résumés des cours et travaux - Collège de France
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ANNUAIRE<br />
DU<br />
COLLÈGE DE FRANCE<br />
2007-2008<br />
RÉSUMÉ<br />
DES COURS ET TRAVAUX<br />
108 e année<br />
PARIS<br />
11, place Marcelin-Berthelot (V e )
Photo couverture : Statue <strong>de</strong> Guillaume Budé (1467-1540)<br />
à l’origine <strong>de</strong> la fondation du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
(par M. Bourgeois, 1880)<br />
La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes <strong><strong>de</strong>s</strong> alinéas 2 <strong>et</strong> 3 <strong>de</strong> l’article 41, d’une<br />
part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste <strong>et</strong><br />
non <strong><strong>de</strong>s</strong>tinées à une utilisation collective » <strong>et</strong>, d’autre part, que les analyses <strong>et</strong> les courtes<br />
citations dans un but d’exemple <strong>et</strong> d’illustration, « toute représentation ou reproduction<br />
intégrale, ou partielle, faite sans le consentement <strong>de</strong> l’auteur ou <strong>de</strong> ses ayants droit ou ayants<br />
cause, est illicite » (alinéa 1 er <strong>de</strong> l’article 40).<br />
C<strong>et</strong>te représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc<br />
une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 <strong>et</strong> suivants du Co<strong>de</strong> pénal.<br />
© <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 2008,<br />
ISSN 0069-5580<br />
ISBN 978-2-7226-0082-9
LE COLLÈGE DE FRANCE<br />
QUELQUES DONNÉES SUR SON HISTOIRE<br />
ET SON CARACTÈRE PROPRE<br />
I. LES ORIGINES<br />
Les lecteurs royaux. — Le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> doit son origine à l’institution<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> lecteurs royaux par le roi François I er , en 1530.<br />
L’Université <strong>de</strong> Paris avait alors le monopole <strong>de</strong> l’enseignement dans toute<br />
l’étendue <strong>de</strong> son ressort. Attachée à ses traditions comme à ses privilèges, elle se<br />
refusait aux innovations. Ses quatre facultés : Théologie, Droit, Mé<strong>de</strong>cine, Arts,<br />
prétendaient embrasser tout ce qu’il y avait d’utile <strong>et</strong> <strong>de</strong> licite en fait d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> savoir. Le latin était la seule langue dont on fît usage. Les sciences proprement<br />
dites, sauf la mé<strong>de</strong>cine, se réduisaient en somme au quadrivium du moyen âge.<br />
L’esprit étroit <strong>de</strong> la scolastique déca<strong>de</strong>nte y régnait universellement. Les écoles <strong>de</strong><br />
Paris étaient surtout <strong><strong>de</strong>s</strong> foyers <strong>de</strong> dispute. On y argumentait assidûment ; on y<br />
apprenait peu <strong>de</strong> chose. Et il semblait bien difficile que c<strong>et</strong>te corporation, jalouse<br />
<strong>et</strong> fermée, pût se réformer par elle-même ou se laisser réformer.<br />
Pourtant, un esprit nouveau, l’esprit <strong>de</strong> la Renaissance, se répandait à travers<br />
l’Europe. Les intelligences s’ouvraient à <strong><strong>de</strong>s</strong> curiosités inédites. Quelques précurseurs<br />
faisaient savoir quels trésors <strong>de</strong> pensée étaient contenus dans ces chefs-d’œuvre <strong>de</strong><br />
l’Antiquité, que l’imprimerie avait commencé <strong>de</strong> propager. On se reprochait <strong>de</strong> les<br />
avoir ignorés ou méconnus. On <strong>de</strong>mandait <strong><strong>de</strong>s</strong> maîtres capables <strong>de</strong> les interpréter<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> les commenter. Sous l’influence d’Érasme, un généreux mécène flamand,<br />
Jérôme Buslei<strong>de</strong>n, venait <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>r à Louvain, en 1518, un <strong>Collège</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> trois langues,<br />
où l’on traduisait <strong><strong>de</strong>s</strong> textes grecs, latins, hébreux, au grand scandale <strong><strong>de</strong>s</strong> aveugles<br />
champions d’une tradition sclérosée. L’Université <strong>de</strong> Paris restait étrangère à ce<br />
mouvement.<br />
François I er , conseillé par le savant humaniste Guillaume Budé, « maître <strong>de</strong> sa<br />
librairie », ne s’attarda pas à la convaincre. Il institua en 1530, en vertu <strong>de</strong> son
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autorité souveraine, six lecteurs royaux, <strong>de</strong>ux pour le grec, Pierre Danès <strong>et</strong><br />
Jacques Toussaint ; trois pour l’hébreu, Agathias Guidacerius, François Vatable<br />
<strong>et</strong> Paul Paradis ; un pour les mathématiques, Oronce Finé ; puis, un peu plus<br />
tard, en 1534, un autre lecteur, Barthélémy Masson (Latomus), pour l’éloquence<br />
latine. Les langues orientales autres que l’hébreu firent leur entrée au <strong>Collège</strong> avec<br />
Guillaume Postel (1538-1543), l’arabe en particulier, avec Arnoul <strong>de</strong> L’isle<br />
(1587-1613).<br />
Le succès justifia c<strong>et</strong>te heureuse initiative. Les auditeurs affluèrent auprès <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
nouveaux maîtres. Par là, un coup mortel venait d’être porté aux arguties stériles,<br />
aux discussions à coups <strong>de</strong> syllogismes, aux recueils artificiels qui avaient trop<br />
longtemps tenu la place <strong><strong>de</strong>s</strong> textes eux-mêmes. Par l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> langues, on remontait<br />
aux sources. On y r<strong>et</strong>rouvait le pur jaillissement d’une pensée libre <strong>et</strong> fécon<strong>de</strong>.<br />
Ainsi naquit le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>. Ne relevant que du roi, dégagés <strong><strong>de</strong>s</strong> entraves<br />
qu’imposaient aux maîtres <strong>de</strong> l’Université les statuts d’une corporation trois fois<br />
séculaire, affranchis <strong><strong>de</strong>s</strong> traditions <strong>et</strong> <strong>de</strong> la routine, novateurs par <strong><strong>de</strong>s</strong>tination, les<br />
lecteurs royaux furent, pendant tout le xvi e siècle, les meilleurs représentants <strong>de</strong> la<br />
science française. Le <strong>Collège</strong>, pourtant, n’avait pas encore <strong>de</strong> domicile à lui. Il ne<br />
constituait même pas une corporation distincte, à proprement parler ; il n’existait,<br />
comme personne morale, que par le groupement <strong>de</strong> ses maîtres sous le patronage<br />
du grand aumônier du roi. Mais son unité résultait <strong>de</strong> leur indépendance même.<br />
Et déjà, il assurait son avenir par la valeur <strong>et</strong> l’influence <strong>de</strong> quelques-uns d’entre<br />
eux, tels qu’Adrien Turnèbe, Pierre Ramus, Jean Dorat, Denis Lambin, Jean<br />
Passerat, comme aussi par la reconnaissance qu’ils inspiraient à d’illustres auditeurs,<br />
un Joachim du Bellay, un Ronsard, un Baïf, un Jacques Amyot. Leurs métho<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
d’enseignement étaient variées. Les uns faisaient surtout œuvre <strong>de</strong> critiques <strong>et</strong><br />
d’éditeurs <strong>de</strong> textes ; d’autres commentaient, quelquefois éloquemment, comme<br />
Pierre Ramus, les orateurs ou les philosophes, les historiens ou les poètes <strong>de</strong><br />
l’antiquité classique. Tous, ou presque tous, étaient vraiment <strong><strong>de</strong>s</strong> initiateurs en<br />
même temps que <strong><strong>de</strong>s</strong> érudits.<br />
II. LE DÉVELOPPEMENT HISTORIQUE<br />
C<strong>et</strong>te bonne renommée <strong>de</strong> l’institution royale se soutint pendant les xvii e <strong>et</strong><br />
xviii e siècles. Le <strong>Collège</strong> vit alors se préciser son organisation <strong>et</strong> s’accroître ses<br />
chaires, au nombre d’une vingtaine à la fin <strong>de</strong> l’Ancien Régime.<br />
Depuis le xvii e siècle, les lecteurs royaux forment vraiment un corps, symbolisé<br />
par l’apparition, sur les affiches <strong>de</strong> <strong>cours</strong>, du nom définitif, sous sa forme latine :<br />
Collegium regium Galliarum. En 1610, le proj<strong>et</strong> d’une <strong>de</strong>meure propre, élaboré<br />
sous Henri IV, connaît un début <strong>de</strong> réalisation : Louis XIII, âgé <strong>de</strong> 9 ans, pose la<br />
première pierre du <strong>Collège</strong> royal. Mais c’est seulement à la fin du xviii e siècle que<br />
Chalgrin le mènera à terme sur <strong><strong>de</strong>s</strong> plans entièrement remaniés ; les lecteurs royaux
possè<strong>de</strong>nt désormais, sur la place <strong>de</strong> Cambrai, un lieu spécifique où enseigner <strong>et</strong><br />
relèvent directement du secrétaire d’État chargé <strong>de</strong> la Maison du roi.<br />
En 1772, une décision royale réorganise entièrement la répartition <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires<br />
<strong>de</strong> manière à intégrer les enseignements novateurs : physique <strong>de</strong> Newton, turc <strong>et</strong><br />
persan, syriaque, droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens, mécanique, littérature française,<br />
histoire, histoire naturelle, chimie — à côté <strong><strong>de</strong>s</strong> domaines <strong>de</strong> recherche déjà en<br />
place : mé<strong>de</strong>cine, anatomie, arabe, philosophie grecque, langue grecque, éloquence<br />
latine, poésie latine, droit canon, hébreu, mathématiques.<br />
Le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> semble viser à justifier l’ambitieuse <strong>de</strong>vise <strong>de</strong> son blason :<br />
Doc<strong>et</strong> omnia <strong>et</strong>, <strong>de</strong> fait, il a « vocation à tout enseigner ».<br />
En même temps, son ouverture au mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> l’originalité <strong>de</strong> sa conception lui<br />
valent, presque seul entre les institutions <strong>de</strong> l’Ancien Régime, d’être épargné par la<br />
Révolution ; <strong>et</strong>, malgré plusieurs proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> réformation qui n’aboutirent pas, il se<br />
r<strong>et</strong>rouve au temps <strong>de</strong> l’Empire, <strong>et</strong> par-<strong>de</strong>là, tel qu’il était auparavant, bénéficiant<br />
même d’une liberté accrue : la loi du 11 floréal an X (1 er mai 1802) lui accor<strong>de</strong> en<br />
eff<strong>et</strong> l’initiative <strong>de</strong> présentation <strong><strong>de</strong>s</strong> candidats, à l’origine <strong>de</strong> l’actuel système <strong>de</strong><br />
cooptation. La souplesse <strong>de</strong> son organisation va lui perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> s’adapter sans<br />
peine à <strong><strong>de</strong>s</strong> conceptions changeantes <strong>et</strong> <strong>de</strong> se prêter à tous les progrès.<br />
Ainsi s’expliquent son extension considérable au <strong>cours</strong> du xix e siècle <strong>et</strong> son rôle<br />
dans le développement d’un grand nombre <strong>de</strong> sciences. En fait, sous une apparence<br />
inchangée, il a subi une réelle transformation qui se continue au xx e siècle. Elle<br />
s’est accomplie, comme il est naturel, en accord intime avec celle qui se produisait<br />
simultanément au-<strong>de</strong>hors dans presque tous les ordres <strong>de</strong> connaissance. Mais il est<br />
à noter que, très souvent, c’est le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> qui a frayé ou élargi les voies<br />
nouvelles, <strong>et</strong> qu’il continue <strong>de</strong> le faire.<br />
Pour compléter <strong>et</strong> préciser les données précé<strong>de</strong>ntes, on pourra se reporter à l’ouvrage<br />
d’Abel Lefranc, intitulé Histoire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Paris, 1893 ; au livre<br />
jubilaire Le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, publié en 1932, où vingt-cinq notices ont été consacrées<br />
à l’histoire <strong>de</strong> l’enseignement donné au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> dans les principales disciplines<br />
<strong>de</strong> l’ordre littéraire <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’ordre scientifique ; à la Revue <strong>de</strong> l’Enseignement supérieur<br />
qui a publié, sous la plume <strong>de</strong> Marcel Bataillon, dans son n o 2 <strong>de</strong> 1962 (p. 1 à 50)<br />
un aperçu <strong>de</strong> l’histoire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, <strong>de</strong> son fonctionnement institutionnel <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> ses moyens d’action ; à la conférence d’ Yves Laporte publiée en 1990 sous forme<br />
<strong>de</strong> plaqu<strong>et</strong>te par le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ; à Christophe Charle <strong>et</strong> Éva Telkès, Les<br />
Professeurs du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, dictionnaire biographique 1901-1939, Institut<br />
national <strong>de</strong> Recherche pédagogique <strong>et</strong> Éditions du CNRS, Paris, 1988 ; Christophe<br />
Charle, « Le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> », dans Les lieux <strong>de</strong> mémoire, sous la direction <strong>de</strong><br />
Pierre Nora, II : La Nation, t. 3, p. 389-424. En 1998 est également publié le livre<br />
Les origines du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (1500-1560), sous la direction <strong>de</strong> Marc Fumaroli,<br />
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aux Éditions Klincksieck, <strong>et</strong> en 2006 le premier tome <strong>de</strong> l’Histoire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong> : I. La Création 1530-1560, sous la direction d’André Tuilier, avec une<br />
préface <strong>de</strong> Marc Fumaroli, aux Éditions Fayard.<br />
III. LES CHAIRES DU COLLÈGE DE FRANCE<br />
DEPUIS LE XIX e SIÈCLE<br />
Antiquité grecque <strong>et</strong> romaine. — Dans la chaire <strong>de</strong> Langue <strong>et</strong> littérature<br />
grecques où s’étaient illustrés Jean-Baptiste Gail (1791-1829) <strong>et</strong> Jean-François<br />
Boissona<strong>de</strong> (1829-1855), Jean-Pierre Rossignol (1855-1892) eut comme<br />
successeurs Maurice Crois<strong>et</strong> (1893-1930) <strong>et</strong> Émile Bourgu<strong>et</strong> (1932-1938). Une<br />
chaire d’Épigraphie <strong>et</strong> antiquités grecques a été instituée en 1877, <strong>et</strong> occupée<br />
successivement par Paul Foucart (1877-1926), Maurice Holleaux (1927-1932)<br />
<strong>et</strong> Louis Robert (1939-1974). Une chaire dénommée La Grèce <strong>et</strong> la formation <strong>de</strong><br />
la pensée morale <strong>et</strong> politique a été créée en 1973 pour M me Jacqueline <strong>de</strong> Romilly,<br />
première femme à occuper une chaire au <strong>Collège</strong> (1973-1984), puis transformée,<br />
en 1984, en chaire <strong>de</strong> Tradition <strong>et</strong> critique <strong><strong>de</strong>s</strong> textes grecs pour M. Jean Irigoin<br />
(1986-1992). — Gabriel Mill<strong>et</strong>, qui occupa <strong>de</strong> 1926 à 1937 la chaire d’Esthétique<br />
<strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art, l’orienta vers l’étu<strong>de</strong> du byzantinisme, auquel fut consacrée une<br />
chaire d’Archéologie paléo-chrétienne <strong>et</strong> byzantine pour André Grabar (1946-1966)<br />
puis une chaire d’Histoire <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> Byzance pour Paul Lemerle (1967-1973) ;<br />
elle est <strong>de</strong>venue Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong> byzantin pour M. Gilbert Dagron<br />
<strong>de</strong> 1975 à 2001. En 1992, a été créée une chaire d’Histoire économique <strong>et</strong> monétaire<br />
<strong>de</strong> l’Orient hellenistique pour M. Georges Le Ri<strong>de</strong>r (1993-1998), <strong>et</strong> en 2002, une<br />
chaire d’Épigraphie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> cités grecques occupée par M. Denis Knoepfler à<br />
partir <strong>de</strong> 2003.<br />
Une chaire <strong>de</strong> Philosophie grecque <strong>et</strong> latine eut comme titulaires Édouard<br />
Bosquillon (1775-1814), Jean-François Thurot (1814-1832), Théodore<br />
Jouffroy (1832-1837), Jules Barthélémy Saint-Hilaire (1838-1852), Émile<br />
Saiss<strong>et</strong> (chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> 1853-1857), Charles Lévêque (chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> 1857-1860,<br />
titulaire 1861-1900), Henri Bergson (1900-1904). Une chaire d’Histoire <strong>de</strong> la<br />
pensée hellénistique <strong>et</strong> romaine a été créée en 1981 pour M. Pierre Hadot (1982-<br />
1991).<br />
Pour l’enseignement du latin, <strong>de</strong>ux chaires existaient <strong>de</strong>puis l’Ancien Régime :<br />
l’Éloquence latine, tenue successivement par Pierre Gueroult (1809-1816),<br />
Jean-Louis Burnouf (1817-1844), Désiré Nisard (1844-1852), Wilhelm Rinn<br />
(1853-1854), Ernest Hav<strong>et</strong> (1854-1885), <strong>et</strong> la Poésie Latine, par Jacques Delille<br />
(1778-1813), Pierre-François Tissot (1813-1821), Joseph Naud<strong>et</strong> (1821-1830),<br />
Pierre-François Tissot à nouveau (1830-1854), Charles-Augustin <strong>de</strong> Sainte-Beuve<br />
(1854-1869) qui, toutefois, ne put jamais enseigner. La prédominance <strong>de</strong> curiosités<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles se manifesta par la transformation <strong>de</strong> la chaire d’Éloquence
latine en Philologie latine, avec pour titulaire Louis Hav<strong>et</strong> (1885-1925), <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />
Poésie latine en Histoire <strong>de</strong> la littérature latine, occupée par Gaston Boissier (1869-<br />
1906) <strong>et</strong> Paul Monceaux (1907-1934). Ces enseignements ont été complétés par<br />
ceux <strong>de</strong> disciplines qui attestaient l’élargissement <strong>de</strong> l’horizon scientifique ; une<br />
chaire d’Épigraphie <strong>et</strong> antiquités romaines, créée en 1861, pour Léon Renier (1861-<br />
1885) a été occupée par Ernest Desjardins (1886), <strong>et</strong> ensuite par René Cagnat<br />
(1887-1930), puis, sous le titre élargi <strong>de</strong> Civilisation romaine, par Eugène Albertini<br />
(1932-1941), André Piganiol (1942-1954), <strong>et</strong> Jean Gagé (1955-1972) ; elle est<br />
<strong>de</strong>venue, <strong>de</strong> 1975 à 1999, Histoire <strong>de</strong> Rome pour M. Paul Veyne. Une chaire<br />
d’Histoire <strong>de</strong> l’Afrique du Nord, où furent spécialement étudiées les pério<strong><strong>de</strong>s</strong> romaine<br />
<strong>et</strong> post-romaine, a eu pour titulaire Stéphane Gsell (1912-1932). Une chaire<br />
d’Histoire <strong>de</strong> la langue latine, occupée par Alfred Ernout (1944-1951), a été<br />
transformée en 1951 en chaire <strong>de</strong> Littérature latine pour Pierre Courcelle (1951-<br />
1980). En 2000, une chaire intitulée Religion, institutions <strong>et</strong> société <strong>de</strong> la Rome<br />
antique a été créée pour M. John Scheid <strong>et</strong> est occupée <strong>de</strong>puis 2001.<br />
Une chaire <strong>de</strong> Numismatique <strong>de</strong> l’Antiquité <strong>et</strong> du Moyen Âge, inaugurée en 1908<br />
par Ernest Babelon, a été transformée, en 1924, en une chaire <strong>de</strong> Numismatique<br />
<strong>de</strong> l’Antiquité, que Théodore Reinach a occupée jusqu’en 1928.<br />
Philosophie. — Un enseignement <strong>de</strong> Philosophie mo<strong>de</strong>rne créé en 1874 a été<br />
assuré par Jean Nourrisson (1874-1899), Gabriel Tar<strong>de</strong> (1900-1904), Henri<br />
Bergson (1904-1921), Édouard Le Roy (1921-1940), Louis Lavelle (1941-1951),<br />
Maurice Merleau-Ponty (1952-1961). En 1962, fut créée une chaire <strong>de</strong> Philosophie<br />
<strong>de</strong> la connaissance pour Jules Vuillemin qui l’occupa jusqu’en 1990. Une chaire<br />
d’Histoire <strong>de</strong> la philosophie au Moyen Âge, tenue <strong>de</strong> 1932 à 1950 par Étienne Gilson,<br />
a été remplacée par une chaire d’Histoire <strong>et</strong> technologie <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes philosophiques<br />
pour Martial Guéroult (1951-1962), <strong>et</strong> dénommée ensuite chaire d’Histoire <strong>de</strong> la<br />
pensée philosophique pour Jean Hyppolite (1963-1968). C<strong>et</strong>te chaire a été<br />
transformée en chaire d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> pensée pour Michel Foucault<br />
(1970-1984), puis, <strong>de</strong> 1985 à 1990, en chaire d’Épistémologie comparative pour<br />
M. Gilles-Gaston Granger. Une chaire <strong>de</strong> Philosophie du langage <strong>et</strong> <strong>de</strong> la connaissance,<br />
créée en 1994, est occupée <strong>de</strong>puis 1995 par M. Jacques Bouveresse.<br />
En 1999, ont été créées une chaire <strong>de</strong> Philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences biologiques <strong>et</strong><br />
médicales pour M me Anne Fagot-Largeault <strong>et</strong> une chaire <strong>de</strong> Philosophie <strong>et</strong> histoire<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> concepts scientifiques pour M. Ian Hacking (2001-2006).<br />
Linguistique générale. — L’enseignement <strong>de</strong> la Grammaire comparée fut<br />
inauguré au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> par Michel Bréal (1866-1905), qui eut pour<br />
successeurs Antoine Meill<strong>et</strong> (1906-1936) <strong>et</strong> Émile Benveniste (1937-1972).<br />
Pendant un temps s’y trouva rattaché un Laboratoire <strong>de</strong> phonétique expérimentale,<br />
dont le premier directeur fut l’abbé Rousselot ; une chaire <strong>de</strong> Phonétique<br />
expérimentale fut occupée par ce savant <strong>de</strong> 1923 à 1924. Une chaire <strong>de</strong> Théorie<br />
linguistique est créée en 1986 pour M. Clau<strong>de</strong> Hagège (1988-2006).<br />
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Langues, histoire <strong>et</strong> littératures occi<strong>de</strong>ntales. — L’enseignement <strong>de</strong> la<br />
Littérature française fut d’abord représenté par Antoine <strong>de</strong> Cournand (1784-1814)<br />
<strong>et</strong> Stanislas Andrieux (1814-1833). Ce fut le début d’une tradition à laquelle se<br />
rattachent les noms <strong>de</strong> Jean-Jacques Ampère (1833-1864), <strong>de</strong> Louis <strong>de</strong> Loménie<br />
(1864-1878), <strong>de</strong> Paul Albert (1878-1880), d’Émile Deschanel (1881-1903),<br />
d’Abel Lefranc (1904-1937). La chaire a été transformée en une chaire <strong>de</strong> Poétique,<br />
occupée par Paul Valéry (1937-1945), puis en une chaire d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> créations<br />
littéraires en <strong>France</strong> pour Jean Pommier (1946-1964). C<strong>et</strong>te chaire a été ensuite<br />
consacrée à l’enseignement <strong>de</strong> la Littérature française mo<strong>de</strong>rne ; elle a été occupée<br />
par M. Georges Blin <strong>de</strong> 1965 à 1988. Une chaire <strong>de</strong> Sémiologie littéraire a été créée<br />
pour Roland Barthes (1976-1980). En 1986, a été créée une chaire intitulée<br />
Rhétorique <strong>et</strong> société en Europe (xvi e -xvii e siècles) pour M. Marc Fumaroli (1987-<br />
2002) ; <strong>et</strong> une chaire <strong>de</strong> Littératures mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’Europe néolatine a été créée pour<br />
M. Carlo Ossola en 1998. En 2005 sont créées une chaire <strong>de</strong> Littérature française<br />
mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine : histoire, critique, théorie, occupée à partir <strong>de</strong> 2006 par<br />
M. Antoine Compagnon, <strong>et</strong> une chaire intitulée Écrit <strong>et</strong> culture dans l’Europe<br />
mo<strong>de</strong>rne, occupée <strong>de</strong>puis 2006 par M. Roger Chartier.<br />
Une chaire spécialement consacrée à la Langue <strong>et</strong> littérature françaises du Moyen<br />
Âge, a été inaugurée par Paulin Paris (1853-1872), qui eut pour successeurs Gaston<br />
Paris (1872-1903), puis Joseph Bédier (1903-1936). Remplacée ensuite par une<br />
chaire d’Histoire du vocabulaire français occupée par Mario Roques (1937-1946),<br />
elle a été rétablie sous son ancien titre pour Félix Lecoy, <strong>de</strong> 1947 à 1974, puis en<br />
1993 sous le titre <strong>de</strong> Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale pour M. Michel Zink.<br />
En 1905, une chaire d’Histoire <strong>et</strong> antiquités nationales s’y ajouta pour Camille<br />
Jullian (1905-1930), tenue ensuite par Albert Grenier (1936-1948).<br />
En 1964, a été créée une chaire d’Archéologie <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> la Gaule pour<br />
Paul-Marie Duval (1964-1982), transformée en 1983 en chaire d’Antiquités<br />
nationales pour M. Christian Goudineau.<br />
D’autre part, <strong>de</strong>ux chaires nouvelles instituées en 1925 <strong>et</strong> en 1932, concernaient<br />
l’Europe médiévale : l’une, occupée par Edmond Faral (1925-1954), s’intitulait<br />
Littérature latine du Moyen Âge, l’autre déjà mentionnée en philosophie, fut occupée<br />
par Étienne Gilson, <strong>de</strong> 1932 à 1950. En 1969 a été créée une chaire d’Histoire<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés médiévales pour Georges Duby, <strong>de</strong>venue en 1991 Histoire <strong>de</strong> l’occi<strong>de</strong>nt<br />
méditerranéen au Moyen Âge pour M. Pierre Toubert, qui l’a occupée <strong>de</strong> 1992 à<br />
2003.<br />
Consacrée à l’activité extérieure <strong>de</strong> la <strong>France</strong>, une chaire, fondée par les principales<br />
colonies d’alors, a été occupée sous le titre d’Histoire coloniale par Alfred Martineau<br />
(1921-1935), puis, sous le titre d’Histoire <strong>de</strong> la colonisation, par Edmond<br />
Chassigneux (1939-1946), <strong>et</strong> ensuite, sous le titre d’Histoire <strong>de</strong> l’expansion <strong>de</strong><br />
l’Occi<strong>de</strong>nt, par Robert Montagné (1948-1954).
Enfin a été créée, en 1984, une chaire d’Histoire <strong>de</strong> la <strong>France</strong> contemporaine, pour<br />
M. Maurice Agulhon, qui l’a occupée jusqu’en 1997.<br />
La chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> littératures slaves fut inaugurée en 1840 par le poète<br />
polonais, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong>, Adam Mickiewicz (1840-1852) puis par Cyprien<br />
Robert (chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> 1852-1857) <strong>et</strong> Alexandre Chodzko (chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />
1857-1883), <strong>et</strong> occupée plus tard par Louis Léger (1885-1923), André Mazon<br />
(1923-1951) <strong>et</strong> André Vaillant (1952-1962). En 1992 a été créée une chaire<br />
d’Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine du mon<strong>de</strong> russe pour M. François-Xavier<br />
Coquin (1993-2001).<br />
Une chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’Europe méridionale, qui eut pour titulaires<br />
successifs Edgar Quin<strong>et</strong> (<strong>de</strong> 1841 à 1852 <strong>et</strong> <strong>de</strong> 1870 à 1875), Paul Meyer (1876-<br />
1906), Alfred Morel-Fatio (1907-1924), a été rétablie, en 1925, sous le titre<br />
d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> littératures comparées <strong>de</strong> l’Europe méridionale <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Amérique latine<br />
pour Paul Hazard (1925-1944). Depuis, <strong>de</strong>ux <strong><strong>de</strong>s</strong> domaines qu’elle recouvrait ont<br />
été distingués par la création, en 1945 <strong>et</strong> en 1946, <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux chaires consacrées l’une<br />
aux Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> la péninsule ibérique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Amérique latine, tenue par<br />
Marcel Bataillon (1945-1965), puis par Israël Révah (1966-1973) ; l’autre à<br />
l’Histoire <strong>de</strong> la civilisation italienne pour Augustin Renaud<strong>et</strong> <strong>de</strong> 1946 à 1950,<br />
transformée en chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> civilisation italienne pour André Pézard <strong>de</strong><br />
1951 à 1963. En 1992, une chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> littératures romanes a été créée<br />
pour M. Harald Weinrich, qui l’occupa jusqu’en 1998.<br />
Une chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique eut pour premiers<br />
titulaires Philarète Chasles (1841-1873) <strong>et</strong> Guillaume Guizot (1874-1892).<br />
Celui-ci fut suppléé par Jean-Jules Jusserand, puis par Arthur Chuqu<strong>et</strong>, qui<br />
<strong>de</strong>vint titulaire <strong>de</strong> la chaire en 1893 <strong>et</strong> l’occupa jusqu’en 1925. Lui succédèrent<br />
Charles Andler (1926-1933), Ernest Tonnelat (1934-1948), Fernand Mossé<br />
(1949-1956), <strong>et</strong> Robert Min<strong>de</strong>r <strong>de</strong> 1957 à 1973. En 1984 a été créée une chaire<br />
<strong>de</strong> Grammaire <strong>et</strong> pensée alleman<strong><strong>de</strong>s</strong>, pour M. Jean-Marie Zemb, qui l’occupa<br />
jusqu’en 1998.<br />
Une chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> littératures celtiques a été occupée par Henry d’arbois<br />
<strong>de</strong> Jubainville (1882-1910) puis par Joseph Loth (1910-1930).<br />
Une chaire <strong>de</strong> Civilisation américaine, créée en 1931, pour Bernard Faÿ (révoqué<br />
en 1945), a été transformée pour Marcel Giraud, <strong>de</strong> 1947 à 1971, en chaire<br />
d’Histoire <strong>de</strong> la civilisation <strong>de</strong> l’Amérique du Nord.<br />
Une chaire d’Étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la création littéraire en langue anglaise a été créée en 2001<br />
pour M. Michael Edwards (2003-2008).<br />
Langues, histoires <strong>et</strong> littératures orientales. — L’enseignement <strong>de</strong><br />
l’Hébreu, le plus ancien <strong>de</strong> tous, donné par Étienne Quatremère (1819-1857),<br />
puis par Louis Dubeux (chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> 1857-1861), a été illustré ensuite par<br />
Ernest Renan (1862-1864 <strong>et</strong> 1870-1892), par Salomon Munk (1864-1867) <strong>et</strong> par<br />
11
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Philippe Berger (1893-1910). Celui <strong>de</strong> l’Araméen a été assuré par Rubens Duval<br />
(1895-1907). Après un long intervalle, une chaire intitulée Hébreu <strong>et</strong> Araméen a<br />
été instituée <strong>de</strong> 1963 à 1971 pour André Dupont-Sommer ; puis pour André<br />
Caquot <strong>de</strong> 1972 à 1994. Une chaire d’Épigraphie <strong>et</strong> antiquités sémitiques a été<br />
créée pour Charles Clermont-Ganneau (1890-1923), une autre d’Histoire<br />
ancienne <strong>de</strong> l’Orient sémitique a été occupée par Isidore Lévy (1932-1941) <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
1995 à 2001, une chaire d’Antiquités sémitiques occupée par M. Javier Teixidor.<br />
L’égyptologie a fait son entrée au <strong>Collège</strong> avec son fondateur, Jean-François<br />
Champollion (1831-1832), dans une chaire d’Archéologie tenue ensuite par<br />
Jean-Antoine L<strong>et</strong>ronne (1837-1848), puis par Charles Lenormant (1849-1859).<br />
Elle <strong>de</strong>vint chaire <strong>de</strong> Philologie <strong>et</strong> archéologie égyptiennes avec Emmanuel <strong>de</strong> Rougé<br />
(1860-1872) <strong>et</strong> Gaston Maspero (1874-1916), fut reprise par Alexandre Mor<strong>et</strong><br />
(1923-1938), <strong>et</strong> occupée successivement par Pierre Lacau (1938-1947), Pierre<br />
Mont<strong>et</strong> (1948-1956), Étienne Drioton (1957-1960), <strong>et</strong> Georges Posener (1961-<br />
1978). Elle a subsisté sous le titre d’Égyptologie pour M. Jean Leclant (1979-1990),<br />
puis pour M. Jean Yoyotte (1991-1997). En 1999, une chaire <strong>de</strong> Civilisation<br />
pharaonique : archéologie, philologie, histoire a été créée pour M. Nicolas Grimal.<br />
L’enseignement <strong>de</strong> l’assyriologie a été ouvert aussi par un fondateur, Jules Oppert<br />
(1874-1905), dans une chaire <strong>de</strong> Philologie <strong>et</strong> archéologie assyriennes où lui a succédé<br />
Charles Fossey (1906-1939). Après un intervalle, il a été repris par Édouard<br />
Dhorme (1945-1951) sous le titre <strong>de</strong> Philologie <strong>et</strong> archéologie assyro-babyloniennes<br />
<strong>et</strong> poursuivi sous celui d’Assyriologie par René Labat <strong>de</strong> 1952 à 1974, puis par<br />
M. Paul Garelli, <strong>de</strong> 1986 à 1995 <strong>et</strong> par M. Jean-Marie Durand <strong>de</strong>puis 1999.<br />
Une chaire d’Archéologie <strong>de</strong> l’Asie occi<strong>de</strong>ntale a été créée en 1953 pour Clau<strong>de</strong><br />
Schaeffer-Forrer qui l’a occupée jusqu’en 1969. Enfin, en 1973 était créée une<br />
chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> l’Asie Mineure pour Emmanuel Laroche, qui<br />
l’a occupée jusqu’en 1985.<br />
Une chaire d’Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong> achéméni<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’empire d’Alexandre<br />
a été créée en 1998 pour M. Pierre Briant, qui l’occupe <strong>de</strong>puis 1999.<br />
La chaire d’Arabe a été tenue successivement par Antoine Caussin <strong>de</strong> Perceval<br />
(1783-1833), Armand-Pierre Caussin <strong>de</strong> Perceval (1833-1871), Charles-François<br />
Defrémery (1871-1883), Stanislas Guyard (1884), Adrien Barbier <strong>de</strong> Meynard<br />
(1885-1908), Paul Casanova (1909-1926), William Marçais (1927-1943). Elle a<br />
été transformée en chaire d’Histoire du mon<strong>de</strong> arabe pour Jean Sauvag<strong>et</strong><br />
(1946-1950). Devenue chaire <strong>de</strong> Langue <strong>et</strong> littérature arabes, elle a été occupée par<br />
Gaston Wi<strong>et</strong> (1951-1959). À côté d’elle, furent fondées : en 1902, une chaire <strong>de</strong><br />
Sociologie <strong>et</strong> sociographie musulmanes, inaugurée par Alfred le Chatelier<br />
(1902-1925), occupée ensuite par Louis Massignon (1926-1954), modifié en<br />
chaire <strong>de</strong> Sociologie musulmane pour Henri Laoust <strong>de</strong> 1956 à 1975, <strong>et</strong> transformée<br />
en 1976 en une chaire <strong>de</strong> Langue <strong>et</strong> littérature arabes classiques pour M. André<br />
Miquel, occupée jusqu’en 1997 — puis en 1941, une chaire d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> arts <strong>de</strong>
l’Orient musulman pour Albert Gabriel (1941-1953). En 1956 était créée une<br />
chaire d’Histoire sociale <strong>de</strong> l’Islam contemporain, occupée par Jacques Berque<br />
jusqu’en 1981. Une chaire d’Histoire contemporaine du mon<strong>de</strong> arabe est créée en<br />
2003 pour M. Henry Laurens.<br />
Les chaires <strong>de</strong> turc <strong>et</strong> <strong>de</strong> persan ont été réunies <strong>de</strong> 1784 à 1805 par Pierre Ruffin,<br />
qui abandonna à partir <strong>de</strong> 1805 le persan au plus illustre islamisant <strong>de</strong> l’époque,<br />
Isaac Silvestre <strong>de</strong> Sacy (1806-1838). Lui succédèrent : Amédée Jaubert (1838-<br />
1847), Jules Mohl (1850-1876), Adrien Barbier <strong>de</strong> Meynard (1876-1885),<br />
James Darmest<strong>et</strong>er (1885-1894). Après Pierre Ruffin (1805-1822) l’enseignement<br />
du turc seul a été assuré par Daniel Kieffer (1822-1833), Alix Desgranges (1833-<br />
1854), Mathurin-Joseph Cor (1854), Abel Pav<strong>et</strong> <strong>de</strong> Courteille (chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />
1854-1861, titulaire 1861-1889). En 1997, a été créée une chaire d’Histoire turque<br />
<strong>et</strong> ottomane pour M. Gilles Veinstein, qui l’occupe <strong>de</strong>puis 1999.<br />
Les domaines <strong>de</strong> recherche nouveaux entrés dans l’enseignement du <strong>Collège</strong> au<br />
xix e siècle ont d’abord été ceux <strong>de</strong> l’In<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Chine, dont l’étu<strong>de</strong> avait été<br />
amorcée en Europe par plusieurs orientalistes du <strong>Collège</strong> au siècle précé<strong>de</strong>nt. En<br />
1814, furent créées ensemble les chaires <strong>de</strong> Sanscrit <strong>et</strong> <strong>de</strong> Chinois.<br />
La première a été inaugurée par Léonard <strong>de</strong> Chézy (1814-1832), illustrée par<br />
Eugène Burnouf (1932-1852), <strong>et</strong> reprise après un intervalle <strong>de</strong> suppléances par<br />
Édouard Foucaux (1862-1894), puis Sylvain Lévi (1894-1935) <strong>et</strong> Jules Bloch<br />
(1937-1951). L’enseignement y débordant traditionnellement le domaine du<br />
sanscrit, elle a repris en 1951, la dénomination <strong>de</strong> chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> littératures<br />
<strong>de</strong> l’In<strong>de</strong> <strong>et</strong> a eu pour titulaire Jean Filliozat <strong>de</strong> 1952 à 1978. En 1983 a été créée<br />
une chaire d’Histoire du mon<strong>de</strong> indien pour M. Gérard Fussman, <strong>et</strong>, en 1993, une<br />
chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> religions indo-iraniennes pour M. Jean Kellens.<br />
La secon<strong>de</strong>, dont l’enseignement s’est, <strong>de</strong> son côté, constamment étendu à<br />
l’ensemble <strong>de</strong> la sinologie, a été tenue par Jean-Pierre Abel-Rémusat (1814-1932),<br />
Stanislas Julien (1832-1873), Léon d’Hervey <strong>de</strong> Saint-Denys (1874-1892),<br />
Édouard Chavannes (1893-1918), Henri Maspero (1921-1945), Paul Demiéville<br />
(1946-1964), M. Jacques Gern<strong>et</strong> (1975-1992) ; <strong>de</strong>puis 1991 une chaire d’Histoire<br />
<strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne est occupée par M. Pierre-Étienne Will <strong>et</strong> une chaire d’Histoire<br />
intellectuelle <strong>de</strong> la Chine est confiée en 2008 à M me Anne Cheng.<br />
Étendant le champ <strong><strong>de</strong>s</strong> enseignements aux pays d’influence indienne <strong>et</strong> chinoise<br />
<strong>et</strong> aux civilisations propres à ces pays, trois chaires ont été créées : la première <strong>de</strong><br />
Langues, histoire <strong>et</strong> archéologie <strong>de</strong> l’Asie centrale pour Paul Pelliot (1911-1945),<br />
qui <strong>de</strong>vait prendre le titre d’Histoire <strong>et</strong> civilisations <strong>de</strong> l’Asie centrale pour<br />
Louis Hambis, <strong>de</strong> 1965 à 1977, <strong>et</strong> se transformer en chaire <strong>de</strong> Sociographie <strong>de</strong><br />
l’Asie du Sud-Est pour Lucien Bernot (1978-1985) ; la <strong>de</strong>uxième d’Histoire <strong>et</strong><br />
philologie indochinoises pour Louis Finot (1920-1930), auquel ont succédé Jean<br />
Przyluski (1931-1944), puis Émile Gaspardone, <strong>de</strong> 1946 à 1965, <strong>et</strong> qui a été<br />
alors transformée en chaire d’Étu<strong>de</strong> du mon<strong>de</strong> chinois : institutions <strong>et</strong> concepts pour<br />
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Rolf A. Stein (1966-1981) ; enfin la troisième, sous le titre <strong>de</strong> Civilisations<br />
d’Extrême-Orient, a été occupée par Paul Mus (1946-1969). Une chaire d’Étu<strong>de</strong><br />
du Bouddhisme a été créée en 1970 pour André Bareau, qui l’a occupée jusqu’en<br />
1991. Enfin, en 1979, a été créée une chaire <strong>de</strong> Civilisation japonaise pour Bernard<br />
Frank qui l’a occupée jusqu’en 1996.<br />
Droit <strong>et</strong> sciences humaines. — Depuis l’Ancien Régime existait une chaire<br />
<strong>de</strong> Droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens, tenue au xix e siècle par Pierre <strong>de</strong> Pastor<strong>et</strong><br />
(1804-1821), Xavier <strong>de</strong> Port<strong>et</strong>s (1822-1854), Adolphe Franck (1856-1887). En<br />
1831 commençait, avec Eugène Lerminier (1831-1849), un enseignement<br />
d’Histoire générale <strong>et</strong> philosophique <strong><strong>de</strong>s</strong> législations comparées, qui fut continué par<br />
Édouard Laboulaye (1849-1883), <strong>et</strong> par Jacques Flach (1884-1919). En 1979,<br />
une chaire <strong>de</strong> Droit international est créée pour René-Jean Dupuy qui l’a occupée<br />
jusqu’en 1989. Une chaire d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives <strong>et</strong> internationalisation<br />
du droit a été créée en 2001 pour M me Mireille Delmas-Marty qui l’occupe<br />
<strong>de</strong>puis 2002.<br />
Dès 1831, était instituée pour Jean-Baptiste Say une chaire d’Économie politique,<br />
qui fut occupée après lui par Pellegrino Rossi (1833-1840), Michel Chevalier<br />
(1840-1879), <strong>et</strong> Paul Leroy-Beaulieu (1880-1916). Une chaire d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
doctrines économiques, créée en 1871 pour Émile Levasseur, fut transformée sur sa<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> en 1885 en chaire <strong>de</strong> Géographie, histoire <strong>et</strong> statistiques économiques. En<br />
1911, elle <strong>de</strong>vint chaire d’Étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> faits économiques <strong>et</strong> sociaux pour Marcel<br />
Marion (1912-1932). De 1955 à 1974 une chaire d’Analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> faits économiques<br />
<strong>et</strong> sociaux a été occupée par François Perroux ; en 1987 a été créée une chaire<br />
d’Analyse économique pour M. Edmond Malinvaud qui l’a occupée jusqu’en 1993.<br />
Une chaire <strong>de</strong> Théorie économique <strong>et</strong> organisation sociale a été créée en 1998 pour<br />
M. Roger Guesnerie, qui l’occupe <strong>de</strong>puis 2000.<br />
En 1958 une chaire d’Anthropologie sociale était créée pour M. Clau<strong>de</strong> Lévi-<br />
Strauss (1959-1982), <strong>et</strong> en 1971, une chaire d’Anthropologie physique pour Jacques<br />
Ruffié (1972-1992). En 1981, a été créée pour M me Françoise Héritier une<br />
chaire d’Étu<strong>de</strong> comparée <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés africaines (1982-1998) <strong>et</strong> en 1992 pour<br />
M. Nathan Wachtel une chaire d’Histoire <strong>et</strong> anthropologie <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés méso- <strong>et</strong> sudaméricaines<br />
(1992-2005). En 1999, une chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la nature a été<br />
créée pour M. Philippe Descola, qui l’occupe <strong>de</strong>puis 2000.<br />
En 1917, un <strong>cours</strong> complémentaire d’Assurances sociales fondé par Alfred Mayen,<br />
a été transformé, aux frais <strong>de</strong> la Ville <strong>de</strong> Paris <strong>et</strong> du Département <strong>de</strong> la Seine, en<br />
une chaire <strong>de</strong> Prévoyance <strong>et</strong> assistance sociales, qu’occupa Édouard Fuster<br />
(1917-1935).<br />
En 1920, une chaire instituée pour dix ans, à l’initiative <strong>de</strong> la Fédération <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Sociétés coopératives, <strong>et</strong> affectée à l’Enseignement <strong>de</strong> la Coopération, a eu pour<br />
titulaire Charles Gi<strong>de</strong> jusqu’en 1930.
Dans le même ordre d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, d’autres développements se sont encore produits.<br />
Une chaire <strong>de</strong> Philosophie sociale, créée pour Jean Izoul<strong>et</strong> (1897-1929), a été<br />
transformée en chaire <strong>de</strong> Sociologie pour Marcel Mauss (1931-1942), puis en chaire<br />
<strong>de</strong> Psychologie collective pour Maurice Halbwachs (1944-1945). Une chaire<br />
d’Histoire <strong>et</strong> structure sociales <strong>de</strong> Paris <strong>et</strong> <strong>de</strong> la région parisienne, fondée par la Ville<br />
<strong>de</strong> Paris en 1950, a été occupée par Louis Chevalier (1952-1981). Une chaire<br />
d’Histoire du travail, fondée en 1907 par la Ville <strong>de</strong> Paris, a été occupée par Georges<br />
Renard (1907-1930), par François Simiand (1932-1935), puis, <strong>de</strong> 1936 à 1957,<br />
par Émile Coornaert. Une chaire <strong>de</strong> Démographie sociale : la vie <strong><strong>de</strong>s</strong> populations,<br />
lui a succédé <strong>et</strong> a eu pour titulaire Alfred Sauvy <strong>de</strong> 1959 à 1969. C<strong>et</strong>te chaire a<br />
été transformée en chaire <strong>de</strong> Sociologie <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne pour Raymond<br />
Aron <strong>de</strong> 1970 à 1978. Enfin a été créée, en 1981, une chaire <strong>de</strong> Sociologie pour<br />
Pierre Bourdieu (1981-2001). Une chaire d’Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine du<br />
politique a été créée en 2001 pour M. Pierre Rosanvallon. En 2005 est créée une<br />
chaire <strong>de</strong> Rationalité <strong>et</strong> sciences sociales, occupée par M. Jon Elster.<br />
Géographie. — Une chaire <strong>de</strong> Géographie humaine, créée grâce à une libéralité<br />
d’Albert Kahn, a été occupée <strong>de</strong> 1912 à 1930 par Jean Brunhes.<br />
En 1932 était créée la chaire <strong>de</strong> Géographie économique <strong>et</strong> politique, où enseigna<br />
André Siegfried (1933-1946). La Géographie historique <strong>de</strong> la <strong>France</strong> fut enseignée,<br />
<strong>de</strong> 1892 à 1911, par Auguste Longnon ; elle a été rétablie <strong>de</strong> 1947 à 1968 pour<br />
Roger Dion, puis transformée en chaire <strong>de</strong> Géographie du continent européen pour<br />
Maurice Le Lannou, <strong>de</strong> 1969 à 1976. Une chaire d’Étu<strong>de</strong> du mon<strong>de</strong> tropical<br />
(géographie physique <strong>et</strong> humaine) a été créée en 1946 pour Pierre Gourou<br />
(1947-1970).<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions. — Une chaire d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions, créée en 1880,<br />
a eu pour titulaires Albert Réville (1880-1906), Jean Réville (1907-1908), Alfred<br />
Loisy (1909-1932), Jean Baruzi (1933-1951) <strong>et</strong> Henri-Charles Puech (1952-<br />
1972).<br />
Une chaire d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> mentalités religieuses dans l’Occi<strong>de</strong>nt mo<strong>de</strong>rne a été créée<br />
en 1973 pour M. Jean Delumeau qui l’a occupée <strong>de</strong> 1975 à 1994 <strong>et</strong> une chaire<br />
d’Étu<strong>de</strong> comparée <strong><strong>de</strong>s</strong> religions antiques en 1973 pour Jean-Pierre Vernant, qui l’a<br />
occupée <strong>de</strong> 1975 à 1984.<br />
En 1977, a été créée une chaire intitulée Christianisme <strong>et</strong> gnoses dans l’Orient<br />
préislamique pour Antoine Guillaumont qui l’a occupée jusqu’en 1986 <strong>et</strong> en<br />
1990 une chaire d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> syncrétismes <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> l’Antiquité pour M. Michel<br />
Tardieu (1991-2008). En 2006 est créée une chaire intitulée Milieux bibliques<br />
pour M. Thomas Römer.<br />
Préhistoire. — Fut créée, en 1929 une chaire <strong>de</strong> Préhistoire, tenue par l’abbé<br />
Henri Breuil (1929-1947), discipline reprise <strong>de</strong> 1969 à 1982 par André Leroi-<br />
Gourhan, puis transformée en 1982 en chaire <strong>de</strong> Paléoanthropologie <strong>et</strong> préhistoire<br />
pour M. Yves Coppens (1983-2005), elle-même transformée en chaire <strong>de</strong><br />
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Paléontologie humaine en 2005. En 1993, une chaire <strong>de</strong> civilisations <strong>de</strong> l’Europe au<br />
Néolithique <strong>et</strong> à l’Âge du Bronze a été créée pour M. Jean Guilaine (1994-2007).<br />
Histoire générale. — L’histoire générale était professée au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
<strong>de</strong>puis le <strong>de</strong>rnier tiers du xviii e siècle. On l’associait alors à la morale, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te<br />
union persista, nominalement au moins, pendant tout le xix e siècle. À Pierre<br />
Daunou (1819-1830), succédèrent Jean-Antoine L<strong>et</strong>ronne (1831-1837), <strong>et</strong> Jules<br />
Michel<strong>et</strong> (1838-1852), puis, un peu plus tard, Joseph Guigniaut (1857-1862),<br />
<strong>et</strong> Alfred Maury (1862-1892).<br />
Une chaire d’Histoire <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne tenue par Lucien Febvre<br />
(1933-1949), puis par Fernand Brau<strong>de</strong>l (1950-1972), subsiste pour M. Emmanuel<br />
Le Roy Ladurie, qui l’occupa <strong>de</strong> 1973 à 1999. En 1997, une chaire d’Histoire <strong>de</strong><br />
la <strong>France</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Lumières créée pour M. Daniel Roche (1999-2005), transformée en<br />
chaire intitulée Écrit <strong>et</strong> cultures dans l’Europe mo<strong>de</strong>rne pour M. Roger Chartier<br />
(2006).<br />
Une chaire <strong>de</strong> Civilisation indo-européenne a été occupée <strong>de</strong> 1948 à 1968 par<br />
Georges Dumézil. Une chaire d’Histoire générale <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences, créée en 1891, a été<br />
occupée par Pierre Laffitte (1892-1903), Grégoire Wyrouboff (1903-1913) <strong>et</strong><br />
Pierre Boutroux (1920-1922).<br />
Art. — Une chaire d’Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art, créée en 1878, a eu pour<br />
titulaires, successivement Charles Blanc (1878-1882), Eugène Guillaume<br />
(1882-1905) ; Georges Lafenestre (1905-1919), André Michel (1920-1925)<br />
(qui la spécialisa en Histoire <strong>de</strong> l’art français), Gabriel Mill<strong>et</strong> (1926-1937), Henri<br />
Focillon (1938-1943). En 1970 a été créée une chaire d’Art <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> la<br />
Renaissance en Italie pour André Chastel (1970-1984). Une <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires fondées<br />
par la Ville <strong>de</strong> Paris, affectée en 1933 à l’Histoire <strong>de</strong> l’art monumental, a été occupée<br />
par Paul Léon (1933-1944). Une autre a été affectée à la Psychologie <strong><strong>de</strong>s</strong> arts<br />
plastiques pour René Huyghe <strong>de</strong> 1951 à 1976 ; désormais chaire d’État, elle a été<br />
transformée en 1976 en Histoire <strong>de</strong> la création artistique en <strong>France</strong> pour M. Jacques<br />
Thuillier, qui l’a occupée <strong>de</strong> 1977 à 1998. En 2000, une chaire d’Histoire <strong>de</strong> l’art<br />
européen médiéval <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne a été créée pour M. Roland Recht qui l’occupe<br />
<strong>de</strong>puis 2001.<br />
Une chaire d’Intervention, technique <strong>et</strong> langage en musique a été créée en 1975<br />
pour M. Pierre Boulez (1976-1995) ; elle fut transformée <strong>de</strong> 1996 à 1999 pour<br />
Jerzy Grotowski en chaire d’Anthropologie théâtrale. En 1980, a été créée pour<br />
M. Yves Bonnefoy, une chaire d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> comparées <strong>de</strong> la fonction poétique<br />
(1981-1993).<br />
Mathématiques. — L’enseignement <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques fut assuré par Antoine-<br />
Rémy Mauduit (1770-1815), Sylvestre-François Lacroix (1815-1843), Guillaume<br />
Libri-Carucci (1843-1848), Joseph Liouville (1851-1882), Camille Jordan<br />
(1883-1912), Georges Humbert (1912-1921), Henri Lebesgue (1921-1941). S’y<br />
ajoutait l’Astronomie, professée par Jérôme <strong>de</strong> Lalan<strong>de</strong> (1768-1807), puis par
Jean-Baptiste Delambre (1807-1822) <strong>et</strong> Jacques Bin<strong>et</strong> (1823-1856). La chaire<br />
d’Astronomie fut transformée, en 1856, en une chaire <strong>de</strong> Mécanique céleste pour<br />
Joseph Serr<strong>et</strong> (1861-1885). Elle <strong>de</strong>vint chaire <strong>de</strong> Mécanique analytique <strong>et</strong><br />
mécanique céleste pour Maurice Lévy (1885-1908), <strong>et</strong> Jacques Hadamard<br />
(1909-1937). Une chaire <strong>de</strong> Mathématique <strong>et</strong> mécanique a été occupée <strong>de</strong> 1938 à<br />
1972 par Szolem Man<strong>de</strong>lbrojt, puis transformée en chaire d’Analyse mathématique<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur contrôle pour Jacques-Louis Lions (1973-1998). Une chaire<br />
<strong>de</strong> Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> équations différentielles <strong>et</strong> fonctionnelles a été occupée par Jean Leray<br />
<strong>de</strong> 1947 à 1978. Une chaire d’Algèbre <strong>et</strong> géométrie occupée par M. Jean-Pierre<br />
Serre <strong>de</strong> 1956 à 1994 a été transformée, en 1995, en chaire intitulée Équations<br />
différentielles <strong>et</strong> systèmes dynamiques pour M. Jean-Christophe Yoccoz. Une chaire<br />
<strong>de</strong> Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes a été créée pour M. Jacques Tits (1973-2000) ainsi qu’une<br />
chaire d’Analyse <strong>et</strong> géométrie <strong>de</strong>puis 1983 pour M. Alain Connes. En 1999, une<br />
chaire <strong>de</strong> Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> Nombres a été créée pour M. Don Zagier qui l’occupe <strong>de</strong>puis<br />
2000. Une chaire d’Équations aux dérivées partielles <strong>et</strong> applications a été créée en<br />
2001 pour M. Pierre-Louis Lions qui l’occupe <strong>de</strong>puis 2002.<br />
Physique. — En 1769, une chaire <strong>de</strong> Physique mathématique remplaça l’ancienne<br />
chaire <strong>de</strong> Philosophie grecque <strong>et</strong> latine ; Jacques-Antoine Cousin l’occupa jusqu’en<br />
1800 ; il eut pour successeur Jean-Baptiste Biot, à la fois physicien <strong>et</strong> mathématicien<br />
(1801-1862).<br />
Devenue chaire <strong>de</strong> Physique générale <strong>et</strong> mathématique, elle fut occupée par Joseph<br />
Bertrand (1862-1900), Marcel Brillouin (1900-1931) ; sous le titre <strong>de</strong> Physique<br />
théorique, elle a été occupée par Léon Brillouin (1932-1949) <strong>et</strong> par Jean Laval<br />
(1950-1970), puis transformée en 1971 en chaire <strong>de</strong> Physique <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée<br />
pour Pierre-Gilles <strong>de</strong> Gennes (1971-2004). D’autre part, en 1786, fut créée une<br />
chaire <strong>de</strong> Physique générale <strong>et</strong> expérimentale, occupée par Louis Lefèvre-Gineau<br />
jusqu’en 1823, André-Marie Ampère (1824-1836), Félix Savart (1836-1841),<br />
Henri-Victor Régnault (1841-1871), Élie Mascart (1872-1908), Paul Langevin<br />
(1909-1946). À la chaire <strong>de</strong> Physique générale <strong>et</strong> expérimentale, tenue par Maurice<br />
<strong>de</strong> Broglie <strong>de</strong> 1942 à 1944 <strong>et</strong> sur laquelle fut réintégré Paul Langevin, révoqué<br />
en 1940, succéda une chaire <strong>de</strong> Physique atomique <strong>et</strong> moléculaire par transformation<br />
<strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Physique mathématique créée en 1933 pour Albert Einstein <strong>et</strong> qu’il<br />
n’avait jamais occupée. Elle eut pour titulaire <strong>de</strong> 1946 à 1972 Francis Perrin<br />
auquel succéda M. Clau<strong>de</strong> Cohen-Tannoudji, <strong>de</strong> 1973 à 2004. Une nouvelle<br />
chaire <strong>de</strong> Physique mathématique a été créée en 1951 pour André Lichnerowicz<br />
(1952-1986). Une chaire <strong>de</strong> Chimie nucléaire occupée par Frédéric Joliot (1937-<br />
1958) a été transformée <strong>de</strong> 1958 à 1972 en chaire <strong>de</strong> Physique nucléaire pour Louis<br />
Leprince-Ringu<strong>et</strong> puis en chaire <strong>de</strong> Physique corpusculaire <strong>de</strong> 1973 à 2004 pour<br />
M. Marcel Froissart. Une chaire <strong>de</strong> Physique cosmique, occupée <strong>de</strong> 1944 à 1962<br />
par Alexandre Dauvillier, a été transformée en 1962 en chaire d’Astrophysique<br />
théorique pour M. Jean-Clau<strong>de</strong> Pecker (1964-1988), puis, en 1989, en chaire<br />
d’Astrophysique observationnelle pour M. Antoine Labeyrie. Une chaire <strong>de</strong><br />
Magnétisme nucléaire, créée en 1959, a été occupée par M. Anatole Abragam<br />
17
18<br />
jusqu’en 1985 <strong>et</strong> une chaire <strong>de</strong> Métho<strong><strong>de</strong>s</strong> physiques <strong>de</strong> l’astronomie par André<br />
Lallemand <strong>de</strong> 1961 à 1974. En 1982, une chaire <strong>de</strong> Physique statistique a été créée<br />
pour M. Philippe Nozières (1983-2001).<br />
Une chaire nouvelle, créée par la loi <strong>de</strong> Finances <strong>de</strong> 1964, <strong>et</strong> portant le titre <strong>de</strong><br />
Physique théorique <strong><strong>de</strong>s</strong> particules élémentaires a été occupée par M. Jacques Prentki<br />
jusqu’en 1983. En 2000, une chaire <strong>de</strong> Physique quantique a été créée pour M. Serge<br />
Haroche qui l’occupe <strong>de</strong>puis 2001. M. Gabriele Veneziano occupe <strong>de</strong>puis 2004<br />
la chaire <strong>de</strong> Particules élémentaires, gravitation <strong>et</strong> cosmologie créée l’année précé<strong>de</strong>nte.<br />
En 2005 est créée une chaire <strong>de</strong> Physique mésoscopique, occupée <strong>de</strong>puis 2007 par<br />
M. Michel Devor<strong>et</strong>.<br />
Chimie. — Une chaire <strong>de</strong> Chimie <strong>et</strong> une chaire d’Histoire naturelle, fondées en<br />
1774, furent quelque temps réunies, sous le titre <strong>de</strong> chaire <strong>de</strong> Chimie <strong>et</strong> histoire<br />
naturelle pour Jean Darc<strong>et</strong>, qui d’ailleurs limita son enseignement à la première<br />
<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux sciences. Le titre primitif <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Chimie fut repris quand la<br />
chaire fut attribuée à Nicolas Vauquelin (1801-1804) auquel succéda Louis-<br />
Jacques Thénard (1804-1845). En 1845, elle se spécialisa sous le titre <strong>de</strong> Chimie<br />
minérale, <strong>et</strong> elle eut pour titulaires Théophile-Jules Pelouze (1845-1850), Antoine-<br />
Jérôme Balard (1851-1876), Paul Schützenberger (1876-1897), Henri Le<br />
Chatelier (1898-1907) <strong>et</strong> Camille Matignon (1908-1934). Une autre chaire,<br />
attribuée à la Chimie organique, eut pour premier titulaire Marcelin Berthelot<br />
(1865-1907), auquel succédèrent Émile-Clément Jungfleisch (1908-1916),<br />
Charles Moureu (1917-1929), Marcel Delépine (1930-1941) <strong>et</strong> Charles<br />
Dufraisse (1942-1955) ; elle a été transformée en 1955 en chaire <strong>de</strong> Chimie<br />
organique <strong><strong>de</strong>s</strong> hormones, pour Alain Horeau (1956-1980). En 1979 a été créée<br />
pour M. Jean-Marie Lehn une chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions moléculaires, <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
1996 à 1998 pour Jean Rouxel une chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> soli<strong><strong>de</strong>s</strong>. En 2000, une<br />
chaire <strong>de</strong> Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée a été créée pour M. Jacques Livage qui<br />
l’occupe <strong>de</strong>puis 2001. En 2007 est créée une chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> processus<br />
biologiques pour M. Marc Fontecave.<br />
Histoire naturelle <strong>et</strong> sciences biologiques. — L’enseignement <strong>de</strong> l’histoire<br />
naturelle fondé en 1774 n’étant pas effectivement donné par Jean Darc<strong>et</strong>, une<br />
chaire consacrée à la seule Histoire naturelle fut créée en 1778 <strong>et</strong> attribuée à Louis<br />
Daubenton (1778-1799), puis à Georges Cuvier (1800-1832). C<strong>et</strong>te chaire<br />
nouvelle ne tarda pas à être elle-même dédoublée. D’une part, une chaire d’Histoire<br />
naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps inorganiques fut donnée à Léonce Élie <strong>de</strong> Beaumont (1832-1874)<br />
<strong>et</strong> fut ensuite occupée par Charles Sainte-Claire Deville (1875-1876), Ferdinand<br />
Fouqué (1877-1904), Auguste Michel-Lévy (1905-1911). À c<strong>et</strong>te chaire<br />
succè<strong>de</strong>nt une chaire <strong>de</strong> Géologie, occupée par Lucien Cayeux (1912-1936) puis<br />
une chaire <strong>de</strong> Géologie méditerranéenne pour Paul Fallot (1938-1960) <strong>et</strong> une<br />
chaire <strong>de</strong> Géodynamique pour M. Xavier Le Pichon (1986-2008). En 2000 est<br />
créée une chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan pour M. Édouard Bard. Entr<strong>et</strong>emps,<br />
une création temporaire <strong>de</strong> chaire consacrée aux Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> coloniales, protistologie
pathologique a eu pour titulaire Louis Nattan-Larrier (1923-1943). D’autre part,<br />
une secon<strong>de</strong> chaire fut consacrée à l’Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés : elle eut<br />
pour titulaires Georges Duvernoy (1837-1855), Pierre-Jean-Marie Flourens<br />
(1855-1867), Étienne-Jules Marey (1869-1904), Nicolas François-Franck<br />
(1905-1921), <strong>et</strong> André Mayer (1922-1946) ; elle a été transformée pour Jean<br />
Roche, <strong>de</strong> 1947 à 1972, en chaire <strong>de</strong> Biochimie générale <strong>et</strong> comparée, puis en chaire<br />
<strong>de</strong> Biochimie cellulaire pour M. François Gros (1973-1996) <strong>et</strong> enfin en 1996 en<br />
chaire d’Immunologie moléculaire pour M. Philippe Kourilsky. En 1980, une<br />
chaire <strong>de</strong> Bio-Énergétique cellulaire a été créée pour M. Pierre Joliot (1981-2002).<br />
En 1995 a été créée pour M. Armand <strong>de</strong> Ricqlès une chaire <strong>de</strong> Biologie historique<br />
<strong>et</strong> évolutionnisme.<br />
En 1844 fut créée une chaire d’Embryogénie comparée, tenue par Victor Coste<br />
(1844-1873), Édouard Balbiani (1874-1899), Félix Henneguy (1900-1928),<br />
puis par Emmanuel Fauré-Frémi<strong>et</strong> (1928-1954). Consacrée ensuite à l’Embryologie<br />
expérimentale, elle a été occupée <strong>de</strong> 1955 à 1974 par Étienne Wolff. Depuis 1974<br />
elle a été transformée en chaire <strong>de</strong> Communications cellulaires pour M. Jean-Pierre<br />
Changeux (1976-2006).<br />
Enfin, en 1964, une chaire nouvelle a été créée par la loi <strong>de</strong> Finances sous le<br />
titre <strong>de</strong> Génétique cellulaire pour M. François Jacob (1965-1991). Elle a été<br />
transformée en chaire <strong>de</strong> Génétique moléculaire pour M. Pierre Chambon<br />
(1992-2002), puis en chaire <strong>de</strong> Génétique humaine pour M. Jean-Louis Man<strong>de</strong>l<br />
(2003). En 1967 était créée pour Jacques Monod une chaire <strong>de</strong> Biologie moléculaire,<br />
qui l’occupa jusqu’en 1973. Une chaire <strong>de</strong> Génétique <strong>et</strong> physiologie cellulaire a été<br />
créée en 2000 pour M me Christine P<strong>et</strong>it, qui l’occupe <strong>de</strong>puis 2001, <strong>et</strong> une chaire<br />
<strong>de</strong> Processus morphogénétiques est créée en 2006, occupée à partir <strong>de</strong> 2007 par<br />
M. Alain Prochiantz.<br />
Mé<strong>de</strong>cine. — La mé<strong>de</strong>cine, enseignée au <strong>Collège</strong> dès le xvi e siècle, disposait <strong>de</strong><br />
quatre chaires, progressivement spécialisées.<br />
L’anatomie fut professée par Antoine Portal <strong>de</strong> 1773 à 1832, tandis que la<br />
mé<strong>de</strong>cine dite pratique était attribuée à d’autres titulaires, parmi lesquels Jean-<br />
Nicolas Corvisart (1796-1804), Jean-Noël Hallé (1805-1822), René-Théophile<br />
Laennec (1822-1826), <strong>et</strong> Joseph Récamier (1827-1830). François Magendie<br />
(1830-1855) eut pour successeurs Clau<strong>de</strong> Bernard (1855-1878), Charles Brown-<br />
Séquard (1878-1894), Arsène d’Arsonval (1894-1930) <strong>et</strong> Charles Nicolle<br />
(1932-1936). Une chaire d’Épidémiologie fut créée pour Hyacinthe Vincent<br />
(1925-1936). La chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine a été occupée par René Leriche (1937-1950) ;<br />
transformée ensuite en chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine expérimentale, elle a été occupée par<br />
Antoine Lacassagne (1951-1954), Charles Oberling (1955-1960), Bernard<br />
Halpern (1961-1975), M. Jean Dauss<strong>et</strong> (1977-1987), <strong>et</strong> subsiste sous c<strong>et</strong>te<br />
même dénomination pour M. Pierre Corvol (1989).<br />
19
20<br />
Furent encore créées successivement plusieurs chaires nouvelles : en 1875, une<br />
chaire d’Anatomie générale, occupée par Louis-Antoine Ranvier (1875-1911), <strong>et</strong><br />
transformée d’abord en chaire d’Histologie comparée pour Jean Nageotte<br />
(1912-1937) puis en chaire <strong>de</strong> Morphologie expérimentale <strong>et</strong> endocrinologie pour<br />
Robert Courrier, <strong>de</strong> 1938 à 1966, puis en chaire <strong>de</strong> Physiologie cellulaire <strong>de</strong> 1967<br />
à 1993 pour François Morel ; enfin en chaire <strong>de</strong> Biologie moléculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes<br />
pour Joseph Schell <strong>de</strong> 1994 à 1998. En 1903, une chaire <strong>de</strong> Pathologie générale<br />
<strong>et</strong> comparée fut créée pour Albert Charrin (1903-1907). C<strong>et</strong>te chaire fut<br />
transformée en chaire <strong>de</strong> Biologie générale, successivement occupée par le<br />
physiologiste Émile Gley <strong>de</strong> 1908 à 1930 <strong>et</strong> par le physico-chimiste Jacques<br />
Duclaux <strong>de</strong> 1931 à 1948. Elle fut remplacée par une chaire <strong>de</strong> Neuro-physiologie<br />
générale pour Alfred Fessard, <strong>de</strong> 1949 à 1971, <strong>et</strong> modifiée en 1971 en chaire <strong>de</strong><br />
Neurophysiologie pour M. Yves Laporte, <strong>de</strong> 1972 à 1991. Elle est <strong>de</strong>venue <strong>de</strong>puis<br />
1992 chaire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action pour M. Alain Berthoz.<br />
En 1925, une chaire d’Histophysiologie, attribuée à Justin Jolly (1925-1940), a été<br />
remplacée par une chaire <strong>de</strong> Radiobiologie expérimentale, occupée par Antoine<br />
Lacassagne <strong>de</strong> 1941 à 1951 où il <strong>de</strong>vint titulaire <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine<br />
expérimentale mentionnée au paragraphe précé<strong>de</strong>nt ; c<strong>et</strong>te chaire a repris <strong>de</strong> 1951<br />
à 1966, son ancienne affectation pour Jacques Benoit ; elle est <strong>de</strong>venue en 1973<br />
chaire <strong>de</strong> Physiologie du développement pour Alfred Jost (1974-1987), puis, chaire<br />
d’Embryologie cellulaire <strong>et</strong> moléculaire pour M me Nicole Le Douarin (1988-2000).<br />
En 1993, une chaire <strong>de</strong> Fon<strong>de</strong>ments <strong>et</strong> Principes <strong>de</strong> la reproduction humaine a été<br />
créée pour M. Étienne-Émile Baulieu (1993-1998), transformée en 1998, en<br />
chaire <strong>de</strong> Biologie <strong>et</strong> génétique du développement pour M. Spyros Artavanis-<br />
Tsakonas qui l’occupe <strong>de</strong>puis 2000. En 2006 est créée la chaire <strong>de</strong> Microbiologie<br />
<strong>et</strong> maladies infectieuses pour M. Philippe Sanson<strong>et</strong>ti.<br />
En 1929, une chaire <strong>de</strong> Mécanique animale appliquée à l’aviation, attribuée à<br />
Antoine Magnan (1929-1938), a subsisté <strong>de</strong> 1939 à 1955 sous le titre d’Aérolocomotion<br />
mécanique <strong>et</strong> biologique, <strong>et</strong> a été occupée par Étienne Oehmichen.<br />
À ces disciplines s’ajoutèrent, en 1887, l’enseignement alors nouveau <strong>de</strong> la<br />
Psychologie expérimentale <strong>et</strong> comparée, confié successivement à Théodule Ribot<br />
(1888-1901) <strong>et</strong> à Pierre Jan<strong>et</strong> (1902-1934), puis les chaires <strong>de</strong> : Physiologie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
sensations, attribuée à Henri Piéron (1923-1951), Psychologie <strong>et</strong> éducation <strong>de</strong><br />
l’enfance occupée par Henri Wallon (1937-1949) ainsi que Neuropsychologie du<br />
développement créée en 1975 pour Julian <strong>de</strong> Ajuriaguerra qui l’occupa jusqu’en<br />
1981 <strong>et</strong> qui a été transformée, en 1982, en chaire <strong>de</strong> Neuropharmacologie pour<br />
M. Jacques Glowinski (1983-2006). En 2005 est créée la chaire <strong>de</strong> Psychologie<br />
cognitive expérimentale, confiée à M. Stanislas Dehaene la même année.<br />
Chaire européenne. — C<strong>et</strong>te chaire <strong><strong>de</strong>s</strong>tinée à une personnalité scientifique<br />
originaire d’un pays membre <strong>de</strong> la communauté économique européenne, pour<br />
une année académique, a été créée en 1989. Elle a été occupée par M. Harald<br />
Weinrich, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Munich qui a traité <strong>de</strong> la Mémoire
linguistique <strong>de</strong> l’Europe pendant l’année 1989-1990. Le Professeur Cesare Vasoli,<br />
<strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Florence, nommé pour l’année 1990-1991, n’a pu assurer son<br />
enseignement à la suite d’un acci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> santé. En 1991-1992, M. Wolf Lepenies,<br />
Professeur au Wissenschaftskolleg <strong>de</strong> l’Université libre <strong>de</strong> Berlin a traité du suj<strong>et</strong><br />
suivant : Les intellectuels <strong>et</strong> la politique <strong>de</strong> l’esprit dans l’histoire européenne ; en 1992-<br />
1993, M. Umberto Eco, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Bologne, <strong>de</strong> La quête d’une<br />
langue parfaite dans l’histoire <strong>de</strong> la culture européenne ; en 1993-1994, M. Werner<br />
Hil<strong>de</strong>nbrand, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Bonn, du Contenu empirique <strong><strong>de</strong>s</strong> théories<br />
économiques ; M. Norbert Ohler, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Fribourg, en 1994-<br />
1995, <strong>de</strong> l’Apport <strong><strong>de</strong>s</strong> pèlerins à la formation <strong>de</strong> l’Europe ; M. Klaus Rajewski,<br />
Professeur à l’Université <strong>de</strong> Cologne, en 1995-1996, <strong><strong>de</strong>s</strong> Nouvelles approches<br />
génétiques chez la souris ; M. Pi<strong>et</strong>er Westbroek, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Ley<strong>de</strong>,<br />
en 1996-1997, <strong>de</strong> Géophysique : esquisse d’une nouvelle Science <strong>de</strong> la Terre ;<br />
M. Abram <strong>de</strong> Swaan, Professeur à l’Université d’Amsterdam, en 1997-1998, <strong>de</strong><br />
Langue <strong>et</strong> culture dans la société transnationale ; M. Thomas W. Gaehtgens,<br />
Professeur à l’Université libre <strong>de</strong> Berlin, en 1998-1999, <strong>de</strong> l’Image <strong><strong>de</strong>s</strong> collections en<br />
Europe au XVIII e siècle ; M. Hans-Wilhelm Müller-Gärtner, Professeur à la<br />
Faculté <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> Düsseldorf, en 1999-2000, <strong><strong>de</strong>s</strong> Bases neuronales <strong>de</strong> la<br />
conscience : apport <strong>de</strong> l’imagerie cérébrale ; M. Michael Edwards, Professeur à<br />
l’Université <strong>de</strong> Warwick, en 2000-2001, <strong>de</strong> Poétiques <strong>de</strong> l’anglais <strong>et</strong> du français ;<br />
M. Claudio Magris, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Trieste, en 2001-2002, <strong>de</strong><br />
Nihilisme <strong>et</strong> mélancolie. Jacobsen <strong>et</strong> son Niels Lyhne ; M. Hans Belting, Professeur<br />
à l’Université <strong>de</strong> Hei<strong>de</strong>berg, en 2002-2003, <strong>de</strong> L’histoire du regard. Représentation<br />
<strong>et</strong> vision en Occi<strong>de</strong>nt ; M. Theodor Berchem, Professeur émérite <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong><br />
Wurzbourg, <strong>de</strong> L’Avenir <strong>de</strong> l’Université — l’Université <strong>de</strong> l’Avenir, en 2003-2004 ;<br />
M. Sandro Stringari, Directeur du Research and Development Center on Bose-<br />
Einstein Con<strong>de</strong>nsation à Trente, <strong>de</strong> Con<strong>de</strong>nsation <strong>de</strong> Bose-Einstein <strong>et</strong> superfluidité, en<br />
2004-2005. Les titulaires <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te chaire ont été ensuite, en 2005-2006, M. Maurice<br />
Bloch : L’anthropologie cognitive à l’épreuve du terrain ; en 2006-2007, M. Daniele<br />
Vitali : Les Celtes d’Italie ; en 2007-2008, M. Manfred Kropp : Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> coraniques.<br />
En 2008-2009, c<strong>et</strong>te chaire est thématisée « Savoirs contre pauvr<strong>et</strong>é » <strong>et</strong> confiée à<br />
M me Esther Duflo.<br />
Chaire internationale. — Créée en 1992 pour accueillir, pendant une année<br />
académique, <strong><strong>de</strong>s</strong> personnalités scientifiques originaires <strong><strong>de</strong>s</strong> pays <strong>de</strong> l’Europe <strong>de</strong> l’Est<br />
ou appartenant à d’autres continents, c<strong>et</strong>te chaire a eu pour premier titulaire<br />
Bronislaw Geremek, Professeur à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong> Varsovie, qui a traité<br />
en 1992-1993 du suj<strong>et</strong> suivant : Histoire sociale : exclusions <strong>et</strong> solidarités. En 1993-<br />
1994, M. Zhang Guangda, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Pékin, a traité <strong>de</strong> La Chine <strong>et</strong><br />
les civilisations <strong>de</strong> l’Asie centrale du VII e au XI e siècle ; M. Orest Ranum, Professeur à<br />
l’Université Johns Hopkins <strong>de</strong> Baltimore, en 1994-1995, <strong>de</strong> La <strong>France</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> années<br />
1650 ; histoire <strong>et</strong> historiographie ; M. Harris Memel-Fotê, Professeur à l’Université<br />
d’Abidjan, en 1995-1996, <strong>de</strong> L’esclavage lignager africain <strong>et</strong> l’anthropologie <strong><strong>de</strong>s</strong> Droits<br />
<strong>de</strong> l’Homme ; M. Igor Mel’čuk, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Montréal, en 1996-1997,<br />
21
22<br />
<strong>de</strong> Linguistique « Sens-Texte » ; M. Brian Stock, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Toronto,<br />
en 1997-1998, <strong>de</strong> La Connaissance <strong>de</strong> soi <strong>et</strong> la littérature autobiographique au Moyen<br />
Âge ; M. Patrice Higonn<strong>et</strong>, Professeur à l’Université d’Harvard, en 1998-1999, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Mythes <strong>de</strong> Paris, <strong><strong>de</strong>s</strong> Lumières au Surréalismes ; M. James Watson Cronin, Professeur<br />
à l’Université <strong>de</strong> Chicago, en 1999-2000, du Développement <strong>de</strong> la physique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
particules <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> expériences ; M. Miklós Szabó, Professeur à l’Université<br />
Eötvös Loránd <strong>de</strong> Budapest, en 2000-2001, <strong>de</strong> l’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> Celtes danubiens <strong>et</strong> leur<br />
romanisation ; M. Paul Farmer, Professeur à la Harvard Medical School <strong>de</strong> Boston,<br />
en 2001-2002, <strong>de</strong> La violence struturelle <strong>et</strong> la matérialité du social ; M. Stuart<br />
E<strong>de</strong>lstein, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Genève, en 2002-2003, <strong><strong>de</strong>s</strong> Mécanismes <strong>de</strong> la<br />
transduction du signal en biologie. M. Jayant Vishnu Narlikar, Professeur à l’Inter-<br />
University centre for Astronomy and Astrophysics <strong>de</strong> Pune (In<strong>de</strong>) a traité en 2003-<br />
2004 <strong>de</strong> Cosmology : Theory and Observations ; M. A. M. Celâl Şengör, Professeur à<br />
l’Université technique d’Istanbul, en 2004-2005, <strong>de</strong> L’histoire <strong>de</strong> la tectonique <strong>de</strong>puis<br />
les temps les plus reculés jusqu’à l’apparition <strong>de</strong> la tectonique <strong><strong>de</strong>s</strong> plaques : une étu<strong>de</strong><br />
épistémologique. Les titulaires <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te chaire ont été ensuite, en 2005-2006,<br />
M. Thomas Pavel : Comment écouter la littérature ? ; en 2006-2007, M. Guy Orban :<br />
La vision, mission du cerveau ; en 2007-2008, à M. Pierre Magistr<strong>et</strong>ti : Cellules<br />
gliales, neuroénergétique <strong>et</strong> maladies neuropsychiatriques. En 2008-2009, c<strong>et</strong>te chaire<br />
est thématisée « Développement durable » <strong>et</strong> est confiée à M. Henri Leridon.<br />
Chaire <strong>de</strong> création artistique. — Créée en 2004 pour accueillir, pendant<br />
une année académique, une personnalité illustrant la création artistique<br />
contemporaine, <strong>et</strong> consacrée à toutes les formes <strong>de</strong> création artistique, c<strong>et</strong>te chaire<br />
a eu pour premier titulaire, en 2005-2006, M. Christian <strong>de</strong> Portzamparc,<br />
architecte, qui a traité <strong>de</strong> : Architecture : figures du mon<strong>de</strong>, figures du temps. La<br />
chaire est ensuite occupée, en 2006-2007, par M. Pascal Dusapin, compositeur,<br />
dont le <strong>cours</strong> a pour titre : Composer : musique, paradoxe, flux. En 2007-2008, la<br />
chaire est confiée à M me Ariane Mnouchkine <strong>et</strong> en 2008-2009 à M. Pierre-<br />
Laurent Aimard.<br />
Chaire d’innovation technologique-Liliane B<strong>et</strong>tencourt. — Créée en<br />
2007, en partenariat avec la fondation B<strong>et</strong>tencourt-Schueller, c<strong>et</strong>te chaire a pour<br />
vocation d’accueillir, pour chaque année académique, un nouveau titulaire chargé<br />
<strong>de</strong> proposer un enseignement à la pointe <strong>de</strong> la recherche dans les secteurs hautement<br />
innovants <strong><strong>de</strong>s</strong> nanotechnologies, <strong>de</strong> l’informatique, <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux <strong>de</strong> communication,<br />
du transfert <strong>et</strong> du cryptage <strong>de</strong> données, <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences du vivant. Le premier titulaire,<br />
en 2006-2007, a été M. Jean-Paul Clozel, chercheur <strong>et</strong> P.-D.G. <strong>de</strong> la société<br />
ActelionLtd, qui a traité <strong>de</strong> : La biotechnologie : <strong>de</strong> la science au médicament. En<br />
2007-2008, la chaire est occupée par M. Gérard Berry, directeur scientifique <strong>de</strong><br />
Esterel Technologies, qui s’est consacré à la question : Pourquoi <strong>et</strong> comment le mon<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>vient numérique. Lui succè<strong>de</strong>, pour 2008-2009, M. Mathias Fink, professeur à<br />
l’École supérieure <strong>de</strong> physique <strong>et</strong> <strong>de</strong> chimie industrielles <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Paris <strong>et</strong><br />
directeur du Laboratoire On<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> acoustique.
TABLEAU DES CHAIRES DEPUIS 1800<br />
Chaire ancienne Chaire nouvelle<br />
1800 1<br />
Physique mathématique Physique mathématique<br />
Jacques-Antoine Cousin (1769-1800) Jean-Baptiste Biot (1801-1862)<br />
Histoire naturelle Histoire naturelle<br />
Louis Daubenton (1778-1799) Georges Cuvier (1800-1832)<br />
1801<br />
Chimie Chimie<br />
Jean Darc<strong>et</strong> (1774-1801) Nicolas Vauquelin (1801-1804)<br />
1804<br />
Droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens Droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens<br />
Mathieu-Antoine Bouchaud (1773-1804) Pierre <strong>de</strong> Pastor<strong>et</strong> (1804-1821)<br />
Chimie Chimie<br />
Nicolas Vauquelin (1801-1804) Louis-Jacques Thénard (1804-1845)<br />
Création Grec mo<strong>de</strong>rne<br />
Jean-Baptiste d’Ansse <strong>de</strong> Villoison<br />
(1804-1805)<br />
1805<br />
Persan <strong>et</strong> Turc Persan<br />
Pierre Ruffin (1784-1805) Antoine-Isaac Silvestre <strong>de</strong> Sacy<br />
(1806-1838)<br />
Mé<strong>de</strong>cine Mé<strong>de</strong>cine<br />
Jean-Nicolas Corvisart (1796-1804) Jean-Noël Hallé (1805-1822)<br />
1. L’année indiquée est celle <strong>de</strong> la délibération <strong>de</strong> l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> Professeurs sur la création,<br />
le maintien ou la transformation <strong>de</strong> la chaire.
24<br />
Grec mo<strong>de</strong>rne Turc<br />
Jean-Baptiste d’Ansse <strong>de</strong> Villoison Pierre Ruffin (1805-1822)<br />
(1804-1805)<br />
1807<br />
Astronomie Astronomie<br />
Jérôme <strong>de</strong> Lalan<strong>de</strong> (1768-1807) Jean-Baptiste Delambre (1807-1822)<br />
1809<br />
Éloquence latine Éloquence latine<br />
Charles-François Dupuis (1787-1809) Pierre Guéroult (1809-1816)<br />
1812<br />
Histoire <strong>et</strong> morale Histoire <strong>et</strong> morale<br />
Pierre-Charles Lévesque (1791-1812) Étienne Clavier (1812-1817)<br />
1813<br />
Poésie latine Poésie latine<br />
Jacques Delille (1778-1813) Pierre-François Tissot (1813-1821)<br />
1814<br />
Philosophie grecque <strong>et</strong> latine Langue <strong>et</strong> philosophie grecques<br />
Édouard Bosquillon (1775-1814) Jean-François Thurot (1814-1832)<br />
Littérature française Littérature française<br />
Antoine <strong>de</strong> Cournand (1784-1814) Stanislas Andrieux (1814-1833)<br />
Création Langues <strong>et</strong> littératures chinoise <strong>et</strong><br />
tartare-mandchoue<br />
Jean-Pierre Abel-Remusat (1814-1832)<br />
Création Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites<br />
Léonard <strong>de</strong> Chézy (1815-1832)<br />
1815<br />
Mathématiques Mathématiques<br />
Antoine-Rémy Mauduit (1770-1815) Sylvestre-François Lacroix (1815-1843)<br />
1816<br />
Éloquence latine Éloquence latine<br />
Pierre Guéroult (1809-1816) Jean-Louis Burnouf (1817-1844)<br />
1817<br />
Histoire <strong>et</strong> morale Histoire <strong>et</strong> morale<br />
Étienne Clavier (1812-1817) Pierre Daunou (1819-1830)<br />
1819<br />
Hébreu Hébreu<br />
Prosper-Gabriel Audran (1799-1819) Étienne-Marc Quatremère (1819-1857)
1821<br />
Droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens Droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens<br />
Pierre <strong>de</strong> Pastor<strong>et</strong> (1804-1821) Xavier <strong>de</strong> Port<strong>et</strong>s (1822-1854)<br />
Poésie latine Poésie latine<br />
Pierre-François Tissot (révoqué) Joseph Naud<strong>et</strong> (1821-1830)<br />
(1813-1821)<br />
1822<br />
Mé<strong>de</strong>cine Mé<strong>de</strong>cine<br />
Jean-Noël Hallé (1805-1822) René-Théophile Laennec (1822-1826)<br />
Turc Turc<br />
Pierre Ruffin (1805-1822) Daniel Kieffer (1822-1833)<br />
Astronomie Astronomie<br />
Jean-Baptiste Delambre (1807-1822) Jacques Bin<strong>et</strong> (1823-1856)<br />
1823<br />
Physique générale <strong>et</strong> expérimentale Physique générale <strong>et</strong> expérimentale<br />
Louis Lefèvre-Gineau (révoqué) André-Marie Ampère (1824-1836)<br />
(1786-1823)<br />
1826<br />
Mé<strong>de</strong>cine Mé<strong>de</strong>cine<br />
René-Théophile Laennec (1822-1826) Joseph Récamier (1827-1830)<br />
1829<br />
Langue <strong>et</strong> littérature grecques Langue <strong>et</strong> littérature grecques<br />
Jean-Baptiste Gail (1791-1829) Jean-François Boissona<strong>de</strong> (1829-1855)<br />
1830<br />
Histoire <strong>et</strong> morale Histoire <strong>et</strong> morale<br />
Pierre Daunou (1819-1830) Jean-Antoine L<strong>et</strong>ronne (1831-1837)<br />
Poésie latine Poésie latine<br />
Joseph Naud<strong>et</strong> (1821-1830) Pierre-François Tissot (rétabli)<br />
(1830-1854)<br />
1831<br />
Mé<strong>de</strong>cine Mé<strong>de</strong>cine<br />
Joseph Récamier (1827-1830) François Magendie (1831-1855)<br />
Création Économie politique<br />
Jean-Baptiste Say (1831-1832)<br />
Création Archéologie<br />
Jean-François Champollion (1831-1832)<br />
Création Histoire générale <strong>et</strong> philosophique<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> législations comparées<br />
Eugène Lerminier (1831-1849)<br />
25
26<br />
1832<br />
Anatomie<br />
Antoine Portal (1773-1832)<br />
Chaire supprimée<br />
Histoire naturelle Histoire naturelle, puis Histoire naturelle<br />
Georges Cuvier (1800-1832) <strong><strong>de</strong>s</strong> corps inorganiques<br />
Léonce Élie <strong>de</strong> beaumont (1832-1874)<br />
Langues <strong>et</strong> littératures chinoise <strong>et</strong> Langues <strong>et</strong> littératures chinoise <strong>et</strong><br />
tartare-mandchoue tartare-mandchoue<br />
Jean-Pierre Abel-Rémusat (1814-1832) Stanislas Julien (1832-1873)<br />
Langue <strong>et</strong> philosophie grecques Philosophie grecque <strong>et</strong> latine<br />
Jean-François Thurot (1814-1832) Théodore Jouffroy (1832-1837)<br />
Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites<br />
Léonard <strong>de</strong> Chézy (1815-1832) Eugène Burnouf (1832-1852)<br />
Économie politique Économie politique<br />
Jean-Baptiste Say (1831-1832) Pellegrino Rossi (1833-1840)<br />
1833<br />
Arabe Arabe<br />
Antoine Caussin <strong>de</strong> Perceval Armand-Pierre Caussin <strong>de</strong> Perceval<br />
(1784-1833) (1833-1871)<br />
Littérature française Littérature française<br />
Stanislas Andrieux (1814-1833) Jean-Jacques Ampère (1833-1853)<br />
Turc Turc<br />
Daniel Kieffer (1822-1833) Alix Desgranges (1833-1854)<br />
1836<br />
Physique générale <strong>et</strong> expérimentale Physique générale <strong>et</strong> expérimentale<br />
André-Marie Ampère (1824-1836) Félix Savart (1836-1841)<br />
1837<br />
Archéologie Archéologie<br />
Jean-François Champollion (1831-1832) Jean-Antoine L<strong>et</strong>ronne (1837-1848)<br />
Histoire <strong>et</strong> morale Histoire <strong>et</strong> morale<br />
Jean-Antoine L<strong>et</strong>ronne (1831-1837) Jules Michel<strong>et</strong> (1838-1852)<br />
Philosophie grecque <strong>et</strong> latine Philosophie grecque <strong>et</strong> latine<br />
Théodore Jouffroy (1832-1837) Jules Barthélémy Saint-Hilaire<br />
(1838-1852)<br />
Création Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés<br />
Georges Duvernoy (1837-1855)<br />
1838<br />
Persan Persan<br />
Antoine-Isaac Silvestre <strong>de</strong> Sacy Amédée Jaubert (1838-1847)<br />
(1806-1838)
1840<br />
Économie politique Économie politique<br />
Pellegrino Rossi (1833-1840) Michel Chevalier (1840-1879)<br />
Création Langue <strong>et</strong> littérature slaves<br />
1841<br />
Adam Mickiewicz, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />
(1840-1852)<br />
Physique générale <strong>et</strong> expérimentale Physique générale <strong>et</strong> expérimentale<br />
Félix Savart (1836-1841) Henri-Victor Régnault (1841-1871)<br />
Création Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique<br />
Philarète Chasles (1841-1853)<br />
Création Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’Europe méridionale<br />
1843<br />
Edgar Quin<strong>et</strong> (1841-1852)<br />
Mathématiques Mathématiques<br />
Sylvestre-François Lacroix (1843-1848) Guillaume Libri-Carucci (1815-1843)<br />
1844<br />
Éloquence latine Éloquence latine<br />
Jean-Louis Burnouf (1817-1844) Désiré Nisard (1844-1852)<br />
Création Embryogénie comparée<br />
Victor Coste (1844-1873)<br />
1845<br />
Chimie Chimie minérale<br />
Louis-Jacques Thénard (1804-1845) Théophile-Jules Pelouze (1845-1850)<br />
1847<br />
Persan Persan<br />
Amédée Jaubert (1838-1847) Jules Mohl (1850-1876)<br />
27
28<br />
1848<br />
Le 7 avril 1848, un décr<strong>et</strong> du gouvernement provisoire supprima cinq chaires :<br />
Économie politique, Droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens, Législations comparées, Turc <strong>et</strong> Poésie<br />
latine,<br />
pour en créer douze nouvelles <strong><strong>de</strong>s</strong>tinées à instituer une École d’Administration dont<br />
l’existence fut éphémère :<br />
Droit politique français <strong>et</strong> droit politique comparé, Jean Reynaud<br />
Droit international <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> traités, Alphonse <strong>de</strong> Lamartine<br />
Droit privé, Armand Marrast<br />
Droit criminel, Faustin Hélie<br />
Économie générale <strong>et</strong> statistique <strong>de</strong> la population, Augustin Serres<br />
Économie générale <strong>et</strong> statistique <strong>de</strong> l’agriculture, Joseph Decaisne<br />
Économie générale <strong>et</strong> statistique <strong><strong>de</strong>s</strong> mines, usines, arts <strong>et</strong> manufactures, Jean-Martial Bineau<br />
Économie générale <strong>et</strong> statistique <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> publics, Alfred-Charles Franqu<strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> Franqueville<br />
Économie générale <strong>et</strong> statistique <strong><strong>de</strong>s</strong> finances <strong>et</strong> du commerce, Louis-Antoine Garnier-Pagès<br />
Droit administratif, Louis-Marie Delahaye <strong>de</strong> Cormenin<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> institutions administratives françaises <strong>et</strong> étrangères, Alexandre Ledru-Rollin<br />
Mécanique, Jean-Victor Poncel<strong>et</strong>.<br />
Le 14 novembre 1848, l’Assemblée Nationale rétablit les cinq chaires supprimées <strong>et</strong> leurs<br />
titulaires furent réintégrés au <strong>Collège</strong>.<br />
Chaire ancienne Chaire nouvelle<br />
1849<br />
Histoire générale <strong>et</strong> philosophique Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> législations comparées<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> législations comparées<br />
Édouard Laboulaye (1849-1883) Eugène Lerminier (1831-1849)<br />
Archéologie Archéologie<br />
Jean-Antoine L<strong>et</strong>ronne (1837-1848) Charles Lenormant (1849-1859)<br />
1850<br />
Mathématiques Mathématiques<br />
Guillaume Libri-Carucci (1843-1848) Joseph Liouville (1851-1882)<br />
Chimie minérale Chimie minérale<br />
Théophile-Jules Pelouze (1845-1850) Antoine-Jérôme Balard (1851-1876)<br />
1852<br />
Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites<br />
Eugène Burnouf (1832-1852) Théodore Pavie, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />
(1853-1857)<br />
Révocation <strong>de</strong> Quin<strong>et</strong>, Michel<strong>et</strong>, Mickiewicz.<br />
Langue <strong>et</strong> littérature slaves Langue <strong>et</strong> littérature slaves<br />
Adam Mickiewicz, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> Cyprien Robert, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />
(1840-1852) (1852-1857)
Éloquence latine Éloquence latine<br />
Désiré Nisard (1844-1852) Wilhelm Rinn (1853-1854)<br />
1853<br />
Littérature française Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes<br />
Jean-Jacques Ampère (1833-1853) Jean-Jacques Ampère (1853-1864)<br />
Philosophie grecque <strong>et</strong> latine Philosophie grecque <strong>et</strong> latine<br />
Jules Barthélémy Saint-Hilaire Émile Saiss<strong>et</strong>, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />
(1838-1852)<br />
Fusion <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires <strong>de</strong> :<br />
(1853-1857)<br />
— Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> littératures étrangères <strong>de</strong><br />
l’Europe méridionale l’Europe mo<strong>de</strong>rne<br />
Edgar Quin<strong>et</strong> (révoqué) (1841-1852)<br />
— Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique<br />
Philarète Chasles (1841-1853)<br />
Philarète Chasles (1853-1870)<br />
Création Langue <strong>et</strong> littérature françaises du Moyen Âge<br />
Paulin Paris (1853-1872)<br />
1854<br />
Droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens Droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens<br />
Xavier <strong>de</strong> Port<strong>et</strong>s (1822-1854) Adolphe Franck, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />
(1854-1856), titulaire (1856-1887)<br />
Poésie latine Poésie latine<br />
Pierre-François Tissot (1830-1854) Charles-Augustin <strong>de</strong> Sainte-Beuve<br />
(1854-1869)<br />
Turc Turc<br />
Alix Desgranges (1833-1854) Mathurin-Joseph Cor (1854)<br />
Histoire <strong>et</strong> morale Histoire <strong>et</strong> morale<br />
Jules Michel<strong>et</strong> (révoqué) (1838-1852) Joseph Guigniaut, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />
(1854-1857), titulaire (1857-1862)<br />
Éloquence latine Éloquence latine<br />
Wilhelm Rinn (1853-1854) Ernest Hav<strong>et</strong> (1854-1885)<br />
Turc Turc<br />
Mathurin-Joseph Cor (1854) Abel Pav<strong>et</strong> <strong>de</strong> Courteille, chargé <strong>de</strong><br />
<strong>cours</strong> (1854-1861), titulaire (1861-1889)<br />
1855<br />
Langue <strong>et</strong> littérature grecques Langue <strong>et</strong> littérature grecques<br />
Jean-François Boissona<strong>de</strong> (1855-1892) Jean-Pierre Rossignol (1829-1855)<br />
Mé<strong>de</strong>cine Mé<strong>de</strong>cine<br />
François Magendie (1831-1855) Clau<strong>de</strong> Bernard (1855-1878)<br />
Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés<br />
Georges Duvernoy (1837-1855) Pierre-Jean-Marie Flourens (1855-1867)<br />
29
30<br />
1857<br />
Hébreu Langues hébraïque, chaldaïque, <strong>et</strong> syriaque<br />
Étienne-Marc Quatremère (1819-1857) Louis Dubeux, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />
(1857-1861)<br />
Langue <strong>et</strong> littérature slaves Langue <strong>et</strong> littérature slaves<br />
Cyprien Robert, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> Alexandre Chodzko, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />
(1852-1857) (1857-1883)<br />
Philosophie grecque <strong>et</strong> latine Philosophie grecque <strong>et</strong> latine<br />
Émile Saiss<strong>et</strong>, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> Charles Lévêque, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />
(1853-1857) (1857-1860), titulaire (1861-1900)<br />
Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites<br />
Théodore Pavie, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> Édouard Foucaux, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />
(1853-1857) (1857-1862), titulaire (1862-1894)<br />
1860<br />
Astronomie Mécanique céleste<br />
Jacques Bin<strong>et</strong> (1823-1856) Joseph Serr<strong>et</strong> (1861-1885)<br />
Archéologie Philologie <strong>et</strong> archéologie égyptiennes<br />
Charles Lenormant (1849-1859) Emmanuel <strong>de</strong> Rougé (1860-1872)<br />
Langues hébraïque, chaldaïque, <strong>et</strong> syriaque Langues hébraïque, chaldaïque, <strong>et</strong> syriaque<br />
Louis Dubeux, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> (1857-1861) Ernerst Renan (1862-1864)<br />
Création Épigraphie <strong>et</strong> antiquités romaines<br />
Léon Renier (1861-1885)<br />
1862<br />
Physique mathématique Physique générale <strong>et</strong> mathématique<br />
Jean-Baptiste Biot (1801-1862) Joseph Bertrand (1862-1900)<br />
Histoire <strong>et</strong> morale Histoire <strong>et</strong> morale<br />
Joseph Guigniaut (1857-1862) Alfred Maury, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> (1861),<br />
titulaire (1862-1892)<br />
1864<br />
Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes<br />
Jean-Jacques Ampère (1853-1864) Louis <strong>de</strong> Loménie (1864-1878)<br />
Langues hébraïque, chaldaïque, <strong>et</strong> syriaque Langues hébraïque, chaldaïque, <strong>et</strong> syriaque<br />
Ernest Renan (révoqué) (1862-1864) Salomon Munk (1864-1867)<br />
Création Grammaire comparée<br />
Michel Bréal, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />
(1864-1865), titulaire (1866-1905)<br />
1865<br />
Création Chimie organique<br />
Marcelin Berthelot (1865-1907)
1869<br />
Poésie latine Poésie latine<br />
Charles-Augustin De Sainte-Beuve Gaston Boissier (1869-1885)<br />
(1854-1869)<br />
Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés<br />
Pierre-Jean-Marie Flourens (1855-1867) Étienne-Jules Marey (1869-1904)<br />
1870<br />
Langues <strong>et</strong> littératures étrangères <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> littératures d’origine<br />
l’Europe mo<strong>de</strong>rne germanique<br />
Philarète Chasles (1853-1870) Philarète Chasles (1870-1873)<br />
Langues hébraïque, chaldaïque, <strong>et</strong> syriaque Langues hébraïque, chaldaïque, <strong>et</strong> syriaque<br />
Salomon Munk (1864-1867) Ernest Renan (rétabli) (1870-1892)<br />
Rétablissement Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’Europe<br />
méridionale<br />
Edgar Quin<strong>et</strong> (1870-1875)<br />
1871<br />
Arabe Arabe<br />
Armand-Pierre Caussin <strong>de</strong> Perceval Charles-François Defrémery<br />
(1833-1871) (1871-1883)<br />
Création Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> doctrines économiques<br />
Émile Levasseur (1871-1885)<br />
1872<br />
Physique générale <strong>et</strong> expérimentale Physique générale <strong>et</strong> expérimentale<br />
Henri-Victor Régnault (1841-1871) Élie Mascart (1872-1908)<br />
Langue <strong>et</strong> littérature françaises du Langue <strong>et</strong> littérature françaises du<br />
Moyen Âge Moyen Âge<br />
Paulin Paris (1853-1872) Gaston Paris (1872-1903)<br />
1873<br />
Langues <strong>et</strong> littératures chinoise <strong>et</strong> Langues <strong>et</strong> littératures chinoise <strong>et</strong><br />
tartare-mandchoue tartare-mandchoue<br />
Stanislas Julien (1832-1873) Léon d’Hervey <strong>de</strong> Saint-Denys<br />
(1874-1892)<br />
31
32<br />
Embryogénie comparée Embryogénie comparée<br />
Victor Coste (1844-1873) Édouard Balbiani (1874-1899)<br />
Philologie <strong>et</strong> archéologie égyptiennes Philologie <strong>et</strong> archéologie égyptiennes<br />
Emmanuel <strong>de</strong> Rougé (1860-1872) Gaston Maspero (1874-1916)<br />
Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique<br />
Philarète Chasles (1870-1873) Guillaume Guizot (1874-1892)<br />
1874<br />
Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps inorganiques Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps inorganiques<br />
Léonce Élie <strong>de</strong> Beaumont Charles Sainte-Claire Deville<br />
(1832-1874) (1875-1876)<br />
Création Histoire <strong>de</strong> la philosophie mo<strong>de</strong>rne<br />
Jean Nourrisson (1874-1899)<br />
Création Philologie <strong>et</strong> archéologie assyriennes<br />
Jules Oppert (1874-1905)<br />
1875<br />
Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’Europe Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’Europe<br />
méridionale méridionale<br />
Edgar Quin<strong>et</strong> (1870-1875) Paul Meyer (1876-1906)<br />
Création Anatomie générale<br />
Louis Ranvier (1875-1911)<br />
1876<br />
Persan Persan<br />
Jules Mohl (1850-1876) Adrien Barbier Demeynard (1876-1885)<br />
Chimie minérale Chimie minérale<br />
Antoine-Jérôme Balard (1851-1876) Paul Schützenberger (1876-1897)<br />
Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps inorganiques Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps inorganiques<br />
Charles Sainte-Claire<strong>de</strong>ville (1875-1876) Ferdinand Fouqué (1877-1904)<br />
1877<br />
Création Épigraphie <strong>et</strong> antiquités grecques<br />
Paul Foucart (1877-1926)<br />
1878<br />
Mé<strong>de</strong>cine Mé<strong>de</strong>cine<br />
Clau<strong>de</strong> Bernard (1855-1878) Charles-Édouard Brown-Séquard<br />
(1878-1894)<br />
Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes<br />
Louis <strong>de</strong> Loménie (1864-1878) Paul Albert (1878-1880)<br />
Création Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art<br />
Charles Blanc (1878-1882)
1880<br />
Économie politique Économie politique<br />
Michel Chevalier (1840-1879) Paul Leroy-Beaulieu (1880-1916)<br />
Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes<br />
Paul Albert (1878-1880) Émile Deschanel (1881-1903)<br />
Création Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions<br />
Albert Réville (1880-1906)<br />
1882<br />
Mathématiques Mathématiques<br />
Joseph Liouville (1851-1882) Camille Jordan (1883-1912)<br />
Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art<br />
Charles Blanc (1878-1882) Eugène Guillaume (1882-1905)<br />
Création Langues <strong>et</strong> littératures celtiques<br />
Henry d’Arbois <strong>de</strong> Jubainville<br />
(1882-1910)<br />
1883<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> législations comparées Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> législations comparées<br />
Édouard Laboulaye (1849-1883) Jacques Flach (1884-1919)<br />
Arabe Arabe<br />
Charles-François Defrémery (1871-1883) Stanislas Guyard (1884)<br />
1884<br />
Langue <strong>et</strong> littérature slaves Langues <strong>et</strong> littératures slaves<br />
Alexandre Chodzko, chargé <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />
(1857-1883)<br />
Louis Léger (1885-1923)<br />
Arabe Arabe<br />
Stanislas Guyard (1884) Adrien Barbier <strong>de</strong> Meynard (1885-1908)<br />
1885<br />
Éloquence latine Philologie latine<br />
Ernest Hav<strong>et</strong> (1854-1885) Louis Hav<strong>et</strong> (1885-1925)<br />
Mécanique céleste Mécanique analytique <strong>et</strong> mécanique céleste<br />
Joseph Serr<strong>et</strong> (1861-1885) Maurice Lévy (1885-1908)<br />
Épigraphie <strong>et</strong> antiquités romaines Épigraphie <strong>et</strong> antiquités romaines<br />
Léon Renier (1861-1885) Ernest Desjardins (1886)<br />
Poésie latine Histoire <strong>de</strong> la littérature latine<br />
Gaston Boissier (1869-1885) Gaston Boissier (1885-1906)<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> doctrines économiques Géographie, histoire, <strong>et</strong> statistiques<br />
Émile Levasseur (1871-1885) économiques<br />
Émile Levasseur (1885-1911)<br />
Persan Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> la Perse<br />
Adrien Barbier <strong>de</strong> Meynard (1876-1885) James Darmest<strong>et</strong>er (1885-1894)<br />
33
34<br />
1886<br />
Épigraphie <strong>et</strong> antiquités romaines Épigraphie <strong>et</strong> antiquités romaines<br />
Ernest Desjardins (1886) René Cagnat (1887-1930)<br />
1887<br />
Droit <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gens Psychologie expérimentale <strong>et</strong> comparée<br />
Adolphe Franck (1856-1887) Théodule Ribot (1888-1901)<br />
1890<br />
Turc Épigraphie <strong>et</strong> antiquités sémitiques<br />
Abel Pav<strong>et</strong> <strong>de</strong> Courteille (1861-1889) Charles Clermont-Ganneau (1890-1923)<br />
1892<br />
Histoire <strong>et</strong> morale Géographie historique <strong>de</strong> la <strong>France</strong><br />
Alfred Maury (1862-1892) Auguste Longnon (1892-1911)<br />
Création Histoire générale <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences<br />
Pierre Laffitte (1892-1903)<br />
1893<br />
Langue <strong>et</strong> littérature grecques Langue <strong>et</strong> littérature grecques<br />
Jean-Pierre Rossignol (1855-1892) Maurice Crois<strong>et</strong> (1893-1930)<br />
Langues hébraïque, chaldaïque Langues <strong>et</strong> littératures hébraïque,<br />
<strong>et</strong> syriaque chaldaïque, <strong>et</strong> syriaque<br />
Ernest Renan (1870-1892) Philippe Berger (1893-1910)<br />
Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique<br />
Guillaume Guizot (1874-1892) Arthur Chuqu<strong>et</strong> (1893-1925)<br />
Langues <strong>et</strong> littératures chinoise <strong>et</strong> Langues <strong>et</strong> littératures chinoise <strong>et</strong><br />
tartare-mandchoue tartare-mandchoue<br />
Léon d’Hervey <strong>de</strong> Saint-Denys<br />
(1874-1892)<br />
Édouard Chavannes (1893-1918)<br />
1894<br />
Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites<br />
Édouard Foucaux (1862-1894) Sylvain Lévi (1894-1935)<br />
Mé<strong>de</strong>cine Mé<strong>de</strong>cine<br />
Charles-Édouard Brown-Séquard<br />
(1878-1894)<br />
Arsène d’Arsonval (1894-1930)<br />
Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> la Perse Langue <strong>et</strong> littérature araméennes<br />
James Darmest<strong>et</strong>er (1885-1894) Rubens Duval (1894-1907)<br />
1897<br />
Chimie minérale Chimie minérale<br />
Paul Schützenberger (1876-1897) Henri Le Chatelier (1898-1907)<br />
Création Philosophie sociale<br />
Jean Izoul<strong>et</strong> (1897-1929)
1899<br />
Histoire <strong>de</strong> la philosophie mo<strong>de</strong>rne Philosophie mo<strong>de</strong>rne<br />
Jean Nourrisson (1874-1899) Gabriel Tar<strong>de</strong> (1900-1904)<br />
Embryogénie comparée Embryogénie comparée<br />
Édouard Balbiani (1874-1899) Félix Henneguy (1900-1928)<br />
1900<br />
Philosophie grecque <strong>et</strong> latine Philosophie grecque <strong>et</strong> latine<br />
Charles Lévêque (1861-1900) Henri Bergson (1900-1904)<br />
Physique générale <strong>et</strong> mathématique Physique générale <strong>et</strong> mathématique<br />
Joseph Bertrand (1862-1900) Marcel Brillouin (1900-1931)<br />
1901<br />
Psychologie expérimentale <strong>et</strong> comparée Psychologie expérimentale <strong>et</strong> comparée<br />
Théodule Ribot (1888-1901) Pierre Jan<strong>et</strong> (1902-1934)<br />
1902<br />
Création Sociologie <strong>et</strong> sociographie musulmanes<br />
Alfred Le Chatelier (1902-1925)<br />
1903<br />
Langue <strong>et</strong> littérature françaises du Moyen Âge Langue <strong>et</strong> littérature françaises du Moyen Âge<br />
Gaston Paris (1872-1903) Joseph Bédier (1903-1936)<br />
Histoire générale <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences Histoire générale <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences<br />
Pierre Laffitte (1892-1903) Grégoire Wyrouboff (1903-1913)<br />
Création Pathologie générale <strong>et</strong> comparée<br />
Albert Charrin (1903-1907)<br />
1904<br />
Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés<br />
Étienne-Jules Marey (1869-1904) Nicolas François-Franck (1905-1921)<br />
Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps inorganiques Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps inorganiques<br />
Ferdinand Fouqué (1877-1904) Auguste Michel-Lévy (1905-1911)<br />
Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes<br />
Émile Deschanel (1881-1903) Abel Lefranc (1904-1937)<br />
Philosophie mo<strong>de</strong>rne Philosophie mo<strong>de</strong>rne<br />
Gabriel Tar<strong>de</strong> (1900-1904) Henri Bergson (1904-1921)<br />
1905<br />
Grammaire comparée Grammaire comparée<br />
Michel Bréal (1866-1905) Antoine Meill<strong>et</strong> (1906-1936)<br />
Philologie <strong>et</strong> archéologie assyriennes Philologie <strong>et</strong> archéologie assyriennes<br />
Jules Oppert (1874-1905) Charles Fossey (1906-1939)<br />
Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art<br />
Eugène Guillaume (1882-1905) Georges Lafenestre (1905-1919)<br />
35
36<br />
Philosophie grecque <strong>et</strong> latine Histoire <strong>et</strong> antiquités nationales<br />
Henri Bergson (nommé en 1904 titulaire Camille Jullian (1905-1930)<br />
<strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong>Philosophie mo<strong>de</strong>rne)<br />
(1900-1904)<br />
1906<br />
Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’Europe Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’Europe<br />
méridionale méridionale<br />
Paul Meyer (1876-1906) Alfred Morel-Fatio (1907-1924)<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions<br />
Albert Réville (1880-1906) Jean Réville (1907-1908)<br />
Histoire <strong>de</strong> la littérature latine Histoire <strong>de</strong> la littérature latine<br />
Gaston Boissier (1885-1906) Paul Monceaux (1907-1934)<br />
1907<br />
Chimie organique Chimie organique<br />
Marcelin Berthelot (1865-1907) Émile Jungfleisch (1908-1916)<br />
Chimie minérale Chimie minérale<br />
Henri Le Chatelier (1898-1907) Camille Matignon (1908-1934)<br />
Pathologie générale <strong>et</strong> comparée Biologie générale<br />
Albert Charrin (1903-1907) Émile Gley (1908-1930)<br />
Création Histoire du travail<br />
Georges Renard (1907-1930)<br />
1908<br />
Physique générale <strong>et</strong> expérimentale Physique générale <strong>et</strong> expérimentale<br />
Élie Mascart (1872-1908) Paul Langevin (1909-1946) (révoqué<br />
en 1940, réintégré en 1944)<br />
Arabe Langue <strong>et</strong> littérature arabes<br />
Adrien Barbier Demeynard (1885-1908) Paul Casanova (1909-1926)<br />
Langue <strong>et</strong> littérature araméennes Numismatique <strong>de</strong> l’Antiquité <strong>et</strong> du<br />
Rubens Duval (1895-1907) Moyen Âge<br />
Ernest Babelon (1908-1924)<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions<br />
Jean Réville (1907-1908) Alfred Loisy (1909-1932)<br />
1909<br />
Mécanique analytique <strong>et</strong> mécanique céleste Mécanique analytique <strong>et</strong> mécanique céleste<br />
Maurice Lévy (1885-1908) Jacques Hadamard (1909-1937)<br />
1910<br />
Langues <strong>et</strong> littératures celtiques Langues <strong>et</strong> littératures celtiques<br />
Henry d’Arbois <strong>de</strong> Jubainville Joseph Loth (1910-1930)<br />
(1882-1910)
1911<br />
Langues <strong>et</strong> littératures hébraïque, Langues, histoire <strong>et</strong> archéologie <strong>de</strong><br />
chaldaïque, <strong>et</strong> syriaque l’Asie centrale<br />
Philippe Berger (1893-1910) Paul Pelliot (1911-1945)<br />
1912<br />
Anatomie générale Histologie comparée<br />
Louis Ranvier (1875-1911) Jean Nageotte (1912-1937)<br />
Mathématiques Mathématiques<br />
Camille Jordan (1883-1912) Georges Humbert (1912-1921)<br />
Géographie, histoire <strong>et</strong> statistiques Étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> faits économiques <strong>et</strong><br />
économiques sociaux<br />
Émile Levasseur (1885-1911) Marcel Marion (1912-1932)<br />
Géographie historique <strong>de</strong> la <strong>France</strong> Histoire <strong>de</strong> l’Afrique du Nord<br />
Auguste Longnon (1892-1911) Stéphane Gsell (1912-1932)<br />
Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps inorganiques Géologie<br />
Lucien Cayeux (1912-1936) Auguste Michel-Lévy (1905-1911)<br />
Création temporaire (fondation Albert Géographie humaine<br />
Kahn) Jean Brunhes (1912-1930)<br />
1914<br />
Histoire générale <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences Chaire supprimée<br />
Grégoire Wyrouboff (1903-1913)<br />
1916<br />
Philologie <strong>et</strong> archéologie égyptiennes Chaire supprimée<br />
Gaston Maspero (1874-1916)<br />
Chimie organique Chaire supprimée<br />
Émile Jungfleisch (1908-1916)<br />
Création Prévoyance <strong>et</strong> assistance sociales<br />
(fondation <strong>de</strong> la Ville <strong>de</strong> Paris) Édouard Fuster (1917-1935)<br />
1917<br />
Économie politique Chimie organique<br />
Paul Leroy-Beaulieu (1880-1916) Charles Moureu (1917-1929)<br />
1919<br />
Langues <strong>et</strong> littératures chinoise <strong>et</strong> Langue <strong>et</strong> littérature chinoises<br />
tartare-mandchoue<br />
Édouard Chavannes (1893-1918)<br />
Henri Maspero (1921-1945)<br />
Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art Histoire <strong>de</strong> l’art français<br />
Georges Lafenestre (1905-1919) André Michel (1920-1925)<br />
1920<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> législations comparées Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences<br />
Jacques Flach (1884-1919) Pierre Boutroux (1920-1922)<br />
37
38<br />
Création Histoire <strong>et</strong> philologie indochinoises<br />
Louis Finot (1920-1930)<br />
Création temporaire Enseignement <strong>de</strong> la coopération<br />
Charles Gi<strong>de</strong> (1921-1930)<br />
1921<br />
Philosophie mo<strong>de</strong>rne Philosophie<br />
Henri Bergson (1904-1921) Édouard Leroy (1921-1940)<br />
Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés<br />
Nicolas François-Franck (1905-1921) André Mayer (1922-1946)<br />
Mathématiques Mathématiques<br />
Georges Humbert (1912-1921) Henri Lebesgue (1921-1941)<br />
Création Histoire coloniale<br />
Alfred Martineau (1921-1935)<br />
1922<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences Égyptologie<br />
Pierre Boutroux (1920-1922) Alexandre Mor<strong>et</strong> (1923-1938)<br />
1923<br />
Langues <strong>et</strong> littératures slaves Langues <strong>et</strong> littératures slaves<br />
Louis Léger (1885-1923) André Mazon (1923-1951)<br />
Épigraphie <strong>et</strong> antiquités sémitiques Physiologie <strong><strong>de</strong>s</strong> sensations<br />
Charles Clermont-Ganneau (1890-1923) Henri Piéron (1923-1951)<br />
Création Phonétique expérimentale<br />
Jean Rousselot (1923-1924)<br />
Création temporaire Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> coloniales, protistologie pathologique<br />
Louis Nattan-Larrier (1923-1943)<br />
1924<br />
Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’Europe<br />
méridionale<br />
Littérature latine du Moyen Âge<br />
Edmond Faral (1925-1954) Alfred Morel-Fatio (1907-1924)<br />
Numismatique <strong>de</strong> l’Antiquité <strong>et</strong> du Numismatique <strong>de</strong> l’Antiquité<br />
Moyen Âge<br />
Théodore Reinach (1924-1928)<br />
Ernest Babelon (1908-1924)<br />
1925<br />
Philologie latine Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> littératures comparées <strong>de</strong> l’Europe<br />
Louis Hav<strong>et</strong> (1885-1925) méridionale <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Amérique latine<br />
Paul Hazard (1925-1944)<br />
Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique<br />
Arthur Chuqu<strong>et</strong> (1893-1925) Charles Andler (1926-1933)<br />
Phonétique expérimentale Histophysiologie<br />
Jean Rousselot (1923-1924) Justin Jolly (1925-1940)
Création Épidémiologie<br />
Hyacinthe Vincent (1925-1936)<br />
1926<br />
Épigraphie <strong>et</strong> antiquités grecques Épigraphie grecque<br />
Paul Foucart (1877-1926) Maurice Holleaux (1927-1932)<br />
Sociologie <strong>et</strong> sociographie musulmanes Sociologie <strong>et</strong> sociographie musulmanes<br />
Alfred Le Chatelier (1902-1925) Louis Massignon (1926-1954)<br />
Langue <strong>et</strong> littérature arabes Langue <strong>et</strong> littérature arabes<br />
Paul Casanova (1909-1926) William Marçais (1927-1943)<br />
Histoire <strong>de</strong> l’art français Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art<br />
André Michel (1920-1925) Gabriel Mill<strong>et</strong> (1926-1937)<br />
1928<br />
Embryogénie comparée Embryogénie comparée<br />
Félix Henneguy (1900-1928) Emmanuel Fauré-Frémi<strong>et</strong> (1928-1954)<br />
1929<br />
Philosophie sociale Sociologie<br />
Jean Izoul<strong>et</strong> (1897-1929) Marcel Mauss (1931-1942)<br />
Chimie organique Chimie organique<br />
Charles Moureu (1917-1929) Marcel Delépine (1930-1941)<br />
Numismatique <strong>de</strong> l’Antiquité Préhistoire<br />
Théodore Reinach (1924-1928) Henri Breuil (1929-1947)<br />
Création Mécanique animale appliquée <strong>de</strong> l’aviation<br />
Antoine Magnan (1929-1938)<br />
1930<br />
Histoire <strong>et</strong> philologie indochinoises Histoire <strong>et</strong> philologie indochinoises<br />
Louis Finot (1920-1930) Jean Przyluski (1931-1944)<br />
1931<br />
Épigraphie <strong>et</strong> antiquités romaines Civilisation romaine<br />
René Cagnat (1887-1930) Eugène Albertini (1932-1941)<br />
Langue <strong>et</strong> littérature grecques Langue <strong>et</strong> littérature grecques<br />
Maurice Crois<strong>et</strong> (1893-1930) Émile Bourgu<strong>et</strong> (1932-1938)<br />
Mé<strong>de</strong>cine Mé<strong>de</strong>cine<br />
Arsène d’Arsonval (1894-1930) Charles Nicolle (1932-1936)<br />
Physique générale <strong>et</strong> mathématique Physique théorique<br />
Marcel Brillouin (1900-1931) Léon Brillouin (1932-1949)<br />
Histoire du travail Histoire du travail<br />
Georges Renard (1907-1930) François Simiand (1932-1935)<br />
Biologie générale Biologie générale<br />
Émile Gley (1908-1930) Jacques Duclaux (1931-1948)<br />
39
40<br />
Langues <strong>et</strong> littératures celtiques Histoire <strong>de</strong> la philosophie au Moyen Âge<br />
Joseph Loth (1910-1930) Étienne Gilson (1932-1950)<br />
Création Civilisation américaine<br />
Bernard Faÿ (1932-1945)<br />
1932<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions Histoire <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne<br />
Alfred Loisy (1909-1932) Lucien Febvre (1933-1949)<br />
Histoire <strong>de</strong> l’Afrique du Nord Histoire ancienne <strong>de</strong> l’Orient sémitique<br />
Stéphane Gsell (1912-1932) Isidore Lévy (1932-1941)<br />
Étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> faits économiques <strong>et</strong> sociaux Géographie économique <strong>et</strong> politique<br />
Marcel Marion (1912-1932) André Siegfried (1933-1946)<br />
Création temporaire Histoire <strong>de</strong> l’art monumental<br />
(fondation <strong>de</strong> la Ville <strong>de</strong> Paris) Paul Léon (1932-1944)<br />
1933<br />
Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique<br />
Charles Andler (1926-1933) Ernest Tonnelat (1934-1948)<br />
Épigraphie grecque Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions<br />
Maurice Holleaux (1927-1932) Jean Baruzi (1933-1951)<br />
Création (pour A. Einstein, qui ne Physique mathématique<br />
<strong>de</strong>vait jamais l’occuper)<br />
Suppression par décr<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires <strong>de</strong> :<br />
Psychologie expérimentale <strong>et</strong> comparée<br />
Pierre Jan<strong>et</strong> (1902-1934)<br />
Histoire <strong>de</strong> la littérature latine<br />
Paul Monceaux (1907-1934)<br />
Chimie minérale<br />
Camille Matignon (1908-1934)<br />
1934<br />
1935<br />
Histoire <strong>et</strong> antiquités nationales Antiquités nationales<br />
Camille Jullian (1905-1930) Albert Grenier (1936-1948)<br />
Prévoyance <strong>et</strong> assistance sociales Psychologie <strong>et</strong> éducation <strong>de</strong> l’enfance<br />
Édouard Fuster (1917-1935) Henri Wallon (1937-1949)<br />
Histoire du travail Histoire du travail<br />
François Simiand (1932-1935) Émile Coornaert (1936-1957)<br />
1936<br />
Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites Chimie nucléaire<br />
Sylvain Lévi (1894-1935) Frédéric Joliot (1937-1958)<br />
Mé<strong>de</strong>cine Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites<br />
Charles Nicolle (1932-1936) Jules Bloch (1937-1951)
1937<br />
Langue <strong>et</strong> littérature françaises du Moyen Âge Histoire du vocabulaire français<br />
Joseph Bédier (1903-1936) Mario Roques (1937-1946)<br />
Langue <strong>et</strong> littérature françaises mo<strong>de</strong>rnes Poétique<br />
Paul Valéry (1937-1945) Abel Lefranc (1904-1937)<br />
Grammaire comparée Grammaire comparée<br />
Antoine Meill<strong>et</strong> (1906-1936) Émile Benveniste (1937-1972)<br />
Géologie Géologie méditerranéenne<br />
Lucien Cayeux (1912-1936) Paul Fallot (1938-1960)<br />
Histoire coloniale Histoire <strong>de</strong> la colonisation<br />
Alfred Martineau (1921-1935) Edmond Chassigneux (1939-1946)<br />
Épidémiologie Mé<strong>de</strong>cine<br />
Hyacinthe Vincent (1925-1936) René Leriche (1937-1950)<br />
1938<br />
Mécanique analytique <strong>et</strong> mécanique céleste Mathématique <strong>et</strong> mécanique<br />
Jacques Hadamard (1909-1937) Szolem Man<strong>de</strong>lbrojt (1938-1972)<br />
Histologie comparée Morphologie expérimentale <strong>et</strong> endocrinologie<br />
Jean Nageotte (1912-1937) Robert Courrier (1938-1966)<br />
Égyptologie Égyptologie<br />
Alexandre Mor<strong>et</strong> (1923-1938) Pierre Lacau (1938-1947)<br />
Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art<br />
Gabriel Mill<strong>et</strong> (1926-1937) Henri Focillon (1938-1942)<br />
Mécanique animale appliquée à l’aviation Aérolocomotion mécanique <strong>et</strong> biologique<br />
Antoine Magnan (1929-1938) Étienne Œhmichen (1939-1955)<br />
Langue <strong>et</strong> littérature grecques Épigraphie <strong>et</strong> antiquités grecques<br />
Émile Bourgu<strong>et</strong> (1932-1938) Louis Robert (1939-1974)<br />
1941<br />
Philologie <strong>et</strong> archéologie assyriennes Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> arts <strong>de</strong> l’Orient musulman<br />
Charles Fossey (1906-1939) Albert Gabriel (1941-1953)<br />
Physique générale <strong>et</strong> expérimentale Physique générale <strong>et</strong> expérimentale<br />
Paul Langevin (1909-1946) (révoqué Maurice Debroglie (1942-1944),<br />
en 1940, réintégré en 1944) puis à nouveau Paul Langevin<br />
Philosophie Philosophie<br />
Édouard Leroy (1921-1940) Louis Lavelle (1941-1951)<br />
Mathématiques<br />
Henri Lebesgue (1921-1941)<br />
Affectation réservée<br />
Histophysiologie Radiobiologie expérimentale<br />
Justin Jolly (1925-1940) Antoine Lacassagne (1941-1951)<br />
Chimie organique Chimie organique<br />
Marcel Delépine (1930-1941) Charles Dufraisse (1942-1955)<br />
41
42<br />
Civilisation romaine Civilisation romaine<br />
Eugène Albertini (1932-1941) André Piganiol (1942-1954)<br />
1943-1944<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> littératures comparées <strong>de</strong> l’Europe Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> la péninsule<br />
méridionale <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Amérique latine ibérique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Amérique latine<br />
Paul Hazard (1925-1944) Marcel Bataillon (1945-1965)<br />
Sociologie Psychologie collective<br />
Marcel Mauss (1931-1942) Maurice Halbwachs (1944-1945)<br />
Esthétique <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’art Histoire <strong>de</strong> la langue latine<br />
Henri Focillon (révoqué) (1938-1942) Alfred Ernout (1944-1951)<br />
Mathématique <strong>et</strong> mécanique Physique cosmique<br />
Szolem Man<strong>de</strong>lbrojt (1938-1972)<br />
(révoqué en 1942, réintégré en 1944)<br />
Alexandre Dauvillier (1944-1962)<br />
1945 2<br />
Langue <strong>et</strong> littérature chinoises Langue <strong>et</strong> littérature chinoises<br />
Henri Maspero (1921-1945) Paul Demiéville (1946-1964)<br />
Langue <strong>et</strong> littérature arabes Histoire du mon<strong>de</strong> arabe<br />
William Marçais (1927-1943) Jean Sauvag<strong>et</strong> (1946-1950)<br />
Histoire ancienne <strong>de</strong> l’Orient sémitique Philologie <strong>et</strong> archéologie assyro-babyloniennes<br />
Isidore Lévy (1932-1941) Édouard Dhorme (1945-1951)<br />
Physique mathématique Physique atomique <strong>et</strong> moléculaire<br />
(chaire créée pour A. Einstein en 1933) Francis Perrin (1946-1972)<br />
Poétique Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> créations littéraires en <strong>France</strong><br />
Paul Valéry (1937-1945) Jean Pommier (1946-1964)<br />
Psychologie collective Histoire <strong>de</strong> la civilisation italienne<br />
Maurice Halbwachs (1944-1945) Augustin Renaud<strong>et</strong> (1946-1950)<br />
1946<br />
Physique générale <strong>et</strong> expérimentale Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> équations différentielles<br />
Paul Langevin (1909-1946) <strong>et</strong> fonctionnelles<br />
Jean Leray (1947-1978)<br />
Langues, histoire <strong>et</strong> archéologie <strong>de</strong> l’Asie centrale Archéologie paléochrétienne <strong>et</strong> byzantine<br />
Paul Pelliot (1911-1945) André Grabar (1946-1966)<br />
Histoire naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> corps organisés Biochimie générale <strong>et</strong> comparée<br />
André Mayer (1922-1946) Jean Roche (1947-1972)<br />
Histoire <strong>et</strong> philologie indochinoises Histoire <strong>et</strong> philologie indochinoises<br />
Jean Przyluski (1931-1944) Émile Gaspardone (1946-1965)<br />
2. L’année indiquée est celle <strong>de</strong> la délibération <strong>de</strong> l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> Professeurs, l’arrêté ministériel<br />
déclarant la vacance <strong>de</strong> la chaire, postérieur <strong>de</strong> quelques mois, peut être parfois daté <strong>de</strong> l’année<br />
suivante.
Civilisation américaine Histoire <strong>de</strong> la civilisation <strong>de</strong><br />
Bernard Faÿ (révoqué) (1932-1945) l’Amérique du Nord<br />
Marcel Giraud (1947-1971)<br />
Géographie économique <strong>et</strong> politique Étu<strong>de</strong> du mon<strong>de</strong> tropical<br />
André Siegfried (1933-1946) Pierre Gourou (1947-1970)<br />
Histoire du vocabulaire français Langue <strong>et</strong> littérature françaises du Moyen Âge<br />
Mario Roques (1937-1946) Félix Lecoy (1947-1974)<br />
Création Civilisations <strong>de</strong> l’Extrême-Orient<br />
Paul Mus (1946-1969)<br />
1947<br />
Préhistoire Géographie historique <strong>de</strong> la <strong>France</strong><br />
Henri Breuil (1929-1947) Roger Dion (1948-1968)<br />
Égyptologie Égyptologie<br />
Pierre Lacau (1938-1947) Pierre Mont<strong>et</strong> (1948-1956)<br />
Histoire <strong>de</strong> la colonisation Histoire <strong>de</strong> l’expansion <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt<br />
Edmond Chassigneux (1939-1946) Robert Montagné (1948-1954)<br />
1948<br />
Biologie générale Neurophysiologie générale<br />
Jacques Duclaux (1931-1948) Alfred Fessard (1949-1971)<br />
Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique<br />
Ernest Tonnelat (1934-1948) Fernand Mossé (1949-1956)<br />
Antiquités nationales Civilisation indo-européenne<br />
Albert Grenier (1936-1948) Georges Dumézil (1949-1968)<br />
1949<br />
Physique théorique Physique théorique<br />
Léon Brillouin (1932-1949) Jean Laval (1950-1970)<br />
Histoire <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne Histoire <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne<br />
Lucien Febvre (1933-1949) Fernand Brau<strong>de</strong>l (1950-1972)<br />
Psychologie <strong>et</strong> éducation <strong>de</strong> l’enfance Psychologie <strong><strong>de</strong>s</strong> arts plastiques<br />
Henri Wallon (1937-1949) René Huyghe (1951-1976)<br />
1950<br />
Mé<strong>de</strong>cine Mé<strong>de</strong>cine expérimentale<br />
René Leriche (1937-1950) Antoine Lacassagne (1951-1954)<br />
Histoire <strong>de</strong> la civilisation italienne Littérature <strong>et</strong> civilisation italiennes<br />
Augustin Renaud<strong>et</strong> (1946-1950) André Pézard (1951-1963)<br />
Histoire du mon<strong>de</strong> arabe Langue <strong>et</strong> littérature arabes<br />
Jean Sauvag<strong>et</strong> (1946-1950) Gaston Wi<strong>et</strong> (1951-1959)<br />
Création Histoire <strong>et</strong> structure sociales <strong>de</strong> Paris<br />
(fondation <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Paris) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la région parisienne<br />
Louis Chevalier (1952-1981)<br />
43
44<br />
1951<br />
Langues <strong>et</strong> littératures slaves Langues <strong>et</strong> littératures slaves<br />
André Mazon (1923-1951) André Vaillant (1952-1962)<br />
Physiologie <strong><strong>de</strong>s</strong> sensations Physique mathématique<br />
Henri Piéron (1923-1951) André Lichnerowicz (1952-1986)<br />
Histoire <strong>de</strong> la philosophie au Moyen Âge Histoire <strong>et</strong> technologie <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes<br />
Étienne Gilson (1932-1950) philosophiques<br />
Martial Guéroult (1951-1962)<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions<br />
Jean Baruzi (1933-1951) Henri-Charles Puech (1952-1972)<br />
Langue <strong>et</strong> littérature sanscrites Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’In<strong>de</strong><br />
Jules Bloch (1937-1951) Jean Filliozat (1952-1978)<br />
Philosophie Philosophie<br />
Louis Lavelle (1941-1951) Maurice Merleau-Ponty (1952-1961)<br />
Histoire <strong>de</strong> la langue latine Littérature latine<br />
Alfred Ernout (1944-1951) Pierre Courcelle (1952-1980)<br />
Philologie <strong>et</strong> archéologie assyro-babyloniennes Assyriologie<br />
Édouard Dhorme (1945-1951) René Labat (1952-1974)<br />
Radiobiologie expérimentale Histophysiologie<br />
Antoine Lacassagne (nommé en Jacques Benoit (1952-1966)<br />
1951, titulaire <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong><br />
Mé<strong>de</strong>cine expérimentale créée<br />
l’année précé<strong>de</strong>nte)<br />
1953<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> arts <strong>de</strong> l’Orient musulman Archéologie <strong>de</strong> l’Asie occi<strong>de</strong>ntale<br />
Clau<strong>de</strong> Schaeffer-Forrer (1954-1969) Albert Gabriel (1941-1953)<br />
1954<br />
Littérature latine du Moyen Âge Analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> faits économiques <strong>et</strong> sociaux<br />
Edmond Faral (1925-1954) François Perroux (1955-1974)<br />
Embryogénie comparée Embryologie expérimentale<br />
Emmanuel Fauré-Frémi<strong>et</strong> (1928-1954) Étienne Wolff (1955-1974)<br />
Civilisation romaine Civilisation romaine<br />
André Piganiol (1942-1954) Jean Gagé (1955-1972)<br />
Mé<strong>de</strong>cine expérimentale Mé<strong>de</strong>cine expérimentale<br />
Antoine Lacassagne (1951-1954) Charles Oberling (1955-1960)<br />
1955<br />
Sociologie <strong>et</strong> sociographie musulmanes Sociologie musulmane<br />
Louis Massignon (1926-1954) Henri Laoust (1956-1975)<br />
Aérolocomotion mécanique <strong>et</strong> biologique Algèbre <strong>et</strong> géométrie<br />
Étienne Œhmichen (1939-1955) Jean-Pierre Serre (1956-1994)
Chimie organique Chimie organique <strong><strong>de</strong>s</strong> hormones<br />
Charles Dufraisse (1942-1955) Alain Horeau (1956-1980)<br />
Histoire <strong>de</strong> l’expansion <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt Histoire sociale <strong>de</strong> l’Islam contemporain<br />
Robert Montagné (1948-1954) Jacques Berque (1956-1981)<br />
1956<br />
Égyptologie Philologie <strong>et</strong> archéologie égyptiennes<br />
Pierre Mont<strong>et</strong> (1948-1956) Étienne Drioton (1957-1960)<br />
1957<br />
Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique<br />
Fernand Mossé (1949-1956) Robert Min<strong>de</strong>r (1957-1973)<br />
1958<br />
Histoire du travail Démographie sociale : la vie <strong><strong>de</strong>s</strong> populations<br />
Émile Coornaert (1936-1957) Alfred Sauvy (1959-1969)<br />
Chimie nucléaire Physique nucléaire<br />
Frédéric Joliot (1937-1958) Louis Leprince-Ringu<strong>et</strong> (1959-1972)<br />
Création Anthropologie sociale<br />
Clau<strong>de</strong> Lévi-Strauss (1959-1982)<br />
1959<br />
Langue <strong>et</strong> littérature arabes Magnétisme nucléaire<br />
Gaston Wi<strong>et</strong> (1951-1959) Anatole Abragam (1960-1985)<br />
1960<br />
Géologie méditerranéenne Métho<strong><strong>de</strong>s</strong> physiques <strong>de</strong> l’astronomie<br />
Paul Fallot (1938-1960) André Lallemand (1961-1974)<br />
Mé<strong>de</strong>cine expérimentale Mé<strong>de</strong>cine expérimentale<br />
Charles Oberling (1955-1960) Bernard Halpern (1961-1975)<br />
Philologie <strong>et</strong> archéologie égyptiennes Philologie <strong>et</strong> archéologie égyptiennes<br />
Étienne Drioton (1957-1960) Georges Posener (1961-1978)<br />
1961<br />
Philosophie Philosophie <strong>de</strong> la connaissance<br />
Maurice Merleau-Ponty (1952-1961) Jules Vuillemin (1962-1990)<br />
1962<br />
Histoire <strong>et</strong> technologie <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes Histoire <strong>de</strong> la pensée philosophique<br />
philosophiques<br />
Martial Guéroult (1951-1962)<br />
Jean Hyppolite (1963-1968)<br />
Langues <strong>et</strong> littératures slaves Hébreu <strong>et</strong> araméen<br />
André Vaillant (1952-1962) André Dupont-Sommer (1963-1971)<br />
45
46<br />
1963<br />
Physique cosmique Astrophysique théorique<br />
Alexandre Dauvillier (1944-1962) Jean-Clau<strong>de</strong> Pecker (1964-1988)<br />
Langue <strong>et</strong> littérature chinoises Histoire <strong>et</strong> civilisations <strong>de</strong> l’Asie centrale<br />
Paul Démiéville (1946-1964) Louis Hambis (1965-1977)<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> créations littéraires en <strong>France</strong> Littérature française mo<strong>de</strong>rne<br />
Georges Blin (1965-1988) Jean Pommier (1946-1964)<br />
Littérature <strong>et</strong> civilisation italiennes Archéologie <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> la Gaule<br />
André Pézard (1951-1963) Paul-Marie Duval (1964-1982)<br />
Création Physique théorique <strong><strong>de</strong>s</strong> particules élémentaires<br />
Jacques Prentki (1965-1983)<br />
Création Génétique cellulaire<br />
François Jacob (1965-1991)<br />
1965<br />
Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> la péninsule Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> la péninsule<br />
ibérique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Amérique latine ibérique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Amérique latine<br />
Marcel Bataillon (1945-1965) Israël Révah (1966-1973)<br />
Histoire <strong>et</strong> philologie indochinoises Étu<strong>de</strong> du mon<strong>de</strong> chinois : institutions<br />
Émile Gaspardone (1946-1965) <strong>et</strong> concepts<br />
Rolf A. Stein (1966-1981)<br />
1967<br />
Morphologie expérimentale <strong>et</strong> endocrinologie Physiologie cellulaire<br />
Robert Courrier (1938-1966) François Morel (1967-1993)<br />
Archéologie paléochrétienne <strong>et</strong> byzantine Histoire <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> Byzance<br />
André Grabar (1946-1966) Paul Lemerle (1967-1973)<br />
Histophysiologie Biologie moléculaire<br />
Jacques Benoit (1952-1966) Jacques Monod (1967-1973)<br />
1968<br />
Civilisation indo-européenne Préhistoire<br />
Georges Dumézil (1949-1968) André Leroi-Gourhan (1969-1982)<br />
1969<br />
Géographie historique <strong>de</strong> la <strong>France</strong> Géographie du continent européen<br />
Roger Dion (1948-1968) Maurice Lelannou (1969-1976)<br />
Archéologie <strong>de</strong> l’Asie occi<strong>de</strong>ntale Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés médiévales<br />
Clau<strong>de</strong> Schaeffer-Forrer (1954-1969) Georges Duby (1970-1991)<br />
Démographie sociale : la vie <strong><strong>de</strong>s</strong> populations Sociologie <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne<br />
Alfred Sauvy (1959-1969) Raymond Aron (1970-1978)<br />
Histoire <strong>de</strong> la pensée philosophique Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> pensée<br />
Jean Hyppolite (1963-1968) Michel Foucault (1970-1984)
1970<br />
Civilisations <strong>de</strong> l’Extrême-Orient Art <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> la Renaissance en Italie<br />
Paul Mus (1946-1969) André Chastel (1970-1984)<br />
Étu<strong>de</strong> du mon<strong>de</strong> tropical Étu<strong>de</strong> du Bouddhisme<br />
Pierre Gourou (1947-1970) André Bareau (1971-1991)<br />
Physique théorique Physique <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée<br />
Jean Laval (1950-1970) Pierre-Gilles <strong>de</strong> Gennes (1971-2004)<br />
1971<br />
Histoire <strong>de</strong> la civilisation <strong>de</strong> Anthropologie physique<br />
l’Amérique du Nord<br />
Marcel Giraud (1947-1971)<br />
Jacques Ruffié (1972-1992)<br />
Neurophysiologie générale Neurophysiologie<br />
Alfred Fessard (1949-1971) Yves Laporte (1972-1991)<br />
Hébreu <strong>et</strong> araméen Hébreu <strong>et</strong> araméen<br />
André Dupont-Sommer (1963-1971) André Caquot (1972-1994)<br />
1972<br />
Physique atomique <strong>et</strong> moléculaire Physique atomique <strong>et</strong> moléculaire<br />
Francis Perrin (1946-1972) Clau<strong>de</strong> Cohen-Tannoudji (1973-2004)<br />
Biochimie générale <strong>et</strong> comparée Biochimie cellulaire<br />
Jean Roche (1947-1972) François Gros (1973-1996)<br />
Physique nucléaire Physique corpusculaire<br />
Louis Leprince-Ringu<strong>et</strong> (1959-1972) Marcel Froissart (1973-2004)<br />
1973<br />
Grammaire comparée Langues <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> l’Asie Mineure<br />
Émile Benveniste (1937-1972) Emmanuel Laroche (1973-1985)<br />
Mathématique <strong>et</strong> mécanique Analyse mathématique <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes<br />
Szolem Man<strong>de</strong>lbrojt (1938-1972) <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur contrôle<br />
Jacques-Louis Lions (1973-1998)<br />
Histoire <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne Histoire <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne<br />
Fernand Brau<strong>de</strong>l (1950-1972) Emmanuel Le Roy Ladurie (1973-1999)<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions La Grèce <strong>et</strong> la formation <strong>de</strong> la pensée morale<br />
Henri-Charles Puech (1952-1972) <strong>et</strong> politique<br />
Jacqueline <strong>de</strong> Romilly (1973-1984)<br />
Civilisation romaine Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes<br />
Jean Gagé (1955-1972) Jacques Tits (1973-2000)<br />
Langues <strong>et</strong> littératures d’origine germanique Étu<strong>de</strong> comparée <strong><strong>de</strong>s</strong> religions antiques<br />
Robert Min<strong>de</strong>r (1957-1973) Jean-Pierre Vernant (1975-1984)<br />
Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> la péninsule Histoire sociale <strong>et</strong> intellectuelle <strong>de</strong> la Chine<br />
ibérique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Amérique latine<br />
Israël Révah (1966-1973)<br />
Jacques Gern<strong>et</strong> (1975-1992)<br />
47
48<br />
Biologie moléculaire Physiologie du développement<br />
Jacques Monod (1967-1973) Alfred Jost (1974-1987)<br />
Histoire <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> Byzance Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> mentalités religieuses<br />
Paul Lemerle (1967-1973) dans l’Occi<strong>de</strong>nt mo<strong>de</strong>rne<br />
Jean Delumeau (1975-1994)<br />
1974<br />
Embryologie expérimentale Communications cellulaires<br />
Étienne Wolff (1955-1974) Jean-Pierre Changeux (1975-2006)<br />
Métho<strong><strong>de</strong>s</strong> physiques <strong>de</strong> l’astronomie Neuropsychologie du développement<br />
André Lallemand (1961-1974) Julian <strong>de</strong> Ajuriaguerra (1975-1981)<br />
1975<br />
Épigraphie <strong>et</strong> antiquités grecques Sémiologie littéraire<br />
Louis Robert (1939-1974) Roland Barthes (1976-1980)<br />
Langue <strong>et</strong> littérature françaises du Moyen Âge Invention, technique <strong>et</strong> langage en musique<br />
Félix Lecoy (1947-1974) Pierre Boulez (1976-1995)<br />
Assyriologie Histoire <strong>de</strong> Rome<br />
René Labat (1952-1974) Paul-Marie Veyne (1976-1999)<br />
Analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> faits économiques <strong>et</strong> sociaux Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong> byzantin<br />
François Perroux (1955-1974) Gilbert Dagron (1975-2001)<br />
Sociologie musulmane Langue <strong>et</strong> littérature arabes classiques<br />
Henri Laoust (1956-1975) André Miquel (1976-1997)<br />
1976<br />
Psychologie <strong><strong>de</strong>s</strong> arts plastiques Histoire <strong>de</strong> la création artistique en <strong>France</strong><br />
René Huyghe (1951-1976) Jacques Thuillier (1977-1998)<br />
Mé<strong>de</strong>cine expérimentale Mé<strong>de</strong>cine expérimentale<br />
Bernard Halpern (1961-1975) Jean Dauss<strong>et</strong> (1977-1987)<br />
Géographie du continent européen Christianisme <strong>et</strong> gnoses dans l’Orient<br />
Maurice Lelannou (1969-1976) préislamique<br />
Antoine Guillaumont (1977-1986)<br />
1977<br />
Histoire <strong>et</strong> civilisations <strong>de</strong> l’Asie centrale Sociographie <strong>de</strong> l’Asie du Sud-Est<br />
Louis Hambis (1965-1977) Lucien Bernot (1978-1985)<br />
1978<br />
Philologie <strong>et</strong> archéologie égyptiennes Égyptologie<br />
Georges Posener (1961-1978) Jean Leclant (1979-1990)<br />
1979<br />
Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> équations différentielles Droit international<br />
<strong>et</strong> fonctionnelles René-Jean Dupuy (1979-1989)<br />
Jean Leray (1947-1978)
Langues <strong>et</strong> littératures <strong>de</strong> l’In<strong>de</strong> Civilisation japonaise<br />
Jean Filliozat (1952-1978) Bernard Frank (1979-1996)<br />
Sociologie <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions moléculaires<br />
Raymond Aron (1970-1978) Jean-Marie Lehn (1979)<br />
1980<br />
Chimie organique <strong><strong>de</strong>s</strong> hormones Bio-Énergétique cellulaire<br />
Alain Horeau (1956-1980) Pierre Joliot (1981-2002)<br />
Sémiologie littéraire Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> comparées <strong>de</strong> la fonction poétique<br />
Roland Barthes (1976-1980) Yves Bonnefoy (1981-1993)<br />
1981<br />
Littérature latine Sociologie<br />
Pierre Courcelle (1952-1980) Pierre Bourdieu (1981-2001)<br />
Histoire <strong>et</strong> structure sociales <strong>de</strong> Paris Étu<strong>de</strong> comparée <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés africaines<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> la région parisienne<br />
Louis Chevalier (1952-1981)<br />
Françoise Héritier (1982-1998)<br />
Étu<strong>de</strong> du mon<strong>de</strong> chinois : institutions Histoire <strong>de</strong> la pensée hellénistique<br />
<strong>et</strong> concepts <strong>et</strong> romaine<br />
Rolf A. Stein (1966-1981) Pierre Hadot (1982-1991)<br />
1982<br />
Histoire sociale <strong>de</strong> l’Islam contemporain Physique statistique<br />
Jacques Berque (1956-1981) Philippe Nozières (1983-2001)<br />
Préhistoire Paléoanthropologie <strong>et</strong> préhistoire<br />
André Leroi-Gourhan (1969-1982) Yves Coppens (1983-2005)<br />
Neuropsychologie du développement Neuropharmacologie<br />
Julian <strong>de</strong> Ajuriaguerra (1975-1981) Jacques Glowinski (1982-2006)<br />
1983<br />
Anthropologie sociale Histoire du mon<strong>de</strong> indien<br />
Clau<strong>de</strong> Lévi-Strauss (1959-1982) Gérard Fussman (1984)<br />
Archéologie <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> la Gaule Antiquités nationales<br />
Paul-Marie Duval (1964-1982) Christian Goudineau (1984)<br />
Physique théorique <strong><strong>de</strong>s</strong> particules élémentaires Analyse <strong>et</strong> géométrie<br />
Jacques Prentki (1964-1983) Alain Connes (1984)<br />
1984<br />
La Grèce <strong>et</strong> la formation <strong>de</strong> la pensée morale Tradition <strong>et</strong> critique <strong><strong>de</strong>s</strong> textes grecs<br />
<strong>et</strong> politique<br />
Jacqueline <strong>de</strong> Romilly (1973-1984)<br />
Jean Irigoin (1986-1992)<br />
Étu<strong>de</strong> comparée <strong><strong>de</strong>s</strong> religions antiques Grammaire <strong>et</strong> pensée alleman<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Jean-Pierre Vernant (1975-1984) Jean-Marie Zemb (1986-1998)<br />
49
50<br />
1985<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> pensée Épistémologie comparative<br />
Michel Foucault (1970-1984) Gilles-Gaston Granger (1986-1991)<br />
Art <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> la Renaissance en Italie Histoire <strong>de</strong> la <strong>France</strong> contemporaine<br />
André Chastel (1970-1984) Maurice Agulhon (1986-1997)<br />
Langues <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> l’Asie Mineure Assyriologie<br />
Emmanuel Laroche (1973-1985) Paul Garelli (1986-1995)<br />
1986<br />
Physique mathématique Analyse économique<br />
André Lichnerowicz (1952-1986) Edmond Malinvaud (1987-1993)<br />
Magnétisme nucléaire Géodynamique<br />
Anatole Abragam (1960-1985) Xavier Le Pichon (1987-2008)<br />
Christianisme <strong>et</strong> gnoses dans l’Orient Théorie linguistique<br />
préislamique<br />
Antoine Guillaumont (1977-1986)<br />
Clau<strong>de</strong> Hagège (1988-2006)<br />
Sociographie <strong>de</strong> l’Asie du Sud-Est Rhétorique <strong>et</strong> société en Europe<br />
Lucien Bernot (1978-1985) (XVIe-XVII esiècles) Marc Fumaroli (1987-2002)<br />
1987<br />
Physiologie du développement Embryologie cellulaire <strong>et</strong> moléculaire<br />
Alfred Jost (1974-1987) Nicole Le Douarin (1988-2000)<br />
1988<br />
Mé<strong>de</strong>cine expérimentale Mé<strong>de</strong>cine expérimentale<br />
Jean Dauss<strong>et</strong> (1977-1987) Pierre Corvol (1989)<br />
1989<br />
Astrophysique théorique Astrophysique observationnelle<br />
Jean-Clau<strong>de</strong> Pecker (1964-1988) Antoine Labeyrie (1991)<br />
Droit international Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> syncrétismes <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong><br />
René-Jean Dupuy (1979-1989) l’Antiquité<br />
Michel Tardieu (1991-2008)<br />
Création Chaire européenne<br />
Harald Weinrich (1989-1990)<br />
1990<br />
Littérature française mo<strong>de</strong>rne Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne<br />
Georges Blin (1965-1988) Pierre-Étienne Will (1991)<br />
Égyptologie Égyptologie<br />
Jean Leclant (1979-1990) Jean Yoyotte (1991-1997)
1991<br />
Philosophie <strong>de</strong> la connaissance Langues <strong>et</strong> littératures romanes<br />
Jules Vuillemin (1962-1990) Harald Weinrich (1992-1998)<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés médiévales Histoire <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt méditerranéen<br />
Georges Duby (1970-1991) au Moyen Âge<br />
Pierre Toubert (1992-2003)<br />
Neurophysiologie Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action<br />
Yves Laporte (1972-1991) Alain Berthoz (1992)<br />
Épistémologie comparative Histoire <strong>et</strong> anthropologie <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés<br />
Gilles-Gaston Granger (1986-1990) méso- <strong>et</strong> sud-américaines<br />
Nathan Wachtel (1992-2005)<br />
Chaire européenne Wolf Lepenies (1991-1992)<br />
1992<br />
Génétique cellulaire Génétique moléculaire<br />
François Jacob (1964-1991) Pierre Chambon (1993-2002)<br />
Étu<strong>de</strong> du Bouddhisme Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine<br />
André Bareau (1971-1991) du mon<strong>de</strong> russe<br />
François-Xavier Coquin (1993-2001)<br />
Histoire sociale <strong>et</strong> intellectuelle <strong>de</strong> la Chine Langues <strong>et</strong> religions indo-iraniennes<br />
Jacques Gern<strong>et</strong> (1975-1992) Jean Kellens (1993)<br />
Histoire <strong>de</strong> la pensée hellénistique Histoire économique <strong>et</strong> monétaire <strong>de</strong><br />
<strong>et</strong> romaine l’Orient hellénistique<br />
Pierre Hadot (1982-1991) Georges Le Ri<strong>de</strong>r (1993-1998)<br />
Chaire européenne Umberto Eco (1992-1993)<br />
Création Chaire internationale<br />
Bronislaw Geremek (1992-1993)<br />
1993<br />
Anthropologie physique Fon<strong>de</strong>ments <strong>et</strong> principes <strong>de</strong> la<br />
Jacques Ruffié (1972-1992) reproduction humaine<br />
Étienne Baulieu (1993-1998)<br />
Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> comparées <strong>de</strong> la fonction poétique Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale<br />
Yves Bonnefoy (1981-1993) Michel Zink (1994)<br />
Tradition <strong>et</strong> critique <strong><strong>de</strong>s</strong> textes grecs Les civilisations <strong>de</strong> l’Europe au néolithique<br />
Jean Irigoin (1986-1992) <strong>et</strong> à l’âge du bronze<br />
Jean Guilaine (1994-2007)<br />
Chaire européenne Werner Hil<strong>de</strong>nbrand (1993-1994)<br />
Chaire internationale Zhang Guangda (1993-1994)<br />
1994<br />
Physiologie cellulaire Biologie moléculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes<br />
François Morel (1967-1993) Joseph Schell (1994-1998)<br />
Hébreu <strong>et</strong> araméen Antiquités sémitiques<br />
André Caquot (1972-1994) Javier Teixidor (1995-2001)<br />
51
52<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> mentalités religieuses Biologie historique <strong>et</strong> évolutionnisme<br />
dans l’Occi<strong>de</strong>nt mo<strong>de</strong>rne<br />
Jean Delumeau (1975-1994)<br />
Armand <strong>de</strong> Ricqlès (1995)<br />
Analyse économique Philosophie du langage <strong>et</strong> <strong>de</strong> la connaissance<br />
Edmond Malinvaud (1987-1993) Jacques Bouveresse (1995)<br />
Chaire européenne Norbert Ohler (1994-1995)<br />
Chaire internationale Orest Ranum (1994-1995)<br />
1995<br />
Algèbre <strong>et</strong> géométrie Équations différentielles <strong>et</strong> systèmes dynamiques<br />
Jean-Pierre Serre (1956-1994) Jean-Christophe Yoccoz (1996)<br />
Invention, technique <strong>et</strong> langage en musique Anthropologie théâtrale<br />
Pierre Boulez (1976-1995) Jerzy Grotowski (1996-1999)<br />
Assyriologie Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> soli<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Paul Garelli (1986-1995) Jean Rouxel (1996-1998)<br />
Chaire européenne Klaus Rajewski (1995-1996)<br />
Chaire internationale Harris Memel-Fotê (1995-1996)<br />
1996<br />
Biochimie cellulaire Immunologie moléculaire<br />
François Gros (1973-1996) Philippe Kourilsky (1998)<br />
Chaire européenne Pi<strong>et</strong>er Westbroek (1996-1997)<br />
Chaire internationale Igor Mel’čuk (1996-1997)<br />
1997<br />
Civilisation japonaise Histoire <strong>de</strong> la <strong>France</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Lumières<br />
Bernard Frank (1979-1996) Daniel Roche (1999-2005)<br />
Égyptologie Histoire turque <strong>et</strong> ottomane<br />
Jean Yoyotte (1991-1997) Gilles Veinstein (1999)<br />
Chaire européenne Abram Deswaan (1997-1998)<br />
Chaire internationale Brian Stock (1997-1998)<br />
1998<br />
Langue <strong>et</strong> littérature arabes classiques Assyriologie<br />
André Miquel (1976-1997) Jean-Marie Durand (1999)<br />
Étu<strong>de</strong> comparée <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés africaines Littératures mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’Europe néolatine<br />
Françoise Héritier (1982-1998) Carlo Ossola (1999)<br />
Histoire <strong>de</strong> la <strong>France</strong> comtemporaine Théorie économique <strong>et</strong> organisation sociale<br />
Maurice Agulhon (1986-1997) Roger Guesnerie (2000)<br />
Langues <strong>et</strong> littératures romanes Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong> achéméni<strong>de</strong><br />
Harald Weinrich (1992-1998) <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’empire d’Alexandre<br />
Pierre Briant (1999)
Fon<strong>de</strong>ments <strong>et</strong> principes <strong>de</strong> la Biologie <strong>et</strong> génétique du développement<br />
reproduction humaine<br />
Spyros Artavanis-Tsakonas (2000)<br />
Étienne-Émile Baulieu (1993-1998)<br />
Chaire européenne Thomas W. Gaehtgens (1998-1999)<br />
Chaire internationale Patrice Higonn<strong>et</strong> (1998-1999)<br />
1999<br />
Analyse mathématique <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> Nombres<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> leur contrôle<br />
Jacques-Louis Lions (1973-1998)<br />
Don Zagier (2000)<br />
Histoire <strong>de</strong> la création artistique en <strong>France</strong> Philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences biologiques<br />
Jacques Thuillier (1977-1998) <strong>et</strong> médicales<br />
Anne Fagot-Largeault (2000)<br />
Grammaire <strong>et</strong> pensée alleman<strong><strong>de</strong>s</strong> Philosophie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> concepts<br />
Jean-Marie Zemb (1986-1998) scientifiques<br />
Ian Hacking (2000-2006)<br />
Histoire économique <strong>et</strong> monétaire <strong>de</strong> Anthropologie <strong>de</strong> la Nature<br />
l’Orient hellénistique<br />
Georges Le Ri<strong>de</strong>r (1993-1998)<br />
Philippe Descola (2000)<br />
Biologie moléculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes Physique quantique<br />
Joseph Schell (1994-1998) Serge Haroche (2001)<br />
Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> soli<strong><strong>de</strong>s</strong> Civilisation pharaonique : Archéologie,<br />
Jean Rouxel (1996-1998) philologie, histoire<br />
Nicolas Grimal (2000)<br />
Chaire européenne Hans-Wilhelm Müler-Gärtner<br />
(1999-2000)<br />
Chaire internationale James Watson Cronin (1999-2000)<br />
2000<br />
Histoire <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée<br />
Emmanuel Le Roy Ladurie (1973-1999) Jacques Livage (2001)<br />
Histoire <strong>de</strong> Rome Histoire <strong>de</strong> l’art européen médiéval <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne<br />
Paul Veyne (1976-1999) Roland Recht (2001)<br />
Physique statistique Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan<br />
Philippe Nozières (1983-2001) Édouard Bard (2001)<br />
Embryologie cellulaire <strong>et</strong> moléculaire Génétique <strong>et</strong> physiologie cellulaire<br />
Nicole Le Douarin (1988-2000) Christine P<strong>et</strong>it (2001)<br />
Anthropologie théâtrale Religion, institutions <strong>et</strong> société <strong>de</strong> la<br />
Jerzy Grotowski (1996-1999) Rome antique<br />
John Scheid (2001)<br />
53
54<br />
Chaire européenne Michael Edwards (2000-2001)<br />
Chaire internationale Miklós Szabó (2000-2001)<br />
2001<br />
Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine<br />
Jacques Tits (1973-2000) du politique<br />
Pierre Rosanvallon (2001)<br />
Sociologie Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives <strong>et</strong><br />
Pierre Bourdieu (1981-2001) internationalisation du droit<br />
Mireille Delmas-Marty (2002)<br />
Antiquités sémitiques Équations aux dérivées partielles <strong>et</strong><br />
Javier Teixidor (1995-2001) applications<br />
Pierre-Louis Lions (2002)<br />
Chaire européenne Claudio Magris (2001-2002)<br />
Chaire internationale Paul Farmer (2001-2002)<br />
2002<br />
Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong> byzantin Étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la création littéraire en<br />
Gilbert Dagron (1975-2001) langue anglaise<br />
Michael Edwards (2003-2008)<br />
Rhétorique <strong>et</strong> sociétés en Europe Épigraphie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> cités grecques<br />
(XVIe-XVIIesiècles) Marc Fumaroli (1987-2002)<br />
Denis Knoepfler (2003)<br />
Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine Histoire contemporaine du mon<strong>de</strong> arabe<br />
du mon<strong>de</strong> russe<br />
François-Xavier Coquin (1993-2001)<br />
Henry Laurens (2003)<br />
Génétique moléculaire Génétique humaine<br />
Pierre Chambon (1993-2002) Jean-Louis Man<strong>de</strong>l (2003)<br />
Chaire européenne Hans Belting (2002-2003)<br />
Chaire internationale Stuart E<strong>de</strong>lstein (2002-2003)<br />
2003<br />
Bioénergétique cellulaire Particules élémentaires, gravitation <strong>et</strong><br />
Pierre Joliot (1981-2002) cosmologie<br />
Gabriele Veneziano (2004)<br />
Chaire européenne Theodor Berchem (2003-2004)<br />
Chaire internationale Jayant Vishnu Narlikar (2003-2004)<br />
2004<br />
Physique atomique <strong>et</strong> moléculaire Rationalité <strong>et</strong> sciences sociales<br />
Clau<strong>de</strong> Cohen-Tannoudji (1973-2004) Jon Elster (2006)<br />
Histoire <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt méditerranéen Psychologie cognitive expérimentale<br />
au Moyen-Âge<br />
Pierre Toubert (1992-2003)<br />
Stanislas Dehaene (2005)
Chaire européenne Sandro Stringari (2004-2005)<br />
Chaire internationale Celâl Sengör (2004-2005)<br />
2005<br />
Physique <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée Physique mésoscopique<br />
Pierre-Gilles <strong>de</strong> Gennes (1971-2004) Michel Devor<strong>et</strong> (2007)<br />
Physique corpusculaire Littérature française mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong><br />
Marcel Froissart (1973-2004) contemporaine : histoire, critique, théorie<br />
Antoine Compagnon (2006)<br />
Histoire <strong>de</strong> la <strong>France</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Lumières Écrit <strong>et</strong> cultures dans l’Europe mo<strong>de</strong>rne<br />
Daniel Roche (1999-2005) Roger Chartier (2006)<br />
Chaire européenne Maurice Bloch (2005-2006)<br />
Chaire internationale Thomas Pavel (2005-2006)<br />
Chaire <strong>de</strong> création artistique Christian <strong>de</strong> Portzamparc (2005-2006)<br />
2006<br />
Histoire <strong>et</strong> anthropologie <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés Processus morphogénétiques<br />
méso-<strong>et</strong> sud-américaines<br />
Nathan Wachtel (1992-2005)<br />
Alain Prochiantz (2007)<br />
Chaire européenne Daniele Vitali (2006-2007)<br />
Chaire internationale Guy Orban (2006-2007)<br />
Chaire <strong>de</strong> création artistique Pascal Dusapin (2006-2007)<br />
Chaire d’innovation technologique-<br />
Liliane B<strong>et</strong>tencourt<br />
Jean-Paul Clozel (2006-2007)<br />
2007<br />
Communications cellulaires Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> processus biologiques<br />
Jean-Pierre Changeux (1975-2006) Marc Fontecave (2008)<br />
Neuropharmacologie Microbiologie <strong>et</strong> maladies infectieuses<br />
Jacques Glowinski (1982-2006) Philippe Sanson<strong>et</strong>ti (2007)<br />
Paléoanthropologie <strong>et</strong> préhistoire Paléontologie humaine<br />
Yves Coppens (1983-2005) Michel Brun<strong>et</strong> (2007)<br />
Théorie linguistique Milieux bibliques<br />
Clau<strong>de</strong> Hagège (1988-2006) Thomas Römer (2007)<br />
Les civilisations <strong>de</strong> l’Europe au néolithique<br />
<strong>et</strong> à l’âge du bronze<br />
Jean Guilaine (1994-2007)<br />
Physique <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée<br />
Philosophie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> concepts scientifiques Histoire intellectuelle <strong>de</strong> la Chine<br />
Ian Hacking (2000-2006) Anne Cheng (2008)<br />
55
56<br />
Chaire européenne Manfred Kropp (2007-2008)<br />
Chaire internationale Pierre Magistr<strong>et</strong>ti (2007-2008)<br />
Chaire <strong>de</strong> création artistique Ariane Mnouchkine (2007-2008)<br />
Chaire d’innovation technologique- Gérard Berry (2007-2008)<br />
Liliane B<strong>et</strong>tencourt<br />
2008<br />
Chaire européenne - Développpement durable Henri Leridon (2008-2009)<br />
Chaire internationale - Savoirs contre pauvr<strong>et</strong>é Esther Duflo (2008-2009)<br />
Chaire <strong>de</strong> création artistique Pierre-Laurent Aimard (2008-2009)<br />
Chaire d’innovation technologique- Mathias Fink (2008-2009)<br />
Liliane B<strong>et</strong>tencourt
IV. LE RÔLE PROPRE ET L’ORGANISATION<br />
DU COLLÈGE DE FRANCE<br />
De c<strong>et</strong> historique <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires, il ressort que le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> a servi souvent,<br />
selon l’esprit <strong>de</strong> son royal fondateur, à <strong><strong>de</strong>s</strong> enseignements nouveaux qui n’avaient<br />
pas encore reçu ailleurs droit <strong>de</strong> cité. C’est ce qui a fait dire à Ernest Renan<br />
qu’« à côté <strong><strong>de</strong>s</strong> établissements où se gar<strong>de</strong> le dépôt <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances acquises, il<br />
est donc nécessaire qu’il y ait <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires indépendantes où s’enseignent, non les<br />
branches <strong>de</strong> la Science qui sont faites, mais celles qui sont en voie <strong>de</strong> se faire »<br />
(Questions contemporaines p. 144).<br />
Le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> recrute sans condition <strong>de</strong> gra<strong><strong>de</strong>s</strong> universitaires ; <strong>et</strong> par là,<br />
il lui est possible d’appeler à lui <strong><strong>de</strong>s</strong> savants qui ne sont pas <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs <strong>de</strong><br />
carrière mais qui se sont signalés par <strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes, par <strong><strong>de</strong>s</strong> vues personnelles,<br />
par <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> originaux. Il suffit qu’on soit en droit d’attendre d’eux, dans le<br />
domaine <strong>de</strong> leurs recherches propres, <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats nouveaux.<br />
D’autre part, il ne prépare à aucun examen <strong>et</strong>, par conséquent, ses enseignements<br />
ne sont assuj<strong>et</strong>tis à d’autre programme que celui défini chaque année par le titulaire<br />
<strong>de</strong> la chaire <strong>et</strong> approuvé par l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> Professeurs. Nulle part, la recherche<br />
scientifique ne jouit d’une indépendance aussi large. De plus en plus, c<strong>et</strong>te liberté<br />
est <strong>de</strong>venue sa loi, parce qu’elle est sa raison d’être ; <strong>et</strong>, <strong>de</strong> plus en plus, elle a<br />
déterminé son organisation.<br />
N’étant pas enfermé dans un cycle d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> invariables, le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> n’a<br />
pas, en principe, <strong>de</strong> chaires permanentes. Selon que les sciences diverses se modifient<br />
<strong>et</strong> selon que se produisent <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes aptes à les faire progresser, les enseignements<br />
anciens peuvent disparaître ou se transformer, <strong><strong>de</strong>s</strong> enseignements nouveaux peuvent<br />
être institués.<br />
Le nombre <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires <strong>de</strong> professeurs titulaires est actuellement <strong>de</strong> cinquante<strong>de</strong>ux<br />
(décr<strong>et</strong> du 22 juin 1934, loi <strong>de</strong> finances du 24 mai 1951, du 4 août 1956,<br />
du 30 décembre 1957 <strong>et</strong> <strong>de</strong> 1964 ; à partir <strong>de</strong> 1969 intégration <strong><strong>de</strong>s</strong> trois chaires<br />
municipales dans le budg<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’État). Chaque fois qu’un <strong>de</strong> ces traitements <strong>de</strong>vient<br />
disponible par r<strong>et</strong>raite, démission ou décès d’un titulaire, l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs<br />
est appelée, <strong>de</strong> droit, à déci<strong>de</strong>r à quel enseignement il conviendrait d’affecter le<br />
crédit qui se trouve ainsi sans emploi. Elle peut <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r au Ministre le maintien<br />
<strong>de</strong> l’enseignement dont le titulaire vient <strong>de</strong> disparaître ; elle peut, si elle juge<br />
préférable, l’inviter à y substituer un enseignement différent. Dans un cas comme<br />
dans l’autre, dès que sa proposition est acceptée, elle désigne <strong>de</strong>ux candidats, l’un<br />
en première ligne, l’autre en secon<strong>de</strong> ; <strong>et</strong>, comme il a été dit plus haut, elle n’est<br />
liée, dans c<strong>et</strong>te désignation, par aucune condition <strong>de</strong> gra<strong>de</strong>. Elle transm<strong>et</strong> les<br />
procès-verbaux <strong>de</strong> ses délibérations <strong>et</strong> ses votes au Ministre, qui communique les<br />
documents à l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> cinq Académies <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong> : celle-ci présente, à<br />
son tour, <strong>et</strong> dans les mêmes formes, <strong>de</strong>ux candidats. Il appartient au Ministre <strong>de</strong><br />
57
58<br />
choisir, entre les candidats proposés, le futur professeur ; celui-ci est nommé par<br />
un décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République.<br />
À partir <strong>de</strong> 1970 le principe <strong>de</strong> chaires <strong>de</strong> « professeur associé » a été admis, <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong>ux crédits <strong>de</strong> chaire ont été ouverts à c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> au budg<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’État. Des savants<br />
étrangers sont ainsi invités chaque année par l’Assemblée à venir au <strong>Collège</strong> donner,<br />
pendant un ou <strong>de</strong>ux mois, un enseignement relatif à leurs recherches.<br />
En outre <strong>de</strong>ux chaires perm<strong>et</strong>tant l’accueil <strong>de</strong> savants étrangers pour la durée<br />
d’une année académique ont été créées :<br />
— en 1989, une chaire dite européenne, <strong><strong>de</strong>s</strong>tinée à une personnalité scientifique<br />
originaire d’un pays membre <strong>de</strong> la Communauté économique européenne ;<br />
— en 1991, une chaire dite internationale, <strong><strong>de</strong>s</strong>tinée à une personnalité originaire<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> pays <strong>de</strong> l’Europe <strong>de</strong> l’Est ou d’autres continents.<br />
Puis, en 2004 est créée une chaire <strong>de</strong> création artistique, consacrée à toutes les<br />
formes <strong>de</strong> création artistique, qui accueille chaque année un professeur différent.<br />
Enfin, en 2007, est créée une nouvelle chaire annuelle, chaire d’Innovation<br />
technologique-Liliane B<strong>et</strong>tencourt, en partenariat avec la fondation B<strong>et</strong>tencourt-<br />
Schueller.<br />
Dans la pratique, sans doute, la liberté <strong>de</strong> transformation, qui est un élément<br />
constitutif <strong>de</strong> l’institution du <strong>Collège</strong>, ne saurait être absolue ; l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Professeurs cherche à conserver une juste proportion entre chaires <strong>de</strong> Sciences<br />
exactes <strong>et</strong> chaires <strong>de</strong> L<strong>et</strong>tres <strong>et</strong> Sciences humaines. En outre, il arrive qu’on juge<br />
nécessaire <strong>de</strong> conserver une chaire, bien que <strong>de</strong> nombreuses chaires <strong>de</strong> même titre<br />
existent dans les Universités, s’il y a lieu <strong>de</strong> faire place à un maître original.<br />
Dans l’enseignement aussi prédomine le même principe <strong>de</strong> liberté. Chaque<br />
professeur choisit, d’année en année, le suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> son <strong>cours</strong> dans le domaine<br />
scientifique qui lui est propre, <strong>et</strong> généralement dans l’ordre particulier <strong>de</strong> recherches<br />
auxquelles il s’applique à ce moment. Il le soum<strong>et</strong> ensuite à l’approbation <strong>de</strong><br />
l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs du <strong>Collège</strong>, comme il a été indiqué plus haut. Une<br />
partie <strong>de</strong> l’enseignement peut être donné dans <strong><strong>de</strong>s</strong> institutions françaises en <strong>de</strong>hors<br />
<strong>de</strong> Paris, en <strong>France</strong> ou dans d’autres pays ; c<strong>et</strong>te possibilité a été étendue à l’ensemble<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> établissements d’enseignement supérieur européens à partir <strong>de</strong> 1989,<br />
extraeuropéens à partir <strong>de</strong> 1992.<br />
Quelle qu’en soit la forme, les enseignements ont pour règle commune <strong>de</strong> viser<br />
au développement <strong>de</strong> la science. La simple vulgarisation en est exclue. Les<br />
professeurs s’accor<strong>de</strong>nt à prendre comme point <strong>de</strong> départ ce qui est connu <strong>et</strong> se<br />
proposent toujours d’y ajouter quelques éléments nouveaux : faits d’expérience,<br />
éclaircissements personnels, vues ou interprétations propres, analyses plus exactes<br />
ou synthèses plus suggestives. Il est entendu, au reste, que c<strong>et</strong> enseignement même<br />
n’est que l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> formes extérieures <strong>de</strong> leur activité scientifique, laquelle se traduit<br />
aussi bien, ou mieux, par <strong><strong>de</strong>s</strong> publications, par <strong><strong>de</strong>s</strong> missions, par les <strong>travaux</strong> divers<br />
qu’ils font eux-mêmes ou qu’ils suscitent <strong>et</strong> dirigent.
C’est pourquoi, aux leçons proprement dites, viennent s’adjoindre les directions<br />
données aux recherches individuelles qui se font dans les divers laboratoires. Bien<br />
entendu, ces recherches comportent toujours, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> ceux qui les font auprès<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs, un travail personnel <strong>et</strong> vraiment scientifique. Il ne s’agit en aucun<br />
cas <strong>de</strong> préparation aux examens universitaires, exception faite pour les doctorats,<br />
qui ne sont pas assuj<strong>et</strong>tis à <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes. Elles sont surtout l’affaire <strong>de</strong> chercheurs<br />
déjà engagés dans une voie déterminée, qui viennent <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r les conseils <strong>de</strong><br />
savants connus, se familiariser avec leur métho<strong>de</strong>, profiter <strong>de</strong> leurs suggestions <strong>et</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> ressources spéciales qu’ils ont pu réunir.<br />
Les <strong>cours</strong> du <strong>Collège</strong> étant ouverts à tous, il n’y a ni immatriculation ni droits<br />
à payer. L’accès <strong><strong>de</strong>s</strong> salles d’enseignement est entièrement libre, dans la limite <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
places disponibles.<br />
Le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ne fait pas partie <strong><strong>de</strong>s</strong> Universités <strong>de</strong> Paris. Il relève<br />
directement <strong>de</strong> son protecteur, le Chef <strong>de</strong> l’État, <strong>et</strong>, par délégation, du ministre<br />
ayant en charge l’Enseignement supérieur <strong>et</strong> la Recherche.<br />
C’est à l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs qu’appartiennent, sous réserve <strong>de</strong> l’approbation<br />
ministérielle, toutes les décisions relatives aux intérêts généraux <strong>de</strong> l’établissement.<br />
L’exécution <strong>de</strong> ces décisions <strong>et</strong> la direction <strong><strong>de</strong>s</strong> services sont confiées à un<br />
Administrateur. Celui-ci doit être pris parmi les professeurs. Il est présenté par ses<br />
collègues <strong>et</strong> nommé par trois ans par décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt à la République, sur la<br />
proposition du Ministre. Il prési<strong>de</strong> l’Assemblée, dont le bureau comprend, à côté<br />
<strong>de</strong> lui, un vice-prési<strong>de</strong>nt, nommé selon les mêmes règles, <strong>et</strong> un secrétaire, choisis<br />
l’un <strong>et</strong> l’autre parmi les professeurs.<br />
Par une loi du 31 décembre 1932, l’établissement, qui déjà était investi <strong>de</strong> la<br />
personnalité civile, a été également doté <strong>de</strong> l’autonomie financière. Un décr<strong>et</strong> du<br />
5 octobre 1990 portant organisation du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, modifie les textes<br />
antérieurs (décr<strong>et</strong>s <strong>de</strong> 1911 <strong>et</strong> 1935). Il stipule notamment que « le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong> est administré par l’Assemblée du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>. Il est dirigé par un<br />
administrateur assisté <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux directeurs adjoints, l’un chargé <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires culturelles<br />
<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> relations extérieures, l’autre chargé <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires administratives <strong>et</strong> financières.<br />
Il est doté d’un Conseil d’établissement ».<br />
L’Assemblée du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> comprend les 52 professeurs titulaires avec<br />
voix délibérative ; les <strong>de</strong>ux professeurs associés dans les chaires européenne,<br />
internationale <strong>et</strong> <strong>de</strong> création artistique peuvent y siéger avec voix consultative. Elle<br />
détermine la politique scientifique <strong>de</strong> l’établissement <strong>et</strong> joue également le rôle d’un<br />
Conseil d’administration. L’avis du Conseil d’établissement — qui comprend,<br />
outre l’Administrateur, neuf professeurs, quatorze représentants élus <strong><strong>de</strong>s</strong> personnels<br />
<strong>et</strong> quatre personnalités extérieures — doit précé<strong>de</strong>r la délibération <strong>de</strong> l’Assemblée<br />
dans les matières énumérées par le décr<strong>et</strong>.<br />
Voici la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> Administrateurs du <strong>Collège</strong>, <strong>de</strong>puis l’institution <strong>de</strong> ce titre :<br />
Louis Lefèvre-Gineau (1800-1823), Isaac Silvestre <strong>de</strong> Sacy (1824-1838),<br />
Louis Thénard (1838-1840), Jean-Antoine L<strong>et</strong>ronne (1840-1848), Jules<br />
59
60<br />
Barthélémy Saint-Hilaire (1848-1852), Xavier Deport<strong>et</strong>s (1852-1853),<br />
Wilhelm Rinn (1853-1854), Stanislas Julien (1854-1873), Édouard Laboulaye<br />
(1873-1883), Ernest Renan (1883-1892), Gaston Boissier (1892-1894), Gaston<br />
Paris (1894- 1903), Émile Levasseur (1903-1911), Maurice Crois<strong>et</strong> (1911-<br />
1929), Joseph Bédier (1929-1936), Edmond Faral (1937-1954), Marcel<br />
Bataillon (1955-1965), Étienne Wolff (1966-1974), Alain Horeau (1974-<br />
1980), Yves Laporte (1980-1991), André Miquel (1991-1997), Gilbert Dagron<br />
(1997-2000), Jacques Glowinski (2000-2006), Pierre Corvol.<br />
V. DONATIONS<br />
Les ressources mises à la disposition du <strong>Collège</strong> par divers donateurs lui<br />
perm<strong>et</strong>tent, chaque année, <strong>de</strong> favoriser certains efforts <strong>de</strong> la pensée scientifique.<br />
Don Singer-Polignac<br />
Le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> a reçu <strong>de</strong>puis 1950, en souvenir <strong>de</strong> Winnar<strong>et</strong>ta Singer,<br />
princesse Edmond <strong>de</strong> Polignac, <strong><strong>de</strong>s</strong> dons importants dont les revenus doivent<br />
servir, <strong>de</strong> façon générale, « au progrès <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances ». L’affectation précise <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
fonds est déterminée chaque année par l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs.<br />
Donations Gustave Schlumberger<br />
Par décr<strong>et</strong> du 24 juin 1932, l’administrateur du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> a été autorisé<br />
à accepter les legs faits au <strong>Collège</strong> par Gustave Schlumberger. Les revenus <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
sommes provenant <strong>de</strong> ces legs doivent être affectés d’une part à <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> d’histoire<br />
<strong>et</strong> d’archéologie byzantines, d’autre part à <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> numismatique.<br />
Donation Jean Ébersolt<br />
M me Jean Ébersolt a fait une donation en 1968 dont les arrérages doivent être<br />
affectés au développement <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> d’Histoire <strong>et</strong> civilisation <strong>de</strong> Byzance.<br />
Donation Voronoff<br />
Par décr<strong>et</strong> du 28 septembre 1920, l’administrateur du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> a été<br />
autorisé à accepter, au nom du <strong>Collège</strong>, la donation faite à c<strong>et</strong> établissement par<br />
M me <strong>France</strong>s Évelyn Bostwick, épouse Voronoff, pour la création <strong>et</strong> l’entr<strong>et</strong>ien<br />
d’une « Station <strong>de</strong> chirurgie expérimentale, fondation Voronoff ».<br />
Depuis le décès <strong>de</strong> la donatrice, <strong>et</strong> selon sa volonté, le revenu annuel est attribué<br />
aux laboratoires <strong>de</strong> biologie, d’histologie ou autres laboratoires similaires, selon<br />
l’avis <strong>de</strong> l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs.
Fondation Paul Dellheim<br />
Par décr<strong>et</strong> du 5 juin 1956, l’administrateur du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> a été autorisé<br />
à accepter le legs fait au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> par M me J. Dellheim « pour ai<strong>de</strong>r les<br />
jeunes savants peu fortunés qui, après avoir fait <strong>de</strong> fortes étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, seront jugés aptes<br />
à poursuivre leurs <strong>travaux</strong> dans les laboratoires du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, en vue <strong>de</strong><br />
recherches scientifiques susceptibles <strong>de</strong> contribuer au soulagement <strong>de</strong> l’humanité ».<br />
Le prix Dellheim pour l’année 2004 est attribué à M. Fazilleau, pour l’année<br />
2005 à M. Liyuan <strong>et</strong> pour l’année 2006 à M. Mariano Sigman. Le prix Delheim<br />
est attribué en 2007 à M. Stéphane Romero.<br />
Fondation Antoine Lacassagne<br />
Par décr<strong>et</strong> du 6 janvier 1964, l’administrateur du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> a été autorisé<br />
à accepter le don fait au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> par Antoine Lacassagne, qui fut<br />
titulaire <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine expérimentale (<strong>de</strong> 1951 à 1954), du montant du<br />
prix <strong>de</strong> 10 000 dollars que lui a décerné l’organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations Unies pour ses<br />
<strong>travaux</strong> sur le cancer.<br />
Les revenus <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te somme perm<strong>et</strong>tent d’inviter <strong>de</strong> jeunes biologistes français<br />
ou étrangers à venir chaque année au <strong>Collège</strong> exposer, en français, les résultats <strong>de</strong><br />
leurs recherches.<br />
L’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs du 20 février 1977, a décidé que désormais serait<br />
attribué un prix Antoine Lacassagne auquel seraient associées <strong>de</strong>ux conférences ;<br />
son montant est <strong>de</strong> 1 600 €.<br />
Des conférences ont été données en 1966, par le Docteur J. Harel ; en 1967,<br />
par M. François Gros ; en 1968, par le Docteur Patrick Derome ; en 1970, par<br />
M. Georges N. Cohen ; en 1971, par le Docteur Michel Boiron ; en 1972,<br />
par M. François Chapeville ; en 1973, par M me Nicole Le Douarin ; en 1974,<br />
par M. Clau<strong>de</strong> Kordon ; en 1975, par M. Luc Montagnier ; en 1976, par<br />
M. Jean- Paul Lévy ; en 1977, par M. Robert M. Fauve.<br />
Prix décerné en 1977 à M me Andrée Tixier-Vidal, en 1978 à M. Serge Jard,<br />
en 1979 à M. Michel Imbert, en 1980 à M. Jacques Glowinski, en 1981 à<br />
M. Guy Blaudin <strong>de</strong> Thé, en 1982 à M. Jean Girard, en 1983 à M. Pierre<br />
Freych<strong>et</strong>, en 1984 à M. François Cuzin, en 1985 à M. Michel Hamon, en 1986<br />
à M. Dominique Stehelin, en 1987 à M. Emmanuel Pierrot-Deseilligny, en<br />
1988 à M. Pierre Tiollais, en 1989 à M. Jean-François Nicolas, en 1990 à<br />
M. Philippe Kourilsky, en 1991 à M me Françoise Di<strong>et</strong>erlen, en 1992 à<br />
M me Anne-Marie Thierry, en 1993 à M. Gérard Couly, en 1994 à M. Alain<br />
Douc<strong>et</strong>, en 1995 à M. Antonio Coutinho, en 1996 à M. Jean-Antoine Giraud,<br />
en 1997 à M. Alexeï Grantyn, en 1998 à M me Marie-Aimée Teill<strong>et</strong>, en 1999 à<br />
M. Jules-Alphonse Hoffmann, en 2002 à M. Werner Graf, en 2004 à M. Michel<br />
Bornens, en 2005 à M me Ana Cumano, en 2006 à M. Philippo Rijli, en 2007<br />
à M. Thomas Bourgeron.<br />
61
62<br />
Legs Antoine Meill<strong>et</strong><br />
Par décr<strong>et</strong> du 1 er septembre 1937, l’administrateur du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> a été<br />
autorisé à accepter le legs fait au <strong>Collège</strong> par Antoine Meill<strong>et</strong>, qui fut titulaire <strong>de</strong><br />
la chaire <strong>de</strong> Grammaire comparée (<strong>de</strong> 1906 à 1936). Les revenus <strong>de</strong> ce legs sont<br />
affectés à <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> linguistique théorique, suivant les vœux du donateur.<br />
Fondation Clau<strong>de</strong>-Antoine Peccot<br />
Plusieurs donations successives (en 1886, en 1894, en 1897, en 1902) ont<br />
permis <strong>de</strong> créer d’abord <strong><strong>de</strong>s</strong> bourses, transformées par la suite en prix ; puis, en<br />
outre, à partir <strong>de</strong> 1900, une charge <strong>de</strong> <strong>cours</strong>, au bénéfice <strong>de</strong> mathématiciens âgés<br />
<strong>de</strong> moins <strong>de</strong> trente ans <strong>et</strong> s’étant signalés dans l’ordre <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques théoriques<br />
ou appliquées.<br />
Voici, <strong>de</strong>puis l’origine, la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> personnes qui ont bénéficié <strong><strong>de</strong>s</strong> prix ou ont<br />
reçu la charge du <strong>cours</strong> :<br />
Bourses <strong>et</strong> prix<br />
À partir <strong>de</strong> 1885 : L. Bortniker, Jacques Hadamard, Élie Cartan, Jules Bocqu<strong>et</strong>,<br />
Jules Drach, Louis-Emmanuel Leroy, Adolphe Bühl, Gabriel Mesur<strong>et</strong>, Pierre<br />
Fatou, René-Maurice Fréch<strong>et</strong>, Henri Galbrun, Osée Marcus, Jean Chazy, Albert<br />
Labor<strong>de</strong>-Scar, Paul Frion, Gabriel Pélissier, René Garnier, Emmanuel Fauré-<br />
Fremi<strong>et</strong>, Émile Terroine, Roux, Maurice Gevrey, F. Lafore, Joseph Marty,<br />
Georges Giraud, Maurice Jan<strong>et</strong>, Coty, Paul Lévy, Gaston Julia, Léon Brillouin,<br />
Marcel Courtines, Szolem Man<strong>de</strong>lbrojt, Yves Rocard, Wladimir Bernstein,<br />
Henri Cartan, André Weil, Jean Dieudonné, Paul Dubreil, René <strong>de</strong> Possel, Jean<br />
Leray, Georges Bourion, Jean-Louis Destouches, Jacques Solomon, Clau<strong>de</strong><br />
Chevalley, Frédéric Roger, Daniel Dugué, Gérard P<strong>et</strong>iau, Hubert Delange,<br />
Jacques Dufresnoy, Laurent Schwartz, Jacqueline Ferrand, Roger Apéry, Jacques<br />
Deny, Jean-Louis Koszul, Jean Combes, Jean-Pierre Serre, Paul Malliavin,<br />
Maurice Roseau, Bernard Malgrange, François Bruhat, Pierre Cartier, Paul-<br />
André Meyer, Marcel Froissart, Michel Demazure, Gabriel Mokobodzki, Hervé<br />
Jacqu<strong>et</strong>, Haïm Brézis, Alain Connes, Grégory Choodnovsky, Jean-Pierre<br />
Demailly, Jean-Benoît Bost, Noam Elkies, Laurent Lafforgue, Philippe Michel,<br />
Vincent Lafforgue, Cédric Vilani, Gaëtan Chenevier.<br />
1900. Émile Borel.<br />
1901. Émile Borel.<br />
1902. Émile Borel.<br />
1903. Henri Lebesgue.<br />
1904. René Baire.<br />
1905. Henri Lebesgue.<br />
1906. Guillaume Servant.<br />
Chargés <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />
1907. Pierre Boutroux.<br />
1908. Pierre Boutroux.<br />
1909. Ludovic Zor<strong>et</strong>ti.<br />
1910. Émile Traynard.<br />
1911. Louis Rémy.<br />
1912. Jean Chazy.<br />
Albert Chatel<strong>et</strong>.
1913. Arnaud Denjoy.<br />
1914. Édouard-René Garnier.<br />
Maurice Gevrey.<br />
1915. Édouard-René Garnier.<br />
1918. Gaston Julia.<br />
1919. Georges Giraud.<br />
Paul Lévy.<br />
1920. Léon Brillouin.<br />
Gaston Julia.<br />
1921. Maurice Jan<strong>et</strong>.<br />
1922. René Thiry.<br />
1923. Robert Deltheil.<br />
Torsten Carleman.<br />
1924. René Lagrange.<br />
1925. Marcel Legaut.<br />
1926. Henri Milloux.<br />
1927. Joseph Kampé Deféri<strong>et</strong>.<br />
Yves Rocard.<br />
1928. Szolem Man<strong>de</strong>lbrojt.<br />
1929. Jean Favard.<br />
1930. Wladimir Bernstein.<br />
1931. Jean Delsarte.<br />
1932. Henri Cartan.<br />
André Weil.<br />
1933. Jean Dieudonné.<br />
Paul Dubreil.<br />
1934. René Depossel.<br />
Jean Leray.<br />
1935. Marie-Louise<br />
Dubreil-Jacotin.<br />
1936. Georges Bourion.<br />
Jean-Louis Destouches.<br />
1937. Jacques Solomon.<br />
Clau<strong>de</strong> Chevalley.<br />
1938. Frédéric Marty.<br />
1941. Clau<strong>de</strong> Chabauty.<br />
1942. Gérard Pétiau.<br />
1943. Jean Ville.<br />
Marie-Antoin<strong>et</strong>te Tonnelat.<br />
1944. Hubert Delange.<br />
Jacques Dufresnoy.<br />
1945. André Lichnerowicz.<br />
1946. Laurent Schwartz.<br />
Jacqueline Ferrand.<br />
1947. Gustave Choqu<strong>et</strong>.<br />
1949. Roger Apéry.<br />
1950. Jacques Deny.<br />
1951. Jean-Louis Koszul.<br />
Evry Schatzman.<br />
1952. Roger Go<strong>de</strong>ment.<br />
Michel Hervé.<br />
1953. Jean Combes.<br />
1954. Yvonne Fourès-Bruhat.<br />
1955. Jean-Pierre Serre.<br />
1956. Paul Malliavin.<br />
Maurice Roseau.<br />
1957. Jean-Pierre Kahane.<br />
1958. Marcel Berger.<br />
Alexandre Grothendieck.<br />
1959. Jacques-Louis Lions.<br />
Bernard Malgrange<br />
1960. François Bruhat.<br />
1961. Pierre Cartier.<br />
1962. Jacques Neveu.<br />
1963. Jean-Paul Benzécri.<br />
Philippe Nozières.<br />
1964. Paul-André Meyer.<br />
1965. Marcel Froissart.<br />
Pierre Gabriel.<br />
1966. Yv<strong>et</strong>te Amice.<br />
1967. Michel Demazure.<br />
Jean Ginibre.<br />
1968. Uriel Frisch.<br />
Pierre Grisvard.<br />
1969. Yves Meyer.<br />
Clau<strong>de</strong> Morl<strong>et</strong>.<br />
Michel Raynaud.<br />
1970. Gabriel Mokobodzki.<br />
Roger Temam.<br />
1971. Jean-Pierre Ferrier.<br />
Hervé Jacqu<strong>et</strong>.<br />
Gérard Schiffmann.<br />
1972. Louis Bout<strong>et</strong> <strong>de</strong> Monvel.<br />
Pierre Deligne.<br />
1973. Jean-Michel Bony.<br />
François Lau<strong>de</strong>nbach.<br />
1974. Haïm Brézis.<br />
Michel Duflo.<br />
Jean Zinn-Justin.<br />
1975. Jean-Marc Fontaine.<br />
André Neveu.<br />
Robert Roussarie.<br />
1976. Alain Connes.<br />
Bernard Teissier.<br />
63
64<br />
1977. Luc Tartar.<br />
Michel Waldschmidt.<br />
1978. Jean Lannes.<br />
Arnauld Beauville.<br />
1979. Bernard Gaveau.<br />
Grégory Choodnovsky.<br />
1980. Gilles Robert.<br />
1981. Michel Talagrand.<br />
Gilles Pisier.<br />
Christophe Soulé.<br />
1982. Jean-Bernard Baillon.<br />
Jean-Luc Brylinski.<br />
1983. Jean-Loup Waldspurger.<br />
1984. Pierre-Louis Lions.<br />
Guy Henniart.<br />
Laurent Clozel.<br />
1985. Joseph Oesterlé.<br />
1986. Jean-Pierre Demailly.<br />
1987. Jean-Michel Coron.<br />
Jean-Christophe Yoccoz.<br />
1988. Jean-Lin Journé.<br />
Jean-Clau<strong>de</strong> Sikorav.<br />
1989. Bernard Larrouturou.<br />
Jean-François Legall.<br />
1990. Jean-Benoît Bost.<br />
Benoît Perthame.<br />
1991. Olivier Mathieu.<br />
Clau<strong>de</strong> Viterbo.<br />
1992. Claire Voisin.<br />
Fabrice B<strong>et</strong>huel.<br />
Noam Elkies.<br />
Fondation Loubat<br />
1993. Marc Rosso.<br />
François Golse.<br />
1994. Ricardo Perez-Marco.<br />
Frédéric Helein.<br />
1995. Éric Séré.<br />
Loïc Merel.<br />
1996. Laurent Lafforgue.<br />
1997. Christophe Breuil.<br />
Christine Lescop.<br />
1998. Philippe Michel.<br />
Wen<strong>de</strong>lin Werner.<br />
1999. Emmanuel Grenier.<br />
Raphaël Rouquier.<br />
2000. Vincent Lafforgue.<br />
Frédéric Leroux.<br />
2001. Denis Auroux.<br />
Thierry Bodineau.<br />
2002. Franck Barthe.<br />
Cédric Villani.<br />
2003. Laurent Fargues.<br />
Laure Saint-Raymond.<br />
2004. Artur Avila.<br />
Stefaan Vaes.<br />
2005. Laurent Berger.<br />
Emmanuel Breuillard.<br />
2006. Erwan Rousseau.<br />
Jérémie Szeftel.<br />
2007. Karine Beauchard.<br />
Gaëtan Chenevier.<br />
2008. Joseph Ayoub.<br />
Julien Dubédat.<br />
Par <strong>de</strong>ux décr<strong>et</strong>s en date du 16 avril 1902 <strong>et</strong> 28 juill<strong>et</strong> 1903, le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
a été autorisé à accepter la donation faite par le duc <strong>de</strong> Loubat, membre associé<br />
<strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong>, en vue <strong>de</strong> la fondation, dans l’établissement, d’un <strong>cours</strong><br />
complémentaire d’Antiquités américaines.<br />
Ce <strong>cours</strong> a été confié à Léon Lejeal (1902-1907), puis au docteur Louis Capitan<br />
(1908-1929). Depuis 1939, les revenus <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te fondation ont permis <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> conférences à <strong><strong>de</strong>s</strong> américanistes.<br />
Voici la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> conférenciers qui ont répondu à l’appel du <strong>Collège</strong> :<br />
1939. Jacques Soustelle.<br />
1941. André Leroi-Gourhan.<br />
1942. Raoul d’Harcourt 1943<br />
Maurice Leenhardt.<br />
1945. Marcel Giraud.<br />
1946. Henri Vallois.<br />
1948. Guy Stresser-Péan.<br />
1950. Clau<strong>de</strong> Lévi-Strauss.
1952. Paul Riv<strong>et</strong>.<br />
1953. Alfred Métraux.<br />
1955. Jehan Vellard.<br />
1965. Pierre Clastres.<br />
1969. Frédéric Engel.<br />
1973. A. Laming-Emperaire.<br />
1974. Jean-Clau<strong>de</strong> Quilici.<br />
1975. Georges Larrouy.<br />
Fondation Michonis<br />
1977. Nathan Wachtel.<br />
1980. Christian Duverger.<br />
1995. Serge Gruzinski.<br />
1996. Philippe Descola.<br />
1997. Carmen Bernand.<br />
1998. Jacques Galinier.<br />
2002. Danielle Lavallée.<br />
2004. Jon Landaburu.<br />
Par décr<strong>et</strong> du 10 mars 1903, M. G. Michonis a légué au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> une<br />
somme dont les revenus doivent servir à « faire faire, toutes les fois que ce sera<br />
possible, par un savant ou un penseur étranger désigné par les professeurs ou<br />
l’administrateur du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, <strong>et</strong> qui sera, autant que les circonstances le<br />
perm<strong>et</strong>tront, au moins une fois sur trois un philosophe ou un historien <strong>de</strong> sciences<br />
religieuses, une série <strong>de</strong> conférences ». L’exécution <strong><strong>de</strong>s</strong> volontés <strong>de</strong> M. Michonis<br />
a commencé en 1905.<br />
Voici la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> conférenciers invités par le <strong>Collège</strong> :<br />
1905. Édouard Naville.<br />
Franz Cumont.<br />
1906. Guglielmo Ferrero.<br />
1908. Charles Michel.<br />
Xénopol.<br />
1910. Christophe Nyrop.<br />
Édouard Mont<strong>et</strong>.<br />
1912. Lorentz.<br />
Gomperz.<br />
1914. Maxime Kowalewsky.<br />
1915. Georges Doutrepont.<br />
Delannoy.<br />
Albert Brach<strong>et</strong>.<br />
1916. Charles <strong>de</strong> La Vallée-Poussin.<br />
1917. Joséphine Ioteyko.<br />
1918. Paul Frédéricq.<br />
1919. Henri Pirenne-Anesaki.<br />
1920. Michel Rostovtzeff.<br />
Jorga.<br />
1922. Albert Einstein.<br />
1923. Raffaele Altamira.<br />
1924. Ettore Pais.<br />
1925. Holger Pe<strong>de</strong>rsen.<br />
1926. Nicolas Alexeieff.<br />
1927. Ernest Mur<strong>et</strong>.<br />
1929. Wolfgang Koehler.<br />
1930. Georges D. Birkoff.<br />
1933. Magnus Olsen.<br />
1934. Harl Jaberg.<br />
Jacob Jud.<br />
1935. Stanislas Kot.<br />
1936. Jacques Pirenne.<br />
1937. Albert Michotte.<br />
1938. Giorgio Levi Della Vida.<br />
1940. Hrozny.<br />
1942. Jean Piag<strong>et</strong>.<br />
1943. Franz Cumont.<br />
1945. Alexandre Ros<strong>et</strong>ti.<br />
1947. Georges Dossin.<br />
Hans Selye.<br />
1948. Charles D<strong>et</strong>olnay.<br />
1951. Étienne Lamotte.<br />
1956. Gino Luzzatto.<br />
Walter E. P<strong>et</strong>rascheck.<br />
1961. Théodor W. Adorno.<br />
1965. V.I. Abaev.<br />
1968. Théodor W. Adorno.<br />
1973. Ludovico Geymonat.<br />
1984. Jean Rudhart.<br />
1989. David Wiggins.<br />
2002. Oleg Grabar.<br />
2007. Philippe Borgeaud.<br />
65
66<br />
Fondation Saintour<br />
Par décr<strong>et</strong> du 25 juill<strong>et</strong> 1889, l’administrateur du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> a été autorisé<br />
à accepter le legs fait au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> par le D r Saintour pour la fondation<br />
d’un prix. Ce prix, périodiquement revalorisé, est décerné tous les <strong>de</strong>ux ans par<br />
l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs, sur la présentation qui lui est faite, d’après un<br />
roulement déterminé, par l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> trois sections instituées à c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong>. Chaque<br />
section regroupe les titulaires <strong>de</strong> chaire pour lesquels les différentes Académies<br />
composant l’Institut ont concurremment avec le <strong>Collège</strong> le droit <strong>de</strong> présentation.<br />
Les trois sections comprennent ensemble la totalité <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs.<br />
Ce prix a été attribué <strong>de</strong>puis sa fondation (1893) à M. Matignon, M. Chassinoit,<br />
M. Abel Lefranc, M. Philippe Glangeaud, M. Laurent, M. Chauvin,<br />
M. Hallion, M. Lenestour, M. Lacôte, M. Ernest Charles, M. Léon Lecornu,<br />
M. Homo, M. Jules Chauvin, M. Paul Langevin, M. Gaston Colin, M. Gaston<br />
Cohen, M. Pierre Leroux, M. Georges Mayer, M. Alexandre Dufour, M. Alfred<br />
Ernout, M. Louis Bodin, M. Paul Mazon, M. René Henry, M. Julien Barat,<br />
M lle Chevroton, M lle Loyez, M. Delaruelle, M. Valois, M. Chabot,<br />
M. Édouard Salles, M. Copaux, M. Clau<strong>de</strong> Blanchel, M. Jules Bloch,<br />
M. Boudréaux, M. Gaffiot, M. Virolleaud, M. Brillaut, M. Henri Clouzot,<br />
M. Georges Lecarpentier, M. Achille Millien, M. Champy, M. Leroux, M. Lévy,<br />
M. <strong>et</strong> M me Marouseau, M. Lejeune, M. Terroine, M. Roux, M me Boudréaux,<br />
M. Ouveriaux, M. Foul<strong>et</strong>, M lle Blanchard Demonge, M. Boulard, M. Bernard<br />
Leroy, M. André Pézard, M. Randouin, M lle Ioteyko, M. Prosper Alfaric,<br />
M. Doutrepont, M lle Maitr<strong>et</strong>, M. Delapparent, M. Alfred Quinquaud,<br />
M. Meyerson, M. Henri Heine, M. Taha Hussein, M. André Vaillant,<br />
M. Marty, l’abbé Busson, M. Sartre, M. Fréjacques, M. Émile Benveniste,<br />
M. Sommerfelt, M. Caridroit, M. Misconi, M. baudot, M. Albert Houstin,<br />
M lle Marie Coch<strong>et</strong>, M. Millon, M lle Marchal, Mlle bezard, M. Contineau,<br />
M. Umbegaun, M. P. Noailhon, M. Boris Ephrussi, M. Casteras, M. Salovine,<br />
M. Samara, M. Martini, M. Paul Émard, M lle Alice Hulub<strong>et</strong>, M. Robert<br />
Courrier, M. Jean Filliozat, M. Pierre Pascal, M. Marc Cohn, M. Maurice<br />
Leenhardt, M. Étienne Wolff, M me d’Also, M. Chapire, M. Rolland,<br />
M. Biquard, M. Jean Fourqu<strong>et</strong>, M. André Chevalier, M. Albert Dauzat,<br />
M. René Clozier, M. Jules Driessens, M. René Pintard, M. Klein, M. René<br />
Vallois, M. Charles Morazé, M. A. Jost, M. Marcel Simon, M. Lemagnen,<br />
M. Paul-Henri Michel, M. André Adam, M me Skreb-Guilcher, Rév. Père<br />
Estugière, M. Yves Lecorre, M. Adigard <strong><strong>de</strong>s</strong> Gautries, M. Pierre Rancastel,<br />
M. Armand Hampé, M. Jacques Fontaine, M. Roger Guillemin, M. Louis-<br />
Charles Damais, M. Jean Pouilloux, M. Guy Lasserre, M. Paul Kessler, M. Paul<br />
Garelli, M me Martha Spitzer, M. Henri Rolland, M. Paul Pelissier, M. André<br />
Lan<strong><strong>de</strong>s</strong>man, M. Jean Riché, M. W. Streiff, M. Valentin Nikiprow<strong>et</strong>zky,<br />
M. Richard Gascon, M. Gilles Granger, M. Hans Glattli, M lle Od<strong>et</strong>te Taffanel,<br />
M. Michel Gaudin, M. Hervé Savon, M. Victor Goldschmidt, M. Neil Sullivan,<br />
M. Venceslas Kruta, M. M. Flato, M. R. Turcan, M. Daniel Estève, M. Jean-
Pierre Mahé, M. André Langaney, M. Jean-Marie Durand, M me Marianne<br />
Mahn-Lot, M. Loïc Merel, M. Willy Clarysse, M. Clau<strong>de</strong> Ghesquière,<br />
M. Pierre Milza, M. Piemontese, M. Christian Giaume.<br />
Fondation Hugot du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
En 1977, l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> Professeurs du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> décidait à l’unanimité<br />
<strong>de</strong> créer une fondation dite Fondation Hugot du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> consacrée,<br />
conformément aux intentions <strong>de</strong> ses bienfaiteurs, Hélène <strong>et</strong> Jean-Pierre Hugot, à<br />
favoriser au mieux <strong>de</strong> ses moyens <strong>et</strong> en étroit accord avec le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />
« la rencontre <strong>de</strong> diverses disciplines qui œuvrent à la connaissance, à la formation<br />
<strong>et</strong> à l’épanouissement <strong>de</strong> l’homme, le rapprochement, par <strong>de</strong>là toutes les frontières,<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> meilleurs esprits animés <strong>de</strong> ce même souci ».<br />
Pour ce faire, la Fondation s’efforce <strong>de</strong> développer toutes étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, recherches <strong>et</strong><br />
activités ayant un double caractère à la fois humaniste <strong>et</strong> pluridisciplinaire.<br />
Le Conseil d’État, par décr<strong>et</strong> en date du 7 février 1979, faisait droit à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> l’Assemblée reconnaissant comme établissement d’utilité publique autonome<br />
ladite Fondation.<br />
En 2001, le Conseil d’Administration <strong>de</strong> la Fondation a décidé <strong>de</strong> la création<br />
d’un « Prix <strong>de</strong> la Fondation Hugot du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ». Ce prix consiste en<br />
l’attribution d’un poste <strong>de</strong> Maître <strong>de</strong> conférences au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
(traditionnellement pour un an, éventuellement renouvelable une fois) ainsi qu’une<br />
somme <strong>de</strong> 4 000 € versée par la Fondation Hugot. Il a été décidé que ce prix serait<br />
attribué dans une discipline différente chaque année.<br />
Le premier lauréat, pour l’année 2003-2004, est un mathématicien mexicain,<br />
M. Ricardo Uribevargas. Le lauréat <strong>de</strong> l’année 2004-2005 est M. Han Hee-Jin,<br />
philosophe coréen, celui <strong>de</strong> 2005-2006 est M. Wouter Henkelman, historien<br />
néerlandais <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> 2007-2008 est M. Jacques Bout<strong>et</strong> <strong>de</strong> Monvel, biophysicien<br />
<strong>de</strong> la cochlée.<br />
Station Marine <strong>de</strong> Concarneau<br />
La Station <strong>de</strong> Biologie Marine <strong>de</strong> Concarneau a été fondée en 1859 par Victor<br />
Coste titulaire <strong>de</strong> la chaire d’Embryogénie au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>. L’établissement<br />
ainsi créé, connu également sous le nom <strong>de</strong> Vivier-Laboratoire fut le premier d’une<br />
longue série : Naples, Roscoff, Banyuls, Plymouth, Woods Hole.<br />
C’est à Concarneau que furent réalisés les premiers élevages <strong>de</strong> poissons marins.<br />
Les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> Laurent Chabry dans les années 1880 ont apporté les bases techniques<br />
<strong>et</strong> conceptuelles <strong>de</strong> l’embryologie expérimentale.<br />
Plus près <strong>de</strong> nous, les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Jean Roche <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses collaborateurs ont j<strong>et</strong>é les<br />
bases d’une biochimie comparée s’appuyant sur la gran<strong>de</strong> diversité structurale <strong>et</strong><br />
fonctionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes marins.<br />
67
68<br />
Ainsi, la Station <strong>de</strong> Biologie Marine <strong>de</strong> Concarneau a offert sur près <strong>de</strong> 140 ans,<br />
l’exemple d’une recherche parfois marginale au regard <strong><strong>de</strong>s</strong> activités pratiquées dans<br />
les autres laboratoires marins : endocrinologie comparée, écobiochimie, biologie<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> espèces <strong><strong>de</strong>s</strong> grands fonds sous leurs aspects fondamentaux mais aussi pratiques :<br />
biotechnologies, enzymes, biomatériaux, gestion <strong>de</strong> l’espace marin.<br />
Depuis 1996, la station est <strong>de</strong>venue Station <strong>de</strong> Biologie Marine du Muséum<br />
National d’Histoire Naturelle <strong>et</strong> du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, la gestion scientifique <strong>et</strong><br />
administrative étant assurée dans le cadre du Muséum National d’Histoire<br />
Naturelle.<br />
Un programme <strong>de</strong> réhabilitation <strong><strong>de</strong>s</strong> viviers, partie historique du laboratoire,<br />
d’extension du Marinarium, exposition ouverte au public <strong>et</strong> <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
locaux scientifiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’accueil <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs <strong>et</strong> stagiaires a été élaboré. Ce<br />
proj<strong>et</strong> bénéficie du con<strong>cours</strong> du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, du Muséum, <strong>de</strong> fonds euro-<br />
péens <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> collectivités locales.<br />
Fondation du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
Le décr<strong>et</strong> <strong>de</strong> création <strong>de</strong> la Fondation du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, reconnue d’utilité<br />
publique, a été publié au Journal officiel du 7 avril 2008. C<strong>et</strong>te Fondation a pour<br />
but, dans l’esprit du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> son ouverture, le soutien, le<br />
développement <strong>et</strong> la valorisation <strong><strong>de</strong>s</strong> activités d’enseignement, <strong>de</strong> recherche, <strong>de</strong><br />
formation, <strong>de</strong> diffusion <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances, en <strong>France</strong> <strong>et</strong> à l’étranger.<br />
Les fonds privés mobilisés perm<strong>et</strong>tront <strong>de</strong> répondre aux besoins <strong>de</strong> financement<br />
<strong>de</strong> proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> l’Institution, d’accroître les ressources nécessaires à<br />
l’animation <strong>de</strong> la vie scientifique <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires, <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rniser <strong><strong>de</strong>s</strong> laboratoires,<br />
d’acquérir <strong><strong>de</strong>s</strong> équipements techniques <strong>de</strong> <strong>de</strong>rnière génération, d’amplifier la<br />
formation <strong><strong>de</strong>s</strong> jeunes chercheurs, <strong>de</strong> favoriser l’accès aux connaissances <strong>et</strong> aux<br />
<strong>de</strong>rnières recherches menées par les chaires <strong>et</strong> par les équipes accueillies. Ils serviront<br />
l’exigence d’une recherche <strong>de</strong> haut niveau tournée vers la société.<br />
La Fondation est administrée par un Conseil constitué <strong>de</strong> 12 membres (le collège<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> membres fondateurs constitué <strong>de</strong> professeurs <strong>de</strong> l’Institution, le collège <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
personnalités qualifiées qui fait appel à <strong><strong>de</strong>s</strong> personnalités <strong>de</strong> la société civile <strong>et</strong><br />
académique <strong>et</strong> le collège <strong><strong>de</strong>s</strong> donateurs). La composition du Conseil illustre la<br />
volonté <strong>de</strong> dialogue <strong>et</strong> d’échange <strong>de</strong> la Fondation avec la société civile <strong>et</strong> les acteurs<br />
du mon<strong>de</strong> économique. Le Conseil d’administration est assisté d’un Comité<br />
d’orientation scientifique composé <strong>de</strong> 6 à 8 membres issus du corps professoral du<br />
<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.
CHRONIQUE<br />
DE L’ANNÉE ACADÉMIQUE 2007-2008<br />
2007<br />
20 juill<strong>et</strong> .............. Décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République (publié au Journal<br />
officiel du 22 juill<strong>et</strong> 2007) nommant M. Manfred Kropp<br />
professeur associé à temps plein au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la<br />
Chaire européenne 2007-2008.<br />
23 juill<strong>et</strong> .............. Décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République (publié au Journal<br />
officiel du 25 juill<strong>et</strong> 2007) nommant M me Ariane Mnouchkine<br />
professeure associée à temps plein au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la<br />
chaire <strong>de</strong> Création artistique 2007-2008.<br />
30 juill<strong>et</strong> .............. Décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République (publié au Journal<br />
officiel du 1 er août 2007) nommant M. Pierre Magistr<strong>et</strong>ti<br />
professeur associé à temps plein au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, sur la<br />
Chaire internationale 2007-2008, <strong>et</strong> M. Gérard Berry<br />
professeur associé à temps plein au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la<br />
chaire d’Innovation technologique-Liliane B<strong>et</strong>tencourt 2007-<br />
2008<br />
4 août .................. Publication au Journal officiel <strong>de</strong> l’avis <strong>de</strong> création <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires<br />
<strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> processus biologiques <strong>et</strong> d’Histoire intellectuelle<br />
<strong>de</strong> la Chine.<br />
13 septembre........ Par arrêté ministériel, MM. Michael Edwards <strong>et</strong> Michel<br />
Tardieu sont admis à faire valoir leurs droits à la r<strong>et</strong>raite à<br />
compter du 1 er septembre 2008.<br />
19 novembre ........ Décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République (publié au Journal<br />
officiel du 21 novembre 2007) nommant M. Michel Brun<strong>et</strong><br />
professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la chaire <strong>de</strong> Paléontologie<br />
humaine, <strong>et</strong> M. Thomas Römer professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong> sur la chaire <strong>de</strong> Milieux bibliques.<br />
23 novembre ........ Décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République (publié au Journal<br />
officiel du 28 novembre 2007) nommant M. Philippe<br />
Sanson<strong>et</strong>ti professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la chaire <strong>de</strong><br />
Microbiologie <strong>et</strong> maladies infectieuses.<br />
25 novembre ........ Délibération <strong>de</strong> l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> Professeurs <strong>de</strong>mandant la<br />
création d’une chaire <strong>de</strong> Physique <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée (en<br />
remplacement <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Civilisations <strong>de</strong> l’Europe au<br />
Néolithique <strong>et</strong> à l’âge <strong>de</strong> bronze).
70 CHRONIQUE DE L’ANNÉE ACADÉMIQUE 2007-2008<br />
2008<br />
19 février.............. Publication au Journal officiel <strong>de</strong> l’avis <strong>de</strong> création <strong>de</strong> la chaire<br />
<strong>de</strong> Physique <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée.<br />
7 avril ................... Publication au Journal officiel du décr<strong>et</strong> <strong>de</strong> création <strong>de</strong> la<br />
Fondation du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, reconnue d’utilité publique.<br />
2 mai ................... Décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République (publié au Journal<br />
officiel du 4 mai 2008) nommant M me Anne Cheng<br />
professeure au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la chaire d’Histoire<br />
intellectuelle <strong>de</strong> la Chine <strong>et</strong> M. Marc Fontecave professeur<br />
au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> processus<br />
biologiques.<br />
19 mai ................. Décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République (publié au Journal<br />
officiel du 21 mai 2008) nommant M me Esther Duflo<br />
professeure associée à temps plein au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la<br />
chaire internationale – Savoirs contre pauvr<strong>et</strong>é 2008-2009.<br />
11 juin ................. Par arrêté ministériel, M me Anne Fagot-Largeault est admise<br />
à faire valoir ses droits à la r<strong>et</strong>raite à compter du 1 er septembre<br />
2009.<br />
5 juill<strong>et</strong> ................ Décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République (publié au Journal<br />
officiel du 9 juill<strong>et</strong> 2008) nommant M. Henri Léridon<br />
professeur associé à temps plein au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la<br />
chaire européenne – développement durable 2008-2009 <strong>et</strong><br />
M. Mathias Fink professeur associé à temps plein au <strong>Collège</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la chaire d’innovation technologique – Liliane<br />
B<strong>et</strong>tencourt 2008-2009.<br />
27 août ................ Décr<strong>et</strong> du Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République (publié au Journal<br />
officiel du 29 août 2008) nommant M. Pierre-Laurent Aimard<br />
professeur associé à temps plein au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur la<br />
chaire <strong>de</strong> Création artistique 2008-2009.
NÉCROLOGIE<br />
François MOREL<br />
(1923-2007)<br />
Le 9 mai 2007, François Morel nous quittait à l’âge <strong>de</strong> 84 ans, après toute une<br />
vie consacrée à la recherche sur la physiologie rénale qu’il a réalisée en gran<strong>de</strong> partie<br />
au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> où il a été titulaire <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Physiologie cellulaire <strong>de</strong><br />
1967 à 1993. François Morel était né à Genève en 1923. Son père était titulaire<br />
<strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Psychiatrie dans c<strong>et</strong>te ville, ce qui l’a sans doute incité à entreprendre<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine. En fait, il n’a jamais exercé la mé<strong>de</strong>cine car, très vite, il a<br />
été attiré par la démarche expérimentale. En 1944, quatre ans avant <strong>de</strong> passer son<br />
diplôme <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine, il est licencié ès sciences <strong>et</strong>, par le fait <strong>de</strong> rencontres fortuites,<br />
il découvre le laboratoire <strong>de</strong> Robert Courrier, titulaire <strong>de</strong> la chaire d’Endocrinologie<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> morphologie expérimentale (1938-1966) au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, à qui il<br />
succé<strong>de</strong>ra en 1967.<br />
À c<strong>et</strong>te époque, François Morel conclut sa leçon inaugurale au <strong>Collège</strong> par la<br />
mention d’un compagnon <strong>de</strong> longue date, le rein, en citant une réflexion du<br />
poète danois Isak Dienesen qui m<strong>et</strong> dans la bouche d’un marin arabe naviguant<br />
au large <strong><strong>de</strong>s</strong> côtes africaines sous un ciel étoilé : « Qu’est-ce en définitive que<br />
l’homme quand on y réfléchit un peu, sinon un dispositif extraordinairement précis<br />
<strong>et</strong> ingénieux, pour transformer, avec un art consommé, le vin rouge <strong>de</strong> Chiraz en<br />
urine ? » Tout François Morel est là, dans c<strong>et</strong>te ironie distante vis-à-vis <strong>de</strong> son<br />
travail qui, effectivement, s’est concentré sur la compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes<br />
cellulaires aboutissant à la réabsorption <strong>de</strong> l’eau <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> électrolytes par le rein. Il<br />
ne s’est jamais départi <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ligne <strong>de</strong> recherche, <strong>de</strong> 1947 jusqu’à la fin <strong>de</strong> son<br />
par<strong>cours</strong> au <strong>Collège</strong> en 1993.<br />
Comme beaucoup <strong>de</strong> physiologistes rénaux dans les années cinquante, François<br />
Morel aurait pu exploiter la technique <strong><strong>de</strong>s</strong> clairances rénales pour étudier la<br />
fonction du rein. C<strong>et</strong>te approche perm<strong>et</strong> d’abor<strong>de</strong>r in vivo, <strong>de</strong> façon globale <strong>et</strong><br />
quantitative, la capacité du rein à réabsorber l’eau, les électrolytes ou d’autres<br />
substances mais elle ne donne aucune indication sur les mécanismes <strong>de</strong> transport,
72 NÉCROLOGIE<br />
<strong>de</strong> sécrétion <strong>et</strong> <strong>de</strong> réabsorption qui sont impliqués. Afin <strong>de</strong> comprendre en finesse<br />
les mécanismes mis en jeu dans les différents secteurs du rein, François Morel<br />
étudie in vitro les différentes entités qui composent le tube néphronique en<br />
analysant les caractéristiques propres <strong><strong>de</strong>s</strong> différents segments du néphron.<br />
Méthodologiste précis <strong>et</strong> rigoureux, il m<strong>et</strong> au point plusieurs micro-techniques<br />
ingénieuses <strong>et</strong> novatrices. Il utilise la toute naissante technique <strong>de</strong> microperfusion<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> tubules rénaux. Il sépare les différents segments du néphron par microdissection<br />
<strong>et</strong> développe les micrométho<strong><strong>de</strong>s</strong> biochimiques nécessaires à ses <strong>travaux</strong>. Sa phrase<br />
favorite, que ses nombreux élèves français <strong>et</strong> étrangers ont gardée en mémoire, était<br />
« Voyez, c’est tout simple <strong>et</strong> ça marche ». Il suit le transport <strong><strong>de</strong>s</strong> ions <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’eau à<br />
travers les membranes cellulaires en utilisant les isotopes radioactifs dont c’était<br />
l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> premières applications en biologie. Il analyse ensuite mathématiquement<br />
les résultats <strong>de</strong> ses expériences, les modélise <strong>et</strong> en tire les conclusions.<br />
Ses premières recherches ont été favorisées par sa rencontre avec Frédéric Joliot-<br />
Curie au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, qui lui a permis d’utiliser <strong><strong>de</strong>s</strong> produits radioactifs<br />
provenant du tout jeune CEA. François Morel est engagé comme mé<strong>de</strong>cin<br />
biologiste au CEA en 1948 <strong>et</strong> <strong>de</strong>viendra chef du laboratoire <strong>de</strong> Physiologie physicochimique<br />
du département <strong>de</strong> Biologie du CEA <strong>de</strong> Saclay. Il installera par la suite<br />
son laboratoire au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, à partir <strong>de</strong> 1967.<br />
Dans les années 70, François Morel s’intéresse à l’action <strong><strong>de</strong>s</strong> hormones sur les<br />
différentes régions du néphron. Il caractérise les récepteurs membranaires <strong>de</strong> la<br />
parathormone, <strong>de</strong> la vasopressine, du glucagon, <strong>de</strong> la calcitonine, <strong><strong>de</strong>s</strong> α-adrénergiques.<br />
Il m<strong>et</strong> au point une micrométho<strong>de</strong> extrêmement sensible <strong>de</strong> dosage l’adénylate<br />
cyclase qui lui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> déterminer les cellules cibles <strong><strong>de</strong>s</strong> hormones. Il montre la<br />
complexité <strong>et</strong> l’hétérogénéité <strong><strong>de</strong>s</strong> différents segments du néphron, la fonction <strong>de</strong><br />
divers types cellulaires dans un même segment tubulaire en termes <strong>de</strong> métabolisme<br />
intermédiaire <strong>et</strong> <strong>de</strong> réponse hormonale. Afin <strong>de</strong> résoudre certaines questions <strong>de</strong><br />
physiologie, il fait appel à la physiologie comparée : pour étudier les mécanismes<br />
aboutissant à l’élaboration d’une urine concentrée, il analyse les propriétés<br />
particulières du rein <strong>de</strong> la gerboise, un rongeur du désert qui n’excrète que quelques<br />
microlitres d’urine par mois. L’épithélium <strong>de</strong> batracien, qui possè<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> analogies<br />
avec le tube urinifère <strong>de</strong> mammifère, lui sert à analyser le transport vectoriel du<br />
sodium. Ce fut une pério<strong>de</strong> pionnière <strong>de</strong> la physiologie <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’endocrinologie rénales<br />
qui, comme il le souligne lui-même, lui a permis pendant plusieurs années d’avoir le<br />
rare privilège d’accumuler <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats originaux en l’absence <strong>de</strong> compétiteurs.<br />
En s’appuyant sur la physiologie rénale, il a parfaitement démontré que l’on<br />
pouvait disséquer un organe complexe en ses différentes fonctions cellulaires <strong>et</strong><br />
étudier en r<strong>et</strong>our comment le travail <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules spécialisées assure une gran<strong>de</strong><br />
fonction intégrée <strong>de</strong> l’organisme.<br />
François Morel possédait les qualités qu’une telle recherche exigeait : extrême<br />
minutie, rigueur <strong>de</strong> l’analyse, ténacité <strong>et</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong>tie. Il ne se donnait pas un rôle<br />
dans sa recherche mais valorisait son équipe <strong>et</strong> était attentif à ceux qui l’entouraient.
NÉCROLOGIE 73<br />
Il se décrivait comme un manuel, comme un artisan qui, à l’inverse <strong>de</strong> l’artiste, ne<br />
signe pas ses œuvres. Il a vécu <strong>de</strong> près un débat scientifique entre <strong>de</strong>ux théories<br />
qui s’opposaient sur les mécanismes <strong>de</strong> concentration <strong><strong>de</strong>s</strong> urines. Celle <strong>de</strong> Khun <strong>et</strong><br />
Wirtz, qui supposait un mécanisme <strong>de</strong> concentration à contre-courant <strong><strong>de</strong>s</strong> urines,<br />
avait la faveur <strong>de</strong> François Morel. Elle s’est avérée exacte, mais François Morel<br />
disait mo<strong><strong>de</strong>s</strong>tement qu’il avait eu la chance d’être du bon côté <strong>de</strong> la balance. Luimême<br />
ne s’est jamais attribué une gran<strong>de</strong> théorie bien qu’il ait été souvent<br />
l’initiateur <strong>de</strong> nouveaux concepts.<br />
François Morel n’avait rien d’un mondain, ni d’un homme <strong>de</strong> pouvoir. C’était un<br />
homme <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir. Il a estimé qu’il ne pouvait rester en marge <strong><strong>de</strong>s</strong> questions qui se<br />
posaient alors <strong>et</strong> déjà ! sur l’orientation <strong>et</strong> le développement <strong>de</strong> la recherche en<br />
<strong>France</strong>. Il s’est impliqué dans plusieurs actions concertées <strong>de</strong> la Direction générale <strong>de</strong><br />
la Recherche scientifique <strong>et</strong> technique (DGRST), notamment comme Prési<strong>de</strong>nt<br />
d’une action « Membranes biologiques » dans les années 60 où il a joué un rôle<br />
important. Son action a été aussi déterminante comme membre du Conseil supérieur<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> universités dans la réforme <strong><strong>de</strong>s</strong> Diplômes d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> épprofondies en 1985.<br />
Chez François Morel, il y avait le goût du bel ouvrage <strong>et</strong> l’émerveillement <strong>de</strong>vant<br />
la nature. Sa collection <strong>de</strong> papillons, qu’il a constituée en partie avec Christian <strong>de</strong><br />
Rouffignac, un <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs <strong>de</strong> son laboratoire au CEA, est exceptionnelle. Il l’a<br />
constituée par 18 voyages qu’il avait intitulés « Calendrier <strong>de</strong> mes chasses aux<br />
papillons exotiques ». A la fois esthète <strong>et</strong> scientifique, il admirait la beauté <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
papillons <strong>et</strong> cherchait à en comprendre le mimétisme.<br />
Nous gardons <strong>de</strong> lui un souvenir vivace. Lors <strong>de</strong> ma leçon inaugurale au <strong>Collège</strong>,<br />
je rappelais les <strong>cours</strong> <strong>de</strong> François Morel sur le mo<strong>de</strong> d’action <strong><strong>de</strong>s</strong> hormones que<br />
nombre d’entre nous, scientifiques ou mé<strong>de</strong>cins, suivaient assidûment. Scientifique<br />
mo<strong><strong>de</strong>s</strong>te, affable, prêt à rendre service <strong>et</strong> <strong>de</strong> haute tenue morale, il a marqué toute<br />
une génération <strong>de</strong> chercheurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> néphrologues qu’il a formée à une méthodologie<br />
rigoureuse <strong>et</strong> innovante au service d’idées <strong>et</strong> <strong>de</strong> concepts originaux. La communauté<br />
scientifique nationale <strong>et</strong> internationale perd l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> pionniers <strong>de</strong> la physiologie <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> l’endocrinologie rénales, <strong>et</strong> le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> un ami.<br />
Pierre Corvol, le 29 juin 2008
RÉSUMÉ DES COURS<br />
ET TRAVAUX<br />
DE L’ANNÉE ACADÉMIQUE 2007-2008<br />
I. SCIENCES MATHÉMATIQUES,<br />
PHYSIQUES ET NATURELLES
Caractérisation spectrale <strong><strong>de</strong>s</strong> variétés<br />
1. Introduction<br />
Analyse <strong>et</strong> géométrie<br />
M. Alain Connes, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />
J’ai donné c<strong>et</strong>te année dans mon <strong>cours</strong> la solution d’un problème que j’avais<br />
formulé il y a quelques années <strong>et</strong> qui donne une caractérisation spectrale <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
variétés Riemanniennes.<br />
2. Les axiomes <strong>et</strong> la caractérisation<br />
Les cinq conditions, en dimension p, sont<br />
(1) La valeur caractéristique μn <strong>de</strong> la résolvante <strong>de</strong> D vérifie μn = O(n –1/p ).<br />
(2) [[D, a], b] = 0 ∀a, b ∈ A.<br />
(3) Pour tout a ∈ A, a <strong>et</strong> [D, a] appartiennent au domaine <strong>de</strong> δm , pour tout<br />
entier m où δ est la dérivation : δ(T ) = [|D|, T ].<br />
(4) Il existe un cycle <strong>de</strong> Hochschild c ∈ Zp (A, A) tel que πD (c) = 1 pour p<br />
impair, alors que pour p pair, πD (c) = γ est une �/2 graduation.<br />
(5) Le A-module H∞ = ∩ Dom Dm est projectif <strong>de</strong> type fini. De plus l’égalité<br />
suivante le dote d’une structure hermitienne ( | ) : 〈ξ, aη〉 = ∫ – a (ξ|η) |D|–p , ∀a ∈ A,<br />
∀ξ, η ∈ H∞. L’application π D est définie par<br />
(2.1) πD (a0 ⊗ a1 ⊗ … ⊗ a p ) = a0 [D, a1 ] … [D, a p ], ∀a j ∈ A.<br />
Le symbole ∫ – représente la trace <strong>de</strong> Dixmier.
78 ALAIN CONNES<br />
Théorème 2.1. Soit (A, H, D) un tripl<strong>et</strong> spectral, avec A commutative, vérifiant<br />
les cinq conditions ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus, on suppose que :<br />
— la régularité (3) est vérifiée par tous les endomorphismes <strong>de</strong> H ∞ ;<br />
— le cycle <strong>de</strong> Hochschild c est antisymétrique.<br />
Il existe alors une variété compacte orientée X telle que A soit l’algèbre C ∞ (X ) <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
fonctions <strong>de</strong> classe C ∞ sur X.<br />
De plus toute variété compacte orientée apparaît <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te manière. On a aussi la<br />
variante suivante qui ne suppose plus la régularité forte, définie ainsi :<br />
Définition 2.2. Un tripl<strong>et</strong> spectral est fortement régulier si tous les endomorphismes<br />
du A-module H ∞ appartiennent au domaine <strong>de</strong> δ m , pour tout entier m.<br />
Théorème 2.3. Soit (A, H, D) un tripl<strong>et</strong> spectral, avec A commutative, vérifiant<br />
les cinq conditions ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus, avec c antisymétrique. On suppose que la multiplicité <strong>de</strong><br />
l’action <strong>de</strong> A ′′ dans H est 2 p/2 . Il existe alors une variété compacte X (spinc ) telle que<br />
A = C ∞ (X ).<br />
C<strong>et</strong>te hypothèse <strong>de</strong> multiplicité est une forme faible <strong>de</strong> la dualité <strong>de</strong> Poincaré<br />
qui était la condition (6) <strong>de</strong> ma formulation du problème. J’avais montré dans un<br />
<strong>cours</strong> antérieur que l’opérateur D est alors un opérateur <strong>de</strong> Dirac. La condition <strong>de</strong><br />
réalité sélectionne ensuite les variétés spinorielles <strong>et</strong> l’action spectrale sélectionne la<br />
connection <strong>de</strong> Levi-Civita.<br />
Il y a trois étapes dans la démonstration :<br />
a) Montrer que le spectre X <strong>de</strong> l’algèbre A est suffisamment grand i.e. que<br />
l’image d’une « carte locale » aα contient un ouvert <strong>de</strong> �p .<br />
j<br />
b) Montrer que la mesure spectrale <strong><strong>de</strong>s</strong> aα ( j><br />
0 ) sur une « carte locale » est la<br />
mesure <strong>de</strong> Lebesgue.<br />
c) Appliquer l’estimation <strong>de</strong> l’obstruction <strong>de</strong> Voiculescu sur les unités quasicentrales<br />
<strong>et</strong> en déduire que les « cartes locales » sont localement injectives.<br />
3. Topologie <strong>de</strong> A<br />
Le lemme suivant montre que le tripl<strong>et</strong> spectral (A, H, D) est uniquement<br />
déterminé par ( A ′′ , H, D) où A ′′ est l’algèbre <strong>de</strong> von Neumann commutative<br />
ferm<strong>et</strong>ure faible <strong>de</strong> A.<br />
Lemme 3.1. Soit T ∈ A ′′ . Les conditions suivantes sont équivalentes :<br />
(1) T ∈ A<br />
(2) [D, T ] est borné <strong>et</strong> T <strong>et</strong> [D, T ] sont dans le domaine <strong>de</strong> δm , pour tout entier m<br />
(3) T est dans le domaine <strong>de</strong> δm , pour tout entier m<br />
(4) TH∞ ⊂ H∞
ANALYSE ET GÉOMÉTRIE 79<br />
On utilise l’égalité :<br />
m � �<br />
m<br />
(3.1) m<br />
D T<br />
k m−k ξ= ∑ δ ( T) D ξ,<br />
∀ξ ∈ Dom|D|<br />
k<br />
k=<br />
0<br />
m<br />
On montre alors que A est une algèbre <strong>de</strong> Fréch<strong>et</strong> avec les semi-normes sousmultiplicatives<br />
(3.2) pk( xy) ≤ pk( x) pk( y)<br />
, ∀x, y ∈ A<br />
associées à la condition <strong>de</strong> régularité,<br />
� x δ( x) � k � δ ( x)/ k!<br />
(3.3) pk(x) = �ρk(x)�, ρk(x)= 0<br />
�<br />
x<br />
�<br />
�<br />
x<br />
�<br />
δ(<br />
x)<br />
0 � 0 x<br />
où ρk est une représentation <strong>de</strong> A.<br />
Le Lemme 3.1 donne <strong><strong>de</strong>s</strong> estimés <strong>de</strong> Sobolev. Soient ημ <strong><strong>de</strong>s</strong> générateurs du<br />
A-module H∞, on définit les normes <strong>de</strong> Sobolev sur A par<br />
(3.4) �a�sobolev = ( �( 1+ D2) s 2a<br />
� )<br />
On a<br />
s<br />
∑<br />
μ<br />
/<br />
2<br />
η 12 /<br />
μ<br />
, ∀a ∈ A<br />
Proposition 3.2.<br />
(1) Munie <strong><strong>de</strong>s</strong> normes (3.4), A est un espace <strong>de</strong> Fréch<strong>et</strong> nucléaire séparable.<br />
(2) On a <strong><strong>de</strong>s</strong> estimés <strong>de</strong> Sobolev <strong>de</strong> la forme<br />
(3.5) p ( a) ≤c �a�sobolev, p ( [ D, a]) ≤ c′ �a�sobolev, ∀a ∈ A<br />
k k s k k k s′<br />
k<br />
k < ∞, ′ k < ∞ <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> suites sk > 0, s′<br />
k > 0.<br />
avec c c<br />
(3) Le spectre X = Spec(A) est métrisable.<br />
(4) Tout T ∈ EndA H∞ agit continûment dans H∞ <strong>et</strong> définit un opérateur borné<br />
dans H.<br />
(5) L’isomorphisme algébrique H∞ = eAn est topologique.<br />
(6) L’application (a, ξ) � aξ <strong>et</strong> le produit à valeurs dans A sont <strong><strong>de</strong>s</strong> applications<br />
continues A × H∞ → H∞ <strong>et</strong> H∞ × H∞ → A.<br />
On a <strong>de</strong> plus la stabilité par calcul fonctionnel démontrée par Varilly <strong>et</strong><br />
Rennie :<br />
Proposition 3.3. Soient a j = a*,<br />
j n éléments auto-adjoints <strong>de</strong> A <strong>et</strong> f : �n � �<br />
une fonction <strong>de</strong> classe C ∞ définie sur un voisinage du spectre <strong><strong>de</strong>s</strong> aj. Alors<br />
f (a1,…, an) ∈ A appartient à A ⊂ A.
80 ALAIN CONNES<br />
4. Fonctions implicites <strong>et</strong> cartes locales<br />
Soit (A, H, D) un tripl<strong>et</strong> spectral vérifiant les cinq conditions du §2.<br />
Lemme 4.1. Soit B l’algèbre <strong><strong>de</strong>s</strong> endomorphismes of H ∞. On a une décomposition<br />
finie <strong>de</strong> la forme<br />
(4.1) [ Da , ] = ∑δ j( a)<br />
γ j,<br />
∀a ∈ A,<br />
où γj ∈ B <strong>et</strong> les δj sont <strong><strong>de</strong>s</strong> dérivations<br />
(4.2) δj( a) = i( ξj [ D, a]<br />
ξj),<br />
∀a ∈ A,<br />
pour ξj ∈ H∞. Par hypothèse le cycle c est <strong>de</strong> la forme :<br />
∑ α α α ∑<br />
p<br />
α β<br />
α β<br />
() 1<br />
( )<br />
(4.3) c = a0ω , ω = ε( β)<br />
1⊗a<br />
⊗�⊗a α<br />
β<br />
μ<br />
où l’on peut supposer que les aα sont auto-adjoints pour μ > 0. Le module<br />
projectif <strong>de</strong> type fini H∞ sur A est <strong>de</strong> la forme H∞ = eAn , où e ∈ Mn(A) est un<br />
i<strong>de</strong>mpotent auto-adjoint. La trace τ = Tr( e) = ∑ejj<br />
∈A<br />
détermine uniquement<br />
les projecteurs pj ∈ A associés à la dimension j <strong>de</strong> la fibre, par l’égalité<br />
∑ ∑<br />
(4.4) τ = Tr( e) = j pj pj<br />
= 1.<br />
On note que p0 = 0. On définit une espérance conditionnelle EA :<br />
EndA(H∞) → A, par<br />
(4.5)<br />
1<br />
EA( T)<br />
= ∑ pj j ∑Tkk,<br />
∀T = (Tkl ) ∈ eMn(A)e j><br />
0<br />
On définit alors ρ α ∈ A par<br />
α α β<br />
α β<br />
p( p+<br />
1)<br />
∑<br />
β<br />
() 1<br />
( p)<br />
(4.6) ρ = i 2 EA ( γ ε( β)<br />
[ Da , ] �[<br />
Da , ] ).<br />
On pose<br />
(4.7) C α = {x ∈ X | ρ α(x) = 0}<br />
<strong>et</strong> on désigne par U C c<br />
α = α son complément i.e. l’ouvert où ρα ne s’annule pas.<br />
Lemme 4.2. Les U α forment un recouvrement ouvert <strong>de</strong> X = Spec(A).<br />
On utilise alors le lemme suivant :<br />
Lemme 4.3. Soit A commutative, <strong>et</strong> a = (a j ), p éléments auto-adjoints <strong>de</strong> A. Soit<br />
χ un caractère <strong>de</strong> A, <strong>et</strong> δj ∈ DerA <strong><strong>de</strong>s</strong> dérivations telles que<br />
— chaque δj s’exponentie ;<br />
— le déterminant <strong>de</strong> la matrice χ(δj(ak )) n’est pas nul.
ANALYSE ET GÉOMÉTRIE 81<br />
Alors l’image par a <strong>de</strong> tout voisinage <strong>de</strong> χ dans Spec(A) contient un voisinage <strong>de</strong><br />
a(χ) dans � p . Il existe <strong>de</strong> plus une famille <strong>de</strong> classe C ∞ , σ t ∈ Aut(A), t ∈ � p , un<br />
voisinage Z <strong>de</strong> χ dans X = Spec(A) <strong>et</strong> W <strong>de</strong> 0 ∈ � p tels que, pour tout κ ∈ Z,<br />
l’application t � a(κ ◦ σ t) soit un diffeomorphisme, dépendant continûment <strong>de</strong> κ, <strong>de</strong><br />
W avec un voisinage <strong>de</strong> a(κ) dans � p .<br />
5. Dérivations dissipatives<br />
Commençons par la propriété <strong>de</strong> dissipativité <strong><strong>de</strong>s</strong> dérivations. On a en eff<strong>et</strong> :<br />
Lemme 5.1. Supposons que les dérivations <strong>de</strong> la forme (4.2) s’exponentient. Alors,<br />
pour tout h = h ∗ ∈ A, le commutateur [D, h] est nul là où h atteint son maximum.<br />
Réciproquement, c<strong>et</strong>te propriété entraîne que les dérivations ± δ j <strong>de</strong> la forme (4.2) sont<br />
dissipatives i.e.<br />
(5.1.) �x + λδ j(x)� ≥ �x�, ∀x ∈ A, λ ∈ �.<br />
On notera que la commutativité <strong>de</strong> [D, h] avec h <strong>et</strong> l’auto-adjonction <strong>de</strong> D ne<br />
suffisent pas à entraîner la conclusion du Lemme 5.1. En eff<strong>et</strong> considérons le<br />
tripl<strong>et</strong> spectral<br />
(5.2.) A = C∞ ([0, 1]), H = L2 ([0, 1]) ⊗ �2 � �<br />
, D =<br />
0 ∂x<br />
avec la condition au bord<br />
−∂x<br />
0<br />
� �<br />
ξ<br />
(5.3.) Dom D = {ξ = 1 |ξ1(0) = 0, ξ2(1) = 0}<br />
ξ2<br />
Pour tout h ∈ A on a [D, h] = ∂x h γ1, � �<br />
0 1<br />
γ 1 =<br />
−1 0<br />
Ainsi [D, h] commute avec h. Mais pour h(x) = x le maximum est en x = 1 <strong>et</strong><br />
[D, h] ne s’annule pas en ce point.<br />
Un point crucial est la détermination du symbole principal <strong>de</strong> |D| sous la<br />
forme,<br />
Proposition 5.2. Soit h = h ∗ ∈ A, alors on a pour la convergence en norme dans<br />
H :<br />
(5.4) lim τ −1eih τ | D| e−ih τ ξ= | [ D, h]<br />
| ξ , ∀ξ ∈ Dom D.<br />
τ→∞<br />
Remarque 5.3. La Proposition 5.2 montre que, sous l’hypothèse <strong>de</strong> régularité,<br />
(5.5) [|[D, h]|, [D, a]] = 0, ∀h = h ∗ , a ∈ A.<br />
Si l’on fait l’hypothèse <strong>de</strong> régularité forte <strong>de</strong> la Définition 2.2 on obtient<br />
(5.6) [D, h] 2 ∈ A, ∀h = h ∗ ∈ A.
82 ALAIN CONNES<br />
On montre <strong>de</strong> plus que la régularité suffit à assurer la propriété <strong>de</strong> dissipativité<br />
du Lemme 5.1.<br />
Théorème 5.4. Soit (A, H, D) un tripl<strong>et</strong> spectral régulier, vérifiant la condition<br />
d’ordre un. Alors pour tout h = h ∗ ∈ A, le commutateur [D, h] s’annule là où h atteint<br />
son maximum, i.e. pour toute suite b n ∈ A, �b n� ≤ 1, <strong>de</strong> support tendant vers {χ},<br />
|χ(h)| maximum, on a<br />
�[D, h]b n� → 0.<br />
Corollaire 5.5. Soit (A, H, D) un tripl<strong>et</strong> spectral avec A commutative vérifiant<br />
les cinq conditions du §2. Les dérivations ±δ j du Lemme 4.1 sont dissipatives.<br />
Cela résulte du Théorème 5.4 <strong>et</strong> du Lemme 5.1.<br />
Corollaire 5.6. Soit h = h∗ ∈ A. Le symbole principal <strong>de</strong> l’opérateur<br />
(5.7) Grad(h) = [D2 , h]<br />
est nul là où h atteint son maximum.<br />
6. Dérivations auto-adjointes<br />
Nous dirons qu’un opérateur borné A est régulier si il appartient au domaine <strong>de</strong><br />
δ m pour tout m.<br />
Proposition 6.1. Soit A un opérateur régulier. Alors l’opérateur H = A∗DA <strong>de</strong><br />
domaine Dom D est essentiellement auto-adjoint. Le domaine <strong>de</strong> la ferm<strong>et</strong>ure <strong>de</strong> H<br />
est l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> ξ ∈ H pour lesquels A∗DA(1 + ε|D|) –1ξ converge en norme pour<br />
ε → 0. La limite <strong><strong>de</strong>s</strong> A∗DA(1 + ε|D|) –1ξ donne Hξ.<br />
On applique ce résultat aux endomorphismes du A-module H∞ qui sont <strong>de</strong><br />
rang un, pour obtenir un opérateur <strong>de</strong> A dans A.<br />
Lemme 6.2. Soit ξ, η ∈ H∞, la formule suivante définit un endomorphisme du<br />
A-module H∞ :<br />
(6.1) Tξ,η(ζ) = (η|ζ)ξ, ∀ζ ∈ H∞ où (η|ζ) est le produit à valeurs dans A. On a<br />
(6.2) Taξ, bη = ab∗Tξ,η, ∀a, b ∈ A, T∗ ξη , = Tη,<br />
ξ<br />
Le résultat principal est le suivant :<br />
Théorème 6.3. Soit (A, H, D) un tripl<strong>et</strong> spectral fortement régulier, avec A<br />
commutative, vérifiant les cinq conditions du §2. Alors toute dérivation <strong>de</strong> A <strong>de</strong> la
ANALYSE ET GÉOMÉTRIE 83<br />
forme (4.2) i.e. δ 0(a) = i(ξ|[D, a]ξ), ∀a ∈ A, est le générateur d’un groupe à un<br />
paramètre d’automorphismes σ t ∈ Aut(A) tels que<br />
— ∂ t σ t(a) = δ 0(σ t(a).<br />
— L’application (t, a) ∈ � × A � σ t(a) ∈ A est continue.<br />
On peut alors montrer directement la continuité absolue <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures σ ∗<br />
t ( λ ) par<br />
rapport à λ. Nous dirons qu’une mesure μ est fortement équivalente à υ si <strong>et</strong><br />
seulement si il existe c > 0 tel que cυ ≤ μ ≤ c –1υ. Proposition 6.4. Soit (A, H, D), δ0 <strong>et</strong> σt comme dans le Théorème 6.3. Alors<br />
pour tout t ∈ � la mesure λ<br />
� �<br />
<strong>de</strong><br />
(6.3) ad λ = – a|D| –p , ∀a ∈ C(X ).<br />
est fortement équivalente à ses transformées par σ t .<br />
7. Multiplicité spectrale<br />
La mesure (6.3) est localement équivalente à la mesure spectrale <strong>de</strong> la<br />
représentation <strong>de</strong> A = C(X ) dans H. On a en eff<strong>et</strong> :<br />
Lemme 7.1. Pour tout ouvert V ⊂ X les mesures suivantes sont fortement<br />
équivalentes :<br />
— la restriction λ| V à V <strong>de</strong> la mesure λ <strong>de</strong> (6.3) ;<br />
— la restriction à V <strong>de</strong> la mesure spectrale associée à un vecteur ξ ∈ H ∞ pour lequel<br />
(ξ, ξ) est strictement positif sur V.<br />
On a <strong>de</strong> plus<br />
Théorème 7.2. Soit V ⊂ Uα un ouvert <strong>et</strong> a j α | V la restriction <strong><strong>de</strong>s</strong> a j α ∈A au sousespace<br />
1V H ⊂ H. Alors<br />
— la mesure spectrale jointe <strong><strong>de</strong>s</strong> a j α | V est la mesure <strong>de</strong> Lebesgue sur sα(V ) ;<br />
— la multiplicité spectrale mac(y) vérifie<br />
(7.1) mac( y) ≥ n( y) =#{ sα( y) V}<br />
−1 � , ∀y ∈ sα(V ),<br />
presque partout pour la mesure <strong>de</strong> Lebesgue.<br />
8. Forme locale <strong><strong>de</strong>s</strong> estimés L (p, 1)<br />
L’obstruction <strong>de</strong> Voiculescu relative à un idéal J d’opérateurs compacts est donnée par<br />
(8.1) k ( { a } ) lim inf max �[ A, a ] �<br />
J j<br />
=<br />
A∈R+ 1 , A↑1<br />
où R 1 + est l’ensemble partiellement ordonné <strong><strong>de</strong>s</strong> opérateurs positifs <strong>de</strong> rang fini,<br />
<strong>de</strong> norme ≤ 1, dans H.<br />
j J
84 ALAIN CONNES<br />
Théorème 8.1. Il existe une constante finie κ p telle que pour tous a j ∈ A <strong>et</strong> tout<br />
compact K ⊂ X on ait, avec J = L (p, 1) , l’inégalité<br />
où :<br />
(8.2) κ J ({a j 1 K }) ≤ κ p max �δ(a j)� ∞(λ(K)) 1/p<br />
λ(K ) = inf<br />
b∈ A + , b1K= 1 K<br />
�<br />
–b|D| –p .<br />
Corollaire 8.2. Il existe C < ∞ tel que la multiplicité spectrale mV ac( x)<br />
du spectre<br />
absolument continu <strong>de</strong> la restriction a j α | V <strong><strong>de</strong>s</strong> a j α , à 1VH vérifie :<br />
(8.3) mV ac( x)≤ C,<br />
∀x ∈ W = sα(V )<br />
Corollaire 8.3. Il existe m < ∞ tel que<br />
(8.4) #( sα( x) V) m<br />
−1 � ≤ , ∀x ∈ W = sα(V )<br />
9. Théorème <strong>de</strong> Reconstruction<br />
On utilise le Corollaire 8.3 ainsi que l’existence <strong>de</strong> suffisamment d’automorphismes<br />
<strong>de</strong> A pour démontrer le lemme clef suivant :<br />
Lemme 9.1. Pour tout point χ ∈ X il existe p éléments auto-adjoints x μ ∈ A <strong>et</strong><br />
une famille, <strong>de</strong> classe C ∞ , τ t ∈ Aut(A), t ∈ � p , τ 0 = id, tels que<br />
— les x μ définissent un homéomorphisme d’un voisinage <strong>de</strong> χ avec un ouvert <strong>de</strong><br />
� p ;<br />
— l’application t � h(t) = χ ◦ τ t est un homéomorphisme d’un voisinage <strong>de</strong> 0 dans<br />
� p avec un voisinage <strong>de</strong> χ ;<br />
— l’application x ◦ h est un difféomorphisme local.<br />
Il en résulte alors<br />
Lemme 9.2. L’algèbre A est localement l’algèbre <strong><strong>de</strong>s</strong> restrictions <strong>de</strong> fonctions C ∞<br />
sur � p à un ouvert borné <strong>de</strong> � p .<br />
En utilisant ce lemme, l’on montre que l’on peut doter le spectre X <strong>de</strong> A d’une<br />
unique structure <strong>de</strong> variété compacte lisse telle que A = C ∞ (X ).
ANALYSE ET GÉOMÉTRIE 85<br />
Conférences<br />
Septembre 2007, 1 conférence à Oberwolfach.<br />
Octobre 2007, 1 conférence à NYU, New York.<br />
Octobre 2007, 1 conférence à Rutgers.<br />
Octobre 2007, 1 conférence à ICTP, Trieste.<br />
Mai 2008, 5 conférences à Van<strong>de</strong>rbilt (Fifth Spring Institute in Non-commutative<br />
Geom<strong>et</strong>ry and Operator Algebras).<br />
Mai 2008, 1 conférence à l’IHÉS (50 e anniversaire).<br />
Mai 2008, 3 conférences à Toronto (Fields Lectures).<br />
Publications<br />
A. Connes, M. Marcolli, Noncommutative Geom<strong>et</strong>ry, Quantum Fields, and Motives,<br />
Colloquium Publications, Vol. 55, American Mathematical Soci<strong>et</strong>y, 2008.<br />
A. Connes, C. Consani, M. Marcolli, Fun with � 1. A paraître dans JNT.
Équations différentielles <strong>et</strong> systèmes dynamiques<br />
M. Jean-Christophe Yoccoz, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />
Cours : cocycles uniformément hyperboliques<br />
1. Le <strong>cours</strong> a présenté <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats obtenus en collaboration avec A. Avila <strong>et</strong><br />
J. Bochi.<br />
Soient X un espace topologique, f un homéomorphisme <strong>de</strong> X, <strong>et</strong> p: E → X un<br />
fibré vectoriel <strong>de</strong> base X. Un cocycle linéaire au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus <strong>de</strong> f est un isomorphisme<br />
F <strong>de</strong> E vérifiant f �p = p�F. Un tel cocycle est uniformément hyperbolique s’il<br />
existe 0< λ < 1, c > 0 <strong>et</strong> une décomposition F-invariante<br />
E = Es ⊕ Eu<br />
vérifiant<br />
F n(<br />
v ) ≤cλ n v pour n≥0, v ∈E<br />
s ,<br />
s<br />
−n( n<br />
u ) λ<br />
s<br />
F v ≤ c vupour<br />
n≥0, vu∈E u .<br />
On va considérer la situation spécifique suivante : X est un sous-décalage <strong>de</strong> type<br />
fini ∑ sur un alphab<strong>et</strong> fini A, f est le décalage σ : ∑→∑, E est le produit ∑ × R2 ,<br />
<strong>et</strong> F est déterminé par une application A : ∑ → SL( 2, R ) qui ne dépend que <strong>de</strong> la<br />
l<strong>et</strong>tre en position zéro dans un élément <strong>de</strong> ∑. Le cocycle F est donc déterminé par<br />
une famille ( Aα) α∈A∈( SL(<br />
2, R)) A via la formule<br />
avec<br />
F n ( x , v ) = ( σσ<br />
n ( x ), A n ( x ) v<br />
),<br />
A n ( x ) = A x … A<br />
n − 1 x 0 si n ≥ 0 ,<br />
= A − 1 … A − 1 si<br />
n < 0 .<br />
x x<br />
n<br />
Le sous-décalage ∑ étant fixé, l’espace <strong><strong>de</strong>s</strong> paramètres est donc ( SL( 2, R)) A . Les<br />
cocycles uniformément hyperboliques correspon<strong>de</strong>nt à une partie ouverte H qu’on<br />
se propose d’étudier.<br />
2. Un critère classique d’uniforme hyperbolicité est basé sur l’existence d’un<br />
champ <strong>de</strong> cônes vérifiant certaines propriétés. Dans la situation considérée, nous<br />
−1<br />
s
88 JEAN-CHRISTOPHE YOCCOZ<br />
avons découvert un critère alternatif, d’emploi plus simple, basé sur la notion <strong>de</strong><br />
multicône. Nous appelons multicône une partie ouverte <strong>de</strong> P1 = P1 (R), non vi<strong>de</strong><br />
<strong>et</strong> distincte <strong>de</strong> P1 , qui a un nombre fini <strong>de</strong> composantes connexes. Le critère est<br />
plus simple à énoncer lorsque ∑ est un décalage compl<strong>et</strong>. Dans ce cas, le cocycle<br />
associé à ( Aα) α∈A est uniformément hyperbolique si <strong>et</strong> seulement s’il existe un<br />
multicône M tel que Aα M est contenu dans M pour tout α ∈A .<br />
Dans le cas général d’un décalage <strong>de</strong> type fini, la condition est qu’il existe <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
multicônes Mα , α ∈A tels que AβMα ⊂ Mβpour<br />
chaque transition admissible<br />
α → β.<br />
Pour voir que ces conditions impliquent l’uniforme hyperbolicité, on fait appel<br />
à un autre critère d’uniforme hyperbolicité (valable pour les cocycles à valeurs dans<br />
SL (2, R) sur une base compacte) : il faut <strong>et</strong> il suffit que la norme <strong><strong>de</strong>s</strong> produits<br />
A n (x) croisse <strong>de</strong> façon uniformément exponentielle. C<strong>et</strong>te croissance est obtenue<br />
en munissant les multicônes <strong>de</strong> leur métrique <strong>de</strong> Hilbert.<br />
Supposons inversement que le cocycle défini par ( Aα) α∈A soit uniformément<br />
hyperbolique. Pour x ∈ � , notons e s (x), e u (x) les directions stables <strong>et</strong> instables<br />
(considérées comme <strong><strong>de</strong>s</strong> points <strong>de</strong> P1 ).<br />
Lorsque ∑ est un décalage compl<strong>et</strong>, posons K s = e s (∑), K u = e u (∑). Appelons<br />
noyau instable (resp. stable) la partie U (resp. S) <strong>de</strong> P1 dont le complémentaire<br />
est l’union <strong><strong>de</strong>s</strong> composantes connexes <strong>de</strong> P1 – Ku qui rencontrent K s (resp. <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
composantes connexes <strong>de</strong> P1 – K s qui rencontrent K u ). Alors S <strong>et</strong> U sont <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
parties compactes non vi<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> disjointes <strong>de</strong> P1 qui n’ont qu’un nombre fini <strong>de</strong><br />
composantes connexes. De plus, les composantes connexes <strong>de</strong> U <strong>et</strong> S sont alternées<br />
pour l’ordre cyclique <strong>de</strong> P1 <strong>et</strong> on a AαU⊂ U , A−<br />
1<br />
α S ⊂S<br />
pour tout α ∈A. Le<br />
multicône M est alors un épaississement approprié <strong>de</strong> U (ne rencontrant pas S).<br />
Lorsque ∑ est un décalage <strong>de</strong> type fini général, on doit définir, pour chaque<br />
α ∈A<br />
��<br />
K s es α = es α = ({ x ∈ , x 0 = αα<br />
}),<br />
��<br />
K u = e u ({ x ∈ , x = αα<br />
}).<br />
αα<br />
−<br />
1<br />
Le noyau instable (resp. stable) U α (resp. Sα ) est alors le complémentaire <strong>de</strong><br />
qui rencontrent A K s<br />
α α (resp. <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
qui rencontrent A−1 K u<br />
α α).<br />
Les parties U α , Sα<br />
l’union <strong><strong>de</strong>s</strong> composantes connexes <strong>de</strong> P1 − K u α<br />
composantes connexes <strong>de</strong> P1 − K s α<br />
sont compactes non vi<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> n’ont qu’un nombre fini <strong>de</strong> composantes connexes. Les<br />
parties U α <strong>et</strong> AαSα sont disjointes <strong>et</strong> leurs composantes connexes sont alternées.<br />
On a AβUα ⊂ U β, A−1<br />
α Sβ ⊂Sα<br />
pour chaque transition admissible α → β.<br />
Le<br />
multicône Mα est un épaississement approprié <strong>de</strong> U α .<br />
On notera que les cônes stables <strong>et</strong> instables dépen<strong>de</strong>nt continûment <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
paramètres. En particulier, le nombre <strong>de</strong> composantes connexes, <strong>et</strong> la façon dont<br />
elles sont envoyées les unes dans les autres par les A α, restent les mêmes dans une<br />
composante connexe du lieu d’hyperbolicité H.
ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES ET SYSTÈMES DYNAMIQUES 89<br />
3. On suppose dans c<strong>et</strong>te section que ∑ est un décalage compl<strong>et</strong> sur<br />
N ≥ 2 symboles. Une composante connexe <strong>de</strong> H est dite principale s’il existe<br />
( εα) α∈A∈ { −1, + 1 } A tel que ( εαA) α∈<br />
A appartienne à c<strong>et</strong>te composante pour<br />
toute matrice A telle que TrA > 2. Il y a 2N composantes principales ; leur union<br />
est notée H0. On montre aisément qu’un N-upl<strong>et</strong> hyperbolique ( Aα) α∈A appartient à H0 si <strong>et</strong><br />
seulement si le cône instable U est connexe. D’autre part, si un N-upl<strong>et</strong> ( Aα) α∈A<br />
appartient à la frontière ∂H0, alors soit l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> matrices Aα est parabolique, soit il<br />
existe <strong><strong>de</strong>s</strong> indices distincts α, β tels que uA = s α A . On a désigné par u β<br />
A (resp. sA) la<br />
direction stable (resp. instable) d’une matrice hyperbolique A ; lorsque A est<br />
parabolique mais distincte <strong>de</strong> ± id, on notera uA = sA l’unique direction invariante.<br />
4. Nous décrivons dans c<strong>et</strong>te section le lieu d’hyperbolicité H lorsque ∑ est le<br />
décalage compl<strong>et</strong> sur 2 symboles.<br />
Considérons la partie ouverte H id <strong>de</strong> (S L(2, R)) 2 formée <strong><strong>de</strong>s</strong> matrices (A, B) telles<br />
que Tr A > 2, Tr B > 2, Tr AB > 2, TrATrB TrAB < 0 . Notons H id + la partie <strong>de</strong><br />
H id formée <strong><strong>de</strong>s</strong> matrices telles que TrA > 2, TrB > 2, TrAB < −2.<br />
On montre que Hid est contenu dans H − H0. En fait, H +<br />
id est l’union <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
composantes connexes <strong>de</strong> H qui se déduisent l’une <strong>de</strong> l’autre par une conjugaison<br />
renversant l’orientation <strong>de</strong> P1 <strong>et</strong> Hid est donc union <strong>de</strong> huit composantes <strong>de</strong> H.<br />
Les éléments <strong>de</strong> Hid sont exactement les paires ( AB , ) ∈H telles que le noyau<br />
instable U a <strong>de</strong>ux composantes connexes.<br />
Pour décrire toutes les composantes connexes <strong>de</strong> H, on introduit les<br />
difféomorphismes <strong>de</strong> (S L(2, R)) 2<br />
F +(A, B) = (A, AB),<br />
F −(A, B) = (BA, B),<br />
<strong>et</strong> on note M le monoï<strong>de</strong> (libre) engendré par F +, F −. Pour F ∈M, on pose<br />
H F = F −1 (H id). Chaque H F a donc 8 composantes connexes.<br />
Théorème – Les composantes <strong>de</strong> H sont exactement les composantes <strong>de</strong> H 0 <strong>et</strong> les<br />
composantes <strong><strong>de</strong>s</strong> H F , F décrivant M. Deux composantes connexes distinctes sont<br />
d’adhérences disjointes. De plus, une partie compacte <strong>de</strong> (SL(2,R)) 2 ne rencontre qu’un<br />
nombre fini <strong>de</strong> composantes connexes.<br />
On désigne par E l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> paramètres ( Aα) α∈A tels qu’il existe un point<br />
périodique x <strong>de</strong> ∑ (<strong>de</strong> pério<strong>de</strong> n) telle que la matrice An (x) associée soit elliptique.<br />
C’est une partie ouverte <strong>de</strong> l’espace <strong><strong>de</strong>s</strong> paramètres, disjointe <strong>de</strong> H.<br />
Pour un sous-décalage <strong>de</strong> type fini général, Avila a montré que E est <strong>de</strong>nse dans<br />
le complémentaire <strong>de</strong> H. Pour le décalage compl<strong>et</strong> sur <strong>de</strong>ux symboles, on a un<br />
résultat plus précis.
90 JEAN-CHRISTOPHE YOCCOZ<br />
Théorème – On a ∂ E =∂ H= ( H∪E) c .<br />
Indiquons quel est le lemme principal dans la démonstration <strong><strong>de</strong>s</strong> théorèmes<br />
précé<strong>de</strong>nts. On dit qu’une paire (A, B) est tordue si A <strong>et</strong> B ne sont pas elliptiques<br />
<strong>et</strong> (A, B) n’appartient pas à H 0.<br />
Lemme – Si (A, B) est tordue, alors une <strong>et</strong> une seule <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre propriétés suivantes<br />
est satisfaite :<br />
i) AB est elliptique ;<br />
ii) ( AB , ) ∈ Hid ;<br />
iii) (A, AB) est tordue ;<br />
iv) (BA, B) est tordue.<br />
Ceci étant, on veut montrer que (SL(2, R)) 2 est l’union disjointe <strong>de</strong> H0, E <strong>et</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> HF , F ∈M. On prend donc une paire (A, B) qui n’appartient pas à H0 ∪ E<br />
<strong>et</strong> on applique le lemme. Le cas i) est impossible par hypothèse. Si on se trouve<br />
dans les cas iii) ou iv) on applique à nouveau le lemme à la paire obtenue. Il s’agit<br />
<strong>de</strong> voir qu’on ne peut indéfiniment éviter le cas ii), ce qui résulte <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />
dynamique sur les tripl<strong>et</strong>s (tr A, tr B, tr AB) au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> ce processus.<br />
5. On dispose d’une <strong><strong>de</strong>s</strong>cription explicite <strong><strong>de</strong>s</strong> multicônes correspondant aux<br />
composantes non principales <strong>de</strong> H pour le décalage compl<strong>et</strong> sur 2 symboles.<br />
Notons M* le monoï<strong>de</strong> opposé <strong>de</strong> M ; pour F ∈M*, posons jF ( )= pq,<br />
où<br />
q désigne la longueur du mot F(AB) <strong>et</strong> p le nombre d’occurences <strong>de</strong> B dans ce<br />
mot. L’application j est une bijection <strong>de</strong> M* sur Q ∩( 01. ,)<br />
Fixons pq∈Q ∩(,)<br />
01. Posons IA = [0, 1 − p/q), IB = [1 − pq, 1), <strong>et</strong> notons<br />
θ : [ 01 , ] → { A,B } l’application qui vaut A sur IA <strong>et</strong> B sur IB. Notons Rp/q l’application x � x+ p q mod 1. Pour x ∈[01 ,), posons<br />
Θ( x) = ( θ( Ri pqx))<br />
0 ≤< i q.<br />
L’image Θ( [01 , )) = : O( pq ) est un ensemble <strong>de</strong> q mots <strong>de</strong><br />
longueur q qui se déduisent les uns <strong><strong>de</strong>s</strong> autres par permutation cyclique.<br />
Soit [ p0 q0, p1 q1]<br />
l’intervalle <strong>de</strong> Farey dont pq est le centre. On munit<br />
l’union disjointe O: = O(<br />
pq ) ⊔ O( p0 q0<br />
) ⊔ O( p1 q1<br />
) <strong>de</strong> l’ordre cyclique<br />
suivant (où Θ0, Θ1 sont définis à partir <strong>de</strong> p0 q0,<br />
p1 q1<br />
comme l’a été Θ à partir<br />
<strong>de</strong> pq) : on commence par Θ0(0), Θ(0), Θ1(0) puis on rencontre alternativement,<br />
par ordre lexicographique croissant, les mots Θ( i ( 0 )) <strong>et</strong> Θ1 1 1 0 ( i ( )) ,<br />
q 1 0 1<br />
R pq<br />
R p q<br />
1<br />
0 < i < q 1,<br />
puis le mot Θ( R pq(<br />
)) = Θ(<br />
− ) , <strong>et</strong> enfin alternativement, par ordre<br />
q<br />
lexicographique décroissant, les mots Θ0 0 0 0 ( ( )) R − j<br />
− j<br />
p q <strong>et</strong> Θ( R pq(<br />
0 )) , 0 < j < q 0.<br />
Si (A, B) appartient à une composante connexe <strong>de</strong> H associée à p q , les cônes<br />
stable <strong>et</strong> instable ont chacun q composantes connexes, <strong>et</strong> les 2q composantes<br />
connexes du complémentaire <strong>de</strong> S ⊔ U sont naturellement paramétrées par O :<br />
pour C ∈O, il existe une composante <strong>de</strong> (S ⊔ U ) c dont les extrémités sont sC <strong>et</strong> uC.
ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES ET SYSTÈMES DYNAMIQUES 91<br />
6. On suppose dans c<strong>et</strong>te section que ∑ est un décalage compl<strong>et</strong> sur<br />
N ≥ 2symboles. On a remarqué plus haut que le nombre <strong>de</strong> composantes <strong>de</strong> S <strong>et</strong><br />
U , ainsi que la dynamique induite par les A α sur les composantes <strong>de</strong> S <strong>et</strong> U ,<br />
restent invariants par déformation donc constants dans chaque composante<br />
connexe <strong>de</strong> H.<br />
Pour formaliser ceci, on introduit la notion <strong>de</strong> multicône combinatoire : un<br />
ensemble fini M = M u ⊔ M s muni d’un ordre cyclique tel que M u <strong>et</strong> M s soient <strong>de</strong><br />
même cardinal <strong>et</strong> alternés. On appelle rang <strong>de</strong> M le cardinal q = # M s = # M u. Les<br />
éléments <strong>de</strong> M s (reps. M u) correspon<strong>de</strong>nt aux composantes <strong>de</strong> S (resp. U ).<br />
On appelle correspondance monotone une partie C <strong>de</strong> M × M telle que<br />
i) C ⊂ (Ms × Ms) ∪ (Mu × Mu) ;<br />
ii) C ∩ (Ms × Ms) est le graphe {(Cs(xs), xs), xs ∈ Cs} d’une application<br />
Cs : Ms→ Ms;<br />
iii) C ∩ (Mu × Mu) est le graphe {(xu, Cu (xu)), xu ∈ Cu} d’une application<br />
Cu : Mu → Mu<br />
;<br />
iv) C peut être muni d’un ordre cyclique tel que l’élément suivant (x, y) est soit<br />
(x ++ , y), soit (x + , y + ), soit (x, y ++ ) (on note x + l’élément suivant x pour l’ordre<br />
cyclique <strong>de</strong> M).<br />
Les correspondances monotones forment un monoï<strong>de</strong> associatif C (M) pour la<br />
composition.<br />
On dit qu’une correspondance monotone est constante si C s <strong>et</strong> C u le sont.<br />
Notons F N le monoï<strong>de</strong> libre à N générateurs (in<strong>de</strong>xés par l’alphab<strong>et</strong> A. Chaque<br />
A α définit une correspondance monotone C α , donc on a un homomorphisme <strong>de</strong><br />
F N dans C (M).<br />
C<strong>et</strong> homomorphisme possè<strong>de</strong> <strong>de</strong> plus les propriétés suivantes : il est hyperbolique,<br />
c’est-à-dire que l’image <strong>de</strong> tout mot assez long est une correspondance constante ;<br />
<strong>et</strong> il est réduit, c’est-à-dire que les images <strong><strong>de</strong>s</strong> C u α recouvrent Mu <strong>et</strong> les images <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
C s α recouvrent Ms.<br />
En résumé, à chaque composante <strong>de</strong> H est associée un multicône combinatoire<br />
M <strong>et</strong> un morphisme hyperbolique réduit <strong>de</strong> F N dans C (M).<br />
Inversement, lorsque N = 2, tout morphisme hyperbolique réduit est associé à<br />
exactement 4 composantes <strong>de</strong> H (se déduisant les unes <strong><strong>de</strong>s</strong> autres par changements<br />
<strong>de</strong> signes).<br />
Par contre, on peut construire <strong><strong>de</strong>s</strong> exemples <strong>de</strong> morphismes hyperboliques<br />
réduits avec N > 2 qui ne sont associés à aucune composante <strong>de</strong> H.<br />
7. On revient dans c<strong>et</strong>te section au cadre général d’un décalage ∑ <strong>de</strong> type fini.<br />
Soient alors H une composante connexe du lieu d’hyperbolicité H, <strong>et</strong> (A α) α∈A un<br />
paramètre appartenant à ∂H.
92 JEAN-CHRISTOPHE YOCCOZ<br />
Théorème – L’une au moins <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux propriétés suivantes a lieu :<br />
i) il existe un point périodique x <strong>de</strong> ∑, <strong>de</strong> pério<strong>de</strong> k, tel que |trA k (x)| = 2 ;<br />
ii) (connexion hétérocline) il existe <strong><strong>de</strong>s</strong> points périodiques x, y <strong>de</strong> ∑, <strong>de</strong> pério<strong>de</strong> respective<br />
k <strong>et</strong> l, un entier n ≥ 0 <strong>et</strong> un point z ∈W u x nW s<br />
loc( ) ∩σloc(<br />
y)<br />
− tels que Ak (x), Al (y)<br />
soient hyperboliques <strong>et</strong> on ait :<br />
A n (z) · u(A k (x)) = s(A l (y)).<br />
De plus, les entiers k, l, n sont majorés par une constante ne dépendant que <strong>de</strong> H.<br />
Corollaire – Chaque composante connexe <strong>de</strong> H est un ensemble semi-algébrique.<br />
Le bord <strong>de</strong> chaque composante est aussi semi-algébrique.<br />
Par contre, H lui-même n’est pas (en général) semi-algébrique, puisqu’il a une<br />
infinité <strong>de</strong> composantes connexes. Lorsque ∑ est un décalage compl<strong>et</strong>, H n’est pas<br />
une composante principale, <strong>et</strong> (Aα) ∈ ∂H comme ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus, on peut montrer<br />
qu’aucun produit <strong><strong>de</strong>s</strong> Aα ne peut être égal à ± id.<br />
8. On a vu que, pour le décalage compl<strong>et</strong> sur 2 symboles, toute partie compacte<br />
<strong>de</strong> l’espace <strong><strong>de</strong>s</strong> paramètres ne rencontre qu’un nombre fini <strong>de</strong> composantes<br />
connexes <strong>de</strong> H. Ceci n’est plus vrai quand on considère le décalage compl<strong>et</strong> sur<br />
3 symboles, en raison d’un phénomène <strong>de</strong> bifurcation hétérocline.<br />
On a étudié une occurrence <strong>de</strong> ce phénomène : on a un tripl<strong>et</strong> (A0, B0, C0) ∈<br />
(SL(2, R)) 3 avec ( A0, B0) ∈ Hid + Cu 0 B = s 0 A.<br />
Localement dans l’espace <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
0<br />
paramètres, l’hypersurface {CuB = sA} sépare un voisinage V <strong>de</strong> (A0, B0, C0) en <strong>de</strong>ux<br />
composantes ; l’une est contenue dans H tandis que l’autre rencontre H suivant<br />
une suite <strong>de</strong> composantes connexes dont les combinatoires associées sont <strong>de</strong> plus<br />
en plus compliquées.<br />
9. De nombreuses questions concernant H <strong>et</strong> ses composantes connexes restent<br />
ouvertes, même pour les décalages compl<strong>et</strong>s sur N ≥ 3 symboles.<br />
Mentionnons ici simplement l’une d’entre elles : existe-t-il <strong><strong>de</strong>s</strong> composantes<br />
connexes H <strong>de</strong> H qui soient bornées modulo conjugaison, c’est-à-dire telles qu’il<br />
existe une partie compacte K <strong>de</strong> (SL(2, R)) N vérifiant H ⊂ �<br />
g gKg −1 ?<br />
On dispose d’un critère intéressant pour tester c<strong>et</strong>te propriété : une partie Z <strong>de</strong><br />
(SL(2,R)) N est bornée modulo conjugaison si <strong>et</strong> seulement si chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions<br />
trAα, trAαAβ est bornée sur Z.<br />
On aimerait aussi savoir si on a toujours ∂H = ∂E = (H ⊔ E ) c , comme c’est le<br />
cas pour le décalage compl<strong>et</strong> sur 2 symboles.
ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES ET SYSTÈMES DYNAMIQUES 93<br />
Conférences, Missions<br />
11 octobre 2007 : Colloquium à l’Université <strong>de</strong> Provence.<br />
26 novembre-7 décembre 2007 : Mission à l’Instituto <strong>de</strong> Matematica Pura e Aplicada à<br />
Rio <strong>de</strong> Janeiro, Brésil.<br />
17 décembre-21 décembre 2007 : Mission à la Scuola Normale Superiore <strong>de</strong> Pise,<br />
Italie.<br />
4-8 février 2008 : Mini-<strong>cours</strong> <strong>de</strong> 4 conférences dans le cadre d’une École d’hiver à Séville,<br />
Espagne.<br />
5 mars 2008 : Conférence lors <strong>de</strong> la journée <strong>de</strong> Rham à l’École Polytechnique <strong>de</strong><br />
Lausanne, Suisse.<br />
16 avril 2008 : Colloquium à l’Université Paris-Nord.<br />
5-16 mai 2008 : Mission à l’Université <strong>de</strong> Montréal, Canada. Titulaire <strong>de</strong> la chaire<br />
Aisenstadt, j’ai donné 4 conférences dans ce cadre, <strong>et</strong> une cinquième lors d’un workshop la<br />
semaine suivante.<br />
26-30 mai 2008 : Coorganisateur d’un colloque à la mémoire d’Adrien Douady à l’IHP,<br />
Paris.<br />
2-6 juin 2008 : Une conférence lors d’un workshop “Dynamique dans l’espace <strong>de</strong><br />
Teichmüller” à Roscoff.<br />
14 juin 2008 : Conférence au Séminaire Bourbaki, IHP, Paris.<br />
7-18 juill<strong>et</strong> 2008 : Co-directeur d’une école d’été en Systèmes dynamiques à l’ICTP,<br />
Trieste, Italie.<br />
Publications<br />
– Ensembles <strong>de</strong> Julia <strong>de</strong> mesure positive <strong>et</strong> disques <strong>de</strong> Siegel <strong><strong>de</strong>s</strong> polynômes quadratiques<br />
[d’après X. Buff <strong>et</strong> A. Chéritat], Séminaire Bourbaki, Volume 2005/2006, exposé n° 966,<br />
Astérisque (311), 2007, 385-401.<br />
– Exponential mixing for the Teichmüller flow, Publ. Math. IHES (104), 143-211 (avec<br />
A. Avila <strong>et</strong> S. Gouezel).
Équations aux dérivées partielles <strong>et</strong> applications<br />
M. Pierre-Louis Lions, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), Professeur<br />
Cours : Jeux à champ moyen (suite)<br />
1. Introduction<br />
Le <strong>cours</strong>, suite <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> l’an <strong>de</strong>rnier, a porté sur une théorie nouvelle élaborée<br />
en collaboration avec M. Jean-Michel Lasry, appelée théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> « jeux à champ<br />
moyen ». L’objectif <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te théorie est d’introduire rigoureusement, d’analyser <strong>et</strong><br />
d’appliquer dans différents contextes une nouvelle classe <strong>de</strong> modèles mathématiques<br />
perm<strong>et</strong>tant d’étudier <strong><strong>de</strong>s</strong> situations faisant intervenir un très grand nombre <strong>de</strong><br />
joueurs rationnels (au sens <strong>de</strong> l’Économie, c’est-à-dire optimisant leur<br />
comportement), chaque joueur interagissant avec les autres en « moyenne ». Ce<br />
type <strong>de</strong> situations est fréquent en Économie <strong>et</strong> en Finance où chaque agent (joueur)<br />
optimise ses actions en tenant compte d’informations globales c’est-à-dire<br />
moyennées sur l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> joueurs. D’autres domaines d’applications concernent<br />
les transports <strong>et</strong> l’étu<strong>de</strong> du trafic ou la Biologie <strong>et</strong> l’Écologie.<br />
Plus précisément, nous considérons <strong><strong>de</strong>s</strong> équilibres <strong>de</strong> Nash à N joueurs, faisons<br />
tendre N vers l’infini, obtenons ainsi <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes d’un type nouveau d’Équations<br />
aux Dérivées Partielles (EDP en abrégé) non linéaires modélisant <strong><strong>de</strong>s</strong> équilibres (ou<br />
points <strong>de</strong> Nash) pour <strong><strong>de</strong>s</strong> continua <strong>de</strong> joueurs, <strong>et</strong> analysons mathématiquement<br />
ces systèmes. Les équations que nous introduisons <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te manière sont très<br />
générales <strong>et</strong> contiennent comme cas particuliers <strong>de</strong> nombreux systèmes <strong>et</strong> équations<br />
classiques : les équations elliptiques semilinéaires, les équations <strong>de</strong> type Hartree <strong>de</strong><br />
la Mécanique Quantique, les équations d’Euler compressibles <strong>de</strong> la Mécanique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Flui<strong><strong>de</strong>s</strong>, les modèles cinétiques (équations <strong>de</strong> Vlasov, Fokker-Planck, Boltzmann…),<br />
les équations <strong><strong>de</strong>s</strong> milieux poreux, les équations du transport optimal <strong>de</strong> masse<br />
(problème <strong>de</strong> Monge-Kantorovich) ou les équations d’Euler-Lagrange associées à<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes <strong>de</strong> contrôle optimal d’EDP…
96 PIERRE-LOUIS LIONS<br />
La terminologie « champ moyen » provient <strong>de</strong> la Physique <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Mécanique<br />
<strong>et</strong> est naturelle puisque notre approche contient effectivement les théories classiques<br />
<strong>de</strong> champ moyen en Physique <strong>et</strong> en Mécanique (voir d’ailleurs les exemples<br />
mentionnés plus haut). Indiquons simplement qu’un cas particulier <strong>de</strong> notre<br />
théorie est celui où les joueurs n’ont plus <strong>de</strong> possibilité d’influer sur (en optimisant)<br />
leur comportement <strong>et</strong> sont alors soumis passivement aux interactions avec le reste<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> joueurs ce qui est bien sûr le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> « particules » en Physique ou <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments<br />
<strong>de</strong> matière en Mécanique <strong><strong>de</strong>s</strong> milieux continus.<br />
Il est donc clair que la classe <strong>de</strong> systèmes que nous obtenons par c<strong>et</strong>te approche<br />
<strong>de</strong> modélisation est extrêmement vaste <strong>et</strong> que <strong>de</strong> très nombreuses questions<br />
d’Analyse Mathématique se posent, dont beaucoup restent à résoudre. Signalons<br />
en outre une direction importante <strong>de</strong> notre théorie : dans tout ce qui précè<strong>de</strong>, nous<br />
avons implicitement considéré un ensemble homogène <strong>de</strong> joueurs « i<strong>de</strong>ntiques »<br />
(en fait, ayant les mêmes caractéristiques). Il est en fait utile <strong>et</strong> souvent réaliste<br />
d’introduire plusieurs catégories <strong>de</strong> joueurs (ou agents, ou organismes vivants…),<br />
chaque catégorie étant composée d’un très grand nombre <strong>de</strong> « joueurs i<strong>de</strong>ntiques ».<br />
De plus, le nombre total <strong>de</strong> joueurs n’est pas nécessairement constant dans le<br />
temps (naissance <strong>et</strong> mort, échanges d’attributs…). Les systèmes que nous<br />
introduisons dans ces cas contiennent alors comme cas particuliers <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles <strong>de</strong><br />
dynamique <strong><strong>de</strong>s</strong> populations ou <strong>de</strong> réactions chimiques…<br />
C<strong>et</strong>te année, le <strong>cours</strong> a porté sur le cadre théorique mathématique nécessaire à<br />
la justification (rigoureuse) <strong>de</strong> la limite quand le nombre <strong>de</strong> joueurs N tend vers<br />
l’infini. Ce cadre mathématique perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> comprendre le comportement<br />
asymptotique <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions symétriques d’un grand nombre <strong>de</strong> variables <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur<br />
calcul différentiel, ainsi que <strong><strong>de</strong>s</strong> solutions symétriques d’EDP en très gran<strong>de</strong><br />
dimension. Signalons le travail antérieur d’A. Grunbaum 1 qui contient une<br />
esquisse du cadre général abstrait que nous introduisons, <strong>et</strong> les considérations<br />
heuristiques d’A. Matytsin 2 . Enfin, indiquons que les résultats que nous présentons<br />
s’appliquent à <strong>de</strong> nombreux autres suj<strong>et</strong>s que la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> jeux à champ moyen :<br />
EDP à N variables quand N tend vers l’infini, gran<strong><strong>de</strong>s</strong> déviations pour <strong><strong>de</strong>s</strong> EDP<br />
stochastiques, théorie du transport <strong>et</strong> systèmes <strong>de</strong> particules (éventuellement<br />
stochastiques) en interaction.<br />
2. Fonctions symétriques d’un grand nombre <strong>de</strong> variables<br />
Afin <strong>de</strong> simplifier la présentation <strong>et</strong> les notations, nous ne considérons ici que<br />
le cas <strong>de</strong> variables décrivant un ensemble Q = O où O est un ouvert borné régulier<br />
<strong>de</strong> � d ( d ≥1 ) muni <strong>de</strong> la métrique euclidienne usuelle (|x – y|) — nous pourrions<br />
aussi bien considérer le tore ou [0, 1] d avec périodicité, ou aussi simplement le cas<br />
1. Propagation of chaos for the Boltzmann Equation, Arch. Rat. Mech. Anal., 42 (1971),<br />
p. 323-345.<br />
2. On the large N limit of the Itzykson-Zuber integral, preprint.
ÉQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET APPLICATIONS 97<br />
d’un espace métrique Q compact quelconque. L’objectif étant <strong>de</strong> comprendre le<br />
comportement quand N tend vers l’infini <strong>de</strong> suites <strong>de</strong> fonctions « continues »<br />
u N(x 1, …, x N) symétriques par rapport à (x 1, …, x d) ∈ Q N (i.e. u N (X ) = u N (X σ),<br />
∀ X ∈ Q N , ∀ σ ∈ S N , où X = (x 1, …, x N), X σ = (x σ(1), …, x σ(N ))) <strong>et</strong> S N désigne le<br />
groupe <strong><strong>de</strong>s</strong> permutations <strong>de</strong> l’ensemble {1, …, N }), il nous faut introduire diverses<br />
métriques sur QN (<strong>et</strong> sur l’espace quotient QN /SN ) : d� ( X, Y) = ( 1 x − y ) 1/<br />
p N i<br />
� LP ( , ) = inf { ε> / (#{ / N i<br />
i=<br />
1<br />
i > ε})< ε}<br />
LP ( , ) = inf<br />
σ∈S<br />
N<br />
�<br />
LP ( , σ ) .<br />
N<br />
∑<br />
i p p<br />
(pour 1 � p � ∞), d X Y 0 1 i x − y , dp (X, Y ) =<br />
inf d� ( X, Y ) , d X Y d X Y<br />
σ<br />
∈S N<br />
p<br />
σ<br />
L’idée essentielle sera <strong>de</strong> considérer un point X = (x1, …, xN) ∈ QN (i<strong>de</strong>ntifié à ses<br />
permutations…) comme soit une mesure <strong>de</strong> probabilité « empirique »<br />
m X N<br />
=<br />
N<br />
1<br />
N ∑<br />
i=<br />
1<br />
δ , soit une variable aléatoire dans un espace <strong>de</strong> probabilité (Ω, F, P)<br />
x<br />
i<br />
nontrivial (fixé dans tout ce qui suit) prenant les valeurs x1, …, xN avec probabilité<br />
1 . On note enfin P = P (Q) l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures <strong>de</strong> probabilité sur Q, espace<br />
N<br />
métrique compact pour les distances dites <strong>de</strong> Wasserstein dp (m1, m2) =<br />
inf {E [|X – Y| p ] 1/p / X ∈ L p (Ω ; �d ), X a pour loi m1, Y a pour loi m2} (en tout cas<br />
pour p < ∞) ou <strong>de</strong> Lévy-Prohorov dLP (m1, m2) = inf {ε > 0, P (|X – Y | > ε) < ε}.<br />
Malheureusement, la terminologie consacrée oublie que les distances dp ont été<br />
introduites (<strong>et</strong> i<strong>de</strong>ntifiées dans le cas p = 1) par Monge <strong>et</strong> Kantorovich. Toutes ces<br />
distances (à nouveau si p < ∞) induisent sur P la convergence faible <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures <strong>et</strong><br />
on a bien dpmXm N<br />
Y N ( , ) = dp (X, Y), dLP mXm N<br />
Y N ( , ) = dLP (X, Y ). Enfin, on notera<br />
Pp l’espace P muni <strong>de</strong> la distance dp <strong>et</strong> P = P2. En observant que les mesures m X N sont <strong>de</strong>nses dans P, on obtient facilement le<br />
Théorème 1 : Soit u N ∈ C (Q N ) symétrique. On suppose que<br />
⎧⎪<br />
sup sup | uN( X) | < ∞,<br />
lim sup sup { | uN( X)<br />
⎪<br />
(1)<br />
N X∈Q d<br />
ε→0 N<br />
⎨<br />
⎪<br />
⎪<br />
⎪−<br />
uN( Y) | X, Y ∈Q<br />
N / , d�<br />
⎩⎪<br />
LP ( XY , )< ε} = 0<br />
Alors, on peut extraire une sous-suite (encore notée uN pour simplifier) telle qu’il<br />
existe U ∈ C (P ) vérifiant<br />
(2) lim sup | uN( X) −U( m ) | = 0<br />
N →∞ X∈Q N<br />
Remarques : i) De multiples variantes <strong>et</strong> extensions <strong>de</strong> ce résultat sont possibles<br />
(plusieurs groupes <strong>de</strong> variables symétriques, réitération, modules <strong>de</strong> continuité<br />
en d � ∞, <strong>de</strong>mi-limites au sens <strong><strong>de</strong>s</strong> solutions <strong>de</strong> viscosité…),<br />
X N
98 PIERRE-LOUIS LIONS<br />
ii) Un exemple important <strong>de</strong> fonctions U dans C (P ) est fourni par les polynômes<br />
i.e. les combinaisons linéaires finies <strong>de</strong> monômes définis par, étant donnés k � 1<br />
(ordre) <strong>et</strong> ϕ ∈ C (Qk ) ou pour simplifier C ∞ (Qk ) symétrique (coefficient),<br />
� �k<br />
(3) Mk( m) = ϕ dm( xi)<br />
.<br />
Q K<br />
i=<br />
1<br />
Et l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> polynômes est <strong>de</strong>nse dans C (application du théorème <strong>de</strong><br />
Stone-Weierstrass ou démonstration constructive directe…),<br />
iii) Il sera utile dans la suite d’observer qu’une fonction U dans C (P p) peut être<br />
i<strong>de</strong>ntifiée à une fonction dans C (L p ) (où L p = L p (Ω ; � d )) possédant la propriété<br />
d’invariance ou <strong>de</strong> symétrie suivante : U (X ) = U (Y ) si X <strong>et</strong> Y ont la même loi.<br />
On note C L le sous-espace vectoriel formé composé <strong>de</strong> telles fonctions.<br />
Le résultat ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous est en quelque sorte dual d’un résultat classique à savoir le<br />
théorème d’Hewitt <strong>et</strong> Savage (que l’on peut en fait redémontrer très simplement<br />
grâce à notre point <strong>de</strong> vue…). Rappelons que, si ( f N) N � 1 est une suite <strong>de</strong> mesures<br />
<strong>de</strong> probabilité sur Q N symétriques, après extraction éventuelle d’une sous-suite, on<br />
peut supposer que les marginales fNf X dx dx<br />
k = ∫ N( ) k+ 1… N convergent<br />
faiblement, pour tout k � 1, vers f k ∈ P (Q k ) symétrique. Bien sûr, f k = ∫ f k + 1<br />
dx k + 1 (∀k � 1). Et la donnée d’une telle suite consistante ( f k ) k � 1 est équivalente<br />
(Hewitt-Savage) à la donnée d’une mesure <strong>de</strong> probabilité π sur P telle que<br />
�k<br />
f k = ∫ m( x d m<br />
P i ) π ( ) . On dit alors que fN converge vers π (<strong>et</strong> on dira que uN i=<br />
1<br />
converge vers U si (2) a lieu).<br />
Théorème 2 : Soient U ∈ C (P), π ∈ P (P), uN ∈ C (QN ) symétrique <strong>et</strong> fN ∈ P (QN )<br />
symétrique. On suppose que uN converge vers U <strong>et</strong> que fN converge vers π. Alors, on a<br />
� �<br />
(4)<br />
u d f → U( m) dπ( m) si N →∞<br />
Q N<br />
N N<br />
P<br />
Remarque : Si π = δf (« chaos moléculaire »…) alors on déduit <strong>de</strong> (4) le fait<br />
suivant<br />
(5)<br />
� �<br />
| u − u df | 2 df →0siN →∞<br />
Q<br />
3. Calcul différentiel<br />
N<br />
Q<br />
N N<br />
N N N<br />
Le but est <strong>de</strong> définir sur P un calcul différentiel compatible avec la limite<br />
considérée au paragraphe précé<strong>de</strong>nt, ce qui n’est pas le cas du calcul différentiel<br />
élaboré (ou esquissé) dans l’espace (dit) <strong>de</strong> Wasserstein par <strong>de</strong> nombreux auteurs.<br />
La présentation la plus simple <strong>de</strong> notre calcul différentiel consiste en se servir d’une<br />
part <strong>de</strong> la structure Hilbertienne <strong>de</strong> L 2 (Ω) <strong>et</strong> du calcul différentiel induit <strong>et</strong> d’autre<br />
part <strong>de</strong> la troisième remarque faite après le théorème 1.
ÉQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET APPLICATIONS 99<br />
L Plus précisément, on note l’application qui à X ∈ L2 (Ω) associe sa loi. Si U<br />
est une fonction définie sur P (ou sur un voisinage <strong>de</strong> m0 ∈ P ) alors U �L est<br />
définie sur L2 L L<br />
<strong>et</strong> U � ( X) = U � ( Y)<br />
si X <strong>et</strong> Y ont même loi. Bien sûr,<br />
U ∈ C 0, α L<br />
(P ) (0 � α � 1) si <strong>et</strong> seulement si U �L ∈C L<br />
0 L<br />
L<br />
, α<br />
( 2 ) . On dit alors que<br />
U est différentiable en m0 ∈ P s’il existe X0 tel que ( X0) = m0<br />
<strong>et</strong> U �L est<br />
différentiable en X0 (on peut vérifier que c<strong>et</strong>te propriété est équivalente à la<br />
différentiabilité <strong>de</strong> U �L en tout point <strong>de</strong> −1(<br />
m 0)<br />
). En i<strong>de</strong>ntifiant différentielle<br />
<strong>et</strong> gradient grâce à la structure Hilbertienne <strong>de</strong> L2 (Ω), on peut démontrer que si<br />
�U est différentiable en X0 ∈ L2 L <strong>et</strong> U�∈C ( L2<br />
) (par exemple), alors U définie par<br />
Um ( ) = UX ( ) � L L si ( X) = m est différentiable en m0 = ( X0)<br />
<strong>et</strong> � U′ ( X )( ∈L2 0 ( Ω))<br />
est mesurable par rapport à la tribu engendrée par X0. Ensuite, il est naturel <strong>de</strong> définir les fonctions C k , C k, a (0 < α � 1) sur P par ce<br />
biais : par exemple, U ∈ C 1 (P) si U �L ∈C1( L2)…<br />
Se posent alors les questions <strong>de</strong> savoir si le calcul différentiel que nous venons<br />
<strong>de</strong> définir est i) d’une part intrinsèque, ii) d’autre part cohérent avec la limite<br />
« N → ∞ ». Tel est bien le cas <strong>et</strong> nous nous contenterons d’illustrer ces <strong>de</strong>ux faits<br />
par quelques exemples. Tout d’abord, la notion naturelle <strong>de</strong> variations dans P<br />
correspond au transport <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures par <strong><strong>de</strong>s</strong> champs <strong>de</strong> vecteur B sur � d (ou sur<br />
Q…) supposés, pour simplifier, réguliers. En notant par (m t ) t ∈ � le groupe induit,<br />
on montre que si U est différentiable en m 0 alors U (m t ) est dérivable en t = 0 <strong>et</strong><br />
L<br />
L (6)<br />
d<br />
Um ( t) | t=<br />
0= E[ ∇(<br />
U� dt<br />
)( X0) BX ( 0)]<br />
où ( X0) = m0<br />
De plus, on démontre que U ∈ C1 (P ) si <strong>et</strong> seulement si il existe un module <strong>de</strong><br />
continuité uniforme ω tel que, pour toute mesure M (x, y) ∈ P (Q 2 ), d<br />
( )| = 0+<br />
dt Umt t<br />
existe <strong>et</strong><br />
d<br />
(7) | Um Um U m | m m m m<br />
dt d<br />
( ) ( ) ( ) ( , ) ( , ))<br />
(<br />
1 − 0 − 1 � d 2 0 1 ω 2 0 1 ,<br />
où mt est défini par ∫Q ϕ dmt = ∫Q2 ϕ ((1 – t) x + ty) dM (x, y), ∀ϕ C (Q).<br />
Enfin, U est différentiable en m0 si <strong>et</strong> seulement si on peut trouver U, U ∈C ( P)<br />
1<br />
telles que : U �U � U sur P <strong>et</strong> U( m0) = Um ( 0)<br />
.<br />
Le <strong>de</strong>uxième point, à savoir la cohérence avec la limite étudiée précé<strong>de</strong>mment,<br />
peut s’illustrer par l’exemple suivant <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats que nous avons obtenus. En<br />
notant πN U la fonction symétrique définie sur QN par π NU( X) = U( mN<br />
X ) , on<br />
démontre que U ∈ C1 (P) si <strong>et</strong> seulement si πN U ∈ C 1 (QN ) <strong>et</strong> il existe un module<br />
<strong>de</strong> continuité uniforme ω indépendant <strong>de</strong> N tel que, pour tous X, Y ∈ QN ,<br />
(8) |(π N U ) (Y ) – (π N U ) (X ) – (∇(π N U ) (X ), Y – X )| � d 2 (X, Y ) ω (d 2 (X, Y )).<br />
Remarque : Bien sûr, les résultats mentionnés ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus ne sont que <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
échantillons (à peine) représentatifs du calcul différentiel mis en place <strong>et</strong> présenté<br />
dans le <strong>cours</strong>. Signalons qu’il est possible d’obtenir <strong>de</strong> nombreuses autres
100 PIERRE-LOUIS LIONS<br />
caractérisations, d’introduire <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> régularisation <strong>et</strong> d’étudier<br />
l’approximation (par exemple par <strong><strong>de</strong>s</strong> polynômes)… Enfin, nous pouvons ainsi<br />
introduire une notion <strong>de</strong> fonction convexe sur P (U est convexe si U �L est<br />
convexe sur L 2 ) qui a <strong>de</strong> nombreuses applications…<br />
4. Équations aux dérivées partielles<br />
Là encore, nous nous contenterons <strong>de</strong> quelques exemples.<br />
Exemple 1 : Équation eikonale<br />
On considère la solution uN (solution <strong>de</strong> viscosité) <strong>de</strong><br />
∂u<br />
(9)<br />
N<br />
+ N = × +<br />
∂ ∑| ∇x uN<br />
| d N ∞<br />
i<br />
t<br />
i<br />
2 0dans ( � ) ] 0,<br />
[<br />
avec la condition initiale<br />
(10) u | = = u<br />
0<br />
N t 0 N<br />
où u 0<br />
N est symétrique <strong>et</strong> u U C P<br />
N N<br />
0 → 0 ∈ ( ). La solution (<strong>de</strong> viscosité) <strong>de</strong> (9) est<br />
donnée par la formule <strong>de</strong> Lax-Oleinik<br />
� 1<br />
(11) uN( X, t) = inf uN( Y ) + d� �<br />
( X, Y)<br />
2<br />
2 ;<br />
2t<br />
Bien sûr, uN est symétrique <strong>et</strong> u U C P<br />
NN ��� ∈ ( × [ 0 , +∞[<br />
) donnée par<br />
� 1 �<br />
(12) Umt ( , ) = inf U ( m′<br />
) + d ( m, m′<br />
) 2<br />
0 2 .<br />
m′∈P 2t<br />
Grâce au calcul différentiel introduit ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus, on peut alors écrire une équation<br />
« Eikonale » dans P <strong>et</strong> démontrer que la formule (12) est bien l’unique solution<br />
(<strong>de</strong> viscosité) <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te équation.<br />
Exemple 2 : Équation <strong>de</strong> diffusion à coefficients constants<br />
On considère la solution uN <strong>de</strong><br />
(13) ∂<br />
N<br />
N<br />
uN<br />
α2β2 − ∑Δxu − N − ∑ ∇x∇x UN<br />
= 0dans ( � d) N×<br />
] 0,<br />
+ ∞[<br />
i i j<br />
∂t<br />
2 2<br />
i=<br />
1<br />
ij , = 1<br />
avec la condition initiale (10). Là encore, on démontre que u U C P<br />
NN ��� ∈ ( × [ 0 , ∞[<br />
)<br />
où U est l’unique solution (<strong>de</strong> viscosité par exemple) d’une équation <strong>de</strong> diffusion<br />
sur P que l’on peut écrire formellement comme<br />
∂U<br />
∂ ∂<br />
(14) +∇U<br />
Δm<br />
∑D<br />
U = = =<br />
∂t<br />
∂ ∂<br />
=<br />
m<br />
d<br />
α2 β2<br />
m<br />
( , ) − 2 ( , ) 0 <strong>et</strong> U | t U 0<br />
0<br />
2 2<br />
xi<br />
x<br />
i 1<br />
i<br />
Il est bien sûr possible <strong>et</strong> utile d’aller au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux exemples, ce que nous<br />
ferons dans le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année 2008-2009.
ÉQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET APPLICATIONS 101<br />
Cours <strong>et</strong> Séminaire<br />
Cours : Le <strong>cours</strong> a eu lieu du 12 octobre 2007 au 11 janvier 2008.<br />
Séminaire <strong>de</strong> Mathématiques Appliquées<br />
— 12 octobre 2007 : Olivier Pironneau (Laboratoire J.-L. Lions, Université Paris 6).<br />
Zooms numériques <strong>et</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> sous-domaines.<br />
— 19 octobre 2007 : Bruno Bouchard (Cerema<strong>de</strong>, Université Paris-Dauphine). Régularité<br />
d’EDS rétrogra<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> approches probabilistes pour la résolution d’équations semilinéaires<br />
paraboliques.<br />
— 9 novembre 2007 : Christian Klingenberg (Université <strong>de</strong> Wuerzburg, Allemagne). New<br />
numerical solvers for Hydro- and Magn<strong>et</strong>ohydrodynamics.<br />
— 16 novembre 2007 : Xavier Blanc (Laboratoire J.-L. Lions, Université Paris 6). Vortex<br />
dans <strong><strong>de</strong>s</strong> con<strong>de</strong>nsats <strong>de</strong> Bose-Einstein en rotation rapi<strong>de</strong>.<br />
— 23 novembre 2007 : Nizar Touzi (CMAP, École Polytechnique). Métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> Monte<br />
Carlo pour les EDP non linéaires.<br />
— 30 novembre 2007 : Albert Cohen (Laboratoire J.-L. Lions, Université Paris 6).<br />
Triangulations adaptatives <strong>et</strong> algorithmes greedy pour l’approximation <strong>et</strong><br />
l’apprentissage.<br />
— 7 décembre 2007 : Stefano Olla (Cerema<strong>de</strong>, Université Paris-Dauphine). Modèles<br />
microscopiques pour la conductivité thermique.<br />
— 14 décembre 2007 : Clément Mouhot (Cerema<strong>de</strong>, Université Paris-Dauphine). Quelques<br />
résultats d’hypocoercivité en théorie cinétique collisionnelle.<br />
— 11 janvier 2008 : Jean-Michel Morel (CMLA-ENS Cachan). Encore <strong>et</strong> toujours<br />
l’équation <strong>de</strong> la chaleur.<br />
— 18 janvier 2008 : Pierre Cardaliagu<strong>et</strong> (Université <strong>de</strong> Brest). Propagation d’interfaces avec<br />
termes non locaux.<br />
— 25 janvier 2008 : Stéphane Gaubert (INRIA-Rocquencourt). De la théorie <strong>de</strong> Perron-<br />
Frobenius à la programmation dynamique <strong>et</strong> vice versa.<br />
— 1 er février 2008 : Sylvia Serfaty (Université <strong>de</strong> Paris 6 & Courant Institute, New York).<br />
Configurations <strong>de</strong> vortex dans le modèle <strong>de</strong> Ginzburg-Landau <strong>de</strong> la supraconductivité.<br />
— 8 février 2008 : Sergio Guerrero Rodriguez (Université <strong>de</strong> Paris 6). Contrôle optimal<br />
singulier pour quelques équations aux dérivées partielles.<br />
— 15 février 2008 : Jean-François Le Gall (Université <strong>de</strong> Paris-Sud 11). Autour <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
cartes planaires aléatoires.<br />
— 14 mars 2008 : Radu Ignat (Université <strong>de</strong> Paris-Sud 11). Un résultat <strong>de</strong> compacité pour<br />
l’état <strong>de</strong> Landau en micromagnétisme.<br />
— 21 mars 2008 : P<strong>et</strong>er Constantin (Université <strong>de</strong> Chicago). Particles and Fluids.<br />
— 28 mars 2008 : Herbert Koch (Université <strong>de</strong> Bonn). Strong uniqueness for elliptic and<br />
parabolic equations.<br />
— 4 avril 2008 : Tony Lelièvre (CERMICS, ENPC). Métho<strong><strong>de</strong>s</strong> adaptatives en dynamique<br />
moléculaire.<br />
— 11 avril 2008 : Clau<strong>de</strong> Viterbo (École Polytechnique). Homogénéisation symplectique.<br />
— 16 mai 2008 : Antonin Chambolle (École Polytechnique). « Rigidité » dans les matériaux<br />
fracturés.<br />
— 23 mai 2008 : Na<strong>de</strong>r Masmoudi (Courant Institute of Mathematical Science). Passage<br />
à la limite <strong>de</strong> Klein-Gordon-Zakharov vers Schrödinger non linéaire.
102 PIERRE-LOUIS LIONS<br />
— 30 mai 2008 : François Golse (École Polytechnique). Le gaz <strong>de</strong> Lorentz périodique dans<br />
la limite <strong>de</strong> Boltzmann-Grad.<br />
— 6 juin 2008 : Massimiliano Gubinelli (Université <strong>de</strong> Paris-Sud). Sur l’équation du<br />
transport stochastique <strong>et</strong> les EDS avec dérive irrégulière.<br />
— 13 juin 2008 : Ivan Gentil (Cerema<strong>de</strong>, Université Paris-Dauphine). Convergence<br />
entropique <strong>et</strong> inégalités fonctionnelles.<br />
— 20 juin 2008 : Graeme Milton (University of Utah). Variational principles for<br />
elastodynamics and Maxwell’s equations in inhomogeneous bodies.<br />
Publications<br />
— Towards a self-consistent theory of volatility. En collaboration avec J.-M. Lasry. A paraître<br />
dans J. Maths. Pures Appl.<br />
— On the energy of some microscopic stochastic lattices. En collaboration avec X. Blanc <strong>et</strong><br />
C. Le Bris. Arch. Rat. Mech. Anal., 184 (2007), p. 303-340.<br />
— Correlations and bounds for stochastic volatility mo<strong>de</strong>ls. En collaboration avec M. Musiela.<br />
Annales <strong>de</strong> l’I.H.P. Non Linear Analysis, 24 (2007), p. 1-16.<br />
— Large investor trading impacts on volatility. En collaboration avec J.-M. Lasry. Annales <strong>de</strong><br />
l’I.H.P. Non Linear Analysis, 24 (2007), p. 311-323.<br />
— Instantaneous self-fulfilling of long-term prophecies on the probabilistic distribution of<br />
financial ass<strong>et</strong> values. En collaboration avec J.-M. Lasry. Annales <strong>de</strong> l’I.H.P. Non Linear<br />
Analysis, 24 (2007), p. 361-368.<br />
— Mean Field Games. En collaboration avec J.-M. Lasry. Japanese Journal of Mathematics,<br />
2 (2007), p. 229-260.<br />
— Deux remarques sur les flots généralisés d’équations différentielles ordinaires. En collaboration<br />
avec M. Hauray <strong>et</strong> C. Le Bris. C.R. Acad. Sci. Paris. 344 (2007), p. 759-764.<br />
— Global existence of weak solutions to some micro-macro mo<strong>de</strong>ls. En collaboration avec<br />
N. Masmoudi. C.R. Acad. Sci. Paris, 345 (2007), p. 15-20.<br />
— A discussion about the homogenization of moving interfaces. En collaboration avec<br />
P. Cardialagu<strong>et</strong> <strong>et</strong> P.E. Souganidis.<br />
— Préface du numéro spécial <strong>de</strong> ESAIM M 2 AN sur la Modélisation Moléculaire, 41 (2007).<br />
— Atomistic to continuum limits for computational materials science. En collaboration avec<br />
X. Blanc <strong>et</strong> C. Le Bris. ESAIM M 2 AN, 41 (2007), p. 391-426.<br />
— Stochastic homogenization and random lattices. En collaboration avec X. Blanc <strong>et</strong><br />
C. Le Bris.<br />
— Convexity and non-convexity of option prices for SABR mo<strong>de</strong>ls. En collaboration avec<br />
M. Musiela.<br />
— Trois chapitres du Lecture Notes in Maths. # 1919, Paris-Princ<strong>et</strong>on Lectures In Mathematical<br />
Finance 2004, En collaboration avec J.-M. Lasry. Springer, Berlin, (2007), p. 103-172.<br />
— Résumé du Cours au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (2006-2007) : Jeux à champ moyen.<br />
— Existence and uniqueness of solutions to Fokker-Planck type equations with irregular<br />
coefficients. En collaboration avec C. Le Bris. Comm. P.D.E., 33 (2008),<br />
p. 1272-1317.<br />
— Molecular simulation and related topics : some open mathematical problems. Non-linearity,<br />
21 (2008).<br />
— Préface <strong>de</strong> Finance and Sustainable Developement, Economica, Paris, 2008. En<br />
collaboration avec P.-A. Chiappori <strong>et</strong> J.-M. Lasry.
ÉQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET APPLICATIONS 103<br />
Missions, Invitations, Conférences<br />
— Conférence au Colloque « Geom<strong>et</strong>ric Function Theory and Nonlinear Analysis », on<br />
the occasion of the 60 th birthday of Ta<strong>de</strong>usz Iwaniec, Ischia, Naples (11-14 octobre<br />
2007).<br />
— Conférence à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences d’Autriche : Johann Radon Lectures, Vienne<br />
(17 octobre 2007).<br />
— Conférence dans un lycée dans le cadre <strong>de</strong> la « Junior Aca<strong>de</strong>my », Vienne, (18 octobre<br />
2007).<br />
— Conférence pour l’élection à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences d’Argentine, « Analyses, modèles<br />
<strong>et</strong> simulations », Rosario (26 octobre 2007).<br />
— Cours (8 h) à l’Université du Texas à Austin (13-26 janvier 2008).<br />
— Conférences du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> à Tunis « L’homme artificiel », Bibliothèque Nationale<br />
(4 février 2008).<br />
— Conférence publique à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences, Tunis (5 février 2008).<br />
— Cours (8 h) à l’Université du Texas à Austin (10-21 février 2008).<br />
— Cours (2 h) à l’Université <strong>de</strong> La Havane (28 février 2008).<br />
— Conférence au Congrès « 8 th International Conference on Operations Research »,<br />
La Havane, Cuba (28 février 2008).<br />
— Cours (6 h) dans le cadre du « <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> à Bruxelles », Bruxelles (15-16 avril<br />
2008, 21-22 avril 2008).<br />
— Cours (4 h) à l’École d’Été, « Topics in PDE and applications 2008 », Grena<strong>de</strong> (7-9 avril<br />
2008).<br />
— Conférence « Magna », Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences du Brésil, Rio <strong>de</strong> Janeiro (6 mai 2008).<br />
— Conférence COPEA, UFRJ, Rio <strong>de</strong> Janeiro (8 mai 2008).<br />
— Conférence au Colloque « Chicago-Paris Workshop in Financial Mathematics », Château<br />
<strong>de</strong> la Princesse, Mello (27 juin 2008).<br />
Responsabilités collectives <strong>et</strong> fonctions diverses<br />
— Membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences ; <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Technologies ; <strong>de</strong> l’Académie<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences d’Italie, d’Argentine <strong>et</strong> du Brésil ; <strong>de</strong> l’Istituto Lombardo.<br />
— Professeur à temps partiel à l’École Polytechnique.<br />
— Prési<strong>de</strong>nt du Conseil Scientifique <strong>de</strong> l’ENS puis Membre du Conseil d’Administration<br />
<strong>de</strong> l’ENS.<br />
— Prési<strong>de</strong>nt du Conseil Scientifique du CEA-DAM.<br />
— Prési<strong>de</strong>nt du Conseil Scientifique d’EDF.<br />
— Prési<strong>de</strong>nt du Conseil Scientifique <strong>de</strong> <strong>France</strong> Telecom.<br />
— Prési<strong>de</strong>nt du Conseil Scientifique <strong>de</strong> la Fondation <strong>de</strong> Recherche pour l’Aéronautique <strong>et</strong><br />
l’Espace.<br />
— Prési<strong>de</strong>nt du Conseil Scientifique <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Finance <strong>et</strong> Développement Durable<br />
<strong>de</strong> l’Université Paris-Dauphine.<br />
— Prési<strong>de</strong>nt du Conseil Scientifique <strong>de</strong> ParisTech.<br />
— Prési<strong>de</strong>nt du jury du prix « Science <strong>et</strong> Défense ».<br />
— Membre du Haut Conseil <strong>de</strong> la Science <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Technologie.<br />
— Membre du Visiting Committee du CEA.
104 PIERRE-LOUIS LIONS<br />
— Membre du Conseil Scientifique <strong>de</strong> l’Institut Europlace <strong>de</strong> Finance.<br />
— Membre du Scientific Advisory Panel <strong>de</strong> l’European Mathematical Soci<strong>et</strong>y.<br />
— Membre fondateur du Comité International <strong>de</strong> l’« International Summer School of<br />
Applied Mathematics », Morningsi<strong>de</strong> Institute, Chinese Aca<strong>de</strong>my of Sciences.<br />
— Membre du Comité <strong><strong>de</strong>s</strong> Programmes Scientifiques du CNES.<br />
— Membre <strong>de</strong> l’International Advisory Board <strong>de</strong> l’Institute of Mathematical Sciences <strong>de</strong><br />
l’Imperial College.<br />
— Membre du Conseil Scientifique <strong>de</strong> la Fondation du Risque.<br />
— Membre du Board of Trustees <strong>et</strong> du Conseil Scientifique <strong>de</strong> l’IMDEA (Madrid).<br />
— Membre du Conseil d’Administration <strong>et</strong> du Conseil Scientifique <strong>de</strong> la Fondation<br />
Sciences Mathématiques <strong>de</strong> Paris.<br />
— Membre du Conseil d’Administration <strong>de</strong> la Fondation d’Entreprise IXIS.<br />
— Membre du Comité d’Orientation <strong>de</strong> l’ENS.<br />
— Membre <strong>de</strong> la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Amis du Palais <strong>de</strong> la Découverte.<br />
— Membre <strong>de</strong> l’International Advisory Board of the Scuola di Dottorato in Scienze<br />
Astronomiche, Chimiche, Fisiche e Mathematiche « Vito Volterra ».<br />
— Administrateur <strong>de</strong> Sark <strong>et</strong> Channel Bridge.<br />
— Conseiller Scientifique auprès <strong>de</strong> BNP PARIBAS, CALYON, EADS-ST, REECH.
Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres<br />
M. Don Zagier, professeur<br />
Cours : Fonctions <strong>de</strong> Green <strong>et</strong> valeurs spéciales <strong>de</strong> fonctions L<br />
Le thème du <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année était le lien entre les valeurs spéciales <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
fonctions L motiviques (<strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs dérivées) d’un côté <strong>et</strong> les invariants algébrogéométriques<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s auxquels ces fonctions sont liées <strong>de</strong> l’autre. Les invariants<br />
en question, du type « régulateur généralisé », se calculent à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> fonctions<br />
spéciales telles que les fonctions logarithme ou polylogarithme dans les situations<br />
les plus simples <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions <strong>de</strong> Green dans <strong><strong>de</strong>s</strong> situations plus générales.<br />
Travaux d’Euler<br />
L’année 2007 ayant été le 300e anniversaire <strong>de</strong> la naissance d’Euler, le <strong>cours</strong> a<br />
commencé par un aperçu historique <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> d’Euler sur les fonctions zêta.<br />
C<strong>et</strong>te partie ne sera pas reproduite ici, sauf pour rappeler qu’Euler, dans ses <strong>travaux</strong><br />
datés <strong>de</strong> 1734 <strong>et</strong> 1749, a trouvé :<br />
• la définition <strong>de</strong> la fonction zêta dite « <strong>de</strong> Riemann » comme somme infinie,<br />
ζ( s)<br />
∞<br />
= ∑ 1<br />
n s<br />
n=<br />
1<br />
• la décomposition multiplicative <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te fonction comme produit portant sur<br />
les nombres premiers,<br />
ζ()<br />
s = ∏ 1<br />
1 ;<br />
• les formules<br />
p premier<br />
;<br />
− − p s<br />
π 2 π 4 π 6<br />
ζ(<br />
2)<br />
= , ζ(<br />
4)<br />
= , ζ(<br />
6)<br />
= , …<br />
6 90 945
106 DON ZAGIER<br />
<strong>et</strong> plus généralement<br />
Bk<br />
ζ( k)<br />
=− ( 2 iπ)<br />
k<br />
2k<br />
(k > 0 pair, Bk = k-ième nombre <strong>de</strong> Bernoulli) (1)<br />
pour les valeurs <strong>de</strong> ζ (s) pour s un entier pair strictement positif ;<br />
• l’extension <strong>de</strong> ζ (s) à <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs <strong>de</strong> s inférieures à 1 ;<br />
• les formules<br />
1<br />
1<br />
1<br />
ζ( 0)<br />
=− , ζ( − 1)<br />
=− , ζ( − 2) = 0, ζ( − 3)<br />
= , ζ(<br />
− 4) = 0,<br />
…<br />
2 12<br />
120<br />
<strong>et</strong> plus généralement<br />
ζ( 1− ) = ( −1) 1 − B<br />
k k k<br />
k<br />
(k > 0, Bk = k-ième nombre <strong>de</strong> Bernoulli) (2)<br />
pour les valeurs <strong>de</strong> ζ (s) pour s un entier négatif ;<br />
• l’équation fonctionnelle (sans démonstration)<br />
πs<br />
Γ()<br />
s<br />
ζ(<br />
1− s)<br />
= 2cos(<br />
) ζ()<br />
s<br />
2 ( 2π)<br />
s<br />
<strong>de</strong> la fonction ζ (s) pour s réel, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> arguments théoriques <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> vérifications<br />
numériques à haute précision pour appuyer c<strong>et</strong>te conjecture ;<br />
• la définition <strong>de</strong> la série L « <strong>de</strong> Dirichl<strong>et</strong> »<br />
∞<br />
∑<br />
n=<br />
1<br />
n<br />
Ls<br />
n s<br />
χ(<br />
) 1 1<br />
(, χ)<br />
= = 1−<br />
+ −<br />
3 s 5s …<br />
pour le caractère χ (n) = (– 4/n) <strong>et</strong> les généralisations <strong>de</strong> toutes les propriétés ci<strong><strong>de</strong>s</strong>sus<br />
(produit d’Euler, prolongement à s < 1, valeurs spéciales pour s = 1, 3, 5, 7, ...<br />
<strong>et</strong> pour s ∈ � ≤ 0, énoncé <strong>de</strong> l’équation fonctionnelle) pour c<strong>et</strong>te fonction.<br />
En d’autres mots, Euler a trouvé toutes les propriétés essentielles <strong>de</strong> la fonction<br />
zêta connues actuellement sauf la preuve <strong>de</strong> l’équation fonctionnelle <strong>et</strong> l’énoncé <strong>de</strong><br />
l’hypothèse <strong>de</strong> Riemann, donnés tous les <strong>de</strong>ux par Riemann dans son mémoire<br />
célèbre <strong>de</strong> 1859.<br />
Fonctions zêta motiviques<br />
La liste <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés <strong>de</strong> ζ (s) trouvées par Euler peut nous servir encore<br />
aujourd’hui comme gui<strong>de</strong> dans l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions zêta <strong>et</strong> fonctions L qui nous<br />
intéressent en théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres. Une telle fonction est toujours donnée par une<br />
∞<br />
série <strong>de</strong> Dirichl<strong>et</strong> du type L() s = LX() s = an ( ) ns<br />
∑ n=<br />
1 / où les an sont <strong><strong>de</strong>s</strong> entiers<br />
(ou <strong><strong>de</strong>s</strong> entiers algébriques) liés aux propriétés d’un certain obj<strong>et</strong> algébrique ou
THÉORIE DES NOMBRES 107<br />
géométrique X (qui peut être un corps <strong>de</strong> nombres, une représentation galoisienne,<br />
une variété algébrique sur un corps <strong>de</strong> nombres, une forme automorphe, <strong>et</strong>c.) ; elle<br />
a un produit d’Euler <strong>de</strong> la forme LX (s) = �<br />
p φp ( p –s ), où φp (t) est une fonction<br />
rationnelle dont les coefficients sont liés aux propriétés p-adiques <strong>de</strong> X ; elle a une<br />
équation fonctionnelle du type<br />
�L (): s = γ () s L s �L<br />
k s<br />
X X () =± ( − )<br />
(3)<br />
X<br />
(où quelquefois �L () s = wL � ( k− s)<br />
avec |w| = 1, où X* est un obj<strong>et</strong> algébrique/<br />
X X*<br />
géométrique « dual » à X ) pour un certain entier k > 0, où γ (s) est une fonction<br />
<strong>de</strong> la forme<br />
α α<br />
γ()<br />
s Ass+<br />
1 s+<br />
d<br />
= Γ( ) … Γ(<br />
) ( A ∈�> 0, α1, …, α d ∈�)<br />
(4)<br />
2 2<br />
liée aux propriétés <strong>de</strong> X sur le corps � ou � ; <strong>et</strong> il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> formules spéciales qui<br />
donnent les valeurs <strong>de</strong> L X (s) pour certaines valeurs intégrales <strong>de</strong> l’argument s. Plus<br />
précisément, dans les cas les plus intéressants, la fonction L X (s) est une fonction<br />
dont on sait ou dont on conjecture qu’elle est entière (ou ne possè<strong>de</strong> qu’un nombre<br />
fini <strong>de</strong> pôles, comme le pôle en s = 1 <strong>de</strong> ζ (s)) ; les fonctions φ p (t) intervenant dans<br />
le produit d’Euler ont la forme 1/P p (t) où P p (t) est un polynôme <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré d pour<br />
presque tout nombre premier p (<strong>et</strong> < d pour les autres), avec le même entier d que<br />
dans (4) ; les racines du polynôme P p (t) (pour les p pour lesquels le <strong>de</strong>gré est égal<br />
à d ) <strong>et</strong> tous leurs conjugués algébriques ont la valeur absolue p –(k–1)/2 , avec le même<br />
entier k que dans (3) (hypothèse <strong>de</strong> Riemann locale) ; <strong>et</strong> on conjecture que toutes<br />
les racines <strong>de</strong> la fonction � L () s se trouvent sur la droite � (s) = k/2, toujours avec<br />
X<br />
le même k (hypothèse <strong>de</strong> Riemann globale).<br />
Regardons quelques exemples avant <strong>de</strong> continuer.<br />
1. Fonction zêta <strong>de</strong> Riemann, ζ (s). Ici on a a (n) = 1 pour tout n, la fonction<br />
φp (t) est égale à 1/(1 – t) pour tout p, <strong>et</strong> on a l’équation fonctionnelle (3) avec<br />
k = 1, signe +, <strong>et</strong> γ (s) = π –s/2 Γ (s/2).<br />
2. Fonctions L <strong>de</strong> Dirichl<strong>et</strong>, L (s, χ). Ici on a a (n) = χ (n), où χ : � → � est un<br />
caractère <strong>de</strong> Dirichl<strong>et</strong>, la fonction φp (t) est égale à 1/(1 – χ (p)t), <strong>et</strong> on a une<br />
équation fonctionnelle du type (3) avec k = 1, signe +, <strong>et</strong> γ (s) comme dans (4) avec<br />
d = 1 <strong>et</strong> α1 = 0 ou 1 selon la valeur <strong>de</strong> χ (– 1).<br />
3. Fonctions zêta <strong>de</strong> De<strong>de</strong>kind, ζ F (s). Dans ce cas le nombre a (n) ∈ � ≥0 compte<br />
le nombre <strong><strong>de</strong>s</strong> idéaux entiers <strong>de</strong> norme n dans un corps <strong>de</strong> nombre fixé F ; l’entier k<br />
dans l’équation fonctionnelle (3) est égal à 1, l’entier d défini par (4) ou par le<br />
<strong>de</strong>gré <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs d’Euler <strong>de</strong> la fonction zêta est égal au <strong>de</strong>gré [F : �], <strong>et</strong> les α j<br />
dans (4) sont égaux à 0 ou à 1, le nombre <strong>de</strong> chaque type étant déterminé par le<br />
nombre <strong>de</strong> plongements réels <strong>de</strong> F dans �.<br />
4. Fonctions L d’Artin, L (s, ρ). Ces fonctions, qui généralisent les trois<br />
précé<strong>de</strong>ntes, sont attachées à une représentation irréductible ρ du groupe <strong>de</strong> Galois<br />
d’une extension galoisienne F/�. Ici encore on a k = 1, tandis que le nombre d
108 DON ZAGIER<br />
(défini soit par le nombre <strong>de</strong> fonctions gamma intervenant dans le facteur gamma<br />
<strong>de</strong> l’équation fonctionnelle, soit par le <strong>de</strong>gré <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs d’Euler typiques <strong>de</strong> la<br />
fonction L) est égal au <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> la représentation ρ.<br />
Tous ces exemples sont liés aux corps <strong>de</strong> nombres ou aux « motifs <strong>de</strong> dimension 0 »<br />
<strong>et</strong> ont k = 1 (c’est-à-dire que l’équation fonctionnelle relie les valeurs s <strong>et</strong> 1 – s <strong>de</strong><br />
l’argument <strong>de</strong> la fonction zêta, que les racines <strong><strong>de</strong>s</strong> polynômes Pp (t) ont toutes la<br />
valeur absolue 1, <strong>et</strong> que l’hypothèse <strong>de</strong> Riemann généralisée prédit ℜ () s =<br />
1 2 pour<br />
les racines <strong>de</strong> la fonction zêta dont il s’agit). Ça ne sera plus le cas dans les exemples<br />
venant <strong>de</strong> la géométrie. En voici quelques-uns.<br />
5. Fonction L d’une courbe elliptique, L (E, s). Pour une courbe elliptique E/� on<br />
définit L (E, s) = � Pp ( p –s ) –1 , où Pp (t) = 1 – a ( p)t + pt2 avec a ( p) = p + 1 – |E (�p)| pour presque tout p. On n’a aucune définition directe <strong>de</strong> ces fonctions comme séries<br />
<strong>de</strong> Dirichl<strong>et</strong> (<strong>et</strong> c’est l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons principales pour la difficulté <strong>de</strong> démontrer<br />
leurs propriétés essentielles telles que le prolongement analytique ou l’équation<br />
fonctionnelle). L’hypothèse <strong>de</strong> Riemann locale, avec k = d = 2, est l’inégalité connue,<br />
mais non-triviale, | ap ( ) | ≤ 2 p.<br />
Le prolongement analytique <strong>de</strong> L (E, s) <strong>et</strong><br />
l’équation fonctionnelle, avec k = 2, d = 2, α1 = 0 <strong>et</strong> α2 = 1, sont également connus,<br />
mais extrêmement difficiles (théorème <strong>de</strong> Wiles <strong>et</strong> al.).<br />
6. Fonction L d’une courbe, L (C, s). La définition <strong>de</strong> la fonction L dans ce cas<br />
est analogue au cas <strong><strong>de</strong>s</strong> courbes elliptiques, sauf que les polynômes P p (t) pour p<br />
générique ont le <strong>de</strong>gré d = 2g, où g est le genre <strong>de</strong> la courbe C définie sur �.<br />
L’hypothèse <strong>de</strong> Riemann locale est connue encore dans ce cas, mais le prolongement<br />
analytique <strong>et</strong> l’équation fonctionnelle restent conjecturales sauf pour certains cas<br />
particuliers comme les courbes modulaires.<br />
7. Fonctions L associées à la cohomologie d’une variété. Dans c<strong>et</strong> exemple, qui<br />
généralise les <strong>de</strong>ux précé<strong>de</strong>nts, on associe au groupe i-ième <strong>de</strong> cohomologie d’une<br />
variété X définie sur � une fonction L donnée par un produit eulerien dans lequel<br />
P p (t) est un polynôme <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré d = dim H i (X ) (i-ième nombre <strong>de</strong> B<strong>et</strong>ti) <strong>et</strong> qui<br />
satisfait à l’hypothèse <strong>de</strong> Riemann locale avec k = i + 1 (conjecture <strong>de</strong> Weil,<br />
démontrée par Deligne). Bien sûr, on n’a aucune démonstration du prolongement<br />
analytique ou <strong>de</strong> l’équation fonctionnelle en général.<br />
Enfin, il y a les fonctions L attachées aux formes automorphes (mais qui seront,<br />
d’après le programme <strong>de</strong> Langlands, i<strong>de</strong>ntiques avec les fonctions du type 7. dans<br />
beaucoup <strong>de</strong> cas). On en mentionne <strong>de</strong>ux.<br />
∞<br />
8. Fonction L <strong>de</strong> Hecke d’une forme modulaire, L ( f , s). Si f ( z) = a( n) e2iπ nz<br />
n=<br />
0<br />
est une forme modulaire sur Γ0 (N ), propre pour les opérateurs <strong>de</strong> Hecke <strong>et</strong><br />
normalisée par a (1) = 1, alors la série <strong>de</strong> Dirichl<strong>et</strong> L (f, s) = �<br />
n >0 a (n)n –s a un<br />
produit d’Euler � Pp (p –s ) –1 avec Pp (t) = 1 – a (p)t + pk–1t 2 pour p ∤ N <strong>et</strong> possè<strong>de</strong><br />
un prolon gement analytique (entière si f est parabolique, <strong>et</strong> avec un seul pôle en<br />
s = k sinon) <strong>et</strong> équation fonctionnelle du type (3) avec d = 2, α1 = 0, α2 = 1. Les<br />
∑
THÉORIE DES NOMBRES 109<br />
résultats d’Eichler <strong>et</strong> Shimura (pour k = 2) <strong>et</strong> Deligne (en général) implique que<br />
c<strong>et</strong>te fonction est du type 7. <strong>et</strong> donc que l’hypothèse <strong>de</strong> Riemann locale<br />
|a (p)| ≤ 2p (k–1)/2 (hypothèse <strong>de</strong> Ramanujan) est vérifiée.<br />
9. Fonction L du carré symétrique d’une forme modulaire, L (Sym 2 f, s). Pour f<br />
comme ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus, c<strong>et</strong>te fonction L est donnée par un produit eulerien du type<br />
� Pp (p –s ) –1 avec P p (t) = (1 – p k–1 t) (1 – (a (p) 2 – 2p k–1 ) t + p 2k–2 t 2 ) pour p ∤ N.<br />
Son prolongement méromorphe a été démontré par Rankin <strong>et</strong> Selberg <strong>et</strong> son<br />
prolongement holomorphe (pour f parabolique) par Shimura <strong>et</strong> l’auteur. On a une<br />
équation fonctionnelle du type (3) (avec k remplacé par 2k – 1) <strong>et</strong> facteur gamma<br />
donné par (4) avec d = 3. Des propriétés semblables sont conjecturées, <strong>et</strong> démontrées<br />
dans certains cas, pour les fonctions L associées aux produits symétriques <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré<br />
supérieur <strong>de</strong> f.<br />
Valeurs spéciales<br />
Les valeurs spéciales (1) <strong>et</strong> (2) <strong>de</strong> ζ (s) données par Euler ont une vaste généralisation<br />
conjecturale due à Deligne. Supposons donnée une fonction L motivique, avec<br />
équation fonctionnelle donnée par (3) <strong>et</strong> (4). On appelle critique une valeur entière<br />
s0 <strong>de</strong> l’argument s telle que ni s0 ni k – s0 sont <strong><strong>de</strong>s</strong> pôles du facteur gamma γ (s). Alors<br />
la valeur <strong>de</strong> L (s0), sera conjecturalement un multiple algébrique d’une certaine<br />
pério<strong>de</strong> (= intégrale d’une forme différentielle définie sur � − sur un cycle fermé).<br />
Plus généralement, d’après <strong><strong>de</strong>s</strong> conjectures dues à Bloch, Beilinson <strong>et</strong> Scholl, si s0 est<br />
un entier quelconque <strong>et</strong> on note par r l’ordre <strong>de</strong> � Ls () en s = s0 (ou s = k – s0), alors la<br />
valeur <strong>de</strong> la dérivée r-ième <strong>de</strong> � Ls () en s = s0 (ou s = k – s0) sera le produit d’une<br />
pério<strong>de</strong> <strong>et</strong> d’un « régulateur » défini comme le déterminant d’une certaine matrice<br />
réelle <strong>de</strong> taille r × r. Ces conjectures contiennent comme cas spéciaux <strong><strong>de</strong>s</strong> conjectures<br />
classiques célèbres telle que la conjecture <strong>de</strong> Stark, où L (s) est du type 4. ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus,<br />
s0 = 0, <strong>et</strong> les éléments <strong>de</strong> la matrice qui définit le régulateur sont <strong><strong>de</strong>s</strong> logarithmes<br />
d’unités algébriques, ou la conjecture <strong>de</strong> Birch <strong>et</strong> Swinnerton-Dyer, dans laquelle<br />
L (s) est la fonction L d’une courbe elliptique E sur �, s0 = 1, r est conjecturalement<br />
égal au rang du groupe <strong>de</strong> Mor<strong>de</strong>ll-Weil <strong>de</strong> E, <strong>et</strong> les éléments <strong>de</strong> la matrice qui<br />
définit le régulateur sont donnés par les hauteurs <strong><strong>de</strong>s</strong> points rationnels sur E. Une<br />
autre généralisation <strong>de</strong> la conjecture <strong>de</strong> Deligne est l’énoncé que si l’argument central<br />
s0 = k/2 est critique, alors la valeur <strong>de</strong> la série L en s0, divisée par une pério<strong>de</strong><br />
correctement normalisée, sera un carré dans son corps <strong>de</strong> définition naturel. C’est le<br />
cas, par exemple, dans la conjecture <strong>de</strong> Birch <strong>et</strong> Swinnerton-Dyer (où la valeur<br />
centrale normalisée est égale à l’ordre du groupe <strong>de</strong> Shafarevich-Tate, qui est toujours<br />
un carré) <strong>et</strong> pour les valeurs centrales <strong><strong>de</strong>s</strong> séries L associées aux caractères <strong>de</strong> Hecke,<br />
qui, correctement normalisées, sont toujours <strong><strong>de</strong>s</strong> carrés (théorème <strong>de</strong> Villegas <strong>et</strong><br />
l’auteur ; voir le résumé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> <strong>de</strong> 2001-2002).<br />
De nombreux exemples spéciaux <strong>de</strong> ces conjectures ont été discutés dans le<br />
<strong>cours</strong>. Nous en reprenons quelques-uns ici.
110 DON ZAGIER<br />
Le régulateur dans la conjecture <strong>de</strong> Birch <strong>et</strong> Swinnerton-Dyer<br />
Soit E/� une courbe elliptique avec groupe <strong>de</strong> Mor<strong>de</strong>ll-Weil <strong>de</strong> rang r, avec<br />
générateurs (modulo torsion) P 1, ..., P r. La conjecture <strong>de</strong> Birch <strong>et</strong> Swinnerton-<br />
Dyer prédit que la série L <strong>de</strong> E aura un zéro d’ordre exactement r en s = 1 (ce que<br />
l’on sait dans certains cas) <strong>et</strong> que la dérivée L (r) (E, 1) sera, à un facteur élémentaire<br />
près, égale au produit <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> réelle Ω E <strong>de</strong> E <strong>et</strong> du régulateur R = d<strong>et</strong> (〈P i,<br />
P j〉 i,j =1,...,r), où 〈⋅, ⋅〉 est l’accouplement canonique sur E (�) ⊗ �. Un cas particulier<br />
d’un résultat <strong>de</strong> Scholl, qui a été explicité dans un article <strong>de</strong> M. Kontsevich <strong>et</strong><br />
l’auteur il y a quelques années <strong>et</strong> présenté dans le <strong>cours</strong>, dit que le produit Ω ER<br />
s’écrit lui-même comme le déterminant d’une matrice, c<strong>et</strong>te fois <strong>de</strong> taille<br />
(r + 1) × (r + 1), dont les coefficients sont <strong><strong>de</strong>s</strong> pério<strong><strong>de</strong>s</strong> « mixtes » <strong>de</strong> la courbe. La<br />
gran<strong>de</strong> question, encore non résolue, serait alors <strong>de</strong> démontrer que la valeur<br />
L (r) (E, 1) aussi s’exprime en termes <strong><strong>de</strong>s</strong> pério<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> formes algébriques ; si c’était<br />
le cas, <strong><strong>de</strong>s</strong> conjectures générales sur les pério<strong><strong>de</strong>s</strong> nous perm<strong>et</strong>traient d’espérer<br />
pouvoir démontrer l’égalité voulue, au moins dans <strong><strong>de</strong>s</strong> cas concr<strong>et</strong>s. (Pour l’instant<br />
la conjecture <strong>de</strong> Birch <strong>et</strong> Swinnerton-Dyer n’est vérifiée que numériquement dans<br />
aucun cas avec r > 1.)<br />
Valeurs <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions zêta <strong>de</strong> De<strong>de</strong>kind <strong>et</strong> polylogarithmes<br />
Il s’agit ici <strong><strong>de</strong>s</strong> conjectures énoncées il y a quelques années par l’auteur, <strong>et</strong><br />
démontrées dans certains cas par Deligne, Beilinson <strong>et</strong> Goncharov, d’après<br />
lesquelles les valeurs en s = m <strong>de</strong> la fonction zêta <strong>de</strong> De<strong>de</strong>kind ζ F (s) d’un corps <strong>de</strong><br />
nombres F quelconque, <strong>et</strong> pour un entier m > 1 quelconque, s’exprimeraient<br />
comme le déterminant d’une matrice ayant comme coefficients <strong><strong>de</strong>s</strong> combinaisons<br />
linéaires rationnelles <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs <strong>de</strong> la m-ième fonction polylogarithme D m<br />
(convenablement définie) avec arguments dans F. L’espace vectoriel sous-jacent à<br />
c<strong>et</strong>te matrice est le « m-ième groupe <strong>de</strong> Bloch » <strong>et</strong> <strong>de</strong>vrait être isomorphe au<br />
K-groupe algébrique K 2m–1 (F ) ⊗ �. C<strong>et</strong>te conjecture, qui est appuyée par<br />
beaucoup <strong>de</strong> calculs numériques <strong>et</strong> arguments théoriques, est dans un certain sens<br />
typique <strong>de</strong> la situation générale. On a expliqué aussi comment on peut r<strong>et</strong>rouver<br />
les fonctions D m (x) comme <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions <strong>de</strong> Green associées au quotient du <strong>de</strong>miplan<br />
<strong>de</strong> Poincaré modulo le groupe <strong><strong>de</strong>s</strong> translations par <strong><strong>de</strong>s</strong> entiers, avec la métrique<br />
hyperbolique.<br />
Fonctions L <strong><strong>de</strong>s</strong> courbes sur � en s = 2<br />
Si E est une courbe elliptique, <strong><strong>de</strong>s</strong> idées <strong>et</strong> résultats <strong>de</strong> Bloch <strong>et</strong> <strong>de</strong> Beilinson<br />
impliquent que la valeur non-critique L (E, 2) peut s’exprimer comme un multiple<br />
simple d’une combinaison linéaire, à coefficients dans �, <strong>de</strong> la fonction dilogarithme<br />
elliptique associée à E, évaluée dans <strong><strong>de</strong>s</strong> points algébriques <strong>de</strong> E. (Si on écrit E (�)<br />
comme �*/q � pour un nombre complexe q avec |q| < 1, la fonction dilogarithme<br />
elliptique dont il s’agit est définie comme la somme sur une orbite <strong>de</strong> q � <strong>de</strong> la
THÉORIE DES NOMBRES 111<br />
fonction dilogarithme modifiée qui intervient dans le calcul <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
fonctions zêta <strong>de</strong> De<strong>de</strong>kind en s = 2.) Une <strong><strong>de</strong>s</strong>cription précise <strong><strong>de</strong>s</strong> combinaisons<br />
linéaires permises a été donnée il y a quelques années par l’auteur (avec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
corrections dues à Schappacher <strong>et</strong> Rolshausen dans certains cas) <strong>et</strong> présentée dans<br />
le <strong>cours</strong>. Si on remplace E par une courbe C/� <strong>de</strong> genre g > 1, les conjectures<br />
générales impliquent toujours une expression pour L (C, 2) en termes d’un certain<br />
régulateur dont les coefficients sont <strong><strong>de</strong>s</strong> intégrales sur la courbe, mais ne sont plus<br />
donnés en termes d’une fonction explicite comme le dilogarithme elliptique. Le<br />
groupe sur lequel ces intégrales doivent être évaluées est le K-groupe algébrique<br />
K 2 (C/�). Ce cas, qui a été étudié <strong>et</strong> vérifié numériquement dans beaucoup <strong>de</strong> cas<br />
(tous hyperelliptiques, <strong>de</strong> genre allant jusqu’à 6) dans un article récent <strong>de</strong> R. <strong>de</strong><br />
Jeu, T. Dokchitser <strong>et</strong> l’auteur, a été discuté en détail. Le problème <strong>de</strong> construire<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> éléments non-triviaux du K-groupe K 2 (C ) dans ces cas mène à <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes<br />
élémentaires en théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres où il s’agit <strong>de</strong> trouver <strong><strong>de</strong>s</strong> polynômes f définis<br />
sur � pour lesquels f (x) 2 – f (0) 2 se factorise en autant <strong>de</strong> facteurs rationnels que<br />
possible, un exemple typique étant la décomposition (x 6 + 2x 5 – 787x 4 – 188x 3<br />
+ 150012x 2 – 149040x – 3326400) 2 – 3326400 2 = (x – 22) (x – 20) (x – 18)<br />
(x – 12) (x – 10) (x – 1)x (x + 7) (x + 15) (x + 18) (x + 23) (x + 24).<br />
Valeurs <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions <strong>de</strong> Green modulaires<br />
Dans <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> joints avec B. Gross il y a un certain nombre d’années, un lien<br />
a été établi entre les dérivées centrales L′ (f, k/2) <strong><strong>de</strong>s</strong> séries L <strong><strong>de</strong>s</strong> formes modulaires<br />
(propres pour les opérateurs <strong>de</strong> Hecke) <strong>de</strong> poids pair k <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs <strong>de</strong> certaines<br />
fonctions <strong>de</strong> Green modulaires associées aux quotients du <strong>de</strong>mi-plan <strong>de</strong> Poincaré<br />
par un groupe fuchsien, avec la métrique hyperbolique. Ces résultats dans le cas<br />
k = 2 avaient <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences pour la conjecture <strong>de</strong> Birch <strong>et</strong> Swinnerton-Dyer,<br />
mais aussi (dans le même cas) pour l’étu<strong>de</strong> arithmétique <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs <strong>de</strong> la fonction<br />
modulaire j (z) dans <strong><strong>de</strong>s</strong> points z à multiplication complexe. Pour k > 2, ils ont<br />
mené à une conjecture d’après laquelle les valeurs <strong>de</strong> ces fonctions <strong>de</strong> Green dans<br />
les arguments à multiplication complexe seraient dans certains cas les logarithmes<br />
<strong>de</strong> nombres algébriques. Un nombre <strong>de</strong> résultats obtenus par l’auteur dans l’entr<strong>et</strong>emps,<br />
<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats très récents <strong>de</strong> A. Mellit qui démontrent l’algébricité prédite<br />
dans certains cas (notamment quand k = 4, le groupe modulaire en question est<br />
SL (2, �), <strong>et</strong> l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> arguments <strong>de</strong> la fonction <strong>de</strong> Green est −1) ont été présentés<br />
dans le <strong>cours</strong>, mais sont trop techniques pour être repris ici. Un aspect intéressant<br />
est le lien entre les fonctions <strong>de</strong> Green qui interviennent ici <strong>et</strong> les fonctions<br />
polylogarithmes qui interviennent dans les conjectures concernant les valeurs<br />
spéciales <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions zêta <strong>de</strong> De<strong>de</strong>kind. Les conjectures <strong>et</strong> résultats peuvent<br />
s’interpréter aussi comme <strong><strong>de</strong>s</strong> énoncés sur les valeurs spéciales <strong>de</strong> certaines fonctions<br />
qui satisfont à une équation différentielle à coefficients rationnels ou algébriques.
112 DON ZAGIER<br />
Cours à l’École Normale Supérieure : « Bouillon Mathématique »<br />
Dans le <strong>cours</strong> « Bouillon » <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année on a présenté <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> explicites<br />
qui perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> résoudre <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses types <strong>de</strong> problèmes asymptotiques tels que :<br />
1. Quel est le comportement asymptotique quand x tend vers 0 d’une série<br />
∞<br />
∑ 1<br />
lentement convergente <strong>de</strong> la forme f ( nx)<br />
, où f (x) est une fonction dont<br />
n=<br />
le comportement pour x p<strong>et</strong>it est connu ?<br />
2. Comment trouve-t-on une formule asymptotique précise pour <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres<br />
an (par exemple, an pourrait être le nombre <strong>de</strong> partitions <strong>de</strong> n) dont on connaît<br />
∞<br />
« explicitement » la fonction génératrice a xn?<br />
∑n= 0 n<br />
3. Si on a une suite <strong>de</strong> nombres An (par exemple, An pourrait être le nombre<br />
<strong>de</strong> courbes algébriques <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré n passant par 3n – 1 points génériques dans le<br />
plan, pour lequel Kontsevich a trouvé une récurrence non-linéaire) dont on<br />
conjecture qu’ils ont un comportement asymptotique <strong>de</strong> la forme<br />
An ∼ nαe An (C0 + C1n –1 + C2n –2 + …), comment peut-on trouver les premiers<br />
coefficients A, α, C0, C1, C2, … à haute précision à partir d’un nombre limité (par<br />
exemple, A 1, …, A 500) <strong><strong>de</strong>s</strong> A n ?<br />
∞<br />
∑ 1<br />
4. Comment calculerait-on la valeur <strong>de</strong> la fonction S( x) = sin( x/ n)/ n<br />
n=<br />
<strong>de</strong> Hardy-Littlewood pour, disons, x = 1060 à 100 chiffres près ?<br />
De tels problèmes se posent partout en mathématiques <strong>et</strong> en physique<br />
mathématique mais les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> pour les résoudre <strong>de</strong> façon efficace ne sont en<br />
général pas très bien connues.<br />
Conférences invitées<br />
Bor<strong>de</strong>aux, octobre 2007 : Quantum modular forms. Conférence à l’occasion du 60 e anniversaire<br />
d’Henri Cohen, Université <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux I.<br />
Bonn, Allemagne, octobre 2007 : Verknot<strong>et</strong>e Modulformen. Conférence à l’occasion du<br />
80 e anniversaire <strong>de</strong> Friedrich Hirzebruch, Universität Bonn.<br />
Banff, Canada, octobre 2007 : Modularity and three-manifolds. Conférence sur « Lowdimensional<br />
Topology and Number Theory », Banff International Research Station.<br />
Paris, novembre 2007 : Les « mock th<strong>et</strong>a functions » <strong>de</strong> Ramanujan (d’après Zwegers <strong>et</strong><br />
Bringmann-Ono). Séminaire Bourbaki, Institut Henri Poincaré.<br />
Lille, décembre 2007 : Les fausses formes modulaires. Colloque, Université <strong>de</strong> Lille I.<br />
Bonn, Allemagne, janvier 2008 : The Riemann z<strong>et</strong>a function and the Selberg z<strong>et</strong>a function<br />
as d<strong>et</strong>erminants. Workshop « Random matrices and number theory », Hausdorff Mathematics<br />
Institute.<br />
Bonn, Allemagne, janvier 2008 : Gaussian periods and finite projective planes. Number<br />
Theory Seminar, Max-Planck-Institut für Mathematik.<br />
Bonn, Allemagne, janvier <strong>et</strong> février 2008 : Asymptotic m<strong>et</strong>hods (<strong>de</strong>ux conférences).<br />
Conférences pour membres <strong>de</strong> l’école doctorale « IMPRS », Max-Planck-Institut für<br />
Mathematik.
THÉORIE DES NOMBRES 113<br />
Pa<strong>de</strong>rborn, Allemagne, janvier 2008 : Warum ich von Primzahlen träume. Conférence<br />
populaire dans le cadre du programme « Zahlen, bitte! », Nixdorf-Zentrum.<br />
Bonn, Allemagne, février 2008 : Spectral <strong>de</strong>composition and the Rankin-Selberg m<strong>et</strong>hod.<br />
Second Japanese-German number theory workshop.<br />
Amsterdam, Pays-Bas, février 2008 : Mock th<strong>et</strong>a functions and their applications.<br />
Colloquium, Universiteit Amsterdam.<br />
Utrecht, Pays-Bas, février 2008 : Finite projective planes, Fermat curves, and Gaussian<br />
periods. Colloquium Universiteit Utrecht.<br />
Amsterdam, Pays-Bas, février 2008 : Modular Green’s functions. Intercity number theory<br />
seminar « L-functions and friends ».<br />
Dublin, Irlan<strong>de</strong>, avril 2008 : Gaussian periods and finite projective planes. Colloquium,<br />
University College Dublin <strong>et</strong> Trinity College.<br />
Dublin, Irlan<strong>de</strong>, avril 2008 : The amazing five-term relation. Conférence populaire,<br />
Trinity College.<br />
Dublin, Irlan<strong>de</strong>, avril 2008 : Modular forms and not-so-modular forms in mathematics and<br />
physics. Workshop on Gauge Theory, Moduli spaces and Representation Theory, Trinity<br />
College.<br />
Vienne, Autriche, avril 2008 : Quantum i<strong>de</strong>as in number theory and vice versa. Conférence<br />
plénière à l’occasion du 15e anniversaire <strong>de</strong> l’Institut Ernst Schrödinger.<br />
Baton Rouge, Louisiana, États-Unis, avril 2008 : The « q » of « quantum » (trois<br />
conférences). Porcelli Lectures 2008, Louisiana State University.<br />
Austin, Texas, États-Unis, avril 2008 : Mock modular forms. Number theory seminar,<br />
University of Texas.<br />
Bonn, Allemagne, mai 2008 : Diophant und die diophantischen Gleichungen. Conférence<br />
pour lycéens, Max-Planck-Institut für Mathematik.<br />
Bar-Ilan, Israël, mai 2008 : Differential equations and curves on Hilbert modular surfaces.<br />
Conférence « Hirz80 » en l’honneur du 80e anniversaire <strong>de</strong> Friedrich Hirzebruch, Université<br />
<strong>de</strong> Bar-Ilan.<br />
Haifa, Israël, mai 2008 : The mysterious mock th<strong>et</strong>a functions of Ramanujan. Colloquium,<br />
University of Haifa.<br />
Bonn, Allemagne, juin 2008 : Das Geheimleben <strong>de</strong>r Zahlen. Conférence d’intérêt général<br />
dans le cadre du programme « Mathe für alle—Vorlesungen im Freien ».<br />
Bielefeld, Allemagne, juin 2008 : On the conjecture of Birch and Swinnerton-Dyer.<br />
Conférence générale dans la série « Jahrtausendprobleme <strong>de</strong>r Mathematik ».<br />
Bonn, Allemagne, juin <strong>et</strong> juill<strong>et</strong> 2008 : Periods of modular forms (trois conférences).<br />
Conférences pour membres <strong>de</strong> l’école doctorale « IMPRS », Max-Planck-Institut für<br />
Mathematik.<br />
Bonn, Allemagne, juill<strong>et</strong> 2008 : Von Zahlentheorie zu Knotentheorie zu Quantentheorie.<br />
Conférence populaire, « Nacht <strong>de</strong>r offenen Tür » du Max-Planck-Institut für Mathematik.<br />
Bayreuth, Allemagne, juill<strong>et</strong> 2008 : Diophantische Gleichungen: 2000 Jahre alt und noch<br />
nicht gelöst. Conférence spéciale dans le cadre du Tag <strong>de</strong>r Mathematik <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong><br />
Bayreuth.<br />
Bonn, Allemagne, juill<strong>et</strong> 2008 : Mock th<strong>et</strong>a functions, in<strong>de</strong>finite th<strong>et</strong>a series and wallcrossing<br />
formulas. Workshop on Mirror Symm<strong>et</strong>ry, Hausdorff Institute for Mathematics.<br />
Bonn, Allemagne, juill<strong>et</strong> 2008 : Teichmüller curves and modular forms. Workshop on<br />
Co<strong><strong>de</strong>s</strong>, Invariants and Modular Forms, Max-Planck-Institut für Mathematik.
114 DON ZAGIER<br />
Tokyo, Japon, août 2008 : q-series and modularity. Algebra Colloquium, Tokyo<br />
University.<br />
Tokyo, Japon, août 2008 : The mathematics of and around Seki Takakazu as seen through<br />
the eyes of a contemporary mathematician. International Conference on History of Mathematics<br />
in Memory of Seki Takakazu, Tokyo University of Science.<br />
Autres Missions <strong>et</strong> Activités<br />
Bonn, Allemagne, février 2008 : Entr<strong>et</strong>ien enregistré avec Deutschlandfunk, diffusé le<br />
12 mai 2008.<br />
Bonn, Allemagne, mars 2008 : Entr<strong>et</strong>ien enregistré avec WDR, diffusé le 29 avril<br />
2008.<br />
Bar-Ilan, Israël, mai 2008 : Beirat (comité scientifique), Emmy No<strong>et</strong>her Institute.<br />
Utrecht, Pays-Bas, mai 2009 : Membre du jury, thèse <strong>de</strong> Oliver Lorscheid (« Toroidal<br />
automorphic forms for function fields »), Universiteit Utrecht.<br />
Bonn, Allemagne, juin 2008 : Rapporteur <strong>et</strong> membre du jury pour la thèse <strong>de</strong> mon<br />
étudiant Anton Mellit (« Higher Green’s functions for modular forms »), Universität<br />
Bonn.<br />
Berlin, Allemagne, juin 2008 : « Mathematik im Gespräch », discussion publique avec<br />
R. Taschner, Aka<strong>de</strong>mientag, Deutsche Union <strong>de</strong>r Aka<strong>de</strong>mien <strong>de</strong>r Wissenschaften.<br />
Paris, juin 2008 : Rapporteur <strong>et</strong> membre du jury, thèse <strong>de</strong> Sarah Carr (« Multiz<strong>et</strong>a<br />
values : Lie algebras and periods on � 0,n »), Université <strong>de</strong> Paris 6.<br />
Publications <strong>et</strong> Prépublications<br />
(avec L. Weng) Deligne products of line bundles over moduli spaces of curves. Commun.<br />
in Math. Phys. 281 (2008), n o 3, 793-803.<br />
Evaluation of S (m, n). Appendice à « Low energy expansion of the four-particle genusone<br />
amplitu<strong>de</strong> in type II superstring theory » par M. Green, J. Russo <strong>et</strong> P. Vanhove,<br />
JHEP 02 (2008), 020, pp. 33-34.<br />
Integral solutions of Apéry-like recurrence equations. A paraître dans Groups and<br />
Symm<strong>et</strong>ries : From the Neolithic Scots to John McKay, CRM Proceedings and Lecture Notes<br />
of the American Mathematical Soci<strong>et</strong>y, 47 (2008), Centre <strong>de</strong> Recherches Mathématiques,<br />
18 pages.<br />
Ramanujan’s mock th<strong>et</strong>a functions and their applications (d’après Zwegers and<br />
Bringmann-Ono). Séminaire Bourbaki, 60 e année, 2006-2007, n o 986, à paraître dans<br />
Astérisque, 20 pages.<br />
(avec A. Zinger) Some properties of hypergeom<strong>et</strong>ric series associated with mirror<br />
symm<strong>et</strong>ry. Dans Modular Forms and String Duality, Fields Institute Communications 54<br />
(2008), pp. 163-177.<br />
Exact and asymptotic formulas for v n. Appendice à « Sequences of enumerative geom<strong>et</strong>ry :<br />
congruences and asymptotics » par D. Grünberg <strong>et</strong> P. Moree, pp. 21-24, à paraître dans<br />
Experimental Mathematics.
Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année 2007-2008<br />
Physique quantique<br />
M. Serge Haroche, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />
Le <strong>cours</strong> donné au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, <strong>de</strong> janvier à mars 2008, était intitulé<br />
« Mesures quantiques non <strong><strong>de</strong>s</strong>tructives ». Il a analysé les propriétés fondamentales<br />
<strong>de</strong> la mesure en physique quantique <strong>et</strong> ses relations avec les concepts <strong>de</strong><br />
complémentarité, d’intrication <strong>et</strong> <strong>de</strong> décohérence. Il s’est ensuite focalisé sur<br />
l’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures non <strong><strong>de</strong>s</strong>tructives (Quantum Non-Demolition ou QND en<br />
anglais). Celles-ci proj<strong>et</strong>tent le système mesuré dans un <strong><strong>de</strong>s</strong> états propres <strong>de</strong><br />
l’observable mesurée <strong>et</strong> peuvent être répétées un grand nombre <strong>de</strong> fois, en redonnant<br />
le même résultat tant que le système n’est pas perturbé. C<strong>et</strong>te propriété les rend<br />
potentiellement utiles à la détection ultra-sensible <strong>de</strong> faibles perturbations. L’histoire<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> mesures QND <strong>de</strong> la lumière a été rappelée <strong>et</strong> les expériences récentes<br />
d’électrodynamique quantique en cavité qui ont permis la détection non <strong><strong>de</strong>s</strong>tructive<br />
<strong>de</strong> photons uniques ont été décrites. Ces expériences sont réalisées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> champs<br />
<strong>de</strong> quelques photons piégés pendant une fraction <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> dans une cavité <strong>de</strong><br />
très grand facteur <strong>de</strong> qualité. Elles constituent une nouvelle façon <strong>de</strong> « voir » la<br />
lumière en suivant en temps réel les trajectoires stochastiques du nombre <strong>de</strong><br />
photons <strong>et</strong> en enregistrant les sauts quantiques associés à la perte ou à la création<br />
d’un seul quantum. Ces mesures QND perm<strong>et</strong>tent la reconstruction complète <strong>de</strong><br />
l’état quantique du champ dans la cavité, ouvrant la voie à l’étu<strong>de</strong> détaillée <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
états <strong>de</strong> type « chat <strong>de</strong> Schrödinger », superpositions cohérentes d’états photoniques<br />
<strong>de</strong> phase ou d’amplitu<strong><strong>de</strong>s</strong> différentes. Chaque leçon était accompagnée d’une<br />
présentation par ordinateur consultable dès le jour du <strong>cours</strong> sur le site intern<strong>et</strong> du<br />
<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Ecole normale supérieure ou, plus directement, à l’adresse<br />
intern<strong>et</strong> www.cqed.org.<br />
Un tiers <strong>de</strong> l’enseignement <strong>de</strong> la chaire a par ailleurs été donné à Chicago, à<br />
l’invitation <strong>de</strong> l’université <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ville. Un <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> a été présenté dans le cadre<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Colloquiums du département <strong>de</strong> physique <strong>de</strong> l’université <strong>et</strong> les autres donnés
116 SERGE HAROCHE<br />
aux étudiants <strong>et</strong> post-docs dans le domaine <strong>de</strong> la physique atomique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’optique<br />
quantique. Dans ces présentations, j’ai décrit les mesures non-<strong><strong>de</strong>s</strong>tructives <strong>de</strong><br />
lumière réalisées dans mon groupe <strong>de</strong> recherche à l’ENS (voir plus loin).<br />
Le <strong>cours</strong> donné à Paris, réparti sur sept leçons, a traité les questions suivantes :<br />
1. Mesures projectives en physique quantique.<br />
2. Mesures généralisées <strong>et</strong> POVM (Positive Operator Valued Measures).<br />
3. Généralités sur les mesures quantiques non-<strong><strong>de</strong>s</strong>tructives (QND).<br />
4. Expériences QND en électrodynamique quantique avec <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes <strong>de</strong><br />
Rydberg.<br />
5. Comptage QND <strong>de</strong> 0 ou 1 photon.<br />
6. Comptage QND <strong>de</strong> N photons : projection progressive du champ.<br />
7. Perspectives ouvertes par les mesures QND en électrodynamique quantique<br />
en cavité.<br />
La première leçon a commencé par rappeler <strong>de</strong> façon générale les propriétés<br />
essentielles <strong>de</strong> la mesure d’un système microscopique en physique quantique. Par<br />
« mesure » on comprend au sens large toute expérience qui extrait <strong>de</strong> l’information<br />
d’un système quantique. Alors qu’en physique classique, le système étudié peut se<br />
trouver dans un état indépendant <strong>de</strong> tout observateur <strong>et</strong> être mesuré sans<br />
perturbation, en physique quantique une mesure est un processus plus complexe,<br />
dans lequel l’état <strong>de</strong> l’obj<strong>et</strong> mesuré est en général modifié. Le résultat <strong>de</strong> la mesure <strong>et</strong><br />
son eff<strong>et</strong> sur le système sont décrits <strong>de</strong> façon statistique, la théorie ne pouvant que<br />
déterminer la loi <strong>de</strong> probabilité du processus (« Dieu joue aux dés »). Les propriétés<br />
<strong>de</strong> la mesure quantique entraînent <strong><strong>de</strong>s</strong> limitations (certaines mesures sont<br />
incompatibles entre elles — cf. relations d’incertitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Heisenberg) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
impossibilités (par exemple théorème <strong>de</strong> « non-clonage » d’un état inconnu). Ces<br />
caractéristiques, souvent décrites négativement, peuvent être exploitées <strong>de</strong> façon<br />
positive pour réaliser <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations impossibles en physique classique (cryptographie<br />
<strong>et</strong> calcul quantiques).<br />
Après ces rappels généraux, la leçon a abordé le problème plus spécifique <strong>de</strong> la<br />
mesure quantique <strong>de</strong> la lumière. Le champ électromagnétique est un système central<br />
en physique. L’essentiel <strong>de</strong> l’information qui nous provient du mon<strong>de</strong> est véhiculé<br />
par lui. Comprendre la mesure <strong>de</strong> la lumière dans la théorie quantique a toujours<br />
préoccupé les physiciens, <strong>de</strong>puis Planck (1900), Einstein (1905) <strong>et</strong> les débuts <strong>de</strong> la<br />
mécanique quantique mo<strong>de</strong>rne (expériences <strong>de</strong> pensée <strong>de</strong> Bohr, Einstein <strong>et</strong><br />
Schrödinger). La dualité <strong>de</strong> la lumière (on<strong>de</strong> <strong>et</strong> ensemble <strong>de</strong> photons à la fois) joue<br />
un rôle fondamental dans c<strong>et</strong>te théorie. L’optique quantique, née avec le laser en<br />
1960, a reposé dans un contexte mo<strong>de</strong>rne les questions posées dans les années 1920.<br />
La théorie <strong>de</strong> la mesure <strong>de</strong> la lumière, le comptage <strong>de</strong> photons, établie par R. Glauber<br />
(1963), constitue le cadre d’analyse <strong>de</strong> toutes les expériences d’optique.<br />
La mesure <strong>de</strong> la lumière implique son interaction avec un milieu matériel auquel<br />
l’information véhiculée par le champ est transférée. Ce transfert s’effectue en général
PHYSIQUE QUANTIQUE 117<br />
par absorption d’énergie (eff<strong>et</strong> photo-électrique étudié par Einstein en 1905), si bien<br />
que le champ est détruit par la mesure. C<strong>et</strong>te <strong><strong>de</strong>s</strong>truction est une limitation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
expériences d’optique non imposée par la physique quantique. Les physiciens se sont<br />
<strong>de</strong>mandés, <strong>de</strong>puis les années 1970, comment détecter les photons <strong>de</strong> façon non<br />
absorptive, les laissant présents après la mesure. Un tel procédé dit QND (pour<br />
Quantum Non-Demolition) ouvrirait la voie à <strong>de</strong> nombreuses applications.<br />
Nous avons ensuite décrit différents modèles d’appareils réalisant une mesure<br />
projective idéale. Nous avons en particulier analysé un modèle simple dans lequel<br />
l’appareil <strong>de</strong> mesure est un moment angulaire, superposition symétrique <strong>de</strong> spins ½.<br />
L’importance <strong>de</strong> la décohérence dans le processus <strong>de</strong> mesure a été soulignée. Les<br />
incertitu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur les mesures <strong>de</strong> variables conjuguées ont été rappelées, <strong>et</strong> la limite que<br />
ces incertitu<strong><strong>de</strong>s</strong> imposent sur la précision <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures a été discutée. Certains aspects<br />
« paradoxaux » <strong>de</strong> la mesure ont été soulignés (eff<strong>et</strong> Zenon). Enfin, les propriétés <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
corrélations entre mesures effectuées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> parties spatialement séparées d’un<br />
système nous ont conduit à rappeler l’aspect non-local <strong>de</strong> la physique quantique.<br />
Dans la <strong>de</strong>uxième leçon, nous avons décrit <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures « généralisées » n’obéissant<br />
pas aux critères restrictifs <strong>de</strong> la mesure projective idéale <strong>de</strong> von Neumann. Ces<br />
mesures qui donnent une information plus ou moins partielle sur l’état d’un<br />
système quantique correspon<strong>de</strong>nt souvent à <strong><strong>de</strong>s</strong> situations plus proches <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
expériences réelles que les mesures projectives. Un cas particulier important <strong>de</strong><br />
mesure généralisée est défini par un ensemble d’opérateurs hermitiques positifs<br />
formant un « POVM » (Positive Operator Valued Measure). Le lien entre mesures<br />
généralisées, POVM <strong>et</strong> mesure projective a été rappelé <strong>et</strong> un certain nombre<br />
d’exemples intéressants pour la suite ont été présentés.<br />
Comme nous l’avions vu dans la première leçon, un modèle simple <strong>de</strong> processus<br />
<strong>de</strong> mesure est réalisé par le couplage d’un système quantique S à un ensemble <strong>de</strong><br />
N spins ou « qubits » <strong>de</strong> mesure indépendants (constituant un moment angulaire<br />
J = N/2). Nous avons montré que l’acquisition partielle d’information résultant du<br />
couplage <strong>de</strong> S avec un seul qubit est un POVM <strong>et</strong> avons décrit comment<br />
l’accumulation <strong>de</strong> mesures POVM résultant du couplage avec un ensemble <strong>de</strong><br />
qubits se transforme en mesure projective. Nous avons aussi montré que l’acquisition<br />
d’information sur S résultant <strong>de</strong> la mesure POVM s’apparente à un processus<br />
d’inférence bayesienne en théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> probabilités. Nous avons conclu la leçon en<br />
considérant un exemple curieux <strong>de</strong> mesure, dans lequel il semble que l’information<br />
soit obtenue « sans que le système mesuré ait interagi avec l’appareil ». Le paradoxe<br />
provient, comme dans d’autres cas du même genre, <strong>de</strong> l’utilisation indue <strong>de</strong><br />
concepts classiques pour décrire une situation quantique.<br />
La troisième leçon a introduit les mesures QND du champ électromagnétique.<br />
Le but en est <strong>de</strong> mesurer une observable du champ sans la perturber <strong>de</strong> façon à<br />
pouvoir répéter la mesure <strong>et</strong> r<strong>et</strong>rouver le même résultat dans une mesure ultérieure.<br />
Il s’agit <strong>de</strong> la mesure projective d’une observable qui ne change pas entre <strong>de</strong>ux<br />
détections successives sous l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’évolution Hamiltonienne. L’énergie du
118 SERGE HAROCHE<br />
champ <strong>et</strong> son nombre <strong>de</strong> photons sont <strong><strong>de</strong>s</strong> observables pouvant être mesurées <strong>de</strong><br />
façon QND, à condition d’éviter l’absorption <strong>de</strong> photons dans le détecteur. Nous<br />
avons présenté quelques modèles simples <strong>de</strong> mesures QND, basées soit sur la<br />
détection <strong>de</strong> la pression <strong>de</strong> radiation exercée sur un miroir (mesures optomécaniques),<br />
soit sur l’eff<strong>et</strong> Kerr croisé dans un milieu optique non linéaire. Nous<br />
avons analysé l’eff<strong>et</strong> en r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> la mesure sur la phase du champ, ce qui nous a<br />
conduit à définir <strong>de</strong> façon rigoureuse un opérateur <strong>de</strong> phase. L’analyse s’appuie soit<br />
sur une <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong><strong>de</strong>s</strong> champs en terme <strong>de</strong> vecteurs d’états (ce qui est bien adapté<br />
au cas où la mesure proj<strong>et</strong>te le champ sur un état <strong>de</strong> Fock), soit sur une discussion<br />
en terme <strong>de</strong> bruit <strong>de</strong> photon, commo<strong>de</strong> lorsque la mesure ne discrimine pas les<br />
photons individuels <strong>et</strong> que le champ apparaît comme une variable continue<br />
fluctuante. Les <strong>de</strong>ux approches sont bien sûr équivalentes à la limite continue.<br />
A partir <strong>de</strong> la quatrième leçon, nous avons abordé la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription du comptage non<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>tructif <strong>de</strong> photons micro-on<strong><strong>de</strong>s</strong> dans une cavité <strong>de</strong> très grand facteur <strong>de</strong> qualité.<br />
C<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> QND, qui atteint la résolution <strong><strong>de</strong>s</strong> quanta <strong>de</strong> rayonnement, exploite<br />
les concepts <strong>de</strong> l’Electrodynamique Quantique en Cavité (CQED), dont nous avons<br />
commencé par rappeler les principes. Nous avons évoqué brièvement <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences<br />
<strong>de</strong> CQED faites dans le domaine optique pour les distinguer <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> micro-on<strong>de</strong><br />
qui nous intéresseront plus particulièrement ici. La métho<strong>de</strong> QND <strong>de</strong> comptage<br />
utilise pour détecter les photons les propriétés remarquables <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes <strong>de</strong> Rydberg<br />
dans <strong><strong>de</strong>s</strong> états circulaires couplés à une cavité micro-on<strong>de</strong> supraconductrice. Nous<br />
avons consacré l’essentiel <strong>de</strong> la leçon aux atomes, <strong>et</strong> laissé la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong>de</strong> la cavité<br />
pour la leçon suivante. Un aspect remarquable du principe <strong>de</strong> correspondance est<br />
que les propriétés <strong><strong>de</strong>s</strong> états circulaires (dont tous les nombres quantiques sont grands)<br />
peuvent se comprendre à partir d’une <strong><strong>de</strong>s</strong>cription quasi-classique, en n’introduisant<br />
les concepts quantiques (quantification <strong><strong>de</strong>s</strong> orbites atomiques <strong>et</strong> du champ rayonné)<br />
que <strong>de</strong> façon minimale, à l’image <strong>de</strong> la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong>de</strong> l’ancienne théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> quanta<br />
<strong>de</strong> Bohr. Nous avons décrit ainsi classiquement le rayonnement <strong>de</strong> ces états<br />
circulaires, leur susceptibilité aux champs électriques <strong>et</strong> leur couplage à la cavité.<br />
Nous avons enfin analysé les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> préparation <strong>et</strong> <strong>de</strong> détection <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes <strong>de</strong><br />
Rydberg circulaires <strong>et</strong> leur sélection en vitesse.<br />
La cinquième leçon a été consacrée aux expériences d’électrodynamique en cavité<br />
micro-on<strong>de</strong> détectant, sans les détruire, <strong><strong>de</strong>s</strong> photons uniques piégés. Les son<strong><strong>de</strong>s</strong> du<br />
champ sont <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes <strong>de</strong> Rydberg traversant un à un la cavité C. Le champ laisse<br />
une empreinte sur la phase d’une superposition d’états atomiques, préparée avant<br />
l’entrée <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes dans C par une première impulsion micro-on<strong>de</strong> R 1 <strong>et</strong> analysée,<br />
après C, par une secon<strong>de</strong> impulsion R 2. L’ensemble R 1-R 2 est un interféromètre<br />
<strong>de</strong> Ramsey. Le détecteur D mesure l’état final <strong>de</strong> l’atome. L’information fournie<br />
par chaque atome est binaire, ce qui suffit pour discriminer entre 0 <strong>et</strong> 1 photon.<br />
Le photon n’étant pas détruit, la mesure peut en principe être indéfiniment répétée.<br />
Deux expériences ont été analysées. La première (1999) exploite une interaction<br />
atome-cavité résonnante, la condition QND étant réalisée en ajustant le temps<br />
d’interaction pour que l’atome revienne dans son état initial, sans absorber le
PHYSIQUE QUANTIQUE 119<br />
photon (impulsion Rabi 2π). Elle a été faite dans une cavité amortie en un temps<br />
T C = 1 ms, trop court pour <strong>de</strong> multiples répétitions <strong>de</strong> la mesure. La secon<strong>de</strong><br />
expérience (2006) utilise une interaction dispersive non-résonnante <strong>et</strong> une cavité<br />
stockant les photons pendant un temps très long (Tc = 0,13 s). Des centaines <strong>de</strong><br />
mesures indépendantes du même photon ont permis d’observer pour la première<br />
fois les sauts quantiques associés à l’annihilation <strong>et</strong> la création <strong>de</strong> photons dans les<br />
miroirs <strong>de</strong> la cavité. Avant <strong>de</strong> décrire ces expériences, nous avons commencé par<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> rappels théoriques sur les états du système atome-champ dans la cavité.<br />
La sixième leçon a montré comment la métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> mesure QND dispersive <strong>de</strong> 0<br />
ou 1 photon peut être généralisée au comptage d’un nombre <strong>de</strong> photons supérieur à<br />
1. Nous avons rappelé que la mesure d’un quantum <strong>de</strong> lumière unique nécessitait<br />
que le déphasage Φ 0 induit par un photon sur le dipôle atomique vaille π. Chaque<br />
atome, décrit comme un spin, sort alors <strong>de</strong> l’appareil en pointant le long <strong>de</strong> l’une <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux directions opposées, indiquant que C contient 0 ou 1 photon. Le réglage Φ 0=π<br />
est adapté à la mesure <strong>de</strong> la parité du nombre n <strong>de</strong> quanta, assimilable à n si le<br />
champ, très faible, a une probabilité négligeable <strong>de</strong> contenir plus d’un photon. Pour<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> champs plus grands, le comptage QND reste possible en modifiant Φ 0. La valeur<br />
<strong>de</strong> n ne peut plus être obtenue à l’ai<strong>de</strong> d’un seul ‘spin’ mais doit être extraite d’un<br />
ensemble d’atomes. En détectant les ‘spins’ <strong>de</strong> c<strong>et</strong> ensemble un à un, on observe<br />
l’évolution progressive du champ vers un état <strong>de</strong> Fock, ce qu’on appelle l’effondrement<br />
ou ‘collapse’ <strong>de</strong> sa fonction d’on<strong>de</strong>. La répétition <strong>de</strong> la mesure correspondant au<br />
passage dans C d’ensembles d’atomes successifs, révèle la casca<strong>de</strong> en marches<br />
d’escalier du nombre <strong>de</strong> photons vers le vi<strong>de</strong>, due à la relaxation du champ. Après<br />
quelques rappels <strong>et</strong> remarques générales, nous avons analysé c<strong>et</strong>te procédure <strong>de</strong><br />
mesure idéale <strong>de</strong> la lumière en l’appliquant à un p<strong>et</strong>it champ cohérent.<br />
La septième <strong>et</strong> <strong>de</strong>rnière leçon nous a permis d’apporter quelques précisions sur les<br />
mesures QND <strong>de</strong> champs piégé micro-on<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> conclure le <strong>cours</strong> sur quelques<br />
perspectives. Nous avons vu (leçon 6) que la mesure d’une séquence <strong>de</strong> m atomes<br />
traversant un à un une cavité C en étant tous soumis au même déphasage par<br />
photon Φ 0 réduit progressivement le champ à un état <strong>de</strong> Fock |n>. Le nombre m<br />
augmente comme n m 2 , où nm est la borne supérieure <strong>de</strong> n. Nous avons décrit le<br />
principe d’une variante <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te expérience, utilisant successivement <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes<br />
soumis à <strong><strong>de</strong>s</strong> déphasages Φ 0 = π, π/2, π/4…, qui peut déterminer n avec seulement<br />
m~log 2 n m atomes.<br />
Nous nous sommes intéressé ensuite au premier état intermédiaire du champ,<br />
entre l’état initial cohérent <strong>et</strong> l’état <strong>de</strong> Fock final. L’action en r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> la mesure<br />
QND produit après détection du premier atome une superposition d’états du<br />
champ avec 2 phases classiques différentes. Quand Φ 0 = π, les composantes <strong>de</strong> ce<br />
« chat <strong>de</strong> Schrödinger » ont <strong><strong>de</strong>s</strong> amplitu<strong><strong>de</strong>s</strong> opposées <strong>et</strong> ne contiennent, suivant<br />
l’état final <strong>de</strong> l’atome, qu’un nombre pair ou impair <strong>de</strong> photons. En injectant dans<br />
C un champ cohérent d’homodynage <strong>et</strong> en continuant à mesurer <strong>de</strong> façon QND<br />
avec les atomes suivants la parité <strong>de</strong> n, on reconstruit la fonction <strong>de</strong> Wigner <strong>de</strong> ces
120 SERGE HAROCHE<br />
‘chats’ <strong>et</strong> on étudie en temps réel leur décohérence. Nous avons présenté le principe<br />
<strong>de</strong> ces expériences qui ont été décrites plus en détail dans le séminaire <strong>de</strong> I. Dotsenko<br />
qui faisait suite au <strong>cours</strong>. Nous avons enfin conclu la leçon par la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription d’une<br />
expérience d’eff<strong>et</strong> Zénon sur un champ mesuré <strong>de</strong> façon répétée <strong>et</strong> par une brève<br />
présentation <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur la non-localité que nous comptons effectuer, dans le<br />
prolongement <strong>de</strong> ces expériences, avec <strong>de</strong>ux cavités.<br />
Enseignement du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> « hors les murs »<br />
L’enseignement donné à Chicago en octobre 2008 était <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné aux étudiants <strong>et</strong><br />
chercheurs du département <strong>de</strong> physique <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Chicago. Deux leçons<br />
étaient réservées aux étudiants en thèse (graduate stu<strong>de</strong>nts) <strong>et</strong> aux post-docs en<br />
physique atomique <strong>et</strong> en optique quantique. Elles ont porté sur la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
expériences QND en électrodynamique quantique en cavité traitées dans le <strong>cours</strong><br />
donné à Paris (contenu <strong><strong>de</strong>s</strong> leçons 5 à 7 décrites ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus). Deux autres leçons<br />
étaient <strong><strong>de</strong>s</strong>tinées aux étudiants en maîtrise (un<strong>de</strong>rgraduates) <strong>et</strong> ont constitué une<br />
introduction générale à l’optique quantique <strong>et</strong> au refroidissement <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes par<br />
laser. Enfin, un colloquium plus général intitulé « Counting photons without<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>troying them: an i<strong>de</strong>al measurement of light » a été donné à l’ensemble du<br />
département <strong>de</strong> physique <strong>de</strong> l’université.<br />
Les séminaires <strong>de</strong> l’année 2007-2008<br />
Une série <strong>de</strong> sept séminaires accompagnait le <strong>cours</strong> du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> à Paris<br />
en le complétant <strong>et</strong> en en illustrant différents aspects. En voici la liste dans l’ordre<br />
où ils ont été donnés :<br />
21 janvier 2008 : Interférence à un photon, complémentarité <strong>et</strong> expérience à choix r<strong>et</strong>ardé<br />
<strong>de</strong> Wheeler.<br />
Jean-François Roch, ENS-Cachan.<br />
28 janvier 2008 : Circuit QED : Quantum Optics of Electrical Circuits.<br />
Steven Girvin, Yale University.<br />
4 février 2008 : Optical manipulation of quantum dot spins.<br />
Atac Imamoglu, ETH Zurich.<br />
11 février 2008 : Chatons <strong>de</strong> Schrödinger <strong>et</strong> états non gaussiens <strong>de</strong> la lumière : <strong>de</strong> nouveaux<br />
outils pour les communications quantiques.<br />
Philippe Grangier, Institut d’Optique, Palaiseau.<br />
25 février 2008 : Cavity-free efficient coupling of single photons and single emitters.<br />
Vahid Sandoghdar, ETH, Zurich.<br />
3 mars 2008 : Precision quantum m<strong>et</strong>rology with lattice-confined ultracold atoms.<br />
Jun Ye, JILA <strong>et</strong> Université <strong>de</strong> Boul<strong>de</strong>r, Colorado.<br />
10 mars 2008 : Tomography of photonic Schrödinger cats in a cavity.<br />
Igor Dotsenko, LKB- ENS <strong>et</strong> <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.
Autres conférences <strong>et</strong> séminaires <strong>de</strong> Serge Haroche<br />
PHYSIQUE QUANTIQUE 121<br />
En <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> ses <strong>cours</strong> au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> à Chicago, S. Haroche a donné<br />
les séminaires, <strong>cours</strong> <strong>et</strong> conférences suivants entre juill<strong>et</strong> 2007 <strong>et</strong> juin 2008 :<br />
— Août 2007 : Communication invitée à la Gordon Research Conference on Quantum<br />
Control of Light and Matter : « From Quantum Non-<strong>de</strong>molition measurements of photons to<br />
the control of quantum states of light in a cavity », Newport, États-Unis.<br />
— Août 2007 : Quatre <strong>cours</strong> à l’École Latino Américaine <strong>de</strong> Physique, ELAF 2007 :<br />
« Quantum information with atoms and photons in cavities », Mexico.<br />
— Septembre 2007 : Communication invitée à la Conférence « Photons, Atoms and<br />
Qubits » <strong>de</strong> la Royal Soci<strong>et</strong>y : « Quantum non-<strong>de</strong>molition counting of photons in a cavity: an<br />
i<strong>de</strong>al measurement of light », Londres.<br />
— Septembre 2007 : Communication invitée à la Conférence QuAMP 2007 : « Quantum<br />
non-<strong>de</strong>molition counting of photons applied to the investigation of non-classical states of light »,<br />
University College, Londres.<br />
— Octobre 2007 : Colloquium à Argonne National Laboratories : « Quantum non<strong>de</strong>molition<br />
measurement of light : The birth, life and <strong>de</strong>ath of trapped photons », Argonne,<br />
Illinois.<br />
— Octobre 2007 : Communication invitée à la Conférence QIPC 2007 : « Quantum<br />
Non-Demolition Counting of Photons in a Cavity : an i<strong>de</strong>al measurement of light »,<br />
Barcelone.<br />
— Novembre 2007 : Colloquium à l’Université d’Oxford : « Counting photons without<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>troying them: an i<strong>de</strong>al measurement of light ».<br />
— Décembre 2007 : Colloquium à MIT : « Trapping and counting photons without<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>troying them: a new way to look at light », Cambridge, États-Unis.<br />
— Décembre 2007 : Séminaire à Harvard University : « Quantum Non-Demolition<br />
measurement of light and tomography of photonic Schrödinger cats in Cavity QED », Cambridge,<br />
États-Unis.<br />
— Janvier 2008 : Communication invitée à la Conférence « Quantum Noise in Strongly<br />
Correlated Systems : “Non-<strong><strong>de</strong>s</strong>tructive photon counting and reconstruction of photonic ‘Schrödinger<br />
cat’ states” in cavity QED », Institut Weizman, Israël.<br />
— Janvier 2008 : Conférence à l’École polytechnique : « Voir sans détruire la lumière : vie<br />
<strong>et</strong> mort <strong>de</strong> photons dans une cavité ».<br />
— Janvier 2008 : Présentation au Colloque ANR Lumière : « Champs mésoscopiques nonlocaux<br />
en electrodynamique quantique en cavité », Orsay.<br />
— Février 2008 : Colloquium à Los Alamos : « Quantum Non Demolition counting of<br />
photons and Schrödinger cat tomography in Cavity QED experiments », Los Alamos, Nouveau-<br />
Mexique, États-Unis.<br />
— Février 2008 : Communication invitée au Workshop SQUINT (Southwest Quantum<br />
information and technology) : « Quantum Non-Demolition counting of photons in Cavity<br />
QED », Santa Fe, Nouveau-Mexique, États-Unis.<br />
— Mars 2008 : Présentation invitée à la Young Atom Optician Conference : « Trapping<br />
and counting photons without <strong><strong>de</strong>s</strong>troying them : a new way to look at light », Florence, Italie.<br />
— Mars 2008 : Conférence invitée au Me<strong>et</strong>ing <strong>de</strong> la Société Finlandaise <strong>de</strong> Physique :<br />
« Trapping and counting photons without <strong><strong>de</strong>s</strong>troying them: a new way to look at light », Turku,<br />
Finlan<strong>de</strong>.
122 SERGE HAROCHE<br />
— Avril 2008 : Rydberg lecture à l’Université <strong>de</strong> Lund : « Trapping and counting photons<br />
without <strong><strong>de</strong>s</strong>troying them: a new way to look at light », Lund, Suè<strong>de</strong>.<br />
— Avril 2008 : Communication invitée à la Conference on precision measurements with<br />
quantum gases : « QND photon counting applied to the preparation and reconstruction of<br />
Schrödinger cat states of light trapped in a cavity », Trente, Italie.<br />
— Avril 2008 : Colloquium à l’Université du Wisconsin : « Trapping and counting photons<br />
without <strong><strong>de</strong>s</strong>troying them: a new way to look at light », Madison, Wisconsin, États-Unis.<br />
— Avril 2008 : Séminaire à l’Université du Wisconsin : « Reconstructing the Wigner<br />
function of a photonic Schrödinger cat in a cavity : a movie of <strong>de</strong>coherence », Madison,<br />
Wisconsin, États-Unis.<br />
— Avril 2008 : Colloquium à l’université <strong>de</strong> Bielefeld : « Trapping and counting photons<br />
without <strong><strong>de</strong>s</strong>troying them : a new way to look at light », Bielefeld, Allemagne.<br />
— Avril 2008 : Colloquium à l’Université d’Innsbruck : « Quantum non-<strong>de</strong>molition<br />
photon counting & Schrödinger cat states reconstruction in a cavity », Innsbruck, Autriche.<br />
— Mai 2008 : Présentation invitée au Solvay Workshop on Bits, Quanta, and Complex<br />
System: « Generating and reconstructing non-classical photonic states in Cavity QED : present<br />
stage and perspectives », Bruxelles.<br />
— Mai 2008 : Conférence invitée au Workshop on Quantum Phenomena and<br />
Information « Reconstructing the Wigner function of photonic Schrödinger cats in a cavity : a<br />
movie of <strong>de</strong>coherence », Trieste, Italie.<br />
— Mai 2008 : Colloquium à l’Université technologique <strong>de</strong> Vienne : « Time-resolved<br />
reconstruction of photonic Schrödinger cats in a cavity : a movie of <strong>de</strong>coherence », Vienne,<br />
Autriche.<br />
— Juin 2008 : Conférence invitée au Symposium en l’Honneur du 75 e anniversaire <strong>de</strong><br />
P<strong>et</strong>er Toschek : « From atom to light quantum jumps : applying to photons the wizard tricks<br />
learned from P<strong>et</strong>er Toschek and his ion trapper colleagues », Hambourg.<br />
Activités <strong>de</strong> recherche<br />
Le travail <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> S.Haroche se déroule au sein du Laboratoire Kastler<br />
Brossel (LKB) <strong>de</strong> l’École normale supérieure. Il y co-dirige, avec ses collègues Jean-<br />
Michel Raimond (Professeur à Paris VI <strong>et</strong> à l’Institut universitaire <strong>de</strong> <strong>France</strong>) <strong>et</strong><br />
Michel Brune (Directeur <strong>de</strong> recherche au CNRS) une équipe <strong>de</strong> chercheurs <strong>et</strong><br />
d’étudiants (groupe d’électrodynamique quantique en cavité). Un <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs<br />
du groupe est un visiteur postdoctoral recruté sur un poste <strong>de</strong> maître <strong>de</strong> conférence<br />
au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Monsieur Igor Dotsenko (<strong>de</strong> nationalité ukrainienne).<br />
Le thème général <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches du groupe porte sur l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s quantiques<br />
(intrication, complémentarité <strong>et</strong> décohérence) <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs applications dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
systèmes constitués d’atomes en interaction avec <strong><strong>de</strong>s</strong> photons. Un rapport d’activité<br />
compl<strong>et</strong> est rédigé tous les <strong>de</strong>ux ans pour le comité national du CNRS <strong>et</strong> contient<br />
une analyse détaillée <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes scientifiques abordés par le groupe <strong>et</strong> un bilan<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> résultats nouveaux.<br />
Nos recherches se poursuivent <strong>de</strong>puis quelques années dans <strong>de</strong>ux directions :<br />
d’une part, nous étudions <strong><strong>de</strong>s</strong> états non-classiques <strong>de</strong> champs mésoscopiques piégés<br />
dans <strong><strong>de</strong>s</strong> cavités <strong>de</strong> très grand facteur <strong>de</strong> qualité, d’autre part nous réalisons <strong><strong>de</strong>s</strong>
PHYSIQUE QUANTIQUE 123<br />
« puces » à atomes piégeant <strong>de</strong> p<strong>et</strong>its échantillons d’atomes froids au voisinage <strong>de</strong><br />
circuits supraconducteurs. La problématique <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux types d’expériences a été<br />
détaillée dans le résumé <strong>de</strong> <strong>cours</strong> <strong>et</strong> <strong>travaux</strong> antérieurs <strong>et</strong> nous nous contenterons<br />
d’indiquer ici les résultats obtenus au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière année.<br />
1) Gel <strong>de</strong> l’évolution cohérente d’un champ quantique dans une cavité :<br />
une démonstration <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> Zénon quantique<br />
La mesure QND du champ décrite dans le résumé <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> l’année<br />
<strong>de</strong>rnière perm<strong>et</strong> une observation répétée d’un système quantique. On sait que dans<br />
ces conditions, toute évolution cohérente du système peut se trouver inhibée, en<br />
raison <strong>de</strong> sa projection répétée sur l’état initial. Il s’agit du fameux eff<strong>et</strong> Zénon,<br />
analysé théoriquement <strong>de</strong>puis longtemps en physique quantique <strong>et</strong> observé sur un<br />
certain nombre <strong>de</strong> systèmes simples au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>rnières années. Avec notre<br />
montage nous avons pu en faire une démonstration spectaculaire en gelant le<br />
champ dans une cavité excitée par une succession d’impulsions micro-on<strong>de</strong> en<br />
phase. Si le champ est laissé libre entre ces impulsions, il se bâtit dans la cavité<br />
sous l’eff<strong>et</strong> constructif <strong><strong>de</strong>s</strong> excitations successives. Si on le mesure entre <strong>de</strong>ux<br />
impulsions, c<strong>et</strong>te construction du champ est empêchée <strong>et</strong> il reste très proche <strong>de</strong><br />
son état initial, le vi<strong>de</strong>. L’expérience confirme en tous points les prévisions<br />
théoriques <strong>et</strong> perm<strong>et</strong> d’interpréter c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> Zénon comme résultant <strong>de</strong> l’action en<br />
r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> la mesure du nombre <strong>de</strong> photons sur la phase du champ.<br />
2) Reconstruction d’états non classiques du champ piégé dans une cavité<br />
La mesure quantique non <strong><strong>de</strong>s</strong>tructive (QND) du nombre <strong>de</strong> photons a également<br />
ouvert la voie à <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences nouvelles <strong>de</strong> reconstruction complète <strong>de</strong> l’état d’un<br />
champ piégé. Bien que la mesure QND ne fournisse en principe qu’une information<br />
sur le nombre <strong>de</strong> photons, on peut l’utiliser pour réaliser une « tomographie »<br />
complète d’un état quantique arbitraire préparé dans la cavité. En eff<strong>et</strong> notre<br />
mesure du nombre <strong>de</strong> photons perm<strong>et</strong>, en la répétant un grand nombre <strong>de</strong> fois,<br />
<strong>de</strong> mesurer la probabilité d’occurrence d’un nombre <strong>de</strong> photon donné dans un état<br />
quelconque du champ. On peut ainsi directement mesurer les éléments diagonaux<br />
<strong>de</strong> la matrice <strong>de</strong>nsité du champ dans la base <strong><strong>de</strong>s</strong> états nombre. En couplant une<br />
source classique au mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> la cavité contenant le champ à mesurer, on réalise une<br />
simple opération <strong>de</strong> translation <strong>de</strong> l’état du champ dans l’espace <strong><strong>de</strong>s</strong> phases (plan<br />
<strong>de</strong> Fresnel). C<strong>et</strong>te opération redistribue les éléments <strong>de</strong> matrice non diagonaux <strong>de</strong><br />
l’opérateur <strong>de</strong>nsité du champ <strong>de</strong> sorte que la mesure <strong>de</strong> la probabilité du nombre<br />
<strong>de</strong> photons <strong>de</strong> l’état translaté <strong>de</strong>vient sensible à ces éléments non diagonaux. Si on<br />
réalise c<strong>et</strong>te mesure pour un nombre suffisant <strong>de</strong> translations différentes <strong>de</strong> l’état<br />
à mesurer, on obtient un ensemble <strong>de</strong> contraintes qui déterminent complètement<br />
l’opérateur <strong>de</strong>nsité du champ, ou, <strong>de</strong> façon équivalente, sa distribution <strong>de</strong><br />
Wigner.
124 SERGE HAROCHE<br />
Nous venons d’appliquer c<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> à la mesure <strong>de</strong> la fonction <strong>de</strong> Wigner<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> états nombre <strong>de</strong> photons (états <strong>de</strong> Fock) préparés par notre métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> mesure<br />
non <strong><strong>de</strong>s</strong>tructive, <strong>et</strong> d’états « chats <strong>de</strong> Schrödinger » du champ. Ces états,<br />
superpositions quantiques <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux champs quasi-classiques <strong>de</strong> phases différentes,<br />
sont préparés par la détection du premier atome utilisé pour la mesure QND du<br />
champ. Leur préparation peut être vue comme l’action en r<strong>et</strong>our d’une mesure<br />
QND du nombre <strong>de</strong> photons sur son observable conjuguée, la phase du champ.<br />
En appliquant notre protocole <strong>de</strong> reconstruction complète <strong>de</strong> l’état quantique du<br />
champ après un délai variable, nous pouvons enregistrer le film <strong>de</strong> la décohérence<br />
d’un chat <strong>de</strong> Schrödinger, c’est à dire observer toutes les étapes <strong>de</strong> son passage à<br />
travers la frontière floue entre les mon<strong><strong>de</strong>s</strong> quantique <strong>et</strong> classique.<br />
3) Expérience <strong>de</strong> puce à atome cryogénique<br />
Après la réalisation <strong>de</strong> pièges à atome sur puce à courants supraconducteurs <strong>et</strong><br />
l’observation <strong>de</strong> la première con<strong>de</strong>nsation <strong>de</strong> Bose Einstein dans ce système (voir<br />
résumé <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> précé<strong>de</strong>nt), nous avons passé la <strong>de</strong>rnière année à analyser la<br />
durée <strong>de</strong> vie <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes dans ce type <strong>de</strong> piège, très différent <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes à<br />
température ambiante réalisés jusqu’alors. Un <strong><strong>de</strong>s</strong> principaux défis posé par les<br />
puces à atomes est <strong>de</strong> parvenir à amener l’échantillon atomique à proximité <strong>de</strong> la<br />
surface. C’est en eff<strong>et</strong> dans ce régime que l’on obtient les plus grands confinements,<br />
importants pour <strong>de</strong> nombreuses expériences. Il a malheureusement été observé que<br />
le temps <strong>de</strong> vie <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes dans le piège décroît <strong>de</strong> manière importante à très<br />
courte distance <strong>de</strong> surfaces métalliques. On comprend bien les raisons physiques<br />
<strong>de</strong> ce phénomène : les atomes s’approchent en eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> matériaux dans lesquels<br />
existent <strong><strong>de</strong>s</strong> fluctuations thermiques <strong>de</strong> courant. Ces <strong>de</strong>rnières rayonnent un champ<br />
magnétique aléatoire au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes dont certaines composantes spectrales<br />
induisent <strong><strong>de</strong>s</strong> transitions vers <strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux Zeeman non piégés. Le bruit magnétique<br />
<strong>de</strong>vient très important à courte distance du fait du rayonnement en champ proche<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> sources <strong>de</strong> courant. On attend une situation radicalement différente dans le<br />
cas <strong><strong>de</strong>s</strong> supraconducteurs.<br />
Le théorème fluctuation-dissipation perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> relier le taux <strong>de</strong> pertes du piège à la<br />
dissipation du métal par eff<strong>et</strong> Joule à la fréquence <strong>de</strong> transition atomique. Or ce type<br />
<strong>de</strong> perte est diminué drastiquement dans le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> matériaux supraconducteurs. Les<br />
modèles les plus simples <strong>de</strong> supraconductivité prédisent une augmentation <strong>de</strong> la<br />
durée <strong>de</strong> vie <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes dans le piège <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 6 ordres <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>urs par rapport à<br />
un métal normal. Toute la difficulté est cependant <strong>de</strong> disposer d’un modèle théorique<br />
qui ren<strong>de</strong> bien compte <strong>de</strong> la réponse du supraconducteur. Il y a un certain débat sur<br />
c<strong>et</strong>te question au sein <strong>de</strong> la communauté <strong><strong>de</strong>s</strong> théoriciens <strong>de</strong> la supraconductivité, en<br />
particulier dans le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> supraconducteurs <strong>de</strong> type II (comme le niobium) dans<br />
lesquels existent <strong><strong>de</strong>s</strong> vortex <strong>de</strong> champ magnétique. Nous avons engagé une<br />
collaboration avec <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs du Laboratoire Pierre Aigrain spécialistes <strong>de</strong> la<br />
question. Nous <strong>de</strong>vrions bientôt apporter <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses théoriques sur l’eff<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
vortex sur le temps <strong>de</strong> vie <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes. Il semble, au vu <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats préliminaires,
PHYSIQUE QUANTIQUE 125<br />
que la présence <strong><strong>de</strong>s</strong> vortex raccourcisse la durée <strong>de</strong> vie <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes, mais qu’elle la<br />
laisse cependant très supérieure à ce qu’elle est en présence <strong>de</strong> métaux normaux. Pour<br />
vérifier ces prévisions, il est essentiel du point <strong>de</strong> vue expérimental <strong>de</strong> pouvoir<br />
mesurer <strong>de</strong> très longs temps <strong>de</strong> vie dans le piège sans être limité par <strong><strong>de</strong>s</strong> causes <strong>de</strong><br />
bruit technique. Atteindre ou approcher les très longs temps <strong>de</strong> piégeage prédits par<br />
la théorie est un but difficile, mais indispensable si l’on veut tirer avantage <strong><strong>de</strong>s</strong> puces<br />
cryogéniques. Nous avons à c<strong>et</strong>te fin réduit significativement les sources <strong>de</strong> bruit<br />
technique dans notre expérience. Ceci nous a permis d’augmenter d’un facteur 5 le<br />
temps <strong>de</strong> vie rapporté précé<strong>de</strong>mment <strong>et</strong> ouvre la voie à une mesure réaliste <strong>de</strong> la<br />
dissipation dans les puces supraconductrices.<br />
Publications du groupe d’électrodynamique quantique en cavité<br />
(juill<strong>et</strong> 2007 - juin 2008)<br />
1. C. Guerlin, J. Bernu, S. Deléglise, C. Sayrin, S. Gleyzes, S. Kuhr, M. Brune,<br />
J.-M. Raimond <strong>et</strong> S. Haroche, « Progressive field state collapse and quantum non-<strong>de</strong>molition<br />
photon counting », Nature, 448, 889 (2007).<br />
2. S. Haroche, M. Brune <strong>et</strong> J.-M. Raimond, « Measuring the photon number parity in a<br />
cavity : from light quantum jumps to the tomography of non-classical field states », Journal<br />
of Mo<strong>de</strong>rn Optics, 54, 2101 (2007).<br />
3. S. Haroche, « A short history of Cavity Quantum Elecrodynamics » dans Coherence<br />
and Quantum Optics IX, N.P. Bigelow, J.H. Eberly <strong>et</strong> C.R. Stroud, éditeurs, AIP (2008).<br />
4. M. Brune, S. Gleyzes, S. Kuhr, C. Guerlin, J. bernu, S. Deléglise, U. Busk Hoff,<br />
J.-M. Raimond <strong>et</strong> S. Haroche, « Observing quanum jumps of light by Quantum<br />
Non-Demolition measurements » dans Coherence and Quantum Optics IX, N.P. Bigelow,<br />
J.H. Eberly <strong>et</strong> C.R. Stroud, éditeurs, AIP (2008).<br />
5. S. Haroche, C. Guerlin, J. Bernu, S. Deléglise, C. Sayrin, S. Gleyzes, S. Kuhr,<br />
M. Brune <strong>et</strong> J.-M. Raimond, « Quantum Non-Demolition counting of photons in a cavity »<br />
dans Laser Spectrsocopy XVIII, L. Holberg , J. Bergquist <strong>et</strong> M. Kasevich editeurs, World<br />
Scientific (2008).<br />
6. S. Haroche, J.-M. Raimond and M. Brune, « Schrödinger cat states and <strong>de</strong>coherence<br />
studies in cavity QED », Proceedings of the Durban Conference « Theor<strong>et</strong>ical and<br />
experimental foundations of mo<strong>de</strong>rn technologies », European Physical Journal-Special<br />
Topics, Volume : 159 pages : 19 (2008).<br />
7. C. Roux, A. Emmert, A. Lupascu, T. Nierregarten, G. Nogues, M. Brune,<br />
J.-M. Raimond <strong>et</strong> S. Haroche : Bose-Einstein con<strong>de</strong>nsation on a superconducting atom<br />
chip, Ero. Phys. L<strong>et</strong>t. 81, 56004 (2008).<br />
8. S. Deléglise, I. Dotsenko, C. Sayrin, J. Bernu, M. Brune, J.-M. Raimond <strong>et</strong> S. Haroche,<br />
Reconstruction of non-classical cavity field states and movie of their <strong>de</strong>coherence, soumis à<br />
publication (juin 2008).<br />
9. J. Bernu, S. Deléglise, C. Sayrin, S. Kuhr, I. Dotsenko, M. Brune, J.-M. Raimond <strong>et</strong><br />
S. Haroche, Freezing coherent field growth in a cavity by quantum Zeno effect, soumis à<br />
publication (juill<strong>et</strong> 2008).
1. Enseignement au <strong>Collège</strong><br />
Physique mésoscopique<br />
M. Michel Devor<strong>et</strong>, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />
1.1. Cours <strong>de</strong> l’année 2008 : « Signaux <strong>et</strong> circuits quantiques »<br />
En informatique, la notion <strong>de</strong> bit, unité élémentaire d’information, est souvent<br />
discutée en termes abstraits, dissociés d’une implémentation particulière. C’est le<br />
cas par exemple lorsqu’on abor<strong>de</strong> les opérations booléennes. Ceci est justifié par<br />
l’universalité <strong>de</strong> la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> protocoles <strong>de</strong> communication,<br />
lesquels sont largement indépendants <strong><strong>de</strong>s</strong> détails <strong>de</strong> la représentation. Toutefois,<br />
quand on s’intéresse aux limites ultimes <strong><strong>de</strong>s</strong> paramètres du traitement <strong>de</strong><br />
l’information comme le débit, le volume <strong>de</strong> données, la consommation d’énergie,<br />
le temps <strong>de</strong> latence, <strong>et</strong>c., la nature physique <strong>et</strong> les interactions mutuelles <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>grés<br />
<strong>de</strong> liberté porteurs <strong>de</strong> l’information <strong>de</strong>viennent cruciales. Dans ce <strong>cours</strong>, est<br />
explorée la physique <strong><strong>de</strong>s</strong> dispositifs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes électroniques qui traitent<br />
l’information au niveau le plus élémentaire : le un <strong>et</strong> le zéro sont représentés par<br />
la présence <strong>et</strong> l’absence d’un quantum d’excitation <strong><strong>de</strong>s</strong> champs électromagnétiques<br />
dans le circuit. Les leçons <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année ont constitué une introduction à ce<br />
domaine, limitée aux situations où le traitement quantique <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
circuits est en continuation la plus directe du traitement classique.<br />
La première leçon a commencé par quelques rappels <strong>de</strong> théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits<br />
classiques, comme les définitions concernant les variables <strong>de</strong> nœuds <strong>et</strong> les variables<br />
<strong>de</strong> boucles, les lois <strong>de</strong> Kirchhoff <strong>et</strong> les relations constitutives <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments du<br />
circuit, à partir <strong>de</strong> l’exemple simple d’un circuit résonant LC (inductance +<br />
capacitance). L’élément d’information quantique, le bit quantique est constitué<br />
d’une paire <strong>de</strong> niveaux quantiques — généralement le niveau fondamental <strong>et</strong> le<br />
premier niveau excité — d’un <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> liberté élémentaire, en l’occurrence celui<br />
d’un mo<strong>de</strong> électromagnétique du circuit. On a compris <strong>de</strong>puis le milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> années<br />
90 que l’information quantique est extrêmement puissante quand il s’agit <strong>de</strong>
128 MICHEL DEVORET<br />
représenter <strong>de</strong> façon minimale les relations contenues dans la donnée d’une<br />
fonction. Mais comment en pratique implémenter les bits quantiques ? Peut-on<br />
tout simplement utiliser les niveaux quantiques d’un circuit LC, comme on<br />
utiliserait ceux d’un oscillateur harmonique mécanique ? En fait, ce <strong>de</strong>rnier possè<strong>de</strong><br />
la désagréable propriété d’avoir toutes les transitions entre niveaux voisins situées<br />
à la même fréquence. Il faut donc introduire dans le circuit un élément nonlinéaire,<br />
non-dissipatif, pour isoler une paire <strong>de</strong> niveaux. C<strong>et</strong> élément est une<br />
jonction tunnel Josephson, qui joue le rôle d’une inductance dont la valeur varie<br />
avec le courant. On arrive ainsi au circuit quantique élémentaire qui comprend un<br />
minimum d’élément, la boîte à paires <strong>de</strong> Cooper, qui est constituée d’une simple<br />
jonction tunnel en série avec une capacité <strong>et</strong> une source <strong>de</strong> courant. Ce circuit est<br />
l’équivalent d’un simple atome hydrogénoï<strong>de</strong> en physique atomique.<br />
Dans la secon<strong>de</strong> leçon, nous avons abordé le problème que pose l’écriture <strong>de</strong><br />
l’hamiltonien dans un circuit quantique arbitraire. Pour les atomes, l’hamiltonien<br />
quantique s’obtient simplement en traitant les variables conjuguées du problème<br />
classique — position <strong>et</strong> impulsion <strong><strong>de</strong>s</strong> électrons — comme <strong><strong>de</strong>s</strong> opérateurs qui ne<br />
commutent pas. Qu’en est-il dans les circuits ? Le rôle <strong>de</strong> la position <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
l’impulsion est joué par le flux <strong>et</strong> la charge. Ces opérateurs canoniquement<br />
conjugués sont définis à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> intégrales temporelles <strong>de</strong> la tension <strong>et</strong> du<br />
courant dans une branche du circuit. On peut se convaincre <strong>de</strong> la validité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
relations <strong>de</strong> commutation entre charge <strong>et</strong> flux à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> relations <strong>de</strong><br />
commutation entre champ électrique <strong>et</strong> champ magnétique en électrodynamique<br />
quantique. Parmi les notions surprenantes <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits quantiques, il y a celle <strong>de</strong><br />
flux généralisé aux bornes d’un élément quelconque qui n’est pas nécessairement<br />
une inductance. On arrive ainsi à la quantification <strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> électromagnétiques<br />
d’une ligne <strong>de</strong> transmission, en traitant celle-ci comme une chaîne d’oscillateurs<br />
LC couplés.<br />
La troisième leçon a été consacrée à la décomposition d’un signal se propageant<br />
le long d’une ligne <strong>de</strong> transmission en mo<strong><strong>de</strong>s</strong> discr<strong>et</strong>s orthogonaux. Nous avons<br />
introduit les concepts <strong>de</strong> base <strong>de</strong> la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> on<strong>de</strong>l<strong>et</strong>tes. Il est remarquable<br />
qu’un signal d’énergie finie puisse être décomposé sur une base d’on<strong><strong>de</strong>s</strong> continues<br />
à la fois localisées en temps <strong>et</strong> en fréquence. Chaque on<strong>de</strong> <strong>de</strong> base peut être<br />
représentée par un rectangle dans le plan temps-fréquence, lequel rappelle la portée<br />
d’une partition <strong>de</strong> musique. La largeur du rectangle correspond au pas en temps<br />
<strong>de</strong> la base, <strong>et</strong> sa hauteur, au pas en fréquence <strong>de</strong> la base. C<strong>et</strong>te segmentation<br />
discrète correspond à une « première quantification » <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux. Lorsque les<br />
propriétés <strong>de</strong> celle-ci sont bien acquises, on peut introduire la secon<strong>de</strong><br />
quantification : elle consiste à déclarer comme variables conjuguées les amplitu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
complexes <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mo<strong><strong>de</strong>s</strong> discr<strong>et</strong>s <strong>de</strong> même in<strong>de</strong>x <strong>de</strong> position en temps, mais avec<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> in<strong>de</strong>x opposés en fréquence. C<strong>et</strong>te secon<strong>de</strong> quantification implique l’existence<br />
d’états discr<strong>et</strong>s pour la fonction d’on<strong>de</strong> décrivant l’amplitu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux mo<strong><strong>de</strong>s</strong>. On<br />
arrive ainsi aux états discr<strong>et</strong>s correspondant aux photons, les on<strong>de</strong>l<strong>et</strong>tes sousjacentes<br />
constituant la « fonction d’on<strong>de</strong> » <strong><strong>de</strong>s</strong> photons. Il faut remarquer que
PHYSIQUE MÉSOSCOPIQUE 129<br />
c<strong>et</strong>te fonction d’on<strong>de</strong> ne peut pas avoir tous ses moments finis à la fois en<br />
fréquence <strong>et</strong> en temps, comme une fonction gaussienne, <strong>et</strong> servir en même temps<br />
<strong>de</strong> patron pour une base discrète.<br />
Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la quatrième leçon, nous avons établi l’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> opérateurs <strong>de</strong><br />
champ dans l’espace <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences, à partir <strong>de</strong> la décomposition du signal en on<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>de</strong> vecteurs d’on<strong>de</strong> bien déterminés. Le commutateur <strong>de</strong> ces opérateurs <strong>de</strong> champ est<br />
singulier : il est donné par une fonction <strong>de</strong> Dirac faisant intervenir la somme <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
fréquences. De même, dans l’état thermique, la valeur moyenne <strong>de</strong> l’anti-commutateur<br />
est donnée par la même fonction <strong>de</strong> Dirac, mais multipliée par une fonction analogue<br />
au nombre moyen <strong>de</strong> photons d’un oscillateur. On arrive ainsi à <strong><strong>de</strong>s</strong> expressions<br />
commo<strong><strong>de</strong>s</strong> pour les calculs ; mais pour r<strong>et</strong>rouver le sens physique <strong><strong>de</strong>s</strong> opérateurs, il<br />
faut introduire les opérateurs <strong>de</strong> création <strong>et</strong> d’annihilation <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>, à partir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
on<strong>de</strong>l<strong>et</strong>tes définies dans la leçon précé<strong>de</strong>nte. Ces opérateurs <strong>de</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong><br />
spécifier rigoureusement l’état du champ dans une ligne <strong>de</strong> transmission, par exemple<br />
un état semi-classique du champ. On peut représenter un état semi-classique par une<br />
généralisation du vecteur <strong>de</strong> Fresnel, surnommée parfois « suc<strong>et</strong>te <strong>de</strong> Fresnel » : on<br />
munit le segment du vecteur, qui représente l’amplitu<strong>de</strong> <strong>et</strong> la phase moyenne <strong>de</strong> l’état<br />
dans le plan <strong><strong>de</strong>s</strong> quadratures, non pas d’une pointe <strong>de</strong> flèche, mais d’un disque dont le<br />
rayon donne l’écart type <strong><strong>de</strong>s</strong> fluctuations, en l’occurrence celles <strong>de</strong> point zéro. En<br />
revanche, un état avec un nombre <strong>de</strong> photons bien déterminé (état dit <strong>de</strong> Fock)<br />
correspond à une figure avec symétrie <strong>de</strong> rotation comportant une série d’anneaux, le<br />
nombre d’anneaux étant égal au nombre <strong>de</strong> photons.<br />
La cinquième leçon a commencé par le rappel <strong>de</strong> la relation entre le nombre<br />
<strong>de</strong> photons dans un mo<strong>de</strong> propagatif <strong>et</strong> les valeurs moyennes quadratiques<br />
correspondantes <strong><strong>de</strong>s</strong> courants <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> tensions. À partir <strong>de</strong> ce type <strong>de</strong> relation, on<br />
peut calculer les fluctuations <strong><strong>de</strong>s</strong> quantités électriques pour un circuit LC, <strong>et</strong> par<br />
là, établir pour une impédance quelconque la relation entre la partie réelle <strong>de</strong><br />
l’impédance <strong>et</strong> la <strong>de</strong>nsité spectrale <strong><strong>de</strong>s</strong> fluctuations du bruit Johnson. Dans le cas<br />
quantique, c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>nsité spectrale est asymétrique : les fréquences positives, qui<br />
correspon<strong>de</strong>nt aux processus d’émission spontanée <strong>et</strong> stimulée du circuit connecté<br />
à l’impédance, sont plus intenses que les fréquences négatives, qui correspon<strong>de</strong>nt<br />
aux processus d’absorption. Nous avons présenté ce calcul <strong>de</strong> la <strong>de</strong>nsité spectrale<br />
à la fois en prenant le point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> Cal<strong>de</strong>ira-Legg<strong>et</strong>t, où l’impédance est<br />
remplacée par une série infinie d’oscillateurs harmoniques (mo<strong><strong>de</strong>s</strong> stationnaires),<br />
<strong>et</strong> le point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> Nyquist, qui remplace la partie dissipative <strong>de</strong> l’impédance<br />
par une ligne <strong>de</strong> transmission semi-infinie (mo<strong><strong>de</strong>s</strong> propagatifs), peuplée par un<br />
champ thermique inci<strong>de</strong>nt. Le formalisme entrée-sortie est très utile pour passer<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> équations du circuit avec les <strong>de</strong>ux termes <strong>de</strong> dissipation <strong>et</strong> <strong>de</strong> forçage, aux<br />
équations <strong>de</strong> diffusion <strong><strong>de</strong>s</strong> champs sur le noyau formé <strong>de</strong> la partie réactive du<br />
circuit. Ainsi, le théorème fluctuation-dissipation quantique peut-il être vu comme<br />
une conséquence <strong>de</strong> la propriété <strong>de</strong> symétrie du circuit : ce <strong>de</strong>rnier ne peut pas<br />
distinguer, dans le processus <strong>de</strong> diffusion <strong><strong>de</strong>s</strong> champs conduits par la ligne <strong>de</strong><br />
transmission, un signal déterministe du bruit thermique.
130 MICHEL DEVORET<br />
La sixième leçon a été consacrée au processus d’amplification paramétrique. Le<br />
point <strong>de</strong> départ est le théorème <strong>de</strong> Caves, qui stipule qu’un amplificateur préservant la<br />
phase doit nécessairement ajouter au signal une intensité <strong>de</strong> bruit — comptée en se<br />
référant à l’entrée — équivalente à un <strong>de</strong>mi-photon par mo<strong>de</strong> du signal. Comment<br />
atteindre c<strong>et</strong>te limite quantique ? La solution, dans le cas <strong>de</strong> l’amplificateur<br />
paramétrique non-dégénéré, est simple : il faut utiliser le nombre minimum <strong>de</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
possibles, c’est-à-dire 2, si l’on compte le mo<strong>de</strong> à amplifier. Au mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> signal doit<br />
donc être adjoint un mo<strong>de</strong> image, circulant dans une ligne annexe. Le modèle le plus<br />
élémentaire <strong>de</strong> ce type d’amplificateur consiste en <strong>de</strong>ux circuits LC couplés par une<br />
inductance mutuelle variant sinusoïdalement dans le temps à la fréquence <strong>de</strong> la pompe.<br />
Chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> oscillateurs est couplé à la ligne <strong>de</strong> transmission servant à injecter <strong>et</strong> à<br />
extraire les mo<strong><strong>de</strong>s</strong> signal <strong>et</strong> image, ce qui est réalisé en pratique avec un circulateur. En<br />
nous basant sur la théorie entrée-sortie, nous avons établi la matrice <strong>de</strong> diffusion pour<br />
un tel circuit. C<strong>et</strong>te matrice possè<strong>de</strong> la remarquable propriété d’être symplectique,<br />
laquelle propriété traduit à son tour mathématiquement la conservation <strong>de</strong><br />
l’information par ce circuit actif, en dépit <strong>de</strong> la non-conservation <strong>de</strong> l’énergie. En<br />
pratique l’implémentation <strong>de</strong> la mutuelle variable dans le temps est réalisée à l’ai<strong>de</strong><br />
d’un modulateur en anneau Josephson, qui comprend quatre jonctions tunnel formant<br />
une boucle dans laquelle est envoyé un <strong>de</strong>mi-quantum <strong>de</strong> flux magnétique. La symétrie<br />
<strong>de</strong> type pont <strong>de</strong> Wheatstone du modulateur en anneau privilégie les termes <strong>de</strong> mélange<br />
à trois on<strong><strong>de</strong>s</strong> dans l’hamiltonien, par rapport aux termes <strong>de</strong> couplage parasites qui<br />
favorisent le chaos dynamique <strong>et</strong> donc un excès <strong>de</strong> bruit. Expérimentalement, on peut<br />
donc avec un tel dispositif observer la compression du bruit dans les corrélations entre<br />
le signal direct <strong>et</strong> le signal image, en les mesurant par interférence.<br />
La leçon s’est achevée par une courte discussion sur le programme <strong>de</strong> l’année<br />
2008-2009, qui poursuivra c<strong>et</strong>te revue <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes quantiques dans les circuits<br />
supraconducteurs microon<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong>et</strong> qui se focalisera sur les aspects non-perturbatifs.<br />
2. Enseignement en <strong>de</strong>hors du <strong>Collège</strong><br />
5, 7 <strong>et</strong> 12 novembre 2007 : Série <strong>de</strong> trois leçons données au département <strong>de</strong><br />
Physique Appliquée <strong>de</strong> Yale, dans le cadre <strong>de</strong> la chaire F.W. Beinecke. Ce <strong>cours</strong><br />
<strong>de</strong> physique mésoscopique s’intitulait « Single Electron Effects ».<br />
2 juill<strong>et</strong> 2008 : Série <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux leçons données dans le cadre <strong>de</strong> l’International<br />
School of Physics « Enrico Fermi », Quantum Coherence in Solid State Systems.<br />
3. Activité <strong>de</strong> recherche<br />
3.1. Signaux <strong>et</strong> circuits quantiques (en collaboration avec Nicolas Bergeal,<br />
Flavius Schakert, Archana Kamal <strong>et</strong> Adam Marblestone)<br />
Le phénomène d’amplification <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux électriques par un composant<br />
électronique actif est à la base d’un grand nombre d’applications dans tous les<br />
domaines <strong>de</strong> la physique. Il est soumis à un principe dérivé <strong>de</strong> la relation
PHYSIQUE MÉSOSCOPIQUE 131<br />
d’incertitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Heisenberg : un amplificateur préservant la phase ajoute au moins<br />
un bruit dont l’énergie correspond à un <strong>de</strong>mi-photon à la fréquence du signal.<br />
Aucune limitation n’intervient en revanche pour un amplificateur qui ne mesure<br />
d’un signal qu’une composante ou que son énergie. Le but <strong>de</strong> notre recherche est<br />
d’abord <strong>de</strong> montrer que l’on peut effectivement atteindre en pratique le régime où<br />
le bruit d’un amplificateur « utile » n’est limité que par le bruit quantique, <strong>et</strong><br />
ensuite <strong>de</strong> vérifier les prédictions théoriques concernant le bruit ajouté au signal.<br />
Nous travaillons dans le régime micro-on<strong>de</strong>, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences <strong>de</strong> signaux aux<br />
alentours <strong>de</strong> f = 10 GHz <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> températures T
132 MICHEL DEVORET<br />
4. Publications<br />
[1] Boaknin E., Manucharian V., Fiss<strong>et</strong>te S., M<strong>et</strong>calfe M., Frunzio L., Vijay R., Siddiqi I.,<br />
Wallraff A., Schoelkopf R. and Devor<strong>et</strong> M.H., Dispersive Bifurcation of a Microwave<br />
Superconducting Resonator Cavity incorporating a Josephson Junction, [Cond-Mat/0702445],<br />
Submitted to Physical Review L<strong>et</strong>ters.<br />
[2] Manucharian V., Boaknin E., M<strong>et</strong>calfe M., Fiss<strong>et</strong>te S., Vijay R., Siddiqi I. and<br />
Devor<strong>et</strong> M.H., Rf Bifurcation of a Josephson Junction : Microwave Embedding Circuit<br />
Requirements, [Cond-Mat/0612576] Phys. Rev. B 76, 014524 (2007).<br />
[3] Schuster D.I., Houck A.A., Schreier J.A., Wallraff A., Gamb<strong>et</strong>ta J.M., Blais A.,<br />
Frunzio L., Johnson B., Devor<strong>et</strong> M.H., Girvin S.M., Schoelkopf R.J., Resolving Photon<br />
Number States in a Superconducting Circuit, Nature (London) 445, 515-518 (2007) [Cond-<br />
Mat/0608693].<br />
[4] Houck A.A., Schuster D.I., Gamb<strong>et</strong>ta J.M., Schreier J.A., Johnson B.R., Chow J.M.,<br />
Frunzio L., Majer J., Devor<strong>et</strong> M.H., Girvin S.M., Schoelkopf R.J., Generating single<br />
microwave photons in a circuit, Nature 449, 328 - 331 (2007).<br />
[5] Boulant N., Ithier G., Meeson P., Nguyen F., Vion D., Esteve D., Siddiqi I.,<br />
Vijay R., Rig<strong>et</strong>ti C., Pierre, F. and Devor<strong>et</strong> M., Quantum Non<strong>de</strong>molition Readout Using a<br />
Josephson Bifurcation amplifier, Phys. Rev. B 76, 014525 (2007).<br />
[6] Majer J., Chow J.M., Gamb<strong>et</strong>ta J.M., Koch Jens, Johnson B.R., Schreier J.A.,<br />
Frunzio L., Schuster D.I., Houck A.A., Wallraff A., Blais A., Devor<strong>et</strong> M.H., Girvin S.M.,<br />
Schoelkopf R.J., Coupling superconducting qubits via a cavity bus, Nature 449, 443-447<br />
(2007).<br />
[7] M<strong>et</strong>calfe M., Boaknin E., Manucharyan V., Vijay R., Siddiqi I., Rigg<strong>et</strong>ti C.,<br />
Frunzio L., and Devor<strong>et</strong> M.H., Measuring a Quantronium qubit with the Cavity Bifurcation<br />
Amplifier, Phys. Rev. 76, 174516 (2007) [Cond-Mat, arXiv:0706.0765].<br />
[8] Koch J., Yu T.M., Gamb<strong>et</strong>ta J., Houck A.A., Schuster D.I., Majer J., Blais A.,<br />
Devor<strong>et</strong> M.H., Girvin S.M., and Schoelkopf R.J., Charge insensitive qubit <strong><strong>de</strong>s</strong>ign from<br />
optimizing the Cooper-Pair Box, Phys. Rev. A 76, 042319 (2007).<br />
[9] Devor<strong>et</strong>, M., Girvin, S., Schoelkopf, R.S., Circuit-QED: How strong can the coupling<br />
b<strong>et</strong>ween a Josephson junction atom and a transmission line resonator be ?, Annalen Der Physik<br />
16, 767-779 (2007).<br />
[10] Houck A.A., Schreier J.A., Johnson, B.R., Chow J.M, Koch Jens, Gamb<strong>et</strong>ta J.M.,<br />
Schuster D.I., Frunzio L., Devor<strong>et</strong> M.H., Girvin S.M., Schoelkopf R.J., Controlling the<br />
spontaneous emission of a superconducting transmon qubit, Phys. Rev. L<strong>et</strong>t 101, 080502<br />
(2008).<br />
[11] Schreier J.A., Houck A.A., Koch Jens, Schuster D.I., Johnson B.R., Chow J.M.,<br />
Gamb<strong>et</strong>ta J.M., Majer J., Frunzio L., Devor<strong>et</strong> M.H., Girvin S.M., and Schoelkopf R.J.,<br />
Suppressing charge noise <strong>de</strong>coherence in superconducting charge qubits, Phys. Rev. B 77,<br />
180502(R) (2008).<br />
[12] Bergeal N., Vijay R., Manucharyan V. E., Siddiqi I., Schoelkopf R. J., Girvin S. M.<br />
and Devor<strong>et</strong> M. H., Analog information processing at the quantum limit with a Josephson ring<br />
modulator, Submitted to Nature Physics (2008) [arXiv:0805.3452].<br />
[13] Devor<strong>et</strong> M., De l’atome aux machines quantiques, Leçon inaugurale, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong> / Fayard, 2008 (à paraître).<br />
[14] Bergeal N., Schakert F., Frunzio L., Schoelkopf R.J., Girvin S.M. and Devor<strong>et</strong> M.H.,<br />
Param<strong>et</strong>ric Amplification with the Josephson Ring Modulator, en préparation.
5. Conférences<br />
5.1 Exposés donnés sur invitation<br />
PHYSIQUE MÉSOSCOPIQUE 133<br />
Octobre 2007 : CIFAR me<strong>et</strong>ing on Quant. Inf. Proc., Newport, Rho<strong>de</strong> Island, USA.<br />
Décembre 2007 : Decoherence in Superconducting Qubits, Berkeley, California, USA.<br />
Janvier 2008 : Physics of Quantum Electronics, Snowbird, Utah, USA.<br />
Mars 2008 : Physics Colloquium, Penn State University, State College, Pennsylvania,<br />
USA.<br />
Avril 2008 : Stanford Photonics Research Center Me<strong>et</strong>ing, Stanford, California, USA.<br />
Avril 2008 : Quantum Information Seminar, MIT, Cambridge, Massachuss<strong>et</strong>ts, USA.<br />
Mai 2008 : Journées Supraconductivité, ESPCI, Paris.<br />
Juin 2008 : Séminaire général <strong>de</strong> Physique, ESPCI, Paris.
1. Enseignement au <strong>Collège</strong><br />
Particules élémentaires, gravitation <strong>et</strong> cosmologie<br />
M. Gabriele Veneziano, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />
1.1. Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année 2007-2008 : « Le modèle standard <strong>et</strong> ses extensions »<br />
Après la parenthèse 2006-2007 (<strong>cours</strong> donné entièrement à l’étranger), le <strong>cours</strong><br />
<strong>de</strong> l’année 2007-2008 a repris le chemin initié en 2004-2005 <strong>et</strong> 2005-2006 afin<br />
<strong>de</strong> compléter la présentation du modèle standard <strong><strong>de</strong>s</strong> particules élémentaires. Les<br />
<strong>de</strong>ux <strong>cours</strong> précé<strong>de</strong>nts ayant porté sur les interactions fortes (dans leurs aspects<br />
perturbatives <strong>et</strong> non perturbatives respectivement), ce <strong>de</strong>rnier <strong>cours</strong> se concentra<br />
sur le secteur dit électrofaible du Modèle Standard (MS).<br />
Le <strong>cours</strong> s’est déroulé en 18 heures, dont 11 <strong>de</strong> <strong>cours</strong> proprement dit <strong>et</strong> 7 heures<br />
<strong>de</strong> séminaires, donné en partie par le professeur Riccardo Barbieri <strong>de</strong> l’École<br />
Normale (Scuola Normale) <strong>de</strong> Pise <strong>et</strong> en partie par le professeur Ferruccio Feruglio<br />
<strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Padoue.<br />
Chaque <strong>cours</strong> <strong>et</strong> séminaire, présenté avec l’ai<strong>de</strong> d’un fichier « Power Point », a<br />
été imprimé <strong>et</strong> distribué avant chaque <strong>cours</strong>, <strong>et</strong> ensuite inséré sur les sites en<br />
français <strong>et</strong> en anglais <strong>de</strong> la chaire.<br />
Le premier <strong>cours</strong>, « Théories <strong>de</strong> jauge : un rappel », fut un résumé <strong><strong>de</strong>s</strong> principales<br />
notions (déjà discutée en 2004-2005) qui sont à la base <strong><strong>de</strong>s</strong> théories <strong>de</strong> jauge.<br />
Nous sommes revenu, en particulier, sur l’importante distinction entre le cas <strong>de</strong><br />
fermions dans une représentation réelle du groupe <strong>de</strong> jauge (les cas <strong>de</strong> la QED <strong>et</strong><br />
QCD) <strong>et</strong> celui d’une représentation complexe (fermions « chiraux »), le cas d’intérêt<br />
pour les interactions faibles.<br />
Le <strong>de</strong>uxième <strong>cours</strong>, « QED <strong>et</strong> QCD : un rappel », fut, à son tour, un résumé <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
concepts <strong>de</strong> base <strong>de</strong> la QED (comme théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions électro magnétiques)<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> la QCD (comme théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions fortes) qui avaient été couverts dans<br />
les <strong>cours</strong> 2004-2005 <strong>et</strong> 2005-2006.
136 GABRIELE VENEZIANO<br />
Le troisième <strong>cours</strong>, « Interactions faibles : du modèle <strong>de</strong> Fermi à une théorie <strong>de</strong><br />
jauge », a r<strong>et</strong>racé, dans ses gran<strong><strong>de</strong>s</strong> lignes, le développement <strong>de</strong> la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
interactions faibles, à partir <strong>de</strong> sa première formulation par Enrico Fermi en 1934.<br />
On a rappelé comment, à travers les différentes découvertes expérimentales, l’idée<br />
est née qu’une théorie <strong>de</strong> jauge puisse décrire, d’une façon unifiée, les interactions<br />
électromagnétiques <strong>et</strong> faibles en utilisant le groupe <strong>de</strong> jauge SU(2)xU(1). Ensuite,<br />
nous avons discuté <strong><strong>de</strong>s</strong> représentations auxquelles les fermions doivent appartenir<br />
<strong>et</strong>, en même temps, nous avons souligné la nécessité d’un mécanisme <strong>de</strong> brisure<br />
<strong>de</strong> la symétrie <strong>de</strong> jauge sans quoi tous les fermions resteraient sans masse.<br />
Dans le quatrième <strong>cours</strong>, « Brisure spontanée <strong>de</strong> symétries », après avoir souligné<br />
l’importante distinction entre la brisure <strong>de</strong> symétries globales <strong>et</strong> locales, nous avons<br />
discuté <strong><strong>de</strong>s</strong> principales caractéristiques <strong>et</strong> conséquences <strong>de</strong> chacune <strong>et</strong>, en particulier<br />
pour c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière, le fameux mécanisme <strong>de</strong> Higgs dans le cas le plus simple du<br />
groupe U(1). Nous avons aussi souligné que ce mécanisme, au moins dans sa<br />
forme la plus simple, nécessite l’introduction d’un champ scalaire à côté <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
champs <strong>de</strong> jauge <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> champs <strong>de</strong> fermions.<br />
Dans le cinquième <strong>cours</strong>, « Boson <strong>de</strong> Higgs <strong>et</strong> Lagrangien pour une seule famille »,<br />
nous avons utilisé les éléments déjà introduits pour définir le modèle standard <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
interactions électrofaibles dans les cas d’une seule famille (ou génération) <strong>de</strong> quarks<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> leptons. Nous avons aussi observé que le neutrino reste sans masse, malgré<br />
la brisure <strong>de</strong> la symétrie, au moins d’introduire un nouveau type <strong>de</strong> neutrino qui<br />
est neutre par rapport à toutes les interactions <strong>de</strong> jauge.<br />
Le sixième <strong>cours</strong>, « Prédictions au niveau arbre pour une famille », nous avons tiré les<br />
conséquences expérimentales du modèle présenté au <strong>cours</strong> précé<strong>de</strong>nt dans<br />
l’approximation dite à « arbre », c’est-à-dire sans tenir compte <strong><strong>de</strong>s</strong> corrections radiatives.<br />
L’accord est qualitativement bon, mais quantitativement pas encore parfait.<br />
Dans le septième <strong>cours</strong>, « Plusieurs familles : mécanisme <strong>de</strong> GIM <strong>et</strong> matrice<br />
CKM », nous avons discuté <strong>de</strong> la généralisation du modèle précédant au cas,<br />
apparemment choisi par la Nature, où il y a trois familles <strong>de</strong> quarks <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
leptons. Même si conceptuellement la généralisation est simple, ses conséquences<br />
phénoménologiques sont très importantes. Pourtant, le MS avec trois générations<br />
évite d’une façon très naturelle l’apparition <strong>de</strong> courants neutres avec changement<br />
<strong>de</strong> saveur (FCNC) <strong>et</strong>, en même temps, est capable d’introduire les mélanges<br />
observés dans les courants chargées aussi qu’une phase qui détermine la violation<br />
<strong>de</strong> la symétrie CP.<br />
Le huitième <strong>cours</strong>, « Autres conséquences du Modèle Standard », a porté sur<br />
d’autres conséquences du modèle standard en particulier dans la physique <strong>de</strong><br />
mésons K neutres <strong>et</strong> (en préparation <strong><strong>de</strong>s</strong> séminaires spécialisés du professeur<br />
Feruglio, voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous) en ce qui concerne les masses <strong>et</strong> les oscillations <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
neutrinos. Nous avons terminée avec un exemple <strong>de</strong> calculs <strong><strong>de</strong>s</strong> corrections<br />
radiatives, celui qui concerne le soi-disant paramètre ρ.
PARTICULES ÉLÉMENTAIRES, GRAVITATION ET COSMOLOGIE 137<br />
Après une première série <strong>de</strong> séminaires par les professeurs Riccardo Barbieri <strong>et</strong><br />
Ferruccio Feruglio (voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous), le neuvième <strong>cours</strong>, « Secteur <strong>de</strong> Higgs : questions<br />
<strong>de</strong> réglage fin » a entamé une critique bien connue du MS comme ayant besoin<br />
d’une quantité importante <strong>de</strong> « réglage fin » afin <strong>de</strong> maintenir la masse du boson<br />
<strong>de</strong> Higgs suffisamment basse. C’était, en même temps, une introduction à certains<br />
modèles qui vont au-<strong>de</strong>là du MS, le suj<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers <strong>cours</strong> <strong>et</strong> séminaires.<br />
Ainsi, le dixième <strong>cours</strong>, « Supersymétrie <strong>et</strong> le MSSM », a introduit le concept <strong>de</strong><br />
supersymétrie, d’abord comme construction théorique <strong>et</strong> après comme une possible<br />
résolution du problème <strong>de</strong> réglage fin discuté dans le neuvième <strong>cours</strong>. Néanmoins,<br />
la supersymétrie n’élimine pas complètement ce problème. En même temps elle<br />
perm<strong>et</strong> à priori certains processus qui ne sont pas observés. Donc la supériorité du<br />
modèle supersymétrique par rapport au modèle standard n’est pas <strong>de</strong> tout évi<strong>de</strong>nte.<br />
Le nouvel accélérateur <strong>de</strong> particules du CERN, le LHC, nous dira sans doute si la<br />
supersymétrie existe bien aux énergies qui seront atteignables.<br />
Dans le onzième <strong>cours</strong>, « Théories <strong>de</strong> Grand Unification », nous avons présenté<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> modèles, dits <strong>de</strong> Grand Unification (GUT), où les trois interactions non<br />
gravitationnelles découleraient d’une théorie <strong>de</strong> jauge basée sur un groupe <strong>de</strong> jauge<br />
techniquement dit « simple » <strong>et</strong> donc avec <strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre les différentes<br />
constants <strong>de</strong> couplage <strong>et</strong> les différentes masses <strong><strong>de</strong>s</strong> particules. Les exemples <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
groupes SU(5) <strong>et</strong> O(10), avec leurs avantages relatifs, ont été discutés.<br />
1.2. Les séminaires liés au <strong>cours</strong><br />
Après les premières 8 heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong>, le professeur Riccardo Barbieri (Scuola<br />
Normale Superiore, Pise, Italie) a donné <strong>de</strong>ux séminaires intitulés « La physique<br />
<strong>de</strong> la saveur dans le MS » <strong>et</strong> « Violation <strong>de</strong> la symétrie CP dans le MS ». Le premier<br />
été centré sur la phénoménologie <strong>de</strong> la matrice CKM, les tests d’unitari<strong>et</strong>é, les<br />
mélanges <strong>et</strong> oscillations <strong><strong>de</strong>s</strong> mésons K neutres, aussi que sur les bornes relatives aux<br />
processus <strong>de</strong> FCNC (tels que μ → e γ). Dans le <strong>de</strong>uxième séminaire, le professeur<br />
Barbieri a illustré les phénomènes <strong>de</strong> violation <strong>de</strong> la symétrie CP (toujours dans le<br />
système <strong><strong>de</strong>s</strong> K neutres) <strong>et</strong> leur calcul dans le modèle standard.<br />
Ces séminaires ont été suivis par <strong>de</strong>ux autres donnés par le professeur Ferruccio<br />
Feruglio (Université <strong>de</strong> Padoue, Italie), qui a développé la physique <strong><strong>de</strong>s</strong> neutrinos<br />
dans le MS sous les titres « Masses, mélanges <strong>et</strong> oscillations <strong><strong>de</strong>s</strong> neutrinos : les données<br />
expérimentales » <strong>et</strong> « Masses, mélanges <strong>et</strong> oscillations <strong><strong>de</strong>s</strong> neutrinos : la théorie ». Il a<br />
donné ainsi un cadre très compl<strong>et</strong> <strong>de</strong> la situation actuelle à la fois expérimentale<br />
<strong>et</strong> théorique dans ce nouveau domaine très excitant <strong>de</strong> la physique <strong><strong>de</strong>s</strong> particules.<br />
Ensuite, le professeur Barbieri est encore intervenue à trois reprises.<br />
Premièrement, dans « Le tests <strong>de</strong> précision du MS », il a fait le point sur les tests<br />
<strong>de</strong> précision du MS à travers <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences <strong>de</strong> physique atomique <strong>et</strong> surtout avec<br />
les données <strong>de</strong> l’accélérateur LEP du CERN. Il a souligné qu’un accord entre la
138 GABRIELE VENEZIANO<br />
théorie <strong>et</strong> les données expérimentales a besoin <strong>de</strong> corrections radiatives <strong>et</strong> que c<strong>et</strong><br />
accord est tout à fait remarquable si le boson <strong>de</strong> Higgs est assez léger pour être<br />
produit aux énergies du LHC.<br />
Ensuite le séminaire « Modèles sans le boson <strong>de</strong> Higgs », porta sur <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles où<br />
le mécanisme <strong>de</strong> Higgs est induit par autre chose qu’un champ scalaire. Dans ce<br />
cas <strong>de</strong> figure, il n’y aurait pas une véritable particule <strong>de</strong> Higgs. Un exemple <strong>de</strong> ce<br />
genre c’est la théorie dite du « techni-couleur ». Même si c<strong>et</strong>te classe <strong>de</strong> théorie est<br />
esthétiquement attrayante, son accord avec les tests <strong>de</strong> précision est loin d’être<br />
évi<strong>de</strong>nt.<br />
Dans son <strong>de</strong>rnier séminaire, « Où la nouvelle physique peut-elle se cacher ? », le<br />
professeur Barbieri a donné un panorama très compl<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences qui<br />
pourraient dénicher <strong>de</strong> la physique qui va au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> celle du MS soit en utilisant<br />
<strong>de</strong> très hautes énergies (comme au LHC) soit par <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures à basse énergie mais<br />
d’une très gran<strong>de</strong> précision.<br />
2. Enseignement en <strong>de</strong>hors du <strong>Collège</strong><br />
Mai 2008 : « 40 anni di teoria <strong>de</strong>lle stringhe : passato, presente e futuro ».<br />
Conférence sur la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> cor<strong><strong>de</strong>s</strong> pour les étudiants <strong><strong>de</strong>s</strong> lycées à Florence: son<br />
but était d’expliquer en quoi consiste la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> cor<strong><strong>de</strong>s</strong>, comment elle s’est<br />
développée <strong>de</strong>puis sa découverte, <strong>et</strong> pourquoi les théoriciens <strong>de</strong> particules y sont<br />
tellement intéressés aujourd’hui. Une conférence portant le même titre, mais<br />
réadaptée, a été donnée, peu après, au « Collegio di Milano » (un <strong>Collège</strong> qui<br />
réunit un nombre sélectionné d’étudiants universitaires <strong>de</strong> la métropole milanaise<br />
<strong>de</strong> toutes disciplines), suivie d’un débat.<br />
3. Activité <strong>de</strong> recherche<br />
Elle a porté sur les trois suj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l’intitulé <strong>de</strong> la chaire en particulier sur les<br />
questions liées à la gravitation classique <strong>et</strong> quantique dans le cadre <strong>de</strong> la théorie<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> cor<strong><strong>de</strong>s</strong>. Depuis 2005, la chaire fait aussi partie <strong>de</strong> la Fédération « Interactions<br />
Fondamentales » avec le LPT-ENS, les LPNHE <strong>et</strong> LPTHE <strong>de</strong> Paris 6, <strong>et</strong> le APC<br />
(après son départ du <strong>Collège</strong>).<br />
Voici un aperçu <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te activité <strong>de</strong> recherche, suivi d’une liste <strong><strong>de</strong>s</strong> publications<br />
scientifiques correspondantes.<br />
3.1. Particules élémentaires<br />
Avec le professeur Jacek Wosiek (Université <strong>de</strong> Cracovie, Pologne) nous avons<br />
essayé <strong>de</strong> généraliser les modèles <strong>de</strong> mécanique quantique matricielle déjà étudiés<br />
au cas d’une théorie <strong>de</strong> champs supersymétrique en <strong>de</strong>ux dimensions spatiotemporelles.<br />
En dépit d’un progrès indiscutable, nous sommes toujours confrontés<br />
à <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes <strong>de</strong> divergences infrarouges qui nous empêchent, pour l’instant,<br />
d’arriver à <strong><strong>de</strong>s</strong> conclusions fermes.
3.2. Gravitation<br />
PARTICULES ÉLÉMENTAIRES, GRAVITATION ET COSMOLOGIE 139<br />
L’étu<strong>de</strong> théorique <strong><strong>de</strong>s</strong> collisions entre particules légères à énergies transplanckiennes,<br />
a été poursuivie dans le but <strong>de</strong> mieux comprendre le problème <strong>de</strong><br />
l’information en physique quantique <strong><strong>de</strong>s</strong> trous noirs.<br />
C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière année, avec les professeurs Daniele Amati (Université <strong>de</strong> Trieste)<br />
<strong>et</strong> Marcello Ciafaloni (Université <strong>de</strong> Florence), un progrès considérable sur ce<br />
problème a été accompli. Utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> à la fois analytiques <strong>et</strong> numériques,<br />
nous avons résolu les équations <strong>de</strong> mouvement qui découlent d’une action efficace<br />
en <strong>de</strong>ux dimensions <strong>de</strong> l’espace que nous avions proposé il y a une quinzaine<br />
d’années. C<strong>et</strong>te ligne <strong>de</strong> recherche a été poursuivie en collaboration avec le<br />
professeur Jacek Wosiek. Les résultats, obtenus dans un contexte complètement<br />
quantique, s’accor<strong>de</strong>nt très bien avec les estimations classiques <strong>et</strong> pourraient<br />
indiquer la façon avec laquelle l’information est récupérée dans un processus<br />
quantique <strong>de</strong> collision <strong>de</strong> particules ou <strong>de</strong> cor<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />
3.3. Cosmologie<br />
La théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> cor<strong><strong>de</strong>s</strong> suggère <strong>de</strong> nouveaux scénarios cosmologiques où la<br />
« singularité » du big-bang (c’est-à-dire l’instant où plusieurs quantités physiques<br />
seraient <strong>de</strong>venues infinies) est remplacé par un « big bounce », une phase <strong>de</strong><br />
contraction qui, soudain, se transforme en expansion sans qu’aucune quantité<br />
physique ne dépasse les bornes dictées par les dimensions finies <strong><strong>de</strong>s</strong> cor<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
(« cosmologie à rebondissement »).<br />
Récemment, avec le professeur Maurizio Gasperini (Universitè <strong>de</strong> Bari) <strong>et</strong> un<br />
jeune chercheur, le docteur Giovanni Marozzi (Université <strong>de</strong> Bologne), nous avons<br />
essayé <strong>de</strong> vérifier si la contre-réaction à la production cosmologique <strong>de</strong> particules<br />
pourrait induire le rebondissement désiré. Nous avons fait <strong><strong>de</strong>s</strong> progrès considérables,<br />
mais, pour l’instant, rien est sortie en forme <strong>de</strong> publication sur ce suj<strong>et</strong>.<br />
4. Publications<br />
1. « Towards and S-Matrix <strong><strong>de</strong>s</strong>cription of gravitational collapse » (avec D. Amati <strong>et</strong><br />
M. Ciafaloni), JHEP02 (2008) 049.<br />
2. « Exploring an S-Matrix for gravitational collapse » (avec J. Wosiek), JHEP09 (2008)<br />
023.<br />
3. « Exploring an S-Matrix for gravitational collapse II : a momentum space analysis » (avec<br />
J. Wosiek), JHEP09 (2008) 024.<br />
4. « Non-local field theory suggested by Dual Mo<strong>de</strong>ls » dans « String theory and fundamental<br />
interactions » (éditeurs : M. Gasperini <strong>et</strong> J. Maharana), Springer (2008), p. 29. Il s’agit <strong>de</strong><br />
la publication d’un manuscrit, écrit en 1973, que je n’avais jamais terminé. Il est maintenant<br />
publié dans sa forme originale dans un livre avec les contributions d’un nombre <strong>de</strong> mes<br />
collaborateurs en l’occasion <strong>de</strong> mes 65 ans.
140 GABRIELE VENEZIANO<br />
5. Conférences<br />
5.1. Conférences sur invitation<br />
1. « Planar equivalence : an update », atelier sur « Non-perturbative gauge theories »<br />
Édimbourg, août 2007.<br />
2. « La théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> cor<strong><strong>de</strong>s</strong> est-elle morte ? », Émission <strong>de</strong> Radio <strong>France</strong> (<strong>France</strong> Culture), Paris,<br />
septembre 2007.<br />
3. « Farewell talk : A sample of y<strong>et</strong> unfinished projects », CERN, Genève, septembre<br />
2007.<br />
4. « Did Time have a beginning ? », symposium « The two cultures : shared problems »,<br />
Venise, octobre 2007.<br />
5. « Transplanckian Superstring Collisions I », UCLA, novembre 2007.<br />
6. « Transplanckian Superstring Collisions II », UCLA, décembre 2007.<br />
7. « String Theory : Is Einstein’s dream being realized ? », Université <strong><strong>de</strong>s</strong> Hawaii, décembre<br />
2007.<br />
8. « Transplanckian scattering, black holes, and the information paradox », Université <strong>de</strong><br />
Californie à Irvine, décembre 2007.<br />
9. « Towards an S-matrix for gravitational collapse », UCSB/KITP, Santa Barbara,<br />
décembre 2007.<br />
10. « Diverse prosp<strong>et</strong>tive di sviluppo <strong>de</strong>lla teoria quantistica <strong>de</strong>lla gravitazione », Conférence<br />
« Spazio, tempo e materia : l’ultima parola è ancora quella di Einstein ? », Université <strong>de</strong><br />
Padoue, janvier 2008.<br />
11. « Towards an S-matrix for gravitational collapse », séminaire joint <strong><strong>de</strong>s</strong> théoriciens,<br />
IHP, Paris, avril 2008.<br />
12. « Le Modèle standard <strong>de</strong> l’Univers : Succès <strong>et</strong> énigmes », Colloque Université Pierre <strong>et</strong><br />
Marie Curie, avril 2008.<br />
13. « L’unité <strong>de</strong> la physique <strong>et</strong> la cosmologie », Conférence grand public, série « Cultures<br />
d’Europe », Bruxelles, avril 2008.<br />
14. « Towards an S-matrix <strong><strong>de</strong>s</strong>cription of gravitational collapse », Universitad Autonoma<br />
Madrid, avril 2008.<br />
15. « Towards an S-matrix <strong><strong>de</strong>s</strong>cription of gravitational collapse », Università di Roma, La<br />
Sapienza, mai 2008.<br />
16. « 40 anni di teoria <strong>de</strong>lle stringhe : passato presente e futuro », conférence pour étudiants<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Lycées, Sesto Fiorentino, mai 2008.<br />
17. « Il mo<strong>de</strong>llo standard <strong>de</strong>ll’Universo : successi ed enigmi », Colloque à l’Universitè <strong>de</strong><br />
Bologne, mai 2008.<br />
18. « 40 anni di teoria <strong>de</strong>lle stringhe : passato presente e futuro », conférence pour les<br />
étudiants du « Collegio di Milano », mai 2008.<br />
19. « Planar equivalence : an update », conférence « Non perturbative gauge theories »<br />
GGI, Florence, juin 2008.<br />
20. « Le grand Collisionneur d’hadrons (LHC) du CERN <strong>et</strong> ses enjeux », mardi <strong>de</strong><br />
l’Administrateur, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, juin 2008.<br />
21. « Towards an S-matrix <strong><strong>de</strong>s</strong>cription of gravitational collapse », (à l’occasion <strong>de</strong> la chaire<br />
Blaise Pascal du Professeur Michail Shifman), Orsay, juin 2008.<br />
22. « Recent progress in transplanckian scattering », conférence pour le 50 e anniversaire <strong>de</strong><br />
l’IHES, Bures-sur-Yv<strong>et</strong>te, juin 2008.
PARTICULES ÉLÉMENTAIRES, GRAVITATION ET COSMOLOGIE 141<br />
5.2. Organisation <strong>de</strong> conférences <strong>et</strong> d’ateliers<br />
Comme membre <strong>de</strong> la FRIF (Fédération <strong>de</strong> Recherche Interactions Fondamentales) la<br />
chaire a contribué à l’organisation d’un nombre d’ateliers à Paris, notamment :<br />
— « Black holes, black rings and modular forms », ENS, Paris, août 2007.<br />
— « Gravitational scattering, black holes, and the information paradox», IHP, Paris, 26-28<br />
mai 2008.<br />
6. Participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> Comités<br />
— Comité d’évaluation <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> doctorat Galileo Galilei <strong>de</strong> l’ Université <strong>de</strong> Pise.<br />
— Chaire <strong>de</strong> l’« Advisory Committee » <strong>de</strong> l’Institut Galileo Galilei (GGI) à Arc<strong>et</strong>ri<br />
(Florence). En novembre 2007, le comité s’est réuni pour sélectionner les propositions<br />
d’atelier pour l’année 2009. Trois propositions ont été sélectionnées.<br />
— Depuis janvier 2007 l’Institut <strong>de</strong> Physique Nucléaire Italien (INFN) m’a chargé <strong>de</strong><br />
suivre les activités du GGI avec une présence <strong>de</strong> plusieurs semaines pendant chaque atelier.<br />
J’ai donc passé au GGI quelques semaines en automne 2007 <strong>et</strong> au printemps 2008 <strong>et</strong> je<br />
planifie d’y r<strong>et</strong>ourner pendant l’automne 2008.<br />
— Chaire du « Wolfgang Pauli Committee », CERN, Genève.<br />
— Membre du Comité d’organisation <strong>de</strong> la Conférence « Marcel Grossmann », Paris,<br />
juill<strong>et</strong> 2009.<br />
7. Groupes <strong>de</strong> travail<br />
Le groupe <strong>de</strong> travail <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences « Unités <strong>de</strong> base <strong>et</strong> constantes fondamentales »,<br />
dont je faisais partie, a présenté ses recommandations finales au Bureau international <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Poids <strong>et</strong> Mesures en octobre 2006. Depuis, je fais partie d’un nouveau comité <strong>de</strong> l’Académie<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> sciences, nommé « Science <strong>et</strong> métrologie », qui, poursuivant le même but, a commencé<br />
ses <strong>travaux</strong> à l’automne 2007.<br />
8. Prix, distinctions<br />
Juill<strong>et</strong> 2008 : James Joyce Award, Literary and Historical Soci<strong>et</strong>y, University College<br />
Dublin, Irlan<strong>de</strong> (sera consigné officiellement en mai 2009).
COURS : Le <strong>cours</strong> n’a pas eu lieu.<br />
Géodynamique<br />
M. Xavier Le Pichon, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />
Un colloque aura lieu à Saint Maximin dans le Var les 1 er , 2 <strong>et</strong> 3 octobre 2008<br />
pour mener une réflexion sur les grands problèmes <strong>de</strong> géodynamique qui ont été<br />
traités <strong>de</strong>puis 1986 dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> géodynamique. Ce<br />
colloque donnera lieu à la publication d’un livre.<br />
Activités scientifiques <strong>de</strong> juin 2007 à juin 2008<br />
Xavier Le Pichon avait dirigé le Laboratoire <strong>de</strong> Géologie <strong>de</strong> l’École normale<br />
supérieure. Au 1 er juill<strong>et</strong> 2003, il s’est délocalisé près du laboratoire du Cérège sur<br />
l’Europôle <strong>de</strong> l’Arbois, près d’Aix-en-Provence, dans <strong><strong>de</strong>s</strong> locaux fournis par l’université<br />
Paul Cézanne d’Aix-Marseille, pour que l’équipe <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> sa chaire <strong>de</strong><br />
Géodynamique forme avec l’équipe <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> la chaire d’Evolution du climat<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan d’Édouard Bard une antenne du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> accueillie par<br />
l’université Paul Cézanne. L’équipe <strong>de</strong> géodynamique comprend en 2008 treize<br />
personnes : trois chercheurs permanents, six post-doctorants, un chercheur en <strong>cours</strong><br />
<strong>de</strong> thèse, un ingénieur informatique <strong>et</strong> un agent technique permanents, un agent<br />
technique sous contrat temporaire. Le 16 septembre 2005 le nouveau bâtiment dit<br />
« Trocadéro » mis à la disposition <strong>de</strong> l’antenne du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> par l’Europôle <strong>de</strong><br />
l’Arbois a été inauguré, ce qui a permis une interaction plus étroite avec le laboratoire<br />
d’Édouard Bard. Notre équipe <strong>de</strong> recherche a un accord-cadre avec la compagnie<br />
pétrolière Total pour profiter <strong><strong>de</strong>s</strong> synergies dans nos intérêts <strong>de</strong> recherche.<br />
L’intérêt <strong>de</strong> l’équipe repose sur la relation entre les processus <strong>de</strong> déformation<br />
superficielle <strong>et</strong> les processus profonds en m<strong>et</strong>tant l’accent sur l’importance <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
forces <strong>de</strong> gravité <strong>et</strong> sur le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> flui<strong><strong>de</strong>s</strong>. La connaissance du contexte géodynamique<br />
<strong>et</strong> tectonique est utile à la recherche pétrolière <strong>et</strong> c’est sur c<strong>et</strong>te base qu’une<br />
collaboration scientifique avec l’industrie pétrolière a pu être développée.
144 XAVIER LE PICHON<br />
L’originalité <strong>de</strong> notre équipe tient à la coopération étroite avec l’industrie qui se<br />
traduit dans le financement <strong>de</strong> thèses, <strong>de</strong> post-doctorants <strong>et</strong> <strong>de</strong> recherches, toutes les<br />
recherches conduisant à <strong><strong>de</strong>s</strong> publications. L’axe principal <strong>de</strong> nos recherches est l’étu<strong>de</strong><br />
géodynamique <strong>de</strong> zones tectoniquement actives menées avec la collaboration <strong>de</strong><br />
grands organismes <strong>de</strong> recherche publics <strong>et</strong> industriels (CEA, Total) <strong>et</strong> <strong>de</strong> PME locales<br />
(SOACSY, EOSYS). C<strong>et</strong> axe est sous la responsabilité <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Rangin. Un second<br />
axe est lié à la technologie sous-marine avec en particulier une participation aux<br />
efforts internationaux pour implanter <strong><strong>de</strong>s</strong> observatoires sous-marins sur les marges<br />
continentales. C<strong>et</strong> axe est sous la responsabilité <strong>de</strong> Pierre Henry.<br />
L’étu<strong>de</strong> géodynamique <strong>de</strong> zones tectoniquement actives en collaboration avec<br />
l’Industrie s’appuie sur un accord-cadre avec la compagnie Total, un contrat <strong>de</strong><br />
recherche avec le CEA, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> contrats ponctuels avec les PME locales. Avec Total<br />
les proj<strong>et</strong>s sont centrés sur la déformation <strong><strong>de</strong>s</strong> réservoirs dans le bassin du Bengale<br />
<strong>et</strong> le Golfe du Mexique en privilégiant les relations entre déformation crustale <strong>et</strong><br />
glissements superficiels dans leur cadre géodynamique global. Deux sur les trois<br />
thèses sous contrat engagées sur ce thème ont été défendues à la fin <strong>de</strong> l’année<br />
2007. Avec le CEA <strong>et</strong> en collaboration avec Total, nous étudions la part <strong>de</strong> la<br />
tectonique gravitaire dans la tectonique active <strong>de</strong> la Provence en testant un modèle<br />
<strong>de</strong> glissement en masse sur <strong><strong>de</strong>s</strong> couches sédimentaires ductiles. L’analyse <strong>de</strong> profils<br />
sismiques <strong>et</strong> leur vérité terrain est privilégiée. Mais grâce à l’IRSN, nous avons pu<br />
disposer <strong><strong>de</strong>s</strong> données du réseau sismique <strong>de</strong> la Moyenne Durance, ce qui nous<br />
perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> relocaliser la microsismicité <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te région prise en compte dans la<br />
détermination du risque sismique pour la centrale <strong>de</strong> Cadarache <strong>et</strong> le nouveau<br />
proj<strong>et</strong> ITER. Ce travail a été présenté lors du colloque organisé en juin 2007 à Aix<br />
en Provence. Il fera l’obj<strong>et</strong> d’un numéro spécial <strong>de</strong> la Société Géologique <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong> qui sera publié au début <strong>de</strong> l’année 2009.<br />
L’objectif principal <strong>de</strong> la participation <strong>de</strong> l’équipe aux proj<strong>et</strong>s d’observatoire<br />
sous-marin est la compréhension du couplage flui<strong>de</strong>-mécanique dans les zones <strong>de</strong><br />
faille <strong>et</strong> sous les pentes sous-marines instables. Les principaux chantiers sont l’étu<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> la zone sismogène sur la marge <strong>de</strong> subduction japonaise dans le cadre du<br />
programme <strong>de</strong> forage IODP, la surveillance <strong>de</strong> la faille Nord Anatolienne en Mer<br />
<strong>de</strong> Marmara <strong>et</strong> le vol<strong>et</strong> puits instrumentés <strong>de</strong> l’observatoire en Mer Ligure, conçu<br />
en collaboration avec Géosciences Azur <strong>et</strong> l’Ifremer. Une campagne effectuée avec<br />
le navire Atalante <strong>et</strong> le submersible Nautile d’Ifremer en mer <strong>de</strong> Marmara a eu lieu<br />
en mai <strong>et</strong> juin 2007 sous la direction <strong>de</strong> Pierre Henry pour étudier les sorties <strong>de</strong><br />
flui<strong>de</strong> le long <strong>de</strong> la Faille Nord Anatolienne <strong>et</strong> leur lien possible avec l’activité<br />
sismique. Les chantiers Marmara <strong>et</strong> Ligure entrent dans le cadre du réseau<br />
d’excellence Européen Eson<strong>et</strong>. Le début <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations <strong>de</strong> forage IODP avec le<br />
navire Japonais Chikyu a eu lieu fin 2007 sur Nankai (proj<strong>et</strong> Nantroseize). Ces<br />
trois proj<strong>et</strong>s sont <strong><strong>de</strong>s</strong> proj<strong>et</strong>s à long terme.<br />
Un effort considérable a continué à se porter sur la compréhension du contexte<br />
géodynamique du grand séisme <strong>de</strong> Sumatra du 26 décembre 2004 qui avait été
GÉODYNAMIQUE 145<br />
l’obj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong> principal <strong>de</strong> Xavier Le Pichon en 2006. Une participation <strong>de</strong><br />
Clau<strong>de</strong> Rangin à la campagne <strong>de</strong> l’IFREMER « Sumatra Aftershocks » avait permis<br />
<strong>de</strong> participer à une analyse fine <strong>de</strong> la déformation sur c<strong>et</strong>te marge <strong>de</strong> subduction<br />
très particulière. Par ailleurs, Jing Yi Lin <strong>et</strong> Tanguy Maury ont repris la localisation<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> microséismes enregistrés durant la campagne. Les résultats obtenus ont été<br />
publiés dans <strong>de</strong>ux articles <strong>et</strong> les résultats finaux ont été présentés dans <strong>de</strong>ux autres<br />
articles soumis à publication. Ils m<strong>et</strong>tent en évi<strong>de</strong>nce le rôle structurant <strong><strong>de</strong>s</strong> ri<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> zones <strong>de</strong> fracture océaniques qui sont subduites obliquement sous la marge.<br />
Il faut enfin noter la publication c<strong>et</strong>te année à la Société Géologique <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong> <strong>et</strong> à l’American Association of P<strong>et</strong>roleum Geologists d’un recueil <strong>de</strong><br />
<strong>travaux</strong> concernant la partie occi<strong>de</strong>ntale du Golfe du Mexique. Ce recueil m<strong>et</strong><br />
à la disposition <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs sous forme électronique <strong>et</strong> graphique les synthèses<br />
géodynamiques (données <strong>et</strong> interprétations) obtenues dans le cadre <strong>de</strong> notre<br />
collaboration avec TOTAL <strong>et</strong> PEMEX. Il est le fruit <strong>de</strong> la stratégie <strong>de</strong> recherche<br />
que nous avons adoptée dans notre programme <strong>de</strong> géodynamique <strong><strong>de</strong>s</strong> zones actives<br />
menées avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’industrie. Nous préparons maintenant un nouveau recueil<br />
sur nos programmes concernant la Marge du Golfe du Bengale.<br />
Activités diverses <strong>de</strong> Xavier Le Pichon<br />
Le 11 juill<strong>et</strong> 2007 : Réunion <strong>de</strong> travail chez TOTAL / La Défense — Réunion <strong>de</strong> travail<br />
sur proj<strong>et</strong>s Mexique <strong>et</strong> Sumatra.<br />
Du 19/09/07 au 20/09/07 : Conférence au Colloque OCT (Ocean-Continent<br />
Transition) à l’Institut Océanographique à Paris.<br />
Du 17/08/07 au 21/08/07 : Conférence au Colloque « Science and Truth » à Rimini<br />
(Italie).<br />
Du 17/10/07 au 19/10/07 : Conférence au Colloque du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> à Paris : « De<br />
l’autorité ».<br />
Du 16/11/07 au 19/11/07 : Me<strong>et</strong>ing DPDC — Proj<strong>et</strong> STOQ — Universités Pontificales<br />
Romaines à Rome (Italie).<br />
Du 03/12/07 au 05/12/07 : Conférence inaugurale au Symposium « Middle East Basins<br />
Evolution » à Paris.<br />
Le 23 janvier 2008 : Séminaire au Laboratoire Départemental <strong>de</strong> la Préhistoire du<br />
Lazar<strong>et</strong> à Nice.<br />
Du 21/02/08 au 28/02/08 : « Comité DPDC du Concile Pontifical pour la Culture »<br />
(Réunion <strong>et</strong> visite d’évaluation à Rome (Italie).<br />
Du 08/04/08 au 11/04/08 : Dis<strong>cours</strong> inaugural du Consortium Interuniversitaire<br />
« Scuola per l’Alta Formazione » du 8 au 11 avril à Catane (Italie).<br />
Du 15 au 16/04/08 : Conférence pour l’Office Chrétien <strong><strong>de</strong>s</strong> handicapés à Bruxelles<br />
(Belgique).<br />
Le 24 avril 2008 : Conférence pour la Société <strong>de</strong> Géographie à Marseille.<br />
Le 11 juin 2008 : Conférence sur la Tectonique <strong><strong>de</strong>s</strong> Plaques au Musée <strong>de</strong> la Géologie<br />
<strong>de</strong> Digne (Alpes <strong>de</strong> Haute Provence).
146 XAVIER LE PICHON<br />
Publications <strong>de</strong> l’équipe <strong>de</strong> Géodynamique <strong>de</strong>puis juin 2007<br />
Origin of the Southern Okinawa Trough volcanism from d<strong>et</strong>ailed seismic tomography.<br />
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Sibu<strong>et</strong>, J.C., Lee, C. S., and Hsu, S.-K.<br />
Numerical mo<strong>de</strong>l of fluid pressure solitary wave propagation along the <strong>de</strong>collement of an<br />
accr<strong>et</strong>ionary wedge : application to the Nankaï wedge, Geofluids, 6, 1-12, 2007.<br />
Bourlange, S., Henry, P.<br />
Sumatra Earthquake research indicates why rupture propagated northward, EOS, 86,<br />
497-502. SINGH, S., and the Sumatra Aftershocks Team, 2005, dont Rangin Clau<strong>de</strong>.<br />
26 th December 2004 Great Sumatra-Andaman Earthquake : co-seismic and post-seismic<br />
motions in northern Sumatra. Earth Plan<strong>et</strong>ary Science L<strong>et</strong>ters, in press. Sibu<strong>et</strong>, J.-C.,<br />
Rangin, C., Le Pichon, X., Singh, S., Catteneo, A., Graindorge, D., Klingelhoefer, F.,<br />
Lin, J.-Y., Malod, J., Maury, T., Schnei<strong>de</strong>r, J.-L., Sultan, N., Umber, M., Yamaguchi, H.,<br />
and the Sumatra Aftershocks Team, 2007. Earth Plan<strong>et</strong>. Sci. L<strong>et</strong>t., doi: 10.1016/j.<br />
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Le Pichon, Xavier. Active margins, in The establishment of the outer limits of the<br />
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Zitter T.A.C., Henry, P., Aloisi, G., Delaygue, G., Cagatay, M.N., Mercier <strong>de</strong> Lepinay, B.,<br />
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Le Roy C., Rangin C., Le Pichon X., Aranda-García M., Hai Nguyen Thi Ngoc,<br />
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Andréani L., Rangin C. and Martinez-Reyes J., Charlotte Le Roy C., Aranda-Garcia<br />
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GÉODYNAMIQUE 147<br />
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<strong>France</strong>, 179, n° 2, 195-208.<br />
Andréani L., Le Pichon X., Rangin C. and Martinez-Reyes J., The Southern Mexico<br />
Block : main boundaries and new estimation for its Quaternary motion, Bull. Soc. Geol.<br />
<strong>France</strong>, 179, n° 2, 209-223.<br />
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tecto.2007.11.031, in press, available online 28 November 2007.<br />
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Lin J.-Y., Sibu<strong>et</strong> J.-C., Hsu S.-K., Lee C. S. and Klingelhoefer F. (2008). Sismicité <strong>et</strong><br />
volcanisme dans le sud-ouest du bassin arrière-arc d’Okinawa (Nord-Est Taiwan). Bull<strong>et</strong>in<br />
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Le Pichon, X (2008). L’adoption d’une théorie scientifique, la Tectonique <strong><strong>de</strong>s</strong> Plaques,<br />
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Maurin, T., Pollitz, F. Masson, F., Rangin, C., Le Pichon, X., Chamot-Rooke, N.,<br />
Delescluse, M., Collard, P., U Min Swe, U Win Naing, U Than Min, U Khin Maung Kyi<br />
(2008). Northward rupture propagation of the 2004 Sumatra-Andaman Earthquake to<br />
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Maurin, T. and Rangin, C. (2008). Structure and kinematics of the Indo-Burmese<br />
Wedge : recent and fast growth of the outer wedge. Tectonics, accepted.<br />
Crespy, A., Revil, A., Lin<strong>de</strong>, N., Byrdina, S., Jardani, A., Bolève, A., and Henry, P.<br />
D<strong>et</strong>ection and localization of hydromechanical disturbances in a sandbox using the slfpotential<br />
m<strong>et</strong>hod, J. Geophys. Res., in press.
Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan<br />
M. Édouard Bard, professeur<br />
Histoire du climat : d’une Terre chau<strong>de</strong> à l’Eocène<br />
aux glaciations du Pléistocène<br />
Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année a été consacré à la suite <strong>de</strong> l’histoire du climat <strong>de</strong> la<br />
Terre abordé en 2006-2007. La pério<strong>de</strong> en question va <strong>de</strong> l’optimum du début <strong>de</strong><br />
l’ère Tertiaire aux glaciations du Quaternaire.<br />
Après avoir revu brièvement les causes <strong>de</strong> l’optimum éocène, nous avons abordé<br />
en détail la transition Eocène-Oligocène. Il s’agit d’une transition climatique<br />
majeure mise en évi<strong>de</strong>nce à l’échelle mondiale dans les sédiments marins <strong>et</strong><br />
continentaux à toutes les latitu<strong><strong>de</strong>s</strong>. Elle correspond aussi à une transition faunistique<br />
bien connue <strong>de</strong>puis le début du xx e siècle (« Gran<strong>de</strong> Coupure » <strong>de</strong> Stehlin). Lors<br />
du <strong>cours</strong>, une attention particulière a été portée sur l’événement Oi-1, il y a<br />
environ 33 millions d’années. La comparaison entre les données <strong><strong>de</strong>s</strong> isotopes <strong>de</strong><br />
l’oxygène <strong>et</strong> <strong>de</strong> paléotempératures océaniques suggèrent que c<strong>et</strong> événement<br />
correspond à une augmentation drastique du volume <strong><strong>de</strong>s</strong> glaces polaires. L’étu<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> la distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> débris rocheux transportés par les icebergs, en Atlantique<br />
Nord <strong>et</strong> dans les Océans Arctique <strong>et</strong> Austral, montre bien que les <strong>de</strong>ux pôles se<br />
sont englacés <strong>de</strong> façon synchrone. C<strong>et</strong>te glaciation a été accompagnée d’une<br />
perturbation massive <strong>de</strong> l’érosion chimique globale mise en évi<strong>de</strong>nce par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
indicateurs isotopiques (par ex. isotopes du strontium) <strong>et</strong> minéralogiques<br />
(distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> minéraux argileux). Le cycle du carbone a lui aussi subi une<br />
variation importante, matérialisée par une augmentation <strong>de</strong> la productivité<br />
planctonique <strong>de</strong> la zone australe, une élévation du rapport 13 C/ 12 C océanique <strong>et</strong><br />
un approfondissement, d’environ un kilomètre, <strong>de</strong> la profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> compensation<br />
<strong>de</strong> la calcite. Ces variations du cycle du carbone ont été accompagnées d’une chute<br />
<strong>de</strong> la teneur atmosphérique en gaz carbonique (plus <strong>de</strong> 500 ppm en moins <strong>de</strong><br />
10 millions d’années).
150 ÉDOUARD BARD<br />
Plusieurs types <strong>de</strong> causes ont été proposés pour expliquer la dégradation<br />
climatique <strong>de</strong> la transition Eocène-Oligocène. Des causes physiographiques<br />
(ouverture <strong><strong>de</strong>s</strong> passages <strong>de</strong> Drake <strong>et</strong> <strong>de</strong> Tasmanie) expliquant l’établissement du<br />
courant circumpolaire <strong>de</strong> l’Océan Austral qui aurait entrainé l’isolement climatique<br />
<strong>de</strong> l’Antarctique <strong>et</strong> son entrée en glaciation. Des causes d’origine astronomique,<br />
avec une configuration orbitale particulière caractérisée par une faible insolation<br />
estivale aux hautes latitu<strong><strong>de</strong>s</strong>. Et enfin, <strong><strong>de</strong>s</strong> causes liées à l’influence <strong>de</strong> la<br />
géodynamique sur le cycle du carbone : d’une part, une baisse limitée d’environ<br />
un quart du taux d’accrétion océanique <strong>et</strong> d’autre part (surtout) la conséquence <strong>de</strong><br />
la collision <strong>de</strong> la plaque Indienne avec le continent asiatique. En eff<strong>et</strong>, la surrection<br />
<strong>de</strong> l’Himalaya <strong>et</strong> du plateau Tibétain a eu un impact majeur sur la circulation<br />
atmosphérique, la mousson <strong>et</strong> sur l’altération physique <strong>et</strong> chimique <strong><strong>de</strong>s</strong> roches<br />
cristallines <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te région du globe. La modélisation numérique prenant en compte<br />
ces différents eff<strong>et</strong>s, indique que le forçage prépondérant est l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre du gaz<br />
carbonique. Les variations orbitales expliqueraient la nature abrupte du phénomène.<br />
L’ouverture <strong><strong>de</strong>s</strong> passages <strong>de</strong> Drake <strong>et</strong> <strong>de</strong> Tasmanie <strong>et</strong> l’établissement du courant<br />
circumpolaire antarctique, n’auraient qu’un rôle secondaire.<br />
L’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> isotopes <strong>de</strong> l’oxygène aux différentes latitu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> l’océan mondial,<br />
montre que le climat mondial se réchauffe fortement à la transition Oligocène-<br />
Miocène, il y a environ 25 millions d’années. L’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> sédiments océaniques <strong>et</strong><br />
continentaux confirme le caractère mondial du réchauffement miocène. C<strong>et</strong>te<br />
pério<strong>de</strong> correspond aussi à l’expansion <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes en C4, adaptées à <strong>de</strong> basses<br />
teneurs en CO 2, à <strong>de</strong> fortes températures <strong>et</strong> à <strong><strong>de</strong>s</strong> saisons sèches. La transition <strong>de</strong><br />
la flore est reconstituée à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> pollens, notamment ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> graminées, ainsi<br />
qu’à partir d’une hausse généralisée du rapport isotopique 13 C/ 12 C mesuré dans<br />
les <strong>de</strong>nts d’herbivores, les paléosols <strong>et</strong> la matière organique sédimentaire. Les faunes<br />
se sont adaptées à ces changements <strong>de</strong> la végétation <strong>et</strong> du climat, en particulier les<br />
mammifères avec les évolutions caractéristiques <strong><strong>de</strong>s</strong> équidés <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> proboscidiens<br />
traduisant les changements <strong>de</strong> régime alimentaire (folivore vs. graminivore) <strong>et</strong><br />
l’adaptation à la <strong>cours</strong>e dans un paysage <strong>de</strong> steppes <strong>et</strong> <strong>de</strong> savanes ouvertes.<br />
Le climat mondial se refroidit progressivement à partir du milieu du Miocène,<br />
mais ce n’est que vers trois millions d’années avant le présent que le climat se<br />
dégra<strong>de</strong> vraiment avec une nouvelle intensification glaciaire au Pliocène. Plusieurs<br />
causes ont été envisagées pour expliquer la dégradation mio-pliocène. Les<br />
reconstitutions <strong>de</strong> la teneur en gaz carbonique ne montrent pas d’accord entre les<br />
différents indicateurs. Néanmoins, l’enregistrement considéré comme le plus fiable<br />
ne montre pratiquement pas <strong>de</strong> variation <strong>de</strong> la pCO 2 entre 20 <strong>et</strong> 7 millions<br />
d’années avant le présent ce qui suggère que d’autres causes sont à l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
fluctuations climatiques observées.<br />
Les variations orbitales pourraient expliquer certains événements comme l’épiso<strong>de</strong><br />
glaciaire Mi-1 vers 23 millions d’années <strong>et</strong> l’intensification <strong><strong>de</strong>s</strong> glaciations à partir<br />
<strong>de</strong> trois millions d’années. Néanmoins, ces configurations orbitales favorables aux
ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 151<br />
glaciations sont cycliques <strong>et</strong> il est donc probable que d’autres causes sont responsables<br />
<strong>de</strong> la tendance à long terme sur plus <strong>de</strong> dix millions d’années.<br />
Même si les continents avaient à peu près leurs géométries <strong>et</strong> positions actuelles,<br />
plusieurs « p<strong>et</strong>its » changements <strong>de</strong> la physiographie ont probablement eu un<br />
impact sur la circulation océanique globale. La pério<strong>de</strong> considérée correspond<br />
effectivement à l’établissement <strong>de</strong> la circulation mo<strong>de</strong>rne avec l’ouverture du<br />
détroit <strong>de</strong> Fram, la ferm<strong>et</strong>ure <strong>de</strong> l’Isthme <strong>de</strong> Panama <strong>et</strong> un changement <strong>de</strong> la<br />
géométrie du Passage Indonésien. L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la répartition <strong><strong>de</strong>s</strong> faunes <strong>et</strong> la mise<br />
en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> migrations à gran<strong>de</strong> échelle (ex. <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux Amériques), ont permis<br />
<strong>de</strong> suivre ces changements sur les continents.<br />
L’impact <strong>de</strong> ces variations physiographiques sur la circulation océanique est<br />
indéniable comme le montre l’analyse géochimique comparée <strong><strong>de</strong>s</strong> sédiments<br />
carbonatés <strong>de</strong> l’Atlantique <strong>et</strong> du Pacifique, traduisant les contrastes <strong>de</strong> salinité <strong>de</strong><br />
surface <strong>et</strong> <strong>de</strong> ventilation profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux océans. D’autres séries géochimiques<br />
ont permis <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en évi<strong>de</strong>nce l’établissement <strong>de</strong> la stratification en salinité du<br />
Pacifique Nord (halocline) vers trois millions d’années avant le présent.<br />
Ces multiples modifications <strong>de</strong> l’océan ont eu <strong>de</strong> nombreuses répercussions sur<br />
le climat mondial, conduisant globalement à l’installation <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> calottes <strong>de</strong><br />
glace dans l’hémisphère nord. Afin <strong>de</strong> quantifier l’impact <strong><strong>de</strong>s</strong> variations <strong><strong>de</strong>s</strong> flux<br />
<strong>de</strong> chaleur océanique sur l’évaporation <strong>et</strong> les précipitations, il est nécessaire <strong>de</strong><br />
considérer les résultats <strong>de</strong> la modélisation numérique. Les simulations récentes<br />
confirment l’impact <strong>de</strong> la ferm<strong>et</strong>ure <strong>de</strong> l’Isthme <strong>de</strong> Panama sur la température <strong>et</strong><br />
les précipitations <strong>de</strong> l’hémisphère nord. La prise en compte <strong>de</strong> la stratification du<br />
Pacifique Nord semble indispensable pour expliquer l’installation <strong>de</strong> la calotte<br />
nord-américaine. Au niveau <strong>de</strong> la zone intertropicale, la migration vers le Nord<br />
<strong>de</strong> la Nouvelle-Guinée serait à l’origine du refroidissement <strong>de</strong> l’Océan Indien<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’assèchement <strong>de</strong> l’Afrique <strong>de</strong> l’Est entre quatre <strong>et</strong> trois millions d’années<br />
avant le présent.<br />
Au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre <strong>de</strong>rniers millions d’années, on assiste à une évolution<br />
caractéristique <strong><strong>de</strong>s</strong> cycles glaciaires : d’une part une lente intensification <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
glaciations (les calottes sont <strong>de</strong> plus en plus volumineuses) <strong>et</strong>, d’autre part, une<br />
évolution <strong>de</strong> la fréquence <strong><strong>de</strong>s</strong> épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> glaciaires : avec une cyclicité <strong>de</strong> 41 000 ans<br />
avant 1,4 million d’années <strong>et</strong> d’environ 100 000 ans après 700 000 ans avant le<br />
présent. Le cycle <strong>de</strong> 41 000 ans est clairement lié au cycle <strong>de</strong> l’obliquité <strong>de</strong> l’axe<br />
<strong>de</strong> rotation <strong>de</strong> la Terre. Par contre, la cyclicité d’environ 100 000 ans fait encore<br />
l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> nombreuses recherches car le cycle <strong>de</strong> l’excentricité orbitale, d’environ<br />
100 000 ans, ne peut en rendre compte, son influence sur l’insolation étant<br />
extrêmement faible. Par ailleurs, la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> fréquence <strong>de</strong> 100 000 ans est<br />
relativement diffuse <strong>et</strong> pourrait être liée à <strong><strong>de</strong>s</strong> multiples <strong>de</strong> l’obliquité (82 000 <strong>et</strong><br />
123 000 ans). L’évolution du volume <strong><strong>de</strong>s</strong> glaces continentales, étudiée finement à<br />
partir du rapport 18 O/ 16 O <strong>de</strong> l’océan profond, montre que l’influence du cycle <strong>de</strong><br />
précession d’environ 19-23 000 ans est pratiquement absent avant 900 000 ans <strong>et</strong>
152 ÉDOUARD BARD<br />
qu’il apparaît dans les enregistrements avec le cycle <strong>de</strong> 100 000 ans. Ce<br />
bouleversement <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques, en amplitu<strong>de</strong> <strong>et</strong> fréquence du phénomène<br />
glaciaire, est appelé la « transition mi-Pléistocène » (MPT en Anglais).<br />
Pour comprendre les causes <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te évolution, j’ai fait quelques rappels sur la<br />
dynamique <strong><strong>de</strong>s</strong> calottes <strong>de</strong> glace, notamment les différents facteurs qui régissent<br />
l’accumulation hivernale <strong>et</strong> l’ablation estivale. Le bilan <strong>de</strong> masse dépend évi<strong>de</strong>mment<br />
<strong>de</strong> la température <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> précipitations sous forme <strong>de</strong> neige. Il est aussi crucial <strong>de</strong><br />
tenir compte d’autres facteurs qui agissent sur le bilan <strong>de</strong> glace, comme l’élévation<br />
<strong>de</strong> l’inlandsis qui contribue à sa préservation, la subsi<strong>de</strong>nce isostatique qui entraîne<br />
une rétroaction positive sur la croissance <strong>et</strong> la fonte <strong>de</strong> la calotte, la formation<br />
d’une plate-forme ou barrière <strong>de</strong> glace (ice shelf en Anglais) lorsque la calotte<br />
débor<strong>de</strong> sur l’océan, la présence en base <strong>de</strong> calotte <strong>de</strong> sédiments gorgés d’eau qui<br />
favorisent l’écoulement (couche lubrifiante), ce phénomène pouvant être amplifé<br />
par l’eau <strong><strong>de</strong>s</strong> lacs supraglaciaires, formée pendant la fonte estivale, qui peut pénétrer<br />
dans les crevasses jusqu’en base <strong>de</strong> calotte.<br />
Plusieurs mécanismes ont été envisagés pour expliquer les caractéristiques <strong>de</strong> la<br />
transition mi-Pléistocène. L’absence <strong><strong>de</strong>s</strong> cycles <strong>de</strong> précession dans l’enregistrement<br />
du volume <strong><strong>de</strong>s</strong> glaces continentales pourrait être expliqué par une compensation<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> variations <strong><strong>de</strong>s</strong> inlandsis <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux hémisphères subissant <strong><strong>de</strong>s</strong> changements<br />
d’insolation en antiphase. Le faible volume <strong><strong>de</strong>s</strong> calottes antérieures à la transition<br />
serait une condition <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te compensation. D’autres chercheurs pensent que<br />
l’énergie solaire totale reçue en été contrôle la vitesse <strong>de</strong> variation en masse <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
calottes. C<strong>et</strong>te énergie totale estivale dépend essentiellement <strong>de</strong> l’obliquité ce qui<br />
expliquerait la dominance <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te fréquence avant la transition mi-Pléistocène.<br />
Néanmoins, les paramètres orbitaux ne perm<strong>et</strong>tent pas d’expliquer à eux seuls la<br />
transition graduelle en amplitu<strong>de</strong> <strong>et</strong> fréquence. Plusieurs hypothèses ont donc été<br />
proposées pour en rendre compte. Certains chercheurs ont envisagé qu’une baisse<br />
à long terme <strong>de</strong> la teneur atmosphérique en gaz carbonique aurait favorisé les<br />
glaciations. Cependant, les données disponibles sur la pCO 2 ne suggèrent pas<br />
d’évolution significative dans ce sens (l’enregistrement sur 800 000 ans à partir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
bulles d’air <strong><strong>de</strong>s</strong> glaces <strong>de</strong> l’Antarctique montrant même une augmentation <strong>de</strong> la<br />
pCO 2 <strong><strong>de</strong>s</strong> pério<strong><strong>de</strong>s</strong> glaciaires).<br />
Une autre explication possible est l’érosion mécanique du régolithe. C<strong>et</strong>te<br />
hypothèse est fondée sur <strong><strong>de</strong>s</strong> observations géologiques suggérant que les calottes<br />
précédant la transition auraient été très étendues en surface alors même que leurs<br />
masses étaient plus faibles (en particulier la calotte nord-américaine). Avant la<br />
transition mi-Pléistocène, la présence du régolithe, couche d’altérite formée aux<br />
pério<strong><strong>de</strong>s</strong> chau<strong><strong>de</strong>s</strong> du Tertiaire, aurait conduit à l’étalement <strong><strong>de</strong>s</strong> calottes. L’érosion<br />
<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te couche lubrifiante aurait ensuite permis aux calottes <strong>de</strong> croître beaucoup<br />
plus en altitu<strong>de</strong> <strong>et</strong> donc en volume global.
ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 153<br />
Des inlandsis beaucoup plus gros auraient conduit à une synchronisation<br />
interhémisphérique, notamment en raison <strong>de</strong> l’influence <strong>de</strong> l’océan sur les plateformes<br />
<strong>de</strong> glace périphériques ainsi que d’autres connexions possibles liées à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
rétroactions du cycle du carbone comme en témoignent l’émergence du cycle à<br />
100 000 <strong>de</strong> la pCO 2 atmosphérique <strong>et</strong> les variations du rapport isotopique 13 C/ 12 C<br />
benthique <strong>de</strong> l’Atlantique <strong>et</strong> du Pacifique (<strong>et</strong> du gradient entre ces <strong>de</strong>ux océans).<br />
Ces gran<strong><strong>de</strong>s</strong> fluctuations du cycle du carbone à partir <strong>de</strong> la transition mi-Pléistocène<br />
signalent la séquestration du CO 2 dans l’océan profond <strong>et</strong> illustrent l’importance<br />
probable <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre pour expliquer la sévérité <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions glaciaires<br />
postérieures à la transition.<br />
De multiples indicateurs mesurés dans plusieurs types d’archives géologiques<br />
perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> reconstituer le climat <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> glaciations du <strong>de</strong>rnier million<br />
d’années. En particulier, la comparaison entre les enregistrements <strong><strong>de</strong>s</strong> sédiments<br />
marins <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> glaces polaires montre que les grands cycles glaciaires d’environ<br />
100 000 ans sont caractérisés par <strong><strong>de</strong>s</strong> variations <strong>de</strong> température, <strong>de</strong> niveau marin<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> pCO 2 globalement en phase. La datation uranium-thorium <strong><strong>de</strong>s</strong> coraux<br />
fossiles indique que le niveau marin s’est abaissé <strong>de</strong> plus d’une centaine <strong>de</strong> mètres<br />
pendant les glaciations <strong>et</strong> a dépassé le niveau actuel pendant quelques pério<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
rares <strong>et</strong> brèves, notamment le Dernier Interglaciaire centré vers 125 000 ans avant<br />
le présent (environ + 7 m). La moitié <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te hausse serait liée à la réduction <strong>de</strong><br />
moitié <strong>de</strong> la calotte Groenlandaise.<br />
Les données paléothermométriques indiquent un refroidissement généralisé<br />
d’environ 4 °C pendant les phases glaciaires, avec une amplification marquée sur<br />
les continents <strong>et</strong> les latitu<strong><strong>de</strong>s</strong> les plus hautes. La comparaison <strong>de</strong> séries <strong>de</strong> température<br />
aux différentes latitu<strong><strong>de</strong>s</strong> indique une amplification d’environ un facteur <strong>de</strong>ux à<br />
trois, traduisant l’existence <strong>de</strong> rétroactions positives spécifiques aux zones polaires.<br />
Par exemple, la cartographie <strong><strong>de</strong>s</strong> banquises <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux hémisphères suggère que leur<br />
influence était beaucoup plus marquée pendant les phases froi<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />
Le bilan <strong><strong>de</strong>s</strong> forçages radiatifs <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière glaciation suggère que la baisse <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
teneurs en gaz à eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre, notamment le CO 2 (baisse <strong>de</strong> 100 ppm), est<br />
responsable pour environ un tiers <strong>de</strong> la perturbation climatique. Ce forçage serait<br />
dominant sous les tropiques ce qui expliquerait leur refroidissement d’environ<br />
2 °C. Au premier ordre, les observations <strong>de</strong> l’amplification polaire <strong>et</strong> du<br />
refroidissement tropical sont compatibles avec la sensibilité climatique estimée par<br />
les modèles numériques.<br />
La <strong>de</strong>rnière transition glaciaire-interglaciaire a été étudiée avec une bonne<br />
résolution temporelle ce qui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> quantifier les déphasages entre les multiples<br />
paramètres du climat. Le réchauffement post-glaciaire est rapi<strong>de</strong> à l’échelle<br />
géologique, mais relativement lent en moyenne mondiale : quelques <strong>de</strong>grés sur dix<br />
mille ans. L’augmentation postglaciaire du CO 2 atmosphérique n’est pas la cause<br />
du réchauffement initial, mais il n’est pas non plus une simple réponse au<br />
réchauffement océanique. Ainsi, l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> la solubilité (4 %/°C ≈ 10 ppm/°C) n’est
154 ÉDOUARD BARD<br />
responsable que d’environ 20 ppm. L’augmentation <strong>de</strong> CO 2 observée, environ<br />
100 ppm, est liée à <strong>de</strong> nombreuses rétroactions du cycle du carbone impliquant<br />
notamment l’océan profond comme le montrent les enregistrements du 13 C/ 12 C<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> foraminifères benthiques.<br />
La chronologie <strong>et</strong> la structure du réchauffement postglaciaire sont variables<br />
d’une région à une autre. Dans certaines zones, les enregistrements indiquent<br />
même <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> amplitu<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong><strong>de</strong>s</strong> accélérations brusques (par ex. 10 °C en quelques<br />
décennies au Groenland) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> refroidissements transitoires : l’événement du<br />
Dryas Récent dans l’Hémisphère Nord <strong>et</strong> le Renversement Froid Antarctique dans<br />
la zone Australe (Antarctic Cold Reversal en Anglais). Le réchauffement semble<br />
avoir été initié par l’augmentation <strong>de</strong> l’insolation estivale liée aux variations <strong>de</strong><br />
l’orbite terrestre. L’augmentation <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre (CO 2, CH 4, N 2O) a suivi les<br />
premiers signes locaux d’élévation <strong>de</strong> température, mais précè<strong>de</strong> l’essentiel du<br />
réchauffement. Il s’agit d’une rétroaction positive expliquant environ le tiers <strong>de</strong><br />
l’amplitu<strong>de</strong> thermique.<br />
La fonte <strong><strong>de</strong>s</strong> calottes <strong>de</strong> glace peut être étudiée en cartographiant <strong>et</strong> en datant<br />
les moraines terminales sur les continents. Néanmoins, l’enregistrement le plus<br />
fiable est celui du niveau marin obtenu par la datation uranium-thorium <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
coraux fossiles prélevés en forant les récifs coralliens, notamment ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> îles <strong>de</strong><br />
La Barba<strong>de</strong> dans les Caraïbes <strong>et</strong> <strong>de</strong> Tahiti en Polynésie. Globalement, le niveau<br />
marin suit le réchauffement postglaciaire avec un r<strong>et</strong>ard <strong>de</strong> plusieurs millénaires.<br />
La remontée moyenne est relativement lente, 130 m en 15 000 ans, mais elle<br />
ponctuée d’accélération(s) causée(s) par la débâcle <strong><strong>de</strong>s</strong> calottes : plusieurs mètres<br />
par siècle pour l’événement « Melt Water Pulse 1A » qui a eu lieu, il y a environ<br />
14 500 ans. La comparaison <strong>et</strong> la modélisation géophysique <strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux marins<br />
observés en Atlantique <strong>et</strong> dans le Pacifique perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> localiser les sources <strong>de</strong><br />
glace <strong>et</strong> la chronologie <strong>de</strong> la fonte <strong><strong>de</strong>s</strong> différents inlandsis <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière pério<strong>de</strong><br />
glaciaire.<br />
Pour compléter le <strong>cours</strong> sur l’histoire du climat, un colloque <strong>de</strong> séminaires a été<br />
consacré au rôle du Soleil comparé à ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> autres forçages climatiques.<br />
Le flux d’énergie reçue du Soleil, la « constante solaire » (l’éclairement ou<br />
l’irradiance), varie en fait à <strong>de</strong> nombreuses échelles <strong>de</strong> temps. Depuis la formation<br />
du Soleil, il y a environ 4,6 milliards d’années, son activité a augmenté d’environ<br />
30 %. Dans sa jeunesse, la surface <strong>de</strong> la Terre recevait donc moins d’énergie, ce<br />
qui a probablement contribué à expliquer certaines pério<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> glaciation extrême.<br />
Plus proches <strong>de</strong> nous, au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>rniers siècles, différentes observations ont<br />
permis <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en évi<strong>de</strong>nce la variabilité <strong>de</strong> l’activité du soleil. Les aurores<br />
boréales, ainsi que les taches solaires observées <strong>de</strong>puis l’invention <strong>de</strong> la lun<strong>et</strong>te<br />
astronomique, ont permis ainsi <strong>de</strong> démontrer l’existence d’une cyclicité très<br />
prononcée <strong>de</strong> 11 ans, ainsi que <strong><strong>de</strong>s</strong> variations cycliques ou irrégulières sur plusieurs<br />
dizaines <strong>et</strong> centaines d’années.
ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 155<br />
Ces variations <strong>de</strong> l’activité solaire ont pu être rapprochées <strong><strong>de</strong>s</strong> hauts <strong>et</strong> bas<br />
climatiques en Europe, reconstitués par les historiens, <strong>et</strong> confirmés par les<br />
paléoclimatologues. Ainsi, le « P<strong>et</strong>it Age Glaciaire » du xiv e au xviii e siècle<br />
correspond globalement à une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> faible activité du Soleil (Minima <strong>de</strong><br />
Maun<strong>de</strong>r, Spörer <strong>et</strong> Wolf), tandis que le réchauffement global du climat qui a suivi<br />
est contemporain d’une augmentation <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te activité.<br />
Pourtant, il a fallu attendre les mesures suffisamment précises <strong><strong>de</strong>s</strong> satellites, <strong>de</strong>puis<br />
seulement une trentaine d’années, pour pouvoir quantifier ce flux d’énergie solaire <strong>et</strong><br />
en démontrer les variations. L’éclairement total varie ainsi d’environ 0,1 % au <strong>cours</strong><br />
d’un cycle <strong>de</strong> 11 ans. Ces trente années d’observations ne perm<strong>et</strong>tent pas <strong>de</strong> prouver<br />
l’existence d’une tendance pluridécennale <strong>de</strong> l’éclairement, tendance qui au plus<br />
serait très limitée. C’est pour c<strong>et</strong>te raison que le Groupe d’experts Intergouvernemental<br />
sur l’Evolution du Climat (GIEC) n’attribue à l’augmentation du flux d’énergie<br />
solaire qu’une contribution très limitée au réchauffement global du <strong>de</strong>rnier siècle.<br />
D’autres mesures indirectes <strong>de</strong> l’activité du soleil perm<strong>et</strong>tent <strong><strong>de</strong>s</strong> reconstitutions<br />
avant l’ère <strong><strong>de</strong>s</strong> satellites. Des mesures du flux <strong>de</strong> particules cosmiques mais aussi <strong>de</strong> la<br />
perturbation du champ magnétique à la surface <strong>de</strong> la Terre, tous <strong>de</strong>ux contrôlés par<br />
le champ magnétique solaire, perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> remonter sur plus d’un siècle.<br />
Au-<strong>de</strong>là, les isotopes cosmogéniques, formés par l’interaction du rayonnement<br />
cosmique sur l’atmosphère, notamment le carbone-14 <strong>et</strong> le béryllium-10, sont <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
outils très précieux car ils perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> remonter sur plusieurs milliers d’années<br />
dans le passé. Comme l’origine commune aux enregistrements <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux isotopes<br />
est l’activité du Soleil, leur très bonne correspondance est une preuve <strong>de</strong> leur<br />
fiabilité comme traceurs <strong>de</strong> l’activité du Soleil. Malheureusement, tous ces<br />
enregistrements sont trop indirects pour perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> quantifier par eux-mêmes<br />
les variations du flux d’énergie solaire. Pour c<strong>et</strong>te raison, les nombreuses étu<strong><strong>de</strong>s</strong> qui<br />
ont tenté d’expliquer les variations climatiques <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>rniers siècles aux <strong>de</strong>rniers<br />
millénaires à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’activité du soleil ne reposent que sur <strong><strong>de</strong>s</strong> corrélations<br />
empiriques. Les mécanismes physiques qui pourraient expliquer l’impact climatique<br />
<strong>de</strong> l’activité solaire restent à découvrir. L’enjeu <strong>de</strong> c<strong>et</strong> impact sur la prévision <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
changements climatiques futurs est tel qu’il est très important <strong>de</strong> progresser par<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> approches pluridisciplinaires associant les astrophysiciens aux climatologues.<br />
Tel était le but <strong>de</strong> ce colloque, qui se proposait ainsi <strong>de</strong> faire le point à la fois sur<br />
le fonctionnement du Soleil <strong>et</strong> sur celui du système climatique, notamment <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
différentes composantes sensibles à l’activité du soleil.<br />
Sylvaine Turck-Chièze, du Laboratoire Plasmas Stellaires <strong>et</strong> Astrophysique<br />
Nucléaire du CEA, à Saclay, a ainsi exposé l’apport <strong>de</strong> la modélisation à la<br />
connaissance du fonctionnement <strong>de</strong> notre étoile. Des modèles <strong>de</strong> complexités<br />
différentes perm<strong>et</strong>tent ainsi <strong>de</strong> tester différentes hypothèses <strong>de</strong> fonctionnement,<br />
mais aussi d’en prévoir l’évolution. Elle a aussi dressé un bilan <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances<br />
actuelles <strong>et</strong> rappelé que les observations du satellite SoHO, lancé en 1995, ont<br />
conduit à une vision nouvelle du Soleil. Une partie <strong>de</strong> la dynamique interne du
156 ÉDOUARD BARD<br />
Soleil a été élucidée, cependant <strong><strong>de</strong>s</strong> questions persistent encore sur le cœur solaire<br />
<strong>et</strong> sur l’interaction entre le champ magnétique <strong>de</strong> la région radiative <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> la<br />
région convective.<br />
Gérard Thuillier, du Service d’Aéronomie du CNRS, à Verrières-le-Buisson, a<br />
ensuite exposé les principaux forçages climatiques <strong>et</strong> les mécanismes possibles <strong>de</strong><br />
l’impact climatique du soleil. Il n’existe pas d’accord général pour les reconstitutions<br />
<strong>de</strong> l’éclairement solaire total pour le passé, mais <strong>de</strong> nouveaux proj<strong>et</strong>s sont en <strong>cours</strong><br />
afin <strong>de</strong> fournir <strong>de</strong> nouvelles données. Ainsi, Gérard Thuillier nous a présenté<br />
l’expérience PICARD dont l’objectif est <strong>de</strong> mesurer l’irradiance solaire totale ainsi<br />
que le diamètre du soleil, ces <strong>de</strong>ux paramètres étant peut-être liés. C<strong>et</strong>te expérience<br />
embarquée <strong>de</strong>vrait être mise en orbite l’année prochaine dans les conditions idéales<br />
<strong>de</strong> développement du prochain cycle solaire, le cycle 24.<br />
Thierry Dudok <strong>de</strong> Wit, du Laboratoire <strong>de</strong> Physique <strong>et</strong> Chimie <strong>de</strong> l’Environnement<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Université d’Orléans, a montré quels sont les impacts <strong>de</strong> l’activité du Soleil<br />
sur l’environnement <strong>de</strong> la planète Terre, en termes <strong>de</strong> bombar<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> particules<br />
<strong>et</strong> d’émissions d’on<strong><strong>de</strong>s</strong> électromagnétiques notamment. Il a également insisté sur<br />
la composante ultraviol<strong>et</strong>te (UV) <strong>de</strong> ces émissions, qui présente une variabilité bien<br />
supérieure à celle <strong>de</strong> l’irradiance totale, <strong>et</strong> dont l’impact sur la stratosphère (via la<br />
formation <strong>de</strong> l’ozone) pourrait représenter un mécanisme important.<br />
Olivier Boucher, <strong>de</strong> l’Office Météorologique Britannique (M<strong>et</strong>eorological Office,<br />
Hadley Centre), a expliqué comment les modèles actuels du climat prennent en<br />
compte les interactions internes au système climatique basées sur les cycles<br />
biogéochimiques, notamment le cycle du carbone. Ces modèles sont utilisés pour<br />
réaliser <strong><strong>de</strong>s</strong> projections <strong><strong>de</strong>s</strong> changements climatiques sur le prochain siècle,<br />
notamment dans le cadre du GIEC. Ces modèles prévoient ainsi que ces interactions<br />
amplifient un réchauffement dû aux gaz à eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre, plutôt que <strong>de</strong> le limiter.<br />
Claudia Stubenrauch, du Laboratoire <strong>de</strong> Météorologie Dynamique du CNRS <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> l’Ecole Polytechnique, a exposé les principales propriétés radiatives <strong><strong>de</strong>s</strong> nuages<br />
<strong>et</strong> les différents moyens <strong>de</strong> mesure <strong>de</strong> ces propriétés à l’échelle globale. Les nuages<br />
jouent <strong><strong>de</strong>s</strong> rôles importants mais complexes dans le système climatique. En outre,<br />
il a été proposé que leur formation pourrait être influencée par l’activité du Soleil,<br />
il est donc capital d’avoir <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures aussi complètes que possible <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />
composante. Claudia Stubenrauch a ainsi montré que les différents types <strong>de</strong><br />
mesures par satellites sont complémentaires <strong>et</strong> doivent être associées afin d’avoir<br />
une information complète sur les différents nuages <strong>et</strong> leurs propriétés.<br />
Enfin, Sandrine Bony-Léna, du même Laboratoire <strong>de</strong> Météorologie Dynamique,<br />
a montré comment les modèles climatiques perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> mieux comprendre la<br />
réponse du climat à une perturbation externe (sensibilité du climat à un forçage).<br />
En particulier, les modèles perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> décomposer c<strong>et</strong>te réponse entre les<br />
différentes interactions propres au système climatique. Un <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats importants<br />
est <strong>de</strong> limiter la contribution <strong><strong>de</strong>s</strong> nuages à environ un quart <strong>de</strong> la réponse globale
ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 157<br />
du climat. Ainsi, même si l’activité solaire jouait un rôle via ces nuages, c<strong>et</strong>te<br />
composante du climat ne pourrait amplifier les variations <strong>de</strong> l’activité solaire <strong>de</strong><br />
manière plus importante.<br />
C<strong>et</strong>te journée consacrée aux variations climatiques <strong>et</strong> au rôle du Soleil <strong>et</strong> autres<br />
forçages externes fut l’occasion <strong>de</strong> réunir <strong><strong>de</strong>s</strong> scientifiques appartenant à différentes<br />
communautés, mais dont les objectifs <strong>de</strong> recherche se rejoignent. Ce colloque a<br />
permis <strong>de</strong> faire le point sur l’état <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances actuelles <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> nombreuses<br />
questions qui subsistent encore.<br />
Les séminaires <strong>de</strong> l’année 2007-2008<br />
En complémentarité avec les douze <strong>cours</strong> (à Paris, Chicago, Kiel, Utrecht-Texel, Bruxelles<br />
<strong>et</strong> Cambridge), neuf séminaires ont été organisés dont la liste est donnée ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous par<br />
ordre chronologique.<br />
Dans le cadre du colloque intitulé « Climats du passé <strong>et</strong> du futur » organisé le 13 février<br />
2008 au Palais <strong><strong>de</strong>s</strong> Académies <strong>de</strong> Belgique (Bruxelles) en collaboration avec l’Université<br />
Libre <strong>de</strong> Bruxelles :<br />
— André Berger (Université Catholique <strong>de</strong> Louvain, Belgique) « Notre exceptionnellement<br />
long interglaciaire ».<br />
— Roland Souchez (Université Libre <strong>de</strong> Bruxelles, Belgique) « Isotopes <strong><strong>de</strong>s</strong> gaz dans la<br />
glace <strong>et</strong> changements climatiques ».<br />
Dans le cadre du colloque intitulé : « Variations climatiques : rôle du Soleil <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> autres<br />
forçages externes » organisé le 30 mai 2008 à Paris (Amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong><br />
Navarre) :<br />
— Edouard Bard (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>) « Perspectives historiques <strong>et</strong> paléoclimatiques ».<br />
— Sylvaine Turck-Chièze (Laboratoire Plasmas Stellaires <strong>et</strong> Astrophysique Nucléaire du<br />
CEA, Saclay) « Fonctionnement du Soleil <strong>et</strong> origines <strong>de</strong> sa variabilité ».<br />
— Gérard Thuillier (Service d’Aéronomie du CNRS, Verrières-le-Buisson) « Les forçages<br />
externes du système climatique <strong>et</strong> l’expérience PICARD ».<br />
— Thierry Dudok <strong>de</strong> Wit (Laboratoire <strong>de</strong> Physique <strong>et</strong> Chimie <strong>de</strong> l’Environnement,<br />
CNRS <strong>et</strong> Université d’Orléans) « Relations Soleil-Terre <strong>et</strong> le rôle <strong>de</strong> la composante UV ».<br />
— Olivier Boucher (M<strong>et</strong>eorological Office, Hadley Centre, Angl<strong>et</strong>erre) « Cycles biogéochimiques<br />
<strong>et</strong> rétroactions climatiques ».<br />
— Claudia Stubenrauch (Laboratoire <strong>de</strong> Météorologie Dynamique, CNRS, Ecole<br />
Normale Supérieure, Ecole Polytechnique) « Propriétés <strong><strong>de</strong>s</strong> nuages <strong>et</strong> leur variabilité à partir<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> observations spatiales ».<br />
— Sandrine Bony-Léna (Laboratoire <strong>de</strong> Météorologie Dynamique, CNRS, Ecole<br />
Normale Supérieure, Ecole Polytechnique) « Modélisation <strong>de</strong> la réponse du climat à un<br />
forçage externe ».<br />
Autres <strong>cours</strong> <strong>et</strong> conférences <strong>de</strong> l’année 2007-2008<br />
Aix-en-Provence, 3 décembre 2007. Europôle <strong>de</strong> l’Arbois : « Variations climatiques<br />
naturelles <strong>et</strong> anthropiques ».<br />
Aix-en-Provence, 22 janvier 2008. Institut d’Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> Politiques : « Notre société face au<br />
climat ».<br />
Lamont-Doherty Earth Observatory <strong>de</strong> l’Université Columbia New York, 22 mai 2008 :<br />
« Paleomonsoon records viewed from the ocean ».
158 ÉDOUARD BARD<br />
Paris, 26 juin 2008. Sénat OPECST (Office parlementaire d’évaluation <strong><strong>de</strong>s</strong> choix<br />
scientifiques <strong>et</strong> technologiques) : « L’enjeu <strong>de</strong> la multidisciplinarité pour comprendre le<br />
changement climatique ».<br />
Activités <strong>de</strong> recherches<br />
C<strong>et</strong>te année, l’équipe <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> l’Évolution du Climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Océan a<br />
poursuivi son étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la variabilité solaire à long terme <strong>et</strong> <strong>de</strong> son impact sur le<br />
climat mondial.<br />
Nos recherches à ce suj<strong>et</strong> sont fondées sur la comparaison d’enregistrements<br />
totalement indépendants : le 14 C mesuré dans les cernes d’arbres <strong>et</strong> le béryllium 10<br />
analysé dans les glaces <strong>de</strong> l’Antarctique ( 14 C <strong>et</strong> 10 Be sont <strong>de</strong>ux cosmonucléi<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
formés dans la haute atmosphère). Ces séries ont permis, d’une part, <strong>de</strong> r<strong>et</strong>rouver<br />
les pério<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> faible activité solaire déjà connues <strong><strong>de</strong>s</strong> astronomes grâce aux<br />
comptages <strong><strong>de</strong>s</strong> taches solaires <strong>et</strong> aux observations directes d’aurores boréales, <strong>et</strong><br />
d’autre part, <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en évi<strong>de</strong>nce <strong><strong>de</strong>s</strong> minima solaires encore plus anciens. Notre<br />
reconstitution <strong>de</strong> l’irradiance solaire sur 1 000 ans a été choisie par les modélisateurs<br />
du climat comme courbe <strong>de</strong> forçage « étalon » (cf. p. 479 du rapport IPCC-GIEC<br />
2007). C<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong> est en <strong>cours</strong> d’extension pour les sept <strong>de</strong>rniers millénaires<br />
(comparaison <strong>de</strong> la courbe 14 C INTCAL04 avec les données 10 Be <strong>de</strong> la carotte <strong>de</strong><br />
glace <strong>de</strong> Vostok en Antarctique Central ; collaboration avec le CSNSM <strong>et</strong> le<br />
LSCE).<br />
Les mesures <strong>de</strong> 10 Be peuvent maintenant être faites au CEREGE à l’ai<strong>de</strong> du<br />
nouvel accélérateur <strong>de</strong> 5MV ASTER installé sur le campus <strong>de</strong> l’Arbois à Aix-en-<br />
Provence. La chimie préparative du béryllium (extraction <strong>et</strong> purification) est<br />
réalisée dans le laboratoire <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> l’évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan<br />
(bâtiment Trocadéro <strong>de</strong> l’Arbois). L’équipe est impliquée dans le programme <strong>de</strong><br />
mesure du 10 Be sur une nouvelle carotte <strong>de</strong> glace. Le forage <strong>de</strong> Dôme Talos, site<br />
proche <strong>de</strong> la mer <strong>de</strong> Ross, a atteint 1 619,20 m <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur. La glace formant<br />
le fond du forage est très ancienne, <strong>et</strong> d’après une première datation, la carotte<br />
couvre les <strong>de</strong>rniers 65 000 ans à une profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> 1 300 m. Le forage a été<br />
échantillonné pour les mesures du 10 Be <strong>et</strong> les échantillons <strong>de</strong> glace sont stockés<br />
dans un entrepôt frigorifique à proximité du CEREGE. Ce forage au Dôme Talos<br />
a été réalisé dans le cadre du proj<strong>et</strong> TALDICE mené principalement par une<br />
collaboration franco-italienne. Le proj<strong>et</strong> reçoit un soutien national <strong>de</strong> l’INSU<br />
(programme LEFE Talos Dome) <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’IPEV pour la logistique polaire.<br />
Publications<br />
2008<br />
Eris K.K., Ryan W.B.F., Cagatay M.N., Lericolais G., Sancar U., Menot G.,<br />
Bard E. Reply to Comment on « the timing and evolution of the post-glacial transgression<br />
across the Sea of Marmara shelf, south of Istanbul » by Hiscott <strong>et</strong> al., Marine Geology 254,<br />
230-236 (2008).
ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 159<br />
Tachikawa K., Sépulcre S., Toyofuku T., Bard E. Assessing influence of diagen<strong>et</strong>ic<br />
carbonate dissolution on planktonic foraminiferal Mg/Ca in the South-eastern<br />
Arabian Sea over the past 450 k years : Comparison b<strong>et</strong>ween Globigerinoi<strong><strong>de</strong>s</strong> ruber and<br />
Globigerinoi<strong><strong>de</strong>s</strong> sacculifer. Geochemistry Geophysics Geosystems (G-cubed) 9 (4), Q04037, doi :<br />
10.1029/2007GC001904, 1-16 (2008).<br />
Bard E., Delaygue G. Comment on « Are there connections b<strong>et</strong>ween the Earth’s<br />
magn<strong>et</strong>ic field and climate ? » by Courtillot <strong>et</strong> al. (2007), Earth and Plan<strong>et</strong>ary Science L<strong>et</strong>ters<br />
265, 302-307 (2008).<br />
2007<br />
Bard E., Raisbeck G., Yiou F., Jouzel J. Comment on « Solar activity during the last<br />
1000 yr inferred from radionucli<strong>de</strong> records » by Muscheler <strong>et</strong> al. (2007). Quaternary Science<br />
Reviews, 26, 3118-3133 (2007).<br />
Blanch<strong>et</strong> C.L., Thouveny N., Vidal L., Leduc G., Tachikawa K., Bard E.,<br />
Beaufort L. Terrigenous input response to glacial/interglacial climatic over southern Baja<br />
California : a rock magn<strong>et</strong>ic approach. Quaternary Science Reviews, sous presse.<br />
Buck C, Bard E. A calendar chronology for mammoth and horse extinction in North<br />
America based on Bayesian radiocarbon calibration. Quaternary Science Reviews, 26,<br />
2031-2035, (2007).<br />
Böning P., Bard E., Rose E. Towards direct micron-scale XRF elemental maps and<br />
quantitative profiles of w<strong>et</strong> marine sediments. Geochemistry Geophysics Geosystems (G-cubed)<br />
8 (5), doi : 10.1029/2006GC001480, 1-14 (2007).<br />
<strong>de</strong> Gari<strong>de</strong>l-Thoron T., Rosenthal Y., Beaufort L., Bard E., Sonzogni C., Mix A.<br />
A multiproxy assessment of the equatorial Pacific hydrography during the last 30 ky.<br />
Paleoceanography 22, PA3204, doi:10.1029/2006PA001269, 1-18 (2007).<br />
Eris K.K., Ryan W.B.F., Cagatay M.N., Sancar U., Lericolais G., Menot G.,<br />
Bard E. The timing and evolution of the post-glacial transgression across the Sea of<br />
Marmara shelf south of Istanbul, Marine Geology, 243, 57-76 (2007).<br />
Leduc G., Vidal L., Tachikawa K., Rostek F., Sonzogni C., Beaufort L., Bard E.<br />
Moisture transport across Central America as a positive feedback on abrupt climatic changes.<br />
Nature 445, 908-911 (2007).<br />
Pichevin L., Bard E., Martinez P., Billy I. Evi<strong>de</strong>nce of ventilation changes in the<br />
Arabian Sea during the Late Quaternary : implication for <strong>de</strong>nitrification and nitrous oxi<strong>de</strong><br />
emission. Global and Biogeochemical Cycles 21, GB4008, doi:10.1029/2006GB002852,<br />
1-12 (2007).<br />
Rickaby R.E.M., Bard E., Sonzogni C., Rostek F., Beaufort L., Barler S., Rees G.,<br />
Schrag D. Coccolith chemistry reveals secular variations in the global ocean carbon cycle ?<br />
Earth and Plan<strong>et</strong>ary Science L<strong>et</strong>ters 253, 83-95 (2007).<br />
Textes divers (vulgarisation, chapitre <strong>de</strong> livre, préface,<br />
principales interviews) :<br />
Bard E. Les variations climatiques du passé <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’avenir, in « Les géosciences au service<br />
<strong>de</strong> l’Homme : comprendre l’avenir », éditions Hirlé, 177-195 (2007).<br />
Collectif. « Quel temps fera-t-il <strong>de</strong>main ? », éditions Tallandier, 107-120 ; 167-174<br />
(2007).<br />
Bard E. Bac to basics : l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre. La Recherche, hors-série n° 3, 46-53 (2007).<br />
Bard E. L’océan <strong>et</strong> le changement climatique. La l<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences n° 21,<br />
15-19 (2007).
160 ÉDOUARD BARD<br />
L’Echo (Belgique), p. 11, 24 avril 2008. La paléoclimatologie nous parle.<br />
La Libre Belgique, p. 17, 14 février 2008. Accepter <strong><strong>de</strong>s</strong> actions qui nous coûtent.<br />
Le Figaro, p. 12, 3-4 février 2007. Comme si Paris était déplacée à la latitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
Bor<strong>de</strong>aux.<br />
Libération, p. 38-39, 27-28 janvier 2007. La menace d’un changement climatique<br />
dangereux se confirme.<br />
Conférences dans le cadre <strong>de</strong> colloques internationaux<br />
Londres, 8-10 janvier 2008 : Quaternary Research Association Annual Me<strong>et</strong>ing (Royal<br />
Geographical Soci<strong>et</strong>y). Bard E. The Wiley Lecture : The last <strong>de</strong>glaciation and its impacts<br />
in the North Atlantic and adjoining seas.<br />
Cambridge <strong>et</strong> Londres (Royal Soci<strong>et</strong>y), 10-13 mars 2008, The Leverhulme Climate<br />
Symposium 2008. Bard E. The solar variability.<br />
Vienne, 13-18 avril 2008 : European Geosciences Union General Assembly.<br />
— Böning P., Bard E. Millennial scale thermocline ventilation changes in the Indian<br />
Ocean as implied from aragonite preservation in the Arabian Sea.<br />
— Camoin G., Seard C., Deschamps P., Durand N., Yokoyama Y., Matsuzaki H.,<br />
Webster J., Braga J.C., Bard E., Hamelin B. Reef accr<strong>et</strong>ion during the post-glacial<br />
sea-level rise at Tahiti (French Polynesia) : I.O.D.P. #310 expedition « Tahiti sea level ».<br />
— Deschamps P., Durand N., Bard E., Hamelin B., Camoin G., Thomas A.L.,<br />
Hen<strong>de</strong>rson G., Yokoyama Y. Deglacial Melt Water Pulse 1A revisited from the new<br />
IODP Tahiti record.<br />
— Felis T., Asami R., Bard E., Cahyarini S.Y., Deschamps P., Durand N.,<br />
Hathorne E., Kölling M., Pfeiffer M. Pronounced interannual variability in South<br />
Pacific temperatures during the early <strong>de</strong>glacial — coral-based results from IODP Expedition<br />
310.<br />
— Leduc G., Vidal L., Cartapanis O., Bard E. Mo<strong><strong>de</strong>s</strong> of Eastern Equatorial Pacific<br />
thermocline variability : implications for ENSO dynamics over the last glacial period.<br />
— Naughton F., Sanchez Goni M.F., Kageyama M., Bard E., Duprat J., Cortijo E.,<br />
Malaizé B., Joly C., Rostek F., Turon J.-L. Alternative mechanisms explaining the<br />
complex pattern of Heinrich events in the North Atlantic mid-latitu<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />
— Thomas A.L., Hen<strong>de</strong>rson G.M., Deschamps P., Yokoyama Y., Bard E.,<br />
Hamelin B., Durand N., Camoin G. Lowstand sea levels from U-Th dating of pre-LGM<br />
corals : results from IODP expedition 310 « Tahiti sea level ».<br />
Vancouver, 13-18 juill<strong>et</strong> 2008, Goldschmidt Conference.<br />
— Thomas A.L., Hen<strong>de</strong>rson G.M., Deschamps P., Yokoyama Y., Bard E.,<br />
Hamelin B., Durand N., Camoin G. The timings of sea level change during the last<br />
glacial cycle, from U/Th dating of submerged corals : Results from IODP expedition 310<br />
« Tahiti sea level ».<br />
Responsabilités diverses :<br />
Directeur-Adjoint du Centre Européen <strong>de</strong> Recherche <strong>et</strong> d’Enseignement en Géosciences<br />
<strong>de</strong> l’Environnement (CEREGE UMR 6635).<br />
Membre nommé du Conseil <strong>de</strong> l’Agence d’évaluation <strong>de</strong> la recherche <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’enseignement<br />
supérieur (AERES) du ministère <strong>de</strong> l’Enseignement supérieur <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Recherche (MESR).<br />
Membre du Conseil du laboratoire NOSAMS <strong>de</strong> la Woods-Hole Oceanographic<br />
Institution (USA).
ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 161<br />
Membre <strong>de</strong> la délégation du gouvernement français accompagnant le Ministre J.-L. Borloo<br />
à la Conférence sur le Changement Climatique <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations Unies (Bali, Indonésie,<br />
décembre 2007).<br />
Participant à la table ron<strong>de</strong> sur le climat en présence du Prési<strong>de</strong>nt N. Sarkozy <strong>et</strong> du<br />
Prince Albert II (Monaco, 25 avril 2008).<br />
Participant à l’audition au Sénat (OPECST) au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la création d’un observatoire <strong>de</strong><br />
l’Arctique (Paris, 26 juin 2008).<br />
Distinction<br />
2008, Wiley Lecture <strong>de</strong> la Quaternary Research Association (Royal Geographical Soci<strong>et</strong>y,<br />
Londres),
I. Cours <strong>et</strong> séminaires<br />
Astrophysique observationnelle<br />
M. Antoine Labeyrie, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />
Les progrès en <strong>cours</strong> <strong>et</strong> prévisibles <strong><strong>de</strong>s</strong> observations astronomiques à haute<br />
résolution angulaire ont encore fait l’obj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année. La voie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
télescopes géants dilués, encore nommés « hypertélescopes », explorée <strong>de</strong>puis une<br />
dizaine d’années, apparaît prom<strong>et</strong>teuse. D’une part, la compréhension théorique <strong>de</strong><br />
ces instruments <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs propriétés d’imagerie progresse <strong>et</strong> confirme l’amélioration<br />
<strong>de</strong> leur sensibilité, par rapport aux interféromètres plus classiques comportant un<br />
p<strong>et</strong>it nombre <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> ouvertures. D’autre part, les techniques visant à leur mise en<br />
œuvre se m<strong>et</strong>tent en place. Un grand défi est <strong>de</strong> parvenir à rendre les hypertélescopes<br />
utilisables pour observer les obj<strong>et</strong>s les plus faiblement lumineux auxquels accè<strong>de</strong>nt les<br />
télescopes classiques <strong>et</strong> leurs versions à venir nommées « Extrêmement Grands<br />
Télescopes », comportant un miroir mosaïque <strong>de</strong> 25 à 42 m.<br />
Ces différents points ont été abordés dans le <strong>cours</strong>, <strong>et</strong> certains l’ont été dans les<br />
séminaires <strong>de</strong> Roberto Gilmozzi, Jean Sur<strong>de</strong>j, Michel Aurière, Didier Pelat, Lyu<br />
Abe, Jean-Gabriel Cuby, Tristan Guillot, Guy Perrin <strong>et</strong> Hervé Le Coroller.<br />
II. Activités <strong>de</strong> recherche du Laboratoire d’Interféromètrie Stellaire<br />
<strong>et</strong> Exo-planétaire ( LISE)<br />
Le groupe <strong>de</strong> recherche LISE associé à la chaire d’Astrophysique Observationnelle<br />
est hébergé à l’Observatoire <strong>de</strong> Haute Provence <strong>et</strong> à l’Observatoire <strong>de</strong> la Côted’Azur,<br />
sur ses sites <strong>de</strong> Grasse <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Observatoire <strong>de</strong> Calern.<br />
Hypertelescope prototype Carlina-tech (J. Dejonghe <strong>et</strong> H. Le Coroller)<br />
L’agrandissement du prototype est en chantier à l’Observatoire <strong>de</strong> Haute-<br />
Provence, avec une participation active <strong>de</strong> ses services techniques. Des essais<br />
d’observation utilisant trois miroirs espacés <strong>de</strong> 10 m sont prévus au début 2009.
164 ANTOINE LABEYRIE<br />
Prévu initialement pour une ouverture diluée dont la dimension atteindrait 18 m,<br />
il pourrait être agrandi ultérieurement à 36 m s’il s’avère possible <strong>de</strong> construire un<br />
correcteur focal d’aberration sphérique ouvert à F/1. Le nombre <strong><strong>de</strong>s</strong> p<strong>et</strong>its miroirs<br />
collecteurs pourrait aussi être accru, jusqu’à une centaine éventuellement, s’il<br />
s’avère utile, en attendant la disponibilité <strong>de</strong> la version agrandie mentionnée<br />
ci-après, d’entreprendre un programme d’observation sur <strong><strong>de</strong>s</strong> étoiles super-géantes,<br />
bien résolues avec les dimensions d’ouverture <strong>de</strong> 18 ou 36 m. Cela nécessiterait le<br />
déménagement <strong>de</strong> l’instrument sur un site plus favorable.<br />
Après les premiers essais d’interférence qui ont validé partiellement le concept<br />
dit d’hypertélescope Carlina, J. Dejonghe <strong>et</strong> H. Le Coroller, revenu <strong>de</strong> séjour postdoctoral<br />
à Hawaii, ont augmenté le prototype en installant un troisième miroir<br />
collecteur, <strong>et</strong> un correcteur focal à <strong>de</strong>ux miroirs. Ils ont aussi, avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
stagiaires, fait un montage d’essai du système <strong>de</strong> métrologie à laser servant à<br />
co-sphériser les miroirs collecteurs avec une précision <strong>de</strong> l’ordre du micron. Ils<br />
préparent <strong><strong>de</strong>s</strong> observations <strong>de</strong> franges à trois ouvertures, en attendant un plus<br />
grand nombre. Une caméra à comptage <strong>de</strong> photons, perm<strong>et</strong>tant <strong><strong>de</strong>s</strong> temps <strong>de</strong><br />
pause très courts afin <strong>de</strong> « figer » la turbulence, a été construite en collaboration<br />
avec l’Observatoire <strong>de</strong> la Côte-d’Azur. Le <strong>de</strong>nsifieur <strong>de</strong> pupille, dispositif optique<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>tiné a concentrer la lumière sur un nombre réduit <strong>de</strong> franges, a été étudié à<br />
l’ai<strong>de</strong> du logiciel <strong>de</strong> simulations optiques Zemax <strong>et</strong> est en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> construction à<br />
l’Observatoire <strong>de</strong> Haute-Provence. Enfin, un système d’asservissement perm<strong>et</strong>tant<br />
<strong>de</strong> stabiliser le trépied <strong>de</strong> câbles du ballon a hélium <strong>et</strong> ainsi d’améliorer la stabilité<br />
<strong>de</strong> l’ensemble du dispositif optique <strong>de</strong> l’hypertélescope est actuellement réalisé par<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> techniciens <strong>et</strong> ingénieurs <strong>de</strong> l’Observatoire <strong>de</strong> Haute-Provence. La mise en<br />
service du prototype Carlina à l’Observatoire <strong>de</strong> Haute-Provence, prévue pour<br />
2009/2010, perm<strong>et</strong>tra <strong>de</strong> vali<strong>de</strong>r l’intégralité <strong>de</strong> la chaîne optique <strong>de</strong> l’hypertélescope,<br />
<strong>et</strong> d’évaluer les performances intrinsèques <strong>de</strong> l’instrument, notamment en observant<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s faibles (magnitu<strong>de</strong> > 12). Elle <strong>de</strong>vrait ouvrir la voie pour un proj<strong>et</strong><br />
ultérieur à plus gran<strong>de</strong> échelle.<br />
Etu<strong>de</strong> d’un hypertélescope à ouverture <strong>de</strong> 100 à 200 m<br />
(A. Labeyrie, J. Dejonghe, H. Le Coroller, D. Vern<strong>et</strong>, P. Rabou)<br />
Une version agrandie, <strong><strong>de</strong>s</strong>tinée à entreprendre un programme scientifique<br />
d’imagerie directe sur <strong>de</strong> nombreuses étoiles <strong>et</strong> sources extra-galactiques, est<br />
simultanément étudiée. Elle pourrait comporter, au foyer d’un miroir primaire<br />
dilué dont le diamètre atteindrait 100 ou 200 m <strong>et</strong> l’ouverture relative F/1, un<br />
correcteur compact d’aberration sphérique <strong>et</strong> un <strong>de</strong>nsifieur <strong>de</strong> pupille. L’utilité<br />
d’entamer, à c<strong>et</strong>te échelle, <strong><strong>de</strong>s</strong> essais préalables sur une étoile artificielle ou bien sur<br />
l’étoile Polaire visée en exploitant la pente d’une falaise, est également étudiée. De<br />
tels essais sont peut-être évitables par une modélisation poussée du système (le<br />
télescope Hubble <strong>de</strong> la NASA n’avait pas été validé en visant une étoile avant son<br />
lancement, ce qui aurait révélé l’erreur catastrophique <strong>de</strong> fabrication optique<br />
apparue plus tard dans l’espace).
ASTROPHYSIQUE OBSERVATIONNELLE 165<br />
Après la construction, l’observation pourrait débuter avant <strong>de</strong> disposer d’optique<br />
adaptative corrigeant la turbulence atmosphérique, laquelle affecte la mise en phase<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> faisceaux. Il faudrait alors recourir à la métho<strong>de</strong> d’interféromètrie <strong><strong>de</strong>s</strong> tavelures,<br />
qui a permis <strong>de</strong> r<strong>et</strong>rouver la résolution théorique <strong><strong>de</strong>s</strong> grands télescopes classiques.<br />
Dans un second temps, une optique adaptative <strong>de</strong>vrait former directement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
images à haute résolution, riches en information. S’il s’avère possible d’ajouter un<br />
système d’étoile gui<strong>de</strong> laser, mentionné ci-après, l’instrument <strong>de</strong>viendrait utilisable<br />
sur <strong><strong>de</strong>s</strong> sources faibles, telles que les galaxies lointaines observées par les ELTs.<br />
Version pour hypertélescope d’une optique adaptative avec étoile gui<strong>de</strong> laser<br />
(A. Labeyrie)<br />
Les systèmes d’étoiles gui<strong>de</strong> laser, dont le principe fut d’abord publié par Foy <strong>et</strong><br />
Labeyrie en 1985, ont été mis en œuvre sur les plus grands télescopes, sur lesquels<br />
elles perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong>puis quelques années d’étendre à <strong><strong>de</strong>s</strong> sources très faiblement<br />
lumineuses les techniques d’optique adaptative, <strong>et</strong> donc d’observer <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s très<br />
lointains avec une résolution améliorée. Il ne semblait pas facile d’adapter une<br />
étoile laser à un hypertélescope, pour étendre à <strong><strong>de</strong>s</strong> sources très faibles ses capacités<br />
d’imagerie à haute résolution. Cependant, une possibilité <strong>de</strong> solution, utilisant un<br />
système laser modifié, est apparue. La théorie a pu être vérifiée en partie avec un<br />
montage <strong>de</strong> laboratoire. En attendant la construction d’hypertélescopes dans<br />
l’espace, <strong><strong>de</strong>s</strong> versions terrestres pourraient donc <strong>de</strong>venir utilisable pour les<br />
observations <strong>de</strong> cosmologie sur les galaxies faibles <strong>et</strong> lointaines.<br />
Faisabilité d’un hypertélescope couplé à un « Extremely Large Télescope »<br />
(ELT)<br />
Les proj<strong>et</strong>s actuels <strong>de</strong> construction d’ELTs, notamment par l’Europe, soulèvent la<br />
question <strong><strong>de</strong>s</strong> possibilités <strong>de</strong> couplage avec un hypertélescope. L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> sites candidats<br />
étudiés par l’Europe, sur la sierra Macon dans les An<strong><strong>de</strong>s</strong> d’Argentine, est une longue<br />
crête orientée nord-sud, interrompue par un col dont la topographie pourrait convenir<br />
pour un hypertélescope Carlina, lequel pourrait être couplé interféromètriquement<br />
avec l’ELT. Ce <strong>de</strong>rnier y gagnerait beaucoup quant à la science accessible, avec une<br />
résolution améliorée d’un facteur 10 à 20 (www.oamp.fr/lise/).<br />
Prospection <strong>de</strong> sites pour un hypertélescope<br />
(A. Labeyrie, J. Dejonghe, H. Le Coroller, D. Vern<strong>et</strong>, O. Lardière)<br />
La prospection entamée les années précé<strong>de</strong>ntes a été poursuivie en mesurant la<br />
turbulence sur l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> sites visités, à Barrosa dans les Pyrénées espagnoles. Une<br />
seule nuit d’observation avec un p<strong>et</strong>it télescope portant une caméra a montré que<br />
la turbulence locale peut atteindre une bonne qualité, sans toutefois renseigner sur<br />
la fréquence <strong><strong>de</strong>s</strong> nuits utilisables. Mais les données météorologiques ont permis<br />
d’en avoir une idée grossière en précisant les statistiques <strong>de</strong> vent <strong>et</strong> <strong>de</strong> nébulosité<br />
sur ce site, lesquelles sont plus favorables qu’aux latitu<strong><strong>de</strong>s</strong> plus basses pour le vent,
166 ANTOINE LABEYRIE<br />
<strong>et</strong> raisonnablement favorables pour la nébulosité. L’Observatoire du Pic du Midi,<br />
situé non loin sur le versant français <strong>de</strong> la chaîne, est réputé pour fournir<br />
occasionnellement <strong><strong>de</strong>s</strong> images exceptionnelles.<br />
Etu<strong>de</strong> d’un hypertélescope dans l’espace (A. Labeyrie)<br />
Après la proposition faite l’année précé<strong>de</strong>nte à l’Agence Spatiale Européenne<br />
(www.oamp.fr/infoglueDeliverLive/www/OHP/Actualit%E9s?contentId=1148),<br />
est apparue la possibilité d’une version « éthérée », utilisant <strong>de</strong> p<strong>et</strong>its miroirs piégés<br />
par <strong><strong>de</strong>s</strong> faisceaux <strong>de</strong> laser. De grands miroirs formés <strong>de</strong> nano-particules piégées par<br />
laser avaient été étudiés les années précé<strong>de</strong>ntes, mais il s’agirait maintenant <strong>de</strong><br />
constituer un grand miroir dilué en piégeant <strong>de</strong> p<strong>et</strong>its miroirs soli<strong><strong>de</strong>s</strong>. Le calcul <strong>de</strong><br />
leur comportement est plus facile, ainsi que leur mise en œuvre, laquelle peut être<br />
expérimentée en laboratoire. C<strong>et</strong>te version est mentionnée <strong>de</strong> façon préliminaire<br />
dans une publication résumant la proposition (Labeyrie <strong>et</strong> al., 2008, http://dx.doi.<br />
org/10.1007/s10686-008-9123-8).<br />
Astrophysique théorique <strong>et</strong> relativité générale (R. Krikorian)<br />
R. Krikorian a poursuivi l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> certains aspects <strong>de</strong> la supraconductivité dans<br />
un espace-temps courbe. L’interprétation physique <strong><strong>de</strong>s</strong> équations tensorielles<br />
décrivant la supraconductivité dans le cadre <strong>de</strong> la relativité générale présente <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
difficultés dues au fait que les relations perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> passer <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong>de</strong>urs<br />
tensorielles absolues aux gran<strong>de</strong>urs physiquement mesurables ne sont pas définies<br />
<strong>de</strong> manière univoque. Par exemple, il n’existe pas <strong>de</strong> façon unique <strong>de</strong> déduire du<br />
tenseur absolu champ électromagnétique les champs électrique <strong>et</strong> magnétique<br />
physiquement mesurables. Une première approche adoptée pour la formulation<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> équations tensorielles en terme <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>urs physiquement mesurables a été la<br />
métho<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> tétra<strong><strong>de</strong>s</strong>. Dans c<strong>et</strong>te approche les équations sont écrites à l’ai<strong>de</strong><br />
d’invariants vis-à-vis <strong><strong>de</strong>s</strong> transformations générales <strong><strong>de</strong>s</strong> coordonnées d’espac<strong>et</strong>emps.<br />
Les champs électrique <strong>et</strong> magnétique, définis à l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> composantes<br />
anholonomiques du tenseur champ électromagnétique sont donc <strong><strong>de</strong>s</strong> scalaires qui<br />
se transforment selon les lois <strong>de</strong> la relativité restreinte dans un changement <strong>de</strong><br />
repères orthonormés. C<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> a été notamment utilisée pour obtenir les<br />
expressions <strong><strong>de</strong>s</strong> champs électrique <strong>et</strong> magnétique à l’intérieur <strong><strong>de</strong>s</strong> supraconducteurs<br />
<strong>de</strong> type I <strong>et</strong> II (Nuovo Cimento, 2007, Astrophysics, 2008).<br />
Il existe dans la littérature une autre approche pour l’interprétation <strong><strong>de</strong>s</strong> équations<br />
tensorielles absolues <strong>de</strong> la relativité générale, la métho<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> projections <strong>de</strong><br />
Cattaneo. C<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong>, contrairement à l’approche anholonomique, a un<br />
caractère purement tensoriel ; les équations tensorielles absolues sont écrites sous<br />
une forme semblable à celle <strong>de</strong> la physique newtonienne <strong>et</strong> interprétées en<br />
employant le langage <strong>de</strong> la physique classique. Ce résultat est atteint : (i) par<br />
l’introduction, au moyen d’opérateurs <strong>de</strong> projections convenablement définis, <strong>de</strong><br />
gran<strong>de</strong>urs « standard » relatives au système <strong>de</strong> référence associé au système <strong>de</strong>
ASTROPHYSIQUE OBSERVATIONNELLE 167<br />
coordonnées physiquement admissibles ; ces gran<strong>de</strong>urs se transformant selon les<br />
lois tensorielles classiques vis-à-vis <strong><strong>de</strong>s</strong> changements <strong>de</strong> coordonnées internes au<br />
système <strong>de</strong> référence ; (ii) en définissant un opérateur <strong>de</strong> dérivation transverse,<br />
partielle ou covariante. Les équations tensorielles absolues <strong>de</strong> London écrites à<br />
l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces gran<strong>de</strong>urs « standard » ont donc la même forme que les équations<br />
vectorielles classiques reliant la vitesse du superélectron au champ électromagnétique<br />
avec <strong><strong>de</strong>s</strong> termes supplémentaires représentant l’influence du champ <strong>de</strong> gravitation.<br />
Les expressions <strong><strong>de</strong>s</strong> champs électrique <strong>et</strong> magnétique déduites <strong><strong>de</strong>s</strong> équations<br />
« standard » ont été comparées à celles obtenues par la métho<strong>de</strong> anholonomique.<br />
Ce travail a fait l’obj<strong>et</strong> d’une publication. En collaboration avec D. Sedrakian,<br />
Université d’état d’Erevan, la métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> Cattaneo a été utilisée pour l’interprétation<br />
physique <strong><strong>de</strong>s</strong> équations covariantes décrivant les propriétés <strong><strong>de</strong>s</strong> supraconducteurs<br />
<strong>de</strong> type II. Ce travail sera soumis à la revue Phys. Rev. D.<br />
III. Publications, séminaires <strong>et</strong> conférences<br />
Krikorian R.A., « Superconductivity in curved space-time and the object of anholonomity »,<br />
Nuovo Cimento B 122, 401, 2007.<br />
Krikorian R.A. & Sedrakian D.M., « T<strong>et</strong>rad formulation of the dynamical equations of<br />
type II superconductors in curved space-time », Astrophysics 51, 58, 2008.<br />
Sedrakian D.M. & Krikorian R.A., « Covariant formulation of the basic equations of<br />
quantum vortices in type2 superconductors », Phys Rew B 76, 184501-1, 2007.<br />
Krikorian R.A., « Superconductivity in curved space-time and Cattaneo’s projection<br />
m<strong>et</strong>hod », Nuovo CimentoB, 123, 217, 2008.<br />
Labeyrie <strong>et</strong> al., 2008, « Luciola hypertelescope space observatory: versatile, upgradable<br />
high-resolution imaging, from stars to <strong>de</strong>ep-field cosmology », à paraître dans Experimental<br />
Astronomy, http://dx.doi.org/10.1007/s10686-008-9123-8.<br />
Labeyrie A., Le Coroller H. & Dejonghe J., « Steps toward hypertelescopes on Earth and<br />
in space », proc. SPIE conf., Marseille 2008<br />
Deux journées <strong>de</strong> discussion sur le « Cophasage <strong><strong>de</strong>s</strong> ELTs, interféromètres <strong>et</strong><br />
hypertélescopes », organisées au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> par H. Le Coroller <strong>et</strong> A. Labeyrie les<br />
18 <strong>et</strong> 19 mars 2008, ont rassemblé une vingtaine <strong>de</strong> chercheurs français <strong>et</strong> étrangers.<br />
Présentations invitées <strong>et</strong> séminaires<br />
A. Labeyrie, invité à faire une présentation au colloque « Extremely Large Telescopes at<br />
Different Wavelengths » à Lund (Suè<strong>de</strong>) les 29 <strong>et</strong> 30 novembre 2007, s’en est acquitté par<br />
vidéo-conférence.<br />
A. Labeyrie, « Etoile gui<strong>de</strong> laser pour hypertélescope », séminaire à l’Observatoire <strong>de</strong><br />
Lyon, 21 mars 2008.<br />
Conférence publique <strong>et</strong> site web<br />
A. Labeyrie, « Le regard <strong><strong>de</strong>s</strong> géants : les grands télescopes du futur changeront-ils notre<br />
conception actuelle <strong>de</strong> l’Univers ? » Planétarium <strong>de</strong> Vaulx-en-Velin, 20 mars 2008.<br />
Le site web du LISE (www.oamp.fr/lise) a été mis à jour <strong>et</strong> amélioré par Mme V. Garcia<br />
qui prend en charge sa maintenance <strong>et</strong> l’implantation d’une version en anglais.
Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions moléculaires<br />
M. Jean-Marie Lehn, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />
Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année 2007-2008 a porté sur « Autoorganisation moléculaire <strong>et</strong><br />
supramoléculaire ». Des <strong>cours</strong> ont été donnés à l’Université Louis Pasteur <strong>de</strong><br />
Strasbourg (3 h), à l’Université d’Etat M. V. Lomonossov <strong>de</strong> Moscou (4 h) <strong>et</strong> à la<br />
City University <strong>de</strong> Hong Kong (4 h).<br />
Cours au collège <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
1) Autoorganisation supramoléculaire d’architectures entrelacées<br />
L’autoorganisation d’architectures entrelacées <strong>de</strong> type rotaxanes, caténanes <strong>et</strong><br />
nœuds moléculaires m<strong>et</strong> à profit l’assistance d’eff<strong>et</strong>s supramoléculaires pour m<strong>et</strong>tre<br />
en place les différents composants qui seront ensuite connectés par <strong><strong>de</strong>s</strong> réactions<br />
post-assemblage. Ces eff<strong>et</strong>s supramoléculaires peuvent résulter <strong>de</strong> la coordination<br />
d’ions métalliques (<strong>cours</strong> 2005-2006), d’interactions électrostatiques, <strong>de</strong> la<br />
formation <strong>de</strong> liaisons hydrogène, <strong>de</strong> forces <strong>de</strong> Van <strong>de</strong>r Waals.<br />
a) Cavités organiques : cyclo<strong>de</strong>xtrines, cucurbituriles<br />
La formation <strong>de</strong> rotaxanes a mis en œuvre l’aptitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> cavités moléculaires <strong>de</strong><br />
gran<strong>de</strong> taille, telles que celles <strong><strong>de</strong>s</strong> cyclo<strong>de</strong>xtrines <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cucurbituriles, à former <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
complexes d’inclusion avec <strong>de</strong> nombreux substrats moléculaires.<br />
Deux différentes stratégies <strong>de</strong> synthèse ont été mises au point, utilisant par<br />
exemple l’α-cyclo<strong>de</strong>xtrine.
170 JEAN-MARIE LEHN<br />
La formation <strong>de</strong> polyrotaxanes <strong>et</strong> <strong>de</strong> caténanes a aussi été réalisée.<br />
1.<br />
H 2N<br />
NO 2<br />
CD<br />
O<br />
O<br />
O<br />
O<br />
O<br />
O<br />
O 2N N<br />
O<br />
O<br />
O N NO2 H<br />
H<br />
O<br />
2.<br />
O<br />
O 2N<br />
O NH 2<br />
F NO 2<br />
De manière analogue, <strong><strong>de</strong>s</strong> rotaxanes dérivant <strong>de</strong> la [6] cucurbiturile ont été<br />
obtenus.<br />
O 2N
) Polyéthers macrocycliques<br />
CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 171<br />
Les polyéthers macrocycliques forment <strong><strong>de</strong>s</strong> rotaxanes avec <strong><strong>de</strong>s</strong> cations ammonium<br />
qui s’insèrent dans la cavité centrale par formation <strong>de</strong> liaisons hydrogène avec les<br />
sites oxygène.<br />
De nombreuses superstructures <strong>de</strong> ce type ont été obtenues, y compris <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
polyrotaxanes, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> cations polyammonium <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> caténanes.
172 JEAN-MARIE LEHN<br />
c) Macrocycles Accepteur/Donneur<br />
Structures RX<br />
L’introduction <strong>de</strong> groupements riches en électrons (Donneurs) ou pauvres en<br />
électrons (Accepteurs) dans un récepteur macrocyclique perm<strong>et</strong> l’insertion d’un<br />
substrat contenant le groupe complémentaire dans la cavité centrale. C<strong>et</strong>te approche<br />
s’est révélée particulièrement fructueuse <strong>et</strong> a permis d’obtenir <strong>de</strong> nombreuses<br />
architectures mono- <strong>et</strong> poly-rotaxanes <strong>et</strong> caténanes.<br />
+<br />
+<br />
Br Br<br />
86<br />
4PF 6<br />
+<br />
N<br />
N<br />
85.2PF 6<br />
2PF6<br />
+<br />
N<br />
N<br />
BPP34C10<br />
O O O<br />
O<br />
O<br />
+<br />
+<br />
O<br />
O<br />
O O O<br />
88.4PF 6<br />
MeCN<br />
Room Temperature<br />
O O O<br />
O<br />
O<br />
O<br />
O<br />
O O O<br />
NH 4 PF 6<br />
Cyclisation<br />
+<br />
+<br />
3X<br />
Br<br />
Br<br />
87.3X<br />
3X<br />
Insertion<br />
+<br />
+<br />
O O O<br />
O<br />
O<br />
+<br />
+<br />
O<br />
O<br />
O O O<br />
[2]rotaxane<br />
[87.BPP34C10].3X
20%<br />
+<br />
N<br />
N<br />
Br<br />
O O O O O<br />
+<br />
+<br />
O O O O O<br />
CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 173<br />
91.2PF 6<br />
92<br />
4PF6<br />
+<br />
N<br />
N<br />
Br<br />
93.4PF 6<br />
1.<br />
O<br />
O<br />
O O O O O<br />
O O<br />
O<br />
O O O O O<br />
+<br />
+<br />
O<br />
O O<br />
O<br />
O<br />
or<br />
O O O O O<br />
O O O O O<br />
BPP34C10 MeCN 1/5DN38C10<br />
2. NH 4PF 6 /H 2O<br />
or<br />
O O O O O<br />
+<br />
+<br />
O O O O O<br />
4PF 6<br />
94.4PF 6<br />
O O O O O<br />
+<br />
+<br />
O O O O O<br />
De tels rotaxanes ont été mis en œuvre pour la réalisation <strong>de</strong> dispositifs<br />
supramoléculaires présentant <strong><strong>de</strong>s</strong> mouvements moléculaires par déplacement<br />
contrôlé d’un composant par rapport à un autre.<br />
Contrôle Électrochimique <strong>de</strong> la Position du Cyclophane Tétracationique<br />
dans une « Nav<strong>et</strong>te » Supramoléculaire Linéaire à Deux Stations<br />
Des rotaxanes <strong>et</strong> caténanes ont aussi été obtenus en utilisant l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> support<br />
d’un anion complexé.<br />
2) Autoorganisation <strong>de</strong> brins moléculaires<br />
a) Chaînes polyhétérocycliques<br />
Le repliement <strong>de</strong> brins moléculaires peut être contrôlé par la mise en œuvre <strong>de</strong><br />
codons <strong>de</strong> repliement (« folding codons ») présentant une conformation préférée.<br />
31%
174 JEAN-MARIE LEHN<br />
Ainsi <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes aza-hétérocycliques connectés en position α <strong><strong>de</strong>s</strong> atomes d’azote<br />
donnent lieu à une orientation transoï<strong>de</strong> par rapport aux liaisons C-C <strong>de</strong> connexion.<br />
Il en résulte qu’une séquence <strong>de</strong> quelques groupes, choisis <strong>de</strong> façon adéquate, force<br />
un brin moléculaire à adopter une forme hélicoïdale ou linéaire ou une combinaison<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux. On peut ainsi obtenir <strong><strong>de</strong>s</strong> hélices moléculaires à tours multiples.<br />
Ainsi une séquence pyridine-pyrimidine-pyridine est un codon d’hélicité <strong>et</strong> une<br />
séquence <strong>de</strong> groupes pyridine, un codon <strong>de</strong> linéarité.<br />
Le remplacement d’un groupe pyridine par une hydrazone facilite beaucoup la<br />
synthèse <strong>de</strong> ces brins moléculaires <strong>et</strong> perm<strong>et</strong> d’obtenir ainsi <strong><strong>de</strong>s</strong> hélices à tours<br />
multiples.<br />
C<br />
CH3<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N N N<br />
H3<br />
CH3 CH3<br />
CH3 CH3<br />
CH3 CH3<br />
CH3 CH3<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N N N N N N N N N N N N N N N N N<br />
11.60 Å<br />
N<br />
N<br />
N N<br />
N<br />
N<br />
N N<br />
N N N<br />
N<br />
N N<br />
N<br />
N N<br />
N<br />
N<br />
N N<br />
N<br />
N N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N N<br />
N<br />
N<br />
N N<br />
De plus c<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> rend accessible la génération <strong>de</strong> polymères hélicoïdaux<br />
par polycon<strong>de</strong>nsation.<br />
N<br />
N
H 2N<br />
R 1 =<br />
H<br />
N<br />
Me O<br />
N N<br />
R 1<br />
OMe<br />
H<br />
N<br />
OMe<br />
NH 2<br />
+<br />
CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 175<br />
O<br />
H<br />
C<br />
R 2 =<br />
N N<br />
b) Chaînes pyridine-carboxami<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
R 2<br />
H<br />
C<br />
O<br />
R 1<br />
R 2<br />
R 1<br />
R 2<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
H<br />
N R<br />
N 2<br />
N<br />
N<br />
N N n<br />
H<br />
H N<br />
N N NH<br />
N<br />
N<br />
N N<br />
NH<br />
N<br />
NH<br />
H<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N<br />
N N<br />
N<br />
H N<br />
H N<br />
N N NH<br />
N<br />
N<br />
N N<br />
NH NH<br />
N N<br />
Différents autres éléments structuraux ont été utilisés. En particulier, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
enchaînements <strong>de</strong> groupes pyridine-carboxami<strong><strong>de</strong>s</strong> conduisent au repliement en<br />
hélice, du fait <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong> liaisons hydrogène. De plus, ces brins hélicoïdaux<br />
ont aussi l’aptitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> former <strong><strong>de</strong>s</strong> dimères en double hélice.<br />
Crystal Structure of Double Helical Heptamer<br />
En conclusion, la mise au point <strong>de</strong> codons structuraux rend possible le contrôle<br />
<strong>de</strong> l’autoorganisation <strong>de</strong> brins moléculaires.<br />
Elle ouvre d’intéressantes perspectives pour la génération <strong>de</strong> molécules<br />
synthétiques <strong>de</strong> forme contrôlée <strong>et</strong> imposée, ainsi que pour la compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
facteurs déterminant la conformation <strong><strong>de</strong>s</strong> molécules biologiques.<br />
N<br />
N<br />
R 2
176 JEAN-MARIE LEHN<br />
À Paris :<br />
Séminaires<br />
— Olivia Reinaud (Université <strong>de</strong> Paris Descartes), Exploration <strong><strong>de</strong>s</strong> métallo-biosites avec<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> calixarènes « complexes », 22 février 2008.<br />
— Gérard Férey (Institut Lavoisier <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Versailles), Les métaux poreux sur<br />
mesure, 5 mars 2008.<br />
À Strasbourg :<br />
P<strong>et</strong>er Stang (University of Utah), Nanoscale Molecular Architecture : Design and Self-<br />
Assembly of M<strong>et</strong>allocyclic Polygons and Polyhedra via Coordination, 11 juill<strong>et</strong> 2007.<br />
Jean-Pierre Bucher (IPCMS, Strasbourg), Probing Electronic and Magn<strong>et</strong>ic Properties of<br />
Atomic and Molecular Clusters with Sharp Tips, 2 octobre 2007.<br />
Yoshihito Osada (Hokkaido University), Intelligent Gelsl – An Approach to Artificial<br />
Muscles and Soft Tissue, 22 octobre 2007.<br />
Adrian-Mihail Stadler (CNRS, ISIS, Strasbourg <strong>et</strong> Institut <strong>de</strong> Nanotechnologie,<br />
Karlsruhe), Auto-Organisation <strong>et</strong> Mouvements Moléculaires.<br />
Philippe Reutenauer (ETH Zürich), Expansion of the Scope of the [2 + 2] Cycloaddition/<br />
R<strong>et</strong>ro-Electrocyclisation Casca<strong>de</strong> B<strong>et</strong>ween Electron Rich Alkynes and TCNE, 11 décembre<br />
2007.<br />
Franck Zal (CNRS Roscoff), The Extracellular Hemoglobin of the Annelid Polycha<strong>et</strong>e<br />
Arenicola Marina : A Natural Oxygen Carrier for Human Health, 17 décembre 2007.<br />
Philippe Turek (Institut <strong>de</strong> Chimie, Strasbourg), Electron Paramagn<strong>et</strong>ic Resonance:<br />
A Tool for the Study of the Magn<strong>et</strong>ic Properties of Molecular Materials, 29 janvier 2008.<br />
Nathan Schultheiss (Kansas State University), Balancing Intermolecular Interactions in<br />
the Design and Synthesis of Supermolecules, 12 février 2008.<br />
Alexandros E. Koumbis (Aristotle University of Thessaloniki), Total Synthesis of Syributins,<br />
Secosyrins and Syringoli<strong><strong>de</strong>s</strong>, 26 février 2008.<br />
Steven Rokita (University of Maryland), Nuceloti<strong>de</strong> Sequence Controls the Efficiency<br />
of Electron Injection and Transport in Duplex DNA, 19 mars 2008.<br />
Alexandre Varnek (Université Louis Pasteur), From Databases to in silico Design<br />
of New Compounds, 1 er avril 2008.<br />
Raymond Weiss (Université Louis Pasteur), Les Peroxidases <strong>et</strong> leurs Mécanismes, 23 juin<br />
2008.<br />
Résumé <strong><strong>de</strong>s</strong> activités <strong>de</strong> recherche<br />
A) Laboratoire <strong>de</strong> chimie supramoléculaire<br />
(ISIS, Université Louis Pasteur, Strasbourg <strong>et</strong> UMR 7006 du CNRS)<br />
I — Dispositifs fonctionnels moléculaires <strong>et</strong> supramoléculaires<br />
1) Dispositifs optiques<br />
Les propriétés optiques d’assemblées supramoléculaires <strong>de</strong> groupes porphyriniques<br />
pourvus d’unités <strong>de</strong> reconnaissance moléculaire complémentaires ont été étudiées.
CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 177<br />
Elles sont le siège <strong>de</strong> transferts d’énergie dont la vitesse <strong>et</strong> l’efficacité dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />
la géométrie supramoléculaire (1).<br />
2) Dispositifs électroniques <strong>et</strong> magnétiques<br />
Les complexes linéaires multinucléaires du ruthénium(II) formés par <strong><strong>de</strong>s</strong> ligands<br />
polytopiques à sites tri<strong>de</strong>ndates présentent un remarquable comportement <strong>de</strong> « fil<br />
moléculaire » (2).<br />
Un complexe paramagnétique tétranucléaire du fer(II) en forme <strong>de</strong> grille [2 x 2]<br />
s’est révélé être une nanoson<strong>de</strong> magnétique <strong>de</strong> très haute sensibilité <strong>de</strong> la formation<br />
<strong>de</strong> liaisons hydrogène (A. Stefankiewicz).
178 JEAN-MARIE LEHN<br />
3) Dispositifs nanomécaniques<br />
Des mouvements moléculaires réversibles peuvent être induits dans <strong><strong>de</strong>s</strong> brins<br />
moléculaires oligopyridine-dicarboxami<strong>de</strong> par protonation <strong>et</strong> déprotonation (3).<br />
L’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mouvements moléculaires couplés par complexation <strong>et</strong> décomplexation<br />
successives <strong>de</strong> brins moléculaires polytopiques a été poursuivie (M. Stadler).<br />
II — Autoorganisation <strong>de</strong> systèmes inorganiques<br />
1) Hélicates<br />
Un ligand <strong>de</strong> type quaterpyridine forme <strong><strong>de</strong>s</strong> complexes hélicoïdaux mono- <strong>et</strong><br />
bi-nucléaires (hélicates) (4).<br />
2) Superstructures en « grille » [2 × 2]<br />
L’autoassemblage <strong>de</strong> grilles métallosupramoléculaires [2 × 2] à partir <strong>de</strong> ligands<br />
fonctionnalisés perm<strong>et</strong> la génération <strong>de</strong> multivalences avec présentation <strong>de</strong> huit<br />
groupements fonctionnels soit :<br />
— en position « axiale », à partir <strong>de</strong> composants hydrazino-pyridine,<br />
— en position « latérale », à partir <strong>de</strong> composants hydrazi<strong>de</strong> (X. Cao).<br />
La mise en évi<strong>de</strong>nce <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te multivalence repose sur l’apparition <strong>de</strong><br />
propriétés nouvelles, notamment complexantes (X. Cao).<br />
Des grilles fonctionnalisées <strong><strong>de</strong>s</strong>tinées notamment à l’autoorganisation sur surface<br />
métallique ou avec <strong><strong>de</strong>s</strong> nanoparticules métallique ont été synthétisées<br />
(A. Stefankiewicz).<br />
La formation sélective <strong>de</strong> grilles [2 × 2] hétérométalliques directement par<br />
autoorganisation avec sélection <strong><strong>de</strong>s</strong> cations <strong>et</strong> régiosélectivité a été étudiée<br />
(J. Ramirez, A.M. Stadler).<br />
Le mécanisme <strong>de</strong> formation <strong><strong>de</strong>s</strong> grilles [2 × 2] a été étudié par RMN<br />
(M.-N. Lalloz-Vogel, A. Marquis).<br />
Des ligands bis-tri<strong>de</strong>ntates forment avec <strong><strong>de</strong>s</strong> cations lourds (Hg II , Pb II ) <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
architectures <strong>de</strong> coordination <strong>de</strong> type grille ou ratelier (5).<br />
III — Autoorganisation <strong>de</strong> systèmes organiques<br />
1) Hélicité <strong>de</strong> brins moléculaires<br />
Des brins moléculaires contenant <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes 1,8-naphtyridine adoptent une<br />
conformation hélicoïdale <strong>et</strong> forment <strong><strong>de</strong>s</strong> assemblées oligomériques avec <strong><strong>de</strong>s</strong> cations<br />
oligo-ammoniums (6).
CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 179<br />
Des brins moléculaires à sous-unités hétérocycliques présentent une<br />
diastéréoisomérie hélicoïdale (7).<br />
2) Matériaux / Polymères supramoléculaires<br />
Des mesures <strong>de</strong> rhéologie <strong>et</strong> <strong>de</strong> diffusion <strong>de</strong> lumière dynamique ont permis<br />
d’étudier les propriétés dynamiques <strong>de</strong> solutions semi-diluées <strong>de</strong> polymères<br />
supramoléculaires (8).<br />
La structure moléculaire <strong>et</strong> la morphologie <strong>de</strong> polymères supramoléculaires<br />
formés à partir <strong>de</strong> monomères portant <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes <strong>de</strong> reconnaissance<br />
complémentaires <strong>de</strong> type Janus a été étudiée (9).<br />
Des monocouches incorporant <strong>de</strong>ux composants ont été obtenues <strong>et</strong> la formation<br />
d’ordre à l’échelle subnanométrique a été mise en évi<strong>de</strong>nce par STM (10).
180 JEAN-MARIE LEHN<br />
Une étu<strong>de</strong> détaillée par diffusion <strong>de</strong> neutrons aux p<strong>et</strong>its angles a été réalisée sur<br />
la modulation par décoration dynamique <strong>de</strong> la structure <strong>de</strong> gels générés par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
quadruplexes <strong>de</strong> guanosine (11).<br />
Les hydrogels basés sur <strong><strong>de</strong>s</strong> quadruplexes formés par un dérivé hydrazi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />
guanosine effectuent une sélection structurale <strong>et</strong> une libération controlée <strong>de</strong><br />
molécules bioactives (12).<br />
IV — Chimie Dynamique Constitutionnelle (CDC)<br />
1) Sélection / Adaptation en Chimie Dynamique Constitutionnelle<br />
L’évolution forcée d’une bibliothèque dynamique constitutionnelle (BDC) <strong>de</strong><br />
brins hélicoïdaux sous l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> la complexation d’ions a été étudiée par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
mesures <strong>de</strong> RMN DOSY. C<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> perm<strong>et</strong> d’analyser la composition <strong>de</strong> la<br />
bibliothèque en fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> rayons hydrodynamiques <strong><strong>de</strong>s</strong> espèces présentes (13).
CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 181<br />
La mise en œuvre d’une nouvelle réaction réservible en CDC, la formation<br />
d’hémiacétals entre alcools <strong>et</strong> groupes carbonyles, a été explorée. Elle perm<strong>et</strong> la<br />
génération <strong>de</strong> BDC, en particulier sous l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> la complexation <strong>de</strong> cations<br />
(D. Drahonovsky).<br />
La possibilité d’influencer le comportement d’une BDC par complexation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
constituants a été explorée (N. Schulteiss).<br />
L’adaptation d’une BDC à un changement <strong>de</strong> forme <strong>de</strong> l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> composants<br />
perm<strong>et</strong> d’opérer une commutation constitutionnelle entre <strong>de</strong>ux types d’espèces.<br />
Ainsi, l’interconversion entre <strong>de</strong>ux formes, <strong>de</strong> type W <strong>et</strong> U, a été réalisée dans un<br />
système dynamique. Elle conduit à une commutation entre un état macrocyclique<br />
<strong>et</strong> un état polymérique (14).<br />
Ce type <strong>de</strong> commutation constitutionnelle donne lieu à <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes très<br />
intéressants d’adaptation par sélection <strong>de</strong> composants sous l’eff<strong>et</strong> du changement<br />
<strong>de</strong> morphologie ainsi qu’en fonction <strong>de</strong> la nature <strong>de</strong> l’effecteur (ions métalliques<br />
<strong>de</strong> différentes tailles) (S. Ulrich).<br />
Des processus <strong>de</strong> sélection multiple faisant intervenir différents composants <strong>de</strong><br />
grilles [2 × 2] sont en <strong>cours</strong> d’étu<strong>de</strong> (M. Chmielewski).<br />
La mise au point <strong>de</strong> mesures <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’application d’un champ gravitationnel<br />
par ultracentrifugation sur une BDC a été poursuivie (F. Folmer-An<strong>de</strong>rsen).<br />
2) Dynamères covalents. Polymères covalents réversibles<br />
Des optodynamères ont été obtenus, conduisant à la génération <strong>de</strong> couleur <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
fluorescence à l’interface entre <strong>de</strong>ux films <strong>de</strong> dynamères différents (15).
182 JEAN-MARIE LEHN<br />
La transformation <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés mécaniques <strong>et</strong> optiques <strong>de</strong> films <strong>de</strong><br />
métallodynamères neutres par échange constitutionnel a été réalisée (16).<br />
Une modification <strong>de</strong> constitution <strong>de</strong> dynamères par interconversion entre une<br />
solution <strong>et</strong> un état soli<strong>de</strong> démontre une capacité d’adaptation <strong>de</strong> tels systèmes à<br />
l’environnement (17).<br />
La modification <strong>de</strong> taille <strong>de</strong> dynamères amphiphiles sous l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> la température<br />
<strong>et</strong> la sélection <strong>de</strong> composants par eff<strong>et</strong> hydrophobe ont été réalisées (F. Folmer-<br />
An<strong>de</strong>rsen).<br />
Une sélection <strong>de</strong> composants par complexation <strong>de</strong> cations métalliques a été<br />
démontrée pour <strong><strong>de</strong>s</strong> dynamères donneur- accepteur présentant un repliement <strong>de</strong><br />
chaine (S. Fujii).<br />
Les mélanges dynamiques obtenus par formation réversible d’hydrazones<br />
perm<strong>et</strong>tent d’effectuer une libération controlée d’aldéhy<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> cétones<br />
volatiles (18).
CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 183<br />
3) Biopolymères dynamiques- Biodynamères<br />
La synthèse <strong>de</strong> divers composants perm<strong>et</strong>tant la génération <strong>de</strong> BDC d’analogues<br />
d’aci<strong><strong>de</strong>s</strong> nucléiques a été réalisée (19).<br />
Les résultats obtenus sur la génération <strong>de</strong> glycodynamères fluorescents ont été<br />
publiés (20), <strong>de</strong> même que la formation d’analogues dynamiques d’oligosocchario<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>de</strong> type arabinofuranosi<strong>de</strong> (21).<br />
Une revue a été rédigée sur l’autoassemblage <strong>et</strong> la chimie combinatoire dynamique<br />
à la fois dans <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes chimiques <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes biologiques (22).<br />
V — Chimie Bioorganique <strong>et</strong> Médicinale<br />
La synthèse <strong>de</strong> différentes classes d’effecteurs allostériques <strong>de</strong> l’hémoglobine a été<br />
poursuivie (K. Fylaktakidou, A. Koumbis, S. Pothukanuri).<br />
L’action <strong>de</strong> ces effecteurs sur la courbe d’oxygénation <strong>de</strong> l’hémoglobine a été<br />
mesurée in vitro <strong>et</strong> in vivo (C. Duarte).<br />
L’effecteur inositol-trispyrophosphate (ITPP) présente <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés très<br />
prom<strong>et</strong>teuses à la fois dans le domaine cardiovasculaire <strong>et</strong> en oncologie.<br />
Publications<br />
1. T.S. Balaban, N. Berova, C.M. Drain, R. Hauschild, X. Huang, H. Kalt,<br />
S. Lebedkin, J.-M. Lehn, F. Nifaitis, G. Pescitelli, V. I. Prokhorenko, G. Rie<strong>de</strong>l,<br />
G. Smeureanu, J. Zeller, Syntheses and Energy Transfer in Multiporphyrinic Arrays Self-<br />
Assembled with Hydrogen-Bonding Recognition Groups and Comparison with Covalent Steroidal<br />
Mo<strong>de</strong>ls, Chem. Eur. J., 13, 8411-8427, 2007.<br />
2. F. Loiseau, F. Nastasi, A.-M. Stadler, S. Campagna, J.-M. Lehn, Molecular Wire<br />
Type Behavior of Polycationic Multinuclear Rack-Type RuII Complexes of Polytopic Hydrazone-<br />
Based Ligands, Angew. Chem. Int. Ed., 46, 6144-6147, 2007.<br />
3. E. Kolomi<strong>et</strong>s, V. Berl, J.-M. Lehn, Helical Folding of Oligopyridinedicarboxami<strong>de</strong><br />
Strands, Chem. Eur. J., 13, 5466-5479, 2007.<br />
4. A.R. Stefankiewicz, M. Walesa, P. Jankowski, A. Ciesielski, V. Patrioniak,<br />
M. Kubicki, Z. Hnatejko, J.M. Harrowfield, J.-M. Lehn, Quaterpyridine Ligands<br />
Forming Helical Complexes of Mono- and Dinuclear (Helicate) Forms, Eur. J. Inorg. Chem.,<br />
2910-2920, 2008.<br />
5. J. Ramirez, A.-Mihail Stadler, J.M. Harrowfield, L. Brelot, J. Huuskonen,<br />
K. Rissanen, L. Allouche, J.-M. Lehn, Coordination Architectures of Large Heavy M<strong>et</strong>al
184 JEAN-MARIE LEHN<br />
Cations (Hg 2+ and Pb 2+ ) with Bis-tri<strong>de</strong>ntate Ligands: Solution and Solid-State Studies,<br />
Z. Anorg. Allg. Chem., 633, 2435-2444, 2007.<br />
6. A. P<strong>et</strong>itjean, L.A. Cuccia, M. Schmutz, J.-M. Lehn, Naphthyridine-based helical<br />
foldamers and macrocycles: Synthesis, cation binding, and supramolecular assemblies, J. Org.<br />
Chem., 73, 2481-2495, 2008.<br />
7. M. Barboiu, J.-M. Lehn, Helical Diastereomerism in Self-Organization of Molecular<br />
Strands, Rev. Chim. (Bucuresti), 59, 255-259, 2008.<br />
8. E. Buhler, S.-J. Candau, E. Kolomi<strong>et</strong>s, J.-M. Lehn, Dynamical Properties of<br />
Semidilute Solutions of Hydrogen-Bon<strong>de</strong>d Supramolecular Polymers, Physical Review E, 76,<br />
061804-1-061804-8, 2007.<br />
9. D. Sarazin, M. Schmutz, J.-M. Guen<strong>et</strong>, A. P<strong>et</strong>itjean, J.-M. Lehn, Structure of<br />
Supramolecular Polymers Generated via Self-Assembly through Hydrogen Bonds, Mol. Cryst.<br />
Liq. Cryst., 468, 187-201, 2007.<br />
10. G. Pace, A. P<strong>et</strong>itjean, M.-N. Lalloz-Vogel, J. Harrowfield, J.-M. Lehn,<br />
P. Samori, Subnanom<strong>et</strong>er-resolved patterning of bicomponent self-assembled monolayers on<br />
Au(111), Angew. Chem. Int. Ed. 47, 2484-2488, 2008.<br />
11. E. Buhler, N. Sreenivasachary, S.-J. Candau, J.-M. Lehn, Modulation of the<br />
Supramolecular Structure of G-Quart<strong>et</strong> Assemblies by Dynamic Covalent Decoration, J. Am.<br />
Chem. Soc., 129, 10058-10059, 2007.<br />
12. N. Sreenivasachary, J.-M. Lehn, Structural Selection in G-Quart<strong>et</strong>-Based Hydrogels<br />
and Controlled Release of Bioactive Molecules, Chem. Asian J., 3, 134-139, 2008.<br />
13. N. Giuseppone, J.-L. Schmitt, L. Allouche, J.-M. Lehn, DOSY NMR Experiments<br />
as a Tool for the Analysis of Constitutional and Motional Dynamic Processes: Implementation<br />
for the Driven Evolution of Dynamic Combinatorial Libraries of Helical Strands, Angew.<br />
Chem. Int. Ed., 47, 2235-2239, 2008.<br />
14. S. Ulrich, J.-M. Lehn, Reversible switching b<strong>et</strong>ween macrocyclic and polymeric states<br />
by morphological control in a constitutional dynamic system, Angew. Chem. Int. Ed., 47,<br />
2240-2243, 2008.<br />
15. T. Ono, S. Fujii, T. Nobori, J.-M. Lehn, Optodynamers: Expression of Color and<br />
Fluorescence at the Interface b<strong>et</strong>ween two Films of Different Dynamic Polymers, Chem.<br />
Commun., 4360-4362, 2007.<br />
16. Cheuk-Fai Chow, S. Fujii, J.-M. Lehn, M<strong>et</strong>allodynamers : Neutral Dynamic<br />
M<strong>et</strong>allosupramolecular Polymers Displaying Transformation of Mechanical and Optical Properties<br />
on Constitutional Exchange, Angew. Chem. Int. Ed., 46, 5007-5010, 2007.<br />
17. C.-F. Chow, S. Fujii, J.-M. Lehn, Crystallization-Driven Constitutional Changes of<br />
Dynamic Polymers in Response to Neat/Solution Conditions, Chem Commun., 4363-4365,<br />
2007.<br />
18. B. Levrand, W. Fieber, J.-M. Lehn, A. Herrmann, Controlled Release of Volatile<br />
Al<strong>de</strong>hy<strong><strong>de</strong>s</strong> and K<strong>et</strong>ones from Dynamic Mixtures Generated by Reversible Hydrazone Formation,<br />
Helv. Chim. Acta, 90, 2281-2314, 2007.<br />
19. D.T. Hickman, N. Sreenivasachary, J.-M. Lehn, Synthesis of Components for the<br />
Generation of Constitutional Dynamic Analogues of Nucleic Acids, Helv. Chim. Acta, 91,<br />
1-20, 2008.<br />
20. Y. Ruff, J.-M. Lehn, Glycodynamers: Fluorescent dynamic analogues of polysacchari<strong><strong>de</strong>s</strong>,<br />
Angew. Chem Int. Ed., 47, 3556-3559, 2008.<br />
21. Y. Ruff, J.-M. Lehn, Glycodynamers: Dynamic analogs of arabinofuranosi<strong>de</strong><br />
oligosacchari<strong><strong>de</strong>s</strong>, Biopolymers, 89, 486-496, 2008.<br />
22. O. Ramström, J.-M. Lehn, Dynamic Ligand Assembly in Comprehensive Medicinal<br />
Chemistry II, D. Triggle, J. Taylor, Eds.; Elsevier, Ltd, Oxford, 959-976, 2007.
Professeur Jean-Marie Lehn<br />
47 conférences, dont par exemple :<br />
CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 185<br />
Conférences présentées sur invitation<br />
• Trends in Nanotechnology International Conference (TNT2007), San Sebastián,<br />
3 septembre 2007, Self-Organization and Functional Supramolecular Devices.<br />
• XVIIIth Men<strong>de</strong>leev Congress, Moscou, 23-28 septembre 2007, Perspectives in Chemistry:<br />
From Supramolecular Chemistry to Constitutional Dynamic Chemistry.<br />
• Symposium on M<strong>et</strong>al-Rich Compounds, Universität Karlsruhe (TH), Karlsruhe,<br />
8 octobre 2007, M<strong>et</strong>allosupramolecular Architectures and Beyond.<br />
• 100th Anniversary of Annual Korean Chemical Soci<strong>et</strong>y Me<strong>et</strong>ing, Daegu, 18 octobre<br />
2007, From Supramolecular Chemistry to Constitutional Dynamic Chemistry.<br />
• 3rd International Symposium on Novel Materials and Synthesis (NMS-III), Fudan<br />
University, Shangai, 20 octobre 2007, Functional Nanostructures and Dynamic Materials<br />
through Self-Organization.<br />
• <strong>France</strong>-Hong Kong Distinguished Lecture, City University of Hong Kong, 30 octobre<br />
2007, From Matter to Life : Chemistry ? Chemistry!<br />
• Ernst-Abbe-Kolloqium, Jena, 24 janvier 2008, Von <strong>de</strong>r Materie zum Leben : Chemie ?<br />
Chemie !<br />
• Séminaire “questions d’émergence”, École <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en Sciences Sociales<br />
(EHESS), Paris, 5 mars 2008, La Notion d’Émergence en Chimie.<br />
• Aca<strong>de</strong>mia Europaea – Klaus Tschira Foundation “Complexity”, Hei<strong>de</strong>lberg, 25-26 avril<br />
2008, Steps towards Complex Matter: Information, Self-Organization, and Adaption in<br />
Chemical Systems.<br />
• “Contemporary Chemistry Conferences”, National Symposium with International<br />
Participation, Bucarest, 1 er mai 2008, Perspectives in Chemistry: From Supramolecular<br />
Chemistry to Constitutional Dynamic Chemistry.<br />
• DeGennes Days, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Paris, 14 mai 2008, Perspectives in Chemistry: From<br />
Supramolecular Chemistry to Constitutional Chemistry.<br />
• Distinguished Schulich Lectureship Award Colloquium, Technion, Haifa, 18 mai<br />
2008, From Supramolecular Chemistry to Constitutional Dynamic Chemistry.<br />
• The Technion’s Nobel Laureates Symposium, Technion, Israel Institute of Technology,<br />
Haifa, 19 mai 2008, Chemistry: R<strong>et</strong>rospects and Prospects.<br />
• XXI Sitges Conference on Statistical Mechanics, Universitat <strong>de</strong> Barcelona, 6 juin 2008,<br />
Self-Organization by Design and by Selection.<br />
• III St P<strong>et</strong>ersburg Me<strong>et</strong>ing of Nobel Prize Laureates, Nanotechnologies: research and<br />
education, St P<strong>et</strong>ersburg, 26 juin 2008, Nanoscience and Nanotechnology — The Self-<br />
Organization Approach.<br />
B) laboratoire <strong>de</strong> chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions moléculaires<br />
<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
Du fait <strong><strong>de</strong>s</strong> difficultés engendrées par les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> rénovation <strong><strong>de</strong>s</strong> locaux, le<br />
laboratoire <strong>de</strong> Chimie <strong>de</strong> Interactions Moléculaires a été fermé.
186 JEAN-MARIE LEHN<br />
Il a été montré que les lipo-aminoglycosi<strong><strong>de</strong>s</strong> obtenus antérieurement présentent<br />
un transfert <strong>et</strong> une interférence <strong>de</strong> siRNA (23).<br />
23. L. Desigaux, M. Sainlos, O. Lambert, R. Chevre, E. L<strong>et</strong>rou-Bonneval,<br />
J.-P. Vigneron, P. Lehn, J.-M. Lehn, B. Pitard, Self-Assembled Lamellar Complexes of<br />
siRNA with Lipidic Aminoglycosi<strong>de</strong> Derivatives Promote Efficient siRNA Delivery and<br />
Interference, Proc. Nat. Acad. Sci. USA, 104, 42, 16534-16539, 2007.<br />
Distinctions — Prix — Nominations<br />
Jean-Marie Lehn a reçu <strong><strong>de</strong>s</strong> Doctorats Honoris Causa <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Patras<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Université Babeş-Bolyai (Cluj-Napoca) ainsi que la Médaille Costin<br />
Nenitzescu <strong>de</strong> la Société Roumaine <strong>de</strong> Chimie. Il a été nommé Membre d’Honneur<br />
<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te société ainsi que Grand Officier dans l’Ordre du Mérite Culturel <strong>de</strong><br />
Roumanie (section Recherche Scientifique). Il a été nommé Professeur Honoraire<br />
<strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Zhejiang (Hangzhou) <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Université Normale du Shaanxi<br />
(Xi’an).
Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée<br />
M. Jacques Livage, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />
Les matériaux nanostructurés<br />
L’élaboration <strong>de</strong> matériaux par l’homme remonte à la découverte du feu. Nous<br />
avons progressivement réussi à maîtriser le feu <strong>de</strong> façon à obtenir <strong><strong>de</strong>s</strong> températures<br />
<strong>de</strong> plus en plus élevées. Ceci nous a permis <strong>de</strong> passer <strong>de</strong> l’âge du cuivre <strong>et</strong> du<br />
bronze, à celui du fer. Aujourd’hui, à l’ère du silicium <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’informatique, nous<br />
cherchons à élaborer <strong><strong>de</strong>s</strong> matériaux nanostructurés répondant aux exigences <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
nanotechnologies mo<strong>de</strong>rnes.<br />
Dans ce domaine, le vivant nous offre <strong><strong>de</strong>s</strong> exemples remarquables qui remontent<br />
souvent au début du Cambrien. Le but <strong>de</strong> ce <strong>cours</strong> était <strong>de</strong> montrer comment <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
micro-organismes pouvaient intervenir dans l’élaboration <strong>de</strong> matériaux<br />
nanostructurés. Pour cela, nous avons développé les exemples suivants.<br />
1. Les diatomées, <strong><strong>de</strong>s</strong> biomatériaux nanostructurés<br />
Les diatomées, micro-algues unicellulaires, élaborent <strong><strong>de</strong>s</strong> exosquel<strong>et</strong>tes <strong>de</strong> silice<br />
(frustules) qui les protègent tout en laissant passer la lumière nécessaire à leur<br />
activité photosynthétique. Ces frustules, dont le diamètre est <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> quelques<br />
microns, présentent une structure poreuse tout à fait remarquable couramment<br />
utilisée pour la réalisation <strong>de</strong> filtres ou <strong>de</strong> supports <strong>de</strong> catalyseurs. Il est en fait<br />
possible d’utiliser directement ces frustules dans la conception <strong>de</strong> dispositifs<br />
électroniques. C’est ainsi, qu’en m<strong>et</strong>tant à profit la conductivité ou les propriétés<br />
<strong>de</strong> luminescence <strong><strong>de</strong>s</strong> frustules <strong>de</strong> silice, on peut réaliser <strong><strong>de</strong>s</strong> micro-capteurs capables<br />
<strong>de</strong> détecter <strong><strong>de</strong>s</strong> traces <strong>de</strong> certains gaz. La porosité régulière <strong>et</strong> hiérarchisée <strong>de</strong> ces<br />
frustules présente même <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés <strong>de</strong> cristal photonique On a montré<br />
récemment que la silice pouvait être modifiée chimiquement sans altérer la<br />
morphologie <strong><strong>de</strong>s</strong> frustules. On forme ainsi <strong><strong>de</strong>s</strong> nano-matériaux à base d’oxy<strong><strong>de</strong>s</strong>
188 JACQUES LIVAGE<br />
MgO, TiO 2 ou BaTiO 3. Il est même possible <strong>de</strong> réduire toute la silice en silicium<br />
élément <strong>de</strong> base <strong>de</strong> l’électronique mo<strong>de</strong>rne.<br />
2. Matériaux nanostructurés <strong>et</strong> polypepti<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Les pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> peuvent être utilisés pour lier entre-elles, <strong>de</strong> façon contrôlée, un<br />
ensemble <strong>de</strong> nanoparticules minérales (métaux, oxy<strong><strong>de</strong>s</strong>, semi-conducteurs). Les<br />
nanoparticules s’associent pour former nanostructures en chaînes, réseaux carrés,<br />
voire même <strong><strong>de</strong>s</strong> édifices 3D. Les pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> présentent souvent <strong><strong>de</strong>s</strong> structures<br />
tubulaires que l’on peut utiliser comme templates pour élaborer <strong><strong>de</strong>s</strong> nanotubes. Un<br />
choix judicieux <strong><strong>de</strong>s</strong> aci<strong><strong>de</strong>s</strong> aminés constituant le pepti<strong>de</strong> perm<strong>et</strong> d’initier la<br />
précipitation d’un composé choisi à la surface, intérieure ou extérieure du pepti<strong>de</strong>.<br />
C’est ainsi que l’équipe animée par Franck Artzner a utilisé un polypepti<strong>de</strong>, le<br />
lanréoti<strong>de</strong>, pour élaborer <strong><strong>de</strong>s</strong> nanotubes <strong>de</strong> silice. On peut aussi réaliser <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
nanotubes métalliques (Au, Cu, Pt,…) <strong>et</strong> les déposer entre <strong>de</strong>ux électro<strong><strong>de</strong>s</strong> pour<br />
réaliser <strong><strong>de</strong>s</strong> nanocircuits électroniques. Les chaperons moléculaires, qui se présentent<br />
sous forme d’anneaux peuvent être utilisés pour déposer <strong>de</strong> façon régulière, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
nanoparticules semi-conductrices qui pourraient intervenir comme nanocomposants<br />
dans les mémoires flash <strong><strong>de</strong>s</strong> clés USB !<br />
3. De l’ADN aux transistors<br />
L’ADN, molécule <strong>de</strong> base <strong>de</strong> la vie, a été abondamment étudiée comme template<br />
pour la réalisation <strong>de</strong> nanocomposants dans les circuits électroniques. Des ions<br />
métalliques peuvent être insérés entre les <strong>de</strong>ux brins <strong>de</strong> l’ADN ou fixés à leur<br />
surface via les groupements phosphates, puis réduits in situ pour donner <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
nanofils conducteurs ou semi-conducteurs. On peut jouer sur la complémentarité<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux brins d’ADN pour associer les nano-composants <strong>et</strong> réaliser <strong>de</strong> véritables<br />
circuits tels que <strong><strong>de</strong>s</strong> transistors à eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> champ !<br />
4. Virus <strong>et</strong> nanomatériaux<br />
De nombreux virus ont été utilisés pour élaborer <strong><strong>de</strong>s</strong> nanomatériaux. Le contrôle<br />
<strong>de</strong> l’information génétique (ARN ou ADN) perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> contrôler la nature <strong>de</strong><br />
l’enveloppe protéique qui les recouvrent <strong>et</strong> dans laquelle certains aci<strong><strong>de</strong>s</strong> aminés<br />
peuvent servir <strong>de</strong> germe pour nucléer la croissance <strong>de</strong> nanoparticules. Deux types<br />
<strong>de</strong> virus ont été pris comme exemples dans le <strong>cours</strong>.<br />
• Le virus <strong>de</strong> la mosaïque du tabac, qui se présente sous forme d’un bâtonn<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
300 nm <strong>de</strong> long. Il perm<strong>et</strong> d’élaborer <strong><strong>de</strong>s</strong> nanotubes d’oxy<strong><strong>de</strong>s</strong> (SiO 2, Fe 3O 4) <strong>de</strong><br />
semi-conducteurs (PbS, CdS) <strong>de</strong> métaux (Co, Cu, Ni, Pd, …) <strong>et</strong> même <strong>de</strong><br />
polymères (polyaniline). Des dispositifs <strong>de</strong> commutation ont même été publiés<br />
récemment dans lesquels les virus, recouverts <strong>de</strong> nanoparticules métalliques sont<br />
insérés entre <strong>de</strong>ux électro<strong><strong>de</strong>s</strong>. Une commutation réversible d’un état isolant (OFF)<br />
à un état conducteur (ON) est observée au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus d’une tension seuil.
CHIMIE DE LA MATIÈRE CONDENSÉE 189<br />
• Le bactériophage M13 a aussi été largement utilisé pour l’élaboration <strong>de</strong><br />
nanomatériaux, en particulier par l’équipe d’Angela Belcher aux USA. Ce virus,<br />
plus long que le précé<strong>de</strong>nt (880 nm), possè<strong>de</strong> un manteau protéïque plus complexe.<br />
Cinq familles <strong>de</strong> pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> différentes peuvent être génétiquement modifiées ce qui<br />
ouvre <strong>de</strong> vastes perspectives. La plus belle réalisation est sans aucun doute<br />
l’élaboration <strong>de</strong> nanofils d’oxy<strong>de</strong> <strong>de</strong> cobalt Co 3O 4 qui peuvent servir d’électro<strong>de</strong><br />
réversible dans <strong><strong>de</strong>s</strong> nanobatteries au lithium.<br />
5. Les bactéries<br />
Par rapport aux exemples précé<strong>de</strong>nts, les bactéries sont <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s vivants dont<br />
le métabolisme peut être mis à profit pour réaliser la synthèse <strong>de</strong> nanoparticules<br />
minérales. L’exemple <strong><strong>de</strong>s</strong> magnéto-bactéries qui élaborent <strong><strong>de</strong>s</strong> chaînes <strong>de</strong><br />
nanocristaux d’oxy<strong>de</strong> <strong>de</strong> fer magnétique Fe 3O 4 est bien connu. On peut, simplement<br />
en introduisant <strong><strong>de</strong>s</strong> ions étrangers dans le milieu <strong>de</strong> culture, transformer ces<br />
particules en spinelles, MFe 2O 4 (M = Co, Zn, Mn, …). Les cultures <strong>de</strong> bactéries<br />
vivant dans <strong><strong>de</strong>s</strong> milieux extrêmes perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> précipiter <strong><strong>de</strong>s</strong> sphères creuses <strong>de</strong><br />
ZnS, <strong><strong>de</strong>s</strong> nanosphères <strong>de</strong> sélénium, <strong><strong>de</strong>s</strong> nanocristaux <strong>de</strong> CdS <strong>et</strong> même <strong><strong>de</strong>s</strong> nanotubes<br />
<strong>de</strong> sulfure d’arsenic. Une application originale consiste à utiliser <strong><strong>de</strong>s</strong> bactéries,<br />
recouvertes <strong>de</strong> nanoparticules d’or, comme capteur d’humidité. Le gonflement<br />
réversible <strong>de</strong> la membrane <strong>de</strong> peptidoglycane modifie la distance entre particules<br />
métalliques <strong>et</strong> donc la résistivité du bio-composant.<br />
Les séminaires<br />
6 séminaires ont accompagné le <strong>cours</strong> afin <strong>de</strong> l’illustrer.<br />
• Micro-algues <strong>et</strong>, nanomatériaux par Roberta Brayner (Itodis, Paris VII)<br />
• Nanoparticules organométalliques : chimie <strong>de</strong> surface, contrôle <strong>de</strong> forme <strong>et</strong><br />
propriétés physiques par Bruno Chaudr<strong>et</strong> (Chimie <strong>de</strong> coordination – Toulouse)<br />
• La tectonique moléculaire, <strong><strong>de</strong>s</strong> molécules aux architectures périodiques par Mir<br />
Wais Hosseini (chimie <strong>de</strong> coordination organique – Strasbourg)<br />
• Les nano-médicaments, une nouvelle approche thérapeutique <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies<br />
graves par Patrick Couvreur (Pharmacie – Chatenay Malabry)<br />
• Matériaux hybri<strong><strong>de</strong>s</strong> nano-structurés par Clément Sanchez (Chimie <strong>de</strong> la<br />
matière con<strong>de</strong>nsée – Paris VI)<br />
• Molécules, surface <strong>et</strong> symétrie, un mariage à trois par Denis Fichou<br />
(Nanostructures – CEA)
190 JACQUES LIVAGE<br />
Cours <strong>et</strong> séminaires à l’étranger<br />
C<strong>et</strong>te année nous avons présenté <strong>de</strong>ux séries <strong>de</strong> <strong>cours</strong> <strong>et</strong> séminaires à<br />
l’étranger :<br />
• A Tunis, les 26 <strong>et</strong> 27 février 2008 sur la synthèse <strong>et</strong> les propriétés d’oxy<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong><br />
vanadium ;<br />
• A Uppsala, <strong>de</strong>ux <strong>cours</strong> ‘the sol-gel process’ <strong>et</strong> un séminaire ‘vanadium oxi<strong>de</strong><br />
gels, versatile precursors for nanostructured materials’.<br />
Activités <strong>de</strong> recherche 2007-2008<br />
Notre démarche vise à explorer les domaines d’interface entre la biologie <strong>et</strong> les<br />
sciences <strong><strong>de</strong>s</strong> matériaux. C<strong>et</strong>te démarche s’articule selon trois thématiques<br />
principales :<br />
— l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes <strong>de</strong> biominéralisation ;<br />
— l’élaboration <strong>de</strong> matériaux <strong>et</strong> nanomatériaux bio-composites à visées médicales<br />
ou biotechnologiques ;<br />
— la compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions <strong>de</strong> survie d’organismes vivants au sein <strong>de</strong><br />
structures minérales synthétique.<br />
Biominéralisation <strong>de</strong> la silice : approche analytique <strong>et</strong> modèles chimiques<br />
Les processus biologiques intervenant dans la formation <strong>de</strong> la silice chez les êtres<br />
vivants, en particulier chez les diatomées, sont encore mal connus. Un certain<br />
nombre <strong>de</strong> molécules associées à la silice biogénique ont pu être i<strong>de</strong>ntifiées mais<br />
l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> leur interaction vis-à-vis <strong>de</strong> la minéralisation ne perm<strong>et</strong> pas encore <strong>de</strong><br />
reproduire in vitro la complexité <strong><strong>de</strong>s</strong> organisations minérales observées in vivo.<br />
D’autre part, les traitements nécessaires à l’extraction <strong>de</strong> ces molécules peuvent<br />
entraîner leur dégradation. Aussi une étu<strong>de</strong> directe du matériau biologique est elle<br />
nécessaire.<br />
Dans ce cadre, nous avons étudié par RMN à l’état soli<strong>de</strong> la coquille siliceuse<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> diatomées, après leur culture puis en fonction <strong>de</strong> différents traitements<br />
chimiques. Ce travail a été effectué en collaboration avec V. Martin-Jézéquel<br />
(Université <strong>de</strong> Nantes) Afin <strong>de</strong> pouvoir mener une étu<strong>de</strong> simultanée <strong><strong>de</strong>s</strong> parties<br />
minérales <strong>et</strong> organiques, ces diatomées ont été cultivées en présence <strong>de</strong> substrats<br />
enrichis en 29Si, 13C <strong>et</strong> 15N <strong>et</strong> étudiées selon <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> polarisation<br />
croisée. C<strong>et</strong>te technique nous a permis <strong>de</strong> discriminer <strong><strong>de</strong>s</strong> molécules rigi<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong><br />
mobiles, c’est-à-dire associées ou non au réseau <strong>de</strong> silice. Nous avons ainsi pu<br />
démontrer que même après <strong><strong>de</strong>s</strong> traitements chimiques intensifs, la coquille<br />
contenait encore <strong><strong>de</strong>s</strong> carbohydrates, <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines mais aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> lipi<strong><strong>de</strong>s</strong>. Ce <strong>de</strong>rnier<br />
résultat est particulièrement intéressant car il suggère que le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> lipi<strong><strong>de</strong>s</strong> dans<br />
la formation <strong>de</strong> la silice chez les diatomées a été sous-évalué jusqu’à maintenant.
CHIMIE DE LA MATIÈRE CONDENSÉE 191<br />
Actuellement, ces étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sont poursuivies à travers l’établissement <strong>de</strong> cartes <strong>de</strong><br />
corrélation bi-dimensionnelle qui <strong>de</strong>vrait nous perm<strong>et</strong>tre d’i<strong>de</strong>ntifier les<br />
connectivités entre la matière organique <strong>et</strong> le réseau minéral.<br />
En parallèle, nous avons c<strong>et</strong>te année abordé un nouvel aspect lié à la<br />
biominéralisation chez les plantes supérieures. Il est en eff<strong>et</strong> connu que la silice est<br />
présente à <strong><strong>de</strong>s</strong> taux <strong>de</strong> 1 % à 10 % en masse chez certaines plantes. C<strong>et</strong>te silice<br />
joue un rôle <strong>de</strong> gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> stress biotiques <strong>et</strong> abiotiques mais les mécanismes<br />
associés sont encore mal connus. Nous cherchons donc à mimer <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus végétaux<br />
silicifiés en élaborant <strong><strong>de</strong>s</strong> matériaux hybri<strong><strong>de</strong>s</strong> cellulose/silice <strong>et</strong> à évaluer leur impact<br />
sur la stabilisation <strong>de</strong> systèmes enzymatiques liés à la gestion du stress oxydatif. Ce<br />
travail est effectué dans le cadre d’une thèse en co-encadrement avec l’USTHB<br />
(Algérie). Nous avons d’ores <strong>et</strong> déjà pu montrer que la présence <strong>de</strong> la silice<br />
perm<strong>et</strong>tait <strong>de</strong> stabiliser <strong><strong>de</strong>s</strong> solutions <strong>de</strong> carboxym<strong>et</strong>hylcellulose, modifiant ainsi<br />
leurs propriétés <strong>de</strong> diffusion. L’étu<strong>de</strong> actuelle porte sur l’encapsulation <strong>de</strong> catalase<br />
dans ces matériaux à teneur variable en silice <strong>et</strong> à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> stress hydrique,<br />
thermique <strong>et</strong> photochimique sur leur activité enzymatique.<br />
Matériaux <strong>et</strong> nanomatériaux biocomposites<br />
Depuis quelques années, nous cherchons à associer <strong><strong>de</strong>s</strong> macromolécules<br />
biologiques <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> phases inorganiques, afin <strong>de</strong> créer une synergie entre la complexité<br />
structurale <strong>et</strong> la biocompatibilité <strong><strong>de</strong>s</strong> premiers avec les propriétés physiques<br />
(optiques, magnétiques,…) <strong><strong>de</strong>s</strong> seconds. En particulier, dans le cadre du poste<br />
d’ATER du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>de</strong> F. Carn, nous avons poursuivi l’étu<strong>de</strong> concernant<br />
l’association entre <strong><strong>de</strong>s</strong> macromolécules <strong>de</strong> gélatine <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> clusters polyoxovanadates<br />
<strong>de</strong> type décavanadate [H 2V 10O 28] 4- connus pour être impliqués dans la formation<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> rubans <strong>de</strong> V 2O 5.<br />
En collaboration avec M. Djabourov (ESPCI), nous avons établi le diagramme <strong>de</strong><br />
phase du système [gélatine-vanadate] à 40 °C <strong>et</strong> pH aci<strong>de</strong>. Nous avons ainsi mis en<br />
évi<strong>de</strong>nce l’existence d’une séparation <strong>de</strong> phase en <strong>de</strong>ux temps laissant apparaître trois<br />
régions distinctes : liqui<strong>de</strong> homogène, dispersion colloïdale métastable, domaine<br />
macroscopiquement biphasique (une phase visqueuse riche en gélatine en équilibre<br />
avec une phase diluée). Sur la base d’une étu<strong>de</strong> détaillée <strong>de</strong> chaque région (RMN<br />
liqui<strong>de</strong> <strong>et</strong> soli<strong>de</strong> du 51 V, diffusion <strong>de</strong> la lumière), nous avons proposé un mécanisme<br />
<strong>de</strong> formation <strong>de</strong> ces phases fondé sur un processus <strong>de</strong> coacervation complexe déjà<br />
décrit pour <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes comprenant <strong>de</strong>ux espèces polyélectrolytes <strong>de</strong> charges<br />
opposées. Nous avons poursuivi les mesures <strong>de</strong> rhéologie dans le domaine liqui<strong>de</strong><br />
homogène que l’on a combiné à celles <strong>de</strong> μ-DSC dans le but <strong>de</strong> son<strong>de</strong>r l’influence<br />
d’espèces vanadate fortement chargées négativement sur le changement <strong>de</strong><br />
conformation <strong>de</strong> la gélatine. Nous avons mis en évi<strong>de</strong>nce une faible influence <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
clusters inorganiques sur la formation <strong><strong>de</strong>s</strong> triples hélices <strong>de</strong> gélatine à température<br />
ambiante <strong>et</strong> en revanche, un impact très significatif sur le processus <strong>de</strong> fusion <strong><strong>de</strong>s</strong>
192 JACQUES LIVAGE<br />
triples hélices. Ce résultat surprenant a été discuté <strong>et</strong> comparé au comportement<br />
« modèle » d’une solution <strong>de</strong> collagène natif (100 % <strong>de</strong> triples hélices).<br />
Enfin, nous avons effectué une caractérisation détaillée <strong>de</strong> la phase visqueuse<br />
obtenue dans le domaine bi-phasique après r<strong>et</strong>our à l’ambiante (ATG, DSC, RMN<br />
soli<strong>de</strong> 51 V, DRX, comportement mécanique en traction). Les mesures en traction<br />
ont été effectuées en collaboration avec B. Fayolle (ENSAM, Paris). Nous avons<br />
mis en évi<strong>de</strong>nce notamment que ce matériau hybri<strong>de</strong> possè<strong>de</strong> une stœchiométrie<br />
bien déterminée. Il peut être facilement mis sous forme <strong>de</strong> film <strong>et</strong> se comporte<br />
mécaniquement comme un élastomère avec une contribution significative du<br />
réseau <strong>de</strong> triples hélices. L’influence <strong>de</strong> la matrice organique sur la croissance d’un<br />
réseau <strong>de</strong> V 2O 5 a également été montrée.<br />
La spectroscopie RMN du soli<strong>de</strong> est une technique intéressante pour caractériser<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> matériaux hybri<strong><strong>de</strong>s</strong> désordonnés. Elle suppose cependant la connaissance <strong>de</strong> la<br />
réponse spectrale <strong>de</strong> composés modèles. C’est pourquoi, nous avons continué notre<br />
approche consistant à coupler <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences RMN à <strong><strong>de</strong>s</strong> calculs ab-initio sur le<br />
décavanadate <strong>de</strong> césium <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> phases lamellaires <strong>de</strong> type CsV 3O 8. Ce travail a été<br />
effectué en collaboration avec R. Hajjar, Y. Millot <strong>et</strong> P. Man (SIEN, UPMC) <strong>et</strong><br />
L. Truflandier, F. Boucher, M. Paris <strong>et</strong> C. Payen (IMN). Outre le noyau 51 V,<br />
d’autres noyaux comme 133 Cs ont également été étudiés <strong>et</strong> nous avons pu attribuer<br />
<strong>de</strong> façon claire les signaux RMN aux sites vanadium <strong>et</strong> césium <strong><strong>de</strong>s</strong> structures<br />
cristallographiques <strong>et</strong> préciser la localisation <strong><strong>de</strong>s</strong> sites OH du cluster inorganique.<br />
Nous avons également effectué <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences 133 Cs- 1 H HETCOR CP MAS qui<br />
n’ont jamais été reportées dans la littérature. Ces expériences perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> son<strong>de</strong>r<br />
l’espace interfoliaire <strong><strong>de</strong>s</strong> phases CsV 3O 8 ou les connectivités spatiales entre les ions<br />
Cs + <strong>et</strong> le réseau <strong>de</strong> liaisons hydrogène du décavanadate <strong>de</strong> césium.<br />
En parallèle, nous avons approfondi notre connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes<br />
nanoparticulaires hybri<strong><strong>de</strong>s</strong> associant un biopolymère <strong>et</strong> la silice. Dans un premier<br />
temps, nous avons cherché à optimiser notre approche <strong>de</strong> synthèse <strong>de</strong> nanocomposites<br />
gélatine/silice par nano-émulsion afin <strong>de</strong> réduire la dispersité en taille <strong><strong>de</strong>s</strong> particules<br />
obtenues, c<strong>et</strong>te dispersité ayant un très fort impact sur la délivrance <strong>de</strong> médicaments<br />
in vivo. Dans un <strong>de</strong>uxième temps, nous avons cherché à encapsuler une molécule<br />
antibiotique, la nitrofurantoïne, au sein <strong>de</strong> ces particules. Nous avons pu ainsi<br />
vérifier que ce médicament restait présent tout au long <strong>de</strong> la synthèse au sein <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
nanocomposites. C<strong>et</strong>te même molécule a été encapsulée dans <strong><strong>de</strong>s</strong> nanoparticules<br />
combinant aci<strong>de</strong> alginique <strong>et</strong> silice obtenues par voie aérosol. Dans ce cas, nous<br />
avons pu observer un départ très rapi<strong>de</strong> mais partiel <strong>de</strong> la molécule lors <strong>de</strong> sa<br />
dispersion en milieu aqueux, <strong>et</strong> ce indépendamment <strong>de</strong> la composition (rapport<br />
silice/alginate) <strong>de</strong> la particule. Ceci suggère qu’une fraction du médicament est<br />
adsorbée à la surface <strong><strong>de</strong>s</strong> nanocomposites <strong>et</strong> non encapsulée. Ces résultats nous<br />
perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> mieux appréhen<strong>de</strong>r les conditions optimales pour la mise au point<br />
<strong>de</strong> nanovecteurs hybri<strong><strong>de</strong>s</strong> afin <strong>de</strong> pouvoir étendre notre stratégie à d’autres<br />
biopolymères <strong>de</strong> structure <strong>et</strong> <strong>de</strong> charge différente.
Encapsulation cellulaire en milieu minéral<br />
CHIMIE DE LA MATIÈRE CONDENSÉE 193<br />
Le futur développement <strong>de</strong> nouveaux dispositifs biotechnologiques utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
activités cellulaires va dépendre <strong><strong>de</strong>s</strong> possibilités d’intégrer <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes vivants<br />
au sein <strong>de</strong> matériaux fonctionnels. Nous avons déjà démontré qu’il était possible<br />
d’immobiliser <strong><strong>de</strong>s</strong> bactéries au sein <strong>de</strong> gels <strong>de</strong> silice, <strong>de</strong> conserver leur activité<br />
métabolique pendant un mois <strong>et</strong> <strong>de</strong> les utiliser pour synthétiser <strong><strong>de</strong>s</strong> molécules<br />
d’intérêt thérapeutique. Notre démarche actuelle vise à étendre ce procédé à<br />
d’autres hôtes minéraux.<br />
La principale difficulté est <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre au point une voie <strong>de</strong> synthèse <strong>de</strong> la matrice<br />
minérale qui soit compatible avec la survie cellulaire. Un nombre important <strong>de</strong><br />
cations métalliques étant cytotoxique, nous avons exploré la possibilité <strong>de</strong> former<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> gels inorganiques par une voie colloïdale, c’est-à-dire à partir <strong>de</strong> nanoparticules<br />
préformées. C<strong>et</strong>te approche nous a permis <strong>de</strong> réaliser la première encapsulation<br />
cellulaire par voie sol-gel dans une matrice d’alumine. Nous avons observé une<br />
perte importante (60 %) <strong>de</strong> viabilité lors <strong>de</strong> l’encapsulation, probablement due à<br />
un temps <strong>de</strong> gel trop rapi<strong>de</strong> (quelques dizaines <strong>de</strong> secon<strong><strong>de</strong>s</strong> pour l’alumine contre<br />
3-4 minutes pour la silice), qui induit un stress important sur les bactéries<br />
Escherishia coli. Cependant, un taux <strong>de</strong> viabilité <strong>de</strong> 50 % est obtenu pour une<br />
durée d’un mois, en présence <strong>de</strong> glycérol. Ce résultat est similaire à celui obtenu<br />
pour les gels <strong>de</strong> silice <strong>et</strong> suggère que ces matrices d’alumine constituent un<br />
environnement favorable à la survie <strong><strong>de</strong>s</strong> bactéries. En suivant une approche<br />
similaire, nous avons cherché à encapsuler <strong><strong>de</strong>s</strong> bactéries E. coli dans <strong><strong>de</strong>s</strong> gels <strong>de</strong><br />
zircone. Dans ce cas, une lyse cellulaire a été observée lors d’une mise en contact<br />
prolongé <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules avec les colloï<strong><strong>de</strong>s</strong> inorganiques.<br />
Ces résultats indiquent que le succès <strong>de</strong> l’encapsulation dépend non seulement<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> paramètres chimiques <strong>de</strong> la synthèse mais aussi <strong>de</strong> facteurs physiques liés à la<br />
contrainte mécanique imposée par la formation du gel <strong>et</strong>/ou à l’interaction<br />
colloï<strong><strong>de</strong>s</strong>/paroi cellulaire. Afin <strong>de</strong> vérifier c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière hypothèse, nous cherchons<br />
actuellement à encapsuler <strong><strong>de</strong>s</strong> micro-algues au sein <strong>de</strong> gels inorganiques, afin<br />
d’évaluer la capacité <strong><strong>de</strong>s</strong> poly-sacchari<strong><strong>de</strong>s</strong> extra-cellulaires <strong>de</strong> ces organismes à<br />
protéger les cellules <strong><strong>de</strong>s</strong> stress physiques induits par l’encapsulation. Ce travail<br />
s’effectue en collaboration avec R. Brayner (ITODYS, Paris VII) <strong>et</strong> A. Couté<br />
(MNHN, Paris), dans le cadre d’une thèse en co-encadrement financée par le<br />
réseau C’nano IdF <strong>et</strong> le CNRS. En parallèle, nous étudions actuellement l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
la transition sol-gel sur le comportement <strong>et</strong> la survie <strong>de</strong> micro-algues présentant<br />
une importante motilité.
194 JACQUES LIVAGE<br />
Publications 2007-2008<br />
• Macrocyclic polysiloxane immobilized ligand system and its structural characterization,<br />
N.M. El-Ashgar, I.M. El-Nahal, M.M. Chehimi, C. Connan, F. Babonneau, J. Livage,<br />
J. Dispersion Sci. Technol. 28 (2007) 445-453.<br />
• A new route synthesis of immobilized-polysiloxane iminodiac<strong>et</strong>ic ligand system, its<br />
characterization and applications, N.M. El-Ashgar, I.M. El-Nahal, M.M. Chehimi,<br />
F. Babonneau, J. Livage, Mater. L<strong>et</strong>t. 61 (2007) 4553-4558.<br />
• Designing nanotextured vanadium oxi<strong>de</strong>-based macroscopic fibers : application as alcoholic<br />
sensors, C.M. Leroy, M.F. Achard, O. Babot, N. Steunou, P. Masse, J. Livage, L. Bin<strong>et</strong>,<br />
N. Brun, R. Backov, Chem. Mater. 19 (2007) 3988-3999.<br />
• Aqueous Silicates in Biological Sol-Gel : New Perspectives for Old Precursors, T. Coradin,<br />
J. Livage, Acc. Chem. Res. 40 (2007) 819.<br />
• Potentialities of silica/alginate nanoparticles as HYbrid MAgn<strong>et</strong>ic Carriers, M. Boissière,<br />
J. Allouche, C. Chanéac, R. Brayner, J.M. Devoisselle, J. Livage, T. Coradin, Int. J. Pharm.<br />
344 (2007) 128-134.<br />
• Sol-gel encapsulation of cells is not limited to silica : bacteria long-term viability in<br />
alumina matrices, M. Amoura, N. Nassif, C. Roux, J. Livage, T. Coradin, Chem. Commun.<br />
(2007) 4015-4017.<br />
• Design of iron oxi<strong>de</strong>/silica/alginate HYbrid MAgn<strong>et</strong>ic Carriers (HYMAC), M. Boissière,<br />
J. Allouche, R. Brayner, C. Chanéac, J. Livage, T. Coradin, J. Nanosci. Nanotechnol.<br />
7 (2007) 4649–4654.<br />
• Hydrothermal synthesis of amorphous MoS 2 nanofiber bundles via acidification of<br />
ammonium molybdate t<strong>et</strong>rahydrate. G. Nagaraju, C.N. Tharamani, G.T. Chandrappa,<br />
J. Livage, Nanoscale Res. L<strong>et</strong>t. 2 (2007) 461-468.<br />
• First Example of Biopolymer-Polyoxom<strong>et</strong>alate Complex Coacervation in Gelatin-<br />
Decavanadate Mixtures, F. Carn, N. Steunou, M. Djabourov, T. Coradin, F. Ribot, J. Livage,<br />
Soft Matter 4 (2008) 735-738.<br />
• Organically modified porous hydroxyapatites : a comparison b<strong>et</strong>ween alkylphosphonate<br />
grafting and citrate chelation, L. El-Hammari, H. Marroun, A. Laghzizil, A. Saoiabi,<br />
C. Roux, J. Livage, T. Coradin, J. Solid State Chem. 181 (2008) 848-854.<br />
• Contribution of multi-nuclear solid state NMR to characterization of the Thalassiosira<br />
pseudonana diatom cell wall., B. Tesson, S. Masse, G. Laurent, J. Maqu<strong>et</strong>, J. Livage,<br />
V. Martin-Jezequel, T. Coradin. Anal. Bioanal. Chem. 390 (2008) 1889-1898.<br />
• Biomim<strong>et</strong>ic dual templating of silica by poly-sacchari<strong>de</strong>/protein assemblies, C. Gautier,<br />
N. Abdoul-Aribi, C. Roux, P.J. Lopez, J. Livage, T. Coradin, Colloids Surf. B, 65 (2008)<br />
140-148.<br />
• From diatoms to bio-inspired materials… and back, T. Coradin, R. Brayner, C. Gautier,<br />
M. Hémadi, P.J. Lopez, J. Livage, dans Biomineralization : from Paleontology to Materials<br />
Science ; J.L. Arias, M.S. Fernan<strong>de</strong>z, eds ; Editorial Universitaria (2007) p. 419-430.<br />
• Bio-controlled growth of oxi<strong><strong>de</strong>s</strong> and m<strong>et</strong>allic nanoparticles, T. Coradin, R. Brayner,<br />
F. Fiév<strong>et</strong>, J. Livage, dans Bio-inorganic Hybrid Nanomaterials ; E. Ruiz-Hitzky, K. Ariga,<br />
Y. Lvov, eds. Wiley-VCH (2007) p. 159-192.
Enseignement<br />
Génétique humaine<br />
M. Jean-Louis Man<strong>de</strong>l, membre <strong>de</strong> l’institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />
Une série <strong>de</strong> 5 <strong>cours</strong> a été donnée au <strong>Collège</strong> en mars 2008 sur un thème <strong>de</strong><br />
très gran<strong>de</strong> actualité : « Évolution du génome humain <strong>et</strong> gènes soumis à sélection<br />
positive ». Des variations génétiques apparaissent à chaque génération <strong>et</strong> la plupart<br />
disparaissent ou restent extrêmement rares, mais certaines vont augmenter <strong>de</strong><br />
fréquence, jusqu’à la fixation éventuelle dans certaines populations, sous l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
la dérive génétique <strong>et</strong> <strong>de</strong> pression <strong>de</strong> sélection négative (pour les variants délétères)<br />
ou positive (pour les variants ayant une valeur adaptative). Depuis plus <strong>de</strong> 50 ans,<br />
ces phénomènes ont été étudié chez l’homme pour <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines puis pour <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
gènes « candidats » montrant <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés particulières : polymorphisme important<br />
(gènes HLA) ou montrant une gran<strong>de</strong> variation <strong>de</strong> fréquence dans diverses<br />
populations (<strong>et</strong> il faut rappeler évi<strong>de</strong>mment les <strong>travaux</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs au <strong>Collège</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>France</strong>, Jacques Ruffié <strong>et</strong> Jean Dauss<strong>et</strong>).<br />
Depuis une dizaine d’années, on constate une explosion <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances, grâce<br />
au séquençage du génome humain <strong>et</strong> <strong>de</strong> certains primates (chimpanzé en 2005,<br />
macaque rhésus en 2007) <strong>et</strong> à l’étu<strong>de</strong> systématique du polymorphisme du génome<br />
humain (proj<strong>et</strong> HapMap, caractérisant en 2007 plus <strong>de</strong> 3 millions <strong>de</strong> « Single<br />
Nucleoti<strong>de</strong> Polymorphisms » <strong>et</strong> leur organisation en haplotypes dans 4 populations<br />
humaines), <strong>et</strong> aux spectaculaires développements technologiques qui sous-ten<strong>de</strong>nt<br />
ces grands proj<strong>et</strong>s, <strong>et</strong> qui perm<strong>et</strong>tent <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ciblées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
populations particulières. Le séquençage en <strong>cours</strong> du génome d’homme <strong>de</strong><br />
Néan<strong>de</strong>rtal va apporter également <strong><strong>de</strong>s</strong> données précieuses. C<strong>et</strong>te série <strong>de</strong> <strong>cours</strong> a<br />
présenté les approches méthodologiques utilisées pour i<strong>de</strong>ntifier <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes soumis<br />
à sélection positive, <strong>et</strong> discuté certains <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats les plus marquants obtenus<br />
dans les <strong>de</strong>rnières années, en soulignant dans certains cas les controverses quant à<br />
leur interprétation.
196 JEAN-LOUIS MANDEL<br />
Le premier <strong>cours</strong> a présenté l’organisation en haplotypes <strong><strong>de</strong>s</strong> polymorphismes du<br />
génome <strong>et</strong> son interprétation, <strong>et</strong> les types <strong>de</strong> mesures perm<strong>et</strong>tant d’estimer, pour<br />
différentes échelles <strong>de</strong> temps <strong>de</strong>puis la séparation <strong>de</strong> l’ancêtre commun au<br />
chimpanzé <strong>et</strong> à l’homme, la probabilité d’une sélection positive dans une région<br />
du génome : proportion <strong>de</strong> changements fonctionnels (affectant la séquence<br />
protéique) au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> primates, distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences <strong>de</strong><br />
polymorphismes, <strong>et</strong> notamment <strong><strong>de</strong>s</strong> allèles dérivés (ceux qui ne correspon<strong>de</strong>nt pas<br />
à la séquence déduite <strong>de</strong> l’ancêtre commun <strong><strong>de</strong>s</strong> hominidés <strong>et</strong> du chimpanzé), <strong>et</strong><br />
enfin, pour l’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> évolutions plus récentes, différences <strong>de</strong> fréquence allélique<br />
entre populations <strong>et</strong> longueur <strong><strong>de</strong>s</strong> haplotypes communs (cf. Sab<strong>et</strong>i <strong>et</strong> al., Science<br />
2006 ; Nielsen <strong>et</strong> al., Nat. Rev. Gen<strong>et</strong>. 2007). Les exemples classiques (étudiés au<br />
<strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> 50 <strong>de</strong>rnières années) <strong>de</strong> sélection dans les régions d’endémie paludéenne<br />
<strong>de</strong> mutations affectant les gènes globine <strong>et</strong> responsables d’hémoglobinopathies<br />
(anémie falciforme, thalassémies) ou la glucose 6 phosphate <strong><strong>de</strong>s</strong>hydrogénase<br />
(G6PD), illustrent le fait que selon les cas, un même variant peut conférer un<br />
avantage sélectif ou être au contraire délétère. L’analyse approfondie <strong><strong>de</strong>s</strong> haplotypes<br />
perm<strong>et</strong> maintenant d’estimer l’âge <strong>de</strong> ces variants. Un <strong>cours</strong> a été consacré aux<br />
découvertes récentes concernant <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes <strong>et</strong> leurs variants associés aux différences<br />
<strong>de</strong> couleurs <strong>de</strong> peau, d’yeux ou <strong>de</strong> cheveux. La découverte du rôle du gène<br />
SLC24A5 dans la pigmentation <strong>de</strong> la peau humaine est particulièrement frappante,<br />
car débutant par l’analyse d’un mutant classique <strong>de</strong> pigmentation dans le poisson<br />
zèbre (le mutant gol<strong>de</strong>n), puis l’i<strong>de</strong>ntification d’un homologue humain du gène,<br />
définissant une gran<strong>de</strong> région <strong>de</strong> très faible diversité génétique dans la population<br />
européenne, <strong>et</strong> la présence d’une mutation inactivant ce gène dans c<strong>et</strong>te population<br />
(Lamason <strong>et</strong> al., 2005). L’hypothèse généralement admise est celle <strong>de</strong> la balance<br />
entre la protection contre l’eff<strong>et</strong> mutagénique <strong><strong>de</strong>s</strong> UV dans <strong><strong>de</strong>s</strong> régions très<br />
ensoleillées, favorisant une peau foncée, <strong>et</strong> le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> UV dans la transformation<br />
<strong>de</strong> la vitamine D (antirachitique), favorisant une peau claire dans <strong><strong>de</strong>s</strong> régions peu<br />
ensoleillées. Des étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ultérieures ont montré l’implication d’un gène similaire<br />
(SLC45A2) dans le même phénotype. Récemment, il a été montré qu’une<br />
combinatoire <strong>de</strong> polymorphismes dans 6 gènes est associée aux variations <strong>de</strong><br />
pigmentation <strong>de</strong> la peau, <strong><strong>de</strong>s</strong> yeux <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cheveux, sans perm<strong>et</strong>tre une prédiction<br />
individuelle exacte <strong>de</strong> ces phénotypes (Sulem <strong>et</strong> al., 2007). Le gène EDAR<br />
(récepteur <strong>de</strong> l’ectodysplasine) impliqué dans le développement <strong>de</strong> la peau, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
cheveux <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> glan<strong><strong>de</strong>s</strong> sudoripares, montre également <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques indiquant<br />
une sélection positive dans certaines populations.<br />
Un <strong>cours</strong> a été consacré à l’adaptation génétique aux conditions alimentaires<br />
dans les populations humaines. On observe une forte sélection <strong>de</strong> variants non<br />
codants modifiant la régulation <strong>de</strong> l’expression <strong>de</strong> la lactase dans la population<br />
européenne, mais aussi dans d’autres populations pratiquant une agriculture<br />
pastorale, où le lait est <strong>de</strong>venu un apport alimentaire important (la sélection <strong>de</strong><br />
variants différents est une exemple <strong>de</strong> convergence évolutive). Pour l’amylase<br />
(impliquée dans la digestibilité <strong>de</strong> l’amidon), c’est la variation du nombre <strong>de</strong> copies
GÉNÉTIQUE HUMAINE 197<br />
du gène qui paraît conférer une avantage sélectif. Enfin, les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> récentes <strong>de</strong><br />
polymorphismes prédisposant au diabète <strong>de</strong> type 2 (Sla<strong>de</strong>k <strong>et</strong> al., 2007) sont en<br />
faveur <strong>de</strong> la « thrifty gene hypothesis » qui propose que <strong><strong>de</strong>s</strong> variants perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong><br />
limiter la dépense énergétique dans <strong><strong>de</strong>s</strong> pério<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> restriction alimentaire ont été<br />
sélectionnés, <strong>et</strong> prédisposent aux maladies métaboliques (diabète, obésité) dans le<br />
mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie actuel. Un autre <strong>cours</strong> a été consacré aux étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, aux interprétations<br />
parfois controversées, impliquant <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes <strong>de</strong> sélection dans l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
fonctions cognitives pour les gènes FOXP2 (dans l’évolution du langage) <strong>et</strong> les<br />
gènes ASPM <strong>et</strong> MCPH1, dont <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations rares sont associées à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
microcéphalies monogéniques. Il est intéressant <strong>de</strong> noter que <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> impliquent<br />
également le gène FOXP2 dans la vocalisation ultrasonique chez les souris, <strong>et</strong> dans<br />
l’apprentissage <strong>de</strong> chants d’oiseau (modèle du mandarin, ou zebra finch).<br />
Les approches systématiques <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> régions soumises à sélection positive<br />
sur l’ensemble du génome ont été présentées <strong>et</strong> leurs limitations discutées<br />
(cf. Sab<strong>et</strong>i <strong>et</strong> al., Nature 2007, <strong>et</strong> Barreiro <strong>et</strong> al., <strong>de</strong> l’équipe <strong>de</strong> L. Quintana-Murci,<br />
Nature Gen<strong>et</strong>. 2008). Le <strong>de</strong>rnier <strong>cours</strong> a porté sur l’apparition ou la disparition<br />
<strong>de</strong> gènes au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> grands primates. Ainsi, l’apparition <strong>de</strong> la<br />
vision trichromate apparaît corrélée à la perte <strong>de</strong> nombreux gènes <strong>de</strong> récepteurs<br />
olfactifs ou <strong>de</strong> l’organe voméronasal (gène TRPC2). La datation <strong>de</strong> l’inactivation<br />
dans l’évolution humaine d’un gène myosine (MYH16) dont l’expression est<br />
spécifique <strong>de</strong> muscles masticatoires, <strong>et</strong> du rôle <strong>de</strong> c<strong>et</strong> événement dans la gracilisation<br />
<strong>de</strong> la mâchoire <strong><strong>de</strong>s</strong> hominidés <strong>et</strong> dans le développement <strong>de</strong> l’encéphale, sont très<br />
controversés (Stedman <strong>et</strong> al., 2004, McCollum <strong>et</strong> al., 2006), illustrant les difficultés<br />
<strong>de</strong> ces approches.<br />
Un <strong>cours</strong> au <strong>Collège</strong> <strong>et</strong> une conférence à l’Université <strong>et</strong> CHU Bor<strong>de</strong>aux 2 ont<br />
porté sur : Myopathies centronucléaires: un lien inattendu entre phosphoinositi<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines impliquées dans le remo<strong>de</strong>lage membranaire (dynamine 2,<br />
amphiphysine) (cf. ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous, rapport sur les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> recherche). Un <strong>cours</strong><br />
(4 h) sur la génétique <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies communes (multifactorielles) a été donné à<br />
l’Université <strong>de</strong> Strasbourg, <strong>et</strong> une conférence à l’Université Victor Segalen<br />
Bor<strong>de</strong>aux 2 sur « Maladies monogéniques, du gène aux mala<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> aux familles ».<br />
Un colloque intitulé « Actualités dans le domaine <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies monogéniques :<br />
mécanismes physiopathologiques, approches thérapeutiques » a été organisé dans le<br />
cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> enseignements <strong>de</strong> la chaire les 15 <strong>et</strong> 16 avril 2008, à l’amphithéâtre<br />
Guillaume Budé. Ce colloque soutenu par l’Association Française contre les<br />
Myopathies, qui a fait également partie <strong>de</strong> l’enseignement national pour les internes<br />
<strong>de</strong> la spécialité <strong>de</strong> génétique médicale, a été suivi par un public nombreux <strong>et</strong> attentif.<br />
Son programme a montré, au travers <strong>de</strong> 20 conférences, comment l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
mécanismes physiopathologiques <strong>de</strong> maladies monogéniques a permis <strong>de</strong> proposer<br />
<strong>et</strong> développer <strong><strong>de</strong>s</strong> stratégies thérapeutiques, allant dans plusieurs cas discutés au<br />
<strong>cours</strong> du colloque jusqu’à <strong><strong>de</strong>s</strong> essais cliniques. Les exposés ont également illustré la<br />
diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles expérimentaux utilisés : modèles cellulaires, modèles <strong>de</strong> souris
198 JEAN-LOUIS MANDEL<br />
génétiquement modifiées reproduisant les mutations observées chez l’homme, mais<br />
aussi utilisation d’organismes tels que le némato<strong>de</strong> C. elegans <strong>et</strong> la drosophile,<br />
perm<strong>et</strong>tant <strong><strong>de</strong>s</strong> cribles génétiques (pour la recherche <strong>de</strong> gènes pouvant modifier le<br />
phénotype) ou pharmacologiques. Les aspects précliniques d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
physiopathologiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> cibles thérapeutiques potentielles ont été abordés<br />
notamment pour le syndrome <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ard mental avec X fragile (modèles drosophile <strong>et</strong><br />
souris ayant abouti à l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> récepteurs au glutamate mGluR comme<br />
cible thérapeutique ; J.-L. Man<strong>de</strong>l, IGBMC, Illkirch/Strasbourg), la myopathie <strong>de</strong><br />
Duchenne (modèles némato<strong>de</strong> <strong>et</strong> souris, Laurent Segalat, CGMC CNRS, Lyon/<br />
Villeurbanne), l’ataxie <strong>de</strong> Friedreich (modèles souris, Hélène Puccio, IGBMC<br />
Illkirch/Strasbourg), les myopathies dues à un déficit en alpha-sarcoglycane (modèle<br />
souris, Isabelle Richard CNRS/Généthon, Evry), <strong>et</strong> le syndrome CADASIL <strong>de</strong><br />
démence vasculaire impliquant le gène NOTCH3 (modèle souris, Anne Joutel,<br />
INSERM/Paris 7). Le passage <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> physiopathologique à <strong><strong>de</strong>s</strong> essais cliniques<br />
en <strong>cours</strong> a été illustré par 1) Bart Loeys (Université <strong>de</strong> Gand), pour le syndrome <strong>de</strong><br />
Marfan impliquant la voie <strong>de</strong> signalisation du TGFβ, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats prom<strong>et</strong>teurs<br />
d’utilisation d’une thérapie pharmacologique (losartan) ; 2) Frédéric Becq (CNRS,<br />
Université <strong>de</strong> Poitiers) <strong>et</strong> Olivier Morand (Actelion Pharmaceuticals, Suisse), pour<br />
la proposition, à partir <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> modèles cellulaires, <strong>de</strong> l’utilisation d’une<br />
molécule, le miglustat (utilisé dans le traitement <strong>de</strong> la maladie <strong>de</strong> Gaucher), pour un<br />
traitement spécifique <strong><strong>de</strong>s</strong> patients atteints <strong>de</strong> mucoviscidose <strong>et</strong> porteurs <strong>de</strong> la<br />
mutation la plus fréquente, ΔF508 ; 3) Jean Bastin (CNRS/Necker-Enfants Mala<strong><strong>de</strong>s</strong>)<br />
pour la correction <strong>de</strong> déficits génétiques du métabolisme oxydatif mitochondrial par<br />
le bézafibrate ; 4) Nicolas Lévy (INSERM/CHU Timone Marseille), qui à partir <strong>de</strong><br />
modèles cellulaires <strong>et</strong> <strong>de</strong> souris a proposé l’utilisation d’un traitement combiné par<br />
statines <strong>et</strong> aminobiphosphonates pour inhiber la prénylation <strong><strong>de</strong>s</strong> formes tronquées<br />
<strong>de</strong> prélamine 1 responsables <strong>de</strong> la progeria, une maladie exceptionnellement rare<br />
entraînant un vieillissement accéléré ; 5) Arnold Munnich (INSERM/Université<br />
Descartes) qui a décrit un premier essai clinique d’un chélateur du fer dans l’ataxie<br />
<strong>de</strong> Friedreich. Thomas Voit (Institut <strong>de</strong> Myologie, Paris) a présenté les propriétés<br />
d’une molécule (PTC124) perm<strong>et</strong>tant un « readthrough » traductionnel <strong>de</strong><br />
mutations non-sens, mutations r<strong>et</strong>rouvées fréquemment dans <strong>de</strong> très nombreuses<br />
maladies génétiques, <strong>et</strong> les stratégies d’essais cliniques chez <strong><strong>de</strong>s</strong> patients atteints <strong>de</strong><br />
mucoviscidose ou <strong>de</strong> myopathie <strong>de</strong> Duchenne <strong>et</strong> porteurs <strong>de</strong> telles mutations. Des<br />
approches <strong>de</strong> thérapie génique ont été présentées : 1) pour la myopathie <strong>de</strong> Duchenne<br />
avec la stratégie <strong>de</strong> « saut d’exon » pour rétablir une phase <strong>de</strong> lecture dans l’ARN<br />
messager dystrophine, par Gert-Jan Van Ommen (Center for Human Gen<strong>et</strong>ics,<br />
Lei<strong>de</strong>n), qui développe une stratégie par oligonucléoti<strong><strong>de</strong>s</strong> anti-sens, qui a fait l’obj<strong>et</strong><br />
d’une première étu<strong>de</strong> clinique avec <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats biologiques encourageants ; <strong>et</strong> Luis<br />
Garcia (Institut <strong>de</strong> Myologie, INSERM), qui utilise un vecteur viral (AAV), <strong>et</strong><br />
également la correction <strong>de</strong> cellules souches ; 2) pour l’adrénoleucodystrophie, une<br />
maladie démyelinisante gravissime, par Nathalie Cartier (INSERM/Hôpital Saint-<br />
Vincent-<strong>de</strong>-Paul) qui développe avec Patrick Aubourg la thérapie génique utilisant<br />
un vecteur lentiviral, <strong>et</strong> qui a présenté les premières données <strong>de</strong> l’essai clinique en
GÉNÉTIQUE HUMAINE 199<br />
<strong>cours</strong>, le premier pour ce type <strong>de</strong> vecteur. Alain Fischer (INSERM/Hôpital Necker<br />
Enfants Mala<strong><strong>de</strong>s</strong>), pionnier dans le domaine <strong>de</strong> la thérapie génique, a brossé un<br />
tableau <strong><strong>de</strong>s</strong> déficits immunitaires monogéniques, <strong>et</strong> montré comment la<br />
compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> définir <strong><strong>de</strong>s</strong> approches thérapeutiques<br />
rationnelles par supplémentation <strong><strong>de</strong>s</strong> molécules déficientes, immunomodulation par<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> cytokines, thérapie cellulaire ou génique. Philippe Coubes (Centre Gui <strong>de</strong><br />
Chauliac/CNRS/INSERM Montpellier) a montré <strong>de</strong> manière spectaculaire<br />
comment, grâce aux progrès dans le domaine <strong><strong>de</strong>s</strong> neurosciences, <strong><strong>de</strong>s</strong> approches<br />
neurochirurgicales <strong>de</strong> neuromodulation électrique du cerveau perm<strong>et</strong>tent d’obtenir<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> résultats thérapeutiques importants dans <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies génétiques du tonus<br />
(dystonie) ou du mouvement (dyskinésie). Des aspects plus généraux <strong>de</strong> la<br />
problématique du développement thérapeutique pour les maladies rares que sont les<br />
maladies monogéniques ont été présentés par Philippe Moullier (INSERM <strong>et</strong> CHU<br />
Nantes, <strong>et</strong> College of Medicine, Gainesville FL USA) : Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> précliniques en<br />
thérapie génique ; Ségolène Aymé (Orphan<strong>et</strong>, INSERM SC11, Paris) : Des thérapies<br />
pour les maladies génétiques, succès <strong>et</strong> revers du règlement sur les médicaments<br />
orphelins ; Bernard Barataud (Généthon, Evry) : Généthon, <strong>de</strong> la cartographie du<br />
génome à l’Autorisation <strong>de</strong> Mise sur le Marché : le chemin du médicament. Enfin,<br />
une douzaine <strong>de</strong> communications par affiche sur les thèmes du colloque ont été<br />
présentées par <strong>de</strong> jeunes chercheurs, qui ont fait l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> discussions animées.<br />
Recherche<br />
Le groupe <strong>de</strong> recherche en génétique humaine fait partie du département <strong>de</strong><br />
Neurobiologie <strong>et</strong> Génétique <strong>de</strong> l’IGBMC (Institut <strong>de</strong> Génétique <strong>et</strong> Biologie<br />
Moléculaire <strong>et</strong> Cellulaire, UMR 7104 du CNRS, Unité Inserm U596 <strong>et</strong> Université<br />
Louis Pasteur <strong>de</strong> Strasbourg). Il se consacre essentiellement à l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes<br />
génétiques <strong>et</strong> physiopathologiques <strong>de</strong> maladies monogéniques neurologiques ou<br />
musculaires. Des aspects <strong>de</strong> recherche clinique sont également développés dans le<br />
laboratoire hospitalier <strong>de</strong> diagnostic génétique du CHU <strong>de</strong> Strasbourg, dirigé par<br />
J.-L. Man<strong>de</strong>l. Jean-Louis Man<strong>de</strong>l a été nommé en juin 2008 directeur <strong>de</strong> l’Institut<br />
Clinique <strong>de</strong> la Souris (ICS), une très importante plateforme technologique associée<br />
à l’IGBMC <strong>et</strong> impliquée dans la création <strong>et</strong> le phénotypage <strong>de</strong> souris génétiquement<br />
modifiées.<br />
Jean-Louis Man<strong>de</strong>l est plus particulièrement impliqué dans les thématiques<br />
suivantes :<br />
1) Syndrome <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ard mental avec chromosome X fragile <strong>et</strong> fonction <strong>de</strong> la<br />
protéine FMRP (avec Hervé Moine, CR1 CNRS).<br />
2) Myopathies myotubulaire <strong>et</strong> centronucléaires <strong>et</strong> analyse fonctionnelle d’une<br />
nouvelle famille <strong>de</strong> phosphoinositi<strong><strong>de</strong>s</strong> phosphatases : les myotubularines (équipe<br />
codirigée avec Jocelyn Laporte, promu DR2 INSERM en 2007, <strong>et</strong> labellisée équipe<br />
FRM 2007). Jocelyn Laporte a été également lauréat d’un Prix du comité Alsace<br />
<strong>de</strong> la Fondation pour la Recherche Médicale.
200 JEAN-LOUIS MANDEL<br />
3) En collaboration avec le P r Hélène Dollfus (EA3949 <strong>et</strong> Equipe AVENIR/<br />
INSERM ; Faculté <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> Strasbourg), nous menons une étu<strong>de</strong> génétique<br />
du syndrome <strong>de</strong> Bard<strong>et</strong>-Biedl.<br />
Yvon Trottier (DR2 INSERM) dirige <strong>de</strong>puis 2006 l’équipe qui se consacre aux<br />
mécanismes pathogéniques <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies neurodégénératives causées par <strong><strong>de</strong>s</strong> expansions<br />
<strong>de</strong> polyglutamine, dont la maladie <strong>de</strong> Huntington <strong>et</strong> l’ataxie spinocérébelleuse<br />
<strong>de</strong> type 7.<br />
L’équipe dirigée par Michel Kœnig (PU-PH) se consacre à l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong><br />
gènes impliqués dans <strong><strong>de</strong>s</strong> formes d’ataxies récessives, <strong>et</strong> aux étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> corrélation<br />
génotype/phénotype pour c<strong>et</strong>te pathologie très hétérogène.<br />
Hélène Puccio (promue DR2 INSERM en 2007) <strong>et</strong> son équipe s’intéressent aux<br />
mécanismes physiopathologiques <strong>de</strong> l’ataxie <strong>de</strong> Friedreich. Hélène Puccio est<br />
lauréate du prestigieux « ERC starting grant » du Conseil Européen <strong>de</strong> la Recherche<br />
pour son proj<strong>et</strong> « Comprendre les mécanismes moléculaires impliqués dans les<br />
ataxies récessives liées à <strong><strong>de</strong>s</strong> déficits mitochondriaux : implication du métabolisme<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> noyaux fer-soufre ».<br />
L’équipe d’André Hanauer (MCU) étudie les mécanismes du syndrome <strong>de</strong><br />
Coffin-Lowry (r<strong>et</strong>ard mental syndromique lié au chromosome X, impliquant la<br />
protéine kinase Rsk2).<br />
Stanislas du Manoir (CR1 INSERM) <strong>et</strong> son équipe développent <strong><strong>de</strong>s</strong> stratégies<br />
d’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> réarrangements chromosomiques (amplifications, délétions) présents<br />
dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs soli<strong><strong>de</strong>s</strong>, dans le but notamment d’i<strong>de</strong>ntifier <strong><strong>de</strong>s</strong> oncogènes<br />
impliqués dans la progression tumorale ou <strong><strong>de</strong>s</strong> marqueurs génomiques associés au<br />
pronostic vital.<br />
1) Syndrome <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ard mental avec chromosome X fragile <strong>et</strong> fonction<br />
<strong>de</strong> la protéine FMRP (thème codirigé par H. Moine <strong>et</strong> J.-L. Man<strong>de</strong>l).<br />
Le syndrome X-fragile représente la forme la plus fréquente <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ard mental<br />
monogénique. Ce syndrome résulte d’une expansion instable <strong>de</strong> répétitions CGG<br />
dans le gène FMR1, entraînant sa répression transcriptionnelle. FMR1 co<strong>de</strong> pour<br />
la protéine FMRP (Fragile X Mental R<strong>et</strong>ardation Protein) qui lie <strong><strong>de</strong>s</strong> ARN<br />
messagers au sein <strong>de</strong> complexes ribonucléoprotéiques associés aux polysomes <strong>et</strong><br />
joue un rôle <strong>de</strong> régulation <strong>de</strong> la traduction <strong>et</strong>/ou <strong>de</strong> transport <strong>de</strong> ces ARNm. Afin<br />
<strong>de</strong> caractériser la fonction <strong>et</strong> les mécanismes d’action <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te protéine, nous avons<br />
entrepris d’i<strong>de</strong>ntifier <strong>et</strong> caractériser <strong><strong>de</strong>s</strong> ARNm se liant à FMRP <strong>et</strong> pouvant<br />
constituer <strong><strong>de</strong>s</strong> cibles <strong>de</strong> son action. Nous avons montré antérieurement que FMRP<br />
se lie <strong>de</strong> manière spécifique <strong>et</strong> avec une forte affinité aux ARNm contenant un<br />
motif structural <strong>de</strong> type « G(uanine)-quart<strong>et</strong> » (Schaeffer <strong>et</strong> al., 2001). Nous avions<br />
r<strong>et</strong>rouvé ce motif dans l’ARNm <strong>de</strong> la phosphatase PP2A <strong>et</strong> suggéré un rôle <strong>de</strong><br />
FMRP dans le contrôle traductionnel <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te importante protéine régulatrice<br />
(Cast<strong>et</strong>s <strong>et</strong> al., 2005). Nos <strong>travaux</strong> récents suggèrent que l’interaction <strong>de</strong> FMRP
GÉNÉTIQUE HUMAINE 201<br />
avec son propre ARNm, au niveau d’un G-quart<strong>et</strong> présent dans la région codante<br />
(exon 15), peut moduler l’épissage alternatif du gène FMR1. En eff<strong>et</strong>, ce G-quart<strong>et</strong><br />
présente <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés activatrices <strong>de</strong> l’épissage <strong>et</strong> la liaison <strong>de</strong> FMRP avec ce<br />
motif pourrait constituer une boucle d’autorégulation (Didiot <strong>et</strong> al., 2008).<br />
En collaboration avec B. Bardoni (CNRS, Nice), nous avons caractérisé un<br />
nouvel ARNm lié par FMRP, l’ARNm SOD1. L’équipe <strong>de</strong> B. Bardoni a observé<br />
que l’expression <strong>de</strong> la protéine superoxy<strong>de</strong> dismutase 1 codée par ce gène était<br />
diminuée dans le cerveau <strong><strong>de</strong>s</strong> souris déficientes en FMRP. Nous avons montré que<br />
l’ARNm SOD1 ne contient pas <strong>de</strong> motif G-quart<strong>et</strong> <strong>et</strong> FMRP, en se liant à un<br />
motif structuré en tige-boucle présent au niveau du site d’initiation <strong>de</strong> la traduction,<br />
stimulerait la traduction <strong>de</strong> c<strong>et</strong> ARNm (résultats soumis).<br />
Le mécanisme d’action <strong>de</strong> FMRP sur ses différents ARNm cibles est encore mal<br />
compris. Nous avons récemment montré expérimentalement la présence <strong>de</strong> motifs<br />
G-quart<strong>et</strong> <strong>et</strong> leur liaison par FMRP au niveau <strong>de</strong> la région 3′ non traduite <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
gènes importants pour la plasticité synaptique <strong>et</strong> précé<strong>de</strong>mment proposés comme<br />
cible <strong>de</strong> FMRP (résultats non publiés). Nous avons entrepris d’analyser <strong>et</strong> comparer<br />
l’impact <strong>de</strong> FMRP sur le métabolisme <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux ARNm en culture <strong>de</strong> neurones<br />
primaires <strong>de</strong> souris : traduction, localisation, stabilité.<br />
En collaboration avec l’équipe du D r C. Branlant (CNRS Nancy) nous avons<br />
mis en évi<strong>de</strong>nce une nouvelle interaction entre FMRP <strong>et</strong> le complexe SMN<br />
d’assemblage <strong>de</strong> particules ribonucléoprotéiques du spliceosome (Piazzon <strong>et</strong> al.,<br />
2008). Le complexe SMN est déficient dans une importante pathologie du<br />
motoneurone, l’amyotrophie spinale (SMA).<br />
Nous avons récemment réanalysé l’association proposée par plusieurs laboratoires<br />
entre FMRP <strong>et</strong> le complexe RISC (RNA induced silencing complex). Nous avons<br />
montré que FMRP : 1) n’est pas nécessaire à l’activité RISC dans les cellules,<br />
2) présente <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés <strong>de</strong> localisation intracellulaire <strong>et</strong> d’association aux<br />
polysomes distinctes <strong>de</strong> celles du complexe RISC. Nous concluons à une implication<br />
<strong>de</strong> FMRP <strong>et</strong> RISC dans <strong><strong>de</strong>s</strong> voies fonctionnelles distinctes. FMRP contribuerait à<br />
l’efficacité <strong>de</strong> formation <strong><strong>de</strong>s</strong> granules <strong>de</strong> stress (article en préparation).<br />
2) Myopathies myotubulaire <strong>et</strong> centronucléaires <strong>et</strong> analyse fonctionnelle<br />
<strong>de</strong> la voie <strong><strong>de</strong>s</strong> myotubularines (équipe codirigée par J. Laporte <strong>et</strong> J.-L. Man<strong>de</strong>l,<br />
avec A. Buj-Bello).<br />
Les myopathies centronucléaires (CNM) regroupent <strong><strong>de</strong>s</strong> myopathies rares<br />
caractérisées par une gran<strong>de</strong> proportion <strong>de</strong> fibres musculaires atrophiques à noyaux<br />
centraux (les noyaux étant normalement périphériques). Les CNM sont regroupées<br />
en trois classes, <strong>et</strong> nous avons participé à l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> tous les gènes impliqués<br />
jusqu’à présent. La forme liée au chromosome X, appelée myopathie myotubulaire,<br />
est la plus sévère <strong>et</strong> se traduit par une hypotonie généralisée qui entraîne souvent la<br />
mort du patient dans la première année. Elle est due à <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations dans le gène
202 JEAN-LOUIS MANDEL<br />
MTM1 codant pour la myotubularine (Laporte <strong>et</strong> al., 1996), dont nous avons par la<br />
suite montré qu’elle définit une nouvelle famille <strong>de</strong> phosphoinositi<strong><strong>de</strong>s</strong> phosphatases,<br />
agissant sur le PI3P <strong>et</strong> le PI3,5P2 (Blon<strong>de</strong>au <strong>et</strong> al., 2000, Laporte <strong>et</strong> al., 2003). Les<br />
formes autosomiques dominantes (ADCNM) débutent à l’adolescence ou à l’âge<br />
adulte, <strong>et</strong> sont généralement dues à <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations <strong>de</strong> la dynamine 2, une protéine<br />
impliquée notamment dans les mécanismes d’endocytose <strong>et</strong> <strong>de</strong> trafic membranaire<br />
(Bitoun <strong>et</strong> al., 2005). Les formes infantiles autosomiques récessives (ARCNM) sont<br />
<strong>de</strong> sévérité intermédiaire <strong>et</strong> nous avons récemment montré que certaines familles<br />
sont mutées dans le gène BIN1 codant pour l’amphiphysine 2, une protéine<br />
interagissant avec la dynamine (Nicot <strong>et</strong> al., 2007).<br />
Nous avons poursuivi, en collaboration avec P. Guicheney (Paris), V. Biancalana<br />
(Strasbourg) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cliniciens, l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations dans la dynamine 2, dont<br />
certaines sont associées à une forme <strong>de</strong> neuropathie périphérique <strong>de</strong> Charcot-<br />
Marie-Tooth <strong>et</strong> tentons d’établir <strong><strong>de</strong>s</strong> corrélations génotype-phénotype. L’étu<strong>de</strong><br />
d’une gran<strong>de</strong> famille avec myopathie centronucléaire dominante due à une<br />
mutation dynamine 2 non décrite antérieurement, a montré également <strong><strong>de</strong>s</strong> signes<br />
<strong>de</strong> neuropathie périphérique <strong>et</strong> <strong>de</strong> déficit cognitif peu sévères, suggérant un<br />
recouvrement phénotypique entre myopathie <strong>et</strong> neuropathie, <strong>et</strong> une action sur le<br />
système nerveux central, pour certaines mutations <strong>de</strong> la dynamine 2 (Echaniz-<br />
Laguna <strong>et</strong> al., 2007).<br />
Nous avons poursuivi la recherche <strong>de</strong> gènes impliqués dans les myopathies<br />
centronucléaires récessives. Les familles recrutées étant peu informatives pour une<br />
analyse <strong>de</strong> liaison, nous avons opté pour une recherche <strong>de</strong> gènes candidats i<strong>de</strong>ntifiés<br />
par analyse bio-informatique, complémentée dans les familles consanguines, par<br />
cartographie d’homozygotie sur puces SNPs. L’amphiphysine 2 était un bon<br />
candidat fonctionnel car c<strong>et</strong>te protéine régule le trafic membranaire comme la<br />
myotubularine (Cao <strong>et</strong> al., 2007 <strong>et</strong> 2008) <strong>et</strong> la dynamine 2, <strong>et</strong> un mutant <strong>de</strong><br />
drosophile montre une faiblesse musculaire associée à <strong><strong>de</strong>s</strong> anomalies <strong><strong>de</strong>s</strong> tubules-T.<br />
Par séquençage direct, <strong>et</strong> à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> cartographie par homozygotie, nous avons<br />
trouvé 4 variants à l’état homozygote dans <strong><strong>de</strong>s</strong> familles consanguines, dont <strong>de</strong>ux<br />
mutations non sens (Nicot <strong>et</strong> al., 2007, <strong>et</strong> résultats non publiés). Les mutations<br />
faux-sens diminuent la fonction <strong>de</strong> tubulation <strong><strong>de</strong>s</strong> membranes alors qu’un <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
codons stop prématurés produit une protéine stable qui ne peut plus se lier avec<br />
un interacteur précé<strong>de</strong>mment connu <strong>de</strong> l’amphiphysine 2, la dynamine 2. La<br />
<strong>de</strong>uxième mutation stop, i<strong>de</strong>ntifiée très récemment dans une nouvelle famille, est<br />
en <strong>cours</strong> d’analyse. Ce travail a donc révélé un lien moléculaire <strong>et</strong> fonctionnel entre<br />
2 formes <strong>de</strong> myopathies centronucléaires.<br />
Nous avons poursuivi d’autre part nos <strong>travaux</strong> sur la physiopathologie <strong>de</strong> la forme<br />
liée au chromosome X, par l’étu<strong>de</strong> du modèle souris <strong>de</strong> déficience en myotubularine<br />
que nous avons construit antérieurement (Buj-Bello <strong>et</strong> al., 2002). Une étu<strong>de</strong><br />
transcriptomique globale au <strong>cours</strong> du développement <strong>de</strong> la pathologie musculaire<br />
dans ce modèle, ainsi que dans <strong><strong>de</strong>s</strong> biopsies musculaires <strong>de</strong> patients (en collaboration
GÉNÉTIQUE HUMAINE 203<br />
avec A. Beggs, Harvard Med. School) a montré <strong><strong>de</strong>s</strong> anomalies importantes<br />
(particulièrement dans le modèle souris) <strong>de</strong> l’expression <strong>de</strong> certains gènes impliqués<br />
dans la régulation <strong>de</strong> l’homéostasie calcique. Nous avons confirmé ces anomalies au<br />
niveau protéique, <strong>et</strong> montré que certaines d’entre elles survenaient précocément au<br />
<strong>cours</strong> du développement <strong>de</strong> la pathologie. Nous avons observé d’autre part <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
anomalies précoces <strong>de</strong> l’organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> tubules T, <strong>et</strong> avons entrepris, en<br />
collaboration avec Vincent Jacquemond (Université Lyon 1/CNRS, Villeurbanne)<br />
une étu<strong>de</strong> électrophysiologique <strong><strong>de</strong>s</strong> courants calciques <strong><strong>de</strong>s</strong> fibres musculaires <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
souris déficientes en myotubularine, qui montrent certaines altérations précoces<br />
dans l’évolution <strong>de</strong> la pathologie (manuscrit en préparation). Les anomalies <strong>de</strong><br />
l’organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> tubules T <strong>et</strong> <strong>de</strong> la fonctionnalité du couplage excitation<br />
contraction pourraient rendre compte <strong>de</strong> l’importante hypotonie musculaire<br />
observée chez les patients. Ceci perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> relier fonctionnellement les 3 protéines<br />
connues mutées dans les myopathies centronucléaires, à la fois par leur interaction<br />
avec les phosphoinositi<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong>et</strong> par leur rôle dans l’organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> tubules T.<br />
Nous avons aussi poursuivi une approche <strong>de</strong> thérapie génique à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> vecteur<br />
AAV (a<strong>de</strong>no-associated virus) exprimant la myotubularine, en collaboration avec<br />
le Généthon (Evry). Des résultats très positifs ont été obtenus sur notre modèle<br />
souris. En eff<strong>et</strong> une seule injection intramusculaire dans <strong><strong>de</strong>s</strong> souris déjà atteintes<br />
<strong>de</strong> faiblesse musculaire améliore <strong>de</strong> manière spectaculaire l’état pathologique du<br />
muscle, corrige le positionnement <strong><strong>de</strong>s</strong> noyaux <strong>et</strong> augmente la masse musculaire<br />
ainsi que la force, à un niveau quasi-normal (Buj-Bello <strong>et</strong> al., 2008). L’utilisation<br />
<strong>de</strong> la même approche pour surexprimer la myotubularine suggère que c<strong>et</strong>te protéine<br />
régule l’homéostasie du sarcolemme, la membrane plasmique <strong><strong>de</strong>s</strong> fibres musculaires<br />
(Buj-Bello <strong>et</strong> al., 2008). Nous testons maintenant par la même approche la capacité<br />
<strong>de</strong> protéines homologues à la myotubularine (MTMR1 <strong>et</strong> MTMR2) à améliorer<br />
le phénotype <strong><strong>de</strong>s</strong> souris Mtm1 KO, ce qui perm<strong>et</strong>trait à terme d’envisager une<br />
thérapie par réexpression <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes homologues <strong>et</strong> ainsi diminuer la réponse<br />
immunitaire. Sur un plan plus fondamental, ceci apportera également <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
informations précieuses sur les mécanismes <strong>de</strong> spécificité musculaire liées aux<br />
mutations du gène MTM1, son plus proche homologue MTMR2 étant muté dans<br />
une forme récessive sévère <strong>de</strong> neuropathie périphérique démyélinisante, avec<br />
atteinte <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules <strong>de</strong> Schwann (Chojnowski <strong>et</strong> al., 2007) <strong>et</strong> donc nous perm<strong>et</strong>tre<br />
<strong>de</strong> discriminer entre les alternatives <strong>de</strong> spécificité d’expression ou liée à la structure<br />
<strong>de</strong> la protéine.<br />
En collaboration avec l’équipe <strong>de</strong> T. Ogata (Tokyo), nous avons montré que le<br />
gène CXorf6, adjacent au gène MTM1, est muté dans <strong><strong>de</strong>s</strong> cas d’anomalies du<br />
développement génital masculin (hypospadias) (Fukami <strong>et</strong> al., 2007). Le gène<br />
CXorf6 co<strong>de</strong> pour une protéine avec un domaine <strong>de</strong> type mastermind, a <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
propriétés transactivatrices sur un gène <strong>de</strong> la voie Notch, le gène Hes3, <strong>et</strong> son<br />
inhibition augmente la production <strong>de</strong> testostérone par <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules <strong>de</strong> Leydig<br />
tumorales (Fukami <strong>et</strong> al., 2008).
204 JEAN-LOUIS MANDEL<br />
3) Analyse génétique du syndrome <strong>de</strong> Bard<strong>et</strong>-Biedl<br />
(collaboration avec le P r H. Dollfus)<br />
Le syndrome <strong>de</strong> Bard<strong>et</strong>-Biedl (BBS), <strong>de</strong> transmission autosomique récessive,<br />
associe rétinite pigmentaire, obésité, polydactylie, anomalies rénales <strong>et</strong> atteinte<br />
cognitive. Il est caractérisé par une étonnante hétérogénéité génétique, contrastant<br />
avec la spécificité <strong>de</strong> la présentation clinique. De 2000 à 2005, 9 gènes (dénommés<br />
BBS1 à 9) avaient été i<strong>de</strong>ntifiés par <strong><strong>de</strong>s</strong> équipes américaines <strong>et</strong> anglaises, dont les<br />
mutations ne ren<strong>de</strong>nt compte que d’environ 50 % <strong><strong>de</strong>s</strong> patients. L’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong><br />
ces gènes, codant pour <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines <strong>de</strong> types très divers <strong>et</strong> dont les fonctions étaient<br />
initialement inconnues, a permis <strong>de</strong> relier le syndrome BBS à <strong><strong>de</strong>s</strong> défauts dans<br />
l’assemblage ou la fonction <strong>de</strong> structures ciliées (cil primaire) <strong>et</strong> du centrosome. Nous<br />
participons à une étu<strong>de</strong> initiée par le Prof. Hélène Dollfus (Faculté <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong><br />
Strasbourg), visant notamment à i<strong>de</strong>ntifier <strong>de</strong> nouveaux gènes BBS. L’utilisation<br />
d’une approche <strong>de</strong> cartographie par homozygotie dans <strong><strong>de</strong>s</strong> familles consanguines, à<br />
l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> « puces SNP (single nucleoti<strong>de</strong> polymorphism) », en collaboration avec<br />
l’équipe <strong>de</strong> bioinformatique d’Olivier Poch à l’IGBMC nous a permis d’i<strong>de</strong>ntifier en<br />
2005-2006 <strong>de</strong>ux nouveaux gènes (BBS10 <strong>et</strong> BBS12) particulièrement importants.<br />
BBS10 est un gène majeur, dont les mutations sont r<strong>et</strong>rouvées chez plus <strong>de</strong> 20 % <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
patients (Sto<strong>et</strong>zel <strong>et</strong> al., 2006), <strong>et</strong> BBS12 rend compte <strong>de</strong> 5-6 % <strong><strong>de</strong>s</strong> familles. De<br />
manière surprenante, alors que 8 <strong><strong>de</strong>s</strong> 9 gènes BBS précé<strong>de</strong>mment i<strong>de</strong>ntifiés sont très<br />
conservés dans l’évolution, entre tous les organismes ciliés (<strong>de</strong> l’homme au némato<strong>de</strong>,<br />
<strong>et</strong> même à l’algue Chlamydomonas), les gènes BBS10 <strong>et</strong> BBS12 co<strong>de</strong>nt pour <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
protéines spécifiques <strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés <strong>et</strong> dont la séquence protéique évolue beaucoup<br />
plus rapi<strong>de</strong>ment que pour les autres gènes BBS (à l’exception du gène BBS6). BBS10<br />
<strong>et</strong> BBS12 appartiennent, comme BBS6 à la superfamille <strong><strong>de</strong>s</strong> chaperonines <strong>de</strong> type II<br />
(Sto<strong>et</strong>zel <strong>et</strong> al., 2007). Nous avons montré que ces 3 gènes définissent une branche<br />
spécifique <strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés au sein <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te superfamille dont les autres membres ont une<br />
origine beaucoup plus ancienne (Sto<strong>et</strong>zel <strong>et</strong> al., 2007). Le phénotype indistinguable<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> patients porteurs <strong>de</strong> mutations dans <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes BBS différents suggère que les<br />
protéines correspondantes pourraient être impliquées dans <strong><strong>de</strong>s</strong> complexes<br />
macromoléculaires (l’absence <strong>de</strong> l’un ou l’autre d’entre eux ayant alors le même eff<strong>et</strong><br />
négatif sur la fonction du complexe). Des <strong>travaux</strong> récents paraissent confirmer une<br />
telle hypothèse pour 7 protéines BBS présentes <strong>de</strong> manière stoechiométrique dans un<br />
complexe nommé BBSome (Nachury <strong>et</strong> al., 2007). Les protéines BBS6, 10 <strong>et</strong> 12<br />
sont absentes <strong>de</strong> ce complexe, <strong>et</strong> on peut donc faire l’hypothèse d’un complexe<br />
« chaperonin-like » qui contiendrait ces 3 protéines. Des étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sont entreprises dans<br />
c<strong>et</strong>te direction, en collaboration également avec l’équipe <strong>de</strong> D. Moras à l’IGBMC.<br />
La création <strong>de</strong> mutants avec inactivation conditionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes BBS10 <strong>et</strong> 12<br />
chez la souris est en <strong>cours</strong>, qui <strong>de</strong>vraient notamment perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> répondre au<br />
problème du mécanisme (central ou périphérique) <strong>de</strong> l’obésité liée aux mutations<br />
BBS. Des résultats récents obtenus par V. Marion <strong>et</strong> H. Dollfus suggèrent que les<br />
protéines BBS <strong>et</strong> le cil primaire jouent un rôle important dans la différenciation<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> préadipocytes <strong>et</strong> dans l’adipogenèse (résultats soumis).
GÉNÉTIQUE HUMAINE 205<br />
La stratégie d’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> nouveaux gènes BBS se poursuit (il reste environ<br />
25 % <strong>de</strong> patients ne correspondant à aucun <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes connus). Les analyses<br />
effectuées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> familles consanguines pour lesquelles le gène n’est pas encore<br />
i<strong>de</strong>ntifié nous perm<strong>et</strong>tent d’exclure la présence d’un gène pouvant expliquer plus<br />
<strong>de</strong> 10 % <strong><strong>de</strong>s</strong> cas, <strong>et</strong> suggèrent au contraire une extrême hétérogénéité. Ceci<br />
complique l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> nouveaux gènes, en l’absence <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> familles<br />
informatives, car il existe <strong>de</strong> nombreuses régions candidates (sur la base <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
d’homozygotie) <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> taille, <strong>et</strong> contenant donc <strong>de</strong> très nombreux gènes. Nous<br />
avons récemment entrepris une nouvelle approche basée sur l’observation qu’une<br />
proportion en général faible <strong>de</strong> mutations responsables <strong>de</strong> perte <strong>de</strong> fonction<br />
correspon<strong>de</strong>nt à <strong><strong>de</strong>s</strong> délétions touchant plusieurs exons du gène cible. La très haute<br />
<strong>de</strong>nsité <strong>de</strong> puces ADN utilisables pour l’analyse <strong>de</strong> SNPs <strong>et</strong> <strong>de</strong> dosage génique<br />
<strong>de</strong>vrait perm<strong>et</strong>tre la détection <strong>de</strong> telles délétions, notamment en sélectionnant les<br />
régions d’homozygotie chez <strong><strong>de</strong>s</strong> patients issus <strong>de</strong> familles consanguines. Une<br />
vingtaine <strong>de</strong> familles avec syndrome <strong>de</strong> Bard<strong>et</strong>-Biedl <strong>et</strong> sans mutation dans les<br />
gènes connus sont actuellement en <strong>cours</strong> d’analyse sur <strong><strong>de</strong>s</strong> puces contenant<br />
1,8 million <strong>de</strong> positions analysables (puces 6.0 d’Affym<strong>et</strong>rix).<br />
Maladies à expansion <strong>de</strong> polyglutamine (Yvon Trottier, avec K. Mérienne)<br />
L’équipe <strong>de</strong> Y. Trottier étudie la physiopathologie <strong>de</strong> la maladie <strong>de</strong> Huntington<br />
(MH) <strong>et</strong> l’ataxie spinocérébelleuse <strong>de</strong> type 7 (SCA7). Ces maladies neurodégénératives<br />
héréditaires sont dues à une expansion <strong>de</strong> répétitions CAG codant pour un<br />
homopolymère <strong>de</strong> glutamines (polyQ) dans <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines cibles spécifiques <strong>de</strong><br />
chaque maladie. L’expansion <strong>de</strong> polyQ (au-<strong>de</strong>là d’environ 39 résidus) confère aux<br />
protéines mutées <strong>de</strong> nouvelles propriétés neurotoxiques, qui mènent entre autres à<br />
leur accumulation <strong>et</strong> leur agrégation dans le noyau <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones, entrainant une<br />
dérégulation <strong>de</strong> l’expression <strong>de</strong> certains gènes <strong>et</strong> une dysfonction puis une mort<br />
neuronale, avec une spécificité d’atteinte <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones qui diffère selon la<br />
maladie.<br />
L’équipe s’intéresse aux propriétés structurales <strong>et</strong> d’agrégation <strong><strong>de</strong>s</strong> polyQ. En<br />
collaboration avec le D r A. Podjarny (IGBMC), nous cherchons à éluci<strong>de</strong>r la<br />
structure spatiale <strong>de</strong> polyQ, un motif r<strong>et</strong>rouvé dans un grand nombre <strong>de</strong> protéines,<br />
mais dont la fonction reste inconnue. Notre stratégie consiste à déterminer la<br />
structure <strong>de</strong> polyQ <strong>de</strong> longueur déterminée interagissant avec un partenaire, en<br />
l’occurrence un anticorps monoclonal anti-polyQ, que nous avions caractérisé<br />
antérieurement (Trottier <strong>et</strong> al., 1995, Trottier 2003). Nous avons déjà élucidé la<br />
structure <strong>de</strong> l’anticorps dans <strong>de</strong>ux configurations différentes. C<strong>et</strong>te étape<br />
préliminaire nous gui<strong>de</strong> actuellement dans l’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> cristaux formés par le<br />
complexe polyQ:anticorps. C<strong>et</strong>te stratégie doit nous perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> révéler la<br />
structure <strong>de</strong> la polyQ, mais aussi celle <strong>de</strong> l’anticorps, ce qui <strong>de</strong>vrait fournir une<br />
base pour générer par modélisation <strong><strong>de</strong>s</strong> inhibiteurs <strong>de</strong> l’agrégation. D’autre part,<br />
sur la base <strong>de</strong> nos <strong>travaux</strong> antérieurs (Klein <strong>et</strong> al., 2007), nous avons conçu un
206 JEAN-LOUIS MANDEL<br />
polypepti<strong>de</strong> ayant <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés anti-agrégation in vitro. Nous poursuivons l’étu<strong>de</strong><br />
du potentiel thérapeutique <strong>de</strong> ce polypepti<strong>de</strong> dans un modèle drosophile <strong>de</strong><br />
maladie à polyQ en collaboration avec le D r Hervé Tricoire (CNRS/U. Paris 7).<br />
Également dans une perspective thérapeutique, nous étudions <strong>de</strong>ux molécules<br />
chimiques qui semblent prévenir l’accumulation ainsi que l’agrégation <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines<br />
mutées. Les analyses sont effectuées in vitro dans un modèle cellulaire <strong>et</strong> dans un<br />
modèle souris. Nous nous intéressons également aux mécanismes d’action <strong>de</strong> ces<br />
molécules. Ce proj<strong>et</strong> est issu d’une collaboration avec le D r Anne Bertolotti<br />
(Cambridge, UK) (Rousseau <strong>et</strong> al., 2004 ; Dehay <strong>et</strong> al., 2007) <strong>et</strong> le D r Nicolas<br />
Winssinger (ISIS, Strasbourg).<br />
Afin d’i<strong>de</strong>ntifier les mécanismes <strong>de</strong> dysfonction <strong>et</strong> <strong>de</strong> dégénérescence neuronale,<br />
nous étudions <strong>de</strong>puis plusieurs années un modèle souris SCA7, qui récapitule la<br />
dégénérescence rétinienne observée chez les patients. La rétine <strong>de</strong> ces souris se<br />
développe normalement jusqu’à 3 semaines d’âge, puis l’activité mesurée par<br />
électrorétinogramme (ERG) diminue progressivement <strong>et</strong> s’accompagne d’anomalies<br />
morphologiques <strong><strong>de</strong>s</strong> photorécepteurs : une perte <strong><strong>de</strong>s</strong> segments externes <strong>et</strong> internes,<br />
une disparition <strong><strong>de</strong>s</strong> cils connecteurs associée à une réapparition <strong>de</strong> centrosomes ou<br />
<strong>de</strong> cils primaires périnucléaires, une altération <strong>de</strong> l’architecture du noyau avec une<br />
décon<strong>de</strong>nsation <strong>de</strong> la chromatine (Helmlinger <strong>et</strong> al., 2004 ; Yefimova <strong>et</strong> al.,<br />
manuscrit en préparation). L’étu<strong>de</strong> du profil transcriptionnel <strong>de</strong> la rétine <strong><strong>de</strong>s</strong> souris<br />
SCA7 a révélé une forte répression <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes spécifiques <strong><strong>de</strong>s</strong> photorécepteurs,<br />
notamment <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs <strong>de</strong> transcription (Nrl, Crx, Nr2e3) qui contrôlent la<br />
différenciation <strong><strong>de</strong>s</strong> photorécepteurs (Abou-Sleymane <strong>et</strong> al., 2006 ; Helmlinger <strong>et</strong><br />
al., 2006 ). Ces données suggèrent que l’ataxine-7 mutée comprom<strong>et</strong> le programme<br />
génétique <strong>de</strong> différenciation <strong><strong>de</strong>s</strong> photorécepteurs. Ces photorécepteurs non<br />
différenciés <strong>et</strong> non fonctionnels survivent néanmoins jusqu’à un sta<strong>de</strong> tardif <strong>de</strong> la<br />
pathologie, où l’activité ERG est absente.<br />
Plusieurs voies pathogéniques pourraient participer à c<strong>et</strong>te « dédifférenciation »<br />
<strong>et</strong> sont actuellement à l’étu<strong>de</strong> dans notre laboratoire. Premièrement, l’ataxine-7<br />
mutée s’agrège dans les photorécepteurs <strong>et</strong> cause un stress en activant la voie Jnk/<br />
c-Jun (Mérienne <strong>et</strong> al., 2003). Nous avons montré que c-Jun régule le facteur Nrl,<br />
<strong>et</strong> que l’inactivation génétique <strong>de</strong> c-Jun r<strong>et</strong>ar<strong>de</strong> la rétinopathie <strong><strong>de</strong>s</strong> souris SCA7<br />
(Mérienne <strong>et</strong> al., 2007). Deuxièmement, comme l’ataxine-7 fait partie du complexe<br />
TFTC qui régule la transcription en acétylant les histones (Helmlinger <strong>et</strong> al.,<br />
2004), il semble que l’ataxine-7 mutée causerait une dysfonction <strong>de</strong> TFTC qui<br />
mènerait à la décon<strong>de</strong>nsation générale <strong>de</strong> la chromatine (par hyperacétylation) <strong>et</strong><br />
à la dérégulation <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes spécifiques aux photorécepteurs (Helmlinger <strong>et</strong> al.,<br />
2006). Troisièmement, nous avons récemment observé une activation microgliale<br />
importante aux sta<strong><strong>de</strong>s</strong> précoces <strong>de</strong> la rétinopathie <strong>de</strong> ces souris. Nous tentons<br />
actuellement <strong>de</strong> savoir quel est le rôle <strong>de</strong> l’activation <strong>de</strong> la microglie : soit la<br />
sécrétion <strong>de</strong> facteurs <strong>de</strong> survie, menant peut-être les photorécepteurs à se<br />
dédifférencier, ou bien la phagocytose <strong>de</strong> la couche <strong><strong>de</strong>s</strong> segments <strong><strong>de</strong>s</strong> photorécepteurs.
GÉNÉTIQUE HUMAINE 207<br />
Quatrièmement, nous avons constaté que la rétinopathie s’accompagne d’un stress<br />
oxydatif précoce important. Le rôle du stress oxydatif, qui est aussi présent dans<br />
la pathogenèse <strong>de</strong> la maladie <strong>de</strong> Huntington (MH), est actuellement à l’étu<strong>de</strong> dans<br />
la rétinopathie <strong>de</strong> ce modèle SCA7.<br />
L’expansion CAG dans le locus HD muté montre une forte instabilité -avec une<br />
tendance à un allongement additionnel- dans le striatum, la région cible principale<br />
<strong>de</strong> la pathologie, <strong>et</strong> peu d’instabilité dans le cervel<strong>et</strong>, une région épargnée. Comme<br />
les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> corrélatives génotype-phénotype antérieures ont révélé que plus<br />
l’expansion est longue, plus la pathologie est précoce <strong>et</strong> sévère, il est probable que<br />
l’instabilité — <strong>et</strong> l’allongement — <strong>de</strong> l’expansion CAG dans le striatum contribue<br />
à la dégénérescence sélective <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te région du cerveau. K. Mérienne étudie les<br />
mécanismes menant à l’instabilité sélective <strong>de</strong> l’expansion CAG dans le striatum.<br />
Physiopathologie <strong>de</strong> l’ataxie <strong>de</strong> Friedreich (équipe H. Puccio)<br />
L’équipe <strong>de</strong> H. Puccio s’intéresse aux mécanismes physiopathologiques <strong>de</strong><br />
l’ataxie <strong>de</strong> Friedreich (AF), par la construction <strong>et</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> modèles murins <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
modèles cellulaires.<br />
L’ataxie <strong>de</strong> Friedreich est une maladie autosomique récessive, gravement<br />
invalidante, caractérisée par une dégénérescence spino-cérébelleuse <strong>et</strong> une<br />
cardiomyopathie hypertrophique. Elle est due à la diminution quantitative d’une<br />
protéine mitochondriale, la frataxine, qui entraîne un déficit fonctionnel <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
protéines fer-soufre (Fe-S) <strong>et</strong> une accumulation intramitochondriale <strong>de</strong> fer. C<strong>et</strong>te<br />
équipe a créé <strong>de</strong>puis plusieurs années <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles souris <strong>de</strong> l’ataxie <strong>de</strong> Friedreich,<br />
par inactivation conditionnelle spatio-temporelle (système Cre-Lox) du gène <strong>de</strong> la<br />
frataxine (Puccio <strong>et</strong> al., 2001 ; Simon <strong>et</strong> al., 2004). Ces modèles conditionnels<br />
reproduisent l’essentiel <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques physiopathologiques <strong>et</strong> biochimiques<br />
<strong>de</strong> la pathologie humaine.<br />
Dans la levure, la mitochondrie joue un rôle central pour la biosynthèse <strong>de</strong> tous<br />
les noyaux Fe-S, indépendant <strong>de</strong> leur localisation cellulaire. Cependant, chez les<br />
mammifères, le rôle central <strong>de</strong> la mitochondrie reste controversé puisqu’une<br />
machinerie cytosolique d’assemblage <strong><strong>de</strong>s</strong> centres Fe-S indépendante a été proposée.<br />
A travers les différents modèles murins générés, nous avons récemment montré que<br />
la frataxine est nécessaire pour la biogenèse d’enzymes Fe-S nucléaires <strong>et</strong><br />
cytosoliques, <strong>et</strong> qu’il n’existe donc pas <strong>de</strong> machinerie <strong>de</strong> biosynthèse <strong><strong>de</strong>s</strong> noyaux<br />
Fe-S chez les mammifères complètement indépendante <strong>de</strong> la mitochondrie (Martelli<br />
<strong>et</strong> al., 2007). Ces résultats ouvrent la porte sur <strong>de</strong> nouvelles pistes physiopathologiques,<br />
notamment la voie <strong>de</strong> réparation d’ADN. Une collaboration avec l’équipe <strong>de</strong><br />
P r R. Lill (Marburg, Allemagne) a permis <strong>de</strong> montrer que la protéine cytosolique<br />
huNbp35, une P-loop NTPase, est essentielle pour les protéines à noyau Fe-S<br />
cytosoliques <strong>et</strong> nucléaires <strong>et</strong> joue un rôle dans la régulation du fer (Stehling <strong>et</strong> al.,<br />
2008). L’ensemble <strong>de</strong> ces résultats démontre l’existence d’une machinerie complexe<br />
pour l’assemblage <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines à noyau Fe-S qui est peu étudiée chez les
208 JEAN-LOUIS MANDEL<br />
mammifères. L’étu<strong>de</strong> fondamentale sur le métabolisme <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines à Fe-S<br />
proposée dans le cadre <strong>de</strong> notre proj<strong>et</strong> ERC perm<strong>et</strong>tra la compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
conséquences d’un déficit du métabolisme Fe-S <strong>de</strong> la mitochondrie dans les cellules<br />
neuronales.<br />
La frataxine (FXN) est une protéine mitochondriale synthétisée sous forme d’un<br />
précurseur <strong>de</strong> 210 aci<strong><strong>de</strong>s</strong> aminés. Son import <strong>et</strong> sa maturation dans la mitochondrie<br />
impliquent <strong>de</strong>ux clivages N-terminaux. Cependant, le site final <strong>de</strong> clivage <strong>de</strong> la<br />
forme mature m-FXN est suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> controverses. En eff<strong>et</strong>, trois formes différentes<br />
<strong>de</strong> la protéine mature ont été décrites : <strong>de</strong>puis 1998, une protéine commençant à<br />
l’aci<strong>de</strong> aminé 56 (m 56-FXN) <strong>et</strong> <strong>de</strong>ux autres récemment décrites en 2007, débutant<br />
à l’aci<strong>de</strong> aminé 78 ou 81 respectivement (m 78-FXN- and m 81-FXN). Par une<br />
analyse <strong>de</strong> spectrométrie <strong>de</strong> masse (en collaboration avec Manuela Argentini,<br />
IGBMC), nous avons démontré que m 81-FXN était la forme mature majoritaire<br />
in vivo, <strong>et</strong> que les <strong>de</strong>ux autres formes décrites n’existaient pas sous forme endogène<br />
(Schmucker <strong>et</strong> al., 2008). Nous avons également démontré que la forme m 78-FXN<br />
est capable <strong>de</strong> restaurer la survie cellulaire <strong>de</strong> cellules déficientes en frataxine. De<br />
plus, par <strong><strong>de</strong>s</strong> essais <strong>de</strong> mutagénèse dirigée, nous avons déterminé que la maturation<br />
se faisait en <strong>de</strong>ux étapes <strong>et</strong> que les formes m 56-FXN <strong>et</strong> m 78-FXN pouvaient être<br />
produites en conditions cellulaires lorsque que la maturation normale <strong>de</strong> la protéine<br />
était perturbée.<br />
Les lignées cellulaires <strong>de</strong> patients sont peu utiles pour <strong><strong>de</strong>s</strong> analyses biochimiques<br />
car phénotypiquement normales puisqu’elles sont issues <strong>de</strong> cellules épargnées par<br />
la maladie (lymphoblastes <strong>et</strong> fibroblastes). L’établissement <strong>de</strong> lignées cellulaires<br />
directement à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> souris mutantes constitue donc un excellent système pour<br />
étudier les anomalies biochimiques liées à l’absence totale <strong>de</strong> frataxine, donc plus<br />
sévère, ainsi que pour un criblage à gran<strong>de</strong> échelle <strong>de</strong> molécules potentiellement<br />
thérapeutiques.<br />
Nous avons utilisé <strong><strong>de</strong>s</strong> lignées cellulaires murines portant un allèle d’inactivation<br />
conditionnelle <strong>de</strong> la frataxine en combinaison avec l’expression d’une recombinase<br />
EGFP-Cre (en collaboration avec Brigitte Kieffer, IGBMC) pour isoler par<br />
cytométrie <strong>de</strong> flux <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules murines complètement délétées pour la frataxine.<br />
Ce système nous a permis <strong>de</strong> montrer que l’absence totale en frataxine dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
fibroblastes conduit à la mort cellulaire, probablement par un arrêt du cycle<br />
cellulaire, soulignant une nouvelle fois le rôle important <strong>de</strong> la frataxine (Carelle-<br />
Calmels <strong>et</strong> al., soumis).<br />
Nous avons généré un modèle cellulaire par une stratégie d’antisens par ribozyme,<br />
qui présente un défaut <strong>de</strong> prolifération cellulaire <strong>et</strong> certaines caractéristiques<br />
moléculaires <strong>de</strong> l’AF. Dans le but d’i<strong>de</strong>ntifier <strong>de</strong> nouvelles molécules potentiellement<br />
thérapeutiques, en collaboration avec la plateforme <strong>de</strong> criblage du genopôle Alsace-<br />
Lorraine, nous avons recherché <strong><strong>de</strong>s</strong> molécules susceptibles <strong>de</strong> restaurer le r<strong>et</strong>ard <strong>de</strong><br />
croissance cellulaire par criblage robotisé <strong><strong>de</strong>s</strong> molécules <strong>de</strong> la chimiothèque<br />
Prestwick (1 500 molécules) (Carelle-Calmels, en préparation). Le criblage s’est
GÉNÉTIQUE HUMAINE 209<br />
effectué en 3 étapes : criblage initial, confirmation <strong>et</strong> dose-réponse. Après<br />
confirmation, nous avions i<strong>de</strong>ntifié 48 molécules ayant un eff<strong>et</strong> positif sur la<br />
croissance <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules déficientes en frataxine. Malheureusement, aucune <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
molécules n’a été r<strong>et</strong>enue lors <strong>de</strong> la courbe dose-réponse. Un criblage à plus gran<strong>de</strong><br />
échelle est envisagé pour augmenter les chances <strong>de</strong> réussite.<br />
Récemment, l’anomalie génétique responsable d’une myopathie mitochondriale<br />
avec acidose lactique a été i<strong>de</strong>ntifiée : une mutation du gène ISCU menant à une<br />
anomalie d’épissage <strong>de</strong> son ARN messager. Ce gène est impliqué dans l’assemblage<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> noyaux Fe-S <strong>et</strong> est un partenaire direct <strong>de</strong> la frataxine. En accord avec le rôle<br />
<strong>de</strong> IscU, un déficit en succinate déshydrogénase <strong>et</strong> aconitase ainsi qu’une surcharge<br />
en fer est observée dans les muscles <strong><strong>de</strong>s</strong> patients. Nous avons récemment généré<br />
un modèle murin déficient en frataxine dans le muscle squel<strong>et</strong>tique. Ce modèle<br />
musculaire montre que l’absence totale <strong>de</strong> frataxine dans le muscle induit une<br />
myopathie mitochondriale avec <strong><strong>de</strong>s</strong> fibres musculaires <strong>de</strong> tailles variées, la présence<br />
<strong>de</strong> noyaux centraux, <strong><strong>de</strong>s</strong> fibres rouges déchiqu<strong>et</strong>ées (ragged red fibers), <strong><strong>de</strong>s</strong> dépôts<br />
mitochondriaux <strong>de</strong> fer <strong>et</strong> un déficit spécifique <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines à noyau Fe-S ainsi<br />
qu’une acidose lactique (Wattenhofer-Donzé, manuscrit en préparation). Il est<br />
intéressant <strong>de</strong> noter un cas clinique reporté dans la littérature d’un garçon avec un<br />
diagnostic moléculaire <strong>de</strong> l’AF présentant en plus <strong><strong>de</strong>s</strong> signes cliniques <strong>et</strong><br />
électrophysiologiques d’AF, une myopathie mitochondriale sévère avec une<br />
prolifération mitochondriale <strong>et</strong> une structure anormale <strong><strong>de</strong>s</strong> fibres musculaires. Ceci<br />
suggère qu’il serait peut-être intéressant d’élargir le phénotype associé à la perte <strong>de</strong><br />
fonction en frataxine, en la recherchant dans <strong><strong>de</strong>s</strong> myopathies mitochondriales nonexpliquées.<br />
Le D r Marie Wattenhofer-Donzé, qui étudie ce modèle, est titulaire<br />
d’un poste ATER du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> pour les années 2006-2008.<br />
Génétique moléculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> ataxies récessives (équipe M. Koenig)<br />
L’équipe avait précé<strong>de</strong>mment i<strong>de</strong>ntifié les gènes impliqués dans <strong><strong>de</strong>s</strong> formes<br />
d’ataxie avec apraxie oculomotrice (AOA1/gène aprataxine en 2001 ; AOA2/gène<br />
senataxine en 2004) ainsi que plusieurs familles avec une forme très rare d’ataxie<br />
avec apraxie oculomotrice due à une mutation fondatrice dans le gène MRE11<br />
(Fern<strong>et</strong> <strong>et</strong> al., 2005, Khan <strong>et</strong> al., 2008). Ces gènes co<strong>de</strong>nt pour trois protéines<br />
nucléaires, dont les <strong>de</strong>ux premières sont impliquées dans la réparation <strong><strong>de</strong>s</strong> cassures<br />
<strong>de</strong> l’ADN. L’analyse clinique <strong>de</strong> patients AOA2 confirmés par l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong><br />
mutations du gène <strong>de</strong> la sénataxine nous perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> mieux définir c<strong>et</strong>te nouvelle<br />
forme d’ataxie, en particulier l’âge <strong>de</strong> début toujours supérieur à 8 ans <strong>et</strong> l’association<br />
avec une élévation <strong>de</strong> l’alpha-fœtoprotéine sérique qui en font <strong>de</strong> très bons critères<br />
d’orientation diagnostique, <strong>et</strong> d’i<strong>de</strong>ntifier une élévation modérée <strong>de</strong> l’alphafœtoprotéine<br />
chez les porteurs hétérozygotes (Anheim <strong>et</strong> al., 2008, Tazir <strong>et</strong> al.,<br />
soumis, Gazulla <strong>et</strong> al., soumis). D’autres loci d’ataxie récessive ont été i<strong>de</strong>ntifiés<br />
par analyse <strong>de</strong> liaison dans <strong><strong>de</strong>s</strong> familles consanguines avec d’autres formes d’ataxie,<br />
<strong>et</strong> la recherche <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes mutés a été entreprise (Gribaa <strong>et</strong> al., 2007). Nous avons<br />
ainsi participé à l’i<strong>de</strong>ntification du gène du syndrome <strong>de</strong> Marinesco-Sjögren, qui
210 JEAN-LOUIS MANDEL<br />
associe une ataxie précoce, une cataracte <strong>et</strong> un r<strong>et</strong>ard du développement<br />
psychomoteur, en collaboration avec l’équipe du P r A.-E. Lehesjoki (Helsinki)<br />
(Anttonen <strong>et</strong> al., 2005).<br />
Nous avons plus récemment i<strong>de</strong>ntifié un nouveau gène d’ataxie récessive par<br />
l’analyse d’une gran<strong>de</strong> famille consanguine d’origine algérienne (Lagier-Tourenne<br />
<strong>et</strong> al., 2008). Les patients <strong>de</strong> quatre autres familles se sont avérés avoir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
mutations du même gène. Ce gène co<strong>de</strong> pour une kinase mitochondriale, ADCK3,<br />
impliquée dans la régulation <strong>de</strong> la synthèse du coenzyme Q10, un lipi<strong>de</strong> essentiel<br />
au transport <strong><strong>de</strong>s</strong> électrons dans la chaîne respiratoire mitochondriale. C<strong>et</strong>te ataxie<br />
est donc la cinquième forme d’ataxie récessive due à un déficit d’une protéine<br />
mitochondriale, confirmant que le dysfonctionnement <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te organelle en<br />
général <strong>et</strong> <strong>de</strong> la chaîne respiratoire en particulier, est la cause directe <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes<br />
dégénératifs <strong><strong>de</strong>s</strong> voies cérébelleuses <strong>et</strong> spinocérebelleuses dans un nombre important<br />
<strong>de</strong> cas. L’analyse rétrospective <strong><strong>de</strong>s</strong> patients avec mutations ADCK3 confirme la<br />
présence d’un déficit modéré en coenzyme Q10 dans les fibroblastes en culture <strong>et</strong><br />
d’une élévation modérée <strong><strong>de</strong>s</strong> lactates sanguins, au moins lors d’un exercice<br />
musculaire. Nous avons étudié l’expression d’ADCK4, qui est le paralogue le plus<br />
proche d’ADCK3, dans les lignées <strong>de</strong> patients mutés pour ADCK3. La divergence<br />
entre les gènes ADCK3 <strong>et</strong> – 4 a probablement commencé au moment <strong>de</strong> la<br />
duplication génomique liée à l’apparition <strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés. La divergence avec les<br />
autres membres <strong>de</strong> la famille ADCK (ADCK1, – 2 <strong>et</strong> – 5) est beaucoup plus<br />
ancienne puisque déjà présente chez les bactéries. Nous avons trouvé à la place<br />
d’une surexpression compensatrice attendue d’ADCK4, une co-répression <strong>de</strong> ce<br />
<strong>de</strong>rnier en présence <strong>de</strong> mutations ADCK3, <strong>et</strong> une corrélation entre le niveau <strong>de</strong><br />
répression d’ADCK4 <strong>et</strong> le taux résiduel en coenzyme Q10. Ces résultats suggèrent<br />
qu’ADCK4 est également impliqué dans la régulation <strong>de</strong> la synthèse du coenzyme<br />
Q10 (Lagier-Tourenne <strong>et</strong> al., 2008). L’analyse bioinformatique <strong>de</strong> la séquence<br />
ADCK3 <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines apparentées montre également qu’elles forment une<br />
famille <strong>de</strong> kinases ancestrales ayant <strong>de</strong> lointaines similitu<strong><strong>de</strong>s</strong> avec les<br />
phosphoinositi<strong>de</strong>-kinases <strong>et</strong> les choline-kinases, suggérant que le substrat d’ADCK3<br />
n’est pas nécessairement, ou probablement pas, une protéine. L’élucidation <strong>de</strong> la<br />
fonction d’ADCK3 <strong>de</strong>vrait perm<strong>et</strong>tre d’i<strong>de</strong>ntifier un mécanisme primitif <strong>de</strong><br />
régulation <strong>de</strong> la synthèse <strong>de</strong> l’ATP (chaîne respiratoire) par l’ATP lui-même<br />
(co-substrat <strong>de</strong> la kinase) <strong>et</strong> d’éclairer par un angle nouveau l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
mécanismes <strong>de</strong> régulation biologique par les kinases.<br />
Syndrome <strong>de</strong> Coffin-Lowry <strong>et</strong> kinase RSK2 (équipe A. Hanauer)<br />
L’équipe étudie les bases moléculaires du syndrome <strong>de</strong> Coffin-Lowry (r<strong>et</strong>ard<br />
mental syndromique lié au chromosome X, comportant notamment <strong><strong>de</strong>s</strong> anomalies<br />
squel<strong>et</strong>tiques progressives) <strong>et</strong> le rôle <strong>de</strong> la kinase RSK2 mutée dans ce syndrome<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> ses homologues RSK1, 3 <strong>et</strong> 4. Des souris invalidées pour le gène RSK2 ont<br />
été créées précé<strong>de</strong>mment par l’équipe. Elles présentent un r<strong>et</strong>ard <strong>de</strong> croissance<br />
osseuse (Yang <strong>et</strong> al., 2004), <strong><strong>de</strong>s</strong> anomalies <strong>de</strong> la <strong>de</strong>ntition (manuscrit en <strong>cours</strong> <strong>de</strong>
GÉNÉTIQUE HUMAINE 211<br />
préparation) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> déficits d’apprentissage <strong>et</strong> <strong>de</strong> mémoire spatiale (Poirier <strong>et</strong> al.,<br />
2006). L’équipe a récemment mis en évi<strong>de</strong>nce <strong><strong>de</strong>s</strong> anomalies <strong>de</strong> la voie<br />
dopaminergique au niveau du cortex <strong>de</strong> ces souris. Une étu<strong>de</strong> par chromatographie<br />
HPLC, en collaboration avec le groupe <strong>de</strong> Michael Gruss (Université <strong>de</strong><br />
Mag<strong>de</strong>bourg) <strong>de</strong> différents neurotransm<strong>et</strong>teurs a en eff<strong>et</strong> révélé une augmentation<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> concentrations en dopamine (+ 45 %, p = 0,001) au niveau du cortex, mais<br />
non <strong>de</strong> l’hippocampe. Tous les autres neurotransm<strong>et</strong>teurs étaient présents à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
taux normaux. Ce résultat a conduit l’équipe à explorer l’expression <strong>et</strong> la<br />
phosphorylation <strong>de</strong> différents acteurs <strong>de</strong> la voie dopaminergique. Nous avons<br />
montré que le taux <strong>de</strong> la forme phosphorylée (active) sur la sérine 31 <strong>de</strong> la tyrosine<br />
hydroxylase (TH), l’enzyme limitante <strong>de</strong> la synthèse <strong><strong>de</strong>s</strong> catécholamines, était<br />
significativement augmenté dans le cortex <strong>de</strong> la souris KO-RSK2 alors que le taux<br />
<strong>de</strong> protéine TH totale est similaire chez les souris KO <strong>et</strong> les souris WT. La sérine 31<br />
est essentiellement phosphorylée par la kinase ERK, <strong>et</strong> nous avons montré que le<br />
niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> formes phosphorylées (activées) <strong>de</strong> ERK1/2 était n<strong>et</strong>tement augmenté<br />
chez les souris mutantes (+ 50 %). Nous avons également observé <strong><strong>de</strong>s</strong> augmentations<br />
significatives <strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux d’expression du transporteur <strong>de</strong> la dopamine (DAT) <strong>et</strong><br />
du récepteur dopamine DRD2 chez les souris mutantes. C<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong> confirme<br />
enfin la fonction inhibitrice exercée par RSK2 sur la voie Ras-ERK (elle avait déjà<br />
été rapportée auparavant, mais basée sur <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> in vitro). L’ensemble <strong>de</strong> ces<br />
résultats ont été publiés (Marques Pereira <strong>et</strong> al., 2008). Les <strong>travaux</strong> en <strong>cours</strong><br />
portent sur la caractérisation <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te dérégulation du système<br />
dopaminergique pour la transmission synaptique.<br />
L’équipe a par ailleurs collaboré à une étu<strong>de</strong> portant sur les conséquences <strong>de</strong><br />
l’inactivation <strong>de</strong> RSK2 pour la croissance axonale <strong><strong>de</strong>s</strong> motoneurones. C<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong><br />
a montré que la survie <strong>de</strong> motoneurones (spinaux) <strong>de</strong> souris KO-RSK2 en culture<br />
était normale, mais que les axones avaient une longueur significativement plus<br />
importante que les axones <strong>de</strong> motoneurones WT. La surexpression d’une forme<br />
constitutivement active <strong>de</strong> RSK2 dans les motoneurones conduisait, au contraire,<br />
à une réduction <strong>de</strong> la croissance axonale. Comme dans le cadre <strong>de</strong> notre étu<strong>de</strong> sur<br />
le système dopaminergique, une augmentation <strong>de</strong> 30-40 % <strong>de</strong> l’activité <strong>de</strong> ERK1/2<br />
a aussi été constatée dans les motoneurones déficients pour RSK2 par rapport à<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> motoneurones WT. Finalement, en appliquant un inhibiteur pharmacologique<br />
<strong>de</strong> MEK à <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures <strong>de</strong> motoneurones déficients pour RSK2, l’excès <strong>de</strong> croissance<br />
axonale a pu être corrigé. L’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats suggère que dans <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions<br />
physiologiques normales RSK2 régule négativement l’allongement <strong><strong>de</strong>s</strong> axones via<br />
la voie <strong>de</strong> signalisation MAPK/ERK. Une dérégulation <strong>de</strong> la croissance <strong><strong>de</strong>s</strong> neurites<br />
pourrait ainsi contribuer au déficit fonctionnel du système nerveux <strong><strong>de</strong>s</strong> patients<br />
CLS <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> souris déficientes pour RSK2. Ces résultats ont été rapportés dans une<br />
publication qui vient d’être acceptée dans le Journal of Cell Biology (Fisher <strong>et</strong> al.,<br />
in press). Les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en <strong>cours</strong> portent sur la croissance <strong><strong>de</strong>s</strong> neurites <strong>de</strong> neurones<br />
corticaux <strong>et</strong> hippocampiques, ainsi que sur la morphogénèse <strong>de</strong> leurs épines<br />
<strong>de</strong>ndritiques.
212 JEAN-LOUIS MANDEL<br />
Finalement, une comparaison <strong><strong>de</strong>s</strong> transcriptomes d’hippocampe <strong>de</strong> souris<br />
invalidées pour RSK2 <strong>et</strong> <strong>de</strong> souris sauvages a été réalisée. Elle a révélé <strong><strong>de</strong>s</strong> différences<br />
d’expression significatives pour une cinquantaine <strong>de</strong> gènes. La validation d’une<br />
dizaine <strong>de</strong> ces gènes par RT-PCR quantitative <strong>et</strong> par Western-blot a déjà été<br />
réalisée. Parmi les gènes validés dont l’expression est n<strong>et</strong>tement augmentée dans<br />
l’hippocampe <strong>de</strong> souris déficientes pour RSK2, on trouve notamment un récepteur<br />
ionotropique, le facteur <strong>de</strong> transcription RunX <strong>et</strong> un facteur d’initiation <strong>de</strong> la<br />
traduction jouant un rôle très important dans la traduction locale au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>de</strong>ndrites. La validation <strong><strong>de</strong>s</strong> autres gènes est en <strong>cours</strong>.<br />
La recherche <strong>de</strong> nouveaux gènes <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ard mental lié au X par l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
translocation X-autosome chez <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes avec r<strong>et</strong>ard mental, qui avait été<br />
poursuivie ces <strong>de</strong>rnières années, a été arrêtée. Le <strong>de</strong>rnier cas étudié a montré que<br />
le point <strong>de</strong> cassure sur le chromosome X était localisé dans une région dépourvue<br />
<strong>de</strong> gènes, mais que le point <strong>de</strong> cassure autosomique interrompait le gène CDKL3<br />
(une protéine kinase cdc2-related), faisant <strong>de</strong> ce gène exprimé dans le cerveau un<br />
candidat pour <strong><strong>de</strong>s</strong> formes autosomiques <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ard mental (Dubos <strong>et</strong> al., 2008).<br />
Réarrangements génomiques dans les tumeurs soli<strong><strong>de</strong>s</strong> (équipe S. du Manoir)<br />
L’équipe du D r S. du Manoir développe <strong><strong>de</strong>s</strong> stratégies d’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> réarrangements<br />
chromosomiques (amplifications, délétions) <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs soli<strong><strong>de</strong>s</strong> par « CGH array »<br />
<strong>et</strong> analyse du transcriptome. Afin d’i<strong>de</strong>ntifier <strong><strong>de</strong>s</strong> marqueurs génomiques<br />
pronostiques associés à <strong><strong>de</strong>s</strong> paramètres cliniques comme la survie, trois étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ont<br />
été entreprises pour cribler les aberrations chromosomiques par CGH sur puces.<br />
Ces étu<strong><strong>de</strong>s</strong> rétrospectives construites sur <strong><strong>de</strong>s</strong> cohortes très homogènes concernent<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> carcinomes <strong>de</strong> l’ovaire (coll. N. Arnold), <strong><strong>de</strong>s</strong> cancers du poumon <strong>de</strong> type<br />
épi<strong>de</strong>rmoï<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> adénocarcinomes (coll. N. Martin<strong>et</strong>, Nancy). Notre étu<strong>de</strong><br />
épidémiologique concernant une série <strong>de</strong> 1 200 cancers du poumon opéré au<br />
CHU <strong>de</strong> Nancy <strong>de</strong>puis 1988 (constituant la tumorothèque <strong>de</strong> Nancy) confirme<br />
le besoin <strong>de</strong> marqueurs pronostics pour les patients <strong>de</strong> sta<strong>de</strong> I-II dont 45 %<br />
meurent <strong>de</strong> récurrence (publication soumise). Nous avons réalisé <strong>de</strong>ux étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
rétrospectives (Adénocarcinomes : 73 cas <strong>et</strong> Epi<strong>de</strong>rmoï<strong><strong>de</strong>s</strong> : 76 cas) <strong>de</strong> cancers du<br />
poumon <strong>de</strong> sta<strong>de</strong> I-II stratifiées en <strong>de</strong>ux groupes (survie < 25 mois <strong>et</strong> > 60 mois)<br />
par CGH-array. Nous avons développé une approche statistique originale pour<br />
i<strong>de</strong>ntifier les régions associées au pronostic. Pour les adénocarcinomes, une<br />
amplification est présente uniquement chez les courts surviveurs <strong>et</strong> plusieurs<br />
régions <strong>de</strong> gains <strong>et</strong> pertes sont trouvées préférentiellement chez ceux-ci. Pour les<br />
formes épi<strong>de</strong>rmoï<strong><strong>de</strong>s</strong>, la région la plus amplifiée est située en 3q <strong>et</strong> contient le gène<br />
SOX2 (manuscrit en préparation). Plusieurs régions sont associées au mauvais<br />
pronostic. Pour les <strong>de</strong>ux histologies, une ségrégation partielle est obtenue sur la<br />
base <strong>de</strong> ces aberrations. Ces signatures génomiques seront validées par un ensemble<br />
<strong>de</strong> procédures statistiques. Une confirmation par Q-PCR <strong><strong>de</strong>s</strong> aberrations trouvées<br />
<strong>de</strong>vrait perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> définir un s<strong>et</strong> minimal <strong>de</strong> régions qui pourrait être à la base<br />
d’un prototype <strong>de</strong> test pronostique. L’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes candidats sélectionnées
GÉNÉTIQUE HUMAINE 213<br />
par <strong><strong>de</strong>s</strong> filtres bibliographiques <strong>et</strong> bioinformatiques dans ces régions génomiques<br />
sera évaluée dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs humaines primaires <strong>et</strong> dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tests <strong>de</strong> croissance<br />
tumorale / micrométastase in vivo (souris Nu<strong><strong>de</strong>s</strong>).<br />
Nous sommes impliqués dans un programme visant à faciliter l’interprétation <strong>de</strong><br />
données <strong>de</strong> CGH sur puces dans le cadre <strong>de</strong> la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription d’aneusomies segmentales<br />
pour <strong><strong>de</strong>s</strong> patients souffrant <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ards mentaux, (programme DHOS en<br />
collaboration avec P. Jonveaux, Nancy), <strong>et</strong> dans le cadre d’une action du GIS<br />
maladies rares (en particulier, une étu<strong>de</strong> initiée par le Prof. Hélène Dollfus, Faculté<br />
<strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> Strasbourg, visant à i<strong>de</strong>ntifier <strong>de</strong> nouveaux gènes du syndrome<br />
<strong>de</strong> Bard<strong>et</strong>-Biedl). Pour faciliter l’interprétation <strong><strong>de</strong>s</strong> données <strong><strong>de</strong>s</strong> puces Agilent dans<br />
le contexte du r<strong>et</strong>ard mental, nous avons développé un programme automatisé,<br />
fournissant aux cliniciens une liste ordonnée <strong><strong>de</strong>s</strong> aberrations numériques ayant le<br />
plus <strong>de</strong> chances d’être causales du r<strong>et</strong>ard mental (sur la base <strong>de</strong> critères comme<br />
la taille <strong>et</strong> le contenu en gènes…) <strong>et</strong> <strong>de</strong>vant être confirmées <strong>de</strong> façon prioritaire.<br />
Dans le cadre <strong>de</strong> notre plateforme CGH-array, 190 cancers colorectaux ont été<br />
étudiés, 164 cancers du poumon (PNES-poumon) <strong>et</strong> 98 VADS (étu<strong>de</strong> du groupe<br />
<strong>de</strong> B. Wasylyk, IGBMC). Ce travail visait à i<strong>de</strong>ntifier une signature moléculaire<br />
pronostique <strong>de</strong> l’apparition ultérieure <strong>de</strong> métastases dans les cancers VADS par<br />
l’exploration du transcriptome <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> aberrations génomiques. C<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong> publiée<br />
par le groupe <strong>de</strong> B. Wasylyk (Rickman D.S. <strong>et</strong> al., 2008) rapporte plusieurs<br />
aberrations génomiques associées à la progression métastatique <strong>et</strong> pourraient être<br />
à la base du développement marqueurs pronostiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> cibles thérapeutiques<br />
dans les cancers VADS métastatiques.<br />
Liste <strong><strong>de</strong>s</strong> publications du groupe <strong>de</strong> génétique humaine <strong>de</strong> l’igbmc<br />
(<strong>de</strong>puis juill<strong>et</strong> 2007)<br />
Publications parues dans <strong><strong>de</strong>s</strong> revues <strong>de</strong> niveau international avec comité <strong>de</strong> lecture<br />
2007<br />
Cao C., Laporte J., Backer J.M., Wandinger-Ness A., Stein M.-P. Myotubularin lipid<br />
phosphatase binds the hVPS15/hVPS34 lipid kinase complex on endosomes. Traffic (2007)<br />
8 : 1052-1067.<br />
Echaniz-Laguna A., Nicot A.S., Carré S., Franques J., Tranchant C., Dondaine N.,<br />
Biancalana V., Man<strong>de</strong>l J.L., Laporte J. Subtle central and peripheral nervous system<br />
abnormalities in a family with centronuclear myopathy and a novel dynamin 2 gene<br />
mutation. Neuromuscular disor<strong>de</strong>rs (2007) 17 : 955-959.<br />
Gribaa M., Salih M., Anheim M., Lagier-Tourenne C., H’mida D., Drouot N.,<br />
Mohamed A., Elmalik S., Kabiraj M., Al-Rayess M., Almubarak M., Bétard C., Goebel H.<br />
and Kœnig M. A new form of childhood ons<strong>et</strong>, autosomal recessive spinocerebellar ataxia<br />
and epilepsy is localized at 16q21-q23. Brain (2007) 130 : 1921-1928.<br />
Klein F., Pastore A., Masino L., Ze<strong>de</strong>r-Lutz G., Nierengarten H., Oulad-Ab<strong>de</strong>lghani M.,<br />
Altschuh D., Man<strong>de</strong>l J.L. and Trottier Y. Pathogenic and non-pathogenic polyglutamine<br />
tracts have similar structural properties: towards a length <strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt toxicity gradient.<br />
J. Mol. Biol. (2007) 371 : 235-244.
214 JEAN-LOUIS MANDEL<br />
Marques Pereira P., Heron D. and Hanauer A. The first large duplication of the RSK2<br />
gene i<strong>de</strong>ntified in a Coffin-Lowry syndrome patient. Hum. Gen<strong>et</strong>. (2007) 122 : 541-543.<br />
Martelli A.*, Wattenhofer-Donzé M.*, Schmucker S., Bouv<strong>et</strong> S., Reutenauer L. and<br />
Puccio H. Frataxin is essential for extramitochondrial Fe-S cluster proteins in mammalian<br />
tissues. Hum. Mol. Gen<strong>et</strong>. (2007) 16 : 2651-2658.<br />
Nicot A.S.*, Toussaint A.*, Tosch V., Kr<strong>et</strong>z C., Wallgren-P<strong>et</strong>tersson C., Iwarsson E.,<br />
Kingston H., Garnier J.M., Biancalana V., Oldfors A., Man<strong>de</strong>l J.L. and Laporte J. Mutations<br />
in amphiphysin 2 (BIN1) disrupt interaction with dynamin 2 and cause autosomal recessive<br />
centronuclear myopathy. Nat. Gen<strong>et</strong>. epub 2007 Aug 5. (2007) 39 : 1134-1139. * equal<br />
contributors.<br />
2008<br />
Anheim M., Fleury M.C., Franques J., Moreira M.C., Delaunoy J.P., Stoppa-Lyonn<strong>et</strong> D.,<br />
Koenig M. and Tranchant C. Clinical and molecular findings of Ataxia with oculomotor<br />
apraxia type 2 in 4 families. Arch. Neurol. (2008) 65 (7) : 958-962.<br />
Bo<strong>et</strong>tcher C., Ulbricht E., Helmlinger D., Mack A.F., Reichenbach A., Wie<strong>de</strong>mann P.,<br />
Wagner H.J., Seeliger M.W., Bringmann A., Priller J. Long-term engraftment of systemically<br />
transplanted, gene-modified bone marrow-<strong>de</strong>rived cells in the adult mouse r<strong>et</strong>ina. British<br />
Journal of Ophthalmology (2008) 92 : 272-275.<br />
Boulon S., Marmier-Gourrier N., Prad<strong>et</strong>-Bala<strong>de</strong> B., Wurth L., Verheggen C., Jàdy B.E.,<br />
Rothé B., Pescia C., Robert M.C., Kiss T., Bardoni B., Krol A., Branlant C., Allmang C.,<br />
Bertrand E. and Charpentier B. The Hsp90 chaperone controls the biogenesis of L7Ae<br />
RNPs through conserved machinery. J. Cell Biol. (2008) 180 : 579-595.<br />
Buj-Bello A., Fougerousse F., Schwab Y., Messad<strong>de</strong>q N., Spehner D., Pierson C.R.,<br />
Durand M., Kr<strong>et</strong>z C., Danos O., Douar A.M., Beggs A.H., Schultz P., Montus M.,<br />
Denèfle P. and Man<strong>de</strong>l J.L. AAV-mediated intramuscular <strong>de</strong>livery of myotubularin corrects<br />
the myotubular myopathy phenotype in targ<strong>et</strong>ed murine muscle and suggests a function in<br />
plasma membrane homeostasis. Hum. Mol. Gen<strong>et</strong>. (2008) 17 : 2132-2143.<br />
Cao C., Backer J.M., Laporte J., Bedrick E.J. and Wandinger-Ness A. Sequential Actions<br />
of Myotubularin Lipid Phosphatases Regulate Endosomal PI(3)P and Growth Factor<br />
Receptor Trafficking. Mol. Biol. Cell. (2008) 19 : 3334-3346.<br />
Didiot M.C., Tian Z., Schaeffer C., Subramanian M., Man<strong>de</strong>l J.L., Moine H. The<br />
G-quart<strong>et</strong> containing FMRP Binding Site in FMR1 mRNA is a potent exonic splicing<br />
enhancer. Nucleic Acids Res. (2008) 36 : 4902-4912.<br />
Dubos A., Pann<strong>et</strong>ier S. and Hanauer A. Inactivation of the CDKL3 gene at 5q31.1 by a<br />
balanced t(X;5) translocation associated with nonspecific mild mental r<strong>et</strong>ardation. Am. J.<br />
Med. Gen<strong>et</strong>. (2008) Part A 146A : 1267-1279.<br />
Fukami M., Wada Y., Okada M., Kato F., Katsumata N., Baba T., Morohashi K.,<br />
Laporte J., Kitagawa M. and Ogata T. Mastermind-like domain-containing 1 (MAMLD1<br />
or CXorf6) transactivates the Hes3 promoter, augments testosterone production, and contains<br />
the SF1 targ<strong>et</strong> sequence. J. Biol. Chem. (2008) 283(9) : 5525-32.<br />
Khan A.O., Oystreck D.T., Kœnig M. and Salih M.A. Ophthalmic features of ataxia<br />
telangiectasia-like disor<strong>de</strong>r. J. Am. Ass. Pediatr. Opht. Strabisms (2008) 12 : 186-189.<br />
Lagier-Tourenne C., Tazir M., López L.C., Quinzii C.M., Assoum M., Drouot N.,<br />
Busso C., Makri S., Ali-Pacha L., Benhassine T., Anheim M., Lynch D., Thibault C.,<br />
Plewniak F., Bianch<strong>et</strong>ti L., Tranchant C., Poch O., DiMauro S., Man<strong>de</strong>l J.L., Barros M.H.,<br />
Hirano M. and Kœnig M. ADCK3, an ancestral kinase, is mutated in a form of recessive<br />
ataxia associated with coenzyme Q10 <strong>de</strong>ficiency. Am. J. Hum. Gen<strong>et</strong>. (2008) 82 :<br />
661-672.
GÉNÉTIQUE HUMAINE 215<br />
Laugel V., Cossée M., Matis J., <strong>de</strong> Saint-Martin A., Echaniz-Laguna A., Man<strong>de</strong>l J.L.,<br />
Astruc D., Fischbach M., Messer J. Diagnostic approach to neonatal hypotonia : r<strong>et</strong>rospective<br />
study on 144 neonates. Eur. J. Pediatr. (2008) 167 : 517-523.<br />
Marques Pereira P., Gruss M., Braun K., Foos N., Pann<strong>et</strong>ier S., Hanauer A. Dopaminergic<br />
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Nicot A.S. and Laporte J. Endosomal phosphoinositi<strong><strong>de</strong>s</strong> and human diseases (Review).<br />
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Piazzon N., Rage F., Schlotter F., Moine H., Branlant C., Massen<strong>et</strong> S. In vitro and in<br />
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X mental r<strong>et</strong>ardation protein. J. Biol. Chem. (2008) 283 : 5598-610.<br />
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Zeniou-Meyer M., Liu Y., Béglé A., Olanish M., Hanauer A., Becherer U., R<strong>et</strong>tig J.,<br />
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Anheim M., Lagier-Tourenne C., Stevanin G., Fleury M., Durr A., Namer I.J., Denora P.,<br />
Brice A., Man<strong>de</strong>l J.L., Kœnig M. and C. Tranchant. SPG11 spastic paraplegia : a new cause<br />
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Articles <strong>de</strong> synthèse <strong>et</strong> chapitres <strong>de</strong> livres<br />
Puccio H. Conditional mouse mo<strong>de</strong>ls for Friedreich Ataxia, a neuro<strong>de</strong>generative disor<strong>de</strong>r<br />
associating cardiomyopathy. Handb. Exp. Pharmacol. (Springer Verlag). 2007 ; (178) :<br />
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*Babady N.E., *Carelle N., Wells R.D., Rouault T.A., Hirano M., Lynch D.R., Delatycki<br />
M.B., Wilson R.B., Isaya G. and Puccio H. Advancements in the pathophysiology of<br />
Friedreich’s Ataxia and new prospects for treatments. Molecular Gen<strong>et</strong>ics and M<strong>et</strong>abolism<br />
(2007) 92 : 23-35.<br />
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(BIN1) dans les myopathies centronucléaires récessives. M/S (2007) 12 : 1080-1082.<br />
Anheim M., Chaigne D., Fleury M. Santorelli F.M., De Sèze J., Durr A., Brice A.,<br />
Kœnig M., Tranchant C. : Ataxie spastique autosomique récessive <strong>de</strong> Charlevoix-Saguenay :<br />
étu<strong>de</strong> d’une famille <strong>et</strong> revue <strong>de</strong> la littérature. Revue Neurologique (2008) 164 : 363-368.<br />
Puccio H (2008). Multicellular mo<strong>de</strong>ls of Friedreich’s Ataxia. Journal of Neurology in<br />
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phosphatases activity on phosphoinositi<strong><strong>de</strong>s</strong> in vitro and ex vivo. M<strong>et</strong>hods in Mol. Biol. (2008)<br />
in press.
216 JEAN-LOUIS MANDEL<br />
Conférences grand public<br />
Conférences données par J.-L. Man<strong>de</strong>l<br />
(<strong>de</strong>puis juill<strong>et</strong> 2007)<br />
— 50 e anniversaire <strong>de</strong> l’association genevoise (INSIEME) <strong>de</strong> parents <strong>de</strong> personnes avec<br />
handicap mental. Genève, le 24 mai 2008. « 50 ans <strong>de</strong> recherche génétique dans le domaine<br />
<strong>de</strong> la déficience mentale ».<br />
— Université <strong>de</strong> Tous les Savoirs. Paris le 23 juin 2008. « Génome <strong>et</strong> mé<strong>de</strong>cine<br />
prédictive ».<br />
Conférences scientifiques, participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> congrès<br />
— Conférence « Des molécules à la cognition : Un hommage à Jean-Pierre Changeux<br />
(Institut Pasteur, Paris) du 17 au 19 septembre 2007. « Gen<strong>et</strong>ics of mental r<strong>et</strong>ardation ».<br />
— Assises <strong>de</strong> génétique humaine <strong>et</strong> médicale (Lille) du 17 au 19 janvier 2008. Modérateur<br />
<strong>de</strong> session.<br />
— Strasbourg-Weizmann symposium on « Transmembrane signaling » (IGBMC,<br />
Strasbourg-Illkirch) 11 <strong>et</strong> 12 février 2008 (co-organisateur).<br />
— « Myopathies centronucléaires : un lien inattendu entre phosphoinositi<strong><strong>de</strong>s</strong>, dynamine 2<br />
<strong>et</strong> amphiphysine » à l’Université Bor<strong>de</strong>aux 2, le 19 février 2008.<br />
— Conférence « Maladies monogéniques, du gène aux mala<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> aux familles » Université<br />
Victor Segalen Bor<strong>de</strong>aux 2, le 19 février 2008.<br />
— Colloque « Actualités dans le domaine <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies monogéniques : mécanismes<br />
physiopathologiques, approches thérapeutiques » au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (Paris) 15 <strong>et</strong> 16 avril<br />
2008. « De la drosophile à la souris : l’exemple du syndrome X fragile » (organisateur du<br />
colloque).<br />
— VIII National medical gen<strong>et</strong>ics congress (Çanakkale - Turkey) du 6 au 9 mai 2008.<br />
« Fragile X syndrome : from diagnostic applications to pathomechanisms ».<br />
— Colloque inaugural IFR148 « Sciences <strong>et</strong> ingénierie en biologie Santé », Brest le 4 juin<br />
2008. « Maladies génétiques : aspects physiopathologiques <strong>et</strong> pistes thérapeutiques ».<br />
— Colloque AFSTAL (Association Française <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>et</strong> Techniques <strong>de</strong> l’Animal <strong>de</strong><br />
Laboratoire) « Bonnes pratiques animales : partager l’éthique au quotidien » Strasbourg,<br />
4 au 6 juin 2008. « Les modèles génétiques animaux en recherche médicale ».
Génétique <strong>et</strong> physiologie cellulaire<br />
M me Christine P<strong>et</strong>it, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeure<br />
TRAITEMENT DES SIGNAUX ACOUSTIQUES :<br />
DE LA CELLULE SENSORIELLE AUDITIVE<br />
AU COMPLEXE OLIVAIRE SUPÉRIEUR<br />
Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année 2008 a présenté les avancées réalisées sur la transduction<br />
mécano-électrique auditive <strong>de</strong>puis 2002, date du précé<strong>de</strong>nt <strong>cours</strong>, suivies d’une<br />
introduction au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année 2009, qui portera sur la localisation <strong>de</strong> la source<br />
sonore.<br />
Les quatre <strong>cours</strong> ont traité <strong><strong>de</strong>s</strong> questions suivantes :<br />
1er <strong>cours</strong> : faut-il repenser l’amplificateur cochléaire ?<br />
2e <strong>cours</strong> : la transduction mécano-électrique : données physiologiques <strong>et</strong><br />
moléculaires récentes ;<br />
3e <strong>cours</strong> : l’environnement moléculaire <strong>de</strong> la transduction mécano-électrique, les<br />
fonctions <strong>de</strong> transfert (a) dépolarisation membranaire-exocytose synaptique <strong>et</strong> (b)<br />
exocytose synaptique-stimulation <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones auditifs ;<br />
4e <strong>cours</strong> : éléments du traitement du signal sonore par les neurones auditifs du<br />
ganglion cochléaire <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones <strong><strong>de</strong>s</strong> noyaux auditifs du tronc cérébral.<br />
1 er <strong>cours</strong> : Faut-il repenser l’amplificateur cochléaire ?<br />
Le <strong>cours</strong> a débuté par un rappel <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques physiques du son, son pur<br />
<strong>et</strong> son complexe : hauteur du son (fréquence : notion introduite par Galilée,<br />
définition <strong>de</strong> la fréquence caractéristique d’une cor<strong>de</strong> vibrante ou fréquence<br />
fondamentale, <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses harmoniques ou multiples entiers <strong>de</strong> la fréquence<br />
fondamentale), <strong>et</strong> intensité sonore (amplitu<strong>de</strong>) avec pour unité <strong>de</strong> mesure, le<br />
décibel (dB) (en réference à Graham Bell). A ces gran<strong>de</strong>urs physiques qui<br />
caractérisent la source sonore, s’ajoutent celles <strong>de</strong> la perception définies par la
218 CHRISTINE PETIT<br />
psychophysique <strong>et</strong> la psychoacoustique : tonie (sensation <strong>de</strong> la hauteur sonore, qui<br />
n’est pas la simple traduction <strong>de</strong> la fréquence sonore ; s’y rapporte le pitch anglosaxon,<br />
que certaines définitions restreignent cependant à la sensation <strong>de</strong> hauteur<br />
pour <strong><strong>de</strong>s</strong> sons mélodiques, musique, prosodie <strong>et</strong> langues tonales), sonie (perception<br />
<strong>de</strong> l’intensité sonore ; loudness en anglais) <strong>et</strong> timbre (perception sonore qui s’appuie<br />
sur le spectre fréquentiel, l’amplitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> chaque composante fréquentielle, <strong>et</strong> les<br />
caractérisiques temporelles <strong><strong>de</strong>s</strong> sons, temps d’installation <strong>de</strong> l’amplitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
l’enveloppe sonore, par exemple (McAdams <strong>et</strong> al, 1995).<br />
L’histoire du décibel est intimement liée à celle du téléphone. L’introduction du<br />
décibel répondait à la nécessité <strong>de</strong> disposer d’une mesure <strong>de</strong> la baisse <strong>de</strong> la puissance<br />
du son véhiculé par les câbles du téléphone. Son expression logarithmique repose sur<br />
la perception sensorielle, <strong>et</strong> « sa loi », connue sous le nom <strong>de</strong> loi <strong>de</strong> Fechner ou<br />
Weber-Fechner, selon laquelle la sensation d’intensité du son varie proportionellement<br />
avec le logarithme <strong>de</strong> l’intensité sonore physique, exprimée en watts/m 2 (R = C<br />
log(S), relation dans laquelle R représente la sensation d’intensité sonore, S l’intensité<br />
du son <strong>et</strong> C une constante). Le décibel correspond approximativement au plus p<strong>et</strong>it<br />
changement d’intensité sonore qu’un individu peut percevoir. Le décibel (dB) est<br />
un nombre sans dimension. L’intensité d’un son « IL » (IL = intensity level) s’exprime<br />
en dB par la relation IL = 10 log 10(I/I r) dB, soit le logarithme décimal du rapport <strong>de</strong><br />
l’intensité du son, I (en watts/m 2 ), à celle d’un son <strong>de</strong> référence, I r (le facteur 10<br />
traduisant l’expression en dB <strong>et</strong> non en Bel). En raison <strong>de</strong> la relation I = p 2 /Z c (où Zc<br />
est l’impédance caractéristique), la pression p, d’un son « SPL » (SPL = sound<br />
pressure level) en dB est donnée par, SPL = 10 log 10(p/p r) 2 = 20 log 10(p/p r), soit le<br />
logarithme décimal du rapport <strong>de</strong> la pression du son inci<strong>de</strong>nt, p (en newtons/m 2 ou<br />
pascal : 1 N/m 2 = 1 pascal (Pa)), à celle du son <strong>de</strong> référence, p r. Le son <strong>de</strong> référence a<br />
une intensité, I r, <strong>de</strong> 10 -12 W/m 2 , <strong>et</strong> une pression, p r, <strong>de</strong> 2 ⋅ 10 -5 N/m 2 (20 μPa ou<br />
2 ⋅ 10 -5 Pa). Il correspond à la plus p<strong>et</strong>ite intensité (<strong>et</strong> pression) décelée par l’oreille<br />
humaine, soit 0 dB (l’intensité du mouvement brownien est <strong>de</strong> – 20 dB). Pour un<br />
son donné, les valeurs en dB IL <strong>et</strong> en dB SPL sont i<strong>de</strong>ntiques. L’élévation d’un seuil<br />
<strong>de</strong> perception auditive <strong>de</strong> 60 dB correspond au fait que la pression seuil perçue est<br />
10 3 fois supérieure à la pression <strong>de</strong> référence <strong>et</strong> l’intensité seuil perçue est 10 6 fois<br />
l’intensité <strong>de</strong> référence; une variation <strong>de</strong> 20 dB correspond à une variation d’un<br />
ordre <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la pression acoustique <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ordres <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong><br />
l’intensité acoustique. En clinique, on utilise le décibel « hearing level » HL, rapport<br />
du seuil <strong>de</strong> pression auditive observé chez le patient à celui d’un individu dont<br />
l’audition est normale.<br />
Il a été rappelé que le milieu affecte la vitesse <strong>de</strong> propagation <strong>et</strong> l’intensité du son<br />
qui le traverse, mais ne modifie pas sa fréquence. La <strong>de</strong>nsité du milieu (ρ) <strong>et</strong> son<br />
module d’élasticité (κ) (changement <strong>de</strong> la pression d’un milieu sous l’eff<strong>et</strong> d’une<br />
force qui lui est appliquée, ou rigidité) modifient la vitesse <strong>de</strong> propagation (c) du<br />
son, en raison <strong>de</strong> la relation c = (κ/ρ) 1/2 . Plus le module d’élasticité est élevé, plus le<br />
son se propage vite ; plus la <strong>de</strong>nsité du milieu est élevée, moins le son se propage<br />
rapi<strong>de</strong>ment. Cependant, le son se propage plus vite dans l’eau que dans l’air car le
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 219<br />
module d’élasticité <strong>de</strong> l’eau est beaucoup plus élevé que celui <strong>de</strong> l’air. Enfin,<br />
l’impédance caractéristique du milieu, Z c (mesurée en rayls), module à la fois<br />
l’intensité <strong>et</strong> la vitesse <strong>de</strong> propagation du son. L’impédance est l’inertie opposée par<br />
un système au passage d’un signal périodique (la gran<strong>de</strong>ur inverse est l’admittance).<br />
La relation entre l’impédance caractéristique <strong>et</strong> l’intensité sonore sus-mentionnée<br />
(I = p 2 /Z c) montre que plus l’impédance caractéristique du milieu traversé est forte,<br />
plus l’intensité sonore diminue ; la relation entre impédance caractéristique <strong>et</strong> vitesse<br />
<strong>de</strong> propagation du son, Z c = r oc, montre que plus l’impédance caractéristique d’un<br />
milieu est élevée, plus la vitesse <strong>de</strong> propagation du son est gran<strong>de</strong>. Par ailleurs, dans<br />
un milieu donné, l’intensité sonore varie en relation inverse avec le carré <strong>de</strong> la<br />
distance à la source sonore.<br />
L’anatomie <strong>et</strong> l’histologie cochléaires ont été brièvement rappelées. Les trois<br />
fonctions <strong>de</strong> la cochlée, organe sensoriel auditif <strong><strong>de</strong>s</strong> mammifères, ont ensuite été<br />
évoquées : analyse spectrale, amplification <strong>de</strong> la stimulation sonore, <strong>et</strong> transduction<br />
mécano-électrique. Celles-ci ren<strong>de</strong>nt compte <strong>de</strong> ses performances exceptionnelles :<br />
une discrimination fréquentielle qui atteint 0,2 % à 1 000 Hz chez l’homme dans<br />
les expériences psychoacoustiques, une détection <strong>de</strong> sons dont l’énergie est proche<br />
<strong>de</strong> celle du bruit thermique, <strong>et</strong> une précision temporelle <strong>de</strong> réponse <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong><br />
la dizaine <strong>de</strong> microsecon<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />
Le <strong>cours</strong> s’est ensuite concentré sur la question <strong>de</strong> l’amplificateur cochléaire.<br />
L’amplificateur cochléaire<br />
Les vagues <strong>de</strong> pression qui atteignent le tympan sont transmises à la périlymphe<br />
<strong>de</strong> la rampe vestibulaire (scala vestibuli) <strong>de</strong> la cochlée par les ossel<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l’oreille<br />
moyenne dont le <strong>de</strong>rnier, l’étrier, vient frapper la membrane <strong>de</strong> la fenêtre ovale<br />
qui obture c<strong>et</strong>te rampe. Une différence <strong>de</strong> pression est créée entre les différentes<br />
rampes <strong>de</strong> la cochlée, qui est transmise au canal membraneux cochléaire abritant<br />
le neuroépithélium auditif (organe <strong>de</strong> Corti). Il s’ensuit un déplacement, selon<br />
l’axe transverse, <strong>de</strong> la membrane basilaire sur laquelle repose l’organe <strong>de</strong> Corti. En<br />
examinant, par illumination stromboscopique au microscope, le mouvement <strong>de</strong> la<br />
membrane basilaire <strong>de</strong> cochlées humaines prélevées post mortem, von Bekesy avait<br />
observé que les pics <strong>de</strong> déplacement <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te membrane étaient distribués le long<br />
<strong>de</strong> l’axe longitudinal <strong>de</strong> la cochlée en fonction <strong>de</strong> la fréquence du son inci<strong>de</strong>nt.<br />
Pour chaque fréquence, il existait un emplacement spécifique le long <strong>de</strong> l’axe<br />
longitudinal <strong>de</strong> la cochlée où le déplacement <strong>de</strong> la membrane basilaire était<br />
maximal. Von Bekesy avait ainsi découvert l’existence d’une carte fréquentielle <strong>de</strong><br />
long <strong>de</strong> l’axe longitudinal <strong>de</strong> la cochlée (Von Bekesy, 1956). C<strong>et</strong>te relation entre<br />
la fréquence du son <strong>et</strong> l’emplacement où la vibration <strong>de</strong> la membrane basilaire est<br />
maximale, est appelée transformation tonopique. Von Bekesy reçut en 1961 le prix<br />
Nobel pour c<strong>et</strong>te découverte.
