maintenu<br />

par la <strong>France</strong>, mais on revint pour les successeurs immédiats <strong>de</strong> La Forêt au type<br />

d’hommes <strong><strong>de</strong>s</strong> premières missions : Rincon lui-même remplaça La Forêt après<br />

l’intérim <strong>de</strong> Marillac puis ce fut au tour d’un Français <strong>de</strong> nouveau, mais un<br />

militaire, « général <strong><strong>de</strong>s</strong> galères », le capitaine Polin. Tous <strong>de</strong>ux furent vivement<br />

appréciés par le sultan. Il est difficile <strong>de</strong> parler d’ambassa<strong>de</strong>urs rési<strong>de</strong>nts dans leur<br />

cas puisqu’ils se déplacèrent beaucoup, aussi bien d’ailleurs sur ordre du sultan que<br />

sur celui du roi. Polin surtout, fit l’admiration <strong>de</strong> l’Europe pour la rapidité <strong>de</strong> ses<br />

allées <strong>et</strong> r<strong>et</strong>ours entre la <strong>France</strong> <strong>et</strong> la Turquie. Quant à Rincon, traqué <strong>de</strong>puis<br />

longtemps par les Habsbourgeois, c’est à un r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> <strong>France</strong> où il s’était rendu<br />

sur ordre <strong>de</strong> Soliman, qu’il fut assassiné sur le Pô par les hommes du gouverneur<br />

du Milanais, le marquis <strong>de</strong>l Vasto, le 2 juill<strong>et</strong> 1541. Néanmoins, quand les titulaires<br />

étaient ainsi absents <strong>de</strong> Constantinople, <strong><strong>de</strong>s</strong> « chargés d’affaires » tenaient<br />

l’ambassa<strong>de</strong> à leur place. Les documents officiels ottomans en prirent acte en leur<br />

attribuant le titre <strong>de</strong> kaymakam. Gabriel <strong>de</strong> Lu<strong>et</strong>z, seigneur d’Aramon, fut ainsi le<br />

kaymakam <strong>de</strong> Polin. Il n’en correspond pas moins directement avec le sultan,<br />

décidément peu soucieux du rang <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs, par <strong><strong>de</strong>s</strong> bill<strong>et</strong>s ou par<br />

l’intermédiaire du chef <strong><strong>de</strong>s</strong> eunuques blancs, le kapı ağa. La conclusion du traité<br />

<strong>de</strong> Crépy en Valois le m<strong>et</strong> un moment dans une position délicate. Quand,<br />

longtemps privé <strong>de</strong> toutes instructions, d’Aramon déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> rentrer en <strong>France</strong> pour<br />

être éclairé sur les intentions du roi, le kaymakam laisse un autre kaymakam à sa<br />

place : Jean-Jacques <strong>de</strong> Cambray, « homme <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> littérature, orné <strong>de</strong> plusieurs<br />

<strong>et</strong> diverses langues », selon le portrait que brossera <strong>de</strong> lui Nicolas <strong>de</strong> Nicolay.


692 GILLES VEINSTEIN<br />

D’Aramon est renvoyé par François 1 er à Istanbul, c<strong>et</strong>te fois comme ambassa<strong>de</strong>ur<br />

à part entière. Le roi, au soir <strong>de</strong> sa vie, veut relancer une nouvelle fois la coopération<br />

avec le Turc, attendant désormais <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier qu’il attaque non plus en Italie<br />

mais en Hongrie, <strong>et</strong> qu’il lance sa flotte sur la côte d’Afrique. Il s’agit aussi <strong>de</strong><br />

contrer les manœuvres à la Porte <strong>de</strong> Veltwick, l’ambassa<strong>de</strong>ur <strong><strong>de</strong>s</strong> Habsbourg, qui<br />

cherche à prolonger la trêve austro-ottomane, Pour faire oublier ses atermoiements<br />

passés <strong>et</strong> regagner auprès du sultan un prestige bien entamé, François 1 er donne à<br />

c<strong>et</strong>te ambassa<strong>de</strong> un lustre sans précé<strong>de</strong>nt : elle apporte <strong><strong>de</strong>s</strong> présents somptueux <strong>et</strong><br />

comprend une suite splendi<strong>de</strong>. C<strong>et</strong>te ambassa<strong>de</strong> durera six ans <strong>et</strong> verra le passage<br />

du règne <strong>de</strong> François 1 er à celui <strong>de</strong> Henri II qui, après un moment <strong>de</strong> flottement,<br />

confirmera pleinement la politique pro-ottomane <strong>de</strong> son père.<br />

C’est avec l’ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong> Gabriel d’Aramon qui va durer six ans qu’on prend<br />

pleinement la mesure <strong>de</strong> ce que signifie une ambassa<strong>de</strong> permanente française à<br />

Constantinople. Unique représentation étrangère dans la capitale ottomane<br />

(excepté, bien entendu, le cas vénitien qui est décidément à part), elle matérialise<br />

la relation étroite, la concertation permanente existant dans la pério<strong>de</strong> entre les<br />

<strong>de</strong>ux Etats. Le crédit <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong>ur se manifeste avec un éclat sans précé<strong>de</strong>nt,<br />

notamment à l’occasion <strong>de</strong> sa participation, à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> Henri II, à la première<br />

phase <strong>de</strong> la campagne <strong>de</strong> Perse, dite <strong>de</strong> Tabriz, <strong>de</strong> 1548-1549, durant laquelle<br />

lui-même <strong>et</strong> sa suite voyagent dans l’équipage le plus magnifique : « quelle gloire<br />

pour c<strong>et</strong> ambassa<strong>de</strong>ur <strong>et</strong> pour sa nation française, écrira Brantôme, <strong>de</strong> tenir tel rang<br />

auprès du plus grand monarque du mon<strong>de</strong> ». Même constatation chez Jacques<br />

Gassot : « Je pense que <strong>de</strong> nostre temps jamais ambassa<strong>de</strong>ur ne chemina en tel<br />

ordre, équipage <strong>et</strong> réputation ». Il se manifeste également par la communication<br />

directe existant, dans les moments forts <strong>de</strong> la coopération, entre le sultan <strong>et</strong> lui. Le<br />

premier prend sur lui <strong>de</strong> le renvoyer en <strong>France</strong> en janvier 1551 pour communiquer<br />

ses plans au roi. A son r<strong>et</strong>our, il l’invitera à prendre part à la campagne navale <strong>de</strong><br />

l’été 1552, en le dotant <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux galères à c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong>. En même temps, l’ambassa<strong>de</strong>ur,<br />

en vertu <strong>de</strong> sa personnalité propre, est le point <strong>de</strong> rencontre d’une pléia<strong>de</strong> d’hommes<br />

<strong>de</strong> l<strong>et</strong>tres <strong>et</strong> savants français qui, dans un esprit bien caractéristique <strong>de</strong> la Renaissance,<br />

affluent alors vers la Turquie (Pierre Belon, Jean Chesneau, Jacques Gassot,<br />

Guillaume Postel, Pierre Gilles, Nicolas <strong>de</strong> Nicolay).<br />

Néanmoins, conçue <strong>et</strong> maintenue par une volonté française, c<strong>et</strong>te institution<br />

nouvelle ne subsiste que par l’acquiescement <strong>de</strong> fait du sultan qui en reconnaît<br />

pragmatiquement l’utilité <strong>et</strong> qui, concrètement, accor<strong>de</strong> les sauf-conduits (amân-i<br />

șerîf ) nécessaires aux arrivants successifs <strong>et</strong> qui s’inquiète même quand le roi tar<strong>de</strong><br />

à donner un successeur au détenteur précé<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’office. A propos <strong>de</strong> la<br />

confirmation <strong>de</strong> Jean Dolu par Charles IX, Soliman écrit à ce <strong>de</strong>rnier que son<br />

frère, François II, avait précé<strong>de</strong>mment nommé le même Dolu « conformément à<br />

l’usage selon lequel vous avez un ambassa<strong>de</strong>ur à notre Porte <strong>de</strong> Félicité » (Charrière,<br />

II, p. 260). Légitimée par l’usage, l’ambassa<strong>de</strong> permanente (on verra apparaître le<br />

terme <strong>de</strong> mukim pour rendre la notion <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nt) n’a pas d’autre fon<strong>de</strong>ment en<br />

droit ottoman. Elle n’est pas, comme son antécé<strong>de</strong>nt vénitien, inscrite dans un


HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 693<br />

‘ahdnâme. Le besoin ne se fait pas sentir <strong>de</strong> donner suite aux articles que La Forêt<br />

avait esquissés à ce suj<strong>et</strong>. Chose remarquable, les premières capitulations qui seront<br />

accordées à la <strong>France</strong>, celles <strong>de</strong> 1569, émises par Selim II à l’instigation d’un<br />

envoyé extraordinaire, Clau<strong>de</strong> du Bourg, font silence sur la question <strong>de</strong><br />

l’ambassa<strong>de</strong>ur, <strong>et</strong>, notamment, ne reprennent pas les proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> La Forêt sur ce<br />

point. Elles n’apportent aucune sanction a posteriori <strong>de</strong> ce qui existait <strong>de</strong> facto<br />

<strong>de</strong>puis trente cinq ans. Faut-il y voir l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’hostilité <strong>de</strong> du Bourg <strong>et</strong> du grand<br />

vizir Sokollu Mehmed pacha à l’encontre <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong>ur en titre du moment,<br />

Grantrie <strong>de</strong> Grandchamp ?<br />

La mention <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong>ur dans les ‘ahdnâme accordés à la <strong>France</strong> n’apparaîtra<br />

en fait pour la première fois que dans la version <strong>de</strong> 1581, l’article correspondant<br />

ne portant pas sur l’existence même <strong>de</strong> c<strong>et</strong> officier qui, sans doute, n’a plus besoin<br />

à c<strong>et</strong>te époque, d’être établie, mais (outre les droits <strong>de</strong> justice <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong>ur <strong>et</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> consuls enfin reconnus) sur la préséance <strong>de</strong> celui-ci par rapport aux autres<br />

ambassa<strong>de</strong>urs présents à Constantinople. Par la suite, d’autres mentions relatives<br />

aux prérogatives <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> <strong>France</strong>, figureront dans les capitulations<br />

ultérieures. Pour revenir à la question <strong>de</strong> la préséance française, dont le seul fait<br />

qu’elle était posée dans les années 1580, en disait long sur les changements <strong>de</strong> la<br />

conjoncture diplomatique <strong>et</strong> <strong>de</strong> la place <strong>de</strong> la <strong>France</strong> à la Porte, avait été soulevée<br />

par un événement anecdotique, les funérailles du baile <strong>de</strong> Venise, Nicolo Barbarigo.<br />

A c<strong>et</strong>te occasion, un ambassa<strong>de</strong>ur (extraordinaire <strong>et</strong> non pas rési<strong>de</strong>nt) d’Espagne,<br />

Giovanni Margliani (Don Margliano) avait prétendu prendre le pas dans la<br />

cérémonie sur le Français Jacques <strong>de</strong> Germigny. A la suite <strong>de</strong> c<strong>et</strong> inci<strong>de</strong>nt qui eut<br />

pour conséquence qu’aucun ambassa<strong>de</strong>ur ne fut finalement convié aux obsèques,<br />

le gouvernement du sultan d’alors, Murad III, accepta <strong>de</strong> reconnaître la préséance<br />

française, non seulement dans sa l<strong>et</strong>tre à Henri III <strong>de</strong> juill<strong>et</strong> 1580, mais en la<br />

gravant dans le marbre <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations renouvelées qu’il lui accorda peu après,<br />

en la justifiant sur l’antériorité <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong> française <strong>et</strong>, plus largement, sur celle<br />

<strong>de</strong> la lignée royale française par rapport à celles <strong>de</strong> tous les autres princes <strong>et</strong> roi<br />

chrétiens. C<strong>et</strong>te complaisance avait une explication : dans le même temps, le sultan<br />

était en négociations avec un autre concurrent <strong>de</strong> la <strong>France</strong>, dont la rivalité<br />

s’avérerait bien plus durable, l’Angl<strong>et</strong>erre.<br />

Le cas anglais<br />

Quelques marchands anglais commencent à lancer <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations commerciales<br />

dans l’Empire ottoman vers le milieu du xvi e siècle <strong>et</strong> y font preuve d’un grand<br />

dynamisme. Ils comprennent l’intérêt <strong>de</strong> court-circuiter les intermédiaires vénitiens<br />

dans les importations d’Orient <strong>et</strong> ils éprouvent rapi<strong>de</strong>ment le besoin <strong>de</strong> s’affranchir<br />

<strong>de</strong> l’obligation <strong>de</strong> naviguer sous pavillon français. C<strong>et</strong>te obligation les rendait<br />

dépendants <strong>et</strong> entraînait le versement aux consuls français <strong>de</strong> droits dits <strong>de</strong><br />

« consulage » qui se montaient à 2 % <strong>de</strong> la valeur <strong><strong>de</strong>s</strong> cargaisons. Le droit <strong>de</strong><br />

pavillon était une conséquence <strong>de</strong> la position quasi-monopolistique <strong>de</strong> la <strong>France</strong><br />

en tant qu’alliée du sultan. Il s’appliquait à toutes les autres nations chrétiennes


694 GILLES VEINSTEIN<br />

(Venise exceptée) voulant commercer avec l’empire, la protection française les<br />

m<strong>et</strong>tant à l’abri <strong><strong>de</strong>s</strong> risques <strong>de</strong> leur situation <strong>de</strong> harbi, c’est-à-dire d’infidèles en<br />

guerre avec les musulmans. Reconnu dans les faits, dès les débuts <strong>de</strong> l’alliance<br />

franco-ottomane, le droit <strong>de</strong> pavillon français fait l’obj<strong>et</strong> d’une allusion dès les<br />

capitulations françaises <strong>de</strong> 1569, <strong>et</strong> sera expressément officialisé dans les suivantes.<br />

Outre les Anglais, plusieurs autres Etats tentaient vers la même époque d’échapper<br />

à c<strong>et</strong>te tutelle française en nouant ou renouant <strong><strong>de</strong>s</strong> liens directs avec Istanbul :<br />

Florence, Gênes, Milan, Lucques. Mais l’Anglais William Harborne, factor <strong>et</strong><br />

émissaire <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux négociants, Edward Osborne <strong>et</strong> Richard Staper, arrivé dans<br />

l’empire en 1578, fera preuve <strong>de</strong> la plus gran<strong>de</strong> efficacité. L’ouvrage <strong>de</strong> Suzanne<br />

Skilitter, William Harborne and the Tra<strong>de</strong> with Turkey (1578-1582) (Oxford,<br />

1977) qui a rassemblé <strong>et</strong> analysé <strong>de</strong> près toute la documentation sur la question,<br />

reste un gui<strong>de</strong> précieux. Il apparaît que si le facteur premier du rapprochement<br />

spectaculaire qui s’accomplit alors entre l’Angl<strong>et</strong>erre <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> Elisab<strong>et</strong>h <strong>et</strong><br />

l’empire <strong>de</strong> Murad III, est bien l’initiative anglaise, d’inspiration essentiellement<br />

commerciale (même si <strong><strong>de</strong>s</strong> considérations politiques viendront l’appuyer), le sultan<br />

y répond avec un empressement exceptionnel. Plusieurs raisons l’expliquent : il est<br />

alors englué dans une longue guerre avec la Perse au Caucase. A l’ouest, il se sent<br />

menacé par la politique <strong>de</strong> puissance du « roi catholique » Philippe II <strong>et</strong> redoute<br />

particulièrement les escadres <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier en Méditerranée (les flottes d’Espagne,<br />

<strong>de</strong> Naples <strong>et</strong> <strong>de</strong> Sicile). Contre ce danger, le roi <strong>de</strong> <strong>France</strong> n’est plus l’allié chrétien<br />

idéal qu’il avait été, du fait <strong>de</strong> l’affaiblissement du royaume pris dans la tourmente<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> guerres <strong>de</strong> religion <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> pressions espagnoles sur le pays. Il n’est pas question<br />

pour autant d’en finir avec l’amitié acquise avec ce pays, ce qui serait insulter<br />

l’avenir. Mais si la <strong>France</strong> reste en conséquence ménagée (<strong>et</strong> si le r<strong>et</strong>ard <strong>de</strong> cinq<br />

ans mis par Henri III à envoyer son nouvel ambassa<strong>de</strong>ur, Jacques <strong>de</strong> Germigny est<br />

mal perçu), c’est bien l’Angl<strong>et</strong>erre qui répond le mieux aux nécessités <strong>de</strong> l’heure,<br />

à la fois comme puissance navale prom<strong>et</strong>teuse <strong>et</strong> comme nation protestante. A ce<br />

second titre, elle présente le grand avantage au regard <strong><strong>de</strong>s</strong> Ottomans <strong>de</strong> ne pas être<br />

tenue par les interdits pontificaux d’exportation d’armes, d’étain <strong>et</strong> d’autres métaux<br />

en leur faveur. Dans ces conditions, à la suite <strong><strong>de</strong>s</strong> premières démarches <strong>de</strong> Harborne,<br />

le sultan prend l’initiative d’adresser une l<strong>et</strong>tre à la reine Elisab<strong>et</strong>h. C<strong>et</strong>te l<strong>et</strong>tre du<br />

7 mars 1579, conservée dans la traduction latine effectuée par un drogman <strong>de</strong> la<br />

Porte, Mustafa, qui avait été jointe à l’original, est un cas unique puisque, pour la<br />

première fois, un sultan prend les <strong>de</strong>vants <strong>et</strong> adresse à un prince chrétien autre<br />

chose qu’une réponse. Il fait part à la reine <strong><strong>de</strong>s</strong> ordres qu’il a donnés à ses agents<br />

en tous lieux pour que les marchands anglais, sur terre comme sur mer, ne soient<br />

pas molestés mais traités comme les Français <strong>et</strong> les Polonais (c’est-à-dire les<br />

ressortissants <strong>de</strong> pays ayant obtenu <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations). Le sultan, certes, ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

pas l’envoi d’un ambassa<strong>de</strong>ur mais signale son entière bonne volonté à l’égard <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

ressortissants anglais. Contrairement aux assurances données à Henri III, le sultan<br />

ne se soucie nullement, dans ces premiers contacts avec la reine, <strong>de</strong> passer par<br />

l’intermédiaire français, malgré la volonté exprimée par le roi « que toutes ces<br />

choses se fassent à son intervention <strong>et</strong> non autrement ». Dans la foulée, Harborne


HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 695<br />

obtient sans peine en 1580 <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations analogues aux capitulations françaises<br />

<strong>de</strong> 1569, au grand dam <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs français <strong>et</strong> vénitien. Ces <strong>de</strong>rniers croient<br />

prendre leur revanche quand, peu après, un inci<strong>de</strong>nt diplomatique, l’attaque <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ux bateaux grecs se rendant <strong>de</strong> Patmos à Venise par un vaisseau corsaire anglais,<br />

le Bark Roe, interrompt le processus <strong>de</strong> ratification <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations anglaises.<br />

Germigny obtient même dans le renouvellement <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations françaises <strong>de</strong><br />

1581, la mention explicite <strong>de</strong> l’Angl<strong>et</strong>erre parmi les nations <strong>de</strong>vant naviguer sous<br />

pavillon français. Néanmoins, Harborne, ses commanditaires <strong>et</strong> les autres marchands<br />

concernés vont tout faire à Londres pour faire aboutir, en dépit du contr<strong>et</strong>emps,<br />

le processus engagé, en s’assurant le con<strong>cours</strong> <strong>de</strong> la reine <strong>et</strong> <strong>de</strong> son gouvernement.<br />

Ils créent en septembre 1581 une société marchan<strong>de</strong>, la Turkey Company. Une<br />

autre sera créée en 1583, la Venice Company. Les <strong>de</strong>ux seront réunies en 1592,<br />

sous l’appellation <strong>de</strong> Levant Company. Celle-ci <strong>de</strong>viendra fameuse en tenant au<br />

xvii e siècle la première place dans le commerce européen au Levant. Les marchands<br />

sont convaincus que la ratification <strong>de</strong> leurs capitulations <strong>et</strong>, au-<strong>de</strong>là, la protection<br />

<strong>de</strong> leurs droits <strong>et</strong> garanties au Levant, ne peuvent être assurées que par l’envoi d’un<br />

ambassa<strong>de</strong>ur permanent à Istanbul. Comme les Vénitiens bien avant eux, les<br />

Anglais établissent un lien nécessaire entre capitulations <strong>et</strong> ambassa<strong>de</strong> permanente,<br />

ce que les Français dont l’objectif était avant tout politique, n’ont pas fait dans un<br />

premier temps, <strong>et</strong> ce que les Polonais m<strong>et</strong>tront encore beaucoup plus <strong>de</strong> temps à<br />

faire. Les marchands <strong>de</strong> Londres cherchent à convaincre la reine qu’elle n’atteindra<br />

ces buts que « having her agent there contynualie resi<strong>de</strong>nt ». La reine <strong>et</strong> son<br />

gouvernement n’y sont pas hostiles en principe (Angl<strong>et</strong>erre <strong>et</strong> Turquie ont bien un<br />

ennemi commun : Philippe II), mais les considérations financières amènent <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

échanges <strong>de</strong> vue entre la company <strong>et</strong> le gouvernement, pour déterminer la part <strong>de</strong><br />

chacun dans les dépenses entraînées par la mise sur pied <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong>, les<br />

dédommagement fiscaux auxquels la company pourrait prétendre en échange <strong>de</strong> sa<br />

contribution, <strong>et</strong> d’autre part sur la nature même <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ambassa<strong>de</strong>, question liée<br />

à celle <strong>de</strong> son coût. A travers quelques pétitions <strong>et</strong> memoranda qui ont subsisté,<br />

nous recueillons <strong><strong>de</strong>s</strong> échos <strong><strong>de</strong>s</strong> débats qui ont eu lieu sur les diverses solutions<br />

envisageables, dont nous n’avions pas trouvé l’équivalent dans le cas français.<br />

A propos <strong>de</strong> l’importance du ca<strong>de</strong>au à présenter au sultan, on se <strong>de</strong>mandait par<br />

exemple s’il fallait envoyer un représentant permanent (dont le caractère serait à<br />

déterminer) ou un simple nuncio, c’est-à-dire un envoyé <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxième ordre, qui<br />

rentrerait après avoir remis son ca<strong>de</strong>au, ayant, le cas échéant, été accompagné par<br />

un subalterne, un simple agent, qui, quant à lui, resterait sur place. On voit, peu<br />

après, que le principe d’un ambassa<strong>de</strong>ur permanent a été finalement r<strong>et</strong>enu <strong>et</strong><br />

qu’on entend obtenir pour lui le traitement le plus honorifique : il <strong>de</strong>vra recevoir<br />

du sultan une allocation (ta‘yin) maximale <strong>et</strong> être reçu par celui-ci, à son arrivée<br />

<strong>et</strong> à son départ. Il sera autorisé à rester au plus cinq ans (dans le cas français,<br />

rappelons-le, la durée n’a, au contraire, jamais été fixée). Après quoi, il laissera<br />

<strong>de</strong>rrière lui un agent pour trois ans. C’est bien ce qui arrivera dans les faits :<br />

William Harborne, compte tenu <strong>de</strong> son expérience <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses succès passés sera<br />

nommé ambassa<strong>de</strong>ur <strong>et</strong> séjournera cinq ans à Istanbul où il fera définitivement


696 GILLES VEINSTEIN<br />

ratifier les capitulations anglaises en 1583. Son secrétaire, Edward Barton lui<br />

succé<strong>de</strong>ra <strong>et</strong> rési<strong>de</strong>ra pendant trois ans, <strong>de</strong> 1583 à 1591.<br />

Ce succès anglais était un revers pour la <strong>France</strong> dont l’ambassa<strong>de</strong>ur Savary <strong>de</strong><br />

Lancosme se dédommagera en prétendant que lui seul était ambassa<strong>de</strong>ur à<br />

Constantinople, Barton, quant à lui, n’étant jamais qu’un marchand. Le jugement<br />

(ou le préjugé) n’était pas tout à fait sans fon<strong>de</strong>ment dans la mesure où l’ambassa<strong>de</strong>ur<br />

d’Angl<strong>et</strong>erre restera l’employé à la fois du gouvernement <strong>et</strong> <strong>de</strong> la company,<br />

dépendant financièrement <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux, même si, le plus souvent, le roi s’en réservera<br />

la désignation. S’occupant principalement du commerce, il peut également acquérir<br />

dans certaines circonstances un rôle politique substantiel <strong>et</strong> ses instructions<br />

comportent en tout état <strong>de</strong> cause « la découverte <strong>de</strong> toutes les négociations <strong>et</strong><br />

intrigues susceptibles <strong>de</strong> troubler la chrétienté ». Comprenant rapi<strong>de</strong>ment qu’ils<br />

n’étaient pas en position <strong>de</strong> faire revenir la Porte sur l’existence d’un rési<strong>de</strong>nt<br />

« protestant » (Luteran elçisi pour les Turcs ) <strong>et</strong> <strong>de</strong> capitulations anglaises, les<br />

ambassa<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> <strong>France</strong>, notamment celui <strong>de</strong> Henri IV, Savary <strong>de</strong> Brèves,<br />

s’efforcent du moins, non sans peine <strong>et</strong> sans déboires, <strong>de</strong> préserver leur droit <strong>de</strong><br />

pavillon sur les nations tierces, Savary <strong>de</strong> Brèves ne dédaignant nullement <strong>de</strong> se<br />

faire délivrer <strong><strong>de</strong>s</strong> f<strong>et</strong>vâ par les șeyh ül-islâm à c<strong>et</strong>te fin, récemment présentées par<br />

M. Viorel Panaite ( BNF, fonds turc ancien n° 130 ; Bloch<strong>et</strong>, p. 53). A l’extrême<br />

fin du xvi e <strong>et</strong> au début du xvii e siècle, les « Hollandais » ou, plus exactement, les<br />

ressortissants <strong><strong>de</strong>s</strong> Provinces-Unies, en dissi<strong>de</strong>nce par rapport au roi d’Espagne,<br />

<strong>de</strong>vinrent l’enjeu principal <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te concurrence, compte tenu <strong>de</strong> leur percée<br />

notable, au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1590, dans le commerce du Levant. En 1598, la<br />

<strong>France</strong> obtient du sultan qu’un nișân soit accordé aux Hollandais, reconnaissant<br />

leur droit, dès lors qu’ils naviguent sous pavillon français, à bénéficier <strong>de</strong> toutes les<br />

garanties <strong>de</strong> la capitulation française, telle qu’elle avait été renouvelée, l’année<br />

précé<strong>de</strong>nte (ibid., ms 130, fol. 161v). En 1609, le grand vizir Kuyucu Murad<br />

pacha rendit son arbitrage entre les <strong>de</strong>ux rivaux en donnant la protection <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

ressortissants <strong><strong>de</strong>s</strong> provinces du sud, catholiques <strong>et</strong> ralliés au maître espagnol à la<br />

<strong>France</strong>, <strong>et</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> ressortissants <strong><strong>de</strong>s</strong> provinces du nord, principalement protestants<br />

<strong>et</strong> restés en dissi<strong>de</strong>nce (malgré une trêve <strong>de</strong> douze ans conclue en 1609 avec le roi<br />

d’Espagne, Philippe III) à l’Angl<strong>et</strong>erre. L’arbitrage, sous son apparente équité,<br />

favorisait en réalité l’Angl<strong>et</strong>erre puisque c’était surtout <strong><strong>de</strong>s</strong> marchands <strong><strong>de</strong>s</strong> provinces<br />

du nord (avant tout la Hollan<strong>de</strong> <strong>et</strong> la Zélan<strong>de</strong>) qui commerçaient avec le Levant.<br />

Au <strong>de</strong>meurant, c<strong>et</strong> arrangement eut peu <strong>de</strong> conséquences puisque les Etats-<br />

Généraux <strong><strong>de</strong>s</strong> provinces du nord obtinrent peu après leurs propres capitulations.<br />

Le cas hollandais<br />

Nous sommes aidés pour r<strong>et</strong>racer les débuts <strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre l’Empire ottoman<br />

<strong>et</strong> la Hollan<strong>de</strong> par les publications fondamentales, remontant au début du xx e siècle,<br />

<strong>de</strong> K. Heeringa <strong>et</strong> les excellentes étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, n<strong>et</strong>tement plus récentes, <strong>de</strong> G.R. Bosscha<br />

Erdbrink (1975) <strong>et</strong> surtout A. H. <strong>de</strong> Groot (1978). Aux yeux <strong><strong>de</strong>s</strong> Ottomans, les<br />

Provinces-Unies présentaient <strong><strong>de</strong>s</strong> avantages comparables à ceux <strong>de</strong> l’Angl<strong>et</strong>erre,


HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 697<br />

adaptés aux nécessités du moment. Il s’agissait d’un Etat protestant, comme tel<br />

non tenu par les interdits pontificaux sur les exportations d’armes <strong>et</strong> <strong>de</strong> matériel<br />

stratégique en direction <strong><strong>de</strong>s</strong> pays musulmans ; qui n’avait plus rien à prouver <strong>de</strong><br />

son hostilité à l’Espagne contre laquelle il était en rébellion ouverte <strong>de</strong>puis la fin<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> années 1560. Il s’agissait enfin d’une puissance navale montante, alors que<br />

c’était sur mer que les Turcs se sentaient menacés par les ambitions espagnoles.<br />

A c<strong>et</strong> égard, un événement fit beaucoup pour la réputation <strong><strong>de</strong>s</strong> Hollandais : la<br />

victoire en 1607 <strong>de</strong> l’amiral hollandais van Heemskerk sur la flotte espagnole à<br />

Gibraltar. De leur côté, les Provinces-Unies ne pouvaient qu’être intéressées par<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> relations directes avec les Ottomans : ce serait un moyen d’échapper aux<br />

tutelles française <strong>et</strong> anglaise sur leur commerce levantin <strong>et</strong>, également, pensait-on,<br />

<strong>de</strong> faciliter la libération <strong>de</strong> leurs compatriotes capturés par les corsaires barbaresques,<br />

fléau dont souffrait la navigation hollandaise, à l’instar <strong><strong>de</strong>s</strong> autres navigations<br />

européennes. L’initiative prise par les Hollandais en 1604 <strong>de</strong> libérer les musulmans<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> chiourmes <strong>de</strong> l’escadre espagnole qu’ils avaient vaincue à Sluis dans les Flandres<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> les renvoyer à leurs frais dans leurs pays d’origine, n’avait pas entraîné la<br />

réciprocité attendue, <strong>et</strong> la question restait entière. Il est probable, dans ces<br />

conditions, que <strong>de</strong> premiers contacts aient été pris très tôt entre les <strong>de</strong>ux parties<br />

aux intérêts objectivement concordants : on en a <strong><strong>de</strong>s</strong> indices, même si ces menées,<br />

secrètes par nature, <strong>de</strong>meurent obscures <strong>et</strong> sont <strong>de</strong> toutes façons restées sans eff<strong>et</strong>.<br />

Les choses se précisent en tout cas aux len<strong>de</strong>mains <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires <strong>de</strong> Sluis <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

Gibraltar : <strong><strong>de</strong>s</strong> « messieurs bons offices », avi<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> jouer les intermédiaires<br />

incontournables entrent en scène comme ce Giacomo Ghisbrechti (Jacob Gijbertz),<br />

orfèvre <strong>et</strong> joaillier à Galata <strong>et</strong> qui a <strong><strong>de</strong>s</strong> frères marchands à Venise ; ou comme c<strong>et</strong><br />

ancien voiévo<strong>de</strong> <strong>de</strong> Moldavie, Stefan Bogdan, qui avait eu l’occasion <strong>de</strong> se rendre<br />

en Hollan<strong>de</strong> vers 1591. Mais l’élément déterminant est une initiative officielle.<br />

Elle ne provient pas du centre du pouvoir, c’est-à-dire qu’elle n’émane pas<br />

directement du sultan Ahmed 1 er lui-même, ni <strong>de</strong> son grand-vizir Nasuh pacha,<br />

alors en campagne en Perse, ni même du lieutenant (kaymakam) <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier à<br />

Istanbul, Gürci Mehmed pacha, mais du moins d’un très haut dignitaire, Halîl<br />

pacha, qui est alors grand amiral (kapudan pașa) <strong>et</strong> membre du divan impérial.<br />

Natif <strong>de</strong> Maraş <strong>et</strong> issu du <strong>de</strong>vșirme, il avait gravi les échelons d’une gran<strong>de</strong> carrière<br />

ottomane, occupant notamment la fonction <strong>de</strong> grand fauconnier qui l’avait mis en<br />

rapport avec les ambassa<strong>de</strong>urs étrangers dont il s’était fait hautement apprécier. Par<br />

la suite, dans c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> politiquement très troublée allant du règne d’Ahmed<br />

1 er à celui <strong>de</strong> Murad IV, il connaîtra <strong><strong>de</strong>s</strong> hauts <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> bas, mais sera <strong>de</strong> nouveau,<br />

à plusieurs reprises, kapudan pașa <strong>et</strong> même grand vizir, faisant preuve d’une<br />

incontestable habil<strong>et</strong>é à rebondir <strong>et</strong> à se maintenir dans les allées du pouvoir. Il est<br />

à noter que c’est en tant que kapudan pașa, lors <strong>de</strong> sa première affectation à ce<br />

poste, qu’il a donné l’impulsion décisive au rapprochement ottomano-hollandais<br />

— illustration emblématique d’un phénomène plus général : la place <strong><strong>de</strong>s</strong> kapudan<br />

pașa ou du moins <strong><strong>de</strong>s</strong> plus ouverts <strong>et</strong> luci<strong><strong>de</strong>s</strong> d’entre eux- dans les relations <strong>de</strong><br />

l’Empire ottoman avec le mon<strong>de</strong> extérieur <strong>et</strong>, notamment, les Etats européens :<br />

Hayreddin Barberousse avait joué un rôle crucial dans les débuts <strong>de</strong> l’alliance


698 GILLES VEINSTEIN<br />

franco-ottomane ; Kılıç ‘Ali pacha avait été l’interlocuteur privilégié <strong>et</strong> le conseiller<br />

<strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> <strong>France</strong> Germigny. Un autre Grand Amiral, Çigalaza<strong>de</strong> Sinan<br />

pacha, avait favorisé au contraire l’ambassa<strong>de</strong>ur d’Angl<strong>et</strong>erre Henry Lello en lui<br />

perm<strong>et</strong>tant d’obtenir les capitulations très avantageuses <strong>de</strong> 1601. En ce qui<br />

concerne Halîl pacha, la gran<strong>de</strong> idée stratégique qu’il conçoit alors <strong>et</strong> à laquelle il<br />

restera fidèle dans la suite <strong>de</strong> sa carrière, est celle d’une alliance entre l’Empire<br />

ottoman, le Maroc du sultan Moulay-Zaydan <strong>et</strong> les Provinces-Unies, conjuguant<br />

leurs forces contre l’Espagne. Pourtant, c<strong>et</strong>te idée reposait sur un malentendu dans<br />

la mesure où le kapudan sous-estimait les difficultés inhérentes aux relations entre<br />

l’Empire ottoman <strong>et</strong> le Maroc, entre le Maroc <strong>et</strong> les Provinces-Unies, <strong>et</strong> surtout<br />

s’illusionnait sur les véritables intentions <strong><strong>de</strong>s</strong> Hollandais : ces <strong>de</strong>rniers n’ont que<br />

défiance vis-à-vis <strong><strong>de</strong>s</strong> musulmans <strong>et</strong> s’ils sont pragmatiquement intéressés par un<br />

accord <strong>de</strong> commerce, il n’envisage pas un seul instant une coopération militaire<br />

comme celle qui avait pu exister quatre-vingts ans plus tôt entre la <strong>France</strong> <strong>et</strong><br />

l’Empire ottoman. Ce d’autant moins qu’ils sont alors sous l’influence prépondérante<br />

du Grand Pensionnaire <strong>de</strong> Hollan<strong>de</strong>, van Ol<strong>de</strong>nbarnevelt, pacifiste <strong>et</strong> artisan <strong>de</strong> la<br />

trêve <strong>de</strong> douze ans conclue en 1609 avec le roi d’Espagne Philippe III.<br />

Le premier acte <strong>de</strong> Halîl pacha fut l’envoi en 1610 d’une l<strong>et</strong>tre aux Etats-<br />

Généraux <strong><strong>de</strong>s</strong> Provinces-Unies, acheminée par <strong><strong>de</strong>s</strong> marchands flamands établis à<br />

Venise. La l<strong>et</strong>tre dont l’original est perdu, fut traduite <strong>de</strong> l’ottoman en arabe <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l’arabe en flamand. C<strong>et</strong>te traduction fut lue aux Etats-Généraux le 22 novembre<br />

1610 <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> copies en furent envoyées aux différents Etats <strong><strong>de</strong>s</strong> sept provinces du<br />

nord. On a conservé aujourd’hui la traduction flaman<strong>de</strong> non <strong>de</strong> la l<strong>et</strong>tre ellemême,<br />

mais d’une l<strong>et</strong>tre d’accompagnement <strong><strong>de</strong>s</strong>tinée au Stadhou<strong>de</strong>r, le prince<br />

Mauritz d’Orange. Selon ce qu’on peut déduire <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te traduction, au <strong>de</strong>meurant<br />

très incertaine (Bosscha-Erdbrink, p. 3), le sultan avait décidé d’accor<strong>de</strong>r ses faveurs<br />

aux Hollandais <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur reconnaître le droit <strong>de</strong> naviguer sous leurs propres<br />

couleurs (c’est-à-dire <strong>de</strong> leur octroyer <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations propres) en Syrie <strong>et</strong> dans le<br />

reste <strong>de</strong> l’Empire ottoman. En outre, le sultan semble avoir exprimé le désir <strong>de</strong><br />

voir un représentant <strong>de</strong> la République à sa Sublime Porte. De telles offres étaient<br />

inédites : pour la première fois, non pas le sultan lui-même, mais du moins un<br />

haut dignitaire ottoman, proposait <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations à un Etat chrétien <strong>et</strong> semblait<br />

même l’inciter à établir un ambassa<strong>de</strong>ur à Constantinople.<br />

En tout état <strong>de</strong> cause, la nature <strong>et</strong> le rang <strong>de</strong> c<strong>et</strong> ambassa<strong>de</strong>ur restaient à définir<br />

par la partie hollandaise, <strong>et</strong> c’est bien ce qui <strong>de</strong>vient obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> discussion dans les<br />

Etats-Généraux <strong>et</strong> les différents Etats provinciaux, dès lors que le principe est<br />

admis d’emblée <strong>de</strong> saisir la main ainsi tendue. On assiste alors à <strong><strong>de</strong>s</strong> débats<br />

analogues à ceux qui avaient existé une quarantaine d’années plus tôt chez les<br />

marchands <strong>de</strong> Londres <strong>et</strong> dans l’entourage <strong>de</strong> la reine Elizab<strong>et</strong>h — ces débats dont<br />

nous avons souligné qu’on ne r<strong>et</strong>rouve pas <strong>de</strong> traces dans le cas français. Les<br />

gouvernants hollandais associent leurs marchands à ces discussions. Ces <strong>de</strong>rniers<br />

jugent indispensable la présence d’un ambassa<strong>de</strong>ur hollandais à Constantinople<br />

pour veiller au respect <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations qui leur seront accordées <strong>et</strong> à leurs intérêts


HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 699<br />

en général. De même, le choix <strong>de</strong> la personne qui serait en tout état <strong>de</strong> cause<br />

envoyée, fut vite fait : il s’agissait <strong>de</strong> Cornelis Haga (Corneille <strong>de</strong> La Haye) un<br />

juriste qui avait déjà eu l’occasion <strong>de</strong> se rendre en Turquie <strong>et</strong> qui avait déjà<br />

accompli une mission diplomatique en Suè<strong>de</strong>. La question restait en suspend <strong>de</strong><br />

savoir si on enverrait ce <strong>de</strong>rnier en tant qu’émissaire extraordinaire <strong>et</strong> discr<strong>et</strong>, doté<br />

d’une suite réduite, se contentant d’apporter son ca<strong>de</strong>au <strong>et</strong> <strong>de</strong> négocier <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

capitulations pour rentrer aussitôt sa mission accomplie ou s’il resterait au contraire<br />

comme ambassa<strong>de</strong>ur permanent sur le Bosphore, doté d’un caractère plus élevé <strong>et</strong><br />

d’une suite plus considérable. C’est la première option qui prévalut. Sur ce point<br />

aussi, l’influence <strong>de</strong> Johan van Ol<strong>de</strong>barneveldt fut déterminante : à <strong><strong>de</strong>s</strong> soucis<br />

d’économie, se conjuguait la volonté <strong>de</strong> ne pas s’engager au-<strong>de</strong>là d’un accord<br />

strictement commercial <strong>et</strong> aussi <strong>de</strong> ne pas heurter <strong>de</strong> front les anciens protecteurs<br />

<strong>de</strong> la Hollan<strong>de</strong>, la <strong>France</strong> <strong>et</strong> l’Angl<strong>et</strong>erre. Cornelis Haga débarqua à Yeşilköy (San<br />

Stefano), près d’Istanbul, le 14 mars 1612 dans la plus gran<strong>de</strong> discrétion. Halîl<br />

pacha s’ingénia aussitôt à lever toutes les embûches qui l’attendaient. La principale<br />

opposition à l’entreprise hollandaise provint naturellement <strong>de</strong> ceux dont elle<br />

risquait <strong>de</strong> concurrencer les positions acquises : l’ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Harlay<br />

<strong>de</strong> Sancy, le baile <strong>de</strong> Venise, l’agent autrichien, <strong>et</strong> l’ambassa<strong>de</strong>ur d’Angl<strong>et</strong>erre qui<br />

<strong>de</strong>vait d’ailleurs changer <strong>de</strong> camp, à la mi-avril 1612. Le kapudan pașa, Öküz<br />

Mehmed pacha, successeur <strong>de</strong> Halîl pacha, était également <strong>de</strong> leur côté.<br />

Contrairement à ce qui leur sera reproché ensuite, ces anti-hollandais ne restèrent<br />

pas inactifs, allant jusqu’à faire parvenir un mémorandum au sultan, par-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus la<br />

tête <strong>de</strong> ses ministres dont ils se méfiaient, en se servant <strong>de</strong> l’entremise <strong>de</strong> l’ağa <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

eunuques noirs pour acheminer leur message au fond du sérail, Ce mémorandum<br />

(un ‘arz-u hâl) énonçait que la Hollan<strong>de</strong> (Filandra) n’était nullement un Etat<br />

indépendant, un véritable royaume, mais seulement une province (beylerbeyilik) <strong>de</strong><br />

l’Espagne qui continuait à en dominer effectivement les trois quarts (ce qui était<br />

la vérité). Il n’était donc pas digne du sultan <strong>de</strong> s’allier à <strong>de</strong> telles gens. Au surplus,<br />

les Hollandais ne seraient en aucune façon <strong><strong>de</strong>s</strong> alliés fiables du fait <strong>de</strong> la trêve qu’ils<br />

venaient <strong>de</strong> conclure avec Philippe III d’Espagne, laquelle pouvait au contraire<br />

faire d’eux <strong><strong>de</strong>s</strong> ennemis actifs <strong>de</strong> l’Empire ottoman. On faisait aussi courir le bruit<br />

que Haga n’était qu’un simple courrier qui n’avait pas le pouvoir <strong>de</strong> négocier. De<br />

semblables arguments n’étaient pas sans force <strong>et</strong> pouvaient ruiner le proj<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Hollandais <strong>et</strong> <strong>de</strong> Halîl pacha. Néanmoins, autour <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier, le parti prohollandais<br />

ne manquait pas <strong>de</strong> ressources à son tour. Il réunissait à Istanbul tous<br />

les adversaires les plus résolus du catholicisme <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Espagne. Ils comprenaient,<br />

ceux qu’on appelait les « Grenadins », c’est-à-dire les Morisques persécutés en<br />

Espagne, qui s’étaient réfugiés à Istanbul, mais aussi un prélat orthodoxe, Cyrille<br />

Loukaris, alors patriarche d’Alexandrie, qui <strong>de</strong>viendrait plus tard patriarche <strong>de</strong><br />

Constantinople. A ces premiers appuis s’ajouteront, dans un second temps, d’autres<br />

soutiens <strong>de</strong> taille : celui du șeyh ül-islâm Mehmed, fils <strong>de</strong> Hoca Sa’dü-d-dîn <strong>et</strong> celui<br />

d’un mystique dont l’aura rayonnait <strong>de</strong>puis son couvent d’Üsküdar, qui était le<br />

gui<strong>de</strong> spirituel <strong>de</strong> Halîl pacha, le cheikh Mahmûd Huda’i. Grâce à ces ralliements,<br />

Haga obtenait, un mois <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi après son arrivée, une audience du sultan


700 GILLES VEINSTEIN<br />

Ahmed 1 er par laquelle il était consacré comme ambassa<strong>de</strong>ur. Le 20 mai suivant,<br />

il entamait ses négociations en présentant au kaymakam un proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> capitulations,<br />

traduction ottomane d’un brouillon sorti <strong><strong>de</strong>s</strong> mains <strong>de</strong> Van Ol<strong>de</strong>nbarnevelt en<br />

personne, le grand pensionnaire <strong>de</strong> Hollan<strong>de</strong> agissant en promoteur zélé du<br />

commerce <strong>de</strong> son pays. Le texte qui sera ratifié par le sultan, reprenait celui <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

capitulations françaises <strong>et</strong> anglaises, mais stipulait néanmoins un droit <strong>de</strong> douane<br />

<strong>de</strong> 3 % au lieu <strong><strong>de</strong>s</strong> 5 % réglementaires, ce que les Anglais n’avaient obtenu qu’en<br />

1601 <strong>et</strong> que les Français n’obtiendront qu’en 1675. Haga était reconnu comme<br />

ambassa<strong>de</strong>ur auprès <strong>de</strong> la Porte ottomane, « au même titre que les autres<br />

ambassa<strong>de</strong>urs qui s’y trouvaient présents ». Par ailleurs, le texte restait mu<strong>et</strong>, à<br />

l’instar <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations françaises <strong>et</strong> anglaises, sur la durée <strong>de</strong> son séjour <strong>et</strong> son<br />

mécanisme <strong>de</strong> remplacement, <strong>de</strong> même qu’il était peu disert sur les droits <strong>et</strong><br />

prérogatives <strong>de</strong> c<strong>et</strong> ambassa<strong>de</strong>ur hollandais. Par ailleurs, pour ne pas heurter leurs<br />

anciens protecteurs, les Hollandais s’étaient abstenus <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un droit <strong>de</strong><br />

pavillon à leur profit.<br />

Une fois ces capitulations obtenues, Haga était supposé rentrer à la Haye pour<br />

y porter le rouleau magnifiquement calligraphié <strong>et</strong> enluminé sur lequel elles<br />

figuraient. C<strong>et</strong>te perspective perm<strong>et</strong>tait aux adversaires <strong>de</strong> Haga <strong>de</strong> laisser entendre<br />

que ce r<strong>et</strong>our marquerait la fin <strong>de</strong> toutes les illusions ottomanes sur un appui<br />

militaire <strong><strong>de</strong>s</strong> Hollandais <strong>et</strong> peut-être même <strong>de</strong> la neutralité hollandaise ; que, en<br />

d’autres termes, les Turcs seraient bernés. C’est pour faire taire ces insinuations<br />

troublantes que Halîl pacha poussa son protégé à faire d’une ambassa<strong>de</strong> conçue<br />

comme temporaire une ambassa<strong>de</strong> permanente. Le 6 juill<strong>et</strong> 1612, Haga se voyait<br />

rem<strong>et</strong>tre le texte définitif <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations, <strong>et</strong> il écrivait le même jour aux Etats-<br />

Généraux pour leur expliquer la situation <strong>et</strong> leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r l’autorisation <strong>de</strong> ne pas<br />

quitter Constantinople. Ils répondirent positivement <strong>et</strong> son ambassa<strong>de</strong> temporaire<br />

fut ainsi transformée, sur les instances du dignitaire ottoman, en une ambassa<strong>de</strong><br />

permanente qui <strong>de</strong>vait durer vingt-sept ans. Ce sera d’ailleurs l’attitu<strong>de</strong> ordinaire<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> gouvernements hollandais que <strong>de</strong> laisser leurs ambassa<strong>de</strong>urs à Constantinople<br />

pendant <strong><strong>de</strong>s</strong> durées record, ce qui perm<strong>et</strong>tait à ces <strong>de</strong>rniers <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

connaisseurs incomparables du personnel politique <strong>et</strong> <strong>de</strong> la politique <strong><strong>de</strong>s</strong> sultans.<br />

L’étu<strong>de</strong> comparative <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre cas envisagés confirme que le concept <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> permanentes était au départ doublement étranger aux Ottomans : non<br />

seulement eux-mêmes ne le pratiquèrent pas (pas avant la fin du xviii e siècle), mais<br />

s’ils laissèrent à d’autres le droit <strong>de</strong> le pratiquer chez eux, ce ne fut pas le résultat<br />

d’une attitu<strong>de</strong> volontariste <strong>et</strong> délibérée <strong>de</strong> leur part. Pour <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons diverses <strong>et</strong><br />

dans <strong><strong>de</strong>s</strong> circonstances variées, ils se contentèrent <strong>de</strong> laisser faire, tolérant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

pratiques qui satisfaisaient <strong><strong>de</strong>s</strong> intérêts immédiats <strong>et</strong> flattaient d’autre part leur<br />

orgueil en concrétisant l’image, <strong>de</strong> plus en plus illusoire, d’une Sublime Porte, pôle<br />

d’attraction <strong><strong>de</strong>s</strong> souverains du mon<strong>de</strong>, à laquelle ils manifesteraient leur soumission<br />

en s’y faisant représenter. Se familiarisant avec une pratique importée par certains,<br />

ils l’instrumentalisèrent dans un second temps en l’imposant à d’autres qui ne<br />

l’avaient pas expressément <strong>de</strong>mandée. Le jeu n’était pas sans danger pour


HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 701<br />

l’indépendance <strong>de</strong> la Porte car elles accueillait ainsi à domicile <strong><strong>de</strong>s</strong> agents d’influence<br />

dont le poids irait croissant <strong>et</strong> que seules atténueraient les rivalités opposant les<br />

puissances représentées.<br />

SÉMINAIRE : Introduction aux requêtes (‘arz-u hâl)<br />

L’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> européennes à Istanbul conduit naturellement à tenter<br />

d’éluci<strong>de</strong>r leurs métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> travail, les modalités <strong>de</strong> leur communication avec les<br />

autorités ottomanes. Les rencontres <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs avec les sultans sont rares <strong>et</strong><br />

prennent un caractère <strong>de</strong> plus en plus formel <strong>et</strong> même ritualisé. Les entr<strong>et</strong>iens avec le<br />

grand vizir sont eux aussi généralement très protocolaires, quand les circonstances ne<br />

les ren<strong>de</strong>nt pas carrément glaciales, mais il y a cependant <strong><strong>de</strong>s</strong> exceptions : certains<br />

grands vizirs <strong>et</strong> certains ambassa<strong>de</strong>urs nouent à l’occasion <strong><strong>de</strong>s</strong> relations plus<br />

personnelles <strong>et</strong> peuvent avoir <strong><strong>de</strong>s</strong> discussions politiques assez poussées à travers<br />

lesquelles les interlocuteurs, faute <strong>de</strong> se convaincre mutuellement, à tout le moins<br />

échangent <strong><strong>de</strong>s</strong> informations. En tout état <strong>de</strong> cause, ce n’est pas là le cadre dans lequel<br />

la masse <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires courantes sont traitées. Celles-ci sont présentées par <strong><strong>de</strong>s</strong> notes<br />

écrites <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> différents types (‘arz-u hâl, takrîr) qui seront suivies <strong>de</strong><br />

réponses, en même temps que d’un jeu <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>ments <strong>et</strong> <strong>de</strong> l<strong>et</strong>tres diverses<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>tinés à régler l’affaire. C’est sur ces notes initiales qui n’ont guère r<strong>et</strong>enu jusqu’ici<br />

l’attention <strong><strong>de</strong>s</strong> historiens que nous avons entrepris <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre l’accent. Elles doivent<br />

nécessairement être rédigées en ottoman <strong>et</strong> la première question que nous nous<br />

sommes posée a eu trait aux auteurs <strong>de</strong> ce passage à l’ottoman. La question relative à<br />

la rédaction <strong><strong>de</strong>s</strong> requêtes est d’ailleurs plus large <strong>et</strong> s’étend à d’autres textes nécessaires<br />

à l’activité <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong>, également rédigés ou copiés en ottoman. Elle renvoie à<br />

celle du travail <strong><strong>de</strong>s</strong> interprètes. L’importance <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers qu’on appelle drogmans<br />

ou truchements (ottoman : tercümân ou tercemân ; arabe : mutardjim), est<br />

généralement soulignée dans les relations diplomatiques avec la Porte, mais sans<br />

qu’on distingue toujours suffisamment entre les différentes catégories d’interprètes<br />

<strong>et</strong> qu’on s’interroge sur la répartition <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches entre elles. Deux catégories<br />

d’interprètes interviennent dans l’activité diplomatique : les drogmans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> ceux du divan impérial. Elles se distinguent non seulement par<br />

l’employeur <strong>et</strong> le statut, mais par l’origine <strong>de</strong> leurs membres respectifs, leur religion,<br />

leur par<strong>cours</strong> <strong>et</strong> leurs compétences. Les drogmans <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> ne sont jamais<br />

musulmans (se convertissent-ils, ils sont aussitôt licenciés). Ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> chrétiens<br />

(catholiques ou « schismatiques », chaque pays ayant ses préférences), ou <strong><strong>de</strong>s</strong> juifs.<br />

Ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s dhimmî du Grand Seigneur. Plusieurs Etats essayeront, avec le<br />

temps, <strong>de</strong> leur substituer <strong><strong>de</strong>s</strong> nationaux formés à c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong>, moins dépendants <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Ottomans, moins corruptibles, plus fiables. Colbert crée ainsi en 1669-1670, l’Ecole<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> « jeunes <strong>de</strong> langues » qui, après plusieurs tâtonnements, trouve ses formules<br />

pédagogiques au début du xviii e siècle. Toutefois, les gradués plus ou moins<br />

méritants <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te école ne combleront jamais l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> besoins <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> consulats <strong>et</strong> le re<strong>cours</strong> aux dhimmî se poursuivra. Les drogmans du divan sont


702 GILLES VEINSTEIN<br />

au contraire <strong><strong>de</strong>s</strong> musulmans (ce ne seront <strong><strong>de</strong>s</strong> Grecs ou, comme on dira, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Phanariotes, qu’entre 1669 <strong>et</strong> 1821), c’est-à-dire en réalité <strong><strong>de</strong>s</strong> « renégats », le plus<br />

souvent anciens prisonniers <strong>de</strong> guerre <strong>de</strong> provenances diverses (Allemands, Italiens,<br />

Polonais, Hongrois, <strong>et</strong>c.) convertis à l’islam <strong>et</strong> passés au service du sultan. Certains<br />

— les drogmans en chef surtout —, jouent un rôle diplomatique <strong>de</strong> premier plan,<br />

sont ambassa<strong>de</strong>urs <strong>et</strong> négociateurs, <strong>de</strong>viennent très influents <strong>et</strong> très riches. Si l’étu<strong>de</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> archives <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> (celles <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> Venise ont été particulièrement<br />

prises en considération) m<strong>et</strong>tent bien en évi<strong>de</strong>nce le rôle <strong>de</strong> leurs drogmans comme<br />

traducteurs <strong>de</strong> l’ottoman en français ou en vénitien, elles ne les montrent pas, d’après<br />

nos premières investigations, traduisant, copiant ou rédigeant en ottoman (même si<br />

nous nous gar<strong>de</strong>rons, dans l’état <strong>de</strong> nos connaissances d’exclure définitivement c<strong>et</strong>te<br />

possibilité). En revanche, nous avons recueilli un certain nombre d’exemples<br />

concr<strong>et</strong>s, appartenant à différentes pério<strong><strong>de</strong>s</strong>, entre le xvi e <strong>et</strong> le xviii e siècle,<br />

d’ambassa<strong>de</strong>urs recourant aux interprètes du divan pour m<strong>et</strong>tre en ottoman les<br />

‘arz-u hâl ou autres notes qu’ils adressent au sultan, au grand vizir ou au kapudan<br />

pașa. Ces <strong>de</strong>rniers rédigeaient soit sur la base d’indications orales, soit en traduisant<br />

un texte préalable en italien. Dans le cas <strong>de</strong> la <strong>France</strong>, le texte français était d’abord<br />

traduit en italien par les drogmans <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong> avant d’être remis aux interprètes<br />

du divan qui passaient à l’ottoman. De façon analogue, s’agissant <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres adressées<br />

par les rois <strong>de</strong> <strong>France</strong> aux sultans, les interprètes du divan, en tout cas au xvi e siècle,<br />

à une époque où ils ignoraient le français, se tournaient vers les drogmans <strong>de</strong><br />

l’ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> pour les ai<strong>de</strong>r à établir une première traduction italienne <strong>de</strong><br />

ces l<strong>et</strong>tres royales avant d’en faire la traduction ottomane. Dans ces différents cas,<br />

l’italien servait ainsi <strong>de</strong> langue intermédiaire. Nous constatons également que les<br />

ambassa<strong>de</strong>urs s’adressaient aussi à <strong><strong>de</strong>s</strong> « écrivains » (kâtib) ottomans (pas<br />

nécessairement c<strong>et</strong>te fois <strong><strong>de</strong>s</strong> interprètes du divan) pour rédiger <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres aux<br />

correspondants avec lesquels ils étaient en affaire, leurs propres drogmans n’ayant<br />

manifestement pas les compétences nécessaires, en matière <strong>de</strong> langue <strong>et</strong> aussi <strong>de</strong><br />

protocole, pour s’acquitter convenablement <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te tâche. En outre, il n’est pas<br />

exclu qu’à l’insuffisance du savoir faire se soient ajoutés <strong><strong>de</strong>s</strong> obstacles d’ordre religieux<br />

dans l’utilisation <strong>de</strong> l’alphab<strong>et</strong> arabe <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’ottoman. Nous avons conçu ces résultats<br />

qui sont provisoires <strong>et</strong> donc donnés avec pru<strong>de</strong>nce, comme un préambule à l’étu<strong>de</strong><br />

proprement dite <strong><strong>de</strong>s</strong> ‘arz-u hâl.<br />

Le séminaire a d’autre part accueilli plusieurs exposés <strong>de</strong> collègues <strong>et</strong> d’étudiants<br />

avancés en rapport avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong> : Elisab<strong>et</strong>ta Borromeo (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>),<br />

« La protection <strong><strong>de</strong>s</strong> chrétiens dans le régime <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations » ; Edhem El<strong>de</strong>m<br />

(Université du Bosphore, Istanbul), « Commerce <strong>et</strong> diplomatie dans le régime <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

capitulations » ; Güneş Işıksel (doctorant EHESS), « Les allocations (ta‘yin)<br />

accordées par les sultans aux ambassa<strong>de</strong>urs ; Albrecht Fuess (Universités d’Erfurt<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> Tours ), « Prélu<strong>de</strong> aux relations franco-ottomanes : les sièges <strong>de</strong> Beyrouth <strong>de</strong><br />

1403 <strong>et</strong> 1520 » ; Frédéric Hitzel (CNRS), « Les rési<strong>de</strong>nces <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs<br />

occi<strong>de</strong>ntaux à Istanbul <strong>et</strong> à Péra ».


HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 703<br />

Conférences, colloques, missions<br />

Participation au débat : « Les voies <strong>de</strong> la base dans l’islam », 10 e ren<strong>de</strong>z-vous <strong>de</strong> l’histoire,<br />

Blois, 21 octobre 2007.<br />

Conférence : « les Turcs ottomans en marche vers l’Occi<strong>de</strong>nt », Carqueiranne, Var,<br />

Thématique 2007-2008, « Envahisseurs », 25 janvier 2008.<br />

Participation à une rencontre dans le cadre du programme sur les chancelleries musulmanes<br />

médiévales ; Institut d’Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> anatoliennes, Istanbul (11-12 avril ) : Communication sur les<br />

l<strong>et</strong>tres <strong><strong>de</strong>s</strong> sultans ottomans aux rois <strong>de</strong> <strong>France</strong> au xvi e siècle.<br />

Mission <strong>de</strong> recherche dans les archives ottomanes <strong>de</strong> la Prési<strong>de</strong>nce du Conseil (Başbakanlık<br />

Osmanlı Arşivleri), Istanbul (14-18 avril ).<br />

Conférence à l’Université Paris-Sorbonne-Abu Dhabi : « L’Empire ottoman <strong>et</strong> les mers<br />

du sud au xvi e siècle ; mer Rouge, Golfe arabo-persique ; mer d’Oman ». Visite <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

institutions <strong>de</strong> recherche historique <strong>de</strong> l’émirat d’Abu Dhabi (26-29 avril).<br />

Participation au séminaire du Centre d’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> relations internationales dans les<br />

mon<strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Paris-Sorbonne, Paris IV, animé par L. Bély <strong>et</strong><br />

G. Poumarè<strong>de</strong> : exposé sur « Les lieux <strong>de</strong> la diplomatie ottomane » (10 mai).<br />

Participation au colloque : « Antoine Galland <strong>et</strong> Ali Ufkî Bey interprètes <strong>de</strong> la civilisation<br />

ottomane » ; centre culturel français d’Izmir. Communication : « A quoi servent les<br />

drogmans ? » (20-21 mai).<br />

Participation à la table ron<strong>de</strong> « Mamluks, Turcs <strong>et</strong> Ottomans », <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />

Communication : « Le serviteur <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux saints sanctuaires. Des Mamlouks aux Ottomans »<br />

(30 mai 2008).<br />

Participation au 18 e colloque du Comité international d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> pré-ottomanes <strong>et</strong><br />

ottomanes (CIEPO), Zagreb, faculté <strong>de</strong> philosophie, 25-30 août 2008. Organisation <strong>et</strong><br />

présentation <strong>de</strong> l’atelier : « Les fonds d’archives ottomans conservés dans les îles grecques ».<br />

Communication : « Les documents émis par le kapudan pașa dans le fonds ottoman <strong>de</strong><br />

Patmos ».<br />

Dans l’année universitaire 2007- 2008, la chaire a été co-organisatrice <strong>de</strong> trois colloques<br />

internationaux qui se sont tenus au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> :<br />

« Islamisation <strong>de</strong> l’Asie centrale. Pratiques sociales <strong>et</strong> acculturation dans le mon<strong>de</strong> turcosogdien<br />

», <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 7-9 novembre 2007 (avec M. E. <strong>de</strong> la Vaissière ; EPHE,<br />

IV e section).<br />

Table ron<strong>de</strong> « Mamluks, Turcs <strong>et</strong> Ottomans », 29-30 mai 2008 (avec M. N. Vatin,<br />

EPHE, IV e section, CNRS).<br />

« L’ivresse <strong>de</strong> la liberté. La révolution <strong>de</strong> 1908 dans l’Empire ottoman » (5-7 juin 2008,<br />

avec M. François Georgeon, CNRS).<br />

La chaire a reçu le professeur P<strong>et</strong>er Gol<strong>de</strong>n (Rutgers University) qui a donné<br />

quatre conférences sur « Les peuples turciques avant l’Islam » (mai 2008).<br />

Publications<br />

« Comment Soliman le Magnifique préparait ses campagnes. La question <strong>de</strong><br />

l’approvisionnement (1544-1545 / 1551-1552) » dans F. Bilici, I. Cân<strong>de</strong>a, A. Popescu, éds.,<br />

Enjeux économiques <strong>et</strong> militaires en mer Noire (XIV e -XXI e siècles), Braïla, éditions Istros, 2007,<br />

p. 487-532.


704 GILLES VEINSTEIN<br />

« Autour du berat <strong>de</strong> Pouqueville, commissaire <strong>de</strong> <strong>France</strong> à Jannina (1806) » dans<br />

E. Kolovos, Ph. Kotzageorgis, S. Laiou, M. Sariyannis, éds., The Ottoman Empire, the<br />

Balkans, the Greek Lands : toward a social and economic history, Istanbul, Isis, 2007, p. 333-<br />

356.<br />

« Les conditions <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> Constantinople en 1453 : un suj<strong>et</strong> d’intérêt commun pour<br />

le patriarche <strong>et</strong> le grand mufti » dans Le patriarcat œcuménique <strong>de</strong> Constantinople aux<br />

XIV e -XVI e siècles : rupture <strong>et</strong> continuité. Actes du Colloque international, Rome, 5-7 décembre<br />

2005 ; Centre d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> byzantines, néo-helléniques <strong>et</strong> sud-est européennes, Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> hautes<br />

étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en sciences sociales, Paris, 2007.<br />

« Les capitulations franco-ottomanes <strong>de</strong> 1536 sont-elles encore controversables ? » dans<br />

Living in the Ottoman Ecumenical Community. Essays in honour of Suraiya Faroqhi,<br />

V. Costantini <strong>et</strong> M. Köller, éds., Brill, Ley<strong>de</strong> Boston 2008, p. 71-88.<br />

Équipe <strong>de</strong> recherche<br />

Le professeur est membre <strong>de</strong> l’équipe <strong>de</strong> l’EHESS <strong>et</strong> du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> associée au<br />

CNRS, UMR 8032, « Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> turques <strong>et</strong> ottomanes », dirigée par M. François Georgeon<br />

(CNRS). Il dirige le pôle « Histoire ottomane » <strong>et</strong> <strong>de</strong>ux <strong><strong>de</strong>s</strong> publications <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te équipe :<br />

Turcica. Revue d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> turques (Pe<strong>et</strong>ers, Louvain), dont le tome 39 (2007), est paru, <strong>et</strong> la<br />

collection <strong>de</strong> monographies « Turcica » (un volume paru <strong>et</strong> trois volumes sous presse en<br />

2007-2008).


Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale<br />

M. Michel Zink, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres), professeur<br />

Pour la troisième <strong>et</strong> <strong>de</strong>rnière année, le <strong>cours</strong> s’est intéressé, à travers les exemples<br />

proposés par la poésie médiévale, aux divers mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> relation que la poésie peut<br />

entr<strong>et</strong>enir avec le récit ; plus précisément à la façon dont elle peut gagner son statut<br />

poétique <strong>et</strong> être i<strong>de</strong>ntifiée comme poésie à travers le récit <strong>et</strong> non pas malgré lui<br />

comme notre propre conception <strong>de</strong> la poésie nous induit spontanément à le penser.<br />

Le titre, « La poésie comme récit (suite). Des nouvelles <strong>de</strong> l’amour », était, bien<br />

entendu, en jeu <strong>de</strong> mots : la poésie médiévale donne avec prédilection <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles<br />

<strong>de</strong> l’amour ; les œuvres qu’on a prises en considération sont <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles, au sens<br />

qu’a ce mot dans la terminologie littéraire. Des nouvelles dont le suj<strong>et</strong> est l’amour,<br />

qui s’enracinent dans <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes d’amour <strong>et</strong> qui sont elles-mêmes <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes.<br />

Il y a <strong>de</strong>ux ans, on avait posé la question <strong>de</strong> la poésie comme récit <strong>de</strong> façon<br />

générale <strong>et</strong> théorique, en partant <strong>de</strong> la notion mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> poésie pour remonter<br />

ensuite <strong>de</strong> la poésie contemporaine <strong>et</strong> <strong>de</strong> la définition contemporaine <strong>de</strong> la poésie<br />

jusqu’au Moyen Âge. Car notre idée <strong>de</strong> la poésie, qui en exclut spontanément <strong>et</strong><br />

instinctivement le narratif, est une idée mo<strong>de</strong>rne, née avec la « révolution<br />

bau<strong>de</strong>lairienne », Bau<strong>de</strong>laire lui-même étant largement re<strong>de</strong>vable sur ce point à<br />

Edgar Allan Poe, dont il traduit The Po<strong>et</strong>ic Principle, où il trouve l’idée qu’il ne<br />

peut exister <strong>de</strong> poésie épique. Elle est confortée plus tard par la notion <strong>de</strong> poésie<br />

pure, puis par la conception <strong>de</strong> la poésie comme présence immédiate <strong>de</strong> l’être ou<br />

du mon<strong>de</strong>. Le <strong>cours</strong> avait alors tenté <strong>de</strong> montrer que les médiévistes <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong><br />

moitié du XX e siècle (ou les poètes <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> intéressés par le Moyen Âge)<br />

ont appliqué rétrospectivement au Moyen Âge c<strong>et</strong>te idée <strong>de</strong> la poésie. C’est<br />

pourquoi ils ont réduit <strong>et</strong> i<strong>de</strong>ntifié la poésie médiévale à la poésie lyrique. C’est<br />

pourquoi l’hypothèse que la poésie médiévale était une « poésie formelle » leur a<br />

paru d’autant plus séduisante qu’elle rencontrait leurs propres conceptions <strong>et</strong><br />

qu’elle prêtait ainsi une mo<strong>de</strong>rnité au Moyen Âge <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> racines anciennes à la<br />

mo<strong>de</strong>rnité.


706 MICHEL ZINK<br />

Après ces prolégomènes, le <strong>cours</strong> s’est penché, la première année, sur la façon dont<br />

l’effusion <strong>et</strong> le récit théâtralisé du moi se conjuguent dans la poésie du dit telle qu’elle<br />

se développe à partir du début du XIII e siècle. Une théâtralisation qui peut revêtir,<br />

soit la forme <strong>de</strong> la caricature <strong>de</strong> soi-même mo<strong>de</strong>lée par le regard prêté à autrui, soit la<br />

forme <strong>de</strong> l’allégorie décomposant le moi en ses diverses instances <strong>et</strong> les laissant<br />

s’exprimer ou s’affronter <strong>de</strong>vant le for intérieur. On s’est particulièrement intéressé à<br />

Rutebeuf, représentant exemplaire, non seulement <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux mouvements <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

leur combinaison, non seulement <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te dérision <strong>de</strong> soi-même sous le regard <strong>de</strong><br />

l’autre, qui alimentera tout un courant <strong>de</strong> la poésie française, mais encore <strong>de</strong> ce que<br />

j’ai appelé une « poésie pauvre », au sens où notre regr<strong>et</strong>té collègue Jerzy Grotowski<br />

parlait <strong>de</strong> — <strong>et</strong> pratiquait — un « théâtre pauvre ».<br />

L’année <strong>de</strong>rnière, on a lu les vidas <strong>et</strong> les razos <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours occitans, découvrant<br />

que, sous leur apparence <strong>de</strong> boniment volontiers railleur <strong>et</strong> dépréciatif à l’égard <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

poètes, <strong>de</strong> contrepoint souvent humoristique, à la fois terre à terre <strong>et</strong> farfelu, à leurs<br />

chansons, ces récits, qui semblent se limiter à la plus plate <strong><strong>de</strong>s</strong> critiques biographiques<br />

sans même avoir le mérite <strong>de</strong> la fiabilité, font, sous la forme, déconcertante pour<br />

nous, du récit <strong>et</strong> non du commentaire critique, une lecture souvent extrêmement<br />

perspicace <strong>et</strong> pénétrante <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te poésie, dont ils savent révéler les obsessions <strong>et</strong> les<br />

tourments. Plus encore, la disposition alternée <strong>et</strong> imbriquée <strong><strong>de</strong>s</strong> vidas <strong>et</strong> razos <strong>et</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes, disposition en vue <strong>de</strong> laquelle vidas <strong>et</strong> razos ont à l’évi<strong>de</strong>nce été<br />

rédigées <strong>et</strong> qui est celle <strong><strong>de</strong>s</strong> chansonniers copiés dans les ateliers <strong>de</strong> Vénétie, a pour<br />

résultat <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> ces manuscrits <strong><strong>de</strong>s</strong> prosimètres <strong>et</strong> ainsi d’intégrer chansons <strong>et</strong><br />

récits au sein d’une même cohérence poétique.<br />

C<strong>et</strong>te année, on ne s’est pas contenté <strong>de</strong> poursuivre l’enquête à travers d’autres<br />

exemples. On l’a mise en relation avec la question même sur laquelle j’avais ouvert,<br />

il y a quatorze ans, mon enseignement au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>. C<strong>et</strong>te question<br />

touchait à la relation entre la littérature du Moyen Âge <strong>et</strong> le temps. Je suggérais<br />

alors que c<strong>et</strong>te littérature, <strong>et</strong> singulièrement c<strong>et</strong>te poésie, se définit <strong>et</strong> prend<br />

conscience d’elle-même en créant — au besoin <strong>de</strong> façon illusoire <strong>et</strong> comme en<br />

trompe-l’œil — l’impression d’une profon<strong>de</strong>ur temporelle <strong>et</strong> d’un ancrage dans le<br />

passé. C’était le fil directeur <strong>de</strong> ma leçon inaugurale <strong>et</strong> <strong>de</strong> ma première série <strong>de</strong><br />

<strong>cours</strong>. La même question <strong>de</strong> la relation entre la littérature du Moyen Âge <strong>et</strong> le<br />

temps a ensuite commandé le <strong>cours</strong> sur « Froissart <strong>et</strong> le temps » <strong>et</strong> celui sur « La<br />

mémoire <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours ». Pourquoi la question <strong>de</strong> la poésie comme récit se<br />

situe-t-elle dans c<strong>et</strong>te perspective ? D’abord parce que l’eff<strong>et</strong> fondateur <strong>de</strong> la<br />

poétique médiévale repose volontiers sur le souvenir fragmentaire ou estompé<br />

d’une histoire : la poésie naît du démembrement allusif d’un récit rej<strong>et</strong>é dans le<br />

passé. D’autre part, parce que, si le poème recèle ainsi en lui un récit caché dont<br />

il perm<strong>et</strong> l’affleurement, mais rien <strong>de</strong> plus que l’affleurement, la latence <strong>de</strong> ce récit<br />

est soit celle du souvenir, soit celle du possible.<br />

Latence du souvenir : le poème peut se donner pour une allusion à un récit<br />

antérieur. C’est ce qui fon<strong>de</strong> la poétique <strong>de</strong> l’épopée <strong>et</strong> ce qui donne la couleur <strong>de</strong>


LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 707<br />

l’épopée aux chansons <strong>de</strong> toile. Chrétien <strong>de</strong> Troyes limite chacun <strong>de</strong> ses romans au<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>tin d’un seul héros, tout en l’enrichissant <strong><strong>de</strong>s</strong> résonances <strong>de</strong> l’immense histoire<br />

arthurienne.<br />

Latence du possible, saisissable par une sorte d’aller-<strong>et</strong>-r<strong>et</strong>our entre le poème <strong>et</strong><br />

un récit, dont il ne prétend pas se souvenir, mais qu’au contraire il suscite. Les<br />

textes narratifs pris en considération c<strong>et</strong>te année étaient eux-mêmes <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes.<br />

Non pas <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes faisant allusion à <strong><strong>de</strong>s</strong> récits antérieurs, non pas <strong><strong>de</strong>s</strong> récits en<br />

prose expliquant <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes antérieurs par <strong><strong>de</strong>s</strong> circonstances antérieures aux<br />

poèmes, comme le font les razos étudiées l’année précé<strong>de</strong>nte, mais <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes qui<br />

sont <strong><strong>de</strong>s</strong> récits <strong>et</strong> qui font allusion à —, utilisent ou remploient <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes lyriques<br />

antérieurs, qu’ils mentionnent, qu’ils citent, dont ils s’inspirent ou qu’ils<br />

développent. L’explicitation du récit latent ne se reporte pas à un avant le poème,<br />

mais se veut poème elle-même : un poème nourri <strong>de</strong> poèmes.<br />

La situation ainsi décrite évoque évi<strong>de</strong>mment celle <strong><strong>de</strong>s</strong> lais <strong>de</strong> Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

au regard <strong><strong>de</strong>s</strong> lais lyriques br<strong>et</strong>ons. C<strong>et</strong> exemple, si banal soit-il, a été le point <strong>de</strong><br />

départ du <strong>cours</strong>, mais pour m<strong>et</strong>tre en parallèle l’utilisation ponctuelle plus précise<br />

que fait Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong> d’autres poèmes lyriques, mieux connus que les lais<br />

br<strong>et</strong>ons dont on sait au fond peu <strong>de</strong> chose, ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours. À c<strong>et</strong> égard, les<br />

lais <strong>de</strong> Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong> sont en continuité <strong>et</strong> en harmonie avec le prolongement<br />

narratif <strong>et</strong> argumentatif, en même temps que poétique, <strong><strong>de</strong>s</strong> chansons <strong>de</strong> troubadours<br />

qu’offrent les novas occitanes, mais aussi les saluts d’amour, qui ont constitué pour<br />

l’essentiel la matière du <strong>cours</strong>.<br />

On a cependant commencé par <strong>de</strong>ux mises au point préalables d’histoire littéraire,<br />

mais aussi <strong>de</strong> réflexion sur les formes <strong>et</strong> les notions littéraires. L’une touchait la<br />

définition <strong>et</strong> l’emploi, en français <strong>et</strong> en occitan, <strong><strong>de</strong>s</strong> termes <strong>de</strong> nouvelle <strong>et</strong> <strong>de</strong> novas.<br />

L’autre, impliquée <strong>et</strong> rendue nécessaire par la relation entre le poème lyrique <strong>et</strong> le<br />

poème narratif ou discursif qu’il engendre ou auquel il se réfère, portait sur la<br />

conception médiévale <strong>de</strong> la brevitas <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’amplificatio.<br />

Aujourd’hui, le mot nouvelle désigne soit une œuvre littéraire narrative brève<br />

(anglais short story), sans référence particulière à l’idée <strong>de</strong> nouveauté, soit une<br />

information inédite, sans la moindre idée d’une mise en forme littéraire. « Les<br />

nouvelles » désignent spécifiquement les informations diffusées par les média<br />

(anglais news). En moyen français, ce double sens est explicite dans le titre en jeu<br />

<strong>de</strong> mots <strong><strong>de</strong>s</strong> Cent nouvelles nouvelles. Existe-t-il déjà en ancien français ? En principe<br />

non : l’emploi du mot pour désigner une forme littéraire est un emprunt à l’italien<br />

comme c<strong>et</strong>te forme elle-même. En réalité, la situation est plus ambiguë. On a<br />

examiné une nouvelle fois le fameux début, lui-même extraordinairement ambigu<br />

<strong>et</strong> subtil, du Chevalier au Lion (v. 8-32). Les considérations sur l’amour, le présent,<br />

le passé, la fable <strong>et</strong> le mensonge, qui bifurquent en incise <strong>et</strong> s’enchaînent en<br />

rebondissements successifs à partir du v. 14, brouillent la simple opposition entre<br />

« raconter <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles » <strong>et</strong> « parler d’Amours ». Entre ces <strong>de</strong>ux activités, ces <strong>de</strong>ux<br />

récits, ces <strong>de</strong>ux paroles, on soupçonne <strong><strong>de</strong>s</strong> collusions ou <strong><strong>de</strong>s</strong> confusions, <strong><strong>de</strong>s</strong>


708 MICHEL ZINK<br />

rencontres ou <strong><strong>de</strong>s</strong> confrontations à fronts renversés. « Raconter <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles » peut<br />

conduire à « parler d’amour » : c’est ce qui se passera dans le roman, puisque la<br />

« nouvelle » que raconte Calogrenant <strong>de</strong>viendra l’histoire d’amour d’Yvain. Dans<br />

le passé idéal où le roman entend se situer, parler d’amour, c’est être dans l’ordre<br />

<strong>de</strong> la vérité, tandis que les nouvelles peuvent être vraies (ainsi, celle <strong>de</strong> Calogrenant)<br />

comme elles peuvent être <strong><strong>de</strong>s</strong> fables ; mais dans le mon<strong>de</strong> présent, celui où le<br />

roman s’écrit, l’amour est du côté <strong>de</strong> la fable : la vérité est donc insaisissable, <strong>et</strong><br />

c’est bien ce que sera, dans l’ordre <strong>de</strong> l’amour, la leçon ambiguë du roman. Le lien<br />

entre poésie <strong>et</strong> amour passe par le questionnement sur la vérité du récit <strong>et</strong> sur celle<br />

<strong>de</strong> l’amour. L’incertitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>meure, à strictement parler, sur le point <strong>de</strong> savoir si,<br />

au vers 12 du Chevalier au Lion, le mot « nouvelle » renvoie ou non à une forme<br />

littéraire. Mais en tout état <strong>de</strong> cause, le contexte montre que ce mot m<strong>et</strong> en branle<br />

pour l’auteur le mouvement d’un jeu ambigu entre récit, fiction, amour <strong>et</strong> vérité :<br />

un jeu éminemment poétique.<br />

S’agissant <strong><strong>de</strong>s</strong> novas, après avoir rappelé que la langue d’oc connaît <strong>de</strong>ux mots,<br />

novas <strong>et</strong> novella, le premier désignant une forme littéraire, le second une information<br />

inédite, après avoir commenté le fait que novas est un pluriel, après avoir rappelé<br />

la valeur particulière du « nouveau » <strong>et</strong> <strong>de</strong> la « nouveauté » au Moyen Âge, on a<br />

défini ce que sont les novas occitanes. En apparence, rien <strong>de</strong> plus simple : <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

poèmes narratifs composés, comme il se doit, en coupl<strong>et</strong>s d’octosyllabes <strong>et</strong> longs<br />

généralement <strong>de</strong> quelques centaines <strong>de</strong> vers. En somme, <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles en vers,<br />

comme le sont aussi les lais narratifs. En réalité, les novas occitanes diffèrent<br />

sensiblement <strong>de</strong> la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles françaises, que celles-ci soient baptisées,<br />

par les rubriques <strong><strong>de</strong>s</strong> manuscrits ou dans le texte même, lais, contes, dits, fabliaux<br />

ou plus tard nouvelles. Elles en diffèrent par le ton, par les résonances littéraires <strong>et</strong><br />

souvent même, ou jusqu’à un certain point, par le contenu. Elles ont la particularité<br />

d’être profondément enracinées dans l’univers lyrique, <strong>de</strong> se vouloir le prolongement<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> chansons <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours <strong>et</strong> <strong>de</strong> paraître juger c<strong>et</strong>te relation ou ce dialogue avec<br />

les chansons plus importants que l’intérêt ou le piquant <strong>de</strong> l’anecdote qu’elles<br />

relatent. On peut même se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si c’est vraiment la narration qui définit les<br />

novas, <strong>et</strong> non pas plutôt la glose poétique <strong>de</strong> la poésie, la poursuite <strong>de</strong> la poésie<br />

lyrique par une voie poétique non lyrique.<br />

Ce trait, si important au regard du suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, n’a rien d’étonnant : quoi<br />

qu’on ait dit pour essayer <strong>de</strong> prouver le contraire, par exemple en supposant sans<br />

preuves qu’une partie importante <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te littérature a été perdue, la littérature<br />

occitane du Moyen Âge est essentiellement lyrique, centrée sur le lyrisme, <strong>et</strong> les<br />

genres narratifs y ont connu un développement remarquablement réduit. Le titre<br />

du beau livre d’Alberto Limentani, brillant philologue italien trop tôt disparu,<br />

L’eccezione narrativa décrit parfaitement c<strong>et</strong>te réalité. Au reste, les novas rimadas<br />

elles-mêmes ne sont pas très nombreuses : à peine dix, <strong>et</strong> en ratissant large. Dans<br />

le volume Nouvelles courtoises occitanes <strong>et</strong> françaises (L<strong>et</strong>tres gothiques, 1997),<br />

Suzanne Thiolier-Méjean en r<strong>et</strong>ient six, mais la première, dont l’intérêt est en soi<br />

immense, constitue un cas si particulier qu’elle n’est réunie aux autres que parce


LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 709<br />

que, précisément, le corpus est si mince. C’est le Roman d’Esther, adaptation en<br />

langue d’oc du livre biblique par un auteur juif <strong>et</strong> copiée en caractères hébreux.<br />

Les autres sont Castia Gilos attribué au catalan Raimon Vidal <strong>de</strong> Besalú, En aquel<br />

temps c’om era gais, qui est certainement <strong>de</strong> lui, Las novas <strong>de</strong>l papagay d’Arnaud <strong>de</strong><br />

Carcassès, Frayre <strong>de</strong> Joy <strong>et</strong> Sor <strong>de</strong> Plaser, Lai on cobra sos dregs estatz <strong>de</strong> Peire Guilhem<br />

<strong>de</strong> Toulouse. Il faut y ajouter Abrils issi’e mays intrava, encore <strong>de</strong> Raimon Vidal.<br />

C<strong>et</strong>te liste pourrait à la rigueur être augmentée <strong><strong>de</strong>s</strong> trois poèmes provençalocatalans<br />

publiés par Amédée Pagès dans Romania en 1891 <strong>et</strong>, bien qu’il s’agisse<br />

plus d’un « vrai » roman, d’une œuvre récemment exhumée, malheureusement<br />

mutilée <strong>et</strong> difficilement classable, La ventura <strong>de</strong>l cavaller N’Huc <strong>et</strong> Madona<br />

(« L’aventure du chevalier Hugues <strong>et</strong> <strong>de</strong> Madame »), publiée par ses inventeurs,<br />

Lola Badia <strong>et</strong> Ama<strong>de</strong>u J. Soberanas.<br />

La porosité <strong>de</strong> la frontière entre les novas <strong>et</strong> les chansons <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours a<br />

conduit à prendre en compte un autre type <strong>de</strong> poèmes, qui ne sont pas non plus<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes lyriques, car ils ne sont pas chantés, mais qui sont plus proches du<br />

lyrisme courtois que ne le sont les novas, car ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes subjectifs, à la<br />

première personne, dans lesquels le poète est supposé s’épancher : les « saluts<br />

d’amour », qui traitent les mêmes thèmes que les chansons, mais se présentent<br />

comme <strong><strong>de</strong>s</strong> épîtres en vers (en coupl<strong>et</strong>s d’octosyllabes) adressées par le poète à sa<br />

dame. Le salut d’amour pousse à son terme la tendance <strong>de</strong> la canso au dis<strong>cours</strong><br />

argumentatif <strong>et</strong> persuasif.<br />

« Les uns racontaient <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles, les autres parlaient d’amour », dit Chrétien<br />

<strong>de</strong> Troyes. Les novas réunissent les <strong>de</strong>ux activités. Elles se situent au point où ces<br />

<strong>de</strong>ux activités ne font qu’une. Ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles d’amour <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles <strong>de</strong><br />

l’amour. Elles méditent <strong>et</strong> elles glosent sur l’amour <strong>et</strong> sur la condition <strong>de</strong> l’amoureux<br />

à partir <strong>de</strong> cas <strong>et</strong> à partir <strong>de</strong> poèmes — autrement dit à partir d’un corpus passé<br />

<strong>de</strong> l’amour, qui se prête à l’extrapolation <strong>et</strong> au commentaire. Leur refus <strong>de</strong> distinguer<br />

l’anecdote <strong>de</strong> la casuistique dit encore autre chose : que ce qui est nouveau, ce n’est<br />

pas seulement une histoire inédite, mais aussi la méditation toujours fraîche <strong>et</strong><br />

renouvelée — « nouvelle » au sens médiéval du terme — <strong>de</strong> la poésie.<br />

En conclusion à ce développement, le début <strong><strong>de</strong>s</strong> Razos <strong>de</strong> trobar <strong>de</strong> Raimon<br />

Vidal <strong>de</strong> Besalú a permis <strong>de</strong> mieux cerner encore la place qui, à ses yeux, est celle<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> novas au regard du trobar. Les novas ne donnent pas directement <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles<br />

du mon<strong>de</strong>, elles ne racontent pas directement le mon<strong>de</strong>, elles ne méditent pas<br />

directement sur lui. Elles racontent <strong>et</strong> glosent c<strong>et</strong>te mémoire du mon<strong>de</strong> qui est<br />

con<strong>de</strong>nsée <strong>et</strong> recelée dans la poésie. Les novas, récits <strong>et</strong> débats en vers fondés sur<br />

les chansons <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours, montrent bien ainsi que pour leurs auteurs la poésie<br />

ne relève pas du récit à sa source, mais se prête à <strong><strong>de</strong>s</strong> prolongements dans l’ordre<br />

du récit. À l’origine <strong>de</strong> la poésie, il y a le chant, enthousiasme se manifestant au<br />

printemps par <strong><strong>de</strong>s</strong> variations mélodiques <strong>de</strong> la voix chez le troubadour comme chez<br />

l’oiseau ; tout le reste en est, d’une façon ou d’une autre, le développement. Et<br />

Raimon Vidal prête spécifiquement à c<strong>et</strong>te poésie chantée <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours, que


710 MICHEL ZINK<br />

nous désignons aujourd’hui sous le nom <strong>de</strong> poésie lyrique, une importance<br />

immense, prodigieuse, mystérieuse aussi, puisqu’elle est la mémoire du mon<strong>de</strong> :<br />

Et tot li mal e˙l ben <strong>de</strong>l mon son mes en remembrance per trobadors. Et ja non trobares<br />

mot (ben) ni mal dig, poi[s] trobaires l’a mes en rima, que tot jorns [non sia] en<br />

remembransa, car trobars <strong>et</strong> chantars son movemens <strong>de</strong> totas galhardias.<br />

Et tout ce qu’il y a au mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> mal <strong>et</strong> <strong>de</strong> bien est mis en mémoire par les troubadours.<br />

Et vous ne trouverez pas une parole ni un propos satirique, dès lors qu’un troubadour l’a<br />

mis en rime, qui ne soit désormais toujours en mémoire, car composer <strong>de</strong> la poésie <strong>et</strong><br />

chanter sont la source <strong>de</strong> tout élan d’audace joyeuse.<br />

Le second point liminaire, la poésie entre brevitas <strong>et</strong> amplificatio, ne pouvait<br />

être évité. Le poème narratif greffé sur un poème lyrique en est le développement.<br />

Le salut d’amour exploite systématiquement les arguments ébauchés par la canso<br />

pour toucher le cœur <strong>de</strong> la dame. À l’inverse, le poème lyrique qui se veut l’écho<br />

d’un récit s’y réfère brièvement ou <strong>de</strong> façon allusive. Ils ne le font pas<br />

spontanément ni inconsciemment, mais se réfèrent aux notions <strong>de</strong> brevitas <strong>et</strong><br />

d’amplificatio, très présentes dans la réflexion médiévale sur l’art littéraire.<br />

Attentif comme il l’est aux enseignements <strong>de</strong> la rhétorique latine classique, qu’il<br />

étudie sans cesse <strong>et</strong> qu’il reproduit à sa manière dans les Artes dicandi,<br />

praedicandi, dictaminis, le Moyen Âge sait l’importance <strong>de</strong> la brevitas comme <strong>de</strong><br />

l’amplificatio dans la composition littéraire. Mais il ne leur donne pas le même<br />

sens que l’Antiquité, comme Curtius <strong>et</strong> d’autres l’ont abondamment montré. La<br />

brevitas antique doit caractériser la narratio, mais au sens où l’entend l’éloquence<br />

judiciaire, c’est-à-dire le récit <strong><strong>de</strong>s</strong> faits relatifs à la cause plaidée. Pour le Moyen<br />

Âge, tout récit est narratio, <strong>et</strong> tout récit doit donc idéalement être bref. Il<br />

recherche donc un peu mécaniquement la brevitas <strong>et</strong> en fait systématiquement<br />

l’éloge. Mais il connaît aussi le procédé inverse. Les Artes dicandi enseignent à la<br />

fois l’abbreviatio <strong>et</strong> la dilatatio ou amplificatio. En un sens, l’association <strong>et</strong><br />

l’opposition <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux procédés inverses remonte à Quintilien : amplificare vel<br />

minuere (VIII, 4, 1). Mais ce que Quintilien nomme amplificatio n’est pas<br />

l’allongement, mais l’insistance, qui perm<strong>et</strong>, par divers procédés <strong>de</strong> style, <strong>de</strong><br />

donner <strong>de</strong> l’importance à ce qui sert l’argumentation ou l’eff<strong>et</strong> recherché, minuere<br />

désignant à l’inverse une atténuation qui peut revêtir d’autres formes que celle <strong>de</strong><br />

l’abrègement (euphémisme, prétérition, <strong>et</strong>c.). Il donne même <strong><strong>de</strong>s</strong> exemples où<br />

l’amplificatio se fon<strong>de</strong> sur la brièv<strong>et</strong>é. Curtius cherche par quels cheminements<br />

(saint Jérôme, Cassiodore) on est passé à l’idée que l’amplificatio est l’allongement<br />

<strong>et</strong> s’oppose à la brevitas. Peut-être peut-on aussi rapprocher très simplement c<strong>et</strong>te<br />

évolution du fait que le vulgaire roman est syntaxiquement une langue <strong>de</strong> la<br />

coordination, <strong>de</strong> l’enchaînement narratif, <strong>et</strong> non <strong>de</strong> la subordination rhétorique :<br />

il est naturel que <strong><strong>de</strong>s</strong> auteurs dont il est la langue maternelle conçoivent d’abord<br />

le style en termes d’allongement <strong>et</strong> d’abrègement.<br />

Et la poésie comme récit, dans tout cela ? Curtius clôt le chapitre XIII <strong>de</strong> son<br />

grand livre en suggérant qu’on était au Moyen Âge « lassé <strong><strong>de</strong>s</strong> longueurs <strong>de</strong><br />

l’épopée ». En réalité, les chansons <strong>de</strong> geste ne cessent <strong>de</strong> s’allonger, parfois dans


LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 711<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> proportions considérables. Jean Rychner a montré que leur évolution va vers<br />

l’allongement <strong><strong>de</strong>s</strong> laisses <strong>et</strong> vers la narration linéaire au détriment <strong><strong>de</strong>s</strong> laisses courtes<br />

<strong>et</strong> répétitives, <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> ressac, <strong>de</strong> refrain <strong>et</strong> d’écho.<br />

D’une façon générale, l’allongement accompagne la narration, conformément au<br />

génie <strong>de</strong> la langue vulgaire. La brièv<strong>et</strong>é est un phénomène lyrique : expression<br />

ramassée <strong>et</strong> énigmatique <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours, re<strong>cours</strong> à <strong><strong>de</strong>s</strong> mètres très brefs,<br />

interruptions <strong>et</strong> rupture <strong>de</strong> la strophe <strong>et</strong> du refrain — surtout, bien entendu, du<br />

refrain inséré. Il est naturel dès lors que l’allongement soit, plus qu’une tendance,<br />

un procédé <strong>et</strong> un eff<strong>et</strong> du poème narratif fondé sur un poème lyrique. Son auteur<br />

a conscience sans doute <strong>de</strong> pratiquer l’amplificatio. Les novas développent par le<br />

récit aussi bien que par l’argumentation une situation typique impliquée,<br />

généralement <strong>de</strong> façon allusive, par les chansons <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours (jalousie, obstacles<br />

à la rencontre <strong><strong>de</strong>s</strong> amants, rigueur <strong>de</strong> la femme aimée, tentation <strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r aux<br />

avances d’une maîtresse plus complaisante) ; les saluts d’amour le font aussi dans<br />

un registre plus personnel <strong>et</strong> d’un point <strong>de</strong> vue subjectif qui est le même que celui<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> chansons. Les lais français à suj<strong>et</strong> br<strong>et</strong>on revendiquent la même démarche à<br />

partir du récit « latent » <strong><strong>de</strong>s</strong> lais lyriques br<strong>et</strong>ons — une latence dont la nature est<br />

difficile à définir, faute <strong>de</strong> connaître assez précisément ces lais lyriques — <strong>et</strong><br />

l’appliquent aussi, mais c<strong>et</strong>te fois sans le dire, aux chansons <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours.<br />

Ce sont ces points qui ont été examinés d’abord. La question du lai lui-même a<br />

été tellement étudiée <strong>et</strong> <strong>de</strong>puis si longtemps qu’il était inutile d’y revenir, sinon<br />

pour un bref rappel. On le sait, le mot lai apparaît pour la première fois au<br />

IX e siècle sous la forme loîd dans un court poème irlandais copié dans un manuscrit<br />

<strong>de</strong> Priscien. Qu’il s’agisse d’un manuscrit <strong>de</strong> Priscien est évi<strong>de</strong>mment le fait du<br />

hasard. Mais enfin, on ne peut s’empêcher <strong>de</strong> relever que Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong> s’abrite<br />

<strong>de</strong>rrière l’autorité <strong>de</strong> c<strong>et</strong> auteur (ceo testimoine Preciëns) dès le prologue <strong>de</strong> ses lais,<br />

pour dire que les anciens s’exprimaient dans leurs livres avec une obscurité<br />

volontaire, afin <strong>de</strong> provoquer la perspicacité du commentaire <strong>de</strong> leurs successeurs.<br />

Pourquoi Priscien ? Ses Institutiones grammaticae, qui étaient au Moyen Âge le<br />

manuel classique pour l’apprentissage du latin, sont remarquables par leurs<br />

nombreuses citations d’auteurs anciens. Au moment <strong>de</strong> développer <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes<br />

allusifs, fragmentaires peut-être, <strong>de</strong> façon à en révéler le sens, Marie invoque<br />

l’auteur dans lequel la femme savante qu’elle est a appris le latin, mais qui est<br />

surtout un auteur célèbre pour avoir rassemblé <strong><strong>de</strong>s</strong> fragments poétiques. Le moine<br />

irlandais qui, vers 830-850, a copié dans un manuscrit <strong>de</strong> Priscien quelques vers<br />

d’un poème l’a-t-il fait mû par une association <strong>de</strong> pensée du même genre ? On y<br />

lit : « Une haie d’arbustes m’entoure ; pour moi, en vérité, le merle agile chante<br />

son loîd… » Ce mot désigne à l’évi<strong>de</strong>nce une composition musicale ou un chant,<br />

ce qui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’appliquer métaphoriquement au sifflement du merle. Le loîd se<br />

définit donc à coup sûr comme une pièce essentiellement musicale. C’est ce qui<br />

ressort <strong><strong>de</strong>s</strong> premières attestations <strong>de</strong> loîd, puis, à partir <strong>de</strong> 110, <strong>de</strong> laid, comme <strong>de</strong><br />

Leih <strong>et</strong> <strong>de</strong> Leich en allemand. Quelle que soit son origine, le mot Lai — Leich<br />

s’applique, semble-t-il, à <strong><strong>de</strong>s</strong> compositions lyriques fondées sur la transposition


712 MICHEL ZINK<br />

dans les langues celtiques ou germaniques du vers rythmique latin, <strong>et</strong> cela à une<br />

époque assez haute pour que la question ne se soit pas posée pour les langues<br />

romanes, non encore réellement différenciées du latin. S’agissant <strong>de</strong> l’irlandais, on<br />

trouve, à l’intention <strong><strong>de</strong>s</strong> apprentis poètes, <strong><strong>de</strong>s</strong> exemples <strong>de</strong> laid, au texte souvent<br />

hermétique ou en apparence incohérent, dans le célèbre Livre <strong>de</strong> Leinster (vers<br />

1160) <strong>et</strong> dans quelques autres manuscrits. À partir <strong>de</strong> là, on peut suivre l’histoire<br />

<strong>de</strong> la forme poétique <strong>et</strong> musicale appelée lai ou Leich tout au long du Moyen Âge,<br />

<strong>et</strong> dans toutes les langues, sans autre difficulté que celles — considérables —<br />

qu’offrent son instabilité formelle <strong>et</strong> sa complexité musicale.<br />

Or, dès son apparition en français, au XII e siècle, au moment, à peu <strong>de</strong> chose<br />

près, où est copié le Livre <strong>de</strong> Leinster, le mot peut désigner aussi une nouvelle ou<br />

un conte, sans la moindre référence musicale : Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong>, auteur qui écrit<br />

en français, mais connaît aussi, outre le latin, l’anglais <strong>et</strong> le « br<strong>et</strong>on » (c’est-à-dire<br />

une langue celtique), dit s’inspirer <strong>de</strong> « lais br<strong>et</strong>ons » pour composer <strong><strong>de</strong>s</strong> contes en<br />

vers qu’elle appelle <strong><strong>de</strong>s</strong> « lais ».<br />

Mais les appelle-t-elle vraiment ainsi ? N’est-ce pas nous qui sommes à la fois<br />

contraints <strong>et</strong> justifiés <strong>de</strong> leur donner ce nom par le fait que le mot lai, par une<br />

extrapolation <strong>de</strong> l’usage qu’elle en fait, est employé après elle, pour désigner <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

contes en vers plus ou moins analogues aux siens ? Ce débat ancien a, pour<br />

l’essentiel, été clarifié <strong>de</strong>puis longtemps, entre autres par la belle analyse <strong>de</strong> Martín<br />

<strong>de</strong> Riquer, « La ‘aventure’, el ‘lai’ y el ‘conte’, en Marie di Francia », dans Filologia<br />

Romanza II, 1, p. 1-19. On a cependant examiné systématiquement les occurrences<br />

du mot lai chez Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> dans les « lais anonymes », au début <strong>et</strong> à la fin<br />

<strong>de</strong> chaque pièce ainsi que dans le prologue <strong>de</strong> Marie. D’une part, le caractère<br />

musical <strong><strong>de</strong>s</strong> lais br<strong>et</strong>ons dont s’inspirent les « lais narratifs » ne fait aucun doute <strong>et</strong><br />

est mentionné à plusieurs reprises, sans ambiguïté. D’autre part, Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

ou l’auteur anonyme disent toujours qu’ils racontent « l’aventure du lai », l’histoire<br />

à partir <strong>de</strong> laquelle les Br<strong>et</strong>ons ont fait un lai. Les <strong>de</strong>ux traits se combinent <strong>de</strong><br />

façon significative au début du lai anonyme <strong>de</strong> Doon :<br />

Doon, cest lai sevent plusor : Doon : ce lai, beaucoup le connaissent ;<br />

N’i a gueres bon harpëor il n’y a guère <strong>de</strong> bon harpeur<br />

Ne sache les notes harper ; qui ne sache en jouer la mélodie sur la harpe.<br />

Nes je vos voil dire e conter Et moi aussi, je veux vous dire <strong>et</strong> vous raconter<br />

L’aventure dont li Br<strong>et</strong>on l’aventure à partir <strong>de</strong> laquelle les Br<strong>et</strong>ons<br />

Apelerent cest lai Doon. appelèrent ce lai Doon. (v. 1-6)<br />

Tous les bons musiciens savent jouer le lai <strong>de</strong> Doon ; <strong>de</strong> son côté, l’auteur va<br />

raconter l’aventure à partir <strong>de</strong> laquelle les Br<strong>et</strong>ons ont appelé ce lai Doon. Mais<br />

jamais l’auteur ne dit que le conte qu’il compose est un lai. Sur trente-cinq ou<br />

trente-six occurrences <strong>de</strong> ce genre, on en trouve une seule, au début <strong>de</strong> Bisclavr<strong>et</strong>,<br />

dans lequel le mot lai paraît désigner les contes mêmes composés par Marie <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong>. On a longuement commenté ce passage, rendu ambigu par une erreur <strong>de</strong><br />

transcription du manuscrit (unique en c<strong>et</strong> endroit) dans les <strong>de</strong>ux éditions <strong>de</strong><br />

référence <strong>et</strong> par une inexactitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> traduction fondée sur c<strong>et</strong>te erreur même. On


LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 713<br />

a suggéré que le scribe <strong>de</strong> ce manuscrit British Library Harley 978, copié entre<br />

1261 <strong>et</strong> 1265, comme celui du manuscrit BnF nouv. Acq. fr. 1104, copié à la fin<br />

du XIII e ou au début du XIV e siècle, qui réserve une section aux « Lais <strong>de</strong><br />

Br<strong>et</strong>aigne », pouvaient donner au mot lai le sens <strong>de</strong> « conte en vers » que Marie<br />

elle-même ne lui donnait pas encore.<br />

Bref, le processus est le suivant : une aventure se produit ; les Br<strong>et</strong>ons en gar<strong>de</strong>nt<br />

la mémoire en composant un lai musical, joué sur la harpe, sans doute avec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

paroles, en attachant une gran<strong>de</strong> importance au nom par lequel le lai est désigné ;<br />

Marie (ou l’auteur anonyme) raconte l’histoire, c’est-à-dire remonte à l’aventure<br />

dont le lai conserve la mémoire.<br />

Mais alors, si on va <strong>de</strong> l’aventure à l’aventure, pourquoi ne pas faire l’économie<br />

du lai intermédiaire ? Pourquoi en faire état ? Parce qu’il est la source ? Mais la<br />

source est-elle le lai musical ou ce qu’on racontait à son propos <strong>et</strong> autour <strong>de</strong> lui,<br />

peut-être comme une introduction avant <strong>de</strong> l’interpréter, l’histoire à laquelle on le<br />

rattachait, sa razo en somme ? Le lai n’est mentionné que comme résonance<br />

poétique <strong>et</strong> ancrage dans la tradition.<br />

Marie considère le récit qui lui fournit la matière <strong>de</strong> son conte, <strong>et</strong> qu’elle appelle<br />

« l’aventure », comme la razo <strong>de</strong> la pièce poétique <strong>et</strong> musicale qu’est le lai br<strong>et</strong>on.<br />

Elle le dit en ces propres termes au début d’Eliduc :<br />

D’un mult anciën lai br<strong>et</strong>un<br />

Le cunte e tute la raisun<br />

Vus dirai… (v. 1-3)<br />

Il est clair que l’expression dire le conte <strong>et</strong> la raison d’un lai — le lai étant une<br />

pièce musicale <strong>et</strong> poétique — signifie développer le récit latent, aliment du poème<br />

chanté <strong>et</strong> que le poème — à supposer même qu’il n’ait pas été purement musical<br />

— ne peut abor<strong>de</strong>r que <strong>de</strong> façon allusive. Pourtant la situation, tout en étant<br />

analogue, est très différente <strong>de</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> razos <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours. Si l’on va <strong>de</strong><br />

l’aventure à l’aventure en supposant — mais en supposant seulement — le lai<br />

lyrique entre les <strong>de</strong>ux, cela implique, non que la razo qu’est le conte <strong>de</strong> Marie <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong> approfondit la poésie du poème, comme le feront les razos dans les<br />

chansonniers occitans, puisque ce poème est absent, puisque la razo en est le<br />

succédané <strong>et</strong> est composée précisément pour qu’il ne soit pas oublié, comme le dit<br />

Marie dans son prologue. C’est donc l’idée du poème absent, sa trace, l’affirmation<br />

obstinée, répétée, qu’elle veut en sauver la mémoire, qui poétisent le conte <strong>de</strong><br />

Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong>. C’est pour cela qu’elle a besoin <strong>de</strong> le mentionner <strong>et</strong> qu’elle ne<br />

peut aller directement <strong>de</strong> l’aventure à l’aventure, du récit dont le lai gar<strong>de</strong> la<br />

mémoire à son propre récit. Car, comme on l’a montré à partir <strong>de</strong> nombreux<br />

exemples, mais particulièrement ceux <strong>de</strong> Chaitivel <strong>et</strong> du Lecheor, on porte une<br />

attention presque maniaque au titre du lai : c’est tout ce qui reste du lai br<strong>et</strong>on<br />

dans le conte ; c’est le titre qui marque le conte comme le prolongement poétique<br />

d’un poème.


714 MICHEL ZINK<br />

Le lai narratif n’existe que par métonymie. Si ce mot a fini par désigner un conte<br />

racontant une histoire qui a d’autre part inspiré un poème, c’est que Marie <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong> a réussi à persua<strong>de</strong>r ses lecteurs que le conte ne peut exister sans le poème,<br />

que l’histoire en elle-même n’est rien sans c<strong>et</strong>te mémoire fragile <strong>et</strong> allusive qui en<br />

oublie les péripéties <strong>et</strong> en concentre l’émotion. Son art <strong>de</strong> conteuse est pénétré <strong>de</strong><br />

c<strong>et</strong>te conviction. La poésie <strong>de</strong> ses récits est <strong>de</strong> donner l’impression que ses récits<br />

s’enracinent dans <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes qui ne racontent pas tout.<br />

Rappelons-nous son prologue, <strong>et</strong> l’allusion à Priscien : Marie invoque l’auteur<br />

ancien d’un traité <strong>de</strong> grammaire qui est également lu comme une anthologie <strong>de</strong><br />

citations — autrement dit comme un recueil <strong>de</strong> fragments — pour dire que le sens<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> œuvres ne se découvre que peu à peu <strong>et</strong> que la réflexion <strong><strong>de</strong>s</strong> générations<br />

successives l’approfondit. Pour montrer que, même si elle a renoncé à adapter une<br />

œuvre latine, son travail <strong>et</strong> son ambition restent les mêmes, elle doit m<strong>et</strong>tre en<br />

évi<strong>de</strong>nce que ses contes se fon<strong>de</strong>nt chaque fois sur <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes produits par chacune<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> ces histoires, mais qui ne la racontent pas, puisque, précisément, ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

« morceaux » musicaux <strong>et</strong> poétiques. À elle d’en r<strong>et</strong>rouver le sens <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’approfondir.<br />

Le sens, ce n’est pas seulement une idée ou une leçon abstraites. C’est l’ensemble<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s, <strong><strong>de</strong>s</strong> résonances, <strong><strong>de</strong>s</strong> prolongements, <strong><strong>de</strong>s</strong> émois indicibles, <strong><strong>de</strong>s</strong> nœuds<br />

affectifs que recèle le poème <strong>et</strong> que, dans la pratique médiévale, comme les razos<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours le montrent, le récit peut m<strong>et</strong>tre au jour aussi bien que l’analyse<br />

ou le commentaire critiques. Celui qui a le mieux compris, dans c<strong>et</strong> esprit, la<br />

relation entre le lai musical <strong>et</strong> le récit, c’est, une fois <strong>de</strong> plus, Dante, comme on le<br />

voit au chant IX du Purgatoire (v. 13-15).<br />

Il avait été souligné au début du <strong>cours</strong> que les novas s’enracinent explicitement<br />

dans les chansons <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours <strong>et</strong> qu’elles les citent constamment, tandis que<br />

les lais <strong>de</strong> Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong>, qui s’enracinent explicitement dans les lais br<strong>et</strong>ons, ne<br />

les citent jamais, à l’exception <strong>de</strong> leurs titres : le rapport du récit en vers au poème<br />

lyrique est donc entièrement différent. Mais ce qui rapproche les lais <strong>de</strong> Marie <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> novas, c’est qu’ils sont également re<strong>de</strong>vables aux chansons <strong>de</strong> troubadour,<br />

sans jamais cependant les citer ni s’en réclamer. Comment s’en étonner ? Quelle<br />

qu’ait été l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong>, il ne fait pas <strong>de</strong> doute qu’elle ait été liée<br />

au milieu Plantagenêt. C’est aussi le cas d’un grand nombre <strong>de</strong> troubadours, entre<br />

autres <strong>de</strong> Bernard <strong>de</strong> Ventadour. Car même s’il n’est pas absolument certain que<br />

le senhal « Mon Aziman » désigne Aliénor d’Aquitaine <strong>et</strong> même si les renseignements<br />

que donne sur elle la vida écrite par Uc <strong>de</strong> Saint-Circ sont erronés, il n’en <strong>de</strong>meure<br />

pas moins qu’il dédie explicitement <strong>de</strong>ux chansons à Henri II Plantagenêt <strong>et</strong> qu’il<br />

semble bien, à lire la chanson Lancan vei per mei la landa, être allé en<br />

Angl<strong>et</strong>erre.<br />

L’exemple r<strong>et</strong>enu pour illustrer l’usage que fait Marie <strong>de</strong> sa connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

troubadours a été son emploi <strong>de</strong> surplus, comme euphémisme désignant les faveurs<br />

ultimes accordées par une femme, au v. 533 <strong>de</strong> Guigemar, par comparaison, non<br />

seulement avec le même emploi dans un passage fameux du Conte du Graal <strong>de</strong>


LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 715<br />

Chrétien <strong>de</strong> Troyes, mais aussi avec celui, dans le même sens, <strong>de</strong> plus au v. 18 <strong>de</strong><br />

la chanson Be˙m cui<strong>de</strong>i <strong>de</strong> chantar sofrir <strong>de</strong> Bernard <strong>de</strong> Ventadour :<br />

E car vos plac que˙m fez<strong>et</strong>z tan d’onor Et puisqu’il vous a plus <strong>de</strong> me faire tant<br />

d’honneur<br />

Lo jorn que˙m d<strong>et</strong>z en baizan vostr’amor, le jour où vous m’avez donné d’un baiser<br />

votre amour,<br />

Del plus, si˙us platz, prend<strong>et</strong>z esgardamen ! pensez, s’il vous plaît, au plus !<br />

De même qu’en commençant l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> chansons où il fait mention à la fois du<br />

roi d’Angl<strong>et</strong>erre <strong>et</strong> <strong>de</strong> son « Aimant » par Ge˙s <strong>de</strong> chantar no˙m pren talan, Bernard<br />

reprend, mais en l’inversant, le premier vers <strong>de</strong> la célèbre chanson d’adieu <strong>de</strong> son<br />

prédécesseur Guillaume IX, le premier troubadour, Pos <strong>de</strong> chantar m’es pres talentz,<br />

<strong>de</strong> même ces vers font très certainement allusion à la quatrième strophe <strong>de</strong> la<br />

chanson du même Guillaume IX, Ab la dolchor <strong>de</strong>l temps novel, dans laquelle le<br />

comte se souvient du jour où celle qu’il aime lui a accordé son amour :<br />

Enquer me membra d’un mati Il me souvient sans cesse d’un matin<br />

Que nos fezem <strong>de</strong> guerra fi, où nous avons mis fin à la guerre,<br />

E que˙m don<strong>et</strong> un don tan gran, <strong>et</strong> où elle me fit ce don immense :<br />

Sa drudari’e son anel. son amour <strong>et</strong> son anneau.<br />

À ce point, Bernard, qui s’est fait l’écho <strong>de</strong> son prédécesseur presque jusqu’au jeu<br />

<strong>de</strong> mots (que˙m don<strong>et</strong> un don tan gran dans la chanson <strong>de</strong> Guillaume IX, que˙m<br />

fez<strong>et</strong>z tan d’onor dans la sienne), souhaite obtenir en plus le « plus ». Et Guillaume,<br />

que souhaitait-il ? Les <strong>de</strong>ux vers qui terminent la strophe sont bien connus :<br />

Enquer me lais Dieux viure tan Que Dieu me laisse vivre assez longtemps<br />

C’aja mas manz soz so mantel ! pour que j’aie (un jour) mes mains sous son<br />

manteau !<br />

Les <strong>de</strong>ux poèmes sont ceux d’amants heureux, mais qui pourraient l’être davantage.<br />

Chacun imagine à sa manière le surplus qui portera au comble sa félicité <strong>et</strong> chacun<br />

l’exprime à sa manière, tous <strong>de</strong>ux partageant le souci <strong>de</strong> ne pas l’exprimer jusqu’au<br />

bout <strong>et</strong> <strong>de</strong> ne pas dire l’indicible. Bernard dissimule l’indicible sous le voile <strong>de</strong><br />

l’euphémisme en en disant effectivement le moins possible <strong>et</strong> en se contentant <strong>de</strong> la<br />

brièv<strong>et</strong>é abstraite du monosyllabe « plus » ; Guillaume s’abandonne à une<br />

imagination audacieuse, mais à l’audace r<strong>et</strong>enue. Au lieu du voile métaphorique<br />

d’un bref mot imprécis (plus), il use d’un voile matériel, concr<strong>et</strong> : le manteau sous<br />

lequel se glissent les mains <strong>et</strong> qui voile, qui dissimule leur geste avi<strong>de</strong>. Voile, ou, pour<br />

utiliser les termes qui étaient à c<strong>et</strong>te époque même, chez les chartrains, ceux <strong>de</strong><br />

l’herméneutique <strong>et</strong> <strong>de</strong> la poétique, involucrum, integumentum : termes qui désignent<br />

une étoffe, un vêtement, une enveloppe qui recouvre <strong>et</strong> dissimule — l’étoffe, le voile,<br />

le vêtement <strong><strong>de</strong>s</strong> figures poétiques ou du sens littéral qui recouvrent <strong>et</strong> dissimulent le<br />

sens second, que la perspicacité du lecteur doit m<strong>et</strong>tre au jour. L’étoffe, le voile, le<br />

vêtement : autant dire le manteau. Guillaume nomme l’integumentum concr<strong>et</strong>,<br />

littéral, qui, concrètement, dissimule l’obj<strong>et</strong> du désir <strong>et</strong> sa poursuite. Bernard recourt<br />

à l’integumentum métaphorique, celui <strong><strong>de</strong>s</strong> mots <strong>et</strong>, puisqu’il s’agit <strong>de</strong> dissimuler


716 MICHEL ZINK<br />

l’indicible, il emploie le mot le plus bref possible, le plus général possible. « Plus ! » :<br />

en une seule syllabe, le cri <strong>de</strong> l’insatiable.<br />

Marie, pour sa part, raconte, étape par étape, la rencontre, l’amour naissant, l’aveu,<br />

les premières privautés entre Guigemar <strong>et</strong> la jeune femme enfermée par son mari<br />

jaloux, auprès <strong>de</strong> laquelle l’a conduit la nef enchantée. Parvenue au moment où la<br />

pu<strong>de</strong>ur interdit au récit <strong>de</strong> se poursuivre avec le même détail, elle se souvient du<br />

« plus » <strong>de</strong> Bernard <strong>de</strong> Ventadour <strong>et</strong> y recourt. Mais ce n’est qu’alors, dans le cadre du<br />

récit développé, que ce « plus », développé, allongé lui-même en « surplus », joue<br />

véritablement son rôle d’euphémisme. Il marque, avec une discrétion apparente <strong>et</strong>,<br />

en réalité, une certaine complaisance, une ellipse dans le récit, <strong><strong>de</strong>s</strong> points <strong>de</strong><br />

suspension. Les troubadours, pour leur part, situent leur poème tout entier au point<br />

exact où il n’y a pas <strong>de</strong> récit : rien que la requête, nourrie du souvenir <strong>de</strong> ce qui s’est<br />

passé <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’attente <strong>de</strong> ce qui pourrait se passer. Au moment même du poème, il n’y<br />

a rien à raconter, il ne se passe rien. Dans c<strong>et</strong>te pause du récit, le monosyllabe « plus »<br />

éclate, résonne, emplit l’imagination, comme le font aussi les mains dont le manteau<br />

dissimule l’audace : le « plus » <strong>et</strong> les mains sous le manteau n’agissent pas comme <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

euphémismes, mais plutôt comme une amplification assourdissante, aveuglante <strong>de</strong><br />

trop <strong>de</strong> proximité. Une telle proximité du désir que l’amant y est immergé, n’entend<br />

plus résonner qu’une syllabe, ne voit plus ce qui lui est trop proche.<br />

Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong>, au contraire, utilise le « surplus » pour atténuer, pour détourner<br />

le regard du lecteur <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux amants couchés ensemble <strong>et</strong> placer en écran <strong>de</strong>vant lui<br />

la connaissance abstraite <strong>de</strong> ce que « les autres ont l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> faire » dans ce genre<br />

<strong>de</strong> circonstances. Dans ce cas précis, c’est en glissant sur le « surplus » <strong>et</strong> en substituant<br />

au récit le renvoi allusif à une expérience commune <strong>et</strong> à une connaissance générale<br />

qu’elle fait pour un instant <strong>de</strong> la poésie lyrique le soutien <strong>et</strong> le substitut <strong>de</strong> son récit <strong>et</strong><br />

qu’elle préserve, mais en en gauchissant le sens, le suspens du poétique dans le<br />

déroulement <strong>de</strong> ce récit. Peut-être procè<strong>de</strong>-t-elle <strong>de</strong> la même façon au regard <strong><strong>de</strong>s</strong> lais<br />

br<strong>et</strong>ons. Peut-être existe-t-il une relation analogue entre les développements <strong>et</strong> les<br />

silences <strong>de</strong> ses récits d’une part, les paroles <strong>et</strong> les silences <strong><strong>de</strong>s</strong> lais br<strong>et</strong>ons d’autre part,<br />

mais nous n’en savons rien, faute <strong>de</strong> connaître ces lais. Nous <strong>de</strong>vons bien nous<br />

contenter <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes dont, dans le détail, elle s’inspire : ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours.<br />

On a ensuite étudié la situation <strong><strong>de</strong>s</strong> saluts d’amour entre chanson <strong>et</strong> roman à partir<br />

d’une comparaison entre l’insomnie amoureuse <strong>de</strong> Didon dans le Roman d’Enéas, qui<br />

développe en près <strong>de</strong> quarante vers les cinq célèbres premiers vers du Livre IV <strong>de</strong><br />

l’Enéi<strong>de</strong>, <strong>et</strong> celle du poète Arnaud <strong>de</strong> Mareuil, évoquée plus longuement encore dans<br />

son premier salut d’amour, Dona genser qe ne sai dir. C<strong>et</strong> examen, trop minutieux <strong>et</strong><br />

trop long pour être ici résumé, a fait appel à bien d’autres poèmes, <strong>de</strong> Cligès à Cerveri<br />

<strong>de</strong> Girona <strong>et</strong> à Auzias March, en passant par d’autres troubadours <strong>et</strong> par le troisième<br />

salut d’amour d’Arnaud <strong>de</strong> Mareuil lui-même. Il a mis en évi<strong>de</strong>nce, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong><br />

l’i<strong>de</strong>ntité <strong><strong>de</strong>s</strong> motifs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> détails, la tension poétique dans le salut d’amour entre une<br />

narration ordonnée <strong>et</strong> un ressassement obsessionnel dont le caractère onirique <strong>et</strong> le<br />

bouleversement sensuel se révèlent dans <strong><strong>de</strong>s</strong> détails, comme l’emploi particulier <strong>de</strong>


LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 717<br />

<strong>de</strong>ves ou le fait que le poète compare la satisfaction érotique qu’il lui semble éprouver<br />

en rêve à celle, non <strong><strong>de</strong>s</strong> amoureux, mais <strong><strong>de</strong>s</strong> amoureuses illustres.<br />

Au bout <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te nuit passée dans les tourments amoureux, dans les ambiguïtés,<br />

dans les contradictions <strong>et</strong> dans les obsessions <strong>de</strong> l’amour, Arnaud ne se lèvera pas,<br />

comme Didon, pour aller se confier à sa sœur Anne. L’histoire est ressassée, <strong>et</strong> non<br />

pas poursuivie. La poésie est bien une poésie du récit, mais d’un récit conçu<br />

comme une exploration <strong><strong>de</strong>s</strong> strates <strong>de</strong> la conscience, un approfondissement <strong>et</strong> un<br />

ressassement, non comme la succession <strong>de</strong> péripéties nouvelles.<br />

Enfin, la relation entre les novas <strong>et</strong> les chansons a été abordée sous <strong>de</strong>ux angles.<br />

D’une part, les novas comme développement <strong><strong>de</strong>s</strong> chansons. Ce point a été illustré<br />

par la plus connue <strong><strong>de</strong>s</strong> novas, la Nouvelle du perroqu<strong>et</strong>, <strong>et</strong> les questions posées par<br />

sa tradition manuscrite. Seul le ms. R poursuit le récit jusqu’à l’incendie du château<br />

par le perroqu<strong>et</strong>, qui perm<strong>et</strong> ainsi aux amants <strong>de</strong> se r<strong>et</strong>rouver brièvement pendant<br />

que tout le mon<strong>de</strong> est occupé à éteindre le feu. Les autres manuscrits s’arrêtent au<br />

moment où le perroqu<strong>et</strong> rend compte à son maître du succès <strong>de</strong> son ambassa<strong>de</strong><br />

ou concluent par un débat amoureux entre la dame <strong>et</strong> le chevalier.<br />

On voit l’intérêt que présente pour nous c<strong>et</strong>te situation. La nouvelle développe<br />

sous forme narrative la thématique <strong><strong>de</strong>s</strong> chansons, qu’il s’agisse <strong><strong>de</strong>s</strong> arguments du<br />

débat amoureux, du cadre du verger, du motif du jaloux <strong>et</strong> plus encore <strong>de</strong> celui <strong>de</strong><br />

l’oiseau messager. Mais, selon les versions, elle la développe plus ou moins <strong>et</strong> elle la<br />

développe différemment. Les manuscrits qui s’arrêtent au vers 140 présentent une<br />

version proche <strong><strong>de</strong>s</strong> chansons : pour le thème, sinon pour l’esprit, on n’est pas si loin<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux chansons <strong>de</strong> l’estournel <strong>de</strong> Marcabru. Les manuscrits qui se terminent par<br />

un débat amoureux entre la dame <strong>et</strong> le chevalier restent dans la tonalité lyrique, en<br />

poussant dans la direction qui est celle <strong><strong>de</strong>s</strong> autres novas, celle <strong>de</strong> la casuistique<br />

amoureuse. Le manuscrit R déplace l’intérêt sur une péripétie <strong>de</strong> fantaisie, métaphore<br />

du feu <strong>de</strong> l’amour <strong>et</strong> preuve que la passion ne recule <strong>de</strong>vant rien. C’est sa version qui<br />

a fait la gloire <strong>de</strong> la nouvelle, sans que l’on puisse savoir si Arnaud <strong>de</strong> Carcassès, qui<br />

se l’attribue <strong>et</strong> dont le nom n’apparaît que dans c<strong>et</strong>te version <strong>et</strong> dans ce manuscrit,<br />

est un remanieur <strong>de</strong> la version brève antérieure ou s’il est l’auteur <strong>de</strong> l’œuvre entière.<br />

Bien que <strong><strong>de</strong>s</strong> arguments puissent être invoqués dans les <strong>de</strong>ux sens, on a suggéré que<br />

la version brève pourrait bien être la version d’origine, comme le pensaient les<br />

premiers philologues à s’être penchés sur ce texte.<br />

C<strong>et</strong>te nouvelle est une variation sur le motif <strong>de</strong> l’oiseau messager, entraînée hors<br />

du cadre lyrique qui lui est habituel. La fantaisie <strong>et</strong> le fantastique du motif sont<br />

naturels à la chanson <strong>et</strong> y trouvent leur place sans effort par la grâce <strong>de</strong> la brièv<strong>et</strong>é<br />

allusive du poème. Mais ils ressortent fortement dès lors qu’ils sont développés par<br />

le récit. Au lieu d’être voilés <strong>et</strong> spontanément acceptés, ils sont mis en valeur <strong>et</strong><br />

soulignés par l’outrance <strong>et</strong> le comique du personnage du perroqu<strong>et</strong>, bavard habile<br />

<strong>et</strong> satisfait <strong>de</strong> lui-même, vrp <strong>de</strong> l’amour. Il n’est pas étonnant que c<strong>et</strong>te tendance<br />

ait été accentuée par l’épiso<strong>de</strong> lui-même outrancier <strong>de</strong> l’incendie du château.


718 MICHEL ZINK<br />

D’autre part, on a étudié le re<strong>cours</strong> aux citations <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours dans les novas<br />

à partir d’une citation <strong>de</strong> Raimbaut d’Orange légèrement modifiée par Raimon<br />

Vidal <strong>de</strong> Besalú pour être insérée dans En aquel temps c’om era gais, avec pour<br />

conséquence, non seulement une banalisation <strong>de</strong> la forme, mais aussi une<br />

modification du sens, alors même que les changements paraissent insignifiants.<br />

La conclusion générale a, entre autres, tenté <strong>de</strong> montrer pourquoi le dialogue<br />

entre le narratif <strong>et</strong> le lyrique a pour eff<strong>et</strong> d’imposer au premier une esthétique du<br />

fragment.<br />

À Paris, après une ouverture par le professeur, le séminaire, en relation avec le<br />

<strong>cours</strong>, a accueilli six invités. Le 15 janvier 2008, Milena Mikhailova, maître <strong>de</strong><br />

conférences à l’université <strong>de</strong> Limoges : « Entre pierreries <strong>et</strong> ombres, contez, vous qui<br />

savez <strong>de</strong> nombre. L’accomplissement du chant courtois. » Le 22 janvier, Véronique<br />

Dominguez, maître <strong>de</strong> conférences à l’université <strong>de</strong> Nantes : « Le théâtre comme<br />

récit : remarques sur la poétique <strong>de</strong> la Passion <strong>de</strong> Semur (XV e siècle). » Le 29 janvier,<br />

Nathalie Koble, maître <strong>de</strong> conférences à l’École Normale Supérieure : « Abréger les<br />

romans en prose : « visce <strong>de</strong> mauvais escrivain » ou art poétique du translater ? »<br />

Le 5 février, Carla Rossi, docteur ès l<strong>et</strong>tres : « Posture d’auteur <strong>et</strong> choix i<strong>de</strong>ntitaire :<br />

si sui <strong>de</strong> <strong>France</strong>. » Le 12 février, Sylvie Lefèvre, professeur à l’université <strong>de</strong> Tours :<br />

« La tentation lyrique ou allégorique <strong><strong>de</strong>s</strong> saluts-complaintes. » Le 19 février, Andrea<br />

Valentini, ingénieur <strong>de</strong> recherche au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> : « Le récit comme poésie :<br />

les monologues lyriques dans quelques romans arthuriens en vers <strong><strong>de</strong>s</strong> XII e <strong>et</strong> XIII e<br />

siècles. »<br />

Le séminaire s’est poursuivi à l’université <strong>de</strong> Chicago le vendredi 11 avril 2008,<br />

sous la forme d’un colloque réuni autour <strong>de</strong> Michel Zink à l’initiative <strong>de</strong> Daisy<br />

Delogu sur le thème : « Ce que la poésie raconte. » L’exposé d’ouverture <strong>de</strong> Michel<br />

Zink a été suivi <strong><strong>de</strong>s</strong> communications suivantes : Elizab<strong>et</strong>h Poe (Tulane University),<br />

« In the Beginning was the Razo » ; H. Justin Steinberg (University of Chicago),<br />

« Making Poems Tell Stories in Dante’s Vita Nuova » ; Kevin Brownlee (University<br />

of Pennsylvania), « Po<strong>et</strong>ry, Music and Narrative in Guillaume <strong>de</strong> Machaut’s<br />

Mot<strong>et</strong>s » ; David Hult (University of California, Berkeley), « Thoughts of the mise<br />

en scène of the lyric voices : Alain Chartier’s Belle Dame sans Mercy » ; Nancy<br />

Freeman Regalado (New York University), « Who tells the stories of po<strong>et</strong>ry / Qui<br />

raconte la poésie ?: Villon and his Rea<strong>de</strong>rs ». Le colloque s’est conclu sur une table<br />

ron<strong>de</strong> animée par Claudio Giunta (Università <strong>de</strong>gli studi di Trento), Alison James<br />

(University of Chicago), Mark Payne (University of Chicago) <strong>et</strong> Eleonora Stoppino<br />

(University of Illinois, Urbana-Champaign).<br />

S’agissant du <strong>cours</strong>, six heures ont été délocalisées à l’université <strong>de</strong> Toulouse II,<br />

à l’université <strong>de</strong> Chicago <strong>et</strong> à l’université <strong>de</strong> Bonn.<br />

Toutes les heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong> données à Paris ont été diffusées par <strong>France</strong>-Culture<br />

dans le cadre <strong>de</strong> l’émission « Éloge du savoir » <strong>et</strong> sont disponibles en podcast sur<br />

le site du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.


Livre<br />

LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 719<br />

Activités du professeur<br />

Publications<br />

Un portefeuille toulousain, Paris, Éditions <strong>de</strong> Fallois, 2007, 234 p.<br />

Articles<br />

« Paul Zumthor. La vie ouverte en poésie », dans Paul Zumthor. Traversées, sous la<br />

direction d’Eric Méchoulan <strong>et</strong> <strong>de</strong> Marie-Louise Ollier, Presses <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Montréal,<br />

2007, p. 187-193.<br />

« La frontière <strong>et</strong> la définition <strong>de</strong> la littérature », dans L’idée <strong>de</strong> frontière dans les littératures<br />

romanes. Actes du Colloque international, Sofia, 25-27 février 2005. Textes réunis par Stoyan<br />

Atanassov, Presses Universitaires <strong>de</strong> Sofia « Saint Clément d’Ohrid », 2007, p. 14-21.<br />

« Medioevo al presente », dans Il Sole — 24 Ore, 9 septembre 2007, p. 32 (trad. Carlo<br />

Ossola).<br />

« Conclusions », dans La place <strong>de</strong> la musique dans la culture médiévale. Actes du Colloque<br />

organisé à la Fondation Singer-Polignac le mercredi 25 octobre 2006. Édités par Olivier<br />

Cullin, Turnhout, Brepols, 2007, p. 139-143.<br />

« Conclusions », dans La traduction vers le moyen français. Actes du II e colloque <strong>de</strong><br />

l’AIEMF, Poitiers, 27-29 avril 2006. Dir. Claudio Gal<strong>de</strong>risi <strong>et</strong> Cinzia Pignatelli, Turnhout,<br />

Brepols, 2007, p. 453-457.<br />

« Jacques Le Goff <strong>et</strong> la voix poétique », dans L’Europe <strong>et</strong> le livre au Moyen Âge — II<br />

Hommage au Prof. Jacques Le Goff. Revista portuguesa <strong>de</strong> história do livro, Revue portugaise<br />

d’histoire du livre X, 2006, n° 20, p. 305-310 (parution automne 2007).<br />

« El Grial o el mito <strong>de</strong> la salvación », dans Philía. Revista <strong>de</strong> la Bibliotheca Mystica <strong>et</strong><br />

Philosophica Alois Maria Haas, 1, automne 2007, p. 115-140.<br />

« La narración <strong>de</strong> la poesia. Vidas y razos <strong>de</strong> los trovadores occitanos », dans De los orígines<br />

<strong>de</strong> la narrativa corta en occi<strong>de</strong>nte, Ginebra magnolia, TESSEL.LA, Lima (Pérou), 2007,<br />

p. 119-137.<br />

« The Place of the Senses », dans R<strong>et</strong>hinking the Medieval Senses. Heritage, Fascinations,<br />

Frames, éd. Stephen G. Nichols, Andreas Kablitz <strong>et</strong> Alison Calhoun, Baltimore, Johns<br />

Hopkins U. P., 2008, p. 93-101.<br />

« Raimon <strong>de</strong> Miraval, entrem<strong>et</strong>teur ou éternel mari ? », dans L’homme dans le texte.<br />

Mélanges offerts à Stoyan Atanassov à l’occasion <strong>de</strong> son 60 e anniversaire, Sofia, Presses<br />

universitaires <strong>de</strong> Sofia « Saint Clément d’Ohrid », 2008, p. 29-38.<br />

« Le XII e siècle français : le rayonnement sans la puissance », dans <strong>France</strong> Forum, nouvelle<br />

série, n° 29, mars 2008, p. 36-38.<br />

« Pourquoi lire la poésie du passé ? », dans La conscience <strong>de</strong> soi <strong>de</strong> la poésie, sous la direction<br />

d’Yves Bonnefoy, Paris, Seuil, 2008, p. 161-169.<br />

« Introduction. La prison <strong>et</strong> la nature <strong>de</strong> la poésie », dans « Le loro prigioni » : scritture dal<br />

carcere, éd. Anna Maria Babbi <strong>et</strong> Tobia Zanon, Vérone, Edizioni Fiorini, 2008, p. 1-18.<br />

Comptes rendus, Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions <strong>et</strong> belles-l<strong>et</strong>tres : La Grèce antique sous le<br />

regard du Moyen Âge occi<strong>de</strong>ntal, éd. Jean Leclant <strong>et</strong> Michel Zink, dans Académie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres. Comptes rendus <strong><strong>de</strong>s</strong> séances <strong>de</strong> l’année 2006, juill<strong>et</strong>-octobre, Paris,<br />

De Boccard, 2006 (parution 2008), p. 1476-1479 ; Portraits <strong>de</strong> troubadours. Initiales <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

chansonniers provençaux I <strong>et</strong> K (Paris, BNF, ms. Fr. 854 <strong>et</strong> 12473), éd. Jean-Loup Lemaître<br />

<strong>et</strong> Françoise Vielliard, ibid., p. 1479-1481.


720 MICHEL ZINK<br />

Participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques<br />

4-6 octobre 2007, Beaulieu-sur-Mer. XVIII e colloque <strong>de</strong> la Villa Kérylos (Institut <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong>, Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres), « Pratiques <strong>et</strong> dis<strong>cours</strong> alimentaires en<br />

Méditerranée <strong>de</strong> l’Antiquité à la Renaissance.» Communication : « La poésie par le menu.<br />

Pourquoi la nourriture est-elle au Moyen Âge un suj<strong>et</strong> poétique ? ».<br />

20 octobre 2007, Paris, Fondation Singer-Polignac : « Les Académies en Europe,<br />

XIX e -XX e siècles ». Conclusions.<br />

22-23 octobre 2007, Paris, Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong> : « Les Académies en Europe au XXI e siècle ».<br />

Organisation scientifique <strong>de</strong> la rencontre. Conclusions générales.<br />

16-17 novembre 2007, Paris, Institut historique allemand — Institut hongrois : « Sainte<br />

Élisab<strong>et</strong>h (1207-1231). Huit siècles <strong>de</strong> rayonnement européen ». Communication : « La Vie<br />

<strong>de</strong> sainte Élisab<strong>et</strong>h <strong>de</strong> Hongrie <strong>de</strong> Rutebeuf ».<br />

24 mai 2008, Villa Lagarina (TN, Italie), Palazzo Guerrieri-Gonzaga, séminaire<br />

international organisé par Anna Maria Babbi, Claudio Gal<strong>de</strong>risi <strong>et</strong> Michel Zink, « Rileggere<br />

il Medioevo ». Exposé d’ouverture, prési<strong>de</strong>nce du colloque <strong>et</strong> conclusions.<br />

Conférences<br />

Oxford, Maison française, « Les images du récit <strong>et</strong> l’esprit du poème : réflexions sur<br />

« l’histoire d’amour sans paroles » du manuscrit Chantilly, Musée Condé 388 » (6 novembre<br />

2007) — Aubervilliers, Théâtre équestre Zingaro, Les lundis du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, « De<br />

l’utopie au carnaval : le théâtre du Moyen Âge » (12 novembre 2007). — Université <strong>de</strong><br />

Genève <strong>et</strong> Université <strong>de</strong> Zurich, « Perspectives sur la littérature du Moyen Âge : à la<br />

recherche <strong>de</strong> la bonne distance » (22 novembre <strong>et</strong> 12 décembre 2007). — Université <strong>de</strong><br />

Toulouse-Le Mirail, « Le Roman <strong>de</strong> Renard, roman <strong>de</strong> la faim » (27 novembre 2007). —<br />

Saint-Germain-en-Laye, cercle d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> médiévales « La Licorne », « Nature <strong>et</strong> poésie au<br />

Moyen Âge » (13 février 2008). — Université <strong>de</strong> Padoue, « La chanson volée. Arnaut<br />

Daniel, Anc ieu non l’aic, mas elha m’a (BdT 29, 2) <strong>et</strong> sa razo » (21 mai 2008). — Université<br />

<strong>de</strong> Vérone, « Que peut la littérature secondaire ? » (23 mai 2008).<br />

Distinction<br />

Le professeur a été lauréat du Prix Balzan 2007 (« Les littératures européennes :<br />

1000-1500 »).<br />

Publications :<br />

Activités <strong>de</strong> la chaire<br />

Odile Bombar<strong>de</strong>, maître <strong>de</strong> conférences<br />

« La pensée du rêve », dans Yves Bonnefoy. Poésie, recherche <strong>et</strong> savoirs (Actes du colloque<br />

<strong>de</strong> Cerisy), Daniel Lançon <strong>et</strong> Patrick Née éd., Paris, Hermann, 2007, p. 547-584.<br />

« Poésie <strong>et</strong> psychanalyse : « ouvrez-moi c<strong>et</strong>te porte… », dans La Conscience <strong>de</strong> soi <strong>de</strong> la<br />

poésie, Actes <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques <strong>de</strong> la Fondation Hugot, Seuil, 2008, p. 77-94.


Colloques :<br />

LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 721<br />

« Mémoire fertile <strong>et</strong> souvenir rêvé », (Colloque Bau<strong>de</strong>laire <strong>et</strong> Nerval, poétiques comparées,<br />

Université <strong>de</strong> Zurich, 25-27 octobre 2007)<br />

« Du récit au poème, la ‘Femme noire’ <strong>de</strong> Pierre Jean Jouve », (Journée Visages <strong>de</strong> la poésie<br />

du XX e siècle, Université <strong>de</strong> Nancy III, 24 janvier 2008)<br />

Conférence :<br />

Catherine Fabre, maître <strong>de</strong> conférences<br />

« Ces Messieurs <strong>de</strong> la Religion », conférence donnée à La Val<strong>et</strong>te, Malte le 2 mai 2008.<br />

Publications :<br />

Livre<br />

Andrea Valentini, ingénieur <strong>de</strong> recherche<br />

Le remaniement du Roman <strong>de</strong> la Rose par Gui <strong>de</strong> Mori. Étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> édition <strong><strong>de</strong>s</strong> interpolations<br />

d’après le manuscrit Tournai, Bibliothèque <strong>de</strong> la Ville, 101, Bruxelles, Académie royale <strong>de</strong><br />

Belgique, « Anciens auteurs belges », n. s., 14, 2007, 306 p.<br />

Articles<br />

« Notice sur un manuscrit du Roman <strong>de</strong> la Rose ach<strong>et</strong>é par la Bibliothèque nationale <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong> (n.a.f. 28047) », dans Romance Philology, t. 61, 2007, p. 93-101.<br />

« Sur la date <strong>et</strong> l’auteur du remaniement du Roman <strong>de</strong> la Rose par Gui <strong>de</strong> Mori », dans<br />

Cahiers <strong>de</strong> l’AIEF, t. 59, 2007, p. 361-381 (publié une première fois dans Romania, t. 124,<br />

2006, p. 361-377 ; republié pour avoir obtenu le prix <strong>de</strong> l’AIEF 2006).<br />

« Entre traduction <strong>et</strong> commentaire érudit : Simon <strong>de</strong> Hesdin ‘translateur’ <strong>de</strong> Valère<br />

Maxime », dans Claudio Gal<strong>de</strong>risi <strong>et</strong> Cinzia Pignatelli dir., La traduction vers le moyen<br />

français. Actes du IIe colloque <strong>de</strong> l’AIEMF (Université <strong>de</strong> Poitiers, 27-29 avril 2006),<br />

Turnhout, Brepols, « The Medieval Translator », 11, 2007, p. 353-365.<br />

« D’adolescent inconscient à chevalier inconstant. Spécificité du héros dans le roman<br />

occitan <strong>de</strong> Jaufré », dans Gary Ferguson dir., L’homme en tous genres, numéro thématique<br />

d’Itinéraires, publication du Centre d’étu<strong>de</strong> « Nouveaux espaces littéraires » (Université <strong>de</strong><br />

Paris 13), à paraître en 2008.<br />

Conférences<br />

<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, séminaire <strong>de</strong> M. le Professeur Michel Zink, « Le récit comme poésie :<br />

les monologues lyriques dans quelques romans arthuriens en vers <strong><strong>de</strong>s</strong> XII e <strong>et</strong> XIII e siècles »<br />

(19 février 2008). — Université <strong>de</strong> Parme, « I monologhi <strong>de</strong>l romanzo di Jaufre sono <strong>de</strong>lle<br />

cansos ? » (5 mars 2008). — Université <strong>de</strong> Paris 3-Sorbonne nouvelle, « Les gloses lexicales<br />

<strong>et</strong> philologiques dans la traduction <strong>de</strong> Valère Maxime par Simon <strong>de</strong> Hesdin » (28 mars<br />

2008).


Littérature française mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine :<br />

histoire, critique, théorie<br />

M. Antoine Compagnon, professeur<br />

Cours : « Morales <strong>de</strong> Proust »<br />

Le <strong>cours</strong> a porté sur l’œuvre <strong>de</strong> Proust pour une <strong>de</strong>uxième année consécutive,<br />

mais, après « Proust : Mémoire <strong>de</strong> la littérature » en 2006-2007, sur un suj<strong>et</strong><br />

nouveau <strong>et</strong> tout autre, « Morales <strong>de</strong> Proust », suj<strong>et</strong> risqué <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux côtés : du côté<br />

<strong>de</strong> la morale, car celle-ci a été longtemps tenue pour hors-jeu dans les étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

littéraires, <strong>et</strong> du côté <strong>de</strong> Proust, car celui-ci a été longtemps tenu pour immoral ou<br />

amoral par la critique. Une double justification préalable fut donc nécessaire.<br />

Morale <strong>et</strong> littérature<br />

À la veille du premier <strong>cours</strong>, un correspondant me rappela, pour s’étonner du<br />

titre <strong>de</strong> l’année <strong>et</strong> pour y relever une inconséquence, que Le Démon <strong>de</strong> la théorie,<br />

publié il y a dix ans (1998), se terminait par c<strong>et</strong>te proposition : « La perplexité est<br />

la seule morale littéraire ». À l’époque, c’était une manière d’écarter un suj<strong>et</strong> qui<br />

n’avait pas été traité dans ce livre en réfutant toute récupération édifiante <strong>de</strong> la<br />

littérature, mais c’était aussi la preuve que la question se posait, qu’elle était<br />

ouverte, mais qu’on restait sur le seuil, qu’on ne le franchirait pas, ne se risquerait<br />

pas au-<strong>de</strong>là. La perplexité, le doute, l’irrésolution, le scepticisme étaient donnés<br />

comme les seules morales littéraires possibles, par opposition à toute forme <strong>de</strong><br />

certitu<strong>de</strong> morale, d’assurance éthique, existentielle ou ontologique que pourrait<br />

procurer la lecture. La littérature ouvre à la perplexité morale — la complication,<br />

l’embarras —, elle détruit les certitu<strong><strong>de</strong>s</strong> morales au lieu d’en donner ou <strong>de</strong> les<br />

consoli<strong>de</strong>r. Elle désillusionne <strong>et</strong> déniaise.<br />

Mais dans La Littérature, pour quoi faire ?, la leçon inaugurale <strong>de</strong> la chaire<br />

donnée l’an <strong>de</strong>rnier, j’observais un tournant <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> littéraires vers les usages <strong>et</strong><br />

les pouvoirs <strong>de</strong> la littérature, vers la littérature comme action, <strong>et</strong> vers la critique<br />

comme pragmatique <strong>de</strong> la littérature. Plutôt que d’un tournant, il pourrait s’agir


724 ANTOINE COMPAGNON<br />

d’un revirement, d’un reniement ou même d’une trahison, pour un homme <strong>de</strong> ma<br />

génération grandi hors <strong>de</strong> la critique éthique <strong>et</strong> longtemps très éloigné d’elle.<br />

Après la théorie <strong>et</strong> l’histoire, serait ainsi venu le temps <strong>de</strong> la critique, c’est-à-dire<br />

<strong>de</strong> la réflexion sur les valeurs créées <strong>et</strong> transmises par la littérature. Plusieurs<br />

explications peuvent être données <strong>de</strong> c<strong>et</strong> infléchissement, personnelles <strong>et</strong> collectives,<br />

ces <strong>de</strong>ux ordres étant d’ailleurs solidaires <strong>et</strong> indémêlables : on croyait être original ;<br />

on s’aperçoit qu’on a tout juste été typique.<br />

Le passage à l’éthique est un signe <strong>de</strong> l’âge, comme Stendhal commençait la Vie<br />

<strong>de</strong> Henry Brulard par ces mots : « Je vais avoir cinquante ans, il serait bien temps<br />

<strong>de</strong> me connaître. Qu’ai-je été ? Que suis-je ? En vérité, je serais bien embarrassé <strong>de</strong><br />

le dire. » Un tournant moral engage un r<strong>et</strong>our à soi. Mon attitu<strong>de</strong> envers la<br />

littérature a changé. On a longtemps pu se passer <strong>de</strong> poser <strong><strong>de</strong>s</strong> questions morales<br />

— en tout cas expressément morales — à la littérature. On a longtemps cru qu’elle<br />

nous rendait plus intelligents, non meilleurs. À présent je me dis que si ce qu’elle<br />

pouvait, c’était nous rendre meilleurs, ou moins mauvais, ce serait suffisant.<br />

Mais c’est aussi un signe <strong><strong>de</strong>s</strong> temps : un « tournant éthique » a eu lieu dans les<br />

étu<strong><strong>de</strong>s</strong> littéraires au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1990. Le « suj<strong>et</strong> », aux <strong>de</strong>ux sens du terme,<br />

s’était absenté <strong>de</strong> ces étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>puis les années 1960 ou 1970 ; il était démodé ou<br />

disqualifié au temps <strong>de</strong> ma formation : dans Critique <strong>et</strong> vérité, par exemple, Roland<br />

Barthes s’élevait contre la morale défendue par l’ancienne critique, ses normes<br />

implicites, ses interdits bourgeois. La nouvelle critique ignorait la psychologie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

personnages au même titre que la biographie <strong><strong>de</strong>s</strong> auteurs, <strong>et</strong> elle réprouvait<br />

l’i<strong>de</strong>ntification <strong>et</strong> l’empathie : un même discrédit frappait biographie <strong>et</strong> psychologie,<br />

histoire littéraire <strong>et</strong> morale littéraire, comme les <strong>de</strong>ux faces, le recto <strong>et</strong> le verso, <strong>de</strong><br />

l’ancienne critique. La critique éthique était bourgeoise, idéologique, moins morale<br />

que moraliste ou moralisatrice, aliénante <strong>et</strong> aliénée : pensez-vous, la littérature<br />

nous rend meilleurs ! Quelle « moraline », suivant le mot <strong>de</strong> Ni<strong>et</strong>zsche. On ne fait<br />

pas <strong>de</strong> littérature avec <strong><strong>de</strong>s</strong> bons sentiments, aurait dit Gi<strong>de</strong> selon la rumeur. La<br />

littérature, c’est la souverain<strong>et</strong>é <strong>de</strong> la transgression, c’est l’expérience <strong><strong>de</strong>s</strong> limites.<br />

Hostiles à l’humanisme, on se situait aussi après l’existentialisme <strong>et</strong> le marxisme,<br />

qui tous <strong>de</strong>ux impliquaient encore une éthique, fût-ce une autre éthique : une<br />

politique <strong>de</strong> la littérature <strong>et</strong> une morale <strong>de</strong> l’engagement. On s’opposait autant à<br />

l’usage public <strong>et</strong> social qu’à l’usage privé <strong>et</strong> intime <strong>de</strong> la littérature. Le structuralisme<br />

<strong>et</strong> le poststructuralisme tournaient le dos à l’éthique comme à la politique.<br />

Ma génération a donc été élevée, dressée contre la lecture éthique ou morale <strong>de</strong> la<br />

littérature, contre une vision <strong>de</strong> la littérature occi<strong>de</strong>ntale comme création <strong>et</strong><br />

transmission <strong>de</strong> valeurs, vision commune <strong>de</strong>puis Aristote, qui rattachait la fonction<br />

<strong>de</strong> la littérature à son sens moral <strong>et</strong> qui définissait la catharsis — la purification ou<br />

purgation <strong><strong>de</strong>s</strong> passions <strong>et</strong> émotions, pour le dire vite — comme un bienfait <strong>de</strong> la<br />

littérature, en l’occurrence <strong>de</strong> la tragédie. La portée ou la valeur morale <strong>de</strong> la littérature<br />

relevait d’une tradition dont il était temps <strong>de</strong> se débarrasser : l’idée humaniste,<br />

perpétuée jusqu’au milieu du xx e siècle, qu’on vit mieux avec la littérature.


LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 725<br />

La fonction éthique <strong>de</strong> la littérature était déniée par la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> théoriciens :<br />

il y avait une illusion éthique auprès <strong><strong>de</strong>s</strong> autres illusions, biographique, référentielle<br />

<strong>et</strong> expressive. Plus platoniciens qu’aristotéliciens — la Poétique d’Aristote était<br />

restreinte à ses considérations formelles —, on se méfiait <strong><strong>de</strong>s</strong> arts, qui ren<strong>de</strong>nt plus<br />

sensibles <strong>et</strong> non moins sensibles, <strong>et</strong> on les condamnait comme <strong><strong>de</strong>s</strong> manipulations.<br />

Le théâtre <strong>de</strong> Brecht cherchait à empêcher la résolution cathartique <strong><strong>de</strong>s</strong> émotions,<br />

<strong>et</strong> la catharsis était vue comme un dispositif bourgeois.<br />

Ainsi l’éthique fut absente aux gran<strong><strong>de</strong>s</strong> heures <strong>de</strong> la théorie. On n’en parlait pas<br />

ou on la réprouvait. Mais la lecture morale <strong>de</strong> la littérature survivait <strong>de</strong> manière<br />

souterraine, un peu comme la religion dans les catacombes. À l’école, dans les<br />

<strong>cours</strong> <strong>de</strong> français : on les dit aujourd’hui compromis par la pédagogie formaliste,<br />

mais on n’a probablement jamais cessé <strong>de</strong> lire les fables <strong>de</strong> La Fontaine pour la<br />

morale. L’éthique n’avait pas vraiment disparu, même si elle restait implicite. La<br />

rhétorique, revenue à la mo<strong>de</strong> <strong>et</strong> qui définissait l’orateur par sa moralité comme<br />

vir bonus bene dicendi peritus, perm<strong>et</strong>tait <strong>de</strong> passer à l’éthique, même si, <strong><strong>de</strong>s</strong> trois<br />

livres d’Aristote — message, <strong>et</strong>hos <strong>et</strong> pathos —, on insistait sur le premier au<br />

détriment <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux autres. L’interdit éthique n’était donc pas si contraignant que<br />

cela, <strong>et</strong> il ne s’imposait qu’à ceux qui le voulaient bien.<br />

Et il ne fut qu’une parenthèse vite refermée. Avant elle, du temps <strong>de</strong><br />

l’existentialisme <strong>et</strong> du marxisme, voici comment Barthes lui-même, dans Le Degré<br />

zéro <strong>de</strong> l’écriture, définissait c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière : « L’écriture est donc essentiellement la<br />

morale <strong>de</strong> la forme ». La liberté <strong>et</strong> la responsabilité <strong>de</strong> l’écrivain étaient engagées<br />

dans le choix — éthique, politique — d’une écriture plus ou moins bourgeoise ou<br />

neutre. Après la parenthèse, au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, les <strong>cours</strong> <strong>de</strong> Barthes étaient déjà<br />

marqués par le r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> l’éthique, ou du « souci <strong>de</strong> soi » comme disait Foucault :<br />

« Vivre ensemble », ainsi s’intitula son premier <strong>cours</strong>. Sa conférence « Proust <strong>et</strong><br />

moi » proposait sous ce titre non pas une comparaison, mais une i<strong>de</strong>ntification<br />

fondée sur l’usage moral du livre Proust pour se connaître soi-même.<br />

Au reste, une réaction éthique à la littérature est ordinaire <strong>et</strong> inéluctable : quand<br />

je lis un roman ou un drame, je m’intéresse aux conflits moraux qui se posent aux<br />

héros, à leurs dilemmes existentiels, aux choix auxquels la vie – vie fictive – les<br />

soum<strong>et</strong> : Phèdre dénoncera-t-elle Hippolyte ? Avec quelles conséquences ? Je les<br />

approuve ou bien je les condamne ; en tout cas je les juge. La lecture est une<br />

expérience, une expérimentation <strong>et</strong> une épreuve morale. Le narrateur <strong>de</strong> la Recherche<br />

du temps perdu le sait bien, qui éprouve souvent le besoin <strong>de</strong> se justifier à nous,<br />

ses lecteurs, <strong>de</strong> ses actions, <strong>de</strong> ses mensonges, <strong>de</strong> son indifférence, <strong>de</strong> son voyeurisme<br />

ou <strong>de</strong> ses déloyautés.<br />

Nos habitu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> lecture sont héritées <strong>de</strong> la tradition morale <strong>de</strong>puis Aristote.<br />

Nous abordons la littérature avec un préjugé — une précompréhension<br />

herméneutique — en faveur <strong>de</strong> son interprétation morale, <strong>et</strong> <strong>de</strong> morale à moralisante<br />

ou moralisatrice, le pas est sûrement trop vite franchi. Aussi théoriciens que nous<br />

soyons, nous ne cessons pas <strong>de</strong> lire ingénument comme si les livres pouvaient nous


726 ANTOINE COMPAGNON<br />

donner <strong><strong>de</strong>s</strong> intuitions ou <strong><strong>de</strong>s</strong> idées morales, nous fournir un apprentissage moral,<br />

nous initier au contrôle <strong>de</strong> nos émotions.<br />

La dimension éthique la plus évi<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> la littérature tient au récit, c’est-à-dire<br />

à l’exposition narrative ou dramatique <strong>de</strong> problèmes moraux, incarnés dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

personnages, <strong><strong>de</strong>s</strong> vies, <strong><strong>de</strong>s</strong> subjectivités inventées <strong>et</strong> fictives. La littérature — en<br />

particulier le roman — est une modalité privilégiée <strong>de</strong> la réflexion morale, réflexion<br />

non systématique mais particularisante ou exemplaire, complexe <strong>et</strong> contextuelle.<br />

Comme telle, certains philosophes moraux soutiennent même qu’elle est<br />

irremplaçable pour former le caractère. Il y a une éthique du récit par opposition<br />

à celle du traité ou du système. Suivant <strong>de</strong> très anciens modèles, l’instruction<br />

morale peut prendre <strong>de</strong>ux formes, celle <strong><strong>de</strong>s</strong> règles <strong>et</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> récits, <strong><strong>de</strong>s</strong> lois <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

paraboles, comme dans la Bible. Le récit <strong>et</strong> le roman ont ainsi longtemps servi à<br />

l’initiation morale <strong><strong>de</strong>s</strong> adolescents occi<strong>de</strong>ntaux, après les vies <strong>de</strong> saints <strong>et</strong> avant les<br />

jeux vidéo, pour aller vite.<br />

Et la poésie ? W. H. Au<strong>de</strong>n, que je citais déjà dans Le Démon <strong>de</strong> la théorie,<br />

jugeait que la première question qui l’intéressait quand il lisait un poème était<br />

d’ordre technique : « Voici une machine verbale. Comment fonctionne-t-elle ? »<br />

Mais sa <strong>de</strong>uxième question était bien, au sens le plus large, morale : « Quelle sorte<br />

<strong>de</strong> type habite ce poème ? Quelle idée se fait-il <strong>de</strong> la belle vie ou du bon lieu ? Et<br />

quelle idée du mauvais lieu ? Que cache-t-il au lecteur ? Et que se cache-t-il aussi<br />

à lui-même ? »<br />

Morale <strong>et</strong> idéologie<br />

Certes, la mise en gar<strong>de</strong> marxiste doit être prise au sérieux : l’éthique se<br />

confondrait avec l’idéologie ; sous l’éthique, se dissimulerait la légitimation,<br />

l’universalisation ou la naturalisation du politique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’économique, c’est-à-dire<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> rapports <strong>de</strong> classe <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs d’un groupe. L’éthique n’est jamais qu’une<br />

illusion intersubjective qui voile la réalité politique ou économique <strong><strong>de</strong>s</strong> commerces<br />

humains comme rapports sociaux, comme si toute intersubjectivité — ainsi que<br />

toute subjectivité — était nécessairement factice, trompeuse, aliénée <strong>et</strong> aliénante.<br />

L’éthique est idéologique <strong>et</strong> bourgeoise ; c’est une forme <strong>de</strong> la fausse conscience,<br />

<strong>de</strong> la mauvaise foi, <strong>de</strong> l’hypocrisie ou <strong>de</strong> la duperie, <strong>de</strong> l’aveuglement sur sa<br />

condition, <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’aliénation. Elle doit être dépassée vers le politique.<br />

Paul Nizan s’en prenait ainsi aux philosophes bourgeois dans Les Chiens <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>,<br />

<strong>et</strong> notamment à la morale kantienne comme noyau <strong>de</strong> la morale faussement<br />

universelle : « […] toute la hardiesse <strong>de</strong> leur philosophie consista à i<strong>de</strong>ntifier la société<br />

humaine, toutes les sociétés humaines possibles avec la société bourgeoise, la raison<br />

humaine, toutes les raisons humaines possibles avec la raison bourgeoise. La morale<br />

humaine, avec la morale bourgeoise. De façon que les attaques contre la société, la<br />

pensée, la morale bourgeoises parussent <strong><strong>de</strong>s</strong> attaques contre la société, la pensée, la<br />

morale humaines ». Ou encore : « La fonction du kantisme fut <strong>de</strong> justifier la morale<br />

bourgeoise en faisant d’elle la fille d’une raison législatrice <strong>de</strong> l’astronomie ».


LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 727<br />

La critique déconstructrice <strong>de</strong> l’éthique est encore plus radicale : la subjectivité<br />

n’est pas un signifié transcendantal mais un simple eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> langage, comme<br />

l’intentionnalité <strong>et</strong> le choix, la liberté <strong>et</strong> la responsabilité. Il n’y a donc pas <strong>de</strong> suj<strong>et</strong><br />

kantien, autonome <strong>et</strong> rationnel, préalable, <strong>et</strong> l’intérêt pour les personnages, le moi<br />

ou le suj<strong>et</strong> est illusoire, puisque nous sommes suj<strong>et</strong>s du système — linguistique <strong>et</strong><br />

non plus économique — où moi <strong>et</strong> intention ne sont rien que <strong><strong>de</strong>s</strong> traces. La<br />

déconstruction <strong>de</strong> l’éthique humaniste comme impératif catégorique est ainsi<br />

accomplie : la moralité est fondée sur <strong><strong>de</strong>s</strong> concepts métaphysiques <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> apories<br />

linguistiques.<br />

Des <strong>de</strong>ux bords, l’éthique est rej<strong>et</strong>ée, car elle élève en universaux — le bien <strong>et</strong><br />

le mal — <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs particulières, contingentes, les nôtres, contre celles <strong><strong>de</strong>s</strong> autres :<br />

l’éthique déguise <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports <strong>de</strong> domination, travestit la volonté <strong>de</strong> puissance d’un<br />

groupe. Les valeurs ne sont pas intemporelles ni universelles, mais toujours<br />

contingentes, historiques <strong>et</strong> culturelles, ou encore construites <strong>et</strong>, en un mot,<br />

relatives. C’est le relativisme <strong>de</strong> toute morale qui disqualifie la lecture morale <strong>de</strong><br />

la littérature.<br />

Et la littérature, en tant qu’éthique, idéologique ou métaphysique, aliène <strong>et</strong><br />

manipule. Il faut donc se méfier d’elle au lieu <strong>de</strong> lui faire confiance pour se libérer.<br />

À l’école, on apprend non plus la confiance, mais la méfiance à son égard. Suivant<br />

la déconstruction, il s’agit d’être plus intelligent, plus rusé qu’elle, <strong>et</strong> <strong>de</strong> savoir la<br />

prendre en défaut. La littérature n’est plus entendue non comme une libération,<br />

mais comme une aliénation, sur le modèle <strong>de</strong> la culture <strong>de</strong> masse <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

propagan<strong>de</strong>. Elle fait <strong>de</strong> nous <strong><strong>de</strong>s</strong> « dupes <strong>de</strong> la culture » ou <strong><strong>de</strong>s</strong> « cultural dupes »,<br />

suivant l’expression terrible <strong>de</strong> Stuart Hall, doyen <strong><strong>de</strong>s</strong> Cultural Studies angloaméricaines.<br />

L’hypocrisie <strong>de</strong> moralité<br />

Proust n’était pas indifférent à ce travestissement <strong>de</strong> la morale, c’est-à-dire à la<br />

morale bourgeoise entendue comme principes <strong>et</strong> convenances, ou défense <strong>de</strong><br />

l’ordre moral. Dès « Combray », théâtre du conformisme bourgeois, trois scènes<br />

illustrent ce confort ou ce conformisme moral aliénant.<br />

À propos <strong><strong>de</strong>s</strong> Vices <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Vertus <strong>de</strong> Padoue qui n’en ont pas l’air — passage<br />

essentiel pour la compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> morales <strong>de</strong> la Recherche du temps perdu —, le<br />

narrateur décrit la Justice <strong>de</strong> Giotto en ces termes : « […] une Justice, dont le<br />

visage grisâtre <strong>et</strong> mesquinement régulier était celui-là même qui, à Combray,<br />

caractérisait certaines jolies bourgeoises pieuses <strong>et</strong> sèches que je voyais à la messe<br />

<strong>et</strong> dont plusieurs étaient enrôlées d’avance dans les milices <strong>de</strong> réserve <strong>de</strong> l’injustice »<br />

(I, 81). La Justice <strong>de</strong> Giotto <strong>et</strong> les bourgeoises <strong>de</strong> Combray, les dames <strong>de</strong> patronage,<br />

figurent ici une allégorie du cant, le sens <strong><strong>de</strong>s</strong> convenances, la phraséologie pieuse<br />

<strong>et</strong> l’affectation <strong>de</strong> bonté, ou « l’hypocrisie <strong>de</strong> moralité », suivant l’excellente<br />

traduction <strong>de</strong> Stendhal (De l’amour, chap. XLVI), c’est-à-dire le pharisaïsme du<br />

Nouveau Testament.


728 ANTOINE COMPAGNON<br />

Les « milices <strong>de</strong> réserve » nous renvoient à la Bible, à la « Sainte milice » (Isaïe,<br />

13, 3) ou à la milice céleste, l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> Anges ayant saint Michel pour chef<br />

(Daniel, 10, 13), l’ange du Jugement <strong>et</strong> le saint patron du baron <strong>de</strong> Charlus. Ces<br />

« bourgeoises pieuse <strong>et</strong> sèches » illustrent un lieu commun moral du Nouveau<br />

Testament : « Malheur à vous, scribes <strong>et</strong> Pharisiens hypocrites, parce que vous<br />

ressemblez à <strong><strong>de</strong>s</strong> tombeaux blanchis, qui au <strong>de</strong>hors paraissent beaux, mais au<br />

<strong>de</strong>dans sont remplis d’ossements <strong>de</strong> morts <strong>et</strong> <strong>de</strong> toute immondice. Ainsi vous, au<br />

<strong>de</strong>hors, vous paraissez justes aux hommes, mais au <strong>de</strong>dans vous êtes pleins<br />

d’hypocrisie <strong>et</strong> d’iniquité » (Matthieu, 23, 27-28). C’est l’habit qui ne fait pas le<br />

moine, comme dans le fameux prologue <strong>de</strong> Gargantua.<br />

La moralité <strong>de</strong> Combray relève <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te hypocrisie, comme les principes <strong>de</strong> la<br />

famille du narrateur, jouant contre le mariage <strong>de</strong> Swann ou les manières <strong>de</strong> Bloch :<br />

« Il n’était pas pourtant l’ami que mes parents eussent souhaité pour moi ; ils<br />

avaient fini par penser que les larmes que lui avait fait verser l’indisposition <strong>de</strong> ma<br />

grand-mère n’étaient pas feintes ; mais ils savaient d’instinct ou par expérience que<br />

les élans <strong>de</strong> notre sensibilité ont peu d’empire sur la suite <strong>de</strong> nos actes <strong>et</strong> la<br />

conduite <strong>de</strong> notre vie, <strong>et</strong> que le respect <strong><strong>de</strong>s</strong> obligations morales, la fidélité aux<br />

amis, l’exécution d’une œuvre, l’observance d’un régime, ont un fon<strong>de</strong>ment plus<br />

sûr dans <strong><strong>de</strong>s</strong> habitu<strong><strong>de</strong>s</strong> aveugles que dans ces transports momentanés, ar<strong>de</strong>nts <strong>et</strong><br />

stériles. » L’ami du narrateur leur paraît trop émotionnel ou même hystérique. Sa<br />

morale n’est pas coutumière : « Ils auraient préféré pour moi à Bloch <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

compagnons qui ne me donneraient pas plus qu’il n’est convenu d’accor<strong>de</strong>r à ses<br />

amis, selon les règles <strong>de</strong> la morale bourgeoise ; qui ne m’enverraient pas<br />

inopinément une corbeille <strong>de</strong> fruits parce qu’ils auraient ce jour-là pensé à moi<br />

avec tendresse, mais qui, n’étant pas capables <strong>de</strong> faire pencher en ma faveur la<br />

juste balance <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>voirs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> exigences <strong>de</strong> l’amitié sur un simple mouvement <strong>de</strong><br />

leur imagination <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur sensibilité, ne la fausseraient pas davantage à mon<br />

préjudice » (I, 91-92). C’est l’habitu<strong>de</strong> qui interdit les excès, qui garantit l’équilibre,<br />

la juste mesure, comme la balance <strong>de</strong> la justice : la morale bourgeoise n’accor<strong>de</strong><br />

pas <strong>de</strong> privilèges, mais elle ne comm<strong>et</strong> pas non plus <strong>de</strong> préjudices. Du moins c’est<br />

ce qu’elle prétend.<br />

La gran<strong>de</strong> scène <strong>de</strong> cant à « Combray » a lieu lors <strong>de</strong> la rencontre <strong>de</strong> Swann <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

Vinteuil : « Un jour que nous marchions avec Swann dans une rue <strong>de</strong> Combray,<br />

M. Vinteuil qui débouchait d’une autre, s’était trouvé trop brusquement en face <strong>de</strong><br />

nous pour avoir le temps <strong>de</strong> nous éviter ; <strong>et</strong> Swann avec c<strong>et</strong>te orgueilleuse charité <strong>de</strong><br />

l’homme du mon<strong>de</strong> qui, au milieu <strong>de</strong> la dissolution <strong>de</strong> tous ses préjugés moraux, ne<br />

trouve dans l’infamie d’autrui qu’une raison d’exercer envers lui une bienveillance<br />

dont les témoignages chatouillent d’autant plus l’amour-propre <strong>de</strong> celui qui les<br />

donne, qu’il les sent plus précieux à celui qui les reçoit, avait longuement causé avec<br />

M. Vinteuil » (I, 147). Swann, comme les dames <strong>de</strong> patronage, confond ici vice <strong>et</strong><br />

vertu, orgueil <strong>et</strong> charité, amour-propre <strong>et</strong> bienveillance, dans la pure « hypocrisie <strong>de</strong><br />

moralité ». Le narrateur n’est pas <strong>de</strong> ceux qui veulent faire <strong><strong>de</strong>s</strong> vices privés <strong><strong>de</strong>s</strong> vertus<br />

publiques. Mais Vinteuil n’est pas meilleur.


LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 729<br />

Une fois que Swann leur a tourné le dos <strong>et</strong> que Vinteuil se r<strong>et</strong>rouve seul avec<br />

les parents du narrateur, le musicien prend en eff<strong>et</strong> aussitôt sa revanche : « “Quel<br />

homme exquis”, nous dit-il, quand Swann nous eut quittés, avec la même<br />

enthousiaste vénération qui tient <strong>de</strong> spirituelles <strong>et</strong> jolies bourgeoises en respect <strong>et</strong><br />

sous le charme d’une duchesse, fût-elle lai<strong>de</strong> <strong>et</strong> sotte. “Quel homme exquis ! Quel<br />

malheur qu’il ait fait un mariage tout à fait déplacé !” / Et alors, tant les gens les<br />

plus sincères sont mêlés d’hypocrisie <strong>et</strong> dépouillent en causant avec une personne<br />

l’opinion qu’ils ont d’elle <strong>et</strong> expriment dès qu’elle n’est plus là, mes parents<br />

déplorèrent avec M. Vinteuil le mariage <strong>de</strong> Swann au nom <strong>de</strong> principes <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

convenances auxquels (par cela même qu’ils les invoquaient en commun avec lui,<br />

en braves gens <strong>de</strong> même acabit) ils avaient l’air <strong>de</strong> sous-entendre qu’il n’était pas<br />

contrevenu à Montjouvain » (I, 147-148). Chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux hommes connaît le<br />

défaut ou la fêlure <strong>de</strong> l’autre, <strong>et</strong> chacun se ment à lui-même, rappelant c<strong>et</strong>te fois<br />

la parabole <strong>de</strong> la paille <strong>et</strong> <strong>de</strong> la poutre. Tous <strong>de</strong>ux sont pareillement victimes <strong>de</strong> la<br />

morale bourgeoise comme hypocrisie <strong>de</strong> moralité.<br />

Mais toute éthique est-elle fatalement bourgeoise, idéologique, hypocrite,<br />

conformiste, aliénée, pharisienne, comme à Combray ? N’a-t-on pas besoin<br />

d’éthique — <strong>et</strong> <strong>de</strong> littérature — justement pour lutter contre le moralisme <strong>et</strong> le<br />

pharisaïsme ? Comme Proust le suggère souvent, en face <strong>de</strong> la méchanc<strong>et</strong>é <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

bons, <strong>de</strong> l’hypocrisie <strong>de</strong> moralité <strong><strong>de</strong>s</strong> dames patronnesses, <strong>de</strong> l’aveuglement <strong>de</strong><br />

Swann ou <strong>de</strong> Vinteuil, pour les contrebalancer, il y a heureusement la bonté <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

méchants, celle <strong>de</strong> Charlus ou <strong>de</strong> la fille <strong>de</strong> Vinteuil <strong>et</strong> <strong>de</strong> son amie, celle <strong>de</strong> tous<br />

les pervers du roman, ou celle <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages <strong>de</strong> Dostoïevski qui sont<br />

incompréhensibles pour la reine <strong>de</strong> Naples avec sa « conception étroite, un peu<br />

tory <strong>et</strong> <strong>de</strong> plus en plus surannée <strong>de</strong> la bonté ». La reine <strong>de</strong> Naples fait preuve d’une<br />

bonté aristocratique, conservatrice, paternaliste, d’une bonté <strong>de</strong> caste : « Mais,<br />

ajoute le narrateur, cela ne signifie pas que la bonté fût moins sincère <strong>et</strong> moins<br />

ar<strong>de</strong>nte chez elle » (III, 825), au contraire, car c<strong>et</strong>te bonté d’Ancien Régime tranche<br />

avec la fausse bonté <strong><strong>de</strong>s</strong> bourgeoises, leur hypocrisie <strong>de</strong> moralité <strong>et</strong> leur cant.<br />

Les valeurs morales ne sont-elles donc jamais rien d’autre que <strong>de</strong> l’idéologie<br />

masquée ? Toute éthique est-elle forcément pharisienne, catégorique, sûre <strong>de</strong> son<br />

bon droit ? Tout jugement <strong>de</strong> valeur emporte-t-il une exclusion ? Ou bien n’est-ce<br />

pas le propre <strong>de</strong> la littérature d’ébranler les certitu<strong><strong>de</strong>s</strong> morales, d’embarrasser le<br />

cant, <strong>de</strong> nous déconcerter <strong>et</strong> <strong>de</strong> nous rendre perplexes ? Aussi ne confondons pas<br />

éthique <strong>et</strong> moralisme. Une éthique peut être fondée sur la conscience <strong>de</strong> la<br />

différence avec l’autre, sur la reconnaissance <strong>de</strong> l’autre, sur l’honnêt<strong>et</strong>é ou ce qu’on<br />

appelait jadis la beauté morale. Montaigne, dans « Des cannibales », appelait à un<br />

r<strong>et</strong>ournement <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs, à la reconnaissance du même <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’autre, <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> la différence. La question éthique <strong>de</strong> la vie bonne était pour lui inséparable<br />

<strong>de</strong> la question politique <strong>et</strong> <strong>de</strong> la guerre civile : l’éthique <strong>et</strong> le politique étaient<br />

indémêlables. Montaigne liait la morale privée <strong>et</strong> la morale publique contre la<br />

cruauté ; il défendait l’application d’une moralité privée dans la vie publique,<br />

contre la raison d’État <strong>et</strong> le machiavélisme.


730 ANTOINE COMPAGNON<br />

La « gran<strong>de</strong> » littérature pourrait bien être celle qui empêche <strong>de</strong> s’ériger en juge<br />

<strong>et</strong> d’être catégorique dans ses jugements, celle qui nous ouvre à l’autre, à l’i<strong>de</strong>ntité<br />

<strong>et</strong> à la différence. « La parole est moitié à celuy qui parle, moitié à celuy qui<br />

l’escoute », disait encore Montaigne (III, 13). L’éthique n’est pas fatalement<br />

pharisienne, sûre <strong>de</strong> soi, satisfaite <strong>de</strong> soi <strong>et</strong> moralisatrice, grâce à la littérature<br />

justement.<br />

Hygiène, morale, travail<br />

L’avant-gar<strong>de</strong> théorique j<strong>et</strong>ait le soupçon sur l’usage moral <strong>de</strong> la littérature, sur<br />

son instrumentation ou sa récupération idéologique. Précisons quand même qu’il<br />

n’y avait rien là <strong>de</strong> très nouveau, car le refus <strong>de</strong> la morale a été caractéristique <strong>de</strong><br />

toute la mo<strong>de</strong>rnité, par exemple chez les surréalistes, <strong>et</strong> la théorie a été la queue<br />

<strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité. Flaubert, Bau<strong>de</strong>laire, Mallarmé, Valéry ont fondé le refus <strong>de</strong><br />

l’application <strong>de</strong> la littérature, se sont élevés contre son usage édifiant, contre sa<br />

soumission à l’ordre moral, contre l’art utile ou militant, contre le roman à thèse.<br />

Proust lui-même, dans Le Temps r<strong>et</strong>rouvé, a repris le flambeau : « L’idée d’un art<br />

populaire comme d’un art patriotique si même elle n’avait pas été dangereuse, me<br />

semblait ridicule. […] Ce n’est pas la bonté <strong>de</strong> son cœur vertueux, laquelle<br />

était fort gran<strong>de</strong>, qui a fait écrire à Cho<strong>de</strong>rlos <strong>de</strong> Laclos Les Liaisons dangereuses »<br />

(IV, 466-467).<br />

La séparation <strong>de</strong> la moralité <strong>et</strong> <strong>de</strong> la littérarité est une idée à laquelle le narrateur<br />

tient <strong>et</strong> qu’il affirme à propos <strong>de</strong> Dostoïevski notamment : « Si je viens avec vous<br />

à Versailles comme nous avons convenu, je vous montrerai le portrait <strong>de</strong> l’honnête<br />

homme par excellence, du meilleur <strong><strong>de</strong>s</strong> maris, Cho<strong>de</strong>rlos <strong>de</strong> Laclos, qui a écrit le<br />

plus effroyablement pervers <strong><strong>de</strong>s</strong> livres, <strong>et</strong> juste en face <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Madame <strong>de</strong><br />

Genlis qui écrivit <strong><strong>de</strong>s</strong> contes moraux <strong>et</strong> ne se contenta pas <strong>de</strong> tromper la duchesse<br />

d’Orléans, mais la supplicia en détournant d’elle ses enfants » (III, 881). Il ne s’agit<br />

même plus ici d’hiatus, mais <strong>de</strong> chiasme, entre art <strong>et</strong> morale.<br />

Dans Mon cœur mis à nu, Bau<strong>de</strong>laire insistait sur leur incompatibilité <strong>et</strong> faisait <strong>de</strong><br />

George Sand le type même du moralisme honni : « Sur George Sand. / La femme<br />

Sand est le Prudhomme <strong>de</strong> l’immoralité. Elle a toujours été moraliste. / Seulement<br />

elle faisait autrefois <strong>de</strong> la contre-morale. — Aussi elle n’a jamais été artiste. / […]<br />

Elle a, dans les idées morales, la même profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> jugement <strong>et</strong> la même délicatesse<br />

<strong>de</strong> sentiment que les concierges <strong>et</strong> les filles entr<strong>et</strong>enues. » Passée d’une morale à la<br />

morale contraire, <strong>de</strong> l’anti-bourgeois au bourgeois, elle est toujours aussi moraliste,<br />

<strong>et</strong> Bau<strong>de</strong>laire est lui aussi <strong>de</strong> ceux qui associent le roman au cant.<br />

Il s’écrie encore : « Tous les imbéciles <strong>de</strong> la Bourgeoisie qui prononcent sans<br />

cesse les mots : “immoral, immoralité, moralité dans l’art” <strong>et</strong> autres bêtises, me<br />

font penser à Louise Villedieu, putain à cinq francs, qui m’accompagnant une fois<br />

au Louvre, où elle n’était jamais allée, se mit à rougir, à se couvrir le visage, <strong>et</strong> me<br />

tirant à chaque instant par la manche, me <strong>de</strong>mandait, <strong>de</strong>vant les statues <strong>et</strong> les


LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 731<br />

tableaux immortels, comment on pouvait étaler publiquement <strong>de</strong> pareilles<br />

indécences. / Les feuilles <strong>de</strong> vigne du sieur Nieuwerkerke. » Bau<strong>de</strong>laire se moque<br />

ici <strong>de</strong> l’amant <strong>de</strong> la princesse Mathil<strong>de</strong>, le surintendant <strong><strong>de</strong>s</strong> Beaux-Arts, qui faisait<br />

revêtir les nudités <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments publics.<br />

Mais, déjà chez Bau<strong>de</strong>laire, premier <strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong>de</strong>rnes, la dénonciation <strong>de</strong> l’art<br />

moraliste ne signifie pas l’absence <strong>de</strong> toute morale. Bau<strong>de</strong>laire défend une autre<br />

morale contre la moralité <strong>de</strong> l’art, une morale du « souci <strong>de</strong> soi » : « hygiène.<br />

morale. / — À Honfleur ! Le plus tôt possible, avant <strong>de</strong> tomber plus bas. / Que<br />

<strong>de</strong> pressentiments <strong>et</strong> <strong>de</strong> signes envoyés déjà par Dieu, qu’il est gran<strong>de</strong>ment temps<br />

d’agir, <strong>de</strong> considérer la minute présente comme la plus importante <strong><strong>de</strong>s</strong> minutes, <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> faire ma perpétuelle volupté <strong>de</strong> mon tourment ordinaire, c’est-à-dire du Travail ! »<br />

Bau<strong>de</strong>laire fait l’apologie <strong>de</strong> la morale non pas comme <strong>de</strong>voir ni règles, mais<br />

comme discipline, ascèse ou hygiène : « hygiène. conduite. morale. — À chaque<br />

minute nous sommes écrasés par l’idée <strong>et</strong> la sensation du temps. Et il n’y a que<br />

<strong>de</strong>ux moyens pour échapper à ce cauchemar, pour l’oublier : le Plaisir <strong>et</strong> le Travail.<br />

Le Plaisir nous use. Le Travail nous fortifie. Choisissons. » Ainsi, la morale <strong>de</strong>vient<br />

la conquête <strong>de</strong> soi ou la conduite <strong>de</strong> soi.<br />

Bau<strong>de</strong>laire s’élève contre le moralisme <strong>de</strong> George Sand <strong>et</strong> du roman, mais non<br />

pas contre toute conduite morale. Au contraire, toute sa vie il a été à la recherche<br />

d’une Hygiène, entre Plaisir <strong>et</strong> Travail, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> majuscules allégorisantes, comme<br />

les Vices <strong>et</strong> les Vertus ou comme Les Travaux <strong>et</strong> les Jours d’Hésio<strong>de</strong> travestis dans<br />

Les Plaisirs <strong>et</strong> les Jours <strong>de</strong> Proust. L’article clé, virgilien <strong>et</strong> stendhalien, <strong>de</strong> la morale<br />

<strong>de</strong> Proust est annoncé dans Sodome <strong>et</strong> Gomorrhe I : « tout être suit son plaisir »<br />

(III, 23), rappelant le vers <strong>de</strong> Virgile : « Trahit sua quemque voluptas » (Églogues,<br />

II, 65). Il n’empêche que, s’il y a une morale <strong>de</strong> Proust, c’est, comme chez<br />

Bau<strong>de</strong>laire, celle du Travail, ou celle <strong>de</strong> la dialectique du Plaisir <strong>et</strong> du Travail, <strong>de</strong><br />

leur conversion réciproque.<br />

Proust, velléitaire <strong>et</strong> procrastinateur comme Bau<strong>de</strong>laire, mala<strong>de</strong> <strong>de</strong> la volonté,<br />

revient souvent sur son sens <strong>de</strong> la discipline, sa foi dans le travail. Comme Ruskin,<br />

comme Bau<strong>de</strong>laire, il n’est pas convaincu <strong>de</strong> la valeur morale <strong>de</strong> la liberté : « Je crois<br />

que nous mourons en eff<strong>et</strong>, mais faute non pas <strong>de</strong> liberté, mais <strong>de</strong> discipline »,<br />

répond-il en 1904 à une enquête. La liberté n’est pas bonne pour l’artiste, qui donne<br />

le meilleur <strong>de</strong> lui-même sous une règle. L’idée est en eff<strong>et</strong> ruskinienne : « Quand les<br />

hommes sont occupés comme ils doivent l’être, leur plaisir naît <strong>de</strong> leur travail »,<br />

décrétait Ruskin dans Sésame <strong>et</strong> les Lys, <strong>et</strong> Proust enchérissait dans sa traduction :<br />

« Et dès les plus bas <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> l’échelle du travail. Du travail le plus humble naît un<br />

plaisir. » Proust n’a jamais abjuré la foi <strong>de</strong> Ruskin dans le travail : « Ce plaisir-là est<br />

satisfaction <strong>de</strong> soi, plaisir à se trouver avec les autres, optimisme. »<br />

« Work while you have light » : dans sa préface à l’édition <strong>de</strong> 1871 <strong>de</strong> Sésame <strong>et</strong><br />

les Lys, Ruskin résumait le sens <strong>de</strong> son livre, c’est-à-dire le sens <strong>de</strong> sa vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> son<br />

apostolat, dans c<strong>et</strong>te parole <strong>de</strong> Jean : « Marchez, pendant que vous avez la lumière »<br />

(12, 35), <strong>et</strong> dans une autre <strong>de</strong> Matthieu : « Heureux les miséricordieux, car ils


732 ANTOINE COMPAGNON<br />

obtiendront miséricor<strong>de</strong> » (5, 7). Travail <strong>et</strong> miséricor<strong>de</strong> définissaient la réforme<br />

artistique <strong>et</strong> morale pour laquelle Ruskin milita. Proust ne <strong>de</strong>vait jamais l’oublier.<br />

Au moment <strong>de</strong> se m<strong>et</strong>tre à son œuvre vers la fin <strong>de</strong> 1908, il écrivait à son ami<br />

Georges <strong>de</strong> Lauris : « Georges, quand vous le pourrez : travaillez. Ruskin a dit<br />

quelque part une chose sublime <strong>et</strong> qui doit être <strong>de</strong>vant votre esprit chaque jour,<br />

quand il a dit que les <strong>de</strong>ux grands comman<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> Dieu [...] étaient : “Travaillez<br />

pendant que vous avez encore la lumière” <strong>et</strong> “Soyez miséricordieux pendant que<br />

vous avez encore la miséricor<strong>de</strong>.” » Le même « beau comman<strong>de</strong>ment du Christ<br />

dans saint Jean » est repris par Proust dans une ébauche du début du Contre<br />

Sainte-Beuve : « Travaillez pendant que vous avez encore la lumière. »<br />

Comme chez Bau<strong>de</strong>laire, il y a chez Proust une autre morale, morale du Travail<br />

<strong>et</strong> Miséricor<strong>de</strong>, morale non du co<strong>de</strong> mais <strong>de</strong> l’ascèse. Dans L’Usage <strong><strong>de</strong>s</strong> plaisirs,<br />

Foucault soulignait l’ambiguïté du mot « morale ». Il désigne d’abord le co<strong>de</strong><br />

moral, c’est-à-dire l’« ensemble <strong>de</strong> valeurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> règles d’action qui sont proposées<br />

aux individus <strong>et</strong> aux groupes par l’intermédiaire d’appareils prescriptifs divers »,<br />

comme peuvent l’être la famille <strong>et</strong> l’école. Il renvoie aussi à la moralité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

comportements, à la relation <strong><strong>de</strong>s</strong> conduites <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> règles, au « comportement réel<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> individus dans son rapport aux règles <strong>et</strong> valeurs », à « la manière dont ils se<br />

soum<strong>et</strong>tent […], dont ils obéissent ou résistent » : « Une chose, dit en eff<strong>et</strong><br />

Foucault, est une règle <strong>de</strong> conduite ; autre chose la conduite qu’on peut mesurer<br />

à c<strong>et</strong>te règle. » Mais ce n’est pas tout, car c’est un troisième sens <strong>de</strong> la morale qui<br />

l’intéresse, plus subjectif, plus essentiel : « […] autre chose encore, la manière dont<br />

on doit “se conduire”, […] dont on doit se constituer soi-même comme suj<strong>et</strong><br />

moral ». Tous ne suivent pas les règles <strong>de</strong> la même façon : un co<strong>de</strong> étant donné,<br />

précise-t-il, « il y a différentes manières <strong>de</strong> “se conduire” moralement, […] non pas<br />

simplement comme agent, mais comme “suj<strong>et</strong> moral” <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te action ».<br />

Ainsi, une action morale ne se résume pas en <strong><strong>de</strong>s</strong> actes conformes à <strong><strong>de</strong>s</strong> règles, mais<br />

implique un « rapport à soi », non simplement la conscience <strong>de</strong> soi, mais la<br />

constitution <strong>de</strong> soi comme « suj<strong>et</strong> moral ». Or il n’y a pas <strong>de</strong> conduite morale, « pas<br />

<strong>de</strong> constitution <strong>de</strong> soi du suj<strong>et</strong> moral sans <strong><strong>de</strong>s</strong> “mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> subjectivation”, sans une<br />

“ascétique” ou <strong><strong>de</strong>s</strong> “pratiques <strong>de</strong> soi” qui les appuient ». Parlant <strong>de</strong> littérature — <strong>de</strong><br />

Bau<strong>de</strong>laire à Proust <strong>et</strong> au-<strong>de</strong>là —, <strong>de</strong> la littérature comme non édifiante, l’accent ne<br />

doit pas être mis sur le co<strong>de</strong> moral qu’elle transm<strong>et</strong>, ni sur la moralité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

comportements qu’elle décrit, mais bien sur la morale au troisième sens <strong>de</strong> Foucault,<br />

c’est-à-dire sur l’ascétique, sur les « mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> subjectivation », sur les « pratiques <strong>de</strong><br />

soi », sur l’exercice <strong>de</strong> la subjectivité <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’intersubjectivité morales.<br />

Jugement moral <strong>et</strong> émotion morale<br />

Or Proust a été longtemps jugé immoral ou amoral, <strong>de</strong> Mauriac à Sartre — rappel<br />

historique qui a fait l’obj<strong>et</strong> d’une autre leçon —, jusqu’à Bataille qui a fait <strong>de</strong> lui<br />

un héros ni<strong>et</strong>zschéen défendant une morale souveraine contre la morale ordinaire.<br />

Dans le roman, l’artiste est en eff<strong>et</strong> soumis à une autre morale que la morale


LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 733<br />

commune, à la seule discipline <strong>de</strong> la construction <strong>de</strong> soi <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’élaboration <strong>de</strong> son<br />

œuvre. Dès une note <strong>de</strong> Sésame <strong>et</strong> les Lys, le snobisme ou le carriérisme est décrit<br />

comme « le vice le plus grave pour l’homme <strong>de</strong> l<strong>et</strong>tres, celui que sa morale instinctive,<br />

c’est-à-dire l’instinct <strong>de</strong> conservation <strong>de</strong> son talent, lui représente comme le plus<br />

coupable, dont il a le plus <strong>de</strong> remords, bien plus que la débauche, par exemple,<br />

qui lui est bien moins funeste, l’ordre <strong>et</strong> l’échelle <strong><strong>de</strong>s</strong> vices étant dans une certaine<br />

mesure renversés pour l’homme <strong>de</strong> l<strong>et</strong>tres ». Pour l’artiste, le snobisme est une faute<br />

plus grave que la débauche, car il ne contribue pas à l’œuvre, contrairement à elle.<br />

La « morale artistique », morale supérieure, se situe au-<strong>de</strong>là du bien <strong>et</strong> du mal.<br />

Pourtant, c<strong>et</strong>te distinction ni<strong>et</strong>zschéenne reprise par Bataille n’est pas encore<br />

suffisante. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la morale ordinaire <strong>et</strong> <strong>de</strong> la morale artistique, il y a encore<br />

place dans la Recherche du temps perdu pour une émotion morale, irréductible à<br />

l’une ou à l’autre, comme l’illustre l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> qui ont le plus choqué les<br />

lecteurs <strong>et</strong> les critiques <strong>de</strong> Proust, le coup <strong>de</strong> théâtre <strong>de</strong> la révélation <strong>de</strong><br />

l’homosexualité <strong>de</strong> Saint-Loup dans Albertine disparue, malgré toutes les précautions<br />

du narrateur <strong>et</strong> ses tentatives <strong>de</strong> justification.<br />

Certes, le narrateur prétend se placer au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus <strong>de</strong> la morale ordinaire :<br />

« Personnellement je trouvais absolument indifférent au point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la morale<br />

qu’on trouvât son plaisir auprès d’un homme ou d’une femme, <strong>et</strong> trop naturel <strong>et</strong><br />

humain qu’on le cherchât là où on pouvait le trouver » (IV, 264). L’expression<br />

rappelle la morale <strong>de</strong> Virgile <strong>et</strong> <strong>de</strong> Stendhal résumée déjà dans Sodome <strong>et</strong> Gomorrhe I<br />

sous la forme : « tout être suit son plaisir ». Pourtant, malgré sa doctrine morale<br />

souvent professée, la liaison <strong>de</strong> Saint-Loup <strong>et</strong> <strong>de</strong> Morel blesse le narrateur, non pas<br />

pour une raison morale donc, mais pour une cause difficilement explicable. Lorsque<br />

la vérité <strong>de</strong> la sexualité <strong>de</strong> Saint-Loup lui est indiquée par Jupien, c<strong>et</strong>te révélation,<br />

dit-il, lui fait « une peine infinie » (IV, 256). La liaison <strong>de</strong> Robert <strong>et</strong> <strong>de</strong> Morel, <strong>et</strong><br />

surtout le comportement <strong>de</strong> Morel, scandalisent Jupien pour d’autres raisons qui<br />

soulignent elles aussi par contraste le mystère <strong>de</strong> la réaction du narrateur : « Non,<br />

que ce misérable musicien ait quitté le baron comme il l’a quitté, salement, on peut<br />

bien le dire, c’était son affaire. Mais se tourner vers le neveu. Il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> choses qui ne<br />

se font pas » (IV, 257). Il y a une morale <strong>de</strong> l’immoralité, un sens <strong>de</strong> l’honneur, un<br />

co<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’honneur, celui du bandit comme homme d’honneur <strong>et</strong> qui a son point<br />

d’honneur : « Jupien était sincère dans son indignation ; chez les personnes dites<br />

immorales, les indignations morales sont tout aussi fortes que chez les autres <strong>et</strong><br />

changent seulement un peu d’obj<strong>et</strong>. » Morel a transgressé une autre morale que la<br />

morale ordinaire, mais encore un co<strong>de</strong> moral. Pourtant, ce qui désole le narrateur<br />

n’est pas <strong>de</strong> c<strong>et</strong> ordre, ni relève ni <strong>de</strong> la morale ordinaire ni <strong>de</strong> la morale extraordinaire,<br />

<strong>et</strong> c’est bien pourquoi il échoue à s’expliquer à lui-même ce qui l’affecte tant.<br />

Le narrateur amoralise la sexualité (moraliser un comportement, c’est l’universaliser<br />

<strong>et</strong> faire appel à la punition contre les transgressions <strong>de</strong> ce comportement). Il<br />

ne porte pas <strong>de</strong> condamnation morale sur l’homosexualité <strong>de</strong> Saint-Loup. Ce qui<br />

était une faute morale ancienne <strong>de</strong>vient pour lui un choix <strong>de</strong> vie mo<strong>de</strong>rne, choix


734 ANTOINE COMPAGNON<br />

raisonné, rationalisé, justifié par le narrateur. Restent pourtant c<strong>et</strong>te émotion <strong>et</strong> ces<br />

larmes inexpliquées, irréductibles à la morale artistique comme à la morale ordinaire<br />

<strong>de</strong> bourgeois <strong>et</strong> à la morale extraordinaires <strong><strong>de</strong>s</strong> bandits.<br />

Déjà, dans « Avant la nuit », nouvelle parue dans La Revue blanche en 1893 <strong>et</strong><br />

non recueillie dans Les Plaisirs <strong>et</strong> les Jours — sans doute à cause <strong>de</strong> cela —,<br />

l’amoralisation <strong><strong>de</strong>s</strong> conduites avait <strong>cours</strong> : « [...] il n’est pas moins moral — ou<br />

plutôt pas plus immoral qu’une femme trouve du plaisir avec une autre femme<br />

plutôt qu’avec un être d’un autre sexe. La cause <strong>de</strong> c<strong>et</strong> amour est dans une altération<br />

nerveuse qui l’est trop exclusivement pour comporter un contenu moral. On ne<br />

peut pas dire parce que la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> gens voient les obj<strong>et</strong>s qualifiés rouges, rouges,<br />

que ceux qui les voient viol<strong>et</strong>s se trompent. » C<strong>et</strong>te analogie entre les couleurs <strong>et</strong><br />

les désirs était prémonitoire <strong>et</strong> servait à naturaliser toutes les formes du désir.<br />

C’est c<strong>et</strong>te amoralisation du plaisir qui a été perçue par les moralistes <strong><strong>de</strong>s</strong> années<br />

1930, <strong>de</strong> Mauriac à Sartre, comme une démoralisation, ou comme une attaque <strong>de</strong><br />

la moralité. Mais quand on amoralise certains comportements, on ne manque pas<br />

d’en moraliser d’autres. Si on a aujourd’hui amoralisé la sexualité, on a moralisé<br />

d’autres choses, comme l’acte <strong>de</strong> fumer, <strong>de</strong> manger <strong>de</strong> la vian<strong>de</strong>, ou <strong>de</strong> porter <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

fourrures. Si le narrateur pleure, n’est-ce donc pas qu’il moralise certains<br />

comportements qui ont été ici transgressés par Saint-Loup ?<br />

La tentative <strong>de</strong> rationalisation échoue. Il est naturel que tout être cherche son<br />

plaisir là où il peut le trouver : « Si donc Robert n’avait pas été marié, sa liaison<br />

avec Charlie n’eût dû me faire aucune peine. Et pourtant je sentais bien que celle<br />

que j’éprouvais eût été aussi vive si Robert était resté célibataire. De tout autre, ce<br />

qu’il faisait m’eût été bien indifférent. Mais je pleurais en pensant que j’avais eu<br />

autrefois pour un Saint-Loup différent une affection si gran<strong>de</strong> <strong>et</strong> que je sentais<br />

bien, à ses nouvelles manières froi<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> évasives, qu’il ne me rendait plus, les<br />

hommes, <strong>de</strong>puis qu’ils étaient <strong>de</strong>venus susceptibles <strong>de</strong> lui donner <strong><strong>de</strong>s</strong> désirs, ne<br />

pouvant plus lui inspirer d’amitié » (IV, 264).<br />

Puis Aimé lui apprend les aventures <strong>de</strong> Saint-Loup <strong>et</strong> du liftier dès la première<br />

année à Balbec, du temps <strong>de</strong> leur amitié, ou plutôt le narrateur repense à c<strong>et</strong>te<br />

information qu’il avait d’abord niée, <strong>et</strong> l’émotion le saisit à nouveau, toujours aussi<br />

vive : « L’apprendre <strong>de</strong> n’importe qui m’eût été indifférent, <strong>de</strong> n’importe qui<br />

excepté <strong>de</strong> Robert. Le doute que me laissaient les paroles d’Aimé ternissait toute<br />

notre amitié <strong>de</strong> Balbec <strong>et</strong> <strong>de</strong> Doncières, <strong>et</strong> bien que je ne crusse pas à l’amitié, ni<br />

en avoir jamais véritablement éprouvé pour Robert, en repensant à ces histoires du<br />

lift <strong>et</strong> du restaurant où j’avais déjeuné avec Saint-Loup <strong>et</strong> Rachel j’étais obligé <strong>de</strong><br />

faire un effort pour ne pas pleurer » (IV, 266).<br />

Que nous disent c<strong>et</strong> échec <strong>de</strong> la rationalisation morale <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te émotion<br />

mystérieuse <strong>et</strong> récurrente ? Que, face au raisonnement, au jugement moral<br />

universalisable, subsiste telle quelle une intuition morale particulière, en situation.<br />

Ces larmes nous surprennent, mais en même temps nous les comprenons. Dès


LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 735<br />

qu’elles tombent, elles <strong>de</strong>viennent nécessaires <strong>et</strong> elles nous convainquent. Toutes<br />

les fausses raisons <strong>de</strong> l’émotion ont été écartées, le mariage <strong>et</strong> l’amitié, mais il reste<br />

quelque chose, un autre sens moral qui a été trahi : la loyauté, la sincérité,<br />

l’honnêt<strong>et</strong>é, la pur<strong>et</strong>é, tout simplement la beauté morale. Saint-Loup a trahi<br />

quelque chose que le narrateur ne sait pas exprimer. Les larmes sont le signe <strong>de</strong><br />

c<strong>et</strong>te impossibilité. Beaucoup <strong>de</strong> larmes sont aussi répandues à la fin d’« Avant la<br />

nuit ». Les larmes montrent la tension, le conflit qui oppose la rationalité (la<br />

raison, le raisonnement ou la rationalisation), en l’occurrence la tolérance du<br />

narrateur pour tous les plaisirs <strong>et</strong> désirs, à une émotion singulière.<br />

Ce genre <strong>de</strong> conflit, représenté dans les larmes, est analysé aujourd’hui par les<br />

neurosciences contemporaines qui ont repéré <strong><strong>de</strong>s</strong> zones du cerveau associées à<br />

l’émotion <strong>et</strong> d’autres zones dévolues à l’analyse rationnelle. Une partie <strong><strong>de</strong>s</strong> lobes<br />

frontaux est liée aux émotions, tandis qu’une autre partie du cerveau se réserve les<br />

facultés cognitives, le calcul mental, le raisonnement, la décision. L’imagerie<br />

cérébrale perm<strong>et</strong> d’observer l’impact <strong>de</strong> l’émotion sur la raison. Si les lobes frontaux<br />

sont endommagés <strong>et</strong> que les émotions sont émoussées, on <strong>de</strong>vient utilitariste <strong>et</strong><br />

froi<strong>de</strong>ment rationnel, ce qui n’est visiblement pas le cas du narrateur, comme le<br />

prouvent ses larmes. Il a bien, comme presque nous tous, un sixième sens moral,<br />

contrairement à ce qu’il avance dans La Prisonnière : « […] le sentiment <strong>de</strong> la<br />

justice, jusqu’à une complète absence <strong>de</strong> sens moral, m’était inconnu » (III, 794).<br />

Nos intuitions morales sont instinctives, comme si nous avions un sens moral inné<br />

résultant <strong>de</strong> l’évolution.<br />

« On ne peut pas dire parce que la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> gens voient les obj<strong>et</strong>s qualifiés<br />

rouges, rouges, que ceux qui les voient viol<strong>et</strong>s se trompent », jugeait Proust dès Les<br />

Plaisirs <strong>et</strong> les Jours. La coïnci<strong>de</strong>nce est étonnante, car la même comparaison est faite<br />

aujourd’hui par <strong><strong>de</strong>s</strong> biologistes pour montrer que certaines parties <strong>de</strong> notre<br />

expérience subjective sont le produit <strong>de</strong> notre équipement biologique <strong>et</strong> n’ont pas<br />

<strong>de</strong> contrepartie objective dans le mon<strong>de</strong>, comme les couleurs ou, soutiennent-ils,<br />

l’intuition morale. La différence entre le rouge <strong>et</strong> le viol<strong>et</strong> est un trait <strong>de</strong> notre<br />

système nerveux commun, <strong>et</strong> si notre espèce avait évolué différemment, ou si<br />

quelques gènes nous manquaient, notre réaction serait différente. La distinction<br />

entre le bien <strong>et</strong> le mal a-t-elle plus <strong>de</strong> réalité que celle du rouge <strong>et</strong> du viol<strong>et</strong> ?<br />

Mon intérêt dans la Recherche du temps perdu — c<strong>et</strong>te année — est donc allé<br />

non pas vers une morale ni vers une moralité <strong>de</strong> Proust, mais vers les conflits qui<br />

naissent <strong>de</strong> manière récurrente dans son roman entre un jugement moral rationnel<br />

<strong>et</strong> une intuition, une émotion ou un sentiment moral. Le narrateur est capable<br />

d’une approbation raisonnée <strong>de</strong> l’homosexualité en général, mais il n’en verse pas<br />

moins <strong><strong>de</strong>s</strong> larmes irraisonnées face à la révélation <strong>de</strong> l’homosexualité <strong>de</strong> son ami<br />

Saint-Loup. Nombreuses sont dans le roman les situations <strong>de</strong> trouble moral, ou<br />

<strong>de</strong> conflit entre <strong>de</strong>ux moralités, l’une rationnelle <strong>et</strong> l’autre émotionnelle. Le<br />

narrateur est déconcerté, dérouté, décontenancé, surpris, stupéfait, ou, en un mot,<br />

interloqué, incapable d’expliquer la réaction que l’intuition morale a décidée en lui<br />

en dépit du jugement moral.


736 ANTOINE COMPAGNON<br />

En voici un autre exemple dans unes <strong><strong>de</strong>s</strong> phrases les plus célèbres du roman, tout<br />

simplement la clausule d’« Un amour <strong>de</strong> Swann » : « Et avec c<strong>et</strong>te muflerie<br />

intermittente qui reparaissait chez lui dès qu’il n’était plus malheureux <strong>et</strong> que<br />

baissait du même coup le niveau <strong>de</strong> sa moralité, il s’écria en lui-même : “Dire que<br />

j’ai gâché <strong><strong>de</strong>s</strong> années <strong>de</strong> ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand<br />

amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre !” »<br />

(I, 375). D’un côté la muflerie du jugement ou du choix rationnel : elle n’est « pas<br />

mon genre » ; <strong>de</strong> l’autre côté la moralité du malheur, c’est-à-dire <strong>de</strong> l’amour,<br />

suivant c<strong>et</strong>te sentence : « On <strong>de</strong>vient moral dès qu’on est malheureux » (I, 619).<br />

C<strong>et</strong>te perplexité est une variante du conflit <strong>de</strong> la raison <strong>et</strong> du sentiment. Pour le<br />

lecteur, elle donne lieu à la même réaction <strong>de</strong> surprise que quand on apprend que<br />

Madame Swann <strong>et</strong> Od<strong>et</strong>te <strong>de</strong> Crécy ne font qu’un : « Madame Swann ! Cela ne<br />

vous dit rien ? Od<strong>et</strong>te <strong>de</strong> Crécy ? — Od<strong>et</strong>te <strong>de</strong> Crécy ? Mais je me disais aussi, ces<br />

yeux tristes... Mais savez-vous qu’elle ne doit plus être <strong>de</strong> la première jeunesse ! Je<br />

me rappelle que j’ai couché avec elle le jour <strong>de</strong> la démission <strong>de</strong> Mac-Mahon »<br />

(I, 413). Et la surprise cè<strong>de</strong> aussitôt <strong>de</strong>vant la nécessité <strong>de</strong> l’émotion morale.<br />

Ce sont donc <strong><strong>de</strong>s</strong> cas <strong>de</strong> perplexité morale dans le roman <strong>de</strong> Proust qui ont fait<br />

l’obj<strong>et</strong> d’analyses rapprochées, <strong><strong>de</strong>s</strong> cas que nous avons rangés sous la liste <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Vertus <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Vices <strong>de</strong> Padoue, « ces figures symboliques <strong>de</strong> Giotto dont M. Swann<br />

m’avait donné <strong><strong>de</strong>s</strong> photographies » (I, 80), étant entendu que vices <strong>et</strong> vertus ne<br />

sont jamais tranchés, mais toujours indistincts, impurs, coupés. Le mélange <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

vertus <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> vices, <strong>de</strong> la bonté <strong>et</strong> <strong>de</strong> la méchanc<strong>et</strong>é, du bien <strong>et</strong> du mal, est habituel<br />

<strong>et</strong> constant chez l’homme, disait Montaigne. Od<strong>et</strong>te, Albertine, Saint-Loup sont à<br />

la fois le mal <strong>et</strong> le remè<strong>de</strong>, comme « c<strong>et</strong>te Od<strong>et</strong>te sur le visage <strong>de</strong> qui [Swann] avait<br />

vu passer les mêmes sentiments <strong>de</strong> pitié pour un malheureux, <strong>de</strong> révolte contre<br />

une injustice, <strong>de</strong> gratitu<strong>de</strong> pour un bienfait, qu’il avait vu éprouver autrefois par<br />

sa propre mère, par ses amis » (I, 263), mais qui est aussi une femme entr<strong>et</strong>enue<br />

<strong>et</strong> cruelle, qui le fait souffrir.<br />

Telle est aussi la conclusion <strong>de</strong> l’épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> Sole mio à Venise, dans Albertine<br />

disparue, quand le héros rejoint sa mère au <strong>de</strong>rnier moment, après l’avoir fait<br />

souffrir : « “Tu sais, dit-elle, ta pauvre grand-mère le disait : C’est curieux, il n’y a<br />

personne qui puisse être plus insupportable ou plus gentil que ce p<strong>et</strong>it-là.” »<br />

Séminaire<br />

Le séminaire, qui s’est tenu douze semaines à la suite du <strong>cours</strong> <strong>et</strong> sur le même suj<strong>et</strong>, a<br />

permis <strong>de</strong> prolonger <strong>et</strong> <strong>de</strong> préciser l’examen <strong><strong>de</strong>s</strong> morales <strong>de</strong> Proust, à travers une série<br />

d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> cas.<br />

Philippe Chardin, Université François-Rabelais, Tours, « Amoralités proustiennes »,<br />

15 janvier 2008.<br />

Luc Fraisse, Université Strasbourg II - Marc-Bloch, « Proust <strong>et</strong> l’écriture du mensonge »,<br />

22 janvier 2008.<br />

Jacques Dubois, Université <strong>de</strong> Liège, « P<strong>et</strong>ites sociologies morales dans la Recherche »,<br />

29 janvier 2008.


LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 737<br />

Élisab<strong>et</strong>h La<strong>de</strong>nson, Université Columbia, New York, « Proust <strong>et</strong> la morale publique »,<br />

5 février 2008.<br />

Mireille Naturel, Université Paris III - Sorbonne-Nouvelle, « Les mauvais suj<strong>et</strong>s »,<br />

12 février 2008.<br />

Edward Hughes, Queen Mary College, Université <strong>de</strong> Londres, « Perspectives sur la<br />

culture populaire », 19 février 2008.<br />

Raymon<strong>de</strong> Cou<strong>de</strong>rt, Université Paris VII - Denis-Di<strong>de</strong>rot, « Fables animales proustiennes »,<br />

26 février 2008.<br />

Mariolina Bertini, Université <strong>de</strong> Parme, « Moralité <strong>de</strong> la lecture : <strong>de</strong> la vision pédagogique<br />

<strong>de</strong> Ruskin à la complicité proustienne », 4 mars 2008.<br />

Françoise Leriche, Université Grenoble III - Stendhal, « C’est à l’influence <strong>de</strong> quelqu’un<br />

qu’on juge <strong>de</strong> sa moralité », 11 mars 2008.<br />

Maya Lavault, Université Paris IV - Sorbonne, « Histoire <strong>de</strong> crimes proustiens », 18 mars<br />

2008.<br />

Joshua Landy, Université Stanford, « “Un égoïsme utilisable pour autrui” : le statut<br />

normatif <strong>de</strong> l’auto-<strong><strong>de</strong>s</strong>cription chez Proust », 25 mars 2008.<br />

Jon Elster, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, « L’aveuglement volontaire », 1 er avril 2008.<br />

Conférences<br />

« L’autorité », co-organisation du colloque <strong>de</strong> rentrée, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, octobre 2007.<br />

« L’histoire littéraire <strong><strong>de</strong>s</strong> écrivains », co-organisation du colloque Paris IV-Sorbonne -<br />

Columbia University, octobre 2007.<br />

« Maintenir le canon », Soci<strong>et</strong>à Universitaria per gli Studi di lingua e l<strong>et</strong>teratura francese,<br />

Rome, novembre 2007.<br />

« Roman <strong>et</strong> mémoire », <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, novembre 2007.<br />

« Après les antimo<strong>de</strong>rnes », Katholieke Universiteit, Leuven, mars 2008.<br />

« Thibaud<strong>et</strong> à Genève », Université <strong>de</strong> Genève, mars 2008.<br />

« Roman <strong>et</strong> mémoire », Soci<strong>et</strong>y of Dix-Neuviémistes, University of Manchester, mars<br />

2008.<br />

« La traversée <strong>de</strong> la critique », Université <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux III, avril 2008.<br />

« Roman <strong>et</strong> mémoire », Universidad Complutense, Madrid, avril 2008.<br />

« Israël avant Israël », Université <strong>de</strong> Tel Aviv, mai 2008.<br />

« “Vaines pointures, mais toujours pointures” : Montaigne <strong>et</strong> l’Ecclésiaste », École normale<br />

supérieure, juin 2008.<br />

« Les ennemis <strong>de</strong> Zola », Bibliothèque nationale <strong>de</strong> <strong>France</strong>, juin 2008.<br />

« Michel Butor : Montaigne - Proust <strong>et</strong> r<strong>et</strong>our », <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, juin 2008.<br />

Articles<br />

Publications<br />

« Préface » à Montaigne, Los Ensayos, trad. J. Bayod Brau, Barcelone, Acantilado, 2007.<br />

« Les programmes : élaboration <strong>et</strong> contenu », Pouvoirs (« L’Éducation nationale »), n o 122,<br />

2007.<br />

« La théorie bau<strong>de</strong>lairienne <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres », La Licorne (« Bau<strong>de</strong>laire <strong>et</strong> les formes<br />

poétiques », éd. Yoshikazu Nakaji), n o 83, 2008.


738 ANTOINE COMPAGNON<br />

« Proust <strong>et</strong> la légen<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> siècles », Marcel Proust. Die Legen<strong>de</strong> <strong>de</strong>r Zeiten im Kunstwerk<br />

<strong>de</strong>r Erinnerung, éd. Karlheinz Stierle, Frankfurt, Insel-Verlag, 2007.<br />

« Joseph Reinach <strong>et</strong> l’éloquence française », Commentaire, n o 120, 2007 ; Les Frères<br />

Reinach, éd. Sophie Basch, Michel Espagne <strong>et</strong> Jean Leclant, Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions <strong>et</strong><br />

belles-l<strong>et</strong>tres - De Boccard, 2008.<br />

« Nazisme, histoire <strong>et</strong> féerie : r<strong>et</strong>our sur Les Bienveillantes », Critique, n o 726, 2007.<br />

« Comme la souffrance va plus loin en psychologie que la psychologie ! », Psychologies fin<br />

<strong>de</strong> siècle, éd. Jean-Louis Cabanès, Jacqueline Carroy <strong>et</strong> Nicole E<strong>de</strong>lman, Université Paris<br />

Ouest, 2008.<br />

« Vies parallèles », Critique (« Bergson »), n o 732, 2008.<br />

« Thibaud<strong>et</strong> chargé <strong>de</strong> reliques », Le Débat, n o 150, 2008.<br />

Tribunes<br />

« Le déclin français vu <strong><strong>de</strong>s</strong> États-Unis », Le Mon<strong>de</strong>, 30 novembre 2007.<br />

« Tant vaut le maître, tant vaut l’école », Le Figaro, 23 janvier 2008.<br />

« Montaigne », Le Mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> livres, 14 mars 2008.<br />

« Les sciences humaines entre universités <strong>et</strong> CNRS », Le Mon<strong>de</strong>, 21 juin 2008.<br />

Autres responsabilités<br />

Membre du Haut Conseil <strong>de</strong> l’Éducation.<br />

Membre du Haut Conseil <strong>de</strong> la Science <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Technologie.<br />

Membre du conseil scientifique <strong>de</strong> la Fondation <strong><strong>de</strong>s</strong> Treilles.<br />

Membre du conseil scientifique du Collegium <strong>de</strong> Lyon.<br />

Membre du conseil scientifique <strong>de</strong> l’Institut <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> pour la Science <strong>et</strong> la<br />

Technologie (IHEST).<br />

Membre <strong>de</strong> la commission sur la condition enseignante (commission Pochard).<br />

Prési<strong>de</strong>nt du conseil scientifique <strong>de</strong> l’École normale supérieure.<br />

Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la commission « Littérature classique <strong>et</strong> critique littéraire » du Centre<br />

national du livre (CNL).<br />

Thèses soutenues sous la direction du professeur<br />

Jean-Baptiste Amadieu, « L’In<strong>de</strong>x romain <strong>et</strong> la littérature française <strong>de</strong> fiction au<br />

xix e siècle », Paris IV, décembre 2007.<br />

Mireille Naturel, « Proust <strong>et</strong> le fait littéraire », HDR, Paris IV, décembre 2007.<br />

Hiroya Sakamoto, « Les inventions techniques dans l’œuvre <strong>de</strong> Marcel Proust », Paris IV,<br />

janvier 2008.<br />

Maxime Abolgassemi, « Pour une poétique du hasard objectif », Paris IV, février 2008.<br />

Yoko Matsubara, « Proust <strong>et</strong> Racine : les références raciniennes dans les écrits <strong>de</strong> Proust »,<br />

Paris IV, mars 2008.<br />

Liza Gabaston, « Le langage du corps dans À la recherche du temps perdu <strong>de</strong> Marcel<br />

Proust », Paris IV, juin 2008.<br />

Young-Hae Kim, « Proust <strong>et</strong> la transposition <strong>de</strong> l’image à l’écriture : autour <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments<br />

asiatiques », Paris IV, AC, juill<strong>et</strong> 2008.


LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 739<br />

M. Jean-Baptiste Amadieu, ATER<br />

La chaire <strong>de</strong> Littérature française mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine compta pour la<br />

<strong>de</strong>uxième année consécutive un poste d’ATER, occupé par Jean-Baptiste Amadieu,<br />

agrégé <strong>de</strong> L<strong>et</strong>tres mo<strong>de</strong>rnes. Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux années, il mena à terme une<br />

thèse <strong>de</strong> doctorat entreprise sous la direction du professeur <strong>et</strong> portant sur les<br />

archives inédites <strong>de</strong> la Congrégation romaine <strong>de</strong> l’In<strong>de</strong>x. Ce travail qui éditait <strong>et</strong><br />

commentait les fonds <strong>de</strong> la censure ecclésiastique concernant les œuvres littéraires<br />

françaises du xix e siècle examinées par le Saint-Siège, fut publiquement soutenu le<br />

30 novembre 2007 <strong>et</strong> reçut les félicitations unanimes du jury. Dans la continuité<br />

<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong>, la chaire lui accorda un séjour <strong>de</strong> recherche pour explorer les<br />

archives du Saint-Office récemment ouvertes pour le pontificat <strong>de</strong> Pie XI : examens<br />

censoriaux <strong>de</strong> Mauriac, Gi<strong>de</strong>, Clau<strong>de</strong>l <strong>et</strong> Bernanos. M. Amadieu collabora<br />

également à l’organisation du séminaire, à l’édition scientifique <strong><strong>de</strong>s</strong> Réflexions sur<br />

la littérature <strong>de</strong> Thibaud<strong>et</strong>, <strong>et</strong> à l’édition <strong><strong>de</strong>s</strong> actes <strong><strong>de</strong>s</strong> séminaires <strong>de</strong> la chaire.


1. « Orgiasme »<br />

Littératures mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’Europe néolatine<br />

M. Carlo Ossola, professeur<br />

Renaissance <strong>et</strong> création<br />

Le <strong>cours</strong> a étudié les mo<strong><strong>de</strong>s</strong> littéraires <strong>et</strong> figuratifs à travers lesquels, dans la<br />

civilisation <strong>de</strong> la Renaissance (dans ses bases classiques <strong>et</strong> médiévales <strong>et</strong> dans sa<br />

réception mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine), se sont trouvés confrontés les mythes <strong>de</strong> la<br />

Renovatio <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Genèse, <strong>de</strong> la création divine ou du r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> la mythologie<br />

classique (idéalement représentables, à quelques lustres <strong>de</strong> distances, d’un côté par<br />

la Naissance <strong>de</strong> Vénus <strong>de</strong> Botticelli <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’autre par les fresques <strong>de</strong> la Création sur<br />

la voûte <strong>de</strong> la Sixtine <strong>de</strong> Michel-Ange).<br />

Le proj<strong>et</strong> figuratif <strong>de</strong> Michel-Ange n’a pas seulement un caractère apologétique,<br />

mais il est la continuation <strong>et</strong> l’accomplissement <strong>de</strong> la plus haute méditation <strong>de</strong><br />

l’Humanisme italien : il suffit <strong>de</strong> rappeler l’Heptaplus. De septiformi sex dierum<br />

geneseos enarratione, 1489, <strong>de</strong> Jean Pic <strong>de</strong> la Mirandole, qui continue admirablement<br />

la tradition patristique <strong><strong>de</strong>s</strong> « hexamérons », soulignant en elle — selon la récente<br />

résurgence humaniste <strong>de</strong> la tradition judaïque 1 — l’émanation nécessaire d’un<br />

« ordre du mon<strong>de</strong> », que Pic reconduit à la Genèse, là où Moïse « traite expressément<br />

<strong>de</strong> l’émanation <strong>de</strong> toute chose à partir <strong>de</strong> Dieu, du <strong>de</strong>gré, du nombre, <strong>de</strong> l’ordre<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> parties <strong>de</strong> l’univers, avec la plus haute capacité philosophique 2 ».<br />

1. Voir, sur ce thème, les nombreux essais <strong>de</strong> Moshe I<strong>de</strong>l (<strong>et</strong> notamment Absorbing Perfections.<br />

Kabbalah and Interpr<strong>et</strong>ation, New Haven, Yale University Press, 2002) ; <strong>de</strong> François Secr<strong>et</strong>, Les<br />

Kabbalistes chrétiens <strong>de</strong> la Renaissance, Paris, Dunod, 1963 ; <strong>et</strong> récemment <strong>de</strong> Giulio Busi, L’enigma<br />

<strong>de</strong>ll’ebraico nel Rinascimento, Torino, Nino Aragno, 2007.<br />

2. G. Pico <strong>de</strong>lla Mirandola, De hominis dignitate. Heptaplus. De Ente <strong>et</strong> Uno, par E. Garin,<br />

1942; reprint Torino, Nino Aragno, 2004, p. 176-177 : « ubi [Moses] vel ex professo <strong>de</strong> rerum<br />

omnium emanatione a Deo, <strong>de</strong> gradu, <strong>de</strong> numero, <strong>de</strong> ordine partium mundanarum altissime<br />

philosophatur » (texte latin en regard du texte italien) ; je cite <strong>de</strong> la traduction française par André<br />

Chastel, « Pic <strong>de</strong> la Mirandole <strong>et</strong> l’“Heptaplus” », Les Cahiers d’Hermès, n° 2, La Colombe, 1947,<br />

p. 99 [avec une p<strong>et</strong>ite modification].


742 CARLO OSSOLA<br />

C<strong>et</strong>te tension apocalyptique qui entoure <strong>de</strong> Prophètes <strong>et</strong> <strong>de</strong> Sibylles les scènes<br />

<strong>de</strong> la Genèse a pu être suggérée par les marbres polychromes du Duomo <strong>de</strong> Sienne 3<br />

— comme si Michel-Ange avait porté à hauteur <strong>de</strong> plafond c<strong>et</strong>te “histoire sacrée”<br />

qui à Sienne était au niveau du pavement —, mais surtout elle tire son caractère<br />

d’“héroïque terribilité”, selon la Vie <strong>de</strong> Michel-Ange <strong>de</strong> Vasari, <strong>de</strong> la prédication<br />

alors récente <strong>de</strong> Jérôme Savonarole :<br />

Dil<strong>et</strong>tossi [Michelangelo] molto <strong>de</strong>lla Scrittura sacra, come ottimo cristiano che egli era,<br />

<strong>et</strong> ebbe in gran venerazione l’opere scritte da fra’ Girolamo Savonarola, per avere udito la<br />

voce di quel frate in pergamo.<br />

Il [Michel-Ange] prenait grand plaisir à la Sainte Ecriture en excellent chrétien qu’il était<br />

<strong>et</strong> il eut une gran<strong>de</strong> vénération pour les écrits du frère Jérôme Savonarole dont il avait<br />

entendu la voix en chaire 4 .<br />

Par ailleurs, on ne peut soutenir que Botticelli représente, à l’inverse, <strong>et</strong><br />

simplement, le versant “païen” <strong>de</strong> la Renaissance florentine, puisque là aussi Vasari<br />

(bien que dans le cadre <strong>de</strong> son apologie <strong><strong>de</strong>s</strong> Médicis) nous montre un tableau<br />

biographique bien plus contrasté, <strong>et</strong> — une fois encore — entièrement traversé<br />

par l’expérience savonarolienne :<br />

[…] la meilleure [gravure] est le Triomphe <strong>de</strong> la foi <strong>de</strong> frère Jérôme Savonarole <strong>de</strong> Ferrare.<br />

Sandro prit parti pour c<strong>et</strong>te secte, ce qui l’amena à abandonner la peinture, <strong>et</strong>, n’ayant<br />

plus les moyens <strong>de</strong> gagner sa vie, il sombra dans le plus grand désordre. En eff<strong>et</strong>,<br />

obstinément attaché à ce parti <strong>et</strong> faisant, comme on disait alors, le piagnone, il s’abstint<br />

<strong>de</strong> travailler. Il se r<strong>et</strong>rouva vieux <strong>et</strong> pauvre <strong>et</strong>, si Laurent <strong>de</strong> Médicis ne l’avait soutenu<br />

[…], il serait quasiment mort <strong>de</strong> faim 5 .<br />

On pourrait même suggérer que, pour comprendre la nature <strong><strong>de</strong>s</strong> tensions qui,<br />

dans l’historiographie mo<strong>de</strong>rne relative au xvi e siècle, alimentent la polarité<br />

Création — Renaissance (<strong>et</strong> tout autant la lecture <strong>de</strong> leurs emblèmes : la création,<br />

d’une part, du Michel-Ange <strong>de</strong> la Sixtine au Tasse du Mondo creato <strong>et</strong> la Renaissance,<br />

d’autre part, <strong>de</strong> la Vénus <strong>de</strong> Botticelli aux Fureurs héroïques <strong>de</strong> Giordano Bruno),<br />

il faudrait, idéalement, circonscrire c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> allant <strong>de</strong> la fin du xv e siècle à la<br />

3. Je renvoie à F. Ohly, Die Kathedrale als Zeitenraum. Zum Dom von Siena, 1972 (trad. it. <strong>de</strong><br />

M. A. Coppola, La cattedrale come spazio <strong>de</strong>i tempi. Il Duomo di Siena, Siena, Acca<strong>de</strong>mia Senese<br />

<strong>de</strong>gli Intronati, 1979).<br />

4. G. Vasari, La vita di Michelangelo nelle redazioni <strong>de</strong>l 1550 e <strong>de</strong>l 1568, par Paola Barocchi,<br />

Milano-Napoli, Ricciardi, 1962, vol. I, p. 121 ; trad. fr. <strong>et</strong> éd. commentée sous la dir. d’André<br />

Chastel, Vie <strong>de</strong> Michel-Ange Buonarroti, in Les Vies <strong><strong>de</strong>s</strong> meilleurs peintres, sculpteurs <strong>et</strong> architectes,<br />

Arles, Actes Sud, 2005, 2 vol. ; citation vol. II, « Livre IX », p. 308.<br />

5. G. Vasari, Vie <strong>de</strong> Sandro Botticello, peintre florentin, in Les Vies <strong><strong>de</strong>s</strong> meilleeurs peintres,<br />

sculpteurs <strong>et</strong> architectes, trad. cit., vol. I, « Livre IV », p. 261 [« (…) on<strong>de</strong> il meglio che si vegga<br />

di sua mano è il trionfo <strong>de</strong>lla fe<strong>de</strong> di fra’ Girolamo Savonarola da Ferrara : <strong>de</strong>lla s<strong>et</strong>ta <strong>de</strong>l quale<br />

fu in guisa partigiano, che ciò fu causa che egli abandonando il dipignere e non avendo entrate<br />

da vivere, precipitò in disordine grandissimo. Perciò che, essendo ostinato a quella parte e facendo<br />

(come si chiamavano allora) il piagnone, si diviò dal lavorare : on<strong>de</strong> in ultimo si trovò vecchio e<br />

povero, di sorte che se Lorenzo <strong>de</strong>’ Medici (…) non l’avesse sovvenuto, (…) si sarebbe quasi<br />

morto di fame » ; Roma, Newton Compton, 1991, p. 494].


LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 743<br />

fin du xvi e entre les <strong>de</strong>ux dates <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux bûchers : celui <strong>de</strong> Jérôme Savonarole<br />

(1498) <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> Giordano Bruno (1600), chacun avec ses apologistes, chacun<br />

avec ses détracteurs.<br />

Si la question savonarolienne <strong>et</strong> le “prophétisme” michelangelesque (<strong>de</strong> la<br />

voûte <strong>de</strong> la Sixtine au mur du Jugement universel, Genèse <strong>et</strong> Apocalypse<br />

recueillies en un seul espace-temps) sont bien loin d’avoir trouvé une<br />

appréciation historiographique satisfaisante, <strong>de</strong> nouveaux clairs-obscurs surgissent<br />

maintenant autour <strong>de</strong> la “Renaissance païenne”, que l’école d’Aby Warburg<br />

semblait pourtant avoir imposée à l’historiographie <strong><strong>de</strong>s</strong> arts du xvi e siècle. En<br />

eff<strong>et</strong>, le second volume <strong>de</strong> la traduction italienne <strong><strong>de</strong>s</strong> écrits d’Aby Warburg 6<br />

— le premier a paru en 2004 chez le même éditeur — présente non seulement<br />

une vaste anthologie <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière partie <strong>de</strong> son activité <strong>de</strong> recherche <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa<br />

vie, mais elle offre également au lecteur quelques précieux inédits, dont les<br />

principaux sont les trois versions <strong>de</strong> sa conférence sur Ghirlandaio, donnée à la<br />

Bibliotheca Hertziana <strong>de</strong> Rome en mai 1929, <strong>et</strong> un cahier <strong>de</strong> notes fiévreuses sur<br />

Giordano Bruno, qui a accompagné le savant — comme le r<strong>et</strong>race finement<br />

Maurizio Ghelardi dans son Introduzione — jusqu’à la veille <strong>de</strong> sa mort. Le<br />

26 octobre 1929, à quatre heures du matin, il notait : « Persée, ou “Esthétique<br />

<strong>de</strong> l’énergie comme fonction logique dans le problème <strong>de</strong> l’orientation chez<br />

Giordano Bruno” : j’ai enfin choisi le titre <strong>de</strong> ma leçon inaugurale 7 . » Il allait<br />

mourir seulement quelques heures plus tard.<br />

Désormais, l’œuvre <strong>de</strong> Warburg <strong>et</strong> son importance sont trop connues pour<br />

qu’il soit nécessaire <strong>de</strong> revenir sur l’emblématique conférence “hertzienne” (à<br />

laquelle Silvia De Lau<strong>de</strong> a consacré d’importantes étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, liées par ailleurs à la<br />

présence à Rome <strong>de</strong> Curtius 8 ). Il convient en revanche <strong>de</strong> prêter attention ici<br />

au cahier concernant Bruno. Il s’agit <strong>de</strong> 45 feuill<strong>et</strong>s <strong>de</strong> notes remontant au séjour<br />

en Italie <strong>de</strong> Warburg <strong>et</strong> <strong>de</strong> Gertrud Bing (Rimini, Orvi<strong>et</strong>o, Rome, Naples,<br />

Capoue, entre l’automne 1928 <strong>et</strong> le printemps 1929). Ces notes indiquent<br />

immédiatement une direction forte <strong>de</strong> “lecture” <strong>de</strong> Giordano Bruno :<br />

« Renforcement <strong>de</strong> la révolte à travers l’action <strong>de</strong> saisir 9 » ; ascension <strong>et</strong><br />

déification par le re<strong>cours</strong> au mythe orphique <strong>de</strong> connaissance <strong>et</strong> <strong>de</strong> sacrifice :<br />

6. A. Warburg, Opere, vol. II : La rinascita <strong>de</strong>l paganesimo antico e altri scritti (1917-1929),<br />

par M. Ghelardi, Torino, Nino Aragno, 2007.<br />

7. Ibid., je cite <strong>de</strong> l’Introduzione <strong>de</strong> Maurizio Ghelardi, p. XVI-XVII. Toutes les indications <strong>de</strong><br />

page infra renvoient à c<strong>et</strong>te édition, d’après laquelle sont traduites les citations <strong>de</strong> Warburg.<br />

8. Cf. S. De Lau<strong>de</strong>, Continuità e variazione : studi su Ernst Robert Curtius e Aby Warburg,<br />

Napoli, Solimene, 2005.<br />

9. A.Warburg, [Giordano Bruno], carn<strong>et</strong> <strong>de</strong> notes, à la plume <strong>et</strong> au crayon, composé <strong>de</strong><br />

45 feuill<strong>et</strong>s, <strong>et</strong> d’une feuille libre sur laquelle on peut lire : « Giordano Bruno. Auffahrt 1929<br />

(Mithras, Rimini, Perseus) ». Deux photographies <strong>de</strong> Warburg <strong>et</strong> Gertrud Bing, datées<br />

respectivement « November 928 » <strong>et</strong> « 19.III.929, Orvi<strong>et</strong>o » fournissent une confirmation <strong>de</strong><br />

quelques-unes <strong><strong>de</strong>s</strong> étapes du voyage. La note, placée en ouverture du cahier (op. cit., p. 923),<br />

explicite la note <strong>de</strong> la ligne précé<strong>de</strong>nte : « Saisir <strong>et</strong> comprendre [Griff u. Begreifen] ».


744 CARLO OSSOLA<br />

« L’ascension imaginaire <strong>et</strong> le sacrifice en tant que pratique 10 . » Et presque à la<br />

même date : « Un jour : liquidation <strong><strong>de</strong>s</strong> ténèbres grâce à la lumière extérieure<br />

(Mithra) <strong>et</strong> à celle intérieure (G. Bruno) 11 . »<br />

La figure du Nolain frappe tant l’esprit <strong>de</strong> Warburg qu’il en <strong>de</strong>meure indécis,<br />

hésitant à le situer, face à don Quichotte, parmi les fondateurs <strong>de</strong> l’impératif<br />

catégorique :<br />

Rome 2. XII. 1928<br />

don Quichotte Giordano Bruno<br />

Chevalier errant 12 Hygin moralisé<br />

du concept d’infinité<br />

“Défi” sur le fon<strong>de</strong>ment humain<br />

individuel<br />

à travers<br />

une émulsion dynamique<br />

impératif catégorique la réforme <strong>de</strong> l’humaine<br />

causalité figurative<br />

Naissance <strong>de</strong> l’impératif<br />

catégorique 13 ,<br />

ou bien à le poser comme le défenseur d’un dionysisme “non en<strong>de</strong>uillé” :<br />

« Rétablissement <strong>de</strong> la dynamique / humaine (il ne s’agit pas <strong>de</strong> l’en<strong>de</strong>uillement)<br />

passionnelle / Giordano Bruno » 14 , jusqu’à le représenter comme un précurseur<br />

<strong>de</strong> Ni<strong>et</strong>zsche : « Dans les Fureurs héroïques, parvenu au point où Actéon <strong>de</strong><br />

prédateur <strong>de</strong>vient proie <strong>de</strong> la solitu<strong>de</strong> pensante 15 » ; «Bruno // L’acte <strong>de</strong> l’adhésion<br />

héroïco-érotique au chaos <strong>et</strong> la Hylè / acte originel créateur du détachement qui<br />

produit l’espace <strong>de</strong> la pensée 16 . »<br />

10. Ibid., note du « 20.V. 1929 », p. 930.<br />

11. Ibid., note du « 17.V. 1929 », p. 941.<br />

12. En français dans le texte <strong>de</strong> Warburg.<br />

13. Ibid., note du « 2. XII. 1928 », p. 957.<br />

14. Ibid., note du « 23. XII. 1928 », p. 963.<br />

15. Ibid., note datée « Naples, 8 mai 1929 » <strong>et</strong> ayant pour titre Giordano Bruno, p. 975. La note<br />

doit être complétée par celle du jour suivant : « Transformation d’Actéon comme acte intuitif <strong>et</strong><br />

totale adhésion à la contemplation [Schau] » (ibid., note datée du « 12 mai 1929 — ai fini avec<br />

Gertrud Bing la lecture <strong><strong>de</strong>s</strong> Fureurs héroïques », p. 976). Il est indubitable qu’ici résonne le souvenir<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Son<strong>et</strong>te an Orpheus <strong>de</strong> Rainer Maria Rilke, édités en 1923, où souffle — comme motif<br />

conducteur — le « Wolle die Wandlung » (II, XII : « Veux la métamorphose » ; je cite <strong>de</strong> la<br />

traduction <strong>de</strong> Maurice Regnaut, Sonn<strong>et</strong>s à Orphée, in Œuvres poétiques <strong>et</strong> théâtrales, sous la dir. <strong>de</strong><br />

Gerald Stieg, Paris, Gallimard, 1997, p. 606). On peut, du reste, qualifier <strong>de</strong> très “brunienne” la<br />

conclusion du sonn<strong>et</strong> XXVII <strong>de</strong> la Deuxième Partie : « Tels que nous sommes, les sans trêve, /<br />

auprès <strong><strong>de</strong>s</strong> forces qui <strong>de</strong>meurent, / nous avons valeur <strong>de</strong> divin usage » (Sonn<strong>et</strong>s à Orphée, trad. cit.,<br />

p. 615). C’est là un thème qui mériterait <strong>de</strong> vastes recherches, <strong>et</strong> une lecture différente, “brunienne”,<br />

<strong>de</strong> l’Ouvert <strong>de</strong> Rilke : « Tout est distance, — <strong>et</strong> nulle part ne peut se refermer le cercle » (II, XX,<br />

trad. cit., p. 610-611 [« Alles ist weit -, und nirgends schließt sich <strong>de</strong>r Kreis »]).<br />

16. A. Warburg, [Giordano Bruno], cit., in Opere, vol. II, p. 979 [« 18.V.1929 Naples »].


LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 745<br />

Or, quand on sait l’importance que Warburg attribue, dans son système, à la<br />

pensée <strong>de</strong> Ni<strong>et</strong>zsche, <strong>et</strong> précisément au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> ces mêmes semaines “bruniennes”<br />

durant lesquelles il prépare son compte rendu (du 18 mai 1929) sur L’Antique<br />

romain dans l’atelier <strong>de</strong> Ghirlandaio, qui commence ainsi : « Ni<strong>et</strong>zsche, dans la<br />

Naissance <strong>de</strong> la tragédie (1886), nous a appris à considérer l’Antique à travers le<br />

symbole du double hermès Dionysos-Apollon» 17 ; quand encore on se rappelle<br />

que dès 1908 (dans sa conférence Le Mon<strong>de</strong> antique <strong><strong>de</strong>s</strong> Dieux <strong>et</strong> la première<br />

renaissance au nord <strong>et</strong> au sud ) c’est le Ni<strong>et</strong>zsche dionysiaque qui capte son<br />

attention : « Chaque époque, sur la base du développement <strong>de</strong> sa vision intérieure,<br />

peut comprendre ce qu’elle est en mesure <strong>de</strong> reconnaître <strong>et</strong> <strong>de</strong> supporter <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

symboles olympiques. À la nôtre, par exemple, Ni<strong>et</strong>zsche a appris à voir<br />

Dionysos 18 » ; alors, il ne sera pas indu <strong>de</strong> supposer que, dans la pensée <strong>de</strong><br />

Warburg, Giordano Bruno vient résoudre l’aporie d’un “ni<strong>et</strong>zschéisme sans<br />

Ni<strong>et</strong>zsche” désormais en vigueur d’après les couleurs wagnériennes <strong>et</strong> les mythes<br />

aryens <strong>de</strong> plus en plus présents dans la propagan<strong>de</strong> du national-socialisme (<strong>et</strong> qui,<br />

<strong>de</strong> manière problématique, touchent aussi le cahier <strong>de</strong> Warburg : « Liquidation <strong>de</strong><br />

la Bête […] // Vénération <strong>de</strong> l’énergie socialement utile 19 »). Dostoïevski, face<br />

aux mêmes apories <strong>et</strong> à l’impératif d’“émerger du chaos”, avait choisi l’Idiot / don<br />

Quichotte 20 ; Warburg choisira la « fureur » orphique, <strong>et</strong> régénératrice, brunianoni<strong>et</strong>zschéenne.<br />

Giordano Bruno venait ainsi accomplir (avec <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences qui se proj<strong>et</strong>teront<br />

sur toute l’école warburgienne, à commencer par <strong>France</strong>s Yates, <strong>et</strong> sur la récente<br />

réception italienne, saturée <strong>de</strong> mythes bruniens) la parabole amorcée par Warburg<br />

lors <strong>de</strong> son premier séjour en Italie <strong>et</strong> rappelée également dans son <strong>de</strong>rnier cahier :<br />

« Botticelli (tapisserie) / Politien / Urbino / Giordano Bruno 21 . » Le « paganisme »<br />

warburgien — ainsi que l’a proposé Eugenio Battisti pour le thème <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

« bacchanales 22 » — est tout autre qu’un triomphe humaniste <strong><strong>de</strong>s</strong> « Grâces » <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> la forme nue ; Warburg penche, au contraire, <strong>et</strong> dès les notes <strong>de</strong> L’Exposition<br />

sur Ovi<strong>de</strong> (1927), du côté orphico-sacrificiel <strong>de</strong> la tradition classique :<br />

Actéon transformation<br />

Daphné poursuite<br />

mort<br />

17. A. Warburg, L’antico romano nella bottega di Ghirlandaio. Resoconto, 18 maggio 1929, texte<br />

inédit publié maintenant in Opere, cit., vol. II, p. 863-869; citation p. 865.<br />

18. A. Warburg, Opere, éd. cit., vol. I, p. 504.<br />

19. Ibid., [Giordano Bruno], in Opere, vol. II, p. 983 [« 10.VI.1929 »].<br />

20. Je me perm<strong>et</strong>s <strong>de</strong> renvoyer à mon <strong>cours</strong> « En pure perte » : le renoncement <strong>et</strong> le gratuit (textes<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> XIX e <strong>et</strong> XX e siècles), in Cours <strong>et</strong> Travaux du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, CV : Résumés 2004-2005, Paris,<br />

<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 2006, p. 723-737.<br />

21. A. Warburg, [Giordano Bruno], cit., in Opere, vol. II, p. 952 [« 24.XII.1928 »].<br />

22. E. Battisti, Mitologie per Alfonso d’Este, in Rinascimento e Barocco, Torino, Einaudi, 1960,<br />

p. 112-145.


746 CARLO OSSOLA<br />

Proserpine enlèvement<br />

Enfers<br />

transformation<br />

Médée Polixène expiation rite<br />

sacrifice humain<br />

Orphée expiation (extrême sacrifice)<br />

orgiasme<br />

Méléagre Alceste Lamentation 23 .<br />

Ce par<strong>cours</strong> “orphique” du mythe était un prélu<strong>de</strong> à l’« Aboutissement <strong>de</strong> la<br />

dynamique poétique / épique <strong>et</strong> lyrique / dans le drame réel <strong>de</strong> l’époque<br />

mo<strong>de</strong>rne 24 ». Indubitablement, la lecture faite par Warburg se plaçait sur le<br />

versant du « Rétablissement <strong>de</strong> la dynamique [...] passionnelle », <strong>et</strong> donc <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Pathosformen. Mais à quel point c<strong>et</strong>te lecture était empreinte d’inquiétu<strong>de</strong>, <strong>et</strong><br />

insatisfaisante, <strong>et</strong> rongée <strong>de</strong> l’intérieur par l’hypothèque ni<strong>et</strong>zschéenne, cela nous<br />

est confirmé par une note écrite peu après :<br />

Le passé <strong>de</strong> l’Antique païen doit-il donc dominer nos idées maîtresses ?<br />

Renverser la question :<br />

<strong>de</strong>vrions-nous donc oublier l’Antique si nous voulons parvenir à nous sentir<br />

invulnérables 25 ?<br />

« Création — mort » versus « sacrifice — invulnérabilité » : on voit bien comment<br />

la réflexion sur les modèles interprétatifs du xvie siècle touche à la nature même<br />

<strong>de</strong> l’homme mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> <strong>de</strong> la société contemporaine; <strong>et</strong> comment — mais se sera<br />

l’occasion d’un autre <strong>cours</strong> — la bataille que l’homme contemporain a engagée<br />

contre la mort tend, au fond, non pas à renouveler la création, mais à procurer, là<br />

esthétiquement <strong>et</strong> aujourd’hui techniquement, l’invulnérabilité — une intangible<br />

durée qui est évoquée chez Rilke par une parabole semblable :<br />

Même si le mon<strong>de</strong> doit un jour s’effondrer sous ses pieds, il est l’élément créateur qui perdure<br />

<strong>de</strong> façon indépendante, il est la méditative possibilité <strong>de</strong> mon<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> temps nouveaux.<br />

C’est pourquoi celui qui en fait sa vision <strong>de</strong> la vie, l’artiste, est aussi l’homme du but ultime,<br />

qui traverse les siècles en restant jeune, sans aucun passé <strong>de</strong>rrière lui. Les autres vont <strong>et</strong><br />

viennent, il dure 26 .<br />

23. A. Warburg, La mostra su Ovidio, in Opere, vol. II, cit., p. 670. Parallèlement, dans une<br />

note du « 28. I. 1927 », Warburg établit une distribution analogue : « Poursuite / Daphné I //<br />

Enlèvement / Proserpine II // Transformation / Actéon III /// Sacrifice humain / Médée Polixène<br />

4 // extrême sacrifice / Orphée 5 // Lamentation / Méléagre Alceste 6 » (ibi<strong>de</strong>m). C’est sur la<br />

même parabole que se concluait la première partie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sonn<strong>et</strong>s à Orphée : « Ivres <strong>de</strong> vengeance,<br />

elles t’ont achevé, mis en pièces, / ta voix gardant comme <strong>de</strong>meure le lion, le roc, / l’arbre,<br />

l’oiseau. C’est <strong>de</strong> là encore que tu chantes. // Ô toi, dieu perdu ! Ô toi, trace infinie ! » (I, XXVI ;<br />

je traduis).<br />

24. A. Warburg, La mostra su Ovidio, vol. II, p. 670.<br />

25. Ibid., vol. II, p. 671.<br />

26. R. M. Rilke, Sur l’art [1], trois fragments publiés dans la revue Ver sacrum sous le titre<br />

Über Kunst, en novembre 1898-mai 1899 ; voir maintenant Œuvres en prose. Récits <strong>et</strong> essais, sous<br />

la direction <strong>de</strong> Cl. David, Paris, Gallimard, 1993, p. 678.


2. « Repos »<br />

LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 747<br />

Le panorama proposé par Aby Warburg s’étend sur une réalité principalement<br />

italienne, allant <strong>de</strong> Ferrare à Florence aux xv e <strong>et</strong> xvi e siècles. De même, ses premiers<br />

essais se fondaient sur <strong><strong>de</strong>s</strong> lectures italiennes : dans “La Naissance <strong>de</strong> Vénus” <strong>et</strong> “Le<br />

Printemps” di Sandro Botticelli (1893), il rappelle les d<strong>et</strong>tes qu’il a contractées<br />

envers l’édition <strong><strong>de</strong>s</strong> œuvres <strong>de</strong> Politien donnée par Giosue Carducci, Le Stanze,<br />

l’Orfeo e le Rime di M. A. Poliziano (Firenze, Barbera, 1863). Récemment, Giovanna<br />

Cordibella 27 a évoqué l’importance <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te d<strong>et</strong>te; mais il faudrait aller plus loin<br />

encore : la formule même <strong>de</strong> « renaissance du paganisme antique » semble être<br />

empruntée à Carducci, lequel, dans le finale <strong>de</strong> son chapitre consacré à Florence à<br />

la fin du xv e siècle, prend ainsi congé — encore une fois — <strong>de</strong> Savonarole, véritable<br />

moment décisif <strong>de</strong> tout jugement sur la Renaissance italienne :<br />

Il Rinascimento sfolgorava da tutte le parti; da tutti i marmi scolpiti, da tutte le tele<br />

dipinte, da tutti i libri stampati in Firenze e in Italia irrompeva la ribellione <strong>de</strong>lla carne<br />

contro lo spirito, <strong>de</strong>lla ragione contro il misticismo ; ed egli, povero frate, rizzando suoi<br />

roghi innocenti contro l’arte e la natura, parodiava gli argomenti di discussione di Roma ;<br />

egli ribelle, egli scomunicato, egli in nome <strong>de</strong>l principio di autorità <strong><strong>de</strong>s</strong>tinato a ben altri<br />

roghi. E non sentiva che la riforma d’Italia era il rinascimento pagano, che la riforma<br />

puramente religiosa era riservata ad altri popoli più sinceramente cristiani ; e tra le rid<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>’ suoi piagnoni non ve<strong>de</strong>va, povero frate, in qualche canto <strong>de</strong>lla piazza sorri<strong>de</strong>re<br />

pi<strong>et</strong>osamente il pallido viso di Nicolò Machiavelli 28 .<br />

La Renaissance resplendissait <strong>de</strong> toutes parts; <strong>de</strong> tous les marbres sculptés, <strong>de</strong> toutes les<br />

toiles peintes, <strong>de</strong> tous les livres imprimés à Florence <strong>et</strong> en Italie jaillissait la rébellion <strong>de</strong><br />

la chair contre l’esprit, <strong>de</strong> la raison contre le mysticisme ; <strong>et</strong> lui, pauvre frère, en dressant<br />

ses innocents bûchers contre l’art <strong>et</strong> la nature, il parodiait les arguments <strong>de</strong> discussion <strong>de</strong><br />

Rome ; lui rebelle, lui excommunié, lui <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné au nom du principe d’autorité à bien<br />

d’autres bûchers. Et il ne sentait pas que la réforme d’Italie était la renaissance païenne,<br />

que la réforme religieuse était réservée à d’autres peuples, plus sincèrement chrétiens ; <strong>et</strong><br />

parmi la foule <strong>de</strong> ses piagnoni, il ne voyait pas, pauvre frère, en quelque recoin <strong>de</strong> la place<br />

sourire, apitoyé, le pâle visage <strong>de</strong> Nicolas Machiavel.<br />

Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> ces mêmes années, l’opposition Savonarole — Machiavel sera<br />

corroborée par la Storia <strong>de</strong>lla l<strong>et</strong>teratura italiana (1870-1871) <strong>de</strong> <strong>France</strong>sco De<br />

Sanctis, dans laquelle Machiavel prépare une route, toute matérielle, à l’aventure<br />

humaine, dont Bruno sera — à côté <strong>de</strong> Galilée — le prophète <strong>et</strong> le modèle,<br />

annonçant la « Science nouvelle », une science politico-philosophique en cohésion<br />

avec celle <strong>de</strong> Machiavel :<br />

Machiavelli aveva già parlato di uno spirito <strong>de</strong>l mondo immortale ed immutabile, fattore<br />

<strong>de</strong>lla storia secondo le sue leggi costitutive. Quello spirito <strong>de</strong>lla storia nella speculazione<br />

di Bruno è il fabbro <strong>de</strong>l mondo, il suo artefice interno 29 .<br />

27. G. Cordibella, « Una l<strong>et</strong>tera inedita di Aby Warburg a Giosue Carducci », L<strong>et</strong>tere Italiane,<br />

LIX, 2007, n° 4, p. 574-581.<br />

28. G. Carducci, Dello svolgimento <strong>de</strong>lla l<strong>et</strong>teratura nazionale, 1868-1971 ; Discorso IV ; in<br />

Prose, Bologna, Zanichelli, 1941, p. 378-379 ; je souligne.<br />

29. F. De Sanctis, Storia <strong>de</strong>lla l<strong>et</strong>teratura italiana, 1870-1871 ; je cite à partir <strong>de</strong> l’édition<br />

établie par N. Gallo <strong>et</strong> G. Ficara, Torino, Einaudi — Gallimard, 1996, chap. XIX : « La nuova<br />

scienza », § 5, p. 634.


748 CARLO OSSOLA<br />

Déjà Machiavel avait parlé d’un esprit du mon<strong>de</strong> immortel <strong>et</strong> immuable, faiseur <strong>de</strong><br />

l’histoire selon ses lois constitutives. Dans la spéculation <strong>de</strong> Bruno, c<strong>et</strong> esprit <strong>de</strong> l’histoire<br />

est le faiseur du mon<strong>de</strong>, son artisan interne.<br />

De Sanctis, toutefois, ne considérait pas la pensée mais les formes actives <strong>de</strong> la<br />

liberté que l’Italie perdait au xvi e siècle; sa condamnation en bloc du Cinquecento<br />

est donc sans appel :<br />

C’était alors l’époque où les grands États d’Europe prenaient une assise stable, <strong>et</strong> fondaient<br />

chacun leur patrie […]. Et c’était aussi l’époque où l’Italie non seulement ne parvenait<br />

pas à fon<strong>de</strong>r la patrie mais perdait tout à fait son indépendance, sa liberté, son primat<br />

dans l’histoire du mon<strong>de</strong>. De c<strong>et</strong>te catastrophe il n’y avait aucune conscience nationale,<br />

on en éprouvait même une certaine satisfaction 30 .<br />

Carducci, plus sensible à la continuité historique d’une gran<strong>de</strong> civilisation<br />

classique au xvi e siècle italien, en jugeait bien diversement. S’opposant <strong>de</strong> manière<br />

explicite à De Sanctis qui avait déclaré :<br />

Parce que finalement c’est la vie italienne qui, vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> conscience, faisait défaut [au<br />

xvi e siècle], <strong>et</strong> l’histoire <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te opposition italienne n’est rien d’autre que l’histoire <strong>de</strong> la<br />

lente reconstitution <strong>de</strong> la conscience nationale. Qu’y avait-il dans la conscience ? Rien.<br />

Pas <strong>de</strong> dieu, pas <strong>de</strong> patrie, pas <strong>de</strong> famille, pas d’humanité, pas <strong>de</strong> civilisation. Et il n’y<br />

avait même plus la négation, qui elle aussi est la vie 31 ;<br />

Carducci le pressait sur le plan <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> historique :<br />

Il pourra bien, ce philosophe <strong>de</strong> l’histoire [scil. : De Sanctis], avec tout le brio <strong>de</strong> son<br />

ingéniosité, nous prouver que le mouvement <strong>de</strong> l’Italie au xvi e siècle ne fut rien<br />

d’autre que l’oubli insouciant <strong>de</strong> la réalité <strong>et</strong> une manière <strong>de</strong> se préparer à bien mourir,<br />

que l’Italie <strong>de</strong>vait mourir, parce qu’elle n’était pas <strong>de</strong>venue une nation <strong>et</strong> qu’elle n’avait<br />

pas la conscience d’une nation ; il pourra, c<strong>et</strong> historien <strong>de</strong> la littérature, par d’exquises<br />

subtilités, nous montrer que tout l’art du xvi e siècle n’est que dissolution, <strong>et</strong> que<br />

l’Italie était vouée à la dissolution, parce qu’elle ne croyait pas, parce qu’elle n’avait pas<br />

opéré sa réforme religieuse. Mais l’histoire est ce qu’elle est : que nous, nous voulions<br />

la refaire à notre gré, que nous, nous voulions revoir comme un thème d’écolier le<br />

grand livre <strong><strong>de</strong>s</strong> siècles <strong>et</strong> inscrire <strong><strong>de</strong>s</strong>sus, <strong>de</strong> l’air courroucé <strong><strong>de</strong>s</strong> maîtres, nos corrections,<br />

ou, pire, rayer d’un trait <strong>de</strong> plume les pages qui ne nous plaisent pas […] ; tout cela<br />

30. Ibid., chap. XVII : « Torquato Tasso », § 1, p. 543 : « Quello era il tempo che i grandi stati<br />

d’Europa pren<strong>de</strong>vano stabile ass<strong>et</strong>to, e fondavano ciascuno la patria […]. E quello era il tempo<br />

che l’Italia non solo non riusciva a fondare la patria, ma per<strong>de</strong>va affatto la sua indipen<strong>de</strong>nza, la<br />

sua libertà, il suo primato nella storia <strong>de</strong>l mondo. Di questa catastrofe non ci era una coscienza<br />

nazionale, anzi ci era una certa soddisfazione. »<br />

31. Ibid., chap. XIX : « La nuova scienza », § 1; éd. cit., p. 623-624 : « Perché infine la vita<br />

italiana mancava [nel Cinquecento] per il vuoto <strong>de</strong>lla coscienza, e la storia di questa opposizione<br />

italiana non è altro se non la storia <strong>de</strong>lla lenta ricostituzione <strong>de</strong>lla coscienza nazionale. Cosa ci<br />

era nella coscienza ? Nulla. Non Dio, non patria, non famiglia, non umanità, non civiltà. E non<br />

ci era più neppure la negazione, che anch’essa è vita. »


LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 749<br />

est volonté arbitraire ou gymnastique <strong>de</strong> l’esprit, mais ce n’est pas la vérité, <strong>et</strong> c’est<br />

même le contraire. 32<br />

À la condamnation prononcée par De Sanctis, qui partant <strong>de</strong> la littérature arrive<br />

jusqu’aux institutions <strong>de</strong> la langue 33 , Carducci opposera une pi<strong>et</strong>as plus mesurée,<br />

sans “héroïques fureurs” <strong>et</strong> <strong>de</strong> laquelle jaillira « un mon<strong>de</strong> supérieur <strong>de</strong> liberté <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> raison » :<br />

Spectacle que d’aucuns pourront dire honteux <strong>et</strong> qui à moi m’apparaît plein <strong>de</strong> piété<br />

sacrée, celui d’un peuple <strong>de</strong> philosophes, <strong>de</strong> poètes, d’artistes, qui au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> soldats<br />

étrangers faisant irruption <strong>de</strong> toutes parts poursuit dans la douleur mais résolu son œuvre<br />

<strong>de</strong> civilisation. […] Et le chant <strong><strong>de</strong>s</strong> poètes recouvre la triste sonnerie du clairon, <strong>et</strong> les<br />

presses <strong>de</strong> Venise, <strong>de</strong> Florence, <strong>de</strong> Rome, crissent <strong>et</strong> œuvrent à illuminer le mon<strong>de</strong>. […]<br />

Chère <strong>et</strong> sainte patrie ! Elle ouvrit les esprits à un mon<strong>de</strong> supérieur <strong>de</strong> liberté <strong>et</strong> <strong>de</strong> raison;<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> tout fit don à l’Europe 34 .<br />

Carducci, renonçant aux Pathosformen <strong>de</strong> De Sanctis <strong>et</strong> <strong>de</strong> Warburg, ne cherchait<br />

pas dans la Renaissance une “régénération” mais une continuité, une continuité<br />

sans palingénésie, une continuité <strong>de</strong> millénaires païens qui « avait fait païen […]<br />

le christianisme » ; en reprenant à son compte la thèse <strong>de</strong> De Sanctis, il la renversait<br />

en paradoxe, montrant l’inanité <strong>de</strong> la vigueur du politique par rapport à la durée<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> arts, l’inanité <strong>de</strong> la réforme religieuse par rapport à la liberté, bien plus gran<strong>de</strong>,<br />

<strong>de</strong> la raison :<br />

Si elle [scil. : l’Italie] s’était laissé manier par un Souabe ou par un Angevin ou par un<br />

Visconti qui, l’ayant domptée, pressée, battue, l’avait poussée comme un cheval <strong>de</strong> bataille<br />

aux conquêtes, aurait-elle accompli ce qu’elle a accompli à travers le libre développement<br />

<strong>de</strong> tous ses éléments, <strong>de</strong> toutes ses populations ? Aurait-elle eu ses échanges commerciaux<br />

unificateurs <strong>de</strong> l’Europe, son art conciliateur <strong>de</strong> l’antiquité <strong>et</strong> du moyen-âge, sa renaissance ?<br />

32. G. Carducci, Dello svolgimento <strong>de</strong>lla l<strong>et</strong>teratura nazionale, cit., Discorso V, 1, p. 382-383 :<br />

« Potrà bene quel filosofo <strong>de</strong>lla storia [scil. : il De Sanctis] con molta accensione d’ingegno<br />

provarci che il movimento <strong>de</strong>ll’Italia nel secolo <strong>de</strong>cimosesto altro non fu che oblio spensierato<br />

<strong>de</strong>lla realtà e un prepararsi a ben morire, che l’Italia doveva morire perché non si era fatta nazione<br />

e non aveva la conscienza di nazione ; potrà questo storico <strong>de</strong>lla l<strong>et</strong>teratura con isquisite sottigliezze<br />

mostrarci che tutta l’arte <strong>de</strong>l secolo <strong>de</strong>cimosesto è dissoluzione, e che l’Italia doveva dissolversi<br />

perché non cre<strong>de</strong>va, perché non aveva operato la riforma <strong>de</strong>lla religione. Ma la storia è quel che<br />

è : volerla rifare noi a nostro senno, voler rive<strong>de</strong>r noi come un tema scolastico il gran libro <strong>de</strong>i<br />

secoli e inscrivervi sopra, con cipiglio di maestri, le correzioni e, peggio, cancellar d’un frego di<br />

penna le pagine che non ci gustano […] ; tutto ciò è arbitrio o ginnastica d’ingegno, ma non è<br />

il vero anzi è il contrario. »<br />

33. « Ce fut alors que se forma l’Académie <strong>de</strong> la Crusca, <strong>et</strong> elle fut le Concile <strong>de</strong> Trente <strong>de</strong><br />

notre langue. Elle aussi excommunia <strong><strong>de</strong>s</strong> auteurs <strong>et</strong> posa <strong><strong>de</strong>s</strong> dogmes » (F. De Sanctis, Storia <strong>de</strong>lla<br />

l<strong>et</strong>teratura italiana, cit., chap. XVII, 4, p. 548 : « Fu allora che si formò l’Acca<strong>de</strong>mia <strong>de</strong>lla Crusca,<br />

e fu il Concilio di Trento <strong>de</strong>lla nostra lingua. Anch’essa scomunicò scrittori e pose dogmi »).<br />

34. Il s’agit <strong>de</strong> la conclusion même <strong>de</strong> l’essai. G. Carducci, Dello svolgimento <strong>de</strong>lla l<strong>et</strong>teratura<br />

nazionale, cit., Discorso V, 6, p. 409-410 : « Sp<strong>et</strong>tacolo che altri potrà dir vergognoso e che a me<br />

apparisce pieno di sacra pi<strong>et</strong>à, cotesto d’un popolo di filosofi di po<strong>et</strong>i di artisti, che in mezzo ai<br />

soldati stranieri d’ogni parte irrompenti séguita accorato e sicuro l’opera sua di civiltà. […] E il<br />

canto <strong>de</strong>’ po<strong>et</strong>i supera il triste squillo <strong>de</strong>lle trombe straniere, e i torchi di Venezia di Firenze di<br />

Roma stridono all’opera d’illuminare il mondo. […] Cara e santa patria ! Ella aprì alle menti un<br />

mondo superiore di libertà e di ragione; e di tutto fe’ dono all’Europa. »


750 CARLO OSSOLA<br />

Ou encore aurait-elle pu la produire avec un tel renouveau universel […] ? La réforme<br />

religieuse, comment l’Italie aurait-elle dû ou pu la promouvoir ou l’accepter, elle qui avait<br />

fait païen à son image le christianisme ? Comment aurait-elle du accepter <strong>de</strong> Luther<br />

l’autorité <strong>de</strong> la Bible, elle qui en politique plaçait, avec Machiavel, la pensée humaine<br />

comme créatrice <strong>et</strong> maîtresse <strong>de</strong> tout […] ? Mais est-il possible d’imaginer en Italie une<br />

renaissance luthérienne ? Et un Arioste zwinglien ? Un Machiavel puritain ? Un Raphaël<br />

calviniste ? Un Michel-Ange quaker ? Non, vraiment 35 .<br />

Carducci assumait, quant au Cinquecento, c<strong>et</strong>te ligne <strong>de</strong> continuité, c<strong>et</strong>te<br />

« civilisation », qui s’était développée « dès l’an Mille 36 » <strong>et</strong> qui n’avait donc pas<br />

besoin <strong>de</strong> ces ruptures religieuses rénovatrices ou <strong>de</strong> ces rites <strong>de</strong> purification<br />

“sacrificiels” qui étaient en revanche sous-jacents au mon<strong>de</strong> warburgien. Au fond,<br />

porte-drapeau <strong>de</strong> l’éternelle vitalité <strong><strong>de</strong>s</strong> formes païennes, Carducci confirmait, par<br />

un eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> miroir pour ainsi dire, la thèse que le Tasse, sur l’autre versant, celui<br />

<strong>de</strong> la “création”, avait exprimée dans son Mondo creato, à savoir que l’univers<br />

n’avait rien connu <strong>de</strong> germinal, rien d’inchoatif, parce qu’il avait été créé par Dieu<br />

dans la perfection <strong>de</strong> ses formes :<br />

Anzi questa gran mole ancor novella,<br />

questo gran<strong>de</strong>, dico io, mirabil mondo<br />

non conobbe l’infanzia, e tutto insieme<br />

perf<strong>et</strong>to apparve, e ne l’asp<strong>et</strong>to adorno 37 .<br />

Ainsi c<strong>et</strong>te gran<strong>de</strong> contexture encore toute neuve,<br />

ce grand, dis-je, c<strong>et</strong> admirable mon<strong>de</strong><br />

ne connut pas d’enfance, <strong>et</strong> tout ensemble<br />

apparut parfait, en son aspect déjà orné.<br />

La raison elle-même, dans la plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> son ingéniosité, ne connaît — <strong>et</strong><br />

pourtant nous sommes à l’époque tri<strong>de</strong>ntine ! — que le « sublime honneur » <strong>de</strong><br />

son propre exercice :<br />

Ma l’ardita ragion nulla ritiene.<br />

Questa con l’ali sue trapassa a volo<br />

non pur <strong>de</strong> l’aria i più ventosi campi,<br />

ma <strong>de</strong>l ciel gli stellanti ed aurei chiostri.<br />

[…]<br />

35. Ibid., Discorso V, 2, p. 385 : « Se [l’Italia] fossesi lasciata maneggiare da uno svevo o da un<br />

angioino o da un Visconti che, domata, spremuta, battuta, l’avesse poi spinta come caval di<br />

battaglia alle conquiste, avrebbe ella operato quel che operò nello svolgimento libero di tutti gli<br />

elementi suoi, di tutte le sue genti ? Avrebbe ella avuto i suoi commerci unificatori d’Europa,<br />

l’arte sua conciliatrice <strong>de</strong>ll’antichità e <strong>de</strong>l medio evo, il suo rinascimento ? O avrebbe ella potuto<br />

produrlo con tale una rifioritura universale […] ? La riforma religiosa come avrebbe dovuto o<br />

potuto promuoverla o acc<strong>et</strong>tarla l’Italia, ella che aveva fatto ad imagine sua pagano il cristianesimo ?<br />

Come avrebbe dovuto acc<strong>et</strong>tar da Lutero l’autorità <strong>de</strong>lla Bibbia, ella che nella politica poneva co<br />

’l Machiavelli fattore, e signore <strong>de</strong>l tutto, il pensiero umano [...] ? Ma è egli possibile a imaginare<br />

il rinascimento in Italia luterano ? E un Ariosto zuingliano ? Un Machiavelli puritano ? Un<br />

Raffaello calvinista ? Un Michelangelo quaquero ? No, veramente. »<br />

36. Ibid., p. 386.<br />

37. T. Tasso, Il mondo creato, VI, 1315-1318 ; je cite <strong>de</strong> l’édition établie par B. Maier, in<br />

Opere, vol. IV, Milano, Rizzoli, 1964, p. 266.


LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 751<br />

Così per arte <strong>de</strong> l’umano ingegno<br />

pren<strong>de</strong> tutte le cose e fa sogg<strong>et</strong>te 38 .<br />

Mais rien ne r<strong>et</strong>ient la raison hardie,<br />

qui <strong>de</strong> ses ailes franchit<br />

non les seuls champs venteux <strong>de</strong> l’air,<br />

mais du ciel les arca<strong><strong>de</strong>s</strong> d’or étoilées.<br />

[…]<br />

Ainsi par l’art <strong>de</strong> l’ingéniosité humaine<br />

prend-elle toutes choses <strong>et</strong> les assuj<strong>et</strong>tit<br />

À la longue continuité <strong>de</strong> la “renaissance”, <strong>de</strong> la « rifioritura universale » chère à<br />

Carducci, correspondait — sur le versant <strong>de</strong> la “création” — le « repos » parfait,<br />

dans l’éternel présent <strong>de</strong> contemplation réciproque <strong>de</strong> Dieu en l’homme <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l’homme en Dieu, sur lequel se conclut le Mondo creato :<br />

[…] il Figlio<br />

<strong>de</strong>vea ne l’uom qu<strong>et</strong>arsi, e ’n membra umane.<br />

[…]<br />

Dunque s’acqu<strong>et</strong>ò Dio ne l’uom terreno,<br />

e l’uomo in sé non ha qui<strong>et</strong>e o pace?<br />

[…]<br />

E se ’n terra ne l’uom qu<strong>et</strong>arsi ei volle,<br />

fu perché l’uomo in Dio s’acqu<strong>et</strong>i al fine 39 .<br />

[…] le Fils<br />

<strong>de</strong>vait en l’homme <strong>et</strong> en membres humains se reposer.<br />

[...]<br />

Dieu s’apaisa en l’homme ici-bas,<br />

<strong>et</strong> l’homme ne trouve en soi ni tranquillité ni paix ?<br />

[…]<br />

Et si sur terre il voulut en l’homme se reposer,<br />

ce fut pour que l’homme à la fin en Dieu s’apaisât.<br />

Ainsi s’accomplissait ce « mundanum enharmonium » entonné, au cœur du<br />

xvi e siècle, par <strong>France</strong>sco Giorgio Ven<strong>et</strong>o : « atque tan<strong>de</strong>m in se ipsum illa ea<strong>de</strong>m<br />

omnia revocat [Deus] : ut totum mundanum enharmonium ab uno proce<strong>de</strong>ns,<br />

unica vita <strong>et</strong> flatu consonantissimum, in unum tendat <strong>et</strong> re<strong>de</strong>at ». 40<br />

Lorsqu’on parcourt aujourd’hui, dans l’historiographie mo<strong>de</strong>rne du xvi e siècle,<br />

les formes bibliques <strong>de</strong> la Création ou celles, classiques, <strong>de</strong> la Renaissance, on<br />

<strong>de</strong>vrait — avant <strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r aux formules — se rappeler à quelles nappes ont puisé<br />

ceux qui les ont esquissées, savants du xix e siècle <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> débuts du xx e , eux-mêmes<br />

victimes ou prophètes impatients <strong>de</strong> « ruptures instauratrices » (selon la formule <strong>de</strong><br />

38. Ibid., VI, 1791-1803 ; éd. cit., p. 282-283.<br />

39. Ibid., VII, 123-152.<br />

40. Francisci Georgi Ven<strong>et</strong>i De Harmonia mundi totius Cantica tria, in Ven<strong>et</strong>iis, in aedibus<br />

Bernardini <strong>de</strong> Vitalibus, MDXXV, Cantici primi tonus sextus, p. XCVIIIv. Je cite du reprint, avec<br />

Introduzione <strong>de</strong> C. Vasoli, Lavis, La Finestra, 2008.


752 CARLO OSSOLA<br />

Michel <strong>de</strong> Certeau) 41 . Pourtant il y eut, tout au long du Cinquecento, du De<br />

harmonia mundi au Mondo creato, une vision ni brisée ni palingénésique <strong>de</strong><br />

l’univers : entièrement recueilli dans la perfection d’une création choyée <strong>de</strong> son<br />

Créateur, <strong>et</strong> dans laquelle il n’est jamais ni consomption ni perte : Capillus <strong>de</strong><br />

capite vestro non peribit 42 .<br />

Livres<br />

Activités du professeur<br />

Publications<br />

— C. Ossola, Augustin au XVII e siècle. « Actes du Colloque organisé par Carlo Ossola au<br />

<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> les 30 septembre <strong>et</strong> 1 er octobre 2004 », Textes réunis par Laurence<br />

Devillairs, Florence, Olschki, 2007 [C. Ossola, Avant-propos, p. V-VI ; <strong>et</strong> Augustinus sine<br />

tempore traditus, p. 263-287].<br />

— Jacques-Bénigne Bossu<strong>et</strong>, Discorso sugli Angeli Custodi, texte publié <strong>et</strong> introduit par<br />

C. Ossola, Bologne, Pendragon, 2008 [C. Ossola, Introduzione, p. 7-67].<br />

— Michel <strong>de</strong> Certeau, Fabula mistica. XVI-XVII secolo, trad. it. : Milan, Jaca Book, 2008<br />

[C. Ossola, « Historien d’un silence ». Michel <strong>de</strong> Certeau, p. XXVII-LIV].<br />

— Wal<strong>de</strong>mar Deonna, Il simbolismo <strong>de</strong>ll’occhio, trad. it. : Torino, Bollati Boringhieri,<br />

2008 [C. Ossola, Introduzione. Tra Bibbia e Surrealismo. L’occhio di Wal<strong>de</strong>mar Deonna,<br />

p. IX-XXIII].<br />

Articles <strong>et</strong> essais<br />

— C. Ossola, Viaje y m<strong>et</strong>amorfosis. Psique, <strong>de</strong>l amor y <strong>de</strong>l alma, in La estela <strong>de</strong> los viajes.<br />

De la historia a la literatura, essais réunis par F. Jarauta, Santan<strong>de</strong>r, Fundación Marcelino<br />

Botín [« Cua<strong>de</strong>rnos <strong>de</strong> la Fundación M. Botín », 10], 2007, p. 19-38.<br />

— C. Ossola, Un espacio lleno <strong>de</strong> plenitud, in De la ciudad antigua a la cosmopolis, essais<br />

réunis par F. Jarauta, Santan<strong>de</strong>r, Fundación Marcelino Botín [« Cua<strong>de</strong>rnos <strong>de</strong> la Fundación<br />

M. Botín », 11], 2008, p. 61-70.<br />

— C. Ossola, Vom Glück, weiträumig zu <strong>de</strong>nken. Über Carlo Denina, in Die europäische<br />

« République <strong><strong>de</strong>s</strong> L<strong>et</strong>tres », essais réunis par Lea Ritter Santini, Göttingen, Wallstein, 2007,<br />

p. 83-99.<br />

— C. Ossola, « P<strong>et</strong>it triptyque romain », in Conférence, 26, 2008, p. 453-459.<br />

— C. Ossola, « Leopardi : prélu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> passions », dans AA.VV., La Conscience <strong>de</strong> soi <strong>de</strong><br />

la poésie, sous la direction <strong>de</strong> Yves Bonnefoy, Colloques <strong>de</strong> la Fondation Hugot du <strong>Collège</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>France</strong> (1993-2004), « Le Genre humain », n° 47, Paris, Seuil, 2008, pp. 235-268.<br />

— C. Ossola, « Della pubblica felicità, oggi » in Italianieuropei, 2008, 2, p. 10-13.<br />

— C. Ossola, «“Italia”. Una civiltà e un lascito », in Cenobio, LVII, 1 (janvier-mars<br />

2008), p. 37-39.<br />

41. M. <strong>de</strong> Certeau, La faiblesse <strong>de</strong> croire, texte établi <strong>et</strong> présenté par L. Giard, Paris, Seuil,<br />

1987, p. 208 [<strong>et</strong> p. 301 : « coupure instauratrice »] ; concept qui radicalise la formule précé<strong>de</strong>nte<br />

d’« “errances” inauguratrices » (M. <strong>de</strong> Certeau, « L’énonciation mystique », in Recherches <strong>de</strong> science<br />

religieuse, LXIV, 1976, p. 183-215 ; la citation à la p. 183).<br />

42. Luco, XXI, 18 ; <strong>et</strong> De Harmonia mundi, Cantici tertii tonus septimus, chap. XII,<br />

p. LXXVII.


LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 753<br />

— C. Ossola, Les raisons “en blanc” du baroque italien, in République <strong><strong>de</strong>s</strong> L<strong>et</strong>tres, République<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Arts. Mélanges en l’honneur <strong>de</strong> Marc Fumaroli, réunis <strong>et</strong> édités par Ch. Mouchel <strong>et</strong><br />

C. Nativel, Genève, Droz, 2008, p. 247-262.<br />

Colloques<br />

Activités <strong>de</strong> la Chaire<br />

Le 10 juin 2008, Création, Renaissance, ordre du mon<strong>de</strong>, en collaboration avec<br />

l’Institut d’Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> Italiennes (ISI) <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> la Suisse Italienne, Lugano,<br />

avec la participation <strong>de</strong> :<br />

— M. Carlo Ossola, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> :<br />

Introduction : origines <strong>et</strong> r<strong>et</strong>ours<br />

— M. Stefano Prandi, Université <strong>de</strong> Berne (Suisse) :<br />

« Deus artifex » : formes <strong>et</strong> histoire d’une métaphore<br />

— M. Agostino Paravicini Bagliani, Université <strong>de</strong> Lausanne (Suisse) :<br />

La papauté, la création <strong>et</strong> l’ordre <strong>de</strong> la nature (XII e -XIV e s.)<br />

— M. Piero Boitani, Université <strong>de</strong> Rome La Sapienza (Italie) :<br />

De Monreale à Michelangelo : le Moteur mobile<br />

— M. Victor Stoichita, Université <strong>de</strong> Fribourg (Suisse) :<br />

« Touche », « Coup <strong>de</strong> pinceau » <strong>et</strong> création picturale chez le Titien<br />

— M me Bened<strong>et</strong>ta Papasogli, Université LUMSSA <strong>de</strong> Rome (Italie) :<br />

« Création » <strong>et</strong> « créature » chez Fénelon<br />

— M. Michel Jeanner<strong>et</strong>, Université Johns Hopkins <strong>de</strong> Baltimore (U.S.A.) :<br />

Versailles, Chaosmos<br />

— M. Jürgen Maeh<strong>de</strong>r, Freie Universität <strong>de</strong> Berlin (Allemagne) :<br />

Olivier Messiaen au seuil <strong>de</strong> la musique sérielle : ordre numérique <strong>et</strong> création<br />

— M. Corrado Bologna, Université <strong>de</strong> Rome III (Italie) :<br />

Le geste « philosophique » <strong>de</strong> l’artiste <strong>et</strong> la création <strong>de</strong> l’ordre du mon<strong>de</strong><br />

Le 11 juin 2008, Autour <strong>de</strong> l’œuvre <strong>de</strong> Michel Butor, avec la participation <strong>de</strong> :<br />

— M. Antoine Compagnon, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />

Montaigne-Proust <strong>et</strong> r<strong>et</strong>our<br />

— M me Laura Barile, Université <strong>de</strong> Sienne (Italie),<br />

Franchir les frontières : écritures <strong>et</strong> structures mobiles <strong>de</strong> Michel Butor<br />

— M. Carlo Ossola, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />

Michel Butor : <strong><strong>de</strong>s</strong> chronotopes<br />

— M me Mireille Calle-Gruber, Université <strong>de</strong> Paris III-Sorbonne,<br />

Michel Butor, poète avec les peintres<br />

— M. Michel Butor, Université <strong>de</strong> Genève (Suisse),<br />

Conclusions<br />

Professeur invité<br />

M. Victor Stoichita, Université <strong>de</strong> Fribourg (Suisse), a donné quatre conférences,<br />

du 15 mai au 6 juin 2008, sur le suj<strong>et</strong> suivant : Des Larmes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Saints.


754 CARLO OSSOLA<br />

Travaux scientifiques <strong><strong>de</strong>s</strong> collaborateurs<br />

— Christine Jacqu<strong>et</strong>-Pfau, Maître <strong>de</strong> conférences au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />

Publications<br />

— « Lexicographie <strong>et</strong> terminologie au détour du xix e siècle : La Gran<strong>de</strong> Encyclopédie,<br />

dans Danielle Can<strong>de</strong>l <strong>et</strong> Dan Savatovsky, Genèse <strong>de</strong> la terminologie contemporaine, Langages,<br />

n° 168, 4/2007, pp. 24-38.<br />

— « Clau<strong>de</strong> Hagège, Combat pour le français. Au nom <strong>de</strong> la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> langues <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

cultures, 2007, in La Linguistique, vol. 43, fasc. 2/2007, pp. 150-151.<br />

Communications à <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques <strong>et</strong> journées d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

— « L’homme au travail », Séminaire <strong>de</strong> Doctorat, Paris 4, 26 octobre 2007, En l’honneur<br />

<strong>de</strong> Jean-Marie Zemb.<br />

— « Statut <strong>de</strong> la synonymie lexicale dans un corpus encyclopédique <strong>de</strong> la fin du<br />

xix e siècle : La Gran<strong>de</strong> Encyclopédie », Colloque international La Synonymie, 29 nov.-1 er déc.<br />

2007, Université Paris-Sorbonne, Ecole doctorale « Concepts <strong>et</strong> Langages », Equipe d’accueil<br />

Sens, Texte, Histoire, Ecole normale supérieure, GEHLF.<br />

— « Dictionnaires <strong>et</strong> correcteurs (informatiques) », 2 e Journée d’étu<strong>de</strong> du LDI-Cergy-<br />

Pontoise (UMR 7187), 17 mars 2008, De la lexicographie informatique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’actualité<br />

lexicographique.<br />

Exposition<br />

Directrice <strong>de</strong> l’Exposition éditoriale organisée à l’occasion <strong>de</strong> la Journée internationale <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

dictionnaires, Université <strong>de</strong> Cergy-Pontoise, 14 mars 2008, Dictionnaires <strong>et</strong> littérature.<br />

Paola Cattani, Université <strong>de</strong> Pise (Italie), Boursière Compagnia di San Paolo-<br />

<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

— Paul Valéry e le arti visive. Disegno, pittura, archit<strong>et</strong>tura e parola po<strong>et</strong>ica, Pisa, Ets,<br />

2007.<br />

— « Traces du dialogue <strong>de</strong> Valéry avec la critique vincienne dans le dossier génétique »,<br />

dans Valéry <strong>et</strong> Léonard : le drame d’une rencontre. Genèse <strong>de</strong> l’Introduction à la métho<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

Léonard <strong>de</strong> Vinci, éd. Ch. Vogel, Bern, P<strong>et</strong>er Lang, 2007.<br />

— « Il disegno di Leonardo da Vinci e la riflessione sulla creazione artistica in Paul<br />

Valéry e André Br<strong>et</strong>on », [sous presse] dans Immagine, immaginazione, creazione, a cura di<br />

A. Sanna, Roma, Istituti Poligrafici Italiani, 2008.<br />

— « Paul Valéry e i fiori di Jean Paulhan : tra r<strong>et</strong>orica e terrore », en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> publication<br />

dans la revue italienne « Il Confronto l<strong>et</strong>terario ».<br />

Gabriele Quaranta, Université <strong>de</strong> Rome « La Sapienza » (Italie), Boursier<br />

Compagnia di San Paolo - <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

— Bagliori dal Passato : il Palazzo Gallio in Alvito e i suoi dipinti tassiani, Rome, Bardi<br />

Editore, 2003.<br />

— « Don Chisciotte nel Castello di Cheverny. Un ciclo dipinto <strong>de</strong>l Seicento francese »<br />

Critica <strong>de</strong>l testo, IX / 1-2, 2006 (Actes du Colloque Itinerari chisciotteschi mo<strong>de</strong>rni. In<br />

margine al IV centenario, Rome 20-21 octobre 2006)<br />

— « Momenti di pittura. Gli affreschi quattrocenteschi <strong>de</strong>lla chiesa <strong>de</strong>lla Santa Croce a<br />

Genazzano » Universitates e Baronie. Arte e Archit<strong>et</strong>tura in Abruzzo e nel Regno al tempo <strong>de</strong>i<br />

Durazzo, (Actes du Colloque, Guardiagrele-Chi<strong>et</strong>i, 9-11 novembre 2006), [à paraître<br />

courant 2008].


Étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la création littéraire en langue anglaise<br />

M. Michael Edwards, professeur<br />

Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la première heure, Shakespeare : le poète au théâtre, eut pour point<br />

<strong>de</strong> départ une question que j’avais posée dans un <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> <strong>de</strong> 2005-2006 sur La<br />

Poétique en questions : pourquoi le plus grand poète anglais choisit-il d’écrire avant<br />

tout pour le théâtre ? Reprendre c<strong>et</strong>te réflexion en pensant à l’ensemble <strong>de</strong> ses<br />

pièces, comme aux Sonn<strong>et</strong>s qui leur sont intimement associés, incite à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

aussi quel élargissement <strong>de</strong> l’idée même <strong>de</strong> la poésie ce choix implique, <strong>et</strong> quelle<br />

idée du théâtre le motivait.<br />

J’avais suggéré il y a <strong>de</strong>ux ans que, pour Shakespeare, le théâtre transforme la poésie<br />

en paroles, dites <strong>et</strong> échangées, <strong>et</strong> qu’il peut <strong>de</strong>venir ainsi la recherche <strong>de</strong> la parole <strong>de</strong><br />

l’autre ; que le théâtre invite le poète à renoncer au lyrisme du moi <strong>et</strong> à s’aventurer<br />

dans le je <strong><strong>de</strong>s</strong> autres, à chercher une vérité transpersonnelle dans une poésie proprement<br />

dramatique ; que Shakespeare avait, <strong>de</strong> manière remarquable, le don <strong>et</strong> le désir<br />

d’entrer dans la conscience <strong>de</strong> tous les personnages, même très secondaires ; que<br />

chacune <strong>de</strong> ses pièces est un poème qui l’encourage à multiplier les points <strong>de</strong> vue<br />

avant <strong>de</strong> se m<strong>et</strong>tre à les ordonner. Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année confirma ces suggestions,<br />

en leur donnant <strong><strong>de</strong>s</strong> perspectives nouvelles dans chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> pièces analysées ; il<br />

commença avec Les Deux gentilhommes <strong>de</strong> Vérone, qui pourrait être le tout premier<br />

ouvrage <strong>de</strong> Shakespeare, afin d’étudier les rapports qu’il crée dès le début, entre<br />

poésie <strong>et</strong> théâtre, <strong>et</strong> afin d’indiquer une idée inattendue, mais probablement très<br />

exacte, du théâtre qui s’esquisse déjà dans c<strong>et</strong>te œuvre <strong>de</strong> jeunesse.<br />

Abor<strong>de</strong>r ainsi la pièce perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> montrer qu’elle ne se contente pas <strong>de</strong> satiriser<br />

certaines conduites conventionnelles <strong><strong>de</strong>s</strong> amoureux <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> amis, avec le langage<br />

frelaté qui les accompagne. Malgré une psychologie <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> comportements pour la<br />

plupart volontairement superficiels, qui se placent au niveau auquel nous vivons le<br />

plus souvent, Shakespeare <strong><strong>de</strong>s</strong>cend par moments dans l’être <strong>de</strong> ses personnages,<br />

surtout quand l’être est en jeu. Banni <strong>et</strong> obligé <strong>de</strong> quitter Sylvia, Valentin comprend<br />

que c’est lui-même qu’il quitte, Sylvia n’étant pas l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> son amour mais le suj<strong>et</strong>


756 MICHAEL EDWARDS<br />

<strong>de</strong> son « essence » : « I leave to be, dit-il, / If I be not by her fair influence / Fostered,<br />

illumined […] » (« je cesse d’être / Si je ne suis pas par sa bonne influence / Nourri,<br />

illuminé […] »). Shakespeare attire déjà l’attention sur le verbe fondamental en le<br />

laissant en suspens à la fin du vers, <strong>et</strong> il augmente déjà la force ontologique du<br />

mot par l’hésitation <strong>de</strong> la syntaxe, où Valentin semble dire : « je cesse d’être si, par<br />

sa bonne influence, je ne suis pas ».<br />

En même temps, le théâtre est le seul genre littéraire qui soit matériel, visible,<br />

audible, <strong>et</strong> choisir l’espace théâtral, où œuvre, comédiens <strong>et</strong> spectateurs sont<br />

plongés dans le mon<strong>de</strong> immédiat <strong><strong>de</strong>s</strong> sens, perm<strong>et</strong> à Shakespeare <strong>de</strong> voir se dérouler<br />

en un milieu concr<strong>et</strong> toute la poésie dont il est capable <strong>et</strong> tout ce qu’il imagine,<br />

jusqu’aux rêves les plus éthérés. Son imagination s’exerçant toujours, du reste, à<br />

renouveler la réalité ordinaire, il semblerait que même ses êtres surnaturels habitent<br />

plus abondamment que nous le mon<strong>de</strong> naturel : la plainte <strong>de</strong> la reine <strong><strong>de</strong>s</strong> fées dans<br />

Le Songe d’une nuit d’été ne cesse d’évoquer la « source caillouteuse », le « ruisseau<br />

étoffé <strong>de</strong> joncs », <strong>et</strong> ainsi <strong>de</strong> suite. L’unité <strong>de</strong> ce Tout qui nous environne <strong>et</strong> qui<br />

nous pénètre est d’autant plus sensible, <strong>et</strong> les réalités les plus immatérielles d’autant<br />

mieux mises en relief. Le repentir, par exemple, qui intéresse Shakespeare dès le<br />

début. Proteus, surpris dans la forêt par Valentin au moment où il menace Sylvia<br />

<strong>de</strong> la violer, se repent par un <strong>de</strong> ces revirements rapi<strong><strong>de</strong>s</strong> mais parfaitement véritables<br />

qui dénouent souvent les pièces <strong>de</strong> Shakespeare, comiques ou tragiques, dans le<br />

sens <strong>de</strong> l’espoir <strong>et</strong> du nouveau, mais que les critiques hésitent à accepter. Proteus<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> pardon avec le vocabulaire du Livre <strong><strong>de</strong>s</strong> prières en commun, <strong>et</strong> il découvre<br />

en lui à la fois la « honte », qui peut enfermer en soi, <strong>et</strong> la « culpabilité », qui ouvre<br />

vers autrui. Et, si tôt dans sa réflexion, Shakespeare donne une perspective éclairante<br />

sur c<strong>et</strong> art théâtral pleinement présent <strong>de</strong>vant nous mais qui s’offre aussi comme<br />

un spectacle, un simulacre, une fiction qui s’incarne dans <strong><strong>de</strong>s</strong> faits (comédiens,<br />

costumes, décor) qui sont eux-mêmes fictifs. Devant la preuve soudaine <strong>et</strong> à peine<br />

croyable que son meilleur ami est en train <strong>de</strong> le trahir, Valentin se dit : « Comme<br />

ceci ressemble à un rêve ! Je vois, <strong>et</strong> j’entends… » On dirait la voix du spectateur,<br />

qui voit <strong>et</strong> qui entend, mais qui observe aussi une sorte <strong>de</strong> songe du réel. Un seul<br />

vers constitue déjà la mise en abyme <strong>de</strong> tout le théâtre shakespearien à venir, <strong>et</strong><br />

même <strong>de</strong> tout théâtre. Une situation critique <strong>et</strong> pénible conduira bientôt au<br />

repentir <strong>de</strong> Proteus <strong>et</strong> à une nouvelle générosité chez Valentin. Le rêve étrange du<br />

théâtre offre, en eff<strong>et</strong>, un lieu <strong>et</strong> un temps où tout change <strong>et</strong> peut continuer <strong>de</strong><br />

changer, car le théâtre est le signe artistique le plus palpable <strong>et</strong> le plus compl<strong>et</strong> du<br />

changement possible du mon<strong>de</strong>, <strong>et</strong> le miroir que la pratique du théâtre tend à la<br />

nature, selon Haml<strong>et</strong>, est un miroir transformant.<br />

Il importe aussi <strong>de</strong> comprendre que, dans ses premières pièces, Shakespeare ne<br />

dédaigne pas la poésie au sens le plus simple du mot en s’engageant dans l’écriture<br />

théâtrale. La foison <strong>de</strong> formes poétiques dans Peines d’amour perdues (vers 1594),<br />

où plusieurs personnages écrivent <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes <strong>et</strong> parlent spontanément, <strong>de</strong> temps<br />

à autre, en sonn<strong>et</strong>s, n’est le signe ni d’un désir <strong>de</strong> ridiculiser la poésie <strong>de</strong> l’époque,<br />

ni d’un besoin <strong>de</strong> se montrer supérieur à ses rivaux. Au moment même où Biron


ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 757<br />

assure Rosaline qu’il renonce aux termes affectés <strong>et</strong> qu’il ne veut plus « faire la cour<br />

avec <strong><strong>de</strong>s</strong> rimes », sa déclaration d’amour prend néanmoins la forme d’un sonn<strong>et</strong>.<br />

Si les Navarrois se lancent dans <strong>de</strong> prodigieuses hyperboles, si Biron <strong>et</strong> Dumaine<br />

« s’émerveillent » <strong>de</strong> leurs bien-aimées, c’est parce que la beauté ravive qui la<br />

contemple, la beauté n’étant pas une affaire d’esthétique, mais <strong>de</strong> vie. Si l’amour<br />

mène à la poésie, c’est parce qu’il est le seuil <strong>de</strong> l’émerveillement <strong>et</strong> qu’il se répand<br />

naturellement en louanges ; les chansonniers <strong>et</strong> suites <strong>de</strong> sonn<strong>et</strong>s qui s’adressent à<br />

Laure, à Hélène, à Stella <strong>et</strong> à tant d’autres, sont au cœur <strong>de</strong> la poésie. En nous<br />

attirant <strong>de</strong> la prose vers la poésie, en ouvrant le réel au poétique, Shakespeare<br />

répond au vœu que le réel, que la vie, soient poésie, qu’une parole pleine nous place<br />

au sein <strong>de</strong> ce qui est <strong>et</strong> <strong>de</strong> ce que nous sommes.<br />

Le sérieux <strong>de</strong> la pièce se révèle surtout en ce qu’elle approfondit la comédie. La<br />

poésie surabondante ne conduit pas à l’échec <strong>de</strong> l’amour, mais au triomphe d’un<br />

amour luci<strong>de</strong> <strong>et</strong> d’une comédie avertie du mal d’exister. La pièce, où il se passe si<br />

peu <strong>de</strong> choses, est une suite <strong>de</strong> scènes comiques, <strong>de</strong> « plaisirs, danses, mascara<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>et</strong> heures <strong>de</strong> gai<strong>et</strong>é », où la gai<strong>et</strong>é s’appauvrit, cependant, en se transformant en<br />

raillerie, lorsque les Navarrois, comme les Françaises qu’ils courtisent, au lieu <strong>de</strong><br />

rire <strong>de</strong>vant l’exubérance <strong>de</strong> la vie, se moquent les uns <strong><strong>de</strong>s</strong> autres. Même les<br />

divertissements <strong>de</strong>viennent amers, <strong>et</strong> la langue <strong><strong>de</strong>s</strong> filles moqueuses « aussi<br />

tranchante / Que le fil du rasoir ». La comédie ne pouvant plus avancer après c<strong>et</strong>te<br />

chute dans le malheur, un messager survient pour annoncer la mort du roi <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong>, ce qui oblige la Princesse <strong>et</strong> ses amies à repartir <strong>et</strong> empêche les quatre<br />

mariages attendus d’avoir lieu. La mort ne fait pas avorter la pièce, cependant,<br />

comme la critique le prétend. La Princesse, en exigeant du roi <strong>de</strong> Navarre qu’il<br />

s’isole pendant un an dans un lieu éloigné <strong><strong>de</strong>s</strong> plaisirs du mon<strong>de</strong>, pour voir si son<br />

offre <strong>de</strong> mariage survivra aux « gels », aux « jeûnes » , au « ru<strong>de</strong> logement » <strong>et</strong> aux<br />

« maigres vêtements », lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, non pas d’étudier l’art <strong>de</strong> vivre (le but <strong>de</strong><br />

l’Académie qu’il voulait créer au début <strong>de</strong> la pièce), mais <strong>de</strong> vivre, <strong>et</strong> <strong>de</strong> s’étudier<br />

lui-même. Elle place sa main dans la sienne en prom<strong>et</strong>tant d’être à lui, <strong>et</strong>, selon la<br />

coutume <strong>de</strong> l’époque, les voilà, sous condition, mariés. La condition qu’impose<br />

Rosaline à Biron est <strong>de</strong> rendre visite aux mala<strong><strong>de</strong>s</strong> tous les jours pendant un an, <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> « Forcer les infirmes en tourment à sourire ». Elle veut qu’il per<strong>de</strong> son esprit <strong>de</strong><br />

dérision <strong>et</strong> qu’il se livre entièrement à son génie comique, à sa langue si douce <strong>et</strong><br />

sémillante, dit-elle, que les enfants <strong>et</strong> les vieillards s’arrêtent pour l’écouter. Elle<br />

veut qu’il quitte la moquerie pour le rire qui jaillit du bonheur d’exister, pour une<br />

vivacité d’esprit telle qu’un mourant même pourrait s’en réjouir. Peines d’amour<br />

perdues annonce ce que j’ai appelé chez Shakespeare les comédies <strong>de</strong> l’émerveillement,<br />

surtout par la juxtaposition saisissante, au moment où Rosaline <strong>et</strong> Biron se<br />

regar<strong>de</strong>nt dans les yeux, du rire <strong>et</strong> <strong>de</strong> la mort.<br />

Il convient <strong>de</strong> remarquer aussi que les Sonn<strong>et</strong>s, qui explorent les mêmes suj<strong>et</strong>s<br />

que les pièces <strong>de</strong> la maturité <strong>de</strong> Shakespeare <strong>et</strong> qui ne furent rassemblés qu’en<br />

1609, développent, en les assombrissant, certaines données <strong>de</strong> Peines d’amour<br />

perdues. Ils prennent au sérieux, surtout, <strong><strong>de</strong>s</strong> affirmations mi-sérieuses, mi-plaisantes


758 MICHAEL EDWARDS<br />

d’Armado : « Amour est un diable. Il n’est aucun mauvais ange sinon Amour »,<br />

afin d’explorer la dimension vraiment infernale <strong>de</strong> l’amour, ou plutôt la luxure. On<br />

pourrait appeler les Sonn<strong>et</strong>s, à plus juste titre que la pièce, à bien y penser, Peines<br />

d’amour perdues. Et si l’on sent, dans le travail <strong>de</strong> Shakespeare au théâtre, la présence<br />

d’un poète, qui inclut parfois <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes dans ses pièces, on comprend mieux les<br />

Sonn<strong>et</strong>s à les lire comme l’œuvre d’un dramaturge, qui introduit le théâtre dans la<br />

poésie. Quatre personnages, tous anonymes : un « je » qui parle <strong>et</strong> qui est luimême<br />

poète, un jeune célibataire, une femme mariée <strong>et</strong> un poète rival, participent<br />

à une histoire discontinue, incertaine <strong>et</strong> inachevée. Les Sonn<strong>et</strong>s ressemblent à la<br />

vie : nous découvrons <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> événements par fragments <strong>et</strong> selon une foule<br />

<strong>de</strong> perspectives, <strong>et</strong> tout frémit <strong>de</strong> significations sans que le sens en soit clair. Ils<br />

répètent, néanmoins, en chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> trois personnages principaux, le passage <strong>de</strong><br />

l’É<strong>de</strong>n à la Chute, d’une perfection à sa perte. On encourage le beau jeune homme,<br />

dans les dix-sept premiers sonn<strong>et</strong>s, à se marier <strong>et</strong> à avoir <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants, avec une<br />

générosité répondant à celle <strong>de</strong> la Nature, à prendre place dans le concert <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres<br />

(sonn<strong>et</strong> 8), à sortir, lui aussi, d’une conscience lyrique afin d’acquérir une conscience<br />

dramatique. Le refus du jeune homme, noté dès le début, le précipite dans la<br />

contemplation stérile <strong>de</strong> sa propre beauté. Il <strong>de</strong>vrait être aussi l’obj<strong>et</strong> irréprochable<br />

<strong>de</strong> la louange, l’occasion pour la poésie <strong>de</strong> redire le réel, d’en répéter sans cesse<br />

l’inépuisable perfection : <strong>de</strong> s’approcher <strong><strong>de</strong>s</strong> réitérations du soleil, « chaque jour<br />

nouveau <strong>et</strong> vieux » (sonn<strong>et</strong> 76), <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> prières quotidiennes <strong>de</strong> la liturgie, inchangées<br />

<strong>et</strong> toujours actuelles (sonn<strong>et</strong> 108). Celui qui paraît, cependant, « l’ornement jeune<br />

du mon<strong>de</strong> » (sonn<strong>et</strong> 1), <strong>et</strong> qui semble réunir en sa personne les charmes d’Adonis<br />

<strong>et</strong> d’Hélène, la beauté du printemps <strong>et</strong> la largesse <strong>de</strong> l’automne (sonn<strong>et</strong> 53), révèle<br />

peu à peu sa lai<strong>de</strong>ur morale, une « grâce lascive » (sonn<strong>et</strong> 40) qui masque à peine<br />

toute la litanie <strong><strong>de</strong>s</strong> « péchés », « vices », « souillures », « fautes », « erreurs » (sonn<strong>et</strong>s<br />

95 <strong>et</strong> 96) dont l’infecte malgré tout le mon<strong>de</strong> déchu. Et dans une histoire dont on<br />

ne nous livre que <strong><strong>de</strong>s</strong> aperçus, le jeune homme ne cesse <strong>de</strong> tomber, à cause d’un<br />

va-<strong>et</strong>-vient continuel entre l’éloge <strong>et</strong> le blâme, où <strong><strong>de</strong>s</strong> révélations <strong>de</strong> sa trahison <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> sa méchanc<strong>et</strong>é foncière peuvent être suivies <strong>de</strong> poèmes chantant la confiance du<br />

locuteur <strong>et</strong> l’excellence <strong>de</strong> celui qu’il aime.<br />

La dame brune du recueil, maîtresse du locuteur, est apparentée par ses cheveux<br />

<strong>et</strong> ses yeux noirs à la bien-aimée du Cantique <strong><strong>de</strong>s</strong> cantiques, à l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> amantes les<br />

plus fidèles <strong>de</strong> toutes les littératures. Elle aussi déchoit, cependant, en trahissant le<br />

locuteur avec le beau jeune homme <strong>et</strong> finalement avec tout le mon<strong>de</strong>. Shakespeare<br />

ne se livre pas à une misogynie futile <strong>et</strong> pathologique, mais choisit <strong>de</strong> renverser,<br />

avec tristesse <strong>et</strong> perspicacité, l’idéalisation <strong>de</strong> la femme qu’entreprennent en général<br />

les suites <strong>de</strong> sonn<strong>et</strong>s, afin <strong>de</strong> renforcer son examen sombre <strong>de</strong> la perte <strong>de</strong> l’É<strong>de</strong>n.<br />

Et cela culmine dans la chute du poète qui est censé composer le recueil. Constant,<br />

crédule, prompt à pardonner <strong>et</strong> à souffrir pour un ami qu’il considère comme un<br />

moi au même titre que son propre moi, on le voit aussi trouble <strong>et</strong> injuste, <strong>et</strong> il<br />

reconnaît peu à peu son « péché d’amour <strong>de</strong> soi » (sonn<strong>et</strong> 62), <strong>et</strong>, dans ses rapports<br />

avec sa maîtresse, son érotisme incontrôlé, son acquiescement aux plaisanteries


ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 759<br />

licencieuses, à l’aveuglement inévitable <strong>et</strong> à la culpabilité partagée. Malgré quelques<br />

allusions au bien que nous fait la reconnaissance du péché <strong>et</strong> à « la mort <strong>de</strong> la<br />

mort » dans la ré<strong>de</strong>mption du mon<strong>de</strong> (sonn<strong>et</strong> 146), malgré aussi la fête <strong>de</strong><br />

l’inventivité que constitue c<strong>et</strong>te suite <strong>de</strong> sonn<strong>et</strong>s qui renouvelle le genre <strong>de</strong> fond<br />

en comble, avec une richesse d’expérience humaine qui excè<strong>de</strong> toute tentative<br />

d’interprétation, Shakespeare regar<strong>de</strong> fixement le mon<strong>de</strong> comme il va, en se<br />

pénétrant du pire, ou du moins du très mauvais, <strong>et</strong> en faisant apparaître l’élan vers<br />

le possible par moments seulement <strong>et</strong> <strong>de</strong> façon partielle.<br />

En écrivant un ouvrage qui s’éloigne <strong><strong>de</strong>s</strong> normes, Shakespeare procè<strong>de</strong> comme<br />

dans les trois pièces « à problème » : Troilus <strong>et</strong> Cressida, Mesure pour mesure <strong>et</strong> Tout<br />

est bien qui finit bien — qui pourraient dater <strong>de</strong> 1601-1604 <strong>et</strong> avoir accompagné<br />

la composition <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> sonn<strong>et</strong>s — où il choisit une perspective difficilement<br />

définissable afin <strong>de</strong> son<strong>de</strong>r la complexité <strong>de</strong> la condition humaine <strong>et</strong> <strong>de</strong> laisser la<br />

possibilité d’en sortir aussi problématique que dans la vie réelle. Il dérange surtout<br />

les dénouements, comme dans les Sonn<strong>et</strong>s, <strong>et</strong> semble réfléchir sur notre besoin<br />

d’une fin satisfaisante. La réflexion se précise dans Troilus <strong>et</strong> Cressida lorsque<br />

Agamemnon suppose que nul <strong><strong>de</strong>s</strong>sein <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes n’atteint sa plénitu<strong>de</strong>, étant<br />

formé « sur la terre, ici-bas », <strong>et</strong> que l’exécution <strong>de</strong> nos entreprises les tire « Bias<br />

and thwart » (« De biais <strong>et</strong> <strong>de</strong> travers »). Il situe ainsi, par une métaphore qui<br />

revient, à la fois les défauts <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages <strong>et</strong> la satire <strong>de</strong> ces défauts. Les<br />

personnages sont aussi insaisissables, par leur inconsistance, que ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> Sonn<strong>et</strong>s,<br />

le sens shakespearien <strong>de</strong> la nature multidimensionnelle <strong>et</strong> contradictoire <strong>de</strong> l’être<br />

humain <strong>de</strong>venant ici une vision <strong>de</strong> l’être, comme <strong>de</strong> l’action, désorganisés. Pensant,<br />

par exemple, à sa première nuit d’amour, imminente, avec Cressida, Troilus<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Pandarus d’être le « Charon » qui lui servira <strong>de</strong> gui<strong>de</strong> vers les délices<br />

<strong>de</strong> la mort. Cressida fait tout pour ne pas le trahir en cédant à Diomè<strong>de</strong>, <strong>et</strong> tout<br />

pour se laisser séduire. Même le jeu habituel entre vers <strong>et</strong> prose <strong>de</strong>vient troublant :<br />

la prose <strong>de</strong> certains personnages brise parfois l’élan <strong>de</strong> la poésie <strong><strong>de</strong>s</strong> autres, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

personnages qui parlent généralement en vers passent dans la prose <strong>de</strong>vant Ajax ou<br />

Thersite. Toute la pièce dévie à la fin. Les amants ne sont pas tragiquement séparés,<br />

puisque Cressida se donne aussitôt à un autre ; Hector ne meurt pas tragiquement,<br />

puisque les Myrmidons lui tombent <strong><strong>de</strong>s</strong>sus quand il est désarmé.<br />

La critique a tendance à y voir le signe <strong>de</strong> la désillusion <strong>de</strong> Shakespeare, le<br />

mon<strong>de</strong> n’ayant plus pour lui ni ordre ni sens, <strong>et</strong> il est vrai que le nombre <strong>de</strong> rôles<br />

satiriques est ici considérable. Mais il est important <strong>de</strong> découvrir la bonne<br />

perspective pour les observer. Thersite, par exemple, pratique moins la satire que<br />

le travestissement : il discerne le grotesque, mais s’aveugle sur tout le reste. Il passe<br />

sa vie à railler, <strong>et</strong> il lui convient que le mon<strong>de</strong> soit méprisable. Il sait qu’au fond<br />