220 CHRISTINE PETIT<br />
Bien vite, ces données suscitèrent <strong><strong>de</strong>s</strong> interrogations. Les pics <strong>de</strong> déplacement <strong>de</strong> la<br />
membrane basilaire étaient très larges en regard <strong>de</strong> la discrimination fréquentielle<br />
mise en evi<strong>de</strong>nce par les expériences psychoacoustiques. Ces <strong>de</strong>rnières avaient, dès<br />
1954, trouvé une traduction physiologique par les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Ichiji Tasaki<br />
(Tasaki, 1954), qui montraient que chaque neurone auditif répond préférentiellement<br />
à une fréquence particulière. Ces courbes <strong>de</strong> réponse neuronale, dite courbes d’accord<br />
(seuil <strong>de</strong> la décharge neuronale en dB en fonction <strong>de</strong> la fréquence sonore), très<br />
pointues, plaidaient en faveur <strong>de</strong> l’existence d’un mécanisme additionnel <strong>de</strong> sélectivité<br />
fréquentielle. L’introduction <strong>de</strong> l’interférométrie-laser, qui autorisait <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures<br />
beaucoup plus précises du mouvement <strong>de</strong> la membrane basilaire que les analyses<br />
stroboscopiques, couplée à l’enregistrement <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses électriques neuronales, allait<br />
<strong>de</strong> fait montrer qu’in vivo, les vibrations maximales <strong>de</strong> la membrane basilaire étaient<br />
d’une part beaucoup plus amples, <strong>et</strong> d’autre part limitées à un emplacement plus<br />
restreint <strong>de</strong> la membrane basilaire pour une fréquence du son donnée. A la sélectivité<br />
« passive », grosssière, <strong>de</strong> la membrane basilaire (en rapport avec ses propriétés<br />
physiques), s’ajoutait donc une sélectivité « active » qui amplifiait le mouvement<br />
passif. Or l’existence d’un amplificateur cochléaire actif avait été prédite par Thomas<br />
Gold (Gold, 1948). En 1948, Gold avait souligné que la cochlée, remplie <strong>de</strong> liqui<strong>de</strong>,<br />
ne pouvait pas être le site d’une résonance mécanique passive d’amplitu<strong>de</strong> suffisante<br />
pour perm<strong>et</strong>tre la détection <strong>de</strong> sons dont l’énergie est proche <strong>de</strong> celle du bruit<br />
thermique, <strong>et</strong>, qui plus est, avec une bonne sélectivité fréquentielle. Il conclut à la<br />
nécessité d’une source d’énergie interne pour compenser la perte d’énergie par<br />
dissipation visqueuse.<br />
L’amplification du déplacement <strong>de</strong> la membrane basilaire varie <strong>de</strong> manière non<br />
linéaire avec l’intensité du stimulus. Le facteur d’amplification a trois régimes : il<br />
est maximal pour les intensités du son les plus faibles, décroit <strong>de</strong> manière non<br />
linéaire pour <strong><strong>de</strong>s</strong> intensités croissantes, <strong>et</strong> est quasiment nul au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> 60 dB. Au<br />
total, pour les 6 ordres <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la pression sonore auxquels la cochlée<br />
humaine est sensible, <strong>de</strong> 0 à 120 dB SPL, l’amplitu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> vibrations <strong>de</strong> la membrane<br />
basilaire varie d’un facteur 100 (le déplacement au seuil auditif est <strong>de</strong> 0,1 nm ; son<br />
maximum est <strong>de</strong> 10 nm à 120 dB). L’amplification, non linéaire, est donc aussi<br />
compressive, puisque le gain <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ordres <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur du déplacement <strong>de</strong> la<br />
membrane basilaire correspond à six ordres <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur pour la pression du son<br />
correspondant. C<strong>et</strong>te amplification est restreinte à la région <strong>de</strong> la cochlée où les<br />
cellules sensorielles ont une fréquence caractéristique proche <strong>de</strong> celle du son<br />
inci<strong>de</strong>nt. En eff<strong>et</strong>, chaque cellule sensorielle, dite cellule ciliée, répond<br />
préférentiellement à une fréquence particulière. L’amplification augmente donc<br />
aussi la sélectivité en fréquence <strong>de</strong> la réponse cochléaire. L’amplificateur, pour être<br />
efficace, doit imprimer une force sur la membrane basilaire en synchronie avec son<br />
déplacement cyclique provoqué par l’on<strong>de</strong> sonore. C<strong>et</strong> amplificateur a aussi pour<br />
action, pense-t-on, <strong>de</strong> perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> détecter <strong><strong>de</strong>s</strong> sons <strong>de</strong> haute fréquence, dont<br />
l’énergie dissipée par l’amortissement visqueux dans la cochlée est plus importante<br />
que pour les sons <strong>de</strong> basse fréquence.
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 221<br />
En 1978, P<strong>et</strong>er Dallos (Dallos <strong>et</strong> Harris, 1978) montrait que les cellules ciliées<br />
externes (CCE) sont indispensables à la fonction d’amplification. La découverte <strong>de</strong><br />
l’électromotilité <strong>de</strong> ces cellules il y a bientôt 25 ans (Brownell <strong>et</strong> al, 1985) (le<br />
phénomène avait cependant été évoqué dès 1967 par Goldstein <strong>et</strong> Mizukoshi<br />
(Goldstein <strong>et</strong> Mizukoshi, 1967), cf. <strong>cours</strong> 2002), paraissait avoir résolu l’origine<br />
<strong>de</strong> l’amplification. William Brownell découvrait que si on applique une<br />
dépolarisation à une CCE, elle se contracte ; la longueur <strong>de</strong> sa paroi latérale<br />
diminue, c<strong>et</strong>te réduction pouvant atteindre 4 % <strong>de</strong> la longueur totale. Puis, il<br />
observait qu’un courant alternatif, qui mime en quelque sorte le cycle <strong>de</strong><br />
dépolarisation-repolarisation <strong>de</strong> la CCE induit par le son, augmente la longueur<br />
<strong>de</strong> la CCE durant sa phase hyperpolarisante <strong>et</strong> la raccourcit durant sa phase<br />
dépolarisante. Il y a donc variation <strong>de</strong> longueur en fonction du voltage, <strong>et</strong><br />
réciproquement, si on étire la cellule, elle s’hyperpolarise. Ces propriétés répon<strong>de</strong>nt<br />
à la définition d’un composant piézoélectrique. En réalité, ce n’est pas tant le<br />
changement <strong>de</strong> longueur que la force développée en parallèle avec ce changement<br />
<strong>de</strong> longueur qui est le paramètre physiologique à prendre en compte.<br />
Les caractéristiques <strong>de</strong> l’électromotilité <strong><strong>de</strong>s</strong> CCE répon<strong>de</strong>nt-elles à celles <strong>de</strong><br />
l’amplificateur cochléaire ? La force produite par l’électromotilité est d’environ<br />
100 pN/mV. La dépolarisation <strong>de</strong> la CCE peut atteindre 20 mV; la force produite<br />
peut donc atteindre environ 2 nN ; elle est du même ordre <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur que celle que<br />
les CCE appliquent sur la membrane basilaire. En revanche, c<strong>et</strong>te force varie quasi<br />
linéairement avec le potentiel électrique <strong>de</strong> membrane pour <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs physiologiques<br />
<strong>de</strong> ce potentiel. La rigidité du corps cellulaire varie aussi avec le voltage, <strong>de</strong> 1 à<br />
25 nN/mm, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te variation est, elle aussi, presque linéaire. Ceci ne constitue pas<br />
un argument contre le fait que l’électromotilité soit à l’origine <strong>de</strong> l’amplification. En<br />
eff<strong>et</strong>, la stimulation <strong>de</strong> la touffe ciliaire par le son engendre une variation non-linéaire<br />
du potentiel <strong>de</strong> membrane qui conférera une variation non-linéaire aux paramètres<br />
<strong>de</strong> l’électromotilité qui dépen<strong>de</strong>nt du voltage. L’idée qui prévaut est que<br />
l’amplificateur doit injecter <strong>de</strong> l’énergie, cycle par cycle, jusqu’à <strong>de</strong> très hautes<br />
fréquences, plus <strong>de</strong> 100 kHz chez la chauve-souris. Il n’est cependant pas démontré<br />
qu’une amplification à chaque cycle existe effectivement pour <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences très<br />
élevées du son. L’électromotilité peut-elle aussi opérer à <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences très élevées ?<br />
Quand <strong><strong>de</strong>s</strong> CCE sont soumises à un courant alternatif atteignant 70 kHz, leurs<br />
parois se contractent <strong>et</strong> se décontractent bien cycle par cycle. On notera toutefois<br />
qu’à ce jour, aucune vibration <strong>de</strong> la membrane basilaire excédant 13 kHz n’a été<br />
raportée. Enfin, un composant piézoélectrique a bien été i<strong>de</strong>ntifié dans les parois <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
CCE. Il s’agit d’une protéine intégrale <strong>de</strong> membrane, qui a été nommée prestine, en<br />
référence à son aptitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> réponse à <strong><strong>de</strong>s</strong> sons <strong>de</strong> haute fréquence.<br />
Pourtant, une interrogation <strong>de</strong>meure, qui a conduit certains à rem<strong>et</strong>tre en<br />
question l’électromotilité comme mécanisme <strong>de</strong> l’amplification. La dépolarisation<br />
<strong>de</strong> la touffe cilaire (structure <strong>de</strong> réception <strong>de</strong> la stimulation sonore <strong>et</strong> site <strong>de</strong> la<br />
transduction) doit se propager aux parois latérales <strong>de</strong> la CCE. Or la constante<br />
électrique <strong>de</strong> temps <strong>de</strong> la membrane (produit <strong>de</strong> sa résistance électrique <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa
222 CHRISTINE PETIT<br />
capacité) fait que c<strong>et</strong>te membrane se comporte comme un filtre « passe-bas »,<br />
c’est-à-dire qu’elle ne laisse passer sans déformation que <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences électriques<br />
inférieures à 1 kHz. Il y a là un véritable paradoxe, puisque l’électromotilité<br />
apparaît durant l’évolution chez les mammifères, quand l’organe auditif <strong>de</strong>vient<br />
sensible aux sons <strong>de</strong> haute fréquence. Or, elle ne pourrait agir qu’à basse fréquence,<br />
à cause <strong>de</strong> la contrainte imposée par la constante électrique <strong>de</strong> temps <strong>de</strong> la<br />
membrane. Soit il y a un maillon manquant dans la caractérisation <strong>de</strong> l’amplification<br />
ou la compréhension du mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> stimulation électrique <strong>de</strong> la membrane plasmique<br />
conduisant à l’électromotilité, soit l’amplificateur ne se situe pas dans la paroi <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
CCE. De surcroît, il faut souligner que les vertébrés inférieurs, qui n’ont pas <strong>de</strong><br />
CCE, ont cependant un seuil auditif très bas <strong>et</strong> une bonne sélectivité <strong>de</strong> leur<br />
réponse fréquentielle. C’est ainsi qu’au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>rnières années, une hypothèse<br />
alternative a été proposée, qui place l’amplificateur dans la touffe ciliaire. En<br />
parallèle, d’autres fonctions ont été proposées pour l’électromotilité. Ainsi, elle<br />
pourrait positionner la touffe ciliaire <strong><strong>de</strong>s</strong> CCE dans sa zone <strong>de</strong> sensibilité maximale<br />
à la stimulation sonore.<br />
L’hypothèse alternative repose sur l’existence <strong>de</strong> mouvements spontanés <strong>de</strong> la<br />
touffe cilaire <strong>et</strong> <strong>de</strong> mouvements déclenchés par l’adaptation. Des oscillations<br />
spontanées <strong>de</strong> la touffe ciliaire ont été observées chez <strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés inférieurs, d’abord<br />
la tortue (Crawford <strong>et</strong> F<strong>et</strong>tiplace, 1985), puis la grenouille (Martin <strong>et</strong> Hudsp<strong>et</strong>h,<br />
1999). Elles démontrent l’existence <strong>de</strong> mouvements actifs <strong>de</strong> la touffe cilaire (Martin<br />
<strong>et</strong> Hudsp<strong>et</strong>h, 1999). Les touffes ciliaires du saccule <strong>de</strong> grenouille (qui sont sensibles<br />
à <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences allant <strong>de</strong> 5 à 130 Hz) ont <strong><strong>de</strong>s</strong> oscillations spontanées bruitées, dont<br />
la fréquence va <strong>de</strong> 5 à 50 Hz, <strong>et</strong> l’amplitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> 25 à 100 nm. Leur stimulation par<br />
une fibre flexible à une fréquence donnée, conduit à une amplitu<strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
leur mouvement lorsque la fréquence du stimulateur est proche <strong>de</strong> la fréquence<br />
caractéristique <strong>de</strong> leur oscillation spontanée. Il y a donc bien amplification <strong>de</strong> la<br />
stimulation par la touffe ciliaire. De plus, c<strong>et</strong>te amplification a les caractéristiques <strong>de</strong><br />
celle observée chez les mammifères. Elle possè<strong>de</strong> une spécificité fréquentielle, <strong>et</strong><br />
opère <strong>de</strong> façon non linéaire. Cependant, le facteur d’amplification que produit la<br />
résonance <strong>de</strong> la touffe cilaire est <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> 5 à 10, <strong>et</strong> non <strong>de</strong> 100, comme attendu<br />
chez les mammifères. Il faut cependant noter qu’il s’agit ici <strong>de</strong> la réponse d’une<br />
cellule unique chez la grenouille, alors que l’amplification mesurée chez les<br />
mammifères est le résultat <strong>de</strong> l’activité <strong>de</strong> plusieurs cellules. Ces oscillations<br />
spontanées cessent si l’on bloque le canal <strong>de</strong> transduction mécano-électrique par la<br />
gentamicine. Autre élément à l’appui du rôle du canal dans ces oscillations : elles<br />
sont dépendantes <strong><strong>de</strong>s</strong> ions Ca 2+ , comme l’est la cinétique <strong>de</strong> ce canal (voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous).<br />
Si, par iontophorèse, on augmente la concentration <strong><strong>de</strong>s</strong> ions Ca 2+ à la pointe <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
stéréocils, on accélère le mouvement <strong>de</strong> la touffe ciliaire <strong>et</strong> on diminue son amplitu<strong>de</strong>.<br />
Si on chélate les ions Ca 2+ , on observe l’eff<strong>et</strong> inverse. Des déplacements <strong>de</strong> la touffe<br />
cilaire <strong><strong>de</strong>s</strong> CCI induits par un courant alternatif transépithélial ont récemment été<br />
observés aussi chez la gerbille, dans un dispositif experimental qui, comme celui<br />
utilisé précé<strong>de</strong>mment pour la grenouille, préserve l’intégrité <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux compartiments
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 223<br />
liquidiens, endolymphatique <strong>et</strong> périlymphatique, <strong>de</strong> la cochlée (Chan <strong>et</strong> Hudsp<strong>et</strong>h,<br />
2005). Les déplacements induits <strong>de</strong> la touffe ciliaire persistaient quand les ions K + <strong>de</strong><br />
l’endolymphe étaient remplacés par les cations monovalents NMDG<br />
(N-m<strong>et</strong>hyl-D-glutamate), qui ne traversent pas le canal <strong>de</strong> transduction mécanoélectrique<br />
<strong>et</strong> le bloquent, tout en laissant passer les ions Ca 2+ . Dans ces conditions,<br />
c’est-à-dire en l’absence <strong>de</strong> dépolarisation (<strong>et</strong> donc d’électromotilité) mais en<br />
présence d’entrée d’ions Ca 2+ , les mouvements <strong>de</strong> la touffe ciliaire étaient encore<br />
observés. Si la stimulation était acoustique, l’amplitu<strong>de</strong> du déplacement <strong><strong>de</strong>s</strong> stéréocils<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> CCI augmentait <strong>de</strong> manière non-linéaire <strong>et</strong> compressive (modérément) avec<br />
l’intensité <strong>de</strong> la stimulation, tout comme les potentiels microphoniques, potentiels<br />
électriques extracellulaires provenant pour l’essentiel <strong>de</strong> l’activité électrique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
CCE. La dépendance <strong>de</strong> ces mouvements à l’égard <strong><strong>de</strong>s</strong> ions Ca 2+ renvoie aux <strong>de</strong>ux<br />
cibles calciques <strong>de</strong> la transduction mécano-électrique qui ont été proposées comme<br />
acteurs <strong>de</strong> l’adaptation (voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous), les myosines pour l’adaptation lente, <strong>et</strong> le<br />
canal <strong>de</strong> transduction lui-même, pour l’adaptation rapi<strong>de</strong>.<br />
L’autre considération à l’appui <strong>de</strong> la présence d’un amplificateur logé dans la<br />
touffe ciliaire est celle qui lie étroitement adaptation <strong>et</strong> mouvements <strong>de</strong> la touffe<br />
ciliaire. S’y ajoute un travail récent qui suggère l’existence d’une force produite par<br />
la touffe ciliaire <strong><strong>de</strong>s</strong> CCE. La discussion <strong>de</strong> ces <strong>travaux</strong> ne peut se faire sans un<br />
rappel <strong>de</strong> quelques éléments concernant la transduction mécano-électrique.<br />
Dès les premiers enregistrements du courant <strong>de</strong> transduction mécano-électrique,<br />
il est apparu que ce courant n’est pas nul lorsque la cellule sensorielle est dans une<br />
position <strong>de</strong> repos. Un certain pourcentage <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux <strong>de</strong> transduction mécanoélectrique<br />
sont donc ouverts lorsque la touffe ciliaire est dans sa position <strong>de</strong> repos.<br />
Lorsque la touffe ciliaire est soumise par le son à un mouvement sinusoïdal autour<br />
<strong>de</strong> sa position <strong>de</strong> repos, ou défléchie par une fibre <strong>de</strong> verre rigi<strong>de</strong>, son déplacement<br />
en direction <strong><strong>de</strong>s</strong> stéréocils les plus longs se traduit par une augmentation brutale<br />
du courant, liée à l’ouverture <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux <strong>de</strong> transduction. Défléchie dans le sens<br />
opposé, ces canaux se ferment, le courant diminue. Leur ouverture conduit à<br />
l’entrée d’ions K + <strong>et</strong> Ca 2+ , qui dépolarisent la cellule. Le seuil <strong>de</strong> déplacement <strong>de</strong><br />
la touffe ciliaire qui conduit à une dépolarisation est d’environ 1 nm. En termes<br />
<strong>de</strong> pression, la pression la plus faible perçue par le système auditif est <strong>de</strong> 20 μPa.<br />
Des mesures récentes effectuées chez le cobaye ont permis d’évaluer qu’en réponse<br />
à un déplacement <strong>de</strong> la membrane basilaire <strong>de</strong> 100 nm, l’apex <strong>de</strong> la touffe cilaire<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> CCES <strong>de</strong> cobaye se déplaçait d’environ 30 nm (Fridberger <strong>et</strong> <strong>de</strong> Monvel,<br />
2003 ; Fridberger <strong>et</strong> al, 2006).<br />
En 1984, Pickles découvre le lien apical <strong><strong>de</strong>s</strong> stéréocils (Pickles <strong>et</strong> al, 1984).<br />
D’emblée, son implication dans la transduction mécano-électrique est proposée.<br />
La transduction mécano-électrique auditive a alors été déjà bien explorée par le<br />
groupe <strong>de</strong> Jim Hudsp<strong>et</strong>h qui, compte tenu du temps très bref entre stimulation<br />
mécanique <strong>et</strong> enregistrement du courant, avait proposé un an plus tôt, un modèle<br />
pour c<strong>et</strong>te transduction, connu sous le nom <strong>de</strong> gating spring mo<strong>de</strong>l, que l’on peut
224 CHRISTINE PETIT<br />
traduire par modèle du « ressort d’ouverture » (Corey <strong>et</strong> Hudsp<strong>et</strong>h, 1983). Ce<br />
modèle stipule que l’ouverture du canal <strong>de</strong> transduction mécano-électrique est en<br />
rapport avec la tension qu’exercent sur lui <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments élastiques qui lui sont<br />
couplés. Ces éléments élastiques se comportent comme un ressort (ressort <strong>de</strong><br />
transduction). Si la tension dans ce ressort vient à baisser, les canaux se ferment.<br />
Le modèle associe donc la tension du ressort <strong>de</strong> transduction à la probabilité<br />
d’ouverture <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux <strong>de</strong> transduction. Il faut une tension mécanique pour ouvrir<br />
le canal, <strong>et</strong> réciproquement, l’ouverture du canal produit une force (Howard <strong>et</strong><br />
Hudsp<strong>et</strong>h, 1988).<br />
La rai<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la touffe ciliaire a été mesurée dans le saccule <strong>de</strong> grenouille en<br />
1988 (Howard <strong>et</strong> Hudsp<strong>et</strong>h, 1988), <strong>et</strong> estimée à environ 1 mN/m (dans ces<br />
mesures, les liens latéraux qui unissent les stéréocils avaient sans doute été éliminés<br />
par le traitement enzymatique effectué au préalable). La moitié <strong>de</strong> la rai<strong>de</strong>ur avait<br />
alors été attribuée au canal <strong>de</strong> transduction mécano-électrique lui-même, <strong>et</strong> l’autre<br />
aux pivots <strong><strong>de</strong>s</strong> stéréocils. L’ouverture <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux est par ailleurs associée à une<br />
baisse <strong>de</strong> rigidité <strong>de</strong> la touffe ciliaire, qui n’apparaît pas si le canal est bloqué alors<br />
que la touffe ciliaire est défléchie. C<strong>et</strong> assouplissement lié à l’ouverture <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux<br />
a reçu le nom <strong>de</strong> gating compliance (assouplissement d’ouverture).<br />
En 1991, Assad <strong>et</strong> Corey montraient qu’en présence <strong>de</strong> BAPTA, un chélateur<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> ions Ca 2+ , les liens apicaux étaient détruits <strong>et</strong> la transduction abolie ; les liens<br />
apicaux autorisés à régénérer, la transduction r<strong>et</strong>rouvait sa valeur initiale (Assad <strong>et</strong><br />
al, 1991). Ces auteurs produisirent alors un schéma <strong>de</strong> la transduction qui désignait<br />
le lien apical comme le ressort <strong>de</strong> transduction. En traitant les touffes ciliaires par<br />
le BAPTA, seul persiste 50 % <strong>de</strong> la rai<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la touffe ciliaire (tout comme après<br />
le blocage du canal <strong>de</strong> transduction mécano-électrique). Les calculs r<strong>et</strong>rouvaient<br />
une rai<strong>de</strong>ur du gating spring, K gs, d’une valeur <strong>de</strong> 0,5 à 1 mN/m.<br />
En 2000, <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en microscopie électronique conduites par Bechara Kachar<br />
(Kachar <strong>et</strong> al, 2000) révélèrent que le lien apical est composé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux protofilaments<br />
enroulés en une hélice <strong>de</strong>xtrogyre, dont la périodicité est d’environ 20 nm <strong>et</strong> le<br />
diamètre compris entre 5 <strong>et</strong> 10 nm, avec <strong>de</strong>ux insertions apicales <strong>et</strong> trois basales.<br />
C<strong>et</strong>te structure du lien apical suggérait qu’il pouvait être, non pas élastique, mais<br />
rigi<strong>de</strong>. Sa nature moléculaire, discutée dans le cadre du second <strong>cours</strong>, n’évoque pas,<br />
<strong>de</strong> fait, celle d’un lien élastique. L’idée prévaut aujourd’hui selon laquelle le gating<br />
spring est une structure intra-stéréociliaire associée directement ou indirectement<br />
au canal <strong>de</strong> transduction mécano-électrique.<br />
Comme mentionné précé<strong>de</strong>mment, une relation a été établie au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>de</strong>rnières années entre adaptation <strong>de</strong> la transduction mécano-électrique <strong>et</strong><br />
mouvement <strong>de</strong> la touffe cilaire. L’adaptation perm<strong>et</strong> à tout système sensoriel <strong>de</strong><br />
restaurer sa sensibilité à <strong>de</strong> p<strong>et</strong>ites stimulations transitoires, alors même qu’une<br />
forte stimulation statique se maintient. Si l’on prend l’exemple du saccule <strong>de</strong> la<br />
grenouille, organe vestibulaire très semblable, dans son fonctionnement, à la<br />
cochlée, il peut déceler <strong><strong>de</strong>s</strong> accélérations verticales du sol un million <strong>de</strong> fois plus
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 225<br />
p<strong>et</strong>ites que celle du champ <strong>de</strong> gravitation terrestre (Narins <strong>et</strong> Lewis, 1984). Le<br />
processus d’adaptation consiste en la restauration <strong>de</strong> la probabilité d’ouverture <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
canaux <strong>de</strong> transduction mécano-électrique à une valeur proche <strong>de</strong> sa valeur <strong>de</strong><br />
repos. En d’autres termes, il y aurait restauration <strong>de</strong> la tension du ressort <strong>de</strong><br />
transduction, que la touffe ciliaire ait été défléchie en direction <strong><strong>de</strong>s</strong> grands stéréocils<br />
(ouverture <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux) ou dans le sens opposé (ferm<strong>et</strong>ure <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux). C’est ce que<br />
traduisent les courbes courant-déplacement établies à l’issue <strong>de</strong> l’adaptation,<br />
simples translations <strong>de</strong> la courbe initiale le long <strong>de</strong> l’axe <strong><strong>de</strong>s</strong> déplacements. La<br />
diminution du courant au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’adaptation a un caractère bimodal. Chaque<br />
mo<strong>de</strong> a <strong><strong>de</strong>s</strong> constantes <strong>de</strong> temps distinctes. Le premier a une constante <strong>de</strong> temps<br />
<strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> la millisecon<strong>de</strong> ou moins (adaptation dite rapi<strong>de</strong>), <strong>et</strong> le second, une<br />
constante <strong>de</strong> temps dix fois plus longue (adaptation dite lente). L’adaptation rapi<strong>de</strong><br />
a été étudiée en fonction <strong>de</strong> la fréquence caractéristique <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules sensorielles<br />
auditives chez la tortue. Plus ces cellules ont une fréquence caractéristique élevée,<br />
plus leur constante <strong>de</strong> temps d’adaptation est p<strong>et</strong>ite. C<strong>et</strong>te observation a été<br />
étendue aux CCE <strong>de</strong> rat. D’où l’idée proposée selon laquelle c’est la cinétique<br />
d’adaptation rapi<strong>de</strong> qui détermine la fréquence caractéristique <strong>de</strong> la cellule.<br />
Dans le 2 e <strong>et</strong> le 3 e <strong>cours</strong>, ont été présentées <strong><strong>de</strong>s</strong> avancées récentes portant sur la<br />
physiologie moléculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules sensorielles <strong>de</strong> la cochlée. L’implication <strong>de</strong> la<br />
cadhérine-23 <strong>et</strong> <strong>de</strong> la protocadhérine-15 dans la formation <strong>de</strong> liens transitoires <strong>de</strong><br />
la touffe ciliaire en développement <strong>et</strong> du lien apical (tip link) a été discutée.<br />
Les molécules proposées pour entrer dans la composition du canal <strong>de</strong> transduction<br />
mécano-électrique ont été examinées à la lumière <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés biophysiques <strong>de</strong> ce<br />
canal. C’est un canal cationique non sélectif qui a une forte perméabilité pour les<br />
ions Ca 2+ . Sa perméabilité aux ions Ca 2+ est 5 fois plus importante qu’aux ions Na + ,<br />
aussi bien chez la grenouille, que chez la tortue <strong>et</strong> les mammifères. Sa perméabilité<br />
aux cations monovalents s’ordonne comme suit : elle est plus élevée pour le Cs + que<br />
pour le K + , que pour le Na + , que pour le Li + . Bloqué par le Ca 2+ , ce canal l’est aussi<br />
par <strong>de</strong> fortes concentrations <strong>de</strong> magnésium (Mg 2+ ), par <strong>de</strong> très faibles concentrations<br />
<strong>de</strong> lanthanium (La 3+ ) ou <strong>de</strong> gadolinium (Gd 3+ ) ou d’amilori<strong>de</strong>, ou par la<br />
dihydrostreptomycine, 50 à 100 μM. Il n’est pas sensible au voltage.<br />
Bien que les canaux <strong>de</strong> type TRP puissent encore être considérés comme<br />
d’excellents candidats, les <strong>de</strong>ux qui ont été proposés à ce jour, TRPN1 <strong>et</strong> TRPA1,<br />
ont été éliminés.<br />
La nature moléculaire du moteur d’adaptation a fait l’obj<strong>et</strong> d’une présentation,<br />
<strong>et</strong> les arguments en faveur d’un rôle central <strong>de</strong> la myosine 1c ont été examinés. Les<br />
éléments qui plai<strong>de</strong>nt en faveur <strong>de</strong> l’implication d’une autre myosine, la<br />
myosine VIIa, ont été discutés. Le rôle <strong>de</strong> la pompe calcique Pmca2 dans le rej<strong>et</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> ions Ca 2+ hors <strong>de</strong> la touffe ciliaire a été rappelé, <strong>et</strong> son mo<strong>de</strong> d’action examiné,<br />
en tenant compte <strong>de</strong> données génétiques obtenues chez l’homme <strong>et</strong> la souris, qui<br />
établissent son couplage fonctionnel avec la cadhérine-23.
226 CHRISTINE PETIT<br />
4 e <strong>cours</strong> : éléments du traitement du signal sonore par les neurones auditifs<br />
du ganglion cochléaire <strong>et</strong> les neurones <strong><strong>de</strong>s</strong> noyaux auditifs du tronc cérébral.<br />
Ont été brièvement abordés, le traitement <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux acoustiques (fréquence,<br />
intensité <strong>et</strong> caractéristiques temporelles) dans les neurones du ganglion cochléaire,<br />
du noyau cochléaire, <strong>et</strong> les autres noyaux auditifs du tronc cérébral, complexe<br />
olivaire <strong>et</strong> noyaux du corps trapézoï<strong>de</strong>. Quelques éléments ont été introduits sur<br />
la localisation <strong><strong>de</strong>s</strong> sources sonores <strong>de</strong> basse fréquence dans le plan horizontal, avec<br />
les rebondissements récents qui rem<strong>et</strong>tent en cause un modèle bien établi, que l’on<br />
croyait généralisable à l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> espèces.<br />
Les neurones auditifs primaires: diversité <strong>et</strong> physiologie<br />
Dans le ganglion cochléaire, les neurones afférents, neurones <strong>de</strong> type I, sont dix<br />
foix plus nombreux que les CCI. Ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones bipolaires, qui ne contactent<br />
qu’une seule CCI <strong>et</strong> ne forment qu’une seule synapse. Au niveau <strong>de</strong> chaque ruban<br />
synaptique, n’existe qu’une seule synapse (rubans synaptiques <strong>et</strong> neurones auditifs<br />
sont dans un rapport <strong>de</strong> 1). Ces neurones sont myélinisés <strong>et</strong>, curiosité, c<strong>et</strong>te<br />
myélinisation s’étend au corps cellulaire, <strong>et</strong> même à la racine <strong>de</strong> la <strong>de</strong>ndrite.<br />
Ont été introduites, les notions <strong>de</strong> fréquence caractéristique (fréquence <strong>de</strong><br />
stimulation sonore pour laquelle le seuil <strong>de</strong> réponse est le plus bas) <strong>et</strong> <strong>de</strong> courbe<br />
d’accord (seuil <strong>de</strong> réponse à différentes fréquences) <strong>de</strong> ces neurones, <strong>et</strong> la mesure <strong>de</strong><br />
leur sélectivité fréquentielle par le facteur <strong>de</strong> qualité Q 10 dB (rapport entre la<br />
fréquence caractéristique du neurone <strong>et</strong> la différence <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences pour lesquelles<br />
les seuils <strong>de</strong> réponse du neurone sont supérieurs <strong>de</strong> 10 dB au seuil minimal). C<strong>et</strong>te<br />
valeur croît avec la sélectivité fréquentielle <strong>de</strong> la réponse. La courbe d’accord en<br />
fréquence <strong>de</strong> la membrane basilaire (définie pour une valeur donnée du déplacement)<br />
<strong>et</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> CCE (définie pour une valeur donnée du potentiel <strong>de</strong> récepteur) à un<br />
même emplacement cochléaire sont superposables. Les courbes d’accord en<br />
fréquence <strong><strong>de</strong>s</strong> CCI <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs neurones afférents sont également semblables.<br />
Tandis que les CCE répon<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> manière synchrone au déplacement <strong>de</strong> la<br />
membrane basilaire, les CCI répon<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> manière synchrone à sa vitesse <strong>de</strong><br />
déplacement. Dans les situations pathologiques où la touffe ciliaire <strong><strong>de</strong>s</strong> CCE perd<br />
son ancrage dans la membrane tectoriale, les CCE répon<strong>de</strong>nt alors, non plus<br />
au déplacement <strong>de</strong> la membrane basilaire, mais à sa vitesse <strong>de</strong> déplacement<br />
(Legan <strong>et</strong> al, 2000). Le mécanisme <strong>de</strong> la stimulation <strong><strong>de</strong>s</strong> CCI est assez mal connu ; il<br />
implique la dynamique <strong>de</strong> la membrane tectoriale, <strong>et</strong> sans doute aussi celle <strong>de</strong> la<br />
lame réticulée (structure rigi<strong>de</strong> formée par les régions apicales <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules sensorielles<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs cellules <strong>de</strong> soutien, ainsi que par les jonctions entre ces cellules).<br />
Quelques éléments <strong>de</strong> la fonction <strong>de</strong> transfert mécano-électrique <strong><strong>de</strong>s</strong> CCI ont<br />
été rappelés. La dépolarisation <strong>de</strong> la CCI sous l’eff<strong>et</strong> d’une stimulation sonore est<br />
au maximum <strong>de</strong> 20 mV (son potentiel <strong>de</strong> membrane passe ainsi d’environ – 60 mV<br />
à – 40 mV). Elle comporte <strong>de</strong>ux composantes : une composante alternative (AC),
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 227<br />
<strong>et</strong> une composante continue, ou directe (DC). La composante AC, dont la<br />
fréquence est la même que celle du son, n’existe que pour <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences inférieures<br />
à 4 ou 5 kHz ; sa part ne cesse <strong>de</strong> décroître, au profit <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> la composante<br />
DC, à partir d’environ 1 kHz. Plus l’intensité du son augmente, jusqu’à 60 dB,<br />
plus, dans les CCI comme dans les CCE, les composantes DC <strong>et</strong> AC augmentent.<br />
Des données récentes indiquent qu’au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> 60 dB, la composante DC augmente<br />
davantage que la composante AC. La constante <strong>de</strong> temps électrique <strong>de</strong> la membrane<br />
détermine une limite <strong>de</strong> fréquence, au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> laquelle le potentiel <strong>de</strong> membrane<br />
cesse progressivement d’osciller. Les canaux BK, canaux potassiques <strong>de</strong> large<br />
conductance dépendant à la fois <strong><strong>de</strong>s</strong> ions Ca 2+ <strong>et</strong> du voltage (Oliver <strong>et</strong> al, 2003 ;<br />
Marcotti <strong>et</strong> al, 2004), sont responsables d’un courant potassique sortant <strong>de</strong><br />
cinétique rapi<strong>de</strong> (courant I K,f). Lorsqu’on supprime ces canaux chez <strong><strong>de</strong>s</strong> souris<br />
génétiquement modifiées, la constante <strong>de</strong> temps électrique <strong>de</strong> la membrane <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
CCI augmente. La dépolarisation maximale <strong>de</strong> la CCI augmente considérablement<br />
(<strong>de</strong> 20 mV, elle passe à 80 mV). La dépolarisation est très r<strong>et</strong>ardée, créant un délai<br />
dans la réponse du neurone auditif, <strong>et</strong> la repolarisation est très incomplète. La<br />
composante AC diminue, tandis que la composante DC augmente.<br />
La dépolarisation rapi<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> CCI stimule les canaux calciques dépendant du<br />
voltage, <strong>de</strong> type L (Cav1.3) ; ils sont au nombre <strong>de</strong> 1 700 environ par CCI. La<br />
présence <strong>de</strong> 10 à 30 rubans synaptiques par CCI indique qu’une centaine <strong>de</strong><br />
canaux calciques dépendant du voltage sont associés, en moyenne, à chaque ruban<br />
synaptique (leur répartition pourrait être très hétérogène).<br />
Les CCI matures ne sont innervées que par <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones afférents, ou neurones<br />
<strong>de</strong> type I. Chez le chat, Charles Liberman (Liberman, 1982) a pu diviser ces<br />
neurones en trois sous-populations en fonction <strong>de</strong> leur taux <strong>de</strong> décharge spontanée<br />
(<strong>de</strong> 0 à 100 potentiels d’action par secon<strong>de</strong>) <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur morphologie : neurones à<br />
taux <strong>de</strong> décharge spontanée faible (inférieur à 0,5 potentiel d’action par secon<strong>de</strong>)<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> très p<strong>et</strong>it diamètre, neurones à taux moyen <strong>de</strong> décharge spontanée (0,5 à<br />
17 potentiels d’action par secon<strong>de</strong>) <strong>et</strong> <strong>de</strong> diamètre plus grand, neurones à taux<br />
élevé <strong>de</strong> décharge spontanée (supérieur à 17,5 potentiels d’action par secon<strong>de</strong>) <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> grand diamètre. Ces propriétés sont corrélées avec <strong><strong>de</strong>s</strong> seuils <strong>de</strong> réponse distincts<br />
pour chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes. Plus le taux <strong>de</strong> décharge spontanée est élevé, plus le seuil<br />
<strong>de</strong> réponse du neurone est bas. Une CCI donnée paraît être innervée par plusieurs<br />
neurones <strong>de</strong> chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> sous-types. Ces neurones ont une répartition topologique<br />
particulière. Les neurones à haut taux <strong>de</strong> décharge spontanée (bas seuil) sont<br />
localisés dans la région <strong>de</strong> la CCI qui se situe à proximité <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules piliers<br />
internes. Il semble qu’ils établissent <strong><strong>de</strong>s</strong> synapses avec <strong><strong>de</strong>s</strong> rubans qui ont une taille<br />
plus p<strong>et</strong>ite que les autres, <strong>et</strong> un nombre plus faible <strong>de</strong> vésicules associées. Les<br />
projections centrales <strong>de</strong> ces différents sous-groupes <strong>de</strong> neurones sont elles aussi<br />
différentes. Tous ces neurones se proj<strong>et</strong>tent sur le noyau cochléaire, mais les<br />
neurones à taux <strong>de</strong> décharge spontanée faible ou moyen ont un beaucoup plus<br />
grand nombre <strong>de</strong> terminaisons nerveuses <strong><strong>de</strong>s</strong>tinées à une innervation préférentielle<br />
<strong>de</strong> la région périphérique <strong><strong>de</strong>s</strong> p<strong>et</strong>ites cellules (voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous). Ils sont à l’origine <strong>de</strong>
228 CHRISTINE PETIT<br />
réseaux neuronaux distincts au niveau du tronc cérébral, aussi, semble-t-il. Ces<br />
différents sous-groupes <strong>de</strong> neurones <strong>de</strong> type I sous-ten<strong>de</strong>nt donc un traitement<br />
distinct <strong>de</strong> l’information, qui concerne principalement l’intensité <strong>de</strong> la stimulation<br />
sonore. Ils ont aussi une dynamique <strong>de</strong> réponse différente d’un neurone à l’autre.<br />
Enfin, pour certains, leur seuil <strong>de</strong> réponse dépendrait <strong>de</strong> la durée <strong>de</strong> stimulation.<br />
Quelle est l’origine <strong>de</strong> leur hétérogéneité fonctionnelle ? La question sous-jacente<br />
est celle <strong>de</strong> la participation <strong>de</strong> la présynapse aux caractéristiques <strong>de</strong> la réponse<br />
neuronale. Comment ces neurones assurent-ils le codage en intensité <strong>et</strong> en<br />
fréquence ? Le codage en fréquence dans les neurones auditifs est différent pour<br />
les basses <strong>et</strong> les hautes fréquences. Les neurones auditifs ont <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences <strong>de</strong><br />
décharge <strong>de</strong> potentiels d’action qui, comme pour tout neurone, ne peuvent excé<strong>de</strong>r<br />
600 Hz à 1 kHz en raison <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> réfractaire qui suit le potentiel d’action.<br />
En réponse à une stimulation sonore <strong>de</strong> basse fréquence, 300 Hz par exemple, les<br />
pics <strong>de</strong> potentiel d’action peuvent atteindre c<strong>et</strong>te fréquence si l’intensité du son est<br />
forte. En tout état <strong>de</strong> cause, ces pics se situent tous précisément dans la même<br />
phase <strong>de</strong> l’on<strong>de</strong> sonore. Plus le son est <strong>de</strong> faible intensité, plus ces décharges sont<br />
rares. C’est collectivement que ces neurones peuvent reconstituer une fréquence <strong>de</strong><br />
décharge i<strong>de</strong>ntique <strong>et</strong> synchrone à celle <strong>de</strong> la stimulation sonore. Ceci s’applique<br />
aussi pour le traitement <strong><strong>de</strong>s</strong> sons jusqu’à 4 ou 5 kHz chez l’homme (peut-être<br />
jusqu’à 10 kHz). Chaque neurone décharge strictement dans la même phase <strong>de</strong><br />
l’on<strong>de</strong> sonore, mais c’est seulement collectivement que les neurones reconstituent<br />
une fréquence <strong>de</strong> décharge <strong>de</strong> quelques kHz. Ce co<strong>de</strong> temporel <strong>de</strong> l’information<br />
fréquentielle est fondé sur le « principe <strong>de</strong> la volée », par analogie avec une rangée<br />
<strong>de</strong> soldats qui, en tirant à différents moments, feraient un barrage <strong>de</strong> tir continu.<br />
Le codage fréquentiel pour les hautes fréquences repose exclusivement sur une<br />
information <strong>de</strong> position. La carte tonotopique cochléaire en est le socle. Elle est<br />
reproduite à chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> différents étages du système auditif (voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous).<br />
Comment s’effectue le codage en intensité <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses fréquences ? On sait par les<br />
<strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Rose (Rose <strong>et</strong> al, 1967) que l’intensité du son ne modifie ni la<br />
synchronisation au son <strong>de</strong> la réponse <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones <strong>de</strong> type I à basse fréquence, ni leur<br />
délai <strong>de</strong> réponse. C’est parce que le délai synaptique n’est pas modulable par l’intensité<br />
<strong>de</strong> stimulation que le codage temporel <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux sonores est extrêmement robuste.<br />
Sa haute précision est mise à profit pour localiser les sources sonores <strong>de</strong> basse fréquence<br />
(voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous). A la question <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes qui sous-ten<strong>de</strong>nt une synchronisation<br />
<strong>de</strong> décharges à l’i<strong>de</strong>ntique quelle que soit l’importance <strong>de</strong> la dépolarisation <strong>de</strong> la CCI,<br />
les <strong>travaux</strong> d’Elisab<strong>et</strong>h Glowatzki (Glowatzki <strong>et</strong> Fuchs, 2002) apportent <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments<br />
<strong>de</strong> réponse. En enregistrant les courants postsynaptiques au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> boutons<br />
<strong>de</strong>ndritiques <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones auditifs, elle a pu montrer que la fusion <strong><strong>de</strong>s</strong> vésicules<br />
synaptiques <strong>de</strong> la CCI à la membrane plasmique concerne en moyenne 4 à 7 vésicules<br />
en même temps, <strong>et</strong> que ces événements <strong>de</strong> fusion multivésiculaire sont les mêmes<br />
qu’il s’agisse <strong><strong>de</strong>s</strong> décharges spontanées ou <strong><strong>de</strong>s</strong> décharges provoquées, d’une faible ou<br />
d’une forte stimulation. Chaque événement <strong>de</strong> fusion est constant, il n’y a pas<br />
d’avance <strong>de</strong> phase lorsque l’intensité augmente (comme observé dans les autres
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 229<br />
systèmes neuronaux). Seule varie, en fonction <strong>de</strong> l’intensité sonore, la probabilité<br />
d’apparition <strong>de</strong> l’événement. Ces étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ont également permis <strong>de</strong> conclure que 90 %<br />
<strong>de</strong> l’adaptation observée dans la réponse neuronale provient <strong>de</strong> la machinerie<br />
présynaptique. Quant aux neurones auditifs, c’est encore collectivement qu’ils<br />
reconstitueraient une réponse à un large spectre d’intensité.<br />
A partir <strong>de</strong> ces données, on est amené à penser que l’exocytose <strong>de</strong> la CCI est<br />
d’une extrême précision temporelle, que la cochlée traite le paramètre d’intensité<br />
sonore en termes <strong>de</strong> probabilité d’événements d’exocytose dans la CCI, <strong>et</strong> que<br />
conjointement, les neurones auditifs auraient une diversité <strong>de</strong> seuils <strong>de</strong> réponse.<br />
Les noyaux auditifs du tronc cérébral <strong>et</strong> du mésencéphale<br />
Cellules sensorielles cochléaires <strong>et</strong> neurones auditifs ont une même origine<br />
embryologique, la placo<strong>de</strong> otique, <strong>et</strong> constituent le système auditif périphérique.<br />
Au-<strong>de</strong>là, les voies auditives ascendantes appartiennent au système nerveux central.<br />
Le premier relais central est situé dans le noyau cochléaire. Ses projections sont<br />
principalement controlatérales. Au-<strong>de</strong>là du noyau cochléaire, les voies auditives<br />
ascendantes, d’ipsilatérales <strong>de</strong>viennent controlatérales.<br />
Le noyau cochléaire est situé dans la partie caudale du tronc cérébral. Il est divisé<br />
en trois gran<strong><strong>de</strong>s</strong> régions ou noyaux : noyau ventral antérieur (NVA), noyau ventral<br />
postérieur (NVP) <strong>et</strong> noyau dorsal (ND). Tout axone <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones auditifs <strong>de</strong><br />
type I qui pénétre dans le noyau cochléaire se divise en <strong>de</strong>ux branches, une branche<br />
antérieure (ou ascendante) <strong>et</strong> une branche postérieure (ou <strong><strong>de</strong>s</strong>cendante). La branche<br />
antérieure innerve le NVA. La branche postérieure innerve le NVP <strong>et</strong> le ND. Les<br />
projections <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones auditifs sont ordonnées en fonction <strong>de</strong> la fréquence<br />
caractéristique <strong>de</strong> ces neurones, <strong>et</strong> constituent une carte tonopique dans laquelle,<br />
comme dans la cochlée, les basses fréquences sont traitées à l’apex du noyau (région<br />
antérieure) <strong>et</strong> les hautes fréquences à sa base (région postérieure). Ainsi, on peut<br />
considérer qu’il existe trois cartes tonotopiques distinctes au niveau du noyau<br />
cochléaire. Elles reçoivent une information semblable, <strong>et</strong> doivent donc en extraire<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> informations différentes.<br />
La population neuronale du noyau cochléaire est hétérogène. On distingue huit<br />
types <strong>de</strong> neurones qui diffèrent par leur morphologie <strong>et</strong> leur réponse électrique.<br />
Dans le NVA prédominent les neurones « en buisson », que la coloration <strong>de</strong> Nissl<br />
perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> séparer en neurones « sphériques » <strong>et</strong> neurones « globulaires ». Dans le<br />
NVP dominent <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones « pieuvre » (octopus cells) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones<br />
« multipolaires » (en coloration <strong>de</strong> Nissl) ou « étoilés » (en coloration <strong>de</strong> Golgi).<br />
Dans le ND, qui a un aspect lamellaire, prédominent <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones fusiformes ou<br />
pyramidaux. C<strong>et</strong>te région comporte <strong>de</strong>ux autres types <strong>de</strong> neurones <strong>de</strong> plus p<strong>et</strong>ite<br />
taille, p<strong>et</strong>its neurones <strong>et</strong> neurones granulaires. Dans la profon<strong>de</strong>ur du noyau<br />
cochléaire, se logent <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones « géants ».
230 CHRISTINE PETIT<br />
Ces neurones ont <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses électriques très diverses : réponse voisine <strong>de</strong> celle<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> neurones auditifs primaires, réponse avec une périodicité en rapport avec la<br />
stimulation sonore mais comportant une encoche au démarrage, réponse dite « en<br />
hachoir » avec <strong><strong>de</strong>s</strong> pics qui ne sont pas synchrones au son, réponse restreinte à la<br />
mise en place <strong>de</strong> la stimulation (comme celle <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules « pieuvre »)…<br />
Des cellules peuvent appartenir à un même type <strong>et</strong> décharger selon plusieurs<br />
mo<strong><strong>de</strong>s</strong>. Ainsi, les neurones en buisson déchargent selon trois mo<strong><strong>de</strong>s</strong> : soit comme les<br />
neurones auditifs primaires, soit à la mise en place du signal acoustique, soit encore<br />
comme les neurones auditifs primaires, mais avec une encoche. Les neurones étoilés<br />
ou multipolaires ont <strong>de</strong>ux mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> réponse : l’un « en hachoir », l’autre lors <strong>de</strong> la<br />
mise en place du signal acoustique. Les cellules « pieuvre » déchargent à la mise en<br />
place du signal, <strong>et</strong> les cellules fusiformes ou pyramidales ont divers profils <strong>de</strong> réponse<br />
électrique. Ces réponses électriques distinctes traduisent l’extraction <strong>de</strong> différentes<br />
informations à partir <strong>de</strong> la réponse <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones auditifs primaires.<br />
Au-<strong>de</strong>là du noyau cochléaire, en raison <strong><strong>de</strong>s</strong> projections axonales bilatérales,<br />
chaque structure relais comporte une organisation tonotopique, <strong>et</strong> reçoit <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
informations provenant <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux oreilles.<br />
Le second relais central du système auditif, le complexe olivaire supérieur (COS),<br />
est aussi situé dans le tronc cérébral. Il comporte trois noyaux principaux, l’olive<br />
supérieure latérale (OSL), l’olive supérieure médiane (OSM), le corps trapézoï<strong>de</strong> <strong>et</strong><br />
ses trois noyaux, latéral, ventral, <strong>et</strong> médian (noyau médian du corps trapézoï<strong>de</strong> ou<br />
NMCT), ainsi qu’un ensemble <strong>de</strong> noyaux <strong>de</strong> p<strong>et</strong>ite taille (noyaux périolivaires). Ces<br />
structures ont toutes une organisation tonotopique. Du noyau cochléaire, émergent<br />
trois voies majeures : les stries acoustiques ventrale, intermédiaire, <strong>et</strong> dorsale. La strie<br />
acoustique ventrale, ou corps trapézoï<strong>de</strong>, est formée par les axones qui proviennent<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> neurones en buisson du NCVA, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones stellaires <strong>et</strong> « pieuvre » du<br />
NCVP. L’axone <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules « en buisson » se termine essentiellement sur les trois<br />
principaux noyaux du COS, tandis que certains <strong>de</strong> ces axones continuent leur route<br />
à travers le lemnisque latéral jusqu’au colliculus inférieur. Celui <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules<br />
sphériques en buisson se proj<strong>et</strong>te <strong>de</strong> façon bilatérale sur l’OSM, <strong>et</strong> ipsilatérale sur<br />
l’OSL, celui <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules globulaires en buisson se proj<strong>et</strong>te en controlatéral sur les<br />
neurones du NMCT venant inhiber l’activité <strong>de</strong> l’OSL déclenchée par les cellules<br />
sphériques en buisson. La strie acoustique intermédiaire, ou strie <strong>de</strong> Held, inclut les<br />
axones <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules « pieuvre » du NVP qui se terminent dans les noyaux périolivaires<br />
<strong>et</strong>, plus loin, dans le lemnisque latéral <strong>et</strong> le colliculus inférieur. Enfin, la « strie<br />
acoustique dorsale » contient les axones <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones du NCD. Elle n’envoie aucune<br />
projection sur le complexe olivaire supérieur, <strong>et</strong> se termine, comme la strie acoustique<br />
intermédiaire, sur le colliculus inférieur <strong>et</strong> les noyaux du lemnisque latéral. Enfin, il<br />
existe bon nombre <strong>de</strong> projections internes au sein du noyau cochléaire.<br />
Les neurones du NMCT comportent les synapses géantes, ou calices <strong>de</strong> Held,<br />
qui sont considérées comme les plus gran<strong><strong>de</strong>s</strong> terminaisons synaptiques du cerveau<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> mammifères. L’extrémité axonale <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules globulaires présentes dans le
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 231<br />
noyau cochléaire opposé forme la région présynatique <strong><strong>de</strong>s</strong> calices <strong>de</strong> Held. Les<br />
neurones du NMCT qui forment la post-synapse, sont <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones inhibiteurs<br />
glycinergiques, <strong>et</strong> se proj<strong>et</strong>tent sur divers noyaux du COS.<br />
Les axones <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones du noyau cochléaire <strong>et</strong> du COS se proj<strong>et</strong>tent<br />
principalement vers le colliculus inférieur en formant un faisceau <strong>de</strong> fibres que l’on<br />
appelle le lemnisque latéral. Il existe aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> noyaux du lemnisque latéral qui sont<br />
situés à l’intérieur du faisceau <strong><strong>de</strong>s</strong> fibres du lemnisque, <strong>et</strong> reçoivent <strong><strong>de</strong>s</strong> afférences<br />
du noyau cochléaire <strong>et</strong> du complexe olivaire. Le noyau du lemnisque latéral<br />
comporte <strong>de</strong>ux zones, une zone dorsale <strong>et</strong> une zone ventrale.<br />
Le mésencéphale auditif se compose du colliculus inférieur. Il comporte quatre<br />
noyaux : central, dorsomédian, latéral, <strong>et</strong> dorsal. C’est un carrefour <strong>de</strong> voies<br />
auditives ascendantes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>cendantes. Le noyau central a une structure lamellaire,<br />
<strong>et</strong> ne reçoit que <strong><strong>de</strong>s</strong> afférences provenant <strong><strong>de</strong>s</strong> centres auditifs inférieurs. Il est le<br />
siège d’une tonotopie stricte <strong>et</strong> comporte <strong><strong>de</strong>s</strong> cartes <strong>de</strong> représentation <strong>de</strong> plusieurs<br />
paramètres <strong>de</strong> la stimulation sonore, comme une carte <strong><strong>de</strong>s</strong> latences, une carte <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
courbes d’accord (« carte <strong><strong>de</strong>s</strong> Q 10dB »), une carte <strong>de</strong> résolution temporelle, une<br />
carte <strong>de</strong> localisation spatiale… De nombreux facteurs indépendants du système<br />
auditif modulent l’activité électrique du colliculus inférieur : stimuli visuels <strong>et</strong><br />
tactiles par exemple.<br />
Localisation <strong>de</strong> la source sonore<br />
Pour terminer, quelques éléments introductifs au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année suivante sur<br />
la localisation <strong>de</strong> la source sonore ont été présentés. La capacité <strong>de</strong> localiser la<br />
source sonore, parce qu’elle perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> localiser proies <strong>et</strong> prédateurs, contribue bien<br />
évi<strong>de</strong>mment à la survie <strong><strong>de</strong>s</strong> animaux entendants. Orienter le pavillon <strong>de</strong> l’oreille<br />
ou tourner la tête pour déceler au mieux la localisation d’une proie, par exemple,<br />
perm<strong>et</strong> d’élaborer une stratégie d’attaque sans être vu.<br />
La vague sonore, produite par une source externe, est diffractée par son interaction<br />
avec le pavillon <strong>de</strong> l’oreille <strong>et</strong> l’ensemble <strong>de</strong> la tête. Ce sont les caractéristiques<br />
temporelles <strong>et</strong> d’intensité du son ainsi diffracté qui vont fournir les substrats <strong>de</strong> la<br />
localisation <strong>de</strong> la source sonore. Dans leur <strong><strong>de</strong>s</strong>cription, désormais classique, <strong>de</strong> la<br />
localisation <strong>de</strong> la source sonore en champ libre chez l’homme, Stevens <strong>et</strong> Newman,<br />
en 1936 (Stevens <strong>et</strong> Newman, 1936), observèrent que l’homme localisait au mieux<br />
la source sonore dans le plan horizontal pour <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences du son, soit inférieures<br />
à 1 kHz, soit supérieures à 5 kHz. Ceci suggérait l’existence <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mécanismes<br />
distincts <strong>de</strong> localisation <strong>de</strong> la source sonore dans le plan horizontal, l’un pour les<br />
basses fréquences, <strong>et</strong> l’autre pour les hautes fréquences.<br />
C<strong>et</strong>te dichotomie faisait écho à la théorie, dite théorie duplex, <strong>de</strong> l’écoute<br />
binaurale, proposée par Lord Rayleigh en 1907 (Strutt, 1907), <strong>et</strong> dont les premiers<br />
éléments avaient été apportés par Thomson en 1882. Selon Rayleigh, la tête peut<br />
créer une ombre acoustique pour l’oreille la plus distante <strong>de</strong> la source sonore, <strong>de</strong>
232 CHRISTINE PETIT<br />
sorte que l’intensité du son qui lui parvient est plus faible que celle du son qui<br />
parvient à l’autre oreille. Ces différences <strong>de</strong> niveau sonore sont dites différences<br />
d’intensité inter-auriculaires ou binaurales (en anglais interaural level difference,<br />
ILD en abrégé). Cependant, l’importance <strong>de</strong> la différence d’intensité interauriculaire<br />
dépend du contenu spectral <strong>de</strong> la stimulation. En eff<strong>et</strong>, la tête se<br />
comporte comme un filtre passe-bas. Elle laisse passer les fréquences basses qui la<br />
contournent en raison <strong>de</strong> leur gran<strong>de</strong> longueur d’on<strong>de</strong>, <strong>et</strong> qui par conséquent<br />
contribuent fort peu à la différence d’intensité interauriculaire. Avant Rayleigh, le<br />
temps qui sépare l’arrivée d’une on<strong>de</strong> sonore à une oreille <strong>et</strong> à l’autre, estimé à<br />
quelques centaines <strong>de</strong> microsecon<strong><strong>de</strong>s</strong>, avait été considéré comme trop bref pour<br />
être décelable par un système biologique. Rayleigh conclut au contraire que c<strong>et</strong>te<br />
différence temporelle interauriculaire est décelable, <strong>et</strong> il propose qu’elle soit le<br />
fon<strong>de</strong>ment du principe <strong>de</strong> localisation <strong><strong>de</strong>s</strong> sons <strong>de</strong> basse fréquence (en anglais<br />
interaural time difference, ITD en abrégé). L’idée d’un double système <strong>de</strong> localisation<br />
<strong>de</strong> la source sonore s’est imposée. L’un, dédié aux hautes fréquences mis en oeuvre<br />
dans l’OSL, est fondé sur les différences d’intensité, <strong>et</strong> l’autre, dédié aux basses<br />
fréquences, mis en oeuvre dans le noyau laminaire chez les oiseaux <strong>et</strong> dans l’OSM<br />
chez les mammifères, est fondé sur les différences temporelles.<br />
L’intérêt majeur <strong>de</strong> l’écoute binaurale rési<strong>de</strong> dans la localisation <strong>de</strong> la source<br />
sonore dans l’espace. Toutefois, un son sera perçu comme légèrement plus intense<br />
s’il est présenté aux <strong>de</strong>ux oreilles (gain d’environ 3 décibels). De c<strong>et</strong>te vision très<br />
schématique, il s’en suit que pour un patient qui a une surdité unilatérale, si le<br />
locuteur est situé du côté <strong>de</strong> l’oreille défaillante, l’oreille normale percevra<br />
correctement les basses fréquences, mais mal les hautes fréquences, en raison <strong>de</strong><br />
l’ombre <strong>de</strong> la tête. C<strong>et</strong>te théorie vaut pour les sons purs. Pour la localisation <strong>de</strong><br />
sources sonores complexes, la composante temporelle, même pour <strong><strong>de</strong>s</strong> sons <strong>de</strong><br />
haute fréquence, est importante. Interviennent aussi les modulations fréquentielles<br />
<strong>et</strong> les modulations en amplitu<strong>de</strong>.<br />
Seule a été discutée plus en détail la localisation dans le plan horizontal <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
sources sonores <strong>de</strong> basse fréquence. Soit une on<strong>de</strong> sonore située sur l’azimut 90°<br />
par rapport à la ligne médiane. L’on<strong>de</strong> sonore va parcourir le chemin d’une oreille<br />
à l’autre soit une distance égale au rayon <strong>de</strong> la tête plus une distance égale au quart<br />
<strong>de</strong> la circonférence <strong>de</strong> la tête. Le rayon <strong>de</strong> la tête est estimé à 9 cm, le quart <strong>de</strong> la<br />
circonférence <strong>de</strong> la tête à environ 14 cm, soit une distance totale à parcourir <strong>de</strong><br />
23 cm. Compte tenu <strong>de</strong> la vitesse du son dans l’air (343 m/s), la différence <strong>de</strong><br />
temps entre l’arrivée du son à l’une <strong>et</strong> l’autre oreille est 670 μs. C’est le temps<br />
maximum du par<strong>cours</strong>. En eff<strong>et</strong>, quand la source se rapproche <strong>de</strong> la position<br />
médiane, le délai entre l’arrivée <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux sonores à l’une <strong>et</strong> l’autre oreille est<br />
toujours plus p<strong>et</strong>it. Ce temps <strong>de</strong> 670 μs est égal à la pério<strong>de</strong> d’un son <strong>de</strong> 1 500 Hz.<br />
Il fixe la limite supérieure <strong>de</strong> la fréquence sonore d’une source qui pourra être<br />
localisée en se fondant sur la disparité temporelle binaurale. Pour <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences<br />
plus élevées, la localisation <strong>de</strong> la source sonore fait appel à la différence d’intensité<br />
(ILD).
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 233<br />
Chez l’homme, le système auditif i<strong>de</strong>ntifie <strong>de</strong>ux sons comme provenant <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
sources distinctes si, l’une étant située dans le plan médian (0° azimutal), l’autre<br />
en est séparée d’au moins <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>grés. Ceci signifie que le système auditif distingue<br />
<strong>de</strong>ux sons qui parviennent à l’une <strong>et</strong> l’autre oreille avec un décalage temporel <strong>de</strong><br />
moins <strong>de</strong> 20 μs. C’est c<strong>et</strong> élément qui a permis <strong>de</strong> conclure à l’extrême précision<br />
temporelle du système auditif (au moins jusqu’à ses relais du tronc cérébral). Plus<br />
on s’éloigne <strong>de</strong> l’axe médian dans le plan horizontal, plus la capacité <strong>de</strong> résolution<br />
diminue. L’angle audible minimal varie avec la position azimutale <strong>et</strong> la fréquence<br />
<strong>de</strong> la source sonore. Sa valeur augmente quand la fréquence s’élève <strong>et</strong> que la source<br />
sonore s’approche du 90° azimutal. Pour toutes les fréquences, la perception <strong>de</strong> la<br />
directionalité est plus précise quand l’auditeur fait face à la source sonore. En<br />
l’absence <strong>de</strong> mobilité du pavillon <strong>de</strong> l’oreille, c’est la tête qui bouge pour optimiser<br />
la perception <strong>de</strong> la localisation <strong><strong>de</strong>s</strong> sources sonores.<br />
Nous avons ensuite brièvement considéré les bases neurales <strong>de</strong> la localisation<br />
azimutale <strong><strong>de</strong>s</strong> sources sonores <strong>de</strong> basse fréquence. Durant les cinquante <strong>de</strong>rnières<br />
années, un seul modèle a servi d’explication à la façon dont le cerveau détermine la<br />
position <strong>de</strong> la source sonore <strong>de</strong> basse fréquence dans le plan horizontal : le modèle <strong>de</strong><br />
coïnci<strong>de</strong>nce proposé par Lloyd Jeffress en 1948 (Jeffress, 1948). Il stipule que le<br />
cerveau transforme l’information du délai <strong>de</strong> temps relatif <strong>de</strong> l’arrivée du son à<br />
chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux oreilles en une carte, dite carte spatiale auditive ou « carte ITD ».<br />
Ce modèle pose l’existence <strong>de</strong> neurones détecteurs <strong>de</strong> coïnci<strong>de</strong>nce. Leur décharge est<br />
maximale quand les potentiels d’action qui leur parviennent, à partir <strong>de</strong> chaque<br />
oreille, arrivent simultanément. Dans ce modèle, ces détecteurs <strong>de</strong> coïnci<strong>de</strong>nce<br />
reçoivent <strong><strong>de</strong>s</strong> informations excitatrices, qui leur parviennent via <strong><strong>de</strong>s</strong> axones qui<br />
véhiculent <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux électriques provenant <strong>de</strong> chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux oreilles. Ce modèle<br />
repose sur trois hypothèses : 1) il existe <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones détecteurs <strong>de</strong> coïnci<strong>de</strong>nce ;<br />
ceux-ci reçoivent une information temporelle très précise venant <strong>de</strong> l’une <strong>et</strong> l’autre<br />
oreille ; ils ne peuvent interpréter qu’une information <strong>de</strong> décharge neuronale<br />
organisée en volée (voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus), c’est-à-dire synchronisée au son ; 2) ils répon<strong>de</strong>nt<br />
<strong>de</strong> façon maximale lorsque les potentiels d’action venus <strong>de</strong> l’une <strong>et</strong> l’autre oreille<br />
arrivent simultanément; ils sont très sensibles à <strong>de</strong> toutes p<strong>et</strong>ites disparités dans le<br />
temps d’arrivée <strong><strong>de</strong>s</strong> potentiels d’action provenant <strong>de</strong> l’une <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’autre oreille ; 3) ce<br />
sont <strong><strong>de</strong>s</strong> projections afférentes excitatrices venues <strong>de</strong> chaque oreille qui les stimulent,<br />
<strong>et</strong> c’est le temps cumulé <strong><strong>de</strong>s</strong> chemins acoustique <strong>et</strong> électrique parcourus <strong>de</strong>puis la<br />
source sonore jusqu’au détecteur (controlatéral par rapport à la source) qui est pris<br />
en compte. En ce qui concerne le chemin électrique, le modèle stipule que la<br />
détection <strong>de</strong> coïnci<strong>de</strong>nce est fondée sur le fait que les axones <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones excitateurs<br />
ont <strong><strong>de</strong>s</strong> longueurs différentes, qui introduisent <strong><strong>de</strong>s</strong> délais électriques (« délais <strong>de</strong><br />
ligne »). Le détecteur <strong>de</strong> coïnci<strong>de</strong>nce sera stimulé par <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones dont la longueur<br />
axonale va perm<strong>et</strong>tre une décharge synchrone <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones afférents issus <strong>de</strong> chacune<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux oreilles. Dans ce modèle, chaque neurone détecteur <strong>de</strong> coïnci<strong>de</strong>nce répond<br />
à un temps inter-auriculaire différent <strong>et</strong> spécifique, dit temps caractéristique <strong>de</strong> la<br />
détection temporelle. Les divers neurones dont le temps caractéristique <strong>de</strong> détection
234 CHRISTINE PETIT<br />
temporelle est différent sont organisés en une carte <strong>de</strong> temps caractéristique<br />
graduellement croissant. Un neurone détecteur signale la position <strong>de</strong> la source<br />
sonore par son taux <strong>de</strong> décharge maximal.<br />
Ce modèle a eu un impact considérable sur la recherche dans ce domaine. Il s’est<br />
révélé fécond pour interpréter la localisation <strong><strong>de</strong>s</strong> sources <strong>de</strong> basse fréquence chez<br />
l’oiseau. Les <strong>travaux</strong> élégants réalisés par Mazakazu Konishi <strong>et</strong> <strong>de</strong> Eric Knudsen<br />
[voir revue, (Knudsen, 2002)] à partir <strong>de</strong> 1978 sur la chou<strong>et</strong>te effraie, qui chasse<br />
la nuit en utilisant exclusivement son audition pour localiser ses proies, paraissent<br />
vali<strong>de</strong>r ce modèle. C<strong>et</strong>te chou<strong>et</strong>te se dirige vers ses proies grâce à une reconnaissance<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> vibrations qu’elles ém<strong>et</strong>tent. Celle-ci est fondée, dans le plan horizontal, sur<br />
les différences temporelles, <strong>et</strong> est particulièrement efficace pour <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences<br />
allant jusqu’à 7 ou 8 kHz. De fait, les décharges <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones afférents sont en<br />
phase avec le son jusqu’à ces valeurs <strong>de</strong> fréquence. Les neurones détecteurs <strong>de</strong><br />
coïnci<strong>de</strong>nce se situent dans le noyau laminaire. Pour lever toute ambiguïté dans<br />
l’interprétation <strong><strong>de</strong>s</strong> délais <strong>de</strong> réponse, c<strong>et</strong>te carte est couplée à une carte fréquentielle,<br />
qui a une orientation perpendiculaire. Ainsi, chaque fréquence est en quelque sorte<br />
équipée <strong>de</strong> son détecteur d’ITD. Une « carte ITD » est le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> représentation<br />
<strong>de</strong> toutes les localisations <strong><strong>de</strong>s</strong> sources sonores dans le plan horizontal. L’ITD zéro,<br />
toujours représenté par un maximum <strong>de</strong> neurones, est l’ITD pour lequel la<br />
décharge maximale correspond à la position médiane <strong>de</strong> la source. Beaucoup <strong>de</strong><br />
données électrophysiologiques obtenues chez la chou<strong>et</strong>te effraie sont en accord<br />
avec ce modèle, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> axones <strong>de</strong> longueur hétérogène ont bien été mis en évi<strong>de</strong>nce<br />
dans le noyau laminaire.<br />
Chez les mammifères, <strong><strong>de</strong>s</strong> détecteurs <strong>de</strong> coïnci<strong>de</strong>nce sont situés dans l’OSM,<br />
mais leur mo<strong>de</strong> d’activation paraît moins clair. Chez le chat, un substrat anatomique<br />
pour un mécanisme du type « délai <strong>de</strong> lignes » (différentes longueurs axonales) a<br />
été observé. Cependant, <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> menés chez la gerbille (Brand <strong>et</strong> al, 2002 ;<br />
Kapfer <strong>et</strong> al, 2002) indiquent le rôle indispensable <strong>de</strong> neurones inhibiteurs<br />
glycinergiques du NMCT dans la réponse à un délai caractéristique <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones<br />
<strong>de</strong> l’OSM. Ces neurones inhibiteurs, dont la décharge est aussi en phase avec le<br />
son, <strong>et</strong> non <strong><strong>de</strong>s</strong> longueurs d’axones différentes d’un neurone excitateur à l’autre,<br />
seraient le substrat <strong><strong>de</strong>s</strong> « cartes ITD » <strong><strong>de</strong>s</strong> mammifères.<br />
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Activité <strong>de</strong> recherche du laboratoire (2007-2008)<br />
Les avancées les plus significatives au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année 2007-2008 ont été :<br />
1. la découverte <strong>de</strong> l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> distorsions acoustiques par les cellules ciliées<br />
externes (Verpy <strong>et</strong> al, 2008),<br />
2. la mise en évi<strong>de</strong>nce d’un nouveau mécanisme responsable <strong>de</strong> la surdité liée à<br />
l’exposition au bruit (soumis pour publication),<br />
3. la mise en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> l’harmonine, protéine à domaines PDZ, au sein <strong>de</strong> la<br />
machinerie <strong>de</strong> transduction mécano-électrique <strong>et</strong> <strong>de</strong> son rôle dans l’adaptation,<br />
4. l’i<strong>de</strong>ntification d’un gène responsable <strong>de</strong> presbyacousie.<br />
Nous avons également contribué à éluci<strong>de</strong>r le rôle du kinocilium dans la<br />
formation <strong>de</strong> la touffe ciliaire (Jones <strong>et</strong> al, 2008), <strong>et</strong> avons apporté les premiers<br />
éléments <strong>de</strong> la pathogénie <strong>de</strong> la surdité liée à un déficit en adénylate kinase-2<br />
(Lagresle-Peyrou <strong>et</strong> al, 2008).<br />
1. Origine <strong><strong>de</strong>s</strong> distorsions acoustiques dans l’oreille interne<br />
(Elisab<strong>et</strong>h Verpy, Dominique Weil, Michel Leibovici, Carine Houdon,<br />
Jean-Pierre Har<strong>de</strong>lin, Christine P<strong>et</strong>it ; en collaboration avec Paul Avan,<br />
Richard J. Goodyear, Guy P. Richardson, Ghislaine Hamard) (Verpy <strong>et</strong> al,<br />
2008)<br />
C’est dans la cochlée que les messages sonores sont convertis par les cellules<br />
sensorielles auditives en dépolarisations qui libèrent le neurotransm<strong>et</strong>teur, créant<br />
une activation <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones auditifs qui se propage jusqu’au cortex. Pour ce faire,<br />
les cellules ciliées externes amplifient les vibrations sonores tout en les filtrant pour<br />
éliminer les sons parasites. Toutefois, le traitement ainsi appliqué au son engendre<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> distorsions <strong><strong>de</strong>s</strong> on<strong><strong>de</strong>s</strong> acoustiques considérables, au point d’être audibles sous<br />
forme <strong>de</strong> sons supplémentaires connus sous le nom <strong>de</strong> sons <strong>de</strong> Tartini, du nom<br />
du violoniste du xvii e siècle qui les décrivit. Parce que l’oreille les réém<strong>et</strong>, ces sons<br />
<strong>de</strong> Tartini servent à dépister les surdités dès la naissance. En eff<strong>et</strong>, leur absence<br />
traduit la lésion <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules ciliées externes, presque toujours accompagnée <strong>de</strong> celle<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> cellules ciliées internes, authentiques cellules sensorielles.
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 237<br />
Jusqu’ici on pensait que toutes les performances <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules ciliées externes,<br />
amplification, filtrage <strong><strong>de</strong>s</strong> sons parasites, <strong>et</strong> distorsion, étaient dues à leurs canaux<br />
<strong>de</strong> transduction mécano-électrique pour lesquels la courbe courant/déplacement<br />
est sigmoï<strong>de</strong>. Nous avons montré, dans un travail mené en collaboration avec le<br />
P r Paul Avan (Université d’Auvergne, Clermont-Ferrand), que ce n’est probablement<br />
pas exact. Chez <strong><strong>de</strong>s</strong> souris dont le gène qui co<strong>de</strong> la stéréociline a été inactivé, il<br />
existe, avant l’apparition du déficit <strong>de</strong> l’acuité auditive, une courte pério<strong>de</strong> durant<br />
laquelle les cellules ciliées externes amplifient <strong>et</strong> filtrent normalement le son ; leurs<br />
canaux <strong>de</strong> transduction sont donc normaux, <strong>et</strong> pourtant elles ne distor<strong>de</strong>nt plus le<br />
son. Toute marque <strong>de</strong> distorsion <strong><strong>de</strong>s</strong> on<strong><strong>de</strong>s</strong> a disparu : un son pur ne produit plus<br />
d’harmoniques ; aucune distorsion, électrique ou acoustique, n’est décelable. Chez<br />
ces souris mutantes, l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> masquage sonore est très diminué : en présence d’un<br />
mélange <strong>de</strong> sons, les diverses composantes du mélange coexistent alors que<br />
normalement, les plus intenses empêchent les plus faibles d’être perçues par le<br />
système auditif. La perception <strong><strong>de</strong>s</strong> sons complexes chez ces souris mutantes est sans<br />
doute gravement perturbée.<br />
Nous avons observé que la stéréociline est un composant <strong>de</strong> liens latéraux<br />
apicaux <strong>de</strong> la touffe ciliaire <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules ciliées externes. Ces liens, dits top connectors,<br />
sont, avec le tip link, les seuls présents dans la touffe ciliaire adulte. Ceci nous a<br />
conduit à proposer que l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> distorsions acoustiques se tient dans les<br />
contraintes que ces liens latéraux imposent à la touffe ciliaire. Ils perm<strong>et</strong>traient à<br />
une rigidité non-linéaire <strong>de</strong> la touffe ciliaire, autre que celle du canal <strong>de</strong> transduction<br />
mécano-électrique, <strong>de</strong> se manifester sous la forme <strong>de</strong> distorsions d’on<strong><strong>de</strong>s</strong>. Une<br />
explication alternative serait que l’absence <strong>de</strong> ces liens déplace le « point<br />
d’opération » <strong>de</strong> la touffe ciliaire dans une zone <strong>de</strong> fonctionnement linéaire.<br />
2. Un nouveau mécanisme responsable <strong>de</strong> la surdité liée à l’exposition au bruit<br />
(Amel Bahloul, Vincent Michel, Michel Leibovici, Jean-Pierre Har<strong>de</strong>lin,<br />
Dominique Weil, Christine P<strong>et</strong>it ; en collaboration avec Paul Avan)<br />
(Bahloul <strong>et</strong> al, soumis pour publication)<br />
Nous avions découvert, il y a quelques années, une nouvelle protéine <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
jonctions d’adhérence, la vézatine (Küssel-An<strong>de</strong>rmann <strong>et</strong> al, 2000). Nous venons<br />
<strong>de</strong> définir sa topologie par une analyse biochimique. Elle comporte <strong>de</strong>ux domaines<br />
transmem branaires très proches l’un <strong>de</strong> l’autre, <strong>et</strong> ses régions N- <strong>et</strong> C-terminales<br />
sont cytoplasmiques. Dans la cochlée, l’immunoréactivité <strong>de</strong> la vézatine aux<br />
jonctions entre les cellules ciliées <strong>et</strong> les cellules <strong>de</strong> soutien augmente entre le 4 e <strong>et</strong><br />
le 16 e jour après la naissance, chez la souris. Nous avons observé, par<br />
immunomarquage <strong>de</strong> cellules MDCK, que la vézatine ne participe pas à la<br />
formation <strong>de</strong> leurs jonctions ; elle n’est recrutée aux jonctions que tardivement.<br />
Des doubles marquages réalisés sur <strong><strong>de</strong>s</strong> cochlées matures ont montré une<br />
colocalisation <strong>de</strong> la vézatine avec la radixine, la β-caténine <strong>et</strong> la caténine p120, aux<br />
jonctions entre cellules ciliées externes <strong>et</strong> cellules <strong>de</strong> Deiters. Vézatine <strong>et</strong> radixine
238 CHRISTINE PETIT<br />
co-précipitent dans <strong><strong>de</strong>s</strong> extraits protéiques cochléaires. Cependant, lorsque la<br />
radixine porte une mutation qui l’empêche <strong>de</strong> se lier aux filaments d’actine en<br />
raison d’un changement <strong>de</strong> conformation, la radixine ne co-précipite plus avec la<br />
vézatine. La vézatine interagit donc directement avec la forme « active » <strong>de</strong> la<br />
radixine. C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière pourrait donc perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> lier la vézatine aux filaments<br />
d’actine <strong><strong>de</strong>s</strong> jonctions cellulaires.<br />
Pour étudier le rôle <strong>de</strong> la vézatine aux jonctions entre les cellules ciliées cochléaires<br />
<strong>et</strong> leurs cellules <strong>de</strong> soutien, nous avons généré <strong><strong>de</strong>s</strong> souris mutantes chez lesquelles<br />
le gène est délété uniquement dans les cellules sensorielles (la délétion ubiquitaire<br />
est létale). Chez les souris mutantes, les seuils auditifs ne sont pas différents <strong>de</strong><br />
ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> animaux témoins jusqu’à la 7 e semaine. L’étu<strong>de</strong> morphologique <strong>de</strong> la<br />
cochlée ne détecte aucune anomalie jusqu’à c<strong>et</strong> âge. Cependant, après une<br />
exposition d’une minute à un son <strong>de</strong> 105 dB, les souris mutantes <strong>de</strong>viennent<br />
irréversiblement sour<strong><strong>de</strong>s</strong>. Les souris sauvages, soumises à c<strong>et</strong>te même stimulation<br />
sonore, ont une altération <strong>de</strong> leur seuil auditif <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> 10 dB, suivie d’un<br />
r<strong>et</strong>our à une audition normale. Diverses anomalies <strong>de</strong> la touffe ciliaire apparaissent<br />
chez les souris mutantes, accompagnées d’une perte massive <strong>de</strong> cellules ciliées, qui<br />
touche principalement les cellules ciliées externes. Les cellules <strong>de</strong> l’apex <strong>de</strong> la<br />
cochlée sont peu atteintes par la perte cellulaire induite par l’exposition au bruit.<br />
Les souris mutantes non exposées au bruit développent, après 7 semaines, une<br />
surdité progressive spontanée, qui augmente jusqu’à atteindre une perte <strong>de</strong> 110 dB<br />
à 24 semaines. C<strong>et</strong>te surdité est due à une mort cellulaire touchant les cellules<br />
ciliées, d’abord les cellules ciliées externes, qui disparaissent <strong>de</strong> la base <strong>de</strong> la cochlée<br />
(en accord avec la perte auditive qui porte sur les hautes fréquences), puis <strong>de</strong><br />
l’ensemble <strong>de</strong> la cochlée (24 semaines).<br />
Ce travail a dévoilé le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> jonctions cellulaires <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules sensorielles dans<br />
la surdité induite par le bruit, <strong>et</strong> le rôle <strong>de</strong> la vézatine dans la résistance au stress<br />
mécanique. De surcroît, nous avons observé que les produits <strong>de</strong> distorsion ont un<br />
seuil qui est affecté avant celui <strong>de</strong> l’audition. Ceci est une autre manifestation <strong>de</strong><br />
la dissociation qui peut exister entre amplification <strong>et</strong> distorsion.<br />
3. Rôle <strong>de</strong> l’harmonine dans la transduction mécano-électrique auditive<br />
(Nicolas Michalski, Vincent Michel, Gaelle Lefèvre, Dominique Weil,<br />
Christine P<strong>et</strong>it ; en collaboration avec Pascal Martin, Institut Curie)<br />
(Michalski <strong>et</strong> al., soumis pour publication)<br />
Nous avons montré chez la souris qu’à partir du jour 5 après la naissance (P5),<br />
l’harmonine-b est localisée au niveau du point supérieur d’insertion du lien apical<br />
dans le stéréocil (Lefèvre <strong>et</strong> al, 2008). De plus, l’harmonine peut interagir directement<br />
in vitro avec la protocadhérine-15 <strong>et</strong> la cadhérine-23, qui constitueraient le lien<br />
apical. Nous avons étudié le rôle <strong>de</strong> l’harmonine, <strong>et</strong> plus particulièrement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
isoformes b, dans la transduction mécanoélectrique <strong>et</strong> l’adaptation en m<strong>et</strong>tant à<br />
profit <strong>de</strong>ux modèles murins : une souris dont le gène <strong>de</strong> l’harmonine a été inactivé
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 239<br />
(Hmn -/- ), <strong>et</strong> une souris mutante Dfcr-2J/Dfcr-2J, défectueuse uniquement pour les<br />
isoformes b <strong>de</strong> l’harmonine. Les résultats obtenus, <strong>et</strong> leur modélisation effectuée en<br />
collaboration avec Pascal Martin (Institut Curie), nous ont permis <strong>de</strong> conclure que<br />
l’harmonine-b se comporte comme le ressort dont l’existence a été postulée pour<br />
rendre compte <strong><strong>de</strong>s</strong> limites <strong>de</strong> l’étendue <strong>de</strong> l’adaptation. Ces données prédisent <strong>de</strong><br />
plus une liaison <strong>de</strong> l’harmonine-b aux moteurs d’adaptation. Or, nous avons mis en<br />
évi<strong>de</strong>nce une interaction directe entre l’harmonine <strong>et</strong> la myosine VIIa, moteur<br />
moléculaire que <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences antérieures ont impliqué dans l’adaptation.<br />
4. I<strong>de</strong>ntification d’un gène responsable <strong>de</strong> la presbyacousie<br />
(Dominique Weil, Anne Aubois, Anne-Laure Rou<strong>de</strong>vitch, Christine P<strong>et</strong>it)<br />
L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> formes familiales <strong>de</strong> presbyacousie, par analyse <strong>de</strong> liaison génétique<br />
portant sur l’ensemble du génome (en collaboration avec le Centre National <strong>de</strong><br />
Génotypage) nous a permis d’i<strong>de</strong>ntifier un locus impliqué. Par séquençage <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
gènes <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te région, nous avons trouvé <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations dans l’un d’eux. Alors que<br />
tout paraissait indiquer que c<strong>et</strong>te surdité <strong>de</strong>vait être mise sur le compte d’un<br />
désordre métabolique, <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats récents nous incitent à penser que, contre toute<br />
attente, c<strong>et</strong>te surdité est à m<strong>et</strong>tre en rapport avec une synthèse in situ <strong>de</strong> ce<br />
métabolite par les cellules sensorielles elles-mêmes. Elles en expriment également<br />
le récepteur, ce qui indique l’existence d’un mécanisme autocrine.<br />
Références<br />
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J Neurosci 27, 6478-6488.<br />
Enseignement<br />
Enseignement au titre du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
1.a. Cours au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (6 heures)<br />
Les jeudis 14 février, 13, 20 <strong>et</strong> 27 mars 2008 :<br />
Traitement <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux acoustiques : <strong>de</strong> la cellule sensorielle auditive au complexe<br />
olivaire supérieur<br />
Jeudi 14 février 2008<br />
Cours : Physiologie moléculaire <strong>de</strong> la transduction mécano-électrique auditive :<br />
actualités<br />
Séminaire : Pascal Martin (Laboratoire PCC–CNRS UMR 168, Institut Curie, Paris) :<br />
Mouvements actifs <strong>de</strong> la touffe ciliaire <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules mécano-sensorielles ciliées <strong>de</strong><br />
l’oreille interne<br />
Jeudi 13 mars<br />
Cours : Les voies auditives afférentes <strong>et</strong> leurs relais<br />
Séminaire : Paul Avan (Laboratoire <strong>de</strong> Biophysique Sensorielle, Clermont-Ferrand) : Les<br />
distorsions cochléaires : essentielles à la perception auditive, mais <strong>de</strong> quelles origines ?<br />
Jeudi 20 mars<br />
Cours : Le codage <strong>de</strong> la stimulation sonore en fréquence <strong>et</strong> en intensité<br />
Séminaire : Paul Fuchs (Johns Hopkins University, School of Medicine, Baltimore,<br />
USA) : Time and intensity coding by the hair cell’s ribbon synapse<br />
Jeudi 27 mars<br />
Cours : Plasticité synaptique dans les voies auditives<br />
Séminaire : Christian Lorenzi (Psychologie <strong>de</strong> la Perception-Audition, Ecole Normale<br />
Supérieure, Paris) : Eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> lésions cochléaires sur la perception <strong>de</strong> la parole<br />
1.b. Cours en province<br />
Professeur invitant : Jean-Louis Man<strong>de</strong>l (Institut <strong>de</strong> Génétique <strong>et</strong> <strong>de</strong> Biologie Moléculaire<br />
<strong>et</strong> Cellulaire, IGBMC, Strasbourg).<br />
Faculté <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine, 29 mai 2008 : Surdités héréditaires: qu’avons-nous appris par<br />
l’i<strong>de</strong>ntification <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes impliqués ?<br />
IGBMC, 30 mai 2008 : Un<strong>de</strong>rstanding molecular and cellular mechanisms of hearing:<br />
what can <strong>de</strong>afness genes teach us.
242 CHRISTINE PETIT<br />
1.c. Cours à l’étranger :<br />
Uppsala - Suè<strong>de</strong> (1 heure), 10 juin 2008 ; Professeur invitant : Ulf P<strong>et</strong>terson (Rudbeck<br />
laboratory, University, Uppsala, Suè<strong>de</strong>) : Human hereditary <strong>de</strong>afness: beyond the genes,<br />
the path to the mechanisms of hearing.<br />
2. Enseignements autres<br />
M2 Génétique Humaine <strong>et</strong> Neurobiologie (Erasmus), Université Paris 7, déc 2007 :<br />
« Hereditary sensory <strong>de</strong>fects ».<br />
Thèses<br />
Raphaël Étournay, Thèse <strong>de</strong> Doctorat <strong>de</strong> l’Université Pierre <strong>et</strong> Marie Curie, 12-12-2007 :<br />
« Surdités héréditaires : rôles <strong>de</strong> la myosine VIIa dans le développement <strong>de</strong> la cellule<br />
sensorielle auditive ».<br />
Nicolas Michalski, Thèse <strong>de</strong> Doctorat <strong>de</strong> l’Université Pierre <strong>et</strong> Marie Curie, 4-7-2008 :<br />
« Cochlear mechano-electrical transduction : i<strong>de</strong>ntification and functional characterisation<br />
of its components ».<br />
Principaux séminaires <strong>et</strong> conférences sur invitation 2007-2008<br />
From Molecules to Cognition - a tribute to Jean-Pierre Changeux, International congress.<br />
Institut Pasteur, Paris, 15-17 Sept 2007 : « Hereditary <strong>de</strong>afness and molecular physiology<br />
of hearing ».<br />
Canadian College of Medical Gen<strong>et</strong>icists Congress. Vancouver, Canada, 16 Nov 2007:<br />
« Human hereditary <strong>de</strong>afness: from genes to pathogenesis ».<br />
Force-Gated Ion Channels: From Structure to Sensation. HHMI Janelia Farm Research<br />
Campus, Ashburn, USA, 18-21 May 2008 : « Fibrous links of the hair bundle : structure<br />
and function enlightened by human <strong>de</strong>afness genes ».<br />
International Symposium on Biotechnology. Sfax, Tunisia, 4-8 May 2008 : « From<br />
human hereditary <strong>de</strong>afness to the cellular and molecular mechanisms of hearing ».<br />
Faculté <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine, Strasbourg, 29 mai 2008 : « Surdités héréditaires : qu’avons-nous<br />
appris par l’i<strong>de</strong>ntification <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes impliqués ? ».<br />
IGBMC, Strasbourg, 30 May 2008 : « Un<strong>de</strong>rstanding molecular and cellular mechanisms<br />
of hearing : what can <strong>de</strong>afness genes teach us ».<br />
Rudbeck laboratory - Faculty of Medicine, University Uppsala, Swe<strong>de</strong>n, 10 June 2008.<br />
Invited by Pr Ulf P<strong>et</strong>tersson : « Human hereditary <strong>de</strong>afness: beyond the genes, the path to<br />
the mechanisms of hearing ».<br />
Karolinska Institut<strong>et</strong>, Stockholm, 12 June 2008, Invited by Pr Mats Ulfendahl : « Human<br />
hereditary <strong>de</strong>afness : From genes to the mechanisms of hearing ».<br />
NHS2008 Conference, Beyond Newborn Hearing Screening : Infant and Childhood Hearing<br />
in Science and Clinical Practice. Cernobbio (Como), Italy, 19-21 June 2008 : « Hereditary<br />
auditory neuropathies : from the genes to the pathogenesis ».<br />
International Congress on Systems Biology, Systems biology of Hearing, Göteborg, Swe<strong>de</strong>n,<br />
27 August 2008 : « Multidisciplinary experimental approaches and mo<strong>de</strong>lling of sensory<br />
hair bundle functioning ».
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 243<br />
Centre <strong>de</strong> Recherche <strong><strong>de</strong>s</strong> Cor<strong>de</strong>liers, Université Pierre-<strong>et</strong>-Marie Curie, Paris, 5 sept<br />
2008 : « Surdités héréditaires : comment les gènes impliqués éclairent la physiologie<br />
auditive ».<br />
Institut interdisciplinaire <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences du Vivant <strong><strong>de</strong>s</strong> Saints-Pères, Université Paris<br />
Descartes, Paris, 15 sept 2008 : « Comment les surdités héréditaires humaines éclairent la<br />
physiologie moléculaire du système auditif ».<br />
Organisation <strong>de</strong> symposia <strong>et</strong> colloques<br />
« From Molecules to Cognition - a tribute to Jean-Pierre Changeux », International congress.<br />
Institut Pasteur, Paris, 15-17 sept 2007.<br />
Colloque Institut <strong>de</strong> la Vision-département <strong>de</strong> Neuroscience <strong>de</strong> l’Institut Pasteur, Paris,<br />
16 oct 2007.<br />
Réunion RTRS (Réseau Thématique <strong>de</strong> Recherche <strong>et</strong> <strong>de</strong> Soins), Audition, Paris, 29 oct<br />
2007.<br />
International Congress on Systems Biology, Systems biology of Hearing, Göteborg, Swe<strong>de</strong>n,<br />
27 August 2008 : « Multidisciplinary experimental approaches and mo<strong>de</strong>lling of sensory<br />
hair bundle functioning ».<br />
Conférences « Grand public »<br />
« Mystères <strong>de</strong> la science biomédicale », Institut Pasteur, Paris, 6 nov 2007.<br />
« Surdité héréditaire : quelles avancées ? quelles perspectives ? ».<br />
Colloques-débats<br />
Femmes d’Histoire - Femmes <strong>de</strong> sciences, Palais <strong><strong>de</strong>s</strong> Congrès <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Culture, Le Mans,<br />
27 jan 2008 : « Des femmes à la tête <strong>de</strong> la recherche ».<br />
Conférences <strong>de</strong> presse<br />
Appear « From Lab to Life », European Parliament, Bruxelles, 27 June 2007, Bringing<br />
the results of European research to the soci<strong>et</strong>y.<br />
Fondation pour la Recherche Médicale, Paris, 25 sept 2007.
Thème général <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong><br />
Biologie <strong>et</strong> génétique du développement<br />
M. Spyros Artavanis-Tsakonas, professeur<br />
La génétique moléculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes modèles :<br />
un paradigme <strong>de</strong> principes généraux en biologie<br />
Le développement harmonieux <strong>et</strong> cohérent d’un organisme multicellulaire<br />
nécessite une parfaite coordination <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions cellulaires. Leurs dérèglements<br />
sont très souvent à l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> dysfonctionnements cellulaires responsables <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
pathologies. Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> ces leçons, nous avons examiné les aspects <strong>de</strong> biologie<br />
cellulaire <strong>et</strong> moléculaire d’une voie <strong>de</strong> signalisation fondamentale conservée parmi<br />
tous les métazoaires. L’acquisition <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances <strong>de</strong> biologie fondamentale sur<br />
c<strong>et</strong>te voie conduit à abor<strong>de</strong>r <strong><strong>de</strong>s</strong> questions impliquées dans les processus<br />
pathologiques <strong>et</strong> en particulier lors <strong>de</strong> la tumorigenèse. Nous avons insisté, au<br />
<strong>cours</strong> <strong>de</strong> ces <strong>cours</strong>, sur l’usage <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes modèles développés chez les vertébrés<br />
<strong>et</strong> les invertébrés, pour répondre à ces différentes questions.<br />
Les séminaires ont été remplacés par un colloque, présenté en anglais le 21 mars<br />
sous le titre :<br />
« Drosophila melanogaster : un modèle expérimental pour l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
maladies humaines »<br />
Ce colloque d’une journée se proposait <strong>de</strong> donner à un novice un aperçu<br />
théorique détaillé <strong>de</strong> la mouche du fruit, Drosophila melanogaster, utilisée comme<br />
système modèle expérimental pour répondre à <strong><strong>de</strong>s</strong> questions-clé en biologie <strong>et</strong> en<br />
mé<strong>de</strong>cine.<br />
Drosophila est l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> plus importants organismes modèles utilisés <strong>de</strong> nos jours<br />
par les biologistes. Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la longue pério<strong>de</strong> historique <strong>de</strong> son utilisation, près<br />
d’un siècle, comme système modèle, la Drosophile a permis d’accroître <strong>de</strong> manière
246 SPYROS ARTAVANIS-TSAKONAS<br />
significative <strong>et</strong> sur une large échelle notre compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> aspects fondamentaux<br />
<strong>de</strong> la biologie, entraînant ainsi plusieurs découvertes qui ont ébranlé les<br />
connaissances acquises au préalable.<br />
Le séquençage du génome humain <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> la mouche <strong>et</strong> leur gran<strong>de</strong> homologie<br />
ont conduit les chercheurs à créer <strong><strong>de</strong>s</strong> outils sophistiqués disponibles dans la<br />
mouche <strong>et</strong> applicables aux maladies humaines. Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te journée, les<br />
participants aux colloque ont été invités à une démonstration <strong><strong>de</strong>s</strong> méthodologies<br />
génétiques <strong>et</strong> moléculaires disponibles couramment chez la mouche, m<strong>et</strong>tant en<br />
évi<strong>de</strong>nce ses contraintes <strong>et</strong> ses limites afin d‘appréhen<strong>de</strong>r aisément la littérature sur<br />
la Drosophile <strong>et</strong> concevoir <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences avec ce puissant système modèle.<br />
Les thèmes suivants ont été abordés :<br />
• Drosophila as a mo<strong>de</strong>l organism – Past, Present and Future<br />
• Basic Drosophila skills – Husbandry, Mutations and Phenoypes, Polytene and<br />
Balancer Chromosomes, Aneuploidy, Gene Mapping<br />
• Mutagenesis, Basic Gen<strong>et</strong>ic Screens and Cloning – Generating Mutations,<br />
Performing a Chemical Mutagenesis Screen, Transgenesis, P elements, P lacZ,<br />
GAL4-UAS System, Enhancer Trapping, Gain of Function Screens<br />
• Advanced gen<strong>et</strong>ics – Tissue-specific Expression, Gen<strong>et</strong>ic Mosaics, the FLP-FRT<br />
and MARCM Systems, Germline Mosaics and ovoD , Inducible GAL4 expression,<br />
GFP tagging, Reverse gen<strong>et</strong>ics, RNAi, Transposon insertion collections<br />
• Using flies to address human biology and behavior – Stem Cells, Spinal<br />
Muscular Atrophy, Huntington’s Disease, Alzheimer’s Disease, Cancer and<br />
M<strong>et</strong>astasis, Alcoholism, Drugs of Abuse, Sexual Behavior and Circuitry<br />
Les conférenciers étaient les suivants :<br />
Spyros Artavanis-Tsakonas – <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> – Department of Cell Biology,<br />
Harvard Medical School<br />
Doug Dimlich, Glenn Doughty, Mark Kankel, Anindya Sen - Department of<br />
Cell Biology, Harvard Medical School<br />
Activité générale du laboratoire<br />
Notre recherche se concentre sur l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes régissant le<br />
développement <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes multicellulaires. Nous essayons <strong>de</strong> comprendre<br />
comment une cellule souche indifférenciée répond pour se différencier à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
signaux <strong>et</strong> évolue ainsi vers un état plus avancé <strong>de</strong> son développement.<br />
La détermination d’une lignée cellulaire donnée, pendant le développement,<br />
dépend d’un ensemble complexe <strong>de</strong> signaux. Nous sommes plus particulièrement<br />
intéressés à définir la base moléculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> règles à l’origine <strong>de</strong> ces mécanismes<br />
pléiotropiques, <strong>et</strong> comment leurs actions sont intégrées dans différentes étapes du
BIOLOGIE ET GÉNÉTIQUE DU DÉVELOPPEMENT 247<br />
développement pour affecter <strong><strong>de</strong>s</strong> décisions spécifiques. L’analyse <strong>de</strong> ces phénomènes<br />
<strong>de</strong>vrait nous perm<strong>et</strong>tre non seulement <strong>de</strong> définir les processus biologiques<br />
fondamentaux, mais également <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en lumière les mécanismes liés aux<br />
pathologies humaines, notamment le cancer, qui correspond à l’incapacité <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules<br />
à répondre <strong>de</strong> manière appropriée aux signaux lors d’un développement normal.<br />
En utilisant la drosophile comme modèle expérimental, nous étudions une voie<br />
<strong>de</strong> signalisation fondamentale, conservée au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’évolution : la voie Notch.<br />
Des mutations génétiques <strong>de</strong> la voie <strong>de</strong> signalisation Notch peuvent entraîner le<br />
développement anormal d’un éventail très large <strong>de</strong> structures chez les métazoaires.<br />
Entre autres, le fonctionnement anormal <strong>de</strong> la voie Notch chez l’Homme a été<br />
associé à <strong>de</strong> nombreuses pathologies, dont celles dites néo-plasiques. L’élément<br />
central <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te voie <strong>de</strong> signalisation est le récepteur <strong>de</strong> surface appelé Notch. La<br />
voie <strong>de</strong> signalisation Notch ne semble pas donner d’instructions très précises quant<br />
au <strong>de</strong>venir d’une lignée cellulaire. En eff<strong>et</strong>, elle semble plutôt moduler la capacité<br />
d’une cellule non différenciée à recevoir <strong>et</strong>/ou interpréter <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux aboutissant<br />
à <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes aussi nombreux que variés, tels que la différentiation, la<br />
prolifération <strong>et</strong> l’apoptose. Ainsi, la voie Notch, qui est présente <strong>de</strong>puis le vers<br />
C. elegans jusqu’à l’homme est un régulateur fondamental <strong><strong>de</strong>s</strong> lignées cellulaires.<br />
La question centrale <strong>de</strong> notre travail est <strong>de</strong> comprendre comment les signaux<br />
Notch s’impliquent dans d’autres facteurs cellulaires pour affecter le développement<br />
<strong>et</strong> l’entr<strong>et</strong>ien <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes cellulaires.<br />
Nous utilisons <strong><strong>de</strong>s</strong> approches génétiques <strong>et</strong> moléculaires pour étudier le<br />
mécanisme <strong>de</strong> signalisation du récepteur Notch <strong>et</strong> les divers éléments associés à la<br />
casca<strong>de</strong> d’éléments biochimiques définissant la voie. Une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> notre<br />
travail concerne l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports génétiques <strong>et</strong> moléculaires entre les éléments<br />
<strong>de</strong> la voie Notch <strong>et</strong> d’autres éléments cellulaires qui peuvent agir pour modifier les<br />
signaux Notch. Nous essayons <strong>de</strong> comprendre les circuits cellulaires dans lesquels<br />
Notch est intégré pendant les processus <strong>de</strong> développement normaux <strong>et</strong><br />
pathologiques. Notre approche se fon<strong>de</strong> sur <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques <strong>de</strong> génétique <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
biochimie en utilisant la drosophile, la souris <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures cellulaires comme<br />
modèles expérimentaux. Depuis peu, nous utilisons aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> approches dites<br />
« génomiques » afin d’étudier la voie Notch dans le cadre d’une approche plus<br />
systématique.<br />
Dans l’avenir, nous poursuivrons ces <strong>travaux</strong> avec le proj<strong>et</strong> d’ajouter quelques<br />
moyens technologiques à notre base expérimentale <strong>et</strong> méthodologique. Les<br />
fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> notre proj<strong>et</strong> rési<strong>de</strong>nt dans les approches expérimentales décrites<br />
ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous :<br />
a) Nous poursuivons l’analyse <strong>et</strong> la dissection <strong>de</strong> la voie Notch chez la drosophile<br />
en utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> génétiques <strong>et</strong> moléculaires. Notre analyse génétique se<br />
fon<strong>de</strong> sur l’i<strong>de</strong>ntification <strong><strong>de</strong>s</strong> « modificateurs » du signal Notch dans différents<br />
contextes du développement. En outre, notre approche génétique visant à i<strong>de</strong>ntifier<br />
<strong>de</strong> nouveaux « interacteurs » <strong>de</strong> Notch se complète maintenant par l’analyse
248 SPYROS ARTAVANIS-TSAKONAS<br />
moléculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> complexes protéiques en utilisant la technique <strong>de</strong> chromatographie<br />
d’affinité suivie par analyse en spectrométrie <strong>de</strong> masse ainsi que la technique du<br />
double hybri<strong>de</strong> chez la levure. Afin d’i<strong>de</strong>ntifier les « modificateurs » <strong>de</strong> la voie<br />
Notch, nous effectuons aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> criblages RNAi <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> criblages <strong>de</strong> drogues, à haut<br />
débit. Plus particulièrement, nous tentons <strong>de</strong> comprendre les eff<strong>et</strong>s quantitatifs <strong>de</strong><br />
la signalisation Notch sur la qualité du développement. En d’autres mots, nous<br />
tentons <strong>de</strong> répondre aux questions suivantes :<br />
— La nature <strong>de</strong> la réponse en termes <strong>de</strong> développement dépend-elle <strong>de</strong> la<br />
quantité du signal Notch ?<br />
— Comment les signaux Notch intègrent-ils leurs activités dans les divers<br />
contextes cellulaires qu’ils rencontrent pendant le développement ?<br />
Ces questions sont essentielles pour appréhen<strong>de</strong>r les différents aspects <strong>de</strong> la voie<br />
Notch <strong>et</strong> sa pléiotropie. Répondre à ces questions nous perm<strong>et</strong>trait également <strong>de</strong><br />
comprendre la voie Notch en tant que système biologique <strong>et</strong>, par conséquent, <strong>de</strong><br />
prendre toute la mesure la complexité qui est la règle en biologie.<br />
b) Nous avons traditionnellement employé <strong><strong>de</strong>s</strong> moyens génétiques pour disséquer<br />
les circuits dans lesquels la signalisation Notch est intégrée. Cependant, il est<br />
<strong>de</strong>venu clair qu’une compréhension complète <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits Notch ne pourra se faire<br />
sans une cartographie complète <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions entre protéines, dans la cellule.<br />
C<strong>et</strong>te carte physique est en train d’être réalisée dans le cadre d’un proj<strong>et</strong> ambitieux<br />
que nous avons initié <strong>et</strong> qui associe trois laboratoires (Harvard, Berkeley <strong>et</strong> l’institut<br />
<strong>de</strong> TATA à Bangalore) ainsi qu’une entreprise <strong>de</strong> biotechnologies (Cellzome,<br />
Hei<strong>de</strong>lberg). Le proj<strong>et</strong> consiste à i<strong>de</strong>ntifier toutes les interactions physiques dans<br />
lesquelles l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines (le protéome) est impliqué. Notre approche<br />
comporte l’isolement biochimique <strong><strong>de</strong>s</strong> complexes <strong>de</strong> protéines par chromatographie<br />
d’affinité, à partir <strong>de</strong> lignées cellulaires <strong>et</strong> d’embryons <strong>de</strong> drosophile. Ensuite, les<br />
différents composants <strong><strong>de</strong>s</strong> complexes protéiques sont i<strong>de</strong>ntifiés par analyse <strong>de</strong><br />
spectrométrie <strong>de</strong> masse.<br />
c) Les approches génétiques classiques, bien qu’efficaces pour la dissection <strong>et</strong> la<br />
compréhension <strong>de</strong> la voie Notch, sont parfois quelque peu limitées, par le besoin<br />
<strong>de</strong> générer <strong>et</strong> d’i<strong>de</strong>ntifier les mutants. Notre laboratoire a aujourd’hui l’honneur<br />
d’être le « gardien » <strong>et</strong> le « distributeur » auprès <strong>de</strong> la communauté universitaire<br />
d’une collection très sophistiquée <strong>et</strong> unique <strong>de</strong> drosophiles, correspondant à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
mutants par insertion, qui couvre ~ 50 % du génome (la collection <strong>de</strong> mutants<br />
d’Exelixis). La collection se compose <strong>de</strong> presque 20 000 souches différentes. D’une<br />
part, la collection joue le rôle <strong>de</strong> dépôt pour <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations spécifiques qui sont<br />
caractérisées à l’échelle moléculaire. D’autre part, elle peut également être utilisée<br />
comme outil pour examiner <strong>de</strong> manière systématique <strong>et</strong> rapi<strong>de</strong> les modifications<br />
éventuelles <strong>de</strong> phénotypes spécifiques. Nous tirons profit <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ressource en<br />
effectuant <strong><strong>de</strong>s</strong> criblages génétiques à haut débit afin <strong>de</strong> trouver quels sont les<br />
éléments modificateurs <strong>de</strong> la voie Notch. D’ailleurs, notre capacité à effectuer <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
criblages à une vitesse sans précé<strong>de</strong>nt nous a incité à réexaminer quelques problèmes
BIOLOGIE ET GÉNÉTIQUE DU DÉVELOPPEMENT 249<br />
classiques <strong>de</strong> la biologie du développement chez la drosophile, tels que la<br />
détermination <strong>et</strong> la régénération ainsi que leur rapport possible avec Notch, <strong>de</strong><br />
manière systématique — encore impossible il y a peu <strong>de</strong> temps.<br />
d) Un autre proj<strong>et</strong>, que nous venons d’initier mais qui <strong>de</strong>vrait se développer<br />
dans les années à venir, se concentre sur les aspects structuraux <strong>de</strong> Notch. En<br />
collaboration avec un collègue à Harvard (Tom Walz), nous avons lancé une étu<strong>de</strong><br />
qui vise à comprendre <strong><strong>de</strong>s</strong> aspects structuraux du récepteur Notch en utilisant la<br />
microscopie électronique. Tout d’abord, nous nous intéressons à l’état oligomère<br />
du récepteur <strong>et</strong> à ses interactions avec <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs intracellulaires <strong>et</strong> extracellulaires.<br />
À ce jour, rien n’est vraiment connu au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> ces aspects structuraux <strong>et</strong> leurs<br />
implications dans la fonction <strong>de</strong> Notch. En utilisant la microscopie électronique<br />
ainsi que l’analyse en microscopie optique : la technique du FRET, nous <strong>de</strong>vrions<br />
pourvoir répondre à ces questions sur les aspects fondamentaux du processus <strong>de</strong><br />
transduction du signal Notch.<br />
e) Dans le cadre <strong>de</strong> nos étu<strong><strong>de</strong>s</strong> utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes mammifères, nous<br />
examinons, d’une part, comment la modulation <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux Notch peut influencer<br />
le <strong>de</strong>venir <strong>et</strong> le potentiel <strong>de</strong> prolifération <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules souches <strong>et</strong> nous essayons,<br />
d’autre part, d’analyser les situations pathologiques dans lesquelles Notch est<br />
impliqué. De nombreux <strong>travaux</strong> indiquent que Notch jouerait un rôle important<br />
dans divers aspects biologiques <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules souches. Notre collaboration avec le<br />
laboratoire <strong>de</strong> Pr. Daniel Louvard à l’Institut Curie à Paris, consiste à examiner<br />
comment Notch peut affecter la différentiation <strong>de</strong> cellules souches, dans l’intestin,<br />
chez la souris. Nous poursuivons la caractérisation moléculaire d’un modèle<br />
mammaire <strong>de</strong> cancer que nous avons développé chez la souris, où nous pouvons<br />
induire une néoplasie non-invasive en régression qui se développe en adénocarcinome<br />
invasif. Nous utilisons <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques génétiques <strong>et</strong> génomiques (puce à ADN)<br />
pour analyser les lésions qui contribuent à c<strong>et</strong>te transition. Nous caractérisons<br />
également <strong><strong>de</strong>s</strong> lésions en régression <strong>et</strong> les comparons à <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs induites par<br />
plusieurs oncogènes « classiques ». Notre analyse est également complétée par un<br />
proj<strong>et</strong> en collaboration avec le laboratoire <strong>de</strong> Joan Brugge (Harvard) qui utilise un<br />
système tridimensionnel <strong>de</strong> culture <strong>de</strong> cellules mammaires.<br />
Enfin, notre intérêt se porte aussi sur l’analyse <strong>et</strong> la compréhension <strong>de</strong> la base<br />
moléculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations associées aux syndromes <strong>de</strong> CADASIL <strong>et</strong> d’Alagille. Ces<br />
<strong>de</strong>ux maladies sont <strong><strong>de</strong>s</strong> syndromes humains pléiotropiques dominants qui affectent<br />
le récepteur Notch <strong>et</strong> son ligand Jagged. On utilise <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles transgéniques pour<br />
étudier ces problèmes.<br />
Proj<strong>et</strong> du laboratoire à l’Institut Curie<br />
Dans le cadre du nouveau pôle <strong>de</strong> Biologie du développement, actuellement en<br />
<strong>cours</strong> <strong>de</strong> construction à l’Institut Curie, un laboratoire dédié à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />
cancérogenèse va s’installer.
250 SPYROS ARTAVANIS-TSAKONAS<br />
L’implication <strong>de</strong> la voie Notch dans l’oncogenèse<br />
Le rôle <strong>de</strong> la voie Notch dans le développement comme dans tous les processus<br />
essentiels est pléiotropique, agissant à maintes reprises dans les différents contextes<br />
du développement. La dérégulation <strong>de</strong> Notch conduit à <strong><strong>de</strong>s</strong> déficiences dans<br />
chaque système biologique étudié, <strong>et</strong> par voie <strong>de</strong> conséquence à <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies ; ce<br />
qui n’est pas surprenant compte tenu <strong>de</strong> l’importance du rôle fondamental <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />
voie <strong>de</strong> signalisation.<br />
Il a été démontré <strong>de</strong>puis longtemps la relation entre la dérégulation <strong>de</strong> Notch <strong>et</strong><br />
la prolifération cellulaire. Mais <strong>de</strong> récents <strong>travaux</strong> ont insisté sur la possibilité que<br />
le rôle <strong>de</strong> Notch dans les maladies humaines pouvait être plus ordinaire qu’il ne<br />
semblait initialement. Il est donc apparu évi<strong>de</strong>nt que la modulation du signal<br />
Notch pouvait être à la fois un paramètre important d’une maladie mais aussi une<br />
cible thérapeutique.<br />
Objectifs<br />
Par l’utilisation <strong>de</strong> souris transgéniques (déjà en notre possession), nous<br />
proposons<br />
1) d’étudier les conséquences <strong>de</strong> l’activation du récepteur Notch dans la glan<strong>de</strong><br />
mammaire <strong>et</strong> l’épithélium intestinal ;<br />
2) d’analyser <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments génétiques comme cibles d’activation <strong>de</strong> Notch ;<br />
3) d’examiner l’implication non autonome <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux Notch dans les étapes <strong>de</strong><br />
la prolifération <strong>et</strong> leur rôle potentiel sur les interactions épithélium-mésemchyme.<br />
Programme <strong>de</strong> recherche<br />
1) Nous avons établi <strong><strong>de</strong>s</strong> lignées <strong>de</strong> quatre souris transgéniques qui hébergent<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> formes activées «Floxed » <strong>de</strong> chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre récepteurs Notch 1, 2, 3, <strong>et</strong> 4<br />
introduites dans le chromosome Rosa. Des croisements avec <strong><strong>de</strong>s</strong> lignées Cre<br />
appropriées nous perm<strong>et</strong>tent d’activer le signal Notch dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus spécifiques<br />
<strong>et</strong> d’étudier pour la première fois <strong>et</strong> <strong>de</strong> manière systématique les différences<br />
quantitatives <strong>et</strong> qualitatives entre ces quatre récepteurs.<br />
C<strong>et</strong>te analyse commencera par une évaluation détaillée <strong>de</strong> l’activation <strong>de</strong> Notch<br />
en utilisant MMTV Cre dans l’épithélium mammaire, <strong>et</strong> Villin Cre dans<br />
l’épithélium intestinal. Dans les <strong>de</strong>ux cas, les résultats seront comparés aux modèles<br />
transgéniques, que nous avons développés en activant le récepteur Notch 1. Ces<br />
<strong>de</strong>ux modèles ont fait l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> publications ; ils définissent notre base <strong>de</strong> travail<br />
pour ces expériences.<br />
L’analyse phénotypique détaillée, utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> marqueurs immuno-cytochimiques<br />
<strong>et</strong> fluorescents requiert la disponibilité d’équipements d’imagerie optique<br />
spécifiques.
BIOLOGIE ET GÉNÉTIQUE DU DÉVELOPPEMENT 251<br />
2) Nous avons développé un modèle <strong>de</strong> souris transgénique dans lequel<br />
l’activation du récepteur Notch 1 dans l’épithélium mammaire induit le<br />
développement rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> néoplasmes dépendants <strong>de</strong> grossesse/lactation qui m<strong>et</strong>tent<br />
en évi<strong>de</strong>nce une combinaison histopathologique caractéristique. L’ensemble <strong>de</strong><br />
cellules activées par Notch conserve sa possibilité à répondre à <strong><strong>de</strong>s</strong> stimuli<br />
apoptotiques <strong>et</strong> régresse dès l’involution <strong>de</strong> la glan<strong>de</strong> mammaire, mais semble faire<br />
apparaître dans les grossesses ultérieures <strong><strong>de</strong>s</strong> adénocarcinomes malins non-régressifs.<br />
Il est donc significatif que les tumeurs régressives, observées dans la glan<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
lactation présentent un exemple <strong>de</strong> dérégulation <strong>de</strong> la prolifération qui semble<br />
précé<strong>de</strong>r un dérangement <strong>de</strong> la mort cellulaire. Les cellules dans ces tumeurs<br />
conservent leur aptitu<strong>de</strong> à répondre aux signaux apoptotiques pendant l’involution<br />
<strong>et</strong> en conséquence régressent, bien que <strong><strong>de</strong>s</strong> événements mutagéniques secondaires<br />
entraînent une malignité qualifiée. Dans nos tentatives pour i<strong>de</strong>ntifier ces<br />
événements secondaires, nous avons utilisé le CGH (Comparative Génomic<br />
Hybridization) pour comparer la régression avec la non-régression <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs<br />
Notch. Nous allons suivre les phénomènes biologiques <strong>et</strong> moléculaires <strong>de</strong> quelquesunes<br />
<strong>de</strong> ces cibles <strong>et</strong> prévoyons <strong>de</strong> vali<strong>de</strong>r celles-ci sur <strong><strong>de</strong>s</strong> échantillons humains.<br />
En outre, nous avons démontré par notre analyse in vivo que dans l’épithélium<br />
mammaire, la Cyclin D1 est une cible in vivo <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux Notch <strong>et</strong> que nous<br />
pouvons inhiber l’oncogenèse mammaire induite par Hras 1 dépendant <strong>de</strong> la<br />
cycline D1- en exprimant l’antagoniste Deltex <strong>de</strong> Notch.<br />
Nous souhaitons utiliser le même modèle pour étudier <strong>et</strong> comparer les<br />
conséquences sur la glan<strong>de</strong> mammaire <strong>de</strong> l’activation <strong>de</strong> Notch 2, 3, <strong>et</strong> 4 (voir<br />
ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus, objectifs 1 <strong>et</strong> 3).<br />
L’analyse, que nous avons poursuivie à la fois sur la drosophile <strong>et</strong> sur <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures<br />
<strong>de</strong> cellules mammaires, démontre que les cellules exprimant l’activation <strong>de</strong> Notch 1<br />
peuvent stimuler une activité mitotique chez leurs voisins cellulaires. Ce<br />
comportement cellulaire non autonome <strong>de</strong> Notch est le suj<strong>et</strong> d’une analyse<br />
systématique <strong>de</strong> notre laboratoire concernant la drosophile.<br />
Nous proposons d’étendre notre étu<strong>de</strong> aux souris en utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> xénogreffes.<br />
C<strong>et</strong>te approche expérimentale <strong>de</strong> notre analyse est fondée sur nos résultats se<br />
rapportant à une lignée cellulaire — (537M provenant <strong>de</strong> souris transgéniques<br />
MMTV) — capable d’induire <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs greffées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> « souris nu<strong><strong>de</strong>s</strong> » lorsque<br />
celle-ci est mélangée à <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules exprimant Notch activé tandis qu’elle n’induit<br />
pas la formation <strong>de</strong> tumeurs lorsqu’elle est mélangée à <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules qui n’expriment<br />
pas Notch. Ce mélange <strong>de</strong> cellules qui inclut l’expression <strong>de</strong> cellules dans Notch<br />
activé provoque une réduction <strong>de</strong> la lactation (<strong>de</strong> près <strong>de</strong> 50 %) <strong>et</strong> accroît le niveau<br />
apparent <strong>de</strong> croissance <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs. Une série d’expériences sont prévues pour tirer<br />
profit <strong>de</strong> ces observations afin d’étudier la capacité du signal Notch à agir sur<br />
divers types <strong>de</strong> cellules <strong>et</strong> aussi pour étudier en qualité <strong>et</strong> en quantité les différences<br />
sur les quatre récepteurs Notch.
252 SPYROS ARTAVANIS-TSAKONAS<br />
Publications récentes<br />
Hurlbut, G.D., Kankel, M.W., Lake, R.J., Artavanis-Tsakonas S. (2007). Crossing paths<br />
with Notch in the hyper-n<strong>et</strong>work. Curr. Opin. Cell. Biol. 19 (2) : 166-175.<br />
Kelly, D.F., Lake, R.J., Walz, T., Artavanis-Tsakonas S. (2007). Conformational variability<br />
of the intracellular domain of Drosophila Notch and its interaction with Suppressor of<br />
Hairless. Proc. Natl. Acad. Sci. USA 23 : 9591-6.<br />
Arboleda-Velasquez, J.F., Zhou, Z., Shin, H.K., Louvi, A., Kim, H.H., Savitz, S.I.,<br />
Liao, J.K., Salomone, S., Ayata, C., Moskowitz, M.A., Artavanis-Tsakonas, S. (2008).<br />
Linking Notch signaling to ischemic stroke. Proc. Natl. Acad. Sci. USA 25 ; 105 (12) :<br />
4856-61.<br />
Bentley, Anna M., Artavanis-Tsakonas, S., Stanford, J. (2008). Nano<strong>cours</strong>es : a Short<br />
Course Format as an Educational Tool in a Biological Sciences Graduate Curriculum.<br />
CBE-Life Sciences Education.<br />
Fre, Silvia, Ksh<strong>et</strong>rapal, Pallavi, Huyghe, Mathil<strong>de</strong>, Lae, Marick, Robine, Sylvie, Artavanis-<br />
Tsakonas, S. and Louvard, D. (2008). Notch and Wnt signals cooperatively control cell<br />
proliferation and tumorigenesis in the mouse intestine, soumis à Nature Medicine.<br />
Hurlbut, G., Kankel, M., Artavanis Tsakonas, S. Notch-Ras signal integration in<br />
Drosophila <strong>de</strong>velopment : nodal points and complexity, Soumis à Nature.
Processus morphogénétiques<br />
M. Alain Prochiantz, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />
Morphogènes <strong>et</strong> morphogenèse<br />
Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la chaire <strong><strong>de</strong>s</strong> Processus morphogénétiques portait c<strong>et</strong>te année sur la<br />
question <strong><strong>de</strong>s</strong> morphogènes. La première définition du terme <strong>de</strong> morphogène nous<br />
vient d’un article <strong>de</strong> 1952 d’Alan Turing « Les bases moléculaires <strong>de</strong> la<br />
morphogenèse ». Pour Turing, il s’agit d’évocateurs <strong>de</strong> formes, en référence aux<br />
évocateurs <strong>de</strong> Waddington. Il s’agit donc là d’une définition assez vague, très<br />
éloignée <strong><strong>de</strong>s</strong> critères un peu contraignants qui prési<strong>de</strong>nt aujourd’hui au classement<br />
d’une substance dans la catégorie <strong><strong>de</strong>s</strong> morphogènes. Il reste que Turing dans c<strong>et</strong><br />
article séminal a mis en place le principe <strong>de</strong> réaction-diffusion qui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
comprendre, en principe, comment à partir d’un champ homogène <strong>de</strong>ux<br />
morphogènes auto-inducteurs <strong>et</strong> inhibiteurs réciproques, peuvent créer <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
« patterns » à la suite d’un simple différentiel <strong>de</strong> diffusion.<br />
Au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> Turing <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> « gènes diffusibles », ce qui me semble<br />
constituer le fond <strong>de</strong> l’affaire, le point <strong>de</strong> départ du <strong>cours</strong> est le problème du<br />
drapeau français tel qu’il est posé par Lewis Wolpert dans un article très important<br />
<strong>de</strong> 1967. Dans c<strong>et</strong> article Wolpert propose un modèle très simple <strong>de</strong> patterning<br />
d’un champ morphogénétique. Une source <strong>de</strong> morphogène, à une certaine distance<br />
un puits qui dégra<strong>de</strong> le morphogène, <strong>et</strong> entre source <strong>et</strong> puits un gradient continue<br />
<strong>de</strong> ce morphogène. Chaque cellule du champ reçoit une certaine dose <strong>de</strong><br />
morphogène en fonction <strong>de</strong> sa position entre source <strong>et</strong> puits <strong>et</strong> répond à c<strong>et</strong>te<br />
information <strong>de</strong> position par l’expression d’un caractère. Si on ajoute <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s<br />
seuils, le champ peut être divisé en plusieurs zones qui expriment <strong><strong>de</strong>s</strong> caractères<br />
différents, par exemple une zone bleue, une blanche <strong>et</strong> une rouge, d’où le « drapeau<br />
français » <strong>de</strong> Wolpert.<br />
C<strong>et</strong> article pose dès le début un grand nombre <strong>de</strong> problèmes qui sont loin d’être<br />
résolus <strong>et</strong> qui ont fait la substance du <strong>cours</strong>. Le premier est la diffusion : les
254 ALAIN PROCHIANTZ<br />
morphogènes diffusent-ils ? Si on considère la surface <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules comme une toile<br />
cirée, rien ne s’y oppose. Mais la réalité est très éloignée <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te image. La surface<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> cellules est un maquis <strong>de</strong> protéines <strong>et</strong> <strong>de</strong> sucres complexes rendant très improbable<br />
que les morphogènes diffusent librement. Il est intéressant, <strong>et</strong> ironique, <strong>de</strong> constater<br />
que Wolpert lui-même vient d’écrire un article dans lequel il revient sur son idée <strong>de</strong><br />
départ pour déclarer que les morphogènes ne diffusent pas. Un <strong>de</strong>uxième problème<br />
est que les champs morphogénétiques ne sont pas stables. Les cellules se divisent,<br />
meurent, migrent <strong>et</strong> acquièrent continûment <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés nouvelles. Un troisième<br />
obstacle est celui du temps. Une cellule, en fonction <strong>de</strong> sa position est exposée, certes<br />
à une certaine concentration <strong>de</strong> morphogène, mais c<strong>et</strong>te exposition dure plus ou<br />
moins longtemps. Tout modèle doit donc intégrer c<strong>et</strong>te notion <strong>de</strong> durée d’exposition.<br />
Enfin (provisoirement car il ne s’agit pas d’être exhaustif), la concentration efficace<br />
<strong>de</strong> morphogène dépend aussi du mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> transduction du signal <strong>et</strong> <strong>de</strong> la régulation<br />
<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te transduction. Le problème est plus compliqué, donc, que ne le laisse penser<br />
ce modèle idéal proposé par Wolpert en 1967 <strong>et</strong> dont l’évi<strong>de</strong>nte simplicité rallia tous<br />
les esprits (les bons).<br />
Malgré ce caveat, le modèle <strong>de</strong> Wolpert fut considéré très longtemps comme<br />
incontournable, il est encore considéré comme valable dans certains <strong>de</strong> ses aspects.<br />
Aussi parce qu’il a reçu <strong>de</strong> forts soutiens expérimentaux. Le plus décisif fut l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
l’établissement <strong>de</strong> l’axe antéro-postérieur <strong>de</strong> l’embryon <strong>de</strong> Drosophile. Sans entrer<br />
dans les détails, l’équipe <strong>de</strong> Nüsslein-Volhard établit que la protéine Bicoïd est<br />
synthétisée au pôle antérieur, à partir <strong>de</strong> messagers ancrés à ce pôle <strong>et</strong> diffuse à travers<br />
l’embryon qui, à ce sta<strong>de</strong>, est un syncitium, c’est-à-dire que les noyaux se divisent<br />
mais baignent tous dans le même cytoplasme (les membranes se formeront plus<br />
tard). La taille totale <strong>de</strong> l’embryon est constante à ce sta<strong>de</strong> <strong>et</strong> la protéine diffuse<br />
librement, instruisant chaque noyau <strong>de</strong> sa position <strong>et</strong> régulant l’expression <strong>de</strong> gènes<br />
qui « coupent » l’embryon en trois domaines. On ne pouvait rêver mieux comme<br />
illustration du problème du drapeau français. C’est ainsi que Bicoïd, (pourtant un<br />
facteur <strong>de</strong> transcription !) fut longtemps considéré comme morphogène idéal.<br />
Sur ce modèle il fut découvert que <strong>de</strong> nombreux morphogènes apportent par<br />
diffusion une information <strong>de</strong> position déterminant le <strong>de</strong>venir morphologique <strong>et</strong><br />
physiologique d’ensembles cellulaires. Un excellent exemple chez les vertébrés est<br />
fourni par sonic hedgehog (sHH) dont la diffusion à partir <strong>de</strong> la notochor<strong>de</strong> puis<br />
<strong>de</strong> la plaque du plancher détermine, avec d’autres facteurs comme les Bone<br />
Morphogen<strong>et</strong>ic Proteins (BMPs), le patron d’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes <strong>de</strong> développement<br />
le long <strong>de</strong> l’axe dorso-ventral du tube nerveux. Son activité morphogénétique au<br />
niveau <strong>de</strong> la patte est aussi un grand classique. Dans ce cas comme dans celui<br />
d’autres morphogènes (BMPs, FGFs, Wnts,…) l’existence d’un gradient né d’une<br />
diffusion a toujours été postulée, parfois démontrée. La drosophile a constitué un<br />
obj<strong>et</strong> d’étu<strong>de</strong> essentiel à notre compréhension <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> du mo<strong>de</strong> d’action <strong>de</strong><br />
morphogènes, pas seulement pour le cas <strong>de</strong> Bicoïd que je viens d’évoquer, mais<br />
aussi pour d’autres <strong>de</strong> ces facteurs, dont DPP (une parente <strong><strong>de</strong>s</strong> BMP), Wingless
PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 255<br />
(Wg) <strong>et</strong> Hedgehog (HH). Mais avant <strong>de</strong> développer le rôle <strong>de</strong> ces morphogènes<br />
dans la construction <strong>de</strong> l’aile <strong>de</strong> drosophile, le <strong>cours</strong> s’est attardé sur Bicoïd.<br />
En 2002, Bahram Huchmandza<strong>de</strong>h, Eric Wieschaus <strong>et</strong> le mathématicien Stanislas<br />
Leibler publient un article dans lequel ils démontrent que le gradient <strong>de</strong> Bicoïd est<br />
très variable entre embryons mais que les bords qui sont déterminés <strong>et</strong> les domaines<br />
d’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes définissant les territoires morphogénétiques restent très<br />
stables dans leurs positions <strong>et</strong> étendues. D’où un problème intéressant <strong>de</strong> robustesse<br />
<strong>de</strong> la réponse malgré le bruit du signal. Trois années plus tard, l’équipe <strong>de</strong> Nathalie<br />
Dostatni publie un autre article qui démontre que « contrary to recent reports<br />
proposing that the Bcd gradient is not sufficient to establish precise positional<br />
information, we show that Bcd drives precise and sharp expression of its targ<strong>et</strong><br />
genes through a process that <strong>de</strong>pends exclusively on its ability to activate<br />
transcription ». Décryptons : Contrairement à ce que propose Huchmandza<strong>de</strong>h,<br />
Wieschaus <strong>et</strong> Liebler, aucun système <strong>de</strong> filtrage du bruit n’est nécessaire à la<br />
robustesse <strong>de</strong> la réponse génétique. Ce débat, va initier toute une série d’expériences<br />
au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>quelles il sera démontré que la constante <strong>de</strong> diffusion <strong>de</strong> Bicoïd est dix<br />
fois inférieure à ce qui serait nécessaire pour établir un gradient <strong>et</strong> surtout pour<br />
que la longueur scalaire soit constante. Ce qui semble exclure une diffusion passive<br />
à partir d’une source antérieure <strong>et</strong> oblige à s’interroger sur la façon dont le gradient<br />
<strong>de</strong> Bicoïd se m<strong>et</strong> en place au tout début du développement embryonnaire.<br />
C<strong>et</strong>te question <strong>de</strong> la diffusion <strong><strong>de</strong>s</strong> morphogènes est centrale <strong>et</strong> dépasse largement<br />
le cas <strong>de</strong> Bicoïd. Une gran<strong>de</strong> partie <strong><strong>de</strong>s</strong> exemples du <strong>cours</strong> pris dans la morphogenèse<br />
<strong>de</strong> l’aile <strong>de</strong> la Drosophile ont eu pour but <strong>de</strong> s’interroger sur ce point. Il y a<br />
plusieurs façons d’abor<strong>de</strong>r le problème. D’abord du côté <strong><strong>de</strong>s</strong> morphogènes <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
leur structure. Ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> molécules souvent chargées positivement <strong>et</strong> donc<br />
susceptibles d’interagir fortement avec <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines <strong>de</strong> la matrice extracellulaire ou<br />
<strong>de</strong> récepteurs <strong>de</strong> surface <strong>de</strong> type protéoglycans. Certains d’entre eux, Wnt/Wg <strong>et</strong><br />
sHH/HH par exemple, sont modifiés par l’addition <strong>de</strong> séquences lipidiques<br />
hydrophobes, ou d’un résidu cholestérol, ce qui induit <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions avec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
lipi<strong>de</strong> membranaires. Ce sont là <strong><strong>de</strong>s</strong> freins à la diffusion qui nécessitent <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
stratégies <strong>de</strong> « contournement » impliquant l’existence <strong>de</strong> transporteurs, <strong>de</strong><br />
mécanismes <strong>de</strong> clivage <strong><strong>de</strong>s</strong> domaines actifs, <strong>et</strong>c. Un autre paramètre est la structure<br />
du milieu. Si l’on prend l’épithélium à jonctions serrées du disque imaginal <strong>de</strong><br />
l’aile <strong>de</strong> drosophile, il est constitué <strong>de</strong> cellules polarisées avec une face basolatérale<br />
<strong>et</strong> une face apicale. La face basolatérale est extrêmement contournée <strong>et</strong> il est<br />
improbable que la diffusion puisse se faire autrement que par mouvement brownien,<br />
ce qui n’empêche pas que la présence <strong>de</strong> matrice <strong>et</strong> <strong>de</strong> récepteurs <strong>de</strong> surface bloque<br />
c<strong>et</strong>te diffusion.<br />
Sans vouloir énumérer tous les cas particuliers, une chose est certaine, le<br />
mouvement <strong><strong>de</strong>s</strong> morphogènes, le plus souvent, ne peut reposer sur une diffusion<br />
passive mais requiert <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> transport. Un <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> transport,<br />
« l’argosome », repose sur l’endocytose <strong>et</strong> l’exocytose <strong><strong>de</strong>s</strong> morphogènes. On se gar<strong>de</strong>ra
256 ALAIN PROCHIANTZ<br />
d’entrer trop avant dans le débat sur la nécessité, ou non, <strong>de</strong> l’endocytose pour que la<br />
signalisation prenne place. Débat intéressant cependant, car il est lié à la question <strong>de</strong><br />
la durée d’exposition à un morphogène, variable aussi importante que sa<br />
concentration. Si la signalisation <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une endocytose, le temps passé dans la<br />
vésicule d’endocytose, aussi vésicule <strong>de</strong> signalisation, peut influencer l’activité du<br />
morphogène. L’argosome peut signaliser mais il peut aussi en passant <strong>de</strong> cellule à<br />
cellule transporter les morphogènes sans que ceux-ci ne soient jamais, ou presque, en<br />
contact avec le mon<strong>de</strong> extérieur. Ce transport planaire est une façon élégante<br />
d’échapper aux obstacles à la diffusion présents dans l’espace intercellulaire. Un autre<br />
mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> transport à gran<strong>de</strong> distance est le cytonème. Il s’agit <strong>de</strong> longs prolongements<br />
cellulaires très fins, constitués <strong>de</strong> filaments d’actine, <strong>et</strong> qui contactent les morphogènes<br />
à <strong><strong>de</strong>s</strong> distances parfois très gran<strong><strong>de</strong>s</strong>. L’idée est que le temps mis pour que le signal<br />
remonte au corps cellulaire constitue une « mesure » <strong>de</strong> la distance.<br />
Mais le modèle le plus populaire aujourd’hui est celui du cil. Il est admis<br />
désormais que presque toutes les cellules ont un cil primaire. Ce cil est une sorte<br />
d’organe sensoriel qui présente <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs à son extrémité. Par exemple, sHH<br />
signale en se fixant à l’extrémité du cil sur son récepteur « patched/smoothened ».<br />
Mais, en même temps, les cils battent <strong>et</strong> ce battement est <strong>de</strong> nature à orienter les<br />
morphogènes. Cela est d’autant plus proche <strong>de</strong> la réalité que les cellules porteuses<br />
<strong>de</strong> cils forment un épithélium à polarité planaire conduisant à une synchronisation<br />
du battement ciliaire. L’implication <strong><strong>de</strong>s</strong> cils a été démontrée à toutes les étapes du<br />
développement (par exemple l’établissement d’une dissymétrie droite/gauche) non<br />
sans conséquences sur l’étiologie <strong>de</strong> plusieurs pathologies. Un exemple intéressant<br />
<strong>de</strong> ce concept se trouve dans la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription d’un cas <strong>de</strong> morphogenèse adulte, celui<br />
<strong>de</strong> la migration <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules neurales <strong>de</strong> la zone subventriculaire (SVZ) vers le bulbe<br />
olfactif. Ces cellules générées — à partir <strong>de</strong> cellules souches adultes — au niveau<br />
<strong>de</strong> l’épithélium qui bor<strong>de</strong> le ventricule latéral migrent selon un courant antérogra<strong>de</strong><br />
<strong>et</strong> renouvellent les interneurones GABAergiques du bulbe olfactif, la région la plus<br />
antérieure du cerveau. Des <strong>travaux</strong> récents impliquant plusieurs laboratoires <strong>et</strong><br />
coordonnés par Arturo Alvarez Buylla démontrent que c<strong>et</strong>te direction antérogra<strong>de</strong><br />
est induite par un facteur répulsif (Slit1/2) sécrété par le plexus choroï<strong>de</strong> <strong>et</strong> poussé<br />
en avant par le battement coordonné <strong><strong>de</strong>s</strong> cils qui bor<strong>de</strong>nt le ventricule. Pour<br />
résumer les cils ont une double action : mécanique sur le transport <strong><strong>de</strong>s</strong> morphogènes<br />
<strong>et</strong> transductrice du signal dans la mesure où ils portent <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs aux<br />
morphogènes.<br />
En conclusion, le <strong>cours</strong> a abordé ces questions avec pour objectif <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en<br />
évi<strong>de</strong>nce les zones d’ombres, les contradictions expérimentales <strong>et</strong> les simplifications<br />
abusives <strong>de</strong> nombre <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles qui circulent. Nous n’avons pas <strong>de</strong> proposition<br />
miracle, mais nous pensons que le phénomène <strong>de</strong> transduction <strong><strong>de</strong>s</strong> homéoprotéines,<br />
considérées comme <strong>de</strong> véritables morphogènes, constitue une solution intéressante.<br />
C<strong>et</strong>te solution a été examinée sur le plan théorique, en collaboration avec David<br />
Holcman, <strong>et</strong> sur le plan expérimental. Curieusement, quand il s’agit <strong>de</strong> la formation<br />
<strong>de</strong> bords, elle rejoint très exactement les propositions initiales d’Alan Turing.
PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 257<br />
Références principales du <strong>cours</strong> 2007-2008<br />
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through tissue ? Genes Dev 18, 2985-97 (2004).
260 ALAIN PROCHIANTZ<br />
Séminaire<br />
Le séminaire a été tenu sous la forme d’une journée dédiée au thème Forme <strong>et</strong><br />
Polarité cellulaire, le Lundi 10 décembre 2007. C<strong>et</strong>te journée a été divisée en<br />
4 thèmes :<br />
I. Organisation dynamique <strong>de</strong> la synapse, biologie cellulaire <strong>et</strong> modélisation<br />
Antoine Triller, INSERM <strong>et</strong> Ecole normale supérieure<br />
Maxime Dahan, CNRS <strong>et</strong> Ecole normale supérieure<br />
II. Transport <strong>et</strong> fusion vésiculaire, biologie cellulaire <strong>et</strong> modélisation<br />
Thiéry Galli, CNRS <strong>et</strong> Institut Jacques Monod/Université Denis Di<strong>de</strong>rot<br />
David Holcman, CNRS <strong>et</strong> Ecole normale supérieure<br />
III. Morphogenèse <strong>et</strong> polarités cellulaire <strong>et</strong> planaire<br />
Yohan Bellaïche, CNRS <strong>et</strong> Institut Curie<br />
Thomas Lecuit, CNRS <strong>et</strong> Université <strong>de</strong> Marseille-Luminy<br />
Hotoyoshi Yasuo, CNRS, Villefrance-sur-mer<br />
Alain Prochiantz, CNRS, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> Ecole normale supérieure<br />
Recherche<br />
La recherche du laboratoire se divise, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> recouvrements, entre une partie<br />
théorique <strong>et</strong> fondamentale <strong>et</strong> une autre plus orientée vers les applications<br />
technologiques ou thérapeutiques.<br />
Partie théorique <strong>et</strong> fondamentale<br />
Création <strong>de</strong> patterns<br />
Nous avons continué d’explorer la signification physiologique du mécanisme <strong>de</strong><br />
signalisation par transfert intercellulaire <strong>de</strong> protéines à homéodomaine. Ces étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
s’appuient sur quatre modèles. Un premier modèle est la formation <strong>de</strong> bords le<br />
long <strong>de</strong> l’axe dorso-ventral du tube nerveux aux pério<strong><strong>de</strong>s</strong> précoces du développement.<br />
La stratégie est <strong>de</strong> suivre la façon dont les frontières entre territoires dorso-ventraux<br />
peuvent être modifiés quand on bloque le passage intercellulaire <strong>de</strong> certains facteurs<br />
<strong>de</strong> transcription <strong>de</strong> la classe <strong><strong>de</strong>s</strong> homéoprotéines en particulier Pax6 <strong>et</strong> Nkx2.2. Ces<br />
étu<strong><strong>de</strong>s</strong> menées en collaboration avec l’équipe <strong>de</strong> Jean-Léon Thomas à la Salpêtrière<br />
viennent <strong>de</strong> débuter <strong>et</strong> il est encore trop tôt pour tracer l’état <strong><strong>de</strong>s</strong> lieux. Les<br />
premières données sont encourageantes dans la mesure où le blocage du passage<br />
intercellulaire <strong>de</strong> Pax6 chez le poul<strong>et</strong> au sta<strong>de</strong> E2 induit une modification du<br />
patron d’expression <strong>de</strong> MNR2 <strong>et</strong> HB9.
PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 261<br />
Dans le même ordre d’idée nous avons utilisé, en collaboration avec Forence<br />
Maschat (CNRS, Montpellier), une stratégie <strong>de</strong> blocage du passage <strong>de</strong><br />
l’homéoprotéine Engrailed dans le disque imaginal <strong>de</strong> l’aile <strong>de</strong> drosophile. Les<br />
données sont, ici encore, préliminaires mais elles suggèrent que c<strong>et</strong>te opération<br />
modifie <strong>de</strong> façon non autonome cellulaire le développement <strong>de</strong> la veine transverse<br />
dans la partie antérieure <strong>de</strong> l’aile (à proximité <strong>de</strong> la frontière antéro-postérieure).<br />
Guidage axonal<br />
Dans une étu<strong>de</strong> antérieure menée en collaboration avec le laboratoire <strong>de</strong> Christine<br />
Holt (Cambridge, UK) nous avons démontré (Brun<strong>et</strong> <strong>et</strong> al. Nature, 483, 94-98,<br />
2005) que les cônes <strong>de</strong> croissance <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones ganglionnaires <strong>de</strong> la rétine (RGCs)<br />
d’origine nasale <strong>et</strong> temporale répon<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> façon opposée (attraction <strong>et</strong> répulsion)<br />
quand ils sont placés dans un gradient <strong>de</strong> l’homéoprotéine Engrailed. C<strong>et</strong>te réponse<br />
requière l’internalisation <strong>de</strong> la protéine par les cônes <strong>et</strong> repose sur une régulation <strong>de</strong><br />
la traduction locale <strong><strong>de</strong>s</strong> ARN messagers <strong><strong>de</strong>s</strong> cônes par l’homéoprotéine, sans<br />
implication <strong>de</strong> la transcription. Cela nous a amené à développer le travail le long <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux axes. D’une part vérifier que ce mécanisme opère in vivo au moment <strong>de</strong> la mise<br />
en place <strong><strong>de</strong>s</strong> connexion r<strong>et</strong>ine-tectum. D’autre part i<strong>de</strong>ntifier les ARN messagers<br />
régulés au niveau traductionnel après internalisation <strong>de</strong> l’homéoprotéine.<br />
La partie in vivo implique une collaboration avec Andrea Wizenmann <strong>et</strong><br />
Wolfgang Wurst (Tübingen <strong>et</strong> Munich, Allemagne), <strong>et</strong> Christine Holt (Cambridge,<br />
UK). Elle est pratiquement achevée <strong>et</strong> sera renvoyée, sous la forme d’un manuscrit<br />
révisé, à la revue Neuron dans les semaines qui viennent. Dans ce manuscrit nous<br />
démontrons sans ambiguïté les faits suivants :<br />
1. Engrailed (En1 <strong>et</strong> En2) sont exprimés à la surface du tectum selon un gradient<br />
antéro-postérieur. La quantité <strong>de</strong> protéine à la surface correspond à 5 % <strong>de</strong> son<br />
contenu nucléaire.<br />
2. La neutralisation <strong>de</strong> la protéine extracellulaire in vivo entraîne une projection<br />
ectopique <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones temporaux dans les domaines postérieurs du tectum.<br />
3. C<strong>et</strong>te activité d’Engrailed se fait en coopération avec les Ephrins, l’EphrinA5<br />
en particulier.<br />
Nous pouvons donc conclure que le transfert in vivo <strong>de</strong> l’homéoproteine<br />
Engrailed est nécessaire au patterning <strong><strong>de</strong>s</strong> projections <strong>de</strong> la rétine sur le tectum.<br />
Pour ce qui est <strong>de</strong> la caractérisation <strong><strong>de</strong>s</strong> messagers traduits, nous avons utilisé<br />
une approche par puces à ADN en comparant dans diverses situations (Engrailed<br />
internalisé ou non) le population <strong><strong>de</strong>s</strong> messagers en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> traduction (sur les<br />
polysomes). Nous avons aujourd’hui une dizaine <strong>de</strong> candidats sérieux qui seront<br />
bientôt testés (en collaboration avec le laboratoire <strong>de</strong> Christine Holt). Parmi ces<br />
candidats nous avons eu la surprise <strong>de</strong> trouver <strong><strong>de</strong>s</strong> messagers mitochondriaux <strong>et</strong><br />
nous développons, sur c<strong>et</strong>te base, l’hypothèse selon laquelle l’internalisation<br />
d’Engrailed entraîne une augmentation <strong>de</strong> l’activité du complexe I <strong>et</strong> la synthèse
262 ALAIN PROCHIANTZ<br />
d’ATP. C<strong>et</strong> ATP pourrait avoir une activité intracellulaire, mais aussi extracellulaire<br />
après sécrétion <strong>et</strong> fixation sur <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs purinergiques. Nous testons<br />
actuellement c<strong>et</strong>te hypothèse en mesurant l’ATP extracellulaire <strong>et</strong> en vérifiant si la<br />
réponse à Engrailed est modifiée par <strong><strong>de</strong>s</strong> agents pharmacologique interférant avec<br />
la voie <strong>de</strong> signalisation purinergique.<br />
Pério<strong>de</strong> critique<br />
Dans ce travail (collaboration avec Takao Hensch, Harvard Medical School,<br />
Boston, USA) nous avons démontré que la capture <strong>de</strong> l’homéoprotéine Otx2 par<br />
les interneurones GABAergiques à parvalbumine (couches 3 <strong>et</strong> 4 du cortex visuel<br />
binoculaire) ouvre la pério<strong>de</strong> critique (plasticité corticale) au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la maturation<br />
post-natale su système visuel. Ce travail fondé sur <strong><strong>de</strong>s</strong> pertes <strong>et</strong> gain <strong>de</strong> fonction<br />
d’Otx2 <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> enregistrements électrophysiologiques est actuellement sous presse<br />
(Sugiyama <strong>et</strong> al., Cell, 134, 508-520, 2008).<br />
Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong> nous avons observé qu’Otx2 infusé dans le cortex est<br />
spécifiquement internalisé par les neurones GABA à parvalbumine, suggérant un<br />
mécanisme <strong>de</strong> reconnaissance spécifique. Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année écoulée nous avons<br />
accumulé <strong><strong>de</strong>s</strong> données qui soutiennent l’hypothèse <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> sites <strong>de</strong> fixation<br />
constitués par <strong><strong>de</strong>s</strong> sucres complexes (glycosaminogycans). Nous avons i<strong>de</strong>ntifié<br />
dans la séquence d’Otx2 un domaine <strong>de</strong> 12 aci<strong><strong>de</strong>s</strong> aminés responsable <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />
reconnaissance. La prochaine étape est donc <strong>de</strong> tester l’importance physiologique<br />
<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te reconnaissance en la bloquant in vivo au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> critique. Un<br />
autre point important est <strong>de</strong> comprendre le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> transduction du signal. Nous<br />
le faisons en recherchant les cibles transcriptionnelles <strong>et</strong> traductionnelle d’Otx2<br />
dans les neurones GABA à parvalbumine.<br />
Modélisation<br />
En collaboration avec David Holcman (Ecole normale supérieure), nous avons<br />
développé <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles pour tester les différents paramètres, tout particulièrement<br />
la robustesse, <strong>de</strong> ce mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> signalisation au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la mise en place <strong>de</strong> gradients<br />
morphogénétiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong> frontières entre territoires au sein du<br />
neuroépithélium. Reprenant les propriétés d’auto-activation <strong>et</strong> d’inhibition<br />
réciproque <strong><strong>de</strong>s</strong> homéoprotéines exprimées <strong>de</strong> part <strong>et</strong> d’autre d’une frontière, nous<br />
avons calculé que ce mécanisme, proche <strong>de</strong> celui proposé par Turing en 1952, est<br />
plausible <strong>et</strong> compatible avec les données <strong>de</strong> la littérature. Ces calculs ont été publiés<br />
(Holcman <strong>et</strong> al. J. Theor<strong>et</strong>ical Biol. 249, 503-517, 2007 ; Kasatkin <strong>et</strong> al., Bull<strong>et</strong>in<br />
of Mathematical Biology, 70, 156-178, 2008).
PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 263<br />
Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> technologiques <strong>et</strong> applications thérapeutiques<br />
Gliomes<br />
Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules souches adultes présentes dans le système nerveux<br />
central, Isabelle Caillé avait observé l’expression, dans l’hippocampe, <strong>de</strong> HOP<br />
(homeodomain only proteins) qui, comme son nom l’indique, est presque<br />
uniquement constituée d’un domaine <strong>de</strong> fixation à l’ADN (l’homéodomaine).<br />
Nous avons démontré, par perte <strong>et</strong> gain <strong>de</strong> fonction, que c<strong>et</strong>te mini-protéine est<br />
un anti-oncogène pour les cellules neurales souches adultes <strong>de</strong> l’hippocampe. C<strong>et</strong>te<br />
fonction est exercée à travers le contrôle <strong>de</strong> la mort programmée <strong>de</strong> ces précurseurs<br />
neuronaux. Grâce à une collaboration avec Ariel Ruiz i Altaba (Faculté <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine<br />
<strong>de</strong> Genève, CH), nous avons comparé l’expression <strong>de</strong> HOP dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus sains<br />
<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules souches tumorales <strong>de</strong> gliomes humains. HOP est réprimé dans ces<br />
cellules souches tumorales <strong>et</strong> l’induction <strong>de</strong> son expression les fait entrer en<br />
apoptose, suggérant un rôle important <strong>de</strong> HOP dans le processus oncogénique<br />
(De Toni <strong>et</strong> al. Neural Dev. 3, 13, 2008).<br />
Glaucome<br />
Le glaucome est provoqué par la mort <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules ganglionnaires rétiniennes<br />
(RGCs). Les causes <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te mort ne sont pas établies avec certitu<strong>de</strong>, même si l’idée<br />
prédominante implique une augmentation anormale <strong>de</strong> la pression intraoculaire.<br />
Sur la base d’observations préliminaires, nous avons formé l’hypothèse d’un<br />
contrôle <strong>de</strong> la survie <strong><strong>de</strong>s</strong> RGCs par le passage <strong>de</strong> la protéine Otx2 entre les cellules<br />
bipolaires <strong>et</strong> les RGCs. Dans le cadre d’un contrat industriel avec Fovea-SA, nous<br />
avons mis au point <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles in vitro <strong>et</strong> in vivo perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> tester les propriétés<br />
protectrices d’Otx2 sur la mort <strong><strong>de</strong>s</strong> RGCs adultes. Nos résultats suggèrent qu’Otx2<br />
internalisé par les RGCs protège ces neurones contre une mort induite soit par<br />
l’axotomie (in vitro) soit par une neurotoxicité glutamatergique (in vivo). Les<br />
hypothèses sur le rôle d’Otx2 comme protéine thérapeutique ont donné lieu à un<br />
dépôt <strong>de</strong> brev<strong>et</strong>.<br />
Maladie <strong>de</strong> Parkinson<br />
L’homéoprotéine Engrailed (En1 <strong>et</strong> En2) est exprimée, chez l’adulte, dans les<br />
noyaux dopaminergiques (DA) du mésencéphale, qui dégénèrent dans la maladie<br />
<strong>de</strong> Parkinson. Au <strong>cours</strong> d’un travail publie en 2007 (Sonnier <strong>et</strong> al., J. Neurosci.,<br />
27, 1063-1071, 2007), nous avions rapporté que la délétion d’un seul allèle En1<br />
(donc un allèle Engrailed sur quatre) s’accompagne d’une mort progressive <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
neurones DA chez l’adulte. C<strong>et</strong>te observation <strong>et</strong> d’autres raisons, que je ne<br />
développe pas, nous ont conduits a proposer qu’Engrailed pouvait se trouver dans<br />
le circuit génétique <strong>de</strong> la maladie <strong>de</strong> Parkinson. Depuis nous avons donné du poids<br />
à c<strong>et</strong>te hypothèse en démontrant qu’Engrailed internalisé par les neurones DA<br />
protège in vitro <strong>et</strong> in vivo contre leur mort spontanée, mais aussi induite par le<br />
MPP+, une drogue qui s’attaque au Complexe I mitochondrial. Nous sommes
264 ALAIN PROCHIANTZ<br />
actuellement en train d’i<strong>de</strong>ntifier les cibles transcriptionnelles <strong>et</strong> traductionnelles<br />
qui perm<strong>et</strong>traient d’expliquer c<strong>et</strong>te protection. A ce jour nous avons plusieurs<br />
cibles candidates dont nous vérifions la validité dans <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles in vivo. Parmi<br />
ces cibles, on r<strong>et</strong>rouve <strong><strong>de</strong>s</strong> messagers encodant <strong><strong>de</strong>s</strong> protéine du complexe I, ce qui<br />
— à travers la piste purinergique — trace un lien avec les <strong>travaux</strong> décrits plus haut<br />
sur le guidage <strong><strong>de</strong>s</strong> axones.<br />
Articles<br />
Publications <strong>et</strong> brev<strong>et</strong>s 2007-2008<br />
1. D. Holcman, V. Kasatkin & A. Prochiantz. (2007). Mo<strong>de</strong>ling homeoprotein<br />
intercellular transfer unveils a parsimonious mechanism for gradient and boundary formation<br />
in early brain <strong>de</strong>velopment. J. Theor. Biol., 249, 503-517.<br />
2. L. Sonnier, G. Le Pen, A. Hartman, J.-C. Bizot, F. Trovero, M.-O. Krebs &<br />
A. Prochiantz (2007). Progressive loss of dopaminergic neurons in the ventral midbrain of<br />
adult mice h<strong>et</strong>erozygote for Engrailed1 : a new gen<strong>et</strong>ic mo<strong>de</strong>l for neurological and psychiatric<br />
disor<strong>de</strong>rs. J. Neurosci., 27, 1063-1071.<br />
3. A. Di Nardo, S. Ne<strong>de</strong>lec (co-first), A. Trembleau, M. Volovitch, A. Prochiantz* & ML<br />
Montesinos (2007). Dendritic localization and activity-<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt translation of En1<br />
homeodomain transcription factor mRNA. Mol. Cell. Neurosci., 35, 230-236.<br />
4. A. von Holst, U. Egbers, A. Prochiantz & A. Faissner. (2007). Neural stem cell/<br />
progenitor cells express 20 tenascin isoforms that are differentially regulated by Pax6. J. Biol.<br />
Chem., 282, 9172-9181.<br />
5. B. Lesaffre, A. Joliot, A. Prochiantz & M. Volovitch. (2007). Direct non-cell autonomous<br />
Pax6 activity regulates eye <strong>de</strong>velopment in the zebrafish. Neural Development, 2, 2.<br />
6. E. Dupont, A. Prochiantz & A. Joliot (2007). I<strong>de</strong>ntification of a signal pepti<strong>de</strong> for<br />
unconventional secr<strong>et</strong>ion. J. Biol. Chem., 282, 8894-9000.<br />
7. V. Kasatkin, A. Prochiantz & D. Holcman (2008). Morphogen<strong>et</strong>ic gradients and the<br />
stability of boundaries b<strong>et</strong>ween neighbouring morphogen<strong>et</strong>ic regions. Bull<strong>et</strong>in of Mathematical<br />
Biology, 70, 156-178.<br />
8. A. De Toni, M. Zbin<strong>de</strong>n, J.A. Epstein, A. Ruiz, I. Altaba, A. Prochiantz & I. Caillé.<br />
(2008). Regulation of survival in adult hippocampal stem cell lineages by the homeodomain<br />
only protein HOP. Neural. Dev. 3, 13.<br />
9. S. Sugiyama, A. Di Nardo, S. Aizawa, I. Matsuo, M. Volovitch, A. Prochiantz* & TK<br />
Hensch*. (2008). Experience-<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt transport of Otx2 homeoprotein in the visual<br />
pathway activates postnatal cortical plasticity. Cell., 134, 508-520.<br />
Revues <strong>et</strong> commentaires<br />
1. I. Brun<strong>et</strong>, A. Di Nardo, L. Sonnier, M. Beur<strong>de</strong>ley & A. Prochiantz. Shaping neural<br />
pathways with messenger homeoproteins (2007). Trends in Neurosciences, 30, 260-267.<br />
2. A. Prochiantz. (2007). A protein fusion a day keeps the aggregates away. Molecular<br />
Therapy, 15, 226-227.<br />
3. Agid, Y. <strong>et</strong> al. (2007). How can drug discovery for psychiatric disor<strong>de</strong>rs be improved ?<br />
Nature Reviews Drug Discovery, 6, 189-201.<br />
4. A. Prochiantz. (2007). For protein transduction, chemistry can win over biology. Nat.<br />
M<strong>et</strong>hods, 4, 119-120.
Brev<strong>et</strong>s<br />
PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 265<br />
1. A. Prochiantz & K. Moya. Utilisation d’une Homéoprotéine <strong>de</strong> la famille Bicoïd pour<br />
le traitement du Glaucome. 9 janvier 2008, N° 08/00110.<br />
Conférences 2007-2008<br />
1. 7 th me<strong>et</strong>ing of the German Neuroscience Soci<strong>et</strong>y. Göttingen, Germany, March 29 th -<br />
April 1 st 2007.<br />
2. Molecular mechanisms in neural patterning and differentiation. CEINGE, Napoli<br />
April 20 th -22 nd 2007.<br />
3. Designing the Body Plan: Developmental mechanisms. June 4 th -8 th , Lei<strong>de</strong>n Lorentz<br />
center, 2007.<br />
4. 6 th international Symposium Neuronal mechanisms of Vision. Ruhr Universtät<br />
Bochum October 11 th -13 th , 2007.<br />
5. Brain Diseases and Molecular machines. March 25-28, Paris, <strong>France</strong>. Keynote<br />
lecture.<br />
6. Visual System Development Gordon Conference; August 10-15 2008, Newport<br />
Rho<strong>de</strong> Island, USA.<br />
7. The Cell-Pen<strong>et</strong>rating Pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> (CPP) Satellite Me<strong>et</strong>ing. 30-31 August 2008. Helsinki.<br />
Keynote lecture.<br />
8. Chemistry and Biology Symposium of the Japan Soci<strong>et</strong>y of Bioscience, Biotechnology<br />
and Agrochemistry. Nagoya September 27 th 2008. Keynote lecture.
I. Enseignement<br />
Immunologie moléculaire<br />
M. Philippe Kourilsky, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />
Le <strong>cours</strong> 2007-2008 a porté sur « Les systèmes immunitaires dans l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
espèces ». Il est accessible sur le site du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, <strong>et</strong> on n’évoquera ici que<br />
les enjeux scientifiques les plus importants.<br />
Tous les êtres vivants sont dotés <strong>de</strong> mécanismes <strong>de</strong> défense qui protègent leur<br />
intégrité <strong>et</strong> peuvent, au prix d’une extension <strong>de</strong> langage, être qualifiés d’immunitaires.<br />
Ainsi, certaines bactéries se défen<strong>de</strong>nt contre l’intrusion d’ADN extérieur (bactérien<br />
ou viral) par le système <strong>de</strong> restriction-modification. Les plantes possè<strong>de</strong>nt un<br />
système immunitaire développé, <strong>de</strong> même que les invertébrés. Bien entendu, le<br />
point <strong>de</strong> référence habituel est le système immunitaire <strong><strong>de</strong>s</strong> mammifères,<br />
principalement, celui <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> <strong>de</strong> la souris.<br />
Les approches expérimentales habituelles se sont récemment enrichies <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
analyses génomiques qui sont pratiquées sur un nombre croissant d’organismes.<br />
A partir <strong>de</strong> la séquence du génome entier d’une espèce donnée, on extrait, in silico,<br />
le sous-ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes impliqués dans les défenses immunitaires, i.e.<br />
l’immunome. On peut rechercher <strong><strong>de</strong>s</strong> filiations génétiques, tenter d’i<strong>de</strong>ntifier<br />
l’origine évolutive <strong>de</strong> tel ou tel gène, <strong>et</strong> se livrer à <strong><strong>de</strong>s</strong> comparaisons <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> hypothèses<br />
sur l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions.<br />
L’immunome <strong>de</strong> l’homme contient entre 5 % <strong>et</strong> 8 % <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes humains. Son<br />
périmètre est fonction <strong>de</strong> la définition du système immunitaire que l’on adopte <strong>et</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> appréciations que l’on porte sur la fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes. On y repère la<br />
classification majeure, produite par <strong><strong>de</strong>s</strong> décennies <strong>de</strong> recherche, entre immunité<br />
adaptative <strong>et</strong> immunité innée. La génération <strong>de</strong> la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> anticorps <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
récepteurs <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules T figure parmi les traits caractéristiques <strong>de</strong> l’immunité<br />
adaptative. C<strong>et</strong>te question a fasciné les immunologistes qui recherchent <strong>de</strong>puis<br />
longtemps leurs origines évolutives, au travers notamment <strong><strong>de</strong>s</strong> homologues <strong><strong>de</strong>s</strong>
268 PHILIPPE KOURILSKY<br />
gènes du Complexe Majeur d’Histocompatibilité (ou CMH). Toutefois, <strong>de</strong>puis<br />
1996, leur attention s’est à nouveau portée sur les gènes <strong>de</strong> l’immunité innée <strong>et</strong><br />
sur plusieurs familles <strong>de</strong> récepteurs qui agissent comme détecteurs <strong>de</strong> différentes<br />
classes d’agents infectieux.<br />
On s’est livré, au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> premières leçons, à une analyse « <strong><strong>de</strong>s</strong>cendante » <strong>de</strong><br />
l’immunité adaptative <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’immunité innée, partant <strong>de</strong> l’homme pour abor<strong>de</strong>r<br />
successivement les mammifères, d’autres vertébrés <strong>et</strong> enfin les invertébrés <strong>et</strong> les<br />
plantes. Une analyse transversale a conclu l’ensemble du <strong>cours</strong>.<br />
On observe que l’immunité adaptative, très développée <strong>et</strong> sophistiquée chez<br />
l’homme <strong>et</strong> chez la souris, l’est moins chez <strong><strong>de</strong>s</strong> mammifères plus anciens, les<br />
oiseaux <strong>et</strong> les poissons. Elle est absente chez les invertébrés. La frontière se situe<br />
entre poissons avec <strong>et</strong> sans mâchoires, les premiers disposant d’anticorps <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
CMH <strong>et</strong> les autres pas. Mais l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la lamproie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la myxine a montré que<br />
celles-ci fabriquent <strong><strong>de</strong>s</strong> anticorps d’un type totalement différent, caractérisés par<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> motifs moléculaires dits LRR (Leucine Rich Repeats) <strong>et</strong> non par <strong><strong>de</strong>s</strong> modules<br />
<strong>de</strong> type IgSF <strong>de</strong> la superfamille <strong><strong>de</strong>s</strong> immunoglobulines. Contrairement à ce que<br />
l’on avait cru, il n’y a donc pas eu une solution évolutive unique à la question <strong>de</strong><br />
la génération <strong>de</strong> la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> anticorps.<br />
Dans le même temps, on s’est aussi rendu compte que l’immunité innée est<br />
d’une complexité inattendue, en tant que telle, tout comme dans ses articulations<br />
avec l’immunité adaptative. Elle est particulièrement développée chez certains<br />
mammifères comme l’opossum. Chez ce <strong>de</strong>rnier, la phase <strong>de</strong> croissance extraplacentaire<br />
du nouveau-né implique que, pendant plusieurs semaines, sa survie<br />
dépend essentiellement <strong>de</strong> son immunité innée, qui semble effectivement très<br />
diversifiée.<br />
Les invertébrés n’ont pas d’immunité adaptative, mais leur immunité innée est<br />
parfois très sophistiquée, ce dont l’immunome <strong>de</strong> l’oursin donne un exemple.<br />
Dans tous les cas, on observe à la fois une forte conservation verticale <strong>de</strong> certains<br />
gènes qui représentent probablement une innovation évolutive critique, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
expansions horizontales, variables d’une espèce à l’autre, parfois considérables,<br />
m<strong>et</strong>tant en jeu jusqu’à <strong><strong>de</strong>s</strong> centaines <strong>de</strong> gènes. De plus, certains gènes donnent lieu<br />
à <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes d’épissage alternatif qui en diversifient les produits.<br />
Les plantes disposent d’un système d’immunité innée qui présente <strong>de</strong> nombreuses<br />
homologies avec celui <strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> invertébrés. Elles possè<strong>de</strong>nt un <strong>de</strong>uxième<br />
dispositif qui s’apparente à l’immunité adaptative, bien que fondé sur <strong><strong>de</strong>s</strong> agents<br />
moléculaires radicalement distincts, puisqu’il s’agit <strong><strong>de</strong>s</strong> p<strong>et</strong>its ARN interférants.<br />
La découverte, récente, <strong>de</strong> l’interférence ARN est l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> plus importantes <strong><strong>de</strong>s</strong> dix<br />
<strong>de</strong>rnières années. Les plantes l’utilisent pour se défendre contre les virus, mais le<br />
dispositif est plus largement exploité pour la lutte contre l’invasion <strong>de</strong> transposons <strong>et</strong><br />
la surveillance <strong>de</strong> l’intégrité du génome. Ces observations ont conduit à rechercher<br />
l’importance éventuelle <strong>de</strong> l’interférence ARN dans les systèmes immunitaires <strong><strong>de</strong>s</strong>
IMMUNOLOGIE MOLÉCULAIRE 269<br />
mammifères. Il est probable que ces <strong>de</strong>rniers exploitent effectivement ce mécanisme.<br />
Ils l’utilisent aussi pour surveiller l’intégrité du génome, mais s’en servent<br />
indirectement dans l’immunité adaptative, i.e. dans <strong><strong>de</strong>s</strong> processus <strong>de</strong> régulation<br />
plutôt que <strong>de</strong> reconnaissance directe. On soulignera que certains agents infectieux<br />
synthétisent <strong>de</strong> p<strong>et</strong>its ARN interférants pour circonvenir les défenses cellulaires.<br />
Dans ce cas, comme dans bien d’autres, on trouve les traces du combat évolutif entre<br />
les agents infectieux <strong>et</strong> leurs hôtes dans la multiplicité <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes d’échappement<br />
inventés par les agents infectieux <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> contre-systèmes développés par leurs hôtes.<br />
L’analyse évolutive <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes immunitaires induit donc un décentrage du<br />
regard. L’attention <strong><strong>de</strong>s</strong> immunologistes reste, très légitimement, concentrée sur<br />
l’homme, <strong>de</strong> même que sur la souris qui est censée lui servir — fort imparfaitement<br />
d’ailleurs — <strong>de</strong> modèle. La découverte d’autres principes fondateurs <strong>de</strong> l’immunité<br />
montre que, même pour une invention évolutive jugée remarquable, il y a plusieurs<br />
solutions. Ainsi, il existe chez les vertébrés au moins <strong>de</strong>ux catégories d’anticorps<br />
possibles, <strong>et</strong> les p<strong>et</strong>its ARN interférents constituent chez les plantes un système que<br />
l’on peut considérer comme adaptatif. De même, au niveau moléculaire, l’évolution<br />
a sélectionné au moins <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> colles « universelles » : les molécules à LRR<br />
<strong>et</strong> les modules <strong>de</strong> type IgSF. Au <strong>de</strong>meurant, les <strong>de</strong>ux sont utilisés, non seulement<br />
dans l’immunité adaptative, mais aussi dans l’immunité innée. L’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
récepteurs <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules NK chez l’homme <strong>et</strong> la souris fournit d’ailleurs un bel<br />
exemple d’évolution convergente, leur structure étant distincte <strong>et</strong> leur fonction<br />
quasi-i<strong>de</strong>ntique. Il n’y a donc aucune relation bi-univoque entre motifs structuraux<br />
<strong>et</strong> telle ou telle fonction <strong>de</strong> l’immunité adaptative ou innée.<br />
Ce qui brouille plus encore le tableau limpi<strong>de</strong> que propose la distinction<br />
académique entre immunité innée <strong>et</strong> immunité adaptative, est la notion d’immunité<br />
anticipative. Les vastes expansions génétiques observées dans <strong><strong>de</strong>s</strong> familles <strong>de</strong> gènes<br />
<strong>de</strong> l’immunité innée suggèrent qu’elles correspon<strong>de</strong>nt à une forme d’adaptation<br />
<strong>et</strong>/ou <strong>de</strong> sélection à telle ou telle niche écologique. Mais faut-il nécessairement en<br />
conclure que chaque gène a été sélectionné <strong>de</strong> façon précise, par exemple pour<br />
lutter contre un agent infectieux donné présent dans la niche en question ? On<br />
peut imaginer à l’inverse que certains dispositifs <strong>de</strong> l’immunité innée sont<br />
anticipatifs en ce sens qu’ils produisent (par diversification génétique <strong>et</strong> épissage<br />
alternatif), un jeu <strong>de</strong> structures capables d’anticiper la survenue <strong>de</strong> nouveaux<br />
agents infectieux, ou <strong>de</strong> variantes <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers. Le gène unique DSCAM, chez<br />
la drosophile, peut produire par épissage alternatif quelques 38 000 isoformes. Il<br />
sert à la diversification <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones, mais apparemment aussi dans l’immunité<br />
innée, <strong>et</strong> pourrait bien être un prototype <strong>de</strong> dispositif anticipatif. L’immunité<br />
anticipative pourrait donc faire le lien entre <strong>de</strong>ux catégories conceptuelles traitées<br />
jusqu’à présent <strong>de</strong> façon trop distincte.<br />
L’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes immunitaires dans l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces est donc riche<br />
d’enseignements. Elle ne se contente pas <strong>de</strong> nourrir l’histoire naturelle : elle est<br />
aussi source <strong>de</strong> nouveaux concepts.
270 PHILIPPE KOURILSKY<br />
Le séminaire <strong>de</strong> la chaire a été organisé sous forme <strong>de</strong> colloque :<br />
Titre : « L’Arche <strong>de</strong> Noé immunologique : L’immunité chez les êtres <strong><strong>de</strong>s</strong> airs, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
eaux <strong>et</strong> <strong>de</strong> la terre » (« Noah’s Ark and the Immune System : Immunity in<br />
living creatures from the sky, the water, and the earth »).<br />
Date : Mardi 8 avril 2008.<br />
Lieu : Amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>)<br />
Organisateurs : Philippe Kourilsky <strong>et</strong> Dominique Buzoni-Gatel (INRA)<br />
Intervenants / Programme :<br />
AN OVERVIEW :<br />
• Louis Du Pasquier, University of Basel, Switzerland.<br />
IMMUNE DEFENSES IN PLANTS :<br />
• Olivier Le Gall, INRA Bor<strong>de</strong>aux, <strong>France</strong>.<br />
— Multiple resistant traits control infection in plants<br />
• Olivier Voinn<strong>et</strong>, CNRS Strasbourg, <strong>France</strong>.<br />
— RNA Silencing pathways and anti viral <strong>de</strong>fense in plants<br />
BUGS AND INFECTION<br />
• Elena Levashina, CNRS Strasbourg, <strong>France</strong>.<br />
— Immunity in disease-vector mosquitoes<br />
• Christine Coustau, Institut Pasteur Lille, <strong>France</strong>.<br />
— Immunity in parasite-vector molluscs<br />
• Noël Tordo, Institut Pasteur Paris, <strong>France</strong><br />
— Bats as carrier of human diseases, strategies of prevention<br />
• Jean-Michel Escoubas, University of Montpellier, <strong>France</strong><br />
— X-tox : a new family of immune related protein specific to Lepidoptera.<br />
• Jonathan Ewbank, University of Marseille Luminy, <strong>France</strong><br />
— Resistance to fungal infection in Caenorhabditis elegans<br />
THE IMMUNE SYSTEM IN CREATURES FROM WATER<br />
• Pierre Boudinot, INRA Jouy-en-Josas, <strong>France</strong><br />
— A functional analysis of rainbow trout immune system<br />
• Jean-Pierre Levraud, Institut Pasteur Paris, <strong>France</strong><br />
— The zebrafish, an enlightening tool to study the immune system in fish<br />
THE HEN OR THE EGG<br />
• Yves Nys, INRA Nouzilly, <strong>France</strong><br />
— Eggs have their own antimicrobial <strong>de</strong>fense systems
IMMUNOLOGIE MOLÉCULAIRE 271<br />
• P<strong>et</strong>er Kaiser, Compton University, UK<br />
— Cytokines, chemokines and their implication in resistance to chicken<br />
infection (in ovo vaccination).<br />
• Jim Kaufman, University of Cambridge, UK<br />
— The genomic organisation of the chicken MHC leads to gene coevolution,<br />
resistance to infection and insight into the origin of the adaptive<br />
immune system.<br />
• Véronique Jestin, AFSSA Ploufragan, <strong>France</strong><br />
— Vaccination against avian influenza infection<br />
CONCLUSION<br />
• Philippe Kourilsky, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Paris, <strong>France</strong><br />
II. Conférences <strong>et</strong> colloques, interventions publiques<br />
Date Conférence ou Table ron<strong>de</strong> Lieu<br />
11.09.2007 Colloque « Les sciences à l’UNESCO : quelle<br />
implication pour la <strong>France</strong> ? »<br />
Table ron<strong>de</strong> : Développement Durable <strong>et</strong> environnement<br />
: « Présentation <strong>de</strong> Facts »<br />
10.10.2007 Conférence (CAS Albert Einstein Visiting Professorship)<br />
: « Health and Sustainable Development<br />
: What can Science do ? »<br />
12.10.2007 Conférence (CAS Albert Einstein Visiting Professorship)<br />
: « The Birth of Systems Immunology,<br />
How it may help fighting infectious diseases »<br />
23.10.2007 Symposium « Animal Genomics for Animal<br />
Health » [Organisation Mondiale <strong>de</strong> la Santé<br />
Animale (OIE)] : « The Human Genome and<br />
biomedicine : past and future impacts »<br />
06.11.2007 Chaire Santé <strong>et</strong> développement du CNAM :<br />
« La recherche sur les maladies oubliées dans le<br />
mon<strong>de</strong> »<br />
26.11.2007 Atelier technologique Société Française d’Immunologie<br />
(SFI) : « Les approches globales <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
répertoires immunitaires, <strong>de</strong> la recherche au diagnostic<br />
ex-vivo » : « Répertoires Immunitaires :<br />
Analyse du système immunitaire humain (cellules<br />
T <strong>et</strong> B) »<br />
Sénat, Palais du Luxembourg,<br />
Paris.<br />
Capital Medical University<br />
Pekin (Chine)<br />
Wuhan Institute of Virology<br />
(Chinese Aca<strong>de</strong>my of<br />
Sciences)<br />
Organisation Mondiale <strong>de</strong><br />
la Santé Animale (OIE) à<br />
Paris<br />
Conservatoire national <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
arts <strong>et</strong> métiers à Paris<br />
Ecole normale supérieure<br />
<strong>de</strong> Lyon (ENS)
272 PHILIPPE KOURILSKY<br />
Date Conférence ou Table ron<strong>de</strong> Lieu<br />
06.12.2007 5 e Forum Mondial du Développement Durable<br />
(FMDD), Session « régulation sanitaire, démographie<br />
<strong>et</strong> migrations » : « La question <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies<br />
négligées »<br />
28.01.2008 « Ren<strong>de</strong>z-vous parisiens » sur Radio Aligre.<br />
Emission consacrée au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (avec<br />
Michel Zink)<br />
15.04.2008 4 th Biomedical Asia : « The evolving biomedical<br />
science and industry »<br />
21.05.2008 Conférence organisée par l’association « Sciences<br />
Po pour l’Afrique : « La recherche dans le<br />
domaine <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies infectieuses, <strong>de</strong> la santé<br />
mondiale, <strong><strong>de</strong>s</strong> partenariats publics privés, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
enjeux, <strong>et</strong>c. »<br />
23.05.2008 Colloque Informatique <strong>et</strong> Bioinformatique<br />
(dans le cadre <strong>de</strong> la Chaire d’innovation technologique<br />
- Liliane B<strong>et</strong>tencourt - Prof. G. Berry) :<br />
« Le système immunitaire, un grand système d’information<br />
»<br />
06.06.2008 Conférence CLAS (pour le personnel CdF) :<br />
« Santé <strong>et</strong> Développement durable : Que peut faire<br />
la Science ? »<br />
III. Recherche<br />
Sénat, Palais du Luxembourg,<br />
Paris.<br />
Locaux <strong>de</strong> Radio Aligre,<br />
Paris<br />
Suntec Singapore International<br />
Convention and<br />
Exhibition Centre (Singapour)<br />
Sciences Po à Paris<br />
Amphithéâtre Marguerite<br />
<strong>de</strong> Navarre, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong><br />
Amphi Budé, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong><br />
Les activités <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> la Chaire d’Immunologie Moléculaire sont désormais<br />
conduites au sein <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux entités aux localisations distinctes.<br />
1. A Paris, dans l’U668 <strong>de</strong> l’INSERM (Directeur : J. Di Santo) en collaboration<br />
avec le groupe animé par A. Ban<strong>de</strong>ira, dans l’Unité dirigée par A. Cumano<br />
(cf. 1 er thème).<br />
2. A Singapour, au sein du Singapore Immunology N<strong>et</strong>work (SIgN), présidé par<br />
Philippe Kourilsky. SIgN, financé par l’Agence gouvernementale A*STAR, inclut<br />
un centre <strong>de</strong> recherches qui comprend 6 000 m 2 <strong>de</strong> laboratoires (cf. Annexe), où<br />
Philippe Kourilsky anime plus particulièrement <strong>de</strong>ux groupes <strong>de</strong> recherche<br />
(thèmes 2 <strong>et</strong> 3).
IMMUNOLOGIE MOLÉCULAIRE 273<br />
1 er thème : Répertoires <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules immunitaires <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules T<br />
régulatrices <strong>de</strong> la souris (A. Ban<strong>de</strong>ira, A. Lim)<br />
a) Poursuite <strong>de</strong> l’amélioration <strong>de</strong> l’Immunoscope (A. Lim)<br />
L’immunoscope reste une méthodologie <strong>de</strong> référence, très puissante pour étudier<br />
les répertoires <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules T <strong>et</strong> B. Elle a fait la preuve <strong>de</strong> son utilité dans le suivi<br />
clinique (1), tout autant que dans <strong>de</strong> nombreux problèmes <strong>de</strong> recherche chez la<br />
souris (2). Une amélioration technique importante réalisée en 2007-2008 a consisté<br />
à l’adapter, grâce notamment à l’écriture d’un nouveau logiciel, aux séquenceurs à<br />
capillaires à haut débit (3). D’autres développements en <strong>cours</strong> incluent la mise au<br />
point <strong>de</strong> l’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> chaînes alpha du TCR. Des métho<strong><strong>de</strong>s</strong> d’analyse statistique<br />
perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> mesurer plus rapi<strong>de</strong>ment que par le passé la dimension <strong>et</strong> la diversité<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> répertoires (J. Faro, Vigo, Portugal).<br />
b) Applications à l’immunologie humaine <strong>et</strong> à la clinique (A. Lim)<br />
. L’immunoscope est toujours utilisé pour le suivi d’un groupe d’enfants dont<br />
l’immunodéficience a été corrigée par thérapie génique (A. Fisher, Necker) (4).<br />
. L’adaptation <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> aux cellules B a permis d’entreprendre <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
en allergologie, avec M. Mempel (Munich, Allemagne) (5,6) <strong>et</strong> en <strong>de</strong>rmatologie<br />
avec l’Université <strong>de</strong> Californie (7). De plus, avec Ph. Mus<strong>et</strong>te (Rouen, <strong>France</strong>), une<br />
étu<strong>de</strong> clinique a été entreprise sur la reconstitution <strong><strong>de</strong>s</strong> répertoires B après traitement<br />
du pemphigus vulgaire par l’anti-CD20 (Rituximab) (8).<br />
c) Analyse <strong>de</strong> souris « humanisées » (J. Di Santo, A. Lim)<br />
Il s’agit <strong>de</strong> souris RAG2/γc, qui sont greffées avec <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules souches<br />
hématopoïétiques humaines dérivées <strong>de</strong> foie fœtal humain. La reconstitution <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
répertoires B <strong>et</strong> T est analysée par l’Immunoscope.<br />
d) Etu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules T régulatrices <strong>de</strong> la souris (A. Ban<strong>de</strong>ira)<br />
La dimension <strong><strong>de</strong>s</strong> répertoires <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules T CD4 + CD25 + a été estimée, avec<br />
l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> statistiques évoquées plus haut. Les résultats montrent que les<br />
Treg sont très diverses, avec une taille moyenne <strong><strong>de</strong>s</strong> clones <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux. De<br />
façon remarquable, le répertoire <strong><strong>de</strong>s</strong> Treg ne chevauche quasiment pas celui <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
cellules T naïves, ce qui suggère fortement que les Treg reconnaissent <strong><strong>de</strong>s</strong> ligands<br />
particuliers. Les expériences <strong>de</strong> confirmation avec <strong><strong>de</strong>s</strong> T CD4 + Fox P3 + ont été<br />
réalisées récemment, un article est en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> rédaction.<br />
2 e thème : Analyse systémique <strong><strong>de</strong>s</strong> macrophages humains (Wong Siew Cheng,<br />
SIgN)<br />
Deux populations <strong>de</strong> macrophages CD14 ++ CD16 – (80%) <strong>et</strong> CD14 + CD16 +<br />
(20 %) ont été étudiées. Le sous-ensemble minoritaire semble plus enclin à l’apoptose<br />
spontanée, pourrait être plus cytotoxique, <strong>et</strong> apparaît plus apte à l’adhésion <strong>et</strong> à la
274 PHILIPPE KOURILSKY<br />
migration. Les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> transcriptomique <strong>et</strong> <strong>de</strong> protéomique ont ouvert plusieurs<br />
voies d’investigation <strong>et</strong> hypothèses fonctionnelles. L’intervention <strong>de</strong> ces macrophages<br />
dans divers phénomènes infectieux est à l’étu<strong>de</strong>. La caractérisation <strong><strong>de</strong>s</strong> macrophages<br />
infiltrant <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs a été entreprise. Un modèle <strong>de</strong> co-culture tridimensionnelle in<br />
vitro est en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> mise au point (sphéroï<strong><strong>de</strong>s</strong>) pour étudier dans quelles conditions<br />
ces macrophages peuvent <strong>de</strong>venir pro-tumorigènes.<br />
3 e thème : Analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses immunitaires contre le virus chikungunya<br />
(Lisa Ng, SIgN)<br />
Le virus chikungunya est assez répandu en Asie (particulièrement en In<strong>de</strong>) <strong>et</strong><br />
quelques cas ont été rapportés à Singapour pour la première fois en 2007. Les<br />
<strong>travaux</strong> en <strong>cours</strong> visent à améliorer le diagnostic (les confusions avec l’infection par<br />
le virus <strong>de</strong> la Dengue doivent être évitées), ainsi qu’à i<strong>de</strong>ntifier les épitopes T<br />
immunodominants (avec l’ai<strong>de</strong> d’approches informatiques). Un proj<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
vaccinologie est à l’étu<strong>de</strong>. Un réseau régional <strong>de</strong> collecte d’échantillons <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
partage d’informations est en voie <strong>de</strong> constitution.<br />
Annexe : Singapore Immunology N<strong>et</strong>work (SIgN) http://www.sign.a-star.edu.sg/<br />
SIgN a pour mission <strong>de</strong> stimuler le développement <strong>de</strong> l’immunologie dans l’Etat<br />
<strong>de</strong> Singapour. Conformément au plan élaboré par Ph. Kourilsky en 2006 — plan<br />
approuvé par l’Agence A*STAR, il comprend une plate-forme sur le site <strong>de</strong> Biopolis<br />
<strong>et</strong> un réseau qui inclut les <strong>de</strong>ux universités <strong>et</strong> les institutions hospitalières <strong>de</strong><br />
Singapour. Sous l’impulsion <strong>de</strong> SIgN, a été notamment créée la Société<br />
Singapourienne d’Immunologie (dont le Prési<strong>de</strong>nt Honoraire est Ph. Kourilsky).<br />
Le centre <strong>de</strong> recherches qui se développe dans 6 000 m 2 <strong>de</strong> laboratoires comprend<br />
d’ores <strong>et</strong> déjà une douzaine <strong>de</strong> groupes <strong>de</strong> recherches <strong>et</strong> plus <strong>de</strong> cent chercheurs.<br />
Ces chiffres ont vocation à doubler dans les <strong>de</strong>ux ans à venir. Au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux<br />
<strong>de</strong>rnières années, SIgN a organisé sept colloques internationaux <strong>et</strong> noué <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
relations avec plusieurs institutions renommées, au premier chef le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong>, ainsi que l’Institut Pasteur <strong>et</strong> l’INSERM en <strong>France</strong>, l’Institut Riken au<br />
Japon, l’Institut Karolinska en Suè<strong>de</strong> <strong>et</strong> l’université <strong>de</strong> Milan, en Italie.<br />
IV. Autres activités <strong>et</strong> nouvelles <strong>de</strong> la chaire<br />
• Philippe Kourilsky a été, pour l’année 2007-2008, titulaire <strong>de</strong> la chaire Albert<br />
Einstein <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences en Chine (CAS Albert Einstein Visiting<br />
Professorship). Il a, à ce titre, effectué un séjour en Chine, principalement à Pékin<br />
(conférence au « Capital Medical University Pekin ») <strong>et</strong> à Wu-han, où se trouve un<br />
institut <strong>de</strong> virologie (conférence au Wuhan Institute of Virology), chargé entre<br />
autres, du pilotage du laboratoire <strong>de</strong> haute sécurité BLS-4. Ce <strong>de</strong>rnier est en <strong>cours</strong><br />
<strong>de</strong> construction dans le cadre d’un partenariat franco-chinois qui avait été mis en<br />
place sous l’égi<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Prési<strong>de</strong>nts <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux Républiques <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> Chine en<br />
2005 lors <strong>de</strong> la visite en <strong>France</strong> <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier. P. Kourilsky a co-présidé pendant<br />
2 ans le groupe <strong>de</strong> suivi.
IMMUNOLOGIE MOLÉCULAIRE 275<br />
• Le comité exécutif <strong>de</strong> l’Institut National <strong>de</strong> la Recherche Scientifique (INRS)/<br />
Université <strong>de</strong> Québec a renouvelé le mandat à titre <strong>de</strong> Professeur associé au Centre<br />
INRS-Institut Armand Frappier jusqu’au 31 mai 2010.<br />
• Philippe Kourilsky a été nommé en 2007, membre <strong>de</strong> la Commission du Livre<br />
Blanc <strong>de</strong> la Diplomatie Française. C<strong>et</strong>te commission présidée par M. Alain Juppé<br />
<strong>et</strong> Louis Schweitzer, a rendu ses conclusions début juill<strong>et</strong> 2008. Le livre blanc a<br />
servi <strong>de</strong> base à un train <strong><strong>de</strong>s</strong> réformes Ministères <strong><strong>de</strong>s</strong> Affaires Etrangères annoncées<br />
fin août 2008 par le Ministère <strong><strong>de</strong>s</strong> Affaires Etrangères à l’occasion <strong>de</strong> la<br />
XI e conférence <strong><strong>de</strong>s</strong> Ambassa<strong>de</strong>urs à Paris (28-29 août 2008).<br />
• L’initiative « FACTS » (Field Action Science)<br />
Développement, humanitaire, santé, éducation, environnement, autant <strong>de</strong><br />
thématiques qui, sans être exhaustives, mobilisent l’intervention <strong>de</strong> nombreux<br />
acteurs, ONG, organisations gouvernementales <strong>et</strong> multilatérales, institutions<br />
académiques, consultants, sur l’ensemble <strong>de</strong> la planète. De ces activités résultent<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances, <strong><strong>de</strong>s</strong> savoir-faire, <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> résolution<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes, qui sont peu ou pas diffusés <strong>et</strong> partagés entre les intervenants <strong>de</strong><br />
terrain. L’initiative FACTS, lancée par Philippe Kourilsky, se présente comme un<br />
outil <strong>de</strong> valorisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> consolidation du capital <strong>de</strong> connaissances produit sur le<br />
terrain, ayant pour objectif d’améliorer l’efficacité <strong><strong>de</strong>s</strong> actions.<br />
La finalité <strong>de</strong> FACTS initiative, promue par Philippe Kourilsky, est <strong>de</strong> collecter<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> diffuser un savoir, <strong><strong>de</strong>s</strong> méthodologies, <strong><strong>de</strong>s</strong> bonnes pratiques à l’ai<strong>de</strong> d’une<br />
revue internationale « FACTS Reports », fonctionnant selon les règles prévalant<br />
dans la communauté scientifique.<br />
La création <strong>de</strong> la revue internationale « FACTS Reports » a été rendue publique<br />
le 12 mars 2007, à Lyon, lors du Forum BioVision.<br />
Site intern<strong>et</strong> : http://www.institut.veolia.org/fr/facts-initiative.aspx<br />
V. Publications<br />
1. A. Bristeau-Leprince, V. Mateo, A. Lim, A. Magerus-Chatin<strong>et</strong>, E. Solary, A. Fischer,<br />
F. Rieux-Laucat and M.-L. Gougeon : Human TCR α/β+ CD4-CD8- double-negative T<br />
cells in patients with autoimmune lymphoproliferative syndrome (ALPS) express restricted<br />
Vβ TCR diversity and are clonally related to CD8+ T cells. J. Immunology (2008).<br />
2. F. Benjelloun, A. Garrigue, D.E. Demerens, C. Chappe<strong>de</strong>laine, P. Soulas-Sprauel,<br />
M. Malassis-Seris, D. Stockholm, J. Hauer, J. Blon<strong>de</strong>au, J. Rivière, A. Lim, M. Le Lorc’h,<br />
S. Romana, N. Brousse, F. Paques, A. Galy, P. Charneau, A. Fischer, J.-P. De Villartay and<br />
M. Cavazzana-Calvo : Stable and functional lymphoid reconstitution in Artemis-<strong>de</strong>ficient<br />
mice following lentiviral Artemis gene transfer into hematopoi<strong>et</strong>ic stem cells. Molecular<br />
Therapy (2008).<br />
3. A. Lim, B. Lemercier, X. Wertz, S. Lesjean Pottier, F. Hu<strong>et</strong>z and P. Kourilsky : Many<br />
human peripheral VH5-expressing IgM+ B cells display a unique heavy-chain rearrangement.<br />
Int Immunol. (2008), Jan. ; 20(1) : 105-16.
276 PHILIPPE KOURILSKY<br />
4. S. Hacein-Bey-Abina, A. Garrigue, P. Wang Gary, J. Soulier, A. Lim, E. Morillon,<br />
E. Clappier, L. Caccavelli, E. Delabesse, K. Beldjord, V. Asnafi, V. Macintyre,<br />
L. Dal Cortivo, I. Radford, N. Brousse, F. Sigaux, D. Moshous, J. Hauer, A. Borkhardt,<br />
B.H. Belohradsky, U. Wintergerst, M.C. Velez, L. Leiva, R. Sorensen, N. Wulffraat,<br />
S. Blanche, F.D. Bushman, A. Fischer and M. Cavazzana-Calvo : Insertional oncogenesis in<br />
4 patients after r<strong>et</strong>rovirus-mediated gene therapy of SCID-X1. J Clin Invest. (2008)<br />
Aug. 7.<br />
5. A. Lim, S. Lu<strong>de</strong>rschmidt, A. Weidinger, C. Schnopp, J. Ring, R. Hein, M. Ollert, M.<br />
Mempel : The IgE repertoire in PBMCs of atopic patients is characterized by individual<br />
rearrangements without variable region of the heavy immunoglobulin chain bias.J Allergy<br />
Clin Immunol. (2007), Sep. ; 120(3) : 696-706.<br />
6. B. Belloni, M. Ziai, A. Lim, B. Lemercier, M. Sbornik, S. Weidinger, C. Andres,<br />
C. Schnopp, J. Ring, R. Hein : Low-dose anti-IgE therapy in patients with atopic eczema<br />
with high serum IgE levels. J Allergy Clin Immunol. (2007), Nov. ; 120(5) : 1223-5.<br />
7. A.L. Forema, B. Lemercier, A. Lim, P. Kourlisky, T. Kenny, E. Gershwin,<br />
M. Gougeon : VH gene usage and CDR3 analysis of B cell receptor in the peripheral blood<br />
of patients with PBC. Autoimmunity (2008), Feb. ; 41(1) : 80-6.<br />
8. H. Mouqu<strong>et</strong>, P. Mus<strong>et</strong>te, M.-L. Gougeon, S. Jacquot, B. Lemercier, A. Lim,<br />
D. Gilbert, I. Dutot, J.-C. Roujeau, M. d’Incan, C. Bedane, F. Tron, and P. Joly : B-Cell<br />
Depl<strong>et</strong>ion Immunotherapy in Pemphigus : Effects on Cellular and Humoral Immune<br />
Responses. J. Invest. Dermatol. (2008), Jun. 19.
Enseignement<br />
Psychologie cognitive expérimentale<br />
M. Stanislas Dehaene, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />
Cours : les fon<strong>de</strong>ments cognitifs <strong>de</strong> l’arithmétique élémentaire<br />
Le <strong>cours</strong> 2008 s’est attaché à analyser, par les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la psychologie<br />
cognitive, la représentation mentale <strong>de</strong> l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> plus simples <strong>et</strong> cependant <strong><strong>de</strong>s</strong> plus<br />
fondamentaux <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s mathématiques : le concept <strong>de</strong> nombre entier naturel.<br />
La nature <strong>et</strong> l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s mathématiques font débat <strong>de</strong>puis l’Antiquité.<br />
De nombreux mathématiciens adhèrent, explicitement ou implicitement, à une<br />
hypothèse Platonicienne selon laquelle les mathématiques ne sont que l’exploration<br />
d’un mon<strong>de</strong> à part, régi par ses propres contraintes, <strong>et</strong> qui préexiste au cerveau<br />
humain. Citons par exemple Alain Connes dans son débat avec Jean-Pierre<br />
Changeux : « Lorsqu’il se déplace dans la géographie <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques, le<br />
mathématicien perçoit peu à peu les contours <strong>et</strong> la structure incroyablement riche<br />
du mon<strong>de</strong> mathématique. Il développe progressivement une sensibilité à la notion<br />
<strong>de</strong> simplicité qui lui donne accès à <strong>de</strong> nouvelles régions du paysage mathématique »<br />
(Changeux & Connes, 1989).<br />
Le psychologue du développement, cependant, ne peut qu’être frappé par la<br />
difficulté avec laquelle l’enfant se construit, p<strong>et</strong>it à p<strong>et</strong>it, une compétence<br />
mathématique. Il en conclut aisément à une pure construction mentale <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s<br />
mathématiques. Pour Piag<strong>et</strong>, la logique en constitue le fon<strong>de</strong>ment (« Le nombre<br />
entier peut ainsi être conçu comme une synthèse <strong>de</strong> la classe <strong>et</strong> <strong>de</strong> la relation<br />
asymétrique »). Pour d’autres, le langage joue un rôle essentiel (cf. Vygotsky : « la<br />
pensée ne s’exprime pas seulement en mots : elle vient au mon<strong>de</strong> à travers eux »).<br />
La position que j’ai défendue dans ce <strong>cours</strong>, <strong>et</strong> que l’on pourrait qualifier<br />
d’intuitionniste, n’appartient à aucun <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux camps. Elle postule que les<br />
fon<strong>de</strong>ments cognitifs <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques doivent être recherchés dans une série
278 STANISLAS DEHAENE<br />
d’intuitions fondamentales <strong>de</strong> l’espace, du temps, <strong>et</strong> du nombre, partagées par <strong>de</strong><br />
nombreuses espèces animales, <strong>et</strong> que nous héritons d’un lointain passé où ces<br />
intuitions jouaient un rôle essentiel à la survie. Les mathématiques se construisent<br />
par la formalisation <strong>et</strong> la mise en liaison consciente <strong>de</strong> ces différentes intuitions.<br />
Ainsi c<strong>et</strong>te position se rattache-t-elle, sans pour autant s’y i<strong>de</strong>ntifier, à<br />
l’intuitionnisme mathématique <strong>de</strong> Brouwer <strong>et</strong> Poincaré. Dès le xiii e siècle, Roger<br />
Bacon notait que « la connaissance mathématique est presque innée en nous… elle<br />
est la plus facile <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences, <strong>de</strong> tout évi<strong>de</strong>nce, en ce qu’aucun cerveau ne la<br />
rej<strong>et</strong>te : même les hommes du peuple <strong>et</strong> les ill<strong>et</strong>trés savent compter <strong>et</strong> calculer ».<br />
Pour les mathématiciens Philip David <strong>et</strong> Reuben Hersh, « au sein <strong><strong>de</strong>s</strong> idées, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
obj<strong>et</strong>s mentaux, les idées dont les propriétés sont reproductibles s’appellent <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
obj<strong>et</strong>s mathématiques, <strong>et</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s mentaux aux propriétés reproductibles<br />
s’appelle les mathématiques. L’intuition est la faculté qui nous perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> réfléchir<br />
<strong>et</strong> d’examiner ces obj<strong>et</strong>s mentaux internes » (Davis, Hersh, & Marchisotto, 1995,<br />
page 399).<br />
De fait, pratiquement tous les grands mathématiciens disent faire appel à leur<br />
intuition. Jacques Hadamard, dans l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> plus célèbres enquêtes sur c<strong>et</strong>te<br />
question, l’Essai sur la psychologie <strong>de</strong> l’invention dans le domaine mathématique<br />
(Hadamard, 1945), décrit comment la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes mathématiques<br />
font suite à une longue pério<strong>de</strong> d’ « incubation » sans progression apparente,<br />
suivie d’une illumination soudaine. Il cite également la célèbre l<strong>et</strong>tre d’Einstein :<br />
« les mots <strong>et</strong> le langage, écrits ou parlés, ne semblent pas jouer le moindre rôle<br />
dans le mécanisme <strong>de</strong> ma pensée. Les entités psychiques qui servent d’éléments à<br />
la pensée sont certaines signes ou <strong><strong>de</strong>s</strong> images plus ou moins claires, qui peuvent<br />
à “volonté” être reproduits ou combinés ». Henri Poincaré voit également dans<br />
l’intuition spatiale, motrice, ou numérique le fon<strong>de</strong>ment même <strong>de</strong> l’entreprise<br />
mathématique.<br />
La difficulté consiste à définir précisément ce que l’on entend par intuition. Il<br />
n’est pas certain, en eff<strong>et</strong>, que la variété <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés qu’on lui attribue soit issue<br />
d’un processus cognitif unique. Toutefois, dans le domaine <strong>de</strong> la cognition<br />
numérique élémentaire, les recherches récentes délimitent assez précisément un<br />
ensemble <strong>de</strong> connaissances que l’on pourrait qualifier d’intuition numérique ou <strong>de</strong><br />
sens <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres (Dehaene, 1997). Selon l’heureuse expression d’Elizab<strong>et</strong>h Spelke,<br />
l’arithmétique élémentaire semble faire partie du noyau <strong>de</strong> connaissances <strong>de</strong> l’espèce<br />
humaine. Un sens du nombre est présent chez le nourrisson <strong>et</strong> repose sur <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
circuits cérébraux spécifiques que l’on r<strong>et</strong>rouve chez d’autres primates. Il perm<strong>et</strong><br />
une rapi<strong>de</strong> évaluation du nombre d’obj<strong>et</strong>s présents dans <strong><strong>de</strong>s</strong> ensembles, leur<br />
comparaison, <strong>et</strong> leur combinaison par <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations d’addition <strong>et</strong> <strong>de</strong> soustraction.<br />
Son fonctionnement répond à trois traits caractéristiques <strong>de</strong> l’intuition : rapidité,<br />
automaticité, <strong>et</strong> inaccessibilité à l’introspection consciente. Ainsi l’intuition, loin<br />
d’être inaccessible à l’étu<strong>de</strong> scientifique, possè<strong>de</strong> une signature psychologique <strong>et</strong><br />
neurale déchiffrable, <strong>et</strong> nous verrons qu’un modèle mathématique simple peut en<br />
être proposé.
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 279<br />
Les multiples fac<strong>et</strong>tes du concept <strong>de</strong> nombre<br />
Le concept <strong>de</strong> nombre recouvre <strong><strong>de</strong>s</strong> contenus assez divers. Il importe donc<br />
d’introduire d’emblée quelques distinctions terminologiques essentielles. Notre<br />
éducation nous a habitués aux symboles numériques : les nombres écrits en base 10<br />
à l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> chiffres arabes, tels que « 1053 », ou exprimés à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> noms <strong>de</strong><br />
nombres tels que « mille cinquante trois ». Cependant, la psychologie cognitive<br />
montre l’importance, chez l’animal <strong>et</strong> le très enfant, <strong>de</strong> la perception non-symbolique<br />
du nombre, où la quantité 13 peut être présentée sous la forme concrète d’un<br />
nuage <strong>de</strong> 13 points ou d’une séquence <strong>de</strong> 13 sons. Le nombre est ici considéré<br />
comme la propriété d’un ensemble, à laquelle on réfère souvent par les termes<br />
techniques <strong>de</strong> cardinalité ou <strong>de</strong> numérosité. Enfin, l’ordinalité fait référence au rang<br />
d’un élément dans une série ordonnée. On s’y réfère verbalement par le biais <strong>de</strong><br />
nombres ordinaux (par exemple « treizième »). Le concept <strong>de</strong> nombre, chez l’adulte<br />
éduqué, consiste en l’intégration harmonieuse <strong>de</strong> ces différentes fac<strong>et</strong>tes symboliques<br />
<strong>et</strong> non-symboliques du nombre.<br />
Il va <strong>de</strong> soi que le mathématicien souhaiterait prolonger c<strong>et</strong>te liste en direction<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> entiers relatifs, <strong><strong>de</strong>s</strong> fractions, <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres réels ou complexes, voire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
quaternions ou <strong><strong>de</strong>s</strong> matrices… Pour lui, peut-être considéré comme un nombre<br />
tout obj<strong>et</strong> mental susceptible d’être manipulé selon certaines opérations cohérentes.<br />
Pour l’instant, cependant, la psychologie cognitive ne s’est guère penchée sur ces<br />
concepts mathématiques <strong>de</strong> plus haut niveau. Nous nous en tiendrons donc à la<br />
perception non-symbolique <strong>de</strong> la numérosité <strong>et</strong> sa mise en liaison avec les symboles<br />
écrits ou parlés <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres.<br />
La perception <strong>de</strong> la numérosité<br />
L’adulte dispose d’au moins trois processus cognitifs distincts d’énumération,<br />
c’est-à-dire d’appréhension <strong>de</strong> la numérosité d’un ensemble d’obj<strong>et</strong>s :<br />
— la subitisation ou « subitizing » en anglais fait référence à l’appréhension<br />
immédiate <strong><strong>de</strong>s</strong> p<strong>et</strong>ites numérosités (un, <strong>de</strong>ux, ou trois obj<strong>et</strong>s) ;<br />
— l’estimation perm<strong>et</strong> d’évaluer, d’une manière approximative, la numérosité<br />
d’un ensemble <strong>de</strong> taille arbitraire. Les recherches <strong>de</strong> Véronique Izard, au laboratoire,<br />
ont montré qu’un adulte non-entraîné estime efficacement <strong>et</strong> rapi<strong>de</strong>ment <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
ensembles même très grands. Toutefois, le nombre perçu n’est pas toujours relié<br />
linéairement au nombre effectivement présenté : la sous-estimation est fréquente,<br />
<strong>et</strong> une loi <strong>de</strong> puissance relie les <strong>de</strong>ux quantités (Izard & Dehaene, 2008) ;<br />
— enfin, le comptage, dont les principes ont été étudiés par Gelman <strong>et</strong> Gallistel<br />
(1978), perm<strong>et</strong> d’énumérer avec précision un ensemble quelconque. Il consiste à<br />
apparier, un par un, chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s énumérés avec une liste <strong>de</strong> référence qui<br />
peut être verbale (noms <strong>de</strong> nombres) ou non-verbale (doigts, parties du corps).<br />
Des recherches récentes confirment que les trois processus <strong>de</strong> subitisation,<br />
d’estimation <strong>et</strong> <strong>de</strong> comptage sont dissociables. La distinction entre subitisation <strong>et</strong>
280 STANISLAS DEHAENE<br />
comptage est évi<strong>de</strong>nte lorsque l’on mesure le temps <strong>de</strong> dénomination <strong>de</strong> la<br />
numérosité d’un ensemble : au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> trois obj<strong>et</strong>s, le temps <strong>de</strong> réponse montre un<br />
soudain accroissement linéaire. L’imagerie cérébrale détecte, à c<strong>et</strong>te frontière, une<br />
soudaine amplification <strong>de</strong> l’activité dans un vaste réseau cérébral lié au comptage<br />
verbal, <strong>et</strong> qui comprend notamment les régions pariétales postérieures bilatérales<br />
associées aux mouvements <strong>de</strong> l’attention. L’activité <strong>de</strong> ces régions est si<br />
caractéristique qu’elle perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> distinguer, pratiquement essai par essai, si le suj<strong>et</strong><br />
a compté ou pas <strong>et</strong> combien d’obj<strong>et</strong>s ont été dénombrés (Piazza, Giacomini, Le<br />
Bihan, & Dehaene, 2003). Une dissociation entre subitisation <strong>et</strong> comptage<br />
s’observe également chez certains patients qui, à la suite d’une lésion cérébrale,<br />
développent une simultanagnosie (Dehaene & Cohen, 1994).<br />
Jusqu’à très récemment, il était possible <strong>de</strong> soutenir que l’estimation <strong>et</strong> la<br />
subitisation n’étaient que le refl<strong>et</strong> d’un seul <strong>et</strong> même processus. En eff<strong>et</strong>, l’estimation<br />
se caractérise par la loi <strong>de</strong> Weber : l’imprécision <strong>de</strong> l’estimation, mesurée par son écarttype,<br />
croît linéairement avec le nombre estimé, selon une constante <strong>de</strong> proportionalité<br />
appelée coefficient <strong>de</strong> variation ou fraction <strong>de</strong> Weber. Pour les tous p<strong>et</strong>its nombres, la<br />
loi <strong>de</strong> Weber pourrait expliquer la subitisation, car elle aboutit à une précision<br />
suffisante pour discriminer <strong>et</strong> nommer les numérosités 1, 2 ou 3 sans pratiquement<br />
faire d’erreur. Ainsi la subitisation se réduirait à une sorte d’« estimation précise ».<br />
Toutefois, la recherche <strong>de</strong> Susannah Revkin, au laboratoire, montre que c<strong>et</strong>te<br />
explication ne suffit pas (Revkin, Piazza, Izard, Cohen, & Dehaene, 2008). La<br />
précision avec laquelle nous détectons la présence d’un, <strong>de</strong>ux ou trois obj<strong>et</strong>s dépasse<br />
celle attendue selon la loi <strong>de</strong> Weber, car elle excè<strong>de</strong> <strong>de</strong> très loin celle avec laquelle<br />
nous discriminons 10, 20 ou 30 obj<strong>et</strong>s. Ainsi, la subitisation semble-t-elle faire appel<br />
à un système dédié, peut-être celui lié à l’appréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s discr<strong>et</strong>s (« object<br />
tracking » ou « object files » system, Feigenson, Dehaene, & Spelke, 2004).<br />
Le développement <strong>de</strong> la perception numérique<br />
Les tests Piagétiens <strong>de</strong> conservation du nombre <strong>et</strong> d’inclusion <strong>de</strong> classes ont<br />
initialement suggéré que le jeune enfant était dépourvu <strong>de</strong> mécanismes invariants<br />
d’appréhension du nombre. Cependant, c<strong>et</strong>te conclusion a été n<strong>et</strong>tement infirmée<br />
avec l’avènement <strong>de</strong> nouvelles métho<strong><strong>de</strong>s</strong> d’expérimentation chez le très jeune<br />
enfant, fondées sur l’adaptation <strong>et</strong> la réaction à la nouveauté ou à la violation <strong>de</strong><br />
lois physiques. De nombreuses étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ont démontré une sensibilité à la numérosité<br />
chez l’enfant <strong>de</strong> 4-6 mois. Par exemple, un bébé <strong>de</strong> six mois détecte quand la<br />
numérosité d’un ensemble change <strong>de</strong> 8 à 16 obj<strong>et</strong>s ou vice-versa, même lorsque<br />
les paramètres non-numériques tels que la <strong>de</strong>nsité <strong>et</strong> la surface totale sont constants<br />
(Xu & Spelke, 2000). Les enfants détectent également la violation <strong><strong>de</strong>s</strong> règles<br />
d’addition <strong>et</strong> <strong>de</strong> soustraction, au moins d’une façon approximative. Par exemple,<br />
lorsqu’ils voient 5 obj<strong>et</strong>s, puis 5 autres, disparaître <strong>de</strong>rrière un écran, ils s’atten<strong>de</strong>nt<br />
à voir apparaître environ 10 obj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> expriment leur surprise en regardant plus<br />
longuement lorsque l’écran s’abaisse <strong>et</strong> révèle seulement 5 obj<strong>et</strong>s (McCrink &<br />
Wynn, 2004 ; Wynn, 1992).
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 281<br />
Si l’estimation est bien démontrée chez le très jeune enfant, la perception <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
p<strong>et</strong>ites numérosités 1, 2 ou 3 a été plus débattue. Certains ont suggéré que leur<br />
discrimination n’était due qu’à <strong><strong>de</strong>s</strong> paramètres confondants tels que la quantité<br />
totale <strong>de</strong> matière (voir Feigenson <strong>et</strong> al., 2004). Cependant <strong>de</strong> nouveaux résultats<br />
très récents indiquent que les enfants peuvent, selon le contexte, prêter attention<br />
soit à la numérosité, soit aux paramètres non-numériques (Feigenson, 2005).<br />
Cor<strong><strong>de</strong>s</strong> and Brannon (2008) vont jusqu’à suggérer qu’il est plus simple, pour<br />
l’enfant, <strong>de</strong> prêter attention au nombre qu’à la quantité totale <strong>de</strong> matière, dans la<br />
mesure où leur fraction <strong>de</strong> Weber est plus élevée dans le second cas. Au laboratoire,<br />
nous avons effectivement observé, à l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> potentiels évoqués, une discrimination<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> numérosités 2 <strong>et</strong> 3 en l’absence <strong>de</strong> tout artefact non-numérique (Izard,<br />
Dehaene-Lambertz, & Dehaene, 2008).<br />
Ainsi tant la subitisation que l’estimation <strong>et</strong> la capacité <strong>de</strong> calcul approximatif<br />
semblent présents chez l’espèce humaine dès la première année <strong>de</strong> vie. Il est<br />
fascinant <strong>de</strong> constater que c<strong>et</strong>te intuition numérique existe également chez <strong>de</strong><br />
nombreuses espèces animales (pigeons, rats, lions, singes, dauphins…). Elizab<strong>et</strong>h<br />
Brannon, en particulier, a systématiquement mis en parallèle les compétences<br />
arithmétiques <strong>de</strong> l’homme adulte <strong>et</strong> du singe macaque, dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches qui<br />
sollicitaient la perception approximative <strong><strong>de</strong>s</strong> numérosités, leur addition <strong>et</strong> leur<br />
comparaison (Cantlon & Brannon, 2007). Elle observe une psychophysique très<br />
similaire, la précision <strong><strong>de</strong>s</strong> calculs étant simplement meilleure chez l’homme.<br />
Liens avec l’arithmétique symbolique<br />
Dans quelle mesure ces compétences précoces pour la manipulation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
numérosités non-verbales sont-elles pertinentes pour la compréhension <strong>de</strong> l’intuition<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> symboles numériques à l’âge adulte ? De nombreuses expériences suggèrent que,<br />
dès qu’un adulte éduqué perçoit un nom <strong>de</strong> nombre ou un nombre en notation<br />
arabe, c<strong>et</strong>te entrée symbolique est rapi<strong>de</strong>ment <strong>et</strong> automatiquement traduite<br />
mentalement en une quantité approximative dont la manipulation interne obéit aux<br />
mêmes lois que celles <strong>de</strong> la manipulation <strong><strong>de</strong>s</strong> numérosités perçues sous forme<br />
d’ensembles d’obj<strong>et</strong>s. Ainsi, l’expérience fondatrice <strong>de</strong> Moyer <strong>et</strong> Landauer (1967) a<br />
montré que, lorsque nous décidons lequel <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux chiffres est le plus grand, notre<br />
temps <strong>de</strong> réponse varie en fonction inverse <strong>de</strong> la distance numérique qui les sépare.<br />
La taille <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres influe également sur le jugement comparatif <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres<br />
présentés sous forme symbolique, <strong>et</strong> la loi <strong>de</strong> Weber rend bien compte <strong>de</strong> l’ensemble<br />
<strong>de</strong> ces données. Plus surprenant encore, tel est également le cas lorsque nous jugeons<br />
si <strong>de</strong>ux nombres sont pareils ou différent — la réponse « différent » est plus lente<br />
pour 8 contre 7 que pour 8 contre 1. La vérification <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations symboliques<br />
démontre également un eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> distance numérique : lorsqu’une opération<br />
évi<strong>de</strong>mment fausse nous est proposée, la gran<strong>de</strong> distance qui sépare le résultat<br />
proposé du résultat correct nous perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> le rej<strong>et</strong>er sans faire le calcul exact (Ashcraft<br />
& Stazyk, 1981). Enfin, une lésion cérébrale peut faire perdre toute capacité <strong>de</strong>
282 STANISLAS DEHAENE<br />
calcul exact, tout en laissant intact c<strong>et</strong>te compétence basique pour l’approximation<br />
(Dehaene & Cohen, 1991). Ainsi l’approximation <strong><strong>de</strong>s</strong> quantités numériques, fondée<br />
sur la loi <strong>de</strong> Weber, apparaît-elle comme une compétence fondamentale qui<br />
transparaît dans <strong>de</strong> nombreuses tâches symboliques.<br />
Tout récemment, une étu<strong>de</strong> développementale a confirmé que l’intuition<br />
arithmétique <strong><strong>de</strong>s</strong> quantités approximatives précè<strong>de</strong> <strong>et</strong> sous-tend l’apprentissage<br />
ultérieur <strong>de</strong> l’arithmétique symbolique (Gilmore, McCarthy, & Spelke, 2007).<br />
Gilmore <strong>et</strong> coll. ont donné à <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants <strong>de</strong> 5 <strong>et</strong> 6 ans, en maternelle, <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes<br />
verbaux tels que « Sarah possè<strong>de</strong> 21 bonbons, <strong>et</strong> on lui en donne 30 <strong>de</strong> plus. Jean,<br />
lui, en a 34. Qui en a le plus ? » Les enfants n’avaient reçu aucun enseignement<br />
explicite <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te taille, ni <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations d’addition <strong>et</strong> <strong>de</strong> soustraction.<br />
Cependant, quel que soit leur niveau socio-économique, ils répondaient bien au <strong>de</strong>là<br />
du niveau du hasard (60-70 % <strong>de</strong> réussite), <strong>et</strong> leurs performances suivaient la loi <strong>de</strong><br />
Weber, ce qui laissait penser qu’ils traduisaient mentalement les problèmes<br />
symboliques en quantités afin d’exploiter leur intuition non-symbolique. Plus<br />
important encore, leurs performances dans c<strong>et</strong>te évaluation <strong>de</strong> l’intuition<br />
arithmétique corrélaient avec leur réussite en mathématiques à l’école. Holloway <strong>et</strong><br />
Ansari (2008) ont également rapporté, chez <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants un peu plus âgés (6-8 ans),<br />
que la variabilité <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> distance au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la comparaison numérique prédit<br />
la réussite scolaire en mathématiques, mais pas les scores <strong>de</strong> lecture. Dans l’ensemble,<br />
ces résultats suggèrent que l’appréhension <strong>de</strong> la numérosité approximative <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
relations <strong>de</strong> distance entre les nombres, fondée sur la loi <strong>de</strong> Weber, joue un rôle<br />
déterminant pour la bonne compréhension ultérieure <strong>de</strong> l’arithmétique symbolique.<br />
Les mécanismes cérébraux <strong>de</strong> l’arithmétique élémentaire<br />
Quels sont les mécanismes cérébraux <strong>de</strong> l’arithmétique élémentaire ? Les toutes<br />
premières étu<strong><strong>de</strong>s</strong> d’imagerie cérébrale, en SPECT, en TEP puis en IRM<br />
fonctionnelle, ont rapi<strong>de</strong>ment isolé une région importante : dès qu’un adulte<br />
calcule mentalement, on observe une activation bilatérale <strong><strong>de</strong>s</strong> flancs du sillon<br />
intrapariétal (voir Dehaene, Piazza, Pinel, & Cohen, 2003). C<strong>et</strong>te région occupe<br />
une position bien précise au sein d’une mosaïque <strong>de</strong> régions sensori-motrices<br />
impliquées dans les mouvements <strong><strong>de</strong>s</strong> yeux, <strong>de</strong> la main ou du doigt (Simon, Mangin,<br />
Cohen, Le Bihan, & Dehaene, 2002). Son activation est présente quel que soit le<br />
calcul effectué, <strong>et</strong> même lorsque le suj<strong>et</strong> se contente <strong>de</strong> comparer <strong>de</strong>ux nombres<br />
ou <strong>de</strong> détecter la présence d’un chiffre parmi <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres. La région intrapariétale<br />
semble jouer un rôle important dans la représentation abstraite <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres, dans<br />
la mesure où elle s’active quelle que soit la notation utilisée pour présenter les<br />
nombres (chiffres arabes, noms <strong>de</strong> nombres parlés ou écrits) <strong>et</strong> ce, dans toutes les<br />
cultures qui ont pu être testées (Chine, Japon, États-Unis, Israël, Europe).<br />
L’activation intrapariétale est également présente lorsque l’on présente <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
numérosités sous forme d’ensembles <strong>de</strong> points (Piazza, Izard, Pinel, Le Bihan, &<br />
Dehaene, 2004). Une métho<strong>de</strong> d’adaptation a permis <strong>de</strong> démontrer la convergence
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 283<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> représentations symboliques <strong>et</strong> non-symboliques <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres dans c<strong>et</strong>te région<br />
(Piazza, Pinel, Le Bihan, & Dehaene, 2007). La même métho<strong>de</strong>, étendue à<br />
l’enregistrement <strong><strong>de</strong>s</strong> potentiels évoqués chez le bébé <strong>de</strong> 2-3 mois, a montré que le<br />
cortex intrapariétal est activé, particulièrement dans l’hémisphère droit, dès quelques<br />
mois <strong>de</strong> vie à la présentation d’ensemble d’obj<strong>et</strong>s dont la numérosité varie (Izard <strong>et</strong><br />
al., 2008). Des lésions intrapariétales précoces pourraient d’ailleurs être à l’origine<br />
<strong>de</strong> dyscalculies du développement chez certains enfants (Molko <strong>et</strong> al., 2004).<br />
Il est cependant évi<strong>de</strong>nt que c<strong>et</strong>te région intrapariétale n’est pas la seule à<br />
contribuer aux opérations arithmétiques. Chez l’adulte, <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux étendus,<br />
corticaux <strong>et</strong> sous-corticaux, interviennent à différentes étapes <strong>de</strong> représentation <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> manipulation <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres, notamment sous forme symbolique ou linguistique<br />
(Dehaene & Cohen, 1995). La manipulation <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres exacts <strong>et</strong> les opérations<br />
<strong>de</strong> récupération <strong><strong>de</strong>s</strong> faits arithmétiques en mémoire, en particulier, font appel à un<br />
vaste réseau qui implique le gyrus angulaire gauche <strong>et</strong> les aires périsylviennes du<br />
langage, tandis que la région intrapariétale elle-même est maximalement activée<br />
lors <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations d’approximation <strong>et</strong> <strong>de</strong> comparaison (Dehaene, Spelke, Pinel,<br />
Stanescu, & Tsivkin, 1999). Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’entraînement arithmétique, l’activité<br />
corticale se déplace progressivement <strong>de</strong>puis la région intrapariétale vers le gyrus<br />
angulaire à mesure que le participant enregistre les faits correspondants en mémoire<br />
verbale, particulièrement les tables <strong>de</strong> multiplication (Delazer <strong>et</strong> al., 2003 ;<br />
Ischebeck <strong>et</strong> al., 2006).<br />
Ces résultats concor<strong>de</strong>nt avec l’hypothèse d’un noyau <strong>de</strong> compétences numériques,<br />
associé au cortex intrapariétal bilatéral, présent dans toutes les cultures <strong>et</strong> indépendant<br />
du niveau d’éducation, <strong>et</strong> complété d’un second réseau associé aux stratégies <strong>de</strong><br />
calcul symbolique acquises au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’éducation. La neuropsychologie <strong>de</strong><br />
l’acalculie confirme globalement c<strong>et</strong>te double dissociation : les lésions intrapariétales<br />
focales ten<strong>de</strong>nt à perturber l’intuition même <strong><strong>de</strong>s</strong> quantités numériques, dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
tâches aussi simples que l’addition, la soustraction, la comparaison, ou l’estimation<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> numérosités, tandis que les lésions <strong><strong>de</strong>s</strong> aires périsylviennes ou <strong><strong>de</strong>s</strong> noyaux gris<br />
centraux <strong>de</strong> l’hémisphère gauche ten<strong>de</strong>nt à perturber les tables arithmétiques<br />
mémorisées (Lemer, Dehaene, Spelke, & Cohen, 2003).<br />
Les neurones <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres<br />
L’une <strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes les plus fascinantes <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières années est certainement<br />
celles <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes neurophysiologiques <strong>de</strong> l’arithmétique élémentaire chez le<br />
singe macaque. A la suite <strong>de</strong> <strong>travaux</strong> antérieurs <strong>de</strong> Thompson <strong>et</strong> coll. (1970) <strong>et</strong><br />
Sawamura <strong>et</strong> coll (2002), Andreas Nie<strong>de</strong>r <strong>et</strong> Earl Miller, au Massachuss<strong>et</strong>ts Institute<br />
of Technology puis à l’Université <strong>de</strong> Tübingen, ont enregistré l’activité <strong>de</strong> centaines<br />
<strong>de</strong> neurones chez <strong><strong>de</strong>s</strong> singes éveillés qui avaient été entraînés à réaliser une tâche<br />
<strong>de</strong> comparaison différée <strong><strong>de</strong>s</strong> numérosités <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ensembles d’obj<strong>et</strong>s. Ils ont<br />
découvert, dans le cortex préfrontal <strong>et</strong> intrapariétal, l’existence <strong>de</strong> populations <strong>de</strong><br />
neurones dont le taux <strong>de</strong> décharge varie avec le nombre d’obj<strong>et</strong>s présentés. Certains
284 STANISLAS DEHAENE<br />
neurones sont activés préférentiellement par un obj<strong>et</strong> unique, d’autres par <strong>de</strong>ux,<br />
par trois, par quatre ou par cinq obj<strong>et</strong>s (Nie<strong>de</strong>r, 2005), <strong>et</strong> même jusqu’à une<br />
trentaine d’obj<strong>et</strong>s (Nie<strong>de</strong>r & Merten, 2007).<br />
Le profil détaillé <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses <strong>de</strong> ces neurones indique un codage <strong>de</strong> la numérosité<br />
selon la loi <strong>de</strong> Weber, coïncidant précisément avec celui qui avait été inféré <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
étu<strong><strong>de</strong>s</strong> psychophysiques chez l’homme. Chaque neurone présente en eff<strong>et</strong> une<br />
courbe d’accord autour <strong>de</strong> sa numérosité préférée. Sur une échelle linéaire, la<br />
largeur <strong>de</strong> la courbe croit linéairement avec la numérosité préférée, ce qui correspond<br />
quantitativement à la loi <strong>de</strong> Weber. Mais la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription la plus compacte <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
réponses neuronales est une courbe d’accord constante, avec une variabilité fixe <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> forme Gaussienne, lorsque les numérosités sont représentées sur une échelle<br />
logarithmique. C<strong>et</strong>te représentation est dite « log-Gaussienne ». Elle implique<br />
qu’au niveau <strong>de</strong> la population <strong>de</strong> neurones, le paramètre <strong>de</strong> nombre est représenté<br />
par un groupe épars <strong>de</strong> neurones selon un co<strong>de</strong> partiellement distribué qui<br />
représente la numérosité approximative <strong>et</strong> non la cardinalité exacte.<br />
Ces « neurones <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres » sont localisés dans le cortex préfrontal dorsolatéral,<br />
mais également dans les lobes pariétaux, dans les profon<strong>de</strong>urs du sillon intrapariétal,<br />
dans l’aire ventrale intrapariétale (VIP). Il est à noter que les neurones pariétaux ont<br />
une réponse plus rapi<strong>de</strong>, tandis que les neurones préfrontaux répon<strong>de</strong>nt<br />
préférentiellement au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la phase <strong>de</strong> délai <strong>de</strong> la tâche <strong>de</strong> réponse différée. Ainsi,<br />
l’extraction initiale <strong>de</strong> l’information <strong>de</strong> numérosité se ferait dans l’aire VIP, tandis que<br />
sa mémorisation impliquerait préférentiellement le cortex préfrontal. Par sa localisation<br />
absolue, mais également relative à d’autres régions telles que les aires AIP <strong>et</strong> LIP<br />
impliquées dans les mouvements <strong><strong>de</strong>s</strong> yeux <strong>et</strong> <strong>de</strong> la main, l’aire VIP constitue un<br />
homologue plausible, chez le singe, du segment horizontal du sillon intrapariétal qui<br />
est activé chez l’homme au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> diverses opérations arithmétiques (Simon <strong>et</strong> al.,<br />
2002). De fait, la métho<strong>de</strong> d’adaptation en IRMf a permis à mon laboratoire <strong>de</strong><br />
démontrer, chez l’homme, l’existence d’un codage cérébral log-Gaussien <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
numérosités, très semblable à celui observé chez le singe macaque (Piazza <strong>et</strong> al., 2004).<br />
Notons que, tout récemment, Roitman <strong>et</strong> coll. (2007) ont découvert un second<br />
type <strong>de</strong> co<strong>de</strong> neural <strong>de</strong> la numérosité, dans une région pariétale plus latérale <strong>et</strong><br />
postérieure (l’aire LIP). Les neurones <strong>de</strong> l’aire LIP diffèrent <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong> l’aire VIP<br />
(étudiés par Nie<strong>de</strong>r <strong>et</strong> Miller) en plusieurs points. Tout d’abord, ils ne sont pas<br />
accordés à un nombre préféré, mais leur taux <strong>de</strong> décharge varie <strong>de</strong> façon monotone<br />
avec la numérosité, en croissant ou en décroissant avec le logarithme <strong>de</strong> la numérosité<br />
<strong>de</strong> l’ensemble présenté. En second lieu, ces neurones possè<strong>de</strong>nt <strong><strong>de</strong>s</strong> champs récepteurs<br />
limités <strong>et</strong> ne répon<strong>de</strong>nt donc qu’à la numérosité du sous-ensemble d’obj<strong>et</strong>s qui<br />
apparait dans une région rétinotopique bien délimitée — pas au nombre total<br />
d’obj<strong>et</strong>s présent sur la rétine. Les <strong>de</strong>ux propriétés — monotonie <strong>et</strong> rétinotopie — ont<br />
récemment été observées indirectement chez l’homme dans une illusion d’adaptation<br />
à la numérosité (Burr & Ross, 2008), ce qui suggère que ce second co<strong>de</strong> neuronal <strong>de</strong><br />
l’aire LIP pourrait également exister dans l’espèce humaine.
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 285<br />
Un modèle mathématique <strong>de</strong> la décision numérique<br />
Pourquoi une telle coexistence <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux co<strong><strong>de</strong>s</strong> neuronaux distincts, l’un avec une<br />
variation monotone du taux <strong>de</strong> décharge en fonction <strong>de</strong> la numérosité, l’autre avec<br />
une courbe d’accord à une numérosité préférée ? Il convient d’interpréter ces<br />
résultats avec pru<strong>de</strong>nce, dans la mesure où ces <strong>de</strong>ux populations <strong>de</strong> neurones n’ont<br />
été observées que très récemment, dans <strong><strong>de</strong>s</strong> laboratoires différents, chez <strong><strong>de</strong>s</strong> animaux<br />
différents <strong>et</strong> entraînés à <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches numériques différentes. Toutefois, ces résultats<br />
s’accor<strong>de</strong>nt bien avec un modèle théorique qui suppose que les neurones monotones<br />
<strong>et</strong> accordés constituent <strong>de</strong>ux étapes distinctes <strong>de</strong> l’extraction d’une représentation<br />
invariante <strong>de</strong> la numérosité (Dehaene & Changeux, 1993 ; Verguts & Fias, 2004).<br />
Selon ce modèle, la numérosité approximative peut être extraite d’une carte<br />
rétinienne détaillée en trois étapes successives : (1) codage rétinotopique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
positions occupées par les obj<strong>et</strong>s, indépendamment <strong>de</strong> leur i<strong>de</strong>ntité <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur taille,<br />
donc avec une quantité fixe d’activation pour chaque obj<strong>et</strong> ; (2) addition<br />
approximative <strong>de</strong> ces activations à travers l’ensemble <strong>de</strong> la carte, par le moyen <strong>de</strong><br />
« neurones d’accumulation » dont le niveau d’activité varie <strong>de</strong> façon monotone en<br />
fonction <strong>de</strong> la numérosité ; (3) seuillage <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te activation par <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones avec<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> seuils croissants <strong>et</strong> une forte inhibition latérale, ce qui conduit à une population<br />
<strong>de</strong> neurones accordés aux différentes numérosités. La simulation <strong>de</strong> ce modèle par<br />
ordinateur, sous forme d’un réseau <strong>de</strong> neurones formels, montre qu’on aboutit<br />
naturellement, à ce <strong>de</strong>rnier niveau, à un codage log-Gaussien <strong>de</strong> la numérosité.<br />
Avec quelques adaptations, les neurones d’accumulation peuvent être i<strong>de</strong>ntifiés aux<br />
neurones <strong>de</strong> l’aire LIP étudiés par Roitman <strong>et</strong> coll., tandis que les neurones accordés<br />
à la numérosité correspondraient aux neurones <strong>de</strong> l’aire LIP enregistrés par Nie<strong>de</strong>r<br />
<strong>et</strong> Miller. Il est à noter qu’anatomiquement, les neurones <strong>de</strong> LIP proj<strong>et</strong>tent<br />
effectivement vers ceux <strong>de</strong> VIP. De plus, les neurones <strong>de</strong> VIP semblent répondre<br />
à l’ensemble du champ visuel, ce qui est compatible avec l’hypothèse qu’ils reçoivent<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> entrées convergentes <strong>de</strong> nombreux neurones rétinotopiques <strong>de</strong> l’aire LIP.<br />
A partir <strong>de</strong> ce co<strong>de</strong> neural log-Gaussien, un modèle mathématique <strong>de</strong> prise <strong>de</strong><br />
décision, capable <strong>de</strong> rendre compte <strong><strong>de</strong>s</strong> taux d’erreurs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> temps <strong>de</strong> réponse dans<br />
diverses tâches numériques élémentaires, a également été développé (Dehaene,<br />
2007). Lorsque la décision est prise en un temps fixe, sans pression <strong>de</strong> rapidité, <strong>et</strong><br />
que seul le taux d’erreurs doit donc être modélisé, la théorie <strong>de</strong> la détection du<br />
signal peut être appliquée très directement au co<strong>de</strong> log-Gaussien. Ce modèle rend<br />
bien compte <strong><strong>de</strong>s</strong> compétences animales <strong>et</strong> humaines dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches élémentaires<br />
<strong>de</strong> comparaison pareil-différent ou plus grand-plus p<strong>et</strong>it (Dehaene, 2007 ; Piazza<br />
<strong>et</strong> al., 2004). Il peut également être adapté à la dénomination <strong><strong>de</strong>s</strong> numérosités<br />
(Izard & Dehaene, 2008) <strong>et</strong> à l’addition ou à la soustraction <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux numérosités,<br />
moyennant quelques hypothèses supplémentaires sur la combinaison <strong><strong>de</strong>s</strong> variances<br />
associées à chaque opéran<strong>de</strong> (Barth <strong>et</strong> al., 2006 ; Cantlon & Brannon, 2007).<br />
Lorsque la tâche implique une décision rapi<strong>de</strong> en temps limité, la modélisation<br />
du temps <strong>de</strong> réponse fait appel à un modèle mathématique plus sophistiqué. Ce
286 STANISLAS DEHAENE<br />
modèle se fon<strong>de</strong> sur les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Mike Shadlen qui indiquent que la prise <strong>de</strong><br />
décision en temps réel, sur la base <strong>de</strong> signaux bruités, s’appuie sur certains neurones<br />
pariétaux <strong>et</strong> préfrontaux qui réalisent une accumulation <strong><strong>de</strong>s</strong> données stochastiques<br />
que les stimuli apportent en faveur <strong>de</strong> chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses possibles. C<strong>et</strong>te<br />
accumulation peut alors décrite mathématiquement comme une marche aléatoire<br />
apparentée à un mouvement Brownien. La décision est prise lorsque, pour l’un <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
réponses, la marche aléatoire <strong>de</strong> l’accumulateur atteint un seuil fixé à l’avance. La<br />
réponse correspondante est alors sélectionnée. On peut démontrer que ce mécanisme<br />
d’accumulation statistique avec seuil constitue un mécanisme optimal <strong>de</strong> prise <strong>de</strong><br />
décision en temps réel (Gold & Shadlen, 2002).<br />
L’analyse montre qu’au moins dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches très simples telles que la<br />
comparaison <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux nombres, le modèle log-Gaussien doublé d’une prise <strong>de</strong><br />
décision par accumulation conduit à <strong><strong>de</strong>s</strong> prédictions très étroitement ajustées aux<br />
données expérimentales. L’influence <strong>de</strong> la distance entre les nombres à comparer<br />
est correctement modélisée, <strong>et</strong> le modèle explique pourquoi la forme <strong>de</strong> c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong><br />
diffère selon que l’on considère le taux d’erreur ou le temps <strong>de</strong> réponse moyen. La<br />
distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> temps <strong>de</strong> réponse, <strong>et</strong> la manière dont celle-ci varie avec la présence<br />
d’une tâche interférente, sont également expliqués en grand détail (Sigman &<br />
Dehaene, 2005).<br />
L’impact <strong><strong>de</strong>s</strong> symboles sur la cognition numérique<br />
Le modèle décrit ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus suppose que l’acquisition <strong><strong>de</strong>s</strong> symboles numériques<br />
tels que les chiffres arabes consiste tout simplement à m<strong>et</strong>tre en relation ces formes<br />
arbitraires avec la représentation log-Gaussienne <strong><strong>de</strong>s</strong> numérosités correspondantes,<br />
en sorte que la prise <strong>de</strong> décision m<strong>et</strong> en jeu les quantités <strong>et</strong> non plus les symboles<br />
eux-mêmes. Cependant, plusieurs éléments convergents suggèrent que c<strong>et</strong>te vision<br />
est un peu trop simple, <strong>et</strong> que l’acquisition <strong>de</strong> symboles pour les nombres change<br />
également en profon<strong>de</strong>ur la représentation non-verbale <strong><strong>de</strong>s</strong> quantités numériques.<br />
Verguts <strong>et</strong> Fias (2004) ont simulé l’apprentissage non-supervisé dans un réseau <strong>de</strong><br />
neurones formels qui est exposé, soit à <strong><strong>de</strong>s</strong> numérosités seules, soit à <strong><strong>de</strong>s</strong> numérosités<br />
appariées avec le symbole correspondant. Dans le premier cas, le réseau développe<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> neurones « détecteurs <strong>de</strong> numérosité » très semblables à ceux décrits par Nie<strong>de</strong>r<br />
<strong>et</strong> Miller, avec une courbe d’accord log-Gaussienne. Cependant, l’appariement avec<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> symboles modifie profondément c<strong>et</strong>te représentation. Bien que les neurones<br />
restent accordés à la numérosité approximative, ils répon<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> façon très précise à<br />
chaque symbole numérique. La courbe d’accord <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones présente toujours un<br />
eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> distance, mais avec une gran<strong>de</strong> composante ‘tout-ou-rien’ doublé d’un p<strong>et</strong>it<br />
eff<strong>et</strong> linéaire. D’autre part, contrairement à la loi <strong>de</strong> Weber, tous les neurones<br />
présentent la même courbe d’accord, avec une largeur fixe pour tous les nombres<br />
testés (1 à 5). Ainsi, le réseau exposé aux symboles développe un nouveau type <strong>de</strong><br />
représentation que l’on qualifie <strong>de</strong> linéaire avec une variabilité fixe.
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 287<br />
La proposition théorique <strong>de</strong> Verguts <strong>et</strong> Fias pourrait expliquer plusieurs aspects <strong>de</strong><br />
l’intuition attachée aux symboles numériques. L’analyse fine <strong><strong>de</strong>s</strong> temps <strong>de</strong> réponse<br />
montre <strong><strong>de</strong>s</strong> différences non-négligeables entre la comparaison <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres présentés<br />
sous forme symbolique <strong>et</strong> sous forme <strong>de</strong> numérosités d’ensembles <strong>de</strong> points, qui<br />
correspon<strong>de</strong>nt à l’emploi d’une représentation plus précise <strong>et</strong> plus linéaire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
symboles numériques (Dehaene, 2007). Les expériences d’IRM fonctionnelle <strong>de</strong><br />
Piazza <strong>et</strong> coll. (Piazza & Dehaene, 2004 ; Piazza <strong>et</strong> al., 2007) présentent également<br />
<strong>de</strong> subtiles asymétries qui suggèrent que, lorsque les nombres sont présentés sous<br />
forme symbolique, le codage <strong><strong>de</strong>s</strong> quantités semble plus précis dans l’hémisphère<br />
gauche que dans le droit <strong>et</strong> pourrait ressembler à celui prédit par le modèle. Le peu<br />
<strong>de</strong> données dont nous disposons sur l’IRM fonctionnelle du développement <strong>de</strong><br />
l’arithmétique suggère effectivement qu’au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’éducation, c’est surtout la<br />
région pariétale gauche qui est modifiée, tant dans son activité <strong>de</strong> base que dans la<br />
taille <strong>de</strong> son eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> distance, ce qui suggère un raffinement <strong>de</strong> la précision du codage<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> nombres au sein <strong>de</strong> l’hémisphère gauche (Ansari & Dhital, 2006).<br />
Tout récemment, Diester <strong>et</strong> Nie<strong>de</strong>r (2007) ont publié la toute première étu<strong>de</strong><br />
neurophysiologique <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes cérébraux <strong>de</strong> l’acquisition <strong><strong>de</strong>s</strong> symboles chez<br />
le primate non-humain. Ils ont entraîné <strong>de</strong>ux singes à apparier <strong><strong>de</strong>s</strong> chiffres arabes<br />
entre 1 <strong>et</strong> 4 avec les numérosités correspondantes. Dans le cortex préfrontal<br />
dorsolatéral, après l’apprentissage, <strong>de</strong> nombreux neurones codaient simultanément<br />
pour le même nombre, indépendamment <strong>de</strong> son format <strong>de</strong> présentation symbolique<br />
ou non-symbolique. Contrairement au modèle <strong>de</strong> Verguts <strong>et</strong> Fias, la courbe<br />
d’accord <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones ne se modifiait pas selon la notation. Etonnamment, dans<br />
le cortex intrapariétal, les neurones se spécialisaient soit pour les chiffres arabes,<br />
soit pour les numérosités, mais ne répondaient pas aux <strong>de</strong>ux formats simultanément.<br />
Ainsi, seul le cortex préfrontal, chez l’animal, semble susceptible <strong>de</strong> co<strong>de</strong>r la<br />
relation arbitraire entre un symbole <strong>et</strong> sa signification. Chez l’homme, un<br />
entraînement plus important, ainsi que <strong>de</strong> probables différences d’architecture<br />
cérébrale, pourraient entraîner une automatisation du signe <strong>et</strong> un transfert <strong>de</strong> ces<br />
neurones <strong>de</strong> conjonction vers les aires postérieures du cerveau. Dans leur étu<strong>de</strong><br />
d’IRM fonctionnnelle du développement arithmétique, Rivera <strong>et</strong> coll. (2005) ont<br />
effectivement observé un déplacement massif <strong>de</strong> l’activité préfrontale avec l’âge, au<br />
profit <strong>de</strong> régions occipito-temporales <strong>et</strong> pariétales gauches qui pourraient<br />
correspondre respectivement aux co<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> symboles <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> quantités.<br />
Représentation spatiale <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres <strong>et</strong> synesthésie numérique<br />
L’éducation arithmétique s’accompagne d’un autre changement important :<br />
l’apprentissage <strong>de</strong> liens systématiques entre les nombres <strong>et</strong> l’espace. L’intuition<br />
d’une échelle spatiale <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres joue un rôle essentiel en mathématiques, <strong>de</strong>puis<br />
la notion <strong>de</strong> mesure (géo-métrie) jusqu’à l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres irrationnels, <strong>de</strong> la<br />
droite réelle, <strong><strong>de</strong>s</strong> coordonnées Cartésiennes ou du plan complexe. De nombreuses<br />
étu<strong><strong>de</strong>s</strong> démontrent l’automaticité du lien entre les nombres <strong>et</strong> l’espace chez<br />
l’homme adulte : la simple présentation d’un chiffre arabe suffit à biaiser les
288 STANISLAS DEHAENE<br />
réponses motrices <strong>et</strong> l’attention visuo-spatiale, en direction <strong>de</strong> la droite pour les<br />
grands nombres <strong>et</strong> <strong>de</strong> la gauche pour les p<strong>et</strong>its nombres. C<strong>et</strong> « eff<strong>et</strong> SNARC »<br />
(spatial-numerical association of response co<strong><strong>de</strong>s</strong>) dépend <strong>de</strong> variables attentionnelles<br />
<strong>et</strong> culturelles telles que la direction <strong>de</strong> l’écriture — la direction <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> tend à<br />
s’inverser dans les cultures qui lisent <strong>de</strong> droite à gauche (Dehaene, Bossini, &<br />
Giraux, 1993).<br />
L’association nombre-espace elle-même semble provenir <strong><strong>de</strong>s</strong> liens anatomiques<br />
très étroits qu’entr<strong>et</strong>ient la région intrapariétale moyenne, impliquée dans le codage<br />
du nombre, avec les régions voisines impliquées dans le codage <strong>de</strong> l’espace. En<br />
particulier, un circuit relie les aires LIP <strong>et</strong> VIP, qui sont impliquées dans le<br />
mouvement <strong><strong>de</strong>s</strong> yeux <strong>et</strong> le codage <strong><strong>de</strong>s</strong> positions pertinentes <strong>de</strong> l’espace. Avec Ed<br />
Hubbard, sur la base d’une revue détaillée <strong>de</strong> ces questions, j’ai proposé que ce<br />
circuit VIP-LIP soit en partie recyclé pour l’arithmétique élémentaire (Hubbard,<br />
Piazza, Pinel, & Dehaene, 2005). Avec André Knops <strong>et</strong> Mariagrazia Ranzini, nous<br />
avons obtenu <strong><strong>de</strong>s</strong> données d’IRM fonctionnelle, <strong>de</strong> potentiels évoqués <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
comportement qui vont dans ce sens. En eff<strong>et</strong>, la simple présentation d’un nombre<br />
induit une activation latéralisée <strong><strong>de</strong>s</strong> régions pariétales postérieures (homologue<br />
plausible <strong>de</strong> l’aire LIP chez l’homme). De plus, l’addition <strong>et</strong> la soustraction<br />
évoquent automatiquement un mouvement vers la droite <strong>et</strong> la gauche respectivement.<br />
Ces liens spatio-numériques <strong>de</strong>meurent non-conscients chez la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
personnes testées. Cependant, chez <strong>de</strong> rares individus, leur accès à la conscience<br />
pourrait peut-être expliquer le phénomène <strong>de</strong> synesthésie numérique. Ces personnes,<br />
en eff<strong>et</strong>, affirment voir, au sens littéral, les nombres à <strong><strong>de</strong>s</strong> positions spatiales bien<br />
déterminées sur une échelle spatiale interne.<br />
Bien qu’intuitive <strong>et</strong> automatique, la correspondance entre nombres <strong>et</strong> espace<br />
n’est pas entièrement fixe. Elle se modifie considérablement au <strong>cours</strong> <strong>de</strong><br />
développement <strong>et</strong> en fonction <strong>de</strong> l’éducation. Siegler <strong>et</strong> Opfer (2003) ont présenté<br />
une tâche dans laquelle <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants doivent disposer les nombres qu’on leur énonce<br />
sur un segment étiqu<strong>et</strong>é par exemple avec le nombre 1 à gauche <strong>et</strong> le nombre 100<br />
à droite. Les enfants les plus jeunes (CP) placent les nombres en correspondance<br />
avec l’espace d’une façon certes monotone, mais non-linéaire. Ils accor<strong>de</strong>nt<br />
beaucoup plus <strong>de</strong> place aux p<strong>et</strong>its nombres <strong>et</strong> ten<strong>de</strong>nt à suivre une échelle<br />
compressive <strong>et</strong> logarithmique, selon laquelle 10 se situe au milieu <strong>de</strong> 1 <strong>et</strong> <strong>de</strong> 100.<br />
Les réponses ne <strong>de</strong>viennent linéaires que chez les enfants plus âgés, entre 8 <strong>et</strong><br />
10 ans. Avec Pierre Pica, Véronique Izard <strong>et</strong> Elizab<strong>et</strong>h Spelke, nous avons montré<br />
que l’éducation joue un rôle essentiel : chez les indiens Mundurucus d’Amazonie,<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> personnes adultes mais dépourvues d’éducation mathématique répon<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />
façon logarithmique à <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres entre 1 <strong>et</strong> 10 présentés <strong>de</strong> façon verbale ou<br />
non-symbolique (Dehaene, Izard, Spelke, & Pica, 2008). L’échelle <strong>de</strong> similarité<br />
logarithmique, qui dérive <strong>de</strong> la loi <strong>de</strong> Weber, semble donc faire partie <strong><strong>de</strong>s</strong> intuitions<br />
fondamentales <strong>de</strong> l’humanité (étant entendu que c<strong>et</strong>te intuition est approximative<br />
<strong>et</strong> n’inclut pas <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés mathématiques abstraites <strong>de</strong> la fonction logarithme<br />
telles que la transformation <strong><strong>de</strong>s</strong> sommes en produits). De nombreux indices
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 289<br />
suggèrent que, chez l’adulte éduqué, la représentation logarithmique n’a pas<br />
vraiment disparu. Les échelles logarithmique <strong>et</strong> linéaire semblent coexister <strong>et</strong> être<br />
sélectionnées en fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> instructions <strong>et</strong> du contexte <strong>de</strong> la tâche.<br />
Conclusion<br />
L’intuition arithmétique humaine consiste en un réseau complexe <strong>de</strong> connaissances<br />
qui vont <strong>de</strong> la capacité d’estimer rapi<strong>de</strong>ment la cardinalité approximative d’un<br />
ensemble à celle d’anticiper le résultat d’une addition, <strong>de</strong> juger que 8 est plus grand<br />
que 3, ou <strong>de</strong> voir les nombres dans l’espace <strong>et</strong> d’évaluer que 3 est plus proche <strong>de</strong><br />
1 que <strong>de</strong> 10. Le noyau <strong>de</strong> ces connaissances numériques consiste en une<br />
représentation log-Gaussienne <strong>de</strong> la numérosité approximative. Ce noyau <strong>de</strong><br />
connaissances est déjà présent chez le très jeune enfant <strong>et</strong> <strong>de</strong> nombreuses espèces<br />
animales, <strong>et</strong> est associé à un circuit cérébral situé dans la région intrapariétale<br />
bilatérale. L’apprentissage <strong><strong>de</strong>s</strong> symboles <strong>de</strong> l’arithmétique formelle s’appuie<br />
fortement sur ce sens précoce <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres, bien que notre compréhension <strong>de</strong> la<br />
manière dont ce <strong>de</strong>rnier est modifié par l’éducation <strong>de</strong>meure très imparfaite. Ce<br />
sera l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> questions importantes <strong>de</strong> la recherche à venir. Un enjeu essentiel sera<br />
<strong>de</strong> mieux utiliser ces connaissances afin d’améliorer l’enseignement <strong>de</strong> l’arithmétique<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> mieux comprendre l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> dyscalculies.<br />
Séminaire<br />
En complément du <strong>cours</strong>, le séminaire a porté spécifiquement sur la représentation<br />
du nombre chez l’enfant. Son objectif explicite était <strong>de</strong> revisiter ce domaine<br />
initialement exploré par Jean Piag<strong>et</strong> <strong>et</strong> ses collaborateurs sous le regard critique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
contributions récentes <strong>de</strong> la psychologie cognitive du développement. Six chercheurs<br />
réputés sont venus présenter leurs contributions à ce domaine :<br />
— Marie-Pascale Noël (Université <strong>de</strong> Louvain) a présenté l’état actuel <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
connaissances sur la dyscalculie développementale, son évaluation, ses causes<br />
possibles <strong>et</strong> sa rééducation.<br />
— Lisa Feigenson (Johns Hopkins University) a décrit ses recherches sur la<br />
cognition numérique chez le nourrisson, qui démontre notamment une capacité<br />
hiérarchique d’appréhension du nombre d’ensembles d’obj<strong>et</strong>s.<br />
— Daniel Ansari (University of Western Ontario) s’est placé dans une<br />
perspective neuro-physiologique, en expliquant quelle pouvait être la contribution<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> outils d’imagerie cérébrale à la compréhension du développement cognitif <strong>de</strong><br />
l’enfant entre la naissance <strong>et</strong> l’adolescence. Il a présenté les toutes premières images<br />
du développement cérébral <strong>de</strong> l’arithmétique.<br />
— Michel Fayol (Université <strong>de</strong> Clermont-Ferrand) s’est intéressé aux mécanismes<br />
<strong>de</strong> l’apprentissage du comptage <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> faits arithmétiques, notamment chez l’enfant<br />
d’âge scolaire. Le calcul constitue, en eff<strong>et</strong>, l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> premiers écueils sur lesquels<br />
viennent buter les jeunes enfants.
290 STANISLAS DEHAENE<br />
— Matthieu Le Corre (Harvard University) est revenu sur une phase<br />
particulièrement importante du développement <strong>de</strong> l’enfant, entre 2 ans <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi <strong>et</strong><br />
3 ans <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi, où celui-ci comprend soudainement ce qu’est le comptage <strong>et</strong>, par<br />
ce biais, accè<strong>de</strong> à une représentation <strong>de</strong> la numérosité exacte.<br />
— Enfin Elizab<strong>et</strong>h Spelke (Harvard University) a présenté un panorama étendu<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> recherches <strong>de</strong> son groupe sur le noyau <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances numériques chez le<br />
très jeune enfant. Les recherches comportementales qu’elle a présentées visent à<br />
séparer les connaissances universelles <strong>de</strong> l’enfant <strong>de</strong> celles qu’il acquiert par le biais<br />
<strong>de</strong> l’éducation <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’immersion dans une culture <strong>et</strong> un environnement linguistique<br />
spécifique.<br />
Bibliographie succincte<br />
Le <strong>cours</strong> a repris <strong>et</strong> mis à jour <strong>de</strong> nombreux éléments <strong>de</strong> mon livre La bosse <strong><strong>de</strong>s</strong> maths<br />
(Odile Jacob, 1997). Il s’est appuyé sur plusieurs autres ouvrages <strong>et</strong> articles <strong>de</strong> revue :<br />
Piag<strong>et</strong>, J. and A. Szeminska (1941). La génèse du nombre chez l’enfant. Neuchâtel,<br />
Delachaux & Niestlé.<br />
Gelman, R. and C. R. Gallistel (1978). The child‘s un<strong>de</strong>rstanding of number. Cambridge<br />
Mass., Harvard University Press.<br />
Fuson, K. C. (1988). Children’s counting and concepts of number. New York : Springer-<br />
Verlag.<br />
Dehaene, S. (1993). Numerical Cognition. Oxford, Blackwell.<br />
Butterworth, B. (1999). The Mathematical Brain. London, Macmillan.<br />
Dehaene, S., Molko, N., Cohen, L., & Wilson, A. J. (2004). Arithm<strong>et</strong>ic and the brain.<br />
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Nie<strong>de</strong>r, A. (2005). « Counting on neurons : The neurobiology of numerical comp<strong>et</strong>ence ».<br />
Nature Reviews in Neuroscience.<br />
Hubbard, E.M., Piazza, M., Pinel, P., & Dehaene, S. (2005). Interactions b<strong>et</strong>ween<br />
number and space in pari<strong>et</strong>al cortex. Nature Reviews in Neuroscience, 6(6), 435-448.<br />
Principaux articles cités :<br />
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sulcus during nonsymbolic magnitu<strong>de</strong> processing : an event-related functional magn<strong>et</strong>ic<br />
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Ashcraft, M.H., & Stazyk, E.H. (1981). Mental addition : A test of three verification<br />
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Activités <strong>de</strong> recherche du laboratoire<br />
Nous m<strong>et</strong>tons ici en valeur quelques résultats qui nous paraissent importants.<br />
Vient ensuite une liste complète <strong><strong>de</strong>s</strong> publications du laboratoire.
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 293<br />
Mécanismes <strong>de</strong> la lecture : rôles distincts <strong><strong>de</strong>s</strong> voies ventrale <strong>et</strong> dorsale<br />
Par le passé, les <strong>travaux</strong> du laboratoire sur les processus <strong>de</strong> lecture se sont souvent<br />
focalisés sur une p<strong>et</strong>ite région occipito-temporale gauche, l’aire <strong>de</strong> la forme visuelle<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> mots. En eff<strong>et</strong>, chez l’adulte bien entraîné, c<strong>et</strong>te région joue un rôle essentiel<br />
dans la lecture rapi<strong>de</strong>, non-consciente, <strong>et</strong> indépendante <strong>de</strong> la longueur <strong><strong>de</strong>s</strong> mots.<br />
Sur la base d’un modèle neuronal <strong>de</strong> l’architecture <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te région (Dehaene <strong>et</strong><br />
coll., TICS, 2005), nous avons toutefois prédit que c<strong>et</strong>te région <strong>de</strong>vrait cesser <strong>de</strong><br />
fonctionner efficacement dans certaines conditions <strong>de</strong> stimulation :<br />
— l’écartement <strong><strong>de</strong>s</strong> l e t t r e s , au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux espaces, <strong>de</strong>vrait empêcher<br />
l’activation <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones-bigrammes supposés essentiels à l’i<strong>de</strong>ntification rapi<strong>de</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> mots ;<br />
— la rotation du mot, au-<strong>de</strong>là d’environ 40 <strong>de</strong>grés, <strong>de</strong>vrait empêcher les<br />
neurones <strong>de</strong> répondre à leur stimulus préféré, qu’il s’agisse <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres, <strong><strong>de</strong>s</strong> bigrammes<br />
ou ou <strong><strong>de</strong>s</strong> morphèmes <strong><strong>de</strong>s</strong> mots ;<br />
— enfin la présentation du mot dans l’hémichamp gauche a un eff<strong>et</strong> délétère<br />
bien connu, sans doute parce qu’elle empêche l’accès rapi<strong>de</strong> aux connaissances<br />
orthographiques stockées dans les régions visuelles <strong>de</strong> l’hémisphère gauche.<br />
Nous avons donc mené une expérience <strong>de</strong> comportement <strong>et</strong> d’IRM fonctionnelle<br />
où ces trois facteurs (écartement, rotation, déplacement) étaient manipulés <strong>de</strong><br />
façon paramétrique (Cohen <strong>et</strong> coll., NeuroImage, 2008). Les résultats ont montré<br />
un important ralentissement du temps <strong>de</strong> lecture, qui survenait précisément aux<br />
valeurs paramétriques prédites par le modèle (par exemple, <strong>de</strong>ux espaces d’écart<br />
entre les l<strong>et</strong>tres). Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te valeur seuil, les temps <strong>de</strong> lecture étaient<br />
soudainement affectés d’un important eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> longueur du mot, suggérant une<br />
lecture attentive, avec effort, voire l<strong>et</strong>tre à l<strong>et</strong>tre.<br />
L’IRM a révélé les mécanismes cérébraux <strong>de</strong> ces phénomènes comportementaux :<br />
la lecture avec effort s’accompagne <strong>de</strong> l’entrée en activité d’un vaste réseau dorsal<br />
qui comprend systématiquement, dans les trois conditions <strong>de</strong> ralentissement, les<br />
régions pariétales postérieures bilatérales (homologue plausible <strong>de</strong> l’aire LIP chez<br />
l’homme). La lecture sérielle s’accompagne également d’une amplification sélective<br />
<strong>de</strong> la partie postérieure <strong>de</strong> l’aire occipito-temporale ventrale, à un site correspondant<br />
au codage putatif <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres isolées. Le réseau dorsal mis en évi<strong>de</strong>nce dans c<strong>et</strong>te<br />
expérience joue vraisemblablement un rôle important dans toutes les conditions<br />
où la lecture est dégradée <strong>et</strong> rendue difficile, notamment au début <strong>de</strong> l’apprentissage<br />
chez l’enfant. Il semble important, à l’avenir, d’examiner sa possible contribution<br />
aux troubles <strong>de</strong> la lecture chez certains enfants dyslexiques.<br />
Compréhension du langage parlé :<br />
l’importance <strong>de</strong> la région temporale antérieure<br />
Anne-Dominique Devauchelle, dans l’équipe <strong>de</strong> Christophe Pallier, a réalisé une<br />
thèse sur la représentation cérébrale <strong><strong>de</strong>s</strong> structures <strong>de</strong> phrases. L’expérience qui fait<br />
l’obj<strong>et</strong> d’une première publication (Devauchelle <strong>et</strong> coll., Journal of Cognitive
294 STANISLAS DEHAENE<br />
Neuroscience, sous presse) visait à utiliser l’amorçage en IRM fonctionnelle afin<br />
d’examiner s’il existe <strong><strong>de</strong>s</strong> régions cérébrales qui co<strong>de</strong>nt pour <strong><strong>de</strong>s</strong> structures<br />
syntaxiques.<br />
Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’expérience, les participants lisaient ou écoutaient <strong><strong>de</strong>s</strong> phrases<br />
organisées par groupes <strong>de</strong> quatre, qui pouvaient partager ou non, soit la même<br />
construction syntaxique, soit le même contenu lexico-sémantique. Dans un cas<br />
extrême, la même phrase était répétée quatre fois. Un fort eff<strong>et</strong> d’adaptation à la<br />
répétition était alors observé dans la majorité du réseau <strong>de</strong> traitement <strong><strong>de</strong>s</strong> phrases,<br />
ce qui confirmait que ces régions linguistiques se prêtent bien à une étu<strong>de</strong> par la<br />
métho<strong>de</strong> d’adaptation. Dans la condition « lexico-sémantique », le même contenu<br />
était répété à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> constructions syntaxiques distinctes, par exemple « le taxi<br />
dépose le client », « le client a été déposé par le taxi », « c’est le taxi qui dépose le<br />
client », <strong>et</strong>c. Dans c<strong>et</strong>te condition également, un fort eff<strong>et</strong> d’amorçage était observé,<br />
particulièrement dans la région temporale antérieure. Celle-ci apparaît comme un<br />
candidat intéressant pour la représentation du sens <strong><strong>de</strong>s</strong> phrases <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’agencement<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> rôles thématiques <strong>de</strong> leurs constituants.<br />
Le résultat le plus surprenant, toutefois, était l’absence d’eff<strong>et</strong> d’amorçage dans<br />
une condition où l’on respectait toujours la même structure syntaxique,<br />
indépendamment <strong><strong>de</strong>s</strong> mots utilisés pour la réaliser (par exemple « c’est le taxi qui<br />
dépose le client ; ce sont vos amis qui détestent les poireaux ; <strong>et</strong>c.). Ce résultat<br />
suggère que la construction syntaxique abstraite n’est pas représentée<br />
indépendamment <strong><strong>de</strong>s</strong> mots qui la véhiculent, ou bien n’est pas conservée sous une<br />
forme explicite par <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones reproductibles <strong>et</strong> suj<strong>et</strong>s à l’adaptation. Une<br />
hypothèse très intéressante est que les régions temporales antérieures soient<br />
impliquées dans l’extraction <strong>de</strong> la structure abstraite ou « profon<strong>de</strong> » <strong><strong>de</strong>s</strong> phrases,<br />
réalisant ainsi une forme d’invariance pour leurs variations plus superficielles.<br />
Cognition numérique : les liens entre le nombre <strong>et</strong> l’espace<br />
Depuis 2002, en collaboration avec Pierre Pica, Elizab<strong>et</strong>h Spelke, Véronique<br />
Izard, notre laboratoire s’intéresse à la cognition numérique chez les indiens<br />
Mundurucus d’Amazonie. Ce peuple présente un lexique numérique restreint aux<br />
tous premiers nombres, <strong>et</strong> n’a guère accès à l’éducation mathématique. Ainsi<br />
pouvons-nous étudier, avec les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la psychologie cognitive, les intuitions<br />
mathématiques non-verbales. Dans une étu<strong>de</strong> récente, nous avons montré que ces<br />
indiens possè<strong>de</strong>nt un sens intuitif <strong><strong>de</strong>s</strong> relations nombre-espace (Dehaene <strong>et</strong> coll.,<br />
Science, 2008).<br />
De nombreux <strong>travaux</strong>, réalisés chez <strong><strong>de</strong>s</strong> adultes occi<strong>de</strong>ntaux, montrent que, le<br />
simple fait <strong>de</strong> penser à un nombre ou d’effectuer un calcul évoque automatiquement<br />
un biais spatial. C<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> trouve son origine dans les liens qu’entr<strong>et</strong>iennent les<br />
représentations numériques <strong>et</strong> spatiales dans le lobe pariétal (voir le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />
année). Nos nouveaux résultats indiquent que l’intuition d’une association régulière<br />
entre les nombres <strong>et</strong> l’espace pré-existe à toute éducation en mathématiques.
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 295<br />
L’expérience consiste à présenter aux Mundurucus, sur un écran d’ordinateur, une<br />
droite étiqu<strong>et</strong>ée à gauche par une représentation du nombre un <strong>et</strong> à droite par une<br />
représentation du nombre 10 (présentés sous forme <strong>de</strong> nuages <strong>de</strong> points). On leur<br />
présente ensuite divers nombres, soit sous forme non-symbolique (nuages <strong>de</strong><br />
points, séquences <strong>de</strong> sons), soit sous forme symbolique (noms <strong>de</strong> nombres en<br />
langue Mundurucu ou en portugais pour ceux qui le connaissent). Pour chaque<br />
nombre, on leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> le positionner sur c<strong>et</strong>te droite. Seuls <strong>de</strong>ux essais<br />
d’entraînement sont proposés, l’un avec le nombre 1, l’autre avec le nombre 10.<br />
Dans la mesure où ces nombres ne font intervenir que les extrémités <strong>de</strong> l’échelle,<br />
ils laissent les personnes entièrement libres <strong>de</strong> leurs choix pour les nombres<br />
intermédiaires. Cependant, tous les participants ont positionné intuitivement<br />
chaque nombre dans un ordre monotone, qui respectait une relation systématique<br />
entre le nombre <strong>et</strong> l’espace. Ainsi c<strong>et</strong>te relation apparaît intuitive <strong>et</strong> spontanée,<br />
même en l’absence d’éducation mathématique.<br />
De façon plus surprenante, toutefois, la forme que prend c<strong>et</strong>te relation n’est pas<br />
linéaire. Les Mundurucus organisent spontanément les nombres dans l’espace<br />
suivant une échelle logarithmique. Lorsqu’on leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> situer le nombre 5<br />
par exemple sur une droite graduée <strong>de</strong> 1 à 10, ils ne le placent pas vers le milieu,<br />
mais à proximité <strong>de</strong> 10 — c’est plutôt 3 ou 4 qui, selon leur intuition, doit se<br />
situer au milieu <strong>de</strong> 1 <strong>et</strong> <strong>de</strong> 10. C<strong>et</strong>te représentation suit la loi <strong>de</strong> Weber. La<br />
similarité entre les nombres semble jugée sur une échelle logarithmique car celle-ci<br />
respecte les rapports entre les nombres : 3 est placé au milieu <strong>de</strong> 1 <strong>et</strong> 9 en sorte<br />
qu’il y ait le même rapport entre 3 <strong>et</strong> 1 qu’entre 9 <strong>et</strong> 3.<br />
Par contraste, tous les adultes occi<strong>de</strong>ntaux adoptent spontanément une<br />
représentation linéaire, dans laquelle les nombres consécutifs sont équidistants<br />
quelle que soit leur taille – la même opération <strong>de</strong> « successeur » ou « + 1 » s’applique<br />
tout au long <strong>de</strong> la ligne numérique mentale. Nos résultats signifient donc que ce<br />
sens <strong>de</strong> la mesure <strong>et</strong> <strong>de</strong> la linéarité <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres s’apprend <strong>et</strong> n’est pas immédiatement<br />
intuitif. Chez l’enfant occi<strong>de</strong>ntal, Siegler <strong>et</strong> Opfer ont observé que la nature <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
liens entre nombre <strong>et</strong> espace change au <strong>cours</strong> du développement. C’est entre 6 <strong>et</strong><br />
10 ans que l’enfant passe d’une représentation logarithmique à une représentation<br />
linéaire du nombre. Ainsi, c<strong>et</strong>te recherche m<strong>et</strong> en valeur le rôle essentiel <strong>de</strong><br />
l’éducation dans le développement mathématique : en son absence, semble-t-il,<br />
nous ignorerions même qu’il existe un espacement constant entre les nombres 1,<br />
2, 3, 4…<br />
Cognition numérique : la distinction entre subitisation <strong>et</strong> estimation<br />
Un autre travail, réalisé lors <strong>de</strong> la thèse <strong>de</strong> Susannah Revkin, a exploré les<br />
mécanismes d’appréhension <strong>de</strong> la numérosité d’un ensemble d’obj<strong>et</strong>s. On sait que<br />
les tous p<strong>et</strong>its ensembles d’obj<strong>et</strong>s (jusqu’à 3 ou 4) sont énumérés très rapi<strong>de</strong>ment<br />
<strong>et</strong> pratiquement sans erreurs. C<strong>et</strong>te « subitisation » <strong><strong>de</strong>s</strong> p<strong>et</strong>its nombres est connue<br />
<strong>de</strong>puis plus d’un siècle, mais reste inexpliquée. Un modèle classique suppose que
296 STANISLAS DEHAENE<br />
la subitisation n’est qu’une forme d’« estimation précise » : nous disposerions d’un<br />
mécanisme générique d’estimation soumis à la loi <strong>de</strong> Weber, c’est-à-dire que son<br />
imprécision augmente <strong>de</strong> façon proportionnelle au nombre représenté. Pour les<br />
tous p<strong>et</strong>its nombres, la précision du codage numérique <strong>de</strong>viendrait suffisante pour<br />
discriminer chaque nombre <strong>de</strong> ses voisins, ce qui perm<strong>et</strong>trait une dénomination<br />
rapi<strong>de</strong> <strong>et</strong> précise. C<strong>et</strong>te théorie unifiée <strong>de</strong> la subitisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’estimation est<br />
séduisante dans la mesure où, chez l’animal, <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones codant pour la numérosité<br />
<strong>et</strong> soumis à la loi <strong>de</strong> Weber ont effectivement été enregistrés, sans qu’ils présentent<br />
la moindre discontinuité pour les p<strong>et</strong>its nombres par rapport aux grands nombres.<br />
Toutefois d’autres dissociations, particulièrement chez le très jeune enfant, militent<br />
en faveur d’un autre modèle selon lequel la subitisation fait appel à un mécanisme<br />
entièrement distinct <strong>et</strong> dédié.<br />
Afin <strong>de</strong> séparer ces possibilités théoriques, nous avons testé une conséquence<br />
directe <strong>de</strong> la loi <strong>de</strong> Weber : la précision <strong>de</strong>vrait être la même lorsque les participants<br />
discriminent <strong>et</strong> dénomment les nombres 1, 2, 3, 4… <strong>et</strong> les nombres 10, 20, 30,<br />
40… (dans la mesure où leur rapports sont i<strong>de</strong>ntiques). Nous avons donc entraîné<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> participants français à dénommer rapi<strong>de</strong>ment <strong>et</strong> approximativement les dizaines<br />
<strong>de</strong> 10 à 80, <strong>et</strong> avons comparé ces résultats à ceux <strong>de</strong> la tâche classique <strong>de</strong> dénomination<br />
<strong>de</strong> 1 à 8 points. Les résultats ont mis en évi<strong>de</strong>nce une violation très n<strong>et</strong>te <strong>de</strong> la loi <strong>de</strong><br />
Weber : la précision est bien supérieure, <strong>et</strong> le temps <strong>de</strong> réponse n<strong>et</strong>tement plus<br />
rapi<strong>de</strong>, pour les numérosités 1 à 4 que pour tous les autres nombres <strong>et</strong> notamment<br />
les dizaines <strong>de</strong> 10 à 40. Ces résultats réfutent, d’une manière directe, l’hypothèse<br />
qu’un seul <strong>et</strong> même mécanisme sous-tend l’estimation <strong>et</strong> le comptage. Le mécanisme<br />
qui perm<strong>et</strong> la subitisation reste inconnu, mais la recherche doit s’orienter vers <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
propriétés spécifiques à la représentation visuelle <strong><strong>de</strong>s</strong> p<strong>et</strong>its ensembles d’obj<strong>et</strong>s.<br />
Cognition numérique : le sens <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres chez le bébé <strong>de</strong> trois mois<br />
De nombreuses recherches comportementales indiquent qu’une authentique<br />
compétence numérique est présente chez l’enfant <strong>de</strong> quelques mois. Jusqu’à<br />
présent, cependant, les mécanismes cérébraux <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te compétence restaient<br />
indéterminés. Seule l’IRM avait permis <strong>de</strong> montrer l’implication <strong>de</strong> la région<br />
pariétale, en particulier dans l’hémisphère droit, dans le traitement <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres<br />
chez l’enfant <strong>de</strong> 4 ans (Cantlon <strong>et</strong> coll., 2006).<br />
En collaboration avec Véronique Izard <strong>et</strong> Ghislaine Dehaene-Lambertz, nous<br />
avons pu montrer les premières images <strong>de</strong> l’activité cérébrale au <strong>cours</strong> d’un<br />
traitement numérique chez le bébé <strong>de</strong> trois mois (Izard <strong>et</strong> coll., PLOS Biology,<br />
2008). Nous avons comparé les potentiels évoqués par <strong><strong>de</strong>s</strong> changements<br />
imprévisibles au sein d’un ensemble d’obj<strong>et</strong>s, qui consistaient soit en un changement<br />
<strong>de</strong> nombre (2 contre 3, 4 contre 8, ou 4 contre 12), soit en un changement <strong>de</strong><br />
l’i<strong>de</strong>ntité <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s. Les topographies <strong><strong>de</strong>s</strong> voltages au niveau du scalp ont démontré<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> réponses massives <strong>et</strong> bien différenciées aux <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> changements. Un<br />
modèle réaliste du scalp <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> sources corticales distribuées, rendu possible par
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 297<br />
notre travail antérieur d’IRM du bébé, a montré que le changement d’i<strong>de</strong>ntité<br />
entrainait l’activation <strong><strong>de</strong>s</strong> régions occipito-temporales ventrales, particulièrement à<br />
gauche, tandis que le changement <strong>de</strong> nombre activait la région pariétale droite.<br />
Ces résultats suggèrent que le cerveau du bébé est hautement organisé <strong>et</strong> que la<br />
gran<strong>de</strong> division entre voies visuelles dorsale <strong>et</strong> ventrale est déjà présente à trois mois<br />
<strong>de</strong> vie. Ils soulignent la continuité du « sens <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres » au fil du développement<br />
<strong>et</strong> pointent vers un biais d’organisation en faveur du lobe pariétal droit, qui pourrait<br />
sous-tendre le développement ultérieur <strong>de</strong> l’intuition arithmétique.<br />
Accès à la conscience : limites <strong>de</strong> l’introspection<br />
Le laboratoire s’intéresse, <strong>de</strong>puis plus d’une dizaine d’années, aux mécanismes qui<br />
perm<strong>et</strong>tent à une information d’accé<strong>de</strong>r à la conscience. Avec Guido Corallo, Jérôme<br />
Sackur <strong>et</strong> Mariano Sigman, nous avons développé une nouvelle métho<strong>de</strong> d’étu<strong>de</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> capacités <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> limites <strong>de</strong> l’introspection consciente (Corallo <strong>et</strong> coll., Psychological<br />
Science, 2008). C<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> d’« introspection quantifiée » se situe au confluent <strong>de</strong><br />
nos recherches sur les nombres <strong>et</strong> sur la conscience. En eff<strong>et</strong>, elle consiste à interroger<br />
le volontaire, après chaque essai d’une tâche chronométrique, sur son introspection<br />
<strong>de</strong> son propre temps <strong>de</strong> réponse. Contrairement à beaucoup d’autres étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, c<strong>et</strong>te<br />
introspection n’est pas seulement qualitative ou verbale, mais elle est finement<br />
quantifiée : le volontaire utilise un curseur analogique ou une réponse numérique<br />
afin d’estimer, en millisecon<strong><strong>de</strong>s</strong>, ce qu’il estime être son temps <strong>de</strong> réponse. De c<strong>et</strong>te<br />
manière, <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques classiques <strong>de</strong> chronométrie mentale telles que la métho<strong>de</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs additifs <strong>de</strong> Sternberg peuvent être appliquées au temps <strong>de</strong> réponse<br />
introspectif, <strong>et</strong> l’on peut étudier les limites <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te introspection.<br />
Nos résultats démontrent que, dans une tâche <strong>de</strong> comparaison simple, le temps<br />
<strong>de</strong> réponse introspectif est une mesure très sensible, étroitement corrélée au temps<br />
<strong>de</strong> réponse objectif, <strong>et</strong> affectée par les mêmes facteurs expérimentaux. Toutefois,<br />
dans une situation <strong>de</strong> « pério<strong>de</strong> psychologique réfractaire » où <strong>de</strong>ux tâches entrent<br />
en collision <strong>et</strong> sont réalisées l’une après l’autre, une partie <strong><strong>de</strong>s</strong> traitements mis en<br />
jeu n’est plus accessible à l’introspection. En particulier, le délai objectif qui affecte<br />
la secon<strong>de</strong> tâche disparaît totalement <strong>de</strong> l’introspection <strong><strong>de</strong>s</strong> participants. Ceux-ci<br />
ne se ren<strong>de</strong>nt pas compte que leurs réponses sont considérablement différées par<br />
l’exécution <strong>de</strong> la première tâche, <strong>et</strong> préten<strong>de</strong>nt avoir répondu à vitesse constante,<br />
quel que soit l’intervalle entre les cibles associées à chaque tâche.<br />
Nous en concluons que l’introspection subjective du temps consacré à une<br />
opération mentale corrèle avec la disponibilité d’un « espace <strong>de</strong> travail global » où<br />
se prennent les décisions <strong>et</strong> qui ne peut réaliser qu’une tâche à la fois. Les étapes<br />
<strong>de</strong> perception <strong>et</strong> d’exécution motrices ne sont accessibles à l’introspection que<br />
lorsque c<strong>et</strong>te espace est disponible, ce qui n’est pas le cas lorsqu’une pression<br />
temporelle s’exerce pour réaliser <strong>de</strong>ux tâches conjointes le plus rapi<strong>de</strong>ment possible.<br />
Notre introspection semble limitée aux informations qui parviennent à ce goulot<br />
d’étranglement central.
298 STANISLAS DEHAENE<br />
Analyse temporelle <strong>de</strong> la collision mentale entre <strong>de</strong>ux tâches<br />
Avec Mariano Sigman, nous avons développé <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> d’analyse temporelle<br />
en IRM fonctionnelle <strong>et</strong> en potentiels évoqués, afin d’i<strong>de</strong>ntifier précisément les<br />
aires corticales <strong>et</strong> les étapes d’activation cérébrale associées à ce goulot d’étranglement<br />
central (Sigman <strong>et</strong> Dehaene, Journal of Neuroscience, 2008).<br />
Par le passé, nous avions montré que l’idée répandue que l’IRM fonctionnelle<br />
est largement dépourvue <strong>de</strong> résolution temporelle est fausse. L’IRM est effectivement<br />
limitée par la lenteur <strong>de</strong> la réponse hémodynamique, qui se déploie avec plusieurs<br />
secon<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ard par rapport à l’activité neuronale. Toutefois, Mariano Sigman<br />
<strong>et</strong> moi-même avons montré qu’une analyse <strong>de</strong> Fourier perm<strong>et</strong>tait <strong>de</strong> dépasser ces<br />
limites <strong>et</strong> d’obtenir <strong><strong>de</strong>s</strong> informations sur le dé<strong>cours</strong> temporel <strong>de</strong> l’activité neuronale<br />
sous-jacente, à l’échelle <strong>de</strong> la centaine <strong>de</strong> millisecon<strong><strong>de</strong>s</strong> (Sigman <strong>et</strong> al., NeuroImage<br />
2007).<br />
Dans notre nouveau travail, nous avons appliqué c<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> au phénomène<br />
<strong>de</strong> « pério<strong>de</strong> psychologique réfractaire », qui fait référence à l’impossibilité <strong>de</strong><br />
réaliser <strong>de</strong>ux tâches simultanément. Diverses expériences comportementales ont<br />
conduit à l’hypothèse, formulée clairement par Pashler, que les étapes perceptives<br />
<strong>et</strong> motrices peuvent être menées en parallèles, mais qu’une étape <strong>de</strong> décision<br />
centrale impose un goulot d’étranglement où les opérations sont réalisées en série,<br />
l’une après l’autre. Pour tester c<strong>et</strong>te hypothèse, nous avons <strong>de</strong>mandé à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
volontaires <strong>de</strong> réaliser <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches doubles, qui impliquaient <strong>de</strong> prendre simultanément<br />
une décision auditive (comparaison <strong>de</strong> hauteur tonale) <strong>et</strong> une décision visuelle<br />
abstraite (comparison <strong>de</strong> nombres). Un délai <strong>de</strong> 300 millisecon<strong><strong>de</strong>s</strong> était injecté<br />
dans la tâche auditive, soit pendant la pério<strong>de</strong> d’interférence, soit en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong><br />
c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong>. A l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’IRM, <strong>et</strong> bien que l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations soit réalisé<br />
en environ une secon<strong>de</strong>, nous avons pu diviser les réseaux corticaux en souscomposantes<br />
en fonction <strong>de</strong> leurs caractéristiques temporelles. Les aires sensorielles<br />
suivaient étroitement le moment <strong>de</strong> présentation du stimulus, tandis qu’un réseau<br />
pariéto-préfrontal bilatéral montrait un eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> délai lié au goulot d’étranglement.<br />
De plus, un réseau étendu qui impliquait les régions pariétales postérieures, le<br />
cortex prémoteur, la partie antérieure <strong>de</strong> l’insula <strong>et</strong> le cervel<strong>et</strong> était partagé par les<br />
<strong>de</strong>ux étapes successives <strong>de</strong> décision. L’enregistrement <strong><strong>de</strong>s</strong> potentiels évoqués à<br />
256 électro<strong><strong>de</strong>s</strong> a montré que le goulot d’étranglement se traduisait par un délai<br />
massif <strong>de</strong> la composante P3, qui reflète effectivement l’entrée en activité d’un<br />
réseau distribué d’aires corticales associatives, tandis que les activations sensorielles<br />
antérieures (< 250 ms) étaient strictement non-affectées par l’interférence.<br />
Les résultats confirment que le cerveau se comporte comme une architecture à<br />
la fois massivement parallèle (aux niveaux perceptifs <strong>et</strong> moteurs) <strong>et</strong> strictement<br />
sérielle (au niveau décisionnel). De plus, ils délimitent les contours anatomiques<br />
<strong>et</strong> fonctionnels <strong>de</strong> ce réseau décisionnel qui semble systématiquement associé aux<br />
régions pariétales <strong>et</strong> préfrontales bilatérales — un système très proche <strong>de</strong> celui que<br />
nos <strong>travaux</strong> antérieurs associent à l’accès à la conscience.
Articles originaux<br />
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 299<br />
Publications (2007-2008)<br />
Thirion. B., Pinel, P., Meriaux, S., Roche, A., Dehaene, S., Poline, J.B. Analysis of<br />
a large fMRI cohort : Statistical and m<strong>et</strong>hodological issues for group analyses. NeuroImage,<br />
2007, 35, 105-120.<br />
Golestani., N., Molko, N., Dehaene, S., Lebihan, D., Pallier, C. Brain structure<br />
predicts the learning of foreign speech sounds. Cerebral Cortex, 2007, 17, 575-582.<br />
Landmann, C., Dehaene, S., Pappata, S., Jobert, A., Bottlan<strong>de</strong>r, M., Roumenov, D.,<br />
Lebihan, D. Dynamics of prefrontal and cingulate activity during a reward-based logical<br />
<strong>de</strong>duction task. Cerebral Cortex, 2007, 17, 749-759.<br />
Sigman, M., Jobert, A., Lebihan, D., Dehaene, S. Parsing a sequence of brain<br />
activations at psychological times using fMRI. NeuroImage, 2007, 35, 655-668.<br />
Piazza, M., Pinel, P., Le Bihan, D., Dehaene, S. A magnitu<strong>de</strong> co<strong>de</strong> common to<br />
numerosities and number symbols in human intrapari<strong>et</strong>al cortex. Neuron, 2007, 53, 293-<br />
305.<br />
Dehaene, S. A few steps toward a science of mental life. Mind, Brain and Education,<br />
2007, 1, 28-47.<br />
Vinckier, F., Dehaene, S., Jobert, A., Dubus, J.P., Sigman, M., Cohen, L. Hierarcical<br />
coding of l<strong>et</strong>ter strings in the ventral stream : dissecting the inner organization of the visual<br />
word-form system, Neuron, 2007, 55, 143-156.<br />
Reuter, F., Del Cul, A., Audoin B., Malikova, I., Naccache, L., Ranjeva, J.P.,<br />
Lyon-Caen, O., Cherif, A.A., Cohen, L. Dehaene, S., Pell<strong>et</strong>ier, J. Intact subliminal<br />
processing and <strong>de</strong>layed conscious access in multiple sclerosis. Neuropsychologia, 2007, 45,<br />
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Koui<strong>de</strong>r, S., Dehaene, S., Jobert, A., Le Bihan, D. Cerebral Bases of Subliminal and<br />
Supraliminal Priming during Reading. Cerebral Cortex, 2007, 17, 2019-2029.<br />
Gaillard, R., Cohen, L., Adam, C., Clemenceau, S., Hasboun, D., Baulac, M.,<br />
Willer, J.C., Dehaene, S., Naccache, L. Subliminal words durably affect neuronal<br />
activity. NeuroReport, 2007, 18, 1527-1531.<br />
Pinel, P., Thirion, B., Meriaux, S., Jobert, A., Serres, J., Le Bihan, D., Poline, J.-P.<br />
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Dehaene, S., Cohen, L. Cultural recycling of cortical maps. Neuron, 2007, 56, 384-<br />
398.<br />
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300 STANISLAS DEHAENE<br />
Cohen, L., Dehaene, S.¸ Vinckier, F., Jobert, A., Montavont, A. Reading normal<br />
and <strong>de</strong>gra<strong>de</strong>d words : contribution of the dorsal and ventral visual pathways. NeuroImage,<br />
2008, 40, 353-366.<br />
Izard, V., Dehaene-Lambertz, G., Dehaene, S. Distinct cerebral pathways for object<br />
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Revkin, S.K., Piazza, M., Izard, V., Cohen, L., & Dehaene, S. Does subitizing reflect<br />
numerical estimation ? Psychological Science, 2008, 19, 606-614.<br />
Dehaene, S., Izard, V., Spelke, E., Pica, P. Log or Linear ? Distinct intuitions of the<br />
number scale in western and Amazonian indigene cultures. Science, 2008, 320, 1217-<br />
1220.<br />
Sackur, J., Naccache, L., Pradat-Diehl, P., Azouvi, P., Mazev<strong>et</strong>, D., Katz, R.,<br />
Cohen, L., Dehaene, S. Semantic processing of neglected numbers. Cortex, 2008, 44,<br />
673-682.<br />
Sigman, M., Dehaene, S. Brain mechanisms of serial and parallel processing during<br />
dual-task performance. J Neuroscience (sous presse).<br />
Epelbaum, S., Pinel, P., Gaillard, R., Delmaire, C., Perrin, M., Dupont, S.,<br />
Dehaene, S. Pure alexia as a disconnection syndrome : New diffusion imaging evi<strong>de</strong>nce for<br />
an old concept. Cortex (special issue) (sous presse).<br />
Corallo, G., Sackur, J., Dehaene, S., Sigman, M. Limits on introspection : Distorted<br />
subjective time during the dual-task bottleneck. Psychological Science (sous presse).<br />
Devauchelle, A.D., Oppenheim, C., Rizzi, L., Dehaene, S., Pallier, C. Sentence<br />
syntax and content in the human temporal lobe. J. Cogn. Neurosci. (sous presse).<br />
Livres<br />
Dehaene, S. Les Neurones <strong>de</strong> la lecture. Paris : Odile Jacob, 2007.<br />
Articles <strong>de</strong> revue<br />
Koui<strong>de</strong>r, S., Dehaene, S. Levels of processing during non-conscious perception : a<br />
critical review of visual masking. Philosophical Translations of the Royal Soci<strong>et</strong>y B, 2007, 362,<br />
857-875.<br />
Pica, P., Lemer, C., Izard, V., Dehaene, S. Quels sont les liens entre arithmétique <strong>et</strong><br />
langage ? Une étu<strong>de</strong> en Amazonie. Cahiers <strong>de</strong> l’Herne consacré à Chomsky, 2007.<br />
Chapitres <strong>de</strong> livre<br />
Wilson, A.J., Dehaene, S. Number sense and <strong>de</strong>velopmental dyscalculia. In Donna<br />
Coch, Geraldine Dawson, Kurt W. Fischer (Eds) Human behavior, learning and the<br />
<strong>de</strong>veloping brain : Atypical <strong>de</strong>velopment, The Guilford Press New, 2007, pp. 212-238.<br />
Dehaene, S. Symbols and quantities in pari<strong>et</strong>al cortex : elements of a mathematical<br />
theory of number representation and manipulation. In Attention & Performance XXII.<br />
Sensori-motor foundations of higher cognition, Haggard, P. and Ross<strong>et</strong>ti, Y. (Ed) Cambridge,<br />
mass., Harvard University Press. 2007, 24, pp. 527-374.<br />
Dehaene, S. L’imagerie cérébrale peut-elle séparer mémoires conscientes <strong>et</strong> non<br />
conscientes ? In, La Mémoire, ses mécanismes, ses désordres. Editions Le Manuscrit, 2007,<br />
pp. 49-69.<br />
Dehaene, S., Conscious and Nonconscious Processes. Distinct forms of evi<strong>de</strong>nce<br />
accumulation ? In B<strong>et</strong>ter than conscious ? Implications for Performance and Institutional<br />
Analysis. Engel C., and W. Singer, eds. Strüngmann Forum Report 1. Cambridge, MA :<br />
MIT Press, 2008, pp. 1-29.
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 301<br />
Platt, M., Dehaene, S., Mccabe, K., Menzel, R., Phelps, E., Plassmann H.,<br />
Ratcliff, R., Shadlen, M., Singer, W. In B<strong>et</strong>ter than conscious ? Implications for Performance<br />
and Institutional Analysis. Engel C., and W. Singer, eds. Strüngmann Forum Report 1.<br />
Cambridge, MA : MIT Press, 2008, pp. 125-154.<br />
Changeux, J.-P., Dehaene, S. The neuronal workspace mo<strong>de</strong>l : conscious processing<br />
and learning. In : Learning and Memory : A Comprehensive Reference, R. Menzel (Ed.)<br />
Elsevier, 2008.<br />
Cohen, L., Wilson, A.J., Izard, V., Dehaene, S. Acalculia and Gerstmann’s syndrome.<br />
In Cognitive and Behavioral Neurology of Stroke, Go<strong>de</strong>froy, O. & Boyousslavsky, J. (Eds)<br />
Cambridge University Press. 2008, 8, 125-147.<br />
Dehaene, S., Cerebral constraints in reading and arithm<strong>et</strong>ic: Education as a neuronal<br />
recycling process. In The educated brain, A. Battro (Ed), Cambridge University Press, 2008,<br />
14, pp. 232-248.<br />
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In The visual word form area, P.L. Cornelissen, P.C. Hansen & K. Pugh (Eds), Oxford,<br />
Oxford University Press (sous presse)<br />
Hubbard, E.M., Piazza, M., Pinel, P. Dehaene, S. Numerical and spatial intuitions:<br />
A role for posterior pari<strong>et</strong>al cortex ? In Cognitive Biology : Evolutionary and Developmental<br />
Perspectives on Mind, Brain and Behavior. L. Tommasi, L. Na<strong>de</strong>l and M.A. P<strong>et</strong>erson (Eds.)<br />
Cambridge, MA : MIT Press (sous presse).<br />
Distinctions<br />
Stanislas Dehaene a été nommé au gra<strong>de</strong> <strong>de</strong> Chevalier dans l’Ordre national du<br />
mérite. Il a également été nommé membre <strong>de</strong> l’Académie Pontificale <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences,<br />
<strong>et</strong> a reçu le Dr A.H. Heineken Prize for Cognitive Science <strong>de</strong> l’Académie Royale <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Pays-Bas.
Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action<br />
M. Alain Berthoz, Membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), Professeur<br />
Cours<br />
Principes simplificateurs dans les mécanismes cérébraux<br />
<strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action<br />
Le <strong>cours</strong> a été consacré aux principes simplificateurs qui sous ten<strong>de</strong>nt la<br />
perception <strong>et</strong> le contrôle du mouvement. Ces <strong>cours</strong> ont été donnés respectivement<br />
dans les Universités suivantes 1 :<br />
— Massachus<strong>et</strong>ts Institute of Technology : 2 <strong>cours</strong>, l’un au département <strong>de</strong><br />
Cognitive <strong>et</strong> Brain Sciences <strong>et</strong> l’autre au département d’Astronautics ;<br />
— Département <strong>de</strong> Neurosciences du California Institute of Technology<br />
(Caltech) à Los Angeles : 1 <strong>cours</strong> ;<br />
— Département <strong>de</strong> Psychologie <strong>de</strong> l’Université Santa Barbara : 1 <strong>cours</strong> ;<br />
— Laboratoire MBARI <strong>de</strong> Robotique <strong>et</strong> Biologie Marine à Monterey :<br />
1 <strong>cours</strong> ;<br />
— Institut <strong>de</strong> Brain Sciences <strong>et</strong> à l’Hôpital Neurologique <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong><br />
Portland : 2 <strong>cours</strong> ;<br />
— Département <strong>de</strong> Computer Sciences <strong>et</strong> à l’Institut d’étu<strong>de</strong> avancée <strong>de</strong><br />
Colombie Britannique (Vancouver, Canada) : 3 <strong>cours</strong> ;<br />
— Département <strong>de</strong> Psychologie <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Harvard (Cambridge, USA) :<br />
1 <strong>cours</strong>.<br />
Dans c<strong>et</strong>te série, nous avons abordé divers vol<strong>et</strong>s du problème <strong><strong>de</strong>s</strong> principes qui<br />
perm<strong>et</strong>tent au cerveau <strong>de</strong> simplifier la « Neurocomputation ».<br />
1. Tous ces <strong>cours</strong> ont rempli les critères <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> ont été annoncés<br />
comme tels (public large <strong>et</strong> interdépartemental ou grand public).
304 ALAIN BERTHOZ<br />
Une première catégorie <strong>de</strong> principes simplificateurs concerne la perception.<br />
Nous avons décrit le fonctionnement du système visuel en analysant les mécanismes<br />
simplificateurs dans les bases neurales <strong>de</strong> l’anticipation perceptive, la ségrégation<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> voies visuelles en modules spécialisés, le contrôle du regard <strong>et</strong> la relation entre<br />
vision <strong>et</strong> motricité oculaire. Nous avons décrit les <strong>travaux</strong> expérimentaux <strong>de</strong> notre<br />
laboratoire concernant l’enregistrement intracrânien <strong>de</strong> l’activité cérébrale chez <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
patients épileptiques dans les voies visuelles <strong>et</strong> oculomotrices.<br />
Un <strong><strong>de</strong>s</strong> aspects les plus remarquables <strong>de</strong> la simplification dans les systèmes<br />
perceptifs vient <strong><strong>de</strong>s</strong> modalités <strong>de</strong> coopération multisensorielle <strong>et</strong> du caractère actif<br />
<strong>de</strong> la perception. Nous avons décrit <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur les mécanismes <strong>de</strong> la décision<br />
<strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r.<br />
Une <strong>de</strong>uxième catégorie <strong>de</strong> principes concerne le contrôle <strong>de</strong> la posture <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />
marche. J’ai fait une synthèse <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> notre laboratoire. J’ai suggéré que les<br />
mêmes lois simplificatrices très générales sont utilisées pour contrôler les trajectoires<br />
<strong>de</strong> la main <strong>et</strong> les trajectoires locomotrices. J’ai résumé ces lois (co-variation planaire,<br />
loi <strong>de</strong> la puissance 1/3, séparation du contrôle <strong>de</strong> la direction <strong>et</strong> la distance, <strong>et</strong>c.).<br />
Ensuite, dans plusieurs conférences, j’ai fait une synthèse <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> sur les<br />
référentiels spatiaux pour montrer que le cerveau peut utiliser une variété <strong>de</strong><br />
référentiels pour le contrôle <strong>de</strong> l’équilibre <strong>et</strong> <strong>de</strong> la locomotion (grâce au système<br />
vestibulaire qui crée une plateforme céphalique stabilisé).<br />
J’ai aussi décrit <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> très récents utilisant l’imagerie cérébrale <strong>et</strong> la réalité<br />
virtuelle concernant différents réseaux du cerveau qui sous ten<strong>de</strong>nt la manipulation<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> référentiels spatiaux <strong>et</strong> j’ai esquissé une théorie nouvelle que nous élaborons<br />
avec <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiciens concernant le fait que le cerveau n’utilise pas seulement<br />
la géométrie euclidienne mais aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> géométries affinées.<br />
L’ensemble <strong>de</strong> ces <strong>travaux</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> ces conférences faites <strong>de</strong>vant <strong><strong>de</strong>s</strong> publics très<br />
variés dans <strong><strong>de</strong>s</strong> Universités toutes <strong>de</strong> très haut niveau m’ont donné l’occasion <strong>de</strong><br />
confronter mes idées avec <strong><strong>de</strong>s</strong> collègues éminents. J’ai dégagé <strong>de</strong> tout ce travail<br />
d’enseignement <strong>et</strong> <strong>de</strong> résultats <strong>de</strong> nos <strong>travaux</strong> un concept nouveau qui va donner<br />
lieu à un livre à paraître au printemps 2009, chez O. Jacob, sous le titre<br />
« La simplexité ». J’ai en eff<strong>et</strong> forgé un concept nouveau qui rend compte <strong>de</strong> ce<br />
remarquable travail <strong>de</strong> l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes vivants pour résoudre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
problèmes complexes avec <strong><strong>de</strong>s</strong> solutions qui ne sont pas simples mais simplexes,<br />
car elles supposent souvent en réalité <strong><strong>de</strong>s</strong> processus très élaborés, mais qui perm<strong>et</strong>tent<br />
aux organismes vivants d’agir très vite, avec précision <strong>et</strong> avec <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> capacités<br />
d’adaptation <strong>et</strong> <strong>de</strong> flexibilité. J’ai beaucoup apprécié la possibilité donnée aux<br />
Professeurs du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>de</strong> donner leur <strong>cours</strong> à l’étranger car ce « grand<br />
tour » d’Universités <strong>de</strong> haut niveau <strong>et</strong> la confrontation d’opinions qu’elle à induite<br />
a été très fructueuse pour mes recherches <strong>et</strong> celles <strong>de</strong> notre laboratoire <strong>et</strong>, je l’espère,<br />
pour ceux qui voudront bien lire mon livre. Elles ont aussi permis d’engager <strong>de</strong><br />
nouvelles collaborations, en particulier avec l’Université <strong>de</strong> Vancouver.
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 305<br />
Séminaires<br />
Le cerveau, le réel <strong>et</strong> le virtuel<br />
Le séminaire du <strong>cours</strong> a été consacré c<strong>et</strong>te année au thème suivant : « Le cerveau,<br />
le réel <strong>et</strong> le virtuel ». La question du réel est importante <strong>et</strong> donne lieu aujourd’hui<br />
à <strong><strong>de</strong>s</strong> approches multidisciplinaires qui vont <strong>de</strong> la neuropsychologie à la robotique.<br />
C<strong>et</strong>te question a été discutée par <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences <strong>de</strong> psychiatres, <strong><strong>de</strong>s</strong> spécialistes <strong>de</strong><br />
l’hypnose, <strong><strong>de</strong>s</strong> neurologues. Nous avons aussi accordé une attention particulière à<br />
la question <strong>de</strong> la mémoire autobiographique <strong>et</strong> les applications <strong>de</strong> la réalité<br />
virtuelle.<br />
Une série <strong>de</strong> conférences a été donnée par le P r I. Takanishi sur la robotique<br />
humanoï<strong>de</strong>. En eff<strong>et</strong>, la construction <strong>de</strong> robots humanoï<strong><strong>de</strong>s</strong> est un champ nouveau<br />
<strong>de</strong> l’intelligence artificielle <strong>et</strong> donne lieu à <strong><strong>de</strong>s</strong> coopérations importantes entre<br />
neurosciences <strong>et</strong> robotique.<br />
— 16 janvier : P r N. Franck (Institut <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences Cognitives CNRS Lyon),<br />
« Les hallucinations. Altérations <strong>de</strong> la prise en compte du réel dans les psychoses » ;<br />
D r M.-O. Krebs & D r I. Amada (INSERM. Hôpital Sainte-Anne Paris), « Hallucination <strong>et</strong><br />
schizophrénie ».<br />
— 23 janvier : D r J. Becchio (Université Paris Sud Orsay), « Données récente sur les<br />
bases neurales <strong>et</strong> les applications cliniques <strong>de</strong> l’hypnose » ; D r J.-P. Lachaux (INSERM<br />
Lyon), D r Ph. Kahane (Hôpital Nord, Grenoble) <strong>et</strong> D r K. Jerbi (LPPA <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>),<br />
« Brain TV : voir, contrôler <strong>et</strong> moduler l’activité <strong>de</strong> son cerveau. Bases du neurofeedback <strong>et</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> interfaces cerveau-machine ».<br />
— 30 janvier : P r P. Haggard (Institute of Cognitive Neuroscience University College<br />
Londres), « Sensation corporelle <strong>et</strong> représentation <strong>de</strong> soi » (en anglais avec traduction<br />
française) ; discussion : P r A. Berthoz <strong>et</strong> P r J.-L. P<strong>et</strong>it, « La notion <strong>de</strong> corps virtuel ».<br />
— 6 février : P r L. Manning (Laboratoire <strong>de</strong> Neuropsychologie CNRS, Université <strong>de</strong><br />
Strasbourg), « Le réel <strong>et</strong> la fiction dans la mémoire autobiographique. Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> comportementales<br />
<strong>et</strong> en imagerie cérébrale » ; P r P. Piolino (Université Paris V), « A la recherche du temps<br />
perdu : bases neurales <strong>de</strong> la mémoire autobiographique <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses dysfonctionnements ».<br />
— 13 février : P r S. Aglioti (Université La Sapienza, Rome), « Le corps <strong>et</strong> le soi dans le<br />
cerveau » ; P r A. Berthoz, H. Hicheur, J. Grèzes, J. Houben, L. Yahia-Cherif (LPPA <strong>Collège</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> Ecole Jacques Lecoq), « L’expression corporelle <strong><strong>de</strong>s</strong> émotions ».<br />
— 20 février : P r D. Thalmann (Ecole polytechnique <strong>de</strong> Lausanne, Laboratoire <strong>de</strong> Réalité<br />
virtuelle) « La simulation <strong><strong>de</strong>s</strong> foules par la réalité virtuelle » ; D r S. Donikian (IRISA /CNRS<br />
Université <strong>de</strong> Rennes) « Comment s’inspirer <strong><strong>de</strong>s</strong> comportements humains pour réaliser <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
créatures virtuelles avec <strong><strong>de</strong>s</strong> images numériques ».<br />
— Bérangère Thirioux, LPPA <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>. P r Olaf Blanke, EPFL Lausanne.<br />
P r Gérard Jorland, EHESS. P r A. Berthoz, LPPA. « Danser avec un funambule virtuel :<br />
étu<strong>de</strong> en EEG <strong><strong>de</strong>s</strong> bases neurales <strong>de</strong> l’empathie ».<br />
Ces séminaires on été complétés par un Colloque international les 11 <strong>et</strong> 12 juin<br />
2008, organisé avec les Professeurs Brian Stock (Université <strong>de</strong> Toronto) <strong>et</strong> Carlo<br />
Ossola (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), intitulé : « La pluralité interprétative. Fon<strong>de</strong>ments<br />
cognitifs <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> point <strong>de</strong> vue ». Près <strong>de</strong> 20 orateurs ont présenté <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>travaux</strong> interdisciplinaires. Ce colloque sera publié par O. Jacob dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
« Travaux du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ».
306 ALAIN BERTHOZ<br />
La pluralité interprétative.<br />
Fon<strong>de</strong>ments historiques <strong>et</strong> cognitifs <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> point <strong>de</strong> vue<br />
Jeudi 12 juin 2008<br />
— Brian Stock (Université <strong>de</strong> Toronto), Sources historiques <strong>de</strong> la pluralité.<br />
— Alain Berthoz (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), La manipulation mentale <strong><strong>de</strong>s</strong> points <strong>de</strong> vue :<br />
un <strong><strong>de</strong>s</strong> fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> la tolérance ?<br />
— Olivier Houdé (Université Paris Descartes <strong>et</strong> Institut Universitaire <strong>de</strong> <strong>France</strong>), Aux<br />
origines du dialogue <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures chez l’enfant.<br />
— Edy Veneziano (Université Paris Descartes - CNRS), Utilisations du langage <strong>et</strong><br />
développement <strong>de</strong> la capacité à maîtriser plusieurs points <strong>de</strong> vue chez l’enfant.<br />
— Stéphanie Burn<strong>et</strong>t <strong>et</strong> Sarah Blakemore (University College, Cognitive Neuroscience<br />
Center. Londres), Cognitive <strong>de</strong>velopment during adolescence.<br />
— Francisco Jarauta (Université <strong>de</strong> Murcia), Dialogue <strong><strong>de</strong>s</strong> interprétations : les Tre<br />
filosofi <strong>de</strong> Giorgione.<br />
— Dan Sperber (Ecole Normale Supérieure. Institut Jean Nicot. CNRS), Pragmatique<br />
<strong>de</strong> l’interprétation.<br />
— Carlo Severi (Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en Sciences Sociales <strong>et</strong> <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>),<br />
Pluralité <strong>de</strong> points <strong>de</strong> vue <strong>et</strong> culture : réflexions sur le conflit culturel.<br />
— Sara Cigada (Université <strong>de</strong> Milan), L’émotion <strong>et</strong> la persuasion politique : lectures<br />
<strong>de</strong> Robespierre.<br />
— Mikkel Wallentin (Center for Semiotics and Functionally Integrative Neuroscience,<br />
Aarhus University Hospital, Danemark), What is it to you ? Spatial perspectives in<br />
language and brain.<br />
— Annick Paternoster (Universités <strong>de</strong> Leeds <strong>et</strong> Lugano), Politesse <strong>et</strong> point <strong>de</strong> vue dans<br />
les dialogues <strong>de</strong> la Renaissance italienne.<br />
Vendredi 13 juin<br />
— Michel Tardieu (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), Le pluralisme religieux.<br />
— Barbara Cassin (Centre Léon Robin <strong>de</strong> Recherche sur la pensée antique. CNRS/Paris<br />
IV, ENS), Relativité <strong>de</strong> la traduction <strong>et</strong> relativisme.<br />
— Jean-Clau<strong>de</strong> Schmitt (Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> en Sciences Sociales), Visions <strong>et</strong> voix :<br />
une herméneutique médiévale par les gestes, les images <strong>et</strong> la musique.<br />
— Carlo Ossola (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), Le paradoxe herméneutique.<br />
— Philippe Mongin (Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> Commerciales. CNRS), Waterloo <strong>et</strong> les<br />
miroirs croisés <strong>de</strong> l’interprétation, <strong>de</strong> Stendhal à la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> jeux.<br />
— Julie Grèzes (INSERM. ENS), Bases neurales <strong><strong>de</strong>s</strong> relations avec autrui.<br />
— Roland Jouvent (Université Paris VI - Hôpital <strong>de</strong> la Salpétrière), Les ambiguïtés du<br />
jugement.<br />
— Anne Andronikof (Université Paris X), Interpréter le dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’autre en<br />
psychologie clinique : projections <strong>et</strong> déviances.<br />
— Heike Jung (Université <strong>de</strong> la Sarre, Département <strong>de</strong> Sciences juridiques), Les formes<br />
<strong>et</strong> modèles du procès pénal - sauvegar<strong><strong>de</strong>s</strong> contre la manipulation ?<br />
— Emmanuel Decaux (Université Paris II), Universalité <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong><br />
pluralité interprétative : l’exemple <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’enfant.
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 307<br />
Séminaires divers du laboratoire<br />
— 10 janvier : D r J. Del R. Millan (IDIAP Research Institute, EPFL, Lausanne Suisse),<br />
« Cognitive signals for brain - Computer interaction ».<br />
— 25 <strong>et</strong> 27 février : P r A. Takanishi (Professeur à l’Université Waseda <strong>de</strong> Tokyo, Japon),<br />
invité par l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> Professeurs, sur la proposition du professeur Alain Berthoz. Deux<br />
conférences sur les suj<strong>et</strong>s suivants : 1. Relations entre la robotique <strong><strong>de</strong>s</strong> humanoï<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> la<br />
culture <strong>et</strong> la société au Japon. 2. Les robots humanoï<strong><strong>de</strong>s</strong> comme outils pour l’étu<strong>de</strong><br />
scientifique du comportement humain.<br />
— 3 mars : D r L. Rossini (ESA/ESTEC N<strong>et</strong>herlands), « Neuro-inspired motor<br />
anticipatory interface for teleoperation ».<br />
— 26 mars : P r A. Sirota (CMBN Rutgers Newark NJ, USA), « Role of oscillations in<br />
coordination of activity within and b<strong>et</strong>ween the neocortex and hippocampus ».<br />
— 12 <strong>et</strong> 19, 26 juin : P r G. Buzsaki (Professeur à Rutgers University, Newark, USA)<br />
invité par l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> Professeurs, sur la proposition du professeur Alain Berthoz, a<br />
donné une série <strong>de</strong> leçons sur Rythms of the brain : 1. Neuronal synchrony : m<strong>et</strong>abolic and<br />
wiring costs of excitatory and inhibitory systems, 2. Neuronal synchrony : oscillatory and<br />
non-oscillatory emergence of cell assemblies, 3. Neuronal synchrony : internally advancing<br />
assemblies in the hippocampus, 4. Neuronal synchrony : coupling of hippocampal and<br />
neocortical systems.<br />
— 30 juin : D r T. Pozzo (INSERM U887, Dijon), « le codage central <strong>de</strong> la gravité :<br />
approche comportementale <strong>et</strong> corrélats neuronaux ».<br />
— 3 juill<strong>et</strong> : D r E.B. Torres (California Institute of Technology, USA), « Learning<br />
movement time from space in the primate Posterior Pari<strong>et</strong>al Cortex ».<br />
Travaux <strong>de</strong> recherche <strong><strong>de</strong>s</strong> équipes du laboratoire<br />
1. APPROCHE PROBABILISTE ET PERCEPTION ACTIVE<br />
1.1. Perception visuelle <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> du mouvement<br />
J. Droulez, C. Morvan, C. Devisme, C. Boucheny<br />
Notre équipe étudie la perception <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques géométriques <strong>et</strong> dynamiques<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s, notamment dans le contexte <strong>de</strong> la perception active c’est-à-dire lorsque<br />
le suj<strong>et</strong> est engagé dans une tâche motrice impliquant une interaction forte entre<br />
le traitement <strong><strong>de</strong>s</strong> informations sensorielles <strong>et</strong> l’exécution d’une action motrice :<br />
mouvement du regard, déplacement <strong>de</strong> la tête, mouvement <strong>de</strong> la main. Ces<br />
recherches sont organisées autour <strong>de</strong> 2 thèses, dont une a été soutenue c<strong>et</strong>te année.<br />
Elle a également étudié l’influence <strong>de</strong> la vitesse oculaire pendant la poursuite sur<br />
la perception <strong>de</strong> la direction du mouvement d’une cible visuelle. La thèse <strong>de</strong> Céline<br />
Devisme (contrat Cifre avec Essilor) est centrée sur l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gradients <strong>de</strong><br />
disparité binoculaires horizontaux <strong>et</strong> verticaux <strong>et</strong> leur influence sur la perception<br />
du relief en vision périphérique. Ces étu<strong><strong>de</strong>s</strong> perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> quantifier l’inci<strong>de</strong>nce<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> distorsions induites par le port <strong>de</strong> verres ophtalmiques. La thèse <strong>de</strong> Christian<br />
Boucheny (codirigée avec Georges-Pierre Bonneau, contrat Cifre EDF) a pour<br />
objectif l’étu<strong>de</strong> psychophysique <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> visualisation scientifique,
308 ALAIN BERTHOZ<br />
notamment les techniques <strong>de</strong> rendu volumique <strong>et</strong> <strong>de</strong> restitution cinématique. Il a<br />
également mis en place <strong>de</strong> nouvelles métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> visualisation interactive, couplant<br />
un oculomètre <strong>de</strong> précision à <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes <strong>de</strong> simplification dans le cadre <strong>de</strong> la<br />
visualisation <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> bases <strong>de</strong> données tridimensionnelles. Enfin, dans le cadre<br />
d’un stage post-doctoral, Camille Morvan a terminé une étu<strong>de</strong> sur l’intégration <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
signaux rétiniens <strong>et</strong> <strong>de</strong> la copie efférente <strong>de</strong> la comman<strong>de</strong> oculaire dans la perception<br />
<strong>de</strong> la vitesse d’une cible.<br />
1.2. Modélisation bayésienne <strong><strong>de</strong>s</strong> comportements sensori-moteurs<br />
J. Droulez, F. Colas, S. Capern, J. Laurens<br />
Dans le cadre du programme européen BACS dont l’objectif est <strong>de</strong> démontrer<br />
l’intérêt <strong>de</strong> l’approche Bayésienne en robotique <strong>et</strong> pour les sciences cognitives,<br />
notre équipe s’intéresse plus particulièrement à l’implementation <strong>de</strong> l’inférence<br />
bayésienne par <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux <strong>de</strong> neurones biologiquement plausibles <strong>et</strong> à la<br />
modélisation <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions multi-sensorielles (fusion d’informations) par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
réseaux bayésiens auto-adaptatifs. Nous avons développé un modèle bayésien<br />
dynamique <strong>de</strong> la perception du mouvement propre à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> informations<br />
vestibulaires (thèse <strong>de</strong> Jean Laurens). Dans ce modèle, les caractéristiques<br />
dynamiques <strong>de</strong> la perception du mouvement <strong>et</strong> les ambiguïtés qui résultent <strong>de</strong><br />
l’équivalence gravité-inertie sont expliquées par les connaissances a priori quantifiées<br />
<strong>de</strong> façon probabiliste. Nous avons également développé un modèle unifié <strong>de</strong> la<br />
perception <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s tridimensionnels à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> informations visuels (flux<br />
optique) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la connaissance du mouvement propre (signaux vestibulaires <strong>et</strong><br />
moteurs). Ce modèle perm<strong>et</strong> d’intégrer <strong>de</strong> façon cohérente les hypothèses <strong>de</strong><br />
rigidité <strong>et</strong> <strong>de</strong> stationnarité <strong>et</strong> reproduit un grand nombre <strong>de</strong> résultats psychophysiques<br />
(thèse <strong>de</strong> Francis Colas, codirigée par Pierre Bessière). Enfin, la thèse <strong>de</strong> Simon<br />
Capern est centrée sur la modélisation <strong>de</strong> la perception du mouvement <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
réseaux neuronaux codant les fréquences spatio-temporelles <strong><strong>de</strong>s</strong> stimuli visuels.<br />
Une revue <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles <strong>de</strong> détection du mouvement a été réalisée, ainsi qu’un<br />
modèle (en collaboration avec Daniel Bennequin) <strong>de</strong> la distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses<br />
aux fréquences spatio-temporelles dans V1 qui rend compte <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats décrits<br />
en imagerie optique.<br />
1.3. Approche probabiliste <strong>de</strong> la fusion d’information<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong> signaux biologiques<br />
J. Droulez, L. Foubert, en collaboration avec T. Chaperon & D. Bennequin<br />
De nouveaux outils probabilistes ont été développés pour la calibration <strong>et</strong> à<br />
l’estimation <strong>de</strong> la pose <strong>de</strong> caméra ainsi qu’à l’extraction <strong>de</strong> données 3D à partir <strong>de</strong><br />
séquences vidéo dans différentes conditions d’éclairage dans le cadre d’une<br />
collaboration avec EDF. Ces algorithmes sont utilisés dans l’interprétation <strong>et</strong> la<br />
numérisation 3D <strong>de</strong> bâtiments ou <strong>de</strong> sites préhistoriques (Lascaux) <strong>et</strong> archéologiques<br />
(Delphes). La modélisation par mixture <strong>de</strong> gaussiennes <strong>de</strong> la distribution <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
boutons synaptiques fournit une représentation quantitative <strong>de</strong>nse <strong><strong>de</strong>s</strong> données
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 309<br />
neuro-anatomiques <strong>et</strong> un outil précis <strong>de</strong> détermination <strong><strong>de</strong>s</strong> clusters (thèse <strong>de</strong> Luc<br />
Foubert, codirigée par Chantal Miller<strong>et</strong>). Enfin l’analyse statistique fine du bruit<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> données d’imagerie optique corticale a permis <strong>de</strong> proposer <strong>de</strong> nouvelles<br />
métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> traitement applicables aux enregistrements en fluorescence voltagedépendante.<br />
1.4. Implementation <strong><strong>de</strong>s</strong> calculs probabilistes<br />
par les interactions biochimiques<br />
J. Droulez, A. Houillon, en collaboration avec P. Bessière<br />
Les modèles Bayésiens sont particulièrement efficaces pour rendre compte du<br />
comportement <strong>et</strong> <strong>de</strong> la perception face à <strong><strong>de</strong>s</strong> situations incertaines <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> stimuli<br />
ambigus. Ces modèles supposent que le cerveau est capable <strong>de</strong> représenter <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
distributions <strong>de</strong> probabilités sur <strong><strong>de</strong>s</strong> variables pertinentes (forme, mouvement,<br />
position, <strong>et</strong>c.) <strong>et</strong> d’effectuer <strong><strong>de</strong>s</strong> calculs probabilistes sur ces distributions. Une<br />
question ouverte est donc <strong>de</strong> comprendre par quels mécanismes <strong>et</strong> à quel niveau<br />
les probabilités sont codées <strong>et</strong> manipulées. En collaboration avec Pierre Bessière,<br />
nous explorons l’idée selon laquelle les réseaux biochimiques complexes <strong>de</strong> la<br />
signalisation cellulaire sont capables d’effectuer ces tâches computationnelles. Dans<br />
le cadre <strong>de</strong> sa thèse, Audrey Houillon développe c<strong>et</strong>te idée en l’appliquant au<br />
fonctionnement <strong><strong>de</strong>s</strong> photorécepteurs.<br />
2. INTÉGRATION INTERHÉMISPHÉRIQUE<br />
ET PERCEPTIF SENSORIELLE<br />
C. Miller<strong>et</strong>, A. Grantyn, L. Foubert, J. Ribot.<br />
En collaboration avec S. Tanaka (Riken BSI, Tokyo, Japon), J. Droulez<br />
(LPPA) <strong>et</strong> D. Bennequin (Institut <strong>de</strong> Mathématiques, Université Paris 7).<br />
2.1. Mise au point <strong>de</strong> l’utilisation <strong>de</strong> colorants sensibles au potentiel<br />
<strong>de</strong> membrane pour l’imagerie optique. Premières données expérimentales<br />
L. Foubert, C. Miller<strong>et</strong>.<br />
En collaboration avec S. Tanaka. (Riken BSI, Tokyo, Japon)<br />
La technique d’imagerie optique perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en image l’architecture<br />
fonctionnelle du cortex tant les domaines spatiaux que temporels. Son principe <strong>de</strong><br />
fonctionnement en est le suivant : une caméra CCD à haute fréquence <strong>de</strong><br />
rafraîchissement (500 Hz) est placée au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus <strong>de</strong> la préparation <strong>et</strong> enregistre les<br />
variations <strong>de</strong> réflexion d’une lumière inci<strong>de</strong>nte qui varient avec l’activité corticale.<br />
En appliquant un colorant fluorescent voltage-sensible sur le cortex, courant 2007,<br />
nous avons obtenu <strong><strong>de</strong>s</strong> cartes corticales avec une résolution spatiale <strong>de</strong> 20 μm <strong>et</strong><br />
une résolution temporelle <strong>de</strong> 3 ms sur <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> étendues <strong>de</strong> cortex, simultanément<br />
au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> 2 hémisphères, ce qui correspond à une réelle prouesse technique.<br />
Tout récemment, nous avons en outre obtenu nos premières cartes transcalleuses<br />
au niveau du cortex visuel primaire du chat.
310 ALAIN BERTHOZ<br />
2.2. Analyse quantitative <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s d’une occlusion monoculaire<br />
précoce sur la morphologie <strong><strong>de</strong>s</strong> axones calleux<br />
L. Foubert, C. Miller<strong>et</strong>. En collaboration avec J. Droulez (LPPA)<br />
<strong>et</strong> D. Bennequin (Institut <strong>de</strong> Mathématiques, Université Paris 7)<br />
Sur la base <strong>de</strong> simples observations, nous avons antérieurement montré que :<br />
1) Chez le chat adulte normal (NR), la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> terminaisons callosales présentes<br />
dans le cortex visuel primaire ont un tronc principal dont le diamètre est compris<br />
entre 0,45 <strong>et</strong> 2,25 μm. Elles sont localisées presque exclusivement dans les couches<br />
supragranulaires (II/III) <strong>de</strong> la bordure entre les aires visuelles primaires 17 <strong>et</strong> 18<br />
(TZ), avec un nombre relativement limité <strong>de</strong> boutons synaptiques. L’équipe l’a<br />
bien établi en collaboration avec G. Innocenti (Houzel <strong>et</strong> al., 1994). Nous l’avons<br />
confirmé récemment, en combinant imagerie optique <strong>et</strong> étu<strong>de</strong> anatomique<br />
(Rochefort <strong>et</strong> al., en préparation). 2) Chez le chat adulte ayant subi une occlusion<br />
monoculaire précoce (MD), ces mêmes terminaisons calleuses ont un tronc<br />
principal <strong>de</strong> diamètre similaire à ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> animaux normaux. Mais ils envahissent<br />
c<strong>et</strong>te fois très largement TZ, A17 <strong>et</strong> A18. Parallèlement, le nombre <strong>de</strong> boutons<br />
synaptiques terminaux s’accroît très significativement par rapport à la normale,<br />
mais restent toutefois confinés aux couches supragranulaires.<br />
Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année qui vient <strong>de</strong> s’écouler, nous avons tenté <strong>de</strong> parfaire c<strong>et</strong>te<br />
analyse comparative <strong><strong>de</strong>s</strong> axones calleux NR <strong>et</strong> MD par 2 analyses quantitatives<br />
sophistiquées <strong>de</strong> la dispersion globale <strong><strong>de</strong>s</strong> branches terminales <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> boutons. Par<br />
une approximation ellipsoïdale, nous avons montré que : a) La surface corticale<br />
occupée par chaque terminaison calleuse chez les animaux MD est en moyenne<br />
2 fois celle qui est observée chez les animaux NR ; b) Le volume occupé par chaque<br />
terminaison axonale (= volume <strong>de</strong> l’ellipsoï<strong>de</strong>) est également en moyenne <strong>de</strong>ux fois<br />
celui qui est occupé chez les animaux NR ; c) Les arborisations terminales se<br />
terminent à 80 % dans TZ chez les animaux NR alors qu’elles ne terminent plus<br />
qu’à 20 % dans c<strong>et</strong>te même région chez les animaux MD ; d) L’angle général <strong>de</strong><br />
la distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> branches terminales <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> boutons synaptiques avec TZ est <strong>de</strong><br />
70° chez les NR alors qu’il est seulement <strong>de</strong> 49° chez les MD. Par la secon<strong>de</strong><br />
métho<strong>de</strong> quantitative, nous avons aussi montré que l’occlusion monoculaire<br />
précoce : a) double l’étendue <strong>et</strong> le volume <strong>de</strong> l’arborisation terminale <strong><strong>de</strong>s</strong> axones<br />
calleux au niveau cortical chez l’adulte ; b) double également le nombre d’amas<br />
synaptiques formés par ses arborisations ; c) divise par 10 le rapport entre le volume<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> amas synaptiques <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> l’arborisation terminale totale ; en d’autres termes,<br />
la <strong>de</strong>nsité synaptique est gran<strong>de</strong>ment diminuée. Au-<strong>de</strong>là, ces nouvelles métho<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
d’analyse <strong>de</strong>vraient perm<strong>et</strong>tre d’établir dans le futur une corrélation assez étroite<br />
entre l’anatomie <strong>et</strong> la fonction cérébrale. Dans le contexte qui nous intéresse, elle<br />
<strong>de</strong>vrait beaucoup nous ai<strong>de</strong>r à établir une corrélation précise entre les connexions<br />
calleuses <strong>et</strong> les cartes spatio-temporelles qu’elles définissent. Par là même, on<br />
<strong>de</strong>vrait mieux comprendre comment le corps calleux contribue à l’élaboration <strong>de</strong><br />
la perception visuelle.
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 311<br />
3. MÉMOIRE SPATIALE ET NAVIGATION<br />
S.I. Wiener, M. Khamassi, A. Peyrache, V. Douchamps, K. Benchenane,<br />
E. Tabuchi (LPPA), en collaboration avec P. Tierney, F. Battaglia<br />
(Université <strong>de</strong> Amsterdam)<br />
Afin <strong>de</strong> mieux comprendre les interactions dynamiques au niveau <strong>de</strong> structures<br />
impliquées dans la planification <strong>et</strong> la prise <strong>de</strong> décision au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la navigation,<br />
nous continuons à employer une double approche comportementale <strong>et</strong><br />
électrophysiologie. Nous avons continué nos analyses <strong><strong>de</strong>s</strong> enregistrements multivoies<br />
chez les rats effectuant <strong>de</strong>ux tâches différentes dans le même labyrinthe en<br />
forme <strong>de</strong> Y (trois bras séparés <strong>de</strong> 120°), chacune faisant appel aux mêmes réponses<br />
comportementales <strong>et</strong> présentant <strong><strong>de</strong>s</strong> indices comparables. Mais chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches<br />
implique <strong><strong>de</strong>s</strong> types <strong>de</strong> traitements d’informations différents, qui dépen<strong>de</strong>nt <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
caractéristiques propres <strong><strong>de</strong>s</strong> régions impliquées (connexions anatomiques,<br />
architecture synaptique <strong>et</strong> neurochimique). En comparant <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses <strong>de</strong> neurones<br />
lorsque l’animal m<strong>et</strong> en œuvre différents processus cognitifs, nous déterminons le<br />
profil d’activité d’ensemble <strong>de</strong> neurones correspondant, <strong>et</strong> l’état <strong>de</strong> synchronisation<br />
entre les structures.<br />
3.1. Analyses <strong>de</strong> l’activité d’ensembles <strong>de</strong> neurones lors <strong>de</strong><br />
l’apprentissage <strong>et</strong> alternations <strong>de</strong> stratégie<br />
Les analyses <strong>de</strong> réactivations jusqu’à présent ne sont pas explicitement reliées à<br />
l’apprentissage <strong>de</strong> la tâche. En eff<strong>et</strong>, il ne s’agit que d’une étu<strong>de</strong> d’activité globale<br />
reposant sur <strong><strong>de</strong>s</strong> comparaisons <strong>de</strong> corrélations. Nos approches perm<strong>et</strong>tent à<br />
comprendre le lien qu’il existerait entre ces réactivations <strong>et</strong> l’apprentissage per se.<br />
La première approche à ce problème est d’analyser les corrélats comportementaux<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> cellules impliquées fortement dans les composantes principales. Des classes <strong>de</strong><br />
cellules peuvent être ainsi définies selon leurs sélectivités : préparation <strong>de</strong> l’action,<br />
récompense, préférence spatiale, préférence à la position <strong>de</strong> la lumière, <strong>et</strong>c. Le<br />
travail consistera alors à vérifier <strong>et</strong> à spécifier l’existence d’invariants (<strong>de</strong> façon<br />
purement spéculative — <strong>et</strong> à titre d’exemple — il se pourrait que seules les<br />
composantes principales recrutant <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules corrélées à la préparation <strong>de</strong> l’action<br />
<strong>et</strong> à au résultat <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te action se réactivent). Inversement, dans une approche<br />
analytique a priori, les composantes principales seront calculées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> sousgroupes<br />
<strong>de</strong> cellules prédéfinies en fonction <strong>de</strong> leurs corrélats comportementaux. Il<br />
sera alors vérifié si ces composantes principales ten<strong>de</strong>nt à se réactiver ou non. De<br />
façon assez similaire, la restriction du calcul <strong><strong>de</strong>s</strong> composantes principales peut se<br />
faire non pas sur les variables (l’activité cellulaire) mais sur <strong><strong>de</strong>s</strong> pério<strong><strong>de</strong>s</strong> d’intérêt<br />
définies <strong>de</strong> façon ad hoc (par exemple les pério<strong><strong>de</strong>s</strong> précé<strong>de</strong>nt ou suivant la<br />
récompense). Finalement, une <strong>de</strong>rnière approche serait <strong>de</strong> trouver les composantes<br />
principales qui maximisent la réactivation (par exemple en calculant les<br />
composantes principales sur les pério<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> sommeil suivant la tâche) <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
regar<strong>de</strong>r les corrélats comportementaux <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules que les sous groupes cellulaires
312 ALAIN BERTHOZ<br />
se réactivant recrutent. C<strong>et</strong>te mesure <strong>de</strong> réactivation ne fournit en rien les détails<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes physiologiques sous-jacents, tout au plus point elle les moments<br />
d’intérêt aussi bien pendant le sommeil (maximum <strong>de</strong> réactivation) que pendant<br />
l’éveil. En eff<strong>et</strong>, la mesure <strong>de</strong> réactivation appliquée au pério<strong>de</strong> d’éveil fournit les<br />
temps pendant lesquels la mesure « prend » sa valeur (la corrélation est calculé sur<br />
une grand pério<strong>de</strong>, mais seul certain laps <strong>de</strong> temps peuvent être cruciaux pour<br />
l’établissement d’une corrélation significative). Il sera très intéressant par exemple<br />
<strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r l’activité cellulaire pendant les pics <strong>de</strong> réactivations. Deux possibilités<br />
vont être alors possibles : ces pics correspon<strong>de</strong>nt à <strong><strong>de</strong>s</strong> coactivations ayant lieu<br />
toujours dans le même sens (pour <strong>de</strong>ux cellules anti corrélées pendant l’éveil, les<br />
pics correspon<strong>de</strong>nt toujours à l’activation <strong>de</strong> l’une <strong>et</strong> à l’inhibition <strong>de</strong> l’autre) ou<br />
non. S’il s’avère que les coactivations respectent un schéma invariant, l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
corrélats comportementaux <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux cellules pourrait apporter une information<br />
d’un grand intérêt sur la nature <strong>de</strong> la réactivation. Cependant, cela ne relève pas<br />
forcément du mécanisme physiologique. Le sommeil à on<strong><strong>de</strong>s</strong> lentes est caractérisé<br />
par <strong><strong>de</strong>s</strong> oscillations corticales, thalamo-corticales <strong>et</strong> hippocampiques tout à fait<br />
particulière. Ces phénomènes oscillatoires ne sont pas indépendants <strong>et</strong>, au<br />
contraire, <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> synchronisations sont observées lors <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te phase <strong>de</strong><br />
sommeil. L’enregistrement simultané <strong><strong>de</strong>s</strong> potentiels <strong>de</strong> champs locaux dans le<br />
cortex préfrontal médian <strong>et</strong> l’hippocampe va nous perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> corréler l’activité<br />
physiologique aux réactivations. Pour étudier les relations entre les activités <strong>de</strong><br />
l’hippocampe <strong>et</strong> du cortex préfrontal par biais <strong><strong>de</strong>s</strong> analyses <strong><strong>de</strong>s</strong> LFPs, nous<br />
étudions les cohérences entre les potentiels <strong>de</strong> champs locaux dans la ban<strong>de</strong> thêta<br />
entre l’hippocampe <strong>et</strong> le cortex préfrontal. Nos données montrent que les jours<br />
ou le rat atteint le critère <strong>de</strong> réussite <strong>de</strong> la tâche, on observe une augmentation <strong>de</strong><br />
la cohérence au point <strong>de</strong> décision (bifurcation) dans le labyrinthe.<br />
3.2. Le système noradrénergique dans la plasticité <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux<br />
neuronaux lors <strong>de</strong> la remémoration <strong>et</strong> <strong>de</strong> la reconsolidation<br />
Susan J. Sara, DR1 (emerita)<br />
L’apprentissage modifie le pattern <strong>de</strong> sommeil consécutif chez le Rat, <strong>et</strong> augmente<br />
la <strong>de</strong>nsité <strong><strong>de</strong>s</strong> fuseaux dans l’EEG cortical. Au niveau <strong>de</strong> l’hippocampe, nous avons<br />
observé une augmentation du taux <strong><strong>de</strong>s</strong> oscillations à haut fréquence (ripples)<br />
(Eschenko <strong>et</strong> al., 2008). De plus, il y a une augmentation systématique du taux<br />
<strong>de</strong> décharge <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones noradrénergiques du LC pendant le SWS, 2 h après<br />
l’apprentissage (Eschenko & Sara, 2008). Les décharges <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules du LC sont<br />
synchronisées avec les oscillations lentes <strong>et</strong> les spindles au niveau du cortex<br />
préfrontal. On peut donc estimer que le LC est, avec l’hippocampe <strong>et</strong> le néocortex,<br />
un acteur important dans le traitement « off-line » <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles informations,<br />
pendant le SWS. Nous évaluons maintenant la relation entre les décharges<br />
neuronales du LC <strong>et</strong> l’activité en ripples au niveau <strong>de</strong> l’hippocampe (en collaboration<br />
avec Adrien Peyrache, O. Eschenko, Max Planck Institute for Biological<br />
Cybern<strong>et</strong>ics). A la lumière <strong>de</strong> ces résultats impliquant le système noradrénergique
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 313<br />
dans le traitement d’information pendant le SWS, nous évaluerons la relation<br />
entre le décharge les neurones du LC <strong>et</strong> le « replay » <strong><strong>de</strong>s</strong> configurations d’activations<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> ensembles <strong>de</strong> cellules au niveau hippocampique <strong>et</strong> corticale. Le couplage avec<br />
l’enregistrement <strong><strong>de</strong>s</strong> ensembles, déjà pratiqué au sein <strong>de</strong> l’équipe, perm<strong>et</strong>tra<br />
d’élargir <strong>et</strong> approfondir nos connaissances sur la manière dont s’effectuent les<br />
interactions entre les réseaux neuronaux lors <strong>de</strong> l’apprentissage <strong>et</strong> la mise en<br />
mémoire, ainsi que le rôle facilitateur du système noradrénergique dans ces<br />
interactions.<br />
4. MÉMOIRE SPATIALE ET CONTRÔLE DU MOUVEMENT<br />
4.1. Physiologie <strong>de</strong> l’action <strong>et</strong> phénoménologie<br />
J.-L. P<strong>et</strong>it (Université <strong>de</strong> Strasbourg), A. Berthoz (LPPA)<br />
L’ouvrage paru à l’automne 2006 (traduction anglaise à Oxford University Press<br />
2008) a mis en place une interprétation <strong>de</strong> la physiologie <strong>de</strong> l’action dans la<br />
perspective du <strong>de</strong>rnier Husserl. Renonçant à faire reposer le sens propositionnel<br />
sur les capacités théorique <strong>et</strong> linguistique du suj<strong>et</strong> pensant, Husserl enracinait le<br />
sens du mon<strong>de</strong> vécu <strong>de</strong> l’agent humain dans les systèmes kinesthésiques <strong>de</strong> son<br />
organisme. L’originalité <strong>de</strong> l’approche <strong>de</strong> la perception par la physiologie <strong>de</strong><br />
l’action ressortait ainsi clairement par rapport à l’idéologie <strong>de</strong> la cognition à base<br />
<strong>de</strong> représentation <strong>et</strong> <strong>de</strong> transformation d’information externe. Etaient du même<br />
coup posés <strong>de</strong> nouveaux problèmes que nous avons traités en répondant à diverses<br />
invitations à <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences dans <strong><strong>de</strong>s</strong> congrès internationaux. Quelle contribution<br />
les mécanismes fonctionnels du système nerveux peuvent-ils apporter au sens <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
actions pour l’agent lui-même ou un partenaire ? La découverte <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes<br />
résonnants du cerveau va-t-elle relancer le mouvement <strong>de</strong> naturalisation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
sciences sociales en donnant la clé <strong>de</strong> l’empathie, <strong>de</strong> l’imitation <strong>et</strong> <strong>de</strong> la formation<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> entités collectives ? La théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> « actes <strong>de</strong> parole » (Austin-Searle-<br />
Van<strong>de</strong>rveken) qui repose sur l’interprétation <strong><strong>de</strong>s</strong> actes sociaux en termes d’attitu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
propositionnelles — donc <strong>de</strong> proposition — pourra-t-elle r<strong>et</strong>rouver la dimension<br />
posturale <strong><strong>de</strong>s</strong> attitu<strong><strong>de</strong>s</strong> en renouant avec l’action ? Les données sur les corrélats<br />
neuraux <strong>de</strong> la préférence <strong>et</strong> du jugement <strong>de</strong> valeur suffisent-elles à combler le fossé<br />
entre l’être naturel <strong>et</strong> le <strong>de</strong>voir être ? A toutes ces questions la phénoménologie<br />
laisse entrevoir une réponse cohérente, sinon unique, sur la base <strong><strong>de</strong>s</strong> affinités entre<br />
son analyse du vécu <strong>et</strong> la conception du dynamisme fonctionnel du cerveau<br />
comme théâtre d’un « effort <strong>de</strong> l’être vers le sens ». Contre la croyance en l’existence<br />
d’un seuil du sens ou d’une frontière entre non sens <strong>et</strong> sens, nous avons donc<br />
travaillé à une conception <strong>de</strong> la gradation continue du « faire sens » <strong>de</strong>puis les<br />
valeurs biologiques dont se chargent les patrons d’activité fonctionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits<br />
cérébraux jusqu’aux actes intentionnels orientés vers un but <strong>et</strong> accessibles à<br />
l’expression dans le langage naturel.
314 ALAIN BERTHOZ<br />
4.2. Modèles computationnels contractants <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits saccadiques :<br />
du tronc cérébral au cortex<br />
B. Girard, N. Tabareau, A. Berthoz, en collaboration avec D. Bennequin<br />
(Institut <strong>de</strong> Mathématiques, Paris 7) & J.-J. Slotine (NSL, MIT USA)<br />
Les sacca<strong><strong>de</strong>s</strong> oculaires sont un obj<strong>et</strong> d’étu<strong>de</strong> privilégié en neurosciences, qui a<br />
donné lieu à <strong>de</strong> nombreux allers-r<strong>et</strong>ours entre modélisateurs <strong>et</strong> expérimentateurs<br />
<strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> 30 ans. La génération <strong>de</strong> sacca<strong><strong>de</strong>s</strong> implique l’activation <strong>de</strong> nombreux<br />
circuits neuronaux sous-corticaux (formation réticulée, colliculus supérieur, cervel<strong>et</strong>,<br />
ganglions <strong>de</strong> la base) <strong>et</strong> corticaux (champs oculaires frontaux, cortex intra-pariétal<br />
latéral, <strong>et</strong>c.). La richesse <strong><strong>de</strong>s</strong> données accumulées perm<strong>et</strong> d’envisager la modélisation<br />
<strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> ces circuits. Un tel modèle a été proposé dans une série <strong>de</strong> <strong>travaux</strong><br />
menés par l’équipe <strong>de</strong> Dominey <strong>et</strong> Arbib au début <strong><strong>de</strong>s</strong> années 90, cependant, <strong>de</strong><br />
nombreux résultats expérimentaux récents suffisent à en justifier une mise à jour.<br />
Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te simple mise à jour, ce proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> recherche a pour objectif d’évaluer,<br />
dans le cas concr<strong>et</strong> <strong>et</strong> très documenté <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits saccadiques, l’idée proposée par<br />
Slotine <strong>et</strong> Berthoz que la théorie <strong>de</strong> la contraction (Lohmiller <strong>et</strong> Slotine, 1998)<br />
peut ai<strong>de</strong>r à comprendre la stabilité <strong>de</strong> fonctionnement du cerveau.<br />
4.2.1. Génération <strong><strong>de</strong>s</strong> mouvements saccadiques<br />
Le colliculus supérieur a un rôle central dans l’exécution <strong><strong>de</strong>s</strong> mouvements<br />
saccadiques, il est composé d’un empilement <strong>de</strong> cartes rétinotopiques encodant la<br />
position <strong><strong>de</strong>s</strong> cibles dans le champ visuel. Ces cartes ont <strong><strong>de</strong>s</strong> géométries particulières :<br />
linéaires ou logarithmiques-complexes. Une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’élaboration <strong>de</strong> la comman<strong>de</strong><br />
saccadique dans le colliculus supérieur <strong>et</strong> la formation réticulée (Tabareau <strong>et</strong> al.,<br />
2007) a permis la mise en place d’une preuve mathématique fondée sur <strong><strong>de</strong>s</strong> données<br />
neurobiologiques reliant c<strong>et</strong>te élaboration à la géométrie <strong><strong>de</strong>s</strong> cartes. Un nouveau<br />
schéma <strong>de</strong> recollement a été proposé <strong>et</strong> s’est montré capable <strong>de</strong> corriger les erreurs<br />
systématiques <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> standard proposée par van Gisbergen <strong>et</strong> al. (1987). Ce<br />
modèle a été conçu comme contractant. Une implementation robotique préliminaire<br />
a été menée en collaboration avec le laboratoire ARTS (Scuola Superiore Sant’Anna,<br />
Pise) dans le cadre du proj<strong>et</strong> Neurobotics (Manfredi <strong>et</strong> al. 2006).<br />
4.2.2. Sélection <strong>de</strong> l’action<br />
B. Girard, N. Tabareau, Q.C. Pham, A. Coninx, A. Berthoz (LPPA),<br />
en collaboration avec J.J. Slotine (NSL, MIT)<br />
Les ganglions <strong>de</strong> la base sont un ensemble <strong>de</strong> noyaux sous-corticaux interconnectés<br />
formant <strong><strong>de</strong>s</strong> boucles parallèles avec le cortex frontal. Ils semblent impliqués dans<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> processus généraux <strong>de</strong> sélection, guidés par apprentissage par renforcement.<br />
Nous avons proposé un nouveau modèle <strong>de</strong> ces boucles, intégrant <strong><strong>de</strong>s</strong> connexions<br />
entre noyaux usuellement négligées, doté d’une capacité <strong>de</strong> sélection supérieure à<br />
celle du précé<strong>de</strong>nt modèle <strong>de</strong> (Gurney <strong>et</strong> al., 2001a,b) <strong>et</strong> capable d’amplification<br />
sélective du signal cortical (Girard <strong>et</strong> al., 2005, 2006). Nous avons également<br />
démontré la contraction <strong><strong>de</strong>s</strong> /locally projected dynamical systems /(lPDS) introduits
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 315<br />
par (Dupuis <strong>et</strong> Nagurney, 1993) <strong>et</strong> avons proposé <strong>de</strong> les utiliser comme nouveau<br />
modèle <strong>de</strong> neurones artificiels (Girard <strong>et</strong> al., 2008). Le modèle contractant résultant<br />
a été appliqué à la résolution d’une tâche standard <strong>de</strong> survie en robotique autonome,<br />
afin <strong>de</strong> montrer son efficacité en tant que Système <strong>de</strong> sélection <strong>de</strong> l’action.<br />
4.2.3. Modèle Bayésien <strong>de</strong> la sélection <strong>de</strong> sacca<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
F. Colas, F. Flacher, B. Girard, A. Berthoz (LPPA),<br />
en collaboration avec P. Bessière (LIG, INRIA, Grenoble), L. Canto Pereira,<br />
T. Tanner <strong>et</strong> C. Curio (MPI, Tübingen)<br />
Afin d’étudier le rôle <strong>de</strong> la prise en compte explicite <strong>de</strong> l’incertitu<strong>de</strong> dans les<br />
processus <strong>de</strong> sélection <strong>de</strong> l’action, un modèle <strong>de</strong> sélection <strong>de</strong> cibles pour les<br />
mouvements <strong><strong>de</strong>s</strong> yeux formalisé dans le cadre <strong>de</strong> la programmation bayésienne est<br />
en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> développement. Il est fondé sur <strong><strong>de</strong>s</strong> cartes d’occupation reprenant la<br />
géométrie du colliculus supérieur. Parallèlement, une nouvelle tâche expérimentale,<br />
inspirée du protocole MOT (Multiple Object Tracking) <strong>de</strong> Pylyshyn, mais réalisée<br />
avec un champ <strong>de</strong> vision plus large <strong>et</strong> avec les yeux libres <strong>de</strong> bouger a été proposée.<br />
Des mesures <strong>de</strong> mouvements <strong><strong>de</strong>s</strong> yeux dans c<strong>et</strong>te tâche ont été menées, ces données<br />
sont utilisées au LPPA pour tester <strong>et</strong> ajuster les paramètres du modèle. Ce travail<br />
est intégré au proj<strong>et</strong> européen Bayesian Approach to Cognitive Systems (BACS).<br />
4.3. Contributions sensorielles pour la perception du mouvement<br />
M. Vidal, A. Capelli (LPPA), en coopération avec P. Pr<strong>et</strong>to,<br />
H. Bülthoff (MPI, Tübingen)<br />
Ces <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> recherches s’inscrivent dans le cadre général <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />
perception du mouvement. Lorsque nous nous déplaçons, nous disposons d’un<br />
ensemble d’informations qui sont traitées par le cerveau <strong>et</strong> renseignent sur notre<br />
mouvement relatif <strong>et</strong> notre position dans le mon<strong>de</strong>.<br />
4.3.1 Perception <strong><strong>de</strong>s</strong> vitesses lors <strong>de</strong> mouvements propres visuels<br />
M. Vidal, en collaboration avec P. Pr<strong>et</strong>to <strong>et</strong> H.H. Bülthoff (MPI)<br />
Le traitement du flux optique joue un rôle fondamental dans l’analyse <strong>de</strong> notre<br />
mouvement. Je travaille actuellement en collaboration avec Paolo Pr<strong>et</strong>to au MPI<br />
à Tübingen, sur un proj<strong>et</strong> cherchant à caractériser l’extraction <strong>de</strong> la vitesse propre<br />
lors <strong>de</strong> translations visuelles sur un plan. Je m’intéresse dans ce proj<strong>et</strong> aux<br />
informations visuelles non localisantes, en d’autres termes j’exclue l’utilisation <strong>de</strong><br />
toute stratégie cognitive <strong>de</strong> navigation reposant sur <strong><strong>de</strong>s</strong> repères visuels pour la<br />
perception du mouvement. La relation entre la vitesse angulaire (rétinienne) <strong>et</strong><br />
linéaire (égocentrique) n’est pas triviale, <strong>et</strong> pourtant le mon<strong>de</strong> que nous percevons<br />
ne se déforme pas lorsque nous nous déplaçons. Nous avons mené une série<br />
d’expériences avec l’écran panoramique du Max Planck Institute (240° × 120° <strong>de</strong><br />
champ) afin <strong>de</strong> caractériser le mécanisme <strong>de</strong> compensation <strong>de</strong> l’inclinaison du<br />
regard <strong>et</strong> l’influence <strong>de</strong> la zone visuelle disponible (champ <strong>de</strong> vision total, vision<br />
centrale, vision périphérique), <strong>et</strong> du contraste. Ce <strong>de</strong>rnier point, suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> débats
316 ALAIN BERTHOZ<br />
dans la littérature, présente un intérêt majeur pour les simulateurs <strong>de</strong> conduite lors<br />
<strong>de</strong> la reproduction <strong>de</strong> situations acci<strong>de</strong>ntogènes provoquées par le brouillard. Les<br />
résultats préliminaires montrent une amélioration du mécanisme <strong>de</strong> compensation<br />
rétino-topique vers égocentrique pour la perception <strong><strong>de</strong>s</strong> vitesses lors du stimulation<br />
large champs, mais aussi lorsque les yeux peuvent accompagner le mouvement.<br />
4.3.2 Perception <strong>et</strong> mémorisation <strong>de</strong> mouvements visio-vestibulaires<br />
M. Vidal, A. Capelli, en collaboration avec H.H. Bülthoff (MPI)<br />
Des informations inertielles sont fournies par le système vestibulaire <strong>et</strong> les<br />
organes internes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> informations <strong>de</strong> position sont fournies par la proprioception.<br />
De nombreuses étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> informations vestibulaires dans la perception<br />
du mouvement ont été réalisées au LPPA dans le passé. Dans le cadre d’un proj<strong>et</strong><br />
Européen Moves, nous étudions comment les informations internes (vestibulaires<br />
<strong>et</strong> proprioceptives) se combinent avec le flux optique pour créer un percept <strong>de</strong><br />
mouvement propre. L’objectif est <strong>de</strong> déterminer quelle sera la contribution<br />
respective <strong>de</strong> chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> modalités <strong>et</strong> en particulier s’il y a une intégration<br />
continue avec les informations visuelles ou juste une prise en compte ponctuelle<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> informations vestibulaires. Des <strong>travaux</strong> préliminaires ont déjà été effectués par<br />
M. Vidal au MPI, afin d’étudier le cas <strong>de</strong> rotations en lac<strong>et</strong> dans un contexte<br />
visio-vestibulaire. Les résultats m<strong>et</strong>tent en évi<strong>de</strong>nce une dominance visuelle dans<br />
l’intégration sensorielle pour la perception <strong>de</strong> rotations pures.<br />
4.3.3 Estimation du temps restant avant l’impact lors <strong>de</strong> mouvements propres<br />
A. Capelli, M. Vidal<br />
Peu d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ont mis en évi<strong>de</strong>nce l’utilisation <strong><strong>de</strong>s</strong> informations d’accélération <strong>de</strong><br />
l’obj<strong>et</strong> pour l’estimation du Temps restant avant l’impact (TTC) dans les tâches<br />
d’interception (Rosenbaum, 1975 ; McIntyre <strong>et</strong> al., 2001). Dans ces étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, la<br />
tâche consistait à estimer le TTC entre un observateur <strong>et</strong> un obj<strong>et</strong> en mouvement<br />
accéléré vers lui. Nous avons examiné si à partir <strong>de</strong> stimulations visuelles seules,<br />
l’information d’accélération peut être extraite afin d’effectuer correctement<br />
l’extrapolation du mouvement <strong>et</strong> donc l’estimation du TTC. Nous avons utilisé<br />
l’écran courbe du LPPA (185° <strong>de</strong> champ horizontal). La tâche du suj<strong>et</strong> était <strong>de</strong><br />
préciser à quel moment il atteindrait un drapeau placé <strong>de</strong>vant lui sur chemin, <strong>et</strong><br />
vers il était visuellement déplacé. Les résultats indiquent une prise en compte <strong>de</strong><br />
l’accélération dans l’extrapolation du mouvement propre, mais dans le cas <strong>de</strong><br />
mouvements décélérés, il semblerait que l’estimation soit basée sur <strong><strong>de</strong>s</strong> informations<br />
<strong>de</strong> 1 er ordre (prologation <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière vitesse). Nous envisageons également<br />
d’étudier l’estimation du temps restant avant l’impact lors <strong>de</strong> stimulations visiovestibulaires<br />
car la mesure <strong>de</strong> l’accélération par nos capteurs vestibulaires pourrait<br />
venir compléter les informations visuelles afin d’améliorer les estimations du TTC<br />
établies à partir <strong>de</strong> celles-ci.
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 317<br />
4.4. Influence <strong><strong>de</strong>s</strong> stimulations visuelles <strong>et</strong> haptiques<br />
sur la représentation du schéma corporel<br />
I. Olive & A. Berthoz<br />
Nous cherchons à savoir le rôle <strong>de</strong> la plasticité rapi<strong>de</strong> du schéma corporel humain<br />
dans le processus <strong>de</strong> substitution sensorielle visuo-haptique. Notre protocole<br />
expérimental consiste dans l’adaptation <strong><strong>de</strong>s</strong> manipulations portant sur l’induction<br />
<strong>de</strong> la plasticité rapi<strong>de</strong> <strong>et</strong> réversible du schéma corporel humain, tels que l’Illusion<br />
<strong>de</strong> la Main en Caoutchouc (Rubber Hand illusion). Nous y introduisons un<br />
component sensorimoteur afin d’évaluer le potentiel rôle <strong>de</strong> l’agencivité <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
processus efférents dans la modulation <strong><strong>de</strong>s</strong> processus <strong>de</strong> plasticité rapi<strong>de</strong> du schéma<br />
corporel humain. Notre protocole expérimental en psychophysiologie évalue les<br />
eff<strong>et</strong>s comportementals <strong>de</strong> l’individu confronté à un conflit <strong>de</strong> caractère<br />
multisensoriel visuo-haptique fondé sur l’introduction d’une incongruité spatiale<br />
entre l’endroit d’acquisition du r<strong>et</strong>our d’effort haptique <strong>et</strong> la localisation visuelle<br />
<strong>de</strong> ce même endroit. C<strong>et</strong>te incongruité est censé provoquer une modulation <strong>et</strong>/où<br />
une déviation <strong>de</strong> la localisation du r<strong>et</strong>our d’effort haptique au-<strong>de</strong>là <strong><strong>de</strong>s</strong> limites du<br />
schéma corporel envahissant l’espace péripersonal <strong>de</strong> l’individu. Une telle déviation<br />
est corrélée directement à la plasticité rapi<strong>de</strong> <strong>et</strong> réversible du schéma corporel<br />
humain, en représentant, en conséquence, son indice.<br />
4.5. Bases neurales <strong>de</strong> la perception <strong><strong>de</strong>s</strong> actions, intentions<br />
<strong>et</strong> émotions d’autrui<br />
J. Grezes (LPPA), Collaborateurs : Professeur A. Berthoz, S. Pichon,<br />
L. Pouga, F. Fruchart, C. Bay<strong>et</strong>ti (LPPA CNRS <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Paris),<br />
Professeur B. <strong>de</strong> Gel<strong>de</strong>r (Don<strong>de</strong>rs Lab for cognitive and affective neuroscience,<br />
Tilburg University, The N<strong>et</strong>herlands), D r S. Berthoz (Service <strong>de</strong> Psychiatrie <strong>de</strong><br />
l’adolescent <strong>et</strong> du jeune adulte, Institut Mutualiste Montsouris, Paris),<br />
D r B. Wicker (Institut <strong>de</strong> Neurosciences Cognitives <strong>de</strong> la Méditerranée-INCM,<br />
CNRS, Marseille), D r C. Calmels (INSEP, Paris)<br />
Notre proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> recherche porte sur la perception <strong>et</strong> la compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
comportements moteurs réalisés par autrui, qui jouent un rôle crucial dans la<br />
communication <strong>et</strong> l’interaction sociale. Le but est <strong>de</strong> décrire les mécanismes<br />
cognitifs <strong>et</strong> d’i<strong>de</strong>ntifier les corrélats neuroanatomiques qui sont impliqués dans les<br />
capacités à comprendre la signification du comportement d’autrui, à détecter les<br />
intentions <strong>et</strong> les émotions qui sont à l’origine <strong>de</strong> ce comportement <strong>et</strong> qui leurs<br />
sont associés. Ce proj<strong>et</strong> combine <strong><strong>de</strong>s</strong> approches, comportementales <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques<br />
<strong>de</strong> neuro-imagerie fonctionnelle (IRMf) chez le suj<strong>et</strong> normal <strong>et</strong> pathologique.<br />
4.5.1. La perception <strong><strong>de</strong>s</strong> actions d’autrui<br />
La perception d’une action est associée à <strong><strong>de</strong>s</strong> activations au sein <strong>de</strong> régions<br />
cérébrales connues pour leurs rôles dans préparation <strong>et</strong> l’exécution d’une action,<br />
en particulier le cortex prémoteur <strong>et</strong> le cortex pariétal (Grèzes <strong>et</strong> al. 2003). Ces<br />
structures sont activées <strong>de</strong> façon plus prononcée lorsque le suj<strong>et</strong> est capable <strong>de</strong>
318 ALAIN BERTHOZ<br />
reproduire, par rapport à une action n’appartenant pas à son répertoire moteur<br />
(Calvo-Mérino <strong>et</strong> al. 2004, Calvo-Merino <strong>et</strong> al. 2006). En collaboration avec le<br />
D r C. Calmels, un proj<strong>et</strong> actuellement en <strong>cours</strong> a pour but d’examiner si ce<br />
phénomène <strong>de</strong> résonance motrice est activé chez <strong><strong>de</strong>s</strong> sportifs <strong>de</strong> haut niveau blessés,<br />
sachant que ceux-ci sont temporairement dans l’incapacité <strong>de</strong> réaliser certains gestes<br />
en utilisant la technique d’IRMf. La gymnastique artistique a été choisie car c’est<br />
une <strong><strong>de</strong>s</strong> rares disciplines sportives où un/une athlète blessé(e) au membre supérieur<br />
(membre inférieur) peut poursuivre son entraînement en réalisant <strong><strong>de</strong>s</strong> mouvements<br />
sollicitant les membres inférieurs (membres supérieurs). Des films ont été réalisés,<br />
édités, validés. L’expérience en IRMf a débuté en septembre 2007. Une meilleure<br />
connaissance du mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> fonctionnement du système résonance motrice pourrait<br />
avoir <strong><strong>de</strong>s</strong> implications directes par exemple dans le cadre <strong>de</strong> la rééducation.<br />
4.5.2. La perception <strong><strong>de</strong>s</strong> expressions corporelles émotionnelles d’autrui<br />
C<strong>et</strong>te partie du proj<strong>et</strong>, en collaboration avec le Professeur Alain Berthoz, le<br />
Professeur Béatrice De Gel<strong>de</strong>r, Swann Pichon <strong>et</strong> Lydia Pouga, a pour but d’étudier<br />
les bases neurales associées à la perception d’expressions corporelles d’émotions (peur<br />
<strong>et</strong> colère) <strong>et</strong> <strong>de</strong> tester le couplage entre émotion <strong>et</strong> action. Les résultats <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux<br />
premières étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle suggéraient<br />
que la perception d’expressions corporelles <strong>de</strong> peur <strong>et</strong> <strong>de</strong> colère, par rapport à une<br />
expression neutre, engage une étape supplémentaire, celle <strong>de</strong> se préparer à agir en<br />
réaction à l’émotion perçue (Grèzes <strong>et</strong> al. 2007, Pichon <strong>et</strong> al. 2007). Une même<br />
étu<strong>de</strong> sur la peur a été réalisée chez <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s sains <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s autistes — Asperger<br />
en collaboration avec le Dr Bruno Wicker. Nous montrons qu’il existe <strong><strong>de</strong>s</strong> différences<br />
cérébrales au sein <strong>de</strong> la population normale entre <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s ayant <strong><strong>de</strong>s</strong> difficultés à<br />
i<strong>de</strong>ntifier <strong>et</strong> à exprimer leurs émotions, suj<strong>et</strong>s dits « alexithymique » <strong>et</strong> les autres au<br />
sein <strong>de</strong> l’amygdale, région ayant un rôle crucial dans l’évaluation émotionnelle, ainsi<br />
que dans le cortex cingulaire antérieur qui joue un rôle dans la régulation<br />
émotionnelle (Pouga <strong>et</strong> al., en préparation). Enfin, seuls les témoins par rapport aux<br />
suj<strong>et</strong>s autistes présentent <strong><strong>de</strong>s</strong> activations au sein du système émotionnel (amygdale,<br />
gyrus frontal inférieur <strong>et</strong> cortex prémoteur ; Grèzes <strong>et</strong> al, soumis).<br />
4.6. Planification <strong>et</strong> contrôle <strong>de</strong> la locomotion chez l’homme<br />
H. Hicheur (Hertie Institut, Allemagne), A. Crétual, A.-H. Olivier<br />
(Université <strong>de</strong> Rennes), J. Wiener (Freiburg University, Allemagne),<br />
J.-P. Laumond (LAAS, Toulouse), D. Bennequin (Université Paris VI),<br />
J.-J. Slotine (MIT)<br />
Nos recherches actuelles portent principalement sur l’exploration <strong><strong>de</strong>s</strong> principes<br />
biologiques <strong>et</strong> mathématiques sous-tendant la formation <strong><strong>de</strong>s</strong> trajectoires<br />
locomotrices chez l’homme. Nous nous intéressons par exemple à la locomotion<br />
exécutée dans diverses conditions expérimentales (avec/sans vision <strong>de</strong> la cible, en<br />
marche avant/arrière, vitesse lente/rapi<strong>de</strong>,...) afin <strong>de</strong> dégager l’influence <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
modalités sensorielles <strong>et</strong> motrices sur la formation <strong><strong>de</strong>s</strong> trajectoires complexes. En
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 319<br />
partant <strong>de</strong> ces observations expérimentales, nous construisons <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles<br />
mathématiques qui font intervenir <strong><strong>de</strong>s</strong> principes tels que le contrôle optimal<br />
stochastique ou la géométrie affine <strong>et</strong> équi-affine.<br />
Un autre axe <strong>de</strong> recherche que nous poursuivons est l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> systèmes<br />
dynamiques avec la théorie <strong>de</strong> la Contraction Nonlinéaire. Nous sommes en<br />
particulier entrain <strong>de</strong> développer une version stochastique <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te théorie. Du<br />
point <strong>de</strong> vue <strong><strong>de</strong>s</strong> applications, nous étudions par exemple la stabilité <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux<br />
<strong>de</strong> neurones synchronisés soumis à <strong><strong>de</strong>s</strong> perturbations aléatoires.<br />
4.7. Navigation humaine dans <strong><strong>de</strong>s</strong> environnements complexes :<br />
contribution <strong><strong>de</strong>s</strong> indices kinesthésiques <strong>et</strong> eff<strong>et</strong> d’A PRIORI<br />
M. Lafon, J. Wiener, A. Berthoz<br />
L’objectif est d’étudier les stratégies cognitives <strong>de</strong> navigation <strong>de</strong> l’homme.<br />
L’originalité <strong>de</strong> ce travail rési<strong>de</strong> dans la définition <strong>et</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> kinesthèses ou indices<br />
du mouvement. De plus, ce travail s’appuie sur <strong><strong>de</strong>s</strong> protocoles expérimentaux<br />
nouveaux : l’utilisation d’informations présentées préalablement à l’apprentissage<br />
d’un environnement, l’introduction d’incertitu<strong>de</strong> spatiale dans l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />
planification <strong>de</strong> traj<strong>et</strong>, l’utilisation <strong>de</strong> modifications posturales pour l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
kinesthèses. La thèse est également le résultat d’échanges entre le mon<strong>de</strong> industriel <strong>et</strong><br />
le mon<strong>de</strong> académique. Lors <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux premières expériences, nous avons pu tester<br />
l’eff<strong>et</strong> d’un amorçage <strong>de</strong> type carte sur un apprentissage kinesthésique d’un traj<strong>et</strong>.<br />
Nous avons <strong>de</strong>mandé au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> réaliser plusieurs tâches d’orientation <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
navigation pour nous rendre compte <strong>de</strong> l’interaction possible entre les représentations<br />
mais aussi entre les stratégies. Nous concluons que l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’amorçage sur un<br />
apprentissage kinesthésique d’un traj<strong>et</strong> est très différent suivant le type <strong>de</strong> tâche<br />
<strong>de</strong>mandée, <strong>et</strong> que certains a priori biologiques influencent notre représentation <strong>de</strong><br />
l’espace. Lors d’une troisième expérience, nous avons étudié l’eff<strong>et</strong> d’un changement<br />
postural <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’habituation sur le maintien d’un pattern locomoteur. Une quatrième<br />
expérience nous a permis <strong>de</strong> montrer que la planification avec incertitu<strong>de</strong> d’un traj<strong>et</strong><br />
connu était réalisée <strong>de</strong> manière extrêmement performante par les suj<strong>et</strong>s, <strong>et</strong> nous<br />
avons étudié le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> kinesthèses lors <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te planification <strong>de</strong> traj<strong>et</strong>. Enfin, une<br />
cinquième expérience m<strong>et</strong> en évi<strong>de</strong>nce les contributions relatives <strong><strong>de</strong>s</strong> informations<br />
visuelles géométriques <strong>et</strong> <strong>de</strong> type « amers visuels ». Le mémoire se termine sur les<br />
étu<strong><strong>de</strong>s</strong> effectuées dans un contexte industriel. La discussion <strong>de</strong> ce travail se focalise<br />
sur l’interaction possible <strong><strong>de</strong>s</strong> représentations <strong>de</strong> l’espace <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> stratégies associées<br />
puis ouvre sur les questions théoriques que pose la thèse.<br />
4.8. Étu<strong>de</strong> du changement <strong>de</strong> perspective visuelle<br />
dans la navigation spatiale humaine<br />
L. Laou, J. Barra, A. Berthoz (Proj<strong>et</strong> Européen Bacs)<br />
(Proj<strong>et</strong> SCAN, en coopération avec ARCHIVIDEO)<br />
Nous utilisons principalement <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> perspective visuelle pour mémoriser<br />
un traj<strong>et</strong> dans l’espace : la perspective route <strong>et</strong> la perspective survol. La perspective
320 ALAIN BERTHOZ<br />
route (ou perspective égocentrée) correspond à la vision <strong>de</strong> l’espace en trois<br />
dimensions telle qu’un individu la perçoit lorsqu’il se déplace physiquement dans un<br />
environnement. La perspective survol (ou perspective allocentrée) correspond quant<br />
à elle à une vue aérienne ou <strong>de</strong> type carte <strong>de</strong> l’environnement, c’est-à-dire à une<br />
vision <strong>de</strong> l’espace en <strong>de</strong>ux dimensions. Les représentations <strong>de</strong> type route utilisent un<br />
cadre <strong>de</strong> référence égocentré dans lequel la localisation d’un obj<strong>et</strong> se fait par rapport à<br />
celle <strong>de</strong> l’individu, tandis que les représentations <strong>de</strong> type survol sont construites dans<br />
un cadre <strong>de</strong> référence allocentré basé sur les relations spatiales entre les repères. Sur le<br />
plan comportemental, il a été montré que ces <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> perspective pouvaient<br />
engendrer <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> performances différentes. Sur le plan neural, nous<br />
avons montré que <strong>de</strong>ux réseaux partageant certaines aires cérébrales étaient impliqués<br />
dans ces <strong>de</strong>ux stratégies (égocentrée <strong>et</strong> allocentrée) <strong>et</strong> que ces <strong>de</strong>rnières pouvaient être<br />
mémorisées en parallèle. Actuellement, nos <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> recherche portent sur l’eff<strong>et</strong><br />
du changement <strong>de</strong> perspective sur les performances <strong>de</strong> navigation dans une ville<br />
virtuelle (collaboration avec Archividéo <strong>et</strong> Clarté). Nous cherchons également à<br />
mieux caractériser les corrélats neuro-anatomiques <strong><strong>de</strong>s</strong> stratégies égocentrée <strong>et</strong><br />
allocentrée en utilisant l’Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle (IRMf,<br />
collaboration avec NeuroSpin). De plus, un objectif complémentaire <strong>de</strong> nos <strong>travaux</strong><br />
consiste à rechercher l’existence <strong>de</strong> différences entre les hommes <strong>et</strong> les femmes tant<br />
au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> stratégies <strong>de</strong> navigation que <strong><strong>de</strong>s</strong> régions cérébrales impliquées.<br />
4.9. Empathie <strong>et</strong> Referentiels spatiaux<br />
B. Thirioux, P r Jorland (EHESS) & A. Berthoz (LPPA),<br />
en coopération avec O. Blanke (EPFL, Lausanne)<br />
Au <strong>cours</strong> d’expériences en électroencéphalographie, menées en collaboration avec<br />
le P r Blanke (EPFL, Suisse), nous avons réutilisé notre paradigme <strong>de</strong> symétrie par<br />
rotation <strong>et</strong> réflexion, élaboré en 2006 (Thirioux <strong>et</strong> al., soumis) pour explorer les<br />
mécanismes neurocognitifs du changement <strong>de</strong> perspective lors d’une interaction<br />
spontanée avec autrui (Jorland <strong>et</strong> Thirioux, 2008, sous presse). Nos résultats<br />
montrent que lors d’une interaction sans tâche explicite avec un avatar présenté <strong>de</strong><br />
face, profile ou dos, les suj<strong>et</strong>s prennent spontanément la perspective visuo-spatiale <strong>de</strong><br />
celui-ci, par une transformation mentale du corps, reflétée dans le comportement par<br />
une symétrie par rotation. Ce changement <strong>de</strong> perspective spontané active<br />
bilatéralement la jonction temporo-pariétale vers 500-600 ms, 450-550 ms <strong>et</strong><br />
400-500 ms après l’ons<strong>et</strong> du stimulus, en fonction <strong>de</strong> la présentation <strong>de</strong> face, <strong>de</strong><br />
profil ou <strong>de</strong> dos <strong>de</strong> la funambule, confirmant l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> rotation. En fonction <strong>de</strong><br />
l’augmentation du <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> translation spatiale nécessaire à la transformation<br />
mentale, on observe une activation prédominante <strong>de</strong> la TPJ droite mais aussi une<br />
activation sélective du lobule pariétal inférieur gauche pour l’orientation <strong>de</strong> face. Une<br />
tâche imposée <strong>de</strong> symétrie par réflexion active les systèmes résonnants, en particulier<br />
le cortex dorsolatéral préfrontal droit <strong>et</strong> les aires prémotrices droites, selon un axe<br />
antéro-postérieur en fonction <strong>de</strong> l’orientation <strong>de</strong> l’avatar, mais aussi, <strong>de</strong> façon<br />
sélective le cortex occipital droit pour l’orientation <strong>de</strong> face (Thirioux <strong>et</strong> al., 2008a, en
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 321<br />
préparation pour Journal of Neuroscience). Une nouvelle analyse a montré qu’un<br />
changement <strong>de</strong> perspective spontané, semblable à un changement <strong>de</strong> perspective<br />
imposé dans une phase tardive <strong><strong>de</strong>s</strong> PE (entre 400 <strong>et</strong> 600 ms), s’en distingue cependant<br />
entre 70-100 ms après l’ons<strong>et</strong> du stimulus, activant l’insula gauche alors que la<br />
rotation imposée active l’insula droite (Thirioux <strong>et</strong> al., 2008b, en préparation pour<br />
Nature Neuroscience). Ces résultats indiquent une activation très précoce <strong><strong>de</strong>s</strong> régions<br />
impliquées dans l’utilisation <strong><strong>de</strong>s</strong> référentiels spatiaux. Enfin une <strong>de</strong>rnière analyse<br />
révèle le dynamisme <strong><strong>de</strong>s</strong> changements <strong>de</strong> référentiels spatiaux précédant la stratégie<br />
définitive (rotation ou réflexion). Pour l’orientation <strong>de</strong> face, les résultats montrent<br />
une activation <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes résonants entre 0 <strong>et</strong> 500 ms, précédant le changement <strong>de</strong><br />
perspective spontané. On observe le pattern inverse pour l’orientation <strong>de</strong> dos. Ces<br />
résultats montrent que les suj<strong>et</strong>s, pour la mise en place <strong>de</strong> leur stratégie d’interaction<br />
avec autrui, passent <strong>de</strong> leur propre perspective visuo-spatiale à celle d’autrui, suggérant<br />
qu’une i<strong>de</strong>ntification avec autrui, non observable dans le comportement, précè<strong>de</strong>rait<br />
neurophysiologiquement le changement <strong>de</strong> perspective <strong>et</strong> la distinction avec autrui.<br />
4.10. Dynamique <strong><strong>de</strong>s</strong> changements <strong>de</strong> perspective<br />
dans la navigation humaine<br />
E. Dupierrix, A. Berthoz, Proj<strong>et</strong> MATISS, en coopération avec RENAULT<br />
La navigation humaine est une activité complexe nécessitant la manipulation<br />
simultanée ou successive <strong>de</strong> différentes perspectives <strong>de</strong> l’environnement, comme le<br />
point <strong>de</strong> vue « route » ou le point <strong>de</strong> vue « survol ». Le point <strong>de</strong> vue route (ou<br />
égocentré) coïnci<strong>de</strong> à la perspective perçue par l’individu lorsqu’il se déplace<br />
physiquement dans l’espace tandis que le point <strong>de</strong> vue survol (ou perspective<br />
allocentrée) correspond à une vue aérienne <strong>de</strong> l’espace. Si les recherches se sont<br />
centrées sur les processus liés à la manipulation <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux stratégies spatiales, très<br />
peu d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ont concerné les mécanismes liés au changement <strong>de</strong> stratégies. Notre<br />
proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> recherche vise à étudier la dynamique <strong><strong>de</strong>s</strong> changements <strong>de</strong> stratégies<br />
spatiales pour la navigation humaine. Il s’agit plus particulièrement <strong>de</strong> caractériser<br />
(dé<strong>cours</strong> temporel, coût <strong>de</strong> traitement, corrélats neuronaux) les processus sousjacents<br />
au changement <strong>de</strong> point <strong>de</strong> vue en combinant les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> comportementales<br />
<strong>et</strong> d’imageries cérébrales (EEG).<br />
4.11. Conséquences perceptives <strong>et</strong> motrices <strong><strong>de</strong>s</strong> asymétries cérébelleuses<br />
<strong>et</strong> vestibulaires dans la scoliose idiopathique<br />
D. Rousie (Université <strong>de</strong> Lille), A. Berthoz, (Proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la Fondation Cotrel)<br />
Dans une étu<strong>de</strong> précé<strong>de</strong>nte, nous avons démontré qu’il existait chez les suj<strong>et</strong>s<br />
scoliotiques une asymétrie statistiquement significative <strong>de</strong> la base postérieure du<br />
crâne reflétant une asymétrie cérébelleuse sous-jacente. Nous avons également mis<br />
en évi<strong>de</strong>nce un lien direct entre ces asymétries <strong>et</strong> la présence <strong>de</strong> malformations au<br />
niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux semi-circulaires <strong>de</strong> l’oreille interne grâce à une modélisation<br />
réalisée à partir <strong>de</strong> données IRM. Pour vérifier une implication neurophysiologique<br />
<strong>de</strong> ces anomalies, une étu<strong>de</strong> oculomotrice approfondie <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s scoliotiques a été
322 ALAIN BERTHOZ<br />
menée : elle a permis <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en évi<strong>de</strong>nce <strong><strong>de</strong>s</strong> torsions <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> anomalies <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
poursuites oculaires relevant <strong>de</strong> dysfonctions vestibulaires. Par ailleurs, <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
expérimentales récentes ont mis en évi<strong>de</strong>nce <strong><strong>de</strong>s</strong> liens génétiques entre la formation<br />
du cervel<strong>et</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’oreille interne. Ces premiers résultats suggèrent <strong>de</strong> nouveaux<br />
axes <strong>de</strong> recherche. Ceux-ci ont reçu le soutien <strong>de</strong> la Fondation Yves Cotrel en<br />
novembre 2007 pour une durée <strong>de</strong> trois ans.<br />
1. Axe génétique : une collaboration avec le Professeur Nancy Miller, également<br />
membre <strong>de</strong> la fondation Y.Cotrel, a été mis en place. Elle a pour but l’i<strong>de</strong>ntification<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> gènes codant pour la formation <strong>de</strong> l’oreille interne <strong>et</strong> du cervel<strong>et</strong> chez l’homme<br />
puis la comparaison <strong><strong>de</strong>s</strong> loci i<strong>de</strong>ntifiés entre suj<strong>et</strong>s scoliotiques <strong>et</strong> suj<strong>et</strong>s sains.<br />
2. Axe neurophysiologique : au niveau vestibulaire <strong>et</strong> cérébelleux : nous avions,<br />
dans la première étu<strong>de</strong> focalisé notre attention sur les canaux semi-circulaires. Il<br />
est maintenant indispensable <strong>de</strong> nous intéresser à la fonction otolithique également<br />
impliquée dans la fonction posturale (étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> Lacour, <strong>de</strong> Pompeiano, <strong>de</strong><br />
De Waele…). Des <strong>travaux</strong> récents sur le cervel<strong>et</strong> (Ito) ont ciblé <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions<br />
cognitives insoupçonnées du cervel<strong>et</strong> (représentation spatiale, perception du schéma<br />
corporel… en plus <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions classiques <strong>de</strong> régulation motrices) : <strong>de</strong> nouveaux<br />
tests d’appréciation <strong>de</strong> la fonction cérébelleuse vont donc être utilisés. Au niveau<br />
oculaire, les anomalies oculomotrices que nous avons mises en évi<strong>de</strong>nce dans la<br />
première étu<strong>de</strong> doivent être poursuivies notamment au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> poursuites<br />
oculaires. C<strong>et</strong>te partie <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> sera assurée par le Docteur Salv<strong>et</strong>ti, ophtalmologiste<br />
en charge <strong><strong>de</strong>s</strong> bilans oculaires <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s.<br />
Activités <strong>de</strong> la Chaire<br />
Publications<br />
Publications <strong>de</strong> l’équipe : Mémoire spatiale <strong>et</strong> contrôle du mouvement<br />
Responsable : Alain Berthoz<br />
Revue à comité <strong>de</strong> lecture<br />
2007<br />
— Capelli, A., Deborne, R., Israël, I. : Temporal intervals production during passive<br />
self-motion in darkness, Current Psychology L<strong>et</strong>ters, 22 (2).<br />
— Hicheur, H., Pham, Q.-C., Arechaval<strong>et</strong>a, G., Laumond, J.-P., Berthoz, A. : The<br />
Formation of Trajectories during Goal-Oriented Locomotion in Humans. I. A Stereotyped<br />
Behavior, European Journal of Neuroscience, 26(8) : 2376-90.<br />
— Khonsari, R., Lobel, E., Milea, D., Lehericy, S., Pierrot-Deseilligny, C. &<br />
Berthoz, A. : Lateralized pari<strong>et</strong>al activity during <strong>de</strong>cision and preparation of sacca<strong><strong>de</strong>s</strong>,<br />
Neuroreport., 18(17) : 1797-800.<br />
— Lachaux, J.-P., Jerbi, K., Bertrand, O., Minotti, L., Hoffmann, D.,<br />
Schoendorff, B. & Kahane, P. : A Blueprint for Real-Time Functional Mapping via<br />
Human Intracranial Recordings ?, PLoS ONE, 2(10) : e1094.
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 323<br />
— Lambrey, S., Amorim, M.A., Samson, S., Noulhiane, M., Hasboun, D.,<br />
Dupont, S., Baulac, M. & Berthoz, A. : Distinct visual perspective taking strategies<br />
involve differently the left and right MTL structures, Brain, Feb 2008 ; 131(2) : 523-34.<br />
— Lambrey, S. & Berthoz, A. : Gen<strong>de</strong>r differences in the use of external landmarks<br />
versus spatial representations updated by self-motion, J. Intergr. Neurosc., 6(3) : 379-401.<br />
— Milea, D., Lobel, E., Lehericy, S. Leboucher, P., Pochon, J-B., Pierrot-<br />
Desseilligny, C. & Berthoz, A.(2007) : Prefrontal cortex is involved in internal <strong>de</strong>cision<br />
of forthcoming sacca<strong><strong>de</strong>s</strong>, NeuroReport, 18(12) : 1221-4.<br />
— P<strong>et</strong>it, J.-L. : Commentary to Helena De Preester : The <strong>de</strong>ep bodily origins of the<br />
subjective perspective : mo<strong>de</strong>ls and their problems ?, Consciousness and Cognition, 16(3) :<br />
604-18.<br />
— Pham, Q.-C., Hicheur, H., Arechaval<strong>et</strong>a, G., Laumond, J.-P., Berthoz, A. : The<br />
Formation of Trajectories during Goal-Oriented Locomotion in Humans. II. A Maximum<br />
Smoothness Mo<strong>de</strong>l, European Journal of Neuroscience, 26(8) : 2391-2403.<br />
— Schmidt, D., Krause, B.J., Weiss, P.H., Fink, G.R., Shah, N.J., Amorin, M.A.,<br />
Muller, H.W. & Berthoz, A. : Visuospatial working memory and changes of the point<br />
of view in 3D space, NeuroImage, 36(3) : 955-68.<br />
— Tabareau, N., Bennequin, D., Berthoz, A., Slotine, J.-J. and Girard, B. :<br />
Geom<strong>et</strong>ry of the superior colliculus mapping and efficient oculomotor computation,<br />
Biological Cybern<strong>et</strong>ics, 97(4) : 279-92.<br />
— Van Heijnsbergen, C.C.R.J., Meeren, H.K.M., Grèzes, J., <strong>de</strong> Gel<strong>de</strong>r, B. : Rapid<br />
d<strong>et</strong>ection of fear in body expressions, an ERP study, Brain Research, 1186 : 233-41.<br />
2008<br />
— Girard, B., Tabareau, N., Pham, Q.C., Berthoz, A. & Slotine, J.-J. : Where<br />
Neuroscience and dynamic system theory me<strong>et</strong> autonomous robotics : a contracting basal<br />
ganglia mo<strong>de</strong>l for action selection. Neural N<strong>et</strong>works, 21(4) : 628-641.<br />
— Lambrey, S., Amorim, M.A., Samson, S., Noulhiane, M., Hasboun, D., Dupont,<br />
S., Baulac, M., Berthoz, A. : Distinct visual perspective-taking strategies involve the left<br />
and right medial temporal lobe structures differently. Brain., 131 (Pt 2) : 523-34.<br />
— Mossio, M., Vidal, M., & Berthoz, A. : Traveled distances : New insights into the<br />
role of optic flow, Vision Research, 48, 289-303.<br />
— Wiener, J.M., Lafon, M., Berthoz, A. : Path planning un<strong>de</strong>r spatial uncertainty.<br />
Mem Cognit., 36(3) : 495-504.<br />
Publications <strong>de</strong> l’équipe « Perception <strong>et</strong> exploration actives <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s »<br />
Responsable : Jacques Droulez<br />
Revue à comité <strong>de</strong> lecture<br />
2007<br />
— Colas, F., Droulez, J., Wexler, M. & Bessière, P. : A unified probabilistic mo<strong>de</strong>l<br />
of the perception of three-dimensional structure from optic flow, Biological Cybern<strong>et</strong>ics,<br />
97(5) : 461-77.
324 ALAIN BERTHOZ<br />
2008<br />
— Bullot, N. & Droulez J. : Keeping track of invisible individuals while exploring a<br />
spatial layout with partial cues : location-based and <strong>de</strong>ictic direction-based strategies,<br />
Philosophical Psychology, 21(1) : 15-46.<br />
— Devisme, C., Drobe, B., Monot A. & Droulez, J. : Stereoscopic <strong>de</strong>pth perception<br />
in peripheral field and global processing of horizontal disparity gradient pattern, Vision<br />
Research, 48(6) : 753-64.<br />
Publications <strong>de</strong> l’équipe : Développement perceptif <strong>et</strong> intégration<br />
interhémisphérique<br />
Responsable : Chantal Miller<strong>et</strong><br />
Revue à comité <strong>de</strong> lecture<br />
2007<br />
— Rochefort, N., Buzas, P., Kisvarday, Z., Eysel, U.T. & Miller<strong>et</strong>, C. : Layout of<br />
transcallosal activity in cat visual cortex revealed by optical imaging, NeuroImage, 36(3) :<br />
804-21.<br />
2008<br />
— Ribot, J., O’Hashi, K., Ayaka, A., Tanaka, S. : Anisotropy in the representation of<br />
direction preferences in cat area 18, Eur. J. Neuroscience, 27(10) : 2773-80.<br />
Publications <strong>de</strong> l’équipe « Mémoire spatiale <strong>et</strong> navigation »<br />
Responsable : Sidney Wiener<br />
Revue à comité <strong>de</strong> lecture<br />
2007<br />
— Cacquevel, M., Launay, S., Castel, H., Benchenane, K., Cheenne, S., Buee, L.,<br />
Moons, L., Delacourte, A., Carmeli<strong>et</strong>, P., Vivien, D. : Ageing and amyloid-b<strong>et</strong>a pepti<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>position contribute to an impaired brain tissue plasminogen activator activity by different<br />
mechanisms, Neurobiol Dis, 27(2) : 164-73.<br />
2008<br />
— Eschenko, O., Ramadan, W., Mölle, M., Born, J., Sara, S.J. : Sustained increase<br />
in hippocampal sharp-wave ripple activity during slow-wave sleep after learning, Learn<br />
Mem., 15(4) : 222-8.<br />
Chapitres d’ouvrages collectifs<br />
2008<br />
— Battaglia, F.P., Peyrache, A., Khamassi, M. & Wiener S.I. : « Spatial <strong>de</strong>cisions and<br />
neuronal activity in hippocampal projection zones in prefrontal cortex and striatum ». In :
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 325<br />
Hippocampal place fields : Relevance to learning and memory. Ed : S.J.Y. Mizumori.<br />
Oxford University Press, pp. 289-311.<br />
— Sara, S.J. : « Reconsolidation : historical perspectives and theor<strong>et</strong>ical aspects ». In :<br />
Learning and Memory : A Comprehensive Reference. Ed : J. Byrne. Oxford, Elsevier, Vol. 1,<br />
pp. 461-75.<br />
Chapitres d’ouvrages collectifs<br />
Autres <strong>travaux</strong> <strong>et</strong> activités <strong>de</strong> Alain Berthoz<br />
— Berthoz, A. (2007) : « L’homme virtuel ». In : L’homme artificiel. Eds : J.-P. Changeux<br />
<strong>et</strong> al. Paris, O. Jacob, pp. 224-36.<br />
— Freyermuth S., Lachaux J.-P., Kahane P. & Berthoz A. (2007) : « Neural Basis of<br />
Saccadic Decision Making in the Human Cortex ». In : Representation and Brain. Ed.<br />
F. Shintaro. Springer, pp. 199-216.<br />
Conférences<br />
2007<br />
— Berthoz, A. : « Development and function of the balance system in the early years »,<br />
19 th European Conference Neuro<strong>de</strong>velopment and learning difficulties, Conférence Plénière,<br />
Institute for Neuro-physiological psychology, Pise, Italie, 22-23 septembre.<br />
— Berthoz, A. : « Comment le cerveau s’y prend pour déci<strong>de</strong>r. Les apports <strong>de</strong> la neurophysiologie<br />
à la compréhension <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> décision », Séminaire Approches plurielles <strong>de</strong><br />
la décision, Ecole Nationale d’Administration, Paris, 28 septembre.<br />
— Berthoz, A. : « Quels rapports l’homme entr<strong>et</strong>ient-il avec ses espaces ? », Colloque<br />
Maladie d’Alzheimer : S’adapter au patient. Paris, 16 octobre.<br />
— Berthoz, A. : « Bases neurales <strong>de</strong> la décision », Colloque la neurophysiologie <strong>de</strong> la<br />
décision, Ecole Normale supérieure, Paris, 22 octobre.<br />
— Berthoz, A. : « Réalité virtuelle <strong>et</strong> Neurosciences », Conférence plénière. Colloque<br />
STIC Cité <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences à Paris. 5 novembre.<br />
— Berthoz, A. : « Les théories <strong>de</strong> Bergson sur la perception, la mémoire <strong>et</strong> le rire, au<br />
regard <strong><strong>de</strong>s</strong> données <strong><strong>de</strong>s</strong> neurosciences cognitives actuelles », Colloque L’Evolution créatrice<br />
<strong>de</strong> Bergson cent ans après (1907-2007) : Epistémologie <strong>et</strong> Métaphysique. <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />
Paris, 23 novembre.<br />
— Berthoz, A. : « Comment le cerveau s’y prend pour déci<strong>de</strong>r », Réunion SGA, Ecole<br />
militaire, Paris, 29 novembre.<br />
— Berthoz, A. : « Neural basis of the perception of space, movement and emotions »,<br />
Fourth International Conference on Virtual Storytelling, Saint-Malo, 5-7 décembre.<br />
— Berthoz, A. : « Perceptive integration and postural control », Conférence Plénière.<br />
Congrès Neuroriabilitazione e Robotica, Rome, 13-14 décembre.<br />
— Girard, B., Tabareau, N., Bennequin, D., Slotine, J.-J., & Berthoz, A. :<br />
« A mathematical proof of the coupling of the spatiotemporal transformation and the<br />
superior colliculus mapping », Congrès annuel <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong> Neuroscience américaine,<br />
San Diego, USA, 3-7 novembre.<br />
— Jerbi, K., Kahane, P., Minotti, L., Bertrand, O., Berthoz, A. & Lachaux, J.-P. :<br />
« Towards Novel Brain Computer Interfaces via Online D<strong>et</strong>ection of Gamma Oscillations<br />
in Intracerebral Recordings », From Neural Co<strong>de</strong> to Brain/Machine Interface, Château <strong>de</strong><br />
Montvillargenne, Gouvieux les Chantilly, Oise, <strong>France</strong>, 27-29 septembre 2007.
326 ALAIN BERTHOZ<br />
2008<br />
— Berthoz, A. : « La pensée <strong>de</strong> Merleau-Ponty sur la perception au regard <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
neurosciences cognitives actuelles », Le temps <strong>et</strong> l’espace chez Merleau-Ponty, Ecole Normale<br />
Supérieure, Paris, 5-7 juin.<br />
— Berthoz, A. : « Neural principles of natural eye and limb movements that might be<br />
used in robotics », Neurobotics Symposium, Freiburg, 20-22 juill<strong>et</strong>.<br />
— Berthoz, A. : « Motricité, cognition, perception», 21 e Journée d’étu<strong>de</strong> La paralysie<br />
cérébrale, <strong><strong>de</strong>s</strong> situations complexes, <strong><strong>de</strong>s</strong> pratiques en mutation, Conférence Plénière, Palais<br />
<strong>de</strong> l’UNESCO, Paris, 24 janvier.<br />
— Berthoz, A.: « The human brain “projects” upon the world simplying principles and<br />
rules for perception and action », Journée IPSEN Neurobiology of Umwelt : comment les<br />
êtres humains perçoivent le mon<strong>de</strong>, Paris, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 18 février.<br />
— Berthoz, A. : « Cinématique <strong>de</strong> l’expression corporelle <strong><strong>de</strong>s</strong> émotions pendant la<br />
marche », Colloque Analyse 3D du Mouvement, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 3 juin.<br />
— Berthoz, A. : « La manipulation mentale <strong><strong>de</strong>s</strong> points <strong>de</strong> vue : un <strong><strong>de</strong>s</strong> fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> la<br />
tolérance ? », Colloque La pluralité interprétative <strong>et</strong> les fon<strong>de</strong>ments historiques <strong>et</strong> cognitifs<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> changements <strong>de</strong> point <strong>de</strong> vue, Paris, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 12 juin.<br />
Organisation <strong>de</strong> réunions<br />
2007<br />
— Berthoz, A. & Kemeny, A. : Séminaire « Images Virtuelles », <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />
Paris, 14 juin.<br />
— Berthoz, A. & Laroche, S. : Colloque final ACI, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Paris, 11 <strong>et</strong><br />
12 juin.<br />
— Berthoz, A. &. Dario, P. : Brain - Machines Interfaces, Volterra, Italie,<br />
16-21 septembre.<br />
— Clarac, F., Berthoz, A. & al : Colloque From Neural co<strong>de</strong> : to brain/machine<br />
interface. Château <strong>de</strong> Montvillargenne, Gouvieux-les-Chantilly, Oise, <strong>France</strong>, 27-29 septembre<br />
2007.<br />
2008<br />
— Berthoz, A. <strong>et</strong> en coopération avec la Fondation IPSEN : Journée IPSEN<br />
Neurobiology of Umwelt « Comment les êtres humains perçoivent le mon<strong>de</strong> », Paris,<br />
18 février.<br />
— Berthoz, A. & Biom<strong>et</strong>rics : Colloque Analyse 3D du Mouvement, à l’occasion du<br />
15 e anniversaire <strong><strong>de</strong>s</strong> Réunions <strong><strong>de</strong>s</strong> Utilisateurs Vicon, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Paris, 3 juin.<br />
— Girault, J.-A. & Chemin, J.-Y., Berthoz, A. & al. : Colloque « Mathématiques en<br />
Neurosciences », Ecole Nationale Supérieure <strong>de</strong> chimie <strong>de</strong> Paris, Paris, 10 juin.<br />
— Berthoz, A., Stock, B. & Ossola, C. : Colloque « La pluralité interprétative<br />
fon<strong>de</strong>ments historiques <strong>et</strong> cognitifs <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> point <strong>de</strong> vue », <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Paris,<br />
12-13 juin.<br />
Enseignement<br />
— Dario, P., Jerbi, K., Berthoz, A. : NEUROBOTICS Summer School 2007 Brain-<br />
Machine Interface, Volterra, Italie, 16-21 septembre 2007.
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 327<br />
Participation à l’organisation <strong>de</strong> la recherche<br />
— Membre du Comité <strong><strong>de</strong>s</strong> Programmes scientifiques du CNES.<br />
— Membre du Conseil consultatif pour la Science <strong>France</strong>/Japon.<br />
— Membre du Conseil scientifique <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> Neurosciences <strong>de</strong> Trinity College à<br />
Dublin.<br />
— Membre du Conseil pédagogique du Mastère <strong>de</strong> Sciences cognitives (Ecole doctorale<br />
3C).<br />
— Prési<strong>de</strong>nt du Comité scientifique <strong>de</strong> l’œuvre Falr<strong>et</strong> pour les maladies mentales.<br />
— Membre du Conseil scientifique du NEUROPOLE Ile-<strong>de</strong>-<strong>France</strong> <strong>et</strong> du RTRA « Ecole<br />
<strong>de</strong> Neurosciences <strong>de</strong> Paris ».<br />
— Membre du Conseil scientifique <strong>de</strong> l’institut Max Planck, Tübingen.<br />
— Membre <strong>de</strong> la Commission <strong>de</strong> diffusion culturelle du Conservatoire <strong><strong>de</strong>s</strong> Arts <strong>et</strong><br />
Métiers.<br />
— Membre du Comité Scientifique <strong>de</strong> l’AIST-CNRS Joint Japanese-French Robotics<br />
Laboratory (JRL).<br />
Collaboration avec l’Industrie<br />
— Contrat avec la société Peugeot.<br />
— Proj<strong>et</strong> Européen Euréka MOVES sur les simulateurs avec la Société Renault <strong>et</strong> Max<br />
Planck Institut, Tuebingen, <strong>et</strong> TNO Hollan<strong>de</strong>.<br />
— Proj<strong>et</strong> SCAN Pôle <strong>de</strong> compétitivité Br<strong>et</strong>agne avec la Société Archividéo.<br />
— Organisation <strong>et</strong> Prési<strong>de</strong>nce du séminaire <strong>de</strong> prospective <strong>de</strong> la RATP sur « Cognition<br />
<strong>et</strong> mobilité », 5 séances <strong>et</strong> un atelier, 2007 & 2008.<br />
Contrats <strong>de</strong> recherche <strong>et</strong> coopérations internationales<br />
— Proj<strong>et</strong> BACS : proj<strong>et</strong> européen dans le cadre <strong>de</strong> Cognitive Systems.<br />
— Proj<strong>et</strong> « Asymétries cranio-faciales », Fondation Cotrel-Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences (avec<br />
Mme D. Rousié).<br />
— Proj<strong>et</strong> NEST WAYFINDING n° 12959, FP6-2003-Nest-Path <strong>de</strong> la Communauté<br />
européenne.<br />
— Programme Human Frontier Science Program (Coordinateur B. <strong>de</strong> Gel<strong>de</strong>r-Tilbury)<br />
« L’Expression corporelle <strong><strong>de</strong>s</strong> émotions ».<br />
— Proj<strong>et</strong> NEUROPROBES, IP dans le EC IST programme « Integrating and<br />
strengthening the European research area (2002-2006) ».<br />
— Proj<strong>et</strong> NEUROBOTICS, Programme européen « Information Soci<strong>et</strong>y Technologie-<br />
Furture and Emerging Technologies ».<br />
Thèses<br />
— Lafon, M. (2008) : « Navigation humaine dans <strong><strong>de</strong>s</strong> environnements complexes :<br />
contribution <strong><strong>de</strong>s</strong> indices kinesthésiques <strong>et</strong> eff<strong>et</strong> d’a priori », <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 29 mai 2008.
Mé<strong>de</strong>cine expérimentale<br />
M. Pierre Corvol, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeur<br />
L’Apéline<br />
Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine expérimentale a porté sur les propriétés d’un<br />
nouveau pepti<strong>de</strong> vasoactif, l’apéline. Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année précé<strong>de</strong>nte avait montré<br />
que plusieurs pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> vasoactifs étaient impliqués dans la formation <strong>de</strong> nouveaux<br />
vaisseaux par <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes impliquant l’angiogenèse <strong>et</strong> le remo<strong>de</strong>lage vasculaire.<br />
Ainsi, l’angiotensine <strong>et</strong> l’endothéline contrôlent non seulement le tonus vasculaire<br />
<strong>et</strong> régulent le flux sanguin régional mais ont aussi un eff<strong>et</strong> proangiogénique <strong>et</strong><br />
exercent un rôle dans la croissance <strong>de</strong> la paroi vasculaire. D’autres pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> vasoactifs<br />
exercent une propriété similaire, telle que l’apéline.<br />
La découverte <strong>de</strong> l’apéline illustre bien la démarche actuelle <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong><br />
certaines nouvelles molécules naturelles biologiques. En eff<strong>et</strong>, c’est par une démarche<br />
<strong>de</strong> « pharmacologie inverse » qu’a été i<strong>de</strong>ntifiée l’apéline comme le ligand d’un<br />
récepteur jusque là orphelin, l’APJ. Le récepteur APJ a été cloné en 1993 lors d’une<br />
recherche systématique <strong>de</strong> récepteurs apparentés au récepteur <strong>de</strong> l’angiotensine II.<br />
Il s’agit d’un récepteur à sept domaines transmembranaires découvert chez l’homme<br />
par O’Dowd <strong>et</strong> al. (Gene, 1993). Bien qu’il soit analogue au récepteur <strong>de</strong><br />
l’angiotensine II, ce récepteur ne lie pas l’angiotensine. Il partage une homologie <strong>de</strong><br />
structure avec le récepteur CXC <strong><strong>de</strong>s</strong> chimiokines (CXCR4) <strong>et</strong> il agit comme<br />
co-récepteur du CD4 pour l’entrée du virus HIV-1 <strong>et</strong> SIV dans les cellules.<br />
L’isolement <strong>et</strong> la caractérisation du ligand endogène du récepteur APJ humain ont<br />
été réalisés par l’équipe <strong>de</strong> Tatemoto <strong>et</strong> al. (BBRC, 1998). En utilisant une lignée <strong>de</strong><br />
culture cellulaire exprimant le récepteur APJ, <strong>et</strong> en suivant son activation par la<br />
mesure <strong>de</strong> l’acidification extracellulaire, ces auteurs ont découvert qu’un pepti<strong>de</strong><br />
présent dans l’estomac <strong>de</strong> bœuf stimulait l’APJ. La purification, le séquençage <strong>et</strong><br />
le clonage <strong><strong>de</strong>s</strong> fractions peptidiques actives a révélé qu’il existait trois pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> actifs<br />
<strong>de</strong> 36, 17 <strong>et</strong> 13 aci<strong><strong>de</strong>s</strong> aminés, issus d’un précurseur commun, la pré-proapéline. La
330 PIERRE CORVOL<br />
pré-proapéline (77 aci<strong><strong>de</strong>s</strong> aminés) est convertie en apéline 36 puis en apéline 17 <strong>et</strong><br />
13. Le processus <strong>de</strong> maturation <strong>de</strong> la pré-proapéline en apéline 36 n’est pas connu ;<br />
la conversion <strong>de</strong> l’apéline 36 en apélines 17 <strong>et</strong> 13 est effectuée vraisemblablement<br />
par <strong><strong>de</strong>s</strong> proconvertases. L’apéline sous ses différentes formes, 36, 17 <strong>et</strong> 13, est présente<br />
dans les tissus, le plasma <strong>et</strong> divers liqui<strong><strong>de</strong>s</strong> biologiques. L’apéline 17 est prédominante<br />
dans le plasma chez l’homme. Son origine tissulaire n’est pas connue avec précision<br />
(hypophysaire, cardiaque, tissu adipeux, autres, ?…). Le catabolisme <strong>de</strong> ces pepti<strong><strong>de</strong>s</strong>,<br />
leur <strong>de</strong>mi-vie <strong>et</strong> leur clairance ont peu été étudiés. L’angiotensin-converting enzyme<br />
2 (ACE-2) hydrolyse avec une bonne efficacité catalytique l’apéline 13 en apéline 12<br />
qui conserve une activité biologique.<br />
Les apélines 36, 17 <strong>et</strong> 13 ont une affinité similaire pour le récepteur APJ. Le<br />
récepteur est couplé <strong>de</strong> façon négative à l’adénylyl cyclase par une protéine Gi.<br />
Différentes voies <strong>de</strong> signalisation intracellulaire sont activées par le récepteur APJ,<br />
selon le tissu concerné : phosphorylation <strong>de</strong> Akt, activation <strong>de</strong> la p70 S6 kinase,<br />
impliquée dans la progression du cycle cellulaire, activation <strong>de</strong> la phospholipase C<br />
<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines kinases C par la voie Gq. In vitro, les différents fragments d’apéline<br />
ont une affinité similaire pour APJ <strong>et</strong> agissent préférentiellement par la voie Gi1<br />
ou Gi2, mais la désensibilisation du récepteur dépend du type <strong>de</strong> fragment <strong>de</strong><br />
l’apéline (L. Messari <strong>et</strong> al., J. Neurochem., 2004).<br />
L’apéline <strong>et</strong> son récepteur sont présents principalement dans le cerveau,<br />
l’hypophyse, le cœur, le poumon, l’intestin. L’apéline est aussi présente dans le tissu<br />
adipeux, au niveau du rein <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> surrénales. C<strong>et</strong>te distribution correspond à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
actions chez l’homme qui peuvent être brièvement synthétisées ainsi : au niveau<br />
central, l’apéline inhibe la production <strong>de</strong> vasopressine, module la prise d’eau <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
nourriture <strong>et</strong> stimule la libération d’ACTH. L’apéline exerce un eff<strong>et</strong> cardiaque<br />
inotrope positif <strong>et</strong> abaisse transitoirement <strong>et</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong>tement la pression artérielle.<br />
L’apéline agit sur les cellules gastriques en stimulant la libération <strong>de</strong> cholécystokinine ;<br />
elle inhibe la secrétion d’insuline. Elle joue enfin un rôle important dans le<br />
développement cardiovasculaire ainsi que l’ont révélé différents <strong>travaux</strong>.<br />
Deux étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ont montré le rôle <strong>de</strong> l’apéline <strong>et</strong> <strong>de</strong> son récepteur dans le<br />
développement cardiaque chez le poisson zèbre (Scott <strong>et</strong> al., Developmental Cell,<br />
2007 <strong>et</strong> Zeng <strong>et</strong> al., Developmental Cell, 2007) : dans c<strong>et</strong>te espèce, le système<br />
apéline joue un rôle à un sta<strong>de</strong> très précoce, dans la migration <strong><strong>de</strong>s</strong> futurs précurseurs<br />
myocardiques au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la gastrulation. L’inactivation du système à ce sta<strong>de</strong><br />
entraîne <strong><strong>de</strong>s</strong> anomalies du développement cardiaque. En revanche, on n’observe<br />
pas d’anomalies <strong>de</strong> l’angiogenèse primaire. Chez la grenouille (Xénope), le récepteur<br />
APJ est exprimé dans tous les vaisseaux (en fait, il existe <strong>de</strong>ux isoformes <strong>de</strong> ce<br />
récepteur). L’apéline est exprimée précocément dans les régions intersomitiques<br />
avant même que ne se m<strong>et</strong>te en place la formation <strong><strong>de</strong>s</strong> veines <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te région. Le<br />
système apéline n’est pas impliqué dans la vasculogenèse <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te espèce mais dans<br />
l’angiogenèse <strong><strong>de</strong>s</strong> vaisseaux intersomitiques : l’inactivation du système perturbe le<br />
développement <strong><strong>de</strong>s</strong> vaisseaux intersomitiques tandis que la surexpression d’apéline
MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 331<br />
induit une angiogenèse prématurée <strong><strong>de</strong>s</strong> veines intersomitiques. Le récepteur APJ<br />
<strong>de</strong> l’apéline est exprimé dans tous les territoires vasculaires <strong>de</strong> l’embryon <strong>de</strong> souris<br />
<strong>et</strong> l’apéline est présente dans les vaisseaux en formation (vaisseaux intersomitiques,<br />
bourgeons <strong>de</strong> membres) (Kalin <strong>et</strong> al., Dev. Biol. 2007). L’apéline <strong>et</strong> son récepteur<br />
sont exprimés dans les vaisseaux rétiniens en post-natal, au front <strong><strong>de</strong>s</strong> branches <strong>de</strong><br />
division <strong><strong>de</strong>s</strong> capillaires en formation (tip cells) (Saint-Geniez <strong>et</strong> al., Gene Expression<br />
Pattern, 2003). En définitive, chez le poisson zèbre, le xénope <strong>et</strong> la souris, on note<br />
une expression temporelle quasi simultanée <strong>de</strong> l’apéline <strong>et</strong> <strong>de</strong> son récepteur, une<br />
co-expression spatiale <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux molécules. L’apéline est exprimée dans les tip<br />
cells <strong>et</strong> les veines mais elle n’est pas impliquée dans la vasculogenèse. Ses eff<strong>et</strong>s<br />
s’exercent <strong>de</strong> façon autocrine <strong>et</strong> paracrine <strong>et</strong> sont indépendants du VEGF.<br />
Le système apéline – récepteur APJ joue un rôle in vitro <strong>et</strong> in vivo dans<br />
l’angiogenèse. L’apéline est un agent angiogénique in vitro : elle a un eff<strong>et</strong><br />
mitogénique sur les cellules endothéliales (HUVEC) <strong>et</strong> un eff<strong>et</strong> chimiotactique.<br />
Elle augmente la perméabilité <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules endothéliales, induit la formation <strong>de</strong><br />
tubes pseudocapillaires en matrigel <strong>et</strong> elle participe au remo<strong>de</strong>lage vasculaire au<br />
niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules musculaires lisses vasculaires. L’apéline accroît le bourgeonnement<br />
<strong>de</strong> capillaires à partir d’explants aortiques <strong>et</strong> provoque une néoangiogenèse dans le<br />
modèle <strong>de</strong> la membrane chorioallantoïdienne <strong>de</strong> poul<strong>et</strong>. Enfin, elle favorise<br />
l’angiogenèse dans la cornée avasculaire, la formation <strong>de</strong> capillaires chez l’animal<br />
lorsqu’elle est implantée en sous-cutanée, elle contrôle la perméabilité capillaire <strong>et</strong><br />
est angiogénique dans le modèle <strong>de</strong> la patte ischémique chez le rongeur. Son eff<strong>et</strong><br />
dans l’angiogenèse tumorale reste encore à préciser, même s’il semble que l’apéline<br />
soit exprimée dans les tumeurs (Sorli <strong>et</strong> al., Oncogène 2007). Le mécanisme<br />
d’action <strong>de</strong> l’apéline est complexe <strong>et</strong> pourrait impliquer l’angiopoïétine 1 <strong>et</strong> son<br />
récepteur Tie2. L’angiopoïétine induit l’expression d’apéline dans les vaisseaux<br />
<strong>de</strong>rmiques <strong>de</strong> souris transgéniques surexprimant l’angiopoïétine 1 dans le <strong>de</strong>rme.<br />
L’apéline pourrait contrôler l’assemblage <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules endothéliales <strong>et</strong> leur jonction<br />
intercellulaire par l’intermédiaire <strong>de</strong> protéines d’adhésion intercellulaires telles que<br />
VE-cadhérine <strong>et</strong> Claudin-5. Selon un travail récent (Kidoya <strong>et</strong> al. EMBO J., 2008),<br />
le système apéline serait impliqué dans la régulation du calibre vasculaire durant<br />
l’angiogenèse : le calibre <strong><strong>de</strong>s</strong> vaisseaux sanguins (notamment <strong><strong>de</strong>s</strong> vaisseaux <strong>de</strong>rmiques<br />
<strong>et</strong> trachéaux) est réduit chez les souris dont le gène <strong>de</strong> l’apéline a été inactivé.<br />
Le rôle physiologique du système apéline a été étudié chez <strong><strong>de</strong>s</strong> souris adultes<br />
dont le récepteur <strong>de</strong> l’apéline ou le gène <strong>de</strong> l’apéline a été inactivé par knock-out.<br />
Ishida <strong>et</strong> al. (J. Biol. Chem., 2004) ont montré que l’inactivation du récepteur <strong>de</strong><br />
l’apéline n’entraînait pas d’anomalie macroscopique <strong><strong>de</strong>s</strong> organes étudiés chez la<br />
souris adulte (vaisseaux, cœur, poumon, reins). La pression basale <strong>de</strong> ces animaux<br />
est normale mais les animaux APJ -/- ont une réponse pressive accrue à la perfusion<br />
d’angiotensine II, suggérant que l’apéline s’oppose à l’action vasopressive <strong>de</strong><br />
l’angiotensine II. C<strong>et</strong>te observation est à rapprocher <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> hypotenseur<br />
mo<strong><strong>de</strong>s</strong>te <strong>et</strong> transitoire <strong>de</strong> l’administration d’apéline par voie systémique. Deux<br />
autres expériences plai<strong>de</strong>nt en faveur d’une contre-régulation <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> hypertenseur
332 PIERRE CORVOL<br />
<strong>de</strong> l’angiotensine par le système apéline : en l’absence d’angiotensine II endogène<br />
(traitement par un inhibiteur <strong>de</strong> l’enzyme <strong>de</strong> conversion) ou en cas d’inactivation<br />
du récepteur <strong>de</strong> l’angiotensine II (animaux knock-out pour le récepteur AT 1), la<br />
perfusion d’angiotensine II entraîne une élévation <strong>de</strong> la pression artérielle plus<br />
importante chez les animaux dépourvus du récepteur APJ.<br />
L’eff<strong>et</strong> hypotenseur <strong>de</strong> l’apéline est médié par le monoxy<strong>de</strong> d’azote, NO. L’apéline<br />
se comporte comme un vasodilatateur artériel <strong>et</strong> veineux dont l’eff<strong>et</strong> dépend <strong>de</strong> la<br />
production <strong>de</strong> NO par l’endothélium. L’apéline est exprimée au niveau <strong>de</strong><br />
l’endothélium <strong><strong>de</strong>s</strong> artères coronaires, <strong>et</strong> l’apéline <strong>et</strong> son récepteur sont aussi présents<br />
dans les cellules musculaires lisses <strong>de</strong> ces artères. L’apéline est exprimée dans les<br />
oreill<strong>et</strong>tes ainsi qu’à un niveau plus faible son récepteur (Kleinz <strong>et</strong> al., Regul.<br />
Pepti<strong><strong>de</strong>s</strong>, 2004). L’apéline produite par les cellules endothéliales agit <strong>de</strong> façon<br />
autocrine en stimulant le récepteur APJ endothélial qui induit la production <strong>de</strong><br />
monoxy<strong>de</strong> d’azote, ce qui entraîne à son tour la vasodilatation. L’apéline agit<br />
également <strong>de</strong> façon paracrine sur les cellules musculaires lisses vasculaires sousjacentes<br />
<strong>de</strong> la paroi vasculaire. L’interaction avec le récepteur APJ entraîne alors<br />
une vasoconstriction. In vivo, l’apéline a une action tout à fait originale <strong>et</strong><br />
intéressante car elle entraîne à la fois une réduction <strong>de</strong> la précharge ventriculaire<br />
gauche <strong>et</strong> <strong>de</strong> la postcharge via une dilatation artérielle <strong>et</strong> veineuse. L’apéline exerce<br />
une action inotrope positive puissante directe in vitro <strong>et</strong> in vivo. Elle augmente la<br />
contractilité myocardique, ainsi que le débit cardiaque <strong>et</strong> la réserve contractile sans<br />
qu’il y ait toutefois <strong>de</strong> développement d’une hypertrophie cardiaque. C<strong>et</strong>te action<br />
inotrope positive s’observe sur le cœur sain <strong>et</strong> lors <strong>de</strong> l’insuffisance cardiaque<br />
(Hashley <strong>et</strong> al., Cardiovasc. Res. 2005).<br />
Les mécanismes intracellulaires <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> inotrope positif <strong>de</strong> l’apéline pourraient<br />
impliquer plusieurs effecteurs : l’augmentation <strong>de</strong> la sensibilité <strong><strong>de</strong>s</strong> cardiomyocytes<br />
au calcium intracellulaire, l’activation <strong>de</strong> l’échangeur sodium-proton via PLC <strong>et</strong><br />
PKC <strong>et</strong> l’activation indirecte <strong>de</strong> l’échangeur Na + /Ca ++ via l’activation <strong>de</strong> Na + /H + . Il<br />
n’existe pas d’anomalie cardiovasculaire apparente peu après la naissance chez la<br />
souris dont le gène <strong>de</strong> l’apéline a été inactivé dans l’étu<strong>de</strong> rapportée par Kuba <strong>et</strong> al.<br />
(Circ. Res. 2007). Toutefois, à six mois, on observe un développement progressif<br />
d’une altération <strong>de</strong> la fonction contractile cardiaque à type <strong>de</strong> dysfonction systolique,<br />
sans anomalie histologique cardiaque patente. Ces anomalies peuvent être corrigées<br />
par la perfusion d’apéline 1-13 chez l’animal pendant 2 semaines. De même, une<br />
insuffisance cardiaque s’observe chez la souris dont le gène <strong>de</strong> l’apéline a été inactivé<br />
lorsque l’on créé une surcharge <strong>de</strong> pression (bandage aortique), sans que l’on observe<br />
toutefois <strong>de</strong> modification <strong>de</strong> type hypertrophie cardiaque. L’apéline joue donc<br />
probablement un rôle dans l’adaptation <strong>de</strong> la contractilité cardiaque au <strong>cours</strong> du<br />
vieillissement <strong>et</strong> en cas <strong>de</strong> surcharge <strong>de</strong> pression. Ainsi, on peut faire l’hypothèse<br />
qu’une élévation compensatrice <strong>de</strong> l’apéline aurait lieu dans un premier temps lors<br />
<strong>de</strong> l’insuffisance cardiaque par surcharge <strong>de</strong> pression, suivie d’ une baisse secondaire<br />
du pepti<strong>de</strong> qui pourrait contribuer au développement <strong>de</strong> l’insuffisance cardiaque. Il<br />
pourrait en être <strong>de</strong> même chez l’homme. Une étu<strong>de</strong> du transcriptome du ventricule
MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 333<br />
gauche avant <strong>et</strong> après assistance circulatoire chez <strong><strong>de</strong>s</strong> patients en insuffisance<br />
cardiaque terminale a montré que le gène <strong>de</strong> l’apéline s’élève <strong>de</strong> façon marquée après<br />
transplantation cardiaque ou après assistance circulatoire (Chang <strong>et</strong> al., Circulation<br />
2003), au moment où la fonction cardiaque a été améliorée.<br />
L’apéline pourrait constituer une piste thérapeutique intéressante en pathologie<br />
cardiovasculaire car elle accroît la contractilité cardiaque en réduisant simultanément<br />
la pré- <strong>et</strong> <strong>de</strong> la post-charge ventriculaire. Ses eff<strong>et</strong>s inotropes positifs sont préservés<br />
au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’insuffisance cardiaque congestive expérimentale, elle a un eff<strong>et</strong><br />
cardioprotecteur lors <strong>de</strong> la souffrance myocardique aiguë <strong>et</strong> chronique <strong>et</strong> son<br />
administration n’entraîne pas d’hypertrophie cardiaque. Il serait donc intéressant<br />
d’étudier les eff<strong>et</strong>s régionaux <strong>et</strong> globaux <strong>de</strong> la perfusion <strong>de</strong> différents fragments<br />
d’apéline chez l’homme, travail qui n’a pas été réalisé à ce jour. De même, il<br />
apparaît utile <strong>de</strong> mesurer avec précision les taux d’apéline plasmatiques au <strong>cours</strong><br />
<strong>de</strong> l’insuffisance cardiaque. Les premiers <strong>travaux</strong> montreraient une élévation <strong>de</strong><br />
l’apéline plasmatique durant les premiers sta<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> l’insuffisance cardiaque puis<br />
une baisse au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’insuffisance cardiaque décompensée. Toutefois, les résultats<br />
publiés jusqu’à présent sont dans l’ensemble difficiles à interpréter du fait <strong>de</strong> la<br />
difficulté du dosage, <strong>de</strong> l’hétérogénéité <strong><strong>de</strong>s</strong> patients en insuffisance cardiaque <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
la nécessité <strong>de</strong> tenir compte <strong><strong>de</strong>s</strong> autres facteurs qui peuvent être impliqués dans les<br />
variations <strong><strong>de</strong>s</strong> taux d’apéline plasmatiques, telle que l’osmolalité plasmatique.<br />
L’apéline est abondante dans l’hypophyse <strong>et</strong> l’hypothalamus <strong>et</strong> est co-exprimée<br />
avec l’arginine vasopressine (AVP) dans les corps cellulaires du noyau supraoptique.<br />
Il existe une interaction entre système apélinergique <strong>et</strong> vasopressinergique : l’activité<br />
électrique phasique <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones AVP est diminuée par l’administration d’apéline<br />
par voie intracérébroventriculaire (De Mota <strong>et</strong> al., PNAS 2004). Ceci suggère que<br />
l’apéline pourrait être régulée <strong>de</strong> façon inverse à l’AVP par l’osmolalité. L’AVP s’élève<br />
au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’hyperosmolalité <strong>et</strong> négative la clairance <strong>de</strong> l’eau libre. L’apéline pourrait<br />
s’abaisser en cas d’hyperosmolalilé. Les premiers <strong>travaux</strong> ont montré qu’effectivement<br />
la déshydratation induit <strong><strong>de</strong>s</strong> variations inverses <strong><strong>de</strong>s</strong> taux d’apéline <strong>et</strong> d’AVP dans le<br />
plasma <strong>et</strong> l’hypothalamus chez le rat (De Mota <strong>et</strong> al., PNAS 2004). Un travail<br />
effectué chez l’homme sain a précisé les relations entre l’osmolalité plasmatique,<br />
l’apéline <strong>et</strong> l’AVP plasmatique. L’étu<strong>de</strong> a été réalisée dans <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions<br />
physiologiques, au <strong>cours</strong> d’une perfusion <strong>de</strong> serum salé hypertonique <strong>et</strong> au <strong>cours</strong><br />
d’une charge aqueuse afin <strong>de</strong> provoquer respectivement un état d’hyper- <strong>et</strong> d’hypoosmolalité<br />
plasmatique. C<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong> a montré pour la première fois que l’apéline<br />
était régulée par un stimulus osmolaire chez l’homme : l’hyperosmolalité induite<br />
par le serum salé hypertonique provoque une élévation du taux d’AVP <strong>et</strong> un<br />
abaissement du taux d’apéline. Toutefois, la volémie intervient aussi dans la<br />
régulation <strong>de</strong> l’apéline plasmatique. L’élévation <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 10 % du volume<br />
plasmatique entraîne une augmentation du taux d’apéline (Azizi <strong>et</strong> al., JASN 2008).<br />
L’apéline est donc régulée à la fois par <strong><strong>de</strong>s</strong> barorécepteurs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> volorécepteurs, <strong>de</strong><br />
façon indépendante <strong>de</strong> l’AVP. Ces résultats sont à rapprocher <strong>de</strong> ceux obtenus chez<br />
l’animal qui montrent que l’apéline joue un rôle dans l’homéostasie <strong><strong>de</strong>s</strong> volumes
334 PIERRE CORVOL<br />
sanguins au niveau central <strong>et</strong> rénal. Ils amènent à se poser <strong>de</strong> nouvelles questions :<br />
quel peut-être le rôle physiologique <strong>de</strong> l’élévation <strong>de</strong> l’apéline plasmatique <strong>et</strong> sa<br />
contribution à la diurèse ? ; quel est le mécanisme d’action <strong>de</strong> c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> (eff<strong>et</strong> anti-<br />
AVP, possible eff<strong>et</strong> intrarénal) ? ; quel pourrait être l’intérêt d’une classification <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
états d’hypo-osmolalité avec anomalie <strong>de</strong> concentration — dilution <strong><strong>de</strong>s</strong> urines par la<br />
mesure <strong><strong>de</strong>s</strong> taux d’apéline plasmatique ? quel serait l’intérêt <strong>de</strong> développer <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
agonistes ou <strong><strong>de</strong>s</strong> antagonistes <strong>de</strong> l’apéline sur le plan thérapeutique ?<br />
L’apéline doit être aussi considérée comme une adipokine. L’apéline est exprimée<br />
dans l’estomac <strong>et</strong> stimule la secrétion <strong>de</strong> cholécystokinine in vitro dans une lignée<br />
<strong>de</strong> cellules murines entéro-endocrine (Wang <strong>et</strong> al., Endocrinology, 2004). Toutefois,<br />
il n’est pas certain que l’apéline passe dans la lumière intestinale <strong>et</strong> qu’elle exerce<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s au niveau central. L’apéline est exprimée au niveau du tissu adipeux <strong>et</strong><br />
dans le stroma vasculaire. Son expression s’accroît durant la différenciation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
pré-adipocytes en adipocytes (Boucher <strong>et</strong> al., Endocrinology 2005). Les variations<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> taux plasmatiques d’apéline sont parallèles à ceux <strong>de</strong> l’insulinémie : chez la<br />
souris, l’apéline du tissu adipeux s’abaisse au <strong>cours</strong> du jeûne <strong>et</strong> s’élève durant<br />
la reprise alimentaire, <strong>de</strong> façon similaire à l’insuline. Les taux d’apéline plasmatique<br />
<strong>et</strong> dans le tissu adipeux <strong>et</strong> le plasma sont associés à un état d’obésité avec<br />
hyperinsulinémie chez la souris. In vitro, ainsi qu’in vivo, l’apéline pourrait<br />
participer à la régulation <strong>de</strong> la secrétion <strong>et</strong>/ou <strong>de</strong> la production d’insuline<br />
(Winzell <strong>et</strong> al., Regul. Pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> 2005). L’apéline, à dose pharmacologique, régule<br />
le métabolisme lipidique <strong>et</strong> l’adiposité chez la souris normale <strong>et</strong> obèse, sans eff<strong>et</strong><br />
apparent sur la prise <strong>de</strong> nourriture. Elle abaisse le taux d’insuline <strong>et</strong> les triglycéri<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
plasmatiques, stimule les protéines découplantes <strong>et</strong> augmente la dépense énergétique<br />
(Higuchi <strong>et</strong> al., Endocrinology 2007). En accord avec ces données chez l’animal,<br />
une élévation <strong><strong>de</strong>s</strong> taux d’apéline chez les patients obèses avec hyperinsulinisme a<br />
été constatée chez l’homme (Boucher <strong>et</strong> al., Endocrinology 2005). L’élévation <strong>de</strong><br />
l’apéline pourrait être une réponse adaptative aux anomalies liées à l’obésité ou<br />
encore être corrélée à l’augmentation <strong>de</strong> la masse adipocytaire.<br />
Ce <strong>cours</strong> a tenté <strong>de</strong> faire le point sur le système apélinergique, un nouveau<br />
système impliqué dans différentes fonctions : cardiovasculaire, métabolisme<br />
énergétique <strong>et</strong> hydrominéral, <strong>et</strong>c. L’apéline joue un rôle dans le développement<br />
cardiovasculaire chez le poisson zèbre, le Xénope. Elle exerce <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s bénéfiques<br />
sur la fonction cardiovasculaire (eff<strong>et</strong> inotrope positif avec action vasodilatrice dans<br />
les territoires artériel <strong>et</strong> veineux). Elle s’oppose à l’action <strong>de</strong> la vasopressine <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
l’angiotensine II. Par ailleurs, l’apéline est élevée au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’insuffisance cardiaque<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’obésité chez l’homme. Il reste à savoir si c<strong>et</strong>te augmentation correspond à<br />
un rôle causal direct ou indirect <strong>de</strong> l’apéline dans le mécanisme <strong>de</strong> ces affections.<br />
Actuellement, la recherche sur l’apéline souffre du manque d’agonistes <strong>et</strong><br />
d’antagonistes peptidiques ou, mieux encore, non peptidiques <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te molécule.<br />
Peu <strong>de</strong> choses sont connues sur l’origine <strong>de</strong> l’apéline plasmatique, sur ses mécanismes<br />
<strong>de</strong> dégradation <strong>et</strong> d’élimination. Les connaissances sur les fragments spécifiques <strong>de</strong><br />
l’apéline (apéline 36, 17, 13) sont rudimentaires. Des inhibiteurs <strong>de</strong> la dégradation
MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 335<br />
<strong>de</strong> l’apéline pourraient perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> potentialiser les différents pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> d’éluci<strong>de</strong>r<br />
leurs eff<strong>et</strong>s en physiopathologie.<br />
En résumé, l’apéline est un pepti<strong>de</strong> à eff<strong>et</strong> pléïotropique, comme l’angiotensine<br />
II dont elle semble contrecarrer certains <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s. Ce système découvert il y a<br />
quelques dix ans, apparaît promoteur tant sur une vue intégrée <strong>de</strong> la fonction<br />
cardiovasculaire que sur les possibles applications en thérapeutique.<br />
Rapport d’activité du laboratoire<br />
I — Contrôle moléculaire du développement vasculaire<br />
Équipe : A. Eichmann, L. Pardanaud, F. Lebrin, C. Freitas, S. Sutching,<br />
E. Jones, B. Larrivée, R. Del-Toro Estevez, I. Brun<strong>et</strong>, Y. Xu, K. Bouvrée,<br />
T. Mathiv<strong>et</strong>, A. Jabouille, C. Bréant, L. Pibouin<br />
1. Discrimination entre défauts génétiques <strong>et</strong> hémodynamiques<br />
chez <strong><strong>de</strong>s</strong> mutants du récepteur <strong>de</strong> la neuropiline-1<br />
La délétion <strong>de</strong> gènes importants pour le développement vasculaire provoque<br />
souvent <strong><strong>de</strong>s</strong> anomalies du flux sanguin. Puisque les forces hémodynamiques sont<br />
importantes dans l’acquisition <strong>de</strong> la forme <strong><strong>de</strong>s</strong> vaisseaux, la présence <strong>de</strong> défauts<br />
dans le flux sanguin empêche souvent la mise en évi<strong>de</strong>nce précise du rôle du<br />
produit du gène muté. Nous avons développé un système simple pour distinguer<br />
les défauts du flux sanguin <strong>de</strong> ceux dus à la perte <strong>de</strong> fonction du récepteur <strong>de</strong> la<br />
neuropiline-1 chez la souris (Jones E. <strong>et</strong> al., Development, 2008). Notre analyse<br />
d’embryons <strong>de</strong> souris homozygotes pour une délétion <strong>de</strong> ce récepteur a montré<br />
que <strong><strong>de</strong>s</strong> défauts dans le remo<strong>de</strong>lage du système vasculaire du sac vitellin apparaissent<br />
au moment <strong>de</strong> la mise en place du flux sanguin. Pour distinguer les défauts induits<br />
par la perte <strong>de</strong> fonction <strong>de</strong> la Neuropiline-1 <strong>de</strong> ceux secondaires à une perfusion<br />
anormale, nous avons cultivés les embryons ex utero en absence <strong>de</strong> flux sanguin.<br />
Ces embryons ‘no flow’ ont été créés en pratiquant une incision au niveau du cœur<br />
qui empêche la circulation embryonnaire. Les embryons peuvent survivre jusqu’à<br />
24 heures dans une chambre rotative <strong>et</strong> leur réseau vasculaire est analysé par<br />
marquage immunohistochimique. Nous avons observé que les défauts du<br />
développement du réseau vasculaire chez les embryons neuropiline-1 KO se<br />
développaient en absence <strong>de</strong> flux sanguin. De plus, l’injection d’un anticorps<br />
bloquant la liaison du VEGF à la neuropiline-1 dans <strong><strong>de</strong>s</strong> embryons sauvages<br />
reproduisait les anomalies du développement vasculaire. Une analyse <strong>de</strong> la migration<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> cellules endothéliales a montré que les cellules <strong><strong>de</strong>s</strong> embryons knockout étaient<br />
incapables <strong>de</strong> migrer à travers la matrice extracellulaire mais restaient piégées dans<br />
les vaisseaux déjà formés, formant ainsi <strong><strong>de</strong>s</strong> vaisseaux anormalement élargis <strong>et</strong><br />
dépourvus <strong>de</strong> points <strong>de</strong> branchement.
336 PIERRE CORVOL<br />
Ces données montrent que les défauts du développement vasculaire chez les<br />
embryons neuropiline-1 knockout sont causés par la perte <strong>de</strong> fonction du récepteur<br />
<strong>et</strong> ne sont pas secondaires à une perfusion vasculaire anormale. Ce système<br />
relativement simple peut être appliqué aux nombreux mutants chez lesquels <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
défauts hémodynamiques sont suspectés.<br />
2. Contrôle moléculaire du guidage <strong><strong>de</strong>s</strong> capillaires : sélection <strong><strong>de</strong>s</strong> ‘tip cells’<br />
L’angiogenèse par bourgeonnement procè<strong>de</strong> <strong>de</strong> manière analogue à la<br />
morphogenèse <strong><strong>de</strong>s</strong> tubes épithéliaux <strong>de</strong> la trachée chez la Drosophile. Pendant ce<br />
processus, <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules uniques sont sélectionnées pour former le ‘tip’ (l’extrémité)<br />
d’un bourgeon ; ces cellules répon<strong>de</strong>nt au facteur FGF (branchless) par une extension<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> filopo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> prennent la tête du bourgeon croissant. Les cellules situées en arrière<br />
suivent, mais ne <strong>de</strong>viennent pas ‘tip’. Ni les tip cells, ni les autres cellules ne sont préspécifiées,<br />
mais il y a une compétition entre plusieurs cellules afin que celles<br />
présentant le plus fort taux d’activité du récepteur FGF prennent la tête, alors que<br />
celles ayant une activité moindre prennent la suite. C<strong>et</strong>te compétition implique une<br />
inhibition latérale médiée par Notch qui empêche <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules surnuméraires <strong>de</strong><br />
prendre la tête du bourgeon (Ghabrial & Krasnow, 2006, Nature 441 : 746-9).<br />
La sélection <strong><strong>de</strong>s</strong> ‘tip cells’ dans le système vasculaire est sous contrôle <strong>de</strong> voies <strong>de</strong><br />
signalisation similaires. Les cellules tip à la tête <strong><strong>de</strong>s</strong> capillaires en bourgeonnement<br />
sont induites par la mise en jeu du VEGF via son récepteur VEGFR2<br />
(Gerhardt <strong>et</strong> al., 2003, J Cell Biol 161 : 1163-77). Les cellules tip expriment aussi<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> taux importants <strong>de</strong> Delta-like 4 (Dll4), un ligand <strong>de</strong> Notch. L’expression <strong>de</strong><br />
Dll4 est en aval <strong>de</strong> la signalisation du VEGF, puisque le blocage <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te signalisation<br />
par un bloqueur du VEGF, le VEGFR soluble, diminue l’expression <strong>de</strong> DLL4<br />
dans les tip cells. L’inactivation génique d’un allèle <strong>de</strong> dll4 chez la souris provoque<br />
une formation excessive <strong>de</strong> tip cells dans le réseau capillaire <strong>de</strong> la rétine<br />
(Suchting S. <strong>et</strong> al., PNAS 2007 ; Suchting S. <strong>et</strong> al., Med. Sci. 2007). Un phénotype<br />
similaire est obtenu après inactivation pharmacologique <strong>de</strong> Notch au moyen<br />
d’inhibiteurs <strong><strong>de</strong>s</strong> γ-sécrétases ou après la délétion endothélial-spécifique inductible<br />
du récepteur Notch-1 (Hellström <strong>et</strong> al., 2007, Nature 445 : 776-80). L’inactivation<br />
<strong>de</strong> dll4 s’accompagne d’un changement du taux d’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs du<br />
VEGF (Tammela T. <strong>et</strong> al., Nature 2008), indiquant que DLL4 régule négativement<br />
la réponse <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules endothéliales au VEGF <strong>et</strong> agit comme un frein <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />
signalisation, contrôlant ainsi la formation d’un nombre limité <strong>de</strong> tip cells.<br />
3. Facteurs <strong>de</strong> guidage <strong><strong>de</strong>s</strong> axones dans le système vasculaire<br />
Le bourgeonnement <strong><strong>de</strong>s</strong> capillaires partage <strong><strong>de</strong>s</strong> similarités avec celle du guidage<br />
axonal. Comme les tip cells situées en tête <strong><strong>de</strong>s</strong> capillaires, les cônes <strong>de</strong> croissances<br />
situés à l’extrémité <strong>de</strong> l’axone éten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> nombreux filopo<strong><strong>de</strong>s</strong> qui répon<strong>de</strong>nt aux<br />
facteurs <strong>de</strong> guidage présentes dans l’environnement, y compris les Nétrines. Parmi<br />
les récepteurs <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs <strong>de</strong> guidage axonal, plusieurs ont une expression restreinte
MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 337<br />
aux vaisseaux sanguins. Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’évolution <strong>et</strong> <strong>de</strong> la diversification <strong>de</strong> ces<br />
familles, l’expression d’un certain nombre <strong>de</strong> récepteurs a donc été annexée par le<br />
système vasculaire. Parmi les récepteurs <strong>de</strong> la Nétrine-1, UNC5B est exprimé<br />
sélectivement dans les cellules endothéliales, y compris dans les tip cells. Des étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>de</strong> perte <strong>de</strong> fonction par délétion <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes codant pour ces récepteurs chez la<br />
souris montrent que leur fonction <strong>de</strong> récepteur <strong>de</strong> guidage est conservée dans leur<br />
nouvel environnement tissulaire : les souris déficientes en unc5b ont une arborisation<br />
vasculaire aberrante aussi bien pendant la vie embryonnaire que pendant la<br />
néovascularisation induite expérimentalement chez l’adulte (Larrivée B. <strong>et</strong> al.,<br />
Gene & Dev. 2007). La possibilité <strong>de</strong> diriger la croissance vasculaire pourrait avoir<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> implications thérapeutiques importantes. En eff<strong>et</strong>, le traitement par la Nétrine-1<br />
empêche la progression <strong>de</strong> ‘tip’ capillaires exprimant unc5b lors <strong>de</strong> la<br />
néovascularisation tumorale chez la souris (Larrivée B. <strong>et</strong> al., Gene & Dev. 2007).<br />
L’expression vasculaire d’unc5b est conservé au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’évolution chez la souris<br />
<strong>et</strong> le poul<strong>et</strong> (Bouvrée K. <strong>et</strong> al., Dev. Biol. 2008) <strong>et</strong> son rôle comme récepteur <strong>de</strong><br />
guidage répulsif empêchant une vascularisation excessive semble aussi conservé<br />
(Bouvrée K. <strong>et</strong> al., Dev. Biol. 2008 ; Freitas C. <strong>et</strong> al., Angiogenesis 2008 ;<br />
Suchting S. <strong>et</strong> al., Novartis Fund. Symp. 2008).<br />
II — Hypoxie, angiogenèse : protéines matricielles en pathologie<br />
cardiovasculaire <strong>et</strong> tumorale<br />
Équipe : S. Germain, C. Monnot, L. Muller, A. Barr<strong>et</strong>,<br />
C. Ardidie-Robouant, J. Philippe, E. Etienne, E. Gomez, A. Cazes,<br />
A. Galaup, N. Bréchot, J. Verine, C. Chomel, M. Bignon, S. Gauvrit,<br />
M. Durand<br />
Moduler l’angiogenèse, la formation <strong>de</strong> nouveaux vaisseaux sanguins à partir <strong>de</strong><br />
vaisseaux préexistants, est une approche thérapeutique prom<strong>et</strong>teuse dans <strong>de</strong><br />
nombreuses situations pathophysiologiques, notamment dans les cancers <strong>et</strong><br />
les ischémies cardiovasculaires. L’hypoxie est un stimulus majeur <strong>de</strong> l’angiogenèse.<br />
Le but <strong>de</strong> notre équipe est i) la recherche <strong>de</strong> nouveaux gènes par <strong>de</strong>ux approches<br />
complémentaires, transcriptomique <strong>et</strong> protéomique <strong>et</strong> ii) l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> leur rôle au<br />
<strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’hypoxie cellulaire ou tissulaire ainsi que dans la régulation <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes<br />
étapes <strong>de</strong> l’angiogenèse réactionnelle.<br />
C<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong> a été initiée par le criblage différentiel <strong><strong>de</strong>s</strong> ARNm (cDNA RDA) <strong>de</strong><br />
cellules endothéliales soumises à un stress hypoxique par rapport aux mêmes<br />
cellules cultivées en condition témoin (normoxie). Trois cent gènes dont l’expression<br />
est induite par l’hypoxie ont été i<strong>de</strong>ntifiés. Les résultats <strong>de</strong> ce criblage ont été<br />
vérifiés par <strong><strong>de</strong>s</strong> approches complémentaires telles que l’hybridation <strong>de</strong> puces cDNA,<br />
sur lesquelles ont été immobilisés les cDNAs issus du criblage (en collaboration<br />
avec l’INSERM U533). L’analyse statistique <strong><strong>de</strong>s</strong> puces nous a permis <strong>de</strong> vérifier <strong>de</strong><br />
façon globale l’induction par l’hypoxie d’une majorité <strong>de</strong> gènes issus du criblage <strong>et</strong><br />
d’i<strong>de</strong>ntifier <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes dont les rôles dans les mécanismes <strong>de</strong> régulation <strong>de</strong><br />
l’angiogenèse par l’hypoxie ne sont pas caractérisés : l’IGF-Binding Protein 3, la
338 PIERRE CORVOL<br />
neuritine <strong>et</strong> la Thioredoxin-interacting protein. L’hybridation in situ nous a permis<br />
<strong>de</strong> caractériser l’expression <strong>de</strong> ces gènes apportant ainsi la preuve <strong>de</strong> la validité du<br />
criblage <strong>et</strong> la pertinence <strong>de</strong> certains marqueurs dans les tissus hypoxiques <strong>et</strong><br />
angiogéniques (Le Jan, 2006).<br />
Afin d’étudier la fonction <strong>de</strong> certains <strong>de</strong> ces gènes, les critères <strong>de</strong> choix suivants<br />
ont été appliqués : 1) constituent-ils <strong><strong>de</strong>s</strong> marqueurs <strong>de</strong> pathologies (ischémie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
membres inférieurs ou cancer) ? 2) Sont-ils <strong><strong>de</strong>s</strong> cibles thérapeutiques potentielles<br />
(protéines sécrétées ou récepteurs) ? 3) Comment sont-ils susceptibles <strong>de</strong> moduler<br />
la réponse angiogénique ? tsp1 <strong>et</strong> angptl4, d’une part, étaient les gènes dont<br />
l’expression était la plus fortement induite, à la fois après criblage cDNA RDA <strong>et</strong><br />
analyse <strong>de</strong> puces cDNA, <strong>et</strong> d’autre part, présentaient, le profil d’expression le plus<br />
convainquant sur <strong><strong>de</strong>s</strong> pièces d’amputation <strong>de</strong> patients souffrant d’ischémie critique<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> membres inférieurs ainsi que dans les pathologies tumorales (Le Jan, 2003).<br />
Nos efforts se sont donc concentrés sur l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la fonction d’Angiopoi<strong>et</strong>in-like<br />
4 (ANGPTL4) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la thrombospondine-1 (TSP1).<br />
ANGPTL4 appartient à la famille <strong><strong>de</strong>s</strong> angiopoiétines, protéines impliquées dans la<br />
maturation <strong>et</strong> la stabilisation <strong><strong>de</strong>s</strong> vaisseaux ainsi que dans le développement du<br />
système. Nous avons montré que l’expression <strong>de</strong> ce gène est induite par l’hypoxie<br />
dans les cellules endothéliales. L’ARNm d’ANGPTL4 est aussi exprimé spécifiquement<br />
dans les cellules tumorales <strong><strong>de</strong>s</strong> cancers conventionnels du rein (ou à cellules claires)<br />
pour lesquels ce gène constitue un marqueur diagnostique (Le Jan, 2003). Puis, nous<br />
avons montré qu’ANGPTL4 est une protéine sécrétée dans les cultures primaires <strong>de</strong><br />
cellules endothéliales humaines issues <strong>de</strong> macro- ou <strong>de</strong> microvaisseau <strong>et</strong> soumises à<br />
l’hypoxie. Elle est présente sous <strong>de</strong>ux formes distinctes : 1- ANGPTL4 soluble,<br />
présente dans le milieu <strong>de</strong> culture <strong>et</strong> soumise à une protéolyse extracellulaire (forme<br />
longue <strong>de</strong> 55 kDa <strong>et</strong> protéolysée <strong>de</strong> 35 kDa) 2- ANGPTL4 matricielle, associée à la<br />
matrice extracellulaire subendothéliale <strong>et</strong> non protéolysée (55 kDa). C<strong>et</strong>te forme<br />
matricielle interagit très fortement avec la matrice extracellulaire, en particulier par<br />
l’intermédiaire <strong><strong>de</strong>s</strong> héparanes sulfates protéoglycans. In vivo, une accumulation <strong>de</strong> la<br />
forme entière d’ANGPTL4 est observée dans les muscles ischémiques dans un modèle<br />
murin d’ischémie <strong>de</strong> patte (ligature-excision <strong>de</strong> l’artère fémorale) suggérant<br />
qu’ANGPTL4 pourrait exercer un rôle modulateur <strong>de</strong> l’angiogenèse sur les cellules<br />
<strong>de</strong> la paroi vasculaire dans un contexte hypoxique. Les analyses fonctionnelles réalisées<br />
in vitro ont confirmé c<strong>et</strong>te hypothèse. L’interaction matricielle d’ANGPTL4 participe<br />
à la constitution d’un réservoir <strong>de</strong> molécules bioactives qui inhibe la migration <strong>et</strong><br />
l’adhésion <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules endothéliales, au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> processus hypoxiques. Ces<br />
évènements s’accompagnent d’un étalement intermédiaire <strong><strong>de</strong>s</strong> HUVEC, associé à<br />
une modification du cytosquel<strong>et</strong>te objectivée par une diminution <strong><strong>de</strong>s</strong> fibres <strong>de</strong> stress<br />
<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> points focaux d’adhésion. Enfin, ANGPTL4 matricielle inhibe le<br />
bourgeonnement endothélial <strong>et</strong> la formation <strong>de</strong> tubes (Cazes, 2006).<br />
ANGPTL4, étant induit par l’hypoxie <strong>et</strong> interagissant avec la matrice<br />
extracellulaire, pourrait modifier le micro-environnement tumoral <strong>et</strong> ainsi affecter
MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 339<br />
les cellules tumorales mais aussi les cellules endothéliales intratumorales. La<br />
technique d’électrotransfert d’ADN a été utilisée pour exprimer ANGPTL4 in vivo<br />
chez la souris. Nous avons montré, en collaboration avec l’UMR 8121 IGR, que<br />
les cellules <strong>de</strong> carcinome pulmonaire 3LL xénogreffées sous la peau <strong>de</strong> souris <strong>et</strong> les<br />
cellules <strong>de</strong> mélanome murin B16F0 injectées dans le sinus rétro-orbital, développent<br />
moins <strong>de</strong> métastases pulmonaires chez les souris électrotransférées avec ANGPTL4<br />
que dans les souris contrôle. Les cellules B16 forment <strong><strong>de</strong>s</strong> nodules qui restent<br />
intravasculaires au niveau pulmonaire, montrant qu’ANGPTL4 inhibe aussi le<br />
processus d’extravasation. De plus, ANGPTL4 inhibe la perméabilité vasculaire<br />
dans un test <strong>de</strong> Miles en réponse à l’histamine. In vitro, l’expression d’ANGPTL4<br />
par les cellules B16 inhibe leurs propriétés <strong>de</strong> migration, d’invasion <strong>et</strong> d’adhésion.<br />
Ces phénomènes s’accompagnent d’une désorganisation du cytosquel<strong>et</strong>te d’actine<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> cellules exprimant ANGPTL4. La formation <strong>de</strong> points focaux d’adhésion est<br />
aussi fortement réduite. Ces résultats montrent qu’ANGPTL4 inhibe les processus<br />
métastatiques en affectant la perméabilité vasculaire <strong>et</strong> les propriétés <strong>de</strong> motilité <strong>et</strong><br />
d’invasion <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules tumorales (Galaup, 2006).<br />
Il est maintenant important <strong>de</strong> déterminer les caractéristiques moléculaires <strong>et</strong><br />
fonctionnelles <strong>de</strong> l’interaction d’ANGPTL4 avec la matrice extracellulaire, la<br />
modulation <strong>de</strong> ces interactions pouvant contrôler la biodisponibilité d’ANGPTL4<br />
dans les pathologies ischémiques tumorales comme cardiovasculaires (Chomel, 2008<br />
soumis). Les analyses <strong><strong>de</strong>s</strong> cibles moléculaires (récepteurs, intégrines) <strong>et</strong> cellulaires<br />
(cellules <strong>de</strong> la paroi vasculaire ou cellules tumorales) ainsi que l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> souris<br />
invalidées pour le gène (angptl4 KO), disponibles au laboratoire, est en <strong>cours</strong>.<br />
Dans le cadre d’un réseau INSERM dédié à l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules souches, nous<br />
étudions le transcriptome ainsi que les propriétés angiogéniques <strong>de</strong> progéniteurs<br />
endothéliaux circulants adultes (Smadja, 2007) <strong>et</strong> (Smadja, 2008 soumis).<br />
L’objectif <strong>de</strong> l’équipe est aussi d’analyser les modifications du microenvironnement<br />
vasculaire dans un contexte hypoxique, par une analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines <strong>de</strong> la matrice<br />
extracellulaire produite par les cellules endothéliales in vitro. Les processus<br />
angiogéniques s’accompagnent d’un profond remo<strong>de</strong>lage matriciel qui consiste<br />
aussi bien en la dégradation <strong>de</strong> la matrice extracellulaire en place qu’en<br />
l’établissement d’une matrice provisoire associée aux phénomènes dynamiques <strong>de</strong><br />
migration cellulaire, puis à la formation d’une lame basale perm<strong>et</strong>tant la stabilisation<br />
du vaisseau néoformé. Le remo<strong>de</strong>lage matriciel résulte donc à la fois <strong><strong>de</strong>s</strong> variations<br />
d’expression <strong>de</strong> gènes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> modifications post-traductionnelles <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines<br />
exprimées. Dans ce contexte, il est important d’analyser le « sous-protéome »<br />
matriciel <strong>et</strong> en particulier l’expression <strong>de</strong> certains constituants matriciels, notamment<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> protéines matricellulaires auxquelles ANGPTL4 est apparentée. Les cellules<br />
endothéliales expriment effectivement certains membres <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te famille tels que<br />
les CCN (Cyr61, Nov <strong>et</strong> CTGF), ostéonectine (SPARC) ou la thrombospondine 1<br />
(TSP1) <strong>et</strong> IGFBP3. Le profil d’expression <strong>de</strong> Cyr61, Nov, TSP1 <strong>et</strong> ANGPTL4 a<br />
été établi au laboratoire dans le milieu <strong>de</strong> sécr<strong>et</strong>ion <strong>et</strong> la MEC <strong>de</strong> cultures primaires
340 PIERRE CORVOL<br />
d’HUVEC (Cazes, 2006). De plus, l’expression <strong>de</strong> la TSP1 in vivo est analysée<br />
dans les tissus ischémiques du modèle murin <strong>de</strong> patte ligaturée. Les conséquences<br />
fonctionnelles <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te expression sont en <strong>cours</strong> dans le modèle <strong>de</strong> la patte<br />
ischèmique chez les souris sauvages <strong>et</strong> les souris invalidées pour le gène (tsp1 KO)<br />
(Bréchot, 2008 soumis).<br />
Parallèlement à c<strong>et</strong>te caractérisation <strong>de</strong> protéines matricellulaires candidates, une<br />
approche protéomique différentielle, sans a priori, a été réalisée par séparation en<br />
électrophorèse bidimensionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines <strong>de</strong> la MEC <strong>de</strong> cultures primaires <strong>de</strong><br />
cellules endothéliales <strong>de</strong> micro- <strong>et</strong> macrovaisseaux cultivées en normoxie ou<br />
hypoxie. C<strong>et</strong>te approche perm<strong>et</strong> l’analyse <strong>de</strong> facteurs bioactifs associés aux<br />
composants structuraux <strong>de</strong> la MEC. Ainsi, nous avons i<strong>de</strong>ntifié par spectrométrie<br />
<strong>de</strong> masse <strong><strong>de</strong>s</strong> protéases <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> enzymes <strong>de</strong> pontage <strong>et</strong> <strong>de</strong> réticulation <strong>de</strong> la MEC.<br />
Certaines <strong>de</strong> ces protéines sont accumulées dans la MEC subendothéliale hypoxique,<br />
en association avec <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux <strong>de</strong> collagènes <strong>et</strong> <strong>de</strong> laminines. L’expression <strong>de</strong> ces<br />
protéines est aussi fortement augmentée dans les tissus ischémiques <strong>de</strong> pattes <strong>de</strong><br />
souris ligaturées. Les analyses <strong>de</strong> ces protéines <strong>de</strong> pontage <strong>de</strong> la MEC se poursuivent<br />
afin <strong>de</strong> déterminer leur rôle dans le remo<strong>de</strong>lage matriciel <strong>et</strong> les réponses<br />
angiogéniques <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules vasculaires.<br />
L’ensemble <strong>de</strong> ces <strong>travaux</strong> perm<strong>et</strong>tra <strong>de</strong> caractériser l’action concertée <strong>de</strong> protéines<br />
matricielles régulées par l’hypoxie, contribuant aux modifications du microenvironnement<br />
<strong>et</strong> impliquées dans les processus angiogéniques.<br />
III — Angiogenèse normale <strong>et</strong> pathologique<br />
Équipe : P. Corvol, G. Nguyen, C. Hubert, J-M. Gasc, H. Kempf,<br />
N. Lamandé, A. Michaud, I. Queguiner, M. Clemessy, A. Bessonnat,<br />
E. Larger, S. Ledoux, F. Vincent, A. Caillard, S. Cal<strong>de</strong>rari, C. Cousin,<br />
D. Bracquard, C. Chougn<strong>et</strong>, M. Fysekidis, M. Leroux-Berger, J. Sainz<br />
L’équipe « Angiogenèse normale <strong>et</strong> pathologique » s’intéresse à différents suj<strong>et</strong>s<br />
<strong>de</strong> recherche : 1) le rôle du système rénine-angiotensine dans la régulation du<br />
système cardiovasculaire <strong>et</strong> la fonction rénale ; 2) la genèse <strong><strong>de</strong>s</strong> calcifications<br />
vasculaires <strong>et</strong> 3) l’angiogenèse du pancréas au <strong>cours</strong> du développement embryonnaire<br />
<strong>et</strong> son implication éventuelle dans le diabète. Seuls seront brièvement rapportés ici<br />
les <strong>de</strong>ux premiers suj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> recherche, le <strong>de</strong>rnier étant encore au sta<strong>de</strong> d’élaboration<br />
<strong>de</strong> programme <strong>de</strong> recherche.<br />
1. Système rénine-angiotensine<br />
a) Activation constitutive du récepteur <strong>de</strong> l’angiotensine II<br />
Le rôle du système rénine-angiotensine a été essentiellement étudié par la<br />
surexpression ou l’inactivation <strong>de</strong> ses différents composants chez l’animal. Il n’existait<br />
pas jusqu’à présent <strong>de</strong> données concernant les eff<strong>et</strong>s d’une activation constitutive <strong>de</strong><br />
l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes <strong>de</strong> ce système. Le laboratoire avait montré qu’il était possible <strong>de</strong> créer
MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 341<br />
une activation constitutive du récepteur AT 1 <strong>de</strong> l’angiotensine II (AT 1R) in vitro en<br />
associant une mutation ponctuelle (N111S) <strong>et</strong> une délétion <strong>de</strong> l’extrémité<br />
C-terminale intra-cytoplasmique. Dans ces conditions, le récepteur AT 1R est<br />
spontanément activé, même en l’absence d’angiotensine II, <strong>et</strong> n’est que partiellement<br />
internalisé <strong>et</strong> désensibilisé (Bill<strong>et</strong> S. <strong>et</strong> al., J. Clin. Invest. 2007). Afin <strong>de</strong> connaître<br />
les conséquences physiologiques d’une telle activation, un modèle knock-in <strong>de</strong><br />
souris a été réalisé. Le récepteur constitutivement activé remplace le récepteur AT 1R.<br />
Les données in vivo sont en accord avec celles observées in vitro : la réponse<br />
hypertensive <strong>et</strong> la durée <strong>de</strong> l’élévation <strong>de</strong> la pression artérielle sous angiotensine II<br />
sont plus marquées que chez les animaux sauvages. Les souris chez qui AT 1R<br />
est constitutivement activé développent une discrète hypertension artérielle<br />
(+ 20 mmHg), avec une n<strong>et</strong>te fibrose au niveau cardiaque <strong>et</strong> rénal. Ceci suggère<br />
que la fibrose dans ce cas n’est pas seulement liée à l’élévation <strong>de</strong> la pression<br />
artérielle, somme toute mo<strong><strong>de</strong>s</strong>te, mais à l’activation locale du système rénineangiotensine.<br />
Les données hormonologiques (rénine plasmatique basse, aldostérone<br />
paradoxalement à <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs « normales », compte tenu <strong>de</strong> l’abaissement du taux <strong>de</strong><br />
rénine) sont similaires à celles observées dans un groupe d’hypertendus catégorisé<br />
comme à rénine basse <strong>et</strong> aldostérone normale. Ce nouveau modèle expérimental<br />
s’avère utile pour préciser le rôle <strong>de</strong> l’angiotensine II dans les organes cibles dans un<br />
contexte proche <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> certaines formes d’hypertension humaine (S. Bill<strong>et</strong> <strong>et</strong> al.,<br />
J. Clin. Invest. 2007).<br />
b) Enzyme <strong>de</strong> conversion <strong>de</strong> l’angiotensine (ACE). Rôle du domaine C-terminal<br />
<strong>et</strong> phylogénie<br />
Rôle du domaine C-terminal. L’ACE joue un rôle central dans le système rénineangiotensine<br />
car il convertit l’angiotensine I, inactive, en un octapepti<strong>de</strong> actif,<br />
l’angiotensine II. Par ailleurs, l’ACE inactive la bradykinine, un pepti<strong>de</strong><br />
vasodilatateur <strong>et</strong> natriurétique. Il existe <strong>de</strong>ux sites, catalytique dans l’ACE, l’un<br />
appelé N-terminal <strong>et</strong> l’autre C-terminal. Ces <strong>de</strong>ux sites N- <strong>et</strong> C-terminaux<br />
catalysent tous <strong>de</strong>ux ces réactions enzymatiques in vitro mais leur rôle respectif<br />
in vivo n’a jamais pu être évalués, faute d’inhibiteurs puissants <strong>et</strong> sélectifs. En<br />
collaboration avec K. Bernstein (Emory Univ., Atlanta, USA), nous avons créé une<br />
série <strong>de</strong> souris génétiquement modifiées pour le gène <strong>de</strong> l’ACE. Le domaine<br />
N-terminal a été inactivé sélectivement <strong>et</strong> un knock-in réalisé. Aucun phénotype<br />
patent n’a été observé, ce qui laissait suggérer que le domaine C-terminal suffisait<br />
à assurer l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés physiologiques <strong>de</strong> l’ACE (Fuchs S. <strong>et</strong> al., J. Biol.<br />
Chem. 2004).<br />
Afin <strong>de</strong> répondre à c<strong>et</strong>te question, <strong><strong>de</strong>s</strong> souris chez qui le site catalytique du domaine<br />
C-terminal a été inactivé ont été créées (knock-in). De telles souris produisent un<br />
ACE dans les tissus somatiques <strong>et</strong> germinaux comme chez les souris sauvages. Elles<br />
ne possè<strong>de</strong>nt qu’un site N-terminal actif. Elles ont une pression artérielle <strong>et</strong> une<br />
fonction rénale apparemment proches <strong>de</strong> celles <strong><strong>de</strong>s</strong> souris sauvages. Toutefois, la<br />
régulation <strong>de</strong> la pression artérielle est maintenue grâce à une stimulation intense <strong>de</strong>
342 PIERRE CORVOL<br />
la production rénale <strong>de</strong> rénine, ce qui suggère que le domaine N-terminal ne peut<br />
compenser par lui seul l’activité du domaine C-terminal. De même, si la fonction<br />
rénale apparaît normale en situation physiologique habituelle, les souris dont le<br />
domaine C-terminal <strong>de</strong> l’ACE est inactif ne peuvent pas concentrer <strong>de</strong> façon<br />
satisfaisante leurs urines lorsqu’elles sont soumises à une déshydratation. Ces résultats<br />
montrent que le domaine C-terminal est le principal site <strong>de</strong> clivage in vivo <strong>de</strong><br />
l’angiotensine I. Par ailleurs, les souris dépourvues d’un site catalytique C-terminal<br />
actif sont infertiles, ce qui montre le rôle <strong>de</strong> l’activité enzymatique <strong>de</strong> l’ACE<br />
testiculaire dans la fertilité masculine (S. Fuchs <strong>et</strong> al., Hypertension 2008).<br />
Présence d’une enzyme <strong>de</strong> conversion <strong>de</strong> l’angiotensine active<br />
chez une bactérie.<br />
L’ACE est présente dans plusieurs espèces d’invertébrés alors même que ces<br />
espèces sont dépourvues <strong><strong>de</strong>s</strong> autres constituants du système rénine-angiotensine.<br />
L’ACE chez les insectes <strong>et</strong> la sangsue sont <strong><strong>de</strong>s</strong> ACE possédant un seul site catalytique<br />
(à l’inverse <strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés chez qui existent <strong>de</strong>ux sites catalytiques) <strong>et</strong> dépourvues<br />
d’une pièce hydrophobe d’ancrage transmembranaire. L’ACE pourrait jouer un<br />
rôle dans la reproduction chez les insectes.<br />
L’analyse in silico <strong>de</strong> données génomiques révèle qu’une séquence d’ADN pourrait<br />
co<strong>de</strong>r pour <strong><strong>de</strong>s</strong> enzymes <strong>de</strong> type ACE. Le clonage d’un tel ACE putatif a été réalisé<br />
dans une bactérie phytopathogène, Xanthonomas axonopodis, <strong>et</strong> l’ACE correspondant<br />
a été appelé XcACE. L’expression <strong>et</strong> la caractérisation <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ACE révèle qu’il s’agit<br />
d’une dipeptidyl-carboxypeptidase fonctionnelle. C<strong>et</strong>te protéine clive l’angiotensine<br />
I en angiotensine II, est sensible à l’eff<strong>et</strong> du chore <strong>et</strong> peut être inhibée par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
inhibiteurs d’ACE <strong>de</strong> mammifère. Ces données montrent que XcACE est une ACE<br />
ancestrale, fonctionnelle dont le rôle n’est pas connu. Elle représente un élément <strong>de</strong><br />
plus pour répondre aux questions sur les relations structure/activité <strong>et</strong> sur la<br />
spécialisation <strong>de</strong> l’ACE au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’évolution (G. Rivière <strong>et</strong> al., Genes 2007).<br />
c) Récepteur <strong>de</strong> la rénine<br />
Les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur les fonctions pléiotropiques du récepteur <strong>de</strong> la rénine <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />
(pro)rénine (P)RR sont poursuivies dans le groupe <strong>de</strong> G. Nguyen dans plusieurs<br />
directions :<br />
— Une étu<strong>de</strong> sur l’expression <strong>de</strong> (P)RR a été réalisée dans le cerveau <strong>de</strong> souris<br />
adulte. Son rôle possible dans la différenciation neuronale a débuté, en collaboration<br />
avec Ann<strong>et</strong>te Koulakoff (Inserm U840 <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> Paris) <strong>et</strong> Charles Schwartz<br />
(Greenwood Gen<strong>et</strong>ic Center, USA). Manuscrit soumis.<br />
— La caractérisation <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes formes moléculaires <strong>de</strong> (P)RR <strong>et</strong>, en<br />
particulier, la recherche d’une forme soluble du récepteur. Les <strong>travaux</strong> se porteront<br />
notamment sur l’enzyme responsable du clivage intracellulaire <strong>de</strong> (P)RR <strong>et</strong> sur les<br />
fonctions du (P)RR soluble.
MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 343<br />
— Une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’expression <strong>de</strong> (P)RR dans le rein embryonnaire a été réalisée.<br />
En outre, les conséquences <strong>de</strong> l’exposition du fœtus à un diabète maternel sur les<br />
taux <strong>de</strong> (P)RR seront étudiées. Ce programme est financé par le Conseil régional<br />
d’Ile <strong>de</strong> <strong>France</strong> sous la forme d’une allocation doctorale <strong>de</strong> 3 ans.<br />
— Enfin, le laboratoire <strong>de</strong>vrait disposer très bientôt <strong>de</strong> souris floxées pour<br />
(P)RR. Ces souris seront croisées avec <strong><strong>de</strong>s</strong> souris Cre sous contrôle <strong>de</strong> différents<br />
promoteurs (podocine spécifique <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules épithéliales rénales, SM22 spécifiques<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> cellules musculaires lisses vasculaires), afin d’étudier le rôle <strong>de</strong> physiologique<br />
<strong>de</strong> (P)RR ainsi que son implication dans différents modèles pathologiques, diabète,<br />
hypertension.<br />
2. Bases moléculaires <strong><strong>de</strong>s</strong> calcifications vasculaires<br />
Dans les conditions physiologiques, la minéralisation <strong>de</strong> la matrice extracellulaire<br />
(MEC) apparaît exclusivement dans les os (<strong>et</strong> les <strong>de</strong>nts) qui se forment soit<br />
directement par différentiation ostéoblastique soit par l’intermédiaire <strong>de</strong> cartilage<br />
lors d’une différentiation chondro-ostéoblastique. Toutefois, dans certaines<br />
conditions pathologiques, une minéralisation ectopique <strong>et</strong> anormale peut se<br />
développer dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus mous, telles que les artères. C<strong>et</strong>te minéralisation<br />
ectopique <strong><strong>de</strong>s</strong> vaisseaux, appelée plus couramment calcification vasculaire, est<br />
fréquemment observée chez le suj<strong>et</strong> âgé ou comme complication chez le patient<br />
atteint <strong>de</strong> pathologies, telles que l’athérosclérose, le diabète, l’hypercholestérolémie,<br />
ou encore l’insuffisance rénale. Bien que longtemps considérées comme bénignes,<br />
il est désormais clairement établi que les calcifications vasculaires sont associées à<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> évènements cardiovasculaires. La minéralisation <strong>de</strong> la paroi vasculaire est un<br />
indicateur important <strong>de</strong> la morbi-mortalité cardiovasculaire.<br />
Bien que la physiopathologie <strong>de</strong> ces calcifications/minéralisations vasculaires soit<br />
bien documentée, peu <strong>de</strong> choses sont connues sur les processus moléculaires<br />
impliqués dans leur formation <strong>et</strong> leur développement dans la paroi artérielle. Il<br />
apparaît donc évi<strong>de</strong>nt qu’une meilleure compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes impliqués<br />
dans l’initiation <strong>et</strong> la progression <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te pathologie est essentielle pour améliorer<br />
la prévention <strong>et</strong> le traitement <strong>de</strong> ces minéralisations ectopiques. L’essentiel <strong>de</strong> la<br />
littérature suggère que le développement <strong><strong>de</strong>s</strong> calcifications vasculaires est due à<br />
la différentiation ostéoblastique <strong>de</strong> cellules musculaires lisses vasculaires en cellules<br />
osseuses dont la MEC subit une minéralisation. Cependant, d’autres résultats<br />
générés par l’analyse <strong>de</strong> souris mutées, telles que celles dépourvues <strong>de</strong> Matrix Gla<br />
Protein (Mgp, une protéine γ-carboxylée <strong>de</strong> la MEC), démontrent que la<br />
minéralisation <strong>de</strong> la paroi artérielle peut être initiée en absence d’ostéoblastes mais<br />
en présence <strong>de</strong> chondroblastes. Ces résultats suggèrent que, lors <strong><strong>de</strong>s</strong> calcifications<br />
vasculaires, la paroi artérielle peut être le siège, par <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes qu’il reste à<br />
découvrir, à la fois d’une différentiation chondroblastique à l’origine <strong>de</strong> l’apparition<br />
<strong>de</strong> cellules cartilagineuses dans le vaisseau affecté <strong>et</strong> d’une minéralisation<br />
indépendante <strong>de</strong> la présence d’ostéoblastes <strong>de</strong> ce même vaisseau.
344 PIERRE CORVOL<br />
Pour éluci<strong>de</strong>r les mécanismes moléculaires responsables <strong>de</strong> l’initiation <strong>de</strong> la<br />
minéralisation pathologique <strong><strong>de</strong>s</strong> vaisseaux, les buts <strong>de</strong> notre proj<strong>et</strong> sont : 1) d’étudier<br />
les signaux <strong>et</strong> facteurs <strong>de</strong> transcription (notamment mais pas exclusivement certains<br />
candidats tels que Shh, BMPs <strong>et</strong> GATA6, Nkx3 .2 respectivement), responsables<br />
<strong>de</strong> la formation <strong>de</strong> cartilage ectopique dans les artères, grâce à l’analyse <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
modèles d’animaux présentant <strong><strong>de</strong>s</strong> calcifications vasculaires importantes ; 2) <strong>de</strong><br />
déterminer, en culture mais également in vivo, les rôles <strong>et</strong> interactions spécifiques<br />
<strong>de</strong> ces molécules dans la transition phénotypique <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules musculaires lisses en<br />
cellules cartilagineuses ; 3) d’i<strong>de</strong>ntifier <strong>et</strong> <strong>de</strong> caractériser <strong><strong>de</strong>s</strong> nouveaux régulateurs<br />
impliqués dans la minéralisation indépendante <strong>de</strong> l’apparition d’osteoblastes.<br />
Les résultats préliminaires obtenus au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers mois montrent :<br />
— La disparition <strong>de</strong> marqueurs <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules musculaires lisses au profit <strong>de</strong><br />
l’apparition <strong>de</strong> l’expression <strong>de</strong> marqueurs <strong>de</strong> cartilage lors du développement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
calcifications vasculaires dans le modèle <strong><strong>de</strong>s</strong> souris déficientes en Mgp. Ceci<br />
confirme l’existence d’une trans-différentiation <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules musculaires lisses<br />
vasculaire en cellules <strong>de</strong> cartilage au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> processus <strong>de</strong> calcification.<br />
— L’existence d’une inhibition <strong>de</strong> l’activité <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs vasculaires par les<br />
facteurs chondrogéniques. Inversement les facteurs vasculaires empêchent l’activité<br />
transcriptionnelle <strong>de</strong> facteurs pro-chondrogéniques. Ces résultats suggèrent ainsi<br />
que, dans les conditions physiologiques, il existe une modulation réciproque <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> facteurs qui maintiennent chaque cellule qui les exprime dans leur<br />
phénotype propre. En conditions pathologiques, la surexpression <strong>de</strong> facteurs prochondrogéniques<br />
pourrait être responsable <strong>de</strong> la conversion <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules musculaires<br />
lisses en chondrocytes.<br />
En i<strong>de</strong>ntifiant les signaux <strong>et</strong> facteurs <strong>de</strong> transcription impliqués dans la transition<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> cellules musculaires lisses vasculaires en chondrocytes, ce programme <strong>de</strong><br />
recherche fournira <strong><strong>de</strong>s</strong> informations nouvelles <strong>et</strong> déterminantes sur les mécanismes<br />
qui régulent les étapes précoces <strong><strong>de</strong>s</strong> complications cardiovasculaires. Par conséquent,<br />
nous espérons que les résultats obtenus au terme <strong>de</strong> ce proj<strong>et</strong> pourront ouvrir <strong>de</strong><br />
nouvelles stratégies thérapeutiques <strong><strong>de</strong>s</strong>tinées à bloquer très précocement l’apparition<br />
<strong>et</strong> le développement <strong><strong>de</strong>s</strong> calcifications chez les suj<strong>et</strong>s à risque.<br />
Liste <strong>de</strong> publications du laboratoire 2007-2008<br />
Achard V., Boullu-Ciocca S., Desbriere R., Nguyen G. and Grino M. Renin<br />
receptor expression in human adipose tissue. Am. J. Physiol. Regul. Integr. Comp. Physiol.<br />
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Magnon C., Galaup A., Rouffiac V., Opolon P., Connault E., Rose M.,<br />
Perricaud<strong>et</strong> M., Roche A., Germain S., Griscelli F. and Lassau N. Dynamic assessment<br />
of antiangiogenic therapy by monitoring both tumoral vascularization and tissue<br />
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MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 345<br />
Sihn G., Walter T., Klein J.-C., Queguiner I., Iwao H., Nicolau C., Lehn J.-M.,<br />
Corvol P. and Gasc J.-M. Anti-angiogenic properties of myo-inositol tripyrophosphate in<br />
ovo and growth reduction of implant. FEBS L<strong>et</strong>t. 581 : 962-966, 2007.<br />
Suchting S., Freitas C., Le Noble F., Benedito R., Breant C., Duarte A. and<br />
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Batenburg W.W., Krop M., Garrelds I.M., De Vries R., De Bruin R.J., Müller D.<br />
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Krebs C., Hamming I., Sadaghiani S., Steinm<strong>et</strong>z O.M., Meyer-Schwesinger C.,<br />
Fehr S., Stahl R.A., Garrelds I.M., Danser A.H., Van Goor H., Contrepas A.,<br />
Nguyen G. and Wenzel U. Antihypertensive therapy upregulates renin and (pro)renin<br />
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Padilla B.E., Cottrell G.S., Roosterman D., Pikios S., Muller L., Steinhoff M.<br />
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Smadja D.M., Bieche I., Helley D., Lauren<strong>de</strong>au I., Simonin G., Muller L.,<br />
Aiach M. and Gaussem P. Increased VEGFR2 expression during human late endothelial<br />
progenitor cells expansion enhances in vitro angiogenesis with up-regulation of integrin<br />
alpha(6). J. Cell. Mol. Med. 11 : 1149-1161, 2007.<br />
Roosterman D., Cottrell G.S., Padilla B.E., Muller L., Eckman C.B.,<br />
Bunn<strong>et</strong>t N.W. and Steinhoff M. Endothelin-converting enzyme 1 <strong>de</strong>gra<strong><strong>de</strong>s</strong> neuropepti<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
in endosomes to control receptor recycling. Proc. Natl. Acad. Sci. USA 104 : 11838-11843,<br />
2007.<br />
Magnon C., Opolon P., Ricard M., Connault E., Ardouin P., Galaup A.,<br />
M<strong>et</strong>ivier D., Bidart J.-M., Germain S., Perricaud<strong>et</strong> M. and Schlumberger M.<br />
Radiation and angiogenesis inhibition synergize to induce HIF-1α-mediated tumor<br />
apoptotic switch. J. Clin. Invest. 117 : 1844-1855, 2007.<br />
Larrivee B., Freitas C., Trombe M., Lv X., Delafarge B., Yuan L., Bouvree K.,<br />
Breant C., Del Toro R., Brechot N., Germain S., Bono F., Dol F., Claes F., Fischer C.,<br />
Autiero M., Thomas J.L., Carmeli<strong>et</strong> P., Tessier-Lavigne M. and Eichmann A. Activation<br />
of the UNC5B receptor by N<strong>et</strong>rin-1 inhibits sprouting angiogenesis. Genes & Dev. 21 :<br />
2433-2447, 2007.<br />
Bill<strong>et</strong> S., Bardin S., Verp S., Baudrie V., Michaud A., Conchon S., Muffat-Joly M.,<br />
Escoub<strong>et</strong> B., Souil E., Hamard G., Bernstein K.E., Gasc J.-M., Elghozi J.-L.,<br />
Corvol P. and Clauser E. Gain-of-function mutant of angiotensin II receptor, type 1A,<br />
causes hypertension and cardiovascular fibrosis in mice. J. Clin. Invest. 117 : 1914-1925,<br />
2007.<br />
Bobrie G., Postel-Vinay N., Delonca J., Corvol P. and S<strong>et</strong>hi Investigators. Selfmeasurement<br />
and self-titration in hypertension: a pilot telemedicine study. Am. J. Hypertens.<br />
20 : 1314-1320, 2007.<br />
Riviere G., Michaud A., Corradi H.R., Sturrock E.D., Ravi Acharya K., Cogez V.,<br />
Bohin J.-P., Vieau D. and Corvol P. Characterization of the first angiotensin-converting<br />
like enzyme in bacteria: Ancestor ACE is already active. Gene 399 : 81-90, 2007.<br />
Brand M., Laman<strong>de</strong> N., Larger E., Corvol P. and Gasc J.-M. Angiotensinogen<br />
impairs angiogenesis in the chick chorioallantoic membrane. J. Mol. Med. 85 : 451-460,<br />
2007.
346 PIERRE CORVOL<br />
Kempf H., Ionescu A., Udager A.M. and Lassar A.B. Prochondrogenic signals induce<br />
a comp<strong>et</strong>ence for Runx2 to activate hypertrophic chondrocyte gene expression. Dev. Dyn.<br />
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Suchting S., Freitas C., Le Noble F., Benedito R., Breant C., Duarte A.,<br />
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2007.<br />
Zingg-Schenk A., Bacch<strong>et</strong>ta J., Corvol P., Michaud A., Stallmach T., Cochat P.,<br />
Gribouval O., Gubler M.-C. and Neuhaus T.J. Inherited renal tubular dysgenesis: the<br />
first patients surviving the neonatal period. Eur. J. Pediatr. 167 : 311-316, 2008.<br />
Sluimer J., Gasc J.-M., Hamming I., Van Goor H., Michaud A., Van Den Akker L.,<br />
Jütten B., Cleutjens J., Bijnens A., Corvol P., Daemen M. and Heeneman S.<br />
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atherosclerotic lesions. J. Pathol. 215 : 273-279, 2008.<br />
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Feldt S., Cumin F., Maniara W., Persohn E., Schu<strong>et</strong>z H., Jan Danser A.H. and<br />
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Dechend R., Fiebeler A., Burckle C., Contrepas A., Jan Danser A.H., Ba<strong>de</strong>r M.,<br />
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kinase 1/2 activation in monocytes is not blocked by aliskiren or the handleregion<br />
pepti<strong>de</strong>. Hypertension 51 :682-688, 2008.<br />
Batenburg W.W., De Bruin R.J., Van Gool J.M., Müller D.N., Ba<strong>de</strong>r M., Nguyen G.<br />
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Daemen M.J. and Bijnens A.P. Hypoxia, hypoxia-inducible transcription factor, and<br />
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J. Am. Coll. Cardiol. 51 : 1258-1265, 2008.<br />
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Bouvree K., Larrivee B., Lv X., Yuan Y., Delafarge B., Freitas C., Mathiv<strong>et</strong> T.,<br />
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pathology. Curr. Opin. Nephrol. Hypertens. 16 : 129-133, 2007.<br />
Suchting S., Freitas C. and Eichmann A. L’angiogenèse passe sous contrôle <strong>de</strong> Delta-<br />
Notch Med. Sci. (Paris) 23 : 347-348, 2007.<br />
Nguyen G. The (pro)renin receptor: a new kid in town. Semin. Nephrol. 27 : 519-523,<br />
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without a functional renin-angiotensin system? Clin. Exp. Pharmacol. Physiol. 35 : 431-433,<br />
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Nguyen G. and Contrepas A. The (pro)renin receptors. J. Mol. Med. 86 :643-646,<br />
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Nguyen G. and Contrepas A. Physiology and pharmacology of the (pro)renin receptor.<br />
Curr. Opin. Pharmacol. 8 : 127-132, 2008.<br />
Thèses<br />
Liste <strong><strong>de</strong>s</strong> diplômés<br />
Aurélie Cazes : Thèse <strong>de</strong> Doctorat d’Université Paris VI,<br />
Spécialité : Physiologie <strong>et</strong> Physiopathologie<br />
Soutenue le 9 juill<strong>et</strong> 2007<br />
Interaction <strong>de</strong> l’Angiopoi<strong>et</strong>in-like 4 avec le microenvironnement<br />
<strong>et</strong> modulation <strong><strong>de</strong>s</strong> comportements cellulaires en contexte hypoxique tumoral<br />
<strong>et</strong> vasculaire
ENSEIGNEMENTS<br />
1. Cours 2007-2008<br />
Biologie historique <strong>et</strong> évolutionnisme<br />
Armand <strong>de</strong> Ricqlès, professeur<br />
Vendredi 11, 18, 25 janvier ; 1, 8, 15, 22 février, 7 <strong>et</strong> 9 mars 2008 (18 heures)<br />
Le r<strong>et</strong>our à la source : l’évolution secondaire <strong><strong>de</strong>s</strong> tétrapo<strong><strong>de</strong>s</strong> vers les milieux aquatiques<br />
2 — Les formes mésozoïques<br />
En prologue au Cours annoncé, j’ai consacré les <strong>de</strong>ux premières séances à un point<br />
d’histoire <strong>de</strong> la paléontologie : les débuts <strong>de</strong> l’interprétation réaliste <strong><strong>de</strong>s</strong> fossiles. Ce<br />
choix résulte <strong><strong>de</strong>s</strong> contraintes <strong>de</strong> l’actualité. En un temps où le « néo-créationnisme »<br />
tente <strong>de</strong> s’emparer <strong><strong>de</strong>s</strong> esprits <strong>et</strong> essaye, sur tous les continents, <strong>de</strong> subvertir à l’école<br />
les enseignements scientifiques sur l’évolution, il est réconfortant <strong>et</strong> salutaire <strong>de</strong> se<br />
tourner vers les « pères fondateurs ». Comment, à leur époque, <strong>et</strong> malgré un<br />
environnement créationniste (<strong>et</strong> diluvianiste) dominant, ceux-ci ont-ils été<br />
progressivement capables <strong>de</strong> construire une interprétation naturaliste, réaliste <strong>et</strong><br />
scientifiquement fondée <strong><strong>de</strong>s</strong> fossiles ? J’ai montré en détail comment les<br />
« glossopètres » <strong>de</strong> l’Ile <strong>de</strong> Malte ont joué un rôle éminent dans c<strong>et</strong>te aventure<br />
intellectuelle qui se déroule <strong>de</strong> la Renaissance à l’Age classique. Les héros en sont<br />
Conrad Gesner (1565), Michele Mercati (1574), Nicolas Stenon (1667,1669),<br />
Agostino Scilla (1670) <strong>et</strong> Paolo Boccone (1671). Les « glossop<strong>et</strong>rae » ne sont pas la<br />
langue pétrifiée <strong>de</strong> Saint Paul (évangélisateur <strong>de</strong> Malte) <strong>et</strong> multipliée dans le sol « par<br />
la vertu <strong><strong>de</strong>s</strong> roches », ni <strong><strong>de</strong>s</strong> « jeux <strong>de</strong> la nature » mais bien <strong>de</strong> véritables <strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />
squales, fossilisées <strong>et</strong> conservées dans les sédiments marins formant les assises <strong>de</strong> l’île.<br />
J’ai brièvement présenté ensuite, au titre <strong>de</strong> « l’actualité » <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> la chaire,<br />
les activités conduites <strong>de</strong>puis plusieurs années au Maroc, visant à la réalisation d’un<br />
Musée sur site (gisement dinosaurien <strong>de</strong> Tazouda) s‘intégrant dans un vaste proj<strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> « Géoparc » dans le Haut Atlas.
350 ARMAND DE RICQLÈS<br />
Le <strong>cours</strong> proprement dit a débuté par un rappel <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments biologiques<br />
présentés l’année <strong>de</strong>rnière à propos <strong>de</strong> l’adaptation secondaire <strong>de</strong> certains amphibiens<br />
aux milieux aquatiques (hétérochronies <strong>de</strong> développement dans l’histologie<br />
squel<strong>et</strong>tique) en posant la question <strong>de</strong> la possible pertinence <strong>de</strong> ces mêmes<br />
mécanismes mais c<strong>et</strong>te fois chez les amniotes (Reptilia). Parmi ces <strong>de</strong>rniers, <strong>de</strong><br />
nombreuses lignées s’adaptent en eff<strong>et</strong> secondairement aux milieux aquatiques à<br />
partir d’ancêtres p<strong>résumés</strong> terrestres. On a envisagé, c<strong>et</strong>te année, l’évolution à c<strong>et</strong><br />
égard <strong>de</strong> groupes d’importance variée, soit par leur biodiversité, soit par leur<br />
longévité géologique ou pour leur importance écologique. Après un rappel <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
caractéristiques ostéologiques fondamentales <strong><strong>de</strong>s</strong> amniotes (problème <strong><strong>de</strong>s</strong> fosses<br />
temporales, membres...) on a d’abord traité <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux p<strong>et</strong>its groupes anciens, souvent<br />
rapprochés <strong><strong>de</strong>s</strong> Synapsi<strong><strong>de</strong>s</strong> (lignée mammalienne) : Mésosaures <strong>et</strong> Thalattosaures.<br />
J’ai traité ensuite en détail le cla<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Ichthyosaures (Ichthyopterygia ou<br />
« Parapsi<strong><strong>de</strong>s</strong> »). J’ai enfin passé en revue le grand cla<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Sauropterygia ou<br />
« Euryapsi<strong><strong>de</strong>s</strong> » (Nothosaures, Placodontes <strong>et</strong> Plésiosaures). Comme d’habitu<strong>de</strong>,<br />
j’ai tenté <strong>de</strong> croiser, pour chaque groupe, les données d’histoire <strong>de</strong> la paléontologie<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> la systématique (premières découvertes puis compréhension « classique » du<br />
groupe) avec les données récentes issues <strong>de</strong> la recherche mo<strong>de</strong>rne (nouvelles<br />
découvertes, analyse phylogénétique, déploiement biostratigraphique <strong>et</strong> paléogéographique,<br />
biomécanique, paléobiologie, paléoécologie, extinction…).<br />
Les Mésosaures constituent un p<strong>et</strong>it groupe d’amniotes primitifs <strong>de</strong> taille<br />
médiocre (50 cm à 1,50 m) représentant les plus anciens reptiles très modifiés par<br />
leur adaptation à la vie aquatique (Carbonifère supérieur, Permien inférieur). Ils<br />
sont célèbres par les implications paléogéographiques <strong>de</strong> leur répartition (Afrique<br />
du Sud <strong>et</strong> Amérique du sud exclusivement), ayant servi d’argument fort en faveur<br />
du « Continent <strong>de</strong> Gondwana » bien avant l’élaboration <strong>de</strong> la « tectonique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
plaques ». Ils ont vécu dans une mer épicontinentale sur le Gondwna, ayant suivi<br />
les dépôts <strong>de</strong> tillites glaciaires en Afrique du Sud (Groupe <strong>de</strong> Dwyka). La<br />
reconstitution du crâne chez Mesosaurus <strong>et</strong> Stereosternum avec <strong><strong>de</strong>s</strong> fosses temporales<br />
<strong>de</strong> type « synapsi<strong>de</strong> » n’est pas certaine <strong>et</strong> c<strong>et</strong> argument n’est plus guère accepté<br />
pour rapprocher les Mésosaures <strong>de</strong> la lignée mammalienne. Les phénomènes<br />
extensifs <strong>de</strong> pachyostéosclérose intéressant la morphologie (côtes « en bananes ») <strong>et</strong><br />
l’histologie <strong>de</strong> tout l’endosquel<strong>et</strong>te sont très marqués <strong>et</strong> suggèrent que, comme<br />
chez les Urodèles, <strong><strong>de</strong>s</strong> hétérochronies <strong>de</strong> développement du squel<strong>et</strong>te sont associées<br />
à l’adaptation secondaire au milieu aquatique.<br />
Les Thalattosaures forment un autre p<strong>et</strong>it groupe <strong>de</strong> reptiles aquatiques découvert<br />
au début du xx e siècle dans le Trias supérieur <strong>de</strong> Californie. Thalattosaurus <strong>et</strong><br />
Nectosaurus ont une fosse temporale « basse » techniquement <strong>de</strong> type synapsi<strong>de</strong><br />
(lignée mammalienne) bien que le reste <strong>de</strong> l’anatomie évoque plutôt les diapsi<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />
De taille moyenne (1 à 3 m <strong>de</strong> long) ils ont <strong><strong>de</strong>s</strong> membres courts mais pas<br />
transformés en pal<strong>et</strong>tes natatoires. Les découvertes <strong>de</strong> l’Ecole Suisse <strong>de</strong> Peyer dans<br />
le Trias <strong><strong>de</strong>s</strong> Alpes tessinoises (années 1930) <strong>de</strong> reptiles marins diapsi<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
(Macrocnemus, Askeptosaurus, <strong>et</strong>c.) assez comparables aux thalattosaures ont fait
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 351<br />
rapi<strong>de</strong>ment soupçonner que ces <strong>de</strong>rniers pourraient être <strong><strong>de</strong>s</strong> diapsi<strong><strong>de</strong>s</strong> modifiés par<br />
perte <strong>de</strong> la fosse temporale supérieure. C<strong>et</strong>te hypothèse a été confirmée à partir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
années 2000 par la découverte <strong>de</strong> formes nouvelles dans le Trias supérieur du<br />
Guizhou (Chine). Anshunsaurus, Xinpunsaurus <strong>et</strong> d’autres taxons ont récemment<br />
permis la construction d’un cladogramme du groupe, qui semble s’être dispersé au<br />
Trias sur la rive nord <strong>de</strong> la Téthys.<br />
Avec le groupe <strong><strong>de</strong>s</strong> Ichthyopterygia (Ichthyosaures) constituant un grand cla<strong>de</strong><br />
naturel, on abor<strong>de</strong> une radiation majeure <strong>de</strong> tétrapo<strong><strong>de</strong>s</strong> r<strong>et</strong>ournés au milieu<br />
aquatique. La découverte <strong>de</strong> ce groupe en Angl<strong>et</strong>erre au début du xix e siècle nous<br />
ramène aux origines mêmes <strong>de</strong> la paléontologie <strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés. Nous avons relaté<br />
l’histoire <strong>de</strong> ces premières découvertes (1814) sur les côtes du Dors<strong>et</strong> par Mary<br />
Anning, la création du Genre Ichthyosaurus par Koenig (1817) <strong>et</strong> l’intérêt <strong>de</strong><br />
Cuvier qui fait ach<strong>et</strong>er le premier spécimen pour le Muséum (1820). On a<br />
également relaté l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> premières iconographies <strong>de</strong> vulgarisation<br />
paléontologique à propos <strong><strong>de</strong>s</strong> ichthyosaures par <strong>de</strong> la Beche (1830) <strong>et</strong> Parley<br />
(1837). On est passé ensuite à la présentation anatomique générale du groupe, en<br />
notant l’importance <strong><strong>de</strong>s</strong> « fossilisations exceptionnelles » <strong><strong>de</strong>s</strong> traces du tégument,<br />
comme à Holzma<strong>de</strong>n (Toarcien du Wurtemberg), perm<strong>et</strong>tant ainsi <strong>de</strong> découvrir<br />
l’existence <strong>de</strong> nageoires dorsale <strong>et</strong> caudale supérieure uniquement tégumentaires.<br />
La disposition crânienne <strong><strong>de</strong>s</strong> Ichthyosaures était apparue comme très singulière. Il<br />
s’agit <strong>de</strong> diapsi<strong><strong>de</strong>s</strong>, mais la fosse temporale supérieure est particulière car<br />
typiquement limitée infèro-latéralement par le post frontal <strong>et</strong> le supra temporal.<br />
Pendant la plus gran<strong>de</strong> partie du xx e siècle, c<strong>et</strong>te disposition a justifié <strong>de</strong> placer les<br />
ichthyosaures dans une « sous classe » particulière <strong><strong>de</strong>s</strong> Reptilia : les Parapsi<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />
A partir <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1970 <strong>de</strong> nouvelles étu<strong><strong>de</strong>s</strong> (Romer, Mc Gowan) avaient mis en<br />
doute l’existence <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te disposition anatomique, <strong>et</strong> donc la pertinence même du<br />
concept <strong>de</strong> parapsi<strong>de</strong> : il s’agirait <strong>de</strong> diapsi<strong><strong>de</strong>s</strong> typiques. En fait, les <strong>travaux</strong><br />
comparatifs récents prenant en compte les formes du Trias <strong>et</strong> du Jurassique ont<br />
permis <strong>de</strong> résoudre le problème. Des phénomènes <strong>de</strong> déplacements, fusions,<br />
recouvrements <strong>et</strong> disparitions <strong><strong>de</strong>s</strong> os <strong>de</strong>rmiques <strong>de</strong> la joue <strong>et</strong> <strong>de</strong> la région temporale<br />
sont intervenus dans diverses lignées d’ichthyosaures. A partir d’une disposition<br />
diapsi<strong>de</strong> « typique » plésiomorphe (Trias inférieur) une disposition parapsi<strong>de</strong> typique<br />
se réalise bien secondairement, dès la base du Lias dans certaines lignées. Les <strong>de</strong>nts<br />
sont généralement coniques à carènes coupantes (fonction prédatrice), mais<br />
quelques formes triasiques (Phalarodon, Omphalosaurus…) se sont adaptées à la<br />
durophagie, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>nts à couronnes bulbeuses. Les membres antérieurs <strong>et</strong><br />
postérieurs sont complètement transformés en pal<strong>et</strong>tes natatoires, dont l’origine à<br />
partir d’une membre pentadactyle « typique » <strong>de</strong> vertébré terrestre peut être<br />
désormais assez bien documentée grâce à la découverte <strong>de</strong> formes très primitives<br />
(Chaohusaurus) récemment décrites du Trias inférieur d’Anhui (Chine). Il y a<br />
toujours hyperphalangie mais le nombre <strong>de</strong> doigts peut se réduire, la pal<strong>et</strong>te<br />
<strong>de</strong>venant alors étroite <strong>et</strong> très allongée (lignées « longipinnates » : Shastasauridés du<br />
Trias supérieur). Au contraire la pal<strong>et</strong>te peut s’élargir (« latipinnates ») avec
352 ARMAND DE RICQLÈS<br />
hyperdactylie, comme chez Platypterygius du Crétacé inférieur. De façon générale,<br />
la morphologie <strong><strong>de</strong>s</strong> formes primitives (Trias inférieur) présente un corps allongé,<br />
adapté à la nage anguilliforme, avec une caudale dans le prolongement du tronc.<br />
Au fur <strong>et</strong> à mesure <strong>de</strong> leur évolution les ichthyosaures réalisent un profil plus<br />
hydrodynamique avec un tronc plus court, renflé, <strong>et</strong> une caudale falciforme adaptée<br />
à la nage thuniforme.<br />
La phylogénie d’ensemble du groupe est désormais établie dans ses gran<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
lignes par l’analyse cladistique. Les formes archaïques du Trias inférieur <strong>et</strong> moyen<br />
(Mixosaurus, Phalarodon) sont <strong>de</strong> p<strong>et</strong>ite taille, vivant dans <strong><strong>de</strong>s</strong> environnements<br />
néritiques. Les Shastasauridés du Trias supérieur, au corps encore allongé<br />
<strong>et</strong> à la caudale plésiomorphe, représentent les premiers grands ichthyosaures<br />
(Cymbospondylus) <strong>et</strong> contiennent les géants du groupe (Shonisaurus : 15 à 20 m ?).<br />
La biodiversité du groupe s’effondre lors <strong>de</strong> la transition Trias/Lias mais la lignée<br />
se poursuit avec <strong><strong>de</strong>s</strong> formes adaptées à la vie pélagique (Néoichthyosauria). Ce<br />
sont les types « classiques » d’ichthyosaures du Jurassique, constituant <strong>de</strong> nombreux<br />
taxons <strong>de</strong> taille moyenne (3 m) à gran<strong>de</strong> (7 m) <strong>et</strong> présentant chacun <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
autapomorphies variées (forme du rostre, taille <strong><strong>de</strong>s</strong> orbites…) (Ichthyosaurus,<br />
Leptopterygius, Stenopterygius, Ophtalmosaurus, <strong>et</strong>c.). Au Jurassique terminal, le<br />
groupe subit une nouvelle diminution <strong>de</strong> sa diversité mais persiste au Crétacé avec<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> formes telles que Platypterygius présentant une polydactylie, <strong>et</strong> qui proviennent<br />
<strong>de</strong> formes du Jurassique phylogénétiquement moins dérivées que le groupe<br />
Ichthyosaurus-Ophtalmosaurus.<br />
On a discuté ensuite <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> la répartition spatiale du cla<strong>de</strong> qui est<br />
relativement bien documentée. Les ichthyosaures apparaissent au Trias inférieur <strong>de</strong><br />
Chine (Chaohusaurus). Au Trias supérieur ils sont largement répartis <strong>de</strong>puis la<br />
région orientale (Japon, Chine), en Europe alpine <strong>et</strong> centrale, au Spitzberg <strong>et</strong> en<br />
bordure du Pacifique (Colombie britannique, Névada) surtout dans <strong><strong>de</strong>s</strong> sédiments<br />
marins côtiers. Au Jurassique moyen, les principaux gisements européens<br />
« classiques » sont en Angl<strong>et</strong>erre <strong>et</strong> en Allemagne <strong>et</strong> le groupe est également connu<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> bordures du Pacifique : Neuquèn (Argentine) <strong>et</strong> Wyoming (USA). A l’Albien<br />
(Somm<strong>et</strong> du Crétacé inférieur) leur répartition est encore très vaste : « continental<br />
seaway » sur l’Amérique du nord, Europe centrale, Russie du Sud <strong>et</strong> région<br />
australienne.<br />
En ce qui concerne la paléobiologie, nous avons présenté <strong>et</strong> discuté les données<br />
<strong>et</strong> l’argumentation concernant divers aspects du mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie. L’histologie suggère<br />
une croissance rapi<strong>de</strong> dans un contexte adaptatif très comparable à celui <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Cétacés. La morphométrie renseigne sur l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> nage <strong>et</strong> suggère<br />
une physiologie « pseudo-endothermique » chez les espèces thuniformes. La<br />
taphonomie informe sur la reproduction (viviparité) <strong>et</strong> l’alimentation (poissons,<br />
céphalopo<strong><strong>de</strong>s</strong>). Enfin la sédimentologie perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> préciser les habitats (formes<br />
néritiques ou pélagiques). De nombreuses questions restent toutefois ouvertes, telle<br />
la concentration d’individus immatures <strong>et</strong> <strong>de</strong> femelles gestantes dans d’éventuels
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 353<br />
« sites <strong>de</strong> reproduction » à la façon <strong><strong>de</strong>s</strong> Cétacés (Holzma<strong>de</strong>n ?). J’ai enfin évoqué<br />
les problèmes d’origine <strong>et</strong> d’extinction du groupe. Quand celui-ci disparaît, bien<br />
avant la fin du Crétacé supérieur, à la suite d’une réduction progressive <strong>de</strong> son aire<br />
d’extension géographique connue, les <strong>de</strong>rniers ichthyosaures, très peu modifiés par<br />
rapport aux formes jurassiques, étaient déjà <strong><strong>de</strong>s</strong> « fossiles vivants » dans les<br />
écosystèmes marins du Crétacé. Le problème <strong>de</strong> l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> ichthyosaures <strong>de</strong>meure<br />
largement ouvert. S’il paraît clair désormais qu’ils dérivent <strong>de</strong> quelque diapsi<strong>de</strong><br />
terrestre « généralisé » <strong>et</strong> encore inconnu, la dynamique <strong>de</strong> leur différenciation<br />
donne toujours lieu à controverses. Pour les uns, le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> spécialisation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
premiers ichthyosaures connus du Spathien (Trias inférieur) implique une longue<br />
histoire permienne encore totalement inconnue. Pour les autres, sensibles à<br />
l’énorme extinction fini-permienne, l’origine du groupe participe d’une dynamique<br />
<strong>de</strong> recolonisation rapi<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> habitats par rediversification <strong><strong>de</strong>s</strong> écosystèmes après la<br />
crise. Dans ce cas, la différenciation initiale <strong><strong>de</strong>s</strong> ichthyosaures aurait été très rapi<strong>de</strong><br />
<strong>et</strong> concentrée à la base du Trias (base du Scythien). De futures découvertes <strong>de</strong><br />
terrain perm<strong>et</strong>tront sans doute <strong>de</strong> tester ces hypothèses.<br />
L’autre grand rameau évolutif envisagé c<strong>et</strong>te année est celui <strong><strong>de</strong>s</strong> Sauropterygia<br />
(ou Euryapsi<strong><strong>de</strong>s</strong>) dont les représentants les plus connus sont les plésiosaures.<br />
Globalement, les sauroptérygiens montrent une plus gran<strong>de</strong> biodiversité <strong>et</strong> un plus<br />
long succès évolutif que les ichthyosaures, ne disparaissant qu’avec l’événement<br />
fini-Crétacé. Les sauroptérygiens présentent un mo<strong>de</strong> d’adaptation à la propulsion<br />
aquatique fondamentalement différent <strong>de</strong> celui <strong><strong>de</strong>s</strong> ichthyosaures. Chez ces <strong>de</strong>rniers<br />
la propulsion était assurée par <strong><strong>de</strong>s</strong> ondulations latérales du tronc <strong>et</strong> <strong>de</strong> la queue,<br />
comme chez les poissons, les membres pairs ne conservant que <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions <strong>de</strong><br />
stabilisateurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> gouvernes. Chez les sauroptérygiens, les membres pairs euxmêmes<br />
(<strong>et</strong> leurs ceintures) conservent toujours un rôle important, voire majeur,<br />
dans la locomotion, selon <strong><strong>de</strong>s</strong> modalités toutefois assez variées. Comme celle <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
ichthyosaures, la découverte <strong><strong>de</strong>s</strong> plésiosaures ramène aux origines mêmes <strong>de</strong> la<br />
paléontologie scientifique. J’ai relaté les soupçons <strong>de</strong> Cuvier <strong><strong>de</strong>s</strong>sinant en Angl<strong>et</strong>erre<br />
dès 1818 <strong><strong>de</strong>s</strong> os isolés <strong>de</strong> plésiosaures, la découverte du premier squel<strong>et</strong>te compl<strong>et</strong><br />
par Mary Anning (1821) <strong>et</strong> l’achat par Constant Prévost, missionné par Cuvier,<br />
du second squel<strong>et</strong>te sub-compl<strong>et</strong> pour le Muséum dès 1824.<br />
Le terme d’Euryapsi<strong>de</strong>, désignant classiquement une « Sous Classe » <strong><strong>de</strong>s</strong> Reptilia,<br />
fait allusion à la disposition particulière <strong><strong>de</strong>s</strong> fosses temporales, caractéristique du<br />
groupe. Seule est présente une fosse temporale supérieure homologue à celle <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
diapsi<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong>et</strong> donc limitée latéralement par le post orbitaire <strong>et</strong> le squamosal. En<br />
revanche il n’y a pas <strong>de</strong> fosse temporale inférieure. A sa place, une émargination<br />
<strong>de</strong> la bordure inféro-latérale <strong>de</strong> la joue <strong>et</strong> l’absence <strong>de</strong> quadrato-jugal suggèrent<br />
qu’une fosse temporale inférieure <strong>de</strong> diapsi<strong>de</strong> aurait pu être initialement présente.<br />
L’articulation carré/articulaire est reportée très postérieurement. Classiquement, le<br />
cla<strong>de</strong> débute au Trias avec les nothosaures, formes encore amphibies, <strong>de</strong> taille<br />
p<strong>et</strong>ite ou moyenne, <strong>et</strong> les placodontes, très spécialisés dans la consommation <strong>de</strong><br />
coquillages. Il se poursuit au Jurassique par les formes pélagiques bien connues <strong><strong>de</strong>s</strong>
354 ARMAND DE RICQLÈS<br />
plésiosaures à cou allongé <strong>et</strong> tête p<strong>et</strong>ite, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> pliosaures à cou court <strong>et</strong> à tête<br />
allongée. On r<strong>et</strong>rouve les uns <strong>et</strong> les autres au Crétacé, les plésiosaures y culminant<br />
avec <strong><strong>de</strong>s</strong> formes terminales <strong>de</strong> très gran<strong>de</strong> taille, les élasmosaures. Nous avons<br />
montré combien ce schéma général avait été enrichi <strong>et</strong> modulé par les recherches<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières décennies, du fait <strong>de</strong> nouvelles découvertes <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’application<br />
<strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> cladistique.<br />
L’histoire paléontologique du groupe débute au Trias inférieur avec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
organismes lacertiformes <strong>de</strong> p<strong>et</strong>ite taille (50 cm). Le cou, le tronc <strong>et</strong> la queue sont<br />
allongés tandis que les membres pentadactyles sont relativement courts <strong>et</strong> robustes,<br />
avec toutefois <strong><strong>de</strong>s</strong> autopo<strong><strong>de</strong>s</strong> allongés mais sans hyperphalangie. La forme la plus<br />
basale est Keichousaurus, <strong>de</strong> Chine, dont l’ontogénie est connue, qui se regroupe<br />
avec d’autres taxons <strong>de</strong> très p<strong>et</strong>ite taille <strong>et</strong> un peu plus récents du Trias inférieur<br />
<strong>et</strong> moyen d’Europe centrale (Dactylosaurus, Anarosaurus, <strong>et</strong>c.). L’analyse cladistique<br />
<strong>de</strong> ces taxons, initialement classés parmi les nothosaures, montre qu’ils constituent<br />
un premier cla<strong>de</strong> basal <strong><strong>de</strong>s</strong> Sauropterygiens : les pachypleurosaures. Ce cla<strong>de</strong> est<br />
caractérisé, entre autres synapomorphies, par une histomorphogenèse squel<strong>et</strong>tique<br />
particulière, que nous avons détaillée, <strong>et</strong> qui est très proche <strong>de</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> mésosaures<br />
(voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus). A la suite <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> récentes <strong>de</strong> O. Rieppel <strong>et</strong> coll., j’ai détaillé,<br />
à titre d’exemple, les problèmes paléobiologiques <strong>et</strong> évolutifs concenant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
pachypleurosaures un peu plus récents <strong>et</strong> <strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong> taille, provenant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
célèbres gisements du Monte San Giorgio (Tessin). Les taxons concernés :<br />
Serpianosaurus <strong>et</strong> trois espèces successives <strong>de</strong> Neusticosaurus (Pachypleurosaurus) :<br />
N. pusillus, N. peyeri <strong>et</strong> N. edwardsii se succè<strong>de</strong>nt localement dans la série<br />
stratigraphique. Avec ce modèle on dispose <strong>de</strong> « paléopopulations » (contrôle<br />
statistique) représentées par <strong><strong>de</strong>s</strong> individus compl<strong>et</strong>s (contrôle anatomique),<br />
comprenant <strong><strong>de</strong>s</strong> séries <strong>de</strong> croissance (contrôle ontogénique), se succédant dans le<br />
temps (contrôle stratigraphique) <strong>et</strong> l’espace en un même lieu (contrôle<br />
géographique). Que souhaiter <strong>de</strong> mieux dans la documentation paléontologique ?<br />
La série stratigraphique représente une durée <strong>de</strong> 5 MA au maximum, à la limite<br />
Anisien/Ladinien (Trias moyen), mais les quatre principales séquences fossilifères<br />
successives n’en représentent qu’un faible pourcentage temporel. L’analyse<br />
cladistique place Serpianosaurus comme taxon basal, les trois autres espèces <strong>de</strong><br />
Neusticosaurus étant <strong>de</strong> plus en plus dérivées, ce qui est conforme à leurs situations<br />
stratigraphiques respectives. Le cladogramme suggère l’existence <strong>de</strong> plusieurs<br />
« lignées fantômes » répondant aux cladogenèses successives aboutissant aux quatre<br />
taxons décrits. En revanche, on n’en a nulle trace dans la documentation<br />
morphométrique <strong>et</strong> stratophénétique disponible, qui suggère plutôt l’existence<br />
d’une seule lignée évoluant par anagenèse. On saisit sur c<strong>et</strong> exemple en quoi<br />
l’analyse logique <strong>de</strong> la répartition taxinomique <strong><strong>de</strong>s</strong> états <strong>de</strong> caractères (analyse<br />
cladistique) pourrait éventuellement différer <strong>de</strong> la phylogénie concrète.<br />
Les Nothosaures proprement dits (Nothosaurus, Ceresiosaurus, Lariosaurus,<br />
Simosaurus, Cymatosaurus...) sont généralement <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes plus spectaculaires<br />
que les pachypleurosaures (1,50 m à 4 m), présentant une gran<strong>de</strong> diversité dans
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 355<br />
leurs proportions crâniennes. La tête triangulaire, <strong>et</strong> plus ou moins allongée, était<br />
<strong>de</strong> relativement p<strong>et</strong>ite taille <strong>et</strong> portée par un cou allongé. Les membres pentadactyles<br />
assez peu modifiés sont cependant déjà adaptés à la vie aquatique, mais <strong>de</strong>vaient<br />
encore perm<strong>et</strong>tre la locomotion au sol (on a comparé leur situation, à c<strong>et</strong> égard, à<br />
celle <strong><strong>de</strong>s</strong> pinnipè<strong><strong>de</strong>s</strong> parmi les mammifères). La nage pouvait encore impliquer <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
ondulations latérales du corps <strong>et</strong> <strong>de</strong> la queue. C’était <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes plutôt<br />
néritiques à rôle <strong>de</strong> superprédateurs dans les mers du Trias moyen <strong>et</strong> supérieur<br />
(Europe centrale (Muschekalk), Trias alpin, Moyen Orient, Chine…). L’analyse<br />
phylogénétique du groupe, très complexe, n’a pas encore abouti à <strong><strong>de</strong>s</strong> conclusions<br />
robustes. Les nothosaures ne dépassent pas le somm<strong>et</strong> du Trias mais sont relayés<br />
dés le Lias par les premiers plésiosaures. Ceci pose le problème <strong>de</strong> l’origine <strong>de</strong> ces<br />
<strong>de</strong>rniers. On avait soupçonné <strong>de</strong>puis longtemps qu’une famille très mal connue <strong>de</strong><br />
nothosaures du Trias moyen, les pistosaures, aurait été à l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> plésiosaures.<br />
C<strong>et</strong>te hypothèse a été confirmée récemment par la découverte <strong>de</strong> nouveaux<br />
pistosaures beaucoup plus compl<strong>et</strong>s. L’analyse phylogénétique <strong><strong>de</strong>s</strong> caractères<br />
d’Angustasaurus, du Trias moyen du Nevada <strong>et</strong> <strong>de</strong> Yunguisaurus du Trias moyen<br />
<strong>de</strong> Chine relativement aux nothosaures <strong>et</strong> à Plesiosaurus (2006) confirme la position<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> pistosaures comme groupe-frêre externe <strong><strong>de</strong>s</strong> Plésiosaures.<br />
Les plésiosaures apparaissent avec la transgression liasique en Europe, avec<br />
d’emblée <strong><strong>de</strong>s</strong> formes pélagiques à tête plutôt p<strong>et</strong>ite <strong>et</strong> à cou long (plésiosaures<br />
proprement dits : Cryptocleidus) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> formes à gran<strong>de</strong> tête <strong>et</strong> à cou court (type<br />
pliosaure : Peloneustes). L’analyse cladistique d’ensemble du groupe tend à montrer<br />
que c<strong>et</strong>te subdivision est plus écologique que phylogénétique, répondant à la<br />
réalisation itérative <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux « types adaptatifs » différents <strong>de</strong> grands prédateurs<br />
marins. Les membres sont toujours transformés en pal<strong>et</strong>tes natatoires plus ou<br />
moins allongées par un forte hyperphalangie (pas d‘hyperdactylie) <strong>et</strong> sont associés<br />
à un développement ventral considérable <strong><strong>de</strong>s</strong> ceintures scapulaires <strong>et</strong> pelviennes.<br />
Celles-ci sont reliées ventralement par un puissant système <strong>de</strong> gastralia. La région<br />
troncale, armée par <strong><strong>de</strong>s</strong> côtes puissantes, s’élargit assez considérablement <strong>et</strong> s’aplatit.<br />
Les portions dorsales <strong><strong>de</strong>s</strong> ceintures étaient sans doute reliées à l’axe vertébral par<br />
<strong>de</strong> puissants systèmes ligamentaires, transm<strong>et</strong>tant l’effort propulsif. Les pal<strong>et</strong>tes<br />
natatoires postérieures (pelviennes) sont un peu plus développées que les antérieures<br />
(pectorales) chez les pliosaures, contrairement aux plésiosaures. On a relaté l’histoire<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> interprétations successives <strong>de</strong> la locomotion chez ces organismes. Pendant une<br />
bonne partie du xx e siècle, on en est resté à une reconstruction proposée par<br />
Watson (1924) faisant <strong><strong>de</strong>s</strong> plésiosaures <strong><strong>de</strong>s</strong> « rameurs ». Une analyse critique serrée<br />
<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te conception par Robinson (1975-76) tant du point <strong>de</strong> vue anatomique<br />
qu’écologique <strong>et</strong> énergétique a entraîné son abandon. Désormais on voit dans les<br />
plésiosaures (comme à la fin du xix e siècle) <strong><strong>de</strong>s</strong> pratiquants du « vol subaquatique »<br />
à la manière <strong><strong>de</strong>s</strong> tortues marines <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> manchots actuels. Ils disposaient toutefois<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux « modules propulsifs » (pectoral <strong>et</strong> pelvien) au lieu d’un seul (pectoral)<br />
chez leurs analogues actuels. Des considérations hydrodynamiques <strong>et</strong> énergétiques<br />
suggèrent que les plésiosaures « classiques » à p<strong>et</strong>ite tête <strong>et</strong> long cou étaient <strong><strong>de</strong>s</strong>
356 ARMAND DE RICQLÈS<br />
nageurs d’endurance mais peu rapi<strong><strong>de</strong>s</strong>. Les pliosaures, beaucoup plus<br />
hydrodynamiques, auraient été <strong><strong>de</strong>s</strong> nageurs plus rapi<strong><strong>de</strong>s</strong> que l’on a pu comparer<br />
écologiquement à <strong><strong>de</strong>s</strong> orques, dans la nature actuelle. La position <strong><strong>de</strong>s</strong> plésiosaures<br />
<strong>et</strong> pliosaures au sein <strong><strong>de</strong>s</strong> écosystèmes marins du Jurassique supérieur a été<br />
systématiquement analysée sur le modèle <strong>de</strong> l’Oxford Clay (Martill 1994). La<br />
biomécanique <strong>de</strong>ntaire <strong>et</strong> crânienne d’un superprédateur comme Pliosaurus a été<br />
analysée en détail <strong>et</strong> il a pu être montré que <strong><strong>de</strong>s</strong> carcasses flottées <strong>de</strong> dinosaures<br />
pouvaient entrer dans le régime (Taylor <strong>et</strong> al. 1993).<br />
Le « type pliosaure » est bien représenté au Crétacé par les Polycotylidés. Des<br />
<strong>travaux</strong> phylogénétiques récents, fondés en particulier sur la structure du palais<br />
chez Dolichorhynchops du Campanien (Crétacé supérieur) du Kansas, ont montré<br />
que ce groupe n’était pas apparenté directement aux pliosaures jurassiques mais<br />
qu’il fait partie d’un cla<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Cryptocleidoi<strong>de</strong>a (O’Keefe 2004) comprenant<br />
basalement <strong><strong>de</strong>s</strong> plésiosaures comme Muraenosaurus du Jurassique. Très récemment,<br />
les découvertes d’Albright <strong>et</strong> al. en Utah (2007) ont confirmé que les Polycotylidés<br />
font partie d’un groupe <strong>de</strong> « plésiosaures à cou court » ou « faux pliosaures ». Ainsi<br />
les pliosaures apparaissent bien comme un écotype ayant évolué <strong>de</strong> façon<br />
polyphylétique.<br />
Les plésiosaures à cou long évoluent au Crétacé vers <strong><strong>de</strong>s</strong> formes <strong>de</strong> très gran<strong>de</strong><br />
taille, les élasmosaures, pouvant atteindre 12 à 15 mètres <strong>de</strong> long, pour <strong><strong>de</strong>s</strong> crânes<br />
<strong>de</strong> 30 à 50 cm chez les formes du Crétacé supérieur connues du centre <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’ouest<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> USA, telles que Thalassomedon, Styxsosaurus ou Hydrotherosaurus. Le cou très<br />
mobile s’allonge démesurément tandis que la queue se raccourcit en proportions<br />
relatives. Les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>nts faisaient saillies extérieurement, les supérieures <strong>et</strong> les<br />
inférieures s’entrecroisant, <strong>et</strong> réalisant ainsi une « trappe » à poissons ou à<br />
céphalopo<strong><strong>de</strong>s</strong>. Nous avons relaté une succession <strong>de</strong> découvertes récentes concernant<br />
le groupe. Celle d’un élasmosaure primitif dans le Jurassique inférieur français<br />
(Bard<strong>et</strong> 1999) est venue documenter l’origine <strong>de</strong> ces formes dominantes au Crétacé,<br />
dont l’histoire peut être suivie en détail dans les régions Néo-Zélandaises,<br />
Australiennes <strong>et</strong> Sud-Américaine/Antarctique, <strong>et</strong> ce jusqu’au Crétacé terminal, avec<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> formes parfois écologiquement très spécialisées dans la microphagie (Aristonectes).<br />
Les rares données européennes issues du Maestrichthyen éponyme (Mul<strong>de</strong>r 2000)<br />
indiquent également une persistance mo<strong><strong>de</strong>s</strong>te du groupe jusqu’à l’extrême fin du<br />
Mésozoïque. Les <strong>travaux</strong> paléohistologiques sur <strong><strong>de</strong>s</strong> séries <strong>de</strong> croissance<br />
d’élasmosaures <strong>et</strong> <strong>de</strong> pliosaures du Crétacé supérieur <strong>de</strong> Nouvelle Zélan<strong>de</strong> ont<br />
apporté <strong><strong>de</strong>s</strong> données intéressantes. Tandis que les jeunes ont un squel<strong>et</strong>te<br />
pachyostique suggérant un rôle <strong>de</strong> « ballast » dans <strong><strong>de</strong>s</strong> environnements néritiques,<br />
à la façon <strong><strong>de</strong>s</strong> formes triasiques, les adultes acquièrent ensuite un squel<strong>et</strong>te <strong>de</strong><br />
structure allégée, « <strong>de</strong> type cétacé », sans doute en relation avec la vie pélagique<br />
(Wiffen <strong>et</strong> al. 1995).<br />
J’ai traité à part le groupe triasique <strong><strong>de</strong>s</strong> Placodontes, dont les relations<br />
phylogénétiques avec les autres Euryapsi<strong><strong>de</strong>s</strong> ne font pas consensus. J’ai commencé
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 357<br />
par la présentation <strong>de</strong> Placodus gigas, une gran<strong>de</strong> forme (2 à 3 m) du Muschelkalk<br />
(Trias moyen) du domaine marin épicontinental (plates formes carbonatées)<br />
d’Europe centrale bordant le nord-ouest du domaine téthysien profond. C’était un<br />
animal plongeur au tronc rebondi <strong>et</strong> à la queue allongée. Les membres, relativement<br />
courts mais peu modifiés, ne <strong>de</strong>vaient guère perm<strong>et</strong>tre une locomotion terrestre.<br />
Les ostéo<strong>de</strong>rmes dorsaux ne forment pas <strong>de</strong> carapace. Les côtes <strong>de</strong> morphologie<br />
complexe étaient complétées ventralement par <strong><strong>de</strong>s</strong> gastralia. Le crâne, massif <strong>et</strong><br />
soli<strong>de</strong>, est adapté à un régime conchylophage. Les puissantes incisives proclives<br />
sont suivies sur le palais <strong>et</strong> la mandibule par quelques énormes « <strong>de</strong>nts en pavés »<br />
à l’émail épais, propres à broyer les coquilles <strong>de</strong> mollusques marins. L’évolution du<br />
groupe est dominée par l’adaptation à ce régime. Les autres familles <strong>de</strong> placodontes<br />
(Cyamodontidés : Cyamodus, Sinocyamodus, Psephochelys, Psepho<strong>de</strong>rma, Plachochelyidés<br />
: Plachochelys, Henodontidés : Henodus, <strong>et</strong>c.) se spécialisent davantage. Le<br />
crâne prend une forme triangulaire, se raccourcit <strong>et</strong> s’élargit postérieurement pour<br />
faire place à une énorme musculature adductrice <strong>de</strong> la mandibule. Des ostéo<strong>de</strong>rmes<br />
se sou<strong>de</strong>nt à sa marge postéro-latérale <strong>et</strong> le corps s’aplatit dorso-ventralement, la<br />
queue reste allongée. Une carapace constituée par <strong><strong>de</strong>s</strong> ostéo<strong>de</strong>rmes polygonaux se<br />
différencie dorsalement <strong>et</strong> ces placodontes en viennent ainsi à ressembler beaucoup,<br />
mais superficiellement, à <strong><strong>de</strong>s</strong> chéloniens. Chez Cyamodus <strong>et</strong> Psepho<strong>de</strong>rma, la<br />
carapace est en <strong>de</strong>ux parties distinctes, la région pelvienne ayant une armure<br />
indépendante. Chez Henodus, elle prend une forme en selle, plus large que longue.<br />
Les membres, peu spécialisés, restent bien développés. Depuis une vingtaine<br />
d’années, <strong>de</strong> nombreux placodontes ont été découverts dans le Trias supérieur <strong>de</strong><br />
Chine (Guizhou) : le groupe semble avoir évolué pendant tout le Trias dans les<br />
mers chau<strong><strong>de</strong>s</strong> épicontinentales bordant le Nord <strong>de</strong> la T<strong>et</strong>hys. Aucun placodonte<br />
ne dépasse le somm<strong>et</strong> du Trias. On a fait remarquer à c<strong>et</strong> égard que ces organismes<br />
spécialisés aux milieux néritiques n’ont pu s’adapter aux gran<strong><strong>de</strong>s</strong> transgressions<br />
liasiques, contrairement aux autres Sauropterygiens <strong>et</strong> aux Ichthyosaures qui<br />
s’adaptent alors à <strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> vie pélagiques.<br />
2. Séminaire 2007-2008. La notion <strong>de</strong> fonction : <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences <strong>de</strong> la vie à la<br />
technologie, les 21-23 mai 2008<br />
Organisé avec le Professeur Jean Gayon (Université Paris I Panthéon Sorbonne)<br />
dans le cadre <strong>de</strong> l’action concertée incitative (ACI), La notion <strong>de</strong> fonction dans les<br />
sciences humaines, biologiques <strong>et</strong> médicale (Coordinat. J. Gayon, partenaires scientifique<br />
A. <strong>de</strong> Ricqlès, O. Houdé, Fr. Parot).<br />
Pour le biologiste, la notion <strong>de</strong> fonction est aussi familière qu’omniprésente dans<br />
tous les aspects <strong>de</strong> son travail. Comme Monsieur Jourdain faisant <strong>de</strong> la prose sans<br />
le savoir, le biologiste utilise c<strong>et</strong>te notion à chaque instant <strong>de</strong> son activité. Il s’agit<br />
pour lui, en quelque sorte, d’un « outil intellectuel spontané » dont la disponibilité<br />
pratique permanente fait qu’il n’éprouve pas souvent le besoin, au fil <strong>de</strong> la<br />
recherche, <strong>de</strong> s’interroger sur sa pertinence ou sa signification.
358 ARMAND DE RICQLÈS<br />
Un premier aspect frappant <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> fonction est donc la constance <strong>de</strong> son<br />
usage par le biologiste — <strong>et</strong> je comprends sous ce terme aussi bien le biologiste<br />
moléculaire dans son laboratoire que le naturaliste <strong>de</strong> terrain qui peuvent être encore<br />
parfois — <strong>et</strong> heureusement — une seule <strong>et</strong> même personne. Pour tous, la fonction<br />
est apparemment une notion d’une gran<strong>de</strong> utilité, à toutes les échelles <strong>de</strong> l’intégration<br />
organique du vivant puisqu’on la r<strong>et</strong>rouve à tous les niveaux. Qu’il s’agisse du « site<br />
fonctionnel » <strong>de</strong> l’enzyme, du rôle du neuromédiateur trans-synaptique, <strong>de</strong> celui <strong>de</strong><br />
l’hormone, <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> la cellule plus ou moins spécialisée, ou <strong>de</strong> celui du tissu, <strong>de</strong><br />
l’organe, du système, <strong>et</strong> jusqu’à celui <strong>de</strong> l’organisme en tant que totalité intégrée au<br />
sein <strong>de</strong> la population, voire du rôle <strong>de</strong> l’espèce au sein <strong>de</strong> l’écosystème, la fonction est<br />
partout. Elle nous propose donc un perpétuel cheminement bi-directionnel selon<br />
l’axe <strong>de</strong> l’intégration organique, soit selon la voie ascendante du compositionnisme,<br />
soit selon la voie <strong><strong>de</strong>s</strong>cendante du réductionnisme.<br />
A tous les niveaux <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te hiérarchie, l’omniprésente utilité <strong>de</strong> la fonction se<br />
comprend assez facilement parce qu’elle propose, ne serait-ce que <strong>de</strong> façon implicite<br />
<strong>et</strong> ramassée, une justification <strong><strong>de</strong>s</strong> données observées, autrement dit l’apparence<br />
d’une explication rationnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> faits. Evoquer la fonction, c’est donc toujours<br />
donner à saisir l’amorce d’une explication. Songeons par exemple à la définition<br />
<strong>de</strong> l’hormone : « substance chimiquement définie, produite par une glan<strong>de</strong><br />
endocrine, véhiculée par le sang, <strong>et</strong> allant exercer sur un organe cible particulier<br />
appelé récepteur une action spécifique qui est son seul rôle ». La fonction <strong>de</strong><br />
l’hormone, autrement dit l’explication <strong>de</strong> sa présence, c’est donc d’aller réguler la<br />
marche <strong>de</strong> tel organe, dans telle circonstance physiologique.<br />
Amorce d’une explication rationnelle, ou plutôt apparence seulement d’une<br />
explication ? En science, en eff<strong>et</strong>, une explication doit être causale. Expliquer, c’est<br />
donc remonter rétrospectivement <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s aux causes, la cause <strong>de</strong>vant toujours<br />
précé<strong>de</strong>r l’eff<strong>et</strong>. Dans le cas <strong>de</strong> l’hormone <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa définition physiologique, on<br />
constate immédiatement un paradoxe, l’explication <strong>de</strong> l’hormone, c’est-à-dire la<br />
cause <strong>de</strong> son existence, est dans son eff<strong>et</strong> physiologique lui même : on a donc<br />
affaire à une « explication finale » <strong>et</strong> non pas causale, au sens où l’enten<strong>de</strong>nt les<br />
sciences physico-chimiques. La « cause finale », au sens aristotélicien, qui inverse<br />
le sens <strong>de</strong> l’explication relativement au déroulement du temps, est irrecevable pour<br />
les sciences ordinaires. De fait, l’interprétation, l’explication par la fonction, si<br />
satisfaisante <strong>et</strong> si naturelle en apparence, a pu souvent conduire, en biologie, à un<br />
finalisme plus ou moins généralisé, plus ou moins revendiqué, ou plus ou moins<br />
honteux . L’explication par les causes finales est-elle inéluctable pour les sciences<br />
biologiques ? A mon sens, aucun scientifique ne <strong>de</strong>vrait se résoudre à l’adm<strong>et</strong>tre.<br />
Il y a dans l’apparente légitimité <strong><strong>de</strong>s</strong> explications finales en biologie un « tour <strong>de</strong><br />
passe-passe » <strong>de</strong> la nature qui découle <strong>de</strong> la dimension historique <strong>et</strong> généalogique<br />
<strong>de</strong> l’évolution, dimension non prise en compte par les sciences nomologiques.<br />
Un <strong>de</strong>uxième aspect frappant <strong>de</strong> la fonction, c’est paradoxalement sa réalité<br />
efficiente, concrète <strong>et</strong> opérationnelle relativement au niveau biologique où l’on
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 359<br />
situe son exercice, <strong>et</strong> cependant son apparence assez abstraite, dès que l’on tente<br />
d’isoler conceptuellement sa nature propre, parce qu’elle est avant tout interaction<br />
plutôt que substance.<br />
En eff<strong>et</strong>, à tous les niveaux d’intégration où on l’envisage, la fonction ne peut<br />
se concevoir effectivement sans l’existence <strong>de</strong> structures matérielles qui la sousten<strong>de</strong>nt<br />
<strong>et</strong> en constituent en quelque sorte le support.<br />
Ainsi, dans le cadre <strong>de</strong> la pratique <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences biologiques, <strong>et</strong> <strong>de</strong> façon générale<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> sciences positives, la fonction ne peut être opérationnellement traitée comme<br />
une abstraction, ou comme un concept général, ainsi que pourrait le faire le<br />
philosophe, mais bien comme une action, ou une interaction spécifique, en tant<br />
que manifestation concrète, hic <strong>et</strong> nunc, <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés particulières d’obj<strong>et</strong>s<br />
matériels, ou structures. Les structures, en tant qu’obj<strong>et</strong>s concr<strong>et</strong>s figurés, avec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
caractéristiques précises en matière <strong>de</strong> composition, <strong>de</strong> taille, <strong>de</strong> forme <strong>et</strong><br />
d’énergétique, ont <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés spécifiques qui découlent avec un <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> nécessité<br />
très fort, <strong><strong>de</strong>s</strong> lois <strong>de</strong> la physico-chimie, <strong>de</strong> la géométrie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la topologie. On peut<br />
donc dire que les fonctions <strong><strong>de</strong>s</strong> structures sont <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés émergentes <strong>de</strong> cellesci,<br />
émanant <strong>de</strong> leur constitution même. De là à considérer que les fonctions <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
structures sont la raison même <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières, c’est franchir un pas<br />
considérable autant que périlleux, qui débouche, on l’a vu, sur tout le problème<br />
<strong>de</strong> la finalité. Ainsi, pour le biologiste, qui dit fonction dit en réalité, concrètement,<br />
l’existence d’un couple structuro-fonctionnel indissociable. Comme le notait<br />
Wainwright avec humour, « les structures sans les fonctions sont <strong><strong>de</strong>s</strong> cadavres, les<br />
fonctions sans les structures sont <strong><strong>de</strong>s</strong> fantômes ». Le vivant est Janus bifrons, à la fois<br />
structural <strong>et</strong> fonctionnel, indissociablement.<br />
Le couple structure-fonction a trouvé son illustration la plus évi<strong>de</strong>nte, au niveau<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> organismes, dans le dialogue — ou la confrontation — entre l’anatomie <strong>et</strong> la<br />
physiologie mais il serait aisé <strong>de</strong> montrer que c<strong>et</strong>te opposition organise une<br />
systématique <strong>de</strong> tout l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> disciplines biologiques, <strong>de</strong> la molécule à<br />
l’écosystème. On pourrait dire, par exemple, que selon l’axe <strong><strong>de</strong>s</strong> disciplines<br />
fonctionnelles, l’écologie est une métaphysiologie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions supra-spécifiques.<br />
Son pendant, sur l’axe <strong><strong>de</strong>s</strong> disciplines structurales, pourrait être la démographie.<br />
La congruence entre la structure <strong>et</strong> la fonction s’observe partout en biologie<br />
comme en technologie. A c<strong>et</strong> égard la ressemblance entre les solutions fonctionnelles<br />
observées dans la nature <strong>et</strong> celles choisies en ingénièrie, ainsi que le nombre limité<br />
<strong>de</strong> solutions structurales à un problème fonctionnel donné, suggèrent que les<br />
systèmes <strong>de</strong> contraintes, conséquences <strong>de</strong> l’universalité <strong><strong>de</strong>s</strong> lois physiques, pèsent<br />
fortement sur toutes les réalisations structuro-fonctionnelles, en canalisant le<br />
champ <strong><strong>de</strong>s</strong> possibles. Si la finalité intentionnelle consciente qui se manifeste dans<br />
les technologies humaines ne pose pas problème, sa transposition dans le domaine<br />
biologique soulève, comme on l’a déjà souligné, <strong><strong>de</strong>s</strong> difficultés fondamentales.
360 ARMAND DE RICQLÈS<br />
La relation <strong>de</strong> congruence <strong>de</strong> la structure à la fonction, évi<strong>de</strong>nte dans la<br />
machinerie vivante comme dans la technologie humaine, amène immédiatement<br />
au concept clé d’adaptation, concept jouant un rôle moteur <strong>et</strong> central dans<br />
l’évolutionnisme. Toutes les structures organiques sont-elles strictement adaptées<br />
à une ou à <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions spécifiques ? tout changement évolutif se réalise-t-il<br />
nécessairement par l’adaptation <strong><strong>de</strong>s</strong> structures aux fonctions, c’est à dire par la<br />
« traque » progressive par <strong><strong>de</strong>s</strong> structures potentiellement modifiables <strong>de</strong> fonctions<br />
<strong>de</strong> plus en plus congruentes aux conditions <strong>de</strong> milieux, conditions elles mêmes<br />
perpétuellement changeantes ? La pluralité fonctionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> structures, au prix<br />
d’une adaptation sub-optimale n’est elle pas la clé du changement évolutif ?<br />
La théorie synthétique <strong>de</strong> l’évolution, dans ses aspects les plus orthodoxes, a pu<br />
sembler verser parfois dans un « pan-adaptationnisme » un peu excessif, où<br />
l’organisme peut être atomisé en une infinité <strong>de</strong> « traits structuro-fonctionnels »,<br />
chacun à la fois suscité, modulé <strong>et</strong> contrôlé par la sélection naturelle, celle-ci étant<br />
considérée comme un agent d’optimisation tout puissant. L’apport <strong>de</strong> l’œuvre<br />
d’un Stephen Jay Gould (1946-2002) a été largement <strong>de</strong> montrer combien ce<br />
« pan adaptationnisme » exagéré laissait sur le bord du chemin une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
considérations indispensables à une synthèse évolutive encore plus générale <strong>et</strong><br />
pertinente. Quoi qu’il en soit, la critique gouldienne du pan-adaptationnisme ne<br />
rem<strong>et</strong> pas en cause l’intérêt du concept <strong>de</strong> fonction, tel qu’il est généralement mis<br />
en œuvre par l’évolutionnisme contemporain, c’est-à-dire un fonctionnalisme<br />
explicite éludant, en contexte darwinien, toute référence au finalisme.<br />
Relativement au couple structure/fonction, la notion <strong>de</strong> système occupe une<br />
situation intermédiaire <strong>et</strong> quelque peu ambivalente. En eff<strong>et</strong>, un système est<br />
souvent délimité, c’est-à-dire pratiquement défini, par la ou les foncions qu’il<br />
réalise : c’est donc un ensemble fonctionnel. Les interactions intervenant entre les<br />
éléments d’un système, ou entre le système <strong>et</strong> l’extérieur constituent <strong><strong>de</strong>s</strong> activités,<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> évènements qui, en contexte approprié, peuvent effectivement répondre à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
fonctions, mais ce n’est pas toujours le cas, comme nous le rappellent tous les<br />
dysfonctionnements systémiques. D’un autre coté, un système constitue toujours<br />
une structure, ou mieux un ensemble structuré <strong>de</strong> sous-structures co-organisées.<br />
En ce sens, c’est bien aussi un concept structural. Ainsi, comme pour celles <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
structures, les fonctions <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes sont <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés émergentes déterminées<br />
par la constitution <strong>et</strong> la configuration même <strong>de</strong> ceux-ci. Une fois encore, les<br />
systèmes existent-ils « pour » accomplir les fonctions qu’ils remplissent ici <strong>et</strong><br />
maintenant, ou pour <strong>de</strong> toutes autres raisons ? On voit poindre au travers <strong>de</strong> ces<br />
interrogations les origines <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux gran<strong><strong>de</strong>s</strong> conceptions concurrentes — émergence<br />
systémique anhistorique ou fruit <strong>de</strong> l’histoire sélective — que l’épistémologie<br />
mo<strong>de</strong>rne propose pour <strong><strong>de</strong>s</strong> concepts <strong>de</strong> fonction débarrassés <strong>de</strong> tout finalisme.
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 361<br />
Programme<br />
Mercredi 21 mai<br />
Introduction : Armand <strong>de</strong> Ricqlès & Jean Gayon<br />
Session 1 :<br />
Origines du dis<strong>cours</strong> fonctionnel dans les sciences <strong>de</strong> la vie <strong>et</strong> en psychologie<br />
Origins of functional discorse in the life sciences and in psychology<br />
Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> séance/Chair : Jean Gayon (IHPST)<br />
James Lennox (Un. <strong>de</strong> Pittsburgh, USA, Center for Philosophy of Science) : Functions<br />
and history [Le concept <strong>de</strong> fonction : importance <strong>de</strong> l’histoire].<br />
François Duchesneau (Un. <strong>de</strong> Montréal, Canada, Département <strong>de</strong> philosophie) : Rôle<br />
du couple « structure/fonction » dans la constitution <strong>de</strong> la biologie comme science [Role of the<br />
« structure/function » dichotomy in the constitution of Biology as a science].<br />
Laurent Clauza<strong>de</strong> (Un. Paris 1 & IHPST, Paris) : Phénomènes, propriétés, fonctions : le<br />
terme « fonction » dans la biologie française du début du XIX e s. [Phenomena, properties,<br />
functions: the term « function » in French biology in the early 19 th Cy].<br />
Françoise Parot (Un. Paris Descartes & IHPST, Paris) : Les psychologues fonctionnalistes<br />
<strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> Chicago <strong>et</strong> le premier béhaviorisme [The functionalist psychologists of the<br />
Chicago School and the original Behaviorism].<br />
Session 2 :<br />
Théories philosophiques <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions<br />
Philosophical theories of function<br />
Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> séance/Chair : Françoise Parot (Un. Paris 5)<br />
Marie-Clau<strong>de</strong> Lorne (Université <strong>de</strong> Brest & IHPST, Paris) : La téléologie, l’explication <strong>et</strong><br />
l’esprit : 50 ans <strong>de</strong> réflexion sur la fonction biologique <strong>et</strong> l’explication fonctionnelle [Teleology,<br />
explanation and the mind : 50 years of thinking about biological function and functional<br />
explanation].<br />
Karen Nean<strong>de</strong>r (Duke Un., USA, Department of Philosophy) : The Etiological Theory:<br />
An Update [L’approche étiologique : une mise à jour].<br />
P<strong>et</strong>er McLaughlin (Un. <strong>de</strong> Hei<strong>de</strong>lberg, Allemagne, Department of philosophy) : «What<br />
functions are good for »? [À quoi les fonctions sont-elles bonnes ?].<br />
Session 3 :<br />
Fonction, selection <strong>et</strong> adaptation<br />
Function, selection , and adaptation<br />
Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> séance : Anne Fagot-Largeault (Professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>)<br />
Jean Gayon (IHPST, Paris) : Raisonnement fonctionnel <strong>et</strong> niveaux d’intégration en biologie<br />
[Functional reasoning and levels of organization in biology].<br />
Philippe Huneman (IHPST, Paris) : Fonctions <strong>et</strong> adaptations : une démarcation conceptuelle<br />
[Function and adaptations: a conceptual <strong>de</strong>marcation].<br />
Matteo Mossio (IHPST, Paris) & Cristian Saborido (Departamento <strong>de</strong> Logica y<br />
Filosofía <strong>de</strong> la Ciencia, Un. <strong>de</strong>l País Basco, Espagne) : Functions and self-maintenance<br />
[Fonction <strong>et</strong> auto-maintien].
362 ARMAND DE RICQLÈS<br />
Jeudi 22 mai<br />
Session 4 :<br />
Structures <strong>et</strong> fonctions en morphologie <strong>et</strong> paléontologie<br />
Structures and functions in morphology and palaeontology<br />
Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> séance/Chair : Olivier Houdé (Professeur à l’Université Paris 5)<br />
Armand <strong>de</strong> Ricqlès (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>) & Jorge Cubo (Un. Paris 6, UMR 7179) : Le<br />
problème <strong>de</strong> la causalité complexe aux sources <strong>de</strong> la relation structuro-fonctionnelle ; 1) généralités,<br />
2) l’exemple du tissu osseux [Complex causality as the root of the structure/function relation<br />
problem : 1) general consi<strong>de</strong>rations ; 2) the example of the bone tissue].<br />
Christine Argot (Muséum National d’Histoire Naturelle, Département Histoire <strong>de</strong> la<br />
Terre) : L’analyse fonctionnelle en paléontologie <strong><strong>de</strong>s</strong> mammifères — Forme, fonction <strong>et</strong> adaptation<br />
[Functional analysis in paleontology of mammals — form, function and adaptation].<br />
Stéphane Peigné (Muséum National d’Histoire Naturelle, Département Histoire <strong>de</strong> la<br />
Terre) : Structure <strong>et</strong> fonction chez les Carnivores placentaires : inférences morpho-fonctionnelles<br />
à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>nts <strong>et</strong> du squel<strong>et</strong>te post-crâniens [Structure and function in placental Carnivores ;<br />
morpho-functional inferences from te<strong>et</strong>h and post-cranial skel<strong>et</strong>on].<br />
Fe<strong>de</strong>rica Marcolini (Dip. Scienze Geologiche, Università Roma Tre, Roma, Italie) :<br />
Enamel structure analysis as a tool for reconstructing feeding behavior of fossil voles (Arvicolidae,<br />
Ro<strong>de</strong>ntia, Mammalia) [Analyse <strong>de</strong> la structure <strong>de</strong> l’émail comme outil pour reconstruire le<br />
comportement alimentaire <strong><strong>de</strong>s</strong> campagnols fossiles (Arvicolidae, Ro<strong>de</strong>ntia, Mammalia].<br />
Michel Laurin (CNRS, UMR 7179) : Structure, fonction <strong>et</strong> évolution <strong>de</strong> l’oreille moyenne<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés actuels <strong>et</strong> éteints : interprétations paléobiologiques <strong>et</strong> phylogénétiques [Structure,<br />
fonction and evolution of the middle ear of extant and extinct vertebrates : paleobiological<br />
and phylogen<strong>et</strong>ic interpr<strong>et</strong>ations].<br />
Philippe Janvier (Muséum National d’Histoire Naturelle, Département Histoire <strong>de</strong> la<br />
Terre) : Anatomies éteintes, fonctions énigmatique [Extinct anatomies, enigmatic functions].<br />
Session 5 :<br />
Structures <strong>et</strong> fonctions cognitives<br />
Cognitive structures and fucntions<br />
Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> séance/Chair : Alain Berthoz (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>)<br />
Olivier Houdé (Un. Paris Descartes, équipe « Développement <strong>et</strong> fonctionnement<br />
cognitifs », UMR 6095) : Fonctions <strong>et</strong> structure du développement cognitif [Functions and<br />
structure in cognitive <strong>de</strong>velopment].<br />
Denis Forest (Un. Jean-Moulin-Lyon 3 <strong>et</strong> IHPST, Paris) : Architecture <strong>et</strong> évolution <strong>de</strong> la<br />
fonction du langage [Architecture and evolution of the function of language].<br />
Session 6 :<br />
Attributions fonctionnelles en biologie expérimentale<br />
Functional ascriptions in experimental biology<br />
Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> séance/Chair : Philippe Kourilsky (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>)<br />
Michel Morange (Ecole Normale Supérieure <strong>et</strong> IHPST, Paris) : Les fonctions <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines<br />
[The functions of proteins].<br />
Jean-Clau<strong>de</strong> Dupont (Université <strong>de</strong> Picardie <strong>et</strong> IHPST, Paris) : Physiologie : L’histoire <strong>de</strong><br />
l’intégration, <strong>de</strong> Spencer à Sherrington <strong>et</strong> après [Physiology : the history of integration, from<br />
Spencer to Sherrington and beyond].
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 363<br />
Charles Galperin (IHPST, Paris) : Fonction, fonctionnement, multifonctionnalité en<br />
génétique du développement [Functions, functioning, multi-functionality in the Gen<strong>et</strong>ics of<br />
<strong>de</strong>velopment].<br />
Thomas Pra<strong>de</strong>u (Un. <strong>de</strong> Caen & IHPST, Paris) : Peut-on attribuer une fonction au<br />
système immunitaire ? [Can a function be ascribed to the immune system ?].<br />
Vendredi 23 mai<br />
Session 7 :<br />
Fonctions <strong>et</strong> origines <strong>de</strong> la vie<br />
Functions and the origins of life<br />
Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> séance/Chair : François Duchesneau (Un. <strong>de</strong> Montréal).<br />
Christophe Malaterre (IHPST, Paris) : Attributions fonctionnelles dans le mon<strong>de</strong><br />
prébiotique : le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> ribozymes [Functional Ascription in the Prebiotic World : the Case of<br />
Ribozymes].<br />
Alvaro Moreno (Universidad <strong>de</strong>l Pais Vasco, Departamento <strong>de</strong> Filosofía, Espagne) : The<br />
problem of the emergence of functional diversity in prebiotic evolution [Le problème <strong>de</strong><br />
l’émergence <strong>de</strong> la diversité fonctionnelle dans l’évolution prébiotique].<br />
Stéphane Tirard (Un. <strong>de</strong> Nantes & Equipe REHSEIS, Paris) : Aspects métaboliques <strong>de</strong> la<br />
fonction <strong>de</strong> nutrition dans le débat sur les origines <strong>de</strong> la vie au milieu du XX e s. [M<strong>et</strong>abolic aspects<br />
of the nutrition function in the <strong>de</strong>bate over the Origins of Life in middle 20 th Cy].<br />
Session 8 :<br />
Fonction and dysfonction<br />
Function and dysfunction<br />
Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> séance/Chair : Pierre Corvol (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>).<br />
Ulrich Krohs (Universität Hamburg, Department of Philosophy), Dys-’, ‘mal-’ and ‘non-’ :<br />
the other si<strong>de</strong> of functionality [‘Dys-’, ‘mal-’ <strong>et</strong> ‘non-’ : l’autre côté <strong>de</strong> la fonctionnalité].<br />
Elodie Giroux (Un. Lyon 3 & IHPST, Paris), Du concept <strong>de</strong> fonction biologique au<br />
concept <strong>de</strong> santé : les limites d’un transfert dans le domaine <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine [From the concept<br />
of biological function to the concept of health : the limits of a transfer into the field of<br />
medicine].<br />
Arnaud Plagnol (Université <strong>de</strong> Paris 8, LPN & IHPST, Paris), Le raisonnement<br />
fonctionnel en psychiatrie [Functional reasoning in Psychiatry].<br />
Session 9 :<br />
Le raisonnement fonctionnel dans les sciences <strong>de</strong> l’ingénieur<br />
<strong>et</strong> dans les sciences <strong>de</strong> la vie<br />
Functional reasoning in engineering and the life sciences<br />
Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> séance : Armand <strong>de</strong> Ricqlès (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>).<br />
Daniel Becquemont (Un. Lille 3) : « Design » histoire du mot <strong>et</strong> du concept : sciences <strong>de</strong><br />
la nature, théologie, esthétique [“Design” : history of the word and history of the concept :<br />
the concept — natural sciences, theology, aesth<strong>et</strong>ics].<br />
Tim Lewens (Cambridge Un., UK) : Foot on Natural Goodness : Normativity in Organisms<br />
and Artefacts [Foot <strong>et</strong> la bonté naturelle : <strong>de</strong> la normativité dans les organismes <strong>et</strong> dans les<br />
artéfacts].
364 ARMAND DE RICQLÈS<br />
Anick Abourachid (Muséum National d’Histoire Naturelle, Département Ecologie <strong>et</strong><br />
Gestion <strong>de</strong> la Biodiversité, UMR 7179) & Vincent Hugel (Université <strong>de</strong> Versailles,<br />
Laboratoire d’Ingénierie <strong><strong>de</strong>s</strong> Systèmes <strong>de</strong> Versailles) : L’idée <strong>de</strong> fonction en biologie <strong>et</strong> en<br />
robotique : témoignage d’une collaboration autour <strong>de</strong> « RoboCoq » [The i<strong>de</strong>a of function in<br />
biology and robotics : testimony on a collaboration around « RoboCoq »].<br />
Pi<strong>et</strong>er Vermaas (Delft Un. of Technology, Department of Philosophy) & Wybo Houkes<br />
(Eindhoven Un. of Technology, Philosophy and Ethics of Technology) : Making artefacts<br />
and <strong><strong>de</strong>s</strong>igning functions [Fabriquer <strong><strong>de</strong>s</strong> artéfacts <strong>et</strong> concevoir <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions].<br />
Françoise Longy (Un. <strong>de</strong> Strasbourg 2 <strong>et</strong> IHPST, Paris) : Pourquoi une même théorie pour<br />
les fonctions <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> artefacts ? [Why looking for a unified theory of function in<br />
organisms and artefacts ?].<br />
Discussion-Conclusion<br />
Débat avec la salle, animé par les responsables scientifiques <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes <strong>de</strong> l’ACI /<br />
Debate with the public, led by the scientific coordinators of the programme (Jean Gayon,<br />
Olivier Houdé, Françoise Parot, Armand <strong>de</strong> Ricqlès).<br />
RECHERCHE<br />
1. Généralités, statuts <strong>et</strong> situation institutionnelle (juin 2008)<br />
Au titre du CNRS la Chaire <strong>de</strong> Biologie historique <strong>et</strong> Evolutionnisme du <strong>Collège</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>France</strong>, dirigée par A. <strong>de</strong> Ricqlès, est rattachée à l’UMR 7179 CNRS/UPMC-<br />
P6/MNHN/<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> « Mécanismes adaptatifs : <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes aux<br />
communautés » dirigée par le D r Martine Perr<strong>et</strong>, Directeur <strong>de</strong> recheches au CNRS,<br />
<strong>et</strong> constituée <strong>de</strong> quatre équipes. Le Docteur Michel Laurin à pris, au 01/01/2007<br />
le relais du Professeur Jacques Castan<strong>et</strong> (Université Paris 6) pour assurer la direction<br />
<strong>de</strong> l’équipe <strong>de</strong> recherche « Squel<strong>et</strong>te <strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés » dont la Chaire <strong>de</strong> Biologie<br />
historique <strong>et</strong> Evolutionnisme fait partie. Ces dispositions resteront valables jusqu’au<br />
31/12/2008.<br />
Les contraintes du « classement <strong>de</strong> Shangaï » ont entraîné, pour <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons <strong>de</strong><br />
« lisibilité », une modification <strong>de</strong> la politique <strong>de</strong> certains <strong>de</strong> nos organismes <strong>de</strong><br />
tutelles relativement aux UMR « multisceaux » comme la nôtre. C’est ainsi que<br />
notre équipe <strong>de</strong> recherche s’est vue contrainte <strong>de</strong> disparaître <strong>de</strong> facto. Ses<br />
composantes CNRS <strong>et</strong> Muséum rejoindront au 01/01/2009 l’UMR 7180 au<br />
MNHN tandis que ses composantes Paris VI rejoindront à la même date l’UFR 918<br />
Géologie <strong>et</strong> Biodiversité/UMR-ISTEP (Directeur Professeur Ph. Huchon) à<br />
l’Université Paris VI.<br />
Ainsi s’achève institutionnellement une aventure intellectuelle trans-disciplinaire<br />
<strong>et</strong> inter-établissements débutée en 1982 sous forme d’un contrat « jeune équipe »<br />
entre l’Université Paris VII, le CNRS <strong>et</strong> le MNHN sur le thème <strong>de</strong> la biologie<br />
comparative <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus squel<strong>et</strong>tiques <strong><strong>de</strong>s</strong> vertébrés.
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 365<br />
S’est donc posé le problème du rattachement institutionnel <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong><br />
Biologie historique <strong>et</strong> Evolutionnisme du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> relativement aux<br />
divers organismes impliqués. Bien que <strong>de</strong> forts liens humains <strong>et</strong> thématiques nous<br />
attachent <strong>de</strong>puis toujours au Muséum <strong>et</strong> à l’UMR 7180, nous avons cru <strong>de</strong> notre<br />
<strong>de</strong>voir <strong>de</strong> rattacher plutôt notre chaire à l’UFR 918/UMR-ISTEP <strong>de</strong> Paris VI. En<br />
eff<strong>et</strong>, la composante Paris VI <strong>de</strong> notre équipe représente un très p<strong>et</strong>it nombre <strong>de</strong><br />
jeunes biologistes évolutionnistes rejoignant une grosse UFR <strong>de</strong> Géologie pour<br />
contribuer à l’animation d’un nouveau « pôle naturaliste » à l’Université. Il nous a<br />
donc semblé que le soutien apporté par notre chaire à nos collègues <strong>et</strong> à ce proj<strong>et</strong><br />
justifiait ce choix.<br />
2. Activités <strong>de</strong> recherche 2007-2008 <strong>et</strong> <strong>travaux</strong> en <strong>cours</strong><br />
Publications <strong>et</strong> Travaux 2007-2008<br />
2007 (suite)<br />
Buffrénil V. <strong>de</strong>, Bard<strong>et</strong> N., Pereda-Suberbiola X. & Bouya B. 2007. Specialization of<br />
bone structure in Pachyvaranus crassispondylus Arambourg, 1952, an aquatic squamate from<br />
the Late Cr<strong>et</strong>aceous of the southern T<strong>et</strong>hyan margin. L<strong>et</strong>haia 41 : 59-69.<br />
Buffrénil V <strong>de</strong>, Hémery G. 2007. Harvest of the Nile monitor, Varanus niloticus,<br />
in Sahelian Africa. Part I : Demographic impact of professional capture technique.<br />
In : H-G. Horn, W. Böhme & U. Krebs (eds.) Advances in monitor Research III.<br />
Mertensiella. 16 :181-194.<br />
Buffrénil V. <strong>de</strong> Hémery G. Harvest of the Nile monitor, Varanus niloticus, in Sahelian<br />
Africa. Part II : Life history traits of harvested monitors. In : H-G. Horn, W. Böhme &<br />
U. Krebs (eds.) Advances in monitor Research III. Mertensiella 16 : 195-217.<br />
Lord C., Fermon Y., Meunier F.J., Jegu M. & Keith P. 2007. Croissance <strong>et</strong> longévité<br />
du Watau yaike, Tom<strong>et</strong>es lebaili (Osteichthyes, Teleostei, Serrasalminae) dans le bassin du<br />
haut Maroni (Guyane française). Cybium, 31(3) : 359-367.<br />
Khemiri S., Gaamour A., Meunier F.J. & Zylberberg L. 2007. Age and growth of<br />
Engraulis encrasicolus (Clupeiformes ; Engraulidae) in the Tunisian waters. Cah. Biol. Mar.,<br />
48 : 259-269.<br />
Ricqlès A. <strong>de</strong>. 2007. Fifty years after Enlow and Brown’s « Comparative histological<br />
study of fossil and recent bone tissues » (1956-58) : a review of Professor Donald H. Enlow’s<br />
contribution to paleohistology and comparative histology of bone. Comptes Rendus Palevol<br />
(6) 591-601.(1.152)<br />
Zaragü<strong>et</strong>a Bagils R., Bourdon E., 2007. Three-item analysis : hierarchical representation<br />
and treatment of missing and inapplicable data. Comptes Rendus Palevol 6(6-7) :<br />
527-534.<br />
2008 <strong>et</strong> sous presse<br />
Bourdon E., Amaghzaz M. & Bouya B. (In Press). A new seabird (Aves, cf. Pha<strong>et</strong>hontidae)<br />
from the Lower Eocene phosphates of Morocco. Geobios.<br />
Bourdon E., Mourer-Chauviré C., Amaghzaz M. & Bouya B. (In Press). New specimens<br />
of Lithoptila abdounensis (Aves, Propha<strong>et</strong>hontidae) from the Lower Paleogene of Morocco.<br />
Journal of Vertebrate Paleontology.
366 ARMAND DE RICQLÈS<br />
Bourdon E., Ricqlès A. & Cubo J. (In Press). A new Transantarctic relationship:<br />
morphological evi<strong>de</strong>nce for a Rheidae-Dromaiidae-Casuariidae cla<strong>de</strong> (Aves, Palaeognathae,<br />
Ratitae). Zoological Journal of the Linnean Soci<strong>et</strong>y.<br />
Buffrénil V. <strong>de</strong>, Astibia H., Pereda Suberbiola X., Berr<strong>et</strong>eaga A., Bard<strong>et</strong> N. 2008. Bone<br />
histology of basal sirenians from the Middle Eocene of Western Europe. Geodiversitas,<br />
30(2) : 425-432.<br />
Buffrénil V. <strong>de</strong>, Houssaye A., Böhme W. 2008. Bone vascular supply in monitor lizards<br />
(Squamata : Varanidae) : influence of size, growth and phylogeny. Journal of Morphology,<br />
269 : 533-543.<br />
Cao N., Bourdon E., El Azawi M., Zaragü<strong>et</strong>a Bagils R. (In Press). Three-item analysis<br />
and parsimony, intersection tree and strict consensus : a biogeographical example. Bull<strong>et</strong>in<br />
<strong>de</strong> la Société Géologique <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />
Cubo J., Legendre P., Ricqlès A. <strong>de</strong>, Montès L., Margerie E. <strong>de</strong>, Castan<strong>et</strong> J., Des<strong>de</strong>vises Y.<br />
2008. Phylogen<strong>et</strong>ic, functional and structural components of variation in bone growth rate<br />
of amniotes. Evolution and Development, 10 : 217-227.<br />
Deschamps M.H., Kacem A., Ventura R., Courty G., Haffray P., Meunier F.J. &<br />
Sire J.Y. 2008. Assesment of « silent » vertebral abnormalities, bone mineralization and<br />
bone compactness in farmed rainbow trout. Aquaculture, 279 : 11-17.<br />
Houssaye A., Buffrénil V. <strong>de</strong>, Rage J.C., Bard<strong>et</strong> N. 2008. Analysis of vertebral<br />
« pachyostosis » in Carentonosaurus mineaui (Mosasauroi<strong>de</strong>a, Squamata) from the<br />
Cenomanian (early Late Cr<strong>et</strong>aceous) of <strong>France</strong>, with comments on its phylogen<strong>et</strong>ic and<br />
functional significance. Journal of Vertebrate Paleontology, 28 (3) : 685-691.<br />
Meunier F.J., Deschamps M.H., Lecomte F. & Kacem A. 2008. Le squel<strong>et</strong>te <strong><strong>de</strong>s</strong> poissons<br />
téléostéens : structure, développement, physiologie, pathologie. Bull. Soc. Zool. Fr. (sous<br />
presse).<br />
Ricqlès A. <strong>de</strong>, Padian K., Knoll F., Horner J.R. 2008. On the origin of rapid growth<br />
rates in archosaurs and their ancient relatives: complementary histological studies on Triassic<br />
archosauriforms and the problem of a « phylogen<strong>et</strong>ic signal » in bone histology. Annales <strong>de</strong><br />
Paléontologie, 94 : 57-76.<br />
Sanchez S., Klembara J., Castan<strong>et</strong> J., Steyer S. 2008. Salaman<strong>de</strong>r-like <strong>de</strong>velopment in a<br />
seymouriamorph revealed by palaeohistology. Biology l<strong>et</strong>ters, Doi : 1098/rsbl.2008.0159.<br />
Zylberberg L. & Meunier F.J. (sous presse). New data on the structure and the<br />
chondrocyte populations of the haemal cartilage of abdominal vertebrae in the adult carp<br />
Cyprinus carpio (Teleostei, ostariophysii, Cyprinidae). Cybium.<br />
Ouvrages <strong>et</strong> chapitres d’ouvrages<br />
2007 (suite)<br />
Schmitz H., Ud<strong>de</strong>nberg N., Östensson P. 2007. Linné — Une passion pour la classification.<br />
Laurin M., traducteur. Paris : Belin.<br />
2008 <strong>et</strong> sous presse<br />
Deschamps M.H., Meunier F.J., Sire J.Y. (sous presse). Le Squel<strong>et</strong>te <strong>de</strong> la Truite Arcen-Ciel.<br />
In : B. Jalabert (edt.), INRA.<br />
Laurin M. (sous presse a.) Paleontological evi<strong>de</strong>nce. In : Bels V., Renous S., editors.<br />
Vertebrates reach the land. Paris : Muséum National d’Histoire Naturelle.
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 367<br />
Laurin M. (sous presse b.). Limb origin and <strong>de</strong>velopment. In : Bels V., Renous S.,<br />
editors. Vertebrates reach the land. Paris : Muséum National d’Histoire Naturelle.<br />
Laurin M. (sous presse c.). Le PhyloCo<strong>de</strong>. In : Prat D., Raynal A., Roguenant A., editors.<br />
Linné <strong>et</strong> la systématique aujourd’hui — Faut-il classer le vivant ? Paris : Belin.<br />
Meunier F.J., Erdmann M.V., Fermon Y., Caldwell R.L. (sous presse). Can the<br />
comparative study of the morphology and histology of the scales of Latimeria menadoensis<br />
and L. chalumnae (Sarcopterygii, Actinistia, Coelacanthidae) bring new insight on the<br />
biogeography of recent coelacanthids ? In : Cavin L., Longbottom A. <strong>et</strong> Richter M. (Eds)<br />
Fishes and the break-up of Pangaea. Geol. Soc. London, Special publ. 295 : 351-360.<br />
Ricqlès A. <strong>de</strong>. 2008. L’Evolution, nouveau « récit <strong>de</strong> création » ou synthèse <strong>de</strong> toute la<br />
biologie ? pp.13-28, In : Le Récit (W. Marx Direct), Actes <strong>de</strong> Savoirs, 4/2008, PUF.<br />
Actes <strong>de</strong> colloques Internationaux dans <strong><strong>de</strong>s</strong> revues in<strong>de</strong>xées<br />
2007 (suite)<br />
Bourdon E. 2007. A new phylogeny of extant ratite birds. 8 th International Congress of<br />
Vertebrate Morphology. Université Pierre <strong>et</strong> Marie Curie, Paris, <strong>France</strong>, 16-21 juill<strong>et</strong>.<br />
J. Morphol., 268(12) : 1052.<br />
Brito P., Meunier F.J. & De Leal M.E. 2007. Origine <strong>et</strong> diversification <strong>de</strong> l’ichtyofaune<br />
néotropicale. In : 3 es rencontres d’Ichtyologie en <strong>France</strong>, Soc. Fra. Ichtyol., Cybium, 31<br />
(2) : 139-153.<br />
Chan<strong>et</strong> B., Guintard C., B<strong>et</strong>ti E., Clement G., Meunier F.J., Ahlberg P. Experiment<br />
anatomical imaging in osteichthyan fishes. 8 th Intern. Congress of Vertebrate Morphology,<br />
Paris, 16-21 juill<strong>et</strong> 2007 (Poster). J. Morphol., 268(12) : 1058.<br />
Cubo J., Montes L., Castan<strong>et</strong> J. 2007. Resting m<strong>et</strong>abolic rates, bone growth rates and<br />
bone tissue types in Amniotes. (Com. orale). 8 th International Congress of Vertebrate<br />
Morphology. Université Pierre <strong>et</strong> Marie Curie, Paris, <strong>France</strong>, 16-21 juill<strong>et</strong>. J. Morphol.,<br />
268(12) : 1062 .<br />
Montes L., Castan<strong>et</strong> J. and Cubo J. 2007. Relationship b<strong>et</strong>ween bone growth rate and<br />
bone vascular <strong>de</strong>nsity in amniotes : a first test of Amprino’s rule in a phylogen<strong>et</strong>ic context.<br />
(Com. orale). 8 th International Congress of Vertebrate Morphology. Université Pierre <strong>et</strong><br />
Marie Curie, Paris, <strong>France</strong>, 16-21 juill<strong>et</strong>. J. Morphol., 268(12) : 1108.<br />
Laurin M. Morphological evolution of vertebrates in the conquest of land. 8 th International<br />
Congress of Vertebrate Morphology. Université Pierre <strong>et</strong> Marie Curie, Paris, <strong>France</strong>,<br />
16-21 juill<strong>et</strong> 2007 (résumé). J. Morphol., 268(12) : 71.<br />
Laurin M., Cantino P.D. 2007. Second me<strong>et</strong>ing of the International Soci<strong>et</strong>y for<br />
Phylogen<strong>et</strong>ic Nomenclature : a report. Zoologica Scripta, 36 : 109-117 (2.338).<br />
Le Roy N., Cubo J. A predictive mo<strong>de</strong>l of paleobiological estimation of bone growth<br />
rate from bone tissue types in extinct archosaurs. 8 th International Congress of Vertebrate<br />
morphology (ICVM8), Université Pierre <strong>et</strong> Marie Curie, Paris, 16-21 juill<strong>et</strong> 2007 (Poster).<br />
J. Morphol., 268(12) : 1098.<br />
Meunier F.J. & Saur F. 2007. Etu<strong>de</strong> morphologique <strong>et</strong> structurale <strong><strong>de</strong>s</strong> écailles <strong>de</strong><br />
T<strong>et</strong>ragonurus cuvieri (Osteichthyes, Perciformes, T<strong>et</strong>ragonuridae) <strong>et</strong> <strong>de</strong> Cleidopus gloriamaris<br />
(Osteichthyes, Beryciformes, Monocentridae). Cybium, 31(2) : 123-132.
368 ARMAND DE RICQLÈS<br />
Montes L., Castan<strong>et</strong> J., Cubo J. Relationship b<strong>et</strong>ween bone growth rate and bone<br />
vascular <strong>de</strong>nsity in amniotes: a first tes t of Amprino’s rule in a phylogen<strong>et</strong>ic context. 8 th<br />
International Congress of Vertebrate morphology (ICVM8), Paris, 16-21 juill<strong>et</strong> 2007.<br />
Com. Orale. Résumé. J. Morphol., 268(12) : 1108.<br />
Ricqlès A. <strong>de</strong>. 2007. Towards a classificatory scheme and nomenclature of bone histology<br />
in 8 th International Congress of Vertebrate morphology (ICVM8), Université Pierre <strong>et</strong><br />
Marie Curie, Paris, 16-21 juill<strong>et</strong> 2007. Com orale. J. Morphol., 268(12) : 1066.<br />
2008 <strong>et</strong> sous presse<br />
Thireau M., Meunier F.J., Bauchot M.L., Hamonou-Mahieu A. & Pi<strong>et</strong>sch T.W. 2008.<br />
L’œuvre icthyologique <strong>de</strong> Charles Plumier, lors <strong>de</strong> ses trois voyages aux Antilles (1689,<br />
1693 <strong>et</strong> 1695). 130 e Congrès national <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés historiques <strong>et</strong> scientifiques, La Rochelle,<br />
18-23 avril 2005.<br />
Colloques <strong>et</strong> Congrès Nationaux <strong>et</strong> autres<br />
2007 (suite)<br />
Dieux-Coëslier A., Zylberberg L., Silve C., Fron D., Manouvrier S., Le Merrer M.<br />
Unusual epiphyseal and m<strong>et</strong>aphyseal dysplasia associated with major advanced bone<br />
maturation and severe asymm<strong>et</strong>ric lower limbs <strong>de</strong>formation. 8 th International me<strong>et</strong>ing on<br />
chondrodysplasy. Albi 19-21 juill<strong>et</strong> 2007. Résumé in Actes du Colloque p. 87.<br />
Kacem A. & Meunier F.J. Caractéristiques histo-morphométriques du <strong>de</strong>ntaire du<br />
saumon atlantique, Salmo salar L. (Teleostei, Salmonidae) lors <strong>de</strong> sa migration anadrome.<br />
1 er Congrès Franco-Maghrébin <strong>de</strong> Zoologie <strong>et</strong> d’Ichtyologie, 3-7 novembre 2007, El Jadida,<br />
Maroc, (communication orale).<br />
Laurin M. Recent works on the conquest of land by vertebrates. 5th Me<strong>et</strong>ing of the<br />
European Association of Vertebrate Paleontologists. Carcassonne, 15-19 mai 2007, p. 40<br />
(résumé).<br />
Laurin M. Développements récents du PhyloCo<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’ISPN. First Mediterranean<br />
Herp<strong>et</strong>ological Congress. Marrakech (Maroc), 16-20 avril 2007, p. 39 (résumé).<br />
Marjanovic D., Laurin M. Paleontological and molecular perspectives on the origin and<br />
diversification of lissamphibians. 5th Me<strong>et</strong>ing of the European Association of Vertebrate<br />
Paleontologists. Carcassonne, <strong>France</strong>, 15-19 mai 2007, p. 43 (résumé).<br />
Marjanovic D., Laurin M. A paleontological and molecular perspective on the origin of<br />
lissamphibians. First Mediterranean Herp<strong>et</strong>ological Congress. Marrakech, Morocco,<br />
16-20 avril 2007, p. 39 (résumé).<br />
Meunier F.J., & J.Y. Sire. L’os acellulaire <strong>de</strong> la dora<strong>de</strong> royale, Sparus aurata (Teleostei,<br />
Perciformes). 1 er Congrès Franco-Maghrébin <strong>de</strong> Zoologie <strong>et</strong> d’Ichtyologie, 3-7 novembre<br />
2007, El Jadida, Maroc, (communication orale).<br />
Meunier F.J., Les diverses métho<strong><strong>de</strong>s</strong> sclérochronologiquespour estimer l’âge individuel<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> poissons marins. 8 es Journées annuelles ATS Mer, 15-17 décembre 2007, Tabarka<br />
(Tunisie) (Conférence invitée).<br />
Meunier F.J. Sur l’œuvre ichtyologique <strong>de</strong> Théodore Monod. 4 e Forum méhariste,<br />
Saint-Poncy (Cantal), les 19-22 juill<strong>et</strong> 2007 (communication orale).<br />
Meunier F.J. & Geistdoerfer P. Les espèces invasives en Mer Méditerranée : l’exemple<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Poissons 111 es Journées annuelles <strong>de</strong> la SZF, Bastia, 18-25 septembre 2007<br />
(communication orale).
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 369<br />
Meunier F.J. Guillaume Ron<strong>de</strong>l<strong>et</strong> (1507-1566). Un zoologiste mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> innovateur.<br />
Fac. Mé<strong>de</strong>cine Montpellier, 29 sept. 2007, Hommage à G. Ron<strong>de</strong>l<strong>et</strong> (communication<br />
orale).<br />
Zaragü<strong>et</strong>a Bagils R., Bourdon E. 2007. Three-item analysis : representation of missing<br />
and non-applicable data. Palaeobotany and the evolution of plants : current issues, <strong>Collège</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>France</strong>, Paris, 23-25 mai 2007, p. 43 (résumé).<br />
2008 <strong>et</strong> sous presse<br />
Bourdon E., Ricqlès A. & Cubo J. 2008. Quantification of the phylogen<strong>et</strong>ic signal in<br />
bone microstructure in ratites (Aves, Palaeognathae) using a new morphological phylogeny.<br />
7 th International Me<strong>et</strong>ing of the Soci<strong>et</strong>y of Avian Paleontology and Evolution, Australian<br />
Museum, Sydney, Australie, 18-22 août 2008.<br />
Bourdon E., Castan<strong>et</strong> J., Cubo J. & Ricqlès A. 2008. Bone growth marks in ratites<br />
(Aves, Neornithes, Palaeognathae). 7 th International Me<strong>et</strong>ing of the Soci<strong>et</strong>y of Avian<br />
Paleontology and Evolution, Australian Museum, Sydney, Australie, 18-22 août 2008.<br />
Castan<strong>et</strong> J., Bourdon E., Cubo J., Ricqlès A. <strong>de</strong>. 2008. Bone growth marks suggest<br />
protracted growth in Apteryx (Aves, Neornithes, Ratitae), In : XX Congrès International <strong>de</strong><br />
Zoologie (ICZ2008). Paris 26-29 août 2008 (Poster). Résumé Integrative zoology.<br />
Ricqlès A. <strong>de</strong>. 2008 (sous presse). Cent ans après : l’Evolution créatrice au péril <strong>de</strong><br />
l’évolutionnisme contemporain. (Colloque pour le centenaire <strong>de</strong> l’Evolution créatrice d’Henri<br />
Bergson, Paris, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> ENS), Ann. Bergson (sous presse).<br />
Diffusion <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances<br />
2007 (suite)<br />
Meunier F.J. 2007. Léon Bertin (1896-1956). SFI-Info, 42-43 : 8-9.<br />
Ricqlès A. <strong>de</strong>. 2007. Travaux <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Biologie historique <strong>et</strong> Evolutionnisme<br />
2005-2006. Annales du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 106 : 336-348.<br />
2008 <strong>et</strong> sous presse<br />
Keith P. & Meunier F.J. 2008 (sous presse). La mangrove, In : La Guyane littorale<br />
(D. Guiral & R. Leguen, edts.<br />
Laurin M. (sous presse). Review of HALL, B. K. (ed.) 2007. Fins into Limbs : Evolution,<br />
Development and Transformation, 433 pages. University of Chicago Press, Chicago. Copeia<br />
(0.840).<br />
Meunier F.J. 2008. Johannes Schmidt (1877-1933). SFI-Info, 45 : 3-5.<br />
Meunier F.J. 2008 (sous presse). Les innovations zoologiques <strong>de</strong> Guillaume Ron<strong>de</strong>l<strong>et</strong><br />
(1507-1566). Cah. Nat.<br />
Meunier F.J. 2008 (Comments on ). « Zebrafish. A practical approach », 2002, C. Nüsslein-<br />
Volhard & R. Dahm, Oxford Univ. Press, 303 pages, In : Cybium, 2008, 32(1) : 42.<br />
Meunier F.J. 2008 (Comments on). « Le léman <strong>et</strong> sa vie microscopique », 2007.<br />
J.C. Druart & G. Balvay, In : Cybium 2008, 32(2).<br />
Ricqlès A. <strong>de</strong> 2008. Structures <strong>et</strong> Fonctions L<strong>et</strong>tre du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 23 : 26-27.<br />
Schmitt St. <strong>et</strong> Ricqlès A. <strong>de</strong> (sous presse). Evolutionnisme. Encyclopaedia Universalis,<br />
Paris.
370 ARMAND DE RICQLÈS<br />
Autres productions, vulgarisation, formation permanente<br />
2007 (suite)<br />
Meunier F.J. 2008. Le Muséum national d’Histoire naturelle. Le jardin <strong><strong>de</strong>s</strong> Plantes.<br />
Culture <strong>et</strong> Temps libre, Draveil, le 5 février 2008.<br />
Meunier F.J. 2008. Le Muséum national d’Histoire naturelle. Le jardin <strong><strong>de</strong>s</strong> Plantes.<br />
Culture <strong>et</strong> Temps libre, Yerres, le 27 mai 2008.<br />
2008 <strong>et</strong> sous presse<br />
Meunier F. & Derouch M. 2008. Fascicule <strong>de</strong> <strong>cours</strong>. Stage d’Ichtyologie : initiation.<br />
ONEMA ed., 215 pp. Boves 80332.<br />
Ricqlès A. <strong>de</strong>. Enseigner l’évolutionnisme scientifique face au néo-créationnisme<br />
contemporain. http://e.geologie.free.fr/ffg/l<strong>et</strong>tre/l<strong>et</strong>tre2.html.<br />
Thèses<br />
Etudiants <strong>et</strong> stagiaires 2007-2008<br />
Germain D. 2003-2007. Anatomie <strong><strong>de</strong>s</strong> lépospondyles <strong>et</strong> origine <strong><strong>de</strong>s</strong> lissamphibiens.<br />
Muséum National d’Histoire Naturelle (encadrant : M. Laurin). Thèse soutenue Juin<br />
2007, mention très hon. avec félicitations.<br />
Houssaye A. 2006-2009. La pachyostose <strong><strong>de</strong>s</strong> squamates du Crétacé supérieur : implications<br />
phylogénétiques, morphofonctionnelles <strong>et</strong> paléoécologiques (encadrant : V. <strong>de</strong> Buffrénil).<br />
Marjanovic D. 2006-2009. Révision systématique <strong><strong>de</strong>s</strong> placodontes, phylogénie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
amniotes <strong>et</strong> origine <strong><strong>de</strong>s</strong> tortues. UMPC/U. <strong>de</strong> Vienne (encadrants : M. Laurin,<br />
G. Steiner).<br />
Montes L. 2005-2008. Relation entre le taux métabolique standard <strong>et</strong> les taux <strong>de</strong><br />
croissance corporelle <strong>et</strong> squel<strong>et</strong>tique chez les amniotes. UMPC (encadrants : J. Castan<strong>et</strong> <strong>et</strong><br />
J. Cubo).<br />
M2<br />
Canoville A. Diversité microstructurale <strong>de</strong> l’humérus <strong>et</strong> inférence du mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie <strong>de</strong><br />
taxons éteints. M2 Sciences <strong>de</strong> l’Univers, Environnement <strong>et</strong> Ecologie, spécialité SEP :<br />
Systématique, Evolution <strong>et</strong> Paléontologie, UPMC/MNHN. Soutenue le 26 juin 2007<br />
(encadrant : M. Laurin).<br />
Laville S. Extinctions <strong>et</strong> taille corporelle au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> crises biologiques <strong>de</strong> la fin du<br />
Permien <strong>et</strong> du Trias. M2 Sciences <strong>de</strong> l’Univers, Environnement <strong>et</strong> Ecologie, spécialité SEP :<br />
Systématique, Evolution <strong>et</strong> Paléontologie, UPMC/MNHN. Soutenue le 26 juin 2007<br />
(encadrant : M. Laurin).<br />
Le Roy N. Prédiction du taux <strong>de</strong> croissance osseuse chez les amniotes fossiles à partir<br />
d’un modèle paléobiologique. M2 Sciences <strong>de</strong> l’Univers, Environnement <strong>et</strong> Ecologie,<br />
spécialité SEP : Systématique, Evolution <strong>et</strong> Paléontologie, UPMC/MNHN. Soutenue le<br />
26 juin 2007 (encadrant : J. Cubo).
M1<br />
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 371<br />
Blottière L. Stage <strong>de</strong> Licence du 10 janvier au 30 juin 2008. Responsable : Jorge Cubo.<br />
Elle a travaillé avec La<strong>et</strong>itia dans le proj<strong>et</strong>. Relations entre la croissance <strong>et</strong> le taux métabolique<br />
chez les amniotes : approches micro <strong>et</strong> macroévolutives (encadrant J. Cubo).<br />
Post docs<br />
Bourdon E. ATER <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> 2007-2008 Recherche d’un signal phylogénétique<br />
dans l’histologie osseuse : le modèle Ratite (encadrants : J. Cubo <strong>et</strong> A. <strong>de</strong> Ricqlès).<br />
Piras P. Stage post-doctoral du 1 er janvier au 31 décembre 2008 financé par l’Université<br />
Pierre <strong>et</strong> Marie Curie. Responsable : Jorge Cubo. Suj<strong>et</strong> : Quantification <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux<br />
écologique <strong>et</strong> phylogénétique dans la forme <strong>et</strong> la microstructure <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments squel<strong>et</strong>tiques<br />
chez Arvicola (Ro<strong>de</strong>ntia) (encadrant : J. Cubo).<br />
Enseignement<br />
Travaux <strong><strong>de</strong>s</strong> personnels rattachés pour ordre<br />
à la Chaire <strong>de</strong> Biologie historique <strong>et</strong> Evolutionnisme<br />
Pascal PICQ, Maître <strong>de</strong> Conférences au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
— Introduction à la mé<strong>de</strong>cine évolutionniste. UE2 génétique <strong>et</strong> évolution : grands<br />
mécanismes du Master mention génétique <strong>de</strong> la Faculté <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine Xavier Bichat.<br />
Université Paris VII. Cours <strong>et</strong> Travaux Dirigés. Printemps 2008.<br />
— Origines <strong>et</strong> évolution <strong>de</strong> l’homme. Formation au CAPES interne. Université Pierre<br />
<strong>et</strong> marie Curie. Paris, le 27 janvier 2008.<br />
— Université Paris VII. Faculté <strong>de</strong> Chirurgie <strong>de</strong>ntaire <strong>de</strong> Garancière. Série <strong>de</strong> séminaires<br />
sur L’évolution <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> l’évolution <strong>et</strong> l’adaptation du crâne <strong><strong>de</strong>s</strong> hominidés.<br />
Printemps 2008.<br />
— La sexualité humaine. DU <strong>de</strong> Sexologie <strong>de</strong> l’université Paris XIII (13 janvier<br />
2008).<br />
Publications<br />
Livres<br />
— Pascal Picq, Laurent Sagart, Ghislaine Dehaene <strong>et</strong> Cécile Lestienne. La plus belle<br />
Histoire du Langage. Paris, le Seuil (192 p.) 2008.<br />
— Pascal Picq. Les Animaux amoureux. Photographies d’Eric Travers. Paris, Editions du<br />
Chêne (264 p.) 2007.<br />
— Pascal Picq <strong>et</strong> Michel Hall<strong>et</strong>-Eghayan. Danser avec l’Evolution. Paris, Le Pommier<br />
(112 p.) 2007.<br />
Contributions à <strong><strong>de</strong>s</strong> ouvrages collectifs<br />
— Pascal Picq. L’Homme <strong>et</strong> sa nature : <strong>de</strong> l’Hominsation à la fin <strong><strong>de</strong>s</strong> certitu<strong><strong>de</strong>s</strong>. In : Spyros<br />
Theodérou (dir.) : Lexiques <strong>de</strong> l’Incertain. Editions Parenthèses, 2008, p. 55-80.<br />
— Pascal Picq. Le créationnisme. In Mathieu Vidard (dir.) : Abécédaire <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences pour<br />
les Curieux. Editions Sciences Humaines/<strong>France</strong> Inter, 2008.
372 ARMAND DE RICQLÈS<br />
— Pascal Picq. L’émergence <strong>de</strong> l’Homme <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Humain. In : Max Poty (éd.) Emergence :<br />
actes du colloque <strong>de</strong> Mouans-Sartoux. Les éditions Ovadia, 2007,11-130, 2007.<br />
— Pascal Picq. Homo : le singe à rebrousse poil. In : Clau<strong>de</strong> Gudin : Une Histoire naturelle<br />
du Poil. Postface, p. 139-148. Panama, 2007.<br />
Articles<br />
— Les Révolutions <strong><strong>de</strong>s</strong> origines (p. 10-13) <strong>et</strong> R<strong>et</strong>our vers les Lumières (68-71). Les Textes<br />
qui ont changé le Mon<strong>de</strong>. Le Point Hors Série 18, juin-juill<strong>et</strong> 2008.<br />
— Sur la Trace <strong>de</strong> nos Ancêtres. Dossier Pour la Science n° 57, octobre/décembre 2007 :<br />
Editeur invité <strong>et</strong> rédaction d’articles :<br />
A l’ouest d’Homo sapiens, p. 4-8.<br />
L’outil ne fait pas l’homme, p. 40.<br />
De l’importance <strong>de</strong> sauver les grands singes, avec Sabrina Krief, p. 68-69.<br />
La bipédie est-elle spécifique à l’homme ? p. 76-77.<br />
Les trois candidats à l’ancêtre commun, p. 98-103.<br />
— Faits <strong>et</strong> causes pour l’évolution. Pour la Science 357 : 41-40, 2007.<br />
— Créationnisme <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>sein intelligent. Pour la Science 357 : 50-51, 2007.<br />
— Que répondre aux créationnistes ? Pour la Science : 52-54, 2007.<br />
— Darwin menacé par les religions ? Science <strong>et</strong> Avenir 729 (numéro spécial 60 ans)<br />
p. 114, novembre 2007.<br />
— Evolution : rencontres avec Yves Coppens <strong>et</strong> Pascal Picq. Archéologia 447, septembre<br />
2007, p. 40-51.<br />
Fonctions diverses <strong>et</strong> responsabilités administratives (extraits)<br />
— Membre du conseil scientifique <strong>de</strong> la Cité <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong> la Vill<strong>et</strong>te.<br />
— Membre du conseil scientifique du Musée <strong><strong>de</strong>s</strong> Confluences, Lyon.<br />
— Membre du conseil scientifique du Palais <strong>de</strong> la Découverte.<br />
— Membre du comité <strong>de</strong> rédaction <strong>de</strong> la Revue du Palais <strong>de</strong> la Découverte.<br />
— Membre du conseil scientifique <strong>de</strong> la revue Le Magazine du Développement durable.<br />
— Membre du Jury <strong><strong>de</strong>s</strong> bourses <strong>de</strong> la Chancellerie ; disciplines Littérature <strong>et</strong> Sciences<br />
humaines.<br />
— Scientifique référant auprès <strong>de</strong> l’Education nationale pour l’enseignement <strong>de</strong><br />
l’évolution <strong>de</strong> l’Homme.<br />
— Membre du conseil scientifique <strong>de</strong> la fondation Nicolas Hulot pour l’Homme <strong>et</strong> la<br />
Nature.<br />
— Prési<strong>de</strong>nt du jury <strong>de</strong> La Science se Livre.<br />
Colloques, séminaires, réunions scientifiques (extraits)<br />
Colloques <strong>et</strong> réunions scientifiques, séminaires<br />
— SSSSH … sexe, sélection sexuelle <strong>et</strong> sexualité humaine. 5 e Congrès Int. Francophone <strong>de</strong><br />
Gynécologie <strong>et</strong> Andrologie psychosomatique. Paris, Espace Cardin, le 25 janvier 2008.<br />
— La canine <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés : évolution <strong>et</strong> adaptation. Congrès <strong>de</strong> la CNO/SOP <strong>de</strong> Paris.<br />
Hôtel Mariott, le 17 janvier 2008.<br />
— L’Homme <strong>et</strong> la machine : progrès technique ou évolution ? 1 er Salon IMMOTOC-<br />
DOMOTIC. Agora Einstein, Sophia Antipolis le 7 décembre 2007.
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 373<br />
— Une archéologie vivante <strong><strong>de</strong>s</strong> langues <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mythes : l’approche structurale. Colloque<br />
UISPP/CISENP Les Expressions intellectuelles <strong>et</strong> spirituelles <strong><strong>de</strong>s</strong> Peuples sans Ecriture.<br />
Musée <strong>de</strong> l’Homme, Paris 22-23 octobre 2007.<br />
— Quand l’évolution est <strong>de</strong> bon goût : du fruit à la cognition. Forum Les Voies du Goût.<br />
Biennale Internationale <strong><strong>de</strong>s</strong> Arts Culinaires, Dijon 11-13 octobre 2007.<br />
Diffusion <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances scientifiques (extraits)<br />
Expositions, activités auprès <strong><strong>de</strong>s</strong> Musées<br />
— Le Zizi sexuel. Exposition <strong>de</strong> la Cité <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences (conseiller scientifique), 2007.<br />
— Dérives. Echanges <strong>et</strong> textes. Exposition d’art contemporain à l’espace Paul Ricard,<br />
2007.<br />
Martin Pickford,<br />
Maître <strong>de</strong> conférences au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
Activité 2007-2008<br />
Participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> Congrès 2007 (suite) (après le 30/06/2007)<br />
Pickford, M., Wanas, H., Mein, P., & Soliman, H., 2008. Humid conditions in the<br />
Western Desert of Egypt during the Vallesian (Late Miocene). The Third International<br />
Conference on the Geology of the T<strong>et</strong>hys, South Valley University, Aswan, Egypte, janvier,<br />
2008.<br />
Publications scientifiques 2007 (suite)<br />
Nakatsukasa, M., Pickford, M., Egi, N., & Senut, B., 2007. Body weight, femoral length<br />
and stature of Orrorin tugenensis, a 6 Ma hominid from Kenya. Primates, 48 : 171-178.<br />
Pickford, M., 2007. Revision of the Mio-Pliocene bunodont otter-like mammals of the<br />
Indian Subcontinent. Estudios geologicos, 63 (1) : 83-127.<br />
Raghavan, P., Pickford, M., Patnaik, R., & Gayathri, P., 2007. First fossil small-clawed<br />
otter, Amblonyx, with a note on some specimens of Lutra, from the Upper Siwaliks, India<br />
Estudios geologicos, 63(2) : 135-146.<br />
Pickford, M., & Hlusko, L., 2007. Late Miocene procaviid hyracoids (Hyracoi<strong>de</strong>a :<br />
Dendrohyrax) from Lemudong’o, Kenya. Kirtlandia, 56 : 106-111.<br />
Publications scientifiques 2008 <strong>et</strong> sous presse<br />
Pickford, M., 2008. Libycosaurus p<strong>et</strong>rocchii Bonarelli, 1947, and Libycosaurus anisae<br />
(Black, 1972) (Anthracotheriidae, Mammalia) : nomenclatural and geochronological<br />
implications. Ann. Paléont. 94 : 39-55.<br />
Pickford, M., 2008. The myth of the hippo-like anthracothere : The <strong>et</strong>ernal problem of<br />
homology and convergence. Revista Espanola <strong>de</strong> Paleontologia. 23 : 31-90.<br />
Pickford , M., Wanas, H., Mein, P., & Soliman, H., 2008. Humid conditions in the<br />
Western Desert of Egypt during the Vallesian (Late Miocene). Proceedings of the Third<br />
International Conference on the Geology of the T<strong>et</strong>hys, South Valley University, Aswan,<br />
January, 2008, pp. 1-17.
Paléontologie humaine<br />
M. Michel Brun<strong>et</strong>, professeur<br />
Les hominidés anciens… une nouvelle histoire<br />
à la lumière <strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes récentes<br />
Origine, évolution, phylogénie, paléoenvironnements,<br />
paléobiogéographie, chronologie<br />
Leçon inaugurale, le 27 mars 2008 : Origine <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> hominidés…<br />
Nouveaux paradigmes<br />
Depuis 1994, les plus anciens hominidés connus sont passés <strong>de</strong> 3,6 Ma à 7 Ma<br />
aujourd’hui, avec trois nouvelles espèces du Miocène supérieur : Ardipithecus<br />
kadabba l’Ethiopien <strong>et</strong> Orrorin tugenensis le Kenyan, tandis que le plus ancien<br />
(7 Ma) est Sahelanthropus tcha<strong>de</strong>nsis dit Toumaï, le tchadien.<br />
Vers 4 Ma, ces hominidés anciens du Miocène supérieur ont donné naissance<br />
aux Australopithèques ; eux-mêmes sûrement à l’origine entre 2 <strong>et</strong> 3 Ma <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
premiers représentants, H. habilis <strong>et</strong> H. rudolfensis, du genre Homo qui va partir<br />
(H. erectus) à la conquête du reste <strong>de</strong> l’Ancien Mon<strong>de</strong> où les plus anciens sont<br />
actuellement connus à un peu moins <strong>de</strong> 2 Ma en Géorgie au Caucase. Vers<br />
800 000 ans on connaît Homo hei<strong>de</strong>lbergensis qui donnera naissance en Europe aux<br />
Néan<strong>de</strong>rthaliens, Homo nean<strong>de</strong>rthalensis, qui après une courte cohabitation vont<br />
être remplacés vers 28-30 000 ans par les hommes mo<strong>de</strong>rnes.<br />
Herto, le plus ancien (155-160 000 ans) représentant actuellement décrit <strong>de</strong><br />
notre espèce, H. sapiens idaltu, est également africain (Ethiopie). C’est lui ou l’un<br />
<strong>de</strong> ses frères qui partira à la conquête du reste du Mon<strong>de</strong> avec le succès que nous<br />
connaissons.
376 MICHEL BRUNET<br />
Cours du 2 avril : L’Histoire <strong>de</strong> notre Histoire<br />
Les Sciences <strong>de</strong> l’Antiquité confondaient l’Origine <strong>de</strong> l’Univers, l’Origine <strong>de</strong> la<br />
Terre <strong>et</strong> l’Origine <strong>de</strong> l’Homme. Les Sciences mo<strong>de</strong>rnes ont montré que ces trois<br />
évènements étaient en réalité séparés par <strong><strong>de</strong>s</strong> milliards d’années.<br />
La notion d’Homme fossile n’a été reconnue qu’en 1856, au moment <strong>de</strong> la mise<br />
au jour <strong><strong>de</strong>s</strong> premiers restes <strong>de</strong> l’Homme <strong>de</strong> Nean<strong>de</strong>rtal.<br />
Comme l’avait prédit Charles Darwin dès 1871, les plus anciens préhumains<br />
fossiles, à ce jour datés <strong>de</strong> 7 Ma, sont donc bien connus en Afrique <strong>et</strong> témoignent<br />
d’une origine africaine <strong>et</strong> ancienne (au moins 8 Ma) <strong>de</strong> l’humanité.<br />
Pourtant le courant néocréationniste, habilement grimé en « pseudoscience »<br />
sous le nom <strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>sein intelligent, fait preuve d’une vigueur persistante, non<br />
seulement par sa soli<strong>de</strong> implantation sur le Continent Nord Américain, mais aussi<br />
dans l’Ancien mon<strong>de</strong>, ainsi qu’en témoignent l’édition <strong>et</strong> la diffusion récentes d’un<br />
album photos couleur <strong>de</strong> luxe intitulé « Livre <strong>de</strong> la création ».<br />
Cours du 9 avril : Biodiversité <strong><strong>de</strong>s</strong> Primates actuels<br />
Les Humains sont <strong><strong>de</strong>s</strong> Mammifères qui appartiennent à l’ordre <strong><strong>de</strong>s</strong> Primates<br />
(les Premiers), créé par Linné en 1758. C<strong>et</strong> Ordre est actuellement représenté par<br />
plus <strong>de</strong> 200 espèces principalement arboricoles <strong>et</strong> vivant essentiellement dans les<br />
forêts tropicales <strong>et</strong> subtropicales.<br />
Les Primates se divisent en <strong>de</strong>ux grands groupes les Strepsirhini (Lémuriformes<br />
s.l.) caractérisés par la présence d’un rhinarium <strong>et</strong> d’une lèvre supérieure fendue,<br />
<strong>et</strong> les Haplorhini : Tarsiiformes & Simiiformes (= les singes) sans rhinarium <strong>et</strong> à<br />
lèvre supérieure soudée. Les Simiiformes regroupent les singes du Nouveau mon<strong>de</strong><br />
(Platyrrhini) <strong>et</strong> ceux <strong>de</strong> l’Ancien mon<strong>de</strong> (Catarrhini). Ces <strong>de</strong>rniers se divisent à<br />
leur tour en <strong>de</strong>ux groupes les singes : Cercopithécoï<strong><strong>de</strong>s</strong> (Cercopithèques,<br />
Babouins,..), <strong>et</strong> les grands singes : Hominoï<strong><strong>de</strong>s</strong> (Gibbons, Siamangs, Orangsoutans,<br />
Gorilles, Chimpanzés <strong>et</strong> Humains).<br />
Dans le <strong>cours</strong>, les hominidés (= ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> humains actuels <strong>et</strong> fossiles, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
préhumains) sont considérés comme le groupe frère <strong><strong>de</strong>s</strong> Panidés (= les chimpanzés<br />
<strong>et</strong> les bonobos) avec lesquels ils partagent un ancêtre commun.<br />
Cours <strong><strong>de</strong>s</strong> 16 avril <strong>et</strong> 7 mai : Primates actuels <strong>et</strong> fossiles, anatomie, rapports<br />
<strong>de</strong> parenté, biochronologie, biogéographie<br />
D’un point <strong>de</strong> vue paléontologique, les Hominidés se distinguent <strong><strong>de</strong>s</strong> grands<br />
singes par <strong><strong>de</strong>s</strong> caractères anatomiques particuliers <strong>de</strong> leur <strong>de</strong>nture (canines p<strong>et</strong>ites <strong>et</strong><br />
assymétriques, canine supérieure sans crête aiguisoir, complexe C/P 3 non aiguisoir<br />
mais <strong>de</strong> type broyeur, émail <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>nts plus épais que chez les grands singes,…) <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
la base <strong>de</strong> leur crâne (trou occipital en position antérieure, face nucale très inclinée
PALÉONTOLOGIE HUMAINE 377<br />
vers l’arrière) en liaison avec un squel<strong>et</strong>te appendiculaire (notamment au membre<br />
postérieur le pelvis, le fémur <strong>et</strong> le tibia) adapté à une locomotion bipè<strong>de</strong>.<br />
Dès 1967 Sarich <strong>et</strong> Wilson <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Californie à Berkeley ont montré<br />
que notre proximité génétique avec les chimpanzés est si gran<strong>de</strong> (moins <strong>de</strong> 2 % <strong>de</strong><br />
différence) que nous partageons un ancêtre commun.<br />
Toumaï daté <strong>de</strong> 7 Ma est sûrement proche <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière dichotomie qui<br />
peut, dans l’état actuel <strong>de</strong> nos connaissances être voisine <strong>de</strong> 8 Ma. C<strong>et</strong>te population<br />
ancestrale (DAC : <strong>de</strong>rnier ancêtre commun = LCA : last common ancestor) est<br />
sûrement Africaine. Elle constitue le groupe frère <strong><strong>de</strong>s</strong> Gorilles dont elle s’est séparée<br />
vers 9-10 Ma. L’origine <strong>de</strong> c<strong>et</strong> ensemble (Gorilles ((Chimpanzés) (Humains))) est<br />
généralement considérée comme africaine, mais <strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes récentes en Eurasie<br />
soulèvent la question <strong>de</strong> la possibilité <strong>de</strong> leur origine asiatique. Seule la découverte<br />
<strong>de</strong> nouveaux fossiles perm<strong>et</strong>tra <strong>de</strong> choisir entre ces <strong>de</strong>ux hypothèses.<br />
Cours du 14 mai : Les Hominidés du Miocène supérieur<br />
Depuis 1994, les plus anciens hominidés connus sont passés <strong>de</strong> 3,6 Ma à 7 Ma.<br />
Dès le début du troisième millénaire trois nouvelles espèces ont été décrites dans<br />
le Miocène supérieur : Ardipithecus kadabba l’Ethiopien, Orrorin tugenensis le<br />
Kenyan, tandis que le plus ancien (7 Ma) est Sahelanthropus tcha<strong>de</strong>nsis dit Toumaï,<br />
un hominidé tchadien.<br />
Depuis 1994 j’ai initié <strong>et</strong> dirigé la Mission Paléoanthropologique Franco-<br />
Tchadienne (M.P.F.T. = une soixantaine <strong>de</strong> chercheurs <strong>de</strong> 10 nationalités) qui<br />
conduit un programme <strong>de</strong> recherches transdisciplinaires autour <strong>de</strong> l’origine <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> hominidés anciens <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs environnements successifs. La<br />
M.P.F.T. prospecte <strong>et</strong> fouille dans le désert du Djourab au Nord Tchad, 2 500 km<br />
à l’Ouest du grand Rift Africain, où successivement elle a mis au jour un nouvel<br />
australopithèque, Australopithecus bahrelghazali, surnommé Abel (3,58 Ma), le<br />
premier trouvé à l’ouest <strong>de</strong> la vallée du grand Rift Africain (Brun<strong>et</strong> <strong>et</strong> al., 1995)<br />
<strong>et</strong> plus tard un nouvel hominidé Sahelanthropus tcha<strong>de</strong>nsis (Brun<strong>et</strong> <strong>et</strong> al., 2002) du<br />
Miocène supérieur (7 Ma).<br />
Ce plus ancien hominidé connu est une découverte majeure qui montre<br />
définitivement que les hypothèses d’une origine australe ou orientale du cla<strong>de</strong><br />
humain doivent être reconsidérées.<br />
Sahelanthropus tcha<strong>de</strong>nsis possè<strong>de</strong> une combinaison unique <strong>de</strong> caractères primitifs<br />
<strong>et</strong> dérivés qui montre clairement qu’il ne peut être rapproché ni <strong><strong>de</strong>s</strong> gorilles, ni <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
chimpanzés, mais indique au contraire son appartenance au rameau humain <strong>et</strong> sa<br />
proximité temporelle avec le <strong>de</strong>rnier ancêtre commun aux chimpanzés <strong>et</strong> aux<br />
humains. Dans le Miocène supérieur du Tchad, les données sédimentologiques <strong>et</strong><br />
paléobiologiques témoignent d’une mosaïque <strong>de</strong> paysages. Actuellement dans le<br />
Kalahari central, au Bostwana, le <strong>de</strong>lta <strong>de</strong> l’Okavango m’apparaît être un bon<br />
analogue avec un paysage mosaïque similaire <strong>de</strong> rivières, <strong>de</strong> lacs, <strong>de</strong> marécages, <strong>de</strong>
378 MICHEL BRUNET<br />
zones boisées, d’îlots forestiers, <strong>de</strong> savane arborée, <strong>de</strong> prairies herbeuses <strong>et</strong> <strong>de</strong> zones<br />
désertiques. Dans c<strong>et</strong>te mosaïque les préférences écologiques <strong>de</strong> Toumaï sont<br />
encore en <strong>cours</strong> d’étu<strong>de</strong>. Notamment l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> isotopes stables du carbone (13 C)<br />
<strong>de</strong> l’émail <strong>de</strong>ntaire <strong>de</strong>vrait perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> mieux préciser son régime alimentaire.<br />
Mais très probablement, comme les autres hominidés du Miocène supérieur<br />
Toumaï <strong>de</strong>vait fréquenter <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces boisés. De plus, compte tenu <strong>de</strong> ce que l’on<br />
sait <strong>de</strong> leur crâne ou <strong>de</strong> leurs membres, ces trois hominidés du Miocène supérieur<br />
sont sûrement bipè<strong><strong>de</strong>s</strong>. Aussi l’hypothèse qui invoquait le rôle déterminant <strong>de</strong> la<br />
savane herbeuse dans l’origine du rameau humain <strong>et</strong> <strong>de</strong> la bipédie fait dorénavant<br />
partie <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> notre histoire. Maintenant, il est <strong>de</strong> plus en plus clair que<br />
ces premiers hominidés fréquentaient <strong><strong>de</strong>s</strong> environnements boisés <strong>et</strong> n’étaient pas<br />
restreints à l’Afrique Australe <strong>et</strong> Orientale mais vivaient au contraire dans une zone<br />
géographique plus vaste incluant une partie <strong>de</strong> l’Afrique Sahélo-Saharienne : au<br />
moins l’Afrique centrale (Tchad) <strong>et</strong> probablement la Libye mais aussi l’Egypte <strong>et</strong><br />
le Soudan.<br />
Cours <strong><strong>de</strong>s</strong> 21 <strong>et</strong> 28 mai : Les Australopithèques (1)<br />
Dans l’état actuel <strong>de</strong> nos connaissances on peut penser que vers 4 Ma ces<br />
hominidés anciens du Miocène supérieur ont probablement donné naissance aux<br />
Australopithèques : A. anamensis pour le moment le plus ancien mais aussi le plus<br />
primitif, puis A. afarensis (Lucy), A. bahrelghazali (Abel), A. garhi, <strong>et</strong>c. ; eux-<br />
mêmes sûrement à l’origine entre 2 <strong>et</strong> 3 Ma <strong><strong>de</strong>s</strong> premiers représentants, H. habilis<br />
<strong>et</strong> H. rudolfensis, du genre Homo.<br />
Parmi leurs principales caractéristiques anatomiques il faut citer : <strong><strong>de</strong>s</strong> incisives <strong>et</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> canines p<strong>et</strong>ites / au poids du corps ; une première prémolaire inf. (P 3) sans<br />
fac<strong>et</strong>te aiguisoir pour une canine sup. sans crête aiguisoir ; <strong><strong>de</strong>s</strong> molaires plutôt<br />
gran<strong><strong>de</strong>s</strong> à émail épais <strong>et</strong> cuspi<strong><strong>de</strong>s</strong> bulbeuses ; une face gran<strong>de</strong> <strong>et</strong> un cerveau<br />
relativement p<strong>et</strong>it ; une face moins prognathe que chez les grands singes ; Foramen<br />
magnum en position antérieure ; locomotion bipè<strong>de</strong>.<br />
Toutes les espèces décrites sont africaines. L’espèce type du genre Australopithecus<br />
africanus (3,5-2,3 Ma) a été décrite en Afrique du Sud (enfant <strong>de</strong> Taung) par<br />
Raymond Dart en 1925. En Afrique orientale la plus ancienne est Australopithecus<br />
anamensis (4,2-3,9 Ma) ; la mieux connue Australopithecus afarensis (3,9-2,7 Ma)<br />
dont Lucy (3,2 Ma) est la plus célèbre représentante, une forme plus récente<br />
(Bouri, Middle Awash, Ethiopie, 2,5 Ma), Australopithecus ghari, est associée à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
artefacts <strong>et</strong> à <strong><strong>de</strong>s</strong> ossements portant <strong><strong>de</strong>s</strong> traces <strong>de</strong> boucherie. C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière espèce<br />
a été considérée par ses auteurs comme une forme ancestrale <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes mo<strong>de</strong>rnes,<br />
dérivée <strong>de</strong> A. africanus <strong>et</strong>/ou A. afarensis.<br />
Enfin en 1995 j’ai décrit avec mon équipe la MPFT la première espèce connue<br />
à l’Ouest du grand Rift au Tchad dans le désert du Djourab, Australopithecus<br />
bahrelghazali (3,58 Ma).
PALÉONTOLOGIE HUMAINE 379<br />
Tous ces Australopithèques sont marqués par un fort dimorphisme sexuel. Ainsi<br />
Lucy <strong>et</strong> ses frères avaient une taille moyenne <strong>de</strong> 105 à 150 cm pour un poids<br />
d’environ 30 kg pour la plus p<strong>et</strong>ite femelle <strong>et</strong> 45 kg pour les grands mâles. En ce<br />
qui concerne la locomotion, à <strong><strong>de</strong>s</strong> caractères <strong>de</strong> bipè<strong>de</strong> sont associés d’autres<br />
caractères qui indiquent encore la possibilité <strong>de</strong> grimper aux arbres : orientation <strong>de</strong><br />
l’omoplate ; phalanges <strong>de</strong> la main courbes ; pisiforme grand ; phalanges du pied<br />
longues <strong>et</strong> courbes ; membres postérieurs encore courts. Sur le sol le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
locomotion est la bipédie mais un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie arboricole est conservé pour dormir,<br />
échapper aux prédateurs <strong>et</strong> se nourrir.<br />
Cours du 4 juin : Les Paranthropes<br />
Vers 2,5 Ma un groupe d’australopithèques va spécialiser son régime alimentaire<br />
impliquant un changement morphologique vers <strong><strong>de</strong>s</strong> formes dites « robustes » qui<br />
sont généralement regroupées dans le genre Paranthropus.<br />
Trois espèces ont été décrites, <strong>de</strong>ux en Afrique orientale dont la plus ancienne :<br />
P. a<strong>et</strong>hiopicus, « Black Skull » (2,6-2,3 Ma, Vallée <strong>de</strong> l’Omo, Ethiopie) <strong>et</strong> P. boisei<br />
(2,1-1,1 Ma, Afrique <strong>de</strong> l’Est) ; une espèce en Afrique du sud : P. robustus<br />
(1,5-2 Ma, Swartkrans, Kromdraai <strong>et</strong> Drimolen, Afrique du sud).<br />
Leur <strong>de</strong>nture antérieure (incisives <strong>et</strong> canines) est très réduite tandis que les <strong>de</strong>nts<br />
jugales (Pm <strong>et</strong> M) sont au contraire très développées.<br />
P. robustus a <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>nts avec un taux élevé <strong>de</strong> 13 C, suggérant un régime alimentaire<br />
avec <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes en C4 (graminées) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la vian<strong>de</strong>.<br />
Les relations <strong>de</strong> parenté entre ces formes robustes dépend <strong>de</strong> la nature <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
caractères partagés : homologues ou homoplasiques… <strong>et</strong> est donc l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
discussion au sein <strong>de</strong> la communauté scientifique.<br />
De même certains auteurs considèrent les paranthropes comme appartenant au<br />
genre Australopithecus.<br />
Cours du 11 juin : Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> préhumains… Ce que l’on croit savoir…<br />
Ce que l’on ne sait pas…<br />
En fonction <strong>de</strong> la diversité <strong>et</strong> <strong>de</strong> la multiplicité <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles données <strong>de</strong> leur<br />
origine africaine au peuplement du reste du Mon<strong>de</strong> l’histoire <strong>et</strong> l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
hominidés anciens doivent être reconsidérées dans le cadre <strong>de</strong> nouveaux paradigmes.<br />
Ces nouvelles approches, principalement sur le terrain la prospection <strong>de</strong> nouvelles<br />
aires géographiques (notamment toute l’Afrique Sahélo-Saharienne) mais aussi<br />
l’utilisation <strong>de</strong> nouvelles technologies (scanners synchrotron, imagerie 3D,<br />
biogéochimie isotopique, paléo ADN, <strong>et</strong>c.) vont induire immanquablement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
changements drastiques pour l’ensemble <strong>de</strong> notre histoire.
380 MICHEL BRUNET<br />
De telle sorte que les interrogations anciennes : D’où venons-nous… Qui sommesnous…<br />
Qui est l’ancêtre, où <strong>et</strong> quand est-il apparu ? … Bien qu’elles soient <strong>de</strong> mieux<br />
en mieux contraintes <strong>de</strong>meurent toujours <strong><strong>de</strong>s</strong> questions d’actualité.<br />
Séminaires 2007-2008<br />
2 avril : Principes <strong>de</strong> l’analyse morphologique en paléoanthropologie :<br />
histoire <strong>de</strong> formes <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> formes<br />
avec Stéphane Ducrocq, DR2 CNRS, IPHEP Université <strong>de</strong> Poitiers<br />
La forme est l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés les plus importantes <strong>de</strong> la matière <strong>et</strong> constitue<br />
un marqueur essentiel <strong>de</strong> la biodiversité. C’est également le seul élément à la<br />
disposition du paléontologue lui perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> baser ses interprétations. La forme<br />
peut exprimer une fonction, l’histoire d’un individu ou du développement d’un<br />
individu. L’apparition <strong>de</strong> la bipédie chez l’homme livre <strong>de</strong> nombreux exemples <strong>de</strong><br />
changements qui sont exprimés dans la morphologie squel<strong>et</strong>tique, changement qui<br />
à leur tour ont eu une influence sur l’anatomie <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus mous <strong>et</strong> la physiologie<br />
<strong>de</strong> l’individu. D’un point <strong>de</strong> vue quantitatif, le principe d’allométrie perm<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
définir la relation existant entre la forme <strong>et</strong> la taille d’un obj<strong>et</strong>. La paléontologie<br />
est donc une science pluri-disciplinaire qui exploite plusieurs outils (anatomie,<br />
biologie, biomécanique, mathématiques, informatique). L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> outils perm<strong>et</strong>tant<br />
<strong>de</strong> replacer une forme dans un cadre temporel <strong>et</strong> évolutif (relation ancêtre<strong><strong>de</strong>s</strong>cendant)<br />
est la cladistique. Pour ce faire, il est nécessaire <strong>de</strong> définir les états<br />
primitifs <strong>et</strong> évolués <strong><strong>de</strong>s</strong> caractères étudiés <strong>de</strong> façon à les replacer dans la phylogénie<br />
d’un ensemble d’individus. C<strong>et</strong>te phylogénie nous informe à terme sur<br />
l’i<strong>de</strong>ntification <strong>et</strong> la classification <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes, <strong>et</strong> elle ai<strong>de</strong> souvent à comprendre<br />
pourquoi une espèce a développé une adaptation plutôt qu’une autre. Le but<br />
ultime <strong>de</strong> l’information phylogénétique consiste à donner un sens aux schémas<br />
observés dans la nature.<br />
9 avril : Fossiles, imagerie, reconstructions 3D<br />
<strong>et</strong> analyse <strong>de</strong> la variabilité morphologique<br />
avec Renaud Lebrun, Dr. <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Montpellier II<br />
Grâce aux développements <strong>de</strong> l’imagerie médicale <strong>et</strong> <strong>de</strong> la microtomographie il<br />
est aujourd’hui possible d’accé<strong>de</strong>r à la structure osseuse crânienne <strong>de</strong> fossiles très<br />
minéralisés, ou d’individus <strong>de</strong> très p<strong>et</strong>ite taille, avec une résolution spatiale<br />
appropriée. De plus, l’utilisation <strong>de</strong> techniques <strong>de</strong> reconstruction tridimensionnelle<br />
ouvre la possibilité d’effectuer <strong><strong>de</strong>s</strong> analyses comparatives en incorporant <strong><strong>de</strong>s</strong> fossiles<br />
incompl<strong>et</strong>s <strong>et</strong>/ou déformés. Différentes stratégies pour la reconstruction <strong>de</strong> fossiles<br />
<strong>de</strong> crânes <strong>de</strong> primates fossiles ont été présentées.<br />
Parallèlement aux progrès dans l’acquisition <strong>de</strong> données tridimensionnelles,<br />
l’introduction <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> morphométrie géométrique a constitué une
PALÉONTOLOGIE HUMAINE 381<br />
véritable révolution pour la biologie comparative. Ces métho<strong><strong>de</strong>s</strong> perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong><br />
quantifier les changements phénotypiques au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong> manière<br />
globale, en préservant la géométrie <strong>de</strong> l’obj<strong>et</strong> lors <strong><strong>de</strong>s</strong> analyses : ceci perm<strong>et</strong> d’étudier<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> patrons <strong>de</strong> variabilité complexes à un niveau <strong>de</strong> détail inégalé. Une application<br />
<strong>de</strong> ces métho<strong><strong>de</strong>s</strong> pour l’analyse <strong>de</strong> la variabilité <strong>de</strong> la morphologie crânienne chez<br />
les primates fossiles <strong>et</strong> actuels est donnée.<br />
16 avril : Origine <strong>et</strong> évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> Primates anthropoï<strong><strong>de</strong>s</strong> en Asie :<br />
Relations avec la paléogéographie <strong>et</strong> les paléoenvironnements<br />
avec Jean-Jacques Jaeger, Professeur <strong>et</strong> Directeur IPHEP UMR 6046, CNRS<br />
Université <strong>de</strong> Poitiers<br />
Depuis <strong><strong>de</strong>s</strong> décennies, il est admis que l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> Primates anthropoï<strong><strong>de</strong>s</strong> s’est<br />
située en Afrique, <strong>et</strong> cela malgré les informations contraires apportées par la<br />
phylogénie moléculaire. Mais récemment, c<strong>et</strong>te situation s’est trouvée modifiée<br />
grâce à la découverte d’Anthropoï<strong><strong>de</strong>s</strong> primitifs dans <strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux anciens <strong>de</strong> l’Eocène<br />
moyen <strong>et</strong> supérieur d’Asie. Dans le même temps, les données qui soutenaient une<br />
origine africaine ont pu être démenties grâce à d’autres découvertes paléontologiques.<br />
Ces données récentes illustrent l’importance <strong>de</strong> la première partie <strong>de</strong> l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Anthropoï<strong><strong>de</strong>s</strong> en Asie. Les recherches en In<strong>de</strong>, Pakistan, Chine, Thaïlan<strong>de</strong> <strong>et</strong><br />
Birmanie perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en évi<strong>de</strong>nce d’une part la très gran<strong>de</strong> ancienn<strong>et</strong>é<br />
<strong>de</strong> ce groupe en Asie (55 Ma) ainsi que son extrême diversité. En eff<strong>et</strong>, la radiation<br />
Eocène asiatique comprend <strong><strong>de</strong>s</strong> formes <strong>de</strong> très p<strong>et</strong>ite taille (moins <strong>de</strong> 200 grammes)<br />
ainsi que <strong><strong>de</strong>s</strong> formes pouvant atteindre une dizaine <strong>de</strong> kilogrammes, ce qui les situe<br />
au sein <strong><strong>de</strong>s</strong> formes les plus gran<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> leur temps. Parmi ces formes <strong>de</strong> gran<strong>de</strong><br />
taille, les Amphipithécidés se distinguent par leurs caractères très mo<strong>de</strong>rnes<br />
(position frontale <strong><strong>de</strong>s</strong> orbites <strong>et</strong> caractères <strong>de</strong> leur squel<strong>et</strong>te post-crânien) par<br />
rapport à leurs contemporains africains. Ils semblent avoir évolué sous un climat<br />
marqué par une forte saisonnalité, qui a permis l’apparition <strong><strong>de</strong>s</strong> caractères mo<strong>de</strong>rnes<br />
du crâne <strong>et</strong> <strong>de</strong> la <strong>de</strong>nture qui traduisent une adaptation à un régime alimentaire à<br />
base <strong>de</strong> nourriture dure <strong>et</strong> abrasive. Une adaptation similaire, mais beaucoup plus<br />
récente, s’est également produite, plus <strong>de</strong> 25 millions d’années après, chez les<br />
premiers hominidés. L’évolution <strong>de</strong> ces formes constitue donc un excellent modèle<br />
pour comprendre les modalités <strong>et</strong> les causes <strong>de</strong> ces mêmes transformations chez les<br />
Hominidés.<br />
Actuellement les plus anciens Anthropoï<strong><strong>de</strong>s</strong> africains indiscutables sont datés <strong>de</strong><br />
37 millions d’années <strong>et</strong> proviennent du Fayoum en Egypte <strong>et</strong> en Algérie. Mais <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
découvertes très récentes, dans <strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux un peu plus anciens, du désert <strong>de</strong><br />
Libye, témoignent <strong>de</strong> la présence <strong>de</strong> formes asiatiques en Afrique dès 37,5 millions<br />
d’années. Une connaissance plus détaillée <strong>de</strong> ces immigrations, vraisemblablement<br />
multiples, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> voies paléogéographiques suivies entre l’Asie du Sud <strong>et</strong> l’Afrique<br />
se révèlent maintenant indispensable pour suivre en détail l’histoire ancienne <strong>de</strong><br />
notre rameau.
382 MICHEL BRUNET<br />
7 mai : Les Hominoï<strong><strong>de</strong>s</strong> eurasiatiques du Miocène<br />
<strong>et</strong> l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidae<br />
avec Louis <strong>de</strong> Bonis, Professeur émérite <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Poitiers<br />
Les Hominoï<strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong>de</strong>rnes renferment les grands singes, gibbon (Hylobates),<br />
siamang (Symphalangus), orang-outan (Pongo), gorille (Gorilla) <strong>et</strong> chimpanzé (Pan),<br />
<strong>et</strong> l’homme. La recherche <strong><strong>de</strong>s</strong> liens <strong>de</strong> parenté par différentes métho<strong><strong>de</strong>s</strong> a montré que<br />
nous étions plus proches <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux d’entre eux, le gorille <strong>et</strong> surtout le chimpanzé, que<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> autres. Les bifurcations entre les lignées conduisant aux formes actuelles se sont<br />
produites au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’époque Miocène (entre – 23 <strong>et</strong> – 5,5 millions d’années).<br />
Les formes ancestrales <strong><strong>de</strong>s</strong> gibbons <strong>et</strong> siamangs (famille <strong><strong>de</strong>s</strong> Hylobatidae) sont<br />
mal connues mais elles étaient probablement asiatiques <strong>de</strong>puis longtemps.<br />
Des genres apparentés, à l’orang se rencontrent au Miocène, également en Asie.<br />
Sivapithecus dans le sous-continent indien, Khoratpithecus en Thaïlan<strong>de</strong>, ou<br />
Ankarapithecus en Asie Mineure. Il nous faut aussi mentionner l’immense<br />
Gigantopithecus du Pléistocène <strong>de</strong> Chine, le plus grand primate connu (beaucoup<br />
plus grand qu’un gorille), <strong>et</strong> son proche parent du Miocène supérieur Indopithecus.<br />
En Europe, le genre Dryopithecus, présent <strong>de</strong> l’Espagne à la mer Noire <strong>de</strong>puis le<br />
Miocène moyen, disparaît au milieu du Miocène supérieur (– 8,5 Ma). Ce primate,<br />
adapté au milieu forestier, se déplaçait dans la canopée à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses bras allongés.<br />
Se nourrissant <strong>de</strong> fruits ou <strong>de</strong> feuilles comme le montre sa <strong>de</strong>ntition, il avait un<br />
mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie sans doute proche <strong>de</strong> celui <strong><strong>de</strong>s</strong> grands singes africains actuels. A la<br />
même époque, au sud-est <strong>de</strong> l’Europe, existait un autre primate, le genre<br />
Ouranopithecus. Vivant dans un milieu différent semblable à une savane, sa robuste<br />
<strong>de</strong>ntition lui perm<strong>et</strong>tait <strong>de</strong> subsister sous un climat plus sec en ajoutant à son<br />
régime <strong><strong>de</strong>s</strong> tubercules ou <strong><strong>de</strong>s</strong> racines, qu’il broyait grâce à ses robustes mâchoires.<br />
Sa <strong>de</strong>nture <strong>et</strong> l’usure <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>nts sont voisines <strong>de</strong> celles <strong><strong>de</strong>s</strong> australopithèques<br />
découverts en Afrique dans <strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux plus récents <strong>et</strong> ces similitu<strong><strong>de</strong>s</strong> révèlent une<br />
proche parenté entre ces <strong>de</strong>ux ensembles. Limité jusqu’à une date récente à la Grèce<br />
du nord, il pourrait avoir été présent en Bulgarie <strong>et</strong> en Turquie tandis qu’une forme<br />
semblable mais appelée Nakalipithecus vient d’être découverte en Afrique dans un<br />
site daté <strong>de</strong> 10 Ma. Ces primates à la <strong>de</strong>nture robuste constituent probablement<br />
la souche ancestrale dans laquelle s’enracinent les hominiens plus récents.<br />
14 mai : Le temps en géologie : datations absolues<br />
avec Didier Bourles, Professeur <strong>de</strong> l’Université d’Aix-Marseille<br />
(CEREGE, UMR CNRS IRD).<br />
Contraindre temporellement les événements remarquables qui ont jalonné<br />
l’histoire géologique <strong>et</strong> biologique <strong>de</strong> la planète Terre est une préoccupation<br />
essentielle <strong>de</strong> l’humanité <strong>de</strong>puis le développement <strong>de</strong> la pensée rationnelle. C<strong>et</strong>te<br />
quête perpétuelle a conduit aux développements <strong>de</strong> nombreux concepts <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
techniques qui peuvent être tout d’abord classés en <strong>de</strong>ux catégories : les métho<strong><strong>de</strong>s</strong>
PALÉONTOLOGIE HUMAINE 383<br />
<strong>de</strong> datation relative <strong>et</strong> les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> datation absolue. La datation relative<br />
regroupe l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> datation perm<strong>et</strong>tant d’ordonner<br />
chronologiquement <strong><strong>de</strong>s</strong> événements géologiques ou biologiques, les uns par rapport<br />
aux autres. Les principes géométriques (le principe <strong>de</strong> superposition, le principe <strong>de</strong><br />
recoupement, le principe <strong>de</strong> continuité <strong>et</strong> le principe d’inclusion) <strong>et</strong> le principe<br />
d’i<strong>de</strong>ntité paléontologique. La datation absolue est une datation aboutissant à<br />
un résultat chiffré, exprimé en années. Elle peut concerner un événement, un<br />
obj<strong>et</strong>, une couche géologique ou un niveau archéologique. Le plus souvent, les<br />
métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> datation absolue utilisent <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes <strong>de</strong> transformations<br />
physico-chimiques dont la vitesse est connue. La mesure du <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> transformation<br />
perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> dater le début du processus considéré. Quatre groupes principaux <strong>de</strong><br />
métho<strong><strong>de</strong>s</strong> peuvent être distingués : les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> basées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes <strong>de</strong><br />
diffusion, <strong>de</strong> racémisation ; les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> basées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes cycliques<br />
(<strong>de</strong>ndrochronologie…) ; les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> basées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> défauts cristallins<br />
(thermoluminescence, EPR/ESR,…) ; les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> basées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes<br />
radioactifs, parmi lesquelles on distingue les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> isochrones<br />
(U/Th, Rb/Sr…) <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> directes (Ar/Ar, nucléi<strong><strong>de</strong>s</strong> cosmogéniques,…).<br />
Depuis maintenant un peu plus <strong>de</strong> 25 ans, une nouvelle technique, la Spectrométrie<br />
<strong>de</strong> Masse par Accélérateur (SMA), a été développée afin <strong>de</strong> perm<strong>et</strong>tre d’i<strong>de</strong>ntifier<br />
puis <strong>de</strong> compter les atomes formés dans l’environnement lors d’interactions entre<br />
les particules très énergétiques issues du rayonnement cosmique <strong>et</strong> les atomes<br />
constituant l’environnement terrestre. Au moins un million <strong>de</strong> fois plus sensible<br />
que toute autre technique existante, la SMA a non seulement permis <strong>de</strong> pousser à<br />
ses limites extrêmes la datation par le C-14, soit jusque vers 45 000 ans, mais<br />
également <strong>de</strong> développer l’utilisation <strong>de</strong> nouveaux nucléi<strong><strong>de</strong>s</strong> cosmogéniques, tel<br />
que le Be-10, perm<strong>et</strong>tant potentiellement une datation absolue <strong>et</strong> continue sur les<br />
15 <strong>de</strong>rniers millions d’années. Récemment (2008) adaptée pour dater <strong><strong>de</strong>s</strong> dépôts<br />
sédimentaires continentaux déposés lors d’épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> Lac Méga-Tchad dans le nord<br />
du bassin du lac Tchad, c<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> a permis <strong>de</strong> dater <strong>de</strong> manière absolue les<br />
restes d’hominidés qui y furent découverts <strong>et</strong> notamment l’actuel doyen <strong>de</strong><br />
l’humanité : Toumaï.<br />
L’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> principes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes impliqués dans les diverses métho<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>de</strong> datation relative <strong>et</strong> absolue les plus communément utilisées a tout d’abord été<br />
exposé, la technique <strong>de</strong> SMA étant plus particulièrement développée. Enfin, les<br />
plus récents développements <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te technique ont été présentés à travers son<br />
application à la datation <strong><strong>de</strong>s</strong> restes d’hominidés Mio-Pliocène mis au jour dans le<br />
bassin du lac Tchad.<br />
21 mai : Sédimentologie, milieux <strong>de</strong> dépôts<br />
<strong>et</strong> paléo-environnements <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés<br />
avec Mathieu Schuster, CR CNRS à l’Université <strong>de</strong> Poitiers<br />
L’évolution biologique est une résultante <strong>de</strong> la pression <strong>de</strong> sélection du milieu<br />
sur les êtres vivants. Ainsi, l’évolution <strong>de</strong> la faune <strong>et</strong> <strong>de</strong> la flore, <strong>et</strong> en particulier
384 MICHEL BRUNET<br />
celles <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés, est directement liée à l’environnement <strong>et</strong> à ses modifications<br />
au <strong>cours</strong> du temps. La connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> paléo-environnements successifs <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Hominidés est donc indispensable pour comprendre leur évolution <strong>et</strong> leur<br />
distribution géographique.<br />
Le terme <strong>de</strong> « paléo-environnement » désigne une réalité qui comprend aussi<br />
bien le paysage physique que l’écosystème, c’est-à-dire un milieu naturel, siège à la<br />
fois d’une activité biologique <strong>et</strong> d’une activité géologique. Ainsi, la reconstitution<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> paléo-environnements est par essence une démarche pluridisciplinaire où<br />
chaque spécialité apporte <strong><strong>de</strong>s</strong> données indépendantes mais complémentaires. Le<br />
faisceau <strong>de</strong> données ainsi obtenu contribue à restituer les environnements<br />
anciens.<br />
La sédimentologie, à travers l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> roches sédimentaires, renseigne sur les<br />
milieux <strong>de</strong> dépôts, leur dynamique <strong>et</strong> leur évolution dans l’espace <strong>et</strong> au <strong>cours</strong> du<br />
temps. Elle perm<strong>et</strong> ainsi <strong>de</strong> restituer les paysages physiques (e.g., fleuves, lacs,<br />
reliefs) qui structurent les paléo-environnements. La géologie sédimentaire est<br />
avant tout une discipline <strong>de</strong> terrain, basée sur l’observation <strong><strong>de</strong>s</strong> dépôts sédimentaires<br />
à différentes échelles (lamine, strate, affleurement, bassin sédimentaire) <strong>et</strong> qui se<br />
nourrit <strong>de</strong> la connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes sédimentaires actuels. L’étu<strong>de</strong><br />
géomorphologique par télédétection (photos aériennes, images satellites, modèles<br />
numériques <strong>de</strong> terrain) est un complément indispensable à c<strong>et</strong>te démarche <strong>et</strong><br />
perm<strong>et</strong> par exemple d’i<strong>de</strong>ntifier dans le paysage les marques <strong><strong>de</strong>s</strong> anciens systèmes<br />
sédimentaires (e.g. réseau hydrographique fossile) ou <strong>de</strong> repérer <strong><strong>de</strong>s</strong> zones<br />
d’affleurements.<br />
Chaque environnement possè<strong>de</strong> sa signature sédimentaire propre (lithologie,<br />
structures sédimentaires, géométrie) appelée faciès sédimentaire. Sur le terrain,<br />
l’observation directe sur l’affleurement est une étape cruciale car elle perm<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
collecter les indices nécessaires à l’i<strong>de</strong>ntification <strong><strong>de</strong>s</strong> faciès sédimentaires. Un<br />
changement <strong>de</strong> faciès dans l’enregistrement sédimentaire marque un changement<br />
dans la dynamique <strong>de</strong> dépôt. Le « principe <strong>de</strong> Walther » qui propose que les<br />
superpositions <strong>de</strong> faciès représentent l’image verticale <strong>de</strong> ce qui existait <strong>de</strong> manière<br />
horizontale dans l’espace, perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> passer <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> dépôts sédimentaires à<br />
la reconstruction <strong>de</strong> l’organisation spatiale <strong><strong>de</strong>s</strong> environnements à un moment<br />
donné.<br />
C<strong>et</strong>te démarche, appliquée aux archives sédimentaires du Bassin du Tchad,<br />
contribue à la reconstruction <strong><strong>de</strong>s</strong> paléo-environnements <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés anciens du<br />
Tchad (Sahelanthropus tcha<strong>de</strong>nsis <strong>et</strong> Australopithecus bahrelghazali). Divers types <strong>de</strong><br />
dépôts ont été reconnus : e.g., <strong><strong>de</strong>s</strong> dunes éoliennes, <strong><strong>de</strong>s</strong> sols à conduits racinaires<br />
<strong>et</strong> nidifications d’insectes, <strong><strong>de</strong>s</strong> crues éphémères <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> lacs. Les milieux <strong>de</strong> dépôts<br />
i<strong>de</strong>ntifiés j<strong>et</strong>tent ainsi les bases d’un décor péri-lacustre que complète l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
paléo-faunes <strong>et</strong> paléo-flores afin <strong>de</strong> restituer les paléo-environnements <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />
région-clef pour la compréhension <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> notre Histoire.
PALÉONTOLOGIE HUMAINE 385<br />
28 mai : La lecture <strong>de</strong> l’environnement <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés anciens<br />
à l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> paramètres biotiques<br />
avec Patrick Vignaud, Maître <strong>de</strong> Conférences <strong>et</strong> Directeur adjoint<br />
UMR 6046, IPHEP Université <strong>de</strong> Poitiers<br />
Depuis une quinzaine d’années, les découvertes <strong>de</strong> restes fossiles d’Hominidés<br />
anciens se multiplient dans les sédiments mio-pliocènes d’Afrique <strong>de</strong> l’Est <strong>et</strong> du<br />
Sud mais aussi d’Afrique Centrale. C<strong>et</strong>te augmentation du nombre <strong>de</strong> restes fossiles<br />
oblige maintenant à reconsidérer les relations phylogénétiques entre les différentes<br />
formes mises au jour dans ces régions.<br />
D’autre part, il est dorénavant clair que les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> portant sur l’origine <strong>et</strong><br />
l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés ne peuvent pas s’appréhen<strong>de</strong>r hors d’un contexte<br />
paléoenvironnemental bien compris. Pour ce faire, <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> paramètres sont<br />
pris en compte dans les analyses : les paramètres abiotiques <strong>et</strong> les paramètres<br />
biotiques.<br />
L’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> flores <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> faunes découvertes associées aux restes d’Hominidés<br />
perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> préciser les conditions environnementales <strong><strong>de</strong>s</strong> écosystèmes dans lesquels<br />
sont apparus puis ont évolué les Hominidés.<br />
A partir d’exemples précis, choisis dans le Mio-Pliocène du désert du Djourab<br />
au Nord Tchad, les différentes métho<strong><strong>de</strong>s</strong> d’investigation ont été développées <strong>et</strong> les<br />
données interprétées.<br />
Une partie <strong><strong>de</strong>s</strong> interprétations paléoenvironnementales effectuées à l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
faunes est basée sur le principe d’actualisme. Il est ainsi possible <strong>de</strong> préciser un type<br />
d’écosystème à l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques d’un assemblage faunique, soit en<br />
comparant le milieu <strong>de</strong> vie d’une forme actuelle par rapport à une forme fossile<br />
proche, soit en analysant la structuration <strong>de</strong> l’assemblage. Ces métho<strong><strong>de</strong>s</strong>, très<br />
précises, nécessitent cependant le maximum <strong>de</strong> restes fossiles perm<strong>et</strong>tant ainsi <strong>de</strong><br />
contraindre au mieux les interprétations.<br />
L’analyse du couvert végétal nécessite moins <strong>de</strong> matériel fossile mais est souvent<br />
plus délicate à interpréter. Les macro-restes <strong>de</strong> végétaux étant très rarement<br />
conservés dans les sédiments, <strong>de</strong>ux approches indirectes sont classiquement utilisées.<br />
L’analyse <strong>de</strong> la composition isotopique <strong>de</strong> l’émail <strong>de</strong>ntaire <strong><strong>de</strong>s</strong> mammifères<br />
consommateurs <strong>de</strong> végétaux (l’émail <strong>de</strong>ntaire conserve une « trace » <strong><strong>de</strong>s</strong> signatures<br />
biochimiques <strong><strong>de</strong>s</strong> végétaux consommés). Enfin, l’étu<strong>de</strong> approfondie <strong><strong>de</strong>s</strong> microrestes<br />
végétaux (grains <strong>de</strong> pollens <strong>et</strong> phytolithes) perm<strong>et</strong> aussi d’apporter <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
informations qui seront confrontées aux autres données issues <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />
faune <strong>et</strong> <strong>de</strong> la flore afin <strong>de</strong> dresser un tableau <strong><strong>de</strong>s</strong> «paléo-paysages» dans lesquels<br />
sont apparus puis ont évolué les Hominidés.
386 MICHEL BRUNET<br />
4 juin : Apports <strong>de</strong> la modélisation climatique à l’histoire <strong>de</strong> l’évolution<br />
<strong>de</strong> la vie <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> hominidés<br />
avec Gilles Ramstein, Directeur <strong>de</strong> Recherches au CEA, LSCE Gif-sur-Yv<strong>et</strong>te<br />
Irradiée par le Soleil jeune <strong>et</strong> moins puissant qu’actuellement, la Terre a pu<br />
échapper pendant la quasi totalité <strong>de</strong> son histoire à une glaciation totale grâce aux<br />
gaz à eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre. Pourtant par 2 fois au moins (au Paléoprotérozoique <strong>et</strong> au<br />
Néoprotérozoique) la Terre a pu être totalement englacée. Les mécanismes physiques<br />
qui ont pu conduire <strong>et</strong> m<strong>et</strong>tre fin à c<strong>et</strong>te glaciation ont été exposés, ainsi que les<br />
implications éventuelles <strong><strong>de</strong>s</strong> glaciations/déglaciations globales sur le développement<br />
<strong>de</strong> la vie avant « l’explosion Cambrienne ». Depuis 540 millions d’années, le climat<br />
<strong>de</strong> la Terre est régulé par la tectonique <strong><strong>de</strong>s</strong> plaques, par son eff<strong>et</strong> sur le climat <strong>et</strong><br />
le cycle du Carbone. Notre planète a connu <strong><strong>de</strong>s</strong> pério<strong><strong>de</strong>s</strong> chau<strong><strong>de</strong>s</strong> (Crétacé) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
glaciations (Permo-Carbonifère). Sur ces 2 exemples il a été montré que la<br />
modélisation du Climat apporte aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments importants. Le Quaternaire <strong>et</strong><br />
particulièrement les <strong>de</strong>rniers cycles climatiques sont très bien documentés grâce<br />
aux calottes <strong>de</strong> glace <strong>et</strong> aux sédiments marins <strong>et</strong> continentaux. De plus, les causes<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> glaciations sont i<strong>de</strong>ntifiées (cycle <strong>de</strong> Milankovitch). A partir d’une hiérarchie<br />
<strong>de</strong> modèles climatiques, il a été montré qu’on peut rendre compte <strong><strong>de</strong>s</strong> variations<br />
glaciaires/interglaciaires, mais également <strong>de</strong> la variabilité climatique très forte <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
pério<strong><strong>de</strong>s</strong> glaciaires. Enfin, à l’échelle <strong>de</strong> quelques centaines d’années, le<br />
bouleversement en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la composition <strong>de</strong> l’atmosphère terrestre d’origine<br />
anthropique qui impacte aussi les systèmes à temps <strong>de</strong> réponse plus long (dynamique<br />
<strong>de</strong> l’océan <strong>et</strong> <strong>de</strong> la cryosphère), pourrait induire une déstabilisation <strong><strong>de</strong>s</strong> calottes <strong>de</strong><br />
glace <strong>et</strong> faire basculer une nouvelle fois le climat vers son mo<strong>de</strong> le plus stable :<br />
chaud <strong>et</strong> sans calotte glaciaire.<br />
11 juin : Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> préhumains…<br />
Ce que l’on croit savoir…Ce que l’on ne sait pas…<br />
Perspectives <strong>et</strong> discussions en rapport avec le <strong>cours</strong> avec Michel Brun<strong>et</strong><br />
En science l’absence <strong>de</strong> preuve… n’est jamais la preuve <strong>de</strong> l’absence... <strong>et</strong> en<br />
paléontologie la validité d’une hypothèse a souvent une durée <strong>de</strong> vie qui s’arrête<br />
avec la découverte du prochain fossile mis au jour... !<br />
Toumaï avec ses 7 Ma, parce qu’il est le plus ancien d’entre nous, nous dit que<br />
ce que nous savons aujourd’hui <strong>de</strong> notre Histoire perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> confirmer la prédiction<br />
faite par Darwin en 1871, notre origine est bien Africaine <strong>et</strong> unique. Lui <strong>et</strong> nous,<br />
tous ensemble, nous partageons la même population ancestrale. Nous sommes<br />
donc tous sœurs <strong>et</strong> frères <strong>et</strong> nos différences majeures sont essentiellement marquées<br />
par la diversité <strong>de</strong> nos cultures… une richesse liée à notre histoire…
PALÉONTOLOGIE HUMAINE 387<br />
Enseignement hors <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
— Formation académique SVT, Conférence, Rouen, 21 septembre 2007 ;<br />
— Ecole thématique du CNRS, « Les Climats pré-Quaternaire : Des premières glaciations<br />
jusqu’à l’apparition <strong><strong>de</strong>s</strong> premiers Hominidés », Propriano, 10-12 octobre 2007 (Michel<br />
Brun<strong>et</strong>, conférencier invité) ;<br />
— Formation académique SVT, Conférence, Orléans, 25 février 2008 ;<br />
— UE <strong>de</strong> Master 1 : « L’évolution en questions », Université Paris XI, Orsay, 20 mars<br />
2008 ; <strong>cours</strong> sur les hominidés anciens ;<br />
— Université du temps libre Versailles, Conférence, 15 avril 2008 ;<br />
— <strong>Collège</strong> Lenain <strong>de</strong> Tillemont, Montreuil (93), rencontre avec les classes <strong>de</strong> 6 e autour<br />
<strong>de</strong> l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés, 17 avril 2008.<br />
Recherche<br />
Thématique : Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés anciens (Mio-Pliocène) <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs<br />
paléoenvironnements<br />
Mots clés : Paléontologie, Hominidés anciens, Mammifères Ongulés, Evolution, Systématique,<br />
Phylogénie, Biochronologie, Paléoécologie, Paléoenvironnements, Paléobiogéographie.<br />
Parmi les résultats les plus saillants :<br />
Mio-Pliocène d’Afrique Centrale: Découverte au Tchad <strong><strong>de</strong>s</strong> premiers Australopithèques<br />
(Australopithecus bahrelghazali Brun<strong>et</strong> & al. 1996) connus à l’Ouest <strong>de</strong> la Rift Valley (Nature<br />
378, 273-275, 1995 ; PNAS 105 (9) : 3226-3231, 2008), <strong><strong>de</strong>s</strong> plus anciens Hominidés<br />
(Sahelanthropus tcha<strong>de</strong>nsis Brun<strong>et</strong> & al. 2002) du continent africain (Nature 418 : 145-151,<br />
2002 ; Nature 419 : 582, 2002 ; Nature 434 : 752-755, 2005 ; Nature 434 : 755-759,<br />
2005 ; PNAS 102(52) :18836-41, 2005 ; PNAS 105(9) : 3226-3231, 2008 ) <strong>et</strong> <strong>de</strong> plus <strong>de</strong><br />
500 sites à vertébrés fossiles dans le Mio-Plio-Quaternaire du Tchad (Nature 418 : 152-155,<br />
2002 ; Science 311 : 821, 2006 ; PNAS 105 (9) : 3226-3231, 2008).<br />
L’ensemble <strong>de</strong> ces découvertes récentes en Afrique Centrale conduit à revoir <strong>de</strong> manière<br />
drastique nos conceptions sur l’origine <strong>et</strong> les premières phases <strong>de</strong> l’histoire du rameau<br />
humain.<br />
Direction ou participation<br />
à <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes scientifiques nationaux <strong>et</strong> internationaux<br />
— M.P.F.E. : Mission Paléoanthropologique <strong>et</strong> Paléontologique Franco-Egyptienne (Dir.<br />
M. Brun<strong>et</strong>), collaboration scientifique entre <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Université <strong>de</strong> Poitiers <strong>et</strong><br />
Université du Caire ; <strong>de</strong>ux missions <strong>de</strong> terrain ont eu lieu <strong>de</strong>puis 2007 ;<br />
— M.P.F.L. : Mission Paléoanthropologique <strong>et</strong> Paléontologique Franco-Libyenne (Dir.<br />
M. Brun<strong>et</strong>), convention <strong>de</strong> recherche signée le 25 novembre 2005 entre l’Université <strong>de</strong><br />
Poitiers <strong>et</strong> l’Université Al Fateh <strong>de</strong> Tripoli ; trois missions <strong>de</strong> terrain ont eu lieu <strong>de</strong>puis<br />
2006 ;<br />
— M.P.F.T. : Mission Paléoanthropologique Franco-Tchadienne (Dir. M. Brun<strong>et</strong>) <strong>de</strong>puis<br />
1994 ; convention <strong>de</strong> recherche entre l’Université <strong>de</strong> Poitiers, le CNAR <strong>et</strong> l’Université <strong>de</strong>
388 MICHEL BRUNET<br />
N’Djamena (<strong>de</strong>puis1995). Ce programme international (10 nationalités) <strong>et</strong> pluridisciplinaire<br />
regroupe maintenant une soixantaine <strong>de</strong> chercheurs ;<br />
— Middle Awash Research Project (Ethiopie) — Dir. T.D. White, Pr. University of<br />
California, Berkeley, USA (<strong>de</strong>puis 2000) ;<br />
— GDRI CNRS regroupant : Chaire <strong>de</strong> Paléontologie humaine du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ;<br />
IPHEP UMR CNRS 6046 <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Poitiers ; Anthropology Department Harvard<br />
University, Cambridge, USA ; Human Evolution Research Center (HERC) University of<br />
California at Berkeley, USA ; Département <strong>de</strong> Paléontologie Université <strong>de</strong> N’Djamena ;<br />
Department of Mineral Resources, Cenozoic Paleontological Section, Bangkok (THAILAND)<br />
(Directeur M. Brun<strong>et</strong>, 01-01-2008) ;<br />
— CNRS/ECLIPSE : Les Hominidés anciens d’Afrique Centrale (2000-2008) ;<br />
— Porteur d’un programme ANR 2005-2008 : « <strong>de</strong> l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> Anthropoï<strong><strong>de</strong>s</strong> à<br />
l’émergence <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés : Evolution <strong>et</strong> environnements », (<strong>de</strong>ux partenaires : Université<br />
<strong>de</strong> Poitiers <strong>et</strong> Université <strong>de</strong> Montpellier II) ;<br />
— N.S.F./R.H.O.I. : « Revealing Hominid Origins Initiative », National Science<br />
Foundation Project (co- P.I.’s Pr. F.C. Howell & T.D. White, University of California at<br />
Berkeley), <strong>de</strong>puis 2003.<br />
Prospections géologiques <strong>et</strong> fouilles paléontologiques en <strong>cours</strong><br />
AFRIQUE : Tchad, Libye, Egypte<br />
Thèses <strong>de</strong> doctorat, Université <strong>de</strong> Poitiers<br />
Lebatard E.A. — Datations <strong><strong>de</strong>s</strong> séries sédimentaires à Hominidés anciens du Paléolac<br />
Tchad <strong>de</strong>puis le Miocène jusqu’à l’actuel (Direction : M. BRUNET <strong>et</strong> D. Bourlès, CEREGE)<br />
soutenue le 19 décembre 2007.<br />
Pinton A. — Etu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la phylogénie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la biodiversité <strong><strong>de</strong>s</strong> Mochokidae (Téléostéens,<br />
Siluriformes) du Miocène à l’Actuel : implications paléobiogéographiques dans la<br />
connaissance <strong>de</strong> la dispersion <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés anciens. Direction : O. Otero <strong>et</strong> J.F. Agèse<br />
(IRD Montpellier) <strong>et</strong> D. Paugy (IRD Paris). Allocation MENRT (soutenue le 11 juill<strong>et</strong><br />
2008) (M. BRUNET Prési<strong>de</strong>nt du Jury).<br />
Bienvenu T. — La morphologie cérébrale <strong>de</strong> Toumaï (Miocène sup. du Tchad).<br />
Reconstitution 3D, anatomie, morphométrie <strong>et</strong> comparaison avec les Hominoï<strong><strong>de</strong>s</strong> actuels<br />
<strong>et</strong> fossiles. IPHEP UMR 6046, Université <strong>de</strong> Poitiers, Allocation MENRT, Direction :<br />
M. BRUNET <strong>et</strong> F. Guy, Allocation MENRT. Depuis octobre 2008.<br />
HDR<br />
Otero O. — Milieux <strong>de</strong> vie <strong>et</strong> voies <strong>de</strong> dispersions <strong><strong>de</strong>s</strong> hominidés <strong>et</strong> anthropoï<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
anciens. Apports croisés <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> paléontologique <strong><strong>de</strong>s</strong> paléoichtyofaunes <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />
biogéochimie. Mémoire d’Habilitation à Diriger <strong><strong>de</strong>s</strong> Recherches, IPHEP UMR 6046,<br />
Université Poitiers. Soutenue le 18 décembre 2007 (M. BRUNET Prési<strong>de</strong>nt du Jury).<br />
Barriel V. — Du caractère… à l’arbre phylogénétique », UMR 5143, Paléodiversité <strong>et</strong><br />
Paléoenvironnements, MNHN Paris soutenue le 21 janvier 2008 (M. BRUNET<br />
Rapporteur).
PALÉONTOLOGIE HUMAINE 389<br />
Congrès <strong>et</strong> séminaires<br />
— Université Européenne d’été, « Evolution <strong>et</strong> développement » (Michel BRUNET,<br />
Conférencier invité) Saint-Jean-d’Angely, 29-30 août 2007 ;<br />
— Colloque CNRS « ECLIPSE 2 », Auditorium Marie Curie CNRS Paris,<br />
15-17 octobre 2007 ;<br />
— XIV e Colloque <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong> Biométrie Humaine, 14-16 novembre 2007, MNHN<br />
Paris : communication « Paléontologie <strong>et</strong> i<strong>de</strong>ntification : du désert du Djourab à l’autoroute<br />
A10 » par P. Fronty, M. Sapan<strong>et</strong> <strong>et</strong> M. BRUNET) ;<br />
— Third International Conference on the Geology of the T<strong>et</strong>hys, 8-11 January, 2008,<br />
South Valley University — Aswan Town, Egypte (Michel BRUNET, invited speaker) ;<br />
— International Conference on Paleoanthropology, Paleontology and Archaeology in<br />
Ethiopia. January 12-14, 2008. Economic Commission for Africa, ECA, Addis Ababa,<br />
Ethiopia. Communication : « BRUNET M., Guy F., Vignaud P. <strong>et</strong> MPFT — Elsewhere in<br />
Africa...10 years of fieldwork in Chad » ;<br />
— Colloque annuel <strong>de</strong> la Société d’Histoire <strong>et</strong> d’Epistémologie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong> la Vie,<br />
« Rien en biologie n’a <strong>de</strong> sens sinon à la lumière <strong>de</strong> l’évolution », T. Dobzhansky, CCSTI<br />
Pierre Mendès <strong>France</strong> Poitiers, 13 mars 2008 (M. BRUNET, Conférencier invité) ;<br />
— Colloque Edgar Morin : « La dimension humaine », communication M. BRUNET :<br />
« L’Humanité Première », Paris 11 avril 2008 ;<br />
— Project NSF/RHOI (Collaboration HERC University of California, Berkeley) :<br />
Revealing Hominid Origins Initiative (RHOI); Analytic Working Group – Carnivora ;<br />
Carnivores of Africa from the middle Miocene to the Pleistocene : new data, systematics,<br />
evolution, biogeography ; Workshop in the University of Poitiers : May 20 th to May 23 rd<br />
2008 (coordinator L. <strong>de</strong> Bonis) ;<br />
— EGU annual me<strong>et</strong>ing, April 2008, Vienna (Austria), communication « Lebatard A.<br />
E., Bourlès D., Duringer Ph., Joliv<strong>et</strong>, M., Braucher R., Schuster M., Lihoreau F.,<br />
Mackaye, H.T., Vignaud P., BRUNET M. 2008. Cosmogenic nucli<strong>de</strong> dating of Australopithecus<br />
bahrelghazali and Sahelanthropus tcha<strong>de</strong>nsis : Plio-Miocene Hominids from Chad » ;<br />
— Colloque « Emergencia <strong>de</strong> una Nueva Conciencia Ecologica », Ambiente 21, Santiago<br />
du Chili, 14 juin 2008 (M. BRUNET, invited speaker).<br />
Conférences invitées<br />
Toutes les conférences ont traité <strong>de</strong> l’histoire évolutive <strong><strong>de</strong>s</strong> Hominidés <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs environnements<br />
à la lumière <strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes nouvelles.<br />
— Office Cantonal <strong>de</strong> la Culture, Section Archéologie & Paléontologie, Porrentruy<br />
(Suisse), 13 septembre 2007 ;<br />
— Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong> Chatellerault, 20 septembre 2007 ;<br />
— Institut <strong>de</strong> Physique du Globe (IPG), UPMC Paris, 27 septembre 2007 ;<br />
— CCF N’Djaména (Tchad), 4 octobre 2007 ;<br />
— CCSTI Pierre Mendès <strong>France</strong>, Fête <strong>de</strong> la Science, Poitiers, 8 octobre 2007 ;<br />
— Université <strong>de</strong> Rennes, Géosciences, Année internationale <strong>de</strong> la Planète Terre,<br />
13 novembre 2007 ;<br />
— Chanteloup, Vouneuil-sous-Biard (86), 5 mars 2008 ;<br />
— Institut ISIS, Université Pasteur Strasbourg, 10 mars 2008 ;
390 MICHEL BRUNET<br />
— Médiathèque, Issy-les-Moulineaux, 15 mars 2008 ;<br />
— Auditorium Maurice Ravel, Jarnac, SEMLH 8 mai 2008 ;<br />
— Santiago du Chili, Diego Portales, 14 juin 2008.<br />
Radio-TV<br />
<strong>France</strong> Inter : La tête au carrée, Mathieu Vidal, 8 mars ; <strong>France</strong> Culture : Travaux publics<br />
par Jean Lebrun, 31 mars 2008 ; <strong>France</strong> 2 & <strong>France</strong> 3.<br />
Presse écrite<br />
Nombreux interviews <strong>et</strong> articles.<br />
Films<br />
— Festival du documentaire scientifique, présentation du documentaire fiction « Toumaï<br />
le nouvel Ancêtre » par Michel Brun<strong>et</strong>, Amiens, 1er avril 2008.<br />
— <strong>France</strong> 2 : Un jour un <strong><strong>de</strong>s</strong>tin « Chirac intime » (participation M. Brun<strong>et</strong>) diffusé le<br />
27 juin 2008.<br />
— « Humains » Long métrage <strong>de</strong> fiction autour d’hominidés fossiles, tournage été 2008<br />
(Michel Brun<strong>et</strong>, consultant scientifique).<br />
Distinction<br />
Officier dans l’Ordre national du mérite : 29 février 2008.<br />
Articles scientifiques parus au <strong>cours</strong> du second semestre 2007<br />
<strong>et</strong> du premier semestre 2008<br />
dans <strong><strong>de</strong>s</strong> revues internationales à comité <strong>de</strong> lecture <strong>et</strong> IF<br />
Bonis <strong>de</strong> L., Peigné S., Likius A., Makaye H.T., Vignaud P. <strong>et</strong> BRUNET M. (2007)<br />
— First occurrence of the ‘hunting hyena’ Chasmaporth<strong>et</strong>es in the late Miocene fossil bearing<br />
localities of Toros Menalla, Chad (Africa). Bull. Soc. Géol. Fr., 178 (4) : 317-326.<br />
Bonis <strong>de</strong> L., Peigné S., Likius A., Mackaye H.T., Vignaud P. <strong>et</strong> BRUNET M. (2007)<br />
— The ol<strong><strong>de</strong>s</strong>t African fox (Vulpes riffautae n. sp., Canidae, Carnivora) recovered in late<br />
Miocene <strong>de</strong>posits of the Djurab <strong><strong>de</strong>s</strong>ert, Chad. Naturwissenschaften, 94 : 575-580.<br />
Duringer P., Schuster M., Genise J.F., Mackaye H.T., Vignaud P. <strong>et</strong> BRUNET M.<br />
(2007) — New termite trace fossils : Galleries, nests and fungus combs from the Chad basin<br />
of Africa (Upper Miocene-Lower Pliocene). Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology,<br />
251 : 323-353.<br />
Lopez-Martinez N., Likius A., Mackaye H.T., Vignaud P. <strong>et</strong> Brun<strong>et</strong> M. (2007) — A<br />
new Lagomorph from the Late Miocene of Chad (Central Africa). Revista Espanola <strong>de</strong><br />
Paleontologia, 22(1) : 1-20.<br />
Otero O., Likius A., Vignaud P. <strong>et</strong> BRUNET M. (2007) — A new Claroteid Catfish<br />
(Siluriformes) from the Upper Miocene of Toros-Menalla, Late Miocene, Chad :<br />
Auchenoglanis soye sp. nov. J. Vert. Pal. 27(2) : 285-294.
PALÉONTOLOGIE HUMAINE 391<br />
Geraads D., Blon<strong>de</strong>l C., Likius A., Mackaye H.T., Vignaud P. <strong>et</strong> BRUNET M. (2008)<br />
— New Hippotragini (Bovidae, Mammalia) from the late Miocene of Toros-Menalla<br />
(Chad). J. Vert. Pal. 28(1) : 231-242.<br />
Guy F., Mackaye HT., Likius A., Vignaud P., Schmittbuhl M. <strong>et</strong> BRUNET M. (2008)<br />
— Symphyseal shape variation in extant and fossil hominoids, and the symphysis of<br />
Australopithecus bahrelghazali. Journal of Human Evolution 55 (2008) 37-47.<br />
Joliv<strong>et</strong> M., Lebatard A.E., Reyss J.L., Mackaye H.T., Lihoreau F., Vignaud P. <strong>et</strong><br />
BRUNET M. (2008) — Can fossil bones and te<strong>et</strong>h be dated using fission track analysis ?<br />
Chemical Geology, 247 : 81-99.<br />
Lebatard A.E., Bourlès D.L., Duringer P., Joliv<strong>et</strong> M., Braucher R., Carcaill<strong>et</strong> J.,<br />
Schuster M., Arnaud N., Monie P., Lihoreau F., Likius A., Mackaye H.T., Vignaud P.<br />
<strong>et</strong> BRUNET M. (2008) — Cosmogenic nucli<strong>de</strong> dating of Sahelanthropus tcha<strong>de</strong>nsis and<br />
Australopithecus bahrelghazali : Mio-Pliocene hominids from Chad. Proc. Nat. Acad. Sci.<br />
USA., 105, 9 : 3226-3231.<br />
Mackaye H.T., Coppens Y., Vignaud P., Lihoreau F. <strong>et</strong> BRUNET M. (2008) — De<br />
nouveaux restes <strong>de</strong> Primelephas dans le Mio-Pliocène du Nord du Tchad <strong>et</strong> révision du genre<br />
Primelephas. C. R. Palevol, 7 (2008) 227-236.<br />
Peigné S., <strong>de</strong> Bonis L., Likius A., Mackaye H.T., Vignaud P. <strong>et</strong> BRUNET M. (2008)<br />
— Late Miocene Carnivora from Chad : Lutrinae (Mustelidae). Zool. J. Linn. Soc., 152 :<br />
793-846.<br />
Sepulchre P., Schuster M., Ramstein G., Krinner G., Girard J.-F., Vignaud P.,<br />
BRUNET M. (2008) — Evolution of Lake Chad Basin hydrology during the mid-Holocene :<br />
a preliminary approach from lake to climate mo<strong>de</strong>lling. Global and Plan<strong>et</strong>ary Change, 61,<br />
41-48.
II. SCIENCES PHILOSOPHIQUES<br />
ET SOCIOLOGIQUES
A. Cours<br />
Philosophie du langage <strong>et</strong> <strong>de</strong> la connaissance<br />
M. Jacques Bouveresse, professeur<br />
On a repris <strong>et</strong> poursuivi l’examen <strong>de</strong> la question dont on était parti l’année <strong>de</strong>rnière,<br />
à savoir celle qui concerne le genre d’avenir que l’on peut raisonnablement attribuer<br />
en philosophie à la construction <strong>de</strong> systèmes <strong>et</strong> le genre d’intérêt que l’on peut, si on<br />
est convaincu que la philosophie <strong>de</strong>vrait désormais renoncer à s’exprimer dans la<br />
forme du système, attribuer encore aujourd’hui aux systèmes philosophiques qui ont<br />
été construits dans le passé. Il est possible que, pour pouvoir construire encore <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
systèmes, il faille avoir conservé une forme <strong>de</strong> naïv<strong>et</strong>é dont nous ne sommes plus<br />
capables ou qu’un excès d’intelligence nous empêche désormais <strong>de</strong> prendre<br />
suffisamment au sérieux ce genre d’exercice. Cela pourrait constituer une explication<br />
si on pense que la construction <strong>de</strong> systèmes philosophiques relève largement <strong>de</strong> la<br />
fiction <strong>et</strong> s’apparente à la création <strong>de</strong> mythes savants d’une certaine sorte.<br />
On peut penser par exemple à ce que dit, sur ce point, T. S. Eliot à propos <strong>de</strong><br />
l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Valéry <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons pour lesquelles il n’était pas <strong>et</strong> ne pouvait pas être<br />
philosophe, en tout cas au sens où il comprenait lui-même le mot « philosophie ».<br />
Pour être philosophe, il faut avoir une forme <strong>de</strong> foi <strong>et</strong> Valéry, qui se désigne luimême,<br />
pour ce qui est <strong>de</strong> sa relation à la philosophie, comme une sorte <strong>de</strong> barbare<br />
dans Athènes, était, selon Eliot, trop profondément incroyant pour pouvoir prendre<br />
réellement au sérieux les efforts <strong><strong>de</strong>s</strong> philosophes <strong>et</strong> les inventions auxquelles ils<br />
aboutissent :<br />
« […] Je pense que l’impression prédominante que l’on recevait <strong>de</strong> Valéry était celle <strong>de</strong><br />
l’intelligence.<br />
Intelligence au suprême <strong>de</strong>gré, <strong>et</strong> type d’intelligence qui exclut la possibilité <strong>de</strong> la foi,<br />
implique une profon<strong>de</strong> mélancolie. On a appelé Valéry un philosophe. Mais un<br />
philosophe, au sens ordinaire, est un homme qui construit, ou qui défend, un système<br />
philosophique ; <strong>et</strong> nous pouvons, dans ce sens, dire que Valéry était trop intelligent pour<br />
être un philosophe. Il faut au philosophes constructif une foi religieuse, ou quelque
396 JACQUES BOUVERESSE<br />
substitut qui en tienne lieu ; <strong>et</strong>, généralement, il ne lui est permis <strong>de</strong> construire que parce<br />
qu’il peut rester aveugle aux autres points <strong>de</strong> vue, ou insensible aux raisons émotives qui<br />
l’attachent à son système particulier. Valéry était bien trop luci<strong>de</strong> pour pouvoir philosopher<br />
<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te façon ; en sorte que sa philosophie se trouve exposée à l’accusation <strong>de</strong> n’être<br />
qu’un jeu compliqué. Précisément, — mais pouvoir jouer ce jeu, pouvoir y goûter <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
joies artistiques, c’est une <strong><strong>de</strong>s</strong> manifestations <strong>de</strong> l’homme civilisé. Il n’y a qu’un seul <strong>de</strong>gré<br />
plus élevé qu’il est possible à l’homme civilisé d’atteindre — <strong>et</strong> c’est d’unir le scepticisme<br />
le plus profond à la plus profon<strong>de</strong> foi. Mais Valéry n’était pas Pascal, <strong>et</strong> nous n’avons pas<br />
le droit <strong>de</strong> lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r cela. Son esprit était, je crois, profondément <strong><strong>de</strong>s</strong>tructeur, — <strong>et</strong><br />
même nihiliste 1 . »<br />
On peut être tenté, du reste, <strong>de</strong> considérer que le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la philosophie luimême<br />
est probablement partagé entre <strong>de</strong>ux catégories <strong>de</strong> praticiens : ceux qui se<br />
comportent à l’égard <strong>de</strong> la philosophie comme <strong>de</strong> véritables croyants <strong>et</strong> ceux — <strong>de</strong><br />
beaucoup les moins nombreux — qui adoptent, sur ce point, une attitu<strong>de</strong> qui<br />
s’efforce, au contraire, <strong>de</strong> ressembler aussi peu que possible à la croyance <strong>et</strong> encore<br />
moins à la foi.<br />
L’incroyant radical qu’est Valéry ne suggère, bien entendu, en aucune façon que<br />
le genre d’exercice auquel se livrent, le plus souvent avec passion, les philosophes<br />
est dépourvu d’intérêt, mais seulement qu’il est sans enjeu réel ou, plus exactement,<br />
que ce qui s’y déci<strong>de</strong> n’est pas forcément plus important que l’issue d’une simple<br />
partie d’échecs :<br />
« Discussion métaphysique. Si l’espace est fini, si les figures semblables sont possibles, si <strong>et</strong>c.<br />
Ces disputes, <strong>de</strong> plus en plus serrées, ont le passionnant <strong>et</strong> les conséquences nulles d’une partie<br />
d’échecs.<br />
A la fin, rien n’est plus — sinon que A est plus fort joueur que B.<br />
Parfois il en ressort aussi qu’il ne faut pas jouer tel coup désormais. On se ferait battre.<br />
Ou qu’il faut prendre telle précaution… 2 »<br />
Mais s’il est entendu, dans <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures comme les nôtres, que l’on est tenu,<br />
malgré tout, d’éprouver une certaine admiration <strong>et</strong> même une admiration spéciale<br />
pour la philosophie, qu’est-ce qui, dans une œuvre philosophique, mérite exactement<br />
d’être admiré ? Sont-ce en premier lieu les mérites <strong>de</strong> l’œuvre elle-même ou plutôt,<br />
en réalité, ceux <strong>de</strong> son auteur ? Ni<strong>et</strong>zsche, dans La Philosophie à l’époque tragique<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Grecs, affirme que tous les systèmes philosophiques du passé ont été réfutés <strong>et</strong><br />
que ce qui peut encore nous intéresser dans un système philosophique, une fois<br />
qu’il a été réfuté, est uniquement ce qu’il appelle la personnalité. C’est, dit-il, ce<br />
qui explique sa façon, effectivement assez particulière, <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> la<br />
philosophie :<br />
« Je raconte en la simplifiant l’histoire <strong>de</strong> ces philosophes : je ne veux extraire <strong>de</strong> chaque<br />
système que ce point qui est un fragment <strong>de</strong> personnalité <strong>et</strong> appartient à c<strong>et</strong>te part<br />
d’irréfutable <strong>et</strong> d’indiscutable que l’histoire se doit <strong>de</strong> préserver. C’est un premier pas pour<br />
r<strong>et</strong>rouver <strong>et</strong> reconstruire par comparaison ces personnages, <strong>et</strong> pour faire enfin résonner à<br />
1. T. S. Eliot, « Leçon <strong>de</strong> Valéry », in « Paul Valéry vivant », Cahiers du Sud, 1946, p. 75-77.<br />
2. Paul Valéry, Analecta, Gallimard, Paris, 1935, p. 223-224.
PHILOSOPHIE DU LANGAGE ET DE LA CONNAISSANCE 397<br />
nouveau la polyphonie du tempérament grec. Ma tâche consiste à m<strong>et</strong>tre en lumière ce<br />
que nous serons obligés d’aimer <strong>et</strong> <strong>de</strong> vénérer toujours, <strong>et</strong> qu’aucune connaissance ultérieure<br />
ne pourra nous ravir : le grand homme 3 . »<br />
On peut peut-être réfuter un système, mais on ne peut sûrement pas réfuter un<br />
grand homme. Dans quel sens, cependant, faut-il comprendre exactement le mot<br />
« réfuter » quand on dit que tous les systèmes philosophiques qui ont été construits<br />
jusqu’à présent ont été réfutés ? Ni<strong>et</strong>zsche ne donne pas beaucoup d’indications sur<br />
ce point. Ont-ils été réfutés parce qu’ils affirmaient <strong><strong>de</strong>s</strong> choses dont la fauss<strong>et</strong>é a<br />
été établie <strong>de</strong>puis, par exemple grâce à <strong><strong>de</strong>s</strong> progrès qui ont été réalisés dans le<br />
domaine <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences ou dans celui <strong>de</strong> la connaissance en général ? Parce que nous<br />
avons tout simplement cessé <strong>de</strong> croire <strong>et</strong> considérons comme impossible <strong>de</strong> croire<br />
ce qu’ils affirment ? Ou bien pour une raison différente, à la fois plus radicale <strong>et</strong><br />
plus générale, à savoir que c’est l’idée même <strong>de</strong> construire <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes qui a cessé<br />
d’être crédible ?<br />
La réponse <strong>de</strong> Ni<strong>et</strong>zsche à ce genre <strong>de</strong> question est malgré tout assez claire <strong>et</strong><br />
bien connue. La réfutation la plus décisive, à ses yeux, est la réfutation par l’histoire<br />
<strong>et</strong> la généalogie <strong>et</strong> elle est aussi la plus définitive, celle sur laquelle on ne reviendra<br />
pas : « La réfutation historique comme la réfutation définitive. — Il y a eu un temps<br />
où on on cherchait à démontrer qu’il n’y a pas <strong>de</strong> Dieu, — aujourd’hui, on montre<br />
comment la croyance qu’il y a un Dieu a pu naître <strong>et</strong> d’où c<strong>et</strong>te croyance tient le<br />
poids <strong>et</strong> l’importance qu’elle a : <strong>de</strong> ce fait, une preuve du contraire établissant qu’il<br />
n’y a pas <strong>de</strong> Dieu <strong>de</strong>vient superflue » (Morgenröte, I, § 95). C’est <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te façon-là<br />
que les philosophies peuvent être réfutées : en montrant comment elles ont pu<br />
apparaître <strong>et</strong> ce qui les a rendues pour un temps importantes. Mais, bien entendu,<br />
comme une <strong><strong>de</strong>s</strong> choses dont les philosophes sont généralement le plus dépourvus<br />
est justement, selon Ni<strong>et</strong>zsche, le sens historique, il ne faut pas s’attendre à ce que<br />
les « réfutations » <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te sorte produisent beaucoup d’eff<strong>et</strong> sur eux.<br />
Ni<strong>et</strong>zsche nous dit aussi que, même quand les systèmes philosophiques sont<br />
reconnus comme faux, ils n’en contiennent pas moins quelque chose d’irréfutable.<br />
Et il semble vouloir dire par là que, même si nous ne pouvons plus être d’accord<br />
avec leurs objectifs, <strong>et</strong> en particulier avec celui qui semble avoir été le plus important<br />
<strong>de</strong> tous, à savoir la vérité, les moyens mis en œuvre pour les atteindre peuvent<br />
continuer à susciter notre admiration parce qu’ils ont rendu possible la manifestation<br />
<strong>de</strong> quelque chose d’impérissable, à savoir une personnalité <strong>et</strong> un caractère<br />
exceptionnels.<br />
Il semble, <strong>de</strong> façon générale, relativement facile <strong>de</strong> trouver <strong><strong>de</strong>s</strong> objections<br />
possibles contre n’importe quel système philosophique, <strong>et</strong> même <strong>de</strong> le réfuter, mais<br />
3. Friedrich Ni<strong>et</strong>zsche, La Philosophie à l’époque tragique <strong><strong>de</strong>s</strong> Grecs, suivi <strong>de</strong> Sur l’avenir <strong>de</strong> nos<br />
établissements d’enseignement, textes <strong>et</strong> variantes établis par G. Coli <strong>et</strong> M. Montinari, traduit <strong>de</strong><br />
l’allemand par Jean-Louis Backès, Michel Haar <strong>et</strong> Marc B. <strong>de</strong> Launay, Gallimard, Paris, 1975,<br />
p. 9-10.
398 JACQUES BOUVERESSE<br />
beaucoup plus difficile <strong>de</strong> concevoir que l’un quelconque d’entre eux puisse être<br />
vrai <strong>et</strong> <strong>de</strong> démontrer qu’il l’est effectivement. Wilhelm Busch, l’immortel auteur<br />
<strong>de</strong> Max und Moritz dit que : « Le philosophe, <strong>de</strong> même que le propriétaire <strong>de</strong><br />
maison, ont toujours <strong><strong>de</strong>s</strong> réparations à faire. » On peut avoir le sentiment qu’à<br />
partir d’un certain moment, les systèmes philosophiques sont susceptibles, comme<br />
les maisons, <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir irréparables. Mais même ce genre <strong>de</strong> chose n’est peut-être<br />
qu’une impression trompeuse. Si l’on en croit Edgar Poe : « Il est amusant <strong>de</strong> voir<br />
la facilité avec laquelle tout système philosophique peut être réfuté. Mais aussi<br />
n’est-il pas désespérant <strong>de</strong> constater l’impossibilité d’imaginer qu’aucun système<br />
particulier soit vrai 4 ? » La première chose a plutôt tendance à réjouir les ennemis<br />
<strong>de</strong> la philosophie, la <strong>de</strong>uxième <strong>de</strong>vrait les inquiéter <strong>et</strong> le ferait probablement s’ils<br />
n’étaient pas justement <strong><strong>de</strong>s</strong> ennemis <strong>de</strong> la philosophie.<br />
Mais la dissymétrie à laquelle Poe fait référence est-elle aussi réelle qu’il le<br />
suggère ? Autrement dit, est-il certain que les systèmes philosophiques soient aussi<br />
faciles à réfuter qu’il le dit ? Il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> auteurs qui pensent que, s’ils ne sont<br />
assurément pas vérifiables, ils ne sont pas non plus, à proprement parler, réfutables.<br />
Gueroult <strong>et</strong> Vuillemin, par exemple, soutiennent que, même si l’on peut hésiter à<br />
dire d’eux qu’ils sont vrais, au sens usuel du terme, ils n’en continuent pas moins<br />
à représenter <strong><strong>de</strong>s</strong> possibilités <strong>de</strong> vérité entre lesquelles le philosophe est obligé <strong>de</strong><br />
choisir, tout en sachant que d’autres choix, qui contredisent le sien, sont également<br />
possibles <strong>et</strong> respectables.<br />
Dans les <strong>de</strong>rnières séances du <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année <strong>de</strong>rnière, on a évoqué ce que<br />
Christopher Peacocke appelle le « défi <strong>de</strong> l’intégration », un défi qui a trait à la<br />
difficulté que l’on peut avoir, en rapport avec une entreprise cognitive quelconque,<br />
à fournir à la fois une métaphysique <strong>et</strong> une épistémologie acceptables <strong>de</strong> la vérité<br />
pour les propositions <strong>de</strong> la discipline concernée. Selon Peacocke :<br />
« Nous pouvons avoir une conception claire <strong><strong>de</strong>s</strong> moyens par lesquels nous en venons<br />
ordinairement à connaître les propositions en question. Néanmoins en même temps nous<br />
pouvons être incapables <strong>de</strong> fournir une quelconque explication plausible <strong>de</strong> conditions <strong>de</strong><br />
vérité dont la connaissance du fait qu’elles sont satisfaites pourrait être obtenue par ces<br />
moyens. Ou bien nous pouvons avoir une conception claire <strong>de</strong> ce qui est impliqué dans<br />
la vérité <strong>de</strong> la proposition, mais être incapables <strong>de</strong> voir comment nos métho<strong><strong>de</strong>s</strong> réelles <strong>de</strong><br />
formation <strong>de</strong> la croyance à propos <strong>de</strong> l’obj<strong>et</strong> sur lequel elles portent peuvent être suffisantes<br />
pour connaître leur vérité. Dans certains cas nous pouvons ne pas avoir les idées claires<br />
sur aucune <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux choses.<br />
J’appelle la tâche générale consistant à fournir, pour un domaine déterminé, une<br />
métaphysique <strong>et</strong> une épistémologie simultanément acceptables <strong>et</strong> à montrer qu’elles le<br />
sont, le Défi <strong>de</strong> l’Intégration pour ce domaine 5 . »<br />
Ce que cela veut dire est que, si nous considérons une discipline quelconque qui<br />
a une prétention à la connaissance que l’on peut présumer légitime, nous sommes<br />
4. Edgar Allan Poe, Marginalia <strong>et</strong> autres fragments, textes choisis, présentés <strong>et</strong> traduits <strong>de</strong><br />
l’anglais par Lionel Menasché, Editions Allia, Paris, 2007, p. 103.<br />
5. Christopher Peacocke, Being Known, Clarendon Press, Oxford, 1999, p. 1-2.
PHILOSOPHIE DU LANGAGE ET DE LA CONNAISSANCE 399<br />
en droit <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r qu’elle dispose à la fois d’un concept compréhensible <strong>et</strong><br />
acceptable <strong>de</strong> la vérité <strong>et</strong> d’une explication également compréhensible <strong>et</strong> acceptable<br />
<strong>de</strong> la manière dont la vérité en question peut être atteinte par les moyens dont<br />
nous disposons. Il faut que le concept <strong>de</strong> vérité philosophique, tel qu’il est expliqué<br />
par ceux qui l’utilisent, ne ren<strong>de</strong> pas impossible à comprendre <strong>et</strong> complètement<br />
mystérieux ou invraisemblable, au regard <strong>de</strong> l’idée que nous nous faisons <strong>de</strong> ce que<br />
peut être la connaissance en général, la manière dont nous pouvons, avec les<br />
moyens que nous sommes censés avoir à notre disposition, en venir à connaître la<br />
vérité en question. Et, inversement, il ne doit pas y avoir une discordance complète<br />
ni même un écart trop important entre ce que nous savons <strong><strong>de</strong>s</strong> processus par<br />
lesquels se forment les croyances <strong>et</strong> les certitu<strong><strong>de</strong>s</strong> philosophiques, <strong>et</strong> l’idée que nous<br />
nous faisons du genre <strong>de</strong> vérités à la connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong>quelles nous sommes censés<br />
avoir réussi à accé<strong>de</strong>r grâce à eux. Il est probable qu’en réalité nous n’avons les idées<br />
tout à fait claires ni sur le sens auquel il peut être question <strong>de</strong> vérité dans le cas<br />
d’une discipline comme la philosophie, ni sur les moyens <strong>de</strong> connaissance dont<br />
nous disposons pour accé<strong>de</strong>r à une vérité <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te sorte.<br />
La raison pour laquelle le défi <strong>de</strong> l’intégration est important n’est pas difficile à<br />
comprendre, tout au moins pour ceux qui souhaitent défendre dans tous les<br />
domaines, à commencer, bien entendu, par celui <strong>de</strong> la philosophie, un point <strong>de</strong><br />
vue rationaliste. Peacocke s’exprime sur ce point <strong>de</strong> la façon suivante dans la<br />
conclusion <strong>de</strong> son livre, The Realm of Reason :<br />
« Finalement, nous <strong>de</strong>vrions, en poursuivant l’agenda rationaliste à travers plus <strong>de</strong><br />
domaines <strong>et</strong> <strong>de</strong> questions, viser à obtenir une meilleure compréhension <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong><br />
connaissance <strong>de</strong> ce que c’est pour un contenu que d’être vrai. J’ai argué que nous ne<br />
pouvons pas caractériser la rationalité sans invoquer c<strong>et</strong>te notion. Elle informe notre<br />
conception <strong>de</strong> ce que c’est pour une transition que d’être rationnelle. La notion <strong>de</strong><br />
connaître ce que c’est pour un contenu donné que d’être vrai elle-même lie ensemble le<br />
métaphysique <strong>et</strong> l’épistémologique. Quand on échoue à réaliser l’intégration, dans un<br />
domaine donné, <strong>de</strong> notre métaphysique avec notre épistémologie, cela fait <strong>de</strong> façon<br />
caractéristique apparaître comme manifestement défectueuses les explications <strong>de</strong> ce que<br />
c’est pour un contenu concernant ce domaine que d’être vrai. Comprendre la connaissance<br />
<strong>de</strong> ce que c’est pour une chose que d’être le cas, ce serait disposer d’une clé non seulement<br />
pour l’épistémologie <strong>et</strong> la métaphysique <strong>de</strong> ce domaine, mais pour la nature <strong>de</strong> nousmêmes<br />
comme penseurs rationnels. Comprendre notre appréhension <strong>de</strong> la vérité est une<br />
partie essentielle <strong>de</strong> nous comprendre nous-mêmes 6 . »<br />
Ce n’est pas, semble-t-il, faire preuve d’un pessimisme exagéré que <strong>de</strong> dire que<br />
nous n’avons apparemment pas, pour un domaine comme celui <strong>de</strong> la philosophie,<br />
d’explication satisfaisante <strong>de</strong> ce que c’est pour un contenu ayant trait à ce domaine<br />
que d’être connu comme vrai. Et on peut s’attendre à ce que ce défaut d’explication<br />
se révèle <strong>de</strong> façon particulièrement flagrante dans l’incapacité <strong>de</strong> résoudre le défi<br />
<strong>de</strong> l’intégration <strong>et</strong> même peut-être déjà <strong>de</strong> le prendre au sérieux. Le défi <strong>de</strong><br />
l’intégration constitue un problème qui a été discuté abondamment dans le cas <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
6. Christopher Peacocke, The Realm of Reason, Clarendon Press, Oxford, 2004, p. 267.
400 JACQUES BOUVERESSE<br />
mathématiques. Il l’a été beaucoup plus rarement dans le cas <strong>de</strong> la philosophie <strong>et</strong><br />
pourtant il y aurait <strong>de</strong> nombreuses raisons <strong>de</strong> le poser, puisqu’il pourrait bien y<br />
avoir <strong><strong>de</strong>s</strong> difficultés particulières, pour ceux qui acceptent d’utiliser le concept <strong>de</strong><br />
vérité à propos <strong>de</strong> la philosophie, à concilier la métaphysique <strong>et</strong> l’épistémologie <strong>de</strong><br />
la vérité philosophique. L’attitu<strong>de</strong> la plus répandue, sur ce point, semble être, <strong>de</strong><br />
façon particulièrement regr<strong>et</strong>table, celle qui consiste à éviter pru<strong>de</strong>mment le<br />
problème.<br />
De quelle façon faut-il se représenter, dans le cas <strong>de</strong> la philosophie, la relation qui<br />
existe entre la vérité <strong>et</strong> la possibilité pour nous <strong>de</strong> la reconnaître ? Est-il admissible<br />
que la philosophie utilise, pour ses propres propositions, un concept <strong>de</strong> vérité qui<br />
transcen<strong>de</strong> largement toute possibilité <strong>de</strong> vérification, ce qui expliquerait que, si les<br />
philosophes n’ont pas cessé <strong>de</strong> présenter comme vraies <strong>et</strong> d’asserter <strong><strong>de</strong>s</strong> propositions<br />
<strong>de</strong> l’espèce la plus diverse, on ne peut malheureusement dire d’aucune d’entre elles<br />
qu’elle ait été, à proprement parler, vérifiée, dans un sens du mot « vérifier » qui soit,<br />
bien entendu, approprié à la nature <strong>de</strong> la discipline ? Ou bien « vrai » doit-il vouloir<br />
dire dans le cas <strong>de</strong> la philosophie elle-même, à peu près la même chose que<br />
« vérifiable » ou « susceptible d’être affirmé avec <strong>de</strong> bonnes raisons » ? Autrement<br />
dit, est-il concevable que les propositions philosophiques soient bel <strong>et</strong> bien vraies ou<br />
fausses, mais le soient d’une manière telle que nous ne parviendrons peut-être jamais<br />
à savoir ce qu’il en est ? Ou bien faut-il rej<strong>et</strong>er complètement c<strong>et</strong>te idée, ce qui risque<br />
<strong>de</strong> nous placer dans une situation à bien <strong><strong>de</strong>s</strong> égards encore plus inconfortable ?<br />
Comme le dit Göran Sundholm :<br />
« Il y a <strong>de</strong>ux principes traditionnels qui jouent un rôle central dans l’interaction entre la<br />
logique <strong>et</strong> l’épistémologie. Le premier est, bien entendu, la loi du Tiers Exclu, ou toutefois,<br />
comme le Prof. Dumm<strong>et</strong>t nous en a fait prendre conscience plus que n’importe qui d’autre,<br />
la loi <strong>de</strong> la Bivalence. L’autre principe, qui est aussi vénérable que celui <strong>de</strong> la Bivalence, est le<br />
principe auquel le Prof. Dumm<strong>et</strong>t s’est référé comme étant le principe K, probablement<br />
pour signifier knowledge : si une proposition est vraie, alors il est possible en principe <strong>de</strong><br />
savoir qu’elle est vraie. C’est seulement en 1908 que la tension entre ce principe <strong>de</strong><br />
Connaissabilité <strong>et</strong> le principe <strong>de</strong> Bivalence a été ressentie simultanément dans <strong>de</strong>ux endroits<br />
différents, à savoir Cambridge <strong>et</strong> Amsterdam. G. E. Moore est le premier à envisager <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
propositions vraies inconnaissables, compte tenu du fait que, étant un Réaliste, il ne<br />
pourrait pas adm<strong>et</strong>tre l’abolition <strong>de</strong> la loi <strong>de</strong> Bivalence. L. E. J. Brouwer, en revanche, a<br />
adopté l’issue opposée, dans sa réaction à c<strong>et</strong>te tension dilemmatique <strong>et</strong> a choisi <strong>de</strong> conserver<br />
le principe <strong>de</strong> Connaissabilité <strong>de</strong> la vérité, mais il a dû alors s’abstenir <strong>de</strong> reconnaître la loi<br />
<strong>de</strong> Bivalence <strong>et</strong> la loi du Tiers Exclu qui s’ensuit, dans leur généralité complète 7 . »<br />
C’est la façon dont les philosophes ont réagi à c<strong>et</strong>te tension qui est à l’origine<br />
<strong>de</strong> la distinction qui doit être faite pour commencer, selon Vuillemin, entre <strong>de</strong>ux<br />
gran<strong><strong>de</strong>s</strong> classes <strong>de</strong> systèmes philosophiques : les systèmes dogmatiques <strong>et</strong> les<br />
systèmes <strong>de</strong> l’examen, dont l’intuitionnisme est une <strong><strong>de</strong>s</strong> formes fondamentales,<br />
7. Göran Sundholm, « Vestiges of Realism », in The Philosophy of Michael Dumm<strong>et</strong>t, edited by<br />
Brian McGuinness and Gianluigi Oliveri, Kluwer Aca<strong>de</strong>mic Publishers, Dordrecht/Boston/<br />
London, 1994, p. 139-140.
PHILOSOPHIE DU LANGAGE ET DE LA CONNAISSANCE 401<br />
l’autre étant le scepticisme. Les systèmes du premier type, comme leur nom<br />
l’indique, utilisent une notion dogmatique <strong>de</strong> la vérité, comprise comme consistant<br />
dans l’adéquation <strong>de</strong> la proposition avec un état <strong>de</strong> choses objectif qui est réalisé<br />
ou ne l’est pas, indépendamment <strong>de</strong> la possibilité que nous avons (ou n’avons<br />
peut-être pas) <strong>de</strong> savoir s’il l’est ou non. Les systèmes <strong>de</strong> l’examen choisissent<br />
d’utiliser une notion <strong>de</strong> la vérité qui ne peut être dissociée à ce point <strong>de</strong> celle <strong>de</strong><br />
la vérifiabilité (dans le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques, <strong>de</strong> la démontrabilité). On s’est<br />
intéressé c<strong>et</strong>te année, <strong>de</strong> façon particulièrement détaillée, à l’opposition qui existe<br />
entre l’option réaliste <strong>et</strong> l’option intuitionniste, non pas seulement sur le terrain<br />
<strong>de</strong> la philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong> la connaissance en général,<br />
mais également dans le domaine <strong>de</strong> la philosophie pratique elle-même.<br />
Avant d’abor<strong>de</strong>r c<strong>et</strong> aspect du problème, on a jugé nécessaire <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> près<br />
les ressemblances <strong>et</strong> les différences qui existent entre Quine <strong>et</strong> Vuillemin, en ce qui<br />
concerne à la fois leurs conceptions respectives <strong>de</strong> la philosophie, l’idée qu’ils se<br />
font <strong><strong>de</strong>s</strong> relations qui existent entre la philosophie <strong>et</strong> les sciences, <strong>et</strong> le genre <strong>de</strong><br />
critères <strong>et</strong> <strong>de</strong> métho<strong>de</strong> qu’ils utilisent pour distinguer <strong>et</strong> classer les ontologies <strong>et</strong> les<br />
philosophies. On pourrait sans doute être tenté d’objecter à c<strong>et</strong>te confrontation<br />
que Quine n’a pas réellement cherché à construire une classification en bonne <strong>et</strong><br />
due forme <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes espèces <strong>de</strong> philosophies <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques <strong>et</strong> encore<br />
moins, bien entendu, <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes espèces <strong>de</strong> philosophies tout court. Il a plutôt<br />
cherché, plus mo<strong><strong>de</strong>s</strong>tement, à montrer comment les trois espèces principales <strong>de</strong><br />
philosophies <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques qui se sont divisées <strong>et</strong> affrontées au vingtième<br />
siècle : le logicisme, l’intuitionnisme <strong>et</strong> le formalisme, peuvent être distinguées par<br />
les engagements ontologiques auxquels elles consentent ou refusent <strong>de</strong> consentir <strong>et</strong><br />
comment le critère <strong>de</strong> l’engagement ontologique qu’il propose perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> clarifier<br />
les désaccords qu’il y a entre elles. Mais ce n’est sûrement pas le point le plus<br />
important. Car cela n’interdit évi<strong>de</strong>mment pas <strong>de</strong> se poser la question <strong>de</strong> savoir<br />
quelle position exacte est susceptible d’occuper une philosophie comme celle <strong>de</strong><br />
Quine dans la classification <strong>de</strong> Vuillemin <strong>et</strong> celle <strong>de</strong> savoir si la classification <strong>de</strong><br />
Quine comporte ou non une lacune qui pourrait la rendre, par exemple, incapable<br />
<strong>de</strong> définir l’intuitionnisme au sens <strong>de</strong> Vuillemin. C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière question constitue,<br />
bien entendu, une occasion <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r aussi s’il est indispensable d’adopter<br />
une définition comme celle que Vuillemin donne <strong>de</strong> l’intuitionnisme pour pouvoir<br />
comprendre l’intuitionnisme comme philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques <strong>et</strong> rendre<br />
justice à ce qu’il a été.<br />
Un <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes que soulève la position <strong>de</strong> Quine est évi<strong>de</strong>mment que, comme<br />
l’a souligné Joseph Vidal-Ross<strong>et</strong>, si le critère <strong>de</strong> l’engagement ontologique est simple,<br />
objectif <strong>et</strong> impartial, on est obligé <strong>de</strong> reconnaître qu’il ne s’embarrasse pas <strong>de</strong> nuances,<br />
ce qui pourrait avoir pour conséquence qu’il ne fait pas suffisamment <strong>de</strong> différences.<br />
Un exemple typique <strong>de</strong> cela est la façon dont Quine traite le réalisme, puisque,<br />
comme on l’a rappelé, il ne fait guère <strong>de</strong> différence véritable entre <strong>de</strong>ux positions<br />
comme ce qu’on pourrait appeler le platonisme dogmatique, qui soutient que les<br />
entités abstraites existent en soi <strong>et</strong> indépendamment <strong>de</strong> nos activités <strong>de</strong> connaissance,
402 JACQUES BOUVERESSE<br />
<strong>et</strong> le platonisme que l’on pourrait appeler « pragmatique », qui se contente d’affirmer<br />
que nous sommes contraints d’accepter l’existence au moins <strong>de</strong> certains d’entre eux<br />
pour les besoins <strong>de</strong> la science, <strong>et</strong> donc d’une façon qui n’est pas vraiment dissociable<br />
<strong>de</strong> l’entreprise <strong>de</strong> la connaissance elle-même. Or c<strong>et</strong>te différence peut sembler<br />
justement essentielle, du point <strong>de</strong> vue philosophique.<br />
La façon dont Quine traite la question du réalisme entraîne un affaiblissement<br />
certain <strong>de</strong> la position réaliste <strong>et</strong> nous laisse pour finir avec un réalisme qui est<br />
véritablement minimal <strong>et</strong> ne conserve indiscutablement, même dans le cas <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
mathématiques, pas grand-chose <strong>de</strong> proprement platonicien. Un autre problème,<br />
qu’on a déjà mentionné, est celui <strong>de</strong> savoir comment il faut comprendre<br />
l’intuitionnisme <strong>et</strong> à quel endroit il convient exactement <strong>de</strong> le situer dans la<br />
classification <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes. Et il y a enfin la question <strong>de</strong> savoir quelle est la place<br />
qui doit être attribuée à une philosophie comme celle <strong>de</strong> Quine dans la classification<br />
<strong>de</strong> Vuillemin, si toutefois on la considère comme suffisamment systématique pour<br />
mériter une place dans une classification qui est avant tout celle <strong><strong>de</strong>s</strong> formes <strong>de</strong><br />
systèmes philosophiques. (Le pragmatisme <strong>et</strong> l’éclectisme qui caractérisent la<br />
démarche <strong>de</strong> Quine <strong>et</strong> celle d’un bon nombre <strong>de</strong> philosophies contemporaines<br />
suscitent évi<strong>de</strong>mment, chez Vuillemin, <strong><strong>de</strong>s</strong> réserves qui n’ont rien <strong>de</strong> surprenant.)<br />
Ce qui est constitutif <strong>de</strong> l’intuitionnisme, dans l’interprétation <strong>de</strong> Vuillemin, est<br />
moins le choix d’une réponse déterminée à la question ontologique <strong>de</strong> l’admissibilité<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s abstraits que celui qui consiste à exiger <strong>de</strong> tous les obj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> connaissance<br />
possibles, qu’ils soient concr<strong>et</strong>s ou abstraits, qu’ils puissent exhiber la métho<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
construction par laquelle ils peuvent être atteints, ce qui, comme on pouvait s’y<br />
attendre, nous renvoie, dans la classification <strong><strong>de</strong>s</strong> formes d’assertion fondamentales,<br />
à ce qu’il appelle les « jugements <strong>de</strong> métho<strong>de</strong> ». « Je donne, dit-il au mot<br />
intuitionnisme un sens voisin <strong>de</strong> celui qu’il a reçu en philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques.<br />
Un mathématicien est dit intuitionniste quand il requiert d’une preuve d’existence<br />
qu’elle fournisse le moyen <strong>de</strong> construire l’obj<strong>et</strong>. De même un philosophe est<br />
intuitionniste […] quand il requiert <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> la connaissance qu’ils fassent voir<br />
quelle métho<strong>de</strong> les rend légitimes. Les mathématiciens intuitionnistes se disputent<br />
sur la nature <strong>et</strong> la limite <strong><strong>de</strong>s</strong> constructions admissibles. De même, les philosophes<br />
intuitionnistes se disputent sur la nature <strong>et</strong> les limites <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la<br />
connaissance 8 » Descartes <strong>et</strong> Kant peuvent évi<strong>de</strong>mment être considérés, en ce senslà,<br />
comme <strong><strong>de</strong>s</strong> philosophes typiquement intuitionnistes.<br />
Le point <strong>de</strong> vue intuitionniste, compris <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te façon, peut être appliqué, <strong>de</strong><br />
façon très naturelle, non seulement aux obj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> la connaissance proprement dite,<br />
mais également à ceux <strong>de</strong> la morale <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’esthétique. Et c’est <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te façon-là que<br />
le terme « intuitionnisme » est utilisé par Vuillemin dans sa classification, ce qui<br />
perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> ranger Épicure, par exemple, à côté <strong>de</strong> Descartes <strong>et</strong> <strong>de</strong> Kant dans la<br />
catégorie générale <strong><strong>de</strong>s</strong> intuitionnistes. Un philosophe intuitionniste qui a construit<br />
8. Jules Vuillemin, L’Intuitionnisme kantien, Vrin, Paris, 1994, p. 7.
PHILOSOPHIE DU LANGAGE ET DE LA CONNAISSANCE 403<br />
un système philosophique compl<strong>et</strong> appliquera au cas du vrai, du bien <strong>et</strong> du beau<br />
le même genre <strong>de</strong> traitement, que Vuillemin décrit <strong>de</strong> la façon suivante :<br />
« Appelons intuitionniste un système qui rend ses définitions du vrai, du bien <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />
beauté dépendantes <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> par laquelle la connaissance, la conscience morale <strong>et</strong><br />
le jugement <strong>de</strong> goût parviennent jusqu’à eux. En éthique, l’intuitionnisme subordonne le<br />
souverain bien aux règles <strong>de</strong> la liberté. Ou plutôt, comme il est sous le contrôle <strong>de</strong> notre<br />
volonté, le souverain bien n’est rien d’autre que la législation <strong>de</strong> notre liberté, alors que<br />
le fait d’être dépossédé <strong>de</strong> notre liberté est le principe du mal. L’autarcie épicurienne, la<br />
maîtrise <strong>de</strong> soi cartésienne, l’autonomie kantienne résultent d’une reconnaissance<br />
commune <strong>de</strong> la primauté <strong>de</strong> la liberté, en contraste aussi bien avec le dogmatisme qu’avec<br />
le scepticisme moral 9 . »<br />
Une partie conséquente du <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année a été consacrée à c<strong>et</strong> aspect<br />
important <strong>et</strong> souvent un peu trop négligé <strong>de</strong> la confrontation entre l’intuitionnisme,<br />
au sens élargi, <strong>et</strong> son adversaire réaliste, autrement à <strong><strong>de</strong>s</strong> questions du type suivant :<br />
1) la théorie intuitionniste <strong>de</strong> la finalité esthétique chez Kant <strong>et</strong> la philosophie<br />
intuitionniste <strong>de</strong> la beauté dans la nature <strong>et</strong> dans l’art ; 2) l’intuitionnisme moral<br />
<strong>et</strong> le problème <strong>de</strong> la décision ; 3) la philosophie du droit <strong>de</strong> Kant <strong>et</strong> la théorie <strong>de</strong><br />
la justice <strong>de</strong> Rawls (Vuillemin a entrepris <strong>de</strong> démontrer que c<strong>et</strong>te théorie s’est<br />
trompée sur ses véritables ancêtres <strong>et</strong> que, contrairement à ce qu’a soutenu son<br />
auteur, elle ne s’apparente pas à une forme d’intuitionnisme, d’inspiration<br />
kantienne, mais plutôt à une forme <strong>de</strong> scepticisme qui ne se reconnaît pas comme<br />
telle) ; 4) la part <strong>de</strong> la foi <strong>et</strong> celle <strong>de</strong> la raison dans la philosophie <strong>et</strong> dans l’opposition<br />
entre les philosophies : la confrontation entre saint Anselme <strong>et</strong> Kant comme<br />
exemple d’une opposition entre le rationalisme dogmatique <strong>et</strong> le rationalisme<br />
intuitionniste ; 5) le problème <strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre la vérité, la connaissance <strong>et</strong> la<br />
croyance, dans le cas général <strong>et</strong> dans la philosophie en particulier.<br />
Dans la <strong>de</strong>rnière partie du <strong>cours</strong>, on est revenu à l’aporie <strong>de</strong> Diodore comme<br />
constituant un principe <strong>de</strong> division entre les systèmes <strong>de</strong> la nécessité, <strong>de</strong> la<br />
contingence <strong>et</strong> <strong>de</strong> la liberté, <strong>et</strong>, <strong>de</strong> ce fait, entre les systèmes <strong>de</strong> philosophie pratique.<br />
L’opposition entre les systèmes se traduit notamment par une divergence entre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
conceptions différentes <strong>de</strong> ce qu’est, à proprement parler, une loi <strong>de</strong> la nature.<br />
« Pour appliquer la métho<strong>de</strong> synthétique au dominateur, explique Vuillemin, il<br />
faudra […] assigner, dans un système philosophique, le principe en vertu duquel<br />
le doute doit se porter sur l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> axiomes <strong>de</strong> l’argument <strong>et</strong> montrer l’étroite<br />
convenance <strong>de</strong> chaque système avec l’usage spécifique qu’il fait d’une modalité<br />
fondamentale pour définir ce qu’il entend par loi naturelle 10 . » Tous les systèmes<br />
intuitionnistes, par exemple, adm<strong>et</strong>tent la contingence <strong><strong>de</strong>s</strong> lois <strong>de</strong> la nature, ce qui<br />
est une conséquence inévitable <strong><strong>de</strong>s</strong> exigences <strong>de</strong> constructivité imposées à la vérité,<br />
ils optent <strong>de</strong> préférence pour le mécanisme strict <strong>et</strong> ils ne tolèrent la finalité qu’à<br />
titre d’idée régulatrice <strong>de</strong> la recherche. Vuillemin procè<strong>de</strong> en remontant <strong>de</strong> la<br />
9. « Kant’s Moral Intuitionism », in L’intuitionnisme kantien, p. 57.<br />
10. Jules Vuillemin, Nécessité ou contingence, L’argument <strong>de</strong> Diodore <strong>et</strong> les systèmes<br />
philosophiques, Editions <strong>de</strong> Minuit, 1984, p. 275.
404 JACQUES BOUVERESSE<br />
prémisse qui est récusée par un système philosophique dans l’aporie <strong>de</strong> Diodore à<br />
la conception d’un type déterminé <strong>de</strong> loi naturelle, puis à l’édifice philosophique<br />
compl<strong>et</strong> dans lequel c<strong>et</strong>te loi trouve sa place.<br />
Au terme d’un analyse détaillée <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes espèces <strong>de</strong> lois (les lois<br />
classificatoires, dont il existe quatre espèces différentes, les lois causales <strong>et</strong> les règles<br />
<strong>de</strong> l’examen) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la façon dont se comportent à leur égard les différents systèmes<br />
philosophiques, on en arrive, en suivant Vuillemin, au tableau <strong><strong>de</strong>s</strong> correspondances<br />
qui existent entre une forme <strong>de</strong> système philosophique, un type <strong>de</strong> loi naturelle<br />
reconnu par elle comme valable <strong>et</strong> le choix d’une prémisse déterminée, explicite<br />
ou implicite, <strong>de</strong> l’argument dominateur qui doit, selon elle, être mise en doute.<br />
Ainsi, par exemple, le réalisme platonicien m<strong>et</strong> en question le principe <strong>de</strong><br />
nécessité conditionnelle, le conceptualisme aristotélicien m<strong>et</strong> en question le<br />
principe <strong>de</strong> bivalence, le nominalisme <strong><strong>de</strong>s</strong> choses m<strong>et</strong> en question la troisième<br />
prémisse, qui énonce qu’il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> possibles qui ne se réalisent pas, Épicure, dont<br />
la doctrine est une forme d’intuitionnisme, m<strong>et</strong> en question le principe du tiers<br />
exclu, <strong>et</strong>c. On peut remarquer également que, « mis en <strong>de</strong>meure <strong>de</strong> préciser le<br />
statut du concept <strong>de</strong> possible qui ne se réalise jamais, les systèmes intuitionnistes<br />
font preuve d’une même hésitation pour aboutir à une même fin <strong>de</strong> non recevoir »<br />
(Nécessité ou contingence, p. 391). C’est vrai d’Épicure, même s’il donne l’impression<br />
<strong>de</strong> chercher à tout prix à conserver la troisième prémisse du Dominateur, <strong>de</strong><br />
Descartes, pour autant que l’idée d’un possible qui ne se réaliserait jamais semble<br />
constituer une limite imposée <strong>de</strong> façon inacceptable à la toute-puissance <strong>de</strong> Dieu,<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> Kant. Mais il faut remarquer que, alors que les nominalistes rej<strong>et</strong>tent<br />
dogmatiquement c<strong>et</strong>te prémisse, les intuitionnistes se contentent <strong>de</strong> la critiquer.<br />
On peut constater une fois <strong>de</strong> plus qu’il y a une différence importante entre refuser<br />
simplement d’asserter un principe <strong>et</strong> affirmer explicitement sa négation.<br />
C’est à ce sta<strong>de</strong> que s’est arrêté le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année, sans avoir malheureusement<br />
permis d’entrer réellement dans les détails <strong>de</strong> l’argumentation qui perm<strong>et</strong> à<br />
Vuillemin d’aboutir aux résultats qu’il expose. Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année prochaine, qui<br />
sera consacré à la façon dont on peut situer la philosophie <strong>de</strong> la nécessité <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />
contingence <strong>de</strong> Leibniz par rapport au défi que représente l’aporie <strong>de</strong> Diodore,<br />
<strong>de</strong>vra donc commencer par un r<strong>et</strong>our sur celle-ci <strong>et</strong> sur le rôle déterminant <strong>et</strong><br />
structurant que Vuillemin a choisi <strong>de</strong> lui faire jouer dans sa tentative <strong>de</strong> construction<br />
d’une sorte <strong>de</strong> métasystématique <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> philosophie pratique.<br />
B. Séminaire<br />
Le séminaire <strong>de</strong> l’année 2007-2008 a été consacré à un thème qui était directement<br />
en rapport avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong> <strong>et</strong> qui a donné l’occasion d’entendre une série <strong>de</strong><br />
treize exposés, qui se sont succédé <strong>de</strong> la façon suivante :<br />
9 janvier 2008 : Delphine Chapuis-Schmitz (University of Pittsburgh), Théorie,<br />
métho<strong>de</strong> <strong>et</strong> vérité : en quel sens la philosophie peut-elle être systématique ?
PHILOSOPHIE DU LANGAGE ET DE LA CONNAISSANCE 405<br />
16 janvier : Pierre Jacob (Institut Jean Nicod, Paris), Le naturalisme méthodologique<br />
<strong>et</strong> le naturalisme métaphysique.<br />
23 janvier : Au<strong>de</strong> Bandini (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), La philosophie <strong>et</strong> les <strong>de</strong>ux images<br />
du mon<strong>de</strong>.<br />
30 janvier : Ophélia Deroy (Université Paris 12), La philosophie contemporaine<br />
doit-elle être relativiste <strong>et</strong> peut-elle l’être ?<br />
6 février : Denis Perrin (Université <strong>de</strong> Grenoble), La présentation synoptique :<br />
ressemblance <strong>et</strong> morphologie.<br />
13 février : Gabriella Crocco (Université d’Aix-en-Provence), Sur les rapports <strong>de</strong><br />
la philosophie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la science dans la pensée contemporaine.<br />
20 février : Jocelyn Benoist (Université Paris 1), Le prix du réalisme.<br />
27 février : Fabrice Pataut (IHPST, Paris), La philosophie analytique doit-elle être<br />
systématique ?<br />
5 mars : Claudine Tiercelin (Université Paris 12), L’ontologie est-elle la clé d’un<br />
système philosophique ?<br />
12 mars : Gerhard Heinzmann (Archives Poincaré, Nancy), La systématicité du<br />
dialogue en tant que « structure pragmatique » <strong>de</strong> la proposition élémentaire.<br />
19 mars : Kevin Mulligan (Université <strong>de</strong> Genève), Description, Apories <strong>et</strong><br />
Système.<br />
25 mars : Jean-Jacques Rosat (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), Pourquoi une philosophie <strong>de</strong> la<br />
psychologie doit-elle être synoptique <strong>et</strong> peut-elle l’être ?<br />
2 avril : Jacques Bouveresse (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), Martial Gueroult <strong>et</strong> la philosophie<br />
<strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> la philosophie.<br />
On pourrait dire, en reprenant le titre <strong>de</strong> l’un d’entre eux, que la série <strong>de</strong> ces<br />
exposés a permis d’obtenir une vue à la fois beaucoup plus précise <strong>et</strong> plus complète<br />
du prix que l’on doit être prêt à payer aussi bien pour défendre le réalisme que<br />
pour défendre l’antiréalisme, la systématicité que l’antisystématicité, <strong>et</strong>c., en<br />
philosophie. Ils ont montré, en tout cas, que la question <strong>de</strong> savoir si la philosophie<br />
doit être systématique <strong>et</strong> en quel sens n’a rien perdu <strong>de</strong> son intérêt <strong>et</strong> que,<br />
contrairement, à ce qui a été affirmé à maintes reprises, elle est toujours aussi loin<br />
d’être réglée. Il n’y a pas d’accord en vue entre les philosophies, mais il n’y en a<br />
pas non plus sur le genre <strong>de</strong> chose que doit être la philosophie.<br />
Au travail effectué dans le séminaire s’est ajouté celui du p<strong>et</strong>it groupe <strong>de</strong> recherche<br />
franco-allemand qui se réunit <strong>de</strong>puis plusieurs années pour réfléchir à la question<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre la littérature <strong>et</strong> la philosophie. Le groupe a tenu c<strong>et</strong>te année<br />
quatre séances, au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>quelles ont été entendues <strong>et</strong> discutées <strong><strong>de</strong>s</strong> contributions<br />
<strong>de</strong> Jean-François Laplénie, Catrin Misselhorn, Fabian Goppelsrö<strong>de</strong>r <strong>et</strong> Jacques<br />
Bouveresse. Les participants sont tombés d’accord pour essayer <strong>de</strong> poursuivre dans<br />
les années qui viennent une expérience qui s’est révélée, une fois <strong>de</strong> plus,<br />
particulièrement positive <strong>et</strong> éclairante.
406 JACQUES BOUVERESSE<br />
A. Ouvrages<br />
Publications<br />
— Les Voix <strong>de</strong> Karl Kraus : le satiriste <strong>et</strong> le prophète, Editions Agone, Marseille, 2007.<br />
— La Connaissance <strong>de</strong> l’écrivain, Sur la littérature, la vérité <strong>et</strong> la vie, Editions Agone,<br />
Marseille, 2008.<br />
B. Articles <strong>et</strong> conférences<br />
— « Precisamos da verda<strong>de</strong> ? », in Que valores para este tempo ?, Fundacaon Calouste<br />
Gulbenkian/Gradiva, Lisbonne, 2007. p. 37-56.<br />
— « Peut-on ne pas croire ? », conférence donnée à l’invitation <strong><strong>de</strong>s</strong> Amis du Mon<strong>de</strong><br />
diplomatique (Versailles), 13 octobre 2007.<br />
— « “Au commencement était la presse …” Le pouvoir <strong><strong>de</strong>s</strong> médias <strong>et</strong> la rébellion <strong>de</strong> Karl<br />
Kraus : une leçon <strong>de</strong> résistance pour notre temps ? », conférence donnée à l’invitation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Amis du Mon<strong>de</strong> diplomatique (ENS, Ulm), 16 octobre 2007 (à paraître dans la revue<br />
Agone, n° 40)<br />
— « L’éthique <strong>de</strong> la croyance <strong>et</strong> la question du poids <strong>de</strong> l’autorité », contribution au<br />
Colloque <strong>de</strong> rentrée du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 18-19 octobre 2007 (à paraître dans les Actes<br />
du Colloque, aux Editions Odile Jacob).<br />
— « Science <strong>et</strong> religion », conférence-débat organisée par a Librairie Pax, Liège,<br />
14 novembre 2007 .<br />
— « Le pluralisme, l’éclectisme <strong>et</strong> le problème <strong>de</strong> la décision en philosophie », contribution<br />
à la Journée sur La connaissance philosophique, organisée par le Département <strong>de</strong> Philosophie<br />
<strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Genève, 20 novembre 2007.<br />
— « Connaissance <strong>et</strong> littérature», conférence inaugurale donnée aux Rencontres du Livre<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences Humaines, Espace <strong><strong>de</strong>s</strong> Blancs Manteaux, 22 février 2008.<br />
— « Littérature, vérité <strong>et</strong> connaissance », conférence-débat organisée par la librairie<br />
L’O<strong>de</strong>ur du Temps, Marseille, 29 février 2008.<br />
— « Go<strong>et</strong>he <strong>et</strong> Lichtenberg : le bleu du ciel, les ombres colorées <strong>et</strong> la nature <strong>de</strong> la<br />
couleur », TECHNE, n° 26, 2007, p. 20-36.<br />
— Préface à la traduction française <strong>de</strong> Karl Bühler, Sprachtheorie (1934), à paraître aux<br />
Editions Agone, Marseille, automne 2008.<br />
— « Le besoin <strong>de</strong> croyance <strong>et</strong> le besoin <strong>de</strong> vérité », Agone, n° 38/39, 2008, p. 281-306.<br />
— « Littérature <strong>et</strong> politique : Karl Kraus <strong>et</strong> “la troisième nuit <strong>de</strong> Walpurgis” », conférence<br />
donnée à l’Université <strong>de</strong> Lausanne (Institut d’Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> Politiques <strong>et</strong> Internationales), 28 mai<br />
2008 (à paraître).
Philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences biologiques <strong>et</strong> médicales<br />
Anne Fagot-Largeault, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), professeure<br />
L’enseignement <strong>de</strong> l’année 2007-2008 inclut un <strong>cours</strong> sur l’ontologie du <strong>de</strong>venir<br />
(suite), fait à Paris du 31 janvier au 27 mars 2008 (les jeudis, <strong>de</strong> 10 h 30 à 12 h 30,<br />
amphithéâtre Halbwachs), <strong>et</strong> un séminaire sur les méthodologies <strong>de</strong> la recherche<br />
en psychiatrie, qui s’est tenu en trois <strong>de</strong>mi-journées, <strong>de</strong>ux fois à Paris, les 10 avril<br />
<strong>et</strong> 5 mai 2008 (salle 4), <strong>et</strong> une fois à Bonn (Allemagne), le 19 juin 2008. En outre,<br />
un symposium international <strong>de</strong> philosophie <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine a été organisé à<br />
l’occasion du Congrès mondial <strong>de</strong> philosophie : WCP 2008, Séoul, Corée, les 4<br />
<strong>et</strong> 5 août 2008.<br />
Cours<br />
Ontologie du <strong>de</strong>venir, 2<br />
Le <strong>cours</strong> comportait sept leçons <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux heures chacune (14 heures). La sixième<br />
leçon a été donnée par un orateur invité : Pr. Denis Duboule, Université <strong>de</strong><br />
Genève <strong>et</strong> Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences. Un document était mis à la disposition <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
participants (<strong>et</strong> affiché après chaque leçon sur les sites web du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>).<br />
Ce document donnait, outre les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> lignes <strong>de</strong> la leçon (reproduites ci-après),<br />
<strong>et</strong> quelques illustrations (dont certaines sont reproduites ci-après), <strong><strong>de</strong>s</strong> indications<br />
bibliographiques détaillées (non reproduites ici).<br />
31 01 08 — 2.1. Approches du <strong>de</strong>venir — science <strong>et</strong> philosophie<br />
« there are not many real evolutionnists in this world » (Ghiselin, 1997).<br />
Intr. D’un univers stable à un univers en <strong>de</strong>venir. Ontologie biologique : <strong>de</strong> la<br />
reproduction à l’évolution, sur une p<strong>et</strong>ite planète Terre où notre espèce prend<br />
conscience <strong>de</strong> sa précarité. Être c’est <strong>de</strong>venir : l’expérience musicale. Interroger les<br />
sciences du vivant sur leur ontologie : quelle philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences ?
408 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />
« Il s’agit d’opérer la conversion <strong>de</strong> l’âme d’un jour aussi ténébreux que la nuit vers le jour<br />
véritable, c’est-à-dire, <strong>de</strong> l’élever jusqu’à l’être ; <strong>et</strong> c’est ce que nous appellerons la vraie<br />
philosophie [...] Quelle est donc, Glaucon, la science qui arrache l’âme à ce qui <strong>de</strong>vient <strong>et</strong> la<br />
tire vers ce qui est? » (Platon, République).<br />
« La musique est un exercice <strong>de</strong> métaphysique inconscient, dans lequel l’esprit ne sait pas qu’il<br />
fait <strong>de</strong> la philosophie » (Schopenhauer, Le Mon<strong>de</strong>...).<br />
« Le charme opéra <strong>de</strong> nouveau. Il me fallut poser par instants le livre, en suspendre parfois la<br />
lecture comme on voudrait ralentir le flot <strong>de</strong> certaines musiques pour qu’elles ne passent point,<br />
bien qu’il leur faille passer pour être » (Gilson, 1960).<br />
1. Réception du message évolutionniste, lien entre science <strong>et</strong> philosophie<br />
Philosophie <strong>de</strong> la nature (ou physique) d’Aristote. Cosmotheôros <strong>de</strong> Huyghens,<br />
Philosophie zoologique <strong>de</strong> Lamarck <strong>et</strong> philosophie naturelle <strong>de</strong> Herschel. La philosophie<br />
comme prolongement spéculatif <strong>de</strong> la recherche scientifique, selon Cournot.<br />
Esquisse chez Peirce d’une théorie instructiviste <strong>de</strong> l’évolution. La tradition religieuse<br />
occi<strong>de</strong>ntale plus accueillante pour l’idée darwinienne d’évolution que la tradition<br />
philosophique? Rappel : outils conceptuels proposés par la philosophie au xx e siècle :<br />
créativité (Bergson), processus (Whitehead), individuation (Simondon). Métho<strong><strong>de</strong>s</strong> ?<br />
« Nous ne pouvons pas être sûrs à priori que les lois <strong>de</strong> la nature sont immuables : nous ne<br />
pouvons que nous assurer si elles changent ou ne changent pas. Or, toutes les recherches que<br />
l’on a faites à c<strong>et</strong> égard établissent qu’elles sont invariables » (Herschel, 1830).<br />
« La philosophie sans la science perd bientôt <strong>de</strong> vue nos rapports réels avec la création, pour<br />
s’égarer dans <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces imaginaires ; la science sans la philosophie mériterait encore d’être<br />
cultivée pour les applications aux besoins <strong>de</strong> la vie ; mais hors <strong>de</strong> là on ne voit pas qu’elle offre<br />
à la raison un élément digne d’elle, ni qu’elle puisse être prise pour le <strong>de</strong>rnier but <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong><br />
<strong>de</strong> l’esprit. [...] Partout dans les sciences nous r<strong>et</strong>rouvons la spéculation philosophique<br />
intimement unie à la partie positive ou proprement scientifique » (Cournot, 1851).<br />
« Would you advise me to tell Murray that my book is not more unorthodox than the subject<br />
makes inevitable. That I do not discuss origin of man. That I do not bring in any discussions<br />
about Genesis <strong>et</strong>c., & only give facts, & such conclusions from them as seem to me fair »<br />
(Darwin, 1859).<br />
« Toute science <strong>de</strong> la nature est <strong>de</strong> la philosophie <strong>et</strong> toute vraie philosophie est une science<br />
naturelle » (Haeckel, 1866).<br />
[La doctrine <strong>de</strong> l’évolution bien comprise <strong>de</strong>vient] « une magnifique explication <strong>de</strong> la<br />
succession <strong><strong>de</strong>s</strong> époques indiquées dans la Genèse, <strong>et</strong> les procédés darwiniens sont probablement<br />
au nombre <strong>de</strong> ceux que Dieu a employés dans son œuvre » (Cte Begouen, 1879).<br />
« In short, diversification is the vestige of chance spontaneity; and wherever diversity is<br />
increasing, there chance must be operative. On the other hand, wherever uniformity is<br />
increasing, habit must be operative » (Peirce, 1898).<br />
2. Bergson : la voie <strong>de</strong> l’intuition philosophique<br />
L’exposé <strong>de</strong> Le Roy précè<strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Bergson. Il y a <strong>de</strong>ux voies d’accès au réel, elles<br />
sont complémentaires. Celle <strong>de</strong> la science est pratique <strong>et</strong> schématisante, celle <strong>de</strong> la
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 409<br />
philosophie est contemplative <strong>et</strong> particularisante. Bergson précise : il veut développer<br />
une « métaphysique positive », c’est-à-dire (comme la science) « incontestée <strong>et</strong><br />
susceptible d’un progrès rectiligne <strong>et</strong> indéfini », mais procédant à rebours <strong>de</strong> la<br />
« pente naturelle » <strong>de</strong> notre intelligence qui est <strong>de</strong> plaquer sur une réalité mobile <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
concepts rigi<strong><strong>de</strong>s</strong>. Par l’intuition la philosophie « s’installe dans le mouvant <strong>et</strong> adopte<br />
la vie même <strong><strong>de</strong>s</strong> choses ». Objections : sur l’opposition intellection/intuition, sur le<br />
caractère mystique (<strong>et</strong> non communicable ?) <strong>de</strong> l’intuition, <strong>et</strong>c.<br />
« Si nous aimons à <strong><strong>de</strong>s</strong>cendre par une intuition pénétrante <strong>et</strong> subtile jusqu’aux profon<strong>de</strong>urs<br />
intimes <strong><strong>de</strong>s</strong> Choses pour en saisir plus concrètement <strong>de</strong> jour en jour l’originalité fuyante <strong>et</strong><br />
l’infinie richesse, il nous plaît aussi <strong>de</strong> réduire la Nature en formules <strong>de</strong> manière à la tenir<br />
con<strong>de</strong>nsée dans un schème que nous sachions résoudre en ses éléments premiers <strong>et</strong> reconstruire<br />
pièce à pièce avec les seules ressources <strong>de</strong> la raison. Suivant que l’on a pris l’une <strong>de</strong> ces voies<br />
ou l’autre... »] (Le Roy, 1899).<br />
« Mais choses <strong>et</strong> états ne sont que <strong><strong>de</strong>s</strong> vues prises par notre esprit sur le <strong>de</strong>venir. Il n’y a pas <strong>de</strong><br />
choses, il n’y a que <strong><strong>de</strong>s</strong> actions » (Bergson, 1907).<br />
« Plus nous nous habituons à penser <strong>et</strong> à percevoir toutes choses sub specie durationis, plus<br />
nous nous enfonçons dans la durée réelle. Et plus nous nous y enfonçons, plus nous nous<br />
replaçons dans la direction du principe, pourtant transcendant, dont nous participons <strong>et</strong> dont<br />
l’éternité ne doit pas être une éternité d’immutabilité, mais une éternité <strong>de</strong> vie : comment,<br />
autrement, pourrions-nous vivre <strong>et</strong> nous mouvoir en elle ? In ea vivimus <strong>et</strong> movemur <strong>et</strong><br />
sumus » (Bergson, 1911).<br />
« The outcome of the evolution of life on different plan<strong>et</strong>s, if life exists on them, would have<br />
to be diverse. Evolution is a creative process. Evolution is creative because it brings about<br />
novelties which never existed in the past » (Dobzhansky, 1966).<br />
3. Husserl : l’ancrage <strong>de</strong> la science dans la philosophie<br />
L’ambition <strong>de</strong> Husserl est <strong>de</strong> restaurer l’idéal scientifique, perdu par les sciences<br />
« positives », en renouant le lien <strong>de</strong> la connaissance avec l’évi<strong>de</strong>nce fondatrice du<br />
cogito. C’est la tâche <strong>de</strong> la philosophie, « la plus sublime <strong>et</strong> la plus rigoureuse <strong>de</strong><br />
toutes les sciences », <strong>de</strong> r<strong>et</strong>rouver ce lien, <strong>et</strong> <strong>de</strong> maintenir le travail scientifique<br />
« dans <strong><strong>de</strong>s</strong> sphères d’intuition directe », perm<strong>et</strong>tant la « saisie phénoménologique<br />
<strong>de</strong> l’essence ». Plus que les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Husserl, ceux <strong>de</strong> biologistes influencés par<br />
ses idées montrent ce qu’on peut attendre <strong>de</strong> la philosophie sur c<strong>et</strong>te voie. Il est<br />
douteux que le passage par l’épochè soit nécessaire. Par ailleurs, les philosophesphénoménologues<br />
se sont intéressés à la vie vécue plutôt qu’à la vie biologique.<br />
« Je ne dis pas que la philosophie soit une science imparfaite, je dis tout simplement qu’elle n’est<br />
point encore une science, qu’elle n’a pas encore fait son début comme science » (Husserl, 1911).<br />
« Le besoin ici provient <strong>de</strong> la science. Mais seule la science peut définitivement surmonter le<br />
besoin qui vient <strong>de</strong> la science. [...] Il ne faut pas que l’impulsion philosophique surgisse <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
philosophies, mais <strong><strong>de</strong>s</strong> choses <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes » (Husserl, 1911).<br />
« Naturalistes <strong>et</strong> historicistes luttent pour la Weltanschauung, <strong>et</strong> les <strong>de</strong>ux travaillent à changer<br />
la signification <strong><strong>de</strong>s</strong> idées en faits — à transformer toute réalité, toute vie, en un fatras<br />
incompréhensible <strong>de</strong> faits dont les idées sont absentes. La superstition du fait leur est commune »<br />
(Husserl, 1911).