<strong>de</strong> son être se trouvent « <strong>de</strong> l’esprit larvé <strong>de</strong> malveillance <strong>et</strong> <strong>de</strong> la malveillance farcie<br />

d’esprit » ; il reconnaît s’être perdu « dans le labyrinthe <strong>de</strong> [sa] fureur ». On<br />

comprend avec Pandarus que les allusions pornographiques abon<strong>de</strong>nt dans la pièce,<br />

comme dans les Sonn<strong>et</strong>s, à cause <strong>de</strong> l’absence <strong>de</strong> vrai amour. Sa satire, qui va, elle<br />

aussi, <strong>de</strong> travers, vient <strong>de</strong> sa maladie sexuelle, qu’il menace à la fin, par <strong><strong>de</strong>s</strong> paroles


760 MICHAEL EDWARDS<br />

extraordinaires <strong>et</strong> d’une rare violence, <strong>de</strong> transm<strong>et</strong>tre aux spectateurs. Comme les<br />

<strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers sonn<strong>et</strong>s, qui tournent sur les maladies vénériennes <strong>et</strong> sur la fièvre<br />

inextinguible du désir, le poème <strong>de</strong> Pandarus qui termine la pièce renvoie les<br />

spectateurs à leurs propres désirs <strong>et</strong> les engage dans le mon<strong>de</strong> déchu que la pièce<br />

a sondé. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la satire se trouvent aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> signes d’espoir, que l’œuvre <strong>de</strong> la<br />

pièce consiste à m<strong>et</strong>tre discrètement en valeur. Ajax, par exemple, est présenté<br />

comme un chaos <strong>de</strong> contradictions, comme le représentant <strong>de</strong> l’humanité déchue<br />

observé sous l’angle du burlesque, mais après une pause dans son combat singulier<br />

avec Hector il commence soudain à parler en vers, avec humilité <strong>et</strong> courtoisie, à<br />

exprimer le nouvel être qu’il a acquis en observant, chez son cousin, <strong><strong>de</strong>s</strong> qualités<br />

qu’il n’avait jamais rencontrées. Il continue <strong>de</strong> parler en vers jusqu’à la fin, en<br />

guidant les Grecs, dans une p<strong>et</strong>ite scène métaphorique, vers la lumière, <strong>et</strong> en disant<br />

pour la première fois son admiration pour Achille. Ajax, personnage relativement<br />

mineur, se transforme, <strong>et</strong> l’œuvre cachée <strong>de</strong> la pièce aboutit à l’aperçu qu’il offre<br />

d’un changement, d’un possible.<br />

On observe ici la poïèsis <strong>de</strong> Shakespeare, l’art <strong>de</strong> créer, <strong>de</strong> construire, que le poète<br />

partage avec d’autres sortes d’écrivains <strong>et</strong> qui lui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> travailler <strong><strong>de</strong>s</strong> matériaux<br />

même contraires en leur donnant un sens, une direction. Dans Mesure pour mesure<br />

on voit aussi que le poète en Shakespeare écrit certains passages ouvertement<br />

poétiques, qui portent les émotions <strong>de</strong> la pièce <strong>et</strong> qui en suggèrent la forme<br />

signifiante. Lucio, en annonçant que la fiancée <strong>de</strong> Claudio vient d’avoir un enfant,<br />

« sa matrice prodigue » attestant un « labour conjugal » comme la semaison amène<br />

la jachère à la « bonne foison », célèbre la fertilité <strong><strong>de</strong>s</strong> humains comme participant<br />

<strong>de</strong> celle <strong>de</strong> la terre, <strong>et</strong> toute la vie fécon<strong>de</strong> proclamée également par le nombre <strong>de</strong><br />

femmes enceintes que la pièce contient ou mentionne. Il évoque le début <strong>de</strong> la<br />

Genèse <strong>et</strong> le tout premier comman<strong>de</strong>ment : « Soyez féconds, multipliez », <strong>et</strong> fait<br />

penser aux dix-sept premiers sonn<strong>et</strong>s, qui ouvrent, eux aussi, sur l’exubérance au<br />

cœur <strong>de</strong> la création. Le coup <strong>de</strong> génie <strong>de</strong> Shakespeare est <strong>de</strong> faire prononcer ces<br />

vers par Lucio, qui représente l’autre face du désir : la prostitution, les maladies<br />

vénériennes, la séparation entre sexualité <strong>et</strong> amour, en rappelant également l’autre<br />

face <strong><strong>de</strong>s</strong> Sonn<strong>et</strong>s <strong>et</strong> en créant la nostalgie <strong>de</strong> l’innocence. Isabelle, en décrivant le<br />

vignoble puis le jardin par lesquels Angelo l’invite à passer afin <strong>de</strong> faire l’amour<br />

avec lui pour sauver son frère condamné à mort, fait voir que la sexualité corrompue<br />

d’Angelo nie, au cœur même <strong>de</strong> la nature, l’abondante réalité <strong>de</strong> celle-ci, <strong>et</strong> qu’elle<br />

apporte la luxure jusque dans le signe, le refl<strong>et</strong>, <strong>de</strong> l’É<strong>de</strong>n. Shakespeare revient si<br />

souvent à la sexualité parce que son abus frappe le principe même <strong>de</strong> la vie <strong>et</strong> altère<br />

l’élan originel <strong>et</strong> religieux <strong>de</strong> la nature : les Sonn<strong>et</strong>s commencent par l’engendrement<br />

<strong>et</strong> se terminent par les bains chauds où l’on cherche à guérir la syphilis. Le Duc,<br />

finalement, regardant par une fenêtre <strong>de</strong> la prison <strong>et</strong> voyant que l’étoile du berger<br />

l’appelle à sortir ses bêtes <strong>et</strong> qu’il « fait presque jour », aperçoit l’harmonie du Tout<br />

<strong>et</strong> la possibilité du nouveau au moment où il se prépare à dénouer l’action.<br />

Ces trois « poèmes » marquent les trois temps <strong>de</strong> l’œuvre : le bonheur, le malheur<br />

<strong>et</strong> leur dépassement. Celui-ci est rendu possible par une idée, un stratagème, à


ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 761<br />

plusieurs fac<strong>et</strong>tes : la substitution. Tout procè<strong>de</strong> du remplacement temporaire du<br />

Duc par Angelo, appelé à gouverner la ville <strong>de</strong> Vienne pendant son absence. Le<br />

premier stratagème du Duc, qui revient déguisé en moine, est <strong>de</strong> substituer<br />

Marianne à Isabelle dans le lit d’Angelo, dont elle est la fiancée répudiée, <strong>et</strong> le<br />

<strong>de</strong>uxième, d’envoyer à Angelo la tête d’un autre prisonnier à la place <strong>de</strong> celle <strong>de</strong><br />

Claudio. Le poète en Shakespeare lui fait ajouter à ce motif répété <strong>et</strong> salutaire les<br />

substitutions comiques <strong>de</strong> mots perpétrées par le Clown, qui amène au tribunal<br />

« <strong>de</strong>ux bienfaiteurs notoires », <strong>et</strong> une doctrine théologique qui le place dans un<br />

contexte infini <strong>et</strong> éternel. Pour persua<strong>de</strong>r Angelo d’épargner Claudio, Isabelle<br />

soutient qu’il serait condamné lui-même par la loi divine, comme tous les hommes,<br />

si Dieu n’avait pas trouvé un « remè<strong>de</strong> ». En évoquant la Crucifixion au détour<br />

d’un vers, elle indique la réconciliation <strong>de</strong> la justice <strong>et</strong> <strong>de</strong> la miséricor<strong>de</strong> que toute<br />

la pièce recherche, <strong>et</strong> elle termine la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> substitutions. L’œuvre salutaire <strong>de</strong> la<br />

comédie consiste également à transformer le titre <strong>de</strong> la pièce : Mesure pour mesure,<br />

qui commence par ressembler à la loi du talion (« œil pour œil »), mais qui finit<br />

par signifier, grâce à la lecture attentive que Shakespeare semble avoir consacrée à<br />

l’expression dans chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> Synoptiques, la bonne mesure que l’on donne <strong>et</strong> la<br />

très bonne mesure que l’on reçoit. Elle consiste aussi à perm<strong>et</strong>tre aux personnages<br />

<strong>de</strong> se connaître pleinement <strong>et</strong> <strong>de</strong> se renouveler. Angelo se repent, brièvement mais<br />

vraiment. Marianne trouve la profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> son amour, en se donnant à Angelo,<br />

malgré tout le mal qu’elle lui reconnaît, tel qu’il est <strong>et</strong> sans mesure. Isabelle accepte<br />

finalement <strong>de</strong> supplier le Duc d’épargner Angelo, qu’elle croit meurtrier <strong>de</strong> son<br />

frère, en pardonnant sans mesure <strong>et</strong> en se donnant entièrement dans son pardon.<br />

La comédie précise son œuvre lorsque la « résurrection » <strong>de</strong> Claudio impose l’idée<br />

d’une vie après la mort, <strong>et</strong> surtout sur la terre, après la mort du vieux moi.<br />

La critique suppose néanmoins que Shakespeare prend conscience, dans Mesure<br />

pour mesure comme dans Tout est bien qui finit bien, <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> douleurs, <strong>de</strong><br />

désirs, <strong>de</strong> fautes, que la comédie serait inapte à englober. Il est à noter d’abord,<br />

cependant, qu’il explore <strong>et</strong> rej<strong>et</strong>te <strong>de</strong> nouveau, dans l’intrigue secondaire <strong>de</strong> Tout<br />

est bien qui finit bien, la raillerie, lorsque Paroles, menacé <strong>de</strong> mort par <strong><strong>de</strong>s</strong> soldats<br />

qui feignent d’appartenir à l’ennemi, manifeste sa lâch<strong>et</strong>é en trahissant les secr<strong>et</strong>s<br />

<strong>de</strong> son camp. Shakespeare transforme le rire méprisant dont Paroles est la cible, en<br />

lui donnant <strong><strong>de</strong>s</strong> mensonges intarissables regorgeant d’inventivité qui font venir,<br />

sous le rire moqueur, un rire d’allégresse, <strong>et</strong> en lui perm<strong>et</strong>tant, une fois démasqué,<br />

d’accueillir sa disgrâce, <strong>de</strong> se connaître en profon<strong>de</strong>ur, <strong>et</strong> d’accepter, par une<br />

nouvelle humilité, d’être à jamais la cause du rire chez les autres. C<strong>et</strong>te pièce qu’on<br />

appelle communément une comédie sombre, critique <strong>et</strong> rachète l’idée qui fon<strong>de</strong> la<br />

comédie, non pas sur la joie (je ris avec vous), mais sur le ridicule (je ris <strong>de</strong> vous).<br />

Il est vrai que Bertrand, comte <strong>de</strong> Roussillon, est aussi peu aimable que le jeune<br />

aristocrate <strong><strong>de</strong>s</strong> Sonn<strong>et</strong>s. Mais n’est-ce pas parce que la comédie, pour prouver son<br />

aptitu<strong>de</strong> à introduire partout sa vérité, doit prendre le risque d’un héros mauvais ?<br />

La comédie le change, mais pas complètement. En lisant une l<strong>et</strong>tre qui lui prouve<br />

la bonté <strong>et</strong> l’humilité <strong>de</strong> sa femme — qui lui révèle une vie meilleure — « il a


762 MICHAEL EDWARDS<br />

presque été changé, dit un témoin, en un autre homme ». Il entrevoit la conversion<br />

totale <strong>de</strong> l’être, mais il n’est que « presque » changé, <strong>et</strong> cela seulement pendant un<br />

moment. Il se repent <strong>de</strong> ses actions (mépriser Hélène, débaucher Diane, mentir) à<br />

la <strong>de</strong>rnière scène, <strong>et</strong> prom<strong>et</strong> d’aimer toujours <strong>et</strong> ar<strong>de</strong>mment sa femme, mais il<br />

semble hésiter aussi, en attendant <strong>de</strong> savoir si les conditions apparemment<br />

impossibles qu’il avait posées avant <strong>de</strong> se réconcilier avec Hélène ont été satisfaites.<br />

Il <strong>de</strong>meure, comme le jeune homme <strong><strong>de</strong>s</strong> Sonn<strong>et</strong>s, énigmatique, insaisissable.<br />

Il est vrai aussi que la pièce semble partagée entre un conte magique <strong>et</strong> un récit<br />

réaliste. En guérissant le roi d’une maladie incurable, Hélène fait participer à son<br />

acte, par la poésie d’une incantation, la totalité <strong>de</strong> l’univers en mouvement <strong>et</strong> les<br />

fables (les chevaux du soleil, la lampe d’Hespérus) par lesquelles nous l’imaginons.<br />

En se substituant à Diane dans le lit <strong>de</strong> Bertrand, cependant, elle conçoit une ruse<br />

d’un réalisme, disons, médiéval (<strong>et</strong> qui vient, d’ailleurs, <strong>de</strong> Boccace). Mais si nous<br />

sommes conscients <strong>de</strong> passer entre le mon<strong>de</strong> surnaturel intermittent <strong>et</strong> le mon<strong>de</strong><br />

naturel <strong><strong>de</strong>s</strong> convoitises <strong>et</strong> les lâch<strong>et</strong>és, n’est-ce pas ce que Shakespeare cherche ? La<br />

discordance entre <strong><strong>de</strong>s</strong> types d’histoire <strong>et</strong> entre <strong><strong>de</strong>s</strong> styles d’écriture marque l’accès<br />

discontinu <strong>et</strong> provisoire à une réalité supérieure dans notre mon<strong>de</strong>.<br />

Tous ces signes contradictoires culminent dans le dénouement, qui refuse la<br />

profon<strong>de</strong> réconciliation entre Hélène <strong>et</strong> Bertrand à laquelle on s’attend, <strong>et</strong> qui laisse<br />

supposer, malgré le titre <strong>de</strong> la pièce, que tout ne finit pas bien pleinement <strong>et</strong> aussitôt.<br />

Shakespeare a déjà donné à un Deuxième Seigneur anonyme c<strong>et</strong>te pensée pascalienne<br />

avant la l<strong>et</strong>tre : « La trame <strong>de</strong> notre vie est tissée avec <strong><strong>de</strong>s</strong> fils mélangés […] ; nos<br />

vertus seraient fières si nos fautes ne les fou<strong>et</strong>taient pas, <strong>et</strong> nos vices désespéreraient<br />

s’ils n’étaient pas consolés par nos vertus », <strong>et</strong> il semble s’intéresser à écrire une<br />

comédie qui tient parfaitement compte <strong>de</strong> ce qu’elle opère ses transformations <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

êtres <strong>et</strong> <strong>de</strong> la vie entière dans un mon<strong>de</strong> divisé <strong>et</strong> radicalement imparfait. La pièce va<br />

bien <strong>de</strong> la mort vers la vie. Hélène, qui répand la rumeur <strong>de</strong> sa propre mort,<br />

« ressuscite » à la fin, comme le font tant <strong>de</strong> personnages shakespeariens afin <strong>de</strong><br />

représenter <strong>de</strong> la manière la plus n<strong>et</strong>te la transformation qui se situe au cœur <strong>de</strong> son<br />

œuvre, <strong>et</strong> elle est en outre enceinte. Mais en réfléchissant <strong>de</strong> nouveau sur l’idée <strong>de</strong><br />

dénouement, Shakespeare prend au sérieux, dans la pièce qui annonce l’idée dans<br />

son titre, le fait qu’à l’époque finir bien signifiait avant tout mourir bien, <strong>et</strong> que la<br />

vraie fin attendait après la mort. Il freine donc la résolution <strong>et</strong> la joie <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>rnières<br />

scènes afin <strong>de</strong> laisser personnages <strong>et</strong> spectateurs dans le vrai mon<strong>de</strong> contradictoire <strong>et</strong><br />

inaccompli que l’on r<strong>et</strong>rouve en quittant le théâtre.<br />

Dans Cymbeline, finalement, qui pourrait dater <strong>de</strong> 1609-1610 <strong>et</strong> qui figure<br />

parmi ses <strong>de</strong>rnières pièces, Shakespeare réfléchit continuellement sur la poésie <strong>et</strong><br />

sur le théâtre. Quand Iachimo décrit une tapisserie représentant la rencontre<br />

d’Antoine <strong>et</strong> Cléopâtre, où le fleuve Cydnus débor<strong>de</strong> à cause « soit du nombre <strong>de</strong><br />

barques, soit <strong>de</strong> son orgueil », il offre, en quelques mots, une p<strong>et</strong>ite leçon <strong>de</strong><br />

poétique : la recréation du réel la plus convaincante est celle qui respecte les faits.<br />

Lorsqu’il décrit une sculpture représentant le bain <strong>de</strong> Diane, en disant que les


ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 763<br />

figures étaient si vivantes que l’artiste paraissait comme une puissance créatrice qui<br />

« dépassait la nature, / Hormis le mouvement <strong>et</strong> le souffle », il s’étonne que l’art<br />

soit en même temps supérieur à la nature, grâce à sa faculté <strong>de</strong> transformer le<br />

mon<strong>de</strong> par la neuve consonance <strong><strong>de</strong>s</strong> lignes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> volumes — on pourrait ajouter :<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> mots, <strong><strong>de</strong>s</strong> choses évoquées, <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages, <strong><strong>de</strong>s</strong> événements — <strong>et</strong> infiniment<br />

inférieur puisque l’artiste ne dispose pas du principe <strong>de</strong> la vie. L’art ne surpasse la<br />

vie que par sa capacité <strong>de</strong> suggérer, mais non pas <strong>de</strong> créer, une forme <strong>de</strong> vie<br />

supérieure, une terre <strong>et</strong> un ciel renouvelés.<br />

En sondant le théâtre dans Cymbeline, Shakespeare rassemble plusieurs idées <strong>et</strong><br />

pratiques qui sont <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments fondamentaux du génie théâtral. La pièce est<br />

remarquable par le nombre <strong>de</strong> déguisements. Bien <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages shakespeariens,<br />

dans les comédies comme dans les tragédies, se trouvent en se perdant sous <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>de</strong>hors d’emprunt, la voie vers l’être vrai passant nécessairement, dans un mon<strong>de</strong><br />

où l’être est en partie effacé, par l’être-autre. En voulant mourir vaillamment « To<br />

shame the guise o’ th’ world » (« Pour couvrir <strong>de</strong> honte les façons du mon<strong>de</strong> »),<br />

Posthumus fait penser que se dé-guiser, c’est refuser la guise, l’apparence d’un<br />

mon<strong>de</strong> corrompu, <strong>et</strong> chercher en soi, sous une autre apparence, le nouvel être dont<br />

le mon<strong>de</strong> aussi a besoin. Shakespeare associe l’acte <strong>de</strong> se déguiser à celui <strong>de</strong> passer,<br />

durant la pièce, dans une secon<strong>de</strong> réalité, comme le bois près d’Athènes dans Le<br />

Songe d’une nuit d’été, par exemple, ou la Bohême dans Le Conte d’hiver, lieux à la<br />

fois réels <strong>et</strong> autres qui sont l’occasion pour les personnages <strong>de</strong> découvrir d’autres<br />

dimensions du vécu <strong>et</strong> <strong>de</strong> changer, avant <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ourner dans le mon<strong>de</strong> ordinaire<br />

transformé par leur aventure. Dans Cymbeline, tous les personnages principaux se<br />

trouvent en se hasardant au pays <strong>de</strong> Galles. Shakespeare semble suggérer aussi que<br />

le théâtre même est un déguisement, qu’il fait honte aux usages du mon<strong>de</strong> en<br />

s’habillant d’une fiction à la fois heuristique <strong>et</strong> transfiguratrice, comme il est un<br />

lieu autre où les spectateurs peuvent également se trouver en changeant, avant <strong>de</strong><br />

sortir dans un mon<strong>de</strong> familier rendu étrange par la vision théâtrale. D’où la<br />

présence, dans c<strong>et</strong>te pièce qui constitue un résumé <strong>de</strong> son œuvre, d’un masque<br />

— rêve <strong>de</strong> Posthumus matérialisé <strong>de</strong>vant les spectateurs, où Jupiter <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> fantômes<br />

renforcent l’impression que participe à la pièce une puissance surnaturelle, une<br />

sorte <strong>de</strong> hasard provi<strong>de</strong>ntiel — <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> obsèques d’Imogène, que l’on croit morte<br />

mais qui n’est que droguée, qui ne sont pas nécessaires à l’action, mais qui<br />

représentent parfaitement le simulacre qu’est le théâtre, la fiction visible qu’il fait<br />

dérouler <strong>de</strong>vant nous. Avec la « résurrection » d’Imogène, finalement, <strong>et</strong> l’eff<strong>et</strong><br />

cumulatif, dans le dénouement, d’une série <strong>de</strong> révélations qui surprennent les<br />

personnages <strong>et</strong> qui peuvent étonner à un autre niveau les spectateurs, pourtant déjà<br />

dans les secr<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l’intrigue, nous pouvons trouver mystérieux, étrange, merveilleux,<br />

le mon<strong>de</strong> néanmoins explicable qui se révèle peu à peu, en nous disant que c’est<br />

peut-être cela, la poésie : l’apparition quasi magique <strong>de</strong> ce qui est.<br />

Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième heure : Le Bonheur d’être ici, procéda également d’une<br />

réflexion déjà entamée, dans une communication <strong>de</strong> 2003 sur Clau<strong>de</strong>l <strong>et</strong> Bau<strong>de</strong>laire<br />

lors d’un congrès <strong>de</strong> l’Association Guillaume Budé, où j’avais mis en opposition


764 MICHAEL EDWARDS<br />

<strong>de</strong>ux expressions : « le bonheur d’être ici » <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong>l (dans « Un après-midi à<br />

Cambridge ») <strong>et</strong> « N’importe où hors du mon<strong>de</strong> » <strong>de</strong> Bau<strong>de</strong>laire (dans Le Spleen<br />

<strong>de</strong> Paris). Sans représenter intégralement la réflexion <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux poètes, elles<br />

expriment à la perfection <strong>de</strong>ux convictions existentielles : ou bien qu’ici est le lieu<br />

où vivre, en nous rapprochant <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres <strong>et</strong> du mon<strong>de</strong>, ou bien que le malheur <strong>de</strong><br />

l’ici nous oblige à chercher ailleurs le bonheur, le nouveau, le possible, l’inconnu.<br />

Je voulais étudier, dans le <strong>cours</strong>, comment la littérature, <strong>et</strong> accessoirement la<br />

peinture <strong>et</strong> la musique, découvrent <strong>et</strong> chantent le bonheur <strong>de</strong> l’ici dans un mon<strong>de</strong><br />

trop évi<strong>de</strong>mment malheureux <strong>et</strong> mala<strong>de</strong>, en examinant une variété <strong>de</strong> perspectives<br />

sur la question dans plusieurs ouvrages fort différents les uns <strong><strong>de</strong>s</strong> autres, <strong>et</strong> en<br />

réfléchissant à l’origine du mot bonheur, qui laisse penser que le bonheur vise<br />

l’avenir, <strong>et</strong> qu’être heureux, ce serait se trouver l’obj<strong>et</strong> d’un « présage favorable »<br />

qui commence déjà à se réaliser.<br />

Lors du célèbre acci<strong>de</strong>nt qu’il raconte au <strong>de</strong>uxième chapitre <strong><strong>de</strong>s</strong> Rêveries du<br />

promeneur solitaire (1782), Rousseau, renversé par un chien danois, perd<br />

connaissance <strong>et</strong> n’est conscient, quand il revient à lui, que du « ciel », <strong>de</strong> « quelques<br />

étoiles » <strong>et</strong> d’un « peu <strong>de</strong> verdure ». Il ne connaît que le « moment présent », <strong>et</strong> il<br />

dit même : « Je naissais dans c<strong>et</strong> instant à la vie. » Il existe une curieuse ressemblance<br />

entre c<strong>et</strong>te « naissance » <strong>et</strong> celle d’Adam dans Le Paradis perdu <strong>de</strong> Milton, telle qu’il<br />

la décrit pour l’ange Raphaël au livre 8. Adam pense se réveiller « du plus profond<br />

sommeil », il se trouve couché « sur l’herbe fleurie » <strong>et</strong> tourne les yeux « vers le<br />

ciel » afin <strong>de</strong> contempler « l’ample firmament ». Il dit, exactement comme<br />

Rousseau : « je ne savais ni qui j’étais ni où j’étais », <strong>et</strong> comme Rousseau éprouve<br />

un « calme ravissant », il regar<strong>de</strong> en haut avec <strong><strong>de</strong>s</strong> « yeux émerveillés ». Milton<br />

imagine, dans l’É<strong>de</strong>n, un bonheur d’être ici absolu <strong>et</strong> à peine concevable, dont il<br />

nous sait exclu ; Rousseau opère dans le mon<strong>de</strong> réel <strong>de</strong> la Chute <strong>et</strong> du malheur.<br />

S’il ne sent « ni mal, ni crainte, ni inquiétu<strong>de</strong> », il a néanmoins reçu <strong>de</strong> multiples<br />

blessures ; il voit l’É<strong>de</strong>n : la terre d’ici <strong>et</strong> la profon<strong>de</strong>ur du ciel nocturne, lorsque<br />

le malheur du mon<strong>de</strong> est pleinement présent, y compris la mort, un carrosse qui<br />

suivait le chien ayant failli lui passer sur le corps. Il est à remarquer finalement<br />

qu’il situe avec précision c<strong>et</strong>te expérience quasi mystique dans le temps <strong>et</strong> le lieu,<br />

en notant que cela lui arriva le « jeudi 24 octobre 1776 […] sur les 6 heures »,<br />

dans « la <strong><strong>de</strong>s</strong>cente <strong>de</strong> Ménilmontant presque vis-à-vis du Galant Jardinier ». Il place<br />

c<strong>et</strong>te révélation transcendante dans la trame du réel ordinaire, c<strong>et</strong> ici essentiel dans<br />

l’ici banal où il trouve son sens.<br />

Pour bien comprendre « Song of the Open Road » (« Chant <strong>de</strong> la route libre »),<br />

que le poète américain Walt Whitman ajouta à la <strong>de</strong>uxième édition (1856) <strong>de</strong> ses<br />

Leaves of Grass (Feuilles d’herbe), il convient <strong>de</strong> remarquer qu’il reprend, dans les<br />

premiers vers, les <strong>de</strong>rniers vers du Paradis perdu. Pour Milton, Adam <strong>et</strong> Ève<br />

découvrent que, malgré leur expulsion <strong>de</strong> l’É<strong>de</strong>n, « The world was all before them »<br />

(« Le mon<strong>de</strong> entier s’étendait <strong>de</strong>vant eux ») ; Whitman, s’élançant sur la route <strong>de</strong><br />

la vie, se trouve, dit-il, « free, the world before me » (« libre, le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>vant moi »).<br />

Si Adam <strong>et</strong> Ève avancent, cependant, « à pas incertains <strong>et</strong> lents », Whitman a « le


ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 765<br />

cœur léger », <strong>et</strong> au lieu <strong>de</strong> se laisser gui<strong>de</strong>r par la « Provi<strong>de</strong>nce », il « choisit » sa<br />

direction, le chemin « me conduisant, dit-il, là où je veux ». Le vieux poète sent la<br />

présence <strong>de</strong> Dieu <strong>et</strong> reconnaît la tristesse d’un mon<strong>de</strong> compromis ; le nouveau<br />

poète que Whitman représente n’a pas besoin <strong>de</strong> Dieu, cherche avant tout le<br />

bonheur, <strong>et</strong> transforme la prosodie <strong>et</strong> la syntaxe <strong>de</strong> Milton en adoptant la liberté<br />

autre du vers<strong>et</strong> <strong>et</strong> d’une suite <strong>de</strong> phrases peu construites par la grammaire. (Il est<br />

instructif, <strong>et</strong> pas seulement pour l’histoire littéraire <strong>et</strong> l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> idées, <strong>de</strong><br />

noter que Wordsworth aussi revient aux <strong>de</strong>rniers vers du Paradis perdu dans les<br />

premiers vers du Prélu<strong>de</strong>, publié après sa mort en 1850, dans un désir semblable,<br />

mais différent, d’aggiornamento.) Pour Whitman, la terre est « suffisante »,<br />

« inépuisable » — d’où les nombreux catalogues qui s’enthousiasment du grain, du<br />

toucher, <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s du mon<strong>de</strong> — <strong>et</strong> en continuelle expansion. Il est convaincu que<br />

« L’est <strong>et</strong> l’ouest sont miens, <strong>et</strong> le nord <strong>et</strong> le sud sont miens », selon une exubérance<br />

<strong>de</strong> l’âme qui regar<strong>de</strong>, non pas <strong><strong>de</strong>s</strong> paysages, mais une géographie, non pas un pays,<br />

mais un continent, <strong>et</strong> qui remplace, en l’imitant, le mysticisme chrétien. Il est<br />

persuadé aussi, cependant, <strong>de</strong> la dimension « inaperçue » <strong>et</strong> « divine » du mon<strong>de</strong>,<br />

<strong>et</strong> qu’il ne nous est pas indifférent. « L’émanation <strong>de</strong> l’âme est le bonheur, écrit-il,<br />

le bonheur est ici, / Je pense qu’il se répand dans l’air, en attente à tous moments,<br />

/ Maintenant il pénètre en nous. » Le bonheur n’est pas une émotion, un état :<br />

c’est le mouvement <strong>de</strong> l’être vers ce qui est, <strong>et</strong> le mouvement <strong>de</strong> ce qui est vers<br />

nous. Conscient <strong>de</strong> ce qu’il doit à c<strong>et</strong>te réciprocité, Whitman s’adresse ainsi au<br />

mon<strong>de</strong> : « Toi, air qui me sers du souffle afin que je parle ! / Vous, obj<strong>et</strong>s qui<br />

appelez dans leur état diffus mes significations <strong>et</strong> qui leur donnez forme ! » Ce n’est<br />

plus le poète qui appelle les choses par leur nom, ni qui appelle le mon<strong>de</strong> pour<br />

qu’il vienne dans le poème, mais les obj<strong>et</strong>s qui appellent ce qui flotte dans l’esprit<br />

du poète. Donne forme, selon c<strong>et</strong>te poétique sage qui mérite que l’on y réfléchisse,<br />

non pas en premier lieu le travail que le poète effectue sur la langue <strong>et</strong> sur le vers,<br />

mais le rapport <strong>de</strong> plus en plus exact entre le poète <strong>et</strong> certaines présences du<br />

mon<strong>de</strong>. Même si on sent chez Whitman quelque optimisme « victorien » difficile<br />

à adm<strong>et</strong>tre, il trouve sûrement le bonheur d’être ici dans un aller continu, dans<br />

une réaction incessante à tout ce que font glisser vers nous le temps <strong>et</strong> l’espace.<br />

Il est utile aussi <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r les œuvres qui semblent plongées dans la misère,<br />

mais qui réussissent à évoquer le bonheur. L’Enfer <strong>de</strong> Dante concerne bien le<br />

malheur <strong>de</strong> l’ici : il son<strong>de</strong> moins la souffrance <strong><strong>de</strong>s</strong> damnés qu’il ne crée un angle<br />

<strong>de</strong> vue infernal sur la vie terrestre (en attendant les angles <strong>de</strong> vue purificateur puis<br />

paradisiaque <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux autres cantiques). Puisqu’il parle néanmoins <strong>de</strong> la vie après<br />

la mort <strong>et</strong> d’un lieu inconnu que nous peinons à imaginer, Dante se sert<br />

constamment <strong>de</strong> comparaisons avec notre vie, afin d’illuminer l’étrange par le<br />

familier. A-t-on remarqué, cependant, à quel point ces comparaisons sont<br />

nombreuses ? Et a-t-on compris, avec précision, leur rôle ? Pour T.S. Eliot, elles<br />

servent à nous faire voir plus clairement l’action que Dante raconte, comme lorsque<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> ombres prises sous une pluie <strong>de</strong> feu regar<strong>de</strong>nt Dante <strong>et</strong> Virgile en clignant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

yeux, « comme le vieux tailleur » qui cherche « le chas <strong>de</strong> l’aiguille » (chant 15).


766 MICHAEL EDWARDS<br />

Oui, mais le rapport avec la réalité ordinaire est bien plus complexe. Beaucoup <strong>de</strong><br />

comparaisons nous sortent <strong>de</strong> l’enfer pour nous placer dans l’ici malheureux.<br />

Virgile ordonne à Dante, par exemple, <strong>de</strong> monter sur le dos du monstre Géryon,<br />

<strong>et</strong> Dante écrit : « Tel celui qui, sentant le premier frisson <strong>de</strong> la fièvre quarte, a déjà<br />

les ongles blêmes <strong>et</strong> tremble tout entier en regardant l’ombre, tel je <strong>de</strong>vins à<br />

entendre ces paroles » (chant 17). Le monstre appartient au mythe <strong>et</strong> au cauchemar ;<br />

la fièvre quarte nous ramène à nos maladies dangereuses. Si le lecteur rencontre,<br />

cependant, bien <strong><strong>de</strong>s</strong> malheurs réels par l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> ces comparaisons, il rencontre<br />

aussi <strong>de</strong> très nombreux bonheurs. Au chant 16, par exemple, Dante sort d’un<br />

cercle <strong>de</strong> l’enfer : « J’étais déjà au lieu, écrit-il, où s’entendait le bruit <strong>de</strong> l’eau qui<br />

tombait dans l’autre cercle, pareil au bourdonnement que font les ruches. » Géryon<br />

commence son vol avec Virgile <strong>et</strong> Dante sur le dos, « Comme le p<strong>et</strong>it bateau sort<br />

du port à reculons », le p<strong>et</strong>it bateau (navicella), dans c<strong>et</strong>te scène agréable <strong>de</strong> bord<br />

<strong>de</strong> mer, étant même le contraire du monstre gigantesque. Dante fait dérouler<br />

<strong>de</strong>vant le lecteur, au fond <strong>de</strong> l’enfer, <strong><strong>de</strong>s</strong> moments <strong>de</strong> bonheur simple dans la vie<br />

ordinaire, <strong>et</strong> certaines comparaisons parlent même d’un malheur qui se transforme<br />

en bonheur. La plus extraordinaire occupe les quinze premiers vers du chant 24,<br />

<strong>et</strong> décrit « la très jeune année » où un villageois qui, prenant du givre pour <strong>de</strong> la<br />

neige, se lamente <strong>de</strong> ne pas pouvoir sortir ses troupeaux, r<strong>et</strong>rouve « l’espoir » un<br />

peu plus tard, en comprenant son erreur <strong>et</strong> en voyant que, sous l’eff<strong>et</strong> du soleil,<br />

« le mon<strong>de</strong> a changé <strong>de</strong> face ». Puisque la chose à comparer est toute simple <strong>et</strong> se<br />

dit en trois vers : Virgile se fâche d’avoir manqué le chemin, puis se calme en le<br />

trouvant, ce long passage existe pour parler <strong>de</strong> la vie à la campagne, <strong>et</strong> pour évoquer<br />

l’espoir, <strong>et</strong> la possibilité, même au fond <strong>de</strong> notre enfer, que le mon<strong>de</strong> change <strong>de</strong><br />

face. La <strong>de</strong>rnière image <strong>de</strong> l’Enfer : « je vis les belles choses que porte le ciel, par<br />

un pertuis rond. Et par là nous sortîmes à revoir les étoiles », est également l’image<br />

<strong>de</strong> ce que fait Dante dans son poème : abîmé dans le malheur <strong>et</strong> même l’enfer<br />

d’être ici, il ouvre sans cesse <strong><strong>de</strong>s</strong> fenêtres sur le bonheur <strong>et</strong> la beauté.<br />

Proust œuvre <strong>de</strong> manière semblable dans le récit merveilleusement stratifié <strong>de</strong> La<br />

Prisonnière (1923), qui ressemble à un cercle <strong>de</strong> l’Enfer par les sombres observations<br />

sur l’amour, le désir, le rêve, par la présence <strong>de</strong> la maladie, <strong>de</strong> la mort <strong>et</strong> surtout<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> mensonges incessants d’Albertine <strong>et</strong> du narrateur, mais où le bonheur d’être ici<br />

intervient souvent <strong>de</strong> façon soudaine, comme dans l’impatience <strong>de</strong> Bergotte <strong>de</strong>vant<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> tableaux d’un art factice « qui ne valait pas les courants d’air <strong>et</strong> <strong>de</strong> soleil d’un<br />

palazzo <strong>de</strong> Venise, ou d’une simple maison au bord <strong>de</strong> la mer ». L’art authentique<br />

est celui qui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> trouver un plaisir plus riche dans le réel commun : air,<br />

soleil, maison, mer, en le recréant comme le fait Proust, par ces « courants […] <strong>de</strong><br />

soleil », par c<strong>et</strong>te parole neuve qui fait voir à nouveau les refl<strong>et</strong>s ondoyants renvoyés<br />

par l’eau. L’intérêt du passage sur la mort <strong>de</strong> Bergotte ne se résume pas, en eff<strong>et</strong>,<br />

au « p<strong>et</strong>it pan <strong>de</strong> mur jaune » tant commenté, <strong>et</strong> il culmine dans les réflexions du<br />

narrateur, qui commencent ainsi : abattu, Bergotte « roula du canapé par terre<br />

[…]. Il était mort. Mort à jamais ? Qui peut le dire ? » Les <strong>de</strong>ux questions sont<br />

imprévisibles <strong>et</strong> étonnantes, <strong>et</strong> le narrateur continue en disant que, si rien ne


ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 767<br />

prouve que l’âme subsiste, « tout se passe dans notre vie comme si nous y entrions<br />

avec le faix d’obligations contractées dans une vie antérieure ». La préexistence ne<br />

nous incite pas à nous élever jusqu’aux Idées platoniciennes, mais à respecter une<br />

certaine morale : faire du bien, être délicats, malgré le fait qu’il n’y a aucune raison<br />

dans notre vie sur terre « pour que nous nous croyions obligés […] même à être<br />

polis », <strong>et</strong> cela s’étend aussi à la vocation artistique, « l’artiste athée » n’ayant pas<br />

<strong>de</strong> raison non plus, « dans nos conditions <strong>de</strong> vie », <strong>de</strong> se croire tenu à « recommencer<br />

vingt fois un morceau ». Il ne s’agit pas ici <strong><strong>de</strong>s</strong> vertus salvatrices <strong>de</strong> l’art — au<br />

contraire : un certain bonheur émane <strong>de</strong> la pensée que nous obéissons à <strong><strong>de</strong>s</strong> lois<br />

inconnues, <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’intuition <strong>de</strong> la simple possibilité qu’il existe un autre mon<strong>de</strong>,<br />

intuition qui ne vient pas, comme ailleurs dans À la recherche du temps perdu, <strong>de</strong><br />

l’art, mais du sentiment <strong>de</strong> l’obligation. Il ne s’agit pas non plus <strong>de</strong> la survie <strong>de</strong><br />

l’œuvre <strong>et</strong> du nom, mais <strong>de</strong> la personne. Dans ce passage inséré au sein du roman,<br />

Proust s’aventure dans une autre sorte <strong>de</strong> spéculation, dans un « comme si » qui<br />

semble le travailler <strong>et</strong> qui ouvre l’ouvrage à un autre genre <strong>de</strong> possible. S’il le place<br />

ici, ce n’est pas pour fournir encore un exemple <strong>de</strong> la duplicité d’Albertine (dont<br />

le mensonge fait que le narrateur se trompe sur la date exacte <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong><br />

Bergotte), mais pour que c<strong>et</strong>te duplicité ajoute au passage une signification<br />

supplémentaire, en le situant dans le malheur du mon<strong>de</strong> connu.<br />

L’Ecclésiaste peut étonner encore davantage. Dans c<strong>et</strong> opuscule <strong>de</strong> l’Ancien<br />

Testament dont on r<strong>et</strong>ient surtout le refrain : « Vanité <strong><strong>de</strong>s</strong> vanités, tout est vanité »,<br />

l’auteur considère avec acuité <strong>de</strong> nombreuses fac<strong>et</strong>tes du malheur d’être ici, mais à<br />

la lumière du récit, dans la Genèse, <strong>de</strong> la désobéissance d’Adam <strong>et</strong> Ève <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur<br />

punition. Il se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si nous sommes <strong><strong>de</strong>s</strong>tinés à toujours travailler <strong>et</strong> mourir, <strong>et</strong><br />

il pose sans cesse une question pertinente : « Quel avantage revient-il à l’homme<br />

<strong>de</strong> tout le travail qu’il fait sous le soleil ? » Il ne trouve pas <strong>de</strong> sortie, mais il aperçoit<br />

un début <strong>de</strong> réponse en réfléchissant au mot hébreu towb, <strong>et</strong>, semble-t-il, au fait<br />

que dans le récit <strong>de</strong> la Création, où Dieu vit que tout ce qu’il créa fut towb, une<br />

multiplicité <strong>de</strong> sens qui sont, pour nous, séparés — bon, beau, vrai, réel, <strong>et</strong> que<br />

savons-nous encore ? — s’associaient dans l’unité originelle. En examinant « ce<br />

qu’il est bon (towb) pour les fils <strong>de</strong> l’homme <strong>de</strong> faire sous les cieux », il cherche ce<br />

qui <strong>de</strong>meure accessible <strong>de</strong> ce towb <strong>de</strong> l’origine. Sa réponse : « il est bon (towb) pour<br />

un homme <strong>de</strong> manger <strong>et</strong> <strong>de</strong> boire <strong>et</strong> <strong>de</strong> se réjouir <strong>de</strong> son travail », peut paraître<br />

décevante, si l’on ne comprend pas qu’il trouve un bonheur d’être ici dans<br />

l’approfondissement quotidien <strong>de</strong> la réalité ordinaire, qu’il s’enthousiasme en<br />

revenant constamment à l’idée pour lui ajouter <strong>de</strong> nouvelles précisions, <strong>et</strong> qu’il<br />

« loue la joie », ce qui donne <strong>de</strong> l’auteur une image très différente <strong>de</strong> celle d’un<br />

mélancolique désabusé <strong>de</strong> tout. En voyant que c’est Dieu qui « donne… la joie »,<br />

il transforme sa notion du temps ennuyeux, où tout revient <strong>et</strong> rien n’est nouveau,<br />

pour dire que Dieu préserve le passé <strong>et</strong> qu’il « fait toute chose belle en son temps »,<br />

ou, pour le redire dans une autre sorte <strong>de</strong> dis<strong>cours</strong> : rien n’est perdu, le passé revit<br />

dans le présent comme il revivra à l’avenir, <strong>et</strong> il est possible <strong>de</strong> rach<strong>et</strong>er le temps<br />

qui passe, <strong>de</strong> valoriser chaque moment du vécu. Même sa perspective sur la sagesse


768 MICHAEL EDWARDS<br />

change dès qu’il s’aperçoit qu’elle est supérieure à la folie comme la lumière aux<br />

ténèbres (autre allusion au début <strong>de</strong> la Genèse), <strong>et</strong> qu’elle « donne la vie » à ceux<br />

qui la possè<strong>de</strong>nt. Un ouvrage apparemment assombri par le pessimisme<br />

recomman<strong>de</strong>, comme une obligation réjouissante, le bonheur terrestre sous le signe<br />

<strong>de</strong> la « crainte » <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’« écoute » <strong>de</strong> Dieu, ou du Réel, <strong>et</strong> le rédacteur du texte finit<br />

par dire que l’auteur <strong>de</strong> ce « grand nombre <strong>de</strong> sentences » choisit ses mots « pour<br />

donner du plaisir ».<br />

Un poème <strong>de</strong> l’Ancien Testament, le passage du troisième chapitre <strong>de</strong> Daniel qui<br />

figure seulement dans la Bible grecque, mais qui est <strong>de</strong>venu le Benedicite <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

liturgies romaine <strong>et</strong> anglicane, peut ai<strong>de</strong>r à réfléchir sur certaines questions<br />

concernant l’ici <strong>et</strong> son bonheur. Pourquoi reconnaissons-nous l’obligation (pour<br />

rappeler Proust) <strong>de</strong> conserver les espèces ? Les p<strong>et</strong>ites choses sont-elles importantes ?<br />

— l’activité dans la rue au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> nos fenêtres, une lumière d’hiver qui argente<br />

les quais <strong>et</strong> qui <strong>de</strong>vient visible sur les vaguel<strong>et</strong>tes <strong>de</strong> la Seine — ou faut-il penser<br />

comme Fénelon, dans le <strong>de</strong>uxième <strong><strong>de</strong>s</strong> trois Dialogues sur l’éloquence (en utilisant,<br />

peut-être, un autre vocabulaire), que <strong>de</strong>puis « le péché originel, l’homme est tout<br />

enfoncé dans les choses sensibles ; c’est là son grand mal : il ne peut être longtemps<br />

attentif à ce qui est abstrait » ? Les détails du corps du mon<strong>de</strong> sont-ils à connaître<br />

<strong>et</strong> à aimer, ou le corps humain <strong>et</strong> la réalité matérielle sont-ils pour nous une<br />

prison ? Dans le Benedicite, les trois jeunes Hébreux que Nabuchodonosor a fait<br />

j<strong>et</strong>er dans une fournaise ar<strong>de</strong>nte, mais que les flammes épargnent, commencent par<br />

bénir Dieu avant <strong>de</strong> se lancer dans un chant passionné où ils <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt à tous<br />

les phénomènes <strong>de</strong> l’univers d’en faire autant. Ils s’adressent aux anges, aux cieux,<br />

au soleil, à la lune, puis tout à coup aux « Pluies <strong>et</strong> rosées », aux « Vents », aux<br />

« Feux <strong>et</strong> chaleurs <strong>de</strong> l’été », aux « Froids <strong>et</strong> rigueurs <strong>de</strong> l’hiver ». Ils passent <strong>de</strong><br />

façon vertigineuse entre les choses gran<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> p<strong>et</strong>ites, en associant « Lumière <strong>et</strong><br />

ténèbres » <strong>et</strong> « Rosées <strong>et</strong> bruines », « Mers <strong>et</strong> fleuves » <strong>et</strong> « fontaines ». Ils<br />

s’émerveillent <strong>de</strong> l’ici, <strong><strong>de</strong>s</strong> choses toutes proches : gelées, glaces, neiges, en prenant<br />

plaisir à s’enfoncer dans les choses sensibles. En parcourant c<strong>et</strong>te tout autre lecture<br />

<strong>de</strong> la Genèse, qui exalte les créatures en même temps qu’il les invite à exalter Dieu,<br />

on comprend pourquoi le chant est précédé <strong>de</strong> la prière <strong>de</strong> l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> trois adolescents,<br />

une confession, non pas personnelle mais collective, qui reconnaît que Dieu a agi<br />

avec justice en punissant les Hébreux par la captivité babylonienne. L’acte <strong>de</strong> se<br />

m<strong>et</strong>tre en rapport avec l’universalité du mon<strong>de</strong> ambiant est encore plus joyeux si<br />

l’on s’en sentait auparavant tout à fait séparé, <strong>et</strong> le moyen <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> la misère <strong>et</strong><br />

du désespoir se révèle être, précisément, <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> soi. Faire appel aux éclairs,<br />

aux nuages, aux poissons, aux baleines, c’est créer, non pas une conscience <strong>de</strong> soi,<br />

mais une conscience incessante <strong>de</strong> l’autre, un mouvement continu vers ce que<br />

Wordsworth appelle « les présences <strong>de</strong> la Nature » qui perm<strong>et</strong> à la personne <strong>de</strong> se<br />

comprendre dans ses relations avec le Tout. Donner ainsi à toute chose une<br />

importance en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> nous dans un ensemble numineux, c’est apercevoir<br />

l’É<strong>de</strong>n, le bonheur d’un ici immense <strong>et</strong> harmonieux. Notons finalement la<br />

profon<strong>de</strong>ur ici <strong>de</strong> l’acte poétique : en chantant ensemble leur poème, les trois


ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 769<br />

adolescents évitent le lyrisme du moi ; en disant une poésie vocative, comme celle<br />

<strong>de</strong> Whitman, ils créent un rapport chaleureux entre le mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> ce qu’il y a <strong>de</strong><br />

plus profond en eux ; en visant, du cœur du feu créateur, la totalité <strong><strong>de</strong>s</strong> créatures<br />

qu’ils ne voient pas, ils renouvellent le mon<strong>de</strong> par la mémoire, l’imagination <strong>et</strong> la<br />

parole poétique.<br />

Certains ouvrages à moitié légendaires suggèrent à la fois le bonheur du réel <strong>et</strong> le<br />

bonheur du possible : les Voyages, par exemple, <strong>de</strong> John Man<strong>de</strong>ville. Écrit en anglonormand<br />

vers 1356, il figure parmi ces œuvres « françaises » peu connues en <strong>France</strong><br />

qu’un <strong><strong>de</strong>s</strong> plaisirs <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te chaire a été <strong>de</strong> rem<strong>et</strong>tre en valeur. Le livre commence<br />

comme un gui<strong>de</strong> pour les pèlerins <strong>de</strong> la « Terre <strong>de</strong> promesse », mais Man<strong>de</strong>ville<br />

quitte bientôt la géographie réelle afin <strong>de</strong> voyager, en imagination, vers son idée <strong>de</strong><br />

« l’Asie profon<strong>de</strong> », vers les royaumes du Grand Khan <strong>et</strong> <strong>de</strong> Prêtre Jean. Les<br />

« merveilles » qu’il raconte, qui sont d’abord <strong><strong>de</strong>s</strong> villes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> églises, <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong><br />

plus en plus prodigieuses, <strong>et</strong> leur nombre même se révèle démesuré, Man<strong>de</strong>ville<br />

signalant qu’il lui est impossible <strong>de</strong> les raconter toutes, comme il souligne par ailleurs<br />

la multiplicité <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres vivants qui peuplent le mon<strong>de</strong> selon l’élan irrépressible <strong>de</strong> la<br />

Création. En s’aventurant, non pas dans l’au-<strong>de</strong>là, mais dans ce qu’il appelle le « par<br />

<strong>de</strong>là », il découvre, à l’extrême orient <strong>de</strong> notre désir, le Paradis terrestre, qui est relié<br />

au mon<strong>de</strong> familier par ses fleuves qui divisent les terres <strong>de</strong> Prêtre Jean en plusieurs<br />

régions, <strong>et</strong> qui alimentent même le Nil <strong>et</strong> « toutes les eaux douces du mon<strong>de</strong> ». Ce<br />

désir étrange <strong>de</strong> croire que le Paradis est encore présent quelque part sur la terre vient<br />

sans doute en partie <strong>de</strong> notre impression que le mon<strong>de</strong> se présente réellement, par<br />

moments, comme édénique, grâce à une certaine lumière, ou à la beauté émerveillante<br />

<strong>de</strong> certains lieux. Le Paradis est <strong>de</strong> toute façon inaccessible — pour aller vers c<strong>et</strong>te<br />

clarté parfaite, il faudrait traverser « la région ténébreuse où l’on ne pourrait voir ni<br />

<strong>de</strong> jour ni <strong>de</strong> nuit » — <strong>et</strong> en écrivant un récit <strong>de</strong> voyage qui est en même temps un<br />

conte magique, Man<strong>de</strong>ville évoque le caractère fictif du réel, auquel nous mélangeons<br />

toujours notre imagination ou, au pire, notre fantaisie, <strong>et</strong> il laisse supposer que le réel<br />

cherche un sens — ici, la présence-absence du Paradis — comme une œuvre cherche<br />

un sens à composer. Puis, s’étant émerveillé du réel <strong>et</strong> <strong>de</strong> son possible, il r<strong>et</strong>ourne en<br />

Europe, au mon<strong>de</strong> familier, comme plus tard tant <strong>de</strong> personnages shakespeariens, à<br />

une réalité qu’il définit avec un certain génie. Il revient en vue <strong>de</strong> son ouvrage : « j’ai<br />

mis ces choses-là en écrit », <strong>et</strong> pour être mala<strong>de</strong> : il souffre <strong>de</strong> la goutte articulaire.<br />

Conscient que la Merveille n’abolit pas la maladie <strong>et</strong> la mort, il reconnaît en même<br />

temps le bonheur <strong>et</strong> le malheur d’être ici, <strong>et</strong> il termine en <strong>de</strong>mandant à ses lecteurs<br />

<strong>de</strong> prier Dieu <strong>de</strong> lui pardonner ses péchés. Après son grand voyage dans le fabuleux<br />

du possible, il revient au vrai lieu <strong>de</strong> l’écriture, au moi qui souffre <strong>et</strong> qui reconnaît ce<br />

dont il a besoin.<br />

La profon<strong>de</strong>ur du bonheur quotidien vient <strong>de</strong> ce que le vécu ne donne pas<br />

seulement, comme le rêve ou la recherche <strong>de</strong> l’idéal, sur autre chose, mais qu’il l’attire<br />

aussi dans la trame <strong><strong>de</strong>s</strong> événements <strong>et</strong> le temps qui passe. Le bain <strong>de</strong> mer, par exemple,<br />

que Valéry évoque dans une sorte <strong>de</strong> poème en prose inclus dans les Cahiers pour<br />

1921, <strong>de</strong>vient l’expérience d’un grand Tout, d’une « immense plage », d’un « ciel


770 MICHAEL EDWARDS<br />

énorme », <strong>et</strong> surtout d’une « eau universelle » <strong>et</strong> d’un « jeu divin » où les adjectifs ne<br />

décrivent pas les substantifs mais les développent. « Se mouvoir dans le mouvement »,<br />

c’est <strong>de</strong>venir un esprit <strong>et</strong> un corps qui œuvrent ensemble, ressentir dans le tréfonds<br />

<strong>de</strong> l’être incessant l’animation <strong>de</strong> toutes choses, se trouver ici <strong>et</strong> en même temps dans<br />

une réalité qui s’élargit. En s’abandonnant au milieu, Valéry découvre que son corps<br />

renouvelle son esprit, qu’avec l’eau qu’il étreint il enfante « mille étranges idées »,<br />

que la réciprocité entre son corps <strong>et</strong> le corps du mon<strong>de</strong> donne naissance, plutôt que<br />

la réflexion, à la poésie. La poésie naît d’un regard qui imagine, grâce à une attention<br />

accrue <strong>et</strong> à une mémoire fertile. Lorsque le vent couvre les lames « d’écailles, <strong>de</strong><br />

tuiles », ou que Valéry, sorti <strong>de</strong> la mer, « marche sur le miroir sans cesse repoli par la<br />

couche mince d’eau qui se recontracte », on comprend que les métaphores,<br />

parfaitement exactes, ne procè<strong>de</strong>nt pas <strong>de</strong> la rhétorique, mais <strong>de</strong> la réalité. Dans<br />

« Quincaillerie » (Usage du temps, 1943), Jean Follain glisse dans un mon<strong>de</strong> encore<br />

plus ordinaire, où s’alignent vis, écrous, clous, verrous <strong>et</strong> croix <strong>de</strong> grilles, afin d’en<br />

révéler peu à peu la dimension extraordinaire <strong>et</strong> tout aussi réelle. Étant « virginales »,<br />

par exemple, ces croix <strong>de</strong> grilles sont toutes neuves comme au commencement. Il<br />

suffit <strong>de</strong> toucher les obj<strong>et</strong>s « pour sentir le poids du mon<strong>de</strong> inéluctable », pour<br />

éprouver l’existence, non pas <strong>de</strong> soi, mais <strong>de</strong> la réalité, soli<strong>de</strong> <strong>et</strong> toujours là, pour<br />

saisir que le quotidien n’est pas <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s en vrac, mais un mon<strong>de</strong> que l’on peut<br />

rencontrer. Puisque la quincaillerie « vogue vers l’éternel » <strong>et</strong> vend à satiété « les<br />

grands clous qui fulgurent », on passe, dans un magasin en province, par un ici qui<br />

voyage vers un temps inconnu, comme on passe, dans la lecture du poème, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

premiers mots : « Dans une quincaillerie », aux <strong>de</strong>rniers : « qui fulgurent », <strong>de</strong> la<br />

banalité à une gran<strong>de</strong> lumière qui irradie le quotidien bien vécu. Le poème est une<br />

leçon <strong>de</strong> vie, qui parle d’obj<strong>et</strong>s simples qui ne sont pas <strong>de</strong> simples obj<strong>et</strong>s.<br />

Milton explore le rôle <strong>de</strong> la poésie en ce domaine dans Comus, un masque joué<br />

au château <strong>de</strong> Ludlow en 1634 qui constitue une méditation persévérante <strong>et</strong><br />

admirablement multidimensionnelle sur le bonheur <strong>et</strong> l’ici. Milton évalue surtout<br />

la sensibilité à la beauté naturelle chez les <strong>de</strong>ux personnages principaux : Comus,<br />

fils <strong>de</strong> Circé <strong>et</strong> maître d’une drogue qui transforme la tête <strong>de</strong> l’homme en tête<br />

d’animal, <strong>et</strong> la jeune fille qui résiste à ses enchantements. Comus, habitant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

bois, perçoit la beauté du mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> prend plaisir à en rehausser l’éclat à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

la poésie. Par ses tout premiers mots, par exemple, il dit le soir avec beaucoup <strong>de</strong><br />

délicatesse : il évoque le rapport entre le haut du ciel <strong>et</strong> la vie sur terre en notant<br />

l’étoile qui enseigne au berger <strong>de</strong> rassembler son troupeau, se rappelle une figure<br />

<strong>de</strong> la poésie gréco-latine pour dire que le char du soleil rafraîchit son essieu brûlant<br />

dans les eaux <strong>de</strong> l’Atlantique, <strong>et</strong> observe que les rayons du soleil au couchant ne<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>cen<strong>de</strong>nt plus vers la terre mais montent jusqu’à la voûte du ciel. Sa sensibilité<br />

est détachée, cependant, <strong>de</strong> son être, qui <strong>de</strong>meure <strong><strong>de</strong>s</strong>tructeur, <strong>et</strong> son don poétique<br />

ne le conduit pas à honorer ni à aimer. La jeune fille aussi décrit le soir : « when<br />

the grey-hoo<strong>de</strong>d Even / Like a sad votarist in palmer’s weed / Rose from the hindmost<br />

wheels of Phoebus’ wain » (« quand le Soir au capuchon gris, / Comme un grave<br />

pèlerin portant sa palme, / S’élevait <strong><strong>de</strong>s</strong> roues disparues du char <strong>de</strong> Phébus »). Si


ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 771<br />

elle pense à l’imagerie païenne, cependant, elle voit aussi un pèlerin, <strong>et</strong> se m<strong>et</strong> en<br />

rapport avec le réel en y apercevant le signe <strong>de</strong> sa croyance ; sa comparaison est<br />

profondément exacte, le soir étant réellement le moment où <strong><strong>de</strong>s</strong> pensées graves<br />

viennent à l’esprit ; elle renouvelle notre perception du soir, en observant qu’au<br />

moment où le soleil disparaît, une ombre s’élève, comparable, en eff<strong>et</strong>, à un pèlerin<br />

au capuchon gris. De la même façon, Comus reconnaît que les chants <strong>de</strong> Circé <strong>et</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Sirènes, qui prennent « l’âme emprisonnée » pour la bercer <strong>de</strong> « plaisirs<br />

élyséens », plongent la raison dans un « agréable sommeil » <strong>et</strong> une « douce folie ».<br />

Il décrit une certaine mauvaise écoute <strong>de</strong> la musique, ou une mauvaise lecture <strong>de</strong><br />

la poésie, un mauvais regard sur la peinture. Étonné par une chanson <strong>de</strong> la jeune<br />

fille, où il sent quelque chose <strong>de</strong> « saint », <strong>de</strong> « sacré », il y découvre, au contraire,<br />

« La si sobre certitu<strong>de</strong> d’un bonheur éveillé ». Il oppose, au sommeil provoqué par<br />

une poésie qui s’enchante d’elle-même, l’éveil provoqué par la poésie orientée vers<br />

le réel ; il apprend un bonheur éveillé qui est également un bonheur auquel on se<br />

réveille ; il éprouve la « certitu<strong>de</strong> » <strong>de</strong> qui se réveille à l’ici.<br />

Milton <strong>et</strong> Clau<strong>de</strong>l invitent à réfléchir aussi sur le rapport entre le poète <strong>et</strong> le<br />

bonheur d’être ici avant même la naissance du poème. Dans Les Muses (1900-<br />

1904), que j’avais commenté en 2006-2007 sous un autre angle, Clau<strong>de</strong>l, regardant<br />

sur un sarcophage un bas-relief représentant les Muses, écrit ceci : « dans le silence<br />

du silence / Mnémosyne soupire ». Le silence n’appartient pas, comme le bruit, au<br />

temps, <strong>et</strong> il suffit d’en <strong>de</strong>venir conscient pour avoir l’impression, ou bien d’être à<br />

un commencement où tout est possible, ou bien <strong>de</strong> se trouver au centre, <strong>de</strong> toucher<br />

à l’être. Entendre le silence du silence, ce serait voyager très loin dans ce qui est,<br />

vers le lieu où naît, pour le poète mais non pas en lui, le soupir qui précè<strong>de</strong> les<br />

mots. Et ce silence au fond du silence nous attire vers le cœur battant du réel, car<br />

Mnémosyne est « posée […] / Sur le pouls même <strong>de</strong> l’Être », l’Être n’étant pas une<br />

idée, mais une Vie. Clau<strong>de</strong>l parle aussi du « clair dialogue avec le silence<br />

inépuisable », en évoquant, en créant pour l’imagination, un vaste silence qui<br />

soutient tout, qui <strong>de</strong>meure après les bruits du mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> les sons du poème, <strong>et</strong> où<br />

l’on peut sans cesse trouver autre chose. Ce « dialogue » avec le silence serait à<br />

m<strong>et</strong>tre en rapport avec « l’interrogation » que le poète nouveau confie au « savant<br />

chœur <strong>de</strong> l’inextinguible Écho », <strong>et</strong> pour comprendre ces <strong>de</strong>ux échanges inattendus<br />

il convient <strong>de</strong> revenir à Comus, où la jeune fille <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Écho, dans sa chanson,<br />

où se trouvent ses <strong>de</strong>ux frères, perdus dans la forêt. Milton semble concevoir c<strong>et</strong>te<br />

situation singulière (Écho ne peut répondre, selon la fable, que les <strong>de</strong>rniers mots<br />

qu’elle entend) afin <strong>de</strong> réfléchir, comme Clau<strong>de</strong>l, à l’acte poétique, <strong>et</strong> <strong>de</strong> suggérer<br />

que, lorsqu’un poète interroge le silence ou l’écho, ce ne sont pas ses propres mots<br />

qui reviennent vers lui, mais <strong><strong>de</strong>s</strong> mots inouïs, différents <strong>de</strong> ceux qu’il avait eu<br />

l’intention d’écrire. S’il dit aussi qu’Écho habite près <strong><strong>de</strong>s</strong> « rives verdoyantes » du<br />

Méandre ou dans un vallon « brodé <strong>de</strong> viol<strong>et</strong>tes » <strong>et</strong> qu’elle dort sur « un lit <strong>de</strong><br />

mousse », c’est sans doute pour ne pas séparer le domaine mystérieux du silence <strong>et</strong><br />

du son du réel le plus palpable, comme lorsque Comus imagine que les notes <strong>de</strong><br />

la chanson se répan<strong>de</strong>nt dans la voûte nocturne, <strong>et</strong> qu’en lissant le « plumage <strong>de</strong>


772 MICHAEL EDWARDS<br />

corbeau » <strong>de</strong> l’obscurité, elles le font sourire. (Il pense peut-être à la lune qui fait<br />

soudain luire un nuage.) La jeune fille pose, comme le poète, une question à<br />

l’Univers conçu comme une immense chambre <strong>de</strong> résonance, à un Silence qui<br />

capte d’autres voix <strong>et</strong> qui peut les répéter. Pour Milton, comme pour Clau<strong>de</strong>l, la<br />

poésie n’est faite ni d’idées ni <strong>de</strong> mots, mais <strong>de</strong> paroles, qui commencent comme<br />

un soupir <strong>et</strong> qui résonnent dans la chambre <strong>de</strong> résonance <strong>de</strong> l’oreille.<br />

La peinture établit <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports multiples avec le bonheur d’être ici, qui est<br />

souvent le suj<strong>et</strong> même du tableau, comme dans l’Impressionnisme, où l’ici est le<br />

mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne <strong><strong>de</strong>s</strong> gares, <strong><strong>de</strong>s</strong> cafés-concerts, <strong><strong>de</strong>s</strong> rues <strong>de</strong> Paris. Dans Un Bar aux<br />

Folies-Bergère, <strong>de</strong> 1881-1882, Man<strong>et</strong> continue <strong>de</strong> s’intéresser à la fraîcheur du<br />

maintenant, au chatoiement incessant <strong><strong>de</strong>s</strong> présences du mon<strong>de</strong>, mais pour son<br />

<strong>de</strong>rnier chef-d’œuvre il cherche aussi dans le lieu une profon<strong>de</strong>ur autre. Un miroir<br />

signifie notre désir <strong>de</strong> faire mirer la visibilité du mon<strong>de</strong> dans l’altérité d’une surface<br />

qui change tout sans violer les lois <strong>de</strong> la vision ; un tableau figuratif, même réaliste,<br />

tend à la nature un miroir magique. Ici, le tableau inclut un miroir, qui s’étend<br />

sur toute sa largeur, mais on sait qu’il ne reflète exactement ni les bouteilles sur le<br />

comptoir, ni la serveuse. Le refl<strong>et</strong> <strong>de</strong> celle-ci est déplacé à droite comme par un<br />

miroir courbe ou à fac<strong>et</strong>tes, mais une profusion <strong>de</strong> lignes horizontales montre que<br />

le miroir est droit, <strong>et</strong> la serveuse passée <strong>de</strong> l’autre côté du miroir est un peu plus<br />

corpulente, ses cheveux sont plus déployés sur sa nuque, <strong>et</strong> elle se penche davantage.<br />

L’ici <strong>de</strong>vient mystérieux : le tableau est partagé (comme Le Balcon ou Le Skating)<br />

entre un premier plan plein <strong>de</strong> la vie immédiate <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> un arrièreplan<br />

secr<strong>et</strong>, comme si le réel familier donnait sur un plus-loin étrange <strong>et</strong> attirant.<br />

La serveuse qui nous regar<strong>de</strong> <strong>et</strong> son refl<strong>et</strong> qui nous tourne le dos r<strong>et</strong>rouvent la<br />

disposition <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages dans Portrait <strong>de</strong> Zacharie Astruc <strong>et</strong> Le Chemin <strong>de</strong> fer<br />

(toiles, comme les autres que j’ai mentionnées, qu’Un Bar aux Folies-Bergère<br />

reprend, résume <strong>et</strong> dépasse), <strong>et</strong> on peut penser que la scène impossible, où la<br />

serveuse reflétée se penche vers un homme en haut-<strong>de</strong>-forme afin d’écouter, ou <strong>de</strong><br />

provoquer, <strong><strong>de</strong>s</strong> propositions sans doute louches, est la création <strong>de</strong> la serveuse réelle.<br />

Man<strong>et</strong> trouve ainsi le moyen <strong>de</strong> rendre visible la vie intérieure d’un personnage,<br />

en enfreignant les règles <strong>de</strong> la peinture figurative. L’homme du miroir, qui usurpe<br />

notre place, ou celle du peintre dans c<strong>et</strong>te nouvelle géométrie <strong>de</strong> l’espace, figure le<br />

nouveau regard <strong>de</strong> Man<strong>et</strong>, qui lui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> passer le seuil <strong>de</strong> la présence immédiate<br />

afin <strong>de</strong> son<strong>de</strong>r, non pas la présence <strong>de</strong> l’au-<strong>de</strong>là, mais un au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la présence. Il<br />

apporte aussi le temps qui dure <strong>et</strong> qui semble se libérer <strong><strong>de</strong>s</strong> moments qui passent,<br />

dans le coin d’un tableau où règne partout ailleurs la vivacité <strong>de</strong> l’instant. Notons<br />

finalement, dans ce tableau où le réel s’ouvre à son propre arrière-fond imaginé, la<br />

présence à la fois <strong>de</strong> la mélancolie — la saturation du bleu — <strong>et</strong> <strong>de</strong> la joie, <strong>et</strong><br />

surtout <strong>de</strong> l’humour. Man<strong>et</strong> signe l’ouvrage sur une bouteille, comme si Man<strong>et</strong><br />

était le nom du fabricant, du responsable <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te clairvoyante ivresse.<br />

Une <strong><strong>de</strong>s</strong> nombreuses façons d’associer la musique au bonheur d’être ici passe par<br />

les chants d’oiseaux. Musique du réel indépendante <strong>de</strong> nos idées <strong>et</strong> <strong>de</strong> nos émotions,<br />

ces chants parlent néanmoins, comme les poètes le sentent en les plaçant au point


ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 773<br />

culminant <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> reverdies, du commencement, du possible, d’une joie qui renaît.<br />

Je suppose qu’ils fascinent les musiciens parce qu’ils ressemblent à la voix humaine <strong>et</strong><br />

qu’ils encouragent une musique désirable <strong>et</strong> impure, qui cherche, du Chant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

oiseaux <strong>de</strong> Janequin au Catalogue d’oiseaux <strong>de</strong> Messiaen, à se rapprocher <strong><strong>de</strong>s</strong> rumeurs<br />

du mon<strong>de</strong>. Pour son My Beloved Spake (Mon bien-aimé a parlé), composé vers 1680,<br />

Purcell choisit, au <strong>de</strong>uxième chapitre du Cantique <strong><strong>de</strong>s</strong> cantiques, une reverdie, où il<br />

est dit que l’hiver est parti, que la pluie a cessé <strong>et</strong> que les fleurs apparaissent. La<br />

musique change <strong>de</strong> rythme <strong>et</strong> s’enflamme aux mots tout simples : « <strong>et</strong> le temps du<br />

chant <strong><strong>de</strong>s</strong> oiseaux est venu », le chœur, dont on ne soupçonnait pas l’existence,<br />

intervient pour la première fois en les chantant après les solistes, l’orchestre prend la<br />

relève dans <strong><strong>de</strong>s</strong> phrases musicales qui rappellent la forme <strong>de</strong> l’expression, puis, tout à<br />

coup, les solistes suivis du chœur chantent « Alléluia ! » Dans une musique qui est en<br />

principe sacrée, Purcell s’enthousiasme pour le r<strong>et</strong>our <strong><strong>de</strong>s</strong> chants d’oiseaux <strong>et</strong> fait<br />

chanter un « alléluia », qui suit traditionnellement une mention <strong>de</strong> Dieu, à la pensée<br />

d’une musique printanière. Deux oiseaux figurent dans L’Allegro, il Penseroso ed il<br />

Mo<strong>de</strong>rato, où Haen<strong>de</strong>l étudie à sa manière, en 1740, <strong>de</strong>ux poèmes <strong>de</strong> Milton épissés<br />

intelligemment (<strong>et</strong> complétés médiocrement) par Charles Jennens. Si j’ai parlé <strong>de</strong><br />

Milton à plusieurs reprises dans ce <strong>cours</strong>, c’était en partie pour honorer le quatrième<br />

centenaire <strong>de</strong> sa naissance en 1608. Milton voit dans le chant <strong>de</strong> l’alou<strong>et</strong>te la victoire<br />

sur la nuit, l’annonce d’un commencement <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’espoir <strong>et</strong> le bonheur d’être ici « in<br />

spite of sorrow », « malgré la peine ». Haen<strong>de</strong>l ressent une joie très évi<strong>de</strong>nte à<br />

rapprocher les trilles <strong>de</strong> sa musique <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> l’oiseau, au-<strong>de</strong>là d’une simple<br />

imitation, <strong>et</strong> à faire dialoguer un chant d’oiseau avec le chant humain. Pour Milton,<br />

la voix du rossignol est celle, non pas <strong>de</strong> l’ici qui s’ouvre à l’avenir, mais <strong>de</strong> l’ici qui<br />

dure <strong>et</strong> qui s’approfondit ; venant du cœur obscur <strong>de</strong> la nuit, elle ne figure pas<br />

l’allégresse, mais la joie profon<strong>de</strong> <strong>et</strong> pensive. Chez Haen<strong>de</strong>l, la flûte baroque, tout en<br />

imitant le rossignol, l’intègre finalement à la phraséologie <strong>et</strong> à la structure musicales<br />

<strong>de</strong> l’époque, <strong>et</strong> la voix humaine, qui cherche, sans paroles, à entrer dans le jeu d’un<br />

chant extra-humain, impose à la longue sa supériorité. C’est comme si la musique<br />

exprimait la nature en l’embellissant, au lieu <strong>de</strong> s’en éloigner afin <strong>de</strong> créer, dans sa<br />

pur<strong>et</strong>é, le mon<strong>de</strong> autre <strong>de</strong> l’art.<br />

Au <strong>de</strong>rnier <strong>cours</strong>, qui fut aussi ma leçon <strong>de</strong> clôture, je n’ai pas parlé du bonheur<br />

d’être ici à propos d’une œuvre, mais d’un lieu en particulier, le Pont <strong><strong>de</strong>s</strong> Arts, <strong>et</strong> j’ai<br />

réfléchi également, dans ce contexte, sur la « création littéraire » à laquelle c<strong>et</strong>te<br />

chaire est consacrée. Le Pont <strong><strong>de</strong>s</strong> Arts est un lieu privilégié, mais une <strong><strong>de</strong>s</strong> leçons <strong>de</strong><br />

l’engagement dans l’ici est que tout lieu est privilégié dès qu’une sorte <strong>de</strong> besoin vital<br />

du mon<strong>de</strong> ambiant nous perm<strong>et</strong> d’en discerner la richesse. Nous sommes par notre<br />

rapport aux lieux, comme aux personnes ; nous sommes même ce rapport, nous<br />

vivons par notre langage, notre façon <strong>de</strong> voir <strong>et</strong> notre manière d’écouter, où nous<br />

soutiennent respectivement la poésie, la peinture <strong>et</strong> la musique. Devenus attentifs,<br />

nous apercevons les interventions du réel, les signes que nous fait la réalité<br />

quotidienne <strong>et</strong> qui sont différents pour chacun : les lumières, par exemple, qui, la<br />

nuit, étincellent sous les pieds, entre les planches du tablier, comme <strong>de</strong> fins sourires.


774 MICHAEL EDWARDS<br />

La littérature est donc toute proche, par ce très vieux genre littéraire qu’est l’éloge,<br />

passage vers ce qui est, mouvement <strong>de</strong> l’être vers l’être <strong>de</strong> l’autre, <strong>et</strong> chant par lequel<br />

nous rendons présente la présence du mon<strong>de</strong>. Elle est proche aussi en ce que chacune<br />

<strong>de</strong> ces interventions, en nous réveillant (la vie est un rêve dont il faut sans cesse se<br />

réveiller), en parlant du réel <strong>et</strong> du possible du réel, peut être à l’origine <strong>de</strong> la création<br />

d’une œuvre. Chacun <strong>de</strong> ses détails peut aussi éloigner <strong>de</strong> ce que Whitman appelle,<br />

dans le poème commenté, le « noir emprisonnement » dans le soi « autre » <strong>et</strong><br />

« louche » qui nous habite (ce n’est pas la mort que nous avons à craindre, mais la<br />

vie), <strong>et</strong> pour cela une pelure d’orange abandonnée sous un <strong><strong>de</strong>s</strong> bancs du Pont <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Arts peut être aussi efficace que la vue, sous <strong><strong>de</strong>s</strong> flots <strong>de</strong> lumière dorés, <strong>de</strong> la Cour<br />

Carrée du Louvre. Puis, le pont nous place entre l’immobilité <strong><strong>de</strong>s</strong> édifices <strong>et</strong> le<br />

mouvement <strong>de</strong> la Seine, entre le besoin <strong>de</strong> durer <strong>et</strong> le besoin également urgent <strong>de</strong><br />

changer, le fleuve associant à merveille les <strong>de</strong>ux quand, un soir d’hiver, <strong><strong>de</strong>s</strong> arbres<br />

sous forme d’ombres se déplacent lentement sur les immeubles proches au passage<br />

d’un bateau-mouche illuminé. Le pont partage aussi l’amont <strong>et</strong> l’aval, ces <strong>de</strong>ux sens à<br />

la fois prosaïques <strong>et</strong> figuratifs, l’amont étant l’origine, le passé, la mémoire, le<br />

bonheur du vécu <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’appris, l’aval étant l’avenir, l’aventure, le possible, la joie<br />

mélancolique du surcroît <strong>de</strong> réalité qui attend <strong>et</strong> <strong>de</strong> la disparition. On sent ici que<br />

« l’être qui <strong>de</strong>vient » (Antonio Machado), qui est en suspens entre l’amont <strong>et</strong> l’aval<br />

sur une passerelle <strong>de</strong> bois elle-même suspendue au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus <strong>de</strong> l’eau périlleuse, vit par<br />

le temps <strong>et</strong> sait que chaque instant est le moment opportun. On sent également que,<br />

si Whitman voit « la terre en expansion à droite <strong>et</strong> à gauche », c<strong>et</strong>te vision est à notre<br />

portée autant sur un pont <strong>de</strong> Paris que sur le continent américain, que tout lieu a<br />

une belle hauteur sous plafond, mais qu’un pont relie aussi la terre à la terre, l’ici-bas<br />

à l’ici-bas, dans un geste horizontal <strong>et</strong> humble. Fragile, il peut faire penser aussi à un<br />

ra<strong>de</strong>au, ou à un effondrement, à une perte <strong>de</strong> soi qui, dans le domaine <strong>de</strong> la création<br />

littéraire, est tout à fait salutaire. (Mourir, c’est sans doute voir les choses telles<br />

qu’elles sont, <strong>et</strong> pour mourir, on n’a pas besoin <strong>de</strong> cesser <strong>de</strong> vivre.) Sur le Pont <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Arts, finalement, on se trouve dans une œuvre d’art : parmi <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> architectures<br />

<strong>et</strong> au cœur du paysagisme urbain. Et les arts sont un pont, vers le réel, vers autre<br />

chose, vers l’autre rive. Lorsqu’on regar<strong>de</strong> le lieu changer, en remarquant la fumée<br />

verte du saule à la pointe du square du Vert Galant, ou le tout, malgré les réverbères,<br />

baigné <strong>de</strong> nuit, on sent qu’un poème pourrait commencer ici, ou un récit, une pièce<br />

<strong>de</strong> théâtre. Je ne sais pas si la sculpture attend dans la pierre, mais je sais que le poème<br />

attend dans le lieu, ou mieux, dans le rapport entre le lieu <strong>et</strong> le poète. Une <strong><strong>de</strong>s</strong> sources<br />

<strong>de</strong> la création littéraire, c’est le sentiment que le lieu aussi attend <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir poèmes,<br />

que le lieu veut dire quelque chose, qu’il cherche à <strong>de</strong>venir, sous nos yeux, poésie.<br />

Je voulais surtout que c<strong>et</strong>te leçon <strong>de</strong> clôture soit une leçon d’ouverture. Les<br />

auditeurs si sympathiques ayant <strong>de</strong>mandé un bis, j’ai lu mon poème « Le Pont <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Arts ».


ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 775<br />

Activités <strong>de</strong> la chaire<br />

Publications<br />

De l’émerveillement, Paris, Fayard, 2008, 292 p.<br />

Préface, La Poésie <strong>de</strong> Geoffrey Hill <strong>et</strong> la mo<strong>de</strong>rnité, éd. Kilgore-Cara<strong>de</strong>c, Gall<strong>et</strong>, Paris,<br />

L’Harmattan, 2007.<br />

« Shakespeare : le poète au théâtre », Shakespeare poète, Paris, Société Française Shakespeare,<br />

2007, pp. 121-130.<br />

« Donald Davie <strong>et</strong> la difficulté d’être », Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> anglaises, juill<strong>et</strong>-septembre 2007,<br />

pp. 280-289.<br />

« L’Eutopie. La littérature <strong>et</strong> l’espoir du lieu », Étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, janvier 2008, pp. 69-79.<br />

« Autrement dit », La Conscience <strong>de</strong> soi <strong>de</strong> la poésie, sous la direction d’Yves Bonnefoy,<br />

Le Genre Humain, avril 2008, pp. 95-106.<br />

« Unpropitious : Christian Po<strong>et</strong>ry and ‘Now’ », Ecstacy and Un<strong>de</strong>rstanding, éd. Grafe,<br />

Harrison, Londres, New York, Continuum, 2008, pp. 192-202.<br />

« Le poème est … », La poésie, c’est autre chose, sous la direction <strong>de</strong> Gérard Pfister, Orbey,<br />

Arfuyen, 2008, p. 76.<br />

« Vues <strong>et</strong> revues <strong>de</strong> Paris » (cinq poèmes en versions française <strong>et</strong> anglaise), Le rêve <strong>et</strong> la<br />

ruse dans la traduction <strong>de</strong> la poésie, éd. Bonhomme, Syminton, Paris, Champion, 2008,<br />

pp. 19-29.<br />

« Yves Bonnefoy <strong>et</strong> les Sonn<strong>et</strong>s <strong>de</strong> Shakespeare », Littérature, n° 150, juin 2008,<br />

pp. 25-39.<br />

Colloques, lectures, entr<strong>et</strong>iens<br />

Lecture <strong>de</strong> poèmes, Crypte Ararat, le 15 mars 2008.<br />

« Variations sur L’Ecclésiaste », Littérature <strong>et</strong> vanité : la trace <strong>de</strong> L’Ecclésiaste en littérature<br />

<strong>de</strong> Montaigne à Beck<strong>et</strong>t, Port-Royal <strong><strong>de</strong>s</strong> Champs, le 7 juin 2008.<br />

Entr<strong>et</strong>iens à la télévision, à la radio, <strong>et</strong> dans plusieurs journaux français <strong>et</strong> anglais.<br />

Membre, Comité d’honneur <strong><strong>de</strong>s</strong> Amis <strong>de</strong> Rimbaud.<br />

Prix<br />

Prix Dagnan-Bouver<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences morales <strong>et</strong> politiques pour<br />

De l’émerveillement.


Histoire <strong>de</strong> l’art européen médiéval <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne<br />

M. Roland Recht, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres), professeur<br />

2007-2008 : Le <strong>cours</strong> n’a pas eu lieu c<strong>et</strong>te année.<br />

Nouvelles responsabilités scientifiques<br />

Activités du professeur<br />

— Comité <strong>de</strong> rédaction <strong>de</strong> la revue en ligne Histara.<br />

— Comité <strong>de</strong> rédaction <strong>de</strong> la revue en ligne artefakt.<br />

— Comité <strong>de</strong> rédaction <strong>de</strong> la revue Perspective.<br />

Participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques<br />

— Invité d’honneur aux Rencontres d’Archimè<strong>de</strong> consacrées à l’avenir du patrimoine,<br />

30 août 2007, Cluny.<br />

— « La réception du Romantisme allemand en <strong>France</strong> », communication au colloque<br />

Histoire <strong>de</strong> l’art du XIX e siècle (1848-1914), bilans <strong>et</strong> perspectives, Musée d’Orsay, Ecole du<br />

Louvre, 13-14 septembre 2007.<br />

— « Go<strong>et</strong>he <strong>et</strong> Falcon<strong>et</strong> », communication au colloque De la quête <strong><strong>de</strong>s</strong> règles au dis<strong>cours</strong><br />

sur les fins. Les mutations <strong><strong>de</strong>s</strong> dis<strong>cours</strong> sur l’art en <strong>France</strong> dans la secon<strong>de</strong> moitié du XVIII e siècle,<br />

Université <strong>de</strong> Lausanne 14-16 février 2008, Paris (Centre allemand d’histoire <strong>de</strong> l’art),<br />

10-12 avril.<br />

Conférences<br />

— « Parler <strong>de</strong> l’art en Europe », conférence dans le cadre <strong>de</strong> l’exposition Le grand atelier,<br />

Bruxelles, Académie royale <strong>de</strong> Belgique <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Arts, 29 novembre 2007.<br />

— « Gotische Architektur zwischen Abbild und Bauforschung. Gibt es eine französische<br />

Rezeption <strong>de</strong>r <strong>de</strong>utschen Kunstgeschichte ? », conférence pour le centenaire du Deutscher<br />

Verein für Kunstwissenschaft, Berlin, Kunstgewerbemuseum, 15 mars 2008.


778 ROLAND RECHT<br />

Ouvrages :<br />

— Le grand atelier. Chemins <strong>de</strong> l’art en Europe (V e – XVIII e siècle), catalogue <strong>de</strong> l’exposition<br />

Europalia, palais <strong><strong>de</strong>s</strong> Beaux-Arts <strong>de</strong> Bruxelles, 5 octobre 2007-20 janvier 2008, Bruxelles<br />

2007, 336 pages ; édition anglaise : The grand atelier. Pathways of Art in Europe<br />

(5 th -18 th centuries), Bruxelles 2007 ; édition flaman<strong>de</strong> : H<strong>et</strong> meesterlijke atelier. Europese<br />

kunstroutes (5 <strong>de</strong> -18 <strong>de</strong> eeuw), Bruxelles 2007 ; édition alleman<strong>de</strong> : Atelier Europa. Meisterwerke -<br />

Kunst aus 1300 Jahren, Stuttgart 2007.<br />

— Relire Panofsky, (dir.), coll. Principes <strong>et</strong> théories <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’art, Cycle <strong>de</strong><br />

conférences au musée du Louvre du 19 novembre au 17 décembre 2001, Louvre - Beauxarts<br />

<strong>de</strong> Paris, Paris 2008, 200 pages.<br />

Articles<br />

— « Introductory Remarks on the Notion of Universality », dans Museum International,<br />

235, septembre 2007, p. 52-58.<br />

— « Buren sobre Ryman, Moritz sobre Winckelmann : a critica constitutive da historia<br />

da arte », dans Arte & Ensaios, Rio <strong>de</strong> Janeiro, Revista do Programa <strong>de</strong> Pos-Graduaçao em<br />

Artes Visuais EBA-UFRJ, XIV, n° 15, 2007, p. 166-173.<br />

— « Une stratégie culturelle exigeante », dans Un mon<strong>de</strong> à part. Dialogue entre art<br />

mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> art contemporain dans la collection Würth, dans le catalogue <strong>de</strong> l’exposition du<br />

Musée Würth <strong>France</strong>-Erstein, 2008, p. 157-159.<br />

— « L’historien <strong>de</strong> l’art est-il naïf ? Remarques sur l’actualité <strong>de</strong> Panofsky », dans Relire<br />

Panofsky, Paris 2008, p. 11-36.<br />

— « Louis Courajod <strong>et</strong> Salomon Reinach à l’Ecole du Louvre : <strong>de</strong>ux conceptions <strong>de</strong><br />

l’histoire <strong>de</strong> l’art », dans Les frères Reinach. Colloque réuni les 22 <strong>et</strong> 23 juin 2007 à<br />

l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres, (dir. S. Basch, M. Espagne, J. Leclant), Paris<br />

2008, p. 236-248.<br />

— « Go<strong>et</strong>he <strong>et</strong> la société mondiale <strong>de</strong> l’art », dans Clartés. Gran<strong><strong>de</strong>s</strong> signatures, n° 3, juil./<br />

août 2008, p. 62-73.<br />

Articles <strong>de</strong> presse <strong>et</strong> médias<br />

— Chronique mensuelle dans Le Journal <strong><strong>de</strong>s</strong> Arts.<br />

— <strong>France</strong>-Culture, Peinture fraîche, novembre 2007, invité <strong>de</strong> Jean Daive.<br />

— <strong>France</strong>-Culture, Du grain à moudre, vendredi 11 avril 2008.


IV. CHAIRES ANNUELLES


Le <strong>cours</strong> n’a pas eu lieu.<br />

Chaire <strong>de</strong> création artistique<br />

M me Ariane Mnouchkine, professeure associée


Chaire européenne<br />

M. Manfred Kropp, professeur associé<br />

Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> coraniques<br />

Dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> enseignements donnés par la chaire annuelle européenne<br />

« Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> coraniques » en 2007-2008, 14 heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong> <strong>et</strong> 14 heures <strong>de</strong> séminaire<br />

ont été tenues. En eff<strong>et</strong>, les heures du séminaire se révélèrent être, en pratique, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong>, <strong>et</strong> cela était dû aux suj<strong>et</strong>s particuliers qui furent abordés — mots<br />

d’origine éthiopienne dans le Coran, développement <strong>de</strong> l’orthographe coranique,<br />

définition <strong><strong>de</strong>s</strong> termes techniques clés dans le Coran à partir <strong>de</strong> leur origine<br />

étrangère, <strong>et</strong>c. — qui exigeaient une présentation faite par l’enseignant lui-même<br />

au premier plan <strong>et</strong> ne perm<strong>et</strong>taient l’intervention <strong><strong>de</strong>s</strong> participants que dans les<br />

discussions consécutives à l’intervention du professeur, celles-ci excédant, <strong>de</strong> par<br />

leur vivacité, le temps prévu. De la même façon, les discussions postérieures aux<br />

heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong> se distinguaient par l’engagement sérieux <strong><strong>de</strong>s</strong> intervenants qui<br />

étaient bien souvent <strong><strong>de</strong>s</strong> gens instruits <strong>et</strong> spécialistes dans <strong><strong>de</strong>s</strong> disciplines voisines.<br />

En conclusion, la réaction du public, du reste très assidu du début jusqu’à la fin<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong>, démontrait que le concept pédagogique <strong>de</strong> l’enseignement avait réussi<br />

<strong>et</strong> portait ses fruits <strong>de</strong> manière tangible au niveau <strong>de</strong> l’information <strong>et</strong> du savoir <strong>de</strong><br />

tous les participants, moi compris.<br />

Le <strong>cours</strong><br />

La leçon inaugurale ainsi que les trois premières heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong> formaient une<br />

unité méthodologique qui avait comme but <strong>de</strong> démontrer à travers l’exemple <strong>de</strong><br />

la sourate 85 Le Cercle zodiacal les diverses approches possibles du corpus <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

textes coraniques selon un « bricolage intellectuel » effectué par le philologue <strong>et</strong><br />

l’historien. D’abord, on situait <strong>et</strong> on définissait les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> coraniques comme étant<br />

une partie intégrante <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sémitiques. Donc, pas d’isolement splendi<strong>de</strong> d’un


784 MANFRED KROPP<br />

suj<strong>et</strong> singulier <strong>et</strong> extraordinaire, mais une collocation du phénomène coranique<br />

avec l’histoire religieuse, linguistique, littéraire, <strong>et</strong>c., du Proche-Orient antique <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> la Basse Antiquité. Ce qui implique une position tout à fait séculière <strong>et</strong><br />

rationnelle, voire positiviste, envers ce corpus <strong>de</strong> texte qui est considéré, par les<br />

croyants musulmans, comme étant à la fois une œuvre sacrée <strong>et</strong> une révélation<br />

directe <strong>et</strong> littérale <strong>de</strong> Dieu. C<strong>et</strong>te position peut se résumer dans la formulation<br />

suivante : nous cherchons ce que l’on peut savoir <strong>de</strong> l’origine, <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

la fonction primordiale <strong>de</strong> ce texte apparemment produit en langue arabe (mais<br />

laquelle ?), ce que l’on peut savoir <strong>de</strong> sa transmission orale <strong>et</strong> écrite, en écartant<br />

dans un premier temps tout ce que l’on croyait à propos <strong>de</strong> ce texte, bien que la<br />

tradition musulmane <strong>et</strong> d’autres traditions puissent aussi apporter <strong>de</strong> temps à autre<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> éléments valables concernant les témoins matériels <strong>et</strong> les sources primaires, à<br />

savoir les premiers manuscrits coraniques, les premières inscriptions <strong>et</strong> les papyrus<br />

en langue arabe. Ceci en citant ou en se référant au Coran, à partir du vii e siècle<br />

après J.-C. Ce qui semble une position <strong>et</strong> une approche évi<strong>de</strong>nte <strong>et</strong> naturelle pour<br />

un chercheur <strong>et</strong> scientifique. Mais là, il faut constater un fait surprenant : même<br />

la science <strong>et</strong> les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> occi<strong>de</strong>ntales coraniques n’ont pas toujours suivi ces principes,<br />

pour <strong><strong>de</strong>s</strong> raison diverses qu’il ne fallait pas trop exposer. La conséquence la plus<br />

éclatante d’un tel comportement dans la recherche est le fait qu’on ne dispose pas,<br />

jusqu’à maintenant, d’une édition historico-critique du texte coranique. En<br />

attendant c<strong>et</strong> opus magnum qui, on l’espère, va se réaliser durant le xxi e siècle, les<br />

exemples <strong>de</strong> critique textuelle appliquée aux passages choisis du Coran qui furent<br />

présentés durant les heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong> voulaient démontrer ce que l’on peut atteindre<br />

avec le matériel qui est déjà à notre disposition <strong>et</strong> avec les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> expérimentées<br />

<strong>et</strong> approuvées par la philologie historique, la linguistique comparée, les étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

littéraires <strong>et</strong> religieuses comparées, <strong>et</strong>c.<br />

Premier exemple : la sourate 85, 1-9 Le Cercle zodiacal<br />

Ce p<strong>et</strong>it texte <strong>de</strong> 9 vers<strong>et</strong>s s’est révélé emblématique <strong>et</strong> tout à fait pertinent soit<br />

pour démontrer les particularités <strong>de</strong> la tradition <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’interprétation musulmanes,<br />

soit pour exemplifier l’éventail <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> à appliquer afin <strong>de</strong> trouver une<br />

hypothèse plausible pour l’origine, la fonction première, la langue <strong>et</strong> le contenu<br />

du texte coranique. L’image suivante donne le texte en traduction française selon<br />

l’interprétation traditionnelle musulmane, suivie par la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> traducteurs<br />

occi<strong>de</strong>ntaux ; en même temps, on pointe les flèches vers les points névralgiques <strong>de</strong><br />

c<strong>et</strong>te interprétation.<br />

Les exégètes traditionnels y voient une référence du Coran à un événement<br />

historique, à savoir la persécution <strong><strong>de</strong>s</strong> Chrétiens arabes, dans la ville <strong>de</strong> Najran, par<br />

un roi himyarite juif qui s’est passée plus <strong>de</strong> cent ans avant la révélation coranique.<br />

Pour arriver à ce résultat ils doivent accepter quelques prémisses dans la<br />

compréhension du texte.


Au nom d'Allah, le Bienfaiteur<br />

miséricordieux<br />

1 Par le ciel renfermant les<br />

constellations<br />

2 par le jour promis !<br />

3 par celui qui témoigne <strong>et</strong> ce dont il est<br />

témoigné !‘<br />

4 [Ils] ont été tués, les Hommes du Four,<br />

5 – feu sans cesse alimenté –<br />

6 tandis qu'ils étaient assis autour,<br />

7 témoins <strong>de</strong> ce qu'ils faisaient aux<br />

Croyants ;<br />

8 ils ne les tourmentèrent que parce que<br />

ceux�ci croyaient en Allah, le Puissant,<br />

le Digne <strong>de</strong> Louanges,<br />

9 à qui revient la royauté <strong><strong>de</strong>s</strong> Cieux <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> la Terre. Allah, <strong>de</strong> toute chose est<br />

Témoin.<br />

CHAIRE EUROPÉENNE 785<br />

Vers<strong>et</strong>s 1-9 <strong>de</strong> la sourate 85 en discussion<br />

les points “névralgiques” qui <strong>de</strong>meurent<br />

Ou bien “qu’ils soient maudits”?<br />

Al-ukhduud: est-ce vraiment “le four”?<br />

Qui sont ces hommes?<br />

“Être assis” ou simplement “rester”?<br />

Ou bien “ce qu’ils font”?<br />

Qu’est-ce qu’ils ont vraiment fait?<br />

Qui sont “ils” <strong>et</strong> qui sont “ceux-ci”?<br />

Ou bien “(pour) qu’ils croient”?<br />

Il faut noter déjà maintenant que la récitation liturgique n’ai<strong>de</strong> nullement à<br />

l’interprétation <strong>et</strong> à la compréhension du texte. La récitation, dans son style<br />

solennel <strong>et</strong> surtout uniforme pour toutes les parties <strong>de</strong> ce corpus hétérogène,<br />

composé <strong>de</strong> pièces d’origine, <strong>de</strong> caractère <strong>et</strong> <strong>de</strong> fonctions très diverses <strong>et</strong> divergentes,<br />

est pensée pour donner au tout un caractère sacré <strong>et</strong> intouchable, n’invitant pas à<br />

la réception critique du contenu, mais à la contemplation <strong>et</strong> à la méditation<br />

religieuses sous l’influence <strong>de</strong> l’expérience esthétique du texte psalmodié. Et c’est,<br />

on va le voir, exactement le contraire <strong>de</strong> la nature du texte en question.<br />

Les trois serments, en guise d’introduction, sont pris dans leur sens littéral <strong>et</strong> on<br />

y voit une partie intégrale du texte. Néanmoins, la phrase suivante est comprise<br />

comme la constatation d’un fait du passé (« ils ont été tués »), tandis que les<br />

serments d’habitu<strong>de</strong> requièrent une promesse ou une menace postérieure. « Les<br />

hommes <strong>de</strong> la fosse, du four » résultent d’une interprétation ou bien d’une<br />

définition d’un mot rare <strong>et</strong> douteux en arabe (ukhduud), terme technique qui,<br />

ensuite, donne son nom à la localité présumée pour l’événement, près <strong>de</strong> la ville<br />

<strong>de</strong> Najran. En conséquence, le reste du texte est mis au passé, contre l’évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong><br />

l’emploi du temps du verbe concerné en arabe qui indique ou bien le présent ou<br />

bien le futur. « Reprocher, ou bien tourmenter », dans le vers<strong>et</strong> 8, est une définition<br />

arbitraire du verbe arabe naqama, qui d’habitu<strong>de</strong> veut dire « se venger <strong>de</strong> ».<br />

Pour arriver à une interprétation alternative, il faut d’abord essayer <strong>de</strong> définir la<br />

situation communicative <strong>de</strong> ce p<strong>et</strong>it texte, dans le cadre du corpus coranique


786 MANFRED KROPP<br />

naturellement. Il s’agit d’un énoncé bref <strong>et</strong> agité, très caractéristique <strong><strong>de</strong>s</strong> premières<br />

révélations. Là, on trouve <strong><strong>de</strong>s</strong> menaces du Jugement <strong>de</strong>rnier <strong>et</strong> <strong>de</strong> la punition<br />

éternelle pour les incroyants, mais aussi <strong>de</strong> belles promesses <strong>de</strong> paradis pour les<br />

croyants. Ce serait le caractère général ; le caractère particulier <strong>de</strong> ce texte, compris<br />

comme étant une constatation du présent <strong>et</strong> du futur, se révèle comme étant un<br />

coup, une explosion <strong>de</strong> colère intempérante d’un prédicateur ou d’un missionnaire<br />

qui voit son message rej<strong>et</strong>é par une partie — voire la gran<strong>de</strong> partie — <strong>de</strong> son<br />

public. Comment c<strong>et</strong>te explosion <strong>de</strong> rage a-t-elle été transmise à l’écrit ? On peut<br />

s’imaginer qu’il s’agit du début d’une oraison bien construite <strong>et</strong> bien formulée, par<br />

conséquent écrite comme un ai<strong>de</strong>-mémoire ; <strong>de</strong> même, il faut s’imaginer une<br />

longue suite <strong>et</strong> un long développement <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te oraison, improvisée sur le moment<br />

<strong>et</strong> non transmise jusqu’à l’écriture. Il est fort possible que c<strong>et</strong>te hypothèse s’applique<br />

à bien d’autres passages similaires du Coran.<br />

Disons dès maintenant que la sourate 85, telle qu’elle figure dans le corpus<br />

coranique, est une pièce hétérogène — la rupture se trouve après le vers<strong>et</strong> 9 —,<br />

composée après coup par <strong><strong>de</strong>s</strong> rédacteurs postérieurs qui m<strong>et</strong>taient ensemble ces<br />

différentes parties du fait <strong>de</strong> la rime i<strong>de</strong>ntique <strong>et</strong> du contenu similaire en<br />

quelque sorte.<br />

Le genre littéraire <strong>de</strong> ce texte explique les trois serments du début, utilisés comme<br />

un instrument rhétorique connu dans la littérature arabe pré-islamique, surtout dans<br />

les sermons <strong><strong>de</strong>s</strong> présages <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> poètes. Avec <strong>de</strong> grands mots énigmatiques, obscurs,<br />

très souvent sans relation logique avec ce qui suit, on espère attirer l’attention du<br />

public à un moment donné : cela a bien la fonction d’une « sonn<strong>et</strong>te ». Alors, il ne faut<br />

pas trop creuser pour trouver un sens à chaque mot, bien que dans le cas <strong>de</strong> la sourate<br />

85 <strong><strong>de</strong>s</strong> concepts religieux aient déjà pris partiellement la place d’autres expressions<br />

décrivant les grands phénomènes <strong>de</strong> la nature, <strong>de</strong> la terre <strong>et</strong> du ciel, <strong>et</strong>c. Mais il y a un<br />

lien logique <strong>et</strong> grammatical entre c<strong>et</strong>te introduction <strong>et</strong> ce qui suit. Comme on l’a déjà<br />

dit : une promesse ou une menace doit suivre. Dans le cas <strong>de</strong> la sourate 85, c’est bien la<br />

menace aux incroyants : « qu’ils périssent, les hommes <strong>de</strong>… » quoi ? !<br />

Avec le mot énigmatique ukhduud, on rejoint une autre astuce rhétorique <strong>de</strong><br />

l’orateur <strong>et</strong> du texte coranique en général : il veut impressionner son public, ajouter<br />

<strong>de</strong> l’importance à son message avec <strong><strong>de</strong>s</strong> mots recherchés, rares, voire étrangers ou<br />

inconnus. N’oublions pas que le corpus relativement restreint d’environ<br />

60 000 mots compte plus <strong>de</strong> 250 hapax legomena souvent <strong>de</strong> sens très douteux <strong>et</strong><br />

disputé, ou inconnu, ce qui correspond à une occurrence <strong>de</strong> tels hapax environ<br />

une page sur <strong>de</strong>ux dans le texte imprimé. Ainsi, ukhduud ne trouve pas d’explication<br />

satisfaisante à partir <strong>de</strong> l’arabe. Le fait qu’il s’agisse <strong>de</strong> quelque chose <strong>de</strong><br />

volontairement incompréhensible est bien indiqué par la phrase suivante, qui<br />

présuppose la présence <strong><strong>de</strong>s</strong> questions rhétoriques qu’on r<strong>et</strong>rouve souvent dans le<br />

Coran. Mais qui t’enseigne ce qu’est ce mot <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te chose inconnus du public ?<br />

Le vers<strong>et</strong> 5 n’est qu’une réponse, explication ou paraphrase du mot inconnu, au<br />

vers<strong>et</strong> précé<strong>de</strong>nt. On sait maintenant qu’il veut dire un grand feu sans cesse


CHAIRE EUROPÉENNE 787<br />

alimenté. Mais dans quelle langue ? Même si le mot araméen gdodaa n’est pas<br />

attesté pour le moment dans <strong><strong>de</strong>s</strong> textes religieux <strong>et</strong> parallèles au Coran, le sens <strong>de</strong><br />

la racine en araméen est, entre d’autres, « se lever (se dit <strong>de</strong> la poussière, d’une<br />

flamme) ». Ce qui conduit au changement d’un point diacritique dans le texte<br />

canonique <strong>et</strong> reçu ; <strong>et</strong> on lit, avec l’alif prosth<strong>et</strong>icum requis par la phonétique arabe,<br />

ujduud avec le sens requis « flamme embrasée ».<br />

C’est presque évi<strong>de</strong>nt, mais il faut le dire comme un principe <strong>de</strong> la critique<br />

textuelle dans les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> coraniques : bien qu’elle soit <strong><strong>de</strong>s</strong> milliers <strong>de</strong> fois correcte,<br />

la mise en place <strong><strong>de</strong>s</strong> points diacritiques du texte reçu <strong>et</strong> canonique est à rem<strong>et</strong>tre<br />

en question, du point <strong>de</strong> vue méthodologique, surtout pour les cas <strong><strong>de</strong>s</strong> mots <strong>et</strong><br />

expressions qui sont problématiques même pour la tradition musulmane, les<br />

premiers témoins matériels ne connaissant ni points diacritiques ni autres signes<br />

<strong>de</strong> lectures (voyelles, <strong>et</strong>c.). Et il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> incertitu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la part <strong><strong>de</strong>s</strong> lecteurs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

exégètes musulmans dès le début <strong>de</strong> la tradition connue du texte, ce qui est bien<br />

un indice qu’on disposait <strong>de</strong> manuscrits du texte, mais pas d’une tradition orale<br />

authentique <strong>et</strong> ininterrompue.<br />

Notons au passage que le verbe qaCada « être assis » ne doit plus être compris<br />

dans le sens concr<strong>et</strong> (les persécuteurs sont assis autour du grand feu où ils<br />

tourmentent leurs victimes), mais il a le sens grammaticalisé d’un verbe <strong>de</strong> temps<br />

prolongé : « ils vont rester <strong>de</strong>dans (éternellement) ». Ce séjour est un témoignage<br />

<strong>de</strong> ce qu’ils infligent aux croyants (l’orateur compris, ce qui explique sa rage) dans<br />

le présent. Avec cela, on arrive au <strong>de</strong>rnier point névralgique pour le moment.<br />

L’interprétation du vers<strong>et</strong> 8 rési<strong>de</strong> dans la définition du mot arabe naqama « se<br />

venger ? » <strong>et</strong> dans l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> l’agent pour ce verbe qui est en combinaison<br />

avec la sphère temporelle dans laquelle la phrase est située. Si l’on continue, en<br />

concordance avec la grammaire arabe, avec présent ou futur, il faut d’abord traduire<br />

« pour qu’ils croient ». Et cela ouvre une perspective pour l’interprétation alternative<br />

<strong>de</strong> ce qui précè<strong>de</strong>. Qui invite à croire en Dieu ? Les croyants, <strong>et</strong> notamment le<br />

prédicateur, le missionnaire. Naqama, on le postule comme hypothèse, doit avoir le<br />

sens <strong>de</strong> « <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, chercher à, inviter ». Mais, <strong>de</strong> nouveau : dans quelle langue ?<br />

Pour ukhduud / ujduud, on a admis un mot étranger, araméen, adapté à l’arabe tout<br />

simplement. Le cas <strong>de</strong> naqama semble différent <strong>et</strong> plus compliqué. D’abord, il faut<br />

trouver une langue, <strong>et</strong> puis un mot dans c<strong>et</strong>te langue, qui peut signifier « <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r,<br />

chercher à » <strong>et</strong> « se venger » selon le contexte. L’araméen vient <strong>de</strong> nouveau à notre<br />

se<strong>cours</strong>. En syriaque, mais aussi dans d’autres langues araméennes, le verbe tbaC<br />

remplit les conditions requises. Ce qu’il faut supposer maintenant, c’est l’existence<br />

d’un calque linguistique en arabe qui serait mo<strong>de</strong>lé sur le verbe araméen, en étant<br />

peut-être le fruit <strong>et</strong> le résultat <strong>de</strong> traductions, — seulement mentales, ou bien<br />

écrites ? — : un individu <strong>de</strong> langue araméenne qui traduirait en arabe ou bien un<br />

Arabe qui traduirait <strong>de</strong> l’araméen en arabe ? Le verbe araméen tbaC : il est, selon le<br />

contexte, traduit correctement une fois par l’arabe naqama « se venger », <strong>et</strong> est<br />

traduit dans un autre contexte, où le sens <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rait un complément arabe, dans


788 MANFRED KROPP<br />

le sens <strong>de</strong> « <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r » (p.e. Talaba) d’une manière stéréotypée <strong>et</strong> mécanique<br />

toujours avec le même mot naqama, qui, en principe <strong>et</strong> dans l’usage répété, aurait pu<br />

prendre le sens secondaire <strong>de</strong> « <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r » en arabe courant. Ce n’était pas le cas <strong>et</strong><br />

le mot est resté un pseudo hapax legomenon <strong>et</strong> un mot énigmatique dans le Coran. La<br />

traduction proposée cherche à sauver le parfum d’un mot étranger, nouvellement<br />

arrivé — bien dans l’esprit du prédicateur qui veut impressionner avec ses mots<br />

choisis, rares <strong>et</strong> inconnus — en choisissant un sens entre « se venger » <strong>et</strong> « <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r »,<br />

le sens attesté pour le mot araméen étant « presser sur, harceler ».<br />

M<strong>et</strong>tons ensemble les pièces détachées <strong>de</strong> l’interprétation alternative <strong>de</strong> la<br />

sourate 85 « Le cercle zodiacal », vers<strong>et</strong>s 1-8 :<br />

1. Par le ciel avec (son cercle <strong>de</strong> zodiaque qui paraît être) <strong><strong>de</strong>s</strong> tours !<br />

2. Par le jour (du <strong>de</strong>rnier jugement) promis !<br />

3. Par le témoignage absolu <strong>et</strong> compl<strong>et</strong> !<br />

4. Qu’ils soient maudits, les gens <strong>de</strong> la flamma flagrans –<br />

5. – le feu (<strong>de</strong> l’enfer qui ne manquera jamais) d’alimentation ! –<br />

6. tandis qu’ils resteront <strong>de</strong>dans (pour toujours)<br />

7. en donnant témoignage (représenté par les tourments <strong>de</strong> la peine éternelle<br />

qui leur sera infligée) pour ce qu’ils font maintenant avec les croyants !<br />

8. Ceux-ci (les croyants), en fait, ne leur ont harcelé (<strong>de</strong>mandé) rien d’autre que<br />

<strong>de</strong> croire en Dieu, le Puissant, le Digne <strong>de</strong> Louanges.<br />

Deuxième exemple : la profession <strong>de</strong> foi <strong>de</strong> la sourate 112<br />

Si déjà le passage bref, mais bien construit, <strong>de</strong> la sourate 85, 1-8, se prêtait à être<br />

répété, voire même scandé dans les rues <strong>et</strong> sur les marchés comme un programme<br />

religieux, menace aux incroyants <strong>et</strong> infidèles, exhortation <strong>et</strong> encouragement aux<br />

croyants — dans ce cas-là, avec un rythme lourd <strong>et</strong> long <strong>et</strong> une rime <strong>de</strong> même nature<br />

(-uud), on va voir avec la profession <strong>de</strong> foi <strong>de</strong> la sourate un autre exemple <strong>de</strong> formule<br />

brève, rythmée <strong>et</strong> rimée, qui, considérée avec d’autres cas <strong>de</strong> textes coraniques, a<br />

toute la chance d’être « pré-coranique », d’être partie d’un héritage <strong>de</strong> textes religieux,<br />

polémiques, en langue arabe. C<strong>et</strong> héritage aurait pu se former dans les pério<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

antérieures à l’islam où l’Arabie connaissait <strong><strong>de</strong>s</strong> mouvements missionnaires <strong>de</strong> toutes<br />

sortes — juifs, chrétiens <strong>de</strong> diverses confessions — <strong>et</strong> serait le fruit linguistique <strong>et</strong><br />

littéraire <strong>de</strong> tels mouvements dont l’islam naissant se serait emparé.<br />

Le texte canonique en traduction :<br />

Sourate 112 Al-IkhlaaS « La Foi sincère »<br />

Au nom d’Allah, le Bienfaiteur miséricordieux.<br />

1. Dis : Il est Allah, unique (aHad),<br />

2. Allah le Seul (aS-Samad).<br />

3. Il n’a pas engendré <strong>et</strong> n’a pas été engendré.<br />

4. N’est égal à Lui personne.


CHAIRE EUROPÉENNE 789<br />

Sourate 112 Al-IkhlaaS « la dévotion sincère »<br />

Un credo musulman <strong>et</strong> ses problèmes linguistiques<br />

Les points névralgiques vralgiques:<br />

Le Texte Objectif <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> tu<strong>de</strong><br />

névralgiques vralgiques du point <strong>de</strong> vue linguistique ou philologique<br />

bien entendu. entendu<br />

– La construction du nom <strong>de</strong> nombre "aHad aHad" dans<br />

le premier vers<strong>et</strong> qui précis pr cisément ment par sa<br />

construction agrammaticale se révélera lera être un<br />

mot étranger tranger<br />

– La signification du mot Samad <strong>et</strong> le rôle du<br />

vers<strong>et</strong> 2 dans le contexte <strong>et</strong> la composition <strong>de</strong> la<br />

sourate<br />

– La forme <strong>et</strong> le sens du mot kufuc dans le<br />

quatrième quatri me vers<strong>et</strong>. vers<strong>et</strong><br />

M<strong>et</strong>tre en relief l’importance <strong>et</strong> le rôle<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> variantes <strong>de</strong> lecture canoniques<br />

(qiraa‘aat)<br />

Description <strong>et</strong> exemple du principe<br />

stylistique: mot étranger suivi par une<br />

traduction ou une paraphrase en arabe<br />

M<strong>et</strong>tre en relief le rôle du «faux ami»<br />

dans la traduction: un mot arabe dans le texte<br />

est lr calque d‘un mot étranger.<br />

En guise <strong>de</strong> conclusion: conclusion<br />

Essai <strong>de</strong> reconstruction du prototype oral du texte écrit crit actuel<br />

Les « points névralgiques » ont été traités durant les heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong>, dans la<br />

perspective <strong><strong>de</strong>s</strong> objectifs d’étu<strong>de</strong> qui avaient été formulés, <strong>et</strong> d’une manière<br />

exhaustive. Les résultats obtenus seront publiés sous la forme <strong>de</strong> divers articles<br />

séparés. Dans ce rapport, on se limitera à un résumé <strong>de</strong> l’essentiel.<br />

La tradition musulmane elle-même nous rapporte l’existence <strong>de</strong> doutes pour<br />

savoir si c<strong>et</strong>te pièce, comme les <strong>de</strong>ux autres sourates brèves qui la suivent à la fin<br />

<strong>de</strong> la rédaction canonique, <strong>et</strong> la première sourate, la faaTiHa — espèce <strong>de</strong> prière<br />

introductive — font vraiment partie du texte révélé. Cela va dans un sens<br />

d’interprétation qui a déjà été indiqué : il s’agit très probablement d’un p<strong>et</strong>it texte<br />

religieux, un slogan polémique tripartite (on le verra), mais anti-trinitaire. Un tel<br />

texte peut être conçu dans <strong><strong>de</strong>s</strong> milieux chrétiens hétérodoxes, ou bien juifs, les<br />

<strong>de</strong>ux étant présents dans l’Arabie pré-islamique. C<strong>et</strong>te hypothèse est corroborée<br />

par le fait que la tradition <strong><strong>de</strong>s</strong> lectures offre pour ces passages <strong>de</strong> véritables variantes<br />

qui semblent bien être le refl<strong>et</strong> d’une tradition orale vivante, contrairement à tant<br />

d’autres textes <strong>et</strong> passages coraniques, où, on l’a déjà dit, les soi disant variantes <strong>de</strong><br />

lecture <strong>et</strong> <strong>de</strong> tradition orale ne sont que le résultat du travail <strong><strong>de</strong>s</strong> philologues<br />

postérieurs. Leur action s’exerçait sur un texte dépourvu <strong>de</strong> points diacritiques <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> voyelles, mais aussi dépourvu d’une véritable tradition orale, texte qu’ils ne<br />

comprenaient plus <strong>et</strong> qu’ils cherchaient à expliquer <strong>de</strong> leur mieux <strong>et</strong> selon leurs<br />

possibilités. Un premier résultat <strong>de</strong> reconstruction d’une version originale orale <strong>de</strong><br />

ce texte à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> variantes attestées <strong>et</strong> selon les principes <strong>de</strong> la critique textuelle


790 MANFRED KROPP<br />

est que le vers<strong>et</strong> 2 serait une addition explicative postérieure qui se réfère au mot<br />

problématique, <strong>de</strong>rnier mot du vers<strong>et</strong> 1 : aHad (ou bien eHad ?). Ce qui reste en<br />

terme <strong>de</strong> structure est une formule en trois parties, bien construite <strong>et</strong> rimée sur la<br />

rime -ad (typique pour les formules anti-trinitaires) car les mots walad « fils » ou<br />

« engendrer », mais également le nombre aHad « un, unique » ont c<strong>et</strong>te rime.<br />

Là aussi, il s’agit d’un slogan facile à mémoriser <strong>et</strong> à scan<strong>de</strong>r dans le public contre<br />

les adversaires religieux.<br />

Le mot problématique aHad « un » du vers<strong>et</strong> 1 <strong>et</strong> sa construction grammaticale<br />

ont fait couler beaucoup d’encre <strong>de</strong>puis les premières étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur le Coran au début<br />

<strong>de</strong> l’exégèse musulmane jusqu’aux <strong>travaux</strong> scientifiques occi<strong>de</strong>ntaux — le <strong>de</strong>rnier<br />

vers la fin du xx e siècle. Lorsqu’il est lu <strong>et</strong> compris comme le nombre arabe « un »,<br />

il <strong>de</strong>meure <strong><strong>de</strong>s</strong> difficultés pour la construction syntaxique. Pour proposer<br />

simplement la solution choisie, disons que le vers<strong>et</strong> 1 est bien évi<strong>de</strong>mment une<br />

réminiscence du « SmaC Israel », la profession <strong>de</strong> foi juive en l’unicité <strong>de</strong> Dieu.<br />

Ainsi, le mot en question pourrait se révéler être une intarsia — « ornement<br />

étranger » — savante, l’hébreu eHad qui serait pris quasiment comme nom propre<br />

<strong>de</strong> Dieu en arabe.<br />

Le vers<strong>et</strong> 2, on l’a déjà dit, est une addition postérieure à la formule originale <strong>et</strong><br />

se veut bien une explication <strong>et</strong> paraphrase <strong>de</strong> eHad en arabe <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa construction.<br />

C’est bien une explication du type obscurum per obscurior, qui a fait couler autant<br />

d’encre que le mot qui <strong>de</strong>vrait être expliqué, parce que le mot arabe Samad est très<br />

rare <strong>et</strong> il fait partie plutôt du langage poétique ; son sens semble être « compact,<br />

non-vi<strong>de</strong>, dur, rocher, <strong>et</strong>c. », ce qui correspondrait au fond avec l’idée <strong>de</strong> l’unicité<br />

<strong>de</strong> Dieu.<br />

Le mot kufuc « égal » ouvre toute une série <strong>de</strong> questions, <strong><strong>de</strong>s</strong> quisquilia philologica,<br />

concernant d’abord l’orthographe <strong><strong>de</strong>s</strong> textes coraniques <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’arabe dit « classique »<br />

<strong>et</strong>, ensuite, <strong><strong>de</strong>s</strong> questions qui mènent finalement au problème fondamental : <strong>de</strong><br />

quelle langue (arabe) s’agit-il dans les premiers manuscrits coraniques ayant une<br />

orthographe purement consonantique, dépourvue <strong>de</strong> tout autre signe <strong>de</strong> lecture ?<br />

On peut ici seulement faire allusion au problème <strong>de</strong> l’existence d’un hamza dans<br />

c<strong>et</strong>te langue coranique, l’origine <strong>de</strong> l’alif otiosum <strong>et</strong> son usage, ainsi que la question<br />

<strong>de</strong> l’existence ou non d’une flexion désinentielle dans c<strong>et</strong>te langue, autant <strong>de</strong><br />

questions qui réclament une réponse avant qu’on puisse interpréter avec certitu<strong>de</strong><br />

le seul mot kufuc <strong>et</strong> sa fonction dans la phrase.<br />

Notons, en passant, que la construction <strong>de</strong> la négation lam (vers<strong>et</strong> 3) avec une<br />

forme du verbe préfixée pour le passé négatif, qui est r<strong>et</strong>enue comme étant hautement<br />

littéraire <strong>et</strong> classique en arabe mo<strong>de</strong>rne, <strong>et</strong> qui ne trouve pas <strong>de</strong> correspondant dans<br />

les langues arabes parlées mo<strong>de</strong>rnes, est bien attestée non seulement dans les<br />

premières inscriptions en langue arabe (par exemple celle d’en-Nemara, 328 A.D.),<br />

mais aussi dans <strong><strong>de</strong>s</strong> textes arabes chrétiens du viii e siècle (fragment <strong><strong>de</strong>s</strong> psaumes<br />

bilingues <strong>de</strong> Damas) dans lesquels la langue n’est certainement pas un arabe classique<br />

<strong>et</strong> l<strong>et</strong>tré, mais une sorte <strong>de</strong> vernaculaire local.


CHAIRE EUROPÉENNE 791<br />

Et pour conclure le travail <strong>de</strong> critique textuelle <strong>et</strong> <strong>de</strong> reconstruction, disons<br />

qu’avec les connaissances acquises <strong>et</strong> les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> éprouvées qui ont été appliquées,<br />

il a été possible <strong>de</strong> déceler une autre <strong>de</strong> ces formules tripartites <strong>et</strong> anti-trinitaires<br />

coraniques dans le vers<strong>et</strong> 3 <strong>de</strong> la sourate 72 Les Djinns. La version canonique cache<br />

bien par tous les moyens du camouflage philologique c<strong>et</strong>te structure originale dans<br />

un seul vers au lieu <strong>de</strong> trois, <strong>de</strong> même qu’elle efface un mot syriaque Had « unique,<br />

un », encore dite <strong>de</strong> Dieu, en le remplaçant par un incompréhensible <strong>et</strong> mal placé<br />

jadd « la fortune » ou par <strong><strong>de</strong>s</strong> formes similaires.<br />

Q 72, 3 Reconstruction <strong>de</strong> la formule originale<br />

<strong>et</strong> comparaison avec la version officielle<br />

l’application <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances acquises dans l’analyse <strong>de</strong> la sourate<br />

112 à un vers <strong>de</strong> la sourate 72 al-Jinn “Les Djinns”<br />

Version officielle<br />

Wa-canna-huu – taCaalaa jaddu rabbi-naa – maa ttakhada SaaHibatan wa-laa waladaa<br />

Et Lui donc – que soit exaltée la gran<strong>de</strong>ur<br />

. <strong>de</strong> Notre Seigneur! – n'a pas pris <strong>de</strong> compagne ou d'enfant.<br />

• Points névralgiques: Eulogie prèce<strong>de</strong> sa référence <strong>et</strong> se réfère à une <strong><strong>de</strong>s</strong> qualités <strong>de</strong> Dieu, qui, en outre,<br />

est exprimée par un mot étrange dans le contexte (jadd bonheur)!<br />

• Reconstruction:<br />

�1. Inna-huu - taCaalaa - Had! = 7<br />

1. Lui donc – exalté exalt soit-Il soit Il – est Un (Unique Unique)! )!<br />

�2. Rabb(a)-naa maa (i)ttakhad = 5(7) 2. Notre Seigneur n‘a pas pris<br />

�3. SaaHiba wa-laa walad! = 7 3. Ni compagne ni enfant! enfant<br />

� Eulogie en position correcte se référant à Dieu ; mot savant Had = Dieu Unique<br />

(mot connu dans sourate 112,1 sous form aHad) ; structure rythmique d’un slogan<br />

politico-religieux parfaitement équilibrée.<br />

Troisième exemple : la sourate 19 Maryam /Marie : poésie religieuse parallèle<br />

à la poésie syriaque <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mots arabes chimériques qui sont le résultat d’une<br />

fausse lecture d’une Vorlage « modèle » garshouni, c’est-à-dire <strong>de</strong> l’arabe écrit<br />

en l<strong>et</strong>tres syriaques. (Bloc thématique <strong><strong>de</strong>s</strong> cinq heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />

du 6 mars au 17 avril 2008)<br />

La sourate 19 Maryam / Marie est une belle pièce narrative <strong>et</strong> poétique du Coran<br />

qui est composée <strong>de</strong> divers épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> relatifs aux prophètes, en premier rang <strong><strong>de</strong>s</strong>quels<br />

Jean Baptiste <strong>et</strong> Jésus (surtout l’histoire <strong>de</strong> sa naissance, d’où le nom <strong>de</strong> la sourate). Du<br />

point <strong>de</strong> vue littéraire, on y trouve tous les éléments essentiels <strong>de</strong> la poésie chrétienne<br />

syriaque, notamment le genre Soghito : structure en strophes avec un refrain constant<br />

<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> parties narratives qui alternent avec <strong><strong>de</strong>s</strong> parties en dialogue. En même temps, il<br />

faut constater que le genre est adapté à l’esprit <strong>de</strong> la langue arabe <strong>et</strong> <strong>de</strong> la littérature<br />

arabe. Il faut encore bien <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches comparées approfondies pour dresser un<br />

tableau <strong>de</strong> l’influence syriaque sur le Coran <strong>et</strong> surtout pour bien définir l’esprit <strong>et</strong> la<br />

structure <strong>de</strong> l’adaptation qui ne manque point <strong>de</strong> créativité <strong>et</strong> d’originalité.


792 MANFRED KROPP<br />

Le texte <strong>de</strong> la sourate se prête à d’autres observations philologiques. Des mots arabes<br />

plutôt très rares (ce n’est pas par hasard qu’il s’agit d’hapax legomena dans le Coran<br />

même), sinon chimériques, mal placés <strong>et</strong> difficiles à comprendre dans le contexte, se<br />

révèlent, vus sous l’angle <strong>de</strong> l’hypothèse d’une influence araméenne ou syriaque, non<br />

seulement linguistique mais aussi du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’écriture (n’oublions pas que<br />

l’écriture arabe n’est qu’une évolution particulière d’une ou <strong><strong>de</strong>s</strong> écritures araméennes),<br />

comme étant <strong><strong>de</strong>s</strong> fautes <strong>de</strong> lecture multiples. Et en plus <strong>de</strong> cela, ils j<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> la lumière<br />

sur <strong><strong>de</strong>s</strong> Vorlagen « modèles » matériels dont s’est servi l’auteur (ou les auteurs) <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

textes réunis dans le corpus coranique. En analysant les exemples présents dans les<br />

vers<strong>et</strong> 97-98 <strong>de</strong> la sourate, précisément les mots rikz « bruit faible, murmure » <strong>et</strong> ladd<br />

« adversaires, querelleurs », on arrive à proposer <strong><strong>de</strong>s</strong> conjectures ou émendations en<br />

supposant qu’il s’agit <strong>de</strong> fausses lectures <strong>de</strong> l<strong>et</strong>tres araméennes. Là, R <strong>et</strong> D sont<br />

i<strong>de</strong>ntiques (sinon distingués par <strong><strong>de</strong>s</strong> points diacritiques) ; L <strong>et</strong> Cayn sont très similaires<br />

<strong>et</strong> assez souvent confondus. L’affaire se complique car, comme <strong>de</strong>uxième étape dans<br />

l’hypothèse, il faut adm<strong>et</strong>tre que dans le cas <strong>de</strong> ces Vorlagen « modèles », il s’agissait <strong>de</strong><br />

textes écrits en écriture syriaque, mais composés en langue arabe ! Phénomène bien<br />

connu par ailleurs dans la littérature arabe chrétienne ; ce sont en eff<strong>et</strong> les textes dits<br />

garchouni, dont on pose l’origine en accord avec c<strong>et</strong>te hypothèse <strong>de</strong> travail dans le<br />

temps pré-islamique. Cela j<strong>et</strong>te une nouvelle lumière naturellement sur le suj<strong>et</strong><br />

hautement disputé <strong>de</strong> l’existence d’une littérature arabe chrétienne avant l’islam. Du<br />

reste, la transposition, mieux, la transcription <strong><strong>de</strong>s</strong> textes coraniques p<strong>résumés</strong><br />

garchouni produit d’autres fautes <strong>de</strong> lecture typiques : par exemple, le copiste voit la<br />

l<strong>et</strong>tre D/R araméenne <strong>et</strong> écrit mécaniquement non la l<strong>et</strong>tre arabe correspondante,<br />

mais la l<strong>et</strong>tre arabe proche dans la forme optique, c’est-à-dire W (processus qui<br />

engendre bien d’autres mots, voire racines, chimériques dans le texte coranique ; par<br />

exemple la racine WJL !). En tout cas, en multipliant les exemples <strong>de</strong> fautes <strong>de</strong> lecture,<br />

rendues évi<strong>de</strong>ntes par <strong><strong>de</strong>s</strong> conjectures évi<strong>de</strong>ntes <strong>et</strong> heureuses dans le texte, on arrivera<br />

dans le futur à bien consoli<strong>de</strong>r l’hypothèse en question.<br />

Araméen /syriaque D / R<br />

<strong>de</strong>ux l<strong>et</strong>tres i<strong>de</strong>ntiques<br />

à distinguer par <strong><strong>de</strong>s</strong> points diacritiques


CHAIRE EUROPÉENNE 793<br />

Quant à la substitution <strong><strong>de</strong>s</strong> mots pour la sourate 19, 97-98, on remplace rikz<br />

« le murmure » par dhikr « mémoire » <strong>et</strong>, en eff<strong>et</strong>, le contexte l’exige parce que<br />

l’effacement <strong>de</strong> la mémoire est une <strong>de</strong>uxième mort, pire que la mort physique !<br />

— <strong>et</strong> ladd « les querelleurs » remplacé par Cadd « en (grand nombre) », du point<br />

<strong>de</strong> vue stylistique, est beaucoup mieux dans son contexte.<br />

Reste, toujours dans les mêmes vers<strong>et</strong>s, un problème d’une autre nature, mais<br />

qu’on a déjà vu en traitant la sourate 85 (le mot naqama) : le calque linguistique.<br />

Sans pouvoir entrer trop dans les détails, il faut remarquer que <strong><strong>de</strong>s</strong> mots<br />

fréquemment utilisés dans le Coran <strong>et</strong> interprétés par « faciliter, éclaircir, éluci<strong>de</strong>r,<br />

<strong>et</strong>c. », font bien partie d’une manière métaphorique commune aux langues<br />

sémitiques. En eff<strong>et</strong>, selon le contexte, tous ces mots veulent simplement dire<br />

« traduire ».<br />

Certes, c<strong>et</strong>te interprétation, naturelle pour un linguiste sémitisant, sera<br />

difficilement acceptable dans le mon<strong>de</strong> musulman. Rappelons-nous que chacune<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> milliers <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> milliers <strong>de</strong> récitations coraniques quotidiennes dans le mon<strong>de</strong><br />

entier sont introduites par la phrase stéréotypée: maa tayassara min …, « ce qui a<br />

été facilité (par Dieu) dans (le Coran) ». C<strong>et</strong>te phrase, avec son mot clé yassara /<br />

tayassara (aussi en sourate 19, 98), doit être comprise dans bien <strong><strong>de</strong>s</strong> cas, dans le<br />

contexte coranique, comme « traduire ». Voici le résultat pour l’interprétation <strong>et</strong><br />

la traduction du Coran <strong>de</strong> ce qui précè<strong>de</strong> :<br />

Trad. Régis Blachère :<br />

Nous l’avons simplement facilité par ta voix<br />

pour que tu en fasses l’heureuse annonce<br />

aux Pieux <strong>et</strong> que tu en avertisses un peuple<br />

hostile.<br />

Sourate Maryam Q 19, 97<br />

Trad. M. Hamidullah :<br />

Nous l’avons rendu (le Coran) facile [à<br />

comprendre] en ta langue, afin que tu annonces<br />

la bonne nouvelle aux gens pieux, <strong>et</strong> que tu<br />

avertisses un peuple irréductible.<br />

Nous l‘avons avons traduit dans ta langue, langue afin que tu annonces la<br />

bonne nouvelle, nouvelle mais pas sans exhorter les gens pieux en grand<br />

nombre !


794 MANFRED KROPP<br />

Après ce tour <strong>de</strong> force dans la forêt sauvage <strong>de</strong> la philologie, <strong>de</strong> la critique<br />

textuelle, <strong><strong>de</strong>s</strong> fautes <strong>de</strong> lecture, <strong><strong>de</strong>s</strong> conjectures <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> émendations, le <strong>cours</strong> s’est<br />

conclu en ouvrant une perspective <strong>et</strong> un aperçu sur un champ <strong>de</strong> recherche quelque<br />

peu différent, mais hautement complémentaire. La nouvelle approche du Coran<br />

vise sa nature comme message religieux, comme acte <strong>de</strong> parole. Comment peut-on<br />

s’imaginer son rôle <strong>et</strong> sa place dans les circonstances historiques <strong>de</strong> sa première<br />

promulgation ? Est-il possible d’entrevoir le personnage <strong>et</strong> la psychologie <strong>de</strong> ce<br />

personnage qu’il faut présumer comme auteur ? Il semble que l’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> textes<br />

comme acte <strong>de</strong> parole, <strong>et</strong> notamment le concept <strong>de</strong> l’acte <strong>de</strong> parole « pluri-adressé »,<br />

est capable d’ouvrir <strong>de</strong> nouvelles perspectives <strong>et</strong> <strong>de</strong> nouvelles voies dans les étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

coraniques, comme elle l’a déjà fait dans les cas d’autres écrits religieux. Je me<br />

perm<strong>et</strong>s d’inclure ici le <strong>de</strong>rnier paragraphe du <strong>cours</strong> lu le 17 avril 2008.<br />

Ce que l’on a présenté, c’est bien une analyse <strong>de</strong> la fiction religieuse qui<br />

considère la source <strong>de</strong> l’inspiration comme étant un Dieu transcendant. Le <strong>cours</strong><br />

avait comme suj<strong>et</strong> le Coran en tant que document linguistique <strong>et</strong> historique.<br />

Pour le linguiste <strong>et</strong> pour l’historien, c’est un document provenant <strong>de</strong> la créativité<br />

humaine <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’histoire humaine <strong>de</strong> la même façon que les autres textes <strong>et</strong><br />

documents. Leur analyse <strong>de</strong> la structure du dis<strong>cours</strong> coranique sera par conséquent<br />

quelque peu différente <strong>de</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> religieux, bien que l’analyse <strong>de</strong> la structure<br />

proposée par la religion <strong>et</strong> par la foi puisse <strong>et</strong> doive <strong>de</strong>venir, à son tour, l’obj<strong>et</strong><br />

d’une analyse scientifique. La première réévaluation nécessaire <strong>de</strong> la structure <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> son analyse concerne, bien sûr, la nature <strong>de</strong> la source « d’inspiration ». On<br />

pourrait penser, pour sauver l’hypothèse d’une source externe, à <strong><strong>de</strong>s</strong> personnes<br />

qui instruisent l’auteur <strong>de</strong> ces textes. C’était déjà, comme on l’a vu, le reproche<br />

<strong>et</strong> la moquerie exprimés par <strong><strong>de</strong>s</strong> adversaires contemporains. C<strong>et</strong>te explication est<br />

valable du point <strong>de</strong> vue du contenu ; elle peut expliquer les parallèles avec les<br />

autres écritures sacrées <strong>de</strong> l’époque. Mais du point <strong>de</strong> vue du style <strong>et</strong> du rôle <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

locuteurs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> interlocuteurs, cela pose <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes, à moins qu’on veuille y<br />

voir une sorte <strong>de</strong> journal (actes) <strong>de</strong> l’enseignant anonyme <strong>de</strong> MuHammad,<br />

comme cela a été, en fait, proposé dans les années cinquante du siècle précé<strong>de</strong>nt<br />

par un chercheur français.<br />

Une autre solution pour formuler une approche scientifique <strong>et</strong> un programme<br />

<strong>de</strong> recherche sur c<strong>et</strong> aspect du document semble plus plausible <strong>et</strong> réalisable.<br />

M<strong>et</strong>tons la source d’inspiration à l’intérieur du medium, du messager, <strong>et</strong> faisons-en<br />

une fac<strong>et</strong>te <strong>de</strong> sa personnalité. Ainsi la psychologie, la psychanalyse <strong>et</strong> leurs<br />

métho<strong><strong>de</strong>s</strong> seront combinées à celles <strong>de</strong> la linguistique pragmatique <strong><strong>de</strong>s</strong> textes,<br />

notamment aux théories <strong>et</strong> aux approches <strong><strong>de</strong>s</strong> documents religieux <strong>de</strong> type<br />

coranique en tant qu’actes <strong>de</strong> parole. Ce sont, en fait, <strong><strong>de</strong>s</strong> actes <strong>de</strong> parole spécifiques,<br />

« poly-» ou « pluri-adressés » (avec <strong>de</strong> doubles ou multiples adresses) mais aussi<br />

avec un caractère particulier. Des actes <strong>de</strong> parole « pluri-adressés » (à plusieurs<br />

adresses) <strong>et</strong> leurs particularités peuvent être observés chaque jour dans la vie<br />

quotidienne. C’est, par exemple, une conversation à travers un téléphone portable,<br />

à haute voix dans un restaurant animé, donc un acte d’impolitesse <strong>de</strong> premier


CHAIRE EUROPÉENNE 795<br />

ordre ! (Au début <strong>de</strong> l’usage <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te manie, il était suffisant <strong>de</strong> poser le cellulaire<br />

« discrètement » sur la table.) C’est une conversation qui se déroule avec<br />

l’interlocuteur <strong>de</strong> l’autre côté <strong>de</strong> la chaîne <strong>de</strong> communication électronique, mais<br />

c’est aussi une conversation qui a pour <strong>de</strong>uxième but (souvent le premier !)<br />

d’impressionner les gens qui sont autour <strong>et</strong> qui sont obligés d’écouter la conversation<br />

« en cach<strong>et</strong>te ». Un autre exemple est le dis<strong>cours</strong> parlementaire. Certes, le dis<strong>cours</strong><br />

parlementaire s’adresse formellement aux collègues dans le parlement, le locuteur<br />

parle <strong>et</strong> discute avec eux. Mais l’autre aspect pragmatique <strong>de</strong> ce dis<strong>cours</strong>, <strong>et</strong> peutêtre<br />

le plus important, concerne les médias <strong>et</strong> donc un large public non déterminé,<br />

le peuple en tant qu’il est intéressé par la politique. Ces doubles <strong>et</strong> multiples<br />

fonctions d’un dis<strong>cours</strong> changent profondément sa nature, son style, son lexique<br />

<strong>et</strong> naturellement aussi sa réalisation concrète (l’énonciation). Le dis<strong>cours</strong> religieux,<br />

même s’il partage <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments importants avec ceux qu’on vient <strong>de</strong> décrire<br />

brièvement, est quelque peu différent <strong>et</strong> plus compliqué parce que <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments <strong>de</strong><br />

fiction (on pourrait dire plus respectueusement <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments d’inspiration, <strong>de</strong><br />

vision ou quelque chose <strong>de</strong> similaire), non seulement dans le contenu, mais aussi<br />

dans la nature <strong>de</strong> l’acte <strong>de</strong> parole, <strong>de</strong> ses acteurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs rôles respectifs, agissent<br />

ici <strong>et</strong> interviennent pour une gran<strong>de</strong> part. Et avec ces auteurs, on a affaire à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

personnages complexes <strong>et</strong> hors du commun dont l’étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> le déchiffrement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

caractéristiques n’exigent pas seulement la participation <strong><strong>de</strong>s</strong> philologues, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

historiens <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> linguistes pour étudier <strong>et</strong> pour analyser les énoncés (textes écrits<br />

<strong>et</strong> transmis), mais aussi l’essai, même à une distance <strong>de</strong> presque 1 500 ans, <strong>de</strong><br />

passer par une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’énonciation, c’est-à-dire l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> circonstances <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

situations qui ont produit ces énoncés, en m<strong>et</strong>tant ces éléments en relation avec la<br />

personne qui a effectué la première mise en forme du dis<strong>cours</strong>. Pour atteindre c<strong>et</strong><br />

objectif, il faut accomplir un travail interdisciplinaire en liaison avec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

psychologues <strong>et</strong> psychanalystes.<br />

Pour le dis<strong>cours</strong> religieux, dans bien <strong><strong>de</strong>s</strong> cas, il faut distinguer trois instances<br />

réparties sur <strong>de</strong>ux axes. Il y a la source du message (Dieu, les anges, <strong>et</strong>c.), le<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>tinataire particulier du message, à savoir le prophète, <strong>et</strong> les <strong><strong>de</strong>s</strong>tinataires <strong>de</strong> la<br />

prédication du messager (au fond naturellement les <strong><strong>de</strong>s</strong>tinataires indirects du<br />

premier message). L’axe vertical, <strong>de</strong> haut en bas, est caractéristique d’un dis<strong>cours</strong><br />

entre une source <strong>et</strong> un messager. L’axe horizontal est propre à la relation entre le<br />

messager <strong>et</strong> le peuple <strong><strong>de</strong>s</strong> croyants.<br />

Le premier acte <strong>de</strong> parole qui est annoncé est rendu public parce qu’il est un<br />

élément nécessaire à la légitimation du messager. Mais souvent ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> récits<br />

courts (« J’ai eu la vision <strong>et</strong> l’ange m’a dit, <strong>et</strong>c. »), ou <strong><strong>de</strong>s</strong> allusions (Jésus : « Comme<br />

le père m’a envoyé je vous envoie aussi, <strong>et</strong>c. »). Le message prend la forme adaptée<br />

au public <strong>et</strong> s’adresse directement à lui.<br />

Le cas du Coran est différent. Pour le dire d’une manière brutale : les <strong><strong>de</strong>s</strong>tinataires<br />

du message sont déclassés en voyeurs écoutant en cach<strong>et</strong>te les secr<strong>et</strong>s d’un acte <strong>de</strong><br />

parole divine qui est <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné, du moins dans certaines <strong>de</strong> ses parties, au medium


796 MANFRED KROPP<br />

seul. C’est bien là un élément d’authenticité <strong>et</strong> <strong>de</strong> vérité du message, on peut le<br />

dire, mais cela est fait à la manière d’une abstraction totale du phénomène <strong>de</strong><br />

l’expérience individuelle du medium avec son Dieu. Et cela provoque <strong><strong>de</strong>s</strong> réserves,<br />

du moins chez nous les Mo<strong>de</strong>rnes, qui y voyons, d’une manière naïve, mais<br />

instruite <strong>et</strong> avertie, trop <strong>de</strong> parallèles avec les fictions d’une réalité immédiate,<br />

dans l’historiographie <strong>de</strong> toutes les époques <strong>et</strong> dans une certaine presse politique<br />

<strong>et</strong> documentaire d’aujourd’hui. Si cela s’ajoute, en plus, à l’usage fréquent <strong>de</strong> la<br />

menace envers ceux qui, malgré c<strong>et</strong>te preuve d’authenticité, ne veulent pas croire<br />

(l’enfer <strong>et</strong> la punition se trouvent nommés trois fois plus que le paradis <strong>et</strong> la<br />

bonne récompense), la position <strong>de</strong> l’auditeur ou du lecteur perd encore en<br />

sympathie. Quant à la fiction (certes le dis<strong>cours</strong> coranique est bien construit,<br />

consciemment ou inconsciemment), l’inspiration artistique existe dans ses<br />

manifestations <strong>et</strong> elle est construite en vue <strong>de</strong> son eff<strong>et</strong> sur le public. Ainsi, l’acte<br />

<strong>de</strong> parole premier <strong>et</strong> fictif fait bien partie du <strong>de</strong>uxième vol<strong>et</strong> concr<strong>et</strong> dont on a les<br />

traces. La genèse du texte <strong>et</strong> son énonciation sont donc aussi un problème <strong>et</strong> un<br />

obj<strong>et</strong> pour les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> psychologiques, <strong>et</strong> peu importe pour l’instant si ces textes<br />

sont passés par écrit tout <strong>de</strong> suite (ce qui est probable) <strong>et</strong> furent prononcés <strong>et</strong><br />

récités sur la base d’un écrit par la suite. Prenons un premier exemple d’étu<strong>de</strong> <strong>et</strong><br />

d’interprétation psychologique en tant que tentative <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en relief un trait du<br />

dis<strong>cours</strong> coranique.<br />

Les réactions <strong>et</strong> les réponses éventuelles du public sur le message ne sont pas<br />

rapportées directement dans le texte. Pour la plupart, elles sont négatives <strong>de</strong> la part<br />

<strong>de</strong> ses adversaires. Mais on a vu l’exemple positif <strong>de</strong> la réaction <strong><strong>de</strong>s</strong> jinns envers le<br />

Coran. Le messager ne les présente pas comme émanant <strong>de</strong> son expérience directe<br />

<strong>et</strong> récente qu’il a sans doute, toutefois, faite. Il les transforme en observation <strong>de</strong><br />

Dieu, sa source, qui ensuite seulement lui fait part <strong>de</strong> la réalité vécue par luimême.<br />

C<strong>et</strong>te source dans l’interprétation psychologique constitue une partie, une<br />

fac<strong>et</strong>te <strong>de</strong> sa personnalité, qui semble scindée d’une manière profon<strong>de</strong>. En tout cas,<br />

le fait <strong>de</strong> transformer l’expérience personnelle en observation d’un troisième acteur,<br />

même fictif, avec toutes les conséquences engendrées par cela, me semble un indice<br />

<strong>et</strong> le phénomène d’une perte énorme <strong>de</strong> réalité <strong>et</strong> <strong>de</strong> contact avec elle. À cela<br />

s’ajoute le phénomène d’i<strong>de</strong>ntification graduelle <strong>et</strong> insidieuse du messager avec la<br />

source <strong>de</strong> son message, une méta-fiction dans la fiction.<br />

R<strong>et</strong>ournons au programme <strong>de</strong> recherche. La reconstruction <strong><strong>de</strong>s</strong> états historiques<br />

du texte <strong>de</strong>vra toujours être à la base <strong>de</strong> chaque étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> interprétation ultérieures,<br />

en plus raffiné. Mais sans un travail <strong>de</strong> bénédictin <strong>de</strong> la part <strong><strong>de</strong>s</strong> philologues <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

historiens, tout le reste n’aura aucune base. C’est ensuite seulement que l’on pourra<br />

penser sérieusement à un travail interdisciplinaire entre linguistes <strong>et</strong> psychologues<br />

ou psychanalystes. Sur c<strong>et</strong>te base, une fois bien établie, pourraient se construire ce<br />

qu’on peut appeler un psychogramme <strong>de</strong> la personnalité source ou bien <strong><strong>de</strong>s</strong> sources<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> textes contenus dans le corpus coranique.


S (source<br />

d’inspiration ou du texte)<br />

le “moi, nous, mon, notre”,<br />

mais parle aussi <strong>de</strong> soimême<br />

en 3.p.sg. “Il, son”<br />

� m monologue en Entrent dans m<br />

sens unique<br />

� contenu : histoires,<br />

exhortations,<br />

consolations,<br />

incitations, adressés à<br />

M ou à M <strong>et</strong> P<br />

� instructions pour la<br />

prédication à M<br />

M, le medium, le<br />

messager ; le “toi,<br />

ton…” <strong>et</strong>c.<br />

CHAIRE EUROPÉENNE 797<br />

Un acte <strong>de</strong> parole pluri-adressé<br />

sur <strong>de</strong>ux axes (verticale <strong>et</strong> horizontale) : la<br />

structure du dis<strong>cours</strong> coranique<br />

réactions,<br />

Bloqués !I réponses<br />

m transmis tel<br />

quel ; avec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

ajouts possibles<br />

Et si S <strong>et</strong> M n’étaient rien d’autre que <strong>de</strong>ux<br />

fac<strong>et</strong>tes d’une seule personnalité ?<br />

Les séminaires<br />

observés par S !<br />

Public du messager, les “vous, votre;<br />

ils, leur”<br />

� croyants, disciples<br />

� adversaires<br />

�Groupes divers : juifs, chrétiens <strong>et</strong>c.<br />

Les 14 séminaires accompagnant les heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong> étaient dédiés en gran<strong>de</strong><br />

partie à l’approfondissement <strong><strong>de</strong>s</strong> questions <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes soulevés <strong>et</strong> traités dans<br />

le <strong>cours</strong>, avec l’objectif <strong>de</strong> présenter <strong><strong>de</strong>s</strong> détails supplémentaires à <strong><strong>de</strong>s</strong> étudiants <strong>et</strong><br />

à un public plus spécialisés.<br />

Néanmoins, il y avait là <strong><strong>de</strong>s</strong> blocs thématiques à part, ne faisant pas partie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

suj<strong>et</strong>s du <strong>cours</strong>. Ainsi les six premières heures traitaient en détail, <strong>et</strong> comme partie<br />

intégrante d’une recherche en <strong>cours</strong>, l’influence éthiopienne sur le Coran <strong>et</strong><br />

notamment les mots d’origine éthiopienne. Le résultat <strong>de</strong> ces sessions s’est con<strong>de</strong>nsé<br />

dans une intervention à un colloque international en avril 2004, dont la forme<br />

élaborée a fait l’obj<strong>et</strong> d’une publication (voir activités scientifiques <strong>et</strong> publications<br />

ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous). Entre autres, l’étu<strong>de</strong> traite le groupement assez particulier <strong><strong>de</strong>s</strong> mots<br />

éthiopiens dans le corpus coranique ainsi qu’un essai d’établissement d’une<br />

chronologie relative <strong>de</strong> leur apparition dans les textes.<br />

Ces <strong>de</strong>ux phénomènes caractéristiques sont assez signifiants pour l’histoire <strong>et</strong><br />

l’origine du corpus coranique. Le Coran désigne, dans une <strong>de</strong>rnière pério<strong>de</strong>,<br />

l’Ancien Testament <strong>et</strong> l’Évangile par les mots injiil <strong>et</strong> — dans la lecture traditionnelle<br />

<strong>et</strong> canonique — tawraat. Le travail a établi l’origine, ou bien la voie <strong>de</strong> transmission,<br />

éthiopienne <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux termes religieux techniques <strong>et</strong> a fourni, pour la première


798 MANFRED KROPP<br />

fois, soit une explication plausible <strong>de</strong> la forme arabe injiil à partir <strong>de</strong> l’éthiopien<br />

wängel, soit une nouvelle lecture du terme technique pour l’AT en yoriit, parallèle<br />

exact <strong>de</strong> l’éthiopien oriit. Ce <strong>de</strong>rnier, comme tant d’autres termes dans le langage<br />

religieux <strong>de</strong> l’ancien éthiopien, dérive à son tour <strong>de</strong> mots étrangers — en général<br />

grecs ou araméens. Et c’est ainsi que les zones d’influence sur le Coran (<strong>et</strong> la langue<br />

arabe en général) se croisent <strong>et</strong> se rejoignent. Il est, <strong>et</strong> il sera souvent, bien difficile<br />

<strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r si un emprunt lexical en arabe est passé directement d’un dialecte<br />

araméen ou bien a fait un détour à travers l’autre rive <strong>de</strong> la mer Rouge par<br />

l’éthiopien. La forme phonétique peut être décisive <strong>de</strong> temps à autre. Sinon il faut<br />

connaître — <strong>et</strong> hélas nos sources à disposition ne le perm<strong>et</strong>tent pas toujours — les<br />

circonstances historiques <strong>de</strong> chaque cas d’emprunt particulier.<br />

Avec la discussion <strong>de</strong> la lecture tawraat ou bien yoriit, on a ouvert un autre bloc<br />

thématique très épineux <strong>et</strong> vraiment <strong><strong>de</strong>s</strong> quisquilia philologica : l’orthographe <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

premiers manuscrits coraniques <strong>et</strong> son développement, que l’on peut partiellement<br />

suivre dans les témoins matériels. Il s’agit surtout <strong>de</strong> la question <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes<br />

matres lectionis utilisées pour noter la voyelle longue « a » (médiane), qui n’est pas<br />

notée dans la première étape du développement <strong>de</strong> l’écriture coranique. Mais là<br />

aussi, la perspective du problème, qui semblait apparaître tout à fait comme une<br />

question relevant <strong>de</strong> « l’art pour l’art », change rapi<strong>de</strong>ment quand le résultat d’une<br />

telle étu<strong>de</strong> repose sur la lecture d’un mot ou d’un terme technique clé. Un exemple :<br />

cela fait bien une différence dans nombre <strong>de</strong> textes coraniques si on lit baraacaa<br />

« immunité, exemption », concept <strong>et</strong> mot purement arabes, ou bien beriit (hébreu)<br />

ou barayt(aa) (araméen) « pacte (surtout <strong>de</strong> Dieu avec les hommes) ». Les résultats<br />

<strong>de</strong> ce bloc thématique sont en train d’être discutés <strong>et</strong> élaborés en contact direct<br />

avec <strong><strong>de</strong>s</strong> collègues <strong>et</strong> chercheurs spécialisés en la matière.<br />

Un troisième bloc abordait une partie plutôt anecdotique dans divers passages<br />

coraniques. Il s’agit <strong><strong>de</strong>s</strong> scènes reprises <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> l’auteur présumé <strong>de</strong> ces textes<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> ses relations avec <strong><strong>de</strong>s</strong> personnes juives. Un trait récurrent dans ces anecdotes,<br />

racontées non sans rage <strong>et</strong> indignation par l’auteur, est la moquerie exercée par les<br />

juifs qui profitent <strong>de</strong> la proximité <strong>de</strong> leur langue (sacrée) hébraïque, ou bien<br />

araméenne (vernaculaire), avec l’arabe pour forger <strong><strong>de</strong>s</strong> jeux <strong>de</strong> mots qui auraient<br />

bien pu insulter le personnage visé, qui ne se prive pas <strong>de</strong> réponses dures.<br />

L’hypothèse <strong>de</strong> travail posant qu’il s’agirait en eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> moqueries linguistiques<br />

réciproques a ainsi permis <strong>de</strong> résoudre une énigme d’exégèse coranique (Q 4, 46)<br />

<strong>et</strong> a proj<strong>et</strong>é un peu <strong>de</strong> lumière aussi sur les mécanismes (très humains) du progrès<br />

dans les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> la recherche. Le premier pas vers la solution proposée par moimême,<br />

qui va bientôt être publiée dans un journal scientifique, a été fait par un<br />

savant autrichien il y a plus <strong>de</strong> cent ans maintenant dans son compte rendu, plein<br />

d’humour du reste, d’une thèse <strong>de</strong> doctorat d’un rabbin juif sur Mohammed <strong>et</strong> le<br />

Coran (Aloys Sprenger, cr <strong>de</strong> J. Gastfreund, Mohamed nach Talmud <strong>et</strong> Midrasch.<br />

Berlin, 1875. Dans : ZDMG, 25, 1875, 654-659. On laisse le lecteur imaginer<br />

pourquoi ces lignes ont été oubliées si vite : l’œuvre volumineuse <strong>de</strong> Sprenger sur<br />

Mohammed, l’islam <strong>et</strong> le Coran, mise à l’écart par la science pendant longtemps,


CHAIRE EUROPÉENNE 799<br />

se révèle d’une actualité <strong>et</strong> d’une perspicacité considérables <strong>et</strong> elle est à ré<strong>de</strong>couvrir).<br />

Le <strong>de</strong>rnier essai, encore dans le xx e siècle, <strong>de</strong> résoudre l’énigme <strong>de</strong> ce passage<br />

coranique a été fait par feu l’éminent arabisant autrichien Arne A. Ambros (« Hoere,<br />

ohne zu hoeren — zu Koran 4/46 ». Dans ZDMG 136/1986, 15-22), paru dans<br />

le même journal que le compte rendu <strong>de</strong> Sprenger <strong>et</strong> précisément cent ans après<br />

lui. L’auteur dispose d’un savoir énorme <strong>et</strong> l’applique à son suj<strong>et</strong> en échafaudant<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> constructions <strong>de</strong> parallèles avec d’autres écritures sacrées, notamment l’AT,<br />

sans être capable toutefois <strong>de</strong> présenter une solution plausible, qu’il recherche<br />

toujours dans un sens religieux, sublime <strong>et</strong> caché <strong>de</strong> la phrase — selon la lecture<br />

canonique — « écoute sans écouter ». Il y est condamné parce que le respect absolu<br />

<strong>de</strong> chaque l<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> la version canonique (la conviction d’une tradition orale<br />

authentique y comprise) <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te écriture sacrée, <strong>et</strong> peut-être aussi un scrupule<br />

relevant <strong>de</strong> la foi, l’empêchent <strong>de</strong> voir la solution évi<strong>de</strong>nte <strong>et</strong> requise par tout le<br />

contexte qui consiste à changer les points diacritiques d’une l<strong>et</strong>tre <strong>et</strong> <strong>de</strong> changer<br />

<strong>de</strong>ux voyelles, ce qui donne le sens : « Ne t’adresse pas (à moi, Mohammed) en<br />

disant : iSmaC (avec la sifflante à l’hébreu ou l’araméenne, <strong>et</strong> non pas en arabe :<br />

ismaC !), ce n’est pas ainsi qu’on attire mon oreille (mon attention) ! »<br />

Articles<br />

Publications <strong>et</strong> activités <strong>de</strong> Manfred Kropp 2007-2008<br />

The Ethiopic Satan = Šaytān and its Quranic successor. With a note on verbal stoning.<br />

In : Christianisme Oriental. Kerygme <strong>et</strong> Histoire. Mélanges offerts au père Michel Hayek.<br />

Coordination Charles Chartouni. Paris, 2007, 331-341.<br />

Äthiopische Arabesken im Koran : afro-asiatische Perlen auf Band gereiht, einzeln o<strong>de</strong>r<br />

zu Paaren, diffus verteilt o<strong>de</strong>r an Glanzpunkten konzentriert. In : Schlaglichter. Die bei<strong>de</strong>n<br />

ersten islamischen Jahrhun<strong>de</strong>rte. Groß, Markus und Karl-Heinz Ohlig (Eds.). Berlin :<br />

Schiler, 2008. (Inaarah. Schriften zur frühen Islamgeschichte und zum Koran. 3.)<br />

384-410.<br />

Monumentalised Accountancy from Ancient Ethiopia : The Stele of Maryam Anza.<br />

Dans : 2 nd International Littmann Conference at Aksum — 100 Years German Aksum<br />

Expedition (DAE) 6.-10. Januar 2006 (Sous presse).<br />

Comptes rendus<br />

Wolf Leslau, Reference Grammar of Amharic. Wiesba<strong>de</strong>n, 1995. Dans Oriens Christianus.<br />

91, 2007, 252-254.<br />

Encyclopaedia A<strong>et</strong>hiopica. Wiesba<strong>de</strong>n : Harrassowitz. Volume 1 : A-C, 2003, Volume 2 :<br />

D-Ha, 2005. Dans Oriens Christianus. 91, 2007, 250-254.<br />

Articles dans dictionnaires<br />

‘Āmda-Seyon - Amharische Literatur - Äthiopischer Buchdruck - Äthiopien - Äthiopische<br />

Kirche - Äthiopische Klöster - Dabtarā - Eččagē - Galāwdēwos - Ignazio Guidi - Kebra Nagaśt<br />

- Lālibalā - Ludolf - Wissenschaft vom Christlichen Orient (Äthiopien) - Zar’a-Yā‘qob -<br />

Zeitrechnung in : Kleines Lexikon <strong><strong>de</strong>s</strong> Christlichen Orients. 2. Auflage <strong><strong>de</strong>s</strong> Kleinen Wörterbuchs<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Christlichen Orients. Herausgegeben von Hubert Kaufhold. Wiesba<strong>de</strong>n, 2007.