410 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />
« Les réactions <strong>et</strong> les activités spontanées <strong>de</strong> l’animal ne sont compréhensibles que si nous y<br />
voyons <strong><strong>de</strong>s</strong> actes. Mais, ce faisant, nous adm<strong>et</strong>tons que nous envisageons l’animal comme un<br />
suj<strong>et</strong> » (Buytendijk, tr. fr. 1952).<br />
« La philosophie actuelle se trouve... dans c<strong>et</strong>te transition d’une phénoménologie du sens vers<br />
un renouveau <strong>de</strong> l’ontologie » (van Peursen, in : Rencontre Encounter Begegnung, 1957).<br />
Concl. Diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> approches en philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences. L’approche<br />
« analytique » est formelle <strong>et</strong> atemporelle. L’approche « historico-épistémologique »<br />
s’occupe surtout <strong><strong>de</strong>s</strong> démarches cognitives (concepts, métho<strong><strong>de</strong>s</strong>). Chercher une<br />
ontologie du côté <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences du vivant relève <strong>de</strong> la tradition <strong><strong>de</strong>s</strong> « philosophies<br />
<strong>de</strong> la nature ».<br />
[... Les scientifiques rencontrent couramment <strong><strong>de</strong>s</strong> questions théoriques que l’expérience<br />
ne perm<strong>et</strong> pas (encore) <strong>de</strong> trancher, <strong>et</strong> qui appellent <strong><strong>de</strong>s</strong> conjectures : celles-ci] restent dans<br />
le domaine <strong>de</strong> la spéculation philosophique, dont la science, quoi qu’on fasse, ne peut s’isoler<br />
complètement, <strong>et</strong> dont elle ne s’isolerait, si la chose était possible, qu’aux dépens <strong>de</strong> sa propre<br />
dignité » (Cournot, 1851).<br />
« We need to g<strong>et</strong> beyond the language and come to grips with what the dis<strong>cours</strong>e is all about,<br />
which in science is the entities that populate the universe and what really goes on in world of<br />
objective reality’ » (Ghiselin, 1997).<br />
07 02 08 — 2.2. Les sciences <strong>de</strong> la vie comme sciences historiques<br />
« Nothing in biology makes sense except in the light of evolution » (Dobzhansky, 1973).<br />
Intr. Donné qu’on s’intéresse ici au mon<strong>de</strong> vivant, <strong>et</strong> qu’il s’agit d’un mon<strong>de</strong> en<br />
évolution dont le principe d’ordre est généalogique, on s’attend à ce que les sciences<br />
du vivant soient <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences historiques, <strong>et</strong> à ce qu’elles nous éclairent sur nos<br />
origines (phylogénies, parentés génétiques). Mais il y a un problème <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences<br />
historiques...<br />
1. Les sciences historiques sont-elles <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences ?<br />
Whewell traite séparément les sciences classificatoires (qui opèrent selon la<br />
ressemblance : histoire naturelle, minéralogie) <strong>et</strong> les sciences palætiologiques (histoire<br />
<strong>de</strong> la terre, <strong><strong>de</strong>s</strong> langues, <strong><strong>de</strong>s</strong> styles artistiques) qui cherchent dans le passé l’origine<br />
causale d’un état présent. Cournot juge essentiel <strong>de</strong> distinguer, dans nos<br />
connaissances, les éléments historiques <strong>et</strong> les éléments scientifiques ; aussi érudit <strong>et</strong><br />
impartial que soit l’historien, le tableau qu’il donne implique une part <strong>de</strong><br />
spéculation, <strong>et</strong> « la composition historique tient plus <strong>de</strong> l’art que <strong>de</strong> la science ».<br />
L’orthodoxie épistémologique <strong>de</strong> la première partie du xxe siècle promeut le<br />
modèle nomologique <strong>de</strong> la science, <strong>et</strong> marginalise le modèle historique. Celui-ci<br />
est réhabilité à la fin du xxe siècle par l’historien A. Crombie, comme l’un <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
« styles » <strong>de</strong> la pensée scientifique.<br />
« [science <strong>de</strong> la terre ou géologie] : in this science we have to treat, not only of the subterraneous<br />
forces by which parts of the earth’s crust are shaken, elevated or ruptured, but also of the causes<br />
which may change the climate of a portion of the earth’s surface, making a country hotter or
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 411<br />
col<strong>de</strong>r than in former ages; again, we have to treat of the causes which modify the forms and<br />
habits of animals and veg<strong>et</strong>ables, and of the extent to which the effects of such causes can<br />
proceed ; wh<strong>et</strong>her, for instance, they can extinguish old species and produce new » (Whewell,<br />
1840).<br />
« La liaison historique consiste... dans une influence exercée par chaque événement sur les<br />
événements postérieurs, influence qui peut s’étendre plus ou moins loin... » (Cournot,<br />
1851).<br />
« prenons un exemple tiré <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses langues humaines. Si nous possédions l’arbre généalogique<br />
compl<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’humanité, un arrangement généalogique <strong><strong>de</strong>s</strong> races humaines présenterait la<br />
meilleure classification <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses langues parlées actuellement dans le mon<strong>de</strong> entier ; »<br />
(Darwin, 1859, tr fr Barbier).<br />
« the obvious logical impossibility of re-enacting a given happening in the past does not prove<br />
that historical explanations for it are not testable, and are therefore incapable of being<br />
objectively groun<strong>de</strong>d » (Nagel, 1961).<br />
« Descartes established a <strong>de</strong>monstrative style in the philosophical history of nature. Using the<br />
m<strong>et</strong>hod of hypoth<strong>et</strong>ical mo<strong>de</strong>lling, he based his analysis and <strong>de</strong>monstrations upon the ontological<br />
and m<strong>et</strong>hodological principle of uniformity, by which the causation of change in the past could<br />
be inferred from observation of it in the present, which could thus in turn be <strong>de</strong>rived from<br />
the past » (Crombie, 1994).<br />
2. Le problème du récit historique<br />
Le Comité International <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences Historiques (voir : CISH/ICHS, online)<br />
regroupe 53 pays <strong>et</strong> atteste <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> ce type <strong>de</strong> science. Mais la jonction entre<br />
sciences historiques au sens étroit (histoire humaine) <strong>et</strong> au sens large (aspects<br />
historiques <strong>de</strong> la recherche en sciences <strong>de</strong> l’univers, <strong>de</strong> la terre, <strong>de</strong> la vie) n’est pas<br />
réalisée, <strong>et</strong> les critères <strong>de</strong> « scientificité » du récit historique restent flous. Crombie<br />
pense que l’ambition d’une cosmogonie scientifique, montrant comment le mon<strong>de</strong> a<br />
été engendré par une série <strong>de</strong> processus naturels, est aussi ancienne que la philosophie<br />
grecque (ex. Démocrite). Mais qu’est-ce qui distingue le récit <strong>de</strong> l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
vivants tel qu’il résulte <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances accumulées (en anatomie comparée,<br />
paléontologie, génétique moléculaire, <strong>et</strong>c.) du récit biblique <strong>de</strong> la création ? Force<br />
logique <strong>de</strong> la temporalité, preuve par accumulation, consilience <strong><strong>de</strong>s</strong> présomptions ?<br />
A. <strong>de</strong> Ricqlès évoque l’hypothèse <strong>de</strong> l’abandon du récit comme objectif <strong>de</strong> l’historien.<br />
« Tout fait en histoire <strong>de</strong> l’évolution se caractérise fondamentalement par sa singularité. »<br />
(Mayr, 1982).<br />
« Les explications sur le mo<strong>de</strong> du récit apparaissent dans la théorie <strong>de</strong> l’évolution à chaque<br />
moment où l’on discute d’événements singuliers d’importance majeure pour l’histoire <strong>de</strong> la vie<br />
... Les explications <strong>de</strong> ce type sont construites sans référence à <strong><strong>de</strong>s</strong> lois générales... Les explications<br />
historiques forment une part essentielle <strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong> l’évolution » (Goudge, 1961).<br />
« Proposition XVI. La méga-évolution n’est qu’une somme <strong>de</strong> micro- <strong>et</strong> <strong>de</strong> macro-évolutions <strong>et</strong><br />
la saisie d’une opportunité » (Delsol, 1991).
412 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />
« L’évolution étant la seule gran<strong>de</strong> théorie unificatrice <strong>de</strong> toute la biologie, son exposé <strong>et</strong> ses<br />
justifications scientifiques doivent faire appel à tous ses aspects : le récit doit y contribuer, mais<br />
n’y suffit pas » (Ricqlès, 2007).<br />
3. Une thèse ontologique « hérétique ». Les espèces vivantes comme individus<br />
Dilemme <strong><strong>de</strong>s</strong> classifications, controverses taxonomiques. Le problème <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
universaux en biologie. Un article soumis en 1965 au journal Systematic Zoology.<br />
Classes <strong>et</strong> sous-classes, en théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> ensembles (ex. tranches d’âge) : les classes<br />
sont <strong><strong>de</strong>s</strong> universaux abstraits, auxquels peuvent s’appliquer <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés<br />
définitionnelles, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> « lois ». Tout <strong>et</strong> parties : l’individu est un tout non réductible<br />
à la juxtaposition <strong>de</strong> ses parties, existant concrètement <strong>et</strong> ayant une relative<br />
autonomie ontologique ; il n’y a ni lois générales, ni propriétés définitionnelles,<br />
pour les individus. Thèse <strong>de</strong> Ghiselin (1966) : pour un spécialiste <strong>de</strong> l’évolution,<br />
les espèces sont <strong><strong>de</strong>s</strong> individus. Les organismes qui font partie <strong>de</strong> l’espèce sont aussi<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> individus. L’unité <strong>de</strong> l’espèce résulte <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions entre ses parties : l’espèce<br />
est une communauté reproductive, l’organisme est une communauté <strong>de</strong> cellules.<br />
L’ontologie biologique est une ontologie stratifiée.<br />
« Si les espèces n’existent pas, comment peuvent-elles évoluer ? » (Darwin, 1860).<br />
« Canada and Ontario are both individuals, the latter being a part of the former. They stand<br />
to each other in the same relation as Homo sapiens does to any one of us human beings »<br />
(Ghiselin, 1985).<br />
« different kinds of comp<strong>et</strong>ition occur b<strong>et</strong>ween species and within them. Interspecifically we<br />
have the struggle for the means of existence only. Intraspecifically there occurs a comp<strong>et</strong>ition<br />
with respect to gen<strong>et</strong>ical resources as well, and even the resources conten<strong>de</strong>d for by organisms<br />
irrespective of species in the final analysis are directed toward the intraspecific struggle for<br />
reproductive success. Species, then, are the most extensive units in the natural economy such<br />
that reproductive comp<strong>et</strong>ition occurs among their parts » (Ghiselin, 1974).<br />
« heresy has evolved into consensus » (Ghiselin, 1997).<br />
4. Histoire vs. lois. L’inférence historique<br />
Les individus changent (ils sont en <strong>de</strong>venir). Les organismes s’adaptent, les<br />
espèces évoluent. Mayr souligne que « évolution » ne signifie pas « progrès ». Les<br />
faits d’évolution sont <strong><strong>de</strong>s</strong> processus. Les processus affectent <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres réels. Quel<br />
processus est la spéciation ? Darwin a trouvé son modèle dans les sciences<br />
économiques. Reconstituer l’histoire d’une lignée (phylogénie) ou d’une stratégie<br />
évolutive (ontogénie) <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, non seulement qu’on ait amassé suffisamment <strong>de</strong><br />
données empiriques sur <strong><strong>de</strong>s</strong> individus réels, mais aussi qu’on sache distinguer entre<br />
ce qui tenait à <strong><strong>de</strong>s</strong> contraintes logiques ou naturelles (lois), <strong>et</strong> ce qui est<br />
historiquement contingent.<br />
« Change is virtually a necessity un<strong>de</strong>r the concept of natural selection because the combined<br />
forces of comp<strong>et</strong>ition and natural selection leave little alternative but either extinction or<br />
evolutionary progression » (Mayr, 1997).
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 413<br />
« The world is ma<strong>de</strong> up of wholes and parts, each whole and each part itself being an<br />
individual. The only entities in the universe that can change or “do” anything are individuals »<br />
(Ghiselin, 1987).<br />
« Darwin never attributed anything to “chance” as a causal agent, but only said that variations<br />
and the like are fortuitous » (Ghiselin, 1981).<br />
« In evolution, as in economic life, success means, among other things, the ability to change.<br />
For a lineage of organisms, that means changing its genes. For an organism, that means<br />
<strong>de</strong>veloping and maturing. For a reproducing organism, that means making copies of itself, but<br />
not ones that are i<strong>de</strong>ntical with itself » (Ghiselin, 1987).<br />
« The laws of nature may tell us what is possible, but that only limits the number of acceptable<br />
theses. An i<strong>de</strong>al evolutionary biology would present the entire history of life, in a manner that<br />
ma<strong>de</strong> it clear what was historical acci<strong>de</strong>nt and what was nomologically necessary, and of<br />
<strong>cours</strong>e what laws applied and why, but that i<strong>de</strong>al is only beginning to be realized » (Ghiselin,<br />
1997).<br />
« Our goal is an historical narrative that explains the successive configurations of living matter<br />
in terms of both individual events and laws of nature » (Ghiselin, 1997).<br />
Concl. Ghiselin ne va pas jusqu’à dire que les individus sont <strong><strong>de</strong>s</strong> processus. Mais<br />
il insiste sur l’importance pour les biologistes d’abandonner l’ontologie<br />
aristotélicienne (il n’existe que <strong><strong>de</strong>s</strong> individus, <strong>et</strong> ces individus ont une nature —<br />
une « essence » ou type). L’essentialisme est incompatible avec une philosophie <strong>de</strong><br />
l’évolution. Ghiselin se donne quatre catégories ontologiques : ce qui change (les<br />
substances, i.e. les individus), le processus du changement (action ou affection), la<br />
place (situation dans l’espace-temps), ce qui caractérise le changement (la propriété :<br />
quantité/qualité/relation/posture/état). La science <strong>de</strong> l’évolution est synthétique<br />
quand elle perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> produire un récit perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> repérer ce qui dans le <strong>cours</strong><br />
<strong>de</strong> l’évolution tient à <strong><strong>de</strong>s</strong> lois ou régularités naturelles, <strong>et</strong> ce qui est contingent<br />
(l’occasion propice exploitée par un individu).<br />
14 02 08 — 2.3. Éléments nomologiques — lois, causes, entités ?<br />
« Gen<strong>et</strong>ics is, among the biological disciplines, the most tightly associated<br />
with a <strong>de</strong>finition of life » (Morange, 2007).<br />
Intr. Depuis la fin <strong>de</strong> l’année 2007 il est possible à chacun d’obtenir son profil<br />
génétique en s’adressant à un site intern<strong>et</strong>. On peut aussi se tenir au courant, à<br />
mesure qu’elles sont publiées, <strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes relatives aux SNPs (polymorphismes<br />
nucléotidiques simples). Les SNPs sont, sur une séquence d’ADN, les variations<br />
d’une seule base qui peuvent modifier le risque d’une maladie ou d’un trait (Science,<br />
11 Jan 2008, 319 : 139).<br />
1. Lois <strong>de</strong> Men<strong>de</strong>l, entité gène, maladies <strong>de</strong> cause génétique, thérapies géniques...<br />
Jusqu’aux années 1970 le gène paraît être un bon candidat pour fon<strong>de</strong>r une<br />
ontologie biologique, en « réduisant » la biologie à la physico-chimie (Bouchard, in :<br />
FRT, ch. 5). I. Men<strong>de</strong>l (1866) m<strong>et</strong> en évi<strong>de</strong>nce <strong><strong>de</strong>s</strong> régularités dans la <strong><strong>de</strong>s</strong>cendance
414 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />
<strong>de</strong> plantes hybri<strong><strong>de</strong>s</strong>. De Vries, Correns <strong>et</strong> von Tschermak redécouvrent ses <strong>travaux</strong><br />
en 1900, <strong>de</strong> Vries développe la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations (1901-3), Bateson introduit les<br />
termes gène <strong>et</strong> génétique (1905) <strong>et</strong> Johannsen ceux <strong>de</strong> génotype <strong>et</strong> phénotype. Morgan<br />
avec son équipe (Sturtevant, Bridges, Muller) étudie les mutations chez la drosophile<br />
<strong>et</strong> propose une théorie chromosomique <strong>de</strong> l’hérédité. II. Le lien entre facteur<br />
génétique <strong>et</strong> protéine, pressenti par Garrod (1902), est relancé par le slogan <strong>de</strong><br />
Beadle & Tatum (un gène, une enzyme, 1941) ; Avery, McLeod <strong>et</strong> McCarthy<br />
i<strong>de</strong>ntifient la nature chimique (ADN, 1944) du facteur responsable <strong>de</strong> la virulence<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> pneumocoques ; Pauling qualifie l’anémie falciforme <strong>de</strong> maladie moléculaire ;<br />
Watson <strong>et</strong> Crick inventent la structure en double hélice <strong>de</strong> l’ADN (1953) ; Crick<br />
énonce le dogme central <strong>de</strong> la biologie moléculaire (l’ADN est transcrit en ARN qui<br />
est traduit en protéine, 1958) ; Nirenberg <strong>et</strong> coll. déchiffrent le co<strong>de</strong> génétique<br />
(1961-6). La voie du génie génétique est ouverte par Berg (ADN recombinant, 1972)<br />
<strong>et</strong> Mullis (PCR : 1983-4), aboutissant à la production d’insuline humaine par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
bactéries (1978) <strong>et</strong> d’albumine humaine par <strong><strong>de</strong>s</strong> plants <strong>de</strong> tabac (1988). Tentatives<br />
<strong>de</strong> thérapie génique (1990), premier succès sur <strong><strong>de</strong>s</strong> « enfants-bulles » (Fischer, 2000).<br />
III. Essais <strong>de</strong> séquençage dès 1977, amélioration <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> (Olson, 1987). Sont<br />
séquencés : un chromosome <strong>de</strong> levure (Nature, 1992) ; le génome d’un procaryote<br />
(haemophilus influenzae, 1995), le génome d’un eucaryote (Saccharomyces cerevisiae,<br />
1996), une région du génome mitochondrial d’un reste <strong>de</strong> néan<strong>de</strong>rthalien (1997), le<br />
génome d’un némato<strong>de</strong> (Caenorhabditis elegans, 1998), le chromosome humain 22<br />
(1999), un génome <strong>de</strong> plante (Arabidopsis thaliana, 2000), un génome <strong>de</strong> souris<br />
(Nature, 5 Dec 2002), un génome humain (2003). IV. Exploration <strong>de</strong> la diversité<br />
humaine : proj<strong>et</strong> HapMap (2002-6), 1000 Genomes Project (2007).<br />
« There is no consensus of opinion amongst gen<strong>et</strong>icists as to what the genes are — wh<strong>et</strong>her they<br />
are real or purely fictitious — because at the level at which the gen<strong>et</strong>ic experiments lie, it does<br />
not make the slightest difference wh<strong>et</strong>her the gene is a hypoth<strong>et</strong>ical unit, or wh<strong>et</strong>her the gene<br />
is a material particle. In either case the unit is associated with a specific chromosome, and can<br />
be localized there by purely gen<strong>et</strong>ic analysis » (Morgan, 1934).<br />
« La fibre chromosomique contient, chiffré dans une sorte <strong>de</strong> co<strong>de</strong> miniature, tout le <strong>de</strong>venir<br />
d’un organisme, <strong>de</strong> son développement, <strong>de</strong> son fonctionnement... Les structures chromosomiques<br />
détiennent aussi les moyens <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre ce programme à exécution. Elles sont tout à la fois la loi<br />
<strong>et</strong> le pouvoir exécutif, le plan <strong>de</strong> l’architecte <strong>et</strong> la technique du constructeur » (Schrödinger,<br />
1944).<br />
« Chaque œuf contient, dans les chromosomes reçus <strong>de</strong> ses parents, tout son propre avenir, les<br />
étapes <strong>de</strong> son développement, la forme <strong>et</strong> les propriétés <strong>de</strong> l’être qui en émergera. […] L’être<br />
vivant représente bien l’exécution d’un <strong><strong>de</strong>s</strong>sein, mais qu’aucune intelligence n’a conçu. Il tend<br />
vers un but, mais qu’aucune volonté n’a choisi. Ce but, c’est <strong>de</strong> préparer un programme<br />
i<strong>de</strong>ntique pour la génération suivante. C’est <strong>de</strong> se reproduire » (Jacob, 1970).<br />
2. L’organisme : régularité vs. variabilité, l’ontogenèse: développement vs. évolution<br />
Au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1970 l’unité théorique <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> gène s’effrite (Gros,<br />
1986). Multiples fonctions (gènes <strong>de</strong> régulation/<strong>de</strong> structure), composition éclatée :<br />
dans les cellules eucaryotes les gènes sont fragmentés (exons/introns), la redondance
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 415<br />
est considérable (bégaiement), il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> familles <strong>de</strong> gènes (isogènes) présentant<br />
comme <strong><strong>de</strong>s</strong> variations sur un même thème, une hiérarchie <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes (gènes<br />
architectes), <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes sauteurs (transposons : reconnus dès 1942 par McClintock).<br />
L’idée du programme est mise en question par la « reprogrammation » du noyau<br />
lors d’un clonage. Il faut « <strong><strong>de</strong>s</strong>serrer l’étreinte que les gènes ont constituée pour<br />
l’imagination <strong><strong>de</strong>s</strong> biologistes » (Keller, 2000). L’entreprise <strong>de</strong> « réduction » a<br />
échoué (Gayon, in FRT, ch. 6). La génétique n’a pas transformé la biologie en une<br />
science déductive, sûre <strong>de</strong> ses fon<strong>de</strong>ments physico-chimiques, <strong>et</strong> dotée <strong>de</strong> lois<br />
perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> prédire le développement <strong>de</strong> l’organisme à partir <strong>de</strong> son génome.<br />
L’inférence <strong>de</strong> la partie au tout est impru<strong>de</strong>nte. En rester à la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
individus ? Les mé<strong>de</strong>cins ont une conscience aiguë <strong>de</strong> la variabilité inter- <strong>et</strong> intraindividuelle.<br />
En biologie ou paléontologie le specimen est volontiers pris comme<br />
représentatif <strong>de</strong> l’espèce. En embryologie expérimentale, la « loi <strong>de</strong> Haeckel » a<br />
couvert <strong><strong>de</strong>s</strong> généralisations <strong>de</strong> l’ontogenèse à la phylogenèse... Mais loin que<br />
l’évolution soit un développement, c’est le développement qui est évolutif.<br />
« the genes, as unit of physiological action... are obviously not megamolecules. They are<br />
processes, or functions, not atomic edifices. [...] For convenience of speech we may continue to<br />
call gene the structure, when there is no danger of confusion, provi<strong>de</strong>d we keep in mind that<br />
we are using a figure of speech as when in <strong>France</strong> we use the same word for tongue and<br />
language » (Pontecorvo, 1952).<br />
« les gènes <strong><strong>de</strong>s</strong> eucaryotes ne sont en aucune manière, comme on l’a pensé à l’aube <strong>de</strong> la<br />
génétique, <strong>et</strong> comme on en a un peu trop propagé l’idée, <strong><strong>de</strong>s</strong> entités d’une immuable stabilité.<br />
[…] Non, l’ADN eucaryotique est, comme l’a bien décrit F. Jacob, le siège d’un bricolage<br />
incessant » (Gros, 1986).<br />
« In announcing the <strong>de</strong>ath of the gene, I do not wish to argue that genes are not important<br />
in <strong>de</strong>velopment. What I wish to lay to rest is the notion of the gene as a master molecule<br />
controlling and organising <strong>de</strong>velopment. I wish to dislodge the gene from the privileged site it<br />
has occupied in our accounts of <strong>de</strong>velopment and evolution... I have aimed to illustrate how<br />
evolution can be narrated from a <strong>de</strong>velopmental systems perspective that does not privilege any<br />
component of the system » (Gray, 1992).<br />
« There is probably no hope to construct a general or unified concept of the gene. At best, such<br />
a concept would be an in<strong>de</strong>finite disjunctive list of many possible structures and processes »<br />
(Gayon, 2007).<br />
« in evolutionary biology sweeping generalizations are rarely correct. Even when som<strong>et</strong>hing<br />
occurs “usually”, this does not mean that it must occur always » (Mayr, 1997).<br />
3. L’espèce : robustesse <strong>et</strong> historicité<br />
Cavalli-Sforza <strong>et</strong> Feldman (2003) font le point <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> issues <strong>de</strong> la<br />
génétique, qui nous renseignent sur l’évolution humaine. Francisco Ayala (in :<br />
FRT, 2007) examine les résultats. Les lignées conduisant respectivement à l’homme<br />
<strong>et</strong> au chimpanzé ont divergé il y a cinq ou six millions d’années. L’examen <strong>de</strong><br />
l’ADN mitochondrial (transmis par la lignée maternelle) conforte l’hypothèse que<br />
notre Eve ancestrale est née en Afrique, l’examen d’un fragment du chromosome Y
416 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />
(transmis par la lignée paternelle) conforte la même hypothèse pour l’Adam<br />
ancestral, avec une marge d’incertitu<strong>de</strong> liée au caractère fragmentaire <strong><strong>de</strong>s</strong> données;<br />
cela, à la condition <strong>de</strong> supposer que ces « premiers parents » étaient une population<br />
d’au moins cent mille, chiffre conclu d’un examen <strong>de</strong> l’horloge moléculaire <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
polymorphismes <strong>de</strong> fragments <strong>de</strong> gènes du système immunitaire (<strong>et</strong> confirmé par<br />
une simulation sur ordinateur). Cela écarte la théorie du « goulot d’étranglement »<br />
à l’origine <strong>de</strong> notre espèce. Une remarque d’Ayala, citant Tobias (1991), signale le<br />
risque <strong>de</strong> circularité <strong>de</strong> ces raisonnements, qui <strong>de</strong> l’état <strong><strong>de</strong>s</strong> génomes en divers<br />
points du temps (selon les restes fossiles dont on dispose) infère une histoire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
génomes, tandis que l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> génomes (leur déploiement généalogique)<br />
explique leur état à un moment donné. En appui à la reconstruction historique,<br />
connaît-on <strong><strong>de</strong>s</strong> « mécanismes » évolutifs généraux qui régissent l’évolution ? La<br />
sélection naturelle (où l’on cherche à démêler la part <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations aléatoires <strong>et</strong><br />
celle <strong><strong>de</strong>s</strong> pressions <strong>de</strong> sélection) perm<strong>et</strong> d’expliquer <strong><strong>de</strong>s</strong> divergences évolutives. On<br />
voit ré-émerger <strong><strong>de</strong>s</strong> hypothèses sur <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes <strong>de</strong> convergence évolutive<br />
(mutualisme, symbiose). Mais ces mécanismes sont inférés a posteriori <strong>de</strong><br />
constatations relatives à l’histoire, <strong>et</strong> ne dispensent pas d’une réflexion sur le statut<br />
du lien généalogique dans une science historique (ce que Lorenzano appelle law of<br />
matching, ou loi synoptique, in FRT, ch. 7).<br />
« Le plan du chromosome préfigure le plan <strong>de</strong> l’animal » (Le Douarin, 2000).<br />
« Pour un biologiste s’intéressant à l’évolution, ce qu’il y a d’intrigant dans la découverte <strong>de</strong><br />
ces gènes Hox […] est la conservation extraordinaire <strong>de</strong> ces gènes au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’évolution, alors<br />
que les structures dont ils programment le développement ont changé du tout au tout. »<br />
(Maynard Smith, 1998).<br />
« mo<strong>de</strong>rn human mtDNA sequences coalesce in an ancestral sequence, known as mitochondrial<br />
Eve, present in Africa about 200 000 Years ago... This Eve, however, is not the only woman<br />
from which all present day humans <strong><strong>de</strong>s</strong>cend, but a mtDNA molecule from which all current<br />
mtDNA molecules <strong><strong>de</strong>s</strong>cend » (Ayala, 2007).<br />
« in or<strong>de</strong>r for actual humanity to possess 59 alleles of the gene DRB1, human ancestral<br />
populations must have consisted, on average, of at least 100 000 individuals during the last<br />
2 million years... The minimum number of reproductive individuals who could have lived at<br />
any one time would have never been smaller than b<strong>et</strong>ween 4 500 and 10 000 individuals »<br />
(Ayala, 1997).<br />
Concl. Répétition vs. nouveauté. Contre l’éclipse du récit dans l’épistémologie<br />
positiviste <strong>et</strong> dans l’école <strong><strong>de</strong>s</strong> Annales, Ricœur argumente en faveur <strong>de</strong> la composition<br />
narrative en histoire, comme technique <strong>de</strong> mise en intrigue contrastant ce que les<br />
acteurs voulaient faire <strong>et</strong> ce que les événements ont été (en particulier, les<br />
conséquences non voulues). Mais ce modèle (qui ne vise que l’histoire au sens étroit)<br />
n’est pas transposable aux sciences <strong>de</strong> la vie. Un philosophe <strong>de</strong> la biologie comme<br />
Sober adm<strong>et</strong> qu’il a <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences historiques (au sens large), ou plutôt qu’il y a dans<br />
toutes les sciences un mélange d’aspects historiques <strong>et</strong> nomologiques. Mais, bien<br />
qu’ayant concédé que c<strong>et</strong>te distinction ne recouvre pas l’opposition entre sciences<br />
dures <strong>et</strong> molles, il privilégie la formulation <strong>de</strong> lois générales, ou <strong>de</strong> modèles
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 417<br />
d’évolution, les données historiques servant seulement à choisir le modèle le plus<br />
vraisemblable. Le schéma généalogique qui rendrait compte à la fois <strong><strong>de</strong>s</strong> répétitions<br />
<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> innovations est à trouver.<br />
« métier d’historien, épistémologie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences historiques <strong>et</strong> phénoménologie génétique<br />
additionnent leurs ressources pour réactiver c<strong>et</strong>te visée noétique fondamentale <strong>de</strong> l’histoire que,<br />
pour faire bref, nous avons appelée intentionnalité historique » (Ricœur, 1983).<br />
« Some sciences try to discover general laws ; others aim to uncover particular sequences of<br />
historical events... Reconstructing genealogical relationships is the goal of a historical science »<br />
(Sober, 2000).<br />
21 02 08 — 2.4. Enrichissement ontologique — épigenèse, émergence,<br />
créativité naturelle<br />
« En même temps que l’organisme animal ou végétal se détruit par le fait même<br />
du fonctionnement vital, il se rétablit par une sorte <strong>de</strong> synthèse organisatrice,<br />
<strong>de</strong> processus formatif, que nous avons appelé la création vitale <strong>et</strong> qui forme la contrepartie<br />
<strong>de</strong> la <strong><strong>de</strong>s</strong>truction vitale » (Cl. Bernard, 1878).<br />
Intr. Les progrès <strong>de</strong> la microscopie optique ont permis, au xix e siècle, <strong>de</strong> formuler<br />
la théorie cellulaire, en <strong>de</strong>ux propositions: « tous les organismes vivants sont<br />
constitués <strong>de</strong> cellules » (Schlei<strong>de</strong>n & Schwann, 1838-39), <strong>et</strong> « toute cellule naît<br />
d’une cellule » (Virchow, 1858). Schwann disait s’être convaincu <strong>de</strong> « l’individualité<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> cellules ». N. Le Douarin (2007) affirme que les cellules souches sont « une<br />
invention <strong>de</strong> la multicellularité », <strong>et</strong> résume à trois les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> inventions <strong>de</strong> la vie<br />
sur notre planète : procaryotes (cellules sans noyau), eucaryotes (cellules à noyau,<br />
architecturées), organismes multicellulaires impliquant division du travail, fragilité<br />
(extinctions, apoptose), <strong>et</strong> r<strong>et</strong>our périodique à l’état unicellulaire (reproduction).<br />
« aux 21 éléments <strong>de</strong> Bichat, aux 21 tissus qui formaient pour lui les matériaux <strong>de</strong> l’organisme,<br />
nous avons substitué un seul élément, la cellule, i<strong>de</strong>ntique dans les <strong>de</strong>ux règnes, chez l’animal<br />
comme chez le végétal, fait qui démontre l’unité <strong>de</strong> structure <strong>de</strong> tous les êtres vivants. »<br />
(Cl. Bernard, 1878).<br />
1. Épigenèse, épigénétique<br />
Le mot épigenèse vient du verbe grec épigignesthai (survenir). Il aurait été lancé par<br />
Harvey. Il s’agit du développement embryonnaire. I. Aux xvii e <strong>et</strong> xviii e siècles, le<br />
grand débat entre partisans <strong>de</strong> l’épigenèse (Harvey, Descartes) <strong>et</strong> partisans <strong>de</strong> la<br />
préformation (Swammerdam, Hartsoeker, Ch. Bonn<strong>et</strong>) tourne plutôt à l’avantage<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> seconds, parce que la thèse d’une formation progressive d’organes à partir d’une<br />
semence qui ne les contient pas semble aller contre le principe « qu’il doit y avoir au<br />
moins autant <strong>de</strong> réalité dans la cause que dans son eff<strong>et</strong> », à moins <strong>de</strong> supposer l’action<br />
d’une force occulte (Wolff). La solution vient avec la théorie cellulaire, le repérage <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
gamètes comme cellules, <strong>et</strong> l’observation du processus <strong>de</strong> fécondation constitutif <strong>de</strong><br />
la première cellule embryonnaire (Hertwig, 1875). II. La génétique éluci<strong>de</strong> les mo<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>de</strong> transmission <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes, <strong>et</strong> établit <strong><strong>de</strong>s</strong> liens entre certains gènes <strong>et</strong> certains traits <strong><strong>de</strong>s</strong>
418 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />
organismes (ex. gènes “peau claire”) ; mais elle n’explique pas comment, au <strong>cours</strong> du<br />
développement, le génotype produit le phénotype. Waddington, au milieu du<br />
xx e siècle, propose qu’une science épigénétique étudie la manière dont les gènes<br />
interagissent avec leur environnement lors <strong>de</strong> la différenciation <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules<br />
embryonnaires, <strong>et</strong> <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong> l’organisme. III. Depuis les années 1970, on<br />
appelle épigénétique tout ce qui modifie l’action <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes sans modifier la séquence<br />
d’ADN : régulation <strong>de</strong> l’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes (transcription, traduction), interférence<br />
<strong>de</strong> p<strong>et</strong>its ARN dans le processus <strong>de</strong> reproduction, influence sur l’architecture du<br />
cerveau (synaptogenèse) <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions sensori-motrices avec le mon<strong>de</strong> extérieur.<br />
« We have in the study of <strong>de</strong>velopment rather the opposite situation to that which confronts us<br />
in the study of heredity . Whereas the latter has seemed, since Men<strong>de</strong>l’s day, to cry aloud for<br />
an atomistic theory, the former seems to <strong>de</strong>mand organismic or non-atomistic theories »<br />
(Waddington, 1961).<br />
« L’invention <strong>de</strong> l’épigénétique a été, à chaque fois, une réaction contre les “insuffisances” <strong>de</strong><br />
la génétique... Les modèles épigénétiques ont toujours porté avec eux un parfum d’hérésie »<br />
(Morange, 2005).<br />
« Les riches modalités <strong>de</strong> l’épigénome... suggèrent <strong>de</strong> ne pas cé<strong>de</strong>r à la tentation d’attribuer a<br />
priori au génome une part majeure <strong>de</strong> l’information cellulaire, tentation visiblement alimentée<br />
par la relative facilité d’accès à sa séquence. Elles nous incitent à abandonner la naïv<strong>et</strong>é du<br />
déterminisme purement génétique sans sombrer dans un indéterminisme démenti par les<br />
faits. » (Kepes, 2005).<br />
« L’inactivation du chromosome X est un processus cellulaire normal mis en place tôt au <strong>cours</strong><br />
<strong>de</strong> l’embryogenèse chez les mammifères femelles... La stabilité <strong>de</strong> l’état inactif du chromosome X<br />
dans les cellules somatiques est due aux multiples marques épigénétiques qui sont mises en place<br />
au <strong>cours</strong> du développement. C<strong>et</strong>te extrême stabilité semble compromise dans les cellules<br />
transformées ou cancéreuses » (Heard, 2007).<br />
« “Epigénétique”, au sens où je l’emploie, combine <strong>de</strong>ux significations : l’idée <strong>de</strong> superposition<br />
à l’action <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes, suite notamment à l’action <strong>de</strong> l’apprentissage <strong>et</strong> à l’expérience, <strong>et</strong> celle <strong>de</strong><br />
développement coordonné <strong>et</strong> organisé » (Changeux, 2002).<br />
2. Émergence<br />
La distinction entre fait émergent (surprenant, non prédictible mécaniquement)<br />
<strong>et</strong> fait résultant (prédictible) date du xix e siècle. Les théories <strong>de</strong> l’émergence sont<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> théories du <strong>de</strong>venir créateur. L’évolution biologique vue comme « création<br />
naturelle » d’espèces vivantes <strong>de</strong> complexité croissante suggère aux initiateurs<br />
anglais <strong>de</strong> l’émergentisme (années 1920 : Alexan<strong>de</strong>r, Morgan) la notion <strong>de</strong> « saut<br />
qualitatif » sur fond <strong>de</strong> continuité matérielle. Émergentisme vs. réductionnisme,<br />
émergence vs. survenance (supervenience). Marginalisation, puis r<strong>et</strong>our <strong>de</strong><br />
l’émergence <strong>de</strong>puis le milieu du xx e siècle à travers la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription, l’analyse fine, la<br />
modélisation <strong>de</strong> processus émergents vus comme processus <strong>de</strong> structuration<br />
(morphogenèse) : changements d’état <strong>de</strong> la matière à certains seuils <strong>de</strong> température,<br />
émergence <strong>de</strong> l’œil au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> espèces, genèse <strong><strong>de</strong>s</strong> formes au <strong>cours</strong><br />
du développement embryonnaire, maladies émergentes <strong>et</strong> propagation épidémique,
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 419<br />
ou plus généralement genèse <strong>de</strong> la complexité dans la nature <strong>et</strong> paliers <strong>de</strong> complexité.<br />
Les problématiques <strong>de</strong> l’émergence incluent celles <strong>de</strong> l’épigénétique.<br />
« I shall use the term “organic whole” to <strong>de</strong>note the fact that a whole has an intrinsic value<br />
different in amount from the sum of the values of its parts. » (Moore, 1903).<br />
« The higher quality emerges from the lower level of existence and has its roots therein, but it<br />
emerges therefrom, and it does not belong to that lower level, but constitutes its possessor a new<br />
or<strong>de</strong>r of existent with its special laws of behaviour. » (Alexan<strong>de</strong>r, 1920).<br />
« What is supervenient at any emergent stage of evolutionary progress is a new kind of<br />
relatedness — new terms in new relations — hitherto not in being. […] The higher entities<br />
are not only different in themselves ; but they act and react differently in presence of others »<br />
(Morgan, 1923).<br />
3. Cellules souches<br />
Les faits <strong>de</strong> régénération (hydre, planaire, salamandre) <strong>et</strong> <strong>de</strong> réparation<br />
(cicatrisation) sont connus <strong>de</strong>puis longtemps. Au xix e siècle Cl. Bernard, puis<br />
P. Bert, anticipent la possibilité <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus en culture, ce qui est réalisé<br />
en 1910. Qu’il existe <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules souches (CS : précurseurs <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules différenciées,<br />
<strong>et</strong> source <strong>de</strong> la régénération permanente <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes) dans les tissus adultes<br />
(ex. le sang), on le sait dès le début du xx e siècle. Le propre <strong><strong>de</strong>s</strong> CS est qu’elles<br />
peuvent à la fois se multiplier à l’i<strong>de</strong>ntique, pour redonner <strong><strong>de</strong>s</strong> CS, <strong>et</strong> se différencier<br />
pour engendrer <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules spécialisées (« division asymétrique »). Paradoxe <strong>de</strong> la<br />
différenciation : un organisme complexe vient d’une seule cellule, <strong>et</strong> toutes les<br />
cellules <strong>de</strong> l’organisme achevé ont le même génome ; lors <strong>de</strong> l’embryogenèse, la<br />
cellule initiale totipotente donne lieu à <strong><strong>de</strong>s</strong> lignées cellulaires pluripotentes qui<br />
engendrent les cellules fonctionnelles spécialisées ; ce par<strong>cours</strong> est en principe<br />
irréversible (« dogme <strong>de</strong> l’irréversibilité <strong>de</strong> l’état différencié » : Le Douarin, 2007,<br />
III, 4). Le sort <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules différenciées est <strong>de</strong> mourir <strong>et</strong> d’être remplacées<br />
(ex. renouvellement <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules <strong>de</strong> l’épithélium intestinal). Depuis qu’on sait<br />
cultiver <strong><strong>de</strong>s</strong> CS issues <strong>de</strong> la masse cellulaire interne d’embryons au sta<strong>de</strong> blastocyte<br />
(embryons murins : 1981, humains 1998), les chercheurs ont appris à dériver <strong>de</strong><br />
ces CS <strong><strong>de</strong>s</strong> lignées <strong>et</strong> à conduire leur différenciation en cellules musculaires,<br />
nerveuses, <strong>et</strong>c. Ces <strong>travaux</strong> suscitent espoirs <strong>de</strong> thérapies régénératives (myopathies,<br />
traumatismes <strong>de</strong> la moelle épinière, <strong>et</strong>c.) <strong>et</strong> soucis relatifs à l’instrumentalisation<br />
d’embryons. La technique du transfert <strong>de</strong> noyau utilisée par Wilmut <strong>et</strong> coll., qui a<br />
permis en 1997 la naissance <strong>de</strong> la brebis Dolly, a montré que le noyau d’une<br />
cellule somatique (différenciée) peut être « reprogrammé » par le cytoplasme d’un<br />
ovocyte <strong>et</strong> r<strong>et</strong>rouver sa totipotence. En 2006-7 la voie <strong>de</strong> la reprogrammation a<br />
été i<strong>de</strong>ntifiée. Le dogme est tombé.<br />
« Si l’évolution a aboli le pouvoir <strong>de</strong> régénérer, elle a laissé celui <strong>de</strong> réparer» (Le Douarin,<br />
2007).<br />
« Les succès récents du clonage animal démontrent que le noyau d’une cellule somatique adulte<br />
différenciée peut r<strong>et</strong>ourner à un état <strong>de</strong> type embryonnaire, lui perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> repasser par les<br />
étapes qui conduisent à la naissance d’un animal viable <strong>et</strong> normal. […] Les mécanismes
420 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />
moléculaires sous-jacents font désormais l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> nombreuses étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, notamment pour<br />
comprendre les modifications <strong><strong>de</strong>s</strong> marques épigénétiques <strong>et</strong> les remaniements <strong>de</strong> structure<br />
chromatinienne impliqués dans c<strong>et</strong>te reprogrammation » (Beaujean N., Martin C., Debey<br />
P., Renard J.-P., 2005).<br />
« Limitations on a differentiated cell’s pluripotency can be erased by nuclear transfer or by<br />
fusion with embryonic stem cells, but attempts to recapitulate this process of nuclear<br />
reprogramming by molecular means have failed. In this issue of Cell, Takahashi and Yamanaka<br />
(2006) take a rational approach to i<strong>de</strong>ntifying a suite of embryonic transcription factors whose<br />
overexpression restores pluripotency to adult somatic cells » (Rodolfa & Eggan, 2006).<br />
« La confirmation éclatante <strong>de</strong> ces données par <strong>de</strong>ux équipes <strong>de</strong> Harvard (Etats-Unis), celle <strong>de</strong><br />
R. Jaenisch <strong>et</strong> celle <strong>de</strong> K. Hochedlinger, vient d’être publiée... c<strong>et</strong>te découverte fera date, <strong>et</strong> les<br />
conséquences sur le plan conceptuel <strong>et</strong> médical seront sans doute considérables s’il s’avère que les<br />
observations peuvent être dupliquées chez l’homme » (Coulombel, 2007).<br />
« en 1962 J.B. Gurdon publiait les résultats d’expériences pionnières sur le transfert <strong>de</strong> noyau<br />
somatique dans <strong><strong>de</strong>s</strong> œufs <strong>de</strong> xénope, <strong>et</strong> l’obtention <strong>de</strong> grenouilles normales. Dans une revue<br />
autobiographique publiée en 2006, un mois avant la publication <strong>de</strong> Takahashi, il anticipait :<br />
“it may become possible to convert cells of an adult to an embryonic state without needing<br />
to use eggs. Overexpression of a DNA <strong>de</strong>m<strong>et</strong>hylase and other reprogramming molecules<br />
may be sufficient to generate ES-like cells”. Nous y sommes ! » (Coulombel, 2008).<br />
Concl. Clameurs <strong>de</strong> soulagement du côté <strong><strong>de</strong>s</strong> défenseurs <strong>de</strong> l’embryon humain :<br />
les chercheurs n’auront plus besoin d’aller chercher les embryons abandonnés dans<br />
les congélateurs <strong>de</strong> la procréation médicalement assistée, pour m<strong>et</strong>tre au point<br />
d’utiles thérapies régénératives ? Mais la réalité est beaucoup moins limpi<strong>de</strong> :<br />
a-t-on trouvé une nouvelle façon <strong>de</strong> faire <strong><strong>de</strong>s</strong> embryons « artificiels », ou une<br />
métho<strong>de</strong> dangereuse si elle conduisait à <strong><strong>de</strong>s</strong> applications thérapeutiques (le vecteur<br />
utilisé pour la reprogrammation est un rétrovirus), ou une machine à remonter le<br />
temps ? Le <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> la cellule vivante est-il réversible ?<br />
« After the initial excitement, both si<strong><strong>de</strong>s</strong> [advocates and opponents of ES cell research] are finding<br />
that although iPS cells have answered some questions, they have also raised new ones » (Science,<br />
1 Feb 2008).<br />
13 03 08 — 2.5. Créativité scientifique — clones, hybri<strong><strong>de</strong>s</strong>, cybri<strong><strong>de</strong>s</strong>,<br />
biologie <strong>de</strong> synthèse<br />
« Il m’a semblé que l’esprit <strong>de</strong> découverte était un fait <strong>de</strong> la vie, un phénomène naturel »<br />
(Ch. Nicolle, 1932).<br />
Intr. Début 2008 : la synthèse complète d’un génome bactérien est annoncée<br />
dans Science par l’équipe <strong>de</strong> Craig Venter <strong>et</strong> Hamilton Smith ; onze étudiants<br />
franciliens remportent le premier prix du con<strong>cours</strong> iGEM (international Gen<strong>et</strong>ically<br />
Engineered Machine comp<strong>et</strong>ition), organisé par le MIT (Massachus<strong>et</strong>ts Institute<br />
of Technology, Boston, nov 2007), pour leur invention d’un modèle d’organisme<br />
« multicellulaire bactérien ». Après l’ingénierie génétique <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1970, voici<br />
l’avènement <strong>de</strong> l’ingénierie biologique (biological engineering).
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 421<br />
« We have synthesized a 582970 base pair Mycoplasma genitalium genome. This synth<strong>et</strong>ic<br />
genome, named M. genitalium JCVI-1.0, contains all the genes of wild-type M. Genitalium<br />
G37 except MG408, which was disrupted by an antibiotic marker to block pathogenicity...<br />
The m<strong>et</strong>hods <strong><strong>de</strong>s</strong>cribed here will be generally useful for constructing large DNA molecules from<br />
chemically synthesized pieces and also from combinations of natural and synth<strong>et</strong>ic DNA<br />
segments » (“Compl<strong>et</strong>e chemical synthesis, assembly and cloning of a Mycoplasma<br />
genitalium genome”, Science, 29 Feb 2008).<br />
1. La synthèse comme programme <strong>de</strong> recherche<br />
Synthèse <strong>de</strong> l’urée, 1828 (Wöhler). De Lavoisier à Berthelot : naissance <strong>de</strong> la<br />
chimie <strong>de</strong> synthèse au xix e siècle. Implications ontologiques <strong>et</strong> épistémologiques :<br />
(1) la nature n’est pas saturée (il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> possibles non actualisés, le naturel inclut<br />
le possible), (2) l’investigation scientifique porte sur les possibles, (3) la science est<br />
créatrice (techniquement, artistiquement), elle invente <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres nouveaux. Certaines<br />
pratiques biotechnologiques sont très anciennes (art <strong><strong>de</strong>s</strong> fermentations : vin,<br />
fromage), la bioingénierie naît au xx e siècle. La construction par Paul Berg en 1972<br />
d’une molécule d’ADN hybri<strong>de</strong>, ou « recombinée », marque le début <strong>de</strong> l’ingénierie<br />
génétique (Debru, 2003, ch. 3). Avec le déchiffrage <strong><strong>de</strong>s</strong> génomes, le programme<br />
analytique atteint sa limite. Il est relayé au tournant du xxi e siècle par une jeune<br />
<strong>et</strong> turbulente biologie systémique (holiste) <strong>et</strong>/ou constructiviste. Le laboratoire <strong>de</strong><br />
Brenner réussit en 1984 la synthèse d’un gène codant pour une protéine, <strong>et</strong> invente<br />
en 1989 un système d’information génétique artificiellement étendu (AEGIS : six<br />
l<strong>et</strong>tres au lieu <strong>de</strong> quatre) qui montre à quoi la vie pourrait ressembler, ailleurs...<br />
« La synthèse, procédant en vertu d’une loi génératrice, reproduit non-seulement les substances<br />
naturelles, mais aussi une infinité d’autres substances qui n’auraient jamais existé dans la<br />
nature. » « La chimie crée son obj<strong>et</strong>. C<strong>et</strong>te faculté créatrice, semblable à celle <strong>de</strong> l’art lui-même,<br />
la distingue essentiellement <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences naturelles <strong>et</strong> historiques » (Berthelot, 1864).<br />
« La chimie supramoléculaire présente <strong>de</strong> multiples connotations ; notamment, comme analyse<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre molécules, elle forme en quelque sorte une sociologie moléculaire. Les<br />
interactions moléculaires y définissent le lien interspécifique, l’action <strong>et</strong> la réaction, bref, le<br />
comportement <strong><strong>de</strong>s</strong> individus <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> populations moléculaires... » (Lehn, 1980).<br />
« L’homme recrée la nature. Avec l’invention technique il va plus loin <strong>et</strong> introduit dans le<br />
mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres qui ne s’y trouvaient pas. » (Leclercq, 1959).<br />
« possibility is more fundamental than existence » (Ghiselin, 1997).<br />
« ce que nous enseigne l’histoire <strong>de</strong> la connaissance est l’accroissement du champ du possible <strong>et</strong><br />
la décroissance corrélative du champ <strong>de</strong> l’impossible » (Debru, 2003).<br />
« The 1990s was a festival of information about molecules [anatomy]. We were due for a<br />
move back to physiology. Systems biology is usually now taken to mean that in or<strong>de</strong>r to<br />
un<strong>de</strong>rstand the behavior of a biological ensemble, one needs to study the whole, rather than<br />
its isolated parts » (Brent, 2004).<br />
« Synthesis offers opportunities for achieving these goals that observation and analysis do not.<br />
The use of synthesis in a way that complement analysis will be a main theme... » (Benner &<br />
Sismour, 2005).
422 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />
2. Clones, chimères, hybri<strong><strong>de</strong>s</strong>, cybri<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Agriculture <strong>et</strong> élevage emploient <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques <strong>de</strong> croisement entre espèces ou<br />
variétés différentes (mul<strong>et</strong>, bardot). La biologie du développement, <strong>et</strong> la mise au<br />
point <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la procréation médicalement assistée, ont <strong>de</strong>puis une<br />
trentaine d’années suscité <strong><strong>de</strong>s</strong> discussions autour d’une série <strong>de</strong> problèmes qu’un<br />
rapport britannique explicite (HFEA 2007). La fusion <strong>de</strong> cellules humaines <strong>et</strong><br />
animales est largement utilisée dans la recherche, elle a été l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques<br />
utilisées pour la cartographie du génome humain. La création d’un hybri<strong>de</strong> par<br />
fécondation d’un œuf <strong>de</strong> hamster par spermatozoï<strong>de</strong> humain est un test classique<br />
<strong>de</strong> la fertilité masculine (le développement est arrêté après la première division <strong>de</strong><br />
l’œuf fécondé). La production d’hormone <strong>de</strong> croissance humaine par une souris<br />
implique le transfert d’un gène humain à l’embryon murin. Les animaux<br />
chimériques résultant <strong>de</strong> l’ajout à un embryon animal <strong>de</strong> cellules souches humaines<br />
perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> tester la pluripotence <strong>de</strong> celles-ci. Les cybri<strong><strong>de</strong>s</strong>, obtenus par transfert<br />
d’un noyau dans le cytoplasme d’une cellule embryonnaire d’espèce différente, ont<br />
aidé à comprendre le rôle du génome mitochondrial ; ils ont aussi permis <strong><strong>de</strong>s</strong> essais<br />
<strong>de</strong> clonage d’espèces en voie <strong>de</strong> disparition. Après une large consultation publique<br />
au printemps 2007, l’Autorité britannique a donné permission <strong>de</strong> créer <strong><strong>de</strong>s</strong> cybri<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
humains pour la recherche, « avec précaution <strong>et</strong> sous surveillance ». C<strong>et</strong>te technique<br />
a été éprouvée en Chine, en utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> ovocytes <strong>de</strong> lapine. Les pays qui interdisent<br />
la création d’embryons humains pour la recherche n’ont pas à se poser la question<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> cybri<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />
« There is a strong increase in agreement with creating embryos which contain mostly human<br />
and a small amount of animal gen<strong>et</strong>ic material in research if it may help to un<strong>de</strong>rstand some<br />
diseases, for example Parkinson’s and Motor neurone disease (61 % agree compared to 35 %<br />
who agree with scientists creating an embryo which contains mostly human with a small<br />
amount of animal gen<strong>et</strong>ic material purely for research) » (HFEA, 2007).<br />
« If gam<strong>et</strong>es can be termed “artificial ”, might children born of these gam<strong>et</strong>es likewise be seen<br />
as artificial in some sense ? Can a stem cell be a parent ? » (Newsom & Smajdor, 2006).<br />
« The transplantation of adult human neural stem cells into prenatal non-humans offers an<br />
avenue for studying human neural cell <strong>de</strong>velopment without direct use of human embryos.<br />
However, such experiments raise significant <strong>et</strong>hical concerns about mixing human and nonhuman<br />
materials in ways that could result in the <strong>de</strong>velopment of human-nonhuman chimeras. »<br />
(Karpowicz, Cohen, van <strong>de</strong>r Kooy, 2005).<br />
« Consi<strong>de</strong>r work by Yilin Cao and colleagues (1997), in which researchers evaluated wh<strong>et</strong>her<br />
a polymer template could be used to grow cartilage in the shape of a 3-year-old child’s auricle.<br />
In or<strong>de</strong>r to provi<strong>de</strong> a hospitable environment for the cartilage to form, the template was<br />
inserted un<strong>de</strong>r the skin on the back of a mouse. Pictures from this experiment […] have been<br />
used by anti-biotechnology organizations to elicit negative aesth<strong>et</strong>ic reactions... » (Streffer,<br />
2005).<br />
« Any child who knows that her gen<strong>et</strong>ic parents were two men, or one man and two women,<br />
would know she is different. But knowing about this difference need not harm her — unless,<br />
of <strong>cours</strong>e, we tell her the difference is <strong>de</strong>viant » ( Johnston, 2007).
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 423<br />
3. La biologie <strong>de</strong> synthèse (synth<strong>et</strong>ic biology)<br />
Premiers congrès mondiaux : MIT Boston 2004, Berkeley 2006, Zurich 2007 ;<br />
le prochain à Hong Kong, oct. 2008. Une discipline émergente aux pouvoirs<br />
divins (Morton), ou le simple prolongement du génie génétique en génie biologique<br />
(Szybalski) ? « Life is what we make it » (Nature, 2005). Diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> approches<br />
(ingénieurs vs. théoriciens). Objectifs en vue : simplifier, standardiser, routiniser<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> montages biologiques (interrupteurs, calculateurs) ; construire <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes<br />
(bactéries, levures) producteurs <strong>de</strong> carburants (biofuel, éthanol), ou sécréteurs <strong>de</strong><br />
médicaments (contre le paludisme), ou fabricants <strong>de</strong> nouveaux matériaux<br />
(caoutchouc, textiles), ou détecteurs <strong>de</strong> polluants (arsenic), ou chasseurs <strong>de</strong> cellules<br />
mala<strong><strong>de</strong>s</strong> (cancer, HIV), ou capables <strong>de</strong> dégra<strong>de</strong>r <strong><strong>de</strong>s</strong> contaminants dans le sol<br />
(pestici<strong><strong>de</strong>s</strong>). Risques <strong>et</strong> soucis : protéger la collectivité contre toute dissémination<br />
(acci<strong>de</strong>ntelle ou intentionnelle) d’organismes pathogènes, éviter la privatisation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
nouvelles formes <strong>de</strong> vie (brev<strong>et</strong>s), définir une politique <strong>de</strong> recherche lisible <strong>et</strong><br />
démocratiquement débattue à l’échelle <strong>de</strong> la planète.<br />
« We want to <strong>de</strong>monstrate what the heck life is by constructing it » (Steen Rasmussen, in :<br />
Holmes, 2005).<br />
« When asked by interviewers [Daily Telegraph, May 27, 2006] if they are playing God,<br />
Venter’s Colleague Hamilton Smith gives a characteristically hubristic response : “We don’t<br />
play” » (ETCgroup, 2007).<br />
« A group of MIT engineers wanted to mo<strong>de</strong>l the biological world. But, damn, some of nature’s<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>igns were complicated ! So they started rebuilding from the ground up — and gave birth<br />
to synth<strong>et</strong>ic biology » (Morton, “Life, reinvented”, WIRED magazine, Jan 2005, online).<br />
« The recent and ongoing interest in synth<strong>et</strong>ic biology is being driven by at least four different<br />
groups : biologists, chemists, “re-writers” and engineers » (Endy, 2005).<br />
« Using BioBrick* standard biological parts [BB*], a synth<strong>et</strong>ic biologist or biological engineer<br />
can already, to some extent, program living organisms in the same way a computer scientist<br />
can program a computer. » (the BioBricks Foundation, online bbf.openw<strong>et</strong>ware.org).<br />
« There are a small number of projects that try to reduce the genome size of bacteria to a bare<br />
minimum (the top-down approach to synth<strong>et</strong>ic organisms). In particular, two organisms have<br />
been addressed : E. coli and B. subtilis. And there is at least one minimal genome project that<br />
follows the reverse (bottom up) approach, which is to start with a bacterium that already<br />
appears to be stripped down to a bare minimum » (European Commission, 2005).<br />
« Synth<strong>et</strong>ic biology represents a shift... from molecular biology to modular biology. The<br />
introduction of the modular approach in biology implies fundamental changes in the type of<br />
questions that are supposed to be asked in biology, how these are structured and the answers<br />
probed for. Therefore, we can speak of a paradigm shift » (<strong>de</strong> Vriend, 2006).<br />
« Synth<strong>et</strong>ic biology aims to <strong><strong>de</strong>s</strong>ign and build new biological parts and systems or to modify<br />
existing ones to carry out novel tasks. It is an emerging research area, <strong><strong>de</strong>s</strong>cribed by one researcher<br />
as “moving from reading the gen<strong>et</strong>ic co<strong>de</strong> to writing it”. Prospects inclu<strong>de</strong> new therapeutics,<br />
environmental biosensors and novel m<strong>et</strong>hods to produce food, drugs, chemicals or energy »<br />
(UK POSTnote, 2008).
424 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />
Concl. À l’enthousiasme <strong><strong>de</strong>s</strong> promoteurs <strong>de</strong> la biologie <strong>de</strong> synthèse répond la<br />
virulence <strong>de</strong> ses détracteurs (qui évoquent le danger <strong>de</strong> bioterrorisme), <strong>et</strong> la<br />
pru<strong>de</strong>nce <strong><strong>de</strong>s</strong> institutions soucieuses <strong>de</strong> bonne gouvernance (programme européen<br />
SYNBIOSAFE). Certains pensent qu’il faudrait réunir un « Asilomar 2 » (Tucker<br />
& Zilinskas), d’autres penchent pour un dispositif d’accompagnement vigilant<br />
(ONG) ou d’encadrement (institutionnel, légal). La réflexion sur les enjeux<br />
psychosociaux <strong>et</strong> éthiques (synthétique !) est beaucoup plus avancée que la réflexion<br />
proprement philosophique : comment situer dans notre ontologie le vivant<br />
artificiel, ou <strong>de</strong> synthèse ?<br />
« At present, synth<strong>et</strong>ic biology’s myriad implications can be glimpsed only dimly. The field<br />
clearly has the potential to bring about epochal changes in medicine, agriculture, industry,<br />
<strong>et</strong>hics, and politics, and a few <strong>de</strong>ca<strong><strong>de</strong>s</strong> from now it may have a profound influence on the<br />
<strong>de</strong>finition of life, including what it means to be human. » (Tucker & Zilinskas, 2006).<br />
20 03 08 — 2.6. L’évolution biologique <strong>et</strong> ses mécanismes.<br />
Orateur invité : Pr Denis Duboule<br />
Denis Duboule parle <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes architectes, <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur pléiotropie (mutifonctionnalité)<br />
qui m<strong>et</strong> à mal le réductionnisme génétique. Il est réservé sur la<br />
possibilité que les sciences du développement <strong>et</strong> celles <strong>de</strong> l’évolution se fon<strong>de</strong>nt en<br />
une seule discipline (evo-<strong>de</strong>vo), en raison <strong><strong>de</strong>s</strong> différences qu’elles présentent, tant<br />
dans leur statut épistémologique, que dans leurs référentiels <strong>de</strong> temps.<br />
Le ppt <strong>de</strong> ce <strong>cours</strong> a été affiché sur le site du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />
27 03 08 — 2.7. Quelle ontologie pour les sciences <strong>de</strong> la vie ?<br />
« La philosophie n’est pas seulement le r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> l’esprit à lui-même […] Elle est<br />
l’approfondissement du <strong>de</strong>venir en général, l’évolutionnisme vrai, <strong>et</strong> par conséquent le vrai<br />
prolongement <strong>de</strong> la science » (Bergson, 1907).<br />
Intr. Les êtres vivants sont <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres en <strong>de</strong>venir. Ils sont le produit d’une histoire.<br />
L’explication par l’histoire a fait son entrée en biologie : exemple du gène « peau<br />
claire » (Gibbons A., « European skin turned pale only recently », Science, 2007,<br />
316 : 364). On s’essaie ici à « l’approfondissement du <strong>de</strong>venir ».<br />
« Décrire un système vivant, c’est se référer aussi bien à la logique <strong>de</strong> son organisation qu’à<br />
celle <strong>de</strong> son évolution » (F. Jacob, 1970).<br />
1. Temps, <strong>de</strong>venir, durée<br />
L’univers est en <strong>de</strong>venir. Dans le mon<strong>de</strong> d’Aristote il y avait un temps <strong>et</strong> un<br />
mouvement <strong>de</strong> référence (ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> astres). Le système newtonien suppose un<br />
temps absolu <strong>et</strong> universel. La découverte que la propagation <strong>de</strong> la lumière n’est pas<br />
instantanée, <strong>et</strong> la réflexion d’Einstein sur la simultanéité, ont conduit à l’abandon<br />
du temps universel. Avec la théorie <strong>de</strong> la relativité, il faut s’habituer à penser que<br />
le temps <strong>de</strong> chaque être est son temps propre, qui reflète son « être-au-mon<strong>de</strong> » (sa
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 425<br />
participation au <strong>de</strong>venir cosmologique). Les horloges biologiques, les rythmes<br />
circadiens, sont endogènes ; ils s’ajustent avec une certaine plasticité aux cycles<br />
cosmologiques ou à d’autres périodicités. On appelle <strong>de</strong>venir le temps interne, <strong>et</strong><br />
durée le temps vécu. Le temps n’est pas réversible. Il peut être ralenti, ou<br />
accéléré.<br />
« le temps est cause par soi <strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>truction plutôt que <strong>de</strong> génération... à vrai dire, le temps n’en<br />
est pas la cause efficiente » « le temps est partout le même » (Aristote, Physique).<br />
« L’univers, quel qu’il puisse être, est tout d’une pièce, comme un océan » (Leibniz, Théodicée,<br />
1710) — « tout corps se ressent <strong>de</strong> tout ce qui se fait dans l’univers » (Leibniz, Monadologie,<br />
1714).<br />
« chaque être a sa durée particulière, en sorte qu’un instant <strong>de</strong> la durée <strong>de</strong> l’un peut coexister<br />
<strong>et</strong> coexiste en eff<strong>et</strong> à plusieurs instants <strong>de</strong> la durée d’un autre. [...] Si l’on fait attention que<br />
nous n’avons pas proprement d’idée d’autre durée que la nôtre, puisque nous ne saurions nous<br />
former l’idée d’une durée quelconque que par comparaison avec la succession <strong>de</strong> nos pensées,<br />
on verra que c’est bien gratuitement qu’on suppose une durée qui soit la commune mesure <strong>de</strong><br />
celle <strong>de</strong> tous les êtres » (Condillac, 1748).<br />
« Au temps immatériel <strong><strong>de</strong>s</strong> coordonnées cartésiennes, au temps théologique <strong>de</strong> Newton, le<br />
paradigme <strong>de</strong> causalité propagée <strong>de</strong> la relativité nous oblige à substituer un temps individuel,<br />
attaché à chaque chose <strong>et</strong> à chaque être » (R. Lestienne, 1990, 2003, p. 109).<br />
2. Morphogenèse / individuation<br />
La genèse <strong>de</strong> formes (spatio-temporelles) n’est pas un privilège du vivant. Si l’on<br />
accepte l’hypothèse initiée par Lemaître (univers en expansion à partir <strong>de</strong> l’explosion<br />
d’un noyau initial), bien avant l’apparition <strong>de</strong> la vie terrestre, <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres se forment<br />
dans l’univers : particules <strong>de</strong> matière, galaxies... Les vivants terrestres sont d’un<br />
ordre <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur intermédiaire entre les très grands obj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> les très p<strong>et</strong>its. D’Arcy<br />
Thompson montre que les formes vivantes sont relatives à <strong><strong>de</strong>s</strong> contraintes physiques.<br />
La forme inscrit dans le présent quelque chose du passé. Devenir, c’est prendre<br />
forme ? Un photon, une galaxie, sont-ils individués ? Processus d’individuation,<br />
critères d’individualité.<br />
« Faut-il qu’une goutte d’huile ou <strong>de</strong> graisse enten<strong>de</strong> la géométrie, pour s’arrondir sur la surface<br />
<strong>de</strong> l’eau ? » (Leibniz, Théodicée, 1710).<br />
« En <strong>de</strong>venant présent, ce qui advient se matérialise ; mais du même coup, la matière s’est<br />
métamorphosée <strong>et</strong> a pris la forme <strong>de</strong> ce qui advient » (N. Grimaldi, 1993).<br />
« Life has a range of magnitu<strong>de</strong> narrow in<strong>de</strong>ed compared to that with which physical science<br />
<strong>de</strong>als; but it is wi<strong>de</strong> enough to inclu<strong>de</strong> three such discrepant conditions as those in which a<br />
man, an insect and a bacillus have their being and play their several roles. […] The<br />
predominant factors are no longer those of our scale ; we have come to the edge of a world of<br />
which we have no experience, and where all our preconceptions must be recast » (D’Arcy<br />
W. Thompson, 1917).
426 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />
3. Vivre : persévérer dans l’être<br />
Le souci <strong>de</strong> l’individu vivant : subsister. Cellule, organisme, espèce : la<br />
conservation par le changement. Le « tout » survit en renouvelant ses parties.<br />
Cl. Bernard le dit <strong>de</strong> l’organisme : « nous nous représentons un courant <strong>de</strong> matière<br />
qui traverse incessamment l’organisme <strong>et</strong> le renouvelle dans sa substance en le<br />
maintenant dans sa forme » (1878, I, p. 35-36). Notions <strong>de</strong> structure dissipative <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> système ouvert en thermodynamique loin <strong>de</strong> l’équilibre. Auto-organisation <strong>et</strong><br />
hétéro-asservissement. Solidarité du vivant <strong>et</strong> <strong>de</strong> son mon<strong>de</strong>. « Interaction<br />
constructive » (Pra<strong>de</strong>u, 2007).<br />
« Les corps inanimés ne dépen<strong>de</strong>nt pas du temps. Les corps vivants lui sont indissolublement<br />
liés. Chez eux, aucune structure ne peut être détachée <strong>de</strong> l’histoire » (Jacob, 1970).<br />
« La vie, réduite à sa notion la plus simple <strong>et</strong> la plus générale, est essentiellement caractérisée<br />
par le double mouvement continu d’absorption <strong>et</strong> d’exhalation, dû à l’action réciproque <strong>de</strong><br />
l’organisme <strong>et</strong> du milieu ambiant, <strong>et</strong> propre à maintenir, entre certaines limites <strong>de</strong> variation,<br />
pendant un temps déterminé, l’intégrité <strong>de</strong> l’organisation » (Comte, 1835).<br />
« How would we express in terms of the statistical theory the marvellous faculty of a living<br />
organism, by which it <strong>de</strong>lays the <strong>de</strong>cay into thermodynamical equilibrium (<strong>de</strong>ath) ? We said<br />
before : “It feeds upon negative entropy”, attracting, as it were, a stream of negative entropy<br />
upon itself, to compensate the entropy increase it produces by living and thus to maintain itself<br />
on a stationary and fairly low entropy level » (Schrödinger, 1944).<br />
« Ce qui se présente comme une structure permanente à un certain niveau n’est en fait<br />
maintenu que par un échange continu <strong>de</strong> composants au niveau inférieur... » (von Bertalanffy,<br />
1968 ; tr fr 1973).<br />
« Le <strong>de</strong>gré d’organisation ou <strong>de</strong> création <strong>de</strong> néguentropie que nous pouvons obtenir est toujours<br />
inférieur à la quantité <strong>de</strong> néguentropie qu’il a fallu dépenser pour obtenir c<strong>et</strong>te information<br />
préalable » (Lestienne, 2003).<br />
4. Le <strong>de</strong>venir du vivant : naître, vivre, se reproduire <strong>et</strong> mourir<br />
Comment la vie est apparue, on l’ignore ; elle continue. Les êtres monocellulaires<br />
se reproduisent par division, d’où l’hypothèse d’August Weismann (« La durée <strong>de</strong><br />
la vie », 1881) que la vie est potentiellement immortelle. Le <strong>de</strong>venir cellulaire dans<br />
un organisme complexe est un processus <strong>de</strong> différenciation, en principe irréversible :<br />
le <strong><strong>de</strong>s</strong>tin <strong>de</strong> l’organisme complexe est le vieillissement <strong>et</strong> la mort. « Les <strong>de</strong>ux<br />
inventions les plus importantes sont le sexe <strong>et</strong> la mort » (Jacob, 1970, p. 330)<br />
— elles « conditionnent » la possibilité d’une évolution. La mort inéluctable ?<br />
Eléments actuels du débat : cellules iPS, vieillissement <strong><strong>de</strong>s</strong> bactéries. Importance<br />
<strong>de</strong> la conservation dans l’évolution : la vie bâtit du neuf sur du déjà routinisé.<br />
« L’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments nucléaires révéla beaucoup <strong>de</strong> propriétés surprenantes. Ces structures,<br />
tout en pénétrant dans chaque cellule du corps, étaient, si l’on peut dire, à l’abri <strong><strong>de</strong>s</strong> caprices<br />
hasar<strong>de</strong>ux <strong>de</strong> l’existence... » (Darlington, 1953, tr fr 1957).<br />
« D’après la théorie <strong>de</strong> la sélection naturelle, l’extinction <strong><strong>de</strong>s</strong> formes anciennes <strong>et</strong> la production<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> formes nouvelles perfectionnées sont <strong>de</strong>ux faits intimement connexes » (Darwin, 1859, tr<br />
fr 1896).
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 427<br />
« Sans pensée pour le dicter, sans imagination pour le renouveler, le programme génétique se<br />
transforme en se réalisant » (Jacob, 1970).<br />
5. Emboîtements <strong>et</strong> <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> complexité<br />
Lamarck voit la « chaîne animale » comme une série dont l’ordre naturel (celui<br />
dans lequel la nature l’a produite) va du simple au composé : la nature engendre<br />
les plus simples (génération spontanée), <strong>et</strong> on monte les <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> l’organisation<br />
par un mécanisme que résume l’adage aristotélicien « les habitu<strong><strong>de</strong>s</strong> forment une<br />
secon<strong>de</strong> nature » (1809, I, ch. 7). Darwin n’accepte ni l’idée d’un plan <strong>de</strong> la nature,<br />
ni celle d’une tendance <strong><strong>de</strong>s</strong> vivants à compliquer leur organisation ; mais il adm<strong>et</strong><br />
que la différenciation <strong><strong>de</strong>s</strong> parties », <strong>et</strong> leur spécialisation pour diverses fonctions,<br />
puisse constituer un avantage adaptatif (1859, ch. 5). Les faits <strong>de</strong> sélection naturelle<br />
ren<strong>de</strong>nt compte <strong>de</strong> l’impact, sur le tout, d’événements survenus au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
parties (p<strong>et</strong>ites variations). Les faits <strong>de</strong> symbiose ren<strong>de</strong>nt compte <strong>de</strong> l’impact sur<br />
les parties d’événements globaux (réorganisations).<br />
« S’il est vrai que tous les corps vivans soient <strong><strong>de</strong>s</strong> productions <strong>de</strong> la nature, on ne peut se refuser<br />
à croire qu’elle n’a pu les produire que successivement, <strong>et</strong> non tous à la fois dans un temps sans<br />
durée ; or, si elle les a formés successivement, il y a lieu <strong>de</strong> penser que c’est par les plus simples<br />
qu’elle a commencé, n’ayant produit qu’en <strong>de</strong>rnier lieu les organisations les plus composées »<br />
(Lamarck, 1809).<br />
« Il ne semble pas qu’il y ait une plus gran<strong>de</strong> finalité dans la variabilité <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres organiques<br />
ou dans l’action <strong>de</strong> la sélection naturelle, que dans la direction où souffle le vent » (Darwin,<br />
Autobiographie).<br />
« Tout obj<strong>et</strong> que considère la biologie représente un système <strong>de</strong> systèmes... chaque niveau<br />
d’organisation doit être envisagé par référence à ceux qui lui sont juxtaposés » (Jacob,<br />
1970).<br />
« The concr<strong>et</strong>e enduring entities are organisms, so that the plan of the whole influences the<br />
very characters of the various subordinate organisms which enter into it » (Whitehead,<br />
1925).<br />
6. Le <strong>de</strong>venir en acte<br />
Bergson revendique pour la philosophie une intuition <strong>de</strong> la durée (qu’il refuse à<br />
la science). Simondon préconise une démarche analogique, <strong>et</strong> recourt à <strong>de</strong><br />
nombreux exemples (dont celui <strong>de</strong> la cristallisation) pour dégager un schéma du<br />
processus d’individuation : une forme émerge d’un fond, la forme prend en un<br />
point (« acte structurant »), puis elle se propage (« opération transductive ») ;<br />
l’instant décisif est celui <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> forme. Lavelle médite sur l’actualisation <strong>de</strong><br />
l’être au présent. Whitehead au contraire saisit l’instant présent comme ce qui relie<br />
le passé au futur. Pour Canguilhem, l’acte du vivant affirme une préférence, un<br />
choix <strong>de</strong> valeur. Ghiselin (1997, ch. 2) n’oublie pas l’autre aspect du processus<br />
(action/ affection, génération/<strong><strong>de</strong>s</strong>truction), que Jonas (1966, III, App. 2) reproche<br />
à Whitehead d’avoir gommé...
428 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />
« Tout changement pouvant être (a) possible, (b) en train <strong>de</strong> s’accomplir, (c) accompli, l’expression<br />
“en acte” s’applique d’abord au moment b, par opposition, d’une part au moment a que désigne<br />
l’expression “en puissance” (ou “potentiellement”) ; <strong>de</strong> l’autre au moment c, c’est-à-dire au<br />
donné qui résulte <strong>de</strong> ce changement (Aristote tend à désigner le moment b par “energeia”, <strong>et</strong><br />
le moment c par “entelecheia”) » (d’après Lalan<strong>de</strong>, Vocabulaire <strong>de</strong> la philosophie).<br />
« L’individu n’est pas un être mais un acte, <strong>et</strong> l’être est individu comme agent <strong>de</strong> c<strong>et</strong> acte<br />
d’individuation par lequel il se manifeste <strong>et</strong> existe. » (Simondon, 1964).<br />
« S’il n’y a point d’autre être réel que l’être qui est en acte, c’est que l’être est l’acte même. Il<br />
est dans <strong>et</strong> par l’opération qui le produit ; il est c<strong>et</strong>te opération » (Lavelle, 1939).<br />
« The creativity of the world is the throbbing emotion of the past hurling itself into a new<br />
transcen<strong>de</strong>nt fact » (Whitehead, 1933).<br />
« Nous pensons... que le fait pour un vivant <strong>de</strong> réagir par une maladie à une lésion, à une<br />
infestation, à une anarchie fonctionnelle traduit le fait fondamental que la vie n’est pas<br />
indifférente aux conditions dans lesquelles elle est possible, que la vie est polarité <strong>et</strong> par làmême<br />
position inconsciente <strong>de</strong> valeur, bref que la vie est en fait une activité normative »<br />
(Canguilhem, 1943).<br />
7. Les forces vives ?<br />
L’acte d’individuation ne requiert-il pas un suj<strong>et</strong> (le Temps ?), un principe<br />
directeur (une Idée, un plan ?), une force (un vouloir) ? Le « principe vital » a été<br />
postulé sous diverses i<strong>de</strong>ntités : âme, entéléchie, vouloir vivre, élan vital, téléonomie,<br />
<strong>et</strong> dans la version chinoise le « qi », flux d’énergie vitale coulant le long <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
« méridiens ». Des mé<strong>de</strong>cines « alternatives » recourent à ces principes pour justifier<br />
les pratiques <strong>de</strong> « transfert d’énergie ». Le physicien R. Lestienne (2003, p. 242)<br />
qualifie le temps <strong>de</strong> « sève du réel » <strong>et</strong> « âme <strong>de</strong> la matière » ; la durée bergsonienne<br />
est créatrice. L’embryologiste Hans Driesch reprend à Aristote le terme « entéléchie »<br />
pour désigner l’ordonnateur du développement, qui conduit un paqu<strong>et</strong> <strong>de</strong> cellules<br />
à <strong>de</strong>venir un organisme différencié ; <strong>et</strong> la biologie du développement a <strong><strong>de</strong>s</strong> « gènes<br />
architectes ». Le cas <strong>de</strong> Freud est intéressant : parti <strong>de</strong> la distinction commune<br />
entre la faim (visant l’autoconservation) <strong>et</strong> l’amour (visant la conservation <strong>de</strong><br />
l’espèce), il en vient à « désintriquer » ces pulsions en une « pulsion <strong>de</strong> mort »<br />
(visant le r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> la vie à l’état inorganique) <strong>et</strong> une pulsion sexuelle (qui par une<br />
« contrainte <strong>de</strong> répétition » fait un long détour pour aboutir au même point).<br />
« une morphologie est très importante, mais une énergétique est nécessaire » (Simondon,<br />
1960).<br />
« l’entéléchie désigne ce qu’il y a d’autonome <strong>et</strong> d’irréductible dans l’ordre qui prési<strong>de</strong> à la<br />
morphogenèse » « La morphogenèse est une épigenèse, non seulement au sens <strong><strong>de</strong>s</strong>criptif, mais<br />
encore au sens théorique. Il y a production dans l’espace d’une diversité, là où n’existait<br />
préalablement aucune diversité... il n’y a qu’une épigenèse, mais une épigenèse vitalistique »<br />
(Driesch, 1909; tr fr 1921).<br />
« Pour moi le principe vital, ce n’est point l’âme, mais, si je puis me perm<strong>et</strong>tre une expression<br />
chimique, le radical <strong>de</strong> l’âme : la volonté. Ce qu’on appelle l’âme est déjà un composé : c’est
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 429<br />
la liaison <strong>de</strong> la volonté avec le noûs, l’intellect. [...] Dans toutes les fonctions organiques du<br />
corps, autant que dans ses actions extérieures, c’est la volonté qui constitue l’agent. »<br />
(Schopenhauer, 1836, 1854 ; tr. fr. 1969).<br />
« Une pulsion serait une poussée inhérente à l’organique doué <strong>de</strong> vie en vue <strong>de</strong> la réinstauration<br />
d’un état antérieur que c<strong>et</strong> être doué <strong>de</strong> vie a dû abandonner sous l’influence <strong>de</strong> forces<br />
perturbatrices externes » (Freud, 1920 ; tr. fr. OC, vol. 15).<br />
Concl. Gilbert Simondon écrivait en 1964 que « le problème <strong>de</strong> l’individuation<br />
serait résolu si nous savions ce qu’est l’information dans son rapport aux autres<br />
gran<strong>de</strong>urs fondamentales comme la quantité <strong>de</strong> matière ou la quantité d’énergie ».<br />
Il n’est pas certain qu’une mesure <strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux d’organisation suffirait à tarir le<br />
questionnement ontologique.<br />
« La position centrale du problème <strong>de</strong> la vie ne signifie pas seulement qu’il faut lui accor<strong>de</strong>r<br />
une voix décisive quand il s’agit <strong>de</strong> juger une ontologie donnée, mais aussi que tout traitement<br />
<strong>de</strong> ce problème doit convoquer le tout <strong>de</strong> l’ontologie » (Jonas, 1966 ; tr. fr. 2001).<br />
Séminaires<br />
I<br />
Itinéraires <strong>de</strong> recherche en psychiatrie<br />
Sous la forme <strong>de</strong> trois <strong>de</strong>mi-journées <strong>de</strong> travail, le séminaire a entendu sept orateurs<br />
témoignant chacun d’une façon d’abor<strong>de</strong>r la recherche psychiatrique.<br />
2008-04-10, jeudi, 14 h-17 h 30, Paris, CDF, salle 4 : Frank Bellivier (CHU Créteil &<br />
INSERM U 841) analyse les difficultés <strong><strong>de</strong>s</strong> enquêtes génétiques (segregation analysis,<br />
linkage studies, pair studies, association studies, <strong>et</strong>c) visant à i<strong>de</strong>ntifier <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs <strong>de</strong><br />
vulnérabilité à divers types <strong>de</strong> troubles mentaux, <strong>et</strong> dressé un bilan provisoire <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats<br />
obtenus. Bruno Falissard (Hôpital Paul Brousse, Villejuif & INSERM U 669) explique<br />
comment dans sa pratique <strong>de</strong> psychiatre d’enfants <strong>et</strong> adolescents il concilie les enseignements<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> neurosciences <strong>et</strong> ceux <strong>de</strong> la psychanalyse.<br />
2008-05-05, lundi, 14 h-17 h 30, Paris, CDF, salle 2 : Pierre Magistr<strong>et</strong>ti (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong> & EPFL - Université <strong>de</strong> Lausanne) <strong>et</strong> Luc Mall<strong>et</strong> (Paris, Hôp. Pitié-Salpêtrière)<br />
présentent <strong>de</strong>ux types d’exploration du cerveau humain : d’un côté le bilan énergétique<br />
cérébral, <strong>de</strong> l’autre les observations psychiatriques faites à l’occasion <strong>de</strong> l’implantation<br />
d’électro<strong><strong>de</strong>s</strong> en vue du traitement <strong>de</strong> la maladie <strong>de</strong> Parkinson, ou <strong>de</strong> la maladie <strong>de</strong> Gilles<br />
<strong>de</strong> la Tour<strong>et</strong>te.<br />
2008-06-19, jeudi, Bonn, 9 h-13 h, Universitätsclub : Michael Quante (Universität<br />
Köln) démontre comment certains troubles psychiques m<strong>et</strong>tent en évi<strong>de</strong>nce les limites <strong>de</strong><br />
la notion traditionnelle <strong>de</strong> « personne ». Alain Leplège (Univ. Paris-VII Denis Di<strong>de</strong>rot)<br />
réfléchit sur les raisons pour lesquelles une évaluation <strong><strong>de</strong>s</strong> interventions psychothérapeutiques<br />
par leurs résultats a été rej<strong>et</strong>ée en <strong>France</strong> par les praticiens <strong><strong>de</strong>s</strong> psychothérapies analytiques.<br />
Felix Thiele (Europäische Aka<strong>de</strong>mie zur Erforschung wissenschaftlich-technischer<br />
Entwicklungen) cherche si la théorie <strong>de</strong> l’action en usage dans le droit pénal est compatible<br />
avec l’irresponsabilité reconnue aux mala<strong><strong>de</strong>s</strong> mentaux pour certains <strong>de</strong> leurs actes.
430 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />
II<br />
Philosophical problems in medicine<br />
Seoul, 04-05 Aug 2008<br />
Dans le cadre du 22 e Congrès mondial <strong>de</strong> philosophie (WCP 2008), qui s’est déroulé du<br />
30 juill<strong>et</strong> au 5 août 2008 sur le campus <strong>de</strong> l’université nationale <strong>de</strong> Séoul (SNU), <strong>et</strong> à<br />
l’invitation <strong>de</strong> l’Association coréenne <strong>de</strong> philosophie (KPA), trois sessions satellites du<br />
congrès, d’une <strong>de</strong>mi-journée chacune (coordonnées par AFL), se sont succédé les 4 <strong>et</strong> 5 août<br />
sous le titre général « Problèmes philosophiques en mé<strong>de</strong>cine ». Trois thèmes avaient été<br />
r<strong>et</strong>enus : Concepts centraux, Comparaisons Orient-Occi<strong>de</strong>nt, Problèmes cliniques. Douze<br />
orateurs ont contribué à l’échange :<br />
(1) « Core concepts » (KPA special session 09) — Chair Shinik Kang (Korea) ; Speakers<br />
AFL (<strong>France</strong>), In-Sok Yeo (Korea), Carlos Viesca (Mexico), Hee-Jin Han (Korea).<br />
(2) « East and West » (Roundtable) — Chair Hee-Jin Han (Korea) ; Speakers Sicheon<br />
Kim (Korea), Seonsam Na (Korea), Mark Kirsch (<strong>France</strong>), Renzong Qiu (China), Sukjoon<br />
Park (Korea).<br />
(3) « Clinical problems » (Roundtable) — Chair AFL ; Speakers Shinik Kang (Korea),<br />
Jean-Clau<strong>de</strong> K. Dupont (<strong>France</strong>), Jongduck Choi (Korea), Juliana Gonzalez (Mexico).<br />
C<strong>et</strong>te série s’est achevée par une réception amicale au siège <strong>de</strong> la (jeune) Association<br />
coréenne <strong>de</strong> philosophie <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine. Les textes <strong><strong>de</strong>s</strong> présentations au congrès seront<br />
publiés dans les Actes.<br />
Parallèlement au congrès, Vincent Guillin (<strong>France</strong>) a donné huit heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong> dans le<br />
cadre <strong>de</strong> l’école d’été, coordonnée par le P r Dong-Yun Son, qui proposait à <strong>de</strong> jeunes<br />
lycéens une initiation à la philosophie, en même temps que la possibilité d’assister à certaines<br />
conférences du Congrès mondial.<br />
Conférences invitées<br />
Autres interventions<br />
2007-09-20 : « De l’hygiène publique à la santé publique », aux Journées Jacques Lambert<br />
(Lambertiana), Grenoble.<br />
2007-10-07 : « Ontologie du <strong>de</strong>venir : Bergson <strong>et</strong> l’Évolution créatrice », au Congrès<br />
annuel <strong>de</strong> l’Académie internationale <strong>de</strong> philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences (AIPS), sur le thème du<br />
« temps, appréhendé à travers différentes disciplines ».<br />
2007-10-09 : « La causalité en mé<strong>de</strong>cine », dans le cadre du séminaire AssoMat « Causalité,<br />
santé <strong>et</strong> mé<strong>de</strong>cine », Paris, ENS, Institut Jean Nicod.<br />
2007-11-15 : « Styles in philosophy of science », conférence plénière, European Philosophy<br />
of Science Association (EPSA07), Madrid, Universidad Complutense.<br />
2007-11-23 : « Le philosophe <strong>et</strong> la science, selon Bergson », Colloque international <strong>de</strong><br />
clôture <strong>de</strong> l’Année Bergson, « L’évolution créatrice cent ans après. Épistémologie <strong>et</strong><br />
métaphysique », Journée « épistémologie », Paris, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />
2007-11-29 : Déposition à l’Assemblée nationale, OPCST, « Sciences du vivant <strong>et</strong><br />
société : la loi bioéthique <strong>de</strong> <strong>de</strong>main », audition publique.<br />
2008-02-18 : « Anthropological physiology : von Uexküll, Portmann, Buytendijk », au<br />
colloque organisé par A. Berthoz, « Neurobiology of Umwelt : How Living Beings Perceive<br />
the World », Paris (Neuilly).<br />
2008-04-03 : « Bioéthique <strong>et</strong> philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences », dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> Journées<br />
philosophiques 2008 <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Limoges – IUFM.
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 431<br />
2008-04-17 : « Individualisation <strong>et</strong> personnalisation », dans le cadre d’un Cycle organisé<br />
par l’Institut du droit <strong>de</strong> la famille <strong>et</strong> du patrimoine <strong>et</strong> l’Académie <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine, « L’embryon,<br />
le fœtus, l’enfant. AMP <strong>et</strong> lois <strong>de</strong> bioéthique », 2e journée, « Le fœtus dans tous ses états :<br />
quel statut ? », Paris, Maison du Barreau.<br />
2008-05-15 : « Nouvelles biotechnologies humaines », Brest, Centre d’Instruction Naval,<br />
à l’invitation du Commandant du Centre.<br />
2008-06-17 « Qu’attendre <strong>de</strong> la connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> génomes », Paris, Université <strong>de</strong> tous les<br />
savoirs (Utls), série : « Qu’est-ce que la vie ? Où en est-on <strong>de</strong> la connaissance du<br />
génome ? ».<br />
2008-06-20 : « Overview of children and adolescent’s health in <strong>France</strong> », dans le cadre<br />
d’une Journée franco-alleman<strong>de</strong> sur « Santé <strong><strong>de</strong>s</strong> jeunes <strong>et</strong> défis pour la santé publique /<br />
Gesundheit for jungen Menschen und Herausfor<strong>de</strong>rungen an Public Health », Berlin,<br />
Ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />
2008-08-04 : « The challenge of <strong>et</strong>iological knowledge », Séoul, WCP 2008.<br />
Contributions à <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> collectifs<br />
1. réguliers<br />
— Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences, section (biologie humaine <strong>et</strong> sciences médicales), commissions<br />
(histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences <strong>et</strong> épistémologie, science <strong>et</strong> société, plis cach<strong>et</strong>és, CNFHPS), <strong>et</strong> groupe<br />
<strong>de</strong> travail sur la réforme <strong>de</strong> la première année <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> médicales (coordonné par Jean-<br />
François Bach, Secrétaire perpétuel).<br />
— Institut International <strong>de</strong> Philosophie (IIP). Négociation sur le statut <strong>de</strong> la Bibliographie<br />
internationale <strong>de</strong> la philosophie (avec B. Saint-Sernin, auprès <strong>de</strong> : Vrin, CNRS) ; <strong>et</strong><br />
participation aux Entr<strong>et</strong>iens annuels, Seoul (31 jul-2 aug 2008).<br />
— Agence <strong>de</strong> Biomé<strong>de</strong>cine : <strong>Collège</strong> d’experts « recherche sur l’embryon humain <strong>et</strong> les<br />
cellules embryonnaires ».<br />
— Haut Conseil <strong>de</strong> la Science <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Technologie (HCST).<br />
— <strong>France</strong>-Stanford Center for Interdisciplinary Studies : Executive Committee, le<br />
28 avril 2008 à Stanford, CA.<br />
2. ponctuels<br />
— Plan Alzheimer, automne 2007.<br />
— MSH Lille (CS), <strong>et</strong> CS du réseau national <strong><strong>de</strong>s</strong> MSH.<br />
— Société <strong><strong>de</strong>s</strong> amis <strong><strong>de</strong>s</strong> universités <strong>de</strong> Paris (CA).<br />
— Cité <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences (CS).<br />
— Comité pour la publication <strong><strong>de</strong>s</strong> Œuvres complètes <strong>de</strong> Georges Canguilhem (présidé<br />
par Jacques Bouveresse, Librairie philosophique Vrin).<br />
— Soutenances : sont mentionnées ici seulement les soutenances <strong>de</strong> personnes ayant<br />
travaillé sous direction AFL — trois doctorats fin 2007. Nicolas Lechopier, « Ethique <strong>de</strong><br />
la recherche <strong>et</strong> démarcation. La scientificité <strong>de</strong> l’épidémiologie à l’épreuve <strong><strong>de</strong>s</strong> normes <strong>de</strong><br />
confi<strong>de</strong>ntialité » (UP1, 27-09-07) ; Stéphanie Dupouy, « Le visage au scalpel : l’expression<br />
faciale dans l’œil <strong><strong>de</strong>s</strong> savants, 1750-1880 » (26-11-07) ; Fabrice Gzil « Problèmes<br />
philosophiques soulevés par la maladie d’Alzheimer – Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences, épistémologie,<br />
éthique » (07-12-07). Les trois soutenances se sont conclues par la mention ‘Très honorable<br />
avec félicitations’, la troisième a été, <strong>de</strong> plus, couronnée par un prix du journal Le Mon<strong>de</strong><br />
assorti <strong>de</strong> publication aux PUF.
432 ANNE FAGOT-LARGEAULT<br />
Livre<br />
Publications : 2007<br />
Fagot-Largeault Anne, Rahman Shahid, Torres Juan Manuel, eds., The Influence of<br />
Gen<strong>et</strong>ics on Contemporary Thinking, Dordrecht : Springer, 2007 (Series : Logic, Epistemology,<br />
and the Unity of Science, 6).<br />
Articles ou chapitres<br />
« Controversias sobre células troncales », in : Juliana Gonzáles Valenzuela, coordinadora,<br />
Dilemas <strong>de</strong> bioética, Mexico : Universidad Nacional Autonoma (UNAM), 2007, 39-63.<br />
« Interview of François Jacob », xxix-lvi, and « Is DNA revolutionizing medicine ? »,<br />
137-150, in : The Influence of Gen<strong>et</strong>ics on Contemporary Thinking, 2007 (ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus).<br />
« Philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences », in : Philosophie, Paris : Eyrolles, coll. Mention, 2007,<br />
109-133.<br />
« The f<strong>et</strong>us in perspective: the moral and the legal », in : Laurence Thomas, ed.,<br />
Contemporary Debates in Social Philosophy, Oxford : Blackwell, 2008, 113-121.<br />
« Vivre le handicap <strong>et</strong> ses prothèses », in : J.-P. Changeux, Dir., L’homme artificiel, Paris :<br />
Odile Jacob, 2007, 247-261 <strong>et</strong> 310-312.<br />
« La compassion », in : Francis Jacques, Dir., Souffrir <strong>et</strong> mourir. Comment vivre l’invivable ?<br />
La fracture <strong>et</strong> l’espérance, Paris : Editions Parole <strong>et</strong> Silence, 2007, 59-73.<br />
« L’ontologie du <strong>de</strong>venir dans L’Évolution créatrice », in : Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Académie<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> sciences morales <strong>et</strong> politiques, Centenaire <strong>de</strong> la parution <strong>de</strong> L’Évolution créatrice <strong>de</strong> Henri<br />
Bergson, Paris : Palais <strong>de</strong> l’Institut, 2007 n° 10, 59-72.<br />
« Problèmes philosophiques posés par les biotechnologies: l’exemple <strong>de</strong> la recherche sur<br />
les cellules souches », in : Ioanna Kuçuradi, ed., The Proceedings of the Twenty-first World<br />
Congress of Philosophy - Philosophy Facing World Problems, Vol. 13, Ankara : Philosophical<br />
Soci<strong>et</strong>y of Turkey, 137-146.<br />
Activités <strong>de</strong> la chaire<br />
L’excellente équipe 2007-08 se compose <strong>de</strong> Stéphane Soltani (secrétaire), Vincent<br />
Guillin (VG, Maître <strong>de</strong> conférences), Jean-Clau<strong>de</strong> K. Dupont (JCD, ATER).<br />
C<strong>et</strong>te équipe a organisé (avec F. Worms, ENS) la partie CDF du Colloque<br />
international <strong>de</strong> clôture <strong>de</strong> l’année Bergson (23 nov.), <strong>et</strong> prêté ai<strong>de</strong> au P r Pierre<br />
Magistr<strong>et</strong>ti pour l’organisation matérielle <strong>de</strong> son colloque « Neurosciences <strong>et</strong><br />
psychiatrie » (27 mai). Les conférenciers intervenant à la journée CDF du colloque<br />
Bergson « L’Évolution créatrice cent ans après. Épistémologie » étaient : P. Corvol,<br />
M. Canto-Sperber, A. Fagot-Largeault, J. Gayon, Dong-Hyun Son, F. Azouvi,<br />
A. François, A. <strong>de</strong> Ricqlès, P.-A. Miquel, Hee-Jin Han, A. Berthoz, H. Hu<strong>de</strong>,<br />
A. Prochiantz. VG s’est chargé <strong>de</strong> la collecte <strong><strong>de</strong>s</strong> textes <strong>et</strong> <strong>de</strong> la relecture du<br />
manuscrit, qui a été livré à l’éditeur (PUF) au début <strong>de</strong> l’été 2008.<br />
Le dynamisme <strong>de</strong> l’équipe a permis <strong>de</strong> commencer à rattraper quelques r<strong>et</strong>ards<br />
<strong>de</strong> publication. Le manuscrit issu du séminaire Georges Canguilhem (10 juin<br />
2005), resté en panne <strong>de</strong>puis le départ <strong>de</strong> H.-J. Han, a été relu <strong>et</strong> corrigé par JCD,
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 433<br />
<strong>et</strong> livré à l’éditeur (Vrin) au printemps 2008. VG a pris en charge la relecture du<br />
manuscrit issu du séminaire « Evi<strong>de</strong>nce-Based Medicine » (28 mai 2004), qui sera<br />
prêt pour publication avant la fin <strong>de</strong> l’année 2008.<br />
Le séminaire interne, animé par VG, nous a permis d’entendre : François<br />
Lemaire (5 déc.) sur le second procès <strong>de</strong> Nuremberg, Jean-Noël Missa (31 jan.)<br />
sur l’histoire <strong>de</strong> la psychiatrie, un débat entre Fabrice Gzil, Valérie Gateau <strong>et</strong><br />
Nicolas Lechopier sur leur façon <strong>de</strong> pratiquer la philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences (27 mars),<br />
Marcela Iacub sur son livre Par le trou <strong>de</strong> la serrure. Histoire <strong>de</strong> la pu<strong>de</strong>ur publique<br />
(22 mai), Dan Kevles (4 juin) sur l’horticulture américaine au xix e siècle.<br />
En plus <strong>de</strong> la participation au Congrès mondial (WCP 2008), JCD a fait une<br />
communication à un colloque en Oregon (18 mai) sur « la technique argumentative<br />
<strong>de</strong> la Cour européenne <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme à la lumière <strong>de</strong> la Nouvelle rhétorique<br />
<strong>de</strong> Perelman » ; VG a fait une présentation à Oxford au colloque <strong>de</strong> la Société<br />
britannique d’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences (04 juil.) sur « l’éthologie <strong>de</strong> J.S. Mill ». Par<br />
ailleurs, VG rédige en vue <strong>de</strong> publication une version modifiée <strong>de</strong> sa thèse (London,<br />
LSE, 2007), <strong>et</strong> JCD rédige sa thèse <strong>de</strong> doctorat.
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> syncrétismes <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> l’Antiquité<br />
M. Michel Tardieu, professeur<br />
Cours : Coutumes <strong>et</strong> légen<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la Haute-Mésopotamie<br />
d’après les recueils <strong>de</strong> contes syriaques<br />
La caravane <strong>de</strong> Midyat<br />
Parmi les divers recueils <strong>de</strong> contes oraux en araméen mo<strong>de</strong>rne relatifs à la Haute-<br />
Mésopotamie (régions du Jilu-Bohtan, Telkepe <strong>et</strong> Tûr ‘Abdîn), j’ai pour ma<br />
<strong>de</strong>rnière année <strong>de</strong> <strong>cours</strong> au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> fait le choix <strong>de</strong> m’en tenir aux<br />
collectages propres au Tûr ‘Abdîn <strong>et</strong>, dans ce domaine culturel extrêmement riche<br />
<strong>et</strong> diversifié malgré l’étendue restreinte <strong>de</strong> son territoire montagneux (500 km2 environ) qui domine la plaine <strong>de</strong> la Mésopotamie au Nord <strong>de</strong> Nisibe <strong>et</strong> que les<br />
gorges du Tigre délimitent au Nord <strong>et</strong> à l’Est, d’explorer <strong>de</strong> façon systématique le<br />
corpus publié par Prym <strong>et</strong> Socin à la fin du xixe siècle 1 . C<strong>et</strong> ouvrage représente,<br />
selon le mot d’Otto Jastrow (1968), un véritable musée <strong>de</strong> la culture syriaque<br />
vivante. Il a l’avantage d’être doublé par son corpus jumeau en kur<strong>de</strong> (Prym-Socin<br />
1887 <strong>et</strong> Socin 1890) provenant du même conteur. L’autre avantage, essentiel, du<br />
recueil syriaque <strong>de</strong> Prym <strong>et</strong> Socin par rapport aux autres collectages <strong>et</strong> en particulier<br />
1. Eugen Prym und Albert Socin, Der neu-aramaeische Dialekt <strong><strong>de</strong>s</strong> Tûr ‘Abdîn, Erster Teil : Die<br />
Texte, Zweiter Teil : Uebers<strong>et</strong>zung (une secon<strong>de</strong> page <strong>de</strong> titre donne pour c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>uxième partie<br />
également l’intitulé : Syrische Sagen und Maerchen aus <strong>de</strong>m Volksmun<strong>de</strong> gesammelt und uebers<strong>et</strong>zt),<br />
Göttingen, Van<strong>de</strong>nhoeck & Ruprecht, 1881. À lire en parallèle avec les ouvrages <strong>et</strong> <strong>travaux</strong><br />
suivants : Eugen Prym und Albert Socin, Kurdische Sammlungen. Erzaehlungen und Lie<strong>de</strong>r in <strong>de</strong>n<br />
Dialekten <strong><strong>de</strong>s</strong> Tûr ‘Abdîn und von Bohtan. Sammelt, herausgegeben und uebers<strong>et</strong>zt von Eugen<br />
Prym und Albert Socin, A. Die Texte ; B. Uebers<strong>et</strong>zung, St P<strong>et</strong>ersburg, 1887-1890. Hellmut Ritter,<br />
Tûrôyo. Die Volksprache <strong>de</strong>r syrischen Christen <strong><strong>de</strong>s</strong> Tûr ‘Abdîn, A/1 1967, A/2 1969, A/3 1971,<br />
Wiesba<strong>de</strong>n, Franz Steiner Verlag ; B, Wörterbuch, 1979 ; C, Grammatik, 1990. Otto Jastrow,<br />
« Ein Märchen im neuaramäischen Dialekt von Mîdin (Tûr ‘Abdîn) », Zeitschrift <strong>de</strong>r Deutschen<br />
Morgenländischen Gesellschaft, 118 (1968), p. 29-61. Bien que hors <strong>de</strong> la région étudiée, j’ajouterai<br />
cependant le collectage effectué à Axror par E. Cerulli, Testi neo-aramaici <strong>de</strong>ll’Iran s<strong>et</strong>tentrionale,<br />
Napoli, Istituto Orientale, 1971.
436 MICHEL TARDIEU<br />
à celui d’Hellmut Ritter (cinq volumes dont trois <strong>de</strong> textes, qui ont près <strong>de</strong><br />
700 pages chacun), est que Prym <strong>et</strong> Socin ont transmis les histoires d’un conteur<br />
unique, Câno, originaire <strong>de</strong> Midyat, <strong>et</strong> que ce conteur était totalement ill<strong>et</strong>tré,<br />
bien que parlant quatre langues (l’araméen, le kur<strong>de</strong> kurmanci, l’arabe <strong>et</strong> le turc).<br />
Les informateurs <strong>de</strong> Ritter sont soit <strong><strong>de</strong>s</strong> jeunes gens venus du Tûr ‘Abdîn à Istanbul<br />
faire <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ou prendre un emploi en attendant le visa <strong><strong>de</strong>s</strong> services <strong>de</strong><br />
l’émigration, ou bien <strong><strong>de</strong>s</strong> ecclésiastiques que Ritter a rencontrés au Tûr ‘Abdîn.<br />
Un exemple parmi d’autres : le transm<strong>et</strong>teur <strong>de</strong> sept contes recueillis par Ritter à<br />
Midyat (n° 21-27) est l’abouna Xori Nu‘man Aydın, chorévêque <strong>de</strong> l’église<br />
Barsaumo. Il est né en 1909 dans le village <strong>de</strong> Kfärze (Kefärze) à 25 km au NO<br />
<strong>de</strong> Midyat. Cinq ans après sa naissance, sa famille s’installe à Midyat, où il apprend<br />
à lire <strong>et</strong> <strong>de</strong>vient le chef <strong>de</strong> la communauté syro-jacobite <strong>de</strong> Barsaumo composée<br />
<strong>de</strong> 500 familles. Les contes <strong>de</strong> Nu‘mân Aydın <strong>et</strong> l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> contes du corpus<br />
<strong>de</strong> Ritter sont <strong><strong>de</strong>s</strong> histoires souvent jolies, mais c<strong>et</strong>te littérature orale gar<strong>de</strong> malgré<br />
tout l’empreinte <strong>de</strong> l’écrit, c’est-à-dire <strong>de</strong> la littérature ecclésiastique <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
préoccupations <strong><strong>de</strong>s</strong> prêtres. Elle ne peut s’empêcher d’être édifiante <strong>et</strong> <strong>de</strong> donner<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> leçons. On y cherchera en vain le rire <strong>et</strong> la satire, l’amour romantique <strong>et</strong> les<br />
plaisanteries grivoises, l’absur<strong>de</strong> <strong>et</strong> le merveilleux, la perfidie ou la révolte qu’on<br />
trouve dans les contes <strong>de</strong> Câno.<br />
Trois communautés, d’une même culture sociale <strong>et</strong> avec <strong><strong>de</strong>s</strong> liens tribaux<br />
i<strong>de</strong>ntiques, vivaient imbriquées dans la Midyat du début <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1860 : les<br />
Chrétiens jacobites qui sont <strong><strong>de</strong>s</strong> Araméens parlant syriaque, les Kur<strong><strong>de</strong>s</strong> qui sont<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> indo-européens musulmans (sunnites, yézidis, <strong>et</strong> quelques familles shi‘ites) <strong>et</strong><br />
qui parlent une langue iranienne (le kur<strong>de</strong> kumanci), les Mhallamiya qui sont<br />
musulmans, parlent un dialecte arabe avec beaucoup <strong>de</strong> traits dialectaux syriaques<br />
<strong>et</strong> dont l’origine <strong>et</strong>hnique est discutée : s’agit-il <strong>de</strong> Kur<strong><strong>de</strong>s</strong>, d’Arabes, ou bien<br />
d’anciens Araméens chrétiens convertis à l’islam ? Le premier voyageur européen à<br />
avoir signalé c<strong>et</strong>te population a été Niebuhr qui visita la région en 1766. Il considère<br />
les Mhallamiya comme <strong><strong>de</strong>s</strong> Kur<strong><strong>de</strong>s</strong>. Sykes, au début du xx e s., pense qu’il s’agit<br />
d’anciens chrétiens syriaques qui au xvi e s. auraient quitté l’Église jacobite <strong>et</strong> se<br />
seraient faits musulmans après le refus du patriarche <strong>de</strong> leur accor<strong>de</strong>r la permission<br />
<strong>de</strong> manger <strong>de</strong> la vian<strong>de</strong> durant le Carême, alors que sévissait une gran<strong>de</strong> famine.<br />
Leurs femmes portent <strong><strong>de</strong>s</strong> vêtements rouges <strong>et</strong> ne sont pas voilées. Les Kur<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong><br />
Turquie parlant le kurmanci ne les reconnaissent pas comme Kur<strong><strong>de</strong>s</strong>, ce sont pour<br />
eux <strong><strong>de</strong>s</strong> Arabes, étant donné qu’ils ne sont pas kurdophones (le critère d’i<strong>de</strong>ntification<br />
r<strong>et</strong>enu en ce cas est la langue). Quant aux Mhallamiya eux-mêmes, ils sont divisés<br />
sur la question <strong>de</strong> leur « i<strong>de</strong>ntité nationale ». Certains pensent qu’ils sont d’anciens<br />
Sûryanis, c’est-à-dire <strong><strong>de</strong>s</strong> chrétiens syriaques islamisés <strong>et</strong> arabisés (critère r<strong>et</strong>enu en<br />
ce cas : la religion), d’autres estiment qu’ils <strong><strong>de</strong>s</strong>cen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> tribus arabes établies<br />
dans la région au moment <strong><strong>de</strong>s</strong> conquêtes (explication par l’histoire politique). Une<br />
troisième position a <strong>cours</strong> également, selon laquelle ils <strong><strong>de</strong>s</strong>cendraient <strong>de</strong> tribus<br />
kur<strong><strong>de</strong>s</strong> qui se seraient arabisées. Selon c<strong>et</strong>te thèse pankurdiste, les syriaques seraient<br />
pareillement d’anciens Kur<strong><strong>de</strong>s</strong> convertis au christianisme.
HISTOIRE DES SYNCRÉTISMES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ 437<br />
Les orientalistes allemands, Eugen Prym <strong>et</strong> Albert Socin, n’ont pas connu Câno<br />
au Tûr ‘Abdîn, mais à Damas en mars 1869, où il travaillait comme manœuvre<br />
<strong>de</strong> chantier sur les échafaudages ou bien dans la fosse à chaux. Il appartenait à une<br />
colonie <strong>de</strong> chrétiens jacobites <strong>de</strong> Midyat établis à Damas <strong>de</strong>puis trois mois (fin<br />
décembre 1868). Tous ces gens avaient quitté leur patrie en raison <strong>de</strong> six années<br />
consécutives <strong>de</strong> famine due au fléau endémique <strong><strong>de</strong>s</strong> sauterelles <strong>et</strong> donné à leur<br />
migration la direction <strong>de</strong> Jérusalem. La marche <strong>de</strong> ces migrants syriaques prit-elle<br />
ainsi tout naturellement, comme l’explique Eugen Prym, la grand-route <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
caravanes, qui <strong>de</strong> l’Est <strong>de</strong> l’Empire turc menait, en contournant par le Nord en<br />
arc <strong>de</strong> cercle le désert syrien par Mardin, Diyarbakır <strong>et</strong> Urfa, aux gran<strong><strong>de</strong>s</strong> cités<br />
commerçantes d’Alep <strong>et</strong> Damas. Câno fit étape à Adana, le temps d’y gagner<br />
quelques sous pour perm<strong>et</strong>tre au groupe <strong>de</strong> poursuivre le voyage. Arrivés à Damas,<br />
les « pèlerins » <strong>de</strong> Jérusalem s’installèrent à Bâb Sharqî, vidé <strong>de</strong> ses habitants <strong>et</strong> en<br />
ruines <strong>de</strong>puis les massacres anti-chrétiens <strong>de</strong> 1860.<br />
Socialement, Câno était sûryani. À en juger par les histoires qu’il raconte, sa<br />
culture chrétienne semble totalement inexistante. Il n’y a pas le moindre indice,<br />
chez lui, d’une connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> Écritures. Deux seulement <strong>de</strong> ses histoires en<br />
araméen <strong>et</strong> en kur<strong>de</strong> portent sur <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s bibliques. Mais, au témoignage même<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> orientalistes qui l’ont connu, Câno ignorait qu’il s’agissait d’histoires bibliques.<br />
Le n° 8 <strong>de</strong> la collection <strong><strong>de</strong>s</strong> contes syriaques (Le douzième fils <strong>de</strong> Jacob) est l’histoire<br />
<strong>de</strong> Joseph (Gn 37-48 ; Coran XII). De quel récit est tributaire le conteur ? Sa<br />
source est-elle une épopée kur<strong>de</strong> qui réutiliserait le récit coranique ? Il est difficile<br />
<strong>de</strong> trancher. Le n° 5 <strong>de</strong> la collection <strong><strong>de</strong>s</strong> contes kur<strong><strong>de</strong>s</strong> (Le tyran impie) concerne,<br />
sans jamais le nommer, le personnage biblique <strong>de</strong> Nimrod, le géant impie,<br />
constructeur <strong>de</strong> la Tour <strong>de</strong> Babel. Selon l’historiographie jacobite, le géant<br />
nourrissait <strong>de</strong> sa chasse les constructeurs <strong>de</strong> la Tour, cela dura 40 ans, puis la Tour<br />
fut renversée par le vent <strong>et</strong> tua Nimrod. L’histoire chez Câno est probablement<br />
tributaire <strong>de</strong> ce qu’il a entendu raconter à l’église à ce suj<strong>et</strong>. Le gibbôr chasseur est<br />
chez lui la figure <strong>de</strong> l’impie absolu. Il défie la loi <strong>et</strong> la puissance divines en donnant<br />
ses filles en mariage à ses fils puis en construisant la Tour. La transgression <strong>de</strong><br />
l’inceste est le premier acte du combat contre Dieu.<br />
Rire <strong>et</strong> façons <strong>de</strong> dire<br />
Les <strong>de</strong>ux traits caractéristiques <strong><strong>de</strong>s</strong> dis<strong>cours</strong> narratifs <strong>de</strong> Câno sont d’abord<br />
l’inadéquation <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses aux questions posées, ce qui a pour conséquence que<br />
les mots sont faits pour rire <strong>de</strong> tout, ensuite le transfert massif <strong>de</strong> la société humaine<br />
aux mon<strong><strong>de</strong>s</strong> non-humains <strong><strong>de</strong>s</strong> animaux <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> géants. Le Tûr ‘Abdîn que décrivent<br />
archéologues <strong>et</strong> historiens est le pays <strong><strong>de</strong>s</strong> moines bâtisseurs. Pour Câno c’est la terre<br />
d’en-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous, sans églises ni couvents, ni noms propres <strong>de</strong> lieux, ni chemins tracés,<br />
à la différence du pays d’en-haut, où chaque lieu a un nom, où le même endroit<br />
possè<strong>de</strong> parfois plusieurs noms propres. Le territoire du conte syriaque se situe hors<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> villes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> villages, que délimitent les collines verdoyantes, les jardins <strong>et</strong> les<br />
vignes, espace indéfini, marqué par la montagne ari<strong>de</strong> <strong>et</strong> les maisons abandonnées,
438 MICHEL TARDIEU<br />
pays <strong>de</strong> la soif <strong>et</strong> <strong>de</strong> la faim, <strong><strong>de</strong>s</strong> bêtes sauvages <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> bandits, terre où le temps<br />
s’est arrêté, où les géants remplacent les humains, où les femmes ont <strong><strong>de</strong>s</strong> lieux qui<br />
leur sont propres (La fiancée du diable n° 45, La ville <strong>de</strong> Mush n° 19, Jeux d’enfants<br />
n° 30). Selon les conceptions cosmologiques du conteur, les quatre coins <strong>de</strong> la terre<br />
habitée reposent sur un rocher, <strong>et</strong> celui-ci sur <strong><strong>de</strong>s</strong> colonnes <strong>de</strong> fer. En <strong><strong>de</strong>s</strong>cendant<br />
le plan incliné <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te terre, on arrive là où repose le couvercle du ciel. Le côté<br />
intérieur du couvercle est occupé par la <strong>cours</strong>e diurne du soleil vers l’Occi<strong>de</strong>nt.<br />
Au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous <strong>de</strong> la terre commune (u-bäläd du-‘amm), se trouvent le pays <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
hommes nus ou <strong><strong>de</strong>s</strong> chiens, puis celui <strong><strong>de</strong>s</strong> djinns, au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous encore il y a le<br />
territoire <strong><strong>de</strong>s</strong> hybri<strong><strong>de</strong>s</strong>, puis celui <strong><strong>de</strong>s</strong> singes, ensuite celui <strong><strong>de</strong>s</strong> lions <strong>et</strong> enfin la terre<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> ténèbres. Le pays <strong><strong>de</strong>s</strong> nains, Hâcûc uMâcûc (Gog <strong>et</strong> Magog) est un peu partout<br />
entre ces mon<strong><strong>de</strong>s</strong>. Les Hâcûc sont nés <strong><strong>de</strong>s</strong> pertes séminales d’Adam mêlées à <strong>de</strong> la<br />
poussière, <strong>et</strong> ont pour particularité <strong>de</strong> prévoir leur mort. Ils s’accouplent comme<br />
les animaux <strong>et</strong> se déplacent avec une très gran<strong>de</strong> rapidité. Chaque jour, ils rongent<br />
le rempart <strong>de</strong> Dhû-l-Qarnayn pour tenter d’apercevoir le soleil briller <strong>de</strong> l’autre<br />
côté. C’est donc un peuple <strong>de</strong> la nuit <strong>et</strong> ils sont noirs <strong>de</strong> peau. Ils aiment beaucoup<br />
les eaux douces <strong><strong>de</strong>s</strong> fleuves, mais préfèrent à toutes celles du lac <strong>de</strong> Tibéria<strong>de</strong><br />
(Xenge n° 36, L’échange <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes n° 43, Le marchand <strong>de</strong> Mardin n° 44). Dans<br />
d’autres traditions, les Gog occupent le bout du mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> sont en lien avec les<br />
peuples turciques, chez Câno les Hâcûc sont l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> mon<strong><strong>de</strong>s</strong> hypochthoniens,<br />
sorte <strong>de</strong> fourmis <strong>de</strong> l’invisible. À l’extrémité <strong>de</strong> ces mon<strong><strong>de</strong>s</strong> se situe, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong><br />
l’In<strong>de</strong>, le pays enchanté <strong><strong>de</strong>s</strong> Gurc, couvert <strong>de</strong> buissons d’épines, sans gouvernement.<br />
Les filles y sont très jolies <strong>et</strong> appartiennent à tous.<br />
L’inadéquation <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses aux questions sert à fabriquer les histoires pour rire<br />
sur le dos <strong><strong>de</strong>s</strong> artisans <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> chefs tribaux (Le molla, le teigneux <strong>et</strong> le yézidi n° 12,<br />
L’agha qui avait un fils maboul n° 13), <strong>et</strong> pour se moquer <strong><strong>de</strong>s</strong> bureaucrates <strong>et</strong><br />
gratte-papiers (Le renard, l’âne <strong>et</strong> le chat n° 84, Le renard qui savait lire l’éthiopien<br />
n° 77). Les autorités <strong>et</strong> hiérarchies sociales dont les histoires <strong>de</strong> renard (au nombre<br />
<strong>de</strong> 22 dans le corpus syriaque) font la satire sont, d’un côté, l’institution politicojudiciaire<br />
que symbolise la fonction <strong>de</strong> kadi (syr. qoze) <strong>et</strong>, <strong>de</strong> l’autre, le clergé que<br />
représentent pour les communautés religieuses du Tûr les charges <strong>de</strong> molla (syr.<br />
malla) chez les musulmans <strong>et</strong> <strong>de</strong> curé (syr. qasho) chez les chrétiens. De par<br />
l’exercice <strong>et</strong> l’étendue <strong>de</strong> leurs attributions, ces dignitaires sont par excellence <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
professionnels <strong>de</strong> l’écriture, <strong>de</strong> l’encre, <strong><strong>de</strong>s</strong> registres, <strong><strong>de</strong>s</strong> livres.<br />
Un trait particulier <strong><strong>de</strong>s</strong> histoires <strong>de</strong> Câno est l’humour religieux (Le pèlerinage<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> animaux, kur<strong>de</strong> n° 3) <strong>et</strong> l’humour hagiographique (Le diable <strong>de</strong>venu portefaix,<br />
syriaque n° 53). Une contribution donnée aux MUSJ (59, 2006, p. 145-160) a<br />
traité du premier. J’ai donc cherché à comprendre le second par comparaison avec<br />
la légen<strong>de</strong> populaire du Tûr racontant la domestication du diable par s. Malke.<br />
Hasan El-Shamy (Types of the Folktale in the Arab World, Bloomington, Indiana<br />
University Press, 2004, p. 710) rattache le conte 53 <strong>de</strong> Câno à la série <strong><strong>de</strong>s</strong> contestypes<br />
AT 1168, Various Ways of Expelling Devils (the Devil), qui sont <strong><strong>de</strong>s</strong> relations<br />
d’exorcismes. Aucune <strong>de</strong> leurs versions signalées dans la classification internationale
HISTOIRE DES SYNCRÉTISMES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ 439<br />
ne correspond au conte araméen. Seul le premier épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> ce récit fait état d’une<br />
guérison par exorcisme. C<strong>et</strong>te hagiographie a en fait un autre but. Il s’agit d’une<br />
domestication humoristique du diable pour en faire un ai<strong>de</strong> <strong>et</strong> le m<strong>et</strong>tre au service<br />
du saint fondateur d’un monastère. La classification d’El-Shamy est donc erronée.<br />
L’origine <strong>de</strong> l’histoire paraît bien à sa place, en tout cas, dans le folklore syriaque<br />
du Tûr. Je la comprends comme relation orale ré-élaborée pour justifier une<br />
croyance populaire qui concernait un puits <strong>de</strong> la région <strong>de</strong> Midyat, lié au cycle <strong>de</strong><br />
Mor Malke. Dans la légen<strong>de</strong> hagiographique rapportée par Câno, le diable<br />
qu’expulse Mor Malke <strong>de</strong> la fille du roi d’Égypte est chargé <strong>de</strong> porter au cou <strong>et</strong><br />
sur la tête jusqu’au Tûr ‘Abdîn la margelle <strong>et</strong> l’auge, offertes par le roi d’Égypte<br />
reconnaissant <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>tinées à l’aménagement <strong>de</strong> l’eau que le saint a prévu pour son<br />
sanctuaire <strong>de</strong> Haute-Mésopotamie. Or, il existe une vie, en syriaque littéral, <strong>de</strong><br />
Mor Malke, éditée par Paul Bedjan dans les Acta martyrum <strong>et</strong> sanctorum (t. 5,<br />
Leipzig, Harrassowitz, 1895, p. 421-469) d’après un manuscrit <strong>de</strong> la fin du<br />
xii e siècle (BN 236, fol. 86 ; Zotenberg 1874, p. 187-188), complété par un<br />
manuscrit <strong>de</strong> Londres (BL Add.14733, fol. 83). Sur la cinquantaine <strong>de</strong> pages <strong>de</strong><br />
texte syriaque <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te vie, vingt portent sur l’histoire <strong>de</strong> la diablerie que Câno a<br />
racontée aux orientalistes allemands en araméen turoyo.<br />
Confrontons l’oral <strong>et</strong> l’écrit. La vie syriaque confirme que les pierres taillées que<br />
le saint fait transporter d’Égypte au Tûr ‘Abdîn par le diable sont effectivement<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>tinées au monastère <strong>de</strong> s. Malke (Deir Mor Malke), à 2 km au sud <strong>de</strong> Kharabe<br />
‘Ale (Khirbat Aleh, forme turcisée Harapali) dans le Djebel Izlo. La vie syriaque<br />
situe très correctement le monastère, non par le toponyme arabe, mais en utilisant<br />
l’ancien nom syro-grec <strong>de</strong> Kharabe ‘Ale : Arkah. Alors que la vie syriaque ainsi<br />
que le conte oral servent à montrer que l’apprivoisement du diable par le saint est<br />
nécessaire au transport <strong><strong>de</strong>s</strong> instruments <strong>de</strong> la distribution <strong>de</strong> l’eau <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
l’organisation du paysage du monastère, en revanche on ne peut être que surpris<br />
<strong>de</strong> constater que l’hagiographie littéraire <strong>de</strong> s. Malke est organisée différemment<br />
que dans le conte oral. Chez Câno, le saint va en Égypte où il exorcise la fille du<br />
roi, mais ni le nom du roi ni celui <strong>de</strong> sa fille ne sont mentionnés, ni non plus<br />
d’ailleurs le nom du diable que le saint expulse du corps <strong>de</strong> la jeune fille. Dans la<br />
vie syriaque, c’est à Constantinople que le saint se rend, auprès <strong>de</strong> l’empereur<br />
Constantin qui l’a fait appeler pour qu’il guérisse sa propre fille, dénommée<br />
Asanasis. Le scénario <strong>de</strong> l’expulsion du diable <strong>et</strong> <strong>de</strong> la récompense du saint par le<br />
roi est i<strong>de</strong>ntique dans la vie <strong>et</strong> dans le conte, mais la vie transm<strong>et</strong> le nom du<br />
diable, Astratasis, qu’om<strong>et</strong> Câno. L’épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> la dispute chez les bédouins manque<br />
dans la vie syriaque. Celle-ci, en revanche, précise ce que dit Câno concernant les<br />
pierres portées par le diable jusqu’au monastère mésopotamien : autour du cou, en<br />
collier (un turban, dit un autre diable pour s’amuser) l’assise circulaire ou margelle<br />
formant le rebord supérieur visible du puits, <strong>et</strong> sur la tête, dressée comme une<br />
tour, la structure interne du puits en pierres <strong>de</strong> taille arrondies. Le spectacle <strong>de</strong>vait<br />
être assez réjouissant, en eff<strong>et</strong>. À qui donner l’avantage ici, à l’oral ou à l’écrit ?<br />
Florence Jullien a repéré que la trame <strong>de</strong> l’histoire racontée par Câno <strong>et</strong> la vie
440 MICHEL TARDIEU<br />
syriaque (guérison d’un possédé, transport d’une pierre par le diable, traversée du<br />
désert <strong>et</strong> construction d’un monastère) était réutilisée dans les traditions syroorientales<br />
<strong>de</strong> l’implantation du monachisme à al-Hîra <strong>et</strong> en Arabie du Nord-Est<br />
(communication faite au <strong>cours</strong> du 13 février 2008). La popularité <strong>de</strong> l’histoire<br />
hors <strong>de</strong> l’Église jacobite <strong>et</strong> la référence explicite à l’Égypte dans le conte oral<br />
donnent à penser plutôt à une dépendance <strong>de</strong> la vie littéraire par rapport à celui-ci<br />
<strong>et</strong> à un ajustement ecclésiastique gréco-orthodoxe. La mise en situation <strong>de</strong> la<br />
diablerie à la cour <strong>de</strong> Constantin n’est peut-être pas, cependant, une absurdité <strong>de</strong><br />
la vie syriaque. Elle a probablement servi à situer dans un passé lointain les liens<br />
supposés <strong><strong>de</strong>s</strong> fondateurs syriaques du Tûr ‘Abdîn au monachisme copte que<br />
protégeait le Basileus. Mor Malke était, dit-on, le neveu <strong>de</strong> Mar Awgin, qui était<br />
un Égyptien originaire <strong>de</strong> Clysma. L’oncle <strong>et</strong> le neveu sont du même village. Les<br />
monastères <strong>de</strong> l’oncle <strong>et</strong> du neveu sont voisins au Tûr ‘Abdîn. De ce fait, le conte<br />
oral ne manque pas <strong>de</strong> pertinence en plaçant la diablerie plutôt en Égypte, chez<br />
un roi imaginaire anonyme. Quant à la structure du puits qui traverse les déserts<br />
à la verticale portée sur la tête du diable, elle annonce c<strong>et</strong>te idiotie sublime prêtée<br />
à Nasr Eddin Hodja. Un jour, à la sortie <strong>de</strong> la mosquée, un paysan lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> :<br />
« Ô Hodja, toi qui as <strong><strong>de</strong>s</strong> lumières sur toute chose en matière <strong>de</strong> religion, peux-tu<br />
me dire comment les Arabes ont bien pu faire pour construire <strong><strong>de</strong>s</strong> minar<strong>et</strong>s en<br />
plein désert ? — C’était pourtant très facile, répond Nasr Eddin : il leur a suffi <strong>de</strong><br />
renverser les puits » (J.-L. Maunoury, Sublimes paroles <strong>et</strong> idioties <strong>de</strong> Nasr Eddin,<br />
Paris, Phébus, 2002, p. 417).<br />
Les autres catégories d’histoires <strong>de</strong> Câno étudiées dans ce <strong>cours</strong> ont été celles<br />
dans lesquelles interviennent <strong><strong>de</strong>s</strong> thèmes propres aux chansons d’amour <strong>de</strong> Câno<br />
en kur<strong>de</strong> par comparaison à celles <strong>de</strong> la même région en araméen chrétien <strong>et</strong> juif<br />
(Boucles d’oreilles, Les bords <strong>de</strong> chemins) <strong>et</strong>, d’autre part, les histoires traitant<br />
explicitement <strong>de</strong> pratiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> croyances religieuses (Le Barberousse jacobite <strong>de</strong><br />
Hâh <strong>et</strong> la légen<strong>de</strong> <strong>de</strong> la conversion du <strong>de</strong>rnier païen).<br />
Séminaire 2008<br />
M.T.<br />
Le séminaire <strong>de</strong> 2008 « Noms barbares 2 » a été la suite <strong>de</strong> celui organisé en<br />
2007. Il s’est déroulé sous la forme d’un colloque international, en lien avec<br />
l’Agence Nationale <strong>de</strong> la Recherche, l’EPHE-Sciences religieuses <strong>et</strong> le CNRS<br />
(UMR 8584), <strong>et</strong> s’est tenu dans l’amphithéâtre Maurice Halbwachs, le 18 juin<br />
2008. Les communications entendues ont été les suivantes : Michel Tardieu, La<br />
recherche sur les formes <strong>et</strong> les contextes <strong>de</strong> la pratique magique <strong><strong>de</strong>s</strong> noms barbares ;<br />
Lucia Sau<strong>de</strong>lli (ATER <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), Héraclite sur le nom <strong>de</strong> Zeus ; Jean<br />
Yoyotte (Professeur honoraire au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), Amon <strong>et</strong> Mout, <strong>et</strong> les mots<br />
nubiens ; Gregor Wurst (Université d’Augsbourg), Un magicien copte. Syncrétisme<br />
religieux dans l’Égypte chrétienne ; Gérard Roqu<strong>et</strong> (EPHE), Fonction incantatoire
HISTOIRE DES SYNCRÉTISMES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ 441<br />
du langage. Image, l<strong>et</strong>tre, son, sens : manipulations cryptologiques ; Yvan Koenig<br />
(CNRS), Des « trigrammes panthéistes » ramessi<strong><strong>de</strong>s</strong> aux gemmes magiques <strong>de</strong><br />
l’époque impériale : le cas d’Abrasax ; Amina Kropp (Université <strong>de</strong> Hei<strong>de</strong>lberg),<br />
Le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> noms barbares dans le déroulement d’une <strong>de</strong>fixio d’après le corpus<br />
électronique <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>fixiones latines ; Silvia Pieri (Université <strong>de</strong> Pise), Numero e<br />
filosofia. Alcune note sul cosidd<strong>et</strong>to Ottavo libro di Mosè (PGM XIII) ; Michel<br />
Tardieu, La diversification <strong>de</strong> Kalyptos <strong>et</strong> son modèle logique. Reconstruire<br />
Zostrien (NHC VIII 112-113) ; Paolo Scarpi (Université <strong>de</strong> Padoue), Le dis<strong>cours</strong><br />
vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> noms barbares ; Arnaud Sérandour (EPHE), Les noms barbares du Sefer<br />
ha-Razin ; Clau<strong>de</strong> Gilliot (Université <strong>de</strong> Provence), Les l<strong>et</strong>tres mystérieuses du<br />
Coran ; Manfred Kropp (Université <strong>de</strong> Mayence), Noms magiques d’Éthiopie ;<br />
Claudine Bess<strong>et</strong>-Lavoine, Émilie Clau<strong>de</strong>, Emiliano Fiori, Flavia Ruani, Anna Van<br />
<strong>de</strong>n Kerchove (Doctorantes <strong>et</strong> doctorant <strong>de</strong> l’EPHE), Noms barbares en rituels<br />
gnostiques. Essai d’interprétation scénique.<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> christianismes orientaux<br />
Bibliothèque<br />
La Bibliothèque d’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> christianismes orientaux (ex-Bibliothèque d’histoire<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> religions du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>) est un centre documentaire relevant <strong>de</strong> l’Institut<br />
du Proche-Orient ancien. Elle a été créée par Jean Baruzi en 1937. Ses spécialités<br />
d’origine sont la philosophie religieuse antique <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne (théories <strong>de</strong> la religion<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> la mystique) <strong>et</strong> l’histoire <strong>de</strong> la théologie hétérodoxe ancienne (surtout<br />
marcionite <strong>et</strong> gnostique). Ces orientations ont été poursuivies par H.-Ch. Puech,<br />
A. Guillaumont, <strong>et</strong> moi-même, aidé <strong>de</strong>puis 2001 <strong>de</strong> Florence Jullien (syriacisante<br />
<strong>de</strong> réputation internationale, ATER puis vacataire) avec la participation <strong>de</strong><br />
Christelle Jullien (Chercheur au CNRS), tout en y développant les domaines<br />
suivants : littérature apocryphe chrétienne, judéochristianisme baptiste <strong>et</strong><br />
mandéisme, monachisme syro-égyptien, manichéisme <strong>et</strong> iranologie, littérature<br />
syriaque dogmatique <strong>et</strong> historique. En alliant <strong>de</strong> la sorte philosophie <strong>et</strong> religion, ce<br />
centre documentaire représente un instrument <strong>de</strong> travail original <strong>et</strong> apprécié. La<br />
richesse <strong><strong>de</strong>s</strong> fonds dans certains <strong><strong>de</strong>s</strong> domaines énumérés, comme le mandéisme ou<br />
le manichéisme, en fait une bibliothèque <strong>de</strong> référence unique en <strong>France</strong>. Son<br />
service d’accueil <strong>et</strong> d’ai<strong>de</strong> à la recherche auprès <strong><strong>de</strong>s</strong> doctorants <strong>et</strong> chercheurs français<br />
<strong>et</strong> étrangers, venant le plus souvent <strong>de</strong> l’École pratique <strong><strong>de</strong>s</strong> hautes étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong>de</strong><br />
Paris IV-Sorbonne, <strong>de</strong> l’Institut Catholique <strong>de</strong> Paris <strong>et</strong> du CNRS, s’y effectue en<br />
collaboration avec les autres bibliothèques du site Cardinal Lemoine (Bibliothèque<br />
byzantine notamment <strong>et</strong> Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sémitiques). Le travail <strong>de</strong> catalogage en lien avec<br />
Catherine Piganiol (service général <strong><strong>de</strong>s</strong> Bibliothèques <strong>et</strong> Bibliothèque byzantine) a<br />
été engagé <strong>et</strong> mené à bien par Abdallah Khaldi <strong>de</strong> 2003 à 2008, afin d’enrichir la<br />
base bibliographique commune du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.
442 MICHEL TARDIEU<br />
Publications<br />
— « L’anneau perdu du roi Salomon : conte syriaque <strong>de</strong> la plaine <strong>de</strong> Mossoul », dans<br />
J.-L. Bacqué-Grammont (éd.), L’image <strong>de</strong> Salomon. Sources <strong>et</strong> postérités (Cahiers <strong>de</strong> la Société<br />
Asiatique, Nouvelle série 5), Paris-Louvain-Dudley, Pe<strong>et</strong>ers, 2007, p. 199-208.<br />
— « Le schème hérésiologique <strong>de</strong> désignation <strong><strong>de</strong>s</strong> adversaires dans l’inscription nestorienne<br />
chinoise <strong>de</strong> Xi’an », dans Christelle Jullien (éd.), Controverses <strong><strong>de</strong>s</strong> Chrétiens dans l’Iran<br />
sassani<strong>de</strong> (Studia Iranica 36, Chrétiens en terre d’Iran II), Paris, Association pour l’avancement<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> iraniennes, 2008, p. 207-226.<br />
— « Le sinapisme du missionnaire manichéen (P. Kellis Copte 35) », dans Estelle Oudot<br />
& Fabrice Poli (éd.), Epiphania. Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> orientales, grecques <strong>et</strong> latines offertes à Aline Pourkier<br />
(Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> anciennes, 34) Nancy, ADRA, & Paris, De Boccard, 2008, p. 461-472.<br />
— « L’apparition d’Aristote au calife al-Ma’mûn », Mélanges en hommage à Didier Pralon,<br />
Aix-en-Provence, Publications <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Provence, 2008.<br />
Autres activités<br />
— Prési<strong>de</strong>nt du jury <strong>de</strong> soutenance <strong>de</strong> l’HDR <strong>de</strong> Florence Jullien, « Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
institutions <strong>et</strong> traditions du mon<strong>de</strong> syriaque », Université <strong>de</strong> Provence, le 13 octobre<br />
2007.<br />
— Prési<strong>de</strong>nce du Colloque international « Barhebraeus <strong>et</strong> la renaissance syriaque »,<br />
organisé par Denise Aigle, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 3 décembre 2007. Communication : « Le but<br />
<strong>de</strong> Barhebraeus dans les Histoires drôles » ; ce Colloque est l’obj<strong>et</strong> d’un article, cosigné par<br />
D. Aigle <strong>et</strong> M. Tardieu, dans la L<strong>et</strong>tre du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, n° 22, février 2008, p. 32.<br />
— Participation aux <strong>travaux</strong> collectifs du proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Agence nationale <strong>de</strong> la recherche,<br />
CENOB (Corpus <strong><strong>de</strong>s</strong> énoncés <strong><strong>de</strong>s</strong> noms barbares) avec les groupes <strong>de</strong> Padoue <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
Bruxelles, EPHE-Sciences religieuses, le 7 mars 2008, <strong>et</strong> <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, le 17 juin<br />
2008.<br />
— Invitation aux Journées doctorales <strong>de</strong> l’université d’Aix-en-Provence sur les littéralismes<br />
dans les fondamentalismes, Le Caire, IFAO, 6-9 avril 2008. Communication : « Ignorer ce<br />
que lire veut dire chez les Sûryanis ».<br />
— Codirection <strong>de</strong> la thèse <strong>de</strong> doctorat <strong>de</strong> Lucia Sau<strong>de</strong>lli (ATER au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>),<br />
Héraclite <strong>et</strong> le témoignage <strong>de</strong> Philon d’Alexandrie, en co-tutelle franco-italienne (École<br />
Pratique <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, Université « Carlo Bo » d’Urbino) <strong>et</strong> prési<strong>de</strong>nt du jury <strong>de</strong><br />
soutenance, Paris, EPHE, 3 juill<strong>et</strong> 2008.<br />
— Prési<strong>de</strong>nce du Colloque international « Les monachismes d’Orient. Images, échanges,<br />
influences », organisé par Fl. Jullien <strong>et</strong> M.-J. Pierre, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 11 juin 2008.<br />
Communication : « L’image <strong><strong>de</strong>s</strong> moines <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> monastères dans les contes oraux<br />
syriaques ».<br />
— Participation au Colloque international « La pluralité interprétative. Fon<strong>de</strong>ments<br />
historiques <strong>et</strong> cognitifs <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> point <strong>de</strong> vue », organisé par A. Berthoz, C. Ossola,<br />
Br. Stock, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 12 <strong>et</strong> 13 juin 2008. Communication : « Le pluralisme<br />
religieux ».<br />
— Participation au colloque international « Paul Pelliot (1878-1945). De l’histoire à la<br />
légen<strong>de</strong> », organisé par Jean-Pierre Drège, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions<br />
<strong>et</strong> belles-l<strong>et</strong>tres, jeudi 2 - vendredi 3 octobre 2008. Communication : « Les Chrétiens<br />
d’Orient dans l’œuvre <strong>de</strong> Paul Pelliot ».
HISTOIRE DES SYNCRÉTISMES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ 443<br />
— Colloque international « Damascius <strong>et</strong> le néoplatonisme en région syrienne », organisé<br />
par Ph. Vallat, Damas, Institut Français du Proche-Orient, en lien avec l’EPHE-Sciences<br />
religieuses, 27-29 octobre 2008. Communication : « Le concept hellène précoranique <strong>de</strong><br />
religion abrahamique chez les néoplatoniciens syriens. Tenants <strong>et</strong> aboutissants <strong>de</strong> la<br />
profession <strong>de</strong> foi <strong>de</strong> Marinus <strong>de</strong> Naplouse ».<br />
— Prési<strong>de</strong>nce du Colloque international « Auteurs <strong>et</strong> autorité <strong><strong>de</strong>s</strong> anciens textes littéraires<br />
ou religieux. Livres <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes, livres <strong>de</strong>(s) dieu(x) », organisé par Maria Gorea, <strong>Collège</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>France</strong>, 1er <strong>et</strong> 2 décembre 2008. Communication : « La notion manichéenne d’auteur<br />
entre original <strong>et</strong> copie : statut comparé <strong><strong>de</strong>s</strong> livres à textes <strong>et</strong> à images ».<br />
Activités <strong>de</strong> la chaire<br />
Florence Jullien (Chercheur associé à l’Institut du Proche-Orient ancien du<br />
<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>) : responsable <strong>de</strong> la gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> périodiques, collections <strong>et</strong><br />
ouvrages <strong>de</strong> la Bibliothèque d’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> christianismes orientaux ; charge <strong>de</strong><br />
Conférence 2007-2008 à l’EPHE Section <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences Religieuses, chaire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Christianismes orientaux : « Le monachisme dans le golfe Persique à l’époque<br />
sassani<strong>de</strong> ; étu<strong>de</strong> du texte syriaque <strong>de</strong> la Chronique d’É<strong><strong>de</strong>s</strong>se : traduction <strong>et</strong><br />
commentaire (fin) » ; membre associé <strong>de</strong> l’équipe CNRS Centre d’Étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Religions du Livre (UMR 8584) ; membre statutaire du Conseil d’administration<br />
<strong>de</strong> la Société d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> syriaques.<br />
Activités<br />
— Participation à la table-ron<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Soci<strong>et</strong>y of Oriental and African Studies :<br />
Christianity and monasticism in Iraq, Londres, 5 mai 2007. Communication : « The Great<br />
Monastery on Mount Izla and the Defence of the East-Syrian I<strong>de</strong>ntity ».<br />
— Membre du conseil scientifique <strong>et</strong> <strong>de</strong> publication du Colloque « Barhebraeus <strong>et</strong> la<br />
renaissance syriaque », <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, UMR 8167, Laboratoire Islam médiéval, EPHE,<br />
3 décembre 2007 au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, organisé en collaboration avec M. Tardieu, D. Aigle<br />
<strong>et</strong> H. Teule. Communication : « Une question <strong>de</strong> controverse religieuse: la L<strong>et</strong>tre au<br />
catholicos nestorien Mar Denha Ier ».<br />
— Organisatrice du Colloque : « Monachismes d’Orient. Images, Échanges, Influences »,<br />
Paris, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 11 juin 2008. Communication : « Types <strong>et</strong> topiques <strong>de</strong> l’Égypte :<br />
sur quelques moines syro-orientaux <strong><strong>de</strong>s</strong> vie-viie s. ».<br />
— Collaboration au proj<strong>et</strong> onomastique <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong> Vienne (Autriche),<br />
co-dirigé par MM. Manfred Mayrhofer <strong>et</strong> Rüdiger Schmitt, en association avec<br />
M.P. Gignoux (DR honoraire EPHE-Sciences religieuses) <strong>et</strong> C. Jullien (UMR 7528) pour<br />
l’Iranisches Personennamenbuch, dictionnaire recensant tous les noms propres d’origine<br />
iranienne dans la littérature syriaque (parution prévue à la fin <strong>de</strong> l’année 2008).<br />
— Soutenance d’une Habilitation à diriger <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches : « Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> institutions <strong>et</strong><br />
traditions du mon<strong>de</strong> syriaque », Université <strong>de</strong> Provence, le 13 octobre 2007, <strong>de</strong>vant un jury<br />
composé <strong>de</strong> M. P.-G. Borbone (Professeur à l’Université <strong>de</strong> Pise), M. P. Boulhol (Professeur<br />
à l’Université <strong>de</strong> Provence), M. G. Dorival (Professeur à l’Université <strong>de</strong> Provence, Institut<br />
Universitaire <strong>de</strong> <strong>France</strong>), Mme M.-J. Pierre (Directeur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, EPHE-Sciences religieuses),<br />
M. M. Tardieu (Professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), M. D. Taylor (Professeur à l’Oriental<br />
Institute, Oxford).
444 MICHEL TARDIEU<br />
Publications<br />
— « S’affirmer en s’opposant : les polémistes du Grand monastère (vi e -vii e siècle) »,<br />
Controverses <strong><strong>de</strong>s</strong> Chrétiens dans l’Iran sassani<strong>de</strong> (Studia Iranica. Cahier 36), Paris 2008, p. 29-40.<br />
— Articles pour l’Encyclopaedia Iranica (parution prévue également sur le site web <strong>de</strong><br />
l’Encyclopédie) : « Xvadahoy » ; « Abraham of Kashkar » ; « Babiy the Great » ; « Dadisho‘ » ;<br />
« Rabban Shapur » ; « East-Syrian convents in Sasanian Iran », 2008.<br />
— Compte rendu <strong>de</strong> M.-F. Baslez, Les persécutions dans l’Antiquité. Victimes, héros,<br />
martyrs (Paris, Fayard, 2007, 408 p.), Les L<strong>et</strong>tres Nouvelles (à paraître).<br />
— « Le monachisme dans le golfe Persique à l’époque sassani<strong>de</strong> », Annuaire <strong>de</strong> l’EPHE<br />
Sciences religieuses, 116 (2007-2008), sous presse.<br />
— Le monachisme en Perse. La réforme d’Abraham le Grand, père <strong><strong>de</strong>s</strong> moines <strong>de</strong> l’Orient<br />
(collection Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 622, Subsidia 121), Louvain,<br />
2008, 293 p.<br />
Lucia Sau<strong>de</strong>lli (ATER au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> du 1 er septembre 2007 au 31 août<br />
2008) : en travaillant sous la direction du Professeur, elle a pu achever la rédaction<br />
<strong>de</strong> sa thèse doctorale : Eraclito e la testimonianza di Filone di Alessandria (Héraclite<br />
<strong>et</strong> le témoignage <strong>de</strong> Philon d’Alexandrie), 476 p. C<strong>et</strong>te thèse <strong>de</strong> doctorat en cotutelle<br />
franco-italienne (École Pratique <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, Paris, <strong>et</strong> Université<br />
« Carlo Bo » d’Urbino, Italie) a été soutenue à Paris, le 3 juill<strong>et</strong> 2008 <strong>et</strong> a obtenu<br />
la mention très honorable avec félicitations du jury à l’unanimité. M lle Sau<strong>de</strong>lli a<br />
en outre contribué très activement aux recherches scientifiques collectives <strong>de</strong> la<br />
Chaire (séminaires <strong>et</strong> publications), <strong>et</strong> collaboré à l’organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences <strong>et</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> colloques. Comme les autres utilisateurs <strong>et</strong> utilisatrices <strong>de</strong> la Bibliothèque <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
christianismes orientaux, elle a pris sa part <strong>de</strong> l’enrichissement <strong><strong>de</strong>s</strong> fonds<br />
documentaires <strong>et</strong> amélioré leur consultation, en se chargeant <strong>de</strong> la gestion <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
périodiques. Elle a procédé au renouvellement <strong>et</strong> à la mise à jour constante <strong>de</strong> la<br />
page Intern<strong>et</strong> du Professeur (bibliographie, agenda, <strong>travaux</strong> <strong>et</strong> proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l’équipe)<br />
en lien avec la responsable du site web du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />
Communications <strong>et</strong> articles<br />
— Participation au Colloque international <strong>de</strong> The International Association for Presocratic<br />
Studies, Brigham Young University, Provo, Utah (USA), les 23-27 juin 2008 ;<br />
communication : « I “cadaveri” di Eraclito (fr. 96 DK) e la polemica neoplatonica di<br />
Simplicio ».<br />
— Communication au séminaire « Noms barbares 2 », chaire d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> syncrétismes<br />
<strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> l’Antiquité <strong>de</strong> M. le Professeur M. Tardieu, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 18 juin 2008 :<br />
« Héraclite sur le nom <strong>de</strong> Zeus ».<br />
— Participation à la Commission <strong>de</strong> doctorat en « Discipline Umanistiche (Sciences<br />
humaines) » <strong>de</strong> l’université « Carlo Bo » d’Urbino (Urbino), 7 novembre 2007, exposé sur<br />
l’achèvement <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches <strong>de</strong> thèse.<br />
— « Kaulakau selon l’hérésiologie chrétienne », dans : Actes du Colloque international<br />
« Noms Barbares 1 » (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 2007), collection « Bibliothèque <strong>de</strong> l’École <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Hautes Étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, Sciences Religieuses », Paris, 2008 (à paraître).
HISTOIRE DES SYNCRÉTISMES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ 445<br />
— « Les fragments d’Héraclite <strong>et</strong> leur signification dans le corpus philonicum : le cas du<br />
fr. 60 DK », Actes du Colloque international « Philon d’Alexandrie » (Université libre <strong>de</strong><br />
Bruxelles, 2007), collection « Monothéismes <strong>et</strong> philosophie », Brepols, Turnhout 2008<br />
(à paraître).<br />
— « Les fragments d’Héraclite <strong>et</strong> l’influence gnostique chez Plotin, Enn. IV 8 [6], 1 »,<br />
dans Pensée grecque <strong>et</strong> sagesse d’Orient. Hommage à Michel Tardieu, Bibliothèque <strong>de</strong> l’École<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> hautes étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, Paris, 2008 (sous presse).<br />
— « La hodos anô kai katô d’Héraclite (fr. 22 B 60 DK/33 M) dans le De a<strong>et</strong>ernitate<br />
mundi <strong>de</strong> Philon d’Alexandrie », The Studia Philonica Annual, 19 (2007), p. 29-58.<br />
— Compte rendu <strong>de</strong> G.P. Luttikhuizen, Gnostic Revisions of Genesis Stories and Early<br />
Jesus Traditions (Lei<strong>de</strong>n-Boston 2006), Apocrypha 18 (2007), sous presse.
Le <strong>cours</strong> n’a pas eu lieu.<br />
Anthropologie <strong>de</strong> la nature<br />
M. Philippe Descola, professeur<br />
Publications<br />
— « Le commerce <strong><strong>de</strong>s</strong> âmes. L’ontologie animique dans les Amériques », in Frédéric<br />
Laugrand <strong>et</strong> Jarich Oosten (sous la direction <strong>de</strong>), La nature <strong><strong>de</strong>s</strong> esprits dans les cosmologies<br />
autochtones, Québec, Les Presses <strong>de</strong> l’Université Laval, 2007, pp. 3-30.<br />
— « Passages <strong>de</strong> témoins », Le Débat 147, novembre-décembre 2007, pp. 136-53.<br />
— « Umano, più che umano », pagin<strong>et</strong>te festival filosofia n° 9, Modène, Fondazione<br />
Collegio San Carlo, 2007.<br />
— « Préface » à Le jardin du casoar, la forêt <strong><strong>de</strong>s</strong> Kasua. Savoir-être <strong>et</strong> savoir-faire écologiques<br />
<strong>de</strong> Florence Brunois, Paris, CNRS Editions — Editions <strong>de</strong> la MSH, 2007.<br />
— « A qui appartient la nature ? »/ « Who owns nature ? », La vie <strong><strong>de</strong>s</strong> idées, publication<br />
en ligne le 21/01/2008 sur le site www.lavie<strong><strong>de</strong>s</strong>i<strong>de</strong>es.fr, rubrique « Essais ».<br />
— « Sur Lévi-Strauss, le structuralisme <strong>et</strong> l’anthropologie <strong>de</strong> la nature », entr<strong>et</strong>ien avec<br />
Marcel Hénaff, Philosophie 98, juin 2008, pp. 8-36.<br />
— « L’ombre <strong>de</strong> la croix », in Mark Alizart (sous la direction <strong>de</strong>) Traces du sacré :<br />
Visitations, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2008, pp. 65-88.<br />
Autres activités<br />
— Directeur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> à l’École <strong><strong>de</strong>s</strong> hautes Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en Sciences sociales.<br />
— Directeur du Laboratoire d’Anthropologie sociale (UMR 7130 du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />
du CNRS <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’EHESS).<br />
— Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Américanistes, vice-prési<strong>de</strong>nt du conseil scientifique <strong>de</strong> la<br />
Fondation Fyssen.
448 PHILIPPE DESCOLA<br />
Colloques, enseignements <strong>et</strong> missions à l’étranger<br />
1. Communications à <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques :<br />
— « La patrimonialisation <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces naturels », colloque « Figures <strong>et</strong> problèmes <strong>de</strong> la<br />
mondialisation », Institut du Mon<strong>de</strong> Contemporain, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 14/12/2007.<br />
— « From wholes to collectives », colloque « Beyond Holism », Université <strong>de</strong> Aarhus,<br />
Sandbjerg, 4-6 juill<strong>et</strong> 2008.<br />
2. Conférences :<br />
— Université <strong>de</strong> Besançon, département <strong>de</strong> philosophie, « Nature <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rnité », le<br />
3/10/2007.<br />
— Université <strong>de</strong> Lille 1, département <strong>de</strong> géographie, conférence-débat « L’homme <strong>et</strong> la<br />
nature : continuités, discontinuités », le 26/11/2007.<br />
— Institut national <strong>de</strong> la recherche agronomique, Paris, conférence-débat : « Une culture<br />
naturelle ou <strong><strong>de</strong>s</strong> natures culturelles ? Un point <strong>de</strong> vue anthropologique », 29/11/2007.<br />
— Université libre <strong>de</strong> Bruxelles, cycle <strong>de</strong> conférences « Cultures d’Europe », « Les natures<br />
<strong>de</strong> l’homme », le 8/02/2008.<br />
— Carl Friedrich von Siemens Stiftung (Munich), « The Making of Images. An<br />
anthropological approach », le 12/02/08.<br />
— Université <strong>de</strong> Hei<strong>de</strong>lberg, European Molecular Biology Laboratory, « Beyond Nature<br />
and Culture », le 20/02/2008.<br />
— Université <strong>de</strong> Cambridge, département d’anthropologie, « Ontology and Iconology »,<br />
le 6/03/2008.<br />
3. Missions à l’étranger :<br />
Le professeur a séjourné à Munich pendant une partie <strong>de</strong> l’année universitaire à<br />
l’invitation <strong>de</strong> la Carl Friedrich von Siemens Stiftung.
Chaire théorie économique <strong>et</strong> organisation sociale<br />
M. Roger Guesnerie, professeur<br />
L’équilibre général <strong>et</strong> ses modèles (suite) :<br />
macroéconomie <strong>et</strong> commerce international (2007-2008)<br />
Après avoir abordé les problèmes <strong>de</strong> la production, (2001-2002), les aspects<br />
économiques <strong>de</strong> la consommation, (2000-2001), le <strong>cours</strong> a ensuite porté l’attention<br />
sur les marchés, passant successivement en revue les marchés du travail, <strong>de</strong><br />
l’assurance, (2002-2003), les marchés <strong>de</strong> biens <strong>et</strong> la concurrence oligopolistique<br />
(2003-2004) <strong>et</strong> enfin les marchés financiers (2004-2006). Il a fait passer l’attention<br />
en 2007-2008 <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments d’un système, les marchés, au système lui-même, le<br />
marché, ou encore, dans le vocabulaire <strong>de</strong> la profession, <strong>de</strong> l’équilibre partiel à<br />
l’équilibre général. L’attention avait été d’abord focalisée sur le modèle abstrait <strong>de</strong><br />
l’équilibre général d’inspiration walrassienne, tel qu’il a été rénové par la théorie<br />
économique mo<strong>de</strong>rne. Le <strong>cours</strong> avait ainsi procédé à un examen critique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
mérites <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> limites du modèle, les séminaires éclairant la construction historique<br />
<strong>et</strong> ouvrant sur <strong><strong>de</strong>s</strong> applications ou <strong><strong>de</strong>s</strong> questions connexes.<br />
La problématique <strong>de</strong> l’équilibre général, même si le cœur walrassien du suj<strong>et</strong><br />
peut apparaître superficiellement démodé, reste au cœur <strong>de</strong> la construction <strong>de</strong> la<br />
discipline économique. Elle irrigue la culture économique contemporaine, en étant<br />
présente aussi bien dans la théorie macro-économique que dans la théorie <strong>de</strong> la<br />
croissance ou celle du commerce international. Ces suj<strong>et</strong>s étaient <strong>de</strong> fait au cœur<br />
du programme traité en 2007-2008. Si comme à l’habitu<strong>de</strong>, le <strong>cours</strong> s’adressait à<br />
ceux qui souhaitent avoir une vue générale sur le suj<strong>et</strong>, qu’ils en soient relativement<br />
éloignés, ou, qu’en étant plus proches, ils cherchent à s’en distancier, le champ<br />
couvert a été plus large qu’à l’habitu<strong>de</strong>. La théorie du commerce international, la<br />
théorie <strong>de</strong> la croissance <strong>et</strong> la théorie macroéconomique sont trois domaines <strong>de</strong><br />
spécialité dont le champ propre est vaste <strong>et</strong> dont les savoirs reposent sur <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
traditions largement différenciées. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> leur problématique commune
450 ROGER GUESNERIE<br />
d’équilibre général au sens large, il y a cependant <strong><strong>de</strong>s</strong> justifications à un traitement<br />
plus unifié <strong>de</strong> ces suj<strong>et</strong>s : la macroéconomie <strong>de</strong> court terme, que j’appelle<br />
macroéconomie tout court dans la suite <strong>et</strong> la macroéconomie <strong>de</strong> long terme, c’està-dire<br />
la théorie <strong>de</strong> la croissance, sont <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> plus en plus imbriqués, au sens<br />
où leur analyse sollicite <strong><strong>de</strong>s</strong> modélisations plus proches aujourd’hui qu’elles ne<br />
l’étaient hier. En particulier, le rapprochement entre les techniques d’analyse<br />
utilisées au sein <strong>de</strong> ces différents suj<strong>et</strong>s s’est accentué avec l’utilisation grandissante<br />
d’hypothèses à la Dixit-Stiglitz, qui perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> rompre avec la fiction du bien<br />
unique agrégé, pour introduire une variété <strong>de</strong> biens, <strong>et</strong> ce au prix d’une<br />
symmétrisation <strong>de</strong> l’espace <strong><strong>de</strong>s</strong> biens, qui même si elle est parfois très discutable<br />
voire caricaturale, enrichit l’analyse. De fait, <strong><strong>de</strong>s</strong> modélisations voisines ont été<br />
introduites aussi bien dans les nouvelles théories du commerce international que<br />
dans la théorie <strong>de</strong> la croissance endogène ou les nouveaux modèles keynésiens qui,<br />
aujourd’hui, donnent un rôle central à la concurrence oligopolistique.<br />
Le <strong>cours</strong> a normalement débuté par un bref rappel <strong>de</strong> la présentation faite<br />
antérieurement <strong>de</strong> l’équilibre général walrassien. Ce rappel m<strong>et</strong>tait en exergue les<br />
forces <strong>de</strong> l’approche aussi bien que ses point aveugles ; il soulignait aussi la logique<br />
équilibre général <strong>de</strong> suj<strong>et</strong>s qui allaient être abordés.<br />
Après c<strong>et</strong>te introduction, la première partie du <strong>cours</strong>, intitulée, « traditions <strong>et</strong><br />
mo<strong>de</strong>rnité <strong>de</strong> la modélisation » faisait un tour d’horizon <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles canoniques<br />
<strong>de</strong> chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s qui allaient être abordés, en soulignant les continuités <strong>et</strong> les<br />
ruptures.<br />
La théorie traditionnelle du commerce international a d’abord été présentée <strong>de</strong><br />
façon à en faire apparaître à la fois la logique, les limites <strong>et</strong> les ambiguïtés <strong><strong>de</strong>s</strong>criptives<br />
ou normatives. L’argumentaire <strong>de</strong> l’avantage comparé <strong>de</strong> Ricardo, puis la logique<br />
<strong>de</strong> l’égalisation du prix <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs ont d’abord été brièvement rappelés pour être<br />
ensuite plus systématiquement réexaminés dans le cadre traditionnellement r<strong>et</strong>enu,<br />
celui d’un modèle (dit modèle 2-2-2 ou modèle d’Heckscher-Ohlin) à <strong>de</strong>ux biens,<br />
<strong>de</strong>ux facteurs <strong>de</strong> production <strong>et</strong> <strong>de</strong>ux pays. La clé <strong>de</strong> l’analyse tient dans la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques — primales en termes <strong>de</strong> quantités ou duales, en termes <strong>de</strong><br />
prix — <strong>de</strong> la production agrégée atteignable, avec ou sans mobilité <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs,<br />
dans chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> pays <strong>et</strong> dans « le mon<strong>de</strong> » formé <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux pays. L’hypothèse<br />
<strong>de</strong> non renversement <strong><strong>de</strong>s</strong> intensités factorielles, qui donne un sens non ambigu au fait<br />
qu’un bien est plus intensif en un facteur qu’un autre, perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> renforcer les<br />
conclusions pour obtenir les énoncés célèbres <strong>de</strong> Stolper-Samuelson ou <strong>de</strong><br />
Ribczinskii. Les outils ainsi mis au point ouvrent la porte à la meilleure<br />
compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l’ouverture du commerce, tant en ce qui concerne la<br />
structure <strong>de</strong> la production, (spécialisation ou non), que les eff<strong>et</strong>s sur la rémunération<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs dans chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> pays participants. La théorie voit ainsi l’échange <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
biens, au moins jusqu’à un certain point, comme un voile à l’échange <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs.<br />
Tel était bien le point <strong>de</strong> vue d’Heckscher qui interprétait l’échange <strong>de</strong> produits
THÉORIE ÉCONOMIQUE ET ORGANISATION SOCIALE 451<br />
industriels européens contre <strong><strong>de</strong>s</strong> produits agricoles australiens au xixe siècle, comme<br />
l’échange du « travail européen contre la terre australienne ».<br />
La macroéconomie <strong>de</strong> court terme a été l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> débats intellectuels vifs <strong>de</strong>puis<br />
le début <strong><strong>de</strong>s</strong> années cinquante, débat dont le <strong>cours</strong> a tenté <strong>de</strong> clarifier les enjeux<br />
<strong>et</strong> d’éclairer la genèse. Le modèle IS-LM, référence dominante ou quasi-exclusive<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> manuels <strong>de</strong> macroéconomie <strong><strong>de</strong>s</strong> années cinquante, a été brièvement rappelé,<br />
d’abord dans une version walrassienne, puis dans la variante proposée par Hicks<br />
pour rendre compte <strong><strong>de</strong>s</strong> idées <strong>de</strong> Keynes. Aux critiques croissantes faites à ce que<br />
l’on a pu appeler la politique économique du modèle IS-LM, <strong>et</strong> dont les remises<br />
en question radicales <strong>de</strong> la courbe <strong>de</strong> Philips constituent un point d’orgue, se sont<br />
ajoutées toute une série <strong>de</strong> contestations méthodologiques. Paradoxalement, l’effort<br />
<strong>de</strong> rénovation théorique associé aux modèles à prix fixés, dont la logique <strong>et</strong> les<br />
résultats ont été soigneusement présentés dans le <strong>cours</strong>, a souligné les faiblesses du<br />
schéma plus qu’il n’y a remédié. Mais ce sont les progrès <strong>de</strong> l’économétrie <strong><strong>de</strong>s</strong> séries<br />
temporelles, rappelés <strong>de</strong> façon rapi<strong>de</strong> dans le <strong>cours</strong>, qui ont peu à peu changé la<br />
perspective <strong>de</strong> la preuve empirique. Les modèles <strong>de</strong> cycles réels, modèles à horizon<br />
infini <strong>et</strong> agent représentatif mais qui m<strong>et</strong>tent en avant <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes walrassiens,<br />
s’inscrivent dans c<strong>et</strong>te nouvelle perspective. Les outils (métho<strong><strong>de</strong>s</strong> récursives)<br />
nécessaires à leur analyse ont été introduits <strong>et</strong> leur fonctionnement a été présenté<br />
<strong>de</strong> la façon la plus intuitive possible. La macro-économie <strong><strong>de</strong>s</strong> cycles réels constitue<br />
apparemment un changement <strong>de</strong> paradigme (Walras contre Keynes). En fait,<br />
comme on le verra plus loin, le changement prendra dans la suite plutôt la forme<br />
d’un changement <strong>de</strong> programme.<br />
La théorie traditionnelle <strong>de</strong> la croissance a été élaborée dans les années cinquante<br />
<strong>et</strong> soixante <strong>et</strong> est associée en particulier au nom <strong>de</strong> Solow. On le sait, c<strong>et</strong>te théorie<br />
rend très imparfaitement compte <strong>de</strong> toute un série <strong>de</strong> faits empiriques sur les<br />
variations <strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux <strong>de</strong> développement, faits qui ont été discutés <strong>et</strong> mis en<br />
perspective (avec les discussions sur la « convergence »). Avant <strong>de</strong> souligner ses<br />
limites, le <strong>cours</strong> a présenté les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> lignes <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te théorie qui fait dépendre, à<br />
population constante, l’accroissement <strong>de</strong> la production <strong>de</strong> l’accumulation du<br />
capital <strong>et</strong> d’un progrès technique exogène. L’accumulation du capital par tête, qui<br />
rejoint asymptotiquement un niveau optimal, est gouverné par l’équation d’Euler<br />
qui décrit les interactions entre épargne <strong>et</strong> taux d’intérêt. Entre c<strong>et</strong>te théorie <strong>de</strong> la<br />
croissance exogène <strong>et</strong> les théories plus récentes dites <strong>de</strong> la croissance endogène, se<br />
situent toute une série <strong>de</strong> visions intermédiaires. Par exemple, l’introduction du<br />
capital humain, qui joue un rôle parallèle au capital physique <strong>et</strong> qui est produit<br />
par l’éducation, conduit à r<strong>et</strong>rouver une croissance exponentielle fondée sur<br />
l’accumulation indéfinie <strong><strong>de</strong>s</strong> capitaux plutôt que sur le <strong>de</strong>us ex machina du progrès<br />
technique. Les modèles <strong>de</strong> croissance endogène décrivent un mon<strong>de</strong> où la<br />
décroissance <strong>de</strong> la productivité marginale est mise en échec (elle est constante dans<br />
le modèle AK). L’accent a été mis sur ceux qui attribuent la croissance du produit<br />
soit à la multiplication <strong><strong>de</strong>s</strong> biens soit à l’amélioration <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques, produits <strong>de</strong><br />
la Recherche-Développement d’entreprises protégées par <strong><strong>de</strong>s</strong> brev<strong>et</strong>s. Dans le
452 ROGER GUESNERIE<br />
second cas, la croissance s’appuie sur la « <strong><strong>de</strong>s</strong>truction créatrice » chère à Schump<strong>et</strong>er.<br />
La mécanique comparée <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles évoqués, <strong>et</strong> il s’agit en l’occurrence <strong>de</strong><br />
mécaniques complexes, a été analysée <strong>de</strong> la façon la plus intuitive possible,<br />
C<strong>et</strong>te revue rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la croissance endogène constituait une transition avec la<br />
secon<strong>de</strong> partie du <strong>cours</strong> intitulée « quelques tendance récentes », à laquelle elle<br />
aurait d’ailleurs pu être rattachée.<br />
Le premier bloc <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te partie a été consacré à la macroéconomie <strong>de</strong> court<br />
terme. Plusieurs coups <strong>de</strong> projecteurs ont été donnés sur <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s traditionnellement<br />
sensibles ou intellectuellement actifs. A ainsi été évoquée la question classique <strong>de</strong><br />
l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> la monnaie sur l’activité <strong>et</strong> la position inspirée <strong>de</strong> Lucas sur les eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong><br />
relance <strong>de</strong> l’inflation non anticipée. Le cadre analytique a été rappelé, en même<br />
temps que la possibilité d’apparition <strong>de</strong> solutions hétérodoxes au problème <strong>de</strong><br />
Lucas. Deuxième coup <strong>de</strong> projecteur, c<strong>et</strong>te fois sur ce que l’on appelle le nouveau<br />
modèle keynésien. La mécanique du modèle repose sur les changements <strong>de</strong> prix<br />
opérés à intervalle aléatoire par <strong><strong>de</strong>s</strong> entreprises disposant d’un pouvoir <strong>de</strong> marché.<br />
Le modèle est keynésien au sens où les prix, révisés périodiquement, n’apurent pas<br />
les marchés comme est censé le faire le commissaire priseur walrassien, mais la<br />
solution mise en avant même si elle reste artificielle, est plus satisfaisante que celle<br />
imaginée par Walras. L’analyse est <strong>de</strong> fait quelque peu réminiscente <strong>de</strong> celle du<br />
modèle IS-LM. La hausse <strong><strong>de</strong>s</strong> prix reflète les conditions présentes du marché <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
intrants <strong>et</strong> les anticipations d’inflation, faisant écho aux arbitrages <strong>de</strong> la courbe <strong>de</strong><br />
Philips tandis qu’à l’équation d’Euler peut être associée une courbe <strong>de</strong> type IS.<br />
Troisième piste : l’incomplétu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> marchés. La contrainte d’end<strong>et</strong>tement par<br />
exemple modifie le comportement d’épargne <strong><strong>de</strong>s</strong> ménages, en suscitant une épargne<br />
<strong>de</strong> précaution, qui n’est pas liée à <strong><strong>de</strong>s</strong> hypothèses fines sur l’aversion au risque. Ce<br />
comportement a <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences tant sur le niveau d’épargne global que sur la<br />
propension marginale à consommer le revenu instantané, qui prend une valeur<br />
intermédiaire entre ce que suggère le modèle keynésien élémentaire <strong>et</strong> l’équation<br />
d’Euler <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles à horizon infini. Les contraintes d’end<strong>et</strong>tement auxquelles<br />
font face les entreprises accentuent également leur sensibilité à la conjoncture bien<br />
au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce que la logique <strong><strong>de</strong>s</strong> chocs <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles <strong>de</strong> cycle réels suggère.<br />
Le <strong>de</strong>rnier bloc portait sur les nouvelles théories du commerce. En m<strong>et</strong>tant en<br />
exergue les ren<strong>de</strong>ments croissants <strong>et</strong> la différenciation <strong><strong>de</strong>s</strong> produits, les nouvelles<br />
théories enrichissent plus qu’elles ne contredisent la théorie factorielle à la H-O.<br />
L’introduction <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>ments croissants a <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s significatifs sur l’analyse du<br />
commerce dans un contexte H-O, (« home magnification effect »). La concurrence<br />
sur les produits différenciés ajoute une dimension supplémentaire <strong>de</strong> gains à<br />
l’échange : le commerce enrichit la gamme <strong><strong>de</strong>s</strong> produits disponibles pour les<br />
consommateurs <strong><strong>de</strong>s</strong> pays participants. L’argumentaire est simple <strong>et</strong> convaincant<br />
dans le contexte d’une différenciation à la Dixit-Stiglitz, plus ambigu dans le cadre<br />
<strong>de</strong> différenciation horizontale. C<strong>et</strong> avatar récent <strong>de</strong> la théorie du commerce, tout<br />
comme l’original, n’a que <strong><strong>de</strong>s</strong> inci<strong>de</strong>nces limitées sur la compréhension <strong>de</strong> la
THÉORIE ÉCONOMIQUE ET ORGANISATION SOCIALE 453<br />
croissance dite « exogène ». La théorie du commerce est apparemment susceptible<br />
d’avoir <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions plus complexes avec la croissance, lorsque celle-ci est<br />
endogène. Les mécanismes mis en évi<strong>de</strong>nce dans les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> qui traitent <strong>de</strong> ces<br />
problèmes <strong>et</strong> évoqués dans le <strong>cours</strong> sont au moins <strong>de</strong> trois ordres :<br />
— L’accroissement <strong>de</strong> l’espace du marché dû au commerce accroît la rente <strong>de</strong><br />
détention du brev<strong>et</strong> <strong>et</strong> donc la recherche ; en d’autres termes, la taille du marché<br />
diminue le coût <strong>de</strong> production du progrès technique. Il y a donc là un bénéfice<br />
du commerce non pris en compte dans les modèles traditionnels. C<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> est en<br />
même temps atténué, voire inversé lorsque l’extension <strong>de</strong> l’imitation suscitée par<br />
le commerce diminue la rentabilité privée <strong>de</strong> la découverte<br />
— L’endogénéité du progrès technique conduit à reprendre en profon<strong>de</strong>ur à la<br />
fois l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s du commerce sur le développement <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses eff<strong>et</strong>s distributifs<br />
au Nord <strong>et</strong> au Sud sous <strong>de</strong> multiples angles. Par exemple, l’accroissement au Nord<br />
<strong>de</strong> la production <strong>de</strong> progrès technique défensif a <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s sur la rémunération<br />
relative <strong><strong>de</strong>s</strong> qualifiés <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> non qualifiés. Autre exemple, la spécialisation du Nord<br />
dans les technologies <strong>de</strong> pointe n’est elle pas, comme le soutenaient les auteurs<br />
marxistes <strong><strong>de</strong>s</strong> années 60 (Emmanuel <strong>et</strong> Amin) une spécialisation avantageuse, que<br />
dénature la théorie traditionnelle <strong>de</strong> l’avantage comparé ? N’est elle pas au contraire<br />
aujourd’hui, compte tenu <strong>de</strong> la stratégie du Sud <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s d’imitation, une<br />
planche <strong>de</strong> salut illusoire pour les pays du Nord ? Sans prétendre aller au fond <strong>de</strong><br />
tous ces problèmes, les modèles présentés dans le <strong>cours</strong> ont permis d’esquisser <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
théories certes parcellaires mais semble t-il, moins superficielles que celles qui sous<br />
ten<strong>de</strong>nt la discussion courante <strong>de</strong> politique économique.<br />
— La question <strong>de</strong> la mobilité <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs a été abordée sous <strong>de</strong>ux angles.<br />
D’abord, un coup <strong>de</strong> projecteur a été donné sur l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions qui<br />
assureraient l’optimalité d’un sentier <strong>de</strong> croissance endogène d’un mon<strong>de</strong> en <strong>de</strong>ux<br />
blocs, sans mobilité <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs, Ensuite, les eff<strong>et</strong>s théoriques <strong><strong>de</strong>s</strong> formes prises<br />
aujourd’hui par la délocalisation, le « dégroupage » <strong><strong>de</strong>s</strong> activités, ont été discutés.<br />
Deux colloques ont été organisés en parallèle au <strong>cours</strong>.<br />
1. Colloque sur « problèmes ouverts <strong>de</strong> la macoréconomie », 28 mai 2008<br />
L’obj<strong>et</strong> du colloque, dans la suite du <strong>cours</strong>, était <strong>de</strong> fournir une vue synthétique<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> recherches les plus récentes sur les fluctuations macro-économiques. Simulations,<br />
imperfections <strong>de</strong> marché, horizon <strong><strong>de</strong>s</strong> agents ont été les thèmes abordés le matin,<br />
tandis que l’après midi a mis l’accent sur les problèmes <strong>de</strong> formation <strong><strong>de</strong>s</strong> prix <strong>et</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> anticipations.<br />
La liste <strong><strong>de</strong>s</strong> intervenants extérieurs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> thèmes traités est la suivante : Michel<br />
Juillard (PSE) « Les simulations macroéconomiques » ; Xavier Ragot (PSE)<br />
« Macroéconomie <strong>et</strong> marchés incompl<strong>et</strong>s » ; Bertrand Wigniolle (PSE, Paris I)<br />
« Modèles à générations <strong>et</strong> macroéconomie » Arnaud Chéron (Université du Maine
454 ROGER GUESNERIE<br />
<strong>et</strong> EDHEC) « Les fluctuations macroéconomiques <strong>et</strong> le marché du travail » ; Florin<br />
Bilbiie (HEC, Paris) « The new keynesian mo<strong>de</strong>l : recent <strong>de</strong>velopments ».<br />
2. La notion <strong>de</strong> biens publics mondiaux : catégorie économique <strong>et</strong>/ou juridique<br />
Mercredi 25 juin (colloque organisé avec Mireille Delmas-Marty)<br />
La notion <strong>de</strong> bien public mondial, issue <strong>de</strong> la théorie économique, se trouve<br />
<strong>de</strong>puis une dizaine d’années à l’orée d’une réception par les systèmes <strong>de</strong> droit.<br />
Fortement présente dans les théories économiques qui inspirent bien <strong><strong>de</strong>s</strong> normes<br />
juridiques, comme par exemple <strong>de</strong>puis 1992 les instruments internationaux <strong>de</strong><br />
lutte contre le changement climatique, elle a acquis une place centrale dans la boîte<br />
à outils conceptuelle <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> institutions internationales. Dans ce contexte, un<br />
dialogue est nécessaire, entre économistes <strong>et</strong> juristes, sur la signification <strong>et</strong> le rôle<br />
<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te notion dans le processus <strong>de</strong> mondialisation.<br />
Les intervenants extérieurs ont été Jean-Charles Hourca<strong>de</strong>, directeur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> à<br />
l’EHESS, directeur du CIRED ; Joël Maurice, Conseil général <strong><strong>de</strong>s</strong> Ponts <strong>et</strong> École<br />
d’Économie <strong>de</strong> Paris ; Marie-Angèle Hermitte, directeur <strong>de</strong> recherche au CNRS,<br />
directeur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> à l’EHESS ; Jean-Bernard Auby, professeur à l’Institut d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Politiques <strong>de</strong> Paris ; Sandrine Maljean-Dubois, directeur <strong>de</strong> recherche au CNRS ;<br />
Anne P<strong>et</strong>ers, professeur ordinaire à l’Université <strong>de</strong> Bâle, chaire <strong>de</strong> Droit international<br />
public <strong>et</strong> droit constitutionnel.<br />
Activités<br />
1. Présentations invitées à <strong><strong>de</strong>s</strong> manifestations scientifiques :<br />
— 6-8 septembre 2007 : International Conference « General Equilibrium as Knowledge<br />
from Warlas Onwards », Université <strong>de</strong> Paris I Panthéon Sorbonne. Conférence invitée,<br />
« General Equilibrium : Meanings, Wrong Interpr<strong>et</strong>ations, and Misleading Interpr<strong>et</strong>ations<br />
».<br />
— 15 novembre 2007 : Conferencia Banco Central <strong>de</strong> Chile, Santiago <strong>de</strong> Chile.<br />
Conférence invitée, « Macroeconomic and Mon<strong>et</strong>ary Policies from the Eductive<br />
Viewpoint ».<br />
— 30 mai : Warwick, conférence en l’honneur <strong>de</strong> C. Blackorby, conférence invitée :<br />
« Long run discount rates for environmental goods ».<br />
— 14 juin : Salerne, Gerard Debreu lecture, European workshop of mathematical<br />
economics, « Expectational coordination in economic contexts : a comparison of comp<strong>et</strong>ing<br />
“eductive” criteria ».<br />
2. Autres participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> Conférences :<br />
— 15-16 juin 2007 : Colloque « Complementarities and Information », Barcelone.<br />
Présen tation du texte : « Expectational Coordination in a classe of Economic Mo<strong>de</strong>ls<br />
Strategic Substitutabilities versus Strategic Complementarities ».
THÉORIE ÉCONOMIQUE ET ORGANISATION SOCIALE 455<br />
— 28-29 septembre 2007 : Workshop Paris X-Nanterre, « Expectations, Ind<strong>et</strong>erminacy,<br />
and Economic Policy ». Conference intitulée « Expectational Coordination in a Class of<br />
Economic Mo<strong>de</strong>ls : Strategic Substitutabilities versus Strategic Complementarities ».<br />
— 1 er octobre 2007 : Table ron<strong>de</strong> dans le cadre du colloque « Climate and Development<br />
in the Changing World Or<strong>de</strong>r : Untying the Gordian Knot », Paris. Discussion <strong>de</strong> Joseph<br />
Stiglitz (Columbia University) <strong>et</strong> Michael Grubb (Cambridge University, UK).<br />
— 12 décembre 2007 : Colloque « Economie <strong>et</strong> finance du développement durable :<br />
approches quantitatives », Université Paris Dauphine. Conference intitulée « Le calcul<br />
coûts-avantages <strong><strong>de</strong>s</strong> politiques climatiques ».<br />
3. Autres présentations invitées<br />
— 10-11 septembre 2007 : World Bank Executive Directors’ Colloquium 2007,<br />
« Climate Change : Implications for the Bank’s Mission for Sustainable Development ».<br />
Conférence invitée « Optimal and Second-Best Carbon Mitigation Regimes ».<br />
— 17 octobre 2007 : European University Institute, Max Weber Lecture, « Global<br />
Warming and Climate Policies ».<br />
— 1 er décembre 2007 : Colloque « Finance <strong>et</strong> développement durable : opposition ou<br />
partenariat ? », Principauté <strong>de</strong> Monaco. Conférence invitée « La conception économique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
politiques climatiques ».<br />
4. Séminaires<br />
— 16 octobre 2007 : European University, Florence. Séminaire « Expectational<br />
Coordination in Financial Mark<strong>et</strong>s ».<br />
— 23 octobre 2007, Columbia University, « Questions about climate policies ».<br />
— 24 octobre 2007, Institute for Advanced Studies, Princ<strong>et</strong>on, « Expectational<br />
Coordination in a classe of Economic Mo<strong>de</strong>ls Strategic Substitutabilities versus Strategic<br />
Complementarities ».<br />
— 7 avril 2008 : séminaire Paris 1, « La coordination <strong><strong>de</strong>s</strong> anticipations en macroéconomie<br />
<strong>et</strong> politique monétaire : le point <strong>de</strong> vue « divinatoire ».<br />
— 20 mai, séminaire Centre Applications <strong>de</strong> Mathématiques Sociales, « La coordination<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> anticipations <strong><strong>de</strong>s</strong> agents économiques : une introduction au point <strong>de</strong> vue<br />
« divinatoire ».<br />
5. Autres interventions<br />
— 5 juin 2007 : Rencontres Economiques <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> la Gestion Publique <strong>et</strong> du<br />
Développement Economique, « La Régulation <strong>de</strong> l’économie en <strong>France</strong> <strong>et</strong> en Europe ».<br />
Intervention intitulée « Le marché <strong>et</strong> les règles : quel rôle pour les politiques <strong>de</strong><br />
concurrence ».<br />
— 24 septembre 2007 : Première rentrée solennelle <strong>de</strong> Clermont Université, conférence<br />
« Les enjeux <strong><strong>de</strong>s</strong> politiques climatiques ».<br />
— 18 <strong>et</strong> 19 octobre 2007 : Colloque <strong>de</strong> rentrée du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, intervention sur<br />
le thème « La suprématie <strong><strong>de</strong>s</strong> actionnaires en question(s) ».<br />
— 10 décembre 2007 : Colloque <strong>de</strong> la Fédération Française <strong><strong>de</strong>s</strong> Sociétés d’Assurance<br />
sous le titre « L’assurance <strong>et</strong> la planète », conférence plénière intitulée « Prendre la mesure<br />
du réchauffement climatique ».<br />
— 13 <strong>et</strong> 14 décembre 2007 : Colloque “Figures <strong>et</strong> problèmes <strong>de</strong> la mondialisation” sous<br />
les auspices <strong>de</strong> l’Institut du Mon<strong>de</strong> Contemporain du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>. Conférence<br />
intitulée “Gouvernance, marché, mondialisation”.
456 ROGER GUESNERIE<br />
— 11 janvier 2008 : Participation <strong>et</strong> intervention au Colloque IFFRI sur les politiques<br />
climatiques.<br />
— 12 février 2008 : Anniversaire du CEPII, Paris : Débat avec Francis Mer sur l’Europe<br />
<strong>et</strong> la politique climatique.<br />
— 11 avril : Intervention étudiants M1 PSE sur « science économique <strong>et</strong><br />
mathématiques ».<br />
— 26 mai : conférence MEDAD, « La conception économique <strong><strong>de</strong>s</strong> politiques<br />
climatiques ».<br />
— 5 juin : Journée <strong>de</strong> l’Association <strong><strong>de</strong>s</strong> Comptables Nationaux, Prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la session<br />
sur les « nouveaux indicateurs ».<br />
— 3 juin 2008 : Perpignan : débat avec Jean Bergougnoux, dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> journées<br />
Prebat.<br />
— 24 juin 2008 : Bruxelles : intervention à la journée Bruegel sur la politique<br />
climatique.<br />
Divers<br />
— Prési<strong>de</strong>nce du comité d’audit sur « les Sciences Economiques <strong>et</strong> Sociales au lycée »<br />
Réunions 20 mars, 25 mars, 8 avril, 18 avril, 13 mai, 29 mai, 12 juin 2008, remise du<br />
rapport au ministre, 4 juill<strong>et</strong>.<br />
— Prési<strong>de</strong>nce du Comité Stratégique <strong>de</strong> l’Ecole d’économie <strong>de</strong> Paris : 12 mars, 10 avril<br />
2008<br />
— Prési<strong>de</strong>nce du Conseil scientifique, Journées <strong>de</strong> l’Economie : 31 janvier, 9 avril,<br />
12 ou 16 juin. 2008.<br />
— 18 janvier 2008 : participation au Conseil Scientifique <strong>de</strong> l’IDEP, Marseille.<br />
— 28 mars 2008 : Participation au Conseil Scientifique <strong>de</strong> la Revue d’Economie<br />
Politique.<br />
— 8 avril 2008 : Présentation <strong><strong>de</strong>s</strong> conclusions du comité scientifique d’Economie <strong>et</strong><br />
Statistique au comité <strong>de</strong> direction <strong>de</strong> l’INSEE.<br />
— 17 avril 2008 : Jury <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires Blaise Pascal.<br />
— 20 juin 2008 : Conseil d’administration <strong>de</strong> l’université <strong>de</strong> Cergy-Pontoise.<br />
— Participation aux <strong>travaux</strong> du Conseil d’Analyse Economique.<br />
— Participation aux <strong>travaux</strong> du Comité Sen-Stiglitz.<br />
Rapports<br />
Publications<br />
— Synthèse <strong>de</strong> l’avis du CAE sur le proj<strong>et</strong> d’élargissement <strong>de</strong> l’assi<strong>et</strong>te <strong><strong>de</strong>s</strong> cotisations<br />
sociales employeurs, en collaboration avec M. Christian <strong>de</strong> Boissieu, juill<strong>et</strong> 2007.<br />
— Rapport du Groupe Guesnerie « Les Sciences Economiques <strong>et</strong> Sociales à l’Institut<br />
National <strong>de</strong> Recherche Agronomique ». Groupe composé <strong>de</strong> : Michel Callon, Armand<br />
Hatchuel, Alain Trannoy, Alain Trognon, <strong>et</strong> Roger Guesnerie.<br />
— Rapport au Ministre <strong>de</strong> l’Education Nationale <strong>de</strong> la mission d’audit <strong><strong>de</strong>s</strong> manuels <strong>et</strong><br />
programmes <strong>de</strong> sciences économiques <strong>et</strong> sociales au lycée, juill<strong>et</strong> 2008.
Ouvrages (direction)<br />
THÉORIE ÉCONOMIQUE ET ORGANISATION SOCIALE 457<br />
— « The <strong><strong>de</strong>s</strong>ign of climate policies », avec H. Tulkens, (MIT Press) (sous presse).<br />
Articles<br />
— « Commentaire sur le rapport Stern : quelques mots d’introduction », Revue d’Economie<br />
Politique, juill<strong>et</strong>-août 2007, 117, 457-462.<br />
Chapitres d’ouvrages<br />
— « The Economic <strong><strong>de</strong>s</strong>ign of climate institutions and policies » in « Finance and<br />
sustainable <strong>de</strong>velopment », sous la direction <strong>de</strong> J.M Lasry <strong>et</strong> D. Fessler, Economica, Paris,<br />
2008, p23-36<br />
— « The <strong><strong>de</strong>s</strong>ign of climate policies : selected questions in analytical perspective » in<br />
« The <strong><strong>de</strong>s</strong>ign of climate policies », sous la direction <strong>de</strong> R. Guesnerie <strong>et</strong> Henry Tulkens, à<br />
paraître.<br />
— « Macro-economic and mon<strong>et</strong>ary policies from the “edcutive” viewpoint », proceedings<br />
conference Banco Central <strong>de</strong> Chile (sous presse).
Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine du politique<br />
M. Pierre Rosanvallon, professeur<br />
Cours : « Les métamorphoses <strong>de</strong> la légitimité<br />
(la démocratie au XXI e siècle, III) »<br />
L’onction populaire <strong><strong>de</strong>s</strong> gouvernants est pour nous la principale caractéristique<br />
d’un régime démocratique. L’idée que le peuple est la seule source légitime du<br />
pouvoir s’est imposée avec la force <strong>de</strong> l’évi<strong>de</strong>nce. Nul ne songerait à la contester,<br />
ni même à la réfléchir. Nous en sommes toujours restés là. C<strong>et</strong> énoncé recouvre<br />
pourtant une approximation d’importance : l’assimilation pratique <strong>de</strong> la volonté<br />
générale à l’expression majoritaire. Mais elle n’a guère été discutée. Le fait que le<br />
vote <strong>de</strong> la majorité établisse la légitimité d’un pouvoir a en eff<strong>et</strong> aussi été<br />
universellement admis comme une procédure i<strong>de</strong>ntifiée à l’essence même du fait<br />
démocratique. Une légitimité définie en ces termes s’est d’abord naturellement<br />
imposée comme rupture avec un ancien mon<strong>de</strong> où <strong><strong>de</strong>s</strong> minorités dictaient leur loi.<br />
L’évocation <strong>de</strong> « la gran<strong>de</strong> majorité », ou <strong>de</strong> « l’immense majorité » suffisait alors à<br />
donner corps à l’affirmation <strong><strong>de</strong>s</strong> droits du nombre face à la volonté clairement<br />
particulière <strong>de</strong> régimes <strong><strong>de</strong>s</strong>potiques ou aristocratiques. L’enjeu décisif était <strong>de</strong><br />
marquer une différence quant à l’origine du pouvoir <strong>et</strong> aux fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong><br />
l’obligation politique. Partant <strong>de</strong> là, le principe <strong>de</strong> majorité s’est ensuite fait<br />
reconnaître dans son sens plus étroitement procédural.<br />
Le passage <strong>de</strong> la célébration du Peuple ou <strong>de</strong> la Nation, toujours au singulier, à<br />
la règle majoritaire ne va pourtant pas <strong>de</strong> soi, tant les <strong>de</strong>ux éléments se situent à<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux différents. Il y a d’un côté l’affirmation générale, philosophique si l’on<br />
veut, d’un suj<strong>et</strong> politique, <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’autre l’adoption d’une procédure pratique <strong>de</strong><br />
choix. Se sont ainsi mêlés dans l’élection démocratique un principe <strong>de</strong> justification<br />
<strong>et</strong> une technique <strong>de</strong> décision. Leur assimilation routinière a fini par masquer la<br />
contradiction latente qui les sous-tendait. Les <strong>de</strong>ux éléments ne sont en eff<strong>et</strong> pas<br />
<strong>de</strong> même nature. En tant que procédure, la notion <strong>de</strong> majorité peut s’imposer<br />
aisément à l’esprit, mais il n’en va pas <strong>de</strong> même si elle est comprise sociologiquement.
460 PIERRE ROSANVALLON<br />
Elle acquiert dans ce <strong>de</strong>rnier cas une dimension inévitablement arithmétique : elle<br />
désigne ce qui reste une fraction, même si elle est dominante, du peuple. Or la<br />
justification du pouvoir par les urnes a toujours implicitement renvoyé à l’idée<br />
d’une volonté générale, <strong>et</strong> donc d’un peuple figure <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> la société.<br />
C<strong>et</strong>te perspective sociologique n’a cessé d’être renforcée par le réquisit moral<br />
d’égalité <strong>et</strong> l’impératif juridique <strong>de</strong> respect <strong><strong>de</strong>s</strong> droits, appelant à considérer la<br />
valeur propre <strong>de</strong> chaque membre <strong>de</strong> la collectivité. C’est ainsi l’horizon <strong>de</strong><br />
l’unanimité qui a <strong>de</strong>puis l’origine sous-tendu l’idée démocratique : est démocratique,<br />
au sens le plus large du terme, ce qui exprime la généralité sociale (le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> 2007<br />
avait longuement exploré la question qui n’a donc été que brièvement évoquée en<br />
2008). On a seulement fait dans comme si le plus grand nombre valait pour la<br />
totalité, comme si c’était une façon acceptable d’approcher une exigence plus forte.<br />
Première assimilation doublée d’une secon<strong>de</strong> : l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> la nature d’un<br />
régime à ses conditions d’établissement. La partie valant pour le tout, <strong>et</strong> le moment<br />
électoral valant pour la durée du mandat : tels ont été les <strong>de</strong>ux présupposés sur<br />
lesquels a été assise la légitimité d’un régime démocratique.<br />
Le problème est que c<strong>et</strong>te double fiction fondatrice est progressivement apparue<br />
comme l’expression d’une insupportable approximation. Dès la fin du XIX e siècle,<br />
alors que le suffrage universel (masculin) commençait tout juste à se généraliser en<br />
Europe, les signes d’un précoce désenchantement se sont pour cela multipliés <strong>de</strong><br />
toutes parts. Au spectre du règne <strong><strong>de</strong>s</strong> masses, d’abord tant redouté par les libéraux,<br />
se trouva bientôt substitué le constat <strong>de</strong> l’avènement <strong>de</strong> régimes engoncés dans<br />
l’étroitesse <strong>de</strong> leurs préoccupations. Les mots <strong>de</strong> peuple <strong>et</strong> <strong>de</strong> nation qui n’avaient<br />
cessé <strong>de</strong> nourrir les attentes <strong>et</strong> les imaginations se sont alors trouvés comme<br />
rap<strong>et</strong>issés en étant noyés dans les méandres <strong>de</strong> l’agitation partisane <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> clientèles.<br />
Le système <strong><strong>de</strong>s</strong> partis, dont aucun <strong><strong>de</strong>s</strong> premiers théoriciens <strong>de</strong> la démocratie n’avait<br />
envisagé l’existence <strong>et</strong> le rôle, s’est imposé à partir <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> comme le cœur<br />
effectif <strong>de</strong> la vie politique, entraînant le règne <strong><strong>de</strong>s</strong> rivalités personnelles <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
coteries. Le Parlement, qui avait été <strong>de</strong> son côté considéré <strong>de</strong>puis l’origine comme<br />
l’institution qui résumait l’esprit <strong>et</strong> la forme du gouvernement représentatif, perdait<br />
à l’inverse sa centralité <strong>et</strong> voyait son fonctionnement changer <strong>de</strong> nature. L’idée<br />
première d’une enceinte <strong>de</strong> la raison publique où serait débattue à haute voix la<br />
définition <strong>de</strong> l’intérêt général s’est <strong>de</strong> fait dégradée en un système <strong>de</strong> marchandages<br />
asservis à <strong><strong>de</strong>s</strong> intérêts particuliers. Le moment électoral a continué <strong>de</strong> son côté à<br />
mobiliser les énergies <strong>et</strong> à exprimer <strong>de</strong> véritables enjeux. Mais il n’a plus été c<strong>et</strong>te<br />
fête chaleureuse <strong>de</strong> la citoyenn<strong>et</strong>é qui avait <strong><strong>de</strong>s</strong>siné le premier horizon du suffrage<br />
universel. Pendant toute c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1890-1920 au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> laquelle<br />
s’amoncellent les ouvrages qui auscultent la « crise <strong>de</strong> la démocratie », l’idée que le<br />
fonctionnement du système électoral majoritaire conduit à exprimer l’intérêt social<br />
a ainsi perdu toute crédibilité. Le mon<strong>de</strong> électoral-parlementaire est davantage<br />
apparu gouverné par <strong><strong>de</strong>s</strong> logiques <strong>de</strong> particularité que par une exigence <strong>de</strong> généralité.<br />
Le principe <strong>de</strong> l’élection <strong><strong>de</strong>s</strong> gouvernants a certes toujours <strong><strong>de</strong>s</strong>siné un horizon<br />
procédural indépassable, mais on a cessé <strong>de</strong> croire à l’automaticité <strong>de</strong> ses vertus.
HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE DU POLITIQUE 461<br />
Face à ce qui a été ressenti comme un profond ébranlement, ces années 1890-<br />
1920, encadrant la Gran<strong>de</strong> Guerre, vont s’efforcer <strong>de</strong> déterminer les moyens<br />
perm<strong>et</strong>tant à l’idéal démocratique <strong>de</strong> r<strong>et</strong>rouver sa dimension substantielle primitive.<br />
Les voies les plus extrêmes, on le sait, seront explorées, allant même jusqu’à ériger<br />
un moment le proj<strong>et</strong> totalitaire en figure désirable du bien public. Mais du sein<br />
<strong>de</strong> ce bouillonnement, va aussi émerger <strong>de</strong> façon plus discrète ce qui modifiera en<br />
profon<strong>de</strong>ur les régimes démocratiques : la formation d’un véritable pouvoir<br />
administratif. C’est en eff<strong>et</strong> pendant c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> que s’édifie partout un État plus<br />
fort <strong>et</strong> mieux organisé. Le fait important est que son développement a été<br />
indissociable d’une entreprise <strong>de</strong> refondation <strong>de</strong> ses principes. On a voulu que la<br />
« machine bureaucratique » puisse constituer en elle-même une force i<strong>de</strong>ntifiée à la<br />
réalisation <strong>de</strong> l’intérêt général. Les modèles du service public en <strong>France</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
l’administration rationnelle aux Etats-Unis, ont alors illustré les <strong>de</strong>ux gran<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
façons <strong>de</strong> penser la poursuite <strong>de</strong> c<strong>et</strong> objectif. D’un côté, la vision d’une sorte <strong>de</strong><br />
corporatisme <strong>de</strong> l’universel, appelant structurellement les fonctionnaires à s’i<strong>de</strong>ntifier<br />
à leur mission, à <strong>de</strong>venir « intéressés au désintéressement ». De l’autre, la recherche<br />
d’un accès à la généralité par les vertus d’une gestion scientifique. Se trouvaient <strong>de</strong><br />
la sorte réactualisés <strong>et</strong> réinsérés dans l’univers démocratique les anciens idéaux du<br />
gouvernement rationnel <strong>et</strong> <strong>de</strong> la politique positive, qui, <strong><strong>de</strong>s</strong> Lumières à Auguste<br />
Comte, avaient invité à réaliser le bien public à l’écart <strong><strong>de</strong>s</strong> passions partisanes.<br />
Le but a été <strong>de</strong> corriger le proj<strong>et</strong> problématique d’une expression unifiée <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
volontés par une forme <strong>de</strong> mise en œuvre plus réaliste <strong>et</strong> plus objective <strong>de</strong> la généralité<br />
sociale. C<strong>et</strong>te entreprise a alors effectivement commencé à prendre corps, au moins<br />
partiellement. Sans que les choses n’aient jamais été pleinement conceptualisées, les<br />
régimes démocratiques ont ainsi progressivement reposé sur <strong>de</strong>ux pieds : le suffrage<br />
universel <strong>et</strong> l’administration publique. Celle-ci a cessé d’être la simple courroie <strong>de</strong><br />
transmission du pouvoir politique pour acquérir une marge d’autonomie fondée sur<br />
la compétence. Dans le cas français, ces <strong>de</strong>ux dimensions <strong>de</strong> « l’arche sainte » du<br />
suffrage universel <strong>et</strong> du service public ont explicitement superposé leurs valeurs<br />
respectives dans l’idéologie républicaine. Les « jacobins d’excellence » <strong>de</strong> la haute<br />
administration l’ont incarnée au même titre que les élus du peuple. À côté <strong>de</strong> la<br />
légitimité d’établissement, celle <strong>de</strong> la consécration par les urnes, une <strong>de</strong>uxième<br />
appréhension <strong>de</strong> la légitimité démocratique a ainsi vu le jour : celle d’une<br />
i<strong>de</strong>ntification à la généralité sociale. Elle a, dans les faits, joué un rôle décisif en tant<br />
qu’élément compensateur <strong>de</strong> l’affaiblissement <strong>de</strong> la légitimité électorale. Se liaient <strong>de</strong><br />
la sorte les <strong>de</strong>ux gran<strong><strong>de</strong>s</strong> façons <strong>de</strong> concevoir la légitimité : la légitimité dérivée <strong>de</strong> la<br />
reconnaissance sociale d’un pouvoir, <strong>et</strong> la légitimité comme adéquation à une norme<br />
ou à <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs. Ces <strong>de</strong>ux formes croisées <strong>de</strong> légitimité, procédurale <strong>et</strong> substantielle,<br />
avaient donné à partir du tournant du XX e siècle une certaine assise aux régimes<br />
démocratiques. C<strong>et</strong>te page a commencé à se tourner dans les années 1980.<br />
La légitimation par les urnes a d’abord reculé, du fait <strong>de</strong> la relativisation <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
la désacralisation <strong>de</strong> la fonction <strong>de</strong> l’élection. À l’âge « classique » du système<br />
représentatif, celle-ci valait mandat indiscutable pour gouverner ensuite
462 PIERRE ROSANVALLON<br />
« librement ». On présupposait en eff<strong>et</strong> que les politiques à venir étaient incluses<br />
dans les termes du choix électoral, du seul fait <strong>de</strong> l’inscription <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier dans<br />
un univers prévisible, structuré par <strong><strong>de</strong>s</strong> organisations disciplinées , aux programmes<br />
bien définis <strong>et</strong> aux clivages clairement <strong><strong>de</strong>s</strong>sinés. Ce n’est plus le cas. L’élection a<br />
dorénavant une fonction plus réduite : elle ne fait que vali<strong>de</strong>r un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
désignation <strong><strong>de</strong>s</strong> gouvernants. Elle n’implique plus une légitimation a priori <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
politiques qui seront ensuite menées. La notion <strong>de</strong> majorité, d’un autre côté, a<br />
changé <strong>de</strong> sens. Si elle reste parfaitement définie en termes juridiques, politiques<br />
<strong>et</strong> parlementaires, elle l’est beaucoup moins en termes sociologiques. L’intérêt du<br />
plus grand nombre, en eff<strong>et</strong>, ne peut plus être aussi facilement assimilé que dans<br />
le passé à celui d’une majorité. Le « peuple » ne s’appréhen<strong>de</strong> plus comme une<br />
masse homogène, il s’éprouve plutôt comme une succession d’histoires singulières,<br />
une addition <strong>de</strong> situations spécifiques. C’est pourquoi les sociétés contemporaines<br />
se comprennent <strong>de</strong> plus en plus à partir <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> minorité. La minorité n’est<br />
plus la « p<strong>et</strong>ite part » (<strong>de</strong>vant s’incliner <strong>de</strong>vant une « gran<strong>de</strong> part ») : elle est <strong>de</strong>venue<br />
une <strong><strong>de</strong>s</strong> multiples expressions diffractées <strong>de</strong> la totalité sociale. La société se manifeste<br />
désormais sous les espèces d’une vaste déclinaison <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions minoritaires.<br />
« Peuple » est désormais aussi le pluriel <strong>de</strong> « minorité ».<br />
De son côté, le pouvoir administratif a été fortement délégitimé. La rhétorique<br />
néo-libérale a joué son rôle, en affaiblissant la respectabilité <strong>de</strong> l’État <strong>et</strong> en invitant<br />
à ériger le marché en nouvel instituteur du bien-être collectif. Plus concrètement,<br />
les nouvelles techniques d’organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> services publics (le New Public<br />
Management) ont surtout introduit <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> qui ont conduit à dévaloriser la<br />
figure classique du fonctionnaire comme agent patenté <strong>de</strong> l’intérêt général. La<br />
haute fonction publique s’est trouvée la plus atteinte par c<strong>et</strong>te évolution, ne<br />
semblant plus capable d’incarner une force d’avenir dans un mon<strong>de</strong> plus ouvert <strong>et</strong><br />
moins prévisible. La reconnaissance d’une technocratie parée <strong><strong>de</strong>s</strong> vertus <strong>de</strong> la<br />
rationalité <strong>et</strong> du désintéressement a aussi perdu son évi<strong>de</strong>nce dans une société plus<br />
luci<strong>de</strong> <strong>et</strong> plus éduquée. L’ancien style d’une action publique « bienveillante »,<br />
surplombant une société considérée comme mineure, est <strong>de</strong>venu du même coup<br />
économiquement inopérant <strong>et</strong> sociologiquement inacceptable. Le pouvoir<br />
administratif a donc été dépossédé <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments moraux <strong>et</strong> professionnels qui lui<br />
avaient autrefois permis <strong>de</strong> s’imposer. L’affaiblissement <strong>de</strong> sa légitimité s’est ainsi<br />
ajouté à celui <strong>de</strong> la sphère électorale-représentative.<br />
L’affaissement <strong>de</strong> l’ancien système <strong>de</strong> double légitimité <strong>et</strong> les divers changements<br />
qui l’ont à la fois provoqué <strong>et</strong> accompagné à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1980 n’ont pas<br />
seulement entraîné un vi<strong>de</strong>. Si le sentiment d’une perte, voire d’une décomposition,<br />
s’est fortement fait ressentir, une sorte <strong>de</strong> recomposition silencieuse s’est aussi<br />
engagée. De nouvelles attentes citoyennes sont d’abord apparues. L’aspiration à voir<br />
s’instaurer un régime serviteur <strong>de</strong> l’intérêt général s’est exprimée dans un langage <strong>et</strong><br />
avec <strong><strong>de</strong>s</strong> références inédites. Les valeurs d’impartialité, <strong>de</strong> pluralité, <strong>de</strong> compassion<br />
ou <strong>de</strong> proximité se sont par exemple affirmées <strong>de</strong> façon sensible, correspondant à<br />
une appréhension renouvelée <strong>de</strong> la généralité démocratique, <strong>et</strong> partant <strong><strong>de</strong>s</strong> ressorts <strong>et</strong>
HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE DU POLITIQUE 463<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> formes <strong>de</strong> la légitimité. Des institutions comme les autorités indépendantes ou<br />
les <strong>cours</strong> constitutionnelles ont parallèlement vu leur nombre <strong>et</strong> leur rôle s’accroître<br />
considérablement. Une autre façon <strong>de</strong> gouverner semble enfin s’être esquissée avec la<br />
place croissante prise par l’attention à l’image <strong>et</strong> à la communication. Tout ceci<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>sine un paysage fort contrasté dont il faut appréhen<strong>de</strong>r la consistance <strong>et</strong> le <strong>de</strong>venir.<br />
Il convient donc <strong>de</strong> le décrire. Mais en même temps <strong>de</strong> ne pas en rester à ce sta<strong>de</strong>.<br />
L’essentiel est en eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> tenter <strong>de</strong> dégager les concepts qui peuvent rendre intelligible<br />
ce mon<strong>de</strong> émergent, <strong>et</strong> plus encore <strong>de</strong> discerner les nouvelles formes démocratiques<br />
vers lesquelles il pourrait positivement évoluer. Tout en gardant le souci d’une<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong><strong>de</strong>s</strong> dis<strong>cours</strong> <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences, en restant attentifs à leurs inachèvements,<br />
à leurs équivoques, voire à leurs dangers, il convient donc <strong>de</strong> forger les idéaux-types<br />
qui perm<strong>et</strong>traient <strong>de</strong> penser la maîtrise <strong>de</strong> c<strong>et</strong> univers en gestation. Rien ne semble<br />
en eff<strong>et</strong> joué. Se mêlent encore <strong>de</strong> façon confuse l’esquisse <strong>de</strong> nouveaux possibles <strong>et</strong><br />
l’amorce <strong>de</strong> pathologies menaçantes.<br />
Le trait majeur qui caractérise le tournant <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1980 consiste dans une<br />
reformulation latente <strong><strong>de</strong>s</strong> termes dans lesquels l’impératif démocratique d’expression<br />
<strong>de</strong> la généralité sociale est appréhendé. Pour bien prendre la mesure <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />
évolution, il faut repartir <strong><strong>de</strong>s</strong> visions précé<strong>de</strong>mment dominantes <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te généralité.<br />
Le suffrage universel repose sur une définition agrégative <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière : c’est<br />
la masse <strong><strong>de</strong>s</strong> citoyens-électeurs dont l’expression <strong><strong>de</strong>s</strong>sine la figure <strong>de</strong> la volonté<br />
générale. Le service public renvoie quant à lui à l’idée d’une généralité objective :<br />
le fait que la raison publique ou l’intérêt général soient en quelque sorte i<strong>de</strong>ntifiés<br />
aux structures mêmes <strong>de</strong> l’État républicain. La généralité est dans les <strong>de</strong>ux cas<br />
considérée comme susceptible d’être adéquatement <strong>et</strong> positivement incarnée.<br />
Devant l’affaissement ressenti <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux façons d’abor<strong>de</strong>r les choses, on peut<br />
déceler l’émergence <strong>de</strong> trois autres manières, plus indirectes, d’approcher l’objectif<br />
<strong>de</strong> constitution d’un pouvoir <strong>de</strong> la généralité sociale. Leur <strong><strong>de</strong>s</strong>cription a été au<br />
cœur <strong><strong>de</strong>s</strong> développements du <strong>cours</strong> :<br />
— La réalisation <strong>de</strong> la généralité par détachement <strong><strong>de</strong>s</strong> particularités, distance<br />
raisonnée <strong>et</strong> organisée vis-à-vis <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes parties impliquées dans une question.<br />
Elle définit un pouvoir appréhendé comme un lieu vi<strong>de</strong>. La qualité <strong>de</strong> généralité<br />
d’une institution est constituée dans ce cas par le fait que personne ne peut se<br />
l’approprier. C’est une généralité négative. Elle renvoie à la fois à une variable <strong>de</strong><br />
structure qui en est le support (le fait d’être indépendant), <strong>et</strong> à une variable <strong>de</strong><br />
comportement (le maintien <strong>de</strong> la distance ou <strong>de</strong> l’équilibre). C’est elle qui définit<br />
la position d’institutions comme les autorités <strong>de</strong> surveillance ou <strong>de</strong> régulation <strong>et</strong><br />
les distingue au premier chef d’un pouvoir élu.<br />
— La réalisation <strong>de</strong> la généralité par le biais d’un travail <strong>de</strong> pluralisation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
expressions <strong>de</strong> la souverain<strong>et</strong>é sociale. Le but est là <strong>de</strong> compliquer les suj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> les<br />
formes <strong>de</strong> la démocratie pour en réaliser les objectifs. Il s’agit notamment <strong>de</strong><br />
corriger les inaccomplissements résultant <strong>de</strong> l’assimilation d’une majorité électorale<br />
à la volonté du corps social appréhendé dans sa globalité. C’est une généralité <strong>de</strong><br />
démultiplication. On peut considérer qu’une cour constitutionnelle participe d’une
464 PIERRE ROSANVALLON<br />
telle entreprise lorsqu’elle veille à passer au tamis <strong>de</strong> la règle constitutionnelle,<br />
exprimant ce qu’on pourrait appeler le peuple principe, les décisions du parti<br />
majoritaire.<br />
— La réalisation <strong>de</strong> la généralité par prise en considération <strong>de</strong> la multiplicité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
situations, reconnaissance <strong>de</strong> toutes les singularités sociales. Elle procè<strong>de</strong> d’une<br />
immersion radicale dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la particularité, marquée par le souci <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
individus concr<strong>et</strong>s. Ce type <strong>de</strong> généralité est associé à une qualité <strong>de</strong> comportement,<br />
il résulte <strong>de</strong> l’action d’un pouvoir qui n’oublie personne, qui s’intéresse aux problèmes<br />
<strong>de</strong> tous. Il est lié à un art <strong>de</strong> gouvernement qui est aux antipo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la vision<br />
nomocratique. À rebours <strong>de</strong> l’approche <strong>de</strong> la constitution du social par un principe<br />
d’égalité juridique, m<strong>et</strong>tant à distance toutes les particularités, la généralité est définie<br />
dans ce cas par un proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> prise en compte <strong>de</strong> la totalité <strong><strong>de</strong>s</strong> situations existantes,<br />
par l’étendue d’un champ d’attention. On pourrait parler pour cela d’une pratique<br />
<strong>de</strong> « <strong><strong>de</strong>s</strong>cente en généralité » 1 . C’est une généralité d’attention à la particularité.<br />
Ces différentes façons d’envisager la réalisation <strong>de</strong> la généralité ont en commun<br />
<strong>de</strong> reposer sur une approche <strong>de</strong> la totalité sociale qui n’est comprise ni sur le mo<strong>de</strong><br />
d’une agrégation arithmétique (avec l’idéal sous-jacent d’unanimité), ni dans une<br />
perspective moniste (avec la référence à un intérêt social conçu comme la propriété<br />
stable d’un corps collectif ou d’une structure). Elles renvoient à la valorisation<br />
d’une vision beaucoup plus « dynamique » d’opérations <strong>de</strong> généralisation. Elles<br />
correspon<strong>de</strong>nt en quelque sorte aux trois stratégies possibles pour explorer un<br />
univers dans sa totalité : le considérer au télescope, multiplier les coupes au<br />
microscope, le parcourir par <strong><strong>de</strong>s</strong> itinéraires différents. La généralité constitue dans<br />
c<strong>et</strong>te perspective un horizon régulateur ; elle n’est plus d’ordre substantiel, comme<br />
ce que suggéraient les notions <strong>de</strong> volonté générale <strong>et</strong> d’intérêt général.<br />
Trois nouvelles figures <strong>de</strong> la légitimité ont en conséquence commencé à se<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>siner : la légitimité d’impartialité (liée à la mise en œuvre <strong>de</strong> la généralité<br />
négative) ; la légitimité <strong>de</strong> réflexivité (associée à la généralité <strong>de</strong> démultiplication) ;<br />
la légitimité <strong>de</strong> proximité (suivant la généralité d’attention à la particularité). C<strong>et</strong>te<br />
véritable révolution <strong>de</strong> la légitimité participe d’un mouvement global <strong>de</strong> décentrement<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> démocraties. Se prolonge en eff<strong>et</strong> sur ce terrain la perte <strong>de</strong> centralité <strong>de</strong><br />
l’expression électorale déjà observée dans l’ordre <strong>de</strong> l’activité citoyenne. Dans La<br />
Contre-démocratie, j’ai ainsi décrit comment <strong>de</strong> nouvelles formes d’investissement<br />
politique avaient émergé, les figures du peuple-surveillant, du peuple-v<strong>et</strong>o <strong>et</strong> du<br />
peuple-juge <strong><strong>de</strong>s</strong>sinant leur nouvelle vitalité en contrepoint <strong>de</strong> celle d’un peupleélecteur<br />
effectivement plus morose. La vie <strong><strong>de</strong>s</strong> démocraties s’élargit donc <strong>de</strong> plus<br />
en plus au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la sphère électorale-représentative. Il y a dorénavant bien d’autres<br />
façons, à la fois concurrentes <strong>et</strong> complémentaires <strong>de</strong> la consécration par les urnes,<br />
d’être reconnu comme démocratiquement légitime.<br />
1. Par opposition à la notion sociologique usuelle <strong>de</strong> « montée en généralité », qui signifie<br />
prise <strong>de</strong> distance avec les cas d’espèces pour accé<strong>de</strong>r à une conceptualisation.
HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE DU POLITIQUE 465<br />
Contrairement aux légitimités d’établissement <strong>et</strong> d’i<strong>de</strong>ntification qui étaient<br />
indissociables <strong>de</strong> propriétés considérées comme appartenant intrinsèquement à<br />
certains pouvoirs (l’élection ou le con<strong>cours</strong> donnant un statut à ceux qui avaient<br />
triomphé <strong>de</strong> l’épreuve impliquée), ces formes émergentes sont constituées par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
qualités. La légitimité n’est donc jamais acquise dans leur cas. Elle reste toujours<br />
précaire, continuellement remise en jeu, dépendante <strong>de</strong> la perception sociale <strong>de</strong><br />
l’action <strong>et</strong> du comportement <strong><strong>de</strong>s</strong> institutions. Ce point est essentiel : il traduit le<br />
fait que ces nouvelles figures sortent du cadre <strong>de</strong> la typologie usuelle distinguant<br />
la légitimité comme produit d’une reconnaissance sociale <strong>et</strong> la légitimité comme<br />
adéquation à une norme. Les légitimités d’impartialité, <strong>de</strong> réflexivité <strong>et</strong> <strong>de</strong> proximité<br />
superposent en eff<strong>et</strong> les <strong>de</strong>ux dimensions ; elles ont un caractère hybri<strong>de</strong>. Elles<br />
dérivent <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques <strong><strong>de</strong>s</strong> institutions, <strong>de</strong> leur capacité à incarner <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs<br />
<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> principes, mais elles restent simultanément dépendantes du fait qu’elles<br />
doivent être socialement perçues comme telles. On peut <strong>de</strong> la sorte concevoir que<br />
leur déploiement puisse faire entrer les démocraties dans un nouvel âge. Le régime<br />
<strong>de</strong> légitimité qui émerge conduit en eff<strong>et</strong> à dépasser les termes <strong>de</strong> l’opposition<br />
traditionnelle entre les gardiens <strong>de</strong> la « généralité républicaine », surtout préoccupés<br />
par la substance <strong><strong>de</strong>s</strong> choses, <strong>et</strong> les champions d’une « démocratie forte », d’abord<br />
attentifs à l’intensité <strong>de</strong> la mobilisation sociale.<br />
Elles élargissent encore <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te façon les typologies classiques fondées sur la seule<br />
opposition <strong>de</strong> la légitimité par les fon<strong>de</strong>ments (input legitimacy) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la légitimité par<br />
les résultats (output legitimacy) C<strong>et</strong>te distinction a certes son utilité : elle rappelle que<br />
la façon dont sont appréciées les actions <strong><strong>de</strong>s</strong> gouvernants entre en ligne <strong>de</strong> compte<br />
dans le jugement que portent sur eux les citoyens (<strong>et</strong> elle suggère que <strong><strong>de</strong>s</strong> instances<br />
non élues peuvent être reconnues comme légitimes pourvu qu’elles contribuent à la<br />
production <strong>de</strong> ce qui est reconnu comme socialement utile). Nous avons montré<br />
dans le <strong>cours</strong> que la redéfinition <strong>de</strong> la légitimité procèdait d’une déconstruction <strong>et</strong><br />
d’une redistribution <strong>de</strong> l’idée <strong>de</strong> généralité sociale, conduisant à en pluraliser<br />
radicalement les formes. Il y a en eff<strong>et</strong> plusieurs manières d’agir ou <strong>de</strong> parler « au nom<br />
<strong>de</strong> la société » <strong>et</strong> d’être représentatif. Les trois nouvelles légitimités font pour cela<br />
système, se complétant pour définir <strong>de</strong> façon plus exigeante l’idéal démocratique.<br />
Séminaire : « L’État <strong>de</strong> la recherche en théorie politique (I) »<br />
Le séminaire a été organisé autour <strong>de</strong> six doubles séances au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>quelles a<br />
été présenté <strong>et</strong> discuté l’état <strong>de</strong> la recherche en théorie politique dans quelques<br />
domaines essentiels.<br />
1) Mercredi 12 mars : Philippe Urfalino (directeur <strong>de</strong> recherches au CNRS <strong>et</strong><br />
directeur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> à l’EHESS) : La démocratie délibérative.<br />
Ph. Urfalino a d’abord montré comment un certain nombre <strong>de</strong> <strong>travaux</strong>, consacrés<br />
à l’argumentation ou à la délibération, dans les années 1990 <strong>et</strong> 2000, ont préparé<br />
la littérature abondante sur la démocratie délibérative, alors que dans les années<br />
1960 on était loin <strong>de</strong> considérer que l’argumentation est au cœur <strong>de</strong> la vie politique.
466 PIERRE ROSANVALLON<br />
Pour ressaisir la littérature consacrée à la démocratie délibérative, il importe <strong>de</strong><br />
montrer qu’il faut la comprendre comme <strong><strong>de</strong>s</strong>tinée à répondre à trois questions. La<br />
démocratie délibérative se veut comme une réponse au pluralisme : dans nos<br />
sociétés ne peut plus dominer un ordre normatif perm<strong>et</strong>tant un consensus. Elle est<br />
aussi une manière d’organiser une raison publique à partir <strong>de</strong> la mise en place<br />
d’argumentation. Elle se veut enfin, dans une certaine mesure, un renouvellement<br />
<strong>de</strong> la démocratie représentative, dans la mesure où elle veut être une mise à l’épreuve<br />
<strong>de</strong> la responsabilité <strong><strong>de</strong>s</strong> gouvernants.<br />
2) Mercredi 19 mars : Yves Sintomer (Professeur à l’Université <strong>de</strong> Paris VIII,<br />
directeur adjoint du Centre Marc Bloch à Berlin) : La démocratie participative.<br />
La démocratie participative, selon Y. Sintomer, est un effort pour m<strong>et</strong>tre en place<br />
une discussion publique <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires <strong>de</strong> la cité. Il a montré que la théorie d’Habermas<br />
sur l’espace publique a ouvert <strong>de</strong>ux voies. La première a fondé en gran<strong>de</strong> partie les<br />
réflexions sur la démocratie délibérative (qui consiste à renforcer la légitimité<br />
démocratique en faisant appel, à tous les niveaux, à l’argumentation). La secon<strong>de</strong><br />
a présidé aux interrogations sur la possibilité d’une démocratie participative. Les<br />
expériences <strong>de</strong> démocratie participative sont nombreuses <strong>et</strong> diverses. Y. Sintomer<br />
l’a notamment montré en étudiant les usages du tirage au sort, dont la spécificité<br />
est qu’il perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> passer <strong>de</strong> l’égalité dans la décision (l’élection) à l’égalité dans la<br />
nomination.<br />
3) Mercredi 26 mars : Olivier Beaud (Professeur à l’Université <strong>de</strong> Paris II) :<br />
Expériences <strong>et</strong> théorie du fédéralisme.<br />
O. Beaud a d’abord présenté une vue d’ensemble <strong>de</strong> la littérature consacrée au<br />
fédéralisme, en soulignant l’absence d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> systématiques en <strong>France</strong>, où domine<br />
le modèle souverain. A la Révolution, le fédéralisme est associé au féodalisme. Si<br />
la notion r<strong>et</strong>rouve un certain crédit, c’est notamment parce que se créent <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
institutions internationales qui la m<strong>et</strong>tent en jeu (la SDN, l’Europe). Mais jamais<br />
dans c<strong>et</strong>te littérature le fédéralisme n’est étudié pour lui-même : il y est souvent<br />
décrit comme une forme <strong>de</strong> décentralisation, <strong>et</strong> non comme un ordre politique.<br />
O. Beaud a proposé, contre c<strong>et</strong>te littérature, <strong>de</strong> défendre l’hypothèse selon laquelle<br />
un système fédéral ne doit se comprendre ni comme un Etat ni comme un Empire.<br />
C’est une forme politique autonome, qui assume parfaitement d’être à la fois une<br />
union d’Etats <strong>et</strong> une institution, sachant que c<strong>et</strong>te institution <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aux Etats<br />
souverains <strong>de</strong> se transformer en Etats-membres.<br />
4) Mercredi 2 avril : Pasquale Pasquino (Directeur <strong>de</strong> recherche au CNRS <strong>et</strong><br />
Professeur à New York University) : Le principe <strong>de</strong> majorité.<br />
P. Pasquino s’est attaché à expliciter le rôle <strong>et</strong> la légitimité <strong><strong>de</strong>s</strong> organes non élus,<br />
<strong>et</strong> notamment <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> constitutionnelles. L’élection <strong><strong>de</strong>s</strong> représentants n’est qu’une<br />
partie seulement <strong>de</strong> la réalité constitutionnelle <strong>de</strong> nos démocraties mo<strong>de</strong>rnes. Or,<br />
la présence <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> constitutionnelles montre les limites du principe majoritaire.<br />
Celui-ci est à la fois une règle d’autorisation <strong>et</strong> une règle <strong>de</strong> nomination. Mais il
HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE DU POLITIQUE 467<br />
ne consiste pas à choisir une politique. Ce qui le justifie, c’est qu’il impose une<br />
forme spécifique d’égalité (toutes les opinions ont le même poids). Mais le principe<br />
<strong>de</strong> majorité ne peut déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> tout : il ne peut, par exemple, abolir la séparation<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> pouvoirs ou rem<strong>et</strong>tre en cause <strong><strong>de</strong>s</strong> droits établis comme inviolables. Le principe<br />
du souverain doit être limité par un certain nombre <strong>de</strong> contrôles qui ne doivent<br />
pas être liés aux élections.<br />
5) Mercredi 9 avril : Dominique Rousseau (Professeur à l’Université <strong>de</strong><br />
Montpellier I) : Constitutionnalisme <strong>et</strong> démocratie.<br />
Au nom <strong>de</strong> quoi interdire au peuple <strong>de</strong> vouloir ce qu’il veut ? C’est la question,<br />
selon D. Rousseau, que pose la question du constitutionalisme, doctrine qui pense<br />
la démocratie par la constitution. Or, il est en crise parce qu’on considère qu’il pèse<br />
sur les institutions issues du vote populaire. Ce qu’il faut souligner, c’est que la<br />
constitution comme garantie <strong><strong>de</strong>s</strong> droits fondamentaux produit une démocratie<br />
d’un certain type, caractérisée par trois éléments. D’abord, l’écart entre <strong>de</strong>ux<br />
espaces porteurs <strong>de</strong> volonté normative, les actes <strong>de</strong> lois votés par les représentants<br />
<strong>et</strong> les droits <strong><strong>de</strong>s</strong> représentés. Ensuite, la promotion <strong>de</strong> la délibération comme<br />
régime concurrentiel <strong>de</strong> la volonté générale. Enfin, l’avènement <strong>de</strong> la société <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
individus comme obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la constitution.<br />
6) Mercredi 16 avril : Clau<strong>de</strong> Lefort (Directeur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> à l’EHESS) : La pensée<br />
du politique : histoire <strong>et</strong> perspectives.<br />
Clau<strong>de</strong> Lefort s’est proposé d’éclairer la nature <strong>de</strong> la démocratie mo<strong>de</strong>rne à<br />
travers la distinction entre la politique (essentiellement tournée vers la considération<br />
du régime) <strong>et</strong> le politique, qui veut en penser les conditions sociales. La science<br />
politique méconnaît la nature profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la démocratie parce qu’elle laisse dans<br />
l’ombre la société dans laquelle elle s’est formée. La démocratie n’est pas localisable<br />
dans la société : elle est une forme <strong>de</strong> société. Dans l’Ancien Régime, le pouvoir<br />
monarchique était incorporé dans la personne du prince. La démocratie introduit<br />
dans c<strong>et</strong>te perspective un bouleversement : le pouvoir n’est plus incorporé, c’est un<br />
lieu vi<strong>de</strong>. Le conflit est alors institutionnalisé, le pouvoir dans une démocratie ne<br />
peut exister qu’en quête <strong>de</strong> sa légitimité. La démocratie n’est pas réductible à un<br />
certain nombre d’institutions.<br />
Publications scientifiques<br />
— « Intellectual History and Democracy », Journal of History of I<strong>de</strong>as, Volume 68,<br />
Numéro 4, octobre 2007, p. 701-715.<br />
— « Le sens <strong>de</strong> la Contre-démocratie », Commentaire, n° 120, Hiver 2007-2008,<br />
pp. 1113-1115.<br />
— « L’Universalisme démocratique : histoire <strong>et</strong> problèmes », Esprit, janvier 2008,<br />
p. 104-120.<br />
— « I<strong>de</strong>ntidad nacional y Democracia », Archivos <strong>de</strong>l Presente, n° 47, février 2008.
468 PIERRE ROSANVALLON<br />
Vulgarisation <strong>de</strong> la recherche<br />
— « La <strong><strong>de</strong>s</strong>confianza es una virtud civica » (entr<strong>et</strong>ien), La Nacion (Argentine),<br />
30 septembre 2007.<br />
— « Una <strong>de</strong>mocracia <strong>de</strong> espíritu religioso » (entr<strong>et</strong>ien), Clarin (Argentine), 24 novembre<br />
2007.<br />
— « La actividad diaria <strong>de</strong> los ciudadanos es actuar la <strong><strong>de</strong>s</strong>confianza » (entr<strong>et</strong>ien),<br />
Página 12 (Argentine), 26 novembre 2007.<br />
— « Un intelectual lejos panfl<strong>et</strong>o » (entr<strong>et</strong>ien), Página 12 (Argentine), 26 novembre<br />
2007.<br />
— « Entr<strong>et</strong>ien », Diasporiques, n° 44, décembre 2007.<br />
— « Peuple, public : Comment peut-on être vraiment démocrate », in Nicolas Truong<br />
(éd), Le Théatre <strong><strong>de</strong>s</strong> idées, Flammarion, 2008, p. 356-367.<br />
— « Le politique doit prouver son action » (entr<strong>et</strong>ien), Ouest-<strong>France</strong>, 10 janvier 2008.<br />
— « Le nouvel âge <strong><strong>de</strong>s</strong> démocraties », El Watan (Algérie), 25-26 avril 2008.<br />
— « La démocratie face au marché », Alternatives Économiques, hors série n° 77,<br />
2 e trimestre 2008.<br />
— « On fait comme si… » (entr<strong>et</strong>ien), Paris-Normandie, 6 mai 2008.<br />
Conférences invitées à l’<strong>et</strong>ranger<br />
— Institut Français du Royaume Uni (Londres), 8 novembre 2007 : Democracy and<br />
European Institutions.<br />
— Université <strong>de</strong> Buenos-Aires (Argentine), 20 novembre 2007 : Confianza y <strong><strong>de</strong>s</strong>confianza<br />
en la <strong>de</strong>mocracia.<br />
— Alliance Française <strong>de</strong> Buenos-Aires (Argentine), 21 novembre 2007 : L’Avenir <strong>de</strong> l’idée<br />
<strong>de</strong> nation dans un mon<strong>de</strong> globalisé.<br />
— Maison « Vlaams-Ne<strong>de</strong>rlands Huis <strong>de</strong> Buren » (Bruxelles), 29 novembre 2007 : La<br />
Démocratie multiple.<br />
— Université <strong>de</strong> Leuwen (Belgique), 30 novembre 2007 : Social Citizenship.<br />
— Séminaire du Gouvernement basque (Vitoria, Espagne), 18 avril 2008 : La nouvelle<br />
légitimité démocratique.<br />
— Gran<strong><strong>de</strong>s</strong> conférences d’El Watan (Alger), 26 avril 2008 : La démocratie <strong>et</strong> ses<br />
ennemis.<br />
— Université La Sapienza (Rome), Colloque européen d’Amalfi (Italie), 31 mai 2008 :<br />
Situation <strong>de</strong> la démocratie contemporaine.
1. Enseignement <strong>et</strong> recherche<br />
A. Cours<br />
Écrit <strong>et</strong> cultures dans l’Europe mo<strong>de</strong>rne<br />
M. Roger Chartier, professeur<br />
Les quatorze heures du <strong>cours</strong> donné entre octobre <strong>et</strong> décembre 2007 ont été<br />
consacrées à exposer les premiers résultats d’une recherche dont le point <strong>de</strong> départ<br />
se trouve dans un registre <strong>de</strong> comptes, celui où furent inscrits les paiements faits<br />
par le Trésorier <strong>de</strong> la Chambre du roi d’Angl<strong>et</strong>erre.<br />
Londres 1613<br />
En date du 20 mai 1613, il mentionne le versement <strong>de</strong> 93 livres, 6 shilling <strong>et</strong><br />
8 pence à John Heminge, l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> acteurs <strong>et</strong> propriétaires <strong>de</strong> la troupe <strong><strong>de</strong>s</strong> King’s<br />
Men, officiellement désignés comme Grooms of the Chamber, pour les représentations<br />
<strong>de</strong> quatorze pièces données durant les semaines ou les mois précé<strong>de</strong>nts <strong>de</strong>vant « the<br />
Princes Highnes the Lady Elizab<strong>et</strong>h [la fille <strong>de</strong> Jacques I er ] and the Prince Pallatyne<br />
Elector [Frédéric, le prince électeur du Palatinat] ».<br />
De ces quatorze pièces, six figureront dans le Folio <strong>de</strong> 1623 où le même John<br />
Heminge <strong>et</strong> son compagnon <strong>de</strong> scène Henry Con<strong>de</strong>ll réuniront, pour la première<br />
fois, les Comedies, Histories, & Tragedies <strong>de</strong> Shakespeare. Le même « warrant »<br />
ordonne le paiement <strong>de</strong> soixante livres au même John Heminge pour les<br />
représentations <strong>de</strong> six autres pièces, jouées elles aussi dans le palais royal <strong>et</strong> parmi<br />
elles « Car<strong>de</strong>nno ». Un mois <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi plus tard, le 9 juill<strong>et</strong> 1613, la somme <strong>de</strong><br />
6 livres, 13 shilling <strong>et</strong> 4 pence est payée à John Heminge <strong>et</strong> « the rest of his fellows<br />
his Majesties servants and Players » pour la représentation <strong>de</strong>vant le duc <strong>de</strong> Savoie,<br />
hôte du souverain anglais, d’une pièce « called Car<strong>de</strong>nna ». C’est c<strong>et</strong>te pièce, au<br />
nom variable, Car<strong>de</strong>nno ou Car<strong>de</strong>nna, dont c<strong>et</strong>te recherche voudrait percer le<br />
mystère.
470 ROGER CHARTIER<br />
Parmi les vingt pièces mentionnées par le paiement <strong>de</strong> la Chambre du Roi,<br />
pourquoi s’attacher plus particulièrement à « Car<strong>de</strong>nno » ? À l’évi<strong>de</strong>nce parce que<br />
ce titre renvoie à un livre publié par Edward Blount en 1612 : The History of the<br />
valorous and wittie Knight-Errant Don-Quixote of the Mancha. Un à peine après sa<br />
traduction par Thomas Shelton, l’histoire <strong>de</strong> Cervantès, dont la première partie<br />
(qui ne l’était pas encore à c<strong>et</strong>te date) a été imprimée à la fin <strong>de</strong> 1604 avec la date<br />
<strong>de</strong> publication <strong>de</strong> 1605 dans l’atelier madrilène <strong>de</strong> Juan <strong>de</strong> la Cuesta, inspire une<br />
pièce anglaise représentée à la cour. Il ne fait pas <strong>de</strong> doute, en eff<strong>et</strong>, que Car<strong>de</strong>nno<br />
est Car<strong>de</strong>nio, le jeune noble andalou, né à Cordoue, qui par désespoir d’amour a<br />
fait r<strong>et</strong>raite dans la Sierra Morena où il se conduit en homme sauvage, les habits<br />
déchirés, le visage brûlé par le soleil, sautant <strong>de</strong> rocher en rocher. Don Quichotte<br />
le rencontre au chapitre XXIII (<strong>de</strong> fait, le chapitre IX du Troisième Livre du<br />
volume <strong>de</strong> 1605 qui était divisé en quatre parties) <strong>et</strong> il apprend son nom <strong>et</strong> son<br />
histoire au chapitre suivant. Les malheurs <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, amoureux infortuné <strong>de</strong><br />
Luscinda <strong>et</strong> trahi par son ami Fernando, <strong>et</strong> leur dénouement finalement heureux,<br />
pouvaient fournir une belle matière pour une pièce, à la fois tragédie <strong>et</strong> comédie,<br />
représentée en <strong><strong>de</strong>s</strong> jours <strong>de</strong> peine <strong>et</strong> <strong>de</strong> joie à la cour d’Angl<strong>et</strong>erre : le 7 décembre<br />
1612 est mort Henry, le fils aîné <strong>de</strong> Jacques I er , <strong>et</strong> le 14 février 1613, jour <strong>de</strong> la<br />
Saint Valentin, sa fille Elizab<strong>et</strong>h a épousé le prince du Palatinat. Les festivités <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
douze jours <strong>et</strong> du Carnaval sont donc marquées par la douleur du <strong>de</strong>uil <strong>et</strong> la joie<br />
<strong>de</strong> l’hyménée. Durant tout le temps <strong><strong>de</strong>s</strong> banqu<strong>et</strong>s <strong>et</strong> spectacles <strong>de</strong> Noël auxquels<br />
assistent les futurs époux, le catafalque du prince Henry <strong>et</strong> son effigie <strong>de</strong> cire, parée<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> insignes monarchiques, sont exposés dans l’abbaye <strong>de</strong> Westminster.<br />
La traduction <strong>de</strong> Thomas Shelton s’inscrit dans un double contexte, théâtral <strong>et</strong><br />
éditorial. Son éditeur, Edward Blount, avait dès avant 1612 ouvert son catalogue<br />
aux traductions : en 1600, il a publié The Hospitall of incurable fooles <strong>de</strong> Tomaso<br />
Garzoni, en 1603 The Essayes or morall, politike and militarie dis<strong>cours</strong>es <strong>de</strong> Montaigne<br />
dans la traduction <strong>de</strong> John Florio (dont il avait édité en 1598 le dictionnaire<br />
italien-anglais A Worl<strong>de</strong> of Wor<strong><strong>de</strong>s</strong>), en 1604 The Naturall and morall historie of the<br />
East and West Indies du Père José <strong>de</strong> Acosta, en 1607 l’Ars aulica <strong>de</strong> Lorenzo Ducci<br />
<strong>et</strong> en 1608 Of wisdome <strong>de</strong> Pierre Charron. En 1623, avec William Jaggard, John<br />
Sm<strong>et</strong>hwick <strong>et</strong> William Aspley, il sera l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre libraires londoniens qui<br />
éditeront le Folio <strong>de</strong> Shakespeare <strong>et</strong> le seul dont le nom est mentionné à la <strong>de</strong>rnière<br />
ligne <strong>de</strong> la page <strong>de</strong> titre : « Printed by Isaac Jaggard, and Ed. Blount. 1623 ».<br />
Le second contexte est celui <strong>de</strong> la forte présence espagnole sur les scènes<br />
londoniennes. Elle prend différentes formes. Tout d’abord, la localisation <strong>de</strong><br />
l’action dramatique en Espagne : ainsi, avec la première <strong>et</strong> plus fameuse <strong><strong>de</strong>s</strong> pièces<br />
espagnoles, The Spanish Tragedy <strong>de</strong> Thomas Kyd. Écrite entre 1582 <strong>et</strong> 1591, <strong>et</strong><br />
vraisemblablement après 1585, la pièce situe dans la péninsule ibérique un thème<br />
majeur <strong><strong>de</strong>s</strong> drames élisabéthains : les implacables obligations <strong>de</strong> l’honneur outragé.<br />
Inaugurant le genre <strong><strong>de</strong>s</strong> « revenge plays », The Spanish Tragedy lie avec force le<br />
thème <strong>de</strong> la vengeance, inspiré par Sénèque, <strong>et</strong> la référence espagnole, <strong>et</strong> ce, même<br />
si l’intrigue, qui fait du vice-roi du Portugal un tributaire du roi d’Espagne entré
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 471<br />
en guerre contre lui, s’écarte <strong>de</strong> la réalité historique contemporaine puisque, <strong>de</strong>puis<br />
1582, le Portugal est soumis directement à l’autorité du souverain castillan.<br />
Un second thème espagnol sur les scènes londoniennes est celui <strong>de</strong> l’Espagnol<br />
maniéré <strong>et</strong> poltron, tel Don Adriano <strong>de</strong> Armado, le poète alambiqué, amoureux<br />
ridicule <strong>et</strong> bravache fanfaron, pas plus invincible que le fut l’Armada <strong>de</strong> son roi, dans<br />
Love’s Labour’s Lost (Peines d’amour perdues) <strong>de</strong> Shakespeare, dont l’édition quarto<br />
— la première <strong>de</strong> toutes les éditions <strong>de</strong> ses pièces qui mentionne son nom sur la page<br />
<strong>de</strong> titre — est parue en 1598. La figure divertissante <strong>et</strong> dérisoire <strong>de</strong> l’extravagant<br />
Armado est comme un contrepoint rassurant aux <strong><strong>de</strong>s</strong>criptions dénonciatrices <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
cruautés infligées par les Espagnols aux habitants du Nouveau Mon<strong>de</strong>, rappelées<br />
pour m<strong>et</strong>tre en gar<strong>de</strong> contre celles qu’ils pourraient perpétrer contre les Protestants.<br />
Dans la guerre puis dans la paix, signée à Londres en 1604 <strong>et</strong> à Madrid en 1605, la<br />
référence espagnole habite l’imagination <strong><strong>de</strong>s</strong> auteurs anglais <strong>et</strong>, parmi eux, les<br />
dramaturges. En 1602 le libraire Henry Rockytt publie une pièce représentée par la<br />
troupe d’enfants <strong><strong>de</strong>s</strong> Children of Saint Paul, intitulée Blurt Master-Constable. Or the<br />
Spaniards Night-walke, attribuée à Thomas Dekker. Elle porte sur la scène un<br />
personnage qui porte le nom du premier <strong><strong>de</strong>s</strong> « pícaros » : Lazarillo <strong>de</strong> Tormes. La<br />
première traduction du roman a été publiée par Abell Jeffes en 1586. Dix ans plus<br />
tard est parue une traduction <strong>de</strong> la continuation du Lazarillo, due à William Phiston,<br />
<strong>et</strong> c’est sans doute dans c<strong>et</strong>te secon<strong>de</strong> partie, où Lazarillo est <strong>de</strong>venu soldat, que la<br />
pièce publiée en 1602 a trouvé son Espagnol. En eff<strong>et</strong>, le Lazarillo <strong>de</strong> la comédie est<br />
un proche parent <strong>de</strong> Don Adriano <strong>de</strong> Armado <strong>et</strong> sa supposée bravoure est démentie<br />
par les témoins <strong>de</strong> sa couardise. Sans grand rapport avec le Lazarillo castillan, le<br />
personnage ainsi nommé par Dekker s’inscrit dans la dénonciation comique <strong>de</strong><br />
l’Espagnol matamore <strong>et</strong> couard, vaniteux <strong>et</strong> superstitieux, maniéré <strong>et</strong> trompé. Mais<br />
son nom même atteste que les héros <strong><strong>de</strong>s</strong> fictions espagnoles sont familiers aux<br />
spectateurs <strong>et</strong> aux lecteurs anglais qui s’amusent <strong>de</strong> leurs multiples i<strong>de</strong>ntités.<br />
C’est dans ce contexte d’une forte présence théâtrale <strong>et</strong> éditoriale <strong>de</strong> la littérature<br />
castillane qu’est publiée en 1612 la traduction <strong>de</strong> Don Quichotte par Thomas<br />
Shelton. Dès avant sa publication, <strong><strong>de</strong>s</strong> allusions à l’histoire du chevalier errant<br />
apparaissent dans plusieurs pièces. La plus fameuse est The Knight of the Burning<br />
Pestle, Le Chevalier à l’ar<strong>de</strong>nt pilon, attribuée à Beaumont <strong>et</strong> Fl<strong>et</strong>cher sur la page<br />
<strong>de</strong> titre <strong><strong>de</strong>s</strong> éditions <strong>de</strong> 1635 mais considérée comme écrite par le seul Beaumont<br />
par la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> éditions mo<strong>de</strong>rnes. Si la première édition quarto ne date que <strong>de</strong><br />
1613, la pièce a sans doute été représentée quelques années auparavant par la<br />
compagnie d’enfants qui <strong>de</strong>puis 1600 jouait dans le théâtre installé dans l’ancien<br />
couvent <strong><strong>de</strong>s</strong> Blackfriars. Sa date pourrait être soit 1611, à suivre littéralement le<br />
texte <strong>de</strong> la dédicace <strong>de</strong> son éditeur Walter Burre à Robert Keysar, le « master of the<br />
Queen’s Revels Children » <strong><strong>de</strong>s</strong> Blackfriars, soit plus probablement 1607 ou 1608, si<br />
l’on privilégie la remarque <strong>de</strong> l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages, le Citizen, qui rappelle dans le<br />
prologue ou « induction » que <strong>de</strong>puis « seven years there hath been plays at this<br />
house » [« <strong>de</strong>puis sept ans on joue <strong><strong>de</strong>s</strong> pièces dans ce théâtre »].
472 ROGER CHARTIER<br />
L’une ou l’autre date, 1607-1608 ou 1611, pose la même question : celle du<br />
rapport <strong>de</strong> la pièce avec Don Quichotte dont la traduction n’avait pas encore été<br />
publiée. Même s’il faut se gar<strong>de</strong>r d’une mise en parallèle trop étroite <strong><strong>de</strong>s</strong> situations <strong>et</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> motifs <strong>de</strong> la comédie <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’histoire <strong>et</strong> même si Beaumont (avec ou sans Fl<strong>et</strong>cher)<br />
puise son inspiration directement dans les romans <strong>de</strong> chevalerie eux-mêmes, <strong>et</strong> non<br />
dans leur parodie, il paraît assuré que le dramaturge connaissait les aventures <strong>de</strong> Don<br />
Quichotte. Elles sont le contrepoint <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> Ralph, le commis d’épicerie qui se<br />
fait « Grocer Errant », « épicier errant », sur la scène <strong><strong>de</strong>s</strong> Blackfriars pour plaire à son<br />
patron <strong>et</strong> à la femme <strong>de</strong> celui-ci, lassés <strong><strong>de</strong>s</strong> satires contre les « Citizens » <strong>de</strong> Londres<br />
qui y sont jouées ordinairement. Tel sera le cas, pensent-ils, <strong>de</strong> The London Merchant,<br />
la pièce représentée par les Queen’s Revels Children, que les hauts faits du « chevalier à<br />
l’ar<strong>de</strong>nt pilon » interrompront à <strong>de</strong> maintes reprises.<br />
Comment l’œuvre <strong>de</strong> Cervantès a-t-elle pu être connue en Angl<strong>et</strong>erre avant la<br />
publication <strong>de</strong> sa traduction imprimée ? On ne peut écarter, tout d’abord,<br />
l’hypothèse <strong>de</strong> sa lecture dans l’une ou l’autre <strong><strong>de</strong>s</strong> éditions en castillan publiée<br />
avant 1608 : cinq en 1605 (<strong>de</strong>ux à Madrid, <strong>de</strong>ux à Lisbonne, une à Valence), une<br />
en 1607 (à Bruxelles), une en 1608 (à Madrid <strong>de</strong> nouveau). Avant la traduction<br />
<strong>de</strong> Shelton, <strong>de</strong>ux autres éditions du texte <strong>de</strong> Cervantès sont en circulation : celle<br />
<strong>de</strong> Milan en 1610 <strong>et</strong> la secon<strong>de</strong> <strong>de</strong> Bruxelles en 1611. Avec neuf éditions parues<br />
avant 1612, Don Quichotte connaît une large circulation, qui ne se limite ni à la<br />
péninsule ibérique, ni à l’Amérique espagnole. Lorsqu’il mentionne, dans le<br />
chapitre III <strong>de</strong> la Secon<strong>de</strong> Partie (parue en 1615) que l’« on a déjà imprimé plus<br />
<strong>de</strong> douze mille exemplaires <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te histoire », le bachelier Samson Carrasco est<br />
peut-être en <strong>de</strong>çà <strong>de</strong> la vérité si l’on rappelle avec Alonso Víctor <strong>de</strong> Pare<strong><strong>de</strong>s</strong>,<br />
compositeur <strong>et</strong> imprimeur à Séville puis Madrid, auteur vers 1680 du premier<br />
manuel sur l’art typographique en langue vulgaire, que le tirage normal d’une<br />
édition est <strong>de</strong> 1 500 exemplaires. Ce seraient donc 13 500 exemplaires du Quichotte<br />
qui circulèrent en castillan dans les dix années qui suivirent l’édition sortie <strong>de</strong><br />
l’atelier <strong>de</strong> Juan <strong>de</strong> la Cuesta en 1605. Il est plus que probable que certains lecteurs<br />
anglais ont lu Don Quichotte dans sa langue, d’autant qu’entre 1590 <strong>et</strong> 1605<br />
nombreux sont les grammaires, dictionnaires <strong>et</strong> manuels <strong><strong>de</strong>s</strong>tinés à enseigner<br />
l’espagnol publiés par les éditeurs londoniens.<br />
D’autres avaient pu le faire grâce à la circulation manuscrite <strong>de</strong> la traduction <strong>de</strong><br />
Shelton avant même sa publication imprimée. Le livre a été enregistré par Blount<br />
dans le Registre <strong>de</strong> la Stationers’ Company, la communauté <strong><strong>de</strong>s</strong> libraires <strong>et</strong> imprimeurs<br />
<strong>de</strong> Londres, le 19 janvier 1611, <strong>et</strong>, en 1612, dans la dédicace <strong>de</strong> sa traduction<br />
adressée à Lord Wal<strong>de</strong>n, Shelton indique qu’il a traduit Don Quichotte en quarante<br />
jours cinq ou six ans auparavant, soit en 1607. S’il dit vrai, cela explique pourquoi<br />
dès c<strong>et</strong>te date plusieurs dramaturges font allusion au combat du chevalier errant<br />
contre les moulins à vent — ainsi George Wilkins dans The Miseries of Enforced<br />
Marriage <strong>et</strong> Thomas Middl<strong>et</strong>on dans Your Five Gallant — <strong>et</strong> pourquoi en 1609<br />
dans Epicoene <strong>de</strong> Ben Jonson Truewit donne ce conseil à Sir Dauphine, s’il veut<br />
vraiment apprendre à connaître les femmes : « Vous <strong>de</strong>vez cesser <strong>de</strong> vivre dans votre
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 473<br />
chambre <strong>et</strong> avec Amadis <strong>de</strong> Gaule ou Don Quixote, comme vous en avez l’habitu<strong>de</strong>,<br />
<strong>et</strong> vous rendre là où le thème est fréquent, à la cour, aux tournois, aux cérémonies<br />
<strong>et</strong> aux fêtes, dans les théâtres, <strong>et</strong> parfois dans les églises. »<br />
Les folies <strong>de</strong> don Quichotte ont donc été connues très tôt en Angl<strong>et</strong>erre. Mais<br />
pourquoi, alors, en 1613, la pièce représentée <strong>de</strong>ux fois par les King’s Men à<br />
Whitehall fait-elle <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, <strong>et</strong> non du chevalier errant son héros principal ?<br />
Pourquoi annonce-t-elle par son titre que son intrigue sera celle <strong><strong>de</strong>s</strong> amours<br />
contrariées <strong>et</strong> finalement satisfaites du jeune noble andalou, <strong>et</strong> non les aventures<br />
comiques <strong>de</strong> l’hidalgo <strong>et</strong> son écuyer ? La réponse n’est pas aisée puisque jamais la<br />
pièce ne fut publiée <strong>et</strong> qu’il n’en subsiste ni édition ni manuscrit. C<strong>et</strong>te situation,<br />
au <strong>de</strong>meurant, n’a rien d’extraordinaire puisque la majorité <strong><strong>de</strong>s</strong> pièces représentées<br />
en Angl<strong>et</strong>erre entre 1565 (date l’édition <strong>de</strong> la première tragédie anglaise, The<br />
Tragedie of Gordobuc <strong>de</strong> Thomas Norton <strong>et</strong> Thomas Sackville) <strong>et</strong> 1642 (date <strong>de</strong> la<br />
ferm<strong>et</strong>ure <strong><strong>de</strong>s</strong> théâtres) ne fut jamais imprimée. David Scott Kastan avance l’idée<br />
que moins du cinquième le fut alors que Douglas A. Brooks se montre un peu<br />
plus généreux <strong>et</strong> indique, à partir d’une comparaison entre le nombre <strong>de</strong> titres<br />
connus <strong>et</strong> celui <strong><strong>de</strong>s</strong> textes existant, que c’est un peu plus du tiers <strong><strong>de</strong>s</strong> pièces<br />
représentées qui a eu au moins une édition imprimée. En l’absence du Car<strong>de</strong>nio<br />
<strong>de</strong> 1613, seule une série d’hypothèses peut rendre compte <strong>de</strong> la décision qui<br />
transforme en une pièce <strong>de</strong> théâtre c<strong>et</strong>te histoire d’amours racontée par plusieurs<br />
<strong>de</strong> ses protagonistes au fil <strong><strong>de</strong>s</strong> chapitres <strong>de</strong> Don Quichotte.<br />
L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> reproches faits à Cervantès, tels que les rappelle Samson Carrasco, était<br />
d’avoir intercalé dans l’histoire du chevalier errant une « novela » : « L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> défauts<br />
que l’on reproche à c<strong>et</strong>te histoire, dit le bachelier, c’est que son auteur y a inséré une<br />
nouvelle intitulée : Le Curieux impertinent. Non pas qu’elle soit mauvaise ou mal<br />
écrite, mais parce qu’elle n’est pas à sa place <strong>et</strong> n’a rien à voir avec l’histoire du<br />
seigneur don Quichotte. » La nouvelle du « Curieux impertinent », qui occupe les<br />
chapitres XXXIII à XXXV, est en eff<strong>et</strong> un récit dans le récit, lu à haute voix par le<br />
curé aux autres personnages (sauf don Quichotte) <strong>et</strong> qui, hors l’interruption créée<br />
par le combat <strong>de</strong> l’hidalgo endormi contre les outres <strong>de</strong> vin prises pour le géant<br />
usurpateur du royaume <strong>de</strong> Micomicon, est tout à fait indépendant <strong>de</strong> l’histoire<br />
principale. Sa transformation en comédie était donc aisée <strong>et</strong>, d’ailleurs, elle le fut<br />
puisqu’en 1611 une pièce <strong>de</strong> Thomas Middl<strong>et</strong>on, The Second Mai<strong>de</strong>n Tragedy, porte<br />
sur la scène comme intrigue secondaire l’histoire d’Anselmo, le mari trop curieux ou<br />
trop sûr <strong>de</strong> la vertu <strong>de</strong> sa femme, <strong>et</strong> <strong>de</strong> Lotario (<strong>de</strong>venu Votarius), son ami pris au jeu<br />
<strong>de</strong> la séduction. Pourquoi, alors, le choix l’histoire <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio qui présentait <strong>de</strong><br />
plus gran<strong><strong>de</strong>s</strong> difficultés puisque, dans ce cas, la « nouvelle » se trouve fortement <strong>et</strong><br />
durablement liée aux pérégrinations du chevalier errant ?<br />
L’histoire <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio pouvait fournir une bonne intrigue pour le genre<br />
tragi-comique, alors à la mo<strong>de</strong>. Fl<strong>et</strong>cher l’avait ainsi défini dans l’adresse au lecteur<br />
qui précè<strong>de</strong> sa pièce, The Faithful Shepher<strong><strong>de</strong>s</strong>s, en 1608 : « Une tragi-comédie est<br />
ainsi appelée, non parce qu’elle allie la gaîté aux tueries, mais parce que personne
474 ROGER CHARTIER<br />
n’y trouve la mort (ce qui suffit à n’en pas faire une tragédie) bien que d’aucuns<br />
s’en approchent (ce qui suffit à n’en pas faire une comédie, laquelle doit être une<br />
représentation <strong>de</strong> personnages familiers, avec <strong>de</strong> ces complications qui ne m<strong>et</strong>tent<br />
nulle vie en cause). » Les amours <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio entraient tout à fait dans c<strong>et</strong>te<br />
définition. Les protagonistes y frôlent ou désirent la mort, mais leurs amours sont<br />
finalement heureusement renoués <strong>et</strong> tout est bien qui finit bien. Nous ne saurons<br />
sans doute jamais comment ce que Cervantès désigne comme « ces aventures si<br />
enchevêtrées <strong>et</strong> si désespérées » (« tan trabados y <strong><strong>de</strong>s</strong>esperados negocios ») fut porté<br />
sur la scène du palais <strong>de</strong> Whitehall par les comédiens du roi lorsqu’en 1613, par<br />
<strong>de</strong>ux fois, ils représentèrent Car<strong>de</strong>nio.<br />
Si la traduction <strong>de</strong> Shelton, fidèle au texte <strong>de</strong> Cervantès, proposait <strong><strong>de</strong>s</strong> matériaux<br />
immédiatement utilisables pour une pièce <strong>de</strong> théâtre, avec ses moments<br />
spectaculaires (la séduction <strong>de</strong> Dorotea par Fernando, le mariage entre celui-ci <strong>et</strong><br />
Luscinda, les reconnaissances <strong>et</strong> réconciliations entre les couples un temps désunis,<br />
les adieux), ses dialogues dramatiques <strong>et</strong> ses monologues intérieurs, il n’en allait<br />
pas <strong>de</strong> même avec la construction même <strong>de</strong> l’intrigue. Comment, en eff<strong>et</strong>,<br />
transformer en un récit linéaire ce qui était donné dans Don Quichotte comme une<br />
série <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ours en arrière où chaque narration ajoutait <strong><strong>de</strong>s</strong> épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> connus<br />
seulement par celui ou celle qui convoquait le passé dans sa mémoire ? Et, plus<br />
difficile encore, comment traiter sur le théâtre l’intrication <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux histoires qui<br />
advient dès lors que Dorotea accepte le rôle <strong>de</strong> la princesse Micomicona ? L’enjeu<br />
n’était pas mince car il pouvait conduire soit à représenter l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> amours <strong>de</strong><br />
Car<strong>de</strong>nio <strong>et</strong> Fernando sans la lier d’aucune manière aux aventures <strong>de</strong> don Quichotte,<br />
soit à inventer une formule qui perm<strong>et</strong>tait d’associer sur la scène la déraison<br />
comique du chevalier errant <strong>et</strong> la nouvelle sentimentale <strong><strong>de</strong>s</strong> amants séparés puis<br />
réunis. Une pièce fondée sur Don Quichotte pouvait-elle ignorer son héros principal ?<br />
Ou bien <strong>de</strong>vait-elle, comme l’histoire parue en 1605, jouer <strong><strong>de</strong>s</strong> multiples eff<strong>et</strong>s que<br />
produit la rencontre entre les folies <strong>de</strong> don Quichotte <strong>et</strong> celles <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio ? Le<br />
ou les auteurs <strong>de</strong> la pièce jouée à Londres en 1613 ne furent ni les seuls ni les<br />
premiers dramaturges à se confronter à un semblable dilemme. Quelques années<br />
auparavant, Guillén <strong>de</strong> Castro lui avait trouvé une solution.<br />
Espagne 1605-1608<br />
Les premières planches sur lesquelles montèrent don Quichotte <strong>et</strong> Car<strong>de</strong>nio furent<br />
celles d’un « corral <strong>de</strong> comedias ». Très tôt après la publication <strong>de</strong> l’histoire, peut-être<br />
en 1605 ou 1606 <strong>et</strong> en tous cas avant 1608, le dramaturge valencien Guillén <strong>de</strong><br />
Castro, à jamais fameux pour ses Moceda<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>l Cid, compose une comedia en trois<br />
« jornadas » ou trois actes intitulée Don Quijote <strong>de</strong> la Mancha. Elle sera publiée à<br />
Valence en 1618 avec ce titre <strong>de</strong> Don Quijote <strong>de</strong> la Mancha, mais les <strong>de</strong>rniers vers <strong>de</strong><br />
la pièce suggèrent qu’elle avait peut-être été représentée sous celui <strong><strong>de</strong>s</strong> « fils<br />
échangés » : « Y <strong>de</strong> los hijos trocados / aquí la comedia acaba, / y <strong>de</strong>l Caballero<br />
Andante / don Quijote <strong>de</strong> la Mancha » (vers 3100-3104) [« Et <strong><strong>de</strong>s</strong> fils échangés /<br />
Finit ici la comedia, / <strong>et</strong> du Chevalier Errant / don Quichotte <strong>de</strong> la Manche »].
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 475<br />
Malgré le titre, l’histoire que Guillén <strong>de</strong> Castro porte sur la scène est bien celle<br />
<strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, Luscinda, Dorotea <strong>et</strong> Fernando, ici nommé « El Marqués », le fils du<br />
Duc auprès duquel Car<strong>de</strong>nio a été envoyé. Dès le premier acte, la comedia manifeste<br />
les transformations apportées à l’histoire qui lui sert <strong>de</strong> source directe. La plus<br />
fondamentale est celle qui fait <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, non plus un fils <strong>de</strong> noble, mais le fils<br />
d’un paysan nommé Lisardo. De ce fait, les <strong>de</strong>ux amours, celui du Marquis pour<br />
Dorotea, fille du paysan Fi<strong>de</strong>no, <strong>et</strong> celui plus immédiatement partagé par Car<strong>de</strong>nio<br />
<strong>et</strong> Lucinda, présentent une semblable inégalité <strong>de</strong> condition qui explique tant la<br />
réticence <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio à avouer son amour à une jeune « dama » dont le rang est<br />
sans commune mesure avec son propre état que la résistance <strong>de</strong> Dorotea face à la<br />
passion du Marquis.<br />
Ayant introduit c<strong>et</strong>te dissymétrie <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions dans chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux couples<br />
d’amants, Guillén <strong>de</strong> Castro en montre l’incongruité dès le premier acte. Car<strong>de</strong>nio,<br />
le fils <strong>de</strong> paysan, <strong>et</strong> le Marquis, fils <strong>de</strong> duc, <strong>de</strong>vraient être autres qu’ils ne sont.<br />
Avec la « comedia » <strong>de</strong> Guillén <strong>de</strong> Castro, l’histoire <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, ici fils <strong>de</strong> paysan<br />
amoureux d’une étoile, m<strong>et</strong> en scène le scandale <strong><strong>de</strong>s</strong> discordances entre condition<br />
<strong>et</strong> conduite, l’état <strong>et</strong> les sentiments. A la noblesse <strong>de</strong> cœur <strong>et</strong> la bravoure du paysan<br />
Car<strong>de</strong>nio s’opposent la vilenie <strong>et</strong> la couardise du fils du Duc, <strong>et</strong> chacun dans la<br />
pièce perçoit qu’il y a là une anomalie mystérieuse qui ne peut être qu’une erreur<br />
<strong>de</strong> la Nature.<br />
Ce n’est qu’à la fin <strong>de</strong> la scène XIII <strong>de</strong> la comedia (dans le découpage mo<strong>de</strong>rne<br />
du premier acte <strong>de</strong> la pièce) qu’entre en scène don Quichotte. L’indication scénique<br />
indique : « Sale don Quijote en Rocinante, y el vestido como le pintan en su<br />
libro » [« Entre don Quichotte, monté sur Rossinante <strong>et</strong> dans le costume qui est<br />
décrit dans son livre »]. La didascalie fait sans doute référence à la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong>de</strong><br />
don Quichotte au chapitre II, lorsqu’il apparaît aux <strong>de</strong>ux « dames », en fait <strong>de</strong>ux<br />
filles <strong>de</strong> joie, postées à la porte <strong>de</strong> l’auberge. La pièce établit d’emblée une complicité<br />
avec ceux <strong>et</strong> celles qui ont lu ou connaissent le livre paru en 1605.<br />
Guillén <strong>de</strong> Castro procè<strong>de</strong> avec l’histoire <strong>de</strong> Cervantès comme le fait don<br />
Quichotte avec les romans <strong>de</strong> chevalerie <strong>et</strong> les romances qu’il a lus. Il suppose que<br />
le livre qui raconte les exploits du chevalier errant est déjà présent dans la mémoire<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> spectateurs <strong>et</strong> que les mots prononcés sur la scène les feront souvenir <strong>de</strong> leur<br />
lecture. Ils se divertiront en reconnaissant <strong><strong>de</strong>s</strong> citations littérales <strong>et</strong> prendront<br />
plaisir aux allusions qui leur rappelleront les épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> l’histoire. Mais peut-on<br />
supposer que Don Quichotte était dès les premiers mois ou années qui ont suivi sa<br />
publication une histoire déjà si fortement connue ?<br />
Plusieurs données peuvent étayer une semblable hypothèse. Tout d’abord, le<br />
nombre <strong><strong>de</strong>s</strong> éditions : cinq dans la seule année 1605, une en 1607, une en 1608.<br />
Toutes ont été publiées dans les terres ibériques du roi très catholique (sauf celle<br />
<strong>de</strong> Bruxelles en 1607) : trois à Madrid chez Juan <strong>de</strong> la Cuesta, <strong>de</strong>ux à Lisbonne <strong>et</strong><br />
une à Valence chez Felipe Mey, l’imprimeur <strong>de</strong> la Primera Parte <strong>de</strong> Guillén <strong>de</strong><br />
Castro en 1618. Mey réemploie pour la page <strong>de</strong> titre <strong>de</strong> la comedia Don Quixote
476 ROGER CHARTIER<br />
<strong>de</strong> la Mancha le même bois gravé, qui représente un chevalier empanaché, entrant<br />
dans la lice la lance en avant, qu’il avait déjà utilisé en 1605 pour son édition <strong>de</strong><br />
Don Quixote <strong>et</strong> en 1616 pour celle <strong>de</strong> la Segunda Parte. Ensuite, très précoce est la<br />
présence <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux héros <strong>de</strong> l’histoire, le chevalier errant <strong>et</strong> son écuyer, dans les<br />
divertissements <strong>de</strong> cour <strong>et</strong> les mascara<strong><strong>de</strong>s</strong> populaires qui prolongent la longue<br />
tradition parodique qui, comme l’a montré Pedro Cátedra, dès les commencements<br />
du XVI e siècle, a accueilli dans les joutes <strong>et</strong> tournois aristocratiques <strong><strong>de</strong>s</strong> figures<br />
telles que « el Cavallero <strong>de</strong>l Mundo al Revés » ou « el Cavallero que da las Higas a<br />
la Ver<strong>de</strong> » — la couleur verte désignant les extravagances <strong>de</strong> la jeunesse, la folie <strong>et</strong>,<br />
parfois, l’homosexualité.<br />
Le 10 juin 1605, lors <strong>de</strong> la fête qui célèbre à Valladolid la naissance d’un héritier<br />
du trône, le prince Felipe, le portugais Thomé Pinheiro da Veiga décrit l’un <strong>de</strong> ses<br />
compatriotes, Jorge <strong>de</strong> Lima Barr<strong>et</strong>o, comme s’il était Don Quixóte, monté sur un<br />
pauvre roussin (« hum pobre quartão ruço »), vêtu d’un grand chapeau, d’une cape<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> chausses <strong>de</strong> velours, précédé par un « Sancho Panço » qui porte lun<strong>et</strong>tes <strong>et</strong><br />
un « habito <strong>de</strong> Christo ». La <strong><strong>de</strong>s</strong>cription n’implique pas que le noble portugais ait<br />
voulu se déguiser en don Quichotte, mais elle atteste pour le moins que, dès le<br />
milieu <strong>de</strong> 1605, l’histoire <strong>de</strong> Cervantès était déjà suffisamment connue pour que<br />
puissent être i<strong>de</strong>ntifiés à son héros les chevaliers les moins fortunés — ainsi ce<br />
Portugais qui utilise comme pauvre monture l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> chevaux <strong>de</strong> sa voiture. C’est<br />
également très tôt après la publication <strong>de</strong> l’histoire, en 1605 ou 1606, qu’une<br />
Relación <strong>de</strong> las calida<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> los españoles, rédigée en castillan par un voyageur<br />
allemand, désigne parmi les livres <strong>de</strong> divertissement les plus appréciés <strong><strong>de</strong>s</strong> Espagnols<br />
« D. Quixote <strong>de</strong> la Mancha », aux côtés <strong>de</strong> trois autres titres : La Celestina, Lazarillo<br />
<strong>de</strong> Tormes, <strong>et</strong> la Primera Parte <strong>de</strong>l Pícaro [i. e. Guzman <strong>de</strong> Alfarache].<br />
Très tôt également, le chevalier errant <strong>et</strong> ses compagnons sortent <strong><strong>de</strong>s</strong> pages du<br />
livre qui conte leurs aventures. En 1608, lors <strong>de</strong> l’entrée du duc <strong>de</strong> Lerma, le<br />
« valido » <strong>de</strong> Philippe III, dans la ville <strong>de</strong> Tu<strong>de</strong>la <strong>de</strong>l Duero, incorporée à ses<br />
domaines par la grâce royale, la corrida qui a lieu sur la place <strong>de</strong> l’hôtel <strong>de</strong> ville<br />
inclut la « Aventuras <strong>de</strong>l caballero don Quijote » <strong>et</strong> les festivités s’achèvent avec un<br />
pastiche <strong><strong>de</strong>s</strong> réjouissances <strong>de</strong> la cour, la « Máscara <strong>de</strong> invención a lo pícaro <strong>de</strong>l Dios<br />
Baco ». Un an auparavant, en 1607, le chevalier errant se trouvait sur l’autre rive<br />
<strong>de</strong> l’Atlantique <strong>et</strong> participait avec d’autres illustres chevaliers aux joutes, ou « fiesta<br />
<strong>de</strong> sortija » organisées par don Pedro <strong>de</strong> Salamanca, corregidor <strong>de</strong> Pausa, alors<br />
capitale <strong>de</strong> la province <strong>de</strong> Parinacochas au Pérou, pour célébrer la nomination<br />
comme nouveau vice-roi <strong>de</strong> don Juan <strong>de</strong> Mendoza y Luna, marquis <strong>de</strong> Montesclaros.<br />
Selon la relation manuscrite <strong>de</strong> la fête, plusieurs cavaliers entrent en compétition<br />
dans ce tournoi où il s’agit d’atteindre une cible placée dans la carrière. Tous se<br />
présentent déguisés en chevaliers <strong>de</strong> romans : le « corregidor », qui est aussi le<br />
« mantenedor » ou organisateur du tournoi, apparaît d’abord, en « Cavallero <strong>de</strong> la<br />
Ardiente Espada », surnom d’Amadis <strong>de</strong> Grecia, puis il change d’habit <strong>et</strong> concourt<br />
comme Bradaleon, d’autres entrent dans la carrière comme s’ils étaient le<br />
« Cavallero Antártico », avec une compagnie <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> cent Indiens, le « Cavallero
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 477<br />
<strong>de</strong> la Selva », précédé par quatre « sauvages », le « Cavallero Venturoso » ou le<br />
« Dudado Furibundo » en habit <strong>de</strong> maure. L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> compétiteurs, Don Luis <strong>de</strong><br />
Córdoba qui, comme l’indique la relation, « anda en este rreyno disfraçado con<br />
nombre <strong>de</strong> Luis <strong>de</strong> Galves » [« est dans ce royaume connu sous le nom <strong>de</strong> Luis <strong>de</strong><br />
Galves »], a choisi un autre héros : il entre sur la place comme le « Cavallero <strong>de</strong> la<br />
Triste Figura don Quixote <strong>de</strong> la Mancha, tan al natural y propio <strong>de</strong> como lo pintan<br />
en su libro » [« aussi exactement qu’ il est peint dans son livre »].<br />
Le « livre » <strong>de</strong> don Quichotte, en eff<strong>et</strong>, n’est pas inconnu dans les In<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
espagnoles. À suivre les registres <strong>de</strong> l’Archivo General <strong>de</strong> Indias, dans la seule année<br />
1605, celle <strong><strong>de</strong>s</strong> premières éditions, 262 exemplaires sont embarqués sur l’Espíritu<br />
Santo pour Clemente <strong>de</strong> Valdés, « vecino <strong>de</strong> México », cent exemplaires que Diego<br />
Correa sont adressés sur un bateau du même nom à Antonio <strong>de</strong> Toro à Carthagène,<br />
trois exemplaires <strong><strong>de</strong>s</strong>tinés à Juan <strong>de</strong> Guevara font le voyage sur le Nuestra Señora<br />
<strong>de</strong>l Rosario qui lui aussi doit débarquer à Carthagène <strong>et</strong>, sur un autre bateau, le<br />
marchand Andrés <strong>de</strong> Hervas envoie 160 exemplaires en Nouvelle Espagne. Les<br />
libraires <strong>de</strong> la métropole font ainsi parvenir <strong>de</strong> nombreux exemplaires <strong>de</strong> Don<br />
Quichotte à leurs correspondants américains. En mars 1605, un libraire d’Alcalá <strong>de</strong><br />
Henares, Juan <strong>de</strong> Sarría, adresse à son confrère <strong>de</strong> Lima, Miguel Mén<strong>de</strong>z, soixante<br />
<strong>et</strong> une caisses <strong>de</strong> livres. Au <strong>cours</strong> du long voyage, huit caisses sont vendues à<br />
Panama <strong>et</strong> huit autres embarquées séparément pour atteindre Lima — les unes <strong>et</strong><br />
les autres contenant très vraisemblablement <strong><strong>de</strong>s</strong> exemplaires du livre <strong>de</strong> Cervantès.<br />
Ce sont donc quarante-cinq caisses <strong>de</strong> livres dont le fils <strong>de</strong> Juan <strong>de</strong> Sarria accuse<br />
réception en mai 1606, soit un an après leur départ <strong>de</strong> Séville. Dans l’inventaire<br />
qui en est dressé se rencontrent 2895 volumes dont soixante-douze exemplaires <strong>de</strong><br />
Don Quichotte. Il en emporte neuf à Cuzco alors que soixante-trois restent dans la<br />
capitale. Si l’affirmation selon laquelle la quasi totalité <strong>de</strong> la première édition <strong>de</strong><br />
l’histoire a été envoyée en Amérique semble quelque peu exagérée, il n’en <strong>de</strong>meure<br />
pas moins que très nombreux en sont les exemplaires qui y arrivent dès 1605, soit<br />
à travers le commerce <strong>de</strong> librairie, soit parce que certains <strong><strong>de</strong>s</strong> voyageurs<br />
transatlantiques ont emporté le livre avec eux.<br />
À Pausa en 1607, dans une localité justement située sur le chemin <strong>de</strong> Cuzo<br />
emprunté par Juan <strong>de</strong> Sarría <strong>et</strong> ses exemplaires <strong>de</strong> l’histoire, don Quichotte, monté<br />
sur un cheval efflanqué, est doté d’un casque orné <strong>de</strong> plumes <strong>et</strong> d’une fraise<br />
[« morrión con mucha plumerería <strong>de</strong> gallos, cuello <strong>de</strong> dozabo »], ce qui l’apparente<br />
aux chevaliers parodiques <strong><strong>de</strong>s</strong> fêtes aristocratiques du siècle précé<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> l’éloigne,<br />
malgré ce que dit la relation, <strong>de</strong> la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription qui le « peint » dans son livre. Il<br />
porte un masque « muy al propossito que rrepresentaba » [« tout à fait approprié<br />
pour le personnage qu’il représentait »] <strong>et</strong> est accompagné par Sancho, juché sur<br />
son âne <strong>et</strong> portant le heaume <strong>de</strong> Mambrin, par le curé <strong>et</strong> le barbier, vêtus en<br />
écuyer, <strong>et</strong> par la « ynfanta Micomicona ». La nuit venue <strong>et</strong> achevée la fête où se sont<br />
côtoyés chevaliers <strong>de</strong> littérature, faux maures, véritables indiens <strong>et</strong> les élites<br />
espagnoles <strong>de</strong> Pausa, le prix <strong>de</strong> la meilleure « invention » est donné au « Cavallero<br />
<strong>de</strong> la Triste Figura » pour l’exactitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa représentation <strong>et</strong> le rire général qu’elle
478 ROGER CHARTIER<br />
a suscité. Les héros <strong>de</strong> Cervantès <strong>de</strong>meureront durablement <strong><strong>de</strong>s</strong> figures familières,<br />
mobilisées dans <strong>de</strong> nombreuses fêtes, en Espagne lors <strong><strong>de</strong>s</strong> célébrations <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
béatifications <strong>de</strong> Thérèse d’Avila ou Ignace <strong>de</strong> Loyola, en Amérique (ainsi à Mexico<br />
en 1621 lors la fête <strong>de</strong> béatification <strong>de</strong> San Isidro organisée par les ouvriers <strong>de</strong> la<br />
Platería Real), <strong>et</strong> dans toute l’Europe — ainsi à Dessau en 1614 pour le baptême<br />
du fils du Prince d’Anhalt.<br />
Guillén <strong>de</strong> Castro déploie le second acte <strong>de</strong> la comedia entre <strong>de</strong>ux fortes scènes<br />
<strong>de</strong> Don Quichotte : d’une part, la séduction <strong>de</strong> Dorotea par Fernando, telle que la<br />
raconte la jeune paysanne, d’autre part, le mariage <strong>de</strong> Luscinda <strong>et</strong> Fernando dont<br />
plusieurs récits (ceux <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, Dorotea <strong>et</strong> finalement Fernando lui-même)<br />
décrivent les épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> successifs. Sur la scène, leur traitement est fort différent.<br />
L’ acte commence alors que Dorotea a déjà été séduite <strong>et</strong> abandonnée. En quelques<br />
vers, le Marquis résume <strong>et</strong> la reddition <strong>de</strong> Dorotea, convaincue par la promesse <strong>de</strong><br />
mariage, <strong>et</strong> le brusque changement <strong>de</strong> ses propres sentiments.<br />
En contraste avec c<strong>et</strong>te ellipse initiale, la mise en scène spectaculaire <strong><strong>de</strong>s</strong> péripéties<br />
du mariage clôt l’acte. Averti par un bill<strong>et</strong> <strong>de</strong> Lucinda que lui rem<strong>et</strong> Dorotea <strong>et</strong><br />
qui lui annonce son prochain mariage, Car<strong>de</strong>nio se rend sur les lieux. Caché<br />
comme l’est Dorotea, il est témoin <strong>de</strong> l’acceptation <strong>de</strong> Lucinda après que son père<br />
lui a ordonné <strong>de</strong> donner sa main au Marquis (« Sí la doy, pero forzada : / ¡pongo<br />
por testigo al Cielo! », vers 1985-1987 [« Oui, je la donne, mais contrainte : / que<br />
le Ciel m’en soit témoin ! »]). Après son départ, la scène continue comme chez<br />
Cervantès avec l’évanouissement <strong>de</strong> Lucinda, la découverte du bill<strong>et</strong> <strong>et</strong> du poignard<br />
qu’elle celait sur son sein, la fureur du Marquis <strong>et</strong>, finalement, la fuite <strong>de</strong> la jeune<br />
fille. Guillén <strong>de</strong> Castro n’a donc pas manqué d’exploiter la théâtralité déjà présente<br />
dans le récit en prose, mais il l’a con<strong>de</strong>nsée dans une action rapi<strong>de</strong> (moins d’une<br />
centaine <strong>de</strong> vers séparent l’entrée du père <strong>de</strong> Lucinda accompagné du Marquis <strong>et</strong><br />
le départ <strong>de</strong> Lucinda, au milieu <strong>de</strong> la plus gran<strong>de</strong> confusion) qui culmine avec<br />
l’acceptation forcée <strong>de</strong> la jeune fille.<br />
C<strong>et</strong>te brièv<strong>et</strong>é n’est pas sans modifier profondément la signification <strong>de</strong> la scène.<br />
Chez Cervantès, elle respecte à la l<strong>et</strong>tre le rituel catholique du mariage. C’est un<br />
prêtre qui prononce les paroles rituelles : « Je dirai, poursuivit Car<strong>de</strong>nio, qu’étant<br />
tous réunis dans la salle le curé <strong>de</strong> la paroisse entra ; <strong>et</strong> leur prenant à tous <strong>de</strong>ux<br />
la main pour faire ce qui en tel cas est requis, il vint à dire : “Voulez-vous prendre<br />
Madame Luscinda, le seigneur don Fernando ici présent pour votre légitime époux,<br />
ainsi que l’ordonne notre sainte mère l’Église ?” ». Les oui <strong><strong>de</strong>s</strong> époux <strong>et</strong> l’anneau<br />
passé au doigt <strong>de</strong> Luscinda les unissent à jamais : « je l’entendis déclarer d’une voix<br />
faible <strong>et</strong> mourante : “Oui, je le veux”. Don Fernando répondit <strong>de</strong> même <strong>et</strong>, tandis<br />
qu’il lui passait l’anneau, ils se trouvèrent unis d’un indissoluble nœud. »<br />
Le ressort dramatique dans le Quichotte vient du fait que ce mariage, célébré en<br />
pleine conformité avec le rituel <strong>de</strong> l’Eglise, l’est entre <strong>de</strong>ux époux qui sont déjà<br />
unis à un autre conjoint par la promesse qu’ils lui ont faite. Dorotea rappelle<br />
qu’elle n’a cédé à Fernando qu’après les serments réitérés <strong>de</strong> celui-ci qui, au moment
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 479<br />
<strong>de</strong> la quitter, lui passe un anneau au doigt. Pour Dorotea, l’union célébrée entre<br />
Fernando <strong>et</strong> Luscinda est pour celui-ci un « second mariage » dont le départ brutal<br />
<strong>de</strong> Fernando puis la fuite <strong>de</strong> Luscinda ont empêché la consommation. Elle voit là<br />
une raison pour gar<strong>de</strong>r espoir en la possible annulation <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te secon<strong>de</strong> union.<br />
C’est c<strong>et</strong>te même puissance <strong>de</strong> la parole donnée, suffisante pour que le mariage<br />
soit reconnu <strong>et</strong> consacré, qui fait affirmer à Luscinda dans le bill<strong>et</strong> trouvé sur son<br />
sein après son évanouissement qu’elle est déjà l’épouse <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio.<br />
La restauration <strong><strong>de</strong>s</strong> premières unions, fondées sur l’échange <strong>de</strong> promesses, sans<br />
cérémonie, sans présence ecclésiastique, sans accord <strong><strong>de</strong>s</strong> pères, suppose, dans<br />
l’histoire <strong>de</strong> Cervantès, que soit reconnu le primat <strong>de</strong> la parole donnée sur le rituel<br />
religieux <strong>et</strong> que soit annulé le mariage célébré entre Fernando <strong>et</strong> Luscinda. C’est<br />
ce que répètent les mots <strong>de</strong> Dorotea, qui s’est j<strong>et</strong>ée aux pieds <strong>de</strong> Fernando lorsque<br />
les <strong>de</strong>ux couples se r<strong>et</strong>rouvent <strong>et</strong> se reconnaissent dans l’auberge <strong>de</strong> Juan<br />
Palomeque. Mais c’est surtout ce que confirme le curé qui rappelle au fils du duc<br />
l’obligation aristocratique <strong>et</strong> chrétienne qu’entraîne une promesse <strong>de</strong> mariage tout<br />
en justifiant les unions socialement inégales lorsqu’elles sont accompagnées par<br />
d’honnêtes sentiments. Fernando entend ces raisons, revient à Dorotea <strong>et</strong> à sa<br />
promesse, <strong>et</strong> rend Luscinda à son Car<strong>de</strong>nio. L’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> amants enfin réunis n’en<br />
dit pas plus sur la manière dont <strong>de</strong>vra <strong>et</strong> pourra être annulée l’union célébrée dans<br />
la maison <strong><strong>de</strong>s</strong> parents <strong>de</strong> Luscinda.<br />
En un temps où est vive la tension entre ces <strong>de</strong>ux définitions du mariage, celle<br />
qui tient pour nécessaire mais suffisant l’échange <strong><strong>de</strong>s</strong> consentements <strong>et</strong> celle qui<br />
suppose la parole sacerdotale, Guillén <strong>de</strong> Castro a préféré éviter la difficulté.<br />
Lucinda donne sa main au Marquis sur l’injonction <strong>de</strong> son père, mais en l’absence<br />
<strong>de</strong> tout prêtre aucune parole rituelle n’est prononcée avant le départ du Marquis à<br />
la suite du violent affrontement qui l’oppose à Teodoro. De semblable manière,<br />
Guillén <strong>de</strong> Castro édulcore la signification <strong>de</strong> la parole donnée par le Marquis à<br />
Dorotea. Certes, il lui a promis <strong>de</strong> l’épouser, mais comme l’atteste le dialogue entre<br />
Car<strong>de</strong>nio <strong>et</strong> le Marquis qui suit c<strong>et</strong> aveu, <strong>et</strong> qui est un très bref rappel <strong>de</strong> la scène<br />
<strong>de</strong> la séduction <strong>de</strong> Dorotea, c<strong>et</strong>te promesse n’est pas considérée comme suffisante<br />
pour sceller une union matrimoniale. La promesse <strong>de</strong> mariage est ici privée <strong>de</strong> la<br />
force sacramentelle qu’elle conserve dans le récit <strong>de</strong> Cervantès. Jamais Dorotea,<br />
trahie par son séducteur, ou Lucinda, promise contre son gré à un homme qu’elle<br />
n’aime pas, n’invoquent dans la comedia une promesse qui serait un premier<br />
mariage. Une telle pru<strong>de</strong>nce rend plus aisé le dénouement, sans nécessité<br />
d’annulation d’une précé<strong>de</strong>nte union <strong>et</strong> sans excessive contradiction entre les<br />
paroles qui furent données <strong>et</strong> une cérémonie déjà célébrée.<br />
Dans le second acte, plus encore que dans le premier, don Quichotte remplit<br />
l’emploi du « gracioso », du personnage grotesque <strong>et</strong> burlesque. La servante qui<br />
accompagne Lucinda le prend au mot lorsqu’il affirme qu’il est capable <strong>de</strong> vaincre<br />
dix géants <strong>et</strong> <strong>de</strong> défendre <strong>de</strong>ux femmes en même temps, en l’occurrence Lucinda <strong>et</strong><br />
Dorotea: « Para estas ocasiones / soy Leandro el Animoso » (vers 1599-1600) [« En
480 ROGER CHARTIER<br />
ces occasions / je suis Léandre le vaillant »]. La spirituelle « doncella » entre<br />
immédiatement dans le jeu <strong>et</strong> déclare que s’il est Léandre, elle est Héro. Comme la<br />
prêtresse <strong>de</strong> Vénus, elle allumera un flambeau au somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> la tour où elle attendra<br />
son amoureux. La flamme lui indiquera qu’il peut se j<strong>et</strong>er à la mer <strong>et</strong> traverser<br />
l’Hellespont pour la rejoindre. Sous les moqueries <strong>de</strong> la duègne <strong>de</strong> Lucinda, don<br />
Quichotte <strong>et</strong> la servante échangent les paroles que requièrent leurs nouveaux<br />
personnages : « Don Quijote : Répétons ce que vous direz / quand j’arriverai dans<br />
vos bras / mouillé <strong>et</strong> détruit » — « Je te dirai quand tu arriveras, / moins chau<strong>de</strong> que<br />
froi<strong>de</strong> / dans tes har<strong><strong>de</strong>s</strong> mouillées / ‘Ah ! Léandre <strong>de</strong> mes yeux !’ » (vers 1896-1898).<br />
« ¡Ay, Leandro <strong>de</strong> mis ojos! » : ce vers est une parodie <strong><strong>de</strong>s</strong> romances qui s’étaient<br />
emparés <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> Héro <strong>et</strong> Léandre transmise par les auteurs anciens. L’histoire,<br />
mise en vers par Musée <strong>et</strong> Ovi<strong>de</strong> dans les Héroï<strong><strong>de</strong>s</strong> (livres XVII-XVIII) est évoquée<br />
par Virgile dans les Géorgiques (Livre III, vers 257-263). En introduisant ce motif<br />
dans sa « comedia », alors qu’il n’apparaît pas dans le répertoire <strong><strong>de</strong>s</strong> rôles endossés par<br />
le héros chez Cervantès, Guillén <strong>de</strong> Castro s’amuse à une double parodie : d’une<br />
part, celle <strong><strong>de</strong>s</strong> romances qui narraient la triste histoire <strong>de</strong> Léandre, noyé une nuit où le<br />
vent a éteint la flamme qui le guidait, <strong>et</strong> <strong>de</strong> Héro, qui s’est j<strong>et</strong>ée du haut <strong>de</strong> la tour où<br />
elle l’attendait (l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> plus fameux est le romance burlesque <strong>de</strong> Góngora <strong>de</strong> 1589) ;<br />
d’autre part, celle <strong><strong>de</strong>s</strong> comédies mythologiques, telle la pièce intitulée Ero y Leandro<br />
que Lope <strong>de</strong> Vega mentionne dans la liste <strong>de</strong> ses comedias qu’il publie en 1604 dans<br />
la préface son roman chrétien, El peregrino en su patria.<br />
La transformation <strong>de</strong> don Quichotte en Léandre perm<strong>et</strong> également à Guillén <strong>de</strong><br />
Castro <strong>de</strong> situer, juste avant la tension dramatique <strong>de</strong> la scène du mariage, un<br />
moment <strong>de</strong> franc comique. Don Quichotte, convaincu d’être au bord <strong>de</strong> la mer <strong>et</strong><br />
d’apercevoir le flambeau allumé par Héro, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Sancho <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>r à ôter ses<br />
vêtements, avant <strong>de</strong> se j<strong>et</strong>er dans l’Hellespont imaginaire qu’est la scène du théâtre<br />
où il se m<strong>et</strong> à nager : « Va nadando por el tablado, como si estuviera <strong>de</strong>ntro <strong>de</strong>l<br />
agua » / « Il nage sur les planches, comme s’il était dans l’eau ». Sancho craint fort<br />
que son maître ne tombe <strong>de</strong> la scène (« ¡Qué te vas a <strong><strong>de</strong>s</strong>peñar! », vers 1893 [« Tu<br />
vas basculer ! »]), mais celui-ci sort en nageant <strong>et</strong> en se lamentant <strong>de</strong> ne point être<br />
accueilli par sa chère Héro. Don Quichotte remplit ainsi parfaitement le rôle <strong>de</strong><br />
« gracioso », <strong>de</strong> personnage comique <strong>et</strong> risible que lui a assigné Guillén <strong>de</strong> Castro.<br />
La duègne <strong>de</strong> Lucinda lui reconnaît explicitement c<strong>et</strong> emploi lorsqu’elle s’exclame :<br />
« ¡El loco es gracioso! » (vers 1669), ce qui est dire à la fois que ce fou est amusant<br />
<strong>et</strong> qu’il compose à merveille l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages obligés <strong>de</strong> toute comedia.<br />
Dans sa pièce, Guillén <strong>de</strong> Castro donne au Duc une importance qu’il n’a pas<br />
chez Cervantès. Dès le début du troisième acte, <strong>de</strong> la troisième « jornada », il<br />
accueille les plaintes <strong>de</strong> Teodoro <strong>et</strong> <strong>de</strong> Fi<strong>de</strong>no, qui lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt justice pour le<br />
tort que son fils le Marquis a fait à leurs filles respectives : Lucinda, enlevée alors<br />
qu’elle se déclare dans le bill<strong>et</strong> trouvée sur elle épouse <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, <strong>et</strong> Dorotea,<br />
enlevée elle aussi. Les <strong>de</strong>ux pères s’adressent à l’autorité suprême du Duc pour qu’il<br />
leur ren<strong>de</strong> leur honneur. Teodoro lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> son se<strong>cours</strong> pour laver l’affront qui
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 481<br />
lui a été fait <strong>et</strong> c’est une même raison qui conduit Fi<strong>de</strong>no auprès du Duc. Guillén<br />
<strong>de</strong> Castro noue ainsi le thème fréquent dans les comedias <strong>de</strong> l’honneur insulté, qui<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> réparation, <strong>et</strong> la figure du prince souverain dont seule la justice peut<br />
châtier les coupables <strong>et</strong> rétablir dans leur dignité ceux <strong>et</strong> celles qui furent leurs<br />
victimes. Bien plus que l’histoire écrite par Cervantès, la comedia <strong>de</strong> Guillén <strong>de</strong><br />
Castro exalte le pouvoir du prince, arbitre <strong><strong>de</strong>s</strong> conflits <strong>et</strong> garant <strong><strong>de</strong>s</strong> unions. On le<br />
voit lorsqu’il lève l’épée contre le Marquis, avant <strong>de</strong> le faire désarmer, <strong>et</strong> au<br />
dénouement <strong>de</strong> la pièce, c’est sous son autorité que Car<strong>de</strong>nio donne sa main à<br />
Lucinda <strong>et</strong> que le Marquis obtient son pardon en épousant Dorotea.<br />
Mais les unions qui avaient été nouées par les engagements échangés entre les<br />
amants ne peuvent advenir qu’une fois restauré l’accord qui doit exister entre le<br />
caractère <strong>et</strong> l’état. Comme l’a tant <strong>de</strong> fois pressenti ou désiré le Duc, qui reconnaissait<br />
son fils dans le valeureux Car<strong>de</strong>nio bien plus que dans le vil Marquis, les <strong>de</strong>ux<br />
enfants ont bel <strong>et</strong> bien été échangés. Sur son lit <strong>de</strong> mort, comme le rapporte<br />
Lisardo, sa femme a confessé <strong>de</strong>vant un notaire <strong>et</strong> <strong>de</strong> nombreux témoins que<br />
Car<strong>de</strong>nio n’était pas son fils, mais le fils du duc qu’elle avait reçu en nourrice, <strong>et</strong><br />
que le Marquis était, lui, le fils qu’elle avait eu avec son mari. L’histoire confirme<br />
non seulement les sentiments du Duc mais aussi la règle qui gouverne<br />
immanquablement la relation entre les vertus <strong>et</strong> les conditions. En faisant du<br />
valeureux Car<strong>de</strong>nio un fils <strong>de</strong> paysan qui, en fait, était celui d’un duc, Guillén <strong>de</strong><br />
Castro ajoute une péripétie romanesque, dans le goût <strong><strong>de</strong>s</strong> histoires tragiques <strong>et</strong><br />
sentimentales, au récit qui inspire sa pièce. Mais il fait plus. Il rappelle aux<br />
spectateurs <strong>et</strong> aux lecteurs que l’ordre social obéit à <strong><strong>de</strong>s</strong> lois infaillibles qui font que<br />
bon sang ne saurait mentir.<br />
Comme dans la comedia El Curioso impertinente, que Guillén <strong>de</strong> Castro composa<br />
dans les mêmes années que Don Quijote <strong>de</strong> la Macha, entre 1607 <strong>et</strong> 1609, il adapte<br />
avec liberté une « nouvelle » rencontrée dans le livre récemment paru <strong>de</strong> Cervantès.<br />
Dans les <strong>de</strong>ux pièces, il invente <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages absents du premier récit <strong>et</strong> modifie<br />
l’intrigue selon les nécessités du théâtre — ou <strong>de</strong> l’idéologie. Aux r<strong>et</strong>ours sur le<br />
passé <strong>de</strong> Don Quichotte est ainsi substitué le déroulement chronologique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
événements ; à l’égalité <strong>de</strong> conditions entre Car<strong>de</strong>nio <strong>et</strong> Luscinda, la fable du fils<br />
<strong>de</strong> duc pris pour un fils <strong>de</strong> paysan, <strong>et</strong> à l’absence du Duc, son autorité souveraine,<br />
seule capable <strong>de</strong> régler les conflits <strong>et</strong> <strong>de</strong> sceller les unions. Mais à la différence du<br />
Curioso impertinente, véritable « novela » sans rapport avec les exploits du chevalier<br />
errant qui n’en est pas même auditeur, les amours <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio <strong>et</strong> Luscinda, <strong>de</strong><br />
Dorotea <strong>et</strong> <strong>de</strong> Fernando étaient fortement <strong>et</strong> durablement imbriqués avec les<br />
extravagances <strong>de</strong> don Quichotte. Guillén <strong>de</strong> Castro a pris le parti <strong>de</strong> conserver<br />
c<strong>et</strong>te trame complexe <strong>et</strong>, s’il a détaché les scènes où « el loco es gracioso », comme<br />
dit la duègne, <strong>et</strong> où la folie <strong>de</strong> don Quichotte le m<strong>et</strong> dans <strong><strong>de</strong>s</strong> situations ridicules<br />
<strong>et</strong> grotesques (don Quichotte battu par les serviteurs du Marquis, don Quichotte<br />
traversant la scène en nageant, don Quichotte dans sa cage), il a multiplié les<br />
rencontres <strong>et</strong> les dialogues où se croisent le héros <strong>et</strong> les autres personnages. La<br />
double désignation <strong>de</strong> la pièce, « Don Quichotte <strong>de</strong> la Manche, ou les fils
482 ROGER CHARTIER<br />
échangés », exprime bien le lien maintenu entre les <strong>de</strong>ux histoires : celle <strong>de</strong><br />
Car<strong>de</strong>nio, celle <strong>de</strong> don Quichotte.<br />
En allait-il <strong>de</strong> même dans la pièce représentée quelques années plus tard à<br />
Whitehall ? Si le Don Quijote <strong>de</strong> la Mancha <strong>de</strong> Guillén était très largement l’histoire<br />
<strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, le Car<strong>de</strong>nio joué par les King’s Men était-il aussi l’histoire <strong>de</strong> don<br />
Quichotte ? De l’œuvre, il ne subsiste aucun manuscrit <strong>et</strong> elle n’a jamais été<br />
imprimée. L’historien en est donc réduit à <strong><strong>de</strong>s</strong> hypothèses. Un second détour par<br />
le continent, en <strong>France</strong> c<strong>et</strong>te fois-ci, peut ai<strong>de</strong>r à les étayer.<br />
Paris, 1628<br />
En 1628, les comédiens <strong>de</strong> l’Hôtel <strong>de</strong> Bourgogne jouèrent une pièce d’un auteur<br />
dont on ne sait presque rien, pas même le prénom : Pichou. Un an plus tard, le<br />
26 août 1629, le libraire parisien François Targa, reçoit un privilège <strong>de</strong> six ans pour<br />
la publication <strong>de</strong> l’œuvre, intitulée Les Folies <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio. Achevée d’imprimer en<br />
septembre, le livre comportant la pièce <strong>et</strong> les « Autres œuvres poëtiques du Sieur<br />
Pichou » (à savoir six poèmes) paraîtra avec la date <strong>de</strong> 1630. Les Folies <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio<br />
sont l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre pièces composées par Pichou dans les trois années précédant<br />
sa mort, survenue sans doute à la fin <strong>de</strong> 1630 ou au commencement <strong>de</strong> 1631. Les<br />
trois autres, elles aussi donnés à l’Hôtel <strong>de</strong> Bourgogne entre 1628 <strong>et</strong> 1630, sont<br />
Les Avantures <strong>de</strong> Rosileon, tirée <strong>de</strong> l’Astrée, L’Infi<strong>de</strong>le confi<strong>de</strong>nte, inspirée par une<br />
nouvelle <strong>de</strong> Céspe<strong><strong>de</strong>s</strong> y Meneses, traduite par Lancelot mais lue dans l’original<br />
castillan par Pichou, <strong>et</strong> La Filis <strong>de</strong> Scire, dont la source est une traduction française<br />
en prose d’une « favola pastorale » <strong>de</strong> Guidobaldo Bonarelli <strong>de</strong>lla Rovere. Dans<br />
leurs éditions <strong>de</strong> 1630 <strong>et</strong> 1631, Les Folies <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio <strong>et</strong> L’Infi<strong>de</strong>le Confi<strong>de</strong>nte sont<br />
qualifiées au titre <strong>de</strong> « tragi-comédie », La Filis <strong>de</strong> Scire <strong>de</strong> « comédie-pastorale ».<br />
La pièce <strong>de</strong> Pichou est la première adaptation théâtrale en <strong>France</strong> <strong>de</strong> Don<br />
Quichotte. Tout comme en Angl<strong>et</strong>erre, l’histoire écrite par Cervantès avait circulé<br />
<strong>de</strong> diverses manières <strong>et</strong> était <strong>de</strong>venu fameuse. Dès 1608 <strong>et</strong> 1609, Nicolas Baudoin<br />
<strong>et</strong> un traducteur anonyme en avaient donné <strong><strong>de</strong>s</strong> extraits en français : le premier en<br />
traduisant la « Nouvelle du Curieux impertinent » dans une édition qui proposait<br />
face à face le texte espagnol <strong>et</strong> le texte français, le second en publiant selon la même<br />
formule une traduction <strong><strong>de</strong>s</strong> amours tragiques du berger Chrysostome (rebaptisé<br />
Philidon) <strong>et</strong> <strong>de</strong> Marcelle, racontés par Cervantès aux chapitres XII <strong>et</strong> XIII, <strong>et</strong> en y<br />
insérant un dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> don Quichotte comparant les armes <strong>et</strong> les l<strong>et</strong>tres qui suivait<br />
celui qu’il prononce aux chapitres XXXVII <strong>et</strong> XXVIII, mais qui reprenait mais<br />
aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments du chapitre XXI.<br />
Après ces traductions partielles, qui anticipent sur toutes les adaptations qui<br />
s’attacheront aux « nouvelles » plus qu’à la totalité <strong>de</strong> l’histoire, la première<br />
traduction complète <strong>de</strong> l’histoire, due à César Oudin, paraît en 1614. Celle <strong>de</strong> la<br />
Secon<strong>de</strong> partie est publiée en 1618 dans une traduction <strong>de</strong> François <strong>de</strong> Ross<strong>et</strong>,<br />
traducteur avec François d’Audiguier <strong><strong>de</strong>s</strong> Nouvelles exemplaires en 1615 <strong>et</strong>, c<strong>et</strong>te<br />
même année 1618, <strong><strong>de</strong>s</strong> Epreuves <strong>et</strong> Travaux <strong>de</strong> Persilès <strong>et</strong> Sigismunda, le <strong>de</strong>rnier
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 483<br />
roman <strong>de</strong> Cervantès, publié <strong>de</strong> manière posthume en 1617. Les rééditions <strong>de</strong> la<br />
traduction <strong>de</strong> la Première partie (en 1616, 1620, 1625), celle <strong>de</strong> la Secon<strong>de</strong> en<br />
1622 chez Denis Moreau, ainsi que la première édition qui rassemble les <strong>de</strong>ux<br />
parties en 1625 attestent le succès <strong>de</strong> l’œuvre, d’autant que <strong>de</strong> nombreux lecteurs<br />
l’ont sans doute lue dans le texte original. Cervantès en donne lui-même témoignage.<br />
Après être entrés dans le royaume <strong>de</strong> <strong>France</strong>, les pèlerins du Persilès n’ont aucune<br />
difficulté à se faire entendre <strong><strong>de</strong>s</strong> trois belles dames françaises rencontrées dans une<br />
hôtellerie provençale, qui s’approchent d’Auristela <strong>et</strong> Costanza : « Elles leur<br />
adressèrent la parole, leur <strong>de</strong>mandant qui elles étaient, en castillan, car elles avaient<br />
reconnu <strong><strong>de</strong>s</strong> Espagnoles en ces pélerins ; or, en <strong>France</strong>, il n’est homme ni femme<br />
qui laisse d’apprendre la langue castillane. » L’exagération est évi<strong>de</strong>nte mais,<br />
néanmoins, il est certain que la connaissance <strong>de</strong> l’espagnol était fort répandue<br />
parmi les élites françaises du premier XVII e siècle.<br />
Mais tout comme en Espagne <strong>et</strong> en Amérique, don Quichotte <strong>et</strong> Sancho sortirent<br />
très tôt <strong><strong>de</strong>s</strong> pages <strong><strong>de</strong>s</strong> livres qui, en castillan ou en français, disent leur histoire. Ils<br />
sont présents dans les ball<strong>et</strong>s <strong>et</strong> les mascara<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la Cour. Le 3 février 1614, quatre<br />
mois avant la publication <strong>de</strong> César Oudin, le Ball<strong>et</strong> <strong>de</strong> Don Quichot est dansé au<br />
Louvre, <strong>et</strong> le 29 janvier 1620, dans ce même Louvre <strong>et</strong> en présence du roi, don<br />
Quichotte apparaît dans un autre ball<strong>et</strong> intitulé Les Chercheurs <strong>de</strong> Midy à Quatorze<br />
Heures. Dans une mascara<strong>de</strong>, L’Entrée en <strong>France</strong> <strong>de</strong> Don Quichot <strong>de</strong> la Manche (sans<br />
doute représentée entre 1616 <strong>et</strong> 1625), le chevalier errant est escorté par ses<br />
prédécésseurs (les chevaliers <strong>de</strong> la Table ron<strong>de</strong>, les Amadis, Magis d’Aigremont, les<br />
quatre fils Aymon, Astolphe) <strong>et</strong> il est accompagné par Sancho, le curé, le barbier<br />
<strong>et</strong> le géant Ferragus, gar<strong>de</strong> du corps <strong>de</strong> Dulcinée. Après que les ambassa<strong>de</strong>urs <strong>de</strong><br />
la Reine <strong>de</strong> Chine <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Infante <strong><strong>de</strong>s</strong> Isles fortunées lui ont remis les l<strong>et</strong>tres <strong>de</strong> leurs<br />
souveraines qui lui prom<strong>et</strong>tent leur royaume <strong>et</strong> leur personne, c’est la princesse<br />
Micomicona qui lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> le se<strong>cours</strong> <strong>de</strong> son bras. Mais, défié par un chevalier<br />
suédois, le chevalier espagnol se révèle n’être qu’un bravache sans courage, qui<br />
s’enfuit au premier coup <strong>de</strong> feu. À n’en pas douter, la mascara<strong>de</strong> mobilise la figure<br />
classique du matamore espagnol au service d’une politique, celle qui récuse l’alliance<br />
du roi <strong>de</strong> <strong>France</strong> avec l’Espagne, nouée par les mariages <strong>de</strong> 1614 <strong>et</strong> enjeu<br />
fondamental dans la guerre européenne qui durera trente ans, commencée en<br />
Bohême en 1618.<br />
Pichou pouvait donc aisément jouer avec la familiarité avec une histoire déjà<br />
connue <strong>de</strong> la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> spectateurs avait déjà. Il ne manque pas l’allusion à l’un <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
plus célèbres épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> livre 1605 : le combat contre les moulins à vent. Son don<br />
Quichotte se désigne à l’acte III comme « Celui qui, malgré l’art <strong><strong>de</strong>s</strong> enchanteurs<br />
malins / Domte <strong><strong>de</strong>s</strong> Rodomons transformez en moulins » (vers 993-994). La scène<br />
était <strong>de</strong>venu si fameuse, tant en Angl<strong>et</strong>erre qu’en <strong>France</strong>, que le frontispice <strong>de</strong> la<br />
traduction française <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> partie en 1618, qui est la première gravure à<br />
montrer dans une édition du texte don Quichotte <strong>et</strong> Sancho au naturel (sans recourir<br />
comme les éditions lisboètes ou valencienne <strong>de</strong> 1605 à un bois utilisé pour <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
romans <strong>de</strong> chevalerie), place un moulin au <strong>de</strong>rnier plan <strong>de</strong> l’image. Blount reprendra
484 ROGER CHARTIER<br />
la même gravure pour son édition <strong>de</strong> 1620 <strong>de</strong> la Secon<strong>de</strong> partie <strong>et</strong> l’insérera dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
exemplaires <strong>de</strong> la traduction <strong>de</strong> la première partie, qu’il avait publiée en 1612.<br />
Pichou n’a donc pas ignoré don Quichotte. Mais, comme l’indiquent le titre <strong>et</strong><br />
l’« Argument » <strong>de</strong> sa tragi-comédie, l’histoire principale qu’elle porte sur la scène est<br />
celle <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, pas celle du chevalier errant. Celui-ci n’apparaît qu’à la cinquième<br />
scène <strong>de</strong> l’acte III. Les <strong>de</strong>ux premiers actes sont donc entièrement consacrés à<br />
l’intrigue nouée par la trahison <strong>de</strong> Fernant (le Fernando <strong>de</strong> Pichou) qui, après avoir<br />
séduit Dorotée, s’en est éloigné <strong>et</strong> ne désire plus que conquérir Luscin<strong>de</strong>. Tout<br />
comme Guillén <strong>de</strong> Castro, Pichou ne manque pas <strong>de</strong> mobiliser sur le théâtre les<br />
ressources dramatiques <strong>de</strong> la scène du mariage entre Luscin<strong>de</strong> <strong>et</strong> Fernant, mais en les<br />
transformant à sa façon. Dans la comedia, la cérémonie est conduite par le père <strong>de</strong><br />
Lucinda qui enjoint à sa fille <strong>de</strong> donner sa main au Marquis sans qu’aucun prêtre ne<br />
soit présent, alors que le récit <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio chez Cervantès mentionnait le rôle central<br />
du curé <strong>de</strong> la paroisse dans le rituel ainsi que la formule catholique du consentement<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> époux. Pichou choisit une troisième voie en faisant officier un personnage<br />
nommé « le sacrificateur », qui ouvre le rituel en rappelant le rôle civilisateur du<br />
mariage <strong>et</strong>, également, la nécessité du consentement. Le « saint » mariage est ainsi<br />
détaché <strong>de</strong> toute référence au rituel catholique <strong>et</strong> les serments ou promesses échangés<br />
par les jeunes gens ne sont que <strong><strong>de</strong>s</strong> signes leur fidélité amoureuse, sans la force<br />
sacramentelle <strong><strong>de</strong>s</strong> « espousailles », qui était le mot choisi par César Oudin pour<br />
traduire, lors <strong>de</strong> la scène <strong>de</strong> séduction <strong>de</strong> Dorotea par Fernando, le terme <strong>de</strong><br />
« <strong><strong>de</strong>s</strong>posorio » utilisé par Cervantès. Faut-il voir dans c<strong>et</strong>te double récusation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
définitions chrétiennes du mariage une pru<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> Pichou, réticent à m<strong>et</strong>tre sur la<br />
scène <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes d’Eglise puisque, <strong>de</strong> même façon, le curé du village <strong>de</strong> don<br />
Quichotte, désigné comme tel par Cervantès <strong>et</strong> Guillén <strong>de</strong> Castro, n’apparaît chez<br />
lui que comme « le licentié »? Ou bien doit-on interpréter la théologie toute naturelle<br />
du « sacrificateur » comme une trace <strong><strong>de</strong>s</strong> idées <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> amitiés libertines <strong>de</strong> Pichou,<br />
qui avait consacré un long poème intitulé « Stances sur la mort <strong>de</strong> Théophile en l’an<br />
1626 » à Théophile <strong>de</strong> Viau, le poète que le parlement <strong>de</strong> Paris a condamné par<br />
contumace à être brûlé vif pour crime <strong>de</strong> lèse majesté divine en 1623 <strong>et</strong> qui est mort<br />
à Paris trois ans plus tard, après plusieurs mois d’incarcération <strong>et</strong> <strong>de</strong> service dans les<br />
armées <strong>de</strong> Montmorency ?<br />
Dans les <strong>de</strong>ux premières scènes du troisième acte Pichou fait montre <strong>de</strong> sa maîtrise<br />
en contrastant l’immense monologue <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio « dans le <strong><strong>de</strong>s</strong>ert », long <strong>de</strong><br />
118 alexandrins, <strong>et</strong> les six strophes <strong><strong>de</strong>s</strong> stances <strong>de</strong> Luscin<strong>de</strong> « dans le monastere ». Le<br />
monologue est un bel exemple <strong>de</strong> la poésie du macabre qui caractérise l’esthétique<br />
qu’il est convenu, après Rouss<strong>et</strong>, <strong>de</strong> qualifier <strong>de</strong> baroque. Il se déploie en plusieurs<br />
temps. Le premier est, pour Car<strong>de</strong>nio, celui d’une plainte qui dit sa douleur <strong>de</strong>vant la<br />
double trahison (« Un rival me trahit <strong>et</strong> Luscin<strong>de</strong> me quitte », vers 704), la peine<br />
suscitée par la perte <strong>de</strong> l’être aimé, le regr<strong>et</strong> <strong>de</strong> n’avoir pas tiré vengeance <strong>de</strong> l’insulte :<br />
« Au lieu que je pouvais, irrité par l’injure, / Chastier l’inconstante <strong>et</strong> punir le parjure »<br />
(vers 719-720). Seule la mort espérée pourra m<strong>et</strong>tre fin à un sort si malheureux.
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 485<br />
« C’est trop peu d’un transport si paisible <strong>et</strong> si doux, / Il faut que mon esprit<br />
s’abandonne au courroux » (vers 737-738) : avec ces vers la plainte <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio se<br />
fait plus violente <strong>et</strong> emplit la nature toute entière. Les fleurs, les rochers, les arbres<br />
doivent entendre le « bruit affreux » <strong>de</strong> ses pleurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses sanglots. La didascalie<br />
indique que le mo<strong>de</strong> du monologue a changé : « Il entre en folie. » Celle-ci, comme<br />
dans tant d’autres œuvres qui, elles aussi, ont mis en vers ce motif obligé, s’exprime<br />
par les visions <strong>de</strong> celui qui a perdu la raison. Renonçant à Luscin<strong>de</strong> (« Je brise vos<br />
liens, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>ja ces <strong><strong>de</strong>s</strong>ers / Offrent à mon désir <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s que je sers » (vers 757-<br />
758), Car<strong>de</strong>nio est transporté dans le mon<strong>de</strong> délicieux <strong><strong>de</strong>s</strong> amours pastorales où<br />
les » nymphes <strong>de</strong> ces forests » <strong>et</strong> les « <strong>de</strong>ïtez bocagères » (vers 759) méritent son<br />
amour bien mieux que la cruelle infidèle.<br />
L’enchantement <strong>de</strong> dure pas : « Mais le prompt changement qui m’arrive en ces<br />
lieux ! Quelle nouvelle horreur espouvante mes yeux » (vers 777-778). La vision <strong>de</strong><br />
béatitu<strong>de</strong> se change en vision effroyable. Corps morts <strong>et</strong> fantômes habitent un<br />
paysage bouleversé par d’horribles prodiges : « Ces arbres ont perdu leur figure <strong>et</strong><br />
leur rang, / Ce rocher est <strong>de</strong> flame, <strong>et</strong> ce fleuve est <strong>de</strong> sang » (vers 789-790). Dans<br />
son hallucination, Car<strong>de</strong>nio ne trouve son salut qu’en traversant à la nage le<br />
« torrent furieux » qui lui barre le passage. Sa folie métamorphose la nature au gré<br />
<strong>de</strong> ses imaginations successives. Le « changement » est la règle dans un mon<strong>de</strong> où<br />
la déraison fait <strong>de</strong> l’illusion une réalité plus réelle que celle livrée par les sens :<br />
« Spectres qui presentez dans l’horreur <strong><strong>de</strong>s</strong> tenebres / A nos sens endormis vos<br />
images funebres, / Ne sont-ce point icy vos fausses visions / Qui trompent mon<br />
esprit <strong>de</strong> ces illusions ? / Non, ces obj<strong>et</strong>s sont vrais, <strong>et</strong> ma peur qui redouble / Voit<br />
que la terre tremble, <strong>et</strong> que le ciel se trouble » (vers 783-787).<br />
Les stances <strong>de</strong> Luscin<strong>de</strong> opposent le silence du couvent aux visions furieuses <strong>de</strong><br />
Car<strong>de</strong>nio, la clôture du lieu saint à la nature ensauvagée, la paix r<strong>et</strong>rouvée aux<br />
tourments jamais apaisés. Pourtant, Luscin<strong>de</strong> n’y trouve pas le repos qu’inspire le<br />
« divin mouvement » (vers 831) capable <strong>de</strong> détourner du faux dieu <strong>de</strong> l’amour :<br />
« Mais que me servent ces exemples, / Puisque mon amour est si fort / Qu’il<br />
conserve un premier effort / Parmy la saint<strong>et</strong>é <strong><strong>de</strong>s</strong> temples ? » (vers 835-838). Sa<br />
passion est intacte, plus forte que la « celeste ar<strong>de</strong>ur » (vers 823) qui anime ses<br />
compagnes. Doit-on entendre c<strong>et</strong> avantage donné à la passion humaine sur l’amour<br />
divin, que rien ne suggère dans le texte <strong>de</strong> Cervantès, <strong>et</strong> encore moins dans la<br />
comedia <strong>de</strong> Guillén <strong>de</strong> Castro puisque Lucinda s’y réfugie chez une amie <strong>et</strong> non<br />
dans un monastère, comme un autre signe du libertinage <strong>de</strong> Pichou ? Peut-être.<br />
En tous cas, il lui perm<strong>et</strong>, après avoir construit les <strong>de</strong>ux monologues <strong>de</strong> façon<br />
antithétique, <strong>de</strong> montrer la commune passion qui les habite.<br />
C’est à scène V <strong>de</strong> ce troisième acte que don Quichotte <strong>et</strong> Sancho entrent en<br />
scène. Tout comme Guillén <strong>de</strong> Castro, Pichou s’appuie sur ce que les spectateurs<br />
savent déjà du personnage <strong>et</strong> <strong>de</strong> son histoire (le combat contre les moulins, on l’a<br />
dit, au vers 994, l’île promise à Sancho au vers 1003, le heaume <strong>de</strong> Mambrin au<br />
vers 1134) pour <strong><strong>de</strong>s</strong>siner un double portrait <strong>de</strong> don Quichotte : comme bravache,
486 ROGER CHARTIER<br />
selon le stéréotype <strong>de</strong> l’Espagnol pleutre <strong>et</strong> vantard, <strong>et</strong> comme amoureux. La<br />
rencontre avec Car<strong>de</strong>nio, qui « en folie sort d’un coin du bois », se j<strong>et</strong>te sur Sancho<br />
<strong>et</strong> le roue <strong>de</strong> coups, perm<strong>et</strong> à Pichou <strong>de</strong> lier les <strong>de</strong>ux histoires, les <strong>de</strong>ux folies. La<br />
folie hallucinée <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio <strong>et</strong> les illusions <strong>de</strong> don Quichotte, qui déchiffre le<br />
mon<strong>de</strong> avec les yeux <strong><strong>de</strong>s</strong> chevaliers <strong>de</strong> papier <strong>de</strong> ses chers romans, ne sont pas<br />
i<strong>de</strong>ntiques, mais toutes <strong>de</strong>ux participent d’une déraison qui dissocient les mots <strong>et</strong><br />
les choses.<br />
Partis à la recherche <strong>de</strong> don Quichotte dans son « <strong><strong>de</strong>s</strong>ert », le licencié <strong>et</strong> le curé<br />
savent l’ar<strong>de</strong>ur du chevalier pour c<strong>et</strong>te « beauté toute imaginaire » (vers 1144),<br />
pour c<strong>et</strong> « obj<strong>et</strong> chimérique » (vers 1152) qu’est Dulcinée. Leur rencontre avec<br />
Car<strong>de</strong>nio à la <strong>de</strong>uxième scène <strong>de</strong> l’acte IV offre à Pichou la possibilité d’un nouveau<br />
<strong>et</strong> fort contraste. La première réplique <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio « en folie » inverse le mouvement<br />
<strong>de</strong> son grand monologue <strong>de</strong> l’acte précé<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> conduit <strong><strong>de</strong>s</strong> ténébres à la lumière.<br />
La vision qu’il rappelle est celle d’un effroyable mon<strong>de</strong> à l’envers : « Tous les astres<br />
cachoient leurs visages ternis, / Et les quatre elemens paroissoient <strong><strong>de</strong>s</strong>unis ; / Le<br />
sejour <strong>de</strong> Pluton estoit <strong><strong>de</strong>s</strong>sus la terre, / Il avait <strong><strong>de</strong>s</strong>armé Jupiter du tonnerre. » (vers<br />
1189-1192). Seule l’apparition <strong>de</strong> Luscin<strong>de</strong> a rétabli dans son ordre c<strong>et</strong> univers<br />
déréglé <strong>et</strong>, ainsi, s’est apaisée la frayeur <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio : « Lors qu’un astre amoureux,<br />
forçant ces lieux funebres, / A fait sortir le jour du milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> tenebres » (vers<br />
1195-1196).<br />
La scène bascule alors dans le comique, voire la farce puisque, <strong><strong>de</strong>s</strong>sillé <strong>de</strong> son<br />
horrible hallucination <strong>et</strong> tout à l’exaltation <strong>de</strong> son « adorable merveille », Car<strong>de</strong>nio<br />
prend le barbier pour Luscin<strong>de</strong> <strong>et</strong> lui dit avec une explicite ar<strong>de</strong>ur le désir qui<br />
l’habite : « Nos esprits s’uniront sur les bors <strong>de</strong> nos bouches, / Mille amours<br />
voleront à l’entour <strong>de</strong> nos couches / Et, versant tous leurs traits sur nos corps<br />
embrassez, / Nous recompenseront <strong><strong>de</strong>s</strong> outrages passez. / Il me semble <strong><strong>de</strong>s</strong>ja que<br />
ma main se <strong><strong>de</strong>s</strong>robe / Aux merveilles que cache une envieuse robe, / <strong>et</strong> que ma<br />
passion languissante à <strong><strong>de</strong>s</strong>sein / S’egare entre les lys du visage <strong>et</strong> du sein » (vers<br />
1227-1234). Effarouché par ces extravagances, le barbier rapproche une nouvelle<br />
fois les <strong>de</strong>ux folies <strong>de</strong> don Quichotte <strong>et</strong> <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio (« En recherchant un fou, je<br />
treuve un insensé », vers 1222), avant que ce <strong>de</strong>rnier, interrompu par le licencié,<br />
ne l’agresse comme s’il était le parjure Fernant. Pour bâtir c<strong>et</strong>te scène burlesque,<br />
Pichou se souvient, à la fois, du chapitre XXVII, lorsque le barbier doit être déguisé<br />
en <strong>de</strong>moiselle affligée dans le stratagème inventé par le curé pour ramener don<br />
Quichotte dans son village, <strong>et</strong> du chapitre XXIII, quand le chevrier raconte<br />
comment Car<strong>de</strong>nio, dans ses fureurs, a molesté l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> bergers en le traitant <strong>de</strong><br />
« fementido Fernando », <strong>de</strong> perfi<strong>de</strong> Fernando ». En les liant, il introduit dans sa<br />
tragi-comédie un moment <strong>de</strong> rire carnavalesque.<br />
À la <strong>de</strong>rnière scène <strong>de</strong> l’acte, don Quichotte persévère dans la double i<strong>de</strong>ntité<br />
que lui a donnée Pichou. Amoureux ridicule, il lit à Sancho la l<strong>et</strong>tre qu’il a écrite<br />
à Dulcinée <strong>et</strong> que Pichou a rédigée pour lui en alexandrins pompeux <strong>et</strong> convenus<br />
que l’édition présente sous le titre <strong>de</strong> « galimatias ». Ils se veulent un équivalent
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 487<br />
français <strong><strong>de</strong>s</strong> archaïsmes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> extravagances dont le premier don Quichotte, celui<br />
<strong>de</strong> Cervantès, a parsemé sa propre l<strong>et</strong>tre à Dulcinea <strong>de</strong>l Toboso. Bravache sans<br />
courage, le don Quichotte <strong>de</strong> Pichou est mis en fuite par Fernant, son écuyer <strong>et</strong><br />
l’ami qui les a accompagnés dans le monastère dont ils ont arraché Luscin<strong>de</strong>.<br />
Fernant rosse Sancho <strong>et</strong> se moque <strong>de</strong> don Quichotte.<br />
Au <strong>de</strong>rnier acte <strong>de</strong> la tragi-comédie, les « folies » <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio <strong>de</strong>viennent celles<br />
<strong>de</strong> don Quichotte. À l’instar <strong>de</strong> Guillén <strong>de</strong> Castro, Pichou achève sa pièce avec<br />
l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> folies <strong>de</strong> l’hidalgo. Il ne choisit pas celle où le chevalier mis en cage se<br />
croit victime d’un enchantement. Il préfère faire r<strong>et</strong>our au chapitre XXXV, lorsque<br />
le chevalier errant dit avoir vaincu le géant usurpateur du royaume <strong>de</strong> la princesse<br />
Micomicona. Mais le temps <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre fin à la feinte n’est pas encore venue <strong>et</strong> la<br />
tragi-comédie s’achève avec le départ <strong>de</strong> don Quichotte en route pour le royaume<br />
<strong>de</strong> l’infante restaurée dans son droit. Dorotée <strong>et</strong> Car<strong>de</strong>nio continuent l’artifice qui<br />
maintient don Quichotte dans sa fantaisie : « Menez-nous, gran<strong>de</strong> reyne, où<br />
l’honneur nous appelle, / Bastir les fon<strong>de</strong>mens d’une paix <strong>et</strong>ernelle » (vers<br />
2105-2106). Ainsi finit la comédie. Ou presque. Pichou, en eff<strong>et</strong>, conclut sa pièce<br />
avec un monologue désabusé <strong>de</strong> Sancho, r<strong>et</strong>iré <strong>de</strong> la fable. « Au diable soit le<br />
maistre <strong>et</strong> sa chevalerie ! / Ce penible mestier vient <strong>de</strong> sa resverie. / J’ay tout quitté<br />
pour luy, mes enfans, ma maison, / J’ay souffert mille maux, j’ay perdu mon<br />
grison : / O dieux, que je connay mon esperance vaine, / Que j’ay mal employé<br />
ma jeunesse <strong>et</strong> ma peine » (vers 2113-2118). Quarante plus tard, un autre serviteur,<br />
lui aussi désenchanté, réclamera ses gages à son maître précipité dans les flammes<br />
infernales.<br />
Des représentations <strong>de</strong> la tragi-comédie à l’Hôtel <strong>de</strong> Bourgogne, nous ne savons<br />
rien, hors son décor : au fond <strong>de</strong> la scène, un palais doté <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ailes, sur celle<br />
située côté cour se trouve la fenêtre où Luscin<strong>de</strong> apparaît à Car<strong>de</strong>nio (Acte II,<br />
scène 2) ; plus en avant, côté cour, l’ermitage où Dorotée a cherché refuge <strong>et</strong>, côté<br />
jardin, une maison au toit <strong>de</strong> chaume qui est la taverne d’où sortent les personnages<br />
au <strong>de</strong>rnier acte. En revanche les trois rééditions <strong>de</strong> la pièce en 1633 puis en 1634<br />
(l’une chez Clau<strong>de</strong> Mar<strong>et</strong>te en infraction du privilège <strong>de</strong> 1629, l’autre chez François<br />
Targa, qui avait publié les <strong>de</strong>ux premières), attestent le bon accueil <strong>de</strong> la pièce.<br />
Lecteur très attentif du texte <strong>de</strong> Cervantès, Pichou en a r<strong>et</strong>enu les « amoureuses<br />
traverses », comme il écrit dans son « Argument », qui lui perm<strong>et</strong>taient, tout<br />
ensemble, <strong>de</strong> pratiquer le genre nouveau <strong>de</strong> la tragi-comédie <strong>et</strong> <strong>de</strong> composer <strong>de</strong><br />
longs monologues poétiques mobilisant les motifs favoris d’une esthétique <strong>de</strong><br />
l’inconstance <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments, située entre les plaintes <strong>de</strong> la pastorale <strong>et</strong><br />
l’effroi du macabre. Dans les Folies <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, tout comme chez Guillén<br />
<strong>de</strong> Castro (en dépit du titre <strong>de</strong> la comedia), don Quichotte ne pouvait être que<br />
le contrepoint burlesque <strong><strong>de</strong>s</strong> infortunes <strong><strong>de</strong>s</strong> amants séparés. Il ne figure donc dans<br />
la pièce <strong>de</strong> Pichou qu’en relation avec eux : la rencontre avec Car<strong>de</strong>nio à l’acte III,<br />
la feinte <strong>de</strong> la princesse Micomicona à l’acte V. Mais, même ainsi cantonné, le<br />
personnage impose progressivement sa présence dans la tragi-comédie <strong>et</strong> ce sont<br />
ses extravagances qui ouvrent <strong>et</strong> achèvent le cinquième acte.
488 ROGER CHARTIER<br />
Les trois œuvres qui ont porté <strong><strong>de</strong>s</strong> épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> du livre <strong>de</strong> 1605 sur la scène (la<br />
comedia <strong>de</strong> Guillén <strong>de</strong> Castro, la pièce jouée à Londres, la tragi-comédie <strong>de</strong> Pichou)<br />
ont donc privilégié l’histoire sentimentale que Cervantès a croisée avec les exploits<br />
du chevalier <strong>et</strong> <strong>de</strong> son écuyer. Si dans les <strong>de</strong>ux textes qui nous sont parvenus grâce<br />
à leur éditions imprimées, ceux <strong>de</strong> Guillén <strong>de</strong> Castro <strong>et</strong> <strong>de</strong> Pichou, don Quichotte<br />
<strong>et</strong> Sancho ne sont pas absents, <strong>et</strong> même <strong>de</strong> plus en plus présents au fil <strong><strong>de</strong>s</strong> actes<br />
<strong>de</strong> la pièce française, ils <strong>de</strong>meurent comme un contrepoint comique dans une<br />
intrigue qui est d’abord celle du mélancolique <strong>et</strong> furieux Car<strong>de</strong>nio, du fourbe <strong>et</strong><br />
finalement généreux Fernando <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux jeunes femmes constantes dans leur<br />
amour.<br />
Dès les premiers temps <strong>de</strong> sa réception, Don Quichotte est apparu non seulement<br />
comme la parodie comique <strong><strong>de</strong>s</strong> romans <strong>de</strong> chevalerie (<strong>et</strong> d’autres genres, picaresque,<br />
pastoral ou théâtral), mais aussi comme une anthologie <strong>de</strong> « nouvelles » qui<br />
pouvaient fournir aux dramaturges une matière riche en coups <strong>de</strong> théâtre, en<br />
scènes dramatiques, en sentiments violents <strong>et</strong> contrastés. Guillén <strong>de</strong> Castro a lu<br />
ainsi le livre puisqu’il a porté sur les tréteaux <strong><strong>de</strong>s</strong> « corrales » non seulement l’histoire<br />
<strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, mais aussi celle du « Curioso impertinente ». Il a pu en aller <strong>de</strong> même<br />
dans l’Angl<strong>et</strong>erre <strong><strong>de</strong>s</strong> commencements du XVII e siècle où les adaptations théâtrales<br />
<strong>de</strong> nouvelles ou <strong><strong>de</strong>s</strong> romans étaient communes. La circulation du livre <strong>de</strong> Cervantès<br />
<strong>et</strong> sa traduction par Shelton offraient <strong>de</strong> nouvelles possibilités avec ses histoires<br />
emboîtées dans l’histoire, celles <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, du curieux impertinent <strong>et</strong> du captif<br />
évadé <strong><strong>de</strong>s</strong> bagnes d’Alger. En 1613, c’est la première histoire qui fut représentée<br />
par les King’s Men qui reçurent rétribution pour avoir diverti la cour. L’argent fut<br />
versé à John Heminge, l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> acteurs <strong>et</strong> propriétaires, ou « sharehol<strong>de</strong>rs » <strong>de</strong> la<br />
compagnie, <strong>et</strong> non pas à l’auteur, jamais nommé dans les comptes du trésorier <strong>de</strong><br />
la Chambre du Roi.<br />
Londres 1653<br />
Le 9 septembre 1653 le libraire Humphrey Moseley fait enregistrer par la<br />
communauté <strong><strong>de</strong>s</strong> libraires <strong>et</strong> imprimeurs londoniens, la Stationers’ Company, les<br />
titres <strong>de</strong> quarante <strong>et</strong> une pièces <strong>de</strong> théâtre sur lesquelles il possè<strong>de</strong> dès lors un<br />
« right in copy », c’est-à-dire un droit <strong>de</strong> propriété exclusive. Il lui en coûte<br />
20 shillings <strong>et</strong> 6 pence qui lui assurent, selon les règles <strong>de</strong> la communauté, le<br />
monopole <strong>de</strong> l’impression <strong><strong>de</strong>s</strong> œuvres qu’il a ainsi « entered », fait enregistrer. Parmi<br />
ces quarante <strong>et</strong> une pièces (<strong>et</strong> peut-être plus si l’on adm<strong>et</strong> que, pour réduire le droit<br />
versée à la Stationers’ Company, Moseley a présenté comme une seule pièce portant<br />
un double titre, selon un usage commun du temps, ce qui était en fait <strong>de</strong>ux pièces<br />
différentes), quatre sont attribuées à Master William Shakespeare: « Henry ye.<br />
First, & Hen: ye 2d. by Shakespeare, & Davenport », « The merry Devill of<br />
Edmonton. By Wm: Shakespeare », <strong>et</strong> « The History of Car<strong>de</strong>nio, by Mr Fl<strong>et</strong>cher.<br />
& Shakespeare ». Des <strong>de</strong>ux Henry, on ne sait rien, sinon qu’une pièce intitulée The<br />
History of Henry the First avait été autorisée, « licensed », en 1624 <strong>et</strong> attribuée alors<br />
à « Damport » (pour Davenport). The Merry Devill of Edmonton a pour sa part été
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 489<br />
enregistrée en 1607 <strong>et</strong> publiée quatre fois entre 1608 <strong>et</strong> 1653. Reste The History<br />
of Car<strong>de</strong>nio qui est sans doute la pièce jouée quarante ans plus tôt à Whitehall <strong>et</strong><br />
dont, pour la première fois, les auteurs sont nommés : Fl<strong>et</strong>cher <strong>et</strong> Shakespeare.<br />
En 1613, une telle collaboration entre les <strong>de</strong>ux auteurs est tout à fait<br />
vraisemblable puisqu’entre 1612 <strong>et</strong> 1614 ils composèrent ensemble <strong>de</strong>ux autres<br />
pièces : d’abord, All is True, <strong>de</strong>venue dans le Folio <strong>de</strong> 1623 The Famous History of<br />
the Life of Henry the Eight (Henry VIII) <strong>et</strong> qui fut peut-être écrite pour le mariage<br />
du 14 février 1613 entre la princesse Elizab<strong>et</strong>h <strong>et</strong> le prince Fre<strong>de</strong>rick, l’Électeur<br />
palatin ; ensuite, The Two Noble Kinsmen (Les <strong>de</strong>ux nobles cousins), publiée seulement<br />
en 1634. La page <strong>de</strong> titre indique que la pièce a été « Written by the memorable<br />
Worthies/ of their time / Mr. John Fl<strong>et</strong>cher, and / Mr. William Shakespeare. Gent. »<br />
dont les <strong>de</strong>ux noms sont enserrés dans une gran<strong>de</strong> accola<strong>de</strong> qui les unit, l’abréviation<br />
« Gent. » étant placée à la hauteur <strong>de</strong> l’interligne qui les sépare. The History <strong>de</strong><br />
Car<strong>de</strong>nio serait, à suivre le registre <strong>de</strong> la Stationer’s Company, la troisième <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
collaborations entre les <strong>de</strong>ux dramaturges.<br />
Le sort <strong><strong>de</strong>s</strong> trois pièces fut fort différent. Heminge <strong>et</strong> Con<strong>de</strong>ll exclurent<br />
The Two Noble Kinsmen du Folio <strong>de</strong> 1623, fidèle à leur proj<strong>et</strong> qui entend réunir,<br />
pour leur édition <strong><strong>de</strong>s</strong> « Comedies, Histories, & Tragedies » <strong>de</strong> Shakespeare, « his owne<br />
writings », ses propres écrits, comme ils le disent dans leur adresse « To the great<br />
Vari<strong>et</strong>y of Rea<strong>de</strong>rs ». À la différence du Folio <strong>de</strong> 1616 voulu par Ben Jonson <strong>et</strong> qui<br />
présente sous le titre <strong>de</strong> « THE WORKES OF Benjamin Jonson » seulement neuf<br />
<strong>de</strong> ses pièces, mais aussi ses masques, ses épigrammes <strong>et</strong> ses poèmes, le Folio<br />
construit par Heminge <strong>et</strong> Con<strong>de</strong>ll comprend toutes les œuvres théâtrales écrites<br />
par Shakespeare, soit dix-neuf pièces, dont les « rights in copy » ont été apportés ou<br />
rach<strong>et</strong>és à leurs confrères par les libraires du consortium, <strong>et</strong> dix-huit autres pièces<br />
jamais publiées <strong>et</strong> ach<strong>et</strong>ées à la troupe <strong><strong>de</strong>s</strong> King’s Men. Heminge <strong>et</strong> Con<strong>de</strong>ll n’ont<br />
donc r<strong>et</strong>enu que les pièces dont ils avaient la certitu<strong>de</strong> qu’elles avaient été produites<br />
par le seul génie <strong>de</strong> Shakespeare. De ce fait, ils ont écarté les pièces dont ils savaient<br />
ou supposaient qu’elles avaient été écrites en collaboration : ainsi, Sir Thomas More,<br />
une pièce probablement composée en 1592 ou 1593, jamais imprimée <strong>et</strong> que<br />
Shakespeare, à suivre le manuscrit qui en a été conservé, révisa en 1603 ou 1604<br />
avec Henry Ch<strong>et</strong>tle, Thomas Dekker <strong>et</strong>, sans doute, Thomas Heywood, Pericles,<br />
Prince of Tyre, alors même que l’édition quarto <strong>de</strong> 1609 mentionnait le nom <strong>de</strong><br />
Shakespeare sur la page <strong>de</strong> titre <strong>et</strong> qui a sans doute été écrite avec George Wilkins,<br />
ou The Two Noble Kinsmen. La monumentalisation <strong>de</strong> Shakespeare par le Folio,<br />
hautement manifestée par les préliminaires (le portrait gravé, les poèmes <strong>de</strong> louange,<br />
l’adresse aux lecteurs), suppose l’effacement <strong>de</strong> la pratique collective du théâtre au<br />
profit <strong>de</strong> la construction d’un auteur singulier. Le Folio donne donc à lire au<br />
lecteur, sans écart, les œuvres telles que l’« Author » les a « uttered », c’est-à-dire<br />
énoncées comme <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes <strong>et</strong> émises comme <strong><strong>de</strong>s</strong> monnaies. La rhétorique <strong>de</strong><br />
Heminge <strong>et</strong> Con<strong>de</strong>ll soustrait le texte shakespearien, à la fois, aux corruptions<br />
introduites par les éditions fautives, publiées par d’« injurieux imposteurs »<br />
(« injurious impostors ») <strong>et</strong> aux contraintes imposées par la collaboration. En
490 ROGER CHARTIER<br />
imprimant les « papers » <strong>de</strong> Shakespeare sans ratures ni repentirs, le Folio donne à<br />
lire pour la première fois toutes les pièces qu’il a entièrement conçues. Heminge<br />
<strong>et</strong> Con<strong>de</strong>ll <strong>de</strong>vaient penser qu’il en allait ainsi <strong>de</strong> All is True, ou Henry VIII, mais<br />
s’ils possédaient un manuscrit <strong>de</strong> Car<strong>de</strong>nio, ils l’ont traité comme The Two Noble<br />
Kinsmen, <strong>et</strong> non comme All is True. Ils l’ont donc exclu du Folio.<br />
Leurs successeurs ne seront pas plus généreux. Si dans la secon<strong>de</strong> émission du<br />
troisième Folio, parue en 1664, sept pièces sont ajoutées au trente-sept qui figurent<br />
dans les premier <strong>et</strong> le second Folios (1623 <strong>et</strong> 1632) ainsi que dans le premier état du<br />
troisième, paru en 1663. La page <strong>de</strong> titre du livre <strong>de</strong> 1664, publié par Philip<br />
Ch<strong>et</strong>win<strong>de</strong>, indique : « Mr. WILLIAM SHAKESPEAR’S Comedies, Histories, and<br />
Tragedies. Published according to the true Original Copies. The third Impression.<br />
And unto this Impression is ad<strong>de</strong>d seven Playes, never before Printed in Folio ». The<br />
History of Car<strong>de</strong>nio n’en fait pas partie. La raison en est simple : Car<strong>de</strong>nio n’a jamais<br />
été imprimée alors que les nouvelles pièces qui entrent dans le corpus shakespearien<br />
(<strong>et</strong> qui y resteront dans le quatrième Folio <strong>de</strong> 1685 <strong>et</strong> les éditions <strong>de</strong> Rowe <strong>et</strong> Pope en<br />
1709 <strong>et</strong> 1725) ont toutes été publiées en format quarto au début du XVII e siècle soit<br />
avec le nom <strong>de</strong> Shakespeare sur la page <strong>de</strong> titre (ainsi, The London Prodigal, A<br />
Yorkshire Tragedy, Pericles, Prince of Tyre <strong>et</strong> Sir John Oldcastle Lord Cobhan imprimées<br />
en 1605, 1608, 1609 <strong>et</strong> 1619 avec, dans ce cas, une fausse date <strong>de</strong> 1600), soit avec<br />
seulement les initiales W.S. (ainsi, The Tragedy of Locrine, The Life and Death of<br />
Thomas Lord Cromwell <strong>et</strong> The Puritan Widow, publiées en 1595, 1602 <strong>et</strong> 1607). Des<br />
sept pièces acceptées alors comme shakespeariennes en 1664-65, seule Pericles le<br />
<strong>de</strong>meurera, même si la paternité a dû en être partagée avec Thomas Wilkins.<br />
The History of Car<strong>de</strong>nio n’entrait donc pas dans les logiques qui ont<br />
construit, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> dimensions variables, les œuvres, ou l’œuvre <strong>de</strong> William<br />
Shakespeare. Mais la pièce, si Humphrey Moseley est exact, avait un second auteur<br />
<strong>et</strong> aurait pu figurer dans l’édition <strong><strong>de</strong>s</strong> œuvres théâtrale <strong>de</strong> John Fl<strong>et</strong>cher, mort en<br />
1625, neuf ans après Shakespeare. Il n’en a rien été. En 1647, le même Moseley<br />
associé à Robinson publie les Comedies and Tragedies écrites par Francis Beaumont<br />
<strong>et</strong> John Fl<strong>et</strong>cher « Gentlemen » dans un Folio (le troisième pour le genre théâtral<br />
après ceux <strong>de</strong> 1616 <strong>et</strong> 1623) <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné à rassembler les pièces jamais imprimées que<br />
les <strong>de</strong>ux dramaturges avaient composées ensemble ou non — ou comme l’annonce<br />
la page <strong>de</strong> titre « Never printed before, and now published by the Authours<br />
Originall Copies ». En 1647, lorsqu’il publie les trente-cinq pièces qui composent<br />
le Folio, Moseley ne disposait vraisemblablement pas <strong>de</strong> tous les manuscrits qu’il<br />
fit enregistrer par la Stationers’ Company six années plus tard <strong>et</strong> parmi eux la seule<br />
pièce attribuée à John Fl<strong>et</strong>cher dans la liste, The History of Car<strong>de</strong>nio. La réédition<br />
du Folio en 1679 (où sont ajoutées dix-huit pièces) ne comprend pas, elle non<br />
plus, la pièce que Moseley avait acquise mais qu’il n’imprima jamais.<br />
L’attribution en 1653 <strong>de</strong> The History of Car<strong>de</strong>nio à <strong>de</strong>ux dramaturges (le<br />
nom <strong>de</strong> Fl<strong>et</strong>cher étant donné en premier <strong>et</strong> séparé <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Shakespeare par un<br />
point, comme si ce <strong>de</strong>rnier avait été ajouté) témoigne pour l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 491<br />
essentielles <strong>de</strong> la production théâtrale dans l’Angl<strong>et</strong>erre <strong><strong>de</strong>s</strong> XVI e <strong>et</strong> XVII e siècles :<br />
l’écriture à plusieurs mains. Dans le journal <strong>de</strong> l’entrepreneur <strong>de</strong> théâtre Philip<br />
Henslowe, Thomas Dekker apparaît comme auteur <strong>de</strong> quarante-cinq pièces : trente<br />
<strong>et</strong> une fois il a écrit en collaboration (dont dix-huit fois avec <strong>de</strong>ux co-auteurs ou<br />
plus) <strong>et</strong> cinq fois il a travaillé sur <strong><strong>de</strong>s</strong> textes existants. Thomas Heywood, qui<br />
prétendait en 1633 avoir écrit 220 pièces « in which I have had either an entire<br />
hand, or at least a maine finger » [dans lesquelles j’ai mis ma seule main ou au<br />
moins le principal doigt], est présent onze fois dans le journal : six fois pour une<br />
pièce écrite en collaboration (dont <strong>de</strong>ux fois avec Dekker <strong>et</strong> d’autres dramaturges),<br />
une fois pour <strong><strong>de</strong>s</strong> additions. Sur les 282 pièces mentionnées par Henslowe entre<br />
1590 <strong>et</strong> 1609, les <strong>de</strong>ux tiers ont au moins <strong>de</strong>ux auteurs — mais souvent plus. Un<br />
trait frappant est l’écart entre ce pourcentage très élevé d’œuvres écrites en<br />
collaboration <strong>et</strong> celui, beaucoup plus mo<strong><strong>de</strong>s</strong>te, <strong><strong>de</strong>s</strong> pièces attribuées, pour les<br />
mêmes décennies, à plusieurs auteurs dans les éditions imprimées <strong>et</strong> les registres<br />
<strong>de</strong> la Stationers’ Company, à savoir 15 % pour 1590-99 <strong>et</strong> 18 % pour 1600-1609.<br />
La différence renvoie à la logique éditoriale qui, sur les pages <strong>de</strong> titre <strong><strong>de</strong>s</strong> éditions<br />
imprimées, assigne à un seul auteur, ou à aucun, les pièces écrites à plusieurs<br />
mains. Sans doute moins que d’autres, Shakespeare a lui aussi, à différents moments<br />
<strong>de</strong> sa carrière <strong>de</strong> dramaturge, écrit avec un autre — ou d’autres. Comme All is<br />
True, comme The Two Noble Kinsmen, le Car<strong>de</strong>nio perdu <strong>de</strong>vait juxtaposer au fil<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> scènes les styles fort différents <strong>de</strong> Fl<strong>et</strong>cher <strong>et</strong> <strong>de</strong> Shakespeare.<br />
En 1653, l’enregistrement d’une « copy » <strong>de</strong> The Tragedy of Car<strong>de</strong>nio par<br />
Humphrey Moseley peut être situé dans un double contexte. Le premier est donné<br />
par la politique éditoriale du libraire, membre <strong>de</strong> la Stationer’ Company <strong>de</strong>puis<br />
1633 <strong>et</strong> fervent royaliste. À partir <strong>de</strong> 1645, il publie une série d’ouvrages qui<br />
proposent aux lecteurs les œuvres <strong><strong>de</strong>s</strong> poètes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> dramaturges anglais<br />
contemporains. Les volumes ont <strong><strong>de</strong>s</strong> formats homogènes (octavo pour les poèmes<br />
<strong>et</strong> les collections <strong>de</strong> pièces d’un même auteur, quarto pour les pièces publiées<br />
séparément), leurs pages <strong>de</strong> titre ont <strong><strong>de</strong>s</strong> dispositions similaires <strong>et</strong> les frontispices<br />
présentent un portrait <strong>de</strong> l’auteur. En un temps où ne sont reconnues ni la<br />
spécificité <strong>de</strong> la « littérature » ni la dignité <strong>de</strong> l’écriture pour la scène, comme<br />
l’atteste l’exclusion <strong><strong>de</strong>s</strong> pièces <strong>de</strong> théâtre <strong>de</strong> la bibliothèque rassemblée à Oxford<br />
par Bodley <strong>et</strong> ses bibliothécaires, l’entreprise <strong>de</strong> Moseley donne cohérence à un<br />
corpus qui sépare la poésie <strong>et</strong> le théâtre d’autres genres textuels (histoire, récits,<br />
voyages, <strong>et</strong>c.) <strong>et</strong> construit un répertoire qui ne r<strong>et</strong>ient que <strong><strong>de</strong>s</strong> auteurs mo<strong>de</strong>rnes<br />
— ce qui lui confère une importance primordiale dans l’invention <strong>de</strong> l’idée même<br />
<strong>de</strong> « littérature anglaise ».<br />
Pour mener à bien son proj<strong>et</strong>, Moseley a acquis <strong>et</strong> fait enregistrer par la Stationers’<br />
Company un très grand nombre <strong>de</strong> pièces <strong>de</strong> théâtre du temps d’Elisab<strong>et</strong>h <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
premiers Stuarts. Le geste avait aussi une signification politique puisque <strong>de</strong>puis<br />
1642 les théâtres avaient été fermés <strong>et</strong> les représentations publiques interdites.<br />
C’est ainsi qu’en 1646 Moseley <strong>et</strong> Robinson avaient « entré » trente pièces <strong>de</strong><br />
Beaumont <strong>et</strong> Fl<strong>et</strong>cher (qui seront publiées dans le Folio <strong>de</strong> 1647), quatre pièces <strong>de</strong>
492 ROGER CHARTIER<br />
Davenant, cinq <strong>de</strong> Shirley (qu’il éditera en 1653), <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> Carlell, une <strong>de</strong> Wilson<br />
<strong>et</strong> une pièce anonyme. Dans c<strong>et</strong>te perspective, The History of Car<strong>de</strong>nio enregistrée<br />
en 1653 n’avait pas une particulière importance, si ce n’est qu’avec trois autres<br />
titres (les <strong>de</strong>ux parties <strong>de</strong> Henry the First <strong>et</strong> The Merry Devill of Edmonton), elle<br />
avait été composée, au moins en partie, par l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre dramaturges dont les<br />
œuvres avaient été rassemblées dans le prestigieux format du Folio.<br />
Le « right in copy » acquis par Moseley sur une pièce inspirée par Don<br />
Quichotte peut être également situé dans un autre contexte : le « revival » <strong>de</strong><br />
l’histoire <strong>de</strong> Cervantès à la mi-XVII e siècle en Angl<strong>et</strong>erre. En 1652, est publiée <strong>et</strong><br />
pour la première fois dans le format in-folio une réédition <strong>de</strong> la traduction <strong>de</strong><br />
Shelton, corrigée <strong>et</strong> amendée, <strong>et</strong> en 1654, Edmund Gayton fait paraître son<br />
ouvrage Pleasant Notes upon Don Quixot. L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes <strong><strong>de</strong>s</strong> préliminaires,<br />
intitulé « On Don Quixot with Annotations », commence ainsi : « The famous<br />
Errant Knight of Spaine / Once more here sallies forth againe, / Remounted upon<br />
Rosinante » [« Le fameux Chevalier Errant d’Espagne / Une fois <strong>de</strong> plus sort <strong>de</strong><br />
chez lui, / Monté <strong>de</strong> nouveau sur Rossinante »]. Le même poème présente<br />
l’« auteur » du livre : « Nor is our Author a Translator, / But a Criticall Commentator ;<br />
/ His Notes he to the Text doth fit, / With English matching Spanish wit. » [Notre<br />
Auteur n’est pas un Traducteur, / Mais un Commentateur Critique ; / Ses Annotations<br />
sont appropriées au Texte, / L’esprit Anglais égalant l’Espagnol].<br />
Gayton m<strong>et</strong> à profit la nouvelle édition <strong>de</strong> la traduction <strong>de</strong> Shelton. Chaque<br />
chapitre <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre livres est introduit par un argument en vers qu’il a composé,<br />
puis suivent les commentaires en prose accrochés à <strong>de</strong> courtes citations copiées<br />
presque littéralement <strong>de</strong> la traduction <strong>de</strong> Shelton. Dans ce texte curieux, qui inscrit<br />
le texte <strong>de</strong> Cervantes dans le double registre du burlesque <strong>et</strong> du carnavalesque <strong>et</strong><br />
qui associe remarques grivoises, références érudites aux Anciens <strong>et</strong> allusions aux<br />
contemporains, Gayton propose un troisième récit en anglais <strong><strong>de</strong>s</strong> amours <strong>de</strong><br />
Car<strong>de</strong>nio <strong>et</strong> Luscinda <strong>et</strong> <strong>de</strong> Dorotea <strong>et</strong> Fernando, après la traduction <strong>de</strong> 1612,<br />
rééditée en 1652, <strong>et</strong> la pièce <strong>de</strong> 1613, enregistrée en 1653. Car<strong>de</strong>nio <strong>et</strong> don<br />
Quichotte ne sont donc pas absents la révolution anglaise <strong>de</strong> la mi-XVII e siècle.<br />
Moseley aurait pu ou aurait dû en profiter pour publier le titre sur lequel il avait<br />
propriété <strong>de</strong>puis le 9 septembre 1653. Mais il ne l’a pas fait, nous léguant ainsi le<br />
mystère du Car<strong>de</strong>nio perdu.<br />
B. Séminaire<br />
Les sept séances du séminaire ont toutes été consacrées à <strong><strong>de</strong>s</strong> commentaires <strong>de</strong><br />
textes liés au <strong>cours</strong>. Ouverts par une lecture <strong>de</strong> la fable <strong>de</strong> Borges El espejo y la<br />
máscara / Le miroir <strong>et</strong> le masque qui désigne avec une fulgurante acuité le chemin<br />
à suivre pour que les enchantements <strong>de</strong> la fiction soient replacés au sein <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
pratiques <strong>de</strong> l’écrit qui les nourrissent, s’en emparent <strong>et</strong> les transm<strong>et</strong>tent, les<br />
commentaires se sont attachés à l’ « Induction » du Knight of the Burning Pestle <strong>de</strong><br />
Beaumont (<strong>et</strong> peut-être Fl<strong>et</strong>cher), au <strong>de</strong>rnier acte <strong>de</strong> The Spanish Tragedy <strong>de</strong>
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 493<br />
Thomas Kyd, à la scène du mariage <strong>de</strong> Luscinda dans la comedia Don Quijote <strong>de</strong><br />
la Mancha <strong>de</strong> Guillén <strong>de</strong> Castro, aux tira<strong><strong>de</strong>s</strong> d’Alcandre sur le théâtre (Acte II,<br />
scène II <strong>et</strong> Acte V, scène V) dans l’Illusion comique <strong>de</strong> Corneille, aux <strong>de</strong>ux premiers<br />
recueils <strong>de</strong> lieux communs qui utilisent <strong><strong>de</strong>s</strong> citations <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes <strong>et</strong> pièces <strong>de</strong><br />
Shakespeare, le Belvedre, or The Gar<strong>de</strong>n of Muses <strong>et</strong> l’England’s Parnassus, tous <strong>de</strong>ux<br />
parus en 1600, <strong>et</strong>, pour finir, aux passages qui dans Haml<strong>et</strong> m<strong>et</strong>tent en scène<br />
l’écriture à plusieurs mains.<br />
C. Publications<br />
1. Ouvrages personnels<br />
— Inscription and Erasure. Literature and Written Culture from the Eleventh to the Eighteenth<br />
Century, tr. Arthur Goldhammer, Phila<strong>de</strong>lphia, University of Pennsylvania Press, 2007.<br />
— Inscrever e apagar. Cultura escrita e literatura (séculos XI-XVIII), tr. Luzmara Curcino<br />
Ferreira, São Paulo, Editora Unesp, 2007.<br />
— La historia o la lectura <strong>de</strong>l tiempo, tr. Mar Garita Polo, Barcelone, Gedisa, 2007.<br />
— Écouter les morts avec les yeux, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> / Fayard, 2008.<br />
— Escuchar a los muertos con los ojos, tr. Laura Fólica, Buenos Aires, Katz, 2008.<br />
2. Contributions à <strong><strong>de</strong>s</strong> ouvrages collectifs<br />
— « Les chemins <strong>de</strong> l’écrit, ou le r<strong>et</strong>our à Monte Verità », Scripta volant, verba manent.<br />
Schriftkultuen in Europa zwischen 1500 und 1900 / Les cultures <strong>de</strong> l’écrit en Europe entre 1500<br />
<strong>et</strong> 1900, Herausgegeben von Alfred Messerli un Roger Chartier, Bâle, Schwabe Verlag,<br />
2007, pp. 483-493.<br />
— « La muraille <strong>et</strong> les livres », Qu’est-ce qu’écrire une Encyclopédie en Chine ?, préparé par<br />
Florence Br<strong>et</strong>elle-Establ<strong>et</strong> <strong>et</strong> Karine Chemla, Presses Universitaires <strong>de</strong> Vincennes, Extrême<br />
Orient, Extrême-Occi<strong>de</strong>nt, Hors-Série, 2007, pp. 205-216.<br />
— « De la scène à la page », Le Parnasse du théâtre. Les recueils d’œuvres complètes <strong>de</strong> théâtre<br />
au XVIIIe siècle, Georges Forestier, Edric Caldicott <strong>et</strong> Clau<strong>de</strong> Bourqui (dir.), Paris, Presses<br />
<strong>de</strong> l’Université Paris-Sorbonne, 2007, pp. 17-41.<br />
— « Mémoire <strong>et</strong> oubli. Lire avec Ricœur », Paul Ricœur <strong>et</strong> les sciences humaines, sous la<br />
direction <strong>de</strong> Christian Delacroix, François Dosse <strong>et</strong> Patrick Garcia, Paris, La Découverte,<br />
2007, pp. 231-248.<br />
— « The Printing Revolution. A Reappraisal », Agent of Change. Print Culture after<br />
Elizab<strong>et</strong>h L. Eisenstein, Edited by Sabrina Alcorn Baron, Eric N. Lindquist, and Eleanor F.<br />
Shevlin, Amhertst and Boston, University of Massachus<strong>et</strong>ts Press, 2007, pp. 397-408.<br />
— « A escrita na tela : or<strong>de</strong>m do discurso, or<strong>de</strong>m dos livros, maneiras <strong>de</strong> ler », Questões<br />
<strong>de</strong> leitura no hipertexto, Miguel R<strong>et</strong>temaier, Tania M. K. Taussig (org.), Editora Universida<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> Passo Fundo, 2007, pp. 200-219.<br />
— « L’apparition du livre imprimé », Le grand atelier. Chemins <strong>de</strong> l’art en Europe<br />
V e-XVIII e siècle, Bruxelles, Europalia International/Fonds Mercator, 2007, pp. 29-34.<br />
— « La materialità <strong>de</strong>llo scritto. Che cos’è un libro ? Risposte a una <strong>de</strong>manda di Kant »,<br />
Testi, forme, e usi <strong>de</strong>l libro. Teorie e pratiche di cultura editriale, a cura di Lodovica Braida e<br />
Albero Cadioli, Milan, Edizioni Sylvestre Bonnard, 2007, pp. 13-25.
494 ROGER CHARTIER<br />
— « La universidad y la edición », Innovación y r<strong>et</strong>os <strong>de</strong> la edición universitaria, Magda<br />
Polo Pujadas (coord.), Madrid, Unión <strong>de</strong> Editoriales Universitarias Españolas <strong>et</strong> Logroño,<br />
Universidad <strong>de</strong> la Rioja, 2007, pp. 13-28.<br />
— « La matérialité du texte : Réponse à une question <strong>de</strong> Kant », Théorie <strong>et</strong> mythologie du<br />
livre. Le livre français en <strong>France</strong> <strong>et</strong> en Russie, Moscou, 2007, pp. 5-16 (en russe).<br />
— « Afterword», Why <strong>France</strong> ? American Historians Reflection an Enduring Fascination,<br />
Edited by Laura Lee Downs and Stéphane Gerson, Ithaca <strong>et</strong> Londres, Cornell University<br />
Press, 2007, pp. 227-232.<br />
— « Postface », Pourquoi la <strong>France</strong> ? Des historiens américains racontent leur passion pour<br />
l’Hexagone, sous la direction <strong>de</strong> Laura Lee Downs <strong>et</strong> Stéphane Gerson, Paris, Seuil, 2007,<br />
pp. 361-367.<br />
3. Articles<br />
— « Les auteurs n’écrivent pas les livres, pas même les leurs. Francisco Rico, auteur du<br />
Quichotte », Agenda <strong>de</strong> la pensée contemporaine, 7, Printemps 2007, pp. 13-27.<br />
— « El pasado en el presente. Literatura , historia, memoria », Historia, Antropología y<br />
Fuentes Orales, 37, 2007, pp. 127-140.<br />
— « The Or<strong>de</strong>r of Books Revisited », Mo<strong>de</strong>rn Intellectual History, 4, 3, 2007, pp. 509-<br />
519.<br />
— « Lo privado y lo público. Construcción histórica <strong>de</strong> una dicotomía », « El pasado en<br />
el presente. Literatura, memoria e historia », « Lectores y lecturas populares. Entre imposición<br />
y apropiación », « ¿La muerte <strong>de</strong>l libro ? Or<strong>de</strong>n <strong>de</strong>l discurso y or<strong>de</strong>n <strong>de</strong> los libros »,<br />
Co-herencia. Revista <strong>de</strong> Humanida<strong><strong>de</strong>s</strong>, Vol. 4, n° 7, 2007, pp. 65-81, pp. 83-102, pp. 103-117<br />
<strong>et</strong> pp. 119-129.<br />
— « Storie senza frontera : Brau<strong>de</strong>l e Cervantes », Dimensioni e problemi <strong>de</strong>lla ricerca<br />
storica, 2, 2007, pp. 145-157.<br />
D. Missions <strong>et</strong> Conférences<br />
1. Conférences prononcées à l’étranger<br />
[Les titres <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences sont donnés dans la langue dans laquelle elles ont été<br />
prononcées.]<br />
— 4 conférences sur le thème Literatura y cultura escrita (¿Qué es un libro ?, Lo privado<br />
y lo publico, El pasado en el presente, Lecturas y lectores populares), 31 août-1er septembre<br />
2007, Me<strong>de</strong>llin (Colombie), Université EAFIT.<br />
— Car<strong>de</strong>nio entre páginas, fiestas y tablas, 19 septembre 2007, Tucumán (Argentine)<br />
Université <strong>de</strong> Tucumán.<br />
— Shakespeare b<strong>et</strong>ween Binding and Commonplacing, 16 octobre 2007, Glasgow,<br />
Université <strong>de</strong> Glasgow.<br />
— Car<strong>de</strong>nio entre lenguas, géneros y lugares, 22 octobre 2007, Alcalá <strong>de</strong> Henares,<br />
Université <strong>de</strong> Alcaá <strong>de</strong> Henares.<br />
— La censura <strong>de</strong> la imprenta : los Voyages <strong>de</strong> Cyrano entre la circulación manuscrita y el<br />
taller tipográfico, 12 décembre 2007, Barcelone, Université <strong>de</strong> Barcelone.<br />
— Car<strong>de</strong>nio without Shakespeare : Guillén <strong>de</strong> Castro and Pichou, 4 février 2008,<br />
Phila<strong>de</strong>lphia, University of Pennsylvania, (Material Text Seminar).
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 495<br />
— Car<strong>de</strong>nio, or How to Read and Perform a Lost Play, 21 février 2008, Durham, Duke<br />
University.<br />
— Movilidad y materialidad <strong>de</strong> los textos : Don Quijote, 27 février 2008, Princ<strong>et</strong>on,<br />
Princ<strong>et</strong>on University (Department of Spanish Language and Literature).<br />
— Brau<strong>de</strong>l and Cervantes, 27 mars 2008, Princ<strong>et</strong>on, Princ<strong>et</strong>on University.<br />
— Social Mobility and Textual Mobility. From the Exemplary Novels to Don Quixote,<br />
21 avril 2008, Windsor (Canada), University of Windsor.<br />
— « Cómo lo pintan en su libro ». Las tres primeras iconografías <strong>de</strong> Don Quijote, 12 mai<br />
2008, Madrid, Circulo <strong>de</strong> Bellas Artes.<br />
— 4 conférences sur le thème Literatura y cultura escrita (La fábrica <strong>de</strong>l libro, La<br />
materialidad <strong>de</strong> las obras, La movilidad <strong>de</strong> los textos, La construcción <strong>de</strong>l sentido), 2-5 juin<br />
2008, Mexico, Instituto Mora (Cátedra Marcel Bataillon).<br />
— Apren<strong>de</strong>r a leer, leer para apren<strong>de</strong>r, 6 juin 2008, Mexico, Fondo <strong>de</strong> Cultura<br />
Económica.<br />
— ¿La muerte <strong>de</strong>l libro ?, 9 juin 2008, Mexico, Universidad Nacional Autónoma <strong>de</strong><br />
Mexico (Departamento <strong>de</strong> Biblioteconomía).<br />
— Car<strong>de</strong>nio y Don Quijote sobre las tablas, 20 juin 2008, Rio <strong>de</strong> Janeiro, UNIRIO.<br />
— Representaciones <strong>de</strong> las prácticas, prácticas <strong>de</strong> la representación, 21 juill<strong>et</strong> 2008, San<br />
José, Université du Costa Rica.<br />
2. Colloques internationaux<br />
— Cultura escrita : nuevos r<strong>et</strong>os, nuevas perspectivas, 10-13 septembre 2007, Madrid,<br />
Círculo <strong>de</strong> Bellas Artes <strong>et</strong> Université Carlos III.<br />
— Jornadas Interescuelas <strong>de</strong> Historia, 19-21 septembre 2007, Tucumán, Université <strong>de</strong><br />
Tucumán.<br />
— Censorship in Early Mo<strong>de</strong>rn Europe, 11-12 décembre 2007, Barcelone, Université <strong>de</strong><br />
Barcelone.<br />
— Publishing in Spain and Latin America, 28 février 2008, Princ<strong>et</strong>on, Princ<strong>et</strong>on<br />
University.<br />
— Congreso <strong>de</strong> la Asociación <strong>de</strong> los Bibliotecarios <strong>de</strong> América Latina, 11 juin 2008,<br />
Mexico, Universidad Nacional Autónoma <strong>de</strong> Mexico.<br />
— Congreso <strong>de</strong> los Historiadores <strong>de</strong> América Central, 21-25 juill<strong>et</strong> 2008, San José,<br />
Université <strong>de</strong> Costa Rica.<br />
3. Cours <strong>et</strong> séminaires<br />
Cours à l’Université <strong>de</strong> Pennsylvanie, Phila<strong>de</strong>lphie, entre janvier <strong>et</strong> avril 2008<br />
— The Mediterranean World at the Age of Don Quixote (séminaire pour<br />
un<strong>de</strong>rgraduates).<br />
— What Is a Book ? (séminaire pour graduate stu<strong>de</strong>nts).<br />
Cours à l’Université International Menén<strong>de</strong>z Pelayo, Valencia, 2-4 juill<strong>et</strong> 2008<br />
— Cultura escrita y literatura (siglos XVI-XVIII).
Histoire contemporaine du mon<strong>de</strong> arabe<br />
M. Henry Laurens, professeur<br />
Le <strong>cours</strong> a été consacré à la question <strong>de</strong> Palestine <strong>de</strong> juin 1967 à octobre 1969,<br />
c’est-à-dire la majeure partie <strong>de</strong> la « guerre <strong><strong>de</strong>s</strong> trois ans ». La métho<strong>de</strong> suivie a été<br />
à la fois une procédure annalistique distinguant chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> conjonctures dans<br />
leur originalité propre <strong>et</strong> l’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> grands thèmes sous-jacents. Comme le<br />
contenu <strong>de</strong> l’enseignement est disponible en téléchargement MP3 sur le site du<br />
<strong>Collège</strong> <strong>et</strong> qu’il sera ultérieurement publié dans une version plus complète, il paraît<br />
inutile d’en donner ici un résumé.<br />
Le séminaire a porté comme les années précé<strong>de</strong>ntes sur l’autobiographie politique<br />
dans le mon<strong>de</strong>. On a terminé la lecture commentée du véritable monument que<br />
constituent les Mémoires d’Akram al-Hawrani, source inestimable pour l’histoire<br />
du Proche-Orient au xx e siècle.<br />
Une journée d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en commun avec la chaire d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives<br />
<strong>et</strong> internationalisation du droit a porté le 4 juin sur une typologie historique <strong>et</strong><br />
communauté <strong>de</strong> valeurs. En voici le programme indicatif.<br />
Thème d’actualité s’il en est, le terrorisme mobilise non seulement les acteurs<br />
politiques, mais également les différents champs <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences sociales, pour<br />
comprendre les significations qui lui sont attribuées <strong>et</strong> les pratiques qu’il revêt. Les<br />
aspects historiques <strong>et</strong> juridiques du terrorisme font l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la réflexion théorique<br />
engagée, au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te journée, par les chaires <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs Mireille Delmas<br />
Marty (d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives <strong>et</strong> internationalisation du droit) <strong>et</strong> Henry<br />
Laurens (Histoire du mon<strong>de</strong> arabe contemporain), qui convient au débat <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
juristes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> historiens. Pour la partie historique, il s’agit <strong>de</strong> tenter une typologie<br />
historique du terrorisme, articulée autour <strong>de</strong> la construction <strong><strong>de</strong>s</strong> États-nations <strong>et</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> formes <strong>de</strong> contestations politiques. L’objectif étant <strong>de</strong> repérer dans le temps les<br />
glissements <strong>et</strong> la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> formes <strong>de</strong> violence politique.
498 HENRY LAURENS<br />
Pour la partie juridique, la démarche consiste à évoquer les définitions actuelles<br />
du terrorisme dans une perspective critique éclairée par différentes branches du<br />
droit, interne <strong>et</strong> international. L’objectif étant <strong>de</strong> repérer les transformations, <strong>de</strong> la<br />
répression pénale à la guerre contre le terrorisme, au regard <strong>de</strong> l’émergence d’une<br />
communauté mondiale <strong>de</strong> valeurs.<br />
Session I : Pour une typologie historique du terrorisme.<br />
Henry Laurens, Professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> : Le terrorisme comme personnage<br />
historique.<br />
Hamit Bozarslan, Directeur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> à l’EHESS : De l’action révolutionnaire aux<br />
« ban<strong><strong>de</strong>s</strong> » au pouvoir : les komtajiliks ottomans au tournant du xx e siècle.<br />
Barbara Lambauer, Chercheur à l’I.E.P. <strong>de</strong> Paris : Le terrorisme selon l’Allemagne nazie<br />
<strong>et</strong> sa répression, 1939-1945.<br />
Session II : Le terrorisme entre droit national, régional <strong>et</strong> international.<br />
Mireille Delmas-Marty, Professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> : Typologie juridique du<br />
terrorisme : durcissement <strong><strong>de</strong>s</strong> particularismes ou émergence d’une communauté mondiale<br />
<strong>de</strong> valeurs ?<br />
Stefano Manacorda, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Naples II : Les conceptions <strong>de</strong> l’Union<br />
européenne en matière <strong>de</strong> terrorisme.<br />
Michel Rosenfeld, Professeur à la Benjamin N. Cardozo School of Law, titulaire <strong>de</strong> la<br />
Chaire Blaise Pascal : Terrorisme <strong>et</strong> droit constitutionnel comparé.<br />
Emmanuel Decaux, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Paris II - Panthéon Assas : Terrorisme<br />
<strong>et</strong> droit international <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme.<br />
Mireille Delmas-Marty <strong>et</strong> Henry Laurens : conclusions.<br />
Quatre heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong> ont été données sur la Question <strong>de</strong> Palestine à l’université<br />
Saint Joseph <strong>de</strong> Beyrouth. La conjoncture politique a fait que les <strong>cours</strong> suivants<br />
n’ont pu être donnés.<br />
Dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> activités <strong>de</strong> l’Institut du Contemporain, un colloque conjoint<br />
avec la chaire <strong>de</strong> Rationalité <strong>et</strong> sciences sociales <strong>de</strong> Jon Elster a été tenu les 6 <strong>et</strong><br />
7 décembre 2007 sur le suj<strong>et</strong> « Mimétisme <strong>et</strong> fausses représentations dans les<br />
guerres civiles ».<br />
Masques <strong>et</strong> voiles dans les guerres civiles, 6-7 décembre 2007.<br />
Présentation du colloque par Jon Elster <strong>et</strong> Henry Laurens.<br />
Stephen Holmes, New York University, Hobbes. La guerre civile <strong>et</strong> les faux prophètes.<br />
Olivier Christin, Université Lyon II, Raisons <strong>et</strong> déraison <strong>de</strong> l’iconoclasme : Saumur,<br />
1562.<br />
Jean-Pierre Babelon, Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles L<strong>et</strong>tres, Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Les<br />
Guise <strong>et</strong> la Couronne <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />
Denis Crouz<strong>et</strong>, Université Paris IV, Noblesse <strong>et</strong> aristocratie françaises entre conquête <strong>de</strong><br />
l’État <strong>et</strong> quête du salut au début <strong><strong>de</strong>s</strong> guerres <strong>de</strong> religion.<br />
Jon Elster, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Un dilemme herméneutique.
HISTOIRE CONTEMPORAINE DU MONDE ARABE 499<br />
Jim Fearon, Stanford University, Comments on Leonard Bin<strong>de</strong>r’s « I<strong>de</strong>ntity, Culture, and<br />
Collective Action ».<br />
Henry Laurens, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Qu’est-ce qu’une communauté confessionnelle ?<br />
Édouard Méténier, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, La production sociale <strong>de</strong> la violence politique : le<br />
cas <strong>de</strong> l’Irak.<br />
Jihane Sfeir, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Par<strong>cours</strong> politiques <strong>et</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> d’engagement <strong>de</strong> combattants<br />
chiites dans la guerre civile libanaise.<br />
Reina Sarkis, Université Paris VII Altérations psychiques <strong>et</strong> guerres infinies.<br />
Au mois <strong>de</strong> mai 2008, le professeur invité : M. Ahmad BEYDOUN, Professeur<br />
à l’Université <strong>de</strong> Beyrouth (Liban) a fait les quatres conférences suivantes :<br />
1. Du Pacte <strong>de</strong> 1943 à l’accord <strong>de</strong> Taef : les résistances à la déconfessionnalisation.<br />
2. Ce qu’« indépendance » voulait dire...<br />
3. Une nouvelle donne intercommunautaire ?<br />
4. Le système politique libanais a-t-il un avenir ?<br />
Une publication rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces conférences est prévue.<br />
En coopération avec l’IISMM-EHESS <strong>et</strong> en liaison avec la Mairie <strong>de</strong> Paris un<br />
cycle <strong>de</strong> 16 conférences publiques a été organisé sur l’intitulé général Connaissance<br />
<strong>de</strong> l’Islam, 1 re session, le Moyen-Orient, zone <strong>de</strong> conflits ?, 2 e session, l’Islam au<br />
quotidien.<br />
M. Laurens a participé au colloque <strong>de</strong> rentrée du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> sur l’autorité<br />
avec une communication l’Autorité sans l’État, le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> Palestiniens.<br />
Quatre conférences ont eu lieu à l’Université <strong>de</strong> Georg<strong>et</strong>own <strong>et</strong> au Centre<br />
culturel français <strong>de</strong> Washington en février 2008.<br />
Une conférence à Mascate en Oman à l’invitation du Ministère <strong><strong>de</strong>s</strong> Affaires<br />
religieuses en mars 2008.<br />
Deux conférences en Tunisie en avril 2008 à l’invitation <strong>de</strong> l’École normale<br />
supérieure <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Chaire UNESCO <strong>de</strong> philosophie.<br />
Nombreuses interventions dans différentes instances allant <strong>de</strong> l’association<br />
parlementaire <strong>France</strong>-Égypte, la Délégation <strong>de</strong> la Communauté Européenne à<br />
Paris, l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences morales, <strong><strong>de</strong>s</strong> Universités inter-âges, <strong><strong>de</strong>s</strong> associations<br />
culturelles, le lycée <strong>de</strong> Bondy.<br />
Participations à diverses émissions radiophoniques <strong>et</strong> télévisuelles ainsi qu’à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
documentaires télévisuelles.<br />
Plusieurs entr<strong>et</strong>iens dans la presse <strong>et</strong> dans <strong><strong>de</strong>s</strong> revues.<br />
Quatre participations à <strong><strong>de</strong>s</strong> jurys <strong>de</strong> thèse <strong>et</strong> d’habilitation.
500 HENRY LAURENS<br />
Participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques :<br />
« Quelle Méditerranée pour la <strong>France</strong>, l’Italie <strong>et</strong> l’Europe ? »<br />
Séminaire <strong>de</strong> l’Observatoire franco-italien, Turin le 21 septembre 2007.<br />
Quel avenir pour les chrétiens d’Orient ?<br />
Vendredi 16 <strong>et</strong> samedi 17 novembre 2007.<br />
Colloque international organisé par l’Institut Européen en sciences <strong><strong>de</strong>s</strong> religions (IESR)<br />
l’École Pratique <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> (EPHE).<br />
Sous le parrainage du Ministère <strong><strong>de</strong>s</strong> Affaires Étrangères.<br />
Citoyenn<strong>et</strong>é <strong>et</strong> I<strong>de</strong>ntité palestiniennes.<br />
Institute of Palestinian Studies <strong>et</strong> Institut Français du Proche-Orient.<br />
Beyrouth les 14 <strong>et</strong> 16 décembre 2007.<br />
Troisième Conférence <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Ateliers Culturels sur le Dialogue entre les Peuples <strong>et</strong> les Cultures<br />
dans la Zone Euroméditerranéenne <strong>et</strong> <strong>de</strong> Golfe. Alexandrie 19-21 janvier 2008.<br />
Participation aux sessions générales <strong>et</strong> aux ateliers.<br />
La Greffe <strong>de</strong> la démocratie : les paradoxes <strong>de</strong> la longue durée.<br />
Première Rencontre européenne d’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés politiques.<br />
Paris 1er février 2008.<br />
Les Sciences Sociales à L’épreuve du Mon<strong>de</strong> Contemporain.<br />
Hommage à Alain Roussillon, Le Caire, 15, 16 <strong>et</strong> 17 juin 2008.<br />
Activité <strong>de</strong> l’équipe<br />
Édouard Méténier, ATER au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
Installé à mon poste <strong>de</strong>puis le 1er septembre 2007, mon activité a consisté à<br />
poser les bases du travail pour lequel le professeur Henry Laurens m’a proposé <strong>de</strong><br />
rejoindre son équipe <strong>de</strong> jeunes chercheurs, étant entendu que ma mission première<br />
rési<strong>de</strong> dans l’achèvement <strong>de</strong> la rédaction <strong>de</strong> ma thèse <strong>de</strong> doctorat, dont la soutenance<br />
est prévue en décembre 2008.<br />
— Assistance à l’activité d’enseignement <strong>de</strong> la chaire :<br />
Rédaction <strong>de</strong> la présentation du <strong>cours</strong> 2007-2008 pour publication sur la webpage <strong>de</strong><br />
celle-ci, sur le site intern<strong>et</strong> du <strong>Collège</strong>.<br />
Création <strong>de</strong> la page Laboratoire sur la webpage <strong>de</strong> la chaire, sur le site intern<strong>et</strong> du<br />
<strong>Collège</strong>.<br />
— Participation à l’activité <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> la chaire :<br />
Préparation d’un atelier <strong>de</strong> travail pour décembre 2008 sur le thème « L’écriture <strong>de</strong><br />
l’histoire <strong>et</strong> ses enjeux : le cas <strong>de</strong> l’Irak » organisé conjointement par la chaire <strong>et</strong> par le<br />
CERMOM/INALCO.<br />
Préparation d’une journée d’étu<strong>de</strong> : « Les <strong>de</strong>mocratization studies à l’épreuve du terrain :<br />
le cas du Greater Middle-East » organisée par la chaire avec l’appui <strong>de</strong> l’IMC, prévue en<br />
juin 2009.<br />
Mise en place avec Jihane SFEIR, <strong>de</strong> l’équipe <strong>de</strong> recherche constituée autour <strong>de</strong> la chaire,<br />
d’un séminaire <strong>de</strong> recherche organisé conjointement par la chaire <strong>et</strong> l’IISMM sur le<br />
thème « Historiographie(s) du Mon<strong>de</strong> Arabe Contemporain — Entre histoire(s) <strong>et</strong><br />
mémoire(s) : formes <strong>et</strong> enjeux <strong><strong>de</strong>s</strong> conflits <strong>de</strong> légitimité » dont la mise en route est<br />
programmée pour le premier semestre 2009.
HISTOIRE CONTEMPORAINE DU MONDE ARABE 501<br />
— Participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> rencontres académiques :<br />
Conférence internationale « Unity and Diversity in Iraq : the Nation’s Past and Future »<br />
organisée les 26, 27 <strong>et</strong> 28 octobre 2007 à Istanbul par le TAARII <strong>et</strong> le Hollings Center.<br />
Colloque « Masques <strong>et</strong> voiles dans les guerres civiles » organisé les 6 <strong>et</strong> 7 décembre 2007<br />
au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> par les professeurs Jon Elster <strong>et</strong> Henry Laurens.<br />
Conférence internationale « L’ivresse <strong>de</strong> la liberté : la révolution <strong>de</strong> 1908 dans l’empire<br />
ottoman » organisé les 5, 6 <strong>et</strong> 7 juin 2008 au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> par la chaire d’histoire<br />
ottomane <strong>et</strong> l’UMR 8032 Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> turcs <strong>et</strong> ottomanes du CNRS.<br />
— Publications remises aux éditeurs au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année :<br />
« La production sociale <strong>de</strong> la violence dans l’Irak post-baathiste », en collaboration avec<br />
Louloua Al-Rachid, pour la revue A Contrario (IUED/Université <strong>de</strong> Genève), vol. 5<br />
(2007/2), numéro spécial dirigé par Riccardo Bocco : Situations conflictuels au Moyen-<br />
Orient.<br />
« Kurdicités irakiennes : Aperçus historiques sur la présence kur<strong>de</strong> à Bagdad à l’époque<br />
mo<strong>de</strong>rne » pour la revue Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> kur<strong><strong>de</strong>s</strong> (Paris), 2008/1, numéro spécial dirigé par Boris<br />
James, Les Kur<strong><strong>de</strong>s</strong> d’Irak : approches historiques.<br />
Recherche<br />
Jihane Sfeir, chercheure associée<br />
2008-2009 : Post-doctorante responsable <strong>de</strong> la coordination du programme ANR<br />
Archiver : les pratiques historiographies au Moyen-Orient. Institut d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> l’Islam <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Sociétés du Mon<strong>de</strong> Musulman (EHESS)/<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>. Paris.<br />
2007-2009 : Participation au programme ANR « Mémoires <strong>de</strong> guerre » Institut Français<br />
du Proche-Orient <strong>et</strong> Université Saint-Joseph. Beyrouth.<br />
2006-2008 : Participation au proj<strong>et</strong> Cedre (CEIFR/CNRS/USJ) « Le passage <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
frontières ». Paris-Beyrouth.<br />
Enseignement<br />
2008-2009 : Responsable du séminaire IISMM/<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> : « Historiographie<br />
contemporaine du mon<strong>de</strong> arabe ». Co-direction avec Édouard Méténier.<br />
Septembre 2007-décembre 2007 : Assistant Professor, Université Américaine <strong>de</strong> Paris<br />
« M<strong>et</strong>hodology on Islam (Master Middle-East Studies) : Frantz Fanon Wr<strong>et</strong>ched of the<br />
Earth, Edward Said Orientalism » <strong>et</strong> « Palestinian Condition : History, Refugees and Every<br />
Day Life » (Master Middle-East Studies).<br />
Publications<br />
Ouvrage<br />
L’exil palestinien au Liban : le temps <strong><strong>de</strong>s</strong> origines 1947-1952, IFPO/Karthala, Beyrouth/<br />
Paris, 2008.<br />
Contributions à <strong><strong>de</strong>s</strong> ouvrages collectifs<br />
« Palestinians in Lebanon : the Birth of the Enemy Within », in M.A. Khalidi <strong>et</strong> Diane<br />
Riskedahl (ed.), Palestinian Citizenships and I<strong>de</strong>ntities, IPS/IFPO, Beyrouth (à paraître<br />
2008).
502 HENRY LAURENS<br />
« Éclatement d’une société <strong>et</strong> dispersion d’un peuple : les récits <strong>de</strong> la Hijra <strong>de</strong> 1948 », in<br />
Leslie Tramontini <strong>et</strong> Chibli Mallat (ed.), From Baghdad to Beirut, Arab and Islamic Studies<br />
in honor of John J. Donohue s.j., Orient-Institut, Beyrouth, 2007, pp. 427-462.<br />
Interventions<br />
2007<br />
13-14 décembre : participation au colloque « Palestinian Citizenships and I<strong>de</strong>ntities »,<br />
organisé par l’Institut Français du Proche-Orient (IFPO) <strong>et</strong> l’Institute for Palestine Studies<br />
(IPS) à l’Université Américaine <strong>de</strong> Beyrouth. Intervention : « Palestinians in Lebanon : the<br />
Birth of the Enemy Within ». Beyrouth.<br />
6-7 décembre : Participation au colloque organisé au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> : « Masques <strong>et</strong><br />
voiles dans les guerres civiles » (sous la direction <strong>de</strong> Henry Laurens <strong>et</strong> <strong>de</strong> Jon Elster).<br />
Intervention sur « Par<strong>cours</strong> politiques <strong>de</strong> combattants chiites dans la guerre civile libanaise ».<br />
Paris.<br />
5 décembre : participation à une journée d’étu<strong>de</strong> organisée par le Laboratoire<br />
d’Anthropologie Urbaine (UPR34/CNRS), dans le cadre du programme ANR « Liban,<br />
mémoires <strong>de</strong> guerre : pratiques, traces <strong>et</strong> usages » entamé à l’Institut Français du Proche-<br />
Orient, en partenariat avec l’Université Saint-Joseph <strong>de</strong> Beyrouth en janvier 2007.<br />
Intervention : « Nom <strong>de</strong> guerre : Bassel ; Portrait d’un combattant chiite. ». Paris.<br />
29 novembre : intervention au séminaire « Guerre <strong>et</strong> société dans le mon<strong>de</strong> arabe<br />
contemporain : les figures du combattant » dirigé par Nadine Picaudou (CEMAf, Univ.<br />
Paris I) ; Pierre Vermeren (CEMAf, Univ. Paris I) ; Raphaëlle Branche (CHS, Univ.<br />
Paris I) ; Sylvie Thénault, (CHS, CNRS) : « Par<strong>cours</strong> politiques <strong>et</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> d’engagement <strong>de</strong><br />
combattants chiites dans la guerre civile libanaise ». Paris.<br />
29-31 octobre : Participation à la table-ron<strong>de</strong> « Regards croisés sur les recompositions<br />
sociales, territoriales <strong>et</strong> i<strong>de</strong>ntitaires dans les pays du Sud », Programme <strong>de</strong> Coopération pour<br />
la Recherche Universitaire <strong>et</strong> Scientifique, (CORUS/ENA Meknès/IRD), Rabat.<br />
Intervention : « Citoyenn<strong>et</strong>és, I<strong>de</strong>ntités <strong>et</strong> territorialités palestiniennes». Rabat.<br />
17 octobre : présentation avec Édouard Méténier du séminaire d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> IISMM/<strong>Collège</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>France</strong> : « Historiographie contemporaine du mon<strong>de</strong> arabe ». Paris.<br />
2008<br />
19 juin : Intervention dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> jeudis <strong>de</strong> l’Institut du Mon<strong>de</strong> Arabe sous le titre :<br />
« La mémoire palestinienne <strong>de</strong> 1948 ». Paris.<br />
24 Avril : Conférence à l’Institut Français du Proche-Orient autour <strong>de</strong> « L’exil palestinien<br />
au Liban ». Beyrouth.<br />
15 Mai : Intervention au Centre <strong>de</strong> Formation <strong><strong>de</strong>s</strong> Journalistes. Paris.<br />
18 Mai : Participation à la conférence autour <strong><strong>de</strong>s</strong> 60 ans <strong>de</strong> la Nakba. Bruxelles.<br />
4 mars : Présentation <strong>de</strong> mon ouvrage « L’exil palestinien au Liban : le temps <strong><strong>de</strong>s</strong> origines,<br />
1947-1952 » Édité par Karthala <strong>et</strong> l’Institut français du Proche-Orient (2008). <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong>. Paris.<br />
Leyla Dakhli<br />
De février à juin 2008, animation d’un séminaire sur « Le mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> journalistes arabes,<br />
un milieu, un métier : questionnements <strong>et</strong> itinéraires » (séminaire EHESS accueilli dans les<br />
locaux du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>).
HISTOIRE CONTEMPORAINE DU MONDE ARABE 503<br />
Participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques <strong>et</strong> ateliers :<br />
— Nouveaux médias dans le mon<strong>de</strong> arabe, « Les premiers temps <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnisation<br />
du paysage médiatique arabe. L’exemple <strong>de</strong> la presse écrite levantine dans l’entre-<strong>de</strong>uxguerres<br />
», colloque organisé par l’université <strong>de</strong> Lyon II, 9-10 février.<br />
— Panel sur l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la presse arabe, Mediterranean Me<strong>et</strong>ing, Florence, mars 2008<br />
« Pour une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’émergence <strong>de</strong> la presse d’opinion dans le Bilad al-Shâm : le courrier<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> lecteurs ». Institut Européen Robert Schuman <strong>de</strong> Florence, 12 au 16 mars.<br />
Publications<br />
— Une génération d’intellectuels arabes. Syrie <strong>et</strong> Liban, 1908-1940, éditions Khartala-<br />
IISMM (à paraître en septembre 2008).<br />
— « The “Mahjar” as literary and political territory in the first <strong>de</strong>ca<strong><strong>de</strong>s</strong> of the 20 th<br />
century : the example of Amîn Rîhânî (1876-1940) », in The Arab Intellectual and the<br />
Question of Mo<strong>de</strong>rnity, forthcoming 2009, Routledge.<br />
— « Le pouvoir aux savants, par<strong>cours</strong> d’une génération intellectuelle en Syrie <strong>et</strong> au Liban<br />
(1908-1940) », in Savoirs <strong>et</strong> pouvoirs. Genèse <strong><strong>de</strong>s</strong> traditions <strong>et</strong> traditions réinventées,<br />
Maisonneuve <strong>et</strong> Larose, octobre 2007.<br />
— Note <strong>de</strong> lecture <strong>de</strong> Bernard Rougier, Everyday Jihad, The Rise of Militant Islam among<br />
Palestinians in Lebanon, Harvard University Press, Cambridge MA, 2007, pour Le<br />
Mouvement Social. http://mouvement-social.univ-paris1.fr/document.php?id=1091.<br />
— Note <strong>de</strong> lecture <strong>de</strong> Mansoor Moad<strong>de</strong>l, Islamic Mo<strong>de</strong>rnism, Nationalism, and<br />
Fundamentalism. Episo<strong>de</strong> and Dis<strong>cours</strong>e, The University of Chicago Press, Chicago, 2005,<br />
pour les Annales HSS (à paraître n° 4 - 2008).
Rationalité <strong>et</strong> sciences sociales<br />
M. Jon Elster, professeur<br />
L’irrationalité<br />
Ce <strong>cours</strong> sur l’irrationalité fait suite au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année précé<strong>de</strong>nte sur le<br />
désintéressement. Comme dans ce <strong>de</strong>rnier <strong>cours</strong>, j’ai fait appel à <strong>de</strong>ux corps<br />
théoriques distincts, d’un côté les classiques <strong>de</strong> la pensée, <strong>de</strong> Montaigne à<br />
Tocqueville, <strong>et</strong> d’un autre la psychologie <strong>et</strong> l’économie récentes, cherchant les<br />
bonnes questions chez les classiques pour essayer ensuite <strong>de</strong> trouver les bonnes<br />
réponses chez les mo<strong>de</strong>rnes. Ensemble, les <strong>de</strong>ux <strong>cours</strong> constituent les <strong>de</strong>ux vol<strong>et</strong>s<br />
d’une critique <strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong> l’homme économique, ou homo economicus. Dans<br />
ce qui suit, je propose non pas tant un résumé du <strong>cours</strong> en tant que tel qu’une<br />
explicitation du concept d’irrationalité tel que le <strong>cours</strong> l’a déroulé.<br />
Sans trop caricaturer, on peut dire qu’un grand nombre d’économistes continuent<br />
d’utiliser les <strong>de</strong>ux hypothèses du choix rationnel <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> motivations intéressées, qui<br />
ont en leur faveur la simplicité <strong>et</strong> la parcimonie. Dans la mesure où la recherche <strong>de</strong><br />
vérité doit l’emporter sur la quête <strong>de</strong> simplicité <strong>et</strong> dans la mesure où l’hypothèse <strong>de</strong><br />
l’homme économique est réfutée par les observations empiriques, je défends dans le<br />
<strong>cours</strong> l’idée qu’il faut y renoncer. J’ajoute qu’en faisant appel à d’autres hypothèses<br />
(par exemple la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> perspectives proposée par Daniel Kahneman <strong>et</strong> Amos<br />
Tversky ou la théorie <strong>de</strong> l’escompte hyperbolique proposée par R.H. Strotz <strong>et</strong><br />
élaborée par George Ainslie), on peut éviter l’arbitraire en déduisant <strong>de</strong> celles-ci <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
faits nouveaux (les novel facts <strong>de</strong> Imre Lakatos). Le fait que ces hypothèses alternatives<br />
ne se laissent pas intégrer dans une théorie unifiée, semblable à c<strong>et</strong> égard à la théorie<br />
du choix rationnel, ne saurait constituer une objection décisive.<br />
Concernant les <strong>de</strong>ux composantes <strong>de</strong> la théorie économique que je viens <strong>de</strong><br />
mentionner, la rationalité <strong>et</strong> les motivations intéressées, il n’est pas vrai <strong>de</strong> dire que<br />
la première implique la secon<strong>de</strong>. Il s’agit là d’une vue simpliste <strong>et</strong> fausse, qui<br />
comporte souvent un brin <strong>de</strong> mauvaise foi. Pour attaquer la théorie du choix
506 JON ELSTER<br />
rationnel il est sans doute commo<strong>de</strong> <strong>de</strong> s’en prendre à ses avocats les plus grossiers,<br />
pour lesquels il semble en eff<strong>et</strong> aller <strong>de</strong> soi que l’agent rationnel ne poursuit que<br />
son intérêt propre. Or c’est une victoire trop facile, car c’est une position qui n’est<br />
défendue par aucun économiste sérieux. En réalité, une motivation désintéressée<br />
comme l’altruisme est non seulement compatible avec la rationalité, mais elle<br />
l’exige. Si j’alloue une partie <strong>de</strong> mon revenu à la réduction <strong>de</strong> la pauvr<strong>et</strong>é dans le<br />
tiers-mon<strong>de</strong>, le même souci désintéressé qui m’y conduit doit aussi me faire<br />
rechercher la fondation philanthropique qui en fasse le meilleur usage. Si mon<br />
argent finit par profiter plus aux fonctionnaires <strong>de</strong> la fondation — ou aux<br />
dictateurs — qu’aux pauvres, on pourra m<strong>et</strong>tre en question non seulement mon<br />
altruisme mais également ma rationalité. Le <strong>cours</strong> explore à c<strong>et</strong> égard ce que les<br />
économistes appellent le « warm glow » (dans ma terminologie « l’eff<strong>et</strong> Valmont »)<br />
qui correspond au plaisir ressenti dans toute action altruiste.<br />
Il est tout à fait possible que certains comportements d’apparence altruiste soient<br />
en eff<strong>et</strong> motivés par un désir d’autosatisfaction. Or il faut ajouter que dans c<strong>et</strong>te<br />
hypothèse il faut aussi présupposer l’irrationalité, sous la forme <strong>de</strong> la duperie <strong>de</strong><br />
soi-même. Afin d’obtenir la satisfaction intime d’avoir fait le bien, il faut penser<br />
avoir agi pour le bien d’autrui. En <strong>de</strong> tels cas, on ne peut pas gar<strong>de</strong>r à la fois<br />
l’hypothèse <strong>de</strong> motivations égocentriques <strong>et</strong> l’hypothèse <strong>de</strong> rationalité.<br />
La théorie <strong>de</strong> l’homme économique comporte aussi une troisième composante :<br />
l’hypothèse que chaque agent est parfaitement informé <strong>de</strong> la situation <strong>de</strong> tous les<br />
autres acteurs. Il sait en particulier qu’ils sont rationnels, leur motivation intéressée,<br />
<strong>et</strong> qu’ils sont eux aussi parfaitement informés. C<strong>et</strong>te composante est surtout<br />
importante dans les jeux stratégiques. Elle est un peu moins essentielle que les <strong>de</strong>ux<br />
autres composantes, en ce sens qu’on peut souvent obtenir <strong><strong>de</strong>s</strong> prédictions précises<br />
même dans le cas d’information imparfaite. Elle a pourtant une place dans le type<br />
idéal <strong>de</strong> l’homme économique.<br />
Une quatrième composante, dont le statut est assez différent, est celle <strong>de</strong><br />
l’individualisme méthodologique, selon lequel, en gros, l’élucidation complète <strong>de</strong><br />
la psychologie individuelle ferait disparaître la sociologie. Il n’entre pas dans mon<br />
propos ici <strong>de</strong> défendre c<strong>et</strong>te doctrine, à laquelle je souscris profondément. Il<br />
convient néanmoins d’observer que, contrairement à ce que l’on peut lire chez les<br />
durkheimiens, l’individualisme méthodologique n’implique ni la rationalité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
agents ni leur motivation intéressée. En fait, tout ce que je dis dans ce <strong>cours</strong> sur<br />
les comportements irrationnels présuppose un cadre individualiste. On peut donc<br />
r<strong>et</strong>enir c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière composante <strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong> l’homme économique tout en<br />
rej<strong>et</strong>ant ou en critiquant les trois autres.<br />
Trois <strong><strong>de</strong>s</strong> idées dont je viens <strong>de</strong> parler — la rationalité, les motivations intéressées,<br />
<strong>et</strong> l’individualisme méthodologique — sont strictement indépendantes les unes <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
autres. Il existe pourtant une idéologie bien-pensante selon laquelle elles sont<br />
étroitement solidaires <strong>et</strong>, bien entendu, sont toutes à rej<strong>et</strong>er. Qui défend l’une<br />
d’entre elles est accusé, par réflexe, d’accepter les autres. Le présent <strong>cours</strong> est
RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 507<br />
largement une critique <strong>de</strong> la force explicative <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> rationalité. Je tiens<br />
à souligner que du point <strong>de</strong> vue normatif, la rationalité est une idée incontournable<br />
— transculturelle <strong>et</strong> transhistorique — au contraire <strong>de</strong> l’idée <strong>de</strong> motivations<br />
intéressées.<br />
Ce <strong>cours</strong> opère ainsi un va-<strong>et</strong>-vient constant entre le normatif <strong>et</strong> l’explicatif. La<br />
force normative <strong>de</strong> la rationalité sert <strong>de</strong> correctif permanent aux tendances<br />
irrationnelles spontanées. C’est ainsi que l’on peut expliquer tous les dispositifs que<br />
nous construisons — ou que la société m<strong>et</strong> à notre disposition — pour combattre<br />
la faiblesse <strong>de</strong> volonté, ainsi que je les ai décrits dans un livre récent, Agir contre<br />
soi. Or comme toujours lorsqu’il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> moyens <strong>de</strong> correction, il peut aussi y avoir<br />
hypercorrection. C’est ce que j’appellerai « surrationalité ». La force normative <strong>de</strong><br />
la rationalité est si puissante que nous sommes souvent tentés <strong>de</strong> l’appliquer hors<br />
<strong>de</strong> son domaine naturel. Ainsi la « critique » <strong>de</strong> la rationalité que je proposerai est<br />
en partie une critique au sens kantien, ou peut-être pascalien : « Il n’y a rien <strong>de</strong> si<br />
conforme à la raison que ce désaveu <strong>de</strong> la raison ».<br />
Le <strong>cours</strong> a suivi en gros le plan suivant :<br />
10 janvier. Introduction générale<br />
17 janvier. Les structures élémentaires <strong>de</strong> la rationalité<br />
24 janvier. Indétermination <strong>et</strong> irrationalité<br />
31 janvier. La surrationalité<br />
7 février. Réduction <strong>et</strong> production <strong>de</strong> dissonance cognitive<br />
14 février. La faiblesse <strong>de</strong> volonté<br />
21 février. Les croyances motivées<br />
13 mars. L’escompte du futur<br />
20 mars. Les passions<br />
27 mars. Les passions (suite)<br />
3 avril. Biais <strong>et</strong> heuristiques<br />
10 avril. La théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> perspectives<br />
17 avril. Vue d’ensemble<br />
Introduction<br />
L’idée d’irrationalité est d’origine relativement récente, comme l’est aussi celle<br />
<strong>de</strong> rationalité par contraste avec laquelle elle se définit. On affirme souvent que la<br />
notion <strong>de</strong> rationalité instrumentale dans son sens contemporain date <strong><strong>de</strong>s</strong> années<br />
1860-1870, quand eut lieu la révolution marginaliste en économie. Il me semble<br />
plus exact <strong>de</strong> remonter à Leibniz, qui concevait le choix par Dieu du meilleur <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
mon<strong><strong>de</strong>s</strong> possibles par analogie avec l’entrepreneur rationnel.<br />
Même si l’idée <strong>de</strong> la rationalité instrumentale est <strong>de</strong> date assez récente, le<br />
comportement rationnel est <strong>de</strong> tous les temps. Il en va <strong>de</strong> même <strong>de</strong> l’irrationalité.<br />
Pour les anciens, cependant, les phénomènes irrationnels étaient liés aux<br />
perturbations physiologiques <strong>et</strong> viscérales. L’irrationalité était essentiellement
508 JON ELSTER<br />
« chau<strong>de</strong> ». Or nous savons aujourd’hui qu’il existe également une irrationalité<br />
« froi<strong>de</strong> » qui n’est accompagnée d’aucune perturbation <strong>de</strong> l’organisme. Pour en<br />
donner un exemple, considérons une personne qui marche vers <strong>de</strong>ux bâtiments,<br />
qu’on va supposer transparents.<br />
1 2 3 4<br />
Lorsque la personne se trouve au point 1, à quelque distance <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux bâtiments,<br />
leurs gran<strong>de</strong>urs apparentes relatives <strong>et</strong> leurs gran<strong>de</strong>urs réelles relatives sont les<br />
mêmes. Le bâtiment le plus grand apparaît comme le plus grand. Or quand la<br />
personne arrive au point 2, le bâtiment plus p<strong>et</strong>it domine le plus grand. Il s’agit<br />
là d’une simple illusion que le cerveau corrige automatiquement sans que nous y<br />
fassions attention.<br />
On peut aussi lire le diagramme <strong>de</strong> manière différente, en interprétant l’axe<br />
horizontal comme une dimension temporelle plutôt que spatiale <strong>et</strong> les hauteurs <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
bâtiments comme <strong><strong>de</strong>s</strong> biens qui <strong>de</strong>viennent accessibles aux moments 3 <strong>et</strong> 4<br />
respectivement. Les lignes obliques représentent maintenant la valeur présente <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>de</strong>ux biens aux divers moments du temps. Lorsque la personne contemple le choix<br />
entre les biens au moment 1, le bien plus grand lui semble préférable, mais au<br />
moment 2 la préférence s’est renversée. Elle va donc choisir le bien moins grand.<br />
De manière qualitative, le diagramme suggère pourtant ce qui sera confirmé plus<br />
loin, à savoir qu’il peut y avoir un changement <strong>de</strong> préférences sans que rien ne se<br />
passe, sauf le passage du temps. C’est un cas paradigmatique <strong>de</strong> l’irrationalité<br />
froi<strong>de</strong>. A ce point <strong>de</strong> l’exposé, l’essentiel est <strong>de</strong> comprendre que le présupposé<br />
traditionnel <strong>et</strong> implicite selon lequel l’irrationnel découle toujours <strong><strong>de</strong>s</strong> passions, au<br />
sens large <strong><strong>de</strong>s</strong> anciens, n’est plus tenable aujourd’hui.<br />
Dans les trente <strong>de</strong>rnières années, les sciences sociales ont découvert un grand<br />
nombre <strong>de</strong> mécanismes précis qui sont générateurs <strong>de</strong> comportements irrationnels<br />
<strong>et</strong> dont il est longuement question dans ce <strong>cours</strong>. Pour pouvoir affirmer l’irrationalité<br />
<strong>de</strong> tel ou tel comportement, il faut a priori définir la notion <strong>de</strong> rationalité dont on<br />
se sert. Prenons le comportement <strong>de</strong> quelqu’un qui se soucie peu <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences<br />
éloignées dans le temps <strong>de</strong> ses actions présentes, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences négatives<br />
pour sa santé, ses finances <strong>et</strong> ses relations personnelles. D’un point <strong>de</strong> vue intuitif,
RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 509<br />
on dirait sans doute que c<strong>et</strong> individu constitue le paradigme même <strong>de</strong> l’irrationalité.<br />
Du point <strong>de</strong> vue que j’adopte dans ce <strong>cours</strong>, il n’en est rien. Je serais prêt à dire<br />
qu’il se comporte bêtement, mais la bêtise n’est pas la même chose que l’irrationalité.<br />
D’un point <strong>de</strong> vue objectif, c<strong>et</strong> individu souffre <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> ses actions, ce qui<br />
n’exclut pas que <strong>de</strong> son point <strong>de</strong> vue subjectif il fasse ce qui lui semble le mieux.<br />
Dans ce <strong>cours</strong>, j’adopte une définition résolument subjective <strong><strong>de</strong>s</strong> notions du<br />
rationnel <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’irrationnel, non pas que c<strong>et</strong>te définition soit plus « correcte »<br />
qu’une autre, idée qui d’ailleurs n’a pas <strong>de</strong> sens, mais simplement parce qu’elle me<br />
semble la plus utile à mes fins.<br />
En ce qui concerne ces fins, elles sont surtout explicatives. La théorie du choix<br />
rationnel suggère <strong><strong>de</strong>s</strong> hypothèses dont on peut se servir pour rendre compte <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
comportements observés. De même, l’intérêt <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes <strong>de</strong> l’irrationalité est<br />
<strong>de</strong> fournir <strong><strong>de</strong>s</strong> outils pour l’explication <strong>de</strong> l’action. Cela dit, la théorie du choix<br />
rationnel est aussi, <strong>et</strong> même d’abord, une théorie normative. Elle dicte à l’agent ce<br />
qu’il doit faire afin <strong>de</strong> réaliser ses proj<strong>et</strong>s au mieux possible. Une fois établie c<strong>et</strong>te<br />
prescription, l’observateur peut la transformer en prédiction. En posant comme<br />
hypothèse explicative que l’individu dont il s’agit est en eff<strong>et</strong> rationnel, on vérifie<br />
celle-ci en comparant son comportement observé avec le comportement que<br />
recomman<strong>de</strong> la théorie.<br />
Il importe <strong>de</strong> voir que c<strong>et</strong>te vérification fournit un critère nécessaire mais non<br />
suffisant <strong>de</strong> la rationalité du comportement. Autrement dit, même un comportement<br />
qui est conforme aux prescriptions <strong>de</strong> la théorie du choix rationnel pourrait être le<br />
résultat d’un mécanisme irrationnel. Ou bien, pour le dire encore autrement, la<br />
rationalité ou l’irrationalité d’une action n’est pas un attribut <strong>de</strong> l’action elle-même<br />
mais du processus qui l’engendre. Le <strong>cours</strong> explore également les mécanismes<br />
susceptibles <strong>de</strong> « mimer » la rationalité (c’est-à-dire où tout se passe « comme si »<br />
l’agent était animé par la rationalité subjective, même lorsque l’on peut démontrer<br />
que tel n’est pas le cas), tels que la sélection naturelle. On rencontre parfois l’idée <strong>de</strong><br />
la rationalité <strong><strong>de</strong>s</strong> émotions, fondée sur l’efficacité <strong><strong>de</strong>s</strong> réactions émotionnelles <strong>et</strong><br />
quasi automatiques aux situations dangereuses. Or à mon avis il ne faut pas confondre<br />
le caractère adaptatif <strong>de</strong> ces réactions <strong>et</strong> leur prétendu caractère rationnel. Le fait que<br />
la sélection naturelle ait produit <strong><strong>de</strong>s</strong> comportements qui sont souvent les mêmes que<br />
ceux qu’aurait choisis un agent rationnel ne prouve en rien qu’il s’agit d’actions<br />
rationnelles. De manière plus importante, je montre dans les <strong>de</strong>ux conférences sur<br />
les passions que la simulation <strong>de</strong> la rationalité par la sélection naturelle risque d’être<br />
imparfaite, <strong>et</strong> que les réactions émotionnelles au danger enfreignent souvent les<br />
normes <strong>de</strong> la rationalité. Le comportement <strong><strong>de</strong>s</strong> gouvernements occi<strong>de</strong>ntaux à la suite<br />
du 11 septembre 2001 en offre sans doute un exemple.<br />
A mon avis, l’influence <strong>de</strong> la sélection naturelle sur la capacité à faire <strong><strong>de</strong>s</strong> choix<br />
rationnels délibérés est beaucoup plus importante que l’existence en nous, produite<br />
par l’évolution, <strong>de</strong> réactions automatiques capables <strong>de</strong> simuler la rationalité. Il<br />
s’agit en quelque sorte d’une distinction entre la vente en gros <strong>et</strong> la vente au détail.
510 JON ELSTER<br />
Dans un environnement complexe, la capacité à former <strong><strong>de</strong>s</strong> croyances bien fondées<br />
<strong>et</strong> à opérer <strong><strong>de</strong>s</strong> arbitrages cohérents entre les diverses fins qui s’imposent est<br />
essentielle. Le <strong>cours</strong> traite à c<strong>et</strong> égard du problème <strong><strong>de</strong>s</strong> poids relatifs qu’il convient<br />
d’accor<strong>de</strong>r aux biens proches dans le temps <strong>et</strong> aux biens plus éloignés. Il existe<br />
maintenant une littérature considérable suggérant fortement que c<strong>et</strong> arbitrage est<br />
typiquement incohérent, comme je l’ai indiqué dans le diagramme <strong>de</strong> tout à<br />
l’heure. On pourrait penser que c<strong>et</strong>te incohérence constitue un handicap sévère<br />
pour l’organisme, mais apparemment il n’en est rien.<br />
En second lieu, on peut faire appel à une analogie sociale <strong>de</strong> la sélection naturelle,<br />
notamment à la concurrence du marché. Ainsi, l’on pourrait réconcilier l’hypothèse<br />
<strong>de</strong> l’agent rationnel avec certaines modélisations <strong>de</strong> la rationalité qui lui imposent<br />
un far<strong>de</strong>au cognitif très lourd. Adm<strong>et</strong>tons que <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes <strong>de</strong> chair<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> sang soient incapables d’accomplir les calculs pour lesquels les chercheurs ont<br />
besoin <strong>de</strong> plusieurs pages <strong>de</strong> mathématiques avancées. Dans la réalité, les agents<br />
sociaux utilisent <strong><strong>de</strong>s</strong> critères <strong>de</strong> décisions souvent très grossiers. Ils coupent la poire<br />
en <strong>de</strong>ux, imitent le voisin, recherchent un seuil <strong>de</strong> satisfaction plutôt qu’un<br />
maximum, <strong>et</strong>c. On peut néanmoins affirmer qu’ils se comportent comme s’ils<br />
étaient capables <strong>de</strong> calculs sophistiqués, puisque ceux qui s’écartent du<br />
comportement optimal sont éliminés par le marché. L’irrationalité, dans c<strong>et</strong>te<br />
perspective, ne serait qu’un phénomène passager <strong>et</strong> éphémère.<br />
Ce raisonnement, qui est au fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> l’hypothèse <strong>de</strong> la rationalité<br />
« comme si » adoptée par l’économie mo<strong>de</strong>rne, est pourtant extrêmement faible. Il<br />
y a <strong>de</strong> nombreuses disanalogies entre la sélection naturelle <strong>et</strong> la concurrence du<br />
marché, dont la plus importante découle peut-être du fait que l’environnement<br />
économique change trop vite pour que la concurrence ait le temps d’éliminer les<br />
agents qui auraient choisi <strong><strong>de</strong>s</strong> critères <strong>de</strong> décision sous-optimaux. De plus, la<br />
plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> choix <strong><strong>de</strong>s</strong> agents sociaux ne se font pas dans le cadre d’une situation<br />
concurrentielle dont les perdants seraient éliminés. Finalement, dans l’histoire du<br />
mon<strong>de</strong>, les sociétés <strong>de</strong> marché constituent un phénomène exceptionnel.<br />
Il convient ainsi <strong>de</strong> bien distinguer les <strong>de</strong>ux propositions suivantes. D’une part,<br />
une proposition empirique : ni les émotions ni le marché ne ten<strong>de</strong>nt en général à<br />
produire, <strong>de</strong> manière systématique, <strong><strong>de</strong>s</strong> comportements adaptatifs. D’autre part,<br />
une proposition conceptuelle : l’adaptation, qui est un fait objectif, n’a rien à voir<br />
avec la rationalité, qui est un fait subjectif. Dans la suite <strong>de</strong> ce <strong>cours</strong>, j’insisterai<br />
toujours sur le caractère radicalement subjectif <strong>de</strong> la rationalité, même si <strong>de</strong> temps<br />
en temps il me faudra faire face aux implications contre-intuitives <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te approche.<br />
N’est-il pas absur<strong>de</strong>, par exemple, d’affirmer que le toxicomane soit rationnel ?<br />
Je répondrai que ce n’est pas absur<strong>de</strong>, même si, le plus souvent, c’est faux.<br />
Supposons maintenant que nous nous proposions <strong>de</strong> vérifier l’hypothèse <strong>de</strong><br />
l’homme économique dans une situation précise, <strong>et</strong> qu’elle s’avère fausse. Puisque<br />
l’hypothèse comporte les diverses composantes qu’on a vues, il est difficile <strong>de</strong><br />
savoir ce qu’il faut en conclure. Selon la thèse dite <strong>de</strong> Duhem-Quine, nos
RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 511<br />
hypothèses ne confrontent pas le mon<strong>de</strong> une par une, mais en bloc <strong>et</strong> <strong>de</strong> manière<br />
simultanée. Même lorsqu’une expérience est conçue afin <strong>de</strong> son<strong>de</strong>r une hypothèse<br />
précise, un résultat négatif n’infirme pas forcément celle-ci, car il se peut que le<br />
coupable soit l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> hypothèses auxiliaires adoptées implicitement ou<br />
explicitement par le chercheur. Dans le cas qui nous concerne ici, il est parfois<br />
difficile <strong>de</strong> savoir si les résultats d’une expérience donnée réfutent l’hypothèse <strong>de</strong><br />
la rationalité ou celle d’une motivation intéressée. Dans mon <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année<br />
<strong>de</strong>rnière, j’ai cité le comportement électoral comme un exemple possible. Pour<br />
expliquer pourquoi les électeurs se donnent la peine <strong>de</strong> voter, on peut comprendre<br />
leur vote comme un don à la société. Ce serait l’explication par le désintéressement.<br />
On pourrait également interpréter leur décision <strong>de</strong> se déplacer pour voter comme<br />
l’eff<strong>et</strong> d’une sorte <strong>de</strong> pensée magique. Chaque individu se dirait, <strong>de</strong> manière plus<br />
ou moins consciente, que s’il vote, d’autres avec les mêmes caractéristiques que lui<br />
le feront également. « Si je vote, ceux qui sont comme moi voteront aussi. » Ce<br />
serait l’explication par l’irrationalité.<br />
Je voudrais dire <strong>de</strong>ux mots sur le rôle <strong>de</strong> l’inconscient dans les phénomènes<br />
irrationnels. Il me semble évi<strong>de</strong>nt que les processus inconscients y jouent un rôle<br />
important. La réduction <strong>de</strong> la dissonance cognitive <strong>et</strong> la formation <strong>de</strong> croyances<br />
motivées sont <strong><strong>de</strong>s</strong> processus qui se déroulent « dans le dos » <strong>de</strong> l’agent, sans qu’il<br />
en soit conscient. Il ne s’agit pas là d’un constat empirique, mais d’une vérité<br />
conceptuelle. La nature exacte <strong>de</strong> ces processus nous est largement inconnue. On<br />
peut déduire leur existence à partir <strong>de</strong> leurs eff<strong>et</strong>s, un peu comme on a déduit<br />
l’existence <strong>de</strong> la matière noire dans l’univers.<br />
Il serait tentant <strong>de</strong> conclure, avec le premier Freud, que les processus <strong>de</strong><br />
l’inconscient sont suj<strong>et</strong>s au Principe <strong>de</strong> Plaisir. Ainsi l’on adopte parfois une<br />
opinion ou une croyance non pas parce qu’elle est appuyée par les observations ou<br />
les expériences, mais pour le plaisir qu’on en tire. Le <strong>cours</strong> en examine <strong>de</strong> nombreux<br />
exemples. La propriété fondamentale <strong>de</strong> ces processus inconscients consiste en ce<br />
qu’ils sont dirigés vers la satisfaction immédiate. L’inconscient est incapable <strong>de</strong><br />
reculer pour mieux sauter. Agir en vue d’une fin éloignée présuppose que celle-ci<br />
soit représentée sur l’écran mental <strong>de</strong> l’agent, ce qui justement est un trait constitutif<br />
<strong>de</strong> la conscience. Attribuer c<strong>et</strong>te capacité à l’inconscient serait donc en faire une<br />
conscience. Je citerai pourtant aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> cas dans lesquels un agent semble adopter<br />
une croyance qui ne correspond ni à ce qu’il a <strong>de</strong> bonnes raisons <strong>de</strong> croire ni à ce<br />
qu’il désire être le cas. Qu’on pense par exemple à la jalousie d’Othello ou à celle<br />
du Narrateur chez Proust. Pour comprendre ces comportements, peut-on faire<br />
appel au second Freud, celui <strong>de</strong> Au-<strong>de</strong>là du principe <strong>de</strong> plaisir ? A mon avis, l’idée<br />
<strong>de</strong> la pulsion <strong>de</strong> mort est trop spéculative pour être d’une utilité quelconque. Le<br />
<strong>cours</strong> n’offre pas <strong>de</strong> meilleure alternative, malheureusement.<br />
Une autre question très difficile concerne l’existence <strong>de</strong> croyances <strong>et</strong> d’émotions<br />
inconscientes. Dans les phénomènes <strong>de</strong> mauvaise foi ou <strong>de</strong> duperie <strong>de</strong> soi-même,<br />
il semble y avoir non seulement une croyance motivée, mais également la
512 JON ELSTER<br />
suppression d’une croyance initiale plus pénible encore que mieux fondée. Or<br />
comme on le sait <strong>de</strong>puis Sartre, nommer l’instance mentale qui effectue c<strong>et</strong>te<br />
suppression cause <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes formidables.<br />
De plus, il faut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si les croyances inconscientes ont en commun avec<br />
les croyances conscientes <strong>de</strong> pouvoir servir <strong>de</strong> prémisses à l’action. Considérons<br />
l’exemple hypothétique suivant. Un homme se ment à lui-même sur la fidélité <strong>de</strong><br />
son épouse, ayant supprimé la conscience du fait qu’elle le trompe avec son<br />
meilleur ami. Afin qu’il puisse rester ignorant au niveau <strong>de</strong> la conscience, son<br />
inconscient l’empêche <strong>de</strong> se promener dans les parties <strong>de</strong> la ville où il risquerait <strong>de</strong><br />
rencontrer son épouse avec son amant. En principe, on pourrait tester l’hypothèse<br />
d’une croyance inconsciente en annonçant au suj<strong>et</strong> que l’amant <strong>de</strong> sa femme va se<br />
trouver en tel lieu, où le suj<strong>et</strong> se rend régulièrement, un jour donné, pour voir s’il<br />
évite d’y aller. Dans la conférence sur les croyances motivées on voit que certaines<br />
expériences psychologiques suggèrent la possibilité d’une telle manipulation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
suj<strong>et</strong>s par leur inconscient. Tant que le problème <strong>de</strong> l’instance <strong>de</strong> la suppression<br />
n’est pas résolu, l’interprétation <strong>de</strong> ces résultats reste pourtant fragile. L’idée<br />
d’émotion inconsciente est ambiguë. Il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> émotions qui s’ignorent, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
émotions qu’on supprime. Un observateur peut constater la colère ou l’amour<br />
chez une personne qui n’a pas elle-même conscience <strong>de</strong> ressentir ces émotions.<br />
Dans une culture qui n’a pas conceptualisé la notion <strong>de</strong> dépression, comme c’est<br />
apparemment le cas à Tahiti, un jeune homme dont l’amie l’a quitté pour un<br />
autre <strong>et</strong> qui exhibe toutes les signes cliniques <strong>de</strong> la dépression, dira simplement<br />
qu’il est « fatigué ».<br />
Les émotions qu’on supprime mais qui persistent dans l’inconscient présentent<br />
un problème plus aigu. Nous avons tous, sans doute, observé la transmutation <strong>de</strong><br />
l’émotion <strong>de</strong> l’envie en indignation. Un observateur constate sans difficulté la<br />
persistance <strong>de</strong> l’envie, par le ton <strong><strong>de</strong>s</strong> remarques dérogatoires que fait le suj<strong>et</strong> envieux<br />
sur l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> son émotion, mais le suj<strong>et</strong> lui-même se voit dans un état <strong>de</strong> juste<br />
colère. Nous avons affaire dans ce cas non pas à une simple ignorance, mais à une<br />
ignorance motivée. La nature hi<strong>de</strong>use <strong>de</strong> l’envie induit un désir <strong>de</strong> la supprimer<br />
ou <strong>de</strong> la transmuer, mais même reléguée à l’inconscient, elle continue d’exercer<br />
une influence causale sur le comportement. On ne comprend pas très bien<br />
comment cela se fait, mails il est difficile <strong>de</strong> nier l’existence du phénomène.<br />
Voici le schéma <strong>de</strong> base qui sert <strong>de</strong> cadre conceptuel pour le <strong>cours</strong> tout entier.<br />
Les flèches épaisses ont une double interprétation, puisqu’elles représentent à la<br />
fois <strong><strong>de</strong>s</strong> relations <strong>de</strong> causalité <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> relations d’optimalité. Considérons les rapports<br />
entre action, désirs <strong>et</strong> croyances. D’une part, les flèches indiquent que l’action<br />
choisie est le meilleur moyen <strong>de</strong> réaliser les désirs <strong>de</strong> l’agent, étant donné ses<br />
croyances. D’autre part, elles indiquent que ces désirs <strong>et</strong> ces croyances constituent<br />
les causes <strong>de</strong> l’action. Nous avons vu que Max Weber, en soulignant uniquement<br />
l’optimalité <strong>de</strong> l’action rationnelle, a sous-estimé l’importance <strong><strong>de</strong>s</strong> relations<br />
causales.
RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 513<br />
Action<br />
Désirs (préférences) Croyances (opinions)<br />
Informations<br />
Les flèches minces, en revanche, représentent <strong><strong>de</strong>s</strong> relations causales qui ne sont<br />
pas en même temps <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports d’optimalité. Dans le <strong>cours</strong>, ces relations causales<br />
ont évi<strong>de</strong>mment une gran<strong>de</strong> importance. Sans entrer dans tous les détails,<br />
considérons simplement la flèche qui va <strong><strong>de</strong>s</strong> désirs vers les croyances. C<strong>et</strong>te<br />
influence causale équivaut en gros à prendre ses désirs pour <strong><strong>de</strong>s</strong> réalités. On forme<br />
la croyance que le mon<strong>de</strong> est tel qu’on voudrait qu’il soit. Je dis « en gros »,<br />
puisqu’on a déjà vu <strong><strong>de</strong>s</strong> cas, comme celui <strong>de</strong> la jalousie d’Othello, dans lesquels<br />
l’agent tend à former les croyances qu’il a intérêt à trouver fausses.<br />
Le schéma représente l’explication non seulement d’une action, mais également<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> croyances <strong>de</strong> l’agent <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa recherche d’information. De manière plus précise,<br />
ce <strong>de</strong>rnier explanandum comprend la quantité <strong>de</strong> ressources — que ce soit en<br />
temps ou en argent — que l’agent consacre à l’acquisition <strong>de</strong> nouvelles informations,<br />
en sus <strong>de</strong> celles qu’il possè<strong>de</strong> déjà. C<strong>et</strong>te variable, souvent négligée dans l’analyse<br />
du choix rationnel, est d’une importance fondamentale. On verra notamment que<br />
plusieurs formes d’irrationalité ont leurs origines dans un investissement soit<br />
insuffisant soit excessif dans l’acquisition d’information.<br />
L’acquisition d’information est une action ou un ensemble d’actions. Donc <strong>de</strong><br />
manière générale, l’action principale se double d’une action secondaire ou préalable,<br />
sauf si l’agent déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> ne recueillir aucune information supplémentaire. Dans
514 JON ELSTER<br />
certains cas, l’action principale <strong>et</strong> l’action secondaire coïnci<strong>de</strong>nt. Dans la guerre,<br />
dit Napoléon, « on s’engage <strong>et</strong> puis on voit ». Supposons qu’un général, avant <strong>de</strong><br />
livrer une bataille, cherche à déterminer l’esprit combatif <strong><strong>de</strong>s</strong> troupes adverses.<br />
Pour y parvenir, la métho<strong>de</strong> la plus sûre est souvent d’engager le combat. Dans le<br />
cas typique, il s’agit pourtant d’actions distinctes. L’achat d’une voiture est autre<br />
chose que les visites chez les ven<strong>de</strong>urs d’automobiles <strong>et</strong> la lecture <strong><strong>de</strong>s</strong> brochures.<br />
En revanche, la formation <strong>de</strong> croyances ne constitue pas une action. On ne peut<br />
pas se déci<strong>de</strong>r à croire, même dans le cas où avoir une certaine croyance serait<br />
avantageuse. Considérons par exemple le cas du fumeur qui voudrait arrêter <strong>de</strong><br />
fumer mais qui n’y arrive pas. Il sait que s’il croyait que le risque <strong>de</strong> développer<br />
un cancer du poumon était certain, il arrêterait. Il a donc intérêt à y croire. Or les<br />
croyances se comman<strong>de</strong>nt en amont, par les raisons qui les justifient, non pas d’en<br />
aval, par les conséquences qui en découlent. Comme l’a démontré Bernard Williams<br />
dans un article justement célèbre,<br />
On ne peut pas à la fois croire que p <strong>et</strong> croire que la croyance que p est une conséquence<br />
<strong>de</strong> la décision <strong>de</strong> croire que p (Bernard Williams, « Deciding to believe », in Problems of<br />
the Self).<br />
Cela dit, comment comprendre la formation <strong><strong>de</strong>s</strong> croyances ? Au fond, c’est un<br />
processus passif. Sartre dit quelque part qu’on tombe en mauvaise foi comme on<br />
tombe en sommeil, <strong>et</strong> c’est vrai aussi, je pense, pour les croyances ordinaires. On<br />
se trouve avoir telle ou telle opinion.<br />
Dans c<strong>et</strong>te perspective, l’idée <strong>de</strong> croyances rationnelles pourrait sembler<br />
mystérieuse. A mon avis, elle est étroitement liée aux qualités <strong>de</strong> jugement <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
bon sens. Chez celui qui possè<strong>de</strong> ces qualités, la synthèse spontanée <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses<br />
éléments d’information, <strong>de</strong> pertinence <strong>et</strong> <strong>de</strong> fiabilité souvent très variables, se fait<br />
d’une manière qui accor<strong>de</strong> à chacune d’entre elles son poids approprié. On peut<br />
citer ici les observations d’un économiste éminent, Paul Krugman, sur l’ancien<br />
directeur <strong>de</strong> la Réserve Fédérale aux Etats-Unis Alan Greenspan. Plutôt que <strong>de</strong><br />
s’appuyer sur <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles formels <strong>de</strong> l’économie,<br />
Greenspan avait la capacité <strong>de</strong> <strong>de</strong>viner, à partir <strong>de</strong> données fragmentaires <strong>et</strong> parfois<br />
contradictoires, la direction du vent économique (Paul Krugman, New York Times, octobre<br />
28 2005).<br />
La formation <strong>de</strong> croyances rationnelles est ainsi une question <strong>de</strong> capacités<br />
personnelles <strong>et</strong> intimes, dont le possesseur lui-même ignore le mo<strong>de</strong> d’opération,<br />
plutôt que <strong>de</strong> procédures mécaniques susceptibles d’être enseignées <strong>et</strong> transmises.<br />
Certes, c<strong>et</strong>te proposition est controversée. Les spécialistes <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences <strong>de</strong> la<br />
décision proposent toute une gamme <strong>de</strong> techniques qui sont supposées perm<strong>et</strong>tre<br />
la formation <strong>et</strong> la mise à jour <strong>de</strong> croyances rationnelles. A mon avis, ces idées n’ont<br />
pourtant aucune réalité psychologique. Comme je ne suis pas moi-même spécialiste<br />
en la matière, ce jugement pourrait sembler téméraire. Le <strong>cours</strong> essaie dans une<br />
certaine mesure <strong>de</strong> le justifier.
RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 515<br />
Pour revenir au schéma, les antécé<strong>de</strong>nts directs <strong>de</strong> l’action sont les désirs (ou<br />
préférences) <strong>et</strong> les croyances (ou opinions) <strong>de</strong> l’agent. Dans ma conception, les<br />
croyances <strong>et</strong> les opinions sont <strong>de</strong> nature exclusivement positive. Même si l’on dit<br />
couramment, « A mon avis l’avortement est inacceptable », je compte <strong>de</strong> telles<br />
propositions comme l’expression d’une préférence plutôt que d’une opinion. Pour<br />
éviter tout malentendu, il convient aussi <strong>de</strong> préciser que je n’utilise pas le mot<br />
« préférence » au sens d’un simple goût, ni le mot « désir » au sens d’une impulsion<br />
plus ou moins violente. Ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> termes techniques qui couvrent toutes sortes<br />
<strong>de</strong> motivations, hédoniques, esthétiques, éthiques ou autres.<br />
Il vaut peut-être la peine <strong>de</strong> s’attar<strong>de</strong>r un instant sur <strong>de</strong>ux différences entre la<br />
notion <strong>de</strong> désir <strong>et</strong> celle <strong>de</strong> préférence. Les préférences m<strong>et</strong>tent nécessairement en<br />
jeu <strong>de</strong>ux obj<strong>et</strong>s ou plusieurs, pour les comparer, tandis qu’un désir porte sur un<br />
seul obj<strong>et</strong> <strong>et</strong> ne comporte en lui-même aucun élément comparatif. Ainsi on peut<br />
parler d’un renversement <strong>de</strong> préférences, mais seulement d’un changement <strong>de</strong><br />
l’obj<strong>et</strong> du désir. C<strong>et</strong>te distinction va s’avérer importante dans les analyses <strong>de</strong> ce que<br />
l’on peut appeler l’irrationalité diachronique.<br />
Un système <strong>de</strong> préférences est susceptible d’être incohérent, si par exemple on<br />
préfère un obj<strong>et</strong> X à un autre obj<strong>et</strong> Y, l’obj<strong>et</strong> Y à l’obj<strong>et</strong> Z, <strong>et</strong> enfin Z à X. Un<br />
désir est incohérent si la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong>de</strong> son obj<strong>et</strong> comporte une contradiction,<br />
comme c’est le cas du désir d’être présent à ses propres funérailles pour y entendre<br />
son oraison funèbre. C<strong>et</strong>te distinction est pertinente pour les analyses <strong>de</strong><br />
l’irrationalité synchronique.<br />
J’opère également une distinction dans le <strong>cours</strong> entre préférences substantielles<br />
<strong>et</strong> préférences formelles. Les premières expriment l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’agent envers <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
obj<strong>et</strong>s spécifiques, comme une préférence pour les oranges sur les pommes ou la<br />
préférence pour un candidat politique sur un autre. Les <strong>de</strong>rnières expriment<br />
l’attitu<strong>de</strong> envers le temps <strong>et</strong> envers le risque. On peut ainsi préférer un bien<br />
moindre immédiat à un bien plus important mais futur. Je parlerai alors<br />
d’impatience. Un agent peut aussi avoir une préférence pour l’action immédiate<br />
par rapport à une action différée. Dans ce cas, je parlerai d’urgence. Enfin, on<br />
observe souvent l’aversion pour le risque, quand un agent préfère un bien sûr à un<br />
bien incertain ayant une valeur attendue plus élevée.<br />
Pour illustrer :<br />
L’impatience : l’agent préfère 100 euros aujourd’hui à 200 euros dans un an.<br />
L’urgence : l’agent préfère agir aujourd’hui pour obtenir 100 euros après-<strong>de</strong>main plutôt<br />
qu’agir <strong>de</strong>main pour obtenir 200 euros après-<strong>de</strong>main.<br />
Le risque : l’agent préfère 100 euros à une loterie qui lui donne ou bien 50 euros avec<br />
une probabilité <strong>de</strong> 50 % ou bien 200 euros avec une probabilité <strong>de</strong> 50 %.<br />
Tandis que l’impatience <strong>et</strong> le risque sont <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes bien connus, l’urgence<br />
l’est moins. Dans le <strong>cours</strong>, je défends néanmoins l’idée que dans les choix faits sous<br />
l’impulsion <strong>de</strong> l’émotion, l’urgence est susceptible <strong>de</strong> prendre une importance<br />
considérable.
516 JON ELSTER<br />
Les croyances sont ou bien factuelles ou bien causales. Autrement dit, elles portent<br />
sur l’existence <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses actions qu’on pourrait choisir ainsi que sur les<br />
conséquences du choix <strong>de</strong> l’une d’entre elles. On risque <strong>de</strong> mal choisir faute d’avoir<br />
assez réfléchi aux conséquences à long terme <strong>de</strong> chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> actions possibles, mais<br />
aussi faute d’avoir parcouru une gamme d’options suffisamment large. La distinction<br />
est importante surtout en ce qui concerne la recherche d’informations<br />
supplémentaires. Il y a souvent un arbitrage entre l’exploration en profon<strong>de</strong>ur <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
conséquences du choix <strong>de</strong> l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> options connues <strong>et</strong> l’exploration en extension<br />
du champ <strong><strong>de</strong>s</strong> options. C<strong>et</strong> arbitrage est pourtant suj<strong>et</strong> à une incertitu<strong>de</strong> profon<strong>de</strong>.<br />
Les croyances qui portent sur les conséquences <strong>de</strong> l’action sont susceptibles<br />
d’avoir <strong>de</strong>ux composantes. D’une part, l’agent peut croire que s’il fait A, une <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
conséquences X, Y ou Z va se produire, tandis qu’il peut exclure les conséquences<br />
V <strong>et</strong> W. D’autre part, il peut assigner une probabilité numérique précise à chacune<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences. Comme toute probabilité, il s’agit d’une évaluation subjective,<br />
même si elle peut s’appuyer en partie sur <strong><strong>de</strong>s</strong> fréquences objectives. Si la croyance<br />
comporte la première composante mais non pas la secon<strong>de</strong>, nous avons une<br />
situation d’incertitu<strong>de</strong>, tandis que la présence <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux composantes définit une<br />
situation <strong>de</strong> risque.<br />
Pourtant il convient <strong>de</strong> nuancer un peu. Dans la définition technique <strong>de</strong><br />
l’incertitu<strong>de</strong>, on suppose qu’exactement une <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences possibles va se<br />
produire. Elles sont mutuellement exclusives <strong>et</strong> conjointement exhaustives. Pour<br />
que l’agent puisse faire c<strong>et</strong>te appréciation très précise, il faut évi<strong>de</strong>mment qu’il ait<br />
une connaissance très approfondie <strong>de</strong> la situation. Dans la pratique, on imagine<br />
mal qu’il ne puisse pas s’appuyer sur c<strong>et</strong>te connaissance afin <strong>de</strong> former une opinion<br />
sur la probabilité relative <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses conséquences. Même s’il est incapable<br />
d’assigner <strong><strong>de</strong>s</strong> probabilités quantitatives précises, il peut du moins conclure que<br />
telle conséquence est plus probable que telle autre.<br />
Par contraposition, si l’agent est vraiment incapable <strong>de</strong> dire quoi que ce soit sur<br />
la probabilité relative <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences, on ne peut pas lui imputer une appréciation<br />
précise <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences possibles. Selon la formule désormais célèbre <strong>de</strong> Donald<br />
Rumsfeld, la situation peut comporter <strong><strong>de</strong>s</strong> « inconnus inconnus », unknown<br />
unknowns, qui viennent en sus <strong><strong>de</strong>s</strong> « inconnus connus» dont on connaît la nature<br />
tout en ignorant leur probabilité. Dans la présence d’inconnus inconnus, il convient<br />
<strong>de</strong> parler d’ignorance plutôt que d’incertitu<strong>de</strong>. Le réchauffement climatique en est<br />
sans doute un bon exemple. Les eff<strong>et</strong>s lointains <strong>et</strong> indirects du réchauffement sont<br />
susceptibles, <strong>et</strong> même presque certains, <strong>de</strong> prendre <strong><strong>de</strong>s</strong> formes dont nous n’avons<br />
aujourd’hui aucune idée.<br />
La pertinence <strong>de</strong> ces questions pour le thème du <strong>cours</strong> est double. D’une part, les<br />
phénomènes d’incertitu<strong>de</strong> <strong>et</strong> d’ignorance affaiblissent la force normative <strong>et</strong> prédictive<br />
<strong>de</strong> la théorie du choix rationnel. Puisque l’agent fait son choix en fonction <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
conséquences probables <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses options, une connaissance moins complète <strong>de</strong><br />
celles-ci limite sa capacité à faire un choix rationnel. Même s’il est parfois possible
RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 517<br />
d’exclure certaines actions comme étant manifestement irrationnelles, il aura souvent<br />
l’embarras du choix parmi celles qui restent. Ainsi il faudrait substituer à la notion<br />
<strong>de</strong> choix rationnel celle, plus faible, <strong>de</strong> choix non irrationnel.<br />
D’autre part, <strong>et</strong> il s’agit là d’une implication <strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong> portée, l’incertitu<strong>de</strong><br />
<strong>et</strong> l’ignorance sont <strong><strong>de</strong>s</strong> sources profon<strong><strong>de</strong>s</strong> d’irrationalité. L’esprit humain a horreur<br />
du vi<strong>de</strong>. Il nous est très difficile d’accepter le fait que nous n’avons pas suffisamment<br />
d’information pour avoir une opinion sur un suj<strong>et</strong> donné. Dans une bouta<strong>de</strong><br />
amusante, Albert Hirschman caractérise une certaine culture latino-américaine par<br />
le besoin d’avoir « une opinion ferme <strong>et</strong> instantanée sur n’importe quel suj<strong>et</strong> ».<br />
Même si ce trait est en l’occurrence culturel, il s’agit aussi d’une tendance tout à<br />
fait universelle. Selon Montaigne,<br />
Il s’engendre beaucoup d’abus au mon<strong>de</strong> : ou pour dire plus hardiment, tous les abus du<br />
mon<strong>de</strong> s’engendrent, <strong>de</strong> ce, qu’on nous apprend à craindre <strong>de</strong> faire profession <strong>de</strong> nostre<br />
ignorance ; <strong>et</strong> sommes tenus d’accepter, tout ce que nous ne pouvons refuter (Montaigne,<br />
Essais III. XI.).<br />
Le <strong>cours</strong> se penche longuement sur les manifestations <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te crainte d’adm<strong>et</strong>tre<br />
notre ignorance ou, dans le langage <strong><strong>de</strong>s</strong> psychologues, du manque <strong>de</strong> tolérance <strong>de</strong><br />
l’ambiguïté.<br />
Dans le schéma <strong>de</strong> l’action rationnelle, les croyances <strong>et</strong> les opinions ont<br />
uniquement une valeur instrumentale. Elles servent à rendre plus probable ou<br />
moins coûteuse la réalisation <strong><strong>de</strong>s</strong> fins <strong>de</strong> l’agent. Sans doute sont-elles aussi parfois<br />
sources <strong>de</strong> satisfaction intrinsèque, comme lorsqu’on a une bonne opinion <strong>de</strong> soi,<br />
mais c<strong>et</strong> avantage n’entre pas parmi les éléments du schéma.<br />
Il est vrai que certains chercheurs ont proposé l’idée selon laquelle un agent<br />
rationnel cherche l’arbitrage optimal entre une opinion plaisante ou agréable <strong>et</strong><br />
une opinion bien fondée. Puisque le plaisir constitue la fin ultime <strong>de</strong> toute action,<br />
il serait irrationnel, selon eux, <strong>de</strong> négliger les plaisirs que l’on peut tirer <strong>de</strong> la<br />
croyance que le mon<strong>de</strong> est tel qu’on voudrait qu’il le soit. Celui qui ignore les<br />
signes d’un cancer naissant aura peut-être une espérance <strong>de</strong> vie plus courte, mais<br />
en revanche il aura vécu, supposons le, avec moins d’angoisse.<br />
Les multiples absurdités <strong>de</strong> ce raisonnement sont sans doute évi<strong>de</strong>ntes, mais il<br />
sera néanmoins utile <strong>de</strong> les épeler. En premier lieu, il faudrait évi<strong>de</strong>mment que le<br />
choix d’une opinion agréable, plutôt que d’une opinion bien fondée, soit un choix<br />
inconscient. Afin <strong>de</strong> tirer du plaisir d’une croyance agréable (le « warm glow ou<br />
eff<strong>et</strong> Valmont »), il faut croire qu’elle est bien fondée. En <strong>de</strong>uxième lieu, il n’y a<br />
aucune raison — empirique ou théorique — <strong>de</strong> penser que l’inconscient soit<br />
capable <strong>de</strong> faire les arbitrages qui s’imposent. Comme j’en ai fait la remarque plus<br />
haut, imputer à l’inconscient la capacité <strong>de</strong> calculer, c’est le faire trop semblable à<br />
la conscience. En <strong>de</strong>rnier lieu, la prémisse selon laquelle le plaisir est la fin ultime<br />
<strong>de</strong> toute action est indéfendable. Celui qui se bat pour une cause ne le fait pas<br />
pour son plaisir personnel, même si celui-ci est susceptible d’être augmenté par la<br />
surestimation <strong><strong>de</strong>s</strong> chances <strong>de</strong> victoire.
518 JON ELSTER<br />
L’acquisition d’information est guidée par ce qu’on appelle « la règle d’arrêt<br />
rationnelle ». Avant <strong>de</strong> commencer la collecte d’information, on doit définir les<br />
conditions dans lesquelles on arrêtera <strong>de</strong> chercher pour passer à l’action, conditions<br />
qui dépen<strong>de</strong>nt à la fois <strong><strong>de</strong>s</strong> désirs <strong>de</strong> l’agent <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses croyances.<br />
Considérons d’abord comment l’investissement dépend <strong><strong>de</strong>s</strong> bénéfices <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> coûts<br />
attendus <strong>de</strong> l’information. En ce qui concerne les bénéfices, on frôle le paradoxe,<br />
car comment peut-on déterminer la valeur d’informations supplémentaires sans<br />
déjà les possé<strong>de</strong>r ? Dans les situations qui se répètent régulièrement, l’expérience<br />
peut nous gui<strong>de</strong>r. Ainsi les mé<strong>de</strong>cins ont <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances très précises <strong>de</strong><br />
l’accroissement <strong>de</strong> la probabilité <strong>de</strong> détection d’un cancer qui se produit avec chaque<br />
test supplémentaire. Dans les situations sans précé<strong>de</strong>nt, ou ayant seulement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
précé<strong>de</strong>nts partiels, il est plus difficile <strong>et</strong> parfois même impossible <strong>de</strong> déterminer la<br />
valeur attendue <strong>de</strong> la recherche. Je reviendrai sur ce point la semaine prochaine.<br />
Il est parfois possible <strong>de</strong> résoudre c<strong>et</strong>te difficulté par une sorte <strong>de</strong> tâtonnement,<br />
représente par la boucle du diagramme. Supposons que je sois parti cueillir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
champignons dans une région que je connais mal. Je sais qu’en général les<br />
champignons poussent en groupes, mais j’ignore la distribution <strong>de</strong> ceux-ci sur le<br />
terrain. La question qui se pose est la suivante: quand dois-je arrêter <strong>de</strong> chercher<br />
<strong>et</strong> commencer, tant bien que mal, à cueillir ? Même s’il n’y a pas <strong>de</strong> réponse<br />
générale, la solution peut se présenter d’elle-même si je tombe sur une concentration<br />
<strong>de</strong> champignons tellement <strong>de</strong>nse que j’en aurai assez pour remplir mon panier. De<br />
manière semblable, on m<strong>et</strong> parfois fin à <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences médicales avant le temps<br />
prévu si le traitement expérimental s’avère rapi<strong>de</strong>ment si efficace qu’il serait<br />
contraire à l’éthique <strong>de</strong> le refuser au groupe <strong>de</strong> contrôle.<br />
Les coûts d’acquisition <strong>de</strong> l’information se divisent en coûts directs <strong>et</strong> en coûts<br />
d’opportunité. Si l’on va <strong>de</strong> magasin en magasin pour ach<strong>et</strong>er un produit donné<br />
le moins cher possible, il faut tenir compte du prix du taxi ou du tick<strong>et</strong> <strong>de</strong> métro.<br />
Il y a ensuite le coût d’opportunité, qui est la valeur <strong>de</strong> la meilleure utilisation<br />
alternative du temps consacré à la collecte d’information. Même si le prix du tick<strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> métro est inférieur au gain brut escompté par l’achat au prix le plus bas, la<br />
<strong>de</strong>mi-heure <strong>de</strong> voyage aurait pu être consacrée à <strong><strong>de</strong>s</strong> activités qui, pour l’agent, ont<br />
plus <strong>de</strong> valeur que le gain n<strong>et</strong>. Comme on le voit dans le <strong>cours</strong>, la négligence <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
coûts d’opportunité est susceptible d’être source d’irrationalité.<br />
Si nous passons à l’impact <strong><strong>de</strong>s</strong> préférences sur l’acquisition d’information,<br />
considérons d’abord l’impact <strong><strong>de</strong>s</strong> préférences formelles. Supposons que nous ayons<br />
affaire à un agent « myope », mot que j’utilise systématiquement pour nommer un<br />
agent qui attache peu d’importance aux conséquences éloignées dans le temps <strong>de</strong><br />
son choix présent. Dans l’achat d’un bien <strong>de</strong> consommation durable comme une<br />
voiture ou une machine à laver, c<strong>et</strong>te personne n’a pas intérêt à passer beaucoup<br />
<strong>de</strong> temps à comparer la durée <strong>de</strong> vie <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses marques. De même, l’attitu<strong>de</strong><br />
envers le risque peut influer sur les ressources qu’on investit pour déterminer les<br />
taux d’acci<strong>de</strong>nt <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes compagnies aériennes.
RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 519<br />
Les préférences substantielles façonneront également l’acquisition d’informations<br />
supplémentaires. Considérons <strong>de</strong>ux personnes qui ont été licenciées <strong>et</strong> qui cherchent<br />
un nouvel emploi, dans le cadre d’un régime d’assurances-chômages généreuses qui<br />
leur perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> maintenir un niveau <strong>de</strong> vie assez élevé. L’une d’entre elles ne<br />
s’intéresse au travail que pour le revenu qu’il lui procure, tandis que pour l’autre<br />
avoir un emploi est une condition essentielle du respect <strong>de</strong> soi, sans lequel elle tire<br />
peu <strong>de</strong> plaisir <strong>de</strong> ses activités <strong>de</strong> loisir. C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>uxième personne investira<br />
certainement un plus grand effort que la première dans sa quête d’un emploi, en<br />
cherchant <strong><strong>de</strong>s</strong> informations précises <strong>et</strong> détaillées sur le marché du travail qui lui<br />
perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> former <strong><strong>de</strong>s</strong> croyances bien fondées sur ses chances d’être embauché.<br />
Comme j’en ai déjà fait la remarque, un impact direct <strong><strong>de</strong>s</strong> préférences sur les<br />
croyances n’est pas compatible avec les principes <strong>de</strong> la rationalité. On vient <strong>de</strong> voir<br />
qu’un impact indirect, par l’intermédiaire <strong>de</strong> la collecte d’information, n’a en soi<br />
rien d’irrationnel. Si vous regar<strong>de</strong>z encore une fois le diagramme, vous constatez<br />
pourtant qu’il y a aussi une ligne mince — donc un mécanisme causal non<br />
rationnel — qui part <strong><strong>de</strong>s</strong> désirs pour arriver à l’information. Parfois, la formation<br />
<strong>de</strong> croyances motivées s’opère en eff<strong>et</strong> par un mécanisme plus subtil que la simple<br />
tendance à prendre ses désirs pour <strong><strong>de</strong>s</strong> réalités. Au lieu <strong>de</strong> la règle d’arrêt rationnelle,<br />
on peut adopter une « règle d’arrêt hédonique » <strong>et</strong> cesser la collecte d’information<br />
lorsque la croyance justifiée par les données accumulées est celle qu’on aimerait<br />
croire vraie. Il semble par exemple que Gregor Men<strong>de</strong>l, le père <strong>de</strong> la génétique<br />
quantitative, ait utilisé ce principe dans ses recherches statistiques. On observe un<br />
comportement apparenté chez les mé<strong>de</strong>cins qui arrêtent leur examen quand ils ont<br />
i<strong>de</strong>ntifié une cause, sans se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s’il pourrait y en avoir d’autres.<br />
J’en arrive maintenant à une question que vous vous êtes sans doute posée, à<br />
savoir le rôle unique <strong>et</strong> spécial <strong><strong>de</strong>s</strong> désirs dans l’analyse <strong>de</strong> l’action rationnelle.<br />
Comme vous le constatez, il n’y a aucune flèche épaisse qui aboutisse aux désirs.<br />
Les désirs constituent les données primitives à partir <strong><strong>de</strong>s</strong>quelles se construisent les<br />
diverses optimisations dont je viens <strong>de</strong> parler. Puisqu’ils servent <strong>de</strong> critères <strong>de</strong><br />
rationalité, ils ne sont pas susceptibles d’être évalués comme étant eux-mêmes plus<br />
ou moins rationnels.<br />
Certains trouveront sans doute bizarre l’affirmation qu’on peut être à la fois bête<br />
<strong>et</strong> rationnel. Le paradoxe disparaît pourtant dans le contexte explicatif, dans lequel<br />
il s’agit uniquement <strong>de</strong> comprendre le comportement <strong>de</strong> l’agent à partir <strong>de</strong> la seule<br />
hypothèse <strong>de</strong> la rationalité subjective. Un agent rationnel chercherait si nécessaire<br />
à ajuster ses croyances, en acquérant <strong><strong>de</strong>s</strong> informations supplémentaires, mais il n’a<br />
aucune incitation d’ajuster ses désirs.<br />
On peut néanmoins qualifier un désir ou un système <strong>de</strong> préférences d’irrationnel<br />
s’il est incohérent. J’ai déjà donné quelques illustrations <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te idée. Un exemple<br />
plus complexe, brièvement mentionné ici <strong>et</strong> dont je reparle longuement dans le<br />
<strong>cours</strong>, concerne les renversements <strong>de</strong> préférence à la suite du passage du temps. Or<br />
dans <strong>de</strong> tels cas, il ne s’agit pas d’évaluer un désir ou un ordre <strong>de</strong> préférence d’un<br />
point <strong>de</strong> vue externe, mais simplement <strong>de</strong> constater leur incohérence interne.
520 JON ELSTER<br />
Le <strong>cours</strong> couvre également les cas <strong>de</strong> figure dans lesquels l’agent est piégé dans<br />
<strong>et</strong> par ses croyances, semblable à l’agent myope qui est piégé dans <strong>et</strong> par son<br />
horizon temporel court, ainsi que <strong>de</strong> « l’ignorance pluraliste », c’est-à-dire les<br />
comportements collectifs qui se maintiennent par les croyances fausses, stables <strong>et</strong><br />
s’auto-justifiant qu’ont les agents sociaux les uns <strong><strong>de</strong>s</strong> autres. Pour simplifier il s’agit<br />
d’une situation où on suppose que la croyance ou le désir en question est peu<br />
répandu mais qu’il y une croyance très répandue qu’ils sont très répandus.<br />
J’explique dans le <strong>cours</strong> la logique <strong>de</strong> l’ignorance pluraliste par <strong><strong>de</strong>s</strong> exemples qui<br />
perm<strong>et</strong>tent aussi d’introduire une application importante <strong>de</strong> la théorie du choix<br />
rationnel, à savoir la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> jeux. A travers les exemples du Dilemme du<br />
Prisonnier ou du Jeu <strong>de</strong> l’Assurance, je propose <strong>de</strong> distinguer l’irrationalité non<br />
seulement <strong>de</strong> la bêtise, mais également <strong>de</strong> la malchance, qui s’avère en fait subsumer<br />
la bêtise. Il serait facile, par exemple, <strong>de</strong> taxer <strong>de</strong> bêtise le toxicomane qui meurt<br />
d’une surdose à vingt ans. Dans certains cas, l’accusation est sans doute justifiée,<br />
mais elle ne l’est pas si la seule <strong>et</strong> unique cause <strong>de</strong> son addiction se trouve dans le<br />
fait d’avoir un taux d’escompte du futur élevé. Bien que la psychologie ne soit pas<br />
encore en mesure d’expliquer la myopie <strong>de</strong> certains individus, il est certain que<br />
celle-ci n’est jamais choisie. L’individu myope est piégé.<br />
Publications 2007-2008<br />
« The night of August 4 1789 : A study in collective <strong>de</strong>cision making », Revue Européenne<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> sciences sociales, 2007.
Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives <strong>et</strong> internationalisation du droit<br />
Mireille Delmas-Marty, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences morales <strong>et</strong> politiques), professeure<br />
COURS : VERS UNE COMMUNAUTÉ DE VALEURS ? — LES DROITS FONDAMENTAUX<br />
Dans notre quête <strong>de</strong> valeurs communes, nous étions partis d’une intuition : on<br />
i<strong>de</strong>ntifie plus facilement ce qui choque la conscience commune que ce qui lui plaît.<br />
Nous avions donc choisi <strong>de</strong> commencer par la face la plus sombre, celle <strong><strong>de</strong>s</strong> Interdits<br />
fondateurs, ceux dont la violation caractérise les crimes à vocation universelle.<br />
Il fallut pourtant reconnaître que ces crimes internationaux, y compris le très<br />
emblématique crime « contre l’humanité », ne pourraient jouer le rôle fondateur<br />
d’une future communauté mondiale <strong>de</strong> valeurs qu’à la condition d’éviter tout<br />
fondamentalisme juridique, donc à la condition, en intégrant <strong><strong>de</strong>s</strong> variables <strong>de</strong><br />
temps <strong>et</strong> <strong>de</strong> lieu, d’adm<strong>et</strong>tre une interprétation évolutive <strong>et</strong> à plusieurs niveaux.<br />
Un tel constat nous suggérait alors <strong>de</strong> renoncer à la métaphore architecturale <strong>de</strong><br />
l’édifice construit sur <strong><strong>de</strong>s</strong> fondations qui se voudraient définitives. D’où l’énigme<br />
<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te communauté mondiale qui pour <strong>de</strong>venir inter/humaine, <strong>et</strong> pas seulement<br />
inter/étatique, se construit sans fondations préalables.<br />
Quand on passe à l’autre face, <strong><strong>de</strong>s</strong> interdits fondateurs aux droits que l’on persiste<br />
à nommer « fondamentaux », le mystère ne s’éclaircit pas pour autant. Même à<br />
l’échelle nationale, le « socle » <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme a été inscrit dans les constitutions<br />
bien après les « piliers » <strong>de</strong> la légalité <strong>et</strong> <strong>de</strong> la garantie judiciaire : en <strong>France</strong>, il<br />
faut attendre 1971 pour que le Conseil constitutionnel intègre la Déclaration <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
droits <strong>de</strong> l’homme <strong>de</strong> 1789 au « bloc <strong>de</strong> constitutionnalité » <strong>et</strong> 1974 pour qu’une<br />
réforme élargissant la procédure <strong>de</strong> saisine à un groupe <strong>de</strong> soixante parlementaires<br />
vienne transformer le Conseil en organe <strong>de</strong> contrôle quasi juridictionnel 1 . Au plan<br />
international, il faut attendre la même année 1974 pour que la <strong>France</strong> ratifie la<br />
1. C’est seulement en 2008 que sera créée l’exception d’inconstitutionnalité.
522 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />
Convention européenne <strong>de</strong> sauvegar<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme (CESDH), puis 1981<br />
pour qu’elle accepte le contrôle <strong>de</strong> la cour européenne <strong>et</strong> simultanément ratifie les<br />
<strong>de</strong>ux pactes internationaux <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations unies sur les droits <strong>de</strong> l’homme.<br />
Pour résoudre l’énigme, il faut non seulement déplacer le regard, <strong><strong>de</strong>s</strong> interdits<br />
fondateurs aux droits fondamentaux, mais encore parcourir un long chemin, <strong>de</strong> la<br />
renaissance du droit naturel à la naissance d’un droit commun.<br />
Les droits <strong>de</strong> l’homme ne peuvent en eff<strong>et</strong> donner naissance à un véritable droit<br />
commun que s’ils sont perçus, non pas comme un acte <strong>de</strong> foi énonçant <strong><strong>de</strong>s</strong> axiomes<br />
indémontrables, mais comme un processus dynamique. A la fois évolutifs <strong>et</strong> interactifs,<br />
les droits <strong>de</strong> l’homme ainsi compris ne « fon<strong>de</strong>nt » pas à proprement parler un<br />
édifice immobile mais suscitent un mouvement d’internationalisation <strong><strong>de</strong>s</strong> droits.<br />
Mais pour relever le défi d’une communauté qui se construit sans fon<strong>de</strong>ments<br />
préalables, il faut sans doute dépasser la vision qui assimile les droits fondamentaux<br />
aux seuls droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> amorcer une réflexion plus large afin <strong>de</strong> situer<br />
l’universalisme <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs au confluent d’une triple évolution : l’évolution biologique<br />
(hominisation), éthique (humanisation) <strong>et</strong> technologique (globalisation).<br />
Si les droits <strong>de</strong> l’homme semblent encore écartelés entre une hominisation<br />
unificatrice <strong>et</strong> une humanisation qui s’est construite sur la différentiation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
cultures, l’apparition <strong>de</strong> l’expression <strong>de</strong> « biens publics mondiaux » doit également<br />
être prise en considération car elle pourrait ai<strong>de</strong>r à résoudre les tensions entre<br />
hominisation <strong>et</strong> humanisation <strong>et</strong> contribuer ainsi à l’émergence <strong>de</strong> valeurs<br />
universalisables. A condition <strong>de</strong> ne pas imposer, au nom <strong>de</strong> la globalisation, une<br />
unification trop rapi<strong>de</strong> qui risquerait d’affaiblir l’humanisation.<br />
Car il reste à résoudre la contradiction entre l’universalisme affirmé par la Déclaration<br />
universelle <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme (DUDH) <strong>et</strong> le relativisme d’une humanisation<br />
qui s’est réalisée par différenciation, comme le confirme la convention <strong>de</strong> l’Unesco sur<br />
la diversité culturelle, qui présente c<strong>et</strong>te diversité comme « caractéristique inhérente à<br />
l’humanité », <strong>et</strong> la qualifie, elle aussi (tout comme la déclaration <strong>de</strong> 1997 l’avait fait<br />
du génome), <strong>de</strong> « patrimoine commun <strong>de</strong> l’humanité ». Si la dynamique interactive<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme peut contribuer à résoudre la contradiction, une solution pourrait<br />
aussi venir d’une vision élargie <strong><strong>de</strong>s</strong> droits fondamentaux qui engloberait non seulement<br />
les droits <strong>de</strong> l’homme mais encore les « biens publics mondiaux ». Malgré la<br />
dissymétrie apparente entre « droits » <strong>et</strong> « biens », c<strong>et</strong>te notion exprime en eff<strong>et</strong>,<br />
notamment dans le langage du Programme <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations unies pour le développement<br />
(PNUD) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Banque mondiale, l’idée qu’il serait possible <strong>de</strong> répondre à la globalisation<br />
par une solidarité transnationale <strong>et</strong> même transtemporelle.<br />
En somme, pour que les biens publics mondiaux puissent renforcer la dynamique<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> contribuer à la formation <strong>de</strong> valeurs universelles, il<br />
faudrait que la synergie ainsi créée soit assez puissante pour ordonner les valeurs<br />
<strong>et</strong> responsabiliser ceux qui les transgressent, les <strong>de</strong>ux conditions d’une véritable<br />
communauté <strong>de</strong> droit.
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 523<br />
Les droits <strong>de</strong> l’homme : <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs universelles en question<br />
Soixante ans après la Déclaration du 18 décembre 1948, les droits <strong>de</strong> l’homme<br />
se sont à la fois enrichis <strong>et</strong> obscurcis.<br />
Ils se sont enrichis, tant par la multiplication <strong><strong>de</strong>s</strong> sources juridiques <strong>et</strong> la<br />
diversification <strong>de</strong> leur contenu que par leur mise en œuvre par les juridictions,<br />
nationales, internationales ou supranationales, désormais compétentes. Cependant,<br />
même en Occi<strong>de</strong>nt, c<strong>et</strong>te juridicisation <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme ne va pas <strong>de</strong> soi.<br />
C’est d’ailleurs l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> limites <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sociologiques ou philosophiques qui<br />
situent l’émergence d’un champ <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme au carrefour du droit <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
la politique que <strong>de</strong> ne pas suffisamment tenir compte <strong>de</strong> la tradition, comme si<br />
l’intégration <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme au champ juridique marquait une évolution<br />
continue. Pour être complète, l’observation ne <strong>de</strong>vrait pas seulement porter sur<br />
l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> juridicisation <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme dans le champ politique, mais aussi<br />
sur leur eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> perturbation politique dans le champ juridique traditionnel. Nous<br />
avions montré au début <strong>de</strong> ce <strong>cours</strong> comment le « flou du droit », sinon créé du<br />
moins fortement accentué par le droit <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme, avait bouleversé les<br />
montages institutionnels traditionnels.<br />
Du même coup, les droits <strong>de</strong> l’homme se sont obscurcis, à mesure que la<br />
rédaction <strong><strong>de</strong>s</strong> textes, puis les problèmes posés par leur interprétation, révélaient<br />
non seulement les conflits potentiels entre divers droits <strong>de</strong> l’homme mais aussi<br />
entre divers choix culturels sous-jacents. Pour résoudre ces conflits, on r<strong>et</strong>rouve<br />
sans surprise les <strong>de</strong>ux voies, que nous avions commencé à explorer à propos <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
interdits fondateurs, du dialogue <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’approfondissement.<br />
Le dialogue fut entrouvert à propos <strong>de</strong> la Déclaration universelle (DUDH). Certes<br />
le proj<strong>et</strong> avait été conçu à partir <strong>de</strong> la collecte <strong><strong>de</strong>s</strong> textes existants, qui étaient tous<br />
d’origine occi<strong>de</strong>ntale, mais il y eut un début d’échange transculturel, notamment à<br />
propos <strong>de</strong> l’article 1. Pour ne pas comprom<strong>et</strong>tre l’universalisme <strong>de</strong> la déclaration, les<br />
rédacteurs ont finalement choisi d’éviter tout parti pris sur l’origine <strong>de</strong> l’égale dignité,<br />
en supprimant toute référence à Dieu comme à la nature.<br />
Le dialogue sera relancé, notamment auprès <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> régionales <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong><br />
l’homme, chaque fois que <strong><strong>de</strong>s</strong> désaccords apparaissent, qu’il s’agisse <strong>de</strong> situer le<br />
commencement <strong>de</strong> la vie (avortement) ou sa fin (euthanasie, peine <strong>de</strong> mort), <strong>de</strong><br />
caractériser les peines <strong>et</strong> traitements inhumains ou dégradants (débats sur la torture,<br />
ou les châtiments corporels), ou encore <strong>de</strong> concevoir le statut <strong><strong>de</strong>s</strong> non humains<br />
(débat ouvert par la Déclaration sur les droits <strong><strong>de</strong>s</strong> animaux).<br />
Mais le mon<strong>de</strong> n’est pas immobile <strong>et</strong> les découvertes scientifiques, ainsi que les<br />
nouvelles technologies qui en résultent (procréation médicalement assistée,<br />
recherche sur les cellules souches, clonage humain <strong>et</strong>c.), renouvellent chacun <strong>de</strong> ces<br />
débats, obligeant chaque culture à s’approfondir pour chercher une réponse<br />
compatible avec ses repères. Au choc <strong><strong>de</strong>s</strong> certitu<strong><strong>de</strong>s</strong> culturelles contradictoires<br />
s’ajoute l’instabilité née <strong><strong>de</strong>s</strong> incertitu<strong><strong>de</strong>s</strong> scientifiques.
524 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />
C’est ainsi que sont nés les comités d’éthique dont les avis, purement consultatifs,<br />
sont rendus au cas par cas. Si les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> sont apparemment opposées, entre un<br />
droit international <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme qui commence par définir <strong><strong>de</strong>s</strong> principes<br />
que l’on espère stables <strong>et</strong> la démarche éthique qui dégage <strong><strong>de</strong>s</strong> solutions nécessairement<br />
évolutives, les interactions sont évi<strong>de</strong>ntes, comme en témoignent d’une part <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
textes comme la convention sur « les droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> la biomé<strong>de</strong>cine »<br />
(Conseil <strong>de</strong> l’Europe) ou la déclaration sur « les droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> la bioéthique »<br />
(Unesco), d’autre part la casuistique <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> internationales.<br />
En somme, qu’on invoque les droits <strong>de</strong> l’homme directement ou par le biais <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
comités d’éthique, l’universalisme se cherche toujours par le dialogue <strong>et</strong> l’approfondissement.<br />
D’où notre hypothèse que, même s’ils sont dits « fondamentaux », les<br />
droits <strong>de</strong> l’homme fonctionnent moins comme <strong><strong>de</strong>s</strong> concepts constituant un socle <strong>de</strong><br />
valeurs universelles, qui détermineraient <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses supposées définitives, que<br />
comme <strong><strong>de</strong>s</strong> processus transformateurs qui déclenchent un mouvement <strong>de</strong> mise en<br />
compatibilité <strong><strong>de</strong>s</strong> différences.<br />
Nous avons tenté <strong>de</strong> le montrer à partir <strong>de</strong> trois couples antagoniques : « vie/<br />
mort », « humain/inhumain » <strong>et</strong> « humain/non humain ». S’ils n’épuisent évi<strong>de</strong>mment<br />
pas la question <strong>de</strong> l’universalisme <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme, du moins ces couples<br />
ont-ils le mérite d’illustrer la dynamique selon laquelle les droits <strong>de</strong> l’homme contribuent<br />
à l’élaboration, interactive <strong>et</strong> évolutive, <strong>de</strong> valeurs universalisables.<br />
Le couple « vie/mort »<br />
Si toutes les cultures valorisent la vie humaine, les instruments internationaux<br />
n’en font pas une valeur absolue, adm<strong>et</strong>tant explicitement diverses exceptions, <strong>de</strong><br />
la peine <strong>de</strong> mort à la guerre, en passant par la légitime défense, <strong>et</strong> laissant ouvertes<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> questions comme l’avortement ou l’euthanasie, renvoyées à la jurispru<strong>de</strong>nce<br />
nationale <strong>et</strong> internationale.<br />
Qu’il s’agisse d’attribuer le pouvoir <strong>de</strong> disposer <strong>de</strong> la vie, ou encore <strong>de</strong> situer le<br />
moment <strong>de</strong> la naissance <strong>et</strong> <strong>de</strong> la mort, les réponses s’inscrivent en eff<strong>et</strong> dans une<br />
diversité culturelle <strong>de</strong>venue source <strong>de</strong> désaccords. Hannah Arendt évoquait la<br />
différence entre la vie humaine bornée par un commencement <strong>et</strong> une fin (bios) <strong>et</strong><br />
le mouvement cyclique que la nature (zôè) impose à tout ce qui vit, « ne connaissant<br />
ni mort ni naissance au sens où nous entendons ces mots » 2 . C’est pourquoi,<br />
constatant que « la naissance <strong>et</strong> la mort <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres humains ne sont pas <strong>de</strong> simples<br />
évènements naturels », elle avait clairement souligné leur origine culturelle.<br />
D’où les nombreux désaccords, culturels <strong>et</strong> souvent religieux, car les questions<br />
liées au respect du droit à la vie s’inscrivent dans <strong><strong>de</strong>s</strong> conceptions fortement<br />
enracinées dans l’histoire <strong>de</strong> chaque peuple. Il n’est donc pas surprenant que les<br />
<strong>cours</strong> régionales <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme soient restées particulièrement circonspectes<br />
2. H. Arendt, Condition <strong>de</strong> l’homme mo<strong>de</strong>rne, Calmann-Lévy, 1988, p. 142.
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 525<br />
dans leurs interprétations, qu’il s’agisse <strong>de</strong> situer le commencement du droit à la<br />
vie — avortement volontaire ou involontaire, sur soi-même ou sur autrui — ou<br />
<strong>de</strong> définir ses conséquences quant au droit <strong>de</strong> choisir sa propre mort — du suici<strong>de</strong><br />
à l’euthanasie.<br />
S’ajoutent les incertitu<strong><strong>de</strong>s</strong> nées <strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes scientifiques <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles<br />
technologies biomédicales, car la convergence apparente entre l’universalisme <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
sciences <strong>et</strong> celui <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme ne doit pas laisser croire qu’ils sont<br />
i<strong>de</strong>ntiques. Certes la rencontre s’est faite lors du procès <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins nazis <strong>de</strong>vant<br />
les juges américains <strong>et</strong> le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> Nuremberg a servi <strong>de</strong> référence à l’adoption <strong>de</strong><br />
la Déclaration d’Helsinki par l’Association médicale mondiale en 1964. Et le droit<br />
dit <strong>de</strong> la bioéthique reste marqué par c<strong>et</strong>te origine commune avec le droit<br />
international pénal <strong>et</strong> celui <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme. Pourtant un juriste comme<br />
Bernard Mathieu n’hésite pas à soutenir la thèse selon laquelle l’universalisme <strong>de</strong><br />
la bioéthique est pour l’essentiel dérogatoire au regard <strong>de</strong> l’universalisme <strong><strong>de</strong>s</strong> droits<br />
<strong>de</strong> l’homme (dont il reconnaît d’ailleurs l’inspiration occi<strong>de</strong>ntale) 3 .<br />
L’hypothèse que nous avons proposé <strong>de</strong> vérifier est un peu différente dès lors que<br />
les droits <strong>de</strong> l’homme sont perçus, non comme <strong><strong>de</strong>s</strong> concepts déjà stabilisés (<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
textes sacrés), mais comme <strong><strong>de</strong>s</strong> processus transformateurs. A ce titre, ils sont en<br />
interaction avec les données <strong>de</strong> fait, y compris les données scientifiques qui peuvent<br />
être une incitation, comme les confrontations nées du dialogue <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures, à<br />
approfondir la réflexion confrontée aux nouvelles questions soulevées par les<br />
découvertes scientifiques. La difficulté est que certaines innovations technologiques,<br />
comme la procréation médicalement assistée (PMA renommée AMP par la loi <strong>de</strong><br />
1994), ont été admises avant que le travail d’approfondissement ait permis à<br />
chaque culture d’adapter ses représentations <strong>de</strong> la vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la mort aux nouvelles<br />
questions qu’elles suscitent, comme la recherche sur l’embryon.<br />
Seul un renouvellement du formalisme juridique peut faciliter l’harmonisation<br />
internationale, en préservant <strong><strong>de</strong>s</strong> marges nationales, mais il ne dispense pas <strong>de</strong> fixer<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> limites à ne pas franchir, au nom <strong>de</strong> valeurs communes qui pourraient conduire<br />
vers <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses universalisables, comme on commence à l’envisager pour<br />
l’interdiction du clonage reproductif humain ou l’abolition <strong>de</strong> la peine <strong>de</strong> mort.<br />
Apparemment très différents, ces <strong>de</strong>ux exemples ont pour point commun <strong>de</strong> relier<br />
la vie au respect <strong>de</strong> la dignité humaine, comprise à la fois par référence à l’homme<br />
<strong>et</strong> à l’humanité.<br />
Il est donc impossible <strong>de</strong> conclure sur ce seul couple vie/mort, profondément<br />
marqué par la diversité culturelle, en même temps que perturbé par les incertitu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
scientifiques. S’il ouvre malgré tout la voie vers un certain universalisme <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs,<br />
ce n’est pas en opposant la mort à la vie, mais sans doute en rappelant que le droit<br />
3. B. Mathieu, « La bioéthique ou comment déroger au droit commun <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme »,<br />
in La société internationale <strong>et</strong> les enjeux bioéthiques, dir. S. Maljean-Dubois, Pedone, 2006, p. 85 sq.
526 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />
à la vie est, bien au-<strong>de</strong>là du simple droit d’exister, la reconnaissance d’une spécificité<br />
humaine qui interdit d’infliger volontairement la mort dans <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions<br />
« inhumaines ».<br />
Le couple « humain/inhumain »<br />
Du couple « vie/mort » au couple « humain / inhumain », l’évolution dans la<br />
représentation <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs à vocation universelle est tardive <strong>et</strong> sans doute inachevée.<br />
Tardive car il faudra <strong><strong>de</strong>s</strong> pratiques massives <strong>de</strong> déshumanisation, notamment<br />
dans les camps nazis, pour que le refus <strong>de</strong> l’inhumain trouve à s’exprimer. Annoncé<br />
en tête <strong>de</strong> la DUDH, par le préambule qui vise les « actes <strong>de</strong> barbarie qui révoltent<br />
la conscience <strong>de</strong> l’humanité », le principe égale dignité <strong>de</strong> tous les êtres humains<br />
est inscrit à l’article 1er <strong>et</strong> sera placé par la suite en tête <strong>de</strong> la Charte <strong>de</strong> l’Union<br />
européenne sur les droits fondamentaux.<br />
Au plan national, le principe <strong>de</strong> dignité humaine est consacré en 1945 par la loi<br />
fondamentale alleman<strong>de</strong>, dont l’exemple sera suivi par <strong>de</strong> nombreuses constitutions.<br />
En <strong>France</strong>, il faut toutefois attendre 1994 pour qu’une décision du Conseil<br />
constitutionnel vienne tirer <strong>de</strong> la référence à « la victoire remportée par les peuples<br />
libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir <strong>et</strong> <strong>de</strong> dégra<strong>de</strong>r la personne humaine »<br />
(Préambule Constitution 1946 intégré au bloc <strong>de</strong> constitutionalité) le principe<br />
d’une protection constitutionnelle <strong>de</strong> la dignité humaine.<br />
Ce n’est pas un hasard si le Conseil a eu l’idée <strong>de</strong> « constitutionaliser » le principe<br />
<strong>de</strong> dignité à propos <strong><strong>de</strong>s</strong> lois bioéthiques : entre 1946 <strong>et</strong> 1994, le risque d’inhumanité<br />
a changé <strong>de</strong> visage. On savait que l’inhumain pouvait se conjuguer avec le respect<br />
<strong>de</strong> la vie — l’esclavage <strong>et</strong> la torture ne tuent pas toujours — <strong>et</strong> l’on connaissait<br />
déjà les dérives <strong>de</strong> l’eugénisme, mais on découvrait seulement, dans les années 90,<br />
les formes nouvelles <strong>de</strong> sélection, liées à l’AMP, ou même <strong>de</strong> fabrication d’êtres<br />
humains (clonage reproductif).<br />
C’est pourquoi le changement dans la représentation <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs est sans doute<br />
inachevé car <strong>de</strong> telles questions ne peuvent être résolues sur le seul plan <strong><strong>de</strong>s</strong> droits<br />
individuels reconnus à chaque être humain. C’est <strong>de</strong> l’humanité qu’il s’agit, présente<br />
<strong>et</strong> à venir : il ne s’agit plus seulement <strong>de</strong> la dignité propre à chaque être humain,<br />
mais <strong>de</strong> la dignité emblème <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te communauté interhumaine qui accompagne<br />
la globalisation.<br />
En somme, qu’il traduise le refus <strong>de</strong> la déshumanisation d’êtres humains ou celui<br />
<strong>de</strong> leur fabrication, le refus <strong>de</strong> l’inhumain déclenche un double processus <strong>de</strong><br />
transformation <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs : l’extension <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme à la dignité, <strong>et</strong><br />
l’apparition <strong>de</strong> droits <strong>de</strong> l’humanité, mutation plus radicale qui pourrait annoncer<br />
<strong>de</strong> nouveaux conflits, ceux <strong>de</strong> l’homme dressé contre l’humanité.<br />
Quant à l’extension <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme à la dignité, nous l’avions évoquée l’an<br />
<strong>de</strong>rnier à travers le « droit pénal <strong>de</strong> l’inhumain » qui se construit à partir <strong><strong>de</strong>s</strong>
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 527<br />
paradigmes du crime <strong>de</strong> guerre <strong>et</strong> du crime contre l’humanité. Il s’agit ici d’appliquer<br />
la même métho<strong>de</strong>, du droit à l’éthique, non plus à <strong><strong>de</strong>s</strong> crimes internationaux<br />
imputables à <strong><strong>de</strong>s</strong> individus, mais au droit international <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme, qui<br />
oppose aux États l’inhumanité <strong>de</strong> la torture <strong>et</strong> traitements assimilés. C’est un défi<br />
considérable car ces pratiques sont parfois prévues en toute légalité par le droit<br />
pénal national.<br />
Dès lors il fallait innover car les droits <strong>de</strong> l’homme traditionnels étaient<br />
insuffisants : c’est au nom <strong>de</strong> la dignité que l’article 5 <strong>de</strong> la DUDH pose le principe<br />
que « nul ne sera soumis à la torture, ni à <strong><strong>de</strong>s</strong> peines ou traitements cruels,<br />
inhumains ou dégradants », parfois opposé à la peine <strong>de</strong> mort. Mais la peine <strong>de</strong><br />
mort n’épuise pas le débat sur les autres peines, notamment les châtiments corporels,<br />
ou plus largement les pratiques carcérales : la <strong>France</strong> a été à nouveau critiquée sur<br />
ce point par le Comité européen <strong>de</strong> prévention <strong>de</strong> la torture (rapport 2007). On<br />
peut aussi s’interroger sur la nouvelle mesure <strong>de</strong> rétention <strong>de</strong> sûr<strong>et</strong>é (loi février<br />
2008). Certes le Conseil constitutionnel juge qu’il ne s’agit pas d’une peine ; mais<br />
ne pourrait-on qualifier <strong>de</strong> traitement inhumain une privation <strong>de</strong> liberté qui, par<br />
tranches d’un an, peut être renouvelée sans limite sur la base d’une dangerosité<br />
dont les critères restent incertains ?<br />
Tout se passe comme si la question <strong>de</strong> l’inhumain se déplaçait à mesure que les<br />
pratiques se font plus inventives. C’est d’ailleurs pourquoi l’extension <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong><br />
l’homme à la dignité ne suffit pas : confrontés aux découvertes scientifiques qui<br />
pourraient conduire à l’inhumain par une autre voie, en fabricant l’être humain,<br />
les réponses juridiques laissent <strong>de</strong>viner un autre processus <strong>de</strong> transformation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
valeurs : l’apparition <strong>de</strong> droits <strong>de</strong> l’humanité.<br />
L’apparition <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’humanité <strong>de</strong>vient en eff<strong>et</strong> nécessaire face aux nouvelles<br />
technologies biomédicales d’intervention <strong>de</strong> plus en plus intrusives. Où situer<br />
désormais l’inhumain ? En écartant <strong>de</strong> l’art. 1 er toute référence à Dieu comme à la<br />
nature, les rédacteurs <strong>de</strong> la DUDH n’ont pas facilité la tâche ; ils obligent à<br />
approfondir notre vision <strong>de</strong> l’humanité comme valeur à protéger au besoin contre les<br />
pratiques <strong><strong>de</strong>s</strong> États, mais aussi contre les désirs <strong><strong>de</strong>s</strong> individus <strong>de</strong> sélectionner leurs<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>cendants (eugénisme), ou même <strong>de</strong> les fabriquer à leur image (par clonage). De<br />
l’homme à l’humanité, il n’y aurait pas seulement extension mais aussi mutation car<br />
on quitterait la philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme — défendre l’individu contre le<br />
risque <strong>de</strong> pratiques arbitraires du pouvoir — pour une philosophie <strong>de</strong> l’humanité<br />
— reconnaître l’appartenance <strong>de</strong> tous à une même communauté, interhumaine <strong>et</strong><br />
pas seulement interétatique, <strong>et</strong> protéger celle-ci, au besoin contre l’autonomie<br />
revendiquée par les individus. Bernard E<strong>de</strong>lman considère qu’il y aurait là <strong>de</strong>ux<br />
systèmes <strong>de</strong> valeurs radicalement différents : si « la liberté est l’essence <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong><br />
l’homme, la dignité est l’essence <strong>de</strong> l’humanité » 4 .<br />
4. B. E<strong>de</strong>lman, « La dignité <strong>de</strong> la personne humaine : un concept nouveau », in La dignité <strong>de</strong><br />
la personne humaine, dir. M.L. Pavia <strong>et</strong> Th. Rev<strong>et</strong>, Economica, 1999, p. 28-29.
528 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />
Notre analyse un peu différente : certes l’apparition <strong>de</strong> droits <strong>de</strong> l’humanité est<br />
une mutation par rapport aux seuls droits <strong>de</strong> l’homme, mais la dignité, loin <strong>de</strong> les<br />
séparer, perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> relier les <strong>de</strong>ux conceptions : elle est <strong>de</strong> l’essence <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong><br />
l’homme quand elle concerne l’être humain pris comme individu <strong>et</strong> le défend, par<br />
exemple, contre <strong><strong>de</strong>s</strong> pratiques <strong>de</strong> déshumanisation par autrui (torture commise par<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> agents <strong>de</strong> l’État) ; mais elle caractérise aussi l’humanité, comme valeur<br />
universalisable.<br />
Pour résoudre les questions pratiques liées aux possibilités, nouvelles ou<br />
renouvelées, <strong>de</strong> sélection d’être humains par eugénisme, ou <strong>de</strong> production d’êtres<br />
humains par clonage, voire <strong>de</strong> fabrication d’êtres quasi humains (robots<br />
« humanoï<strong><strong>de</strong>s</strong> »), on r<strong>et</strong>rouve les difficultés que nous avions rencontrées à propos<br />
du crime contre l’humanité. Et la réponse proposée semble transposable, consistant<br />
à définir l’humanité-valeur (formée selon <strong>de</strong>ux processus <strong>de</strong> différentiation <strong>et</strong><br />
d’intégration) par une double composante: la singularité <strong>de</strong> chaque être humain <strong>et</strong><br />
son égale appartenance à la même communauté.<br />
En somme, le refus <strong>de</strong> la déshumanisation comme celui <strong>de</strong> la fabrication d’être<br />
humains s’inscriraient au confluent <strong>de</strong> l’hominisation autour d’une seule espèce <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> la différenciation <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures qui caractérise l’humanisation.<br />
Encore faut-il réussir à temps c<strong>et</strong>te synthèse entre hominisation <strong>et</strong> humanisation<br />
qui comman<strong>de</strong>rait l’universalisme du couple « humain/inhumain ». A défaut d’y<br />
parvenir, Henri Atlan nous annonce déjà que « le débat sur le clonage repartira <strong>de</strong><br />
plus belle quand l’ectogénèse humaine [c’est-à-dire la gestation extracorporelle,<br />
dans un utérus artificiel] sera <strong>de</strong>venue possible » 5 . Il explique que l’implantation<br />
dans un utérus naturel reste « un repère en même temps qu’un verrou, perm<strong>et</strong>tant<br />
<strong>de</strong> contrôler les techniques <strong>et</strong> d’empêcher l’application éventuelle à l’espèce<br />
humaine <strong>de</strong> reproductions non sexuées, telles que le clonage ou la parthénogénèse » ;<br />
or ce verrou, « à la fois technique <strong>et</strong> symbolique », risque <strong>de</strong> disparaître, annonc<strong>et</strong>-il,<br />
dès lors que l’ectogénèse sera <strong>de</strong>venue une pratique familière — sinon familiale !<br />
– adoptée par une proportion non négligeable <strong>de</strong> femmes ».<br />
Un autre verrou risque <strong>de</strong> disparaître avec les nouveaux développements<br />
technologiques qui nous annoncent déjà, avec « l’homme artificiel » 6 , la possibilité<br />
d’hybri<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> vivants <strong>et</strong> <strong>de</strong> machines. Il y aurait donc urgence à se m<strong>et</strong>tre d’accord<br />
sur le couple « humain/inhumain ».<br />
Mais la synthèse que nous suggérons semble rem<strong>et</strong>tre en cause un humanisme<br />
qui était traditionnellement conçu comme un dualisme qui sépare nature /culture<br />
(y compris les technologies). Du même coup, elle fait surgir d’autres interrogations,<br />
sur la place <strong>de</strong> l’humain confronté, non plus à l’inhumain, mais au non humain.<br />
5. H. Atlan, L’utérus artificiel, Seuil, 2005, pp. 43-81.<br />
6. Voir L’homme artificiel, Colloque du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, dir. J.P. Changeux, éd. Odile Jacob,<br />
2007.
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 529<br />
Le couple humain/non humain<br />
L’une <strong><strong>de</strong>s</strong> questions les plus obscures que posent les droits « <strong>de</strong> l’homme », dans<br />
leur prétention à l’universel, est <strong>de</strong> savoir où situer l’humain par rapport au non<br />
humain, qu’il renvoie à l’animal ou à la nature.<br />
C’est une conception séparatiste, à la fois dualiste <strong>et</strong> anthropocentrique, qui a<br />
finalement émergé <strong>et</strong> s’est stabilisée en Europe au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>rniers siècles. Philippe<br />
Descola la nomme « naturaliste » <strong>et</strong> la distingue <strong>de</strong> trois autres conceptions du<br />
couple humain / non humain en ce qu’elle considère les humains comme « les seuls<br />
à possé<strong>de</strong>r le privilège <strong>de</strong> l’intériorité tout en se rattachant au continuum <strong><strong>de</strong>s</strong> nonhumains<br />
par leurs caractéristiques matérielles » 7 .<br />
Dans le champ juridique, ce modèle semble avoir inspiré le droit international,<br />
conduisant à déclarer universel l’irréductible humain (art. 1 DUDH proclamant<br />
l’égale dignité <strong>de</strong> tous les êtres humains). Pourtant tout se passe comme si le droit<br />
était à présent en première ligne pour rem<strong>et</strong>tre en cause les certitu<strong><strong>de</strong>s</strong> du naturalisme.<br />
Sous l’eff<strong>et</strong> conjugué <strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes scientifiques <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> innovations technologiques,<br />
la résistance <strong><strong>de</strong>s</strong> courants écologiques se radicalise. Les certitu<strong><strong>de</strong>s</strong> qui nourrissaient<br />
c<strong>et</strong> humanisme juridique <strong>de</strong> séparation sont en eff<strong>et</strong> ébranlées par une évolution<br />
qui suggère un renouvellement <strong>de</strong> l’humanisme juridique.<br />
L’ébranlement <strong><strong>de</strong>s</strong> certitu<strong><strong>de</strong>s</strong> humanistes pourrait conduire à l’éclatement car il<br />
tient à <strong>de</strong>ux mouvements apparemment contradictoires. D’une part la notion même<br />
d’humanisme juridique serait affaiblie, voire menacée, par <strong><strong>de</strong>s</strong> propositions comme<br />
celle d’une Déclaration <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’animal (adoptée lors d’une conférence à<br />
l’Unesco en1978, mod. 1989) qui semble calquer ces droits sur les droits <strong>de</strong> l’homme.<br />
Il est en eff<strong>et</strong> affirmé dès le préambule que « tout être vivant possè<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> droits<br />
naturels <strong>et</strong> que tout animal doté d’un système nerveux possè<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> droits particuliers »<br />
<strong>et</strong> l’article 8 va jusqu’à définir comme « génoci<strong>de</strong> » tout acte « comprom<strong>et</strong>tant la<br />
survie d’une espèce sauvage <strong>et</strong> toute décision conduisant à un tel acte ».<br />
Mais d’autre part l’humanité, élargie aux générations futures, se trouverait<br />
renforcée dans ses prérogatives, comme titulaire d’un patrimoine : on se souvient<br />
en eff<strong>et</strong> que la notion <strong>de</strong> « patrimoine commun <strong>de</strong> l’humanité », apparue lors<br />
d’une conférence sur le droit <strong>de</strong> la mer, fut inscrite dans plusieurs conventions<br />
internationales pour désigner certains espaces naturels tels que la lune <strong>et</strong> autres<br />
corps célestes (convention 1979), ou encore le fond <strong><strong>de</strong>s</strong> mers <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> océans<br />
(convention 1982).<br />
Écartelé entre la personnification <strong>de</strong> l’animal <strong>et</strong> la patrimonialisation <strong>de</strong> la<br />
nature, le non humain ne se séparerait plus aussi n<strong>et</strong>tement <strong>de</strong> l’humain dans c<strong>et</strong>te<br />
nouvelle conception du mon<strong>de</strong> qui semble privilégier un monisme centré sur<br />
7. Ph. Descola, « La patrimonialisation <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces naturels », in Figures <strong>et</strong> problèmes <strong>de</strong> la<br />
mondialisation, Colloque du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 13-14 déc. 2007, inédit ; également Par-<strong>de</strong>là<br />
nature <strong>et</strong> culture, Gallimard, 2005, notamment p. 176 <strong>et</strong> les tableaux pp. 382, 416.
530 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />
l’homme. Mais ce n’est sans doute qu’un modèle transitoire car aucun <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux<br />
mouvements n’est encore stabilisé.<br />
Par ses excès mêmes, un tel ébranlement pourrait annoncer une recomposition<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs conduisant vers un humanisme juridique d’un type nouveau qui ne<br />
reprend aucun <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles existants, mais esquisse une sorte <strong>de</strong> synthèse entre eux.<br />
Le droit maintient en eff<strong>et</strong> une distinction entre l’humain <strong>et</strong> le non humain, donc<br />
un certain dualisme, mais ce dualisme est atténué par une relation qui semble<br />
progressivement se dégager <strong>de</strong> l’anthropocentrisme, qu’il s’agisse <strong>de</strong> l’animal, perçu<br />
comme un être sensible qui ne serait assimilable ni à une personne physique, ni à<br />
une chose, ou <strong>de</strong> la nature, considérée non pas comme patrimoine mais plutôt<br />
comme bien commun.<br />
Philippe Descola, suggérait la voie d’un « universalisme relatif », au sens propre,<br />
c’est-à-dire se rapportant à une relation. C’est c<strong>et</strong>te hypothèse que nous avons<br />
voulu transposer dans le champ juridique <strong>et</strong> explorer comme évolution possible<br />
d’un humanisme juridique « <strong>de</strong> mise en relation », qui construirait la relation <strong>de</strong><br />
l’humain à l’animal, <strong>et</strong> plus largement à la nature, échappant ainsi à la fois au<br />
dualisme qui maintient une stricte opposition entre l’humain <strong>et</strong> le non humain <strong>et</strong><br />
au monisme qui marque une continuité sans doute excessive.<br />
Plus l’on s’interroge sur la nature juridique <strong>de</strong> l’animal, plus le choix binaire entre<br />
le dualisme (l’animal est une chose qui n’a rien à voir avec l’homme) <strong>et</strong> le monisme<br />
(l’animal est une personne assimilable à l’homme) paraît inadapté pour rendre<br />
compte d’une évolution qui maintient une séparation entre l’humain <strong>et</strong> le non<br />
humain, mais organise leur relation. C’est ainsi que les promoteurs <strong>de</strong> la Charte<br />
constitutionnelle française <strong>de</strong> 2005 sur l’environnement, rappelant qu’elle avait été<br />
conçue « pour l’homme <strong>et</strong> non pour la nature elle-même », ont tenu à qualifier leur<br />
démarche d’écologie humaniste. Il reste à savoir quelle signification donner à c<strong>et</strong>te<br />
formule d’apparence consensuelle. Certains commentateurs y voient la confirmation<br />
d’un humanisme centré sur l’homme. Toutefois le préambule souligne aussi « que<br />
l’homme exerce une influence croissante sur les conditions <strong>de</strong> la vie <strong>et</strong> sur sa propre<br />
évolution » <strong>et</strong> que « la diversité biologique, l’épanouissement <strong>de</strong> la personne <strong>et</strong> le<br />
progrès <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés humaines sont affectés par certains mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> consommation ou<br />
<strong>de</strong> production <strong>et</strong> par l’exploitation excessive <strong><strong>de</strong>s</strong> ressources naturelles ». Il en résulte<br />
que « les choix <strong><strong>de</strong>s</strong>tinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas<br />
comprom<strong>et</strong>tre la capacité <strong><strong>de</strong>s</strong> générations futures <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> autres peuples à satisfaire<br />
leurs propres besoins ». D’où l’énonciation, rare en matière constitutionnelle,<br />
exprimée sous la forme d’un <strong>de</strong>voir : « toute personne a le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> prendre part à la<br />
préservation <strong>et</strong> à l’amélioration <strong>de</strong> l’environnement » (art. 2). Quelles que soient les<br />
doutes sur la portée pratique <strong>de</strong> ce dispositif, il ouvre la voie à une protection plus<br />
autonome, que viennent d’ailleurs renforcer les articles 3 (<strong>de</strong>voir <strong>de</strong> prévention) <strong>et</strong> 5<br />
(le fameux principe dit <strong>de</strong> précaution, alors qu’il incite plutôt à l’anticipation).<br />
Peut-être arrivons-nous ici aux limites <strong><strong>de</strong>s</strong> possibilités offertes par le concept<br />
<strong>de</strong> droits « <strong>de</strong> l’homme ». Ce qui <strong>de</strong>vrait inciter les juristes à concevoir une relation
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 531<br />
d’un type nouveau entre l’humain <strong>et</strong> le non humain, afin <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre le droit au<br />
service <strong>de</strong> la relation entre les humains <strong>et</strong> les autres espèces vivantes, plutôt qu’au<br />
seul service du bon fonctionnement <strong>de</strong> la société humaine. La voie la plus radicale<br />
consisterait à faire <strong>de</strong> la diversité biologique un suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> droit à part entière <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
reconnaître ainsi la valeur intrinsèque du vivant non humain (cf. Constitution <strong>de</strong><br />
la Confédération suisse).<br />
Mais c<strong>et</strong>te valeur intrinsèque semble un leurre dès lors qu’on ne peut la définir<br />
<strong>et</strong> la défendre sans passer par l’homme. Pour imaginer ce qu’il nomme « le<br />
parlement <strong><strong>de</strong>s</strong> choses », Bruno Latour, empruntant à la fois aux mo<strong>de</strong>rnes (la<br />
séparation <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong>de</strong> la société), aux prémo<strong>de</strong>rnes (la non séparabilité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
choses <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> signes), <strong>et</strong> aux postmo<strong>de</strong>rnes (la dénaturalisation), s’oriente vers une<br />
autre voie, celle d’un « humanisme redistribué » où l’humain <strong>de</strong>viendrait<br />
médiateur 8 .<br />
J’y vois une invitation à dépasser l’asymétrie du rapport juridique, qu’il s’agisse<br />
d’un droit <strong>de</strong> l’humain sur le non humain ou <strong>de</strong> l’inverse, <strong>de</strong> sorte que, dans sa<br />
relation au non humain, l’humanisme abandonne la forme bilatérale d’un droit<br />
pour celle unilatérale d’un « <strong>de</strong>voir ». Le changement est déjà inscrit dans <strong>de</strong><br />
nombreux textes, qu’il s’agisse <strong><strong>de</strong>s</strong> animaux ou <strong>de</strong> la nature ; mais il ne suffit pas<br />
à définir un régime juridique. Pour y parvenir, nous tenterons d’explorer les<br />
possibilités offertes par c<strong>et</strong> étrange concept <strong>de</strong> « bien mondial », qui renvoie<br />
simultanément à l’économie (bien collectif), à la politique (bien public) <strong>et</strong> à<br />
l’éthique (bien commun), <strong>et</strong> pourrait contribuer, par son ambiguïté même, à la<br />
formation <strong>de</strong> valeurs universelles.<br />
Les biens publics mondiaux : <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs universelles en formation ?<br />
Pour faire comprendre c<strong>et</strong>te notion issue <strong>de</strong> la science économique, Roger<br />
Guesnerie cite un passage <strong>de</strong> Victor Hugo évoquant l’amour <strong>de</strong> la mère pour ses<br />
enfants : « Chacun en a sa part <strong>et</strong> tous l’ont tout entier » qui résume les<br />
caractéristiques du bien public mondial, dont l’archétype serait la qualité du<br />
climat : « chacun en a sa part, » c’est-à-dire qu’on ne peut exclure quiconque <strong>de</strong><br />
son usage, <strong>et</strong> « tous l’ont tout entier », c’est-à-dire qu’il n’y a pas <strong>de</strong> rivalité pour<br />
sa consommation. Ainsi « ma consommation ne détruit pas <strong>et</strong> n’interdit pas sa<br />
consommation par quiconque » 9 .<br />
A première vue ces critères (bien non rival <strong>et</strong> non exclusif), utilisés principalement<br />
par le PNUD <strong>et</strong> la Banque mondiale, sont difficilement transposables en droit.<br />
Pourtant le terme <strong>de</strong> bien public mondial émerge dans le champ juridique <strong>de</strong>puis<br />
dizaine d’années. Qu’il s’agisse <strong>de</strong> capacités humaines comme la santé ou <strong>de</strong><br />
8. B. Latour, Nous n’avons jamais été mo<strong>de</strong>rnes, La découverte, 1997, p. 186.<br />
9. R. Guesnerie, Kyoto <strong>et</strong> l’économie <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre, rapport Conseil d’analyse économique,<br />
La documentation française, 2003, p. 22.
532 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />
ressources naturelles, comme le climat, l’on pourrait y voir un processus<br />
dynamique qui perm<strong>et</strong>trait une synergie entre le marché <strong>et</strong> les droits <strong>de</strong> l’homme,<br />
les valeurs marchan<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> non marchan<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />
Appliquée à la qualité du climat, la qualification <strong>de</strong> bien public mondial conduit<br />
à introduire dans le droit <strong>de</strong> l’environnement un marché <strong><strong>de</strong>s</strong> permis d’émission,<br />
permis <strong>de</strong> polluer dit-on parfois, mais aussi permis fondés sur <strong><strong>de</strong>s</strong> quotas <strong><strong>de</strong>s</strong>tinés<br />
à limiter la quantité d’émission <strong>de</strong> gaz à eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> serre (convention-cadre <strong>de</strong> Rio<br />
en 1992 <strong>et</strong> protocole <strong>de</strong> Kyoto en 1997). En revanche, appliquée à la santé, la<br />
même qualification, par une dynamique inverse, perm<strong>et</strong>, pour certains médicaments,<br />
<strong>de</strong> créer <strong><strong>de</strong>s</strong> licences obligatoires qui limitent la logique du marché, comme en<br />
témoigne l’évolution du droit <strong><strong>de</strong>s</strong> brev<strong>et</strong>s à l’OMC après la conférence <strong>de</strong> Doha<br />
en 2001.<br />
Les capacités humaines : santé <strong>et</strong> accès aux médicaments<br />
Définir la santé comme bien mondial n’est pas une évi<strong>de</strong>nce. D’abord perçue<br />
comme rupture <strong>de</strong> l’harmonie, la santé ne s’est différenciée <strong><strong>de</strong>s</strong> autres formes <strong>de</strong><br />
malheur <strong>et</strong> <strong>de</strong> souffrance que progressivement <strong>et</strong> par <strong><strong>de</strong>s</strong> voies propres à chaque<br />
culture, déterminant <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles différents <strong>de</strong> prévention sanitaire, qui vont du<br />
modèle magico-religieux au modèle contractuel, en passant par diverses formes <strong>de</strong><br />
contrainte.<br />
En <strong>France</strong>, il faut attendre la Constitution <strong>de</strong> 1946 <strong>et</strong> la création <strong>de</strong> la « sécurité<br />
sociale » pour voir affirmé dans le préambule, repris par celui <strong>de</strong> 1958, que la<br />
Nation doit garantir à tous la protection <strong>de</strong> la santé. Un principe également<br />
consacré par le droit international, à partir <strong>de</strong> la création <strong>de</strong> l’Organisation mondiale<br />
<strong>de</strong> la santé (OMS) dont l’acte constitutif <strong>de</strong> 1946 affirme pour la première fois<br />
que « la possession du meilleur état <strong>de</strong> santé qu’il est capable d’atteindre constitue<br />
l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> droits fondamentaux <strong>de</strong> tout être humain ». Peu après, la DUDH, associant<br />
les droits économiques, sociaux <strong>et</strong> culturels au droit à la dignité (art. 22), reconnaît<br />
explicitement à toute personne le droit à un niveau <strong>de</strong> vie suffisant pour assurer sa<br />
santé <strong>et</strong> les soins médicaux nécessaires (art. 25).<br />
Si la légitimité du droit à la santé semble ainsi admise, il resterait à le rendre<br />
universalisable à l’échelle mondiale. On mesure le chemin qui reste à parcourir<br />
quand on réalise que les habitants <strong><strong>de</strong>s</strong> pays en développement, qui représentent<br />
75 % <strong>de</strong> la population mondiale, ne consomment que 8 % <strong><strong>de</strong>s</strong> médicaments<br />
vendus dans le mon<strong>de</strong>. Malgré la création <strong>de</strong> l’OMS, le droit à la santé est sans<br />
doute resté l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> droits le plus inégalement appliqués. Et les inégalités risquent<br />
<strong>de</strong> croître encore : à mesure que les systèmes <strong>de</strong> santé <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong> plus en plus<br />
dépendants <strong><strong>de</strong>s</strong> développements technologiques, <strong>et</strong> nécessitent <strong><strong>de</strong>s</strong> investissements<br />
<strong>de</strong> plus en plus lourds, on peut craindre qu’ils s’orientent vers les produits <strong><strong>de</strong>s</strong>tinés<br />
aux consommateurs les plus prospères, notamment en ce qui concerne la mise au<br />
point <strong><strong>de</strong>s</strong> médicaments, dont le prix intègre les droits <strong>de</strong> propriété intellectuelle.
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 533<br />
Après la DUDH, <strong>de</strong> nombreux instruments internationaux reprennent <strong>et</strong><br />
développent pourtant le principe d’un droit à la santé opposable aux États : à l’échelle<br />
mondiale avec le pacte international sur les droits économiques, sociaux <strong>et</strong> culturels<br />
PIDESC Onu (1966), ou les conventions sur la protection <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes (1979) ou<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> enfants (1989) ; <strong>et</strong> à l’échelle régionale avec la charte sociale européenne (1961),<br />
la charte africaine (1981), le protocole additionnel à la Convention américaine<br />
(1988) <strong>et</strong> plus récemment la charte <strong><strong>de</strong>s</strong> droits fondamentaux <strong>de</strong> l’UE (Ch. IV<br />
Solidarité, art. 34 <strong>et</strong> 35), l’Europe étant seule à garantir le droit à l’assistance sociale<br />
<strong>et</strong> médicale. Mais c’est pourtant tardivement que les mécanismes <strong>de</strong> contrôle <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
mise en œuvre seront mis en place, <strong>et</strong> ils restent très faibles au niveau mondial.<br />
Jointe à une certaine éclipse <strong>de</strong> l’OMS , c<strong>et</strong>te faiblesse pourrait expliquer la<br />
montée en puissance <strong>de</strong> nouveaux acteurs, comme la Banque mondiale <strong>et</strong> le<br />
PNUD, qui vont introduire une logique économique : <strong>de</strong> droit opposable aux<br />
États, la santé <strong>de</strong>viendrait un bien relevant <strong><strong>de</strong>s</strong> marchés privés dont l’OMC serait<br />
le pivot : dérogeant au droit <strong><strong>de</strong>s</strong> brev<strong>et</strong>s après la conférence <strong>de</strong> Doha en novembre<br />
2001, certains médicaments <strong>et</strong> produits pharmaceutiques sont placés au confluent<br />
du marché <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme. L’Accord sur les aspects <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> propriété<br />
intellectuelle (ADPIC), dont l’article 31 énonce un certain nombre <strong>de</strong> situations<br />
dans lesquelles les licences obligatoires sont compatibles avec la liberté du commerce,<br />
a en eff<strong>et</strong> été complété en 2005 par une décision du 6 décembre 2005 (conférence<br />
<strong>de</strong> Hong Kong) qui ébauche une synergie entre marché <strong>et</strong> droits <strong>de</strong> l’homme.<br />
Les membres <strong>de</strong> l’OMC ont alors réussi à se m<strong>et</strong>tre d’accord sur un suj<strong>et</strong> qui, au<strong>de</strong>là<br />
<strong>de</strong> leurs intérêts commerciaux immédiats, concerne la santé publique <strong>et</strong> plus<br />
directement la vie <strong>de</strong> millions <strong>de</strong> personnes, notamment en Afrique, touchées par<br />
certaines maladies infectieuses comme le VIH/sida, la tuberculose ou le paludisme.<br />
Le nouvel article 31bis a en eff<strong>et</strong> pour objectif <strong>de</strong> perm<strong>et</strong>tre aux pays membres <strong>de</strong><br />
l’OMC d’accor<strong>de</strong>r les licences obligatoires en vue d’exporter <strong><strong>de</strong>s</strong> médicaments vers<br />
les pays sans capacités <strong>de</strong> fabrication, ou avec <strong><strong>de</strong>s</strong> capacités insuffisantes ; mais le<br />
contenu du texte est d’une extrême complexité. Malgré un premier bilan positif<br />
quant au traitement antirétroviral, le nouveau dispositif, critiqué à la fois par les<br />
ONG <strong>et</strong> par l’industrie pharmaceutique, est contourné par la multiplication<br />
d’accords bilatéraux qui se substituent à la vision multilatérale <strong>de</strong> l’OMC.<br />
La synergie entre marchés <strong>et</strong> droits <strong>de</strong> l’homme est d’autant plus difficile à<br />
réaliser que le droit à la santé ne peut être totalement séparé du droit à un<br />
environnement sain, le débat sur le couple « humain/non humain » étant désormais<br />
réactualisé sous l’angle <strong><strong>de</strong>s</strong> biens publics mondiaux.<br />
Les ressources naturelles : qualité du climat <strong>et</strong> maîtrise <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre<br />
Pour comparer droits fondamentaux <strong>et</strong> biens publics mondiaux, il faut confronter<br />
la protection juridique du non humain aux mécanismes <strong>de</strong> marché introduits pour<br />
protéger le climat <strong>et</strong> maîtriser l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre.
534 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />
En ce qui concerne les droits fondamentaux, la protection du non humain reste<br />
incertaine. Pendant un siècle (1872-1972), le modèle <strong><strong>de</strong>s</strong> Parcs nationaux a<br />
privilégié les valeurs esthétiques <strong>et</strong> la préservation <strong><strong>de</strong>s</strong> cycles naturels <strong>et</strong> le phénomène<br />
s’est encore accéléré à partir <strong>de</strong> 1972 : la superficie <strong><strong>de</strong>s</strong> zones protégées au titre <strong>de</strong><br />
réserves naturelles a été multipliée par quatre, sous l’impulsion d’organismes<br />
internationaux comme l’UNESCO, l’Union Internationale pour la Conservation<br />
<strong>de</strong> la Nature, ou l’United Nations Environment Program. L’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> sites<br />
terrestres <strong>et</strong> marins concernés couvrent environ 19 millions <strong>de</strong> km², soit<br />
approximativement 12 % <strong>de</strong> la surface terrestre mondiale. Mais c<strong>et</strong>te croissance<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> aires protégées s’accompagnait <strong>de</strong> fortes disparités <strong>de</strong> statut, la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
intérêts en jeu conduisant à un certain désordre conceptuel, marqué par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
glissements progressifs, <strong><strong>de</strong>s</strong> parcs nationaux à la biodiversité, puis <strong><strong>de</strong>s</strong> ressources<br />
biologiques au développement durable.<br />
Inscrit en 1987 dans le rapport Bruntland pour tenter <strong>de</strong> concilier la poursuite<br />
<strong>de</strong> la croissance industrielle avec la préservation <strong>de</strong> l’environnement <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> ressources<br />
biologiques, le développement durable serait caractérisé par les <strong>de</strong>ux principes <strong>de</strong><br />
gestion rationnelle (Déclaration <strong>de</strong> Stockholm, 1972) <strong>et</strong> <strong>de</strong> gestion intégrée, c’està-dire<br />
coordonnée à l’échelle globale (Agenda <strong>de</strong> Rio, 1992). Mais l’expression,<br />
critiquée comme le résultat confus d’un compromis diplomatique, ne suffit pas à<br />
résoudre les conflits <strong>de</strong> valeurs. La biodiversité reste en eff<strong>et</strong> une abstraction qui ne<br />
prend sens qu’au plan global, y compris dans les pays développés, alors qu’au plan<br />
local apparaissent les aspects négatifs d’une protection qui contrarie les besoins<br />
économiques <strong>et</strong> sociaux <strong>de</strong> la population.<br />
Il n’en reste pas moins que le <strong>de</strong>rnier rapport mondial sur le développement<br />
humain, élaboré par le PNUD pour la pério<strong>de</strong> 2007-2008, présente le changement<br />
climatique comme le problème « le plus important <strong>et</strong> le plus urgent ». Inspiré du<br />
4 e rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat<br />
(GIEC, 2007), qui établit, malgré les incertitu<strong><strong>de</strong>s</strong> scientifiques, la part déterminante<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> activités humaines dans le changement climatique, <strong>et</strong> du rapport <strong>de</strong> Nicholas<br />
Stern The Economics of Climate Change, qui démontre que la prévention est plus<br />
économique que l’immobilisme, le rapport du PNUD place d’emblée le débat sur<br />
un plan éthique.<br />
Mais l’énoncé du problème ne donne pas la solution. La coopération internationale<br />
a permis d’améliorer la protection <strong>de</strong> la couche d’ozone (convention <strong>de</strong> Vienne,<br />
1985 <strong>et</strong> protocole <strong>de</strong> Montréal, 1987). Il faudra attendre la convention-cadre <strong>de</strong><br />
1992 pour entrevoir, au nom du développement durable, un début <strong>de</strong> réponse aux<br />
changements climatiques. Pour assurer une certaine équité à l’échelle globale, il a<br />
fallu imaginer le principe <strong>de</strong> « responsabilités communes mais différenciées » (art.<br />
3 principe 1). Il reste à le m<strong>et</strong>tre en œuvre, en tenant compte <strong>de</strong> la spécificité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
priorités nationales <strong>et</strong> régionales <strong>de</strong> développement (voir notamment art. 4, les<br />
engagements <strong><strong>de</strong>s</strong> pays développés <strong>et</strong> assimilés figurant à l’annexe 1), sans pour<br />
autant renoncer à l’objectif <strong>de</strong> protection <strong>de</strong> la planète.
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 535<br />
D’où l’innovation qui consiste à donner toute sa signification à l’expression <strong>de</strong><br />
bien public mondial en faisant intervenir les marchés comme instruments privilégiés<br />
d’une politique globale, à vocation supra/nationale, <strong><strong>de</strong>s</strong>tinée à renforcer une<br />
coopération limitée aux relations inter/nationales.<br />
A défaut <strong>de</strong> gouvernement mondial, on tente ainsi <strong>de</strong> mondialiser la lutte contre<br />
l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre en utilisant les stratégies du marché. Pour évaluer ce choix, qui<br />
repose sur l’efficacité supposée du marché, il faut rappeler que le protocole <strong>de</strong><br />
Kyoto définit les quantités d’émission <strong>de</strong> GES autorisées pour 2008-2012 selon<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> quotas fixés à chaque pays par référence à ses émissions en 1990. Pour entrer<br />
en vigueur le texte <strong>de</strong>vait être ratifié par 55 pays représentant au moins 55 % <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
émissions. La secon<strong>de</strong> condition fut remplie en 2004, avec la ratification par la<br />
Russie. Et pourtant, bien qu’il ait été en 2007 ratifié par 156 États, la faiblesse du<br />
protocole est qu’il couvre seulement un tiers <strong><strong>de</strong>s</strong> émissions mondiales.<br />
La raison tient d’une part au refus persistant <strong>de</strong> la trentaine d’États qui n’ont ni<br />
signé, ni ratifié ce dispositif, y compris les USA qui détiennent pourtant le record du<br />
mon<strong>de</strong> avec 6 tonnes <strong>de</strong> carbone par tête <strong>et</strong> par an (contre moins d’une <strong>de</strong>mi tonne<br />
pour l’In<strong>de</strong>) <strong>et</strong> 25 % <strong><strong>de</strong>s</strong> émissions mondiales. D’autre part, <strong>et</strong> c’est sans doute le<br />
point le plus faible du dispositif <strong>de</strong> Kyoto, l’espace du marché « carbone » qu’il<br />
instaure est limité, en application du principe <strong><strong>de</strong>s</strong> responsabilités différenciées qui a<br />
conduit à cantonner la mise en œuvre immédiate aux seuls pays développés. En<br />
termes d’efficacité, la solution consisterait à ouvrir l’Espace Kyoto aux pays en<br />
développement (PED). Mais ces <strong>de</strong>rniers rappellent à juste titre que l’accumulation<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> gaz à eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre dans l’atmosphère relève <strong>de</strong> la responsabilité historique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
pays développés, soulevant ainsi la question <strong><strong>de</strong>s</strong> critères <strong>de</strong> légitimité.<br />
C’est pourquoi la logique du marché ne suffit pas. Encore faut-il assurer la<br />
légitimité politique, qui conditionne la possibilité d’un contrôle international<br />
malgré l’absence <strong>de</strong> gouvernement mondial, <strong>et</strong> la légitimité éthique, qui perm<strong>et</strong>trait<br />
<strong>de</strong> résoudre les conflits <strong>de</strong> valeurs malgré l’absence <strong>de</strong> constitution mondiale.<br />
Car le plus difficile à résoudre est le conflit que l’on peut rattacher, au-<strong>de</strong>là <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
biens publics mondiaux, à la notion sous-jacente <strong>de</strong> bien commun, qui semble<br />
prise entre un commun uniformisateur <strong>et</strong> un commun pluraliste. À c<strong>et</strong> égard, la<br />
technique juridique <strong><strong>de</strong>s</strong> responsabilités différenciées apparaît comme une tentative<br />
pour concevoir un commun qui ne soit uniforme ni dans l’espace ni dans le temps.<br />
Sans doute imparfaite, car elle laisse encore sans réponse la question <strong><strong>de</strong>s</strong> pays en<br />
développement, c<strong>et</strong>te technique ne doit cependant pas être abandonnée, mais<br />
perfectionnée, <strong>et</strong> peut-être élargie à la solution d’autres conflits <strong>de</strong> valeurs, car elle<br />
perm<strong>et</strong> d’adm<strong>et</strong>tre <strong><strong>de</strong>s</strong> hiérarchies variables selon les questions posées.<br />
On entrevoit ainsi que la véritable synergie entre droits fondamentaux <strong>et</strong> biens<br />
publics mondiaux repose sur la capacité <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> droit à remplir un double<br />
rôle qui relie communauté <strong>de</strong> valeurs <strong>et</strong> communauté <strong>de</strong> droit : ordonner les<br />
valeurs <strong>et</strong> responsabiliser les acteurs.
536 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />
Le rôle du droit dans l’émergence d’une communauté <strong>de</strong> valeurs<br />
Comme révélateur <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs, les systèmes <strong>de</strong> droit font surtout apparaître les<br />
incohérences qui les sous-ten<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> la mondialisation semble annoncer, comme<br />
nous en avons vu <strong>de</strong> nombreux exemples, le grand désordre juridique du mon<strong>de</strong>.<br />
Désordre juridique, mais aussi « anarchie <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs » selon Paul Valadier, une<br />
anarchie qui risquerait <strong>de</strong> nous condamner soit à un pessimisme <strong>de</strong> résignation, soit<br />
à un dogmatisme aveugle. « Mais le moraliste, ajoute-t-il, ne peut pas attendre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
len<strong>de</strong>mains supposés meilleurs pour proposer comme sensée la moralisation <strong>de</strong> soi <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> l’histoire : il lui faut donc tenter <strong>de</strong> montrer ou <strong>de</strong> suggérer, <strong>et</strong> telle est sa<br />
responsabilité intellectuelle, que <strong><strong>de</strong>s</strong> issues sont possibles <strong>et</strong> que les pleureurs sont au<br />
fond les complices du relativisme <strong>et</strong> du désespoir qu’ils dénoncent en en vivant » 10 .<br />
Quand au juriste, il doit se souvenir que le droit ne se limite pas à nommer <strong>et</strong><br />
classer les valeurs, il est aussi un instrument normatif <strong>et</strong> comme tel un processus<br />
transformateur, y compris dans la sphère internationale où, malgré l’absence <strong>de</strong><br />
gouvernement mondial, les normes juridiques perm<strong>et</strong>traient <strong>de</strong> dépasser le désordre<br />
<strong>et</strong> l’anarchie pour ordonner les valeurs, ou ordonner, par référence aux valeurs, les<br />
choix d’action ; <strong>et</strong> les ordonner <strong>de</strong> façon suffisamment rationnelle <strong>et</strong> objective pour<br />
réussir à responsabiliser les acteurs, publics ou privés, individuels ou collectifs, dans<br />
l’exercice <strong>de</strong> leurs pouvoirs.<br />
Ordonner les valeurs<br />
Du niveau national au niveau mondial, la transposition est difficile car les choix<br />
<strong>de</strong> valeurs, rarement explicités par <strong><strong>de</strong>s</strong> juges internationaux, ne sont ni débattus<br />
<strong>de</strong>vant un parlement souverain, ni garantis dans leur mise en œuvre par un<br />
gouvernement mondial, mais négociés au gré <strong><strong>de</strong>s</strong> États. Il en résulte une prolifération<br />
<strong>de</strong> normes juridiques <strong>et</strong> leur fragmentation, à la fois verticale <strong>et</strong> horizontale. Telle<br />
que nous avons pu l’observer à propos <strong><strong>de</strong>s</strong> crimes à vocation universelle, <strong><strong>de</strong>s</strong> droits<br />
<strong>de</strong> l’homme, puis <strong><strong>de</strong>s</strong> biens publics mondiaux, c<strong>et</strong>te fragmentation entraine la<br />
pluralité <strong><strong>de</strong>s</strong> échelles qui ordonnent les valeurs.<br />
La pluralité n’empêche pas toute tentative <strong>de</strong> mise en ordre, mais elle la rend<br />
plus incertaine qu’au niveau national. Même quand il s’agit <strong>de</strong> résoudre <strong><strong>de</strong>s</strong> conflits<br />
<strong>de</strong> valeurs propres à chaque système, <strong>et</strong> a fortiori quand il s’agit d’un conflit<br />
« intersystémique », les processus <strong>de</strong> mise en ordre perm<strong>et</strong>tent rarement <strong>de</strong><br />
hiérarchiser <strong>et</strong> <strong>de</strong> stabiliser les valeurs. Pour assurer à la fois l’universalisme, le<br />
pluralisme <strong>et</strong> le pragmatisme, il faut le plus souvent tenter d’équilibrer les valeurs,<br />
en les conciliant <strong>de</strong> façon non exclusive, <strong>et</strong> d’anticiper sur les évolutions dans le<br />
temps. C’est dire la complexité <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> mise en ordre.<br />
Pour résoudre les conflits <strong>de</strong> valeurs, les juristes disposent en eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
modèles. L’un consiste, en présence <strong>de</strong> plusieurs énoncés contradictoires, à ne<br />
10. P. Valadier, L’anarchie <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs, Albin Michel, 1997, p. 165.
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 537<br />
prendre en compte qu’un seul d’entre eux (au nom <strong>de</strong> la dignité écarter <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
pratiques comme la torture ou la peine <strong>de</strong> mort ayant pour but <strong>de</strong> protéger la<br />
sécurité). L’autre opère par conciliation ou pondération, afin d’appliquer<br />
partiellement chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs en conflit (sécurité <strong>et</strong> liberté, vie privée <strong>et</strong> liberté<br />
d’expression, propriété privée <strong>et</strong> protection <strong>de</strong> l’environnement, <strong>et</strong>c.). En somme,<br />
le modèle d’exclusivité — ou <strong>de</strong> sub/ordination d’une valeur à l’autre car il impose<br />
la norme supérieure <strong>et</strong> écarte la norme inférieure — repose sur un processus <strong>de</strong><br />
hiérarchisation, mais aussi <strong>de</strong> stabilisation quand la hiérarchie est fixée par avance<br />
selon la vision traditionnelle (mo<strong>de</strong>rne) <strong>de</strong> l’ordre, à la fois hiérarchique <strong>et</strong> stable.<br />
En revanche le modèle <strong>de</strong> pluralité — ou <strong>de</strong> co/ordination — suggère plutôt un<br />
processus <strong>de</strong> conciliation <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs. Toutefois les exemples étudiés, notamment<br />
dans le domaine <strong><strong>de</strong>s</strong> biotechnologies <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> biens publics mondiaux, montrent que<br />
c<strong>et</strong>te conciliation est réalisée <strong>de</strong> façon tantôt simultanée (équilibrage), tantôt<br />
successive (anticipation marquant l’importance nouvelle <strong>de</strong> la relation au temps <strong>et</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> vitesses <strong>de</strong> transformation). D’où l’émergence d’un autre type d’ordre (post<br />
mo<strong>de</strong>rne ?), interactif <strong>et</strong> évolutif, qui superpose au rêve, ou au cauchemar, <strong>de</strong><br />
valeurs universelles reconnues à l’i<strong>de</strong>ntique par une communauté humaine unifiée<br />
une réalité beaucoup plus complexe.<br />
Pour concilier <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs à première vue contraires <strong>et</strong> promouvoir une autre<br />
vision <strong>de</strong> l’ordre, interactif <strong>et</strong> évolutif, les juristes ont imaginé <strong>de</strong>ux principes : le<br />
principe <strong>de</strong> proportionnalité, qui introduit une pondération facilitant l’équilibrage,<br />
<strong>et</strong> plus récemment le principe dit <strong>de</strong> précaution qui introduit en réalité une<br />
dynamique d’anticipation perm<strong>et</strong>tant d’intégrer le temps à la solution <strong><strong>de</strong>s</strong> conflits<br />
<strong>de</strong> valeurs (générations « futures », développement « durable »).<br />
Visant à prévenir <strong><strong>de</strong>s</strong> risques non seulement potentiels, mais graves <strong>et</strong>/ou<br />
irréversibles, le principe <strong>de</strong> précaution apparaît à la fois comme principe d’action,<br />
qui conditionne la prise <strong>de</strong> décision politique, <strong>et</strong> principe d’imputation, qui<br />
comman<strong>de</strong> l’attribution d’un nouveau type <strong>de</strong> responsabilité. Dans les <strong>de</strong>ux<br />
perspectives, il traduit un processus d’anticipation. Comme principe d’action, il<br />
incite, ou <strong>de</strong>vrait inciter, les responsables politiques à ne pas attendre que le risque<br />
soit avéré pour m<strong>et</strong>tre en place <strong><strong>de</strong>s</strong> procédures <strong>de</strong> recherche <strong>et</strong> d’évaluation sur les<br />
incertitu<strong><strong>de</strong>s</strong> qui concernent la menace <strong>de</strong> risques majeurs. Comme principe<br />
d’imputation, le principe <strong>de</strong> précaution aurait l’ambition <strong>de</strong> faire entrer l’évaluation<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>grés d’incertitu<strong>de</strong> dans le champ juridique. C’est dire le lien indissociable<br />
entre le type d’ordre qui sous-tend l’émergence d’une communauté mondiale <strong>de</strong><br />
valeurs <strong>et</strong> la façon <strong>de</strong> responsabiliser les acteurs.<br />
Responsabiliser les acteurs<br />
Si le rôle du droit, dans l’émergence d’une communauté mondiale <strong>de</strong> valeurs,<br />
n’est pas <strong>de</strong> créer ces valeurs mais <strong>de</strong> contribuer à les ordonner, il est aussi, en cas<br />
<strong>de</strong> transgression, <strong>de</strong> responsabiliser les acteurs.
538 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />
Mais comment limiter l’irresponsabilité souveraine <strong><strong>de</strong>s</strong> États <strong>et</strong> chefs d’États,<br />
non seulement dans le cas <strong>de</strong> crimes à vocation universelle, mais encore en cas <strong>de</strong><br />
violation <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme ou <strong>de</strong> transgression <strong>de</strong> valeurs qualifiées <strong>de</strong> biens<br />
publics mondiaux ? Et plus largement, comment reconnaître que la détention d’un<br />
pouvoir d’échelle globale (qu’il soit politique, économique, scientifique, médiatique,<br />
religieux ou culturel) implique le corollaire d’une responsabilité globale ?<br />
A ces questions, les réponses apportées dans les trois domaines que nous avons<br />
explorés sont à la fois fragmentaires <strong>et</strong> hétérogènes : si la responsabilité est au cœur<br />
du droit international pénal, elle ne concerne que les quelques individus accusés<br />
<strong>de</strong> crimes à vocation universelle ; en revanche, dans le domaine plus large <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
droits <strong>de</strong> l’homme, la responsabilité se limite pour l’essentiel aux États <strong>et</strong> semble<br />
refoulée pour les autres responsables potentiels, individus ou entreprises, comme<br />
s’il s’agissait <strong>de</strong> la face cachée <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme. Enfin la responsabilité reste<br />
quasiment absente du débat sur les biens publics mondiaux, pour lesquels l’efficacité<br />
est d’abord recherchée dans les logiques du marché (politique <strong><strong>de</strong>s</strong> prix ou politique<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> quantités, par ex, pour les gaz à eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> serre).<br />
C’est pourtant dans ces trois domaines, où nous avons repéré l’émergence <strong>de</strong><br />
valeurs communes, que pourrait se déployer, au confluent <strong>de</strong> l’universalisme <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
valeurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> la globalisation <strong>de</strong> certains acteurs, un nouveau type <strong>de</strong> responsabilité,<br />
caractérisé par une double extension : une extension <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s<br />
qui se traduit par une sorte <strong>de</strong> dilatation dans l’espace <strong>et</strong> dans le temps ; <strong>et</strong> une<br />
extension <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> droit qui entraîne la multiplication <strong><strong>de</strong>s</strong> acteurs.<br />
Quant à la dilatation <strong>de</strong> la responsabilité, les premières prises <strong>de</strong> conscience se<br />
situent dans les domaines apparemment très différents <strong>de</strong> la responsabilité pénale<br />
pour crimes à vocation universelle <strong>et</strong> <strong>de</strong> la responsabilité d’abord civile ou<br />
administrative, mais parfois pénale, dans les domaines <strong>de</strong> l’environnement <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />
santé, au confluent <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> biens publics mondiaux.<br />
Comme la notion <strong>de</strong> crime « contre l’humanité », celle <strong>de</strong> préjudice « écologique »<br />
est exemplaire car elle fait entrer dans la sphère juridique l’idée <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>r une<br />
obligation <strong>de</strong> répondre non pas à la personne directement lésée par notre faute,<br />
civile ou pénale, mais <strong>de</strong> répondre afin <strong>de</strong> préserver un état nécessaire à la vie<br />
collective.<br />
Significative d’une extension <strong>de</strong> la responsabilité hors <strong>de</strong> la sphère interindividuelle,<br />
c<strong>et</strong>te conception évoque la notion <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir qui avait toujours été maintenue à<br />
l’ombre <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme pour éviter le risque <strong>de</strong> récupération politique par<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> régimes autoritaires ou totalitaires. Comme nous l’avons précé<strong>de</strong>mment noté,<br />
à propos du couple humain/non humain, le terme <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir s’impose pourtant<br />
pour définir une responsabilité humaine quand il s’agit <strong>de</strong> protéger <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs<br />
relevant du mon<strong>de</strong> non humain, en raison <strong>de</strong> la dissymétrie qui caractérise notre<br />
relation à l’animal comme à la nature. Plutôt que <strong>de</strong> rattacher le <strong>de</strong>voir aux droits<br />
<strong>de</strong> l’homme, mieux vaut le déduire <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> bien public mondial, ce qui
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 539<br />
perm<strong>et</strong> d’y introduire le mécanisme <strong>de</strong> la responsabilité. Telle est d’ailleurs, sembl<strong>et</strong>-il,<br />
la logique qui inspire, dans le prolongement du « Grenelle <strong>de</strong> l’environnement »,<br />
le rapport <strong>de</strong> la Mission Lepage (15 janvier 2008).<br />
Dans le temps, la dilatation est plus difficile encore à concevoir, s’agissant d’une<br />
responsabilité dont le fait générateur, au lieu d’être inscrit dans le passé (punition<br />
<strong>de</strong> la faute) ou circonscrit au présent (réparation du dommage), se place au futur<br />
(conservation du vivant) <strong>et</strong> comme tel risque <strong>de</strong> s’étendre à l’infini. Comment<br />
concevoir un régime applicable à l’incertain <strong>et</strong> à l’infini ?<br />
A c<strong>et</strong>te question redoutable, <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses juridiques sont proposées, tant pour<br />
définir un régime <strong>de</strong> preuve, qui perm<strong>et</strong>trait d’évaluer le risque <strong>de</strong> préjudice <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
prouver le risque <strong>de</strong> causalité, que pour prévoir <strong><strong>de</strong>s</strong> faits justificatifs fondés sur<br />
l’acceptabilité sociale <strong><strong>de</strong>s</strong> risques.<br />
A défaut d’un tel régime juridique, l’extension <strong>de</strong> la responsabilité dans l’espace<br />
<strong>et</strong> l’allongement dans le temps <strong>de</strong> la portée <strong>de</strong> la responsabilité, pourraient avoir<br />
un eff<strong>et</strong> inverse <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> souhaité dans la mesure où le suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la responsabilité<br />
pourrait ainsi <strong>de</strong>venir insaisissable, d’autant que la dilatation <strong>de</strong> la responsabilité<br />
s’accompagne d’un phénomène <strong>de</strong> multiplication <strong><strong>de</strong>s</strong> acteurs, qu’il s’agisse <strong>de</strong><br />
déterminer les personnes imputables ou les titulaires <strong>de</strong> l’action en responsabilité.<br />
Quant aux personnes imputables, la responsabilité est d’abord attribuée aux<br />
États. Même si le droit international général conventionnel a peu progressé, une<br />
responsabilité peut être attribuée, en cas <strong>de</strong> violation <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme, aux<br />
États qui ont accepté le re<strong>cours</strong> individuel <strong>de</strong>vant les <strong>cours</strong> régionales (Europe,<br />
Amérique latine, Afrique) ou le comité <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations unies<br />
<strong>et</strong> peuvent faire l’obj<strong>et</strong> d’un contrôle international. Encore faut-il distinguer du<br />
contrôle juridictionnel, mis en place au plan régional, le contrôle non juridictionnel,<br />
notamment celui du Comité <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations unies, seul<br />
applicable au niveau mondial, qui a également fait son apparition dans le domaine<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> biens publics mondiaux, avec le dispositif d’observance prévu par le protocole<br />
<strong>de</strong> Kyoto à propos du changement climatique.<br />
Mais une communauté mondiale interhumaine ne saurait se limiter aux seuls<br />
États. Vu le rôle croissant <strong><strong>de</strong>s</strong> acteurs non étatiques, il est nécessaire <strong>de</strong> leur<br />
reconnaître une responsabilité. Outre les individus — dont la responsabilité peut<br />
être mise en cause pour <strong><strong>de</strong>s</strong> crimes à vocation universelle <strong>de</strong>vant les juridictions<br />
pénales, soit internationales, soit nationales —, on entrevoit, s’agissant <strong>de</strong> la<br />
protection <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs qui sous-ten<strong>de</strong>nt les droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> les biens publics<br />
mondiaux, une tendance nouvelle à responsabiliser les acteurs économiques déjà<br />
mondialisés que sont les entreprises multinationales, tant à partir du droit interne<br />
que du droit international.<br />
Quant aux titulaires d’actions en responsabilité, on est encore loin d’une<br />
conception harmonisée. S’agissant <strong>de</strong> l’action en responsabilité pénale pour <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
crimes à vocation universelle, la constitution <strong>de</strong> partie civile est exclue <strong>de</strong>vant les
540 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />
juridictions internationales mais la victime peut intervenir au procès <strong>et</strong> le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
personnes morales, <strong>et</strong> notamment <strong><strong>de</strong>s</strong> organisations non gouvernementales, est<br />
admis pour soutenir l’action <strong><strong>de</strong>s</strong> victimes <strong>et</strong> informer les juridictions pénales.<br />
S’agissant <strong>de</strong> l’action contre les États, il faut surtout noter la révolution juridique<br />
créée par la clause dite du re<strong>cours</strong> individuel en matière <strong>de</strong> droits <strong>de</strong> l’homme. Si<br />
le re<strong>cours</strong> auprès du Comité <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme se limite en eff<strong>et</strong> aux victimes<br />
individuelles, il est élargi auprès <strong>de</strong> la Cour européenne à toute ONG ou tout<br />
groupe <strong>de</strong> particuliers qui se préten<strong>de</strong>nt victimes d’une violation <strong>et</strong> s’accompagne<br />
d’un rôle d’information plus largement admis. C<strong>et</strong>te mission d’information, voire<br />
<strong>de</strong> surveillance, apparaissant aussi comme un appoint à la mise en œuvre <strong>de</strong> la<br />
responsabilité en matière <strong>de</strong> biens publics mondiaux.<br />
Mais la technicité du débat ne doit pas occulter l’importance du changement<br />
éthique. Répondre à la victime, du dommage ou <strong>de</strong> la faute, dont les droits ont<br />
été lésés n’a pas le même sens que <strong>de</strong> répondre au nom d’un <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> préservation<br />
<strong>de</strong> valeurs universelles qui concernent l’humanité présente <strong>et</strong> à venir <strong>et</strong> englobent<br />
la protection du non humain. D’une certaine façon, c’est aussi ce changement<br />
éthique que traduit la multiplication <strong><strong>de</strong>s</strong> titulaires d’une action en responsabilité<br />
qui <strong>de</strong>vient action en solidarité.<br />
En conclusion, le re<strong>cours</strong> à la valeur serait-il le talisman que l’on brandit hors<br />
contexte <strong>et</strong> hors histoire ? Paul Valadier suggère une réponse, plus mo<strong><strong>de</strong>s</strong>te <strong>et</strong> plus<br />
pragmatique, « le re<strong>cours</strong> à la valeur […] est un élément essentiel pour rassembler<br />
dans une unité (provisoire) <strong>de</strong> sens la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> données constitutives <strong>de</strong> l’action<br />
humaine » 11 . Il invite à porter le poids du réel afin <strong>de</strong> découvrir dans c<strong>et</strong>te épreuve<br />
jamais achevée non pas le chemin mais les chemins <strong>de</strong> la sagesse, <strong><strong>de</strong>s</strong> chemins sur<br />
lesquels il faut affronter <strong>de</strong> plein fou<strong>et</strong> « le désaveu <strong>de</strong> l’idéal par le réel phénoménal ».<br />
Ces chemins, il engage à les suivre à travers ce qu’il nomme une « praxéologie »,<br />
une pratique qui ne renonce pas à l’éthique <strong>et</strong> pourrait mener vers un universel<br />
concr<strong>et</strong> qu’il associe au bien commun.<br />
Aux juristes, il revient <strong>de</strong> montrer comment le droit pourrait réunir lui aussi une<br />
pratique <strong>et</strong> une éthique pour cheminer vers une communauté <strong>de</strong> valeurs. Empruntée<br />
à Vieira da Silva, la métaphore <strong>de</strong> « l’issue lumineuse » suggère que le droit pourrait<br />
éclairer les réponses en termes <strong>de</strong> valeurs <strong>et</strong> qu’un nouvel humanisme<br />
juridique, relationnel plutôt qu’anthropocentrique, est sans doute possible. Sans<br />
renoncer à la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures, ni aux acquis <strong><strong>de</strong>s</strong> humanisations, il se donnerait<br />
les moyens <strong>de</strong> les ordonner, <strong>de</strong> façon ouverte car interactive <strong>et</strong> évolutive, autour<br />
<strong>de</strong> couples bipolaires, comme l’égale dignité ou le développement durable. C’est<br />
seulement par une telle humanisation réciproque que nous pourrons relever le défi<br />
d’une communauté sans <strong>de</strong>hors, désormais élargie à toute la planète, <strong>et</strong> concevoir<br />
ensemble un <strong><strong>de</strong>s</strong>tin commun.<br />
11. P. Valadier, précité, p. 157.
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 541<br />
Séminaires<br />
— Séminaire conjoint avec la Chaire d’Histoire contemporaine du mon<strong>de</strong> arabe<br />
(Henry Laurens), Typologie du terrorisme <strong>et</strong> communauté(s) <strong>de</strong> valeurs, 4 juin<br />
2008.<br />
Thème d’actualité s’il en est, le terrorisme mobilise non seulement les acteurs<br />
politiques, mais également les différents champs <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences sociales. La partie<br />
historique, dont l’objectif était <strong>de</strong> repérer dans le temps les glissements <strong>et</strong> la<br />
diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> formes <strong>de</strong> violence politique, s’est orientée vers une typologie historique<br />
du terrorisme, articulée autour <strong>de</strong> la construction <strong><strong>de</strong>s</strong> États-nations <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> formes<br />
<strong>de</strong> contestations politiques. La partie juridique visait, quant à elle, à repérer les<br />
transformations, <strong>de</strong> la répression pénale à la guerre contre le terrorisme, au regard<br />
<strong>de</strong> l’émergence d’une communauté mondiale <strong>de</strong> valeurs. Les définitions actuelles<br />
du terrorisme telles qu’elles résultent <strong>de</strong> différentes branches du droit, révèlent<br />
l’inadaptation tant du droit interne que du droit international aux réalités<br />
multiformes du terrorisme dans un mon<strong>de</strong> globalisé. Les solutions proposées ont<br />
conduit à formuler une alternative : soit reconnaître les faiblesses du concept <strong>de</strong><br />
terrorisme <strong>et</strong> préconiser l’utilisation d’autres qualifications pénales telles que les<br />
crimes <strong>de</strong> droit commun ou les crimes contre l’humanité selon les cas ; soit parvenir<br />
à une définition globale du terrorisme. Chaque hypothèse nécessite le respect <strong>de</strong><br />
conditions à la fois <strong>de</strong> fond (proportionnalité <strong>de</strong> la réponse à l’attaque, respect <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
valeurs fondamentales <strong>de</strong> la communauté internationale comme la dignité<br />
humaine…) <strong>et</strong> <strong>de</strong> forme (trouver un arbitre qui puisse pallier l’absence d’une cour<br />
mondiale <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme).<br />
— Séminaire conjoint avec la Chaire <strong>de</strong> Théorie économique <strong>et</strong> Organisation<br />
sociale (Roger Guesnerie), La notion <strong>de</strong> biens publics mondiaux : catégorie<br />
économique <strong>et</strong>/ou juridique, 25 juin 2008.<br />
La notion <strong>de</strong> bien public mondial, issue <strong>de</strong> la théorie économique, se trouve<br />
<strong>de</strong>puis une dizaine d’années à l’orée d’une réception par les systèmes <strong>de</strong> droit. Dans<br />
ce contexte, un dialogue est nécessaire, entre économistes <strong>et</strong> juristes, sur la<br />
signification <strong>et</strong> le rôle <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te notion dans le processus <strong>de</strong> mondialisation. La<br />
partie économique s’est d’abord orientée vers la terminologie <strong>et</strong> son rôle dans<br />
l’analyse : l’examen <strong><strong>de</strong>s</strong> négociations climatiques d’une part, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions <strong>de</strong><br />
la politique climatique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’exploitation <strong><strong>de</strong>s</strong> énergies fossiles d’autre part, a<br />
permis <strong>de</strong> souligner les tensions entre considérations économiques <strong>et</strong> juridiques,<br />
ainsi que la complexité <strong>de</strong> l’analyse politico-économique. Juridiquement, la notion<br />
<strong>de</strong> bien public mondial, à la différence, notamment, <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> patrimoine<br />
commun <strong>de</strong> l’humanité, n’a pas été consacrée par <strong><strong>de</strong>s</strong> textes normatifs. Même si<br />
elle n’est pas directement opératoire <strong>et</strong> malgré les obstacles que rencontre c<strong>et</strong>te<br />
notion, il n’est pas exclu qu’elle puisse être utilisée comme un processus dynamique,<br />
dont la mise en œuvre appelle une évaluation critique. A défaut d’une véritable<br />
synergie entre l’approche économique <strong>et</strong> l’approche juridique, le séminaire a permis
542 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />
d’i<strong>de</strong>ntifier une perspective institutionnelle (en l’absence <strong>de</strong> gouvernement mondial<br />
la notion <strong>de</strong> BPM perm<strong>et</strong> d’ouvrir <strong>de</strong> nouveaux espaces <strong>de</strong> négociations <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
suivi) <strong>et</strong> une perspective substantielle (la seule conception acceptable <strong>de</strong> la notion<br />
<strong>de</strong> bien commun étant un commun pluraliste perm<strong>et</strong>tant tout à la fois d’ordonner<br />
les valeurs, <strong>de</strong> responsabiliser les acteurs <strong>de</strong> façon différenciée <strong>et</strong> non uniforme).<br />
La recherche d’un bien commun pluraliste impose <strong>de</strong>ux conditions : en pratique,<br />
il doit reposer à la fois sur le droit international <strong>et</strong> le droit interne <strong>et</strong>, en théorie,<br />
il impose <strong>de</strong> dépasser la vision traditionnelle d’un ordre juridique hiérarchisé <strong>et</strong><br />
stable pour se donner les moyens <strong>de</strong> concevoir <strong>et</strong> m<strong>et</strong>tre en œuvre un ordre<br />
interactif <strong>et</strong> évolutif.<br />
Enseignements à l’étranger<br />
Brésil : Université <strong>de</strong> São-Paulo (Chaire Levi-Strauss), du 3 au 17 octobre 2007, <strong>cours</strong><br />
sur : « Le droit pénal <strong>de</strong> l’inhumain » <strong>et</strong> séminaires en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>.<br />
Publications<br />
Ouvrage collectif<br />
Les chemins <strong>de</strong> l’harmonisation pénale, Harmonising Criminal Law, sous la direction <strong>de</strong><br />
Mireille Delmas-Marty, Mark Pi<strong>et</strong>h <strong>et</strong> Ulrich Sieber, UMR <strong>de</strong> droit comparé <strong>de</strong> Paris,<br />
volume 15, Paris, Société <strong>de</strong> législation comparée, 2008.<br />
Ouvrage (traduction)<br />
Les grands systèmes <strong>de</strong> politique criminelle, version en persan, vol. 2, Mizan, Téhéran (vol. 1<br />
publié en 2002)<br />
Articles<br />
— « L’Adieu aux Barbares », Presses Univ. <strong>de</strong> Laval, Coll. Mercure du Nord/Verbatim,<br />
2007, 44 p.<br />
— « Le paradigme <strong>de</strong> la guerre contre le crime : légitimer l’inhumain ? », RSC 2007,<br />
n° 3, pp. 461-472.<br />
— « Il paradigma <strong>de</strong>lla guerra contro il crimine : legittimare l’inumano ? » in Studi sulla<br />
questione criminale, Nuova serie di “Dei <strong>de</strong>litti e <strong>de</strong>lle pene”, Carocci, Quadrimestrale, anno<br />
II, n. 2, 2007, pp. 21-37.<br />
— « La justice entre le robot <strong>et</strong> le roseau », in J.-P. Changeux (dir.) L’Homme artificiel,<br />
Odile Jacob, 2008, pp. 239-246.<br />
— « Au pays <strong><strong>de</strong>s</strong> nuages ordonnés », Revue ASPECTS, 2008, n° 1, pp. 13-26.<br />
— « Mondialisation <strong>et</strong> montée en puissance <strong><strong>de</strong>s</strong> juges » in Le dialogue <strong><strong>de</strong>s</strong> juges, Actes du<br />
Colloque organisé le 28 avril 2006 à l’Université libre <strong>de</strong> Bruxelles, Les Cahiers <strong>de</strong> l’Institut<br />
d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur la Justice n° 9, Bruxelles, Bruylant, 2007, pp. 95-114.<br />
— « Universalisme <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> dialogue <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures : l’énigme d’une<br />
communauté mondiale sans fondations », in Aliança das Civilizaçoes, Interculturalismo e<br />
Direitos Humanos, Rio <strong>de</strong> Janeiro, Educam, pp. 85-97.
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 543<br />
— « Le paradigme du crime contre l’humanité : construire l’humanité comme valeur »,<br />
in Pierre Robert Baduel (dir), Construire un mon<strong>de</strong> ? Mondialisation, pluralisme <strong>et</strong><br />
universalisme, Paris, Maisonneuve & Larose, 2007, p. 227 sq.<br />
— « Globalization and Transnational Corporations », in Strafrecht und Wirtschaftsstrafrecht,<br />
Festrschrift für Klaus Tiedmann, Carl Heymanns Verlag, Munich, 2008, pp. 1291-1301.<br />
Réseaux ID :<br />
Laboratoire<br />
— Réseau ID franco-brésilien, Première rencontre 12 , « Les violations graves <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong><br />
l’homme <strong>et</strong> la lutte contre l’impunité — Évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre droit international <strong>et</strong><br />
droit interne », São-Paulo, 15-16 octobre 2007.<br />
— Réseau ID franco-américain, Troisième rencontre 13 , « La qualité du climat <strong>et</strong><br />
l’internationalisation du droit », Paris, 1-2 juill<strong>et</strong> 2008.<br />
12. Participants : Sérgio Adorno (Professeur <strong>de</strong> sociologie <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> São Paulo,<br />
Directeur du Núcleo <strong>de</strong> estudos da violência) ; Luiz Olavo Baptista (Professeur <strong>de</strong> droit international<br />
à l’Université <strong>de</strong> São Paulo, membre <strong>de</strong> la Cour permanente d’arbitrage <strong>de</strong> La Haye) — excusé<br />
<strong>et</strong> représenté par Evandro Menezes <strong>de</strong> Carvalho (Professeur <strong>de</strong> « droit global <strong>et</strong> alternatives<br />
institutionnelles » à la Fondation G<strong>et</strong>úlio Vargas <strong>de</strong> Rio <strong>de</strong> Janeiro) ; Joaquim Barbosa (Juge au<br />
Supremo Tribunal Fe<strong>de</strong>ral) ; Fabio Comparato (Professeur <strong>de</strong> droit public <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> São<br />
Paulo) ; Emmanuel Decaux (Professeur <strong>de</strong> droit international à l’Université <strong>de</strong> Paris II) ; Mireille<br />
Delmas-Marty (Professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Membre <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong>) ; Jorge<br />
Fontoura (Consultant juridique du Sénat, Professeur <strong>de</strong> L’Institut Rio Branco) ; Celso Lafer<br />
(Professeur <strong>de</strong> droit international à l’Université <strong>de</strong> São Paulo, ancien Ministre <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires<br />
étrangères) ; Kathia Martin-Chenut (Chercheur <strong>et</strong> Coordinatrice du Réseau ID franco-brésilien<br />
au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>) ; Leonardo Nemer Brant (Professeur <strong>de</strong> droit international <strong>de</strong> l’Université<br />
fédérale <strong>de</strong> Minas Gerais, Prési<strong>de</strong>nt du CEDIN) ; Alain Pell<strong>et</strong> (Professeur <strong>de</strong> droit international<br />
à l’Université <strong>de</strong> Paris X) ; Claudia Perrone-Moises (Professeur <strong>de</strong> droit international à<br />
l’Université <strong>de</strong> São Paulo, chercheur au Centre d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur la violence <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> São<br />
Paulo) ; Jean-Pierre Puissoch<strong>et</strong> (ancien juge à la Cour <strong>de</strong> Justice <strong><strong>de</strong>s</strong> Communautés européennes) ;<br />
Francisco Rezek (ancien juge à la Cour internationale <strong>de</strong> justice <strong>et</strong> au Supremo Tribunal Fe<strong>de</strong>ral,<br />
ancien Ministre <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires étrangères du Brésil, ancien professeur <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Brasília,<br />
actuellement avocat <strong>et</strong> professeur à l’UNICEUB).<br />
13. Participants : Diane Marie Amann, Professor, University of California, Davis, School of<br />
Law (Martin Luther King, Jr Hall) ; Jean-Bernard Auby, Professeur <strong>de</strong> droit public <strong>et</strong> directeur<br />
<strong>de</strong> la Chaire « Mutations <strong>de</strong> l’action publique <strong>et</strong> du droit public » à Sciences Po Paris ; George<br />
Bermann, Professor, Columbia University School of Law ; Stephen Breyer, Associate Justice,<br />
United States Supreme Court ; Guy Caniv<strong>et</strong>, membre du Conseil constitutionnel ; Vivian<br />
Curran, Professor, University of Pittsburgh School of Law ; Mireille Delmas-Marty, professeur<br />
au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ; Olivier Dutheill<strong>et</strong> <strong>de</strong> Lamotte, membre du Conseil constitutionnel ;<br />
Hélène Ruiz Fabri, professeur à l’Université <strong>de</strong> Paris I Panthéon-Sorbonne, directrice <strong>de</strong> l’UMR<br />
<strong>de</strong> droit comparé <strong>de</strong> Paris ; William A. Fl<strong>et</strong>cher, Circuit Judge, United States Court of Appeals<br />
for the Ninth Circuit ; Charles Fried, Professor, Harvard University Law School ; Harold<br />
Hongju Koh, Dean, Yale Law School ; Antoine Garapon, secrétaire général <strong>de</strong> l’Institut <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
hautes étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur la justice ; Roger Guesnerie, Professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, titulaire <strong>de</strong> la<br />
chaire « Théorie économique <strong>et</strong> organisation sociale », prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’École d’économie <strong>de</strong> Paris ;<br />
Mathias Guyomar, maître <strong><strong>de</strong>s</strong> requêtes au Conseil d’État ; Horatia Muir-Watt, professeur à<br />
l’Université <strong>de</strong> Paris I Panthéon-Sorbonne ; Michel Rosenfeld, Professor, Benjamin Cardozo<br />
School of Law ; Jonathan Wiener, Professor, Duke Law School.
544 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />
Recherche Figures <strong>de</strong> l’harmonisation du droit — Amérique Latine<br />
— Deuxième réunion, São Paulo, EDESP-FGV, 4 octobre 2007.<br />
— Troisième réunion <strong>et</strong> présentation publique, Brasilia, CEUB, 5-6 octobre 2007.<br />
— Quatrième réunion, São Paulo, EDESP-FGV, 5 août 2008.<br />
Recherche ATLAS (Armed Conflict, Peacekeeping, Transitional Justice : Law<br />
as Solution)<br />
— Programme européen (7 e PCRDT) — Réunion <strong>de</strong> lancement, 7 février 2008, <strong>Collège</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />
Colloques, conférences, Entr<strong>et</strong>iens<br />
— « La mondialisation du droit », Conférence-débat ((cycle L’Occi<strong>de</strong>nt en question),<br />
Bibliothèque <strong>de</strong> la Part-Dieu, Lyon, 13 septembre2007.<br />
— « Conclusions », XV e Congrès international <strong>de</strong> Défense sociale, Le droit pénal entre la<br />
guerre <strong>et</strong> la paix : Justice <strong>et</strong> coopération pénale dans les interventions militaires internationales,<br />
Tolè<strong>de</strong>, Espagne, 20-22 sept. 2007.<br />
— Controverse avec Roger Pol-Droit « Peut-on éviter la torture ? », animée par Catherine<br />
Clément, Musée du Quai Branly, 25 octobre 2007.<br />
— Colloque <strong>de</strong> Paris (universités NYU Law, Cardozo <strong>et</strong> UMR <strong>de</strong> droit comparé <strong>de</strong><br />
Paris I) Repenser le constitutionnalisme à l’âge <strong>de</strong> la mondialisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> la privatisation,<br />
Prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la table-ron<strong>de</strong> « Faut-il ordonner le pluralisme ? », La Sorbonne, 25-26 octobre<br />
2007.<br />
— Evening Lecture, « Dignité Humaine <strong>et</strong> Droits <strong>de</strong> l’Homme : vers un Univers Pluriel ? »,<br />
European Science Foundation-LiU, Pathways of Human Dignity : From Cultural Traditions to<br />
a New Paradigm, Vadstena, Suè<strong>de</strong>, 31 octobre-4 novembre 2007.<br />
— « Le paradigme du crime contre l’humanité : construire l’humanité comme valeur »,<br />
Conférence Institut <strong>de</strong> recherche sur le Maghreb contemporain, 23 novembre 2007, Tunis,<br />
Tunisie.<br />
— Participation au débat organisé autour du livre La Chine <strong>et</strong> la démocratie (M. Delmas-<br />
Marty <strong>et</strong> P.-E. Will (dir.), Paris, Fayard, 2007) par le Centre d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur la Chine mo<strong>de</strong>rne<br />
<strong>et</strong> contemporaine, EHESS, Paris, 4 décembre 2007.<br />
— « Universalisme <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> dialogue <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures : l’énigme d’une<br />
communauté mondiale sans fondations préalables », Conférence internationale, Alliance of<br />
Civilizations, Interculturalism and Human Rights, Université Candido Men<strong><strong>de</strong>s</strong>, Rio <strong>de</strong><br />
Janeiro, Brésil, 8-10 décembre 2007.<br />
— « Gouvernance <strong>et</strong> État <strong>de</strong> droit » <strong>et</strong> « La notion <strong>de</strong> biens publics mondiaux », in<br />
Figures <strong>et</strong> problèmes <strong>de</strong> la mondialisation, Institut du Mon<strong>de</strong> Contemporain, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong>, 13 <strong>et</strong> 14 décembre 2007.<br />
— « Violence <strong>et</strong> massacres : vers un droit pénal <strong>de</strong> l’inhumain ? », Conférence Institut<br />
italien <strong>de</strong> Sciences humaines, Palazzo Strozzi, Florence, 3 mars 2008.<br />
— « La mondialisation du droit : vers une communauté <strong>de</strong> valeurs ? », Conférence ENS,<br />
Lyon, 24 janvier 2008.<br />
— « Le rôle du droit dans l’émergence d’une communauté <strong>de</strong> valeurs », Communication<br />
à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences morales <strong>et</strong> politiques, 7 juill<strong>et</strong> 2008.
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 545<br />
— Entr<strong>et</strong>iens : avec Marianne Durand-Lacaze, « Les forces imaginantes du droit », Canal<br />
Académie, 1 er février 2008, « La Chine <strong>et</strong> la démocratie », 2 mars 2008 ; avec Marc Kirsch,<br />
La l<strong>et</strong>tre du <strong>Collège</strong>, mars 2008 ; avec M. Brillié-Champaux <strong>et</strong> S. Lavric, « La Chine, les<br />
droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> les biens communs », 1 er août 2008, Blog Dalloz, http://blog.dalloz.<br />
fr/blogdalloz/2008/08/la-chine-les-dr.html ; avec Geneviève Fraisse, « l’Europe <strong><strong>de</strong>s</strong> idées »,<br />
BNF 16 avril 2008, diffusion <strong>France</strong> Culture 2 août 2008.<br />
Emmanuel Breen<br />
Activités <strong>de</strong> l’Équipe<br />
Emmanuel Breen, maître <strong>de</strong> conférences en droit public, a été mis à la disposition<br />
<strong>de</strong> la Chaire « Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives <strong>et</strong> internationalisation du droit » par<br />
l’Université <strong>de</strong> Paris VIII Vincennes – Saint-Denis, durant l’année universitaire<br />
2007-2008. Prenant la suite <strong>de</strong> Naomi Norberg, il a assuré la coordination du<br />
Réseau ID franco-américain, prenant en charge l’organisation d’une réunion<br />
internationale <strong>de</strong> juges <strong>et</strong> d’universitaires les 1 er <strong>et</strong> 2 juill<strong>et</strong> 2008 à la Fondation<br />
Hugot du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, sur le thème : « Qualité du climat <strong>et</strong> internationalisation<br />
du droit ». Il a également assuré la traduction <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences du professeur Onuma<br />
Yasuaki <strong>et</strong> conduit <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches sur le thème <strong><strong>de</strong>s</strong> biens publics mondiaux <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
la bonne gouvernance, contribuant ainsi à l’organisation du séminaire sur les biens<br />
publics mondiaux (25 juin 2008), après avoir participé au séminaire <strong>de</strong> la Chaire<br />
« Mutations <strong>de</strong> l’action publique <strong>et</strong> du droit public » <strong>de</strong> Sciences-Po Paris (11 avril<br />
2008). Emmanuel Breen a été recruté par l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV) à<br />
compter du 1er septembre 2008, comme maître <strong>de</strong> conférences.<br />
Isabelle Fouchard<br />
Isabelle Fouchard a été affectée à la Chaire d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives <strong>et</strong><br />
internationalisation du droit, en qualité d’ATER, le 1 er septembre 2006. Elle a<br />
poursuivi ses recherches doctorales sur le suj<strong>et</strong> « Crime international : entre<br />
internationalisation du droit pénal <strong>et</strong> pénalisation du droit international », <strong>et</strong> a<br />
soutenu sa thèse à Genève le 3 septembre 2008. En outre, elle a contribué à la<br />
préparation <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> par la réalisation <strong>de</strong> recherches documentaires <strong>et</strong> la rédaction<br />
<strong>de</strong> notes, notamment sur la jurispru<strong>de</strong>nce <strong><strong>de</strong>s</strong> tribunaux pénaux internationaux, le<br />
droit international général, le droit international humanitaire <strong>et</strong> le droit international<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme. Isabelle Fouchard a également participé au proj<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
recherches « Les figures <strong>de</strong> l’internationalisation du droit » en tant que rapporteur<br />
sur le thème « Statut <strong>de</strong> Rome <strong>et</strong> mise en place <strong>de</strong> la justice pénale internationale » ;<br />
ainsi qu’à l’organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> séminaires <strong>et</strong> à la valorisation <strong><strong>de</strong>s</strong> activités <strong>de</strong> la Chaire,<br />
y compris leur diffusion. Elle a enfin collaboré à la réponse à un appel d’offre <strong>de</strong><br />
la Commission européenne (7 e PCRDT), qui a donné naissance au proj<strong>et</strong> ATLAS<br />
(Armed Conflict, Peacekeeping, Transitional Justice : Law as Solution) auquel le<br />
<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> est associé avec six grands centres <strong>de</strong> recherches européens. Le<br />
proj<strong>et</strong> ATLAS, coordonné par le CERDIN (Centre <strong>de</strong> recherche en droit
546 MIREILLE DELMAS-MARTY<br />
international) <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Paris I (Panthéon-Sorbonne), a débuté le 1 er février<br />
2008, pour 4 ans. Isabelle Fouchard occupera le poste <strong>de</strong> chercheur attaché au<br />
<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> pour ce proj<strong>et</strong> à partir du 1 er septembre 2008.<br />
Kathia Martin-Chenut<br />
Kathia Martin-Chenut a été affectée à la Chaire comme ATER (2005-2007),<br />
puis comme chercheur attaché au <strong>Collège</strong> pour le proj<strong>et</strong> ATLAS mentionné<br />
ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus (fév.-août 2008). Dans le cadre <strong>de</strong> ce proj<strong>et</strong>, elle a développé <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches<br />
sur la protection <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants dans les conflits armés. Elle s’est également consacrée<br />
au développement <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux proj<strong>et</strong>s lancés en 2005 : le proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> recherche « Les<br />
figures <strong>de</strong> l’internationalisation du droit — Amérique Latine », dont elle assure la<br />
co-direction <strong>et</strong> le « Réseau ID franco-brésilien », dont elle assure la coordination.<br />
A c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong>, elle a organisé pour le proj<strong>et</strong> « Figures <strong>de</strong> l’Internationalisation du<br />
droit » <strong>de</strong>ux rencontres <strong>de</strong> l’équipe (São Paulo <strong>et</strong> Brasília, les 4 <strong>et</strong> 5 octobre 2007)<br />
<strong>et</strong> une présentation publique <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats partiels <strong>de</strong> la recherche (Brasília, le<br />
6 octobre 2007) ; tout en participant elle-même aux <strong>travaux</strong> en tant que rapporteur<br />
sur « l’internationalisation <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’enfant » <strong>et</strong> co-rapporteur sur<br />
« l’internationalisation <strong>de</strong> la justice pénale ». Elle a assuré la coordination du Réseau<br />
ID franco-brésilien <strong>et</strong> pris en charge l’organisation <strong>de</strong> ses premières rencontres, qui<br />
ont eu lieu les 15 <strong>et</strong> 16 octobre 2007 à São Paulo sur un thème intitulé « Les<br />
violations graves <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> la lutte contre l’impunité — Évolution<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre droit international <strong>et</strong> droit interne ». Elle a, en outre, entrepris<br />
les démarches nécessaires pour que ces <strong>de</strong>ux proj<strong>et</strong>s soient intégrés en 2009 aux<br />
activités officielles <strong>de</strong> l’Année <strong>de</strong> la <strong>France</strong> au Brésil. Kathia Martin-Chenut a<br />
également participé à une réunion d’experts <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations unies sur les droits <strong>de</strong><br />
l’homme <strong>et</strong> l’administration <strong>de</strong> la justice par les tribunaux militaires (Brasília, 27 à<br />
29 novembre 2007) <strong>et</strong> à <strong>de</strong>ux séminaires <strong>de</strong> l’UNESCO (Programme « Chemins<br />
<strong>de</strong> la pensée » : Rio <strong>de</strong> Janeiro, 13 <strong>et</strong> 14 novembre 2007 ; Paris, 10 juin 2008).<br />
Enfin, elle a soutenu une Habilitation à diriger <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches (HDR) à l’Université<br />
<strong>de</strong> Paris I en février 2008 <strong>et</strong> enseigné à l’Institut d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> politiques <strong>de</strong> Paris<br />
(Sciences-Po) dans le cadre du <strong>cours</strong> « Les grands enjeux <strong>de</strong> la justice ».
III. SCIENCES HISTORIQUES<br />
PHILOLOGIQUES ET ARCHÉOLOGIQUES
Cours <strong>et</strong> séminaire<br />
Civilisation pharaonique : archéologie, philologie, histoire<br />
M. Nicolas Grimal, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres), professeur<br />
Le temple d’Amon-Rê à Karnak : Héliopolis <strong>et</strong> l’Empire<br />
On a poursuivi c<strong>et</strong>te année l’historique <strong>de</strong> la redécouverte <strong><strong>de</strong>s</strong> temples <strong>de</strong> Karnak,<br />
tout d’abord au <strong>cours</strong> du pachalik <strong>de</strong> Méhém<strong>et</strong> Ali, soit pratiquement toute la<br />
première moitié du xix e siècle (1805-1848).<br />
Partagée entre la recherche d’une affirmation nationale face à la Sublime Porte<br />
<strong>et</strong> un désir profond d’Occi<strong>de</strong>nt, l’Egypte, fortement marquée par l’impulsion que<br />
lui donna Bonaparte, s’ouvre alors aux influences européennes. Mais, si Méhém<strong>et</strong><br />
Ali avait parfaitement compris le parti que son pays pouvait tirer <strong>de</strong> l’Europe <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> l’industrialisation, il offrait également à ses nouveaux partenaires une terre<br />
d’opportunités, attirant par là même ceux que poussait le désir <strong>de</strong> nouveaux<br />
horizons ou <strong>de</strong> fortunes rapi<strong><strong>de</strong>s</strong>. L’engouement pour le passé <strong>de</strong> l’Egypte fut l’un<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> principaux moteurs <strong>de</strong> la venue d’hommes qui, pour <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons diverses, se<br />
trouvaient à l’étroit dans une Europe que la Révolution française, puis les campagnes<br />
<strong>de</strong> Bonaparte avaient ouverte sur le mon<strong>de</strong>. Fuyant une société dans laquelle ils ne<br />
trouvaient pas leur place, ou plus simplement poussés par l’appât du gain, ils<br />
apportèrent avec eux un esprit d’aventure, mûri <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances popularisées par<br />
les Lumières sur un fonds <strong>de</strong> réminiscences classiques.<br />
Deux figures <strong>de</strong> condottieres se détachent tout particulièrement : Bernardino<br />
Drov<strong>et</strong>ti <strong>et</strong> Giovanni Belzoni. Le premier est très représentatif <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te génération<br />
déracinée par les tourmentes <strong>de</strong> la fin du xviii e siècle. En 1794, à 18 ans, il<br />
s’engage dans les troupes <strong>de</strong> Bonaparte, participe comme simple soldat à la<br />
campagne d’Egypte en 1798. Il fait ensuite la campagne d’Italie, se couvre <strong>de</strong><br />
gloire en 1800 à Marengo contre les Autrichiens <strong>et</strong> finit colonel. Lorsque le Premier<br />
Consul <strong>de</strong>manda à Talleyrand d’envoyer au Caire un homme sûr pour occuper le<br />
poste nouvellement créé <strong>de</strong> consul général permanent, c’est lui qui fut choisi.
550 NICOLAS GRIMAL<br />
Débarqué en Egypte en 1802, il se consacra immédiatement à la recherche<br />
d’antiquités, dans l’intention <strong>de</strong> vendre les collections ainsi amassées, à la <strong>France</strong><br />
d’abord, au plus offrant sinon. La première, la plus importante, fut ach<strong>et</strong>ée en<br />
1824 par roi <strong>de</strong> Piémont-Sardaigne, Carlo-Felice. C’est c<strong>et</strong>te collection qui fournit,<br />
dès juin 1824, à Jean-François Champollion le terrain sur lequel m<strong>et</strong>tre à l’épreuve<br />
sa théorie. Seule la <strong>de</strong>uxième <strong><strong>de</strong>s</strong> trois collections que rassembla Belzoni fut acquise<br />
par la <strong>France</strong>, en 1827, grâce au même Jean-François Champollion, mandaté par<br />
Charles X. La troisième alla à la Prusse en 1836.<br />
Les premières années du xix e siècle restent assez confuses au Caire, du moins<br />
jusqu’à ce que Méhém<strong>et</strong> Ali l’emporte définitivement sur les Mamelouks, en 1811.<br />
Dès c<strong>et</strong> instant les autres puissances européennes s’empressent auprès <strong>de</strong> lui, avant<br />
tout pour faire pièce à la Sublime Porte. Ainsi se r<strong>et</strong>rouvent associés contre un rival<br />
commun <strong><strong>de</strong>s</strong> pays opposés entre eux sur d’autres terrains : l’empire ottoman, lié à<br />
l’autrichien, réunit contre lui la <strong>France</strong> <strong>et</strong> le Royaume Uni, qui se déchiraient<br />
encore naguère en Egypte. C<strong>et</strong>te alliance — si tant est que l’on puisse employer<br />
le terme — ne se fait pas vraiment entre Etats, mais plutôt par groupements<br />
sociaux, comme celui <strong>de</strong> la Franc-Maçonnerie : son essor fut largement favorisé<br />
par Méhém<strong>et</strong> Ali <strong>et</strong> se poursuivra jusque sous le règne <strong>de</strong> Farouk. Elle constituait<br />
un puissant outil politique pour Napoléon, qui sut en jouer avec habil<strong>et</strong>é dans les<br />
pays que dominait son empire, cristallisant les oppositions locales sur les thèmes<br />
issus <strong>de</strong> la Révolution, tout particulièrement celui <strong>de</strong> la liberté <strong><strong>de</strong>s</strong> nations.<br />
L’opposition à l’empire ottoman trouvait un fon<strong>de</strong>ment humaniste <strong>et</strong> libertaire<br />
dans la libération <strong><strong>de</strong>s</strong> peuples d’Egypte, d’Italie ou <strong><strong>de</strong>s</strong> îles ioniennes. L’expédition<br />
<strong>de</strong> Morée, sous Charles X, puis Louis-Philippe concrétiseront la <strong>de</strong>rnière. Garibaldi,<br />
tout comme Méhém<strong>et</strong> Ali feront <strong>de</strong> même…<br />
C’est dans ce contexte que le Royaume Uni envoie, en 1815, Henry Salt comme<br />
consul au Caire. Les <strong>de</strong>ux consuls, le français <strong>et</strong> l’anglais, s’engagent alors dans une<br />
compétition sans merci, n’épargnant aucun moyen, aucune ruse, s’attachant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
hommes que leur passion a aussi j<strong>et</strong>és dans c<strong>et</strong>te aventure. Du côté <strong>de</strong> Drov<strong>et</strong>ti,<br />
ce sont essentiellement le nantais Frédéric Caillaud qui poussa son exploration<br />
jusqu’à la lointaine Méroë, le sculpteur marseillais Jacques Rifaud, qui, lui aussi,<br />
était allé jusqu’en Nubie dès 1805. Henry Salt, lui, engage Giovanni Belzoni, un<br />
autre personnage haut en couleurs : né en 1778, ce padouan est un véritable<br />
colosse; <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné à la vie monastique, il y renonce <strong>et</strong> se lance dans <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
d’hydraulique. A 25 ans, en 1803, il fuit l’Italie, probablement à cause <strong><strong>de</strong>s</strong> Français,<br />
qu’il détestera toute sa vie. Emigré à Londres, il gagne sa vie pendant une dizaine<br />
d’années comme lutteur <strong>de</strong> foire, jouant <strong>de</strong> sa force exceptionnelle. Une tournée<br />
le conduit du Portugal à Malte, puis en Egypte, où il arrive en 1815. Si ses<br />
compétences d’hydraulicien n’intéressent pas Méhém<strong>et</strong> Ali, le personnage r<strong>et</strong>ient,<br />
en revanche, l’attention d’Henry Salt, lorsque Johann Burckhardt — autre<br />
aventurier converti à l’islam, sous le nom <strong>de</strong> Cheikh Ibrahim, découvreur <strong>de</strong> P<strong>et</strong>ra<br />
<strong>et</strong> Abou Simbel — le lui présenta. L’infatigable lutteur mécanicien, en quatre<br />
années, déplaça jusqu’en Alexandrie un <strong><strong>de</strong>s</strong> colosses du Ramesseum, l’obélisque <strong>de</strong>
CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 551<br />
Philae, entra dans le temple d’Abou Simbel, la <strong>de</strong>uxième pyrami<strong>de</strong> <strong>de</strong> Gîza, la<br />
tombe <strong>de</strong> Ramsès I er <strong>et</strong> <strong>de</strong> Séthi I er dans la Vallée <strong><strong>de</strong>s</strong> Rois, <strong>et</strong>, naturellement,<br />
fouilla à Karnak.<br />
Il s’attaque, en 1816, à l’enceinte <strong>de</strong> Mout, dans l’espoir <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre au jour <strong>de</strong><br />
nouvelles statues <strong>de</strong> Sekhm<strong>et</strong> <strong>et</strong> au motif que « l’envahisseur français » y avait déjà<br />
porté la pioche. Or, les hasards <strong>de</strong> la politique française font que Drov<strong>et</strong>ti est<br />
désormais totalement libre <strong>de</strong> son temps pour se consacrer à l’exploration<br />
archéologique <strong>de</strong> l’Egypte <strong>et</strong> du Soudan : il est, en eff<strong>et</strong>, écarté <strong>de</strong> ses fonctions<br />
officielles, pour cause <strong>de</strong> Restauration, <strong>de</strong> 1816 à 1820. Jouant <strong>de</strong> ses appuis<br />
égyptiens, il fait occuper le terrain dès que le padouan a terminé sa première<br />
campagne ; celui-ci se tourne en 1817 vers le 8 e pylône, mais se heurte à nouveau<br />
à l’équipe <strong>de</strong> son rival. L’année suivante, la confusion atteint son comble : Belzoni<br />
se brouille avec Salt, qui, à son tour, vient contrecarrer ses proj<strong>et</strong>s à Thèbes ; les<br />
rivaux en viennent aux mains à Karnak, <strong><strong>de</strong>s</strong> coups <strong>de</strong> feu sont échangés… En<br />
1819, Drov<strong>et</strong>ti reste maître du terrain. Mais jusque vers les années 1830, le site<br />
est le théâtre d’affrontements entre une poignée d’aventuriers hauts en couleurs,<br />
dont les monuments sont les premières victimes.<br />
Le premier à conduire réellement <strong><strong>de</strong>s</strong> fouilles fut le marseillais Jean-Jacques<br />
Rifaud, qui se mit au service <strong>de</strong> Drov<strong>et</strong>ti dès son arrivée en Alexandrie en 1814.<br />
Il toucha à peu près tous les secteurs <strong>de</strong> Karnak ; il reste toutefois difficile <strong>de</strong><br />
savoir quelles furent exactement ses recherches. Car il n’a laissé aucune <strong><strong>de</strong>s</strong>cription<br />
<strong>de</strong> ses fouilles, qui ne sont connues que par les obj<strong>et</strong>s qui en sont sortis, <strong>et</strong> dont<br />
on r<strong>et</strong>rouve en partie la trace sur les planches qu’il avait préparées à partir <strong>de</strong><br />
croquis pour les réunir dans un Voyage en Egypte, en Nubie <strong>et</strong> lieux circonvoisins,<br />
<strong>de</strong>puis 1805 jusqu’en 1928, illustré <strong>de</strong> 300 lithographies : seulement 250 ont été<br />
imprimées <strong>et</strong> leurs vestiges sont conservés au Musée communal <strong>de</strong> Nivelles en<br />
Belgique. La confrontation <strong>de</strong> ces <strong><strong>de</strong>s</strong>sins aux monuments originaux — en<br />
particulier pour les reliefs du temple d’Op<strong>et</strong> — montre <strong><strong>de</strong>s</strong> qualités que l’on a<br />
parfois déniées à tort à Rifaud. Certes, les hiéroglyphes sont approximatifs — mais<br />
que l’on se souvienne <strong><strong>de</strong>s</strong> fureurs que prenait Jean-François Champollion contre<br />
ceux <strong>de</strong> la Description ! Il ne faut, en eff<strong>et</strong>, pas oublier que le marseillais en ignorait<br />
la signification.<br />
Le véritable élan va suivre, naturellement, la découverte <strong>de</strong> Champollion. La<br />
L<strong>et</strong>tre à M. Dacier en 1822, puis la visite à Turin en 1824 <strong>et</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la première<br />
collection Drov<strong>et</strong>ti marquent <strong>de</strong>ux étapes essentielles <strong>de</strong> l’extraordinaire production<br />
scientifique <strong>de</strong> Jean-François Champollion. Il trouve en Ippolito Rosellini un ami<br />
<strong>et</strong> un allié, avec lequel il monte l’expédition franco-toscane en Egypte qu’ils<br />
conduiront tous <strong>de</strong>ux en 1828. Angelleli, qui accompagnait l’expédition a<br />
immortalisé les jours passés à étudier les temples <strong>de</strong> Karnak dans la magnifique<br />
toile qu’il réalisa pour le palais Pitti, <strong>et</strong> qui est aujourd’hui conservée au Musée<br />
archéologique <strong>de</strong> Florence. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’exotisme oriental — que l’on r<strong>et</strong>rouve<br />
dans le portrait <strong>de</strong> Champollion, probablement dû également à Angelleli, <strong>de</strong> la
552 NICOLAS GRIMAL<br />
collection Chateauminois à Vif — on y sent l’intense exaltation <strong>de</strong> ces jeunes<br />
savants, vivant une aventure extraordinaire, dans le droit fil <strong>de</strong> leurs prédécesseurs<br />
<strong>de</strong> l’expédition <strong>de</strong> Bonaparte.<br />
La moisson est riche. Elle ne commencera à être connue du public,<br />
malheureusement, que <strong>de</strong>ux ans après la mort <strong>de</strong> Champollion. Revenu épuisé <strong>de</strong><br />
son expédition, il enseignera à peine un an au <strong>Collège</strong> royal dans la « chaire<br />
d’archéologie » qui fut créée pour lui le 12 mars 1831, <strong>et</strong> mourra le 4 mars 1832.<br />
C’est son frère qui publiera les Monuments d’Egypte & <strong>de</strong> Nubie, <strong>de</strong> 1833 à 1845.<br />
Karnak y figure en bonne place, avec, pour la première fois, <strong><strong>de</strong>s</strong> lectures exactes<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> textes, augmentées d’abondants commentaires.<br />
Car c’est surtout aux sources écrites que Champollion s’était intéressé sur place,<br />
<strong>et</strong> principalement aux textes <strong>et</strong> représentations historiques, qui lui perm<strong>et</strong>taient <strong>de</strong><br />
préciser les cadres d’une civilisation qu’il était le premier à lire. C<strong>et</strong>te tradition du<br />
primat <strong><strong>de</strong>s</strong> données textuelles sur l’archéologie aura la vie dure en égyptologie, <strong>et</strong><br />
le premier qui eût à lutter contre fut le premier vrai fouilleur <strong>de</strong> Karnak : Auguste<br />
Mari<strong>et</strong>te.<br />
Dans les années 1840, en eff<strong>et</strong>, dans le mouvement <strong>de</strong> développement économique<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’industrialisation voulues par Méhém<strong>et</strong> Ali, <strong>de</strong>venu maître héréditaire <strong>de</strong><br />
l’Egypte en 1840, les monuments, <strong>et</strong> tout particulièrement ceux <strong>de</strong> Karnak,<br />
<strong>de</strong>vinrent autant <strong>de</strong> carrières <strong>de</strong> pierres pour les chaufourniers. Les pylônes, en<br />
particulier, furent partiellement vidés <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments <strong>de</strong> remploi qu’ils contenaient,<br />
ce qui détermina c<strong>et</strong>te curieuse particularité, qui se r<strong>et</strong>rouve, hélas ! un peu partout<br />
dans le pays : seuls les monuments bâtis en grès furent épargnés, tandis que les<br />
autres disparaissaient à tout jamais. On ne connaîtra ainsi, <strong>de</strong> l’architecture en<br />
calcaire <strong>de</strong> Karnak, pratiquement que les monuments démontés qui ont échappé<br />
aux chaufourniers. Le vidage <strong><strong>de</strong>s</strong> parties <strong><strong>de</strong>s</strong> pylônes épargné donnera ainsi aux<br />
égyptologues une idée <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments antérieurs à ceux qui les remploient faussée<br />
jusque là par c<strong>et</strong>te question du matériau. Le remo<strong>de</strong>lage du temple datant, en eff<strong>et</strong>,<br />
essentiellement du Nouvel Empire, l’idée s’est durablement installée, au terme <strong>de</strong><br />
laquelle on aurait construit à Karnak, en calcaire au Moyen Empire, puis en grès<br />
plus tard. Nous verrons ce qu’il convient d’en penser…<br />
Avant Mari<strong>et</strong>te, une autre figure <strong>de</strong> l’égyptologie naissante s’est rendue à Karnak :<br />
Achille Constant Théodore Emile Prisse d’Avennes. Engagé dans <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
d’ingénieur, il s’en éloigne <strong>et</strong> participe en 1826 à la guerre d’indépendance grecque ;<br />
on le r<strong>et</strong>rouve ensuite secrétaire du gouverneur général <strong><strong>de</strong>s</strong> In<strong><strong>de</strong>s</strong>, puis à Jérusalem,<br />
d’où il repart, chevalier du Saint-Sépulcre, pour l’Egypte, où il rési<strong>de</strong> <strong>de</strong> 1827 à<br />
1844. Il y <strong>de</strong>vient un familier <strong>de</strong> Méhém<strong>et</strong>-Ali, qui lui confie l’éducation <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants<br />
d’Ibrahim Pacha. Il est dans le même temps successivement ingénieur civil,<br />
hydrographe, professeur <strong>de</strong> topographie à l’Académie militaire (Djihad Abad),<br />
d’architecture militaire à l’Ecole d’infanterie <strong>de</strong> Dami<strong>et</strong>te. Mais en 1836, lassé <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
querelles administratives <strong>et</strong> fasciné par les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Champollion, il abandonne<br />
c<strong>et</strong>te brillante carrière pour se consacrer à l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> hiéroglyphes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> civilisations
CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 553<br />
orientales. Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> son séjour au Proche-Orient, il a parcouru la Turquie, la<br />
Perse, la Syrie, la Palestine, l’Arabie — où il visite la Mecque <strong>et</strong> Médine —, l’Egypte,<br />
la Nubie, l’Ethiopie, l’Abyssinie. Il a relevé, décrit, mais aussi collectionné.<br />
Deux monuments particulièrement importants sont aujourd’hui conservés en<br />
<strong>France</strong> grâce à lui. Le premier est le papyrus qui porte son nom, qu’il acquit<br />
probablement au Caire — <strong>et</strong> non en Thébaï<strong>de</strong> — en 1843 1 , aujourd’hui conservé<br />
à la Bibliothèque nationale <strong>de</strong> <strong>France</strong>, <strong>et</strong> que l’on considère généralement comme<br />
le plus ancien traité <strong>de</strong> morale égyptien : les préceptes <strong>de</strong> Kagemni <strong>et</strong> les maximes<br />
<strong>de</strong> Ptahhotep y ont, en eff<strong>et</strong>, été compilés au début du <strong>de</strong>uxième millénaires, soit<br />
environ cinq siècles après la disparition <strong>de</strong> leurs auteurs. Le second, lui, vient <strong>de</strong><br />
Karnak. Il s’agit <strong>de</strong> la « chambre <strong><strong>de</strong>s</strong> Ancêtres », conservée au Louvre. L’histoire <strong>de</strong><br />
son démontage par Prisse, puis <strong>de</strong> son transport, au nez <strong>et</strong> à la barbe <strong>de</strong> Lepsius,<br />
qui espérait bien, lui aussi « sauver » le précieux monuments ont déjà été maintes<br />
fois relatés 2 . On a brièvement décrit c<strong>et</strong>te année la « chambre » <strong>et</strong> indiqué les<br />
pistes d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> qui perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> r<strong>et</strong>racer, grâce à elle, une partie <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong><br />
Karnak avant la gran<strong>de</strong> réfection d’Ip<strong>et</strong>-sout réalisée par les souverains du Nouvel<br />
Empire. On y reviendra plus en détails l’an prochain 3 .<br />
De r<strong>et</strong>our en <strong>France</strong>, Prisse est fait chevalier <strong>de</strong> la Légion d’Honneur, <strong>de</strong>vient<br />
un personnage officiel… Surtout, il publie, entre autres, en 1848 chez Firmin<br />
Didot ses Monuments égyptiens […] pour faire suite aux Monuments <strong>de</strong> l’Egypte <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> la Nubie <strong>de</strong> Champollion-le-Jeune : la première planche est consacrée à la chambre<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Ancêtres 4 , <strong>et</strong> Karnak y tient une gran<strong>de</strong> place, avec 14 planches sur 50.<br />
Excellent <strong><strong>de</strong>s</strong>sinateur, Prisse y donne <strong><strong>de</strong>s</strong> relevés très exacts, en particulier <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
premiers éléments amarniens connus, avec le talent <strong>et</strong> la verve que l’on r<strong>et</strong>rouve<br />
dans ses autres ouvrages consacrés à l’art égyptien <strong>et</strong> à l’art oriental. Chargé par<br />
Napoléon III <strong>de</strong> missions en Egypte <strong>et</strong> au Proche-Orient, Prisse rapporte en<br />
<strong>France</strong>, en 1860, 300 <strong><strong>de</strong>s</strong>sins <strong>et</strong> peintures in-folio (certains atteignent huit mètres<br />
<strong>de</strong> long !), plus <strong>de</strong> 400 m d’estampages, 150 prises <strong>de</strong> vues architecturales <strong>et</strong> autant<br />
<strong>de</strong> photographie stéréoscopiques, une masse énorme <strong>de</strong> notes <strong>et</strong> 29 momies, dont<br />
il fait don au Louvre… Ce personnage hors du commun fut, en fait, le premier<br />
successeur <strong>de</strong> Champollion, auquel il vouait une admiration sans borne.<br />
Au moment même où Prisse d’Avennes emportait la chambres <strong><strong>de</strong>s</strong> Ancêtres,<br />
Karl Richard Lepsius arrivait en Thébaï<strong>de</strong>, à la tête d’une expédition commanditée<br />
par le roi <strong>de</strong> Prusse, <strong>et</strong> dont la moisson scientifique marque une étape capitale dans<br />
l’étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> la connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments égyptiens, tout particulièrement pour<br />
1. Voir M. Dewachter, RdE 39 (1988), p. 209-210.<br />
2. Voir l’excellent feuill<strong>et</strong>on d’A. Sackho-Autissier : www.egypt.edu/feuill<strong>et</strong>on/prisse.<br />
3. L’étu<strong>de</strong> complète en paraîtra dans les Hommages dédiés à D. Silverman.<br />
4. Dont Prisse avait donné une étu<strong>de</strong> en 1845 dans la Revue archéologique t. II, p. 1-16. On<br />
trouvera sur le site www.egyptologues.n<strong>et</strong> la bibliographie exhaustive <strong><strong>de</strong>s</strong> temples <strong>de</strong> Karnak,<br />
compilée par Alain Arnaudiès.
554 NICOLAS GRIMAL<br />
Karnak. Les relevés, <strong><strong>de</strong>s</strong>sins <strong>et</strong> commentaires parus dans les Denkmäler aus Aegypten<br />
und Nubien, qui paraissent <strong>de</strong> 1849 à 1858 constituent à la fois un précieux état<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> lieux <strong>et</strong> un outil <strong>de</strong> travail toujours utilisé <strong>de</strong> nos jours.<br />
C’est à la même époque que les techniques <strong>de</strong> relevé connaissent un changement<br />
qui sera déterminant pour l’avenir : la photographie naissante vient dans un<br />
premier temps compléter le <strong><strong>de</strong>s</strong>sin, auquel elle ne se substituera jamais, mais auquel<br />
elle sert aujourd’hui <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong> support.<br />
Hector Horeau ouvre la voie à l’utilisation du daguerréotype comme support au<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>sin architectural en publiant en 1841 son Panorama d’Egypte <strong>et</strong> <strong>de</strong> Nubie, avec<br />
un portrait <strong>de</strong> Méhém<strong>et</strong>-Ali <strong>et</strong> un texte orné <strong>de</strong> vign<strong>et</strong>tes, à compte d’auteur <strong>et</strong> en<br />
souscription, à l’Imprimerie Bouchard-Buzard, à Paris. Il y donne la définition <strong>de</strong><br />
c<strong>et</strong>te nouvelle technique : « <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>sins faits sur place <strong>et</strong> <strong>de</strong> bienveillantes<br />
communications <strong>de</strong> vues daguerréotypées m’ont permis d’apporter une gran<strong>de</strong><br />
exactitu<strong>de</strong> dans la reproduction <strong><strong>de</strong>s</strong> merveilles <strong>de</strong> la vallée du Nil ». Le résultat est<br />
un ouvrage atypique, combinant <strong><strong>de</strong>s</strong> vues réalistes, — entre autres <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments<br />
du Caire, un panorama développé <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong>puis la Cita<strong>de</strong>lle —, <strong><strong>de</strong>s</strong> détails<br />
d’architecture, mais aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> vues à caractère <strong>et</strong>hnographiques, voire une restitution<br />
<strong>de</strong> la ville antique <strong>de</strong> Karnak vue <strong>de</strong>puis le toit <strong>de</strong> la salle hypostyle, à tout prendre<br />
encore supérieure à <strong><strong>de</strong>s</strong> tentatives plus récentes. Karnak <strong>et</strong> la Thébaï<strong>de</strong> y tiennent<br />
la première place, fournissant <strong>de</strong> précieux aperçus <strong>de</strong> l’état <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments avant<br />
les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Mari<strong>et</strong>te.<br />
Le milieu du xix e siècle voit les premiers photographes, dont la technique<br />
naissante a besoin d’une lumière forte <strong>et</strong> constante, partir à la découverte <strong><strong>de</strong>s</strong> pays<br />
du sud méditerranéen. L’Egypte, naturellement, leur fournit un terrain <strong>de</strong> choix 5 .<br />
L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> premiers clichés est publié par Joseph-Philibert Girault <strong>de</strong> Prangey, dans<br />
ses Monuments arabes d’Egypte, <strong>de</strong> Syrie <strong>et</strong> d’Asie Mineure, Paris, 1846, chez Hauser :<br />
il s’agit d’un daguerréotype non signé représentant une maison <strong>de</strong> Ros<strong>et</strong>te, en<br />
briques apparentes <strong>et</strong> en encorbellement.<br />
C’est à peu près le même cliché que Maxime du Camp réalise, dix ans plus tard,<br />
dans le quartier franc du Caire ; la différence vient d’un personnage placé au<br />
premier plan : son compagnon <strong>de</strong> voyage, Gustave Flaubert. Pendant <strong>de</strong>ux années,<br />
les <strong>de</strong>ux hommes parcourent la vallée du Nil, amassant souvenirs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>criptions<br />
pour l’un, clichés <strong>et</strong> observations pour l’autre. Gustave Flaubert raconte son voyage<br />
dans Par les champs & par les grèves. Voyage en Orient. Maxime du Camp, lui,<br />
affiche d’autres ambitions, que révèle le titre <strong>de</strong> l’ouvrage qu’il fait paraître en 1852<br />
à Paris, chez Gi<strong>de</strong> <strong>et</strong> Baudry : En Egypte, Nubie, Palestine <strong>et</strong> Syrie : <strong><strong>de</strong>s</strong>sins<br />
photographiques recueillis pendant les années 1849, 1850 <strong>et</strong> 1851, accompagnés d’un<br />
texte explicatif <strong>et</strong> précédés d’une introduction par Maxime Du Camp, chargé d’une<br />
mission archéologique en Orient par le ministère <strong>de</strong> l’Instruction publique.<br />
5. Voir l’excellent ouvrage <strong>de</strong> Nicolas Le Guern, L’Egypte <strong>et</strong> ses premiers photographes. Etu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
différentes techniques <strong>et</strong> du matériel utilisés <strong>de</strong> 1839 à 1869, Paris, 2001.
CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 555<br />
Karnak tient, naturellement, une gran<strong>de</strong> place, aussi bien dans le texte que dans<br />
les <strong>de</strong>ux volumes d’album qui l’accompagnent, <strong>et</strong> le témoignage ainsi apporté sur<br />
l’état <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments est <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> valeur. Toutefois, malgré le propos scientifique<br />
affiché par l’auteur, c<strong>et</strong> ouvrage reste plus un récit <strong>de</strong> voyage qu’une <strong><strong>de</strong>s</strong>cription<br />
scientifique. Une comparaison entre les <strong>de</strong>ux récits — celui <strong>de</strong> Gustave Flaubert<br />
<strong>et</strong> celui <strong>de</strong> Maxime du Camp — montre que, si la qualité littéraire n’est pas<br />
forcément du côté où on l’attendrait, l’œil du photographe donne au texte qui<br />
accompagnent ses clichés un sens <strong>de</strong> l’observation qui fait défaut au romancier. Je<br />
n’en prends qu’un exemple : la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong>de</strong> la visite <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux compagnons <strong>de</strong><br />
voyage à Debod.<br />
Flaubert décrit ainsi l’épiso<strong>de</strong> : « DEBOUT : Mercredi matin. Temple. Trois<br />
portes encore <strong>de</strong>bout en enfila<strong><strong>de</strong>s</strong>. Le temple est fort ruiné; il n’a pas été achevé,<br />
le mur en certains endroits n’est pas encore ciselé, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> carrés <strong>de</strong> pierres sur les<br />
portes atten<strong>de</strong>nt que l’on sculpte le globe avec l’uræus. Je reste à l’ombre dans un<br />
coin, fouillant le sol avec mon bâton <strong>de</strong> palmier : j’ai trouvé la moitié du sabot<br />
d’une vache. Un p<strong>et</strong>it oiseau blanc à tête <strong>et</strong> queue noires, <strong><strong>de</strong>s</strong>cendant du mur qui<br />
est <strong>de</strong>rrière moi, est venu se poser tout en face <strong>et</strong> près <strong>de</strong> moi ; quand tout le<br />
mon<strong>de</strong> a été parti, <strong>de</strong>ux autres sont venus se m<strong>et</strong>tre sur le chapiteau d’une colonne,<br />
à gauche. Avant <strong>de</strong> nous rembarquer, un sorcier nègre, au nez épaté, nous dit la<br />
bonne aventure. Dans un panier plat, plein <strong>de</strong> sable, il fait <strong><strong>de</strong>s</strong> cercles, <strong>et</strong> <strong>de</strong> ces<br />
cercles partent <strong><strong>de</strong>s</strong> lignes qu’il trace avec le doigt. Il me prédit que « je recevrai à<br />
Assouan <strong>de</strong>ux l<strong>et</strong>tres, qu’il y a une dame vieille qui pense beaucoup à moi, que<br />
j’avais eu l’intention d’emmener ma femme avec moi en voyage, mais que, tout<br />
bien décidé, je suis parti seul ; que j’ai à la fois envie <strong>de</strong> voyager <strong>et</strong> d’être chez moi,<br />
qu’il y a dans mon pays un homme très puissant qui me veut beaucoup <strong>de</strong> bien,<br />
<strong>et</strong> que <strong>de</strong> r<strong>et</strong>our dans ma patrie je serai comblé d’honneurs 6 ».<br />
Maxime du Camp est plus disert, plus précis également : « Malgré un vent<br />
violent qui, ralentissant la marche <strong>de</strong> la barque, me permit <strong>de</strong> faire une longue<br />
<strong>cours</strong>e sous les palmiers <strong>et</strong> dans les champs <strong>de</strong> Demhid, nous arrivâmes le len<strong>de</strong>main<br />
au village <strong>de</strong> Debou<strong>de</strong>h, où se dressent trois propylônes, placés à d’inégales<br />
distances <strong>et</strong> précédant un temple dédié à Ammon-Ra, à Hathor, <strong>et</strong> subsidiairement<br />
à Osiris <strong>et</strong> à Isis. Commencé par Ataramoun, roi éthiopien, contemporain <strong>de</strong><br />
Ptolémée Phila<strong>de</strong>lphe, il fut continué <strong>et</strong> achevé par Auguste <strong>et</strong> Tibère. Parmi les<br />
sculptures mutilées <strong>et</strong> d’un style peu châtié, je ne vois rien qui offre un grand<br />
intérêt, si ce n’est un roi à tête crépue, sur lequel Ammon-Bélier <strong>et</strong> Osiris-Epervier<br />
versent un flot <strong>de</strong> croix ansées qui, comme je te l’ai déjà dit, sont un symbole <strong>de</strong><br />
divinité. Dans une <strong><strong>de</strong>s</strong> salles gît une niche monolithe en granit rose, haute d’environ<br />
cinq pieds <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi; elle est écornée <strong>et</strong> brisée, mais on peut voir encore les trous où<br />
s’enfonçait la grille aujourd’hui absente. C’était sans doute la cage, <strong><strong>de</strong>s</strong>tinée à la<br />
gar<strong>de</strong> d’un épervier sacré.<br />
6. Par les champs & par les grèves. Voyage en Orient, éd. 1974 p. 513.
556 NICOLAS GRIMAL<br />
Lorsque j’arrivai à la cange, je vis Joseph qui m’attendait <strong>de</strong>bout sur le pont ; il<br />
vint à moi rapi<strong>de</strong>ment :<br />
— Savez-vous ce qu’il y a <strong>de</strong> nouveau, signor, me dit-il, voilà un strego (sorcier)<br />
qui prétend pouvoir lire dans le sable, <strong>et</strong> qui veut vous dire votre bonne<br />
aventure.<br />
En eff<strong>et</strong>, j’aperçus parmi les matelots un noir dont le visage intelligent dénotait<br />
une gran<strong>de</strong> finesse ; il se dirigea vers moi, me prit la main, la baisa <strong>et</strong> resta<br />
immobile. Je consentis volontiers à l’expérience que me proposait Joseph. Le<br />
Nubien tira <strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>sous sa longue robe bleue un p<strong>et</strong>it plat en cuivre, le fit remplir<br />
<strong>de</strong> sable <strong>et</strong> s’accroupit près <strong><strong>de</strong>s</strong> bastingages pendant que je me tenais <strong>de</strong>vant lui. Il<br />
appliqua la paume <strong>de</strong> sa main droite sur le sable, y traça certains signes entrecroisés,<br />
<strong>et</strong>, parlant lentement, il me dit sans lever les yeux sur moi :<br />
— Ton esprit n’a point <strong>de</strong> patrie, tu dors aussi bien sous la tente que dans la<br />
maison ; ton coeur est noir, car ceux qui l’habitaient sont maintenant dans la<br />
tromp<strong>et</strong>te <strong>de</strong> l’ange du jugement <strong>de</strong>rnier ; tu penses trouver <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres à Assouan,<br />
mais il n’yen a pas : tu n’en recevras qu’au Kaire ; en les lisant, un grand orage<br />
s’élèvera dans ta poitrine, <strong>et</strong> tu pleureras comme un nouveau-né ; tu reviendras dans<br />
ton pays, où tu as été longtemps mala<strong>de</strong> ; tu n’y resteras pas, car les pieds te<br />
démangent dès que tu es en repos ; tu feras encore <strong><strong>de</strong>s</strong> voyages sur <strong><strong>de</strong>s</strong> dromadaires.<br />
Il s’arrêta. Plusieurs choses étaient vraies parmi celles qu’il venait <strong>de</strong> me dire,<br />
mais Joseph avait pu les lui indiquer après les avoir apprises <strong>de</strong> mon domestique.<br />
Malgré son horoscope, je trouvai le surlen<strong>de</strong>main <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres à Assouan ; mais au<br />
Kaire, en eff<strong>et</strong>, je <strong>de</strong>vais apprendre d’exécrables nouvelles. Je payai le magicien <strong>et</strong><br />
la cange partit. 7 »<br />
Autant Flaubert se lasse d’un voyage qui jour après jour l’ennuie un peu plus<br />
— n’écrit-il pas au bout <strong>de</strong> quelques semaines : « les temples égyptiens m’embêtent<br />
profondément — est-ce que ça va <strong>de</strong>venir comme les églises en Br<strong>et</strong>agne <strong>et</strong> comme<br />
les casca<strong><strong>de</strong>s</strong> dans les Pyrénées ? ô la réussite ! Faire ce qu’il faut faire ! être comme<br />
un jeune homme comme un voyageur (<strong>et</strong>c en poussant cela à l’infini) doit<br />
être ! » ? — , autant Maxime du Camp se passionne pour c<strong>et</strong>te entreprise qui lui<br />
vaudra louanges <strong>et</strong> honneurs.<br />
C’est un autre voyage en Orient qui va perm<strong>et</strong>tre d’imposer définitivement la<br />
photographie comme témoin <strong>de</strong> l’histoire : celui que Gustave Le Gray entreprend<br />
aux côtés, lui aussi, d’un homme <strong>de</strong> l<strong>et</strong>tres, Alexandre Dumas. Le Gray est alors<br />
un peintre reconnu, mais surtout l’inventeur, en 1850, du négatif sur verre au<br />
collodion humi<strong>de</strong> <strong>et</strong>, en 1851, du négatif sur papier ciré sec. Fondateur <strong>de</strong> la<br />
Société héliographique — la future Société française <strong>de</strong> photographie — il participe<br />
à la Mission héliographique. Il est connu <strong>de</strong>puis quelques années pour les superbes<br />
7. Le Nil. Egypte <strong>et</strong> Nubie, 5 e éd., Hach<strong>et</strong>te, 1889, p. 166-167.
CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 557<br />
marines qu’il a réalisées sur la côte norman<strong>de</strong> en combinant <strong>de</strong>ux clichés : l’un du<br />
ciel, l’autre <strong>de</strong> la mer ; le résultat est une série <strong>de</strong> paysages marins au ciel tourmenté,<br />
dont le romantisme suscite alors l’enthousiasme. Napoléon III a fait <strong>de</strong> lui le<br />
photographe officiel <strong>de</strong> la Cour ; mais Le Gray est aussi mauvais gestionnaire que<br />
bon photographe, <strong>et</strong> il fuit ses créanciers en accompagnant Dumas en Italie. Il<br />
« couvre » la révolution garibaldienne, prend <strong><strong>de</strong>s</strong> clichés poignants <strong>de</strong> Palerme<br />
bombardée <strong>et</strong> une photo romantique du dictateur autoproclamé qui fera le tour<br />
<strong>de</strong> l’Europe.<br />
Abandonné sans ressources par Alexandre Dumas à Malte, il se rend en Syrie ;<br />
blessé, il s’installe en Alexandrie, puis, en 1864, au Caire, où Ismaïl Pacha le prend<br />
sous sa protection. De ce long séjour égyptien datent <strong>de</strong> nombreux clichés, dont<br />
beaucoup, hélas ! sont perdus. Mais Gustave Le Gray a une postérité abondante <strong>et</strong><br />
à sa suite, les photographes s’installeront durablement en Egypte, maîtrisant un art<br />
désormais adulte, <strong>et</strong> que le tourisme naissant rendra rapi<strong>de</strong>ment rentable.<br />
Parmi ces pionniers, pour la plupart hauts en couleurs figure Francis Frith. Elevé<br />
dans le Derbyshire par les Quakers, il abandonne la coutellerie en 1850 pour<br />
ouvrir un studio photographique à Liverpool. Cinq ans plus tard, il quitte tout <strong>et</strong><br />
part en Egypte, Syrie <strong>et</strong> Palestine. De r<strong>et</strong>our dans le Surrey, après neuf ans, il se<br />
marie <strong>et</strong> crée sa propre société. Il se lance dans une vaste entreprise <strong>de</strong> relevé<br />
photographique <strong>de</strong> chaque ville <strong>et</strong> village du Royaume Uni, <strong>de</strong>vient pasteur quaker<br />
<strong>et</strong> finit dans la peau d’un libéral extrême. De son relevé photographique vont<br />
naître <strong><strong>de</strong>s</strong> centaines <strong>de</strong> cartes postales, vendues rapi<strong>de</strong>ment dans plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
milles boutiques du Royaume-Uni.<br />
C’est c<strong>et</strong>te nouvelle industrie que vont développer <strong><strong>de</strong>s</strong> photographes comme<br />
Félix Bonfils. Il était, à l’origine, relieur à Saint-Hippolyte-du-Fort. Il apprend la<br />
photographie avec Niepce <strong>de</strong> Saint-Victor, le neveu <strong>de</strong> Nicephor Niepce, <strong>et</strong>, à<br />
36 ans, s’installe comme photographe à Beyrouth. Sa femme, Lidye, réalise <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
portraits en studio, tandis que lui multiplie les prises <strong>de</strong> vue, essentiellement en<br />
Egypte, Palestine <strong>et</strong> Syrie. Il constitue ainsi un fonds <strong>de</strong> 15 000 tirages <strong>et</strong><br />
9 000 plaques stéréoscopiques. Ses clichés égyptiens lui valent une médaille <strong>de</strong> la<br />
Société française <strong>de</strong> photographie. En 1872, il publie aux éditions Ducher un<br />
album <strong>de</strong> 100 photographies du Proche-Orient, vendu dans le mon<strong>de</strong> entier par<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> agents, puis il rentre en <strong>France</strong> en 1876 <strong>et</strong> publie une série <strong>de</strong> cinq albums,<br />
Souvenirs d’Orient : album pittoresque <strong><strong>de</strong>s</strong> sites, villes <strong>et</strong> ruines les plus remarquables.<br />
Il obtient en 1878 une médaille à l’Exposition universelle <strong>de</strong> Paris. Ses clichés<br />
servent <strong>de</strong> base à d’innombrables cartes postales. Le fonds Bonfils est d’autant plus<br />
important qu’il est poursuivi jusqu’en 1918 par son fils, Adrien, qui lui succè<strong>de</strong> à<br />
Beyrouth, puis par l’associé <strong>de</strong> celui-ci, Abraham Guiragossian, jusqu’à la veille <strong>de</strong><br />
la Secon<strong>de</strong> Guerre mondiale.<br />
Il faudrait encore citer les frères Béchard, Henri <strong>et</strong> Emile, qui collaborèrent à la<br />
fin du xix e siècle avec plusieurs archéologues, dont Gaston Maspero, <strong>et</strong> laissèrent<br />
<strong>de</strong> nombreuses vues <strong>de</strong> monuments, en particulier <strong>de</strong> Karnak.
558 NICOLAS GRIMAL<br />
Deux personnages, enfin, sont à r<strong>et</strong>enir pour notre propos : les frères Beato.<br />
D’origine vénitienne <strong>et</strong> sans doute tous <strong>de</strong>ux nés à Corfou, ils <strong>de</strong>vinrent britanniques<br />
en même temps que leur île natale. Ils enrichirent considérablement le fonds<br />
photographique <strong>de</strong> la fin du xix e siècle, chacun dans une partie <strong>de</strong> l’empire<br />
britannique : l’un, Felice, en Extrême Orient, le second, Antonio, essentiellement<br />
en Egypte, plus particulièrement à Louqsor, où il exerça <strong>de</strong> 1860 jusqu’à sa mort,<br />
en 1906. Il fut témoin <strong><strong>de</strong>s</strong> premiers grands <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Karnak, sur lesquels il<br />
apporte un témoignage qui vient compléter les premières photos prises par les<br />
archéologues eux-mêmes. Ses clichés sont, aujourd’hui encore, vendus comme<br />
cartes postales sur place.<br />
Le premier vrai fouilleur <strong>de</strong> Karnak fut Auguste Mari<strong>et</strong>te. Point n’est besoin <strong>de</strong><br />
revenir ici sur sa carrière ni sur l’œuvre immense qu’il accomplit en Egypte. À<br />
Karnak, il entreprit <strong>de</strong> rapi<strong><strong>de</strong>s</strong> campagnes <strong>de</strong> déblaiement, <strong>de</strong> la fin 1858 à 1860<br />
<strong>et</strong> dans les premiers mois <strong>de</strong> 1874.<br />
Il dégagea ainsi dans l’enceinte <strong>de</strong> Montou une statue d’albâtre d’Amenardis <strong>et</strong><br />
une, <strong>de</strong> bronze, d’Isis actuellement au musée Vleeshuis d’Anvers. Dans l’enceinte<br />
d’Amon, il découvre le socle du naos d’Amon, daté d’Amenemhat I er . Jusqu’à la<br />
découverte <strong>de</strong> la colonne d’Antef, ce sera le plus ancien vestige connu. Il i<strong>de</strong>ntifie<br />
également l’emplacement <strong>de</strong> la fondation <strong>de</strong> Sésostris I er , dans ce que l’on appelle<br />
<strong>de</strong>puis la « cour du Moyen Empire. Surtout, Mari<strong>et</strong>te publie en 1875 le premier<br />
ouvrage entièrement consacré à Karnak, Karnak. Etu<strong>de</strong> topographique <strong>et</strong><br />
archéologique, avec un appendice comprenant les principaux textes hiéroglyphiques<br />
découverts ou recueillis pendant les fouilles exécutées à Karnak. Ouvrage publié sous les<br />
auspices <strong>de</strong> son altesse Ismail Khédive d’Egypte, auquel il ajoute la première étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
listes <strong>de</strong> peuples figurées sur les parois <strong>et</strong> pylônes du temple : Les listes géographiques<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> pylônes <strong>de</strong> Karnak comprenant la Palestine, l’Ethiopie, le pays <strong><strong>de</strong>s</strong> Somâl. Ouvrage<br />
publié sous les auspices <strong>de</strong> son altesse Ismail khédive d’Egypte, Atlas,<br />
Il faudra attendre 1895 pour que les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> dégagement <strong>et</strong> d’entr<strong>et</strong>ien du<br />
temple soient, en quelque sorte, institutionnalisés <strong>et</strong> placés sous la responsabilité du<br />
tout jeune service <strong><strong>de</strong>s</strong> Antiquités. Gaston Maspero <strong>et</strong> Georges Legrain constituent le<br />
premier « couple », associant un égyptologue <strong>et</strong> un architecte, d’une série qui s’est<br />
continuée jusqu’à récemment. L’espace limité <strong>de</strong> ce rapport ne perm<strong>et</strong> pas d’évoquer<br />
en détails les recherches <strong>et</strong> découvertes qui ont marqué plus d’un siècle <strong>de</strong> l’histoire<br />
récente du temple, <strong>de</strong> la prodigieuse découverte <strong>de</strong> la cour <strong>de</strong> la Cach<strong>et</strong>te aux <strong>de</strong>rniers<br />
<strong>travaux</strong> du Centre franco-égyptien <strong><strong>de</strong>s</strong> temples <strong>de</strong> Karnak. Nous y reviendrons plus<br />
tard, au fur <strong>et</strong> à mesure <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses parties du temple.<br />
Les Annales <strong>de</strong> Thoutmosis III : étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> commentaire<br />
On a étudié c<strong>et</strong>te année les colonnes 88 à 103, soit la fin <strong>de</strong> la campagne <strong>de</strong><br />
l’an 23. On trouvera ci-après la traduction provisoire <strong>de</strong> ce passage, ainsi que celle<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> colonnes 56 à 88, que je n’ai pu, faute <strong>de</strong> place, intégrer aux rapports <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
années précé<strong>de</strong>ntes.
Annales I, 56-84<br />
CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 559<br />
« L’an 23, 19 e jour du premier mois <strong>de</strong> l’été : réveil en [vie] (57) dans la tente<br />
<strong>de</strong> (Celui qui est) doué <strong>de</strong> vie, santé <strong>et</strong> force à proximité <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> A[rou]na.<br />
Marche (58) vers le nord par Ma Majesté, sous l’étendard <strong>de</strong> père [Amon-<br />
Rê Seigneur <strong><strong>de</strong>s</strong> Trônes du Double Pays, qui ouvrait les chemins (59) <strong>de</strong>vant <br />
Majesté, (tandis que) Horakhty confortait le cœur <strong>de</strong> troupes, (60) <strong>et</strong> que<br />
père Amon {Seigneur <strong><strong>de</strong>s</strong> Trônes <strong><strong>de</strong>s</strong> Deux Terres} [ren]forçait le glaive <strong>de</strong><br />
[Ma Majesté Montou étendant sa protection sur (61) Ma] Majesté.<br />
Sa [Majesté fit] marche [à la tête <strong>de</strong>] son [armée], form[ée] (62) en nombreux<br />
bataillons, [sans rencontrer] un seul [ennemi, l’] (63) aile sud étant à Ta[anak, (64)<br />
l’]aile nord sur le côté sud <strong>de</strong> […]<br />
(65) Et Sa Majesté <strong>de</strong> haranguer : « [… (66) …] <strong>et</strong> ce vi[l] ennemi doit<br />
être abattu (67) [… (68) …] Amon [… (69) … (70) … Sa] Majesté […] au glaive<br />
plus puissant que (?) (71) […] l’ar[mée] <strong>de</strong> [Sa] Majesté [arriva] à (72) Arouna.<br />
Puis, tandis que l’arrière <strong>de</strong> l’armée victorieuse <strong>de</strong> Sa Majesté était à la hauteur <strong>de</strong><br />
la place (73) d’Arouna, l’avant <strong>de</strong> sortir à la hauteur <strong>de</strong> la vallée <strong>de</strong> Qena, (74)<br />
jusqu’à remplir la plaine <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te vallée.<br />
Ils dirent alors à Sa Majesté — qu’Elle soit en vie, santé <strong>et</strong> force ! : (75) «“ Oui !<br />
Sa Majesté est sortie avec [ses] troupes victorieuses <strong>et</strong> ils o[n]t investi la (76) vallée.<br />
Que notre maître victorieux nous écoute c<strong>et</strong>te fois-ci ! (77) Que notre maître<br />
atten<strong>de</strong> l’arrière <strong>de</strong> [son] arm[ée avec ses gens], (78) [<strong>et</strong> lorsque sera parvenu<br />
jusqu’à nous], l’arrière <strong>de</strong> l’armée, alors, [nous combattrons contre (79) ces<br />
montagnards], sans avoir à nous soucier [<strong>de</strong> l’arrière <strong>de</strong>] (80) notre [armée]. ”<br />
Sa Majesté fit [donc halte], en plein air, assi[se] (81) là, attendant l’arrière [<strong>de</strong>]<br />
son [armée] victorieuse. Et lorsque l’arrière <strong>de</strong> [la trou] (82) pe fut sorti sur ce<br />
chemin, (83) l’ombre [avait franchi (83) midi].<br />
Sa Majesté atteignit le sud <strong>de</strong> Megiddo, au bord <strong>de</strong> la rivière Qena, à la septième<br />
heure du jour. Alors on établit là le camp pour Sa Majesté, <strong>et</strong> on fit c<strong>et</strong>te<br />
proclamation <strong>de</strong>vant le front <strong><strong>de</strong>s</strong> troupes : “ Equipez-vous, fourbissez vos armes.<br />
Car on va affronter au combat ce vil ennemi <strong>de</strong>main. Car on va [ … ]. ”<br />
(84) Se reposer dans les quartiers <strong>de</strong> Celui qui est en Vie, Santé <strong>et</strong> Force. Assurer<br />
l’approvisionnement <strong><strong>de</strong>s</strong> officiers <strong>et</strong> les vivres pour les serviteurs. Passer en revue<br />
les veilleurs <strong>de</strong> l’armée, après leur avoir passé la consigne: “ Ferm<strong>et</strong>é ! ” <strong>et</strong><br />
“ Vigilance ! ”<br />
Réveil en vie dans la tente <strong>de</strong> Celui qui est en vie, santé <strong>et</strong> force. On vient dire<br />
à Sa Majesté : “ (la situation du) désert alentour est favorable, (celle <strong><strong>de</strong>s</strong>) troupes<br />
au sud <strong>et</strong> au nord également ! ” »
560 NICOLAS GRIMAL<br />
Annales I, 84-87<br />
« 23 e année <strong>de</strong> règne, premier mois <strong>de</strong> l’été, 21 e jour, le jour <strong>de</strong> la fête <strong>de</strong> la<br />
Nouvelle Lune, exactement. Apparition du roi au p<strong>et</strong>it matin.<br />
Alors, on donna à l’armée tout entière l’ordre du jour pour marcher [contre les<br />
ennemis].<br />
(85) Sa Majesté avance sur le char d’électrum,<br />
Parée <strong><strong>de</strong>s</strong> ornements du combat,<br />
Tel Horus le Vaillant, le Maître <strong><strong>de</strong>s</strong> rites,<br />
Tel Montou thébain,<br />
père Amon donnant la force à ses bras.<br />
L’aile sud <strong>de</strong> l’armée <strong>de</strong> Sa Majesté s’étend vers la colline qui est au sud <strong>de</strong> [la<br />
vallée] <strong>de</strong> Qena, l’aile nord au nord-est <strong>de</strong> Megiddo, Sa Majesté au milieu, Amon<br />
assurant sa protection la mêlée, la force [<strong>de</strong> S<strong>et</strong>h s’étendant sur] (86) ses<br />
membres.<br />
Sa Majesté était ainsi plus puissante qu’eux, à la tête <strong>de</strong> son armée, <strong>et</strong> lorsqu’ils<br />
virent que Sa Majesté était plus forte qu’eux, ils s’enfuirent en trébuchant vers<br />
Megiddo, le visage plein <strong>de</strong> terreur. Ils abandonnèrent leurs chevaux <strong>et</strong> leurs chars<br />
d’argent <strong>et</strong> d’électrum, <strong>et</strong> on les tira vers le haut par leurs vêtements dans c<strong>et</strong>te<br />
ville. Car ces gens là avaient fermé c<strong>et</strong>te ville, tout en [laissant pendre (87)] <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
vêtements, afin <strong>de</strong> les tirer en haut dans c<strong>et</strong>te ville.<br />
Si seulement l’armée <strong>de</strong> Sa Majesté ne s’était pas alors attachée à piller les biens<br />
<strong>de</strong> ces ennemis, alors elle [serait entrée] dans Megiddo sur le champ, tandis que<br />
l’on hissait le vil ennemi <strong>de</strong> Qa<strong><strong>de</strong>s</strong>h, ainsi que le vil ennemi <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ville, en hâte,<br />
pour les faire entrer dans leur ville !<br />
Annales I 88-103<br />
Alors la crainte <strong>de</strong> Sa Majesté [entre dans (88) leur corps], leurs bras sont sans<br />
force, [<strong>et</strong>] l’uræus s’empare d’eux. Leurs chevaux <strong>et</strong> leurs chars plaqués d’or <strong>et</strong><br />
d’électrum sont mis au pillage immédiatement comme libre [butin], leurs [batail]ons<br />
renversés au sol, tels les poissons dans la poche d’eau.<br />
Et l’armée victorieuse <strong>de</strong> Sa Majesté <strong>de</strong> compter ses biens ! Et on pilla la tente<br />
<strong>de</strong> [ce vil enne]mi, qui était plaqu[ée d’ (89)...] .<br />
Et l’armée tout entière <strong>de</strong> marteler sa joie,<br />
De rendre grâce à Am[on,<br />
Pour la victoire]<br />
Qu’il a donnée à son [fils] en ce jour,<br />
Et chanter les louanges] <strong>de</strong> Sa Majesté,<br />
D’exalter Sa victoire.<br />
Et ils emportèrent alors le butin qu’ils avaient fait: mains, prisonniers, chevaux<br />
<strong>et</strong> [ch]ars d’or plaqué d’électrum, […] multicolores (90) […]
CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 561<br />
[Sa Majesté fit alors] c<strong>et</strong>te [pro]clamation à son armée :<br />
« Allez ! [Courage, mes b]raves [soldats] !<br />
Oui, [c’est bien par la volonté <strong>de</strong> Rê que tous ces pays] se r<strong>et</strong>rouvent<br />
[dans c<strong>et</strong>te cité] aujourd’hui,<br />
Puisque tous les chefs <strong>de</strong> tous les pays y sont en cage,<br />
Et que ce sera prendre mille cités que prendre Megiddo !<br />
Allez ! Courage !<br />
Oui, [c’est bien (91) …] »<br />
[…] Et les chefs <strong>de</strong> corps d’exhor[ter leurs soldats, <strong>de</strong> faire connaître à ] chacun<br />
sa place. Ils prirent la mesure <strong>de</strong> [c<strong>et</strong>te vill]e, (la) prenant au piège à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> talus,<br />
l’entourant <strong>de</strong> (palissa<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>) bois frais (faites) <strong>de</strong> tous leurs arbres fruitiers.<br />
Dans le même temps, Sa Majesté en personne fermait l’est <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te cit[é, <strong>et</strong> le<br />
surveillaitt en (92) personne, nuit <strong>et</strong> jour …] qu’il entou]re d’un mur d’enceinte<br />
[…] à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> son enceinte, à qui on donna le nom <strong>de</strong> « Menkheperrê prend au<br />
piège les Asiatiques ».<br />
On plaça <strong><strong>de</strong>s</strong> [gens] pour gar<strong>de</strong>r la tente <strong>de</strong> Sa Majesté, en leur disant : « Courage<br />
<strong>et</strong> soyez vi[gilants] ! ».<br />
[Puis Sa Majesté] (93) […empêchant qu’un] seul d’entre eux sorte par l’arrière<br />
<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te muraille, sauf pour aller frapper à la porte <strong>de</strong> leur prison.<br />
Quant à tout ce que Sa Majesté a fait contre c<strong>et</strong>te cité, contre ce vil ennemi <strong>et</strong><br />
sa vile armée, cela a été consigné avec l’indication par jour à Son nom <strong>et</strong> par<br />
campagne [… (94) …] consigné sur un rouleau <strong>de</strong> cuir dans la <strong>de</strong>meure d’Amon<br />
à la date <strong>de</strong> ce jour.<br />
Alors, les chefs <strong>de</strong> ce pays vinrent, à plat-ventre, flairer le sol <strong>de</strong>vant la puissance<br />
<strong>de</strong> Sa Majesté, implorer le souffle pour leur nez, tant est gran<strong>de</strong> Sa force, tant est<br />
puis[sante la crainte d’Amon sur les pays étrangers (95) [… pays étrang]ers. [A]lors<br />
[tous les] chefs d’apporter à Sa puissance, chargés <strong>de</strong> leurs tributs : or, argent, lapislazuli,<br />
turquoise, — d’apporter grain, vin, bœufs, p<strong>et</strong>it bét[ail] pour l’armée <strong>de</strong> Sa<br />
Majesté. Une partie d’entre e[ux, chargée <strong>de</strong> tributs, prit le chemin du] Sud.<br />
Puis Sa Majesté entreprit <strong>de</strong> [confir]mer les chefs (96) [<strong>de</strong> chaque cité …]<br />
[Liste <strong><strong>de</strong>s</strong> prises emportées par l’armée <strong>de</strong> Sa Majesté <strong>de</strong> la cité <strong>de</strong> Megiddo :]<br />
340 prisonniers,<br />
83 mains,<br />
2 041 chevaux,<br />
191 poulinières,<br />
6 étalons,<br />
[...] poulains […],<br />
le char plaqué d’or <strong>et</strong> aux parements en or <strong>de</strong> ce vil ennemi,<br />
le splendi<strong>de</strong> char plaqué d’électrum du [chef <strong>de</strong>] (97) [Megiddo …],<br />
chars <strong>de</strong> sa vile armée : 892.<br />
Soit un total <strong>de</strong> 924.
562 NICOLAS GRIMAL<br />
Bronze : belle cuirasse <strong>de</strong> combat <strong>de</strong> ce vil vaincu : 1.<br />
Bronze : belle cuirasse <strong>de</strong> combat du chef <strong>de</strong> Megi[ddo : 1.<br />
Bronze] : belles cuirasses <strong>de</strong> combat <strong>de</strong> sa vile armée : 200.<br />
Arcs : 502.<br />
[Piqu<strong>et</strong>s en bois ] — mery plaqué d’argent <strong>de</strong> la tente <strong>de</strong> ce vaincu : 7.<br />
[L’armée <strong>de</strong> (98) Sa Majesté] s’empara également <strong>de</strong> […] 387 […], 1 929 bœufs,<br />
2 000 chèvres <strong>et</strong> 20 500 moutons.<br />
Liste <strong>de</strong> ce que le roi a emporté ensuite <strong><strong>de</strong>s</strong> biens <strong>de</strong> la <strong>de</strong>meure <strong>de</strong> ce vaincu,<br />
— celle <strong>de</strong> [Yen]oam, <strong>de</strong> Anouges, <strong>de</strong> [Helenker, ainsi que les biens <strong>de</strong>] ceux qui<br />
avaient fait allégeance [emportés par] (99) : […] dont 30 [Maryanou] ; 47 enfants<br />
<strong>de</strong> ce [vaincu] <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> chefs qui sont avec lui, dont 5 Maryanou ; 1 796 serviteurs<br />
<strong>et</strong> servantes, avec leurs enfants ; 103 <strong>de</strong> ceux qui se sont rendus, poussés par la<br />
fa[im] à quitter [ce vaincu].<br />
Soit un total <strong>de</strong> 2 503.<br />
Ainsi que :<br />
Pierres fines <strong>et</strong> or : <strong><strong>de</strong>s</strong> coupes-<strong>de</strong>d<strong>et</strong> <strong>et</strong> divers vases, (100) […] un grand vaseakounou<br />
en travail <strong>de</strong> Syrie, <strong><strong>de</strong>s</strong> gobel<strong>et</strong>s-tjebou, <strong><strong>de</strong>s</strong> coupes-<strong>de</strong>d<strong>et</strong>, <strong><strong>de</strong>s</strong> coupeskhentou,<br />
divers vases à boire, <strong>de</strong> grands chaudrons, [X +] 27 couteaux. Soit un total<br />
<strong>de</strong> 1 784 <strong>de</strong>ben.<br />
Or en lingots trouvés aux mains <strong><strong>de</strong>s</strong> artisans, en même temps que <strong>de</strong> l’argent en<br />
nombreux lingots : 966 <strong>de</strong>ben <strong>et</strong> 1 kite.<br />
Argent : une statue représentant (101) [ … ], la tête en or, trois hampes à tête<br />
humaine.<br />
Ivoire, ébène <strong>et</strong> cèdre plaqués or : 6 fauteuils <strong>de</strong> ce vaincu <strong>et</strong> 6 repose-pieds qui<br />
vont avec.<br />
Ivoire <strong>et</strong> cèdre : 6 gran<strong><strong>de</strong>s</strong> tables.<br />
Cèdre recouvert d’or <strong>et</strong> <strong>de</strong> toutes sortes <strong>de</strong> pierres précieuses : un lit en forme<br />
<strong>de</strong> couche <strong>de</strong> ce vaincu, entièrement plaqué d’or.<br />
Ebène plaqué (102) d’or : une statue <strong>de</strong> ce vaincu dont la tête est en l[apislazuli<br />
? …].<br />
[…] ce […], vases <strong>de</strong> bronze, nombreux vêtements <strong>de</strong> ce vaincu.<br />
Ensuite, les champs furent transformés en domaines, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> agents du domaine<br />
royal établir le recensement, afin que leur récolte soit emportée.<br />
Liste <strong>de</strong> la récolte emportée par Sa Majesté <strong><strong>de</strong>s</strong> domaines <strong>de</strong> Megiddo : 2 007 300<br />
[+ X] sacs <strong>de</strong> farine, (103) sans compter ce qui a été coupé lors <strong>de</strong> la prise par<br />
l’armée <strong>de</strong> Sa Majesté […]. »
CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 563<br />
Travaux <strong>et</strong> publications 8<br />
— En collaboration avec Emad Adly <strong>et</strong> Alain Arnaudiès, chroniques archéologiques :<br />
Bull<strong>et</strong>in d’information archéologique <strong>et</strong> « Fouilles <strong>et</strong> <strong>travaux</strong> en Egypte <strong>et</strong> au Soudan », pour<br />
la revue Orientalia.<br />
— Campagne d’étu<strong>de</strong> à Karnak en novembre 2007 <strong>et</strong> décembre 2007.<br />
— Expertise auprès <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong> Vienne pour la section Proche-Orient,<br />
27-28 mars 2008.<br />
Publications<br />
— « L’œuvre architecturale <strong>de</strong> Thoutmosis III dans le temple <strong>de</strong> Karnak », dans Compte<br />
rendus <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions & Belles-L<strong>et</strong>tres 2006, p. 231-249.<br />
— « Civilisation pharaonique : archéologie, philologie, histoire », Annuaire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong> 2007 ; rapport compl<strong>et</strong> en ligne sur www.egyptologues.n<strong>et</strong>.<br />
— Hommage à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions & Belles-L<strong>et</strong>tres : « Christophe Barbotin, La<br />
voix <strong><strong>de</strong>s</strong> hiéroglyphes. Promena<strong>de</strong> au département <strong><strong>de</strong>s</strong> Antiquités égyptiennes du musée du Louvre,<br />
Institut Khéops — Musée du Louvre, Paris, 2005 », dans Comptes rendus <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Inscriptions & Belles-L<strong>et</strong>tres 2006, p. 296-298.<br />
— « Les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> expéditions scientifiques du xixe siècle sur support numérique : la<br />
Description <strong>de</strong> l’Egypte », Comptes rendus <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions & Belles-L<strong>et</strong>tres 2006,<br />
p. 359-364.<br />
— En collaboration avec Emad Adly, Bull<strong>et</strong>in d’information archéologique 35 (janvierjuin<br />
2007), www.egyptologues.n<strong>et</strong>.<br />
« Langue <strong>et</strong> culture dans le Proche-Orient antique », dans Géopolitique. Revue <strong>de</strong> l’Institut<br />
international <strong>de</strong> Géopolitique 100, p. 7-12.<br />
— En collaboration avec Emad Adly, Bull<strong>et</strong>in d’information archéologique 36 (juill<strong>et</strong>décembre<br />
2007), www.egyptologues.n<strong>et</strong>.<br />
— En collaboration avec Emad Adly <strong>et</strong> Alain Arnaudiès, « Fouilles <strong>et</strong> <strong>travaux</strong> en Egypte<br />
<strong>et</strong> au Soudan, 2005-2007 », dans Orientalia 76, p. 176-283 <strong>et</strong> pl. XIII-XXXVII.<br />
Conférences <strong>et</strong> colloques<br />
— « L’Egypte pharaonique <strong>et</strong> l’ordre du mon<strong>de</strong> antique », conférence prononcée à<br />
l’Université <strong>de</strong> Neufchâtel, 12 décembre 2007.<br />
— « Temps <strong>et</strong> espace : la civilisation pharaonique est-elle immortelle ? », conférence<br />
prononcée à l’Association Guillaume Budé, Lyon, 17 janvier 2008.<br />
— Organisation, avec Nathalie Beaux <strong>et</strong> Bernard Pottier du colloque international<br />
« Image <strong>et</strong> conception du mon<strong>de</strong> dans les écritures figuratives », <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong><br />
Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres, 24-25 janvier 2008.<br />
— Participation au colloque international <strong>de</strong> la Société française d’Archéologie Classique<br />
« Grecs <strong>et</strong> Romains en Egypte. Territoires, espaces <strong>de</strong> la vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la mort, obj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> prestige<br />
<strong>et</strong> du quotidien », 15 mars 2008, INHA.<br />
8. A la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’Administration du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, ne figurent dans ce rapport que<br />
les activités du titulaire <strong>de</strong> la chaire. Le rapport compl<strong>et</strong>, incluant les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> l’équipe <strong>et</strong> du<br />
cabin<strong>et</strong> d’égyptologie peut être consulté en ligne à l’adresse suivante : www.egyptologues.n<strong>et</strong>.
564 NICOLAS GRIMAL<br />
Jurys <strong>de</strong> thèses<br />
— Prési<strong>de</strong>nce du jury <strong>de</strong> thèse <strong>de</strong> Doctorat présentée par Hanane Gaber-Kerious, sous<br />
le titre Recherches sur les tombes inédites d’Amennakht <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses fils Nebenmaât <strong>et</strong> Kham<strong>et</strong>eri<br />
(Deir el-Médina TT 218, TT 219, TT 220). Edition <strong><strong>de</strong>s</strong> tombes <strong>et</strong> étu<strong>de</strong> comparative <strong><strong>de</strong>s</strong> livres<br />
funéraires en contextes royal <strong>et</strong> privé, à l’Université Marc Bloch (Strasbourg-II), le mardi<br />
11 septembre 2007.<br />
— Participation au jury <strong>de</strong> thèse <strong>de</strong> Doctorat <strong>de</strong> l’Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> en Sciences<br />
Sociales (Discipline : Archéologie) présentée par Nathalie Buchez, <strong>et</strong> intitulée Chronologie<br />
<strong>et</strong> transformations structurelles <strong>de</strong> l’habitat au <strong>cours</strong> du prédynastique. Apports <strong><strong>de</strong>s</strong> mobiliers<br />
céramiques funéraires <strong>et</strong> domestiques du site d’Adaïma (Haute-Egypte), Toulouse, 29 février<br />
2008.<br />
— Participation au jury <strong>de</strong> thèse <strong>de</strong> Doctorat <strong>de</strong> l’Université libre <strong>de</strong> Bruxelles présentée<br />
par Laurent Bavay sous le titre « Dis au potier qu’il me fasse une poterie-kôtôn ». Archéologie<br />
<strong>et</strong> céramique <strong>de</strong> l’Antiquité tardive à nos jours dans la tombe thébaine n° 29 à Cheikh abd<br />
el-Gourna, Egypte (fouilles <strong>de</strong> l’Université Libre <strong>de</strong> Bruxelles), Bruxelles, 12 février 2008.<br />
— Prési<strong>de</strong>nce du jury <strong>de</strong> thèse <strong>de</strong> Doctorat présentée par Aurélia Masson, Le quartier<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> prêtres à l’est du lac Sacré dans le temple d’Amon <strong>de</strong> Karnak, <strong>de</strong>vant l’Université <strong>de</strong> Paris<br />
Sorbonne le 12 mars 2008.<br />
— Prési<strong>de</strong>nce du jury <strong>de</strong> thèse <strong>de</strong> Doctorat présentée par Marie Mill<strong>et</strong>, Installations<br />
ante rieu res au Nouvel Empire au sud-est du lac Sacré du temple d’Amon <strong>de</strong> Karnak, <strong>de</strong>vant<br />
l’Université <strong>de</strong> Paris Sorbonne le 23 juin 2008.
Assyriologie<br />
M. Jean-Marie Durand, professeur<br />
Dans l’imaginaire occi<strong>de</strong>ntal concernant le Proche-Orient, le mon<strong>de</strong> politique<br />
est soumis à la puissance d’un seul : le roi a confisqué la toute puissance <strong>et</strong>, face à<br />
lui, il n’a que <strong><strong>de</strong>s</strong> serviteurs : à cela s’oppose la conception <strong>de</strong> l’individu libre, le<br />
citoyen grec.<br />
Pendant les années précé<strong>de</strong>ntes, pour une pério<strong>de</strong> très bien documentée comme<br />
le xviii e siècle av. n. è., on a vu que c’est plutôt la notion <strong>de</strong> groupe qui existe <strong>et</strong><br />
chacun essaie d’y trouver sa place, chef comme contribules ; c’est une réalité au<br />
sein <strong>de</strong> laquelle le chef du groupe <strong>et</strong> les membres pratiquent <strong><strong>de</strong>s</strong> relations complexes<br />
<strong>de</strong> solidarités.<br />
À partir <strong>de</strong> la présente année, en choisissant toujours la documentation dans le<br />
même domaine très riche, il s’agissait d’examiner un autre thème à propos <strong>de</strong><br />
l’exercice du pouvoir : <strong>de</strong> l’extérieur <strong>de</strong> la Mésopotamie, on considère, en eff<strong>et</strong>, que<br />
face à la toute puissance du roi, il existe en revanche la toute puissance <strong><strong>de</strong>s</strong> dieux.<br />
Il s’agit, là encore, d’une vision en apparence négative : les dieux mésopotamiens<br />
semblent avoir été <strong><strong>de</strong>s</strong> réalités lointaines, peu épanouies, jalouses, soucieuses<br />
uniquement <strong>de</strong> leur propre bien-être, jusqu’à la bêtise, ne rêvant que <strong>de</strong> dormir.<br />
Ils ont gardé pour eux la vie, ils sont donc immortels, ils ont tout caché aux<br />
humains, surtout leur avenir. Il faut ainsi leur arracher les secr<strong>et</strong>s <strong>de</strong> la santé <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
la réussite dans l’action.<br />
Certains chercheurs du domaine mésopotamien ont beaucoup durci c<strong>et</strong>te notion<br />
selon laquelle les dieux ont besoin <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes qui par ailleurs les gênent.<br />
C’est <strong>de</strong> c<strong>et</strong> effort pour contraindre les dieux que seraient apparues la magie <strong>et</strong><br />
la divination dont l’Antiquité proche-orientale se trouve être sinon la patrie<br />
exclusive, au moins l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> patries.
566 JEAN-MARIE DURAND<br />
A) Pas <strong>de</strong> divination sumérienne<br />
Il y a, à l’heure actuelle, un consensus selon lequel il n’existait pas <strong>de</strong> divination<br />
sumérienne ; rien n’en suggère <strong>de</strong> fait la pratique au moins au niveau <strong>de</strong> l’État qui<br />
est le seul à nous être vraiment documenté. Il est peu vraisemblable, cependant,<br />
que l’homme sumérien particulier n’ait pas été intéressé par son avenir <strong>et</strong> qu’il n’ait<br />
eu la possibilité <strong>de</strong> rencontrer ou <strong>de</strong> solliciter, sur les places publiques, dans les<br />
marchés <strong>et</strong> au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> ses voyages, <strong><strong>de</strong>s</strong> gens d’autres cultures qui y recourraient.<br />
Cela rentre dans la problématique du rapport entre « public » <strong>et</strong> « privé » qui est<br />
pour nous très difficile d’accès à l’heure actuelle. Si cela apparaissait au détour<br />
d’une <strong><strong>de</strong>s</strong> rares l<strong>et</strong>tres gardées pour le III e millénaire, ou d’un proverbe, il n’en<br />
resterait pas moins qu’une telle anecdote n’irait pas au <strong>de</strong>là d’elle-même.<br />
De fait, le vocabulaire <strong>de</strong> la divination, au moment où s’en multiplient les<br />
attestations, c’est-à-dire surtout dans les textes <strong>de</strong> Mari, semble libre d’influences<br />
sumériennes ; ce n’est que dans l’usage récent qu’apparaissent <strong>de</strong> nombreux<br />
idéogrammes, d’origine savante. Les textes les plus anciens ont c<strong>et</strong>te caractéristique<br />
d’être écrits <strong>de</strong> façon phonétique.<br />
Beaucoup <strong>de</strong> faits militent pour montrer l’origine populaire <strong>de</strong> la divination : les<br />
tabl<strong>et</strong>tes divinatoires sont aussi grossières que les tabl<strong>et</strong>tes scolaires. Elles ne<br />
semblent pas présenter un savoir réservé : elles <strong>de</strong>vaient être accessibles à quiconque<br />
savait lire. Les scribes qui les ont rédigées n’appartenaient pas à un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> très<br />
haute culture.<br />
Au III e millénaire les hautes questions politiques ne semblent pas être réglées au<br />
moyen d’actes <strong>de</strong> divination. Les <strong>de</strong>ux seuls suj<strong>et</strong>s abordés, la nomination <strong>de</strong> la<br />
gran<strong>de</strong> prêtresse <strong>et</strong> l’autorisation <strong>de</strong> faire reconstruire son temple donnée par le<br />
dieu, datent <strong>de</strong> la fin du mon<strong>de</strong> sumérien. Il pourrait s’agir là <strong>de</strong> marqueurs <strong>de</strong> la<br />
pénétration du vieux mon<strong>de</strong> sumérien par un esprit nouveau apporté par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
populations <strong>de</strong> sentimentalité différente.<br />
Le nom du <strong>de</strong>vin en sumérien est d’ailleurs « celui qui prend le chevreau », ce<br />
qui ne fait pas allusion à l’agneau cher aux Mésopotamiens. Il « touche » l’animal,<br />
mais rien ne dit qu’il en regar<strong>de</strong> les entrailles.<br />
Il semble donc bien que la divination soit un fait sémitique <strong>et</strong> récent, qui<br />
provient <strong>de</strong> pratiques populaires, non encore intégrées au savoir <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>trés ; à leur<br />
apparition elles sont encore très proches d’une science orale <strong>et</strong> le <strong>de</strong>vin est avant<br />
tout un praticien.<br />
B) La pratique <strong>de</strong> la divination<br />
À l’époque paléo-babylonienne, on constate la très gran<strong>de</strong> importance <strong>de</strong><br />
l’hépatoscopie, soit l’examen du foie mais, en fait, on procédait alors à un examen<br />
général <strong><strong>de</strong>s</strong> entrailles, les tîrânu. De plus, les l<strong>et</strong>tres <strong>de</strong> Mari montrent une autre<br />
pratique très populaire, celle <strong><strong>de</strong>s</strong> « oiseaux <strong>de</strong> trou ». Parallèlement, à Babylone, on
ASSYRIOLOGIE 567<br />
recourait à l’aleuromancie ou la lécanomancie, c’est-à-dire la distribution <strong>de</strong> j<strong>et</strong>s <strong>de</strong><br />
farine ou les irisations produites par <strong>de</strong> l’huile sur une surface plane ou liqui<strong>de</strong>.<br />
Avec le temps apparaissent à côté <strong><strong>de</strong>s</strong> actes isolés, la constitution <strong>de</strong> grands<br />
corpus, joyaux <strong><strong>de</strong>s</strong> bibliothèques royales récentes, babyloniennes <strong>et</strong> assyriennes,<br />
accompagnés d’un vaste ensemble <strong>de</strong> commentaires, qui recourent à <strong><strong>de</strong>s</strong> observations<br />
<strong>de</strong> bien plus gran<strong>de</strong> ampleur : une série part <strong><strong>de</strong>s</strong> événements fortuits dans le<br />
mon<strong>de</strong> : une autre <strong>de</strong> l’observation <strong><strong>de</strong>s</strong> astres.<br />
C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière est au I er millénaire la vraie science qui remplace la divination à<br />
partir <strong><strong>de</strong>s</strong> entrailles <strong>et</strong> <strong>de</strong>vient la discipline reine.<br />
Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’histoire mésopotamienne, on ne voit pas le <strong>de</strong>vin évoluer vers la<br />
figure du mage qui est celle par excellence du personnage oriental qui s’intéresse à<br />
l’avenir, mais vers celle du savant <strong>et</strong> du théoricien, à partir d’une observation<br />
méticuleuse <strong>de</strong> données naturelles, établissant une grille <strong>de</strong> lecture <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> critères<br />
d’explications qui perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> porter un verdict en introduisant le moins possible<br />
<strong>de</strong> critères personnels <strong>de</strong> choix. C’est ce que Jean Bottéro considérait comme la<br />
naissance <strong>de</strong> l’esprit scientifique : l’observation du réel <strong>et</strong> l’oubli <strong><strong>de</strong>s</strong> critères<br />
personnels dans la décision.<br />
C’est au moins la théorie car tous les cas ne sont pas prévus, les traditions se<br />
contredisent <strong>et</strong> plus d’une fois le <strong>de</strong>vin est obligé d’avouer qu’il est dans l’embarras<br />
ou que les critères à disposition conduisent à <strong><strong>de</strong>s</strong> choix ambigus.<br />
La consultation du corpus épistolaire mariote donne la possibilité d’observer la<br />
divination au fil <strong><strong>de</strong>s</strong> jours <strong>et</strong> dans son contexte événementiel précis. On n’est donc<br />
plus dans le domaine <strong>de</strong> la théorie <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> constructions par induction ou déduction<br />
qui sont censées avoir produit les grands corpus du I er millénaire.<br />
On se rend très vite compte que le souci n’est pas fondamentalement <strong>de</strong> connaître<br />
son avenir <strong>de</strong> façon précise. C<strong>et</strong>te possibilité n’est qu’une <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences <strong>de</strong> la<br />
divination, pratique dont le but est en fait tout autre.<br />
L’acte divinatoire hépatoscopique se passe au moment du sacrifice. Ce <strong>de</strong>rnier,<br />
dans l’idéologie mésopotamienne, consiste d’abord à faire manger la divinité. C’est<br />
le même terme qui sert à dire « repas » <strong>et</strong> « sacrifice ». Ce <strong>de</strong>rnier est donc compris<br />
comme un acte d’hospitalité où l’on fait manger les dieux <strong>et</strong> au <strong>cours</strong> duquel on<br />
engage la conversation avec eux. Il s’y noue un rapport personnel. Beaucoup<br />
d’anecdotes <strong>de</strong> Mari montrent que c’est au <strong>cours</strong> d’un repas qu’on fait parler<br />
l’autre, en général après l’avoir bien fait boire, lorsqu’il est «dans sa bière ». Le<br />
moment <strong>de</strong> la boisson termine le banqu<strong>et</strong>.<br />
Un mo<strong>de</strong>rne peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r comment soûler une divinité. On a une bonne<br />
illustration du fait dans la Nekyomancie d’Homère (Odyssée xi) où Ulysse fait<br />
parler les morts après leur avoir fait boire le sang <strong><strong>de</strong>s</strong> victimes. Lors du sacrifice<br />
aux dieux, un liqui<strong>de</strong> précieux leur est versé, le sang <strong>de</strong> la victime; le terme<br />
technique utilisé nîqum signifie exactement « versement ».
568 JEAN-MARIE DURAND<br />
À l’époque, il y a <strong>de</strong>ux sortes <strong>de</strong> sang même si on ne sait pas exactement lequel<br />
est utilisé ; le terme qui signifie « serment » est le même que celui qui signifie<br />
« vie ». La divinité est en réalité attirée, lors du sacrifice, dans le mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes<br />
<strong>et</strong> c’est alors que le contact se noue.<br />
Inversement, dans le rêve qui est un produit du sommeil, lequel est à l’image <strong>de</strong><br />
la mort, ou lors d’une incubation, le rêveur quitte le mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes <strong>et</strong> entre<br />
dans un univers où il peut r<strong>et</strong>rouver la divinité qui lui délivre un message, ou lui<br />
répond.<br />
Le moment divinatoire est ainsi celui où l’on peut savoir où l’on en est dans ses<br />
rapports avec la divinité. C’est fondamentalement un phénomène général <strong>de</strong><br />
communion qui n’est d’habitu<strong>de</strong> pas perçu dans la documentation d’origine<br />
irakienne, parce que ceux qui l’étudient aujourd’hui sont obnubilés par la<br />
complexité <strong><strong>de</strong>s</strong> considérations techniques résultant <strong>de</strong> l’observation <strong><strong>de</strong>s</strong> données<br />
physiques : hépatoscopiques, puis astrales. L’essence même <strong>de</strong> l’interrogation<br />
ominale est cachée par tous les arbres <strong><strong>de</strong>s</strong> faits relevant <strong>de</strong> la technique.<br />
On parle donc avec la divinité, tant dans l’acte hépatoscopique, que dans le rêve,<br />
pour s’en tenir aux <strong>de</strong>ux domaines privilégiés <strong>de</strong> la divination ancienne, aussi bien du<br />
présent, que du futur <strong>et</strong> — surtout — que du passé. On voit ainsi que la « divination »<br />
n’est pas obligatoirement, comme on le croit souvent naïvement, tournée vers le<br />
futur humain ni la connaissance (inquiète) du sort réservé à l’individu.<br />
Un autre point très important est que la divinité n’est pas, comme on le croirait,<br />
passive, ou piégée : elle peut prendre les <strong>de</strong>vants pour donner un avis à un homme<br />
(surtout le roi, d’après notre documentation) pour l’informer (ou s’informer !) sur<br />
le passé, le présent ou le futur.<br />
Lors du sacrifice la divinité peut déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> parler d’autre chose que du suj<strong>et</strong> où on<br />
l’invite ou <strong>de</strong> quelqu’un d’autre que celui qui l’interroge <strong>et</strong> il en est du même pour le<br />
rêve, <strong>de</strong> la même façon qu’il y a envoi <strong>de</strong> messagers ou échanges épistolaires entre<br />
l’humain <strong>et</strong> le divin. C<strong>et</strong>te conduite englobe d’ailleurs prophéties <strong>et</strong> ordalies.<br />
C) Le concr<strong>et</strong> <strong>et</strong> le théorique<br />
La divination semble avoir été à Mari plus archaïque <strong>et</strong> plus concrète, ce qui<br />
explique qu’elle représente une conduite moins élaborée qu’à Babylone, laquelle<br />
recourt effectivement à une enquête plus théorique, déconnectée <strong><strong>de</strong>s</strong> contingences,<br />
en marche vers une discipline qui pose ses principes <strong>et</strong> en tire <strong><strong>de</strong>s</strong> déductions, même<br />
si c<strong>et</strong>te conduite est, à nos yeux <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnes, en porte-à-faux sur le mon<strong>de</strong> réel.<br />
1. Une gran<strong>de</strong> différence tient au fait qu’à Babylone, on interroge les dieux dans<br />
le cadre général <strong>de</strong> l’hémérologie ; on réalise ainsi l’antiquité <strong>de</strong> pratiques que l’on<br />
croyait n’apparaître qu’à basse époque, avec la fin <strong>de</strong> l’empire néo-assyrien, ce que<br />
l’on ne pouvait soupçonner en m<strong>et</strong>tant en fiche la seule technique hépatoscopique.<br />
L’hémérologie crée <strong><strong>de</strong>s</strong> « jours tabous » qui déterminent l’action humaine.
ASSYRIOLOGIE 569<br />
On connaît l’importance du Livre <strong><strong>de</strong>s</strong> Fastes à Rome : fās est différent <strong>de</strong> jūs<br />
dans la mesure où s’opposent le droit dit par les dieux <strong>et</strong> celui qui est dit par les<br />
hommes. C’est <strong>de</strong> la connaissance <strong>de</strong> ses données que dépendaient sessions <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
tribunaux <strong>et</strong> réunions <strong><strong>de</strong>s</strong> citoyens.<br />
À Mari le munûtum (« comput ») détenu par le roi <strong>et</strong> qu’on lui réclame comportait<br />
une sorte <strong>de</strong> calendrier cultuel. On ne sait malheureusement pas s’il s’agissait <strong>de</strong><br />
la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> fêtes oraculairement permises ou <strong>de</strong> celles décidées par le roi. Il n’existe<br />
qu’au début du règne <strong><strong>de</strong>s</strong> Bensim’alites, il est inattesté ensuite. Il pourrait donc<br />
s’agir d’un héritage <strong>de</strong> l’ancien ordre <strong>de</strong> choses, celui <strong>de</strong> la dynastie qu’il avait<br />
renversée <strong>et</strong> qui tirait ses origines du pays d’Akkad, auquel Babylone appartenait.<br />
2. Le second point tient à la détermination du suj<strong>et</strong> oraculaire.<br />
Elle montre le lien qui relie divination <strong>et</strong> magie.<br />
La magie a effectivement besoin <strong>de</strong> fragments <strong>de</strong> la personnalité visée pour<br />
opérer, ou <strong>de</strong> faire entrer en contact l’ensorceleur <strong>et</strong> son obj<strong>et</strong> comme on le voit<br />
par le texte ARM XXVI 253 :<br />
« Voici ce qu’on a fait dire à la femme : “(Je jure) que ma fille, Mârat-Eštar n’a<br />
pas fait d’ensorcellement contre NP”. C<strong>et</strong>te femme, ni à la porte ni ailleurs,<br />
n’a donné du bois ensorcelé, ni ne l’a fait “manger” à NPl, sous forme <strong>de</strong> pain, <strong>de</strong><br />
nourriture, <strong>de</strong> bière ou <strong>de</strong> quoi que ce soit. »<br />
Dans l’acte hépatoscopique il y a également nécessité d’être « tout près » du<br />
suj<strong>et</strong>. Dans l’acte sacrificiel, le <strong>de</strong>vin « touche » : il m<strong>et</strong> le doigt sur la personne<br />
concernée pour la désigner. Ainsi trouve-t-on dans A.3308+ :<br />
« J’ai fait recopier la route que l’armée doit prendre <strong>et</strong> j’ai fait envoyer (le tout)<br />
chez mon Seigneur. On doit lire c<strong>et</strong>te tabl<strong>et</strong>te <strong>de</strong>vant mon Seigneur. En accord<br />
avec les instructions <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te tabl<strong>et</strong>te, il faut que les <strong>de</strong>vins touchent le front <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
gui<strong><strong>de</strong>s</strong> afin que, pour l’expédition dont les présages seront bons, leurs gui<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
prennent la tête <strong><strong>de</strong>s</strong> 3 000 hommes que mon Seigneur m’a envoyés… »<br />
De même lit-on dans ARM XXVI 114 :<br />
« J’ai procédé à l’interrogation oraculaire. J’ai touché le front du chef <strong>de</strong> pâture.<br />
Les oracles que j’ai obtenus étaient bons… »<br />
Le geste <strong>de</strong> « toucher le front » revenait à marquer une personne explicitement<br />
comme le suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’interrogation oraculaire.<br />
Lorsqu’il s’agit d’un suj<strong>et</strong> « lointain », plusieurs re<strong>cours</strong> étaient connus:<br />
a) en ce qui concerne les lieux, on opérait sur une motte <strong>de</strong> terre qui en<br />
provenait.<br />
b) pour les personnes, on se servait <strong>de</strong> sa sissiktum <strong>et</strong> d’une boucle <strong>de</strong> ses<br />
cheveux.
570 JEAN-MARIE DURAND<br />
On trouve ici un écho avec les rituels du Droit, dont le domaine extrêmement<br />
conservateur dans ses pratiques est très proche <strong><strong>de</strong>s</strong> manipulations magiques. La<br />
sissiktum a d’ailleurs valeur juridique : c’est un substitut du sceau qui définit la<br />
singularité d’une personne par le symbolisme <strong><strong>de</strong>s</strong> figures ou l’énonciation d’un<br />
nom <strong>et</strong> <strong>de</strong> la situation sociale (parenté, titre). Les cheveux sont, également, la<br />
marque <strong>de</strong> la personne, tout comme l’ongle dont l’empreinte peut servir à signer<br />
un texte. « Cheveux » <strong>et</strong> « ongle » sont les parties vivantes du corps, du fait <strong>de</strong> leur<br />
dynamisme qui les fait croître <strong>et</strong> qu’on peut prélever sans dommage pour l’intégrité<br />
physique ; en opposition les <strong>de</strong>ux sangs que définit l’époque amorrite comportent<br />
les notions <strong>de</strong> vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> race <strong>et</strong> ne servent que pour le rite <strong>de</strong> communion qui<br />
perm<strong>et</strong> d’accroître la famille : ils participent à d’autres rituels étudiés d’autres<br />
années auparavant.<br />
3. Détermination du libellé <strong>de</strong> l’interrogation<br />
L’important était <strong>de</strong> prononcer une formule très précise pour que la réponse du<br />
sort ne soit pas ambiguë, comme le montre le détail <strong>de</strong> la conscription pour la<br />
campagne contre une ville (Tamîtu n° 1).<br />
Ô Soleil, dieu du serment, Ô Tempête, dieu <strong>de</strong> la divination !<br />
les soldats du palais, ceux <strong>de</strong> la porte du palais, ceux <strong>de</strong> la charrerie,<br />
les fantassins, les forces mobiles <strong>et</strong> les patrouilleurs,<br />
ceux qui forment le gros <strong><strong>de</strong>s</strong> troupes, le corps <strong><strong>de</strong>s</strong> Soutéens,<br />
<strong>et</strong> ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> pâtures du pays, soldats qui obéissent à Marduk,<br />
tous ceux dont Hammu-rabi <strong>de</strong> Babylone<br />
forme sa troupe, tant gens <strong>de</strong> métier que démobilisables —<br />
doit-il (y) choisir <strong>et</strong> sélectionner chars <strong>et</strong> fantassins ?<br />
Pour ce qui est <strong>de</strong> la détermination <strong>de</strong> la route, nous n’avons plus gardé à Mari<br />
que <strong><strong>de</strong>s</strong> indications sommaires, comme celles <strong>de</strong> A.3308 :<br />
« J’ai fait recopier la route que l’armée doit prendre <strong>et</strong> j’ai fait envoyer (le tout)<br />
chez mon Seigneur. »<br />
De tels textes succincts doivent être explicités par d’autres comme celui <strong>de</strong> la<br />
Tamîtu n° 4 :<br />
« Doivent-ils quitter par la porte <strong>de</strong> Padnu <strong>et</strong> marcher vers la casca<strong>de</strong> du<br />
Campement du Félin, vers la Borne-frontière du (mont) Nikkur, vers la grand<br />
Grotte, vers le wadi du Défilé, vers le terrain planté <strong>de</strong> buissons, vers le Figuier du<br />
combat, vers le Pistachier rabougri, vers le Moulin en ruine, vers le lieu aux<br />
Térébinthes ?<br />
Au soir <strong>de</strong> ce jour, doivent-ils bivouaquer aux Térébinthes ?<br />
Au soleil levant, à l’aube, doivent-ils quitter les Térébinthes, vers les Gypses, vers<br />
la couche du…, <strong>et</strong>c. »
4. L’interrogation ominale<br />
ASSYRIOLOGIE 571<br />
Le fait <strong>de</strong> questionner la divinité n’inclut pas <strong>de</strong> terme technique <strong>et</strong> se dit<br />
normalement « questionner », à la fois à Babylone <strong>et</strong> à Mari. Mais Mari utilise<br />
pour « fixer le libellé d’une question oraculaire » le verbe kapâdum, usage inconnu<br />
à Babylone.<br />
« À la tête <strong>de</strong> la troupe <strong>de</strong> mon Seigneur marchera NP, le <strong>de</strong>vin, serviteur <strong>de</strong> mon<br />
Seigneur, <strong>et</strong>, avec la troupe <strong>de</strong> Babylone, marchera un <strong>de</strong>vin babylonien. Ces six<br />
cents hommes <strong>de</strong> troupe s’établiront à (Nlieu). Les <strong>de</strong>vins formuleront le libellé <strong>de</strong><br />
leurs présages <strong>et</strong>, selon le caractère favorable <strong><strong>de</strong>s</strong> présages qu’ils auront obtenus, il y<br />
aura <strong><strong>de</strong>s</strong> patrouilles par groupe <strong>de</strong> 150 hommes. » (ARM II 22 = LAPO 17 585).<br />
Si l’exigence <strong>de</strong> la précision est i<strong>de</strong>ntique à Mari <strong>et</strong> à Babylone, l’usage <strong>de</strong><br />
kapâdum marque une différence entre les <strong>de</strong>ux centres d’interrogation oraculaire :<br />
à Babylone, ce terme se prend en mauvaise part <strong>et</strong> signifie « prendre une décision<br />
mauvaise », « comploter ». Il est très souvent associé à un verbe qui a le sens<br />
d’ « avoir un grand désir ». Il signifie en babylonien « avoir un désir incoercible »,<br />
il est associé à la colère, au désir instinctif d’agir. Sans étymologie claire, il a généré<br />
dans la langue tardive un adverbe signifiant « rapi<strong>de</strong>ment ».<br />
On peut conclure <strong>de</strong> l’usage <strong>de</strong> Mari que « choisir les termes <strong>de</strong> la question<br />
oraculaire » est à peu près l’équivalent <strong>de</strong> notre « avoir un flash », « sentir en soi le<br />
désir inspiré <strong><strong>de</strong>s</strong> dieux » <strong>de</strong> poser une question. Le <strong>de</strong>vin est donc celui qui a les<br />
moyens <strong>de</strong> savoir quoi <strong>et</strong> comment <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à la divinité pour en avoir une<br />
réponse fiable.<br />
À Mari le rôle du <strong>de</strong>vin relève plutôt <strong>de</strong> l’inspiration que <strong>de</strong> la réflexion. Il n’est<br />
donc pas étonnant qu’à Mari, à côté du <strong>de</strong>vin bârûm, « celui qui lit », il existe la<br />
possibilité que se tienne un homme inspiré (l’âpilum, le « traducteur ») qui prend<br />
la parole <strong>et</strong> qui commente par enthousiasme, au sens propre du mot (enthousiasmos :<br />
le fait que le dieu soit en soi).<br />
5. La préparation <strong>de</strong> l’agneau du sacrifice<br />
Nous avons encore pour ce qui concerne la Babylonie : le rituel du <strong>de</strong>vin.<br />
« Ô Soleil du jugement ! Ô Tempête du vœu <strong>et</strong> <strong>de</strong> la divination !<br />
Me voici porteur pour vous d’un mâle, pur (B.)/ en bonne santé (A), fils d’une<br />
femelle, une oblation, un agneau à teinte indécise,<br />
frotté (?), dont la toison boucle, pur, qui vient d’être déversé <strong>de</strong> “l’étroitesse” <strong>de</strong><br />
la femelle ;<br />
(Lui) dont le pâtre n’a pas arraché <strong>de</strong> boucle à droite ni à gauche :<br />
voici que j’arrache pour toi à gauche <strong>et</strong> à droite une boucle <strong>de</strong> lui <strong>et</strong> que je la<br />
dépose pour toi ! »
572 JEAN-MARIE DURAND<br />
Sur c<strong>et</strong> animal qui est présenté comme un être encore indécis, le <strong>de</strong>vin prie pour<br />
indiquer les marques ominales qu’il veut voir apparaître.<br />
(Invocation aux dieux.)<br />
Sur l’animal qui vient <strong>de</strong> naître, sur qui n’ont eu d’action ni mon<strong>de</strong> extérieur ni<br />
hommes, qui est sans histoire, comme une page blanche, on <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à la divinité<br />
d’inscrire les sorts que le technicien aura pour tâche <strong>de</strong> repérer <strong>et</strong> d’interpréter.<br />
Comment interpréter c<strong>et</strong>te gran<strong>de</strong> prière ?<br />
Il est évi<strong>de</strong>nt que le <strong>de</strong>vin tente d’orienter la volonté divine en énumérant tout<br />
ce qui lui perm<strong>et</strong>trait <strong>de</strong> lire que le sort réservé à son patient est bon ; mais en<br />
même temps on peut considérer que c<strong>et</strong>te interminable énumération représente le<br />
pacte explicite passé entre <strong>de</strong>vin <strong>et</strong> dieu pour fixer leur accord sur ce qui est bon<br />
<strong>et</strong> mauvais, comme <strong>de</strong>ux alliés humains énumèrent, lors d’un accord, ce qu’il faut<br />
faire <strong>et</strong> ne pas faire.<br />
6. La signification du sacrifice <strong>de</strong> l’agneau à Babylone<br />
Le <strong>de</strong>vin entreprend <strong>de</strong> fendre en <strong>de</strong>ux l’agneau, certainement vivant.<br />
C’est un acte hautement symbolique qui évoque le bris <strong>de</strong> l’enveloppe en argile<br />
qui protège un message. Elle ne porte que l’adresse <strong>et</strong> les signes <strong>de</strong> reconnaissance<br />
comme l’empreinte du sceau <strong>de</strong> l’expéditeur. En accédant aux viscères, le <strong>de</strong>vin<br />
prend connaissance du texte rédigé en toute liberté par le dieu.<br />
Le <strong>de</strong>vin ne choisit pas à l’aveugl<strong>et</strong>te son agneau comme une « poch<strong>et</strong>te surprise »<br />
qui révèle au déballage ses mystères. Aussi étudie-t-il le comportement du mouton<br />
<strong>de</strong> sacrifice pour <strong>de</strong>viner si son sacrifice sera pour le bien ou non.<br />
D) Les procédés à Mari<br />
L’interrogation unitaire porte le nom <strong>de</strong> qâtum (« main ») c’est l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
présages constatés lors du sacrifice d’un mouton. Linguistiquement, qâtum est<br />
l’équivalent du français « fois ». Pour reprendre le vocabulaire du jeu <strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cartes<br />
à jouer, c’est la « donne ».<br />
L’interrogation n’est jamais simple. Elle comporte toujours une « contreépreuve<br />
» ou « vérification ». C’est la piqittum. Sa nécessité perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> comprendre<br />
l’apparent désordre entre le singulier têrtum (présage) <strong>et</strong> son pluriel têrêtum. Le<br />
pluriel signifie que le <strong>de</strong>vin a fait la contre-épreuve ou l’a confiée à un assistant ou<br />
un collègue. De fait, tous les prédictions sont au pluriel šalmâ, magrâ (« bon ») ou<br />
lupputâ (« mauvais »).<br />
Lorsqu’une interrogation a un mauvais résultat, le <strong>de</strong>vin réclame d’obtenir une<br />
nouvelle «donne » comme le montre ARM XXVI 186 :<br />
« Les présages que nous obtenons ne sont pas sains. Donne-nous <strong><strong>de</strong>s</strong> agneaux<br />
que nous r<strong>et</strong>ournions <strong>de</strong>main à la “donne” <strong>et</strong> que nous reprenions les présages. »
ASSYRIOLOGIE 573<br />
Chaque interrogation <strong>de</strong>man<strong>de</strong> le sacrifice d’un nouvel animal.<br />
Quel était le libellé <strong>de</strong> la piqittum ? Un texte particulièrement détaillé indique<br />
qu’on y posait l’inverse <strong>de</strong> la question précé<strong>de</strong>nte.<br />
1. Prouver la divination<br />
Par <strong>de</strong>là la pratique <strong>de</strong> la « confirmation » piqittum, la divination par<br />
l’hépatoscopie était-elle la seule technique <strong>de</strong> déterminer l’avenir ? Cela pose la<br />
question du re<strong>cours</strong> à la technique <strong><strong>de</strong>s</strong> oiseaux.<br />
J. Nougayrol a publié un texte intitulé « “Oiseau” ou oiseau ? » (Revue<br />
d’Assyriologie 61, 1967). Le texte dit :<br />
Si, au bas <strong>de</strong> l’aisselle droite, une tache rouge se trouve ; présence <strong>de</strong><br />
(Divinité),<br />
Si l’aile <strong>de</strong> l’oiseau, <strong>de</strong> droite, se soulève plusieurs fois : en campagne, l’ennemi<br />
réglera le compte <strong>de</strong> mon armée. » <strong>et</strong>c.<br />
La question était <strong>de</strong> savoir s’il s’agissait d’un vrai oiseau dont on examinait les<br />
taches corporelles ou d’une métonymie pour « mouton », ou une partie <strong>de</strong> son<br />
foie. C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière position est celle <strong><strong>de</strong>s</strong> Dictionnaires.<br />
En fait, les textes <strong>de</strong> Mari lèvent l’ambiguïté. ARM XXVI 22 dit :<br />
« J’ai mené l’enquête par le moyen <strong><strong>de</strong>s</strong> “oiseaux <strong>de</strong> trou”. Le rêve est réel. »<br />
Dans ARM XXVI 145, il est dit :<br />
« Dans le district où j’habite, il n’y a pas <strong>de</strong> <strong>de</strong>vin, on ne me donne pas <strong>de</strong><br />
colombes. »<br />
Tous les textes s’accor<strong>de</strong>nt à nous dire que ces colombes sont <strong><strong>de</strong>s</strong> oiseaux qui<br />
vivent dans les « fenêtres », à l’époque <strong>de</strong> simples trous dans le mur. C’est donc<br />
bien un oiseau réel.<br />
Il s’agit, en fait, tout comme pour la lécanomancie ou l’aleuromancie, <strong>de</strong><br />
techniques <strong>de</strong> substitution. Les techniques ne concourent pas entre elles, mais<br />
semblent s’exclure : elles ont en fait <strong><strong>de</strong>s</strong> motivations économiques propres, bien<br />
moins coûteuses que le sacrifice <strong>de</strong> moutons.<br />
2. Les présages fortuits<br />
C’est un domaine où la comparaison <strong>de</strong> Mari <strong>et</strong> Babylone est intéressante. Il y<br />
a bien à l’Est pluralité <strong>de</strong> techniques pour prédire l’avenir. Elles donnent plus tard<br />
naissance à l’immense corpus <strong><strong>de</strong>s</strong> prédictions qui fut exporté <strong>de</strong> par tout le Proche-<br />
Orient lorsque la culture babylonienne essaima, recouvrant les cultures divinatoires<br />
indigènes, au <strong>de</strong>là <strong><strong>de</strong>s</strong> frontières occi<strong>de</strong>ntales <strong><strong>de</strong>s</strong> Hittites vers le mon<strong>de</strong> grec, puis<br />
jusqu’au lointain Occi<strong>de</strong>nt où chaque technique fut repensée <strong>et</strong> reconstruite.
574 JEAN-MARIE DURAND<br />
Mari montre au xviii e siècle av. n.è. une attention soutenue à l’égard d’événements<br />
auxquels on prête attention parce qu’on y voit un signe divin qu’il convient <strong>de</strong><br />
déchiffrer. Mais le fait n’a pas valeur par lui-même.<br />
Un <strong><strong>de</strong>s</strong> cas les plus n<strong>et</strong>s est celui <strong><strong>de</strong>s</strong> izbu. On appelle ainsi les nouveau-nés,<br />
humains ou animaux, qui naissent avec une malformation. Le Protocole <strong><strong>de</strong>s</strong> Devins<br />
<strong>de</strong> Mari fait allusion au phénomène.<br />
ARM XXVI 1 : « Le mauvais oracle défavorable qui se produira <strong>et</strong> que je verrai<br />
lors <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> présages pour Zimri-Lim, mon Seigneur, dans une naissance<br />
anormale… »<br />
ARM XXVI 241 en donne un exemple :<br />
« (L’agneau) n’a qu’une tête ; sa face est celle d’un ovin mâle ; il n’a qu’une<br />
poitrine, (qu’un) cœur (qu’un seul) ensemble <strong>de</strong> viscères ; (mais), <strong>de</strong>puis son<br />
nombril jusqu’à sa hanche, (il a) <strong>de</strong>ux corps. À sa naissance, une <strong>de</strong> ses épaules a<br />
été arrachée <strong>et</strong> l’on a, <strong>de</strong> ce fait, endommagé sa tête. »<br />
Il n’y a pas <strong>de</strong> commentaire sur le fait rapporté. L’attitu<strong>de</strong> ne serait pas la même<br />
au I er millénaire, où l’on fait immédiatement un rituel expiatoire.<br />
Il en est <strong>de</strong> même concernant les événements <strong>de</strong> la vie. On constate qu’aucun<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> événements rapportés qui feraient sens ominal au I er millénaire n’a d’autre<br />
conséquence que <strong>de</strong> déclencher une interrogation oraculaire pour qu’on sache si<br />
c’est un signe <strong><strong>de</strong>s</strong> dieux ou non.<br />
Les événements astraux eux-mêmes entrent dans la même problématique, comme<br />
une éclipse <strong>de</strong> lune. Or, là, on est sûr qu’à Babylone, on considérait déjà que<br />
l’éclipse avait un sens pour la divination <strong>de</strong> l’avenir.<br />
On opposera ARM XXVI 81 :<br />
« Le 14 du mois, il y a eu une éclipse <strong>de</strong> lune <strong>et</strong> l’existence même <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te éclipse<br />
est un fait désagréable. J’ai pris les oracles pour le bien-être <strong>de</strong> mon Seigneur <strong>et</strong><br />
celui du district supérieur. Les oracles étaient sains. Il faut, maintenant que mon<br />
Seigneur, là où il est, fasse prendre <strong><strong>de</strong>s</strong> oracles pour son bien être <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> la<br />
ville <strong>de</strong> Mari. Que mon seigneur ne s’inquiète pas ! »<br />
avec un texte qui énumère les éclipses en fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> mois :<br />
« Si au mois <strong>de</strong> Tammuz, il se produit une éclipse, il y aura une famine <strong>et</strong> un<br />
roi qui a du renom [mourra]. La population <strong>de</strong> la ville s’enfuira.<br />
Si au mois d’Abum, il se produit une éclipse, la moisson se passera bien ; l’armée<br />
du roi recevra une mission glorieuse. » <strong>et</strong>c.<br />
Le texte a été r<strong>et</strong>rouvé à Mari, mais il vient d’une voisine <strong>de</strong> Babylone, à en juger<br />
par la ménologie.
ASSYRIOLOGIE 575<br />
L’observation <strong><strong>de</strong>s</strong> astres ne sert encore que <strong>de</strong> datations du calendrier agricole,<br />
analogues aux Géorgiques <strong>de</strong> Virgile.<br />
On voit donc qu’en définitive, il n’y a à l’Ouest qu’une discipline reine : c’est<br />
l’hépatoscopie qui est seule à pouvoir expliquer ce qui inquiète. Les Amorrites<br />
n’ont développé une typologie du signe ominal qu’à l’Est ; à l’Ouest ; il y a encore<br />
une dichotomie très forte entre observations du quotidien <strong>et</strong> pratique <strong>de</strong><br />
l’hépatoscopie.<br />
C’est là que l’on constate le clivage entre mentalités <strong>de</strong> l’Est <strong>et</strong> l’Ouest.<br />
E) Divination <strong>et</strong> représentation du mon<strong>de</strong><br />
1. La symbolique du foie : aller au palais réaliser ses désirs.<br />
Le foie ominal a été compris par les Babyloniens comme ce qui perm<strong>et</strong>tait<br />
d’interpréter le mon<strong>de</strong>. Un traité récent, la 16e tabl<strong>et</strong>te <strong>de</strong> l’hépatoscopie, porte un<br />
titre évocateur « Si le foie est le miroir du ciel. » C’est une vision récente, le miroir<br />
magique où l’on peut voir le refl<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> volontés divines.<br />
En fait, lorsque l’on suit les noms <strong><strong>de</strong>s</strong> parties du foie qu’examine le <strong>de</strong>vin<br />
babylonien, c’est un microcosme d’où l’on induit l’état du macrocosme.<br />
En Babylonie ancienne il s’agit d’arriver à un palais <strong>et</strong> d’y obtenir ce que l’on<br />
désire du roi divin. Voici la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> parties dans l’ordre <strong>de</strong> consultation du foie :<br />
manzazzum = « présence divine »; var. naplastum « regard »<br />
padânum = le chemin<br />
pû tâbum = le mot agréable / bakchich<br />
danânum = renforcement » = zone royale surveillée<br />
bâb ekallim = porte du palais = on entre chez le roi / dieu<br />
šulmum = « salutation »<br />
martum = la vésicule = le Chef<br />
nîdi kussîm = les assises du trône<br />
ubânum = le doigt (le ministre, l’action)<br />
sibtum = prise, tenure (= la réussite <strong>de</strong> ce que l’on cherche).<br />
C’est donc bien une visite chez le roi/dieu pour avoir quelque chose.<br />
Chacune <strong>de</strong> ces zones comprend <strong><strong>de</strong>s</strong> sous-parties ; la casuistique ominale fait<br />
l’obj<strong>et</strong> d’autres étu<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />
Or, les différentes parties du foie (dans la mesure ou on les connaît) ne donnent<br />
pas à Mari l’image du même mon<strong>de</strong> qu’à Babylone.<br />
On trouve ainsi la sissiktum au lieu du manzazzum.<br />
La vésicule est appelée « pasteur » ; une zone toute entière est appelée « enclos ».<br />
On n’est plus dans l’image d’une civilisation <strong>de</strong> citadins mais <strong>de</strong> pasteurs.
576 JEAN-MARIE DURAND<br />
Pušqum « étroitesse » dans la zone du padânum est remplacé par le puzrum<br />
« zone royale ».<br />
Deux remarques : (a) les particularismes mariotes se r<strong>et</strong>rouvent dans l’hépatoscopie<br />
hittite <strong>et</strong> les textes d’Emar, à l’époque moyenne, montrent l’existence d’une double<br />
tradition : syrienne (héritée <strong>de</strong> Mari) <strong>et</strong> babylonienne (empruntée).<br />
(b) On a déjà à Mari <strong><strong>de</strong>s</strong> parties ominales qui étaient tenues pour n’apparaître<br />
qu’à partir du I er millénaire : c’est un indice qu’il y a eu <strong><strong>de</strong>s</strong> traditions divergentes<br />
<strong>de</strong> la doctrine babylonienne <strong>et</strong> qu’elles ont continué jusqu’à ce que les érudits du<br />
I er millénaire entreprennent leur collecte, intégrant à leur savoir toutes les traditions<br />
divergentes connues. C’est un trait constant dans les conduites magiques ou<br />
médicales <strong>de</strong> toutes époques.<br />
2. Le prophète à côté du <strong>de</strong>vin<br />
Le terme kapâdum a montré une différence essentielle entre <strong>de</strong>vins babyloniens<br />
<strong>et</strong> mariotes. Les premiers posent une question ; les seconds trouvent les mots qu’il<br />
faut.<br />
Or, ce kapâdum, n’est pas, on l’a vu, un verbe <strong>de</strong> sens positif : il signifie une<br />
idée plutôt irrationnelle, qui provient <strong>de</strong> l’aspect ténébreux <strong>de</strong> l’individualité, non<br />
<strong>de</strong> l’intelligence rayonnante.<br />
Cela explique une autre différence majeure <strong>de</strong> l’Ouest avec Babylone. Dans la<br />
région <strong>de</strong> l’Oronte, tout à fait à l’Occi<strong>de</strong>nt, le <strong>de</strong>vin est doublé par un prophète,<br />
l’âpilum.<br />
FM VII 39 : « Lors <strong><strong>de</strong>s</strong> interrogations oraculaires, le dieu Tempête <strong>de</strong> Kallassu<br />
est présent :<br />
« Ne suis-je pas le dieu Tempête <strong>de</strong> Kallassu, qui l’ai élevé sur le haut <strong>de</strong> mes<br />
cuisses <strong>et</strong> qui l’ai fait revenir sur le trône <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> son père ? Depuis que<br />
je l’ai fait revenir sur le trône <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> son père, je lui ai donné à nouveau<br />
une rési<strong>de</strong>nce. Maintenant, puisque je l’ai fait revenir sur le trône <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong><br />
son père, je m’approprierai un bien dans son Domaine. S’il ne (me le) donne pas,<br />
le maître du trône, <strong><strong>de</strong>s</strong> territoires <strong>et</strong> <strong>de</strong> la ville c’est moi, <strong>et</strong> ce que j’ai donné je<br />
(le) reprendrai. Si au contraire il accè<strong>de</strong> à mon désir, je lui donnerai trône sur<br />
trône, maison sur maison, territoire sur territoire, ville sur ville, <strong>et</strong> je lui livrerai le<br />
pays, <strong>de</strong> son levant à son ponant. »<br />
Voilà ce qu’ont déclaré les répondants.<br />
De fait, lors <strong><strong>de</strong>s</strong> interrogations oraculaires, (le dieu Tempête) est chaque fois<br />
présent. »<br />
L’interrogation oraculaire se poursuit en prophétie. La constatation <strong>de</strong> la présence<br />
du suj<strong>et</strong> ominal est un préliminaire obligé ; il <strong>de</strong>vrait s’en suivre l’interprétation
ASSYRIOLOGIE 577<br />
d’un signe omineux <strong>et</strong> une apodose comme « Si tel signe se produit, un dieu qui<br />
t’a jusqu’ici favorisé te reprendra ses faveurs/ce qu’il t’a donné. »<br />
C<strong>et</strong>te apodose est remplacée par un dis<strong>cours</strong> grandiloquent <strong>et</strong> d’expression<br />
poétique qui va bien au <strong>de</strong>là. La prophétie est ici une apodose amplifiée.<br />
Nous sommes dans l’extrême Ouest, où les <strong>de</strong>ux genres <strong>de</strong> divination,<br />
l’hépatoscopique <strong>et</strong> l’élocution prophétique, sont complètement imbriqués : il<br />
s’agit d’un niveau encore plus primitif que dans la zone médiane que documente<br />
Mari. Le « répondant » « traduit » la pensée du dieu puisque tel est à l’époque le<br />
sens <strong>de</strong> la racine sur laquelle son nom est construit.<br />
Il y a bien <strong><strong>de</strong>s</strong> répondants à Babylone, comme il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> prophéties dites par une<br />
divinité d’Ešnunna, mais si le fait existe c’est parce que ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> Amorrites qui<br />
se sont installés dans ces régions. En revanche, il est intéressant <strong>de</strong> se rendre compte<br />
que nul texte officiel du pays d’Akkad ni du pays <strong>de</strong> Sumer ne documente leur<br />
dire. On constatait à l’époque où <strong><strong>de</strong>s</strong> Akkadiens dominent à Mari, l’inexistence <strong>de</strong><br />
prophéties ; désormais l’une est apparue dans un document <strong>de</strong> leur époque. Elle<br />
perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> voir que (a) il y avait bien alors autour du grand dieu local, Dagan, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
prophéties, mais que (b) on n’y prêtait pas attention.<br />
C<strong>et</strong>te indifférence du pays d’Akkad envers le couple Devin-Prophète est<br />
signifiante. Mari considère que le <strong>de</strong>vin appartient à un mon<strong>de</strong> inspiré ; ce <strong>de</strong>rnier<br />
pratique bien le genre <strong>de</strong> l’apodose ; son verdict <strong>de</strong> <strong>de</strong>vin se coule déjà dans la<br />
forme rhétorique qui comman<strong>de</strong>ra la rédaction <strong><strong>de</strong>s</strong> grands corpus divinatoires.<br />
C’est un fait d’emprunt à l’Est. Mais l’extrême-Ouest a conservé un état <strong>de</strong> choses<br />
plus ancien.<br />
La présence obligatoire d’un <strong>de</strong>vin au moment du sacrifice mariote montre que<br />
l’on pense que le sacrifice n’est pas seulement un moyen <strong>de</strong> savoir où l’on en est avec<br />
son dieu (favorable/non favorable) ; c<strong>et</strong> acte sacré est aussi interprété comme<br />
l’occasion pour la divinité <strong>de</strong> dépasser le rapport avec son fidèle pour proclamer<br />
quelque chose à un être plus lointain. Le <strong>de</strong>vin, comme on le verra, jure d’observer si,<br />
au moment du sacrifice d’un homme du peuple, le dieu entreprend <strong>de</strong> parler au roi.<br />
À Babylone, le présage porte sa signification propre. L’apodose précise à<br />
l’occasion, à propos d’une observation sur le foie, « pour un particulier cela signifie<br />
telle chose ; pour un homme important telle autre chose ». Il n’y a plus <strong>de</strong> message<br />
pour le roi <strong>de</strong>rrière la réponse faite au particulier, cela est préalablement codifié.<br />
Conclusion<br />
Dans c<strong>et</strong>te introduction à la divination, on a voulu montrer tout particulièrement<br />
qu’il n’existait pas simplement une divination, comme on le croit généralement,<br />
laquelle se sclérose <strong>de</strong> plus en plus pour donner les grands recueils, vi<strong><strong>de</strong>s</strong> d’utilité<br />
d’ailleurs, au I er millénaire. Il y avait en fait plusieurs façons d’appréhen<strong>de</strong>r c<strong>et</strong>te<br />
technique selon les lieux <strong>et</strong> les mentalités.
578 JEAN-MARIE DURAND<br />
Il apparaît, selon ces analyses, que l’hépatoscopie est un fait originaire <strong>de</strong> l’Ouest,<br />
non <strong>de</strong> l’Est suméro-akkadien ; dans l’Ouest, elle a encore gardé à l’époque <strong>de</strong><br />
Mari un aspect concr<strong>et</strong>, qui révèle ses origines ; dans l’Est, s’est construit désormais<br />
tout un système autonome qui entreprend <strong>de</strong> dégager <strong><strong>de</strong>s</strong> principes <strong>et</strong> d’en tirer<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> conclusions.<br />
Dans l’Ouest, il s’agissait en principe <strong>de</strong> savoir où l’on en était <strong>de</strong> ses rapports<br />
avec la divinité ; ce n’était qu’un complément normal au sacrifice ; dans l’Est, on<br />
est en route vers une herméneutique qui doit déboucher sur la possibilité <strong>de</strong> forcer<br />
les secr<strong>et</strong>s <strong><strong>de</strong>s</strong> dieux.<br />
Dans l’Ouest, les formes primitives <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te conduite humaine montrent le<br />
<strong>de</strong>vin comme quelqu’un qui fait la part <strong>de</strong> l’enthousiasme en lui ; il est donc<br />
normalement assisté d’un prophète ; dans l’Est, les <strong>de</strong>ux conduites ten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> plus<br />
en plus à diverger <strong>et</strong> l’enthousiasme est remplacé par un esprit <strong>de</strong> logique déductive,<br />
avec re<strong>cours</strong> à la prière ou aux purifications lorsque l’on se rend compte qu’il y a<br />
péril en la <strong>de</strong>meure.<br />
Maintenant que le cadre est posé, il s’agira <strong>de</strong> voir comme c<strong>et</strong>te attitu<strong>de</strong> envers<br />
les secr<strong>et</strong>s <strong><strong>de</strong>s</strong> Dieux peut influer sur l’exercice du pouvoir.<br />
Publications du professeur<br />
Activités <strong>de</strong> la chaire<br />
Livres<br />
— La Nomenclature <strong><strong>de</strong>s</strong> habits <strong>et</strong> textiles dans les textes <strong>de</strong> Mari, Matériaux pour le<br />
Dictionnaire <strong>de</strong> Babylonien <strong>de</strong> Paris 1, Archives Royales <strong>de</strong> Mari XXX, Paris, sous presse.<br />
— La Religion à l’époque amorrite d’après les archives <strong>de</strong> Mari, Orientalia Lovaniensia<br />
Analecta 169, Louvain, sous presse.<br />
Articles<br />
— « Histoire d’une redécouverte : l’évolution d’une problématique (centre <strong>et</strong> périphérie) »,<br />
dans « Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au Dictionnaire <strong>de</strong> la Bible 14, Paris, 2008,<br />
col. 214-216.<br />
— « L’amorrite <strong>et</strong> les particularités syriennes face au “suméro-akkadien” », dans<br />
« Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au Dictionnaire <strong>de</strong> la Bible 14, Paris, 2008,<br />
col. 216-220.<br />
— « Les noma<strong><strong>de</strong>s</strong> », dans « Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au Dictionnaire <strong>de</strong> la<br />
Bible 14, Paris, 2008, col. 298-324.<br />
— « Le panthéon <strong>et</strong> les temples », dans « Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au<br />
Dictionnaire <strong>de</strong> la Bible 14, Paris, 2008, col. 356-371.<br />
— « La vengeance <strong>et</strong> les cas royaux », dans « Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au<br />
Dictionnaire <strong>de</strong> la Bible 14, Paris, 2008, col. 435-436.<br />
— « Chroniques du Moyen-Euphrate 6. Mesures mariotes avant la babylonisation <strong>de</strong><br />
l’écriture », RA 100, 2006 [2007], p. 97-99.
ASSYRIOLOGIE 579<br />
— « “Un habit pour un oracle ! ” À propos d’une prophétie <strong>de</strong> Mari », dans T. Tarhan,<br />
A. Tib<strong>et</strong> & E. Konyar (éd.), Muhibbe Darga Armagani, Istanbul, 2008, p. 231-235.<br />
Notes brèves<br />
— « Le nom du désert en amorrite », NABU 2007/56.<br />
— « À propos <strong><strong>de</strong>s</strong> shakkanakku <strong>de</strong> Mari », NABU 2008/18.<br />
— « ARM XXI 59 // ARM XXI 396 », NABU 2008/19.<br />
— « Nouveaux textes <strong>de</strong> Tell Tâban », NABU 2008/43.<br />
Colloques<br />
Le professeur a organisé une table ron<strong>de</strong> se tenant à la fondation Hugot du<br />
<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, ayant pour thème, « Les Shakkanakku <strong>de</strong> Mari, état <strong>de</strong> la<br />
question », le 7 décembre 2007 <strong>et</strong> y a présenté une communication sur « la réforme<br />
<strong>de</strong> l’écriture à Mari ».<br />
Le professeur a organisé avec N. Ziegler une table ron<strong>de</strong> se tenant à la fondation<br />
Hugot du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ayant pour thème « Du Habur vers l’Euphrate au<br />
II e millénaire. Recherches <strong>de</strong> géographie historique », le 10 décembre 2007, <strong>et</strong> y a<br />
présenté une communication sur « Le royaume <strong>de</strong> Nagar d’après les archives d’Ebla<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> Mari ».<br />
Le professeur a participé aux 8 e journées d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> franco-syriennes sur les<br />
Archives <strong>de</strong> Mari (14-15 avril 2008), à Damas, sur le thème « Originalité <strong>de</strong> la<br />
culture syrienne dans l’Antiquité » où il a présenté une communication sur<br />
« l’écriture en Syrie à l’époque amorrite ».<br />
Le professeur a organisé le 5 e colloque orientaliste « Divination <strong>et</strong> magie dans<br />
les cultures <strong>de</strong> l’Orient », au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, les 19-20 juin 2008, en collaboration<br />
avec les P r P. Filliozat, J.-P. Mahé, <strong>et</strong> J.-L. Bacqué-Grammont.<br />
Invitations<br />
Deux professeurs étrangers ont été invités à donner <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong>. M me Maria Giovanna Biga, Professeur à l’Université « La Sapienza » <strong>de</strong><br />
Rome, en février 2008, a présenté quatre conférences sur le thème « La Syrie au<br />
III e millénaire av. J.-C. d’après les archives d’Ebla », <strong>et</strong> M. Leonid Kogan, Professeur<br />
à l’Université d’Etat <strong>de</strong> Russie, a présenté quatre conférences sur le thème « Les<br />
noms <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes akkadiennes dans leur contexte sémitique ».<br />
Missions <strong>de</strong> terrain<br />
Le professeur a accompli 3 missions en Syrie. Une première d’une semaine en<br />
janvier 2008 <strong>de</strong> déchiffrement <strong>de</strong> textes cunéiformes au musée <strong>de</strong> Raqqa (Syrie).<br />
Une secon<strong>de</strong> d’un mois en avril 2008 <strong>et</strong> une troisième <strong>de</strong> trois semaines en<br />
septembre-octobre 2008 <strong>de</strong> déchiffrement <strong>de</strong> textes cunéiformes au musée <strong>de</strong><br />
Dêr ez-Zôr (Syrie).
Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong> achéméni<strong>de</strong><br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’empire d’Alexandre<br />
M. Pierre Briant, professeur<br />
Alexandre le Grand aujourd’hui (VI)<br />
Histoire d’Alexandre <strong>et</strong> histoire <strong>de</strong> l’expansion <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité européennes (iii).<br />
Alexandre dans l’œuvre <strong>de</strong> Voltaire.<br />
Introduit à plusieurs reprises ici même <strong>de</strong>puis trois ans, Voltaire l’a été d’une<br />
manière à la fois indirecte <strong>et</strong> insistante l’an <strong>de</strong>rnier, puisque l’on avait dédié une<br />
gran<strong>de</strong> partie du <strong>cours</strong> à l’analyse du Siècle d’Alexandre (1762 1 ; 1769 2 ), dont<br />
l’auteur (Lingu<strong>et</strong>) se présentait sans mo<strong><strong>de</strong>s</strong>tie comme l’héritier <strong>et</strong> le défenseur <strong>de</strong><br />
la métho<strong>de</strong> historienne <strong>de</strong> Voltaire ; d’une certaine manière Lingu<strong>et</strong> développa<br />
jusqu’à son terme la fameuse affirmation <strong>de</strong> Voltaire, selon laquelle il n’existait<br />
guère au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’histoire que quatre siècles dignes d’être maintenus dans la<br />
mémoire <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes ; le Siècle d’Alexandre venait en premier (Annuaire 2006-7,<br />
p. 618-622). L’on sait que traditionnellement Voltaire est considéré comme l’un<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> trois auteurs (avec Montesquieu <strong>et</strong> Lingu<strong>et</strong>) à s’être montrés « favorables au<br />
conquérant ». L’on a déjà observé pourquoi une telle opinion, sans être erronée,<br />
reste partielle <strong>et</strong> lacunaire (Annuaire 2004-5, p. 595-6). On a aussi rappelé qu’aux<br />
yeux d’Elias Bikerman (Renaissance 1944/5), Voltaire <strong>et</strong> les déistes anglais avaient<br />
déjà partiellement formulé la conception que Droysen exprima d’un Alexandre<br />
ouvrant la voie qui allait mener à l’avènement du christianisme. C’est à définir plus<br />
précisément la place <strong>de</strong> Voltaire dans l’historiographie d’Alexandre qu’a été<br />
consacré le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année, mais aussi, bien entendu, à m<strong>et</strong>tre au jour les<br />
raisons pour lesquelles Voltaire a si fréquemment introduit le cas d’Alexandre dans<br />
le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> son œuvre.<br />
Contrairement à Montesquieu (qui a réservé au suj<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> développements très<br />
cohérents <strong>et</strong> très argumentés dans l’Esprit <strong><strong>de</strong>s</strong> Lois X.13-14 <strong>et</strong> XXI.8), <strong>et</strong> à Lingu<strong>et</strong><br />
(qui lui a consacré un livre), ou encore à <strong><strong>de</strong>s</strong> auteurs d’histoire grecque qui, tels<br />
Rollin <strong>et</strong> Mably en <strong>France</strong>, ont explicité dans <strong><strong>de</strong>s</strong> chapitres parfois très longs leurs
582 PIERRE BRIANT<br />
vues sur le conquérant <strong>et</strong> les résultats <strong>de</strong> sa conquête, Voltaire n’a jamais ressenti<br />
la nécessité <strong>de</strong> consacrer un développement suivi <strong>et</strong> spécifique à Alexandre, encore<br />
moins un livre.<br />
On s’est interrogé sur ce constat. L’une <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons, probablement la raison<br />
première, c’est qu’aux yeux <strong>de</strong> Voltaire, il n’était d’histoire que mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong><br />
contemporaine, c’est-à-dire l’histoire née du mouvement nouveau créé <strong>et</strong> symbolisé<br />
par l’imprimerie, la boussole, la conquête turque <strong>de</strong> Constantinople, <strong>et</strong> plus encore<br />
par les découvertes <strong>et</strong> la dilatation du mon<strong>de</strong> connu :<br />
« Un nouveau système <strong>de</strong> politique s’établit ; on fait, avec le se<strong>cours</strong> <strong>de</strong> la boussole, le tour<br />
<strong>de</strong> l’Afrique, <strong>et</strong> on commerce avec la Chine plus aisément que <strong>de</strong> Paris à Madrid. L’Amérique<br />
est découverte ; on subjugue un nouveau mon<strong>de</strong>, <strong>et</strong> le nôtre est presque tout changé ;<br />
l’Europe chrétienne <strong>de</strong>vient une espèce <strong>de</strong> république immense, où la balance du pouvoir<br />
est établie mieux qu’elle ne le fut en Grèce. Une correspondance perpétuelle en lie toutes les<br />
parties, malgré les guerres que l’ambition <strong><strong>de</strong>s</strong> rois suscite, <strong>et</strong> même malgré les guerres <strong>de</strong><br />
religion, encore plus <strong><strong>de</strong>s</strong>tructives. Les arts, qui font la gloire <strong><strong>de</strong>s</strong> États, sont portés à un<br />
point que la Grèce <strong>et</strong> Rome ne connurent jamais. Voilà l’histoire qu’il faut que tout homme<br />
sache ; c’est là qu’on ne trouve ni prédictions chimériques, ni oracles menteurs, ni faux<br />
miracles, ni fables insensées : tout y est vrai, aux p<strong>et</strong>its détails près, dont il n’y a que les<br />
p<strong>et</strong>its esprits qui se soucient beaucoup… » (Remarques sur l’histoire 1742).<br />
L’opposition est fermement marquée avec l’histoire ancienne, royaume <strong><strong>de</strong>s</strong> fables,<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> légen<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mensonges. (« Faut-il qu’au siècle où nous vivons on imprime<br />
encore le conte <strong><strong>de</strong>s</strong> Oreilles <strong>de</strong> Smerdis, <strong>et</strong> <strong>de</strong> Darius qui fut déclaré roi par son<br />
cheval, lequel hennit le premier ?... »). D’où ses conseils aux jeunes hommes « d’avoir<br />
une légère teinture <strong>de</strong> ces temps reculés ». Une étu<strong>de</strong> sérieuse <strong>de</strong> l’histoire ne <strong>de</strong>vrait<br />
se faire que <strong>de</strong>puis « le temps où elle <strong>de</strong>vient réellement intéressante pour nous : il<br />
me semble que c’est vers la fin du xv e siècle […] ».<br />
Tout est dit (<strong>et</strong> souvent répété !) : mépris pour les contes <strong>et</strong> légen<strong><strong>de</strong>s</strong>, refus <strong>de</strong><br />
l’érudition, admiration pour les transformations du mon<strong>de</strong> induites par les gran<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
découvertes…, tout éloigne Voltaire d’un intérêt intrinsèque pour l’histoire ancienne.<br />
Certes, il établit <strong><strong>de</strong>s</strong> distinctions : pour lui comme chez tous ses contemporains<br />
(Rollin, Mably) <strong>et</strong> prédécesseurs (Bossu<strong>et</strong>), on connaît mieux l’histoire ancienne à<br />
partir <strong>de</strong> la confrontation entre Grecs <strong>et</strong> Perses (cf. « Histoire » dans Encyclopédie,<br />
1765, ou Pyrrhonisme IX, 1768). Mais, fondamentalement, l’Antiquité n’est pas pour<br />
lui un obj<strong>et</strong> d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> digne pour l’historien : elle reste d’abord <strong>et</strong> avant tout une<br />
référence, où l’on peut puiser <strong><strong>de</strong>s</strong> exemples <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> précé<strong>de</strong>nts. De même pour l’histoire<br />
d’Alexandre, car les contradictions entre auteurs anciens paraissent insurmontables,<br />
sauf pour les « compilateurs,… mo<strong>de</strong>rnes perroqu<strong>et</strong>s qui répètent <strong><strong>de</strong>s</strong> paroles<br />
anciennes… » (Bible, 1776). Il convient donc <strong>de</strong> s’en tenir à l’essentiel, soit :<br />
« Après c<strong>et</strong>te guerre du Péloponnèse, décrite par Thucydi<strong>de</strong>, vient le tems célèbre<br />
d’Alexandre, prince digne d’être élevé par Aristote, qui fon<strong>de</strong> beaucoup plus <strong>de</strong> villes que<br />
les autres n’en ont détruit, & qui change le commerce <strong>de</strong> l’Univers » (Encyclopédie,<br />
Histoire).
HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE 583<br />
En-<strong>de</strong>hors <strong>de</strong> l’entrée « Alexandre » <strong><strong>de</strong>s</strong> Questions sur l’Encyclopédie (1771) <strong>et</strong><br />
plus encore le commentaire sur le Livre II <strong><strong>de</strong>s</strong> Maccabées dans La Bible enfin<br />
expliquée (1776), les références à Alexandre sont casuelles <strong>et</strong> le plus souvent<br />
répétitives. Au fond, si l’on voulait résumer son opinion positive, ou sa thèse, sur<br />
le roi macédonien, il suffirait presque <strong>de</strong> citer ses Conseils à un journaliste sur la<br />
philosophie, l’histoire, le théâtre (1737) :<br />
« Si vous ren<strong>de</strong>z compte <strong>de</strong> l’histoire ancienne, proscrivez, je vous en conjure, toutes ces<br />
déclamations contre certains conquérants. Laissez Juvénal <strong>et</strong> Boileau donner, du fond <strong>de</strong><br />
leur cabin<strong>et</strong>, <strong><strong>de</strong>s</strong> ridicules à Alexandre, qu’ils eussent fatigué d’encens s’ils avaient vécu sous<br />
lui ; qu’ils appellent Alexandre insensé ; vous, philosophe impartial, regar<strong>de</strong>z dans Alexandre<br />
ce capitaine général <strong>de</strong> la Grèce… chargé <strong>de</strong> venger son pays… Ne le faites pas voir<br />
seulement subjuguant tout l’empire <strong>de</strong> l’ennemi <strong><strong>de</strong>s</strong> Grecs, <strong>et</strong> portant ses conquêtes jusqu’à<br />
l’In<strong>de</strong>, où s’étendait la domination <strong>de</strong> Darius ; mais représentez-le donnant <strong><strong>de</strong>s</strong> lois au<br />
milieu <strong>de</strong> la guerre, formant <strong><strong>de</strong>s</strong> colonies, établissant le commerce, fondant Alexandrie <strong>et</strong><br />
Scan<strong>de</strong>ron, qui sont aujourd’hui le centre du négoce <strong>de</strong> l’Orient. C’est là surtout qu’il faut<br />
considérer les rois ; <strong>et</strong> c’est ce qu’on néglige. Quel bon citoyen n’aimera pas mieux qu’on<br />
l’entr<strong>et</strong>ienne <strong><strong>de</strong>s</strong> villes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> ports que César a bâtis, du calendrier qu’il a réformé, <strong>et</strong>c., que<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> hommes qu’il a fait égorger ?» (Œuvres XXII, p. 244).<br />
En <strong>de</strong>ux mots : contre les « déclamateurs » qui, tel Boileau, ont déconsidéré<br />
Alexandre en conquérant <strong>et</strong> en guerrier téméraire <strong>et</strong> insensé, il convient <strong>de</strong> voir en<br />
lui un Législateur, <strong>et</strong> l’ouvreur <strong>de</strong> routes commerciales nouvelles semées <strong>de</strong> villes<br />
neuves, dont le rôle commercial reste toujours aussi puissant <strong>de</strong> notre temps<br />
(c’est-à-dire celui <strong>de</strong> Voltaire).<br />
Il y a évi<strong>de</strong>mment ici <strong>et</strong> là <strong><strong>de</strong>s</strong> jugements moins favorables, car le contexte<br />
discursif l’impose. Ainsi dans les Dialogues d’Evhémère (1777), le dialogue entre<br />
Evhémère <strong>et</strong> Callicrate, au <strong>cours</strong> duquel le philosophe réduit Alexandre à un<br />
guerrier assoiffé <strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>tructions <strong>et</strong> <strong>de</strong> sang :<br />
« Je ne l’ai vu que dans l’In<strong>de</strong> <strong>et</strong> dans Babylone, où j’avais couru comme les autres, dans<br />
la vaine espérance <strong>de</strong> m’instruire. On m’a dit qu’en eff<strong>et</strong> il avait commencé ses expéditions<br />
comme un héros, mais il les a finies comme un fou : j’ai vu ce <strong>de</strong>mi-dieu, <strong>de</strong>venu le plus<br />
cruel <strong><strong>de</strong>s</strong> barbares après avoir été le plus humain <strong><strong>de</strong>s</strong> Grecs. J’ai vu le sobre disciple<br />
d’Aristote changé en un méprisable ivrogne. J’arrivai auprès <strong>de</strong> lui lorsqu’au sortir <strong>de</strong> table<br />
il s’avisa <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre le feu au superbe temple d’Esthékar, pour contenter le caprice d’une<br />
misérable débauchée nommée Thaïs. Je le suivis dans ses folies <strong>de</strong> l’In<strong>de</strong> ; enfin je l’ai vu<br />
mourir à la fleur <strong>de</strong> son âge dans Babylone, pour s’être enivré comme le <strong>de</strong>rnier <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
goujats <strong>de</strong> son armée ».<br />
On r<strong>et</strong>rouve là les accusations habituellement portées <strong>de</strong>puis l’Antiquité contre<br />
l’évolution jugée négative d’Alexandre (<strong><strong>de</strong>s</strong>truction <strong>de</strong> Persépolis, massacres en<br />
In<strong>de</strong>, ivrognerie…), accusations que l’on trouve aussi au xviii e siècle chez <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
auteurs (Rollin, Mably), contre lesquels Voltaire a polémiqué régulièrement. De<br />
même la position d’Alexandre est plutôt reléguée dans l’ombre dès lors que Voltaire<br />
oppose les victoires militaires du roi macédonien à « ce que Pierre le Grand a fait<br />
d’utile pour le genre humain » (L<strong>et</strong>tre à Prévost d’Exiles du 16 mars 1737), ou qu’il<br />
adresse <strong><strong>de</strong>s</strong> louanges <strong>de</strong> courtisan à Catherine : « Elle me paraît autant au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus<br />
d’Alexandre que le fondateur est au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus du <strong><strong>de</strong>s</strong>tructeur » (L<strong>et</strong>tre à Shouvalov du
584 PIERRE BRIANT<br />
18 février 1768). Il n’entend pas non plus nier ou passer sous silence les meurtres<br />
jugés inexcusables : « Celui qui, en écrivant l’histoire d’Alexandre, nierait ou<br />
excuserait le meurtre <strong>de</strong> Clitus, s’attirerait le mépris <strong>et</strong> l’indignation » (L<strong>et</strong>tre au<br />
même du 27 mai 1759).<br />
Lancées dans le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> propos très polémiques <strong>et</strong> très engagés (auprès <strong>de</strong><br />
souverains dont il loue les qualités en les opposant aux vices d’Alexandre), ou<br />
introduites au <strong>cours</strong> d’un dialogue dont Voltaire n’est pas à proprement parler un<br />
locuteur, ces accusations ne sont que <strong>de</strong> peu <strong>de</strong> poids dès lors qu’on les rapporte<br />
à l’ensemble <strong>de</strong> l’œuvre. De toute façon, les « vices privés » d’Alexandre sont<br />
parfaitement compatibles avec ses « vertus publiques 1 », exactement comme dans<br />
le cas <strong>de</strong> Pierre <strong>de</strong> Russie :<br />
« Il avait <strong>de</strong> grands défauts, sans doute ; mais n’étaient-ils pas couverts par c<strong>et</strong> esprit<br />
créateur, par c<strong>et</strong>te foule <strong>de</strong> proj<strong>et</strong>s tous imaginés pour la gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> son pays, <strong>et</strong> dont<br />
plusieurs ont été exécutés ? N’a-t-il pas établi les arts ? N’a-t-il pas enfin diminué le<br />
nombre <strong><strong>de</strong>s</strong> moines ? Votre Altesse royale a gran<strong>de</strong> raison <strong>de</strong> détester ses vices <strong>et</strong> sa<br />
férocité 2 […] Je ne dissimulerai pas ses fautes, mais j’élèverai le plus haut que je pourrai,<br />
non seulement ce qu’il a fait <strong>de</strong> grand <strong>et</strong> <strong>de</strong> beau, mais ce qu’il a voulu faire. Je voudrais<br />
qu’on eût j<strong>et</strong>é au fond <strong>de</strong> la mer toutes les histoires qui ne nous r<strong>et</strong>racent que les vices<br />
<strong>et</strong> les fureurs <strong><strong>de</strong>s</strong> rois […] » (L<strong>et</strong>tre à Frédéric en janvier 1738).<br />
C’est ce qui explique que Voltaire a repris inlassablement les mêmes propos<br />
favorables à Alexandre dans nombre <strong>de</strong> ses œuvres, par exemple :<br />
« Il n’est plus permis <strong>de</strong> parler d’Alexandre que pour dire <strong><strong>de</strong>s</strong> choses neuves <strong>et</strong> pour<br />
détruire les fables historiques, physiques <strong>et</strong> morales, dont on a défiguré l’histoire du seul<br />
grand homme qu’on ait jamais vu parmi les conquérants <strong>de</strong> l’Asie.<br />
Quant on a un peu réfléchi sur Alexandre, qui, dans l’âge fougueux <strong><strong>de</strong>s</strong> plaisirs <strong>et</strong> dans<br />
l’ivresse <strong><strong>de</strong>s</strong> conquêtes, a bâti plus <strong>de</strong> villes que tous les autres vainqueurs <strong>de</strong> l’Asie n’en<br />
ont détruit, quand on songe que c’est un jeune homme qui a changé le commerce du<br />
mon<strong>de</strong>, on trouve assez étrange que Boileau le traite <strong>de</strong> fou, <strong>de</strong> voleur <strong>de</strong> grand chemin,<br />
<strong>et</strong> qu’il propose au lieutenant <strong>de</strong> police la Reynie, tantôt <strong>de</strong> le faire enfermer <strong>et</strong> tantôt <strong>de</strong><br />
le faire pendre… ».<br />
« Tout ce qu’on peut recueillir <strong>de</strong> certain, c’est qu’Alexandre, à l’âge <strong>de</strong> vingt-quatre ans,<br />
avait conquis la Perse par trois batailles, qu’il eut autant <strong>de</strong> génie que <strong>de</strong> valeur ; qu’il<br />
changea la face <strong>de</strong> l’Asie, <strong>de</strong> la Grèce, <strong>de</strong> l’Égypte, <strong>et</strong> celle du commerce du mon<strong>de</strong> ; <strong>et</strong><br />
qu’enfin Boileau ne <strong>de</strong>vait pas tant se moquer <strong>de</strong> lui, attendu qu’il n’y a pas d’apparence<br />
que Boileau en eût fait autant en si peu d’années » (Questions sur l’Encyclopédie, s.v.<br />
Alexandre. 1771).<br />
1. Voir par exemple l’échange <strong>de</strong> l<strong>et</strong>tres entre Voltaire <strong>et</strong> Frédéric <strong>de</strong> Prusse en janvier-février<br />
1774 : « Alexandre, le plus dissolu <strong>et</strong> le plus emporté <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes […] Il est certain qu’un<br />
caractère aussi peu modéré ne pouvait en aucune façon être comparé à Socrate. Mais il est vrai<br />
aussi que si Socrate s’était trouvé à la tête <strong>de</strong> l’expédition contre les Perses, il n’aurait peut-être<br />
pas égalé l’activité ni les résolutions hardies par lesquelles Alexandre dompta tant <strong>de</strong> nations »<br />
(réponse <strong>de</strong> Frédéric).<br />
2. A ce point, rapprochement avec Alexandre <strong>et</strong> le meurtre <strong>de</strong> Clitus.
Ou encore :<br />
HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE 585<br />
« Alexandre, que <strong><strong>de</strong>s</strong> déclamateurs n’ont regardé que comme un <strong><strong>de</strong>s</strong>tructeur, <strong>et</strong> qui<br />
cependant fonda plus <strong>de</strong> villes qu’il n’en détruisit, homme sans doute digne du nom <strong>de</strong><br />
grand malgré ses vices, avait <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné sa ville d’Alexandrie à être le centre du commerce <strong>et</strong><br />
le lien <strong><strong>de</strong>s</strong> nations : elle l’avait été en eff<strong>et</strong>, <strong>et</strong> sous les Ptolémées, <strong>et</strong> sous les Romains, <strong>et</strong><br />
sous les Arabes. Elle était l’entrepôt <strong>de</strong> l’Égypte, <strong>de</strong> l’Europe <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> In<strong><strong>de</strong>s</strong> » (Essai sur les<br />
mœurs, Chap. CXLI).<br />
« Les Orientaux comparent Tamerlan à Alexandre ; mais [il est] fort inférieur au<br />
Macédonien, en ce qu’il naquit chez une nation barbare, <strong>et</strong> qu’il détruisit beaucoup <strong>de</strong><br />
villes comme Gengis, sans en bâtir une seule : au lieu qu’Alexandre, dans une vie très<br />
courte, <strong>et</strong> au milieu <strong>de</strong> ses conquêtes rapi<strong><strong>de</strong>s</strong>, construisit Alexandrie <strong>et</strong> Scan<strong>de</strong>ron, rétablit<br />
c<strong>et</strong>te même Samarcan<strong>de</strong>, qui fut <strong>de</strong>puis le siège <strong>de</strong> l’empire <strong>de</strong> Tarmerlan, <strong>et</strong> bâtit <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
villes jusque dans les In<strong><strong>de</strong>s</strong>, établit <strong><strong>de</strong>s</strong> colonies grecques au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’Oxus, envoya en<br />
Grèce les observations <strong>de</strong> Babylone, <strong>et</strong> changea la face du commerce <strong>de</strong> l’Asie, <strong>de</strong> l’Europe<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Afrique, dont Alexandrie <strong>de</strong>vint le magasin universel. Voilà, ce me semble, en quoi<br />
Alexandre l’emporte sur Tamerlan, sur Gengis, <strong>et</strong> sur tous les conquérants qu’on veut lui<br />
égaler » (Essai sur les mœurs, I, p. 807).<br />
La plume se fait même plus élogieuse encore dans l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>rnières œuvres <strong>de</strong><br />
Voltaire, La Bible enfin expliquée (1776), où il reprend <strong><strong>de</strong>s</strong> idées <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> jugements<br />
déjà exposés à plusieurs reprises, mais auxquels il donne une vigueur encore accrue.<br />
Il polémique contre tous les auteurs <strong>de</strong> son temps, y compris « <strong><strong>de</strong>s</strong> compilateurs<br />
estimables » (Pri<strong>de</strong>aux, Rollin), qui ont répété <strong><strong>de</strong>s</strong> fables inventées par Diodore,<br />
Plutarque, Justin. Il estime qu’Alexandre a mené une « guerre légitime », <strong>et</strong> une<br />
entreprise qui se distingue par ce qu’elle a légué à l’avenir, en particulier <strong><strong>de</strong>s</strong> villes<br />
nombreuses <strong>et</strong> un développement inédit <strong><strong>de</strong>s</strong> liaisons commerciales. « J’oserais lui<br />
rendre grâce au nom du genre humain ».<br />
L’image que Voltaire s’est faite d’Alexandre s’insère parfaitement dans son<br />
dis<strong>cours</strong> sur le héros <strong>et</strong> le grand homme 3 . Comme il le précise dans son article<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Questions sur l’Encyclopédie, la seule « valeur » (dans le domaine militaire) n’est<br />
pas le critère <strong>de</strong> distinction décisif : il faut aussi du « génie » (dans le domaine <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
réalisations durables). Tel est bien le cas d’Alexandre, dont le génie a été utile au<br />
genre humain (fondations <strong>de</strong> villes, extension du commerce). En cela le roi<br />
macédonien est ‘mo<strong>de</strong>rne’. Au <strong>de</strong>meurant, dans le chapitre CXLI <strong>de</strong> l’Essai sur les<br />
mœurs sur le commerce <strong><strong>de</strong>s</strong> Portugais, Voltaire interprète aussi le voyage <strong>de</strong> Vasco<br />
<strong>de</strong> Gama comme une sorte <strong>de</strong> fin <strong>de</strong> cycle ouvert par Alexandre : la circumnavigation<br />
<strong>de</strong> l’Afrique « changea le commerce <strong>de</strong> l’Univers », <strong>et</strong> elle vint m<strong>et</strong>tre fin à la<br />
prospérité d’Alexandrie, que son fondateur (« homme sans doute digne du nom <strong>de</strong><br />
grand malgré ses vices ») « avait <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné[e] à être le centre du commerce <strong>et</strong> le lien<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> nations ». Parlant <strong>de</strong> l’empire d’Alexandre, Voltaire aurait donc pu parfaitement<br />
utiliser la formule introduite pour caractériser le mon<strong>de</strong> nouveau né après les<br />
3. Entre autres nombreux exemples, cf. la l<strong>et</strong>tre à M. Thériot (15 juill<strong>et</strong> 1735) : « J’appelle<br />
grands hommes tous ceux qui ont excellé dans l’utile ou dans l’agréable. Les saccageurs <strong>de</strong><br />
provinces ne sont que héros. »
586 PIERRE BRIANT<br />
gran<strong><strong>de</strong>s</strong> découvertes : « Une correspondance perpétuelle en lie toutes les parties ».<br />
En cela, Alexandre n’est pas simplement un précé<strong>de</strong>nt, il est aussi un pionnier <strong>de</strong><br />
l’aventure européenne.<br />
C’est la raison pour laquelle Voltaire place Alexandre parmi les très rares<br />
personnages qui ont réellement modifié leur temps, d’où l’expression « Siècle<br />
d’Alexandre » : « On n’a point assez remarqué, que le temps d’Alexandre fit une<br />
révolution dans l’esprit humain aussi gran<strong>de</strong> que celle <strong><strong>de</strong>s</strong> empires <strong>de</strong> la terre. »<br />
Dans l’esprit <strong>de</strong> Voltaire, Alexandre est l’héritier d’Athènes (« c<strong>et</strong>te lumière venait<br />
<strong>de</strong> la seule Athènes »), mais en même temps, « nul homme n’eut plus d’esprit, plus<br />
<strong>de</strong> grâces <strong>et</strong> <strong>de</strong> goût, plus d’amour pour les sciences que ce conquérant [….] Ce<br />
fut un temps à peu près semblable à ce qu’on vit <strong>de</strong>puis sous César <strong>et</strong> Auguste, <strong>et</strong><br />
sous les Médicis. Les hommes s’accoutumèrent peu-à-peu à penser plus<br />
raisonnablement… ». Même sous une forme balbutiante <strong>et</strong> très incomplète, c’est<br />
en quelque sorte le premier siècle <strong><strong>de</strong>s</strong> lumières à l’échelle du mon<strong>de</strong> connu : « Une<br />
nouvelle lumière, quoique mêlée d’ombres épaisses, vint éclairer l’Europe, l’Asie,<br />
<strong>et</strong> une partie <strong>de</strong> l’Afrique septentrionale ».<br />
Grâce à Alexandre <strong>et</strong> à ses généraux, la richesse <strong>de</strong> la pensée <strong>et</strong> <strong>de</strong> la réflexion<br />
grecques passa aux « Juifs hellénistes ». À terme, « c’est dans le second livre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Maccabées que l’on voit pour la première fois une notion claire <strong>de</strong> la vie éternelle<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> la résurrection, qui <strong>de</strong>vint bientôt le dogme <strong><strong>de</strong>s</strong> pharisiens. On remarque<br />
encore dans ce second livre la croyance anticipée d’une espèce <strong>de</strong> purgatoire… ».<br />
C’est évi<strong>de</strong>mment c<strong>et</strong>te œuvre <strong>de</strong> Voltaire que Bikerman avait à l’esprit lorsque<br />
dans son article <strong>de</strong> 1944/5, il insiste sur le rôle pionnier joué par le philosophe<br />
français dans la mise au jour <strong>de</strong> ce qui sera, chez Droysen, la caractéristique<br />
fondamentale <strong>de</strong> l’époque hellénistique.<br />
L’histoire d’Alexandre s’intègre bien au souci <strong>de</strong> Voltaire <strong>de</strong> ne pas limiter ni<br />
restreindre le point <strong>de</strong> vue à la Grèce <strong>et</strong> à Rome 4 : Alexandre a parcouru tout<br />
l’espace entre la Macédoine <strong>et</strong> l’Indus, car son objectif constant a été la conquête <strong>de</strong><br />
tout l’empire achéméni<strong>de</strong> 5 . D’où aussi les comparaisons <strong>et</strong> rapprochements<br />
nombreux entre les différents « conquérants <strong>de</strong> l’Asie ». Il refuse toute assimilation<br />
entre Alexandre <strong>et</strong> Tamerlan, qui, en réalité, est « fort inférieur…, en ce qu’il naquit<br />
chez une nation barbare, <strong>et</strong> qu’il détruisit beaucoup <strong>de</strong> villes comme Gengis, sans en<br />
bâtir une seule… » (EM). L’opposition entre Tamerlan/barbare <strong>et</strong> Alexandre/civilisé<br />
va l’amener à évoquer parallèlement Alexandre <strong>et</strong> Pierre <strong>de</strong> Russie, l’un <strong>et</strong> l’autre<br />
confrontés à leurs barbares, Scythes dans le cas du premier, Tartares dans le cas du<br />
second. Traitant <strong>de</strong> la marche du Csar contre la Perse, Voltaire (Histoire <strong>de</strong> Russie)<br />
4. Voir par exemple Nouveau plan : « Frappés <strong>de</strong> l’éclat <strong>de</strong> c<strong>et</strong> empire [romain], <strong>de</strong> ses<br />
accroissements <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa chute, nous avons jusqu’à présent dans la plupart <strong>de</strong> nos histoires<br />
universelles traité les autres hommes comme s’ils n’existaient pas. La Grèce, les Romains, se sont<br />
emparés <strong>de</strong> toute notre attention… ».<br />
5. Comme bien d’autres idées <strong>de</strong> Voltaire, celle-ci fut reprise <strong>et</strong> développée par Lingu<strong>et</strong><br />
(Annuaire 2006-7, p. 625-6).
HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE 587<br />
ne manque pas <strong>de</strong> renvoyer à Alexandre, dès lors que Pierre parvient aux Portes <strong>de</strong><br />
Fer, <strong>et</strong> il souligne la nécessité <strong>de</strong> se protéger <strong><strong>de</strong>s</strong> barbares (en les attaquant). Scythes<br />
<strong>et</strong> Tartares ont en eff<strong>et</strong> ont été <strong>de</strong>puis l’Antiquité une menace constante 6 . Contre<br />
beaucoup d’auteurs (Sainctyon, Galand, P<strong>et</strong>is <strong>de</strong> la Croix…) qui ont écrit <strong><strong>de</strong>s</strong> pages<br />
très positives sur Gengis <strong>et</strong> sur Tamerlan, Voltaire ne croit pas que ni l’un ni l’autre<br />
puissent être rangés dans sa catégorie du « grand homme ». Il ne croit pas au « bon<br />
sauvage 7 ». C’est ce qui, dans le même ouvrage (Histoire <strong>de</strong> Russie) <strong>et</strong> ailleurs,<br />
l’amène à contester avec une extrême énergie la réalité du dis<strong>cours</strong> que Quinte-Curce<br />
fait tenir <strong>de</strong>vant Alexandre à un ambassa<strong>de</strong>ur scythe. Déjà introduit dans les<br />
discussions <strong><strong>de</strong>s</strong> érudits sur la crédibilité <strong>de</strong> l’auteur latin 8 , le passage est c<strong>et</strong>te fois<br />
utilisé par Voltaire à <strong><strong>de</strong>s</strong> fins <strong>de</strong> politique contemporaine. Il établit une assimilation<br />
entre les Scythes <strong>et</strong> les Tartares, <strong>et</strong> entre les Tartares <strong>et</strong> les Turcs :<br />
« Les Scythes sont ces mêmes barbares que nous avons <strong>de</strong>puis appelés Tartares ; ce sont<br />
ceux-là mêmes qui, longtemps avant Alexandre, avaient ravagé plusieurs fois l’Asie, <strong>et</strong> qui<br />
ont été les déprédateurs d’une gran<strong>de</strong> partie du continent. Tantôt, sous le nom <strong>de</strong><br />
Mongols ou <strong>de</strong> Huns, ils ont asservi la Chine <strong>et</strong> les In<strong><strong>de</strong>s</strong> ; tantôt, sous le nom <strong>de</strong> Turcs,<br />
ils ont chassé les Arabes qui avaient conquis une partie <strong>de</strong> l’Asie. C’est <strong>de</strong> ces vastes<br />
campagnes que partirent les Huns pour aller jusqu’à Rome. Voilà ces hommes désintéressés<br />
<strong>et</strong> justes dont nos compilateurs vantent encore aujourd’hui l’équité quand ils copient<br />
Quinte-Curce. C’est ainsi qu’on nous accable d’histoires anciennes, sans choix <strong>et</strong> sans<br />
jugement ; on les lit à peu près avec le même esprit qu’elles ont été faites, <strong>et</strong> on ne se m<strong>et</strong><br />
dans la tête que <strong><strong>de</strong>s</strong> erreurs ».<br />
Vis-à-vis <strong><strong>de</strong>s</strong> Tartares, Pierre, selon lui, se trouve donc dans la même situation<br />
qu’Alexandre face aux Scythes. Ils sont l’un <strong>et</strong> l’autre <strong><strong>de</strong>s</strong> « grands hommes », qui<br />
éten<strong>de</strong>nt le domaine <strong>de</strong> la civilisation, en utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> moyens i<strong>de</strong>ntiques ou<br />
comparables (fondations <strong>de</strong> ville, extension du commerce), qui ont permis au<br />
premier d’« embellir les déserts », contre <strong><strong>de</strong>s</strong> peuples voués à transformer les pays<br />
fertiles en autant <strong>de</strong> déserts :<br />
« Les rhéteurs qui ont cru imiter Quinte-Curce se sont efforcés <strong>de</strong> nous faire regar<strong>de</strong>r ces<br />
sauvages du Caucase <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> déserts, affamés <strong>de</strong> rapine <strong>et</strong> <strong>de</strong> carnage, comme les hommes<br />
du mon<strong>de</strong> les plus justes ; <strong>et</strong> ils ont peint Alexandre, vengeur <strong>de</strong> la Grèce <strong>et</strong> vainqueur<br />
<strong>de</strong> celui qui voulait l’asservir, comme un brigand qui courait le mon<strong>de</strong> sans raison <strong>et</strong> sans<br />
justice. On ne songe pas que ces Tartares ne furent jamais que <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>tructeurs, <strong>et</strong><br />
6. Sur ce point, on a présenté en détail le beau livre <strong>de</strong> Rolando Minuti, Oriente barbarico e<br />
storiografia s<strong>et</strong>tecentesca, Venise, 1994.<br />
7. Voir par exemple ce qu’il écrit à propos <strong><strong>de</strong>s</strong> Gaulois <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Germains dans l’Avant-Propos<br />
<strong>de</strong> l’EM (« Ce que nous savons <strong><strong>de</strong>s</strong> Gaulois, par Jules César <strong>et</strong> par les autres auteurs romains,<br />
nous donne l’idée d’un peuple qui avait besoin d’être soumis par une nation éclairée »), en<br />
concluant : « Vous avez donc gran<strong>de</strong> raison <strong>de</strong> vouloir passer d’un coup aux nations qui ont été<br />
civilisées les premières ».<br />
8. Cf. La Mothe Le Vayer dès 1646. Dans la <strong>de</strong>uxième édition <strong>de</strong> son Examen critique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
anciens historiens d’Alexandre (1804), Sainte-Croix consacre un long passage au dis<strong>cours</strong> scythe ;<br />
il considère que Quinte-Curce « y a très bien suivi le style sentencieux <strong>et</strong> figuré <strong>de</strong> l’éloquence<br />
propre aux nations sauvages » ; suit un rapprochement (classique à c<strong>et</strong>te époque) avec le dis<strong>cours</strong><br />
d’un chef indien <strong>de</strong> la nation Oneida, qu’il a lu dans le Voyage dans la Haute-Pensylvanie <strong>de</strong><br />
Crèvecœur (1801).