800 MANFRED KROPP<br />

Participations aux Congrès<br />

Symposium : Frühe Islamgeschichte und <strong>de</strong>r Koran /Early History of Islam<br />

and the Koran. 13.-16. März 2008, Otzenhausen. (Inaarah. 1.). Intervention<br />

« Äthiopische Arabesken im Koran : afro-asiatische Perlen auf Band gereiht, einzeln<br />

o<strong>de</strong>r zu Paaren, diffus verteilt o<strong>de</strong>r an Glanzpunkten konzentriert » (sous presse).<br />

Noms barbares 2, le 18 juin 2008. Séminaire-colloque organisé par le professeur<br />

Michel Tardieu en partenariat avec l’ANR, le CNRS <strong>et</strong> l’EPHE. Intervention<br />

« Noms magiques d’Ethiopie ». Publication en préparation. Résumé :<br />

La magie éthiopienne est représentée, la plupart du temps, par <strong><strong>de</strong>s</strong> talismans<br />

protecteurs (contre maladies <strong>et</strong> malheurs <strong>de</strong> toute sorte), il s’agit donc d’une magie<br />

« blanche », bien que <strong><strong>de</strong>s</strong> exemples <strong>de</strong> magie « noire » soient attestés. Il s’agit, en<br />

général, <strong>de</strong> rouleaux en cuir portés sur le corps ou bien suspendus aux murs <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

maisons. L’obj<strong>et</strong> magique est fait par un magicien <strong>de</strong> profession, généralement un<br />

dabtara, sorte <strong>de</strong> l<strong>et</strong>tré <strong>et</strong> érudit <strong>de</strong> l’église éthiopienne, qui n’est cependant pas<br />

prêtre. A côté <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>voirs comme poète <strong>de</strong> poésie religieuse <strong>et</strong> comme chantre<br />

<strong>et</strong> danseur dans la liturgie, il utilise sa connaissance <strong>de</strong> l’écriture <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> textes sacrés<br />

pour composer les textes magiques <strong><strong>de</strong>s</strong> rouleaux protecteurs <strong>et</strong> d’autres.<br />

Le nom propre joue un rôle éminent dans la culture éthiopienne <strong>et</strong> dans les<br />

croyances populaires, jusqu’au point que le nom se confon<strong>de</strong> avec la personne.<br />

Celui qui le détient a le pouvoir sur la personne. De même, les magiciens éthiopiens<br />

sont toujours à la recherche du vrai <strong>et</strong> puissant nom <strong>de</strong> Dieu, <strong><strong>de</strong>s</strong> anges, mais aussi<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> démons <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> esprits méchants <strong>et</strong> malfaisants. On trouve, dans les textes, toute<br />

sorte <strong>de</strong> noms arbitrairement créés par la fantaisie. Une autre catégorie est formée<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> noms parlants, tirés <strong>de</strong> diverses langues parlées, par exemple « celui qui frappe<br />

à midi », « celui qui frappe dans l’ombre » pour désigner certaines maladies. Mais<br />

la source la plus riche <strong>et</strong> la plus exploitée pour la création <strong><strong>de</strong>s</strong> noms magiques <strong>et</strong><br />

barbares sont <strong><strong>de</strong>s</strong> mots <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> textes en langues étrangères, transcrits en écriture<br />

éthiopienne, naturellement. C’est d’abord la Bible qui offre nombre <strong><strong>de</strong>s</strong> mots <strong>et</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> noms ; viennent ensuite les autres textes liturgiques <strong>et</strong> théologiques ; enfin, il<br />

ne faut pas oublier <strong><strong>de</strong>s</strong> traductions <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> adaptations <strong>de</strong> traités magiques, surtout<br />

<strong>de</strong>puis l’arabe.<br />

Voilà trois exemples typiques :<br />

– certains éléments <strong>de</strong> base (lis, pis, el, ahi, dahi, <strong>et</strong>c.) sont à ajouter aux mots ou<br />

bien à répéter librement pour former <strong><strong>de</strong>s</strong> termes nouveaux ; l’élément confère un<br />

sens général (guérison d’une certaine maladie ; partie <strong>de</strong> l’édifice d’une église, <strong>et</strong>c.) ;<br />

– le carré sator <strong>de</strong>vient sador arador danat a<strong>de</strong>ra rodas <strong>et</strong> est interprété comme<br />

les noms <strong><strong>de</strong>s</strong> clous <strong>de</strong> la sainte croix.<br />

– melos, mot tout à fait artificiel, qui n’a rien à voir avec le grec melos, <strong>et</strong> est,<br />

peut-être, le nom <strong>de</strong> Salomon lu à l’envers, figure dans beaucoup <strong>de</strong> textes<br />

magiques. On lui donne une signification arbitraire mais constante dans la


CHAIRE EUROPÉENNE 801<br />

tradition : « pierre précieuse », « épée ar<strong>de</strong>nte » (<strong>de</strong> Dieu) ou bien « Saint Esprit ».<br />

Ce mot <strong>et</strong> nom magique d’origine « barbare » a fait carrière, jusqu’à entrer dans la<br />

liturgie, <strong>et</strong> il est invoqué lors <strong>de</strong> la consécration <strong>de</strong> l’euchariste.<br />

38 th Seminar for Arabian Studies. London from Thursday 24th — Saturday<br />

26th July 2008. Intervention « People of powerful South Arabian kings or just<br />

“people like others” » (sous presse). Résumé :<br />

One recurring theme of the Qur’an narrates the fates of peoples called upon by<br />

God’s messengers, refusing the divine call to confess His unity and suffering the<br />

subsequent divine wrath and punishment. There are proper names given to some<br />

of these people, their regions or towns as well as to some of the messengers, while<br />

others remain anonymous. Behind these proper names are clearly known Biblical<br />

figures as Fir’awn (Pharao), Lut (Loth) <strong>et</strong>c. However, some of the messengers, e.g.<br />

Salih and Hud, and peoples, e.g. ‘Ad, are commonly thought to be part of an<br />

Arabian historical or legendary heritage. Other proper names have remained<br />

ambiguous or unclear since the beginning of the study of the Quranic texts, <strong><strong>de</strong>s</strong>pite<br />

the efforts of outstanding Muslim commentators.<br />

Thus I do not intend to go astray or g<strong>et</strong> lost in the « thick<strong>et</strong> » (al-Ayka) but try<br />

to give a different meaning to the « people of the Tubba » interpr<strong>et</strong>ed in the<br />

Muslim tradition as the powerful South Arabian, especially Sabaean or Himyarite,<br />

kings. Tradition takes it as a proper name in the sg. to which a pl. tababi’a is<br />

formed. And later « national » Yemenite tradition preserves the memory of the<br />

<strong>de</strong>eds and mis<strong>de</strong>eds of these kings. In general the allusion ma<strong>de</strong> twice in the<br />

Qur’an to the « people of the Tubba’ ? » is accepted as a vague historical memory<br />

of invasions or campaigns of South Arabian kings and armies into Central and<br />

Northwestern Arabia. But one g<strong>et</strong>s the feeling that these stories (rather than the<br />

Tubba’ !) are intru<strong>de</strong>rs and stand out from most other attested peoples of Biblical<br />

origin. Other allusions to South Arabia and Yemen, besi<strong><strong>de</strong>s</strong> the story of Queen<br />

Bilqis (this one also tributary to Biblical and Misdrashic sources), are likewise<br />

hypoth<strong>et</strong>ical (Sura 85 ; Sura 105).<br />

There is an alternative way to interpr<strong>et</strong> the presumed proper name. It may well<br />

originate in a common Arabic and can be explained by a common morphological<br />

pattern (participle or adjective in the plural). It would then be an attribute to the<br />

preceding qawm « people », an expression with several parallels at least as far as<br />

morphology and syntax are concerned. What remains of the common explanation<br />

is in the semantic field of the Arabic root, where, according to the context of the<br />

two passages, qawm tubba ? refers to « people who follow their example », « people<br />

who stick to them », « people of their kind ».<br />

The proposed m<strong>et</strong>hod is not new, but it needs to be applied more consistently<br />

in Quranic studies in or<strong>de</strong>r to gain new insights into the history of its text and to<br />

steer interpr<strong>et</strong>ation away from age-old beaten tracks.


Chaire internationale<br />

M. Pierre Magistr<strong>et</strong>ti, professeur associé<br />

L’enseignement dispensé au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année académique 2007-2008, dans le<br />

cadre <strong>de</strong> la Chaire internationale, intitulé : « Cellules gliales, neuroénergétique <strong>et</strong><br />

maladies neuropsychiatriques » a été centré sur les mécanismes cellulaires <strong>et</strong><br />

moléculaires du métabolisme énergétique cérébral <strong>et</strong> sur le rôle que les cellules<br />

gliales jouent dans ces processus en condition physiologiques <strong>et</strong> pathologiques.<br />

Outre l’enseignement ex-cathedra, un colloque, d’une journée, a été organisé en fin<br />

<strong>de</strong> <strong>cours</strong>, intitulé : « Neurosciences <strong>et</strong> psychanalyse : une rencontre autour <strong>de</strong><br />

l’émergence <strong>de</strong> la singularité ».<br />

Fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> la neuroénergétique<br />

Le <strong>cours</strong> a débuté par la définition d’un certain nombre <strong>de</strong> concepts fondamentaux<br />

<strong>de</strong> la neuroénergétique. La neuroénergétique est un terme dérivé <strong>de</strong> celui <strong>de</strong><br />

bioénergétique <strong>et</strong> qui se réfère aux mécanismes moléculaires <strong>et</strong> cellulaires <strong>de</strong> la<br />

production <strong>et</strong> <strong>de</strong> la consommation d’énergie qui sont directement liés à l’activité<br />

neuronale. En fait, la neuroénergétique représente l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> processus<br />

énergétiques qui sont liés au traitement <strong>de</strong> l’information, au sens large du terme,<br />

par le système nerveux. Le cerveau est un organe qui a d’importantes <strong>de</strong>man<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

énergétiques. En eff<strong>et</strong>, bien que ne représentant que 2 % du poids corporel total,<br />

son activité rend compte <strong>de</strong> 20 à 25 % <strong>de</strong> la consommation d’énergie totale <strong>de</strong><br />

l’organisme. La question qui se pose donc est celle <strong>de</strong> savoir quels sont les<br />

mécanismes propres au cerveau qui requièrent ces <strong>de</strong>man<strong><strong>de</strong>s</strong> importantes d’énergie ?<br />

Pour répondre à c<strong>et</strong>te question, le premier <strong>cours</strong> s’est focalisé sur ce que l’on appelle<br />

le budg<strong>et</strong> énergétique du cerveau <strong>et</strong>, en particulier, du cortex cérébral. Etant donné<br />

que 85 % <strong><strong>de</strong>s</strong> synapses <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones présents dans le cortex utilisent le glutamate<br />

comme neurotransm<strong>et</strong>teur, différents auteurs ont proposé <strong>de</strong> calculer le coût<br />

énergétique <strong>de</strong> la transmission glutamatergique dans le cortex cérébral [1]. Ainsi, si<br />

l’on prend en considération les différents processus moléculaires liés à la


804 PIERRE MAGISTRETTI<br />

neurotransmission glutamatergique, tels que les potentiels d’action, la libération<br />

présynaptique, la recapture <strong>et</strong> le recyclage par les astrocytes périsynaptiques <strong>et</strong><br />

l’action postsynaptique, les chiffres suivants ont été calculés. Pour recycler le<br />

glutamate libéré par 4 000 vésicules, ce recyclage impliquant la transformation du<br />

glutamate en glutamine par l’astrocyte ainsi que sa métabolisation en alphac<strong>et</strong>oglutarate<br />

<strong>et</strong> en aspartate, 11 000 molécules d’ATP sont nécessaires. Au niveau<br />

postsynaptique la libération d’une vésicule <strong>de</strong> glutamate active environ 15 à<br />

50 canaux non-NMDA ayant un temps d’ouverture moyen <strong>de</strong> 1 à 1,5 msec<br />

(millisecon<strong><strong>de</strong>s</strong>) <strong>et</strong> une capacitance d’environ 12 pS (picosiemens). En considérant<br />

une force électrochimique d’environ 120 mV, il ressort un coût d’environ<br />

67 000 molécules d’ATP par vésicule <strong>de</strong> glutamate. Pour ce qui est <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs<br />

NMDA, ce coût est <strong>de</strong> 70 000 molécules d’ATP <strong>et</strong> <strong>de</strong> 3 000 pour les récepteurs<br />

métabotropes. Le maintien <strong><strong>de</strong>s</strong> potentiels <strong>de</strong> repos au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones est estimé<br />

à 3,5 × 10 8 molécules d’ATP par secon<strong>de</strong> <strong>et</strong> au niveau astrocytaire 10 8 molécules<br />

d’ATP par secon<strong>de</strong>. Ramené à un coût par vésicule <strong>de</strong> glutamate libérée, la<br />

transmission glutamatergique, la signalisation pré <strong>et</strong> postsynaptique combinée au<br />

recyclage astrocytaire du glutamate est estimée à 1,6 × 10 5 molécules d’ATP par<br />

vésicule libérée. Pour ce qui est <strong>de</strong> la genèse <strong>et</strong> <strong>de</strong> la propagation du potentiel<br />

d’action, le coût énergétique est estimé à 3,9 8 molécules d’ATP. Dans la mesure où<br />

un potentiel d’action peut évoquer la libération <strong>de</strong> glutamate à partir d’environ<br />

8 000 vésicules synaptique <strong>et</strong> en considérant une fréquence <strong>de</strong> 4 Hz, on arrive à un<br />

coût global <strong>de</strong> 3,3 × 10 8 molécules d’ATP. Si l’on ajoute à ces coûts la consommation<br />

liée aux eff<strong>et</strong>s post-synaptiques on aboutit à un coût global <strong>de</strong> 7 × 10 8 molécules<br />

d’ATP par neurone par potentiel d’action. En intégrant ces coûts pour une<br />

fréquence <strong>de</strong> décharge à 4 Hz la consommation globale serait <strong>de</strong> 3,3 × 10 9 molécules<br />

d’ATP par neurone par secon<strong>de</strong>. Avec une <strong>de</strong>nsité au niveau cortical d’environ<br />

9,2 × 10 7 neurones par cm 3 , donc par gramme [2], on calcule une consommation<br />

globale d’énergie par la matière grise <strong>de</strong> 30 à 40 ATP/mmol/g/min. C<strong>et</strong>te valeur<br />

correspond bien à celle mesurée par la technique du 2-déoxyglucose [3], avec<br />

laquelle on obtient <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs <strong>de</strong> 30 à 50 mmol/g/min. Pour ce qui est <strong><strong>de</strong>s</strong> différents<br />

processus liés à la neurotransmission glutamatergique, leur contribution relative se<br />

répartirait <strong>de</strong> la manière suivante : 47 % pour les potentiels d’action, 35 % pour les<br />

réponses postsynaptiques, 12 % pour le maintien <strong><strong>de</strong>s</strong> potentiels <strong>de</strong> repos <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

gradients électrochimiques, 3 % pour le recyclage glial du glutamate <strong>et</strong> 3 % pour<br />

l’activité <strong>de</strong> libération à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> terminaisons [1]. Si l’on m<strong>et</strong> en relation c<strong>et</strong>te<br />

consommation liée à la transmission glutamatergique avec la consommation globale<br />

d’énergie par le cortex cérébral, il en résulte une consommation d’environ 15 % qui<br />

serait déterminée par <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes autres que la transmission glutamatergique,<br />

notamment par <strong><strong>de</strong>s</strong> processus <strong>de</strong> fonctionnement commun à toutes les cellules <strong>de</strong><br />

l’organisme. En résumé, il apparaît que la transmission glutamatergique constitue<br />

environ 85 % du coût énergétique cérébral. Des calculs analogues ont été effectués<br />

chez le primate, en prenant en compte la <strong>de</strong>nsité synaptique, le nombre <strong>de</strong> neurones<br />

par mm 3 , les fréquences <strong>de</strong> décharge <strong>et</strong> ont abouti à une estimation d’un coût


CHAIRE INTERNATIONALE 805<br />

énergétique <strong>de</strong> 2,5 × 10 9 molécules d’ATP par neurone par potentiel d’action, ce<br />

qui correspond à peu près à un coût <strong>de</strong> 2,5 fois inférieur à celui déterminé chez le<br />

rongeur [4].<br />

Le couplage métabolique neurone-glie<br />

Ayant déterminé quels sont les processus liés à l’activité neuronale qui<br />

consomment <strong>de</strong> l’énergie, le <strong>cours</strong> a abordé l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes qui sont à la<br />

base du couplage entre l’activité neuronale <strong>et</strong> la consommation d’énergie. En eff<strong>et</strong>,<br />

une <strong><strong>de</strong>s</strong> questions encore aujourd’hui ouvertes en neurobiologie <strong>et</strong> en<br />

neuroénergétique spécifiquement, est celle <strong>de</strong> savoir comment les événements<br />

électrochimiques qui se produisent au niveau neuronal <strong>et</strong>, en particulier, au niveau<br />

synaptique, se traduisent par une augmentation <strong>de</strong> la disponibilité <strong>de</strong> substrats<br />

énergétiques localement en lien direct avec l’activité neuronale. Dans c<strong>et</strong>te partie<br />

du <strong>cours</strong>, les <strong>travaux</strong> du laboratoire ont été présentés. Ces <strong>travaux</strong> ont permis <strong>de</strong><br />

m<strong>et</strong>tre en évi<strong>de</strong>nce un rôle central d’un type particulier <strong>de</strong> cellules gliales dans ce<br />

couplage métabolique. En eff<strong>et</strong>, les astrocytes ont une disposition morphologique<br />

particulière, possédant <strong><strong>de</strong>s</strong> processus qui entourent, en gran<strong>de</strong> partie, les profils<br />

synaptiques <strong>et</strong> d’autres qui recouvrent les parois <strong><strong>de</strong>s</strong> capillaires intraparenchymateux.<br />

Ces <strong>de</strong>rniers processus périvasculaires sont appelés les pieds astrocytaires. Au<br />

laboratoire, nous avons démontré que le glutamate libéré présynaptiquement est<br />

recapté, <strong>de</strong> manière très efficace, par les astrocytes au travers <strong>de</strong> transporteurs<br />

spécifiques dénommés EAAC1 <strong>et</strong> EAAC2 qui utilisent le gradient électrochimique<br />

du sodium comme force électrochimique pour transporter le glutamate à l’intérieur<br />

<strong>de</strong> l’astrocyte contre son gradient chimique. C<strong>et</strong>te entrée <strong>de</strong> sodium active la<br />

sodium/potassium-ATPase qui en consommant <strong>de</strong> l’ATP en diminue la disponibilité<br />

<strong>et</strong> donc active comme, par un mécanisme homéostatique, l’entrée <strong>de</strong> glucose dans<br />

l’astrocyte. De manière surprenante, le glucose recapté par ce mécanisme est<br />

relargué sous forme <strong>de</strong> lactate qui peut être consommé par le neurone après<br />

conversion en pyruvate. Le pyruvate peut intégrer le cycle <strong>de</strong> Krebs <strong>et</strong> produire par<br />

la phosphorylation oxydative à laquelle il est couplé 17 ATP par molécule [5].<br />

La nav<strong>et</strong>te lactate astrocyte-neurone<br />

Les différents éléments moléculaires <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te « nav<strong>et</strong>te lactate astrocyte-neurones »<br />

ont été caractérisés. Ainsi, les transporteurs au monocarboxylate (MCT) qui<br />

perm<strong>et</strong>tent le transfert intercellulaire du lactate sont sélectivement exprimés :<br />

MCT1 au niveau astrocytaire <strong>et</strong> MCT2 au niveau neuronal. De plus, l’expression<br />

<strong>de</strong> l’enzyme lactate <strong><strong>de</strong>s</strong>hydrogénase (LDH) présente aussi une distribution cellulaire<br />

sélective. Ainsi la forme LDH1, forme qui est exprimée dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus <strong>et</strong> cellules<br />

qui utilisent le lactate comme substrat comme, par exemple le myocar<strong>de</strong>, est<br />

sélectivement exprimée au niveau neuronal alors que la forme LDH5, qui elle est<br />

exprimée dans les tissus glycolytiques produisant du lactate, sont exprimés <strong>de</strong><br />

manière sélective au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> astrocytes. Ainsi il semble exister un mécanisme<br />

direct <strong>de</strong> couplage entre l’activité synaptique <strong>et</strong> la consommation <strong>de</strong> glucose qui


806 PIERRE MAGISTRETTI<br />

m<strong>et</strong> en jeu les astrocytes, le recaptage <strong>de</strong> glutamate par ces cellules <strong>et</strong> la production<br />

<strong>de</strong> lactate à partir <strong>de</strong> glucose importé <strong>de</strong>puis les capillaires, qui peut ensuite être<br />

utilisé comme substrat énergétique par les neurones [6].<br />

L’utilisation <strong>de</strong> souris chez lesquelles le gène codant pour le transporteur du<br />

glutamate glial a été invalidé a démontré clairement, qu’en l’absence <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

molécule, le couplage entre l’activité synaptique glutamatergique <strong>et</strong> l’utilisation <strong>de</strong><br />

glucose n’a pas lieu [7]. Des expériences conduites par l’utilisation d’oligonucléoti<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

antisens ciblés contre le transporteur au glutamate glial ont donné <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats<br />

analogues [8]. Les expériences ont été conduites dans les <strong>de</strong>ux cas dans la voie<br />

somato-sensorielle qui connecte les vibrisses aux barrils.<br />

Le coût énergétique <strong>de</strong> la neurotransmission inhibitrice<br />

La question qui a été ensuite abordée dans le <strong>cours</strong> est celle du coût énergétique<br />

<strong>de</strong> la transmission inhibitrice. En eff<strong>et</strong>, environ 10 % <strong><strong>de</strong>s</strong> synapses corticales sont<br />

GABAergiques. Les résultats démontrent toutefois que le GABA, bien que recapté<br />

par l’astrocyte, ne modifie pas, <strong>de</strong> manière suffisante, l’homéostasie sodique, le<br />

signal principal pour l’activation <strong>de</strong> la sodium/potassium-ATPase <strong>et</strong> la réponse<br />

métabolique qui lui est couplée. Les augmentations <strong>de</strong> sodium induites par le<br />

recaptage <strong>de</strong> GABA sont marginales avec une cinétique lente qui n’aboutit pas à<br />

une activation rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la sodium/potassium-ATPase. Le GABA n’active donc pas<br />

la glycolyse astrocytaire. L’absence d’eff<strong>et</strong> métabolique du GABA au niveau <strong>de</strong><br />

l’astrocyte soulève la question du coût énergétique <strong>de</strong> la transmission inhibitrice <strong>et</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes <strong>de</strong> couplage pour faire face à ces besoins. L’organisation synaptique<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> neurones GABAergiques fournit une piste <strong>de</strong> réflexion. En eff<strong>et</strong>, la gran<strong>de</strong><br />

majorité <strong>de</strong> ces neurones sont <strong><strong>de</strong>s</strong> interneurones, notamment au niveau du cortex<br />

cérébral. Ces interneurones GABAergiques reçoivent eux-mêmes <strong><strong>de</strong>s</strong> afférences<br />

glutamatergiques. Une explication possible dès lors est que lors <strong>de</strong> la libération <strong>de</strong><br />

glutamate dans une région corticale, l’entrée <strong>de</strong> glucose dans le parenchyme<br />

médié par la transmission glutamatergique fournit suffisamment d’énergie<br />

localement pour également faire face aux besoins énergétiques <strong><strong>de</strong>s</strong> interneurones<br />

GABAergiques.<br />

Ce point <strong>de</strong> vue est d’ailleurs conforté par les expériences conduites au laboratoire<br />

qui ont démontré que le signal glutamatergique est amplifié du point <strong>de</strong> vue<br />

spatial par le biais <strong><strong>de</strong>s</strong> jonctions communicantes (gap junctions) qui existent entre<br />

les astrocytes. En eff<strong>et</strong>, le glutamate stimule la production d’une vague calcique<br />

qui se propage <strong>de</strong> proche en proche entre les astrocytes, notamment par le biais<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> jonctions communicantes ; divers laboratoires on démontré que c<strong>et</strong>te vague<br />

calcique stimule la libération locale <strong>de</strong> glutamate à partir <strong>de</strong> l’astrocyte [9]. Le<br />

glutamate ainsi libéré à partir d’astrocytes est recapté par les astrocytes adjacents<br />

produisant, comme cela pouvait être prévu, une entrée <strong>de</strong> sodium <strong>et</strong> une propagation<br />

d’une vague sodique. C<strong>et</strong>te même vague sodique déclenche par les mécanismes<br />

décrits précé<strong>de</strong>mment, l’entrée <strong>de</strong> glucose <strong>et</strong> produit donc une vague métabolique.


CHAIRE INTERNATIONALE 807<br />

Ainsi, suite à l’activation métabolique localisée produite par la libération synaptique<br />

<strong>de</strong> glutamate, le couplage qui aboutit à l’entrée <strong>de</strong> glucose localement, est amplifié<br />

par l’existence <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te vague métabolique produite par la libération <strong>de</strong> glutamate<br />

par les astrocytes. Ainsi ce mécanisme augmente considérablement le volume<br />

cortical au sein duquel le glucose est importé en réponse à l’activation<br />

synaptique [10]. C<strong>et</strong>te amplification du signal métabolique perm<strong>et</strong> également <strong>de</strong><br />

fournir les substrats énergétiques aux interneurones GABAergiques qui ne semblent<br />

pas avoir <strong>de</strong> mécanisme <strong>de</strong> couplage neurométabolique direct.<br />

Le lactate comme substrat énergétique pour l’activité neuronale<br />

L’utilisation <strong>de</strong> lactate comme substrat énergétique a également été discutée. En<br />

eff<strong>et</strong>, par <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences <strong>de</strong> résonance magnétique par spectroscopie (MRS) il a<br />

été possible <strong>de</strong> démontrer que les neurones, en présence <strong>de</strong> concentrations égales<br />

<strong>de</strong> lactate <strong>et</strong> <strong>de</strong> glucose, consomment <strong>de</strong> manière préférentielle le lactate, dans un<br />

rapport <strong>de</strong> 9 à 1 [11]. Dès lors, il semble que le lactate soit, non seulement un<br />

substrat utilisable par les neurones mais, qu’en fait, il s’agirait d’un substrat<br />

préférentiel.<br />

Kasischke <strong>et</strong> collaborateurs [12], ont analysé par microscopie biphotonique le<br />

signal NADH/NAD + comme marqueur <strong>de</strong> la glycolyse (augmentation du signal)<br />

ou <strong>de</strong> la phosphorylation oxydative (baisse <strong>de</strong> NADH), lors <strong>de</strong> l’activité synaptique.<br />

Ces expériences ont permis d’apporter <strong><strong>de</strong>s</strong> informations sur la cinétique <strong>et</strong> la<br />

séquence <strong><strong>de</strong>s</strong> processus qui constituent la nav<strong>et</strong>te lactate astrocyte neurone. D’après<br />

ces expériences, suite à une activation neuronale, il existe une utilisation rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

lactate <strong>et</strong> son oxydation par les neurones. À c<strong>et</strong>te première phase, illustrée par une<br />

diminution du signal NADH localisée sélectivement au niveau neuronal, suit une<br />

réponse glycolytique marquée par l’augmentation du signal NADH <strong>et</strong> qui est<br />

exclusivement localisé au niveau astrocytaire. Ainsi, il semble que lors <strong>de</strong> l’activation,<br />

les neurones utilisent rapi<strong>de</strong>ment les substrats énergétiques disponibles dans<br />

l’espace extracellulaire, vraisemblablement du lactate <strong>et</strong> que le mécanisme médié<br />

par le transporteur au glutamate reconstitue ce pool extracellulaire <strong>de</strong> lactate pour<br />

les utilisations subséquentes [13].<br />

La question <strong>de</strong> l’utilisation du lactate <strong>de</strong> manière préférentielle par les neurones<br />

a ensuite été abordée à la lumière <strong>de</strong> données bien établies <strong>de</strong> la biochimie ainsi<br />

que <strong>de</strong> données récentes fournies par la résonance magnétique spectroscopique.<br />

Ainsi, le lactate peut être utilisé sans aucun investissement d’ATP, contrairement<br />

au glucose, par une simple conversion en pyruvate sous l’action <strong>de</strong> la lactate<br />

déshydrogénase. Il apparaît dès lors que l’utilisation <strong>de</strong> ce substrat qui ne comporte<br />

pas investissement d’énergie, est avantageuse du point <strong>de</strong> vue énergétique.<br />

Lactate <strong>et</strong> transfert d’équivalents réducteurs<br />

D’autre part, le lactate est transporté à travers les membranes via les transporteurs<br />

en monocarboxylate par un mécanisme <strong>de</strong> co-transport avec <strong><strong>de</strong>s</strong> protons, donc


808 PIERRE MAGISTRETTI<br />

d’un pouvoir réducteur. Cerdan <strong>et</strong> collaborateurs ont démontré que la nav<strong>et</strong>te<br />

lactate astrocyte neurone perm<strong>et</strong>tait d’effectuer un transfert d’équivalents réducteurs<br />

entre les astrocytes <strong>et</strong> les neurones [14]. Ainsi, lorsque le lactate est capté par les<br />

neurones, la conversion <strong>de</strong> lactate en pyruvate consomme du NAD + <strong>et</strong> inhibe la<br />

consommation <strong>de</strong> glucose par les neurones. Les résultats <strong>de</strong> Barros <strong>et</strong><br />

collaborateurs [15] démontrent d’ailleurs une inhibition <strong>de</strong> la consommation <strong>de</strong><br />

glucose par les neurones lors <strong>de</strong> l’activation neuronale.<br />

Ainsi, l’utilisation <strong>de</strong> lactate par le neurone a le double avantage <strong>de</strong> fournir sous<br />

forme <strong>de</strong> lactate, <strong>de</strong> l’énergie rapi<strong>de</strong>ment utilisable pour la phosphorylation<br />

oxydative ainsi que <strong><strong>de</strong>s</strong> équivalents réducteurs. En quoi la disponibilité d’équivalents<br />

réducteurs est-elle importante pour les neurones ? Entre ici en jeu le fait que les<br />

neurones ont une activité oxydative importante qui a comme eff<strong>et</strong> collatéral une<br />

forte production <strong>de</strong> radicaux libres. Ainsi, l’activité <strong>de</strong> la phosphorylation oxydative<br />

<strong>et</strong> d’enzymes tels les oxygénases sont <strong><strong>de</strong>s</strong> contributeurs importants à la formation<br />

<strong>de</strong> ces molécules qui présentent un danger pour l’intégrité cellulaire. Des mécanismes<br />

d’inactivation <strong>de</strong> ces radicaux libres existent, notamment par l’activité <strong>de</strong> la<br />

superoxy<strong>de</strong> dismutase (SOD) qui perm<strong>et</strong> la formation <strong>de</strong> peroxy<strong>de</strong> d’hydrogène à<br />

partir <strong>de</strong> radicaux libres. Ce peroxy<strong>de</strong> d’hydrogène représente en soi encore une<br />

molécule potentiellement toxique ; elle est toutefois prise en charge par l’enzyme<br />

glutathion peroxydase qui utilise la capacité réductrice du glutathion réduit pour<br />

produire <strong>de</strong> l’eau en consommant <strong><strong>de</strong>s</strong> équivalents réducteurs. La glutathion<br />

réductase perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> régénérer le glutathion réduit. C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière réaction nécessite<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> équivalents réducteurs sous forme <strong>de</strong> NADPH. On voit donc que le neurone,<br />

site important <strong>de</strong> production <strong>de</strong> radicaux libres dépend <strong>de</strong> l’astrocyte pour la<br />

fourniture d’équivalents réducteurs. Il en dépend également pour la production <strong>de</strong><br />

glutathion. En eff<strong>et</strong>, les neurones ne peuvent pas capter la cystine, qui une fois<br />

transformée en cystéine, est un <strong><strong>de</strong>s</strong> aci<strong><strong>de</strong>s</strong> aminés qui constituent le glutathion avec<br />

la glycine <strong>et</strong> le glutamate. Les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Dringen <strong>et</strong> collaborateurs [16] ont montré<br />

que les neurones dépen<strong>de</strong>nt <strong><strong>de</strong>s</strong> astrocytes pour la synthèse <strong>de</strong> glutathion. En eff<strong>et</strong>,<br />

le glutathion synthétisé par l’astrocyte, est libéré dans l’espace extracellulaire au<br />

travers <strong>de</strong> transporteurs appartenant à la famille <strong><strong>de</strong>s</strong> multidrug resistance proteins<br />

(MRP). Une fois libéré dans l’espace extracellulaire, le glutathion est clivé en un<br />

dipepti<strong>de</strong>, la cystéine-glycine, qui peut être recaptée par le neurone. La cystéineglycine<br />

est couplée ensuite au glutamate ce qui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> produire le glutathion<br />

à l’intérieur du neurone.<br />

Un point qui a donc été particulièrement discuté dans le <strong>cours</strong>, est celui la<br />

dépendance <strong>de</strong> l’astrocyte <strong>de</strong> la part du neurone, non seulement du point <strong>de</strong> vue<br />

énergétique sous forme d’ATP mais également du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> sa capacité<br />

réductrice. De manière intéressante, <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> récents démontrent que le<br />

glutamate lui-même stimule la libération <strong>de</strong> glutathion à partir <strong>de</strong> l’astrocyte [17].<br />

Ainsi, un stimulus synaptique, le glutamate, déclenche la libération <strong>de</strong> lactate <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> glutathion à partir <strong>de</strong> l’astrocyte, ces <strong>de</strong>ux substrats métaboliques étant essentiels<br />

pour l’équilibre énergétique du neurone.


Les flux métaboliques astrocytaires<br />

CHAIRE INTERNATIONALE 809<br />

Une autre question concernant le couplage métabolique astrocyte-neurone a été<br />

abordée, afin d’éclairer le fait que l’astrocyte, bien que présentant <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>nsités<br />

mitochondriales appréciables, produit du lactate en présence d’oxygène au lieu<br />

d’oxy<strong>de</strong>r le pyruvate. Diverses explications sont possibles. L’une d’entre elles<br />

implique le fait que l’enzyme clé pour l’entrée du pyruvate dans le cycle <strong>de</strong> Krebs,<br />

la pyruvate déshydrogénase, serait inhibée au niveau <strong>de</strong> l’astrocyte, du fait <strong>de</strong> son<br />

<strong>de</strong>gré <strong>de</strong> phosphorylation. Des résultats du groupe <strong>de</strong> Sokoloff, montrent que le<br />

dichloroacétate qui a comme action d’activer la pyruvate déshydrogénase, diminue<br />

considérablement la production <strong>de</strong> lactate à partir <strong>de</strong> l’astrocyte [18]. Récemment,<br />

la mesure directe <strong>de</strong> l’activité oxydative basale <strong>de</strong> l’astrocyte a pu être réalisée, en<br />

utilisant l’acétate. Ainsi, les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Waniewski ont montré que ce substrat est<br />

capté <strong>de</strong> manière sélective par les astrocytes [19]. L’acétate marqué par le carbone 13<br />

est actuellement utilisé dans <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences <strong>de</strong> résonance magnétique spectroscopique<br />

pour mesurer in vivo l’activité oxydative astrocytaire. Les résultats récents<br />

du groupe <strong>de</strong> Ne<strong>de</strong>rgaard [20] qui ont procédé à une analyse transcriptomique à<br />

partir <strong>de</strong> préparations d’astrocytes isolés <strong>de</strong> manière aiguë <strong>et</strong> sélective, ont démontré<br />

la présence d’enzymes du cycle <strong>de</strong> Krebs <strong>et</strong> <strong>de</strong> la phosphorylation oxydative. Dans<br />

ces mêmes expériences, les auteurs ont toutefois démontré une importante<br />

production <strong>de</strong> lactate à partir <strong>de</strong> glucose par les astrocytes. La conclusion qui peut<br />

être tirée à partir <strong>de</strong> ces expériences, est que l’astrocyte a une capacité oxydative<br />

réelle, mais qui est rapi<strong>de</strong>ment dépassée par l’augmentation du flux glycolytique<br />

stimulé par le glutamate qui <strong>de</strong> fait aboutit à la production <strong>et</strong> libération <strong>de</strong> lactate<br />

même en présence d’oxygène par l’astrocyte. Son activité oxydative est donc<br />

présente mais limitée.<br />

Rôle du glycogène astrocytaire<br />

Le <strong>cours</strong> a ensuite abordé une caractéristique particulière du métabolisme<br />

astrocytaire, à savoir la présence <strong>de</strong> glycogène. En eff<strong>et</strong>, le glycogène est<br />

exclusivement localisé au niveau astrocytaire, à l’exception <strong>de</strong> quelques neurones<br />

<strong>de</strong> gran<strong>de</strong> taille au niveau du tronc cérébral. Des expériences conduites au<br />

laboratoire ont démontré l’existence d’un nombre restreint <strong>de</strong> neurotransm<strong>et</strong>teurs<br />

qui mobilisent le glycogène astrocytaire <strong>et</strong> aboutissent à la production <strong>de</strong> lactate.<br />

Ces neurotransm<strong>et</strong>teurs sont le VIP, la noradrénaline <strong>et</strong> l’adénosine, tous agissant<br />

pour l’essentiel, via <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs spécifiques couplés à <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines G qui ellesmêmes<br />

aboutissent à l’activation <strong>de</strong> la casca<strong>de</strong> AMP cyclique [21]. Le rôle <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

mobilisation du glycogène médié par certains neurotransm<strong>et</strong>teurs est <strong>de</strong> fournir,<br />

lors <strong>de</strong> l’activation, <strong><strong>de</strong>s</strong> substrats énergétiques aux neurones sous forme <strong>de</strong> lactate.<br />

Des expériences conduites en laboratoire ont permis <strong>de</strong> démontrer un eff<strong>et</strong><br />

biphasique dans la régulation du métabolisme du glycogène astrocytaire par les<br />

neurotransm<strong>et</strong>teurs. En eff<strong>et</strong>, suite à l’eff<strong>et</strong> glycogénolytique rapi<strong>de</strong> qui se déploie<br />

en quelques secon<strong><strong>de</strong>s</strong>, une resynthèse massive du glycogène est activée. C<strong>et</strong>te


810 PIERRE MAGISTRETTI<br />

resynthèse dépend <strong>de</strong> l’induction <strong>de</strong> gènes. Le gène qui est induit <strong>de</strong> manière<br />

significative est celui qui co<strong>de</strong> pour le protein targ<strong>et</strong>ing glycogen (PTG). Le PTG<br />

est une protéine <strong>de</strong> type « chaperone » qui favorise la compartimentalisation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

enzymes responsables <strong>de</strong> la resynthèse <strong>de</strong> glycogène. Ainsi, une induction <strong>de</strong><br />

l’expression <strong>de</strong> PTG aboutit à une orientation du métabolisme du glucose vers la<br />

synthèse <strong>de</strong> glycogène plutôt que vers la glycolyse. Une série d’expériences conduites<br />

au laboratoire a permis <strong>de</strong> montrer un rôle <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te resynthèse <strong>de</strong> glycogène induite<br />

par le PTG dans le cycle veille-sommeil. En eff<strong>et</strong>, le PTG présente une variation<br />

circadienne avec une augmentation <strong>de</strong> l’expression en fin <strong>de</strong> pério<strong>de</strong> d’éveil. Si<br />

c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> d’éveil est prolongée par une déprivation <strong>de</strong> sommeil, l’induction <strong>de</strong><br />

PTG est massive. Il ne s’agit pas seulement d’une augmentation <strong>de</strong> l’expression <strong>de</strong><br />

gène ; en eff<strong>et</strong> il s’en suit une conséquence fonctionnelle dans la mesure où l’activité<br />

<strong>de</strong> la glycogène synthase est fortement augmentée [22]. Une récupération <strong>de</strong><br />

sommeil <strong>de</strong> 3 heures rétablit les niveaux <strong>de</strong> PTG <strong>et</strong> l’activité <strong>de</strong> la glycogène<br />

synthase. Nous avons interprété ces résultats <strong>de</strong> la manière suivante : lors <strong>de</strong> la<br />

pério<strong>de</strong> d’éveil <strong>et</strong> d’activité, <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes transcriptionnels sont enclenchés par<br />

le VIP, la noradrénaline <strong>et</strong> l’adénosine qui aboutissent à l’induction <strong>de</strong> l’expression<br />

<strong>de</strong> PTG. C<strong>et</strong>te augmentation <strong>de</strong> l’expression <strong>de</strong> PTG prépare, du point <strong>de</strong> vue<br />

métabolique, le cortex cérébral à une phase d’endormissement. En eff<strong>et</strong>, dans ces<br />

conditions qui favorisent l’induction du sommeil, le glucose sera stocké<br />

préférentiellement sous forme <strong>de</strong> glycogène plutôt que d’être utilisé. C<strong>et</strong>te série<br />

d’observations est en ligne avec le constat général d’un rôle homéostatique<br />

énergétique du sommeil [23].<br />

Un nouveau paradigme : la plasticité métabolique<br />

Un aspect nouveau abordé récemment au laboratoire a été présenté <strong>et</strong> discuté<br />

dans le <strong>cours</strong>. Il s’agit <strong>de</strong> l’hypothèse selon laquelle le couplage neurométabolique<br />

entre astrocytes <strong>et</strong> neurones pourrait être suj<strong>et</strong> à <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes <strong>de</strong> plasticité<br />

comme le sont les mécanismes liés à la transmission synaptique. En d’autres termes<br />

la question posée est celle <strong>de</strong> savoir si <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes <strong>de</strong> plasticité métabolique<br />

localisés au niveau astrocytaire sont nécessaires, voire indispensables à l’expression<br />

<strong>de</strong> la plasticité synaptique. Pour illustrer ce point, <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats récents du<br />

laboratoire ont été présentés. Il s’agit d’expériences d’apprentissage spatial chez la<br />

souris, apprentissage dont on sait qu’il s’accompagne <strong>de</strong> modifications <strong>de</strong> la<br />

plasticité synaptique au niveau <strong>de</strong> diverses régions <strong>de</strong> l’hippocampe. Ces animaux<br />

ont été soumis à un apprentissage spatial <strong>de</strong> type labyrinthe à 8 bras, dont 3 sont<br />

appâtés par <strong>de</strong> la nourriture. En quelques jours, les souris apprennent à i<strong>de</strong>ntifier<br />

les bras appâtés à partir <strong>de</strong> repères spatiaux ; après 7 jours, ils atteignent l’objectif<br />

avec une précision proche <strong>de</strong> 100 %. Afin d’i<strong>de</strong>ntifier ce que l’on pourrait appeler<br />

une « trace métabolique » <strong>de</strong> la plasticité, les expériences d’autoradiographie au<br />

2-désoxyglucose ont été réalisées chez ces souris au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’apprentissage. Il a<br />

été mis en évi<strong>de</strong>nce une activation <strong>de</strong> différentes sous-régions <strong>de</strong> l’hippocampe qui<br />

varie selon le <strong>de</strong>gré d’apprentissage. De manière très frappante, lorsque l’on


CHAIRE INTERNATIONALE 811<br />

effectue une expérience <strong>de</strong> rappel, 5 jours après le <strong>de</strong>rnier jour d’apprentissage, le<br />

gyrus <strong>de</strong>ntelé est la seule sous-région <strong>de</strong> l’hippocampe activée, alors qu’à la fin <strong>de</strong><br />

9 jours d’apprentissage, lorsque la performance comportementale est i<strong>de</strong>ntique à<br />

celle observée au <strong>cours</strong> du rappel, les régions CA1 <strong>et</strong> CA3 sont activées [24].<br />

Ainsi, en présence d’une performance comportementale i<strong>de</strong>ntique, <strong><strong>de</strong>s</strong> régions<br />

différentes sont activées. Ces données laissent entrevoir la possibilité d’une<br />

plasticité métabolique qui s’installe au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’apprentissage. Actuellement, les<br />

expériences portent sur l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> gènes codant pour <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines<br />

impliquées dans le couplage métabolique neurone-glie, mesurées par PCR<br />

quantitative à partir <strong>de</strong> microdissections effectuées par microscopie à capture laser,<br />

dans l’hippocampe d’animaux ayant suivi les protocoles d’apprentissage en utilisant<br />

la « trace métabolique » fournie par l’autoradiographie au 2DG comme in<strong>de</strong>x<br />

<strong>de</strong> localisation.<br />

Un <strong>de</strong>uxième aspect <strong>de</strong> la plasticité métabolique potentielle a été également<br />

présenté, sur la base <strong>de</strong> résultats très récents, obtenus au laboratoire. La question<br />

posée était celle <strong>de</strong> savoir si <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions pathologiques pourraient modifier le<br />

phénotype métabolique astrocytaire. Afin d’abor<strong>de</strong>r c<strong>et</strong>te question, nous avons<br />

exposé chroniquement les astrocytes à un environnement pro-inflammatoire<br />

représenté par les cytokines pro-inflammatoires comme l’interleukine 1 bêta ou le<br />

TNF alpha. Ces expériences ont par ailleurs été conduites en présence <strong>de</strong> la forme<br />

pathologique <strong>de</strong> la bêta-amyloï<strong>de</strong>, la forme 1-42, qui est présente dans les plaques<br />

<strong>de</strong> patients présentant la maladie d’Alzheimer. Les résultats indiquent un eff<strong>et</strong><br />

important <strong>de</strong> l’environnement pro-inflammatoire qui aboutit à un profil<br />

métabolique <strong>de</strong> l’astrocyte considérablement différent. En eff<strong>et</strong>, les cytokines<br />

augmentent significativement le captage <strong>de</strong> glucose en conditions basales par<br />

l’astrocyte tout en diminuant aussi bien le contenu en glycogène que la production<br />

<strong>de</strong> lactate. On peut ainsi déduire qu’en présence d’un environnement proinflammatoire<br />

le rôle <strong>de</strong> l’astrocyte, comme stock énergétique <strong>et</strong> fournisseur <strong>de</strong><br />

substrat énergétiques aux neurones, est considérablement altéré. Pour ce qui est <strong>de</strong><br />

l’excès <strong>de</strong> glucose capté, il est traité par la voie <strong><strong>de</strong>s</strong> pentoses phosphates <strong>et</strong> par le<br />

cycle <strong>de</strong> Krebs <strong>et</strong> la phosphorylation oxydative qui sont fortement augmentés [25].<br />

Ainsi, la production <strong>de</strong> radicaux libres par la phosphorylation oxydative est stimulée<br />

en même temps que le mécanisme contre-régulateur, qui est la stimulation du<br />

shunt <strong><strong>de</strong>s</strong> pentoses qui représente la voie principale pour la production d’équivalents<br />

réducteurs qui perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> neutraliser les radicaux libres. L’astrocyte, en présence<br />

<strong>de</strong> cytokines, se trouve donc métaboliquement dans une sorte <strong>de</strong> cycle futile au<br />

<strong>cours</strong> duquel la production <strong>de</strong> radicaux libres est augmentée en même que les<br />

mécanismes <strong>de</strong> défense contre ces <strong>de</strong>rniers. On peut déduire également que la<br />

fonction neuroprotectrice <strong>de</strong> l’astrocyte se trouve ainsi diminuée. Ceci a été validé<br />

en démontrant qu’en présence d’astrocytes qui ont préalablement été exposés à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

cytokines, les neurones sont moins résistants à un stimulus potentiellement toxique<br />

comme un excès <strong>de</strong> glutamate. Il est à noter que tous les eff<strong>et</strong>s <strong><strong>de</strong>s</strong> cytokines sur<br />

le phénotype métabolique astrocytaire sont potentialisés par la présence


812 PIERRE MAGISTRETTI<br />

concomitante <strong>de</strong> bêta-amyloï<strong>de</strong> 1-42. Il semble dès lors que l’environnement<br />

extracellulaire qui caractérise la maladie d’Alzheimer au niveau cortical, à savoir la<br />

présence <strong>de</strong> cytokines pro-inflammatoires <strong>et</strong> <strong>de</strong> bêta-amyloï<strong>de</strong>, modifie la capacité<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> astrocytes à effectuer un soutien métabolique aux neurones.<br />

L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> la bêta-amyloï<strong>de</strong> dans sa forme toxique 1-42, nous a amenés<br />

à m<strong>et</strong>tre en évi<strong>de</strong>nce un mécanisme d’internalisation <strong>de</strong> la bêta-amyloï<strong>de</strong> par<br />

l’astrocyte, qui implique la mise en jeu <strong>de</strong> récepteurs <strong>de</strong> type « scavenger ». Ainsi,<br />

<strong>de</strong> manière sélective, la bêta-amyloï<strong>de</strong> dans une certaine forme d’agrégation<br />

fibrillaire uniquement est internalisée par les astrocytes. Des expériences récentes<br />

conduites au laboratoire indiquent que c<strong>et</strong>te internalisation <strong>de</strong> l’amyloï<strong>de</strong> par<br />

l’astrocyte est un mécanisme indispensable pour l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te protéine sur le<br />

phénotype métabolique <strong>de</strong> l’astrocyte. La voie reste donc ouverte pour étudier les<br />

mécanismes qui associent <strong>de</strong> manière causale l’internalisation <strong>de</strong> la bêta-amyloï<strong>de</strong><br />

par l’astrocyte <strong>et</strong> la modification <strong>de</strong> son phénotype métabolique.<br />

D’autres évi<strong>de</strong>nces <strong>de</strong> plasticité astrocytaire, notamment morphologiques, se<br />

déployant en parallèle à <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes <strong>de</strong> plasticité synaptique ont été fournies par<br />

divers laboratoires, Ainsi Welker <strong>et</strong> collaborateurs [26] ont démontré une<br />

augmentation considérable <strong>de</strong> la couverture astrocytaire <strong><strong>de</strong>s</strong> épines <strong>de</strong>ndritiques dans<br />

les barrils du cortex somato-sensoriel suite à une stimulation soutenue <strong><strong>de</strong>s</strong> vibrisses<br />

correspondantes. De manière intéressante, c<strong>et</strong>te augmentation <strong>de</strong> la couverture<br />

synaptique par <strong><strong>de</strong>s</strong> astrocytes s’accompagne également d’une surexpression <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

transporteurs au glutamate astrocytaire.<br />

Neuroénergétique <strong>et</strong> imagerie cérébrale fonctionnelle<br />

Dans la partie finale du <strong>cours</strong>, les implications du couplage métabolique neuroneglie<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> la neuroénergétique en général, ont été discutée en relation à la genèse<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> signaux qui sont détectés par les techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle.<br />

Le premier aspect discuté concernait la technique <strong>de</strong> tomographie à émissions <strong>de</strong><br />

positons (TEP) pour le 2-déoxyglucose marqué au 18Fluor. C<strong>et</strong>te technique perm<strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> visualiser la consommation <strong>de</strong> glucose en réponse à une activité synaptique. Sur<br />

la base <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats expérimentaux m<strong>et</strong>tant en évi<strong>de</strong>nce le rôle du couplage neuroastrocytaire,<br />

on en déduit que l’accumulation du traceur se produit essentiellement<br />

au niveau astrocytaire. C<strong>et</strong>te constatation n’enlève rien à la valeur <strong>de</strong> localisation<br />

<strong>de</strong> la technique dans la mesure où le signal <strong>de</strong> départ est un signal d’origine<br />

synaptique, le glutamate. Toutefois, c<strong>et</strong>te constatation m<strong>et</strong> en évi<strong>de</strong>nce le fait que<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> altérations au niveau astrocytaire <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes <strong>de</strong> couplage entre le transport<br />

<strong>de</strong> glutamate <strong>et</strong> la glycolyse qu’il déclenche <strong>et</strong> qui aboutit à la libération <strong>de</strong> lactate,<br />

pourraient être perturbées dans certaines pathologies <strong>et</strong> résulter en un signal en<br />

TEP altéré.<br />

Par ailleurs, l’existence d’une glycolyse transitoire lors <strong>de</strong> l’activation, perm<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

fournir <strong><strong>de</strong>s</strong> arguments pour proposer un rôle <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te glycolyse dans la production<br />

du signal BOLD (Blood ogygen level <strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt signal) qui est à la base <strong>de</strong> l’imagerie


CHAIRE INTERNATIONALE 813<br />

par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). En eff<strong>et</strong>, le signal BOLD est<br />

produit par un changement du rapport oxy/déoxyhémoglobine qui modifie les<br />

propriétés paramagnétiques du sang artériel qui irrigue la région activée. Il s’agit<br />

là d’un paradoxe car on pourrait s’attendre que lors <strong>de</strong> l’activation, il y ait une<br />

diminution <strong>de</strong> la concentration en oxyhémoglobine ; or il se produit <strong>de</strong> l’inverse,<br />

à savoir une augmentation relative <strong>de</strong> l’oxyhémoglobine par rapport à la<br />

déoxyhémoglobine. Ceci est toutefois cohérent par rapport au fait que, si durant<br />

l’activation il se produit un traitement du glucose dans la région activée sans<br />

consommation initiale d’oxygène (glycolyse), <strong>et</strong> que ce traitement du glucose est<br />

concomitant à l’arrivée <strong>de</strong> sang artériel en excès (hyperémie d’activation), on sera<br />

en présence d’un excès d’oxyhémoglobine dont l’oxygène n’est pas immédiatement<br />

consommé. Ainsi, il existerait un lien entre la glycolyse aérobie astrocytaire <strong>et</strong> la<br />

modification du rapport oxy-déoxyhémoglobine qui aboutit à la production du<br />

signal BOLD.<br />

L’existence <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te glycolyse transitoire qui aboutit à une production <strong>de</strong> lactate<br />

a été également discutée en termes du rôle potentiel <strong><strong>de</strong>s</strong> astrocytes dans le couplage<br />

neurovasculaire. En eff<strong>et</strong>, la glycolyse modifie le rapport NADH/NAD + au niveau<br />

astrocytaire. Selon les <strong>travaux</strong> du groupe <strong>de</strong> Raichle [27], ce changement <strong>de</strong> rapport<br />

entre NADH/NAD + pourrait jouer un rôle vasodilatateur, donc d’augmentation<br />

du débit sanguin. Ces <strong>travaux</strong> ont amené dans la discussion, d’autres mécanismes<br />

postulés concernant un rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> astrocytes dans le couplage neurovasculaire. L’un<br />

<strong>de</strong> ces mécanismes proposé par divers investigateurs [28], implique la formation<br />

<strong>de</strong> postanoï<strong><strong>de</strong>s</strong> astrocytaires faisant suite à l’activation <strong>de</strong> récepteurs métabotropiques<br />

au glutamate.<br />

On voit donc que tout un faisceau <strong>de</strong> résultats récents pointent vers un rôle <strong>de</strong><br />

l’astrocyte, non seulement dans le couplage neurométabolique, c’est-à-dire entre<br />

l’activité synaptique <strong>et</strong> la consommation <strong>de</strong> glucose mais également dans le<br />

couplage neurovasculaire, c’est-à-dire le couplage entre l’activité synaptique <strong>et</strong><br />

l’augmentation du débit sanguin local. Dans les <strong>de</strong>ux cas, l’astrocyte joue un rôle<br />

central dans ce couplage en détectant l’activité glutamatergique soit au moyen du<br />

transporteur au glutamate dans le cas du couplage neurométabolique, soit par<br />

l’activation <strong>de</strong> récepteurs métabotropes dans le cas du couplage neurovasculaire.<br />

Un paradoxe : la consommation d’énergie élevée en conditions « basales »<br />

Un autre aspect, lié à l’imagerie cérébrale fonctionnelle <strong>et</strong> aux mécanismes<br />

cellulaires <strong>et</strong> moléculaires qui la sous-ten<strong>de</strong>nt, a été discuté. En eff<strong>et</strong>, contrairement<br />

à ce que l’on pourrait penser, l’augmentation <strong>de</strong> la consommation d’oxygène, ou<br />

du débit sanguin, ou encore <strong>de</strong> la consommation <strong>de</strong> glucose dans les régions<br />

activées, sont relativement mo<strong><strong>de</strong>s</strong>tes par rapport aux régions non activées. En<br />

réalité, ces augmentations métaboliques <strong>et</strong> vasculaires ne correspon<strong>de</strong>nt qu’à une<br />

augmentation <strong>de</strong> 10 à 15 % par rapport au niveau basal. Dès lors, la question se<br />

pose <strong>de</strong> savoir quels sont les mécanismes impliqués dans la consommation très


814 PIERRE MAGISTRETTI<br />

élevée que le cerveau fait en condition dite basale. Diverses hypothèses sont<br />

évoquées. La première est celle d’un équilibre dynamique entre excitation <strong>et</strong><br />

inhibition. Il se peut, en eff<strong>et</strong>, que l’activation induite par le glutamate au niveau<br />

<strong>de</strong> circuits particuliers, soit contrecarrée par une activité inhibitrice prépondérante.<br />

La sortie <strong>de</strong> ce circuit, dans lequel excitation <strong>et</strong> inhibition s’annulent, pourrait être<br />

nulle du point <strong>de</strong> vue électrophysiologique. Toutefois, les mécanismes cellulaires<br />

<strong>et</strong> moléculaires liés au couplage métabolique précé<strong>de</strong>mment discuté, vont être<br />

opérationnels même si la sortie électrophysiologique est nulle. Dès lors, même sans<br />

activation particulière détectable électrophysiologiquement, <strong>de</strong> l’énergie sera<br />

consommée. Le <strong>de</strong>uxième mécanisme évoqué pour rendre compte <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

consommation basale élevée, est l’activité hors ligne ou activité <strong>de</strong> post-processing<br />

<strong>de</strong> l’information, liée à la plasticité synaptique. En eff<strong>et</strong>, le cerveau ne fonctionne<br />

pas uniquement en ligne lors <strong>de</strong> l’activation, mais <strong><strong>de</strong>s</strong> processus <strong>de</strong> traitement <strong>de</strong><br />

l’information <strong>et</strong> <strong>de</strong> plasticité sont en action en permanence. C<strong>et</strong>te activité hors<br />

ligne consomme également <strong>de</strong> l’énergie.<br />

Des observations récentes <strong>de</strong> Raichle <strong>et</strong> collaborateurs, qui discutent la question<br />

<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te activité basale élevée, ont été évoquées [29]. En eff<strong>et</strong>, il existe certaines<br />

régions du cerveau dont l’activité augmente lorsque le suj<strong>et</strong> n’est pas concentré sur<br />

une tâche particulière. Par ailleurs, ces mêmes régions, lorsqu’une activité spécifique<br />

est mise en jeu, qu’elle soit sensorielle ou motrice, diminuent leur activité [30].<br />

Raichle a défini ce système comme un « <strong>de</strong>fault mo<strong>de</strong> » donc comme un mo<strong>de</strong> par<br />

défaut, dont la signification reste encore à définir. Le mo<strong>de</strong> par défaut concerne<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> régions corticales médianes, notamment le cortex préfrontal médian, le cortex<br />

cingulaire postérieur médian, le précuneus <strong>et</strong> certaines zones du cortex pariétal,<br />

latéral <strong>et</strong> médian. De manière fort intéressante, ce système présente <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques<br />

développementales particulières avec notamment une hypoactivité, voire une<br />

absence, chez <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants en <strong><strong>de</strong>s</strong>sous <strong>de</strong> 10 ans [31] ; c’est également un <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes<br />

qui présentent <strong><strong>de</strong>s</strong> diminutions importantes lors <strong>de</strong> la maladie d’Alzheimer [31].<br />

Neuroénergétique <strong>et</strong> maladies neuropsychiatriques<br />

En ce qui concerne les maladies psychiatriques en général, <strong>et</strong> spécifiquement la<br />

maladie d’Alzheimer, <strong>de</strong> nombreuses observations ont été réalisées par imagerie<br />

cérébrale fonctionnelle. En particulier, on observe une diminution considérable <strong>de</strong><br />

la consommation <strong>de</strong> glucose mesurée par TEP chez <strong><strong>de</strong>s</strong> patients souffrant d’une<br />

maladie d’Alzheimer. Ceci n’est pas surprenant dans la mesure où, avec la perte<br />

neuronale, la libération synaptique <strong>de</strong> glutamate, qui est responsable <strong>de</strong> l’importation<br />

<strong>de</strong> glucose au sein du parenchyme cérébral, est diminuée. Toutefois, ce qui est le<br />

plus frappant est que chez <strong><strong>de</strong>s</strong> patients qui sont à risque pour la maladie d’Alzheimer,<br />

par exemple, ceux exprimant un polymorphisme <strong>de</strong> l’apolipoprotéine 4 présentent<br />

déjà une baisse <strong>de</strong> la consommation <strong>de</strong> glucose dans <strong><strong>de</strong>s</strong> aires temporo-pariétales<br />

avant que l’on puisse m<strong>et</strong>tre en évi<strong>de</strong>nce une atrophie corticale ou même <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

troubles cognitifs [32]. C<strong>et</strong>te observation soulève la possibilité que <strong><strong>de</strong>s</strong> altérations<br />

du métabolisme astrocytaire soient à l’origine, ou en tout cas qu’elles puissent


CHAIRE INTERNATIONALE 815<br />

amplifier, un processus pathologique qui aboutirait ensuite à la mort neuronale.<br />

C’est dans c<strong>et</strong>te optique que nous avons conduit au laboratoire <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences <strong>de</strong><br />

stimulation <strong>de</strong> l’échange métabolique astrocyte-neurones au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>quels nous<br />

avons tenté d’augmenter l’augmentation du captage <strong>de</strong> glucose par l’astrocyte <strong>et</strong> le<br />

captage <strong>de</strong> lactate par les neurones. Ces expériences ont été conduites en réalisant<br />

la surexpression du transporteur au glucose GLUT1 <strong>et</strong> du transporteur au lactate<br />

MCT2 en transfectant les astrocytes avec <strong><strong>de</strong>s</strong> vecteurs viraux contenant le cDNA<br />

codant pour GLUT1 <strong>et</strong> les neurones avec <strong><strong>de</strong>s</strong> vecteurs aboutissant à la surexpression<br />

<strong>de</strong> MCT2. Ces résultats ont montré, dans <strong><strong>de</strong>s</strong> préparations in vitro, dans lesquelles<br />

les astrocytes sont cultivés en présence <strong>de</strong> neurones, que les neurones résistent<br />

mieux à <strong><strong>de</strong>s</strong> stimulations nocives <strong>de</strong> type excitotoxique [33]. On peut donc postuler<br />

qu’une activité accrue <strong>de</strong> la nav<strong>et</strong>te lactate-astrocyte-neurones aboutisse à un eff<strong>et</strong><br />

neuroprotecteur.<br />

L’implication du couplage métabolique médié par les astrocytes dans d’autres<br />

pathologies psychiatriques peut également être évoquée. Ainsi, dans une étu<strong>de</strong> par<br />

analyse <strong>de</strong> transcriptome, conduite sur <strong><strong>de</strong>s</strong> cerveaux post-mortem obtenus à partir<br />

<strong>de</strong> patients souffrant <strong>de</strong> dépression majeure, certains gènes se sont révélés être<br />

considérablement diminués dans leur expression, à savoir le gène codant pour le<br />

transporteur au glutamate glial <strong>et</strong> pour l’enzyme glutamique synthase, qui est<br />

impliquée dans le recyclage du glutamate sous forme <strong>de</strong> glutamine. C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière<br />

est ensuite recaptée par les neurones afin <strong>de</strong> rétablir le pool <strong>de</strong> glutamate<br />

vésiculaire [34]. Une diminution <strong>de</strong> la fonction <strong>de</strong> ce recyclage du glutamate <strong>de</strong>vrait<br />

aboutir à une diminution <strong>de</strong> la signalisation qui perm<strong>et</strong> l’importation <strong>de</strong> glucose<br />

dans le parenchyme cérébral <strong>et</strong> donc se traduire par une diminution du signal TEP,<br />

notamment dans le cortex dorsolatéral chez les patients dépressifs. Or, il se trouve<br />

que c’est exactement ce qui est observé par c<strong>et</strong>te technique d’imagerie. Il y a donc<br />

là une relation entre les niveaux d’expression <strong>de</strong> molécules spécifiques gliales, un<br />

signal par imagerie cérébrale fonctionnelle <strong>et</strong> une pathologie neuropsychiatrique.<br />

Colloque<br />

Un colloque <strong>de</strong> clôture du <strong>cours</strong> intitulé « Neurosciences <strong>et</strong> psychanalyse : une<br />

rencontre autour <strong>de</strong> l’émergence <strong>de</strong> la singularité » s’est tenu le 27 mai 2008 à<br />

l’auditoire Marguerite <strong>de</strong> Navarre. Les conférenciers invités étaient les suivants :<br />

François Anserm<strong>et</strong> <strong>et</strong> Pierre Magistr<strong>et</strong>ti :<br />

« Plasticité <strong>et</strong> homéostasie à l’interface entre neurosciences <strong>et</strong> à la psychanalyse ».<br />

Cristina Alberini :<br />

« The Dymanics of our Internal Representations : Memory Consolidation, Reconsolidation and<br />

the Integration of New Information with the Past ».<br />

Marcus Raichle : « Two Views of Brain Function ».<br />

Antonio Damasio : « A Neurobiology for Conscious and Unconscious Processing ».<br />

Marc Jeannerod : « La psychotérapie neuronale ».


816 PIERRE MAGISTRETTI<br />

Michel Le Moal :<br />

« De l’homéostasie aux processus opposants : une dynamique psychobiologique ».<br />

Alim Benabid : « Du Parkinson à l’humeur, le chemin questionnant du neurochirurgien ».<br />

Daniel Widlocher : « Neuropsychologie <strong>de</strong> l’imaginaire ».<br />

Lionel Naccache : « De l’inconscient fictif à la fiction consciente ».<br />

Eric Laurent : « Usages <strong><strong>de</strong>s</strong> neurosciences pour la psychanalyse ».<br />

L’existence <strong>de</strong> processus psychiques inconscients est un suj<strong>et</strong> d’intérêt <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

recherche commun aux neurosciences <strong>et</strong> à la psychanalyse. Toutefois le dialogue<br />

entre ces <strong>de</strong>ux disciplines a été pour le moins difficile. Quelles en sont les raisons ?<br />

Certes les cadres <strong>de</strong> référence sont sans commune mesure, le langage propre à<br />

chaque champ est différent <strong>et</strong> ces <strong>de</strong>ux disciplines ont <strong><strong>de</strong>s</strong> histoires divergentes,<br />

difficiles à concilier, qui font aussi leur originalité. Pourtant neurosciences <strong>et</strong><br />

psychanalyse partagent l’incontournable question <strong>de</strong> l’émergence <strong>de</strong> la<br />

singularité.<br />

C’est dans ce contexte que s’est inscrit le colloque « Neurosciences <strong>et</strong> psychanalyse :<br />

une rencontre autour <strong>de</strong> l’émergence <strong>de</strong> la singularité ». L’idée <strong>de</strong> ce colloque a été<br />

<strong>de</strong> réunir d’éminents spécialistes <strong><strong>de</strong>s</strong> neurosciences <strong>et</strong> <strong>de</strong> la psychanalyse pour<br />

explorer les points <strong>de</strong> convergence potentiels entre ces <strong>de</strong>ux disciplines que tout<br />

apparemment sépare <strong>et</strong> que l’on pourrait qualifier d’incommen surables. Dans ce<br />

type d’exercice il convient <strong>de</strong> bien se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> tomber dans un syncrétisme<br />

simplificateur dans lequel les principes <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux ordres pourraient être<br />

interchangeables <strong>et</strong> par lequel psychanalyse <strong>et</strong> neurosciences y perdraient leur nature<br />

<strong>et</strong> leur tranchant. La démarche qui a animé ce colloque a été plutôt d’i<strong>de</strong>ntifier <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

points d’intersection à partir <strong><strong>de</strong>s</strong>quels les concepts d’un domaine fertilisent la<br />

réflexion <strong>de</strong> l’autre, ouvrent vers <strong><strong>de</strong>s</strong> perspectives <strong>de</strong> recherche nouvelles. Un <strong>de</strong> ces<br />

points d’intersection est sans doute la notion <strong>de</strong> trace <strong>et</strong> <strong>de</strong> plasticité neuronale.<br />

D’autres, comme par exemple ceux qui concernent les états somatiques <strong>et</strong> le maintien<br />

<strong>de</strong> l’homéostasie, notions du champ biologique qui sont à rapprocher <strong>de</strong> celles <strong>de</strong><br />

pulsion <strong>et</strong> du principe <strong>de</strong> plaisir du champ freudien méritent d’être explorées. Ce<br />

sont ces points d’intersection potentiels qui ont été abordés par les représentants <strong>de</strong><br />

premier plan <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux disciplines invités à ce colloque.<br />

Publications<br />

Rappaz B., Barbul A., Emery Y., Korenstein R., Depeursinge C., Magistr<strong>et</strong>ti P.J.,<br />

Marqu<strong>et</strong> P. Comparative study of human erythrocytes by digital holographic microscopy,<br />

confocal microscopy, and impedance volume analyzer. Cytom<strong>et</strong>ry A. 2008 Jul 9. [Epub<br />

ahead of print].<br />

Wyss M.T., Weber B., Treyer V., Heer S., Pellerin L., Magistr<strong>et</strong>ti P.J., Buck A.<br />

Stimulation-induced increases of astrocytic oxidative m<strong>et</strong>abolism in rats and humans<br />

investigated with 1-(11)C-ac<strong>et</strong>ate. J Cereb Blood Flow M<strong>et</strong>ab. 2008 Aug 20. [Epub ahead<br />

of print].


CHAIRE INTERNATIONALE 817<br />

Chiry O., Fishbein W.N., Merezhinskaya N., Clarke S., Galuske R., Magistr<strong>et</strong>ti P.<br />

J., Pellerin L. Distribution of the monocarboxylate transporter MCT2 in human cerebral<br />

cortex : An immunohistochemical study. Brain Res. 2008, Jun 18.<br />

Badaut J., Brun<strong>et</strong> J.F., P<strong>et</strong>it J.M., Guérin C.F., Magistr<strong>et</strong>ti P.J., Regli L. Induction<br />

of brain aquaporin 9 (AQP9) in catecholaminergic neurons in diab<strong>et</strong>ic rats. Brain Res. 2008<br />

Jan 10 ; 1188 : 17-24. Epub 2007 Nov 7.<br />

Rappaz B., Charrière F., Depeursinge C., Magistr<strong>et</strong>ti P.J., Marqu<strong>et</strong> P. Simultaneous<br />

cell morphom<strong>et</strong>ry and refractive in<strong>de</strong>x measurement with dual-wavelength digital holographic<br />

microscopy and dye-enhanced dispersion of perfusion medium. Opt L<strong>et</strong>t. 2008 Apr 1 ;<br />

33(7) : 744-6.<br />

Gavill<strong>et</strong> M., Allaman I., Magistr<strong>et</strong>ti P.J. Modulation of astrocytic m<strong>et</strong>abolic<br />

phenotype by proinflammatory cytokines. Glia. 2008 Mar 27 ; [Epub ahead of print].<br />

Pellerin L., Bouzier-Sore A.K., Aubert A., Serres S., Merle M., Costalat R.,<br />

Magistr<strong>et</strong>ti P.J. Activity-<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt regulation of energy m<strong>et</strong>abolism by astrocytes: an<br />

update. Glia. 2007 Sep ; 55(12) : 1251-62. Review.<br />

Granziera C., Theven<strong>et</strong> J., Price M., Wiegler K., Magistr<strong>et</strong>ti P.J., Badaut J.,<br />

Hirt L. Thrombin-induced ischemic tolerance is prevented by inhibiting c-jun N-terminal<br />

kinase. Brain Res. 2007 May 7 ; 1148 : 217-25. Epub 2007 Feb 22.<br />

Badaut J., Brun<strong>et</strong> J.F., P<strong>et</strong>it J.M., Guérin C.F., Magistr<strong>et</strong>ti P.J., Regli L. Induction<br />

of brain aquaporin 9 (AQP9) in catecholaminergic neurons in diab<strong>et</strong>ic rats. Brain Res. 2007<br />

Nov 7.<br />

Kovacs K.A., Steull<strong>et</strong> P., Steinmann M., Do K.Q., Magistr<strong>et</strong>ti P.J., Halfon O.,<br />

Cardinaux J.R. TORC1 is a calcium- and cAMP-sensitive coinci<strong>de</strong>nce d<strong>et</strong>ector involved<br />

in hippocampal long-term synaptic plasticity. Proc Natl Acad Sci USA. 2007, 104(11) :<br />

4700-4705.<br />

Granziera C., Theven<strong>et</strong> J., Price M., Wiegler K., Magistr<strong>et</strong>ti P.J., Badaut J.,<br />

Hirt L. Thrombin-induced ischemic tolerance is prevented by inhibiting c-jun N-terminal<br />

kinase. Brain Res. 2007, 1148 : 217-25.<br />

Laughton J.D., Bittar P., Charnay Y., Pellerin L., Kovari E., Magistr<strong>et</strong>ti P.J.,<br />

Bouras C. M<strong>et</strong>abolic compartmentalization in the human cortex and hippocampus :<br />

evi<strong>de</strong>nce for a cell- and region-specific localization of Lactate Dehydrogenase 5 and Pyruvate<br />

Dehydrogenase. BMC Neuroscience 2007, 23 ; 8 (1) : 35.<br />

Aubert A., Pellerin L., Magistr<strong>et</strong>ti P.J., Costalat R.A. coherent neurobiological<br />

framework for functional neuroimaging provi<strong>de</strong>d by a mo<strong>de</strong>l integrating compartmentalized<br />

energy m<strong>et</strong>abolism. Proc Natl Acad Sci USA. 2007, 104(10) : 4188-4193.<br />

Commentaire, chapitre<br />

Magistr<strong>et</strong>ti P.J., Allaman I. Glycogen : a Trojan horse for neurons. Nat Neurosci.<br />

2007, 11, 1341-2.<br />

Magistr<strong>et</strong>ti P.J. Brain Energy M<strong>et</strong>abolism. In : Fundamental Neuroscience, 3rd Edition.<br />

Squire L., Berg, D., Bloom, F.e., du Lac S., Ghosh A., Spitzer N. Eds, Aca<strong>de</strong>mic Press,<br />

2008, 271-293.<br />

2008<br />

Conférences plénières <strong>et</strong> sur invitation<br />

— « Mind your Brain » Symposium, Lausanne.<br />

— 100 th me<strong>et</strong>ing of the Swiss Neurological Soci<strong>et</strong>y.<br />

— Club cellules gliales, Paris.


818 PIERRE MAGISTRETTI<br />

— École Normale Supérieure, Paris.<br />

— Institute for Research in Biomedicine, Barcelona.<br />

— Colloque <strong><strong>de</strong>s</strong> neurosciences cliniques, CHUV.<br />

— Symposium on « Neurosciences and Soci<strong>et</strong>y », FENS.<br />

— European Science Open Forum, Barcelona.<br />

— Gordon Research Conference on « Membrane transport proteins », Il Ciocco.<br />

2007<br />

— École Normale Supérieure, Paris.<br />

— 12 th Neuronal <strong>de</strong>generation workshop, Verbier.<br />

— Ac<strong>et</strong>tepe University, Ankara.<br />

— Wallenberg Symposium, Stockholm.<br />

— International Me<strong>et</strong>ing of ESCAP (European Soci<strong>et</strong>y for Child and Adolescent<br />

Psychiatry), Florence.<br />

— VIII European Me<strong>et</strong>ing on Glial Function, London.<br />

— Glaxo Smith Kline, Harlow.<br />

— Association Psicoanalitica <strong>de</strong> Argentina, Buenos Aires.<br />

— London Psychoanalytical Soci<strong>et</strong>y, London.<br />

— Yale University, Department of Physiology.<br />

— Mount Sinai School of Medicine, Department of Neuroscience.<br />

— Phyloct<strong>et</strong>es Center, New York Psychoanalytical Soci<strong>et</strong>y, New York.<br />

— University of Pennsylvania, Department of Pediatrics.<br />

— University of Ancona, Annual Lecture, Department of Neuroscience.<br />

Liste <strong><strong>de</strong>s</strong> articles cités dans le rapport d’activité<br />

[1] Attwell and Laughlin, J Cereb Blood Flow M<strong>et</strong>ab. 21 : 1133-1145, 2001.<br />

[2] Breitenberg <strong>et</strong> Schütz, Cortex : statistics and geom<strong>et</strong>ry of neuronal connectivity, 2 nd<br />

ed. Berlin : Springer, 1998.<br />

[3] Sokoloff <strong>et</strong> al., J Neurochem. 28 : 897-916, 1977.<br />

[4] Lennie, Current Biol 13 : 493-497, 2003.<br />

[5] Magistr<strong>et</strong>ti <strong>et</strong> al., Science 283 : 496-497, 1999.<br />

[6] Magistr<strong>et</strong>ti, J Exp Biol. 209 : 2304-2311, 2006.<br />

[7] Voutsinos-Porche <strong>et</strong> al., Neuron 37 : 275-286, 2003.<br />

[8] Chol<strong>et</strong> <strong>et</strong> al., J Cereb Blood Flow M<strong>et</strong>ab. 21 : 404-412, 2001.<br />

[9] Jourdain <strong>et</strong> al., Nat Neurosci. 10 : 331-339, 2007.<br />

[10] Bernardinelli <strong>et</strong> al., Proc Natl Acad Sci USA 101 : 14937- 14942, 2004.<br />

[11] Bouzier-Sore <strong>et</strong> al., J Cereb Blood Flow M<strong>et</strong>ab. 23 : 1298-306, 2003.<br />

[12] Kasischke <strong>et</strong> al., Science 305 : 99-103, 2004.<br />

[13] Pellerin <strong>et</strong> Magistr<strong>et</strong>ti, Science 305 : 50-52, 2004.<br />

[14] Ramirez <strong>et</strong> al., J Neurosci Res. 85 : 3244-3253, 2007.<br />

[15] Porras <strong>et</strong> al., J Neurosci. 24 : 9669-9673, 2004.<br />

[16] Dringen <strong>et</strong> Hirrlinger, Biol Chem. 384 : 505-516, 2003.


CHAIRE INTERNATIONALE 819<br />

[17] Fra<strong>de</strong> <strong>et</strong> al., J Neurochem. 105 : 1144-1152, 2008.<br />

[18] Itoh <strong>et</strong> al., Proc Natl Acad Sci USA. 100 : 4879-4884, 2003.<br />

[19] Waniewski <strong>et</strong> Martin, J Neurosci. 18 : 5225-5233, 1998.<br />

[20] Lovatt <strong>et</strong> al., J Neurosci. 27 : 12255-12266, 2007.<br />

[21] Sorg <strong>et</strong> Magistr<strong>et</strong>ti, J Neurosci. 12 : 4923-4931, 1992.<br />

[22] P<strong>et</strong>it <strong>et</strong> al., Eur J Neurosci. 16 : 1163-1167, 2002.<br />

[23] Cirelli <strong>et</strong> Tononi, PLoS Biology 6 : 1605-1611, 2008.<br />

[24] Ros <strong>et</strong> al., J Cereb Blood Flow M<strong>et</strong>ab. 26 : 468-477, 2006.<br />

[25] Gavill<strong>et</strong> <strong>et</strong> al., Glia. 56 : 975-989, 2008.<br />

[26] Genoud <strong>et</strong> al., PLoS Biol. 4 : 2057-2064 (e343), 2006.<br />

[27] Vlassenko <strong>et</strong> al., Proc Natl Acad Sci USA 103 : 1964-1969, 2006.<br />

[28] Ia<strong>de</strong>cola <strong>et</strong> Ne<strong>de</strong>rgaard, Nat Neurosci. 10 : 1369-1376, 2007.<br />

[29] Raichle <strong>et</strong> Gusnard, J Comp Neurol. 493 : 167-176, 2005.<br />

[30] Fox <strong>et</strong> al., Nat Rev Neurosci. 8 : 700-711, 2007.<br />

[31] Raichle <strong>et</strong> Mintun, Annu Rev Neurosci. 29 : 449-476, 2006.<br />

[32] Reiman, Ann NY Acad Sci. 1097 : 94-113, 2007.<br />

[33] Bliss <strong>et</strong> al., J Neurosci. 24 : 6202-6208, 2004.<br />

[34] Choudray <strong>et</strong> al., Proc Natl Acad Sci USA. 102 : 15653-15658, 2005.


1. Introduction<br />

Chaire d’innovation technologique — Liliane B<strong>et</strong>tencourt<br />

M. Gérard Berry<br />

Membre <strong>de</strong> l’Institut (Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences)<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> technologies,<br />

Professeur associé<br />

Pourquoi <strong>et</strong> comment le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>vient numérique<br />

Le <strong>cours</strong> « pourquoi <strong>et</strong> comment le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>vient numérique » a été donné<br />

dans le cadre <strong>de</strong> la chaire annuelle d’innovation technologique Liliane B<strong>et</strong>tencourt.<br />

Il a été le tout premier <strong>cours</strong> d’informatique jamais donné au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />

J’ai choisi <strong>de</strong> le conduire selon un point <strong>de</strong> vue non classique, plutôt grand public<br />

que technique. En eff<strong>et</strong>, mes collègues informaticiens <strong>et</strong> moi-même observons<br />

<strong>de</strong>puis longtemps un phénomène étonnant : si tout le mon<strong>de</strong> constate que le<br />

numérique transforme le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> façon très rapi<strong>de</strong> <strong>et</strong> très profon<strong>de</strong>, dans ses<br />

composantes quotidiennes, scientifiques, industrielles, <strong>et</strong> culturelles, ses racines<br />

restent largement inconnues ou incomprises. Il sort chaque mois <strong><strong>de</strong>s</strong> livres sur la<br />

« révolution numérique », analysant ses impacts <strong>de</strong> tous ordres, certains prêchant<br />

l’enthousiasme <strong>et</strong> d’autres la résistance ; si tous parlent <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s, pratiquement<br />

aucun ne parle du contenu <strong>et</strong> donc <strong><strong>de</strong>s</strong> causes, souvent même en revendiquant c<strong>et</strong>te<br />

omission. Or le non-savoir accepté est une cause <strong>de</strong> majeure <strong>de</strong> dépendance, <strong>et</strong> est<br />

donc dangereux à terme.<br />

C<strong>et</strong>te situation troublante doit être opposée à celle <strong>de</strong> la fin du 19 e siècle <strong>et</strong> du<br />

début du 20 e , où les grands progrès scientifiques considérables <strong>de</strong> l’époque étaient<br />

popularisés <strong>et</strong> vulgarisés dans d’excellents livres <strong>et</strong> revues. Ayant été lecteur assidu <strong>de</strong><br />

ce genre d’ouvrage, j’ai pensé que la même approche « leçon <strong>de</strong> choses » s’appliquerait<br />

parfaitement au numérique, à condition <strong>de</strong> trouver le bon niveau <strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>cription.<br />

J’avais déjà pratiqué <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences ou <strong><strong>de</strong>s</strong> enseignements selon ce point <strong>de</strong> vue en<br />

plusieurs circonstances. J’en citerai <strong>de</strong>ux : l’association « Art Science Pensée » <strong>de</strong> ma<br />

ville <strong>de</strong> Mouans-Sartoux, <strong>et</strong> l’école Montessori <strong><strong>de</strong>s</strong> Pouces Verts dans la même ville.<br />

Ces expériences m’ont permis d’entrevoir ce que les gens ne comprenaient pas, <strong>et</strong>


822 GÉRARD BERRY<br />

donc <strong>de</strong> commencer à construire un dis<strong>cours</strong> leur perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> comprendre — <strong>et</strong><br />

d’aimer — le suj<strong>et</strong>. Mon <strong>cours</strong> au <strong>Collège</strong> peut être vu comme une extension <strong>de</strong><br />

c<strong>et</strong>te approche. J’espère qu’il aura contribué à lever le voile.<br />

1.1. Conduite du <strong>cours</strong><br />

Le <strong>cours</strong> s’est composé <strong>de</strong> la leçon inaugurale <strong>et</strong> <strong>de</strong> huit séances, chacune<br />

consacrée à un grand sous-domaine <strong>de</strong> l’informatique : algorithmes, circuits,<br />

langages <strong>de</strong> programmation, systèmes embarqués, chasses aux bugs, réseaux, images,<br />

cryptologie <strong>et</strong> conclusion. D’autres suj<strong>et</strong>s importants comme les bases <strong>de</strong> données<br />

<strong>et</strong> systèmes d’informations n’ont pu être traités faute <strong>de</strong> temps. Chaque séance s’est<br />

composée <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux parties : le <strong>cours</strong> proprement dit, <strong>et</strong> un séminaire donné par une<br />

ou plusieurs personnalités extérieures, chercheurs ou industriels. C<strong>et</strong>te division m’a<br />

paru importante pour que ma relative ignorance <strong>de</strong> chaque suj<strong>et</strong> soit compensée<br />

par la gran<strong>de</strong> connaissance d’un spécialiste, <strong>et</strong> pour que mon <strong>cours</strong> général soit<br />

complété par une intervention concernant un aspect plus spécifique mais important<br />

en terme <strong>de</strong> compréhension ou d’impact. Sauf un (cryptologie), tous les <strong>cours</strong> <strong>et</strong><br />

séminaires ont été mis en ligne en vidéo. Il faut noter que 28 étudiants <strong>de</strong> diverses<br />

universités se sont inscrits au cycle <strong>de</strong> <strong>cours</strong>, validé pour leur formation. Après le<br />

<strong>cours</strong>, un colloque informatique <strong>et</strong> bio-informatique a été consacré à cinq suj<strong>et</strong>s<br />

spécifiques, chacun présenté par un grand spécialiste du domaine.<br />

1.2. Répétitions <strong>de</strong> la leçon inaugurale<br />

J’ai répété quatre fois la leçon inaugurale en d’autres lieux : à l’Université <strong>de</strong><br />

Grenoble, dans le cadre <strong>de</strong> la journée dédiée à Louis Bolli<strong>et</strong> (16 mai) ; à Sophia-<br />

Antipolis, sur invitation <strong>de</strong> l’école Polytech Nice <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’INRIA (26 mai) ; au Lycée<br />

Marcel Bloch <strong>de</strong> Strasbourg, <strong>de</strong>vant <strong><strong>de</strong>s</strong> classes <strong>de</strong> première, dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

journées <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences en Alsace (28 mai) ; au colloque INIST / CNRS<br />

<strong>de</strong> Nancy (18 juin). Je la répèterai encore en octobre à l’INRIA Rocquencourt<br />

(9 octobre) puis à l’INRIA Rennes (24 octobre), sur invitation <strong>de</strong> ces organismes, <strong>et</strong><br />

je donnerai un séminaire similaire à la CCI d’Amiens (30 septembre). La leçon<br />

inaugurale a également été proj<strong>et</strong>ée dans diverses gran<strong><strong>de</strong>s</strong> écoles sans ma présence.<br />

1.3. Actions sur l’enseignement<br />

Lors <strong>de</strong> la leçon inaugurale, j’ai insisté sur le r<strong>et</strong>ard considérable pris sur le thème<br />

général <strong>de</strong> l’informatique par l’enseignement pré-universitaire en <strong>France</strong>, peu<br />

compatible avec l’entrée dans le 21 e siècle. C<strong>et</strong>te affirmation a rencontré un écho<br />

certain dans diverses instances, <strong>et</strong> mon action se poursuit <strong>de</strong> plusieurs façons. J’ai<br />

répété ma leçon inaugurale dans un lycée à Strasbourg, <strong>et</strong> je compte le faire dans<br />

d’autres. J’ai donné une conférence « la révolution numérique dans les sciences » lors<br />

<strong>de</strong> la remise <strong><strong>de</strong>s</strong> prix <strong><strong>de</strong>s</strong> Olympia<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> mathématiques (12 juin). J’ai également été<br />

chargé d’une mission sur l’enseignement <strong>de</strong> l’Informatique au lycée par l’Académie<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> sciences. A ce titre, j’ai rencontré diverses associations <strong>de</strong> professeurs, <strong>et</strong> j’ai


CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 823<br />

donné un séminaire à l’université d’été <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs <strong>de</strong> mathématiques à St Flour<br />

en août 2008. J’ai enfin présidé le jury <strong><strong>de</strong>s</strong> prix scientifiques collectifs <strong>de</strong> l’Ecole<br />

Polytechnique (30 juin).<br />

1.4. R<strong>et</strong>ombées médiatiques<br />

Le <strong>cours</strong> a eu un impact médiatique important. Au niveau radiophonique, j’ai<br />

participé aux émissions suivantes :<br />

— Les matins <strong>de</strong> <strong>France</strong> Culture, Ali Baddou, 17 janvier, le matin <strong>de</strong> la leçon<br />

inaugurale.<br />

— Mediapolis, Michel Field <strong>et</strong> Olivier Duhamel, Europe no 1 , 2 mars.<br />

— Travaux publics, Jean Lebrun, <strong>France</strong> Culture, 12 mars.<br />

— Science publique, Michel Alberganti, <strong>France</strong> Culture, 4 avril.<br />

— Le pudding, Nicolas Errera <strong>et</strong> Jean Croc, Radio Nova, 13 <strong>et</strong> 20 avril.<br />

— Place <strong>de</strong> la toile, Caroline Broué <strong>et</strong> Thomas Baumgartner, <strong>France</strong> Culture,<br />

23 mai.<br />

J’ai aussi participé à <strong><strong>de</strong>s</strong> émissions radio plus courtes (<strong>France</strong> Bleue, RFI,) <strong>et</strong> à<br />

<strong>de</strong>ux émissions <strong>de</strong> télévision (<strong>France</strong> 3 <strong>et</strong> LCI). Le <strong>cours</strong> a été annoncé <strong>et</strong> suivi par<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> articles dans nombreux journaux, revues <strong>et</strong> sites Intern<strong>et</strong>.<br />

2. Bref résumé <strong>de</strong> la leçon inaugurale<br />

Après avoir rappelé les très nombreux eff<strong>et</strong>s du passage au numérique <strong>et</strong><br />

l’ignorance généralisée <strong>de</strong> ses causes, j’ai présenté ma vision sous la forme d’une<br />

conjonction <strong>de</strong> quatre points :<br />

1. L’idée <strong>de</strong> numériser <strong>de</strong> façon homogène toutes sortes <strong>de</strong> données <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

phénomènes.<br />

2. Les fantastiques progrès <strong>de</strong> la machine à informations, faite <strong>de</strong> circuits <strong>et</strong><br />

logiciels.<br />

3. Ceux <strong>de</strong> la science <strong>et</strong> <strong>de</strong> la technologie <strong>de</strong> son utilisation.<br />

4. L’existence d’un espace d’innovation sans frein.<br />

L’idée <strong>de</strong> numérisation systématique est née dans les années 1950, avec un<br />

contribution fondamentale <strong>de</strong> Shannon qui a défini son sens <strong>et</strong> ses limites. La<br />

numérisation perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> s’affranchir <strong>de</strong> l’ancestrale dépendance d’une information<br />

vis-à-vis <strong>de</strong> son support : papier pour l’écriture, disque vinyle pour le son, film<br />

argentique pour l’image, <strong>et</strong>c. Une fois numérisées, toutes les informations prennent<br />

la forme unique <strong>de</strong> suites <strong>de</strong> nombres. On peut alors leur appliquer <strong>de</strong>ux types<br />

d’algorithmes combinables avec une totale liberté :<br />

— <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes génériques, indépendants du contenu, pour stocker, copier,<br />

comprimer (faiblement), encrypter <strong>et</strong> transporter l’information sans aucune perte,<br />

ce qui est impossible avec les représentations analogiques classiques.


824 GÉRARD BERRY<br />

— <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes spécifiques à un type <strong>de</strong> données : compression forte <strong>et</strong><br />

amélioration d’images <strong>et</strong> <strong>de</strong> sons, recherche dans les textes, recherche <strong>de</strong> chemins<br />

optimaux dans <strong><strong>de</strong>s</strong> graphes, algorithmes géométriques en robotique ou en imagerie<br />

médicale, algorithmes <strong>de</strong> calcul scientifique, la liste est interminable.<br />

La possibilité d’appliquer effectivement ces algorithmes à bas coût repose sur les<br />

progrès exponentiels <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits électroniques <strong>et</strong> les avancées scientifiques dans<br />

leur conception <strong>et</strong> dans celle <strong><strong>de</strong>s</strong> logiciels. Plutôt que le terme « ordinateur », qui<br />

évoque trop précisément l’utilisation d’un clavier <strong>et</strong> d’un écran, j’utilise le terme<br />

général <strong>de</strong> « machine à information » En eff<strong>et</strong>, la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits <strong>et</strong> logiciels<br />

sont maintenant enfouis dans <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> toutes sortes, <strong>de</strong> façon invisible à<br />

l’utilisateur.<br />

Insistons sur le point 4 ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus, l’espace d’innovation sans frein : dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

sciences physiques ou biologiques, il y a souvent loin <strong>de</strong> l’idée à la réalisation. Tout<br />

progrès <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’abord la compréhension d’un mon<strong>de</strong> préexistant extrêmement<br />

complexe. En informatique, la situation est bien différente. L’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

machines à informations <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs applications ne se heurte pas à la complexité<br />

<strong>de</strong> la nature, puisqu’elle en synthétise en quelque sorte une autre. La distance entre<br />

l’idée <strong>et</strong> l’application est très courte, <strong>et</strong> la vraie limite à l’expansion <strong><strong>de</strong>s</strong> innovations<br />

numériques est celle <strong>de</strong> l’imagination humaine. De nombreux exemples sont<br />

fournis par la profusion d’idées nouvelles contribuant à l’expansion du Web : pour<br />

l’innovation majeure qu’est le moteur <strong>de</strong> recherches, il a suffi <strong>de</strong> quelques mois<br />

pour passer <strong>de</strong> l’idée à la mise en service.<br />

Dans les sciences, le numérique conduit à une révolution généralisée, qui<br />

poursuit celle réalisée par l’introduction <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques. En eff<strong>et</strong>, l’informatique<br />

étend la notion mathématique <strong>de</strong> mise en équations en la notion bien plus générale<br />

<strong>de</strong> mise en calculs, <strong>et</strong> amplifie les possibilités très limitées du calcul manuel par<br />

celles quasi infinies du calcul automatique.<br />

La leçon s’est terminée par l’expression <strong>de</strong> l’inquiétu<strong>de</strong> sur les insuffisances<br />

massives <strong>de</strong> l’enseignement, <strong>et</strong> <strong>de</strong> façon plus générale <strong>de</strong> l’information scientifique<br />

<strong>et</strong> technique dans ce domaine crucial pour l’avenir.<br />

3. Cours algorithmes<br />

Les algorithmes sont les éléments centraux <strong>de</strong> l’informatique, <strong>et</strong> l’algorithmique<br />

en est la science. Son but est <strong>de</strong> construire <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes efficaces en fonction<br />

d’un jeu <strong>de</strong> primitives <strong>de</strong> base, <strong>et</strong> d’étudier leur coût ou complexité, mesuré suivant<br />

divers paramètres : temps <strong>de</strong> calcul, mémoire ou surface <strong>de</strong> circuit utilisée, énergie<br />

dépensée, <strong>et</strong>c.<br />

Le coût d’un algorithme dépend fortement <strong>de</strong> la nature machine d’exécution.<br />

L’algorithmique classique s’est concentrée sur les machines <strong>de</strong> type von Neumann,<br />

où une seule instruction est exécutée à chaque instant. L’algorithmique mo<strong>de</strong>rne


CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 825<br />

s’intéresse aussi aux machines parallèles, qu’elles soient synchrones comme les<br />

circuits digitaux, ou asynchrones comme les supercalculateurs multiprocesseurs <strong>et</strong><br />

maintenant les processeurs multicœurs.<br />

Il existe <strong><strong>de</strong>s</strong> milliers d’algorithmes pour résoudre <strong><strong>de</strong>s</strong> milliers <strong>de</strong> problèmes <strong>de</strong><br />

natures extrêmement variées : traitement <strong>de</strong> textes (recherche, orthographe, <strong>et</strong>c.),<br />

traitement d’images, <strong>de</strong> sons <strong>et</strong> <strong>de</strong> films (amélioration, compression, analyse,<br />

recherche d’obj<strong>et</strong>s, <strong>et</strong>c.), traitement d’obj<strong>et</strong>s géométriques (imagerie médicale,<br />

synthèse d’image, conception assistée par ordinateur, robotique), calcul scientifique<br />

<strong>et</strong> mathématique, gestion <strong>de</strong> communications <strong>et</strong> <strong>de</strong> réseaux, contrôle en tempsréels<br />

<strong>de</strong> transports ou d’usines, <strong>et</strong>c. Des applications comme l’imagerie médicale<br />

utilisent une conjonction d’algorithmes complémentaires <strong>de</strong> types divers. C<strong>et</strong>te<br />

variété n’exclut pas une théorie générale : la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes reposent sur<br />

un p<strong>et</strong>it nombre <strong>de</strong> principes centraux illustrés dans le <strong>cours</strong> : dichotomie (diviser<br />

pour régner), procé<strong>de</strong>r récursivement ou itérativement, exploiter l’aléatoire, <strong>et</strong>c.<br />

3.1. Tri <strong>de</strong> listes<br />

Notre premier exemple est le tri-fusion sur machine séquentielle, qui illustre à lui<br />

seul <strong>de</strong> nombreux principes. On coupe la liste donnée en <strong>de</strong>ux parties égales (à 1<br />

près), on trie récursivement ces <strong>de</strong>ux listes avec le même algorithme, puis on fusionne<br />

les <strong>de</strong>ux listes triées en comparant itérativement leurs têtes. Le couple récursion/<br />

dichotomie assure que le coût maximal en temps est <strong>de</strong> n log(n) pour une liste <strong>de</strong><br />

taille n, ce qi est théoriquement optimal. Cependant, ce coût reste le même quelque<br />

soit la liste <strong>de</strong> départ, même si elle était déjà triée. D’autres algorithmes perm<strong>et</strong>tent<br />

d’améliorer le coût en moyenne, ce qui est important en pratique.<br />

3.2. Addition entière<br />

Notre second exemple est l’addition <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux entiers. Les algorithmes <strong>de</strong> l’école<br />

sont <strong>de</strong> coût linéaire dans le nombre <strong>de</strong> chiffres à cause <strong>de</strong> la propagation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

r<strong>et</strong>enues. Nous montrons comment faire mieux sur un circuit, en additionnant<br />

<strong>de</strong>ux nombres p <strong>et</strong> q par dichotomie/récursion : en supposant qu’ils ont 2n chiffres<br />

en base 2, on coupe p <strong>et</strong> q au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> poids forts <strong>et</strong> faibles, posant p = p’ + 2n p”<br />

<strong>et</strong> q = q’ + 2n q”. On calcule alors en parallèle les trois sommes s’ = p’ + q’, s” 0 = p” + q”<br />

<strong>et</strong> s” 1 = p” + q” + 1. Chaque somme est calculée récursivement avec un additionneur<br />

du même modèle La somme s’ <strong><strong>de</strong>s</strong> poids faibles contient n + 1 bits. On en extrait<br />

le nombre t’ formé <strong><strong>de</strong>s</strong> n premiers bits <strong>et</strong> le n + 1e bit <strong>de</strong> poids fort r’, qui est la<br />

r<strong>et</strong>enue intermédiaire. Le résultat final s est alors défini ainsi : s = t’ + 2n s” 0 si r’ = 0,<br />

ou s = t’ + 2n s” 1 si r’ = 1. La sélection entre s” 0 <strong>et</strong> s” 1 se fait en temps unitaire dans<br />

un circuit à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> multiplexeurs parallèles. Grâce à la dichotomie <strong>et</strong> à la<br />

récursion, le coût en temps <strong>de</strong> l’algorithme est logarithmique, ce qui est beaucoup<br />

mieux que le coût usuel linéaire.<br />

L’addition dichotomique illustre <strong>de</strong>ux principes fondamentaux <strong>de</strong> l’algorithmique<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> circuits, l’anticipation <strong>et</strong> l’échange temps-espace. Pour les poids forts, on anticipe le


826 GÉRARD BERRY<br />

calcul <strong>de</strong> la r<strong>et</strong>enue intermédiaire ; quand celle-ci est connue, les <strong>de</strong>ux poids forts<br />

possibles sont déjà disponibles. Le gain <strong>de</strong> temps est considérable, mais au prix d’une<br />

perte en espace, puisqu’on utilise trois sous-additionneurs parallèles au lieu <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux<br />

strictement nécessaires, <strong>et</strong> d’une dépense supplémentaire d’énergie, puisque l’un <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>de</strong>ux résultats <strong>de</strong> poids forts pré-calculés sera simplement j<strong>et</strong>é aux oubli<strong>et</strong>tes.<br />

3.3. Algorithmes géométriques<br />

Notre troisième exemple concerne le calcul <strong>de</strong> l’enveloppe convexe d’un ensemble<br />

<strong>de</strong> points du plan. C<strong>et</strong> algorithme est fondamental en géométrie algorithmique,<br />

par exemple pour calculer l’intérieur d’un obj<strong>et</strong>. Il se fait en plusieurs étapes :<br />

calcul du point le plus bas, tri <strong><strong>de</strong>s</strong> angles entre ce point <strong>et</strong> les autres points, puis<br />

par<strong>cours</strong> itératif <strong><strong>de</strong>s</strong> points dans l’ordre ainsi établi pour déterminer les segments<br />

<strong>de</strong> l’enveloppe convexe. L’algorithme est illustré par une animation dans la vidéo<br />

<strong>et</strong> les transparents du <strong>cours</strong>. Son analyse est remarquable sur un point : l’étape<br />

chère <strong>de</strong> l’algorithme est le tri <strong><strong>de</strong>s</strong> angles, en n log2(n) s’il y a n somm<strong>et</strong>s. Les autres<br />

étapes sont linéaires, ce qui n’est pas évi<strong>de</strong>nt a priori. L’analyse d’algorithmes recèle<br />

beaucoup <strong>de</strong> surprises, même pour <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes simples !<br />

Les diagrammes <strong>de</strong> Voronoï constituent une structure fondamentale <strong>de</strong> la géométrie<br />

algorithmique. Etant donné un ensemble E <strong>de</strong> points du plan, le diagramme <strong>de</strong><br />

Voronoï associé découpe le plan en polygones contenant chacun un point p <strong>de</strong> E,<br />

<strong>et</strong> tels que chaque point <strong>de</strong> l’intérieur d’un polygone est plus près <strong>de</strong> p que <strong>de</strong> tout<br />

autre point p’ <strong>de</strong> E. La structure duale, formées <strong>de</strong> segments qui joignent les points<br />

<strong>de</strong> E perpendiculairement aux arêtes <strong><strong>de</strong>s</strong> polygones, est appelée triangulation <strong>de</strong><br />

Delaunay. Les arêtes <strong><strong>de</strong>s</strong> polygones <strong>de</strong> Voronoï sont les médiatrices <strong><strong>de</strong>s</strong> côtés <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

triangles <strong>de</strong> Delaunay, eux-mêmes caractérisés par le fait que leur cercle circonscrit<br />

ne contient aucun autre point <strong>de</strong> l’ensemble. Les diagrammes <strong>de</strong> Voronoï ont <strong>de</strong><br />

très nombreuses applications. Ils ont été introduits par Descartes pour étudier la<br />

répartition <strong><strong>de</strong>s</strong> constellations dans le ciel, utilisés par John Snow pour modéliser la<br />

propagation <strong><strong>de</strong>s</strong> épidémies dans les années 1850, <strong>et</strong> le sont maintenant à gran<strong>de</strong><br />

échelle pour le calcul <strong>de</strong> maillages efficaces en calcul numérique, pour la<br />

représentation <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s 3D en synthèse d’image, <strong>et</strong>c.<br />

Nous montré leur construction à l’ai<strong>de</strong> d’un p<strong>et</strong>it logiciel fourni par l’INRIA,<br />

également idéal pour illustrer les notions d’algorithme incrémental <strong>et</strong> d’algorithme<br />

itératif. Ajouter un nouveau point à un diagramme existant se fait <strong>de</strong> façon<br />

incrémentale au voisinage <strong>de</strong> ce nouveau point, sans perturber le reste. L’efficacité<br />

est excellente, ce qu’on voit en cliquant <strong>et</strong> bougeant la souris à gran<strong>de</strong> vitesse. On<br />

peut aussi minimiser l’énergie d’un diagramme, comptée comme l’intégrale <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

carrés <strong><strong>de</strong>s</strong> distances <strong>de</strong> chaque point du domaine au point caractéristique du<br />

polygone auquel il appartient. C<strong>et</strong>te énergie n’est pas minimale quand le point<br />

caractéristique d’un polygone est distinct <strong>de</strong> son centre <strong>de</strong> gravité. L’algorithme <strong>de</strong><br />

Lloyd fournit une métho<strong>de</strong> itérative <strong>de</strong> minimisation par déplacement <strong><strong>de</strong>s</strong> points<br />

initiaux vers le centre <strong>de</strong> gravité. Il est très beau à voir fonctionner sur la


CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 827<br />

démonstration. Il se rencontre effectivement dans la nature, par exemple pour<br />

expliquer le déplacement <strong><strong>de</strong>s</strong> soles cachées sous le sable pour gu<strong>et</strong>ter leur proie<br />

lorsqu’il faut laisser <strong>de</strong> la place à une nouvelle arrivante.<br />

3.4. Le problème SAT <strong>et</strong> les algorithmes NP-compl<strong>et</strong>s<br />

Le <strong>cours</strong> a ensuite présenté le problème SAT <strong>de</strong> satisfaction Booléenne, dont<br />

l’obj<strong>et</strong> est <strong>de</strong> savoir si une formule Booléenne (écrite avec <strong><strong>de</strong>s</strong> variables <strong>et</strong> les<br />

opérations vrai, faux, <strong>et</strong>, ou <strong>et</strong> non) peut être rendue vraie par un jeu <strong>de</strong> valeurs<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> variables. Ce problème élémentaire est en fait très difficile <strong>et</strong> mal compris. Il<br />

est central pour la vérification formelle <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits <strong>et</strong> programmes, <strong>et</strong> il fait l’obj<strong>et</strong><br />

d’une véritable compétition industrielle. Il <strong>de</strong> plus caractéristique <strong>de</strong> la classe <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

problèmes NP-compl<strong>et</strong>s, qui en comprend <strong><strong>de</strong>s</strong> centaines d’autres (emploi du temps,<br />

horaires <strong>de</strong> train, <strong>et</strong>c.). Pour ces problèmes, on ne connaît que <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes<br />

exponentiels dans le cas le pire. Savoir s’il existe <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes toujours<br />

polynomiaux pour SAT <strong>et</strong> les problèmes NP-compl<strong>et</strong>s est considéré comme un <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

problèmes les plus difficiles <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques actuelles.<br />

3.5. Machines chimiques <strong>et</strong> nombres premiers<br />

Les algorithmes parallèles peuvent être très différents <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes séquentiels.<br />

Nous avons présenté une variante parallèle du crible d’Eratosthène pour le calcul<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> nombres premiers. Intuitivement, on m<strong>et</strong> tous les nombres sauf 1 dans un<br />

grand chaudron, <strong>et</strong> on les laisse être agités par le mouvement brownien. Un nombre<br />

p peut manger ses multiples quand il les rencontre, <strong>et</strong> tous les combats peuvent se<br />

faire en parallèle. Les nombres premiers sont les seuls à survivre. Ce modèle ultrasimple<br />

s’étend en une machine chimique générale, introduite par J.P. Banâtre <strong>et</strong> Le<br />

Métayer puis perfectionnée par G. Boudol <strong>et</strong> l’auteur. Les machines chimiques<br />

sont utilisées pour modéliser les réseaux <strong>de</strong> types Intern<strong>et</strong>, la migration <strong><strong>de</strong>s</strong> calculs<br />

dans les réseaux, <strong>et</strong> certains phénomènes biologiques (cf. section 11).<br />

3.6. Séminaire : algorithmes probabilistes sur <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> masses <strong>de</strong> données<br />

Le séminaire donné par Philippe Flajol<strong>et</strong>, directeur <strong>de</strong> recherches à l’INRIA, a été<br />

consacré aux algorithmes probabilistes sur <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> masses <strong>de</strong> données. Il a illustré<br />

un autre grand principe algorithmique, l’exploitation positive <strong>de</strong> l’aléa, reposant ici<br />

sur l’utilisation <strong>de</strong> fonctions <strong>de</strong> hachage pseudo-aléatoires. Une telle fonction va associer<br />

une information <strong>de</strong> taille fixe (par exemple 32 ou 64 bits) à n’importe quelle<br />

information d’entrée (mot, texte, image, son, <strong>et</strong>c.). Etant pseudo-aléatoire, elle va<br />

répartir équitablement les informations d’entrée dans les valeurs hachées, en cassant<br />

leurs régularités potentielles. P. Flajol<strong>et</strong> a montré l’efficacité <strong>de</strong> ces algorithmes dans<br />

un grand nombre <strong>de</strong> problèmes apparemment dissociés : le comptage approché <strong>de</strong><br />

mots dans un livre avec très peu <strong>de</strong> mémoire <strong>et</strong> sans dictionnaire, le classement d’un<br />

grand nombre <strong>de</strong> documents selon leur similarité, la détection d’intrusions <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

virus dans un réseau, <strong>et</strong>c. Bien que ces algorithmes soient très simples, leur analyse<br />

fait appel à <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques particulièrement sophistiquées.


828 GÉRARD BERRY<br />

4. Cours circuits<br />

Les circuits électroniques sont le moteur du mon<strong>de</strong> numérique. Depuis les années<br />

1970, ils se sont développés suivant la loi <strong>de</strong> Moore 1 : le nombre <strong>de</strong> transistors sur<br />

une puce double tous les 18 mois. C<strong>et</strong>te loi exponentielle est due aux progrès <strong>de</strong> la<br />

physique <strong><strong>de</strong>s</strong> transistors <strong>et</strong> à l’amélioration continuelle <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques <strong>de</strong> fabrication.<br />

Elle a <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences étonnantes : un microprocesseur comportait quelques<br />

milliers <strong>de</strong> transistors en 1975, quelque centaines <strong>de</strong> milliers en 1985, une dizaines<br />

<strong>de</strong> millions en 1995, <strong>et</strong> un milliard en 2005, tout cela à prix décroissant. Elle se<br />

poursuit pour l’instant, <strong>et</strong> sera probablement freinée plus par <strong><strong>de</strong>s</strong> considérations<br />

énergétiques <strong>et</strong> économiques que par <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes physiques <strong>de</strong> miniaturisation.<br />

M<strong>et</strong>tre autant <strong>de</strong> transistors sur une puce perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> fabriquer <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits<br />

hétérogènes appelés systèmes sur puce (System on Chip ou SoCs en anglais), qui<br />

intègrent <strong><strong>de</strong>s</strong> processeurs <strong>de</strong> calcul, <strong><strong>de</strong>s</strong> accélérateurs (graphique, cryptage, <strong>et</strong>c.),<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> mémoires, <strong><strong>de</strong>s</strong> processeurs d’entrées/sorties, <strong><strong>de</strong>s</strong> ém<strong>et</strong>teurs récepteurs radio,<br />

tous reliés par <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux hiérarchiques. Il s’en fait <strong><strong>de</strong>s</strong> milliards par an, <strong>et</strong> le<br />

volume ne cesse d’augmenter. Ils se trouvent dans les obj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> tous genres :<br />

téléphones, voitures, trains, avions, vélos, maisons, prothèses médicales, jou<strong>et</strong>s, <strong>et</strong>c.<br />

On prévoit qu’il y aura <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> mille circuits par humain d’ici une quinzaine<br />

d’années, la plupart reliés en réseau.<br />

4.1. Les principes <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits digitaux synchrones<br />

Les circuits digitaux synchrones fonctionnent sur le mo<strong>de</strong> binaire 0/1 en étant<br />

ca<strong>de</strong>ncés par une horloge. Ce sont les plus importants <strong>et</strong> les seuls étudiés ici. Ils<br />

sont complétés par les circuits analogiques, utilisés pour la radio <strong>et</strong> la communication<br />

avec le mon<strong>de</strong> physique, <strong>et</strong> par quelques circuits asynchrones sans horloges.<br />

Un circuit digital synchrone se comporte électriquement comme un réseau<br />

acyclique <strong>de</strong> portes logiques reliées par <strong><strong>de</strong>s</strong> fils qui peuvent être portés à <strong>de</strong>ux<br />

potentiels stables 0 <strong>et</strong> 1 Volt. Les portes calculent les fonctions Booléennes <strong>et</strong>, ou,<br />

non, briques <strong>de</strong> base avec lesquelles on peut co<strong>de</strong>r tout autre calcul. Le circuit<br />

comporte aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> mémoires, commandées toutes en même temps par l’horloge.<br />

Le principe est simple <strong>et</strong> quasiment inchangé <strong>de</strong>puis les premiers ordinateurs:<br />

pendant un cycle d’horloge, l’environnement maintient les entrées à 0 ou 1, <strong>et</strong> les<br />

mémoires maintiennent leurs sorties vers les portes à 0 ou 1. Les signaux se<br />

propagent dans le réseau <strong>de</strong> portes jusqu’à <strong>de</strong>venir stables aux sorties du circuit <strong>et</strong><br />

aux entrées <strong><strong>de</strong>s</strong> mémoires. Au front montant suivant <strong>de</strong> l’horloge, l’environnement<br />

échantillonne les sorties, <strong>et</strong> les mémoires basculent : leurs entrées au front<br />

<strong>de</strong>viennent leurs nouvelles sorties pour tout le cycle suivant. La fréquence maximale<br />

<strong>de</strong> l’horloge est déterminée par la nécessité d’avoir stabilisé tous les fils au front<br />

montant.<br />

1. Du nom <strong>de</strong> Gordon Moore, co-fondateur d’Intel.


CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 829<br />

Les portes sont organisées en blocs architecturaux. Par exemple, un microprocesseur<br />

comporte <strong><strong>de</strong>s</strong> déco<strong>de</strong>urs d’instructions, <strong><strong>de</strong>s</strong> unités <strong>de</strong> calcul arithmétique <strong>et</strong> logique,<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> unités <strong>de</strong> gestion mémoire <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> entrées/sorties. Il lit un programme en langage<br />

machine <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> données, <strong>et</strong> exécute les calculs spécifiés. L’accélération par pipeline<br />

est un concept architectural fondamental i<strong>de</strong>ntique à celui développé par Henry<br />

Ford pour ses usines <strong>de</strong> voitures : chaque opération est découpée en phases qui se<br />

suivent dans le temps, <strong>et</strong> toutes les phases d’instructions consécutives s’exécutent<br />

en parallèle. L’accélération par spéculation repose sur <strong><strong>de</strong>s</strong> calculs réalisés en avance<br />

<strong>de</strong> phase mais potentiellement inutiles, comme expliqué pour l’addition à la<br />

section 3.2. Les mémoires caches perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> pallier la lenteur <strong><strong>de</strong>s</strong> mémoires<br />

externes (RAM) en utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> tampons locaux. Des exemples animés sont montré<br />

dans la vidéo <strong>et</strong> les transparents. Beaucoup <strong>de</strong> détails fins doivent être réglés pour<br />

un fonctionnement efficace <strong>et</strong> sûr <strong><strong>de</strong>s</strong> pipelines, spéculations <strong>et</strong> caches. L’architecture<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> processeurs mo<strong>de</strong>rnes est vraiment aux limites <strong><strong>de</strong>s</strong> capacités humaines, <strong>et</strong> celle<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes sur puce <strong>de</strong> tous ordres la rejoint en termes <strong>de</strong> difficultés.<br />

4.2. Electronic Design Automation : la synthèse <strong>de</strong> circuits<br />

La conception <strong>de</strong> circuits aussi gigantesques ne se fait évi<strong>de</strong>mment plus à la<br />

main, Les étapes ont été successivement automatisées, donnant naissance à une<br />

industrie spécifique, l’EDA (Electronic Design Automation). Les outils EDA<br />

perm<strong>et</strong>tent une synthèse continue <strong>et</strong> automatique, allant <strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux abstraits du<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>ign fonctionnel vers le <strong><strong>de</strong>s</strong>sin concr<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> masques lithographiques qui servent<br />

à fabriquer les circuits. On part <strong>de</strong> langages <strong>de</strong> haut niveau pour générer <strong><strong>de</strong>s</strong> portes<br />

logiques, qu’on va dimensionner, placer <strong>et</strong> router sur le rectangle <strong>de</strong> silicium,<br />

déterminant alors à quelle vitesse peut tourner l’horloge. Il faut en fait une dizaine<br />

d’étapes logicielles, dont le bon fonctionnement est aussi vérifié par logiciel.<br />

L’outillage est très cher <strong>et</strong> très gourmand, <strong>et</strong> sa complexité ne fait qu’augmenter.<br />

Comme le circuit est fabriqué en une fois, le moindre bug <strong>de</strong> conception peut<br />

le rendre entièrement inopérant. Il faut donc être sûr <strong>de</strong> son bon fonctionnement<br />

avant la mise en fabrication. La vérification fonctionnelle se fait soit par simulation,<br />

soit avec les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> formelles étudiées en 7.2. Elle revient couramment à 70 %<br />

du coût total, <strong>et</strong> est <strong>de</strong> moins en moins exhaustive. C’est donc un goulot<br />

d’étranglement fondamental.<br />

4.3. Séminaire : la fabrication <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits<br />

La fabrication <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits a été présentée dans le séminaire donné par Laurent<br />

Thénié, <strong>de</strong> Ca<strong>de</strong>nce Systems Design. Il a détaillé le principe lithographique <strong>de</strong> la<br />

fabrication, les longues <strong>et</strong> nombreuses étapes nécessaires, <strong>et</strong> les usines <strong>et</strong> leurs<br />

machines. Une génération <strong>de</strong> circuits est caractérisée par la taille du transistor,<br />

actuellement 65 ou 50 nanomètres. Des complications considérables sont induites<br />

par le caractère non-linéaire <strong><strong>de</strong>s</strong> gravures mo<strong>de</strong>rnes, qui reposent sur <strong><strong>de</strong>s</strong> images<br />

bien plus fines que la longueur d’on<strong>de</strong> <strong>de</strong> leurs sources lumineuses. Enfin, il faut


830 GÉRARD BERRY<br />

tester un à un tous les circuits fabriqués, car un seul problème <strong>de</strong> fabrication (par<br />

exemple, une seule poussière) suffit à rendre un circuit inopérant. Les tests sont<br />

faits à partir <strong>de</strong> longues séquences fournies par les outils EDA.<br />

La fabrication est <strong>de</strong> fait très dissociée <strong>de</strong> la conception : les outils EDA définissent<br />

exactement ce qui doit être fabriqué <strong>et</strong> testé, <strong>et</strong> le fabriquant n’est pas du tout<br />

concerné par ce que fait le circuit.Un problème majeur est que le prix <strong>de</strong> l’usine<br />

augmente considérablement avec chaque génération, <strong>et</strong> atteindra bientôt <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

dizaines <strong>de</strong> milliards d’euros. Bien que l’obj<strong>et</strong> qu’elle fabrique soit l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> plus<br />

légers, l’industrie est une <strong><strong>de</strong>s</strong> plus lour<strong><strong>de</strong>s</strong> !<br />

4.4. Le futur <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits<br />

De nombreuses difficultés <strong>de</strong> tous ordres risquent <strong>de</strong> ralentir l’évolution<br />

exponentielle : sur le plan technique, citons la difficulté <strong>de</strong> monter encore en fréquence,<br />

les limites posées aux circuits par la chaleur dissipée, <strong>et</strong> les problèmes posés par la<br />

gestion d’horloges multiples ; sur le plan humain, citons la complexité <strong>de</strong> la conception,<br />

qui peut <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong><strong>de</strong>s</strong> milliers <strong>de</strong> personnes, le coût extrême <strong><strong>de</strong>s</strong> investissements, <strong>et</strong> la<br />

nécessité <strong>de</strong> rentabiliser une fabrication par <strong>de</strong> très grands volumes.<br />

De nouvelles solutions apparaissent pour contourner ces problèmes. Le FPGA<br />

(Field Programmable Gate Array) a été introduit dans les années 1980. C’est un<br />

méta-circuit transformable à volonté en circuit précis par téléchargement d’une<br />

configuration binaire. Un même circuit physique peut être ainsi rapi<strong>de</strong>ment<br />

configuré en un très grand nombre <strong>de</strong> circuits logiques par l’utilisateur, au prix d’un<br />

coût plus élevé <strong>et</strong> d’une <strong>de</strong>nsité moindre. D’autres propositions étudient <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits<br />

à grand nombre <strong>de</strong> processeurs simples programmables par logiciel. Mais bien les<br />

programmer reste un grand défi intellectuel. Enfin, il ne sera bientôt plus possible <strong>de</strong><br />

fabriquer <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits zéro défaut. On s’oriente vers <strong><strong>de</strong>s</strong> formes <strong>de</strong> redondance<br />

perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> ne pas utiliser <strong><strong>de</strong>s</strong> parties <strong>de</strong> circuits non fonctionnelles.<br />

Pour gagner <strong><strong>de</strong>s</strong> ordres <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>urs en taille <strong>et</strong> complexité <strong>de</strong> circuits, l’industrie<br />

<strong>de</strong> l’EDA évolue vers l’Electronic System Design ou ESL. Il s’agit <strong>de</strong> grimper encore<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux d’abstraction, par exemple pour synthétiser complètement un circuit<br />

à partir <strong>de</strong> spécifications <strong>de</strong> type logiciel <strong>et</strong> prouver mathématiquement son bon<br />

fonctionnement 2 .<br />

5. Cours langages <strong>de</strong> programmation<br />

Les langages <strong>de</strong> programmation sont l’instrument indispensable pour l’écriture<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> programmes. Leur genèse précè<strong>de</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> ordinateurs : les logiciens comme<br />

Frege, Russel, Turing <strong>et</strong> Church se sont intéressé au problème <strong>de</strong> la définition<br />

précise du langage mathématique, qui est <strong>de</strong> même nature. Les premiers langages<br />

ont été les langages machines <strong><strong>de</strong>s</strong> ordinateurs, bientôt rendu symboliques sous le<br />

2. Ce qui est le suj<strong>et</strong> principal du travail <strong>de</strong> l’auteur.


CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 831<br />

nom d’assembleurs. Un tournant a été apporté dans les années 1950 par FORTRAN<br />

(Formula Translator), qui a augmenté le niveau d’abstraction en utilisant directement<br />

les expressions mathématiques comme (A + B) ∗ C pour programmer, avec comme<br />

primitives l’affectation <strong>de</strong> type X = (A + B) ∗ C, la mise en séquence d’instructions,<br />

les boucles DO, <strong>et</strong> l’appel <strong>de</strong> fonctions définies elles-mêmes par <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes.<br />

Il faut alors un programme appelé compilateur pour traduire ces programmes <strong>de</strong><br />

plus haut niveau en langage machine. Ce schéma est toujours valable.<br />

5.1. Le mon<strong>de</strong> Darwinien <strong><strong>de</strong>s</strong> langages<br />

FORTRAN sera suivi dans les années 1960-70 par <strong><strong>de</strong>s</strong> langages plus riches <strong>et</strong><br />

développés plus scientifiquement, comme ALGOL <strong>et</strong> PASCAL, <strong>et</strong> par le langage<br />

C né avec Unix. En parallèle, <strong><strong>de</strong>s</strong> langages très différents verront le jour comme<br />

LISP, dédié au calcul pour l’intelligence artificielle. Ce langage fonctionnel (sans<br />

affectation) <strong>et</strong> d’exécution interactive sera suivi par SMALLTALK, SCHEME, puis<br />

ML, qui a donné naissance au populaire <strong>et</strong> rigoureux langage Caml développé à<br />

l’INRIA, <strong>et</strong> au puissant langage fonctionnel Haskell. L’augmentation permanente<br />

<strong>de</strong> la taille <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes a conduit à l’ajout <strong>de</strong> systèmes <strong>de</strong> modules ou <strong>de</strong><br />

classes obj<strong>et</strong> perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> définir <strong>et</strong> <strong>de</strong> maintenir <strong>de</strong> vraies architectures logicielles<br />

(Modula, ADA, C++, Java, Caml, <strong>et</strong>c.).<br />

Tous les langages précités perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> programmer n’importe quel algorithme<br />

sur une machine monoprocesseur. Avec les réseaux <strong>et</strong> la comman<strong>de</strong> <strong>de</strong> processus<br />

temps-réel est apparu la nécessité d’écrire <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes parallèles s’exécutant sur<br />

une ou plusieurs machines, d’où la naissance <strong>de</strong> langages asynchrones comme CSP<br />

puis ADA, <strong>de</strong> langages synchrones comme Esterel <strong>et</strong> Lustre (cf. 6.3), <strong>et</strong> l’ajout <strong>de</strong><br />

techniques <strong>de</strong> programmation parallèles dans les langages classiques (en général au<br />

moyen <strong>de</strong> threads, ou flots d’exécutions coordonnés). D’autres langages sont plus<br />

spécifiques. Basic, p<strong>et</strong>it langage interactif <strong><strong>de</strong>s</strong> années 60, est <strong>de</strong>venu Visual Basic,<br />

présent dans toutes les applications bureautiques <strong>de</strong> Microsoft. APL est dédié à<br />

l’écriture très compacte d’algorithmes matriciels. FORTH, originellement <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné<br />

aux programmes temps-réel, a introduit les co<strong><strong>de</strong>s</strong> compacts embarqués (byte-co<strong>de</strong>),<br />

repris par Java <strong>et</strong> Caml. Prolog a introduit la programmation par règles logiques<br />

<strong>et</strong> fait naître la famille <strong><strong>de</strong>s</strong> langages à contraintes. Les langages <strong>de</strong> scripts, inaugurés<br />

par le shell d’Unix, sont <strong>de</strong>venus très populaires pour les manipulations systèmes<br />

<strong>et</strong> le Web (tcl, perl, python, php, <strong>et</strong>c.).<br />

Si l’on ajoute la présence <strong>de</strong> plusieurs dialectes pour chaque langage (<strong><strong>de</strong>s</strong> centaines<br />

pour LISP), on voit que le paysage linguistique est extrêmement complexe.<br />

L’évolution est Darwinienne : la survie d’un langage dépend <strong>de</strong> la création au bon<br />

moment d’un groupe grandissant d’utilisateurs écrivant <strong>de</strong> nouvelles applications :<br />

C est né d’Unix, Java a crû avec le Web, <strong>et</strong>c. Les guerres <strong>de</strong> religion ont abondé :<br />

les gens du fonctionnel ne supportaient pas l’impératif <strong>et</strong> réciproquement, les<br />

amateurs <strong>de</strong> langages interactifs ne supportaient pas <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir attendre la fin d’une<br />

compilation, <strong>et</strong>c. Tout ceci s’est bien calmé, car concevoir un nouveau langage <strong>et</strong>


832 GÉRARD BERRY<br />

l’ensemble <strong>de</strong> son outillage (compilateur, débogueur, <strong>et</strong>c.) <strong>de</strong>man<strong>de</strong> un<br />

investissement <strong>de</strong> plus en plus considérable.<br />

5.2. Pourquoi tant <strong>de</strong> langages ?<br />

Le nombre <strong><strong>de</strong>s</strong> langages est une conséquence normale <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> nombreux<br />

styles pour exprimer un algorithme ou une classe d’algorithmes. Chaque style<br />

exprime un niveau d’abstraction particulier : le style fonctionnel décrit le résultat à<br />

obtenir plus que la façon <strong>de</strong> le calculer, le style impératif fait exactement l’inverse, le<br />

style logique définit les algorithmes par <strong><strong>de</strong>s</strong> combinaisons <strong>de</strong> règles individuellement<br />

simples, le style obj<strong>et</strong> encapsule les données dans <strong><strong>de</strong>s</strong> classes fournissant <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>de</strong> traitement locales, le style parallèle abandonne l’idée <strong>de</strong> suivre un programme<br />

avec un doigt, le style graphique propose une programmation plus visuelle que<br />

textuelle ; la gestion <strong>de</strong> la mémoire est soit explicite soit implicite, les pointeurs sont<br />

autorisés ou non, <strong>et</strong>c. Par ailleurs, il existe plusieurs styles syntaxiques capables à eux<br />

seuls <strong>de</strong> faire se battre les gens : C est piquant <strong>et</strong> impératif, LISP est rond <strong>et</strong> récursif,<br />

CAML est mathématique <strong>et</strong> récursif, <strong>et</strong>c. Comme en art, chaque style a son intérêt<br />

<strong>et</strong> combiner <strong>de</strong>ux styles n’est jamais simple.<br />

5.3. Syntaxe, types <strong>et</strong> sémantiques<br />

Tout langage a trois composantes fondamentales : une syntaxe, qui définit les<br />

programmes bien écrits, un système <strong>de</strong> types, qui assure avant d’exécuter les<br />

programmes qu’on n’additionnera pas <strong><strong>de</strong>s</strong> choux <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> carottes, <strong>et</strong> une sémantique,<br />

qui définit le sens <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes.<br />

L’analyse syntaxique est un problème magnifiquement réglé <strong>de</strong>puis longtemps. Le<br />

typage évolue encore. Il est fondamental pour détecter les erreurs avant l’exécution <strong>et</strong><br />

donc avant qu’elles n’aient <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences. FORTRAN n’avait que <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres<br />

entiers <strong>et</strong> flottants. LISP n’avait pas <strong>de</strong> types du tout. Pascal, C, Ada, C ++ , <strong>et</strong>c. ont<br />

incorporé <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> types <strong>de</strong> plus en plus riches, perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> définir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

structures <strong>de</strong> données complexes tout en détectant beaucoup d’erreurs. ML a fait un<br />

pas important en introduisant un système <strong>de</strong> types qui garantit mathématiquement<br />

l’absence d’erreur à l’exécution, avec inférence <strong>de</strong> types pour éviter d’écrire les types à<br />

la main, <strong>et</strong> généricité pour écrire par exemple <strong><strong>de</strong>s</strong> files d’attente bien typées<br />

fonctionnant sur types paramétriques. La théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> types est bien établie<br />

mathématiquement mais peut encore progresser pratiquement.<br />

La sémantique <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes définit ce qu’ils doivent faire. Elle est souvent<br />

traitée un peu par <strong><strong>de</strong>s</strong>sus la jambe : exécutez donc votre programme pour voir ce<br />

qu’il fait ! Pourtant, avoir une sémantique claire est indispensable pour avoir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

programmes portables d’une machine à une autre, être sûr <strong>de</strong> ce qu’ils font, <strong>et</strong> les<br />

prouver formellement. La communauté théorique sait maintenant définir<br />

complètement la sémantique d’un langage, pourvu qu’il soit conçu pour. Par<br />

exemple, <strong><strong>de</strong>s</strong> langages comme Caml, Lustre <strong>et</strong> Esterel sont définis <strong>de</strong> façon<br />

mathématique <strong>et</strong> ne peuvent donner lieu à <strong><strong>de</strong>s</strong> erreurs d’interprétation.


CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 833<br />

5.4. Séminaire : du langage à l’action<br />

Xavier Leroy, Directeur <strong>de</strong> Recherches à l’INRIA a présenté la compilation <strong>de</strong><br />

programmes <strong>de</strong> haut niveau en co<strong>de</strong> machine. Il en a détaillé les différentes étapes :<br />

analyse syntaxique, analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> types, allocation <strong><strong>de</strong>s</strong> données, en mémoire,<br />

mécanismes d’exécution par piles, allocation <strong>de</strong> registres, optimisation, <strong>et</strong> génération<br />

<strong>de</strong> co<strong>de</strong>. Il a montré qu’optimiser un programme <strong>de</strong>mandait souvent <strong>de</strong> spéculer<br />

pour compenser la lenteur <strong><strong>de</strong>s</strong> mémoires, en dépliant les boucles <strong>et</strong> en<br />

réordonnançant le co<strong>de</strong> expansé obtenu pour pré-charger les données avant d’en<br />

avoir réellement besoin. Il a enfin montré la possibilité d’écrire <strong><strong>de</strong>s</strong> compilateurs<br />

mathématiquement prouvés correct, exploit que son groupe a été le premier à<br />

réaliser <strong>et</strong> qui pourra avoir <strong><strong>de</strong>s</strong> impacts pratiques considérables à l’avenir.<br />

6. Cours systèmes embarqués<br />

Un système embarqué est un système informatique logiciel <strong>et</strong> matériel enfoui dans<br />

un obj<strong>et</strong> afin <strong>de</strong> contrôler son activité <strong>et</strong> sa sécurité, d’offrir <strong><strong>de</strong>s</strong> services à ses utilisateurs<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> communiquer avec d’autres obj<strong>et</strong>s. Les systèmes embarqués sont extrêmement<br />

nombreux <strong>et</strong> variés : téléphones portable, avions, trains, voitures, <strong>et</strong> même vélos,<br />

appareils photos <strong>et</strong> lecteurs MP3, obj<strong>et</strong>s domotique, stimulateurs cardiaques <strong>et</strong><br />

prothèses intelligentes, <strong>et</strong>c. Le domaine est en croissance très rapi<strong>de</strong> <strong>et</strong> va aller en<br />

s’unifiant avec celui <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux, car les obj<strong>et</strong>s seront <strong>de</strong> plus en plus reliés entre eux,<br />

soit par <strong><strong>de</strong>s</strong> communications spécifiques, soit tout simplement par Intern<strong>et</strong>.<br />

Bien que leurs principes fondamentaux soient les mêmes que ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> ordinateurs<br />

à clavier <strong>et</strong> écrans, la façon <strong>de</strong> concevoir <strong>et</strong> <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre au point les systèmes<br />

embarqués est très différente. Ils sont le plus souvent soumis à <strong><strong>de</strong>s</strong> contraintes<br />

d’autonomie, <strong>de</strong> fiabilité <strong>et</strong> <strong>de</strong> sécurité bien supérieures, surtout s’ils sont <strong><strong>de</strong>s</strong>tinés<br />

à fonctionner en environnement hostile : il est clair que le taux <strong>de</strong> bugs acceptable<br />

pour le pilotage d’un avion soit être absolument minimal.<br />

6.1. Parallélisme <strong>et</strong> déterminisme<br />

Les systèmes embarqués doivent le plus souvent concilier <strong>de</strong>ux caractéristiques<br />

fondamentales : le parallélisme <strong>et</strong> le déterminisme. Le parallélisme résulte <strong>de</strong> la<br />

présence <strong>de</strong> nombreux composants <strong>de</strong>vant agir <strong>de</strong> façon simultanée <strong>et</strong> coordonnée.<br />

Ainsi, dans un système <strong>de</strong> pilotage, il faut simultanément gérer les capteurs, calculer<br />

la trajectoire, corriger la comman<strong>de</strong> en fonction <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te trajectoire, solliciter les<br />

actionneurs, <strong>et</strong>c. Le déterminisme est une contrainte sur le comportement du<br />

système, qui exprime que toute exécution à partir <strong>de</strong> la même séquence d’entrées<br />

doit produire le même comportement. Il est clair que la réaction d’une voiture à un<br />

coup <strong>de</strong> frein ou à un mouvement du volant doit être toujours la même dans les<br />

mêmes conditions <strong>de</strong> route. Bien gérer le parallélisme déterministe est fondamental.<br />

Le parallélisme est partagé par bien d’autres applications non embarquées, par<br />

exemple par les applications Intern<strong>et</strong>. La situation est différente pour le


834 GÉRARD BERRY<br />

déterminisme. S’il est naturel pour les systèmes embarqués, il ne l’est pas pour<br />

d’autres applications parallèles. Par exemple, on ne peut évi<strong>de</strong>mment pas <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

à un moteur <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> répondre toujours <strong>de</strong> la même façon à une question<br />

donnée, puisqu’il doit au contraire se m<strong>et</strong>tre à jour en continu.<br />

6.2. Métho<strong><strong>de</strong>s</strong> classiques <strong>de</strong> programmation<br />

Les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> classiques pour la programmation <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes embarqués sont<br />

fondées sur une extension directe <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> programmation séquentielle au<br />

cas parallèle. Le parallélisme peut être introduit <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manières :<br />

1. Au moyen d’un système <strong>de</strong> tâches séquentielles gérées par un ordonnanceur.<br />

Celui-ci peut être dynamique, conduisant à du non-déterminisme, ou pré-calculé<br />

<strong>et</strong> statique, alors déterministe. Mais le raisonnement sur un système <strong>de</strong> tâche <strong>et</strong> sa<br />

vérification sont difficiles.<br />

2. Par introduction directe dans un langage séquentiel : tasks en ADA, threads<br />

en Java, <strong>et</strong>c. Dans ce cas, les exécutions <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes actions parallèles se font <strong>de</strong><br />

façon asynchrone <strong>et</strong> non-déterministe, ce qui est contraire à la contrainte <strong>de</strong><br />

déterminisme. Dans certains cas (Spark ADA), <strong><strong>de</strong>s</strong> restrictions perm<strong>et</strong>tent d’assurer<br />

le déterminisme.<br />

6.3. Les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> synchrones<br />

Les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> synchrones sont fondées sur un principe complètement différent,<br />

né au début <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1980 dans trois laboratoires français. Elles supposent que<br />

les différents composants du système sont ca<strong>de</strong>ncés par la même horloge logique<br />

<strong>et</strong> savent communiquer en temps zéro. C<strong>et</strong>te simplification théorique est analogue<br />

à celle <strong>de</strong> la vision logique <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits électriques synchrones. Elle perm<strong>et</strong> le<br />

développement <strong>de</strong> langages <strong>et</strong> formalismes graphiques parallèles particulièrement<br />

simples <strong>et</strong> élégants, ayant <strong><strong>de</strong>s</strong> sémantiques mathématiques parfaitement définies.<br />

Le développement <strong><strong>de</strong>s</strong> théories mathématiques associées dans les 25 <strong>de</strong>rnières<br />

années a montré comment compiler efficacement les programmes synchrones <strong>de</strong><br />

façon efficace, soit en programmes C ou ADA séquentiels, soit en circuits<br />

électroniques, <strong>et</strong> comment les vérifier formellement.<br />

Les langages Lustre (CNRS Grenoble) <strong>et</strong> Esterel (Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> Mines <strong>et</strong> INRIA<br />

Sophia-Antipolis) sont développés <strong>et</strong> commercialisés par la société <strong>de</strong> l’auteur, avec<br />

leurs ateliers logiciels compl<strong>et</strong>s : éditeurs, simulateurs, générateurs <strong>de</strong> co<strong>de</strong>,<br />

vérifieurs, <strong>et</strong>c. Ils sont utilisés par <strong>de</strong> nombreuses sociétés industrielles dans les<br />

domaines avioniques, ferroviaires, nucléaire, industrie lour<strong>de</strong> <strong>et</strong> électronique grand<br />

public. A titre d’exemple, plusieurs millions <strong>de</strong> lignes <strong>de</strong> co<strong>de</strong> générées par SCADE<br />

assurent <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions essentielles dans l’Airbus A380 : pilotage, comman<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

réacteurs, freinage, <strong>et</strong>c.


CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 835<br />

6.4. Séminaire : La certification, ou comment faire confiance au logiciel pour<br />

l’avionique critique<br />

Gérard Ladier, responsable <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> la qualité logicielle chez Airbus<br />

Industries, a présenté les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> certification du logiciel critique en avionique.<br />

La norme imposée est la DO-178B, qui définit les processus <strong>de</strong> vérification à<br />

appliquer à ces logiciels. C<strong>et</strong>te norme reconnaît clairement la spécificité du logiciel<br />

par rapport aux autres composants <strong>de</strong> l’avion, <strong>et</strong> donc le besoin d’un traitement<br />

spécifique. La vérification se fait par une conjonction d’activités concernant le<br />

processus <strong>de</strong> développement :<br />

— revues <strong><strong>de</strong>s</strong> co<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> documentations ;<br />

— tests intensifs, autonomes ou sur le simulateur avion ;<br />

— caractérisation <strong>de</strong> la couverture <strong><strong>de</strong>s</strong> exigences fonctionnelles (haut niveau) <strong>et</strong><br />

du co<strong>de</strong> (bas niveau) apportée par les tests ;<br />

— traçabilité complète entre toutes les étapes, <strong><strong>de</strong>s</strong> exigences fonctionnelles au<br />

co<strong>de</strong> <strong>et</strong> aux tests.<br />

Elle fait intervenir <strong><strong>de</strong>s</strong> autorités extérieures, qui vérifient la validité <strong>et</strong> la<br />

complétu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> vérifications faites par le constructeur.<br />

G. Ladier a montré comment le processus <strong>de</strong> certification logicielle est mis en<br />

place chez Airbus, <strong>et</strong> comment il a permis d’obtenir <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats exceptionnels :<br />

zéro bug détecté en vol sur l’A320 en plus <strong>de</strong> 50 millions d’heures <strong>de</strong> vol. Une<br />

nouvelle norme DO-178C est définie par un groupe <strong>de</strong> travail international <strong>de</strong><br />

120 personnes fonctionnant sur le principe du consensus total. Elle m<strong>et</strong>tra<br />

davantage l’accent sur un approche orientée produit, avec la qualification d’outils<br />

<strong>de</strong> haut niveau, conception fondé sur <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles abstraits, métho<strong><strong>de</strong>s</strong> orientées<br />

obj<strong>et</strong>, génération automatique <strong>de</strong> co<strong>de</strong> <strong>et</strong> vérification formelle.<br />

7. Cours « la chasse aux bugs », ou la vérification <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes<br />

L’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> a insisté sur la notion centrale <strong>de</strong> bug en informatique.<br />

L’ignorer ou la sous-estimer, c’est s’exposer à <strong>de</strong> graves conséquences. La vérification<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> circuits <strong>et</strong> logiciels a pour but d’assurer la conformité aux spécifications, <strong>et</strong><br />

donc l’absence <strong>de</strong> bugs. Elle effectue <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manières complémentaires, par test<br />

ou par calcul formel. Les tests reposent sur une exécution directe du circuit ou du<br />

programme dans son environnement réel ou simulé, avec observation <strong>de</strong> son<br />

comportement. Les stimuli sont produits manuellement ou <strong>de</strong> façon aléatoire<br />

guidée, <strong>et</strong> l’on observe les résultats, la couverture du co<strong>de</strong> <strong>et</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> spécifications<br />

pour mesurer ce qui a été vérifié. Comme le nombre <strong>de</strong> cas d’exécution est a priori<br />

non borné, le test ne peut jamais être exhaustif.<br />

A l’opposé, la vérification formelle s’effectue sans exécuter le programme, mais<br />

en calculant <strong><strong>de</strong>s</strong>sus manuellement ou automatiquement à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> différentes<br />

logiques associées au langage <strong>de</strong> programmation. Elle perm<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> garanties à<br />

100 %, mais se heurte à <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes <strong>de</strong> complexité algorithmique dès que les<br />

questions sont trop dures ou les obj<strong>et</strong>s trop gros.


836 GÉRARD BERRY<br />

7.1. Qu’est-ce qu’une spécification ?<br />

La notion même <strong>de</strong> vérification pose immédiatement une difficulté essentielle :<br />

que veut réellement dire spécifier une application ? Dans les bons cas, les choses sont<br />

simples : spécifier qu’une liste <strong>de</strong> nombres est triée est trivial : il s’agit <strong>de</strong> fournir une<br />

liste triée comportant les mêmes éléments avec la même multiplicité. La correction<br />

totale du programme sera alors assurée. Mais les choses sont beaucoup plus complexes<br />

pour le pilotage d’un avion ou le bon fonctionnement d’un microprocesseur ou d’un<br />

système d’exploitation. On s’intéresse alors à <strong><strong>de</strong>s</strong> spécifications partielles, exigeant le<br />

respect <strong>de</strong> propriétés individuellement simples. Citons quelques exemples : l’ascenseur<br />

ne voyagera jamais la porte ouverte <strong>et</strong> finira par passer par tous les étages ; le train<br />

d’atterrissage ne pourra jamais être rétracté quand l’avion est au sol ; le système<br />

d’exploitation ne pourra jamais se geler <strong>et</strong> <strong>de</strong>venir perpétuellement inactif. Une<br />

conjonction <strong>de</strong> telles propriétés peut quelquefois <strong>de</strong>venir une spécification complète.<br />

7.2. La vérification <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes d’états finis<br />

Le cas le plus favorable pour la vérification est celui <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes d’états finis, qui<br />

ne peuvent prendre qu’un nombre fini d’états distincts. Ils sont très nombreux<br />

dans les applications industrielles : circuits à mémoire limitée, interfaces hommemachine,<br />

systèmes <strong>de</strong> contrôle/comman<strong>de</strong> embarqués, <strong>et</strong>c. Leur vérification<br />

formelle a fait récemment <strong><strong>de</strong>s</strong> progrès considérables, grâce aux avancées majeures<br />

sur le problème SAT discutées en 3.4, ainsi qu’à l’introduction <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques <strong>de</strong><br />

vérification par mo<strong>de</strong>l checking pour raisonner sur l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes dans le<br />

temps 3 . Une propriété comme « l’ascenseur ne voyagera jamais la porte ouverte »<br />

se montre maintenant sans difficulté à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> systèmes <strong>de</strong> vérification standard,<br />

ce qui a été démontré dans le <strong>cours</strong> avec l’outil Esterel Studio. Ce type <strong>de</strong><br />

vérification <strong>de</strong>vient clef pour les systèmes embarqués critiques.<br />

En conception assistée <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits, pratiquement toutes les transformations<br />

élémentaires intervenant dans les étapes <strong>de</strong> synthèse mentionnées en 4.2 sont<br />

vérifiées formellement. Des propriétés <strong>de</strong> sous-systèmes critiques comme les caches<br />

<strong>et</strong> les pipelines sont aussi vérifiées formellement autant que possible mais restent<br />

très difficile. Pour toutes les applications industrielles, le grand problème ouvert<br />

reste la prédictibilité du coût <strong>de</strong> la vérification, industriellement nécessaire pour<br />

allouer les budg<strong>et</strong>s correspondants.<br />

7.3. L’indécidabilité <strong>de</strong> la vérification <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes généraux<br />

Les programmes généraux peuvent être d’états infinis, <strong>et</strong> donc hors <strong>de</strong> portée <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

techniques précé<strong>de</strong>ntes. Prenons une propriété élémentaire comme « le programme p<br />

s’arrête-t-il quand on lui donne une donnée d ? ». Turing a montré que c<strong>et</strong>te<br />

3. Joseph Sifakis, du CNRS Grenoble, a obtenu le prix Turing 2007 pour la co-invention du<br />

mo<strong>de</strong>l-checking.


CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 837<br />

propriété est indécidable en général, c’est-à-dire non vérifiable par un algorithme<br />

prenant p <strong>et</strong> d comme données <strong>et</strong> s’exécutant toujours en temps fini.<br />

Montrons ce résultat historique. On utilise d’abord le principe <strong>de</strong> numérisation<br />

<strong>de</strong> Gö<strong>de</strong>l, voyant tout programme <strong>et</strong> toute donnée comme <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres entiers p<br />

<strong>et</strong> d, <strong>et</strong> toute machine ϕ comme une fonction partielle sur les entiers définie si <strong>et</strong><br />

seulement si p s’arrête sur d. Ecrivons ϕ p(d) pour l’application <strong>de</strong> p à d. On<br />

généralise le vieux paradoxe du menteur 4 <strong>de</strong> la façon suivante : supposons qu’il<br />

existe un programme a tel que le calcul ϕ a (2 p 3 q ) s’arrête toujours <strong>et</strong> répon<strong>de</strong> 0 si<br />

ϕ p(d) s’arrête <strong>et</strong> 1 si ϕ p(d) ne s’arrête pas ; le programme a fournirait alors un test<br />

total d’arrêt <strong>de</strong> p sur d. Construisons un autre programme m ainsi :<br />

ϕ m(d) = 0 si ϕ a (2 d 3 d ) = 1<br />

= ϕ m(d) si ϕ a (2 d 3 d ) = 0<br />

Par construction, ϕ m(d) boucle si <strong>et</strong> seulement si <strong>et</strong> seulement si ϕ d(d) ne boucle<br />

pas. Poser d = m fournit immédiatement une contradiction, démontrant par<br />

l’absur<strong>de</strong> que a ne peut exister.<br />

Beaucoup d’autres propriétés élémentaires peuvent être montrées indécidables<br />

par réduction au problème <strong>de</strong> l’arrêt, par exemple l’équivalence <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux programmes<br />

p <strong>et</strong> q pour toutes données.<br />

7.4. Systèmes d’ai<strong>de</strong> à la preuve interactive<br />

Bien qu’elle pose une frontière fondamentale à la vérification, l’indécidabilité est<br />

contournable dans beaucoup <strong>de</strong> cas, car beaucoup <strong>de</strong> propriétés peuvent se prouver<br />

par récurrence. Par exemple, la preuve d’arrêt <strong>de</strong> l’algorithme <strong>de</strong> tri présenté en 3.1<br />

est simple, puisque chaque appel récursif réduit la longueur <strong><strong>de</strong>s</strong> listes arguments.<br />

En pratique, les preuves <strong>de</strong> terminaison ou <strong>de</strong> correction d’algorithmes généraux<br />

peuvent être très techniques. Elles ont donc été mécanisées très tôt dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

systèmes d’assistance à la démonstration. Partant <strong>de</strong> systèmes assez rudimentaires<br />

comme Boyer-Moore (U. Texas) <strong>et</strong> LCF (Stanford), on est allé vers <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes<br />

beaucoup plus sophistiqués comme ACL-2 (MIT), HOL (Cambridge), Isabelle<br />

(Cambridge), PVS (Stanford Research Institute) ou Coq (INRIA).<br />

Des succès importants ont été obtenus récemment : la vérification <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

arithmétiques flottantes <strong><strong>de</strong>s</strong> microprocesseurs d’Intel <strong>et</strong> AMD, la vérification d’un<br />

compilateur C en Coq par Xavier Leroy mentionnée en 5.4, la vérification <strong>de</strong><br />

protocoles <strong>de</strong> sécurité pour cartes à puce, <strong>et</strong> l’authentique exploit qu’est la<br />

vérification formelle du théorème <strong><strong>de</strong>s</strong> 4 couleurs par Georges Gonthier 5 . A l’avenir,<br />

4. L’homme qui affirme « je mens » ne peut ni mentir ni dire la vérité.<br />

5. Il est intéressant <strong>de</strong> noter que la partie la plus dure <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te preuve était celle d’un lemme<br />

considéré comme « folk result » par les mathématiciens qui avaient publiée la première preuve<br />

agréé par la communauté.