588 PIERRE BRIANT<br />
qu’Alexandre bâtit <strong><strong>de</strong>s</strong> villes dans leur propre pays ; c’est en quoi j’oserais comparer Pierre<br />
le Grand à Alexandre : aussi actif, aussi ami <strong><strong>de</strong>s</strong> arts utiles, plus appliqué à la législation,<br />
il voulut changer comme lui le commerce du mon<strong>de</strong>, <strong>et</strong> bâtit ou répara autant <strong>de</strong> villes<br />
qu’Alexandre » (Histoire <strong>de</strong> Russie).<br />
La comparaison entre Alexandre <strong>et</strong> Pierre n’est pas propre à Voltaire. L’un <strong>et</strong><br />
l’autre « ont voulu changer le commerce du mon<strong>de</strong> », <strong>et</strong> Saint-P<strong>et</strong>ersbourg est<br />
rapprochée d’Alexandrie, comme dans l’Éloge funèbre du Csar (« le conquérant<br />
académicien ») prononcé par Fontenelle <strong>de</strong>vant l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences en<br />
novembre 1725 :<br />
« C<strong>et</strong>te Ville, à qui il avait donné la naissance <strong>et</strong> son nom, était pour lui ce qu’était<br />
Alexandrie pour Alexandre son fondateur, <strong>et</strong> comme Alexandrie, se trouva si heureusement<br />
située qu’elle changea la face du Commerce d’alors, <strong>et</strong> en <strong>de</strong>vint la capitale à la place <strong>de</strong><br />
Tir, <strong>de</strong> même P<strong>et</strong>ersbourg changerait les Routes d’aujourd’huy <strong>et</strong> <strong>de</strong>viendrait le centre<br />
d’un <strong><strong>de</strong>s</strong> plus grands Commerces <strong>de</strong> l’Univers ».<br />
Mais, chez Voltaire, au-<strong>de</strong>là <strong><strong>de</strong>s</strong> Scythes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Tartares, ce sont les Turcs dont<br />
il est question, car ceux-ci « étaient compris parmi ces Tartares que l’Antiquité<br />
nommait Scythes » (EM, chap. LIII). Voltaire a en eff<strong>et</strong> soutenu sans faillir Pierre<br />
puis Catherine dans leur lutte contre les Turcs. Le débat sur le « dis<strong>cours</strong> scythe »<br />
<strong>et</strong> sur Quinte-Curce est un élément <strong>de</strong> la polémique pro-russe <strong>et</strong> anti-turque <strong>de</strong><br />
Voltaire, qui fut parfois d’une extrême violence.<br />
On est revenu sur Mably <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa contestation <strong><strong>de</strong>s</strong> positions <strong>de</strong> Voltaire, y<br />
compris le rapprochement entre Alexandre <strong>et</strong> Pierre. Mably y recourt lui aussi,<br />
mais dans un sens opposé à celui que Voltaire a voulu lui donner. Après avoir mis<br />
fortement en doute dans ses Observations sur les Grecs (1749 <strong>et</strong> 1762) la vision<br />
développée par Montesquieu d’un Alexandre Législateur 9 , il fait <strong>de</strong> même <strong>de</strong><br />
l’image <strong>de</strong> Pierre chez Voltaire dans De l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’histoire (1783). La solidité <strong>de</strong><br />
l’œuvre <strong>de</strong> Pierre avait déjà été mise en doute par Rousseau dans le Contrat social<br />
(1762), contre lequel Voltaire avait polémiqué dans la Préface <strong>de</strong> l’Histoire <strong>de</strong><br />
Russie 10 . Mably y revient en 1783 :<br />
« Vous avez créé <strong><strong>de</strong>s</strong> matelots, <strong><strong>de</strong>s</strong> constructeurs, <strong><strong>de</strong>s</strong> soldats, <strong><strong>de</strong>s</strong> commerçants, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
artistes ; mais si vous ne leur avez pas d’abord appris à être citoyens, quel avantage durable<br />
la Russie r<strong>et</strong>irera-t-elle <strong>de</strong> vos <strong>travaux</strong>, <strong>de</strong> leurs connaissances <strong>et</strong> <strong>de</strong> vos talents ? Ce n’est<br />
point par ses chantiers, ses canaux <strong>et</strong> ses digues que la Hollan<strong>de</strong> est admirable, c’est par<br />
c<strong>et</strong> esprit qui l’a formée, c’est par les lois qui ont établi sa liberté ».<br />
Le rapprochement qui suit entre Pierre <strong>et</strong> Alexandre, vient redoubler la polémique<br />
menée par Mably contre Montesquieu :<br />
« Rien n’était impossible à Alexandre, <strong>et</strong> il aurait pu donner aux Perses même le goût <strong>de</strong><br />
la liberté, s’il eût été capable d’en concevoir le <strong><strong>de</strong>s</strong>sein. On peut reprocher au czar Pierre<br />
9. « Montesquieu, Mably <strong>et</strong> Alexandre le Grand », Revue Montesquieu 8, 2005-2006,<br />
p. 151-185.<br />
10. Sur la polémique entre Voltaire <strong>et</strong> Rousseau, c<strong>et</strong>te fois à propos d’Alexandre, voir L<strong>et</strong>tre à<br />
Frédéric <strong>de</strong> Prusse vers le 25 janvier 1774, <strong>et</strong> la réponse du roi en date du 16 février 1774.
HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE 589<br />
premier <strong>de</strong> n’avoir pas profité <strong>de</strong> ses succès <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses victoires pour établir un nouveau<br />
gouvernement dans son pays. C’est pour ne l’avoir pas du moins tenté, qu’il sera confondu<br />
avec les princes qui ont un règne glorieux ; mais il ne sera jamais placé au rang <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
législateurs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> bienfaiteurs <strong>de</strong> leur nation ».<br />
Pour terminer, on a explicité <strong>et</strong> analysé les vues <strong>de</strong> Voltaire sur les ruines <strong>de</strong><br />
Persépolis, <strong>et</strong> on les a évaluées <strong>et</strong> interprétées dans le contexte <strong><strong>de</strong>s</strong> récits <strong>de</strong><br />
voyageurs, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur l’histoire <strong>de</strong> la civilisation <strong>et</strong> sur l’histoire <strong>de</strong> l’art.<br />
Voltaire se place résolument du côté <strong>de</strong> ceux qui (<strong>de</strong> Pauw par exemple), comme<br />
Winckelmann, méprisent l’art <strong>de</strong> Persépolis, au motif qu’il n’y a <strong>de</strong> beauté qu’à<br />
Athènes <strong>et</strong> en Grèce (cf. par exemple EM, Introduction, chap. XXIV ; voir aussi<br />
Annuaire 2006-7, p. 621-622, à propos <strong>de</strong> Lingu<strong>et</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses vues sur l’art perse,<br />
largement empruntées à Voltaire). L’on a complété l’analyse par un exposé du<br />
débat né sur ce thème entre le comte <strong>de</strong> Caylus <strong>et</strong> le baron <strong>de</strong> Sainte-Croix.<br />
Séminaire<br />
Le Séminaire a eu lieu sous forme d’un Colloque international tenu au <strong>Collège</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>France</strong> les 9 <strong>et</strong> 10 novembre 2007 sur le suj<strong>et</strong> suivant : « Organisation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
pouvoirs <strong>et</strong> contacts culturels dans les pays <strong>de</strong> l’empire achéméni<strong>de</strong> ».<br />
Cours à l’étranger<br />
Oxford, 27-28 novembre 2007 : 1. From Darius to Alexan<strong>de</strong>r : some thoughts about<br />
continuity and change (Classics Centre); 2. Achaemenid Art and the Intern<strong>et</strong> (Maison française<br />
d’Oxford).<br />
Conférences <strong>et</strong> participations à <strong><strong>de</strong>s</strong> Colloques<br />
4 avril 2008, University of Brown (E.U.), communication : From the Indus Countries to<br />
the Mediterranean : Administration and Logistics on the High Roads of the Achaemenid Empire,<br />
dans le cadre du Colloque Highways and Road Systems : Comparative Perspectives (4-6 April<br />
2008).<br />
7 avril 2008, University of Brown (E.U.), conférences : 1. The Virtual and Interactive<br />
Achaemenid Museum; 2. Alexan<strong>de</strong>r and the irrigation-works in Babylonia and Elam.<br />
8 avril 2008, Oriental Institute, Chicago, conference : The current state of the achemen<strong>et</strong><br />
and MAVI programs.<br />
11 avril 2008, University of Tampa (Flori<strong>de</strong>), communication : Who Spoke to Whom ?<br />
Languages and Communication in the Achaemenid World and Alexan<strong>de</strong>r’s Empire, dans le<br />
cadre <strong>de</strong> l’Annual Me<strong>et</strong>ing of the Association of Ancient Historians (April 10-13).<br />
Publications du professeur<br />
« Alexandre ‘héros <strong><strong>de</strong>s</strong> Lumières’ », in : Cahiers parisiens, 3, 2007, p. 321-345.<br />
« De Thémistocle à Lamartine. Remarques sur les concessions <strong>de</strong> terres <strong>et</strong> <strong>de</strong> villages en<br />
Asie mineure occi<strong>de</strong>ntale, <strong>de</strong> l’époque achéméni<strong>de</strong> à l’époque ottomane », in : P. Brun (éd.),<br />
Scripta Anatolica. Hommages à Pierre Debord (Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> 18), Bor<strong>de</strong>aux-Paris, 2007,<br />
p. 165-191.
590 PIERRE BRIANT<br />
« Histoire du Siècle d’Alexandre <strong>de</strong> Lingu<strong>et</strong> », Annuaire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> 197, 2006-7,<br />
p. 613-634.<br />
« L’Art achéméni<strong>de</strong> », in : Le profane <strong>et</strong> le divin. L’art <strong>de</strong> l’Antiquité. Fleurons du musée<br />
Barbier-Mueller, Genève, 2008, p. 106-115.<br />
« Michael Rostovtzeff <strong>et</strong> le passage du mon<strong>de</strong> achéméni<strong>de</strong> au mon<strong>de</strong> hellénistique »,<br />
Studi Ellenistici XX, 2008, p. 137-154.<br />
« R<strong>et</strong>our sur Alexandre <strong>et</strong> les katarrraktes du Tigre. II (Suite <strong>et</strong> fin) », Studi Ellenistici XX,<br />
2008, p. 155-218.<br />
Pouvoir central <strong>et</strong> polycentrisme culturel dans l’empire achéméni<strong>de</strong>. (Recueil d’articles traduits<br />
en persan par Nahid Forughan), Téhéran, Éd. Akhtaran, 2008<br />
Travaux <strong><strong>de</strong>s</strong> collaborateurs<br />
M. Wouter Henkelman (maître <strong>de</strong> conférences associé 2006-8) a achevé la<br />
révision <strong>de</strong> sa thèse (Lei<strong>de</strong>n 2006), qui doit paraître en octobre 2008 dans la<br />
collection Achaemenid History (Lei<strong>de</strong>n). Il a également contribué à l’édition<br />
scientifique <strong><strong>de</strong>s</strong> Actes du Colloque 2006 sur les archives <strong>de</strong> Persépolis, sous-presse<br />
dans la Collection Persika. Il a pris part à diverses missions dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
programmes achemen<strong>et</strong> <strong>et</strong> MAVI, dont il est maintenant co-directeur éditorial aux<br />
côtés <strong>de</strong> M me Yannick Lintz (Musée du Louvre), sous la direction du professeur.<br />
Il a donné <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences à l’EPHE (sur la langue élamite <strong><strong>de</strong>s</strong> tabl<strong>et</strong>tes <strong>de</strong><br />
Persépolis) <strong>et</strong> présenté <strong><strong>de</strong>s</strong> communications lors du Colloque achéméni<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
novembre 2007, <strong>et</strong> lors d’un Colloque organisé par J.-M. Durand en mai 2008.<br />
Enfin, W. Henkelman a effectué plusieurs séjours <strong>de</strong> travail à l’Oriental Institute<br />
<strong>de</strong> Chicago, dans le cadre du programme <strong>de</strong> publication <strong><strong>de</strong>s</strong> tabl<strong>et</strong>tes <strong>de</strong><br />
Persépolis.<br />
M. José Paumard, maître <strong>de</strong> conférences en Génie informatique à Paris-XIII, est<br />
<strong>de</strong>puis septembre 2007 rattaché aux chaires <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs Briant <strong>et</strong> Scheid.<br />
Directeur technique <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes achemen<strong>et</strong> <strong>et</strong> MAVI, il a poursuivi activement<br />
le développement d’une nouvelle version (dénommée Open melodie) du software,<br />
qui perm<strong>et</strong>tra au programme MAVI (ou à tout autre) <strong>de</strong> gérer ses données internes<br />
<strong>de</strong> façon autonome. Le <strong>de</strong>uxième objectif est <strong>de</strong> publier c<strong>et</strong>te plateforme sous<br />
licence open-source, <strong>de</strong> façon à perm<strong>et</strong>tre à toute équipe souhaitant m<strong>et</strong>tre en<br />
ligne <strong><strong>de</strong>s</strong> données scientifiques <strong>de</strong> la complexité <strong>de</strong> celles du MAVI, <strong>de</strong> pouvoir<br />
utiliser gratuitement c<strong>et</strong>te plateforme, éventuellement <strong>de</strong> la faire évoluer, <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
compléter ses fonctionnalités. Open melodie est actuellement en bêta-test interne,<br />
la plateforme est capable d’enregistrer les données du MAVI <strong>et</strong> <strong>de</strong> les restituer<br />
<strong>de</strong>puis quelques mois. La <strong>de</strong>uxième phase consiste en le développement d’une<br />
interface en ligne pour le cœur du système, donnant accès à l’ensemble <strong>de</strong> ses<br />
fonctionnalités. L’objectif est <strong>de</strong> disposer d’une version fonctionnelle en<br />
décembre 2008, puis <strong>de</strong> la développer au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mois qui suivent. Par ailleurs,<br />
J. Paumard a établi une collaboration avec plusieurs chercheurs dans le cadre du<br />
programme Adonis du CNRS.
HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE 591<br />
Missions dans le cadre du MAVI<br />
P. Briant <strong>et</strong> W. Henkelman ont mené une mission à Berlin les 22-23 janvier<br />
2008. Ils y ont rencontré M. Sven Hansen, Directeur <strong>de</strong> l’Eurasien Abteilung du<br />
Deutsche Archäologisches Institut (DAI), <strong>et</strong> son équipe, afin <strong>de</strong> discuter d’une<br />
collaboration avec le MAVI (numérisation <strong>de</strong> plusieurs milliers <strong>de</strong> photos prises<br />
sur <strong><strong>de</strong>s</strong> sites iraniens). La mission a été redoublée le 9 juin, en compagnie <strong>de</strong> José<br />
Paumard <strong>et</strong> Salima Larabi. Un accord <strong>de</strong> collaboration a été conclu officiellement.<br />
Dans ce cadre, S. Larabi a mené une troisième mission <strong>de</strong> huit jours en juill<strong>et</strong> 2008 :<br />
elle a procédé à la numérisation <strong>de</strong> 1 300 photos, qui seront disposées sur la base<br />
du MAVI. Une <strong>de</strong>uxième mission sur place <strong>de</strong>vra être menée pour achever le<br />
travail <strong>de</strong> numérisation.<br />
Par ailleurs, P. Briant <strong>et</strong> W. Henkelman ont discuté à Bruxelles avec le Directeur<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Musées d’Art royaux (le 13 mai 2008), en vue d’une collaboration entre le<br />
Musée <strong>et</strong> le MAVI. Un accord a été conclu <strong>et</strong> il entrera en application<br />
prochainement. — Lors <strong>de</strong> missions menées indépendamment en avril <strong>et</strong> en juill<strong>et</strong><br />
2008, ils ont également eu <strong><strong>de</strong>s</strong> conversations avec le Directeur <strong>de</strong> l’Oriental<br />
Institute <strong>de</strong> Chicago (Gil Stein) <strong>et</strong> le Directeur du musée (Geoff Emberling) : le<br />
principe d’une collaboration est désormais acquis.<br />
Collection Persika<br />
Outre ses interventions <strong>et</strong> missions dans le cadre d’Achemen<strong>et</strong> (dont elle assure<br />
le Secrétariat éditorial) <strong>et</strong> du MAVI (voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus), Salima Larabi, assistante du<br />
professeur, a réalisé <strong>de</strong>ux nouveaux ouvrages :<br />
Jean Kellens, Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> avestiques <strong>et</strong> mazdéennes 2 (Persika 10), <strong>de</strong> Boccard, Paris, 2007.<br />
Pierfrancesco Callieri, L’archéologie du Fārs à l’époque hellénistique. Quatre leçons au<br />
<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 8, 15, 22 <strong>et</strong> 29 mars 2007 (Persika 11), <strong>de</strong> Boccard, Paris, 2007.
Épigraphie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> cités grecques<br />
M. Denis Knoepfler, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres), professeur<br />
Cours : Une cité au cœur du mon<strong>de</strong> méditerranéen antique.<br />
Érétrie <strong>et</strong> son territoire, histoire <strong>et</strong> institutions<br />
Séminaire : Lecture d’inscriptions eubéennes en rapport avec le <strong>cours</strong><br />
Trois ans durant (2005-2007), le professeur a entr<strong>et</strong>enu l’auditoire <strong>de</strong> ses<br />
recherches sur les cités béotiennes telles qu’elles apparaissent à travers le prisme <strong>de</strong><br />
la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong>de</strong> Pausanias au livre IX <strong>de</strong> la Périégèse <strong>et</strong> dans les inscriptions. En<br />
passant c<strong>et</strong>te année <strong>de</strong> la Béotie vers l’Eubée, il n’a pas changé <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>, tant c<strong>et</strong>te<br />
gran<strong>de</strong> île, longue <strong>de</strong> quelque 200 km, est proche <strong>de</strong> la Grèce continentale : dès<br />
l’Antiquité, elle y était même reliée par un pont sur l’Euripe, au passage le plus<br />
étroit du canal Euboïque. Ce n’est donc pas sans raison que le grand historien<br />
Éphore, au milieu du ive siècle avant J.-C., considérait l’Eubée comme un simple<br />
prolongement péninsulaire <strong>de</strong> la Béotie (voir Strabon, Géographie IX, 2, 2). Les<br />
contacts entre ces <strong>de</strong>ux pays ont été extrêmement étroits à toutes les époques. Il<br />
n’en reste pas moins vrai que, par rapport au pays béotien, même l’Eubée centrale<br />
constitue un espace distinct, tant du point <strong>de</strong> vue linguistique, culturel <strong>et</strong> religieux<br />
que, le plus souvent, politique.<br />
Prendre l’île d’Eubée pour obj<strong>et</strong> d’étu<strong>de</strong>, c’est donc être confronté à <strong><strong>de</strong>s</strong> sources<br />
littéraires <strong>et</strong> documentaires en partie différentes <strong>de</strong> celles qui ont été sollicitées<br />
pour la Béotie. Force est <strong>de</strong> prendre congé, en particulier, du gui<strong>de</strong> commo<strong>de</strong> <strong>et</strong><br />
fiable (le plus souvent) qu’est Pausanias, car c<strong>et</strong> auteur n’a pas laissé <strong>de</strong> chapitre<br />
eubéen, bien qu’il ait probablement eu l’ambition d’intégrer à sa Périégèse c<strong>et</strong>te île<br />
pour ainsi dire continentale, <strong>de</strong> même qu’il eut assurément le proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> traiter <strong>de</strong><br />
la Locri<strong>de</strong> Opontienne ou Orientale, après avoir achevé, au livre X, sa <strong><strong>de</strong>s</strong>cription<br />
<strong>de</strong> l’autre Locri<strong>de</strong>, celle <strong>de</strong> l’Ouest ; le chapitre eubéen ou Euboïkè syngraphè aurait<br />
ainsi pu former la matière d’un livre XI (selon un découpage qui ne remonte pas<br />
à l’auteur) où, par la région d’Oponte <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Thermopyles qui fait face au cap
594 DENIS KNOEPFLER<br />
Kénaion, le Pérégète aurait parcouru l’île dans toute sa longueur <strong>de</strong>puis l’extrémité<br />
nord-ouest, revenant en quelque sorte à son point <strong>de</strong> départ, puisque la région <strong>de</strong><br />
Carystos se trouve à une p<strong>et</strong>ite journée <strong>de</strong> navigation du cap Sounion, par quoi<br />
s’ouvre en eff<strong>et</strong> le livre I <strong>de</strong> la Périégèse. Telle est du moins l’opinion personnelle<br />
que le professeur croit pouvoir soutenir sur c<strong>et</strong>te question controversée. Mais à<br />
défaut <strong>de</strong> Pausanias, d’autres auteurs anciens — <strong><strong>de</strong>s</strong> plus prestigieux aux plus<br />
obscurs — fournissent <strong>de</strong> quoi éclairer le <strong><strong>de</strong>s</strong>tin <strong>de</strong> la cité d’Érétrie, qui a bénéficié<br />
à c<strong>et</strong> égard <strong>de</strong> sa proximité avec Athènes. Par ailleurs, une œuvre aussi tardive <strong>et</strong><br />
marginale (ou tenue pour telle) que Les vies <strong><strong>de</strong>s</strong> philosophes illustres <strong>de</strong> Diogène<br />
Laërce s’est avérée être une source capitale pour la phase hellénistique <strong>de</strong> l’histoire<br />
eubéenne par le biais <strong>de</strong> la biographie très bien informée que c<strong>et</strong> auteur du iii e siècle<br />
<strong>de</strong> notre ère a laissée du philosophe <strong>et</strong> homme d’État Ménédème d’Érétrie.<br />
Si c<strong>et</strong>te cité mérite, au sein <strong>de</strong> la tétrapole eubéenne, une attention particulière,<br />
ce n’est pas parce qu’elle n’aurait cessé d’occuper une position prépondérante par<br />
rapport aux trois autres gran<strong><strong>de</strong>s</strong> poleis <strong>de</strong> l’île. Certes, durant la pério<strong>de</strong> archaïque<br />
(vii e -vi e s.), elle est indiscutablement une <strong><strong>de</strong>s</strong> cités majeures <strong>de</strong> la Grèce propre.<br />
Mais les Érétriens furent parmi les peuples grecs les plus touchés par les guerres<br />
médiques (490-479), puis par la lour<strong>de</strong> domination athénienne ; le redressement<br />
<strong>de</strong> leur cité est spectaculaire à partir <strong>de</strong> 411, pas au point cependant qu’ils<br />
puissent prétendre exercer l’hégémonie sur l’ensemble <strong>de</strong> l’Eubée, où les <strong>de</strong>ux<br />
cités <strong>de</strong> Chalcis <strong>et</strong> d’Histiée, d’une taille comparable à celle d’Érétrie, connaissent<br />
également un notable essor, qui se maintient, en dépit <strong><strong>de</strong>s</strong> vicissitu<strong><strong>de</strong>s</strong>, pendant la<br />
plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> l’époque hellénistique <strong>et</strong> encore sous la domination <strong>de</strong><br />
Rome. Érétrie, elle, tend alors à se dépeupler <strong>et</strong> elle disparaîtra, <strong>de</strong> fait, à une date<br />
relativement précoce (vers le iv e s. <strong>de</strong> notre ère), tandis que ses <strong>de</strong>ux voisines<br />
immédiates, Carystos <strong>et</strong> surtout Chalcis, subsistent durant toute la pério<strong>de</strong><br />
médiévale <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne.<br />
Ce qui fait, objectivement, l’importance exceptionnelle d’Érétrie pour l’historien<br />
<strong>de</strong> l’Antiquité, c’est la qualité <strong>de</strong> la documentation qui s’y rapporte, tant sur le plan<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> sources littéraires que, surtout, au point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’épigraphie <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’archéologie.<br />
Le site d’Érétrie est, en eff<strong>et</strong>, le seul <strong>de</strong> l’Eubée qui ait fait l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> fouilles<br />
systématiques, d’abord au tournant du xix e <strong>et</strong> du xx e s., puis <strong>de</strong> 1964 à nos jours<br />
par une équipe d’archéologues suisses en collaboration avec le Service grec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Antiquités. Et si les investigations y ont été particulièrement fructueuses, cela est<br />
dû en partie au fait qu’elles ont eu pour cadre un site dépourvu <strong>de</strong> toute implantation<br />
byzantine ou ottomane <strong>et</strong> relativement épargné encore par l’expansion urbaine <strong>de</strong><br />
l’époque mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine. Parallèlement, la recherche sur l’histoire<br />
millénaire <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te cité a connu un notable développement, auquel le professeur a<br />
lui-même contribué par d’assez nombreux <strong>travaux</strong> <strong>de</strong>puis bientôt quarante ans. Le<br />
<strong>cours</strong> donné en 2008 a donc permis <strong>de</strong> présenter un état <strong><strong>de</strong>s</strong> lieux, qui, sans<br />
négliger les phases antérieures, privilégie l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> iv e <strong>et</strong> iii e s. avant J.-C.,<br />
époque d’apogée pour la cité, comme en témoigne la gran<strong>de</strong> majorité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
inscriptions, tant publiques que privées. Signalons ici qu’un aperçu synthétique du
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 595<br />
site <strong>et</strong> <strong>de</strong> son histoire figure dans l’ouvrage collectif édité par l’École suisse<br />
d’archéologie en Grèce en 2004, Érétrie. Gui<strong>de</strong> <strong>de</strong> la cité antique. À la même date<br />
paraissait le livre <strong>de</strong> Keith G. Walker, Archaic Er<strong>et</strong>ria, dont les vues audacieuses,<br />
trop souvent étayées <strong>de</strong> manière insuffisante, voire erronée, ont été critiquées à<br />
diverses reprises.<br />
Réflexions préliminaires sur la phase archaïque <strong>de</strong> l’histoire d’Érétrie<br />
C’est en eff<strong>et</strong> aux débuts obscurs <strong>de</strong> la ville, puis <strong>de</strong> la cité en tant qu’État que<br />
le professeur a consacré ses premières leçons. Le problème <strong>de</strong> la fondation ne<br />
saurait, bien sûr, être traité en vase clos, en <strong>de</strong>hors du phénomène très complexe,<br />
<strong>de</strong> la naissance <strong>de</strong> la polis grecque, obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> nombreuses étu<strong><strong>de</strong>s</strong> récentes 1 ; d’autant<br />
moins que, précisément, la connaissance que l’on a pu acquérir <strong><strong>de</strong>s</strong> commencements<br />
d’Érétrie sert souvent, aujourd’hui, <strong>de</strong> référence, sinon <strong>de</strong> modèle, à <strong><strong>de</strong>s</strong> tentatives<br />
plus générales d’explication <strong>de</strong> la « poléogénèse ». Ce qui semble désormais établi<br />
en l’occurrence, c’est que la ville appelée Er<strong>et</strong>ria n’est pas extrêmement ancienne.<br />
L’absence presque totale <strong>de</strong> mythe <strong>de</strong> fondation <strong>et</strong> plus généralement <strong>de</strong> passé<br />
héroïque autour d’une dynastie royale était déjà, dans les sources littéraires, un<br />
indice allant n<strong>et</strong>tement en ce sens. De fait, on cherchera en vain le toponyme<br />
Er<strong>et</strong>ria sur la « carte du tragique » (pour reprendre le titre d’un livre <strong>de</strong> A. Bernand<br />
publié en 1985), c’est-à-dire dans le répertoire <strong>de</strong> la tragédie attique du ve s. :<br />
quelle différence avec Thèbes, sans parler d’Argos ! Ce qui est remarquable, ce n’est<br />
donc pas que le nom Er<strong>et</strong>ria fasse son apparition seulement dans le Catalogue <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Vaisseaux au chant II <strong>de</strong> l’Ilia<strong>de</strong> — pièce rapportée qui ne saurait, en tout état <strong>de</strong><br />
cause, être antérieure au viie s. —, c’est bien plutôt le fait qu’aucun texte même<br />
plus tardif ne suggère une origine plus ancienne que l’époque d’Homère. Mais cela<br />
ne préjuge évi<strong>de</strong>mment pas <strong>de</strong> la date, qui pourrait être sensiblement plus haute,<br />
à laquelle s’est formée la communauté désignée, à partir du viiie s., par l’<strong>et</strong>hnique<br />
Er<strong>et</strong>rieis. L’exploration archéologique est venue confirmer c<strong>et</strong>te induction, puisque<br />
la fouille extensive n’a livré aucun vestige significatif remontant à l’époque dite<br />
mycénienne, c’est-à-dire aux xv-xiie s. avant notre ère. Cela ne signifie assurément<br />
pas que le site soit resté totalement vierge jusque vers 750, date <strong>de</strong> l’émergence du<br />
premier habitat, réparti en <strong>de</strong> nombreux secteurs du site, qu’il s’agisse d’espaces<br />
sacrés, publics ( ?), domestiques <strong>et</strong>/ou funéraires. Mais il est désormais certain qu’il<br />
n’y a pas <strong>de</strong> ville, ni même <strong>de</strong> bourga<strong>de</strong> à c<strong>et</strong> emplacement avant l’époque désignée<br />
sous le nom <strong>de</strong> « géométrique » (ixe-viiie s.).<br />
La question qui se pose est donc <strong>de</strong> savoir pour quelles raisons ce site doté à<br />
première vue <strong>de</strong> maints avantages naturels, avec son port protégé par une presqu’île,<br />
son espace constructible <strong>de</strong> bonne étendue entre le rivage <strong>et</strong> une colline rocheuse<br />
culminant à un peu plus <strong>de</strong> 100 m, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> possibilités <strong>de</strong> défense autour <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />
1. Voir par exemple D. Novaro, dans Ktema 2007, <strong>et</strong> pour Érétrie en particulier, Cl. Bérard<br />
dans Technai, Paris 2007 = Mètis n.s. 5, 2007, p. 393 sqq. ; plus généralement A. Schnapp-<br />
Gourbeillon, Aux origines <strong>de</strong> la Grèce, Paris 2002.
596 DENIS KNOEPFLER<br />
cita<strong>de</strong>lle (qui valut à la ville la même épithète que Corinthe avec l’Acrocorinthe,<br />
soit ophruoessa, « sourcilleuse », accolée au nom d’Érétrie dans l’épopée tardive 2 ).<br />
Mais c<strong>et</strong>te impression est trompeuse, car au début du I er millénaire encore, la zone<br />
<strong>de</strong> la future ville, on le sait désormais, n’était en réalité qu’un <strong>de</strong>lta en formation,<br />
d’où aussi la dispersion <strong>de</strong> l’habitat primitif. Il ne semble pas y avoir une fondation<br />
stricto sensu, avec délimitation d’un espace urbain <strong>et</strong> implantation d’une ligne <strong>de</strong><br />
défense : <strong>de</strong> fait, contrairement à ce que l’on a pu croire (ainsi encore Walker), il<br />
n’y a pas d’enceinte urbaine, ni non plus acropolitaine à Érétrie avant la fin <strong>de</strong><br />
l’époque dite archaïque, c’est-à-dire le milieu du vi e s. au plus tôt 3 . L’absence d’un<br />
véritable port naturel — puisqu’au viii e s. encore la presqu’île orientale reste un<br />
îlot — n’enlevait certes pas au site tout intérêt sur le plan <strong><strong>de</strong>s</strong> relations maritimes.<br />
Située exactement en face <strong>de</strong> la baie d’Oropos (la mo<strong>de</strong>rne Skala Oropou), la ville<br />
d’Érétrie se trouve placée à un endroit <strong>de</strong> passage <strong><strong>de</strong>s</strong> plus favorables, puisque pour<br />
un navire longeant la côte septentrionale <strong>de</strong> l’Attique, la baie d’Oropos est la<br />
première à offrir un mouillage ; c’est surtout le point d’arrivée d’une route terrestre<br />
fort importante qui, au départ d’Athènes, contourne le massif du Parnès, <strong>et</strong> perm<strong>et</strong><br />
ensuite d’atteindre l’Eubée par voie <strong>de</strong> mer (sur ces <strong>de</strong>ux routes, les réflexions <strong>de</strong><br />
Thucydi<strong>de</strong>, VII 28,1 sont fondamentales). En fait c’est l’existence <strong>de</strong> ce passage<br />
qui a conditionné, négativement ou positivement, toute l’histoire d’Érétrie, ville<br />
qu’on pourrait qualifier <strong>de</strong> « porthmique » (du mot porthmos, « traversée maritime »),<br />
comme d’autres cités commerçantes — ainsi Corinthe ou Chalcis — sont<br />
« isthmiques », maîtresses d’un isthmos naturel ou artificiel.<br />
L’importance <strong>de</strong> ce facteur géographique dans le choix du site est confirmée par<br />
les fouilles menées en ces <strong>de</strong>rnières années à l’ouest <strong>de</strong> l’actuelle Skala Oropou,<br />
d’abord en un endroit caractérisé par un habitat dont les niveaux les plus anciens<br />
paraissent remonter à l’époque « protogéométrique » (x e s.), puis, à 0,5 km <strong>de</strong> là<br />
environ vers l’ouest, une nouvelle implantation très remarquable datant, elle, du<br />
milieu du viii e s., soit <strong>de</strong> l’époque même <strong>de</strong> ce qu’il est convenu d’appeler la<br />
fondation d’Érétrie. Comme l’a vu le fouilleur, le professeur Alexandros Mazarakis<br />
Ainian 4 , ce nouvel établissement continental, à vocation clairement artisanale,<br />
doit nécessairement être mis en relation avec la première phase <strong>de</strong> l’histoire<br />
érétrienne. De fait, on doit avoir affaire au site <strong>de</strong> Graia, localité mentionnée dans<br />
le Catalogue homérique parmi les villes béotiennes, mais disparue ensuite sans<br />
laisser d’autres traces que littéraires chez Aristote <strong>et</strong> Strabon, qui la situaient près<br />
d’Oropos ; le grammairien Stéphane <strong>de</strong> Byzance, <strong>de</strong> son côté, parle <strong>de</strong> Γραiα πoλις<br />
’Ερετρiας, expression bizarre en grec, mais qui <strong>de</strong>vient parfaitement intelligible si<br />
l’on fait <strong>de</strong> Er<strong>et</strong>rias l’adjectif féminin ’Ερετριaς, désormais bien attesté dans les<br />
2. Chez Nonnos <strong>de</strong> Panopolis, Dionysiaques, livre XIII au vers 199 : cf. D. Knoepfler, Ant.<br />
Kunst 12, 1969, p. 82 sqq.<br />
3. Ant. Kunst 51, 2004, p. 91 sq,, en particulier 94-95 ; cf. Gui<strong>de</strong> <strong>de</strong> la cité antique, p. 27.<br />
4. Voir notamment sa communication dans les actes du colloque <strong>de</strong> Naples en 1998 (Euboica)<br />
ou, plus récemment, <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Volo sur la Thessalie <strong>et</strong> la Grèce Centrale (2006).
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 597<br />
inscriptions. C<strong>et</strong>te ville <strong>de</strong> Graia était dite « érétrienne », car il s’agissait d’un<br />
comptoir fondé par les insulaires, ce qu’atteste du reste explicitement un fragment<br />
<strong>de</strong> l’historien local Nikokratès qualifiant Oropos <strong>de</strong> « fondation <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens »<br />
(ktisma Erétriéôn) ; <strong>et</strong> le professeur a rappelé que, selon lui, le nom même d’Oropos<br />
s’explique comme une variante dialectale d’origine érétrienne <strong>de</strong> l’hydronyme<br />
Asopos, fleuve béotien dont l’embouchure est toute voisine <strong>de</strong> ces établissements<br />
archaïques. Oropos est ainsi à placer dans le même contexte historique que celui<br />
qui vit les Eubéens <strong>de</strong> Chalcis <strong>et</strong> d’Érétrie fon<strong>de</strong>r <strong><strong>de</strong>s</strong> « colonies » (apoikiai) en<br />
Occi<strong>de</strong>nt (Sicile <strong>et</strong> Campanie) <strong>et</strong> dans le nord <strong>de</strong> l’Égée (golfe Thermaïque <strong>et</strong><br />
péninsule Chalcidique). On a montré aussi qu’un lien étroit existait entre ces divers<br />
théâtres d’opération, comme le suggérait déjà, chez Plutarque, l’épiso<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Érétriens à Corcyre <strong>et</strong> à Méthone (Quaest. Gr. 11 ; Mor. 293A.), dont la datation<br />
dans la secon<strong>de</strong> moitié du viii e s. est désormais corroborée par <strong><strong>de</strong>s</strong> fouilles exécutées<br />
à Méthone même.<br />
Reste évi<strong>de</strong>mment la question <strong>de</strong> savoir quelle était l’origine <strong><strong>de</strong>s</strong> gens qui vinrent<br />
occuper le site d’Érétrie. On ne peut certes exclure l’arrivée d’éléments étrangers à<br />
l’Eubée, à commencer par l’Attique toute proche puisque une tradition faisait venir<br />
d’Athènes les fondateurs <strong>de</strong> Chalcis <strong>et</strong> d’Érétrie (chose dont il existe un écho<br />
— longtemps méconnu — dans les sources documentaires : voir Bull. épigr. 2008,<br />
n° 267). Néanmoins, la plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> la population paraît avoir été <strong>de</strong><br />
souche locale, à en juger par l’uniformité <strong>de</strong> la céramique « géométrique » à travers<br />
toute l’Eubée centrale. Depuis longtemps, la conjecture a été faite que les premiers<br />
Érétriens pourraient avoir eu pour rési<strong>de</strong>nce le site archéologique <strong>de</strong> Lefkandi à<br />
10 km à l’ouest d’Érétrie, qui, <strong>de</strong> fait, après une phase très brillante à l’époque<br />
proto-géométrique encore, fut progressivement déserté à partir <strong>de</strong> 750, sans doute<br />
au profit d’un endroit plus aisé à défendre. C<strong>et</strong>te hypothèse ne manque pas <strong>de</strong><br />
séduction, mais on a fait voir qu’elle repose sur <strong><strong>de</strong>s</strong> bases en réalité assez fragiles.<br />
En tout cas, il est totalement abusif d’alléguer en sa faveur la distinction faite à<br />
<strong>de</strong>ux reprises par Strabon (IX 2, 1 <strong>et</strong> X 1, 10) entre une ancienne ville (Παλαιà<br />
Èρbτρια) <strong>et</strong> la ville actuelle (â νäν Èρbτρια) puisque, selon le Géographe, l’ancienne<br />
aurait été détruite en 490 seulement <strong>et</strong> aurait été située dans la direction opposée.<br />
La tradition strabonienne comporterait, par conséquent, une double erreur, à la<br />
fois chronologique <strong>et</strong> topographique, ce qui suffit à rendre bien douteuse c<strong>et</strong>te<br />
théorie 5 . Le temps paraît donc venu d’y renoncer.<br />
Quelle qu’ait été l’importance <strong>de</strong> Lefkandi (dont le nom antique n’est pas connu<br />
avec certitu<strong>de</strong>, l’i<strong>de</strong>ntification au bourg chalcidien d’Argoura, proposée naguère<br />
par le professeur, restant toujours la plus probable à ses yeux), un autre site<br />
protohistorique doit être pris en considération, qui a aujourd’hui les meilleures<br />
chances d’avoir été la véritable « capitale » <strong><strong>de</strong>s</strong> futurs Érétriens : c’est, à une dizaine<br />
5. Elle n’en continue pas moins à avoir d’assez nombreux a<strong>de</strong>ptes : ainsi V. Parker, Der<br />
lelantische Krieg, 1997, ou Walker dans sa récente synthèse érétrienne.
598 DENIS KNOEPFLER<br />
Plan du site archéologique d’Érétrie
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 599<br />
Carte du territoire d’Érétrie dans l’Antiquité<br />
<strong>de</strong> km à l’est, la colline <strong>de</strong> Paléoekklisiès — plus connue désormais sous le nom<br />
antique d’Amarynthos — au pied <strong>de</strong> laquelle se trouvait très certainement le<br />
sanctuaire d’Artémis Amarysia (longtemps cherché, mais à tort, à proximité<br />
immédiate <strong><strong>de</strong>s</strong> remparts d’Érétrie, sur la base d’un texte <strong>de</strong> Strabon dont on a<br />
montré dès 1988 qu’une fois corrigé <strong>de</strong> manière très légère il vient en réalité<br />
corroborer une i<strong>de</strong>ntification d’Amarynthos à Paléoekklisiès). Les fouilles entamées<br />
là, à l’instigation du professeur, par l’École suisse d’archéologie en Grèce ont<br />
confirmé l’ancienn<strong>et</strong>é en même temps que la permanence <strong>de</strong> l’occupation <strong><strong>de</strong>s</strong>
600 DENIS KNOEPFLER<br />
lieux. C<strong>et</strong>te haute antiquité résultait déjà du caractère préhellénique du toponyme<br />
Amarynthos, chose qui, au surplus, a été confirmée encore par l’apparition <strong>de</strong> ce<br />
nom même dans les archives mycéniennes <strong>de</strong> la Cadmée <strong>de</strong> Thèbes, sous la forme<br />
A-ma-ru-to-<strong>de</strong> (adverbe <strong>de</strong> lieu-direction signifiant « vers Amarynthos »). On ne<br />
saurait donc plus douter qu’Amarynthos ait été, dans la secon<strong>de</strong> moitié du<br />
II e millénaire avant J.-C., une sorte <strong>de</strong> capitale régionale.<br />
Plus tard, dans un contexte politique profondément différent, il y eut déplacement<br />
du centre <strong>de</strong> gravité : la population <strong>de</strong> la plaine côtière vint s’installer sur le site<br />
plus aisément défendable d’Érétrie, sans abandonner pour autant le vieux bourg<br />
d’Amarynthos, qui <strong>de</strong>vait conserver tout son prestige sur le plan religieux. Ce<br />
changement <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce eut nécessairement <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences à la fois sur le trafic<br />
entre l’île <strong>et</strong> le point le plus proche du continent — d’où l’émergence du comptoir<br />
d’Oropos (appelé encore Graia à c<strong>et</strong>te date) — <strong>et</strong> sur les relations, très rapi<strong>de</strong>ment<br />
conflictuelles, <strong><strong>de</strong>s</strong> habitants <strong>de</strong> la ville nouvelle avec les cultivateurs <strong>et</strong> éleveurs <strong>de</strong><br />
la riche plaine lélantine ; d’où, à terme, l’abandon du site <strong>de</strong> Lefkandi, sans doute<br />
au profit <strong>de</strong> Chalcis. Même si l’enchaînement <strong><strong>de</strong>s</strong> faits ne peut pas être reconstitué,<br />
il y a là l’origine probable <strong>de</strong> la longue dispute entre les <strong>de</strong>ux cités voisines désormais<br />
en plein essor. Conflit aussi célèbre qu’obscur, à vrai dire, que c<strong>et</strong>te guerre<br />
« lélantine » (comme l’appellent les mo<strong>de</strong>rnes), sur laquelle on ne s’est arrêté que<br />
le temps d’en définir le cadre le plus vraisemblable. La première chose à noter est<br />
que la victoire ne fut chalcidienne que dans la mesure où la cité <strong>de</strong> l’Euripe parvint<br />
à conserver la possession <strong>de</strong> toute la plaine, y compris sa partie orientale, au-<strong>de</strong>là<br />
du fleuve Lélas ou Lélantos (comme on peut le déduire <strong>de</strong> la localisation du bourg<br />
chalcidien d’Argoura au voisinage <strong>de</strong> Lefkandi). D’autre part, une lecture critique<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux sources principales, Hérodote (V 99, 1) <strong>et</strong> Thucydi<strong>de</strong> (I 15, 3), impose<br />
<strong>de</strong> dater la phase panhellénique du conflit <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> l’époque archaïque seulement,<br />
vers 600-580 : il ne s’agit donc pas, à proprement parler, d’une guerre liée à la<br />
colonisation, du moins pas pour Chalcis <strong>et</strong> Érétrie elles-mêmes. Car il faut rapporter<br />
à ce conflit international — malgré les objections exprimées récemment à l’encontre<br />
d’une brillante suggestion faite en 1967 par J. <strong>et</strong> L. Robert — l’allusion qui est<br />
faite à un mégas polémos dans une longue épigramme <strong>de</strong> Mil<strong>et</strong> gravée vers 200 avant<br />
J.-C. sur un tombeau commun ou polyandreion, évoquant par ailleurs l’activité<br />
coloniale <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te cité dans le Pont-Euxin <strong>et</strong> faisant mention <strong><strong>de</strong>s</strong> gens <strong>de</strong> Mégare<br />
en tant qu’adversaires <strong><strong>de</strong>s</strong> Milésiens (P. Herrmann, Inschr. von Mil<strong>et</strong> VI 2, 732). Il<br />
paraît certain en eff<strong>et</strong> que Mégare fut mêlée, comme Corinthe, à la guerre<br />
« lélantine » quand Mil<strong>et</strong> prit le parti d’Érétrie <strong>et</strong> Samos celui <strong>de</strong> Chalcis. Or,<br />
l’alliance <strong>de</strong> Corinthe <strong>et</strong> <strong>de</strong> Samos, attestée pour l’extrême fin du viii e s. par<br />
Thucydi<strong>de</strong>, n’implique nullement que, plus d’un siècle après, les tyrans <strong>de</strong> Corinthe<br />
soient restés dans l’orbite chalcido-samienne. Vers 580, par conséquent, Mégare<br />
— éternelle rivale <strong>de</strong> Corinthe — a fort bien pu être dans le camp <strong><strong>de</strong>s</strong> adversaires<br />
<strong>de</strong> Mil<strong>et</strong>, d’autant plus que Mégariens <strong>et</strong> Milésiens se trouvaient alors en concurrence<br />
dans la Proponti<strong>de</strong> <strong>et</strong> le Pont-Euxin ; or, tel est justement le contexte indiqué par
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 601<br />
l’épigramme 6 . Le fait que les Thessaliens aient participé à c<strong>et</strong>te guerre aux côtés<br />
<strong>de</strong> Chalcis (Plutarque, Erot. 17) est un argument supplémentaire en faveur d’une<br />
datation basse, puisque c’est seulement au début du vi e siècle que se constitue un<br />
État thessalien très actif en Grèce centrale <strong>et</strong> dans l’Amphictionie pyléo-<strong>de</strong>lphique,<br />
avec du reste un débouché sur le golfe Euboïque en Mali<strong>de</strong> 7 . Ce conflit ayant pu<br />
se développer sur plusieurs théâtres d’opération, il est loisible d’y rattacher divers<br />
épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> guerriers que nous font connaître d’autres sources littéraires ou<br />
documentaires : ainsi, d’après l’historien Konon (résumé dans la Bibliothèque <strong>de</strong><br />
Photoius, 186, 44), une guerre livrée par les Milésiens en Eubée même contre les<br />
gens <strong>de</strong> Carystos, cité toute voisine <strong>et</strong> donc a priori rivale d’Érétrie, chose que paraît<br />
confirmer un papyrus d’Oxyrhinchos (n° 2508) contenant les bribes d’un poème<br />
élégiaque qui fait mention côte à côte, dans un contexte militaire, <strong><strong>de</strong>s</strong> Carystiens<br />
<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens (Erétriéôn chôron). La guerre « lélantine » n’a pu, en revanche, se<br />
prolonger après la conquête <strong>de</strong> l’Ionie par les Perses à partir du milieu du vi e s.<br />
Oligarchie <strong><strong>de</strong>s</strong> hippeis <strong>et</strong> « tyrannie » <strong>de</strong> Diagoras<br />
À c<strong>et</strong>te date, du reste Chalcis <strong>et</strong> Érétrie se trouvaient également à l’aube <strong>de</strong> grands<br />
changements politiques. Jusque-là, en eff<strong>et</strong>, le pouvoir y avait été exercé par les<br />
membres d’une aristocratie équestre, les Hippobotai ou « éleveurs <strong>de</strong> chevaux ».<br />
C’est sous leur domination, comme le relève Strabon en citant un ouvrage perdu<br />
d’Aristote, que Chalcis <strong>et</strong> Érétrie avaient fondé notamment leurs colonies <strong>de</strong><br />
Chalcidique : « lorsque prévalait le régime politique dit <strong><strong>de</strong>s</strong> Hippobotes » (X 1, 8 C<br />
447 : hé tôn Hippobotôn kalouménè politieia), qui était <strong>de</strong> caractère n<strong>et</strong>tement<br />
censitaire (apo timèmatôn) pour l’accès aux magistratures. De fait, l’auteur <strong>de</strong> la<br />
Politique, établit un lien explicite entre gouvernement oligarchique <strong>et</strong> élevage <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
chevaux, hippotrophia, avec une cavalerie dont le rôle était « autrefois » — donc<br />
bien avant le iv e siècle — prédominant dans la conduite <strong>de</strong> la guerre chez les<br />
Érétriens <strong>et</strong> les Chalcidiens notamment (Pol. IV 1289b 35 : oion Er<strong>et</strong>rieis,<br />
Khaliki<strong>de</strong>is, <strong>et</strong>c.). Il ressort d’autre part d’Hérodote V 99 (cf. aussi Aristote,<br />
Athénaiôn Politieia, XV 2-3) que l’oligarchie <strong><strong>de</strong>s</strong> hippeis était encore au pouvoir à<br />
Érétrie à l’époque du r<strong>et</strong>our à Athènes du tyran Pisistrate, vers 545, puisque celui-ci<br />
put visiblement compter sur leur appui pour mener à bien ses affaires en Thrace,<br />
dans une zone dès alors colonisée par les Érétriens (établissement <strong>de</strong> Rhaikélos 8<br />
non loin <strong>de</strong> Méthone <strong>et</strong> <strong>de</strong> la future Dikaia). Les jours <strong>de</strong> ce régime n’en étaient pas<br />
moins comptés, car c’est encore avant la fin du vi e s. qu’il faut placer son<br />
renversement par un certain Diagoras, dont Aristote est ici encore pratiquement<br />
6. De fait, comme le suggère un jeune historien roumain, M. Adrian Robu, dans une thèse<br />
tout récemment soutenue sur la colonisation mégarienne, il paraît y avoir eu rivalité aiguë entre<br />
ces <strong>de</strong>ux cités lors <strong>de</strong> la fondation d’Héraclée Pontique vers 560-550.<br />
7. Voir B. Helly, L’État thessalien ; cf. Bull. épigr. 1995, 308.<br />
8. Localisation : cf. M. Zarhnt, Olynth, p. 218, qui m<strong>et</strong> ce comptoir au cap Karabournou,<br />
dans le territoire d’Aineia ; D. Viviers, JHS 197, 1987, p. 193-193, « Peissitratos’ Establishment<br />
on the Thermaic Gulf : a connection with Er<strong>et</strong>rian colonization ? ».
602 DENIS KNOEPFLER<br />
seul à faire mention (V 6, 1306a). La cause <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te katalysis (« dissolution ») aurait<br />
été un mariage, ce qui ne surprend guère quand on sait le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> alliances<br />
matrimoniales dans la société aristocratique <strong>et</strong> « tyrannique » grecque : <strong>de</strong>ux<br />
exemples m<strong>et</strong>tant précisément en scène un Érétrien, Lysanias, ou une Érétrienne,<br />
Koisyra, ont pu être évoqués, qui montrent combien c<strong>et</strong>te aristocratie terrienne était<br />
liée, directement ou indirectement, à celle d’Athènes. En témoigne du reste un p<strong>et</strong>it<br />
document parmi les inscriptions archaïques d’Érétrie, l’épitaphe fort remarquable <strong>et</strong><br />
souvent commentée (encore récemment) d’un certain « Chairiôn d’Athènes,<br />
appartenant aux Eupatri<strong><strong>de</strong>s</strong> », Eupatridôn (IG I 3 , 1516 ; cf. Bull. épigr. 2006, 213).<br />
Mais à quel moment situer le coup d’État <strong>de</strong> Diagoras ? On le saurait sans doute<br />
mieux si l’on possédait encore la « Constitution <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens » (Erétriôn Politieia)<br />
produite vers 330 par l’École d’Aristote ; mais seules <strong>de</strong> rares citations en ont été<br />
conservées, dont une concerne justement ce Diagoras : en route pour Sparte, le<br />
personnage serait décédé à Corinthe, ce qui amena les Érétriens à lui élever une<br />
« statue-portrait », eikôn (Héracli<strong>de</strong> Lembos = FHG II 217). À défaut d’indice<br />
chronologique précis, on a longtemps été tenté <strong>de</strong> placer c<strong>et</strong>te révolution<br />
« démocratique » le plus tard possible, vers 508, dans le sillage <strong>de</strong> l’instauration <strong>de</strong> la<br />
démocratie à Athènes par Clisthène, dont Diagoras aurait été l’émule. Mais à c<strong>et</strong>te<br />
datation basse on a préféré généralement la chronologie plus haute préconisée par Fr.<br />
Geyer (Topographie und Geschichte <strong>de</strong>r Insel Euboia, 1906), qui situe la chose entre<br />
540 <strong>et</strong> 510, puisque les Pisistrati<strong><strong>de</strong>s</strong>, chassés d’Athènes en 510, ne purent<br />
apparemment plus bénéficier <strong>de</strong> l’appui <strong><strong>de</strong>s</strong> hippeis d’Érétrie. C<strong>et</strong>te conclusion paraît<br />
effectivement raisonnable, <strong>et</strong> elle est adoptée maintenant par Walker (Archaic<br />
Er<strong>et</strong>ria), qui a toutefois cru pouvoir faire un très audacieux pas supplémentaire en<br />
adm<strong>et</strong>tant que ces trois décennies correspondaient à la durée effective du « règne »<br />
<strong>de</strong> Diagoras, dont la tyrannie aurait été ainsi plus longue que celle <strong>de</strong> Pisistrate ou <strong>de</strong><br />
Périandre ! Hypothèse bien invraisemblable. En revanche, il apparaît <strong>de</strong> plus en plus<br />
clairement, au vu <strong>de</strong> plusieurs <strong>travaux</strong> récents sur les débuts <strong>de</strong> la démocratie grecque<br />
— même si ceux-ci ignorent superbement l’exemple érétrien pourtant tout voisin<br />
d’Athènes 9 — que nulle part ne s’observe un passage direct <strong>de</strong> l’oligarchie à la<br />
démocratie : quand une phase <strong>de</strong> transition, <strong>de</strong> caractère « démagogique », n’est pas<br />
expressément attestée, il faut pratiquement dans tous les cas en supposer l’existence.<br />
Force serait donc <strong>de</strong> voir en Diagoras un « bon tyran » à la manière <strong>de</strong> Pisistrate<br />
(comme le fait Walker avec décision) ou au moins une espèce <strong>de</strong> Solon érétrien,<br />
maintenant l’équilibre entre les prérogatives <strong><strong>de</strong>s</strong> anciens oligarques <strong>et</strong> les nouvelles<br />
aspirations populaires. Cela expliquerait qu’il ait pu ou dû, à un certain moment,<br />
quitter sa patrie <strong>et</strong> qu’il ait été honoré post mortem par une statue (honneur si<br />
considérable pour l’époque archaïque qu’on pourrait y voir un anachronisme,<br />
puisque Solon lui-même ne paraît pas y avoir eu droit, les premières statues<br />
9. Ainsi E. W. Robinson, The First Democracies, Stuttgart 1997, ou plus récemment encore,<br />
Claudia <strong>de</strong> Oliveira Gomes, La cité tyrannique. Histoire politique <strong>de</strong> la Grèce archaïque, paru à<br />
Rennes en 2007.
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 603<br />
honorifiques à Athènes étant celles <strong><strong>de</strong>s</strong> tyrannoctones Harmodios <strong>et</strong> Aristogiton peu<br />
après 508). Diagoras d’Érétrie se distingue néanmoins sur un point fondamental<br />
d’un législateur comme Solon : c’est précisément par le fait qu’il est l’auteur d’un<br />
acte révolutionnaire qui m<strong>et</strong> fin au régime ancestral, à la patrios politeia, provoquant<br />
ainsi une rupture dans l’histoire <strong>de</strong> la cité. On est ainsi acculé à penser que si Diagoras<br />
a pu renverser les hippeis soli<strong>de</strong>ment installés au pouvoir <strong>de</strong>puis <strong><strong>de</strong>s</strong> générations, c’est<br />
qu’il eut bel <strong>et</strong> bien le pouvoir d’un tyran, chose qui avait été pressentie par certains<br />
historiens mo<strong>de</strong>rnes 10 . De fait, n’aurait-il pas été bien étonnant que l’Érétrie<br />
archaïque eût échappé à c<strong>et</strong>te forme <strong>de</strong> pouvoir, quand pratiquement toutes les<br />
gran<strong><strong>de</strong>s</strong> cités — y compris sa voisine Chalcis (cf. Aristote, Pol. V 12, 1316a 22) —<br />
connaissait une pério<strong>de</strong> plus ou moins prolongée <strong>de</strong> tyrannie ? D’autres tyrans ont,<br />
du reste, pu exister dans c<strong>et</strong>te cité, dont le nom même n’est pas connu ou n’apparaît<br />
qu’inci<strong>de</strong>mment (celui <strong>de</strong> Lysanias, par exemple, grand personnage allié aux tyrans<br />
<strong>de</strong> Sicyone). En conclusion, il paraît probable que Diagoras fut à Érétrie l’homme<br />
qui sut saisir l’occasion <strong>de</strong> débarrasser sa cité d’un régime obsolète en s’appuyant<br />
d’abord sur une faction d’aristocrates mécontents, puis sur l’élément populaire, cela<br />
à un moment où les fils <strong>de</strong> Pisistrate connaissaient, vers 514, leurs premiers revers. Il<br />
dut avoir la sagesse <strong>de</strong> ne pas s’accrocher au pouvoir lorsque se produisit à Athènes la<br />
révolution <strong>de</strong> Clisthène. Ainsi rendrait-on compte au mieux <strong>de</strong> ce que le personnage<br />
ait été gran<strong>de</strong>ment honoré par ses compatriotes : en votant une statue à ce<br />
« dissoluteur » <strong>de</strong> l’oligarchie <strong><strong>de</strong>s</strong> hippeis, amis <strong><strong>de</strong>s</strong> tyrans athéniens, le peuple<br />
d’Érétrie n’aurait fait, en somme, qu’inaugurer ce culte <strong><strong>de</strong>s</strong> libérateurs qui apparaissait<br />
aux yeux d’un Cicéron encore (voir son Pro Milone) comme une pratique<br />
typiquement hellénique. Ce qui est certain — quoi qu’on en ait dit encore récemment<br />
(ainsi Walker) — c’est que le plus ancien document attestant l’existence à Érétrie du<br />
régime démocratique (IG XII Suppl. 549 ; cf. Décr<strong>et</strong>s érétriens n° I) ne saurait être<br />
antérieur à 500 <strong>et</strong> doit même être sensiblement postérieur à c<strong>et</strong>te date (cela a pu être<br />
démontré en séminaire).<br />
Une cité dans la tourmente <strong><strong>de</strong>s</strong> guerres médiques :<br />
les Érétriens en expédition à Chypre <strong>et</strong> en déportation à Ar<strong>de</strong>rrika <strong>de</strong> Susiane<br />
Ce n’est donc, en fin <strong>de</strong> compte, que bien peu d’années avant le début du conflit<br />
avec l’Empire perse qu’Érétrie dut entrer en « isonomie », sans doute au sortir d’un<br />
bref intermè<strong>de</strong> <strong>de</strong> tyrannie populaire : c<strong>et</strong>te réforme constitutionnelle pourrait<br />
<strong>de</strong>voir être mise en relation plus ou moins directe avec la mainmise <strong><strong>de</strong>s</strong> Athéniens<br />
sur les terres <strong><strong>de</strong>s</strong> « hippobotes » chalcidiens (Hérodote V 77 ; cf. Bull. épigr.<br />
2008, 236), avec l’ai<strong>de</strong> au moins passive <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens. Or, c’est précisément en<br />
506 que la Chronique d’Eusèbe, dans sa liste <strong><strong>de</strong>s</strong> « thalassocraties », fait commencer<br />
la pério<strong>de</strong> où Érétrie aurait été la principale puissance navale. En 490, à l’heure <strong>de</strong><br />
10. Ainsi déjà Busolt-Swoboda, Griechische Staatskun<strong>de</strong>, Munich 1926 ; cf. surtout H. Berve,<br />
Griechische Tyrannis, Darmstadt 1967.
604 DENIS KNOEPFLER<br />
l’attaque perse, le régime <strong><strong>de</strong>s</strong> hippeis appartenait en tout cas au passé <strong>de</strong> la cité. Dès<br />
499 les Érétriens s’étaient engagés aux côtés <strong><strong>de</strong>s</strong> Athéniens dans le soulèvement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
cités <strong>de</strong> l’Ionie contre le Grand Roi. On a fait valoir les raisons <strong>de</strong> penser que leur<br />
engagement fut plus considérable qu’on ne le croit, ce qui explique la rigueur du<br />
châtiment qu’ils eurent à subir. Déjà le témoignage d’Hérodote est révélateur,<br />
puisqu’il en ressort que c’est pour ai<strong>de</strong>r les gens <strong>de</strong> Mil<strong>et</strong>, en vertu d’une ancienne<br />
alliance, <strong>et</strong> non point par crainte <strong>de</strong> leurs désormais puissants voisins d’Athènes,<br />
qu’ils furent pratiquement les seuls Grecs continentaux à venir au se<strong>cours</strong> <strong>de</strong> leurs<br />
frères d’Ionie (V 99). On a noté au passage que si les autres Eubéens s’abstinrent,<br />
c’est qu’ils n’avaient pas ou plus <strong>de</strong> flotte à c<strong>et</strong>te date, tandis que les Érétriens<br />
disposaient certainement d’au moins vingt navires, qui leur perm<strong>et</strong>taient <strong>de</strong><br />
contrôler le trafic maritime dans tout le canal euboïque (au témoignage d’une<br />
célèbre inscription archaïque 11 ) ; c<strong>et</strong>te orientation vers les choses <strong>de</strong> la mer<br />
transparaît en d’autres documents érétriens : ainsi, à la fin du v e s. encore, la belle<br />
dédicace d’un collège <strong>de</strong> « marins éternels », Aeinautai 12 (le mot lui-même était<br />
déjà attesté une fois, pour Mil<strong>et</strong> — chose notable — par un texte <strong>de</strong> Plutarque,<br />
Quaest. Gr. 32). Malgré la faiblesse <strong>de</strong> leurs effectifs (quelques centaines d’hommes<br />
transportés sur cinq vaisseaux), les Érétriens s’illustrèrent durant l’expédition contre<br />
Sar<strong><strong>de</strong>s</strong>, capitale régionale <strong>de</strong> l’Empire perse, puisque leur chef, l’athlète Eualkidas,<br />
perdit la vie en combattant, ce qui lui valut d’être chanté par le poète Simoni<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> Kéos dans une épigramme malheureusement perdue. Hérodote n’a pas méconnu<br />
ce haut fait, même si Plutarque, dans son traité Sur la Malignité d’Hérodote, accuse<br />
le grand historien d’avoir passé sous silence leur principal exploit, dont c<strong>et</strong> auteur<br />
dit avoir trouvé la mention dans les Er<strong>et</strong>ri(a)ka d’un certain Lysanias <strong>de</strong> Mallos<br />
(FGHist 426 F) : à savoir leur participation à une expédition navale <strong><strong>de</strong>s</strong>tinée à<br />
repousser la flotte perse, par quoi ils avaient contribué à la victoire <strong><strong>de</strong>s</strong> forces<br />
ioniennes sur les Chypriotes au large <strong>de</strong> la Pamphylie. Ce texte tardif a été le plus<br />
souvent rej<strong>et</strong>é ou ignoré, sous prétexte qu’il contient une évi<strong>de</strong>nte erreur<br />
chronologique (l’expédition vers Chypre ayant eu lieu après <strong>et</strong> non point avant la<br />
marche contre Sar<strong><strong>de</strong>s</strong>) ; mais il est aisé <strong>de</strong> la rectifier sans comprom<strong>et</strong>tre l’information<br />
<strong>de</strong> base, <strong>de</strong> même qu’on doit, <strong>de</strong> toute nécessité, amen<strong>de</strong>r le texte pour faire du<br />
complément bκ Κuπρου non pas la patrie <strong><strong>de</strong>s</strong> adversaires <strong><strong>de</strong>s</strong> Grecs en c<strong>et</strong>te bataille<br />
navale (les Chypriotes ayant été d’emblée les alliés <strong><strong>de</strong>s</strong> Ioniens), mais le simple<br />
point <strong>de</strong> départ <strong>de</strong> la flotte perse en marche contre l’Ionie. D’autre part <strong>et</strong> surtout,<br />
on a négligé un témoignage numismatique d’un grand intérêt, fourni dès 1935 par<br />
un trésor monétaire trouvé fortuitement à Larnaka 13 (l’ancienne Kition), qui avait<br />
fait connaître, entre autres émissions chypriotes <strong><strong>de</strong>s</strong> alentours <strong>de</strong> 500, celle d’un<br />
atelier inconnu, dont le type <strong>de</strong> droit est certes assez commun (gueule <strong>de</strong> lion),<br />
alors que celui du revers, infiniment plus rare, imite très fidèlement l’octapo<strong>de</strong> ou<br />
11. Reprise en <strong>de</strong>rnier lieu chez H. Van Effenterre-F. Ruzé, Recueil d’inscriptions politiques <strong>et</strong><br />
juridiques <strong>de</strong> l’archaïsme grec, 1, n° 91.<br />
12. SEG XXXIV 898. Cf. Walker, p. 127, qui la date comme toujours beaucoup trop haut.<br />
13. P. Dikaios <strong>et</strong> S. Robinson Num. Chron. 1935, p. 165-190 (cf. 1937) = IGCH n° 1272.
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 605<br />
poulpe <strong><strong>de</strong>s</strong> monnaies frappées à Érétrie (avec, au droit, une vache se r<strong>et</strong>ournant<br />
pour lécher son sabot, ce bovidé, bous, étant en quelque sorte l’emblème <strong>de</strong> l’Eubée<br />
riche en bovins, euboia). Une telle convergence ne saurait être fortuite, pas plus<br />
qu’est due au hasard la présence <strong><strong>de</strong>s</strong> types érétriens dans le monnayage <strong>de</strong> Dikaia,<br />
colonie d’Érétrie sur la côte thrace. C’est donc la preuve qu’un roi chypriote, au<br />
moment <strong>de</strong> l’expédition <strong>de</strong> 499, voulut marquer ainsi son alliance avec les Érétriens<br />
venus à son se<strong>cours</strong>. Tout récemment, un nouveau trésor est venu non seulement<br />
confirmer que ces monnaies circulaient avec celles d’Érétrie même (comme l’avait<br />
fait voir dès 1978 le célèbre trésor d’Asyut en Égypte) mais apporter, grâce à un<br />
exemplaire <strong>de</strong> grand module — aujourd’hui au Cabin<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Médailles <strong>de</strong> Paris<br />
— le nom du souverain qui les avait émises, soit (en syllabaire local), A-ri-si-to-pato,<br />
c’est-à-dire Aristophantos 14 . Si l’éditrice, la numismate suisse S. Hurter, a bien<br />
compris l’intérêt historique <strong>de</strong> ce trésor, le témoignage <strong>de</strong> Plutarque lui a échappé<br />
(comme à tous ses <strong>de</strong>vanciers), qui seul perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> comprendre la raison d’être <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
émissions du roi Aristophantos, dont on situera la capitale sur la côte nord <strong>de</strong> l’île,<br />
peut-être à Marion ou mieux à Soloi, dans la baie même où se livra la bataille<br />
navale, en face <strong>de</strong> la Pamphylie. Quant à la cité <strong>de</strong> Mallos, patrie <strong>de</strong> l’historien<br />
Lysanias, elle se trouve en face <strong>de</strong> la pointe orientale <strong>de</strong> Chypre, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te proximité<br />
géographique pourrait bien être à l’origine <strong>de</strong> l’intérêt qu’un citoyen d’une ville<br />
cilicienne fut amené à porter à l’histoire d’Érétrie.<br />
Mais <strong>de</strong> c<strong>et</strong> auteur on n’a rien conservé d’autre. L’essentiel <strong>de</strong> ce que l’on sait sur<br />
les péripéties <strong>de</strong> la cité pendant la première guerre médique (490) vient d’Hérodote<br />
qui, ayant vécu temporairement à Athènes, <strong>de</strong>vait être bien informé sur la gran<strong>de</strong> île<br />
voisine. Son récit <strong>de</strong> l’expédition punitive envoyée par Darius contre les Athéniens <strong>et</strong><br />
les Érétriens témoigne en tout cas <strong>de</strong> sa connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> réalités topographiques (VI<br />
100-101). Après un premier débarquement à Carystos, les Perses se rapprochèrent le<br />
plus possible <strong>de</strong> la ville d’Érétrie par voie <strong>de</strong> mer, ne laissant pas aux habitants le<br />
moyen <strong>de</strong> livrer bataille dans <strong>de</strong> bonnes conditions, ce qui explique assez pourquoi,<br />
obligés <strong>de</strong> s’enfermer dans leurs murs, ils ne purent résister bien longtemps <strong>et</strong> furent<br />
victimes d’une trahison, alors que les Athéniens, eux, eurent le temps <strong>de</strong> se porter<br />
contre l’ennemi débarqué à Marathon, évitant ainsi <strong>de</strong> voir <strong><strong>de</strong>s</strong> traîtres ouvrir aux<br />
Perses les portes <strong>de</strong> la ville. En eff<strong>et</strong>, contrairement à ce que donnent à penser la<br />
plupart les éditeurs <strong>et</strong> traducteurs, le premier <strong><strong>de</strong>s</strong> trois bourgs érétriens mentionnés<br />
par Hérodote dans ce contexte ne s’appelait pas Tamynai : ce nom résulte d’une<br />
correction érudite au xviii e s., qui aurait dû être abandonnée <strong>de</strong>puis longtemps, car<br />
on sait aujourd’hui que Tamynai était non pas une localité côtière (près d’Aliveri)<br />
mais une bourga<strong>de</strong> située à l’intérieur <strong><strong>de</strong>s</strong> terres (près d’Avlonari), à une bonne<br />
vingtaine <strong>de</strong> km au nord-est <strong>de</strong> la ville. En réalité, le nom authentique, dans les<br />
manuscrits, est Téménos, qu’il faut chercher sur le littoral s’étendant d’Érétrie à<br />
Amarynthos, exactement comme les <strong>de</strong>ux autres localités (Aigilea/Aigalè <strong>et</strong><br />
14. S. Hurter, Qua<strong>de</strong>rni Ticinesi 2006, p. 54-56 ; pour l’inscription cf. aussi M. Eg<strong>et</strong>meyer,<br />
Kadmos 46, 2007 (2008).
606 DENIS KNOEPFLER<br />
Choiriéai 15 ). C’est donc à une faible distance <strong>de</strong> la ville que les Perses débarquèrent,<br />
ce qui eut à la fois un eff<strong>et</strong> positif <strong>et</strong> un eff<strong>et</strong> négatif pour le peuple <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens : si<br />
la ville elle-même fut, au moins partiellement, livrée au flamme — l’étendue <strong>de</strong> la<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>truction est l’obj<strong>et</strong> d’une vive discussion entre archéologues (notamment sur le<br />
point <strong>de</strong> savoir dans quelle mesure fut détruit le temple d’Apollon Daphnéphoros,<br />
achevé une quinzaine d’années plus tôt) — <strong>et</strong> si la population urbaine eut à l’évi<strong>de</strong>nce<br />
beaucoup à souffrir <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te attaque, bon nombre <strong>de</strong> citoyens vivant à la campagne<br />
put, en revanche, échapper à la vindicte <strong><strong>de</strong>s</strong> Perses, quoi qu’ait prétendu la tradition<br />
historiographique en <strong>de</strong>hors d’Hérodote.<br />
Dès une époque relativement ancienne, en eff<strong>et</strong>, la tendance a été <strong>de</strong> dramatiser<br />
à l’extrême la prise d’Érétrie, qui aurait abouti, d’une part, à l’anéantissement <strong>de</strong><br />
la ville (<strong><strong>de</strong>s</strong>truction si totale que son site en ruine aurait encore été visible, sous le<br />
nom <strong>de</strong> Palaia Er<strong>et</strong>ria, <strong><strong>de</strong>s</strong> siècles après l’événement selon Strabon) <strong>et</strong>, d’autre part,<br />
à la capture <strong>de</strong> toute la population par l’application <strong>de</strong> la tactique dite <strong>de</strong> la « prise<br />
au fil<strong>et</strong> » (sagèneia), décrite, il est vrai, par Hérodote lui-même (III 149 <strong>et</strong> surtout<br />
VI 32), mais en d’autres circonstances. En fait, le récit <strong>de</strong> l’historien <strong><strong>de</strong>s</strong> guerres<br />
médiques prouve que le chiffre <strong><strong>de</strong>s</strong> prisonniers fut relativement mo<strong><strong>de</strong>s</strong>te, puisque<br />
ces malheureux purent être tous parqués, quelques jours durant, dans un îlot<br />
extrêmement exigu <strong>de</strong> la ra<strong>de</strong> <strong>de</strong> Styra, non loin <strong>de</strong> la baie <strong>de</strong> Marathon. Pour un<br />
territoire aussi vaste que l’était dès alors l’Érétria<strong>de</strong>, la métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> la sagèneia était<br />
clairement inapplicable. Ce n’est pas sans étonnement, dès lors, que l’on constate<br />
l’adoption <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te version chez les auteurs <strong>de</strong> l’époque impériale (Secon<strong>de</strong><br />
sophistique). Mais ce succès s’explique bien, en réalité, puisque, dès le début du<br />
iv e s. avant J.-C., Platon lui-même s’en fit le garant dans le Ménéxène (40 B-C)<br />
d’abord à travers le dis<strong>cours</strong> patriotique <strong>de</strong> Socrate — censé reproduire un logos<br />
épitaphios d’Aspasie, maîtresse <strong>de</strong> Périclès — puis dans les Lois (III 698 C-D), sous<br />
une forme certes un peu atténuée, comme une rumeur propagée par les Perses<br />
eux-mêmes <strong>et</strong> non nécessairement avérée. Ces <strong>de</strong>ux passages convergents prouvent<br />
donc qu’il existait à Athènes une tradition bien accréditée selon laquelle aucun<br />
Érétrien n’avait échappé à la captivité, sinon à la mort. Si les Athéniens étaient<br />
attachés à c<strong>et</strong>te version, au mépris <strong>de</strong> celle, bien plus crédible, d’Hérodote, c’est<br />
que le malheur même <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens donnait un relief accru au courage <strong>et</strong> à la valeur<br />
militaire <strong><strong>de</strong>s</strong> fils d’Athènes face à un tel adversaire. Il s’agit donc bien d’un dis<strong>cours</strong><br />
idéologique, dont la portée historique est assez faible. On peut adm<strong>et</strong>tre cependant<br />
qu’il reposait en <strong>de</strong>rnière analyse sur une tradition remontant peut-être à Hellanicos<br />
<strong>de</strong> Lesbos, auteur d’une histoire <strong>de</strong> l’Attique déjà connue <strong>de</strong> Thucydi<strong>de</strong> 16 .<br />
Ce qui est sûr, c’est qu’un certain nombre d’Érétriens furent effectivement<br />
emmenés en captivité jusque à Suse, rési<strong>de</strong>nce du roi Darius : le récit d’Hérodote<br />
15. Pour la situation <strong><strong>de</strong>s</strong>quelles voir D. Knoepfler, Décr<strong>et</strong>s érétriens, 2001, p. 103 sqq.<br />
16. Mais on signalera que pour M. Moggi, Studi Classici e Orientali 17, 1986, p. 213 sq.,<br />
Platon n’a pas eu d’autre source qu’Hérodote.
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 607<br />
en porte témoignage, qui précise que ces prisonniers — après un très long voyage<br />
— furent installés à une quarantaine <strong>de</strong> km <strong>de</strong> la capitale <strong>de</strong> l’Empire, à Ar<strong>de</strong>rrika,<br />
à proximité — relève l’historien (VI 119) — d’un « puits extraordinaire » fournissant<br />
trois produits différents : « car on y puise du bitume (asphaltos), du sel (hals) <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
l’huile (élaion) » : nul doute, comme cela a été reconnu <strong>de</strong> longue date, que ces<br />
déportés se trouvèrent ainsi placés dans les parages d’un puits <strong>de</strong> pétrole, le premier<br />
qui soit attesté dans l’histoire <strong>de</strong> l’humanité ! Mais sa localisation dans la région<br />
<strong>de</strong> Dizful (peut-être à Kir-Ab, nom signifiant du reste « Eau bitumineuse »)<br />
<strong>de</strong>meure d’autant plus problématique qu’on est là dans une zone bouleversée par<br />
l’exploitation industrielle du précieux liqui<strong>de</strong> <strong>et</strong> peut-être par les récents<br />
affrontements entre l’Iran <strong>et</strong> l’Irak. Si Hérodote n’a pas nécessairement décrit c<strong>et</strong><br />
endroit <strong>de</strong> visu, il put visiblement recueillir <strong>de</strong> la bouche d’un témoin oculaire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
informations sur les Érétriens d’Ar<strong>de</strong>rrika, puisqu’il les décrit comme parlant<br />
toujours, à l’époque où lui-même écrivait (mekhri emeou), leur ancienne langue<br />
(tèn archaian glôssan), c’est-à-dire leur parler d’origine 17 . Mais quel fut après c<strong>et</strong>te<br />
date, à situer vers 440, le sort <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens d’Ar<strong>de</strong>rrika ?<br />
Si Xénophon, chose normale du reste, ne les mentionne pas dans son Anabase,<br />
on a pu montrer que le souvenir d’une population grecque installée au cœur <strong>de</strong><br />
l’Empire perse subsistait chez les historiens d’Alexandre (ainsi Quinte-Curce<br />
comme aussi Diodore) <strong>et</strong> d’abord, bien sûr, dans les sources contemporaines<br />
(perdues), non sans confusion parfois sur leur origine <strong>et</strong>hnique ou sur le lieu <strong>de</strong><br />
leur déportation. De ces témoignages se dégage l’impression que vers la fin du<br />
iv e s. c<strong>et</strong>te population d’ores <strong>et</strong> déjà bilingue (diglôssos) n’était plus très éloignée<br />
<strong>de</strong> perdre définitivement son i<strong>de</strong>ntité ; car si Strabon, à l’extrême fin <strong>de</strong> l’époque<br />
hellénistique, évoque encore ces Érétriens établis en Gordyène (XVII 1, 24), cela<br />
ne prouve évi<strong>de</strong>mment pas qu’ils existaient toujours à l’époque d’Auguste. On est<br />
d’autant plus surpris d’apprendre que le village <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens aurait encore été<br />
visité, au milieu du i er siècle <strong>de</strong> notre ère, par le philosophe, prédicateur <strong>et</strong><br />
thaumaturge Apollonios <strong>de</strong> Tyane au <strong>cours</strong> du long voyage qu’il aurait fait jusqu’en<br />
In<strong>de</strong>. Le personnage est certainement historique, mais sa biographie, qui nous est<br />
connue essentiellement par la Vie d’Apollonios du sophiste Philostrate, au début du<br />
iii e siècle ap. J.-C., comporte un nombre élevé d’épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> entièrement fictifs. Dans<br />
un mémoire en préparation <strong>de</strong>puis longtemps, le professeur montre que tel est bien<br />
le caractère <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te prétendue visite, qui fourmille d’invraisemblances <strong>et</strong><br />
d’anachronismes. Mais ce long excursus sur la situation <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens, leurs activités<br />
professionnelles, leur état <strong>de</strong> santé, leurs monuments funéraires <strong>et</strong> honorifiques<br />
(pour les rois <strong><strong>de</strong>s</strong> Perses, <strong>de</strong> Darius le Grand à Daridaios, alias Dareiaios ou<br />
Darius II, mort en 404) remonte manifestement à un témoin oculaire beaucoup<br />
plus ancien. Sur la base d’indices remarquablement convergents, on peut i<strong>de</strong>ntifier<br />
sûrement ce témoin au mé<strong>de</strong>cin Ctésias <strong>de</strong> Cni<strong>de</strong>, qui séjourna à la cour <strong>de</strong> Suse<br />
aux alentours <strong>de</strong> 400 avant J.-C. Dès lors, c<strong>et</strong> extrait <strong>de</strong> la romanesque Vie<br />
17. Pour le sens <strong>de</strong> archaios/palaios chez Hdt. voir Edm. Lévy, Ktéma 2007, avec c<strong>et</strong> exemple.
608 DENIS KNOEPFLER<br />
d’Apollonios <strong>de</strong>vra être considéré, pour son noyau essentiel, comme un « fragment »<br />
supplémentaire, jusqu’ici méconnu, <strong><strong>de</strong>s</strong> Persika <strong>de</strong> Ctésias (ouvrage récemment<br />
édité dans la Collection <strong><strong>de</strong>s</strong> Universités <strong>de</strong> <strong>France</strong> par les soins <strong>de</strong> D. Lenfant),<br />
d’un grand intérêt pour la biographie du personnage, puisque du chiffre 88 indiqué<br />
par Philostrate pour le nombre d’années pendant lequel les Érétriens continuèrent<br />
à faire usage <strong>de</strong> l’écriture il <strong>de</strong>vient possible d’inférer que le passage <strong>de</strong> Ctésias à<br />
Ar<strong>de</strong>rrika (probablement lors d’un déplacement <strong>de</strong> Suse à Ecbatane en compagnie<br />
<strong>de</strong> son royal patient Artaxerxès II) eut lieu exactement en 402 av. J.-C., fournissant<br />
ainsi la preuve définitive que Ctésias était à la cour <strong><strong>de</strong>s</strong> Achéméni<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>puis 404<br />
au moins. À l’extrême fin du v e s., les <strong><strong>de</strong>s</strong>cendants <strong><strong>de</strong>s</strong> prisonniers <strong>de</strong> 490 non<br />
seulement parlaient toujours le grec, mais ils l’écrivaient encore, utilisant pour cela,<br />
selon toute vraisemblance, le vieil alphab<strong>et</strong> eubéen « épichorique », alors qu’à<br />
Érétrie même celui-ci était justement en passe <strong>de</strong> sortir complètement <strong>de</strong> l’usage,<br />
comme l’atteste en particulier un célèbre décr<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’année 411. On a fait voir aux<br />
auditeurs, par plusieurs exemples examinés en séminaire, ce qui différencie les<br />
inscriptions érétriennes traditionnelles <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments gravés selon le nouvel<br />
alphab<strong>et</strong>, dit attico-ionien.<br />
« La Cité <strong>de</strong> Ménédème » (IV e -III e siècles avant J.-C.)<br />
On résumera ici plus succinctement la partie du <strong>cours</strong> qui a été consacrée à<br />
l’histoire <strong>de</strong> la cité après la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> domination athénienne (446-411). En eff<strong>et</strong>,<br />
la libération d’Érétrie à l’automne 411 ouvre une pério<strong>de</strong> qui a fait l’obj<strong>et</strong>, <strong>de</strong> la<br />
part du professeur, d’assez nombreuses étu<strong><strong>de</strong>s</strong> — <strong>travaux</strong> auxquels il est aisé <strong>de</strong><br />
renvoyer le lecteur curieux d’en savoir davantage ou <strong>de</strong> mesurer la complexité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
problèmes — <strong>et</strong> qui, surtout, doit être présentée <strong>de</strong> manière synthétique dans un<br />
ouvrage en préparation, <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné à paraître sous le titre <strong>de</strong> La cité <strong>de</strong> Ménédème.<br />
L’époque qui mérite pleinement l’appellation <strong>de</strong> « siècle <strong>de</strong> Ménédème », du nom<br />
du plus célèbre <strong><strong>de</strong>s</strong> citoyens d’Érétrie, est sensiblement plus courte, il est vrai, ne<br />
s’étendant guère que <strong>de</strong> la fin du iv e s. au milieu du iii e s., plus précisément <strong>de</strong> la<br />
guerre appelée lamiaque (323-322) à celle dite <strong>de</strong> Chrémonidès (268/7-261/1),<br />
toutes <strong>de</strong>ux en relation avec l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> cités dans leurs rapports avec la monarchie<br />
macédonienne. Mais l’auteur est convaincu que c<strong>et</strong>te courte pério<strong>de</strong> d’autonomie<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> prospérité relatives pour les Érétriens forme en réalité un tout, sur le plan<br />
institutionnel <strong>et</strong> social, avec ce qui précè<strong>de</strong> comme avec ce qui suit immédiatement.<br />
Car c’est précisément l’expansion consécutive à l’année 411 qui donne à l’État<br />
érétrien la forme <strong>et</strong> les structures qu’il conservera intactes, autant qu’on en puisse<br />
juger, jusqu’à la fin <strong>de</strong> la domination macédonienne au moins. De fait, c’est une<br />
nouvelle pério<strong>de</strong> qui s’ouvre avec la mainmise romaine sur la Grèce, quelle que soit<br />
la date précise qu’il faille arrêter dans le cas d’Érétrie <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Eubée : 198, 194 ou<br />
191, voire seulement 167 ou 146. Il y a donc bien une « Cité <strong>de</strong> Ménédème » qui<br />
se m<strong>et</strong> en place dès le début du iv e s. <strong>et</strong> qui subsiste pour l’essentiel, en dépit d’une<br />
longue série <strong>de</strong> vicissitu<strong><strong>de</strong>s</strong>, jusqu’à l’extrême fin du iii e s. au moins.
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 609<br />
Dans c<strong>et</strong>te longue tranche d’histoire, les questions qui ont été proposées à<br />
l’attention <strong>et</strong> à la critique <strong><strong>de</strong>s</strong> auditeurs ont été principalement les suivantes :<br />
I. L’arrière-plan politique <strong>de</strong> la libération <strong>de</strong> la cité, suite à la défaite <strong><strong>de</strong>s</strong> oligarques<br />
athéniens <strong>de</strong>vant le port d’Érétrie en 411. On a montré que le récit <strong>de</strong> Thucydi<strong>de</strong><br />
(VIII 95) contenait une indication dont l’importance avait totalement échappé<br />
jusqu’ici aux commentateurs. En eff<strong>et</strong>, si les Athéniens ont pu croire qu’ils avaient<br />
affaire à une cité « amie », ce n’est point par naïv<strong>et</strong>é ou aveuglement : c’est parce<br />
que les Érétriens avaient adopté précé<strong>de</strong>mment le régime oligarchique prôné par<br />
les Quatre-Cents à Athènes ; Thucydi<strong>de</strong> l’a expressément signalé pour d’autres cités<br />
comme Thasos ; s’il a omis <strong>de</strong> le dire pour Érétrie, c’est faute d’avoir eu le loisir<br />
<strong>de</strong> revoir ce livre VIII, clairement inachevé. Ainsi s’explique également qu’il ait<br />
utilisé le terme <strong>de</strong> épiteichisma (à ne pas corriger en teichisma avec la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
éditeurs) pour désigner le fort où quelques Athéniens purent se réfugier à l’issue<br />
<strong>de</strong> la bataille navale ; car ce fort situé probablement sur la presqu’île <strong>de</strong> Pezonisi,<br />
à la sortie du port, <strong>de</strong>meura en mains athéniennes même après la perte <strong>de</strong> l’Eubée,<br />
comme en témoigne indirectement le compte <strong><strong>de</strong>s</strong> Hellénotames <strong>de</strong> l’année 409<br />
(conservé au Louvre) : <strong>de</strong>puis 411 <strong>et</strong> jusqu’en 405, époque où Thucydi<strong>de</strong> rédigeait<br />
ce livre VIII, l’ancien teichisma était donc <strong>de</strong>venu un épiteichisma, un fort installé<br />
en territoire ennemi, ce qu’il n’était à l’évi<strong>de</strong>nce pas lors <strong>de</strong> la bataille <strong>de</strong> 411 : c’est<br />
un autre indice d’inachèvement <strong>de</strong> la rédaction.<br />
On s’est <strong>de</strong>mandé d’autre part, en séance <strong>de</strong> séminaire, si les historiens mo<strong>de</strong>rnes<br />
étaient fondés à m<strong>et</strong>tre en relation avec c<strong>et</strong>te bataille l’épigramme qui surmontait,<br />
au témoignage <strong>de</strong> Pausanaias (I 29, 13), un grand monument du Dèmosion Sèma<br />
athénien. Il est apparu que c<strong>et</strong>te opinion conduisait à une impasse <strong>et</strong> que le texte<br />
en question n’avait rien à voir avec les événements <strong><strong>de</strong>s</strong> années 413-411 (gran<strong>de</strong><br />
expédition <strong>de</strong> Sicile <strong>et</strong> campagnes subséquentes) mais qu’il <strong>de</strong>vait être rapporté à<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> péripéties militaires diverses survenues en l’an 424. On a contesté également<br />
que <strong>de</strong>ux fragments d’une liste — dont un tout récemment publié (cf. Bull. épigr.<br />
2005, 24) — d’Athéniens morts à la guerre, soient les restes du tombeau public<br />
évoqué (certainement <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> main) par Pausanias : jusqu’ici, par conséquent,<br />
aucun vestige assuré ne paraît subsister du monument élevé pour les Athéniens<br />
morts à Érétrie en 411.<br />
II. Érétrie dans les affres <strong>de</strong> la guerre civile. La nouvelle loi contre la tyrannie.<br />
À la lumière <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te importante inscription, publiée en 2002-2003 par les soins du<br />
professeur, il importait <strong>de</strong> reconsidérer une phase particulièrement troublée <strong>de</strong><br />
l’histoire <strong>de</strong> la cité, entre 366 (date où la tyrannie fait son apparition pour Érétrie<br />
dans les sources littéraires), <strong>et</strong> 341 (époque où le tyran Kleitarchos fut abattu manu<br />
militari au terme d’une expédition menée par Athènes dans le but <strong>de</strong> libérer l’Eubée<br />
<strong>de</strong> l’emprise du roi Philippe <strong>de</strong> Macédoine). Il a ainsi été possible <strong>de</strong> faire le point<br />
sur plusieurs documents athéniens mentionnant les Érétriens, en particulier le décr<strong>et</strong><br />
IG II 2 125, dont le professeur avait montré naguère qu’il ne pouvait s’appliquer à la
610 DENIS KNOEPFLER<br />
conjoncture <strong>de</strong> 357 mais <strong>de</strong>vait être rapporté aux événements dramatiques <strong>de</strong> l’année<br />
348 <strong>et</strong> ne datait lui-même que <strong><strong>de</strong>s</strong> alentours <strong>de</strong> 343, datation qui, avec les restitutions<br />
nouvelles qu’elle impliquait, a été largement entérinée par les spécialistes (cf. en<br />
<strong>de</strong>rnier lieu S. Lambert, ZPE 161, 2007, p. 68). Temporairement libérés <strong>de</strong> leur<br />
« tyran » Ploutarchos (allié <strong>de</strong> Midias, l’ennemi personnel <strong>de</strong> Démosthène), les<br />
Érétriens connaissent une nouvelle <strong>et</strong> ultime phase <strong>de</strong> tyrannie en 342 -341, qui<br />
mène la cité au bord <strong>de</strong> la guerre civile : « pauvres <strong>et</strong> malheureux Érétriens »,<br />
s’exclame l’auteur <strong>de</strong> la Midienne dans un dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’hiver 342/1 (IX 66). C’est<br />
manifestement à c<strong>et</strong>te époque <strong>de</strong> lutte intense contre Kleitarchos <strong>et</strong> ses acolytes que<br />
se réfère, dans sa partie la plus originale, la loi votée au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> la libération <strong>de</strong><br />
341, puisqu’elle prévoit, dans les termes les plus précis, la manière d’organiser la<br />
guérilla contre les adversaires du régime démocratique (fort précisément défini<br />
comme étant la politeia où tous les citoyens sont admis au tirage au sort donnant<br />
accès à la boulè). Chemin faisant, on a examiné quelques problèmes subsistant dans<br />
la restitution <strong>et</strong> l’interprétation <strong>de</strong> ce texte amputé. Si un nouveau supplément<br />
proposé par l’historien britannique Robert Parker a pu être d’emblée accepté, le<br />
professeur a dû combattre en revanche l’interprétation <strong>et</strong> la chronologie d’une jeune<br />
historienne alleman<strong>de</strong> (A. Dössel : cf. Bull. épigr. 2008 n° 265), qui voudrait distinguer<br />
pas moins <strong>de</strong> trois lois dans c<strong>et</strong> ensemble, la <strong>de</strong>rnière pouvant être, selon elle, l’œuvre<br />
du seul parti démocratique installé à Porthmos avant son expulsion en 342 : ce texte<br />
législatif est certes constitué <strong>de</strong> strates successives, mais il a été tout entier réécrit au<br />
moment <strong>de</strong> la libération (comme la loi d’Eukratès à Athènes en 336), <strong>et</strong> c’est<br />
l’Artémision d’Amarynthos qui, jusqu’à preuve du contraire, reste le lieu d’exposition<br />
le plus vraisemblable <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te gran<strong>de</strong> stèle, non pas la forteresse <strong>de</strong> Porthmos.<br />
C’était l’occasion aussi <strong>de</strong> reprendre en séminaire l’examen du règlement<br />
instituant un con<strong>cours</strong> musical aux Artémisia, car c<strong>et</strong>te belle inscription publiée il<br />
y a plus d’un siècle appartient manifestement au même contexte politique (même<br />
s’il faut adm<strong>et</strong>tre, <strong>de</strong> toute nécessité, un écart <strong>de</strong> quelques années entre elle <strong>et</strong> la<br />
loi contre la tyrannie). Il est apparu que le commentaire en était à reprendre sur<br />
plus d’un point, le sens <strong>de</strong> plusieurs expressions ayant été méconnu : cela concerne<br />
en particulier le calendrier, l’emplacement <strong>de</strong> la fête, le déroulement <strong>de</strong> la procession,<br />
les victimes à sacrifier, <strong>et</strong>c. ; le professeur en donnera très prochainement une<br />
réédition critique — assortie pour la première fois d’une traduction française —<br />
dans le cadre <strong>de</strong> ses recherches archéologiques sur l’Artémision d’Amarynthos.<br />
III. Les fon<strong>de</strong>ments chronologiques <strong>de</strong> la biographie du philosophe <strong>et</strong> homme d’État<br />
Ménédème <strong>et</strong> les décr<strong>et</strong>s d’Érétrie entre 323 <strong>et</strong> 304. L’importance <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te biographie<br />
pour l’histoire <strong>de</strong> la Grèce à la fin du iv e <strong>et</strong> plus encore au début du iii e s. n’est plus à<br />
démontrer : elle s’explique d’un côté par le fait que Ménédème a côtoyé bien <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
souverains hellénistiques <strong>et</strong> qu’il a lui-même exercé <strong>de</strong> hautes charges dans sa cité, <strong>et</strong><br />
tient d’un autre côté au fait que le récit <strong>de</strong> Diogène Laërce s’appuie en <strong>de</strong>rnière<br />
analyse sur un noyau pratiquement contemporain, l’œuvre du biographe Antigone<br />
<strong>de</strong> Carystos, alors que les sources historiographiques font dramatiquement défaut
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 611<br />
entre 300 <strong>et</strong> 250 environ. Mais les informations fournies par ce texte ne sont<br />
utilisables que si elles peuvent être datées. Or, le cadre chronologique <strong>de</strong> la Vie <strong>de</strong><br />
Ménédème a été l’obj<strong>et</strong>, <strong>de</strong>puis au moins un siècle, <strong>de</strong> vives discussions : autour <strong>de</strong> la<br />
date-pivot qu’a constitué la bataille <strong>de</strong> Lysimacheia en 278, s’ajoutant à la conviction<br />
que Ménédème était mort à 74 ans, une chronologie haute s’était imposée, qui faisait<br />
naître le philosophe vers 350 déjà <strong>et</strong> disparaître dès après c<strong>et</strong>te victoire du roi<br />
Antigone sur les Galates, tandis que, <strong>de</strong>puis l’historien Beloch en 1927, on préférait<br />
à juste titre, mais non sans rencontrer <strong>de</strong> sérieuses difficultés, une chronologie basse,<br />
où Ménédème né vers 339 seulement, prolongeait son existence jusque vers 267. En<br />
1991, le professeur a pu démontrer que ces <strong>de</strong>ux systèmes étaient l’un <strong>et</strong> l’autre<br />
rendus caducs par une erreur remontant à la fin du xvii e s. : la préférence,<br />
philologiquement injustifiée, donnée à la leçon <strong>de</strong> la vulgate pour l’âge <strong>de</strong> Ménédème,<br />
soit 74 ans, alors que la leçon authentique lui donne en réalité 84 ans d’existence.<br />
C<strong>et</strong>te rallonge <strong>de</strong> dix ans a permis <strong>de</strong> dater correctement un épiso<strong>de</strong> capital <strong>de</strong> la<br />
biographie : l’envoi, à l’âge <strong>de</strong> 20 ans environ, du futur philosophe à Mégare comme<br />
garnisaire. Le professeur a pu montrer en eff<strong>et</strong> aux auditeurs que seul le soulèvement<br />
<strong>de</strong> la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> cités <strong>de</strong> Grèce propre contre le pouvoir macédonien à la mort<br />
d’Alexandre en 323, perm<strong>et</strong>tait <strong>de</strong> rendre compte <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te opération insolite,<br />
Mégariens <strong>et</strong> Érétriens ayant été alors parmi les très rares peuples à <strong>de</strong>meurer fidèles<br />
au régent Antipatros. Dès lors, tout s’éclaire : Ménédème, né vers 345/4, eut tout le<br />
loisir, entre 322 <strong>et</strong> 310 environ <strong>de</strong> faire les longs séjours <strong>de</strong> formation à l’étranger<br />
qu’évoque le biographe, <strong>et</strong> c’est seulement après 304, voire plus tard encore, qu’il a<br />
entamé sa carrière politique à Érétrie ; son décès n’est survenu que vers 262, plusieurs<br />
années après qu’il eut été obligé <strong>de</strong> fuir sa patrie pour <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons politiques, laps <strong>de</strong><br />
temps pendant lequel il essaya en vain d’obtenir du roi Antigone, son ancien élève,<br />
que fût rendu à ses compatriotes le régime démocratique aboli ou suspendu après la<br />
prise <strong>de</strong> la ville par ce monarque 268/7 très probablement. C’est donc dans ce cadre<br />
qu’il convient d’ordonner désormais les autres épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> marquants <strong>de</strong> la biographie.<br />
Par ailleurs, on a essayé <strong>de</strong> reconstituer, à l’ai<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te fois <strong><strong>de</strong>s</strong> décr<strong>et</strong>s érétriens<br />
parvenus jusqu’à nous, les vicissitu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la « cité <strong>de</strong> Ménédème », entre 322 <strong>et</strong> 301,<br />
pério<strong>de</strong> particulièrement bien documentée (voir Décr<strong>et</strong>s érétriens, n° VI-XIV).<br />
Quelques-uns <strong>de</strong> ces documents ont été examinés en séances <strong>de</strong> séminaire. Ce<br />
fut le cas en particulier, même s’il n’a pas été possible d’en envisager tous les<br />
aspects, d’une inscription érétrienne particulièrement fameuse, datable <strong><strong>de</strong>s</strong> années<br />
315-310, la convention pour l’assèchement du lac <strong>de</strong> Ptéchai, document étudié<br />
naguère par le professseur dans le cadre d’un symposium du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
organisé par son collègue Pierre Briant, <strong>et</strong> pour l’interprétation duquel il a bénéficié<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> recherches <strong>de</strong> son élève <strong>et</strong> assistant Thierry Châtelain sur les modalités<br />
techniques d’une telle entreprise <strong>de</strong> drainage. C<strong>et</strong>te inscription parvenue au Musée<br />
épigraphique d’Athènes est malheureusement fort endommagée ; cependant, outre<br />
un texte d’un intérêt capital sur le plan juridique <strong>et</strong> institutionnel, elle conserve<br />
un fragment <strong>de</strong> sculpture en relief, où l’on a fait voir qu’il fallait reconnaître, tout<br />
à gauche, la déesse-mère Léto tenant un sceptre, précédée <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux divinités
612 DENIS KNOEPFLER<br />
majeures <strong>de</strong> la cité, Artémis Amarysia à la torche puis Apollon Daphéphoros<br />
(entièrement perdu) représenté avec la cithare comme sur un autre relief érétrien,<br />
tandis que tout à droite figurait sans doute le dieu au nom duquel l’entrepreneur<br />
étranger Chairéphanès s’engageait vis-à-vis <strong><strong>de</strong>s</strong> Érétriens.<br />
IV. La cité à l’époque du roi Démétrios, les ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> Ménédème avant <strong>et</strong> après le<br />
tournant <strong>de</strong> 286. C’est en bonne partie sous le règne <strong>de</strong> ce roi Démétrios Poliorcète,<br />
dont Plutarque a laissé une biographie riche en informations, que s’est développée la<br />
carrière politique <strong>de</strong> Ménédème. Mais il n’est plus possible d’adm<strong>et</strong>tre que la<br />
première ambassa<strong>de</strong> du philosophe auprès <strong>de</strong> ce souverain — celle où il plaida « avec<br />
gravité » (<strong>et</strong> sans doute succès) la cause <strong>de</strong> la p<strong>et</strong>ite cité d’Oropos, toute vosine<br />
d’Érétrie — eut lieu dès 304, quand ce fils d’Antigone le Borgne se rendit maître <strong>de</strong><br />
toute la région : malgré l’autorité <strong>de</strong> Louis Robert, qui l’avait prônée en 1960, c<strong>et</strong>te<br />
datation se heurte eff<strong>et</strong> à <strong><strong>de</strong>s</strong> difficultés insurmontables : il faut donc abaisser<br />
l’époque <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong> jusque vers 295, quand Oropos put être arrachée à la<br />
domination <strong><strong>de</strong>s</strong> Athéniens qui étaient alors les adversaires déclarés <strong>de</strong> Démétrios.<br />
Proche à certains égards <strong>de</strong> ce souverain, Ménédème fut plus d’une fois député auprès<br />
<strong>de</strong> lui par ses compatriotes : vers la fin du règne, il se vit confier la mission difficile<br />
d’obtenir un allègement <strong>de</strong> la très lour<strong>de</strong> d<strong>et</strong>te que les Érétriens avaient accumulée<br />
(200 talents, une somme colossale pour une cité <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te taille). Il sut également lui<br />
résister : dans un passage mal interprété ou même incorrectement édité, le biographe<br />
indique qu’en tant que haut magistrat (proboulos), il fit obstacle à ceux qui cherchait<br />
à s’appuyer sur le roi pour établir une oligarchie, sauvant ainsi sa cité <strong>de</strong> la menace<br />
« <strong><strong>de</strong>s</strong> tyrans ». Un tel épiso<strong>de</strong> est parfaitement en situation dans la pério<strong>de</strong> 294-287,<br />
quand Démétrios imposait un régime <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te nature aux Athéniens eux-mêmes.<br />
De fait, Ménédème continua à exercer <strong>de</strong> hautes magistratures après le tournant <strong>de</strong><br />
287-286, quand, partant pour l’Asie, le roi dut relâcher sa tutelle sur les cités<br />
<strong>de</strong> Grèce propre, puis leur restituer <strong>de</strong> fait leur autonomie. De ce r<strong>et</strong>our à la liberté<br />
vers 285 on a un témoignage épigraphique méconnu pendant plus d’un <strong>de</strong>mimillénaire<br />
: c’est la « loi sacrée » copiée en 1436 par le célèbre voyageur Cyriaque<br />
d’Ancône, décr<strong>et</strong> qui fait état d’une libération <strong>de</strong> la cité <strong>et</strong> du rétablissement <strong>de</strong> la<br />
démocratie après le départ inopiné d’une garnison. Depuis un fameux mémoire <strong>de</strong><br />
Maurice Holleaux en 1897 — qui est un chef-d’œuvre insurpassable d’érudition<br />
critique <strong>et</strong> <strong>de</strong> rhétorique au service <strong>de</strong> l’intelligence historique — on a été convaincu<br />
que c<strong>et</strong>te libération était à m<strong>et</strong>tre en relation avec un épiso<strong>de</strong> sensiblement plus<br />
ancien <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’Eubée dans ses rapports avec le Koinon béotien (Holleaux<br />
ayant su démontrer que la cité avait adhéré à la confédération voisine au moment <strong>de</strong><br />
promulguer la loi en question). Mais c<strong>et</strong>te exégèse si séduisante se heurte aujourd’hui<br />
à <strong><strong>de</strong>s</strong> objections dirimantes. Il faudra donc savoir y renoncer en faveur d’une datation<br />
au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> années 280, époque <strong>de</strong> renouveau pour l’État fédéral béotien. Il n’en<br />
reste pas moins certain que la pério<strong>de</strong> béotienne d’Érétrie ne fut pas <strong>de</strong> longue durée.<br />
Plusieurs documents attestent un prompt r<strong>et</strong>our à l’autonomie <strong>et</strong> à ses institutions<br />
ancestrales : c’est déjà le cas du décr<strong>et</strong> proposé par Ménédème en personne au<br />
len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> la victoire du roi Antigone à Lysimacheia en 278, décr<strong>et</strong> non r<strong>et</strong>rouvé
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 613<br />
mais conservé en partie par Diogène Laërce. La magistrature traditionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
probouloi survécut même à la mise sous tutelle <strong>de</strong> la cité après 267, comme le prouve<br />
un décr<strong>et</strong> publié par le professeur en 2001 (Décr<strong>et</strong>s érétriens, n° 15), qui témoigne<br />
éloquemment <strong>de</strong> la situation politique <strong>et</strong> financière critique d’Érétrie vers 260-250,<br />
à la veille <strong>de</strong> la sécession d’Alexandre fils Cratère, gouverneur royal dont le nom<br />
figure en tête <strong>de</strong> ce document.<br />
Dans une séance <strong>de</strong> séminaire tenue le 18 avril 2008, le professeur d’abord puis<br />
surtout M me Brigitte Le Guen, professeur à l’Université <strong>de</strong> Paris VIII, ont examiné<br />
avec les auditeurs une inscription eubéenne justement célèbre, la loi sur les<br />
« technites dionysiaques » (acteurs <strong>et</strong> musiciens) émanant <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre cités <strong>de</strong> l’île<br />
<strong>et</strong> datant à coup sûr <strong>de</strong> la domination <strong>de</strong> Démétrios Poliorcète (soit très<br />
probablement <strong><strong>de</strong>s</strong> années 295-287 environ). Spécialiste reconnue <strong>de</strong> l’histoire du<br />
théâtre grec en général <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> associations d’artistes en particulier, elle a pu m<strong>et</strong>tre<br />
en évi<strong>de</strong>nce l’intérêt exceptionnel <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te inscription, bien au-<strong>de</strong>là du cadre<br />
historique strictement eubéen (cf. Bull. épigr. 2007, 328).<br />
V. La structure du corps civique <strong>et</strong> l’organisation du territoire à la haute époque<br />
hellénistique. Deux séances ont été finalement consacrées à c<strong>et</strong> aspect <strong>de</strong> l’enquête<br />
sur l’histoire d’Érétrie, qui n’est certes pas le moins intéressant, compte tenu du fait<br />
que très rares sont en définitive les cités qui offrent une documentation comparable<br />
sur les subdivisions territoriales <strong>et</strong> d’abord civiques. C’est d’une part que l’Érétria<strong>de</strong><br />
ou Érétrique était un pays d’une étendue assez considérable, presque la moitié <strong>de</strong><br />
l’Attique ou territoire d’Athènes ; <strong>et</strong> c’est d’autre part que les Érétriens ont<br />
visiblement été influencés par le modèle athénien, qu’ils ont toutefois su adapter<br />
sans servilité aux réalités géographiques <strong>et</strong> démographiques locales. L’exposé du<br />
professeur a essayé <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en lumière les principales étapes <strong>de</strong> la recherche <strong>de</strong>puis<br />
plus d’un siècle, quand apparurent les premières listes <strong>de</strong> citoyens portant un<br />
démotique. Une étape importante fut franchie en 1947 avec l’étu<strong>de</strong> du canadien<br />
W. Wallace, qui put établir <strong>de</strong> façon incontestable que les quelque cinquante dèmes<br />
ou villages connus alors étaient regroupés en cinq « districts », lesquels, comme cela<br />
fut plus tard démontré, s’appelaient en fait chôroi. C’est fort récemment seulement,<br />
en revanche, que les <strong>travaux</strong> du professeur ont fait apparaître une structure qui avait<br />
été totalement négligée jusque-là, celle <strong><strong>de</strong>s</strong> phylai ou tribus. Il a montré qu’elles<br />
<strong>de</strong>vaient être au nombre <strong>de</strong> six ; <strong>et</strong> c’est en fonction <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te division « tribale » que<br />
— sauf cas particulier (contexte militaire notamment) — se répartissaient les citoyens<br />
sur les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> stèles conservées en totalité ou en partie. Il en a administré une<br />
nouvelle preuve en examinant un fragment encore inédit se rattachant à un morceau<br />
déjà connu (IG XII 9, 247). C’est le reste d’une <strong><strong>de</strong>s</strong> six stèles où fut gravé, à l’époque<br />
<strong>de</strong> Ménédème (dont le nom figure sur une <strong><strong>de</strong>s</strong> stèles), un recensement compl<strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />
population adulte mâle. Tout récemment (2006), l’historien danois Mogens Hansen<br />
a essayé <strong>de</strong> tirer parti <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te documentation désormais exploitable à <strong><strong>de</strong>s</strong> fins <strong>de</strong><br />
démographie historique. Sa métho<strong>de</strong> <strong>et</strong> les résultats obtenus ont fait l’obj<strong>et</strong> d’une<br />
présentation critique (cf. Bull. épigr. 2007, n° 327).
614 DENIS KNOEPFLER<br />
Lors d’une séance <strong>de</strong> séminaire (16 mai 2008), M. Sylvian Fachard, secrétaire<br />
scientifique <strong>de</strong> École suisse d’achéologie en Grèce, auteur d’une thèse maintenant<br />
achevée sur Les fortifications <strong>de</strong> l’Érétria<strong>de</strong> à l’époque classique <strong>et</strong> hellénistique, a<br />
entr<strong>et</strong>enu le public <strong>de</strong> ses recherches <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses fouilles ; son exposé très richement<br />
illustré a montré tout ce qu’une exploration systématique du territoire apportait à<br />
la connaissance <strong>de</strong> la polis Er<strong>et</strong>riéôn, <strong>de</strong> son organisation, <strong>de</strong> son économie <strong>et</strong><br />
d’abord, bien sûr, <strong>de</strong> son système <strong>de</strong> défense.<br />
La nouvelle inscription <strong>de</strong> Dikaia, colonie d’Érétrie<br />
Le 30 mai 2008, au séminaire comme déjà dans le <strong>cours</strong>, le professeur Emmanuel<br />
Voutiras (Université <strong>de</strong> Thessalonique) a présenté le très important document qu’il<br />
vient <strong>de</strong> publier avec son collègue K. Sismanidis, Ancient Macedonia. Papers read<br />
at the VIIth Symposium, 2007 p. 253-274, en grec mo<strong>de</strong>rne). En attendant le texte<br />
qu’il donnera dans les CRAI 2008, 2 e fascicule (assorti <strong><strong>de</strong>s</strong> remarques du titulaire<br />
<strong>de</strong> la chaire lors <strong>de</strong> la communication faite par c<strong>et</strong> historien à l’Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong> ;<br />
cf. aussi Bull. épig. 2008, n° 263 <strong>et</strong> 339), on trouvera ici un bref résumé <strong>de</strong> sa<br />
présentation.<br />
Trouvée au printemps 2001 par le propriétaire d’un terrain situé sur une colline<br />
du village d’Aghia Paraskevi, dans la basse vallée <strong>de</strong> l’Anthémonte, à environ 15 km<br />
au sud-est <strong>de</strong> Thessalonique, c<strong>et</strong>te inscription, longue <strong>de</strong> 105 lignes, contient une<br />
série <strong>de</strong> décr<strong>et</strong>s portant sur les conditions <strong>et</strong> modalités <strong>de</strong> la réconciliation à<br />
effectuer au sein <strong>de</strong> la cité <strong><strong>de</strong>s</strong> Dikaiopolites, ainsi que le texte du serment par<br />
lequel ils s’engagent tous à maintenir la paix civile en respectant les accords <strong>et</strong><br />
l’amnistie décrétés. Le texte est daté par la mention du roi Perdikkas III <strong>de</strong><br />
Macédoine (365-359 av. J.-C.), qui est le garant du traité. Le premier résultat <strong>de</strong><br />
l’étu<strong>de</strong> a été <strong>de</strong> perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> localiser la colonie érétrienne <strong>de</strong> Dikaia sur la côte<br />
orientale du golfe Thermaïque, non pas certes à l’endroit d’où proviendrait la stèle<br />
selon le paysan qui l’a remise au Service archéologique (malgré l’existence, là, d’un<br />
établissement archaïque <strong>et</strong> classique <strong>de</strong> caractère agricole), mais, sur la base d’un<br />
témoignage décisif <strong>et</strong> d’un faisceau d’indices, au site occupé aujourd’hui par la<br />
p<strong>et</strong>ite ville côtière <strong>de</strong> Nea Kallikrateia (à quelques 40 km <strong>de</strong> Thessalonique), qui<br />
s’est avéré être le véritable lieu <strong>de</strong> la découverte. La localisation <strong>de</strong> Dikaia sur la<br />
côte <strong>de</strong> la Croussi<strong>de</strong> s’accor<strong>de</strong> parfaitement avec les témoignages épigraphiques,<br />
notamment avec la mention <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te cité entre Aineia <strong>et</strong> Potidaia dans la liste <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
théarodoques d’Épidaure. La seule difficulté est que Dikaia ne figure pas dans<br />
l’énumération détaillée <strong><strong>de</strong>s</strong> bourga<strong><strong>de</strong>s</strong> côtières <strong>de</strong> la Croussi<strong>de</strong> que fournit, chez<br />
Hérodote, l’itinéraire <strong>de</strong> la flotte <strong>de</strong> Xerxès vers Thermè. Mais c<strong>et</strong>te objection peut<br />
aisément être écartée, si la colonie érétrienne <strong>de</strong> Dikaia été fondée seulement après<br />
les guerres médiques, vers 470 av. J.-C. (date limite basse). De fait, on connaît<br />
dans c<strong>et</strong>te région d’autres colonies datant du v e siècle av. J.-C., plus précisément<br />
<strong>de</strong> la pentékontaétia entre les guerres médiques <strong>et</strong> la guerre du Péloponnèse : c’est<br />
le cas <strong>de</strong> Bréa <strong>et</strong> surtout d’Amphipolis, toutes <strong>de</strong>ux colonies athéniennes.
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 615<br />
Bien qu’il ne s’agisse pas d’un texte purement dialectal, l’inscription n’est sans<br />
intérêt pour la langue parlée à Dikaia, car elle contient <strong><strong>de</strong>s</strong> formes ioniennes qui se<br />
r<strong>et</strong>rouvent dans les inscriptions d’Eubée (<strong>et</strong> en particulier d’Érétrie) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />
Chalcidique. On notera cependant l’absence du rhotacisme, trait spécifiquement<br />
érétrien attesté au v e <strong>et</strong> dans la première moitié du iv e s. av. J.-C., absence qui pourrait<br />
s’expliquer <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manières, soit que Dikaia eût été fondée à une date encore<br />
antérieure à l’apparition <strong>de</strong> ce phénomène, soit qu’elle eût subi <strong>de</strong> bonne heure<br />
l’influence du dialecte eubéen <strong>de</strong> ses voisins les Chalcidiens <strong>de</strong> Thrace, lequel ne<br />
connaît effectivement pas le rhotacisme. Compte tenu <strong>de</strong> la date proposée ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus<br />
pour la fondation <strong>de</strong> Dikaia, c’est la secon<strong>de</strong> explication qui paraît <strong>de</strong>voir être<br />
r<strong>et</strong>enue. Il faut remarquer aussi que l’onomastique <strong>de</strong> Dikaia, telle qu’elle apparaît<br />
dans ce document, est purement érétrienne, puisque tous les noms <strong>de</strong> personnes se<br />
r<strong>et</strong>rouvent à Érétrie, à l’exception d’un seul, Argaios, qui est sans aucun doute<br />
d’origine macédonienne.<br />
À l’intérieur du bref règne <strong>de</strong> Perdikkas III (365-359 av. J.-C.), il paraît possible <strong>de</strong><br />
préciser encore davantage la date <strong>de</strong> l’inscription en fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> événements<br />
survenus dans la région au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> ces six ans. L’intérêt <strong><strong>de</strong>s</strong> rois <strong>de</strong> Macédoine pour<br />
la vallée <strong>de</strong> l’Anthémonte <strong>et</strong> la Croussi<strong>de</strong> remonte haut dans le temps. Mais au début<br />
du iv e s. c<strong>et</strong>te zone du golfe Thermaïque limitrophe <strong>de</strong> la Confédération chalcidienne<br />
était <strong>de</strong>venue un enjeu important dans les manœuvres <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> puissances. Ayant<br />
adhéré à la Secon<strong>de</strong> ligue athénienne dès sa fondation en 377 av. J.-C., Dikaia se<br />
trouvait dans le camp <strong><strong>de</strong>s</strong> adversaires <strong><strong>de</strong>s</strong> Chalcidiens, toujours hostiles aux tentatives<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Athéniens pour rem<strong>et</strong>tre la main sur Amphipolis. Dans ce but, Athènes avait<br />
cherché à gagner le soutien <strong><strong>de</strong>s</strong> rois <strong>de</strong> Macédoine. C’est ce qu’avait fait notamment<br />
Iphicrate, ami personnel d’Amyntas III, en 370/69, sans grand succès, faute <strong>de</strong><br />
moyens suffisants. Mais en été 364 l’Athénien Timothéos revint avec une flotte plus<br />
importante <strong>et</strong>, avec l’appui du jeune roi Perdikkas désormais majeur, il parvint à<br />
s’emparer <strong>de</strong> Potidée <strong>et</strong> <strong>de</strong> Toronè aux dépens <strong><strong>de</strong>s</strong> Chalcidiens. C<strong>et</strong>te victoire permit<br />
sans doute à Perdikkas d’étendre son influence sur la Croussi<strong>de</strong>, y compris Dikaia.<br />
On peut montrer que si Perdikkas s’allia alors avec Timothéos, c’est pour lutter<br />
contre Pausanias, prétendant au trône <strong>de</strong> Macédoine, qui « disposait d’une armée <strong>de</strong><br />
soldats grecs <strong>et</strong> s’était emparé d’Anthémonte, <strong>de</strong> Therma, <strong>de</strong> Strepsa <strong>et</strong> <strong>de</strong> quelques<br />
autres places ». La base <strong>de</strong> son pouvoir se trouvait donc dans la Mygdonie orientale.<br />
Or, on r<strong>et</strong>rouve ce Pausanias parmi les théarodoques d’Épidaure (vers 360 av. J.-C.)<br />
où il représente Kalindoia, une cité <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te région, <strong>de</strong> même que sur <strong><strong>de</strong>s</strong> monnaies<br />
<strong>de</strong> la même pério<strong>de</strong>. Très vraisemblablement, Pausanias avait le soutien <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Chalcidiens <strong>de</strong> Thrace, ennemis à la fois d’Athènes <strong>et</strong> du royaume <strong>de</strong> Macédoine.<br />
L’inscription fournit également <strong>de</strong> précieuses informations sur la topographie<br />
publique <strong>et</strong> sacrée <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Dikaia : outre l’agora <strong>et</strong> le sanctuaire d’Apollon<br />
Daphnéphoros, elle mentionne un sanctuaire d’Athéna, située sans doute sur<br />
l’acropole, exactement comme celui qu’ont révélé tout récemment, à Érétrie même,<br />
les fouilles menées sur l’acropole par S. Huber. Toutefois, il ne fait aucun doute<br />
qu’Apollon Daphnéphoros était la divinité principale <strong>de</strong> Dikaia comme d’Érétrie :
616 DENIS KNOEPFLER<br />
c’est ce dieu, en eff<strong>et</strong>, qui garantit le serment, <strong>et</strong> c’est à son profit que seront<br />
confisqués les biens <strong><strong>de</strong>s</strong> contrevenants éventuels. On y apprend par ailleurs que<br />
« les sanctuaires les plus saints » <strong>de</strong> la cité étaient au nombre <strong>de</strong> trois (l. 6) : il est<br />
donc raisonnable <strong>de</strong> penser que la troisième <strong>de</strong> ces divinités majeures n’était autre<br />
qu’Artémis Amarysia, exactement comme dans la métropole.<br />
La prééminence du culte d’Apollon Daphnéphoros est mise en évi<strong>de</strong>nce par la<br />
mention d’un mois nommé Daphnéphoriôn, attesté ici pour la première fois : il<br />
s’agit sans aucun doute d’un emprunt au calendrier érétrien, étudié naguère par le<br />
professeur Knoepfler dans le cadre d’une étu<strong>de</strong> d’ensemble sur les calendriers <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
cités <strong>de</strong> l’Eubée <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs colonies (Journal <strong><strong>de</strong>s</strong> Savants, 1989). Il faudra désormais<br />
en modifier partiellement les conclusions en fonction <strong>de</strong> ce nouveau nom <strong>de</strong> mois,<br />
que l’on est tenté <strong>de</strong> placer en tête <strong>de</strong> l’année chalcido-érétrienne (qui commençait<br />
aux alentours du solstice d’hiver). Le nom <strong>de</strong> ce nouveau mois invite en outre à<br />
postuler l’existence, à Dikaia comme d’abord à Érétrie, d’une gran<strong>de</strong> fête annuelle<br />
appelée Daphnéphoria.<br />
Activités diverses<br />
Comme les années précé<strong>de</strong>ntes, le professeur a poursuivi en Grèce ses <strong>travaux</strong><br />
épigraphiques en rapport avec la topographie <strong>et</strong> l’histoire <strong>de</strong> la Béotie (édition<br />
commentée du livre IX <strong>de</strong> Pausanias) comme aussi <strong>de</strong> l’Eubée (dossiers d’inscriptions<br />
à publier). En août-septembre 2007, il a assumé la responsabilité scientifique <strong>de</strong> la<br />
secon<strong>de</strong> campagne <strong>de</strong> fouille menée près d’Érétrie en Eubée par l’École suisse<br />
d’archéologie en Grèce en vue <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre au jour le grand sanctuaire d’Artémis à<br />
Amarynthos. Si les sondages <strong>de</strong> 2006 n’avaient pas été entièrement concluants à<br />
c<strong>et</strong> égard, ceux <strong>de</strong> 2007 ont révélé une structure fort importante, que l’on a <strong>de</strong><br />
bonnes raisons <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en relation avec le sanctuaire recherché <strong>de</strong>puis si<br />
longtemps. C<strong>et</strong>te découverte, qui a reçu un large écho dans la presse grecque <strong>et</strong><br />
helvétique, a fait l’obj<strong>et</strong> d’un rapport détaillé d’ores <strong>et</strong> déjà publié (voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous<br />
n° 7). L’i<strong>de</strong>ntification définitive dépendra <strong><strong>de</strong>s</strong> trouvailles, notamment épigraphiques,<br />
à venir dans les terrains à investiguer au voisinage.<br />
À l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres, il a patronné la note d’information<br />
présentée par le professeur E. Voutiras (Université <strong>de</strong> Salonique) sur une nouvelle<br />
inscription <strong>de</strong> Dikaia <strong>de</strong> Thrace (1 er juin 2008) ; il a été chargé par la même<br />
Académie <strong>de</strong> faire rapport sur le mémoire <strong>de</strong> M. Cédric Brélaz, membre étranger<br />
<strong>de</strong> 3 e année <strong>de</strong> l’École française d’Athènes, intitulé : « Les premiers comptes du<br />
sanctuaire d’Apollon à Délion <strong>et</strong> le con<strong>cours</strong> panbéotien <strong><strong>de</strong>s</strong> Délia » (travail à<br />
paraître dans le périodique <strong>de</strong> c<strong>et</strong> établissement).<br />
Le professeur a été associé au jury <strong>de</strong> la thèse M. Thibaut Boulay, Les cités<br />
grecques <strong>et</strong> la guerre en Asie Mineure à l’époque hellénistique, thèse dirigée par le<br />
professeur Maurice Sartre (Institut Universitaire <strong>de</strong> <strong>France</strong>) <strong>et</strong> soutenue <strong>de</strong>vant
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 617<br />
l’Université <strong>de</strong> Tours le 7 décembre 2007. D’autre part, dans le cadre <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>rnière<br />
année d’enseignement à l’Université <strong>de</strong> Neuchâtel (Suisse), il a eu la satisfaction <strong>de</strong><br />
mener à soutenance la moitié environ <strong><strong>de</strong>s</strong> quelque dix thèses qu’il y dirigeait<br />
encore, à savoir :<br />
— M. Thierry Châtelain (thèse en cotutelle avec l’Université <strong>de</strong> Paris IV-<br />
Sorbonne, prof. André Laron<strong>de</strong>) : La perception <strong>et</strong> l’exploitation <strong><strong>de</strong>s</strong> milieux palustres<br />
dans l’Antiquité : La Grèce <strong>et</strong> ses marais (29 novembre 2007) ;<br />
— Nathan Badoud (thèse en cotutelle avec l’Université <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux 3, prof.<br />
Alain Bresson) : La cité <strong>de</strong> Rho<strong><strong>de</strong>s</strong> : <strong>de</strong> la chronologie à l’histoire (20 décembre<br />
2007) ;<br />
— Adrian Robu (thèse en cotutelle avec l’Université du Mans, prof. Alexandru<br />
Avram) : La cité <strong>de</strong> Mégare <strong>et</strong> ses établissements coloniaux en Sicile, dans la Proponti<strong>de</strong><br />
<strong>et</strong> le Pont Euxin : histoire <strong>et</strong> institutions (19 février 2008) ;<br />
— Fabienne Marchand : Tanagraïka Mnêmata : recherches sur le matériel<br />
archéologique <strong>et</strong> épigraphique provenant <strong><strong>de</strong>s</strong> anciennes fouilles <strong>de</strong> Tanagra en Béotie<br />
(l er avril 2008) ;<br />
— Frédéric Hurni : Théramène ne plai<strong>de</strong>ra pas coupable. Un homme politique<br />
athénien dans les révolutions athéniennes <strong>de</strong> la fin du V e siècle avant J.-C. (19 mai<br />
2008).<br />
Toutes ces thèses ont obtenu l’appréciation la plus favorable (summa cum lau<strong>de</strong>)<br />
<strong>et</strong> seront, pour la plupart, publiées à très brève échéance.<br />
Distinction<br />
Le professeur a reçu le Prix 2008 <strong>de</strong> l’Institut Neuchêlois, organe culturel <strong>de</strong> la<br />
République <strong>et</strong> Canton <strong>de</strong> Neuchâtel (Suisse). C<strong>et</strong>te distinction lui a été octroyée lors<br />
d’une cérémonie publique le 15 mars 2008 au Musée Internationale <strong>de</strong> l’Horlogerie<br />
à La Chaux-<strong>de</strong>-Fonds. La laudatio du lauréat a été prononcée par l’helléniste André<br />
Hurst, ancien recteur <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Genève. Après un intermè<strong>de</strong> au <strong>cours</strong> duquel<br />
<strong>de</strong>ux jeunes musiciennes suisses domiciliées à Bruxelles exécutèrent une sonate <strong>de</strong> K.<br />
Szymanowski, Mythes — dont Narcisse en <strong>de</strong>uxième mouvement —, le professeur fit<br />
une conférence illustrée sur La patrie <strong>de</strong> Narcisse : un mythe antique enraciné dans la<br />
terre <strong>et</strong> dans l’histoire d’une cité grecque, texte dont une version remaniée <strong>et</strong> étoffée<br />
paraîtra très prochainement chez un éditeur parisien.<br />
Par ailleurs, en juin 2008, au moment <strong>de</strong> quitter la Faculté <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres <strong>et</strong> sciences<br />
humaines <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Neuchâtel où il aura enseigné trente ans durant,<br />
d’abord en tant que maître assistant, puis, dès 1984, comme professeur titulaire <strong>de</strong><br />
la chaire d’archéologie classique <strong>et</strong> d’histoire ancienne, il a reçu le titre <strong>de</strong><br />
« professeur honoraire » <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te Université.
618 DENIS KNOEPFLER<br />
Colloques, Conférences<br />
1. « Enseigner au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> : pour quel public, sur quelles matières, dans quelles<br />
conditions ? », causerie présentée <strong>de</strong>vant le Lycéum-Club <strong>de</strong> Neuchâtel, 8 novembre 2007.<br />
2. « Du vallon <strong><strong>de</strong>s</strong> Muse Héliconia<strong><strong>de</strong>s</strong> à l’Éros thespien <strong>de</strong> Praxitèle avec Pausanias <strong>et</strong><br />
François Chamoux », communication à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres dans le<br />
cadre <strong>de</strong> la journée d’hommage à l’helléniste François Chamoux (1915-2007), Paris,<br />
11 janvier 2008.<br />
3. « L’Étolie victorieuse <strong><strong>de</strong>s</strong> Galates à Delphes <strong>et</strong> à Thermos : réflexions autour d’une<br />
statue-trophée <strong>et</strong> <strong>de</strong> son image monétaire à l’époque <strong><strong>de</strong>s</strong> monarchies hellénistiques »,<br />
communication donnée au colloque Image du pouvoir, Pouvoir <strong>de</strong> l’image, organisé à<br />
l’Université <strong>de</strong> Bâle par l’Association interdisciplinaire EIKONES, Bâle, 19 mai 2008.<br />
4. « L’institution du con<strong>cours</strong> musical <strong><strong>de</strong>s</strong> Artémisia d’Amarynthos : r<strong>et</strong>our sur une<br />
inscription d’Érétrie un siècle après sa découverte », conférence-séminaire donnée à la Scuola<br />
Normale Superiorie di Pisa, à l’invitation <strong>de</strong> son directeur, le prof. Carmine Ampolo, Pise,<br />
12 juin 2008.<br />
5. Présentation à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres du volume collectif intitulé<br />
Old and New Worlds in Greek Onomastics, edited by Elaine Matthews, London, The British<br />
Aca<strong>de</strong>my 2007, Paris, 26 septembre 2008.<br />
Publications<br />
1. « Polymnis est-il l’authentique patronyme d’Épaminondas ? », in : M.B. Hatzopoulos<br />
(éd.), ΦωΝΗΣ ΧΑΡΑΚΤΗΡ ΕΘΝΙΚΩΣ. Actes du V e Congrès International <strong>de</strong> dialectologie<br />
grecque, Athènes 28-30 septembre 2006 (Mélétémata 52), Athènes 2007, p. 117-135, avec<br />
une pl.<br />
2. « Pausanias en Béotie, 3e partie : la Béotie du Copaïs », Annuaire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />
Résumés <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> <strong>et</strong> <strong>travaux</strong> 2006-2007, 107, 2008, p. 637-662.<br />
3. « Un don <strong><strong>de</strong>s</strong> amis du Louvre au Département <strong><strong>de</strong>s</strong> Antiquités grecques, étrusques <strong>et</strong><br />
romaines : la l<strong>et</strong>tre d’Hadrien aux habitants <strong>de</strong> Naryka (Locri<strong>de</strong>) », avec Alain Pasquier,<br />
Comptes Rendus <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres 2006 (2008), p. 1283-1313.<br />
4. « Débris d’évergésie au gymnase d’Érétrie », in : O. Curty <strong>et</strong> M. Piérart (éd.),<br />
Évergétisme <strong>et</strong> gymnasiarchie dans les cités hellénistiques, Fribourg-Paris, 2008, p. 203-257.<br />
5. « Un apport épigraphique au texte reçu <strong><strong>de</strong>s</strong> Stratagèmata <strong>de</strong> Polyen », Revue <strong>de</strong><br />
Philologie, <strong>de</strong> littérature <strong>et</strong> d’histoire ancienne, 80, 1, 2006 (2008), p. 57-62.<br />
6. « Béotie - Eubée », dans le Bull<strong>et</strong>in épigraphique <strong>de</strong> la Revue <strong><strong>de</strong>s</strong> Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> Grecques 120,<br />
2007, p. 665-686 n° 304-334.<br />
7. « Bilan <strong>et</strong> perspectives [conclusion du rapport sur la secon<strong>de</strong> campagne <strong>de</strong> fouille <strong>de</strong><br />
l’École suisse d’archéologie en Grèce à Amarynthos, Eubée] », Antike Kunst 51, 2008,<br />
p. 165-171.<br />
8. « Un exemple d’aménagement du territoire dans l’Antiquité gréco-romaine : le dossier<br />
épigraphique <strong>de</strong> Coronée (Béotie) », avec la collaboration <strong>de</strong> Thierry Châtelain, La L<strong>et</strong>tre<br />
du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> 21, 2007, p. 10-11 (= The L<strong>et</strong>ter of <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 3, 2008,<br />
p. 17-18).<br />
9. « Un témoignage helvétique sur le quatrième centenaire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> », La<br />
L<strong>et</strong>tre du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> 23, 2008, p. 55-56.
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 619<br />
Activités <strong><strong>de</strong>s</strong> collaborateurs<br />
Les titulaires <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux postes d’ATER accordés à la chaire d’épigraphie <strong>et</strong><br />
d’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> cités grecques sont arrivés à la fin <strong>de</strong> leur mandat en septembre 2008.<br />
L’un, M. Thierry Châtelain, titulaire d’un DEA <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Paris IV-<br />
Sorbonne, a pu achever sa thèse <strong>de</strong> doctorat consacrée à l’exploitation <strong><strong>de</strong>s</strong> terres<br />
marécageuses en Grèce ancienne, qu’il a soutenue à Neuchâtel le 29 novembre<br />
2007 (voir ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus sous « Autres activités ») <strong>et</strong> dont il prépare maintenant la<br />
publication ; cela lui a permis d’obtenir l’inscription sur la liste d’aptitu<strong>de</strong> à un<br />
poste <strong>de</strong> maître <strong>de</strong> conférence, mais, tout en ayant été fort honorablement classé<br />
en diverses universités françaises, il n’a pas été en mesure <strong>de</strong> décrocher un poste<br />
dès c<strong>et</strong>te année. Par ailleurs, il a poursuivi <strong>et</strong> poursuivra encore avec le professeur<br />
sa collaboration à l’entreprise <strong><strong>de</strong>s</strong> Testimonia Er<strong>et</strong>riensia, qu’il s’est engagé à mener<br />
jusqu’à son terme. Il est coauteur <strong>de</strong> l’article signalé ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus sous le n° 8.<br />
L’autre poste a été occupé, <strong>de</strong> 2006 à 2008 également, par M lle Claire Gren<strong>et</strong>,<br />
diplômée <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Lyon 2-Lumière. qui a pu avancer considérablement<br />
sa thèse sur la cité <strong>de</strong> Chéronée en Béotie, patrie <strong>de</strong> Plutarque (voir rapport<br />
précé<strong>de</strong>nt). C<strong>et</strong>te année, elle a travaillé en particulier sur le corpus épigraphique,<br />
constituée <strong>de</strong> près <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cent cinquante inscriptions, qui lui perm<strong>et</strong>tront <strong>de</strong><br />
présenter une analyse précise <strong><strong>de</strong>s</strong> instituions politiques <strong>et</strong> religieuses ; son intérêt<br />
s’est porté également sur la manière dont c<strong>et</strong>te p<strong>et</strong>ite cité frontalière a été intégrée<br />
dans les structures <strong>et</strong> les organes <strong>de</strong> la Confédération béotienne, tout en conservant<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> liens privilégiés avec ses voisines immédiates en Phoci<strong>de</strong> ou avec la gran<strong>de</strong> cité<br />
d’Orchomène sur le Copaïs, sans oublier ses rapports avec les autorités romaines<br />
jusque sous l’Empire. En juin 2008, elle a pu effectuer un nouveau séjour en Grèce<br />
(Ecole française d’Athènes) pour compléter sa connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> réalités<br />
archéologiques <strong>de</strong> la ville <strong>et</strong> du territoire <strong>de</strong> Chéronée. Au terme <strong>de</strong> son mandat<br />
au <strong>Collège</strong>, elle a pu obtenir un poste d’ATER au Département d’histoire <strong>de</strong><br />
l’Université <strong>de</strong> Rennes 2 pour la rentrée universitaire 2008, ce qui lui perm<strong>et</strong>tra<br />
certainement d’achever sa thèse d’ici une année. Les <strong>de</strong>ux nouveaux titulaires <strong>de</strong><br />
ces postes pour l’année 2008/2009 sont MM. Damien Aubri<strong>et</strong>, doctorant à<br />
l’Université <strong>de</strong> Paris IV-Sorbonne (thèse sur Mylasa <strong>de</strong> Carie avec le prof. André<br />
Laron<strong>de</strong>), qui a fait carrière jusqu’ici dans l’enseignement secondaire, <strong>et</strong> Adrian<br />
Robu, jeune chercheur roumain, qui vient <strong>de</strong> soutenir à l’Université <strong>de</strong> Neuchâtel<br />
une thèse d’histoire ancienne (Mégare <strong>et</strong> ses colonies) élaborée sous la direction du<br />
professeur en cotutelle avec l’Université du Mans (prof. Alexandru Avram).
Religion, institutions <strong>et</strong> société <strong>de</strong> la Rome antique<br />
M. John Scheid, professeur<br />
1. COURS : LE CULTE DES EAUX ET DES SOURCES DANS LE MONDE ROMAIN<br />
UN SUJET PROBLÉMATIQUE, DÉTERMINÉ PAR LA MYTHOLOGIE MODERNE<br />
Nullus enim fons non sacer, « il n’y a <strong>de</strong> source, en eff<strong>et</strong>, qui ne soit sacrée ». C’est<br />
en ces termes que le commentateur <strong>de</strong> l’Enéi<strong>de</strong> <strong>de</strong> Virgile, Servius, expliquait l’emploi<br />
par le poète, <strong>de</strong> l’expression sacer fons, « source sacrée », au vers 84 du livre 7.<br />
C<strong>et</strong>te formule lapidaire m<strong>et</strong> à l’aise le lecteur mo<strong>de</strong>rne qui est persuadé que le<br />
suj<strong>et</strong> n’a rien <strong>de</strong> surprenant. La source est sacrée, on vénère <strong>et</strong> on supplie le sacré<br />
qui est dans l’eau pour obtenir un bienfait, généralement la santé. Voilà ce que le<br />
lecteur entend en lisant le commentaire <strong>de</strong> Servius. C’est la sacralité active <strong>de</strong> l’eau<br />
qui semble en cause, c’est cela que les Anciens étaient censés rechercher. Et le<br />
lecteur pense immédiatement à Lour<strong><strong>de</strong>s</strong>, à Vichy, Ax, Ferrières, Spa, Bagnères-<strong>de</strong>-<br />
Bigorre <strong>et</strong> tant d’autres stations thermales. La formule <strong>de</strong> Servius n’a toutefois pas<br />
le sens que les mo<strong>de</strong>rnes ont tendance à lui accor<strong>de</strong>r après un siècle <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi <strong>de</strong><br />
thermalisme. Pour désarmer le contresens potentiel, nous avons examiné le mythe<br />
mo<strong>de</strong>rne qui détermine notre perception du culte <strong><strong>de</strong>s</strong> sources. Depuis l’époque<br />
romantique, il existe en eff<strong>et</strong> une approche particulière <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes naturels<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> leur culte, qui exprime une vision chrétienne <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses merveilles,<br />
<strong>et</strong> qui s’inspire <strong><strong>de</strong>s</strong> pratiques populaires. Le thème du culte <strong>de</strong> l’eau s’est répandu<br />
à travers l’Europe du Nord, en Allemagne <strong>et</strong> en <strong>France</strong> notamment, où le thème<br />
s’est fortement développé. On le trouve déjà dans la Deutsche Mythologie <strong>de</strong> Jakob<br />
Grimm, qui fut publiée en 1835. En <strong>France</strong>, le thème est ressassé <strong>de</strong>puis la même<br />
époque. Le début <strong>de</strong> la XV e leçon sur La religion <strong><strong>de</strong>s</strong> Gaulois d’Alexandre Bertrand<br />
(Paris 1887, 191-212) suffit pour résumer le thème : « À côté du culte <strong><strong>de</strong>s</strong> pierres,<br />
à côté du culte du soleil <strong>et</strong> du feu existait en Gaule le culte <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux, <strong><strong>de</strong>s</strong> sources,<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> fontaines, <strong><strong>de</strong>s</strong> lacs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> rivières. Ce culte très répandu paraît même avoir été<br />
celui qui répondait le mieux aux instincts religieux <strong>de</strong> nos populations primitives,
622 JOHN SCHEID<br />
celui qui parlait le mieux à leur esprit <strong>et</strong> à leur cœur. Ce culte a laissé sur le sol les<br />
traces les plus nombreuses <strong>et</strong> les plus profon<strong><strong>de</strong>s</strong>. Nous oserions le qualifier <strong>de</strong> culte<br />
national par excellence. » Quant à l’antiquité évi<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> ce culte, Bertrand<br />
considérait qu’il n’avait pas « été introduit par Rome en Gaule ; l’influence religieuse<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Romains en Gaule, tout à fait superficielle, se fit à peine sentir aux couches<br />
profon<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la population. On ne peut l’attribuer aux Galates conquérants qui,<br />
sans clergé <strong>et</strong> d’ailleurs relativement peu nombreux, avaient abandonné aux drui<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
le gouvernement <strong><strong>de</strong>s</strong> âmes. Ces superstitions, ces pratiques qui relèvent <strong>de</strong> la vieille<br />
croyance aux esprits, peuvent avoir été plus ou moins réglées, réglementées par les<br />
drui<strong><strong>de</strong>s</strong>, comme cela paraît avoir également été pour les feux solsticiaux ; les drui<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
n’en ont point été les premiers missionnaires. Ce culte, comme celui <strong><strong>de</strong>s</strong> pierres,<br />
comme celui du feu, est prédruidique, s’il n’est pas préceltique. Il est le produit <strong>de</strong><br />
la race. »<br />
Ce thème cher aux folkloristes eut une fortune particulière chez les historiens <strong>de</strong><br />
l’Antiquité. Jules Toutain le reprend dans le premier volume <strong>de</strong> ses Cultes païens dans<br />
l’Empire Romain (Paris, 1907, I, 372-284), il l’a aussi étendu au culte <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux dans<br />
la Grèce antique (Nouvelles étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> mythologie <strong>et</strong> d’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions antiques,<br />
Paris 1935, 268-294). Camille Jullian a écrit dans sa monumentale Histoire <strong>de</strong> la<br />
Gaule (VI, Paris 1920, 56) que « la moitié <strong>de</strong> la vie dévote, pour le moins, se passe<br />
auprès <strong><strong>de</strong>s</strong> fontaines ; <strong>et</strong> les lieux <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>z-vous les plus populaires, ceux où l’on<br />
rassemble le plus d’idoles, <strong>de</strong> chapelles <strong>et</strong> <strong>de</strong> croyants, sont ceux où la multiplicité<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> eaux peut faire croire aux hommes que les dieux y tiennent assemblée ». Dans la<br />
lignée <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te tradition, Albert Grenier a consacré l’épais IV e volume <strong>de</strong> son Manuel<br />
d’architecture gallo-romain (Paris 1960) aux Villes <strong>et</strong> sanctuaires <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux. Comme S.<br />
Deyts, par exemple, l’a déjà souligné (« Cultes <strong>et</strong> sanctuaires <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux en Gaule »,<br />
dans Archeologia 37, 1986, 9-30, notamment p. 19), le recensement fait par Grenier<br />
oriente « parfois le lecteur vers certaines conclusions hâtives ». S. Deyts conclut avec<br />
beaucoup <strong>de</strong> bons sens : « Un sanctuaire, tout comme un village ou un établissement<br />
agricole, ne peut s’installer qu’à proximité d’un point d’eau. De ce fait, la liaison<br />
entre vital <strong>et</strong> sacramental ne peut pas être prise comme postulat. »<br />
Ce genre <strong>de</strong> raisonnements n’est pas l’apanage exclusif <strong><strong>de</strong>s</strong> historiens <strong>et</strong><br />
archéologues français. Pour prendre un exemple, je peux citer l’article <strong>de</strong> Giancarlo<br />
Susini, l’épigraphiste éminent <strong>de</strong> Bologne, qui, dans un article important réunissant<br />
les données sur les cultes salutaires <strong>et</strong> les cultes <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux en Italie Cispadane, écrit<br />
qu’on trouvera difficilement un acte ou une manifestation <strong>de</strong> religiosité antique ou<br />
médiévale qui n’implique pas au fond un culte <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux (Giancarlo Susini, « Culti<br />
salutari e <strong>de</strong>lle acque : materiali antichi nella Cispadana », dans Studi romagnoli 26,<br />
1975, 321-338, notamment 322).<br />
À c<strong>et</strong>te approche héritée <strong>de</strong> l’époque romantique <strong>et</strong> nationaliste s’est ajoutée plus<br />
récemment un thème tout aussi efficace : celui <strong>de</strong> la phénoménologie religieuse,<br />
telle qu’elle s’est diffusée sous l’influence <strong><strong>de</strong>s</strong> œuvres <strong>de</strong> Mircea Elia<strong>de</strong>. À la base<br />
<strong>de</strong> ces théories se trouve le postulat que tous les phénomènes religieux sont
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 623<br />
i<strong>de</strong>ntiques, partout <strong>et</strong> toujours. Ce principe a conduit à une sorte <strong>de</strong> comparatisme<br />
direct dans lequel tout est censé correspondre à tout, <strong>et</strong> a créé <strong><strong>de</strong>s</strong> figures comme<br />
les Déesses mères, ou a attribué à <strong><strong>de</strong>s</strong> divinités indiennes <strong><strong>de</strong>s</strong> noms latins <strong>et</strong> viceversa.<br />
Et ainsi <strong>de</strong> suite. La critique <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te approche n’est plus à faire. Sous<br />
l’influence <strong><strong>de</strong>s</strong> anthropologues, les historiens se sont progressivement aperçu que<br />
le comparatisme universel que pratique M. Elia<strong>de</strong> <strong>et</strong> ceux qui le suivent est en fait<br />
une interprétation du mon<strong>de</strong> suivant <strong><strong>de</strong>s</strong> critères occi<strong>de</strong>ntaux mo<strong>de</strong>rnes. C<strong>et</strong>te<br />
inclination à assimiler toute conception religieuse à la nôtre rejoint la perspective<br />
romantique <strong>et</strong> sa vénération <strong>de</strong> la nature sacralisée, <strong>et</strong> a eu pour conséquence que<br />
les théories phénoménologiques se sont harmonieusement coulées dans le moule<br />
<strong>de</strong> l’historiographie traditionnelle.<br />
Pour ce qui concerne le culte <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux, M. Elia<strong>de</strong> institue les cultes <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux à côté<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> dieux ouraniens, <strong><strong>de</strong>s</strong> cultes solaires, <strong>de</strong> la mystique lunaire, <strong><strong>de</strong>s</strong> pierres <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
arbres sacrés, <strong>de</strong> la terre <strong>et</strong> <strong>de</strong> la fécondité (Traité d’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions, Paris 1974 2 ,<br />
165-187). Son cinquième chapitre, consacré au Eaux <strong>et</strong> au symbolisme aquatique<br />
commence par c<strong>et</strong>te phrase : « Dans une formule sommaire, on pourrait dire que les<br />
eaux symbolisent la totalité <strong><strong>de</strong>s</strong> virtualités ; elles sont à la fois fons <strong>et</strong> origo, la matrice<br />
<strong>de</strong> toutes les formes d’existence. » À l’appui, M. Elia<strong>de</strong> cite <strong><strong>de</strong>s</strong> textes védiques. C<strong>et</strong>te<br />
virtualité <strong>de</strong> toutes les formes, les Eaux (avec majuscule) la remplissent partout :<br />
« Quelle que soit la structure <strong><strong>de</strong>s</strong> ensembles culturels dans lesquels elles se trouvent,<br />
elles précè<strong>de</strong>nt toute forme <strong>et</strong> supportent toute création. L’immersion dans l’eau<br />
symbolise la régression dans le préformel, la régénération totale, la nouvelle naissance,<br />
car une immersion équivaut à une dissolution <strong><strong>de</strong>s</strong> formes, à une réintégration dans le<br />
mo<strong>de</strong> indifférencié <strong>de</strong> la préexistence… Le contact avec l’eau implique toujours la<br />
régénération ; d’une part, parce que la dissolution est suivie d’une ‘nouvelle<br />
naissance’, d’autre part, parce que l’immersion fertilise <strong>et</strong> augmente le potentiel <strong>de</strong><br />
vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> création. L’eau confère une ‘nouvelle naissance’ par un rite initiatique, elle<br />
guérit par un rituel magique », <strong>et</strong> ainsi <strong>de</strong> suite. Un peu plus loin (169), nous lisons<br />
que « Symbole cosmogonique, réceptacle <strong>de</strong> tous les germes, l’eau <strong>de</strong>vient la<br />
substance magique <strong>et</strong> médicinale par excellence ; elle guérit, elle rajeunit, assure la<br />
vie éternelle ». Et encore « L’eau vive rajeunit <strong>et</strong> donne la vie éternelle ; toute eau, par<br />
un processus <strong>de</strong> participation <strong>et</strong> <strong>de</strong> dégradation… est efficiente, fécon<strong>de</strong> ou<br />
médicinale. De nos jours encore, dans la Cornouaille, les enfants mala<strong><strong>de</strong>s</strong> sont<br />
immergés trois fois dans le puits <strong>de</strong> Saint-Mandron. En <strong>France</strong>, le nombre <strong>de</strong><br />
fontaines <strong>et</strong> <strong>de</strong> rivières guérissantes est considérable… hors <strong>de</strong> ces sources, d’autres<br />
eaux possè<strong>de</strong>nt une valeur en mé<strong>de</strong>cine populaire. » Comme preuve pour ces<br />
affirmations, Elia<strong>de</strong> cite le Folkore <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>de</strong> Paul Sébillot, notamment au volume<br />
II, 175-303 (Paris 1905), <strong>et</strong> d’autres folkloristes, anglais ou allemands, qui tous<br />
reprennent <strong>et</strong> développent les théories romantiques sur les cultes naturels, sur le sacré<br />
qui rési<strong>de</strong>rait <strong>et</strong> se manifesterait dans les phénomènes naturels. Jamais un document<br />
précis n’est cité dans son contexte ; seules sont invoqués quelques citations <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>résumés</strong> établis par <strong><strong>de</strong>s</strong> folkloristes. Rien dans c<strong>et</strong>te superficialité anachronique ne<br />
surprend le lecteur d’aujourd’hui, <strong>et</strong> pour cause : elle exprime élégamment la
624 JOHN SCHEID<br />
communis opinio <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt mo<strong>de</strong>rne, <strong>et</strong> son point <strong>de</strong> vue sur la religiosité, tel<br />
qu’il a été forgé par quinze siècles <strong>de</strong> pensée <strong>et</strong> <strong>de</strong> pratique judéo-chrétienne. Le<br />
véritable intérêt du Traité d’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions <strong>de</strong> M. Elia<strong>de</strong>, tout comme les écrits<br />
plus anciens <strong><strong>de</strong>s</strong> folkloristes <strong>et</strong> <strong>de</strong> ceux qui s’en inspirent rési<strong>de</strong> dans une réflexion<br />
contemporaine sur la religiosité, la nôtre <strong>et</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> autres, mesurée à l’aune <strong>de</strong> nos<br />
concepts <strong>et</strong> a priori.<br />
Les pages que Georg Wissowa (Religion und Kultus <strong>de</strong>r Römer, Munich 1912 2 ,<br />
219-229) a consacrées aux divinités <strong><strong>de</strong>s</strong> sources <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> fleuves donnent toutes les<br />
informations sur les divinités en cause, sur leur culte <strong>et</strong> leurs particularités <strong>et</strong><br />
reconnaissent parfaitement le caractère guérisseur <strong>de</strong> certaines <strong>de</strong> ces divinités, mais<br />
sans invoquer comme argument la survivance <strong>de</strong> ces fonctions dans le folklore<br />
mo<strong>de</strong>rne. De la même manière, G. Dumézil se conforme à la constatation qu’il<br />
fait dans le chapitre <strong>de</strong> sa Religion romaine archaïque intitulé Forces <strong>et</strong> éléments (Paris<br />
1987 2 , 379) : « En face <strong>de</strong> (l’)imposante représentation <strong><strong>de</strong>s</strong> forces qui animent<br />
l’agriculture <strong>et</strong> l’élevage, en face <strong>de</strong> Tellus qui les soutient <strong>et</strong> <strong>de</strong> Carna qui en rend<br />
efficaces les produits, les Romains n’ont pas fait large la part divine <strong>de</strong> l’eau. » Et<br />
dans la suite, sur <strong>de</strong>ux pages, il donne un résumé <strong>de</strong> Wissowa, avec quelques<br />
remarques <strong>de</strong> son crû. Pas davantage que chez Wissowa, le naturalisme religieux <strong>et</strong><br />
ses avatars romantiques ne jouent un rôle dans l’œuvre <strong>de</strong> Dumézil. C’est ce point<br />
<strong>de</strong> vue que nous avons adopté au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> ces leçons.<br />
Mais l’intitulé du <strong>cours</strong>, la mention du culte <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux, ne sont-ils pas déjà un<br />
choix, une concession faite à la phénoménologie ou au folklore ? D’une certaine<br />
manière oui, mais il faut bien se comprendre <strong>et</strong> savoir <strong>de</strong> quoi on parle. En<br />
revanche, les eaux <strong>et</strong> les sources ne sont pas pour nous les éléments vénérés en tant<br />
que tels, mais la propriété <strong><strong>de</strong>s</strong> divinités <strong><strong>de</strong>s</strong> sources ou <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> d’eau, près <strong><strong>de</strong>s</strong>quels<br />
<strong>et</strong> dans lesquels elles rési<strong>de</strong>nt.<br />
Revenons aux théories du passé concernant les eaux <strong>et</strong> les sources. Chez les<br />
folkloristes aussi bien que M. Elia<strong>de</strong> (cf. Traité 38) <strong>et</strong> ceux qui adoptent leurs idées,<br />
on décèle trois a priori avant tout. Le premier est fondamental <strong>et</strong> dépasse largement<br />
les eaux <strong>et</strong> les sources : tout phénomène naturel est censé être sacré. Et par sacré,<br />
ces théories enten<strong>de</strong>nt une qualité intrinsèque <strong>et</strong> agissante, presque indépendante<br />
<strong>de</strong> la divinité qui est en cause, telle qu’elles a été définie dans le célèbre livre <strong>de</strong><br />
Rudolf Otto sur Das Heilige (1917, traduit en français sous le titre Le Sacré en<br />
1929), ou dans les autres <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> la phénoménologie religieuse, comme ceux <strong>de</strong><br />
Van <strong>de</strong>r Leeuw ou <strong>de</strong> L. Lévy-Bruhl. Tous ces <strong>travaux</strong> conféraient une substance<br />
suprahistorique à c<strong>et</strong>te notion, à c<strong>et</strong>te essence, même si elle était liée, les documents<br />
obligent, à une hiérophanie. C’est une interprétation philosophique <strong>et</strong> théologique<br />
<strong>de</strong> l’histoire religieuse, qui aboutit au mystère <strong>de</strong> l’incarnation, comme chez Elia<strong>de</strong>,<br />
<strong>et</strong> non une enquête historique. Il va sans dire que c<strong>et</strong>te position ne peut aller <strong>de</strong><br />
pair qu’avec une approche très superficielle <strong>et</strong> réductrice <strong><strong>de</strong>s</strong> sources. En tout cas,<br />
le fait que dans les phénomènes naturels insolites se manifeste « le Sacré » est un<br />
premier a priori qu’il faut vérifier.
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 625<br />
La déduction <strong>de</strong> ce premier a priori est que l’eau, en tant que phénomène naturel<br />
souvent surprenant, est sacrée en elle-même. C<strong>et</strong>te déduction, qui paraît être<br />
confirmée par <strong><strong>de</strong>s</strong> documents comme le passage <strong>de</strong> Servius cité plus haut, n’implique<br />
toutefois pas que ce caractère sacré doive être interprété comme le font Elia<strong>de</strong> ou<br />
les folkloristes. Enfin, le troisième a priori rési<strong>de</strong> dans la vertu guérisseuse <strong>de</strong> l’eau.<br />
C<strong>et</strong>te affirmation non plus n’est pas fausse. Il existe <strong><strong>de</strong>s</strong> divinités <strong>de</strong> sources qui<br />
ont <strong><strong>de</strong>s</strong> vertus salutaires ou curatives. Mais c<strong>et</strong>te activité thérapeutique n’est pas la<br />
raison <strong>de</strong> leur caractère sacré <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur culte. Malgré un avertissement (« Épigraphie<br />
<strong>et</strong> sanctuaires guérisseurs en Gaule », dans Mélanges <strong>de</strong> l’École Française <strong>de</strong> Rome.<br />
Antiquité 104, 1992, 25-40), que certains collègues ont pris au sérieux,<br />
l’interprétation traditionnelle continue. On peut par exemple lire dans un article<br />
<strong>et</strong> un ouvrage récents que nous ne parlerions en fait que <strong><strong>de</strong>s</strong> textes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions,<br />
mais que dans la réalité, sur le terrain, dans l’archéologie, il en irait différemment.<br />
On nous apprend dans c<strong>et</strong> article qu’« il convient… <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre entre parenthèses,<br />
sur <strong><strong>de</strong>s</strong> matières aussi délicates <strong>et</strong> qui touchent aux mentalités profon<strong><strong>de</strong>s</strong>, le<br />
scepticisme <strong>de</strong> mise chez les purs intellectuels — il s’agit <strong>de</strong> l’auteur <strong>de</strong> ce <strong>cours</strong> —,<br />
qui risquent <strong>de</strong> passer à côté <strong>de</strong> survivances précieuses » (Raymond Chevallier,<br />
« Problématique <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cultes <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux thermales : Gaule <strong>et</strong> Italie du Nord »,<br />
dans Lidio Gasperini, Usus veneratioque fontium. Fruizione e culto <strong>de</strong>lle acque<br />
salutari nell’Italia romana , Tivoli 2006, 139-160, notamment 153). Nous<br />
nous sommes par conséquent attaché dans ces <strong>cours</strong> à prouver une fois <strong>de</strong> plus,<br />
non seulement à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> documents explicites, qu’il s’agisse <strong><strong>de</strong>s</strong> textes littéraires<br />
<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions, nourriture du « pur intellectuel », mais encore à l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
sources archéologiques explicites, explorées la truelle <strong>et</strong> le crayon à la main, que<br />
toutes les sources <strong>et</strong> eaux ne sont pas guérisseuses, <strong>et</strong> que celles qui le sont opèrent<br />
selon d’autres modalités que nos centres thermaux mo<strong>de</strong>rnes ou nos hôpitaux.<br />
À ce propos, nous avons brièvement mentionné l’argument <strong>de</strong> la survivance, qui<br />
est régulièrement invoqué <strong>de</strong>puis le XIX e s. Tel qu’il est utilisé dans la bibliographie<br />
plus ancienne, c’est-à-dire <strong>de</strong> façon très superficielle <strong>et</strong> acritique, il ne vaut rien.<br />
Constater que telle source se trouve près d’une église où se déroulent <strong><strong>de</strong>s</strong> dévotions <strong>et</strong><br />
où auraient lieu <strong><strong>de</strong>s</strong> miracles, ne suffit pas pour établir l’existence d’un culte <strong>de</strong> source<br />
antique, <strong>et</strong> notamment d’une source guérisseuse. Le suj<strong>et</strong> est en lui-même passionnant,<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong>vrait mériter une attention scientifique plus gran<strong>de</strong>. Mais pour ce faire, il<br />
convient <strong>de</strong> travailler sur les documents plutôt que <strong>de</strong> se fon<strong>de</strong>r sur <strong><strong>de</strong>s</strong> intuitions<br />
déterminées par le folklore chrétien ou l’hagiographie mineure. Ainsi, par exemple,<br />
l’étu<strong>de</strong> récemment parue <strong>de</strong> Giovanna Alvino <strong>et</strong> <strong>de</strong> Tersilio Leggio (« Acque e culti<br />
salutari in Sabina », dans Lidio Gasperini, Usus veneratioque fontium. Fruizione e culto<br />
<strong>de</strong>lle acque salutari nell’Italia romana , Tivoli 2006, 17-54) examine-t-elle la<br />
question <strong><strong>de</strong>s</strong> Aquae Cutiliae. Il s’agit sans aucun doute d’un <strong><strong>de</strong>s</strong> cultes aquatiques les<br />
plus connus <strong>de</strong> l’Italie antique, <strong>et</strong> du culte le plus important <strong>de</strong> Sabine. Or les<br />
bâtiments <strong>et</strong> installations antiques furent rapi<strong>de</strong>ment abandonnés, <strong>et</strong> au <strong>cours</strong> du<br />
Moyen Âge le site ne fut plus utilisé du tout, notamment en raison <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations<br />
religieuses <strong>et</strong> du style <strong>de</strong> vie. Et même plus tard, au XVI e s., les humanistes
626 JOHN SCHEID<br />
reconnaissaient que le souvenir thérapeutique <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux avait survécu sur le plan local,<br />
mais que les qualités <strong>de</strong> l’eau ne correspondaient pas aux indications <strong>de</strong> Pline<br />
l’Ancien. En tout cas, les <strong>de</strong>ux savants démontrent que l’utilisation <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux était<br />
désormais épisodique <strong>et</strong> dépourvue <strong>de</strong> tout aspect religieux. Et il en va <strong>de</strong> même avec<br />
beaucoup d’autres sites antiques, qui ne sont plus un lieu <strong>de</strong> cure <strong>de</strong> nos jours, <strong>et</strong><br />
inversement, beaucoup <strong>de</strong> sites thermaux actuels n’ont pas été utilisés dans<br />
l’Antiquité. Pour se prononcer sur l’existence d’une survivance du culte d’une source,<br />
il convient donc <strong>de</strong> disposer d’une documentation qui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> reconstituer la vie<br />
du site pendant le Moyen Âge <strong>et</strong> l’époque mo<strong>de</strong>rne, <strong>et</strong> <strong>de</strong> documents antiques<br />
établissant sans ambiguïté l’existence d’une exploitation <strong>de</strong> la source <strong>et</strong> <strong>de</strong> son culte.<br />
L’intérêt <strong>de</strong> ce type d’enquête dépasse le problème <strong><strong>de</strong>s</strong> cultes <strong>de</strong> source <strong>et</strong> concerne<br />
tous les lieux <strong>de</strong> culte, surtout ceux qui étaient situés sur le territoire rural <strong><strong>de</strong>s</strong> cités.<br />
Bien souvent, quand nous disposons <strong>de</strong> sources documentaires, nous nous rendons<br />
compte qu’entre la réutilisation d’un site au Moyen Âge ou l’époque mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong><br />
l’abandon du lieu <strong>de</strong> culte antique, il existe une longue solution <strong>de</strong> continuité. Et<br />
quand le site est réutilisé, le contexte religieux du sanctuaire <strong>et</strong> sa fonction sont très<br />
différents. Autrement dit, la question <strong><strong>de</strong>s</strong> survivances n’est nullement inintéressante.<br />
Elle est trop importante pour être invoquée à tort <strong>et</strong> à travers, <strong>et</strong> sans le support d’un<br />
socle documentaire sérieux.<br />
Le concept <strong>de</strong> sanctuaire naturel dans l’Antiquité<br />
Nous avons conduit l’enquête en <strong>de</strong>ux temps. Nous avons d’abord feuill<strong>et</strong>é les<br />
auteurs antiques pour découvrir quelle signification avaient pour eux les phénomènes<br />
naturels <strong>et</strong> notamment les sanctuaires <strong>de</strong> sources. Dans un premier temps, nous<br />
avons repris le dossier <strong><strong>de</strong>s</strong> bois sacrés, tel que nous l’avions développé il y a quelques<br />
années dans un colloque (O. <strong>de</strong> Cazanove (éd.), Les bois sacrés, Naples, 10, 1993,<br />
13-20), en y ajoutant quelques précisions, Le spectacle <strong>de</strong> la nature intacte,<br />
impressionnante <strong>et</strong>, pour ainsi dire, originelle, suscitait chez les Anciens un certain<br />
effroi, qui ne provoquait toutefois pas l’extase mystique. Tout au contraire, le frisson<br />
éveillait la raison <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> réactions religieuses tout à fait rationnelles. Les forêts<br />
profon<strong><strong>de</strong>s</strong>, les marécages, les lacs insondables <strong>et</strong> la haute montagne situés à l’extérieur<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> espaces habités passaient pour chaotiques, laids <strong>et</strong> terrifiants, ils n’attiraient<br />
personne. Ils correspondaient à ce que les philologues appellent le locus horridus,<br />
contraire du locus amoenus (cf. Ermanno Malaspina, « Tipologia <strong>de</strong>ll’inameno nella<br />
l<strong>et</strong>teratura latina. Locus horridus, paesaggio eroico, paesaggio dionisiaco : una<br />
proposta di risistemazione », dans Aufidus 23, 1994, 7-22). Seuls les phénomènes<br />
naturels inclus dans l’espace humain pouvaient susciter <strong><strong>de</strong>s</strong> émotions profon<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />
L’effroi qu’ils soulevaient débouchait sur une réflexion concernant l’ordre <strong><strong>de</strong>s</strong> choses.<br />
Nous avons ensuite regardé <strong>de</strong> près les <strong>de</strong>ux textes qui développent la signification<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes naturels, ceux <strong>de</strong> Sénèque (L<strong>et</strong>tres à Lucilius 3, 41, 1-5) <strong>et</strong> <strong>de</strong> Pline<br />
l’Ancien (Histoire naturelle 12, 3-5) que tous les auteurs ont invoqué <strong>de</strong>puis le début
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 627<br />
du XIX e s. Sénèque <strong>et</strong> Pline considèrent les bois sacrés dans leur majesté comme <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
lieux intacts, sombres, déserts, stériles, autrement dit comme <strong><strong>de</strong>s</strong> réalités non<br />
artificielles, non créées, non entr<strong>et</strong>enues <strong>et</strong> non habitées par l’homme. Avant d’aller<br />
plus loin, nous avons souligné que les <strong>de</strong>ux auteurs n’assimilent nullement les bois<br />
sacrés ou les autres phénomènes naturels surprenants à <strong><strong>de</strong>s</strong> divinités. Dans un exposé<br />
général sur les qualités <strong><strong>de</strong>s</strong> arbres, Pline affirme que jadis les forêts servaient <strong>de</strong><br />
temples aux divinités ; avant <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>r dans <strong><strong>de</strong>s</strong> temples construits <strong>de</strong> main<br />
d’homme, c’est dans les forêts que les dieux habitaient. D’autre part, un arbre pouvait<br />
être dédié à une divinité, en raison <strong>de</strong> son aspect remarquable ou <strong>de</strong> son essence<br />
particulière. Enfin, Pline rappelle que les mythes ont peuplé les forêts <strong>de</strong> Silvains, <strong>de</strong><br />
Faunes <strong>et</strong> <strong>de</strong> diverses sortes <strong>de</strong> déesses. Nulle part, toutefois, il ne déclare que les<br />
dieux étaient <strong><strong>de</strong>s</strong> arbres, ou les arbres <strong><strong>de</strong>s</strong> dieux ; aucun culte n’est rendu à <strong><strong>de</strong>s</strong> arbres.<br />
Chez Sénèque, il s’agit d’illustrer à Lucilius comment un spectacle extraordinaire<br />
conduit à la supposition qu’un dieu est à l’œuvre dans c<strong>et</strong>te chose, ou dans c<strong>et</strong><br />
homme. Car Sénèque veut démontrer qu’il y a un dieu qui agit dans chacun d’entre<br />
nous. Les phénomènes naturels servent <strong>de</strong> preuve à son argumentation. Le spectacle<br />
d’un vieux bois sacré provoque un choc, mais c<strong>et</strong> ébranlement frappe l’animus,<br />
« l’esprit », <strong>et</strong> suscite un mouvement <strong>de</strong> recul respectueux plutôt qu’un élan mystique.<br />
L’aspect exceptionnel du lieu signale l’intervention d’un dieu, d’une uis ou d’un<br />
numen divins. Créé <strong>et</strong> poussé à <strong><strong>de</strong>s</strong> hauteurs ou <strong><strong>de</strong>s</strong> profon<strong>de</strong>urs effarantes par la<br />
volonté d’un dieu, un lucus révèle par son aspect miraculeux qu’il n’est pas <strong>de</strong> ce<br />
mon<strong>de</strong>, ou que son créateur <strong>et</strong> maître ne sont pas du mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> humains. Le numen<br />
évoqué par Sénèque ne désigne jamais, jusqu’à l’époque d’Auguste, <strong>et</strong> même au-<strong>de</strong>là,<br />
une « réalité numineuse » ou une « divinité ». G. Dumézil (La religion romaine<br />
archaïque, Paris 1987 2 , 36-48 pour la bibliographie) a prouvé définitivement, contre<br />
les tenants <strong>de</strong> l’animisme, que ni les emplois du terme, ni les contextes ne prouvent<br />
l’existence <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te forme divine diffuse <strong>et</strong> anonyme, qui ressemble tant à la Weltseele<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Romantiques. Le texte <strong>de</strong> Sénèque est parfaitement clair, comme le sont<br />
également celui <strong>de</strong> Virgile racontant la visite d’Énée sur le site du futur Capitole<br />
(Enéi<strong>de</strong>. 8, 352), ou la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong>de</strong> l’Antre <strong>de</strong> Cilicie par Pomponius Mela<br />
(Chorographie 1, 72-75) : les dieux habitent ces lieux, « ils se révèlent avec une sorte<br />
<strong>de</strong> puissance divine ». Virgile n’écrit pas quis <strong>de</strong>us, incertum est, est <strong>de</strong>us, mais quis<br />
<strong>de</strong>us, incertum est, habitat <strong>de</strong>us. Et le specus <strong>de</strong> Cilicie est augustus <strong>et</strong> uere sacer<br />
habitarique a diis <strong>et</strong> dignus <strong>et</strong> creditus, nihil non uenerabile <strong>et</strong> quasi cum aliquo numine<br />
se ostentat. Le merveilleux est un signe du divin, il renvoie à l’intervention d’une<br />
divinité, à son action, sa volonté (numen), à sa présence dans un lieu, <strong>et</strong> non à la<br />
divinité <strong>de</strong> ce lieu ou <strong>de</strong> c<strong>et</strong> être, <strong>et</strong> à la Nature créatrice. Autrement l’homme idéal<br />
imaginé par Sénèque, dont on reconnaît qu’il est habité par le souffle d’un dieu,<br />
serait lui-même dieu, ce qui ne correspond ni à l’intention ni à l’opinion <strong>de</strong> Sénèque.<br />
Par conséquent, les exemples pris par Sénèque pour illustrer son argumentation ne<br />
peuvent pas être interprétés différemment : les bois sacrés, les cavernes (non manu<br />
factas, « qui ne sont faites <strong>de</strong> main humaine »), les fluminum capita, « les sources <strong>de</strong><br />
fleuves », les sources chau<strong><strong>de</strong>s</strong> ou les étangs insondables sont l’œuvre, la propriété <strong>et</strong>/<br />
ou le lieu <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce d’une divinité, ils ne sont pas <strong><strong>de</strong>s</strong> dieux eux-mêmes.
628 JOHN SCHEID<br />
Sacrés en tant que propriété <strong>et</strong> lieu <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce d’une divinité, les bois sacrés<br />
portent la marque du non-humain, du surhumain. Car, il faut encore le souligner,<br />
sacer signifie, malgré les emplois métaphoriques du terme, « ce qui appartient à un<br />
dieu », <strong>et</strong> cela seulement « après consécration officielle par un agent du Peuple<br />
romain ». Les textes <strong>de</strong> Sénèque <strong>et</strong> <strong>de</strong> Pomponius Mela contiennent <strong>de</strong> nombreux<br />
renvois à la signification précise du terme sacer : habitare — augustus <strong>et</strong> uere sacer<br />
— habitarique a diis ; uis isto diuina <strong><strong>de</strong>s</strong>cendit ; caelestis potentia agitat ; sine<br />
adminiculo numinis — cum aliquo numine se ostentat. Le problème <strong>de</strong> la relation<br />
entre la nature <strong>et</strong> la religion se pose sans doute en d’autres termes dans d’autres<br />
civilisations, mais il semble que, dans le mon<strong>de</strong> romain, c’est <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te manière qu’il<br />
faut comprendre les sources.<br />
Quelle est alors la signification religieuse <strong><strong>de</strong>s</strong> bois sacrés à Rome ? Il ne s’agit pas <strong>de</strong><br />
donner d’emblée une réponse globale, applicable à la fois aux représentations que<br />
nous trouvons dans les documents littéraires <strong>et</strong> aux témoignages liturgiques <strong>et</strong><br />
archéologiques. Ces <strong>de</strong>ux ordres <strong>de</strong> documents appartiennent à <strong>de</strong>ux univers<br />
différents, dont les lois ne sont pas les mêmes. Dans les rituels <strong>et</strong> sur le terrain, un<br />
bois sacré est une réalité « mu<strong>et</strong>te », dont seuls l’agencement <strong>et</strong> les règles liturgiques<br />
peuvent définir le caractère, <strong>de</strong> manière implicite <strong>et</strong> suivant <strong><strong>de</strong>s</strong> contextes très<br />
variables. Même si elles ne s’appuient pas sur c<strong>et</strong>te même réalité cultuelle, les<br />
définitions <strong>et</strong> les <strong><strong>de</strong>s</strong>criptions <strong><strong>de</strong>s</strong> antiquaires, grammairiens, poètes ou philosophes<br />
appartiennent à l’ordre <strong>de</strong> l’interprétation, <strong>et</strong> se placent sur un plan général <strong>et</strong> dans<br />
une logique qui n’est régie par aucune contrainte rituelle. On peut certes s’attendre à<br />
ce que ces <strong>de</strong>ux ordres <strong>de</strong> sources se rejoignent, mais la pru<strong>de</strong>nce recomman<strong>de</strong> <strong>de</strong> les<br />
analyser séparément. L’approche archéologique <strong>et</strong> liturgique du problème est difficile.<br />
Devant l’apparent « silence » <strong><strong>de</strong>s</strong> sources non littéraires, il est nécessaire d’explorer<br />
dans un premier temps la signification du terme lucus chez les auteurs latins, sans<br />
vouloir réduire entièrement les sources archéologiques <strong>et</strong> rituelles à c<strong>et</strong>te définition.<br />
Les érudits romains donnent <strong><strong>de</strong>s</strong> bois sacrés <strong>de</strong>ux définitions concurrentes, qui ne<br />
sont pas exclusives. D’une part, un lucus est, à proprement parler, une « clairière »<br />
ouverte dans un bois (Ernout-Meill<strong>et</strong>, Dictionnaire étymologique <strong>de</strong> la langue<br />
latine s.v. ; Thesaurus Linguae latinae s.v.). D’autre part, sur un plan plus général, les<br />
Romains établissent également une opposition entre le lucus, <strong>et</strong> les <strong>de</strong>ux autres<br />
termes désignant les forêts, nemus <strong>et</strong> silua. Le texte <strong>de</strong> référence est extrait du<br />
Commentaire <strong>de</strong> l’Enéi<strong>de</strong> par le grammairien Servius, dans la version <strong>de</strong> P. Daniel :<br />
« Un lucus est un ensemble d’arbres soumis à <strong><strong>de</strong>s</strong> obligations religieuses, le nemus un<br />
ensemble d’arbres bien ordonné, <strong>et</strong> la silua une forêt épaisse <strong>et</strong> sans entr<strong>et</strong>ien »<br />
(Servius <strong>de</strong> P. Daniel, Commentaire <strong>de</strong> l’Énéi<strong>de</strong> 1, 310 : Interest… inter nemus <strong>et</strong><br />
siluam <strong>et</strong> lucum ; lucus enim est arborum multitudo cum religione, nemus uero composita<br />
multitudo arborum ; silua diffusa <strong>et</strong> inculta.) C<strong>et</strong>te définition est celle d’un<br />
grammairien du V e s., il faut le préciser, <strong>et</strong> ne donne pas forcément le sens <strong>de</strong> ces<br />
termes <strong>et</strong> <strong>de</strong> ces réalités religieuses, qui ont pu en outre varier selon le lieu <strong>et</strong> le<br />
temps. Mais faute <strong>de</strong> mieux, nous pouvons débuter un raisonnement à partir <strong>de</strong> ces<br />
définitions.
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 629<br />
Même s’ils sont composés d’arbres en nombre important, le lucus <strong>et</strong> le nemus ne<br />
sont ni épais ni privés d’entr<strong>et</strong>ien. Le nemus est soumis à l’activité humaine, qui<br />
l’ordonne en bois harmonieux, composita multitudo. La silua est manifestement<br />
soustraite à toute action : elle est un ensemble d’arbres non entr<strong>et</strong>enus. Enfin,<br />
d’après notre définition, le lucus n’est apparemment ni harmonieusement composé,<br />
ni abandonné à lui-même ; d’autre part, contrairement au nemus ou à la silua, le<br />
lucus possè<strong>de</strong> un statut sacré, il est soumis à <strong><strong>de</strong>s</strong> obligations religieuses. Par rapport<br />
aux trois autres types <strong>de</strong> bois, le lucus seul est toujours sacré, lié à <strong><strong>de</strong>s</strong> observations<br />
religieuses. Des autres rien <strong>de</strong> tel n’est dit. Et comme l’écrivent le grammairien<br />
Servius <strong>et</strong> le philologue italien Erm. Malaspina (« Nemus sacrum ? Il ruolo di nemus<br />
nel campo semantico <strong>de</strong>l bosco sino a Virgilio : osservazioni di lessico e di<br />
<strong>et</strong>imologia », dans Qua<strong>de</strong>rni <strong>de</strong>l dipartimento di filologi, a linguistica e tradizione<br />
classica 1995 ; 75-97, notamment 77), sacer signifie « cultuel, rituel » c’est-à-dire<br />
désigne une qualité créée par les mortels <strong>et</strong> non par les dieux. En revanche, comme<br />
Malaspina le prouve, nemus n’a jamais la valence religieuse, même si dans la langue<br />
poétique le terme peut s’appliquer aussi bien à silua qu’à saltus. Si Caton (Origines<br />
II, 21 Jordan = 58 P<strong>et</strong>er = II, 28 Chassign<strong>et</strong> : Lucum Dianium in Nemore Aricino<br />
Egerius Baebius Tusculanus <strong>de</strong>dicauit dictator Latinus) situe le Lucus Dianius in<br />
Nemore Aricino, cela signifie, d’après Malaspina, que le Nemus Aricinus était un<br />
toponyme. La partie sacrée <strong>de</strong> ce grand bois <strong><strong>de</strong>s</strong> Collines albaines, appelé le Nemus<br />
d’Aricie, était le lucus, la clairière cultuelle <strong>de</strong> Diane.<br />
Deux faits perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> mieux comprendre la nature <strong><strong>de</strong>s</strong> bois sacrés. D’un côté,<br />
ils sont propriété d’une divinité, qui est reconnue <strong>et</strong> enregistrée comme telle par<br />
les humains, après que les dieux eux-mêmes se sont consacré ces lieux. Quand Énée<br />
visite le site <strong>de</strong> Rome, le Capitole l’impressionne, parce qu’il ressent qu’une divinité<br />
y est déjà à l’œuvre. (Enéi<strong>de</strong> 8, 352). Il en va <strong>de</strong> même avec les lieux foudroyés.<br />
D’un lieu où la foudre était tombée, les Romains « pensaient qu’il <strong>de</strong>venait<br />
d’emblée religiosus, parce que la divinité paraissait l’avoir dédié à elle-même » (Paul<br />
Diacre, Abrégé <strong>de</strong> Festus, p. 82 édition Lindsay : Fulguritum, id quod est fulmine<br />
ictum, qui locus statim fieri putabatur religiosus, quod eum <strong>de</strong>us sibi dicasse vi<strong>de</strong>r<strong>et</strong>ur).<br />
Dans ce texte religiosus désigne ce qui est marqué d’une obligation religieuse, avec<br />
sans doute une nuance péjorative, étant donné le côté négatif <strong>de</strong> l’événement. Ce<br />
qui paraît important, c’est, pour citer le dictionnaire <strong>de</strong> Festus, le fait que les<br />
divinités paraissaient s’être consacré ces lieux à elles-mêmes. Dans un cas, une<br />
intervention directe, la foudre qui tombe <strong>et</strong> désigne un lieu, dans l’autre un espace<br />
qui par ses caractéristiques apparaît comme une propriété divine.<br />
Mais il convient <strong>de</strong> nuancer c<strong>et</strong>te conclusion : il s’agit d’interprétations <strong>et</strong> non<br />
<strong>de</strong> données cultuelles. En fait, les bois sacrés étaient définis, libérés <strong>et</strong> consacrés<br />
comme les temples, ainsi que Filippo Coarelli a raison <strong>de</strong> le souligner (dans O. <strong>de</strong><br />
Cazanove (éd.), Les bois sacrés, Naples, 1993, 13-20). Par exemple, d’après Caton,<br />
que nous venons <strong>de</strong> citer, le dictateur latin Egerius Baebius dédia (<strong>de</strong>dicauit) le<br />
bois sacré <strong>de</strong> Diane dans le Bois d’Aricie. La différence est aussi marquée quand<br />
les augures définissent par la parole <strong>et</strong> libèrent un terrain afin <strong>de</strong> l’inaugurer,
630 JOHN SCHEID<br />
c’est-à-dire pour en faire un templum au sens premier, un terrain orienté selon les<br />
points cardinaux <strong>et</strong> définis après consultation <strong>de</strong> Jupiter. Le templum est un lieu<br />
installé en commun par Jupiter <strong>et</strong> les représentants <strong>de</strong> la cité, le bois sacré qui<br />
existait par exemple au Capitole avant la libération du lieu <strong>de</strong> toute servitu<strong>de</strong>, sa<br />
définition par la parole <strong>et</strong> enfin l’inauguration, était un lieu que les dieux avaient<br />
eux-mêmes créé <strong>et</strong> occupé. Enfin, les rites <strong><strong>de</strong>s</strong> arvales en leur bois sacré montrent<br />
que le côté impénétrable <strong>et</strong> sauvage est en fait construit par les interdits, les<br />
expiations <strong>et</strong> l’élagage rituel qui a lieu chaque année. Le lucus est une catégorie<br />
rituelle, le reste ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> commentaires <strong>de</strong> rites ou <strong><strong>de</strong>s</strong> définitions lexicographiques.<br />
Mais ces interprétations ont l’avantage <strong>de</strong> révéler comment les Anciens comprenaient<br />
les phénomènes naturels surprenants.<br />
Les sanctuaires <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux d’après les Anciens<br />
À côté d’autres documents examinés, la plus belle <strong><strong>de</strong>s</strong>cription d’un sanctuaire <strong>de</strong><br />
source est celle que Pline le Jeune fait <strong>de</strong> sa visite aux sources du Clitumne, près<br />
<strong>de</strong> Mévania, en Ombrie (L<strong>et</strong>tres 8, 8).<br />
La l<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> Pline décrit avec une relative précision l’aménagement du site <strong>et</strong> les<br />
pratiques cultuelles qui étaient pratiquées. Il est extraurbain, <strong>et</strong> appartient à la<br />
colonie <strong>de</strong> Hispellum (Spello), formant <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce une enclave sur le territoire<br />
<strong>de</strong> Spolète. Le lieu <strong>de</strong> culte n’a jamais été r<strong>et</strong>rouvé. Dans le sanctuaire du Clitumne,<br />
la divinité rési<strong>de</strong> avant tout dans un élément naturel, ici la source jaillissante, mais<br />
elle dispose également d’un temple construit au bord du bassin, <strong>de</strong> la même manière<br />
que dans un bois sacré existe souvent un temple (E. Lefèvre, « Plinius-Studien IV.<br />
Die Naturauffassung in <strong>de</strong>n Beschreibungen <strong>de</strong>r Quelle am Lacus Larius (4, 30), <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Clitumnus (8, 8) und <strong><strong>de</strong>s</strong> Lacus Vadimo (8, 20) », dans Gymnasium, 95, 1988, 236-<br />
269). Ce temple <strong>de</strong>vait être mo<strong><strong>de</strong>s</strong>te, car il n’a laissé aucune trace. Pline décrit<br />
l’aménagement <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> lieu cultuel <strong>de</strong> manière très précise. Au sanctuaire<br />
<strong>de</strong> Clitumne, les clivages spatiaux sont n<strong>et</strong>tement soulignés. Le centre du sanctuaire<br />
est constitué par une source située au pied d’une colline à pente douce boisée <strong>de</strong><br />
cyprès : « Une médiocre hauteur se dresse, boisée <strong>et</strong> ombragée par d’antiques cyprès.<br />
À son pied la source jaillit <strong>et</strong> se répand par plusieurs fil<strong>et</strong>s inégaux ; une fois dégagée<br />
du bouillonnement qu’elle forme, elle s’étale en un large bassin, limpi<strong>de</strong> <strong>et</strong><br />
transparente, si bien qu’il est possible d’y compter les pièces (stipes) qu’on y j<strong>et</strong>te <strong>et</strong><br />
les cailloux qui brillent ». Pline parle d’une colline boisée <strong>et</strong> sombre, qui peut<br />
correspondre au lucus <strong>de</strong> Clitumne évoqué par Properce (cf. pour toutes les citations,<br />
A. Dubourdieu, « Les sources du Clitumne. De l’utilisation <strong>et</strong> du classement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
sources littéraires », dans Cahiers du Centre Gustave Glotz 8, 1997, 131-149). Par<br />
ailleurs, toujours d’après Pline, <strong><strong>de</strong>s</strong> frênes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> peupliers entourent le bassin <strong>de</strong> la<br />
source. On a donc l’impression que, comme dans les bois sacrés que nous avons vus<br />
précé<strong>de</strong>mment, le lieu <strong>de</strong> culte proprement dit s’étend dans une sorte <strong>de</strong> clairière,<br />
puisqu’il s’ouvre dans une forêt opaque.
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 631<br />
Sur le bord <strong>de</strong> ce bassin se dresse un templum avec une statue <strong>de</strong> Clitumne en toge<br />
prétexte. C<strong>et</strong>te tenue n’est pas anodine, car elle indique que dans ce sanctuaire public<br />
la divinité exerce le pouvoir, autrement dit que son numen y est présent ; sa volonté<br />
<strong>et</strong> son pouvoir sont efficaces en ce lieu. Maître du lieu, Clitumne n’est pas seul dans<br />
son sanctuaire. Conformément aux principes du polythéisme antique, son temple<br />
est entouré <strong><strong>de</strong>s</strong> chapelles d’un certain nombre d’autres divinités. « Chacune a son<br />
culte spécial, son nom <strong>et</strong> quelques unes même leurs sources. Car outre Clitumne qui<br />
est comme le père <strong><strong>de</strong>s</strong> autres, il y en a <strong>de</strong> plus p<strong>et</strong>ites, ayant chacune leur lieu<br />
d’origine, mais qui viennent se mêler à la rivière sur laquelle est un pont. ». Nous<br />
ignorons quels sont ces dieux, mais ce ne sont pas forcément <strong><strong>de</strong>s</strong> divinités <strong>de</strong> sources,<br />
car Pline précise que certaines <strong>de</strong> ces divinités possè<strong>de</strong>nt même une source. Nous<br />
découvrons donc que les divinités vénérées près d’une source ne sont pas simplement<br />
la source, mais les propriétaires <strong>de</strong> la source. Pline distingue donc les Aquae, le fons<br />
ou les Nymphes <strong>de</strong> la divinité qui est leur maître.<br />
Un peu plus bas que le temple <strong>et</strong> son bassin, un pont se j<strong>et</strong>te sur le Clitumne,<br />
qui représente « la limite du sacré <strong>et</strong> du profane », is terminus sacri profanique<br />
(8, 8, 5). En amont, on peut seulement se déplacer en barque, donc à la surface<br />
<strong>de</strong> l’eau inviolable ; en <strong>de</strong>çà du pont, l’eau est profane, c’est-à-dire propre à<br />
l’utilisation par les humains. La partie sacrée <strong>de</strong> la source, donc tout ce qui est en<br />
amont du pont, est aussi inviolable qu’un lucus, une aire consacrée ou la cella d’une<br />
ae<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong>et</strong> on y pénètre uniquement pour célébrer le culte, pour préparer ou pour<br />
entr<strong>et</strong>enir le sanctuaire.<br />
La distinction entre sacré <strong>et</strong> profane, entre propriété inviolable <strong>de</strong> la divinité <strong>et</strong><br />
espace ouvert à l’utilisation humaine, est attestée également sur une inscription <strong>de</strong><br />
Tivoli (ILLRP 510), <strong>et</strong> dans les fameux règlements <strong><strong>de</strong>s</strong> bois sacrés <strong>de</strong> Spolète <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
Lucérie (ILLRP 505-6 <strong>et</strong> 504), ou <strong>de</strong> l’autel <strong>de</strong> Vulcain au Quirinal (ILS 4914).<br />
C’est donc une règle <strong>de</strong> droit sacrée générale que Pline décrit ici, une règle qui est<br />
attestée ailleurs. De même qu’un chemin donne accès à un bois sacré, on peut<br />
atteindre par barque le centre du sanctuaire, sans toutefois pouvoir pénétrer dans<br />
l’eau. Pline ne décrit que l’aspect touristique <strong>de</strong> ce traj<strong>et</strong> en barque, mais il est<br />
vraisemblable que la même voie était empruntée par ceux qui célébraient le culte<br />
ou consultaient, par exemple, l’oracle. Les règles concernant le lac sacré Vadimon,<br />
décrit par Pline quelques l<strong>et</strong>tres plus loin (8, 20, 5), sont plus sévères, car toute<br />
navigation y est interdite, sans doute parce que le lieu <strong>de</strong> culte proprement dit se<br />
situait en marge du lac, <strong>et</strong> qu’on n’avait pas besoin d’aller plus loin.<br />
Le sanctuaire <strong>de</strong> Clitumne ou le lac Vadimon appartiennent au même type <strong>de</strong><br />
sanctuaire que les sources <strong><strong>de</strong>s</strong> grands <strong>cours</strong> d’eau, les bois sacrés, les grottes, les<br />
sources chau<strong><strong>de</strong>s</strong> ou les lacs d’une profon<strong>de</strong>ur insondable, pour utiliser l’énumération<br />
<strong>de</strong> Sénèque que nous avons commentée au début du <strong>cours</strong>. Autrement dit, il s’agit<br />
toujours <strong>de</strong> phénomènes naturels surprenants. Le sanctuaire du Clitumne l’était par<br />
la clarté exceptionnelle <strong>de</strong> son eau, <strong>et</strong> pas sa puissance : quand il jaillit, il possè<strong>de</strong><br />
tout <strong>de</strong> suite une force <strong>et</strong> une puissance extraordinaires (8, 8, 2 ). Le Lac Vadimon
632 JOHN SCHEID<br />
est merveilleux par ses îles flottantes. Ces lieux naturels surprenants n’étaient pas<br />
sacrés en eux-mêmes, comme nous l’avons vu. Et Pline n’écrit rien <strong>de</strong> tel. Ils l’étaient<br />
en tant qu’ils étaient la création immédiate d’une divinité <strong>et</strong> une propriété divine<br />
immédiate, que les hommes se bornaient à reconnaître <strong>et</strong> à consacrer comme telles.<br />
D’un côté le bassin qui est sacré, qui est la rési<strong>de</strong>nce du dieu <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses pairs, où l’on<br />
ne peut pénétrer, <strong>de</strong> l’autre la même eau, désormais profane, où l’on peut pénétrer <strong>et</strong><br />
dont ont peut aussi se servir. Les eaux sacrées sont donc intouchables par les humains.<br />
Ceux-ci peuvent les contempler, se mouvoir à leur surface, y faire <strong><strong>de</strong>s</strong> offran<strong><strong>de</strong>s</strong>, mais<br />
jamais s’en servir pour <strong><strong>de</strong>s</strong> activités humaines. C<strong>et</strong>te règle, qu’il faudra essayer <strong>de</strong><br />
détecter ailleurs, est en tous points conforme aux qualités spécifiques <strong>de</strong> l’espace<br />
sacré dans le droit sacré romain ; elle vaut pour les bois sacrés aussi bien que pour les<br />
temples, pour les espaces qualifiés <strong>de</strong> sacrés.<br />
Nous avons ensuite r<strong>et</strong>rouvé c<strong>et</strong>te représentation du sanctuaire <strong>de</strong> source dans<br />
<strong>de</strong>ux images, celles qui ornent la patère dite d’Otañez (Fr. Diez <strong>de</strong> Velasco,<br />
Termalismo y religion. La sacralización <strong>de</strong>l agua termal en la Peninsula Ibérica y el<br />
norte <strong>de</strong> Africa en el mundo antico, Madrid 1988, 47-48) <strong>et</strong> le manche d’une patère<br />
<strong>de</strong> Capheaton (Northumberland, au British Museum). Dans les <strong>de</strong>ux cas, la source<br />
<strong>et</strong> l’eau qui s’en échappe sont clairement séparées d’un bassin ou d’un réceptacle,<br />
contenant une eau qui est utilisable par les mortels.<br />
Tous les documents examinés perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> dresser la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> principales<br />
caractéristiques que les auteurs antiques donnent <strong>de</strong> l’aménagement rituel d’une<br />
source.<br />
a. La source jaillit dans un bois sacré, dans une clairière. Dans un cas, la source<br />
jaillit sous un temple. Le texte <strong>de</strong> Pline, mais aussi l’inscription <strong>de</strong> la patère d’Otañez<br />
(Salus Umeritana) signalent <strong><strong>de</strong>s</strong> qualités surprenantes, la force <strong>et</strong> la blancheur, ou<br />
la salubrité, qui sont autant <strong>de</strong> signes qu’une divinité est à l’œuvre ;<br />
b. la source se déverse dans un premier bassin qui est sacré, ce qui signifie sur le<br />
plan rituel, que les mortels ne peuvent pas entrer physiquement en contact avec elle ;<br />
c. la seule activité possible dans c<strong>et</strong>te partie du lieu est le culte, célébré à distance<br />
pru<strong>de</strong>nte. On peut aussi regar<strong>de</strong>r la source, sur le Clitumne on peut même faire<br />
une promena<strong>de</strong> en barque, <strong>et</strong> offrir <strong><strong>de</strong>s</strong> monnaies ;<br />
d. une limite, qui est un pont dans les <strong>de</strong>ux documents explicites : le Clitumne<br />
<strong>et</strong> la patère d’Otañez, marque la transition vers le <strong>de</strong>uxième bassin <strong>de</strong> la source,<br />
qui est profane. Les mortels peuvent désormais se plonger dans l’eau <strong>de</strong> la source,<br />
la puiser <strong>et</strong> la manipuler.<br />
Enquête <strong>de</strong> terrain : les sanctuaires <strong>de</strong> sources dans le mon<strong>de</strong> romain<br />
occi<strong>de</strong>ntal<br />
Nous avons ensuite parcouru la partie occi<strong>de</strong>ntale <strong>de</strong> l’empire, du Nord au Sud,<br />
pour vérifier si l’aménagement <strong><strong>de</strong>s</strong> sanctuaires <strong>de</strong> source indubitables <strong>et</strong> bien attestés<br />
correspondait à ce portrait. En dépit <strong>de</strong> l’insuffisance <strong>de</strong> la documentation dans <strong>de</strong>
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 633<br />
nombreux cas, le résultat <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te enquête a été positif. Nous avons r<strong>et</strong>rouvé la même<br />
bipartition <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces, entre le lieu sacré, propriété <strong>de</strong> la divinité, <strong>et</strong> la partie profane,<br />
où les mortels peuvent vaquer à leurs occupations. À Bath, par exemple, on discerne<br />
très bien la volonté <strong>de</strong> respecter la forme irrégulière <strong>de</strong> la source, autour <strong>de</strong> laquelle<br />
sont construits, d’un côté, le temple <strong>et</strong> ses annexes, strictement réservés au culte, <strong>de</strong><br />
l’autre les thermes utilisant la source. En revanche le captage <strong>de</strong> la source n’est<br />
accessible aux visiteurs que par le regard. La même configuration <strong>de</strong> l’espace est par<br />
exemple attestée à Villards d’Héria, chez les Séquanes (W. Van Andringa, « Un grand<br />
sanctuaire <strong>de</strong> la cité <strong><strong>de</strong>s</strong> Séquanes : Villards d’Héria », dans M. Dondin-Payre,<br />
M.Th. Raepsa<strong>et</strong>-Charlier, Sanctuaires, pratiques cultuelles <strong>et</strong> territoires civiques dans<br />
l’Occi<strong>de</strong>nt romain, Bruxelles 2006, 121-134.), en pays trévire, à Wallerborn<br />
(W. Binsfeld, « Das Quellheiligtum Wallenborn bei Heckenmünster », dans Trierer Zeitschrift 32, 1969, 239-268.) ou à Hochscheid<br />
(G. Weisgerber, Das Pilgerheiligtum <strong><strong>de</strong>s</strong> Apollo und <strong>de</strong>r Sirona von Hochscheid im<br />
Hunsrück, Bonn 1975 ), <strong>et</strong> à Balaruc, en Narbonnaise (Carte Archéologique <strong>de</strong> la<br />
Gaule 03, 1989). En Afrique romaine correspon<strong>de</strong>nt encore à ce modèle les<br />
sanctuaires <strong>de</strong> source <strong><strong>de</strong>s</strong> Aquae Septimianae près <strong>de</strong> Timgad (L. Leschi, Etu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
d’épigraphie, d’archéologie <strong>et</strong> d’histoire africaines, Paris 1957, 240-245 ; M. Le Glay,<br />
« Un centre <strong>de</strong> syncrétisme en Afrique : Thamugadi <strong>de</strong> Numidie », dans Africa<br />
Romana 8, 1991, 67-78.), les Aquae Flavianae, près <strong>de</strong> Théveste (J. Birebent, Aquae<br />
Romanae. Recherches d’hydraulique romaine dans l’Est algérien, Alger 1962 (1964),<br />
237-243 ; J.-P. Laporte, « Henchir el-Hammam (antique Aquae Flavianae) », dans<br />
Aouras 3, 2006, 284-321) ou les sanctuaires <strong>de</strong> Zaghouan <strong>et</strong> <strong>de</strong> Jebel Oust en Tunisie<br />
(Friedrich Rakob, « Das Quellheiligtum in Zaghouan und die römische Wasserleitung<br />
nach Karthago », dans Mitteilungen <strong><strong>de</strong>s</strong> Deutschen archäologischen Instituts, Römische<br />
Abteilung, 81, 1974, 41-89 ; A. Ben Abed, J. Scheid « Nouvelles recherches<br />
archéologiques à Jebel Oust (Tunisie) », dans Comptes Rendus <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres 2005, 321-349).<br />
Qu’est-ce en fin <strong>de</strong> compte une source dans l’antiquité ?<br />
1. Nous avons constaté, en lisant <strong><strong>de</strong>s</strong> textes <strong><strong>de</strong>s</strong>criptifs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions antiques,<br />
que les Anciens ne vénéraient pas la Nature ou les Eaux, mais <strong><strong>de</strong>s</strong> divinités qui<br />
sont actives dans la nature, ou y agissent. Ces lieux sont généralement signalés par<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes extraordinaires : eau bouillonnante, chau<strong>de</strong>, très froi<strong>de</strong>, à<br />
température toujours égale, soufrée, résurgence d’une source ou d’un <strong>cours</strong> d’eau,<br />
puissance <strong>de</strong> l’eau, qui est souvent à l’origine d’un fleuve, lac profond ou lac doté<br />
d’îles flottantes. Bref, toute une série <strong>de</strong> signes qu’une divinité occupe ce lieu, <strong>et</strong><br />
se l’est même façonné pour son usage.<br />
2. Quelle est la présence divine dans ces lieux ? Deux situations sont attestées :<br />
soit nous trouvons <strong><strong>de</strong>s</strong> « grands » dieux, qui possè<strong>de</strong>nt la source, comme un bien,<br />
<strong>et</strong> comme un instrument pour faire le bien. Soit nous trouvons seulement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Nymphes ou <strong><strong>de</strong>s</strong> Eaux, qui sont comme <strong><strong>de</strong>s</strong> p<strong>et</strong>ites divinités fonctionnelles, telles
634 JOHN SCHEID<br />
les Son<strong>de</strong>rgötter <strong>de</strong> H. Usener, qui représentent la force <strong>de</strong> ces eaux. Mais il arrive<br />
que l’on dédouble encore leur fonction, pour leur adjoindre les Vires, le Numen,<br />
ou en Afrique, le Serpent, le Draco. Tout ceci est très romain. Parfois les Nymphes<br />
sont seules, ou alors elles sont aux côtés <strong>de</strong> la divinité qui possè<strong>de</strong> le site. Elles ne<br />
sont pas immortelles pour toujours, mais disparaissent quand le lieu lui-même<br />
disparaît. Leur personnalité est limitée à leur fonction : salubrité, sonorité (<strong>et</strong> par<br />
ce biais elles renvoient aux Muses), <strong>et</strong>c. Nous avons aussi noté que si les Nymphes<br />
renvoient à la force propre <strong><strong>de</strong>s</strong> sources, les Aquae en revanche expriment une vertu<br />
plus topographique, alors que Fons, le dieu Source, semble gérer l’ensemble <strong>de</strong> ce<br />
domaine. À leurs côtés on peut trouver encore d’autres divinités. Le Genius loci,<br />
qui exprime toutes les qualités du lieu, Silvanus, qui renvoie à la sauvagerie du site,<br />
Mercure, le dieu du passage, Hercule, grand découvreur <strong>de</strong> sources, mais aussi<br />
guérisseur à l’occasion, puisqu’il terrasse le mal, Apollon, qui est aussi medicus,<br />
comme son fils, le technicien Esculape avec sa parèdre Hygie, la Santé, exprimant<br />
l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> son action.<br />
3. Ce n’est pas n’importe quelle source qui est sacrée. Certes, en elle-même une<br />
source l’est toujours, comme le soulignait le commentateur <strong>de</strong> Virgile que nous<br />
avons cité au début, puisque l’eau qui surgit du sol est un phénomène extraordinaire.<br />
Mais toutes les sources ne sont pas l’obj<strong>et</strong> d’un culte organisé, <strong>de</strong> même que tous<br />
les bois, <strong>et</strong> tous les phénomènes naturels ne sont pas l’obj<strong>et</strong> d’un culte. Les habitants<br />
d’une cité créent toujours un paysage religieux, ils sélectionnent quelques sources,<br />
quelques bois sacrés, quelques lacs ou grottes, qui doivent exprimer leur relation<br />
avec l’action divine dans le territoire <strong>de</strong> leur cité. Souvent, ce sont les sources dont<br />
l’activité est spectaculaire qui sont vénérées. En tout cas, ce choix n’est pas<br />
systématique. Il ne faut pas considérer toute fontaine, toute vasque, tout therme<br />
comme un sanctuaire <strong>de</strong> source. Il ne faut pas oublier que le culte a besoin d’eau,<br />
pour les ablutions, pour la cuisine sacrificielle, <strong>et</strong> c’est à cela que servent beaucoup<br />
<strong>de</strong> bassins, nymphées <strong>et</strong> thermes.<br />
4. L’eau est sacrée, dans le cadre d’un culte. Elle a été consacrée par le signe<br />
divin, choisissant le lieu, <strong>et</strong> ensuite par la consécration publique (ou privée dans<br />
un domaine).<br />
5. L’organisation du lieu <strong>de</strong> culte est toujours très particulière. Elle comprend,<br />
comme dans tout temple romain, une partie sacrée, <strong>et</strong> une partie profane. C<strong>et</strong>te<br />
bipartition <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces, peut être observée sous plusieurs formes dans tout le mon<strong>de</strong><br />
romain occi<strong>de</strong>ntal, si seulement la documentation est assez précise.<br />
6. Toute l’eau d’un sanctuaire <strong>de</strong> source n’est donc pas sacrée, elle peut provenir<br />
d’une eau sacrée, comme les parts <strong>de</strong> vian<strong>de</strong> que l’on consomme lors du banqu<strong>et</strong><br />
sacrificiel proviennent d’une victime consacrée <strong>et</strong> immolée à une divinité, <strong>et</strong> elle<br />
gar<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> qualités éminentes qui énoncent certaines vertus <strong>de</strong> la source : salubrité,<br />
efficacité, pur<strong>et</strong>é. C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière est même divinisée dans certains contextes.
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 635<br />
2. Séminaire : SANCTUAIRES ET CULTES<br />
Le séminaire a développé <strong>et</strong> approfondi certains aspects du <strong>cours</strong>. Nous avons<br />
ainsi examiné le problème archéologique <strong>de</strong> la mise en évi<strong>de</strong>nce d’un bois sacré, la<br />
reconstruction détaillée <strong>et</strong> l’interprétation <strong>de</strong> la topographie du sanctuaire <strong>de</strong> Jebel<br />
Oust, ainsi que les fragments d’inscriptions qui paraissent renvoyer au culte <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Cereres à Carthage.<br />
Le professseur a fait cinq séminaires en relation avec le suj<strong>et</strong>. Un sixième<br />
séminaire a été consacré au thème <strong><strong>de</strong>s</strong> Biens <strong><strong>de</strong>s</strong> sanctuaires en Italie, traité en 2007<br />
sous forme <strong>de</strong> symposium. Il a permis à M. Yan Thomas (E.H.E.S.S.) <strong>de</strong> réagir<br />
aux exposés faits en 2007.<br />
3. Enseignements délocalisés<br />
Le professeur a donné un <strong>cours</strong> (« Der Sinn <strong><strong>de</strong>s</strong> Rituals bei <strong>de</strong>n Römern ») <strong>et</strong><br />
un séminaire (« Die Ritualpraxis und das Verständnis <strong>de</strong>r religiösen Institutionen<br />
Roms ») à l’Université <strong>de</strong> Bonn, le 15 <strong>et</strong> le 16 janvier 2008.<br />
Les 27 <strong>et</strong> 28 mars 2008, le professeur a donné quatre séminaires à l’université<br />
Marc Bloch <strong>de</strong> Strasbourg sur « Les sanctuaires <strong><strong>de</strong>s</strong> eaux ».<br />
4. Conférences <strong>et</strong> participations à <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques<br />
— Conférence lors <strong>de</strong> la séance d’ouverture au Congrès international d’épigraphie grecque<br />
<strong>et</strong> romaine, à Oxford (« L’épigraphie latine <strong>et</strong> la religion »).<br />
— Participation au colloque La « norme » religieuse à Lyon en novembre 2007.<br />
— Participation au colloque Les politiques du pardon à l’Université <strong>de</strong> Paris XIII (« La<br />
clémence d’Auguste ») en décembre 2007.<br />
— Participation au VI Collegio di Diritto Romano (« Appartenenza religiosa e esclusione<br />
dalla città ») en janvier <strong>et</strong> septembre 2008.<br />
— Participation au colloque Iconographie <strong>et</strong> Religions dans le Maghreb antique <strong>et</strong> médiéval<br />
à Tunis (« Comment interpréter <strong><strong>de</strong>s</strong> figurations religieuses mu<strong>et</strong>tes ? L’exemple du décor <strong>de</strong><br />
l’architrave du temple <strong>de</strong> Dea Dia à Rome ») en février 2008.<br />
— Participation au colloque Staging Festivity. Figurationen <strong><strong>de</strong>s</strong> Theatralen in Europa, Freie<br />
Universität Berlin (« Theater und Spiele im Rahmen <strong>de</strong>r Ludi Saeculares von 17 vor und<br />
204 nach Christus ») en mars 2008.<br />
— Conférence à l’Université Marc Bloch <strong>de</strong> Strasbourg (« Hiérarchies spatiales <strong>et</strong><br />
hiérarchies théologiques dans les sanctuaires romains ») le 27 mars 2008.<br />
— Participation au colloque sur The Centrality of Animal Sacrifice in Greek Religion :<br />
Ancient Reality or Mo<strong>de</strong>rn Construct ?, Université <strong>de</strong> Chicago (« Roman Sacrifice and the<br />
System of Being ») en avril 2008.<br />
— Workshop sur les Questions romaines <strong>de</strong> Plutarque, Université <strong>de</strong> Chicago (16 avril<br />
2008).<br />
— Conférence à l’Université <strong>de</strong> Yale (« Ritual and meaning of religion ») en avril 2008
636 JOHN SCHEID<br />
— Séminaires à l’Université <strong>de</strong> Foggia (Italie).<br />
— Quatre leçons sur « Storia, storia <strong>de</strong>lle religioni, archeologia <strong>de</strong>l rito » à l’Istituto<br />
Italiano di Scienze Umane <strong>de</strong> Florence en mai 2008.<br />
— Co-direction <strong>de</strong> la mission archéologique <strong>de</strong> Jebel Oust (Tunisie) en mai-juin.<br />
— Participation à la Commission <strong>de</strong> recrutement <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux professeurs d’histoire ancienne<br />
à l’Université <strong>de</strong> Fribourg-en-Brisgau (avril/novembre 2008).<br />
Le professeur a été nommé membre du Comité Supérieur <strong>de</strong> la Recherche <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
l’Innovation au Grand-Duché <strong>de</strong> Luxembourg).<br />
5. Publications<br />
— (avec Th. Drew-Bear) « Les fragments <strong><strong>de</strong>s</strong> Res Gestae Divi Augusti découverts à<br />
Apollonia <strong>de</strong> Pisidie », dans G. Paci (éd.), Contributi all’epigrafia d’<strong>et</strong>à augustea (Actes <strong>de</strong> la<br />
XIII e Rencontre franco-italienne sur l’épigraphie du mon<strong>de</strong> romain), Tivoli 2006,<br />
131-144.<br />
— « Körperbestattung und Verbrennungssitte aus <strong>de</strong>r Sicht <strong>de</strong>r schriftlichen Quellen »,<br />
dans Fasold, P., Struck, M., Witteyer, M. (éd.). Körpergräber <strong><strong>de</strong>s</strong> 1.-3. Jahrhun<strong>de</strong>rts in <strong>de</strong>r<br />
römischen Welt (Frankfurt, 19-10 nov. 2004), Frankfort 2007, 19-26.<br />
— « Carmen <strong>et</strong> prière. Les hymnes dans le culte public <strong>de</strong> Rome », dans Y. Lehmann,<br />
L’hymne antique <strong>et</strong> son public, Tournai 2007, 439-450.<br />
— « Le pontife <strong>et</strong> le flamine : religion <strong>et</strong> histoire à Rome (Entr<strong>et</strong>ien) », dans Europe,<br />
janvier-février 2008, 159-190.<br />
— « Religions in contact », dans S.I. Johnston (éd.), Ancient Religions, Cambridge, MA,<br />
2007, 112-127.<br />
— « Sacrifices for Gods and Ancestors », dans J. Rüpke (éd.), A Companion to Roman<br />
Religion, 2007, 263-272.<br />
— « Le sens <strong><strong>de</strong>s</strong> rites. L’exemple romain », dans Rites <strong>et</strong> croyances dans les religions du<br />
mon<strong>de</strong> romain (Entr<strong>et</strong>iens sur l’Antiquité, Fondation Hardt, t. LIII), Genève 2007, 39-71.<br />
— « Les activités religieuses <strong><strong>de</strong>s</strong> magistrats romains », dans R. Haensch, J. Heinrichs<br />
(éd.), Herrschen und Verwalten. Der Alltag <strong>de</strong>r römischen Administration in <strong>de</strong>r Hohen<br />
Kaiserzeit, Cologne 2007, 126-144.<br />
— (avec E. Wirbelauer), « La correspondance entre Georg Wissowa <strong>et</strong> Theodor Mommsen<br />
(1883-1901) », dans C. Bonn<strong>et</strong>, V. Krings (éds.), S’écrire <strong>et</strong> écrire sur l’Antiquité. L’apport <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
correspondances à l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> Travaux scientifiques, Grenoble 2008, 155-212.<br />
— « Il culto di Minerva in epoca romana e il suo rapporto colla Minerva di Travo », dans<br />
Minerva Medica in Valtrebbia, Plaisance 2008, 85-91.<br />
6. Activités <strong>de</strong> M. Fabrice Bessière, ATER<br />
1. Elaboration <strong>de</strong> la base <strong>de</strong> données sur les lieux <strong>de</strong> cultes <strong>de</strong> l’Italie antique (Fana<br />
Templa Delubra) en collaboration avec J. Scheid <strong>et</strong> J. Paumard (maître <strong>de</strong> conférences associé<br />
au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>). Il s’agissait d’affiner la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> « champs » nécessaires à l’enregistrement<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> données, c’est-à-dire, en premier lieu, <strong>de</strong> définir le niveau <strong>de</strong> détail que l’on souhaite<br />
atteindre dans l’acquisition <strong>de</strong> l’information dans la perspective <strong>de</strong> perm<strong>et</strong>tre un<br />
enregistrement représentatif <strong>et</strong> rapi<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> données. La réflexion a ensuite porté sur
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 637<br />
l’organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> blocs <strong>de</strong> champs à l’intérieur du système informatique <strong>et</strong> sur leur relation<br />
les uns avec les autres. C<strong>et</strong>te phase est achevée <strong>et</strong> une première version <strong>de</strong> la base est en<br />
<strong>cours</strong> <strong>de</strong> programmation.<br />
2. Reprise <strong><strong>de</strong>s</strong> données <strong>de</strong> terrain <strong>et</strong> rédaction du rapport d’activité <strong>de</strong> la campagne <strong>de</strong><br />
fouilles à Jebel Oust (Tunisie) pendant l’année 2007.<br />
3. Début <strong>de</strong> la compilation <strong>de</strong> la documentation graphique du chantier <strong>de</strong> Jebel Oust,<br />
afin <strong>de</strong> constituer le plan général du sanctuaire <strong>et</strong> du clivus. Vectorisation du plan levé<br />
manuellement (années 2001-2006) <strong>et</strong> ajout <strong><strong>de</strong>s</strong> plans partiels liés aux opérations <strong>de</strong> fouille.<br />
Périodisation <strong><strong>de</strong>s</strong> vestiges.<br />
4. Stage <strong>de</strong> formation aux techniques <strong>de</strong> relevés archéologiques par « photoplan » <strong>et</strong> aux<br />
techniques <strong>de</strong> relevés topographiques au tachéomètre laser sous la direction <strong>de</strong> J. M<strong>et</strong>zler <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> C. Gaeng, Musée du Luxembourg.<br />
5. Séjours <strong>de</strong> travail à Rome chez l’éditeur Quasar qui publie la version papier du Corpus<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> lieux <strong>de</strong> cultes.<br />
6. Mission <strong>de</strong> fouilles à Jebel Oust (Tunisie) dans le cadre <strong>de</strong> la campagne programmée<br />
sur la voie menant <strong><strong>de</strong>s</strong> thermes au sanctuaire (avril-mai 2008).<br />
M. Bessière a été nommé le 1 er mai 2008 Coordinateur du programme <strong>de</strong><br />
recherche du Centre Européen du Mont-Beuvray (Bibracte EPCC).
Langues <strong>et</strong> religions indo-iraniennes<br />
M. Jean Kellens, professeur<br />
Cours : 1. Métamorphose du panthéon avestique ; 2. Controverses récentes<br />
sur les textes vieil-avestiques.<br />
Huit leçons ont été consacrées à la première partie du <strong>cours</strong>. Elles ont permis <strong>de</strong><br />
dégager les conclusions suivantes sur les chapitres 16 à 21 du Yasna.<br />
1. Les litanies en yazamai<strong>de</strong> « nous sacrifions » du Y(asna) 16 témoignent du fait<br />
que le panthéon avestique a atteint son sta<strong>de</strong> ultime <strong>de</strong> développement, celui qui<br />
donne sa structure au calendrier religieux. La troisième strophe montre que le<br />
groupe <strong><strong>de</strong>s</strong> six entités formant avec Ahura Mazdā l’hepta<strong>de</strong> canonique dite <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Immortels bienfaisants était constituée <strong>et</strong> avait trouvé son rang énumératif, après<br />
Ahura Mazdā <strong>et</strong> avant les autres dieux du panthéon. C<strong>et</strong>te strophe est aussi la seule<br />
du corpus avestique à justifier c<strong>et</strong>te relative préséance : ces entités sont les « créations<br />
créées en premier » d’Ahura Mazdā.<br />
2. L’introduction (Y19.1-11) au commentaire <strong>de</strong> la première formule liminaire<br />
<strong>de</strong> l’Avesta ancien, l’Ahuna Vairiia, n’est, pour une part, qu’une <strong><strong>de</strong>s</strong> nombreuses <strong>et</strong><br />
banales magnifications <strong>de</strong> la magie <strong><strong>de</strong>s</strong> textes sacrés. Mais elle a c<strong>et</strong>te autre<br />
particularité <strong>de</strong> présenter avec insistance la récitation primordiale <strong>de</strong> l’Ahuna Vairiia<br />
par Ahura Mazdā comme le facteur déclenchant <strong>de</strong> la cosmogonie. Trois strophes<br />
situent c<strong>et</strong>te récitation avant l’apparition du mon<strong>de</strong> matériel, mais après celle <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Immortels bienfaisants, si bien que le commentaire du texte <strong>de</strong> l’Ahuna Vairiia est<br />
aussi un commentaire sur la notion <strong>de</strong> « créations créées en premier ».<br />
3. L’idée <strong>de</strong> base du commentaire <strong>de</strong> l’Ahuna Vairiia (Y19.12-14) est qu’il y a<br />
entre Ahura Mazdā <strong>et</strong> ses créations un lien d’appartenance réciproque. Le créateur<br />
appartient à ses créations, en tant qu’il est leur maître, <strong>et</strong> les créations appartiennent<br />
à leur créateur, en tant qu’elles sont son œuvre. L’autorité du créateur sur ses<br />
créations résulte du fait que le créateur est nécessairement antérieur à ses créations.
640 JEAN KELLENS<br />
Du point <strong>de</strong> vue cosmogonique, la récitation primordiale <strong>de</strong> l’Ahuna Vairiia<br />
implique l’existence du premier (Vohu Manah, allégorie <strong>de</strong> la pensée) <strong>et</strong> du<br />
troisième (Xšaϑra, allégorie <strong>de</strong> la capacité) <strong><strong>de</strong>s</strong> Immortels bienfaisants.<br />
4. Le Y19 parle très peu <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux « esprits » (Mainiiu) incarnant le bien <strong>et</strong> le<br />
mal. Le « bon » est sollicité, juste avant le commentaire proprement dit, pour<br />
appuyer les déclarations d’Ahura Mazdā sur les pouvoirs <strong>de</strong> l’Ahuna Vairiia<br />
(Y19.9-11). Le « mauvais » entre en scène tout <strong>de</strong> suite après la récitation<br />
primordiale <strong>de</strong> l’Ahuna Vairiia, pour être banni (Y19.15). Nous n’apprenons rien<br />
<strong>de</strong> leur origine, <strong>de</strong> leur fonction, <strong>de</strong> leur rapport au panthéon. Tout se passe<br />
comme s’ils se situaient hors cosmogonie <strong>et</strong> n’étaient pas <strong><strong>de</strong>s</strong> créations.<br />
5. Le <strong>de</strong>uxième niveau du commentaire (Y19.16-18) fait l’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> divisions<br />
essentielles <strong>de</strong> l’Ahuna Vairiia, qui comporte, nous dit-il, trois vers, quatre figures<br />
<strong>et</strong> style <strong>et</strong> cinq mots-clés. Ces notions rhétoriques sont ensuite assimilées à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
facteurs culturels <strong>et</strong> sociaux, les vers avec la tria<strong>de</strong> rituelle pensée-mot-geste, les<br />
figures <strong>de</strong> style avec les fonctions sociales (prêtre, guerrier, agriculteur, plus le<br />
pressurage <strong>de</strong> haoma, qui renvoie à la fonction <strong>de</strong> commanditaire du sacrifice), les<br />
mots-clés avec les cercles <strong>de</strong> l’appartenance sociale (famille, clan, tribu, nation,<br />
pouvoir religieux supranational). La nécessité conceptuelle <strong>de</strong> ce transfert paraît<br />
simple <strong>et</strong> univoque : l’autorité sur les divers cercles sociaux <strong>et</strong> l’appartenance à une<br />
fonction spécialisée sont les critères selon lesquels les officiants à peine investis<br />
(Y13.1-3) configurent l’assistance (peut-être virtuelle) au sacrifice.<br />
6. Le troisième niveau du commentaire (Y19.19-21) situe la tria<strong>de</strong> pensée-motgeste<br />
dans la cosmogonie. Le premier vers-pensée suscite chez Ahura Mazdā la<br />
prise <strong>de</strong> conscience que quelqu’un est pourvu <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong> « conforme à<br />
l’Agencement » (ašauuan), le <strong>de</strong>uxième vers-parole suscite la composition <strong>et</strong> la<br />
récitation <strong>de</strong> tout l’Avesta ancien, le troisième vers-geste perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> souligner<br />
l’énoncé du nom <strong><strong>de</strong>s</strong> Immortels bienfaisants. Un développement supplémentaire<br />
est accordé au niveau <strong>de</strong> la pensée. Le dieu qui a perçu l’homme comme ašauuan<br />
<strong>et</strong> l’homme qui a été proclamé ašauuan par le dieu ont en commun d’être « très<br />
bons » (vahišta). La différence est que le premier a le pouvoir d’être très bon<br />
(xšaiiamna) <strong>et</strong> que le <strong>de</strong>uxième n’en a pas la liberté (auuasō.xšaϑra). La suite<br />
explique comment c<strong>et</strong>te imperfection a pu être corrigée.<br />
7. Le commentaire <strong>de</strong> l’Ašem Vohū consiste à définir la singularité d’Aša, allégorie<br />
<strong>de</strong> l’ordre cosmique, qui est le <strong>de</strong>uxième Immortel bienfaisant dans l’ordre<br />
énumératif. Alors que la relation d’Ahura Mazdā aux entités Vohu Manah <strong>et</strong><br />
Xšaϑra se traduit par l’appartenance réciproque, Aša a le privilège <strong>de</strong> l’appartenance<br />
réflexive (« Aša appartient à Aša »). Puis, après s’être ainsi refermé sur lui-même, le<br />
lien d’appartenance s’ouvre <strong>et</strong> se transm<strong>et</strong> en chaîne : la « capacité » (xšaϑra)<br />
appartient à Aša <strong>et</strong> Aša appartient à la suite ininterrompue <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes qui l’ont<br />
pris pour règle <strong>et</strong> ont entrepris <strong>de</strong> sacrifier. Via Aša, les hommes ont accès à ce<br />
pouvoir qui leur fait originellement défaut. Selon quelles procédures ?
LANGUES ET RELIGIONS INDO-IRANIENNES 641<br />
8. Le commentaire du YéAhē Hātąm (Y21) prolonge sous forme <strong>de</strong> dialogue le<br />
récit cosmogonique que tisse la succession <strong><strong>de</strong>s</strong> commentaires. Après qu’Ahura<br />
Mazdā l’a perçu <strong>et</strong> proclamé ašauuan, Zaraϑuštra prend la parole <strong>et</strong> prononce le<br />
YéAhē Hātąm, par lequel il fon<strong>de</strong> le sacrifice. Ahura Mazdā le remercie en récitant<br />
la strophe gâthique Y43.1 qui fait du sacrifice le moyen par lequel l’homme peut<br />
accé<strong>de</strong>r à la haute « capacité » divine <strong>et</strong> gagner l’immortalité.<br />
9. En faisant place au commentaire <strong><strong>de</strong>s</strong> trois formules liminaires <strong>de</strong> l’Avesta<br />
ancien, l’arrangeur du Yasna poursuit un double but. D’une part, il justifie la<br />
structure <strong>de</strong> son panthéon par l’ordre <strong>de</strong> succession <strong><strong>de</strong>s</strong> créations, d’autre part, il<br />
explique l’origine archétypique <strong>et</strong> la finalité <strong>de</strong> ce que le collège sacerdotal vient<br />
d’entreprendre : un sacrifice.<br />
10. Nous <strong>de</strong>vons à la préservation <strong>de</strong> ces textes trois informations essentielles.<br />
1) Nous disposons du récit <strong>de</strong> la première phase <strong>de</strong> la création, celle du mon<strong>de</strong> à<br />
l’état spirituel, une doctrine que l’on ne croyait documentée en avestique que par<br />
le misérable fragment introduit dans la traduction pehlevie du Vi<strong>de</strong>vdad 2.19.<br />
2) La question <strong>de</strong> la dignité sacrificielle <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses divinités a été récurrente dans<br />
l’histoire du mazdéisme. Elle hante pareillement l’auteur vieil-avestique du Y51.22,<br />
l’adaptateur moyen-avestique du YéAhē Hātąm <strong>et</strong> le commentateur avestique récent<br />
du Y21. Tous trois répon<strong>de</strong>nt par le même paradoxe : le sacrifice est dû à un seul<br />
<strong>et</strong> à tous, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> nuances donnant à comprendre que c’est un peu plus à un seul<br />
qu’à tous. 3) De nombreux indices sur la chronologie relative <strong><strong>de</strong>s</strong> textes avestiques<br />
<strong>de</strong>vront être examinés soigneusement.<br />
La <strong>de</strong>uxième partie du <strong>cours</strong>, qui a fait l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux leçons visant aussi à<br />
introduire aux conférences <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs invités, est d’ores <strong>et</strong> déjà parue au<br />
Journal Asiatique (voir bibliographie).<br />
Séminaire : Lecture <strong>de</strong> textes en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong><br />
Les textes lus sont ceux qui ont été commentés lors du <strong>cours</strong>.<br />
Cours extra muros<br />
Trois <strong>cours</strong> sur le Bagān Yašt <strong>et</strong> trois séminaires sur <strong><strong>de</strong>s</strong> questions <strong>de</strong> langues <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> religions iraniennes anciennes ont été faits à l’Université <strong>de</strong> Bologne au siège <strong>de</strong><br />
Ravenne entre le 26 mars <strong>et</strong> le 1er avril 2008.<br />
Invitation <strong>de</strong> savants <strong>et</strong>rangers<br />
M. Albert <strong>de</strong> Jong, professeur à l’Université <strong>de</strong> Lei<strong>de</strong>n, a donné quatre <strong>cours</strong><br />
intitulés « Les quatre phases <strong>de</strong> la religion mazdéenne » pendant le mois <strong>de</strong><br />
mai 2008. M. Martin Schwartz, professeur à l’Université <strong>de</strong> Berkeley, a donné<br />
<strong>de</strong>ux conférences intitulées « The po<strong>et</strong>ry of the Gathas : Mysteries of composition,<br />
and the composition of mysteries » pendant la même pério<strong>de</strong>.
642 JEAN KELLENS<br />
Colloques<br />
Participation à la VI e Conférence <strong>de</strong> la Soci<strong>et</strong>as Iranologica Europaea à Vienne du 18 au<br />
22 septembre 2007.<br />
Participation à la conférence « Zoroastrian Past and Present » <strong>de</strong> l’Ancient India and Iran<br />
Trust à Cambridge le 7 <strong>et</strong> 8 juin 2008.<br />
Activités diverses<br />
Une conférence sur le rituel mazdéen a été faite pour l’Association Clio à Paris le<br />
16 janvier 2008.<br />
Prési<strong>de</strong>nce du jury lors <strong>de</strong> la soutenance <strong>de</strong> la thèse L’Ard-Yašt <strong>de</strong> l’Avesta par M. Hossein<br />
Najari, le 28 mai 2008.<br />
Publications<br />
« L’amphipolarité sémantique <strong>et</strong> la démonisation <strong><strong>de</strong>s</strong> daivas », Indogermanica. Festschrift<br />
für Gert Klingenschmitt, Taimering 2005 [2007], 283-288.<br />
« Liturgie <strong>et</strong> dialectique <strong><strong>de</strong>s</strong> âmes », Rites <strong>et</strong> croyances dans les religions du mon<strong>de</strong> romain,<br />
Entr<strong>et</strong>iens <strong>de</strong> la Fondation Hardt, Vandœuvres — Genève 2007, 289-308.<br />
« Quand Darius parle à Darius », Iranian Languages and Texts from Iran and Turfan.<br />
Ronald E. Emmmerick Memorial Volume, Wiesba<strong>de</strong>n 2007, 143-146.<br />
« Controverses actuelles sur la composition <strong><strong>de</strong>s</strong> Gâthâs », Journal Avestique 295.2, 2007,<br />
257-289.<br />
« Résumé <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> <strong>et</strong> <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> religions indo-iraniennes du<br />
<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> », Annuaire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> 2006-2007, 2008, 685-694 (avec une<br />
participation <strong>de</strong> Xavier Tremblay).<br />
« Les cosmogonies iraniennes entre héritage <strong>et</strong> innovation », Chomolangma, Demawend<br />
und Kasbeck. Festschrift für Roland Bielmeier, Halle 2008, 505-512.
Histoire du mon<strong>de</strong> indien<br />
M. Gérard Fussman, Professeur<br />
Cours <strong>et</strong> séminaire : Lecture du texte sanskrit du Vimalakīrtinir<strong>de</strong>śa<br />
Le Vimalakīrtinir<strong>de</strong>śa (désormais Vkn) est l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> plus anciens <strong>et</strong> plus célèbres<br />
textes du mahāyāna. Il expose sous forme d’aphorismes souvent énigmatiques le<br />
concept central du mahāyāna, la doctrine <strong>de</strong> la śūnyatā (littéralement : la viduité<br />
ou vacuité), selon laquelle on ne peut rien dire <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes car ceux-ci ne sont<br />
qu’apparence, y compris la doctrine <strong>de</strong> la vacuité. C’est la reconnaissance <strong>de</strong> ce fait<br />
(donc la <strong><strong>de</strong>s</strong>truction <strong>de</strong> l’ignorance) qui perm<strong>et</strong> la libération. La date manifestement<br />
ancienne du Vkn <strong>et</strong> la n<strong>et</strong>t<strong>et</strong>é <strong>de</strong> ses affirmations l’ont souvent fait considérer<br />
comme une <strong><strong>de</strong>s</strong> sources du madhyamaka <strong>de</strong> Nāgārjuna. N’était c<strong>et</strong>te question <strong>de</strong><br />
date, qui est plus le problème <strong>de</strong> la date <strong>de</strong> Nāgārjuna que celui <strong>de</strong> la date du Vkn,<br />
on croirait plutôt le contraire : dans bien <strong><strong>de</strong>s</strong> cas le Vkn semble illustrer ou résumer<br />
Nāgārjuna. Mais la majeure partie <strong><strong>de</strong>s</strong> savants préfère considérer que c’est l’inverse :<br />
Nāgārjuna développe les thèses du Vkn.<br />
Exception faite d’être l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> textes supposés avoir influencé Nāgārjuna, le Vkn<br />
ne semble pas avoir eu une très gran<strong>de</strong> popularité en In<strong>de</strong>. C’est sans doute la<br />
raison pour laquelle l’original sanskrit en était perdu. Par contre il fut l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
très nombreuses traductions chinoises (8) <strong>et</strong> <strong>de</strong> traductions tibétaines (2 ou 3),<br />
sogdienne (1) <strong>et</strong> khotanaise (1). Les Chinois semblent avoir été fascinés par la<br />
façon dont le bodhisattva laïc Vimalakīrti « celui dont la gloire est sans tache » fait<br />
la leçon (nir<strong>de</strong>śa) aux moines arhant premiers compagnons du Buddha <strong>et</strong> les<br />
ridiculise. Le Vkn a été connu en Europe au travers <strong><strong>de</strong>s</strong> versions chinoises <strong>et</strong> traduit<br />
en français par É. Lamotte à partir d’une <strong><strong>de</strong>s</strong> trois traductions tibétaines.<br />
La traduction <strong>de</strong> Lamotte 1 est, comme toujours, un modèle d’érudition <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
clarté. On y trouve la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> traductions <strong>et</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> sources, une analyse du<br />
1. L’Enseignement <strong>de</strong> Vimalakīrti (Vimalakīrtinir<strong>de</strong>śa) traduit <strong>et</strong> annoté par Étienne Lamotte,<br />
Bibliothèque du Muséon, vol. 51, Louvain 1962.
644 GÉRARD FUSSMAN<br />
contenu, une tentative <strong>de</strong> datation <strong>et</strong> <strong>de</strong> très nombreuses notes indiquant si telle ou<br />
telle expression du Vkn est héritée ou au contraire novatrice. Lamotte restitue la<br />
phraséologie sanskrite du Vkn à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> équivalences du grand dictionnaire<br />
sanskrit-tibétain dit Mahāvyutpatti. Mais il ne connaissait pas le texte sanskrit luimême.<br />
Un manuscrit <strong>de</strong> celui-ci fut découvert en 1999 dans la bibliothèque du<br />
Potala, à Lhasa. Nos collègues japonais <strong>de</strong> l’Université Taishō obtinrent en 2002<br />
l’autorisation <strong>de</strong> le publier. Une première édition (copie diplomatique, avec en<br />
parallèle les traductions tibétaine <strong>et</strong> chinoises) parut en 2004 ; une <strong>de</strong>uxième édition,<br />
suggérant quelques corrections, sans les textes tibétain <strong>et</strong> chinois, en 2006.<br />
La remarquable traduction d’É. Lamotte perm<strong>et</strong> d’étudier le texte sanskrit en<br />
ayant l’illusion <strong>de</strong> connaître à travers elle les traductions chinoises <strong>et</strong> tibétaines <strong>et</strong><br />
en se dispensant <strong>de</strong> la plus gran<strong>de</strong> partie <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches <strong>de</strong> sources indispensables<br />
à la compréhension d’un tel texte. Bien que les éditeurs japonais, dont la rapidité<br />
mérite tous les éloges, aient assuré que le texte sanskrit n’apportait pas <strong>de</strong> nouveautés<br />
majeures par rapport à la traduction chinoise <strong>de</strong> Xuangzang, sa lecture minutieuse<br />
est loin d’être sans intérêt. Elle exige quand même <strong>de</strong> l’auditoire un minimum <strong>de</strong><br />
connaissances préalables. C’est la raison pour laquelle le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année s’est<br />
confondu avec le séminaire, ce qui a permis un dialogue constant avec l’auditoire.<br />
Je remercie tout particulièrement mes collègues sinologues <strong>et</strong> tibétologues qui ont<br />
bien voulu participer à ses séances avec, sous les yeux, le texte <strong><strong>de</strong>s</strong> versions chinoises<br />
<strong>et</strong> tibétaine <strong>et</strong> ainsi suppléer à ma coupable ignorance en ce domaine.<br />
Le livre dans lequel se trouve le texte sanskrit du Vkn comprend un autre texte, le<br />
Jñānālokālamkāra, « Ornement du flambeau <strong>de</strong> la connaissance ». Les <strong>de</strong>ux textes<br />
n’ont guère <strong>de</strong> rapport l’un avec l’autre, mais ils ont été copiés à un mois <strong>de</strong> distance par<br />
le même scribe, Cāndoka, sur l’ordre du même moine, Śīladhvaja, i<strong>de</strong>ntifié par<br />
M. Kapstein à un moine tibétain du même nom ayant séjourné à Vikramaśīla, au<br />
Bengale, vers 1150. Cela correspond à la date assignée au manuscrit par l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa<br />
graphie <strong>et</strong> explique le nom du moine : « Drapeau <strong><strong>de</strong>s</strong> vertus (héroïques)/<strong>de</strong><br />
Vikramaśīla ». C’est une <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses possibles à la question que nous nous étions<br />
posée lors du séminaire <strong>de</strong> 2004 (Les bibliothèques <strong><strong>de</strong>s</strong> monastères bouddhiques<br />
indiens, Annuaire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> 2003-2004, 929-955) : comment sont choisis<br />
les textes qui figurent dans <strong><strong>de</strong>s</strong> recueils composites ? La réponse est ici que Śīladhvaja a<br />
probablement fait copier <strong>de</strong>ux textes qui n’existaient pas dans la bibliothèque <strong>de</strong> son<br />
monastère <strong>et</strong> qu’il les a réunis pour obtenir un volume <strong>de</strong> taille normale. En d’autres<br />
termes, il n’est nul besoin que <strong>de</strong>ux textes soient apparentés pour qu’ils soient réunis en<br />
un seul volume, sauf lorsque c<strong>et</strong>te réunion est manifestement systématique car plusieurs<br />
fois attestée (cas du Bhaisajyaguru-sūtra suivi ou précédé du Vajracchedikā-sūtra).<br />
Voici le texte non corrigé <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux colophons en question.<br />
Deyadharmo’yam pravaramahāyānayāyinah bhiksuśīladhvajasya cad hatra punyam<br />
tat bhavatu ācāryopādhyāyamātāpitrpūrvamgamam krtvā sakalasatvarāśer anuttara<br />
jn � ānaphalāvāptaya iti// mahārājādhirājaśrīmadgopāla<strong>de</strong>varājye samvat 12 śrāmanadine<br />
30 likhitam idam upasthāyakacāndoken<strong>et</strong>i // (Jñānālokālamkāra)
HISTOIRE DU MONDE INDIEN 645<br />
Deyadharmo’yam pravaramahāyānayāyino bhiksuśīladhvajasya yad atra punyam tad<br />
bhavatu ācāryopādhyāyamātāpitrpūrvamgamam krtvā sakalasatvarāśer anuttarajn � āna<br />
phalāvāptaya iti// śrīmadgopāla<strong>de</strong>varājye samvat 12 bhādradine 29 likhiteyam<br />
upasthāyakacāndokasy<strong>et</strong>i // (Vkn)<br />
Ces colophons, rédigés par les mêmes personnes (probablement Śīladhvaja pour<br />
la première ligne, Cāndoka pour la secon<strong>de</strong>) à un mois <strong>de</strong> distance, perm<strong>et</strong>tent<br />
<strong>de</strong> juger <strong>de</strong> la connaissance du sanskrit au Bengale au XII e siècle. La première<br />
ligne mêle un sanskrit recherché (suffixe -yāyin, sakala- au lieu <strong>de</strong> sarva- en raison<br />
<strong>de</strong> l’utilisation du mot rāśi-) à <strong><strong>de</strong>s</strong> constructions <strong>de</strong> type moyen ou même néoindien<br />
(non déclinaison <strong>de</strong> bhiksu-, utilisation <strong>de</strong> rāśi- comme suffixe <strong>de</strong> pluriel =<br />
bengali -lok). La secon<strong>de</strong> ligne montre que le rédacteur <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te partie du<br />
colophon prononçait iyam le neutre idam <strong>et</strong> utilisait le génitif en fonction<br />
d’instrumental tout en connaissant les formes <strong>et</strong> usages corrects. En d’autres<br />
termes, il écrivait du sanskrit « hybri<strong>de</strong> » en plein XII e siècle. Cela <strong>de</strong>vrait nous<br />
m<strong>et</strong>tre en gar<strong>de</strong> contre la tentation <strong>de</strong> dater un texte en fonction <strong>de</strong> son seul<br />
aspect linguistique.<br />
C<strong>et</strong>te même secon<strong>de</strong> ligne est historiquement intéressante : Śīladhvaja utilise<br />
comme scribe son serviteur personnel (upasthāyaka) Cāndoka. Tous <strong>de</strong>ux, dans un<br />
texte à usage privé, utilisent le comput du royaume bengali, c’est-à-dire se<br />
considèrent comme tout à fait indiens. Ils étaient probablement considérés comme<br />
tels par les moines <strong>de</strong> Vikramaśīla. L’origine tibétaine <strong>de</strong> Śīladhvaja n’y était pas<br />
plus exotique pour un Bengali <strong>de</strong> l’époque qu’une origine tamoule ou gilgitie. Tous<br />
appartenaient à la partie indienne du catur-diśa samgha. Ce n’était manifestement<br />
pas le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> moines chinois qui nous disent dans leurs récits ou avoir été traités<br />
avec mépris ou avoir suscité étonnement <strong>et</strong> admiration. C<strong>et</strong>te même secon<strong>de</strong> ligne<br />
<strong>de</strong>vrait m<strong>et</strong>tre en gar<strong>de</strong> les historiens contre <strong><strong>de</strong>s</strong> analyses hâtives <strong><strong>de</strong>s</strong> variations <strong>de</strong><br />
titres. Entre août <strong>et</strong> septembre <strong>de</strong> l’an 12, Gopāla<strong>de</strong>va (III, probablement) n’a<br />
certainement pas cessé d’être un mahārājādhirāja.<br />
La découverte du manuscrit contenant le texte sanskrit perm<strong>et</strong> d’affiner la date<br />
du texte ou <strong><strong>de</strong>s</strong> états successifs du Vkn. Comme presque toujours, la date <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
traductions chinoises constitue la donnée majeure. La traduction la plus ancienne<br />
conservée, <strong>et</strong> probablement réalisée (Lamotte, p. 70), est celle <strong>de</strong> Zhi Qian,<br />
effectuée entre 222 <strong>et</strong> 229 <strong>de</strong> n.è. Le texte en est donné dans l’édition japonaise<br />
<strong>de</strong> 2004, ainsi que celui <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux traductions postérieures, celle <strong>de</strong> Kumārajīva,<br />
achevée en 406, <strong>et</strong> celle <strong>de</strong> Xuangzang, achevée en 650, donc <strong>de</strong> beaucoup<br />
antérieure à notre manuscrit. Le texte traduit par Xuanzang <strong>de</strong>vait être très proche<br />
<strong>de</strong> celui conservé dans le manuscrit sanskrit : on ne constate que <strong><strong>de</strong>s</strong> variations<br />
minimes <strong>et</strong> lorsqu’il y a divergence, le manuscrit donne souvent un sens meilleur,<br />
ou en tout cas plus attendu. Kumārajīva est plus bref, mais cela tient sans doute à<br />
son style <strong>de</strong> traduction (Lamotte, p. 10). Lamotte, p. 4, semble considérer que<br />
Zhi Qian a utilisé un texte sanskrit un peu plus court. La comparaison du texte<br />
sanskrit avec celui <strong>de</strong> Zhi Qian, facilitée par la disposition très claire <strong>de</strong> l’édition
646 GÉRARD FUSSMAN<br />
japonaise, montre que dans les premiers chapitres en tout cas Zhi Qian n’om<strong>et</strong><br />
rien d’essentiel <strong>et</strong> traduit assez bien <strong><strong>de</strong>s</strong> passages en fort bon sanskrit. Il est donc<br />
tout à fait possible que Zhi Qian ait utilisée une version du Vkn très semblable à<br />
celle dont nous disposons aujourd’hui <strong>et</strong> qu’il ait choisi d’en résumer ou d’en<br />
om<strong>et</strong>tre <strong><strong>de</strong>s</strong> passages relativement brefs <strong>et</strong> jugés par lui d’importance secondaire.<br />
On peut donc adm<strong>et</strong>tre que le Vkn sanskrit, dans l’unique version que nous en<br />
possédions, était achevé pour l’essentiel en 222.<br />
Les quelques sondages faits dans le texte, <strong>et</strong> qui sont loin d’être suffisants ni<br />
véritablement démonstratifs, donnent l’impression qu’il y a eu au moins trois<br />
« mains » dans le texte. L’analyse porte non sur le contenu philosophique ou<br />
pseudo-philosophique du contenu, mais sur le style <strong>et</strong> l’état <strong>de</strong> la langue dans les<br />
parties non doctrinales. On remarquera très facilement que coexistent <strong><strong>de</strong>s</strong> passages<br />
très plats, faits <strong>de</strong> répétitions, en sanskrit bouddhique correct mais maladroit, <strong>et</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> passages beaucoup plus brillants, beaucoup plus vivaces, en sanskrit plus<br />
élégant. Le texte incorpore en outre <strong>de</strong>ux passages versifiés en sanskrit dit<br />
« hybri<strong>de</strong> », déjà i<strong>de</strong>ntifiés (je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> comment) par Lamotte p. 1,<br />
probablement plus anciens que les passages en prose <strong>et</strong> en sanskrit correct, mais<br />
qui n’ayant pas un rapport nécessaire au texte peuvent y avoir été incorporés<br />
postérieurement. Zhi Qian ne traduit pas le premier stotra (les stances <strong>de</strong> Ratnākara<br />
en I, 10), ce qui ne signifie pas nécessairement qu’il ne l’ait pas connu : il peut<br />
avoir jugé inutile <strong>de</strong> traduire ces très médiocres vers.<br />
Sous réserve d’une étu<strong>de</strong> détaillée <strong>de</strong> l’ensemble du texte, <strong>et</strong> en prenant gar<strong>de</strong> à<br />
ne pas tomber dans une critique subjective (higher criticism) qui attribuerait aux<br />
auteurs anciens nos goûts esthétiques, on peut donc reconnaître au moins trois<br />
« mains » dans ce texte dont l’unité foncière ne fait cependant pas <strong>de</strong> doute : c’est<br />
un texte très savamment composé, pas un texte fait <strong>de</strong> bric <strong>et</strong> <strong>de</strong> broc. Ces trois<br />
« mains » supposent une élaboration assez longue, peut-être trois générations, <strong>et</strong><br />
laissent supposer l’existence d’une première version vers 100 <strong>de</strong> n.è. au plus tard.<br />
C’est l’opinion <strong>de</strong> Lamotte (p. 77), qui la justifie avec <strong><strong>de</strong>s</strong> arguments plus forts<br />
que les miens.<br />
La version sanskrite copiée par Cāndoka, très proche <strong>et</strong> <strong>de</strong> la traduction <strong>de</strong><br />
Xuanzang (650) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la traduction tibétaine <strong>de</strong> Dharmatāśīla (c. 810) 2 , est, malgré<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> inégalités incontestables <strong>de</strong> style ou <strong>de</strong> langue, d’une qualité littéraire bien<br />
supérieure à celle <strong><strong>de</strong>s</strong> grands sūtra du mahāyāna. Le vocabulaire est parfois très<br />
recherché. Ainsi, lorsque les restitutions sanskrites <strong>de</strong> Lamotte ne correspon<strong>de</strong>nt<br />
pas au texte que nous lisons aujourd’hui grâce à nos collègues japonais, c’est en<br />
général parce que le Vkn emploie <strong><strong>de</strong>s</strong> mots plus rares <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> expressions plus<br />
2. Il a en fait existé trois traductions tibétaines, dont <strong>de</strong>ux uniquement conservées <strong>de</strong> façon<br />
fragmentaire par <strong><strong>de</strong>s</strong> manuscrits <strong>de</strong> Dunhuang (Lamotte, p. 19). La version <strong>de</strong> Dharmatāśīla<br />
utilisée par Lamotte diffère légèrement <strong>de</strong> celle imprimée par les éditeurs japonais du texte<br />
sanskrit.
HISTOIRE DU MONDE INDIEN 647<br />
recherchées que les équivalents choisis par Lamotte dans la Mahāvyutpatti. Le sens<br />
est en général le même, le niveau <strong>de</strong> vocabulaire est différent.<br />
La composition est très savante <strong>et</strong> perm<strong>et</strong> une lecture chapitre par chapitre, <strong>et</strong><br />
même passage par passage à l’intérieur d’un chapitre. Il y a toujours un eff<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
surprise : on se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce que va dire Vimalakīrti. Dans le chapitre III, ainsi, les<br />
arhant sont ridiculisés <strong>de</strong> façon très fine : ils sont décrits dans <strong><strong>de</strong>s</strong> situations<br />
correspondant au caractère <strong>et</strong> aux qualités que la légen<strong>de</strong> leur attribue. Il y a <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
jeux <strong>de</strong> mots, pas toujours vus par Lamotte qui traduit le texte comme s’il était<br />
uniquement philosophique. Par exemple, au début <strong>de</strong> III, le Vkn joue sur les <strong>de</strong>ux<br />
sens du mot pratisamlayana-, l’un très technique (méditation d’après déjeuner),<br />
l’autre très courant (sieste en début d’après-midi), pour se moquer <strong>de</strong> Śāriputra.<br />
Les exemples <strong>de</strong> ce type pourraient être multipliés.<br />
L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> passages les plus significatifs <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’humour <strong>de</strong> l’auteur du Vkn <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
sa maîtrise du sanskrit, est celui relatif à Upāli (III, 33-37). Lorsqu’on lit, même<br />
(<strong>et</strong> uniquement en ce qui me concerne) à travers Lamotte, les traductions chinoises<br />
<strong>et</strong> tibétaines, on ne comprends pas pourquoi Upāli est interrogé par <strong>de</strong>ux moines<br />
sur un point <strong>de</strong> discipline (sa spécialité). La réponse est dans le texte sanskrit qui<br />
emploie, <strong>et</strong> uniquement en c<strong>et</strong> endroit, <strong><strong>de</strong>s</strong> formes rares en sanskrit bouddhique<br />
car trop classiques ou trop grammaticales par rapport au niveau <strong>de</strong> langue ordinaire<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> mahāyānasūtra. Ainsi Upāli s’adresse-t-il aux <strong>de</strong>ux moines en utilisant le duel.<br />
Vimalakīrti, quant à lui, s’adresse à Upāli en utilisant un vocabulaire relevé, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
composés cvī <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> injonctifs (āgādhīkārsīh, āvilīkārsīh). Or Upāli, barbier, donc<br />
<strong>de</strong> basse caste, normalement ne doit pas connaître le sanskrit <strong>et</strong> n’est même pas<br />
autorisé à l’entendre.<br />
On est passé rapi<strong>de</strong>ment sur le contenu pseudo-philosophique du texte. On a<br />
montré en eff<strong>et</strong> que pour un Européen, il y avait contradiction entre les passages<br />
narratifs, dont le récit-cadre, avec leurs millions <strong>de</strong> personnages <strong>et</strong> leurs miracles à<br />
répétition, <strong>et</strong> une prédication affirmant que tout cela est illusion <strong>et</strong> détourne <strong>de</strong> la<br />
vraie connaissance <strong>et</strong> <strong>de</strong> la vraie libération. D’un point <strong>de</strong> vue bouddhiste, il n’y a<br />
pas contradiction. Comme dans la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> sūtra du mahāyāna, il n’y a aucune<br />
démonstration. La vérité (jn � āna) se voit, elle ne s’apprend pas. La science (vidyā)<br />
est d’abord croyance en la vérité <strong>de</strong> l’enseignement <strong>et</strong> perception intuitive <strong>et</strong><br />
inexprimable <strong>de</strong> ses vérités. Il n’y a recherche <strong>de</strong> démonstration que chez les<br />
philosophes comme Nāgārjuna <strong>et</strong> les abhidharmistes. Dans le Vkn, l’enseignement<br />
<strong>de</strong> Vimalakīrti n’est en rien discursif. C’est une suite d’aphorismes qui s’imposent<br />
d’eux-mêmes au croyant. L’essentiel est <strong>de</strong> croire en la vérité <strong>de</strong> ces affirmations<br />
tranchées. Dans d’autres religions on appellerait cela le mystère <strong>de</strong> la foi (śraddhā).<br />
Les fééries du récit-cadre ne sont pas plus stupéfiantes que les vérités énoncées par<br />
Vimalakīrti.<br />
On a très rapi<strong>de</strong>ment fait un sort à l’émerveillement chinois <strong>de</strong>vant le caractère<br />
laïc <strong>de</strong> Vimalakīrti : tous les bodhisattva sont laïcs, <strong>et</strong> représentés en la:cs, souvent<br />
en rois ou princes (kumāra). Le texte sanskrit du Vkn n’utilise pas très souvent
648 GÉRARD FUSSMAN<br />
l’expression grhapati, « maître <strong>de</strong> maison, riche propriétaire », pour désigner<br />
Vimalakīrti. Ce n’est manifestement pas sa caractéristique essentielle. Le début du<br />
chapitre II insiste sur le fait que son apparence <strong>de</strong> laïc n’est elle aussi qu’une<br />
illusion, un moyen <strong>de</strong> vivre dans le mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> laïcs pour les amener au salut, un<br />
eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> son habil<strong>et</strong>é en moyens salvifiques (upāya-kauśalya). II, 4 nous dit qu’à<br />
l’occasion il exerce les fonctions d’un roi (rājakāryānupravistah) <strong>et</strong> II, 5 qu’il est un<br />
grhapati pour les grhapati, un ksatriya pour les ksatriya, un brahmane pour les<br />
brahmanes <strong>et</strong>c. Le passage le plus significatif est III, 36 : « ne croyez pas que ce<br />
soit un grhapati. Pourquoi ? Il n’y a personne qui puisse m<strong>et</strong>tre son éloquence en<br />
défaut, ni moine ni bodhisattva, excepté le/un tathāgata : telle est la lumière<br />
qu’apporte sa sapience » (traduction libre ; tibétain <strong>et</strong> chinois autres). En d’autres<br />
termes, Vimalikīrti est un tathāgata.<br />
L’essentiel du <strong>cours</strong> a porté sur la lecture mot à mot du texte. Après Lamotte <strong>et</strong><br />
en partie grâce à lui, on constate qu’une gran<strong>de</strong> partie <strong><strong>de</strong>s</strong> notions <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> formules<br />
se trouvait déjà dans les sūtra anciens : idéologiquement le mahāyāna puise dans<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> conceptions anciennes. Le nombre <strong>de</strong> ces parallèles prouve surtout que la<br />
composition <strong><strong>de</strong>s</strong> mahāyānasūtra fut le fait <strong>de</strong> gens parfaitement au courant <strong>de</strong><br />
notions <strong>et</strong> <strong>de</strong> textes enseignés seulement dans les monastères. En d’autres termes,<br />
ce fut le fait <strong>de</strong> moines, dont rien ne perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> dire qu’ils aient défroqué. Il n’était<br />
pas inutile <strong>de</strong> le rappeler à propos d’un texte qui ridiculise ces mêmes moines.<br />
L’étu<strong>de</strong> a aussi porté sur la caractérisation linguistique du texte. Le sanskrit n’a<br />
rien <strong>de</strong> très particulier. C’est du sanskrit bouddhique ordinaire, mais le ou les<br />
auteurs étaient capables <strong>de</strong> faire beaucoup mieux : en témoigne le passage sur Upāli<br />
(supra). En d’autres termes, le sanskrit bouddhique tient plus à une volonté<br />
d’utiliser la langue-type <strong><strong>de</strong>s</strong> sūtra qu’à une incapacité à écrire du sanskrit paninéen.<br />
Quant au moyen-indien sous-jacent au stotra très sanskritisé <strong>de</strong> I, 10, il est d’une<br />
variété jusqu’à présent inconnue, en particulier en ce qui concerne certaines formes<br />
adjectivo-verbales 3 .<br />
La lecture du texte s’étant arrêtée, faute <strong>de</strong> temps, à la fin du chapitre III, le<br />
<strong>cours</strong>-séminaire sur le Vkn se poursuivra en 2008-2009. Aucune publication n’est<br />
envisagée, le Professeur ayant malheureusement d’autres obligations.<br />
Activités <strong>de</strong> la chaire<br />
M. Éric Ollivier, architecte-cartographe, gère l’informatique <strong>de</strong> la chaire <strong>et</strong><br />
supervise l’i<strong>de</strong>ntification, le catalogage informatisé dans Portfolio Extensis <strong>et</strong> la<br />
numérisation <strong><strong>de</strong>s</strong> collections <strong>de</strong> photographies données à la photothèque <strong>de</strong><br />
l’Institut d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> Indiennes du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (plus <strong>de</strong> 26 000 clichés à ce<br />
3. M me Scherrer-Schaub a fait remarquer qu’il suffit <strong>de</strong> couper naivātra ātma na ca kāraku<br />
vedako vā en I, 10, 4c pour que le texte soit compréhensible <strong>et</strong> bouddhiquement correct. De<br />
même il faut couper en I, 10, 5c yasmin na vedita ca cittamanahpracārā. I, 10, 4a na ca nāma asti<br />
na ca nāsti giram prabhāsi fait difficulté, d’autres passages aussi.
HISTOIRE DU MONDE INDIEN 649<br />
jour). Il a participé à l’élaboration <strong>et</strong> à la réalisation du livre Monuments bouddhiques<br />
<strong>de</strong> la région <strong>de</strong> Caboul paru c<strong>et</strong>te année (infra). Il a considérablement avancé son<br />
catalogue commenté <strong><strong>de</strong>s</strong> estampilles arabes en verre <strong>de</strong> la Bibliothèque nationale<br />
<strong>et</strong> Universitaire <strong>de</strong> Strasbourg.<br />
Monsieur Christian Bouy, maître <strong>de</strong> conférences, a géré le catalogage <strong>et</strong> le rétrocatalogage<br />
<strong>de</strong> la Bibliothèque d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> Indiennes.<br />
M me Isabelle Szelagowski, maître <strong>de</strong> conférences, s’est occupée <strong>de</strong> recherches<br />
documentaires <strong>et</strong> bibliographiques en relation avec le programme d’enseignement<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> la chaire. Elle assure par ailleurs le secrétariat <strong>de</strong> la chaire, gère<br />
les comman<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> livres <strong>et</strong> les publications <strong>de</strong> l’Institut d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> Indiennes <strong>et</strong><br />
rédige la L<strong>et</strong>tre d’Information annuelle dudit Institut. Elle en fera paraître le n° 20<br />
en octobre 2008.<br />
M me Nathalie Lapierre a participé à la fouille <strong>de</strong> Kampyr Tepe (Ouzbékistan)<br />
sous la direction <strong>de</strong> notre collègue E. Rtveladze du 15 avril au 8 mai 2008.<br />
Professeurs étrangers invités<br />
M me Kapila Vatsyayan, foun<strong>de</strong>r and former Secr<strong>et</strong>ary, Indira Gandhi Center for<br />
the Arts (New-Delhi) a donné le vendredi 4 avril 2008 une conférence intitulée<br />
« The building of the main cultural institutions in in<strong>de</strong>pendant India » (voir La<br />
L<strong>et</strong>tre du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, n° 23 », juin 2008, 12-13).<br />
Publications<br />
« Cours : Les Guptas <strong>et</strong> le nationalisme indien. Séminaire : relecture d’inscriptions déjà<br />
plusieurs fois éditées », Annuaire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> 2006-2007, 695-713.<br />
Gérard Fussman avec la collaboration d’Eric Ollivier <strong>et</strong> <strong>de</strong> Baba Murad, Monuments<br />
bouddhiques <strong>de</strong> la région <strong>de</strong> Caboul/Kabul Buddhist Monuments, II, Publications <strong>de</strong> l’Institut<br />
<strong>de</strong> Civilisation Indienne, fasc. 761 <strong>et</strong> 762 , Paris 2008, 373 pages.<br />
Missions <strong>de</strong> M. Fussman <strong>et</strong> autres activités<br />
Direction <strong>de</strong> l’Institut d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> Indiennes du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />
Prési<strong>de</strong>nt, délégué <strong>de</strong> l’Administrateur, du Conseil scientifique <strong><strong>de</strong>s</strong> bibliothèques du<br />
<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />
Appartenance au Conseil scientifique <strong>de</strong> la BULAC (Bibliothèque Universitaire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Langues <strong>et</strong> Civilisations).
650 GÉRARD FUSSMAN<br />
Appartenance au Comité Directeur <strong>de</strong> la Forschungsstelle für Felsbil<strong>de</strong>r und Inschriften<br />
am Karakorum Highway <strong>de</strong> l’Académie d’Hei<strong>de</strong>lberg.<br />
Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la SEECHAC (Société Européenne pour l’Étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Civilisations <strong>de</strong><br />
l’Himalaya <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Asie Centrale).<br />
�<br />
Conférence <strong>de</strong>vant le personnel du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (pour le CLAS) le 10 janvier 2008<br />
<strong>et</strong> au Musée Cernuschi (pour la SEECHAC) le 31 janvier 2008 : « Monuments bouddhiques<br />
<strong>de</strong> la région <strong>de</strong> Caboul ».<br />
�<br />
Mission d’expertise <strong>de</strong> l’AERES (11 janvier 2008, UMR 7528).<br />
Mission en In<strong>de</strong> (7 au 16 février 2008) : visite <strong><strong>de</strong>s</strong> grottes bouddhiques <strong>de</strong> la région <strong>de</strong><br />
Bombay pour la préparation d’un futur <strong>cours</strong>.
Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne<br />
M. Pierre-Étienne Will, professeur<br />
C<strong>et</strong>te quatrième <strong>et</strong> <strong>de</strong>rnière livraison sur l’histoire du Guanzhong (la plaine<br />
centrale du Shaanxi, capitale Xi’an) au début <strong>de</strong> l’époque républicaine s’est<br />
concentrée sur la lente <strong>et</strong> difficile mise en route d’un « cycle vertueux <strong>de</strong><br />
développement » dans la région à partir <strong>de</strong> la décennie 1930. Nous avions r<strong>et</strong>racé<br />
dans nos <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> trois <strong>de</strong>rnières années l’histoire chaotique du Guanzhong<br />
pendant les <strong>de</strong>ux décennies précé<strong>de</strong>ntes : la guerre civile, la famine, les proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong><br />
mo<strong>de</strong>rnisation avortés, la spirale <strong><strong>de</strong>s</strong>cendante du sous-développement… L’automne<br />
1930 marque un point tournant à beaucoup d’égards. Politiquement <strong>et</strong><br />
militairement, d’abord, c’est la fin ce qu’on peut appeler le cycle <strong><strong>de</strong>s</strong> seigneurs <strong>de</strong><br />
la guerre. Dès les len<strong>de</strong>mains <strong>de</strong> la révolution <strong>de</strong> 1911, ou presque, la vie <strong>de</strong> la<br />
région (comme celle <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> régions en Chine) avait été dominée <strong>et</strong><br />
rythmée par les rivalités <strong>de</strong> ces chefs d’armées dont le but principal, sinon toujours<br />
exclusif, était d’accroître leur propre puissance en exploitant sans scrupule les<br />
ressources <strong><strong>de</strong>s</strong> territoires qu’ils étaient capables <strong>de</strong> contrôler. Certains ont réussi à<br />
occuper plus ou moins longtemps le poste <strong>de</strong> gouverneur militaire du Shaanxi,<br />
avec la sanction du gouvernement central, mais leur pouvoir ne s’étendait jamais<br />
qu’à une fraction limitée du territoire <strong>de</strong> la province, le reste étant aux mains <strong>de</strong><br />
militaristes locaux qui n’obéissaient à aucun ordre. Ces <strong>de</strong>rniers ont été réduits un<br />
à un en 1927 <strong>et</strong> 1928 par les lieutenants <strong>de</strong> Feng Yuxiang, l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> « grands »<br />
seigneurs <strong>de</strong> la guerre <strong>de</strong> l’époque, qui nourrissait <strong><strong>de</strong>s</strong> ambitions nationales <strong>et</strong> à qui<br />
le nouveau gouvernement nationaliste avait été contraint <strong>de</strong> laisser le contrôle du<br />
Nord-Ouest, ce qui ne l’avait pas empêché <strong>de</strong> se r<strong>et</strong>ourner contre lui. Le régime<br />
<strong>de</strong> Nankin n’impose définitivement son pouvoir à Xi’an qu’en octobre 1930, après<br />
avoir défait les forces <strong>de</strong> Feng Yuxiang, <strong>et</strong> c’est à partir <strong>de</strong> là que le Shaanxi cesse<br />
<strong>de</strong> servir périodiquement <strong>de</strong> champ <strong>de</strong> bataille pour factions militaristes rivales.<br />
(La guerre contre les bases communistes situées dans le nord <strong>de</strong> la province est<br />
l’exception, mais elle a été conduite assez mollement <strong>et</strong> a cessé avec la proclamation<br />
du second « Front uni » fin 1936.)
652 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />
La fin <strong>de</strong> 1930 marque aussi la sortie d’une sécheresse qui dure <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux ans<br />
<strong>et</strong> qui s’est conjuguée aux exactions <strong><strong>de</strong>s</strong> militaires <strong>et</strong> à la désorganisation générale<br />
<strong>de</strong> la société pour causer l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> plus épouvantables famines <strong>de</strong> l’histoire au<br />
Shaanxi <strong>et</strong> dans la province voisine du Gansu. Le r<strong>et</strong>our à l’ordre que laisse espérer<br />
l’entrée <strong><strong>de</strong>s</strong> nationalistes à Xi’an a convaincu les principales organisations<br />
philanthropiques du pays <strong>de</strong> revenir dans une région qu’elles avaient pour la<br />
plupart d’entre elles désertée par manque <strong>de</strong> sécurité. Elles bénéficient du plein<br />
appui <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles autorités provinciales, <strong>et</strong> le mot d’ordre désormais est non<br />
seulement <strong>de</strong> secourir les populations affamées, mais aussi <strong>de</strong> j<strong>et</strong>er les bases du<br />
développement économique. L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> proj<strong>et</strong>s phares, la réhabilitation du système<br />
d’irrigation du Weibei (sur la rive gauche <strong>de</strong> la rivière Wei, directement au nord<br />
<strong>de</strong> Xi’an), dont on parlait <strong>de</strong>puis 1912 <strong>et</strong> pour laquelle <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> approfondies<br />
avaient été conduites au début <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1920 sous la direction <strong>de</strong> l’ingénieur Li<br />
Yizhi, peut démarrer dès la fin 1930 grâce à l’appui <strong>de</strong> la China International<br />
Famine Relief Commission (CIFRC), l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> principaux organismes<br />
philanthropiques <strong>de</strong> l’époque en Chine. Il est clair que la réalisation relativement<br />
rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> ce chantier — la première tranche <strong>de</strong> ce qui s’appelle désormais le canal<br />
Jinghui 涇惠渠 a été inaugurée en juin 1932 — a été un signal fort pour les<br />
populations locales.<br />
De fait, comme nous l’avions vu l’an passé, c’est un véritable sentiment <strong>de</strong><br />
renaissance qui s’exprime dans une quantité d’articles publiés à Xi’an juste après le<br />
changement <strong>de</strong> régime : c<strong>et</strong>te transition politique <strong>de</strong> la fin 1930 a été vécue comme<br />
une sortie du tunnel <strong>et</strong> comme l’orée d’un nouveau cycle <strong>de</strong> tranquillité <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
progrès économique. Certes il ne s’agit encore que d’espoirs <strong>et</strong> <strong>de</strong> proj<strong>et</strong>s, <strong>et</strong> ces<br />
éléments virtuels ont mis du temps à s’actualiser <strong>et</strong> à produire leurs eff<strong>et</strong>s. Pour ne<br />
prendre qu’un exemple, si le r<strong>et</strong>our à l’ordre a été proclamé dès sa prise <strong>de</strong> fonctions<br />
par le nouveau gouverneur <strong>de</strong> la province, le général Yang Hucheng, en réalité<br />
certains inci<strong>de</strong>nts dont il sera question plus loin montrent qu’en 1932 ou 1933<br />
encore l’insécurité était gran<strong>de</strong>, même à proximité <strong>de</strong> Xi’an, <strong>et</strong> que dans <strong><strong>de</strong>s</strong> zones<br />
assez étendues le contrôle du gouvernement provincial restait très limité.<br />
Mais il est clair qu’une nouvelle dynamique s’est instaurée dans la région <strong>et</strong> que,<br />
si une action dans la durée a été possible, c’est parce qu’en dépit <strong>de</strong> quelques<br />
soubresauts sans grand eff<strong>et</strong> sur les conditions <strong>de</strong> vie <strong>de</strong> la population le Guanzhong<br />
a bénéficié, à partir <strong>de</strong> l’installation du pouvoir nationaliste à Xi’an, d’une stabilité<br />
politique qu’il n’avait pas connue <strong>de</strong>puis le milieu du xix e siècle.<br />
Notre exposé s’est concentré sur <strong>de</strong>ux grands suj<strong>et</strong>s : d’une part, le rôle <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong><br />
étrangère dans le processus <strong>de</strong> développement auquel on vient <strong>de</strong> faire allusion, <strong>et</strong><br />
plus précisément la nature <strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre Chinois <strong>et</strong> experts étrangers ; d’autre<br />
part, l’impact technique <strong>et</strong> économique du modèle <strong>de</strong> développement symbolisé<br />
par la mo<strong>de</strong>rnisation du site du Weibei.<br />
La coopération entre Chinois <strong>et</strong> étrangers, nous l’avons examinée principalement<br />
dans le cadre <strong>de</strong> la CIFRC, qui était par sa constitution même un organisme
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 653<br />
sino-étranger <strong>et</strong> qui est restée une présence importante au Shaanxi jusqu’au milieu<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> années 1930 : c’est elle qui a relancé le proj<strong>et</strong> du Weibei (auquel elle s’était<br />
déjà intéressée pendant la décennie précé<strong>de</strong>nte), ses ingénieurs en ont eux-mêmes<br />
conçu <strong>et</strong> réalisé la partie techniquement la plus difficile, <strong>et</strong> en fin <strong>de</strong> compte elle<br />
a assuré l’essentiel du financement jusqu’en 1934, bien au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce qui avait été<br />
prévu dans le contrat signé avec le gouvernement <strong>de</strong> la province. C<strong>et</strong>te<br />
contribution est minimisée, voire passée sous silence, dans la plus gran<strong>de</strong> partie<br />
<strong>de</strong> la littérature consacrée en Chine populaire à la reconstruction économique <strong>de</strong><br />
la région après 1930. Un autre <strong><strong>de</strong>s</strong> grands proj<strong>et</strong>s d’ingénierie civile <strong>de</strong> la CIFRC<br />
en Chine du Nord concernait également le Shaanxi : la transformation <strong>de</strong><br />
l’ancienne route impériale reliant Xi’an <strong>et</strong>, 700 km à l’ouest, Lanzhou, la capitale<br />
du Gansu, en une route adaptée à la circulation automobile (appelée route Silan,<br />
i.e. Xi-Lan 西蘭, dans les sources occi<strong>de</strong>ntales) qui a permis <strong>de</strong> réduire le temps<br />
<strong>de</strong> par<strong>cours</strong> <strong>de</strong> 18 à 3 jours <strong>et</strong> a notablement contribué à désenclaver l’extrême<br />
nord-ouest <strong>de</strong> la Chine.<br />
Pour toutes ces raisons il était intéressant d’examiner la nature même, sur le<br />
terrain, <strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre les ingénieurs <strong>et</strong> les administrateurs <strong>de</strong> la CIFRC <strong>et</strong> les<br />
habitants du Shaanxi avec lesquels ils étaient en contact constant : les travailleurs<br />
employés sur les chantiers, les fournisseurs, les intermédiaires chargés <strong>de</strong> recruter<br />
la main d’œuvre, les autorités locales civiles <strong>et</strong> militaires, <strong>et</strong> le gouvernement<br />
provincial. Comment les étrangers — même travaillant dans le cadre d’entreprises<br />
<strong>de</strong> nature philanthropique, donc en principe pour le bien <strong>de</strong> la Chine — étaient-ils<br />
considérés par leurs interlocuteurs chinois, comment leur rôle <strong>et</strong> leur attitu<strong>de</strong><br />
étaient-ils perçus <strong>et</strong> ressentis ? À l’inverse, comment les étrangers travaillant dans<br />
le cadre <strong>de</strong> l’assistance philanthropique considéraient-ils leurs interlocuteurs<br />
chinois ? Ces questions sont plus culturelles, politiques mêmes, que strictement<br />
économiques, mais elles sont omniprésentes dans les sources traitant <strong>de</strong> problèmes<br />
<strong>de</strong> développement, d’expertise technique <strong>et</strong> d’ai<strong>de</strong> internationale, qu’il s’agisse <strong>de</strong><br />
la CIFRC ou <strong>de</strong> tout autre organisme comparable, comme la Croix-rouge<br />
américaine, ou même <strong>de</strong> la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations.<br />
Avant <strong>de</strong> les abor<strong>de</strong>r nous sommes revenu beaucoup plus en détail que<br />
précé<strong>de</strong>mment sur l’organisation <strong>et</strong> le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> fonctionnement <strong>de</strong> la CIFRC,<br />
fondée, rappelons-le, en novembre 1921, au terme <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> famine <strong>de</strong><br />
1920-1921 en Chine du Nord, dans le but <strong>de</strong> fédérer les associations provinciales<br />
sino-étrangères alors en activité <strong>et</strong> <strong>de</strong> créer une structure permanente <strong>et</strong> préventive.<br />
La CIFRC était un organisme centralisé, doté d’un comité exécutif, d’un secrétariat<br />
général <strong>et</strong> <strong>de</strong> bureaux spécialisés. L’un <strong>de</strong> ses principes fondateurs était la parité<br />
entre responsables chinois <strong>et</strong> étrangers. (Parmi ces <strong>de</strong>rniers la majorité venaient du<br />
milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> missions protestantes anglo-saxonnes.) Elle comptait un certain nombre<br />
<strong>de</strong> comités provinciaux (sept en 1922, quinze en 1935) dont les activités étaient<br />
encadrées <strong>de</strong> près par les instances centrales. Dès sa fondation elle a été l’organisation<br />
non gouvernementale disposant <strong><strong>de</strong>s</strong> moyens les plus importants en Chine, mais sa<br />
réputation reposait aussi sur la qualité <strong>et</strong> la rigueur <strong>de</strong> sa gestion, sur un ensemble
654 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />
<strong>de</strong> procédures bien rodées, <strong>et</strong> sur son carn<strong>et</strong> d’adresses à l’étranger. Jusqu’à ce que<br />
le gouvernement nationaliste ne tente sérieusement <strong>de</strong> reprendre la main au début<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> années 1930, les autorités se reposaient presque entièrement sur elle pour les<br />
<strong>travaux</strong> d’infrastructure lancés au moment <strong><strong>de</strong>s</strong> désastres naturels <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> famines,<br />
basés sur le principe <strong><strong>de</strong>s</strong> se<strong>cours</strong> en échange <strong>de</strong> travail (gongzhen 工賑) : outre les<br />
moyens qu’elle était capable <strong>de</strong> mobiliser, elle était la seule à possé<strong>de</strong>r le savoir-faire<br />
<strong>et</strong> les capacités d’organisation nécessaires, sans parler du bureau d’ingénierie dont<br />
il sera question plus bas.<br />
L’instance décisionnelle <strong>de</strong> la CIFRC était son comité exécutif, composé <strong>de</strong><br />
11 personnes (6 Occi<strong>de</strong>ntaux <strong>et</strong> 5 Chinois jusqu’en 1928, l’inverse après c<strong>et</strong>te<br />
date), où les membres du bureau exerçaient <strong>de</strong> facto une influence dominante : le<br />
prési<strong>de</strong>nt, le vice-prési<strong>de</strong>nt, les <strong>de</strong>ux trésoriers <strong>et</strong> le secrétaire général, ce <strong>de</strong>rnier<br />
étant en fait le personnage clé <strong>de</strong> tout le dispositif. Pendant la plus gran<strong>de</strong> partie<br />
<strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> la Commission les responsabilités <strong>de</strong> secrétaire général ont été<br />
assumées par un seul <strong>et</strong> même personnage, Zhang Yuanshan 章元善 (Y.S. Djang),<br />
un ingénieur chimiste diplômé <strong>de</strong> l’Université Cornell dont il sera plus longuement<br />
question ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous. La plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> membres du comité exécutif étaient <strong><strong>de</strong>s</strong> grands<br />
notables bien connectés dans les milieux universitaires, dans les milieux d’affaires,<br />
au gouvernement <strong>et</strong> dans les ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> étrangères.<br />
Dès sa fondation la CIFRC avait mis sur pied une douzaine <strong>de</strong> sous-comités<br />
spécialisés (changshe fenwei banhui 常設分委辦會) où étaient invités divers experts<br />
supposés conduire <strong><strong>de</strong>s</strong> enquêtes <strong>et</strong> soum<strong>et</strong>tre <strong><strong>de</strong>s</strong> propositions aux instances<br />
dirigeantes. L’administration centrale (zonghui shiwusuo 總會事務所), placée sous<br />
l’autorité du secrétaire général, comportait également un certain nombre <strong>de</strong><br />
bureaux spécialisés où travaillaient les employés <strong>de</strong> la Commission. C<strong>et</strong>te double<br />
structure n’allait pas sans redondance, <strong>et</strong> dans les faits la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> sous-comités<br />
ont progressivement perdu <strong>de</strong> leur influence au profit <strong><strong>de</strong>s</strong> bureaux, qui s’avéraient<br />
n<strong>et</strong>tement plus efficaces. Tel a été en particulier le cas du bureau d’ingénierie<br />
(gongcheng gu 工程股) placé sous la direction <strong>de</strong> l’ingénieur américain O.J. Todd,<br />
recruté par la CIFRC en 1923 <strong>et</strong> que nous avons déjà souvent évoqué : Todd, qui<br />
ne craignait pas les conflits, a rapi<strong>de</strong>ment marginalisé les ingénieurs distingués qui<br />
composaient le « comité technique » (jishu bu 技術部), lequel a été dissout dès<br />
1925 pour cause d’insuffisance <strong>de</strong> travail.<br />
D’un intérêt particulier pour notre propos sont les relations entre dirigeants<br />
chinois <strong>et</strong> étrangers au sein <strong>de</strong> la Commission. En surface au moins la coopération<br />
était harmonieuse. Huang Wen<strong>de</strong> 黃文德, à qui l’on doit la monographie la plus<br />
complète sur la CIFRC (publiée à Taiwan en 2004), remarque que ces bonnes<br />
relations sont d’autant plus remarquables que le nationalisme chinois était intense<br />
à l’époque <strong>et</strong> que dans <strong>de</strong> larges milieux les étrangers, même affichant le plus<br />
grand dévouement à la cause <strong>de</strong> la Chine, étaient soupçonnés <strong>de</strong> servir les intérêts<br />
<strong>de</strong> l’impérialisme. Mais l’examen <strong><strong>de</strong>s</strong> archives privées <strong>de</strong> l’ingénieur Todd,<br />
conservées à la Hoover Institution <strong>de</strong> Stanford, démontre que la CIFRC n’était pas
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 655<br />
toujours la réunion d’idéalistes passionnément dévoués au sauv<strong>et</strong>age <strong>de</strong> la Chine<br />
que suggère sa littérature officielle — ou plus précisément, que si ses dirigeants<br />
étaient incontestablement idéalistes <strong>et</strong> dévoués, ils ne s’entendaient pas toujours<br />
entre eux, <strong>et</strong> qu’en particulier il pouvait y avoir <strong>de</strong> fortes tensions entre Chinois <strong>et</strong><br />
Occi<strong>de</strong>ntaux. C’est ce que suggèrent également un certain nombre <strong>de</strong> publications<br />
chinoises récentes, sur le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la philanthropie en général <strong>et</strong> sur la CIFRC en<br />
particulier, qui font appel à <strong><strong>de</strong>s</strong> publications, à <strong><strong>de</strong>s</strong> archives <strong>et</strong> à <strong><strong>de</strong>s</strong> témoignages<br />
inconnus jusqu’alors.<br />
Les membres chinois <strong>de</strong> la direction <strong>de</strong> la CIFRC étaient tous anglophones,<br />
chrétiens la plupart du temps, <strong>et</strong> diplômés d’universités européennes ou américaines ;<br />
beaucoup avaient servi dans la diplomatie, <strong>et</strong> tous étaient <strong><strong>de</strong>s</strong> notables qui savaient<br />
comment parler <strong>et</strong> se comporter dans les milieux occi<strong>de</strong>ntaux <strong>de</strong> Chine (plusieurs<br />
étaient membres du Rotary Club) — bref, <strong>de</strong> ces gens dont les Occi<strong>de</strong>ntaux<br />
aimaient à penser qu’ils leur ressemblaient, ou ne désiraient rien tant que <strong>de</strong> leur<br />
ressembler le plus possible. Mais les indices ne manquent pas pour montrer que<br />
les choses étaient plus complexes. Même on ne peut plus occi<strong>de</strong>ntalisés, les Chinois<br />
du comité exécutif <strong>de</strong> la CIFRC ou d’autres instances similaires restaient chinois,<br />
<strong>et</strong> tenaient à le rester. Exerçant par ailleurs <strong>de</strong> multiples responsabilités dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
instances purement chinoises, on peut supposer qu’ils n’étaient pas toujours à l’aise<br />
avec c<strong>et</strong>te asymétrie en vertu <strong>de</strong> laquelle la CIFRC, bien que sino-étrangère, était<br />
d’abord anglophone <strong>et</strong> fonctionnait suivant <strong><strong>de</strong>s</strong> principes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> procédures<br />
d’inspiration occi<strong>de</strong>ntale. Et ils avaient inévitablement quelque difficulté à accepter<br />
l’attitu<strong>de</strong> paternaliste naturellement adoptée par leurs collègues européens <strong>et</strong><br />
américains, peut-être pas envers eux-mêmes, mais certainement envers la société<br />
chinoise, autrement dit leur société. Les publications officielles <strong>de</strong> la CIFRC nous<br />
informent <strong><strong>de</strong>s</strong> décisions <strong>de</strong> la Commission, <strong>de</strong> ses analyses, <strong><strong>de</strong>s</strong> politiques qu’elle<br />
préconise, mais elles ne nous disent rien <strong><strong>de</strong>s</strong> débats, <strong><strong>de</strong>s</strong> désaccords <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> rivalités<br />
en amont, ni <strong>de</strong> l’existence possible <strong>de</strong> factions au sein <strong>de</strong> l’équipe dirigeante,<br />
défendant <strong><strong>de</strong>s</strong> intérêts qui ne coïnci<strong>de</strong>nt pas toujours <strong>et</strong>, surtout, exprimant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
sensibilités différentes — chinoises d’un côté, <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’autre occi<strong>de</strong>ntales, certains<br />
diraient même coloniales.<br />
De tout cela, qui a très certainement tenu une place importante dans la vie <strong>de</strong><br />
la Commission, nous n’avons que <strong><strong>de</strong>s</strong> traces. Le seul exemple dont nous ayons<br />
connaissance un peu concrètement concerne les relations difficiles entre le secrétaire<br />
général Y.S. Djang — l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> fondateurs <strong>de</strong> la CIFRC <strong>et</strong> l’âme <strong>de</strong> l’organisation<br />
pendant une quinzaine d’années — <strong>et</strong> l’ingénieur en chef O.J. Todd. Les frictions<br />
entre l’un <strong>et</strong> l’autre étaient en partie déterminées par les choix stratégiques <strong>de</strong> la<br />
CIFRC. Celle-ci en eff<strong>et</strong> avait assez vite été conduite à concentrer ses efforts sur<br />
<strong>de</strong>ux grands programmes, visant l’un <strong>et</strong> l’autre à renforcer les capacités <strong>de</strong> résistance<br />
<strong>de</strong> la société rurale face aux désastres naturels <strong>et</strong> en même temps à diminuer<br />
l’impact potentiel <strong>de</strong> ces désastres par <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures préventives. Le premier était la<br />
mise en place d’un réseau <strong>de</strong> coopératives <strong>de</strong> crédit rural ayant pour obj<strong>et</strong> d’ai<strong>de</strong>r<br />
les paysans à sortir <strong>de</strong> la pauvr<strong>et</strong>é en leur enseignant comment s’organiser entre
656 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />
eux, économiquement <strong>et</strong> socialement ; le second, c’étaient les grands <strong>travaux</strong><br />
(digues, systèmes d’irrigation, routes) relevant du domaine <strong>de</strong> l’ingénierie civile,<br />
qui perm<strong>et</strong>taient <strong>de</strong> combiner se<strong>cours</strong> <strong>et</strong> édification d’infrastructures suivant la<br />
formule <strong><strong>de</strong>s</strong> se<strong>cours</strong> en échange <strong>de</strong> travail déjà mentionnée.<br />
À la CIFRC l’homme <strong><strong>de</strong>s</strong> coopératives rurales était Y.S. Djang, qui avait lancé<br />
le mouvement dès 1923 <strong>et</strong> en est resté l’inspirateur <strong>et</strong> le responsable pendant toute<br />
l’histoire <strong>de</strong> la Commission. La réussite du programme <strong>de</strong> crédit rural dans la<br />
province pilote du Hebei (où se trouve Pékin <strong>et</strong> qui a gardé son nom impérial <strong>de</strong><br />
Zhili jusqu’en 1928), à laquelle on l’avait volontairement limité pendant les<br />
premières années, a suffisamment contribué à la réputation <strong>de</strong> Y.S. Djang pour<br />
qu’en 1931, au moment <strong><strong>de</strong>s</strong> inondations catastrophiques du Yangzi, les autorités<br />
nationalistes fassent appel à lui pour étendre le mouvement aux provinces du Sud<br />
<strong>de</strong> la Chine ; là encore, le succès <strong>de</strong> l’opération a conduit les autorités à lui confier<br />
en fin <strong>de</strong> compte la direction du programme <strong>de</strong> coopératives du gouvernement<br />
lui-même, poste que Djang a assumé <strong>de</strong> 1935 à 1937. Même si dans ses souvenirs,<br />
rédigés en Chine populaire en 1960, Djang tend à minimiser l’importance <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
coopératives en en parlant comme d’un mouvement réformiste incapable <strong>de</strong><br />
s’attaquer aux causes socio-politiques profon<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la misère rurale, <strong>et</strong> <strong>de</strong> plus mené<br />
au nom d’une organisation qu’il dénonce comme un instrument <strong>de</strong> l’impérialisme<br />
américain, il n’en reste pas moins qu’il est visiblement très fier <strong>de</strong> ce qui a été sans<br />
conteste l’œuvre <strong>de</strong> sa vie, <strong>et</strong> dont il avait tiré à l’époque une gran<strong>de</strong> renommée.<br />
Todd, en revanche, n’en avait que pour les grands proj<strong>et</strong>s d’infrastructure <strong>et</strong><br />
essayait par tous les moyens <strong>de</strong> développer son département d’ingénierie <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
renforcer sa propre position au sein <strong>de</strong> la CIFRC, comme l’illustrent d’abondance<br />
les correspondances conservées dans ses archives. Il y avait là, inévitablement, une<br />
source <strong>de</strong> frictions, non seulement parce que Todd ne cachait pas son dédain pour<br />
le programme <strong>de</strong> coopératives rurales, mais aussi parce que les <strong>de</strong>ux principales<br />
activités <strong>de</strong> la Commission se trouvaient en concurrence pour mobiliser ses<br />
ressources humaines <strong>et</strong> matérielles. Particulièrement problématique, du point <strong>de</strong><br />
vue <strong>de</strong> la Commission, était l’ambition <strong>de</strong> Todd d’entr<strong>et</strong>enir en permanence un<br />
département d’ingénierie en état <strong>de</strong> marche <strong>et</strong> pourvu d’une équipe d’ingénieurs<br />
au compl<strong>et</strong>, plutôt que d’avoir à limiter ses activités aux épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> calamités<br />
naturelles où la CIFRC avait vocation à intervenir <strong>et</strong> à solliciter <strong><strong>de</strong>s</strong> financements<br />
extérieurs (américains notamment, pour lesquels le principal conduit était une<br />
organisation appelée China Famine Relief USA Inc., domiciliée à New York). En<br />
<strong>de</strong>hors <strong>de</strong> ces pério<strong><strong>de</strong>s</strong> on était obligé <strong>de</strong> renvoyer le personnel <strong>et</strong>, comme le<br />
confirme le témoignage d’un certain Ma Xiqing 馬席慶, un ingénieur chinois<br />
employé un temps à la CIFRC, cela nuisait incontestablement à la qualité <strong>et</strong> à la<br />
continuité du travail du département.<br />
Or, après 1930 environ les priorités <strong>de</strong> la CIFRC ont commencé à changer dans<br />
un sens défavorable aux grands <strong>travaux</strong>, alors qu’au moment <strong>de</strong> sa fondation<br />
ceux-ci avaient été désignés comme sa principale vocation. La raison majeure <strong>de</strong>
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 657<br />
ce r<strong>et</strong>ournement, qui ne s’est pleinement matérialisé qu’au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1930,<br />
était le désir du gouvernement nationaliste <strong>de</strong> prendre directement en charge les<br />
programmes d’infrastructure, plutôt que <strong>de</strong> les sous-traiter à <strong><strong>de</strong>s</strong> entreprises<br />
philanthropiques en partie contrôlées par <strong><strong>de</strong>s</strong> étrangers, telle la CIFRC. L’organisme<br />
gouvernemental à qui était confiée la mise en œuvre <strong>de</strong> ces nouveaux programmes<br />
était la National Economic Commission (NEC), ou Jingji weiyuanhui 經濟委員<br />
會, fondée en 1931 mais qui n’a réellement exercé sa fonction <strong>de</strong> coordination<br />
nationale, <strong>et</strong> avec <strong><strong>de</strong>s</strong> moyens conséquents, qu’à partir <strong>de</strong> 1933. Son patron était<br />
le beau-frère <strong>de</strong> Chiang Kai-chek, T. V. Soong (Song Ziwen 宋子文), alors ministre<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> finances <strong>et</strong> sans conteste l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes d’État les plus compétents au sein<br />
du gouvernement nationaliste ; <strong>et</strong> sa référence en matière d’expertise technique<br />
était la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations, très active en Chine au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1930 <strong>et</strong> dont<br />
la concurrence était plutôt mal vue <strong><strong>de</strong>s</strong> Américains, qui n’en faisaient pas partie.<br />
Quoi qu’il en soit, la propension <strong>de</strong> Todd à critiquer publiquement les choix<br />
stratégiques <strong>de</strong> la CIFRC, ainsi que ses responsables lorsqu’il était en désaccord<br />
avec eux, <strong>et</strong> peut-être plus encore une attitu<strong>de</strong> impatiente <strong>et</strong> passablement arrogante<br />
envers les Chinois qui semble avoir créé beaucoup <strong>de</strong> problèmes, lui étaient<br />
régulièrement reprochées par ses amis. Elles n’ont pu que s’ajouter au r<strong>et</strong>ournement<br />
<strong>de</strong> conjoncture dont il vient d’être question pour m<strong>et</strong>tre en péril son emploi comme<br />
ingénieur en chef à la CIFRC : dès 1930 — alors que plusieurs <strong>de</strong> ses proj<strong>et</strong>s<br />
majeurs sont en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> réalisation — quantité <strong>de</strong> correspondances nous montrent<br />
ses efforts pour trouver <strong><strong>de</strong>s</strong> financements extérieurs <strong>et</strong> sauver aussi bien son poste<br />
que son département ; <strong>et</strong> à l’en croire, l’homme qui cherchait à le faire tomber<br />
n’était autre que le secrétaire général Djang. Il est à vrai dire difficile <strong>de</strong> se faire<br />
une idée précise, mais il semble assez clair que le coût du département d’ingénierie<br />
<strong>et</strong> le « salaire d’expatrié » versé à son chef (65 % du budg<strong>et</strong> <strong>de</strong> fonctionnement du<br />
département en 1933, <strong>et</strong> en plus il voulait être augmenté !) suscitaient <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
oppositions au sein du Comité exécutif, la ligne <strong>de</strong> partage se situant plus ou moins<br />
entre Chinois <strong>et</strong> Américains : ce sont apparemment les membres chinois du Comité<br />
qui font adopter en juill<strong>et</strong> 1934 la décision <strong>de</strong> fermer le département d’ingénierie<br />
<strong>de</strong> la CIFRC <strong>et</strong> <strong>de</strong> remercier Todd. (Il travaillera cependant pendant une année <strong>de</strong><br />
plus pour la CIFRC avec <strong><strong>de</strong>s</strong> financements extérieurs.)<br />
Le rôle <strong>de</strong> Y.S. Djang dans tout cela n’est pas facile à évaluer ; mais il est peu<br />
douteux qu’il ressentait l’attitu<strong>de</strong> d’un personnage qui laissait dire, d’après un<br />
témoignage chinois, qu’il n’avait pas la stature d’un « secrétaire », tout au plus celle<br />
d’un simple commis (clerk). Tout indique par ailleurs que Djang affichait un<br />
nationalisme sans concession, jusque dans son vêtement <strong>et</strong> son style <strong>de</strong> vie, alors<br />
même que ses fonctions l’amenaient à fréquenter quotidiennement la gran<strong>de</strong><br />
bourgeoisie sino-occi<strong>de</strong>ntale, avec laquelle il était d’ailleurs parfaitement à l’aise.<br />
En présence <strong><strong>de</strong>s</strong> étrangers, si l’on en croit les souvenirs <strong>de</strong> ses proches, il ne se<br />
montrait ni humble ni hautain mais tenait à « préserver sa dignité <strong>de</strong> Chinois ».<br />
Les témoignages abon<strong>de</strong>nt également sur son intégrité, <strong>et</strong> lui-même, dans ses<br />
souvenirs sur la CIFRC publiés en 1960, insiste sur le réglementarisme très
658 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />
sourcilleux qu’il tentait non sans mal d’imposer à ses collègues étrangers. En fait,<br />
<strong>de</strong> façon très frappante si l’on se souvient que la CIFRC était supposée faire<br />
coopérer Chinois <strong>et</strong> étrangers, ces souvenirs incluent une section intitulée « la lutte<br />
avec les étrangers » (tong yangren <strong>de</strong> douzheng 同洋人的斗爭) — ces collaborateurs<br />
étrangers dont il n’a <strong>de</strong> cesse <strong>de</strong> souligner l’arrogance, la désinvolture <strong>et</strong> le complexe<br />
<strong>de</strong> supériorité <strong>et</strong> dont il explique comment il lui fallait les rem<strong>et</strong>tre à leur place, à<br />
la gran<strong>de</strong> satisfaction du personnel chinois. (Dans un épiso<strong>de</strong> au moins Todd est<br />
directement mis en cause, mais comme toujours il est difficile d’évaluer la réalité<br />
d’accusations d’ailleurs assez vagues.)<br />
Dans tout les cas, ce genre d’accusation dépasse largement le cadre <strong>de</strong> la CIFRC.<br />
L’on pourrait dire qu’on a d’abord affaire à une opposition entre <strong>de</strong>ux styles,<br />
aggravée par beaucoup <strong>de</strong> préjugés <strong>de</strong> part <strong>et</strong> d’autre, entre <strong>de</strong>ux sensibilités qui<br />
avaient du mal à cohabiter, <strong>et</strong> même à se comprendre. Mais c’est un fait que<br />
l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Todd, en particulier, ne faisait que refléter, même si c’était en la<br />
grossissant, une façon d’être en Chine extrêmement répandue chez les Occi<strong>de</strong>ntaux<br />
qui y travaillaient, même les plus dévoués dans leurs efforts pour ai<strong>de</strong>r le pays à se<br />
sortir <strong>de</strong> ses difficultés <strong>et</strong> à se mo<strong>de</strong>rniser. Comme le remarquait en son temps<br />
John K. Fairbank dans son classique The United States and China, jusqu’en 1949<br />
la relation entre les <strong>de</strong>ux pays a toujours été placée sous le signe <strong>de</strong> l’inégalité, la<br />
Chine étant le partenaire en position <strong>de</strong> faiblesse, bénéficiaire <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />
philanthropie américaines. La bonne conscience américaine ne pouvait que heurter<br />
le nationalisme <strong><strong>de</strong>s</strong> Chinois, même les plus cosmopolites <strong>et</strong> les mieux disposés<br />
envers l’Occi<strong>de</strong>nt, tels les dirigeants <strong>de</strong> la CIFRC.<br />
Mais nous avons aussi voulu explorer ces relations en nous intéressant non plus<br />
aux notables occi<strong>de</strong>ntalisés, mais aux travailleurs <strong>et</strong> aux collaborateurs avec qui les<br />
ingénieurs étrangers, américains notamment, étaient en contact quotidien sur les<br />
chantiers. Là encore les nombreux articles <strong>et</strong> conférences d’O.J. Todd, ainsi qu’un<br />
certain nombre <strong>de</strong> textes conservés dans ses archives, sont une source importante<br />
car personne, semble-t-il, ne s’est exprimé <strong>de</strong> façon aussi concrète ni aussi abondante<br />
sur le fonctionnement <strong><strong>de</strong>s</strong> grands sites <strong>de</strong> <strong>travaux</strong> publics en Chine <strong>et</strong> sur la façon<br />
dont on y vivait, sans parler du fait que l’on ne trouve pour ainsi dire rien sur ce<br />
suj<strong>et</strong> en langue chinoise. (L’abondance <strong><strong>de</strong>s</strong> écrits d’O.J. Todd s’explique autant par<br />
son sens <strong>de</strong> la promotion que par le lea<strong>de</strong>rship qui lui était reconnu dans la<br />
profession en Chine <strong>et</strong> la nécessité où il était <strong>de</strong> financer son département.)<br />
En <strong>de</strong>hors <strong><strong>de</strong>s</strong> aspects purement techniques du métier, être à la tête d’un chantier<br />
en Chine comportait une gran<strong>de</strong> part <strong>de</strong> gestion financière, <strong>de</strong> négociation avec<br />
les autorités locales <strong>et</strong> les pourvoyeurs <strong>de</strong> main-d’œuvre, <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>ment <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
mobilisation, <strong>de</strong> maintien <strong>de</strong> l’ordre, <strong>de</strong> résolution <strong><strong>de</strong>s</strong> conflits, sans parler du<br />
contrôle sanitaire <strong>et</strong> <strong>de</strong> la prévention <strong><strong>de</strong>s</strong> épidémies. Avant l’apparition <strong>de</strong> l’ingénieur<br />
mo<strong>de</strong>rne la plupart <strong>de</strong> ces responsabilités étaient assumées par <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctionnaires<br />
impériaux ; mais dans le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> ingénieurs étrangers travaillant en Chine à l’époque<br />
républicaine elles posaient <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes particuliers puisqu’elles supposaient une
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 659<br />
interaction directe <strong>et</strong> quotidienne avec <strong><strong>de</strong>s</strong> cadres <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> travailleurs appartenant à<br />
une autre culture, n’ayant pas les mêmes traditions professionnelles ni le même<br />
rapport au travail, <strong>et</strong> ne parlant pas la même langue. Or, l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> traits distinctifs<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> grands chantiers en Chine (jusque très récemment) était la masse considérable<br />
<strong>de</strong> travailleurs non qualifiés qu’il fallait conduire à la manœuvre, s’expliquant par<br />
le niveau très faible <strong>de</strong> mécanisation <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations <strong>de</strong> construction <strong>et</strong> <strong>de</strong> transport<br />
<strong>et</strong> le coût extrêmement bas <strong>de</strong> la main-d’œuvre, surtout sur <strong><strong>de</strong>s</strong> chantiers, comme<br />
ceux <strong>de</strong> la CIFRC, basés sur le principe <strong><strong>de</strong>s</strong> se<strong>cours</strong> en échange <strong>de</strong> travail <strong>et</strong> où<br />
l’on payait les travailleurs en rations calculées d’après le minimum vital.<br />
Même si la con<strong><strong>de</strong>s</strong>cendance pointe toujours, les étrangers dont nous avons les<br />
témoignages, surtout les Américains, affichent en général une certaine sympathie,<br />
voire même une réelle admiration pour la dur<strong>et</strong>é à la tâche, l’ingéniosité <strong>et</strong> la<br />
bonne humeur <strong>de</strong> ceux qu’on appelait les « coolies », autrement dit les paysans qui<br />
constituaient l’essentiel <strong>de</strong> la force <strong>de</strong> travail. (Il est intéressant <strong>de</strong> noter que le mot<br />
« coolie », qui appartenait au jargon colonial <strong>de</strong> l’époque <strong>et</strong> n’a pas ici <strong>de</strong> connotation<br />
particulièrement péjorative, était parfois employé, notamment par les ingénieurs<br />
chinois s’exprimant en anglais à propos <strong>de</strong> leurs compatriotes, pour signifier<br />
« rétrogra<strong>de</strong> », voire « stupi<strong>de</strong> ».)<br />
Mais ces « coolies » constituaient malgré tout une masse dont il était essentiel <strong>de</strong><br />
gar<strong>de</strong>r le contrôle <strong>et</strong> qui pouvait <strong>de</strong>venir rétive, dangereuse même, en tout cas<br />
prompte à écouter toutes les rumeurs, <strong>et</strong> qu’il fallait savoir manipuler <strong>et</strong> discipliner<br />
pour ne pas se laisser débor<strong>de</strong>r. Quels que fussent les sentiments <strong>de</strong> sympathie<br />
occasionnellement exprimés par les ingénieurs occi<strong>de</strong>ntaux travaillant dans l’intérieur<br />
du pays ou par les militants <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes philanthropiques, dont l’ouverture <strong>et</strong> le<br />
dévouement au progrès <strong>de</strong> la Chine ne sauraient être mis en question, dès lors qu’ils<br />
rencontraient une difficulté ou se heurtaient à <strong><strong>de</strong>s</strong> manières d’être ou <strong>de</strong> faire qui ne<br />
répondaient pas à leurs attentes ils étaient prompts à exprimer leur impatience ou<br />
leur inconfort sous la forme <strong>de</strong> clichés sur les Chinois renvoyant aux préjugés les plus<br />
répandus dans la société <strong><strong>de</strong>s</strong> expatriés <strong>de</strong> Shanghai ou d’ailleurs.<br />
Il est évi<strong>de</strong>mment impossible <strong>de</strong> généraliser. L’aptitu<strong>de</strong> à communiquer en<br />
chinois faisait certainement une différence. Todd, dont les capacités <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong><br />
vue semblent être toujours restées très limitées malgré ses quelque vingt années en<br />
Chine, remarque à plusieurs reprises que les missionnaires, surtout ceux <strong>de</strong><br />
l’intérieur, qui ont beaucoup assisté la CIFRC <strong>et</strong> avant elle la Croix-rouge américaine<br />
dans leurs entreprises <strong>de</strong> <strong>travaux</strong> publics, doivent à leur relation aux gens ordinaires<br />
<strong>et</strong> à leur connaissance <strong>de</strong> la langue un contact beaucoup plus direct, <strong>et</strong> sans doute<br />
moins problématique, avec leurs interlocuteurs chinois, <strong>et</strong> qu’ils sont souvent les<br />
plus efficaces lorsqu’il s’agit <strong>de</strong> recruter <strong><strong>de</strong>s</strong> travailleurs ou <strong>de</strong> négocier avec les chefs<br />
d’équipe <strong>et</strong> les fournisseurs.<br />
Sans doute faut-il aussi tenir compte <strong>de</strong> ce qu’on pourrait appeler l’« exception<br />
américaine ». Dans la Chine <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1920 <strong>et</strong> 1930 l’Amérique était n<strong>et</strong>tement<br />
mieux perçue que les autres puissances, notamment la Gran<strong>de</strong>-Br<strong>et</strong>agne, qui <strong>de</strong>puis
660 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />
la guerre <strong>de</strong> l’Opium était l’incarnation par excellence <strong>de</strong> l’impérialisme <strong>et</strong> l’est<br />
restée jusqu’à la guerre du Pacifique (la diabolisation <strong>de</strong> l’impérialisme américain<br />
date <strong>de</strong> la guerre froi<strong>de</strong>). En dépit <strong>de</strong> leur participation active au système <strong><strong>de</strong>s</strong> traités<br />
<strong>et</strong> à l’invasion économique <strong>de</strong> la Chine les États-Unis ont toujours prétendu à la<br />
neutralité <strong>et</strong> se sont faits les champions <strong>de</strong> la politique <strong>de</strong> la porte ouverte, excluant<br />
toute conquête territoriale. Il existait en outre aux État-Unis un fort courant <strong>de</strong><br />
sympathie à l’égard <strong>de</strong> la Chine, encouragé par les missions protestantes à l’origine<br />
<strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> tradition américaine d’intervention humanitaire dans ce pays,<br />
également par la présence nombreuse <strong>de</strong> boursiers chinois dans les universités<br />
américaines, dont beaucoup étaient financés sur les fonds payés au titre <strong>de</strong><br />
l’« in<strong>de</strong>mnité boxeurs » <strong>et</strong> réaffectés au développement <strong>de</strong> l’éducation en Chine.<br />
Enfin, la capitulation du gouvernement Wilson <strong>de</strong>vant les exigences japonaises au<br />
moment du traité <strong>de</strong> Versailles en 1919 avait provoqué une vague d’indignation<br />
dans l’opinion publique américaine <strong>et</strong> ce que certains n’ont pas hésité à appeler un<br />
sentiment <strong>de</strong> culpabilité à l’égard <strong>de</strong> la Chine. Par là s’explique la réponse<br />
enthousiaste du public américain aux appels pour secourir les victimes <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong><br />
famine <strong>de</strong> 1920-1921 — les organisations charitables américaines ont alors déversé<br />
sur la Chine <strong><strong>de</strong>s</strong> millions <strong>de</strong> dollars —, <strong>et</strong> en général sa promptitu<strong>de</strong> à répondre<br />
aux sollicitations répétées <strong><strong>de</strong>s</strong> nombreuses entreprises philanthropiques actives<br />
pendant toute c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> : la CIFRC, qui était fondamentalement une entreprise<br />
sino-américaine, en est un <strong><strong>de</strong>s</strong> meilleurs exemples. L’Amérique en r<strong>et</strong>irait une réelle<br />
popularité, jusque dans <strong><strong>de</strong>s</strong> régions aussi reculées que le Shaanxi ou le Gansu, <strong>et</strong><br />
ses ressortissants en tiraient d’incontestables avantages aussi bien moraux que<br />
commerciaux.<br />
Beaucoup d’Américains en Chine non seulement rêvaient d’établir une « relation<br />
spéciale » entre la Chine <strong>et</strong> l’Amérique, mais encore se sentaient investis d’une<br />
mission. Les ingénieurs auxquels nous nous intéressons se qualifient volontiers<br />
d’« ingénieurs-missionnaires » : leur vocation est non seulement d’équiper la Chine<br />
pour la sortir du sous-développement, mais encore, <strong>et</strong> surtout, <strong>de</strong> former une élite<br />
<strong>de</strong> cadres <strong>et</strong> <strong>de</strong> techniciens compétents, cela va sans dire, mais aussi imbus <strong>de</strong><br />
valeurs typiquement américaines telles que le dévouement, l’intégrité, l’esprit<br />
d’équipe, <strong>et</strong>c., car ce sont en fin <strong>de</strong> compte ces gens-là qui sauveront la Chine. Or,<br />
nos ingénieurs-missionnaires semblent considérer qu’il reste encore beaucoup à<br />
faire <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue. À les en croire, contrairement aux sympathiques coolies<br />
les membres plus favorisés <strong>de</strong> la société ont tendance à être paresseux, jouisseurs,<br />
corrompus, truqueurs, dénués <strong>de</strong> « morale nationale », <strong>et</strong> incapables <strong>de</strong> coopérer à<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> entreprises communes : tout cela, c’est un problème <strong>de</strong> civilisation <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
« coutumes ». Plus proche <strong>de</strong> notre suj<strong>et</strong>, nombre d’auteurs déplorent chez une<br />
majorité d’ingénieurs chinois, en particulier les jeunes, une tendance à considérer<br />
que le travail manuel est indigne d’eux — d’aucuns y voient un eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> la tradition<br />
mandarinale — <strong>et</strong> un faible intérêt pour le travail pratique : ils préfèrent le bureau<br />
au terrain <strong>et</strong> le confort <strong>de</strong> la ville aux rigueurs d’un exil <strong>de</strong> plusieurs mois dans une<br />
région isolée, voire dangereuse. Les « r<strong>et</strong>ours <strong>de</strong> l’étranger », qui ont reçu une
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 661<br />
formation théorique <strong>de</strong> haut niveau <strong>et</strong> sont particulièrement soucieux <strong>de</strong> promotion<br />
sociale, semblent les plus exposés à ces faiblesses. On regr<strong>et</strong>te aussi, surtout au<br />
début <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1920, que les jeunes ingénieurs formés en Chine manquent trop<br />
souvent d’initiative, <strong>de</strong> créativité, <strong>et</strong> d’autorité sur le terrain.<br />
Telle est donc la « mission » que s’assignent Todd <strong>et</strong> ses collègues : enseigner par<br />
l’exemple à la jeune génération <strong><strong>de</strong>s</strong> ingénieurs chinois les vertus du contact avec<br />
les réalités physiques <strong>et</strong> sociales du terrain <strong>et</strong> la valeur du lea<strong>de</strong>rship <strong>et</strong> du management<br />
à l’américaine. Ce que sont d’ailleurs incapables <strong>de</strong> leur inculquer, d’après eux, les<br />
ingénieurs européens envoyés par la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations, avec lesquels ils<br />
entr<strong>et</strong>iendront une polémique assez violente au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1930 : à ces<br />
« ingénieurs en chambre » ils opposent les « ingénieurs en bras <strong>de</strong> chemise qui<br />
connaissent la Chine <strong>et</strong> ses rivières » — c’est-à-dire eux-mêmes, que leur familiarité<br />
avec les problèmes <strong>de</strong> rivières « longues <strong>et</strong> boueuses » comme le Mississipi ou le<br />
Colorado rend particulièrement aptes à travailler sur le fleuve Jaune ou le Yangzi.<br />
Ils se reconnaissent d’ailleurs <strong><strong>de</strong>s</strong> alliés sur place, qui partagent les mêmes valeurs<br />
professionnelles <strong>et</strong> dont les sources montrent qu’ils les considèrent comme leurs<br />
égaux, d’autant que la plupart ont été formés dans les mêmes universités qu’eux :<br />
Li Yizhi est l’exemple type <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te élite d’ingénieurs civils chinois chevronnés qui<br />
dans les années 1930 vont être appelés à concevoir <strong>et</strong> diriger les grands proj<strong>et</strong>s du<br />
gouvernement nationaliste. (Beaucoup sont membres <strong>de</strong> l’Association of Chinese<br />
and American Engineers, basée à Pékin, à laquelle nous avons consacré un exposé<br />
lors du séminaire mentionné ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous.)<br />
Outre le personnel <strong><strong>de</strong>s</strong> chantiers <strong>et</strong> les jeunes collègues chinois qui les assistaient,<br />
les ingénieurs occi<strong>de</strong>ntaux en charge <strong>de</strong> grands proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong>vaient en permanence<br />
négocier avec les autorités locales, sans la collaboration ou au moins la neutralité<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>quelles la conduite d’un chantier en pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> famine, bien souvent dans une<br />
région reculée <strong>et</strong> dangereuse, <strong>de</strong>venait extrêmement difficile. Seuls les « magistrats »<br />
responsables <strong><strong>de</strong>s</strong> districts disposaient <strong>de</strong> l’usage <strong>de</strong> la force, quand ils voulaient<br />
bien s’en servir (ou la facturer) pour protéger les chantiers contre les attaques <strong>de</strong><br />
bandits poussés par la misère, par la perspective <strong>de</strong> la récolte d’opium en train<br />
d’être mise sur le marché, ou simplement parce que c’était le jour <strong>de</strong> la paye —<br />
nous en avons cité plusieurs exemples. De la même façon, la garantie <strong>de</strong> prix<br />
acceptables <strong>et</strong> prévisibles pour les approvisionnements <strong>et</strong> les fournitures ainsi que<br />
l’établissement d’une norme officielle pour les poids <strong>et</strong> mesures <strong>et</strong> pour les<br />
rémunérations, seul moyen <strong>de</strong> décourager les contestations, rien <strong>de</strong> cela n’était<br />
concevable indépendamment du contexte administratif <strong>et</strong> politique dans lequel se<br />
déroulaient les <strong>travaux</strong>. Or, pendant les <strong>de</strong>ux premières décennies <strong>de</strong> la République<br />
(<strong>et</strong> au-<strong>de</strong>là) ce contexte était souvent chaotique, à tout le moins dominé par les<br />
impératifs militaires <strong>et</strong> fiscaux <strong>de</strong> gouvernements provinciaux i<strong>de</strong>ntifiés peu ou<br />
prou avec les seigneurs <strong>de</strong> la guerre, si bien que du point <strong>de</strong> vue <strong><strong>de</strong>s</strong> pouvoirs<br />
locaux les grands <strong>travaux</strong> philanthropiques risquaient d’être une occasion <strong>de</strong><br />
squeeze autant que <strong>de</strong> coopération pour le bien <strong><strong>de</strong>s</strong> populations. De même, <strong>et</strong> c’est<br />
un point important, fallait-il s’entendre avec les pouvoirs locaux <strong>et</strong> provinciaux
662 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />
pour qu’ils évaluent les emprises à exproprier (right-of-way) <strong>et</strong>, surtout, qu’ils les<br />
in<strong>de</strong>mnisent, ce que les associations philanthropiques qui ouvraient les chantiers<br />
se refusaient à faire. Il y avait là une source constante <strong>de</strong> difficultés, <strong>de</strong> trafic<br />
d’influence <strong>et</strong> <strong>de</strong> mécontentement.<br />
Il était donc indispensable que la CIFRC (ou tout autre organisme comparable)<br />
établisse <strong><strong>de</strong>s</strong> relations <strong>de</strong> confiance avec les différentes autorités <strong>de</strong> la région, <strong>et</strong> que<br />
celles-ci s’investissent dans la réussite <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> entrepris <strong>et</strong> démontrent leur<br />
volonté <strong>de</strong> coopération. Nous sommes revenu vers le Shaanxi <strong>et</strong> les chantiers dont<br />
nous avons déjà maintes fois parlé pour examiner la situation <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue.<br />
Dans la mesure où le Weibei <strong>et</strong> la route Silan étaient <strong><strong>de</strong>s</strong> proj<strong>et</strong>s en coopération<br />
entre la CIFRC <strong>et</strong> le gouvernement provincial, celui-ci était évi<strong>de</strong>mment intéressé à<br />
leur réussite <strong>et</strong> donc à maintenir <strong>de</strong> bonnes relations avec la CIFRC <strong>et</strong> ses<br />
représentants sur place. Bien que les sources officielles évoquent une collaboration<br />
sans nuages, ces relations s’avèrent avoir été parfois assez compliquées, probablement<br />
plus que même les sources privées ne veulent bien le dire. C’est ce que suggèrent en<br />
tout cas <strong>de</strong>ux inci<strong>de</strong>nts révélateurs <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions socio-politiques extrêmement<br />
difficiles dans lesquelles s’est enclenché le cycle <strong>de</strong> développement du Guanzhong.<br />
Au moment <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> pouvoir <strong><strong>de</strong>s</strong> nationalistes à Xi’an fin 1930 le r<strong>et</strong>our à<br />
l’ordre <strong>et</strong> l’éradication du banditisme avaient été proclamés comme une priorité<br />
absolue, car c’était à ce prix seulement qu’on pouvait espérer attirer <strong>de</strong> nouveau la<br />
philanthropie dans la région <strong>et</strong> impulser enfin le développement économique. Or,<br />
les inci<strong>de</strong>nts en question montrent que <strong>de</strong>ux ou trois ans plus tard le gouvernement<br />
<strong>de</strong> la province n’était pas toujours en mesure d’assurer la sécurité d’experts étrangers<br />
travaillant avec un organisme philanthropique sous contrat avec lui, même à quelques<br />
kilomètres <strong>de</strong> Xi’an, <strong>et</strong> qu’en outre son attitu<strong>de</strong> n’était pas toujours très claire.<br />
La première affaire survient très peu <strong>de</strong> temps après la mise en service <strong>de</strong> la<br />
première tranche du canal Jinghui en juin 1932. Jusque-là les relations entre la<br />
CIFRC <strong>et</strong> les autorités <strong>de</strong> Xi’an (à commencer par le bureau d’hydraulique dirigé<br />
par Li Yizhi) avaient été dans l’ensemble harmonieuses en dépit <strong>de</strong> quelques<br />
problèmes techniques ou financiers, vite oubliés dans l’enthousiasme <strong><strong>de</strong>s</strong> cérémonies<br />
d’inauguration. Surtout, le chantier du Weibei était resté une oasis <strong>de</strong> sécurité au<br />
milieu d’un environnement où le banditisme restait endémique : en eff<strong>et</strong> le proj<strong>et</strong><br />
était populaire, <strong>et</strong> en outre, à en croire certaines sources, une partie <strong><strong>de</strong>s</strong> « bandits<br />
locaux » (tufei) travaillaient en fait sur le chantier. Mais ces relations vont <strong>de</strong>venir<br />
extrêmement tendues après le meurtre d’un missionnaire suédois travaillant pour<br />
la CIFRC comme responsable administratif du chantier <strong>de</strong> la route Silan, un<br />
certain Tornvall, en compagnie <strong>de</strong> trois autres personnes alors qu’ils circulaient en<br />
voiture aux abords <strong>de</strong> Xi’an. Les agresseurs sont <strong><strong>de</strong>s</strong> soldats <strong>de</strong> l’armée régulière,<br />
les voitures ont été volées <strong>et</strong> les corps ne seront jamais r<strong>et</strong>rouvés.<br />
C<strong>et</strong> inci<strong>de</strong>nt, considéré par Todd <strong>et</strong> les autorités <strong>de</strong> la CIFRC comme un crime<br />
crapuleux <strong>et</strong> un grand scandale, dont les autorités <strong>de</strong> Xi’an auront à répondre <strong>et</strong><br />
pour lequel elles <strong>de</strong>vront payer <strong><strong>de</strong>s</strong> dédommagements, a en réalité tout <strong>de</strong> la
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ténébreuse affaire. Deux sources chinoises indépendantes l’une <strong>de</strong> l’autre suggèrent<br />
que les victimes n’étaient peut-être pas entièrement innocentes, que Tornvall<br />
cherchait à sortir <strong>de</strong> la province une somme importante en dollars d’argent à un<br />
moment où c’était prohibé, <strong>et</strong> qu’un <strong>de</strong> ses compagnons <strong>de</strong> route, un Japonais,<br />
était un espion. Les sources évoquent aussi un obscur trafic <strong>de</strong> voitures non encore<br />
payées (<strong>de</strong> tels trafics étaient fréquents dans le Far-West chinois à l’époque, <strong>et</strong> l’une<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> victimes <strong>de</strong> l’inci<strong>de</strong>nt était un représentant américain <strong><strong>de</strong>s</strong> automobiles Ford en<br />
tournée dans la région) : il n’est nullement exclu qu’un contrôle militaire près <strong>de</strong><br />
Xi’an, peut-être basé sur <strong><strong>de</strong>s</strong> informations reçues, ait mal tourné <strong>et</strong> qu’une grosse<br />
bavure ait ensuite été camouflée en crime, les responsables étant par ailleurs<br />
couverts par leurs chefs <strong>et</strong> par les autorités (le gouverneur du Shaanxi, Yang<br />
Hucheng, était également chef <strong><strong>de</strong>s</strong> armées <strong>et</strong> le détachement incriminé dépendait<br />
d’un <strong>de</strong> ses proches lieutenants, le général Sun Weiru 孫蔚如). D’après les souvenirs<br />
en général très bien informés d’un proche <strong>de</strong> Yang Hucheng, un nommé Li<br />
Zhigang 李志剛, les voyageurs étaient en fait <strong><strong>de</strong>s</strong> espions recrutés par leur<br />
compagnon japonais <strong>et</strong> Yang Hucheng les aurait fait délibérément exécuter par ses<br />
troupes, suscitant un grave problème avec Chiang Kai-shek <strong>et</strong> <strong>de</strong> très vives pressions<br />
(attestées par ailleurs) <strong>de</strong> la part <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> concernées. Enfin, une allusion<br />
dans une l<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> J.E. Baker — un expert américain proche <strong>de</strong> la CIFRC, présent<br />
au Shaanxi pendant la famine <strong>de</strong> 1930 — suggère une sombre affaire <strong>de</strong><br />
détournements <strong>de</strong> fonds <strong>et</strong> laisse entendre que Tornvall aurait pu être dénoncé par<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> personnes appartenant au comité provincial <strong>de</strong> la CIFRC.<br />
On discerne <strong>de</strong> toute façon <strong>de</strong>rrière l’inci<strong>de</strong>nt tout un arrière-plan <strong>de</strong> manœuvres,<br />
<strong>de</strong> tractations <strong>et</strong> d’initiatives dont il est difficile <strong>de</strong> savoir ce que connaissaient<br />
exactement Todd <strong>et</strong> ses collègues lorsqu’ils sont venus sur place pour enquêter <strong>et</strong><br />
exiger <strong><strong>de</strong>s</strong> réparations : même dans leurs correspondances privées on soupçonne<br />
beaucoup <strong>de</strong> non-dit. Pour un temps les relations entre la CIFRC <strong>et</strong> l’administration<br />
<strong>de</strong> Yang Hucheng vont <strong>de</strong>venir exécrables. Les ingénieurs <strong>de</strong> la CIFRC sont r<strong>et</strong>irés<br />
du terrain <strong>et</strong> les chantiers en <strong>cours</strong> sont arrêtés. Ils reprendront quelques mois plus<br />
tard (début 1933) après le versement <strong>de</strong> compensations, même jugées insuffisantes,<br />
par le gouvernement du Shaanxi : il eût été dans tous les cas embarrassant <strong>de</strong> laisser<br />
en friche <strong><strong>de</strong>s</strong> proj<strong>et</strong>s proches <strong>de</strong> la finition (la route Silan était réalisée à 70 %),<br />
déjà financés, <strong>et</strong> dont on attendait beaucoup en termes <strong>de</strong> développement<br />
économique <strong>et</strong>, précisément, <strong>de</strong> sécurité.<br />
C’est alors qu’éclate la secon<strong>de</strong> affaire, qui fera plus <strong>de</strong> bruit encore : le kidnapping<br />
<strong>de</strong> l’ingénieur Eliassen, un employé <strong>de</strong> la CIFRC qui avait dirigé le chantier du<br />
canal Jinghui, par un parti <strong>de</strong> bandits sur le site même du canal où il était r<strong>et</strong>ourné<br />
pour inspecter l’état <strong><strong>de</strong>s</strong> installations, en avril 1933. Eliassen <strong>et</strong> son compagnon <strong>de</strong><br />
captivité, un assistant ingénieur nommé Henry S. Chuan, réussissent à s’échapper<br />
séparément après avoir été promenés pendant une vingtaine <strong>de</strong> jours <strong>de</strong> cache en<br />
cache dans les collines escarpées qui surplombent le site au nord, <strong>et</strong> avant que la<br />
rançon qui avait été négociée par les autorités n’ait été versée. (Henry Chuan, ou<br />
Quan Shaozhou, qui était cousin d’un <strong><strong>de</strong>s</strong> dirigeants <strong>de</strong> la CIFRC, va s’avérer au
664 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />
<strong>cours</strong> d’un épilogue assez divertissant avoir escroqué les fonds supposés avoir payé<br />
sa propre libération <strong>et</strong> se conduire <strong>de</strong> manière quelque peu paranoïaque une fois<br />
démasqué <strong>et</strong> expulsé <strong>de</strong> l’organisation.) Par <strong>de</strong>là ses aspects rocambolesques, qu’on<br />
peut reconstituer à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> archives Todd — lesquelles confirment presque point<br />
par point la version romancée publiée vingt ans plus tard par Eliassen sous le titre<br />
Dragon Wang’s River —, l’affaire est à plusieurs égards révélatrice <strong>de</strong> la situation qui<br />
régnait alors dans la région. Il y a d’abord ce détail inattendu, que les bandits locaux<br />
qui se sont emparés d’Eliassen <strong>et</strong> Chuan s’étaient alliés avec un groupe <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong><br />
communiste venu du nord <strong>de</strong> la province, alors qu’on n’aurait pas soupçonné que<br />
les guérillas communistes <strong>de</strong> la région soient à c<strong>et</strong>te date capables d’agir, même<br />
clan<strong><strong>de</strong>s</strong>tinement, si près <strong>de</strong> la capitale du Shaanxi. (Il semble y avoir eu à peu près<br />
à la même époque une tentative avortée pour créer un sovi<strong>et</strong> rural dans le nord <strong>de</strong><br />
la région du Weibei.) Mais les communistes, dont les chefs semblent fort cultivés<br />
politiquement, se font manipuler par leurs contacts locaux <strong>et</strong> quittent assez vite la<br />
scène, non sans avoir dénoncé <strong>de</strong>vant Eliassen la collaboration <strong>de</strong> la CIFRC avec<br />
l’impérialisme <strong>et</strong> son exploitation éhontée <strong><strong>de</strong>s</strong> travailleurs sur ses chantiers, autant<br />
<strong>de</strong> thèmes qu’on trouve formulés ailleurs dans la littérature du Parti à l’époque.<br />
Le plus remarquable est l’osmose entre bandits, paysans, soldats <strong>et</strong> travailleurs du<br />
chantier : tout le mon<strong>de</strong> se connaît <strong>et</strong> l’on passe sans difficulté d’un groupe à l’autre.<br />
Lorsque les récoltes sont mauvaises <strong>et</strong> que c’est la dis<strong>et</strong>te — comme c’est alors le cas<br />
dans la région —, les rangs <strong><strong>de</strong>s</strong> bandits grossissent rapi<strong>de</strong>ment. C<strong>et</strong>te écologie<br />
dangereuse semble surtout caractéristique <strong>de</strong> la région dite du « plateau », dominant<br />
le par<strong>cours</strong> du canal Jinghui, qui ne bénéficie pas <strong>de</strong> l’irrigation alors que ses habitants<br />
avaient mis <strong>de</strong> grands espoirs dans les proj<strong>et</strong>s formulés par Li Yizhi <strong>et</strong> d’autres <strong>de</strong>puis<br />
les années 1920. C’est <strong>de</strong> ce « bandit-land » que vient le chef <strong><strong>de</strong>s</strong> hors-la-loi, un certain<br />
Miao Jiaxiang, qui lui aussi semble avoir multiplié les états — ancien officier <strong>de</strong><br />
l’armée régulière, ancien agent du bureau d’irrigation du Shaanxi <strong>et</strong> responsable <strong>de</strong> la<br />
paye sur le chantier du Weibei, chef <strong>de</strong> l’association <strong><strong>de</strong>s</strong> paysans du Weibei-Ouest, <strong>et</strong><br />
à présent lea<strong>de</strong>r <strong><strong>de</strong>s</strong> paysans passés au banditisme —, que tout le mon<strong>de</strong> connaît <strong>et</strong><br />
auquel tout le mon<strong>de</strong> s’adresse pour négocier (Li Yizhi notamment). Comme le note<br />
Eliassen lui-même, après une douzaine d’années <strong>de</strong> famine <strong>et</strong> <strong>de</strong> combats dans tout le<br />
Guanzhong le banditisme <strong>et</strong> la violence restent le moyen <strong>de</strong> survie le mieux adapté<br />
pour les habitants <strong>de</strong> ces piémonts particulièrement misérables.<br />
On voit en fait se <strong><strong>de</strong>s</strong>siner une dichotomie croissante entre ces terrasses<br />
inaccessibles à l’irrigation, où la seule eau disponible est celle qui tombe du ciel<br />
— <strong>et</strong> l’année 1933 a été catastrophique <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue —, <strong>et</strong> la plaine<br />
immédiatement en <strong><strong>de</strong>s</strong>sous, dont le développement est en train <strong>de</strong> s’amorcer grâce<br />
au système hydraulique du Weibei en <strong>cours</strong> d’achèvement <strong>et</strong> où la valeur <strong>de</strong> la terre<br />
augmente corrélativement. Les paysans <strong>de</strong> la plaine, encouragés semble-t-il par<br />
Li Yizhi en personne, tentent d’intervenir pour faire libérer les prisonniers en<br />
manifestant <strong>et</strong> en pétitionnant dans les villages du plateau : beaucoup profitent<br />
déjà <strong>de</strong> l’irrigation, mais la CIFRC a menacé <strong>de</strong> ne pas terminer le chantier <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
r<strong>et</strong>irer ses financements. Son ambition, <strong>et</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> technocrates locaux dont
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Li Yizhi est le mentor respecté, est à terme d’enclencher un cycle <strong>de</strong> prospérité <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> sécurité économique qui profite à toute la région <strong>et</strong> conduise par là-même à<br />
l’extinction du banditisme. Or, si au moment <strong>de</strong> l’enlèvement d’Eliassen au<br />
printemps 1933 <strong><strong>de</strong>s</strong> progrès importants ont été accomplis au regard <strong>de</strong> la situation<br />
qui prévalait à la fin <strong>de</strong> 1930, la situation reste précaire <strong>et</strong> il suffit d’un r<strong>et</strong>our <strong>de</strong><br />
sécheresse pour que l’insécurité re<strong>de</strong>vienne un problème majeur.<br />
On découvre aussi que la construction du canal Jinghui n’a pas fait que <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
heureux. Si Todd ou Eliassen ten<strong>de</strong>nt à donner une vision un peu idyllique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
relations entre direction <strong>et</strong> travailleurs sur leurs chantiers (l’on ne dispose d’aucun<br />
témoignage chinois là-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus), il existe quand même <strong><strong>de</strong>s</strong> indices suggérant que les<br />
choses ne se passaient pas toujours sans tensions, frustrations <strong>et</strong> contestations du<br />
côté <strong>de</strong> la force <strong>de</strong> travail, <strong>et</strong> qu’aussi bien la CIFRC que le bureau d’hydraulique<br />
du Shaanxi, responsable <strong>de</strong> la partie aval du chantier, n’évitaient pas toujours <strong>de</strong><br />
recourir à la coercition. Il y avait en outre, parmi les mécontents, tous ceux dont<br />
la vie quotidienne avait été bouleversée par c<strong>et</strong> immense chantier, notamment les<br />
propriétaires qui avaient été expropriés <strong>de</strong> tout ou partie <strong>de</strong> leur patrimoine.<br />
Plusieurs témoignages d’ingénieurs étrangers travaillant en Chine montrent qu’à<br />
c<strong>et</strong>te époque les problèmes d’expropriation <strong>et</strong> d’in<strong>de</strong>mnisation étaient loin d’avoir<br />
été résolus, même si les dispositions légales existaient, <strong>et</strong> à leurs yeux c’était là un<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> principaux obstacles à une politique efficace d’infrastructures : partout sont<br />
dénoncées la mauvaise volonté <strong><strong>de</strong>s</strong> autorités à verser les in<strong>de</strong>mnisations promises,<br />
ainsi que les manœuvres <strong><strong>de</strong>s</strong> gens influents pour éviter d’être expropriés <strong>de</strong> terrains<br />
avantageusement situés ou <strong>de</strong> cim<strong>et</strong>ières familiaux, <strong>et</strong> ce en toute ignorance <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
contraintes techniques. (Les ingénieurs chinois semblent parfois plus sensibles à ces<br />
impératifs religieux ou sociaux que leurs collègues occi<strong>de</strong>ntaux considèrent comme<br />
injustifiables.) Le proj<strong>et</strong> du Weibei n’a pas échappé à ces problèmes, <strong>et</strong> apparemment<br />
Eliassen était tenu responsable par certains <strong>de</strong> ses ravisseurs du non remboursement<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> terres expropriées, alors qu’il s’agissait contractuellement d’une responsabilité<br />
du gouvernement <strong>de</strong> la province <strong>et</strong> qu’il n’avait rien à y voir ; <strong>et</strong> Todd se plaint en<br />
eff<strong>et</strong> dans une l<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> ce que la plus gran<strong>de</strong> partie <strong><strong>de</strong>s</strong> terres expropriées pour le<br />
canal Jinghui n’a jamais été remboursée. Ce qu’il ne dit pas, mais qu’il sait<br />
certainement — ne serait-ce que par son ami Li Yizhi, qui a toujours été aux côtés<br />
<strong>de</strong> la CIFRC dans ses démêlés avec le gouvernement du Shaanxi —, c’est que pour<br />
toutes sortes <strong>de</strong> raisons, militaires notamment, ce gouvernement qu’il accuse d’être<br />
mauvais payeur pour tout, y compris les salaires <strong>de</strong> ses propres ingénieurs, est alors<br />
dans une situation financière proche <strong>de</strong> la banqueroute.<br />
Pendant la captivité d’Eliassen <strong>et</strong> dans les semaines qui suivent, l’embarras <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
autorités provinciales du Shaanxi est extrême <strong>et</strong> le ton adopté par Todd, qui s’est<br />
autoproclamé négociateur au nom <strong>de</strong> la CIFRC, se fait particulièrement agressif.<br />
(L’un <strong>de</strong> ses thèmes favoris à ce moment est d’opposer l’anarchie <strong>et</strong> l’arriération<br />
qui règnent au Shaanxi à la sécurité <strong>et</strong> à l’attitu<strong>de</strong> coopérative <strong><strong>de</strong>s</strong> autorités dans<br />
la province voisine du Shanxi, placée sous la houl<strong>et</strong>te <strong>de</strong> son inamovible « gouverneur<br />
modèle », Yan Xishan 閻錫山, pour le compte <strong>de</strong> qui Todd conduit un programme
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d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en vue d’édifier divers ouvrages d’hydraulique.) Les choses changent<br />
notablement quelques mois plus tard lorsque c’est au tour <strong>de</strong> la CIFRC d’être<br />
embarrassée par les détournements <strong>de</strong> fonds publics <strong>de</strong> son employé Henry Chuan ;<br />
mais elles changent aussi parce qu’entre temps Yang Hucheng, victime, entre autres<br />
choses, <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires précé<strong>de</strong>mment évoquées, a été démis <strong>de</strong> ses fonctions <strong>de</strong><br />
prési<strong>de</strong>nt du Shaanxi (il reste commandant <strong><strong>de</strong>s</strong> troupes <strong>de</strong> la province) <strong>et</strong> remplacé<br />
par un proche <strong>de</strong> Chiang Kai-shek, Shao Lizi 邵力子 (1882-1967), qui conservera<br />
le poste jusqu’à la fin 1936.<br />
Le personnage <strong>de</strong> Shao Lizi est d’autant plus difficile à cerner qu’il a été récupéré<br />
comme « patriote » <strong>et</strong> compagnon <strong>de</strong> route, voire comme crypto-communiste, par<br />
l’historiographie officielle — ses sympathies <strong>de</strong> gauche étaient en eff<strong>et</strong> connues <strong>et</strong><br />
en 1949 il est passé sans états d’âme du côté du nouveau régime —, si bien que<br />
les quelques <strong>travaux</strong> qui lui ont été consacrés versent systématiquement dans<br />
l’hagiographie <strong>et</strong> sont inutilisables. (Les récentes élucubrations sur son statut <strong>de</strong><br />
« taupe communiste » dans un ouvrage à succès sur Mao Zedong ne valent guère<br />
mieux.) Mais tous les témoignages que nous avons cités s’accor<strong>de</strong>nt sur son<br />
intelligence, son intégrité <strong>et</strong> son urbanité, ainsi que son empressement à rencontrer<br />
les étrangers <strong>de</strong> passage : pour ces <strong>de</strong>rniers en tout cas le contraste <strong>de</strong>vait être assez<br />
fort avec le général <strong>et</strong> ex-chef <strong>de</strong> bandits Yang Hucheng, avec qui d’ailleurs Shao<br />
Lizi a conservé d’excellentes relations dans les années suivantes.<br />
Shao Lizi semble avoir œuvré avec une certaine efficacité pour sortir la province<br />
<strong>de</strong> l’arriération. Il est vrai qu’il recueillait le fruit <strong><strong>de</strong>s</strong> efforts accomplis <strong>de</strong>puis 1930,<br />
si incompl<strong>et</strong>s aient-ils été, <strong>et</strong> qu’il bénéficiait d’un environnement politique <strong>et</strong><br />
économique beaucoup plus favorable que son prédécesseur. Les politiques <strong>de</strong><br />
développement menées au Shaanxi sous son égi<strong>de</strong> doivent en eff<strong>et</strong> être replacées<br />
dans le cadre plus général <strong><strong>de</strong>s</strong> efforts d’édification d’un État <strong>et</strong> d’une économie<br />
mo<strong>de</strong>rnes entrepris par le régime nationaliste à partir du début <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1930, <strong>de</strong><br />
façon beaucoup plus systématique <strong>et</strong> organisée qu’avant. Des proj<strong>et</strong>s forts <strong>de</strong> réforme<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> reconstruction avaient été lancés dès l’installation du nouveau gouvernement<br />
à Nankin en 1928, mais ils avaient été compromis par l’hostilité <strong>de</strong> plusieurs satrapes<br />
provinciaux au pouvoir <strong>de</strong> Chiang Kai-shek <strong>et</strong> par les conflits qui en étaient résultés<br />
(ainsi avec Feng Yuxiang), ainsi que par <strong><strong>de</strong>s</strong> désastres naturels majeurs comme la<br />
gran<strong>de</strong> sécheresse <strong>de</strong> 1928-1930 dans le Nord-Ouest ou les inondations<br />
catastrophiques <strong>de</strong> la vallée du Yangzi en 1931, ceci sans parler <strong><strong>de</strong>s</strong> blocages causés<br />
par les conflits internes au Guomindang. L’année 1933 marque sans doute un point<br />
tournant, avec la mainmise <strong><strong>de</strong>s</strong> technocrates <strong>de</strong> la NEC <strong>et</strong> du ministère <strong>de</strong> l’Industrie<br />
sur l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> politiques <strong>de</strong> développement. Dans leur vision comme dans celle<br />
<strong>de</strong> leur patron politique, le ministre <strong><strong>de</strong>s</strong> finances T.V. Soong, l’édification d’une<br />
Chine prospère <strong>et</strong> indépendante doit d’abord passer par celle d’une base industrielle<br />
« nationale » (minzu), c’est-à-dire libérée <strong>de</strong> l’emprise <strong><strong>de</strong>s</strong> capitaux étrangers ; <strong>et</strong> c’est<br />
donc dans ce sens qu’ils ont surtout œuvré, non sans un certain succès étant donné<br />
les contraintes qu’ils <strong>de</strong>vaient affronter <strong>et</strong>, surtout, le peu <strong>de</strong> temps dont ils ont<br />
disposé avant que la guerre avec le Japon n’emporte tout.
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 667<br />
Dans c<strong>et</strong>te vision le développement <strong>de</strong> l’agriculture sert avant tout à soutenir la<br />
croissance industrielle en améliorant l’offre en matières premières <strong>et</strong> en développant<br />
un marché national pour les produits industriels mo<strong>de</strong>rnes. C’est ce qu’illustre le cas<br />
<strong>de</strong> la filière coton (étudié par Margherita Zanassi dans un chapitre <strong>de</strong> Saving the<br />
Nation, 2006), qui fait l’obj<strong>et</strong> d’une attention soutenue <strong>de</strong> la part du gouvernement<br />
à partir <strong>de</strong> 1933 <strong>et</strong> pour laquelle est mise sur pied une « Commission <strong>de</strong> direction du<br />
coton » (Mianye tongzhi weiyuanhui 棉業統制委員會). Tout ceci intéresse<br />
directement le Shaanxi puisqu’il s’agit <strong>de</strong>puis les Qing d’une <strong><strong>de</strong>s</strong> principales régions<br />
productrices <strong>de</strong> coton en Chine. L’expansion <strong>de</strong> la production cotonnière du<br />
Guanzhong, son amélioration surtout (pour la rendre compatible avec les normes<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> filatures industrielles), enfin la mise en place <strong>de</strong> coopératives rurales pour soutenir<br />
le mouvement, tout cela a notablement contribué à la sortie du sous-développement<br />
qui s’amorce pour <strong>de</strong> bon, à ce moment, dans la région. Le Guanzhong au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
années 1930 offre un peu l’image en réduction du dynamisme <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’optimisme<br />
alors tellement frappants dans les régions plus proches du centre, <strong>de</strong> c<strong>et</strong> effort<br />
frénétique <strong>de</strong> mise en valeur <strong><strong>de</strong>s</strong> ressources du pays <strong>et</strong> <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation socioéconomique<br />
basée sur le progrès scientifique, avec l’encouragement <strong>et</strong> la collaboration<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> experts <strong>de</strong> la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations. Là encore le temps n’a pas été laissé pour que<br />
c<strong>et</strong> effort puisse influencer en profon<strong>de</strong>ur les conditions <strong>de</strong> vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> production dans<br />
le mon<strong>de</strong> rural — du moins pas partout.<br />
Nous sommes en eff<strong>et</strong> revenu en conclusion sur la question <strong>de</strong> l’irrigation au<br />
Shaanxi, qui avait été notre point <strong>de</strong> départ. Or, là se produit incontestablement<br />
une mutation qu’on peut dire « scientifique », <strong>et</strong> qui a eu <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s importants à<br />
long terme. Avant toutefois d’évoquer les fondamentaux <strong>de</strong> l’économie rurale (le<br />
crédit, les techniques, la gestion, l’enseignement), il nous a paru intéressant <strong>de</strong><br />
proposer un panorama, un peu impressionniste sans doute, <strong>de</strong> ce que nous avons<br />
appelé les signes extérieurs <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnisation dans la région du Guanzhong<br />
pendant la même pério<strong>de</strong>. En eff<strong>et</strong>, les « fondamentaux » en question ne peuvent<br />
être dissociés d’un cadre où beaucoup d’autres choses étaient en train <strong>de</strong> changer,<br />
parfois très sérieusement.<br />
Il y a d’abord la capitale provinciale, Xi’an, dont l’histoire urbaine au xx e siècle<br />
reste à écrire mais où les quelques témoignages <strong>de</strong> visiteurs étrangers que nous<br />
avons cités suggèrent d’assez considérables transformations pendant les années qui<br />
nous concernent (entre 1932 <strong>et</strong> 1937, plus précisément). On voit ainsi apparaître<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> immeubles mo<strong>de</strong>rnes — administrations, grands magasins, immeubles <strong>de</strong><br />
bureaux, banques, hôtels — dont certains sont d’une qualité architecturale<br />
comparable à ce qu’on trouve dans les concessions <strong>de</strong> la côte est, l’électricité <strong>et</strong> le<br />
téléphone se généralisent (mais il n’y a pas encore <strong>de</strong> système d’adduction d’eau),<br />
la circulation automobile cesse d’être une curiosité, les institutions mo<strong>de</strong>rnes<br />
d’enseignement se multiplient, <strong>et</strong>c. Mais le point crucial, ce sont les communications<br />
avec l’extérieur. Avant que le chemin <strong>de</strong> fer ne finisse par les atteindre, Xi’an <strong>et</strong><br />
son hinterland n’étaient reliés aux centres vitaux du pays que par une route <strong>de</strong> terre<br />
(l’ancienne route impériale), plus ou moins carrossable <strong>de</strong>puis le début <strong><strong>de</strong>s</strong> années
668 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />
1920 mais totalement impraticable par temps <strong>de</strong> pluie : l’on a du célèbre sinologue<br />
tchèque Jaroslav Průšek, qui séjournait alors en Chine comme étudiant, une<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>cription dantesque du traj<strong>et</strong> sous la pluie entre Tongguan, à l’accès oriental du<br />
Guanzhong, <strong>et</strong> Xi’an, qu’il compare à une forteresse assiégée au milieu d’un océan<br />
<strong>de</strong> boue. Peut-être Průšek, qui a eu la malchance <strong>de</strong> visiter le Guanzhong dans <strong>de</strong><br />
mauvaises conditions météorologiques, en rem<strong>et</strong>-il un peu, <strong>et</strong> une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
l’ingénieur Todd sur les routes carrossables du Shaanxi au début 1931 donne en<br />
fait une image un peu moins catastrophique <strong>de</strong> la situation ; mais il est incontestable<br />
que l’arrivée du chemin <strong>de</strong> fer a tout changé.<br />
Le prolongement vers l’ouest <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> transversale ferroviaire du Longhai,<br />
d’abord jusqu’à Tongguan en 1931, puis jusqu’à Xi’an en décembre 1934, était<br />
programmé <strong>de</strong>puis avant la chute <strong>de</strong> l’empire, mais il avait dû être repoussé à plusieurs<br />
reprises par manque <strong>de</strong> financement ou pour cause <strong>de</strong> guerre civile. Les choses ont<br />
commencé à changer après l’invasion <strong>de</strong> la Mandchourie en septembre 1931, lorsque<br />
la confrontation avec le Japon est apparue inévitable <strong>et</strong> que, pour c<strong>et</strong>te raison,<br />
l’édification d’un « grand arrière » communiquant avec l’Asie centrale <strong>et</strong> l’URSS est<br />
<strong>de</strong>venue une priorité stratégique pour l’État. Ce n’est pourtant qu’à l’été 1933 que le<br />
gouvernement nationaliste réussit à rétablir suffisamment son crédit international<br />
pour contracter <strong><strong>de</strong>s</strong> emprunts importants à l’étranger, <strong>et</strong> que par conséquent le<br />
chantier du Longhai peut trouver un financement adéquat <strong>et</strong> être mené à bien en un<br />
peu plus d’un an. Pendant les <strong>de</strong>ux années qui suivent la voie est prolongée <strong>de</strong> 173 km<br />
vers l’ouest, jusqu’à Baoji, <strong>et</strong> jusqu’au Gansu au début <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1940.<br />
L’arrivée du chemin <strong>de</strong> fer a radicalement désenclavé l’économie <strong>de</strong> la vallée <strong>de</strong><br />
la Wei. Les échanges avec les provinces centrales changent d’échelle. Du jour au<br />
len<strong>de</strong>main Xi’an sort <strong>de</strong> la stagnation à laquelle elle semblait condamnée, r<strong>et</strong>rouvant<br />
d’une certaine manière le rôle <strong>de</strong> centre <strong>de</strong> redistribution qui était le sien à l’époque<br />
impériale, sinon sa splen<strong>de</strong>ur du temps <strong>de</strong> la route <strong>de</strong> la soie, <strong>et</strong> <strong>de</strong>venant accessible<br />
aux conforts <strong>de</strong> la vie mo<strong>de</strong>rne. Surtout, le chemin <strong>de</strong> fer a rendu possible un<br />
début d’industrialisation, accéléré encore par la guerre sino-japonaise lorsque<br />
certaines industries <strong>de</strong> l’intérieur sont venues se m<strong>et</strong>tre à l’abri au Guanzhong.<br />
Pour E.B. Vermeer, l’auteur qui a étudié le plus en détail l’économie <strong>de</strong> la vallée<br />
<strong>de</strong> la Wei entre 1930 <strong>et</strong> 1980 (dans un ouvrage paru en 1988), l’on ne peut<br />
vraiment parler <strong>de</strong> développement économique au Shaanxi qu’après la connexion<br />
<strong>de</strong> Xi’an au réseau ferré. Il nous semble cependant que ce cycle <strong>de</strong> développement<br />
s’est amorcé un peu avant, avec les premiers proj<strong>et</strong>s formulés au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong><br />
l’installation du pouvoir nationaliste à Xi’an, <strong>et</strong> parfois effectivement réalisés, à<br />
commencer par l’édification du système d’irrigation du Weibei.<br />
Il faut aussi tenir compte d’éléments moins immédiatement matériels (ou<br />
économiques) que ceux que nous venons d’énumérer, tels que le développement<br />
du système éducatif <strong>et</strong>, ce qui est lié, le niveau d’expertise scientifique disponible<br />
localement. Concernant ce <strong>de</strong>rnier point l’on est par exemple frappé par la qualité<br />
<strong>de</strong> la revue mensuelle d’hydraulique fondée par Li Yizhi en 1932, le Shaanxi shuili
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 669<br />
yuekan 陝西水利月刊, qui contient une quantité d’articles techniques <strong>et</strong><br />
d’économie agraire <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> qualité <strong>et</strong> a continué <strong>de</strong> paraître jusqu’en 1942.<br />
L’investissement dans l’enseignement technique remonte en fait au début <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
années 1920, <strong>et</strong> là encore il faut citer en premier Li Yizhi, qui avait alors fondé un<br />
collège d’ingénierie dont la section d’hydraulique <strong>de</strong>vait <strong>de</strong>venir, après diverses<br />
péripéties, le département d’hydraulique du célèbre Institut agronomique <strong>de</strong><br />
Wugong <strong>et</strong> a été une pépinière d’ingénieurs pour le Shaanxi <strong>et</strong> au-<strong>de</strong>là.<br />
La création <strong>de</strong> l’Institut agronomique du Nord-Ouest (Xibei nongxueyuan 西北<br />
農學院), qui date <strong>de</strong> 1932, passe pour avoir été initiée par <strong>de</strong>ux anciens du régime<br />
dissi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’Armée <strong>de</strong> Pacification Nationale dont nous avions longuement parlé<br />
les années précé<strong>de</strong>ntes : Yu Youren, <strong>de</strong>venu une personnalité influente du régime<br />
nationaliste, <strong>et</strong> le gouverneur Yang Hucheng. L’Institut est également appelé l’École<br />
<strong>de</strong> Wugong 武功, du nom du district où il avait son siège, situé sur la Wei un peu<br />
à l’ouest <strong>de</strong> Xi’an <strong>et</strong> réputé être le lieu où Houji 后稷, l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> héros fondateurs<br />
<strong>de</strong> la civilisation chinoise, aurait enseigné l’agriculture à l’humanité. L’École <strong>de</strong><br />
Wugong semble avoir commencé à fonctionner dès 1932 ; parvenue à son plein<br />
développement, en 1936, elle se composait <strong>de</strong> six départements couvrant tous les<br />
domaines <strong>de</strong> l’agronomie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la science forestière, disposait <strong>de</strong> vastes terrains<br />
expérimentaux, <strong>et</strong> était logée dans <strong><strong>de</strong>s</strong> bâtiments high-tech édifiés par une <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
entreprises shanghaïennes les plus réputées <strong>de</strong> l’époque. Ce n’était pas la seule <strong>de</strong><br />
son genre dans la région — on en mentionne <strong>de</strong>ux autres fondées pendant la<br />
même pério<strong>de</strong>, à Zhouzhi <strong>et</strong> à Xianyang —, mais elle a rapi<strong>de</strong>ment acquis la<br />
réputation nationale qu’elle possè<strong>de</strong> encore aujourd’hui.<br />
L’Institut d’agronomie <strong>de</strong> Wugong a joué un rôle <strong>de</strong> premier plan, mais les<br />
recherches qu’on y poursuivait <strong>et</strong> l’enseignement qu’on y dispensait n’ont été qu’un<br />
élément parmi d’autres dans la mutation <strong>de</strong> l’agriculture du Guanzhong qui<br />
s’amorce pendant ces quelques années <strong>et</strong> dont les eff<strong>et</strong>s se sont fait très<br />
progressivement sentir. Certaines <strong><strong>de</strong>s</strong> personnalités associées à la création <strong>de</strong><br />
l’Institut avaient une vision globale — <strong>et</strong> non pas simplement agronomique — du<br />
développement qu’ils appelaient <strong>de</strong> leurs vœux dans une région qui était encore,<br />
essentiellement, sous-développée. De nouveau le nom <strong>de</strong> Li Yizhi s’impose, à la<br />
fois pour son œuvre en tant que chef du bureau d’hydraulique du Shaanxi, où il<br />
a servi jusqu’à son <strong>de</strong>rnier jour, <strong>et</strong> parce qu’il est représentatif d’une génération<br />
d’ingénieurs qui défendaient une approche intégrée <strong>de</strong> l’ingénierie hydraulique,<br />
dans laquelle il ne s’agissait pas simplement d’accroître la productivité <strong>et</strong> la sécurité<br />
<strong>de</strong> l’agriculture, mais bien d’impulser un développement économique multiforme.<br />
David Pi<strong>et</strong>z a montré dans son ouvrage sur les programmes d’aménagement <strong>de</strong> la<br />
rivière Huai à l’époque républicaine (Engineering the State, 2002) que c<strong>et</strong>te vision<br />
combinant amélioration <strong>de</strong> l’agriculture, aménagements hydrauliques, institutions<br />
<strong>de</strong> crédit, industrialisation, transports mo<strong>de</strong>rnes <strong>et</strong> enseignement était déjà celle <strong>de</strong><br />
l’homme d’État mo<strong>de</strong>rnisateur Zhang Jian 張謇 (1853-1926), qu’on peut<br />
considérer comme un <strong><strong>de</strong>s</strong> pères <strong>de</strong> l’ingénierie civile mo<strong>de</strong>rne en Chine, <strong>et</strong> qu’on<br />
la r<strong>et</strong>rouve au sein du comité d’ingénieurs en charge du programme <strong>de</strong> la Huai
670 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />
après 1928, dont Li Yizhi était le chef. Au Shaanxi, Li Yizhi propose au len<strong>de</strong>main<br />
<strong>de</strong> l’inauguration du canal Jinghui un plan visant à faire <strong>de</strong> la région du Weibei ce<br />
qu’il appelle « une zone économique complète » (zhengge <strong>de</strong> jingji quyu 整個的經<br />
濟區域), financée par les revenus <strong>de</strong> l’irrigation <strong>et</strong> servant progressivement <strong>de</strong><br />
modèle à l’ensemble <strong>de</strong> la région.<br />
Indépendamment <strong>de</strong> tout input scientifique, le modèle d’irrigation du Weibei,<br />
qui donnera dans les vingt années suivantes naissance à sept autres proj<strong>et</strong>s sur le<br />
pourtour <strong>de</strong> la vallée <strong>de</strong> la Wei, <strong>de</strong> moindre ampleur mais techniquement<br />
comparables, a eu <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s spectaculaires, <strong>et</strong> immédiats : triplement (au minimum)<br />
<strong>de</strong> la productivité par mu (confirmé par plusieurs sources concernant la culture du<br />
coton), décuplement <strong>de</strong> la valeur <strong>de</strong> la terre, <strong>et</strong>, par <strong>de</strong>là, repeuplement <strong>et</strong><br />
reconstruction <strong><strong>de</strong>s</strong> villages dévastés par la famine, ouverture sur le marché national<br />
grâce au chemin <strong>de</strong> fer, <strong>et</strong>c. Mais on observe aussi l’amorce d’une mutation<br />
qualitative. Ainsi la Commission <strong>de</strong> direction du coton, déjà mentionnée, s’efforc<strong>et</strong>-elle<br />
<strong>de</strong> disséminer les meilleures variétés <strong>de</strong> semences <strong>et</strong> <strong>de</strong> soutenir<br />
économiquement les producteurs au moyen d’un programme <strong>de</strong> coopératives<br />
rurales leur donnant accès à un crédit moins cher <strong>et</strong> facilitant la commercialisation<br />
<strong>de</strong> leur production. Le Shaanxi dans les années 1930 a un peu été une terre <strong>de</strong><br />
mission du mouvement coopératif rural né, comme on l’a vu, dans la province du<br />
Hebei sous l’égi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la CIFRC <strong>et</strong> <strong>de</strong> son secrétaire général Zhang Yuanshan<br />
(Y.S. Djang). Dès 1933 la CIFRC <strong>et</strong> le bureau <strong>de</strong> reconstruction <strong>de</strong> la province<br />
lancent le mouvement en organisant un stage qui semble avoir débouché sur la<br />
création rapi<strong>de</strong> (hâtive, diront les experts <strong>de</strong> la SDN) d’une trentaine <strong>de</strong> coopératives<br />
au Guanzhong ; <strong>et</strong> l’année suivante Djang est invité par le gouverneur Shao Lizi à<br />
venir diriger le bureau <strong>de</strong> coopération <strong>de</strong> la province, poste qu’il occupera pendant<br />
<strong>de</strong>ux ans (sans y être très présent, <strong>de</strong> son propre aveu) avant d’être recruté par le<br />
gouvernement nationaliste pour prendre en charge le mouvement coopératif à<br />
l’échelle <strong>de</strong> tout le pays.<br />
Pour en revenir aux intrants fondamentaux <strong>de</strong> la production agricole, la mutation<br />
dont nous avons parlé s’observe autant dans la gestion <strong>de</strong> l’irrigation que dans les<br />
pratiques agricoles proprement dites ; <strong>et</strong> dans les <strong>de</strong>ux cas l’on peut parler d’une<br />
constante négociation entre les principes <strong>et</strong> le vocabulaire nouveaux introduits par les<br />
réformateurs <strong>et</strong> les traditions auxquelles les paysans restent par définition attachés.<br />
La mutation dans la gestion <strong>de</strong> l’irrigation avait en fait été initiée dès 1928,<br />
lorsque les autorités se réclamant <strong>de</strong> la révolution nationaliste avaient tenté <strong>de</strong><br />
centraliser <strong>et</strong> rationaliser les pratiques dans certains systèmes locaux à travers <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
associations hydrauliques élues démocratiquement <strong>et</strong> fonctionnant sous le contrôle<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> bureaux officiels d’hydraulique. Certains textes que nous avons découverts dans<br />
les archives locales avec notre collègue Christian Lamouroux montrent que c<strong>et</strong>te<br />
volonté <strong>de</strong> centralisation rencontrait les plus vives oppositions <strong>de</strong> la part <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
notables traditionnellement responsables <strong><strong>de</strong>s</strong> communautés d’irrigation <strong>et</strong> du<br />
règlement <strong><strong>de</strong>s</strong> conflits, qui supportaient mal que les précé<strong>de</strong>nts consignés <strong>de</strong>puis
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 671<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> siècles dans les registres ou gravés dans la pierre puissent être remis en question,<br />
en même temps que leur pouvoir coutumier. Mais il est clair que le mouvement<br />
était irréversible : même s’il ménageait <strong><strong>de</strong>s</strong> compromis avec l’organisation<br />
traditionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> communautés en matière <strong>de</strong> partage <strong>de</strong> l’eau <strong>et</strong> d’entr<strong>et</strong>ien <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
canaux, le modèle instauré à gran<strong>de</strong> échelle avec la mo<strong>de</strong>rnisation <strong>de</strong> l’irrigation<br />
dans le Weibei sous l’égi<strong>de</strong> du bureau d’hydraulique dirigé par Li Yizhi s’est<br />
rapi<strong>de</strong>ment imposé. Ces nouvelles procédures introduisaient <strong>de</strong> nouveaux concepts<br />
qu’on peut qualifier <strong>de</strong> « mo<strong>de</strong>rnes », qu’elles s’attachaient à diffuser par le moyen<br />
<strong>de</strong> manuels distribués aux utilisateurs : métho<strong><strong>de</strong>s</strong> « scientifiques » pour mesurer le<br />
terrain, les débits, les charges d’alluvions ou les temps d’irrigation, rationalisation<br />
<strong>de</strong> la distribution <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’utilisation <strong>de</strong> l’eau en tenant compte <strong><strong>de</strong>s</strong> différents types<br />
<strong>de</strong> culture <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> différents moments du cycle agricole, <strong>et</strong> règles strictes pour le<br />
paiement <strong><strong>de</strong>s</strong> droits sur l’eau <strong>et</strong> le financement <strong>de</strong> l’entr<strong>et</strong>ien, tout cela sous la<br />
supervision étroite du bureau d’hydraulique. Il s’agissait en somme d’optimiser les<br />
eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l’irrigation <strong>et</strong> d’éviter les gaspillages <strong>et</strong> les disputes qui étaient le pain<br />
quotidien <strong><strong>de</strong>s</strong> organisations traditionnelles. C<strong>et</strong> héritage sera repris au moment <strong>de</strong><br />
la collectivisation dans les années 1950, mais ce sera alors dans un contexte socioéconomique<br />
<strong>et</strong> politique entièrement nouveau.<br />
*<br />
Nous avons donné <strong>de</strong>ux <strong>cours</strong> à l’Université Ca’Foscari <strong>de</strong> Venise sur les suj<strong>et</strong>s<br />
suivants : « Engineers and State Building in Republican China : Li Yizhi (1882-<br />
1938) and his circle », <strong>et</strong> « Militarism and the Revolutionary Connection in Late-<br />
Qing and Early Republican Shaanxi Province », ainsi qu’un séminaire consacré aux<br />
sources <strong>de</strong> l’histoire mo<strong>de</strong>rne du Shaanxi.<br />
*<br />
Le séminaire <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année a pris la forme d’un colloque qui s’est réuni les<br />
23 <strong>et</strong> 24 juin 2008 <strong>et</strong> a traité <strong>de</strong> « L’émergence <strong>de</strong> la profession d’ingénieur en<br />
Chine ». Il s’agissait <strong>de</strong> faire état <strong>de</strong> nouvelles recherches sur l’introduction en<br />
Chine <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes disciplines <strong>de</strong> l’ingénierie mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong>puis la fin <strong><strong>de</strong>s</strong> Qing<br />
jusqu’à la fin <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1930, ainsi que sur les aspects économiques, sociaux <strong>et</strong><br />
politiques du développement <strong>de</strong> la profession d’ingénieur. Des éléments <strong>de</strong><br />
comparaison internationale ont également été présentés.<br />
Les interventions suivantes ont été proposées :<br />
Pierre-Étienne Will (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>) : « Présentation générale <strong>et</strong> problématique ».<br />
Marianne Bastid-Bruguière (CNRS, Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences Morales <strong>et</strong> Politiques) :<br />
« La naissance du métier d’ingénieur en Chine : du génie maritime au génie civil,<br />
1866-1911 ».<br />
Bruno Belhoste (Université Paris 1) : « Le système <strong>de</strong> formation <strong><strong>de</strong>s</strong> ingénieurs dans la<br />
première mondialisation : organisations nationales <strong>et</strong> circulations internationales ».<br />
Iwo Amelung (Université <strong>de</strong> Francfort) : « The Yellow River in Germany. On engineering<br />
interaction b<strong>et</strong>ween China and Germany in the first half of the 20th century ».<br />
Delphine Spicq (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>) : « Par<strong>cours</strong> d’ingénieur <strong>et</strong> enseignement technique à<br />
Tianjin ».