838 GÉRARD BERRY<br />

il est hautement souhaitable <strong>de</strong> pouvoir disposer <strong>de</strong> bibliothèques d’algorithmes<br />

vérifiés formellement par ces métho<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />

7.5. Lien avec les langages <strong>de</strong> programmation<br />

L’objectif <strong>de</strong> la vérification formelle est <strong>de</strong> prouver la correction <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes<br />

que l’on écrit effectivement. Or, on ne peut rien prouver sur un programme si on<br />

ne sait pas dire exactement ce qu’il fait. Il faut donc que le langage dans lequel il<br />

est écrit ait une sémantique formelle au sens présenté en 5.3. Diverses métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong><br />

définitions sémantiques sont adaptées à la vérification formelle. Citons la logique<br />

<strong>de</strong> Floyd-Hoare à base <strong>de</strong> pré- <strong>et</strong> post conditions (prédicats vali<strong><strong>de</strong>s</strong> avant <strong>et</strong> après<br />

l’exécution d’une instruction), celle <strong>de</strong> Scott fondées sur la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> treillis, <strong>et</strong><br />

la sémantique opérationnelle structurelle <strong>de</strong> Plotkin fondée sur la définition d’une<br />

logique directement associée aux instructions du langage. Conçues théoriquement<br />

dans les années 1970-1980, ces logiques voient leurs applications fleurir dans les<br />

systèmes d’ai<strong>de</strong> à la vérification.<br />

7.6. Séminaire : l’interprétation abstraite<br />

Patrick Cousot, professeur à l’Ecole Normale Supérieure, a présenté l’interprétation<br />

abstraite, qu’il développe avec son équipe <strong>de</strong>puis trente ans. L’idée est <strong>de</strong> faire<br />

calculer symboliquement le programme selon les mêmes lois d’exécution mais sur<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> données plus abstraites, comme <strong><strong>de</strong>s</strong> intervalles ou <strong><strong>de</strong>s</strong> polygones au lieu <strong>de</strong><br />

nombres individuels. On peut alors approximer supérieurement l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

calculs possibles en temps fini, <strong>et</strong> détecter l’impossibilité <strong>de</strong> certaines erreurs<br />

critiques : accès à un tableau hors <strong>de</strong> ses bornes, division par zéro, débor<strong>de</strong>ment<br />

arithmétique (erreur qui a conduit à l’explosion d’Ariane 501).<br />

L’interprétation abstraite repose sur un cadre général mathématiquement<br />

sophistiqué <strong>et</strong> sur le développement d’une collection <strong>de</strong> domaines abstraits<br />

(intervalles, octogones, ellipsoï<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong>et</strong>c.). Son implémentation <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une<br />

ingénierie subtile pour bien combiner les propriétés <strong><strong>de</strong>s</strong> différents domaines. Elle<br />

a été industrialisée par plusieurs sociétés (Polyspace, AbsInt, <strong>et</strong>c.). L’équipe <strong>de</strong> P.<br />

Cousot a développé le logiciel Astrée, utilisé par Airbus pour vérifier l’absence<br />

d’exception arithmétique dans le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> pilotage <strong>de</strong> l’A380, ce qui constitue un<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> plus grands succès actuels <strong>de</strong> la vérification formelle.<br />

7.7. Séminaire : preuve <strong>et</strong> calcul, <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports intimes<br />

Gilles Dowek, professeur à l’Ecole Polytechnique, est l’auteur du livre « Les<br />

métamorphoses du calcul », Grand Prix <strong>de</strong> philosophie <strong>de</strong> l’Académie Française en<br />

2007. Il a discuté les relations entre calcul <strong>et</strong> preuve, évi<strong>de</strong>mment centrales pour la<br />

vérification <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes. Il a montré que les algorithmes ont historiquement<br />

précédé les démonstrations, comme le prouvent <strong>de</strong> nombreuses tabl<strong>et</strong>tes d’argile <strong>de</strong><br />

diverses origines, <strong>et</strong> que ces algorithmes étaient probablement prouvés corrects <strong>de</strong><br />

façon non écrite. La notion <strong>de</strong> démonstration formelle a été introduite plus tard par


CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 839<br />

les Grecs, probablement à partir d’algorithmes déjà existants ou inventés pour<br />

résoudre <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes précis, avant d’être développée pour son intérêt propre <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

fon<strong>de</strong>r les mathématiques. Des théorèmes bien connus comme Thalès <strong>et</strong> Pythagore<br />

correspon<strong>de</strong>nt effectivement à <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes algorithmiques. L’analyse <strong>de</strong> la preuve<br />

d’Eucli<strong>de</strong> pour l’algorithme du calcul du pgcd par soustraction montre sa relation<br />

très étroite avec les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> preuves <strong>de</strong> programmes, qui s’intéressent<br />

bien sûr à <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s beaucoup plus gros, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> démonstrations corrélativement<br />

beaucoup plus grosses qu’il est nécessaire <strong>de</strong> vérifier elles-mêmes par ordinateur.<br />

8. Cours réseaux<br />

Les réseaux connectent les machines à informations entre elles. Ils ont été introduits<br />

dans <strong>de</strong>ux mon<strong><strong>de</strong>s</strong> différents : celui <strong><strong>de</strong>s</strong> télécommunications, passé au numérique<br />

dans les années 1960/70, <strong>et</strong> celui <strong><strong>de</strong>s</strong> ordinateurs. Les réseaux <strong>de</strong> télécommunication<br />

avaient alors pour seul objectif la transmission <strong>de</strong> la voix, avec multiplexage <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

communications sur les fils. Leur développement a permis <strong><strong>de</strong>s</strong> progrès techniques<br />

essentiels en matière <strong>de</strong> transmission d’informations, dont la transmission par<br />

paqu<strong>et</strong>s <strong>de</strong> bits, maintenant généralisée. Les réseaux d’ordinateurs avaient un objectif<br />

initial bien différent : la transmission <strong>de</strong> fichiers entre machines distantes. Un<br />

tournant a été l’introduction publique d’Intern<strong>et</strong> au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1990, après<br />

son expérimentation chez les militaires <strong>et</strong> les chercheurs. Ce réseau <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux a très<br />

vite gagné en capacité, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> applications <strong>de</strong> transfert <strong>de</strong> voix y sont apparues dans<br />

les années 2000. Elles balayent maintenant les télécommunications fixes. Dans le<br />

même temps, l’industrie <strong><strong>de</strong>s</strong> télécommunications a évolué vers les services mobiles<br />

(GSM, <strong>et</strong>c.), <strong>et</strong> fourni <strong><strong>de</strong>s</strong> entrées rapi<strong><strong>de</strong>s</strong> sur Intern<strong>et</strong> ADSL <strong>et</strong> le câble. C<strong>et</strong>te histoire<br />

complexe repose sur <strong><strong>de</strong>s</strong> bases scientifiques <strong>et</strong> techniques que nous décrivons ici.<br />

8.1. La transmission point à point<br />

La brique <strong>de</strong> base est la transmission <strong>de</strong> l’information numérique d’un point à<br />

une autre par une liaison avec ou sans fil. Elle peut se faire un bit à la fois ou<br />

plusieurs bits en parallèle, avec ou sans transmission d’horloges, par échantillonnage<br />

<strong>de</strong> niveaux ou détection <strong>de</strong> fronts, <strong>et</strong>c. La tendance mo<strong>de</strong>rne est la transmission<br />

sérielle bit par bit, les bits étant codés par <strong><strong>de</strong>s</strong> fronts suffisamment nombreux pour<br />

reconstituer l’horloge <strong>de</strong> transmission sans la transm<strong>et</strong>tre explicitement. Par<br />

exemple, le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> Manchester différentiel associe au moins un front par bit, avec<br />

toujours un front en milieu <strong>de</strong> cycle plus un front en début <strong>de</strong> cycle pour 0. La<br />

multiplicité <strong><strong>de</strong>s</strong> fronts fournit une quasi-horloge qui perm<strong>et</strong> un décodage aisé. On<br />

peut aussi multiplexer les communications sur un seul fil en travaillant en parallèle<br />

sur <strong>de</strong> nombreuses ban<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> fréquences. L’ADSL en utilise 255.<br />

8.2. Rattrapage d’erreurs : les turboco<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

La transmission point à point n’est jamais parfaite <strong>et</strong> peut altérer les bits. La théorie<br />

<strong>de</strong> l’information <strong>de</strong> Shannon définit la quantité maximale d’information qu’on peut


840 GÉRARD BERRY<br />

transm<strong>et</strong>tre sur une ligne ayant un rapport signal sur bruit donné. La théorie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

co<strong><strong>de</strong>s</strong> correcteurs fournit le moyen <strong>de</strong> corriger les erreurs. Son principe est d’ajouter<br />

au message <strong><strong>de</strong>s</strong> bits redondants, qui perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> reconstituer le message initial<br />

même altéré par la transmission. La question est <strong>de</strong> savoir combien <strong>de</strong> bits il faut<br />

ajouter en fonction du rapport signal/bruit <strong>et</strong> comment les calculer. De nombreux<br />

co<strong><strong>de</strong>s</strong> aux propriétés mathématiques diverses ont été proposés. La TNT (Télévision<br />

Numérique Terrestre), qui représentait l’état <strong>de</strong> l’art en 1994 quand sa norme a été<br />

définie, utilise <strong>de</strong>ux co<strong><strong>de</strong>s</strong> successifs. On savait alors ce double codage non optimal<br />

au sens <strong>de</strong> Shannon, mais on ne pensait pas pouvoir faire mieux.<br />

L’introduction <strong><strong>de</strong>s</strong> turboco<strong><strong>de</strong>s</strong> par Clau<strong>de</strong> Berrou <strong>et</strong> Alain Glavieux dans les<br />

années 1990 a résolu le problème en pratique. Au lieu <strong>de</strong> séquentialiser les <strong>de</strong>ux<br />

co<strong><strong>de</strong>s</strong>, ce qui est asymétrique, on les m<strong>et</strong> en parallèle. Au décodage, chaque<br />

information apportée par un co<strong>de</strong> ai<strong>de</strong> l’autre, comme toute découverte sur une<br />

horizontale ou une verticale d’un problème <strong>de</strong> mots croisés ai<strong>de</strong> l’autre direction.<br />

C<strong>et</strong>te restauration <strong>de</strong> la symétrie perm<strong>et</strong> d’atteindre pratiquement la limite <strong>de</strong><br />

Shannon, <strong>et</strong> les turboco<strong><strong>de</strong>s</strong> sont en voir <strong>de</strong> généralisation.<br />

8.3. Les réseaux locaux<br />

Les réseaux locaux ont une portée <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> la centaine <strong>de</strong> mètres. On les<br />

trouve dans les bâtiments, les usines, les automobiles, trains ou avions. Leurs temps<br />

<strong>de</strong> transmissions élémentaires sont faciles à borner, ce qui est impossible dans les<br />

réseaux globaux.<br />

La question centrale est <strong>de</strong> régler les conflits entre stations désirant parler sur le<br />

réseau, qui produisent <strong><strong>de</strong>s</strong> collisions <strong>de</strong> messages. La première solution est d’éviter<br />

les collisions. Dans les réseaux à j<strong>et</strong>ons, on fait tourner un j<strong>et</strong>on virtuel unique<br />

entre les stations, sous forme <strong>de</strong> message spécial ou <strong>de</strong> bits spéciaux dans les<br />

messages, <strong>et</strong> seule la station qui possè<strong>de</strong> le j<strong>et</strong>on peut parler. C’est apparemment<br />

simple, mais insérer dynamiquement une station dans le réseau peut être complexe,<br />

<strong>et</strong> connecter <strong>de</strong>ux réseaux l’est encore plus car il faut tuer un <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux j<strong>et</strong>ons. Une<br />

autre technique pour éviter les collisions est <strong>de</strong> discriminer a priori les ém<strong>et</strong>teurs<br />

en leur attribuant une fenêtre temporelle précise, déterminée par exemple par une<br />

station <strong>de</strong> base à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> tirages aléatoires. C’est la technique TDMA utilisée dans<br />

le téléphone GSM.<br />

Les réseaux à collision comme Ethern<strong>et</strong> acceptent les collisions entre stations<br />

parlant sur le réseau. Une station détecte une collision en comparant ce qu’elle<br />

ém<strong>et</strong> avec ce qu’elle entend. Elle arrête alors son émission normale <strong>et</strong> ém<strong>et</strong> une<br />

trame <strong>de</strong> brouillage détectable par les autres stations. Chaque station ém<strong>et</strong>trice<br />

attend un temps aléatoire avant <strong>de</strong> reparler, avec l’idée que l’aléatoire va séparer les<br />

ém<strong>et</strong>teurs <strong>et</strong> supprimer les collisions. Si une collision se reproduit immédiatement,<br />

chaque station double la taille <strong>de</strong> sa fenêtre aléatoire, <strong>et</strong>c. Une métho<strong>de</strong> plus<br />

efficace serait que chaque station tire au sort si elle reparle immédiatement ou pas,


CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 841<br />

diminuant probabilistiquement <strong>et</strong> itérativement la taille <strong>de</strong> l’ensemble en collision<br />

par 2 (protocole <strong>de</strong> Kap<strong>et</strong>anakis).<br />

Toutes les techniques précitées présentent un certain <strong>de</strong>gré d’indéterminisme qui<br />

peut être inacceptables pour les réseaux <strong>de</strong>vant offrir <strong><strong>de</strong>s</strong> garanties <strong>de</strong> temps réel,<br />

par exemple pour synchroniser les freins <strong>et</strong> la suspension d’une voiture. Des réseaux<br />

locaux plus déterministes sont en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> déploiement en automobile ou<br />

avionique : citons TTP <strong>et</strong> FlexRay, qui utilisent <strong><strong>de</strong>s</strong> protocoles fondés sur le temps<br />

absolu <strong>et</strong> la synchronisation d’horloges, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> variantes déterministes d’Ethern<strong>et</strong>.<br />

8.4. Les réseaux globaux<br />

Il existe <strong>de</strong>ux gran<strong><strong>de</strong>s</strong> technologies <strong>de</strong> réseaux globaux : l’allocation <strong>de</strong> ressources<br />

<strong>et</strong> le routage dynamique. L’allocation <strong>de</strong> ressources est la base <strong>de</strong> la téléphonie<br />

classique. Une transmission commence par l’établissement d’une communication,<br />

avec choix d’un chemin d’acheminement <strong>et</strong> allocation <strong>de</strong> ressources dans chacun<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> nœuds du chemin. Une fois l’allocation faite, la transmission <strong><strong>de</strong>s</strong> paqu<strong>et</strong>s est<br />

très simple <strong>et</strong> la qualité garantie. Cependant, l’établissement <strong>de</strong> la communication<br />

est complexe <strong>et</strong> doit être repris à zéro cas <strong>de</strong> panne sur le chemin ; il peut être<br />

refusé en cas <strong>de</strong> saturation <strong><strong>de</strong>s</strong> ressources ; <strong><strong>de</strong>s</strong> ressources sont bloquées inutilement<br />

en cas <strong>de</strong> silence sur la ligne ; enfin, le système passe difficilement à l’échelle<br />

gigantesque <strong><strong>de</strong>s</strong> liaisons mondiales actuelles.<br />

Le routage dynamique <strong><strong>de</strong>s</strong> paqu<strong>et</strong>s a été introduit initialement dans le réseau<br />

Cycla<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> L. Pouzin, <strong>et</strong> repris dans le réseau ARPA puis dans le réseau Intern<strong>et</strong>.<br />

La transmission repose sur un système d’adressage mondial hiérarchique <strong>et</strong> universel<br />

(adresses IP = Intern<strong>et</strong> Protocol). Chaque paqu<strong>et</strong> contient l’adresse complète <strong>de</strong><br />

son <strong><strong>de</strong>s</strong>tinataire <strong>et</strong> est transmis par <strong><strong>de</strong>s</strong> routeurs sans allocation <strong>de</strong> ressources. Les<br />

routeurs maintiennent à jour <strong><strong>de</strong>s</strong> tables <strong>de</strong> routage, qui leurs disent à quel autre<br />

routeur ou équipement terminal transm<strong>et</strong>tre un paqu<strong>et</strong> reçu en fonction <strong>de</strong> son<br />

adresse. Les tables <strong>de</strong> routage sont échangées dynamiquement sur le réseau entre<br />

les routeurs, assurant ainsi une gestion quasi-optimale <strong>de</strong> tous les changements<br />

dans le réseau. Celui-ci n’a jamais <strong>de</strong> vision exacte <strong>de</strong> sa propre configuration. Il<br />

n’y a donc pas <strong>de</strong> garantie <strong>de</strong> qualité, mais un mécanisme « best effort » simple,<br />

souple <strong>et</strong> extensible. Les réseaux <strong>de</strong> ce type sont robustes aux pannes, mais restent<br />

vulnérables aux attaques, par exemple par surcharge <strong><strong>de</strong>s</strong> routeurs. Ils ten<strong>de</strong>nt à<br />

supplanter les réseaux <strong>de</strong> télécommunications classiques, qui peuvent cependant<br />

servir aussi à transporter les paqu<strong>et</strong>s Intern<strong>et</strong>.<br />

Pour gérer <strong><strong>de</strong>s</strong> centaines <strong>de</strong> milliards d’obj<strong>et</strong>s sur le réseau, il faudra introduire un<br />

adressage beaucoup plus riche (celui d’IP v6, qui entre progressivement en fonction),<br />

augmenter considérablement les ban<strong><strong>de</strong>s</strong> passantes par tous les moyens utilisables<br />

(radio, fibre optique, satellites, <strong>et</strong>c.), augmenter la résistance aux attaques, <strong>et</strong>c.<br />

Mais le plus spectaculaire reste l’extraordinaire panoplie d’innovations qu’ont<br />

permis les réseaux : courrier électronique, sites Web, commerce électronique,


842 GÉRARD BERRY<br />

moteurs <strong>de</strong> recherche, travail coopératif, <strong>et</strong>c. Nous en avons sélectionnées <strong>de</strong>ux<br />

pour le séminaire associé au <strong>cours</strong>.<br />

8.5. Séminaire : qu’est-ce qu’un moteur <strong>de</strong> recherches ?<br />

François Bourdoncle, co-fondateur <strong>de</strong> la société Exalead, a présenté l’anatomie<br />

d’un moteur <strong>de</strong> recherche, qui comprend trois sous-fonctions : le rapatriement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

pages à collecter sur Intern<strong>et</strong>, leur in<strong>de</strong>xation, <strong>et</strong> le calcul <strong>et</strong> la présentation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

réponses aux questions. Le premier moteur Altavista, tenait dans une grosse machine<br />

<strong>et</strong> in<strong>de</strong>xait 100 millions <strong>de</strong> pages. Les moteurs mo<strong>de</strong>rnes utilisent <strong><strong>de</strong>s</strong> milliers <strong>de</strong><br />

PCs <strong>et</strong> in<strong>de</strong>xent <strong><strong>de</strong>s</strong> dizaines <strong>de</strong> milliards <strong>de</strong> pages multilingues <strong>et</strong> bientôt multimedia.<br />

La collecte <strong><strong>de</strong>s</strong> pages exploite la structure particulière du graphe <strong><strong>de</strong>s</strong> pages Web en<br />

« nœud papillon », avec les grands portails comme centres d’aiguillage. L’in<strong>de</strong>xation<br />

repose sur un codage efficace <strong><strong>de</strong>s</strong> listes inverses mots vers documents. F. Bourdoncle<br />

a expliqué les algorithmes <strong>de</strong> construction <strong>et</strong> <strong>de</strong> consultation <strong>de</strong> l’in<strong>de</strong>x, ainsi que le<br />

calcul <strong>de</strong> l’ordre <strong><strong>de</strong>s</strong> pages dans la réponse qui a construit la suprématie <strong>de</strong> Google. Il<br />

a enfin discuté les immenses enjeux économiques associés.<br />

8.6. Séminaire : le pair à pair <strong>et</strong> la transmission épidémique d’information<br />

François Massoulié, <strong>de</strong> Thomson, a présenté la transmission d’information <strong>de</strong> pair à<br />

pair, qui est dominante pour la distribution (légale ou illégale) <strong><strong>de</strong>s</strong> films ou <strong>de</strong> la<br />

musique sur Intern<strong>et</strong>, <strong>et</strong> occupe maintenant 80 % <strong>de</strong> la ban<strong>de</strong> passante du Web. L’idée<br />

est <strong>de</strong> ne pas utiliser <strong>de</strong> serveur centralisé, mais <strong>de</strong> transformer chaque récepteur d’un<br />

flux en un relais <strong>de</strong> transmission pour ce flux. Les virus ont été la première application<br />

<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te technique ; leur nom montre bien qu’ils se propagent <strong>de</strong> façon épidémique. F.<br />

Massoulié a détaillé le problème central du choix <strong><strong>de</strong>s</strong> paqu<strong>et</strong>s d’information à relayer à<br />

chaque instant par un terminal. Des variations subtiles d’algorithmes peuvent donner<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> résultats très différents. Le meilleur algorithme semble être d’envoyer le <strong>de</strong>rnier<br />

paqu<strong>et</strong> utile <strong>de</strong> l’ém<strong>et</strong>teur à une cible aléatoire, ce qui est loin d’être intuitif. C<strong>et</strong>te<br />

diffusion fournit un débit arbitrairement proche <strong>de</strong> l’optimal, avec délai optimal.<br />

Le pair à pair est très simple <strong>et</strong> très efficace, bien que reposant sur <strong><strong>de</strong>s</strong> décisions<br />

aléatoires <strong>et</strong> décentralisées. La recherche s’oriente maintenant vers d’autres<br />

applications, comme la réalisation <strong>de</strong> grands calculs distribués sur <strong>de</strong> très nombreux<br />

processeurs distants.<br />

9. Cours images<br />

Le <strong>cours</strong> image s’est composé d’une courte présentation suivie <strong>de</strong> trois séminaires<br />

décrits ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous.<br />

9.1. Séminaire : <strong>de</strong> l’imagerie médicale au patient virtuel<br />

Nicholas Ayache, directeur <strong>de</strong> recherches à l’INRIA, a présenté les progrès <strong>de</strong> la<br />

mé<strong>de</strong>cine <strong>et</strong> <strong>de</strong> la chirurgie induits par l’imagerie médicale <strong>et</strong> la modélisation


CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 843<br />

numérique du corps humain. Les nouvelles techniques d’imagerie (Scanner, IRM,<br />

TEP, <strong>et</strong>c.) fournissent <strong><strong>de</strong>s</strong> images aux caractéristiques distinctes <strong>et</strong> complémentaires.<br />

Il est possible <strong>de</strong> fusionner ces images à l’ai<strong>de</strong> d’algorithmes mathématiques pour<br />

obtenir <strong><strong>de</strong>s</strong> images résultantes 3D ou 4D donnant beaucoup plus d’informations que<br />

les images séparées. Ceci améliore le diagnostic <strong>et</strong> fournit une ai<strong>de</strong> à la thérapie<br />

médicamenteuse ou chirurgicale : planification, simulation, contrôle <strong>de</strong> la réalisation<br />

<strong>et</strong> suivi. N. Ayache a présenté <strong>de</strong> nombreux exemples d’applications: neurochirurgie<br />

<strong>et</strong> chirurgie du foie assistées par ordinateur, anatomie algorithmique du cerveau ou<br />

du cœur, suivi <strong>de</strong> l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs, modèles électromécaniques du cœur avec<br />

simulations <strong>de</strong> pathologies, <strong>et</strong>c. Le séminaire s’est terminé par la présentation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

nouvelles techniques d’imagerie microscopique in vivo, qui perm<strong>et</strong>tent par exemple<br />

d’explorer en temps réel les alvéoles pulmonaires au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules individuelles.<br />

9.2. Séminaire : pourquoi le numérique révolutionne la photographie<br />

Ce séminaire a été donné par Frédéric Guichard, directeur scientifique <strong>de</strong> la<br />

société DxO Labs. La photographie numérique repose sur un couple optique/<br />

logiciel, où le logiciel joue le rôle le plus important. En numérique, il est possible<br />

<strong>de</strong> défaire par logiciel les déformations <strong><strong>de</strong>s</strong> objectifs <strong>et</strong> capteurs : distorsions<br />

géométriques, aberrations chromatiques, certains types <strong>de</strong> flous, amélioration du<br />

contraste, réduction du bruit. C’est ce que fait le logiciel DxO Optics Pro, dont<br />

la puissance a été montrée par <strong>de</strong> nombreux exemples.<br />

C<strong>et</strong>te nouvelle approche révolutionne l’optique. Plutôt que <strong>de</strong> concevoir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

zooms chers à beaucoup <strong>de</strong> lentilles ayant <strong><strong>de</strong>s</strong> distorsions modérées mais complexes,<br />

il sera meilleur <strong>de</strong> concevoir <strong><strong>de</strong>s</strong> zooms très simples <strong>et</strong> bon marché, ayant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

distorsions plus fortes mais faciles à défaire. On peut aussi fabriquer <strong><strong>de</strong>s</strong> objectifs<br />

numériques à gran<strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> champ, en profitant du fait qu’on peut rendre<br />

une photo globalement n<strong>et</strong>te si une seule <strong>de</strong> trois couleurs primaires (rouge, vert,<br />

bleu) est n<strong>et</strong>te. Au lieu d’essayer <strong>de</strong> diminuer l’aberration chromatique longitudinale<br />

<strong>de</strong> l’objectif, qui fait que les couleurs ne focalisent pas à la même distance, on<br />

l’augmente par <strong><strong>de</strong>s</strong> matériaux adaptés, séparant au mieux les hyperfocales <strong>de</strong><br />

chaque couleur. On obtient ainsi une bonne n<strong>et</strong>t<strong>et</strong>é <strong>de</strong> 20 cm à l’infini, chose<br />

impossible en optique non-numérique.<br />

9.3. Séminaire : traitement d’image pour télévision haute définition<br />

Stéphane Mallat, professeur à l’Ecole Polytechnique <strong>et</strong> fondateur <strong>de</strong> la société L<strong>et</strong><br />

It Wave, a présenté divers algorithmes fondamentaux pour la télévision haute<br />

définition (TVHD) <strong>et</strong> leur implémentation matérielle. La TVHD <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

puissances <strong>de</strong> calcul considérables qui se comptent en téra-opérations par secon<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

(10 12 ops). Un bon exemple est le redimensionnement spatio-temporel <strong><strong>de</strong>s</strong> images,<br />

qui change le nombre <strong>de</strong> points <strong>et</strong> la fréquence temporelle <strong>de</strong> leur flux, passant par<br />

exemple une séquence vidéo standard en résolution supérieure <strong>et</strong> à 100 Hz. Les<br />

interpolations adaptées à l’expansion dans l’espace sont bien connues en


844 GÉRARD BERRY<br />

photographie. L’expansion dans le temps est plus complexe, car elle <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une<br />

interpolation dynamique fine entre les images données pour créer les images<br />

manquantes, sous peine <strong>de</strong> sautillements désagréables. S. Mallat a présenté <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

techniques d’estimation <strong>de</strong> mouvement pixel par pixel, bien plus fines que les<br />

techniques classiques qui opèrent sur <strong><strong>de</strong>s</strong> blocs, <strong>et</strong> a montré comment les implémenter<br />

efficacement sur <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits dédiés. Il a également montré les faiblesses <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

algorithmes <strong>de</strong> compressions classiques <strong>de</strong> type MPEG <strong>et</strong> comment les éliminer à<br />

l’ai<strong>de</strong> d’une nouvelle transformée en ban<strong>de</strong>l<strong>et</strong>tes.<br />

10. Séminaire : la cryptologie<br />

Jacques Stern, professeur à l’Ecole Normale Supérieure <strong>et</strong> prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la société<br />

Ingenico, a présenté les concepts fondamentaux <strong>de</strong> la cryptologie, qui est la science<br />

du transfert sûr <strong>de</strong> l’information entre parties. Un élément essentiel en est le<br />

chiffrement <strong><strong>de</strong>s</strong> messages, qui doit obéir à plusieurs critères : facilité <strong>de</strong> chiffrement<br />

<strong>et</strong> difficulté <strong>de</strong> déchiffrement, sécurisation <strong><strong>de</strong>s</strong> échanges <strong>de</strong> clefs, <strong>et</strong>c. Il y a <strong>de</strong>ux<br />

types principaux <strong>de</strong> protocoles : ceux à clef partagées, efficaces mais susceptibles<br />

d’attaques lors du partage <strong>de</strong> la clef, <strong>et</strong> ceux à clef publique, dont le fameux RSA<br />

(Rivest-Shamir-Adleman), très employé sur Intern<strong>et</strong>. J. Stern a présenté les<br />

propriétés mathématiques <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes sous-jacents, puis les nouveaux<br />

algorithmes fondés sur les fonctions elliptiques, qui peuvent être plus efficaces que<br />

ceux fondés sut les grands nombres premiers comme RSA. Il a montré les nouveaux<br />

types d’attaque <strong>et</strong> leurs contre-mesures. Il a enfin expliqué un cas pratique : la<br />

validation d’une transaction <strong>de</strong> carte bleue sur un terminal portable.<br />

11. Colloque informatique <strong>et</strong> bio-informatique<br />

Le 23 mai 2008 un colloque informatique <strong>et</strong> bio-informatique a terminé le <strong>cours</strong>.<br />

La matinée a été consacrée à la bio-informatique, qui est en plein bouillonnement, <strong>et</strong><br />

sera incontestablement un <strong><strong>de</strong>s</strong> très grands suj<strong>et</strong>s d’avenir <strong>de</strong> la recherche scientifique.<br />

Les échanges entre biologie <strong>et</strong> informatique sont doubles. D’abord, la biologie n’est<br />

évi<strong>de</strong>mment pas qu’une affaire <strong>de</strong> molécules. Celles-ci servent à transporter<br />

information <strong>et</strong> énergie dans le corps, notions elles-mêmes physiquement reliées <strong>et</strong><br />

obj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l’informatique. En r<strong>et</strong>our, la biologie <strong>de</strong>vrait à terme fournir <strong>de</strong> nouvelles<br />

idées en termes <strong>de</strong> moyens <strong>de</strong> calcul. Malgré leur extraordinaire efficacité, ceux <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

ordinateurs restent en eff<strong>et</strong> bien rudimentaires, puisque limités à faire très vite <strong>et</strong> très<br />

exactement <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations individuellement stupi<strong><strong>de</strong>s</strong>. La biologie offre une<br />

vision exactement inverse : faire lentement, <strong>de</strong> façon pas très fiable mais massivement<br />

parallèle <strong>et</strong> probabiliste <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations bien plus variées. Comme les circuits actuels<br />

dépassent allègrement le milliard <strong>de</strong> transistors, les limitations <strong>de</strong> taille sont <strong>de</strong> moins<br />

en moins présentes. Passer à <strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> calculs <strong>de</strong> type plus biologique est donc<br />

particulièrement tentant ; mais il faudra se méfier <strong><strong>de</strong>s</strong> idées simplistes, qui ont<br />

toujours échoué par échec du passage à l’échelle.<br />

S’abstraire <strong>de</strong> la nature précise <strong><strong>de</strong>s</strong> molécules pour comprendre <strong>de</strong> façon plus<br />

globale les chemins d’information auxquels elles participent est la première étape


CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 845<br />

indispensable pour ne pas être noyé par les détails. Dans le premier exposé, Philippe<br />

Kourilsky, professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, a analysé comment cela pourrait se faire<br />

pour le système immunitaire vu comme un grand système d’informations. Mais le<br />

système immunitaire un très grand système d’informations faisant intervenir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

milliers <strong>de</strong> processus <strong>et</strong> <strong>de</strong> médiateurs dans <strong>de</strong> nombreux types <strong>de</strong> communications,<br />

<strong>et</strong> sa compréhension informationnelle prendra certainement beaucoup <strong>de</strong> temps.<br />

L’informatique fournit <strong>de</strong> nouveaux moyens d’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> processus biologiques.<br />

Le séquençage du génome est un exemple bien connu. Le second exposé, par<br />

François Fages, directeur <strong>de</strong> recherches à l’INRIA, en a présenté un autre : l’étu<strong>de</strong><br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> réactions chimiques dans la cellule au moyen <strong>de</strong> techniques originellement<br />

introduites pour la vérification formelle <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits <strong>et</strong> programmes (cf. 7.2). L’idée<br />

est <strong>de</strong> présenter ces réactions dans le cadre conceptuel <strong>de</strong> la machine chimique<br />

(cf. 3.5) <strong>de</strong>venue ici BIOCHAM, d’instrumenter les équations <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te machine<br />

avec <strong><strong>de</strong>s</strong> lois cinétiques probabilistes, <strong>et</strong> <strong>de</strong> faire calculer <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> résolution<br />

<strong>de</strong> contraintes Booléennes ou numériques pour répondre à beaucoup <strong>de</strong> questions<br />

inaccessibles à l’étu<strong>de</strong> manuelle sur les chaînes réactionnelles.<br />

Le cerveau est évi<strong>de</strong>mment un <strong><strong>de</strong>s</strong> organes les plus fascinants au niveau bioinformatique.<br />

Alexandre Poug<strong>et</strong>, professeur à l’université <strong>de</strong> Rochester <strong>et</strong> en année<br />

sabbatique au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, a exposé la nouvelle vision <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes<br />

globaux <strong>de</strong> calcul dans le cerveau fournie par les neurosciences computationnelles.<br />

A travers une série d’exemples, il a montré que le cerveau fait essentiellement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

évaluations probabilistes rapi<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> choix assez simples, en particulier pour les<br />

activités motrices <strong>de</strong>mandant <strong>de</strong> prendre <strong><strong>de</strong>s</strong> décisions non-triviales. Le cerveau<br />

brille également par ses capacités d’apprentissage, dues à la fois à la modification<br />

permanente <strong><strong>de</strong>s</strong> connections synaptiques en fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> sollicitations externes <strong>et</strong><br />

à l’ajustage permanents <strong><strong>de</strong>s</strong> critères d’évaluation probabilistes employés. La<br />

modélisation informatique <strong>de</strong> ces mécanismes apportera <strong><strong>de</strong>s</strong> contributions<br />

fondamentales à leur compréhension <strong>et</strong> à leur simulation informatique.<br />

L’après-midi du colloque a été consacrée à <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s plus directement<br />

informatiques. Alberto Sangiovanni-Vincentelli, professeur à Berkeley <strong>et</strong> directeur<br />

du GIE Para<strong><strong>de</strong>s</strong> à Rome, a présenté l’évolution inéluctable du Web vers l’intégration<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s physiques. D’ici une quinzaine d’années, il pourrait y avoir <strong>de</strong> l’ordre d’un<br />

millier d’obj<strong>et</strong>s informatisés <strong>et</strong> mis en réseau par être humain. Le Web comptera<br />

alors <strong><strong>de</strong>s</strong> téra-clients (téra = 10 12 ), qui iront <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s audio-visuels classiques aux<br />

prothèses médicales, en passant par tous les composants <strong><strong>de</strong>s</strong> maisons ou <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes<br />

<strong>de</strong> transports (cf. 6). Les pucerons électroniques correspondants effectueront <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

fonctions <strong>de</strong> surveillance, <strong>de</strong> conduite, d’optimisation, <strong>et</strong> <strong>de</strong> communication. C<strong>et</strong>te<br />

nouvelle extension du mon<strong>de</strong> numérique <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra une nouvelle approche<br />

pluridisciplinaire, intégrant informatique, nanotechnologies, <strong>et</strong> biotechnologies, <strong>et</strong><br />

donc <strong>de</strong> nouvelles techniques <strong>de</strong> constructions d’obj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong> systèmes.<br />

Martin Abadi, professeur à l’Université <strong>de</strong> Santa Cruz (Californie) <strong>et</strong> chercheur<br />

à Microsoft Research, a enfin présenté les problèmes posés par la sécurité <strong><strong>de</strong>s</strong>


846 GÉRARD BERRY<br />

données <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions informatiques. Ces problèmes sont <strong>de</strong>venus cruciaux<br />

avec la généralisation <strong><strong>de</strong>s</strong> échanges sur support banalisé <strong>de</strong> type Intern<strong>et</strong> avec ou<br />

sans fil. Les solutions reposent sur <strong><strong>de</strong>s</strong> protocoles <strong>de</strong> sécurité utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques<br />

cryptographiques. Mais les co<strong><strong>de</strong>s</strong> secr<strong>et</strong>s sont loin <strong>de</strong> suffire à garantir la sécurité.<br />

Leur utilisation doit être encadrée par <strong><strong>de</strong>s</strong> protocoles très fins pour résister aux<br />

tentatives d’intrusions malignes <strong>de</strong> toutes sortes, fruits d’imaginations sans limites.<br />

L’étu<strong>de</strong> serrée <strong><strong>de</strong>s</strong> protocoles <strong>et</strong> standards à clefs publiques ou privées successivement<br />

proposés a permis d’augmenter considérablement leur sécurité. Le suj<strong>et</strong> reste<br />

évi<strong>de</strong>mment très actif en raison <strong>de</strong> son importance stratégique.<br />

12. Conclusion<br />

Ce <strong>cours</strong> général sur le mon<strong>de</strong> numérique a représenté un défi important. Il n’était<br />

évi<strong>de</strong>mment pas simple <strong>de</strong> présenter <strong>de</strong> façon pertinente les suj<strong>et</strong>s individuellement<br />

très vastes <strong>de</strong> chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> en <strong>de</strong>ux heures. Mais j’ai jugé que c’était indispensable,<br />

car il faut absolument tordre le cou à l’ignorance sur un suj<strong>et</strong> qui façonne autant<br />

notre vie quotidienne, <strong>et</strong> donc faire mieux connaître la science informatique.<br />

Remerciements : je remercie le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, institution merveilleuse <strong>et</strong><br />

seul endroit (au mon<strong>de</strong> ?) où donner ce genre <strong>de</strong> <strong>cours</strong> est possible, ainsi que la<br />

Fondation B<strong>et</strong>tencourt-Schueller pour son soutien à la chaire d’innovation<br />

technologique. Je souhaite enfin remercier très chaleureusement Marie Chéron <strong>et</strong><br />

Cécile Barnier qui m’ont aidé (supporté, comme on dit en anglais) pendant tout<br />

le <strong>cours</strong>, Marion Susini <strong>et</strong> son équipe pour la rapidité <strong>et</strong> la qualité <strong>de</strong> l’installation<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> vidéos sur le Web, <strong>et</strong> tous les personnels du <strong>Collège</strong> qui m’ont aidé avec<br />

gentillesse <strong>et</strong> efficacité.<br />

Bibliographie<br />

G. Berry, Pourquoi <strong>et</strong> comment le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>vient numérique, Fayard/<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />

2008.<br />

D. Harel, Algorithmics, The Spirit of Computing, Addison-Wesley Publishing co., 2004.<br />

F. Anceau. Y. Bonnassieux, Conception <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits VLSI, Dunod, 2007.<br />

G. Dowek, J.-J. Lévy, Introduction à la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> langages <strong>de</strong> programmation, Les éditions<br />

<strong>de</strong> l’Ecole Polytechnique, 2006.<br />

L. Zaffalon, Programmation synchrone <strong>de</strong> systèmes réactifs avec Esterel <strong>et</strong> les SyncCharts,<br />

Presses Polytechniques Roman<strong><strong>de</strong>s</strong>, 2005.<br />

G. Dowek, Les métamorphoses du calcul, Le Pommier, 2007.<br />

J.-M. Sepulchre, DxO pour les photographes, Eyrolles, 2008.<br />

J. Stern, La science du secr<strong>et</strong>, Editions Odile Jacob, 1998<br />

Publication<br />

G. Berry, Pourquoi <strong>et</strong> comment le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>vient numérique, Fayard/<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />

2008.


1. Livres<br />

PROFESSEURS HONORAIRES<br />

ACTIVITÉS, PUBLICATIONS<br />

M. Yves Bonnefoy<br />

Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> comparées <strong>de</strong> la fonction poétique, 1981-1993<br />

Principales publications <strong>de</strong>puis le 1 er octobre 2007<br />

— Raymond Mason, la liberté <strong>de</strong> l’esprit, Galilée, 2007, 100 p.<br />

— Il gran<strong>de</strong> spazio (Le grand espace), édition bilingue (traduction en italien <strong>de</strong> Feliciano<br />

Paoli), suivi d’un entr<strong>et</strong>ien avec Daniel Bergez <strong>et</strong> d’un essai <strong>de</strong> Flavio Ermini, Bergame,<br />

Mor<strong>et</strong>ti & Vitali, 2008. 128 p.<br />

— Le Grand Espace, Galilée, 2008, 72 p.<br />

— La Longue Chaîne <strong>de</strong> l’ancre, Mercure <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 2008, 170 p.<br />

— Traité du pianiste <strong>et</strong> autres écrits anciens, Mercure <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 2008, 194 p.<br />

— Shakespeare, Les Sonn<strong>et</strong>s précédés <strong>de</strong> Vénus <strong>et</strong> Adonis <strong>et</strong> du Viol <strong>de</strong> Lucrèce, présentation<br />

<strong>et</strong> traduction d’Yves Bonnefoy, Poésie/Gallimard, 2007, 348 p.<br />

— Aller, aller encore, avec <strong>de</strong>ux eaux-fortes <strong>de</strong> Masafumi Yamamoto, Chênes-Bougerie,<br />

Cercle <strong><strong>de</strong>s</strong> Amis d’Éditart, 2008, 12 p.<br />

— Farhad Ostovani <strong>et</strong> le livre, éd. Kimé, les Cahiers <strong>de</strong> Marge, n° 5, Paris, 2008, 96 p.<br />

2. Quelques publications en revue ou dans <strong><strong>de</strong>s</strong> ouvrages collectifs<br />

— « Quelques propositions quant aux Sonn<strong>et</strong>s <strong>de</strong> Shakespeare » dans Shakespeare poète,<br />

Actes du congrès 2006 <strong>de</strong> la Société française Shakespeare, Paris, 2007, p. 13-38.<br />

— « Préface » à : François Lallier, La Voix antérieure, Bau<strong>de</strong>laire, Poe, Mallarmé, Rimbaud,<br />

Bruxelles, La l<strong>et</strong>tre volée, 2007, p. 7-12.<br />

— « Gilbert Lely le poète », dans Gilbert Lely, la poésie dévorante, textes réunis par<br />

Emmanuel Rubio, L’Âge d’homme, 2007, p. 13-24.<br />

— « Une vie toujours attentive », préface à : Eugenio De Signoribus, Ron<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> convers,<br />

Verdier, 2007, p. 7-9.


848 PROFESSEURS HONORAIRES<br />

— « Le regard d’Yves Bonnefoy » (titre ajouté par l’éditeur), dans Charles Auffr<strong>et</strong>,<br />

M. Archimbaut <strong>et</strong> J.-C. Auffr<strong>et</strong> dir., Somogy éditions d’art, 2007, p. 14-43.<br />

— « Au ren<strong>de</strong>z-vous <strong><strong>de</strong>s</strong> amis », « Apparentements <strong>et</strong> filiations », « L<strong>et</strong>tre du 26 octobre<br />

2001 », « Paroles d’introduction (2002) », dans La conscience <strong>de</strong> soi <strong>de</strong> la poésie, colloques <strong>de</strong><br />

la Fondation Hugot du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (1993-2004) sous la direction <strong>de</strong> Yves Bonnefoy,<br />

Le Seuil, coll. Le Genre humain, 2008, 432 p.<br />

— « Dessins d’Hélène Garache », dans Conférence, n° 25, automne 2007.<br />

— « Les Caprices, nuit <strong>et</strong> lumière », dans Goya, Les Caprices, & Chapman, Morimura,<br />

Pondick, Schütte, Paris, Somogy/Lille, Palais <strong><strong>de</strong>s</strong> Beaux-Arts, 2008, p. 11-13.<br />

— « Ceux que tentent la religion <strong>de</strong>vraient réfléchir à la poésie » (titre ajouté par l’éditeur),<br />

entr<strong>et</strong>ien avec Natacha Polony, Le Magazine littéraire, n° 474, avril 2008, p. 92-96.<br />

— « Nous sommes <strong>de</strong> simples étincelles » (titre ajouté par l’éditeur), entr<strong>et</strong>ien avec<br />

Didier Jacob, Le Nouvel Observateur, n° 2277, 28 juin 2008, p. 91-92.<br />

— « La traduction au sens large. A propos d’Edgar Poe <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses traducteurs », dans<br />

Littérature, n° 150, juin 2008 (Yves Bonnefoy, traduction <strong>et</strong> critique poétique), p. 9-24.<br />

— « Beel<strong>de</strong>n van h<strong>et</strong> absolute » (L’absolu <strong>et</strong> ses effigies) dans Nexus, 2008, n° 50,<br />

traduction en neerlandais par Rokus Hofste<strong>de</strong>, p. 465-477.<br />

— « Enzo », dans Yves Bonnefoy, Lucio Mariani, Rosanna Warren, Per Enzo, Edizioni<br />

<strong>de</strong>ll’Elefante, Rome, 2008, pp. 5-10.<br />

— « Ut musica pictura » dans Farhad Ostovani, Ut musica pictura, Morat Institut für<br />

Kunst und Kunstwissenschaft, Fribourg-en-Brisgau, 2008, p. 3-8.<br />

— « Critique <strong>et</strong> poésie », dans Poétique <strong>et</strong> ontologie, colloque international Yves Bonnefoy,<br />

Bor<strong>de</strong>aux, 2007, Ardua <strong>et</strong> William Blake & Co éd., p. 15-19.<br />

3. Traductions en volume<br />

— Oblà Prkna (Les Planches courbes), Prague, Opus 2007, trad. en tchèque <strong>et</strong> postface<br />

<strong>de</strong> Jiri Pelán, 136 p.<br />

— Ukrivljene <strong><strong>de</strong>s</strong>ke (Les Planches courbes), trad. en slovène par Nadja Dobnik <strong>et</strong> Ivan<br />

Dobnik, Po<strong>et</strong>ikonove Lire, Ljubljana, Hisa poezije, 2007, 128 p.<br />

— Kép és jelenlét, Yves Bonnefoy válogatott írásai, Budapest, Argumentum, 2007,<br />

traductions diverses, présentation <strong>de</strong> Sepsi Enikö, 240 p.<br />

— Tarea <strong>de</strong> esperanza, Antologia po<strong>et</strong>ica, trad. en esp. par Arturo Carrera, Valence,<br />

Éditions Pre-Textos, 2007, 568 p.<br />

— Rome, 1630, traduction en arménien par Chouchanik Thamrazian, éd. Naïri, Erevan,<br />

2007, 248 p. (en préface : « mes souvenirs d’Arménie », p. 7-15).<br />

4. Quelques autres activités<br />

— 18 octobre, exposé au Colloque « Quatre poètes » (organisé par Stéphane Michaud)<br />

à Paris III, salle Bourjac.<br />

— 30 octobre, réception du prix Kafka à la Vieille Mairie <strong>de</strong> Prague. Dis<strong>cours</strong> sur<br />

« Kafka <strong>et</strong> la poésie ».<br />

— 1 er novembre, rencontre au Collegium <strong>de</strong> Budapest, à l’occasion <strong>de</strong> la publication<br />

d’une anthologie.<br />

— 2 novembre, conférence <strong>et</strong> lecture à l’Institut français <strong>de</strong> Budapest. Avec Jérôme<br />

Thélot.<br />

— 12 novembre, attribution du Grand Prix <strong>de</strong> poésie <strong>de</strong> l’Académie chinoise, à<br />

Beijing.<br />

— 13 novembre, attribution du prix Horst Bienek <strong>de</strong> l’Académie <strong>de</strong> Bavière.


PROFESSEURS HONORAIRES 849<br />

— 9-10 avril 2008, conférence <strong>et</strong> lecture à l’Université Stendhal à Grenoble.<br />

— 17 mai, participation à La poésie <strong>et</strong> autres pensées <strong>de</strong> l’être au mon<strong>de</strong>, journée d’étu<strong>de</strong><br />

à la Bibliothèque Municipale <strong>de</strong> Tours. Avec Marlène Zara<strong>de</strong>r, Jérôme Thélot, François<br />

Trémolières, Patrick Née, Daniel Lançon.<br />

— 24 mai, « Jean-Pierre Vernant <strong>et</strong> la poésie » à la journée d’hommage à Jean-Pierre<br />

Vernant, Maison <strong>de</strong> l’Amérique latine.<br />

— 25 mai, lecture à la librairie Tschann.<br />

— 27 mai, rencontre au lycée Henri IV, « Le latin <strong>et</strong> la poésie française ».<br />

— 18 juin, Doctorat Honoris Causa <strong>de</strong> l’Université d’Oxford.<br />

Résumé <strong>de</strong> l’activité scientifique<br />

M. Pierre Chambon, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences)<br />

Génétique moléculaire, 1993-2003<br />

Les <strong>travaux</strong> effectués au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année écoulée, dans le cadre <strong>de</strong> l’équipe que je codirige<br />

à l’IGBMC avec le Dr. Daniel M<strong>et</strong>zger, ont porté comme les années précé<strong>de</strong>ntes sur<br />

le rôle joué par les voies <strong>de</strong> signalisation faisant intervenir la superfamille <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs<br />

nucléaires. D’intéressants résultats, certains en collaboration avec <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs français ou<br />

étrangers, ont été obtenus concernant la compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes moléculaires <strong>et</strong><br />

cellulaires qui sous-ten<strong>de</strong>nt le rôle joué par les récepteurs nucléaires, d’une part dans le<br />

contrôle du métabolisme énergétique, dans la voie <strong>de</strong> signalisation <strong><strong>de</strong>s</strong> estrogènes <strong>et</strong> dans la<br />

voie <strong>de</strong> signalisation <strong>de</strong> l’aci<strong>de</strong> rétinoique, <strong>et</strong> d’autre part dans la pathogénie <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies<br />

atopiques, la <strong>de</strong>rmatite atopique <strong>et</strong> l’asthme. Les recherches concernant la pathogénie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

maladies atopiques sont actuellement activement poursuivies. L’ensemble <strong>de</strong> nos <strong>travaux</strong><br />

seront exposés en détail dans le prochain rapport d’activité.<br />

Articles originaux<br />

Liste <strong><strong>de</strong>s</strong> principales publications (juin 2007 – juill<strong>et</strong> 2008)<br />

G. McLean, H. Li, D. M<strong>et</strong>zger, P. Chambon and M. P<strong>et</strong>kovich : Apoptotic extinction<br />

of germ cells in testes of Cyp26b1 knockout mice. Endocrinology (2007) 148, 4560-<br />

4567.<br />

A. Berry, P. Balard, A. Coste, D. Olagnier, C. Lagane, H. Auhier, F. Benoit-<br />

Vical, J.C. Lepert, J.P. Seguela, J.F. Magnaval, P. Chambon, D. M<strong>et</strong>zger,<br />

B. Desvergne, W. Wahli, J. Auwerx and B. Pipy : IL-13 induces expression of C36 in<br />

human monocytes through PPARgamma activation. Eur. J. Immunol. (2007) 37, 1642-<br />

1652.<br />

M. Slezak, C. Goritz, A. Niemiec, J. Frisen, P. Chambon, D. M<strong>et</strong>zger and<br />

F. Pfrieger : Transgenic mice for conditional gene manipulation in astroglial cells. GLIA<br />

(2007) 55, 1565-1576.<br />

M.A. McDevitt*, C. Gli<strong>de</strong>well-Kenney, J. Weiss, P. Chambon, J.L. Jameson and<br />

J.E. Levine : ERE-in<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt ERα signaling does not rescue sexual behavior but restores


850 PROFESSEURS HONORAIRES<br />

normal testosterone secr<strong>et</strong>ion in male ERαKO mice. Endocrinology (2007) 148, 5288-<br />

5294.<br />

K. Kh<strong>et</strong>choumian, M. Tel<strong>et</strong>in, M. Mark, B. Herquel, J. Tisserand, F. Cammas,<br />

T. Lerouge, D. M<strong>et</strong>zger, P. Chambon and R. LOSSON : Loss of the transcriptional<br />

intermediary factor 1 α (TIF1α) gene confers oncogenic activity to r<strong>et</strong>inoic acid receptor<br />

α (RARα).Nature Gen<strong>et</strong>ics (2007) 39, 1500-1506.<br />

T. Nakamura, Y. Imai, T. Matsumoto, S. Sato, K. Takeuchi, K. Igarashi, Y. Harada,<br />

Y. Azuma, A. Krust, Y. Yamamoto, H. Nishina, S. Takeda, H. Takayanagi, D. M<strong>et</strong>zger,<br />

J. Kanno, K. Takaoka, Y.J. Martin, P. Chambon and S. Kato : Estrogen prevents bone<br />

loss via estrogen recepor alpha and induction of Fas ligand in osteoclasts. Cell (2007) 130,<br />

811-823.<br />

H.J. Kim, M.C. Gieske, S. Hudgins, B.G. Kim, A. Krust, P. Chambon and C. Ko :<br />

Estrogen receptor alpha-induced cholecystokinin type A receptor expression in the female<br />

mouse pituitary. J. Endocrinology (2007) 195, 393-405.<br />

C.R. Ce<strong>de</strong>rroth, O. Schaad, P. Descombes, P. Chambon, J.-D. Vassalli and S. Nef :<br />

Estrogen receptor alpha is a major contributor to estrogen-mediated f<strong>et</strong>al testis dysgenesis<br />

and cryptorchidism.Endocrinology (2007) 148, 5507-5519.<br />

M.C. Gieske, H.J. Kim, S.J. Legan, Y. Koo, A. Krust, P. Chambon and C. Ko :<br />

Pituitary gonadotroph estrogen receptor alpha is necessary for fertility in females.<br />

Endocrinology (2008) 149, 20-27.<br />

M.C. Antal, A. Krust, P. Chambon and M. Mark : Sterility and absence of<br />

histopathological <strong>de</strong>fects in non-reproductive organs of a novel mouse ERb<strong>et</strong>a-null mutant.<br />

Proc. Natl. Acad. Sci. USA (2008) 105, 2433-2438.<br />

C.K. Ratnacaram, M. Tel<strong>et</strong>in, M. Jiang, X. Meng, P. Chambon and D. M<strong>et</strong>zger :<br />

Temporally-controlled ablation of PTEN in adult mouse prostate epithelium generates a<br />

mo<strong>de</strong>l of invasive prostatic a<strong>de</strong>nocarcinoma. Proc. Natl. Acad. Sci. USA (2008) 105, 2521-<br />

2526.<br />

M. Ignat, M. Tel<strong>et</strong>in, J. Tisserand, K. Kh<strong>et</strong>choumian, C. Dennefeld, P. Chambon,<br />

R. Losson and M. Mark : Arterial calcifications and increased expression of vitamin D<br />

receptor targ<strong>et</strong>s in mice lacking TIF1alpha. Proc. Natl. Acad. Sci. USA (2008) 105, 2598-<br />

2603.<br />

J. Orengo, P. Chambon, D. M<strong>et</strong>zger, D.R. Mosier, J. Snipes and T.A. Cooper :<br />

Expan<strong>de</strong>d CTG repeats within the DMPK 3’ UTR causes severe skel<strong>et</strong>al muscle wasting in<br />

an inducible mouse mo<strong>de</strong>l for myotonic dystrophy. Proc. Natl. Acad. Sci. USA (2008) 105,<br />

2646-2651.<br />

I. Malanchi, H. Peinado, D. Kassen, T. Hussen<strong>et</strong>, D. M<strong>et</strong>zger, P. Chambon,<br />

M. Huber, D. Hohl, A. Cano, W. Birchmeier, and J. Huelsken : Cutaneous cancer<br />

stem cell maintenance is <strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt on b<strong>et</strong>a-catenin signallig. Nature (2008) 452, 650-<br />

653.<br />

V. Drouin-Echinard, S. Laffont, C. Seill<strong>et</strong>, L. Delpy, A. Krust, P. Chambon,<br />

P. Gourdy, J.F. Arnal, and J.C. Guery : Estrogen receptor alpha, but not b<strong>et</strong>a, is required<br />

for optimal <strong>de</strong>ndritic cell differentiation and CD40-induced cytokine production.<br />

J. Immunol. (2008) 180, 3661-3669.<br />

M. Konishi, H. Nakamura, H. Miwa, P. Chambon, D.M. Ornitz and N. Itoh : Role<br />

of Fgf receptor 2c in adipocyte hypertrophy in mesenteric white adipose tissue. Mol. Cell<br />

Endocrinol. (2008), in press.<br />

S. Claxton, V. Kostourou, S. Ja<strong>de</strong>ja, P. Chambon, K. Hodivala-Dilke and<br />

M. Fruttiger : Efficient, inducible Cre-recombinase activation in vascular endothelium.<br />

Genesis (2008) 46, 47-80.<br />

S. Mandillo, V. Tucci, S.M. Holter, H. Meziane, M. Al Banchaabouchi,<br />

M. Kallnik, H.V. Lad, P.M. Nolan, A.M. Ouagazzal, E.L. Coghill, K. Gale,


PROFESSEURS HONORAIRES 851<br />

E. Golini, S. Jacquot, W. Krezel, A. Parker, F. Ri<strong>et</strong>, I. Schnei<strong>de</strong>r, D. Marazziti,<br />

J.H. Auwerx, S.D. Brown, P. Chambon, N. Rosenthal, G. Tocchini-Valentini and<br />

W. Wurst : Reliatbility, robustness and Reproducibility in mouse behavioral phenotyping :<br />

a cross-laboratory study. Physiol Genomics (2008) in press.<br />

E. Küppers, A. Krust, P. Chambon and C. Beyer : Fonctional alterations of the<br />

nigrostriatal dopamine system in estrogen receptor-alpha knockout (ERKO) mice.<br />

Psychoneuroendocrinology (2008) in press.<br />

W.L. Liao, H.C. Tsai, H.F. Wang, J. Chang, K.M. Lu, H.L. Wu, Y.C. Lee, T.F. Tsai,<br />

H. Takahashi, M. Wagner, N.B. Ghyselinck, P. Chambon and F.C. Liu : Modular<br />

patterning of structure and funtion of the striatum by r<strong>et</strong>inoid receptor signaling. PNAS<br />

(2008) 105(18), 6765-6770.<br />

Juin 2007-Juill<strong>et</strong> 2008<br />

Conférences données sur invitation par Pierre Chambon<br />

dans le cadre <strong>de</strong> congrès <strong>et</strong> colloques<br />

— 4th Me<strong>et</strong>ing of Bone Biology Forum, Mount Fuji (Japan) August 24-25, 2007.<br />

P. Chambon (Plenary Lecture) : « Involvement of nuclear receptors (VDR, RAR, RXR) in<br />

the pathogenesis of atopic diseases ».<br />

— 66th Annual Me<strong>et</strong>ing of the Japanese Cancer Association, Yokohama, (Japan)<br />

October 3, 2007. P. Chambon (Plenary Lecture) : « The role of Nuclear Receptors in<br />

atopic diseases ».<br />

— 66th Annual Me<strong>et</strong>ing of the Japanese Cancer Association, Yokohama, (Japan)<br />

October 4, 2007. (Luncheon Seminar) P. Chambon : « Efficient engineering of cancer<br />

mo<strong>de</strong>ls through spatio-temporally-controlled somatic mutagenesis in the mouse»<br />

— Séance Statutaire <strong>de</strong> l’Académie <strong>de</strong> Sciences, Strasbourg, (<strong>France</strong>) May 26-28, 2008.<br />

(Plenary Lecture) P. Chambon : « Implication <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs nucléaires <strong>de</strong> la vitamine D<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’aci<strong>de</strong> rétinoique dans la pathogénie <strong><strong>de</strong>s</strong> affections atopiques (eczéma <strong>et</strong> asthme) »<br />

— 15th MTA Anniversary at Karolinska Institut<strong>et</strong>, Stockholm, (Swe<strong>de</strong>n) June 3-5,<br />

2008. (Plenary Lecture) P. Chambon : « Role of Nuclear Receptors RXRs, VDR and RARγ<br />

in atopic diseases (<strong>de</strong>rmatitis and asthma)»<br />

Juin 2007-Juill<strong>et</strong> 2008)<br />

Séminaires donnés sur invitation par Pierre Chambon<br />

— IMCB (Prof. Shigeaki Kato), Tokyo, Japon, le 23 août 2007. « Involvement of<br />

Nuclear Receptors in Atopic diseases (Atopic <strong>de</strong>rmatitis and asthma) »<br />

— Department of Immunology, Faculty of Medicine (Prof. Tada Taniguchi), Tokyo,<br />

Japon, le 28 août 2007. « Involvement of Nuclear Receptors and TSLP in the pathogenesis<br />

of atopic diseases ».<br />

— TEIJIN Pharma Limited (Prof. Shigeyuki Ishii), Tokyo, Japon, le 29 août 2007.<br />

« Involvement of Nuclear Receptors (VDR, RAR, RXR) in the pathogenesis of atopic<br />

diseases ».<br />

— Department of Life Sciences, Tokyo Institute of Technology (Prof. Hiroshi Ichinose),<br />

Yokohama, le 2 oct 2007. « Involvement of Nuclear Receptors and TSLP in the pathogenesis<br />

of atopic diseases ».


852 PROFESSEURS HONORAIRES<br />

— Department of Gen<strong>et</strong>ics and Development, Medical School, Columbia University<br />

(Prof. Gérard Karsenty), New York, le 9 octobre 2007. « Role of Nuclear Receptors RXRs,<br />

VDR and RARγ in atopic diseases (<strong>de</strong>rmatitis and asthma) ».<br />

— Faculté <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine Toulouse-Rangueil (Dr. J-F Arnal), Toulouse, le 24 juin 2008.<br />

« Implication <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs nucléaires <strong>de</strong> la vitamine D <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’aci<strong>de</strong> rétinoique dans la<br />

pathogénie <strong><strong>de</strong>s</strong> affections atopiques (eczéma <strong>et</strong> asthme) ».<br />

M. Jean-Pierre Changeux, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences)<br />

Communications cellulaires, 1975-2006<br />

The neuronal workspace mo<strong>de</strong>l : conscious processing and learning<br />

Changeux J.P., Dehaene S. In : R. Menzel (Ed.), Learning Theory and Behavior,<br />

Vol. 1 of Learning and Memory : A Comprehensive Reference.<br />

J. Byrne Editor, 2008, pp. 729-758. Oxford : Elsevier.<br />

C<strong>et</strong>te revue reprend l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> articles publiés avec Stanislas Dehaene sur la<br />

théorie <strong>de</strong> l’espace neuronal conscient <strong>et</strong> sur sa récente mise à l’épreuve expérimentale<br />

par le groupe <strong>de</strong> Stanislas Dehaene <strong>et</strong> par d’autres groupes dans le mon<strong>de</strong>. Les<br />

implications médicales possibles <strong>de</strong> la théorie sont discutées, en particulier à propos<br />

<strong>de</strong> la schizophrénie <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’autisme (restriction <strong>de</strong> l’accès à la conscience) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

sclérose en plaque (lésions <strong>de</strong> la substance blanche altérant la capacité <strong>de</strong> l’espace<br />

conscient).<br />

Nicotinic receptors, allosteric proteins and medicine<br />

Changeux J.-P. & Taly A. Trends in Mol. Med. 2008, 14 : 93-102.<br />

C<strong>et</strong>te revue traite <strong>de</strong> l’application du modèle <strong>de</strong> Monod-Wyman-Changeux aux<br />

récepteurs canaux en général <strong>et</strong>, plus spécifiquement, au modèle <strong>de</strong> « torsion<br />

quaternaire » qui fait intervenir un mouvement global <strong>de</strong> la molécule <strong>de</strong> récepteur<br />

nicotinique qui modifie simultanément les sites <strong>de</strong> liaison <strong>de</strong> l’acétylcholine dans<br />

le domaine synaptique <strong>et</strong> le canal ionique dans le domaine membranaire, sites qui<br />

tous se trouvent situés à l’interface entre sous-unités.<br />

Sevoflurane anesthesia alters exploratory and anxi<strong>et</strong>y-like behavior in mice<br />

lacking the β2 nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine receptor subunit<br />

Wiklund A., Granon S., Cloëz-Tayarani I., Faure P., Le Sourd A.-M., Sundman<br />

E., Changeux J.-P., Eriksson L. Anesthesiology, 2008 (sous presse).<br />

L’anesthésie générale entraîne <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s secondaires qui se manifestent par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

troubles cognitifs dont l’ampleur s’aggrave avec l’âge <strong>et</strong> à la suite <strong>de</strong> lésions<br />

génétiques. Les conséquences <strong>de</strong> l’anesthésie par le sevoflurane sont étudiées chez


PROFESSEURS HONORAIRES 853<br />

les souris invalidées pour la sous-unité β 2 du récepteur nicotinique cérébral. On<br />

trouve que, chez les souris β 2 -/- , certains traits <strong>de</strong> l’organisation spatio-temporelle<br />

du comportement sont altérés <strong>et</strong> que l’anxiété s’accroît, suggérant un rôle protecteur<br />

<strong>de</strong> la transmission cholinergique nicotinique contre l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’anesthésie.<br />

Brain activation by short-term nicotine exposure in anesth<strong>et</strong>ized wild-type<br />

and β2-nicotinic receptors knockout mice : a BOLD fMRI study<br />

Suarez S.V., Amadon A., Giacomini E., Wiklund A., Changeux J.-P.,<br />

Le Bihan D., Granon S. Psychopharmacology, 2008 (sous presse).<br />

Les territoires cérébraux activés par la nicotine injectée <strong>de</strong> manière systémique<br />

aiguë sont examinés par résonance magnétique fonctionnelle « Bold » chez la souris<br />

<strong>de</strong> type sauvage anesthésiée <strong>et</strong> chez son homologue invalidé pour la sous-unité β2<br />

du récepteur nicotinique cérébral. Les territoires activés incluent le cortex préfrontal<br />

antérieur, moteur <strong>et</strong> somatosensoriel ainsi que l’aire tegmentale ventrale <strong>et</strong> la<br />

substance noire. Chez les souris β 2 -/- c<strong>et</strong>te activation disparaît, à l’exception du<br />

circuit méso-cortico-limbique vraisemblablement sous le contrôle <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs<br />

nicotiniques <strong>de</strong> type α 7.<br />

Intracellular complexes of the β 2 subunit of the nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine<br />

receptor in brain i<strong>de</strong>ntified by proteomics<br />

Kabbani N., Woll M.P., Levenson R., Lindstrom J.M., Changeux J.-P.<br />

Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 2007, 104 : 20570-20575.<br />

L’interaction <strong>de</strong> la sous-unité β 2 du récepteur nicotinique cérébral avec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

protéines cytoplasmiques est suivie par spectrographie <strong>de</strong> masse après purification<br />

à partir <strong>de</strong> la boucle intracellulaire <strong>de</strong> β 2 ou immunoprécipitation. L’association<br />

avec <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines Gα, l’inducteur <strong>de</strong> croissance neuritique 1 réglé par les protéines<br />

G <strong>et</strong> le canal K + activé par les protéines G suggère un lien entre récepteur<br />

nicotinique <strong>et</strong> signalisation intracellulaire par les protéines G.<br />

Publication 2007 (fin)<br />

Publications<br />

Article<br />

— Kabbani N, Woll M.P., Levenson R., Lindstrom J.M., Changeux J.-P. Intracellular<br />

complexes of the β2 subunit of the nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine receptor in brain i<strong>de</strong>ntified by<br />

proteomics. Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 204 : 20570-20575.<br />

Publications 2008<br />

Articles<br />

— Taly A., Changeux J.-P. Functional organization and conformational dynamics of the<br />

nicotinic receptor: a plausible structural interpr<strong>et</strong>ation of myasthenic mutations. Ann. NY Acad.<br />

Sci. 1132 : 42-52.


854 PROFESSEURS HONORAIRES<br />

— Jackson K.J., Martin B.R., Changeux J.-P., Damaj M.I. Differential role of nicotinic<br />

ac<strong>et</strong>ylcholine receptor subunits in physical and affective nicotine withdrawal signs. J. Pharmacol.<br />

Exp. Ther. 325(1) : 302-312.<br />

— Putz G., Kristufek D., Orr-Urtreger A., Changeux J.-P., Huck S., Scholze P. Nicotinic<br />

ac<strong>et</strong>ylcholine receptor-subunit mRNAs in the mouse superior cervical ganglion are regulated by<br />

<strong>de</strong>velopment but not by <strong>de</strong>l<strong>et</strong>ion of distinct subunit genes. J. Neurosci. Res. 8 : 972-981.<br />

— Evrard A., Changeux J.-P. Abnormal response of dopaminergic neurons to nicotine<br />

without perturbation of nicotinic receptors in αCGRP knock-out mice. Brain Res. 1228 : 89-<br />

96.<br />

— Araoz R., Herdman M., Rippka R., Ledreux A., Molgo J., Changeux J.-P., Tan<strong>de</strong>au<br />

<strong>de</strong> Marsac N., Nghiêm Ho. A non-radioactive ligand-binding assay for d<strong>et</strong>ection of<br />

cyanobacterial anatoxins using Torpedo electrocyte membranes. Toxicon, 52 : 163-174.<br />

— Avale M.E., Faure P., Pons S., Robledo P., Deltheil T., David D.J., Gardier A.M.,<br />

Maldonado R., Granon S., Changeux J.-P., Maskos U. Interplay of b<strong>et</strong>a2* nicotinic receptors<br />

and dopamine pathways in the control of spontaneous locomotion. Proc. Natl. Acad. Sci. USA,<br />

41 : 15991-15996.<br />

— Besson M., Suarez S., Cormier A., Changeux J.-P., Granon S. Chronic nicotine<br />

exposure has dissociable behavioural effects on control and β2 -/- mice. Behav. Gen<strong>et</strong>., 38(5) :<br />

503-514.<br />

— Even N., Cardona A., Soudant M., Corringer P.J., Changeux J.-P., Cloëz-Tayarani I.<br />

Regional differential effects of chronic nicotine on brain α4 and α6-containing receptors.<br />

NeuroReport, 19(15) : 1545-1550.<br />

— Wiklund A., Granon S., Cloëz-Tayarani I., Faure P., Le Sourd A.-M., Sundman E.,<br />

Changeux J.-P., Eriksson L. Sevoflurane anesthesia alters exploratory and anxi<strong>et</strong>y-like behavior<br />

in mice lacking the β2 nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine receptor subunit. Anesthesiology (sous presse).<br />

— Suarez S.V., Amadon A., Giacomini E., Wiklund A., Changeux J.-P., Le Bihan D.,<br />

Granon S. Brain activation by short-term nicotine exposure in anesth<strong>et</strong>ized wild-type and β2nicotinic<br />

receptors knockout mice : a BOLD fMRI study. Psychopharmacology (sous presse).<br />

Revues<br />

— Changeux J.-P., Taly A. Nicotine receptors, allosteric proteins and medicine. Trends in<br />

Mol. Med. 14 : 93-102.<br />

— Corringer P.J., Changeux J.-P. Nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine receptors. Scholarpedia, 3(1) :<br />

3468<br />

— Changeux J.-P., Dehaene S. The neuronal workspace mo<strong>de</strong>l : conscious processing and<br />

learning. In : R. Menzel (Ed.), Learning Theory and Behavior. Vol. 1 of Learning and<br />

Memory : A Comprehensive Reference. J. Byrne Editor, pp. 729-758. Oxford : Elsevier.<br />

Corringer P.J., Changeux J.-P. Nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine receptors. In : Larry R. Squire,<br />

Editor-in-Chief, Encyclopedia of Neuroscience, Aca<strong>de</strong>mic Press, Oxford (sous presse).<br />

Distinctions<br />

— Pioneer Award for the fundamental discoveries concerning « The structure and<br />

function of the nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine receptor », <strong>Collège</strong> International <strong>de</strong> Neuro-<br />

Psychopharmacologie (CINP), Munich (2008).


PROFESSEURS HONORAIRES 855<br />

— Neuronal Plasticity prize for the outstanding work in the domain of the Molecular<br />

Targ<strong>et</strong>s of Drug Abuse : « Short & long-term effects of nicotine on nicotinic receptors : a<br />

mo<strong>de</strong>l of drug addiction », Fondation Ipsen, 6 th Forum of the European Neuroscience,<br />

Genève (2008).<br />

Principales conférences données sur invitation<br />

à <strong><strong>de</strong>s</strong> congrès, colloques <strong>et</strong> symposia internationaux<br />

— Séance inaugurale du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> en Belgique, Bruxelles : « Vers une conception<br />

nouvelle <strong>de</strong> la chimie du cerveau », 27 novembre 2007.<br />

— Conférences du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> à Tunis : « Le récepteur <strong>de</strong> l’acétylcholine : une protéine<br />

allostérique membranaire engagée dans la transmission synaptique », Académie Tunisienne <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Sciences, <strong><strong>de</strong>s</strong> L<strong>et</strong>tres <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Arts Beït al-Hikma, Carthage, Tunisie, 10 mars 2008. « Vers une<br />

neuroscience <strong>de</strong> la personne humaine », Bibliothèque Nationale, Tunis, 11 mars 2008.<br />

— Conférence plénière : « Toward a neuroscience of the capable person : unity, diversity<br />

and oneself-as-another », « The 13th International Conference on Thinking », Norrköping,<br />

Suè<strong>de</strong>, 17-21 juin 2007.<br />

— Conférence plénière : « The nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine receptor : from molecular biology to<br />

cognition », « Cholinergic signaling : from genes to environment », à l’occasion du 60e anniversaire<br />

du Pr Hermona Soreq, Jérusalem, Israël, 20-22 août 2007.<br />

— Conférence principale (Keynote) « Nicotinic receptors in the brain : from molecular<br />

level to cognition », Sp<strong>et</strong>ses Summer School on Nuclear receptor signalling : from molecular<br />

mechanisms to integrative physiology, Ile <strong>de</strong> Sp<strong>et</strong>saï, Grèce, 26-31 août 2007.<br />

— Conférence : « Mo<strong>de</strong>ling access to consciousness and its consequences for brain imaging »,<br />

« 1st INCF Workshop on neuroimaging database integration », Stockholm, Suè<strong>de</strong>, 30-<br />

31 août 2007.<br />

— Conférence d’ouverture : « The preclinical point of view : Nicotine and nicotinic<br />

receptors : from molecular biology to cognition », 9th Annual conference of the SRNT Europe,<br />

Madrid, Espagne, 3-5 octobre 2007.<br />

— Conférence : « Toward a neuroscience of the capable person : unity, diversity and oneselfas-another<br />

», Vienna Biocenter PhD symposium « Molecules to mind », Vienne, Autriche,<br />

15 novembre 2007.<br />

— Conférence principale (Keynote) « Evolution of human intellect and culture : emotions,<br />

body, and brain plasticity consequences in artistic contemplation and creation », « International<br />

forum on intellectual unity II », Tokyo, Japon, 8 décembre 2007.<br />

— Conférence invité : ASPET’s Centennial me<strong>et</strong>ing « Nicotinic receptors : a mo<strong>de</strong>l for<br />

allosteric membrane protein », San Diego Convention Center, USA, 5-9 avril 2008.<br />

— Conférence spéciale : « The logic of allosteric receptors and its consequences for chemical<br />

therapeutics », « Nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine receptors 2008 », The Wellcome Trust Conference<br />

Centre, Hinxton, Cambridgeshire, UK, 23-26 avril 2008.<br />

— Conférence : « Is the brain the organ of truth ? », International Balzan Foundation,<br />

Symposium « Truth in the Humanities, Science and Religion », Lugano, Suisse, 16-17 mai<br />

2008.<br />

— Conférence : « La dépendance <strong>de</strong> la nicotine : un modèle <strong>de</strong> mémoire à long terme ? » <strong>et</strong><br />

Conclusions, Séance commune Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences/Académie nationale <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine<br />

« La Mémoire », Paris, 3 juin 2008.<br />

— Conférence : « Nicotinic receptors and their role in brain function », Nobel symposium<br />

« Genes, Brain and Behavior », Karolinska Institute, Stockholm, Suè<strong>de</strong>, 12-14 juin 2008.


856 PROFESSEURS HONORAIRES<br />

— Conférence : « Le rôle <strong>de</strong> la bungarotoxine dans l’i<strong>de</strong>ntification <strong>et</strong> l’élucidation <strong>de</strong> la<br />

structure du récepteur nicotinique », Journée scientifique organisée par le Muséum national<br />

d’Histoire naturelle <strong>et</strong> le Commissariat à l’énergique atomique, Hommage au Professeur<br />

André Ménez « De l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> toxines à l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> espèces », Muséum d’Histoire<br />

naturelle, Paris, 23 juin 2008.<br />

— Conférence : « The nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine receptor : a mo<strong>de</strong>l of allosteric neurotransmittergated<br />

ion channel », 33 rd FEBS Congress & 11 th IUBMB Conference, Athènes, Grèce,<br />

29 juin-1 er juill<strong>et</strong> 2008.<br />

— Conférence d’ouverture : « Short and long-term effect of nicotine on nicotinic receptors »,<br />

XIII International Symposium on Cholinergic Mechanisms, Iguassu Falls, Brésil, 16-<br />

20 août 2008.<br />

M. Clau<strong>de</strong> Cohen-Tannoudji, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences)<br />

Physique atomique <strong>et</strong> moléculaire, 1973-2004<br />

Publications<br />

— Rédaction, en collaboration avec David Guéry-O<strong>de</strong>lin d’un ouvrage ayant pour titre :<br />

« Advances in Atomic Physics — An overview », à paraître chez World Scientific, Singapour.<br />

— Enregistrement pour la collection : « A voix haute » / <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> d’un CD<br />

intitulé « Lumière <strong>et</strong> Matière ».<br />

Conférences invitées à <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences internationales<br />

Conférences spéciales <strong>et</strong> commémoratives<br />

— Conférence internationale organisée par la Royal Soci<strong>et</strong>y <strong>de</strong> Londres, « Photons, Atoms<br />

and Qubits 2007 (PAQ07) », P<strong>et</strong>er Knight’s 60th birthday, Londres, UK, 2 au 5 septembre<br />

2007 : « Manipulating Atoms with Light M<strong>et</strong>hods and Perspectives ».<br />

— Wokshop dédié aux <strong>travaux</strong> <strong>et</strong> à la vie du Professeur Maurice Jacob, Genève, Suissse,<br />

11 septembre 2007 : « A few personal recollections of the time spent with Maurice at Ecole<br />

Normale ».<br />

— Symposium international en l’honneur d’Alain Aspect à l’occasion <strong>de</strong> ses 60 ans,<br />

Palaiseau, Campus Polytechnique, <strong>France</strong>, « From Entangled Photons to Atom Lasers »,<br />

14 septembre 2007 : « Thirty years of friendship and collaboration with Alain. »<br />

— Conférence INFM à Rome, Italie, 16 au 17 septembre 2007.<br />

— Cérémonie <strong>de</strong> Remise <strong>de</strong> Diplôme (2e année du Master <strong>de</strong> Physique, voies Recherche<br />

<strong>et</strong> Professionnelle), Lyon, <strong>France</strong>, 5 octobre 2007.<br />

— Participation à la conférence « The Future of Science and Technology in Europe »,<br />

« Promoting and Attracting Human Resources in S&T », Lisbonne, Portugal, 8 au<br />

10 octobre 2007.<br />

— Conférence inaugurale <strong>de</strong> l’année universitaire 2007-2008 à l‘Institut Rachi, « Les<br />

gran<strong><strong>de</strong>s</strong> conférences », Troyes, <strong>France</strong>, 17 octobre 2007 : « Une brève histoire <strong>de</strong> la lumière ».<br />

— C. N. Yang’s Symposium, Conférence internationale en l’honneur du 85e anniversaire<br />

<strong>de</strong> CN Yang, République <strong>de</strong> Singapour, 29 octobre au 3 novembre 2007 : « Ultracold<br />

atoms: Achievements and Perspectives ».


PROFESSEURS HONORAIRES 857<br />

— <strong>France</strong>-Hong Kong Distinguished Lectures Series, série <strong>de</strong> 10 <strong>cours</strong> dans le cadre <strong>de</strong><br />

la Chaire « Professor at Large » <strong>de</strong> la « City University » <strong>de</strong> Hong Kong, Chine, 3 au<br />

17 novembre 2007 : « Laser cooling and trapping ».<br />

— Conférence invitée à l’Ecole Supérieure <strong>de</strong> Physique <strong>et</strong> Chimie <strong>de</strong> la Ville <strong>de</strong> Paris<br />

– 125 e anniversaire <strong>de</strong> l’ESPCI — colloque dédié à la mémoire <strong>de</strong> Pierre-Gilles <strong>de</strong> Gennes,<br />

Paris, <strong>France</strong>, 21 au 22 novembre 2007 : « Atomes ultrafroids, applications à la mesure du<br />

temps ».<br />

— 2 nd me<strong>et</strong>ing of the High-level Scientific Policy Advisory Committee (HISPAC), à<br />

l‘European Space Agency (ESA), à Paris, <strong>France</strong>, 11 janvier 2008.<br />

— Journées Scientifiques Inaugurales du Centre <strong>de</strong> Microéléctronique <strong>de</strong> Provence<br />

Georges Charpak, Gardanne, Saint-Etienne, <strong>France</strong>, 29 <strong>et</strong> 30 janvier 2008 : « Du pompage<br />

optique aux atomes ultrafroids ».<br />

— Conférence <strong>de</strong>vant les élèves <strong>de</strong> l’Ecole supérieure <strong>de</strong> Gestion, Paris, <strong>France</strong>, 26 mars<br />

2008 : « Matière <strong>et</strong> lumière ».<br />

— Conférence à Nancy-Université, <strong>France</strong>, 3 avril 2008 : « Manipulation d’atomes par la<br />

lumière ».<br />

— 37 th Me<strong>et</strong>ing of the ICTP Scientific Council, Trieste, Italie, 8 au 9 mai 2008.<br />

— Hyman and Irène Kreitman Annual Memorial Lecture, Ben-Gurion University of the<br />

Negev, Beer-Sheva, Israël, 27 mai 2008 : « Light and Matter, The Mo<strong>de</strong>rnity of Einstein’s<br />

I<strong>de</strong>as ».<br />

— Conférence au Lycée Français <strong>de</strong> Londres, UK, 02 juin 2008.<br />

— Conférence internationale : « Third Nobel Prize Laureates Me<strong>et</strong>ing — Science and<br />

Soci<strong>et</strong>y », St P<strong>et</strong>ersbourg, Russie, 22 au 27 juin 2008: « Ultracold Atoms — A mo<strong>de</strong>l system<br />

for new investigations in physics ».<br />

Responsabilités diverses<br />

Prési<strong>de</strong>nt d’honneur du Conseil Scientifique <strong>de</strong> la Fondation <strong>France</strong>-Israël.<br />

Secrétaire du CODHOS (Comité <strong>de</strong> Défense <strong><strong>de</strong>s</strong> Hommes <strong>de</strong> Science, <strong>de</strong> l’Académie<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences).<br />

Membre du Comité Exécutif <strong>de</strong> l’International Human Rights N<strong>et</strong>work of Aca<strong>de</strong>mies<br />

and Scholarly Soci<strong>et</strong>ies (IHRNASS).<br />

Membre du forum d’initiative franco-espagnol, <strong>de</strong>puis 2006.<br />

Membre <strong>de</strong> l’HISPAC, (High-level Science Policy Advisory Committee).<br />

Membre du Comité pour le Prix International pour l’alphabétisation scientifique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

enfants <strong>de</strong> la planète.<br />

Membre du Comité <strong>de</strong> Pilotage « Science à l’Ecole » <strong>de</strong>puis 2004.<br />

Membre du Conseil Scientifique <strong>de</strong> la Scuola Normale Superiore, Pise.<br />

Membre du Conseil Scientifique <strong>de</strong> l’IFRAF (Institut Francilien <strong>de</strong> Recherche sur les<br />

Atomes froids) <strong>de</strong>puis 2004.<br />

Membre du Conseil Scientifique <strong>de</strong> l’ICTP (International Centre of Theor<strong>et</strong>ical Physics),<br />

Trieste.<br />

Membre du Conseil Scientifique <strong>de</strong> l’« IPSO » (Israeli-Palestinian Science Organisa tion).<br />

Distinctions<br />

8 novembre 2007 — Docteur Honoris Causa <strong>de</strong> la City University <strong>de</strong> Hong Kong,<br />

Chine.


858 PROFESSEURS HONORAIRES<br />

M. François-Xavier Coquin, professeur<br />

Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine du mon<strong>de</strong> russe (1993-2001)<br />

22-30 juin 2007. Moscou : Participation au colloque : « la guerre russo-turque. 1877-<br />

1878 ». Communication : « attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la <strong>France</strong> face au conflit russo-turc, <strong>et</strong> au Congrès<br />

<strong>de</strong> Berlin », (sous presse).<br />

A.N. Sakharov, Rossija, narod, praviteli, civilizacija (La Russie : le peuple, les dirigeants,<br />

la civilisation), Institut d’histoire russe (Acad. <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), Moscou, 2005, 960 p. Compte<br />

rendu critique, Nationalities Papers, 2007, vol. 35, n° 3, p. 581-591.<br />

27 février-5 mars 2008. Moscou : Observateur étranger à Moscou <strong>et</strong> dans sa région à<br />

l’occasion <strong><strong>de</strong>s</strong> élections prési<strong>de</strong>ntielles du 2 mars 2008.<br />

Préface (p. 9-27) à la traduction française <strong>de</strong> l’ouvrage <strong>de</strong> Natalija A. Narotchnitskïa<br />

« Que reste-t-il <strong>de</strong> notre victoire ? », Paris, 2008, Les Syrtes éd.<br />

8-9 septembre 2008. Paris : Communication au colloque « La <strong>de</strong>uxième guerre mondiale :<br />

causes <strong>et</strong> résultats <strong>de</strong> la remise en cause <strong><strong>de</strong>s</strong> acquis <strong>de</strong> 1945 », organisé par divers instituts<br />

russes <strong>et</strong> ukrainiens sous le patronage du Centre culturel russe, <strong>et</strong> interview donnée à ce<br />

suj<strong>et</strong> à Radio Moscou.<br />

M. Yves Coppens, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences)<br />

Paléoanthropologie <strong>et</strong> préhistoire 1983-2005<br />

Recherche<br />

Outre quelques suj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> recherches en <strong>cours</strong> <strong>de</strong>puis plusieurs années (rôle <strong>de</strong><br />

l’environnement dans l’histoire <strong>de</strong> l’homme, par exemple), j’ai engagé une<br />

prospection en Mongolie à la suite <strong>de</strong> la découverte d’une calotte crânienne<br />

humaine associée à du Rhinocéros laineux, dans le nord-est du pays (mission sur<br />

le terrain au mois d’août 2007 <strong>et</strong> contrat <strong>de</strong> 5 ans avec le gouvernement mongole).<br />

La problématique <strong>de</strong> ce proj<strong>et</strong> est <strong>de</strong> progresser dans la compréhension <strong>de</strong> l’origine<br />

<strong>de</strong> l’Homme mo<strong>de</strong>rne : déploiement à partir d’un foyer africain unique ou<br />

évolution sur place <strong>de</strong> l’Homo erectus là où il est.<br />

Nous avons poursuivi par ailleurs la collecte <strong>de</strong> nouveaux restes <strong>de</strong> Mammouths<br />

<strong>et</strong> la gestion <strong>de</strong> leur analyse (en ce moment celle <strong>de</strong> Lyuba, p<strong>et</strong>ite femelle <strong>de</strong> 3 mois<br />

découverte dans la presqu’île <strong>de</strong> Yamaal <strong>et</strong> âgée <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 40 000 ans) <strong>et</strong> préparé<br />

la 5 e conférence internationale sur les Mammouths <strong>et</strong> leur famille (prési<strong>de</strong>nce,<br />

session <strong>de</strong> préparation à Weimar en février 2008).<br />

Muséologie<br />

A la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’un cabin<strong>et</strong> d’architectes français qui en avait gagné l’appel<br />

d’offre international, nous nous sommes employés, un collaborateur, Fabrice


PROFESSEURS HONORAIRES 859<br />

Dem<strong>et</strong>er, <strong>et</strong> moi, à concevoir en Corée, un musée <strong>de</strong> site, sur un gisement,<br />

Jeongok, qui avait livré un outillage paléolithique (beaucoup <strong>de</strong> bifaces) <strong>de</strong> plus<br />

<strong>de</strong> 300 000 ans (accueil au Museum national d’Histoire naturelle <strong>de</strong> Paris <strong>et</strong> au<br />

Musée d’Archéologie nationale <strong>de</strong> Saint-Germain-en-Laye d’une délégation<br />

coréenne, juill<strong>et</strong> 2007).<br />

Je suis par ailleurs toujours lié à certains proj<strong>et</strong>s du Museum national d’Histoire<br />

naturelle (conseil scientifique), du Musée d’Archéologie nationale <strong>de</strong> Saint-<br />

Germain-en-Laye <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Cité <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Industrie <strong>de</strong> Paris, à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

programmes en <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Museums ou Sociétés d’Histoire naturelle <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux,<br />

<strong>de</strong> Toulouse, <strong><strong>de</strong>s</strong> Musées <strong>de</strong> Vannes, <strong>de</strong> Carnac, du Puy (Crozatier), <strong>de</strong> la Chapelleaux-Saints,<br />

<strong>de</strong> Villers-sur-mer mais aussi du Transvaal Museum <strong>de</strong> Pr<strong>et</strong>oria<br />

(exposition en 2007) du Musée d’Anthropologie préhistorique <strong>de</strong> la Principauté<br />

<strong>de</strong> Monaco (prési<strong>de</strong>nce du Comité international), <strong>et</strong>c.<br />

Gestion <strong>de</strong> la recherche<br />

Je suis membre du Haut Conseil <strong>de</strong> la Science <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Technologie (j’y ai été<br />

rapporteur du dossier sur la baisse d’attractivité <strong>de</strong> la Science), <strong>de</strong> l’Office parlementaire<br />

d’évaluation <strong><strong>de</strong>s</strong> choix scientifiques <strong>et</strong> technologiques, du Comité international<br />

d’évaluation <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes Revealing Hominid Origins Initiative <strong>de</strong> la National<br />

Science Foundation (USA), du programme HOPSEA, Human Origins Patrimony<br />

South East Asia, <strong>de</strong> recherches en Asie <strong>et</strong> du programme HOPE, Human origins and<br />

past environments <strong>de</strong> recherche en Afrique du sud. Je suis aussi Administrateur (pour le<br />

patrimoine) <strong><strong>de</strong>s</strong> TAAF, Terres Australes <strong>et</strong> Antarctiques françaises.<br />

Publications (juin 2007-juin 2008)<br />

Anonyme (Yves Coppens), Francis Clark Howell, Membres <strong>de</strong> l’Académie disparus,<br />

Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences, Annuaire 2008, p. 199-200.<br />

Yves Coppens, Paléoanthropologie <strong>et</strong> préhistoire, 1983-2005, Annuaire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong>, <strong>résumés</strong> 2006-2007, 2008, p. 952-956.<br />

Yves Coppens, Préface, Le Quaternaire, limites <strong>et</strong> spécificités, Quaternaire, volume 18,<br />

n° 1, 2 <strong>et</strong> 4, mars, juin <strong>et</strong> décembre 2007, p. 7.<br />

Yves Coppens, Préface, in Sylvie Mercier <strong>de</strong> Flandre, Nature <strong>et</strong> rêveries, éditions du Signe,<br />

Strasbourg, 2007, 3 pages non paginées.<br />

Yves Coppens, Quand le Singe est-il <strong>de</strong>venu Homme ?, Sciences <strong>et</strong> Avenir, novembre<br />

2007, p. 106-107.<br />

Yves Coppens, Préface, in Bernard Van<strong>de</strong>rmeersch <strong>et</strong> Bruno Maureille eds, Les<br />

Néan<strong>de</strong>rtaliens, Biologie <strong>et</strong> Culture, Editions du Comité <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> historiques <strong>et</strong> scientifiques,<br />

2007, p. 9-10.<br />

Yves Coppens, Postface, in Patrick Norbert <strong>et</strong> Tanino Liberatore, Lucy, l’espoir, Capitol<br />

edition, 2007, p. 72-73 (ban<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>sinée).<br />

Yves Coppens, Avant propos in Michel Signoli, Dominique Chevé, Gilles Boëtsch <strong>et</strong><br />

Olivier Dutour, Peste : entre Epidémies <strong>et</strong> Sociétés, Plague : Epi<strong>de</strong>mics and Soci<strong>et</strong>ies, Firenze<br />

University Press, 2007, p. 9.


860 PROFESSEURS HONORAIRES<br />

Yves Coppens, Lucy, Australopithèque afarensis, Addis Abeba, 2001 in Titouan Lamazou,<br />

Zoe : femmes du Mon<strong>de</strong>, Gallimard 2007, T. 1, p. 17-25.<br />

Yves Coppens, Damdinsuren Tseveendorj, Fabrice Dem<strong>et</strong>er, Tsagaan Turbat, Pierre-<br />

Henri Giscard, Découverte d’une calotte crânienne d’un Homo sapiens archaïque dans le<br />

Nord-Est <strong>de</strong> la Mongolie, C.R. Palevol. 7 (2008), p. 51-60.<br />

Yves Coppens, L’East Si<strong>de</strong> story n’est plus, Homo sapiens, l’Odyssée <strong>de</strong> l’espèce,<br />

Taillandier, 2005, p. 40-48.<br />

Emmanuel-Alain Cabanis, Jackie Badawi-Fayad, Marie-Thérèse Iba-Zizen, Adrian Istoc,<br />

Henry <strong>et</strong> Marie-Antoin<strong>et</strong>te <strong>de</strong> Lumley <strong>et</strong> Yves Coppens, Scanner à rayons X <strong>et</strong><br />

paléoanthropologie crânienne, Bull. Acad. Natle <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine, 2007, 191, 6, 1069-1089.<br />

Yves Coppens in Les secr<strong>et</strong>s du cerveau, Les mystères du XXI e siècle à Saint Tropez,<br />

1-3 décembre 2006, DVD vi<strong>de</strong>o 2007.<br />

Yves Coppens, L’Homme <strong>et</strong> l’environnement, climat subi, climat conquis, climat meurtri,<br />

in Le Climat dans tous ses états, Les mystères du XXI e siècle à Saint-Tropez, 7-9 décembre 2007,<br />

DVD vi<strong>de</strong>o 2008 (DVD n° 1/4).<br />

Yves Coppens, Le pied, la roue, AT Magazine, n° 1, 2008, p. 73-75.<br />

Hassane Taïsso Mackaye, Yves Coppens, Patrick Vignaud, Fabrice Lihoreau, Michel<br />

Brun<strong>et</strong>, De nouveaux restes <strong>de</strong> Primelephas dans le Mio-Pliocène du Nord du Tchad <strong>et</strong><br />

révision du genre Primelephas, C.R. Palevol. 7 (2008), p. 227-236.<br />

Yves Coppens, In Memoriam : Francis Clark Howell, Bull. <strong>et</strong> Mens. <strong>de</strong> la Soc. Anthrop.<br />

<strong>de</strong> Paris, n.s., t. 19, 2007, 1-2, p. 5-6.<br />

Yves Coppens, avant-propos in Yves Coppens, prési<strong>de</strong>nt, Origine <strong>de</strong> l’Homme <strong>et</strong> peuplement<br />

<strong>de</strong> la Terre, éd. du Musée d’Anthropologie préhistorique <strong>de</strong> Monaco, 2008, p. 6-7.<br />

Yves Coppens, Préhumains <strong>et</strong> origine <strong>de</strong> l’Homme in Yves Coppens, prési<strong>de</strong>nt, Origine<br />

<strong>de</strong> l’Homme <strong>et</strong> peuplement <strong>de</strong> la Terre, éd. du Musée d’Anthropologie préhistorique <strong>de</strong><br />

Monaco, 2008, p. 12.<br />

Livres<br />

Patrick Norbert <strong>et</strong> Tanino Liberatore, conseiller scientifique Yves Coppens, Lucy, l’espoir,<br />

Capitol Editions, Paris, 2007, 74 pages (ban<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>sinée).<br />

Hubert Reeves, Joël <strong>de</strong> Rosnay, Yves Coppens, Dominique Simonn<strong>et</strong>, La plus belle<br />

histoire du mon<strong>de</strong>, Le Seuil, 1996 ; édition basque, 2007.<br />

Yves Coppens, Soizik Moreau, Sacha Gepner, Le origini <strong>de</strong>ll’Uomo, Editoriale Jaca Book,<br />

Milan, 2008, 61 pages ; édition française, Yves Coppens raconte l’Homme, ed. Odile Jacob,<br />

2008.<br />

Yves Coppens, L’Histoire <strong>de</strong> l’Homme, 22 ans d’amphi au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (1983-2005),<br />

éditions Odile Jacob, 2008, 246 pages ; édition club pour le Grand Livre du Mois, 2008 ;<br />

édition italienne, Editoriale Jaca Book, Milan, 2008.<br />

Yves Coppens (prési<strong>de</strong>nce), Origine <strong>de</strong> l’Homme <strong>et</strong> peuplement <strong>de</strong> la Terre, Comité<br />

scientifique international du Musée d'Anthropologie préhistorique <strong>de</strong> Monaco, éd. du<br />

Musée d’Anthropologie préhistorique <strong>de</strong> Monaco, 2008, 64 pages.


PROFESSEURS HONORAIRES 861<br />

Audiovisuel<br />

Le climat dans tous ses états, Les Mystères du XXI e siècle à Saint Tropez (8 e édition),<br />

invités d’honneur, Hubert Reeves <strong>et</strong> Yves Coppens, 4 DVD vi<strong>de</strong>o 2008.<br />

L’odyssée <strong>de</strong> l’espèce, Homo sapiens, Le sacre <strong>de</strong> l’Homme, <strong>France</strong> Télévision distribution,<br />

Jacques Malaterre réalisation, Yves Coppens, directeur scientifique, coffr<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> 3 DVD,<br />

2007.<br />

36 Chroniques « Histoire d’Homme », Yves Coppens <strong>et</strong> Marie-Odile Monchicourt, 5 fois<br />

chaque lundi <strong>de</strong> juin 2007 à août 2007, 5 fois un dimanche sur <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> septembre 2007<br />

à juin 2008.<br />

Conférences, communications, allocutions<br />

Conférences à Pr<strong>et</strong>oria, Transvaal Museum (7 novembre 2007), à Saint Germain-en-Laye<br />

(15 septembre 2007), à Nancy, Opéra (20 septembre 2007), à Nancy, aux Élus, Hôtel <strong>de</strong><br />

Ville (22 septembre 2007), à Paris, salle Olympe <strong>de</strong> Gouge, pour la mairie du<br />

11 e arrondissement (30 octobre 2007), à Paris, au restaurant le Doyen, pour le groupe Vinci<br />

(28 mars 2008), à Paris, au Musée <strong>de</strong> l’Homme, pour la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Amis du Musée <strong>de</strong><br />

l’Homme (19 mai 2008), à Marseille (10 octobre 2007), à Tautavel, Pyrénées orientales<br />

(2 novembre 2007), à Dinard (19 <strong>et</strong> 20 janvier 2008), à Rueil (7 février 2008), à Villers-surmer<br />

(9 février 2008), aux Angles, Pyrénées-Orientales (3 mars 2008), à Monaco, à la<br />

Fondation Prince Pierre (17 mars 2008), à Ajaccio (21 avril 2008), aux Rencontres <strong>de</strong> Porto<br />

Vecchio (30 avril 2008), à Toulouse au Muséum d’Histoire naturelle (19 juin 2008), à<br />

Cannes, au Symposium <strong>de</strong> l’Eau (24 juin 2008), à Quiberon, 5 fois (30 juin-4 juill<strong>et</strong> 2008).<br />

Conférences sur le Costa Marina (2), croisière en Norvège, 30 mai-11 juin 2008.<br />

Participation à la 1 st International Conference, Archaeological Research in Mongolia,<br />

13-23 août 2007, Ulaanbaatar (communication le 20 août 2007, en anglais) ; au mois <strong>de</strong><br />

la préhistoire du Musée d’Archéologie nationale <strong>de</strong> Saint-Germain-en-Laye, 15 septembre-<br />

15 octobre 2007 (conférence inaugurale le 15 septembre 2007) ; au 9 e Congrès <strong>de</strong><br />

l’International Ocular Inflammation Soci<strong>et</strong>y, Musée du Quai Branly, Paris (allocution le<br />

19 septembre 2007, en anglais) ; aux Rencontres <strong>de</strong> Paris sur les Primates <strong>et</strong> leurs habitats,<br />

20 e Colloque <strong>de</strong> la Société francophone <strong>de</strong> Primatologie, Muséum national d’Histoire<br />

naturelle, 22-26 octobre 2007 (conférence le 24 octobre 2007) ; à la conférence Human<br />

Origins Patrimony, Studies in Southeast Asia, Paris, 10-12 décembre 2007 (HOP sea n<strong>et</strong>work<br />

conference) (keynote address, en anglais, prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la session au Musée <strong>de</strong> l’Homme le<br />

11 décembre 2007 <strong>et</strong> address for conclusion, en anglais, au Museum national d’Histoire<br />

naturelle, le 12 décembre 2007) ; à la 8 e édition <strong><strong>de</strong>s</strong> Mystères du XXI e siècle à Saint Tropez,<br />

Le climat dans tous ses états, 7-9 décembre 2007 (invité d’honneur, communication le<br />

8 décembre <strong>et</strong> conclusion, le 9 décembre 2007) ; au symposium international, Des collections<br />

anatomiques aux obj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> culte : conservation <strong>et</strong> exposition <strong><strong>de</strong>s</strong> restes humains dans les musées,<br />

Musée du Quai Branly, 22-23 février 2008 (communication le 22 février 2008) ; au<br />

Colloque IPSEN (Innovation for patient care), Translations cortico-motrices, mouvement <strong>et</strong><br />

risque, Abbaye <strong>de</strong> Royaumont, 28-29 mars 2008 (conférence inaugurale le 28 mars 2008) ;<br />

à l’Interdisciplinary workshop on 3D Paleo-Anthropology, Anatomy, Computer Science<br />

and Engineering Synergies for the future, Muséum <strong>de</strong> Toulouse, 19-20 juin 2008<br />

(prési<strong>de</strong>nce, allocution d’ouverture).<br />

Exposés dans <strong><strong>de</strong>s</strong> écoles : aux élèves <strong>de</strong> CM1-CM2 <strong><strong>de</strong>s</strong> écoles primaires <strong>de</strong> Nancy, à l’Hôtel<br />

<strong>de</strong> ville (2 sessions successives le 21 septembre 2007), au lycée français Jules Verne <strong>de</strong><br />

Johannesburg (9 novembre 2007), au <strong>Collège</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Francs-Bourgeois, Paris 4 e (6 e , 28 novembre<br />

2007), à l’Ecole Yves Coppens <strong>de</strong> Grand-Champ (Morbihan) (2 janvier 2008), aux élèves <strong>de</strong><br />

plusieurs établissements (1 res <strong>et</strong> Terminales) réunis au Casino <strong>de</strong> Trouville (8 février 2008),


862 PROFESSEURS HONORAIRES<br />

aux élèves <strong>de</strong> l’Ecole élémentaire <strong><strong>de</strong>s</strong> Angles (Pyrénées-Orientales) (6 mars 2008) ; aux élèves<br />

<strong>de</strong> secon<strong><strong>de</strong>s</strong>, premières <strong>et</strong> terminales <strong>de</strong> Saint-Sigisbert <strong>de</strong> Nancy (22 septembre 2007), aux<br />

étudiants étrangers <strong>de</strong> l’IUEFM à l’Hôtel <strong>de</strong> Ville <strong>de</strong> Nancy (22 septembre 2007), aux élèves<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Prépas du lycée Poincaré <strong>de</strong> Nancy (21 septembre 2007).<br />

Allocutions à la remise <strong><strong>de</strong>s</strong> insignes <strong>de</strong> Chevalier dans l’ordre <strong>de</strong> la Légion d’Honneur à<br />

Monsieur François Raulin, Professeur <strong><strong>de</strong>s</strong> Universités (Observatoire <strong>de</strong> Paris, 20 février 2008),<br />

à la remise <strong><strong>de</strong>s</strong> insignes <strong>de</strong> Comman<strong>de</strong>ur dans l’ordre <strong>de</strong> la Légion d’Honneur à Madame<br />

Coquery-Vidrovitch, Professeur <strong><strong>de</strong>s</strong> Universités (Université <strong>de</strong> Paris VII, 14 avril 2008).<br />

Allocutions à la mairie d’Ajaccio (27 septembre 2007), au Palais <strong><strong>de</strong>s</strong> Arts <strong>de</strong> Dinard, pour<br />

l’ouverture <strong>de</strong> l’exposition Quel avenir pour les Grands Singes ? (19 janvier 2008), au Musée<br />

du Quai Branly, pour le 60 e anniversaire <strong>de</strong> Sciences <strong>et</strong> Avenir, Quel avenir pour l’Homme ?,<br />

Quel avenir pour la planète ? (12 novembre 2007), au Club <strong>de</strong> la Chasse <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Nature,<br />

Paris 3 e , pour la délégation <strong>de</strong> scientifiques chinois en voyage d’étu<strong>de</strong>, Pékin-Lascaux,<br />

23 mai 2008. Allocution pour l’ouverture <strong>de</strong> l’exposition Mother Africa and Mrs Ples, en<br />

qualité d’Honorary Patron, 8 novembre 2007 ; allocution au Salon du Livre <strong>de</strong> Nancy (sous<br />

le chapiteau), pour l’ouverture du Livre sur la Place, en qualité <strong>de</strong> Prési<strong>de</strong>nt 2007 ; allocution<br />

à l’Ecole Yves Coppens <strong>de</strong> Grand-Champ (Morbihan) à l’occasion <strong>de</strong> la cérémonie <strong>de</strong><br />

dénomination <strong>de</strong> l’Ecole, 26 janvier 2008.<br />

Présentation du livre L’Histoire <strong>de</strong> l’Homme aux représentants <strong><strong>de</strong>s</strong> éditions Odile Jacob,<br />

septembre 2007 ; présentation du même livre à la presse, 17 avril 2008 ; présentation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

films Stantari au Palais <strong><strong>de</strong>s</strong> Congrès d’Ajaccio, 27 septembre 2007 ; présentation du livre<br />

d’Emmanuel Anati, L’Odysée <strong><strong>de</strong>s</strong> Premiers Hommes en Europe, Musée <strong>de</strong> l’Homme,<br />

22 octobre 2007.<br />

Rencontre <strong>et</strong> dédicace <strong>de</strong> l’album Lucy, l’espoir avec Tanino Liberatore, Fnac Saint-Lazare,<br />

31 janvier 2008 ; dédicace <strong>de</strong> mes livres les plus récents, Musée <strong>de</strong> Tautavel, 30 octobre 2007 ;<br />

dédicace <strong>de</strong> mes livres disponibles, Le livre sur la place, Nancy, 20, 21, 22, 23 septembre 2007<br />

dédicace <strong>de</strong> L’Histoire <strong>de</strong> l’Homme, librairie Nicole Maruani, Paris 13 e , 26 juin 2008.<br />

Participation à un débat avec Henry <strong>de</strong> Lumley, Palais <strong><strong>de</strong>s</strong> Congrès, Tautavel, sur les<br />

Premiers Hommes <strong>de</strong> l’Europe, 31 octobre 2007, à un débat avec quelques collègues sur<br />

les changements climatiques, Opéra <strong>de</strong> Nancy, 22 septembre 2007 ; participation au<br />

séminaire docu-fiction <strong>de</strong> <strong>France</strong> 2, 16 avril 2008.<br />

Enseignement extérieur<br />

Master « Evolution, Patrimoine naturel <strong>et</strong> sociétés », Museum national d’Histoire<br />

naturelle, 17 septembre 2007.<br />

Participation à 5 jurys :<br />

Diplôme <strong>de</strong> fin d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> d’architecture<br />

Magalie Rayebois : Un musée <strong>de</strong> paysage à Jeongok (Corée du Sud), Ecole d’architecture <strong>de</strong><br />

Paris La Vill<strong>et</strong>te, septembre 2007, Yves Coppens, membre du jury.<br />

Doctorat d’Université<br />

Anne-Elisab<strong>et</strong>h Lebatard, « Datations radiochronologiques <strong><strong>de</strong>s</strong> séries sédimentaires à<br />

Hominidés du Paléolac Tchad, <strong>de</strong>puis le Miocène supérieur », Université <strong>de</strong> Poitiers, novembre<br />

2007, Yves Coppens rapporteur <strong>et</strong> prési<strong>de</strong>nt.<br />

Noëlle Perez Christiaens, « Porter sur soi, se porter, porter, se comporter, transporter, se<br />

charger <strong>et</strong> se décharger sans dommage. Contribution à l’étu<strong>de</strong> d’une catégorie universelle <strong>de</strong>


PROFESSEURS HONORAIRES 863<br />

techniques : le transport <strong><strong>de</strong>s</strong> charges sur soi », Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> en Sciences sociales,<br />

mai 2008, Yves Coppens, rapporteur.<br />

Guillaume Nicolas, « Des données anatomiques à la simulation <strong>de</strong> la locomotion bipè<strong>de</strong>.<br />

Application à l’homme, au Chimpanzé <strong>et</strong> à Lucy (Al 288.1) », Université <strong>de</strong> Rennes 2,<br />

octobre 2007, Yves Coppens, prési<strong>de</strong>nt.<br />

Bekele M<strong>et</strong>asebia, « Pierres dressées <strong>et</strong> coutumes funéraires dans les sociétés Konso <strong>et</strong> Gewada<br />

du Sud <strong>de</strong> l’Ethiopie », Université <strong>de</strong> Paris 1, Panthéon-Sorbonne, décembre 2007, Yves<br />

Coppens, prési<strong>de</strong>nt.<br />

Responsabilités diverses <strong>et</strong> fonctions nouvelles<br />

Membre du Haut Conseil <strong>de</strong> la Science <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Technologie (Prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la République),<br />

membre du Conseil d’Analyse <strong>de</strong> la Société (Premier Ministre) ; membre du Conseil<br />

scientifique <strong>de</strong> l’Office parlementaire d’évaluation <strong><strong>de</strong>s</strong> choix scientifiques <strong>et</strong> technologiques<br />

(Assemblée nationale <strong>et</strong> Sénat). Membre du Conseil scientifique du Muséum national<br />

d’Histoire naturelle ; membre <strong>de</strong> la Commission d’avancement <strong><strong>de</strong>s</strong> personnels scientifiques<br />

du Museum ; membre <strong>de</strong> la commission du patrimoine historique <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> sites archéologiques<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Terres australes <strong>et</strong> antarctiques françaises (TAAF).<br />

Prési<strong>de</strong>nt du Comité scientifique pour l’étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> la valorisation du site <strong>de</strong> Carnac<br />

(Ministère <strong>de</strong> la Culture <strong>de</strong> la Communication) ; prési<strong>de</strong>nt du Comité scientifique<br />

international du Musée d’Anthropologie préhistorique <strong>de</strong> la Principauté <strong>de</strong> Monaco ;<br />

prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> Vocations patrimoine, l’héritage du futur (en collaboration avec l’Unesco).<br />

Honorary Research Associate of the Human Origins and past environments programme<br />

(HOPE) Transvaal Museum, 2007 ; membre d’Honneur <strong>de</strong> l’Association Rayonnement du<br />

CNRS, Associations <strong><strong>de</strong>s</strong> anciens <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> amis du CNRS, 2008 ; membre du Comité scientifique<br />

d’honneur du Festival <strong><strong>de</strong>s</strong> Primates <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Liège, 2007 ; membre du Comité<br />

d’honneur <strong>de</strong> la Fondation Nationale <strong>de</strong> Gérontologie <strong>et</strong> membre du Comité d’Honneur<br />

<strong>de</strong> son Prix Chronos <strong>de</strong> littérature, 2007.<br />

Membre <strong>de</strong> Comité d’orientation <strong>de</strong> la revue, Clartés, Gran<strong><strong>de</strong>s</strong> Signatures, 2008 ; membre<br />

du Comité <strong>de</strong> parrainage international <strong>de</strong> la Cité du livre <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’écriture, La Colle-sur-<br />

Loup, Alpes-Maritines, 2008.<br />

Membre <strong>de</strong> la Fondation pour l’Institut européen d’histoire <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures <strong>de</strong> l’alimentation<br />

(IEHCA) (renouvellement) ; membre du comité <strong>de</strong> parrainage du Réseau Mémoire <strong>de</strong><br />

l’Environnement (renouvellement) ; parrain du proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> Chaîne <strong>de</strong> télévision publique<br />

scientifique en TNT, la chaîne comprendre (LCC), 2007 ; membre du Comité <strong>de</strong> soutien<br />

pour la création d’une chaîne généraliste <strong>de</strong> Télévision nationale TNT consacrée à tous les<br />

patrimoines, 2007.<br />

Membre d’honneur <strong>de</strong> la Fondation Teilhard <strong>de</strong> Chardin, 2007 ; membre d’honneur <strong>de</strong><br />

l’UPR 2147 du CNRS, Dynamique <strong>de</strong> l’Evolution humaine, 2007 ; membre d’honneur <strong>de</strong><br />

la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Amis du Palais <strong>de</strong> la Découverte (SAPADE), 2008.<br />

Co-vice-prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la Fondation Geneviève Laporte à Pierrebourg pour la protection<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> grands singes, 2007.<br />

Membre du Comité d’honneur du Comité scientifique pour l’étu<strong>de</strong> du bébé Mammouth<br />

Lyuba, découvert en Sibérie occi<strong>de</strong>ntale, Institut <strong>de</strong> Zoologie <strong>de</strong> Saint P<strong>et</strong>ersbourg, 2007 ;<br />

prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la 5 e Conférence internationale sur les Mammouths <strong>et</strong> leur famille, Musée<br />

Crozatier, Le Puy-en-Velay (Haute-Loire), 30 août-4 septembre 2010 (première réunion <strong>de</strong><br />

travail, Weimar, février 2008).<br />

Conseiller scientifique <strong>de</strong> l’expo-dossier Quoi <strong>de</strong> neuf en paléoanthropologie ?, Cité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Sciences <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Industrie, 2008, février 2009 ; parrain du mois <strong>de</strong> la Préhistoire 2007 du<br />

Musée d’Archéologie nationale, Saint-Germain-en-Laye ; parrain <strong><strong>de</strong>s</strong> films Stantari, Ajaccio,


864 PROFESSEURS HONORAIRES<br />

Porto-Vecchio, 2007-2008 ; parrain <strong>de</strong> la Fondation pour la Recherche en Santé respiratoire,<br />

2008.<br />

Prési<strong>de</strong>nt d’honneur du XIV e colloque international <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong> Biométrie humaine<br />

I<strong>de</strong>ntification <strong>et</strong> authentification <strong><strong>de</strong>s</strong> personnes, Museum national d’Histoire naturelle,<br />

novembre 2007 ; prési<strong>de</strong>nt d’honneur du XV e Colloque Avancées en Biométrie humaine,<br />

Museum national d’Histoire naturelle, novembre 2008 ; prési<strong>de</strong>nt d’honneur <strong>de</strong> l’Institut<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Déserts, 2007. Prési<strong>de</strong>nt du salon du livre <strong>de</strong> Nancy, Le livre sur la place, 20-23 septembre<br />

2007 ; prési<strong>de</strong>nt d’honneur <strong><strong>de</strong>s</strong> célébrations du centenaire <strong>de</strong> la découverte <strong>de</strong> l’Homme <strong>de</strong><br />

la Chapelle-aux-Saints, 3 août 2008.<br />

Création <strong><strong>de</strong>s</strong> entr<strong>et</strong>iens Yves Coppens-Michel Serres, 2008 (suite aux Rencontres Sciences<br />

<strong>et</strong> Sociétés d’Evian), Paris, 2007, prochains entr<strong>et</strong>iens à Lyon en octobre 2008.<br />

Parrain <strong><strong>de</strong>s</strong> célébrations à Bor<strong>de</strong>aux du tricentenaire <strong>de</strong> la naissance <strong>de</strong> Linné, Museum<br />

d’Histoire naturelle <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux, exposition Le voyage en Laponie <strong>de</strong> Carl von Linné,<br />

26 janvier-30 septembre 2007, Bibliothèque municipale <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux-Méria<strong>de</strong>ck, exposition<br />

Voici <strong><strong>de</strong>s</strong> fruits, <strong><strong>de</strong>s</strong> fleurs, <strong><strong>de</strong>s</strong> feuilles <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> branches, 28 septembre-22 décembre 2007, Société<br />

Linéenne <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux, exposition Linné-trois siècles <strong>de</strong> Sciences naturelles, salle capitulaire <strong>de</strong><br />

la Cour Mably, 13 octobre-27 octobre 2007, Jardin Botanique <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux-Basti<strong>de</strong>,<br />

exposition Salon du Champignon, 27 octobre-29 octobre 2007, <strong>et</strong> baptême <strong>de</strong> l’Esplana<strong>de</strong><br />

Linné, inauguration 25 octobre 2007. Parrain du proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> traversée Ouest-Est du Sahara<br />

<strong>de</strong> Régis Belleville, 2007.<br />

Membre du Comité scientifique internatinal du Colloque Global change Social Sciences<br />

and humanities facing the Climate change challenges <strong>et</strong> keynote speaker, Paris 22-23 septembre<br />

2008 ; membre du comité scientifique <strong>de</strong> l’exposition universelle <strong>de</strong> Milan, 2015, Feeding<br />

the Plan<strong>et</strong>, Energy for Life, forum Working tog<strong>et</strong>her for Food saf<strong>et</strong>y, Food security and Health<br />

Lifestyles, 4 <strong>et</strong> 5 février 2015 ; membre du Comité scientifique du Colloque, Déserts d’Afrique<br />

<strong>et</strong> d’Arabie, environnement, climat <strong>et</strong> impact sur les populations <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong><br />

l’Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 8-9 septembre 2008 ; membre du Comité scientifique du Colloque<br />

vieillissement <strong><strong>de</strong>s</strong> Mystères du XXI e siècle, Saint-Tropez, décembre 2008. Invité par la<br />

Pontifical Aca<strong>de</strong>my of Sciences pour participer au colloque Scientific Insights into the<br />

evolution of the Universe and of Life, Rome, 31 octobre-4 novembre 2008 ; invité par la<br />

Pontificia Università Gregoriana pour participer à la conférence internationale Evolution<br />

and Evolution Theories, Rome, 3-7 mars 2009.<br />

Distinctions<br />

Comman<strong>de</strong>ur du Mérite culturel <strong>de</strong> la Principauté <strong>de</strong> Monaco, 2007, médailles <strong><strong>de</strong>s</strong> villes<br />

d’Ajaccio, 2007 <strong>et</strong> <strong>de</strong> Grand-Champ (Morbihan), 2008.<br />

Ecole élémentaire « Yves Coppens » <strong>de</strong> Grand-Champ (Morbihan), 2008 ; rue Yves<br />

Coppens, Franqueville-Saint-Pierre (agglomération rouennaise) (Seine maritime), 2008.<br />

Honorary patron <strong>de</strong> l’exposition du Transvaal Museum « Mother Africa and Mrs Ples »,<br />

novembre 2007 ; Patrón <strong>de</strong> Honor <strong>de</strong> la Fundación Josep Gibert, Espagne, février 2008.<br />

Astéroï<strong>de</strong> Coppens 172850 (Union astronomique internationale, 2008).<br />

Prix An<strong>de</strong>rsen, il mondo <strong>de</strong>ll’infanzia, « miglior libro di divulgazione » pour Yves Coppens<br />

(avec la collaboration <strong>de</strong> Soizik Moreau <strong>et</strong> Sacha Gepner), Yves Coppens racconta le origini<br />

<strong>de</strong>ll’Uomo, editoriale Jaca Book, Milan, 2008.<br />

« Yves Coppens », une <strong><strong>de</strong>s</strong> 7 personnalités r<strong>et</strong>enues pour l’exposition Des Collections <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Hommes, voyageurs, savants, artistes, Musée <strong>de</strong> Vannes, juin-décembre 2008.


PROFESSEURS HONORAIRES 865<br />

M. Gilbert Dagron, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres)<br />

Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong> byzantin, 1975-2001<br />

Publications<br />

— « Vérité du miracle », Rivista di Storia e L<strong>et</strong>teratura Religiosa, 42/3, 2006 (Atti <strong>de</strong>l<br />

Convegno Internazionale : Pellegrinaggi santuari miracoli nel mondo cristiano tra storia e<br />

l<strong>et</strong>teratura), p. 475-493.<br />

— « Une rhétorique <strong>de</strong> l’événement : l’astrologie », dans Faire l’événement au Moyen Âge,<br />

sous la direction <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Carozzi <strong>et</strong> Hugu<strong>et</strong>te Taviani-Carozzi, Le temps <strong>de</strong> l’histoire,<br />

Publications <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Provence, 2007, p. 193-200.<br />

— « From the mappa to the akakia : Symbolic drift », dans From Rome to Constantinople.<br />

Studies in Honour of Averil Cameron, éd. Hagit Amirav <strong>et</strong> Bas Ter Haar Romeny, Louvain,<br />

2007, p. 203-219.<br />

— « Couronnes impériales. Forme, usage, couleur <strong><strong>de</strong>s</strong> stemmata dans le cérémonial<br />

impérial du X e siècle », dans Byzantina Mediterranea. Festschrift für Johannes Ko<strong>de</strong>r zum 65.<br />

Geburtstag, éd. Klaus Belke, Ewald Kislinger, Andreas Külzer, Maria A. Stassinopoulou,<br />

Vienne, Cologne, Weimar, 2007, p. 157-174.<br />

— « La <strong>France</strong> au miroir <strong>de</strong> Byzance. Quelques remarques sur l’historiographie française<br />

du Moyen Âge au XVIII e siècle », dans Rossijskaja Aka<strong>de</strong>mia Nauk, Sankt-P<strong>et</strong>erburgskoe<br />

Ot<strong>de</strong>lenie, Vspomogatel’nye istoričeskie discipliny XXX (Mélanges Igor Medve<strong>de</strong>v), Saint-<br />

Pétersbourg, 2007, p. 264-272.<br />

— « L’icône, un portrait parlé », dans Sciences humaines. Les grands dossiers : Entre image<br />

<strong>et</strong> écriture, 11 (juin-août 2008), p. 50-55.<br />

Activités<br />

— 14 mai 2008, remise du prix <strong>de</strong> l’essai attribué par la Revue <strong><strong>de</strong>s</strong> Deux Mon<strong><strong>de</strong>s</strong> pour<br />

Décrire <strong>et</strong> peindre. Essai sur le portrait iconique (Gallimard, Bibliothèque <strong><strong>de</strong>s</strong> Histoires,<br />

2007).<br />

— 21 mai 2008, séminaire à l’Université d’Oxford, « À propos du Livre <strong><strong>de</strong>s</strong> cérémonies<br />

<strong>de</strong> Constantin Porphyrogénète ».<br />

M. Jean Delumeau, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres)<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> mentalités religieuses dans l’Occi<strong>de</strong>nt mo<strong>de</strong>rne, 1975-1994<br />

Conférences <strong>et</strong> publications<br />

Jean Delumeau a donné en 2007-2008 <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences à Paris <strong>et</strong>, en outre, à<br />

Aubervilliers, Caen, Châteaulin, Nice, Rennes, Saint-Brieuc <strong>et</strong> Tunis.


866 PROFESSEURS HONORAIRES<br />

Il a publié Le Mystère Campanella (Paris, Fayard, 2008, 592 p.). Sont sorties les<br />

traductions suivantes <strong>de</strong> ses livres : en portugais (Brésil) <strong>de</strong> Gu<strong>et</strong>ter l’aurore ; en<br />

russe <strong>de</strong> La Civilisation <strong>de</strong> la Renaissance ; en polonais <strong>de</strong> La plus belle histoire du<br />

bonheur.<br />

M. Marc Fumaroli, membre <strong>de</strong> l’Académie française<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions <strong>et</strong> belles-l<strong>et</strong>tres<br />

Rhétorique <strong>et</strong> société en Europe (XVI e -XVII e siècles), 1987-2002<br />

Conférences <strong>et</strong> séminaires<br />

25-27 février 2008 : Rome, Acca<strong>de</strong>mia <strong>de</strong>i Lincei, présentation <strong>de</strong> la Revue République<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> L<strong>et</strong>tres, dirigée par Mina Fattori, directrice <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> philosophie <strong>de</strong> La<br />

Sapienza.<br />

5 avril : Chantilly avec Mireille Huchon : Louise Labbé est-elle le prête-nom <strong>de</strong> Maurice<br />

Scève ?<br />

7 avril : Mairie <strong>de</strong> Nancy, Pour une antenne <strong>de</strong> l’Institut d’Histoire <strong>de</strong> la République <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

L<strong>et</strong>tres.<br />

26 avril : Académie d’Aix en Provence, Peiresc à Aix.<br />

28-29 avril : Fondation Gulbenkian à Lisbonne, Le comte <strong>de</strong> Caylus <strong>et</strong> le style « à la<br />

grecque ».<br />

3 mai : Conseil scientifique <strong>de</strong> l’ISU à Florence.<br />

Livres<br />

Publications<br />

El Estado cultural, ensayo sobre una religión mo<strong>de</strong>rna, traducción <strong>de</strong> Eduardo Gil Berra,<br />

Barcelona, Acantilado, 2007, 461 pages. Traduit en espagnol : La educación <strong>de</strong> la libertad,<br />

Epílogo <strong>de</strong> Carlos García Gual, Arcadia, 2007, 54 pages.<br />

Préfaces<br />

<strong>de</strong> Jean-Baptiste Alexandre Le Blond, Architecte 1679-1719. De Paris à Saint-Pétersbourg,<br />

Alain Baudry <strong>et</strong> C ie éditeur, 2007.<br />

<strong>de</strong> Michel David-Weill, L’esprit en fête, Paris, Robert Laffont, 2007, 266 pages.<br />

<strong>de</strong> Estienne Perr<strong>et</strong>, XXV fables <strong><strong>de</strong>s</strong> animaux, PUF, Fondation Martin Bodmer, collection<br />

Sources, 2007, p. 9-23.<br />

De Négociations européennes d’Henri IV à l’Europe <strong><strong>de</strong>s</strong> 27, « L’esprit <strong>de</strong> la diplomatie<br />

européenne », sous la direction A. Pekar Lempereur <strong>et</strong> A. Colson, Le Cercle <strong><strong>de</strong>s</strong> Négociateurs,<br />

Perspectives, Paris, A2C Medias éditeur, 2008, p. 15-21.


Postfaces<br />

PROFESSEURS HONORAIRES 867<br />

<strong>de</strong> Chateaubriand, Amour <strong>et</strong> Vieillesse, Paris, Rivages Poche/p<strong>et</strong>ite Bibliothèque, 2007,<br />

p. 23-61.<br />

<strong>de</strong> Chateaubriand, Amor y vejez, traducción <strong>de</strong> José Ramon Monreal, Acantilado, 2008,<br />

p. 21-52.<br />

Compte rendu<br />

<strong>de</strong> Les Disparus <strong>de</strong> Daniel Men<strong>de</strong>lsohn, Paris, Flammarion, 642 pages, Le Point 1825,<br />

6 septembre 2007, p. 94 : « Le Temps r<strong>et</strong>rouvé <strong>de</strong> Men<strong>de</strong>lsohn ».<br />

Articles scientifiques<br />

« Chateaubriand <strong>et</strong> Go<strong>et</strong>he », Die europäische République <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres in <strong>de</strong>r Zeit <strong>de</strong>r Weimarer<br />

Klassik, Wallstein Verlag, 2007, p. 151-173.<br />

« La Republica <strong>de</strong>llel<strong>et</strong>tere e l’i<strong>de</strong>ntità europea », Intersezioni, Rivista di storia <strong>de</strong>lle i<strong>de</strong>e, Il<br />

Mulino, Anno XXVII, Agosto 2007, p. 157-168.<br />

« Le comte <strong>de</strong> Caylus <strong>et</strong> les origines françaises du ‘r<strong>et</strong>our à l’Antique’ européen », Roma<br />

triumphans ? L’attualità dnell Francia <strong>de</strong>l S<strong>et</strong>tec<strong>et</strong>o, Roma, Edizioni di Storia e L<strong>et</strong>teratura,<br />

2007.<br />

« Das Vermächtnis <strong>de</strong>r europäischen république <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres », Die europäische République<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres in <strong>de</strong>r Zeit <strong>de</strong>r Weimarer Klassik, Wallstein Verlag, 2007, p. 11-30.<br />

« L’invention <strong>de</strong> l’enfance chez Rousseau <strong>et</strong> Chateaubriand », Studi Veneziani, N.S. LI<br />

(2006), Fabrizio Serrra editore, 2007, p. 17-30.<br />

« L’esprit <strong>de</strong> la diplomatie européenne », Préface <strong>de</strong> Négociations européennes d’Henri IV à<br />

l’Europe <strong><strong>de</strong>s</strong> 27, sous la direction A. Pekar Lempereur <strong>et</strong> A. Colson, Le Cercle <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Négociateurs, Perspectives, Paris, A2C Medias éditeur, 2008, p. 15-21.<br />

« La ‘herencia <strong>de</strong> Amyot’ : La crítica <strong>de</strong> la novela <strong>de</strong> caballería y los orígenes <strong>de</strong> la novela<br />

mo<strong>de</strong>rna », Anales Cervantinos, vol. XXXIX, Enero - Diciembre 2007, p. 235-262.<br />

Introduction journée Paul-Louis Courier, Cahiers <strong>de</strong> l’Association internationale <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

françaises, Mai 2008, n° 60, p. 73-77.<br />

« Cézanne tel que je le vois, à rebours <strong>de</strong> sa légen<strong>de</strong> », Ce que Cézanne donne à penser,<br />

Actes du colloque d’Aix-en-Provence, Juill<strong>et</strong> 2006, Paris, Gallimard, 2008, p. 11-19.<br />

Articles <strong>de</strong> presse<br />

« Montaigne, r<strong>et</strong>our aux sources », Le Mon<strong>de</strong>, Vendredi 15 juin 2007, p. 3.<br />

« Pèlerinage à Ise », Revue <strong><strong>de</strong>s</strong> Deux Mon<strong><strong>de</strong>s</strong>, Juill<strong>et</strong>-août 2007, p. 97-119.<br />

« Pour une relecture critique <strong>de</strong> « Tartuffe » », Le Mon<strong>de</strong>, Vendredi 6 juill<strong>et</strong> 2007, p. 7.<br />

« Pour une Europe unie <strong>de</strong> l’esprit », Valeurs actuelles, 2 novembre 2007, p. 60-61.<br />

« Oublier Saint-Simon », Le Point, n° 1844, 17 janvier 2008, p. 42.<br />

« Une civilisation mondiale est une contradiction… », Le spectacle du mon<strong>de</strong>, n° 541,<br />

Janvier 2008, p. 47-49.<br />

« Tocqueville. Perchè amò l’America », La Repubblica, mercoledì 26 marzo 2008,<br />

p. 46-47.<br />

« Le misanthrope humaniste », L’Express, n° 2964, 24/4/2008, p. 110-112.<br />

« Tocqueville <strong>et</strong> ses arrières-pensées », Le Point, n° 1854, 27 mars 2008, p. 108-109.


868 PROFESSEURS HONORAIRES<br />

« L’invention <strong>de</strong> l’enfance chez Rousseau <strong>et</strong> Chateaubriand », Gran<strong><strong>de</strong>s</strong> signatures, n° 1,<br />

Avril 2008, p. 14-27.<br />

« Stendhal, ou le ‘Rêve américain’ », Le Point, 22 mai 2008, p. 122-123.<br />

Entr<strong>et</strong>iens – interview<br />

<strong>de</strong> Bened<strong>et</strong>ta Craveri, « Il vecchio e la sirena », La Repubblica, Sabato 11 agosto 1007,<br />

p. 51.<br />

avec Sophie Lannes, « L’Italie <strong>et</strong> le don <strong>de</strong> la beauté », Géopolitique n° 97, Janvier 2007,<br />

p. 121-127.<br />

avec Juan Pedro Quironero « Voe dificil que Sarkozy se atreava a romper con la vaca<br />

sagrada <strong>de</strong>l Ministerio <strong>de</strong> Cultura », ABC International, Sabado 1 IX 2007.<br />

M. Jacques Gern<strong>et</strong>, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres)<br />

Histoire sociale <strong>et</strong> intellectuelle <strong>de</strong> la Chine, 1975-1992<br />

Publications<br />

— Société <strong>et</strong> pensée chinoises aux XVI e <strong>et</strong> XVII e siècles, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>/Fayard, 2007,<br />

202 p.<br />

— La Vie quotidienne en Chine à la veille <strong>de</strong> l’invasion mongole (1250-1276), rééd. Éd.<br />

Philippe Picquier, 2007, 420 p.<br />

— Kniecki sv<strong>et</strong>, trad. serbe corrigée du Mon<strong>de</strong> chinois, Armand Colin, 2003, Clio,<br />

Belgra<strong>de</strong>, 2007, 844 p.<br />

— Zhongguo shehui shi, rééd. <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière trad. chinoise du Mon<strong>de</strong> chinois, Armand<br />

Colin, 2003, Nankin, 2008, 644 p.<br />

— « Remarques sur le contexte chinois <strong>de</strong> l’inscription <strong>de</strong> la stèle nestorienne <strong>de</strong> Xi’an »,<br />

in Jullien, C. (éd.), Controverses <strong><strong>de</strong>s</strong> chrétiens dans l’Iran sassani<strong>de</strong>, coll. Studia Iranica.<br />

Cahier 36, Paris, 2008, 227-243.<br />

— Présentation <strong>de</strong> livre, CR <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres, avril-juin 2006,<br />

766-70.<br />

Divers<br />

— Allocution pour la remise d’épée à M. Jean-Noël Robert, Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions<br />

<strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres, 30 janv. 2008.<br />

— Communication au Colloque Les Signes, instruments <strong>de</strong> la pensée, 14-18 juill<strong>et</strong> 2008,<br />

Château Mercier, Sierre, Suisse. J. Gern<strong>et</strong> : « Langage, mathématiques, rationalité. Catégorie<br />

ou fonction ».


PROFESSEURS HONORAIRES 869<br />

M. Jean Guilaine<br />

Civilisations <strong>de</strong> l’Europe au Néolithique <strong>et</strong> à l’Âge du bronze, 1994-2007<br />

a. Ouvrages<br />

Publications<br />

J. Guilaine : Les racines <strong>de</strong> la Méditerranée <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Europe, Fayard, 2008, 95 p., 14 fig.<br />

J. Guilaine, M. Barbaza, M. Martzluff (dirs.) : Prehistória d’Andorra. Les excavacions a la<br />

Balma <strong>de</strong> la Margineda (1979-1991). Les fouilles à l’abri <strong>de</strong> la Margineda, Tome IV, Govern<br />

d’Andorra, 2007, 600 p., 226 fig., 67 tableaux, 9 plans.<br />

J. Guilaine, C. Manen, J.-D. Vigne (dirs.) : Pont <strong>de</strong> Roque Haute. Nouveaux regards sur<br />

la néolithisation <strong>de</strong> la <strong>France</strong> méditerranéenne, Centre <strong>de</strong> Recherche sur la Préhistoire <strong>et</strong> la<br />

Protohistoire <strong>de</strong> la Méditerranée/Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> en Sciences Sociales, Toulouse,<br />

2007, 332 p., 134 fig.<br />

A. Langaney, J. Clottes, J. Guilaine, D. Simonn<strong>et</strong> : La plus belle histoire <strong>de</strong> l’homme,<br />

Editions du Seuil, Points 779, 2007, 202 p.<br />

b. Articles<br />

J. Guilaine : Jalons historiographiques : le Néolithique, entre matériel <strong>et</strong> idéel,<br />

XXVI e Congrès Préhistorique <strong>de</strong> <strong>France</strong> (Avignon, 21-25 septembre 2004), Société Préhistorique<br />

Française, 2007, pp. 441-448.<br />

J. Guilaine : Les enjeux <strong>de</strong> Sidari, in G. Arvanitou-M<strong>et</strong>allinou (dir.) : Prehistoric Corfù<br />

and its adjacent areas. Problems-Perspectives, Proceedings of the Conference Dedicated to<br />

Augustus Sordinas, (Corfu, 17 décembre 2004), Kepkypa, 2007, pp. 91-96, 1 fig.<br />

J. Guilaine : Ô Bonne Mère…, Archéopages, Constructions <strong>de</strong> l’archéologie, INRAP, Paris,<br />

février 2008, pp. 22-27, 3 fig.<br />

J. Guilaine : Des pèlerinages dès la Préhistoire ? in J. Chélini (dir.) : Les pèlerinages dans<br />

le mon<strong>de</strong> à travers le temps <strong>et</strong> l’espace, Fondation Singer-Polignac, Picard, Paris, 2008,<br />

pp. 13-20.<br />

J. Guilaine : Le Néolithique <strong>et</strong> la naissance <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés complexes (Annales, 60 e année,<br />

septembre-octobre 2005), Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres, Comptes rendus, 2006,<br />

juill<strong>et</strong>-octobre 2008, pp. 1651-1652.<br />

J. Guilaine : Préface in J. Vaquer, M. Gan<strong>de</strong>lin, M. Remicourt, Y. Tchérémissinoff : Défunts<br />

néolithiques en Toulousain, Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> en Sciences Sociales/Centre <strong>de</strong> Recherche<br />

sur la Préhistoire <strong>et</strong> la Protohistoire <strong>de</strong> la Méditerranée, Toulouse, 2008, pp. 9-10.<br />

J. Guilaine <strong>et</strong> C.-A. <strong>de</strong> Chazelles : Les premières architectures <strong>de</strong> Chypre in A. Bou<strong>et</strong><br />

(dir.) : D’Orient <strong>et</strong> d’Occi<strong>de</strong>nt. Mélanges offerts à Pierre Aupert, Ausonius Editions, Bor<strong>de</strong>aux,<br />

2008, pp. 79-86, 4 fig.<br />

J. Guilaine <strong>et</strong> J. Malaterre : Le Néolithique. Naissance <strong><strong>de</strong>s</strong> Civilisations in M. Vidard (dir.) :<br />

Abécédaire scientifique pour les curieux. Les têtes au carré, Sciences Humaines Editions, 2008,<br />

pp. 127-132.<br />

J. Guilaine <strong>et</strong> C. Manen : From Mesolithic to Early Neolithic in the Western<br />

Mediterranean in A. Whittle <strong>et</strong> V. Cummings : Going Over. The Mesolithic-Neolithic<br />

Transition in North-West Europe, The British Aca<strong>de</strong>my, Oxford University Press, 2007,<br />

pp. 21-51, 10 fig.<br />

J. Martinez Moreno, M. Martzluff, R. Mora, J. Guilaine : D’une pierre <strong>de</strong>ux coups :<br />

entre percussion posée <strong>et</strong> plurifonctionnalité, le poids <strong><strong>de</strong>s</strong> comportements “opportunistes”<br />

dans l’Epipaléolithique-Mésolithique pyrénéen in L. Astruc, F. Bon, V. Léa, P.-Y. Milcent


870 PROFESSEURS HONORAIRES<br />

<strong>et</strong> S. Philibert (dirs.) : Normes techniques <strong>et</strong> pratiques sociales. De la simplicité <strong><strong>de</strong>s</strong> outillages<br />

pré <strong>et</strong> protohistoriques, XXVI e Rencontres internationales d’archéologie <strong>et</strong> d’histoire d’Antibes,<br />

Editions APDCA, Antibes, 2006, pp. 147-160, 6 fig.<br />

Audio-visuel<br />

Films commentaires autour du « Sacre <strong>de</strong> l’Homme », Pixcom/Boréales/<strong>France</strong> 2/<strong>France</strong> 5,<br />

3 films <strong>de</strong> 52’ (co-direction scientifique avec Yves Coppens) (Diffusion <strong>France</strong> 5, 3, 10 <strong>et</strong><br />

17 décembre 2007)<br />

La Prehistoria à Moia (Barcelona), film <strong>de</strong> X. Juncosa, 2007 (interview)<br />

La Cité <strong>de</strong> Carcassonne, au cœur <strong>de</strong> l’histoire, film <strong>de</strong> Ph. Satgé <strong>et</strong> F. Soul<strong>et</strong>, CRDP,<br />

Montpellier, 2007 (séquence sur le site <strong>de</strong> Carsac)<br />

Otzi, l’homme <strong><strong>de</strong>s</strong> glaces, <strong>et</strong> son temps, Editions Gallimard, Col. « A voix haute »<br />

(enregistrement 28 mars 2008)<br />

Colloques/Réunions scientifiques<br />

EHESS/Université d’été, Carcassonne, 14-15 septembre 2007 : « L’archéologie comme<br />

discipline » (Ph. Boissinot dir.), communication : « L’archéologie, une discipline ? ».<br />

Colloque <strong><strong>de</strong>s</strong> Palynologues <strong>de</strong> langue française, Toulouse, 2-4 octobre 2007 : « Les<br />

réchauffements climatiques. Réponses <strong><strong>de</strong>s</strong> Ecosystèmes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Sociétés », communication : « Sociétés<br />

néolithiques <strong>et</strong> environnements ».<br />

Colloque international <strong>de</strong> Préhistoire maghrebine, Tamanrass<strong>et</strong> (Algérie), 5-7 novembre<br />

2007, communication : « Entre Europe, Asie <strong>et</strong> Afrique au Néolithique : la Méditerranée, lien<br />

ou frontière culturelle ? » <strong>et</strong> prési<strong>de</strong>nce d’une session.<br />

Colloque « Archéologies frontalières : Alpes du sud, Côte d’Azur, Piémont, Ligurie », Nice,<br />

13-15 décembre 2007, prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> séance <strong>et</strong> synthèse finale (Néolithique, Âge du<br />

bronze).<br />

Colloque <strong>de</strong> la Société d’Anthropologie <strong>de</strong> Paris « Autour <strong>de</strong> la Méditerranée <strong>de</strong> la<br />

Préhistoire à nos jours », Marseille, 23-25 janvier 2008, conférence inaugurale : « Du<br />

Néolithique à l’Âge du bronze en Méditerranée » <strong>et</strong> prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> session.<br />

Colloque « First Great Migrations of Peoples in History » UNESCO, Paris, 19 juin 2008,<br />

communication : « The First Villagers to Conquer Europe : Migrations or Cultural<br />

Diffusions ? ».<br />

Colloque Interdisciplinaire « Sciences <strong>et</strong> Politique », Université Paul Sabatier/ADREUC,<br />

27-29 juin 2008, communication : « Archéologie, Idéologie, Politique ».<br />

Administration <strong>de</strong> la recherche<br />

Prési<strong>de</strong>nce du Comité d’AERES <strong><strong>de</strong>s</strong> UMR 5197 (Archéozoologie, archéobotanique :<br />

sociétés, pratiques <strong>et</strong> environnements) <strong>et</strong> 5198 (Histoire naturelle <strong>de</strong> l’homme préhistorique),<br />

Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris, 17 janvier 2008.<br />

Commission <strong><strong>de</strong>s</strong> prési<strong>de</strong>nts, AERES, 27 mars 2008.<br />

Prési<strong>de</strong>nce du Comité Scientifique International <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> Préhistoire <strong>de</strong> l’Université<br />

<strong>de</strong> Cantabrie, Santan<strong>de</strong>r, 27-30 avril 2008.


PROFESSEURS HONORAIRES 871<br />

Conférences/Débats<br />

Portiragnes, 18 octobre 2007 : présentation <strong>de</strong> l’ouvrage « Pont <strong>de</strong> Roque Haute. Nouveaux<br />

regards sur la néolithisation du Sud <strong>de</strong> la <strong>France</strong> » (allocution).<br />

Tautavel, Palais <strong><strong>de</strong>s</strong> Congrès, 26 octobre 2007 : conférence autour du film « Le Sacre <strong>de</strong><br />

l’Homme » (J. Malaterre).<br />

Tautavel, Palais <strong><strong>de</strong>s</strong> Congrès, 27 octobre 2007 : débat sur le thème « L’homme,<br />

l’environnement <strong>et</strong> l’agriculture ».<br />

Saint-Pons : Inauguration du Musée <strong>de</strong> la Préhistoire <strong>et</strong> <strong>de</strong> la sculpture mégalithique<br />

(allocution), 16 février 2008.<br />

Paris, Société psychanalytique <strong>de</strong> Paris, séminaire d’E. Smadja, 2 avril 2008 :<br />

Communication « Manifestations religieuses néolithiques ».<br />

Principauté d’Andorre (Farga Rossell), à l’occasion <strong>de</strong> la présentation <strong>de</strong> l’ouvrage « Les<br />

excavacions a la Balma <strong>de</strong> la Margineda (1979-1991) » : conférence « Aux racines <strong>de</strong> l’Andorre.<br />

La Balma <strong>de</strong> la Margineda ».<br />

Autres activités<br />

— Jurys <strong>de</strong> thèses ou d’HDR <strong>de</strong> C. Rougé-Maillard (EHESS), L. Salanova (Université<br />

<strong>de</strong> Paris I, prési<strong>de</strong>nce), A. Theodoropoulou (Université <strong>de</strong> Paris I, prési<strong>de</strong>nce), L. Nespoulous<br />

(INALCO), N. Buchez (EHESS).<br />

— Membre du Comité scientifique du Musée d’Anthropologie Préhistorique (Principauté<br />

<strong>de</strong> Monaco).<br />

— Membre d’honneur <strong>de</strong> la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Amis du Palais <strong>de</strong> la Découverte, Paris<br />

(SAPADE).<br />

— Membre du Comité scientifique du Colloque en l’honneur du 25 e anniversaire du<br />

Séminaire International « Représentations préhistoriques » (Musée <strong>de</strong> l’Homme, Paris,<br />

19-21 juin 2008).<br />

— Membre du jury du prix « Clio-Archéologie » (20 juin 2008).<br />

M me Françoise Héritier<br />

Étu<strong>de</strong> comparée <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés africaines, 1982-1998<br />

Publications parues<br />

— « Chimères, artifice <strong>et</strong> imagination », pp. 39-59 in Jean-Pierre Changeux (sous la<br />

direction <strong>de</strong>) L’Homme artificiel. Colloque annuel du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (12-13 octobre<br />

2006). Paris, Odile Jacob, 2007.<br />

— « Une anthropologue dans la Cité. Entr<strong>et</strong>ien avec Françoise Héritier par Michèle<br />

Fiéloux, Claire Mestre, Marie-Rose Moro », L’Autre. Cliniques, cultures <strong>et</strong> sociétés 9 (1),<br />

2008 : 11-36.<br />

— « Saisir l’insaisissable <strong>et</strong> le transm<strong>et</strong>tre », L’Homme. L’anthropologue <strong>et</strong> le contemporain :<br />

autour <strong>de</strong> Marc Augé, 185-186, 2008 : 45-54.


872 PROFESSEURS HONORAIRES<br />

— « Françoise Héritier » 9, pp. 149-166 in Anne Dhoquois (sous la direction <strong>de</strong>),<br />

Comment je suis <strong>de</strong>venue <strong>et</strong>hnologue. Paris, Éditions Le Cavalier bleu, 2008.<br />

— « Il était beau, grand, brun, les cheveux coiffés en arrière, un peu ondulés, avec un<br />

beau regard… », pp. 175-192 in Olivia Benhamou, éd. Le premier homme <strong>de</strong> ma vie. Onze<br />

femmes racontent leur père. Paris, Robert Laffont, 2008.<br />

— avec Jacques Delcuvellerie <strong>et</strong> Ann<strong>et</strong>te Wieviorka, « Pour le meilleur <strong>et</strong> pour le pire :<br />

l’homme entre culture <strong>et</strong> barbarie », pp. 118-131 in Le Théâtre <strong><strong>de</strong>s</strong> idées. 50 penseurs pour<br />

comprendre le XXI e siècle, ouvrage dirigé par Nicolas Truong avec le Festival d’Avignon.<br />

Paris, Flammarion, 2008.<br />

— « Masculin/féminin : raisons <strong>de</strong> la hiérarchie, voies vers l’égalité », pp. 177-214 in<br />

Marx contemporain. Acte 2. Paris, Éditions Syllepses <strong>et</strong> Espaces Marx, 2008. Collection<br />

Espaces Marx : Explorer, confronter, innover.<br />

— À voix haute. Paris, Gallimard-<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 2008. Collection audio. TDK.<br />

CD-R80.<br />

— L’I<strong>de</strong>ntique <strong>et</strong> le différent. Entr<strong>et</strong>iens avec Caroline Broué. Paris, Éditions <strong>de</strong> l’Aube,<br />

2008, 112 p. Collection Mon<strong>de</strong> en <strong>cours</strong>, Série À voix nue.<br />

— Maschile e femminile, Il pensiero <strong>de</strong>lla differenza. Editori Laterza, 2000. Prima edizione<br />

Nei Sag<strong>et</strong>tari Laterza, 1997. Biblioteca universale Laterza, 2000 ; Economica Laterza, 2002.<br />

Réédition 2007, Collection Odile Jacob bibliothèque.<br />

Internationaux<br />

Colloques<br />

— Réseau entre la ville <strong>et</strong> l’hôpital pour l’orthogénie. Paris, Sorbonne, 8 mars 2008.<br />

Conférence : « Transparence <strong>et</strong> clan<strong><strong>de</strong>s</strong>tinité ».<br />

Conférences<br />

— Centre <strong><strong>de</strong>s</strong> jeunes dirigeants d’entreprise, Paris, 8 octobre 2007. Conférence-débat sur<br />

la féminisation dans l’entreprise.<br />

— Total, Eurosites Georges V, Paris, 9 octobre 2007. Séminaire Diversités plurielles.<br />

Conférence plénière : « Hommes, femmes : les mécanismes <strong>de</strong> la différence ».<br />

— Centre Georges Pompidou, Paris, 24 octobre 2007. Les Revues parlées. Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Trente (1977-2007). Conférence-anniversaire <strong>de</strong> la parution <strong>de</strong> Masculin/féminin. La Pensée<br />

<strong>de</strong> la différence.<br />

— Théâtre <strong>de</strong> l’Odéon, Paris, 23 janvier 2008. Atelier <strong>de</strong> la pensée, sur le thème Femmes<br />

empêchées, avec Laure Adler, Elisab<strong>et</strong>h Guigou, Julia Kristeva, Taslima Nasreen <strong>et</strong> Jean-Pierre<br />

Vincent.<br />

— EHESS, Paris, 14 mars 2007. Séminaire Corps <strong>et</strong> sciences sociales sous la direction<br />

<strong>de</strong> Dominique Memmi <strong>et</strong> Florence Bellivier. Débat autour <strong>de</strong> l’ouvrage Corps <strong>et</strong> Affects.<br />

Séminaires<br />

— Dans le cadre du Laboratoire d’anthropologie sociale, direction <strong>de</strong> l’atelier mensuel<br />

<strong>de</strong> l’équipe Corps <strong>et</strong> Affects avec Margarita Xanthakou.


PROFESSEURS HONORAIRES 873<br />

Activités diverses<br />

— Vice-Prési<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> la Fondation Médéric-Alzheimer.<br />

— Membre du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences <strong>de</strong> la vie.<br />

— Membre <strong>de</strong> l’Académie universelle <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures.<br />

— Membre du Comité <strong>de</strong> vigilance <strong>de</strong> l’Institut Pasteur.<br />

— Membre du Conseil d’Administration du <strong>Collège</strong> international <strong>de</strong> philosophie.<br />

Distinctions<br />

— Comman<strong>de</strong>ur dans l’Ordre national <strong>de</strong> la Légion d’Honneur.<br />

M. Jean Leclant, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions <strong>et</strong> belles-l<strong>et</strong>tres)<br />

Égyptologie, 1979-1990<br />

Missions <strong>et</strong> activités<br />

Secrétaire perpétuel <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions <strong>et</strong> belles-l<strong>et</strong>tres. Vice-prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la<br />

Commission nationale française <strong>de</strong> l’UNESCO, prési<strong>de</strong>nt honoraire du Haut-comité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Célébrations nationales, prési<strong>de</strong>nt d’honneur <strong>de</strong> la Société asiatique, <strong>de</strong> la Société<br />

internationale <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> nubiennes <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Société française d’égyptologie.<br />

Participation à plusieurs colloques <strong>et</strong> conférences (Paris, Beaulieu).<br />

Publications<br />

— Les frères Reinach, sous la direction <strong>de</strong> S. Basch, M. Espagne <strong>et</strong> J. Leclant, Paris,<br />

2008.<br />

— Adresse à la XI e Conférence internationale <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> nubiennes, dans B<strong>et</strong>ween the<br />

Cataracts, Proceedings of the 11 th Conference for Nubian Studies, Warsaw University, 27 August-<br />

2 September 2006, Varsovie, 2008, p. 11.<br />

— Allocution d’ouverture au XVIII e colloque <strong>de</strong> la Villa Kerylos, 4-6 octobre 2007 :<br />

« Pratiques <strong>et</strong> dis<strong>cours</strong> alimentaires en Méditerranée <strong>de</strong> l’Antiquité à la Renaissance », dans<br />

Cahiers <strong>de</strong> la Villa Kerylos XIX, 2008.<br />

— Préface à La correspondance entre Mikhail Rostovtzeff <strong>et</strong> Franz Cumont, Mémoires <strong>de</strong><br />

l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres, t. XXXVI, Paris, 2007.<br />

— Préface à Les Pyrénées orientales (C.A.G.66), par J. Kotarba, G. Castellvi <strong>et</strong> Fl. Mazière,<br />

Paris, 2007.<br />

— Préface à Arles, Crau, Camargue (C.A.G. 13/5, par M.-P. Rothé <strong>et</strong> M. Heijmans,<br />

Paris, 2008.<br />

— « Missions <strong>et</strong> activités, publications <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs honoraires », Résumé <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> <strong>et</strong><br />

<strong>travaux</strong>, AnnCdF 2006-2007, p.<br />

— Nombreux hommages d’ouvrages récents à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong><br />

Belles-l<strong>et</strong>tres.


874 PROFESSEURS HONORAIRES<br />

— Allocution à la Journée d’hommage à François Chamoux, 11 janvier 2008, AIBL,<br />

Palais <strong>de</strong> l’Institut.<br />

— Allocution d’accueil à la IV e Journée d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> nord-africaines : « Les monuments <strong>et</strong><br />

les cultes funéraires », AIBL/SEMPAM, 28 mars, Palais <strong>de</strong> l’Institut.<br />

— Allocution, Journée <strong>France</strong>-Japon, 23 mai 2008, AIBL, Palais <strong>de</strong> l’Institut.<br />

Distinctions<br />

Le 16 novembre 2007, J. Leclant a reçu le diplôme <strong>de</strong> docteur honoris causa <strong>de</strong> l’Université<br />

<strong>de</strong> Vienne, Autriche.<br />

M. Emmanuel Le Roy Ladurie, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences morales <strong>et</strong> politiques)<br />

Histoire <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne, 1973-1999<br />

Pourquoi, près d’une quarantaine d’années après l’Histoire du climat <strong>de</strong>puis l’An<br />

Mil (1967), remise à jour ensuite à plusieurs reprises, ai-je récidivé, au titre d’une<br />

histoire humaine <strong>et</strong> comparée du climat, parue chez Fayard ces temps-ci en <strong>de</strong>ux<br />

volumes, <strong>résumés</strong> en un Abrégé d’Histoire du Climat (2007, Fayard, i<strong>de</strong>m) ? C’est que<br />

<strong>de</strong>puis c<strong>et</strong>te date du siècle précé<strong>de</strong>nt, bien <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches nouvelles sont apparues ;<br />

elles ont rajeuni la question en tout ou partie. Et puis en sept ou huit lustres <strong>de</strong><br />

travail sur ce thème <strong>et</strong> sur <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s proches (histoire rurale, <strong>et</strong>c.) j’ai eu le temps<br />

d’accumuler <strong><strong>de</strong>s</strong> données. Mon maître Brau<strong>de</strong>l, notre illustre collègue, en sa<br />

Méditerranée, fit allusion le premier (sur la base <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> italiens, peu connus, du<br />

géographe U. Monterin) à la poussée du p<strong>et</strong>it âge glaciaire (alpin) au terme du<br />

xvi e siècle. Jean Meuvr<strong>et</strong> <strong>et</strong> Micheline Baulant ont beaucoup fait eux aussi pour<br />

établir la chronologie multiséculaire… <strong>et</strong> quotidienne <strong><strong>de</strong>s</strong> prix du blé (fort influencés<br />

par le climat <strong>de</strong> chaque année) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> dates <strong>de</strong> vendanges. Les marxistes, avec leurs<br />

conceptions matérialistes, eussent dû être à l’avant-gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> telles enquêtes : le climat,<br />

comme l’a souligné l’un d’entre eux, Kautsky, n’est-il pas lui aussi, selon le vocabulaire<br />

du vieux Karl, une « force <strong>de</strong> production » ? À vrai dire, même si la contribution<br />

marxienne en ce domaine fut insuffisante, on citera néanmoins, historico-climatiques,<br />

les noms respectés d’Alain Croix, Guy Lemarchand <strong>et</strong> <strong>de</strong> Guy Bois, auxquels<br />

s’ajoutent, hors marxisme, les contributions majeures <strong>de</strong> François Lebrun, Jean<br />

Nicolas, Jean-Yves Grenier, grands dépen<strong>de</strong>urs d’archives. Mes trois livres très<br />

récents, après quelques autres, posent les bases d’une chronologie : celle du p<strong>et</strong>it<br />

optimum médiéval alias POM, allant du ix e siècle au xiii e , parfaitement exploré<br />

aussi grâce aux <strong>travaux</strong> (belges) <strong>de</strong> Pierre Alexandre, complémentaires <strong><strong>de</strong>s</strong> miens <strong>de</strong><br />

l’époque 2000-2008. M’aidant <strong><strong>de</strong>s</strong> enquêtes <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> Berne (Pfister, Luterbacher,<br />

Holzhauseer) j’ai décrit le p<strong>et</strong>it âge glaciaire (FAG, allant <strong>de</strong> 1300 à 1860, dates<br />

larges), avec sa variabilité considérable. J’ai affiné divers détails, tout en esquissant les<br />

gran<strong><strong>de</strong>s</strong> lignes du phénomène, ou certaines d’entre elles. J’ai remis ce FAG en


PROFESSEURS HONORAIRES 875<br />

chantier dans mes <strong>de</strong>rnières contributions <strong>et</strong> j’ai tenté par ailleurs d’en préciser<br />

l’impact humain, par météo trop froi<strong>de</strong> <strong>et</strong> trop humi<strong>de</strong> ; famines, <strong>et</strong>c., avec leur<br />

prélèvement mortel sur les populations, 1 300 000 morts français en 1693 ; <strong>et</strong><br />

600 000 en 1709. Et puis la canicule <strong>de</strong> 1718-1719 avec ses 450 000 morts surtout<br />

infantiles (dysenterie, déshydratation, <strong>et</strong>c.) J’ai proposé, au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la Fron<strong>de</strong> un ou<br />

plusieurs concepts <strong>de</strong> politisation du climat. Ils <strong>de</strong>viennent infiniment plus évi<strong>de</strong>nts<br />

en 1788-1789 <strong>et</strong> en 1845-1846-1848, du moins quant à l’inscription chronologique<br />

<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux pré-révolutions <strong>et</strong> révolutions dont les causalités profon<strong><strong>de</strong>s</strong> nonécologiques,<br />

(politiques, culturelles, <strong>et</strong>c.), nous sont exposées par ailleurs dans les<br />

grands <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Fur<strong>et</strong>, Ozouf, Soboul… Politisation, bien sûr, qui va revenir à<br />

l’ordre du jour lors <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> chaleurs <strong>de</strong> 2003 ; anticipatrices du global warming ?<br />

Avec sa vaste base CLIM-HIST, Christian Pfister nous a offert une superbe<br />

histoire du climat suisse <strong>de</strong> 1530 à nos jours. En <strong>France</strong>, les données disponibles ou<br />

enfouies dans les Archives sont littéralement innombrables. On attend toujours, <strong>et</strong><br />

sans doute suis-je le premier coupable, que soit créée dans le même esprit pfistérien<br />

une data bank à la française, recensant les faits climatiques bon an mal an, mois par<br />

mois, saison par saison, <strong>de</strong>puis dix siècles. Mes <strong>travaux</strong> susdits, mes ouvrages <strong>de</strong> ces<br />

<strong>de</strong>rnières années, y compris 2007-2008, ainsi que ceux <strong>de</strong> Pascal Yiou <strong>et</strong> <strong>de</strong> Madame<br />

Daux sur les dates <strong>de</strong> vendanges constituent <strong><strong>de</strong>s</strong> pierres d’attente à c<strong>et</strong> égard.<br />

Ils justifient, me semble-t-il, leur brève mention dans le présent annuaire, compte<br />

tenu <strong>de</strong> l’existence, par ailleurs, d’une prestigieuse Chaire d’Evolution du climat <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> l’océan dont notre éminent collègue Edouard Bard est le titulaire. Sur ce point,<br />

l’Histoire doit donc cé<strong>de</strong>r le pas aux sciences dures.<br />

Livres<br />

Histoire humaine <strong>et</strong> comparée du climat, 2 vol., Fayard, 2004 <strong>et</strong> 2006.<br />

Abrégé <strong>de</strong> l’Histoire du Climat du Moyen Age à nos jours. Entr<strong>et</strong>iens avec Anouchka Vasak,<br />

Fayard, 2007.<br />

a) Travaux en <strong>cours</strong><br />

M. Jean-Clau<strong>de</strong> Pecker, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences)<br />

Astrophysique théorique, 1964-1988<br />

I. Travaux <strong>et</strong> publications<br />

Mes <strong>travaux</strong> se poursuivent dans les directions suivantes :<br />

(i) L’étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> la publication <strong><strong>de</strong>s</strong> correspondances <strong>de</strong> Jérôme Lalan<strong>de</strong> (en<br />

collaboration avec Mme Simone Dumont, astronome à l’Observatoire <strong>de</strong> Paris),


876 PROFESSEURS HONORAIRES<br />

continuent par l’analyse <strong>de</strong> la correspondance <strong>de</strong> Lalan<strong>de</strong> avec ses correspondants<br />

<strong>de</strong> l’Académie <strong>de</strong> Berlin, notamment les Bernouilli, <strong>et</strong> von Zach, <strong>et</strong> se complètent<br />

par <strong><strong>de</strong>s</strong> textes (sous presse) sur Lalan<strong>de</strong>, <strong>et</strong> sur Voltaire.<br />

(ii) Histoire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, volume II, pour ce qui concerne l’astronomie ;<br />

Histoire <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences, pour ce qui concerne l’astronomie.<br />

(iii) Détermination <strong>de</strong> la contribution locale (stellaire <strong>et</strong> galactique) au<br />

rayonnement <strong>de</strong> fond du ciel dans les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> longueurs d’on<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> « microon<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

» radioélectriques, <strong>et</strong> les conséquences cosmologiques <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te détermination<br />

(collaboration avec les Professeurs J.V. Narlikar, Pune, In<strong>de</strong>, <strong>et</strong> C. Wickramasinghe,<br />

Cardiff, UK).<br />

(iv) Évaluation <strong>de</strong> l’influence <strong>de</strong> l’évolution stellaire dans les premières phases<br />

<strong>de</strong> la formation <strong><strong>de</strong>s</strong> planètes.<br />

(v) Continuation <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’origine astronomique <strong><strong>de</strong>s</strong> pétroglyphes du<br />

Mont Bégo (Alpes-Maritimes), perm<strong>et</strong>tant leur datation (avec M me A. Échassoux<br />

<strong>et</strong> le Professeur H. <strong>de</strong> Lumley, du Laboratoire <strong>de</strong> Paléo-anthropologie du Lautar<strong>et</strong><br />

à Nice).<br />

b) Ouvrages<br />

Simone Dumont & J.-C. P., Lalandiana I, Correspondances <strong>de</strong> Jérôme Lalan<strong>de</strong>, 1, L<strong>et</strong>tres<br />

à sa chère Pantomaté ; 2, L<strong>et</strong>tres à l’astronome Honoré Flaugergues, Vrin éd., 2007.<br />

c) Préfaces <strong><strong>de</strong>s</strong> ouvrages suivants<br />

Simone Dumont, Lalan<strong>de</strong>, un astronome <strong><strong>de</strong>s</strong> Lumières, Vuibert éd., 2007.<br />

Pierre Bayart, La Méridienne <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Baleares éd., 2007.<br />

Françoise Launay, Jules Janssen, globe-trotter <strong>de</strong> la physique solaire, Vuibert éd., 2008.<br />

d) Articles divers<br />

J.-C. P. Galaxies <strong>de</strong> marée, dans : L’Astronomie, mai 2007.<br />

J.-C. P. Les astronomes du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, dans : L’astronomie, 2007 ; c<strong>et</strong> article a été<br />

reproduit dans La L<strong>et</strong>tre du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, n° 22 <strong>et</strong> n° 23, 2008.<br />

De Lumley, H., Echassoux, A., J.-C. P., Romain, O., Figurations <strong>de</strong> l’amas stellaire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Pléia<strong><strong>de</strong>s</strong> sur <strong>de</strong>ux roches gravées <strong>de</strong> la région du Mont Bégo, dans : L’anthropologie, 111, 2007,<br />

p. 755-824.<br />

J.-C. P., Le Programme <strong>de</strong> Versailles, dans : Les débuts <strong>de</strong> la Recherche Spatiale Française :<br />

Au temps <strong><strong>de</strong>s</strong> fusées–son<strong><strong>de</strong>s</strong>, Institut Français d’Histoire <strong>de</strong> l’Espace éd., 2008, p. 229-230.<br />

J.-C. P. Interview par Mme Pinhas, pour l’Histoire du CNRS : P<strong>et</strong>ite <strong>et</strong> gran<strong>de</strong> histoire<br />

d’astrophysique, sous presse.<br />

J.-C. P. Interview par Christian Seguin, Au ciel <strong>de</strong> l’enfance, dans le quotidien Sud-Ouest,<br />

20 juin 2008.


PROFESSEURS HONORAIRES 877<br />

II. Missions diverses, conférences <strong>et</strong> colloques<br />

(1) 13 juin 2007, Observatoire <strong>de</strong> Paris, Colloque Lalan<strong>de</strong> – Loewy. Contribution :<br />

Napoléon contre Lalan<strong>de</strong>.<br />

(2) Hendaye, 2 août 2007 : Conférence publique à l’Observatoire d’Abbadia : Les matins<br />

d’un astronome solaire.<br />

(3) Bourg-en-Bresse, 9-10 octobre 2007, à l’occasion <strong>de</strong> l’exposition Lalan<strong>de</strong>, conférence :<br />

Lalan<strong>de</strong> <strong>et</strong> Bourg-en-Bresse.<br />

(4) Beijing, Chine, 15-21 novembre 2007, Science and human <strong>de</strong>velopment, colloque<br />

organisé par le Center of Inquiry Transnational <strong>de</strong> Beijing. Deux conférences en anglais sur<br />

Popularisation of science, <strong>et</strong> sur Creationism in cosmology.<br />

(5) Shanghai, Chine, 21-29 novembre 2007 : participation au Symposium <strong>de</strong> l’Union<br />

Astronomique Internationale, Astronomy of the microsecond.<br />

(6) Cardiff (Wales, UK) 11-18 décembre 2007 : discussions scientifiques à l’Université<br />

avec mon collègue anglais Ch.Wickramasinghe. Rédaction d’un mémoire en commun sur<br />

le rayonnement cosmologique.<br />

(7) École normale supérieure, Paris, 2008, colloque en hommage à Robert Dautray sur<br />

Le transfert radiatif. Contribution : Les modèles <strong><strong>de</strong>s</strong> atmosphères solaire <strong>et</strong> stellaires : construction<br />

<strong>et</strong> limites.<br />

(8) Strasbourg, 28 avril 2008, Observatoire <strong>de</strong> Strasbourg. Réunion mensuelle <strong>de</strong> l’Union<br />

Rationaliste. Conférence : Le débat sur le « big bang ».<br />

(9) Strasbourg, 29 avril 2008, IRIST, Université <strong>de</strong> Strasbourg. Conférence: Le traitement<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> images <strong>et</strong> les observations <strong>de</strong> galaxies.<br />

(10) Bor<strong>de</strong>aux, 29-30 mai 2008, colloque à l’Observatoire <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux-Floirac, sur La<br />

(re)fondation <strong><strong>de</strong>s</strong> observatoires astronomiques sous la III e République. J.-C. P. a présidé<br />

l’ensemble du Colloque <strong>et</strong> prononcé une Allocution d’ouverture ; en fin <strong>de</strong> colloque, il en a<br />

tiré les Conclusions. Ces <strong>de</strong>ux textes seront publiés dans les Actes du colloque.<br />

M. Daniel Roche<br />

Histoire <strong>de</strong> la <strong>France</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Lumières, 1999-2005<br />

Activités <strong>de</strong> recherches<br />

Mes activités <strong>de</strong> recherches se poursuivent dans trois directions principales.<br />

1) La participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> activités d’organisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> coordination éditoriale<br />

ou <strong>de</strong> diffusion. Je prési<strong>de</strong> le Comité éditorial <strong>de</strong> la Revue d’Histoire Mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong><br />

Contemporaine qui a mis en chantier plusieurs numéros spéciaux importants<br />

(fascisme italien, maladies professionnelles, histoire du climat, genèse au temps <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

révolutions). Je dirige <strong>et</strong> participe à l’édition <strong><strong>de</strong>s</strong> Mémoires, Mes loisirs ou Journal<br />

d’événements tels qu’ils parviennent à ma connaissance (1753-1783). Ce texte<br />

fondamental pour la culture <strong>et</strong> l’histoire du XVIII e siècle français <strong>et</strong> européen a été<br />

publié dans le cadre d’une coopération <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, commencée en 2000


878 PROFESSEURS HONORAIRES<br />

avec l’association <strong>de</strong> l’IHMC (CNRS-ENS), <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Laval au Canada <strong>et</strong><br />

la collaboration <strong>de</strong> l’équipe du Professeur Pascal Bastien <strong>de</strong> l’Université du Québec<br />

à Montréal. Le tome 1 est sorti au premier trimestre 2008, il sera suivi d’une<br />

dizaine <strong>de</strong> volumes que complèteront les actes <strong>de</strong> rencontres organisées au <strong>Collège</strong><br />

autour du texte.<br />

2) Je poursuis mon travail dans le domaine <strong>de</strong> la culture équestre. Un premier<br />

tome, le Cheval moteur, a été publié chez Fayard. Il montre l’accroissement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

chevaux suscité par le besoin d’énergie entre le XVI e <strong>et</strong> le XIX e siècle <strong>et</strong> il inverse<br />

l’habituelle analyse <strong>de</strong> l‘histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> chevaux <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes en conférant à l’utilité,<br />

à la ville, au mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> producteurs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> utilisateurs le rôle premier. Le suj<strong>et</strong><br />

souligne l’importance d’une histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques confrontée au<br />

vivant, à l’aléa agricole dans l’élevage, à l’aléa social dans les usages. Au centre du<br />

livre, du village à la cité, <strong>de</strong> la route aux auberges, on r<strong>et</strong>rouve les acteurs <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

révolutions majeures, celle du triomphe <strong><strong>de</strong>s</strong> véhicule, celles <strong>de</strong> la sélection <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

nouveaux chevaux. La prochaine étape consiste à r<strong>et</strong>rouver autrement ces<br />

transformations en reprenant l’analyse <strong>de</strong> l’économie matérielle <strong>et</strong> sociale <strong>de</strong> la<br />

distinction. Pouvoir, pédagogie, guerres seront d’abord les trames principales <strong>de</strong><br />

c<strong>et</strong>te histoire socio-culturelle <strong>de</strong> la culture équestre.<br />

3) Dans le cadre <strong>de</strong> l’IHMC, après avoir achevé l’enquête sur les capitales<br />

culturelles <strong>et</strong> contribué à conclure le volume, dirigé par C. Charle, Le Temps <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

capitales culturelles européennes (XVIII e -XX e siècle) (sous presse aux Editions<br />

Champvallon), je participe à la mise en route d’une nouvelle entreprise consacrée<br />

à l’Histoire <strong>de</strong> l’internationalisation culturelle en Europe <strong>de</strong> 1750 à 1950. Il s’agit<br />

<strong>de</strong> mesurer les circulations internationales <strong>et</strong> transnationales, les échanges <strong>et</strong> les<br />

refus culturels. Dans une première étape, le séminaire <strong>de</strong> l’IHMC sera consacré à<br />

une réflexion générale critique sur l’historiographie <strong>et</strong> les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> à utiliser dans<br />

le proj<strong>et</strong>. Parallèlement, il définira autour <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre axes principaux le choix <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

problèmes à abor<strong>de</strong>r : ceux du livre <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> traductions, ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> usages politiques<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> circulations culturelles dans la construction <strong><strong>de</strong>s</strong> empires européens, ceux <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

savoirs sociaux <strong>et</strong> techniques, enfin les questions <strong><strong>de</strong>s</strong> circulations artistiques.<br />

Livres<br />

Publications<br />

A Cheval ! Ecuyers, amazones <strong>et</strong> cavaliers du XVIe au XXIe siècle, sous la direction <strong>de</strong><br />

D. Roche <strong>et</strong> D. Reytier, Paris, Association pour l’Académie équestre <strong>de</strong> Versailles, 2008,<br />

400 p.<br />

La culture équestre occi<strong>de</strong>ntale, XVIe-XIXe siècles, L’Ombre du cheval, T. 1, Le cheval moteur,<br />

Paris, A. Fayard, 479 p.<br />

Simeon Prosper Hardy, Mes loisirs, vol. 1, 1753-1770, Québec Presses <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong><br />

Laval, sous la direction <strong>de</strong> D. Roche <strong>et</strong> P. Bastien, 2008, 836 p.


Articles<br />

PROFESSEURS HONORAIRES 879<br />

« Voltaire, du voyage à la philosophie », Studies on Voltaire, Oxford, 2008, pp. 43-60.<br />

« Ménétra <strong>et</strong> la femme », Mélanges Maurice Gress<strong>et</strong>, P. Delsalle ed., Besançon, Annales <strong>de</strong><br />

l’Université <strong>de</strong> Franche-Comté, 2008, 820, 28, pp. 349-357.<br />

1) Livres<br />

M me Jacqueline <strong>de</strong> Romilly, <strong>de</strong> l’Académie française<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres<br />

La Grèce <strong>et</strong> la formation <strong>de</strong> la pensée morale <strong>et</strong> politique, 1973-1984<br />

— Le sourire innombrable, éd. De Fallois, janvier 2008, 125 p.<br />

2) Conférences<br />

— « Osons parler <strong>de</strong> la vertu ! », conférence d’introduction au colloque sur la vertu, à<br />

l’Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong>, le 12 décembre 2007.<br />

3) Autres activités<br />

— Divers articles sur la Grèce, <strong>et</strong> diverses introductions ou l<strong>et</strong>tres d’introduction à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

livres d’enseignement <strong>et</strong> <strong>de</strong> culture grecque ou <strong>de</strong> langue française. Nombreuses interviews<br />

sur ces divers suj<strong>et</strong>s.<br />

— Participation au film <strong>de</strong> la série Empreintes pour <strong>France</strong> 5, le 25 janvier 2008.<br />

M. Jean-Pierre Serre, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences)<br />

Algèbre <strong>et</strong> géométrie, 1956-1994<br />

Publications<br />

— Three l<strong>et</strong>ters to Walter Feit on group representations and quaternions, J. Algebra 319<br />

(2008), 549-557.<br />

— Two l<strong>et</strong>ters to Jaap Top, in “Algebraic Geom<strong>et</strong>ry and its Applications” (J. Chaumine,<br />

J. Hirschfeld & R. Rolland edit.), World Sci.Publ.Co. (2008), pp. 84-87.<br />

Cours<br />

— Finite Groups in Number Theory (10 exposés), Harvard, septembre-octobre 2007.


880 PROFESSEURS HONORAIRES<br />

Exposés<br />

— Discr<strong>et</strong>e groups of rotations in 3-space, Harvard, septembre 2007.<br />

— Variation with p of the number of solutions mod p of a system of polynomial equations,<br />

Brown University, octobre 2007; Vancouver, mai 2008.<br />

— Comment utiliser les corps finis pour <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes concernant les corps infinis, C.I.R.M.,<br />

Luminy, novembre 2007.<br />

— L’arithmétique <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes <strong>de</strong> Cremona, C.I.R.M., Luminy, décembre 2007.<br />

— Représentations linéaires <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes finis en caractéristique p > 0, Marseille, décembre<br />

2007 ; E.P.F.L., Lausanne, décembre 2007 (2 exposés).<br />

— Sous-groupes finis du groupe <strong>de</strong> Cremona (propriétés arithmétiques), Chevaler<strong>et</strong>, janvier<br />

2008.<br />

— Finite subgroups of G(k) where G is a reductive group, Bielefeld, février 2008.<br />

— Finite subgroups of Cr(k), where Cr is the Cremona group in 2 variables, Bielefeld,<br />

février 2008.<br />

— Lie groups and prime numbers, Vancouver, mai 2008.<br />

— Le groupe <strong>de</strong> Cremona, Montréal, juin 2008.<br />

Distinction<br />

Doctorat honoris causa <strong>de</strong> l’université McGill, Montréal, mai 2008.<br />

M. Jacques Thuillier<br />

Histoire <strong>de</strong> la création artistique 1977-1998<br />

Durant l’année <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> <strong>et</strong> <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> 2005-2006 notre attention a été requise<br />

par un événement exceptionnel autant qu’inattendu : la restauration complète <strong>de</strong><br />

la Galerie <strong><strong>de</strong>s</strong> Glaces au château <strong>de</strong> Versailles. Une occasion unique s’offrait<br />

d’examiner <strong>de</strong> tout près les peintures <strong>de</strong> Le Brun, les sculptures <strong>et</strong> les ornements.<br />

De c<strong>et</strong>te expérience sont issus à la fin <strong>de</strong> 2007 un p<strong>et</strong>it fascicule en couleurs <strong>de</strong><br />

128 pages publié par les éditions Gallimard, <strong>et</strong> dans le grand volume imprimé par<br />

les éditions Faton, un chapitre d’introduction : Charles Le Brun <strong>et</strong> la Galerie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Glaces : un moment <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’art français (p. 22-29).<br />

Les temps <strong>de</strong> parution, qui se croisaient avec <strong>de</strong> malencontreuses difficultés <strong>de</strong><br />

santé, nous ont empêché <strong>de</strong> faire état ici <strong>de</strong> ces <strong>travaux</strong>.<br />

Après le contact direct avec les œuvres, nous avons cru opportun <strong>de</strong> revenir<br />

durant c<strong>et</strong>te année 2006-2007 au domaine <strong>de</strong> la réflexion, <strong>et</strong> nous avons tenu à<br />

reprendre <strong>et</strong> conduire à sa fin un proj<strong>et</strong> longtemps caressé, mais que <strong><strong>de</strong>s</strong> circonstances<br />

diverses nous avaient plusieurs fois contraint d’interrompre. Il s’agit <strong>de</strong> la publication<br />

<strong>de</strong> la correspondance <strong>de</strong> Nicolas Poussin.


PROFESSEURS HONORAIRES 881<br />

Le public <strong>et</strong> les érudits ne disposent que d’une édition qui remonte à 1911. Elle<br />

est due à Charles Jouanny, <strong>et</strong> par conséquent savante <strong>et</strong> intelligente. Mais elle n’a<br />

jamais été réimprimée <strong>et</strong> il est <strong>de</strong>venu malaisé d’en trouver un exemplaire. En un<br />

siècle seules peu <strong>de</strong> l<strong>et</strong>tres nouvelles sont apparues ; mais en revanche <strong>de</strong> nombreux<br />

documents ou <strong><strong>de</strong>s</strong> fragments importants sont venus compléter notre savoir.<br />

D’autre part le public <strong><strong>de</strong>s</strong> « poussinistes » s’est multiplié. Il dépasse largement la<br />

<strong>France</strong>, l’Allemagne, l’Italie, l’Angl<strong>et</strong>erre <strong>et</strong> le Japon. Or ce public souhaite un<br />

texte minutieusement établi à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> originaux <strong>de</strong> l’artiste. En même temps il<br />

a bien souvent quelque peine à pénétrer l’orthographe <strong>et</strong> le vocabulaire du vieil<br />

artiste. Nous n’avons pas cru que doubler le texte <strong>de</strong> Poussin d’une version<br />

mo<strong>de</strong>rnisée serait une offense ou une pru<strong>de</strong>nce superflue.<br />

Nous pensons livrer ainsi une approche commo<strong>de</strong> <strong>de</strong> la correspondance qui nous<br />

reste <strong>de</strong> Poussin. L’expérience <strong>de</strong> l’enseignement nous a trop prouvé l’utilité d’une<br />

annotation en marge <strong>de</strong> tous les textes anciens pour que nous ayons cru <strong>de</strong>voir nous<br />

contenter <strong>de</strong> brefs renvois. De plus, il nous a semblé qu’il convenait <strong>de</strong> compléter la<br />

correspondance par la réunion <strong><strong>de</strong>s</strong> multiples testaments <strong>de</strong> l’artiste. On les avait<br />

jusqu’ici négligés. En marge <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres, ils offrent une image <strong>de</strong> Poussin, tout compte<br />

fait, non moins sincère. Il en va pareillement <strong>de</strong> l’inventaire après décès.<br />

En 1911, la Correspondance <strong>de</strong> Nicolas Poussin <strong>de</strong> Charles Jouanny comportait<br />

déjà xvi – 524 pages. On ne s’étonnera pas qu’après cent ans la remise au point nous<br />

ait réclamé plus d’une année <strong>de</strong> travail. Nous souhaitons seulement qu’elle puisse<br />

réveiller la critique. Ainsi, en 1960, la gran<strong>de</strong> exposition Poussin voulue par André<br />

Chastel <strong>et</strong> organisée au Louvre par Sir Anthony Blunt a multiplié les manifestations<br />

consacrées aux peintures <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>sins <strong>de</strong> l’artiste. Peut-être une relecture <strong>de</strong> ses textes<br />

pourra-t-elle pareillement ai<strong>de</strong>r à nous rapprocher <strong>de</strong> sa pensée.<br />

I — Missions <strong>et</strong> activités<br />

M. Pierre Toubert, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres)<br />

Histoire <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt méditerranéen au Moyen Âge<br />

Rapport d’activité 2007-2008<br />

— Les 3-6 mai 2007, le professeur a participé à Madrid à la réunion du Comité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Publications <strong>de</strong> la Casa <strong>de</strong> Velázquez dont il est d’autre part membre du Conseil<br />

d’Administration.<br />

— Du 16 au 30 mai 2007, il a donné une série <strong>de</strong> conférences à l’Université <strong>de</strong> Nagoya<br />

(Japon). Le 22 mai, il a reçu le Prix spécial (Award) pour 2007 <strong>de</strong> la Japan Soci<strong>et</strong>y for<br />

Promotion of Science qui lui a été remis par le professeur Ono, directeur du J.S.P.S. <strong>et</strong><br />

secrétaire d’Etat à la Recherche.


882 PROFESSEURS HONORAIRES<br />

— Du 18 au 23 juin, il a co-dirigé avec le professeur Michel Zink un séminaire <strong>de</strong><br />

recherches <strong>de</strong> la Fondation <strong><strong>de</strong>s</strong> Treilles qui avait pour obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre au point la publication<br />

par les Editions Fayard <strong>de</strong> l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> leçons inaugurales <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong> relatives au Moyen Age <strong>et</strong> à la Renaissance.<br />

— Le 25 septembre, il a participé au jury qui a décerné le Grand Prix <strong>de</strong> l’Histoire<br />

Augustin-Thierry, prix annuel du Centre européen <strong>de</strong> Promotion <strong>de</strong> l’Histoire (Blois).<br />

— Du 4 au 8 octobre, il a participé au Colloque International organisé à la Villa Kerylos<br />

<strong>de</strong> Beaulieu sur Mer par l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres. Il y a donné une<br />

communication intitulée : « Dis<strong>et</strong>tes, famines <strong>et</strong> contrôle du risque alimentaire dans le<br />

mon<strong>de</strong> méditerranéen au Moyen Age ».<br />

— Du 8 au 12 novembre, il a participé à Rome au Colloque International organisé par<br />

l’Istituto storico italiano per il Medioevo pour célébrer l’achèvement du Repertorium Fontium<br />

Medii Aevi, dit « le nouveau Potthast ». Il a à c<strong>et</strong>te occasion donné la conférence d’ouverture<br />

sur « L’œuvre d’August Potthast, 1862-1895 ».<br />

— Du 23 au 25 novembre, il a participé à Madrid à la réunion périodique du Comité<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Publications <strong>de</strong> la Casa <strong>de</strong> Velázquez.<br />

— Le professeur a été nommé en octobre 2007 membre du Conseil Scientifique <strong>de</strong> la<br />

Fondation <strong><strong>de</strong>s</strong> Treilles (Fondation Schlumberger – Grüner) <strong>et</strong> il a participé à la réunion<br />

dudit Conseil le 11 février 2008.<br />

— Les 14 mars <strong>et</strong> 26 juin 2008, il a participé aux réunions du Conseil Scientifique <strong>de</strong><br />

l’Ecole Nationale <strong><strong>de</strong>s</strong> Chartes dont il fait partie au titre <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />

— Le 17 mars 2008, il a organisé au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> la réunion <strong><strong>de</strong>s</strong> membres belges<br />

<strong>et</strong> français du Comité <strong>de</strong> Rédaction <strong>de</strong> la revue Le Moyen Age dont il est l’un <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

co-directeurs.<br />

— Du 8 au 12 mai 2008, il a accompli une mission à Madrid <strong>et</strong> participé au Comité<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Publications <strong>de</strong> la Casa <strong>de</strong> Velázquez.<br />

— Le 23 juin 2008, il a participé à la réunion du Conseil d’Administration <strong>de</strong> l’Ecole<br />

Normale Supérieure <strong>de</strong> Lyon (E.N.S. – L.S.H.).<br />

II — Publications sous presse<br />

1) « La perception sociale du risque dans le mon<strong>de</strong> méditerranéen au Moyen Age », dans les<br />

Actes du colloque sur Les sociétés méditerranéennes <strong>de</strong>vant le risque, réuni à la Casa <strong>de</strong><br />

Velázquez (Madrid) du 29 septembre au 1 er octobre 2003, sous la direction <strong>de</strong> G.<br />

Chastagnar<strong>et</strong> (éd.).<br />

2) « La percezione <strong>de</strong>l rischio nella pastorizia <strong>de</strong>l mondo mediterraneo nord-occi<strong>de</strong>ntale »,<br />

dans les Actes du congrès international La pastorizia nel Mediterraneo, Storia e dirrito<br />

(sec. XI-XX), Alghero (Sassari), 7-11 novembre 2006, en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> publication sous la<br />

direction d’A. Mattone, Publications <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Sassari.<br />

3) « Dis<strong>et</strong>tes, famines <strong>et</strong> contrôle du risque alimentaire dans le mon<strong>de</strong> méditerranéen au<br />

Moyen Age », à paraître dans les Actes <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques <strong>de</strong> la Villa Kerylos, vol. XIX, Pratiques<br />

<strong>et</strong> dis<strong>cours</strong> alimentaires en Méditerranée <strong>de</strong> l’Antiquité à la Renaissance », Académie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres, éd. De Boccard, octobre 2008.


Université <strong>de</strong> la Rochelle<br />

ENSEIGNEMENT DES PROFESSEURS<br />

EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER<br />

EN FRANCE<br />

M. Christian G OUDINEAU (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Antiquités nationales) a<br />

donné au printemps 2008, 6 <strong>cours</strong> sur : Questions relatives à l’économie <strong>et</strong> à<br />

la religion <strong>de</strong> la Gaule.<br />

Université <strong>de</strong> Nice Sophia-Antipolis<br />

M. Antoine Labeyrie (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Astrophysique observationnelle) a<br />

donné en mars 2008, 3 <strong>cours</strong> sur : Exo-planètes, étoiles <strong>et</strong> galaxies : progrès <strong>de</strong><br />

l’observation <strong>et</strong> 3 séminaires sur : Séminaire général d’astrophysique.<br />

Institut <strong>de</strong> génétique <strong>et</strong> <strong>de</strong> biologie moléculaire <strong>et</strong> cellulaire (IGBMC) -<br />

Strasbourg<br />

M me Christine P<strong>et</strong>it (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Génétique <strong>et</strong> Physiologie cellulaire)<br />

a donné en avril 2008, 2 <strong>cours</strong> sur : Audition <strong>et</strong> surdités héréditaires :<br />

1. Traitement <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux acoustiques dans la cochlée ; 2. Des gènes à la<br />

physiologie moléculaire <strong>de</strong> la cochlée.<br />

Université Marc Bloch <strong>de</strong> Strasbourg<br />

M. John Scheid (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Religion, Institutions <strong>et</strong> Société <strong>de</strong> la<br />

Rome antique) a donné au printemps 2008, 4 séminaires sur : Les cultes <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

eaux.


884 ENSEIGNEMENT DES PROFESSEURS EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER<br />

Université Louis Pasteur <strong>de</strong> Strasbourg<br />

M. Jean-Marie Lehn (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions<br />

moléculaires) a donné en décembre 2007 - janvier 2008, 3 <strong>cours</strong> sur : Autoorganisation<br />

supramoléculaire. Systèmes organiques <strong>et</strong> inorganiques <strong>et</strong> 7 séminaires,<br />

d’octobre 2007 à juin 2008, sur : Progrès récents en chimie moléculaire <strong>et</strong><br />

supramoléculaire.<br />

M. Jean-Louis Man<strong>de</strong>l (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Génétique humaine) a donné<br />

1 <strong>cours</strong> sur : Génétique <strong>de</strong> la dégénérescence maculaire liée à l’âge.<br />

Faculté <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> Rangueil,Toulouse<br />

M. Pierre Corvol (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine expérimentale) a donné<br />

en mars 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : Système rénine <strong>et</strong> angiogenèse.<br />

Université <strong>de</strong> Toulouse-le Mirail<br />

M. Michel Zink (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale)<br />

a donné du 26 novembre au 1 er décembre 2007, 2 <strong>cours</strong> sur : Poèmes raisonneurs<br />

<strong>et</strong> récits poétiques : novas occitanes <strong>et</strong> Pais br<strong>et</strong>ons.<br />

ALLEMAGNE<br />

ENSEIGNEMENT À L’ÉTRANGER<br />

Université <strong>de</strong> Bonn (Chaire Ernst Robert Curtius)<br />

M. John Scheid (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Religion, Institutions <strong>et</strong> Société <strong>de</strong> la<br />

Rome antique) a donné en janvier 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : Le sens <strong><strong>de</strong>s</strong> rites dans la<br />

religion romaine <strong>et</strong> 1 séminaire en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>.<br />

M. Michel Zink (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale)<br />

a donné en mai 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : La poésie comme récit. Exemples<br />

médiévaux.<br />

Université <strong>de</strong> Kiel<br />

M. Édouard Bard (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan) a<br />

donné en octobre 2007, 1 <strong>cours</strong> sur : The tropical record of abrupt climate<br />

changes.


BELGIQUE<br />

ENSEIGNEMENT DES PROFESSEURS EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER 885<br />

Université Libre <strong>de</strong> Bruxelles<br />

M. Édouard Bard (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan) a<br />

donné en février 2008, 1 <strong>cours</strong> <strong>et</strong> 2 séminaires sur : Climats du passé <strong>et</strong> du futur.<br />

BRÉSIL<br />

Université <strong>de</strong> São-Paulo (Chaire Levi-Strauss)<br />

M me Mireille Delmas-Marty (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques <strong>et</strong><br />

internationalisation du droit) a donné en octobre 2007, 4 <strong>cours</strong> sur : Le droit<br />

pénal <strong>de</strong> l’inhumain <strong>et</strong> 2 séminaires en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>.<br />

CANADA<br />

Université <strong>de</strong> Montréal - Université <strong>de</strong> Vancouver<br />

M. Alain Berthoz (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l’action) a donné en mai 2008, 4 <strong>cours</strong> sur : Principes simplificateurs dans les<br />

mécanismes cérébraux <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action.<br />

CHINE<br />

Institute of Otolaryngology, Chinese PLA General Hospital, Beijing<br />

M me Christine P<strong>et</strong>it (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Génétique <strong>et</strong> physiologie cellulaire)<br />

a donné 5 <strong>cours</strong> sur : Hearing and <strong>de</strong>afness.<br />

City University of Hong Kong<br />

M. Jean-Marie Lehn (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions<br />

moléculaires) a donné en octobre 2007, 4 <strong>cours</strong> sur : Supramolecular Chemistry -<br />

From Molecular Recognition towards Self-Organization.<br />

GRANDE-BRETAGNE<br />

Maison française d’Oxford<br />

M. Pierre Briant (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong><br />

achéméni<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’empire d’Alexandre) a donné en novembre 2007, 2 <strong>cours</strong> sur :<br />

Recherches récentes sur l’empire achéméni<strong>de</strong>.


886 ENSEIGNEMENT DES PROFESSEURS EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER<br />

Université <strong>de</strong> Cambridge<br />

M. Édouard Bard (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan) a<br />

donné en janvier 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : The ocean record of the last <strong>de</strong>glaciation.<br />

ÉTATS-UNIS<br />

Université <strong>de</strong> Chicago<br />

M. Édouard Bard (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan) a<br />

donné en octobre 2007, 3 <strong>cours</strong> sur : High latitu<strong>de</strong> and tropical records of rapid<br />

climate changes.<br />

M. Stanislas Dehaene (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Psychologie cognitive<br />

expérimentale) a donné en février 2008, 3 <strong>cours</strong> sur : « Reading in the brain » :<br />

1 - The visual word form area : myth or reality ?<br />

2 - Mirror errors : evi<strong>de</strong>nce for neuronal recycling in reading acquisition.<br />

3 - Subliminal and supraliminal processing of words and digits.<br />

M. Serge Haroche (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Physique quantique) a donné en<br />

septembre-octobre 2007, 4 <strong>cours</strong> sur : Exploring the quantum dynamics of<br />

atoms and photons in cavities.<br />

M. Michel Zink (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale)<br />

a donné en avril 2008, 2 <strong>cours</strong> sur : Poésie courtoise, nouvelles courtoises, <strong>et</strong><br />

4 séminaires sur : Ce que la poésie raconte.<br />

Massachus<strong>et</strong>ts Institute of Technology - Université <strong>de</strong> Harvard -<br />

Université <strong>de</strong> Portland<br />

M. Alain Berthoz (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l’action) a donné en mai 2008, 5 <strong>cours</strong> sur : Principes simplificateurs dans les<br />

mécanismes cérébraux <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action.<br />

Université <strong>de</strong> Yale, New Haven<br />

M. Michel Devor<strong>et</strong> (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Physique mésoscopique) a donné<br />

en octobre 2007, 3 <strong>cours</strong> sur : « Single Electron Effects in Mesoscopic Systems ».


GRÈCE<br />

Université d’Athènes<br />

ENSEIGNEMENT DES PROFESSEURS EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER 887<br />

M. Spyros Artavanis-Tsakonas (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Biologie <strong>et</strong> génétique<br />

du développement) a donné en février 2008, 3 <strong>cours</strong> sur : The <strong>de</strong>velopment<br />

biology and evolutionary implications of Notch signaling crosstalk.<br />

ITALIE<br />

Université Ca’Foscari, Venise<br />

M. Pierre-Étienne Will (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne<br />

a donné en mai 2008, 2 <strong>cours</strong> sur : 1. Militarism and the revolutionary<br />

connection in late-Qing and early Republican Shaanxi province ; 2. Engineers<br />

and state-building : Li Yizhi (1882-1938) and his circle, <strong>et</strong> 2 séminaires :<br />

Discussion <strong>de</strong> sources en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>.<br />

PAYS-BAS<br />

Université d’Utrecht<br />

M. Édouard Bard (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan) a<br />

donné en septembre 2007, 1 <strong>cours</strong> sur : The last <strong>de</strong>glaciation.<br />

SINGAPOUR<br />

Agency for Science and Technology<br />

M. Pierre Corvol (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine expérimentale) a donné<br />

en mars 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : Normal and abnormal angiogenesis.<br />

RUSSIE<br />

M.V. Lomonossov Moscow State University<br />

M. Jean-Marie Lehn (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions<br />

moléculaires) a donné en septembre-octobre 2007, 4 <strong>cours</strong> sur : Supramolecular<br />

Chemistry - From Molecular Recognition towards Self-Organization.


888 ENSEIGNEMENT DES PROFESSEURS EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER<br />

SUÈDE<br />

Université d’Uppsala<br />

M. Jean-Marie Lehn (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions<br />

moléculaires) a donné 3 <strong>cours</strong> sur : From Supramolecular Chemistry to<br />

Constitutional Dynamic Chemistry.<br />

M. Jacques Livage (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée) a<br />

donné une série <strong>de</strong> <strong>cours</strong> sur : Soft chemistry synthesis of advanced materials.<br />

M me Christine P<strong>et</strong>it (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Génétique <strong>et</strong> physiologie cellulaire)<br />

a donné 2 <strong>cours</strong> sur : Hereditary <strong>de</strong>afness : from the genes to the cellular and<br />

molecular mechanisms of hearing.<br />

SUISSE<br />

Université <strong>de</strong> la Suisse Italienne Lugano<br />

M. Carlo Ossola (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Littératures mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’Europe<br />

néolatine) a donné <strong>de</strong> septembre 2007 à mars 2008, ses <strong>cours</strong> sur : « Renaissance »<br />

<strong>et</strong> « création » au XVI e siècle.<br />

TUNISIE<br />

Université <strong>de</strong> Tunis<br />

M. Jacques Livage (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée) a<br />

donné en avril 2008, 6 <strong>cours</strong> sur : Nouvelles avancées en chimie du soli<strong>de</strong>


COURS ET CONFÉRENCES<br />

SUR INVITATION<br />

DE L’ASSEMBLÉE DES PROFESSEURS<br />

I.<br />

Chaires d’état réservées à ses savants étrangers<br />

M. Nicholas Purcell, Professeur, St. John’s College, Oxford (Gran<strong>de</strong>-Br<strong>et</strong>agne)<br />

a donné les 23 <strong>et</strong> 30 octobre, 6 <strong>et</strong> 13 novembre 2007, une série <strong>de</strong> leçons sur les<br />

suj<strong>et</strong>s suivants : 1. Devenir maritime ; 2. Les pentes <strong>de</strong> la connectivité ; 3. Aux<br />

marges <strong>de</strong> la Méditerranée : écologie, réseaux, interdépendances ; 4. Le couloir<br />

<strong>de</strong> Téthys <strong>et</strong> les problèmes <strong>de</strong> la Transeuphratène.<br />

M. Diego Gamb<strong>et</strong>ta, Professeur à Nuffield College, Université d’Oxford<br />

(Gran<strong>de</strong>-Br<strong>et</strong>agne) a donné les 27 novembre, 4, 11 <strong>et</strong> 18 décembre 2007, une série<br />

<strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong> suivant : The theory of signals and its application to<br />

human behaviour.<br />

M me Elaine Fuchs, Professeur à l’Université Rockefeller <strong>de</strong> New York (États-<br />

Unis), a donné les 8, 15, 18 <strong>et</strong> 22 janvier 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur les suj<strong>et</strong>s<br />

suivants : 1. Stem Cells : Biology, Ethics and potential for Medicine ; 2. The<br />

Biology and Gen<strong>et</strong>ics of Skin and Hair ; 3. Cell adhesion, Migration and<br />

Cancer ; 4. Stem Cells of the Skin and their Lineages.<br />

M. Orly Goldwasser, Professeur à l’Université hébraïque <strong>de</strong> Jérusalem (Israël)<br />

a donné les 22, 29 janvier, 5 <strong>et</strong> 12 février 2008, sur le suj<strong>et</strong> suivant : L’archéologie<br />

<strong>de</strong> la pensée égyptienne : classification <strong>et</strong> catégories <strong><strong>de</strong>s</strong> anciens égyptiens.<br />

M me Maria Giovanna Biga, Professeur à l’Université « La Sapienza » <strong>de</strong> Rome<br />

(Italie) a donné les 5, 12, 19 <strong>et</strong> 26 février 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong><br />

suivant : La Syrie au III e millénaire av. J.-C. d’après les archives d’Ebla. 1. La<br />

vie à la cour d’Ebla ; 2. L’organisation <strong>de</strong> l’État eblaite ; la royauté <strong>et</strong> la gestion<br />

du pouvoir ; 3. Le royaume d’Ebla <strong>et</strong> ses voisins ; 4. La religion d’Ebla.<br />

M. Leonid Kogan, Professeur à l’Université d’État <strong>de</strong> Russie, a donné les 4, 11,<br />

18 <strong>et</strong> 25 mars 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong> suivant : Les noms <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes<br />

akkadiennes dans leur contexte sémitique : 1. Introduction : terminologie


890 COURS ET CONFÉRENCES<br />

botanique générale <strong>et</strong> noms <strong><strong>de</strong>s</strong> parties <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes ; 2. Plantes sauvages ;<br />

3. Plantes domestiquées : les céréales <strong>et</strong> les légumes ; 4. Plantes domestiquées :<br />

les arbres <strong>et</strong> la vigne.<br />

M. Jose Alexandre Scheinkman, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Princ<strong>et</strong>on (États-<br />

Unis) a donné les 10, 17, 26 <strong>et</strong> 31 mars 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong><br />

suivant : Long Term Risk.<br />

M. Albert <strong>de</strong> Jong, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Lei<strong>de</strong>n (Pays-Bas) a donné les 6,<br />

13, 20 <strong>et</strong> 27 mai 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong> suivant : Les quatre phases<br />

<strong>de</strong> la religion mazdéenne.<br />

M. Ahmad Beydoun, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Beyrouth (Liban) a donné les<br />

6, 22, 27 <strong>et</strong> 29 mai 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur les suj<strong>et</strong>s suivants : 1. Du pacte<br />

<strong>de</strong> 1943 à l’accord <strong>de</strong> Taef : les résistances à la déconfessionnalisation ; 2. Ce<br />

qu’ « indépendance » voulait dire… 3. Une nouvelle donne inter-communautaire<br />

? 4. Le système politique libanais a-t-il un avenir ?<br />

M. José Emilio Burucúa, Professeur à l’Université San Martín (Argentine) a<br />

donné les 7, 14, 19 <strong>et</strong> 26 mai 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur les suj<strong>et</strong>s suivants :<br />

1. Le concept d’altérité <strong>et</strong> la représentation picturale <strong>de</strong> l’histoire d’Ulysse<br />

<strong>de</strong>puis la Renaissance ; 2. Le massacre ancien <strong>et</strong> le massacre mo<strong>de</strong>rne :<br />

problèmes d’historiographie <strong>et</strong> <strong>de</strong> représentation ; 3. Les pathosformeln du rire<br />

<strong>et</strong> la gravure européenne au début <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité ; 4. Les gravures du<br />

Quichotte en <strong>France</strong> du XVII e siècle.<br />

M. P<strong>et</strong>er Gol<strong>de</strong>n, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Rutgers, New Jersey (États-Unis)<br />

a donné les 7, 14, 21 <strong>et</strong> 28 mai 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur les suj<strong>et</strong>s suivants :<br />

1. The origins and shaping of the Turks of medieval Eurasia ; Ethnicity in<br />

Medieval Eurasia ; 2. The origins of the Khazars and their conversion to<br />

judaism in a Eurasian context, i.e. the adoption of universal faiths by the<br />

Turkic nomads ; 3. Sacral kingship among the early Turkic peoples with<br />

particular reference to the khazars ; 4. The Qïpchaqs : origins and<br />

migrations.<br />

M me Jean Cohen, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Columbia, New York (États-Unis)<br />

a donné les 7, 14, 21 <strong>et</strong> 28 mai 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong> suivant :<br />

R<strong>et</strong>hinking Sovereignty, Rights and International Law in the Epoch of<br />

Globalization : 1. Sovereignty and International Law : A Dualist Perspective ;<br />

2. Cosmopolitanism and Empire ; 3. Intervention, Occupation and Human<br />

Rights ; 4. Towards the Constitutionalization of International Law.<br />

M. Victor Stoichita, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Fribourg (Suisse) a donné les<br />

15, 23, 30 mai <strong>et</strong> 6 juin 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong> suivant : Des larmes<br />

<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Saints.


COURS ET CONFÉRENCES 891<br />

M. Gyorgy Buzsáki, Professeur à l’Université Rutgers, Newark (États-Unis) a<br />

donné les 12, 19 <strong>et</strong> 26 juin 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong> suivant : Rythms<br />

of the Brain :<br />

Neuronal synchrony :<br />

1. M<strong>et</strong>abolic and wiring costs of excitatory and inhibitory systems ;<br />

2. Oscillatory and non-Oscillatory emergence of cell assemblies ;<br />

3. Internally advancing assemblies in the hippocampus ;<br />

4. Coupling of hippocampal and neocortical systems.<br />

II.<br />

Fondation Clau<strong>de</strong>-Antoine Peccot<br />

M me Karine Beauchard, Chargée <strong>de</strong> Recherches au CNRS, a donné les 9, 16,<br />

23 <strong>et</strong> 30 janvier 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong> suivant : Contrôle d’équations<br />

<strong>de</strong> Schrödinger.<br />

M. Gaëtan Chenevier, Chargé <strong>de</strong> Recherches au CNRS, a donné les 17,<br />

31 mars, 7 <strong>et</strong> 14 avril 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong> suivant : Variétés <strong>de</strong><br />

Hecke <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes unitaires <strong>et</strong> représentations galoisiennes.<br />

III.<br />

Fondation Antoine Laccassagne<br />

M. Thomas Bourgeron, Professeur à l’Université Paris VII, a donné les 4 <strong>et</strong><br />

11 avril, <strong>de</strong>ux conférences sur les suj<strong>et</strong>s suivants : 1. La vulnérabilité génétique à<br />

l’autisme : les altérations synaptiques ; 2. La vulnérabilité génétique à<br />

l’autisme : les altérations <strong>de</strong> l’horloge circadiennes.<br />

IV.<br />

Conférence Michonis<br />

M. Philippe Borgeaud, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Genève (Suisse) a donné le<br />

8 octobre 2007, une conférence sur le suj<strong>et</strong> suivant : Une rhétorique antique du<br />

blâme <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’éloge : la religion <strong><strong>de</strong>s</strong> autres.<br />

V.<br />

Conférences du don en souvenir <strong>de</strong> Winnar<strong>et</strong>ta Singer :<br />

Princesse Edmond <strong>de</strong> Polignac<br />

M. Dong-Hyun Son, Professeur, Sungkyunkwan University, Séoul (Corée) a<br />

donné le 20 novembre 2007, une conférence sur le suj<strong>et</strong> suivant : Une anthropologie<br />

philosophique <strong><strong>de</strong>s</strong> technologies <strong>de</strong> l’information <strong>et</strong> <strong>de</strong> la communication : une<br />

réflexion taoïste sur la réalité virtuelle.


892 COURS ET CONFÉRENCES<br />

M me Maria Luisa Menegh<strong>et</strong>ti, Professeur à l’Università <strong>de</strong>gli Studi di Milano<br />

(Italie) a donné le 4 février 2008, une conférence sur le suj<strong>et</strong> suivant : Les frontières<br />

du grand chant courtois.<br />

M. Gunter Gebauer, Professeur à la Freie Universität <strong>de</strong> Berlin (Allemagne) a<br />

donné le 8 février 2008, une conférence sur le suj<strong>et</strong> suivant : « L’Anthropologie »<br />

<strong>de</strong> Wittgenstein.<br />

M. Atsuo Takanishi, Professeur à l’Université Waseda <strong>de</strong> Tokyo (Japon) a donné<br />

les 25 <strong>et</strong> 27 février 2008, <strong>de</strong>ux conférences sur les suj<strong>et</strong>s suivants : 1. Relations<br />

entre la robotique <strong><strong>de</strong>s</strong> humanoï<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> la culture <strong>et</strong> la société au Japon ; 2. Les<br />

robots humanoï<strong><strong>de</strong>s</strong> comme outils pour l’étu<strong>de</strong> scientifique du comportement<br />

humain.<br />

M. Yasuaki Onuma, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Tokyo (Japon) a donné les 6 <strong>et</strong><br />

14 mars 2008, <strong>de</strong>ux conférences sur le suj<strong>et</strong> suivant : Human rights in a Multipolar<br />

and Multi-civilizational world of the 21st century - A view from a transcivilizational<br />

Perspective.<br />

M. Geoffrey Hill, Professeur honoraire <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Boston (États-Unis)<br />

a donné le 18 mars 2008, une conférence sur le suj<strong>et</strong> suivant : A reading and<br />

discussion of my own writings in the context of contemporary British<br />

Philosophy and peotry.<br />

M me Kapila Vatsyayana, Former secr<strong>et</strong>ary (culture) to the India government,<br />

Foun<strong>de</strong>r and former head of the Indira Gandhi National Centre for the Arts<br />

(In<strong>de</strong>) a donné le 4 avril 2008, une conférence sur le suj<strong>et</strong> suivant : The building<br />

of the Main Cultural Institutions in In<strong>de</strong>pendant India.<br />

M. Martin Schwartz, Professeur à l’Université <strong>de</strong> California, Berkeley (États-<br />

Unis) a donné les 20 <strong>et</strong> 27 mai 2008, <strong>de</strong>ux conférences sur le suj<strong>et</strong> suivant : The<br />

po<strong>et</strong>ry of the Gathas : Mysteries of composition, and the composition of<br />

mysteries : 1. Compositional techniques of the individual poems, and of the<br />

serial generation of the corpus ; 2. The esoteric dimensions of gathic style.<br />

M. Karl Friston, Professeur, University College London (Gran<strong>de</strong> Br<strong>et</strong>agne) a<br />

donné les 29, 30 mai <strong>et</strong> 2 juin 2008, trois conférences sur le suj<strong>et</strong> suivant : A freeenergy<br />

principle for the brain : 1. Action, perception and free-energy ;<br />

2. Perceptual inference and learning ; 3. Variational filtering and inference.<br />

M. David Warnock, Professeur à l’Université d’Alabama, Birmingham (États-<br />

Unis) a donné les 3 <strong>et</strong> 18 juin 2008, <strong>de</strong>ux conférences sur les suj<strong>et</strong>s suivants :<br />

1. Stroke, CV disease and chronic kidney disease ; 2. Proteinuria and blood<br />

pressure control and progression of chronic kidney disease.


COURS ET CONFÉRENCES<br />

RÉSUMÉS<br />

M. Nicholas Purcell<br />

Professeur, St. John’s College, Oxford (Gran<strong>de</strong>-Br<strong>et</strong>agne)<br />

Les quatre leçons données en octobre <strong>et</strong> novembre 2007 sont intitulées :<br />

1. Devenir maritime<br />

2. Les pentes <strong>de</strong> la connectivité<br />

3. Aux marges <strong>de</strong> la Méditerranée : écologie, réseaux, interdépendances<br />

4. Le couloir <strong>de</strong> Téthys <strong>et</strong> les problèmes <strong>de</strong> la Transeuphratène<br />

La Méditerranée : avec ce concept, peut-on <strong>et</strong> doit-on faire <strong>de</strong> l’histoire<br />

intéressante ? Si oui, quel genre d’histoire ? Telles sont les questions qui soustendaient<br />

The Corrupting Sea. A Study of Mediterranean History (Oxford, 2000).<br />

Les conférences présentées au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ont exploré la manière dont on<br />

pourrait abor<strong>de</strong>r les relations entre les histoires <strong>de</strong> la Méditerranée <strong>et</strong> celles du<br />

mon<strong>de</strong> qui entourait la région méditerranéenne. Elles se concentraient sur l’histoire<br />

antique, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> incursions dans l’histoire plus récente.<br />

Dans la pensée antique, le terrestre <strong>et</strong> le maritime étaient strictement distingués.<br />

C<strong>et</strong>te distinction est bien comprise. Nous avons exploré la manière dont les auteurs<br />

<strong>de</strong> l’Antiquité entendaient réduire la séparation en parlant <strong>de</strong> « <strong>de</strong>venir maritime »,<br />

contrairement à l’orientation normale <strong>de</strong> la vie humaine tournée vers la terre. Le<br />

locus classicus se trouve dans Hérodote 7, 144 : anankasas thalassious genesthai<br />

Athenaious (« forçant les Athéniens à <strong>de</strong>venir maritimes »), un précé<strong>de</strong>nt<br />

spectaculairement développé par la stratégie <strong>de</strong> Rome contre Carthage lors <strong>de</strong> la<br />

Première Guerre punique. Ce topo a une longue histoire <strong>et</strong> on le r<strong>et</strong>rouve dans <strong>de</strong><br />

nombreux récits <strong>de</strong> victoires militaires inattendues. On peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r comment<br />

c<strong>et</strong>te conception bien connue peut être reliée à l’histoire sociale <strong>et</strong> politique plus<br />

réaliste <strong><strong>de</strong>s</strong> gens <strong>de</strong> mer <strong>de</strong> la Méditerranée. L’enquête conduit à une vision <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

moyens <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> objectifs d’une mobilisation plus ou moins forcée <strong>de</strong> gens dans un


894 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />

milieu maritime. Ce <strong>de</strong>rnier acquiert <strong>de</strong> ce fait une personnalité historique distincte,<br />

<strong>et</strong> établit en même temps <strong><strong>de</strong>s</strong> relations particulières avec les terres où sont recrutés<br />

les marins. En r<strong>et</strong>our, la comparaison éclaire d’un autre jour les épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> bien<br />

connus du « <strong>de</strong>venir maritime » dans l’histoire antique.<br />

Nous avons commencé par tracer la frontière entre les lieux où l’on recrutait les<br />

gens <strong>de</strong> mer <strong>et</strong> la mer sur laquelle ils se déployaient. En tant qu’espace, celle-ci<br />

était définie par c<strong>et</strong>te mobilisation, <strong>et</strong> plus largement par sa connectivité. Ceux qui<br />

vivaient le plus près <strong>de</strong> la mer pouvaient être mobilisés aisément <strong>et</strong> <strong>de</strong> façon<br />

répétée. Pourtant dans certains cas, ce sont les plus improbables <strong><strong>de</strong>s</strong> habitants <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

terres qui sont « <strong>de</strong>venus maritimes » : les montagnards <strong>et</strong> les barbares venus <strong>de</strong><br />

territoires éloignés <strong><strong>de</strong>s</strong> côtes. « Devenir maritime » apparaît alors comme un<br />

mouvement unique orienté vers la mer <strong>et</strong> son niveau élevé <strong>de</strong> connectivité, selon<br />

un gradient qui peut être calculé en fonction <strong>de</strong> la connectivité, <strong>et</strong> surtout en<br />

fonction <strong>de</strong> la mobilisation <strong><strong>de</strong>s</strong> biens <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> personnes. Les zones terrestres <strong>de</strong><br />

l’intérieur ont aussi leur propre régime <strong>de</strong> connectivité. Nous avons donc étudié<br />

l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> polarités changeantes, dans les zones situées entre la mer <strong>et</strong> le<br />

continent, qui peuvent être dominées à la fois par <strong><strong>de</strong>s</strong> formations d’origine maritime<br />

ou terrestre, selon <strong><strong>de</strong>s</strong> mouvements récurrents qui nous poussent à les nommer<br />

« sociétés du ressac ». La dynamique <strong>de</strong> ces changements peut être étroitement<br />

reliée au développement <strong><strong>de</strong>s</strong> États, <strong>et</strong> nous avons entrepris <strong>de</strong> rechercher <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

dénominateurs communs dans le développement <strong>de</strong> p<strong>et</strong>ites entités politiques à la<br />

périphérie <strong>de</strong> l’espace méditerranéen, entre l’âge du bronze <strong>et</strong> le Moyen Âge.<br />

Après l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> « pentes <strong>de</strong> la connectivité », nous nous sommes concentré sur<br />

l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> principales dynamiques <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions explorées dans la précé<strong>de</strong>nte<br />

conférence : les échanges commerciaux. Le but <strong>de</strong> l’exercice était <strong>de</strong> réévaluer une<br />

partie <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances sur les commerçants grecs <strong>et</strong> romains, dans l’espoir qu’une<br />

approche plus écologique apportera une meilleure compréhension <strong>de</strong> la diversité<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> contextes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> formes du commerce antique que ne le font les modèles<br />

mo<strong>de</strong>rnisants que nous employons habituellement. De même que pour les<br />

formations <strong><strong>de</strong>s</strong> États, il est fécond <strong>de</strong> considérer les diasporas commerciales <strong>et</strong> les<br />

réseaux marchands <strong>de</strong> l’Antiquité comme <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques <strong>de</strong> la périphérie<br />

méditerranéenne. Non seulement elles sont intimement reliées à la connectivité,<br />

mais il s’avère que, du fait <strong>de</strong> l’importance du trafic d’esclaves, elles ont un rapport<br />

spécial avec la mobilisation forcée qui apparaît comme une caractéristique essentielle<br />

d’une histoire spécifiquement méditerranéenne.<br />

Dans un premier temps, nous n’avons pas essayé <strong>de</strong> comparer les zones terrestres<br />

(ou d’autres espaces maritimes) dont les histoires peuvent être juxtaposées à celles<br />

<strong>de</strong> la Méditerranée. Pour conclure, nous avons revisité les thèmes <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences<br />

précé<strong>de</strong>ntes pour examiner les rapports entre le mon<strong>de</strong> méditerranéen <strong>et</strong> ses voisins<br />

<strong>de</strong> l’Est. Nous considérons le couloir <strong>de</strong> basses terres qui inclut la Mésopotamie <strong>et</strong><br />

qui s’étend <strong>de</strong> la Syrie jusqu’à Élam <strong>et</strong> l’entrée du golfe Persique à la fois comme<br />

un espace connectif spécifique, dont on peut explorer la périphérie <strong>de</strong> la même


RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 895<br />

manière que la périphérie <strong>de</strong> la Méditerranée que nous avons examinée, <strong>et</strong> comme<br />

un important prolongement <strong>de</strong> l’espace méditerranéen. Il forme une entité unique :<br />

le couloir <strong>de</strong> Téthys. La Méditerranée <strong>de</strong> The Corrupting Sea revendique sa place<br />

en tant qu’unité dotée d’un régime propre <strong>de</strong> connectivité, que l’on peut rapprocher<br />

d’autres unités semblables pour les comparer ou en faire l’obj<strong>et</strong> d’« histoires<br />

connectées » reliant plusieurs d’entre elles. La zone charnière du Levant cesse d’être<br />

une frontière entre royaumes étrangers pour <strong>de</strong>venir un espace <strong>de</strong> transition entre<br />

entités étroitement comparables. Ce type d’analyse peut produire <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats<br />

intéressants pour d’autres espaces méditerranéens en marge <strong>de</strong> zones complexes<br />

mais essentiellement connectives, telles que le Sahara ou la faça<strong>de</strong> atlantique. Il<br />

laisse entrevoir une Méditerranée qui continue d’être un obj<strong>et</strong> fécond <strong>et</strong> spécifique<br />

pour la réflexion historique, sans qu’il soit besoin <strong>de</strong> la monter en épingle, <strong>de</strong> façon<br />

inacceptable, comme une exception.<br />

(Traduit <strong>de</strong> l’anglais par Marc Kirsch)<br />

M. Diego Gamb<strong>et</strong>ta<br />

Professeur à Nuffield College, Université d’Oxford (Gran<strong>de</strong>-Br<strong>et</strong>agne)<br />

Signalling theory and its applications<br />

My <strong>cours</strong>e, which comprised 4 lectures, was an introduction to the principles of<br />

signalling theory, its history, and its common misconceptions. I also presented two<br />

applications: to trust <strong>de</strong>cisions and to interpersonal violence. Herewith, I give a<br />

brief overview of the theory and of the range of its applications, without going<br />

into the d<strong>et</strong>ails of the two particular applications which I presented in my<br />

lectures.<br />

Signalling theory (ST) tackles a fundamental problem of communication: how<br />

can an agent, the receiver, establish wh<strong>et</strong>her another agent, the signaller, is telling<br />

or otherwise conveying the truth about a state of affairs or event which the signaller<br />

might have an interest to misrepresent? And, conversely, how can the signaller<br />

persua<strong>de</strong> the receiver that he is telling the truth, wh<strong>et</strong>her he is telling it or not?<br />

This two-pronged question potentially arises every time the interests b<strong>et</strong>ween<br />

signallers and receivers diverge or colli<strong>de</strong> and there is asymm<strong>et</strong>ric information,<br />

namely the signaller is in a b<strong>et</strong>ter position to know the truth than the receiver is.<br />

ST, which is only a little more than 30 years old, has now become a branch of<br />

game theory. In economics it was introduced by Michael Spence in 1973. In<br />

biology it took off not so much when Amotz Zahavi first introduced the i<strong>de</strong>a in<br />

1975, but since, in 1990, Alan Grafen proved formally that ‘honest’ signals can be<br />

an evolutionarily stable strategy.


896 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />

Typical situations that signalling theory covers have two key features:<br />

(i) there is some action the receiver can do which benefits a signaller, wh<strong>et</strong>her<br />

or not he has the quality k, for instance marry him, but<br />

(ii) this action benefits the receiver if and only if the signaller truly has k, and<br />

otherwise hurts her — for instance, marry an unfaithful man.<br />

This applies to conflict situations too: if we know that our opponent is going<br />

to win a fight we may choose to yield without fighting at a lesser cost for both.<br />

Thus k signallers and receivers share an interest in the truth, but the interests of<br />

non-k signallers and receivers are opposed: non-k signallers would like to <strong>de</strong>ceive<br />

receivers into thinking they have k, in or<strong>de</strong>r to receive the benefit, while receivers<br />

have an interest in not being <strong>de</strong>ceived. (The interests of k’s and non-k’s are also<br />

usually opposed because the activity of the latter damages the credibility of the<br />

signals of the former.)<br />

The main result in signalling theory is that there is a solution in which at least<br />

some truth is transmitted, provi<strong>de</strong>d that among the possible signals is one, s,<br />

which is cheap enough to emit, relatively to the benefit, for signallers who have k,<br />

but costly enough to emit, relatively to the benefit, for those who do not. If it is<br />

too costly to fake for all or most non-k signallers then observing s is good evi<strong>de</strong>nce<br />

that the signaller has k.<br />

It is hard to think of another theory that in recent times has been <strong>de</strong>veloping so<br />

fast across all behavioural sciences. In economics applications have concerned<br />

Spence’s mo<strong>de</strong>l of education as a signal of productivity, and practices, such as<br />

product guarantees, financial mark<strong>et</strong>s, advertising, charity donations, scientific<br />

publications fun<strong>de</strong>d by private firms. In political science applications inclu<strong>de</strong>, ways<br />

of credibly signalling foreign policy interests; how different political arrangements<br />

can favour more discriminating signals of high quality politicians; un<strong>de</strong>r what<br />

conditions bargaining mediators are credible; wh<strong>et</strong>her the size of terrorist attacks<br />

can be a signal of terrorist organisation resources; and wh<strong>et</strong>her the theory can shed<br />

light on <strong>et</strong>hnic mimicry. Anthropologists have used the theory to make sense of<br />

« wasteful » or « inefficient » practices in pre-mo<strong>de</strong>rn cultures, such as redistributive<br />

feasts, big yam displays, and hunting difficult preys ; they have also used the theory<br />

to investigate the cooperative effects of differentially costly rituals and requirements<br />

in religious groups. In sociology applications have concerned the attraction that a<br />

group of <strong>de</strong>viant youth display for the punishment beatings they receive from the<br />

IRA, the signals taxi drivers rely on when <strong>de</strong>ciding wh<strong>et</strong>her to pick up hailers or<br />

callers in dangerous cities, criminals’ strategies to i<strong>de</strong>ntify bona fi<strong>de</strong> criminals, the<br />

patterns of prison fights and the use of self-harm.


RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 897<br />

M me Elaine Fuchs<br />

Professeur, université Rockefeller <strong>de</strong> New York (États-Unis)<br />

La série <strong>de</strong> <strong>cours</strong> donnés les 8, 15, 18 <strong>et</strong> 22 janvier 2008 a porté sur les suj<strong>et</strong>s<br />

suivants :<br />

1. Stem Cells: Biology, Ethics and potential for Medicine;<br />

2. The Biology and Gen<strong>et</strong>ics of Skin and Hair;<br />

3. Cell adhesion, Migration and Cancer;<br />

4. Stem Cells of the Skin and their Lineages.<br />

1. Stem Cells: Biology, Ethics and potential for Medicine<br />

The remarkable ability to generate an embryo from a single fertilized oocyte, to<br />

periodically replace dying cells within tissues and to repair tissues damaged during<br />

injury, is a direct consequence of stem cells, nature’s gift to multicellular organisms.<br />

The gold standard of stem cells is the fertilized egg, which produces an organism<br />

repl<strong>et</strong>e with ~ 220 specialized cell types, including reproductive germ stem cells.<br />

As the embryo first <strong>de</strong>velops, an outer protective shell of support cells, referred to<br />

as the trophecto<strong>de</strong>rm, encases an undifferentiated mass (the inner cell mass) of<br />

pluripotent embryonic stem (ES) cells that will make the animal. As tissues and<br />

organs <strong>de</strong>velop, stem cells become more restricted in their options (Fuchs <strong>et</strong> al.<br />

2004 ; Fuchs 2007) 1.<br />

Although cell type specification is largely compl<strong>et</strong>e at or shortly after birth,<br />

organs must possess a mechanism to replenish those cells within the tissue that die<br />

or become damaged with age. This process of cell replacement by natural wear<br />

and tear is referred to as homeostasis, and is fueled by adult stem cells which<br />

typically resi<strong>de</strong> within a tissue. Some tissues, like the skin epi<strong>de</strong>rmis or intestinal<br />

epithelium, un<strong>de</strong>rgo constant turnover and rejeuvenation involving the entire<br />

tissue. For other tissues/organs, e.g. the brain, it has only been recently that<br />

scientists have appreciated the existence of stem cells that have the ability to<br />

replenish specialized neurons, glial cells and oligo<strong>de</strong>ndrocytes over time, even if<br />

this capacity is much reduced in comparison to the hematopoi<strong>et</strong>ic system or<br />

epithelial tissues. Increasing evi<strong>de</strong>nce is pointing to the view that most tissues of<br />

the body have adult stem cells.<br />

Like ES cells, adult stem cells un<strong>de</strong>rgo self-renewal, the ability to divi<strong>de</strong> to<br />

generate self, and the ability to generate cells that will differentiate to produce<br />

tissues. Adult stem cells, however, typically give rise to only a few different types<br />

of tissues, a feature often referred to as multipotent. Some stem cells, e.g. germ<br />

stem cells, are thought to give rise to only one lineage, in this case, either oocyte<br />

1. Les références complètes sont indiquées dans la version qui peut être téléchargée sur le site<br />

Intern<strong>et</strong> du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> : http://www.college-<strong>de</strong>-france.fr, page du professeur Christine<br />

P<strong>et</strong>it, ongl<strong>et</strong> Conférenciers invités.


898 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />

(female germ stem cells) or sperm (male germ stem cells). Given the fountain of<br />

youth ability of adult stem cells to generate tissues during normal homeostasis and<br />

wound-repair, these stem cells are typically s<strong>et</strong> asi<strong>de</strong> in protected reservoirs within<br />

the <strong>de</strong>veloping tissue. They are often used sparingly, and hence un<strong>de</strong>rgo fewer<br />

divisions than their activated progeny. The protective niches are composed not only<br />

of stem cells but also a complex “microenvironment” of neighboring differentiated<br />

cell types which secr<strong>et</strong>e and organize a diverse range of extracellular matrix and<br />

other factors that allow stem cells to manifest their unique intrinsic properties<br />

(Fuchs <strong>et</strong> al. 2004; Moore and Lemischka 2006; Morrison and Kimble 2006).<br />

Harnessing adult stem cells for regenerative medicine has long been a major<br />

focus of scientists and clinicians alike. Examples of the successful use of stem cells<br />

for regenerative medicine inclu<strong>de</strong> bone marrow transplants to replace cells of the<br />

hematopoi<strong>et</strong>ic system and cultured epi<strong>de</strong>rmal she<strong>et</strong>s for the replacement of<br />

epi<strong>de</strong>rmis lost in badly burned skin (Weissman 2000; De Luca <strong>et</strong> al. 2006). ES<br />

cells have received more attention because of their broa<strong>de</strong>r potential and hence<br />

greater promise for generating cell types to treat injuries and <strong>de</strong>generative conditions<br />

for which we presently have no cures. With the promise are also <strong>et</strong>hical<br />

consi<strong>de</strong>rations <strong>de</strong>aling with the use of fertilized eggs for research necessary to<br />

harness this potential. Scientists have countered with technology referred to as<br />

nuclear transfer, often mistakenly referred to as human cloning. This technology<br />

involves making a hybrid somatic cell from an unfertilized oocyte whose nucleus<br />

was removed and replaced by an adult somatic cell (Hochedlinger and Jaenisch<br />

2006). In collaboration with the laboratory of P<strong>et</strong>er Mombaerts at the Rockefeller<br />

University, my laboratory has used this technology to <strong>de</strong>monstrate that ES cells<br />

and in fact healthy viable mice could be generated from hybrid diploid totipotent<br />

cells, each composed of an unfertilized enucleated mouse oocyte and an adult hair<br />

follicle stem cell, normally able to differentiate into only epi<strong>de</strong>rmis, hair follicles<br />

and sebaceous glands (Blanpain and Fuchs 2006; Li <strong>et</strong> al. 2007). Although nuclear<br />

transfer technology has not y<strong>et</strong> been successful for generation of human ES cells,<br />

scientists recently succee<strong>de</strong>d in generating primate ES cells through nuclear transfer<br />

(Byrne <strong>et</strong> al. 2007).<br />

Can adult skin cells be utilized to generate ES cells directly, without the use of an<br />

unfertilized oocyte? Breakthroughs over the past year have led scientists to predict<br />

that this may be possible in the future. In a pioneering study published in summer,<br />

2007, Yamanaka and coworkers reported the generation of germline comp<strong>et</strong>ent<br />

“induced pluripotent stem cells” (iPS cells) generated by r<strong>et</strong>roviral infection of<br />

mouse skin fibroblasts to force the expression of four transcription factors normally<br />

expressed by ES cells but not by adult somatic cells (Meissner <strong>et</strong> al. 2007; Okita <strong>et</strong> al.<br />

2007). Unfortunately, one of the transcription factors was a potent cell cycle<br />

stimulator and the mice generated <strong>de</strong>veloped tumors with time. Since this time,<br />

however, researchers have now succee<strong>de</strong>d in eliminating this gene from the mix, and<br />

now only three transcription factors appear to be sufficient (Nakagawa <strong>et</strong> al. 2008;<br />

Park <strong>et</strong> al. 2008). Moreover, in animal mouse mo<strong>de</strong>ls of human disease, iPS cells


RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 899<br />

have already shown promise for treatments (Hanna <strong>et</strong> al. 2007), and in the past<br />

several months, two groups have in<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>ntly succee<strong>de</strong>d in generating human iPS<br />

cells from adult skin cells (Takahashi <strong>et</strong> al. 2007; Yu <strong>et</strong> al. 2007).<br />

This explosion of research bo<strong><strong>de</strong>s</strong> well for the future of human regenerative<br />

medicine. The challenge now will be how to avoid the gen<strong>et</strong>ic manipulation (in<br />

some cases, > 50 integrated r<strong>et</strong>roviral DNAs) that occurs in generating iPS cells<br />

and/or overcoming the present hurdles in generating human ES cells by nuclear<br />

transfer. While nuclear transfer is preferable in using epigen<strong>et</strong>ic reprogramming<br />

rather than gen<strong>et</strong>ic manipulation, it still uses unfertilized oocytes. That said, the<br />

excitement and promise of stem cells for regenerative medicine continues to grow<br />

and 2007 has been a very successful year in overcoming technological barriers that<br />

less than a <strong>de</strong>ca<strong>de</strong> ago were thought to be insurmountable.<br />

2. The Biology and Gen<strong>et</strong>ics of Skin and Hair<br />

The skin epi<strong>de</strong>rmis and its appendages provi<strong>de</strong> a protective barrier that is<br />

impermeable to harmful microbes and also prevents <strong>de</strong>hydration. To perform their<br />

functions while being confronted with the physico-chemical traumas of the<br />

environment, these tissues un<strong>de</strong>rgo continual rejuvenation through homeostasis<br />

and in addition, they must be primed to un<strong>de</strong>rgo wound-repair in response to<br />

injury. The skin’s fountain of youth for maintaining tissue homeostasis, regenerating<br />

hair and repairing the epi<strong>de</strong>rmis following injury is its stem cells, which resi<strong>de</strong> in<br />

the adult hair follicle, sebaceous gland and epi<strong>de</strong>rmis. Stem cells have the remarkable<br />

capacity to both self-perp<strong>et</strong>uate and also give rise to the differentiating cells that<br />

constitute one or more tissues. In recent years, researchers have begun to uncover<br />

the properties of skin stem cells, and unravel the mysteries un<strong>de</strong>rlying their<br />

remarkable capacity to perform these feats.<br />

The adult skin epithelium is composed of molecular building blocks, consisting of<br />

a pilosebaceous unit (HF and sebaceous gland) and its surrounding<br />

interfollicularepi<strong>de</strong>rmis (IFE) (Blanpain and Fuchs 2006). Both the IFE and the<br />

sebaceous gland contain their own progenitor cells for normal homeostasis in the<br />

absence of injury (Levy <strong>et</strong> al. 2005; Horsley <strong>et</strong> al. 2006; Levy <strong>et</strong> al. 2007). HFs<br />

contain a niche of relatively quiescent follicle stem cells that are normally activated<br />

at the start of each new hair cycle. Upon wounding, these cells are able to repair the<br />

epi<strong>de</strong>rmis and sebaceous glands. Like many other adult stem cells of the body, skin<br />

epithelial stem cells were predicted to be relatively infrequently utilized, and hence<br />

slow-cycling (Taylor <strong>et</strong> al. 2000; Oshima <strong>et</strong> al. 2001). Like other stratified squamous<br />

epithelia and many glandular epithelia, the skin epithelial cells with proliferative<br />

activity were known to express keratins 5 and 14 (Fuchs and Green 1980 ; Vassar <strong>et</strong><br />

al. 1989). On the basis of these two characteristics, we <strong>de</strong>vised a pulse-chase strategy<br />

with a fluorescent histone to i<strong>de</strong>ntify and fluorescently mark the slow-cycling K5/<br />

K14-positive cells of mice (Tumbar <strong>et</strong> al. 2004). Located in a region of the hair<br />

follicle known as the bulge, special cells within this niche could be activated to


900 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />

proliferate and divi<strong>de</strong> with each new hair cycle and could be mobilized to repair<br />

wounds to the epi<strong>de</strong>rmis. Using fluorescence activated cell sorting, cell culture, and<br />

skin engraftments with clonally <strong>de</strong>rived progeny of single bulge cells, we showed<br />

that these cells are in fact stem cells, and they have multipotent capacity (Blanpain <strong>et</strong><br />

al. 2004; Morris <strong>et</strong> al. 2004; Tumbar <strong>et</strong> al. 2004; Ito <strong>et</strong> al. 2005).<br />

We’ve used transcriptional profiling and gen<strong>et</strong>ic analyses to un<strong>de</strong>rstand how<br />

these stem cells maintain quiescence and become activated upon initiation of a<br />

new hair cycle. We’ve revealed roles for the Wnt signaling pathway in stem cell<br />

activation, self renewal, hair shaft production and tumorigenesis (Zhou <strong>et</strong> al. 1995;<br />

Gat <strong>et</strong> al. 1998; Chan <strong>et</strong> al. 1999; DasGupta and Fuchs 1999; Merrill <strong>et</strong> al. 2001;<br />

McLean <strong>et</strong> al. 2004; Lowry <strong>et</strong> al. 2005; Nguyen <strong>et</strong> al. 2006). We’ve revealed roles<br />

for the BMP pathway in controlling stem cell quiescence (Kobielak <strong>et</strong> al. 2003;<br />

Kobielak <strong>et</strong> al. 2007; Horsley <strong>et</strong> al. 2008). Collectively, the studies from my<br />

laboratory and others (Huelsken and Birchmeier 2001 ; Van Mater <strong>et</strong> al. 2003;<br />

Andl <strong>et</strong> al. 2004; Lo Celso <strong>et</strong> al. 2004; Ito <strong>et</strong> al. 2007) suggest a working mo<strong>de</strong>l<br />

for stem cell quiescence, self-renewal and activation in the hair follicle during<br />

normal homeostasis and wound repair.<br />

3. Cell adhesion, Migration and Cancer<br />

The skin epi<strong>de</strong>rmis is an excellent example for exploring homeostasis and injury<br />

repair in a stratified epithelium. The epi<strong>de</strong>rmis maintains a single inner (basal)<br />

layer of proliferative cells that adhere to an un<strong>de</strong>rlying basement membrane rich<br />

in extracellular matrix (ECM) and growth factors (Fuchs 2007). Basal cells express<br />

a number of characteristic markers including keratins and transcription factors.<br />

Periodically, these cells withdraw from the cell cycle, commit to differentiate<br />

terminally, move outward and are eventually shed from the skin surface. This<br />

architecture allows the epi<strong>de</strong>rmis to generate a self-perp<strong>et</strong>uating barrier that keeps<br />

harmful microbes out and essential body fluids in.<br />

Upon commitment to terminally differentiate, an epi<strong>de</strong>rmal keratinocyte<br />

progresses through three distinct differentiation stages : spinous, granular and<br />

stratum corneum. Major changes in transcription, morphology and function occur<br />

at the basal/spinous layer transition and again at the granular/stratum corneum<br />

transition, such that differentiated cells reaching the skin surface are enucleated,<br />

cellular skel<strong>et</strong>ons that are packed with cables of keratin filaments encased by an<br />

in<strong><strong>de</strong>s</strong>tructible envelope of proteins. An additional final step in the differentiation<br />

process is the extrusion of a lipid bilayer that seals and protects the body surface<br />

from <strong>de</strong>hydration and harmful microbes. The process is in a continual homeostasis,<br />

so that surface cells are continually sloughed and replaced by inner cells<br />

differentiating and moving outward. In human epi<strong>de</strong>rmis, the self-renewing<br />

capacity of epi<strong>de</strong>rmal stem cells is enormous, and within 4 weeks, a basal cell has<br />

terminally differentiated and exited at the skin surface. In mice, the epi<strong>de</strong>rmis<br />

becomes thinner and proliferation slows substantially as the hair coat <strong>de</strong>velops.


RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 901<br />

To coordinate epi<strong>de</strong>rmal homeostasis and wound-repair and to maintain a single<br />

layer of dividing cells and multiple layers of differentiating cells, the epi<strong>de</strong>rmis<br />

displays an elaborate cytoskel<strong>et</strong>al architecture. Ten nanom<strong>et</strong>er wi<strong>de</strong> intermediate<br />

filaments composed of keratin proteins are the major cytoskel<strong>et</strong>al component of the<br />

epi<strong>de</strong>rmis and its appendages. Dividing cells express keratins 5 and 14, while<br />

differentiating epi<strong>de</strong>rmal cells express keratins 1 and 10 (Fuchs and Green 1980).<br />

The basic subunit structure of the keratin filament is an obligatory h<strong>et</strong>erodimer of<br />

type I and type II keratins (Fuchs <strong>et</strong> al. 1981; Hanukoglu and Fuchs 1982;<br />

Hanukoglu and Fuchs 1983; Coulombe and Fuchs 1990)). The function of these<br />

keratins is to impart mechanical integrity to the epi<strong>de</strong>rmis, without which the cells<br />

become fragile and prone to rupturing upon physical stress (Albers and Fuchs 1987;<br />

Albers and Fuchs 1989; Coulombe <strong>et</strong> al. 1990; Vassar <strong>et</strong> al. 1991; L<strong>et</strong>ai <strong>et</strong> al. 1992)).<br />

First discovered in mice and then in humans, the blistering skin disease epi<strong>de</strong>rmolysis<br />

bullosa simplex (EBS) is a gen<strong>et</strong>ic disor<strong>de</strong>r of keratins 14 and 5 (Bonifas <strong>et</strong> al. 1991;<br />

Coulombe <strong>et</strong> al. 1991; Lane <strong>et</strong> al. 1992; Fuchs and Weber 1994), and the blistering<br />

disor<strong>de</strong>r epi<strong>de</strong>rmolytic hyperkeratosis is a gen<strong>et</strong>ic disor<strong>de</strong>r of keratins 1 and 10<br />

(Cheng <strong>et</strong> al. 1992; Chipev <strong>et</strong> al. 1992; Rothnagel <strong>et</strong> al. 1992). There are now more<br />

than 20 different IF disor<strong>de</strong>rs in humans, and many of these s<strong>et</strong> the paradigm first<br />

discovered for EBS (Fuchs and Cleveland 1998; Omary <strong>et</strong> al. 2004).<br />

To form a cytoskel<strong>et</strong>on, keratin filaments associate with α6β4 integrin-rich<br />

hemi<strong><strong>de</strong>s</strong>mosomes at the base of the basal epi<strong>de</strong>rmal cell, and <strong><strong>de</strong>s</strong>mosomal-cadherinrich<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>mosomes to make cell-cell junctions. When these IF-adhesive connections<br />

are <strong>de</strong>fective, mechanical fragility and <strong>de</strong>generative disor<strong>de</strong>rs also occur. By contrast,<br />

the actin cytoskel<strong>et</strong>on associates with α3β1 integrin-rich focal adhesions and to<br />

E-cadherin rich adherens junctions (Perez-Moreno <strong>et</strong> al. 2006). We’ve used gene<br />

targ<strong>et</strong>ing to conditionally mutate the genes encoding E-cadherin, α-catenin and<br />

p120-catenin from the skin epi<strong>de</strong>rmis(Vasioukhin <strong>et</strong> al. 2000; Vasioukhin <strong>et</strong> al.<br />

2001; Tinkle <strong>et</strong> al. 2004; Kobielak and Fuchs 2006; Perez-Moreno <strong>et</strong> al. 2006)).<br />

Intriguingly, mutations in all of these genes ren<strong>de</strong>r the skin epithelium prone to<br />

squamous cell carcinomas and/or proinflammatory responses. We’ve shown that<br />

α-catenin is particularly important not only for coordinating adhesion-actin<br />

dynamics but also proliferation, invasion, and inflammation (Vaezi <strong>et</strong> al. 2002;<br />

Jamora <strong>et</strong> al. 2003; Kobielak and Fuchs 2006).<br />

Interestingly, it is also required for proper spindle orientation in the epi<strong>de</strong>rmis,<br />

a process which requires actin-microtubule polarization. During embryonic<br />

<strong>de</strong>velopment as the epi<strong>de</strong>rmis transits from a single layer to a stratified layered<br />

epithelium, spindle orientation changes to become asymm<strong>et</strong>ric relative to the<br />

basement membrane. Mechanistically, the process appears to involve many of the<br />

proteins used by fly neuroblasts in as ymm<strong>et</strong>ric divisions that generate neurons<br />

(Lechler and Fuchs 2005).<br />

In addition to requiring α-catenin, the process of asymm<strong>et</strong>ric divisions in the<br />

epi<strong>de</strong>rmis also relies upon β1 integrin (Lechler and Fuchs 2005). We’ve targ<strong>et</strong>ed β1


902 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />

and its downstream tyrosine kinase effector, focal adhesion kinase (FAK) for ablation<br />

in the skin (Raghavan <strong>et</strong> al. 2000; Raghavan <strong>et</strong> al. 2003; Schober <strong>et</strong> al. 2007).<br />

Without β1 integrin, basement membrane assembly is <strong>de</strong>fective and hair follicles<br />

cannot invaginate. Epi<strong>de</strong>rmal cells also fail to activate FAK and focal adhesion<br />

turnover, necessary for efficient cell migration, is impaired (Schober <strong>et</strong> al. 2007).<br />

Without FAK, the skin epi<strong>de</strong>rmis becomes more resistant to tumorigenesis (McLean<br />

<strong>et</strong> al. 2004; Schober <strong>et</strong> al. 2007). Interestingly, TGFβ signaling may also be linked to<br />

focal adhesions, as without TGFβ signaling, the skin is more susceptible to<br />

tumorigenesis and FAK is upregulated (Guasch <strong>et</strong> al. 2007).<br />

In summary, in the nearly three <strong>de</strong>ca<strong><strong>de</strong>s</strong> of skin biology research conducted by<br />

my laboratory, an un<strong>de</strong>rstanding is beginning to emerge of how multipotent stem<br />

cells receive external signals to change their programs of transcription and gene<br />

expression, remo<strong>de</strong>l their cytoskel<strong>et</strong>al-adhesive contacts and generate tissues. In the<br />

case of skin, one of the remarkable features of these multipotent stem cells is their<br />

ability to generate the epi<strong>de</strong>rmis, hair follicle and sebaceous gland, three fascinating<br />

and strikingly distinct tissue structures. With the future promise of the skin as a<br />

possible source for generating embryonic stem cells, the skin may well not only<br />

prove to be our largest organ and our largest immune system of the body, but also<br />

our most important source of material for the future of regenerative medicine.<br />

Mme Maria Giovanna Biga<br />

Professeur, université « La Sapienza » <strong>de</strong> Rome (Italie)<br />

La Syrie au III e millénaire av. J.-C. d’après les archives d’Ebla<br />

Les textes <strong><strong>de</strong>s</strong> Archives du palais royal G d’Ebla (Tell Mardikh, 60 km au sudouest<br />

d’Alep, dans la Syrie septentrionale) du xxiv e siècle av. J.-C. perm<strong>et</strong>tent<br />

désormais d’écrire l’histoire politique, économique <strong>et</strong> sociale <strong>de</strong> la Syrie du<br />

III e millénaire av. J.-C., totalement inconnue auparavant. Ils documentent la<br />

présence en Syrie, déjà à partir du début du troisième millénaire, d’une urbanisation<br />

intense ainsi que beaucoup <strong>de</strong> royaumes qui avaient d’intenses rapports politiques<br />

<strong>et</strong> commerciaux avec celui d’Ebla.<br />

Après plus <strong>de</strong> trente ans d’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> textes d’Ebla <strong>et</strong> surtout la détermination <strong>de</strong><br />

la chronologie relative <strong><strong>de</strong>s</strong> textes, lesquels sont datés seulement par le nom du mois<br />

<strong>et</strong> qu’il faut donc ranger en recourant avant tout à <strong><strong>de</strong>s</strong> critères prosopographiques,<br />

il est aujourd’hui possible <strong>de</strong> décrire pour une cinquantaine d’années dans le <strong>cours</strong><br />

du xxiv e siècle av. J.-C. l’histoire <strong>de</strong> la Syrie, <strong>de</strong> la Haute-Mésopotamie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

Mésopotamie.


RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 903<br />

Les textes perm<strong>et</strong>tent aussi <strong>de</strong> connaître la vie <strong>de</strong> la première <strong>et</strong> plus ancienne<br />

cour du Proche-Orient que l’on connaisse ; c’est une cour très riche <strong>et</strong> vivante que<br />

gagnent <strong><strong>de</strong>s</strong> messagers envoyés par beaucoup <strong>de</strong> royaumes syriens y compris ceux<br />

<strong>de</strong> Mari sur le Moyen-Euphrate, mais aussi <strong>de</strong> Kish en Mésopotamie <strong>et</strong> <strong>de</strong> Nagar<br />

dans la haute vallée du Khabur.<br />

Beaucoup d’événements tenants à la vie privée <strong>de</strong> ces <strong>cours</strong> (parmi lesquels on<br />

compte naissances, mariages <strong>et</strong> morts) ou à <strong><strong>de</strong>s</strong> engagements militaires entre les<br />

autres royaumes ou encore les nouvelles <strong><strong>de</strong>s</strong> victoires <strong>de</strong> l’armée éblaïte sont portés<br />

à la connaissance du roi.<br />

La Syrie se présente, à c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong>, comme divisée en royaumes structurés à la<br />

façon <strong>de</strong> celui d’Ebla, dirigés par un roi (qu’on désigne par le titre sumérien <strong>de</strong><br />

« en »), aidé par un certain nombre d’Anciens <strong>et</strong> <strong>de</strong> fonctionnaires-mashkim ; le<br />

roi d’Ebla a ainsi à son service un nombre variable (qui oscille entre quinze <strong>et</strong><br />

vingt-cinq) <strong>de</strong> « seigneurs » attestées dans le seul royaume d’Ebla <strong>et</strong> qui paraissent<br />

avoir été <strong><strong>de</strong>s</strong> superviseurs <strong><strong>de</strong>s</strong> grands secteurs productifs <strong>de</strong> l’économie ou <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

collecteurs <strong>de</strong> taxes. Ce sont eux qui acheminent au palais les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> quantités <strong>de</strong><br />

biens, surtout <strong>de</strong> l’argent <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’or.<br />

La reine, à la cour, avait un grand rôle, ainsi qu’à une certaine pério<strong>de</strong> d’Ebla,<br />

la reine-mère aussi.<br />

L’histoire <strong>de</strong> la cour d’Ebla pendant le règne <strong><strong>de</strong>s</strong> trois rois qui se sont succédé<br />

dans la pério<strong>de</strong> documentée dans les archives, est désormais connue par <strong>de</strong> multiples<br />

détails.<br />

S’il n’y a pas beaucoup <strong>de</strong> textes concernant son prédécesseur, le roi Igrish-Kalab,<br />

pendant le règne duquel on a rédigé le premier traité international connu, celui<br />

entre Ebla <strong>et</strong> Abarsal, beaucoup plus <strong>de</strong> textes documentent le règne <strong>de</strong> l’avant<strong>de</strong>rnier<br />

roi, Irkab-damu. Avec lui, Ebla intensifie son expansion politique en<br />

cherchant à contrer la prédominance <strong>de</strong> Mari.<br />

Les rapports diplomatiques, les alliances matrimoniales mêmes qui s’instaurent<br />

avec beaucoup <strong>de</strong> souverains <strong><strong>de</strong>s</strong> royaumes <strong>de</strong> la Syrie, les dons envoyés par le roi<br />

éblaïte, contribuent à renforcer le réseau commercial d’Ebla. Il est évi<strong>de</strong>nt qu’Ebla<br />

assure le transport <strong>de</strong> ses précieux tissus dans une bonne partie du Proche-Orient,<br />

mais qu’elle est aussi un centre <strong>de</strong> commerce du lapis-lazzuli <strong>et</strong> autres biens, comme<br />

les bois précieux <strong>de</strong> la côte méditerranéenne, en recevant, en échange, <strong>de</strong> l’or, <strong>de</strong><br />

l’argent <strong>et</strong> d’autres biens comme <strong><strong>de</strong>s</strong> équidés nécessaires pour les transports.<br />

Dans les <strong>de</strong>rnières années du règne d’Irkab-damu, une femme appelée Dusigu<br />

obtient la première place à la cour parmi les femmes <strong>de</strong> du harem; elle est sûrement<br />

<strong>de</strong>venue la <strong>de</strong>rnière épouse du roi.<br />

Probablement avec l’ai<strong>de</strong> d’un membre <strong>de</strong> sa famille, Ibrium, qui <strong>de</strong>vint vizir,<br />

elle réussit, à la mort du souverain, à m<strong>et</strong>tre sur le trône son fils, Ishar-damu,<br />

<strong>de</strong>rnier né du roi, encore un enfant.


904 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />

Dusigu <strong>de</strong>vint alors la reine-mère <strong>et</strong> Ibrium fut le vizir qui, avec elle, <strong>de</strong>vait tenir<br />

les rênes du pouvoir pour <strong>de</strong> nombreuses années.<br />

Ibrium entama une série <strong>de</strong> guerres pour punir <strong><strong>de</strong>s</strong> alliés rebelles, tant pour<br />

renforcer le réseau commercial que pour l’étendre, pour gui<strong>de</strong>r les armées éblaïtes<br />

dans <strong><strong>de</strong>s</strong> campagnes militaires annuelles.<br />

Sous le long règne <strong>de</strong> son <strong>de</strong>rnier roi, Ishar-Damu, grâce aux victoires d’Ibrium<br />

d’abord, puis <strong>de</strong> son fils Ibbi-zikir, renforcées par une politique d’alliances, mariages<br />

interdynastiques, pactes jurés, Ebla <strong>de</strong>vient une puissance régionale considérable<br />

avec <strong><strong>de</strong>s</strong> frontières qui s’étendaient au Nord-Est jusqu’à Karkémish sur l’Euphrate,<br />

au Sud à Hama, à l’Est à Emar sur l’Euphrate, arrivant même jusqu’à à Alalakh,<br />

<strong>et</strong> donc à la mer Méditerranée.<br />

Des royaumes importants comme celui <strong>de</strong> Harran, dans la Turquie actuelle,<br />

étaient liés à Ebla par un lien <strong>de</strong> parenté <strong>et</strong>, à la fin <strong>de</strong> l‘existence d’Ebla, le puissant<br />

royaume <strong>de</strong> Nagar en Haute-Mésopotamie, lui aussi, <strong>de</strong>vait se lier à Ebla par un<br />

lien matrimonial entre la fille du roi d’Ebla, Tagrish-Damu, <strong>et</strong> le fils du roi du<br />

Nagar. Dans le royaume <strong>de</strong> Kish en Mésopotamie, également, on <strong>de</strong>vait envoyer<br />

comme épouse la princesse Keshdut, fille du couple royal.<br />

Malgré les liens avec les royaumes les plus puissants <strong>de</strong> l’époque <strong>et</strong> une gran<strong>de</strong><br />

victoire en rase campagne, Ebla, après quelques années, fut détruite par un ennemi<br />

qui, selon certains, pourrait être venu <strong>de</strong> la Mésopotamie <strong>et</strong> avoir été le roi Sargon<br />

d’Akkad, selon d’autres, aurait été un ennemi syrien, comme Mari ou Armi, un<br />

État avec lequel les rapports ont toujours été difficiles ou fluctuants.<br />

Grâce aux archives, on peut avoir aussi une connaissance <strong>de</strong> la plus ancienne<br />

religion syrienne avec un panthéon <strong>de</strong> divinités qui <strong>de</strong>vaient être, ensuite, bien<br />

documentées dans la Syrie du <strong>de</strong>uxième millénaire comme Dagan <strong>et</strong> Hadad,<br />

Rasap, Ishkhara <strong>et</strong> Ishtar, ainsi que d’autres divinités comme le dieu-Soleil <strong>et</strong> Enki,<br />

déjà connues dans le mon<strong>de</strong> sumérien ; mais <strong><strong>de</strong>s</strong> divinités comme le dieu dynastique<br />

Kura, sa parèdre Barama <strong>et</strong> le dieu Adabal semblent avoir disparu par la suite du<br />

panthéon sémitique occi<strong>de</strong>ntal.<br />

On a r<strong>et</strong>rouvé à Ebla aussi quelques rituels importants parmi lesquels le grand<br />

rituel <strong>de</strong> renouvellement <strong>de</strong> la royauté pourrait avoir été connu même en Égypte,<br />

où la fête Sed représentait également un rituel <strong>de</strong> renouvellement <strong>de</strong> la royauté.


RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 905<br />

M. Leonid Kogan<br />

Professeur à l’Université d’État <strong>de</strong> Russie, Moscou (Russie)<br />

Les noms <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes akkadiennes dans leur contexte sémitique<br />

I.<br />

Dans chaque langue, ancienne ou mo<strong>de</strong>rne, morte ou vivante, les lexèmes qui<br />

appartiennent au vocabulaire <strong>de</strong> base peuvent être classifiés comme provenant<br />

d’une <strong><strong>de</strong>s</strong> trois sources diachroniques fondamentales : (1) mots hérités <strong>de</strong> la protolangue<br />

; (2) « mots nouveaux », produits au sein <strong>de</strong> la langue au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> son<br />

histoire ; (3) mots empruntés aux autres langues. La terminologie botanique<br />

akkadienne n’offre pas d’exception. Dans ce stratum du vocabulaire akkadien on<br />

découvre facilement les trois sources diachroniques en question, à illustrer par (1)<br />

kanû ‘canne’ < proto-sémitique *kanaw-, (2) aršātum ‘blé’ ou ‘orge’ < aršu ‘cultivé’<br />

< erēšum (assyrien arāšum) ‘cultiver’; (3) gišimmarum ‘palmier dattier’ < sumérien<br />

gišimmar. Dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre conférences en question, la présentation a été<br />

restreinte aux 50-55 termes appartenant au premier groupe — les termes botaniques<br />

akkadiens qui remontent au proto-sémitique.<br />

La recherche sur les origines sémitiques du vocabulaire botanique n’a jamais été<br />

particulièrement intense, malgré le fait que quelques illustres assyriologues <strong>et</strong><br />

sémitisants y aient pris part, tels que Bedřich Hrozný, Pelio Fronzaroli ou Marten<br />

Stol. Plusieurs questions théorétiques en rapport avec ce suj<strong>et</strong> ont à peine été<br />

touchées (par ex. le problème <strong><strong>de</strong>s</strong> emprunts lexicaux ou la reconstruction interne<br />

du vocabulaire botanique proto-sémitique), sans parler <strong><strong>de</strong>s</strong> multiples étymologies<br />

concrètes.<br />

II.<br />

Dans le domaine <strong>de</strong> la terminologie botanique générale, l’origine sémitique est<br />

évi<strong>de</strong>nte pour isu ‘arbre’ < *¢iT, kīštu ‘bois, forêt’ < *kayS- <strong>et</strong> dīšu ‘herbe’ < *da£¿-.<br />

La désignation plus générale <strong>de</strong> l’herbe (šammu) reste étymologiquement obscure,<br />

le seul parallèle convaincant étant l’égyptien sm.w, dont la sémantique générale est<br />

plus ou moins i<strong>de</strong>ntique à celle du mot akkadien (‘herbe’ en opposition à ‘arbre’).<br />

Parmi les noms <strong><strong>de</strong>s</strong> parties <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes, šuršu ‘racine’, zēru ‘graine, semence’, per¿u<br />

‘pousse, germe’, šubultu ‘épi’ <strong>et</strong> tibnu ‘paille’ remontent à <strong><strong>de</strong>s</strong> prototypes communs<br />

transparents, à savoir *SVrš-, *Dar ¢-, *parγ-, *šu(n)bul-at- <strong>et</strong> *tibn-. Le concept <strong>de</strong><br />

‘feuille’, une notion importante du vocabulaire <strong>de</strong> base dans les langues du mon<strong>de</strong>,<br />

est peu développé dans le lexique akkadien, le seul candidat étant aru (artu), dont<br />

l’étymologie reste peu claire (à comparer avec l’arabe γār- ‘feuilles <strong>de</strong> la vigne’?).<br />

L’akkadien ašnan, une désignation générale (souvent déifiée) <strong>de</strong> grain ou <strong>de</strong> céréale,<br />

a été comparé avec le soqotri šane ‘grain’ autant qu’à quelques termes <strong>de</strong> même<br />

sens dans les langues couchitiques (Oromo saňňi, Somali šuni).


906 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />

III.<br />

La terminologie proto-sémitique <strong><strong>de</strong>s</strong> herbes sauvages est pauvre, <strong>et</strong> seule une<br />

p<strong>et</strong>ite partie <strong>de</strong> ces termes communs sont préservés par la langue akkadienne. Les<br />

cinq lexèmes suivants sont les plus certains <strong><strong>de</strong>s</strong> points <strong>de</strong> vue philologique <strong>et</strong><br />

étymologique : daddaru ‘chardon’ < *dardar-, ašlu ‘jonc’ < *¿ašal-, kanû ‘roseau,<br />

canne’ < *kanaw-, elp<strong>et</strong>u ‘alfa’ < *hVlp(-at)-, pekû, pekkūtu ‘coloquinte’ < *pVkV¢-.<br />

Les désignations <strong><strong>de</strong>s</strong> arbres sauvages remontant à <strong><strong>de</strong>s</strong> prototypes sémitiques<br />

assurés ne sont pas beaucoup plus nombreuses : butnu, butumtu ‘térébinthe’<br />

< *butm(-at)-, bīnu ‘tamaris’ < *bayan-, <strong>et</strong>t<strong>et</strong>tu ‘un arbrisseau épineux’ < *¿atad-,<br />

ilēpu ‘saule’ < *ilāp-, burāšu ‘genièvre’ < *burā£-. Pour quelques autres termes<br />

akkadiens appartenant à ce groupe on trouve <strong><strong>de</strong>s</strong> apparentements sémitiques<br />

prom<strong>et</strong>teurs, mais les données disponibles ne sont pas suffisantes pour une<br />

reconstruction cohérente : tarpa¿u ‘tamaris’ — l’arabe tarfā¿-, allānu ‘chêne’ —<br />

l’hébreu ¿ēlā ‘térébinthe’ <strong>et</strong> ¿allōn ‘chêne’, l’araméen commun *¿īlān- ‘arbre’, sarbatu<br />

‘peuplier d’Euphrate’ — l’hébreu ¢ărābā, le syriaque ¢arbtā, l’arabe γarab-, erēnu<br />

‘cèdre’ ou ‘genièvre’ — l’arabe ¢ar ¢ar- ‘genièvre’, l’hébreu ¢ar ¢ar ‘genièvre’ ou<br />

‘tamaris’.<br />

En ce qui concèrne les champignons, le seul terme d’importance est l’akkadien<br />

kam¿atu, traduit traditionnellement comme ‘truffle’ mais plus probablement<br />

désignant une autre espèse mycologique. Le terme akkadien ne peut pas être séparé<br />

<strong>de</strong> quelques désignations <strong><strong>de</strong>s</strong> champignons dans les langues ouest-sémitiques (à<br />

savoir, l’arabe kam¿at- <strong>et</strong> l’hébreu rabbinique kemēhīm), mais la nature <strong>de</strong> leur<br />

rapport (cognats ou emprunts ?) reste à eclaircir.<br />

IV.<br />

Les noms akkadiens <strong><strong>de</strong>s</strong> céréales ayant une étymologie sémitique assurée sont<br />

peu nombreux : buklu ‘malt’ < *bVkl-, utt<strong>et</strong>u ‘céréale ? ’, ‘orge ? ’, ‘blé ? ’ < *hint-at-,<br />

possiblement burru ‘blé’ < *bVrr-, dunu ‘mil’ < *dun- <strong>et</strong> kunāšu ‘épeautre’<br />

< *kunā£-. De même pour la terminologie proto-sémitique <strong><strong>de</strong>s</strong> légumes, dont les<br />

réflexes akkadiens se bornent à šūmū ‘ail’ < *£ūm- (le rapport entre ce terme<br />

commun <strong>et</strong> le sumérien sum reste contestable), karašu ‘poireau’ < *kara£-, kiššû<br />

‘concombre ? ’ < *kV£(£)V¿-, assū ‘laitue’ < *ass-. Parmi les désignations akkadiennes<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> arbres cultivés, celles qui remontent à <strong><strong>de</strong>s</strong> prototypes sémitiques assurés ne<br />

sont que <strong>de</strong>ux : šikdu ‘amandier’ < *£akid- <strong>et</strong> tittu ‘figuier’ < *ta¿in(-at)-.<br />

L’importance <strong>de</strong> la viniculture dans la Mésopotamie étant assez réduite, on ne<br />

s’étonne pas d’observer que la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> termes ouest-sémitiques communs ayant<br />

rapport à la vigne sont absents ou marginalisés en akkadien. Ainsi, le protosémitique<br />

*gapn- ‘vigne’, bien attesté dans les langues sémitiques centrales, pourrait<br />

correspondre aux termes akkadiens gapnu <strong>et</strong> gupnu, attestés dans les sources tardives<br />

<strong>et</strong> avec un sens visiblement différent (‘arbre’, ‘tronc’). Le proto-sémitique *¢inab-<br />

‘raisin’ (l’hébreu ¢ēnāb, le syriaque ¢enbtā, l’arabe ¢inab-) doit être en rapport avec


RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 907<br />

l’akkadien inbu, attesté cependant avec un sens plus général (‘fruit’). Le protosémitique<br />

*¿V£kāl- ‘un racème <strong>de</strong> fruits, une grappe <strong>de</strong> vigne’ est bien attesté dans<br />

les listes lexicales éblaïtes (áš-kà-lum, iš 11-kà-um), tandis que la forme paléobabylonienne<br />

isunnatum, traditionellement mise en rapport avec ce terme<br />

commun, présente <strong><strong>de</strong>s</strong> irrégularités phonologiques graves <strong>et</strong> inexplicables.<br />

M. Albert <strong>de</strong> Jong<br />

Professeur, université <strong>de</strong> Ley<strong>de</strong> (Pays-Bas)<br />

Les quatre phases <strong>de</strong> la religion mazdéenne<br />

Quatre leçons au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> : 6 - 13 - 20 - 27 mai 2008<br />

Le mazdéisme (connu aussi comme zoroastrisme ou religion <strong>de</strong> Zarathoustra) est<br />

l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> plus anciennes religions du mon<strong>de</strong>. Ses origines historiques <strong>et</strong> géographiques<br />

sont fortement contestées. L’historicité <strong>de</strong> son fondateur, Zarathoustra, a été mise en<br />

doute, ainsi que l’interprétation traditionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> textes fondateurs <strong>de</strong> la religion,<br />

l’Avesta. L’antiquité <strong>de</strong> la religion l’a assurée d’une place importante parmi les<br />

historiens qui s’occupent <strong><strong>de</strong>s</strong> religions du mon<strong>de</strong> ancien. Ceci n’est pas le cas pour<br />

l’histoire non-impériale du mazdéisme, qui commence avec les conquêtes arabes <strong>de</strong><br />

l’Iran <strong>et</strong> l’islamisation du mon<strong>de</strong> iranien. Le fait que les communautés mazdéennes<br />

n’occupaient qu’une place marginale dans la société iranienne islamisée (<strong>et</strong> dans la<br />

société indienne pour les parsis) jusqu’à leur « redécouverte » par les voyageurs<br />

européens <strong>et</strong> leur émancipation dans le xixe (pour les parsis) <strong>et</strong> xxe (pour les<br />

communautés <strong>de</strong> l’Iran) siècle, a permis aux historiens <strong>de</strong> les voir comme un « reste »<br />

d’un passé plus grand, <strong>de</strong> les oublier ou les ignorer.<br />

Ainsi, presque la moitié <strong>de</strong> l’histoire du mazdéisme a été laissée à quelques<br />

spécialistes ou n’est pas du tout étudiée. La religion est connue substantiellement<br />

comme elle était dans la pério<strong>de</strong> sassani<strong>de</strong> tardive <strong>et</strong> les premiers siècles <strong>de</strong> l’Islam. C<strong>et</strong><br />

image <strong>de</strong> la religion a été employé tant pour l’interprétation <strong><strong>de</strong>s</strong> expressions religieuses<br />

antérieures (surtout <strong><strong>de</strong>s</strong> achéméni<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> parthes), que pour mesurer les développements<br />

postérieurs. Ceci a produit une image stationnaire <strong>de</strong> toute la religion.<br />

Dans les décennies passées, l’histoire générale (<strong><strong>de</strong>s</strong> origines jusqu’au présent) du<br />

mazdéisme a néanmoins été écrite <strong>de</strong>ux fois, par Mary Boyce <strong>et</strong> par Michael<br />

Stausberg. La première en a apporté toutes ses puissances historiques <strong>et</strong><br />

philologiques, mais sa thèse d’une gran<strong>de</strong> continuité historique produite par les<br />

enseignements du prophète Zarathoustra a provoqué beaucoup d’objections. Le<br />

<strong>de</strong>uxième s’est largement limité à une approche <strong><strong>de</strong>s</strong>criptive. Nous nous trouvons<br />

encore face à la question posée il y a presque cinquante ans par Marijan Molé :<br />

une histoire du mazdéisme est-elle possible ?


908 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />

Dans ces quatre leçons, une réponse à Molé sera formulée : une histoire du<br />

mazdéisme est seulement possible quand on y reconnaît quatre phases distinctes <strong>et</strong><br />

s’efforce à penser quels ont pu être les liens entre ces phases. Première place doit être<br />

donné aux considérations sociologiques <strong>et</strong> au proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> repenser l’importance <strong>et</strong><br />

l’emploi <strong><strong>de</strong>s</strong> textes dits sacrés, qui ont été au centre <strong>de</strong> l’intérêt savant occi<strong>de</strong>ntal.<br />

Première leçon : La formation <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité mazdéenne<br />

La première leçon sert comme introduction méthodologique à l’histoire<br />

proprement dite, qui ne commence qu’avec les achéméni<strong><strong>de</strong>s</strong>. Avec le rej<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l’historicité <strong>de</strong> Zarathoustra par quelques savants mo<strong>de</strong>rnes vient aussi le rej<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

la notion d’une « conversion » <strong><strong>de</strong>s</strong> iraniens au mazdéisme. Il est important <strong>de</strong><br />

séparer l’un <strong>de</strong> l’autre, car l’existence <strong>de</strong> l’Avesta établit qu’une conversion a<br />

effectivement eu lieu. L’historicité <strong>de</strong> Zarathoustra n’est pas exclusivement une<br />

question <strong>de</strong> foi, mais aussi une question <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>. Pour étudier la formation <strong>de</strong><br />

l’i<strong>de</strong>ntité mazdéenne, la question la plus importante est <strong>de</strong> savoir comment<br />

expliquer les « nouveautés » <strong>de</strong> la religion mazdéenne, une autre question est <strong>de</strong><br />

métho<strong>de</strong>. Il est évi<strong>de</strong>nt que les règles doivent être établies <strong>de</strong> nouveau. Ceci n’est<br />

possible que quand on donne <strong><strong>de</strong>s</strong> définitions acceptables <strong>de</strong> toutes ces catégories<br />

qui jouent un rôle du premier plan : prophète, prêtre, conversion <strong>et</strong> la notion <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

« limites » d’une tradition religieuse. Toute approche historique est une approche<br />

comparative <strong>et</strong> il faut aussi nous unir sur les règles <strong>de</strong> la comparaison.<br />

Deuxième leçon : Le mazdéisme religion impériale<br />

Le mazdéisme commence dans une société sans rois <strong>et</strong> il survit dans une société<br />

sans roi (mazdéen). Entre les <strong>de</strong>ux se trouve la longue pério<strong>de</strong> du mazdéisme<br />

impérial, qui commence avec Darius <strong>et</strong> s’éteint avec le <strong>de</strong>rnier roi sassani<strong>de</strong>,<br />

Yaz<strong>de</strong>gerd III. Entre le vie siècle avant notre ère <strong>et</strong> le viie siècle <strong>de</strong> notre ère, on<br />

distingue quatre dynasties : les Achéméni<strong><strong>de</strong>s</strong>, (Alexandre <strong>et</strong>) les Séleuci<strong><strong>de</strong>s</strong>, les<br />

Arsaci<strong><strong>de</strong>s</strong> (Parthes) <strong>et</strong> les Sassani<strong><strong>de</strong>s</strong>. Les Séleuci<strong><strong>de</strong>s</strong>, d’origine macédonienne,<br />

n’étaient pas <strong><strong>de</strong>s</strong> mazdéens, mais le mazdéisme <strong><strong>de</strong>s</strong> Achéméni<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong><strong>de</strong>s</strong> Arsaci<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong><br />

même <strong><strong>de</strong>s</strong> Sassani<strong><strong>de</strong>s</strong>, a aussi été mis en doute. Ceci n’est possible que quand on<br />

les approche avec une définition stricte <strong>de</strong> la religion, qui est toujours fondée sur<br />

une combinaison <strong>de</strong> l’information fournie par l’Avesta avec les données <strong><strong>de</strong>s</strong> livres<br />

pehlevis. C<strong>et</strong>te combinaison ignore le rôle que les rois eux-mêmes ont joué dans<br />

le développement <strong>de</strong> la religion. Ainsi, le rapport <strong>de</strong> forces royales <strong>et</strong> religieuses a<br />

été fatalement renversé : les activités royales sont jugées comme si elles étaient<br />

déterminées par la religion, tandis qu’on doit (aussi) reconstruire comment les rois<br />

ont exercé leur pouvoir dans le domaine religieux.<br />

Troisième leçon : le quiétisme mazdéen<br />

Les conquêtes arabes <strong>de</strong> l’empire Sassani<strong>de</strong> ont, d’un seul coup, dérobé tout<br />

pouvoir profane aux mazdéens <strong>de</strong> l’Iran. Le succès <strong>de</strong> ces conquêtes est vu dans la


RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 909<br />

tradition (<strong>et</strong> l’historiographie) musulmane comme une <strong><strong>de</strong>s</strong> preuves <strong>de</strong> la supériorité<br />

<strong>de</strong> l’Islam. Pour les mazdéens, elles étaient une catastrophe. Les historiens mo<strong>de</strong>rnes<br />

ont largement suivi un modèle historique qui est dominé par notre connaissance<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> événements ultérieurs : le r<strong>et</strong>rait <strong><strong>de</strong>s</strong> mazdéens <strong>de</strong> l’Iran dans les déserts du<br />

centre du pays, avec l’émigration <strong>de</strong> la communauté <strong>de</strong> Khorasan à l’In<strong>de</strong> (les<br />

Parsis). Ce modèle dénie le fait que dans les premiers siècles <strong>de</strong> l’Hégire, les<br />

mazdéens <strong>de</strong> l’Iran ont participé à <strong>et</strong> bénéficié <strong>de</strong> la vie culturelle du nouvel empire<br />

Abbasi<strong>de</strong>. Le r<strong>et</strong>rait <strong><strong>de</strong>s</strong> mazdéens, <strong>et</strong> le quiétisme mazdéen, ne s’est produit<br />

qu’après les rai<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Saljûq <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Mongols. Après le xiii e siècle, les mazdéens<br />

— définis comme une minorité religieuse tolérée — continuent à démontrer leur<br />

participation à la culture iranienne, mais le transfert aux régions marginales est<br />

accompagné par une « émigration interne ». Dès le xv e siècle, les communautés <strong>de</strong><br />

l’Iran <strong>et</strong> d’In<strong>de</strong> échangent <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres <strong>et</strong> traités religieux. Ceci a souvent été présenté<br />

comme indicatif du fait que la communauté iranienne avait une position d’autorité<br />

spirituelle sur la communauté indienne. Le fait que les sources pour l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Parsis n’ont que très partiellement été publiées <strong>et</strong> encore moins étudiées rend toute<br />

tentative d’interprétation provisoire, mais du côté <strong><strong>de</strong>s</strong> Parsis on trouve aussi <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

fortes indications <strong>de</strong> participation à la société Indienne.<br />

Quatrième leçon : L’émancipation <strong><strong>de</strong>s</strong> mazdéens<br />

Les <strong><strong>de</strong>s</strong>tins <strong><strong>de</strong>s</strong> communautés indiennes <strong>et</strong> iraniennes suivent <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> distincts :<br />

pour les Parsis, le xixe siècle est le temps <strong>de</strong> l’émancipation <strong>et</strong> <strong>de</strong> la richesse. Pour<br />

les mazdéens <strong>de</strong> l’Iran, le xixe siècle est un temps <strong>de</strong> répression <strong>et</strong> <strong>de</strong> perte. C’est<br />

ainsi que les parsis se sont occupés d’améliorer la situation <strong><strong>de</strong>s</strong> mazdéens <strong>de</strong> l’Iran.<br />

Le haut-point <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te tentative est l’abolition du jizya, suivi par l’organisation <strong>de</strong><br />

l’éducation. On a souvent vu dans ce développement les germes <strong>de</strong> la réforme qui<br />

a pris place dans le xxe siècle. Dans le xxe siècle <strong>et</strong> encore plus dans les temps<br />

mo<strong>de</strong>rnes, les communautés mazdéennes du mon<strong>de</strong> se trouvent confrontés avec <strong>de</strong><br />

multiples difficultés sociales <strong>et</strong> religieuses. La question <strong>de</strong> l’influence <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

occi<strong>de</strong>ntales <strong>de</strong> la religion mazdéenne doit y être apportée.<br />

En conclusion, les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> lignes d’une histoire trimillénaire ont été revisitées.


910 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />

M. Ahmad Beydoun<br />

Professeur, université <strong>de</strong> Beyrouth (Liban)<br />

1. Du pacte <strong>de</strong> 1943 à l’accord <strong>de</strong> Taef : les résistances à la déconfessionnalisation<br />

;<br />

2. Ce qu’« indépendance » voulait dire…<br />

3. Une nouvelle donne inter-communautaire ?<br />

4. Le système politique libanais a-t-il un avenir ?<br />

La crise systémique qui menace <strong>de</strong> désintégrer l’État Libanais, <strong>et</strong> déjà en paralyse les<br />

institutions, est-elle une simple réédition <strong>de</strong> crises antérieures qui ont jalonné, plus ou<br />

moins régulièrement, l’histoire contemporaine <strong>de</strong> ce pays ? Sans nier les régularités<br />

que l’on constate en se plaçant à un niveau très élevé (<strong>et</strong> – croyons-nous – peu<br />

productif) d’abstraction, nous pensons qu’une approche singularisante <strong>de</strong> la crise en<br />

<strong>cours</strong> serait plus appropriée pour en cerner les mécanismes effectifs <strong>et</strong> tenter <strong>de</strong> mesurer<br />

son impact présent <strong>et</strong>, surtout, prévisible, sur le pays <strong>et</strong> son système politique.<br />

En eff<strong>et</strong>, dans la configuration <strong>de</strong> chaque crise libanaise, se trouve incorporé (à<br />

tout le moins) le « travail » du conflit précé<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses len<strong>de</strong>mains. C’est dire<br />

que la Guerre <strong>de</strong> 1975-1990 a bien eu lieu, que l’après-guerre qui s’est étendu sur<br />

une décennie <strong>et</strong> <strong>de</strong>mie imprime aussi son cach<strong>et</strong> à la conjoncture présente qui,<br />

ayant assimilé l’une <strong>et</strong> l’autre, ne peut les répéter. En nous exerçant à aller le plus<br />

loin possible dans le démantèlement <strong>de</strong> la fameuse aporie libanaise où il est question<br />

<strong>de</strong> « Nous » <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> « Autres », nous tenterons d’interroger sur la nouvelle donne<br />

intra- <strong>et</strong> intercommunautaire issue <strong><strong>de</strong>s</strong> développements <strong><strong>de</strong>s</strong> trois ou quatre <strong>de</strong>rnières<br />

décennies, la vacance potentielle <strong>de</strong> la fonction d’arbitrage politique, gérée <strong>et</strong>, du<br />

même coup, dissimulée par le tuteur syrien, la conjonction inédite d’un chiisme<br />

libanais en voie <strong>de</strong> cristallisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’alliance irano-syrienne – conjonction qui<br />

redéfinit les perspectives stratégiques <strong>de</strong> la donne su-mentionnée, <strong>et</strong>c.<br />

Compte sera tenu, pour ce faire, du système politique dans son entièr<strong>et</strong>é, c’est-àdire<br />

d’une société politique aux multiples clivages mais <strong>de</strong> plus en plus musclée <strong>et</strong><br />

ombrageuse <strong>et</strong> d’un État aux institutions déliquescentes mais plus âprement<br />

convoitées que jamais. La question serait alors <strong>de</strong> savoir si ce système possè<strong>de</strong> encore,<br />

dans la conjoncture durablement défavorable qui a déclenché sa crise, les ressources<br />

aptes à lui ménager une sortie <strong>de</strong> crise raisonnablement viable. Autrement libellée, la<br />

question serait <strong>de</strong> savoir si les forces politiques en présence, travaillées déjà par leur<br />

préparation à <strong><strong>de</strong>s</strong> conflits probables, voudront ou pourront, à un moment supposé<br />

opportun, se résigner aux lour<strong><strong>de</strong>s</strong> conditions, en termes <strong>de</strong> réforme institutionnelle<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> refonte politique <strong>et</strong> organisationnelle, d’un compromis stratégique.<br />

Les titres proposés pour chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences ne départageront que très<br />

approximativement les quatre étapes <strong>de</strong> l’analyse. À la fin du cycle, les thèmes<br />

indiqués auront été plus ou moins développés. On ne s’interdira pas, toutefois, <strong>de</strong> les<br />

faire empiéter les uns sur les autres, en vue <strong>de</strong> donner une cohérence à l’ensemble.


RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 911<br />

M. José Emilio Burucúa<br />

Professeur, université San Martín (Argentine)<br />

1. Le concept d’altérité <strong>et</strong> la représentation picturale<br />

<strong>de</strong> l’histoire d’Ulysse <strong>de</strong>puis la Renaissance<br />

La conférence s’attachera à la réception <strong>et</strong> au traitement du mythe d’Ulysse <strong>et</strong><br />

du récit <strong>de</strong> l’Odyssée dans la peinture italienne <strong>et</strong> flaman<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> xvi e <strong>et</strong> xvii e siècles.<br />

Elle montrera qu’une interprétation comique <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te histoire allait <strong>de</strong> pair avec<br />

l’idée d’un Ulysse découvreur, symbole <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong>ur intellectuelle <strong>et</strong> morale que<br />

la connaissance du prochain pouvait fournir aux hommes engagés dans la<br />

construction du mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne. L’étu<strong>de</strong> détaillée <strong><strong>de</strong>s</strong> fresques peintes par Pellegrino<br />

Tibaldi vers 1551 dans le Palais Poggi à Bologne sera placée au centre <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

conférence qui considérera les interprétations iconographiques <strong>de</strong> l’histoire entre la<br />

décoration <strong>de</strong> Pinturicchio dans la gran<strong>de</strong> salle du Palais P<strong>et</strong>rucci à Sienne en 1509<br />

<strong>et</strong> les tapisseries du cycle d’Ulysse <strong><strong>de</strong>s</strong>sinées par Jacob Jordaens autour <strong>de</strong> 1640.<br />

2. Le massacre ancien <strong>et</strong> le massacre mo<strong>de</strong>rne :<br />

problèmes d’historiographie <strong>et</strong> <strong>de</strong> représentation<br />

Le massacre est un événement <strong>de</strong> l’histoire humaine dont le récit a présenté pour<br />

les historiens grecs <strong>et</strong> romains d’énormes difficultés tant pour sa construction<br />

narrative que pour son explication rationnelle. C<strong>et</strong>te conférence montrera, en<br />

premier lieu, comment l’historiographie <strong>et</strong> l’art qui se sont occupés <strong>de</strong> l’expérience<br />

contemporaine <strong><strong>de</strong>s</strong> génoci<strong><strong>de</strong>s</strong> ont réédité, approfondi <strong>et</strong> dépassé ces dilemmes que<br />

les Anciens ont vécus avec perplexité scientifique <strong>et</strong> angoisse émotionnelle. En<br />

second lieu, à partir du recueil d’images <strong><strong>de</strong>s</strong> Histoires diverses qui sont mémorables<br />

touchant les guerres, massacres, & troubles, advenues en <strong>France</strong> ces <strong>de</strong>rnieres annees <strong>de</strong><br />

Perrissin <strong>et</strong> Tortorel (1569), elle présentera les mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> compréhension <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

représentation <strong>de</strong> quelques massacres mo<strong>de</strong>rnes qui, aux temps <strong><strong>de</strong>s</strong> guerres <strong>de</strong><br />

religion en <strong>France</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> la guerre <strong><strong>de</strong>s</strong> Trente Ans en Europe, reprennent les exemples<br />

anciens <strong>et</strong> les images du martyre chrétien.<br />

3. Les Pathosformeln du rire <strong>et</strong> la gravure européenne<br />

au début <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité<br />

Pour Aby Warburg, une Pathosformel est un ensemble <strong>de</strong> formes représentatives <strong>et</strong><br />

signifiantes, historiquement déterminées au moment <strong>de</strong> leur première synthèse, qui<br />

renforce la compréhension du sens <strong>de</strong> ce qui est représenté par la mobilisation du<br />

champ affectif dont une culture dispose pour accomplir les expériences fondamentales<br />

<strong>de</strong> la vie sociale. Chaque Pathosformel se transm<strong>et</strong> à travers les générations qui<br />

construisent un même horizon <strong>de</strong> civilisation, <strong>et</strong> elle connaît <strong><strong>de</strong>s</strong> temps <strong>de</strong> latence,<br />

<strong>de</strong> récupération, d’appropriations <strong>et</strong> <strong>de</strong> métamorphoses. L’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te conférence<br />

est la recherche <strong><strong>de</strong>s</strong> Pathosformeln sur lesquelles la première mo<strong>de</strong>rnité européenne a<br />

fondé les représentations <strong>de</strong> ses expériences du rire <strong>et</strong> du comique. La peinture <strong>de</strong> la


912 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />

Renaissance tardive sera explorée mais le champ privilégié <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> sera consacré à<br />

la production <strong><strong>de</strong>s</strong> gravures drôles <strong>et</strong> satiriques qui ont connu une très large circulation<br />

dans l’Italie <strong>et</strong> la <strong>France</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> xvi e <strong>et</strong> xvii e siècles.<br />

4. Les gravures du Quichotte dans le XVII e siècle français :<br />

les estampes <strong>de</strong> Jacques Lagni<strong>et</strong><br />

Il n’y a pas beaucoup <strong>de</strong> textes qui, comme le Quichotte, ont suscité, parmi les<br />

artistes du visuel, un élan si intense <strong>et</strong> si fréquent vers le désir ou la nécessité <strong>de</strong><br />

l’illustration. En Occi<strong>de</strong>nt, seulement la Bible <strong>et</strong> la Divine Comédie pourraient peutêtre<br />

se comparer au Quichotte dans le processus <strong>de</strong> génération d’images <strong><strong>de</strong>s</strong>tinées à<br />

accompagner ou, quelquefois, à suppléer <strong>et</strong> remplacer la lecture. Dans tous les cas,<br />

soit la représentation d’un récit proposé par un texte dont elle est une suite visuelle,<br />

soit la représentation <strong>de</strong> ce qui est raconté comme un point <strong>de</strong> départ pour la création<br />

d’un obj<strong>et</strong> séparé du texte même, il faudra se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r quelle est la place <strong>de</strong> chaque<br />

œuvre visuelle entre les <strong>de</strong>ux pôles possibles qui définissent les relations entre image<br />

<strong>et</strong> narration écrite, i.e. le pôle <strong>de</strong> l’illustration pure <strong>et</strong> subordonnée <strong>et</strong> le pôle <strong>de</strong> la<br />

recréation visuelle. La conférence essaiera <strong>de</strong> déterminer la position <strong><strong>de</strong>s</strong> trente-huit<br />

gravures <strong><strong>de</strong>s</strong> aventures <strong>de</strong> Don Quichotte <strong>et</strong> Sancho Panza, publiées par Jacques<br />

Lagni<strong>et</strong> entre 1650 <strong>et</strong> 1652, par rapport à c<strong>et</strong>te polarité. Les liens <strong>et</strong> les distances<br />

entre l’image <strong>et</strong> le texte chez Lagni<strong>et</strong> ont, en eff<strong>et</strong>, établi un mo<strong>de</strong> d’appropriation <strong>de</strong><br />

l’histoire du Quichotte qui va au-<strong>de</strong>là du grotesque pour atteindre une joyeuse<br />

abondance <strong>de</strong> significations dont la convergence <strong>de</strong>meure impossible.<br />

M. P<strong>et</strong>er Gol<strong>de</strong>n<br />

Professeur, université <strong>de</strong> Rutgers, New Jersey (États-Unis)<br />

Lecture I : The Question of Türk Origins<br />

The question of the ancient homeland of the Turkic peoples and the origins of the<br />

distinct grouping that bore the <strong>et</strong>hnonym Türk remain a topic of <strong>de</strong>bate. The earliest<br />

references to peoples that are presumed to be Turkic date to the era of the Xiongnu<br />

(2 nd century BC), well before the appearance of the Türks proper (mid-6 th century<br />

AD). The breakup of the Xiongnu (whose <strong>et</strong>hno-linguistic affiliations remain a<br />

matter of conjecture) produced the migrations of Oghuric-Turkic speaking peoples<br />

to the Kazakhstanian and then western Eurasian (Ponto-Caspian) steppes (4 th and<br />

5 th centuries AD). The rise of the Ashina, the ruling clan of the Türks, its origins in<br />

the poly<strong>et</strong>hnic bor<strong>de</strong>rlands of China and connections with the East Iranian world,<br />

were also ultimately a by-product of the migrations touched off by the collapse of<br />

the Xiongnu. Interestingly, none of the early Türk Qaghans bear Turkic names. The<br />

fall of the First Türk Qaghanate in 630 in the east brought about by the Tang led to


RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 913<br />

the close interaction of key elements of the Eastern Türks with China. The Tang<br />

emperor Taizong, calling himself “Heavenly Qaghan” in the Türk style and his<br />

successor, preserved the Türks for a time from steppe foes while attempting to use<br />

them as bor<strong>de</strong>r forces. The Türks broke free and foun<strong>de</strong>d the Second Türk Qaghanate<br />

(682-742). The <strong>et</strong>hnonym Türk spread as a generic term for Turkic (and some non-<br />

Turkic) steppe peoples among their neighbors and was used as a cultural marker by<br />

some Turkic peoples that had been part of the Türk Qaghanate.<br />

Lecture II : Successors of the Türks in the Western Eurasian Steppes-<br />

The Khazars and their Conversion to Judaism<br />

The Khazars (ca. mid-7 th century to 965-969), centered in the lower Volga with<br />

their capital at Atïl, created one of the largest polities of medieval Eurasia, extending<br />

from the Middle Volga in the north to the North Caucasus and Crimea in the south<br />

and from the western Eurasian steppes to western Kazakhstan and Uzbekistan in the<br />

east. It was a poly<strong>et</strong>hnic state with a population of Turkic, Iranian, Finno-Ugric,<br />

Slavic and Palaeo-Caucasian elements. Khazaria had an ongoing entente with<br />

Byzantium, serving as its partner in wars (during the latter part of the 7 th to mid-8 th<br />

century) with the Arabian Caliphate and as Constantinople’s first line of <strong>de</strong>fense in<br />

the steppes. During the 9 th and 10 th centuries, it was one of the major arteries of<br />

commerce b<strong>et</strong>ween Northern Europe and the Middle East as well as a connection to<br />

the Silk Road. The question of Khazar origins, a successor state of the Western Türks,<br />

and linguistic affiliations within Turkic remain problematic. Various Turkic<br />

groupings speaking Oghuric and Common Turkic composed the Khazar union. The<br />

belief system of the Khazars before their conversion to Judaism, as can be<br />

reconstructed from archaeological finds, <strong><strong>de</strong>s</strong>criptions of kindred subject peoples<br />

(e.g. the North Caucasian “Huns”) brief mentions in the Islamic geographers and<br />

other sources indicates Tengri (the celestial supreme <strong>de</strong>ity of the Turkic and Mongolic<br />

peoples) worship and shamanism. The lecture conclu<strong><strong>de</strong>s</strong> with a discussion of the<br />

much <strong>de</strong>bated dating of the conversion (most probably early 9 th century), the<br />

conversion narratives and the spread of Judaism among the population of Khazaria.<br />

Lecture III : Sacral Kingship in the Turkic World: The Khazar Mo<strong>de</strong>l<br />

Various forms of sacral kingship were wi<strong><strong>de</strong>s</strong>pread across Eurasia. It was known<br />

among the Türks and elements of it are reported among the Uyghurs (744-840)<br />

their successors in the east. Among the Khazars, the sacral kingship took on a<br />

somewhat different character leading to the transformation of the Khazar Qaghan<br />

into a ritually isolated, tabuized figure that reigned, but did not rule. The actual<br />

governance of the state was given to the Qaghan Beg/Ishâd, although the Qaghan<br />

r<strong>et</strong>ained great authority as the bearer of qut (heaven-sent good fortune). Even in<br />

<strong>de</strong>ath, he continued to be venerated. This transformation occurred in the 9 th<br />

century, as the Qaghan is noted in the sources as an active, governing figure before<br />

then. It was not connected with Judaization as ol<strong>de</strong>r Türk traditions of sacral<br />

kingship (e.g. the ritual strangulation of the Qaghan at investiture) of shamanic


914 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />

origin continued. One of the possible sources for this transformation may have<br />

been the Ors guard force of the Qaghans. The Ors were Khwârazmian in origin<br />

and a number of the practices associated with the later Khazar Qaghans are similar<br />

to Iranian (cf. Sasanid) traditions.<br />

Lecture IV : The Shaping of the Cuman-Qïpchaqs and their World<br />

The Cuman-Qïpchaqs constituted an acephalous, loosely held tribal union that<br />

dominated an area extending from the Pontic Steppes to Western Siberia and<br />

Uzbekistan, a region termed the Qïpchaq Steppe (cf. Pers. Dasht-i Qipchâq). The<br />

Cuman-Qïpchaqs integrated themselves into the regional political systems, serving<br />

as difficult, occasionally predatory neighbors and som<strong>et</strong>imes allies (cemented by<br />

marital ties) of the Rus’, Byzantium, Georgia, Khwârazm and Hungary. Cuman-<br />

Qïpchaq origins remain an ongoing question of Turkic Studies. They are known<br />

by a vari<strong>et</strong>y of names in a wi<strong>de</strong> range of Turkic, Mongol, European, Transcaucasian,<br />

Islamic and Chinese sources. The Cuman-Qïpchaqs <strong>de</strong>rived from elements of the<br />

Kimek confe<strong>de</strong>ration in Western Siberia (which contained Turkic and Mongolic<br />

elements) that was broken up (first half of the 11th century) by a series of<br />

migrations that began in the steppe bor<strong>de</strong>rlands of China. The contours of these<br />

events are preserved in the 12th century authors, al-Marwazî (repeated by Aufî –<br />

early 13th century) and Matthew of E<strong><strong>de</strong>s</strong>sa. This lecture suggests some new<br />

i<strong>de</strong>ntifications of the peoples mentioned in these accounts. It conclu<strong><strong>de</strong>s</strong> with a<br />

brief overview of the Cuman-Qïpchaq religious system.<br />

M me Jean Louise Cohen<br />

Professeur, université <strong>de</strong> Columbia (États-Unis)<br />

R<strong>et</strong>hinking Sovereignty,<br />

Rights and International Law in the Epoch of Globalization<br />

Two <strong>de</strong>velopments associated with globalization challenge the way we think about<br />

rights, sovereignty and international law. The first is the increasingly influential<br />

dis<strong>cours</strong>e of international human rights. This dis<strong>cours</strong>e has led cosmopolitan legal<br />

and moral theorists to argue that the “sovereignty” and external legitimacy of<br />

governments should be contingent on their being both non-aggressive and minimally<br />

just. A radical i<strong>de</strong>a is at stake : that the international community may enforce moral<br />

principles and legal rules regulating the conduct of governments toward their own<br />

citizens. The second <strong>de</strong>velopment is the expanding reach of global governance<br />

institutions that make authoritative policies and coercive legal rules regulating the<br />

actions of state and non-state actors. The global political system centered in the<br />

U.N. now acts in response to the proliferation of new threats to international peace<br />

and security coming from civil wars, failing states, transnational terrorism and the


RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 915<br />

risk that private individuals will acquire weapons of mass <strong><strong>de</strong>s</strong>truction. The dangers<br />

these threats pose to “human security” seem to indicate the necessity to transcend the<br />

state centric, sovereignty oriented mo<strong>de</strong>l of international relations and international<br />

law. In<strong>de</strong>ed many have argued that we are witnessing the constitutionalisation of<br />

international law, and that the <strong>de</strong>coupling of that law from the state, means that the<br />

latter has lost legal as well as political sovereignty. Sovereignty is <strong>de</strong>emed an<br />

anachronistic concept, ina<strong>de</strong>quate for un<strong>de</strong>rstanding the new world or<strong>de</strong>r<br />

characterized by global politics and global law. Developments such as humanitarian<br />

intervention, transformative occupation regimes, and legislation by the United<br />

Nations Security Council to counter the “emergency” posed by global terrorism are<br />

seen as the key constitutional moments in the <strong>de</strong>velopment of a new world or<strong>de</strong>r.<br />

This lecture series will challenge the notion that we are en route to a cosmopolitan<br />

world or<strong>de</strong>r without the sovereign state. Instead of <strong>de</strong>fending a “state-centric”<br />

sovereigntist position, however, I will argue in favor of a dualist conception of the<br />

new world or<strong>de</strong>r, for which the concept of changing “sovereignty regimes” is more<br />

appropriate than cosmopolitanism. I will embrace the project of the “further<br />

constitutionalisation” of international law, as the only acceptable alternative to<br />

empire or to the disintegration of the international or<strong>de</strong>r into regional “grossraume”,<br />

but I will do so on the basis of a constitutional pluralist, rather than a monist<br />

perspective. The first lecture will address the theor<strong>et</strong>ical issues involved in r<strong>et</strong>hinking<br />

the relation b<strong>et</strong>ween sovereignty, and the globalization/constitutionalisation of<br />

international law. The second will address the question of how to think about the<br />

relation b<strong>et</strong>ween human rights and sovereign equality, the two key principles of the<br />

global legal or<strong>de</strong>r, in the epoch of humanitarian intervention, construed as the<br />

enforcement by the international community of human rights. The third will address<br />

the paradoxes involved in the transformative occupations that follow upon<br />

humanitarian intervention regarding the concepts of sovereignty, popular sovereignty<br />

and self-d<strong>et</strong>ermination. The last will take up the dilemmas produced the fact that the<br />

Security Council has started legislating in the global war on terror, in ways that<br />

un<strong>de</strong>rmine human rights in the name of human security and threaten both domestic<br />

as well as global constitutionalism. In each case I will argue that the legitimacy of<br />

global governance and of global governance institutions <strong>de</strong>pends now on formal legal<br />

reform involving the participation of all member states, of the new world or<strong>de</strong>r.<br />

l. Sovereignty and International Law Revisited : A Pluralist Perspective.<br />

2. R<strong>et</strong>hinking Human Rights and Sovereign Equality in the epoch of<br />

Humanitarian Intervention.<br />

3. Toward a Jus Post Bellum for Transformative and/or Humanitarian<br />

Occupations.<br />

4. A Global State of Emergency or the Further Constitutionalisation of<br />

International Law.


916 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />

M. Victor I. Stoichita<br />

Professeur à l’université <strong>de</strong> Fribourg (Suisse)<br />

Des Larmes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> saints<br />

Le mot « vision », disait Thomas d’Aquin, peut avoir <strong>de</strong>ux sens : dans le premier, il<br />

signifie la perception par l’organe <strong>de</strong> la vue ; dans le second, il est appliqué à la perception<br />

interne due à l’imagination ou à l’intellect (Summa theologica, I, q. LVII, a, 1).<br />

Au sens mystique, l’épreuve visionnaire n’est pas nécessairement une expérience<br />

optique, tout en étant une expérience <strong>de</strong> l’image. C<strong>et</strong>te image peut revêtir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>de</strong>grés <strong>de</strong> clarté variables. La plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> mystiques sont pourtant d’accord sur le<br />

fait que la rencontre avec le transcendant est, dans son essence, ineffable, inénarrable,<br />

irreprésentable, ce qui n’empêche pas que la culture occi<strong>de</strong>ntale dispose d’innombrables<br />

textes littéraires <strong>et</strong> d’autant d’œuvres d’art qui en parlent. Il s’agit pourtant<br />

d’images <strong>et</strong> <strong>de</strong> textes problématiques <strong>et</strong> paradoxaux puisqu’ils représentent ce qui,<br />

a priori, ne peut être ni vu, ni représenté.<br />

C’est justement le grand problème <strong>de</strong> la « représentation <strong>de</strong> l’irreprésentable »<br />

que c<strong>et</strong>te série <strong>de</strong> conférence se propose d’abor<strong>de</strong>r. La peinture espagnole du xvi e<br />

<strong>et</strong> du xvii e siècles fournira la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> exemples, mais l’enjeu <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te recherche<br />

est plus vaste. Il s’agit, en fait, d’abor<strong>de</strong>r un cas extrême <strong>de</strong> la représentation<br />

figurative, dans un espace géographique limité mais sur une toile <strong>de</strong> fond très<br />

ample. C<strong>et</strong>te toile <strong>de</strong> fond est constituée, d’un côté, par l’art occi<strong>de</strong>ntal <strong>de</strong> la même<br />

époque <strong>et</strong>, <strong>de</strong> l’autre, par la spiritualité <strong>de</strong> la Contre-Réforme, qui redécouvre le<br />

rôle <strong>de</strong> l’imaginaire dans l’exercice <strong>de</strong> la foi.<br />

Pour assumer c<strong>et</strong>te tâche, les conférences emprunteront le chemin le plus direct :<br />

interroger la langue originaire <strong><strong>de</strong>s</strong> images, essayer <strong>de</strong> déchiffrer le mécanisme <strong>de</strong><br />

leur fonctionnement en tant qu’images relatant une expérience d’image (une<br />

« vision »). Elles s’arrêteront sur les mécanismes <strong>de</strong> dédoublement métapictural à<br />

l’œuvre dans les tableaux <strong>de</strong> visions, interrogeront le rôle du corps en extase dans<br />

la communication d’une expérience inénarrable. La démarche interprétative, simple<br />

quant à son point <strong>de</strong> départ, ne sera exempte ni <strong>de</strong> risques ni <strong>de</strong> difficultés, car les<br />

caractéristiques fondamentales <strong>de</strong> l’imaginaire occi<strong>de</strong>ntal se trouvent ici<br />

indéniablement poussées jusque dans leurs <strong>de</strong>rniers r<strong>et</strong>ranchements.


RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 917<br />

M. Gyorgy Buzsáki<br />

Professeur à l’Université Rutgers, Newark (États-Unis)<br />

1. Neuronal synchrony : m<strong>et</strong>abolic and wiring costs of excitatory<br />

and inhibitory systems<br />

The major part of the brain’s energy budg<strong>et</strong> (~ 60-80%) is <strong>de</strong>voted to its<br />

communication activities. While inhibition is critical to brain function, relatively<br />

little attention has been paid to its m<strong>et</strong>abolic costs. Un<strong>de</strong>rstanding how inhibitory<br />

interneurons contribute to brain energy consumption (brain work) is not only of<br />

interest in un<strong>de</strong>rstanding a fundamental aspect of brain function but also in<br />

un<strong>de</strong>rstanding functional brain imaging techniques which rely on measurements<br />

related to blood flow and m<strong>et</strong>abolism. I this talk I will examine issues relevant to<br />

an assessment of the work performed by inhibitory interneurons in the service of<br />

brain function.<br />

2. Neuronal synchrony : oscillatory and non-oscillatory emergence<br />

of cell assemblies<br />

Timing of spikes within the th<strong>et</strong>a cycle has been shown to reflect the spatial<br />

position of the animal (“phase precession”). The phase of spikes correlates more<br />

strongly with distance than with the time elapsed from the point the rat enters the<br />

place field. We show here that at faster running speeds place cells are active for fewer<br />

th<strong>et</strong>a cycles but oscillate at a higher frequency and emit more spikes per cycle. As a<br />

result, the phase shift of spikes from cycle to cycle (i.e., temporal precession slope) is<br />

faster. Interneurons also show transient phase precession and contribute to the<br />

formation of coherently precessing assemblies. Thus, the speed-correlated increase<br />

of place cell oscillation is responsible for the phase-distance invariance of hippocampal<br />

place cells.We report that temporal spike sequences from hippocampal “place”<br />

neurons on an elevated track recur in reverse or<strong>de</strong>r at the end of a run but in forward<br />

or<strong>de</strong>r in anticipation of the run, coinciding with sharp waves. Vector distances<br />

b<strong>et</strong>ween the place fields are reflected in the temporal structure of these sequences.<br />

This bidirectional reenactment of temporal sequences may contribute to the<br />

establishment of higher or<strong>de</strong>r associations in episodic memory.<br />

3. Neuronal synchrony : internally advancing assemblies<br />

in the hippocampus<br />

Five key topics have been reverberating in hippocampal-entorhinal cortex<br />

research over the past five <strong>de</strong>ca<strong><strong>de</strong>s</strong>: episodic and semantic memory, path integration<br />

(“<strong>de</strong>ad reckoning”) and landmark (“map”) navigation, and th<strong>et</strong>a oscillation. We<br />

suggest that the systematic relations b<strong>et</strong>ween single cell discharge and the activity<br />

of neuronal ensembles reflected in local field th<strong>et</strong>a oscillations, provi<strong>de</strong> a useful


918 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />

insight into the relationship among these terms. In rats trained to run in directiongui<strong>de</strong>d<br />

(1-dimensional) tasks, hippocampal cell assemblies discharge sequentially,<br />

with different assemblies active on opposite runs, that is place cells are unidirectional.<br />

Such tasks do not require map representation and are formally i<strong>de</strong>ntical with<br />

learning sequentially occurring items in an episo<strong>de</strong>. Hebbian plasticity, acting<br />

within the temporal window of the th<strong>et</strong>a cycle, converts the travel distances into<br />

synaptic strengths b<strong>et</strong>ween the sequentially activated and unidirectionally connected<br />

assemblies. In contrast, place representations by hippocampal neurons in<br />

2-dimensional environments are typically omnidirectional, characteristic of a map.<br />

Generation of a map requires exploration, essentially a <strong>de</strong>ad reckoning behavior. I<br />

suggest that orthogonal and omnidirectional navigation through the same places<br />

(junctions) during exploration gives rise to omnidirectional place cells and,<br />

consequently, maps free of temporal context. Analogously, multiple crossings of<br />

common junction(s) of episo<strong><strong>de</strong>s</strong> convert the common junction(s) into context-free<br />

or semantic memory. Th<strong>et</strong>a oscillation can hence be conceived as the navigation<br />

rhythm through both physical and mnemonic space, facilitating the formation of<br />

maps and episodic/semantic memories.<br />

A longstanding conjecture in neuroscience is that aspects of cognition <strong>de</strong>pend on<br />

the brain’s ability to self-generate sequential neuronal activity. We found that reliably<br />

and continually-changing cell assemblies in the rat hippocampus appeared not only<br />

during spatial navigation but also in the absence of changing environmental or<br />

body-<strong>de</strong>rived inputs. During the <strong>de</strong>lay period of a memory task each moment in<br />

time was characterized by the activity of a unique assembly of neurons. I<strong>de</strong>ntical<br />

initial conditions triggered a similar assembly sequence, whereas different conditions<br />

gave rise, uniquely, to different sequences, thereby predicting behavioral choices,<br />

including errors. Such sequences were not formed in control, non-memory, tasks.<br />

We hypothesize that neuronal representations, evolved for encoding distance in<br />

spatial navigation, also support episodic recall and the planning of action sequences.<br />

4. Neuronal synchrony : coupling of hippocampal<br />

and neocortical systems<br />

Both the thalamocortical and limbic systems generate a vari<strong>et</strong>y of brain state<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt<br />

rhythms but the relationship b<strong>et</strong>ween the oscillatory families is not well<br />

un<strong>de</strong>rstood. Transfer of information across structures can be controlled by the<br />

offs<strong>et</strong> oscillations. I suggest that slow oscillation of the neocortex, temporally<br />

coordinates the self-organized oscillations in the neocortex, entorhinal cortex,<br />

subiculum and hippocampus. Transient coupling b<strong>et</strong>ween rhythms can gui<strong>de</strong><br />

bidirectional information transfer among these structures and might serve to<br />

consolidate memory traces.


RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 919<br />

M. Gaëtan Chenevier<br />

Chargé <strong>de</strong> recherches au CNRS<br />

Variétés <strong>de</strong> Hecke <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes unitaires <strong>et</strong> représentations galoisiennes<br />

Soient E un corps <strong>de</strong> nombres, p un nombre premier, S un ensemble fini <strong>de</strong><br />

premiers <strong>de</strong> E (contenant ceux divisant p), <strong>et</strong> G S le groupe <strong>de</strong> Galois d’une<br />

extension algébrique maximale <strong>de</strong> E non ramifiée hors <strong>de</strong> S. Nous nous intéressons<br />

à l’espace analytique p-adique X d paramétrant les représentations (semi-simples) <strong>de</strong><br />

G S <strong>de</strong> dimension d <strong>et</strong> à coefficients p-adiques. Un sous-ensemble dénombrable<br />

naturel Z <strong>de</strong> X d est donné par les représentations dites « géométriques », qui<br />

apparaissent (à torsion près) dans la cohomologie étale <strong><strong>de</strong>s</strong> variétés projectives lisses<br />

sur E, <strong>et</strong> la question s’est posée <strong>de</strong> comprendre ce lieu. En 1995, Gouvêa-Mazur<br />

<strong>et</strong> Coleman ont démontré que pour E = �, l’ensemble Z est Zariski-<strong>de</strong>nse dans<br />

certaines composantes connexes <strong>de</strong> X 2 (qui sont <strong><strong>de</strong>s</strong> boules ouvertes <strong>de</strong> dimension 3).<br />

L’objectif du <strong>cours</strong> est d’étudier le cas <strong>de</strong> la dimension supérieure, notamment la<br />

contribution <strong>de</strong> la partie Z u <strong>de</strong> Z provenant <strong><strong>de</strong>s</strong> variétés <strong>de</strong> Shimura associées aux<br />

groupes unitaires sur �. Nous supposons pour cela que E est un corps quadratique<br />

imaginaire (dans lequel p est décomposé) <strong>et</strong> que toutes les représentations en jeu<br />

satisfont <strong>de</strong> plus une condition d’auto-dualité. Le théorème principal est alors que<br />

Z u est Zariski-<strong>de</strong>nse dans certaines composantes <strong>de</strong> X 3 (qui sont <strong><strong>de</strong>s</strong> boules ouvertes<br />

<strong>de</strong> dimension 6). Nous développons <strong>de</strong> plus un ensemble <strong>de</strong> résultats perm<strong>et</strong>tant<br />

<strong>de</strong> « minorer » l’adhérence <strong>de</strong> Zariski <strong>de</strong> Z u en toutes les dimensions d, <strong>et</strong> nous<br />

étudions un analogue <strong>de</strong> ces questions pour le groupe <strong>de</strong> Galois absolu <strong>de</strong> � p.<br />

Le <strong>cours</strong> s’est composé <strong>de</strong> quatre séances <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux heures chacune, dont nous<br />

décrivons maintenant brièvement le contenu.<br />

D’après les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> nombreux auteurs, aux points <strong>de</strong> Z u sont associées <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

représentations automorphes pour divers groupes unitaires à d variables attachés à<br />

E/� ; la première partie du <strong>cours</strong> a consisté en une analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> congruences<br />

modulo une puissance <strong>de</strong> p entre celles-ci. Nous travaillons avec <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes<br />

unitaires U dont les points réels sont compacts, <strong>et</strong> l’objectif est d’étendre à ces<br />

<strong>de</strong>rniers les résultats sur les familles p-adiques <strong>de</strong> formes modulaires obtenus par<br />

Hida, Coleman <strong>et</strong> Coleman-Mazur dans le cadre du groupe GL 2 sur �. Pour un<br />

tel groupe U, nous définissons ce qu’est une « représentation automorphe p-adique<br />

<strong>de</strong> pente finie » <strong>et</strong> nous démontrons que l’ensemble <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières forme un<br />

espace analytique p-adique naturel : la « variété <strong>de</strong> Hecke » <strong>de</strong> U. C<strong>et</strong> espace,<br />

disons noté Y d (U ), est d’équi-dimension d. Il peut être vu comme une interpolation<br />

p-adique d’une partie du spectre automorphe (discr<strong>et</strong>) <strong>de</strong> U. En eff<strong>et</strong>, à chaque<br />

paire (Π, R) formée d’une représentation automorphe Π <strong>de</strong> U telle que Π p est non<br />

ramifiée, <strong>et</strong> d’un « raffinement » R <strong>de</strong> Π p (essentiellement, un ordre total sur les<br />

valeurs propres <strong>de</strong> la classe <strong>de</strong> Langlands <strong>de</strong> Π p), est associé un point dit « classique »<br />

<strong>de</strong> Y d (U ) ; les points classiques sont Zariski-<strong>de</strong>nses dans Y d (U ).


920 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />

Lorsque nous savons associer aux représentations automorphes <strong>de</strong> U les<br />

représentations galoisiennes prédites par Langlands <strong>et</strong> Arthur (par exemple quand<br />

d ≤ 3 ou sous certaines hypothèses locales), nous obtenons par interpolation un<br />

morphisme Yd (U ) → Xd, qui se trouve être quasi-fini. Il envoie les points classiques<br />

<strong>de</strong> Yd (U ) dans Zu, mais son image, disons notée Fd, est assez complexe. En eff<strong>et</strong>,<br />

d( d )<br />

l’espace Xd est <strong>de</strong> dimension +1 en général alors que Y<br />

2<br />

d (U ) est <strong>de</strong> dimension<br />

d ; <strong>de</strong> plus, en chaque point x <strong>de</strong> Zu qui est l’image d’un point classique <strong>de</strong> Yd (U )<br />

passe en général d ! branches <strong>de</strong> Fd, correspondant aux différents choix <strong>de</strong><br />

raffinements associés aux antécé<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> x dans Yd (U ). Il en résulte que Fd adm<strong>et</strong><br />

une structure <strong>de</strong> type fractal. L’obj<strong>et</strong> analogue dans le cadre <strong>de</strong> GL2 avait été mis<br />

en évi<strong>de</strong>nce par Gouvêa <strong>et</strong> Mazur, qui lui ont donné le nom <strong>de</strong> « fougère infinie »<br />

(que l’on reprendra pour Fd) pour en illustrer c<strong>et</strong> aspect.<br />

La secon<strong>de</strong> partie du <strong>cours</strong> a constitué en l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Fd. L’objectif est <strong>de</strong><br />

comprendre les positions relatives <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes branches <strong>de</strong> la fougère Fd au<br />

voisinage d’un point x <strong>de</strong> Zu comme plus haut. Le résultat principal est que sous<br />

une condition purement locale en p <strong>de</strong> « généricité » sur x que nous définissons,<br />

la somme <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces tangents <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes branches <strong>de</strong> Fd en x est <strong>de</strong> dimension<br />

d( d )<br />

au moins +1 ; nous en déduisons les résultats annoncés au premier paragraphe.<br />

2<br />

Pour démontrer c<strong>et</strong> énoncé, nous étudions tout d’abord la restriction au groupe <strong>de</strong><br />

Galois absolu <strong>de</strong> �p <strong>de</strong> la famille p-adique naturelle <strong>de</strong> représentations <strong>de</strong> GS portée par Yd (U ). Ses propriétés s’interprêtent <strong>de</strong> manière naturelle à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />

théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> (ϕ, Γ)-modules <strong>et</strong> <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> représentations « triangulines »<br />

(Colmez), qui perm<strong>et</strong>tent notamment <strong>de</strong> comprendre le pendant galoisien <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

« raffinements » intervenus plus haut. En dimension 2, ces résultats sont dus à<br />

Kisin <strong>et</strong> Colmez ; les généralisations nécessaires à la dimension supérieure présentées<br />

dans le <strong>cours</strong> sont un travail en commun avec Joël Bellaïche. Ceci étant fait, nous<br />

nous ramenons à démontrer un énoncé purement local, concernant la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

représentations cristallines <strong>de</strong> Fontaine : « Toute déformation à l’ordre un d’une<br />

représentation cristalline générique est combinaison linéaire <strong>de</strong> déformations<br />

triangulines ».<br />

À la fin du <strong>cours</strong>, nous avons illustré nos résultats par un exemple explicite <strong>de</strong><br />

composante <strong>de</strong> X 3 attachée au carré symétrique <strong>de</strong> la courbe elliptique X 0(19).


RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 921<br />

M. Dong-Hyun Son<br />

Professeur, Sungkyunkwan University, Séoul (Corée du Sud)<br />

Une anthropologie philosophique <strong><strong>de</strong>s</strong> technologies <strong>de</strong> l’information<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> la communication : une réflexion taoïste sur la réalité virtuelle<br />

Conférence donnée le 20 novembre 2007<br />

La culture post-mo<strong>de</strong>rne contemporaine, qu’on appelle aujourd’hui la « société<br />

<strong>de</strong> l’information », est saturée <strong>de</strong> réalité virtuelle. Les technologies <strong>de</strong> l’information<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> la communication constituent le moteur <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te réalité virtuelle qui établit<br />

un nouveau Lebenswelt. C’est la « révolution digitale » qui a rendu possible ces<br />

nouvelles technologies, qui résultent <strong>de</strong> la fusion <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux technologies différentes :<br />

la technologie <strong>de</strong> l’intelligence artificielle <strong>et</strong> la technologie <strong>de</strong> la sensation. La<br />

première consiste dans l’intensification <strong>de</strong> la faculté humaine <strong>de</strong> « penser », qui<br />

nous perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> dépasser les restrictions organiques dues au corps dans le corps<br />

lui-même. La secon<strong>de</strong> est l’extension <strong>de</strong> la faculté humaine <strong>de</strong> « sentir » : elle<br />

perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> dépasser les restrictions spatio-temporelles en <strong>de</strong>hors du corps.<br />

La caractéristique absolument nouvelle du mélange <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux technologies rési<strong>de</strong><br />

dans sa capacité à associer « noesis » <strong>et</strong> « aisthesis » : l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la pensée (l’unité<br />

logico-mathématique) <strong>et</strong> l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la sensation (sense data) se transforment l’un dans<br />

l’autre. Le cyber-espace, base ontologique <strong>de</strong> la réalité virtuelle, trouve son origine<br />

dans c<strong>et</strong>te convergence technologique. La réalité virtuelle, fondée sur le cyber-espace,<br />

peut s’éloigner du mon<strong>de</strong> naturel en dépassant les restrictions naturelles qui ont été<br />

si longtemps associées à la condition humaine. Le cyber-espace n’est pas réellement<br />

un espace : il n’y subsiste ni extensionalité ni distance. Et là où nulle distance ne<br />

subsiste, le temps aussi disparaît. Dans c<strong>et</strong> espace hybri<strong>de</strong>, où l’i<strong>de</strong>ntité <strong>et</strong> la différence<br />

coexistent sans pouvoir être distinguées, rien <strong>de</strong> substantiel ne <strong>de</strong>meure. La<br />

simultanéité <strong>et</strong> l’instantanéité provoquent la « déterritorialisation » <strong><strong>de</strong>s</strong> choses.<br />

La culture, considérée comme le produit <strong><strong>de</strong>s</strong> activités spirituelles humaines, est<br />

fondamentalement une transformation ou une variation <strong>de</strong> la nature. Et même si<br />

la culture transcen<strong>de</strong> la nature, elle ne peut pas apparaître si elle en est coupée. La<br />

« culture <strong>de</strong> l’information », qui repose ontologiquement sur la réalité virtuelle,<br />

peut échapper au contrôle humain, dans la mesure où la réalité virtuelle outrepasse<br />

les limites <strong>de</strong> n’importe quelle expérience humaine concevable. Au contraire, la<br />

culture au sens ordinaire renvoie à l’esprit humain qui est objectivé dans la réalité<br />

naturelle. Elle reste ainsi dans le domaine <strong><strong>de</strong>s</strong> activités humaines, qui ne lui<br />

perm<strong>et</strong>tent pas <strong>de</strong> transcen<strong>de</strong>r la nature.<br />

La réalité virtuelle apparaît donc comme une production très artificielle, dans la<br />

perspective <strong>de</strong> l’enseignement <strong>de</strong> Lao-Tseu. Celui-ci affirmait en eff<strong>et</strong> que nous ne<br />

<strong>de</strong>vrions rien ajouter d’artificiel au mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> laisser les choses telles qu’elles sont, <strong>de</strong><br />

manière à connaître la réalité telle qu’elle est vraiment pour ensuite agir droitement.


922 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />

Pour ce qui est <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres humains, le Mon<strong>de</strong> entendu comme un tout n’est pas<br />

un fait, mais seulement une idée. Ce qui nous est donné au travers <strong>de</strong> nos activités<br />

n’est pas le mon<strong>de</strong> lui-même mais plusieurs « mon<strong><strong>de</strong>s</strong> » ou seulement quelques<br />

aspects du mon<strong>de</strong>. La technologie, à l’instar <strong>de</strong> n’importe quelle autre activité<br />

humaine, constitue, ou plutôt nous révèle, un mon<strong>de</strong> unique, qui a sa nature <strong>et</strong><br />

ses caractéristiques propres. Les technologies <strong>de</strong> l’information <strong>et</strong> <strong>de</strong> la communication<br />

ont donné naissance à un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> réalité virtuelle, qui n’a pas besoin <strong>de</strong> suivre<br />

les principes du mon<strong>de</strong> naturel ordinaire. Grâce à son « hyper-réalité », nous<br />

pouvons maintenant découvrir <strong>de</strong> nombreux mon<strong><strong>de</strong>s</strong> possibles <strong>et</strong> étendre<br />

indéfiniment le domaine <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> l’humanité.<br />

Aujourd’hui, la « digitalisation » <strong>de</strong> la variété <strong><strong>de</strong>s</strong> activités <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences<br />

humaines dans un co<strong>de</strong> neutre, qui se diffuse dans tout le cyber-espace, est <strong>de</strong>venue<br />

en quelque sorte routinière. À première vue, ce mouvement apparaît comme un<br />

progrès pour le bien-être <strong>de</strong> l’humanité. Pourtant, il masque le danger que ne<br />

soient détruites <strong>et</strong> fragmentées la subjectivité <strong>et</strong> l’i<strong>de</strong>ntité personnelle. L’enseignement<br />

<strong>de</strong> Lao-Tseu, quand il nous enjoint <strong>de</strong> « ne rien faire », suppose « l’équilibre <strong>et</strong><br />

l’harmonie » au sein <strong><strong>de</strong>s</strong> différents points <strong>de</strong> vue, <strong><strong>de</strong>s</strong> différents « mon<strong><strong>de</strong>s</strong> », dans<br />

l’intérêt du tout, c’est-à-dire du Mon<strong>de</strong>. Le fait que le cyber-mon<strong>de</strong>, qui n’est<br />

qu’un <strong><strong>de</strong>s</strong> mon<strong><strong>de</strong>s</strong>, s’impose au détriment <strong><strong>de</strong>s</strong> autres mon<strong><strong>de</strong>s</strong> constitués par la<br />

variété <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences humaines, doit être examiné d’un point <strong>de</strong> vue ontologique.<br />

Sans un fon<strong>de</strong>ment ontologique soli<strong>de</strong>, le cyber-mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>meurera fragile. Et la<br />

démarcation entre le mon<strong>de</strong> réel <strong>et</strong> le mon<strong>de</strong> imaginaire se révélera <strong>de</strong> plus en plus<br />

obscure, porteuse <strong>de</strong> risques qui nous sont encore inconnus.<br />

M me Maria Luisa Menegh<strong>et</strong>ti<br />

Professeur, Università <strong>de</strong>gli Studi di Milano (Italie)<br />

Les frontières du grand chant courtois<br />

Le concept <strong>de</strong> grand chant courtois, <strong>de</strong> même que son antécé<strong>de</strong>nt plus générique<br />

– mais plus « fort » du point <strong>de</strong> vue théorique –, celui <strong>de</strong> poésie formelle, a conditionné,<br />

en bien ou en mal, la réflexion sur la poésie lyrique médiévale <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre ou cinq<br />

<strong>de</strong>rnières décennies. On a cependant l’impression que <strong>de</strong>puis longtemps, dans la<br />

communis opinio <strong><strong>de</strong>s</strong> critiques, les <strong>de</strong>ux concepts ont été tellement simplifiés <strong>et</strong><br />

vulgarisés qu’ils ont prêté le flanc à toute une série d’objections, notamment <strong>de</strong> la<br />

part <strong><strong>de</strong>s</strong> partisans d’une approche plus sensible à l’épaisseur idéologique <strong>et</strong> culturelle<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> textes <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs auteurs. Ce n’est donc qu’à partir d’un réexamen du sens primitif<br />

donné à ces <strong>de</strong>ux concepts par leur inventeur, Robert Gui<strong>et</strong>te, que l’on peut essayer<br />

<strong>de</strong> montrer dans quelle mesure ils pourront encore se révéler utiles <strong>et</strong> efficaces dans le<br />

cadre <strong>de</strong> la recherche actuelle.


RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 923<br />

Lorsque l’on s’en tient aux principes les plus généraux <strong>de</strong> la réflexion <strong>de</strong> Gui<strong>et</strong>te,<br />

on se rend d’abord compte qu’il considérait, en principe, la poésie formelle comme<br />

une modalité stylistique typiquement médiévale, dans laquelle la structure rhétoricomusicale<br />

apparaît inséparable d’un contenu déterminé pour ainsi dire<br />

idéologiquement, tandis que le grand chant courtois aurait été, à son avis, un<br />

véritable genre, qui se développa dans un milieu historique <strong>et</strong> culturel très précis<br />

– celui <strong><strong>de</strong>s</strong> poètes aristocratiques d’oïl d’avant la troisième décennie du xiii e siècle –,<br />

sans aucune possibilité d’extension abusive à d’autres réalités lyriques. Deuxièmement,<br />

Gui<strong>et</strong>te voyait l’élément fondateur <strong>de</strong> la poésie formelle dans une typologie<br />

communicative que l’on pourrait, d’après les acquisitions <strong>de</strong> la critique postbachtinienne,<br />

appeler « interdiscursive » ; cela signifie que, pour comprendre le<br />

sens <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te poésie, il est nécessaire <strong>de</strong> fixer son attention non pas sur le texte<br />

isolé, mais sur la série textuelle dont celui-ci fait partie : pour le créateur <strong>de</strong> poésie<br />

comme pour son public, ce qui compte vraiment est l’expérience <strong>de</strong> la sérialité.<br />

Cela dit, on peut ajouter que <strong>de</strong>ux éléments ont contribué à renforcer la<br />

« conscience du genre » chez les poètes d’oïl <strong>et</strong> le public contemporain du grand<br />

chant courtois : en premier lieu, l’évi<strong>de</strong>nte homogénéité structurelle <strong>et</strong> thématique<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> textes, puisqu’avec la forme <strong>de</strong> la chanson ne sont réalisées que <strong><strong>de</strong>s</strong> œuvres dont<br />

le suj<strong>et</strong> est <strong>de</strong> nature amoureuse, exprimé selon les formules <strong>de</strong> l’effusion <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

sentiments <strong>et</strong> traité dans le cadre consolidé <strong>de</strong> l’idéologie <strong>de</strong> l’amour courtois ; en<br />

second lieu, l’opposition, n<strong>et</strong>te <strong>et</strong> essentiellement binaire, entre la chanson <strong>et</strong> les<br />

genres poétiques à forme fixe qui sont souvent (mais pas uniquement) d’origine<br />

populaire. Par contre, la canso occitane, qui est pourtant la concrétisation d’un art<br />

formel fondé sur <strong><strong>de</strong>s</strong> bases fort semblables à celles du grand chant <strong><strong>de</strong>s</strong> trouvères, ne<br />

peut pas être définie aussi catégoriquement comme la « forme-type » <strong>de</strong> la poésie<br />

d’amour <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours, puisque, tout en restant pratiquement inaltérée tout au<br />

long du par<strong>cours</strong> <strong>de</strong> la littérature d’oc, elle n’accueille pas exclusivement le thème<br />

érotique, mais draine une gamme <strong>de</strong> contenus bien plus riches <strong>et</strong> plus variés.<br />

Ce qui rend la canso occitane quelque chose <strong>de</strong> tout à fait différent par rapport<br />

au grand chant courtois, c’est le « quotient d’hétéroréférence » – c’est-à-dire la<br />

capacité d’accueillir dans le texte poétique une série d’indications, <strong>de</strong> références <strong>et</strong><br />

d’impulsions étrangères à la ligne <strong>de</strong> l’auto-anamnèse typique du dis<strong>cours</strong> lyrique –<br />

qui la caractérise. La présence d’un « quotient d’hétéroréférence » très élevé fait que<br />

la canso s’ouvre à toute une série <strong>de</strong> thématiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> stratégies rhétoriques <strong>et</strong><br />

discursives que le grand chant courtois, en principe, ignore. En particulier, tandis<br />

que chez les trouvères le rapport qui s’instaure entre chaque texte appartenant au<br />

genre du grand chant courtois <strong>et</strong> ses « confrères » peut aisément être décrit, comme<br />

on vient <strong>de</strong> le dire plus haut, en ayant re<strong>cours</strong> à la notion d’interdiscursivité, les<br />

troubadours semblent privilégier, pour leurs textes, les liens <strong>de</strong> nature intertextuelle,<br />

plus marqués précisément du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la référence.


924 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />

M. Yasuaki Onuma<br />

Professeur à l’université <strong>de</strong> Tokyo (Japon)<br />

Human Rights in a Multipolar and Multi-civilizational World<br />

of the 21 st century.<br />

A View from a Trans-civilizational Perspective<br />

Lecture I. The trans-civilizational perspective : a cognitive framework<br />

for viewing the 21 st century world<br />

I. From a State-centric and West-centric International Soci<strong>et</strong>y<br />

to a Multi-polar and Multi-civilizational Global Soci<strong>et</strong>y<br />

1. The State-centric and West-centric International Soci<strong>et</strong>y of the 20 th Century.<br />

2. Conflicts Destabilizing the International Or<strong>de</strong>r.<br />

(1) The Conflict b<strong>et</strong>ween the Transnationalization of Economics and Information,<br />

and the Sovereign States System.<br />

(2) The Conflict b<strong>et</strong>ween the Global Quest for Human Dignity and the Sense<br />

of Humiliation Shared by Developing Nations.<br />

(3) Emerging Discrepancies b<strong>et</strong>ween Asian Economic Power and Western<br />

Intellectual/Informational Hegemony in Global Soci<strong>et</strong>y.<br />

II. The Trans-civilizational Perspective as Compared with the International<br />

and Transnational Perspectives<br />

1. The International Perspective.<br />

2. The Transnational Perspective.<br />

(1) Significance of the Transnational Perspective.<br />

(2) Problems with the International and Transnational Perspectives.<br />

3. The Trans-civilizational Perspective.<br />

(1) Civilizational Factors and Perspectives as Preserved and Utilized within the<br />

Sovereign States System.<br />

(2) Decline of the Non-Intervention Principle and the Problematization of<br />

Civilizations.<br />

(3) The Need to Minimize Conflicts b<strong>et</strong>ween Egocentric, Unilateral<br />

Universalisms.<br />

(4) The Functional Trans-civilizational Perspective.


RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 925<br />

Lecture II. human rights from a trans-civilizational perspective<br />

I. “Universality vs. Relativity” in Human Rights<br />

1. The Scope of “Universality” of Human Rights.<br />

2. Problematic Features of the Theory of the Universal Origin of Human<br />

Rights.<br />

II Conditions for Globally Legitimate Standards and Frameworks<br />

of Human Rights<br />

1. Human Rights as the Most Effective Means for Protecting the Values and<br />

Interests of Individuals against Sovereign States and the Capitalist Economy.<br />

2. Liberation from West-centrism.<br />

3. Liberation from Liberty-Centrism.<br />

4. Liberation from Individualism.<br />

III. The Search for Trans-Civilizational Human Rights<br />

1. Significance of Current International Human Rights Norms.<br />

2. Modification and Supplementation of International Human Rights Norms<br />

from a Transnational Perspective.<br />

3. Modification and Supplementation of International Human Rights Norms<br />

from a Trans-civilizational Perspective.<br />

M. Martin Schwartz<br />

Professeur, université <strong>de</strong> Californie, Berkeley (Etats-Unis)<br />

The po<strong>et</strong>ry of the Gathas :<br />

Mysteries of composition, and the composition of mysteries<br />

1. Compositional techniques of the individual poems, and of the serial<br />

generation of the corpus.<br />

2. The esoteric dimensions of gathic style.<br />

Like other early Indo-European po<strong>et</strong>ries, the Gathas, in addition to and alongsi<strong>de</strong><br />

their direct communicative aspect, are characterrized by a cryptic aspect of style,<br />

at once mystagogic and ludic. I shall illustrate the various <strong>de</strong>vices which constitute<br />

this latter aspect — intentionally ambiguous syntax, morphology, and lexicon


926 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />

(word-play), and various cryptic uses of co<strong>de</strong>d initial sounds — a kind of phonic<br />

cabbalism — as well as oral acrostics.<br />

I shall focus particularly on Yasna 32, bringing tog<strong>et</strong>her my various insights<br />

about this amazing text, as it figures in the early histor yof Zoroastrianism, and<br />

and its general interest for cognitive issues.<br />

In my talk I shall summarize my discoveries about the composition of the Gathas<br />

— ring composition of first-stage (protopoems) and second-stage final poems, and<br />

serial generation of the corpus, from poem to poem (as indicated below).<br />

In addition I shall a new, and I hope somewhat astonishing <strong>de</strong>monstration of<br />

the teleological nature of the Gathic corpus. This will provi<strong>de</strong> material for<br />

discussion of the question of the authorship of the Gathas. Subject to minor<br />

adjustments in translation, the following <strong><strong>de</strong>s</strong>cribes this new view of the gathas<br />

which I shall present.<br />

Yasna 53 is a wedding poem in the po<strong>et</strong> (stanzas 3-5) addresses the bri<strong>de</strong> as<br />

“Pouruchista Haechataspana, the youngest of Zarathushtra’s daughters”, says that<br />

“he will give her (a benefactor) as<br />

mate’ and states further, “I will entrust *her with the zeal whereby she<br />

will attend to father, husband, pasturers, and family”.<br />

The formulation of the foregoing would ordinarily be thought dictated merely<br />

by the realia of the occasion at hand. However, I shall show that everything here<br />

(and most else in the poem) <strong>de</strong>rives its wording from earlier poems in accordance<br />

with a very precise s<strong>et</strong> of gamelike rules of composition. Beginning with the first<br />

poem in the corpus (<strong>de</strong>monstrably Yasna 29), every compl<strong>et</strong>ed poem (in an or<strong>de</strong>r<br />

different from that of the present Gathic canon) contributes a s<strong>et</strong> of two strings<br />

of words, whereby each poem gives, stanza by stanza in each direction , a series of<br />

words whose formal equivalents (i.e. i<strong>de</strong>ntical forms or cognates or homonyms)<br />

enter the next poem, stanza by stanza, both backwards and forwards, with each<br />

new poem cumulatively bearing the word-strings of all the preceding poems. In<br />

addition, each poem had to be composed according to patterns of concentric ring<br />

composition. I have presented these principles and illustrated them with charts in<br />

The Bull<strong>et</strong>in of the Asia Institute, Volumes 16 and 17.<br />

Yasna 53, the last poem composed, thus contains the lexical strings of all the<br />

poems composed earlier (hence the irregular length of lines in Y53), which would<br />

obligatorily serve as the basic « vertical » word pool for the poem’s phraseology.<br />

Thus the contents summarized in my first paragraph above, including words<br />

quoted (and even the elements of the proper names), which refer to practicalities<br />

of a real wedding, recapitulate words used earlier in other poems in contexts which<br />

are theological/mythological and eschatological.<br />

The many odd, virtually labyrinthine, formal constraints which the Gathic po<strong>et</strong><br />

imposed upon his compositions present us with new tools for the study of the


RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 927<br />

relative chronology of his poems, for the lexicographical problems they pose, and<br />

for assessing the connection of his po<strong>et</strong>ic with his religious thought. For a broa<strong>de</strong>r<br />

perspective on of what this all amounts to (and I confess feeling still too close to<br />

the data to have a <strong><strong>de</strong>s</strong>irable perspective), I look forward to the reactions and<br />

insights to be provi<strong>de</strong>d by the discussion.<br />

M. Karl Friston<br />

Professeur, University College London (Gran<strong>de</strong> Br<strong>et</strong>agne)<br />

A Free energy principle for the brain<br />

Thursday May 29 th : Action, perception and free-energy<br />

Value-learning and perceptual learning have been an important focus over the<br />

past <strong>de</strong>ca<strong>de</strong>, attracting the concerted attention of experimental psychologists,<br />

neurobiologists and the machine learning community. Despite some formal<br />

connections; e.g., the role of prediction error in optimising some function of<br />

sensory states, both fields have <strong>de</strong>veloped their own rh<strong>et</strong>oric and postulates. In<br />

work, we show that perceptual learning is, literally, an integral part of value<br />

learning ; in the sense that perception is necessary to integrate out <strong>de</strong>pen<strong>de</strong>ncies<br />

on the inferred causes of sensory information. This enables the value of sensory<br />

trajectories to be optimised through action. Furthermore, we show that acting to<br />

optimize value and perception are two aspects of exactly the same principle; namely<br />

the minimisation of a quantity [free energy] that bounds the probability of sensory<br />

input, given a particular agent or phenotype. This principle can be <strong>de</strong>rived, in a<br />

straightforward way, from the very existence of agents, by consi<strong>de</strong>ring the<br />

probabilistic behaviour of an ensemble of agents belonging to the same class.<br />

This treatment unifies value and perceptual learning and suggests that value is<br />

simply the probability of sensory input expected by an agent. This means that<br />

acting to maximise value is the same as acting to minimise surprise; in other words,<br />

sampling the environment so that is conforms to our expectations. In this way,<br />

exchange or interactions with the environment are maintained within bounds that<br />

preserve the integrity of the agent. Clearly, the surprise of a sensory exchange<br />

<strong>de</strong>pends on some representation or perceptual mo<strong>de</strong>l of that exchange. We show<br />

that this mo<strong>de</strong>l emerges naturally as the internal states of the agent optimise the<br />

free energy bound above.<br />

This formulation is important because it places the mechanisms of value-learning<br />

and reinforcement in the larger context of perceptual learning. For example,<br />

conditioning paradigms (both classical and operant) can be regar<strong>de</strong>d as introducing


928 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />

statistical regularities into the sensorium. These are learned in the same way we<br />

learn the causal structure of sensory contingencies. In this view, rewards are simply<br />

predictable stimuli (and aversive stimuli are, be <strong>de</strong>finition, surprising). Furthermore,<br />

the neurobiological substrates of value-learning become accountable to the larger<br />

problem of perceptual inference in the brain. For example, dopamine may not just<br />

signal reward but have a much more generic and role encoding the conditional<br />

certainty or precision of our predictions. This is consistent with a role in modulating<br />

the balance b<strong>et</strong>ween bottom-up sensory information and top-down empirical<br />

priors, during perp<strong>et</strong>ual inference.<br />

Friday May 30th : (NeuroSpin) : Variational filtering and inference<br />

We present a variational treatment of dynamic mo<strong>de</strong>ls that furnishes the time<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt<br />

conditional <strong>de</strong>nsities of a system’s states and the time-in<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt<br />

<strong>de</strong>nsities of its param<strong>et</strong>ers. These obtain by maximising the variational free energy<br />

of the system with respect to the conditional <strong>de</strong>nsities. The ensuing free energy<br />

represents a lower-bound approximation to the mo<strong>de</strong>ls marginal likelihood or logevi<strong>de</strong>nce<br />

required for mo<strong>de</strong>l selection and averaging. This approach rests on<br />

formulating the optimisation of free energy dynamically, in generalised co-ordinates<br />

of motion. The resulting scheme can be used for online Bayesian inversion of<br />

nonlinear dynamic causal mo<strong>de</strong>ls and eschews some limitations of existing<br />

approaches, such as Kalman and particle filtering. We refer to this approach as<br />

dynamic expectation maximisation (DEM).<br />

Monday June 1st : Perceptual inference and learning<br />

This talk summarizes our recent attempts to integrate action and perception<br />

within a single optimization framework. We start with a statistical formulation of<br />

Helmholtz’s i<strong>de</strong>as about neural energy to furnish a mo<strong>de</strong>l of perceptual inference<br />

and learning that can explain a remarkable range of neurobiological facts. Using<br />

constructs from statistical physics it can be shown that the problems of inferring<br />

what cause our sensory inputs and learning causal regularities in the sensorium can<br />

be resolved using exactly the same principles. Furthermore, inference and learning<br />

can proceed in a biologically plausible fashion. The ensuing scheme rests on<br />

Empirical Bayes and hierarchical mo<strong>de</strong>ls of how sensory information is generated.<br />

The use of hierarchical mo<strong>de</strong>ls enables the brain to construct prior expectations in<br />

a dynamic and context-sensitive fashion. This scheme provi<strong><strong>de</strong>s</strong> a principled way to<br />

un<strong>de</strong>rstand many aspects of the brain’s organization and responses.<br />

Here, we suggest that these perceptual processes are just one aspect of systems<br />

that conform to a free-energy principle. The free-energy consi<strong>de</strong>red here represents<br />

a bound on the surprise inherent in any exchange with the environment, un<strong>de</strong>r<br />

expectations enco<strong>de</strong>d by its state or configuration. A system can minimize freeenergy<br />

by changing its configuration to change the way it samples the environment,<br />

or to change its expectations. These changes correspond to action and perception


RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 929<br />

respectively and lead to an adaptive exchange with the environment that is<br />

characteristic of biological systems. This treatment implies that the system’s state<br />

and structure enco<strong>de</strong> an implicit and probabilistic mo<strong>de</strong>l of the environment and<br />

that its actions suppress surprising exchanges with it. Furthermore, it suggests that<br />

free-energy, surprise and [negative] value are all the same thing. We will look at<br />

mo<strong>de</strong>ls entailed by the brain and how minimization of free-energy can explain its<br />

dynamics and structure.<br />

M. David Warnock<br />

Professeur à l’Université d’Alabama, Birmingham (États-Unis)<br />

Stroke, CV Disease and Chronic Kidney Disease<br />

The inci<strong>de</strong>nce of end-stage renal disease (ESRD) is increasing in the United<br />

States (US) population USRDS, and the prevalence of chronic kidney disease also<br />

appears to be increasing, in parallel with increased surveillance, routine reporting<br />

of estimated glomerular filtration rates (eGFR) with the MDRD equation, as well<br />

as increasing prevalence of hypertension and diab<strong>et</strong>es in the general population.<br />

These same <strong>et</strong>iologic factors are also increasing at the global level; the increasing<br />

prevalence of CKD in the US population mirrors what is happening at the global<br />

level.<br />

There is an increasing realization that CKD is associated with cardiovascular<br />

outcome events, and that this association is more marked with more advanced<br />

CKD. This association has been <strong><strong>de</strong>s</strong>cribed with short-term outcomes in patients<br />

with acute myocardial infarction, as well as longer term outcome measures,<br />

including mortality rates, hospitalization rates and cardiovascular event rates.<br />

Anemia is frequently associated with CKD, and when present, serves as an<br />

in<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt risk factor for cardiovascular morbidity and mortality associated.<br />

Abramson <strong>et</strong> al. reported that CKD and anemia (hemoglobin < 12 gm/dl in<br />

women, and < 13 gm/dl in men) were in<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt risk factors for stroke in a<br />

middle-aged community-based population in the Atherosclerosis Risk in the<br />

Community (ARIC) study, with a relative risk of 7.49 in those subjects who are<br />

anemic and had creatinine clearance < 60 ml/min compared to the non-anemic<br />

participants with creatinine clearances > 60 ml/min. Similarly, the combination of<br />

anemia and CKD has a significant impact on survival after acute myocardial<br />

infarction in a study of Medicare recipients in Georgia. There are 3 large samples of<br />

patients in the US that provi<strong>de</strong> estimates of the prevalence of CKD, with stratification<br />

according to the <strong>de</strong>gree of impairment of kidney function: a) the Renal REGARDS<br />

cohort is the focus of our current efforts at the University of Alabama at Birmingham ;


930 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />

b) the National Kidney Foundation Kidney Early Evaluation Program (KEEP) ; and<br />

c) the National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES) 1999-2004.<br />

All three cohorts also provi<strong>de</strong> prevalence estimates for co-morbidities such as<br />

cardiovascular and cerebrovascular disease.<br />

The REGARDS and KEEP cohorts are ol<strong>de</strong>r than the NHANES cohort, and<br />

have slightly greater prevalence of more advanced CKD (Stage 3) than the<br />

NHANES cohort. These cohorts are the un<strong>de</strong>rgoing longitudinal evaluation to<br />

prospectively d<strong>et</strong>ermine the inci<strong>de</strong>nce of cardiovascular disease (MI and CHF),<br />

cerebrovascular disease (strokes and TIAs), and progressive CKD and ESRD. Based<br />

on self-reported history of co-morbidities, there appears to be an association<br />

b<strong>et</strong>ween CKD (eGFR < 60 ml/min/1.73 m 2 ) and AMI and stroke, with an<br />

increased risk, adjusted for traditional (e.g., Framingham) risk factors of 35%.<br />

These prevalence estimates and associations will be converted to actual hazard<br />

ratios and d<strong>et</strong>ailed <strong>de</strong>finition of the importance of traditional (i.e., systolic<br />

hypertension, diab<strong>et</strong>es, smoking, cholesterol, age, gen<strong>de</strong>r) and non-traditional<br />

(CKD stage, anemia, inflammation, <strong>et</strong>hnicity) risk factors for the occurrence of<br />

stroke, cardiovascular events and ESRD.<br />

Proteinuria, Hypertension and Chronic Kidney Disease Progression<br />

Effective blood pressure control, especially of the systolic component, is of<br />

primary importance in both primary and secondary prevention of Cardiovascular<br />

and Cerebrovascular Events. Similarly, systolic blood pressure control is important<br />

in the primary and secondary prevention of chronic kidney disease (CKD), and in<br />

patients for whom kidney function is already affected, the focus is on preventing the<br />

worsening of their current condition, which is <strong><strong>de</strong>s</strong>cribed as slowing the “progression”<br />

of CKD. Progression of CKD is usually quantified as the linear slope with time<br />

of changes in the glomerular filtration rate, expressed as ml/min/1.73 m 2 /year. In<br />

addition to systolic blood pressure, control of hyperlipi<strong>de</strong>mia, anemia management,<br />

smoking cessation and di<strong>et</strong>ary salt intake at the recommen<strong>de</strong>d daily allowance of<br />

2.4 grams of sodium are part of the general approach to optimizing outcomes in<br />

patients with CKD.<br />

Proteinuria is an important biomarker is many forms of CKD, including type<br />

I, and type II diab<strong>et</strong>es mellitus. Even in forms of CKD not usually associated with<br />

proteinuria (e.g., autosomal dominant polycystic kidney disease), reduction of<br />

urine protein excr<strong>et</strong>ion with “anti-proteinuric” therapy can have a beneficial effect<br />

on the rate of progression CKD. Proteinuria is a biomarker of kidney damage, and<br />

may also directly contribute to the ongoing damage to the kidney in CKD<br />

associated with proteinuria. Angiotensin converting enzyme inhibitors (ACEIs),<br />

and angiotensin type 1-receptor blockers (ARBs), used either alone or in<br />

combination are the mainstays of antiproteinuric therapy. This effect is well<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>cribed, and seems greater than that seen with other classes of antihypertensive


RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 931<br />

therapy, giving rise to the feeling that these agents have beneficial effects above and<br />

beyond what can be achieved with blood pressure control alone.<br />

At present, there is a balancing act b<strong>et</strong>ween the control of blood pressure and<br />

control of proteinuria. Even in the most well <strong>de</strong>fined outcome studies of type I,<br />

and type II diab<strong>et</strong>es, the outcomes with respect to slowing the rate of progression<br />

of CKD, though significant, do not achieve the ultimate goal of reducing the<br />

progression rate to < 1 ml/min/1.73 m 2 /year.<br />

A new paradigm is emerging that focuses directly on the control of proteinuria to<br />

less than 0.5 grams/day with ACEI/ARB therapy and also other non-traditional<br />

forms of therapy including other forms of RAS blockers, vitamin D, and other<br />

agents.<br />

These issues will be put in focus for the case of Fabry nephropathy. Fabry disease<br />

is a rate multi-system disease caused by a mutation in the alpha-galactosidase A<br />

gene on the X-chromosome. It is a progressive form of proteinuric CKD, but in<br />

contrast to diab<strong>et</strong>es, the systolic blood pressure is not usually elevated, which<br />

makes the utilization of traditional anti-proteinuric therapy challenging.<br />

In conclusion, the importance of control of proteinuria in slowing the progression<br />

of CKD will be emphasized with the use of a combination of treatment approaches<br />

to achieve this goal. In this context, control of proteinuria, per se, rather than<br />

lowering the systolic blood pressure to an arbitrary, fixed goal becomes the primary<br />

outcome measure. While this approach clearly has merit, long-term outcome<br />

studies are need before reduction of urinary protein excr<strong>et</strong>ion can be accepted as<br />

a surrogate endpoint for slowing the progression of CKD.


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES<br />

AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

Le mon<strong>de</strong> indien : textes, sociétés, représentations<br />

EA 2723, EPHE/<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

Membres EPHE : Lyne Bansat-Boudon, Gerdi Gerschheimer, Cristina Scherrer-<br />

Schaub (Directeurs d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong>), Rosita De Selva (Ingénieur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong>), Martine van<br />

Woerkens (Ingénieur <strong>de</strong> recherche), Silvia d’Intino (post-doctorante).<br />

Doctorants : Stéphanie Bourla, Hugo David, Julia Estève, Kathia Juhel, Isabelle<br />

Ratié (ATER à l’EPHE), Vincent Tournier, Eva Szily, Seiji Kumagai (Ecole<br />

doctorale franco-japonaise).<br />

Membre hors EPHE : Judit Törzsök (Maître <strong>de</strong> conférences, univ. Lille 3, chargée<br />

<strong>de</strong> conférences à l’EPHE).<br />

L’équipe compte également 16 membres associés <strong>et</strong> 4 doctorants associés<br />

appartenant à d’autres institutions <strong>de</strong> recherche <strong>et</strong> d’enseignement.<br />

Responsable : L. Bansat-Boudon.<br />

I<br />

Domaines, recherches<br />

Les recherches <strong>de</strong> l’équipe portent sur l’In<strong>de</strong> <strong>et</strong> les espaces asiatiques concernés<br />

par la diffusion <strong>de</strong> sa culture (Asie centrale, Tib<strong>et</strong>, Asie du Sud-Est notamment),<br />

ses savoirs, religions <strong>et</strong> systèmes politiques à travers les siècles. Centrés en premier<br />

sur l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> sources textuelles <strong>et</strong> le repérage <strong>de</strong> manuscrits <strong>et</strong> autres documents<br />

inédits, les <strong>travaux</strong> portent sur les religions <strong>et</strong> philosophies indiennes (brahmanique,<br />

jaina <strong>et</strong> bouddhique), les belles-l<strong>et</strong>tres <strong>et</strong> l’histoire. Ils s’enrichissent d’enquêtes <strong>de</strong><br />

terrain (anthropologie), <strong>de</strong> recherches comparatives (en histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions par


934 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

exemple) <strong>et</strong> <strong>de</strong> réflexions méthodologiques (histoire textuelle, technique éditoriale,<br />

théorie <strong>de</strong> la traduction, codicologie, <strong>et</strong>c.).<br />

1. Philosophie, exégèse<br />

1.1. Trois membres <strong>de</strong> l’équipe poursuivent <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches importantes dans le<br />

domaine du Shivaïsme non dualiste du Cachemire <strong>et</strong> du tantrisme. L. Bansat-<br />

Boudon achève actuellement une édition <strong>et</strong> une traduction commentée d’une <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

sources majeures <strong>de</strong> l’école çivaïte dite du Trika, le Pâramârthasâra (« L’Essence <strong>de</strong><br />

la réalité ultime ») d’Abhinavagupta (xe-xie s. <strong>de</strong> n. è.) <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa glose par Yogarâja<br />

(xie s.) (parution prévue en 2009). La comparaison <strong>de</strong> ce texte <strong>et</strong> du Pâramârthasâra<br />

d’Âdiçesha, texte d’obédience philosophique différente dont il constitue la réécriture<br />

çivaïte, contribue à l’étu<strong>de</strong> du thème <strong>de</strong> « la réécriture », inscrit au quadriennal <strong>de</strong><br />

l’équipe.<br />

1.2. I. Ratié poursuit, dans le cadre d’une thèse (soutenance prévue en 2008),<br />

l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> pratyabhijñâ chez Abhinavagupta, sur la base <strong>de</strong> nouveaux<br />

matériaux repérés en In<strong>de</strong>.<br />

1.3. Enfin, l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> textes les plus anciens sur le culte <strong><strong>de</strong>s</strong> yoginî, le Picumata-<br />

Brahmayâmala Tantra, est le suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la troisième recherche (J. Törzsök).<br />

1.4. L’œuvre <strong>de</strong> Skandasvâmin (vii e s. <strong>de</strong> n. è.) fait l’obj<strong>et</strong> d’une étu<strong>de</strong> sur la<br />

tradition exégétique du Rgveda (S. d’Intino), proj<strong>et</strong> en <strong>cours</strong> auprès <strong>de</strong> la Gonda<br />

Foundation (IIAS, Ley<strong>de</strong>).<br />

2. Les recherches <strong>de</strong> G. Gerschheimer se sont concentrées c<strong>et</strong>te année sur la<br />

notion <strong>de</strong> divinité, tant en Exégèse védique (mîmâmsâ) qu’en Nouvelle logique<br />

(navya-nyâya). H. David a entamé une thèse <strong>de</strong> doctorat sur l’épistémologie <strong>de</strong> la<br />

connaissance verbale <strong>et</strong> la théorie <strong>de</strong> l’exégèse dans la branche dite Vivarana <strong>de</strong><br />

l’école d’Advaita Vedânta. A. Clavel, doctorante associée, achèvera bientôt sa thèse<br />

consacrée à l’épistémologie d’Akalanka, célèbre docteur jaina du viii e s. <strong>de</strong> n. è.<br />

3. Le programme <strong>de</strong> Corpus <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions khmères (CIK), dirigé par<br />

G. Gerschheimer, poursuit sur son forum électronique l’inventaire <strong>et</strong> l’édition<br />

annotée <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions du Cambodge ancien, majoritairement en sanskrit <strong>et</strong> en<br />

vieux khmer. Bénéficiant <strong>de</strong> moultes collaborations internationales, il est aussi,<br />

<strong>de</strong>puis 2008, partenaire du proj<strong>et</strong> plus vaste d’Espace khmer ancien <strong>de</strong> Constitution<br />

d’un corpus numérique <strong>de</strong> données archéologiques <strong>et</strong> épigraphiques (EFEO/EPHE),<br />

financé par l’ANR ‘Corpus’ (2008-2010). Une partie <strong><strong>de</strong>s</strong> énergies <strong>de</strong> l’année a été<br />

investie dans trois directions : la mise au point d’une chronologie fiable <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

inscriptions ; la mise en place d’une nouvelle présentation <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions du<br />

musée national <strong>de</strong> Phnom Penh (Cambodge), qui sera inaugurée en oct. 2008 ; la<br />

préparation d’un atelier spécifique <strong>de</strong> la 12 e conférence <strong>de</strong> la EurASAA (Ley<strong>de</strong>,<br />

Pays-Bas, sept. 2008), consacré aux sanctuaires dits Çivapâda du Cambodge<br />

ancien.


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 935<br />

Les <strong>de</strong>ux doctorants rattachés à l’équipe, principalement (J. Estève) ou à titre<br />

d’associé (D. Soutif, Paris III), achèveront leurs thèses en 2008.<br />

4. Complément important aux recherches précé<strong>de</strong>ntes, la réflexion<br />

anthropologique, sous la direction <strong>de</strong> M. van Woerkens, concerne d’une part<br />

l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> structures <strong>de</strong> pouvoir <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> articulations <strong><strong>de</strong>s</strong> différences (genres,<br />

sociétés, religions), d’autre part celle <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports entre oralité <strong>et</strong> écriture dans le<br />

cadre <strong>de</strong> pratiques rituelles ou ordinaires. L’année passée a permis <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre au<br />

point, pour publication, les textes <strong><strong>de</strong>s</strong> interventions aux journées d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur La<br />

louange en In<strong>de</strong> organisées par l’équipe l’an <strong>de</strong>rnier (6-7 mars 2007) <strong>et</strong> d’avancer<br />

dans la rédaction d’une histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes indiennes <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs résistances aux<br />

xix e -xxi e siècles, (M. van Woerkens).<br />

5. Quatre membres <strong>de</strong> l’équipe travaillent dans le domaine du bouddhisme<br />

indien <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa transmission en Asie centrale <strong>et</strong> au Tib<strong>et</strong> (C. Scherrer-Schaub,<br />

K. Juhel, V. Tournier, S. Kumagai), collaborent <strong>de</strong> manière suivie avec d’autres<br />

équipes en <strong>France</strong> (ENS, CNRS, EFEO) <strong>et</strong> participent activement à <strong><strong>de</strong>s</strong> proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong><br />

recherche internationaux (Autriche, USA).<br />

5.1. L’étu<strong>de</strong> raisonnée <strong><strong>de</strong>s</strong> traités <strong>de</strong> philosophie Madhyamaka par le savant<br />

tibétain Ron ston (1367-1449) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Vigrahavyâvartanî du philosophe indien<br />

Nâgârjuna (iie-iiie s. <strong>de</strong> n. è.) ont fait l’obj<strong>et</strong> du séminaire d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> bouddhiques<br />

EPHE 2007/2008 (C. Scherrer-Schaub & S. Kumagai). Deux publications sont<br />

annoncées pour 2009 (S. Kumagai).<br />

5.2. K. Juhel <strong>et</strong> V. Tournier (doctorants) poursuivent l’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> matériaux du<br />

Mahâvastu (école Lokottaravâdin-Mahâsâmghika). La recherche bénéficie <strong>de</strong><br />

lectures commentées <strong>de</strong> mahâyânasûtra, ainsi que <strong>de</strong> l’analyse critique <strong>de</strong> sources<br />

supposées avoir circulé en In<strong>de</strong> dans <strong><strong>de</strong>s</strong> milieux proches <strong>de</strong> ladite école (séminaires<br />

<strong>de</strong> G. Fussman au CdF <strong>et</strong> <strong>de</strong> C. Scherrer-Schaub à l’EPHE), ainsi que <strong>de</strong> séjours<br />

d’étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> recherche à l’étranger (avec le soutien du CdF, voir ci-après). Une<br />

partie <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches en <strong>cours</strong> a fait l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> communications lors <strong>de</strong> colloques<br />

<strong>et</strong> congrès internationaux (voir ci-après).<br />

5.3. Le proj<strong>et</strong> sur l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> documents servant à l’histoire politique <strong>et</strong> militaire<br />

du Tib<strong>et</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses monastères à l’époque impériale (viie-ixe s. <strong>de</strong> n. è.) a porté,<br />

c<strong>et</strong>te année, sur les documents concernant le legs <strong>de</strong> serfs, le droit d’héritage <strong>et</strong> la<br />

gestion <strong>de</strong> biens <strong><strong>de</strong>s</strong> communautés bouddhiques du Tarim.<br />

5.4. L’approche méthodologique <strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong>et</strong> <strong>de</strong> datation relative <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

documents tibétains par C. Scherrer-Schaub (EPHE) <strong>et</strong> G. Bonani (ETH, Zürich)<br />

a fait l’obj<strong>et</strong> d’une communication en juin 2007 au CTRC <strong>de</strong> Pékin <strong>et</strong> est<br />

actuellement en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> traduction en chinois.<br />

5.5. Les premiers résultats <strong>de</strong> la recherche portant sur différents aspects <strong>de</strong> la<br />

théorie politique indienne aux premiers siècles <strong>de</strong> n. è., son adaptation en milieu<br />

bouddhique <strong>et</strong> ses rapports avec l’idéologie sous-jacente ont fait l’obj<strong>et</strong> d’une<br />

publication.


936 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

II<br />

Activités, échanges internationaux<br />

1. Les activités <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> enseignants chercheurs se caractérisent par<br />

<strong>de</strong>ux traits principaux : (1) sur le plan local (<strong>France</strong>), la collaboration suivie avec<br />

d’autres équipes <strong>et</strong> d’autres institutions (participation aux séminaires, voire<br />

organisations <strong>de</strong> journées d’étu<strong>de</strong>, colloques, conférences dites “transversales”) ; (2)<br />

sur le plan international, une gran<strong>de</strong> mobilité <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs (<strong>et</strong> en particulier <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

jeunes chercheurs, doctorants <strong>et</strong> post-docs) dans le cadre <strong>de</strong> stages d’étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

recherche, colloques, congrès (en 2007/2008 : Angl<strong>et</strong>erre, Autriche, Chine, In<strong>de</strong>,<br />

Italie, Pays-Bas, Japon, Thaïlan<strong>de</strong>, USA), <strong>de</strong> missions (étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> monuments,<br />

fouilles archéologiques, enquêtes <strong>de</strong> terrain en In<strong>de</strong>, dans les régions himalayennes<br />

<strong>et</strong> en Russie), voir ci-après § III.<br />

2. Une dynamique s’est ainsi créée <strong>et</strong> les échanges internationaux <strong>de</strong> doctorants<br />

sont au cœur <strong><strong>de</strong>s</strong> proj<strong>et</strong>s : Seiji Kumagai (Université <strong>de</strong> Kyoto, Japon) a été choisi<br />

en tant que premier chercheur en visite à l’EPHE dans le cadre <strong>de</strong> la nouvelle école<br />

doctorale franco-japonaise. V. Tournier, <strong>de</strong> son côté, a obtenu un subsi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />

Japan Foundation for the Promotion of Science qui lui a permis <strong>de</strong> séjourner à<br />

Tokyo en 2008, auprès du Prof. S. Karashima qui sera du reste l’année prochaine<br />

invité au CdF (chaire du Prof. G. Fussman).<br />

K. Juhel a effectué un séjour d’étu<strong>de</strong> à Rome (La Sapienza, Museo di arte<br />

orientale <strong>et</strong> IsIAO) en 2008. De même, S. d’Intino (post-doc) séjourne actuellement<br />

à l’IIAS <strong>de</strong> Ley<strong>de</strong> au titre <strong>de</strong> la bourse Gonda.<br />

3. I. Ratié (EPHE <strong>et</strong> Oxford) a effectué une mission en In<strong>de</strong> (repérage <strong>de</strong><br />

manuscrits). H. David a passé une année entière en In<strong>de</strong> afin d’approfondir sa<br />

compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> textes majeurs <strong>de</strong> l’Advaita-vedânta ou <strong>de</strong> diversifier ses<br />

compétences auprès <strong>de</strong> divers l<strong>et</strong>trés indiens.<br />

K. Juhel a continué, en août <strong>et</strong> sept. 2007, son stage <strong>de</strong> fouilles à Termez,<br />

Ouzbékistan (Mafouz <strong>de</strong> Bactriane, P. Leriche, dir.) : fouilles du Complexe Cultuel<br />

<strong>et</strong> ai<strong>de</strong> à la mise en place d’une prospection géophysique autour du stûpa <strong>de</strong> Karatepe<br />

(dir. Shakir Pidaev).<br />

Deux autres doctorants (J. Estève <strong>et</strong> D. Soutif) ont présenté leurs <strong>travaux</strong> dans<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> colloques <strong>et</strong> journées d’étu<strong>de</strong>, voir infra.<br />

L. Bansat-Boudon, membre <strong>de</strong> l’« Atelier Chicago-Paris sur les religions<br />

anciennes », collabore à un proj<strong>et</strong> d’envergure, <strong>et</strong> J. Törzsök contribue à la rédaction<br />

du vol. 3 du dictionnaire tantrique Tântrikâbhidhâna kosha.


1. Organisation<br />

LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 937<br />

III<br />

Colloques <strong>et</strong> Journées d’étu<strong>de</strong><br />

Des colloques ou journées d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> (3) ont été (co)organisés par l’équipe : (1)<br />

« Les ‘esclaves’ dans l’épigraphie du Cambodge ancien » (12/09/07, Naples, Italie).<br />

Interventions <strong>de</strong> J. Estève, G. Gerschheimer, D. Soutif ; (2) Journées d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

d’épigraphie asiatique qui se sont tenues au CdF les 16-17 oct. 2007. Interventions<br />

<strong>de</strong> G. Gerschheimer, C. Scherrer-Schaub, D. Soutif ; (3) « Edition, Editions :<br />

l’écrit au Tib<strong>et</strong>, évolution <strong>et</strong> <strong>de</strong>venir ». Intervention <strong>de</strong> C. Scherrer-Schaub.<br />

2. Participation<br />

Un post-doc, trois doctorants <strong>et</strong> un DE sont intervenus lors <strong>de</strong> colloques ou<br />

congrès internationaux qui se sont tenus en 2007-08, à Ley<strong>de</strong>, Bangkok, Atlanta,<br />

Paris.<br />

IV. Publications<br />

— Bansat-Boudon, L., CR <strong>de</strong> l’ouvrage : Nâga<strong>de</strong>va, La Défaite d’Amour. Poème narratif,<br />

trad. du sanskrit <strong>et</strong> présenté par N. Balbir <strong>et</strong> J.-P. Osier, Paris, dans Revue <strong>de</strong> l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

religions 224/3 (2007), p. 379-383.<br />

— Billard, R. <strong>et</strong> Ea<strong>de</strong>, J.C. , « Dates <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions du pays khmer », BEFEO 93<br />

(2006), 33 p. [document augmenté par J.C. Ea<strong>de</strong>, édité par le CIK].<br />

— D’Intino, S., « Meaningful mantras. The introductory portion of the Rgvedabhâshya<br />

by Skandasvâmin », dans W. Slaje (dir.), Çâstrârambha : inquiries into the Preamble in<br />

Sanskrit, Wiesba<strong>de</strong>n, 2008, p. 149-170.<br />

— Ea<strong>de</strong>, J.C., « Computers vs Tables, Billard vs Golzio : Two New Date-Lists of the<br />

Inscriptions of Kamboja », ZDMG 158/1 (2008), p. 73-104.<br />

— Ratié, I., « Otherness in the Pratyabhijñâ Philosophy », JIP 35/4, 2007, p. 313-<br />

370.<br />

— Scherrer-Schaub, C., « Revendications <strong>et</strong> re<strong>cours</strong> hiérarchique : contributions à<br />

l’histoire <strong>de</strong> Ça cu sous administration tibétaine », dans Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> Dunhuang <strong>et</strong> Turfan.<br />

Textes réunis par J.-P. Drège avec la collaboration d’O. Venture. Genève, 2007, p. 257-<br />

326.<br />

— « Immortality extolled with reason : Philosophy and politics in Nâgârjuna », dans<br />

Pramânakîrtih. Papers <strong>de</strong>dicated to Ernst Steinkellner on the occasion of his 70th birthday,<br />

Part 2, B. Kellner <strong>et</strong> alii (éd.), Wien, 2007, p. 757-793.<br />

— Törzsök, J., « Créer sans procréer : problèmes <strong>de</strong> la procréation divine dans le<br />

Skandapurâna », dans Représentations mythologiques du sentiment familial : autour <strong>de</strong> la haine<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’amour, J. Boulogne (éd.), Lille, p. 99-108.<br />

— Van Woerkens, M. : « Ecrire pour soi, écrire pour les autres. Trois femmes écrivains<br />

au xix e siècle », dans G. Charuty <strong>et</strong> B. Baptandier (éd.), Du corps au texte, Nanterre, 2008,<br />

25 p.


938 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

Centre <strong>de</strong> recherche sur les civilisations chinoise, japonaise <strong>et</strong> tibétaine<br />

(UMR 8155)<br />

Responsable : Alain Thote<br />

Formé <strong>de</strong> trois équipes, le centre a été créé en janvier 2006 (présentation dans<br />

la L<strong>et</strong>tre du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, n o 22, février 2008, p. 12-13). Il comprend<br />

maintenant cinquante-trois chercheurs (hors associés). Ses activités, en relation<br />

étroite avec les bibliothèques <strong><strong>de</strong>s</strong> Instituts d’Extrême-Orient, se partagent entre<br />

plusieurs programmes collectifs <strong>de</strong> recherches, auxquels participent aussi les<br />

membres associés <strong>de</strong> l’UMR <strong>et</strong> <strong>de</strong> nombreux collaborateurs étrangers.<br />

Chine<br />

L’équipe « Civilisation chinoise » poursuit, <strong>de</strong>puis <strong>de</strong> nombreuses années, une<br />

politique d’acquisition <strong>de</strong> livres, tous mis à la disposition <strong><strong>de</strong>s</strong> lecteurs <strong>de</strong> la<br />

bibliothèque <strong>de</strong> l’Institut <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> Chinoises (IHEC, dirigé par Pierre-<br />

Etienne Will).<br />

Activités principales dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes collectifs :<br />

–– Séminaire « La fabrique du lisible » (responsable : Jean-Pierre Drège),<br />

dépendant du programme sur « La matérialité du texte. Mise en page <strong>et</strong> mise en<br />

texte du livre manuscrit en Chine, <strong><strong>de</strong>s</strong> Royaumes combattants au début <strong><strong>de</strong>s</strong> Song<br />

(v e s. av. J.-C. - x e s. <strong>de</strong> notre ère.) ».<br />

Ce séminaire régulier vise à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la mise en texte <strong><strong>de</strong>s</strong> manuscrits chinois<br />

selon les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> définies à partir <strong>de</strong> l’expérience lancée par Henri-Jean Martin<br />

sur les manuscrits, puis sur les imprimés occi<strong>de</strong>ntaux. Il s’agit <strong>de</strong> déceler les<br />

transformations qui s’opèrent dans la présentation même <strong><strong>de</strong>s</strong> textes chinois<br />

manuscrits au <strong>cours</strong> du temps, en relation ou non avec les changements <strong>de</strong> supports.<br />

L’objectif est précisément <strong>de</strong> chercher à montrer comment le dis<strong>cours</strong> écrit se<br />

détermine autant par les conditions matérielles <strong>de</strong> sa production que par sa<br />

structure interne.<br />

–– Programme <strong>de</strong> recherche sur la tombe <strong>de</strong> l’empereur Qianlong (1736-1796)<br />

(responsable : Françoise Wang-Toutain). Dans ce programme transversal sont<br />

associés sinologues <strong>et</strong> tibétologues. Il repose sur un partenariat entre l’UMR, une<br />

équipe établie à Marseille spécialisée dans l’usage <strong>de</strong> technologies nouvelles pour<br />

l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments anciens (UMR 694) <strong>et</strong> les responsables chinois <strong>de</strong> l’Institut<br />

du patrimoine culturel <strong>de</strong> Dongling (province du Hebei), site classé en l’an 2000<br />

au patrimoine mondial <strong>de</strong> l’humanité par l’Unesco. L’étu<strong>de</strong> porte sur une tombe<br />

dont l’architecture, le programme iconographique <strong>et</strong> les inscriptions (plus <strong>de</strong><br />

30 000 signes en écriture tibétaine <strong>et</strong> indienne) témoignent d’une double<br />

appartenance culturelle, chinoise <strong>et</strong> tibétaine, en étroite association avec le<br />

bouddhisme. Elle perm<strong>et</strong>tra notamment une modélisation en trois dimensions <strong>de</strong>


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 939<br />

la tombe <strong>et</strong> un relevé compl<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions (80 % environ <strong><strong>de</strong>s</strong> graphies sont<br />

déchiffrées) grâce à l’utilisation <strong>de</strong> techniques <strong>de</strong> pointe.<br />

–– Programme international en partenariat avec l’Institut archéologique <strong>et</strong> du<br />

patrimoine du Zhejiang (Chine) : « The Potter’s Villages of Longquan District in<br />

Zhejiang: Decoding a Traditional Local Craft Soci<strong>et</strong>y » (responsable : Zhao Bing).<br />

Il s’agit d’un <strong><strong>de</strong>s</strong> six vol<strong>et</strong>s du programme interdisciplinaire 2006-2009 « Professional<br />

cultures and the transmission of specialized knowledge : Artisans and merchants in<br />

local soci<strong>et</strong>y » (direction scientifique : Christian Lamouroux, Centre Chine,<br />

EHESS). C<strong>et</strong>te opération, qui a fait l’obj<strong>et</strong> d’une convention <strong>de</strong> recherche entre<br />

l’EPHE, l’EHESS <strong>et</strong> l’Institut d’archéologie du Zhejiang en 2007, a donné lieu à<br />

plusieurs missions <strong>de</strong> terrain en Chine. D’autre part, un collègue chinois, M. Shen<br />

Yueming (Institut d’archéologie <strong>et</strong> du patrimoine du Zhejiang), a été invité en<br />

<strong>France</strong> à l’automne 2007. Lors <strong>de</strong> son séjour, un atelier a été organisé pour présenter<br />

les premiers résultats <strong>de</strong> travail, notamment sur les archives locales en rapport avec<br />

la production <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> républicaine (1911-1949).<br />

Colloque<br />

–– Paris, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 16-17 octobre 2007 : Journées d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> d’épigraphie<br />

asiatique.<br />

Ces journées ont été organisées conjointement par l’UMR 8155, l’UMR 8173 « Chine,<br />

Corée, Japon » (CNRS/EHESS/Université Paris 7), l’EA 518 « Le mon<strong>de</strong> indien : textes,<br />

sociétés, représentations » (EPHE) <strong>et</strong> la JE 2342 « Archéologie du mon<strong>de</strong> khmer » (EFEO).<br />

Il s’agissait <strong>de</strong> confronter les différentes approches dans le domaine épigraphique <strong>de</strong> l’Asie,<br />

<strong>de</strong> l’In<strong>de</strong> au Japon.<br />

Organisateurs : Jean-Pierre Drège (EPHE), Yannick Brun<strong>et</strong>on (université Denis Di<strong>de</strong>rot/<br />

Paris 7) <strong>et</strong> Gerdi Gerschheimer (EPHE).<br />

Ouvrages collectifs <strong>et</strong> livres :<br />

–– Michela Bussotti <strong>et</strong> Jean-Pierre Drège, éd., « Chine-Europe : Histoires <strong>de</strong> livres (viiie /<br />

xve - xxe siècles) », dossier édité dans Histoire <strong>et</strong> civilisation du livre, 2007.<br />

–– Jacques Gern<strong>et</strong>, La vie quotidienne à la veille <strong>de</strong> l’invasion mongole (1250-1276), Paris,<br />

Editions Philippe Picquier, 2007 (3e édition), 419 p.<br />

–– Jacques Gern<strong>et</strong>, Société <strong>et</strong> pensée chinoises aux XVIe <strong>et</strong> XVIIe siècles, Paris, Fayard, 2007,<br />

201 p.<br />

— Rémi Mathieu, Laozi, le Dao<strong>de</strong> jing, « Livre <strong>de</strong> la Voie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Vertu », selon les <strong>de</strong>rnières<br />

découvertes archéologiques, traduction <strong>et</strong> commentaires, Paris, Albin Michel, 2007.<br />

— Christine Mollier, Buddhism and Taoism Face to Face : Scripture, Ritual, and Iconographic<br />

Exchange in Medieval China, Honolulu, University of Hawaii Press, 2008, 280 p. [prix<br />

Stanislas Julien 2008 <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres].<br />

— Michèle Pirazzoli-t’Serstevens, Anne Kerlan-Stephens, éd., Collections <strong>et</strong> collectionneurs<br />

en Chine du XVe au XIXe siècle, Paris/Lausanne, EPHE/Droz, 2008, 230 p. [Actes du colloque<br />

Autour <strong><strong>de</strong>s</strong> collections d’art en Chine au xviiie siècle, INHA, 23 <strong>et</strong> 24 juin 2006].<br />

— Michèle Pirazzoli-t’Serstevens, Giuseppe Castiglione 1688-1766 - Peintre <strong>et</strong> architecte à<br />

la cour <strong>de</strong> Chine, Paris, Thalia, 2007, 258 p.


940 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

Japon<br />

Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année, un professeur japonais a été accueilli pour une durée d’un<br />

an : Monsieur Umeyama Hi<strong>de</strong>yuki, titulaire <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> la littérature japonaise<br />

<strong>de</strong> l’Université Momoyama Gakuin (Kyoto).<br />

Activités dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes collectifs :<br />

L’équipe « Civilisation japonaise » a poursuivi ses activités dans le cadre<br />

d’une dizaine <strong>de</strong> programmes collectifs, parmi lesquels on soulignera plus<br />

particulièrement :<br />

— « Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> savoirs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> représentations du Japon pré-mo<strong>de</strong>rne, xvii e -xix e<br />

siècles » (responsable Annick Horiuchi). Le groupe <strong>de</strong> recherches sur l’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

savoirs a travaillé en collaboration avec le Centre <strong>de</strong> recherches sur le Japon <strong>de</strong><br />

l’EHESS pour animer le séminaire « Culture <strong>et</strong> société <strong>de</strong> l’époque pré-mo<strong>de</strong>rne ».<br />

L’objectif <strong>de</strong> ce séminaire a été d’éclairer les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> orientations <strong>de</strong> la production<br />

l<strong>et</strong>trée au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux siècles <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi du pouvoir Tokugawa <strong>et</strong> les évolutions<br />

intervenues à partir du xviii e siècle, avec le rôle moteur joué par les savoirs dits<br />

« hollandais ». Les chercheurs <strong>de</strong> l’équipe se sont interrogés sur les pratiques l<strong>et</strong>trées<br />

(mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> vecteurs <strong>de</strong> communication, structuration en réseaux, organisation <strong>de</strong><br />

rassemblements, constitution <strong>de</strong> salons), sur les rapports que les l<strong>et</strong>trés entr<strong>et</strong>iennent<br />

avec le pouvoir, sur l’émergence d’une i<strong>de</strong>ntité l<strong>et</strong>trée. L’équipe a co-organisé avec<br />

l’Université <strong>de</strong> Lei<strong>de</strong>n une journée d’étu<strong>de</strong>, <strong>et</strong> une publication est à paraître aux<br />

In<strong><strong>de</strong>s</strong> Savantes (Savoirs <strong>et</strong> pratiques <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>trés au Japon <strong>et</strong> en Chine, sous la direction<br />

d’Annick Horiuchi, Collection Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> Japonaises, Paris, Les In<strong><strong>de</strong>s</strong> savantes,<br />

2008).<br />

Par l’intermédiaire <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses membres, l’UMR a participé à <strong>de</strong>ux programmes<br />

<strong>de</strong> recherche CHORUS, programmes <strong>de</strong> coopération scientifique franco-japonaise,<br />

financés par le Ministère <strong><strong>de</strong>s</strong> Affaires Etrangères <strong>et</strong> par la Japan Soci<strong>et</strong>y for the<br />

Promotion of Science (JSPS) :<br />

— « Mo<strong>de</strong>rnités multiples : l’individu <strong>et</strong> la communauté en <strong>France</strong> <strong>et</strong> au Japon »,<br />

coordonné par Michel Wieviorka (EHESS), Miura Nobutaka (université Chûô) <strong>et</strong><br />

Yatabe Kazuhiko (UMR 8155).<br />

— « La question <strong>de</strong> la santé au travail <strong>et</strong> les politiques publiques en <strong>France</strong> <strong>et</strong><br />

au Japon : genèse <strong>et</strong> métamorphoses », coordonné par Annie Thebaud-Mony (Dr.<br />

Inserm), Isao Hirota (Pr., Université <strong>de</strong> Niigata), Paul Jobin (UMR 8155) <strong>et</strong><br />

Bernard Thomann (MC, Inalco). Ce proj<strong>et</strong> reçoit une ai<strong>de</strong> complémentaire <strong>de</strong><br />

l’ANR (2006-2008), en synergie avec le proj<strong>et</strong> « Sociologie <strong>de</strong> la production <strong>de</strong><br />

connaissance sur les atteintes liées au travail ; étu<strong>de</strong> comparée : <strong>France</strong>, Brésil,<br />

Japon, Québec », également sous la responsabilité d’Annie Thébaud-Mony pour<br />

l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre équipes <strong>de</strong> chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> pays, <strong>et</strong> dirigé par Paul Jobin (UMR<br />

8155) pour la partie sur le Japon.


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 941<br />

Colloques internationaux<br />

— « Linguistique du Kango » (responsables Hiroko Ôshima <strong>et</strong> Akiko Nakajima), colloque<br />

international organisé les 14 <strong>et</strong> 15 mars 2008 à l’Université Paris Di<strong>de</strong>rot. Les kango, que<br />

l’on s’accor<strong>de</strong> à définir comme les constructions à base <strong>de</strong> morphèmes d’origine chinoise<br />

écrits en kanji dans l’usage courant, occupent une place importante en japonais, <strong>et</strong> posent<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes d’analyse spécifiques. Le proj<strong>et</strong> avait pour objectif <strong>de</strong> faire un bilan <strong>de</strong><br />

l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances relatives aux kango <strong>et</strong> d’ouvrir <strong>de</strong> nouvelles pistes <strong>de</strong> recherches<br />

dans tous les domaines concernés : phonologie, morphologie, syntaxe, sémantique,<br />

psycholinguistique, pragmatique, acquisition (langue première ou secon<strong>de</strong>), <strong>et</strong>c., tant dans<br />

leurs aspects diachroniques que synchroniques.<br />

— « Matters untranslatable – Ce qui ne peut être traduit » (responsable Josef Kyburz),<br />

colloque international organisé conjointement avec l’université Hôsei (Japon), au Centre<br />

Européen d’Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> Japonaises d’Alsace (CEEJA), Kientzheim, 21-24 novembre 2007.<br />

Journées d’étu<strong>de</strong><br />

— « La vie culturelle à l’époque d’Edo », journée organisée par Annick Horiuchi, en<br />

collaboration avec le département d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> japonaises <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Lei<strong>de</strong>n (30 novembre<br />

2007, Université <strong>de</strong> Paris Di<strong>de</strong>rot).<br />

— « Les 150 ans <strong><strong>de</strong>s</strong> relations diplomatiques <strong>France</strong>-Japon », sous la responsabilité <strong>de</strong><br />

Jean-Noël Robert (23 mai 2008, Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> belles L<strong>et</strong>tres).<br />

— « Autour du Dit <strong><strong>de</strong>s</strong> Heike : narration épique <strong>et</strong> théâtralité » sous la responsabilité <strong>de</strong><br />

Claire Briss<strong>et</strong>, Arnaud Brotons <strong>et</strong> Daniel Struve (6 <strong>et</strong> 7 juin 2008, Université <strong>de</strong> Paris<br />

Di<strong>de</strong>rot).<br />

Ouvrages collectifs <strong>et</strong> livres :<br />

— Jean-Jacques Tschudin, traduction du japonais : Scènes d’été, <strong>de</strong> Nagai Kafû, Paris,<br />

Edition du Rocher, 2007.<br />

— Jean-Jacques Tschudin <strong>et</strong> Clau<strong>de</strong> Hamon (sous la direction <strong>de</strong>), La société japonaise<br />

<strong>de</strong>vant la montée du militarisme. Culture populaire <strong>et</strong> contrôle social dans les années 1930,<br />

Arles, Editions Philippe Picquier, 2007, 238 pages.<br />

Tib<strong>et</strong><br />

Activités <strong>de</strong> l’équipe « Civilisation tibétaine » dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes<br />

collectifs :<br />

–– « Rituels <strong>et</strong> représentations dans le mon<strong>de</strong> tibétain » (responsable : Katia<br />

Buff<strong>et</strong>rille).<br />

Colloque : « La transformation <strong><strong>de</strong>s</strong> rituels dans l’aire tibétaine à l’époque contemporaine »<br />

(organisateur : K. Buff<strong>et</strong>rille), les 8 <strong>et</strong> 9 novembre 2007 au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>. Les actes<br />

seront publiés dans la collection <strong>de</strong> la Bibliothèque <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes-Etu<strong><strong>de</strong>s</strong>, Section <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences<br />

religieuses, en 2009. Une présentation en a été donnée dans L<strong>et</strong>tre du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

(n° 22, février 2008, p. 27-28).<br />

D’autre part, le séminaire a poursuivi ses <strong>travaux</strong> sur l’émergence <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité<br />

au Tib<strong>et</strong> <strong>et</strong> dans les pays <strong>de</strong> l’aire tibétaine, avec une réunion trimestrielle d’une<br />

journée, comportant, outre les exposés <strong><strong>de</strong>s</strong> participants, une conférence invitée.<br />

–– « Histoire <strong>et</strong> interprétation <strong><strong>de</strong>s</strong> textes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> doctrines » (responsables : Jean-<br />

Luc Achard, Anne Chay<strong>et</strong>).


942 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

Dans le cadre <strong>de</strong> ce programme, un numéro <strong>de</strong> la Revue d’Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> Tibétaines,<br />

dirigée par Jean-Luc Achard <strong>et</strong> ouverte aux membres statutaires <strong>de</strong> l’unité aussi<br />

bien qu’à <strong><strong>de</strong>s</strong> collaborateurs réguliers ou occasionnels, a été publié :<br />

Revue d’Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> tibétaines, n° 13, février 2008 : 1. Guillaume Jacques (Paris V, CRLAO) :<br />

« Deux noms tangoutes dans une légen<strong>de</strong> tibétaine », p. 4-10 ; 2. Etienne Bock (INALCO) :<br />

« Coiffe <strong>de</strong> pandit », p. 11-43; 3. Richard Whitecross (Edimburgh) : « Transgressing the<br />

Law : Karma, Theft and its Punishment », p. 45-74 ; 4. Jean-Luc Achard : « L’irruption <strong>de</strong><br />

la nescience — la notion d’errance samsarique dans le rDzogs chen », p. 75-107.<br />

Deux numéros d’hommage sont en préparation <strong>et</strong> seront publiés au <strong>cours</strong> <strong>de</strong><br />

l’été 2008.<br />

Colloque : « Edition, éditions : l’écrit au Tib<strong>et</strong>, évolution <strong>et</strong> <strong>de</strong>venir », 29-31 mai 2008,<br />

Ecole normale supérieure. Organisation : A. Chay<strong>et</strong>, C. Scherrer-Schaub, F. Robin, F. Jagou,<br />

J.-L. Achard, H. Stoddard. Le thème <strong>de</strong> ce colloque, qui s’inscrit dans un programme<br />

nouveau <strong>de</strong> l’équipe, <strong>et</strong> donnera lieu à plusieurs réalisations collectives sur les nombreux<br />

suj<strong>et</strong>s abordés, doit être poursuivi <strong>et</strong> développé en collaboration avec certains <strong>de</strong> nos<br />

collègues étrangers présents, qui en ont exprimé le souhait.<br />

–– « Bhoutan : une marche du mon<strong>de</strong> tibétain » (responsable : Françoise<br />

Pommar<strong>et</strong>).<br />

En dépit du détachement (MAE) <strong>de</strong> Françoise Pommar<strong>et</strong> au Bhoutan (Ministère<br />

<strong>de</strong> l’Education), le programme a poursuivi ses <strong>travaux</strong> sur l’histoire, la société <strong>et</strong><br />

les traditions du Bhoutan. J. Ardussi <strong>et</strong> F. Pommar<strong>et</strong> ont publié un volume<br />

collectif (actes d’un colloque) : Bhutan. Traditions and Changes. Proceedings of the<br />

Tenth Seminar of the International Association for Tib<strong>et</strong>an Studies, Oxford, 2003,<br />

Brill, Lei<strong>de</strong>n-Boston, 2007.<br />

Ouvrages collectifs <strong>et</strong> livres :<br />

–– Achard, Jean-Luc, 2007. La Pratique <strong><strong>de</strong>s</strong> Six Points Essentiels <strong>de</strong> l’Esprit <strong>de</strong> Parfaite<br />

Pur<strong>et</strong>é, Editions Khyung-lung, 2007, 182 p.<br />

–– Matthew Kapstein <strong>et</strong> Brandon Dotson, éds., Contributions to the Cultural History of<br />

Early Tib<strong>et</strong>. Lei<strong>de</strong>n, Brill, 2007.<br />

–– Françoise Robin, L’artiste tibétain, <strong>de</strong> Thöndrubgyäl, Présentation <strong>et</strong> traduction, Paris,<br />

Bleu <strong>de</strong> Chine, 2007.<br />

–– Brigitte Steinmann (dir.), « P<strong>et</strong>its obj<strong>et</strong>s, grands enjeux, ou le terrain comme attente<br />

<strong>de</strong> l’<strong>et</strong>hnologue », Socio-Anthropologie, Revue interdisciplinaire <strong>de</strong> sciences sociales, n° 20<br />

(2007).<br />

Anne Chay<strong>et</strong>, Nicolas Fiévé <strong>et</strong> Alain Thote


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 943<br />

Laboratoire <strong><strong>de</strong>s</strong> Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> sémitiques anciennes<br />

(composante <strong>de</strong> l’Unité mixte <strong>de</strong> recherche<br />

« Orient <strong>et</strong> Méditerranée », UMR 8167)<br />

Directeur (du LESA <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’UMR 8167) : Christian Julien Robin<br />

En juin 2008, le LESA comptait 27 membres statutaires : 8 chercheurs CNRS<br />

(plus 1 émérite), 1 ITA CNRS <strong>et</strong> 17 enseignants chercheurs. Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année<br />

écoulée, il a reçu le renfort d’un nouveau chercheur CNRS, Robert Hawley,<br />

historien du mon<strong>de</strong> syrien au iie millénaire avant l’ère chrétienne, <strong>de</strong> nationalité<br />

étatsunienne ; Jérémie Shi<strong>et</strong>tecatte, archéologue <strong>de</strong> l’Arabie antique, a été recruté<br />

sur un poste <strong>de</strong> post-doc CNRS pour une durée <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans ; Isabelle Sach<strong>et</strong>,<br />

archéologue spécialiste du mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> morts en Arabie antique, a obtenu un poste<br />

d’ATER du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> pour <strong>de</strong>ux ans.<br />

Les recherches du LESA portent sur le mon<strong>de</strong> sémitique occi<strong>de</strong>ntal ancien, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

débuts <strong>de</strong> l’écriture jusqu’à la conquête islamique. Si les recherches du LESA<br />

s’intéressent principalement aux textes, qu’ils soient épigraphiques ou littéraires,<br />

l’archéologie occupe une place importante.<br />

Les chercheurs du LESA participent à un programme collectif propre au<br />

laboratoire intitulé « Syncrétismes religieux : bilan <strong>et</strong> perspectives » (2006-2009),<br />

dont la direction est assurée par M me Hedwige Rouillard-Bonraisin (DE EPHE V).<br />

Il s’agit <strong>de</strong> comprendre, par-<strong>de</strong>là les différences <strong>de</strong> situations <strong>et</strong> d’époques, quels<br />

sont les mécanismes à l’œuvre dans les phénomènes <strong>de</strong> synchrétismes religieux,<br />

tout particulièrement au Proche-Orient à l’époque romaine. Les chercheurs du<br />

LESA contribuent également aux activités d’une dizaine <strong>de</strong> missions archéologiques<br />

<strong>et</strong> aux programmes collectifs <strong>de</strong> l’UMR, en tout premier lieu le proj<strong>et</strong> ANR « De<br />

l’Antiquité tardive à l’Islam » (2006-2008) dirigé par Christian Robin. Par ailleurs,<br />

l’activité <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs du LESA s’inscrit dans une spécialité, exigeant la<br />

connaissance <strong>de</strong> langues rares <strong>et</strong> une fréquentation régulière du terrain. Ces<br />

spécialités peuvent être regroupées en huit ensembles :<br />

— l’Arabie (Mounir Arbach, François Bron, Guillaume Charloux, Iwona Gajda,<br />

Laïla Nehmé, Christian Robin, Isabelle Sach<strong>et</strong>, Jérémie Shi<strong>et</strong>tecatte) ;<br />

— la Syrie <strong>de</strong> l’Euphrate (Pascal Butterlin, Béatrice Muller-Margueron, Maria<br />

Grazia Mas<strong>et</strong>ti-Rouault) ;<br />

— Ougarit (Pierre Bordreuil, Robert Hawley, Jacques Lagarce, Hedwige<br />

Rouillard-Bonraisin, Arnaud Sérandour) ;<br />

— les textes fondateurs <strong><strong>de</strong>s</strong> religions monothéistes, Bible, Qumrân, Coran<br />

(Françoise Briquel-Chatonn<strong>et</strong>, Maria Gorea, Jean-Michel Poff<strong>et</strong>, Emile Puech,<br />

Hedwige Rouillard-Bonraisin, Arnaud Sérandour, Christian Robin) ;


944 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

— les mon<strong><strong>de</strong>s</strong> cananéen, phénicien <strong>et</strong> punique (Catherine Apicella, Pierre<br />

Bordreuil, Françoise Briquel-Chatonn<strong>et</strong>, François Bron, Guillaume Charloux,<br />

Sandrine Crouz<strong>et</strong>, Maria Gorea) ;<br />

— les mon<strong><strong>de</strong>s</strong> araméens (Pierre Bordreuil, Maria Gorea, Laïla Nehmé) ;<br />

— les débuts du christianisme, l’Orient chrétien (notamment <strong>de</strong> langue syriaque)<br />

(Marie-Françoise Baslez, Françoise Briquel-Chatonn<strong>et</strong>, Alain Desreumaux, Maria<br />

Gorea, Etienne Nod<strong>et</strong>) ;<br />

— la linguistique sémitique (François Bron, Antoine Lonn<strong>et</strong>, Bernad<strong>et</strong>te<br />

Leclercq-Neveu, Christophe Rico) ;<br />

— l’archéologie du Proche-Orient <strong><strong>de</strong>s</strong> époques hellénistique, romaine <strong>et</strong><br />

byzantine (Alain Desreumaux, Jean-Baptiste Humbert, Laïla Nehmé, Isabelle<br />

Sach<strong>et</strong>).<br />

Pour les principaux résultats <strong>de</strong> l’année, voir la bibliographie, ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous.<br />

Organisation <strong>de</strong> colloques<br />

— Christian Robin <strong>et</strong> Isabelle Sach<strong>et</strong> : « Dieux <strong>et</strong> déesses d’Arabie : images <strong>et</strong><br />

représentations », Paris, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 1 er <strong>et</strong> 2 octobre 2007 (dans le cadre du<br />

proj<strong>et</strong> ANR « De l’Antiquité tardive à l’Islam »).<br />

— Préparation <strong>de</strong> sept colloques (novembre <strong>et</strong> début décembre 2008) qui<br />

concluront le proj<strong>et</strong> ANR « De l’Antiquité tardive à l’Islam ».<br />

Fouilles archéologiques <strong>et</strong> missions <strong>de</strong> terrain<br />

— Yémen<br />

1. Christian Robin, Jérémie Schi<strong>et</strong>tecatte, Guillaume Charloux : dans le cadre<br />

<strong>de</strong> la mission archéologique <strong>et</strong> épigraphique dans l’antique royaume <strong>de</strong> Qatabān,<br />

dirigée par Christian Robin, poursuite <strong>de</strong> la fouille <strong>de</strong> Hasî (février - mi-mars<br />

2008).<br />

2. Iwona Gajda : dans le même cadre, poursuite <strong>de</strong> la prospection épigraphique<br />

<strong>et</strong> archéologique sur le territoire <strong>de</strong> Madhâ (février - mi-mars 2008).<br />

— Arabie saoudite<br />

1. Laïla Nehmé : création <strong>et</strong> co-direction <strong>de</strong> la mission archéologique <strong>de</strong> Madâ’in<br />

Sâlih, l’ancienne Hégra (Arabie saoudite), dont la première campagne a eu lieu<br />

début 2008, en collaboration avec la Commission supérieure pour le tourisme<br />

d’Arabie saoudite. Ont également participé à c<strong>et</strong>te campagne Isabelle Sach<strong>et</strong> <strong>et</strong><br />

Guillaume Charloux.<br />

2. Christian Robin (directeur), Mounir Arbach, Guillaume Charloux <strong>et</strong> Jérémie<br />

Schi<strong>et</strong>tecatte : prospection épigraphique dans la région <strong>de</strong> Najrân (mars-avril<br />

2008).


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 945<br />

— Syrie<br />

1. Maria-Grazia Mas<strong>et</strong>ti-Rouault : direction <strong>de</strong> la Mission archéologique française<br />

dans le site <strong>de</strong> Tell Masâ’ikh, bas Moyen-Euphrate syrien (niveaux halafien, obeïdien,<br />

Bronze Moyen II-III, Fer II-III — néo-assyrien <strong>et</strong> néo-babylonien —, romanoparthe<br />

<strong>et</strong> islamique ; réalisation d’un programme <strong>de</strong> prospections <strong>et</strong> sondages dans le<br />

bas Moyen-Euphrate (région <strong>de</strong> Terqa) (octobre-novembre 2007).<br />

2. Jacques Lagarce : achèvement <strong>de</strong> la mise en état, entreprise en 2003, du site<br />

<strong>de</strong> Ra’s Ibn Hânî (Lattaquié).<br />

3. Ougarit : missions <strong>de</strong> Pierre Bordreuil, Hedwige Rouillard-Bonraisin, Robert<br />

Hawley (chargé <strong>de</strong> la publication <strong>de</strong> tabl<strong>et</strong>tes épistolaires, juridiques <strong>et</strong> scolaires),<br />

membres <strong>de</strong> l’équipe épigraphique <strong>de</strong> la Mission archéologique franco-syrienne <strong>de</strong><br />

Ra’s Shamra-Ougarit.<br />

4. Françoise Briquel-Chatonn<strong>et</strong> <strong>et</strong> Alain Desreumaux : dans le cadre <strong>de</strong> la<br />

mission franco-syrienne qui prépare le volume « Syrie » du Recueil <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions<br />

syriaques (Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres), prospection épigraphique en<br />

Syrie du Nord (juin 2008).<br />

— Liban<br />

Françoise Briquel-Chatonn<strong>et</strong> <strong>et</strong> Alain Desreumaux : catalogage <strong><strong>de</strong>s</strong> manuscrits<br />

syriaques du patriarcat syro-catholique à Charf<strong>et</strong>, en collaboration avec <strong>de</strong>ux<br />

chercheurs <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> Recherche <strong>et</strong> d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> Textes <strong>et</strong> <strong>de</strong>ux chercheurs<br />

syriens (juin 2008).<br />

Collaboration à <strong><strong>de</strong>s</strong> Equipes internationales<br />

— Laïla Nehmé : participation au proj<strong>et</strong> d’exploration <strong>de</strong> la piste caravanière<br />

reliant Hégra à Pétra en collaboration avec une équipe <strong>de</strong> la Commission supérieure<br />

pour le tourisme d’Arabie saoudite, sous la direction <strong>de</strong> ‘Alî Ghabbân.<br />

— Christian Robin : direction <strong>de</strong> l’équipe française du réseau « Religions of<br />

Pre-Islamic Arabia in the Middle Eastern Cultural Context », INTAS (International<br />

Association for the promotion of co-operation with scientists from the New<br />

In<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt States of the former Sovi<strong>et</strong> Union), Bruxelles, 2006-2008 (2 équipes<br />

russes, 2 équipes italiennes, 1 équipe alleman<strong>de</strong> <strong>et</strong> 1 équipe française).<br />

Ouvrages<br />

Publications<br />

— Arbach, M. <strong>et</strong> Audouin, R., San’â’ national Museum : collection of epigraphic and<br />

archaeological artifacts from al-Jawf sites, Part II, Sanaa, 2007, 160 p.<br />

— Baslez, M.-F. (éditeur), Economies <strong>et</strong> sociétés, Grèce ancienne, 478-88 av. J.-C., Neuilly<br />

sur Seine, 2007, 507 p.


946 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

— Baslez, M.-F., Les Persécutions dans l’Antiquité. Victimes, héros, martyrs, Paris, 2007,<br />

418 p.<br />

— Briquel-Chatonn<strong>et</strong>, F., Bordreuil, P. <strong>et</strong> Michel, C. (éditeurs), Les débuts <strong>de</strong><br />

l’histoire. Le Proche-Orient, <strong>de</strong> l’invention <strong>de</strong> l’écriture à la naissance du monothéisme, Paris,<br />

2008, 420 p.<br />

— Puech, E., Hilhorst, A. <strong>et</strong> Tigchelaar, E. (éditeurs), Flores Florentino : Dead Sea<br />

Scrolls and other early Jewish studies in honour of Florentino Garcia Martinez, Supplements to<br />

the Journal for the study of Judaism 122, Lei<strong>de</strong>n-Boston, 2007, 710 p.<br />

— Schi<strong>et</strong>tecatte, J., Chevalier, P. <strong>et</strong> Martignon, V. (éditeurs), Yémen : territoires <strong>et</strong><br />

i<strong>de</strong>ntités, Revue <strong><strong>de</strong>s</strong> mon<strong><strong>de</strong>s</strong> musulmans <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Méditerranée 121-122, Aix-en-Provence,<br />

2008, 287 p.<br />

Articles (revues, actes <strong>de</strong> colloques, mélanges)<br />

— Arbach, M. <strong>et</strong> Jâzim, M., « Makhtût mafâkhir Qahtân wa-’l-Yaman laysa Kitâb al-<br />

Iklîl », al-Thawâbit, 2007 (novembre), 83-96.<br />

— Bordreuil, E., « Numération <strong>et</strong> unités pondérales dans les textes administratifs <strong>et</strong><br />

économiques en ougaritique <strong>et</strong> dans les tabl<strong>et</strong>tes métrologiques en cunéiforme suméroakkadien<br />

», dans J. Michaud (éditeur), Le royaume d’Ougarit <strong>de</strong> la Crète à l’Euphrate.<br />

Nouveaux axes <strong>de</strong> recherche. Actes du Colloque International <strong>de</strong> Sherbrooke, 5-8 juill<strong>et</strong> 2005,<br />

Proche-Orient <strong>et</strong> Littérature Ougaritique, Sherbrooke, 2007, 381-421.<br />

— Bordreuil, P., « De Qadmos vers (l’)Europe : à propos <strong><strong>de</strong>s</strong> cheminements <strong>de</strong><br />

l’alphab<strong>et</strong> vers l’Occi<strong>de</strong>nt », Bull<strong>et</strong>in <strong>de</strong> la SELEFA, 2007, 13-20.<br />

— Bordreuil, P., « L’antidote au venin dans le mythe ougaritique <strong>de</strong> “Horon <strong>et</strong> les<br />

serpents” <strong>et</strong> le serpent d’airain <strong>de</strong> Nombres 21:4-9 », dans W. WATSON (éditeur), « He<br />

unfurrowed his brow and laughed », essays in honor of Professor Nicolas Wyatt, Alter Orient<br />

und Altes Testament 299, Münster, 2007, 35-38.<br />

— Bordreuil, P., « Noé, Dan(i)el <strong>et</strong> Job en Ezékiel XIV, 14.20 <strong>et</strong> XXVIII, 3 : entre<br />

Ougarit <strong>et</strong> Babylone », dans J. Michaud (éditeur), Le royaume d’Ougarit <strong>de</strong> la Crète à<br />

l’Euphrate. Nouveaux axes <strong>de</strong> recherche. Actes du Colloque International <strong>de</strong> Sherbrooke,<br />

5-8 juill<strong>et</strong> 2005, Proche-Orient <strong>et</strong> Littérature Ougaritique, Sherbrooke, 2007, 567-578.<br />

— Bordreuil, P., « Ugarit and the Bible : New data from the house of Urtenu », dans<br />

K. L. Yourger (éditeur), Ugarit at seventy-Five : proceedings of the Symposium held at Trinity<br />

international University, Deerfiels, Illinois, Feb. 18-20 2005, Winona Lake, 2007, 89-97.<br />

— Briquel-Chatonn<strong>et</strong>, F., « De l’Ahiqar araméen à l’Ahiqar syriaque : les voies <strong>de</strong><br />

transmission d’un roman », dans S. G. Vashalomidze <strong>et</strong> L. Greisiger (éditeurs), Der<br />

christliche Orient in seiner Umwelt : Gesammelte Studien zu Ehren Jürgen Tubachs anlässlich<br />

seines 60. Geburtstags, Wiesba<strong>de</strong>n, 2007, 51-57.<br />

— Briquel-Chatonn<strong>et</strong>, F. <strong>et</strong> Fauveaud-Brassaud, C., « Ad majorem scientiae fructum.<br />

Le Corpus inscriptionum semiticarum dans les correspondances conservées à l’Institut <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong> », dans C. Bonn<strong>et</strong> <strong>et</strong> V. Krings (éditeurs), S’écrire <strong>et</strong> écrire sur l’Antiquité : l’apport<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> correspondances à l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> scientifiques, Horos, Grenoble, 2008, 215-228.<br />

— Desreumaux, A., « Enseigner, prêcher, évangéliser : le kérygme dans la Doctrina<br />

Addai », dans Miscellanea Patristica reverendissimo domino Marco Starowieyski septuagenario<br />

professori illustrissimo vero amplissimo ac doctissimo oblata, Warszawskiej Studia Teologiczne<br />

XX/2, Warszawa, 2007, 51-62.<br />

— Desreumaux, A., « Ephrem, la musique <strong>et</strong> les apocryphes », dans Saint Ephrem. Un<br />

poète pour notre temps, Patrimoine syriaque XI. Actes du colloque, Antelias (Liban), 2007,<br />

134-142.<br />

— Desreumaux, A., « Trois inscriptions é<strong><strong>de</strong>s</strong>séniennes du Louvre sur mosaïque », dans<br />

S. G. Vashalomidze <strong>et</strong> L. Greisiger (éditeurs), Der christliche Orient in seiner Umwelt :


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 947<br />

Gesammelte Studien zu Ehren Jürgen Tubachs anlässlich seines 60. Geburtstags, Wiesba<strong>de</strong>n,<br />

2007, 123-136.<br />

— Gorea, M., « Note sur une dédicace palmyrénienne au dieu Abgal », Semitica 52-53,<br />

2007, 162-164.<br />

— Gorea, M., Contributions à La Collection Clermont-Ganneau. Ostraca, épigraphes sur<br />

jarre, étiqu<strong>et</strong>tes <strong>de</strong> bois, éd. H. Lozachmeur (Mémoires <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong><br />

Belles-L<strong>et</strong>tres, XXXV), Paris (De Boccard), 2007, 2 vol., vol. 1, 427-433 ; vol. 2, pl. 298-<br />

300, 304, 306.<br />

— Hawley, R., « On the Alphab<strong>et</strong>ic Scribal Curriculum at Ugarit », dans R. D. Biggs,<br />

J. Myers <strong>et</strong> M. T. Roth (éditeurs), Proceedings of the 51st Rencontre Assyriologique<br />

Internationale Held at the Oriental Institute of the University of Chicago, July 18-22, 2005,<br />

Studies in Ancient Oriental Civilization, 62, Chicago, Illinois, 2008, 57-67.<br />

— Lonn<strong>et</strong>, A., « Arabic loanwords in Mo<strong>de</strong>rn South Arabian », dans C. Versteegh<br />

(éditeur), Encyclopedia of the Arabic Language and Linguistics, Lei<strong>de</strong>n, 2008.<br />

— Mas<strong>et</strong>ti-Rouault, M. G., « Economie <strong>de</strong> redistribution <strong>et</strong> économie <strong>de</strong> marché au<br />

Proche-Orient ancien », dans Y. Roman <strong>et</strong> J. Dalaison (éditeurs), L’économie antique, une<br />

économie <strong>de</strong> marché ? Actes <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux tables ron<strong><strong>de</strong>s</strong> tenues à Lyon les 4 février <strong>et</strong> 30 novembre<br />

2004, Mémoires <strong>de</strong> la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Amis <strong>de</strong> Jacob Spon, Paris, 2008, 49-67.<br />

— Mas<strong>et</strong>ti-Rouault, M. G., « La route du Moyen-Euphrate à la fin <strong>de</strong> l’Âge du<br />

Bronze : un essai <strong>de</strong> reconstitution », dans J. Michaud (éditeur), Le royaume d’Ougarit <strong>de</strong><br />

la Crète à l’Euphrate. Nouveaux axes <strong>de</strong> recherche. Actes du Colloque International <strong>de</strong> Sherbrooke,<br />

5-8 juill<strong>et</strong> 2005, Proche-Orient <strong>et</strong> Littérature Ougaritique, Sherbrooke, 2007, 141-161.<br />

— Mas<strong>et</strong>ti-Rouault, M. G., « L’apkallu-poisson <strong>et</strong> son image : note sur la conservation<br />

<strong>et</strong> la diffusion d’éléments <strong>de</strong> la culture mésopotamienne au Proche-Orient à l’époque<br />

préclassique », Semitica 52-53, 2007, 37-55.<br />

— Mas<strong>et</strong>ti-Rouault, M. G., « Living in the valley : State, Irrigation and Colonization<br />

in the Middle Euphrates Valley », dans H. Kühne, R. M. Czichon <strong>et</strong> F. J. Krepper<br />

(éditeurs), Proceedings of the 4th International Congress of the Archaeology of the Ancient Near<br />

East, 29 March-3 April 2004, Freie Universität Berlin, Vol. I, The Reconstruction of the<br />

Environment : Natural Resources and Human Interrelations through Time. Art History : Visual<br />

Communication, Wiesba<strong>de</strong>n, 2008, 129-141.<br />

— Mas<strong>et</strong>ti-Rouault, M. G. <strong>et</strong> Poli, P., « La céramique du chantier F <strong>de</strong> Terqa-Ashara »,<br />

Akh Purattim 1, 2007, 63-111.<br />

— Mas<strong>et</strong>ti-Rouault, M. G., Robert, B., Bland, C. <strong>et</strong> Chapoulie, R., « Characterizing<br />

the Halaf-Ubaid Transitional Period by studying Ceramic from Tell Masaikh, Syria.<br />

Archaeological data and Archaeom<strong>et</strong>ry investigations », dans H. Kühne, R. M. Czichon<br />

<strong>et</strong> F. J. Krepper (éditeurs), Proceedings of the 4th International Congress of the Archaeology of<br />

the Ancient Near East, 29 March-3 April 2004, Freie Universität Berlin, Vol. II, Social and<br />

Cultural transformation : the Archaeology of Transitional Periods and Dark Ages. Excavations<br />

Reports, Wiesba<strong>de</strong>n, 2008, 225-234.<br />

— Nehmé, L., « Introduction » <strong>et</strong> « Catalogue <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments », dans J. Bessac <strong>et</strong><br />

L. Nehmé (éditeurs), Le travail <strong>de</strong> la pierre à Pétra. Technique <strong>et</strong> économie <strong>de</strong> la taille rupestre,<br />

Paris, 2007, 27 <strong>et</strong> 146-170.<br />

— Nehmé, L., « La langue <strong>et</strong> l’écriture <strong><strong>de</strong>s</strong> Nabatéens », dans J. Dentzer-Feydy <strong>et</strong> al.<br />

(éditeurs), Bosra, aux portes <strong>de</strong> l’Arabie, Gui<strong><strong>de</strong>s</strong> archéologiques <strong>de</strong> l’Institut Français du<br />

Proche-Orient 5, Beyrouth, 2007, 16-18.<br />

— Nehmé, L. <strong>et</strong> Dentzer-Feydy, J., « Les dieux avant la province d’Arabie », dans<br />

J. <strong>de</strong>ntzer-Feydy <strong>et</strong> al. (éditeurs), Bosra, aux portes <strong>de</strong> l’Arabie, Gui<strong><strong>de</strong>s</strong> archéologiques <strong>de</strong><br />

l’Institut Français du Proche-Orient 5, Beyrouth, 2007, 19-20.<br />

— Nod<strong>et</strong>, E., « De Josué à Jésus, via Qumrân <strong>et</strong> le “pain quotidien” », Revue biblique<br />

114, 2007, 208-236.


948 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

— Poff<strong>et</strong>, J., « Bible <strong>et</strong> histoire : enjeux <strong>et</strong> chance d’une révision », dans D. Doré<br />

(éditeur), Comment la Bible saisit-elle l’histoire : XXI e congrès <strong>de</strong> l’Association catholique<br />

française pour l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Bible, Issy-les-Moulineaux, 2005, Lectio divina 215, Paris, 2007,<br />

7-11.<br />

— Rico, C., « Traduire une langue morte », dans J. E. Achilar-Chiu, K. J. O’Mahony<br />

<strong>et</strong> M. Roger (éditeurs), Bible <strong>et</strong> Terre Sainte. Mélanges Marcel Beaudry, New York, 2008,<br />

509-513.<br />

— Robin, Ch. J., « La nature du judaïsme <strong>de</strong> Himyar à la lumière <strong>de</strong> nouveaux<br />

documents », dans M. H. Fantar (éditeur), Osmose <strong>et</strong>hno-cultuelle en Méditerranée, actes du<br />

colloque organisé à Mahdia du 26 au 29 juill<strong>et</strong> 2003, Tunis, 2007, 243-274.<br />

— Robin, Ch. J., « A propos <strong><strong>de</strong>s</strong> “Filles <strong>de</strong> Dieu” », Semitica 52-53, 2007, 139-148.<br />

— Robin, Ch. J., « [Rescue Excavation al-‘Arâfa, Tomb Ar 1] The inscriptions », dans<br />

Paul Yule, Kristina Franke, Cornelius Meyer, G. Wilhelm Nebe, Christian Robin <strong>et</strong><br />

Carsten Witzel, « Zafâr, Capital of Himyar, Ibb Province, Yemen », dans Archäologische<br />

Berichte aus <strong>de</strong>m Yemen, XI, 2007, 479-547 <strong>et</strong> pl. 1-47 (543-544).<br />

— Robin, Ch. J., « L’Arabie <strong>et</strong> les parfums », dans Une histoire mondiale du parfum,<br />

Afrique, Amérique, Europe, Océanie, Orient, <strong><strong>de</strong>s</strong> origines à nos jours, sous la direction <strong>de</strong><br />

Marie-Christine Grasse, Paris (Somogy, Editions d’art), 2007, 79-82.<br />

— Robin, Ch. J., « Préface », dans Marie-Louise Inizan <strong>et</strong> Madiha Rachad, Art rupestre<br />

<strong>et</strong> peuplements préhistoriques au Yémen, avec les contributions <strong>de</strong> Bruno Marcolongo,<br />

Anne-Marie Lézine, Djillali Hadjouis, Frank Braemer, Pierre Bodu, Rémy Crassard,<br />

Muhamad Manqūsh, Sanaa (CEFAS), 2007, 7.<br />

— Robin, Ch. J., Sznycer, M., Teixidor, J. <strong>et</strong> Sérandour, A., « André Caquot. In :<br />

memoriam », Semitica 52-53, 2007, 7-9.<br />

— Schi<strong>et</strong>tecatte, J., « La population <strong><strong>de</strong>s</strong> villes sudarabiques préislamiques : entre<br />

‘asabiyya <strong>et</strong> hadarî », dans P. Chevalier, V. Martignon <strong>et</strong> J. Schi<strong>et</strong>tecatte (éditeurs),<br />

Yémen : territoires <strong>et</strong> i<strong>de</strong>ntités, Revue <strong><strong>de</strong>s</strong> mon<strong><strong>de</strong>s</strong> musulmans <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Méditerranée 121-122,<br />

Aix-en-Provence, 2008, 35-51.<br />

— Schi<strong>et</strong>tecatte, J., « S<strong>et</strong>tlement Process in Ancient Hadramawt », dans T. Sasaki <strong>et</strong><br />

H. Sasaki (éditeurs), Proceedings of the 13th Conference on Hellenistic and Islamic Archaeology,<br />

2007.<br />

— Schi<strong>et</strong>tecatte, J., « Urbanization and S<strong>et</strong>tlement pattern in Ancient Hadramawt<br />

(1st mill. BC) », Bull<strong>et</strong>in of Archaeology of the Kanazawa University 28, 2007, 11-28.<br />

— Schi<strong>et</strong>tecatte, J., Benoist, A., Mouton, M. <strong>et</strong> Lavigne, O., « Chronologie <strong>et</strong><br />

évolution <strong>de</strong> l’architecture à Makaynûn : la formation d’un centre urbain à l’époque<br />

sudarabique dans le Hadramawt », Proceedings of the Seminar for Arabian Studies 37, 2007,<br />

17-35.<br />

— Sérandour, A., « Alfred Loisy face à l’histoire d’Israël », dans F. Laplanche,<br />

C. Biagioli <strong>et</strong> C. Langlois (éditeurs), Alfred Loisy cent ans après. Autour d’un p<strong>et</strong>it livre,<br />

Actes du colloque international <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>-EPHE, 23-24 mai 2003, Bibliothèque <strong>de</strong><br />

l’Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> hautes étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, sciences religieuses 131, [série] Histoire <strong>et</strong> prosopographie <strong>de</strong> la<br />

section <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences religieuses 4, Turnhout, 2007, 107-120.<br />

— Sérandour, A., « Des dieux <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> étoiles à Ougarit <strong>et</strong> dans la Bible », dans<br />

J. Michaud (éditeur), Le royaume d’Ougarit <strong>de</strong> la Crète à l’Euphrate. Nouveaux axes <strong>de</strong><br />

recherche. Actes du Colloque International <strong>de</strong> Sherbrooke, 5-8 juill<strong>et</strong> 2005, Proche-Orient <strong>et</strong><br />

Littérature Ougaritique, Sherbrooke, 2007, 315-325.


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 949<br />

Groupe <strong>de</strong> théorie neurale<br />

(Group for Neural Theory)<br />

Le Groupe <strong>de</strong> théorie neuronale s’articule autour <strong>de</strong> trois chercheurs permanents<br />

(Sophie Denève, Boris Gutkin <strong>et</strong> Christian Machens) <strong>et</strong> d’un chercheur invite<br />

(M. Tsodyks). Nous utilisons <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> issues <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

statistiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> la physique pour modéliser la dynamique <strong><strong>de</strong>s</strong> processus neuronaux<br />

<strong>et</strong> leurs principes computationnels.<br />

Théorie bayesienne <strong>de</strong> la biophysique <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> calculs neuronaux<br />

Nous avons développé une théorie probabiliste du codage neuronal dans le cas<br />

<strong>de</strong> neurones « à spikes ». C<strong>et</strong>te théorie explique la gran<strong>de</strong> variabilité <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses<br />

neuronales observées dans le cortex cérébral, ainsi que la gran<strong>de</strong> précision dont est<br />

capable le système sensoriel. Nous avons développé un modèle <strong>de</strong> détecteur optimal<br />

<strong>de</strong> changement, implémenté par un micro-circuit canonique faisant le pont entre<br />

l’anatomie <strong>et</strong> la physiologie <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits corticaux <strong>et</strong> la théorie <strong>de</strong> l’information.<br />

Ce modèle nous a permis <strong>de</strong> proposer un nouveau rôle pour l’inhibition divisive<br />

(« shunting ») dans les réseaux <strong>de</strong> neurones. Nous avons également développé une<br />

théorie du transfert optimal d’information avec les neurones à spikes. Le but est<br />

<strong>de</strong> déterminer combien d’information un neurone à spikes peut véhiculer à propos<br />

d’un stimulus variable dans le temps, étant donnés la variabilité <strong>de</strong> son entrée <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> sa sortie. A un niveau d’analyse plus élevé, nous avons développé une théorie<br />

suggérant que la réponse en spikes <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones visuels au contexte extérieur (ici,<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> séquences naturelles) reflète une inférence <strong>et</strong> un apprentissage probabilistes.<br />

Théories <strong>et</strong> modèles <strong>de</strong> la mémoire <strong>de</strong> travail<br />

Les humains <strong>et</strong> les animaux ne se contentent pas <strong>de</strong> percevoir puis <strong>de</strong> réagir à<br />

leur information sensorielle ; ils sont également capables <strong>de</strong> manipuler c<strong>et</strong>te<br />

information à leur guise. C<strong>et</strong>te capacité <strong>de</strong> manipuler librement l’information est<br />

au coeur même <strong>de</strong> notre vie mentale. Un acteur fondamental <strong>de</strong> ce processus est<br />

le système en charge <strong>de</strong> notre mémoire <strong>de</strong> travail : c’est là que l’information est<br />

stockée sur le court terme, avec la possibilité d’être librement restituée <strong>et</strong> manipulée.<br />

Comment ce système fonctionne-t-il ?<br />

Pour étudier la mémoire <strong>de</strong> travail, nous combinons l’analyse <strong>de</strong> données<br />

électrophysiologiques avec <strong>de</strong> la modélisation computationnelle. Nous avons<br />

travaillé sur la base <strong>de</strong> données enregistrées par Ranulfo Romo (UNAM, Mexique)<br />

chez <strong><strong>de</strong>s</strong> singes, pendant une tâche paramétrique simple sollicitant la mémoire <strong>de</strong><br />

travail. Nous avons constaté que les activités <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules du cortex préfrontal sont<br />

difficilement réconciliables avec les modèles standard <strong>de</strong> réseaux pour la mémoire<br />

<strong>de</strong> travail. En particulier, les courbes <strong>de</strong> réponse <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones individuels forment<br />

une fonction monotone <strong>de</strong> la valeur (paramétrique) mémorisée, en opposition avec<br />

l’hypothèse traditionnelle d’une fonction « en cloche ». Dans un travail publié


950 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

l’année <strong>de</strong>rnière, nous avons montré comment ces données peuvent être expliquées<br />

par <strong><strong>de</strong>s</strong> principes <strong>de</strong> symétrie au niveau <strong>de</strong> la connectivité neuronale. Ce travail<br />

propose <strong><strong>de</strong>s</strong> perspectives mathématiques sur différentes architectures possibles <strong>de</strong><br />

systèmes <strong>de</strong> mémoire <strong>de</strong> travail. Un travail en <strong>cours</strong> cherche à affiner ces modèles<br />

<strong>de</strong> réseaux, afin <strong>de</strong> mieux reproduire les données expérimentales, <strong>et</strong> <strong>de</strong> proposer<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> prédictions pour <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences futures.<br />

Nous avons développé une théorie nouvelle pour expliquer les courbes <strong>de</strong><br />

mémoire à court terme. Dans c<strong>et</strong>te théorie, la mémoire <strong>de</strong> travail est entr<strong>et</strong>enue<br />

par <strong>de</strong> la facilitation synaptique basée sur le calcium, au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> connections<br />

récurrentes dans les réseaux du néo-cortex. Le calcium présynaptique résiduel<br />

jouerait alors le rôle d’un tampon, contrôlé, renouvelé <strong>et</strong> « lu » par les activités<br />

« spikantes » <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones. Du fait <strong><strong>de</strong>s</strong> longues constantes <strong>de</strong> temps <strong>de</strong> la cinétique<br />

du calcium, le taux <strong>de</strong> renouvellement peut être bas, menant à un mécanisme<br />

efficace <strong>et</strong> robuste. La durée <strong>et</strong> la stabilité <strong>de</strong> la mémoire à court terme peuvent<br />

être contrôlées en modulant l’activité spontanée au sein du réseau. Ce travail a<br />

conduit à une publication dans Science.<br />

Dynamique <strong>de</strong> la neuromodulation <strong>et</strong> <strong>de</strong> la fonction <strong>de</strong>ndritique<br />

En collaboration avec le Experimental and Theor<strong>et</strong>ical Neuroscience Laboratory <strong>et</strong><br />

le Salk Institute, nous avons mené une série d’expériences pour tester l’influence <strong>de</strong><br />

l’ac<strong>et</strong>ylcholine sur la dynamique <strong>de</strong> la génération <strong>de</strong> spikes dans les neurones<br />

corticaux. Ces expériences révèlent une influence non-linéaire assez surprenante <strong>de</strong><br />

l’ac<strong>et</strong>ylcholine sur l’excitabilité <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones pyramidaux du cortex, via la<br />

modulation <strong><strong>de</strong>s</strong> multiples canaux potassium contrôlant l’adaptation à la fréquence<br />

<strong>de</strong> décharge. Nous développons <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles théoriques <strong>de</strong> ces eff<strong>et</strong>s, <strong>et</strong> examinons<br />

l’interaction <strong><strong>de</strong>s</strong> multiples mécanismes d’adaptation lors du calcul neuronal.<br />

Nous avons développé une nouvelle théorie <strong>et</strong> un cadre mathématique pour<br />

étudier la dynamique <strong><strong>de</strong>s</strong> arbres <strong>de</strong>ndritiques possédant <strong><strong>de</strong>s</strong> oscillateurs intrinsèques.<br />

Nous avons montré sous quelles conditions l’arbre <strong>de</strong>ndritique se comporte comme<br />

une seule unité globale <strong>de</strong> traitement du signal. Nous appliquons ce cadre théorique<br />

pour étudier le traitement probabiliste <strong>de</strong> l’information au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ndrites,<br />

l’apprentissage <strong>et</strong> la formation <strong>de</strong> champs <strong>de</strong> grilles (« grid fields ») dans le cortex<br />

entorhinal, qu’on sait en relation avec les facultés animales <strong>de</strong> navigation.<br />

Théories <strong>et</strong> modèles <strong>de</strong> la dépendance aux drogues<br />

Le tabac, qui instaure un comportement compulsif <strong>et</strong> <strong>de</strong> dépendance, reste un<br />

problème majeur <strong>de</strong> santé publique. La nicotine est le principal facteur <strong>de</strong><br />

dépendance contenu dans la fumée <strong>de</strong> tabac. Bien que les cibles moléculaires <strong>de</strong> la<br />

nicotine sont maintenant bien connues, ainsi que ses eff<strong>et</strong>s aux niveaux moléculaire,<br />

cellulaire <strong>et</strong> comportemental, les mécanismes précis reliant ces différentes échelles<br />

ne sont pas encore bien cernés. Nous avons approché ce problème à travers <strong>de</strong>ux<br />

modèles complémentaires <strong>de</strong> dynamique neuronale.


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 951<br />

La première approche est un modèle hypothétique d’auto-administration <strong>de</strong> la<br />

nicotine, qui combine un ensemble <strong>de</strong> circuits neuronaux aux échelles moléculaire,<br />

cellulaire <strong>et</strong> systémique, qui rend correctement compte <strong>de</strong> différent processus<br />

neurobiologiques <strong>et</strong> comportementaux menant à la dépendance. Nous avons<br />

suggéré que le comportement d’auto-administration <strong>de</strong> la nicotine apparaît<br />

naturellement <strong>de</strong> la combinaison <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux éléments : <strong><strong>de</strong>s</strong> changements dans la<br />

réponse <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones dopaminergiques <strong>de</strong> l’aire ventrale tegmentale<br />

(VTA), <strong>et</strong> un apprentissage modulé par la dopamine au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits <strong>de</strong><br />

sélection d’action. Nous avons montré qu’un processus d’opposition, accentué par<br />

la prise persistente <strong>de</strong> nicotine, rend l’auto-administration rigi<strong>de</strong> <strong>et</strong> habituelle en<br />

inhibant le processus d’apprentissage, ce qui mène à <strong><strong>de</strong>s</strong> handicaps durables en cas<br />

d’absence <strong>de</strong> la drogue.<br />

Une <strong>de</strong>uxième approche a été d’étudier les mécanismes par lesquels la nicotine<br />

usurpe le signal dopaminergique dans le VTA. Nous avons conçu <strong>et</strong> analysé un<br />

modèle <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits neuronaux dans le VTA qui inclut les principales caractéristiques<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine, telles que leurs distributions relatives<br />

sur les différents types cellulaires, leur affinité, leurs possibilités <strong>de</strong> sensibilisation<br />

<strong>et</strong> d’inactivation. Nous avons montré comment la nicotine mène à une augmentation<br />

persistante <strong>de</strong> la sortie dopaminergique. Nous avons enfin montré comment les<br />

donnés in vivo <strong>et</strong> in vitro, considérées jusqu’à présent contradictoires, peuvent être<br />

réconciliées.<br />

Publications 2007-2008<br />

(en ordre alphabétique <strong>et</strong> par année)<br />

Denève, S., Bayesian Spiking Neurons I : Inference. Neural Computation, 20, 91-117<br />

(2008).<br />

Denève, S., Bayesian Spiking Neurons II : Learning. Neural Computation, 20, 118-145<br />

(2008).<br />

Gutkin, B.S., Tuckwell, H., and Jost, J., Random perturbations of spiking activity in<br />

a pair of coupled neurons. Theory in the Biosciences (in press), (2008).<br />

Gutkin, B.S., Tuckwell, H., and Jost, J., Transient termination of synaptically sustained<br />

firing by noise. Euro Physics L<strong>et</strong>ters, 81, 20005 (2008).<br />

Lochmann, T. and Denève, S., Information transmission with spiking Bayesian neurons.<br />

New Journal of Physics, 10, article ID : 055019 (2008).<br />

Mongillo, G., Barak, O., and Tsodyks, M., Synaptic theory of working memory.<br />

Science, 319, 1543-1546 (2008).<br />

Machens, C.K. and Brody, C.D., Design of continuous attractor n<strong>et</strong>works with<br />

monotonic tuning using a symm<strong>et</strong>ry principle. Neural Computation, 20, 452-485 (2008).<br />

Ahmed, S., Bobashev, G., and Gutkin, B.S., The simulation of addiction :<br />

pharmacological and neurocomputational mo<strong>de</strong>ls of drug self-administration. Drug Alcohol<br />

Depend, 90(2-3), 304-11 (2007).


952 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

Benda, J., Gollisch, T., Machens, C.K., and Herz, A.V.M., From response to stimulus:<br />

adaptive sampling in sensory physiology. Current Opinion in Neurobiology, 17(4), 430-436<br />

(2007).<br />

Bobashev, G., Costenba<strong>de</strong>r, E., and Gutkin, B.S., Comprehensive mathematical<br />

mo<strong>de</strong>ling in drug addiction sciences. Drug Alcohol Depend, 89(1), 102-6 (2007).<br />

Brumberg, J.C. and Gutkin, B.S., Cortical pyramidal cells as non-linear oscillators :<br />

Experiment and spike-generation theory. Brain Research, 1171, 122-137 (2007).<br />

Denève, S., Duhamel, J., and Poug<strong>et</strong>, A., Optimal sensorimotor integration in recurrent<br />

cortical n<strong>et</strong>works : a neural implementation of Kalman filters. Journal of Neuroscience, 27,<br />

5744-5756 (2007).<br />

Jeong, H.Y. and Gutkin, B.S., Synchrony of neuronal oscillations controlled by<br />

GABAergic reversal potentials. Neural Computation, 19 (3), 706-729 (2007).<br />

Mongillo, G. and Denève, S., Online Learning with Hid<strong>de</strong>n Markov Mo<strong>de</strong>ls. Neural<br />

Computation, in press (2008).<br />

Rouger, J., Lagleyre, S., Fraysse, B., Denève, S., Deguine, O., and Barone, P.,<br />

Evi<strong>de</strong>nce that cochlear-implanted <strong>de</strong>af patients are b<strong>et</strong>ter multisensory integrators.Proceedings<br />

of the National Aca<strong>de</strong>my of Sciences USA, 104(17), 7295-7300 (2007).<br />

Neuropepti<strong><strong>de</strong>s</strong> centraux <strong>et</strong> régulations hydrique <strong>et</strong> cardiovasculaire<br />

INSERM U 691<br />

Responsable : Catherine Llorens-Cortes<br />

Le Système Rénine-Angiotensine (SRA) Cérébral<br />

Nous avons montré dans ce système que l’aminopeptidase A (APA) est impliquée<br />

dans la conversion <strong>de</strong> l’angiotensine (Ang) II en AngIII, développé les premiers<br />

inhibiteurs spécifiques <strong>et</strong> sélectifs <strong>de</strong> l’APA, inexistants jusqu’à ce jour <strong>et</strong> i<strong>de</strong>ntifié<br />

le pepti<strong>de</strong> effecteur du SRA cérébral qui est l’AngIII <strong>et</strong> non l’AngII comme établi<br />

à la périphérie. L’AngIII au niveau central exerce un eff<strong>et</strong> stimulateur tonique sur<br />

le contrôle <strong>de</strong> la pression artérielle (PA) chez le rat hypertendu. Ainsi le blocage<br />

central <strong>et</strong> non systémique <strong>de</strong> l’APA diminue fortement la PA dans différents<br />

modèles expérimentaux d’hypertension artérielle (HTA), suggérant que l’APA<br />

cérébrale constituerait une cible thérapeutique potentielle pour le traitement <strong>de</strong><br />

certaines formes d’HTA. L’HTA touche près <strong>de</strong> 7 millions <strong>de</strong> personnes en <strong>France</strong>.<br />

Après 50 ans, un Français sur 4 est concerné. Aux US, sa prévalence est considérée<br />

autour <strong>de</strong> 15-20 %. L’HTA est un facteur <strong>de</strong> risque majeur <strong>de</strong> nombreuses maladies<br />

telles que les affections coronariennes, les acci<strong>de</strong>nts vasculaires cérébraux,<br />

l’insuffisance cardiaque <strong>et</strong> l’insuffisance rénale. L’importance <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te maladie a<br />

justifié le développement <strong>de</strong> nombreuses familles thérapeutiques, cependant, elle<br />

reste difficile à contrôler. Les monothérapies sont insuffisantes dans plus <strong>de</strong> la<br />

moitié <strong><strong>de</strong>s</strong> cas, <strong>et</strong> les réponses individuelles à un composé donné — quelle que soit


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 953<br />

sa famille — sont très variables. Il y a donc un besoin <strong>de</strong> thérapies complémentaires.<br />

Notre proj<strong>et</strong> vise à développer un nouvel antihypertenseur avec un mo<strong>de</strong> d’action<br />

différent <strong>de</strong> ceux utilisés jusqu’à présent. Pour cela, notre objectif est <strong>de</strong> développer<br />

<strong>de</strong> nouveaux inhibiteurs <strong>de</strong> l’APA, puissants <strong>et</strong> sélectifs capables <strong>de</strong> passer les<br />

barrières intestinale, hépatique <strong>et</strong> hématoencéphalique après administration par<br />

voie orale avec un in<strong>de</strong>x thérapeutique élevé <strong>et</strong> peu <strong>de</strong> risques <strong>de</strong> toxicité. Nous<br />

venons d’obtenir en collaboration avec l’équipe du Pr B.P. Roques (INSERM<br />

U640) une telle molécule, le RB150 (1 brev<strong>et</strong> licence exclusive Société Quantum<br />

Genomics) qui après administration par voie intraveineuse ou orale chez le rat<br />

hypertendu, pénètre dans le cerveau, inhibe l’activité du SRA cérébral <strong>et</strong> a un eff<strong>et</strong><br />

hypotenseur qui dure plusieurs heures. De plus, le RB150 ne présente pas <strong>de</strong><br />

risque <strong>de</strong> toxicité cardiaque <strong>et</strong> hépatique, <strong>de</strong> génotoxicité <strong>et</strong> d’interactions<br />

médicamenteuses. Nous poursuivons ce programme <strong>de</strong> recherche en partenariat<br />

avec la Société Quantum Genomics afin d’une part, <strong>de</strong> finaliser le développement<br />

pré-clinique du RB150 <strong>et</strong> d’autre part, <strong>de</strong> développer <strong>de</strong> nouvelles molécules<br />

capables <strong>de</strong> se substituer au RB150 si ce composé ne répondait pas à tous les<br />

critères nécessaires pour une évaluation chez l’homme. Si le RB150 obtient les<br />

autorisations nécessaires, cela perm<strong>et</strong>tra d’initier les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> cliniques <strong>de</strong> Phase I au<br />

CIC <strong>de</strong> l’HEGP, dirigé par le Pr. M. Azizi afin <strong>de</strong> déterminer la tolérance, la<br />

sécurité <strong>et</strong> la pharmacocinétique du RB150 chez l’homme (dose unique <strong>et</strong> doses<br />

répétées croissantes). Une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> pharmacodynamie réalisée au CIC en<br />

collaboration avec notre laboratoire chez <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s soumis à <strong><strong>de</strong>s</strong> régimes enrichis<br />

ou appauvris en sodium, déterminera l’efficacité du RB150 sur différents<br />

biomarqueurs pertinents <strong>de</strong> l’HTA.<br />

Ce programme <strong>de</strong> recherche a été soutenu par une ANR émergence 2006-2007<br />

<strong>et</strong> sélectionné pôle <strong>de</strong> compétitivité par l’INSERM. Un contrat <strong>de</strong> collaboration<br />

avec la Société Quantum-Genomics a été signé avec INSERM Transfert en mai<br />

2007 pour 18 mois avec une possibilité <strong>de</strong> prolongation en fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats<br />

obtenus. Ces <strong>travaux</strong> ont fait l’obj<strong>et</strong> d’un article <strong>et</strong> d’un éditorial dans la revue<br />

Hypertension <strong>et</strong> d’un communiqué <strong>de</strong> presse par l’INSERM.<br />

Le Système Apélinergique<br />

En recherchant un récepteur spécifique <strong>de</strong> l’AngIII, nous avons isolé chez le rat<br />

un récepteur couplé aux protéines G, partageant 95 % d’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> séquence avec<br />

le récepteur orphelin humain APJ qui s’est révélé être le récepteur d’un nouveau<br />

pepti<strong>de</strong>, l’apéline. Nous avons caractérisé pharmacologiquement ce récepteur, établi<br />

dans le cerveau <strong>de</strong> rat la distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones apélinergiques ainsi que celle<br />

<strong>de</strong> l’ ARNm du récepteur <strong>de</strong> l’apéline <strong>et</strong> observé que l’apéline <strong>et</strong> son récepteur sont<br />

co-exprimés avec la vasopressine (AVP) dans les neurones magnocellulaires<br />

vasopressinergiques. Nous avons mis en évi<strong>de</strong>nce que l’apéline, injectée par voie<br />

centrale chez la rate en lactation, diminue l’activité électrique <strong>de</strong> ces neurones <strong>et</strong><br />

la sécrétion d’AVP dans la circulation sanguine, provoquant une diurèse aqueuse.<br />

Enfin nous avons établi chez le rat déshydraté que l’apéline <strong>et</strong> l’AVP sont régulées


954 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

<strong>de</strong> façon opposée afin <strong>de</strong> maintenir l’équilibre hydrique <strong>de</strong> l’organisme, en<br />

optimisant la sécrétion d’AVP dans la circulation sanguine <strong>et</strong> évitant ainsi une perte<br />

d’eau supplémentaire par les reins. Afin <strong>de</strong> poursuivre c<strong>et</strong>te exploration chez<br />

l’homme, nous avons initialisé, en collaboration avec le CIC <strong>de</strong> l’HEGP dirigé par<br />

le Pr M. Azizi, la première étu<strong>de</strong> clinique sur l’apéline réalisée chez le volontaire<br />

sain. Nous avons montré que la restriction hydrique associée à la surcharge en sel,<br />

chez les cinq suj<strong>et</strong>s chez qui l’étu<strong>de</strong> a été réalisée, induit une augmentation <strong>de</strong><br />

l’osmolalité plasmatique parallèlement à une baisse <strong><strong>de</strong>s</strong> taux d’apéline dans le plasma<br />

alors que ceux <strong>de</strong> l’AVP augmentent <strong>de</strong> façon linéaire. Ces résultats nous ont<br />

conduits à effectuer une exploration complémentaire visant à augmenter la sécrétion<br />

d’apéline par une charge orale hydrique. A l’inverse, dans ce second protocole réalisé<br />

sur cinq suj<strong>et</strong>s, la baisse <strong>de</strong> l’osmolalité plasmatique induite par une charge hydrique<br />

diminue les taux d’AVP dans le plasma alors que ceux <strong>de</strong> l’apéline augmentent<br />

rapi<strong>de</strong>ment. En conclusion, ces données montrent que les sécrétions d’apéline <strong>et</strong><br />

d’AVP sont régulées <strong>de</strong> façon opposée par les stimuli osmotiques suggérant que<br />

l’apéline comme l’AVP joue un rôle crucial dans le maintien <strong>de</strong> l’équilibre hydrique<br />

chez l’homme comme chez le rongeur. Finalement, nous avons montré que l’apéline<br />

injectée par voie iv chez le rat diminue la PA <strong>et</strong> plusieurs laboratoires ont découvert<br />

que l’apéline augmentait la force contractile du myocar<strong>de</strong> suggérant que ce nouveau<br />

pepti<strong>de</strong> joue un rôle dans le contrôle <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions cardiovasculaires. Par ailleurs,<br />

nous avons étudié chez le rat, la distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> ARNms du récepteur <strong>de</strong> l’apéline<br />

ainsi que le rôle <strong>de</strong> ce pepti<strong>de</strong> sur la fonction rénale. Les ARNms du récepteur <strong>de</strong><br />

l’apéline ont été détectés dans les cellules endothéliales <strong>et</strong> les cellules musculaires<br />

lisses <strong><strong>de</strong>s</strong> artérioles glomérulaires, dans les glomérules, les canaux collecteurs ainsi<br />

que dans la zone interne <strong>de</strong> la médullaire externe, région richement vascularisée.<br />

L’apéline induit une vasorelaxation-NO dépendante <strong><strong>de</strong>s</strong> artérioles afférentes <strong>et</strong><br />

efférentes glomérulaires préalablement contractées par l’Ang II. D’autre part,<br />

l’apéline injectée par voie iv exerce un eff<strong>et</strong> diurétique dose-dépendant qui pourrait<br />

être lié à un eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’apéline au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux collecteurs où sont présents ses<br />

récepteus ainsi que ceux <strong>de</strong> l’AVP. Ces données suggèrent un rôle régulateur <strong>de</strong><br />

l’apéline dans l’hémodynamique rénale <strong>et</strong> la fonction tubulaire.<br />

Enfin, il est important <strong>de</strong> préciser qu’à l’heure actuelle aucun agoniste ou<br />

antagoniste du récepteur <strong>de</strong> l’apéline n’a été développé. Notre proj<strong>et</strong> vise donc à<br />

obtenir <strong>de</strong> telles molécules qui <strong>de</strong>vraient perm<strong>et</strong>tre d’explorer plus avant le rôle <strong>de</strong><br />

ce pepti<strong>de</strong> dans <strong><strong>de</strong>s</strong> pathologies comme l’insuffisance cardiaque ou rénale <strong>et</strong> les<br />

secrétions inappropriées d’AVP.<br />

Recherche <strong>de</strong> ligands endogènes <strong>de</strong> récepteurs orphelins<br />

Nos <strong>travaux</strong> ont été consacrés en collaboration avec l’unité INSERM U413<br />

dirigée par le Pr H Vaudry <strong>et</strong> l’Institut <strong>de</strong> Recherche SERVIER à la recherche du<br />

ligand naturel du récepteur GPR39 à partir d’un extrait <strong>de</strong> cerveaux <strong>de</strong> grenouille,<br />

en m<strong>et</strong>tant à profit la propriété qu’ont la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs à 7 domaines<br />

transmembranaires couplé aux protéines G <strong>de</strong> s’internaliser sous l’action <strong>de</strong> ligands


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 955<br />

agonistes. En réalisant 4 étapes <strong>de</strong> purification <strong>et</strong> <strong>de</strong> tests d’internalisation successifs,<br />

nous avons isolé une fraction correspondant à un pic bien individualisé, qui a<br />

provoqué l’internalisation <strong>de</strong> ce récepteur dans 80 % <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules testées. La<br />

spectrométrie <strong>de</strong> masse réalisée sur c<strong>et</strong>te fraction a révélé qu’elle contenait 3 pepti<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

majeurs qui ont été séquencés mais aucune <strong><strong>de</strong>s</strong> répliques synthétiques ne s’est<br />

révélée active sur l’internalisation du GPR39, montrant que le ligand du GPR39<br />

était bien présent dans c<strong>et</strong>te fraction mais en quantité trop faible pour être séquencé<br />

dans nos conditions expérimentales. Fin 2005, un article dans Science publié par<br />

Zhang <strong>et</strong> coll i<strong>de</strong>ntifiait par prédiction bioinformatique, l’obestatine, comme étant<br />

un nouveau pepti<strong>de</strong> dérivé du précurseur <strong>de</strong> la ghréline. Ce pepti<strong>de</strong> a été purifié<br />

à partir d’un extrait d’estomacs <strong>de</strong> rat <strong>et</strong> sa réplique synthétique a montré <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

propriétés anorexigènes <strong>et</strong> induit une perte <strong>de</strong> poids chez la souris. De plus<br />

l’obestatine était i<strong>de</strong>ntifiée comme le ligand endogène du récepteur orphelin<br />

humain GPR39, majoritairement exprimé dans le SNC. Afin <strong>de</strong> caractériser<br />

pharmacologiquement le GPR39, nous avons synthétisé l’obestatine humaine ainsi<br />

que différents fragments <strong>de</strong> ce pepti<strong>de</strong>. Les eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> ces pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> ont été évalués<br />

sur les cellules exprimant <strong>de</strong> manière stable le GPR39. Ils ne se lient pas au GPR39<br />

<strong>et</strong> ne modifient pas la production <strong>de</strong> seconds messagers (production d’AMPc,<br />

mobilisation du calcium intracellulaire), ni l’internalisation du GPR39. Par contre,<br />

nous avons montré que l’obestatine injectée par voie icv diminue légèrement la<br />

prise <strong>de</strong> nourriture chez la souris. Ces résultats montraient que l’obestatine n’est<br />

pas le ligand endogène du GPR39. Ils ont remis en cause les résultats obtenus par<br />

Zhang <strong>et</strong> al. concernant la nature du récepteur impliqué dans les eff<strong>et</strong>s biologiques<br />

<strong>de</strong> l’obestatine. Ce travail a été publié dans la revue Science sous la forme d’un<br />

« Technical Comment ».<br />

Publications 2007-2008<br />

Publications originales dans <strong><strong>de</strong>s</strong> journaux à comité <strong>de</strong> lecture<br />

Chartrel N., Alvear-Perez R., Leprince J., Iturrioz X., Reaux-Le Goazigo A.,<br />

Audinot V., Chomarat P., Cogé F., Nosjean O., Rodriguez M., Galizzi J.P., Boutin J.<br />

A., Vaudry H., Llorens-Cortes C. Comment on « obestatin, a pepti<strong>de</strong> enco<strong>de</strong>d by the<br />

ghrelin gene, opposes ghrelin’s effects on food intake ». Science, 2007, 315(5813) : 766.<br />

Reaux-Le Goazigo A., Alvear-Perez R., Zizzari P., Epelbaum J., Blu<strong>et</strong>-Pajot M.T.,<br />

Llorens-Cortes C. Cellular localization of apelin and its receptor in the anterior pituitary :<br />

Evi<strong>de</strong>nce for a direct stimulatory action of apelin on ACTH release. Am J Physiol Endocrinol<br />

M<strong>et</strong>ab. 2007, 292(1) : E7-15.<br />

Azizi M., Iturrioz X., Blanchard A., Peyrard S., De Mota N., Chartrel N.,<br />

Vaudry H., Corvol P., Llorens-Cortes C. Osmotic stimulation induces opposite<br />

regulation of plasma apeline and vasopressin levels in human. J Am Soc Nephrol. 2008<br />

May ;19(5) : 1015-24.<br />

Bodineau L., Frugiere A., Marc Y., Inguimbert N., Fassot C., Roques B., Llorens-<br />

Cortes C. Orally active aminopeptidase A inhibitors reduce blood pressure by inhibiting


956 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

the brain-renin-angiotensin system : a new strategy for treating hypertension. Hypertension.<br />

2008 May ; 51(5) : 1318-25.<br />

De Mota N., Iturrioz X., Claperon C., Bodineau L., Fassot C., Roques B.P.,<br />

Palkovits M., Llorens-Cortes C. Human brain aminopeptidase A : biochemical properties<br />

and distribution in brain nuclei. J Neurochem. 2008 Jul ; 106(1) : 416-28.<br />

Hus-Citharel A., Bouby N., Bodineau L., Frugiere A., Gasc J.-M., Llorens-<br />

Cortes C. Effect of apelin on glomerular hemodynamic function in the rat kidney. Kidney<br />

Int. 2008 Aug ; 74(4) : 486-94.<br />

Publications <strong>de</strong> revues dans <strong><strong>de</strong>s</strong> journaux à comité <strong>de</strong> lecture ou chapitres <strong>de</strong> livre<br />

Iturrioz X., El Messari S., De Mota N., Fassot C., Alvear-Perez R., Maigr<strong>et</strong> B.,<br />

Llorens-Cortes C. Functional dissociation b<strong>et</strong>ween apelin receptor signaling and<br />

endocytosis : implications for the effects of apelin on arterial blood pressure. Arch Mal Cœur<br />

Vaiss. 2007 Aug ; 100(8) : 704-8.<br />

Llorens-Cortes C., Kordon C. Jacques Benoit lecture : the neuroendocrine view of the<br />

angiotensin and apelin systems. J Neuroendocrinol. 2008 Mar ; 20(3) : 279-89.<br />

Bodineau L., Frugiere A., Marc Y., Claperon C., Llorens-Cortes C. Aminopeptidase<br />

A inhibitors as centrally acting antihypertensive agents. Heart Fail Rev. 2008 Sep ; 13(3) :<br />

311-9.<br />

Reaux-Le Goazigo A., Iturrioz X., Llorens-Cortes C. Apelin. In : The New<br />

Encyclopedia of Neuroscience, Larry R. Squire (Ed), Aca<strong>de</strong>mic Press, Oxford, 2008.<br />

Llorens-Cortes C., Moos F. Opposite potentiality of hypothalamic coexpressed<br />

neuropepti<strong><strong>de</strong>s</strong>, apelin and vasopressin in maintaining body-fluid homeostasis. In : Progress<br />

in Brain Research, I.D Neumann and R. Landgraf (Eds.), vol. 170, chapter 43, 559-570.<br />

Iturrioz X., Reaux-Le Goazigo A., Moos F., Llorens-Cortes C. Apelin and<br />

Vasopressin. In : Cardiovascular Hormone Systems. From Molecular Mechanisms to Novel<br />

Therapeutics. Ba<strong>de</strong>r, M. (ed.) Wiley-VCH Verlag GmbH & Co. KGaA, Weinheim,<br />

chapter 8, 193-208.<br />

Brev<strong>et</strong>s<br />

1. Dérivés <strong>de</strong> 4,4′-dithiobis-(3-aminobutane-1-sulfonates) nouveaux<br />

<strong>et</strong> compositions les contenant<br />

Apport en santé : Lutte contre l’hypertension <strong>et</strong> les maladies cardiovasculaires<br />

Deman<strong>de</strong> <strong>de</strong> Brev<strong>et</strong> FR n° 02 08977 déposé au nom <strong>de</strong> l’INSERM le 16 Juill<strong>et</strong> 2002.<br />

Brev<strong>et</strong> Français n° FR2842522 (A1) publié le 23-01-2004<br />

Deman<strong>de</strong> Internationale PCT/FR03/02242 le 16/07/2003<br />

Brev<strong>et</strong> américain n° US 7,235,687 B2 délivré le 26/06/2007;<br />

Inventeurs : Fournie-Zaluski M.C., Llorens-Cortes C., Roques B.P., Corvol P.,<br />

Licence exclusive avec Glaxo-Smith Kline Beecham, n° 98299 (2000-2003)<br />

Licence exclusive avec la Société Quantum Genomics (2007-2009), n° 06296A10<br />

2. Dérivés <strong>de</strong> 4,4′-dithiobis-(3-aminobutane-1-sulfonates) nouveaux<br />

<strong>et</strong> compositions les contenant<br />

Apport en santé : Lutte contre l’hypertension <strong>et</strong> les maladies cardiovasculaires<br />

Deman<strong>de</strong> <strong>de</strong> Brev<strong>et</strong> FR n° 03 09 700 déposé au nom <strong>de</strong> l’INSERM le 6 août 2003<br />

Brev<strong>et</strong> Français n° FR2858617 (A1) publié le 2-11-2005


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 957<br />

Deman<strong>de</strong> Internationale PCT/FR04/02106 du 6/08/2004<br />

Passage en phases nationales/régionale : Europe, japon, Canada <strong>et</strong> Etats-Unis<br />

Inventeurs : Roques B.P., Inguimbert N., Fournie-Zaluski M.C., Corvol P., Llorens-<br />

Cortes C.<br />

Licence exclusive avec Glaxo-Smith Kline Beecham, n° 98299 (2000-2003)<br />

Licence exclusive avec la Société Quantum Genomics (2007-2009), n° 06296A10<br />

Génétique moléculaire Neurophysiologie <strong>et</strong> comportement<br />

UMR CNRS/<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> 7148<br />

Directeur : François Tronche<br />

Equipe Tronche. Chercheurs : A. Bailly, J. Barik, S. Mhaouty-Kodja, S. Vyas,<br />

F. Tronche. Etudiants : M.A. Carrillo-Conesa, G. Maroteaux, A. Mil<strong>et</strong>,<br />

S. Parnau<strong>de</strong>au, K. Raskin ; ITA : C. Benstaali, N. Hu<strong>et</strong>, E. Massouri<strong><strong>de</strong>s</strong>, A. Saint-<br />

Amaux.<br />

Equipe Tassin. Chercheurs : V. Houa<strong><strong>de</strong>s</strong>, J.P. Tassin, Etudiants : C. Lanteri,<br />

ITA : G. Go<strong>de</strong>heu, P. Babouram.<br />

L’équipe <strong>de</strong> François Tronche s’intéresse aux mécanismes transcriptionnels qui<br />

sous-ten<strong>de</strong>nt les réponses nécessaires à l’adaptation <strong>de</strong> l’organisme aux variations<br />

<strong>de</strong> l’environnement, avec un intérêt particulier pour la physiologie cérébrale. Dans<br />

ce contexte, elle étudie, d’une part, les mécanismes moléculaires qui sous-ten<strong>de</strong>nt<br />

l’eff<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> androgènes sur le comportement sexuel <strong>et</strong>, d’autre part, les mécanismes<br />

par lesquels les hormones glucocorticoï<strong><strong>de</strong>s</strong> libérées en réponse au stress affectent<br />

divers comportements <strong>et</strong> peuvent conduire à <strong><strong>de</strong>s</strong> pathologies graves telles certaines<br />

dépressions, <strong><strong>de</strong>s</strong> troubles <strong>de</strong> l’anxiété <strong>et</strong> l’addiction.<br />

Les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> l’équipe sont centrés sur la fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes <strong>de</strong> trois facteurs <strong>de</strong><br />

transcription (le récepteur <strong><strong>de</strong>s</strong> androgènes — AR, le récepteur <strong><strong>de</strong>s</strong> glucocorticoï<strong><strong>de</strong>s</strong> —<br />

GR <strong>et</strong> Stat5 qui interagit avec GR) activés par la libération d’hormones. L’équipe<br />

développe pour cela <strong><strong>de</strong>s</strong> approches <strong>de</strong> génétique moléculaire, chez la souris. Des<br />

modèles murins dans lesquels les gènes GR ou AR sont invalidés, dans une<br />

population cellulaire ciblée, sont établis. Leurs étu<strong><strong>de</strong>s</strong> physiologique,<br />

comportementale <strong>et</strong> anatomique comparative perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> définir le rôle <strong>de</strong> ces<br />

récepteurs nucléaires ainsi que la nature <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules qui sous-ten<strong>de</strong>nt les eff<strong>et</strong>s <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

glucocorticoï<strong><strong>de</strong>s</strong> ou <strong><strong>de</strong>s</strong> androgènes. Une approche complémentaire qui repose sur<br />

la surexpression réversible du gène GR a également été développée.<br />

Concernant le lien entre « stress » GR <strong>et</strong> addiction, c<strong>et</strong>te année les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong><br />

J. Barik, S. Parnau<strong>de</strong>au, A. Bailly <strong>et</strong> A. Saint-Amaux ont élargi l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

conséquences <strong>de</strong> l’absence du GR dans les neurones dopaminoceptif. Ils ont<br />

montré qu’elle diminue très fortement la sensibilisation <strong>et</strong> la préférence <strong>de</strong> place à


958 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

la cocaïne confirmant le rôle essentiel <strong>de</strong> ce facteur <strong>de</strong> transcription pour l’expression<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s comportementaux <strong>de</strong> la cocaïne. Il semble en revanche que le GR, dans<br />

ces neurones n’est pas impliqué dans les eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> la morphine ou <strong>de</strong> l’alcool.<br />

Les glucocorticoï<strong><strong>de</strong>s</strong> sont essentiels pour la répression <strong>de</strong> l’inflammation. C’est<br />

pourquoi MA Carrillo-Conesa <strong>et</strong> S Vyas ont étudié le rôle du GR dans la microglie.<br />

Son absence, dans ces cellules <strong>de</strong> type macrophage, conduit à une augmentation<br />

<strong>de</strong> la mort neuronale dans <strong>de</strong>ux situations d’inflammation : l’injection <strong>de</strong> LPS dans<br />

le cortex <strong>et</strong> un modèle <strong>de</strong> maladie <strong>de</strong> Parkinson induit par le MPTP. Concernant<br />

le rôle du gène AR dans le cerveau, S Mhaouty-Kodja <strong>et</strong> K Raskin ont engendré<br />

<strong>et</strong> étudié <strong><strong>de</strong>s</strong> souris dépourvues d’AR dans le cerveau. Chez le mâle, l’absence d’AR<br />

provoque une dérégulation <strong>de</strong> l’axe endocrinien <strong><strong>de</strong>s</strong> hormones sexuelles, une<br />

diminution légère mais significative <strong>de</strong> la masse corporelle <strong>et</strong> affecte profondément<br />

le comportement sexuel <strong>et</strong> l’agression.<br />

L’équipe <strong>de</strong> Jean-Pol Tassin étudie <strong>de</strong>puis plusieurs années les modifications neurochimiques<br />

à long terme dues à la prise répétée <strong>de</strong> drogues d’abus. En 2006, c<strong>et</strong>te<br />

équipe a montré qu’il existe, chez les animaux non dépendants, une régulation<br />

réciproque <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones noradrénergiques <strong>et</strong> sérotoninergiques par l’intermédiaire<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs a1b-adrénergiques (contrôle noradrénergique <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones sérotoninergiques)<br />

<strong>et</strong> 5-HT 2A (contrôle sérotoninergique <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones noradrénergiques).<br />

Les prises répétées <strong>de</strong> psychostimulants — comme l’amphétamine ou la cocaïne —,<br />

d’opiacés — comme la morphine ou l’héroïne —, ou d’alcool, dissocient c<strong>et</strong>te<br />

régulation mutuelle (5). Chaque système, noradrénergique ou sérotoninergique,<br />

<strong>de</strong>vient alors autonome <strong>et</strong> hyper-réactif. C<strong>et</strong>te dissociation (ou découplage) se<br />

maintient plusieurs mois après la <strong>de</strong>rnière prise <strong>de</strong> drogue, est indépendante <strong>de</strong> la<br />

libération <strong>de</strong> dopamine <strong>et</strong> n’apparaît pas si les animaux sont pré-traités par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

antagonistes <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs a1b-adrénergiques <strong>et</strong> 5-HT 2A avant chaque prise <strong>de</strong><br />

drogue d’abus. Ce travail a donné lieu à la proposition d’un nouveau concept <strong>de</strong><br />

la pharmaco-dépendance (2,4) selon lequel le découplage, vraisemblablement présent<br />

chez les toxicomanes, entraîne une autonomisation <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones noradrénergiques<br />

<strong>et</strong> sérotoninergiques qui réagissent <strong>de</strong> façon indépendante <strong>et</strong> hyper-réactive<br />

aux stimuli externes. Reprendre <strong>de</strong> la drogue perm<strong>et</strong>trait un recouplage artificiel<br />

<strong>de</strong> ces neurones, créant ainsi un soulagement temporaire susceptible d’expliquer la<br />

rechute <strong>de</strong> la consommation.<br />

C<strong>et</strong>te année, l’équipe a plus particulièrement travaillé sur la tabaco- <strong>et</strong> l’alcoolodépendance.<br />

Des résultats qu’elle avait déjà obtenus suggérant que la nicotine seule<br />

n’agissait pas comme une drogue d’abus mais qu’elle pouvait le <strong>de</strong>venir en présence<br />

d’inhibiteurs <strong>de</strong> monoamine oxydases (IMAOs), contenus dans le tabac ont été<br />

précisés. Il s’avère effectivement que, bien que ni la prise répétée <strong>de</strong> nicotine ni<br />

celle d’IMAOs n’entraîne <strong>de</strong> découplage, la prise répétée <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux composés,<br />

nicotine <strong>et</strong> IMAO, déclenche un découplage, ce qui explique que le tabac,<br />

contrairement à la nicotine seule, ait un fort pouvoir addictif. Un travail très récent<br />

<strong>de</strong> Christophe Lanteri indique que les IMAOs agissent en désensibilisant le


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 959<br />

récepteur 5-HT 1A perm<strong>et</strong>tant ainsi à la nicotine d’activer les neurones sérotoninergiques<br />

(6). Enfin, l’utilisation <strong>de</strong> souris dépourvues <strong>de</strong> récepteurs μ-opioï<strong><strong>de</strong>s</strong>,<br />

confiées à l’équipe par Brigitte Kieffer (Strasbourg), a permis à Emilie Douc<strong>et</strong>, au<br />

<strong>cours</strong> <strong>de</strong> son stage <strong>de</strong> M2, <strong>de</strong> montrer que le découplage induit par l’éthanol<br />

nécessite la stimulation <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs μ-opioï<strong><strong>de</strong>s</strong>, ce qui confirme la convergence,<br />

déjà constatée en clinique, entre les eff<strong>et</strong>s addictifs <strong>de</strong> l’éthanol <strong>et</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

opiacés.<br />

Equipe Tronche : publications 2007-2008<br />

Stress and addiction, i<strong>de</strong>ntification of a specific neuronal cell-type for glucocorticoid<br />

receptor-induced facilitation of cocaine seeking. F. Ambroggi A., M. Turiault M., Au<strong>de</strong><br />

Mil<strong>et</strong> A., V. Deroche-Gamon<strong>et</strong>, S. Parnau<strong>de</strong>au, E. Balado, T. Lemberger, G. Schütz,<br />

M. Lazar, M. Marinelli, P.V. Piazza, F. Tronche. Soumis.<br />

Conditional inactivation of androgen receptor gene in the nervous system impairs<br />

masculine behaviors and androgen feedback on LH release. Raskin K., <strong>de</strong> Gendt K.,<br />

Duittoz A., Verhoeven G., Tronche F., Mhaouty-Kodja S. En révision.<br />

Decaens T., Godard C., <strong>de</strong> Reyniès A., Rickman D.S., Tronche F., Couty J.P.,<br />

Perr<strong>et</strong> C., Colnot S. Stabilization of b<strong>et</strong>a-catenin affects mouse embryonic liver growth<br />

and hepatoblast fate. Hepatology, 47 : 247-58.<br />

Tronche F. Corticosteroid receptor genes : functional dissection in mice. In : Encyclopedia<br />

of Stress, B. McEwen, G. Chroussos, Ron <strong>de</strong> Klo<strong>et</strong> editors, Elsevier publisher, vol. 1, 584-<br />

594.<br />

Sahly I., Fabre V., Vyas S., Mil<strong>et</strong> A., Rouzeau J.D., Hamon M., Lazar M., Tronche F.<br />

5-HT1A-iCre, a new transgenic mouse line for gen<strong>et</strong>ic analyses of the serotonergic pathway.<br />

Mol Cell Neurosci., 2007 36 : 27-35.<br />

M. Turiault, S. Parnau<strong>de</strong>au, A. Mil<strong>et</strong>, R. Parlato, J.D. Rouzeau, M. Lazar and<br />

F. Tronche. Analysis of dopamine transporter gene expression pattern : generation of DATiCre<br />

transgenic mice. FEBS Journal, 2007, 274 : 3568-77.<br />

Sainte-Marie Y., Cat A., Perrier R., Mangin L., Soukaseum C., Peuchmaur M.,<br />

Tronche F., Farman N., Escoub<strong>et</strong> B., Benitah J.P., Jaisser F. Conditional glucocorticoid<br />

receptor expression in the heart induces atrio-ventricular block. FASEB J., 2007, 21(12) :<br />

3133-41.<br />

Engblom D., Kornfeld J.W., Schwake L., Tronche F., Reimann A., Beug H.,<br />

Hennighausen L., Moriggl R., Schütz G.. Direct glucocorticoid receptor-Stat5<br />

interaction in hepatocytes controls body size and maturation-related gene expression. Genes<br />

& Dev., 2007, 21 : 1157-62.<br />

Tuckermann J.P., Kleiman A., Moriggl R., Spanbroek R., Neumann A., Illing A.,<br />

Clausen B.E., Stri<strong>de</strong> B., Forster I., Habenicht A.J., Reichardt H.M., Tronche F.,<br />

Schmid W., Schütz G. Macrophages and neutrophils are the targ<strong>et</strong>s for immune suppression<br />

by glucocorticoids in contact allergy. J. Clin. Invest., 2007, 117 : 1381-1390.<br />

Lemberger T., Parlato R., Dassesse D., Westphal M., Casanova E., Turiault M.,<br />

Tronche F., Schiffmann S.N., Schütz G. Expression of Cre recombinase in<br />

dopaminoceptive neurons. BMC Neurosci., 2007, 3 ; 8 : 4.<br />

Muller O., Pra<strong>de</strong>rvand S., Berger S., Centeno G., Mil<strong>et</strong> A., Nicod P.,<br />

Pedrazzini T., Tronche F., Schütz G., Chien K., Rossier B.C., Firsov D. I<strong>de</strong>ntification<br />

of corticosteroid-regulated genes in cardiomyocytes by serial analysis of gene expression.<br />

Genomics, 2007, 89 : 370-377.


960 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

Equipe Tassin : publications 2007-2008<br />

Salomon L., Lanteri C., Go<strong>de</strong>heu G., Blanc G., Gingrich J., Tassin J.P. Paradoxical<br />

constitutive behavioral sensitization to amph<strong>et</strong>amine in mice lacking 5-HT(2A) receptors.<br />

Psychopharmacology (Berl), 2007, 194 : 11-20.<br />

Tassin J.P. Neurobiologie <strong>de</strong> l’addiction : Proposition d’un nouveau concept. In :<br />

« Neurosciences en 2007 ». L’information Psychiatrique, 2007, vol. 83, 91-97.<br />

Tassin J.P., Torrens Y., Salomon L., Lanteri C., Seeman P. Elevated dopamine<br />

D2(High) receptors in alpha-1b-adrenoceptor knockout supersensitive mice. Synapse, 2007,<br />

61 : 569-72.<br />

Tassin J.P. Uncoupling b<strong>et</strong>ween noradrenergic and serotonergic neurons as a molecular<br />

basis of stable changes in behavior induced by repeated drugs of abuse. Biochem Pharmacol.,<br />

2008, 75 : 85-97.<br />

Lanteri C., Salomon L., Glowinski J., Tassin J.P. Drugs of abuse specifically sensitize<br />

noradrenergic and serotonergic neurons via a non dopaminergic mechanism.<br />

Neuropsychopharmacology, 2008, 33, 1724-1734.<br />

Lanteri C., Salomon L., Go<strong>de</strong>heu G., Douc<strong>et</strong> E., Torrens Y. and Tassin J.P.<br />

Inhibition of Monoamine Oxidases <strong><strong>de</strong>s</strong>ensitizes 5-HT1A receptor and allows Nicotine to<br />

induce a neurochemical and behavioral sensitization. Soumis.<br />

Communication jonctionnelle<br />

<strong>et</strong> interactions entre réseaux neuronaux <strong>et</strong> gliaux<br />

INSERM U840<br />

Directeur : D r Christian Giaume<br />

Les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> notre équipe ont porté sur différents aspects <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions entre<br />

neurones <strong>et</strong> cellules gliales, avec comme obj<strong>et</strong> principal d’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés <strong>et</strong><br />

le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> jonctions communicantes entre cellules gliales dans <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions<br />

normales <strong>et</strong> pathologiques. Dans le système nerveux central, les connexines,<br />

protéines constituantes <strong><strong>de</strong>s</strong> jonctions communicantes (gap junctions), sont<br />

exprimées en gran<strong>de</strong> quantité dans les cellules gliales. Ces jonctions définissent une<br />

organisation en réseaux <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules communicantes, en particulier dans les<br />

astrocytes. Plus précisément, nos recherches se sont concentrées sur les interactions<br />

entre les circuits neuronaux <strong>et</strong> les réseaux astrogliaux dans <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions normales <strong>et</strong><br />

pathologiques.<br />

1. Régulation intracellulaire <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux jonctionnels<br />

(Martine Tencé, Edwige Amigou, Pascal Ezan)<br />

Nous avons poursuivi l’i<strong>de</strong>ntification <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes intracellulaires responsables<br />

du contrôle <strong>de</strong> la communication jonctionnelle dans un modèle <strong>de</strong> culture primaire


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 961<br />

d’astrocytes. L’incubation <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules avec l’endothéline-1, la sphingosine-1phosphate<br />

ou <strong><strong>de</strong>s</strong> inhibiteurs métaboliques, traitements qui miment une inflammation<br />

ou une ischémie, induisent une inhibition totale <strong>de</strong> la communication. Celle-ci<br />

s’accompagne d’une déphosphorylation, par les serine/thréonine phosphatases PP2B<br />

<strong>et</strong> PP1/ PP2A, <strong>de</strong> la connexine43 (Cx43) présente dans les canaux jonctionnels <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

membranes. C<strong>et</strong>te déphosphorylation dépend d’une voie <strong>de</strong> signalisation médiée par<br />

une protéine Gi qui n’implique pas les protéines kinases ERK, p38, PI3-K ou ROCK.<br />

Les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en immunofluorescence <strong>et</strong> microscopie confocale montrent que la Cx43<br />

membranaire est co-localisée avec ZO-1 <strong>et</strong> l’occludine. La Cx43 co-immunoprécipite<br />

avec ZO-1, indiquant que ces <strong>de</strong>ux protéines font partie d’un même échafaudage<br />

protéique. Enfin, récemment nous avons obtenu <strong><strong>de</strong>s</strong> données biochimiques suggèrant<br />

qu’une partie importante <strong><strong>de</strong>s</strong> Cx43 astrocytaires sont localisées dans les rafts qui<br />

constituent <strong><strong>de</strong>s</strong> domaines membranaires considérés comme <strong><strong>de</strong>s</strong> plateformes <strong>de</strong><br />

signalisation <strong>et</strong> impliqués dans l’internalisation <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs.<br />

2. Interactions entre compartiments neuronaux <strong>et</strong> réseaux astrocytaires<br />

dans les glomérules olfactifs (Lisa Roux)<br />

Les propriétés <strong>de</strong> communication entre astrocytes, <strong>et</strong> l’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> Cx43 <strong>et</strong><br />

Cx30, ont été étudiées dans les glomérules du bulbe olfactif. C<strong>et</strong>te région du<br />

cerveau a été choisie car les glomérules olfactifs sont caractérisés par une forte<br />

compartimentation anatomo-fonctionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones qui les composent. Nous<br />

avons cherché à définir comment s’organisent les réseaux astrocytaires dans ces<br />

compartiments neuronaux. Dans c<strong>et</strong>te structure, nous avons observé une expression<br />

différentielle <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux connexines astrocytaires Cx43 <strong>et</strong> Cx30, ainsi qu’une<br />

communication jonctionnelle favorisée dans les glomérules. Ces résultats indiquent<br />

que les réseaux astrocytaires présentent une organisation qui est étroitement liée à<br />

celle <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones. C<strong>et</strong>te observation nous a amené à poser la question d’un<br />

contrôle <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux astrocytaires par l’activité neuronale, pour cela<br />

<strong>de</strong>ux situations ont été considérées. A court terme (heures), la mise sous silence<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> neurones par la TTX diminue le nombre <strong>de</strong> cellules couplées. A long terme<br />

(semaines), l’occlusion d’une narine réduit l’activité <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones dans la couche<br />

glomérulaire <strong>et</strong> diminue l’inci<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> couplage.<br />

L’ensemble <strong>de</strong> ces observations indique que dans les glomérules olfactifs, les<br />

astrocytes forment <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux plastiques <strong>et</strong> dynamiques dont les propriétés sont<br />

contrôlées par l’activité neuronale. Par conséquent, ces réseaux pourraient contribuer<br />

à la définition d’un glomérule comme unité fonctionnelle.<br />

3. Réseaux métaboliques astrocytaires <strong>et</strong> activité synaptique dans<br />

l’hippocampe (Nathalie Rouach, Ulrike Pannasch, Mickael Derangeon)<br />

L’utilisation d’un dérivé fluorescent du glucose (2-NBDG) a permis la mise en<br />

évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> réseaux métaboliques astrocytaires dans la région CA1 <strong>de</strong> l’hippocampe.<br />

Leur étendue dépend <strong>de</strong> l’activité <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones puisqu’elle est réduite en présence


962 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

<strong>de</strong> TTX <strong>et</strong> augmentée lors <strong>de</strong> décharges <strong>de</strong> type épileptique, induites<br />

pharmacologiquement. C<strong>et</strong>te régulation fait intervenir le glutamate <strong>et</strong> les récepteurs<br />

<strong>de</strong> type AMPA. En absence <strong>de</strong> glucose dans le milieu extérieur, l’activité neuronale<br />

est progressivement supprimée. Cependant, c<strong>et</strong>te perte d’excitabilité peut-être<br />

maintenue en injectant le réseau astrocytaire avec du glucose ou du lactate. C<strong>et</strong>te<br />

propriété n’est pas observée en utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> souris transgéniques dans lesquelles<br />

l’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux connexines astrocytaires a été supprimée.<br />

Ces résultats démontrent que les réseaux astrocytaires peuvent pourvoir au<br />

soutien métabolique <strong>de</strong> l’activité neuronale en perm<strong>et</strong>tant le transfert <strong>de</strong> composés<br />

énergétiques <strong>de</strong>puis la circulation sanguine vers les neurones.<br />

4. Rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> connexines astrocytaires dans la mise en place <strong>et</strong> le maintien<br />

<strong>de</strong> la barrière hématoencéphalique (Martine Cohen-Salmon)<br />

Dans le cerveau, les astrocytes forment <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux fonctionnels sous-tendus par<br />

la présence <strong>de</strong> jonctions communicantes intercellulaires connexines Cx43 <strong>et</strong> Cx30.<br />

Nous avons montré que ces jonctions sont en particulier remarquablement<br />

concentrées au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> extensions astrocytaires périvasculaires, qui constituent<br />

un <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments <strong>de</strong> structure <strong>de</strong> la barrière hémato-encéphalique (BHE).<br />

Actuellement, nous nous posons la question du rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> Cx30 <strong>et</strong> Cx43 à l’interface<br />

gliovasculaire au niveau <strong>de</strong> laquelle les pieds astrocytaires entourent les vaisseaux<br />

sanguins. L’injection intrajugulaire <strong>de</strong> peroxidase (horse raddish peroxidase,<br />

MW 40 000 Kda) chez <strong><strong>de</strong>s</strong> souris délétées en Cx30 montre que la BHE <strong>de</strong> ces<br />

animaux est endommagée, en particulier au niveau <strong>de</strong> l’hippocampe, du thalamus<br />

<strong>et</strong> du striatum. Par ailleurs, une étu<strong>de</strong> du transcriptôme dans l’hippocampe <strong>de</strong> ces<br />

souris montre <strong><strong>de</strong>s</strong> dérégulations <strong>de</strong> l’expression <strong>de</strong> plusieurs gènes impliqués dans<br />

la physiologie du système vasculaire. Une approche i<strong>de</strong>ntique sur un modèle murin<br />

délété en Cx43 astrocytaire est actuellement en <strong>cours</strong>.<br />

Ces résultats démontrent que les jonctions communicantes astrocytaires sont<br />

impliquées directement dans le maintien <strong>de</strong> la BHE. Notre étu<strong>de</strong> se poursuit pour<br />

comprendre <strong>et</strong> i<strong>de</strong>ntifier les bases moléculaires <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te fonction.<br />

5. Changements d’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> connexines astrocytaires dans un modèle<br />

murin <strong>de</strong> maladie d’Alzheimer (Xin Mei, Pascal Ezan, Ann<strong>et</strong>te Koulakoff)<br />

Dans diverses atteintes cérébrales, aigues ou chroniques, <strong><strong>de</strong>s</strong> altérations<br />

différentielles d’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> connexines astrocytaires, qui dépen<strong>de</strong>nt du type <strong>de</strong><br />

lésion <strong>et</strong> du temps post-lésionnel, ont été décrites. Dans la maladie d’Alzheimer<br />

(MA), <strong><strong>de</strong>s</strong> dépôts <strong>de</strong> pepti<strong>de</strong> β-amyloi<strong>de</strong> (Aβ) s’accumulent dans le cortex <strong>et</strong><br />

l’hippocampe <strong><strong>de</strong>s</strong> patients où ils forment <strong><strong>de</strong>s</strong> lésions caractéristiques, les plaques<br />

séniles. Des lésions semblables se développent dans <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles murins <strong>de</strong> MA,<br />

en particulier dans <strong><strong>de</strong>s</strong> souris double transgéniques APP/PS1, qui portent <strong>de</strong>ux<br />

mutations rencontrées dans <strong><strong>de</strong>s</strong> cas familiaux <strong>de</strong> MA. Dans ce modèle, nous avons<br />

analysé la distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux connexines astrocytaires, Cx43 <strong>et</strong> Cx30, par une


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 963<br />

approche immunohistochimique en microscopie confocale sur coupes <strong>de</strong> cerveau,<br />

puis quantifié leur expression. A 2 mois, comme chez les souris contrôle, ces souris<br />

ne présentent ni activation gliale, ni dépôt Aβ <strong>et</strong> la distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> Cx43 <strong>et</strong> Cx30<br />

est similaire au tissu contrôle. Dès le quatrième mois, <strong><strong>de</strong>s</strong> dépôts Aβ entourés <strong>de</strong><br />

microglies activées <strong>et</strong> d’astrocytes réactifs GFAP+ apparaissent dans le cortex <strong>et</strong><br />

l’hippocampe <strong>et</strong> leur nombre augmente avec l’âge. Au niveau <strong>de</strong> ces plaques,<br />

l’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux connexines, examinée à 4 <strong>et</strong> 6 mois, est modifiée dans les<br />

prolongements astrocytaires qui infiltrent les plaques : augmentée dans la majorité<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> plaques (75 % pour Cx30, 90 % pour Cx43), mais dans 5 % d’entre elles, une<br />

diminution d’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux Cxs est observée, préférentiellement dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

plaques <strong>de</strong> p<strong>et</strong>ite taille. Des doubles marquages Cx30/Cx43 montrent dans la<br />

majorité <strong><strong>de</strong>s</strong> plaques (70 %) une régulation parallèle <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux Cxs. Les conséquences<br />

fonctionnelles <strong>de</strong> ces modifications d’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> Cx43 <strong>et</strong> Cx30 sur l’étendue<br />

du réseau astrocytaire <strong>et</strong>/ou l’activation locale d’hémicanaux, susceptibles d’interférer<br />

avec la survie neuronale dans c<strong>et</strong>te pathologie, sont en <strong>cours</strong> d’étu<strong>de</strong>.<br />

Publications<br />

Nadrigny F., Li D., Kemnitz K., Ropert N., Koulakoff A., Rudolph S., Vitali M.,<br />

Giaume C., Kirchhoff F. and Oheim M. (2007) Systematic colocalization errors b<strong>et</strong>ween<br />

acridine orange and EGFP in astrocyte vesicular organelles. Biophys. J., 93 : 969-980.<br />

Giaume C., Kirchhoff F., Matute C., Reichenbach A. and Verkhratsky A. (2007)<br />

Glia : the fulcrum of brain diseases. Cell Death Differ., 14 : 1324-1335.<br />

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astrocytic n<strong>et</strong>works in the mouse barrel cortex. Journal of Neuroscience, 28 : 5207-17.<br />

R<strong>et</strong>amal M.A., Froger N., Palacios-Prado N., Ezan P., Sáez P.J., Sáez J.C., Giaume C.<br />

(2007) Cx43 hemichannels and gap junction channels in astrocytes are regulated oppositely<br />

by proinflammatory cytokines released from activated microglia. Journal of Neuroscience,<br />

27 : 13781-92.<br />

Li D., Ropert N., Koulakoff A., Giaume C., Oheim M. (2008) Lysosomes are the<br />

major vesicular compartment un<strong>de</strong>rgoing Ca 2+ -regulated exocytosis from cultured cortical<br />

astrocytes. Journal of Neuroscience, 28 : 7648-58.<br />

Herrero-González S., Valle-Casuso J.C., Sánchez-Alvarez R., Giaume C.,<br />

Medina J.M., Tabernero A. (2008) Connexin43 is involved in the effect of endothelin-1<br />

on astrocyte proliferation and glucose uptake. Glia (sous presse).<br />

Koulakoff A., Ezan P, Giaume C. (2008) Neurons control the expression of Connexin<br />

30 and Connexin 43 in mouse cortical astrocytes. Glia, 56 : 1299-311.


964 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

Dynamique <strong>et</strong> physiopathologie <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux neuronaux<br />

(Inserm U 667)<br />

Responsable : Jean-Michel Deniau<br />

Nos recherches portent sur les ganglions <strong>de</strong> la base, structures sous corticales<br />

impliquées dans le contrôle adaptatif du comportement. Connectées au système<br />

limbique <strong>et</strong> aux centres <strong>de</strong> planification <strong>et</strong> d’exécution motrice, les ganglions <strong>de</strong> la<br />

base participent à la sélection <strong><strong>de</strong>s</strong> actions appropriées au contexte environnemental<br />

en tenant compte <strong>de</strong> facteurs motivationnels <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’expérience passée. Le<br />

dysfonctionnement pathologique <strong><strong>de</strong>s</strong> ganglions <strong>de</strong> la base est responsable <strong>de</strong><br />

troubles moteurs <strong>et</strong> cognitifs. Dans une perspective à la fois fondamentale<br />

<strong>et</strong> thérapeutique, notre groupe étudie les propriétés fonctionnelles normales <strong>et</strong><br />

pathologiques <strong>de</strong> ces réseaux neuronaux.<br />

Interactions synaptiques <strong>et</strong> transfert <strong><strong>de</strong>s</strong> informations corticales<br />

dans le striatum (E. Fino, C. Gras, V. Paillé, V. Goubard, C. Bosch, L. Venance)<br />

Interactions entre neurones striataux<br />

Le striatum est la structure d’accès <strong><strong>de</strong>s</strong> informations corticales aux ganglions <strong>de</strong><br />

la base. Les neurones <strong>de</strong> projection striataux (NETM, neurones épineux <strong>de</strong> taille<br />

moyenne), sont interconnectés par <strong><strong>de</strong>s</strong> synapses chimiques <strong>et</strong> électriques. Afin <strong>de</strong><br />

déterminer l’organisation <strong>de</strong> ces interactions locales par rapport à l’organisation<br />

anatomo-fonctionnelle du striatum, nous utilisons <strong><strong>de</strong>s</strong> souris D1/EGFP <strong>et</strong> D2/<br />

EGFP (Gensat Project) qui perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> visualiser les NETM exprimant les<br />

récepteurs dopaminergiques <strong>de</strong> type D1 ou D2. Les NETM engagés dans les <strong>de</strong>ux<br />

circuits <strong>de</strong> sortie du striatum, les voies directe <strong>et</strong> indirecte expriment respectivement<br />

les récepteurs D1 <strong>et</strong> D2. Par <strong><strong>de</strong>s</strong> enregistrements en double patch-clamp sur<br />

tranches <strong>de</strong> cerveau, nous avons montré que les NETM <strong>de</strong> la voie directe <strong>et</strong> ceux<br />

<strong>de</strong> la voie indirecte sont couplés par <strong><strong>de</strong>s</strong> synapses GABAergiques unidirectionnelles.<br />

Par ailleurs, nous étudions l’impact <strong><strong>de</strong>s</strong> interneurones striataux sur le transfert <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

informations cortico-striatales.<br />

Interactions neurone-glie <strong>et</strong> transfert cortico-striatal<br />

Le concept <strong>de</strong> synapse tripartite (éléments pré-, post-synaptiques <strong>et</strong> gliaux)<br />

reconnaît aux cellules gliales un rôle majeur dans la transmission synaptique. D’un<br />

point <strong>de</strong> vue thérapeutique, il est important <strong>de</strong> considérer l’état du réseau glial car,<br />

assurant le lien entre le milieu intérieur <strong>et</strong> les neurones, les cellules gliales participent<br />

à l’acheminement <strong>de</strong> molécules métaboliques ou thérapeutiques vers le réseau<br />

neuronal. Par <strong><strong>de</strong>s</strong> enregistrements en double patch-clamp d’un astrocyte <strong>et</strong> d’un<br />

NETM associés à une stimulation corticale, nous avons enregistré <strong>et</strong> caractérisé<br />

pharmacologiquement les courants astrocytaires générés par le transport du


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 965<br />

glutamate <strong>et</strong> du GABA. Nous étudions désormais l’impact <strong>de</strong> ces transports gliaux<br />

sur la transmission <strong>et</strong> les plasticités synaptiques cortico-striatales, ainsi que les<br />

phénomènes <strong>de</strong> plasticité au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules gliales.<br />

Plasticité synaptique cortico-striatale <strong>de</strong> type « spike-timing <strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt-plasticity »<br />

(STDP)<br />

La rencontre quasi-coïnci<strong>de</strong>nte d’une activation pré-synaptique avec la rétropropagation<br />

d’un potentiel d’action dans l’arbre <strong>de</strong>ndritique, entraîne <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

changements d’efficacité synaptique à long terme. Classiquement, un décalage<br />

négatif <strong>de</strong> la stimulation post-synaptique par rapport à celle pré-synaptique induit<br />

une dépression synaptique, tandis qu’un décalage positif induit une potentialisation.<br />

De manière surprenante, nous avons observé une plasticité « inverse » au niveau<br />

cortico-striatal : un décalage négatif induit une potentialisation à long terme (LTP)<br />

<strong>et</strong> un décalage positif une dépression (LTD). C<strong>et</strong>te plasticité « inverse », observée<br />

pour la première fois chez les mammifères indique une spécificité du codage au<br />

niveau <strong>de</strong> l’axe cortico-striatal.<br />

En plus <strong><strong>de</strong>s</strong> NETM, le striatum est composé d’interneurones cholinergiques <strong>et</strong><br />

GABAergiques. Ces interneurones ont un poids synaptique important sur les NETM<br />

<strong>et</strong> moduleraient efficacement la transmission cortico-striatale. Nous avons montré<br />

que les interneurones striataux peuvent développer <strong>de</strong> puissantes plasticités synaptiques<br />

<strong>de</strong> type STDP <strong>et</strong> que celles-ci montrent <strong><strong>de</strong>s</strong> spécificités cellulaires. Les interneurones<br />

cholinergiques montrent une STDP « inverse », similaire à celle <strong><strong>de</strong>s</strong> NETM, tandis<br />

que les interneurones GABAergiques développent une STDP classique, similaire à<br />

celle décrite dans différentes structures du SNC <strong><strong>de</strong>s</strong> mammifères.<br />

Plasticité intrinsèque dans le cortex somatosensoriel<br />

<strong>et</strong> intégration sensorielle dans le circuit corticostriatal<br />

(S. Mahon, S. Charpier, M. Pidoux, J. Paz)<br />

Il est admis que les processus d’apprentissage <strong>et</strong> <strong>de</strong> mémorisation résultent <strong>de</strong><br />

modifications « expérience-dépendante » dans la force <strong><strong>de</strong>s</strong> connexions synaptiques.<br />

Des étu<strong><strong>de</strong>s</strong> in vitro ont révélé que l’excitabilité intrinsèque neuronale peut être<br />

modifiée durablement par l’activité préalable, suggérant un rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés<br />

électriques non synaptiques dans les mécanismes <strong>de</strong> mémorisation. L’existence<br />

d’une telle plasticité intrinsèque <strong>et</strong> ses propriétés d’induction <strong>et</strong> d’expression dans<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> conditions physiologiques restaient à préciser. Par <strong><strong>de</strong>s</strong> enregistrements<br />

intracellulaires in vivo chez le rat, nous avons montré que <strong><strong>de</strong>s</strong> conditionnements<br />

cellulaires, « mimant » l’activité <strong>de</strong> décharge naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones du cortex<br />

somatosensoriel, induisaient <strong><strong>de</strong>s</strong> changements durables dans l’excitabilité intrinsèque<br />

<strong>de</strong> ces cellules. C<strong>et</strong>te plasticité intrinsèque s’exprimait <strong>de</strong> manière bidirectionnelle<br />

(dépression ou potentialisation) en modifiant l’intensité du courant liminaire<br />

(« seuil ») pour le déclenchement <strong>de</strong> potentiels d’action, ou la pente <strong>de</strong> la relation


966 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

courant injecté-fréquence moyenne <strong>de</strong> décharge (« gain »). Ces modifications<br />

d’excitabilité pouvaient favoriser la genèse <strong>de</strong> potentiels d’action sur les réponses<br />

évoquées par <strong><strong>de</strong>s</strong> stimulations naturelles <strong><strong>de</strong>s</strong> vibrisses sans modifier la force<br />

synaptique.<br />

Rôle du cortex somatosensoriel dans la genèse <strong><strong>de</strong>s</strong> crises d’absence<br />

(S. Charpier, S. Mahon, PO. Polack)<br />

Nous étudions les mécanismes <strong>de</strong> déclenchement <strong>et</strong> <strong>de</strong> contrôle <strong><strong>de</strong>s</strong> épilepsiesabsences<br />

en utilisant le rat GAERS (Gen<strong>et</strong>ic Absence Epilepsy Rats from Strasbourg)<br />

comme modèle expérimental. Nous avons mis en évi<strong>de</strong>nce que les neurones du<br />

cortex somatosensoriel présentent <strong><strong>de</strong>s</strong> décharges épileptiques précédant celles <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

autres neurones corticaux <strong>et</strong> thalamiques. Par <strong><strong>de</strong>s</strong> blocages pharmacologiques <strong>de</strong><br />

l’activité du cortex somatosensoriel <strong>et</strong> <strong>de</strong> régions corticales distantes, nous avons<br />

montré que la région faciale du cortex somatosensoriel était suffisante <strong>et</strong> nécessaire<br />

pour initier les crises, démontrant ainsi que c<strong>et</strong>te région corticale constitue un<br />

véritable « foyer » épileptique. De plus, les drogues « anti-absence » utilisées en<br />

clinique humaine pouvaient « convertir » les neurones ictogéniques du foyer en<br />

neurones « normaux ».<br />

synchronisation excessive dans la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> fréquence bêta<br />

<strong>et</strong> interruption <strong>de</strong> la transmission dopaminergique<br />

(B. Degos, N. Maurice)<br />

Chez les patients parkinsoniens comme dans les modèles animaux <strong>de</strong> la maladie,<br />

on note une synchronisation excessive <strong>de</strong> l’activité électro-encéphalographique<br />

(EEG) dans la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> fréquence bêta (15-35 Hz). Il a été proposé que c<strong>et</strong>te<br />

synchronisation excessive joue un rôle central dans la mise en place <strong>de</strong> l’akinésie<br />

parkinsonienne.<br />

Nous avons révélé que la synchronisation excessive dans la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> fréquence<br />

bêta apparaît <strong>de</strong> façon progressive <strong>et</strong> r<strong>et</strong>ardée suite à la lésion <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones<br />

dopaminergiques <strong>de</strong> la substance noire. L’expression <strong>de</strong> ce phénomène dépend <strong>de</strong><br />

l’état <strong>de</strong> vigilance <strong>de</strong> l’animal. Elle apparait durant l’éveil <strong>et</strong> le sommeil paradoxal,<br />

mais jamais durant le sommeil lent. Nous avons démontré pour la première fois<br />

un décalage temporel n<strong>et</strong> entre la mise en place <strong>de</strong> l’akinésie, observée dès le<br />

premier jour post-lésionnel, <strong>et</strong> la synchronisation excessive dans la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

fréquence bêta qui nécessite plusieurs jours pour apparaître. La synchronisation<br />

excessive dans la ban<strong>de</strong> bêta était plus forte dans le cortex moteur que dans le<br />

cortex somatosensoriel <strong>et</strong> chez les animaux lésés unilatéralement par rapport aux<br />

animaux lésés bilatéralement. C<strong>et</strong>te synchronisation excessive était accompagnée<br />

par une augmentation <strong>de</strong> cohérence entre l’activité <strong><strong>de</strong>s</strong> cortex moteur <strong>et</strong><br />

somatosensoriels.


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 967<br />

Ces données suggèrent que l’hyper-synchronisation bêta est générée par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

processus <strong>de</strong> plasticité dont le dé<strong>cours</strong> temporel est r<strong>et</strong>ardé par rapport à l’akinésie.<br />

Ce phénomène ne reflète pas uniquement les changements plastiques induits par<br />

l’interruption <strong>de</strong> la transmission dopaminergique au sein <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux reliant le<br />

cortex cérébral aux ganglions <strong>de</strong> la base, mais traduit également l’état cérébral<br />

nécessaire à son expression.<br />

Rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> interneurones cholinergiques <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits locaux striataux<br />

dans la physiopathologie <strong><strong>de</strong>s</strong> ganglions <strong>de</strong> la base<br />

(M.L. Kemel, S. Pérez, V. Aliane, C. Deschamps)<br />

Impact <strong>de</strong> la dénervation dopaminergique nigro-striatale ou d’un traitement<br />

par la cocaïne sur l’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> MORs <strong>et</strong> la régulation enképhaline/MOR<br />

<strong>de</strong> la libération <strong>de</strong> l’acétylcholine<br />

Dans le territoire limbique du striatum, les récepteurs opioï<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> type mu<br />

(MORs) sont présents sur les neurones efférents <strong><strong>de</strong>s</strong> striosomes <strong>et</strong> les interneurones<br />

cholinergiques (Jabourian <strong>et</strong> al. 2005). L’expression <strong>de</strong> ces récepteurs est inversement<br />

régulée par la transmission dopaminergique : en absence <strong>de</strong> dopamine (DA), les<br />

neurones efférents n’expriment plus <strong>de</strong> MORs alors qu’ils sont toujours présents sur<br />

les interneurones cholinergiques. Une régulation inverse est obtenue en présence <strong>de</strong><br />

cocaïne qui provoque une augmentation <strong><strong>de</strong>s</strong> taux extracellulaires <strong>de</strong> DA. Les<br />

régulations enképhaline (ENK)/MORs <strong>de</strong> la libération <strong>de</strong> l’acétylcholine (ACh)<br />

sont en accord avec l’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> MORs dans les différentes situations analysées.<br />

Interaction entre les régulations ENK/MOR <strong>et</strong> tachykinines/NK1 <strong>de</strong> la libération<br />

<strong>de</strong> l’ACh dans le territoire limbique/PF du striatum dorsal<br />

Les récepteurs NK1 aux tachykinines sont co-exprimés avec les MORs dans les<br />

interneurones cholinergiques du territoire limbique du striatum dorsal. Le blocage<br />

simultané <strong><strong>de</strong>s</strong> contrôles DA/D2 <strong>et</strong> ENK/MORs inhibiteurs <strong>de</strong> la transmission<br />

cholinergique a permis <strong>de</strong> révéler la facilitation tachykinines/NK1 <strong>de</strong> la libération<br />

<strong>de</strong> l’ACh via le sous-type du récepteur NK1, le « new NK1 sensitive » qui présente<br />

un profil pharmacologique particulier. Dans ce territoire, les tachykinines participent<br />

à l’hypercholinergie striatale observée lors <strong>de</strong> la dégénérescence du système nigrostrié.<br />

Les antagonistes ayant une bonne affinité pour le récepteur « new NK1<br />

sensitive » pourraient contribuer au rétablissement <strong>de</strong> ce déséquilibre.<br />

Ces données montent le rôle important que jouent les pepti<strong><strong>de</strong>s</strong>, opioï<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong><br />

tachykinines, dans le contrôle <strong>de</strong> la « balance DA-ACh » au niveau du striatum<br />

dorsal <strong>et</strong> tout particulièrement lors <strong>de</strong> l’altération <strong>de</strong> la transmission dopaminergique.<br />

Ils pourraient être à l’origine <strong>de</strong> nouvelles perspectives thérapeutiques dans le<br />

traitement symptomatique <strong>de</strong> certaines pathologies associées au dysfonctionnement<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> ganglions <strong>de</strong> la base.


968 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

Modulation dopaminergique du transfert <strong><strong>de</strong>s</strong> informations<br />

au niveau du cortex préfrontal (CPF)<br />

Les comportements ciblés résultent du transfert d’informations à partir d’aires<br />

sous-corticales sensorielles <strong>et</strong> limbiques vers le cortex préfrontal où elles sont<br />

intégrées <strong>et</strong> transférées vers les aires motrices pour l’accomplissement d’un<br />

comportement donné.<br />

Après avoir établi <strong><strong>de</strong>s</strong> critères d’i<strong>de</strong>ntification électrophysiologique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

interneurones du CPF, nous avons montré que l’hippocampe active directement<br />

les interneurones préfrontaux qui en r<strong>et</strong>our court-circuitent l’activité <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules<br />

pyramidales par un mécanisme d’inhibition directe. Nous avons pour la première<br />

fois in vivo révélé l’eff<strong>et</strong> induit par l’application <strong>de</strong> DA ou la stimulation <strong>de</strong> l’aire<br />

tegmentale ventrale (ATV) sur l’activité <strong><strong>de</strong>s</strong> interneurones du PFC. L’application<br />

iontophorétique <strong>de</strong> DA ou la stimulation <strong>de</strong> l’ATV réduit la fréquence <strong>de</strong> décharge<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> interneurones <strong>et</strong> c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> implique les récepteurs D1 <strong>et</strong> D2. C<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> dépresseur<br />

est parfois bloqué par un antagoniste <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs GABAA, suggérant que la DA<br />

peut agir au niveau post-synaptique, mais également pré-synaptique. Nous avons<br />

étudié l’eff<strong>et</strong> modulateur <strong>de</strong> la DA sur les entrées issues <strong>de</strong> l’hippocampe.<br />

L’application locale <strong>de</strong> DA ou la stimulation <strong>de</strong> l’ATV réduit l’intensité <strong>de</strong> la<br />

réponse excitatrice évoquée au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> interneurones (probabilité <strong>de</strong> décharge<br />

<strong>et</strong> nombre <strong>de</strong> potentiels d’action par réponse). C<strong>et</strong>te réduction d’intensité est<br />

souvent accompagnée par une focalisation temporelle <strong>de</strong> la réponse.<br />

Ces résultats suggèrent que les processus d’inhibition directe au niveau du CPF<br />

concourent à une augmentation du rapport signal-bruit, <strong>et</strong> la modulation<br />

dopaminergique <strong>de</strong> la réponse <strong><strong>de</strong>s</strong> interneurones aux afférences hippocampiques<br />

entraîne une plus gran<strong>de</strong> précision temporelle <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux inhibiteurs. D’un point<br />

<strong>de</strong> vue pathologique, l’hypodopaminergie du CPF décrite dans la schizophrénie<br />

pourrait provoquer une perte <strong>de</strong> la modulation temporelle <strong>de</strong> l’activité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

interneurones <strong>et</strong> donc altérer les traitements cognitifs par les circuits préfrontaux.<br />

Bibliographie<br />

Fino, E., Glowinski, J., Venance, L. Effects of acute dopamine <strong>de</strong>pl<strong>et</strong>ion on the<br />

electrophysiological properties of striatal neurons. Neuroscience Research, 58, 30-316<br />

(2007).<br />

Polack, P.O., Guillemain I., Hu E., Deransart, C.V., Depaulis, A., Charpier, S.<br />

Deep layer somatosensory cortical neurons initiate spike and wave in a gen<strong>et</strong>ic mo<strong>de</strong>l of<br />

absence seizures. J Neurosci, 27 (24) 6590-6599 (2007).<br />

Perez, S., Soucy, A., Deniau, J.M., Kemel, M.L. Tachykinin regulation of cholinergic<br />

transmission in the limbic/prefrontal territory of the rat dorsal striatum : implication of new<br />

neurokinine 1-sensitive receptor binding and interaction with enkephalin/mu opioid<br />

receptor transmission. J Neurochem, 103 : 2153-2169 (2007).


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 969<br />

Fino, E., Deniau, J.M., Venance, L. Cell-specific spike-timing-<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt plasticity in<br />

GABAergic and cholinergic interneurons in corticostriatal rat brain slices. J Physiol, 586.1,<br />

265-282 (2008).<br />

Van<strong>de</strong>casteele, M., Glowinski, J., Deniau, J.M., Venance, L. Chemical transmission<br />

b<strong>et</strong>ween dopaminergic neuron pairs. Proc Natl Acad Sci USA, 105 n° 12, 4904-4909<br />

(2008).<br />

Degos, B., Deniau, J.M., Le Cam J., Mailly P., Maurice N. Evi<strong>de</strong>nce for a direct<br />

subthalamo-cortical loop circuit in the rat. Eur J Neurosci, 27, 2599-2610 (2008).<br />

Gras C., Amilhon B., Lepicard E., Poirel O., Vinatier J., Herbin M., Dumas S.,<br />

Tzavara E., Wa<strong>de</strong> M.R., Nomikos G., Hanoun N., Saurini F., Kemel M.L., Gasnier B.,<br />

Giros B., El Mestikawy S. The vesicular glutamate transporter VGLUT3 synergizes<br />

striatal ac<strong>et</strong>ylcholine tone. Nature Neuroscience, 1-9 (2008).<br />

Responsable : Xavier Jeunemaitre<br />

Gênes <strong>et</strong> pression artérielle<br />

INSERM 772 / <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

EQUIPE 1 – Responsable : Xavier Jeunemaitre<br />

Thème 1 : I<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> gènes <strong>et</strong> <strong>de</strong> variants impliqués<br />

dans la régulation du métabolisme hydrosodé, l’hypertension artérielle<br />

<strong>et</strong> ses conséquences vasculaires<br />

G. Beaurain, X. Jeunemaitre, H. Louis-dit-Picard, J. Perdu, P.F. Plouin,<br />

R. Vargas-Poussou, X. Zhou.<br />

L’objectif <strong>de</strong> notre proj<strong>et</strong> est d’i<strong>de</strong>ntifier <strong>de</strong> nouveaux gènes ou <strong>de</strong> nouveaux<br />

variants qui influencent <strong>de</strong> façon significative le métabolisme hydrosodé,<br />

l’hypertension artérielle (HTA) ou <strong><strong>de</strong>s</strong> pathologies vasculaires cause ou conséquence<br />

<strong>de</strong> l’HTA.<br />

En 2007-8, les résultats les plus significatifs concernent :<br />

1. La mise en place d’un PHRC hospitalier visant à rechercher les conséquences<br />

chez l’homme d’un polymorphisme fonctionnel <strong>de</strong> la protéine Nedd4-2, protéine<br />

impliquée dans la régulation du canal sodium épithélial. Le protocole s’effectue au<br />

CIC <strong>de</strong> l’HEGP <strong>et</strong> comprend une étu<strong>de</strong> en régime riche ou pauvre en Na+/K+,<br />

un test pharmacologique en aigu <strong>et</strong> en chronique (amilori<strong>de</strong>).<br />

2. La poursuite <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong> relations génotype-phénotype dans l’HTA<br />

essentielle, avec en particulier l’analyse du cortisol libre urinaire (5) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations<br />

responsables <strong>de</strong> pathologies du tubule rénal affectant la réabsorption hydro-sodée<br />

(32).


970 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

3. La poursuite <strong>de</strong> nos <strong>travaux</strong> sur la dysplasie fibromusculaire (DFM),<br />

artériopathie systémique pour le moment d’origine inconnue, cause classique<br />

d’HTA secondaire (37). Notre cohorte unique <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 350 cas <strong>de</strong> DFM a<br />

permis <strong>de</strong> <strong>de</strong> confirmer une agrégation familiale compatible avec un eff<strong>et</strong> gène<br />

majeur (14) <strong>et</strong> <strong>de</strong> tester <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes <strong>de</strong> la matrice extracellulaire. Une analyse<br />

protéomique différentielle sur <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus sains <strong>et</strong> pathologiques est en <strong>cours</strong>. Notre<br />

équipe mène <strong>de</strong>ux proj<strong>et</strong>s qui ont obtenus un financement du PHRC <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

Fondation <strong>de</strong> Recherche en HTA en 2008. L’un porte sur la recherche <strong>de</strong> facteurs<br />

prédictifs d’évolution <strong>de</strong> la sévérité (protocole PHRC Profile), l’autre vise à obtenir<br />

une collection transversale supplémentaire <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 500 suj<strong>et</strong>s atteints (Etu<strong>de</strong><br />

Arcadia) avec l’objectif d’une étu<strong>de</strong> d’association pangénomique.<br />

4. La mise en place <strong>de</strong> réseaux européens sur l’HTA essentielle (Réseau<br />

Hypergenes, PI Prof. D. Cusi, Milan, Italie), sur les maladies rares rénales (Réseau<br />

Eunefron, PI Prof A Devuyst, Louvain Belgique) <strong>et</strong> sur les maladies artérielles<br />

aortiques disséquantes (FAD, J.B. Michel) financés par le FP7 <strong>et</strong> auxquels notre<br />

unité participe.<br />

Thème 2 : Gènes <strong>et</strong> pathologies héréditaires associées à l’aldostérone.<br />

S. Boulkroun, M. Caprio, E. Hubert, F.L. Fernan<strong><strong>de</strong>s</strong> Rosa, B. Samson-Couterie,<br />

S. Tareen, M.C. Zennaro<br />

L’aldostérone <strong>et</strong> le récepteur minéralocorticoï<strong>de</strong> (MR) jouent un rôle fondamental<br />

dans la régulation <strong>de</strong> la volémie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la pression artérielle, dont les altérations<br />

aboutissent au pseudohypoaldostéronisme <strong>de</strong> type 1 (PHA1) <strong>et</strong> à l’hypertension<br />

artérielle (HTA). L’objectif <strong>de</strong> mon programme <strong>de</strong> recherche est d’explorer les<br />

mécanismes génétiques sous-jacents aux pathologies liées à l’aldostérone.<br />

La coordination d’un réseau clinique <strong>et</strong> <strong>de</strong> recherche sur le PHA1, PHA1NET<br />

(GIS–maladies rares), qui est partie intégrante du réseau MARHEA (AP-HP), a<br />

permis la mise en place du seul diagnostic génétique <strong>de</strong> routine du PHA1 en<br />

<strong>France</strong> (service <strong>de</strong> génétique, HEGP). Ce diagnostic comprend l’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes<br />

NR3C2, SCNN1A, SCNN1B <strong>et</strong> SCNN1G ainsi que la détection <strong>de</strong> larges<br />

délétions <strong>de</strong> NR3C2 (15, 21). L’étu<strong>de</strong> fonctionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations du MR<br />

i<strong>de</strong>ntifiées est également réalisée <strong>et</strong> nous développons actuellement <strong>de</strong> nouveaux<br />

outils d’analyse ex vivo. Une étu<strong>de</strong> visant à explorer le système cardiovasculaire chez<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> patients adultes porteurs <strong>de</strong> mutations du MR est actuellement en <strong>cours</strong><br />

(PHRC 2007, coordinateur : Dr. B. Escoub<strong>et</strong>, CHU Bichat, Paris).<br />

L’analyse génétique <strong>de</strong> différentes cohortes <strong>de</strong> patients nous a permis <strong>de</strong> montrer<br />

que <strong><strong>de</strong>s</strong> SNP fonctionnels du gène NR3C2 codant pour le MR étaient impliqués<br />

à la fois dans la réabsorption sodée ou la réponse au stress <strong>et</strong> un état <strong>de</strong> dépression<br />

chez le suj<strong>et</strong> âgé.<br />

Enfin, nous avons mis en évi<strong>de</strong>nce le rôle clé du MR dans la différenciation<br />

adipocytaire, notamment dans les eff<strong>et</strong>s <strong><strong>de</strong>s</strong> hormones glucocorticoï<strong><strong>de</strong>s</strong>. Ces


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 971<br />

résultats ouvrent <strong><strong>de</strong>s</strong> perspectives originales pour <strong><strong>de</strong>s</strong> approches thérapeutiques <strong>de</strong><br />

l’obésité <strong>et</strong> du syndrome métabolique <strong>et</strong> sur l’interaction entre régulation <strong>de</strong> la<br />

balance sodée <strong>et</strong> différenciation adipocytaire (4).<br />

Thème 3 : Paragangliomes <strong>et</strong> Phéochromocytomes<br />

N. Burnichon, J. Favier, A.P. Gimenez-Roqueplo, B. d’Hayer, P.F. Plouin,<br />

J. Rivière.<br />

L’objectif <strong>de</strong> notre groupe <strong>de</strong> recherche est d’éluci<strong>de</strong>r les mécanismes moléculaires<br />

en cause dans la tumorigenèse <strong><strong>de</strong>s</strong> paragangliomes (PGL) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> phéochromocytomes<br />

(PH) SDH dépendants qui impliquent notamment le métabolisme mitochondrial <strong>et</strong><br />

les voies <strong>de</strong> réponse à l’hypoxie (25). En 2007-2008, nous avons poursuivi le<br />

développement <strong>de</strong> modèles expérimentaux, cellulaires <strong>et</strong> animaux, <strong>de</strong> la maladie.<br />

Nous disposons d’une lignée <strong>de</strong> cellules ES où le gène SDHB est inactivé, ainsi que<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> lignées <strong>de</strong> souris KO dans lesquelles le gène SDHB est inactivé soit dans les<br />

cellules germinales (KO ubiquitaire), soit <strong>de</strong> façon conditionnelle (KO tissuspécifique)<br />

uniquement dans les cellules dérivées <strong><strong>de</strong>s</strong> crêtes neurales. Nous avons<br />

développé les outils nécessaires à la caractérisation <strong>de</strong> ces modèles qui est en <strong>cours</strong>.<br />

Sur le plan clinique, nous avons participé à <strong>de</strong>ux étu<strong><strong>de</strong>s</strong> internationales. La première a<br />

révélé que <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs gastro-intestinales sarcomateuses (GIST) pouvaient aussi être<br />

induites par <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations SDHs (11, 29). La secon<strong>de</strong> a montré que <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations<br />

du gène SDHD pouvaient aussi être associées à un phénotype malin (31). Enfin, les<br />

résultats <strong>de</strong> l’analyse du transcriptome par microarray <strong>et</strong> <strong>de</strong> la caractérisation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

pertes d’hétérozygotie par CGH-array <strong>de</strong> la collection PH/PGL du réseau COMETE<br />

qui ont été réalisés sur les plate-formes <strong>de</strong> la Ligue Nationale contre le Cancer<br />

(programme CIT-3) sont en <strong>cours</strong> d’analyse statistique.<br />

EQUIPE 2– Responsable Frédéric Jaisser<br />

Thème 1 : Rôle du récepteur minéralocorticoï<strong>de</strong> en physiologie<br />

cardiovasculaire<br />

V. Charhbili, N. Farman, F. Jaisser, C. Latouche, A. N’Guyen Dinh Cat,<br />

N. Panek-Hu<strong>et</strong>, C. Soukaseum, A. Zhang.<br />

Notre objectif est <strong>de</strong> définir le rôle <strong>de</strong> l’aldostérone (aldo) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> glucocorticoï<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

(gluco) ainsi que <strong>de</strong> leurs récepteurs, les récepteurs minéralocorticoï<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong><br />

glucocorticoï<strong><strong>de</strong>s</strong> (RM <strong>et</strong> RG) dans les systèmes cardiovasculaire, rénal ou autre, en<br />

conditions physiologiques <strong>et</strong> pathologiques.<br />

En 2007-2008, nous avons abordé plusieurs points :<br />

— la surexpression conditionnelle du RG dans le cœur nous a permis d’établir : i)<br />

le rôle <strong>de</strong> l’activation du GR dans le cœur (induction <strong>de</strong> troubles <strong>de</strong> conduction<br />

majeurs, remo<strong>de</strong>lage ionique), 2) l’implication spécifique du RM <strong>et</strong> dans diverses<br />

fonctions cardiomyocytaires (contraction, rythme, remo<strong>de</strong>lage ionique) par


972 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

comparaison avec le modèle <strong>de</strong> surexpression du GR (17) ; ii) l’importance <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

interactions locales entre aldo <strong>et</strong> angiotensine II (travail soumis) ; iii) la signalisation<br />

spécifique RM/RG dans le cœur avec l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> gènes spécifiquement modulés<br />

par le RM dans le cœur, certains d’entre eux étant proposés comme biomarqueurs <strong>de</strong><br />

l’activation du RM (dépôt <strong>de</strong> brev<strong>et</strong> <strong>et</strong> étu<strong>de</strong> cliniques <strong>de</strong> validation en <strong>cours</strong>) ;<br />

— le rôle physiopathologique du couple aldo/RM dans différents organes cibles<br />

dit non-classiques comme les vaisseaux (endothélium <strong>et</strong> cellules musculaires lisses).<br />

Les résultats ont montré un eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’aldo sur la pression artérielle indépendamment<br />

<strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> rénal classique sur le contrôle <strong>de</strong> la balance hydrosodée. La modulation<br />

<strong>de</strong> la réactivité vasculaire, in vivo <strong>et</strong> ex vivo aux agents vasoconstricteurs que nous<br />

avons observée pourrait expliquer ces observations ;<br />

— le rôle nouveau <strong>de</strong> l’activation du MR dans les kératinocytes <strong>et</strong> le follicules<br />

pileux, démontrant un rôle jusqu’alors insoupçonné dans la physiologie cutanée<br />

(16).<br />

Thème 2 : Rôle <strong>de</strong> WNK1 en physiopathologie cardiovasculaire <strong>et</strong> rénale<br />

Sonia Bergaya, Emilie Elvira, Juli<strong>et</strong>te Hadchouel.<br />

L’Hypertension Hyperkaliémique Familiale (HHF) est une forme rare<br />

d’hypertension artérielle, autosomique dominante, associant hyperkaliémie, acidose<br />

métabolique hyperchlorémique <strong>et</strong> fonction rénale normale (Hadchouel J., J Am Soc<br />

Nephol 2006). Notre laboratoire a contribué à l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux premiers<br />

gènes responsables <strong>de</strong> la maladie : WNK1 <strong>et</strong> WNK4. Plusieurs étu<strong><strong>de</strong>s</strong> in vitro<br />

récentes ont montré que ces gènes peuvent réguler l’activité <strong>de</strong> plusieurs<br />

transporteurs <strong>et</strong> canaux du néphron distal.<br />

Nous avons montré que le gène WNK1 est à l’origine <strong>de</strong> plusieurs isoformes<br />

(Delaloy C., Mol Cell Biol. 2003). L’isoforme KS-WNK1, dépourvue d’activité<br />

kinase, est exprimée spécifiquement dans le tubule contourné distal (DCT) <strong>et</strong> le<br />

tubule connecteur. Les isoformes L-WNK1 possè<strong>de</strong>nt une activité kinase <strong>et</strong> sont<br />

exprimées <strong>de</strong> façon ubiquitaire, en particulier dans le système cardiovasculaire<br />

(Delaloy C, Am J Pathol. 2006). Les mutations i<strong>de</strong>ntifiées chez les patients HHF au<br />

locus WNK1 sont <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> délétions <strong>de</strong> l’intron 1 (41 <strong>et</strong> 22 kb sur un intron qui<br />

en fait 60) (Delaloy C., Hypertension 2005). Grâce à un modèle transgénique, nous<br />

avons montré que L-WNK1 <strong>et</strong> KS-WNK1 sont surexprimés dans le néphron distal<br />

<strong>et</strong> que KS-WNK1 est exprimé <strong>de</strong> façon ectopique dans l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus (Delaloy<br />

C., Hypertension 2008, accepté). Nous avons commencé à étudier le rôle <strong>de</strong> L-WNK1<br />

dans le système cardiovasculaire. Nos résultats préliminaires indiquent que L-WNK1<br />

jouent un rôle clé dans le développement cardiovasculaire <strong>et</strong> la régulation du tonus<br />

vasculaire. Nous avons également étudié le rôle <strong>de</strong> KS-WNK1 dans le rein <strong>et</strong> nos<br />

résultats préliminaires indiquent que, comme WNK4, c<strong>et</strong>te isoforme joue un rôle<br />

important dans la régulation du transport sodé au niveau du DCT.


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 973<br />

Publications 2007<br />

1. Amar L., Baudin E., Burnichon N., Peyrard S., Silvera S., Bertherat J.,<br />

Bertagna X., Schlumberger M., Jeunemaitre X., Gimenez-Roqueplo A.P.*, Plouin<br />

P.F.*. J Clin Endocrinol M<strong>et</strong>ab. 2007 ; 92 : 3822-8.<br />

2. Blanchard A., Azizi M., Peyrard S., Stern N., Alhenc-Gelas F., Houillier P.,<br />

Jeunemaitre X.. Clin J Am Soc Nephrol. 2007 ; 2(2) : 320-5.<br />

3. Bri<strong>et</strong> M., Collin C., Laurent S., Tan A., Azizi M., Agharazii M., Jeunemaitre<br />

X., Alhenc-Gelas F., Boutouyrie P. Hypertension. 2007 ; 50(5) : 970-6.<br />

4. Caprio M., Feve B., Claes A., Viengchareun S., Lombes M., Zennaro M.C. Faseb<br />

J 2007 ; 21(9) : 2185-94.<br />

5. Chamarthi B., Kolatkar N.S., Hunt S.C., Williams J.S., Seely E.W., Brown N.<br />

J., Murphey L.J., Jeunemaitre X., Williams G.H. J Clin Endocrinol M<strong>et</strong>ab. 2007 ; 92(4) :<br />

1340-6<br />

6. Cazabat L., Libè R., Perlemoine K., René-Corail F., Burnichon N., Gimenez-<br />

Roqueplo A.P., Dupasquier-Fediaevsky L., Bertagna X., Clauser E., Chanson P.,<br />

Bertherat J., Raffin-Sanson M.L. Eur J Endocrinol. 2007 ; 157(1) : 1-8.<br />

7. Daly A.F., Vanbellinghen J.F., Khoo S.K., Jaffrain-Rea M.L., Naves L.A.,<br />

Guitelman M.A., Murat A., Emy P., Gimenez-Roqueplo A.P., Tamburrano G., Raverot<br />

G., Barlier A., De Her<strong>de</strong>r W., Penfornis A., Ciccarelli E., Estour B., Lecomte P.,<br />

Gatta B., Chabre O., Sabate M.I., Bertagna X., Garcia Basavilbaso N., Stall<strong>de</strong>cker G.,<br />

Colao A., Ferolla P., Wemeau J.L., Caron P., Sadoul J.L., On<strong>et</strong>o A., Archambeaud F.,<br />

Calen<strong>de</strong>r A., Sinilnikova O., Montanana C.F., Cavagnini F., Hana V., Solano A.,<br />

Del<strong>et</strong>tieres D., Luccio-Camelo D.C., Basso A., Rohmer V., Brue T., Bours V., Teh B.<br />

T., Beckers A. Aryl J Clin Endocrinol M<strong>et</strong>ab. 2007 ; 92 : 1891-6.<br />

8. Elliott P., Walker L.L., Little M.P., Blair-West J.R., Sha<strong>de</strong> R.E., Lee D.R.,<br />

Rouqu<strong>et</strong> P., Leroy E., Jeunemaitre X., Ardaillou R., Paillard F., Men<strong>et</strong>on P.,<br />

Denton D.A. Circulation. 2007 ; 116(14) : 1563-8.<br />

9. Izzedine H., Benalia H., Arzouk N., Jeunemaitre X., Hacini S., Bourry E.,<br />

Barrou B. Am J Kidney Dis. 2007 ; 49(6) : 862-4.<br />

10. Kudo F.A., Muto A., Maloney S.P., Pimiento J.M., Bergaya S., Fitzgerald T.N.,<br />

Westvik T.S., Frattini J.C., Breuer C.K., Cha C.H., Nishibe T., Telli<strong><strong>de</strong>s</strong> G., Sessa W.<br />

C., Dardik A. Arterioscler Thromb Vasc Biol. 2007 ; 27(7) : 1562-71.<br />

11. McWhinney S.R., Pasini B., Stratakis C.A. for the International Carney Triad and<br />

Carney-Stratakis Syndrome Consortium*. N Engl J Med. 2007 ; 357 : 1054-6.(* Pasini B.,<br />

McWhinney S.R., Bei T., Matyakhina L., Stergiopoulos S., Muchow M., Boikos S.A.,<br />

Ferrando B., Pacak K., Assie G., Baudin E., Chompr<strong>et</strong> A., Ellison J.W., Briere J.J., Rustin P.,<br />

Gimenez-Roqueplo A.P., Eng C., Carney, J.A., Stratakis C.A.)<br />

12. Messadi-Laribi E., Griol-Charhbili V., Pizard A., Vincent M.P., Heu<strong><strong>de</strong>s</strong> D.,<br />

Men<strong>et</strong>on P., Alhenc-Gelas F., Richer C. J Pharmacol Exp Ther. 2007 ; 323(1) : 210-6.<br />

13. Pacak K., Eisenhofer G., Ahlman H., Bornstein S.R., Gimenez-Roqueplo A.P.,<br />

Grossman A.B., Kimura N., Mannelli M., McNicol A.M., Tischler A.S. Nat Clin<br />

Pract Endocrinol M<strong>et</strong>ab. 2007 ; 3 : 92-102.<br />

14. Perdu J., Boutouyrie P., Bourgain C., Stern N., Laloux B., Bozec E., Azizi<br />

M., Bonaiti-Pellié C., Plouin P.F., Laurent S., Gimenez-Roqueplo A.P., Jeunemaitre<br />

X. J Hum Hypertens. 2007 ; 21(5) : 393-400.<br />

15. Pujo L., Fagart J., Gary F., Papadimitriou D.T., Claes A., Jeunemaitre X.,<br />

Zennaro M.C. Hum Mutat. 2007 ; 28(1) : 33-40.<br />

16. Sainte Marie Y., Toulon A., Paus R., Maubec E., Cherfa A., Grossin M.,<br />

Descamps V., Clemessy M., Gasc J.M., Peuchmaur M., Glick A., Farman N., Jaisser F.


974 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />

Targ<strong>et</strong>ed Skin Overexpression of the Mineralocorticoid Am J Pathol. 2007 ; 171 (3) : 846-<br />

860.<br />

17. Sainte-Marie Y., N’Guyen Dinh Cat A., Perrier R., Mangin L., Soukaseum C.,<br />

Peuchmaur M., Tronche F., Farman N., Escoub<strong>et</strong> B., Benitah J.P., Jaisser F. FASEB J.<br />

2007 ; 21 (12) : 3133-3141;<br />

18. Thouënnon E., Elkahloun A.G., Guillemot J., Gimenez-Roqueplo A.P.,<br />

Bertherat J., Pierre A., Ghzili H., Grumolato L., Muresan M., Klein M., Lefebvre H.,<br />

Ouafik L., Vaudry H., Plouin P.F., Yon L., Anouar Y. J Clin Endocrinol M<strong>et</strong>ab. 2007 ;<br />

92 : 4865-72.<br />

19. Wielpütz M.O., Lee I.H., Dinudom A., Boulkroun S., Farman N., Cook D.I.,<br />

Korbmacher C., Rauh R. J Biol Chem. 2007 21 ; 282(38) : 28264-73.<br />

20. Zhu L., Bonn<strong>et</strong> D., Boussion M., Vedie B., Sidi D., Jeunemaitre X. Cardiol<br />

Young. 2007 ; 17(6) : 666-72.<br />

2008<br />

21. Belot A., Ranchin B., Fichtner C., Pujo L., Rossier B.C., Liutkus A.,<br />

Morlat C., Nicolino M., Zennaro M.C., Cochat P. Nephrol Dial Transplant. 2008 ;<br />

23(5) : 1636-41.<br />

22. Caprio M., Zennaro M.C., Fève B., Mammi C., Fabbri A., Rosano G. 2008 ;<br />

11(3) : 258-64.<br />

23. Gellen B., Fernán<strong>de</strong>z-Velasco M., Briec F., Vin<strong>et</strong> L., LeQuang K., Rou<strong>et</strong>-<br />

Benzineb P., Bénitah J.P., Pez<strong>et</strong> M., Palais G., Pellegrin N., Zhang A., Perrier R.,<br />

Escoub<strong>et</strong> B., Marniqu<strong>et</strong> X., Richard S., Jaisser F., Gómez A.M., Charpentier F.,<br />

Mercadier J.J. Circulation. 2008 ; 117(14) : 1778-86.<br />

24. Gimenez-Roqueplo A.P., Burnichon N., Amar L., Favier J., Jeunemaitre X.,<br />

Plouin P.F. Bull Acad Natl Méd. 2008 ; 192 : 40-52<br />

25. Gimenez-Roqueplo A.P., Burnichon N., Amar L., Favier J., Jeunemaitre X.,<br />

Plouin P.F. Clin Exp Pharmacol Physiol. 2008 ; 35(4) : 376-9.<br />

26. Imauchi Y., Jeunemaître X., Boussion M., Ferrary E., Sterkers O., Grayeli<br />

A.B. Otol Neurotol. 2008 ; 29(3) : 295-301.<br />

27. Jeunemaitre X. J Mol Med. 2008 ; 86(6) : 637-41.<br />

28. Loyer X., Gómez A.M., Milliez P., Fernan<strong>de</strong>z-Velasco M., Vangheluwe P.,<br />

Vin<strong>et</strong> L., Charue D., Vaudin E., Zhang W., Sainte-Marie Y., Robi<strong>de</strong>l E., Marty I.,<br />

Mayer B., Jaisser F., Mercadier J.J., Richard S., Shah A.M., Bénitah J.P., Samuel J.L.,<br />

Heymes C. Circulation. 2008 ; 117(25) : 3187-98.<br />

29. Pasini B., McWhinney S.R., Bei T., Matyakhina L., Stergiopoulos S.,<br />

Muchow M., Boikos S.A., Ferrando B., Pacak K., Assie G., Baudin E., Chompr<strong>et</strong> A.,<br />

Ellison J.W., Briere J.J., Rustin P., Gimenez-Roqueplo A.P.*, Eng C.*, Carney J.A.*,<br />

Stratakis C.A*. Eur J Hum Gen<strong>et</strong>. 2008 ; 16 : 79-88.<br />

30. Pons S., Griol-Charhbili V., Heymes C., Fornes P., Heu<strong><strong>de</strong>s</strong> D., Hagege A.,<br />

Loyer X., Men<strong>et</strong>on P., Giudicelli J.F., Samuel J.L., Alhenc-Gelas F., Richer C. Eur J<br />

Heart Fail. 2008 ; 10(4) : 343-51.<br />

31. Timmers H.J., Pacak K., Bertherat J., Len<strong>de</strong>rs J.W., Du<strong>et</strong> M., Eisenhofer G.,<br />

Stratakis C.A., Niccoli-Sire P., Huy P.T., Burnichon N., Gimenez-Roqueplo A.P.<br />

Clin Endocrinol (oxf). 2008 ; 68(4) : 561-6.<br />

32. Vargas-Poussou R., Cochat P., Le Pottier N., Roncelin I., Liutkus A.,<br />

Blanchard A., Jeunemaître X. Pediatr Nephrol. 2008 Jan ; 23(1) : 149-53.


Revues <strong>et</strong> Ouvrages<br />

LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 975<br />

33. Gimenez-Roqueplo A.P., Froissart M., Halimi P. Hernigou 2007 Paragangliomes.<br />

Dans Traité d’Endocrinologie, p. 387-91, Mé<strong>de</strong>cine-Sciences Flammarion éditeur.<br />

34. Gimenez-Roqueplo A.P., Amar L., Jeunemaitre X., Plouin P.F. 2007<br />

Phéochromocytome : données récentes. Dans Cardiologie <strong>et</strong> maladies vasculaires, p. 417-9,<br />

édité sous l’égi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Société Française <strong>de</strong> Cardiologie.<br />

35. Nguyen D.C., Sainte-Marie Y., Jaisser F.. Animal mo<strong>de</strong>ls in cardiovascular<br />

diseases : new insights from conditional mo<strong>de</strong>ls. Handb Exp Pharmacol. 2007 ; (178) : 377-<br />

405.<br />

36. Plouin P.F., Perdu J., La Bati<strong>de</strong>-Alanore A., Boutouyrie P., Gimenez-Roqueplo<br />

A.P., Jeunemaitre X. Fibromuscular dysplasia. Orphan<strong>et</strong> J Rare Dis. 2007 Jun 7 ; 2 : 28.<br />

37. Messadi-Laribi E., Griol-Charhbili V., Gaies E., Vincent M.P., Heu<strong><strong>de</strong>s</strong> D.,<br />

Men<strong>et</strong>on P., Alhenc-Gelas F., Richer C. Cardioprotection and kallikrein-kinin system<br />

in acute myocardial ischaemia in mice. Clin Exp Pharmacol Physiol. 2008 35(4) :<br />

489-93. Re.


MAÎTRES DE CONFÉRENCES<br />

ET ATTACHÉS TEMPORAIRES D’ENSEIGNEMENT<br />

ET DE RECHERCHE (ATER)<br />

RATTACHÉS AU COLLÈGE DE FRANCE EN 2007-2008<br />

Jean-Baptiste Amadieu, ATER, chaire <strong>de</strong> Littératures mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’Europe néolatine.<br />

Au<strong>de</strong> Bandini, ATER, chaire <strong>de</strong> Philosophie du langage <strong>et</strong> <strong>de</strong> la connaissance.<br />

Mélanie Baroni, ATER, chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan.<br />

Fabrice Bessiere, ATER, chaire <strong>de</strong> Religion, institutions <strong>et</strong> société <strong>de</strong> la Rome antique.<br />

Philipp Böning, ATER, chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan.<br />

Estelle Bourdon, ATER, chaire <strong>de</strong> Biologie historique <strong>et</strong> évolutionnisme.<br />

Jacques Bout<strong>et</strong> <strong>de</strong> Monvel, maître <strong>de</strong> conférences associé, chaire <strong>de</strong> Génétique <strong>et</strong><br />

physiologie cellulaire.<br />

Sophie Cal<strong>de</strong>rari, ATER, chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine expérimentale.<br />

Florent Carn, ATER, chaire <strong>de</strong> Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée.<br />

Thierry Chatelain, ATER, chaire d’Épigraphie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> cites grecques.<br />

Clau<strong>de</strong> Chevaleyre, ATER, chaire d’Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne.<br />

Cédric Claperon, ATER, équipe <strong>de</strong> Neuropepti<strong><strong>de</strong>s</strong> centraux <strong>et</strong> régulations hydrique <strong>et</strong><br />

cardiovasculaire.<br />

Igor Dotsenko, maître <strong>de</strong> conférences associé, chaire <strong>de</strong> Physique quantique.<br />

Jean-Clau<strong>de</strong> Dupont, ATER, chaire <strong>de</strong> Philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences biologiques <strong>et</strong><br />

médicales.<br />

Raphaël Etournay, ATER, chaire Génétique <strong>et</strong> physiologie cellulaire.<br />

Judith Favier, ATER, équipe <strong>de</strong> Gènes <strong>et</strong> pression artérielle, institut <strong>de</strong> biologie.<br />

Elodie Fino, ATER, laboratoire <strong>de</strong> Dynamique <strong>et</strong> physio-pathologie <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux<br />

neuronaux.<br />

Luc Foubert, ATER, laboratoire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action


978 MAÎTRES DE CONFÉRENCES ET ATER<br />

Isabelle Fouchard, ATER, chaire d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives <strong>et</strong><br />

internationalisation du droit.<br />

Claire Gren<strong>et</strong>, ATER, chaire d’Épigraphie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> cites grecques.<br />

Wouter Henkelman, maître <strong>de</strong> conférences associé, chaire d’Histoire <strong>et</strong> civilisation<br />

du mon<strong>de</strong> achéméni<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’empire d’Alexandre.<br />

Halim Hicheur, ATER, laboratoire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action.<br />

Karim Hnia, ATER, chaire <strong>de</strong> Génétique humaine.<br />

Hana Jaber, ATER, chaire d’Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine du politique.<br />

Tobias Jäger, maître <strong>de</strong> conférences associé, chaire d’Équations différentielles <strong>et</strong><br />

systèmes dynamiques.<br />

Marc Kirsch, maître <strong>de</strong> conférences associé, chaire <strong>de</strong> Philosophie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

concepts scientifiques.<br />

Hélène Lan<strong>de</strong>more, ATER, chaire <strong>de</strong> Rationalité <strong>et</strong> sciences sociales.<br />

Jing-Yi Lin, ATER, chaire <strong>de</strong> Géodynamique.<br />

Alessandro Mancuso, maître <strong>de</strong> conférences associé, chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la<br />

nature.<br />

Dimitri Mavridis, ATER, chaire <strong>de</strong> Théorie économique <strong>et</strong> organisation sociale.<br />

Édouard M<strong>et</strong>enier, ATER, chaire d’Histoire contemporaine du mon<strong>de</strong> arabe.<br />

Sébastien Parnau<strong>de</strong>au, ATER, institut <strong>de</strong> biologie.<br />

Alexandre Poug<strong>et</strong>, maître <strong>de</strong> conférences associé, équipe <strong>de</strong> Neurosciences<br />

théoriques.<br />

Sarah Rey, ATER, chaire d’Antiquités nationales.<br />

Yves Ruff, ATER, chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions moléculaires.<br />

Jean-Jacques Rosat, maître <strong>de</strong> conférences associé, chaire <strong>de</strong> Philosophie du langage<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> la connaissance.<br />

Isabelle Sach<strong>et</strong>, ATER, laboratoire <strong><strong>de</strong>s</strong> Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sémitiques anciennes.<br />

Lucia Sau<strong>de</strong>lli, ATER, chaire d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> syncrétismes <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> l’Antiquité.<br />

Marie Wattenhofer-Donze, ATER, chaire <strong>de</strong> Génétique humaine.<br />

Xavier Wertz, ATER, chaire d’Immunologie moléculaire.<br />

Cédric Yvinec, ATER, chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la nature.


PERSONNEL<br />

DU COLLÈGE DE FRANCE<br />

Professeurs titulaires<br />

Artavanis-Tsakonas Spyros.<br />

Bard Édouard, [a].<br />

Berthoz Alain, [a, O. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Bouveresse Jacques.<br />

Briant Pierre, ["].<br />

Brun<strong>et</strong> Michel, [a, O. l, O. "].<br />

Chartier Roger.<br />

Cheng Anne, [a].<br />

Compagnon Antoine, [a, O. "].<br />

Connes Alain, membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Corvol Pierre, [C. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Dehaene Stanislas, [l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Delmas-Marty Mireille, [C. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences<br />

morales <strong>et</strong> politiques.<br />

Descola Philippe, [a, O. l, "].<br />

Devor<strong>et</strong> Michel.<br />

Durand Jean-Marie, [a, O. "].<br />

Edwards Michael.<br />

Elster Jon.<br />

Fagot-Largeault Anne, [O. a, O. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Fussman Gérard.<br />

Goudineau Christian, [O. a].<br />

Grimal Nicolas, [a, l, "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions<br />

<strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres.<br />

Guesnerie Roger, [a, l].<br />

Haroche Serge, [O. a], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.


980 PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE<br />

Kellens Jean.<br />

Knoepfler Denis.<br />

Kourilsky Philippe, [O. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Labeyrie Antoine, [l].<br />

Laurens Henry.<br />

Lehn Jean-Marie, [C. a, l, "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Le Pichon Xavier, [O. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Lions Pierre-Louis, [O. a]membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Livage Jacques, [a], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Man<strong>de</strong>l Jean-Louis, [a].<br />

Ossola Carlo.<br />

P<strong>et</strong>it Christine, [a, O. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Prochiantz Alain.<br />

Recht Roland, [O. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres.<br />

Ricqlès Armand <strong>de</strong>, [a].<br />

Römer Thomas.<br />

Rosanvallon Pierre.<br />

Scheid John.<br />

Tardieu Michel, [a].<br />

Veinstein Gilles, ["].<br />

Veneziano Gabriele.<br />

Will Pierre-Étienne.<br />

Yoccoz Jean-Christophe, [a, O. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Zagier Don.<br />

Zink Michel, [a, O. "].<br />

Professeurs associés<br />

(Chaires européenne, internationale, <strong>de</strong> création artistique <strong>et</strong><br />

d’innovation technologique — Liliane B<strong>et</strong>tencourt)<br />

Berry Gérard, [O. l].<br />

Kropp Manfred.<br />

Magistr<strong>et</strong>ti Pierre.<br />

Mnouchkine Ariane.<br />

Administrateurs honoraires<br />

Dagron Gilbert, [O. a, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong><br />

Belles-L<strong>et</strong>tres.


PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE 981<br />

Glowinski Jacques, [C. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Laporte Yves, [C. a, k 39-45, S, G.O. l, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Sciences.<br />

Miquel André, [C. a, O. l, C. A, C. "].<br />

Professeurs honoraires<br />

Abragam Anatole, [C. a, G.C. l, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Agulhon Maurice, [O. a, O. A, O. "].<br />

Baulieu Étienne-Émile, [G.O. a, l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l’Académie <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine.<br />

Blin Georges, [O. a, O. "].<br />

Bonnefoy Yves, [C. A].<br />

Boulez Pierre.<br />

Chambon Pierre, [C. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Changeux Jean-Pierre, [G.O. a, G.C. l, C. A, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Cohen-Tannoudji Clau<strong>de</strong>, [C. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Coppens Yves, [C. a, C. l, O. A, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Sciences.<br />

Coquin François-Xavier.<br />

Dauss<strong>et</strong> Jean, [G.C. a, G.C. l, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Delumeau Jean, [C. a, C. l, C. A, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres.<br />

Froissart Marcel.<br />

Fumaroli Marc, [O. a, C. l, C. A, O. "], membre <strong>de</strong> l’Académie française<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres.<br />

Gern<strong>et</strong> Jacques, [a, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-<br />

L<strong>et</strong>tres.<br />

Glowinski Jacques, [C. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Granger Gilles Gaston.<br />

Gros François, [C. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Guilaine Jean, [a, l, A].<br />

Hacking Ian.<br />

Hadot Pierre.<br />

Hagège Clau<strong>de</strong>, [O. a, A, O. "].<br />

Héritier Françoise, [C. a, G.O. l, C. A, ", J].<br />

Jacob François, [G.C. a, L, k 39-45, G.O. l], membre <strong>de</strong> l’Académie<br />

française <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Joliot Pierre, [C. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.


982 PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE<br />

Le Douarin Nicole, [G.O. a, G.C. l, O. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Sciences.<br />

Leclant Jean, [G.O. a, G.O. l, C. A, C. "], secrétaire perpétuel <strong>de</strong> l’Académie<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres.<br />

Le Ri<strong>de</strong>r Georges [O. a, O. l, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions<br />

<strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres.<br />

Le Roy Ladurie Emmanuel, [C. a, C. A], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences<br />

morales <strong>et</strong> politiques.<br />

Lévi-Strauss Clau<strong>de</strong>, [G.C. a, C. l, C. A, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie<br />

française.<br />

Malinvaud Edmond, [C. a, G.C. l, C. "].<br />

Nozières Philippe, [O. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Pecker Jean-Clau<strong>de</strong>, [C. a, G.C. l, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Sciences.<br />

Prentki Jacques.<br />

Roche Daniel, [l, C. A, "].<br />

Romilly Jacqueline <strong>de</strong>, [G.O. a, G.C. l, C. A, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie<br />

française <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres.<br />

Serre Jean-Pierre, [G.O. a, G.C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Teixidor Javier.<br />

Thuillier Jacques, [O. a, G.O. l, C. A].<br />

Tits Jacques, [a, O. l, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />

Toubert Pierre, [O. a, O. l, A, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions<br />

<strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres.<br />

Veyne Paul, [a, O. l, O. A].<br />

Wachtel Nathan, [a, "].<br />

Weinrich Harald, [C. "].<br />

Yoyotte Jean, [a, l, A, "].<br />

A - Sous-directeurs <strong>de</strong> laboratoire<br />

Gasc Jean-Marie.<br />

Magnan Christian, [l].<br />

Magre Solange.<br />

Studler Jeanne-Marie.<br />

Teboul-Imbert Martine.<br />

Personnels scientifiques


PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE 983<br />

Sous-directeurs <strong>de</strong> laboratoire honoraires<br />

Amiel Charles.<br />

Butlen Daniel.<br />

Devillers-Thiéry Anne.<br />

Dubois Régis, ["].<br />

Frontisi Françoise.<br />

Goldman Maurice, ["].<br />

Haguenau Françoise, [a, l].<br />

Herv<strong>et</strong> Hubert.<br />

Jouffroy Jacqueline.<br />

Le Gal Yves, [l, m, "].<br />

Moch Raymond, [O. a, k 39-45, S, C. "].<br />

Ober Raymond.<br />

Riv<strong>et</strong> Pierre.<br />

Sentis Philippe, [O. l].<br />

Tits Marie-Jeanne, ["].<br />

B - Maîtres <strong>de</strong> conférences<br />

Ang Isabelle, chaire d’Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne.<br />

Bombar<strong>de</strong> Odile, chaire <strong>de</strong> Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale.<br />

Bouy Christian, chaire d’Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne.<br />

Delahaye Hubert, chaire d’Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne.<br />

Dolbeau Jean, chaire <strong>de</strong> Physique corpusculaire.<br />

Fabre Catherine, chaire <strong>de</strong> Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale.<br />

Jacqu<strong>et</strong>-Pfau Marie-Christine, chaire <strong>de</strong> Littératures mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’Europe néolatine.<br />

Koulakoff Ann<strong>et</strong>te, chaire <strong>de</strong> Neuropharmacologie.<br />

Krikorian Ralph, chaire d’Astrophysique observationnelle.<br />

Lamandé Noël, chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine expérimentale.<br />

Lewinski Liliana, chaire d’Histoire <strong>et</strong> anthropologie <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés méso- <strong>et</strong><br />

sud-américaines.<br />

Maisant Corinne, chaire d’Histoire <strong>de</strong> l’art européen médiéval <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne.<br />

Miller<strong>et</strong> Chantal, chaire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> l’action <strong>et</strong> <strong>de</strong> la perception.<br />

Monsoro Anne-Hélène, chaire <strong>de</strong> Biologie <strong>et</strong> génétique du développement.<br />

Pernot Jean-François, chaire d’Histoire <strong>de</strong> la <strong>France</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Lumières.<br />

Pickford Martin, chaire <strong>de</strong> Paléoanthropologie <strong>et</strong> préhistoire.<br />

Picq Pascal, chaire <strong>de</strong> Paléoanthropologie <strong>et</strong> préhistoire.<br />

Solinas <strong>France</strong>sco, chaire d’Histoire <strong>de</strong> l’art européen médiéval <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne.<br />

Spicq Delphine, chaire d’Histoire <strong>de</strong> la chaire mo<strong>de</strong>rne.<br />

Szelagowski Isabelle, chaire d’Histoire du mon<strong>de</strong> indien.<br />

Vialles Noëlie, chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la nature.


984 PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE<br />

Personnels <strong>de</strong> Direction <strong>de</strong> l’Établissement<br />

Rigoni Jean-François, Terrasse-Riou Florence.<br />

Ingénieurs <strong>et</strong> personnels techniques<br />

Ingénieurs <strong>de</strong> recherche :<br />

Lecoq Anne-Marie, L’Hôte Gilles.<br />

Ingénieurs d’étu<strong>de</strong> :<br />

Personnels <strong>de</strong> Recherche <strong>et</strong> <strong>de</strong> Formation<br />

Armstrong Angela, Beaupoil Clau<strong>de</strong>, Castelnau Christine, Cazal Nathalie,<br />

Delangle Marie-Christine, Farres Jos<strong>et</strong>te, Geller Philippe, Grougn<strong>et</strong> Félicie,<br />

Guilbard Jean-Jacques, Hus Ann<strong>et</strong>te, Jan<strong>de</strong>au Gilles, Jestin Marie-Françoise,<br />

Laurens Patrick, Le Gall Jean-Yves, Leung Wing Fong, Morel Agathe, Méric<br />

Robert, Mour<strong>et</strong> Sandrine, Ollivier Éric, Perdu Olivier, Poulin Françoise,<br />

Quenech’du Nicole, Rayati-Moghaddam Fatemeh, Sauvageot Agathe,<br />

Segers Françoise, Spagnoli Monique, Thomas Marie-Annick, <strong>de</strong> Vasconcelos<br />

Cruz Eduardo.<br />

Assistants-ingénieurs :<br />

Benitta Sophie, Donnier Christophe, Dupraz Yves, Imbert Patrick, Lallias<br />

Stéphane, Lemarie Marylène, Llegou Patricia, Le Poupon Chantal, Queguiner<br />

Isabelle, Quenehen Danièle.<br />

Techniciens :<br />

Amigou Edwige, Bidois Dominique, Brunier Patricia, Crepin Françoise, David<br />

Françoise, Debonne Gilles, Dejonghe Julien, Delizy Aline, Espérandieu<br />

Daniel, Étienne Éric, Fang Ling, Fassi Jean-Louis, Gérard Patrice, Gibert<br />

Marie-Christine, Jeanne Bruno, Koch Catherine, Larabi Salima, Le Bras<br />

Christian, Le Tenaff Bérangère, Malvaud Françoise, Mangin d’Hermantin<br />

Jean, Marques-Joaquim Gordana, Pérez Sylvie, Piequ<strong>et</strong> Fatine, Sainz<br />

Véronique, Soupault Jacqueline, Sportouch Sylvie, Susini Marion, Tembely<br />

Fanta-Taga, Vern<strong>et</strong> David.<br />

Adjoints techniques :<br />

Ah-P<strong>et</strong> Marie-Claudine, André Françoise, Aouabed Samir, Azzedine Khadija,<br />

Babouram Marie-Ange, Ben Zai<strong>et</strong> Yessia, Blon<strong>de</strong>l Valérie, Bo<strong>de</strong>lle Andrée,<br />

Borne Roger, Boudjelal Ahmed, Boulanger Nathalie, Bourge Murielle,<br />

Bosser Sophie, Brossaud Joëlle, Cabraja Alexandra, Cazères Joséphine,<br />

Chaslerie Marie-Françoise, Cheng Shao Pierre, Cougnot Patricia, Deffoun


PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE 985<br />

Alain, Dei Daniel, Douglas Francis, Doutremer Suz<strong>et</strong>te, Duriez Lucienne,<br />

Éloire Gérard, Ézan Pascal, Fe<strong>de</strong>l Philippe, Gaspaldy Patrick, Gérin René,<br />

Ghanès Mustapha, Gillot Jean, Guingnier Lydie, Haddad Samia, Ibrahim<br />

Hassani, Julien Christian, Khaldi Ab<strong>de</strong>lla Ali, Kiourtzian Georges, Korn-<br />

Gentilini Soy, Kotowicz Gin<strong>et</strong>te, Labirin Joselita, Lamrous Hayat, Le Coupé<br />

Grainville Chantal, Lehoux Béatrice, Le Méhauté Marie-Jeanne, Le Mercier<br />

Patricia, Lesage Matthieu, Maillard Karine, Maloumian <strong>France</strong>, Mangin<br />

Jean, Marie Aroquiaradjo Sandanam, Mary Claudine, Mathen Muriel,<br />

Maury Évelyne, Maussion Sophie, Mégoeuil Bernard, Mégoeuil Martine,<br />

Montlouis Miguel, Morvany Marie-Line, Moudjeniba Madani, Munoz<br />

Christophe, Néchal Serge, Noton Jean-Jacques, Pagesse Bruno, Palin Aurélie,<br />

Panek-Hu<strong>et</strong> Nathalie, P<strong>et</strong>ges Romain, Phoudiah Florian, Picco Nadia,<br />

Raborio Jean-François, Rigole Gilbert, Rigole Brigitte, Robez Chia-Chian,<br />

Robouant Corinne, Séry Jean-Marc, Sittie Célestine, Smith Denise, Smith<br />

Étienne, Smith Ombline, Sousa I<strong>de</strong>rlinda, Ton<strong>de</strong>leir Sébastien, Thos Eugène,<br />

To<strong>de</strong>rasc Carmen, Urbe Jean-Pierre, Urbe Robert, Val<strong>de</strong>rrama Francisco,<br />

Vasseur Philippe, Zoundi Brigitte.<br />

Personnels <strong>de</strong> l’Administration Scolaire <strong>et</strong> Universitaire<br />

A - Personnels administratifs<br />

Attachée principale d’administration :<br />

Campinchi Catherine ("), Roche Isabelle.<br />

Attachés d’administration :<br />

Beaucourt Nadine, Fer<strong>et</strong> Lorea.<br />

Secrétaires d’administration :<br />

Bernard Martine, Delmer Évelyne, Gudin Véronique, Labruna Laurence, Lam<br />

Suong, Lataguerra Sylvie, Torregrossa Martine, Van Zandt Éric.<br />

Adjoints administratifs :<br />

Aurousseau Émilie, Belhamri Jedjiga, Colin Pascal, Etch<strong>et</strong>to Sandrine,<br />

Laborie Maryse, Lebot Dominique, Maïga Halimatan, Michel Jocelyne,<br />

Pautrat Valérie, Quillin Inès, Salagnac Françoise, Sfez Annie, Soltani<br />

Stéphane, Tramcourt Fabienne.


986 PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE<br />

B - Personnel <strong>de</strong> santé<br />

Infirmière :<br />

Dumas Marie.<br />

Conservateurs :<br />

Personnels <strong><strong>de</strong>s</strong> Bibliothèques<br />

Bodéré Nicole, Cazabon Marie-Renée, Piganiol Catherine.<br />

Bibliothécaires :<br />

Alemany Carmen, Blanch<strong>et</strong> Marie-Hélène, Koczorowski Marie-Catherine.<br />

Bibliothécaires adjoints spécialisés :<br />

Ferreux Jenny, Marqu<strong>et</strong> Françoise, Rabaud Julien.<br />

Magasinier spécialisé :<br />

Adjedj Daniel.


INSTANCES STATUTAIRES<br />

ET<br />

ADMINISTRATIVES<br />

DU COLLÈGE DE FRANCE 1<br />

(11, place Marcelin-Berthelot, 75231 Paris Ce<strong>de</strong>x 05)<br />

Téléphone : 01.44.27.12.11.<br />

Intern<strong>et</strong> : www.college-<strong>de</strong>-france.fr<br />

Tous les Professeurs titulaires.<br />

Pierre Corvol, administrateur, prési<strong>de</strong>nt.<br />

Michel Zink, vice-prési<strong>de</strong>nt.<br />

Jean-Christophe Yoccoz, secrétaire.<br />

Prési<strong>de</strong>nt :<br />

Pierre Corvol, administrateur.<br />

Membres élus :<br />

Pierre Briant, professeur.<br />

Nicolas Grimal, professeur.<br />

Serge Haroche, professeur.<br />

Jean Kellens, professeur.<br />

Jacques Livage, professeur.<br />

1. Au 1 er septembre 2008<br />

ASSEMBLÉE DES PROFESSEURS<br />

BUREAU DE L’ASSEMBLÉE<br />

CONSEIL D’ÉTABLISSEMENT


988 INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES<br />

Christine P<strong>et</strong>it, professeur.<br />

John Scheid, professeur.<br />

Jean-Christophe Yoccoz, professeur.<br />

Michel Zink, professeur.<br />

Jeanne-Marie Studler, sous-directeur.<br />

Marie-Christine Jacqu<strong>et</strong> Pfau, maître <strong>de</strong> conférences.<br />

Catherine Fabre, maître <strong>de</strong> conférences.<br />

Arnaud Serandour, maître <strong>de</strong> conférences.<br />

Iwona Gadja, chargée <strong>de</strong> recherches.<br />

Juli<strong>et</strong>te Hadchouel, chargée <strong>de</strong> recherches.<br />

Judith Favier, ATER.<br />

Jean-Jacques Guilbard, ingénieur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />

Danièle Quénéhen, technicienne.<br />

Marie-Annick Thomas, ingénieur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />

Pierre Le Coupé Grainville, ingénieur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />

Mohamed Zaoui, ingénieur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />

Constantin Zuckerman, directeur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />

Personnalités extérieures :<br />

1. Représentants d’organismes scientifiques :<br />

Gilles Sentise, délégué régional CNRS Paris Michel-Ange.<br />

Hervé Douchin, secrétaire général <strong>de</strong> l’INSERM.<br />

Maurice Gross, directeur <strong><strong>de</strong>s</strong> partenariats, CNRS Paris Michel-Ange.<br />

2. Représentant <strong><strong>de</strong>s</strong> activités économiques :<br />

Pierre Gasc, Prési<strong>de</strong>nt du directoire <strong>et</strong> directeur général <strong>de</strong> Finter Bank <strong>France</strong>.<br />

Pierre Corvol.<br />

Michel Zink.<br />

Catherine Fabre.<br />

Danièle Quénéhen.<br />

Jeanne-Marie Studler.<br />

Mohamed Zaoui<br />

BUREAU DU CONSEIL D’ÉTABLISSEMENT<br />

ADMINISTRATEUR<br />

Pierre Corvol, [C. a, O. l], (Professeur), poste 16.75 1 .<br />

Assistante <strong>de</strong> Direction :<br />

Nicole Braure, poste 16.75. Télécopie : 01.44.27.16.91.<br />

1. Indicatif du poste téléphonique.


INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES 989<br />

AFFAIRES CULTURELLES ET RELATIONS EXTÉRIEURES<br />

Directrice : Florence Terrasse-Riou, poste 11.01.<br />

Télécopie : 01.44.27.11.09.<br />

Secrétariat : Évelyne Delmer, poste 11.07.<br />

Télécopie : 01.44.27.11.09.<br />

Courrier institutionnel : Christine Castelnau, poste 11.06.<br />

Télécopie : 01.44.27.11.09.<br />

Communication institutionnelle : Martine Torregrossa, poste 12.47.<br />

Relations avec la presse<br />

<strong>et</strong> Communication : Marie Chéron, poste 11.78.<br />

Cécile Barnier, poste 11.68.<br />

Télécopie : 01.44.27.12.95.<br />

Enseignements<br />

<strong>et</strong> organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques : Sophie Benitta, poste 11.45.<br />

Télécopie : 01.44.27.11.44.<br />

Coordination <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires<br />

annuelles : Sophie Grandsire-Rodriguez, poste 11.60.<br />

Diffusion <strong>et</strong> gestion <strong>de</strong> fichiers : Claudine Mary, poste 11.43.<br />

Secteur édition : Jean-Jacques Rosat, poste 14.12.<br />

Publications : Céline Vautrin, poste 13.45.<br />

Télécopie : 01.44.27.11.44.<br />

Station d’Édition : Patricia Llegou, poste 11.42.<br />

Télécopie : 01.44.27.11.44.<br />

Site Intern<strong>et</strong> : Marion Susini, poste 14.53.<br />

David Adjemian, poste 10.18.<br />

Télécopie : 01.44.27.11.44.<br />

AFFAIRES ADMINISTRATIVES ET FINANCIÈRES<br />

Directeur : Jean-François Rigoni, [l, "], poste 11.02.<br />

Télécopie : 01.44.27.11.09.<br />

Secrétariat : Christophe Munoz, poste 11.04.<br />

Télécopie : 01.44.27.11.09.<br />

SERVICE DES AFFAIRES GÉNÉRALES ET BUDGÉTAIRES :<br />

Télécopie : 01.44.27.11.09.<br />

Affaires budgétaires : Martine Bernard, poste 11.10.


990 INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES<br />

Comptabilité<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Services généraux : Françoise Salagnac, poste 11.20.<br />

SERVICE DES RESSOURCES HUMAINES ET DES TRAITEMENTS :<br />

Télécopie : 01.44.27.12.63.<br />

Chef <strong>de</strong> service : Nadine Beaucourt, poste 11.23.<br />

Gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> bibliothèques -<br />

Organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> élections : Éric Van Zandt, poste 11.84.<br />

Fichier <strong><strong>de</strong>s</strong> personnels extérieurs : Karine Maillard, poste 10.95.<br />

Gestion du personnel ITARF : Bérangère Le Tenaff, poste 11.25.<br />

Gestion du personnel ATOS<br />

<strong>et</strong> contractuels : Maryse Laborie, poste 12.64.<br />

Gestion du personnel enseignant : Véronique Gudin, poste 11.86.<br />

Formation continue <strong>et</strong> con<strong>cours</strong> : Monique Spagnoli, poste 11.24.<br />

Sylvie Ahier, poste 12.51.<br />

Sandrine Etch<strong>et</strong>to, poste 11.62.<br />

Gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> traitements : Lorea Fer<strong>et</strong>, poste 11.26 (chef <strong>de</strong> service).<br />

Fatine Piequ<strong>et</strong>, poste 12.51.<br />

Jean-Louis Fassi, poste 11.21.<br />

Rémunérations<br />

sur budg<strong>et</strong> propre : Françoise Crépin, poste 11.27.<br />

Karine Maillard, poste 10.95.<br />

SERVICE DES AFFAIRES FINANCIÈRES :<br />

Télécopie : 01.44.27.12.35.<br />

Chef <strong>de</strong> service : Isabelle Roche, poste 11.03.<br />

Contrats, marchés : Françoise Grougn<strong>et</strong>, poste 11.34.<br />

Bruno Jeanne, poste 13.13.<br />

Suong Lam Ngoc, poste 13.03.<br />

Dépenses <strong>et</strong> missions : Émilie Aurousseau, poste 12.80.<br />

Dominique Le Bot, poste 11.31.<br />

Célestine Sittie, poste 13.04.<br />

Carmen To<strong>de</strong>rasc, poste 11.33.<br />

SERVICE MÉDICAL :<br />

Mé<strong>de</strong>cins du travail : D r Bernard Jouanjean, poste 11.52.<br />

Infirmière : Marie Dumas, poste 11.51.


INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES 991<br />

SERVICE PHOTOGRAPHIQUE :<br />

Photographe : Patrick Imbert, postes 11.39/11.40.<br />

SERVICE INFORMATIQUE DE GESTION :<br />

Informaticien : Gilles Jan<strong>de</strong>au, poste 14.00.<br />

Adjoints : Patrick Gaspaldy, poste 10.71.<br />

Lionel Mangin, poste 10.71.<br />

SERVICE TECHNIQUE :<br />

Télécopie : 01.44.27.10.90.<br />

Coordonnateur : Gilles Cottebrune, poste 14.98.<br />

Secrétariat :<br />

Adjoints :<br />

Valérie Pautrat, poste 11.22.<br />

— Logistique : Pascal Colin, poste 11.48.<br />

— Bâtiment <strong>et</strong> maintenance : Stéphane Lallias, poste 13.28.<br />

— Logistique électricité : Jean Mangin d’Hermantin, poste 11.28.<br />

Régisseurs<br />

(postes 10.35 <strong>et</strong> 19.74) : Gilles Debonne.<br />

Denis Jacquin<strong>et</strong><br />

Miguel Monlouis.<br />

Bruno Pagesse.<br />

Francisco Val<strong>de</strong>rrama.<br />

Ateliers :<br />

— Peintres (poste 11.54) : Alain Deffoun.<br />

Roger Borne.<br />

— Plombiers (poste 11.57) : Mustapha Ghanes.<br />

Florian Phoudiah.<br />

— Menuisier (poste 11.53) : Christian Julien.<br />

— Serrurier-menuisier<br />

(poste 11.53) : Jean-Marc Séry.<br />

— Électriciens (poste 11.55) : Daniel Deï.<br />

Jean Gillot.<br />

Jean Mangin d’Hermantin.<br />

Pôle réseau VDI : Jean-François Choll<strong>et</strong>, poste 10.22.<br />

Christophe Trehen, poste 10.22.<br />

Van Trung Truong, poste 12.20.<br />

Téléphone/annuaire : Gordana Joaquim, poste 15.98.


992 INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES<br />

SERVICE HYGIÈNE ET SÉCURITÉ :<br />

Télécopie : 01.44.27.16.00.<br />

Coordinateur : Gilles Cottebrune, poste 14.98.<br />

Chef <strong>de</strong> service : Agathe Morel, poste 11.28.<br />

Secrétariat : Valérie Pautrat, poste 11.22.<br />

SERVICE INTÉRIEUR :<br />

Télécopie : 01.44.27.11.17.<br />

Chef <strong>de</strong> service : Catherine Campinchi, poste 11.05.<br />

Adjoints : Jedjiga Belhamri, postes 11.13/11.35.<br />

Françoise Chaslerie, postes 11.13/11.16.<br />

Daniel Espérandieu, poste 11.14/11.13.<br />

Lydie Guingnier, poste 12.75/11.13.<br />

Intendance annexes<br />

(Lemoine <strong>et</strong> Ulm) : Daniel Espérandieu, poste 11.74.<br />

Télécopie : 01.44.27.11.70.<br />

Loges - Concierges :<br />

— Site Berthelot : M. <strong>et</strong> M me Smith, poste 11.11.<br />

— Site Ulm : M. <strong>et</strong> M me Mégoeuil, poste 11.72.<br />

Télécopie : 01.44.27.11.85.<br />

— Site rue du<br />

Cardinal Lemoine : M. <strong>et</strong> M me Rigole, poste 11.63.<br />

Télécopie : 01.44.27.11.70.<br />

M. Gérard Eloire, poste 11.63.<br />

— Site Nogent : M. Thos, 01.45.14.15.15.<br />

— Site Meudon : M. Noton, 01.45.07.18.62.<br />

Accueil : Julie Chedly, poste 11.47.<br />

Marie-Jeanne Le Méhauté, poste 11.47.<br />

Fabienne Tramcourt, poste 19.72.<br />

Khaleed Benhammad, poste 19.72.<br />

Courrier - Reprographie<br />

(poste 11.19) : Francis Douglas.<br />

Bertrand Crepin.<br />

Marie-Line Morvany.


INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES 993<br />

Livraisons (poste 15.82/19.28) : Françoise Andre.<br />

Pierre Cheng Shao.<br />

Hervé Saint-Aur<strong>et</strong>.<br />

Magasinier<br />

(poste 15.97/19.78) : Soy Korn-Gentilini.<br />

Sécurité (poste 11.47) : Sandanam Marie Aroquiaradjo.<br />

Antony Lefevre.<br />

Chauffeurs : Romain P<strong>et</strong>ges, poste 10.88.<br />

Philippe Vasseur, poste 11.56.<br />

Chef <strong><strong>de</strong>s</strong> agents : Christian Le Bras, poste 11.49.<br />

Agents d’entr<strong>et</strong>ien<br />

(poste 19.14) : Marie-Line Ayela<br />

Khadija Azzedine.<br />

Hanisu Debr<strong>et</strong>sion.<br />

Mathil<strong>de</strong> Gago.<br />

Patricia Lemercier.<br />

Muriel Mathen.<br />

(poste 19.13) : Samir Aouabed.<br />

Madani Moudjeniba.<br />

Lingerie : Aurélie Palin, poste 17.24.<br />

AGENCE COMPTABLE<br />

Télécopie : 01.44.27.12.81<br />

Agent Comptable : Jean-Paul Guigny, poste 13.93.<br />

Adjointes : Marylène Lemarié, poste 11.37.<br />

Sylvie Lataguerra, poste 11.87.<br />

Assistantes : Inès Quillin, poste 13.92.<br />

DIRECTEUR HONORAIRE DES AFFAIRES CULTURELLES<br />

ET DES RELATIONS EXTÉRIEURES<br />

Jean-Pierre <strong>de</strong> Morant, [a, l, C. "].<br />

Pierre Develay, [a, O. "].<br />

Robert Pfau, [O. l, O. "].<br />

SECRÉTAIRES GÉNÉRAUX HONORAIRES


994 INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES<br />

SERVICE DES BIBLIOTHÈQUES ET DES ARCHIVES<br />

Chef <strong>de</strong> service : Marie-Renée Cazabon, conservatrice générale,<br />

poste 17.92.<br />

Télécopie : 01.44.27.17.93.<br />

Chef <strong>de</strong> service adjoint : Catherine Piganiol, conservatrice en chef,<br />

poste 17.97.<br />

Télécopie : 01.44.27.11.70.<br />

BIBLIOTHÈQUE GÉNÉRALE<br />

Directeur : Marie-Renée Cazabon, conservatrice générale,<br />

poste 17.92.<br />

Bibliothécaires : Carmen Alemany, poste 13.68<br />

(responsable section L<strong>et</strong>tres).<br />

Françoise Marqu<strong>et</strong>, poste 17.94 (périodiques).<br />

Julien Rabaud, poste 17.96<br />

(prêt entre bibliothèques).<br />

Jacqueline Soupault, poste 10.52<br />

(section Sciences).<br />

Documentalistes : Sandrine Mour<strong>et</strong>, poste 12.62<br />

(responsable section Sciences).<br />

Jos<strong>et</strong>te Come-Garry, poste 17.95<br />

(section Sciences).<br />

Magasiniers spécialisés : Daniel Adjedj, poste 14.05.<br />

Bastien Cazabon, poste 14.05.<br />

Secrétariat : Halimatou Maïga, poste 17.88.<br />

Claire Güttinger, poste 10.36.<br />

Évelyne Maury, poste 10.36.<br />

Institut d’égyptologie<br />

Télécopie : 01.44.27.10.44.<br />

ARCHIVES<br />

BIBLIOTHÈQUES SPÉCIALISÉES<br />

INSTITUTS D’ORIENT<br />

Directeur : Nicolas Grimal, professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />

poste 10.46.


INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES 995<br />

Bibliothèque : Marie-Catherine Koczorowski, poste 10.47.<br />

Dominique Lefèvre, poste 10.47.<br />

Elsa Rickal, poste 10.47.<br />

Archives : Olivier Perdu, poste 17.68.<br />

Institut du Proche-Orient Ancien<br />

Télécopie : 01.44.27.11.70.<br />

Directeur : Jean-Marie Durand, professeur<br />

au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, poste 16.04.<br />

Bibliothèque d’assyriologie<br />

Télécopie : 01.44.27.11.70<br />

Directeur : Jean-Marie Durand,<br />

professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, poste 16.04.<br />

Bibliothèque : Antoine Jacqu<strong>et</strong>, poste 10.43.<br />

Ilya Arkhipov, poste 10.43.<br />

Bibliothèque d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ouest-sémitiques<br />

Télécopie : 01.44.27.16.03.<br />

Bibliothèque : Catherine Fauveaud, poste 10.51.<br />

Bibliothèque d’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> christianismes orientaux<br />

Télécopie : 01.44.27.11.70.<br />

Directeur : Michel Tardieu, professeur<br />

au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, poste 10.34.<br />

Bibliothèque : Florence Jullien, poste 18.75.<br />

Ab<strong>de</strong>lla Khaldi, poste 18.75.<br />

Institut d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> arabes, turques <strong>et</strong> islamiques<br />

Télécopie : 01.44.27.11.70.<br />

Directeur : Gilles Veinstein, professeur<br />

au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, poste 17.80.<br />

Bibliothèque : Nasrine Rayati, poste 17.86.<br />

Institut d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> byzantines<br />

Télécopie : 01.44.27.11.70. <strong>et</strong> 18.85.<br />

Directeur : Jean-Clau<strong>de</strong> Cheyn<strong>et</strong>, poste 17.73.


996 INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES<br />

Bibliothèque : Catherine Piganiol, conservatrice en chef,<br />

poste 17.97.<br />

Marie-Hélène Blanch<strong>et</strong>, poste 17.97.<br />

Thierry Ganchou, poste 17.76.<br />

Georges Kiourtzian, poste 17.97.<br />

Institut d’Extrême-Orient<br />

Prési<strong>de</strong>nt : Pierre-Étienne Will, professeur<br />

au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, poste 10.06.<br />

Information scientifique : Hubert Delahaye, poste 18.48.<br />

Secrétariat : Christine Gibert, poste 10.98.<br />

Service général : Jean-François Raborio, poste 18.11.<br />

Civilisation indienne<br />

Télécopie : 01.44.27.18.54.<br />

Directeur : Gérard Fussman, professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />

poste 18.29.<br />

Bibliothèque : Christian Bouy, poste 18.07.<br />

Chantal Duhuy, poste 18.10.<br />

Publications : Isabelle Szelagowski, poste 18.28.<br />

Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> tibétaines<br />

Télécopie : 01.44.27.18.54.<br />

Directeur : Anne Chay<strong>et</strong>, poste 18.30.<br />

Bibliothèque : Jenny Ferreux, poste 18.30.<br />

Hautes étu<strong><strong>de</strong>s</strong> chinoises<br />

Télécopie : 01.44.27.18.54.<br />

Directeur : Pierre-Étienne Will,<br />

professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, poste 10.06.<br />

Bibliothèque : Lucienne Duriez, poste 18.09.<br />

Kiang Hua, poste 18.08.<br />

Gin<strong>et</strong>te Kotowicz, poste 18.09.<br />

Wing Fang Leung, poste 18.79.<br />

Chia-Chian Robez, poste 10.97.<br />

Esther Rosolato, poste 18.94.<br />

Denise Smith, poste 18.08.<br />

Delphine Spicq, poste 18.08.


INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES 997<br />

Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> coréennes<br />

Télécopie : 01.44.27.18.54.<br />

Directeur : Martine Prost, poste 18.32.<br />

Bibliothèque : Mi-Sug No, poste 18.14.<br />

Hautes étu<strong><strong>de</strong>s</strong> japonaises<br />

Télécopie : 01.44.27.18.54.<br />

Responsable : Sekiko P<strong>et</strong>itmangin-Matsusaki, poste 18.24.<br />

Bibliothèque : Nathalie Cazal, poste 18.06.<br />

AUTRES BIBLIOTHÈQUES<br />

Anthropologie sociale<br />

Télécopie : 01.44.27.17.66.<br />

Directeur : Philippe Descola, professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>France</strong>, poste 10.12.<br />

Bibliothèque : Marion Abélès, poste 17.46.<br />

Marie-Christine Vickridge, poste 17.64.<br />

Société asiatique<br />

Télécopie : 01.44.27.11.70.<br />

Directeur : Jean-Pierre Mahé, membre <strong>de</strong> l’Institut.<br />

Bibliothèque : Jeanne-Marie Allier, poste 18.04.


PROGRAMME DES COURS<br />

DE L’ANNÉE 2008 – 2009<br />

Les <strong>cours</strong>, accessibles à tous librement, sans inscription,<br />

dans la limite <strong><strong>de</strong>s</strong> places disponibles, commencent à partir du 1 er octobre 2008. Les<br />

auditeurs ne sont admis dans les salles que 20 minutes au plus tôt<br />

avant les <strong>cours</strong>.<br />

Le programme <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> <strong>et</strong> les modifications éventuelles sont communiqués<br />

sur intern<strong>et</strong> www.college-<strong>de</strong>-france.fr<br />

11, place Marcelin Berthelot, Paris V e – Tél. : 01 44 27 11 47<br />

I. SCIENCES MATHÉMATIQUES, PHYSIQUES ET NATURELLES<br />

Analyse <strong>et</strong> géométrie<br />

M. Alain Connes, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : Thermodynamique <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces non commutatifs, les jeudis, <strong>de</strong> 14 h 30<br />

à 16 h 30, salle 5 (ouverture : 8 janvier).<br />

Équations différentielles <strong>et</strong> systèmes dynamiques<br />

M. Jean-Christophe Yoccoz, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : Échanges d’intervalles affines, les mercredis, <strong>de</strong> 9 heures à 11 heures, salle<br />

<strong>de</strong> conférences, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 3 rue d’Ulm, Paris 5 e (ouverture : 12 novembre).<br />

Équations aux dérivées partielles <strong>et</strong> applications<br />

M. Pierre-Louis Lions, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> jeux <strong>de</strong> champ moyen <strong>et</strong> applications (suite), les vendredis,<br />

<strong>de</strong> 9 heures à 11 heures, salle 5 (ouverture : 24 octobre).<br />

Séminaire : Mathématiques appliquées, les vendredis, <strong>de</strong> 11 h 15 à 12 h 30, salle 5<br />

(ouverture : 24 octobre).


1000 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009<br />

Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres<br />

M. Don Zagier<br />

Cours : Topologie, combinatoire <strong>et</strong> formes modulaires, les lundis, <strong>de</strong> 16 h 15 à<br />

18 h 15, salle 2 (ouverture : 6 octobre).<br />

Le <strong>cours</strong> n’aura pas lieu.<br />

Physique quantique<br />

M. Serge Haroche, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Physique mésoscopique<br />

M. Michel Devor<strong>et</strong>, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : Circuits <strong>et</strong> signaux quantiques (II), les mardis, à 9 h 30, amphithéâtre<br />

Maurice Halbwachs (ouverture : 12 mai).<br />

Séminaire : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les mardis, à 11 heures, amphithéâtre<br />

Maurice Halbwachs (ouverture : 12 mai).<br />

Particules élémentaires, gravitation <strong>et</strong> cosmologie<br />

M. Gabriele Veneziano<br />

Cours : Gravitation <strong>et</strong> Cosmologie : le Modèle Standard, les vendredis, à<br />

9 h 45, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 9 janvier).<br />

Séminaire : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les vendredis, à 11 heures, amphithéâtre<br />

Maurice Halbwachs (ouverture : 9 janvier).<br />

Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan<br />

M. Édouard Bard<br />

Cours : Les <strong>cours</strong> auront lieu à l’étranger.<br />

Séminaire : Bilan scientifique <strong>de</strong> l’Année Polaire Internationale, sous la forme d’un<br />

symposium, le vendredi 15 mai, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong><br />

Navarre.<br />

Astrophysique observationnelle<br />

M. Antoine Labeyrie, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : Exo-planètes, étoiles <strong>et</strong> galaxies : progrès <strong>de</strong> l’observation, les<br />

mercredis, à 16 h 30, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 4 février).


PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009 1001<br />

Séminaire : Séminaire général d’astrophysique, les mercredis, à 17 h 30, amphithéâtre<br />

Maurice Halbwachs (ouverture : 4 février).<br />

Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> processus biologiques<br />

M. Marc Fontecave, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 26 mars, à 18 heures, amphithéâtre<br />

Marguerite <strong>de</strong> Navarre.<br />

Cours : La chimie du vivant : enzymes <strong>et</strong> métalloenzymes, <strong><strong>de</strong>s</strong> bio-catalyseurs<br />

fascinants, les mercredis, à 10 heures, salle 5 (ouverture : 1 er avril).<br />

Séminaire : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les mercredis, à 11 heures, salle 5<br />

(ouverture : 1 er avril).<br />

Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions moléculaires<br />

M. Jean-Marie Lehn, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : Autoorganisation <strong>et</strong> dynamique moléculaires (la date <strong>de</strong> l’ouverture <strong>et</strong><br />

la salle seront annoncées ultérieurement).<br />

Séminaire : Progrès récents en chimie moléculaire <strong>et</strong> supramoléculaire, (la date <strong>de</strong><br />

l’ouverture <strong>et</strong> la salle seront annoncées ultérieurement).<br />

Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée<br />

M. Jacques Livage, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : Les <strong>cours</strong> auront lieu à l’étranger.<br />

Séminaire : histoire <strong>de</strong> la chimie au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, sous la forme d’un colloque, le<br />

lundi 4 mai, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.<br />

Génétique humaine<br />

M. Jean-Louis Man<strong>de</strong>l, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : Maladies affectant les fonctions cognitives : progrès récents dans les<br />

approches génétiques, les mercredis 11, 18 <strong>et</strong> 25 mars, <strong>de</strong> 16 heures à 18 h 15,<br />

salle 2.<br />

Séminaire : Trinucleoti<strong>de</strong> repeat expansion diseases : from mechanisms to therapeutic<br />

strategies, sous la forme d’un colloque (la date <strong>et</strong> le lieu seront annoncés<br />

ultérieurement).


1002 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009<br />

Génétique <strong>et</strong> physiologie cellulaire<br />

M me Christine P<strong>et</strong>it, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : Localisation <strong>de</strong> la source sonore : traitement binaural du signal<br />

acoustique, les jeudis 11 <strong>et</strong> 18 décembre, 15 <strong>et</strong> 22 janvier, <strong>de</strong> 10 heures à 11 h 30,<br />

salle 2.<br />

Séminaire : Physiologie cochléaire : actualités, les jeudis 11 <strong>et</strong> 18 décembre,<br />

15 <strong>et</strong> 22 janvier, <strong>de</strong> 11 h 30 à 13 heures, salle 2.<br />

Biologie <strong>et</strong> génétique du développement<br />

M. Spyros Artavanis-Tsakonas<br />

Cours : Génétique du développement <strong>et</strong> Génomique fonctionnelle (une<br />

approche théorique <strong>et</strong> pratique), les jeudis 5, 12, 19 <strong>et</strong> 26 mars, <strong>de</strong> 14 heures à<br />

16 heures, amphithéâtre Guillaume Budé.<br />

Séminaire : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les vendredis 6, 13 <strong>et</strong> 20 mars, <strong>de</strong><br />

9 heures à 13 heures, amphithéâtre Guillaume Budé.<br />

Processus morphogénétiques<br />

M. Alain Prochiantz, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : Évolution du système nerveux : robustesse <strong>et</strong> plasticité, les lundis, à<br />

17 heures, amphithéâtre Guillaume Budé (ouverture : 6 octobre).<br />

Séminaire 1 : Formes, déformations, transformations, sous la forme d’un colloque<br />

organisé en commun avec la chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la Nature, le vendredi 20 mars,<br />

<strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.<br />

Séminaire 2 : Cartes cérébrales, sous la forme d’un colloque organisé en commun avec<br />

la chaire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> la Perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Action, le mardi 28 avril, <strong>de</strong> 9 heures à<br />

18 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.<br />

Immunologie moléculaire<br />

M. Philippe Kourilsky, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : Le soi <strong>et</strong> l’autre : compatibilité <strong>et</strong> incompatibilité immunologiques,<br />

les mercredis, <strong>de</strong> 17 heures à 19 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs<br />

(ouverture : 19 novembre).<br />

Séminaire : Symposium Bernard Halpern d’Immunologie, le jeudi 9 <strong>et</strong> le vendredi<br />

10 octobre, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre.


PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009 1003<br />

Microbiologie <strong>et</strong> maladies infectieuses<br />

M. Philippe Sanson<strong>et</strong>ti, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 20 novembre, à 18 heures, amphithéâtre<br />

Marguerite <strong>de</strong> Navarre<br />

Cours : Des microbes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes : guerre <strong>et</strong> paix aux surfaces muqueuses,<br />

les jeudis, <strong>de</strong> 16 heures à 17 h 30, salle 2 (ouverture : 27 novembre).<br />

Séminaire 1 : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les jeudis 27 novembre <strong>et</strong> 15 janvier,<br />

à 17 h 30, salle 2.<br />

Séminaire 2 : Seeing is believing : imaging infectious processes in vitro and in vivo,<br />

sous la forme d’un symposium, le lundi 27 avril, <strong>de</strong> 9 heures à 18 h 30, amphithéâtre<br />

Marguerite <strong>de</strong> Navarre.<br />

Psychologie cognitive expérimentale<br />

M. Stanislas Dehaene, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : L’inconscient cognitif <strong>et</strong> la profon<strong>de</strong>ur <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations subliminales,<br />

les mardis, à 9 h 30, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 6 janvier).<br />

Séminaire : «Neuro-économie», sous la forme d’un colloque organisé en commun avec<br />

la chaire Théorie économique <strong>et</strong> organisation sociale, le lundi 4 mai, <strong>de</strong> 9 heures à<br />

18 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre.<br />

Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action<br />

M. Alain Berthoz, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : Fon<strong>de</strong>ments cognitifs <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité : entre mémoire <strong>et</strong> anticipation, les<br />

mercredis, à 16 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 7 janvier).<br />

Séminaire 1 : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les mercredis, à 17 heures,<br />

amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 7 janvier).<br />

Séminaire 2 : Cartes cérébrales, sous la forme d’un colloque organisé en commun avec<br />

la chaire Processus morphogénétiques, le mardi 28 avril, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures,<br />

amphithéâtre Maurice Halbwachs.<br />

Séminaire 3 : Métiers <strong>et</strong> Travail, sous la forme d’un colloque, le lundi 22, mardi 23<br />

<strong>et</strong> le mercredi 24 juin, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong><br />

Navarre.<br />

Mé<strong>de</strong>cine expérimentale<br />

M. Pierre Corvol, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : Nouveaux pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> vasoactifs : adrénomédulline <strong>et</strong> urotensine, les<br />

lundis 12, 19 <strong>et</strong> 26 janvier, <strong>de</strong> 17 heures à 19 heures, amphithéâtre Guillaume<br />

Budé.


1004 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009<br />

Séminaire : Les élèves <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Bernard : continuité <strong>de</strong> pensée <strong>et</strong> évolutions<br />

disciplinaires, sous la forme d’un symposium, le lundi 30 mars, <strong>de</strong> 9 heures à<br />

18 heures, amphithéâtre Guillaume Budé.<br />

Biologie historique <strong>et</strong> évolutionnisme<br />

M. Armand <strong>de</strong> Ricqlès<br />

Cours : 1) L’adaptation secondaire <strong><strong>de</strong>s</strong> tétrapo<strong><strong>de</strong>s</strong> à la vie aquatique (suite <strong>et</strong><br />

fin) : Diapsida, Chelonia ; 2) Problèmes d’actualité, les vendredis, à 16 heures,<br />

amphithéâtre Guillaume Budé (ouverture : 9 janvier).<br />

Séminaire : Cent cinquante ans après « l’Origine <strong><strong>de</strong>s</strong> espèces » : du darwinisme <strong>de</strong><br />

Darwin à l’évolutionnisme contemporain, sous la forme d’un colloque, le mercredi 10, le<br />

jeudi 11 <strong>et</strong> le vendredi 12 juin, <strong>de</strong> 9 heure à 18 heures, amphithéâtre Maurice<br />

Halbwachs.<br />

Paléontologie humaine<br />

M. Michel Brun<strong>et</strong><br />

Cours : Les hominidés anciens… Une nouvelle histoire à la lumière <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

découvertes récentes, les jeudis, à 10 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre<br />

(ouverture : 26 mars).<br />

Séminaire : en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les jeudis, à 11 heures, amphithéâtre<br />

Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 26 mars).<br />

II. SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET SOCIOLOGIQUES<br />

Philosophie du langage <strong>et</strong> <strong>de</strong> la connaissance<br />

M. Jacques Bouveresse<br />

Cours : Dans le labyrinthe : nécessité, contingence <strong>et</strong> liberté chez Leibniz, les<br />

mercredis, à 14 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 7 janvier).<br />

Séminaire : Usages <strong>de</strong> Wittgenstein, les mercredis, à 16 h 30, salle 5 (ouverture :<br />

7 janvier).


PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009 1005<br />

Philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences biologiques <strong>et</strong> médicales<br />

M me Anne Fagot-Largeault, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : Ontologie du <strong>de</strong>venir (3), les jeudis, <strong>de</strong> 10 h 30 à 12 h 30, amphithéâtre<br />

Maurice Halbwachs (ouverture : 29 janvier).<br />

Séminaire 1 : La biologie <strong>de</strong> synthèse, sous la forme d’un colloque international en<br />

collaboration avec le Professeur. C. Galperin <strong>de</strong> l’Université Lille 3, le jeudi 14 mai, <strong>de</strong><br />

9 heures à 18 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.<br />

Séminaire 2 : les méthodologies <strong>de</strong> recherche en psychiatrie, sous la forme d’une série<br />

<strong>de</strong> séminaires à raison <strong>de</strong> 3 heures par mois (la salle <strong>et</strong> les dates seront annoncées<br />

ultérieurement).<br />

Anthropologie <strong>de</strong> la nature<br />

M. Philippe Descola<br />

Cours : Ontologie <strong><strong>de</strong>s</strong> images, les mercredis, à 14 heures, amphithéâtre<br />

Guillaume Budé (ouverture : 4 mars).<br />

Séminaire : Formes, déformations, transformations, sous la forme d’un colloque<br />

organisé en commun avec la chaire Processus morphogénétiques, le vendredi 20 mars, <strong>de</strong><br />

9 heures à 18 heures, dans l’amphithéâtre Maurice Halbwachs.<br />

Théorie économique <strong>et</strong> organisation sociale<br />

M. Roger Guesnerie<br />

Cours : L’équilibre général, le panorama actuel (suite <strong>et</strong> fin), les mercredis, à<br />

16 h 30, amphithéâtre Guillaume Budé (ouverture : 15 octobre).<br />

Séminaire 1 : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les mercredis, à 17 h 30,<br />

amphithéâtre Guillaume Budé (ouverture : 22 octobre).<br />

Séminaire 2 : « Neuro-économie », sous la forme d’un colloque organisé en commun<br />

avec la chaire <strong>de</strong> Psychologie cognitive <strong>et</strong> expérimentale, le lundi 4 mai, <strong>de</strong> 9 heures à<br />

18 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre.<br />

Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine du politique<br />

M. Pierre Rosanvallon<br />

Le <strong>cours</strong> n’aura pas lieu.


1006 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009<br />

Écrit <strong>et</strong> cultures dans l’europe mo<strong>de</strong>rne<br />

M. Roger Chartier<br />

Cours : Circulations textuelles <strong>et</strong> pratiques culturelles dans l’Europe <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

XVI e -XVIII e siècles. Car<strong>de</strong>nio II. Entre Cervantès, Shakespeare <strong>et</strong> Theobald, les<br />

jeudis, <strong>de</strong> 10 heures à 12 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture :<br />

23 octobre).<br />

Séminaire : La fabrique du texte. Écriture, publication <strong>et</strong> lecture aux XVI e <strong>et</strong><br />

XVII e siècles. Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> cas, les jeudis, <strong>de</strong> 16 heures à 18 heures, salle 4 (ouverture :<br />

30 octobre).<br />

Histoire contemporaine du mon<strong>de</strong> arabe<br />

M. Henry Laurens<br />

Cours : La question <strong>de</strong> Palestine à partir <strong>de</strong> 1969, les mercredis, <strong>de</strong> 15 heures à<br />

17 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 5 novembre).<br />

Séminaire : Autobiographie politique arabe, les mercredis, <strong>de</strong> 11 heures à 12 h 30,<br />

salle <strong>de</strong> conférences, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 3 rue d’Ulm, Paris 5 e (ouverture :<br />

5 novembre).<br />

Rationalité <strong>et</strong> sciences sociales<br />

M. Jon Elster<br />

Cours : Les décisions collectives, les jeudis, à 15 heures, amphithéâtre Guillaume<br />

Budé (ouverture : 15 janvier).<br />

Séminaire : en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les lundis, <strong>de</strong> 17 heures à 19 heures,<br />

salle 4 (ouverture : 9 mars).<br />

Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives <strong>et</strong> internationalisation du droit<br />

M me Mireille Delmas-Marty, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : Libertés <strong>et</strong> sûr<strong>et</strong>é dans un mon<strong>de</strong> dangereux, les mardis, à 14 h 30,<br />

amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 20 janvier).<br />

Séminaire : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, sous la forme d’une journée d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> (la<br />

date <strong>et</strong> la salle seront annoncées ultérieurement).


PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009 1007<br />

III. SCIENCES HISTORIQUES, PHILOLOGIQUES<br />

ET ARCHÉOLOGIQUES<br />

Civilisation pharaonique : archéologie, philologie, histoire<br />

M. Nicolas Grimal, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : Le temple d’Amon-Rê à Karnak : Héliopolis <strong>et</strong> l’Empire (suite), les<br />

lundis, à 14 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 5 janvier).<br />

Séminaire : Les annales <strong>de</strong> Thoutmosis III (suite), les lundis, à 15 heures,<br />

amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 5 janvier).<br />

Assyriologie<br />

M. Jean-Marie Durand<br />

Cours : Divination <strong>et</strong> pouvoir (suite), les jeudis, <strong>de</strong> 16 heures à 17 h 30,<br />

amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 5 février).<br />

Séminaire : Le jeune héros, sous la forme d’un colloque en commun avec la chaire<br />

Milieux bibliques, le lundi 6 <strong>et</strong> le mardi 7 avril, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre<br />

Guillaume Budé.<br />

Milieux bibliques<br />

M. Thomas Römer<br />

La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 5 février, à 18 heures, amphithéâtre<br />

Marguerite <strong>de</strong> Navarre<br />

Cours : La construction d’un ancêtre : la formation du cycle d’Abraham, les<br />

mercredis, à 14 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 11 février).<br />

Séminaire : Le jeune héros, sous la forme d’un colloque en commun avec la chaire<br />

d’Assyriologie, le lundi 6 <strong>et</strong> le mardi 7 avril, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre<br />

Guillaume Budé.<br />

Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong> achéméni<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’empire d’alexandre<br />

M. Pierre Briant<br />

Le <strong>cours</strong> n’aura pas lieu.


1008 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009<br />

Épigraphie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> cités grecques<br />

M. Denis Knoepfler, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : Le fédéralisme antique en question : renouveau <strong>et</strong> transformation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

confédérations hellénistiques sous la domination <strong>de</strong> Rome, les vendredis, à<br />

9 h 45, salle 2 (ouverture : 13 février).<br />

Séminaire : Documents anciens <strong>et</strong> nouveaux sur le fonctionnement <strong><strong>de</strong>s</strong> États Fédéraux<br />

en Grèce <strong>et</strong> en Asie Mineure, les vendredis, à 11 heures, salle 1 (ouverture :<br />

13 février).<br />

Religion, institutions <strong>et</strong> société <strong>de</strong> la rome antique<br />

M. John Scheid<br />

Cours : La religion, la cité, l’individu. La piété chez les Romains, les jeudis, à<br />

14 h 30, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 30 octobre).<br />

Séminaire : Les paysages religieux. À propos <strong><strong>de</strong>s</strong> inventaires <strong>de</strong> lieux <strong>de</strong> culte (Italie,<br />

Afrique, Gaule <strong>et</strong> Chine), sous la forme d’un colloque, le jeudi 9 avril, <strong>de</strong> 9 heures à<br />

18 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.<br />

Langues <strong>et</strong> religions indo-iraniennes<br />

M. Jean Kellens<br />

Cours : La notion d’âme préexistante, les vendredis, à 9 h 30, salle 2 (ouverture :<br />

21 novembre).<br />

Séminaire : Lecture <strong>de</strong> textes en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les vendredis, à<br />

11 heures, salle 2 (ouverture : 21 novembre).<br />

Histoire du mon<strong>de</strong> indien<br />

M. Gérard Fussman<br />

Cours <strong>et</strong> séminaire : Lecture du texte sanskrit du Vimalakirtinir<strong><strong>de</strong>s</strong>ha (suite),<br />

les mardis, <strong>de</strong> 15 heures à 17 heures, salle 7 (ouverture : 6 janvier).<br />

Histoire intellectuelle <strong>de</strong> la Chine<br />

Mme Anne Cheng<br />

La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 11 décembre, à 18 heures, amphithéâtre<br />

Marguerite <strong>de</strong> Navarre<br />

Cours : Confucius revisité : textes anciens, nouveaux dis<strong>cours</strong>, les mercredis, à<br />

11 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 14 janvier).


PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009 1009<br />

Séminaire : Lectures <strong>de</strong> textes <strong>et</strong> exposés en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les jeudis, à<br />

17 heures, salle 1 (ouverture : 15 janvier).<br />

Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne<br />

M. Pierre-Étienne Will<br />

Cours : Documents autobiographiques <strong>et</strong> histoire, 1640-1930, les mercredis, à<br />

14 heures, salle 2 (ouverture : 21 janvier).<br />

Séminaire : Les manuels d’administration <strong>de</strong> la Chine impériale : conclusions <strong>et</strong><br />

comparaisons, sous la forme d’un colloque, le jeudi 4 <strong>et</strong> le vendredi 5 juin, dans la<br />

salle 4.<br />

Antiquités nationales<br />

M. Christian Goudineau<br />

Cours : La Gaule au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> la conquête césarienne, les lundis (tous les<br />

quinze jours), <strong>de</strong> 14 h 30 à 16 h 30, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture :<br />

6 octobre).<br />

Séminaire : Actualité <strong>de</strong> la recherche, les lundis (tous les quinze jours), <strong>de</strong> 14 h 30 à<br />

16 h 30, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 27 octobre).<br />

Histoire turque <strong>et</strong> ottomane<br />

M. Gilles Veinstein<br />

Cours : Les esclaves du Sultan dans l’Empire ottoman, les mardis, à 14 h 30,<br />

amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 6 janvier).<br />

Séminaire : La supplique (arz-u hal), outil administratif <strong>et</strong> diplomatique dans<br />

l’Empire ottoman, les mardis, à 16 heures, salle 4 (ouverture : 6 janvier).<br />

Littératures <strong>de</strong> la france médiévale<br />

M. Michel Zink, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : Non pedum passibus, sed <strong><strong>de</strong>s</strong>i<strong>de</strong>riis quaeritur Deus (Saint Bernard).<br />

Que cherchaient les quêteurs du Graal ?, les jeudis, à 10 h 30, amphithéâtre<br />

Guillaume Budé (ouverture : 4 décembre).<br />

Séminaire 1 : en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les jeudis, à 11 h 30, amphithéâtre<br />

Guillaume Budé (ouverture : 4 décembre).


1010 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009<br />

Séminaire 2 : Lire un livre vieilli, du Moyen Âge à nos jours, sous la forme d’un<br />

colloque, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, le jeudi 2 avril, salle 5 <strong>et</strong> le vendredi 3 avril,<br />

Amphithéâtre Guillaume Budé.<br />

Littérature française mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine :<br />

histoire, critique, théorie<br />

M. Antoine Compagnon<br />

Cours : Écrire la vie : Montaigne, Stendhal, Proust, les mardis, à 16 h 30,<br />

amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 6 janvier).<br />

Séminaire : Témoigner, les mardis, à 17 h 30, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre<br />

(ouverture : 6 janvier).<br />

Littératures mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’europe néolatine<br />

M. Carlo Ossola<br />

Le <strong>cours</strong> n’aura pas lieu.<br />

Histoire <strong>de</strong> l’art européen médiéval <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne<br />

M. Roland Recht, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />

Cours : L’image médiévale, les vendredis, <strong>de</strong> 10 heures à 12 heures, amphithéâtre<br />

Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 31 octobre).<br />

Séminaire : Les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> en histoire <strong>de</strong> l’art : bilan actuel, sous la forme d’un colloque<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux journées, les lundis 18 mai <strong>et</strong> 25 mai, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre<br />

Maurice Halbwachs.<br />

Chaire <strong>de</strong> création artistique<br />

Pierre-Laurent Aimard, professeur associé, pianiste<br />

La leçon inaugurale aura lieu le 22 janvier, à 18 heures, amphithéâtre Marguerite<br />

<strong>de</strong> Navarre <strong>et</strong> portera sur : Rôle <strong>et</strong> responsabilités <strong>de</strong> l’interprète aujourd’hui.<br />

Cours : Paramètres <strong>et</strong> dimensions <strong>de</strong> l’interprétation musicale, les mercredis<br />

18 février, 11, 18 mars, 8 avril, 6, 13 <strong>et</strong> 27 mai, à 18 heures, amphithéâtre Marguerite<br />

<strong>de</strong> Navarre.<br />

Séminaire : Élaboration d’une interprétation, les 5, 14, 25 <strong>et</strong> 28 mai, à 18 heures,<br />

amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre.


PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009 1011<br />

Chaire européenne – Développement durable<br />

M. Henri Leridon, professeur associé,<br />

professeur à l’Institut national d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> démographiques<br />

La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 5 mars, à 18 heures, amphithéâtre Marguerite<br />

<strong>de</strong> Navarre <strong>et</strong> portera sur : De la croissance zéro au développement durable.<br />

Cours : Démographie, fin <strong>de</strong> la transition, les mercredis, à 10 heures,<br />

amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 18 mars)<br />

Séminaire 1 : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les mercredis 8, 29 avril <strong>et</strong> 6 mai, à<br />

11 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.<br />

Séminaire 2 : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, sous la forme d’un colloque<br />

international, le jeudi 4 <strong>et</strong> le vendredi 5 juin, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre<br />

Maurice Halbwachs.<br />

Chaire internationale – Savoirs contre pauvr<strong>et</strong>é<br />

Mme Esther Duflo, professeure associée,<br />

professeure au Massachus<strong>et</strong>ts Institute of Technology, Cambridge, USA<br />

La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 8 janvier, à 18 heures, amphithéâtre<br />

Marguerite <strong>de</strong> Navarre <strong>et</strong> portera sur : Expérience, science <strong>et</strong> lutte contre la<br />

pauvr<strong>et</strong>é.<br />

Cours : Pauvr<strong>et</strong>é <strong>et</strong> développement dans le mon<strong>de</strong>, les lundis, <strong>de</strong> 17 heures à<br />

19 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture le 12 janvier).<br />

Séminaire : Évaluation <strong><strong>de</strong>s</strong> politiques <strong>de</strong> lutte contre la pauvr<strong>et</strong>é, sous la forme d’un<br />

colloque, le lundi 8 <strong>et</strong> le mardi 9 juin, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre<br />

Marguerite <strong>de</strong> Navarre.<br />

Chaire d’Innovation Technologique – Liliane B<strong>et</strong>tencourt<br />

M. Mathias Fink, professeur associé, membre <strong>de</strong> l’Institut,<br />

professeur à l’École supérieure <strong>de</strong> physique <strong>et</strong> chimie industrielles<br />

La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 12 février, à 18 heures, amphithéâtre<br />

Marguerite <strong>de</strong> Navarre <strong>et</strong> portera sur : Renversement du temps, on<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong><br />

innovation.<br />

Cours : On<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> images, les lundis, à 16 heures, amphithéâtre Maurice<br />

Halbwachs (ouverture : 2 mars).<br />

Séminaire : On<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> Images, les lundis, à 17 heures, amphithéâtre Maurice<br />

Halbwachs (ouverture : 2 mars).


Université d’amiens<br />

PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009 1013<br />

ENSEIGNEMENT À L’EXTÉRIEUR<br />

EN FRANCE<br />

M. Jacques Livage (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée)<br />

donnera en novembre-décembre 2008, 3 <strong>cours</strong> sur : Bio-inspired materials.<br />

Université <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux<br />

M. Jacques Livage (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée)<br />

donnera 3 <strong>cours</strong> sur : Le chimiste à l’école <strong>de</strong> la nature.<br />

Université <strong>de</strong> Dijon<br />

M. Christian Goudineau (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Antiquités nationales) donnera<br />

au printemps 2009, 6 <strong>cours</strong> sur : Questions relatives à la société <strong>et</strong> l’économie <strong>de</strong><br />

la Gaule.<br />

Université Louis Pasteur<br />

M. Jean-Marie Lehn (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions<br />

moléculaires) donnera en décembre 2008 — janvier 2009, 3 <strong>cours</strong> sur :<br />

Autoorganisation moléculaire <strong>et</strong> supramoléculaire <strong>et</strong> 7 séminaires, d’octobre 2008 à<br />

juin 2009, sur : Progrès récents en chimie moléculaire <strong>et</strong> supramoléculaire.<br />

Université Marc Bloch <strong>de</strong> Strasbourg<br />

M. John Scheid (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Religion, institutions <strong>et</strong> société <strong>de</strong> la<br />

Rome antique) donnera en février 2009, 4 séminaires sur : Les réformes d’Auguste.<br />

Forme <strong>et</strong> contenu.<br />

Institut <strong>de</strong> recherche pour le développement <strong>et</strong> université <strong>de</strong> la Nouvelle-<br />

Calédonie<br />

M. Édouard Bard (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> l’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan)<br />

donnera en août 2008, 3 <strong>cours</strong> sur : 1) Événements climatiques rapi<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong><br />

leur expression dans l’océan ; 2) Activité solaire <strong>et</strong> forçage climatique ;<br />

3) Changement climatique <strong>et</strong> niveau marin <strong>et</strong> 4 séminaires sur : Changement<br />

climatique <strong>et</strong> niveau marin.


1014 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009<br />

ALLEMAGNE<br />

Université <strong>de</strong> Bonn 1*<br />

À L’ÉTRANGER<br />

M. Pierre Corvol (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine expérimentale) donnera en<br />

mai 2009, 1 <strong>cours</strong> sur : Tumoral Angiogenesis.<br />

AUTRICHE<br />

Université <strong>de</strong> Vienne<br />

M. Michel Zink (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale)<br />

donnera du 15 au 29 avril 2009, 2 <strong>cours</strong> <strong>et</strong> 2 séminaires sur : « Lecture du Graal ».<br />

BELGIQUE<br />

Université Libre <strong>de</strong> Bruxelles*<br />

M me Mireille Delmas-Marty (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques <strong>et</strong><br />

internationalisation du droit) donnera à partir du 16 décembre 2008, 4 <strong>cours</strong> sur :<br />

Les valeurs universelles en questions : le « laboratoire européen ».<br />

M me Anne Fagot-Largeault (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences<br />

biologiques <strong>et</strong> médicales) donnera au printemps 2009, 3 <strong>cours</strong> sur : Ontologie du<br />

<strong>de</strong>venir.<br />

Université <strong>de</strong> Liège<br />

M. Antoine Labeyrie (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Astrophysique observationnelle)<br />

donnera au printemps 2009, 3 <strong>cours</strong> sur : L’émergence <strong><strong>de</strong>s</strong> hypertélescopes pour<br />

mieux voir les étoiles <strong>et</strong> l’univers lointain <strong>et</strong> 3 séminaires sur : Astrophysique.<br />

BRÉSIL<br />

Instituto <strong>de</strong> Matematica Pura e Aplicada - Rio <strong>de</strong> Janeiro<br />

M. Jean-Christophe Yoccoz (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong><strong>de</strong>s</strong> Équations différentielles <strong>et</strong><br />

systèmes dynamiques) donnera en janvier 2009, une série <strong>de</strong> 16 <strong>cours</strong> sur : Quelques<br />

résultats récents dans la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes dynamiques.<br />

* Dans le cadre d’une convention signée avec le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.


CANADA<br />

Université du Québec*<br />

PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009 1015<br />

M. Gilles Veinstein (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Histoire turque <strong>et</strong> ottomane) donnera<br />

du 29 septembre au 11 octobre 2008, 4 <strong>cours</strong> sur : Introduction aux institutions<br />

<strong>de</strong> l’État ottoman <strong>et</strong> 4 séminaires sur : Étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> documents d’archive ottomans<br />

(XVI e -XVIII e s.)<br />

CHINE<br />

City University of Hong Kong*<br />

M. Jean-Marie Lehn (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions<br />

moléculaires) donnera en octobre 2008, 3 <strong>cours</strong> sur : Molecular and Supramolecular<br />

Self-Organization.<br />

Université <strong>de</strong> Pékin<br />

Mme Christine P<strong>et</strong>it (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Génétique <strong>et</strong> Physiologie cellulaire)<br />

donnera au printemps 2009, 4 <strong>cours</strong> sur : Hereditary <strong>de</strong>afness – Molecular<br />

physiology of the cochlea.<br />

ESPAGNE<br />

Université Complutense <strong>de</strong> Madrid<br />

M. Roger Chartier (titulaire <strong>de</strong> la Chaire Ecrit <strong>et</strong> cultures dans l’Europe mo<strong>de</strong>rne)<br />

donnera 2 <strong>cours</strong> sur : Culture écrite <strong>et</strong> littérature au Siècle d’Or.<br />

ÉTATS-UNIS<br />

Université <strong>de</strong> Californie – San Diego<br />

M. Philippe Descola (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la nature) donnera<br />

en octobre 2008, 1 séminaire sur : Complex relationships.<br />

Université <strong>de</strong> Chicago*<br />

M. Philippe Descola (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la nature) donnera<br />

en octobre 2008, 2 <strong>cours</strong> <strong>et</strong> 2 séminaires sur : The institution of beings.


1016 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009<br />

Université Harvard<br />

M. Philippe Descola (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la nature) donnera<br />

en novembre 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : The anthropology of images.<br />

Université <strong>de</strong> Princ<strong>et</strong>on<br />

M. Philippe Descola (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la nature) donnera<br />

en novembre 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : Towards a monist anthropology.<br />

M. Pierre-Etienne Will (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne)<br />

donnera en novembre 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : Are there Political Resources for<br />

Democratic Institutions in Chinese History <strong>et</strong> 1 séminaire sur : The Penal Co<strong>de</strong><br />

and its Commentaries in the Ming and Qing Dynasties.<br />

Reed College – Portland<br />

M. Philippe Descola (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la nature) donnera<br />

en octobre 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : Anthropology and ontology <strong>et</strong> 1 séminaire sur :<br />

New trends in the anthropology of nature.<br />

Université Stanford<br />

M. Michel Zink (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale)<br />

donnera du 5 au 13 mars 2009, 2 séminaires sur : « Chercher Dieu <strong>et</strong> le Graal ».<br />

Woods Hole Oceanographic Institution – Massachus<strong>et</strong>ts<br />

M. Édouard Bard (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan)<br />

donnera en octobre 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : The last <strong>de</strong>glaciation.<br />

Université Yale – New Haven<br />

M. Michel Devor<strong>et</strong> (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Physique mésoscopique) donnera<br />

les 6, 8 <strong>et</strong> 13 octobre 2008, 3 <strong>cours</strong> sur : Quantum Noise in Mesoscopic Systems.<br />

INDE<br />

Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong> l’In<strong>de</strong> – Bangalore<br />

M. Marc Fontecave (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> processus biologiques)<br />

donnera en mai 2009, 3 <strong>cours</strong> <strong>et</strong> 3 séminaires sur : Chimie du vivant : enzymes <strong>et</strong><br />

m<strong>et</strong>alloenzymes (Biological chemistry : enzymes and m<strong>et</strong>alloenzymes).


ISRAËL<br />

PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009 1017<br />

Institute for Advanced Studies – Jerusalem*<br />

M. Gabriele Veneziano (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Particules élémentaires,<br />

gravitation <strong>et</strong> cosmologie) donnera entre le 15 mars <strong>et</strong> le 3 avril 2009, 3 <strong>cours</strong> <strong>et</strong><br />

3 séminaires sur : Transplanckian Scattering : A Gedanken Experiment for 21st<br />

Century Physics ?<br />

Université Hébraïque <strong>de</strong> Jérusalem*<br />

M. John Scheid (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Religion, institutions <strong>et</strong> société <strong>de</strong> la<br />

Rome antique) donnera en mars 2009, 2 <strong>cours</strong> sur : Statut civique <strong>et</strong> obligation<br />

religieuse.<br />

ITALIE<br />

Université <strong>de</strong> Gènes<br />

M. Alain Berthoz (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l’action) donnera 1 <strong>cours</strong> sur : Peut-on donner une i<strong>de</strong>ntité à un humanoï<strong>de</strong> ?<br />

Université <strong>de</strong> Naples « L’Orientale »<br />

M. Gérard Fussman (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Histoire du mon<strong>de</strong> indien) donnera<br />

en décembre 2008, 4 <strong>cours</strong> sur : Pour une nouvelle histoire <strong>de</strong> l’In<strong>de</strong>.<br />

Université « La Sapienza » <strong>de</strong> Rome - Istituto italiano per l’Africa e l’Oriente<br />

M. Jean Kellens (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> religions indo-iraniennes)<br />

donnera au printemps 2009, 3 <strong>cours</strong> sur : L’Avestique ancien à la lumière du corpus<br />

récent : question <strong>de</strong> chronologie relative <strong>et</strong> 3 séminaires en relation avec le <strong>cours</strong>.<br />

Université <strong>de</strong> Sienne<br />

M. Alain Berthoz (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l’action) donnera 1 <strong>cours</strong> sur : Fon<strong>de</strong>ments cognitifs <strong>et</strong> pathologie <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité.<br />

PORTUGAL<br />

Université <strong>de</strong> Coimbra – Institut <strong>de</strong> systèmes <strong>et</strong> robotique<br />

M. Alain Berthoz (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l’action) donnera 1 <strong>cours</strong> sur : Problèmes communs entre Robotique <strong>et</strong><br />

Neurosciences : la relation entre perception <strong>et</strong> action.


1018 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009<br />

SUÈDE<br />

Université d’Uppsala*<br />

M. Jean-Marie Lehn (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions<br />

moléculaires) donnera en juin 2009, 4 <strong>cours</strong> sur : From Supramolecular Chemistry<br />

towards Adaptative Chemistry.<br />

M. Pierre Corvol (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine expérimentale) donnera en<br />

mars 2009, 2 <strong>cours</strong> sur : 1) Angiotensin and hematopoiesis ; 2) Angiogenic effects<br />

of vasoactive pepti<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />

SUISSE<br />

Université <strong>de</strong> Berne<br />

M. Édouard Bard (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan)<br />

donnera au printemps 2009, 10 <strong>cours</strong> sur : Changements climatiques brusques <strong>et</strong><br />

glaciations.<br />

TCHÉQUIE<br />

Université Charles – Prague*<br />

M. Jean-Marie Lehn (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions<br />

moléculaires) donnera en septembre 2008, 4 <strong>cours</strong> sur : Molecular and<br />

Supramolecular Chemistry – Towards Self-Organization.<br />

M. Michel Zink (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale)<br />

donnera du 30 avril au 7 mai 2009, 2 <strong>cours</strong> <strong>et</strong> 2 séminaires sur : Qu’est-ce que la<br />

quête du Graal ?<br />

TUNISIE<br />

Université <strong>de</strong> Tunis<br />

M. Jacques Livage (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée)<br />

donnera en février 2009, 3 <strong>cours</strong> sur : Chimie douce <strong>et</strong> matériaux.


Table <strong><strong>de</strong>s</strong> matières<br />

Le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ................................................................................ 5<br />

Chronique <strong>de</strong> l’année académique 2007-2008 ........................................... 69<br />

Nécrologie ................................................................................................. 71<br />

Résumés <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> <strong>et</strong> <strong>travaux</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs<br />

pour l’année académique 2007-2008 ............................................... 75<br />

I. Sciences mathématiques, physiques <strong>et</strong> naturelles ................................ 75<br />

Analyse <strong>et</strong> Géométrie (M. Alain Connes) ................................................. 77<br />

Équations différentielles <strong>et</strong> systèmes dynamiques<br />

(M. Jean-Christophe Yoccoz) ............................................................. 87<br />

Équations aux dérivées partielles <strong>et</strong> applications (M. Pierre-Louis Lions) ... 95<br />

Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres (M. Don Zagier) ..................................................... 105<br />

Physique quantique (M. Serge Haroche) .................................................. 115<br />

Physique mésoscopique (M. Michel Devor<strong>et</strong>) .......................................... 127<br />

Particules élémentaires, gravitation <strong>et</strong> cosmologie (M. Gabriele Veneziano) 135<br />

Géodynamique (M. Xavier Le Pichon) ..................................................... 143<br />

Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan (M. Édouard Bard)................................ 149


1020 TABLE DES MATIÈRES<br />

Astrophysique observationnelle (M. Antoine Labeyrie) ............................. 163<br />

Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions moléculaires (M. Jean-Marie Lehn) ..................... 169<br />

Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée (M. Jacques Livage) ................................. 187<br />

Génétique humaine (M. Jean-Louis Man<strong>de</strong>l) ........................................... 195<br />

Génétique <strong>et</strong> physiologie cellulaire (M me Christine P<strong>et</strong>it) ......................... 217<br />

Biologie <strong>et</strong> génétique du développement (M. Spyros Artavanis-Tsakonas) 245<br />

Processus morphogénétiques (M. Alain Prochiantz) ................................ 253<br />

Immunologie moléculaire (M. Philippe Kourilsky) .................................. 267<br />

Psychologie cognitive expérimentale (M. Stanislas Dehaene) .................... 277<br />

Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action (M. Alain Berthoz) ................. 303<br />

Mé<strong>de</strong>cine expérimentale (M. Pierre Corvol)............................................. 329<br />

Biologie historique <strong>et</strong> évolutionnisme (M. Armand <strong>de</strong> Ricqlès) ................ 349<br />

Paléontologie humaine (M. Michel Brun<strong>et</strong>) ............................................. 375<br />

II. Sciences philosophiques <strong>et</strong> sociologiques ......................................... 393<br />

Philosophie du langage <strong>et</strong> <strong>de</strong> la connaissance (M. Jacques Bouveresse) ..... 395<br />

Philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences biologiques <strong>et</strong> médicales<br />

(M me Anne Fagot-Largeault) ............................................................ 407<br />

Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> syncrétismes <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> l’Antiquité (M. Michel Tardieu) ...... 435<br />

Anthropologie <strong>de</strong> la nature (M. Philippe Descola) ................................... 447<br />

Chaire théorie économique <strong>et</strong> organisation sociale (M. Roger Guesnerie) .. 449<br />

Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine du politique (M. Pierre Rosanvallon) 459<br />

Écrit <strong>et</strong> cultures dans l’Europe mo<strong>de</strong>rne (M. Roger Chartier) .................. 469<br />

Histoire contemporaine du mon<strong>de</strong> arabe (M. Henry Laurens) .................. 497<br />

Rationalité <strong>et</strong> sciences sociales (M. Jon Elster) ......................................... 505<br />

Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives <strong>et</strong> internationalisation du droit<br />

(Mireille Delmas-Marty) ................................................................... 521


TABLE DES MATIÈRES 1021<br />

III. Sciences historiques, philologiques <strong>et</strong> archéologiques .................... 547<br />

Civilisation pharaonique : archéologie, philologie, histoire<br />

(M. Nicolas Grimal) ........................................................................... 549<br />

Assyriologie (M. Jean-Marie Durand) ....................................................... 565<br />

Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong> achéméni<strong>de</strong><strong>et</strong> <strong>de</strong> l’empire d’Alexandre<br />

(M. Pierre Briant) .............................................................................. 581<br />

Épigraphie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> cités grecques (M. Denis Knoepfler) ................ 593<br />

Religion, institutions <strong>et</strong> société <strong>de</strong> la Rome antique (M. John Scheid) ....... 621<br />

Langues <strong>et</strong> religions indo-iraniennes (M. Jean Kellens) ............................ 639<br />

Histoire du mon<strong>de</strong> indien (M. Gérard Fussman) ....................................... 643<br />

Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne (M. Pierre-Étienne Will) ............................ 651<br />

Antiquités nationales (M. Christian Goudineau) ...................................... 673<br />

Histoire turque <strong>et</strong> ottomane (M. Gilles Veinstein) .................................... 679<br />

Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale (M. Michel Zink) ................................ 705<br />

Littérature française mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine :<br />

histoire, critique, théorie (M. Antoine Compagnon) ........................... 723<br />

Littératures mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’Europe néolatine (M. Carlo Ossola) ................ 741<br />

Étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la création littéraire en langue anglaise (M. Michael Edwards) .... 755<br />

Histoire <strong>de</strong> l’art européen médiéval <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne (M. Roland Recht) .......... 777<br />

IV. Chaires annuelles .............................................................................. 779<br />

Chaire <strong>de</strong> création artistique (M me Ariane Mnouchkine) ......................... 781<br />

Chaire européenne (M. Manfred Kropp) ................................................... 783<br />

Chaire internationale (M. Pierre Magistr<strong>et</strong>ti) ......................................... 803<br />

Chaire d’innovation technologique-Liliane B<strong>et</strong>tencourt<br />

(M. Gérard Berry) .............................................................................. 821


1022 TABLE DES MATIÈRES<br />

Professeurs honoraires (activités, publications) .................................... 847<br />

Enseignement <strong><strong>de</strong>s</strong> Professeurs en province <strong>et</strong> à l’étranger ............... 883<br />

Cours <strong>et</strong> conférences sur invitation <strong>de</strong> l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs 889<br />

Cours <strong>et</strong> conférences (<strong>résumés</strong>) ............................................................ 893<br />

Les équipes accueillies au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ..................................... 933<br />

Maîtres <strong>de</strong> conférences <strong>et</strong> ater rattachés au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

en 2007-2008 ...................................................................................... 977<br />

Personnel du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ......................................................... 979<br />

Instances statutaires <strong>et</strong> administratives du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ....... 987<br />

Programme <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année académique 2008-2009.................... 999<br />

Table <strong><strong>de</strong>s</strong> matières ...................................................................................... 1019


Conception graphique, mise en page <strong>et</strong> impression<br />

bialec, nancy (<strong>France</strong>)<br />

Dépôt légal n° 69755 - décembre 2008

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