672 PIERRE-ÉTIENNE WILL<br />
Xiaohong Xiao-Planes (INALCO) : « La formation <strong>et</strong> l’émergence <strong><strong>de</strong>s</strong> ingénieursentrepreneurs<br />
dans les années 1920 <strong>et</strong> 1930 ».<br />
Pierre-Étienne Will : « L’Association of Chinese and American Engineers <strong>et</strong> sa revue (1920-<br />
1940) ».<br />
Françoise Kreissler (INALCO) : « La Chine républicaine <strong>et</strong> la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations :<br />
contextes <strong>et</strong> programmes d’une coopération technique transcontinentale ».<br />
Natalie Delan<strong>de</strong>-Liu (Département d’Histoire <strong>de</strong> l’Architecture, Architecture-Ville-<br />
Design, Université Paris 1) : « De l’ingénieur à l’architecte : genèse d’une mo<strong>de</strong>rnisation<br />
professionnelle dans l’industrie architecturale à Shanghai (fin xix e -début xx e siècle) ».<br />
Konstantinos Chatzis (École Nationale <strong><strong>de</strong>s</strong> Ponts <strong>et</strong> Chaussées) : « L’émergence <strong>et</strong><br />
l’affermissement <strong>de</strong> la profession d’ingénieur en Grèce, 1830-1940 ».<br />
Publications<br />
« La génération 1911 : Xi’an, 1905-1930 », in Alain Roux, Yves Chevrier <strong>et</strong> Xiaohong<br />
Xiao-Planes (éd.), Citadins <strong>et</strong> citoyens dans la Chine du XX e siècle (Paris, Éditions <strong>de</strong> la<br />
Maison <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong> l’Homme, 2008), pp. 347-418.<br />
« Views of the Realm in Crisis : Testimonies on imperial audiences in the nin<strong>et</strong>eenth<br />
century », Late Imperial China, 29, n° 1 Supplement (June 2008), pp. 125-159.<br />
« Virtual Constitutionalism in Late Imperial China : The Case of the Ming Dynasty », in<br />
Stephanie Balme <strong>et</strong> Michael Dowdle (éd.), Constitutionalism and judicial power in China,<br />
New York, Palgrave Mac Millan, sous presse.
I. COURS<br />
Antiquités nationales<br />
M. Christian Goudineau, professeur<br />
Un colloque international s’étant tenu au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> en juill<strong>et</strong> 2006 sur<br />
le thème « Celtes <strong>et</strong> gaulois : l’archéologie face à l’histoire », organisé conjointement<br />
par la chaire d’Antiquités nationales <strong>et</strong> le Centre Archéologique européen <strong>de</strong><br />
Bibracte (Mont-Beuvray), le <strong>cours</strong> a été consacré à <strong><strong>de</strong>s</strong> réflexions reprenant quelques<br />
conclusions — centrées sur la pério<strong>de</strong> la plus récente <strong>de</strong> la protohistoire — <strong>et</strong><br />
ouvrant quelques pistes <strong>de</strong> recherche.<br />
Un mot cependant sur les pério<strong><strong>de</strong>s</strong> « anciennes ». Pendant près <strong>de</strong> cent cinquante<br />
ans, on a considéré que, à partir d’une région « originelle » (indéterminée), les<br />
Celtes s’étaient lancés dans <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> migrations comme celles que, plus tard,<br />
Tite-Live nous signale <strong>et</strong> décrit en Italie. La linguistique (notamment fondée sur<br />
l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la culture <strong>de</strong> Golasecca) <strong>et</strong> l’archéologie démontrent <strong><strong>de</strong>s</strong> contacts anciens<br />
(Bronze final, début du premier Âge du Fer) entre diverses populations <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
contacts évi<strong>de</strong>nts avec les Celtes. Aujourd’hui, on ne peut plus r<strong>et</strong>enir l’hypothèse<br />
d’un « berceau hallstattien » qui aurait essaimé vers les VI e -V e siècles. Reste que,<br />
comme pour les « Indo-Européens », on ne dispose d’aucune théorie convaincante<br />
concernant l’origine <strong>et</strong> l’expansion (la culture dite campaniforme ?), ce qui signifie<br />
probablement que le problème est mal posé, ou plutôt que nous le posons en <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
termes simplificateurs. Qu’est-ce qu’un Français ? On remonte aux Francs ? Mais<br />
ceux-ci étaient très romanisés. On remonte jusqu’où ? Impasse <strong>de</strong> nos connaissances<br />
qui ne se fon<strong>de</strong>nt que sur <strong><strong>de</strong>s</strong> graffiti rarissimes <strong>et</strong> sur <strong><strong>de</strong>s</strong> vestiges archéologiques<br />
dont l’interprétation varie au fil <strong><strong>de</strong>s</strong> temps.<br />
Le problème essentiel tient à ce que les historiens actuels dénomment<br />
« instrumentalisation », celle <strong><strong>de</strong>s</strong> Gaulois, constituée pour l’essentiel au XIX e siècle,<br />
<strong>et</strong> que nous n’arrivons pas à surmonter, car elle est liée à notre histoire nationale,<br />
celle qui a forgé notre i<strong>de</strong>ntité. Pour en saisir la force, nous avons évoqué une
674 CHRISTIAN GOUDINEAU<br />
exposition <strong>et</strong> un livre consacrés à « L’archéologie nazie à l’ouest du Reich », où l’on<br />
trouve ces paroles prononcées le 20 juin 1942 à Berlin par un préhistorien français,<br />
invité par Heinrich Himmler <strong>de</strong>vant l’Institut scientifique <strong>de</strong> la SS : « Le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong><br />
l’Allemagne victorieuse est <strong>de</strong> libérer le pays bourguignon, <strong>de</strong> le rendre à la<br />
communauté germanique (…). Nous pourrons peut-être bientôt entrer dans un<br />
Reich agrandi, non pas en tant que vaincus mais en tant qu’affranchis ! ».<br />
Permanence <strong><strong>de</strong>s</strong> oppositions qui remonte (au moins) à Jules César opposant<br />
Gaulois <strong>et</strong> Germains, les premiers assimilables, les seconds à laisser dans leur<br />
sauvagerie. Que l’archéologie nazie ait tenté <strong>de</strong> se réapproprier nombre <strong>de</strong> sites<br />
celtiques <strong>de</strong> l’est <strong>de</strong> la <strong>France</strong> n’a donc rien d’étonnant, mais on ne savait guère<br />
qu’elle avait tenté <strong>de</strong> « récupérer » les mégalithes armoricains <strong>et</strong> même nombre <strong>de</strong><br />
vestiges du Bronze final, <strong>de</strong> Normandie jusqu’en Gascogne, dénommés « indogermaniques<br />
». Voilà qui démontre à la fois nos incertitu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur la protohistoire<br />
ancienne <strong>et</strong> la force <strong><strong>de</strong>s</strong> nationalismes.<br />
Les actuels manuels d’histoire offerts aux collégiens n’inspirent que consternation.<br />
D’abord, parce que l’archéologie <strong>de</strong> la <strong>France</strong> passe directement <strong><strong>de</strong>s</strong> grottes ornées<br />
du paléolithique supérieur à la pério<strong>de</strong> romaine — en ignorant toutes les découvertes<br />
qui ont démontré l’incroyable richesse du néolithique, <strong><strong>de</strong>s</strong> Âges du Bronze <strong>et</strong> du<br />
Fer — avec (toujours !) quelques lignes apitoyées ou réprobatrices sur ces malheureux<br />
(ou horribles) Gaulois que — heureusement — Rome vint civiliser. Un<br />
exemple :<br />
« LA GAULE, UN MONDE À CONQUÉRIR.<br />
Le territoire <strong>de</strong> la <strong>France</strong> était autrefois appelé la Gaule. Il était peuplé <strong>de</strong><br />
Celtes venus du centre <strong>de</strong> l’Europe.<br />
• Les peuples <strong>de</strong> la Gaule sont organisés en tribus qui se querellent<br />
fréquemment. Leurs villes, peu nombreuses, sont avant tout <strong><strong>de</strong>s</strong> places<br />
fortes (oppida) construites sur <strong><strong>de</strong>s</strong> sites défensifs où l’on se rassemble pour<br />
la guerre.<br />
• Les Gaulois sont polythéistes. À la différence <strong><strong>de</strong>s</strong> dieux grecs, leurs dieux<br />
apparaissent sous <strong><strong>de</strong>s</strong> formes terrifiantes. Les Gaulois les honorent dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
lieux sacrés, souvent <strong><strong>de</strong>s</strong> forêts, autour d’un arbre ou d’une source.<br />
• Les Gaulois sont habiles au travail du bois <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> métaux. Ils ont laissé<br />
<strong>de</strong> très beaux obj<strong>et</strong>s : casques, parures, harnachements. Ils contrôlent <strong>de</strong><br />
gran<strong><strong>de</strong>s</strong> routes <strong>de</strong> commerce, comme la route <strong>de</strong> l’étain, <strong>de</strong> la Br<strong>et</strong>agne à<br />
Massilia, en passant par les sources <strong>de</strong> la Seine. »<br />
Des tribus, la guerre, <strong><strong>de</strong>s</strong> dieux terrifiants, les cultes naturistes, mais <strong>de</strong> l’habil<strong>et</strong>é :<br />
c’est une <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong>de</strong> type colonialiste (ou impérialiste). Aucune connaissance<br />
<strong>de</strong> l’archéologie ni <strong><strong>de</strong>s</strong> réflexions récentes <strong>et</strong> actuelles. On croirait lire un mauvais<br />
ouvrage <strong><strong>de</strong>s</strong> environs <strong>de</strong> 1840. Tel est l’état <strong>de</strong> notre enseignement <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />
« culture » infligée aux élèves.
ANTIQUITÉS NATIONALES 675<br />
L’important est <strong>de</strong> comprendre pourquoi règnent <strong>de</strong> telles pesanteurs. Elles<br />
remontent très haut. Si l’on se réfère à l’historiographie grecque, on voit l’intérêt<br />
porté aux Égyptiens, aux Scythes ou aux Perses, mais une quasi-indifférence vis-àvis<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Celtes, sauf pour quelques traits <strong>de</strong> mœurs ou pour leur localisation<br />
géographique, d’ailleurs très floue. Il faudra qu’éclatent <strong><strong>de</strong>s</strong> conflits, que ces<br />
« barbares » s’en prennent à l’Italie ou lancent <strong><strong>de</strong>s</strong> incursions en Grèce pour qu’ils<br />
s’attirent l’attention <strong><strong>de</strong>s</strong> historiens — après avoir r<strong>et</strong>enu celle <strong><strong>de</strong>s</strong> politiques ! La<br />
création d’une confédération galate en Anatolie, les campagnes périodiques qui ont<br />
opposé ces Celtes aux rois <strong>de</strong> Pergame ont contribué à la constitution d’un « cliché »<br />
qui <strong>de</strong>vait avoir la vie longue — les civilisés contre les barbares, les Dieux contre<br />
les Géants —, dont nous avons étudié l’iconographie originelle <strong>et</strong> sa longue<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>cendance.<br />
Avec l’irruption <strong><strong>de</strong>s</strong> Celtes-Gaulois dans l’histoire du mon<strong>de</strong> civilisé, vont se<br />
diffuser — surtout à Rome — les stéréotypes que l’on r<strong>et</strong>rouve en Europe au<br />
XIX e siècle (<strong>et</strong> parfois encore aujourd’hui en d’autres lieux du mon<strong>de</strong>) : c’est<br />
l’ennemi, il menace les vraies valeurs, il s’oppose au grand <strong><strong>de</strong>s</strong>sein (« intelligent<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>ign ») que les dieux ou la Provi<strong>de</strong>nce ont chargé Rome d’accomplir. Les <strong>de</strong>ux<br />
caractéristiques <strong>de</strong> l’« étranger » sont réunies chez eux : différence <strong>et</strong> inversion. Des<br />
auteurs plus récents, comme Strabon, écrivant après la conquête, nuanceront le<br />
tableau en ajoutant <strong><strong>de</strong>s</strong> correctifs. Nous avons tenté, à partir du texte <strong>de</strong> Strabon,<br />
<strong>de</strong> reconstituer celui <strong>de</strong> Poséidonios — antérieur à la guerre <strong><strong>de</strong>s</strong> Gaules — en<br />
gommant les ajouts ultérieurs. Voici, à notre avis, ce qu’était la <strong><strong>de</strong>s</strong>cription :<br />
« Dans son ensemble, la race qu’on appelle aujourd’hui soit gallique soit galatique est à la<br />
fois éprise <strong>de</strong> guerre, impulsive <strong>et</strong> prompte à prendre les armes, mais par ailleurs dépourvue<br />
d’artifice <strong>et</strong> <strong>de</strong> vice. Voilà qui explique leurs conduites. Si on leur cherche querelle, comme<br />
un seul homme, ils se précipitent au combat, ouvertement, sans la moindre réflexion<br />
préalable si bien qu’ils se font battre facilement par quiconque se donne la peine <strong>de</strong><br />
manœuvrer ! De fait, si on les provoque (quels que soient le lieu, le moment ou le prétexte),<br />
on les voit prêts à tout risquer sans autre allié que leur force <strong>et</strong> leur résolution ! Leur force<br />
vient d’abord <strong>de</strong> leur physique, car ils sont grands, <strong>et</strong> ensuite <strong>de</strong> leur nombre. Leurs<br />
rassemblements énormes sont facilités par leur naïv<strong>et</strong>é <strong>et</strong> leur spontanéité, car ils s’indignent<br />
toujours <strong><strong>de</strong>s</strong> injustices dont — à leur idée ! — leurs proches sont victimes ! C’est aussi ce<br />
trait qui explique que leurs migrations se soient faites facilement : ils se déplaçaient en bloc,<br />
tous guerriers réunis, <strong>et</strong> plus encore en rassemblant tous leurs parents, lorsque plus fort<br />
qu’eux les expulsait. Donc, ce sont tous <strong><strong>de</strong>s</strong> guerriers par nature, mais ils sont meilleurs<br />
cavaliers que fantassins. Ajoutons que, plus on va vers le Nord <strong>et</strong> vers l’Océan, plus leurs<br />
qualités <strong>de</strong> guerriers augmentent. Leur armement est à la mesure <strong>de</strong> leur gran<strong>de</strong> taille :<br />
longue épée suspendue au côté droit, long bouclier, lances en proportion <strong>et</strong> enfin le<br />
« madaris », un genre <strong>de</strong> javelot. Certains se servent également d’arcs <strong>et</strong> <strong>de</strong> fron<strong><strong>de</strong>s</strong>. Il existe<br />
aussi une sorte d’arme en bois qui ressemble au « grosphos », qui se lance à la main sans<br />
propulseur, dont la portée dépasse celle d’une flèche <strong>et</strong> qu’ils utilisent tout particulièrement<br />
pour la chasse aux oiseaux. Leur insondable légèr<strong>et</strong>é les rend insupportables quand ils sont<br />
vainqueurs mais, s’ils ont le <strong><strong>de</strong>s</strong>sous, elle les plonge dans la stupeur. Leur simplicité d’esprit<br />
<strong>et</strong> leur impulsivité s’augmentent <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> stupidité, <strong>de</strong> vantardise <strong>et</strong> d’amour <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
bijoux. C’est ainsi que non seulement ils portent <strong><strong>de</strong>s</strong> parures d’or (colliers au cou, bracel<strong>et</strong>s<br />
aux bras <strong>et</strong> aux poign<strong>et</strong>s) mais les personnages <strong>de</strong> haut rang portent <strong><strong>de</strong>s</strong> vêtements <strong>de</strong><br />
couleur brillante brodés d’or. Ils portent le « sagum », se laissent pousser les cheveux <strong>et</strong>
676 CHRISTIAN GOUDINEAU<br />
utilisent <strong><strong>de</strong>s</strong> pantalons larges, bouffants <strong>et</strong>, au lieu <strong>de</strong> « chitônes », ils portent <strong><strong>de</strong>s</strong> tuniques<br />
fendues, à manches, qui leur <strong><strong>de</strong>s</strong>cen<strong>de</strong>nt jusqu’au bas-ventre <strong>et</strong> aux fesses. C’est avec une<br />
laine à la fois fibreuse <strong>et</strong> aux extrémités touffues qu’ils tissent les « sagums » épais, qu’ils<br />
appellent « lainal ». C’est à même le sol que dorment, aujourd’hui encore, la plupart d’entre<br />
eux, <strong>de</strong> même qu’ils s’assoient sur <strong><strong>de</strong>s</strong> lits faits <strong>de</strong> végétaux pour prendre leurs repas ! La<br />
nourriture surabondante, à base <strong>de</strong> lait <strong>et</strong> <strong>de</strong> vian<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> toutes sortes, tout particulièrement<br />
<strong>de</strong> porc, aussi bien frais que salé (leurs porcs, même la nuit, sont en liberté ; par la taille<br />
comme la vigueur <strong>et</strong> la rapidité, ils sont exceptionnels — aussi est-il dangereux <strong>de</strong> s’en<br />
approcher si l’on n’est pas habitué à eux, y compris pour un loup !). Quant à leurs maisons,<br />
faites <strong>de</strong> poteaux <strong>et</strong> <strong>de</strong> clayonnages, elles sont gran<strong><strong>de</strong>s</strong>, arrondies, <strong>et</strong> ils les recouvrent d’un<br />
chaume épais. (…) »<br />
On pourrait placer face à un tel texte nombre <strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>criptions presque i<strong>de</strong>ntiques<br />
écrites par <strong><strong>de</strong>s</strong> explorateurs ou <strong><strong>de</strong>s</strong> conquérants européens découvrant les civilisations<br />
d’Orient, d’Afrique ou d’Amérique. Pourtant, Grecs, Romains <strong>et</strong> Celtes s’étaient<br />
rencontrés <strong>de</strong>puis bien longtemps, Poséidonios écrit durant la première moitié du<br />
I er siècle avant J.-C. Comment mieux démontrer la totale incompatibilité,<br />
l’inintelligibilité entre <strong>de</strong>ux mon<strong><strong>de</strong>s</strong> ? Rome avait conquis l’Italie du Nord —<br />
peuplée <strong>de</strong> Celtes —, la Grèce avait lancé <strong><strong>de</strong>s</strong> enquêtes <strong>et</strong>hnographiques. Rien n’y<br />
fait. Les Celtes, les Gaulois : l’étranger. Certes, ils peuvent êtres domesticables, ils<br />
peuvent se plier à l’action civilisatrice <strong>de</strong> Rome, mais leur nature <strong>de</strong>meure ce<br />
qu’elle est. En 48 avant J.-C., quatre ans après Alésia, le magistrat monétaire<br />
L. Hostilius Saserna fait ém<strong>et</strong>tre à Rome un <strong>de</strong>nier célébrant une fois <strong>de</strong> plus la<br />
victoire <strong>de</strong> César. Or, pour se conformer aux stéréotypes, il fait représenter un<br />
personnage hirsute, portant moustache <strong>et</strong> barbe non taillées — le contraire <strong>de</strong> ce<br />
que montrent les <strong>de</strong>niers frappés en Gaule ou les statues d’aristocrates <strong>de</strong>puis<br />
plusieurs décennies ; même le char <strong>de</strong> combat avait <strong>de</strong>puis longtemps laissé place<br />
à d’autres techniques guerrières. Mais telle est la force <strong><strong>de</strong>s</strong> images mentales.<br />
Les années récentes, sans doute en raison <strong>de</strong> phénomènes comme la colonisation,<br />
ont permis d’apprécier le poids <strong><strong>de</strong>s</strong> préjugés que nous ont transmis les textes grecs<br />
<strong>et</strong> latins. De même, on a beaucoup avancé sur une piste qui s’avère <strong>de</strong> plus en plus<br />
fécon<strong>de</strong> : la conception géographique du mon<strong>de</strong> qui a inspiré nombre <strong>de</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>criptions <strong>et</strong> <strong>de</strong> commentaires. J’ai repris un dossier ouvert ici-même il y a vingt<br />
ans, lorsque j’avais tenté <strong>de</strong> comprendre la bizarrerie <strong>de</strong> l’organisation qu’imposa,<br />
lorsqu’il s’occupa du cas <strong><strong>de</strong>s</strong> Gaules, l’Empereur Auguste. J’avais montré à l’époque<br />
que nous ne pouvions rien comprendre en nous en tenant à la géographie telle que<br />
nous la connaissons, qu’il fallait au contraire se référer aux conceptions <strong>de</strong> l’époque,
ANTIQUITÉS NATIONALES 677<br />
avec les Pyrénées nord-sud, le Cemmène (les chaînes du Massif Central) ouest-est,<br />
les fleuves coulant du sud au nord (sauf le Rhône).<br />
L’organisation se comprend donc fort bien, si l’on suit ce cadre (carte ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus),<br />
qui <strong>de</strong>vait subsister trois siècles. Sauf que Strabon <strong>et</strong> Pline signalent, dans <strong><strong>de</strong>s</strong> textes<br />
longtemps négligés ou incompris, <strong><strong>de</strong>s</strong> tentatives initiales bien différentes, mais<br />
toutes fondées sur la conception que le mon<strong>de</strong> est organisé en formes géométriques,<br />
rectangles ou carrés, qu’a voulues la Provi<strong>de</strong>nce — conception philosophique<br />
remontant au plus loin <strong>de</strong> la pensée grecque <strong>et</strong> que le stoïcisme a diffusés. Nous<br />
avons repris le cas <strong>de</strong> la Gaule dans c<strong>et</strong>te optique, tout en signalant que les nouvelles<br />
éditions <strong><strong>de</strong>s</strong> géographes <strong>et</strong> <strong>et</strong>hnographes antiques ne peuvent désormais échapper<br />
à ce cadre (on vient <strong>de</strong> le voir pour l’Ibérie).<br />
C<strong>et</strong>te réflexion nous a amené à prendre quelques exemples régionaux, notamment<br />
puisés dans les <strong>travaux</strong> récents <strong>de</strong> Patrick Thollard <strong>et</strong> Matthieu Poux, en y ajoutant<br />
notre grain <strong>de</strong> sel. Nous avons examiné, entre autres, le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> Volques <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Voconces du Midi, puis celui <strong><strong>de</strong>s</strong> Arvernes. Histoire, archéologie, géographie s’y<br />
mêlent intimement, non seulement pour <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes <strong>de</strong> délimitation <strong>de</strong><br />
territoires mais aussi pour d’éventuelles expansions ou rétractions. Les notions <strong>de</strong><br />
la géographie contemporaine sont-elles adaptées à l’antiquité, <strong>de</strong>puis les « polygones<br />
<strong>de</strong> Thyssen » jusqu’à la conception <strong>de</strong> « capitale multipolaire » ? Le foisonnement<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> idées, l’insertion <strong>de</strong> nos étu<strong><strong>de</strong>s</strong> dans <strong><strong>de</strong>s</strong> débats contemporains, voilà qui suscite<br />
l’optimisme.<br />
II. SÉMINAIRES<br />
Les séminaires ont porté sur :<br />
— Les fouilles <strong>de</strong> l’Institut Curie à Paris, avec M. Didier Busson, Chargé <strong>de</strong><br />
mission pour l’Archéologie à la Commission du Vieux-Paris.
678 CHRISTIAN GOUDINEAU<br />
— Recherches récentes sur le site <strong>de</strong> la Cathédrale Saint-Pierre à Genève, avec<br />
M. Charles Bonn<strong>et</strong>, ancien Archéologue cantonal.<br />
— Les nouvelles fouilles d’Aix-en-Provence, avec M me Núria Nin, Archéologue<br />
<strong>de</strong> la Ville.<br />
— Douze ans <strong>de</strong> recherches sur le sanctuaire <strong>de</strong> Mars Mullo à Allonnes (Sarthe),<br />
avec M me Katherine Gruel, Directrice <strong>de</strong> recherche au CNRS.<br />
— Cent cinquante ans après la découverte <strong>de</strong> la Tène : état <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches sur<br />
l’Âge du Fer en Suisse, avec M. Gilbert Kaenel, Directeur du Musée Cantonal<br />
d’Archéologie <strong>et</strong> d’Histoire <strong>de</strong> Lausanne.<br />
III. RESPONSABILITÉS, ACTIVITÉS, MISSIONS<br />
Le Professeur a été renommé au Conseil d’Administration <strong>de</strong> l’Institut National <strong>de</strong><br />
Recherche Archéologique Préventive (INRAP). Il est membre du Comité scientifique<br />
<strong>de</strong> la Maison Méditerranéenne <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong> l’Homme d’Aix-en-Provence, <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
celui <strong>de</strong> la Carte Archéologique <strong>de</strong> la Gaule (CNRS, MEN, Culture).<br />
Le Professeur est allé en mission pour <strong><strong>de</strong>s</strong> séminaires, <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences ou <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
colloques, à Lyon, Grenoble, La Turbie, Nantes, Francfort, Louvain, Autun,<br />
Bologne, Budapest, Dublin, Caen, Rouen, Tulle, Toulouse, La Rochelle.<br />
L’exposition sur la religion celtique, présentée à Lyon en 2006, a été reprise au<br />
Latenium <strong>de</strong> Neuchâtel, avant <strong>de</strong> se rendre à Berne, puis dans d’autres musées<br />
européens.<br />
Le Professeur a été fait docteur honoris causa <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Bologne.<br />
Il a présidé plusieurs jurys <strong>de</strong> thèse, <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> l’HDR <strong>de</strong> Patrick Thollard.<br />
IV. PUBLICATIONS<br />
Ouvrage :<br />
— Regard sur la Gaule, Actes Sud, Babel, 2007.<br />
Articles :<br />
— Plusieurs contributions dans Archéopages, revue <strong>de</strong> l’INRAP.<br />
— « La Gaule, les Gaulois <strong>et</strong> le sentiment national au XIX e siècle », Alésia <strong>et</strong> la<br />
bataille du Teutoburg, Beihefte <strong>de</strong>r Francia, 66, 2008, 53-71.<br />
— « La Querelle <strong><strong>de</strong>s</strong> Origines », Pouvoirs. Représenter le pouvoir en <strong>France</strong>,<br />
Catalogue d’exposition, Nantes, 2008, p. 152-157.<br />
Nombreuses participations ou interviews dans la presse écrite <strong>et</strong> audio-visuelle.<br />
DVD sur Lutèce, sur les fouilles suisses <strong>de</strong> Mormont, diffusions sur Arte.
Histoire turque <strong>et</strong> ottomane<br />
M. Gilles Veinstein, professeur<br />
COURS : Istanbul, carrefour diplomatique : l’établissement <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
permanentes européennes<br />
La pénétration ottomane en Europe, à partir du milieu du xive siècle,<br />
s’accompagne, bien entendu, <strong>de</strong> relations <strong>de</strong> guerre avec les Etats chrétiens<br />
européens, mais aussi <strong>de</strong> relations qu’on peut qualifier <strong>de</strong> diplomatiques. Elles sont<br />
naturellement amenées par les limites <strong><strong>de</strong>s</strong> capacités militaires du conquérant, aux<br />
prises avec <strong><strong>de</strong>s</strong> adversaires qui ne sont pas inertes, qui nouent entre eux (ainsi<br />
d’ailleurs qu’avec <strong><strong>de</strong>s</strong> partenaires musulmans en Asie) <strong><strong>de</strong>s</strong> coalitions d’une certaine<br />
puissance. Elles sont favorisées aussi par les divisions existant entre ces adversaires,<br />
aux visées divergentes <strong>et</strong> concurrentes. C’est à c<strong>et</strong>te diplomatie ottomane en<br />
Europe, <strong><strong>de</strong>s</strong> origines au xviiie siècle, qu’ont été consacrés les trois <strong>de</strong>rniers <strong>cours</strong>.<br />
Des traités <strong>de</strong> différents types sont conclus dont la nature renvoie aux principes<br />
fondamentaux du droit musulman <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports avec les infidèles, les Ottomans ne<br />
faisant qu’en donner une adaptation, d’ailleurs <strong>de</strong> plus en plus souple. Ces<br />
constatations ont fait l’obj<strong>et</strong> du premier <strong>cours</strong>. Se conformant aux usages<br />
immémoriaux en la matière, les Ottomans pratiquent la diplomatie à travers<br />
l’échange d’ambassa<strong>de</strong>urs extraordinaires <strong>de</strong> différents rangs <strong>et</strong> caractères. Comme<br />
on a toujours fait, <strong>de</strong> par le mon<strong>de</strong>, ils en reçoivent, mais, ce qui est moins connu,<br />
ils en envoient aussi à chaque fois que le besoin s’en fait sentir. C<strong>et</strong>te question a<br />
fait l’obj<strong>et</strong> du <strong>de</strong>uxième <strong>cours</strong>. En revanche, ils n’adoptent pas, au long <strong>de</strong> la<br />
pério<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne, c<strong>et</strong>te innovation qui apparaît dans l’Italie du xve siècle <strong>et</strong> qui<br />
sera désormais l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> facteurs essentiels <strong>de</strong> la diplomatie européenne :<br />
l’établissement d’ambassa<strong>de</strong>urs rési<strong>de</strong>nts ou permanents. Plus exactement, ils ne<br />
l’adopteront qu’à moitié : eux-mêmes n’établiront pas <strong>de</strong> semblables ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
dans les principales capitales européennes avant l’extrême fin du xviiie siècle.<br />
En revanche — <strong>et</strong> cela reste significatif <strong>de</strong> leur attitu<strong>de</strong> vis-à-vis du mon<strong>de</strong><br />
extérieur — ils accepteront très tôt <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> permanentes chez eux. Il en<br />
résultera une dissymétrie souvent remarquée. Voltaire parlera ainsi <strong>de</strong> « la mauvaise
680 GILLES VEINSTEIN<br />
politique <strong>de</strong> la Porte d’avoir toujours par vanité <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs <strong><strong>de</strong>s</strong> princes<br />
chrétiens à Constantinople <strong>et</strong> <strong>de</strong> ne pas entr<strong>et</strong>enir un seul agent dans les <strong>cours</strong><br />
chrétiennes ». Le <strong>de</strong>rnier <strong>cours</strong> s’est attaché à c<strong>et</strong>te particularité : les Turcs reçoivent<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs permanents (quelques-uns du moins) mais n’en établissent pas à<br />
leur tour. Nous nous sommes <strong>de</strong>mandé si, comme la formule qui précè<strong>de</strong>, tend à<br />
le suggérer, ce comportement résultait d’un principe, d’un axiome politique conçu<br />
a priori (dont le moteur aurait, par exemple, été la vanité) ou s’il n’avait pas été<br />
plutôt le fruit <strong>de</strong> circonstances dans lesquelles les gouvernants ottomans auraient<br />
été plus ou moins passifs, quitte à ce qu’ils y trouvent <strong><strong>de</strong>s</strong> avantages à l’usage <strong>et</strong><br />
donc <strong><strong>de</strong>s</strong> justifications après coup. En d’autres termes, nous nous sommes penché<br />
sur les conditions <strong>de</strong> création <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre premières ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> permanentes à<br />
Constantinople : celles <strong>de</strong> Venise (1454), <strong>de</strong> <strong>France</strong> (1535), d’Angl<strong>et</strong>erre (1583)<br />
<strong>et</strong> enfin <strong><strong>de</strong>s</strong> Pays-Bas (1612). Les autres qui suivront au xviii e siècle, ne feront<br />
qu’emprunter une voie désormais bien tracée. Dans chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre cas considérés<br />
<strong>de</strong> plus près, nous avons cherché à évaluer ce qui revenait à l’Etat représenté <strong>et</strong> ce<br />
qu’avait été le comportement <strong>de</strong> la Porte.<br />
Le cas vénitien<br />
Le premier ambassa<strong>de</strong>ur permanent dans la Constantinople ottomane fut le<br />
baile (bailo), c’est-à-dire le représentant <strong>de</strong> la république <strong>de</strong> Venise — <strong>et</strong> <strong>de</strong> loin<br />
puisqu’il est apparu dès 1454, soit dès l’année qui a suivi la conquête <strong>de</strong> la ville.<br />
Encore s’agit-il d’un cas bien différent <strong>de</strong> celui qui suivra quatre-vingts ans plus<br />
tard (l’établissement <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>), puisqu’il ne s’agit en rien d’une<br />
innovation mais <strong>de</strong> la simple reprise d’une institution bien antérieure. Le baile <strong>de</strong><br />
Venise auprès du sultan ne fait en eff<strong>et</strong> que prendre la suite du baile <strong>de</strong> Venise à<br />
Byzance — une institution très ancienne, remontant au xie siècle, mais qui n’avait<br />
acquis toute son importance <strong>et</strong> ses caractéristiques qu’après la reconquête <strong>de</strong><br />
Byzance par Michel Paléologue en 1265-1268. Comme ce sera le cas à l’époque<br />
ottomane, la fonction se situe au somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> la carrière diplomatique vénitienne ;<br />
elle est détenue par <strong><strong>de</strong>s</strong> membres <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> familles patriciennes spécialisées dans<br />
les affaires du Levant ; elle comprend trois vol<strong>et</strong>s principaux : le baile est à la fois<br />
un ambassa<strong>de</strong>ur en charge <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires politiques ; un consul, protecteur <strong><strong>de</strong>s</strong> intérêts<br />
commerciaux <strong>de</strong> Venise <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>de</strong> ses marchands ; un chef <strong>de</strong> communauté,<br />
administrant <strong>et</strong> jugeant les ressortissants vénitiens. Son autorité ne se limite pas à<br />
la capitale, mais s’étend à l’empire byzantin dans son ensemble : il est Baiulus<br />
Ven<strong>et</strong>orum in Constantinopoli <strong>et</strong> in toto imperio Romanie.<br />
Au surplus, dès avant la conquête <strong>de</strong> Constantinople, le baile accrédité auprès<br />
du basileus byzantin, joue, <strong>de</strong> fait, <strong>de</strong> par sa position géopolitique, un rôle déjà<br />
important dans les relations diplomatiques entre le jeune Etat ottoman (dont les<br />
capitales sont successivement Bursa puis Edirne) <strong>et</strong> la Sérénissime, que lui-même<br />
(parmi d’autres dignitaires) serve d’ambassa<strong>de</strong>ur extraordinaire auprès <strong><strong>de</strong>s</strong> sultans,<br />
ou qu’il envoie ses émissaires à ces <strong>de</strong>rniers. Dans ces conditions, la substitution<br />
du pouvoir ottoman au pouvoir byzantin à Constantinople n’apporte pas <strong>de</strong>
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 681<br />
changement radical au dispositif diplomatique vénitien dans la région (même si,<br />
par ailleurs, une menace formidable pèsera désormais <strong>de</strong> ce fait sur le Dominio da<br />
Mar <strong>de</strong> la République <strong>et</strong> ne cessera plus).<br />
Encore fallait-il pour que la continuité s’opère ainsi que le conquérant ottoman<br />
s’y prêtât. Rien n’était a priori évi<strong>de</strong>nt sur ce point puisque les Vénitiens présents<br />
dans la capitale, à commencer par le baile lui-même, Gerolamo Minotto, avaient<br />
apporté activement leur con<strong>cours</strong> au basileus assiégé. Minotto sera même exécuté<br />
en conséquence par les vainqueurs. Au <strong>de</strong>meurant, une fois le succès militaire<br />
obtenu, Mehmed II dont l’objectif est d’assurer désormais la renaissance <strong>et</strong> la<br />
prospérité <strong>de</strong> la ville conquise dont il a décidé <strong>de</strong> faire sa nouvelle capitale, <strong>et</strong><br />
d’autre part <strong>de</strong> poursuivre ses conquêtes, notamment en Grèce, fait preuve d’un<br />
réalisme consommé. De même qu’il conclut un traité avec les Génois <strong>de</strong> Galata<br />
(qui l’avaient pourtant trahi durant le siège), il traite avec Venise. Le même<br />
Bartolomeo Marcello que le sénat vénitien avait dépêché à l’origine pour persua<strong>de</strong>r<br />
le jeune sultan <strong>de</strong> faire la paix avec le basileus, avait vu l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> son ambassa<strong>de</strong><br />
être modifié en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> route, Constantinople étant tombée entre-temps : par une<br />
décision du 17 juill<strong>et</strong>, le sénat, ayant pris acte <strong>de</strong> la disparition du basileus, ne<br />
prescrivait plus à son ambassa<strong>de</strong>ur que d’obtenir le renouvellement, l’orage étant<br />
passé, du traité vénéto-ottoman antérieur <strong>de</strong> 1451. Le sultan y consent par un acte<br />
du 18 avril 1454, ratifié ensuite à Venise : le sultan a besoin <strong>de</strong> Venise, <strong>de</strong> son<br />
commerce <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa neutralité. L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> objectifs <strong>de</strong> la République est <strong>de</strong> rétablir le<br />
baile à Constantinople dans la plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses fonctions <strong>et</strong> prérogatives <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
garantir ce statut par un traité (une « capitulation ») accordé sous serment par le<br />
sultan (un ‘ahdnâme). Elle n’y parviendra pas d’un seul coup, se heurtant donc<br />
apparemment à <strong><strong>de</strong>s</strong> résistances <strong>de</strong> l’autre partie. On peut constater, à travers les<br />
renouvellements successifs <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations vénitiennes, dans la secon<strong>de</strong> moitié du<br />
xv e <strong>et</strong> encore au début du xvi e siècle, combien la diplomatie vénitienne progresse<br />
sur c<strong>et</strong>te voie <strong>et</strong> réussit finalement à faire reconnaître par le sultan, en vertu <strong>de</strong> son<br />
‘ahdnâme, la totalité <strong><strong>de</strong>s</strong> droits <strong>et</strong> prérogatives <strong>de</strong> l’ancien baile <strong>de</strong> Byzance.<br />
Le traité <strong>de</strong> 1454 acceptait déjà qu’un baile <strong>de</strong> Venise séjourne à Istanbul, avec<br />
sa suite, ce qui était déjà un acquis essentiel, mais ce baile ne pouvait <strong>de</strong>meurer<br />
que pendant un an, au terme duquel il <strong>de</strong>vait être remplacé. Dans c<strong>et</strong>te restriction<br />
manifestement imputable à la partie ottomane, on peut discerner la méfiance<br />
suscitée par c<strong>et</strong>te présence étrangère, <strong>et</strong> peut-être aussi un souci <strong>de</strong> se conformer à<br />
la durée du séjour autorisé à un musta’min, tel qu’il est fixé par le droit hanéfite.<br />
Une durée aussi brève ne pouvait que sembler incommo<strong>de</strong> à la partie vénitienne.<br />
Elle <strong>de</strong>vra néanmoins attendre le traité ottomano-vénitien <strong>de</strong> 1503, consécutif à la<br />
guerre entre les <strong>de</strong>ux Etats <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1499-1502, pour que le sultan Bayezid II<br />
leur accor<strong>de</strong> un délai plus satisfaisant <strong>de</strong> trois ans. Les négociateurs vénitiens<br />
n’avaient d’ailleurs obtenu c<strong>et</strong>te concession que in extremis. Dans une l<strong>et</strong>tre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
3-12 octobre 1503, Bayezid II, tirant les conclusions <strong><strong>de</strong>s</strong> négociations qui avaient<br />
été menées à ce suj<strong>et</strong>, annonçait au doge Leonardo Loredan son intention d’allonger<br />
jusqu’à trois ans le séjour du baile (Archives d’Etat <strong>de</strong> Venise, Bailo a Costantinopoli,
682 GILLES VEINSTEIN<br />
busta 1, n° 109). Le doge répond au sultan par une l<strong>et</strong>tre du 19 avril 1504 qu’il<br />
ratifie la correction apportée à la <strong>de</strong>rnière capitulation, faisant passer à trois ans la<br />
durée d’exercice <strong>de</strong> l’office du baile (M.-P. Pedani, I « Documenti Turchi »<br />
<strong>de</strong>ll’Archivio di Stato di Venezia, 1994, p. 41, n° 149). C<strong>et</strong>te disposition est<br />
confirmée dans la capitulation suivante, celle <strong>de</strong> 1513 qui institue en outre un<br />
principe <strong>de</strong> succession automatique qui n’avait pas été formulé jusqu’ici. Il stipule<br />
en eff<strong>et</strong> : « qu’il parte avant qu’une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> trois années ne s’achève, <strong>et</strong> qu’un<br />
autre vienne à sa place, <strong>de</strong> la même façon » (üç yıl tamam olmadın ol gi<strong>de</strong>, anun<br />
yerine ol vechile bir dahi gele).<br />
Il est à noter que c<strong>et</strong>te durée réglementaire <strong>de</strong> trois ans (appelée à un grand<br />
avenir puisqu’elle est encore la durée moyenne <strong>de</strong> séjour <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs dans les<br />
usages internationaux) ne sera pas toujours strictement respectée dans les faits : <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
durées <strong>de</strong> séjour supérieures <strong><strong>de</strong>s</strong> bailes (quatre, cinq, six ans <strong>et</strong> même sept ans)<br />
seront observées dans la secon<strong>de</strong> moitié du xvi e <strong>et</strong> au xvii e siècle, en raison <strong>de</strong><br />
circonstances particulières, sans opposition <strong><strong>de</strong>s</strong> autorités ottomanes.<br />
Outre la question <strong>de</strong> la durée <strong>de</strong> la mission, essentielle à la notion d’ambassa<strong>de</strong><br />
permanente, d’autres articles relatifs au baile apparaîtront également dans les<br />
‘ahdnâme vénitiens successifs. L’essentiel est déjà présent dans celui <strong>de</strong> 1482, émis<br />
à l’occasion <strong>de</strong> l’avènement <strong>de</strong> Bayezid II. Il y est énoncé : « qu’il [le baile] vienne<br />
avec sa suite <strong>et</strong> qu’il s’établisse à Istanbul, <strong>de</strong> sorte qu’il s’y occupe <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
marchands vénitiens <strong>et</strong> qu’il règle les litiges <strong>de</strong> toutes natures qui lui seront soumis,<br />
conformément à leurs usages (ayinlerince) ».<br />
Non seulement les droits <strong>de</strong> justice du baile sur ses administrés sont ainsi<br />
reconnus, mais il lui est également loisible <strong>de</strong> recourir, en cas <strong>de</strong> besoin, à la force<br />
publique ottomane : « que l’officier <strong>de</strong> police (subașı) en fonctions à Istanbul, lui<br />
prête assistance dans les affaires qui le concernent ». En ce sens, le baile est en<br />
quelque sorte intégré à l’appareil d’Etat ottoman. De nouvelles clauses seront<br />
ajoutées dans les ‘ahdnâme <strong>de</strong> 1513 <strong>et</strong> 1517, selon lesquelles les marchands vénitiens<br />
désireux <strong>de</strong> se rendre à Bursa <strong>et</strong> dans d’autres lieux <strong>de</strong> l’Empire, ne pourront le<br />
faire sans l’autorisation du baile. S’ils désobéissent (<strong>et</strong> <strong>de</strong> fait les marchands voyaient<br />
d’un mauvais oeil l’immixtion du baile <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> autres consuls vénitiens dans leurs<br />
affaires), les officiers <strong>de</strong> police locaux <strong>de</strong>vaient prêter main-forte aux bailes pour<br />
faire plier les récalcitrants.<br />
Par ailleurs, les mêmes traités reconnaissaient au baile certaines immunités<br />
constituant une sorte d’embryon d’un statut diplomatique du baile, préfigurant dans<br />
une certaine mesure les notions d’immunité diplomatique <strong>et</strong> <strong>de</strong> privilège<br />
d’exterritorialité, qui s’imposeront par la suite dans le « droit <strong><strong>de</strong>s</strong> gens » (jus gentium),<br />
tel qu’il sera codifié en Occi<strong>de</strong>nt. Ces immunités sont avant tout d’ordre judicaire.<br />
Selon les capitulations <strong>de</strong> 1513, le baile ne pourra être tenu pour responsable <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
d<strong>et</strong>tes <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s vénitiens ; s’il est impliqué dans un procès, celui-ci ne sera pas du<br />
ressort du juge local, mais <strong>de</strong>vra être porté <strong>de</strong>vant le « divan impérial ». Ces affaires<br />
font donc partie <strong><strong>de</strong>s</strong> « causes réservées » <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te juridiction suprême. Si le sultan est
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 683<br />
absent <strong>de</strong> la capitale, le baile sera entendu par son substitut, le kaymakam, en présence<br />
du cadi d’Istanbul. D’autres immunités du baile sont au contraire absentes <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
‘ahdnâme, mais entreront dans l’usage <strong>et</strong> seront d’ailleurs régulièrement confirmées<br />
par c<strong>et</strong>te autre source <strong>de</strong> droit que sont les ordres impériaux. Il s’agit d’immunités<br />
fiscales : l’exemption <strong>de</strong> droits <strong>de</strong> douane <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> autres taxes sur les <strong>de</strong>nrées <strong><strong>de</strong>s</strong>tinées<br />
à l’approvisionnement du baile, <strong>de</strong> son personnel <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa suite (notamment les<br />
raisins, le vin <strong>et</strong> les porcs). Absentes <strong><strong>de</strong>s</strong> traités, ces <strong>de</strong>rnières immunités étaient peutêtre<br />
conçues par la Porte comme situées sur un autre registre : celui <strong><strong>de</strong>s</strong> lois <strong>de</strong><br />
l’hospitalité. L’ambassa<strong>de</strong>ur est en eff<strong>et</strong> un hôte, en même temps — nous y<br />
reviendrons — qu’il est virtuellement un otage (les Français, quant à eux, n’en<br />
prendront pas moins la précaution <strong>de</strong> faire inscrire ces franchises fiscales <strong>de</strong><br />
l’ambassa<strong>de</strong>ur dans leurs capitulations, plus tard, à partir <strong>de</strong> 1604).<br />
Si tout ce qui définit la position du baile, n’est pas inclus dans les ‘ahdnâme (il<br />
est d’ailleurs bien <strong><strong>de</strong>s</strong> domaines dans lesquels ces traités ne sont pas le seul<br />
instrument juridique applicable aux Vénitiens en général), ceux-ci constituent<br />
néanmoins un corpus auxquels les muftis peuvent se référer dans leurs consultations<br />
juridiques (f<strong>et</strong>vâ), au même titre que les autres sources <strong>de</strong> droit reconnues dans<br />
l’empire. On trouvera ainsi dans les archives du baile, une f<strong>et</strong>vâ qu’il avait<br />
vraisemblablement sollicitée lui-même, portant sur la question suivante : le baile<br />
étant le représentant (vekil <strong>et</strong> kaymakam) <strong><strong>de</strong>s</strong> marchands vénitiens, ces <strong>de</strong>rniers<br />
sont-ils habilités à lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong><strong>de</strong>s</strong> in<strong>de</strong>mnités pour les marchandises qu’ils ont<br />
perdues ? Pour argumenter sa réponse, le mufti ne cite pas d’autre autorité que les<br />
passages <strong><strong>de</strong>s</strong> ‘ahdnâme relatifs au baile (ASV, Bailo, B. 339, n° 53).<br />
Il est à noter également que les capitulations vénitiennes se réfèrent surtout au<br />
baile, dans <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses fonctions que nous avions déjà citées, celles <strong>de</strong> consul <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> chef <strong>de</strong> la communauté vénitienne. De fait, bien que souvent négligée par les<br />
historiens, la fonction consulaire gar<strong>de</strong> toute son importance à l’époque ottomane.<br />
Comme l’écrivait la Seigneurie vénitienne au baile Marino Cavalli (1560), étudié<br />
naguère par le regr<strong>et</strong>té Bruno Simon :<br />
« Nous vous avons envoyé là-bas pour être notre baile, comme le veut la coutume,<br />
<strong>et</strong>, finalement, vous recomman<strong>de</strong>rez les marchands <strong>et</strong> nos suj<strong>et</strong>s à Sa Majesté [le<br />
sultan], comme il vous paraîtra expédient, pendant le temps où vous serez en sa<br />
présence. Vous ne manquerez pas dans toutes les occasions où cela leur sera nécessaire<br />
<strong>de</strong> donner à ces marchands <strong>et</strong> à nos suj<strong>et</strong>s toute ai<strong>de</strong> <strong>et</strong> faveur possibles, car cela est<br />
une <strong><strong>de</strong>s</strong> principales raisons pour lesquelles nous vous avons envoyé là-bas ».<br />
Le fait qu’à l’époque ottomane, les Vénitiens per<strong>de</strong>nt au profit <strong>de</strong> nouveaux<br />
venus <strong>de</strong> l’ouest <strong>de</strong> l’Europe la place qui avait été la leur à l’époque byzantine (où<br />
seuls les Génois étaient pour eux <strong><strong>de</strong>s</strong> concurrents sérieux) n’exclut pas, bien au<br />
contraire, la nécessité pour le baile <strong>de</strong> protéger <strong>et</strong> d’essayer <strong>de</strong> promouvoir, dans<br />
ce contexte difficile, l’activité <strong>de</strong> ses nationaux. Dans c<strong>et</strong>te tâche, il est assisté,<br />
comme à l’époque précé<strong>de</strong>nte, par un conseil <strong>de</strong> douze marchands (qui perdra<br />
toutefois <strong>de</strong> son importance après la guerre <strong>de</strong> Chypre) <strong>et</strong>, d’autre part, par le
684 GILLES VEINSTEIN<br />
réseau <strong><strong>de</strong>s</strong> consuls <strong>de</strong> Venise, que le sultan confirme par <strong><strong>de</strong>s</strong> exæquatur appelés<br />
berat. Ces consuls, comme l’a montré M. Géraud Poumarè<strong>de</strong> dans sa thèse, ne<br />
dépen<strong>de</strong>nt d’ailleurs pas tous au même titre du baile : si ce <strong>de</strong>rnier gar<strong>de</strong>, comme<br />
au Moyen Âge, le droit <strong>de</strong> nommer <strong><strong>de</strong>s</strong> consuls dans les zones proches d’Istanbul,<br />
les anciens <strong>et</strong> prestigieux consuls <strong>de</strong> Syrie <strong>et</strong> d’Egypte restent désignés par le<br />
Maggior Consiglio <strong>et</strong> il leur arrive <strong>de</strong> correspondre directement avec la Porte qui<br />
leur donne volontiers, à eux aussi, le titre <strong>de</strong> bailes (ces <strong>de</strong>ux consulats qui auront<br />
perdu beaucoup <strong>de</strong> leur importance seront finalement supprimés au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
années 1670). De même, Venise créera <strong><strong>de</strong>s</strong> postes consulaires nouveaux dans les<br />
colonies qui lui auront été enlevées par les Ottomans, <strong>et</strong> ces postes seront laissés à<br />
la discrétion d’une institution créée par Venise au début du xvi e siècle pour<br />
réactiver son commerce, les Cinque savi alla mercanzia.<br />
Pour ce qui est du rôle du baile comme chef <strong>de</strong> sa nation, il se poursuit tout<br />
naturellement au sein <strong>de</strong> la structure communautaire <strong>de</strong> l’Empire ottoman. Non<br />
seulement la Porte le reconnaît comme représentant <strong>de</strong> sa communauté, mais,<br />
comme nous l’avons vu, elle lui offre son appui dans l’exercice <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te responsabilité.<br />
Si, en revanche, les ‘ahdnâme ne citent pas expressément son rôle politique qui en<br />
fait non pas seulement un consul mais un authentique ambassa<strong>de</strong>ur, les autorités<br />
ottomanes le reconnaissent d’autant plus naturellement dans les faits que les<br />
problèmes politiques avec Venise ne manquent pas <strong>et</strong> que, dans la paix comme dans<br />
la guerre, elles ont besoin <strong>de</strong> c<strong>et</strong> interlocuteur que viennent d’ailleurs fréquemment<br />
rejoindre à Constantinople <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs extraordinaires quand les circonstances<br />
le réclament. Les rapports étroits (<strong>et</strong> même, semble-t-il, amicaux) ayant pu exister<br />
entre un Marc’Antonio Barbaro, baile au moment <strong>de</strong> la guerre <strong>de</strong> Chypre <strong>et</strong> le grand<br />
vizir Sokollu Mehmed pacha, sont emblématiques <strong>de</strong> la place que le représentant<br />
vénitien peut tenir dans la capitale ottomane. Au surplus, la Porte m<strong>et</strong> à profit sa<br />
présence pour bénéficier <strong>de</strong> l’incomparable réseau d’informations vénitien sur la<br />
situation politique <strong>et</strong> militaire <strong><strong>de</strong>s</strong> Etats européens, particulièrement <strong>de</strong> ceux qui<br />
l’intéressent le plus. Elle compense en partie par ce biais, sa propre absence <strong>de</strong><br />
rési<strong>de</strong>nts à l’extérieur. Conscientes <strong>de</strong> c<strong>et</strong> atout dans leur jeu avec les Turcs, les<br />
autorités vénitiennes élaborent complaisamment <strong><strong>de</strong>s</strong> sortes <strong>de</strong> bull<strong>et</strong>ins<br />
d’information, les avvisi, qu’elles font traduire en turc à l’intention <strong>de</strong> leurs<br />
partenaires ottomans. Ces <strong>de</strong>rniers en sont friands <strong>et</strong> atten<strong>de</strong>nt avec impatience leur<br />
arrivée à Istanbul, accordant un crédit total au renseignement vénitien.<br />
Ce rôle politique notable est ce qui fait tout l’attrait <strong>de</strong> la fonction auprès <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
diplomates vénitiens. Ottavio Bon, en 1604, comparait l’office à un jardin « dans<br />
lequel les roses <strong>et</strong> les autres fleurs sont les affaires publiques, tandis que les épines<br />
<strong>et</strong> les mauvaises herbes sont les affaires <strong><strong>de</strong>s</strong> personnes privées, ayant trait à leurs<br />
bateaux, aux contrats qu’elles font <strong>et</strong> aux avanies qui leur sont imposées… »<br />
Cependant, c’est aussi ce rôle politique qui fait le danger <strong>de</strong> la fonction, dans le<br />
contexte mouvementé <strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre le Grand Turc <strong>et</strong> la République (outre<br />
que c<strong>et</strong>te fonction est onéreuse <strong>et</strong> expose par ailleurs le détenteur aux terribles<br />
épidémies sévissant en Orient).
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 685<br />
Les Ottomans ont en eff<strong>et</strong> pour principe <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre aux arrêts, soit en les j<strong>et</strong>ant<br />
carrément en prison, soit en les assignant du moins à rési<strong>de</strong>nce les ambassa<strong>de</strong>urs<br />
(<strong>et</strong> tous les ressortissants qui tombent entre leurs mains) <strong><strong>de</strong>s</strong> pays avec lesquels ils<br />
sont en guerre. Cela s’applique d’ailleurs aussi bien aux ambassa<strong>de</strong>urs extraordinaires<br />
qu’aux rési<strong>de</strong>nts, mais les seconds, au moins, par nature, seront toujours à<br />
disposition. Les Vénitiens en ont fait l’expérience dès avant la conquête <strong>de</strong><br />
Constantinople, lors <strong>de</strong> la guerre vénéto-ottomane pour la possession <strong>de</strong> Salonique<br />
(1425-1430). A en croire certaines chroniques, les <strong>de</strong>ux ambassa<strong>de</strong>urs successifs<br />
(Nicolo Zorzi <strong>et</strong> Giacomo Dandolo) auraient non seulement été emprisonnés mais<br />
mis à mort par leurs geôliers, ce qui n’arrivera plus par la suite. Paolo Pr<strong>et</strong>o dit<br />
même que la prison pouvait parfois être « dorée » <strong>et</strong> que la détention n’était pas<br />
toujours très sévère. Par exemple, lors <strong>de</strong> la guerre vénéto-ottomane <strong>de</strong> 1537-1540,<br />
le baile est bien entendu emprisonné, mais il sera libéré dès novembre 1539 pour<br />
assister aux gran<strong><strong>de</strong>s</strong> fêtes <strong>de</strong> circoncision <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux fils <strong>de</strong> Soliman le Magnifique<br />
auxquelles il est convié (il est vrai que <strong><strong>de</strong>s</strong> pourparlers <strong>de</strong> paix étaient d’ores <strong>et</strong> déjà<br />
engagés ; Charrière, I, p. 417). Pendant c<strong>et</strong>te même guerre, un autre représentant<br />
vénitien, le consul à Damas, également aux arrêts dans la forteresse <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ville,<br />
n’en entr<strong>et</strong>ient pas moins une abondante correspondance avec le gouverneur<br />
vénitien <strong>de</strong> Chypre. A c<strong>et</strong>te fin, comme lui-même le confie, il utilise les services<br />
d’ « un janissaire digne <strong>de</strong> confiance ». Le fait que les guerres avec Venise soient<br />
considérées comme <strong><strong>de</strong>s</strong> crises certes graves mais passagères <strong>et</strong> qui doivent<br />
immanquablement, une fois les buts <strong>de</strong> guerre atteints, être suivies d’une reprise<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> bonnes relations habituelles, explique la relative modération présidant à ces<br />
détentions. Impulsions intempestives <strong>et</strong> tentatives d’intimidation n’étaient toutefois<br />
pas exclues. On rapporte ainsi qu’au début <strong>de</strong> la guerre <strong>de</strong> Crète, le sultan Ibrahim<br />
aurait eu l’intention <strong>de</strong> faire exécuter le baile <strong>de</strong> Venise. Il aurait fallu l’intervention<br />
du grand vizir, du grand mufti <strong>et</strong> <strong>de</strong> plusieurs autres dignitaires pour l’en dissua<strong>de</strong>r<br />
<strong>et</strong> le ramener au principe traditionnel <strong>de</strong> la simple captivité (Hammer, X, p. 112).<br />
C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière, appliquée aux Vénitiens comme elle le sera à tout ambassa<strong>de</strong>ur<br />
dont le pays entrait en guerre avec le sultan, répondait, semble-t-il, à <strong>de</strong>ux<br />
motivations : il fallait interdire à l’agent du pays ennemi toute activité d’espionnage<br />
<strong>et</strong> menées subversives ; mais il y avait sans doute aussi dans la mesure une dimension<br />
<strong>de</strong> rétorsion, <strong>de</strong> vengeance dont l’ambassa<strong>de</strong>ur faisait les frais, en même temps<br />
qu’un chantage plus ou moins explicite exercé à travers lui sur son gouvernement:<br />
il <strong>de</strong>venait alors pleinement l’otage qu’il avait été virtuellement jusque là. Un<br />
témoignage en est fourni, se rapportant non à un ambassa<strong>de</strong>ur vénitien, mais au<br />
comportement <strong>de</strong> Soliman le Magnifique vis-à-vis <strong>de</strong> Malvezzi, ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong><br />
Ferdinand <strong>de</strong> Habsbourg. Lorsque ce <strong>de</strong>rnier réclama au sultan l’élargissement <strong>de</strong><br />
son ambassa<strong>de</strong>ur, il lui fut rétorqué que « les ambassa<strong>de</strong>urs répondaient <strong>de</strong> la<br />
parole donnée par leurs maîtres <strong>et</strong> [que], en leur qualité d’otages, ils <strong>de</strong>vaient<br />
expier la violation » (Charrière, II, p. 211). Même, sous contrôle (quelles que<br />
fussent les circonstances, aucun ambassa<strong>de</strong>ur chrétien en poste à Istanbul ne fut<br />
jamais exécuté), c<strong>et</strong>te prise en otage <strong><strong>de</strong>s</strong> représentants étrangers fut fortement<br />
exploitée à l’appui <strong>de</strong> la thèse, selon laquelle les Ottomans restaient en <strong>de</strong>hors du
686 GILLES VEINSTEIN<br />
droit <strong><strong>de</strong>s</strong> gens, donnaient l’exemple emblématique <strong>de</strong> la violation <strong><strong>de</strong>s</strong> immunités<br />
diplomatiques. Lorsque Wickford, auteur <strong>de</strong> L’ambassa<strong>de</strong>ur <strong>et</strong> ses fonctions <strong>et</strong><br />
diplomate lui-même, s’attira par ses activités d’espionnage une arrestation dans le<br />
pays où il représentait le duc <strong>de</strong> Brunswick-Lunebourg, la Hollan<strong>de</strong>, il compare<br />
naturellement ses geôliers aux barbares turcs :<br />
« Les avanies étaient autrefois particulières aux Turcs, écrit-il, mais, <strong>de</strong>puis<br />
quelque temps, elles se sont si bien communiquées à la chrétienté que les circoncis<br />
y pourraient venir apprendre quelque chose <strong>de</strong> plus que ce qu’ils savent ».<br />
Le cas français<br />
Si Venise a, la première, longtemps avant les autres Etats européens, j<strong>et</strong>é les bases<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> représentations permanentes à Istanbul, elle n’avait fait qu’obtenir<br />
progressivement <strong>de</strong> Mehmed II <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses successeurs, le rétablissement intégral <strong>de</strong><br />
la position <strong>de</strong> son principal agent diplomatique <strong>et</strong> commercial en Méditerranée<br />
orientale : le baile. Les sultans s’étaient peu à peu laissés convaincre <strong>de</strong> revenir sur<br />
ce point comme sur divers autres au statu quo antérieur à la conquête. Par rapport<br />
à ces particularités du cas vénitiens, le cas français apparaît dans toute sa singularité,<br />
son exceptionnalité. L’ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> n’aura donc pas été la première,<br />
contrairement à ce qui sera durablement la version officielle française, soucieuse<br />
d’appuyer sur l’antériorité chronologique du représentant du roi sa primauté<br />
hiérarchique dans le corps diplomatique stambouliote, comme, plus généralement,<br />
un traitement privilégié <strong><strong>de</strong>s</strong> Français dans l’Empire ottoman. En revanche, elle<br />
présente l’originalité d’être une innovation absolue.<br />
Le rapprochement franco-ottoman naît <strong>de</strong> l’antagonisme entre François 1 er <strong>et</strong><br />
Charles-Quint, héritier <strong><strong>de</strong>s</strong> « rois catholiques » d’Espagne <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> ducs <strong>de</strong> Bourgogne,<br />
chef <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> Habsbourg <strong>et</strong> Empereur élu du Saint Empire romain<br />
germanique. Charles-Quint s’oppose aux prétentions italiennes du Valois (sur<br />
Gênes <strong>et</strong> Milan, voire sur le royaume <strong>de</strong> Naples). Lui-même a <strong><strong>de</strong>s</strong> revendications<br />
sur l’héritage bourguignon <strong>et</strong> il constitue une menace pour le royaume qu’il<br />
encercle presque entièrement <strong>de</strong> ses possessions. La <strong>France</strong> cherche un contrepoids<br />
à ce redoutable adversaire en nouant <strong><strong>de</strong>s</strong> contacts avec les Etats chrétiens du reste<br />
<strong>de</strong> l’Europe (Pologne, Hongrie, Transylvanie), mais elle n’y trouve pas un se<strong>cours</strong><br />
suffisant. La situation <strong>de</strong>vient critique en 1525, à la suite <strong>de</strong> la défaite <strong>de</strong> Pavie <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> l’emprisonnement <strong>de</strong> François 1 er à Madrid. C’est alors que la régente, Louise<br />
<strong>de</strong> Savoie, mère du roi, <strong>et</strong> le roi lui-même se déci<strong>de</strong>nt à tourner le dos à la politique<br />
traditionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> « rois très-chrétiens » vis-à-vis <strong>de</strong> l’islam en général <strong>et</strong> en <strong>de</strong>rnier<br />
lieu, vis-à-vis <strong><strong>de</strong>s</strong> Ottomans. Le roi, en grave difficulté, est <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur <strong>et</strong> le sultan,<br />
Soliman le Magnifique, immédiatement conscient <strong><strong>de</strong>s</strong> avantages symboliques <strong>et</strong><br />
stratégiques d’une telle alliance, accor<strong>de</strong> son amitié à un prince dont il ne méconnaît<br />
nullement la place sur l’échiquier européen — amitié qu’il inscrit d’emblée dans<br />
un rapport inégalitaire <strong>de</strong> protecteur à protégé. Compte tenu <strong>de</strong> l’innovation<br />
scandaleuse que représente ce rapprochement, la <strong>France</strong> fait d’abord appel dans
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 687<br />
une première phase à <strong><strong>de</strong>s</strong> émissaires secr<strong>et</strong>s ou au moins discr<strong>et</strong>s, le cas échéant<br />
officiellement accrédités auprès du roi <strong>de</strong> Hongrie <strong>et</strong> non directement auprès du<br />
sultan. Tout <strong>de</strong>vrait se passer à l’insu, non seulement <strong>de</strong> l’ennemi, mais d’une<br />
partie <strong>de</strong> l’entourage du roi qui désapprouve entièrement c<strong>et</strong>te orientation. Le<br />
« secr<strong>et</strong> du roi » n’en est pas moins rapi<strong>de</strong>ment éventé par le réseau d’espions <strong>de</strong><br />
Charles-Quint. La connivence avec l’Infidèle est violemment dénoncée ; le désastre<br />
hongrois <strong>de</strong> Mohács <strong>de</strong> 1526 lui est imputé ; les agents du roi sont traqués entre<br />
<strong>France</strong> <strong>et</strong> Turquie. Pour remplir <strong><strong>de</strong>s</strong> missions aussi délicates <strong>et</strong> dangereuses auprès<br />
<strong>de</strong> son nouvel allié, bien différentes <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> ordinaires, François 1 er choisira<br />
dans une première phase <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes au profile particulier : ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> étrangers<br />
(le cas échéant <strong>de</strong> haute lignée), ayant une certaine connaissance <strong>et</strong> expérience <strong>de</strong><br />
l’est <strong>et</strong> du sud <strong>de</strong> l’Europe <strong>et</strong> résolument en rupture avec le système politique <strong>de</strong><br />
Charles-Quint, <strong><strong>de</strong>s</strong> esprits avisés en même temps que <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes d’action<br />
intrépi<strong><strong>de</strong>s</strong>. Interviendront ainsi dans les premières années <strong>de</strong> l’alliance, le croate<br />
Jean-François Frangipani, le Castillan Antonio Rincon, le Napolitain César<br />
Cantelmo, un autre Italien, Camillo Orsino, le marchand Ragusain Séraphin<br />
Guč<strong>et</strong>ić (ou Séraphin <strong>de</strong> Gozo). A ce <strong>de</strong>rnier, il reviendra <strong>de</strong> négocier secrètement<br />
avec le grand vizir Ibrahim pacha, à Alep, au printemps 1534, le premier traité<br />
franco-ottoman, une « trêve marchan<strong>de</strong> » dont le genre hybri<strong>de</strong> trahit bien la<br />
difficulté à donner forme — une forme avouable — à une entente sans précé<strong>de</strong>nt.<br />
François 1 er ne la publiera qu’en janvier 1535, acte signifiant sa volonté d’afficher<br />
désormais ouvertement son union avec le Turc.<br />
Pour Soliman <strong>et</strong> ses pachas qui, <strong>de</strong> leur côté, ne font pas les distinguos auxquels les<br />
Européens sont attachés, entre les différentes sortes <strong>et</strong> les « caractères » inégaux <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
ambassa<strong>de</strong>urs, ces émissaires d’un genre particulier, sont purement <strong>et</strong> simplement<br />
les « ambassa<strong>de</strong>urs (elçi) du pâdișâh <strong>de</strong> <strong>France</strong> » auxquels sont rendus les honneurs<br />
correspondant à l’état <strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre le sultan <strong>et</strong> le prince qu’ils représentent <strong>et</strong><br />
dont l’incognito n’est nullement respecté, dès lors qu’il est utile au sultan <strong>de</strong> faire<br />
sonner bien haut leur présence aux oreilles <strong>de</strong> leurs adversaires. L’agent Antonio<br />
Rincon sera ainsi reçu par Soliman, en juill<strong>et</strong> 1532, dans son camp <strong>de</strong> Belgra<strong>de</strong><br />
comme un ambassa<strong>de</strong>ur à part entière. Des coups <strong>de</strong> canon seront tirés ; les tentes<br />
seront illuminées — un spectacle <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné à impressionner les <strong>de</strong>ux émissaires <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Habsbourg, Joseph <strong>de</strong> Lamberg <strong>et</strong> Léonard <strong>de</strong> Nogarella, également présents dans le<br />
camp <strong>et</strong> impatients <strong>de</strong> faire avancer leurs négociations avec les Turcs. Comme le<br />
note le journal <strong>de</strong> campagne <strong>de</strong> Soliman, le 5 juill<strong>et</strong>, l’ambassa<strong>de</strong>ur français, ainsi<br />
que celui du roi <strong>de</strong> Pologne <strong>et</strong> les envoyés <strong>de</strong> Ferdinand, sont admis au baisemain<br />
avec le cérémonial observé dans la campagne précé<strong>de</strong>nte, celle <strong>de</strong> 1529, à l’occasion<br />
<strong>de</strong> la réception du roi <strong>de</strong> Hongrie, Jean Zapolya (Hammer, V, p. 478).<br />
Par rapport à c<strong>et</strong>te première phase, <strong>de</strong> l’avis général <strong><strong>de</strong>s</strong> historiens <strong><strong>de</strong>s</strong> relations<br />
franco-ottomanes, l’ambassa<strong>de</strong> à Constantinople <strong>de</strong> Jean <strong>de</strong> la Forêt (Jehan <strong>de</strong> la<br />
Forest), en 1535, aurait marqué un tournant. Il est en eff<strong>et</strong> unanimement considéré<br />
comme le premier véritable ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> <strong>France</strong> auprès du sultan : non plus un<br />
simple agent mais un ambassa<strong>de</strong>ur en titre <strong>et</strong> établi à <strong>de</strong>meure ; par conséquent
688 GILLES VEINSTEIN<br />
un ambassa<strong>de</strong>ur permanent. En fait, <strong><strong>de</strong>s</strong> sources précises sur ce qu’ont été alors les<br />
intentions <strong><strong>de</strong>s</strong> gouvernants français, les débats qu’a pu susciter le suj<strong>et</strong>, les décisions<br />
prises, n’ont pas été mis au jour (contrairement aux cas anglais <strong>et</strong> hollandais que<br />
nous verrons plus loin). Nous <strong>de</strong>vons donc déduire <strong><strong>de</strong>s</strong> quelques faits connus. Le<br />
profile <strong>de</strong> La Forêt est tout à fait distinct <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> ses prédécesseurs : c’est un<br />
Français, originaire <strong>de</strong> la Limagne, en Auvergne, <strong>de</strong>venu « notaire <strong>et</strong> secrétaire du<br />
roi » ; un clerc attaché à la maison du chancelier Duprat, un <strong><strong>de</strong>s</strong> grands artisans<br />
<strong>de</strong> l’alliance franco-ottomane qui rédigera d’ailleurs ses instructions. Rien d’un<br />
aventurier par conséquent. Cependant, c’est aussi un homme qui avait voyagé dans<br />
sa jeunesse ; qui avait résidé à Rome, à Venise <strong>et</strong> à Florence ; qui avait été l’élève<br />
<strong>de</strong> Lascaris, émigré <strong>de</strong> Constantinople <strong>et</strong> bibliothécaire érudit <strong>de</strong> Laurent <strong>de</strong><br />
Médicis. Il avait acquis ainsi <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances en grec ancien <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> en<br />
italien, qui pourraient être utiles à sa mission. Par ailleurs, comme il convient à un<br />
véritable ambassa<strong>de</strong>ur, La Forêt avait été doté d’une suite qui comprenait<br />
notamment un secrétaire, Charles <strong>de</strong> Marillac, son propre cousin, ainsi qu’un<br />
érudit, prodigieux polyglotte, Guillaume Postel. Ce <strong>de</strong>rnier était chargé <strong>de</strong><br />
rechercher <strong><strong>de</strong>s</strong> manuscrits grecs. Sa présence donnait une teinture « culturelle » à<br />
la délégation : facteur <strong>de</strong> prestige mais peut-être aussi masque <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné à en dissimuler<br />
l’obj<strong>et</strong> véritable. Autre particularité <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ambassa<strong>de</strong> qui n’est probablement pas<br />
fortuite : pour la première fois, on a conservé, dans les archives <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires<br />
étrangères, le texte <strong><strong>de</strong>s</strong> instructions remises à l’ambassa<strong>de</strong>ur avant son départ.<br />
Duprat y a détaillé les offres <strong>et</strong> les <strong>de</strong>man<strong><strong>de</strong>s</strong> que l’ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>vait présenter<br />
successivement à l’amiral <strong>de</strong> la flotte, Hayreddîn Barberousse à Alger, puis au<br />
sultan lui-même à Istanbul. Certaines précautions avaient été prises pour ne pas<br />
faire apparaître le roi comme trahissant, <strong>de</strong> son propre chef, la cause <strong>de</strong> la solidarité<br />
chrétienne, mais c’est bien <strong>de</strong> plans d’action militaire concertée avec le sultan qu’il<br />
s’agissait très précisément, ainsi que d’une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’ai<strong>de</strong> financière (« ung million<br />
d’or »). En revanche, le texte qui nous est parvenu ne précise rien sur ce qui nous<br />
préoccupe ici : la nature exacte <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong> conçue par le roi <strong>et</strong> son chancelier.<br />
La l<strong>et</strong>tre royale que La Forêt <strong>de</strong>vrait rem<strong>et</strong>tre à Soliman en disait assurément plus<br />
à ce suj<strong>et</strong>, mais nous ignorons jusqu’à quel point puisque c<strong>et</strong>te l<strong>et</strong>tre a disparu <strong>et</strong><br />
que nous ne connaissons d’elle que l’allusion du sultan dans sa réponse, comme<br />
nous le verrons plus loin. Pourquoi, à ce sta<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> relations bilatérales, établir une<br />
ambassa<strong>de</strong> permanente <strong>et</strong> comment la concevait-on ? Nous connaissons, en général,<br />
la propension <strong>de</strong> François 1 er à l’établissement d’ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> permanentes puisque<br />
d’une seule qui existait au début <strong>de</strong> son règne, il en portera le nombre à dix à la<br />
fin. Quelle durée était envisagée pour celle-là ? La seule indication dont nous<br />
disposions à c<strong>et</strong> égard est le relevé selon lequel La Forêt avait reçu du Trésor, le<br />
13 janvier 1535, la somme <strong>de</strong> 11 260 livres tournois « pour sa dépense <strong>de</strong> 563 jours<br />
qu’il pourroit vacquer en l’estat <strong>et</strong> charge d’ambassa<strong>de</strong>ur pour le Roy <strong>de</strong>vers aucuns<br />
Princes <strong>et</strong> seigneurs du Pays d’aultre mer [Barberousse <strong>et</strong> Soliman qu’on évitait <strong>de</strong><br />
nommer] ». C<strong>et</strong>te durée — grosso modo un an <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi — correspondait-elle à la<br />
durée totale prévue (en fonction <strong>de</strong> quels critères ?) ou s’agissait-il d’un premier<br />
versement, à compléter éventuellement ? Rétrospectivement, la mission <strong>de</strong> La
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 689<br />
Forêt aura duré <strong>de</strong>ux ans <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi, mais cela ne renseigne guère sur les intentions<br />
françaises initiales puisque <strong>de</strong>ux impondérables interviendront : la décision <strong>de</strong><br />
Soliman d’emmener l’ambassa<strong>de</strong>ur avec lui en Albanie dans sa campagne <strong>de</strong> 1537,<br />
puis le décès <strong>de</strong> La Forêt à Vlorë (Avlonya) au début <strong>de</strong> septembre 1537.<br />
Par ailleurs, un autre document apporte quelque lumière sur ce que pourrait être à<br />
l’avenir un rési<strong>de</strong>nt français à la Porte : les passages concernant le « baile <strong>de</strong> <strong>France</strong> »<br />
dans ce qu’on a trop longtemps considéré à tort comme les capitulations <strong>de</strong> 1536<br />
entre François 1 er <strong>et</strong> Soliman le Magnifique. Il s’agit en réalité d’un texte préparatoire<br />
<strong>de</strong> traité, rédigé par La Forêt (Rincon le caractérisera en 1539 comme « <strong><strong>de</strong>s</strong> articles<br />
<strong>et</strong> capitulations qu’autrefois, du vivant d’Ibrahim Bacha, le feu <strong>de</strong> La Forest avoit<br />
faites <strong>et</strong> proposées » ; Charrière, I, p. 413-414) ; peut-être après discussion avec<br />
Ibrahim pacha (le texte y fait allusion mais il pourrait s’agir d’une simple anticipation<br />
<strong>de</strong> ce qui aurait dû se produire). Ce proj<strong>et</strong> ne fut jamais ratifié <strong>et</strong> promulgué par le<br />
sultan, <strong>et</strong> il n’entra donc pas en vigueur. Une <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons possibles <strong>de</strong> l’interruption<br />
du processus est l’exécution du grand vizir, le 5 mars 1536. La genèse du texte <strong>de</strong><br />
La Forêt pose également question : l’obtention <strong>de</strong> capitulations faisait-elle partie<br />
<strong>de</strong> sa mission (mais ses instructions n’en soufflent mot) ou prit-il l’initiative d’engager<br />
une négociation sur ce point, <strong>et</strong> le choix <strong><strong>de</strong>s</strong> articles était-il <strong>de</strong> son fait ? Quoi qu’il en<br />
soit, les articles r<strong>et</strong>enus proviennent en droite ligne du modèle vénitien <strong>et</strong> le terme <strong>de</strong><br />
baile appliqué au représentant français confirme bien la filiation. Si on y r<strong>et</strong>rouve les<br />
principales prérogatives du baile vénitien, telles que nous les avons r<strong>et</strong>racées plus<br />
haut, il est à noter que le rédacteur du texte français a écarté ce qui, dans le précé<strong>de</strong>nt<br />
vénitien, fixait la durée <strong>de</strong> séjour du baile <strong>et</strong> instituait son remplacement automatique<br />
au bout <strong>de</strong> trois ans. D’une manière générale, le baile français dont La Forêt a<br />
esquissé le portrait, fait, dirions-nous, profile bas. Le lieu <strong>de</strong> sa rési<strong>de</strong>nce elle-même<br />
est laissé dans le vague : « Constantinople, Péra ou autre lieu <strong>de</strong> c<strong>et</strong> empire ». Bien<br />
plus, le rédacteur note à chaque fois que les prérogatives <strong>de</strong>mandées pour lui sont<br />
celles d’un baile ou d’un consul. D’une manière générale, rien ne distingue vraiment<br />
le baile envisagé d’un simple consul, tel que la <strong>France</strong> en possè<strong>de</strong> déjà un : le consul<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Français <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Catalans d’Alexandrie — poste qui date <strong>de</strong> l’époque mamelouke<br />
<strong>et</strong> dont, précisément, Soliman a récemment, en 1528, confirmé les privilèges.<br />
Comment expliquer c<strong>et</strong>te r<strong>et</strong>enue sinon par un double souci : d’un côté, celui <strong>de</strong> ne<br />
pas trop comprom<strong>et</strong>tre ni engager le roi <strong>de</strong> <strong>France</strong> ; d’un autre celui <strong>de</strong> ne pas<br />
effaroucher le sultan par une innovation trop ambitieuse dont il risquerait <strong>de</strong> prendre<br />
ombrage ? On discerne bien là la différence avec le cas vénitien : la relation vénétoottomane<br />
était structurelle pour les <strong>de</strong>ux pays. La relation avec la <strong>France</strong> n’est encore<br />
que conjoncturelle. Il est à relever aussi pour mieux situer la place <strong>de</strong> La Forêt que<br />
lui-même ne s’assimile pas personnellement à ce baile dont il esquisse la mo<strong><strong>de</strong>s</strong>te<br />
figure : dans le préambule <strong>de</strong> son texte, il se désigne au contraire comme « conseillersecrétaire<br />
<strong>et</strong> ambassa<strong>de</strong>ur du très-excellent <strong>et</strong> très-puissant prince François ».<br />
Si les conditions d’élaboration <strong>de</strong> l’innovation française ne nous sont ainsi pas<br />
entièrement connues, il est clair en tout cas qu’elle ne fit l’obj<strong>et</strong> d’aucune<br />
concertation préalable avec le sultan <strong>et</strong> que celui-ci ne fut pas même averti qu’était
690 GILLES VEINSTEIN<br />
envoyé vers lui, en ce printemps <strong>de</strong> 1535, un ambassa<strong>de</strong>ur d’un genre inédit,<br />
différent, par exemple, <strong>de</strong> celui qu’il recevra le 26 mai suivant, dans le cadre <strong>de</strong> sa<br />
campagne <strong>de</strong> Baghdad, à la frontière <strong>de</strong> l’Irak <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Syrie. Le journal <strong>de</strong> campagne<br />
désigne ce <strong>de</strong>rnier comme França kralının elçisi, sans plus <strong>de</strong> précision : il s’agit<br />
vraisemblablement, comme l’a montré autrefois Jorjo Tadić, <strong>de</strong> Séraphin <strong>de</strong> Gozo,<br />
accomplissant là une nouvelle mission. Pour le reste, l’ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong> La Forêt fut<br />
marquée par la malchance : lorsqu’il débarque à Istanbul le 8 juin 1535 (comme<br />
l’attestent les documents <strong>de</strong> Simanca découverts par Jean Aubin), le sultan <strong>et</strong> le<br />
grand vizir sont absents, menant au loin leur campagne contre la Perse. Il est reçu<br />
par le gouverneur <strong>de</strong> la capitale, un simple sancakbey <strong>et</strong> il est si mal reçu qu’on<br />
peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si c<strong>et</strong> officier avait été seulement informé <strong>de</strong> l’arrivée <strong>de</strong> ce<br />
représentant <strong>de</strong> l’allié <strong>de</strong> son maître (qui avait dû pourtant bénéficier d’un saufconduit)<br />
: à en croire le récit d’un témoin direct, Postel, il l’aurait accusé <strong>de</strong> n’être<br />
qu’un espion « explorateur du royaume » (Le thrésor <strong><strong>de</strong>s</strong> prophéties <strong>de</strong> l’Univers) <strong>et</strong><br />
il fallut bien <strong>de</strong> la présence d’esprit au nouveau venu pour se tirer <strong>de</strong> ce mauvais<br />
pas. Il eut ensuite à attendre dans une relative inaction le r<strong>et</strong>our à Istanbul <strong>de</strong> ses<br />
interlocuteurs : Ibrahim pacha à qui ses instructions prescrivaient <strong>de</strong> s’adresser en<br />
premier, <strong>et</strong> le sultan lui-même. Peu après ce r<strong>et</strong>our, l’exécution d’Ibrahim pacha<br />
prive l’ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> son partenaire privilégié. Dans ces conditions, il faudra<br />
attendre le 5 avril 1536 (soit dix mois après l’arrivée <strong>de</strong> La Forêt) pour que Soliman<br />
accuse enfin réception à François 1 er <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres d’accréditation <strong>de</strong> son ambassa<strong>de</strong>ur.<br />
Dans l’importante l<strong>et</strong>tre émise ce jour, le sultan relate au roi l’accueil qui a été<br />
réservé à son ambassa<strong>de</strong>ur — un accueil qui, peut-être en raison <strong><strong>de</strong>s</strong> circonstances<br />
politiques particulières, n’a, paradoxalement, pas été aussi honorifique que pour<br />
ses prédécesseurs : il a été reçu par le « divan sublime », <strong>de</strong>vant lequel il a fait part<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> instructions reçues <strong>de</strong> son maître, <strong>et</strong>, dans un second temps ses propos ont été<br />
rapportés au sultan. C<strong>et</strong>te formulation laisse supposer qu’Ibrahim pacha était<br />
encore en fonction au moment <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te audience <strong>et</strong> qu’en ne mentionnant pas le<br />
grand vizir, mais seulement le « divan sublime », Soliman ne fait que sacrifier à la<br />
damnatio memoriæ <strong>de</strong> son ancien favori. Il reste que si La Forêt a eu droit à<br />
l’audience <strong><strong>de</strong>s</strong> vizirs, il n’a pas été admis au baisemain, c’est-à-dire à l’audience du<br />
sultan qui suivait généralement <strong>et</strong> dont Rincon, par exemple, comme nous l’avons<br />
vu, avait bénéficié. Mais par ailleurs, le sultan rassure pleinement son correspondant<br />
sur la poursuite <strong>de</strong> leur amitié <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur concor<strong>de</strong>, dans <strong><strong>de</strong>s</strong> formules rituelles qui<br />
prennent cependant ici une force particulière, après la condamnation d’Ibrahim<br />
pacha. Enfin le sultan réagit à l’initiative diplomatique du roi que, manifestement,<br />
il n’a découverte qu’après son r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> Perse : « vous avez ordonné à votre<br />
ambassa<strong>de</strong>ur susdit <strong>de</strong> <strong>de</strong>meurer ici, à notre Porte <strong>de</strong> félicité : qu’il <strong>de</strong>meure ! ».<br />
L’ambassa<strong>de</strong> permanente est donc acceptée, mais sans le moindre commentaire <strong>et</strong><br />
sans la moindre précision : c’est le bon plaisir du prince qui fait <strong>et</strong> défait sans<br />
explication. Il n’y aucune garantie pour l’avenir comme les Vénitiens en avaient<br />
fait inscrire dans leurs ‘ahdnâme.
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 691<br />
D’ailleurs dans le contexte d’étroite collaboration militaire avec la <strong>France</strong>, le<br />
sultan ne tar<strong>de</strong> pas à constater l’intérêt d’avoir constamment sous la main un<br />
intermédiaire avec son allié qu’il considère comme étant autant à son service <strong>et</strong><br />
soumis à ses ordres qu’à ceux du roi. Peut-être y voit-il également le vivant symbole,<br />
aux yeux <strong>de</strong> l’Europe chrétienne, du coin qu’il a enfoncé en son sein. Ainsi<br />
s’expliquerait qu’il tienne à se faire accompagner dans sa gran<strong>de</strong> campagne maritime<br />
<strong>et</strong> terrestre <strong>de</strong> 1537 par l’ambassa<strong>de</strong>ur <strong>et</strong> sa suite, une pratique qui se reproduisit<br />
par la suite, en faveur <strong>de</strong> son successeur d’Aramon. Au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> revirements<br />
continuels <strong>de</strong> l’allié français, ce rési<strong>de</strong>nt était aussi un otage. Le secrétaire <strong>de</strong> La<br />
Forêt, Marillac, qui exercera l’intérim après la mort du premier, y voyait la véritable<br />
raison du refus du sultan <strong>de</strong> lui accor<strong>de</strong>r le congé qu’il désirait ar<strong>de</strong>mment, « soubz<br />
couleur <strong>de</strong> dire qu’il n’a homme avec qui il puisse traicter les affaires ».<br />
L’ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Forêt ne fut pas heureuse : il échoua à maintenir <strong>de</strong> bonnes<br />
relations entre Venise <strong>et</strong> la Porte. La campagne <strong>de</strong> 1537 qui fut marquée par le<br />
siège <strong>de</strong> Corfu, possession vénitienne, signifiait son échec <strong>et</strong>, frappé par la peste,<br />
il y laissa la vie. Marillac renvoya alors en <strong>France</strong> les membres <strong>de</strong> la suite du défunt<br />
pour qui tout ce séjour semble n’avoir été qu’une longue épreuve, « tant pour avoir<br />
souffert en ce pays l’espace <strong>de</strong> trois ans tant <strong>de</strong> travaulx, maladies, ennuys <strong>et</strong><br />
fascheryes avec ceste barbare nation qu’il leur serait trop grief en endurer<br />
davantaige ». Triste oraison pour une première ambassa<strong>de</strong> !<br />
Le principe <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs rési<strong>de</strong>nts à Istanbul n’en fut pas moins maintenu<br />
par la <strong>France</strong>, mais on revint pour les successeurs immédiats <strong>de</strong> La Forêt au type<br />
d’hommes <strong><strong>de</strong>s</strong> premières missions : Rincon lui-même remplaça La Forêt après<br />
l’intérim <strong>de</strong> Marillac puis ce fut au tour d’un Français <strong>de</strong> nouveau, mais un<br />
militaire, « général <strong><strong>de</strong>s</strong> galères », le capitaine Polin. Tous <strong>de</strong>ux furent vivement<br />
appréciés par le sultan. Il est difficile <strong>de</strong> parler d’ambassa<strong>de</strong>urs rési<strong>de</strong>nts dans leur<br />
cas puisqu’ils se déplacèrent beaucoup, aussi bien d’ailleurs sur ordre du sultan que<br />
sur celui du roi. Polin surtout, fit l’admiration <strong>de</strong> l’Europe pour la rapidité <strong>de</strong> ses<br />
allées <strong>et</strong> r<strong>et</strong>ours entre la <strong>France</strong> <strong>et</strong> la Turquie. Quant à Rincon, traqué <strong>de</strong>puis<br />
longtemps par les Habsbourgeois, c’est à un r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> <strong>France</strong> où il s’était rendu<br />
sur ordre <strong>de</strong> Soliman, qu’il fut assassiné sur le Pô par les hommes du gouverneur<br />
du Milanais, le marquis <strong>de</strong>l Vasto, le 2 juill<strong>et</strong> 1541. Néanmoins, quand les titulaires<br />
étaient ainsi absents <strong>de</strong> Constantinople, <strong><strong>de</strong>s</strong> « chargés d’affaires » tenaient<br />
l’ambassa<strong>de</strong> à leur place. Les documents officiels ottomans en prirent acte en leur<br />
attribuant le titre <strong>de</strong> kaymakam. Gabriel <strong>de</strong> Lu<strong>et</strong>z, seigneur d’Aramon, fut ainsi le<br />
kaymakam <strong>de</strong> Polin. Il n’en correspond pas moins directement avec le sultan,<br />
décidément peu soucieux du rang <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs, par <strong><strong>de</strong>s</strong> bill<strong>et</strong>s ou par<br />
l’intermédiaire du chef <strong><strong>de</strong>s</strong> eunuques blancs, le kapı ağa. La conclusion du traité<br />
<strong>de</strong> Crépy en Valois le m<strong>et</strong> un moment dans une position délicate. Quand,<br />
longtemps privé <strong>de</strong> toutes instructions, d’Aramon déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> rentrer en <strong>France</strong> pour<br />
être éclairé sur les intentions du roi, le kaymakam laisse un autre kaymakam à sa<br />
place : Jean-Jacques <strong>de</strong> Cambray, « homme <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> littérature, orné <strong>de</strong> plusieurs<br />
<strong>et</strong> diverses langues », selon le portrait que brossera <strong>de</strong> lui Nicolas <strong>de</strong> Nicolay.
692 GILLES VEINSTEIN<br />
D’Aramon est renvoyé par François 1 er à Istanbul, c<strong>et</strong>te fois comme ambassa<strong>de</strong>ur<br />
à part entière. Le roi, au soir <strong>de</strong> sa vie, veut relancer une nouvelle fois la coopération<br />
avec le Turc, attendant désormais <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier qu’il attaque non plus en Italie<br />
mais en Hongrie, <strong>et</strong> qu’il lance sa flotte sur la côte d’Afrique. Il s’agit aussi <strong>de</strong><br />
contrer les manœuvres à la Porte <strong>de</strong> Veltwick, l’ambassa<strong>de</strong>ur <strong><strong>de</strong>s</strong> Habsbourg, qui<br />
cherche à prolonger la trêve austro-ottomane, Pour faire oublier ses atermoiements<br />
passés <strong>et</strong> regagner auprès du sultan un prestige bien entamé, François 1 er donne à<br />
c<strong>et</strong>te ambassa<strong>de</strong> un lustre sans précé<strong>de</strong>nt : elle apporte <strong><strong>de</strong>s</strong> présents somptueux <strong>et</strong><br />
comprend une suite splendi<strong>de</strong>. C<strong>et</strong>te ambassa<strong>de</strong> durera six ans <strong>et</strong> verra le passage<br />
du règne <strong>de</strong> François 1 er à celui <strong>de</strong> Henri II qui, après un moment <strong>de</strong> flottement,<br />
confirmera pleinement la politique pro-ottomane <strong>de</strong> son père.<br />
C’est avec l’ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong> Gabriel d’Aramon qui va durer six ans qu’on prend<br />
pleinement la mesure <strong>de</strong> ce que signifie une ambassa<strong>de</strong> permanente française à<br />
Constantinople. Unique représentation étrangère dans la capitale ottomane<br />
(excepté, bien entendu, le cas vénitien qui est décidément à part), elle matérialise<br />
la relation étroite, la concertation permanente existant dans la pério<strong>de</strong> entre les<br />
<strong>de</strong>ux Etats. Le crédit <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong>ur se manifeste avec un éclat sans précé<strong>de</strong>nt,<br />
notamment à l’occasion <strong>de</strong> sa participation, à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> Henri II, à la première<br />
phase <strong>de</strong> la campagne <strong>de</strong> Perse, dite <strong>de</strong> Tabriz, <strong>de</strong> 1548-1549, durant laquelle<br />
lui-même <strong>et</strong> sa suite voyagent dans l’équipage le plus magnifique : « quelle gloire<br />
pour c<strong>et</strong> ambassa<strong>de</strong>ur <strong>et</strong> pour sa nation française, écrira Brantôme, <strong>de</strong> tenir tel rang<br />
auprès du plus grand monarque du mon<strong>de</strong> ». Même constatation chez Jacques<br />
Gassot : « Je pense que <strong>de</strong> nostre temps jamais ambassa<strong>de</strong>ur ne chemina en tel<br />
ordre, équipage <strong>et</strong> réputation ». Il se manifeste également par la communication<br />
directe existant, dans les moments forts <strong>de</strong> la coopération, entre le sultan <strong>et</strong> lui. Le<br />
premier prend sur lui <strong>de</strong> le renvoyer en <strong>France</strong> en janvier 1551 pour communiquer<br />
ses plans au roi. A son r<strong>et</strong>our, il l’invitera à prendre part à la campagne navale <strong>de</strong><br />
l’été 1552, en le dotant <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux galères à c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong>. En même temps, l’ambassa<strong>de</strong>ur,<br />
en vertu <strong>de</strong> sa personnalité propre, est le point <strong>de</strong> rencontre d’une pléia<strong>de</strong> d’hommes<br />
<strong>de</strong> l<strong>et</strong>tres <strong>et</strong> savants français qui, dans un esprit bien caractéristique <strong>de</strong> la Renaissance,<br />
affluent alors vers la Turquie (Pierre Belon, Jean Chesneau, Jacques Gassot,<br />
Guillaume Postel, Pierre Gilles, Nicolas <strong>de</strong> Nicolay).<br />
Néanmoins, conçue <strong>et</strong> maintenue par une volonté française, c<strong>et</strong>te institution<br />
nouvelle ne subsiste que par l’acquiescement <strong>de</strong> fait du sultan qui en reconnaît<br />
pragmatiquement l’utilité <strong>et</strong> qui, concrètement, accor<strong>de</strong> les sauf-conduits (amân-i<br />
șerîf ) nécessaires aux arrivants successifs <strong>et</strong> qui s’inquiète même quand le roi tar<strong>de</strong><br />
à donner un successeur au détenteur précé<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’office. A propos <strong>de</strong> la<br />
confirmation <strong>de</strong> Jean Dolu par Charles IX, Soliman écrit à ce <strong>de</strong>rnier que son<br />
frère, François II, avait précé<strong>de</strong>mment nommé le même Dolu « conformément à<br />
l’usage selon lequel vous avez un ambassa<strong>de</strong>ur à notre Porte <strong>de</strong> Félicité » (Charrière,<br />
II, p. 260). Légitimée par l’usage, l’ambassa<strong>de</strong> permanente (on verra apparaître le<br />
terme <strong>de</strong> mukim pour rendre la notion <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nt) n’a pas d’autre fon<strong>de</strong>ment en<br />
droit ottoman. Elle n’est pas, comme son antécé<strong>de</strong>nt vénitien, inscrite dans un
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 693<br />
‘ahdnâme. Le besoin ne se fait pas sentir <strong>de</strong> donner suite aux articles que La Forêt<br />
avait esquissés à ce suj<strong>et</strong>. Chose remarquable, les premières capitulations qui seront<br />
accordées à la <strong>France</strong>, celles <strong>de</strong> 1569, émises par Selim II à l’instigation d’un<br />
envoyé extraordinaire, Clau<strong>de</strong> du Bourg, font silence sur la question <strong>de</strong><br />
l’ambassa<strong>de</strong>ur, <strong>et</strong>, notamment, ne reprennent pas les proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> La Forêt sur ce<br />
point. Elles n’apportent aucune sanction a posteriori <strong>de</strong> ce qui existait <strong>de</strong> facto<br />
<strong>de</strong>puis trente cinq ans. Faut-il y voir l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’hostilité <strong>de</strong> du Bourg <strong>et</strong> du grand<br />
vizir Sokollu Mehmed pacha à l’encontre <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong>ur en titre du moment,<br />
Grantrie <strong>de</strong> Grandchamp ?<br />
La mention <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong>ur dans les ‘ahdnâme accordés à la <strong>France</strong> n’apparaîtra<br />
en fait pour la première fois que dans la version <strong>de</strong> 1581, l’article correspondant<br />
ne portant pas sur l’existence même <strong>de</strong> c<strong>et</strong> officier qui, sans doute, n’a plus besoin<br />
à c<strong>et</strong>te époque, d’être établie, mais (outre les droits <strong>de</strong> justice <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong>ur <strong>et</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> consuls enfin reconnus) sur la préséance <strong>de</strong> celui-ci par rapport aux autres<br />
ambassa<strong>de</strong>urs présents à Constantinople. Par la suite, d’autres mentions relatives<br />
aux prérogatives <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> <strong>France</strong>, figureront dans les capitulations<br />
ultérieures. Pour revenir à la question <strong>de</strong> la préséance française, dont le seul fait<br />
qu’elle était posée dans les années 1580, en disait long sur les changements <strong>de</strong> la<br />
conjoncture diplomatique <strong>et</strong> <strong>de</strong> la place <strong>de</strong> la <strong>France</strong> à la Porte, avait été soulevée<br />
par un événement anecdotique, les funérailles du baile <strong>de</strong> Venise, Nicolo Barbarigo.<br />
A c<strong>et</strong>te occasion, un ambassa<strong>de</strong>ur (extraordinaire <strong>et</strong> non pas rési<strong>de</strong>nt) d’Espagne,<br />
Giovanni Margliani (Don Margliano) avait prétendu prendre le pas dans la<br />
cérémonie sur le Français Jacques <strong>de</strong> Germigny. A la suite <strong>de</strong> c<strong>et</strong> inci<strong>de</strong>nt qui eut<br />
pour conséquence qu’aucun ambassa<strong>de</strong>ur ne fut finalement convié aux obsèques,<br />
le gouvernement du sultan d’alors, Murad III, accepta <strong>de</strong> reconnaître la préséance<br />
française, non seulement dans sa l<strong>et</strong>tre à Henri III <strong>de</strong> juill<strong>et</strong> 1580, mais en la<br />
gravant dans le marbre <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations renouvelées qu’il lui accorda peu après,<br />
en la justifiant sur l’antériorité <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong> française <strong>et</strong>, plus largement, sur celle<br />
<strong>de</strong> la lignée royale française par rapport à celles <strong>de</strong> tous les autres princes <strong>et</strong> roi<br />
chrétiens. C<strong>et</strong>te complaisance avait une explication : dans le même temps, le sultan<br />
était en négociations avec un autre concurrent <strong>de</strong> la <strong>France</strong>, dont la rivalité<br />
s’avérerait bien plus durable, l’Angl<strong>et</strong>erre.<br />
Le cas anglais<br />
Quelques marchands anglais commencent à lancer <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations commerciales<br />
dans l’Empire ottoman vers le milieu du xvi e siècle <strong>et</strong> y font preuve d’un grand<br />
dynamisme. Ils comprennent l’intérêt <strong>de</strong> court-circuiter les intermédiaires vénitiens<br />
dans les importations d’Orient <strong>et</strong> ils éprouvent rapi<strong>de</strong>ment le besoin <strong>de</strong> s’affranchir<br />
<strong>de</strong> l’obligation <strong>de</strong> naviguer sous pavillon français. C<strong>et</strong>te obligation les rendait<br />
dépendants <strong>et</strong> entraînait le versement aux consuls français <strong>de</strong> droits dits <strong>de</strong><br />
« consulage » qui se montaient à 2 % <strong>de</strong> la valeur <strong><strong>de</strong>s</strong> cargaisons. Le droit <strong>de</strong><br />
pavillon était une conséquence <strong>de</strong> la position quasi-monopolistique <strong>de</strong> la <strong>France</strong><br />
en tant qu’alliée du sultan. Il s’appliquait à toutes les autres nations chrétiennes
694 GILLES VEINSTEIN<br />
(Venise exceptée) voulant commercer avec l’empire, la protection française les<br />
m<strong>et</strong>tant à l’abri <strong><strong>de</strong>s</strong> risques <strong>de</strong> leur situation <strong>de</strong> harbi, c’est-à-dire d’infidèles en<br />
guerre avec les musulmans. Reconnu dans les faits, dès les débuts <strong>de</strong> l’alliance<br />
franco-ottomane, le droit <strong>de</strong> pavillon français fait l’obj<strong>et</strong> d’une allusion dès les<br />
capitulations françaises <strong>de</strong> 1569, <strong>et</strong> sera expressément officialisé dans les suivantes.<br />
Outre les Anglais, plusieurs autres Etats tentaient vers la même époque d’échapper<br />
à c<strong>et</strong>te tutelle française en nouant ou renouant <strong><strong>de</strong>s</strong> liens directs avec Istanbul :<br />
Florence, Gênes, Milan, Lucques. Mais l’Anglais William Harborne, factor <strong>et</strong><br />
émissaire <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux négociants, Edward Osborne <strong>et</strong> Richard Staper, arrivé dans<br />
l’empire en 1578, fera preuve <strong>de</strong> la plus gran<strong>de</strong> efficacité. L’ouvrage <strong>de</strong> Suzanne<br />
Skilitter, William Harborne and the Tra<strong>de</strong> with Turkey (1578-1582) (Oxford,<br />
1977) qui a rassemblé <strong>et</strong> analysé <strong>de</strong> près toute la documentation sur la question,<br />
reste un gui<strong>de</strong> précieux. Il apparaît que si le facteur premier du rapprochement<br />
spectaculaire qui s’accomplit alors entre l’Angl<strong>et</strong>erre <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> Elisab<strong>et</strong>h <strong>et</strong><br />
l’empire <strong>de</strong> Murad III, est bien l’initiative anglaise, d’inspiration essentiellement<br />
commerciale (même si <strong><strong>de</strong>s</strong> considérations politiques viendront l’appuyer), le sultan<br />
y répond avec un empressement exceptionnel. Plusieurs raisons l’expliquent : il est<br />
alors englué dans une longue guerre avec la Perse au Caucase. A l’ouest, il se sent<br />
menacé par la politique <strong>de</strong> puissance du « roi catholique » Philippe II <strong>et</strong> redoute<br />
particulièrement les escadres <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier en Méditerranée (les flottes d’Espagne,<br />
<strong>de</strong> Naples <strong>et</strong> <strong>de</strong> Sicile). Contre ce danger, le roi <strong>de</strong> <strong>France</strong> n’est plus l’allié chrétien<br />
idéal qu’il avait été, du fait <strong>de</strong> l’affaiblissement du royaume pris dans la tourmente<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> guerres <strong>de</strong> religion <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> pressions espagnoles sur le pays. Il n’est pas question<br />
pour autant d’en finir avec l’amitié acquise avec ce pays, ce qui serait insulter<br />
l’avenir. Mais si la <strong>France</strong> reste en conséquence ménagée (<strong>et</strong> si le r<strong>et</strong>ard <strong>de</strong> cinq<br />
ans mis par Henri III à envoyer son nouvel ambassa<strong>de</strong>ur, Jacques <strong>de</strong> Germigny est<br />
mal perçu), c’est bien l’Angl<strong>et</strong>erre qui répond le mieux aux nécessités <strong>de</strong> l’heure,<br />
à la fois comme puissance navale prom<strong>et</strong>teuse <strong>et</strong> comme nation protestante. A ce<br />
second titre, elle présente le grand avantage au regard <strong><strong>de</strong>s</strong> Ottomans <strong>de</strong> ne pas être<br />
tenue par les interdits pontificaux d’exportation d’armes, d’étain <strong>et</strong> d’autres métaux<br />
en leur faveur. Dans ces conditions, à la suite <strong><strong>de</strong>s</strong> premières démarches <strong>de</strong> Harborne,<br />
le sultan prend l’initiative d’adresser une l<strong>et</strong>tre à la reine Elisab<strong>et</strong>h. C<strong>et</strong>te l<strong>et</strong>tre du<br />
7 mars 1579, conservée dans la traduction latine effectuée par un drogman <strong>de</strong> la<br />
Porte, Mustafa, qui avait été jointe à l’original, est un cas unique puisque, pour la<br />
première fois, un sultan prend les <strong>de</strong>vants <strong>et</strong> adresse à un prince chrétien autre<br />
chose qu’une réponse. Il fait part à la reine <strong><strong>de</strong>s</strong> ordres qu’il a donnés à ses agents<br />
en tous lieux pour que les marchands anglais, sur terre comme sur mer, ne soient<br />
pas molestés mais traités comme les Français <strong>et</strong> les Polonais (c’est-à-dire les<br />
ressortissants <strong>de</strong> pays ayant obtenu <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations). Le sultan, certes, ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />
pas l’envoi d’un ambassa<strong>de</strong>ur mais signale son entière bonne volonté à l’égard <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
ressortissants anglais. Contrairement aux assurances données à Henri III, le sultan<br />
ne se soucie nullement, dans ces premiers contacts avec la reine, <strong>de</strong> passer par<br />
l’intermédiaire français, malgré la volonté exprimée par le roi « que toutes ces<br />
choses se fassent à son intervention <strong>et</strong> non autrement ». Dans la foulée, Harborne
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 695<br />
obtient sans peine en 1580 <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations analogues aux capitulations françaises<br />
<strong>de</strong> 1569, au grand dam <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs français <strong>et</strong> vénitien. Ces <strong>de</strong>rniers croient<br />
prendre leur revanche quand, peu après, un inci<strong>de</strong>nt diplomatique, l’attaque <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux bateaux grecs se rendant <strong>de</strong> Patmos à Venise par un vaisseau corsaire anglais,<br />
le Bark Roe, interrompt le processus <strong>de</strong> ratification <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations anglaises.<br />
Germigny obtient même dans le renouvellement <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations françaises <strong>de</strong><br />
1581, la mention explicite <strong>de</strong> l’Angl<strong>et</strong>erre parmi les nations <strong>de</strong>vant naviguer sous<br />
pavillon français. Néanmoins, Harborne, ses commanditaires <strong>et</strong> les autres marchands<br />
concernés vont tout faire à Londres pour faire aboutir, en dépit du contr<strong>et</strong>emps,<br />
le processus engagé, en s’assurant le con<strong>cours</strong> <strong>de</strong> la reine <strong>et</strong> <strong>de</strong> son gouvernement.<br />
Ils créent en septembre 1581 une société marchan<strong>de</strong>, la Turkey Company. Une<br />
autre sera créée en 1583, la Venice Company. Les <strong>de</strong>ux seront réunies en 1592,<br />
sous l’appellation <strong>de</strong> Levant Company. Celle-ci <strong>de</strong>viendra fameuse en tenant au<br />
xvii e siècle la première place dans le commerce européen au Levant. Les marchands<br />
sont convaincus que la ratification <strong>de</strong> leurs capitulations <strong>et</strong>, au-<strong>de</strong>là, la protection<br />
<strong>de</strong> leurs droits <strong>et</strong> garanties au Levant, ne peuvent être assurées que par l’envoi d’un<br />
ambassa<strong>de</strong>ur permanent à Istanbul. Comme les Vénitiens bien avant eux, les<br />
Anglais établissent un lien nécessaire entre capitulations <strong>et</strong> ambassa<strong>de</strong> permanente,<br />
ce que les Français dont l’objectif était avant tout politique, n’ont pas fait dans un<br />
premier temps, <strong>et</strong> ce que les Polonais m<strong>et</strong>tront encore beaucoup plus <strong>de</strong> temps à<br />
faire. Les marchands <strong>de</strong> Londres cherchent à convaincre la reine qu’elle n’atteindra<br />
ces buts que « having her agent there contynualie resi<strong>de</strong>nt ». La reine <strong>et</strong> son<br />
gouvernement n’y sont pas hostiles en principe (Angl<strong>et</strong>erre <strong>et</strong> Turquie ont bien un<br />
ennemi commun : Philippe II), mais les considérations financières amènent <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
échanges <strong>de</strong> vue entre la company <strong>et</strong> le gouvernement, pour déterminer la part <strong>de</strong><br />
chacun dans les dépenses entraînées par la mise sur pied <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong>, les<br />
dédommagement fiscaux auxquels la company pourrait prétendre en échange <strong>de</strong> sa<br />
contribution, <strong>et</strong> d’autre part sur la nature même <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ambassa<strong>de</strong>, question liée<br />
à celle <strong>de</strong> son coût. A travers quelques pétitions <strong>et</strong> memoranda qui ont subsisté,<br />
nous recueillons <strong><strong>de</strong>s</strong> échos <strong><strong>de</strong>s</strong> débats qui ont eu lieu sur les diverses solutions<br />
envisageables, dont nous n’avions pas trouvé l’équivalent dans le cas français.<br />
A propos <strong>de</strong> l’importance du ca<strong>de</strong>au à présenter au sultan, on se <strong>de</strong>mandait par<br />
exemple s’il fallait envoyer un représentant permanent (dont le caractère serait à<br />
déterminer) ou un simple nuncio, c’est-à-dire un envoyé <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxième ordre, qui<br />
rentrerait après avoir remis son ca<strong>de</strong>au, ayant, le cas échéant, été accompagné par<br />
un subalterne, un simple agent, qui, quant à lui, resterait sur place. On voit, peu<br />
après, que le principe d’un ambassa<strong>de</strong>ur permanent a été finalement r<strong>et</strong>enu <strong>et</strong><br />
qu’on entend obtenir pour lui le traitement le plus honorifique : il <strong>de</strong>vra recevoir<br />
du sultan une allocation (ta‘yin) maximale <strong>et</strong> être reçu par celui-ci, à son arrivée<br />
<strong>et</strong> à son départ. Il sera autorisé à rester au plus cinq ans (dans le cas français,<br />
rappelons-le, la durée n’a, au contraire, jamais été fixée). Après quoi, il laissera<br />
<strong>de</strong>rrière lui un agent pour trois ans. C’est bien ce qui arrivera dans les faits :<br />
William Harborne, compte tenu <strong>de</strong> son expérience <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses succès passés sera<br />
nommé ambassa<strong>de</strong>ur <strong>et</strong> séjournera cinq ans à Istanbul où il fera définitivement
696 GILLES VEINSTEIN<br />
ratifier les capitulations anglaises en 1583. Son secrétaire, Edward Barton lui<br />
succé<strong>de</strong>ra <strong>et</strong> rési<strong>de</strong>ra pendant trois ans, <strong>de</strong> 1583 à 1591.<br />
Ce succès anglais était un revers pour la <strong>France</strong> dont l’ambassa<strong>de</strong>ur Savary <strong>de</strong><br />
Lancosme se dédommagera en prétendant que lui seul était ambassa<strong>de</strong>ur à<br />
Constantinople, Barton, quant à lui, n’étant jamais qu’un marchand. Le jugement<br />
(ou le préjugé) n’était pas tout à fait sans fon<strong>de</strong>ment dans la mesure où l’ambassa<strong>de</strong>ur<br />
d’Angl<strong>et</strong>erre restera l’employé à la fois du gouvernement <strong>et</strong> <strong>de</strong> la company,<br />
dépendant financièrement <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux, même si, le plus souvent, le roi s’en réservera<br />
la désignation. S’occupant principalement du commerce, il peut également acquérir<br />
dans certaines circonstances un rôle politique substantiel <strong>et</strong> ses instructions<br />
comportent en tout état <strong>de</strong> cause « la découverte <strong>de</strong> toutes les négociations <strong>et</strong><br />
intrigues susceptibles <strong>de</strong> troubler la chrétienté ». Comprenant rapi<strong>de</strong>ment qu’ils<br />
n’étaient pas en position <strong>de</strong> faire revenir la Porte sur l’existence d’un rési<strong>de</strong>nt<br />
« protestant » (Luteran elçisi pour les Turcs ) <strong>et</strong> <strong>de</strong> capitulations anglaises, les<br />
ambassa<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> <strong>France</strong>, notamment celui <strong>de</strong> Henri IV, Savary <strong>de</strong> Brèves,<br />
s’efforcent du moins, non sans peine <strong>et</strong> sans déboires, <strong>de</strong> préserver leur droit <strong>de</strong><br />
pavillon sur les nations tierces, Savary <strong>de</strong> Brèves ne dédaignant nullement <strong>de</strong> se<br />
faire délivrer <strong><strong>de</strong>s</strong> f<strong>et</strong>vâ par les șeyh ül-islâm à c<strong>et</strong>te fin, récemment présentées par<br />
M. Viorel Panaite ( BNF, fonds turc ancien n° 130 ; Bloch<strong>et</strong>, p. 53). A l’extrême<br />
fin du xvi e <strong>et</strong> au début du xvii e siècle, les « Hollandais » ou, plus exactement, les<br />
ressortissants <strong><strong>de</strong>s</strong> Provinces-Unies, en dissi<strong>de</strong>nce par rapport au roi d’Espagne,<br />
<strong>de</strong>vinrent l’enjeu principal <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te concurrence, compte tenu <strong>de</strong> leur percée<br />
notable, au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1590, dans le commerce du Levant. En 1598, la<br />
<strong>France</strong> obtient du sultan qu’un nișân soit accordé aux Hollandais, reconnaissant<br />
leur droit, dès lors qu’ils naviguent sous pavillon français, à bénéficier <strong>de</strong> toutes les<br />
garanties <strong>de</strong> la capitulation française, telle qu’elle avait été renouvelée, l’année<br />
précé<strong>de</strong>nte (ibid., ms 130, fol. 161v). En 1609, le grand vizir Kuyucu Murad<br />
pacha rendit son arbitrage entre les <strong>de</strong>ux rivaux en donnant la protection <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
ressortissants <strong><strong>de</strong>s</strong> provinces du sud, catholiques <strong>et</strong> ralliés au maître espagnol à la<br />
<strong>France</strong>, <strong>et</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> ressortissants <strong><strong>de</strong>s</strong> provinces du nord, principalement protestants<br />
<strong>et</strong> restés en dissi<strong>de</strong>nce (malgré une trêve <strong>de</strong> douze ans conclue en 1609 avec le roi<br />
d’Espagne, Philippe III) à l’Angl<strong>et</strong>erre. L’arbitrage, sous son apparente équité,<br />
favorisait en réalité l’Angl<strong>et</strong>erre puisque c’était surtout <strong><strong>de</strong>s</strong> marchands <strong><strong>de</strong>s</strong> provinces<br />
du nord (avant tout la Hollan<strong>de</strong> <strong>et</strong> la Zélan<strong>de</strong>) qui commerçaient avec le Levant.<br />
Au <strong>de</strong>meurant, c<strong>et</strong> arrangement eut peu <strong>de</strong> conséquences puisque les Etats-<br />
Généraux <strong><strong>de</strong>s</strong> provinces du nord obtinrent peu après leurs propres capitulations.<br />
Le cas hollandais<br />
Nous sommes aidés pour r<strong>et</strong>racer les débuts <strong><strong>de</strong>s</strong> relations entre l’Empire ottoman<br />
<strong>et</strong> la Hollan<strong>de</strong> par les publications fondamentales, remontant au début du xx e siècle,<br />
<strong>de</strong> K. Heeringa <strong>et</strong> les excellentes étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, n<strong>et</strong>tement plus récentes, <strong>de</strong> G.R. Bosscha<br />
Erdbrink (1975) <strong>et</strong> surtout A. H. <strong>de</strong> Groot (1978). Aux yeux <strong><strong>de</strong>s</strong> Ottomans, les<br />
Provinces-Unies présentaient <strong><strong>de</strong>s</strong> avantages comparables à ceux <strong>de</strong> l’Angl<strong>et</strong>erre,
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 697<br />
adaptés aux nécessités du moment. Il s’agissait d’un Etat protestant, comme tel<br />
non tenu par les interdits pontificaux sur les exportations d’armes <strong>et</strong> <strong>de</strong> matériel<br />
stratégique en direction <strong><strong>de</strong>s</strong> pays musulmans ; qui n’avait plus rien à prouver <strong>de</strong><br />
son hostilité à l’Espagne contre laquelle il était en rébellion ouverte <strong>de</strong>puis la fin<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> années 1560. Il s’agissait enfin d’une puissance navale montante, alors que<br />
c’était sur mer que les Turcs se sentaient menacés par les ambitions espagnoles.<br />
A c<strong>et</strong> égard, un événement fit beaucoup pour la réputation <strong><strong>de</strong>s</strong> Hollandais : la<br />
victoire en 1607 <strong>de</strong> l’amiral hollandais van Heemskerk sur la flotte espagnole à<br />
Gibraltar. De leur côté, les Provinces-Unies ne pouvaient qu’être intéressées par<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> relations directes avec les Ottomans : ce serait un moyen d’échapper aux<br />
tutelles française <strong>et</strong> anglaise sur leur commerce levantin <strong>et</strong>, également, pensait-on,<br />
<strong>de</strong> faciliter la libération <strong>de</strong> leurs compatriotes capturés par les corsaires barbaresques,<br />
fléau dont souffrait la navigation hollandaise, à l’instar <strong><strong>de</strong>s</strong> autres navigations<br />
européennes. L’initiative prise par les Hollandais en 1604 <strong>de</strong> libérer les musulmans<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> chiourmes <strong>de</strong> l’escadre espagnole qu’ils avaient vaincue à Sluis dans les Flandres<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> les renvoyer à leurs frais dans leurs pays d’origine, n’avait pas entraîné la<br />
réciprocité attendue, <strong>et</strong> la question restait entière. Il est probable, dans ces<br />
conditions, que <strong>de</strong> premiers contacts aient été pris très tôt entre les <strong>de</strong>ux parties<br />
aux intérêts objectivement concordants : on en a <strong><strong>de</strong>s</strong> indices, même si ces menées,<br />
secrètes par nature, <strong>de</strong>meurent obscures <strong>et</strong> sont <strong>de</strong> toutes façons restées sans eff<strong>et</strong>.<br />
Les choses se précisent en tout cas aux len<strong>de</strong>mains <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires <strong>de</strong> Sluis <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
Gibraltar : <strong><strong>de</strong>s</strong> « messieurs bons offices », avi<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> jouer les intermédiaires<br />
incontournables entrent en scène comme ce Giacomo Ghisbrechti (Jacob Gijbertz),<br />
orfèvre <strong>et</strong> joaillier à Galata <strong>et</strong> qui a <strong><strong>de</strong>s</strong> frères marchands à Venise ; ou comme c<strong>et</strong><br />
ancien voiévo<strong>de</strong> <strong>de</strong> Moldavie, Stefan Bogdan, qui avait eu l’occasion <strong>de</strong> se rendre<br />
en Hollan<strong>de</strong> vers 1591. Mais l’élément déterminant est une initiative officielle.<br />
Elle ne provient pas du centre du pouvoir, c’est-à-dire qu’elle n’émane pas<br />
directement du sultan Ahmed 1 er lui-même, ni <strong>de</strong> son grand-vizir Nasuh pacha,<br />
alors en campagne en Perse, ni même du lieutenant (kaymakam) <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier à<br />
Istanbul, Gürci Mehmed pacha, mais du moins d’un très haut dignitaire, Halîl<br />
pacha, qui est alors grand amiral (kapudan pașa) <strong>et</strong> membre du divan impérial.<br />
Natif <strong>de</strong> Maraş <strong>et</strong> issu du <strong>de</strong>vșirme, il avait gravi les échelons d’une gran<strong>de</strong> carrière<br />
ottomane, occupant notamment la fonction <strong>de</strong> grand fauconnier qui l’avait mis en<br />
rapport avec les ambassa<strong>de</strong>urs étrangers dont il s’était fait hautement apprécier. Par<br />
la suite, dans c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> politiquement très troublée allant du règne d’Ahmed<br />
1 er à celui <strong>de</strong> Murad IV, il connaîtra <strong><strong>de</strong>s</strong> hauts <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> bas, mais sera <strong>de</strong> nouveau,<br />
à plusieurs reprises, kapudan pașa <strong>et</strong> même grand vizir, faisant preuve d’une<br />
incontestable habil<strong>et</strong>é à rebondir <strong>et</strong> à se maintenir dans les allées du pouvoir. Il est<br />
à noter que c’est en tant que kapudan pașa, lors <strong>de</strong> sa première affectation à ce<br />
poste, qu’il a donné l’impulsion décisive au rapprochement ottomano-hollandais<br />
— illustration emblématique d’un phénomène plus général : la place <strong><strong>de</strong>s</strong> kapudan<br />
pașa ou du moins <strong><strong>de</strong>s</strong> plus ouverts <strong>et</strong> luci<strong><strong>de</strong>s</strong> d’entre eux- dans les relations <strong>de</strong><br />
l’Empire ottoman avec le mon<strong>de</strong> extérieur <strong>et</strong>, notamment, les Etats européens :<br />
Hayreddin Barberousse avait joué un rôle crucial dans les débuts <strong>de</strong> l’alliance
698 GILLES VEINSTEIN<br />
franco-ottomane ; Kılıç ‘Ali pacha avait été l’interlocuteur privilégié <strong>et</strong> le conseiller<br />
<strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> <strong>France</strong> Germigny. Un autre Grand Amiral, Çigalaza<strong>de</strong> Sinan<br />
pacha, avait favorisé au contraire l’ambassa<strong>de</strong>ur d’Angl<strong>et</strong>erre Henry Lello en lui<br />
perm<strong>et</strong>tant d’obtenir les capitulations très avantageuses <strong>de</strong> 1601. En ce qui<br />
concerne Halîl pacha, la gran<strong>de</strong> idée stratégique qu’il conçoit alors <strong>et</strong> à laquelle il<br />
restera fidèle dans la suite <strong>de</strong> sa carrière, est celle d’une alliance entre l’Empire<br />
ottoman, le Maroc du sultan Moulay-Zaydan <strong>et</strong> les Provinces-Unies, conjuguant<br />
leurs forces contre l’Espagne. Pourtant, c<strong>et</strong>te idée reposait sur un malentendu dans<br />
la mesure où le kapudan sous-estimait les difficultés inhérentes aux relations entre<br />
l’Empire ottoman <strong>et</strong> le Maroc, entre le Maroc <strong>et</strong> les Provinces-Unies, <strong>et</strong> surtout<br />
s’illusionnait sur les véritables intentions <strong><strong>de</strong>s</strong> Hollandais : ces <strong>de</strong>rniers n’ont que<br />
défiance vis-à-vis <strong><strong>de</strong>s</strong> musulmans <strong>et</strong> s’ils sont pragmatiquement intéressés par un<br />
accord <strong>de</strong> commerce, il n’envisage pas un seul instant une coopération militaire<br />
comme celle qui avait pu exister quatre-vingts ans plus tôt entre la <strong>France</strong> <strong>et</strong><br />
l’Empire ottoman. Ce d’autant moins qu’ils sont alors sous l’influence prépondérante<br />
du Grand Pensionnaire <strong>de</strong> Hollan<strong>de</strong>, van Ol<strong>de</strong>nbarnevelt, pacifiste <strong>et</strong> artisan <strong>de</strong> la<br />
trêve <strong>de</strong> douze ans conclue en 1609 avec le roi d’Espagne Philippe III.<br />
Le premier acte <strong>de</strong> Halîl pacha fut l’envoi en 1610 d’une l<strong>et</strong>tre aux Etats-<br />
Généraux <strong><strong>de</strong>s</strong> Provinces-Unies, acheminée par <strong><strong>de</strong>s</strong> marchands flamands établis à<br />
Venise. La l<strong>et</strong>tre dont l’original est perdu, fut traduite <strong>de</strong> l’ottoman en arabe <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
l’arabe en flamand. C<strong>et</strong>te traduction fut lue aux Etats-Généraux le 22 novembre<br />
1610 <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> copies en furent envoyées aux différents Etats <strong><strong>de</strong>s</strong> sept provinces du<br />
nord. On a conservé aujourd’hui la traduction flaman<strong>de</strong> non <strong>de</strong> la l<strong>et</strong>tre ellemême,<br />
mais d’une l<strong>et</strong>tre d’accompagnement <strong><strong>de</strong>s</strong>tinée au Stadhou<strong>de</strong>r, le prince<br />
Mauritz d’Orange. Selon ce qu’on peut déduire <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te traduction, au <strong>de</strong>meurant<br />
très incertaine (Bosscha-Erdbrink, p. 3), le sultan avait décidé d’accor<strong>de</strong>r ses faveurs<br />
aux Hollandais <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur reconnaître le droit <strong>de</strong> naviguer sous leurs propres<br />
couleurs (c’est-à-dire <strong>de</strong> leur octroyer <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations propres) en Syrie <strong>et</strong> dans le<br />
reste <strong>de</strong> l’Empire ottoman. En outre, le sultan semble avoir exprimé le désir <strong>de</strong><br />
voir un représentant <strong>de</strong> la République à sa Sublime Porte. De telles offres étaient<br />
inédites : pour la première fois, non pas le sultan lui-même, mais du moins un<br />
haut dignitaire ottoman, proposait <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations à un Etat chrétien <strong>et</strong> semblait<br />
même l’inciter à établir un ambassa<strong>de</strong>ur à Constantinople.<br />
En tout état <strong>de</strong> cause, la nature <strong>et</strong> le rang <strong>de</strong> c<strong>et</strong> ambassa<strong>de</strong>ur restaient à définir<br />
par la partie hollandaise, <strong>et</strong> c’est bien ce qui <strong>de</strong>vient obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> discussion dans les<br />
Etats-Généraux <strong>et</strong> les différents Etats provinciaux, dès lors que le principe est<br />
admis d’emblée <strong>de</strong> saisir la main ainsi tendue. On assiste alors à <strong><strong>de</strong>s</strong> débats<br />
analogues à ceux qui avaient existé une quarantaine d’années plus tôt chez les<br />
marchands <strong>de</strong> Londres <strong>et</strong> dans l’entourage <strong>de</strong> la reine Elizab<strong>et</strong>h — ces débats dont<br />
nous avons souligné qu’on ne r<strong>et</strong>rouve pas <strong>de</strong> traces dans le cas français. Les<br />
gouvernants hollandais associent leurs marchands à ces discussions. Ces <strong>de</strong>rniers<br />
jugent indispensable la présence d’un ambassa<strong>de</strong>ur hollandais à Constantinople<br />
pour veiller au respect <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations qui leur seront accordées <strong>et</strong> à leurs intérêts
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 699<br />
en général. De même, le choix <strong>de</strong> la personne qui serait en tout état <strong>de</strong> cause<br />
envoyée, fut vite fait : il s’agissait <strong>de</strong> Cornelis Haga (Corneille <strong>de</strong> La Haye) un<br />
juriste qui avait déjà eu l’occasion <strong>de</strong> se rendre en Turquie <strong>et</strong> qui avait déjà<br />
accompli une mission diplomatique en Suè<strong>de</strong>. La question restait en suspend <strong>de</strong><br />
savoir si on enverrait ce <strong>de</strong>rnier en tant qu’émissaire extraordinaire <strong>et</strong> discr<strong>et</strong>, doté<br />
d’une suite réduite, se contentant d’apporter son ca<strong>de</strong>au <strong>et</strong> <strong>de</strong> négocier <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
capitulations pour rentrer aussitôt sa mission accomplie ou s’il resterait au contraire<br />
comme ambassa<strong>de</strong>ur permanent sur le Bosphore, doté d’un caractère plus élevé <strong>et</strong><br />
d’une suite plus considérable. C’est la première option qui prévalut. Sur ce point<br />
aussi, l’influence <strong>de</strong> Johan van Ol<strong>de</strong>barneveldt fut déterminante : à <strong><strong>de</strong>s</strong> soucis<br />
d’économie, se conjuguait la volonté <strong>de</strong> ne pas s’engager au-<strong>de</strong>là d’un accord<br />
strictement commercial <strong>et</strong> aussi <strong>de</strong> ne pas heurter <strong>de</strong> front les anciens protecteurs<br />
<strong>de</strong> la Hollan<strong>de</strong>, la <strong>France</strong> <strong>et</strong> l’Angl<strong>et</strong>erre. Cornelis Haga débarqua à Yeşilköy (San<br />
Stefano), près d’Istanbul, le 14 mars 1612 dans la plus gran<strong>de</strong> discrétion. Halîl<br />
pacha s’ingénia aussitôt à lever toutes les embûches qui l’attendaient. La principale<br />
opposition à l’entreprise hollandaise provint naturellement <strong>de</strong> ceux dont elle<br />
risquait <strong>de</strong> concurrencer les positions acquises : l’ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Harlay<br />
<strong>de</strong> Sancy, le baile <strong>de</strong> Venise, l’agent autrichien, <strong>et</strong> l’ambassa<strong>de</strong>ur d’Angl<strong>et</strong>erre qui<br />
<strong>de</strong>vait d’ailleurs changer <strong>de</strong> camp, à la mi-avril 1612. Le kapudan pașa, Öküz<br />
Mehmed pacha, successeur <strong>de</strong> Halîl pacha, était également <strong>de</strong> leur côté.<br />
Contrairement à ce qui leur sera reproché ensuite, ces anti-hollandais ne restèrent<br />
pas inactifs, allant jusqu’à faire parvenir un mémorandum au sultan, par-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus la<br />
tête <strong>de</strong> ses ministres dont ils se méfiaient, en se servant <strong>de</strong> l’entremise <strong>de</strong> l’ağa <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
eunuques noirs pour acheminer leur message au fond du sérail, Ce mémorandum<br />
(un ‘arz-u hâl) énonçait que la Hollan<strong>de</strong> (Filandra) n’était nullement un Etat<br />
indépendant, un véritable royaume, mais seulement une province (beylerbeyilik) <strong>de</strong><br />
l’Espagne qui continuait à en dominer effectivement les trois quarts (ce qui était<br />
la vérité). Il n’était donc pas digne du sultan <strong>de</strong> s’allier à <strong>de</strong> telles gens. Au surplus,<br />
les Hollandais ne seraient en aucune façon <strong><strong>de</strong>s</strong> alliés fiables du fait <strong>de</strong> la trêve qu’ils<br />
venaient <strong>de</strong> conclure avec Philippe III d’Espagne, laquelle pouvait au contraire<br />
faire d’eux <strong><strong>de</strong>s</strong> ennemis actifs <strong>de</strong> l’Empire ottoman. On faisait aussi courir le bruit<br />
que Haga n’était qu’un simple courrier qui n’avait pas le pouvoir <strong>de</strong> négocier. De<br />
semblables arguments n’étaient pas sans force <strong>et</strong> pouvaient ruiner le proj<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Hollandais <strong>et</strong> <strong>de</strong> Halîl pacha. Néanmoins, autour <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier, le parti prohollandais<br />
ne manquait pas <strong>de</strong> ressources à son tour. Il réunissait à Istanbul tous<br />
les adversaires les plus résolus du catholicisme <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Espagne. Ils comprenaient,<br />
ceux qu’on appelait les « Grenadins », c’est-à-dire les Morisques persécutés en<br />
Espagne, qui s’étaient réfugiés à Istanbul, mais aussi un prélat orthodoxe, Cyrille<br />
Loukaris, alors patriarche d’Alexandrie, qui <strong>de</strong>viendrait plus tard patriarche <strong>de</strong><br />
Constantinople. A ces premiers appuis s’ajouteront, dans un second temps, d’autres<br />
soutiens <strong>de</strong> taille : celui du șeyh ül-islâm Mehmed, fils <strong>de</strong> Hoca Sa’dü-d-dîn <strong>et</strong> celui<br />
d’un mystique dont l’aura rayonnait <strong>de</strong>puis son couvent d’Üsküdar, qui était le<br />
gui<strong>de</strong> spirituel <strong>de</strong> Halîl pacha, le cheikh Mahmûd Huda’i. Grâce à ces ralliements,<br />
Haga obtenait, un mois <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi après son arrivée, une audience du sultan
700 GILLES VEINSTEIN<br />
Ahmed 1 er par laquelle il était consacré comme ambassa<strong>de</strong>ur. Le 20 mai suivant,<br />
il entamait ses négociations en présentant au kaymakam un proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> capitulations,<br />
traduction ottomane d’un brouillon sorti <strong><strong>de</strong>s</strong> mains <strong>de</strong> Van Ol<strong>de</strong>nbarnevelt en<br />
personne, le grand pensionnaire <strong>de</strong> Hollan<strong>de</strong> agissant en promoteur zélé du<br />
commerce <strong>de</strong> son pays. Le texte qui sera ratifié par le sultan, reprenait celui <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
capitulations françaises <strong>et</strong> anglaises, mais stipulait néanmoins un droit <strong>de</strong> douane<br />
<strong>de</strong> 3 % au lieu <strong><strong>de</strong>s</strong> 5 % réglementaires, ce que les Anglais n’avaient obtenu qu’en<br />
1601 <strong>et</strong> que les Français n’obtiendront qu’en 1675. Haga était reconnu comme<br />
ambassa<strong>de</strong>ur auprès <strong>de</strong> la Porte ottomane, « au même titre que les autres<br />
ambassa<strong>de</strong>urs qui s’y trouvaient présents ». Par ailleurs, le texte restait mu<strong>et</strong>, à<br />
l’instar <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations françaises <strong>et</strong> anglaises, sur la durée <strong>de</strong> son séjour <strong>et</strong> son<br />
mécanisme <strong>de</strong> remplacement, <strong>de</strong> même qu’il était peu disert sur les droits <strong>et</strong><br />
prérogatives <strong>de</strong> c<strong>et</strong> ambassa<strong>de</strong>ur hollandais. Par ailleurs, pour ne pas heurter leurs<br />
anciens protecteurs, les Hollandais s’étaient abstenus <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un droit <strong>de</strong><br />
pavillon à leur profit.<br />
Une fois ces capitulations obtenues, Haga était supposé rentrer à la Haye pour<br />
y porter le rouleau magnifiquement calligraphié <strong>et</strong> enluminé sur lequel elles<br />
figuraient. C<strong>et</strong>te perspective perm<strong>et</strong>tait aux adversaires <strong>de</strong> Haga <strong>de</strong> laisser entendre<br />
que ce r<strong>et</strong>our marquerait la fin <strong>de</strong> toutes les illusions ottomanes sur un appui<br />
militaire <strong><strong>de</strong>s</strong> Hollandais <strong>et</strong> peut-être même <strong>de</strong> la neutralité hollandaise ; que, en<br />
d’autres termes, les Turcs seraient bernés. C’est pour faire taire ces insinuations<br />
troublantes que Halîl pacha poussa son protégé à faire d’une ambassa<strong>de</strong> conçue<br />
comme temporaire une ambassa<strong>de</strong> permanente. Le 6 juill<strong>et</strong> 1612, Haga se voyait<br />
rem<strong>et</strong>tre le texte définitif <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations, <strong>et</strong> il écrivait le même jour aux Etats-<br />
Généraux pour leur expliquer la situation <strong>et</strong> leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r l’autorisation <strong>de</strong> ne pas<br />
quitter Constantinople. Ils répondirent positivement <strong>et</strong> son ambassa<strong>de</strong> temporaire<br />
fut ainsi transformée, sur les instances du dignitaire ottoman, en une ambassa<strong>de</strong><br />
permanente qui <strong>de</strong>vait durer vingt-sept ans. Ce sera d’ailleurs l’attitu<strong>de</strong> ordinaire<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> gouvernements hollandais que <strong>de</strong> laisser leurs ambassa<strong>de</strong>urs à Constantinople<br />
pendant <strong><strong>de</strong>s</strong> durées record, ce qui perm<strong>et</strong>tait à ces <strong>de</strong>rniers <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
connaisseurs incomparables du personnel politique <strong>et</strong> <strong>de</strong> la politique <strong><strong>de</strong>s</strong> sultans.<br />
L’étu<strong>de</strong> comparative <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre cas envisagés confirme que le concept <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> permanentes était au départ doublement étranger aux Ottomans : non<br />
seulement eux-mêmes ne le pratiquèrent pas (pas avant la fin du xviii e siècle), mais<br />
s’ils laissèrent à d’autres le droit <strong>de</strong> le pratiquer chez eux, ce ne fut pas le résultat<br />
d’une attitu<strong>de</strong> volontariste <strong>et</strong> délibérée <strong>de</strong> leur part. Pour <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons diverses <strong>et</strong><br />
dans <strong><strong>de</strong>s</strong> circonstances variées, ils se contentèrent <strong>de</strong> laisser faire, tolérant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
pratiques qui satisfaisaient <strong><strong>de</strong>s</strong> intérêts immédiats <strong>et</strong> flattaient d’autre part leur<br />
orgueil en concrétisant l’image, <strong>de</strong> plus en plus illusoire, d’une Sublime Porte, pôle<br />
d’attraction <strong><strong>de</strong>s</strong> souverains du mon<strong>de</strong>, à laquelle ils manifesteraient leur soumission<br />
en s’y faisant représenter. Se familiarisant avec une pratique importée par certains,<br />
ils l’instrumentalisèrent dans un second temps en l’imposant à d’autres qui ne<br />
l’avaient pas expressément <strong>de</strong>mandée. Le jeu n’était pas sans danger pour
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 701<br />
l’indépendance <strong>de</strong> la Porte car elles accueillait ainsi à domicile <strong><strong>de</strong>s</strong> agents d’influence<br />
dont le poids irait croissant <strong>et</strong> que seules atténueraient les rivalités opposant les<br />
puissances représentées.<br />
SÉMINAIRE : Introduction aux requêtes (‘arz-u hâl)<br />
L’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> européennes à Istanbul conduit naturellement à tenter<br />
d’éluci<strong>de</strong>r leurs métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> travail, les modalités <strong>de</strong> leur communication avec les<br />
autorités ottomanes. Les rencontres <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs avec les sultans sont rares <strong>et</strong><br />
prennent un caractère <strong>de</strong> plus en plus formel <strong>et</strong> même ritualisé. Les entr<strong>et</strong>iens avec le<br />
grand vizir sont eux aussi généralement très protocolaires, quand les circonstances ne<br />
les ren<strong>de</strong>nt pas carrément glaciales, mais il y a cependant <strong><strong>de</strong>s</strong> exceptions : certains<br />
grands vizirs <strong>et</strong> certains ambassa<strong>de</strong>urs nouent à l’occasion <strong><strong>de</strong>s</strong> relations plus<br />
personnelles <strong>et</strong> peuvent avoir <strong><strong>de</strong>s</strong> discussions politiques assez poussées à travers<br />
lesquelles les interlocuteurs, faute <strong>de</strong> se convaincre mutuellement, à tout le moins<br />
échangent <strong><strong>de</strong>s</strong> informations. En tout état <strong>de</strong> cause, ce n’est pas là le cadre dans lequel<br />
la masse <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires courantes sont traitées. Celles-ci sont présentées par <strong><strong>de</strong>s</strong> notes<br />
écrites <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> différents types (‘arz-u hâl, takrîr) qui seront suivies <strong>de</strong><br />
réponses, en même temps que d’un jeu <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>ments <strong>et</strong> <strong>de</strong> l<strong>et</strong>tres diverses<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>tinés à régler l’affaire. C’est sur ces notes initiales qui n’ont guère r<strong>et</strong>enu jusqu’ici<br />
l’attention <strong><strong>de</strong>s</strong> historiens que nous avons entrepris <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre l’accent. Elles doivent<br />
nécessairement être rédigées en ottoman <strong>et</strong> la première question que nous nous<br />
sommes posée a eu trait aux auteurs <strong>de</strong> ce passage à l’ottoman. La question relative à<br />
la rédaction <strong><strong>de</strong>s</strong> requêtes est d’ailleurs plus large <strong>et</strong> s’étend à d’autres textes nécessaires<br />
à l’activité <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong>, également rédigés ou copiés en ottoman. Elle renvoie à<br />
celle du travail <strong><strong>de</strong>s</strong> interprètes. L’importance <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers qu’on appelle drogmans<br />
ou truchements (ottoman : tercümân ou tercemân ; arabe : mutardjim), est<br />
généralement soulignée dans les relations diplomatiques avec la Porte, mais sans<br />
qu’on distingue toujours suffisamment entre les différentes catégories d’interprètes<br />
<strong>et</strong> qu’on s’interroge sur la répartition <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches entre elles. Deux catégories<br />
d’interprètes interviennent dans l’activité diplomatique : les drogmans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> ceux du divan impérial. Elles se distinguent non seulement par<br />
l’employeur <strong>et</strong> le statut, mais par l’origine <strong>de</strong> leurs membres respectifs, leur religion,<br />
leur par<strong>cours</strong> <strong>et</strong> leurs compétences. Les drogmans <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> ne sont jamais<br />
musulmans (se convertissent-ils, ils sont aussitôt licenciés). Ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> chrétiens<br />
(catholiques ou « schismatiques », chaque pays ayant ses préférences), ou <strong><strong>de</strong>s</strong> juifs.<br />
Ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s dhimmî du Grand Seigneur. Plusieurs Etats essayeront, avec le<br />
temps, <strong>de</strong> leur substituer <strong><strong>de</strong>s</strong> nationaux formés à c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong>, moins dépendants <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Ottomans, moins corruptibles, plus fiables. Colbert crée ainsi en 1669-1670, l’Ecole<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> « jeunes <strong>de</strong> langues » qui, après plusieurs tâtonnements, trouve ses formules<br />
pédagogiques au début du xviii e siècle. Toutefois, les gradués plus ou moins<br />
méritants <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te école ne combleront jamais l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> besoins <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> consulats <strong>et</strong> le re<strong>cours</strong> aux dhimmî se poursuivra. Les drogmans du divan sont
702 GILLES VEINSTEIN<br />
au contraire <strong><strong>de</strong>s</strong> musulmans (ce ne seront <strong><strong>de</strong>s</strong> Grecs ou, comme on dira, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Phanariotes, qu’entre 1669 <strong>et</strong> 1821), c’est-à-dire en réalité <strong><strong>de</strong>s</strong> « renégats », le plus<br />
souvent anciens prisonniers <strong>de</strong> guerre <strong>de</strong> provenances diverses (Allemands, Italiens,<br />
Polonais, Hongrois, <strong>et</strong>c.) convertis à l’islam <strong>et</strong> passés au service du sultan. Certains<br />
— les drogmans en chef surtout —, jouent un rôle diplomatique <strong>de</strong> premier plan,<br />
sont ambassa<strong>de</strong>urs <strong>et</strong> négociateurs, <strong>de</strong>viennent très influents <strong>et</strong> très riches. Si l’étu<strong>de</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> archives <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong><strong>de</strong>s</strong> (celles <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> Venise ont été particulièrement<br />
prises en considération) m<strong>et</strong>tent bien en évi<strong>de</strong>nce le rôle <strong>de</strong> leurs drogmans comme<br />
traducteurs <strong>de</strong> l’ottoman en français ou en vénitien, elles ne les montrent pas, d’après<br />
nos premières investigations, traduisant, copiant ou rédigeant en ottoman (même si<br />
nous nous gar<strong>de</strong>rons, dans l’état <strong>de</strong> nos connaissances d’exclure définitivement c<strong>et</strong>te<br />
possibilité). En revanche, nous avons recueilli un certain nombre d’exemples<br />
concr<strong>et</strong>s, appartenant à différentes pério<strong><strong>de</strong>s</strong>, entre le xvi e <strong>et</strong> le xviii e siècle,<br />
d’ambassa<strong>de</strong>urs recourant aux interprètes du divan pour m<strong>et</strong>tre en ottoman les<br />
‘arz-u hâl ou autres notes qu’ils adressent au sultan, au grand vizir ou au kapudan<br />
pașa. Ces <strong>de</strong>rniers rédigeaient soit sur la base d’indications orales, soit en traduisant<br />
un texte préalable en italien. Dans le cas <strong>de</strong> la <strong>France</strong>, le texte français était d’abord<br />
traduit en italien par les drogmans <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong> avant d’être remis aux interprètes<br />
du divan qui passaient à l’ottoman. De façon analogue, s’agissant <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres adressées<br />
par les rois <strong>de</strong> <strong>France</strong> aux sultans, les interprètes du divan, en tout cas au xvi e siècle,<br />
à une époque où ils ignoraient le français, se tournaient vers les drogmans <strong>de</strong><br />
l’ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> pour les ai<strong>de</strong>r à établir une première traduction italienne <strong>de</strong><br />
ces l<strong>et</strong>tres royales avant d’en faire la traduction ottomane. Dans ces différents cas,<br />
l’italien servait ainsi <strong>de</strong> langue intermédiaire. Nous constatons également que les<br />
ambassa<strong>de</strong>urs s’adressaient aussi à <strong><strong>de</strong>s</strong> « écrivains » (kâtib) ottomans (pas<br />
nécessairement c<strong>et</strong>te fois <strong><strong>de</strong>s</strong> interprètes du divan) pour rédiger <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres aux<br />
correspondants avec lesquels ils étaient en affaire, leurs propres drogmans n’ayant<br />
manifestement pas les compétences nécessaires, en matière <strong>de</strong> langue <strong>et</strong> aussi <strong>de</strong><br />
protocole, pour s’acquitter convenablement <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te tâche. En outre, il n’est pas<br />
exclu qu’à l’insuffisance du savoir faire se soient ajoutés <strong><strong>de</strong>s</strong> obstacles d’ordre religieux<br />
dans l’utilisation <strong>de</strong> l’alphab<strong>et</strong> arabe <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’ottoman. Nous avons conçu ces résultats<br />
qui sont provisoires <strong>et</strong> donc donnés avec pru<strong>de</strong>nce, comme un préambule à l’étu<strong>de</strong><br />
proprement dite <strong><strong>de</strong>s</strong> ‘arz-u hâl.<br />
Le séminaire a d’autre part accueilli plusieurs exposés <strong>de</strong> collègues <strong>et</strong> d’étudiants<br />
avancés en rapport avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong> : Elisab<strong>et</strong>ta Borromeo (<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>),<br />
« La protection <strong><strong>de</strong>s</strong> chrétiens dans le régime <strong><strong>de</strong>s</strong> capitulations » ; Edhem El<strong>de</strong>m<br />
(Université du Bosphore, Istanbul), « Commerce <strong>et</strong> diplomatie dans le régime <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
capitulations » ; Güneş Işıksel (doctorant EHESS), « Les allocations (ta‘yin)<br />
accordées par les sultans aux ambassa<strong>de</strong>urs ; Albrecht Fuess (Universités d’Erfurt<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> Tours ), « Prélu<strong>de</strong> aux relations franco-ottomanes : les sièges <strong>de</strong> Beyrouth <strong>de</strong><br />
1403 <strong>et</strong> 1520 » ; Frédéric Hitzel (CNRS), « Les rési<strong>de</strong>nces <strong><strong>de</strong>s</strong> ambassa<strong>de</strong>urs<br />
occi<strong>de</strong>ntaux à Istanbul <strong>et</strong> à Péra ».
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 703<br />
Conférences, colloques, missions<br />
Participation au débat : « Les voies <strong>de</strong> la base dans l’islam », 10 e ren<strong>de</strong>z-vous <strong>de</strong> l’histoire,<br />
Blois, 21 octobre 2007.<br />
Conférence : « les Turcs ottomans en marche vers l’Occi<strong>de</strong>nt », Carqueiranne, Var,<br />
Thématique 2007-2008, « Envahisseurs », 25 janvier 2008.<br />
Participation à une rencontre dans le cadre du programme sur les chancelleries musulmanes<br />
médiévales ; Institut d’Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> anatoliennes, Istanbul (11-12 avril ) : Communication sur les<br />
l<strong>et</strong>tres <strong><strong>de</strong>s</strong> sultans ottomans aux rois <strong>de</strong> <strong>France</strong> au xvi e siècle.<br />
Mission <strong>de</strong> recherche dans les archives ottomanes <strong>de</strong> la Prési<strong>de</strong>nce du Conseil (Başbakanlık<br />
Osmanlı Arşivleri), Istanbul (14-18 avril ).<br />
Conférence à l’Université Paris-Sorbonne-Abu Dhabi : « L’Empire ottoman <strong>et</strong> les mers<br />
du sud au xvi e siècle ; mer Rouge, Golfe arabo-persique ; mer d’Oman ». Visite <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
institutions <strong>de</strong> recherche historique <strong>de</strong> l’émirat d’Abu Dhabi (26-29 avril).<br />
Participation au séminaire du Centre d’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> relations internationales dans les<br />
mon<strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Paris-Sorbonne, Paris IV, animé par L. Bély <strong>et</strong><br />
G. Poumarè<strong>de</strong> : exposé sur « Les lieux <strong>de</strong> la diplomatie ottomane » (10 mai).<br />
Participation au colloque : « Antoine Galland <strong>et</strong> Ali Ufkî Bey interprètes <strong>de</strong> la civilisation<br />
ottomane » ; centre culturel français d’Izmir. Communication : « A quoi servent les<br />
drogmans ? » (20-21 mai).<br />
Participation à la table ron<strong>de</strong> « Mamluks, Turcs <strong>et</strong> Ottomans », <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />
Communication : « Le serviteur <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux saints sanctuaires. Des Mamlouks aux Ottomans »<br />
(30 mai 2008).<br />
Participation au 18 e colloque du Comité international d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> pré-ottomanes <strong>et</strong><br />
ottomanes (CIEPO), Zagreb, faculté <strong>de</strong> philosophie, 25-30 août 2008. Organisation <strong>et</strong><br />
présentation <strong>de</strong> l’atelier : « Les fonds d’archives ottomans conservés dans les îles grecques ».<br />
Communication : « Les documents émis par le kapudan pașa dans le fonds ottoman <strong>de</strong><br />
Patmos ».<br />
Dans l’année universitaire 2007- 2008, la chaire a été co-organisatrice <strong>de</strong> trois colloques<br />
internationaux qui se sont tenus au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> :<br />
« Islamisation <strong>de</strong> l’Asie centrale. Pratiques sociales <strong>et</strong> acculturation dans le mon<strong>de</strong> turcosogdien<br />
», <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 7-9 novembre 2007 (avec M. E. <strong>de</strong> la Vaissière ; EPHE,<br />
IV e section).<br />
Table ron<strong>de</strong> « Mamluks, Turcs <strong>et</strong> Ottomans », 29-30 mai 2008 (avec M. N. Vatin,<br />
EPHE, IV e section, CNRS).<br />
« L’ivresse <strong>de</strong> la liberté. La révolution <strong>de</strong> 1908 dans l’Empire ottoman » (5-7 juin 2008,<br />
avec M. François Georgeon, CNRS).<br />
La chaire a reçu le professeur P<strong>et</strong>er Gol<strong>de</strong>n (Rutgers University) qui a donné<br />
quatre conférences sur « Les peuples turciques avant l’Islam » (mai 2008).<br />
Publications<br />
« Comment Soliman le Magnifique préparait ses campagnes. La question <strong>de</strong><br />
l’approvisionnement (1544-1545 / 1551-1552) » dans F. Bilici, I. Cân<strong>de</strong>a, A. Popescu, éds.,<br />
Enjeux économiques <strong>et</strong> militaires en mer Noire (XIV e -XXI e siècles), Braïla, éditions Istros, 2007,<br />
p. 487-532.
704 GILLES VEINSTEIN<br />
« Autour du berat <strong>de</strong> Pouqueville, commissaire <strong>de</strong> <strong>France</strong> à Jannina (1806) » dans<br />
E. Kolovos, Ph. Kotzageorgis, S. Laiou, M. Sariyannis, éds., The Ottoman Empire, the<br />
Balkans, the Greek Lands : toward a social and economic history, Istanbul, Isis, 2007, p. 333-<br />
356.<br />
« Les conditions <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> Constantinople en 1453 : un suj<strong>et</strong> d’intérêt commun pour<br />
le patriarche <strong>et</strong> le grand mufti » dans Le patriarcat œcuménique <strong>de</strong> Constantinople aux<br />
XIV e -XVI e siècles : rupture <strong>et</strong> continuité. Actes du Colloque international, Rome, 5-7 décembre<br />
2005 ; Centre d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> byzantines, néo-helléniques <strong>et</strong> sud-est européennes, Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> hautes<br />
étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en sciences sociales, Paris, 2007.<br />
« Les capitulations franco-ottomanes <strong>de</strong> 1536 sont-elles encore controversables ? » dans<br />
Living in the Ottoman Ecumenical Community. Essays in honour of Suraiya Faroqhi,<br />
V. Costantini <strong>et</strong> M. Köller, éds., Brill, Ley<strong>de</strong> Boston 2008, p. 71-88.<br />
Équipe <strong>de</strong> recherche<br />
Le professeur est membre <strong>de</strong> l’équipe <strong>de</strong> l’EHESS <strong>et</strong> du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> associée au<br />
CNRS, UMR 8032, « Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> turques <strong>et</strong> ottomanes », dirigée par M. François Georgeon<br />
(CNRS). Il dirige le pôle « Histoire ottomane » <strong>et</strong> <strong>de</strong>ux <strong><strong>de</strong>s</strong> publications <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te équipe :<br />
Turcica. Revue d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> turques (Pe<strong>et</strong>ers, Louvain), dont le tome 39 (2007), est paru, <strong>et</strong> la<br />
collection <strong>de</strong> monographies « Turcica » (un volume paru <strong>et</strong> trois volumes sous presse en<br />
2007-2008).
Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale<br />
M. Michel Zink, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres), professeur<br />
Pour la troisième <strong>et</strong> <strong>de</strong>rnière année, le <strong>cours</strong> s’est intéressé, à travers les exemples<br />
proposés par la poésie médiévale, aux divers mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> relation que la poésie peut<br />
entr<strong>et</strong>enir avec le récit ; plus précisément à la façon dont elle peut gagner son statut<br />
poétique <strong>et</strong> être i<strong>de</strong>ntifiée comme poésie à travers le récit <strong>et</strong> non pas malgré lui<br />
comme notre propre conception <strong>de</strong> la poésie nous induit spontanément à le penser.<br />
Le titre, « La poésie comme récit (suite). Des nouvelles <strong>de</strong> l’amour », était, bien<br />
entendu, en jeu <strong>de</strong> mots : la poésie médiévale donne avec prédilection <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles<br />
<strong>de</strong> l’amour ; les œuvres qu’on a prises en considération sont <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles, au sens<br />
qu’a ce mot dans la terminologie littéraire. Des nouvelles dont le suj<strong>et</strong> est l’amour,<br />
qui s’enracinent dans <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes d’amour <strong>et</strong> qui sont elles-mêmes <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes.<br />
Il y a <strong>de</strong>ux ans, on avait posé la question <strong>de</strong> la poésie comme récit <strong>de</strong> façon<br />
générale <strong>et</strong> théorique, en partant <strong>de</strong> la notion mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> poésie pour remonter<br />
ensuite <strong>de</strong> la poésie contemporaine <strong>et</strong> <strong>de</strong> la définition contemporaine <strong>de</strong> la poésie<br />
jusqu’au Moyen Âge. Car notre idée <strong>de</strong> la poésie, qui en exclut spontanément <strong>et</strong><br />
instinctivement le narratif, est une idée mo<strong>de</strong>rne, née avec la « révolution<br />
bau<strong>de</strong>lairienne », Bau<strong>de</strong>laire lui-même étant largement re<strong>de</strong>vable sur ce point à<br />
Edgar Allan Poe, dont il traduit The Po<strong>et</strong>ic Principle, où il trouve l’idée qu’il ne<br />
peut exister <strong>de</strong> poésie épique. Elle est confortée plus tard par la notion <strong>de</strong> poésie<br />
pure, puis par la conception <strong>de</strong> la poésie comme présence immédiate <strong>de</strong> l’être ou<br />
du mon<strong>de</strong>. Le <strong>cours</strong> avait alors tenté <strong>de</strong> montrer que les médiévistes <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong><br />
moitié du XX e siècle (ou les poètes <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> intéressés par le Moyen Âge)<br />
ont appliqué rétrospectivement au Moyen Âge c<strong>et</strong>te idée <strong>de</strong> la poésie. C’est<br />
pourquoi ils ont réduit <strong>et</strong> i<strong>de</strong>ntifié la poésie médiévale à la poésie lyrique. C’est<br />
pourquoi l’hypothèse que la poésie médiévale était une « poésie formelle » leur a<br />
paru d’autant plus séduisante qu’elle rencontrait leurs propres conceptions <strong>et</strong><br />
qu’elle prêtait ainsi une mo<strong>de</strong>rnité au Moyen Âge <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> racines anciennes à la<br />
mo<strong>de</strong>rnité.
706 MICHEL ZINK<br />
Après ces prolégomènes, le <strong>cours</strong> s’est penché, la première année, sur la façon dont<br />
l’effusion <strong>et</strong> le récit théâtralisé du moi se conjuguent dans la poésie du dit telle qu’elle<br />
se développe à partir du début du XIII e siècle. Une théâtralisation qui peut revêtir,<br />
soit la forme <strong>de</strong> la caricature <strong>de</strong> soi-même mo<strong>de</strong>lée par le regard prêté à autrui, soit la<br />
forme <strong>de</strong> l’allégorie décomposant le moi en ses diverses instances <strong>et</strong> les laissant<br />
s’exprimer ou s’affronter <strong>de</strong>vant le for intérieur. On s’est particulièrement intéressé à<br />
Rutebeuf, représentant exemplaire, non seulement <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux mouvements <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
leur combinaison, non seulement <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te dérision <strong>de</strong> soi-même sous le regard <strong>de</strong><br />
l’autre, qui alimentera tout un courant <strong>de</strong> la poésie française, mais encore <strong>de</strong> ce que<br />
j’ai appelé une « poésie pauvre », au sens où notre regr<strong>et</strong>té collègue Jerzy Grotowski<br />
parlait <strong>de</strong> — <strong>et</strong> pratiquait — un « théâtre pauvre ».<br />
L’année <strong>de</strong>rnière, on a lu les vidas <strong>et</strong> les razos <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours occitans, découvrant<br />
que, sous leur apparence <strong>de</strong> boniment volontiers railleur <strong>et</strong> dépréciatif à l’égard <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
poètes, <strong>de</strong> contrepoint souvent humoristique, à la fois terre à terre <strong>et</strong> farfelu, à leurs<br />
chansons, ces récits, qui semblent se limiter à la plus plate <strong><strong>de</strong>s</strong> critiques biographiques<br />
sans même avoir le mérite <strong>de</strong> la fiabilité, font, sous la forme, déconcertante pour<br />
nous, du récit <strong>et</strong> non du commentaire critique, une lecture souvent extrêmement<br />
perspicace <strong>et</strong> pénétrante <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te poésie, dont ils savent révéler les obsessions <strong>et</strong> les<br />
tourments. Plus encore, la disposition alternée <strong>et</strong> imbriquée <strong><strong>de</strong>s</strong> vidas <strong>et</strong> razos <strong>et</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes, disposition en vue <strong>de</strong> laquelle vidas <strong>et</strong> razos ont à l’évi<strong>de</strong>nce été<br />
rédigées <strong>et</strong> qui est celle <strong><strong>de</strong>s</strong> chansonniers copiés dans les ateliers <strong>de</strong> Vénétie, a pour<br />
résultat <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> ces manuscrits <strong><strong>de</strong>s</strong> prosimètres <strong>et</strong> ainsi d’intégrer chansons <strong>et</strong><br />
récits au sein d’une même cohérence poétique.<br />
C<strong>et</strong>te année, on ne s’est pas contenté <strong>de</strong> poursuivre l’enquête à travers d’autres<br />
exemples. On l’a mise en relation avec la question même sur laquelle j’avais ouvert,<br />
il y a quatorze ans, mon enseignement au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>. C<strong>et</strong>te question<br />
touchait à la relation entre la littérature du Moyen Âge <strong>et</strong> le temps. Je suggérais<br />
alors que c<strong>et</strong>te littérature, <strong>et</strong> singulièrement c<strong>et</strong>te poésie, se définit <strong>et</strong> prend<br />
conscience d’elle-même en créant — au besoin <strong>de</strong> façon illusoire <strong>et</strong> comme en<br />
trompe-l’œil — l’impression d’une profon<strong>de</strong>ur temporelle <strong>et</strong> d’un ancrage dans le<br />
passé. C’était le fil directeur <strong>de</strong> ma leçon inaugurale <strong>et</strong> <strong>de</strong> ma première série <strong>de</strong><br />
<strong>cours</strong>. La même question <strong>de</strong> la relation entre la littérature du Moyen Âge <strong>et</strong> le<br />
temps a ensuite commandé le <strong>cours</strong> sur « Froissart <strong>et</strong> le temps » <strong>et</strong> celui sur « La<br />
mémoire <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours ». Pourquoi la question <strong>de</strong> la poésie comme récit se<br />
situe-t-elle dans c<strong>et</strong>te perspective ? D’abord parce que l’eff<strong>et</strong> fondateur <strong>de</strong> la<br />
poétique médiévale repose volontiers sur le souvenir fragmentaire ou estompé<br />
d’une histoire : la poésie naît du démembrement allusif d’un récit rej<strong>et</strong>é dans le<br />
passé. D’autre part, parce que, si le poème recèle ainsi en lui un récit caché dont<br />
il perm<strong>et</strong> l’affleurement, mais rien <strong>de</strong> plus que l’affleurement, la latence <strong>de</strong> ce récit<br />
est soit celle du souvenir, soit celle du possible.<br />
Latence du souvenir : le poème peut se donner pour une allusion à un récit<br />
antérieur. C’est ce qui fon<strong>de</strong> la poétique <strong>de</strong> l’épopée <strong>et</strong> ce qui donne la couleur <strong>de</strong>
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 707<br />
l’épopée aux chansons <strong>de</strong> toile. Chrétien <strong>de</strong> Troyes limite chacun <strong>de</strong> ses romans au<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>tin d’un seul héros, tout en l’enrichissant <strong><strong>de</strong>s</strong> résonances <strong>de</strong> l’immense histoire<br />
arthurienne.<br />
Latence du possible, saisissable par une sorte d’aller-<strong>et</strong>-r<strong>et</strong>our entre le poème <strong>et</strong><br />
un récit, dont il ne prétend pas se souvenir, mais qu’au contraire il suscite. Les<br />
textes narratifs pris en considération c<strong>et</strong>te année étaient eux-mêmes <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes.<br />
Non pas <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes faisant allusion à <strong><strong>de</strong>s</strong> récits antérieurs, non pas <strong><strong>de</strong>s</strong> récits en<br />
prose expliquant <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes antérieurs par <strong><strong>de</strong>s</strong> circonstances antérieures aux<br />
poèmes, comme le font les razos étudiées l’année précé<strong>de</strong>nte, mais <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes qui<br />
sont <strong><strong>de</strong>s</strong> récits <strong>et</strong> qui font allusion à —, utilisent ou remploient <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes lyriques<br />
antérieurs, qu’ils mentionnent, qu’ils citent, dont ils s’inspirent ou qu’ils<br />
développent. L’explicitation du récit latent ne se reporte pas à un avant le poème,<br />
mais se veut poème elle-même : un poème nourri <strong>de</strong> poèmes.<br />
La situation ainsi décrite évoque évi<strong>de</strong>mment celle <strong><strong>de</strong>s</strong> lais <strong>de</strong> Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
au regard <strong><strong>de</strong>s</strong> lais lyriques br<strong>et</strong>ons. C<strong>et</strong> exemple, si banal soit-il, a été le point <strong>de</strong><br />
départ du <strong>cours</strong>, mais pour m<strong>et</strong>tre en parallèle l’utilisation ponctuelle plus précise<br />
que fait Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong> d’autres poèmes lyriques, mieux connus que les lais<br />
br<strong>et</strong>ons dont on sait au fond peu <strong>de</strong> chose, ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours. À c<strong>et</strong> égard, les<br />
lais <strong>de</strong> Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong> sont en continuité <strong>et</strong> en harmonie avec le prolongement<br />
narratif <strong>et</strong> argumentatif, en même temps que poétique, <strong><strong>de</strong>s</strong> chansons <strong>de</strong> troubadours<br />
qu’offrent les novas occitanes, mais aussi les saluts d’amour, qui ont constitué pour<br />
l’essentiel la matière du <strong>cours</strong>.<br />
On a cependant commencé par <strong>de</strong>ux mises au point préalables d’histoire littéraire,<br />
mais aussi <strong>de</strong> réflexion sur les formes <strong>et</strong> les notions littéraires. L’une touchait la<br />
définition <strong>et</strong> l’emploi, en français <strong>et</strong> en occitan, <strong><strong>de</strong>s</strong> termes <strong>de</strong> nouvelle <strong>et</strong> <strong>de</strong> novas.<br />
L’autre, impliquée <strong>et</strong> rendue nécessaire par la relation entre le poème lyrique <strong>et</strong> le<br />
poème narratif ou discursif qu’il engendre ou auquel il se réfère, portait sur la<br />
conception médiévale <strong>de</strong> la brevitas <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’amplificatio.<br />
Aujourd’hui, le mot nouvelle désigne soit une œuvre littéraire narrative brève<br />
(anglais short story), sans référence particulière à l’idée <strong>de</strong> nouveauté, soit une<br />
information inédite, sans la moindre idée d’une mise en forme littéraire. « Les<br />
nouvelles » désignent spécifiquement les informations diffusées par les média<br />
(anglais news). En moyen français, ce double sens est explicite dans le titre en jeu<br />
<strong>de</strong> mots <strong><strong>de</strong>s</strong> Cent nouvelles nouvelles. Existe-t-il déjà en ancien français ? En principe<br />
non : l’emploi du mot pour désigner une forme littéraire est un emprunt à l’italien<br />
comme c<strong>et</strong>te forme elle-même. En réalité, la situation est plus ambiguë. On a<br />
examiné une nouvelle fois le fameux début, lui-même extraordinairement ambigu<br />
<strong>et</strong> subtil, du Chevalier au Lion (v. 8-32). Les considérations sur l’amour, le présent,<br />
le passé, la fable <strong>et</strong> le mensonge, qui bifurquent en incise <strong>et</strong> s’enchaînent en<br />
rebondissements successifs à partir du v. 14, brouillent la simple opposition entre<br />
« raconter <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles » <strong>et</strong> « parler d’Amours ». Entre ces <strong>de</strong>ux activités, ces <strong>de</strong>ux<br />
récits, ces <strong>de</strong>ux paroles, on soupçonne <strong><strong>de</strong>s</strong> collusions ou <strong><strong>de</strong>s</strong> confusions, <strong><strong>de</strong>s</strong>
708 MICHEL ZINK<br />
rencontres ou <strong><strong>de</strong>s</strong> confrontations à fronts renversés. « Raconter <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles » peut<br />
conduire à « parler d’amour » : c’est ce qui se passera dans le roman, puisque la<br />
« nouvelle » que raconte Calogrenant <strong>de</strong>viendra l’histoire d’amour d’Yvain. Dans<br />
le passé idéal où le roman entend se situer, parler d’amour, c’est être dans l’ordre<br />
<strong>de</strong> la vérité, tandis que les nouvelles peuvent être vraies (ainsi, celle <strong>de</strong> Calogrenant)<br />
comme elles peuvent être <strong><strong>de</strong>s</strong> fables ; mais dans le mon<strong>de</strong> présent, celui où le<br />
roman s’écrit, l’amour est du côté <strong>de</strong> la fable : la vérité est donc insaisissable, <strong>et</strong><br />
c’est bien ce que sera, dans l’ordre <strong>de</strong> l’amour, la leçon ambiguë du roman. Le lien<br />
entre poésie <strong>et</strong> amour passe par le questionnement sur la vérité du récit <strong>et</strong> sur celle<br />
<strong>de</strong> l’amour. L’incertitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>meure, à strictement parler, sur le point <strong>de</strong> savoir si,<br />
au vers 12 du Chevalier au Lion, le mot « nouvelle » renvoie ou non à une forme<br />
littéraire. Mais en tout état <strong>de</strong> cause, le contexte montre que ce mot m<strong>et</strong> en branle<br />
pour l’auteur le mouvement d’un jeu ambigu entre récit, fiction, amour <strong>et</strong> vérité :<br />
un jeu éminemment poétique.<br />
S’agissant <strong><strong>de</strong>s</strong> novas, après avoir rappelé que la langue d’oc connaît <strong>de</strong>ux mots,<br />
novas <strong>et</strong> novella, le premier désignant une forme littéraire, le second une information<br />
inédite, après avoir commenté le fait que novas est un pluriel, après avoir rappelé<br />
la valeur particulière du « nouveau » <strong>et</strong> <strong>de</strong> la « nouveauté » au Moyen Âge, on a<br />
défini ce que sont les novas occitanes. En apparence, rien <strong>de</strong> plus simple : <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
poèmes narratifs composés, comme il se doit, en coupl<strong>et</strong>s d’octosyllabes <strong>et</strong> longs<br />
généralement <strong>de</strong> quelques centaines <strong>de</strong> vers. En somme, <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles en vers,<br />
comme le sont aussi les lais narratifs. En réalité, les novas occitanes diffèrent<br />
sensiblement <strong>de</strong> la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles françaises, que celles-ci soient baptisées,<br />
par les rubriques <strong><strong>de</strong>s</strong> manuscrits ou dans le texte même, lais, contes, dits, fabliaux<br />
ou plus tard nouvelles. Elles en diffèrent par le ton, par les résonances littéraires <strong>et</strong><br />
souvent même, ou jusqu’à un certain point, par le contenu. Elles ont la particularité<br />
d’être profondément enracinées dans l’univers lyrique, <strong>de</strong> se vouloir le prolongement<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> chansons <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours <strong>et</strong> <strong>de</strong> paraître juger c<strong>et</strong>te relation ou ce dialogue avec<br />
les chansons plus importants que l’intérêt ou le piquant <strong>de</strong> l’anecdote qu’elles<br />
relatent. On peut même se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si c’est vraiment la narration qui définit les<br />
novas, <strong>et</strong> non pas plutôt la glose poétique <strong>de</strong> la poésie, la poursuite <strong>de</strong> la poésie<br />
lyrique par une voie poétique non lyrique.<br />
Ce trait, si important au regard du suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, n’a rien d’étonnant : quoi<br />
qu’on ait dit pour essayer <strong>de</strong> prouver le contraire, par exemple en supposant sans<br />
preuves qu’une partie importante <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te littérature a été perdue, la littérature<br />
occitane du Moyen Âge est essentiellement lyrique, centrée sur le lyrisme, <strong>et</strong> les<br />
genres narratifs y ont connu un développement remarquablement réduit. Le titre<br />
du beau livre d’Alberto Limentani, brillant philologue italien trop tôt disparu,<br />
L’eccezione narrativa décrit parfaitement c<strong>et</strong>te réalité. Au reste, les novas rimadas<br />
elles-mêmes ne sont pas très nombreuses : à peine dix, <strong>et</strong> en ratissant large. Dans<br />
le volume Nouvelles courtoises occitanes <strong>et</strong> françaises (L<strong>et</strong>tres gothiques, 1997),<br />
Suzanne Thiolier-Méjean en r<strong>et</strong>ient six, mais la première, dont l’intérêt est en soi<br />
immense, constitue un cas si particulier qu’elle n’est réunie aux autres que parce
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 709<br />
que, précisément, le corpus est si mince. C’est le Roman d’Esther, adaptation en<br />
langue d’oc du livre biblique par un auteur juif <strong>et</strong> copiée en caractères hébreux.<br />
Les autres sont Castia Gilos attribué au catalan Raimon Vidal <strong>de</strong> Besalú, En aquel<br />
temps c’om era gais, qui est certainement <strong>de</strong> lui, Las novas <strong>de</strong>l papagay d’Arnaud <strong>de</strong><br />
Carcassès, Frayre <strong>de</strong> Joy <strong>et</strong> Sor <strong>de</strong> Plaser, Lai on cobra sos dregs estatz <strong>de</strong> Peire Guilhem<br />
<strong>de</strong> Toulouse. Il faut y ajouter Abrils issi’e mays intrava, encore <strong>de</strong> Raimon Vidal.<br />
C<strong>et</strong>te liste pourrait à la rigueur être augmentée <strong><strong>de</strong>s</strong> trois poèmes provençalocatalans<br />
publiés par Amédée Pagès dans Romania en 1891 <strong>et</strong>, bien qu’il s’agisse<br />
plus d’un « vrai » roman, d’une œuvre récemment exhumée, malheureusement<br />
mutilée <strong>et</strong> difficilement classable, La ventura <strong>de</strong>l cavaller N’Huc <strong>et</strong> Madona<br />
(« L’aventure du chevalier Hugues <strong>et</strong> <strong>de</strong> Madame »), publiée par ses inventeurs,<br />
Lola Badia <strong>et</strong> Ama<strong>de</strong>u J. Soberanas.<br />
La porosité <strong>de</strong> la frontière entre les novas <strong>et</strong> les chansons <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours a<br />
conduit à prendre en compte un autre type <strong>de</strong> poèmes, qui ne sont pas non plus<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes lyriques, car ils ne sont pas chantés, mais qui sont plus proches du<br />
lyrisme courtois que ne le sont les novas, car ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes subjectifs, à la<br />
première personne, dans lesquels le poète est supposé s’épancher : les « saluts<br />
d’amour », qui traitent les mêmes thèmes que les chansons, mais se présentent<br />
comme <strong><strong>de</strong>s</strong> épîtres en vers (en coupl<strong>et</strong>s d’octosyllabes) adressées par le poète à sa<br />
dame. Le salut d’amour pousse à son terme la tendance <strong>de</strong> la canso au dis<strong>cours</strong><br />
argumentatif <strong>et</strong> persuasif.<br />
« Les uns racontaient <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles, les autres parlaient d’amour », dit Chrétien<br />
<strong>de</strong> Troyes. Les novas réunissent les <strong>de</strong>ux activités. Elles se situent au point où ces<br />
<strong>de</strong>ux activités ne font qu’une. Ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles d’amour <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles <strong>de</strong><br />
l’amour. Elles méditent <strong>et</strong> elles glosent sur l’amour <strong>et</strong> sur la condition <strong>de</strong> l’amoureux<br />
à partir <strong>de</strong> cas <strong>et</strong> à partir <strong>de</strong> poèmes — autrement dit à partir d’un corpus passé<br />
<strong>de</strong> l’amour, qui se prête à l’extrapolation <strong>et</strong> au commentaire. Leur refus <strong>de</strong> distinguer<br />
l’anecdote <strong>de</strong> la casuistique dit encore autre chose : que ce qui est nouveau, ce n’est<br />
pas seulement une histoire inédite, mais aussi la méditation toujours fraîche <strong>et</strong><br />
renouvelée — « nouvelle » au sens médiéval du terme — <strong>de</strong> la poésie.<br />
En conclusion à ce développement, le début <strong><strong>de</strong>s</strong> Razos <strong>de</strong> trobar <strong>de</strong> Raimon<br />
Vidal <strong>de</strong> Besalú a permis <strong>de</strong> mieux cerner encore la place qui, à ses yeux, est celle<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> novas au regard du trobar. Les novas ne donnent pas directement <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles<br />
du mon<strong>de</strong>, elles ne racontent pas directement le mon<strong>de</strong>, elles ne méditent pas<br />
directement sur lui. Elles racontent <strong>et</strong> glosent c<strong>et</strong>te mémoire du mon<strong>de</strong> qui est<br />
con<strong>de</strong>nsée <strong>et</strong> recelée dans la poésie. Les novas, récits <strong>et</strong> débats en vers fondés sur<br />
les chansons <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours, montrent bien ainsi que pour leurs auteurs la poésie<br />
ne relève pas du récit à sa source, mais se prête à <strong><strong>de</strong>s</strong> prolongements dans l’ordre<br />
du récit. À l’origine <strong>de</strong> la poésie, il y a le chant, enthousiasme se manifestant au<br />
printemps par <strong><strong>de</strong>s</strong> variations mélodiques <strong>de</strong> la voix chez le troubadour comme chez<br />
l’oiseau ; tout le reste en est, d’une façon ou d’une autre, le développement. Et<br />
Raimon Vidal prête spécifiquement à c<strong>et</strong>te poésie chantée <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours, que
710 MICHEL ZINK<br />
nous désignons aujourd’hui sous le nom <strong>de</strong> poésie lyrique, une importance<br />
immense, prodigieuse, mystérieuse aussi, puisqu’elle est la mémoire du mon<strong>de</strong> :<br />
Et tot li mal e˙l ben <strong>de</strong>l mon son mes en remembrance per trobadors. Et ja non trobares<br />
mot (ben) ni mal dig, poi[s] trobaires l’a mes en rima, que tot jorns [non sia] en<br />
remembransa, car trobars <strong>et</strong> chantars son movemens <strong>de</strong> totas galhardias.<br />
Et tout ce qu’il y a au mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> mal <strong>et</strong> <strong>de</strong> bien est mis en mémoire par les troubadours.<br />
Et vous ne trouverez pas une parole ni un propos satirique, dès lors qu’un troubadour l’a<br />
mis en rime, qui ne soit désormais toujours en mémoire, car composer <strong>de</strong> la poésie <strong>et</strong><br />
chanter sont la source <strong>de</strong> tout élan d’audace joyeuse.<br />
Le second point liminaire, la poésie entre brevitas <strong>et</strong> amplificatio, ne pouvait<br />
être évité. Le poème narratif greffé sur un poème lyrique en est le développement.<br />
Le salut d’amour exploite systématiquement les arguments ébauchés par la canso<br />
pour toucher le cœur <strong>de</strong> la dame. À l’inverse, le poème lyrique qui se veut l’écho<br />
d’un récit s’y réfère brièvement ou <strong>de</strong> façon allusive. Ils ne le font pas<br />
spontanément ni inconsciemment, mais se réfèrent aux notions <strong>de</strong> brevitas <strong>et</strong><br />
d’amplificatio, très présentes dans la réflexion médiévale sur l’art littéraire.<br />
Attentif comme il l’est aux enseignements <strong>de</strong> la rhétorique latine classique, qu’il<br />
étudie sans cesse <strong>et</strong> qu’il reproduit à sa manière dans les Artes dicandi,<br />
praedicandi, dictaminis, le Moyen Âge sait l’importance <strong>de</strong> la brevitas comme <strong>de</strong><br />
l’amplificatio dans la composition littéraire. Mais il ne leur donne pas le même<br />
sens que l’Antiquité, comme Curtius <strong>et</strong> d’autres l’ont abondamment montré. La<br />
brevitas antique doit caractériser la narratio, mais au sens où l’entend l’éloquence<br />
judiciaire, c’est-à-dire le récit <strong><strong>de</strong>s</strong> faits relatifs à la cause plaidée. Pour le Moyen<br />
Âge, tout récit est narratio, <strong>et</strong> tout récit doit donc idéalement être bref. Il<br />
recherche donc un peu mécaniquement la brevitas <strong>et</strong> en fait systématiquement<br />
l’éloge. Mais il connaît aussi le procédé inverse. Les Artes dicandi enseignent à la<br />
fois l’abbreviatio <strong>et</strong> la dilatatio ou amplificatio. En un sens, l’association <strong>et</strong><br />
l’opposition <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux procédés inverses remonte à Quintilien : amplificare vel<br />
minuere (VIII, 4, 1). Mais ce que Quintilien nomme amplificatio n’est pas<br />
l’allongement, mais l’insistance, qui perm<strong>et</strong>, par divers procédés <strong>de</strong> style, <strong>de</strong><br />
donner <strong>de</strong> l’importance à ce qui sert l’argumentation ou l’eff<strong>et</strong> recherché, minuere<br />
désignant à l’inverse une atténuation qui peut revêtir d’autres formes que celle <strong>de</strong><br />
l’abrègement (euphémisme, prétérition, <strong>et</strong>c.). Il donne même <strong><strong>de</strong>s</strong> exemples où<br />
l’amplificatio se fon<strong>de</strong> sur la brièv<strong>et</strong>é. Curtius cherche par quels cheminements<br />
(saint Jérôme, Cassiodore) on est passé à l’idée que l’amplificatio est l’allongement<br />
<strong>et</strong> s’oppose à la brevitas. Peut-être peut-on aussi rapprocher très simplement c<strong>et</strong>te<br />
évolution du fait que le vulgaire roman est syntaxiquement une langue <strong>de</strong> la<br />
coordination, <strong>de</strong> l’enchaînement narratif, <strong>et</strong> non <strong>de</strong> la subordination rhétorique :<br />
il est naturel que <strong><strong>de</strong>s</strong> auteurs dont il est la langue maternelle conçoivent d’abord<br />
le style en termes d’allongement <strong>et</strong> d’abrègement.<br />
Et la poésie comme récit, dans tout cela ? Curtius clôt le chapitre XIII <strong>de</strong> son<br />
grand livre en suggérant qu’on était au Moyen Âge « lassé <strong><strong>de</strong>s</strong> longueurs <strong>de</strong><br />
l’épopée ». En réalité, les chansons <strong>de</strong> geste ne cessent <strong>de</strong> s’allonger, parfois dans
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 711<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> proportions considérables. Jean Rychner a montré que leur évolution va vers<br />
l’allongement <strong><strong>de</strong>s</strong> laisses <strong>et</strong> vers la narration linéaire au détriment <strong><strong>de</strong>s</strong> laisses courtes<br />
<strong>et</strong> répétitives, <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> ressac, <strong>de</strong> refrain <strong>et</strong> d’écho.<br />
D’une façon générale, l’allongement accompagne la narration, conformément au<br />
génie <strong>de</strong> la langue vulgaire. La brièv<strong>et</strong>é est un phénomène lyrique : expression<br />
ramassée <strong>et</strong> énigmatique <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours, re<strong>cours</strong> à <strong><strong>de</strong>s</strong> mètres très brefs,<br />
interruptions <strong>et</strong> rupture <strong>de</strong> la strophe <strong>et</strong> du refrain — surtout, bien entendu, du<br />
refrain inséré. Il est naturel dès lors que l’allongement soit, plus qu’une tendance,<br />
un procédé <strong>et</strong> un eff<strong>et</strong> du poème narratif fondé sur un poème lyrique. Son auteur<br />
a conscience sans doute <strong>de</strong> pratiquer l’amplificatio. Les novas développent par le<br />
récit aussi bien que par l’argumentation une situation typique impliquée,<br />
généralement <strong>de</strong> façon allusive, par les chansons <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours (jalousie, obstacles<br />
à la rencontre <strong><strong>de</strong>s</strong> amants, rigueur <strong>de</strong> la femme aimée, tentation <strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r aux<br />
avances d’une maîtresse plus complaisante) ; les saluts d’amour le font aussi dans<br />
un registre plus personnel <strong>et</strong> d’un point <strong>de</strong> vue subjectif qui est le même que celui<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> chansons. Les lais français à suj<strong>et</strong> br<strong>et</strong>on revendiquent la même démarche à<br />
partir du récit « latent » <strong><strong>de</strong>s</strong> lais lyriques br<strong>et</strong>ons — une latence dont la nature est<br />
difficile à définir, faute <strong>de</strong> connaître assez précisément ces lais lyriques — <strong>et</strong><br />
l’appliquent aussi, mais c<strong>et</strong>te fois sans le dire, aux chansons <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours.<br />
Ce sont ces points qui ont été examinés d’abord. La question du lai lui-même a<br />
été tellement étudiée <strong>et</strong> <strong>de</strong>puis si longtemps qu’il était inutile d’y revenir, sinon<br />
pour un bref rappel. On le sait, le mot lai apparaît pour la première fois au<br />
IX e siècle sous la forme loîd dans un court poème irlandais copié dans un manuscrit<br />
<strong>de</strong> Priscien. Qu’il s’agisse d’un manuscrit <strong>de</strong> Priscien est évi<strong>de</strong>mment le fait du<br />
hasard. Mais enfin, on ne peut s’empêcher <strong>de</strong> relever que Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong> s’abrite<br />
<strong>de</strong>rrière l’autorité <strong>de</strong> c<strong>et</strong> auteur (ceo testimoine Preciëns) dès le prologue <strong>de</strong> ses lais,<br />
pour dire que les anciens s’exprimaient dans leurs livres avec une obscurité<br />
volontaire, afin <strong>de</strong> provoquer la perspicacité du commentaire <strong>de</strong> leurs successeurs.<br />
Pourquoi Priscien ? Ses Institutiones grammaticae, qui étaient au Moyen Âge le<br />
manuel classique pour l’apprentissage du latin, sont remarquables par leurs<br />
nombreuses citations d’auteurs anciens. Au moment <strong>de</strong> développer <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes<br />
allusifs, fragmentaires peut-être, <strong>de</strong> façon à en révéler le sens, Marie invoque<br />
l’auteur dans lequel la femme savante qu’elle est a appris le latin, mais qui est<br />
surtout un auteur célèbre pour avoir rassemblé <strong><strong>de</strong>s</strong> fragments poétiques. Le moine<br />
irlandais qui, vers 830-850, a copié dans un manuscrit <strong>de</strong> Priscien quelques vers<br />
d’un poème l’a-t-il fait mû par une association <strong>de</strong> pensée du même genre ? On y<br />
lit : « Une haie d’arbustes m’entoure ; pour moi, en vérité, le merle agile chante<br />
son loîd… » Ce mot désigne à l’évi<strong>de</strong>nce une composition musicale ou un chant,<br />
ce qui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’appliquer métaphoriquement au sifflement du merle. Le loîd se<br />
définit donc à coup sûr comme une pièce essentiellement musicale. C’est ce qui<br />
ressort <strong><strong>de</strong>s</strong> premières attestations <strong>de</strong> loîd, puis, à partir <strong>de</strong> 110, <strong>de</strong> laid, comme <strong>de</strong><br />
Leih <strong>et</strong> <strong>de</strong> Leich en allemand. Quelle que soit son origine, le mot Lai — Leich<br />
s’applique, semble-t-il, à <strong><strong>de</strong>s</strong> compositions lyriques fondées sur la transposition
712 MICHEL ZINK<br />
dans les langues celtiques ou germaniques du vers rythmique latin, <strong>et</strong> cela à une<br />
époque assez haute pour que la question ne se soit pas posée pour les langues<br />
romanes, non encore réellement différenciées du latin. S’agissant <strong>de</strong> l’irlandais, on<br />
trouve, à l’intention <strong><strong>de</strong>s</strong> apprentis poètes, <strong><strong>de</strong>s</strong> exemples <strong>de</strong> laid, au texte souvent<br />
hermétique ou en apparence incohérent, dans le célèbre Livre <strong>de</strong> Leinster (vers<br />
1160) <strong>et</strong> dans quelques autres manuscrits. À partir <strong>de</strong> là, on peut suivre l’histoire<br />
<strong>de</strong> la forme poétique <strong>et</strong> musicale appelée lai ou Leich tout au long du Moyen Âge,<br />
<strong>et</strong> dans toutes les langues, sans autre difficulté que celles — considérables —<br />
qu’offrent son instabilité formelle <strong>et</strong> sa complexité musicale.<br />
Or, dès son apparition en français, au XII e siècle, au moment, à peu <strong>de</strong> chose<br />
près, où est copié le Livre <strong>de</strong> Leinster, le mot peut désigner aussi une nouvelle ou<br />
un conte, sans la moindre référence musicale : Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong>, auteur qui écrit<br />
en français, mais connaît aussi, outre le latin, l’anglais <strong>et</strong> le « br<strong>et</strong>on » (c’est-à-dire<br />
une langue celtique), dit s’inspirer <strong>de</strong> « lais br<strong>et</strong>ons » pour composer <strong><strong>de</strong>s</strong> contes en<br />
vers qu’elle appelle <strong><strong>de</strong>s</strong> « lais ».<br />
Mais les appelle-t-elle vraiment ainsi ? N’est-ce pas nous qui sommes à la fois<br />
contraints <strong>et</strong> justifiés <strong>de</strong> leur donner ce nom par le fait que le mot lai, par une<br />
extrapolation <strong>de</strong> l’usage qu’elle en fait, est employé après elle, pour désigner <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
contes en vers plus ou moins analogues aux siens ? Ce débat ancien a, pour<br />
l’essentiel, été clarifié <strong>de</strong>puis longtemps, entre autres par la belle analyse <strong>de</strong> Martín<br />
<strong>de</strong> Riquer, « La ‘aventure’, el ‘lai’ y el ‘conte’, en Marie di Francia », dans Filologia<br />
Romanza II, 1, p. 1-19. On a cependant examiné systématiquement les occurrences<br />
du mot lai chez Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong> <strong>et</strong> dans les « lais anonymes », au début <strong>et</strong> à la fin<br />
<strong>de</strong> chaque pièce ainsi que dans le prologue <strong>de</strong> Marie. D’une part, le caractère<br />
musical <strong><strong>de</strong>s</strong> lais br<strong>et</strong>ons dont s’inspirent les « lais narratifs » ne fait aucun doute <strong>et</strong><br />
est mentionné à plusieurs reprises, sans ambiguïté. D’autre part, Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
ou l’auteur anonyme disent toujours qu’ils racontent « l’aventure du lai », l’histoire<br />
à partir <strong>de</strong> laquelle les Br<strong>et</strong>ons ont fait un lai. Les <strong>de</strong>ux traits se combinent <strong>de</strong><br />
façon significative au début du lai anonyme <strong>de</strong> Doon :<br />
Doon, cest lai sevent plusor : Doon : ce lai, beaucoup le connaissent ;<br />
N’i a gueres bon harpëor il n’y a guère <strong>de</strong> bon harpeur<br />
Ne sache les notes harper ; qui ne sache en jouer la mélodie sur la harpe.<br />
Nes je vos voil dire e conter Et moi aussi, je veux vous dire <strong>et</strong> vous raconter<br />
L’aventure dont li Br<strong>et</strong>on l’aventure à partir <strong>de</strong> laquelle les Br<strong>et</strong>ons<br />
Apelerent cest lai Doon. appelèrent ce lai Doon. (v. 1-6)<br />
Tous les bons musiciens savent jouer le lai <strong>de</strong> Doon ; <strong>de</strong> son côté, l’auteur va<br />
raconter l’aventure à partir <strong>de</strong> laquelle les Br<strong>et</strong>ons ont appelé ce lai Doon. Mais<br />
jamais l’auteur ne dit que le conte qu’il compose est un lai. Sur trente-cinq ou<br />
trente-six occurrences <strong>de</strong> ce genre, on en trouve une seule, au début <strong>de</strong> Bisclavr<strong>et</strong>,<br />
dans lequel le mot lai paraît désigner les contes mêmes composés par Marie <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong>. On a longuement commenté ce passage, rendu ambigu par une erreur <strong>de</strong><br />
transcription du manuscrit (unique en c<strong>et</strong> endroit) dans les <strong>de</strong>ux éditions <strong>de</strong><br />
référence <strong>et</strong> par une inexactitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> traduction fondée sur c<strong>et</strong>te erreur même. On
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 713<br />
a suggéré que le scribe <strong>de</strong> ce manuscrit British Library Harley 978, copié entre<br />
1261 <strong>et</strong> 1265, comme celui du manuscrit BnF nouv. Acq. fr. 1104, copié à la fin<br />
du XIII e ou au début du XIV e siècle, qui réserve une section aux « Lais <strong>de</strong><br />
Br<strong>et</strong>aigne », pouvaient donner au mot lai le sens <strong>de</strong> « conte en vers » que Marie<br />
elle-même ne lui donnait pas encore.<br />
Bref, le processus est le suivant : une aventure se produit ; les Br<strong>et</strong>ons en gar<strong>de</strong>nt<br />
la mémoire en composant un lai musical, joué sur la harpe, sans doute avec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
paroles, en attachant une gran<strong>de</strong> importance au nom par lequel le lai est désigné ;<br />
Marie (ou l’auteur anonyme) raconte l’histoire, c’est-à-dire remonte à l’aventure<br />
dont le lai conserve la mémoire.<br />
Mais alors, si on va <strong>de</strong> l’aventure à l’aventure, pourquoi ne pas faire l’économie<br />
du lai intermédiaire ? Pourquoi en faire état ? Parce qu’il est la source ? Mais la<br />
source est-elle le lai musical ou ce qu’on racontait à son propos <strong>et</strong> autour <strong>de</strong> lui,<br />
peut-être comme une introduction avant <strong>de</strong> l’interpréter, l’histoire à laquelle on le<br />
rattachait, sa razo en somme ? Le lai n’est mentionné que comme résonance<br />
poétique <strong>et</strong> ancrage dans la tradition.<br />
Marie considère le récit qui lui fournit la matière <strong>de</strong> son conte, <strong>et</strong> qu’elle appelle<br />
« l’aventure », comme la razo <strong>de</strong> la pièce poétique <strong>et</strong> musicale qu’est le lai br<strong>et</strong>on.<br />
Elle le dit en ces propres termes au début d’Eliduc :<br />
D’un mult anciën lai br<strong>et</strong>un<br />
Le cunte e tute la raisun<br />
Vus dirai… (v. 1-3)<br />
Il est clair que l’expression dire le conte <strong>et</strong> la raison d’un lai — le lai étant une<br />
pièce musicale <strong>et</strong> poétique — signifie développer le récit latent, aliment du poème<br />
chanté <strong>et</strong> que le poème — à supposer même qu’il n’ait pas été purement musical<br />
— ne peut abor<strong>de</strong>r que <strong>de</strong> façon allusive. Pourtant la situation, tout en étant<br />
analogue, est très différente <strong>de</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> razos <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours. Si l’on va <strong>de</strong><br />
l’aventure à l’aventure en supposant — mais en supposant seulement — le lai<br />
lyrique entre les <strong>de</strong>ux, cela implique, non que la razo qu’est le conte <strong>de</strong> Marie <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong> approfondit la poésie du poème, comme le feront les razos dans les<br />
chansonniers occitans, puisque ce poème est absent, puisque la razo en est le<br />
succédané <strong>et</strong> est composée précisément pour qu’il ne soit pas oublié, comme le dit<br />
Marie dans son prologue. C’est donc l’idée du poème absent, sa trace, l’affirmation<br />
obstinée, répétée, qu’elle veut en sauver la mémoire, qui poétisent le conte <strong>de</strong><br />
Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong>. C’est pour cela qu’elle a besoin <strong>de</strong> le mentionner <strong>et</strong> qu’elle ne<br />
peut aller directement <strong>de</strong> l’aventure à l’aventure, du récit dont le lai gar<strong>de</strong> la<br />
mémoire à son propre récit. Car, comme on l’a montré à partir <strong>de</strong> nombreux<br />
exemples, mais particulièrement ceux <strong>de</strong> Chaitivel <strong>et</strong> du Lecheor, on porte une<br />
attention presque maniaque au titre du lai : c’est tout ce qui reste du lai br<strong>et</strong>on<br />
dans le conte ; c’est le titre qui marque le conte comme le prolongement poétique<br />
d’un poème.
714 MICHEL ZINK<br />
Le lai narratif n’existe que par métonymie. Si ce mot a fini par désigner un conte<br />
racontant une histoire qui a d’autre part inspiré un poème, c’est que Marie <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong> a réussi à persua<strong>de</strong>r ses lecteurs que le conte ne peut exister sans le poème,<br />
que l’histoire en elle-même n’est rien sans c<strong>et</strong>te mémoire fragile <strong>et</strong> allusive qui en<br />
oublie les péripéties <strong>et</strong> en concentre l’émotion. Son art <strong>de</strong> conteuse est pénétré <strong>de</strong><br />
c<strong>et</strong>te conviction. La poésie <strong>de</strong> ses récits est <strong>de</strong> donner l’impression que ses récits<br />
s’enracinent dans <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes qui ne racontent pas tout.<br />
Rappelons-nous son prologue, <strong>et</strong> l’allusion à Priscien : Marie invoque l’auteur<br />
ancien d’un traité <strong>de</strong> grammaire qui est également lu comme une anthologie <strong>de</strong><br />
citations — autrement dit comme un recueil <strong>de</strong> fragments — pour dire que le sens<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> œuvres ne se découvre que peu à peu <strong>et</strong> que la réflexion <strong><strong>de</strong>s</strong> générations<br />
successives l’approfondit. Pour montrer que, même si elle a renoncé à adapter une<br />
œuvre latine, son travail <strong>et</strong> son ambition restent les mêmes, elle doit m<strong>et</strong>tre en<br />
évi<strong>de</strong>nce que ses contes se fon<strong>de</strong>nt chaque fois sur <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes produits par chacune<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> ces histoires, mais qui ne la racontent pas, puisque, précisément, ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
« morceaux » musicaux <strong>et</strong> poétiques. À elle d’en r<strong>et</strong>rouver le sens <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’approfondir.<br />
Le sens, ce n’est pas seulement une idée ou une leçon abstraites. C’est l’ensemble<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s, <strong><strong>de</strong>s</strong> résonances, <strong><strong>de</strong>s</strong> prolongements, <strong><strong>de</strong>s</strong> émois indicibles, <strong><strong>de</strong>s</strong> nœuds<br />
affectifs que recèle le poème <strong>et</strong> que, dans la pratique médiévale, comme les razos<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours le montrent, le récit peut m<strong>et</strong>tre au jour aussi bien que l’analyse<br />
ou le commentaire critiques. Celui qui a le mieux compris, dans c<strong>et</strong> esprit, la<br />
relation entre le lai musical <strong>et</strong> le récit, c’est, une fois <strong>de</strong> plus, Dante, comme on le<br />
voit au chant IX du Purgatoire (v. 13-15).<br />
Il avait été souligné au début du <strong>cours</strong> que les novas s’enracinent explicitement<br />
dans les chansons <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours <strong>et</strong> qu’elles les citent constamment, tandis que<br />
les lais <strong>de</strong> Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong>, qui s’enracinent explicitement dans les lais br<strong>et</strong>ons, ne<br />
les citent jamais, à l’exception <strong>de</strong> leurs titres : le rapport du récit en vers au poème<br />
lyrique est donc entièrement différent. Mais ce qui rapproche les lais <strong>de</strong> Marie <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> novas, c’est qu’ils sont également re<strong>de</strong>vables aux chansons <strong>de</strong> troubadour,<br />
sans jamais cependant les citer ni s’en réclamer. Comment s’en étonner ? Quelle<br />
qu’ait été l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong>, il ne fait pas <strong>de</strong> doute qu’elle ait été liée<br />
au milieu Plantagenêt. C’est aussi le cas d’un grand nombre <strong>de</strong> troubadours, entre<br />
autres <strong>de</strong> Bernard <strong>de</strong> Ventadour. Car même s’il n’est pas absolument certain que<br />
le senhal « Mon Aziman » désigne Aliénor d’Aquitaine <strong>et</strong> même si les renseignements<br />
que donne sur elle la vida écrite par Uc <strong>de</strong> Saint-Circ sont erronés, il n’en <strong>de</strong>meure<br />
pas moins qu’il dédie explicitement <strong>de</strong>ux chansons à Henri II Plantagenêt <strong>et</strong> qu’il<br />
semble bien, à lire la chanson Lancan vei per mei la landa, être allé en<br />
Angl<strong>et</strong>erre.<br />
L’exemple r<strong>et</strong>enu pour illustrer l’usage que fait Marie <strong>de</strong> sa connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
troubadours a été son emploi <strong>de</strong> surplus, comme euphémisme désignant les faveurs<br />
ultimes accordées par une femme, au v. 533 <strong>de</strong> Guigemar, par comparaison, non<br />
seulement avec le même emploi dans un passage fameux du Conte du Graal <strong>de</strong>
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 715<br />
Chrétien <strong>de</strong> Troyes, mais aussi avec celui, dans le même sens, <strong>de</strong> plus au v. 18 <strong>de</strong><br />
la chanson Be˙m cui<strong>de</strong>i <strong>de</strong> chantar sofrir <strong>de</strong> Bernard <strong>de</strong> Ventadour :<br />
E car vos plac que˙m fez<strong>et</strong>z tan d’onor Et puisqu’il vous a plus <strong>de</strong> me faire tant<br />
d’honneur<br />
Lo jorn que˙m d<strong>et</strong>z en baizan vostr’amor, le jour où vous m’avez donné d’un baiser<br />
votre amour,<br />
Del plus, si˙us platz, prend<strong>et</strong>z esgardamen ! pensez, s’il vous plaît, au plus !<br />
De même qu’en commençant l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> chansons où il fait mention à la fois du<br />
roi d’Angl<strong>et</strong>erre <strong>et</strong> <strong>de</strong> son « Aimant » par Ge˙s <strong>de</strong> chantar no˙m pren talan, Bernard<br />
reprend, mais en l’inversant, le premier vers <strong>de</strong> la célèbre chanson d’adieu <strong>de</strong> son<br />
prédécesseur Guillaume IX, le premier troubadour, Pos <strong>de</strong> chantar m’es pres talentz,<br />
<strong>de</strong> même ces vers font très certainement allusion à la quatrième strophe <strong>de</strong> la<br />
chanson du même Guillaume IX, Ab la dolchor <strong>de</strong>l temps novel, dans laquelle le<br />
comte se souvient du jour où celle qu’il aime lui a accordé son amour :<br />
Enquer me membra d’un mati Il me souvient sans cesse d’un matin<br />
Que nos fezem <strong>de</strong> guerra fi, où nous avons mis fin à la guerre,<br />
E que˙m don<strong>et</strong> un don tan gran, <strong>et</strong> où elle me fit ce don immense :<br />
Sa drudari’e son anel. son amour <strong>et</strong> son anneau.<br />
À ce point, Bernard, qui s’est fait l’écho <strong>de</strong> son prédécesseur presque jusqu’au jeu<br />
<strong>de</strong> mots (que˙m don<strong>et</strong> un don tan gran dans la chanson <strong>de</strong> Guillaume IX, que˙m<br />
fez<strong>et</strong>z tan d’onor dans la sienne), souhaite obtenir en plus le « plus ». Et Guillaume,<br />
que souhaitait-il ? Les <strong>de</strong>ux vers qui terminent la strophe sont bien connus :<br />
Enquer me lais Dieux viure tan Que Dieu me laisse vivre assez longtemps<br />
C’aja mas manz soz so mantel ! pour que j’aie (un jour) mes mains sous son<br />
manteau !<br />
Les <strong>de</strong>ux poèmes sont ceux d’amants heureux, mais qui pourraient l’être davantage.<br />
Chacun imagine à sa manière le surplus qui portera au comble sa félicité <strong>et</strong> chacun<br />
l’exprime à sa manière, tous <strong>de</strong>ux partageant le souci <strong>de</strong> ne pas l’exprimer jusqu’au<br />
bout <strong>et</strong> <strong>de</strong> ne pas dire l’indicible. Bernard dissimule l’indicible sous le voile <strong>de</strong><br />
l’euphémisme en en disant effectivement le moins possible <strong>et</strong> en se contentant <strong>de</strong> la<br />
brièv<strong>et</strong>é abstraite du monosyllabe « plus » ; Guillaume s’abandonne à une<br />
imagination audacieuse, mais à l’audace r<strong>et</strong>enue. Au lieu du voile métaphorique<br />
d’un bref mot imprécis (plus), il use d’un voile matériel, concr<strong>et</strong> : le manteau sous<br />
lequel se glissent les mains <strong>et</strong> qui voile, qui dissimule leur geste avi<strong>de</strong>. Voile, ou, pour<br />
utiliser les termes qui étaient à c<strong>et</strong>te époque même, chez les chartrains, ceux <strong>de</strong><br />
l’herméneutique <strong>et</strong> <strong>de</strong> la poétique, involucrum, integumentum : termes qui désignent<br />
une étoffe, un vêtement, une enveloppe qui recouvre <strong>et</strong> dissimule — l’étoffe, le voile,<br />
le vêtement <strong><strong>de</strong>s</strong> figures poétiques ou du sens littéral qui recouvrent <strong>et</strong> dissimulent le<br />
sens second, que la perspicacité du lecteur doit m<strong>et</strong>tre au jour. L’étoffe, le voile, le<br />
vêtement : autant dire le manteau. Guillaume nomme l’integumentum concr<strong>et</strong>,<br />
littéral, qui, concrètement, dissimule l’obj<strong>et</strong> du désir <strong>et</strong> sa poursuite. Bernard recourt<br />
à l’integumentum métaphorique, celui <strong><strong>de</strong>s</strong> mots <strong>et</strong>, puisqu’il s’agit <strong>de</strong> dissimuler
716 MICHEL ZINK<br />
l’indicible, il emploie le mot le plus bref possible, le plus général possible. « Plus ! » :<br />
en une seule syllabe, le cri <strong>de</strong> l’insatiable.<br />
Marie, pour sa part, raconte, étape par étape, la rencontre, l’amour naissant, l’aveu,<br />
les premières privautés entre Guigemar <strong>et</strong> la jeune femme enfermée par son mari<br />
jaloux, auprès <strong>de</strong> laquelle l’a conduit la nef enchantée. Parvenue au moment où la<br />
pu<strong>de</strong>ur interdit au récit <strong>de</strong> se poursuivre avec le même détail, elle se souvient du<br />
« plus » <strong>de</strong> Bernard <strong>de</strong> Ventadour <strong>et</strong> y recourt. Mais ce n’est qu’alors, dans le cadre du<br />
récit développé, que ce « plus », développé, allongé lui-même en « surplus », joue<br />
véritablement son rôle d’euphémisme. Il marque, avec une discrétion apparente <strong>et</strong>,<br />
en réalité, une certaine complaisance, une ellipse dans le récit, <strong><strong>de</strong>s</strong> points <strong>de</strong><br />
suspension. Les troubadours, pour leur part, situent leur poème tout entier au point<br />
exact où il n’y a pas <strong>de</strong> récit : rien que la requête, nourrie du souvenir <strong>de</strong> ce qui s’est<br />
passé <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’attente <strong>de</strong> ce qui pourrait se passer. Au moment même du poème, il n’y<br />
a rien à raconter, il ne se passe rien. Dans c<strong>et</strong>te pause du récit, le monosyllabe « plus »<br />
éclate, résonne, emplit l’imagination, comme le font aussi les mains dont le manteau<br />
dissimule l’audace : le « plus » <strong>et</strong> les mains sous le manteau n’agissent pas comme <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
euphémismes, mais plutôt comme une amplification assourdissante, aveuglante <strong>de</strong><br />
trop <strong>de</strong> proximité. Une telle proximité du désir que l’amant y est immergé, n’entend<br />
plus résonner qu’une syllabe, ne voit plus ce qui lui est trop proche.<br />
Marie <strong>de</strong> <strong>France</strong>, au contraire, utilise le « surplus » pour atténuer, pour détourner<br />
le regard du lecteur <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux amants couchés ensemble <strong>et</strong> placer en écran <strong>de</strong>vant lui<br />
la connaissance abstraite <strong>de</strong> ce que « les autres ont l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> faire » dans ce genre<br />
<strong>de</strong> circonstances. Dans ce cas précis, c’est en glissant sur le « surplus » <strong>et</strong> en substituant<br />
au récit le renvoi allusif à une expérience commune <strong>et</strong> à une connaissance générale<br />
qu’elle fait pour un instant <strong>de</strong> la poésie lyrique le soutien <strong>et</strong> le substitut <strong>de</strong> son récit <strong>et</strong><br />
qu’elle préserve, mais en en gauchissant le sens, le suspens du poétique dans le<br />
déroulement <strong>de</strong> ce récit. Peut-être procè<strong>de</strong>-t-elle <strong>de</strong> la même façon au regard <strong><strong>de</strong>s</strong> lais<br />
br<strong>et</strong>ons. Peut-être existe-t-il une relation analogue entre les développements <strong>et</strong> les<br />
silences <strong>de</strong> ses récits d’une part, les paroles <strong>et</strong> les silences <strong><strong>de</strong>s</strong> lais br<strong>et</strong>ons d’autre part,<br />
mais nous n’en savons rien, faute <strong>de</strong> connaître ces lais. Nous <strong>de</strong>vons bien nous<br />
contenter <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes dont, dans le détail, elle s’inspire : ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours.<br />
On a ensuite étudié la situation <strong><strong>de</strong>s</strong> saluts d’amour entre chanson <strong>et</strong> roman à partir<br />
d’une comparaison entre l’insomnie amoureuse <strong>de</strong> Didon dans le Roman d’Enéas, qui<br />
développe en près <strong>de</strong> quarante vers les cinq célèbres premiers vers du Livre IV <strong>de</strong><br />
l’Enéi<strong>de</strong>, <strong>et</strong> celle du poète Arnaud <strong>de</strong> Mareuil, évoquée plus longuement encore dans<br />
son premier salut d’amour, Dona genser qe ne sai dir. C<strong>et</strong> examen, trop minutieux <strong>et</strong><br />
trop long pour être ici résumé, a fait appel à bien d’autres poèmes, <strong>de</strong> Cligès à Cerveri<br />
<strong>de</strong> Girona <strong>et</strong> à Auzias March, en passant par d’autres troubadours <strong>et</strong> par le troisième<br />
salut d’amour d’Arnaud <strong>de</strong> Mareuil lui-même. Il a mis en évi<strong>de</strong>nce, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong><br />
l’i<strong>de</strong>ntité <strong><strong>de</strong>s</strong> motifs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> détails, la tension poétique dans le salut d’amour entre une<br />
narration ordonnée <strong>et</strong> un ressassement obsessionnel dont le caractère onirique <strong>et</strong> le<br />
bouleversement sensuel se révèlent dans <strong><strong>de</strong>s</strong> détails, comme l’emploi particulier <strong>de</strong>
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 717<br />
<strong>de</strong>ves ou le fait que le poète compare la satisfaction érotique qu’il lui semble éprouver<br />
en rêve à celle, non <strong><strong>de</strong>s</strong> amoureux, mais <strong><strong>de</strong>s</strong> amoureuses illustres.<br />
Au bout <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te nuit passée dans les tourments amoureux, dans les ambiguïtés,<br />
dans les contradictions <strong>et</strong> dans les obsessions <strong>de</strong> l’amour, Arnaud ne se lèvera pas,<br />
comme Didon, pour aller se confier à sa sœur Anne. L’histoire est ressassée, <strong>et</strong> non<br />
pas poursuivie. La poésie est bien une poésie du récit, mais d’un récit conçu<br />
comme une exploration <strong><strong>de</strong>s</strong> strates <strong>de</strong> la conscience, un approfondissement <strong>et</strong> un<br />
ressassement, non comme la succession <strong>de</strong> péripéties nouvelles.<br />
Enfin, la relation entre les novas <strong>et</strong> les chansons a été abordée sous <strong>de</strong>ux angles.<br />
D’une part, les novas comme développement <strong><strong>de</strong>s</strong> chansons. Ce point a été illustré<br />
par la plus connue <strong><strong>de</strong>s</strong> novas, la Nouvelle du perroqu<strong>et</strong>, <strong>et</strong> les questions posées par<br />
sa tradition manuscrite. Seul le ms. R poursuit le récit jusqu’à l’incendie du château<br />
par le perroqu<strong>et</strong>, qui perm<strong>et</strong> ainsi aux amants <strong>de</strong> se r<strong>et</strong>rouver brièvement pendant<br />
que tout le mon<strong>de</strong> est occupé à éteindre le feu. Les autres manuscrits s’arrêtent au<br />
moment où le perroqu<strong>et</strong> rend compte à son maître du succès <strong>de</strong> son ambassa<strong>de</strong><br />
ou concluent par un débat amoureux entre la dame <strong>et</strong> le chevalier.<br />
On voit l’intérêt que présente pour nous c<strong>et</strong>te situation. La nouvelle développe<br />
sous forme narrative la thématique <strong><strong>de</strong>s</strong> chansons, qu’il s’agisse <strong><strong>de</strong>s</strong> arguments du<br />
débat amoureux, du cadre du verger, du motif du jaloux <strong>et</strong> plus encore <strong>de</strong> celui <strong>de</strong><br />
l’oiseau messager. Mais, selon les versions, elle la développe plus ou moins <strong>et</strong> elle la<br />
développe différemment. Les manuscrits qui s’arrêtent au vers 140 présentent une<br />
version proche <strong><strong>de</strong>s</strong> chansons : pour le thème, sinon pour l’esprit, on n’est pas si loin<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux chansons <strong>de</strong> l’estournel <strong>de</strong> Marcabru. Les manuscrits qui se terminent par<br />
un débat amoureux entre la dame <strong>et</strong> le chevalier restent dans la tonalité lyrique, en<br />
poussant dans la direction qui est celle <strong><strong>de</strong>s</strong> autres novas, celle <strong>de</strong> la casuistique<br />
amoureuse. Le manuscrit R déplace l’intérêt sur une péripétie <strong>de</strong> fantaisie, métaphore<br />
du feu <strong>de</strong> l’amour <strong>et</strong> preuve que la passion ne recule <strong>de</strong>vant rien. C’est sa version qui<br />
a fait la gloire <strong>de</strong> la nouvelle, sans que l’on puisse savoir si Arnaud <strong>de</strong> Carcassès, qui<br />
se l’attribue <strong>et</strong> dont le nom n’apparaît que dans c<strong>et</strong>te version <strong>et</strong> dans ce manuscrit,<br />
est un remanieur <strong>de</strong> la version brève antérieure ou s’il est l’auteur <strong>de</strong> l’œuvre entière.<br />
Bien que <strong><strong>de</strong>s</strong> arguments puissent être invoqués dans les <strong>de</strong>ux sens, on a suggéré que<br />
la version brève pourrait bien être la version d’origine, comme le pensaient les<br />
premiers philologues à s’être penchés sur ce texte.<br />
C<strong>et</strong>te nouvelle est une variation sur le motif <strong>de</strong> l’oiseau messager, entraînée hors<br />
du cadre lyrique qui lui est habituel. La fantaisie <strong>et</strong> le fantastique du motif sont<br />
naturels à la chanson <strong>et</strong> y trouvent leur place sans effort par la grâce <strong>de</strong> la brièv<strong>et</strong>é<br />
allusive du poème. Mais ils ressortent fortement dès lors qu’ils sont développés par<br />
le récit. Au lieu d’être voilés <strong>et</strong> spontanément acceptés, ils sont mis en valeur <strong>et</strong><br />
soulignés par l’outrance <strong>et</strong> le comique du personnage du perroqu<strong>et</strong>, bavard habile<br />
<strong>et</strong> satisfait <strong>de</strong> lui-même, vrp <strong>de</strong> l’amour. Il n’est pas étonnant que c<strong>et</strong>te tendance<br />
ait été accentuée par l’épiso<strong>de</strong> lui-même outrancier <strong>de</strong> l’incendie du château.
718 MICHEL ZINK<br />
D’autre part, on a étudié le re<strong>cours</strong> aux citations <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours dans les novas<br />
à partir d’une citation <strong>de</strong> Raimbaut d’Orange légèrement modifiée par Raimon<br />
Vidal <strong>de</strong> Besalú pour être insérée dans En aquel temps c’om era gais, avec pour<br />
conséquence, non seulement une banalisation <strong>de</strong> la forme, mais aussi une<br />
modification du sens, alors même que les changements paraissent insignifiants.<br />
La conclusion générale a, entre autres, tenté <strong>de</strong> montrer pourquoi le dialogue<br />
entre le narratif <strong>et</strong> le lyrique a pour eff<strong>et</strong> d’imposer au premier une esthétique du<br />
fragment.<br />
À Paris, après une ouverture par le professeur, le séminaire, en relation avec le<br />
<strong>cours</strong>, a accueilli six invités. Le 15 janvier 2008, Milena Mikhailova, maître <strong>de</strong><br />
conférences à l’université <strong>de</strong> Limoges : « Entre pierreries <strong>et</strong> ombres, contez, vous qui<br />
savez <strong>de</strong> nombre. L’accomplissement du chant courtois. » Le 22 janvier, Véronique<br />
Dominguez, maître <strong>de</strong> conférences à l’université <strong>de</strong> Nantes : « Le théâtre comme<br />
récit : remarques sur la poétique <strong>de</strong> la Passion <strong>de</strong> Semur (XV e siècle). » Le 29 janvier,<br />
Nathalie Koble, maître <strong>de</strong> conférences à l’École Normale Supérieure : « Abréger les<br />
romans en prose : « visce <strong>de</strong> mauvais escrivain » ou art poétique du translater ? »<br />
Le 5 février, Carla Rossi, docteur ès l<strong>et</strong>tres : « Posture d’auteur <strong>et</strong> choix i<strong>de</strong>ntitaire :<br />
si sui <strong>de</strong> <strong>France</strong>. » Le 12 février, Sylvie Lefèvre, professeur à l’université <strong>de</strong> Tours :<br />
« La tentation lyrique ou allégorique <strong><strong>de</strong>s</strong> saluts-complaintes. » Le 19 février, Andrea<br />
Valentini, ingénieur <strong>de</strong> recherche au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> : « Le récit comme poésie :<br />
les monologues lyriques dans quelques romans arthuriens en vers <strong><strong>de</strong>s</strong> XII e <strong>et</strong> XIII e<br />
siècles. »<br />
Le séminaire s’est poursuivi à l’université <strong>de</strong> Chicago le vendredi 11 avril 2008,<br />
sous la forme d’un colloque réuni autour <strong>de</strong> Michel Zink à l’initiative <strong>de</strong> Daisy<br />
Delogu sur le thème : « Ce que la poésie raconte. » L’exposé d’ouverture <strong>de</strong> Michel<br />
Zink a été suivi <strong><strong>de</strong>s</strong> communications suivantes : Elizab<strong>et</strong>h Poe (Tulane University),<br />
« In the Beginning was the Razo » ; H. Justin Steinberg (University of Chicago),<br />
« Making Poems Tell Stories in Dante’s Vita Nuova » ; Kevin Brownlee (University<br />
of Pennsylvania), « Po<strong>et</strong>ry, Music and Narrative in Guillaume <strong>de</strong> Machaut’s<br />
Mot<strong>et</strong>s » ; David Hult (University of California, Berkeley), « Thoughts of the mise<br />
en scène of the lyric voices : Alain Chartier’s Belle Dame sans Mercy » ; Nancy<br />
Freeman Regalado (New York University), « Who tells the stories of po<strong>et</strong>ry / Qui<br />
raconte la poésie ?: Villon and his Rea<strong>de</strong>rs ». Le colloque s’est conclu sur une table<br />
ron<strong>de</strong> animée par Claudio Giunta (Università <strong>de</strong>gli studi di Trento), Alison James<br />
(University of Chicago), Mark Payne (University of Chicago) <strong>et</strong> Eleonora Stoppino<br />
(University of Illinois, Urbana-Champaign).<br />
S’agissant du <strong>cours</strong>, six heures ont été délocalisées à l’université <strong>de</strong> Toulouse II,<br />
à l’université <strong>de</strong> Chicago <strong>et</strong> à l’université <strong>de</strong> Bonn.<br />
Toutes les heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong> données à Paris ont été diffusées par <strong>France</strong>-Culture<br />
dans le cadre <strong>de</strong> l’émission « Éloge du savoir » <strong>et</strong> sont disponibles en podcast sur<br />
le site du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.
Livre<br />
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 719<br />
Activités du professeur<br />
Publications<br />
Un portefeuille toulousain, Paris, Éditions <strong>de</strong> Fallois, 2007, 234 p.<br />
Articles<br />
« Paul Zumthor. La vie ouverte en poésie », dans Paul Zumthor. Traversées, sous la<br />
direction d’Eric Méchoulan <strong>et</strong> <strong>de</strong> Marie-Louise Ollier, Presses <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Montréal,<br />
2007, p. 187-193.<br />
« La frontière <strong>et</strong> la définition <strong>de</strong> la littérature », dans L’idée <strong>de</strong> frontière dans les littératures<br />
romanes. Actes du Colloque international, Sofia, 25-27 février 2005. Textes réunis par Stoyan<br />
Atanassov, Presses Universitaires <strong>de</strong> Sofia « Saint Clément d’Ohrid », 2007, p. 14-21.<br />
« Medioevo al presente », dans Il Sole — 24 Ore, 9 septembre 2007, p. 32 (trad. Carlo<br />
Ossola).<br />
« Conclusions », dans La place <strong>de</strong> la musique dans la culture médiévale. Actes du Colloque<br />
organisé à la Fondation Singer-Polignac le mercredi 25 octobre 2006. Édités par Olivier<br />
Cullin, Turnhout, Brepols, 2007, p. 139-143.<br />
« Conclusions », dans La traduction vers le moyen français. Actes du II e colloque <strong>de</strong><br />
l’AIEMF, Poitiers, 27-29 avril 2006. Dir. Claudio Gal<strong>de</strong>risi <strong>et</strong> Cinzia Pignatelli, Turnhout,<br />
Brepols, 2007, p. 453-457.<br />
« Jacques Le Goff <strong>et</strong> la voix poétique », dans L’Europe <strong>et</strong> le livre au Moyen Âge — II<br />
Hommage au Prof. Jacques Le Goff. Revista portuguesa <strong>de</strong> história do livro, Revue portugaise<br />
d’histoire du livre X, 2006, n° 20, p. 305-310 (parution automne 2007).<br />
« El Grial o el mito <strong>de</strong> la salvación », dans Philía. Revista <strong>de</strong> la Bibliotheca Mystica <strong>et</strong><br />
Philosophica Alois Maria Haas, 1, automne 2007, p. 115-140.<br />
« La narración <strong>de</strong> la poesia. Vidas y razos <strong>de</strong> los trovadores occitanos », dans De los orígines<br />
<strong>de</strong> la narrativa corta en occi<strong>de</strong>nte, Ginebra magnolia, TESSEL.LA, Lima (Pérou), 2007,<br />
p. 119-137.<br />
« The Place of the Senses », dans R<strong>et</strong>hinking the Medieval Senses. Heritage, Fascinations,<br />
Frames, éd. Stephen G. Nichols, Andreas Kablitz <strong>et</strong> Alison Calhoun, Baltimore, Johns<br />
Hopkins U. P., 2008, p. 93-101.<br />
« Raimon <strong>de</strong> Miraval, entrem<strong>et</strong>teur ou éternel mari ? », dans L’homme dans le texte.<br />
Mélanges offerts à Stoyan Atanassov à l’occasion <strong>de</strong> son 60 e anniversaire, Sofia, Presses<br />
universitaires <strong>de</strong> Sofia « Saint Clément d’Ohrid », 2008, p. 29-38.<br />
« Le XII e siècle français : le rayonnement sans la puissance », dans <strong>France</strong> Forum, nouvelle<br />
série, n° 29, mars 2008, p. 36-38.<br />
« Pourquoi lire la poésie du passé ? », dans La conscience <strong>de</strong> soi <strong>de</strong> la poésie, sous la direction<br />
d’Yves Bonnefoy, Paris, Seuil, 2008, p. 161-169.<br />
« Introduction. La prison <strong>et</strong> la nature <strong>de</strong> la poésie », dans « Le loro prigioni » : scritture dal<br />
carcere, éd. Anna Maria Babbi <strong>et</strong> Tobia Zanon, Vérone, Edizioni Fiorini, 2008, p. 1-18.<br />
Comptes rendus, Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions <strong>et</strong> belles-l<strong>et</strong>tres : La Grèce antique sous le<br />
regard du Moyen Âge occi<strong>de</strong>ntal, éd. Jean Leclant <strong>et</strong> Michel Zink, dans Académie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres. Comptes rendus <strong><strong>de</strong>s</strong> séances <strong>de</strong> l’année 2006, juill<strong>et</strong>-octobre, Paris,<br />
De Boccard, 2006 (parution 2008), p. 1476-1479 ; Portraits <strong>de</strong> troubadours. Initiales <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
chansonniers provençaux I <strong>et</strong> K (Paris, BNF, ms. Fr. 854 <strong>et</strong> 12473), éd. Jean-Loup Lemaître<br />
<strong>et</strong> Françoise Vielliard, ibid., p. 1479-1481.
720 MICHEL ZINK<br />
Participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques<br />
4-6 octobre 2007, Beaulieu-sur-Mer. XVIII e colloque <strong>de</strong> la Villa Kérylos (Institut <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong>, Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres), « Pratiques <strong>et</strong> dis<strong>cours</strong> alimentaires en<br />
Méditerranée <strong>de</strong> l’Antiquité à la Renaissance.» Communication : « La poésie par le menu.<br />
Pourquoi la nourriture est-elle au Moyen Âge un suj<strong>et</strong> poétique ? ».<br />
20 octobre 2007, Paris, Fondation Singer-Polignac : « Les Académies en Europe,<br />
XIX e -XX e siècles ». Conclusions.<br />
22-23 octobre 2007, Paris, Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong> : « Les Académies en Europe au XXI e siècle ».<br />
Organisation scientifique <strong>de</strong> la rencontre. Conclusions générales.<br />
16-17 novembre 2007, Paris, Institut historique allemand — Institut hongrois : « Sainte<br />
Élisab<strong>et</strong>h (1207-1231). Huit siècles <strong>de</strong> rayonnement européen ». Communication : « La Vie<br />
<strong>de</strong> sainte Élisab<strong>et</strong>h <strong>de</strong> Hongrie <strong>de</strong> Rutebeuf ».<br />
24 mai 2008, Villa Lagarina (TN, Italie), Palazzo Guerrieri-Gonzaga, séminaire<br />
international organisé par Anna Maria Babbi, Claudio Gal<strong>de</strong>risi <strong>et</strong> Michel Zink, « Rileggere<br />
il Medioevo ». Exposé d’ouverture, prési<strong>de</strong>nce du colloque <strong>et</strong> conclusions.<br />
Conférences<br />
Oxford, Maison française, « Les images du récit <strong>et</strong> l’esprit du poème : réflexions sur<br />
« l’histoire d’amour sans paroles » du manuscrit Chantilly, Musée Condé 388 » (6 novembre<br />
2007) — Aubervilliers, Théâtre équestre Zingaro, Les lundis du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, « De<br />
l’utopie au carnaval : le théâtre du Moyen Âge » (12 novembre 2007). — Université <strong>de</strong><br />
Genève <strong>et</strong> Université <strong>de</strong> Zurich, « Perspectives sur la littérature du Moyen Âge : à la<br />
recherche <strong>de</strong> la bonne distance » (22 novembre <strong>et</strong> 12 décembre 2007). — Université <strong>de</strong><br />
Toulouse-Le Mirail, « Le Roman <strong>de</strong> Renard, roman <strong>de</strong> la faim » (27 novembre 2007). —<br />
Saint-Germain-en-Laye, cercle d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> médiévales « La Licorne », « Nature <strong>et</strong> poésie au<br />
Moyen Âge » (13 février 2008). — Université <strong>de</strong> Padoue, « La chanson volée. Arnaut<br />
Daniel, Anc ieu non l’aic, mas elha m’a (BdT 29, 2) <strong>et</strong> sa razo » (21 mai 2008). — Université<br />
<strong>de</strong> Vérone, « Que peut la littérature secondaire ? » (23 mai 2008).<br />
Distinction<br />
Le professeur a été lauréat du Prix Balzan 2007 (« Les littératures européennes :<br />
1000-1500 »).<br />
Publications :<br />
Activités <strong>de</strong> la chaire<br />
Odile Bombar<strong>de</strong>, maître <strong>de</strong> conférences<br />
« La pensée du rêve », dans Yves Bonnefoy. Poésie, recherche <strong>et</strong> savoirs (Actes du colloque<br />
<strong>de</strong> Cerisy), Daniel Lançon <strong>et</strong> Patrick Née éd., Paris, Hermann, 2007, p. 547-584.<br />
« Poésie <strong>et</strong> psychanalyse : « ouvrez-moi c<strong>et</strong>te porte… », dans La Conscience <strong>de</strong> soi <strong>de</strong> la<br />
poésie, Actes <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques <strong>de</strong> la Fondation Hugot, Seuil, 2008, p. 77-94.
Colloques :<br />
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 721<br />
« Mémoire fertile <strong>et</strong> souvenir rêvé », (Colloque Bau<strong>de</strong>laire <strong>et</strong> Nerval, poétiques comparées,<br />
Université <strong>de</strong> Zurich, 25-27 octobre 2007)<br />
« Du récit au poème, la ‘Femme noire’ <strong>de</strong> Pierre Jean Jouve », (Journée Visages <strong>de</strong> la poésie<br />
du XX e siècle, Université <strong>de</strong> Nancy III, 24 janvier 2008)<br />
Conférence :<br />
Catherine Fabre, maître <strong>de</strong> conférences<br />
« Ces Messieurs <strong>de</strong> la Religion », conférence donnée à La Val<strong>et</strong>te, Malte le 2 mai 2008.<br />
Publications :<br />
Livre<br />
Andrea Valentini, ingénieur <strong>de</strong> recherche<br />
Le remaniement du Roman <strong>de</strong> la Rose par Gui <strong>de</strong> Mori. Étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> édition <strong><strong>de</strong>s</strong> interpolations<br />
d’après le manuscrit Tournai, Bibliothèque <strong>de</strong> la Ville, 101, Bruxelles, Académie royale <strong>de</strong><br />
Belgique, « Anciens auteurs belges », n. s., 14, 2007, 306 p.<br />
Articles<br />
« Notice sur un manuscrit du Roman <strong>de</strong> la Rose ach<strong>et</strong>é par la Bibliothèque nationale <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong> (n.a.f. 28047) », dans Romance Philology, t. 61, 2007, p. 93-101.<br />
« Sur la date <strong>et</strong> l’auteur du remaniement du Roman <strong>de</strong> la Rose par Gui <strong>de</strong> Mori », dans<br />
Cahiers <strong>de</strong> l’AIEF, t. 59, 2007, p. 361-381 (publié une première fois dans Romania, t. 124,<br />
2006, p. 361-377 ; republié pour avoir obtenu le prix <strong>de</strong> l’AIEF 2006).<br />
« Entre traduction <strong>et</strong> commentaire érudit : Simon <strong>de</strong> Hesdin ‘translateur’ <strong>de</strong> Valère<br />
Maxime », dans Claudio Gal<strong>de</strong>risi <strong>et</strong> Cinzia Pignatelli dir., La traduction vers le moyen<br />
français. Actes du IIe colloque <strong>de</strong> l’AIEMF (Université <strong>de</strong> Poitiers, 27-29 avril 2006),<br />
Turnhout, Brepols, « The Medieval Translator », 11, 2007, p. 353-365.<br />
« D’adolescent inconscient à chevalier inconstant. Spécificité du héros dans le roman<br />
occitan <strong>de</strong> Jaufré », dans Gary Ferguson dir., L’homme en tous genres, numéro thématique<br />
d’Itinéraires, publication du Centre d’étu<strong>de</strong> « Nouveaux espaces littéraires » (Université <strong>de</strong><br />
Paris 13), à paraître en 2008.<br />
Conférences<br />
<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, séminaire <strong>de</strong> M. le Professeur Michel Zink, « Le récit comme poésie :<br />
les monologues lyriques dans quelques romans arthuriens en vers <strong><strong>de</strong>s</strong> XII e <strong>et</strong> XIII e siècles »<br />
(19 février 2008). — Université <strong>de</strong> Parme, « I monologhi <strong>de</strong>l romanzo di Jaufre sono <strong>de</strong>lle<br />
cansos ? » (5 mars 2008). — Université <strong>de</strong> Paris 3-Sorbonne nouvelle, « Les gloses lexicales<br />
<strong>et</strong> philologiques dans la traduction <strong>de</strong> Valère Maxime par Simon <strong>de</strong> Hesdin » (28 mars<br />
2008).
Littérature française mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine :<br />
histoire, critique, théorie<br />
M. Antoine Compagnon, professeur<br />
Cours : « Morales <strong>de</strong> Proust »<br />
Le <strong>cours</strong> a porté sur l’œuvre <strong>de</strong> Proust pour une <strong>de</strong>uxième année consécutive,<br />
mais, après « Proust : Mémoire <strong>de</strong> la littérature » en 2006-2007, sur un suj<strong>et</strong><br />
nouveau <strong>et</strong> tout autre, « Morales <strong>de</strong> Proust », suj<strong>et</strong> risqué <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux côtés : du côté<br />
<strong>de</strong> la morale, car celle-ci a été longtemps tenue pour hors-jeu dans les étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
littéraires, <strong>et</strong> du côté <strong>de</strong> Proust, car celui-ci a été longtemps tenu pour immoral ou<br />
amoral par la critique. Une double justification préalable fut donc nécessaire.<br />
Morale <strong>et</strong> littérature<br />
À la veille du premier <strong>cours</strong>, un correspondant me rappela, pour s’étonner du<br />
titre <strong>de</strong> l’année <strong>et</strong> pour y relever une inconséquence, que Le Démon <strong>de</strong> la théorie,<br />
publié il y a dix ans (1998), se terminait par c<strong>et</strong>te proposition : « La perplexité est<br />
la seule morale littéraire ». À l’époque, c’était une manière d’écarter un suj<strong>et</strong> qui<br />
n’avait pas été traité dans ce livre en réfutant toute récupération édifiante <strong>de</strong> la<br />
littérature, mais c’était aussi la preuve que la question se posait, qu’elle était<br />
ouverte, mais qu’on restait sur le seuil, qu’on ne le franchirait pas, ne se risquerait<br />
pas au-<strong>de</strong>là. La perplexité, le doute, l’irrésolution, le scepticisme étaient donnés<br />
comme les seules morales littéraires possibles, par opposition à toute forme <strong>de</strong><br />
certitu<strong>de</strong> morale, d’assurance éthique, existentielle ou ontologique que pourrait<br />
procurer la lecture. La littérature ouvre à la perplexité morale — la complication,<br />
l’embarras —, elle détruit les certitu<strong><strong>de</strong>s</strong> morales au lieu d’en donner ou <strong>de</strong> les<br />
consoli<strong>de</strong>r. Elle désillusionne <strong>et</strong> déniaise.<br />
Mais dans La Littérature, pour quoi faire ?, la leçon inaugurale <strong>de</strong> la chaire<br />
donnée l’an <strong>de</strong>rnier, j’observais un tournant <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> littéraires vers les usages <strong>et</strong><br />
les pouvoirs <strong>de</strong> la littérature, vers la littérature comme action, <strong>et</strong> vers la critique<br />
comme pragmatique <strong>de</strong> la littérature. Plutôt que d’un tournant, il pourrait s’agir
724 ANTOINE COMPAGNON<br />
d’un revirement, d’un reniement ou même d’une trahison, pour un homme <strong>de</strong> ma<br />
génération grandi hors <strong>de</strong> la critique éthique <strong>et</strong> longtemps très éloigné d’elle.<br />
Après la théorie <strong>et</strong> l’histoire, serait ainsi venu le temps <strong>de</strong> la critique, c’est-à-dire<br />
<strong>de</strong> la réflexion sur les valeurs créées <strong>et</strong> transmises par la littérature. Plusieurs<br />
explications peuvent être données <strong>de</strong> c<strong>et</strong> infléchissement, personnelles <strong>et</strong> collectives,<br />
ces <strong>de</strong>ux ordres étant d’ailleurs solidaires <strong>et</strong> indémêlables : on croyait être original ;<br />
on s’aperçoit qu’on a tout juste été typique.<br />
Le passage à l’éthique est un signe <strong>de</strong> l’âge, comme Stendhal commençait la Vie<br />
<strong>de</strong> Henry Brulard par ces mots : « Je vais avoir cinquante ans, il serait bien temps<br />
<strong>de</strong> me connaître. Qu’ai-je été ? Que suis-je ? En vérité, je serais bien embarrassé <strong>de</strong><br />
le dire. » Un tournant moral engage un r<strong>et</strong>our à soi. Mon attitu<strong>de</strong> envers la<br />
littérature a changé. On a longtemps pu se passer <strong>de</strong> poser <strong><strong>de</strong>s</strong> questions morales<br />
— en tout cas expressément morales — à la littérature. On a longtemps cru qu’elle<br />
nous rendait plus intelligents, non meilleurs. À présent je me dis que si ce qu’elle<br />
pouvait, c’était nous rendre meilleurs, ou moins mauvais, ce serait suffisant.<br />
Mais c’est aussi un signe <strong><strong>de</strong>s</strong> temps : un « tournant éthique » a eu lieu dans les<br />
étu<strong><strong>de</strong>s</strong> littéraires au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1990. Le « suj<strong>et</strong> », aux <strong>de</strong>ux sens du terme,<br />
s’était absenté <strong>de</strong> ces étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>puis les années 1960 ou 1970 ; il était démodé ou<br />
disqualifié au temps <strong>de</strong> ma formation : dans Critique <strong>et</strong> vérité, par exemple, Roland<br />
Barthes s’élevait contre la morale défendue par l’ancienne critique, ses normes<br />
implicites, ses interdits bourgeois. La nouvelle critique ignorait la psychologie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
personnages au même titre que la biographie <strong><strong>de</strong>s</strong> auteurs, <strong>et</strong> elle réprouvait<br />
l’i<strong>de</strong>ntification <strong>et</strong> l’empathie : un même discrédit frappait biographie <strong>et</strong> psychologie,<br />
histoire littéraire <strong>et</strong> morale littéraire, comme les <strong>de</strong>ux faces, le recto <strong>et</strong> le verso, <strong>de</strong><br />
l’ancienne critique. La critique éthique était bourgeoise, idéologique, moins morale<br />
que moraliste ou moralisatrice, aliénante <strong>et</strong> aliénée : pensez-vous, la littérature<br />
nous rend meilleurs ! Quelle « moraline », suivant le mot <strong>de</strong> Ni<strong>et</strong>zsche. On ne fait<br />
pas <strong>de</strong> littérature avec <strong><strong>de</strong>s</strong> bons sentiments, aurait dit Gi<strong>de</strong> selon la rumeur. La<br />
littérature, c’est la souverain<strong>et</strong>é <strong>de</strong> la transgression, c’est l’expérience <strong><strong>de</strong>s</strong> limites.<br />
Hostiles à l’humanisme, on se situait aussi après l’existentialisme <strong>et</strong> le marxisme,<br />
qui tous <strong>de</strong>ux impliquaient encore une éthique, fût-ce une autre éthique : une<br />
politique <strong>de</strong> la littérature <strong>et</strong> une morale <strong>de</strong> l’engagement. On s’opposait autant à<br />
l’usage public <strong>et</strong> social qu’à l’usage privé <strong>et</strong> intime <strong>de</strong> la littérature. Le structuralisme<br />
<strong>et</strong> le poststructuralisme tournaient le dos à l’éthique comme à la politique.<br />
Ma génération a donc été élevée, dressée contre la lecture éthique ou morale <strong>de</strong> la<br />
littérature, contre une vision <strong>de</strong> la littérature occi<strong>de</strong>ntale comme création <strong>et</strong><br />
transmission <strong>de</strong> valeurs, vision commune <strong>de</strong>puis Aristote, qui rattachait la fonction<br />
<strong>de</strong> la littérature à son sens moral <strong>et</strong> qui définissait la catharsis — la purification ou<br />
purgation <strong><strong>de</strong>s</strong> passions <strong>et</strong> émotions, pour le dire vite — comme un bienfait <strong>de</strong> la<br />
littérature, en l’occurrence <strong>de</strong> la tragédie. La portée ou la valeur morale <strong>de</strong> la littérature<br />
relevait d’une tradition dont il était temps <strong>de</strong> se débarrasser : l’idée humaniste,<br />
perpétuée jusqu’au milieu du xx e siècle, qu’on vit mieux avec la littérature.
LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 725<br />
La fonction éthique <strong>de</strong> la littérature était déniée par la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> théoriciens :<br />
il y avait une illusion éthique auprès <strong><strong>de</strong>s</strong> autres illusions, biographique, référentielle<br />
<strong>et</strong> expressive. Plus platoniciens qu’aristotéliciens — la Poétique d’Aristote était<br />
restreinte à ses considérations formelles —, on se méfiait <strong><strong>de</strong>s</strong> arts, qui ren<strong>de</strong>nt plus<br />
sensibles <strong>et</strong> non moins sensibles, <strong>et</strong> on les condamnait comme <strong><strong>de</strong>s</strong> manipulations.<br />
Le théâtre <strong>de</strong> Brecht cherchait à empêcher la résolution cathartique <strong><strong>de</strong>s</strong> émotions,<br />
<strong>et</strong> la catharsis était vue comme un dispositif bourgeois.<br />
Ainsi l’éthique fut absente aux gran<strong><strong>de</strong>s</strong> heures <strong>de</strong> la théorie. On n’en parlait pas<br />
ou on la réprouvait. Mais la lecture morale <strong>de</strong> la littérature survivait <strong>de</strong> manière<br />
souterraine, un peu comme la religion dans les catacombes. À l’école, dans les<br />
<strong>cours</strong> <strong>de</strong> français : on les dit aujourd’hui compromis par la pédagogie formaliste,<br />
mais on n’a probablement jamais cessé <strong>de</strong> lire les fables <strong>de</strong> La Fontaine pour la<br />
morale. L’éthique n’avait pas vraiment disparu, même si elle restait implicite. La<br />
rhétorique, revenue à la mo<strong>de</strong> <strong>et</strong> qui définissait l’orateur par sa moralité comme<br />
vir bonus bene dicendi peritus, perm<strong>et</strong>tait <strong>de</strong> passer à l’éthique, même si, <strong><strong>de</strong>s</strong> trois<br />
livres d’Aristote — message, <strong>et</strong>hos <strong>et</strong> pathos —, on insistait sur le premier au<br />
détriment <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux autres. L’interdit éthique n’était donc pas si contraignant que<br />
cela, <strong>et</strong> il ne s’imposait qu’à ceux qui le voulaient bien.<br />
Et il ne fut qu’une parenthèse vite refermée. Avant elle, du temps <strong>de</strong><br />
l’existentialisme <strong>et</strong> du marxisme, voici comment Barthes lui-même, dans Le Degré<br />
zéro <strong>de</strong> l’écriture, définissait c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière : « L’écriture est donc essentiellement la<br />
morale <strong>de</strong> la forme ». La liberté <strong>et</strong> la responsabilité <strong>de</strong> l’écrivain étaient engagées<br />
dans le choix — éthique, politique — d’une écriture plus ou moins bourgeoise ou<br />
neutre. Après la parenthèse, au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, les <strong>cours</strong> <strong>de</strong> Barthes étaient déjà<br />
marqués par le r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> l’éthique, ou du « souci <strong>de</strong> soi » comme disait Foucault :<br />
« Vivre ensemble », ainsi s’intitula son premier <strong>cours</strong>. Sa conférence « Proust <strong>et</strong><br />
moi » proposait sous ce titre non pas une comparaison, mais une i<strong>de</strong>ntification<br />
fondée sur l’usage moral du livre Proust pour se connaître soi-même.<br />
Au reste, une réaction éthique à la littérature est ordinaire <strong>et</strong> inéluctable : quand<br />
je lis un roman ou un drame, je m’intéresse aux conflits moraux qui se posent aux<br />
héros, à leurs dilemmes existentiels, aux choix auxquels la vie – vie fictive – les<br />
soum<strong>et</strong> : Phèdre dénoncera-t-elle Hippolyte ? Avec quelles conséquences ? Je les<br />
approuve ou bien je les condamne ; en tout cas je les juge. La lecture est une<br />
expérience, une expérimentation <strong>et</strong> une épreuve morale. Le narrateur <strong>de</strong> la Recherche<br />
du temps perdu le sait bien, qui éprouve souvent le besoin <strong>de</strong> se justifier à nous,<br />
ses lecteurs, <strong>de</strong> ses actions, <strong>de</strong> ses mensonges, <strong>de</strong> son indifférence, <strong>de</strong> son voyeurisme<br />
ou <strong>de</strong> ses déloyautés.<br />
Nos habitu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> lecture sont héritées <strong>de</strong> la tradition morale <strong>de</strong>puis Aristote.<br />
Nous abordons la littérature avec un préjugé — une précompréhension<br />
herméneutique — en faveur <strong>de</strong> son interprétation morale, <strong>et</strong> <strong>de</strong> morale à moralisante<br />
ou moralisatrice, le pas est sûrement trop vite franchi. Aussi théoriciens que nous<br />
soyons, nous ne cessons pas <strong>de</strong> lire ingénument comme si les livres pouvaient nous
726 ANTOINE COMPAGNON<br />
donner <strong><strong>de</strong>s</strong> intuitions ou <strong><strong>de</strong>s</strong> idées morales, nous fournir un apprentissage moral,<br />
nous initier au contrôle <strong>de</strong> nos émotions.<br />
La dimension éthique la plus évi<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> la littérature tient au récit, c’est-à-dire<br />
à l’exposition narrative ou dramatique <strong>de</strong> problèmes moraux, incarnés dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
personnages, <strong><strong>de</strong>s</strong> vies, <strong><strong>de</strong>s</strong> subjectivités inventées <strong>et</strong> fictives. La littérature — en<br />
particulier le roman — est une modalité privilégiée <strong>de</strong> la réflexion morale, réflexion<br />
non systématique mais particularisante ou exemplaire, complexe <strong>et</strong> contextuelle.<br />
Comme telle, certains philosophes moraux soutiennent même qu’elle est<br />
irremplaçable pour former le caractère. Il y a une éthique du récit par opposition<br />
à celle du traité ou du système. Suivant <strong>de</strong> très anciens modèles, l’instruction<br />
morale peut prendre <strong>de</strong>ux formes, celle <strong><strong>de</strong>s</strong> règles <strong>et</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> récits, <strong><strong>de</strong>s</strong> lois <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
paraboles, comme dans la Bible. Le récit <strong>et</strong> le roman ont ainsi longtemps servi à<br />
l’initiation morale <strong><strong>de</strong>s</strong> adolescents occi<strong>de</strong>ntaux, après les vies <strong>de</strong> saints <strong>et</strong> avant les<br />
jeux vidéo, pour aller vite.<br />
Et la poésie ? W. H. Au<strong>de</strong>n, que je citais déjà dans Le Démon <strong>de</strong> la théorie,<br />
jugeait que la première question qui l’intéressait quand il lisait un poème était<br />
d’ordre technique : « Voici une machine verbale. Comment fonctionne-t-elle ? »<br />
Mais sa <strong>de</strong>uxième question était bien, au sens le plus large, morale : « Quelle sorte<br />
<strong>de</strong> type habite ce poème ? Quelle idée se fait-il <strong>de</strong> la belle vie ou du bon lieu ? Et<br />
quelle idée du mauvais lieu ? Que cache-t-il au lecteur ? Et que se cache-t-il aussi<br />
à lui-même ? »<br />
Morale <strong>et</strong> idéologie<br />
Certes, la mise en gar<strong>de</strong> marxiste doit être prise au sérieux : l’éthique se<br />
confondrait avec l’idéologie ; sous l’éthique, se dissimulerait la légitimation,<br />
l’universalisation ou la naturalisation du politique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’économique, c’est-à-dire<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> rapports <strong>de</strong> classe <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs d’un groupe. L’éthique n’est jamais qu’une<br />
illusion intersubjective qui voile la réalité politique ou économique <strong><strong>de</strong>s</strong> commerces<br />
humains comme rapports sociaux, comme si toute intersubjectivité — ainsi que<br />
toute subjectivité — était nécessairement factice, trompeuse, aliénée <strong>et</strong> aliénante.<br />
L’éthique est idéologique <strong>et</strong> bourgeoise ; c’est une forme <strong>de</strong> la fausse conscience,<br />
<strong>de</strong> la mauvaise foi, <strong>de</strong> l’hypocrisie ou <strong>de</strong> la duperie, <strong>de</strong> l’aveuglement sur sa<br />
condition, <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’aliénation. Elle doit être dépassée vers le politique.<br />
Paul Nizan s’en prenait ainsi aux philosophes bourgeois dans Les Chiens <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>,<br />
<strong>et</strong> notamment à la morale kantienne comme noyau <strong>de</strong> la morale faussement<br />
universelle : « […] toute la hardiesse <strong>de</strong> leur philosophie consista à i<strong>de</strong>ntifier la société<br />
humaine, toutes les sociétés humaines possibles avec la société bourgeoise, la raison<br />
humaine, toutes les raisons humaines possibles avec la raison bourgeoise. La morale<br />
humaine, avec la morale bourgeoise. De façon que les attaques contre la société, la<br />
pensée, la morale bourgeoises parussent <strong><strong>de</strong>s</strong> attaques contre la société, la pensée, la<br />
morale humaines ». Ou encore : « La fonction du kantisme fut <strong>de</strong> justifier la morale<br />
bourgeoise en faisant d’elle la fille d’une raison législatrice <strong>de</strong> l’astronomie ».
LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 727<br />
La critique déconstructrice <strong>de</strong> l’éthique est encore plus radicale : la subjectivité<br />
n’est pas un signifié transcendantal mais un simple eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> langage, comme<br />
l’intentionnalité <strong>et</strong> le choix, la liberté <strong>et</strong> la responsabilité. Il n’y a donc pas <strong>de</strong> suj<strong>et</strong><br />
kantien, autonome <strong>et</strong> rationnel, préalable, <strong>et</strong> l’intérêt pour les personnages, le moi<br />
ou le suj<strong>et</strong> est illusoire, puisque nous sommes suj<strong>et</strong>s du système — linguistique <strong>et</strong><br />
non plus économique — où moi <strong>et</strong> intention ne sont rien que <strong><strong>de</strong>s</strong> traces. La<br />
déconstruction <strong>de</strong> l’éthique humaniste comme impératif catégorique est ainsi<br />
accomplie : la moralité est fondée sur <strong><strong>de</strong>s</strong> concepts métaphysiques <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> apories<br />
linguistiques.<br />
Des <strong>de</strong>ux bords, l’éthique est rej<strong>et</strong>ée, car elle élève en universaux — le bien <strong>et</strong><br />
le mal — <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs particulières, contingentes, les nôtres, contre celles <strong><strong>de</strong>s</strong> autres :<br />
l’éthique déguise <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports <strong>de</strong> domination, travestit la volonté <strong>de</strong> puissance d’un<br />
groupe. Les valeurs ne sont pas intemporelles ni universelles, mais toujours<br />
contingentes, historiques <strong>et</strong> culturelles, ou encore construites <strong>et</strong>, en un mot,<br />
relatives. C’est le relativisme <strong>de</strong> toute morale qui disqualifie la lecture morale <strong>de</strong><br />
la littérature.<br />
Et la littérature, en tant qu’éthique, idéologique ou métaphysique, aliène <strong>et</strong><br />
manipule. Il faut donc se méfier d’elle au lieu <strong>de</strong> lui faire confiance pour se libérer.<br />
À l’école, on apprend non plus la confiance, mais la méfiance à son égard. Suivant<br />
la déconstruction, il s’agit d’être plus intelligent, plus rusé qu’elle, <strong>et</strong> <strong>de</strong> savoir la<br />
prendre en défaut. La littérature n’est plus entendue non comme une libération,<br />
mais comme une aliénation, sur le modèle <strong>de</strong> la culture <strong>de</strong> masse <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />
propagan<strong>de</strong>. Elle fait <strong>de</strong> nous <strong><strong>de</strong>s</strong> « dupes <strong>de</strong> la culture » ou <strong><strong>de</strong>s</strong> « cultural dupes »,<br />
suivant l’expression terrible <strong>de</strong> Stuart Hall, doyen <strong><strong>de</strong>s</strong> Cultural Studies angloaméricaines.<br />
L’hypocrisie <strong>de</strong> moralité<br />
Proust n’était pas indifférent à ce travestissement <strong>de</strong> la morale, c’est-à-dire à la<br />
morale bourgeoise entendue comme principes <strong>et</strong> convenances, ou défense <strong>de</strong><br />
l’ordre moral. Dès « Combray », théâtre du conformisme bourgeois, trois scènes<br />
illustrent ce confort ou ce conformisme moral aliénant.<br />
À propos <strong><strong>de</strong>s</strong> Vices <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Vertus <strong>de</strong> Padoue qui n’en ont pas l’air — passage<br />
essentiel pour la compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> morales <strong>de</strong> la Recherche du temps perdu —, le<br />
narrateur décrit la Justice <strong>de</strong> Giotto en ces termes : « […] une Justice, dont le<br />
visage grisâtre <strong>et</strong> mesquinement régulier était celui-là même qui, à Combray,<br />
caractérisait certaines jolies bourgeoises pieuses <strong>et</strong> sèches que je voyais à la messe<br />
<strong>et</strong> dont plusieurs étaient enrôlées d’avance dans les milices <strong>de</strong> réserve <strong>de</strong> l’injustice »<br />
(I, 81). La Justice <strong>de</strong> Giotto <strong>et</strong> les bourgeoises <strong>de</strong> Combray, les dames <strong>de</strong> patronage,<br />
figurent ici une allégorie du cant, le sens <strong><strong>de</strong>s</strong> convenances, la phraséologie pieuse<br />
<strong>et</strong> l’affectation <strong>de</strong> bonté, ou « l’hypocrisie <strong>de</strong> moralité », suivant l’excellente<br />
traduction <strong>de</strong> Stendhal (De l’amour, chap. XLVI), c’est-à-dire le pharisaïsme du<br />
Nouveau Testament.
728 ANTOINE COMPAGNON<br />
Les « milices <strong>de</strong> réserve » nous renvoient à la Bible, à la « Sainte milice » (Isaïe,<br />
13, 3) ou à la milice céleste, l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> Anges ayant saint Michel pour chef<br />
(Daniel, 10, 13), l’ange du Jugement <strong>et</strong> le saint patron du baron <strong>de</strong> Charlus. Ces<br />
« bourgeoises pieuse <strong>et</strong> sèches » illustrent un lieu commun moral du Nouveau<br />
Testament : « Malheur à vous, scribes <strong>et</strong> Pharisiens hypocrites, parce que vous<br />
ressemblez à <strong><strong>de</strong>s</strong> tombeaux blanchis, qui au <strong>de</strong>hors paraissent beaux, mais au<br />
<strong>de</strong>dans sont remplis d’ossements <strong>de</strong> morts <strong>et</strong> <strong>de</strong> toute immondice. Ainsi vous, au<br />
<strong>de</strong>hors, vous paraissez justes aux hommes, mais au <strong>de</strong>dans vous êtes pleins<br />
d’hypocrisie <strong>et</strong> d’iniquité » (Matthieu, 23, 27-28). C’est l’habit qui ne fait pas le<br />
moine, comme dans le fameux prologue <strong>de</strong> Gargantua.<br />
La moralité <strong>de</strong> Combray relève <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te hypocrisie, comme les principes <strong>de</strong> la<br />
famille du narrateur, jouant contre le mariage <strong>de</strong> Swann ou les manières <strong>de</strong> Bloch :<br />
« Il n’était pas pourtant l’ami que mes parents eussent souhaité pour moi ; ils<br />
avaient fini par penser que les larmes que lui avait fait verser l’indisposition <strong>de</strong> ma<br />
grand-mère n’étaient pas feintes ; mais ils savaient d’instinct ou par expérience que<br />
les élans <strong>de</strong> notre sensibilité ont peu d’empire sur la suite <strong>de</strong> nos actes <strong>et</strong> la<br />
conduite <strong>de</strong> notre vie, <strong>et</strong> que le respect <strong><strong>de</strong>s</strong> obligations morales, la fidélité aux<br />
amis, l’exécution d’une œuvre, l’observance d’un régime, ont un fon<strong>de</strong>ment plus<br />
sûr dans <strong><strong>de</strong>s</strong> habitu<strong><strong>de</strong>s</strong> aveugles que dans ces transports momentanés, ar<strong>de</strong>nts <strong>et</strong><br />
stériles. » L’ami du narrateur leur paraît trop émotionnel ou même hystérique. Sa<br />
morale n’est pas coutumière : « Ils auraient préféré pour moi à Bloch <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
compagnons qui ne me donneraient pas plus qu’il n’est convenu d’accor<strong>de</strong>r à ses<br />
amis, selon les règles <strong>de</strong> la morale bourgeoise ; qui ne m’enverraient pas<br />
inopinément une corbeille <strong>de</strong> fruits parce qu’ils auraient ce jour-là pensé à moi<br />
avec tendresse, mais qui, n’étant pas capables <strong>de</strong> faire pencher en ma faveur la<br />
juste balance <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>voirs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> exigences <strong>de</strong> l’amitié sur un simple mouvement <strong>de</strong><br />
leur imagination <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur sensibilité, ne la fausseraient pas davantage à mon<br />
préjudice » (I, 91-92). C’est l’habitu<strong>de</strong> qui interdit les excès, qui garantit l’équilibre,<br />
la juste mesure, comme la balance <strong>de</strong> la justice : la morale bourgeoise n’accor<strong>de</strong><br />
pas <strong>de</strong> privilèges, mais elle ne comm<strong>et</strong> pas non plus <strong>de</strong> préjudices. Du moins c’est<br />
ce qu’elle prétend.<br />
La gran<strong>de</strong> scène <strong>de</strong> cant à « Combray » a lieu lors <strong>de</strong> la rencontre <strong>de</strong> Swann <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
Vinteuil : « Un jour que nous marchions avec Swann dans une rue <strong>de</strong> Combray,<br />
M. Vinteuil qui débouchait d’une autre, s’était trouvé trop brusquement en face <strong>de</strong><br />
nous pour avoir le temps <strong>de</strong> nous éviter ; <strong>et</strong> Swann avec c<strong>et</strong>te orgueilleuse charité <strong>de</strong><br />
l’homme du mon<strong>de</strong> qui, au milieu <strong>de</strong> la dissolution <strong>de</strong> tous ses préjugés moraux, ne<br />
trouve dans l’infamie d’autrui qu’une raison d’exercer envers lui une bienveillance<br />
dont les témoignages chatouillent d’autant plus l’amour-propre <strong>de</strong> celui qui les<br />
donne, qu’il les sent plus précieux à celui qui les reçoit, avait longuement causé avec<br />
M. Vinteuil » (I, 147). Swann, comme les dames <strong>de</strong> patronage, confond ici vice <strong>et</strong><br />
vertu, orgueil <strong>et</strong> charité, amour-propre <strong>et</strong> bienveillance, dans la pure « hypocrisie <strong>de</strong><br />
moralité ». Le narrateur n’est pas <strong>de</strong> ceux qui veulent faire <strong><strong>de</strong>s</strong> vices privés <strong><strong>de</strong>s</strong> vertus<br />
publiques. Mais Vinteuil n’est pas meilleur.
LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 729<br />
Une fois que Swann leur a tourné le dos <strong>et</strong> que Vinteuil se r<strong>et</strong>rouve seul avec<br />
les parents du narrateur, le musicien prend en eff<strong>et</strong> aussitôt sa revanche : « “Quel<br />
homme exquis”, nous dit-il, quand Swann nous eut quittés, avec la même<br />
enthousiaste vénération qui tient <strong>de</strong> spirituelles <strong>et</strong> jolies bourgeoises en respect <strong>et</strong><br />
sous le charme d’une duchesse, fût-elle lai<strong>de</strong> <strong>et</strong> sotte. “Quel homme exquis ! Quel<br />
malheur qu’il ait fait un mariage tout à fait déplacé !” / Et alors, tant les gens les<br />
plus sincères sont mêlés d’hypocrisie <strong>et</strong> dépouillent en causant avec une personne<br />
l’opinion qu’ils ont d’elle <strong>et</strong> expriment dès qu’elle n’est plus là, mes parents<br />
déplorèrent avec M. Vinteuil le mariage <strong>de</strong> Swann au nom <strong>de</strong> principes <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
convenances auxquels (par cela même qu’ils les invoquaient en commun avec lui,<br />
en braves gens <strong>de</strong> même acabit) ils avaient l’air <strong>de</strong> sous-entendre qu’il n’était pas<br />
contrevenu à Montjouvain » (I, 147-148). Chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux hommes connaît le<br />
défaut ou la fêlure <strong>de</strong> l’autre, <strong>et</strong> chacun se ment à lui-même, rappelant c<strong>et</strong>te fois<br />
la parabole <strong>de</strong> la paille <strong>et</strong> <strong>de</strong> la poutre. Tous <strong>de</strong>ux sont pareillement victimes <strong>de</strong> la<br />
morale bourgeoise comme hypocrisie <strong>de</strong> moralité.<br />
Mais toute éthique est-elle fatalement bourgeoise, idéologique, hypocrite,<br />
conformiste, aliénée, pharisienne, comme à Combray ? N’a-t-on pas besoin<br />
d’éthique — <strong>et</strong> <strong>de</strong> littérature — justement pour lutter contre le moralisme <strong>et</strong> le<br />
pharisaïsme ? Comme Proust le suggère souvent, en face <strong>de</strong> la méchanc<strong>et</strong>é <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
bons, <strong>de</strong> l’hypocrisie <strong>de</strong> moralité <strong><strong>de</strong>s</strong> dames patronnesses, <strong>de</strong> l’aveuglement <strong>de</strong><br />
Swann ou <strong>de</strong> Vinteuil, pour les contrebalancer, il y a heureusement la bonté <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
méchants, celle <strong>de</strong> Charlus ou <strong>de</strong> la fille <strong>de</strong> Vinteuil <strong>et</strong> <strong>de</strong> son amie, celle <strong>de</strong> tous<br />
les pervers du roman, ou celle <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages <strong>de</strong> Dostoïevski qui sont<br />
incompréhensibles pour la reine <strong>de</strong> Naples avec sa « conception étroite, un peu<br />
tory <strong>et</strong> <strong>de</strong> plus en plus surannée <strong>de</strong> la bonté ». La reine <strong>de</strong> Naples fait preuve d’une<br />
bonté aristocratique, conservatrice, paternaliste, d’une bonté <strong>de</strong> caste : « Mais,<br />
ajoute le narrateur, cela ne signifie pas que la bonté fût moins sincère <strong>et</strong> moins<br />
ar<strong>de</strong>nte chez elle » (III, 825), au contraire, car c<strong>et</strong>te bonté d’Ancien Régime tranche<br />
avec la fausse bonté <strong><strong>de</strong>s</strong> bourgeoises, leur hypocrisie <strong>de</strong> moralité <strong>et</strong> leur cant.<br />
Les valeurs morales ne sont-elles donc jamais rien d’autre que <strong>de</strong> l’idéologie<br />
masquée ? Toute éthique est-elle forcément pharisienne, catégorique, sûre <strong>de</strong> son<br />
bon droit ? Tout jugement <strong>de</strong> valeur emporte-t-il une exclusion ? Ou bien n’est-ce<br />
pas le propre <strong>de</strong> la littérature d’ébranler les certitu<strong><strong>de</strong>s</strong> morales, d’embarrasser le<br />
cant, <strong>de</strong> nous déconcerter <strong>et</strong> <strong>de</strong> nous rendre perplexes ? Aussi ne confondons pas<br />
éthique <strong>et</strong> moralisme. Une éthique peut être fondée sur la conscience <strong>de</strong> la<br />
différence avec l’autre, sur la reconnaissance <strong>de</strong> l’autre, sur l’honnêt<strong>et</strong>é ou ce qu’on<br />
appelait jadis la beauté morale. Montaigne, dans « Des cannibales », appelait à un<br />
r<strong>et</strong>ournement <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs, à la reconnaissance du même <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’autre, <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> la différence. La question éthique <strong>de</strong> la vie bonne était pour lui inséparable<br />
<strong>de</strong> la question politique <strong>et</strong> <strong>de</strong> la guerre civile : l’éthique <strong>et</strong> le politique étaient<br />
indémêlables. Montaigne liait la morale privée <strong>et</strong> la morale publique contre la<br />
cruauté ; il défendait l’application d’une moralité privée dans la vie publique,<br />
contre la raison d’État <strong>et</strong> le machiavélisme.
730 ANTOINE COMPAGNON<br />
La « gran<strong>de</strong> » littérature pourrait bien être celle qui empêche <strong>de</strong> s’ériger en juge<br />
<strong>et</strong> d’être catégorique dans ses jugements, celle qui nous ouvre à l’autre, à l’i<strong>de</strong>ntité<br />
<strong>et</strong> à la différence. « La parole est moitié à celuy qui parle, moitié à celuy qui<br />
l’escoute », disait encore Montaigne (III, 13). L’éthique n’est pas fatalement<br />
pharisienne, sûre <strong>de</strong> soi, satisfaite <strong>de</strong> soi <strong>et</strong> moralisatrice, grâce à la littérature<br />
justement.<br />
Hygiène, morale, travail<br />
L’avant-gar<strong>de</strong> théorique j<strong>et</strong>ait le soupçon sur l’usage moral <strong>de</strong> la littérature, sur<br />
son instrumentation ou sa récupération idéologique. Précisons quand même qu’il<br />
n’y avait rien là <strong>de</strong> très nouveau, car le refus <strong>de</strong> la morale a été caractéristique <strong>de</strong><br />
toute la mo<strong>de</strong>rnité, par exemple chez les surréalistes, <strong>et</strong> la théorie a été la queue<br />
<strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité. Flaubert, Bau<strong>de</strong>laire, Mallarmé, Valéry ont fondé le refus <strong>de</strong><br />
l’application <strong>de</strong> la littérature, se sont élevés contre son usage édifiant, contre sa<br />
soumission à l’ordre moral, contre l’art utile ou militant, contre le roman à thèse.<br />
Proust lui-même, dans Le Temps r<strong>et</strong>rouvé, a repris le flambeau : « L’idée d’un art<br />
populaire comme d’un art patriotique si même elle n’avait pas été dangereuse, me<br />
semblait ridicule. […] Ce n’est pas la bonté <strong>de</strong> son cœur vertueux, laquelle<br />
était fort gran<strong>de</strong>, qui a fait écrire à Cho<strong>de</strong>rlos <strong>de</strong> Laclos Les Liaisons dangereuses »<br />
(IV, 466-467).<br />
La séparation <strong>de</strong> la moralité <strong>et</strong> <strong>de</strong> la littérarité est une idée à laquelle le narrateur<br />
tient <strong>et</strong> qu’il affirme à propos <strong>de</strong> Dostoïevski notamment : « Si je viens avec vous<br />
à Versailles comme nous avons convenu, je vous montrerai le portrait <strong>de</strong> l’honnête<br />
homme par excellence, du meilleur <strong><strong>de</strong>s</strong> maris, Cho<strong>de</strong>rlos <strong>de</strong> Laclos, qui a écrit le<br />
plus effroyablement pervers <strong><strong>de</strong>s</strong> livres, <strong>et</strong> juste en face <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Madame <strong>de</strong><br />
Genlis qui écrivit <strong><strong>de</strong>s</strong> contes moraux <strong>et</strong> ne se contenta pas <strong>de</strong> tromper la duchesse<br />
d’Orléans, mais la supplicia en détournant d’elle ses enfants » (III, 881). Il ne s’agit<br />
même plus ici d’hiatus, mais <strong>de</strong> chiasme, entre art <strong>et</strong> morale.<br />
Dans Mon cœur mis à nu, Bau<strong>de</strong>laire insistait sur leur incompatibilité <strong>et</strong> faisait <strong>de</strong><br />
George Sand le type même du moralisme honni : « Sur George Sand. / La femme<br />
Sand est le Prudhomme <strong>de</strong> l’immoralité. Elle a toujours été moraliste. / Seulement<br />
elle faisait autrefois <strong>de</strong> la contre-morale. — Aussi elle n’a jamais été artiste. / […]<br />
Elle a, dans les idées morales, la même profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> jugement <strong>et</strong> la même délicatesse<br />
<strong>de</strong> sentiment que les concierges <strong>et</strong> les filles entr<strong>et</strong>enues. » Passée d’une morale à la<br />
morale contraire, <strong>de</strong> l’anti-bourgeois au bourgeois, elle est toujours aussi moraliste,<br />
<strong>et</strong> Bau<strong>de</strong>laire est lui aussi <strong>de</strong> ceux qui associent le roman au cant.<br />
Il s’écrie encore : « Tous les imbéciles <strong>de</strong> la Bourgeoisie qui prononcent sans<br />
cesse les mots : “immoral, immoralité, moralité dans l’art” <strong>et</strong> autres bêtises, me<br />
font penser à Louise Villedieu, putain à cinq francs, qui m’accompagnant une fois<br />
au Louvre, où elle n’était jamais allée, se mit à rougir, à se couvrir le visage, <strong>et</strong> me<br />
tirant à chaque instant par la manche, me <strong>de</strong>mandait, <strong>de</strong>vant les statues <strong>et</strong> les
LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 731<br />
tableaux immortels, comment on pouvait étaler publiquement <strong>de</strong> pareilles<br />
indécences. / Les feuilles <strong>de</strong> vigne du sieur Nieuwerkerke. » Bau<strong>de</strong>laire se moque<br />
ici <strong>de</strong> l’amant <strong>de</strong> la princesse Mathil<strong>de</strong>, le surintendant <strong><strong>de</strong>s</strong> Beaux-Arts, qui faisait<br />
revêtir les nudités <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments publics.<br />
Mais, déjà chez Bau<strong>de</strong>laire, premier <strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong>de</strong>rnes, la dénonciation <strong>de</strong> l’art<br />
moraliste ne signifie pas l’absence <strong>de</strong> toute morale. Bau<strong>de</strong>laire défend une autre<br />
morale contre la moralité <strong>de</strong> l’art, une morale du « souci <strong>de</strong> soi » : « hygiène.<br />
morale. / — À Honfleur ! Le plus tôt possible, avant <strong>de</strong> tomber plus bas. / Que<br />
<strong>de</strong> pressentiments <strong>et</strong> <strong>de</strong> signes envoyés déjà par Dieu, qu’il est gran<strong>de</strong>ment temps<br />
d’agir, <strong>de</strong> considérer la minute présente comme la plus importante <strong><strong>de</strong>s</strong> minutes, <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> faire ma perpétuelle volupté <strong>de</strong> mon tourment ordinaire, c’est-à-dire du Travail ! »<br />
Bau<strong>de</strong>laire fait l’apologie <strong>de</strong> la morale non pas comme <strong>de</strong>voir ni règles, mais<br />
comme discipline, ascèse ou hygiène : « hygiène. conduite. morale. — À chaque<br />
minute nous sommes écrasés par l’idée <strong>et</strong> la sensation du temps. Et il n’y a que<br />
<strong>de</strong>ux moyens pour échapper à ce cauchemar, pour l’oublier : le Plaisir <strong>et</strong> le Travail.<br />
Le Plaisir nous use. Le Travail nous fortifie. Choisissons. » Ainsi, la morale <strong>de</strong>vient<br />
la conquête <strong>de</strong> soi ou la conduite <strong>de</strong> soi.<br />
Bau<strong>de</strong>laire s’élève contre le moralisme <strong>de</strong> George Sand <strong>et</strong> du roman, mais non<br />
pas contre toute conduite morale. Au contraire, toute sa vie il a été à la recherche<br />
d’une Hygiène, entre Plaisir <strong>et</strong> Travail, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> majuscules allégorisantes, comme<br />
les Vices <strong>et</strong> les Vertus ou comme Les Travaux <strong>et</strong> les Jours d’Hésio<strong>de</strong> travestis dans<br />
Les Plaisirs <strong>et</strong> les Jours <strong>de</strong> Proust. L’article clé, virgilien <strong>et</strong> stendhalien, <strong>de</strong> la morale<br />
<strong>de</strong> Proust est annoncé dans Sodome <strong>et</strong> Gomorrhe I : « tout être suit son plaisir »<br />
(III, 23), rappelant le vers <strong>de</strong> Virgile : « Trahit sua quemque voluptas » (Églogues,<br />
II, 65). Il n’empêche que, s’il y a une morale <strong>de</strong> Proust, c’est, comme chez<br />
Bau<strong>de</strong>laire, celle du Travail, ou celle <strong>de</strong> la dialectique du Plaisir <strong>et</strong> du Travail, <strong>de</strong><br />
leur conversion réciproque.<br />
Proust, velléitaire <strong>et</strong> procrastinateur comme Bau<strong>de</strong>laire, mala<strong>de</strong> <strong>de</strong> la volonté,<br />
revient souvent sur son sens <strong>de</strong> la discipline, sa foi dans le travail. Comme Ruskin,<br />
comme Bau<strong>de</strong>laire, il n’est pas convaincu <strong>de</strong> la valeur morale <strong>de</strong> la liberté : « Je crois<br />
que nous mourons en eff<strong>et</strong>, mais faute non pas <strong>de</strong> liberté, mais <strong>de</strong> discipline »,<br />
répond-il en 1904 à une enquête. La liberté n’est pas bonne pour l’artiste, qui donne<br />
le meilleur <strong>de</strong> lui-même sous une règle. L’idée est en eff<strong>et</strong> ruskinienne : « Quand les<br />
hommes sont occupés comme ils doivent l’être, leur plaisir naît <strong>de</strong> leur travail »,<br />
décrétait Ruskin dans Sésame <strong>et</strong> les Lys, <strong>et</strong> Proust enchérissait dans sa traduction :<br />
« Et dès les plus bas <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> l’échelle du travail. Du travail le plus humble naît un<br />
plaisir. » Proust n’a jamais abjuré la foi <strong>de</strong> Ruskin dans le travail : « Ce plaisir-là est<br />
satisfaction <strong>de</strong> soi, plaisir à se trouver avec les autres, optimisme. »<br />
« Work while you have light » : dans sa préface à l’édition <strong>de</strong> 1871 <strong>de</strong> Sésame <strong>et</strong><br />
les Lys, Ruskin résumait le sens <strong>de</strong> son livre, c’est-à-dire le sens <strong>de</strong> sa vie <strong>et</strong> <strong>de</strong> son<br />
apostolat, dans c<strong>et</strong>te parole <strong>de</strong> Jean : « Marchez, pendant que vous avez la lumière »<br />
(12, 35), <strong>et</strong> dans une autre <strong>de</strong> Matthieu : « Heureux les miséricordieux, car ils
732 ANTOINE COMPAGNON<br />
obtiendront miséricor<strong>de</strong> » (5, 7). Travail <strong>et</strong> miséricor<strong>de</strong> définissaient la réforme<br />
artistique <strong>et</strong> morale pour laquelle Ruskin milita. Proust ne <strong>de</strong>vait jamais l’oublier.<br />
Au moment <strong>de</strong> se m<strong>et</strong>tre à son œuvre vers la fin <strong>de</strong> 1908, il écrivait à son ami<br />
Georges <strong>de</strong> Lauris : « Georges, quand vous le pourrez : travaillez. Ruskin a dit<br />
quelque part une chose sublime <strong>et</strong> qui doit être <strong>de</strong>vant votre esprit chaque jour,<br />
quand il a dit que les <strong>de</strong>ux grands comman<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> Dieu [...] étaient : “Travaillez<br />
pendant que vous avez encore la lumière” <strong>et</strong> “Soyez miséricordieux pendant que<br />
vous avez encore la miséricor<strong>de</strong>.” » Le même « beau comman<strong>de</strong>ment du Christ<br />
dans saint Jean » est repris par Proust dans une ébauche du début du Contre<br />
Sainte-Beuve : « Travaillez pendant que vous avez encore la lumière. »<br />
Comme chez Bau<strong>de</strong>laire, il y a chez Proust une autre morale, morale du Travail<br />
<strong>et</strong> Miséricor<strong>de</strong>, morale non du co<strong>de</strong> mais <strong>de</strong> l’ascèse. Dans L’Usage <strong><strong>de</strong>s</strong> plaisirs,<br />
Foucault soulignait l’ambiguïté du mot « morale ». Il désigne d’abord le co<strong>de</strong><br />
moral, c’est-à-dire l’« ensemble <strong>de</strong> valeurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> règles d’action qui sont proposées<br />
aux individus <strong>et</strong> aux groupes par l’intermédiaire d’appareils prescriptifs divers »,<br />
comme peuvent l’être la famille <strong>et</strong> l’école. Il renvoie aussi à la moralité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
comportements, à la relation <strong><strong>de</strong>s</strong> conduites <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> règles, au « comportement réel<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> individus dans son rapport aux règles <strong>et</strong> valeurs », à « la manière dont ils se<br />
soum<strong>et</strong>tent […], dont ils obéissent ou résistent » : « Une chose, dit en eff<strong>et</strong><br />
Foucault, est une règle <strong>de</strong> conduite ; autre chose la conduite qu’on peut mesurer<br />
à c<strong>et</strong>te règle. » Mais ce n’est pas tout, car c’est un troisième sens <strong>de</strong> la morale qui<br />
l’intéresse, plus subjectif, plus essentiel : « […] autre chose encore, la manière dont<br />
on doit “se conduire”, […] dont on doit se constituer soi-même comme suj<strong>et</strong><br />
moral ». Tous ne suivent pas les règles <strong>de</strong> la même façon : un co<strong>de</strong> étant donné,<br />
précise-t-il, « il y a différentes manières <strong>de</strong> “se conduire” moralement, […] non pas<br />
simplement comme agent, mais comme “suj<strong>et</strong> moral” <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te action ».<br />
Ainsi, une action morale ne se résume pas en <strong><strong>de</strong>s</strong> actes conformes à <strong><strong>de</strong>s</strong> règles, mais<br />
implique un « rapport à soi », non simplement la conscience <strong>de</strong> soi, mais la<br />
constitution <strong>de</strong> soi comme « suj<strong>et</strong> moral ». Or il n’y a pas <strong>de</strong> conduite morale, « pas<br />
<strong>de</strong> constitution <strong>de</strong> soi du suj<strong>et</strong> moral sans <strong><strong>de</strong>s</strong> “mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> subjectivation”, sans une<br />
“ascétique” ou <strong><strong>de</strong>s</strong> “pratiques <strong>de</strong> soi” qui les appuient ». Parlant <strong>de</strong> littérature — <strong>de</strong><br />
Bau<strong>de</strong>laire à Proust <strong>et</strong> au-<strong>de</strong>là —, <strong>de</strong> la littérature comme non édifiante, l’accent ne<br />
doit pas être mis sur le co<strong>de</strong> moral qu’elle transm<strong>et</strong>, ni sur la moralité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
comportements qu’elle décrit, mais bien sur la morale au troisième sens <strong>de</strong> Foucault,<br />
c’est-à-dire sur l’ascétique, sur les « mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> subjectivation », sur les « pratiques <strong>de</strong><br />
soi », sur l’exercice <strong>de</strong> la subjectivité <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’intersubjectivité morales.<br />
Jugement moral <strong>et</strong> émotion morale<br />
Or Proust a été longtemps jugé immoral ou amoral, <strong>de</strong> Mauriac à Sartre — rappel<br />
historique qui a fait l’obj<strong>et</strong> d’une autre leçon —, jusqu’à Bataille qui a fait <strong>de</strong> lui<br />
un héros ni<strong>et</strong>zschéen défendant une morale souveraine contre la morale ordinaire.<br />
Dans le roman, l’artiste est en eff<strong>et</strong> soumis à une autre morale que la morale
LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 733<br />
commune, à la seule discipline <strong>de</strong> la construction <strong>de</strong> soi <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’élaboration <strong>de</strong> son<br />
œuvre. Dès une note <strong>de</strong> Sésame <strong>et</strong> les Lys, le snobisme ou le carriérisme est décrit<br />
comme « le vice le plus grave pour l’homme <strong>de</strong> l<strong>et</strong>tres, celui que sa morale instinctive,<br />
c’est-à-dire l’instinct <strong>de</strong> conservation <strong>de</strong> son talent, lui représente comme le plus<br />
coupable, dont il a le plus <strong>de</strong> remords, bien plus que la débauche, par exemple,<br />
qui lui est bien moins funeste, l’ordre <strong>et</strong> l’échelle <strong><strong>de</strong>s</strong> vices étant dans une certaine<br />
mesure renversés pour l’homme <strong>de</strong> l<strong>et</strong>tres ». Pour l’artiste, le snobisme est une faute<br />
plus grave que la débauche, car il ne contribue pas à l’œuvre, contrairement à elle.<br />
La « morale artistique », morale supérieure, se situe au-<strong>de</strong>là du bien <strong>et</strong> du mal.<br />
Pourtant, c<strong>et</strong>te distinction ni<strong>et</strong>zschéenne reprise par Bataille n’est pas encore<br />
suffisante. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la morale ordinaire <strong>et</strong> <strong>de</strong> la morale artistique, il y a encore<br />
place dans la Recherche du temps perdu pour une émotion morale, irréductible à<br />
l’une ou à l’autre, comme l’illustre l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> qui ont le plus choqué les<br />
lecteurs <strong>et</strong> les critiques <strong>de</strong> Proust, le coup <strong>de</strong> théâtre <strong>de</strong> la révélation <strong>de</strong><br />
l’homosexualité <strong>de</strong> Saint-Loup dans Albertine disparue, malgré toutes les précautions<br />
du narrateur <strong>et</strong> ses tentatives <strong>de</strong> justification.<br />
Certes, le narrateur prétend se placer au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus <strong>de</strong> la morale ordinaire :<br />
« Personnellement je trouvais absolument indifférent au point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la morale<br />
qu’on trouvât son plaisir auprès d’un homme ou d’une femme, <strong>et</strong> trop naturel <strong>et</strong><br />
humain qu’on le cherchât là où on pouvait le trouver » (IV, 264). L’expression<br />
rappelle la morale <strong>de</strong> Virgile <strong>et</strong> <strong>de</strong> Stendhal résumée déjà dans Sodome <strong>et</strong> Gomorrhe I<br />
sous la forme : « tout être suit son plaisir ». Pourtant, malgré sa doctrine morale<br />
souvent professée, la liaison <strong>de</strong> Saint-Loup <strong>et</strong> <strong>de</strong> Morel blesse le narrateur, non pas<br />
pour une raison morale donc, mais pour une cause difficilement explicable. Lorsque<br />
la vérité <strong>de</strong> la sexualité <strong>de</strong> Saint-Loup lui est indiquée par Jupien, c<strong>et</strong>te révélation,<br />
dit-il, lui fait « une peine infinie » (IV, 256). La liaison <strong>de</strong> Robert <strong>et</strong> <strong>de</strong> Morel, <strong>et</strong><br />
surtout le comportement <strong>de</strong> Morel, scandalisent Jupien pour d’autres raisons qui<br />
soulignent elles aussi par contraste le mystère <strong>de</strong> la réaction du narrateur : « Non,<br />
que ce misérable musicien ait quitté le baron comme il l’a quitté, salement, on peut<br />
bien le dire, c’était son affaire. Mais se tourner vers le neveu. Il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> choses qui ne<br />
se font pas » (IV, 257). Il y a une morale <strong>de</strong> l’immoralité, un sens <strong>de</strong> l’honneur, un<br />
co<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’honneur, celui du bandit comme homme d’honneur <strong>et</strong> qui a son point<br />
d’honneur : « Jupien était sincère dans son indignation ; chez les personnes dites<br />
immorales, les indignations morales sont tout aussi fortes que chez les autres <strong>et</strong><br />
changent seulement un peu d’obj<strong>et</strong>. » Morel a transgressé une autre morale que la<br />
morale ordinaire, mais encore un co<strong>de</strong> moral. Pourtant, ce qui désole le narrateur<br />
n’est pas <strong>de</strong> c<strong>et</strong> ordre, ni relève ni <strong>de</strong> la morale ordinaire ni <strong>de</strong> la morale extraordinaire,<br />
<strong>et</strong> c’est bien pourquoi il échoue à s’expliquer à lui-même ce qui l’affecte tant.<br />
Le narrateur amoralise la sexualité (moraliser un comportement, c’est l’universaliser<br />
<strong>et</strong> faire appel à la punition contre les transgressions <strong>de</strong> ce comportement). Il<br />
ne porte pas <strong>de</strong> condamnation morale sur l’homosexualité <strong>de</strong> Saint-Loup. Ce qui<br />
était une faute morale ancienne <strong>de</strong>vient pour lui un choix <strong>de</strong> vie mo<strong>de</strong>rne, choix
734 ANTOINE COMPAGNON<br />
raisonné, rationalisé, justifié par le narrateur. Restent pourtant c<strong>et</strong>te émotion <strong>et</strong> ces<br />
larmes inexpliquées, irréductibles à la morale artistique comme à la morale ordinaire<br />
<strong>de</strong> bourgeois <strong>et</strong> à la morale extraordinaires <strong><strong>de</strong>s</strong> bandits.<br />
Déjà, dans « Avant la nuit », nouvelle parue dans La Revue blanche en 1893 <strong>et</strong><br />
non recueillie dans Les Plaisirs <strong>et</strong> les Jours — sans doute à cause <strong>de</strong> cela —,<br />
l’amoralisation <strong><strong>de</strong>s</strong> conduites avait <strong>cours</strong> : « [...] il n’est pas moins moral — ou<br />
plutôt pas plus immoral qu’une femme trouve du plaisir avec une autre femme<br />
plutôt qu’avec un être d’un autre sexe. La cause <strong>de</strong> c<strong>et</strong> amour est dans une altération<br />
nerveuse qui l’est trop exclusivement pour comporter un contenu moral. On ne<br />
peut pas dire parce que la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> gens voient les obj<strong>et</strong>s qualifiés rouges, rouges,<br />
que ceux qui les voient viol<strong>et</strong>s se trompent. » C<strong>et</strong>te analogie entre les couleurs <strong>et</strong><br />
les désirs était prémonitoire <strong>et</strong> servait à naturaliser toutes les formes du désir.<br />
C’est c<strong>et</strong>te amoralisation du plaisir qui a été perçue par les moralistes <strong><strong>de</strong>s</strong> années<br />
1930, <strong>de</strong> Mauriac à Sartre, comme une démoralisation, ou comme une attaque <strong>de</strong><br />
la moralité. Mais quand on amoralise certains comportements, on ne manque pas<br />
d’en moraliser d’autres. Si on a aujourd’hui amoralisé la sexualité, on a moralisé<br />
d’autres choses, comme l’acte <strong>de</strong> fumer, <strong>de</strong> manger <strong>de</strong> la vian<strong>de</strong>, ou <strong>de</strong> porter <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
fourrures. Si le narrateur pleure, n’est-ce donc pas qu’il moralise certains<br />
comportements qui ont été ici transgressés par Saint-Loup ?<br />
La tentative <strong>de</strong> rationalisation échoue. Il est naturel que tout être cherche son<br />
plaisir là où il peut le trouver : « Si donc Robert n’avait pas été marié, sa liaison<br />
avec Charlie n’eût dû me faire aucune peine. Et pourtant je sentais bien que celle<br />
que j’éprouvais eût été aussi vive si Robert était resté célibataire. De tout autre, ce<br />
qu’il faisait m’eût été bien indifférent. Mais je pleurais en pensant que j’avais eu<br />
autrefois pour un Saint-Loup différent une affection si gran<strong>de</strong> <strong>et</strong> que je sentais<br />
bien, à ses nouvelles manières froi<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> évasives, qu’il ne me rendait plus, les<br />
hommes, <strong>de</strong>puis qu’ils étaient <strong>de</strong>venus susceptibles <strong>de</strong> lui donner <strong><strong>de</strong>s</strong> désirs, ne<br />
pouvant plus lui inspirer d’amitié » (IV, 264).<br />
Puis Aimé lui apprend les aventures <strong>de</strong> Saint-Loup <strong>et</strong> du liftier dès la première<br />
année à Balbec, du temps <strong>de</strong> leur amitié, ou plutôt le narrateur repense à c<strong>et</strong>te<br />
information qu’il avait d’abord niée, <strong>et</strong> l’émotion le saisit à nouveau, toujours aussi<br />
vive : « L’apprendre <strong>de</strong> n’importe qui m’eût été indifférent, <strong>de</strong> n’importe qui<br />
excepté <strong>de</strong> Robert. Le doute que me laissaient les paroles d’Aimé ternissait toute<br />
notre amitié <strong>de</strong> Balbec <strong>et</strong> <strong>de</strong> Doncières, <strong>et</strong> bien que je ne crusse pas à l’amitié, ni<br />
en avoir jamais véritablement éprouvé pour Robert, en repensant à ces histoires du<br />
lift <strong>et</strong> du restaurant où j’avais déjeuné avec Saint-Loup <strong>et</strong> Rachel j’étais obligé <strong>de</strong><br />
faire un effort pour ne pas pleurer » (IV, 266).<br />
Que nous disent c<strong>et</strong> échec <strong>de</strong> la rationalisation morale <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te émotion<br />
mystérieuse <strong>et</strong> récurrente ? Que, face au raisonnement, au jugement moral<br />
universalisable, subsiste telle quelle une intuition morale particulière, en situation.<br />
Ces larmes nous surprennent, mais en même temps nous les comprenons. Dès
LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 735<br />
qu’elles tombent, elles <strong>de</strong>viennent nécessaires <strong>et</strong> elles nous convainquent. Toutes<br />
les fausses raisons <strong>de</strong> l’émotion ont été écartées, le mariage <strong>et</strong> l’amitié, mais il reste<br />
quelque chose, un autre sens moral qui a été trahi : la loyauté, la sincérité,<br />
l’honnêt<strong>et</strong>é, la pur<strong>et</strong>é, tout simplement la beauté morale. Saint-Loup a trahi<br />
quelque chose que le narrateur ne sait pas exprimer. Les larmes sont le signe <strong>de</strong><br />
c<strong>et</strong>te impossibilité. Beaucoup <strong>de</strong> larmes sont aussi répandues à la fin d’« Avant la<br />
nuit ». Les larmes montrent la tension, le conflit qui oppose la rationalité (la<br />
raison, le raisonnement ou la rationalisation), en l’occurrence la tolérance du<br />
narrateur pour tous les plaisirs <strong>et</strong> désirs, à une émotion singulière.<br />
Ce genre <strong>de</strong> conflit, représenté dans les larmes, est analysé aujourd’hui par les<br />
neurosciences contemporaines qui ont repéré <strong><strong>de</strong>s</strong> zones du cerveau associées à<br />
l’émotion <strong>et</strong> d’autres zones dévolues à l’analyse rationnelle. Une partie <strong><strong>de</strong>s</strong> lobes<br />
frontaux est liée aux émotions, tandis qu’une autre partie du cerveau se réserve les<br />
facultés cognitives, le calcul mental, le raisonnement, la décision. L’imagerie<br />
cérébrale perm<strong>et</strong> d’observer l’impact <strong>de</strong> l’émotion sur la raison. Si les lobes frontaux<br />
sont endommagés <strong>et</strong> que les émotions sont émoussées, on <strong>de</strong>vient utilitariste <strong>et</strong><br />
froi<strong>de</strong>ment rationnel, ce qui n’est visiblement pas le cas du narrateur, comme le<br />
prouvent ses larmes. Il a bien, comme presque nous tous, un sixième sens moral,<br />
contrairement à ce qu’il avance dans La Prisonnière : « […] le sentiment <strong>de</strong> la<br />
justice, jusqu’à une complète absence <strong>de</strong> sens moral, m’était inconnu » (III, 794).<br />
Nos intuitions morales sont instinctives, comme si nous avions un sens moral inné<br />
résultant <strong>de</strong> l’évolution.<br />
« On ne peut pas dire parce que la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> gens voient les obj<strong>et</strong>s qualifiés<br />
rouges, rouges, que ceux qui les voient viol<strong>et</strong>s se trompent », jugeait Proust dès Les<br />
Plaisirs <strong>et</strong> les Jours. La coïnci<strong>de</strong>nce est étonnante, car la même comparaison est faite<br />
aujourd’hui par <strong><strong>de</strong>s</strong> biologistes pour montrer que certaines parties <strong>de</strong> notre<br />
expérience subjective sont le produit <strong>de</strong> notre équipement biologique <strong>et</strong> n’ont pas<br />
<strong>de</strong> contrepartie objective dans le mon<strong>de</strong>, comme les couleurs ou, soutiennent-ils,<br />
l’intuition morale. La différence entre le rouge <strong>et</strong> le viol<strong>et</strong> est un trait <strong>de</strong> notre<br />
système nerveux commun, <strong>et</strong> si notre espèce avait évolué différemment, ou si<br />
quelques gènes nous manquaient, notre réaction serait différente. La distinction<br />
entre le bien <strong>et</strong> le mal a-t-elle plus <strong>de</strong> réalité que celle du rouge <strong>et</strong> du viol<strong>et</strong> ?<br />
Mon intérêt dans la Recherche du temps perdu — c<strong>et</strong>te année — est donc allé<br />
non pas vers une morale ni vers une moralité <strong>de</strong> Proust, mais vers les conflits qui<br />
naissent <strong>de</strong> manière récurrente dans son roman entre un jugement moral rationnel<br />
<strong>et</strong> une intuition, une émotion ou un sentiment moral. Le narrateur est capable<br />
d’une approbation raisonnée <strong>de</strong> l’homosexualité en général, mais il n’en verse pas<br />
moins <strong><strong>de</strong>s</strong> larmes irraisonnées face à la révélation <strong>de</strong> l’homosexualité <strong>de</strong> son ami<br />
Saint-Loup. Nombreuses sont dans le roman les situations <strong>de</strong> trouble moral, ou<br />
<strong>de</strong> conflit entre <strong>de</strong>ux moralités, l’une rationnelle <strong>et</strong> l’autre émotionnelle. Le<br />
narrateur est déconcerté, dérouté, décontenancé, surpris, stupéfait, ou, en un mot,<br />
interloqué, incapable d’expliquer la réaction que l’intuition morale a décidée en lui<br />
en dépit du jugement moral.
736 ANTOINE COMPAGNON<br />
En voici un autre exemple dans unes <strong><strong>de</strong>s</strong> phrases les plus célèbres du roman, tout<br />
simplement la clausule d’« Un amour <strong>de</strong> Swann » : « Et avec c<strong>et</strong>te muflerie<br />
intermittente qui reparaissait chez lui dès qu’il n’était plus malheureux <strong>et</strong> que<br />
baissait du même coup le niveau <strong>de</strong> sa moralité, il s’écria en lui-même : “Dire que<br />
j’ai gâché <strong><strong>de</strong>s</strong> années <strong>de</strong> ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand<br />
amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre !” »<br />
(I, 375). D’un côté la muflerie du jugement ou du choix rationnel : elle n’est « pas<br />
mon genre » ; <strong>de</strong> l’autre côté la moralité du malheur, c’est-à-dire <strong>de</strong> l’amour,<br />
suivant c<strong>et</strong>te sentence : « On <strong>de</strong>vient moral dès qu’on est malheureux » (I, 619).<br />
C<strong>et</strong>te perplexité est une variante du conflit <strong>de</strong> la raison <strong>et</strong> du sentiment. Pour le<br />
lecteur, elle donne lieu à la même réaction <strong>de</strong> surprise que quand on apprend que<br />
Madame Swann <strong>et</strong> Od<strong>et</strong>te <strong>de</strong> Crécy ne font qu’un : « Madame Swann ! Cela ne<br />
vous dit rien ? Od<strong>et</strong>te <strong>de</strong> Crécy ? — Od<strong>et</strong>te <strong>de</strong> Crécy ? Mais je me disais aussi, ces<br />
yeux tristes... Mais savez-vous qu’elle ne doit plus être <strong>de</strong> la première jeunesse ! Je<br />
me rappelle que j’ai couché avec elle le jour <strong>de</strong> la démission <strong>de</strong> Mac-Mahon »<br />
(I, 413). Et la surprise cè<strong>de</strong> aussitôt <strong>de</strong>vant la nécessité <strong>de</strong> l’émotion morale.<br />
Ce sont donc <strong><strong>de</strong>s</strong> cas <strong>de</strong> perplexité morale dans le roman <strong>de</strong> Proust qui ont fait<br />
l’obj<strong>et</strong> d’analyses rapprochées, <strong><strong>de</strong>s</strong> cas que nous avons rangés sous la liste <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Vertus <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Vices <strong>de</strong> Padoue, « ces figures symboliques <strong>de</strong> Giotto dont M. Swann<br />
m’avait donné <strong><strong>de</strong>s</strong> photographies » (I, 80), étant entendu que vices <strong>et</strong> vertus ne<br />
sont jamais tranchés, mais toujours indistincts, impurs, coupés. Le mélange <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
vertus <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> vices, <strong>de</strong> la bonté <strong>et</strong> <strong>de</strong> la méchanc<strong>et</strong>é, du bien <strong>et</strong> du mal, est habituel<br />
<strong>et</strong> constant chez l’homme, disait Montaigne. Od<strong>et</strong>te, Albertine, Saint-Loup sont à<br />
la fois le mal <strong>et</strong> le remè<strong>de</strong>, comme « c<strong>et</strong>te Od<strong>et</strong>te sur le visage <strong>de</strong> qui [Swann] avait<br />
vu passer les mêmes sentiments <strong>de</strong> pitié pour un malheureux, <strong>de</strong> révolte contre<br />
une injustice, <strong>de</strong> gratitu<strong>de</strong> pour un bienfait, qu’il avait vu éprouver autrefois par<br />
sa propre mère, par ses amis » (I, 263), mais qui est aussi une femme entr<strong>et</strong>enue<br />
<strong>et</strong> cruelle, qui le fait souffrir.<br />
Telle est aussi la conclusion <strong>de</strong> l’épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> Sole mio à Venise, dans Albertine<br />
disparue, quand le héros rejoint sa mère au <strong>de</strong>rnier moment, après l’avoir fait<br />
souffrir : « “Tu sais, dit-elle, ta pauvre grand-mère le disait : C’est curieux, il n’y a<br />
personne qui puisse être plus insupportable ou plus gentil que ce p<strong>et</strong>it-là.” »<br />
Séminaire<br />
Le séminaire, qui s’est tenu douze semaines à la suite du <strong>cours</strong> <strong>et</strong> sur le même suj<strong>et</strong>, a<br />
permis <strong>de</strong> prolonger <strong>et</strong> <strong>de</strong> préciser l’examen <strong><strong>de</strong>s</strong> morales <strong>de</strong> Proust, à travers une série<br />
d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> cas.<br />
Philippe Chardin, Université François-Rabelais, Tours, « Amoralités proustiennes »,<br />
15 janvier 2008.<br />
Luc Fraisse, Université Strasbourg II - Marc-Bloch, « Proust <strong>et</strong> l’écriture du mensonge »,<br />
22 janvier 2008.<br />
Jacques Dubois, Université <strong>de</strong> Liège, « P<strong>et</strong>ites sociologies morales dans la Recherche »,<br />
29 janvier 2008.
LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 737<br />
Élisab<strong>et</strong>h La<strong>de</strong>nson, Université Columbia, New York, « Proust <strong>et</strong> la morale publique »,<br />
5 février 2008.<br />
Mireille Naturel, Université Paris III - Sorbonne-Nouvelle, « Les mauvais suj<strong>et</strong>s »,<br />
12 février 2008.<br />
Edward Hughes, Queen Mary College, Université <strong>de</strong> Londres, « Perspectives sur la<br />
culture populaire », 19 février 2008.<br />
Raymon<strong>de</strong> Cou<strong>de</strong>rt, Université Paris VII - Denis-Di<strong>de</strong>rot, « Fables animales proustiennes »,<br />
26 février 2008.<br />
Mariolina Bertini, Université <strong>de</strong> Parme, « Moralité <strong>de</strong> la lecture : <strong>de</strong> la vision pédagogique<br />
<strong>de</strong> Ruskin à la complicité proustienne », 4 mars 2008.<br />
Françoise Leriche, Université Grenoble III - Stendhal, « C’est à l’influence <strong>de</strong> quelqu’un<br />
qu’on juge <strong>de</strong> sa moralité », 11 mars 2008.<br />
Maya Lavault, Université Paris IV - Sorbonne, « Histoire <strong>de</strong> crimes proustiens », 18 mars<br />
2008.<br />
Joshua Landy, Université Stanford, « “Un égoïsme utilisable pour autrui” : le statut<br />
normatif <strong>de</strong> l’auto-<strong><strong>de</strong>s</strong>cription chez Proust », 25 mars 2008.<br />
Jon Elster, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, « L’aveuglement volontaire », 1 er avril 2008.<br />
Conférences<br />
« L’autorité », co-organisation du colloque <strong>de</strong> rentrée, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, octobre 2007.<br />
« L’histoire littéraire <strong><strong>de</strong>s</strong> écrivains », co-organisation du colloque Paris IV-Sorbonne -<br />
Columbia University, octobre 2007.<br />
« Maintenir le canon », Soci<strong>et</strong>à Universitaria per gli Studi di lingua e l<strong>et</strong>teratura francese,<br />
Rome, novembre 2007.<br />
« Roman <strong>et</strong> mémoire », <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, novembre 2007.<br />
« Après les antimo<strong>de</strong>rnes », Katholieke Universiteit, Leuven, mars 2008.<br />
« Thibaud<strong>et</strong> à Genève », Université <strong>de</strong> Genève, mars 2008.<br />
« Roman <strong>et</strong> mémoire », Soci<strong>et</strong>y of Dix-Neuviémistes, University of Manchester, mars<br />
2008.<br />
« La traversée <strong>de</strong> la critique », Université <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux III, avril 2008.<br />
« Roman <strong>et</strong> mémoire », Universidad Complutense, Madrid, avril 2008.<br />
« Israël avant Israël », Université <strong>de</strong> Tel Aviv, mai 2008.<br />
« “Vaines pointures, mais toujours pointures” : Montaigne <strong>et</strong> l’Ecclésiaste », École normale<br />
supérieure, juin 2008.<br />
« Les ennemis <strong>de</strong> Zola », Bibliothèque nationale <strong>de</strong> <strong>France</strong>, juin 2008.<br />
« Michel Butor : Montaigne - Proust <strong>et</strong> r<strong>et</strong>our », <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, juin 2008.<br />
Articles<br />
Publications<br />
« Préface » à Montaigne, Los Ensayos, trad. J. Bayod Brau, Barcelone, Acantilado, 2007.<br />
« Les programmes : élaboration <strong>et</strong> contenu », Pouvoirs (« L’Éducation nationale »), n o 122,<br />
2007.<br />
« La théorie bau<strong>de</strong>lairienne <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres », La Licorne (« Bau<strong>de</strong>laire <strong>et</strong> les formes<br />
poétiques », éd. Yoshikazu Nakaji), n o 83, 2008.
738 ANTOINE COMPAGNON<br />
« Proust <strong>et</strong> la légen<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> siècles », Marcel Proust. Die Legen<strong>de</strong> <strong>de</strong>r Zeiten im Kunstwerk<br />
<strong>de</strong>r Erinnerung, éd. Karlheinz Stierle, Frankfurt, Insel-Verlag, 2007.<br />
« Joseph Reinach <strong>et</strong> l’éloquence française », Commentaire, n o 120, 2007 ; Les Frères<br />
Reinach, éd. Sophie Basch, Michel Espagne <strong>et</strong> Jean Leclant, Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions <strong>et</strong><br />
belles-l<strong>et</strong>tres - De Boccard, 2008.<br />
« Nazisme, histoire <strong>et</strong> féerie : r<strong>et</strong>our sur Les Bienveillantes », Critique, n o 726, 2007.<br />
« Comme la souffrance va plus loin en psychologie que la psychologie ! », Psychologies fin<br />
<strong>de</strong> siècle, éd. Jean-Louis Cabanès, Jacqueline Carroy <strong>et</strong> Nicole E<strong>de</strong>lman, Université Paris<br />
Ouest, 2008.<br />
« Vies parallèles », Critique (« Bergson »), n o 732, 2008.<br />
« Thibaud<strong>et</strong> chargé <strong>de</strong> reliques », Le Débat, n o 150, 2008.<br />
Tribunes<br />
« Le déclin français vu <strong><strong>de</strong>s</strong> États-Unis », Le Mon<strong>de</strong>, 30 novembre 2007.<br />
« Tant vaut le maître, tant vaut l’école », Le Figaro, 23 janvier 2008.<br />
« Montaigne », Le Mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> livres, 14 mars 2008.<br />
« Les sciences humaines entre universités <strong>et</strong> CNRS », Le Mon<strong>de</strong>, 21 juin 2008.<br />
Autres responsabilités<br />
Membre du Haut Conseil <strong>de</strong> l’Éducation.<br />
Membre du Haut Conseil <strong>de</strong> la Science <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Technologie.<br />
Membre du conseil scientifique <strong>de</strong> la Fondation <strong><strong>de</strong>s</strong> Treilles.<br />
Membre du conseil scientifique du Collegium <strong>de</strong> Lyon.<br />
Membre du conseil scientifique <strong>de</strong> l’Institut <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> pour la Science <strong>et</strong> la<br />
Technologie (IHEST).<br />
Membre <strong>de</strong> la commission sur la condition enseignante (commission Pochard).<br />
Prési<strong>de</strong>nt du conseil scientifique <strong>de</strong> l’École normale supérieure.<br />
Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la commission « Littérature classique <strong>et</strong> critique littéraire » du Centre<br />
national du livre (CNL).<br />
Thèses soutenues sous la direction du professeur<br />
Jean-Baptiste Amadieu, « L’In<strong>de</strong>x romain <strong>et</strong> la littérature française <strong>de</strong> fiction au<br />
xix e siècle », Paris IV, décembre 2007.<br />
Mireille Naturel, « Proust <strong>et</strong> le fait littéraire », HDR, Paris IV, décembre 2007.<br />
Hiroya Sakamoto, « Les inventions techniques dans l’œuvre <strong>de</strong> Marcel Proust », Paris IV,<br />
janvier 2008.<br />
Maxime Abolgassemi, « Pour une poétique du hasard objectif », Paris IV, février 2008.<br />
Yoko Matsubara, « Proust <strong>et</strong> Racine : les références raciniennes dans les écrits <strong>de</strong> Proust »,<br />
Paris IV, mars 2008.<br />
Liza Gabaston, « Le langage du corps dans À la recherche du temps perdu <strong>de</strong> Marcel<br />
Proust », Paris IV, juin 2008.<br />
Young-Hae Kim, « Proust <strong>et</strong> la transposition <strong>de</strong> l’image à l’écriture : autour <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments<br />
asiatiques », Paris IV, AC, juill<strong>et</strong> 2008.
LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 739<br />
M. Jean-Baptiste Amadieu, ATER<br />
La chaire <strong>de</strong> Littérature française mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine compta pour la<br />
<strong>de</strong>uxième année consécutive un poste d’ATER, occupé par Jean-Baptiste Amadieu,<br />
agrégé <strong>de</strong> L<strong>et</strong>tres mo<strong>de</strong>rnes. Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux années, il mena à terme une<br />
thèse <strong>de</strong> doctorat entreprise sous la direction du professeur <strong>et</strong> portant sur les<br />
archives inédites <strong>de</strong> la Congrégation romaine <strong>de</strong> l’In<strong>de</strong>x. Ce travail qui éditait <strong>et</strong><br />
commentait les fonds <strong>de</strong> la censure ecclésiastique concernant les œuvres littéraires<br />
françaises du xix e siècle examinées par le Saint-Siège, fut publiquement soutenu le<br />
30 novembre 2007 <strong>et</strong> reçut les félicitations unanimes du jury. Dans la continuité<br />
<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong>, la chaire lui accorda un séjour <strong>de</strong> recherche pour explorer les<br />
archives du Saint-Office récemment ouvertes pour le pontificat <strong>de</strong> Pie XI : examens<br />
censoriaux <strong>de</strong> Mauriac, Gi<strong>de</strong>, Clau<strong>de</strong>l <strong>et</strong> Bernanos. M. Amadieu collabora<br />
également à l’organisation du séminaire, à l’édition scientifique <strong><strong>de</strong>s</strong> Réflexions sur<br />
la littérature <strong>de</strong> Thibaud<strong>et</strong>, <strong>et</strong> à l’édition <strong><strong>de</strong>s</strong> actes <strong><strong>de</strong>s</strong> séminaires <strong>de</strong> la chaire.
1. « Orgiasme »<br />
Littératures mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’Europe néolatine<br />
M. Carlo Ossola, professeur<br />
Renaissance <strong>et</strong> création<br />
Le <strong>cours</strong> a étudié les mo<strong><strong>de</strong>s</strong> littéraires <strong>et</strong> figuratifs à travers lesquels, dans la<br />
civilisation <strong>de</strong> la Renaissance (dans ses bases classiques <strong>et</strong> médiévales <strong>et</strong> dans sa<br />
réception mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine), se sont trouvés confrontés les mythes <strong>de</strong> la<br />
Renovatio <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Genèse, <strong>de</strong> la création divine ou du r<strong>et</strong>our <strong>de</strong> la mythologie<br />
classique (idéalement représentables, à quelques lustres <strong>de</strong> distances, d’un côté par<br />
la Naissance <strong>de</strong> Vénus <strong>de</strong> Botticelli <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’autre par les fresques <strong>de</strong> la Création sur<br />
la voûte <strong>de</strong> la Sixtine <strong>de</strong> Michel-Ange).<br />
Le proj<strong>et</strong> figuratif <strong>de</strong> Michel-Ange n’a pas seulement un caractère apologétique,<br />
mais il est la continuation <strong>et</strong> l’accomplissement <strong>de</strong> la plus haute méditation <strong>de</strong><br />
l’Humanisme italien : il suffit <strong>de</strong> rappeler l’Heptaplus. De septiformi sex dierum<br />
geneseos enarratione, 1489, <strong>de</strong> Jean Pic <strong>de</strong> la Mirandole, qui continue admirablement<br />
la tradition patristique <strong><strong>de</strong>s</strong> « hexamérons », soulignant en elle — selon la récente<br />
résurgence humaniste <strong>de</strong> la tradition judaïque 1 — l’émanation nécessaire d’un<br />
« ordre du mon<strong>de</strong> », que Pic reconduit à la Genèse, là où Moïse « traite expressément<br />
<strong>de</strong> l’émanation <strong>de</strong> toute chose à partir <strong>de</strong> Dieu, du <strong>de</strong>gré, du nombre, <strong>de</strong> l’ordre<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> parties <strong>de</strong> l’univers, avec la plus haute capacité philosophique 2 ».<br />
1. Voir, sur ce thème, les nombreux essais <strong>de</strong> Moshe I<strong>de</strong>l (<strong>et</strong> notamment Absorbing Perfections.<br />
Kabbalah and Interpr<strong>et</strong>ation, New Haven, Yale University Press, 2002) ; <strong>de</strong> François Secr<strong>et</strong>, Les<br />
Kabbalistes chrétiens <strong>de</strong> la Renaissance, Paris, Dunod, 1963 ; <strong>et</strong> récemment <strong>de</strong> Giulio Busi, L’enigma<br />
<strong>de</strong>ll’ebraico nel Rinascimento, Torino, Nino Aragno, 2007.<br />
2. G. Pico <strong>de</strong>lla Mirandola, De hominis dignitate. Heptaplus. De Ente <strong>et</strong> Uno, par E. Garin,<br />
1942; reprint Torino, Nino Aragno, 2004, p. 176-177 : « ubi [Moses] vel ex professo <strong>de</strong> rerum<br />
omnium emanatione a Deo, <strong>de</strong> gradu, <strong>de</strong> numero, <strong>de</strong> ordine partium mundanarum altissime<br />
philosophatur » (texte latin en regard du texte italien) ; je cite <strong>de</strong> la traduction française par André<br />
Chastel, « Pic <strong>de</strong> la Mirandole <strong>et</strong> l’“Heptaplus” », Les Cahiers d’Hermès, n° 2, La Colombe, 1947,<br />
p. 99 [avec une p<strong>et</strong>ite modification].
742 CARLO OSSOLA<br />
C<strong>et</strong>te tension apocalyptique qui entoure <strong>de</strong> Prophètes <strong>et</strong> <strong>de</strong> Sibylles les scènes<br />
<strong>de</strong> la Genèse a pu être suggérée par les marbres polychromes du Duomo <strong>de</strong> Sienne 3<br />
— comme si Michel-Ange avait porté à hauteur <strong>de</strong> plafond c<strong>et</strong>te “histoire sacrée”<br />
qui à Sienne était au niveau du pavement —, mais surtout elle tire son caractère<br />
d’“héroïque terribilité”, selon la Vie <strong>de</strong> Michel-Ange <strong>de</strong> Vasari, <strong>de</strong> la prédication<br />
alors récente <strong>de</strong> Jérôme Savonarole :<br />
Dil<strong>et</strong>tossi [Michelangelo] molto <strong>de</strong>lla Scrittura sacra, come ottimo cristiano che egli era,<br />
<strong>et</strong> ebbe in gran venerazione l’opere scritte da fra’ Girolamo Savonarola, per avere udito la<br />
voce di quel frate in pergamo.<br />
Il [Michel-Ange] prenait grand plaisir à la Sainte Ecriture en excellent chrétien qu’il était<br />
<strong>et</strong> il eut une gran<strong>de</strong> vénération pour les écrits du frère Jérôme Savonarole dont il avait<br />
entendu la voix en chaire 4 .<br />
Par ailleurs, on ne peut soutenir que Botticelli représente, à l’inverse, <strong>et</strong><br />
simplement, le versant “païen” <strong>de</strong> la Renaissance florentine, puisque là aussi Vasari<br />
(bien que dans le cadre <strong>de</strong> son apologie <strong><strong>de</strong>s</strong> Médicis) nous montre un tableau<br />
biographique bien plus contrasté, <strong>et</strong> — une fois encore — entièrement traversé<br />
par l’expérience savonarolienne :<br />
[…] la meilleure [gravure] est le Triomphe <strong>de</strong> la foi <strong>de</strong> frère Jérôme Savonarole <strong>de</strong> Ferrare.<br />
Sandro prit parti pour c<strong>et</strong>te secte, ce qui l’amena à abandonner la peinture, <strong>et</strong>, n’ayant<br />
plus les moyens <strong>de</strong> gagner sa vie, il sombra dans le plus grand désordre. En eff<strong>et</strong>,<br />
obstinément attaché à ce parti <strong>et</strong> faisant, comme on disait alors, le piagnone, il s’abstint<br />
<strong>de</strong> travailler. Il se r<strong>et</strong>rouva vieux <strong>et</strong> pauvre <strong>et</strong>, si Laurent <strong>de</strong> Médicis ne l’avait soutenu<br />
[…], il serait quasiment mort <strong>de</strong> faim 5 .<br />
On pourrait même suggérer que, pour comprendre la nature <strong><strong>de</strong>s</strong> tensions qui,<br />
dans l’historiographie mo<strong>de</strong>rne relative au xvi e siècle, alimentent la polarité<br />
Création — Renaissance (<strong>et</strong> tout autant la lecture <strong>de</strong> leurs emblèmes : la création,<br />
d’une part, du Michel-Ange <strong>de</strong> la Sixtine au Tasse du Mondo creato <strong>et</strong> la Renaissance,<br />
d’autre part, <strong>de</strong> la Vénus <strong>de</strong> Botticelli aux Fureurs héroïques <strong>de</strong> Giordano Bruno),<br />
il faudrait, idéalement, circonscrire c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> allant <strong>de</strong> la fin du xv e siècle à la<br />
3. Je renvoie à F. Ohly, Die Kathedrale als Zeitenraum. Zum Dom von Siena, 1972 (trad. it. <strong>de</strong><br />
M. A. Coppola, La cattedrale come spazio <strong>de</strong>i tempi. Il Duomo di Siena, Siena, Acca<strong>de</strong>mia Senese<br />
<strong>de</strong>gli Intronati, 1979).<br />
4. G. Vasari, La vita di Michelangelo nelle redazioni <strong>de</strong>l 1550 e <strong>de</strong>l 1568, par Paola Barocchi,<br />
Milano-Napoli, Ricciardi, 1962, vol. I, p. 121 ; trad. fr. <strong>et</strong> éd. commentée sous la dir. d’André<br />
Chastel, Vie <strong>de</strong> Michel-Ange Buonarroti, in Les Vies <strong><strong>de</strong>s</strong> meilleurs peintres, sculpteurs <strong>et</strong> architectes,<br />
Arles, Actes Sud, 2005, 2 vol. ; citation vol. II, « Livre IX », p. 308.<br />
5. G. Vasari, Vie <strong>de</strong> Sandro Botticello, peintre florentin, in Les Vies <strong><strong>de</strong>s</strong> meilleeurs peintres,<br />
sculpteurs <strong>et</strong> architectes, trad. cit., vol. I, « Livre IV », p. 261 [« (…) on<strong>de</strong> il meglio che si vegga<br />
di sua mano è il trionfo <strong>de</strong>lla fe<strong>de</strong> di fra’ Girolamo Savonarola da Ferrara : <strong>de</strong>lla s<strong>et</strong>ta <strong>de</strong>l quale<br />
fu in guisa partigiano, che ciò fu causa che egli abandonando il dipignere e non avendo entrate<br />
da vivere, precipitò in disordine grandissimo. Perciò che, essendo ostinato a quella parte e facendo<br />
(come si chiamavano allora) il piagnone, si diviò dal lavorare : on<strong>de</strong> in ultimo si trovò vecchio e<br />
povero, di sorte che se Lorenzo <strong>de</strong>’ Medici (…) non l’avesse sovvenuto, (…) si sarebbe quasi<br />
morto di fame » ; Roma, Newton Compton, 1991, p. 494].
LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 743<br />
fin du xvi e entre les <strong>de</strong>ux dates <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux bûchers : celui <strong>de</strong> Jérôme Savonarole<br />
(1498) <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> Giordano Bruno (1600), chacun avec ses apologistes, chacun<br />
avec ses détracteurs.<br />
Si la question savonarolienne <strong>et</strong> le “prophétisme” michelangelesque (<strong>de</strong> la<br />
voûte <strong>de</strong> la Sixtine au mur du Jugement universel, Genèse <strong>et</strong> Apocalypse<br />
recueillies en un seul espace-temps) sont bien loin d’avoir trouvé une<br />
appréciation historiographique satisfaisante, <strong>de</strong> nouveaux clairs-obscurs surgissent<br />
maintenant autour <strong>de</strong> la “Renaissance païenne”, que l’école d’Aby Warburg<br />
semblait pourtant avoir imposée à l’historiographie <strong><strong>de</strong>s</strong> arts du xvi e siècle. En<br />
eff<strong>et</strong>, le second volume <strong>de</strong> la traduction italienne <strong><strong>de</strong>s</strong> écrits d’Aby Warburg 6<br />
— le premier a paru en 2004 chez le même éditeur — présente non seulement<br />
une vaste anthologie <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière partie <strong>de</strong> son activité <strong>de</strong> recherche <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa<br />
vie, mais elle offre également au lecteur quelques précieux inédits, dont les<br />
principaux sont les trois versions <strong>de</strong> sa conférence sur Ghirlandaio, donnée à la<br />
Bibliotheca Hertziana <strong>de</strong> Rome en mai 1929, <strong>et</strong> un cahier <strong>de</strong> notes fiévreuses sur<br />
Giordano Bruno, qui a accompagné le savant — comme le r<strong>et</strong>race finement<br />
Maurizio Ghelardi dans son Introduzione — jusqu’à la veille <strong>de</strong> sa mort. Le<br />
26 octobre 1929, à quatre heures du matin, il notait : « Persée, ou “Esthétique<br />
<strong>de</strong> l’énergie comme fonction logique dans le problème <strong>de</strong> l’orientation chez<br />
Giordano Bruno” : j’ai enfin choisi le titre <strong>de</strong> ma leçon inaugurale 7 . » Il allait<br />
mourir seulement quelques heures plus tard.<br />
Désormais, l’œuvre <strong>de</strong> Warburg <strong>et</strong> son importance sont trop connues pour<br />
qu’il soit nécessaire <strong>de</strong> revenir sur l’emblématique conférence “hertzienne” (à<br />
laquelle Silvia De Lau<strong>de</strong> a consacré d’importantes étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, liées par ailleurs à la<br />
présence à Rome <strong>de</strong> Curtius 8 ). Il convient en revanche <strong>de</strong> prêter attention ici<br />
au cahier concernant Bruno. Il s’agit <strong>de</strong> 45 feuill<strong>et</strong>s <strong>de</strong> notes remontant au séjour<br />
en Italie <strong>de</strong> Warburg <strong>et</strong> <strong>de</strong> Gertrud Bing (Rimini, Orvi<strong>et</strong>o, Rome, Naples,<br />
Capoue, entre l’automne 1928 <strong>et</strong> le printemps 1929). Ces notes indiquent<br />
immédiatement une direction forte <strong>de</strong> “lecture” <strong>de</strong> Giordano Bruno :<br />
« Renforcement <strong>de</strong> la révolte à travers l’action <strong>de</strong> saisir 9 » ; ascension <strong>et</strong><br />
déification par le re<strong>cours</strong> au mythe orphique <strong>de</strong> connaissance <strong>et</strong> <strong>de</strong> sacrifice :<br />
6. A. Warburg, Opere, vol. II : La rinascita <strong>de</strong>l paganesimo antico e altri scritti (1917-1929),<br />
par M. Ghelardi, Torino, Nino Aragno, 2007.<br />
7. Ibid., je cite <strong>de</strong> l’Introduzione <strong>de</strong> Maurizio Ghelardi, p. XVI-XVII. Toutes les indications <strong>de</strong><br />
page infra renvoient à c<strong>et</strong>te édition, d’après laquelle sont traduites les citations <strong>de</strong> Warburg.<br />
8. Cf. S. De Lau<strong>de</strong>, Continuità e variazione : studi su Ernst Robert Curtius e Aby Warburg,<br />
Napoli, Solimene, 2005.<br />
9. A.Warburg, [Giordano Bruno], carn<strong>et</strong> <strong>de</strong> notes, à la plume <strong>et</strong> au crayon, composé <strong>de</strong><br />
45 feuill<strong>et</strong>s, <strong>et</strong> d’une feuille libre sur laquelle on peut lire : « Giordano Bruno. Auffahrt 1929<br />
(Mithras, Rimini, Perseus) ». Deux photographies <strong>de</strong> Warburg <strong>et</strong> Gertrud Bing, datées<br />
respectivement « November 928 » <strong>et</strong> « 19.III.929, Orvi<strong>et</strong>o » fournissent une confirmation <strong>de</strong><br />
quelques-unes <strong><strong>de</strong>s</strong> étapes du voyage. La note, placée en ouverture du cahier (op. cit., p. 923),<br />
explicite la note <strong>de</strong> la ligne précé<strong>de</strong>nte : « Saisir <strong>et</strong> comprendre [Griff u. Begreifen] ».
744 CARLO OSSOLA<br />
« L’ascension imaginaire <strong>et</strong> le sacrifice en tant que pratique 10 . » Et presque à la<br />
même date : « Un jour : liquidation <strong><strong>de</strong>s</strong> ténèbres grâce à la lumière extérieure<br />
(Mithra) <strong>et</strong> à celle intérieure (G. Bruno) 11 . »<br />
La figure du Nolain frappe tant l’esprit <strong>de</strong> Warburg qu’il en <strong>de</strong>meure indécis,<br />
hésitant à le situer, face à don Quichotte, parmi les fondateurs <strong>de</strong> l’impératif<br />
catégorique :<br />
Rome 2. XII. 1928<br />
don Quichotte Giordano Bruno<br />
Chevalier errant 12 Hygin moralisé<br />
du concept d’infinité<br />
“Défi” sur le fon<strong>de</strong>ment humain<br />
individuel<br />
à travers<br />
une émulsion dynamique<br />
impératif catégorique la réforme <strong>de</strong> l’humaine<br />
causalité figurative<br />
Naissance <strong>de</strong> l’impératif<br />
catégorique 13 ,<br />
ou bien à le poser comme le défenseur d’un dionysisme “non en<strong>de</strong>uillé” :<br />
« Rétablissement <strong>de</strong> la dynamique / humaine (il ne s’agit pas <strong>de</strong> l’en<strong>de</strong>uillement)<br />
passionnelle / Giordano Bruno » 14 , jusqu’à le représenter comme un précurseur<br />
<strong>de</strong> Ni<strong>et</strong>zsche : « Dans les Fureurs héroïques, parvenu au point où Actéon <strong>de</strong><br />
prédateur <strong>de</strong>vient proie <strong>de</strong> la solitu<strong>de</strong> pensante 15 » ; «Bruno // L’acte <strong>de</strong> l’adhésion<br />
héroïco-érotique au chaos <strong>et</strong> la Hylè / acte originel créateur du détachement qui<br />
produit l’espace <strong>de</strong> la pensée 16 . »<br />
10. Ibid., note du « 20.V. 1929 », p. 930.<br />
11. Ibid., note du « 17.V. 1929 », p. 941.<br />
12. En français dans le texte <strong>de</strong> Warburg.<br />
13. Ibid., note du « 2. XII. 1928 », p. 957.<br />
14. Ibid., note du « 23. XII. 1928 », p. 963.<br />
15. Ibid., note datée « Naples, 8 mai 1929 » <strong>et</strong> ayant pour titre Giordano Bruno, p. 975. La note<br />
doit être complétée par celle du jour suivant : « Transformation d’Actéon comme acte intuitif <strong>et</strong><br />
totale adhésion à la contemplation [Schau] » (ibid., note datée du « 12 mai 1929 — ai fini avec<br />
Gertrud Bing la lecture <strong><strong>de</strong>s</strong> Fureurs héroïques », p. 976). Il est indubitable qu’ici résonne le souvenir<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Son<strong>et</strong>te an Orpheus <strong>de</strong> Rainer Maria Rilke, édités en 1923, où souffle — comme motif<br />
conducteur — le « Wolle die Wandlung » (II, XII : « Veux la métamorphose » ; je cite <strong>de</strong> la<br />
traduction <strong>de</strong> Maurice Regnaut, Sonn<strong>et</strong>s à Orphée, in Œuvres poétiques <strong>et</strong> théâtrales, sous la dir. <strong>de</strong><br />
Gerald Stieg, Paris, Gallimard, 1997, p. 606). On peut, du reste, qualifier <strong>de</strong> très “brunienne” la<br />
conclusion du sonn<strong>et</strong> XXVII <strong>de</strong> la Deuxième Partie : « Tels que nous sommes, les sans trêve, /<br />
auprès <strong><strong>de</strong>s</strong> forces qui <strong>de</strong>meurent, / nous avons valeur <strong>de</strong> divin usage » (Sonn<strong>et</strong>s à Orphée, trad. cit.,<br />
p. 615). C’est là un thème qui mériterait <strong>de</strong> vastes recherches, <strong>et</strong> une lecture différente, “brunienne”,<br />
<strong>de</strong> l’Ouvert <strong>de</strong> Rilke : « Tout est distance, — <strong>et</strong> nulle part ne peut se refermer le cercle » (II, XX,<br />
trad. cit., p. 610-611 [« Alles ist weit -, und nirgends schließt sich <strong>de</strong>r Kreis »]).<br />
16. A. Warburg, [Giordano Bruno], cit., in Opere, vol. II, p. 979 [« 18.V.1929 Naples »].
LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 745<br />
Or, quand on sait l’importance que Warburg attribue, dans son système, à la<br />
pensée <strong>de</strong> Ni<strong>et</strong>zsche, <strong>et</strong> précisément au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> ces mêmes semaines “bruniennes”<br />
durant lesquelles il prépare son compte rendu (du 18 mai 1929) sur L’Antique<br />
romain dans l’atelier <strong>de</strong> Ghirlandaio, qui commence ainsi : « Ni<strong>et</strong>zsche, dans la<br />
Naissance <strong>de</strong> la tragédie (1886), nous a appris à considérer l’Antique à travers le<br />
symbole du double hermès Dionysos-Apollon» 17 ; quand encore on se rappelle<br />
que dès 1908 (dans sa conférence Le Mon<strong>de</strong> antique <strong><strong>de</strong>s</strong> Dieux <strong>et</strong> la première<br />
renaissance au nord <strong>et</strong> au sud ) c’est le Ni<strong>et</strong>zsche dionysiaque qui capte son<br />
attention : « Chaque époque, sur la base du développement <strong>de</strong> sa vision intérieure,<br />
peut comprendre ce qu’elle est en mesure <strong>de</strong> reconnaître <strong>et</strong> <strong>de</strong> supporter <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
symboles olympiques. À la nôtre, par exemple, Ni<strong>et</strong>zsche a appris à voir<br />
Dionysos 18 » ; alors, il ne sera pas indu <strong>de</strong> supposer que, dans la pensée <strong>de</strong><br />
Warburg, Giordano Bruno vient résoudre l’aporie d’un “ni<strong>et</strong>zschéisme sans<br />
Ni<strong>et</strong>zsche” désormais en vigueur d’après les couleurs wagnériennes <strong>et</strong> les mythes<br />
aryens <strong>de</strong> plus en plus présents dans la propagan<strong>de</strong> du national-socialisme (<strong>et</strong> qui,<br />
<strong>de</strong> manière problématique, touchent aussi le cahier <strong>de</strong> Warburg : « Liquidation <strong>de</strong><br />
la Bête […] // Vénération <strong>de</strong> l’énergie socialement utile 19 »). Dostoïevski, face<br />
aux mêmes apories <strong>et</strong> à l’impératif d’“émerger du chaos”, avait choisi l’Idiot / don<br />
Quichotte 20 ; Warburg choisira la « fureur » orphique, <strong>et</strong> régénératrice, brunianoni<strong>et</strong>zschéenne.<br />
Giordano Bruno venait ainsi accomplir (avec <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences qui se proj<strong>et</strong>teront<br />
sur toute l’école warburgienne, à commencer par <strong>France</strong>s Yates, <strong>et</strong> sur la récente<br />
réception italienne, saturée <strong>de</strong> mythes bruniens) la parabole amorcée par Warburg<br />
lors <strong>de</strong> son premier séjour en Italie <strong>et</strong> rappelée également dans son <strong>de</strong>rnier cahier :<br />
« Botticelli (tapisserie) / Politien / Urbino / Giordano Bruno 21 . » Le « paganisme »<br />
warburgien — ainsi que l’a proposé Eugenio Battisti pour le thème <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
« bacchanales 22 » — est tout autre qu’un triomphe humaniste <strong><strong>de</strong>s</strong> « Grâces » <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> la forme nue ; Warburg penche, au contraire, <strong>et</strong> dès les notes <strong>de</strong> L’Exposition<br />
sur Ovi<strong>de</strong> (1927), du côté orphico-sacrificiel <strong>de</strong> la tradition classique :<br />
Actéon transformation<br />
Daphné poursuite<br />
mort<br />
17. A. Warburg, L’antico romano nella bottega di Ghirlandaio. Resoconto, 18 maggio 1929, texte<br />
inédit publié maintenant in Opere, cit., vol. II, p. 863-869; citation p. 865.<br />
18. A. Warburg, Opere, éd. cit., vol. I, p. 504.<br />
19. Ibid., [Giordano Bruno], in Opere, vol. II, p. 983 [« 10.VI.1929 »].<br />
20. Je me perm<strong>et</strong>s <strong>de</strong> renvoyer à mon <strong>cours</strong> « En pure perte » : le renoncement <strong>et</strong> le gratuit (textes<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> XIX e <strong>et</strong> XX e siècles), in Cours <strong>et</strong> Travaux du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, CV : Résumés 2004-2005, Paris,<br />
<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 2006, p. 723-737.<br />
21. A. Warburg, [Giordano Bruno], cit., in Opere, vol. II, p. 952 [« 24.XII.1928 »].<br />
22. E. Battisti, Mitologie per Alfonso d’Este, in Rinascimento e Barocco, Torino, Einaudi, 1960,<br />
p. 112-145.
746 CARLO OSSOLA<br />
Proserpine enlèvement<br />
Enfers<br />
transformation<br />
Médée Polixène expiation rite<br />
sacrifice humain<br />
Orphée expiation (extrême sacrifice)<br />
orgiasme<br />
Méléagre Alceste Lamentation 23 .<br />
Ce par<strong>cours</strong> “orphique” du mythe était un prélu<strong>de</strong> à l’« Aboutissement <strong>de</strong> la<br />
dynamique poétique / épique <strong>et</strong> lyrique / dans le drame réel <strong>de</strong> l’époque<br />
mo<strong>de</strong>rne 24 ». Indubitablement, la lecture faite par Warburg se plaçait sur le<br />
versant du « Rétablissement <strong>de</strong> la dynamique [...] passionnelle », <strong>et</strong> donc <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Pathosformen. Mais à quel point c<strong>et</strong>te lecture était empreinte d’inquiétu<strong>de</strong>, <strong>et</strong><br />
insatisfaisante, <strong>et</strong> rongée <strong>de</strong> l’intérieur par l’hypothèque ni<strong>et</strong>zschéenne, cela nous<br />
est confirmé par une note écrite peu après :<br />
Le passé <strong>de</strong> l’Antique païen doit-il donc dominer nos idées maîtresses ?<br />
Renverser la question :<br />
<strong>de</strong>vrions-nous donc oublier l’Antique si nous voulons parvenir à nous sentir<br />
invulnérables 25 ?<br />
« Création — mort » versus « sacrifice — invulnérabilité » : on voit bien comment<br />
la réflexion sur les modèles interprétatifs du xvie siècle touche à la nature même<br />
<strong>de</strong> l’homme mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> <strong>de</strong> la société contemporaine; <strong>et</strong> comment — mais se sera<br />
l’occasion d’un autre <strong>cours</strong> — la bataille que l’homme contemporain a engagée<br />
contre la mort tend, au fond, non pas à renouveler la création, mais à procurer, là<br />
esthétiquement <strong>et</strong> aujourd’hui techniquement, l’invulnérabilité — une intangible<br />
durée qui est évoquée chez Rilke par une parabole semblable :<br />
Même si le mon<strong>de</strong> doit un jour s’effondrer sous ses pieds, il est l’élément créateur qui perdure<br />
<strong>de</strong> façon indépendante, il est la méditative possibilité <strong>de</strong> mon<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> temps nouveaux.<br />
C’est pourquoi celui qui en fait sa vision <strong>de</strong> la vie, l’artiste, est aussi l’homme du but ultime,<br />
qui traverse les siècles en restant jeune, sans aucun passé <strong>de</strong>rrière lui. Les autres vont <strong>et</strong><br />
viennent, il dure 26 .<br />
23. A. Warburg, La mostra su Ovidio, in Opere, vol. II, cit., p. 670. Parallèlement, dans une<br />
note du « 28. I. 1927 », Warburg établit une distribution analogue : « Poursuite / Daphné I //<br />
Enlèvement / Proserpine II // Transformation / Actéon III /// Sacrifice humain / Médée Polixène<br />
4 // extrême sacrifice / Orphée 5 // Lamentation / Méléagre Alceste 6 » (ibi<strong>de</strong>m). C’est sur la<br />
même parabole que se concluait la première partie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sonn<strong>et</strong>s à Orphée : « Ivres <strong>de</strong> vengeance,<br />
elles t’ont achevé, mis en pièces, / ta voix gardant comme <strong>de</strong>meure le lion, le roc, / l’arbre,<br />
l’oiseau. C’est <strong>de</strong> là encore que tu chantes. // Ô toi, dieu perdu ! Ô toi, trace infinie ! » (I, XXVI ;<br />
je traduis).<br />
24. A. Warburg, La mostra su Ovidio, vol. II, p. 670.<br />
25. Ibid., vol. II, p. 671.<br />
26. R. M. Rilke, Sur l’art [1], trois fragments publiés dans la revue Ver sacrum sous le titre<br />
Über Kunst, en novembre 1898-mai 1899 ; voir maintenant Œuvres en prose. Récits <strong>et</strong> essais, sous<br />
la direction <strong>de</strong> Cl. David, Paris, Gallimard, 1993, p. 678.
2. « Repos »<br />
LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 747<br />
Le panorama proposé par Aby Warburg s’étend sur une réalité principalement<br />
italienne, allant <strong>de</strong> Ferrare à Florence aux xv e <strong>et</strong> xvi e siècles. De même, ses premiers<br />
essais se fondaient sur <strong><strong>de</strong>s</strong> lectures italiennes : dans “La Naissance <strong>de</strong> Vénus” <strong>et</strong> “Le<br />
Printemps” di Sandro Botticelli (1893), il rappelle les d<strong>et</strong>tes qu’il a contractées<br />
envers l’édition <strong><strong>de</strong>s</strong> œuvres <strong>de</strong> Politien donnée par Giosue Carducci, Le Stanze,<br />
l’Orfeo e le Rime di M. A. Poliziano (Firenze, Barbera, 1863). Récemment, Giovanna<br />
Cordibella 27 a évoqué l’importance <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te d<strong>et</strong>te; mais il faudrait aller plus loin<br />
encore : la formule même <strong>de</strong> « renaissance du paganisme antique » semble être<br />
empruntée à Carducci, lequel, dans le finale <strong>de</strong> son chapitre consacré à Florence à<br />
la fin du xv e siècle, prend ainsi congé — encore une fois — <strong>de</strong> Savonarole, véritable<br />
moment décisif <strong>de</strong> tout jugement sur la Renaissance italienne :<br />
Il Rinascimento sfolgorava da tutte le parti; da tutti i marmi scolpiti, da tutte le tele<br />
dipinte, da tutti i libri stampati in Firenze e in Italia irrompeva la ribellione <strong>de</strong>lla carne<br />
contro lo spirito, <strong>de</strong>lla ragione contro il misticismo ; ed egli, povero frate, rizzando suoi<br />
roghi innocenti contro l’arte e la natura, parodiava gli argomenti di discussione di Roma ;<br />
egli ribelle, egli scomunicato, egli in nome <strong>de</strong>l principio di autorità <strong><strong>de</strong>s</strong>tinato a ben altri<br />
roghi. E non sentiva che la riforma d’Italia era il rinascimento pagano, che la riforma<br />
puramente religiosa era riservata ad altri popoli più sinceramente cristiani ; e tra le rid<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>’ suoi piagnoni non ve<strong>de</strong>va, povero frate, in qualche canto <strong>de</strong>lla piazza sorri<strong>de</strong>re<br />
pi<strong>et</strong>osamente il pallido viso di Nicolò Machiavelli 28 .<br />
La Renaissance resplendissait <strong>de</strong> toutes parts; <strong>de</strong> tous les marbres sculptés, <strong>de</strong> toutes les<br />
toiles peintes, <strong>de</strong> tous les livres imprimés à Florence <strong>et</strong> en Italie jaillissait la rébellion <strong>de</strong><br />
la chair contre l’esprit, <strong>de</strong> la raison contre le mysticisme ; <strong>et</strong> lui, pauvre frère, en dressant<br />
ses innocents bûchers contre l’art <strong>et</strong> la nature, il parodiait les arguments <strong>de</strong> discussion <strong>de</strong><br />
Rome ; lui rebelle, lui excommunié, lui <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné au nom du principe d’autorité à bien<br />
d’autres bûchers. Et il ne sentait pas que la réforme d’Italie était la renaissance païenne,<br />
que la réforme religieuse était réservée à d’autres peuples, plus sincèrement chrétiens ; <strong>et</strong><br />
parmi la foule <strong>de</strong> ses piagnoni, il ne voyait pas, pauvre frère, en quelque recoin <strong>de</strong> la place<br />
sourire, apitoyé, le pâle visage <strong>de</strong> Nicolas Machiavel.<br />
Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> ces mêmes années, l’opposition Savonarole — Machiavel sera<br />
corroborée par la Storia <strong>de</strong>lla l<strong>et</strong>teratura italiana (1870-1871) <strong>de</strong> <strong>France</strong>sco De<br />
Sanctis, dans laquelle Machiavel prépare une route, toute matérielle, à l’aventure<br />
humaine, dont Bruno sera — à côté <strong>de</strong> Galilée — le prophète <strong>et</strong> le modèle,<br />
annonçant la « Science nouvelle », une science politico-philosophique en cohésion<br />
avec celle <strong>de</strong> Machiavel :<br />
Machiavelli aveva già parlato di uno spirito <strong>de</strong>l mondo immortale ed immutabile, fattore<br />
<strong>de</strong>lla storia secondo le sue leggi costitutive. Quello spirito <strong>de</strong>lla storia nella speculazione<br />
di Bruno è il fabbro <strong>de</strong>l mondo, il suo artefice interno 29 .<br />
27. G. Cordibella, « Una l<strong>et</strong>tera inedita di Aby Warburg a Giosue Carducci », L<strong>et</strong>tere Italiane,<br />
LIX, 2007, n° 4, p. 574-581.<br />
28. G. Carducci, Dello svolgimento <strong>de</strong>lla l<strong>et</strong>teratura nazionale, 1868-1971 ; Discorso IV ; in<br />
Prose, Bologna, Zanichelli, 1941, p. 378-379 ; je souligne.<br />
29. F. De Sanctis, Storia <strong>de</strong>lla l<strong>et</strong>teratura italiana, 1870-1871 ; je cite à partir <strong>de</strong> l’édition<br />
établie par N. Gallo <strong>et</strong> G. Ficara, Torino, Einaudi — Gallimard, 1996, chap. XIX : « La nuova<br />
scienza », § 5, p. 634.
748 CARLO OSSOLA<br />
Déjà Machiavel avait parlé d’un esprit du mon<strong>de</strong> immortel <strong>et</strong> immuable, faiseur <strong>de</strong><br />
l’histoire selon ses lois constitutives. Dans la spéculation <strong>de</strong> Bruno, c<strong>et</strong> esprit <strong>de</strong> l’histoire<br />
est le faiseur du mon<strong>de</strong>, son artisan interne.<br />
De Sanctis, toutefois, ne considérait pas la pensée mais les formes actives <strong>de</strong> la<br />
liberté que l’Italie perdait au xvi e siècle; sa condamnation en bloc du Cinquecento<br />
est donc sans appel :<br />
C’était alors l’époque où les grands États d’Europe prenaient une assise stable, <strong>et</strong> fondaient<br />
chacun leur patrie […]. Et c’était aussi l’époque où l’Italie non seulement ne parvenait<br />
pas à fon<strong>de</strong>r la patrie mais perdait tout à fait son indépendance, sa liberté, son primat<br />
dans l’histoire du mon<strong>de</strong>. De c<strong>et</strong>te catastrophe il n’y avait aucune conscience nationale,<br />
on en éprouvait même une certaine satisfaction 30 .<br />
Carducci, plus sensible à la continuité historique d’une gran<strong>de</strong> civilisation<br />
classique au xvi e siècle italien, en jugeait bien diversement. S’opposant <strong>de</strong> manière<br />
explicite à De Sanctis qui avait déclaré :<br />
Parce que finalement c’est la vie italienne qui, vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> conscience, faisait défaut [au<br />
xvi e siècle], <strong>et</strong> l’histoire <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te opposition italienne n’est rien d’autre que l’histoire <strong>de</strong> la<br />
lente reconstitution <strong>de</strong> la conscience nationale. Qu’y avait-il dans la conscience ? Rien.<br />
Pas <strong>de</strong> dieu, pas <strong>de</strong> patrie, pas <strong>de</strong> famille, pas d’humanité, pas <strong>de</strong> civilisation. Et il n’y<br />
avait même plus la négation, qui elle aussi est la vie 31 ;<br />
Carducci le pressait sur le plan <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> historique :<br />
Il pourra bien, ce philosophe <strong>de</strong> l’histoire [scil. : De Sanctis], avec tout le brio <strong>de</strong> son<br />
ingéniosité, nous prouver que le mouvement <strong>de</strong> l’Italie au xvi e siècle ne fut rien<br />
d’autre que l’oubli insouciant <strong>de</strong> la réalité <strong>et</strong> une manière <strong>de</strong> se préparer à bien mourir,<br />
que l’Italie <strong>de</strong>vait mourir, parce qu’elle n’était pas <strong>de</strong>venue une nation <strong>et</strong> qu’elle n’avait<br />
pas la conscience d’une nation ; il pourra, c<strong>et</strong> historien <strong>de</strong> la littérature, par d’exquises<br />
subtilités, nous montrer que tout l’art du xvi e siècle n’est que dissolution, <strong>et</strong> que<br />
l’Italie était vouée à la dissolution, parce qu’elle ne croyait pas, parce qu’elle n’avait pas<br />
opéré sa réforme religieuse. Mais l’histoire est ce qu’elle est : que nous, nous voulions<br />
la refaire à notre gré, que nous, nous voulions revoir comme un thème d’écolier le<br />
grand livre <strong><strong>de</strong>s</strong> siècles <strong>et</strong> inscrire <strong><strong>de</strong>s</strong>sus, <strong>de</strong> l’air courroucé <strong><strong>de</strong>s</strong> maîtres, nos corrections,<br />
ou, pire, rayer d’un trait <strong>de</strong> plume les pages qui ne nous plaisent pas […] ; tout cela<br />
30. Ibid., chap. XVII : « Torquato Tasso », § 1, p. 543 : « Quello era il tempo che i grandi stati<br />
d’Europa pren<strong>de</strong>vano stabile ass<strong>et</strong>to, e fondavano ciascuno la patria […]. E quello era il tempo<br />
che l’Italia non solo non riusciva a fondare la patria, ma per<strong>de</strong>va affatto la sua indipen<strong>de</strong>nza, la<br />
sua libertà, il suo primato nella storia <strong>de</strong>l mondo. Di questa catastrofe non ci era una coscienza<br />
nazionale, anzi ci era una certa soddisfazione. »<br />
31. Ibid., chap. XIX : « La nuova scienza », § 1; éd. cit., p. 623-624 : « Perché infine la vita<br />
italiana mancava [nel Cinquecento] per il vuoto <strong>de</strong>lla coscienza, e la storia di questa opposizione<br />
italiana non è altro se non la storia <strong>de</strong>lla lenta ricostituzione <strong>de</strong>lla coscienza nazionale. Cosa ci<br />
era nella coscienza ? Nulla. Non Dio, non patria, non famiglia, non umanità, non civiltà. E non<br />
ci era più neppure la negazione, che anch’essa è vita. »
LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 749<br />
est volonté arbitraire ou gymnastique <strong>de</strong> l’esprit, mais ce n’est pas la vérité, <strong>et</strong> c’est<br />
même le contraire. 32<br />
À la condamnation prononcée par De Sanctis, qui partant <strong>de</strong> la littérature arrive<br />
jusqu’aux institutions <strong>de</strong> la langue 33 , Carducci opposera une pi<strong>et</strong>as plus mesurée,<br />
sans “héroïques fureurs” <strong>et</strong> <strong>de</strong> laquelle jaillira « un mon<strong>de</strong> supérieur <strong>de</strong> liberté <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> raison » :<br />
Spectacle que d’aucuns pourront dire honteux <strong>et</strong> qui à moi m’apparaît plein <strong>de</strong> piété<br />
sacrée, celui d’un peuple <strong>de</strong> philosophes, <strong>de</strong> poètes, d’artistes, qui au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> soldats<br />
étrangers faisant irruption <strong>de</strong> toutes parts poursuit dans la douleur mais résolu son œuvre<br />
<strong>de</strong> civilisation. […] Et le chant <strong><strong>de</strong>s</strong> poètes recouvre la triste sonnerie du clairon, <strong>et</strong> les<br />
presses <strong>de</strong> Venise, <strong>de</strong> Florence, <strong>de</strong> Rome, crissent <strong>et</strong> œuvrent à illuminer le mon<strong>de</strong>. […]<br />
Chère <strong>et</strong> sainte patrie ! Elle ouvrit les esprits à un mon<strong>de</strong> supérieur <strong>de</strong> liberté <strong>et</strong> <strong>de</strong> raison;<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> tout fit don à l’Europe 34 .<br />
Carducci, renonçant aux Pathosformen <strong>de</strong> De Sanctis <strong>et</strong> <strong>de</strong> Warburg, ne cherchait<br />
pas dans la Renaissance une “régénération” mais une continuité, une continuité<br />
sans palingénésie, une continuité <strong>de</strong> millénaires païens qui « avait fait païen […]<br />
le christianisme » ; en reprenant à son compte la thèse <strong>de</strong> De Sanctis, il la renversait<br />
en paradoxe, montrant l’inanité <strong>de</strong> la vigueur du politique par rapport à la durée<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> arts, l’inanité <strong>de</strong> la réforme religieuse par rapport à la liberté, bien plus gran<strong>de</strong>,<br />
<strong>de</strong> la raison :<br />
Si elle [scil. : l’Italie] s’était laissé manier par un Souabe ou par un Angevin ou par un<br />
Visconti qui, l’ayant domptée, pressée, battue, l’avait poussée comme un cheval <strong>de</strong> bataille<br />
aux conquêtes, aurait-elle accompli ce qu’elle a accompli à travers le libre développement<br />
<strong>de</strong> tous ses éléments, <strong>de</strong> toutes ses populations ? Aurait-elle eu ses échanges commerciaux<br />
unificateurs <strong>de</strong> l’Europe, son art conciliateur <strong>de</strong> l’antiquité <strong>et</strong> du moyen-âge, sa renaissance ?<br />
32. G. Carducci, Dello svolgimento <strong>de</strong>lla l<strong>et</strong>teratura nazionale, cit., Discorso V, 1, p. 382-383 :<br />
« Potrà bene quel filosofo <strong>de</strong>lla storia [scil. : il De Sanctis] con molta accensione d’ingegno<br />
provarci che il movimento <strong>de</strong>ll’Italia nel secolo <strong>de</strong>cimosesto altro non fu che oblio spensierato<br />
<strong>de</strong>lla realtà e un prepararsi a ben morire, che l’Italia doveva morire perché non si era fatta nazione<br />
e non aveva la conscienza di nazione ; potrà questo storico <strong>de</strong>lla l<strong>et</strong>teratura con isquisite sottigliezze<br />
mostrarci che tutta l’arte <strong>de</strong>l secolo <strong>de</strong>cimosesto è dissoluzione, e che l’Italia doveva dissolversi<br />
perché non cre<strong>de</strong>va, perché non aveva operato la riforma <strong>de</strong>lla religione. Ma la storia è quel che<br />
è : volerla rifare noi a nostro senno, voler rive<strong>de</strong>r noi come un tema scolastico il gran libro <strong>de</strong>i<br />
secoli e inscrivervi sopra, con cipiglio di maestri, le correzioni e, peggio, cancellar d’un frego di<br />
penna le pagine che non ci gustano […] ; tutto ciò è arbitrio o ginnastica d’ingegno, ma non è<br />
il vero anzi è il contrario. »<br />
33. « Ce fut alors que se forma l’Académie <strong>de</strong> la Crusca, <strong>et</strong> elle fut le Concile <strong>de</strong> Trente <strong>de</strong><br />
notre langue. Elle aussi excommunia <strong><strong>de</strong>s</strong> auteurs <strong>et</strong> posa <strong><strong>de</strong>s</strong> dogmes » (F. De Sanctis, Storia <strong>de</strong>lla<br />
l<strong>et</strong>teratura italiana, cit., chap. XVII, 4, p. 548 : « Fu allora che si formò l’Acca<strong>de</strong>mia <strong>de</strong>lla Crusca,<br />
e fu il Concilio di Trento <strong>de</strong>lla nostra lingua. Anch’essa scomunicò scrittori e pose dogmi »).<br />
34. Il s’agit <strong>de</strong> la conclusion même <strong>de</strong> l’essai. G. Carducci, Dello svolgimento <strong>de</strong>lla l<strong>et</strong>teratura<br />
nazionale, cit., Discorso V, 6, p. 409-410 : « Sp<strong>et</strong>tacolo che altri potrà dir vergognoso e che a me<br />
apparisce pieno di sacra pi<strong>et</strong>à, cotesto d’un popolo di filosofi di po<strong>et</strong>i di artisti, che in mezzo ai<br />
soldati stranieri d’ogni parte irrompenti séguita accorato e sicuro l’opera sua di civiltà. […] E il<br />
canto <strong>de</strong>’ po<strong>et</strong>i supera il triste squillo <strong>de</strong>lle trombe straniere, e i torchi di Venezia di Firenze di<br />
Roma stridono all’opera d’illuminare il mondo. […] Cara e santa patria ! Ella aprì alle menti un<br />
mondo superiore di libertà e di ragione; e di tutto fe’ dono all’Europa. »
750 CARLO OSSOLA<br />
Ou encore aurait-elle pu la produire avec un tel renouveau universel […] ? La réforme<br />
religieuse, comment l’Italie aurait-elle dû ou pu la promouvoir ou l’accepter, elle qui avait<br />
fait païen à son image le christianisme ? Comment aurait-elle du accepter <strong>de</strong> Luther<br />
l’autorité <strong>de</strong> la Bible, elle qui en politique plaçait, avec Machiavel, la pensée humaine<br />
comme créatrice <strong>et</strong> maîtresse <strong>de</strong> tout […] ? Mais est-il possible d’imaginer en Italie une<br />
renaissance luthérienne ? Et un Arioste zwinglien ? Un Machiavel puritain ? Un Raphaël<br />
calviniste ? Un Michel-Ange quaker ? Non, vraiment 35 .<br />
Carducci assumait, quant au Cinquecento, c<strong>et</strong>te ligne <strong>de</strong> continuité, c<strong>et</strong>te<br />
« civilisation », qui s’était développée « dès l’an Mille 36 » <strong>et</strong> qui n’avait donc pas<br />
besoin <strong>de</strong> ces ruptures religieuses rénovatrices ou <strong>de</strong> ces rites <strong>de</strong> purification<br />
“sacrificiels” qui étaient en revanche sous-jacents au mon<strong>de</strong> warburgien. Au fond,<br />
porte-drapeau <strong>de</strong> l’éternelle vitalité <strong><strong>de</strong>s</strong> formes païennes, Carducci confirmait, par<br />
un eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> miroir pour ainsi dire, la thèse que le Tasse, sur l’autre versant, celui<br />
<strong>de</strong> la “création”, avait exprimée dans son Mondo creato, à savoir que l’univers<br />
n’avait rien connu <strong>de</strong> germinal, rien d’inchoatif, parce qu’il avait été créé par Dieu<br />
dans la perfection <strong>de</strong> ses formes :<br />
Anzi questa gran mole ancor novella,<br />
questo gran<strong>de</strong>, dico io, mirabil mondo<br />
non conobbe l’infanzia, e tutto insieme<br />
perf<strong>et</strong>to apparve, e ne l’asp<strong>et</strong>to adorno 37 .<br />
Ainsi c<strong>et</strong>te gran<strong>de</strong> contexture encore toute neuve,<br />
ce grand, dis-je, c<strong>et</strong> admirable mon<strong>de</strong><br />
ne connut pas d’enfance, <strong>et</strong> tout ensemble<br />
apparut parfait, en son aspect déjà orné.<br />
La raison elle-même, dans la plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> son ingéniosité, ne connaît — <strong>et</strong><br />
pourtant nous sommes à l’époque tri<strong>de</strong>ntine ! — que le « sublime honneur » <strong>de</strong><br />
son propre exercice :<br />
Ma l’ardita ragion nulla ritiene.<br />
Questa con l’ali sue trapassa a volo<br />
non pur <strong>de</strong> l’aria i più ventosi campi,<br />
ma <strong>de</strong>l ciel gli stellanti ed aurei chiostri.<br />
[…]<br />
35. Ibid., Discorso V, 2, p. 385 : « Se [l’Italia] fossesi lasciata maneggiare da uno svevo o da un<br />
angioino o da un Visconti che, domata, spremuta, battuta, l’avesse poi spinta come caval di<br />
battaglia alle conquiste, avrebbe ella operato quel che operò nello svolgimento libero di tutti gli<br />
elementi suoi, di tutte le sue genti ? Avrebbe ella avuto i suoi commerci unificatori d’Europa,<br />
l’arte sua conciliatrice <strong>de</strong>ll’antichità e <strong>de</strong>l medio evo, il suo rinascimento ? O avrebbe ella potuto<br />
produrlo con tale una rifioritura universale […] ? La riforma religiosa come avrebbe dovuto o<br />
potuto promuoverla o acc<strong>et</strong>tarla l’Italia, ella che aveva fatto ad imagine sua pagano il cristianesimo ?<br />
Come avrebbe dovuto acc<strong>et</strong>tar da Lutero l’autorità <strong>de</strong>lla Bibbia, ella che nella politica poneva co<br />
’l Machiavelli fattore, e signore <strong>de</strong>l tutto, il pensiero umano [...] ? Ma è egli possibile a imaginare<br />
il rinascimento in Italia luterano ? E un Ariosto zuingliano ? Un Machiavelli puritano ? Un<br />
Raffaello calvinista ? Un Michelangelo quaquero ? No, veramente. »<br />
36. Ibid., p. 386.<br />
37. T. Tasso, Il mondo creato, VI, 1315-1318 ; je cite <strong>de</strong> l’édition établie par B. Maier, in<br />
Opere, vol. IV, Milano, Rizzoli, 1964, p. 266.
LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 751<br />
Così per arte <strong>de</strong> l’umano ingegno<br />
pren<strong>de</strong> tutte le cose e fa sogg<strong>et</strong>te 38 .<br />
Mais rien ne r<strong>et</strong>ient la raison hardie,<br />
qui <strong>de</strong> ses ailes franchit<br />
non les seuls champs venteux <strong>de</strong> l’air,<br />
mais du ciel les arca<strong><strong>de</strong>s</strong> d’or étoilées.<br />
[…]<br />
Ainsi par l’art <strong>de</strong> l’ingéniosité humaine<br />
prend-elle toutes choses <strong>et</strong> les assuj<strong>et</strong>tit<br />
À la longue continuité <strong>de</strong> la “renaissance”, <strong>de</strong> la « rifioritura universale » chère à<br />
Carducci, correspondait — sur le versant <strong>de</strong> la “création” — le « repos » parfait,<br />
dans l’éternel présent <strong>de</strong> contemplation réciproque <strong>de</strong> Dieu en l’homme <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
l’homme en Dieu, sur lequel se conclut le Mondo creato :<br />
[…] il Figlio<br />
<strong>de</strong>vea ne l’uom qu<strong>et</strong>arsi, e ’n membra umane.<br />
[…]<br />
Dunque s’acqu<strong>et</strong>ò Dio ne l’uom terreno,<br />
e l’uomo in sé non ha qui<strong>et</strong>e o pace?<br />
[…]<br />
E se ’n terra ne l’uom qu<strong>et</strong>arsi ei volle,<br />
fu perché l’uomo in Dio s’acqu<strong>et</strong>i al fine 39 .<br />
[…] le Fils<br />
<strong>de</strong>vait en l’homme <strong>et</strong> en membres humains se reposer.<br />
[...]<br />
Dieu s’apaisa en l’homme ici-bas,<br />
<strong>et</strong> l’homme ne trouve en soi ni tranquillité ni paix ?<br />
[…]<br />
Et si sur terre il voulut en l’homme se reposer,<br />
ce fut pour que l’homme à la fin en Dieu s’apaisât.<br />
Ainsi s’accomplissait ce « mundanum enharmonium » entonné, au cœur du<br />
xvi e siècle, par <strong>France</strong>sco Giorgio Ven<strong>et</strong>o : « atque tan<strong>de</strong>m in se ipsum illa ea<strong>de</strong>m<br />
omnia revocat [Deus] : ut totum mundanum enharmonium ab uno proce<strong>de</strong>ns,<br />
unica vita <strong>et</strong> flatu consonantissimum, in unum tendat <strong>et</strong> re<strong>de</strong>at ». 40<br />
Lorsqu’on parcourt aujourd’hui, dans l’historiographie mo<strong>de</strong>rne du xvi e siècle,<br />
les formes bibliques <strong>de</strong> la Création ou celles, classiques, <strong>de</strong> la Renaissance, on<br />
<strong>de</strong>vrait — avant <strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r aux formules — se rappeler à quelles nappes ont puisé<br />
ceux qui les ont esquissées, savants du xix e siècle <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> débuts du xx e , eux-mêmes<br />
victimes ou prophètes impatients <strong>de</strong> « ruptures instauratrices » (selon la formule <strong>de</strong><br />
38. Ibid., VI, 1791-1803 ; éd. cit., p. 282-283.<br />
39. Ibid., VII, 123-152.<br />
40. Francisci Georgi Ven<strong>et</strong>i De Harmonia mundi totius Cantica tria, in Ven<strong>et</strong>iis, in aedibus<br />
Bernardini <strong>de</strong> Vitalibus, MDXXV, Cantici primi tonus sextus, p. XCVIIIv. Je cite du reprint, avec<br />
Introduzione <strong>de</strong> C. Vasoli, Lavis, La Finestra, 2008.
752 CARLO OSSOLA<br />
Michel <strong>de</strong> Certeau) 41 . Pourtant il y eut, tout au long du Cinquecento, du De<br />
harmonia mundi au Mondo creato, une vision ni brisée ni palingénésique <strong>de</strong><br />
l’univers : entièrement recueilli dans la perfection d’une création choyée <strong>de</strong> son<br />
Créateur, <strong>et</strong> dans laquelle il n’est jamais ni consomption ni perte : Capillus <strong>de</strong><br />
capite vestro non peribit 42 .<br />
Livres<br />
Activités du professeur<br />
Publications<br />
— C. Ossola, Augustin au XVII e siècle. « Actes du Colloque organisé par Carlo Ossola au<br />
<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> les 30 septembre <strong>et</strong> 1 er octobre 2004 », Textes réunis par Laurence<br />
Devillairs, Florence, Olschki, 2007 [C. Ossola, Avant-propos, p. V-VI ; <strong>et</strong> Augustinus sine<br />
tempore traditus, p. 263-287].<br />
— Jacques-Bénigne Bossu<strong>et</strong>, Discorso sugli Angeli Custodi, texte publié <strong>et</strong> introduit par<br />
C. Ossola, Bologne, Pendragon, 2008 [C. Ossola, Introduzione, p. 7-67].<br />
— Michel <strong>de</strong> Certeau, Fabula mistica. XVI-XVII secolo, trad. it. : Milan, Jaca Book, 2008<br />
[C. Ossola, « Historien d’un silence ». Michel <strong>de</strong> Certeau, p. XXVII-LIV].<br />
— Wal<strong>de</strong>mar Deonna, Il simbolismo <strong>de</strong>ll’occhio, trad. it. : Torino, Bollati Boringhieri,<br />
2008 [C. Ossola, Introduzione. Tra Bibbia e Surrealismo. L’occhio di Wal<strong>de</strong>mar Deonna,<br />
p. IX-XXIII].<br />
Articles <strong>et</strong> essais<br />
— C. Ossola, Viaje y m<strong>et</strong>amorfosis. Psique, <strong>de</strong>l amor y <strong>de</strong>l alma, in La estela <strong>de</strong> los viajes.<br />
De la historia a la literatura, essais réunis par F. Jarauta, Santan<strong>de</strong>r, Fundación Marcelino<br />
Botín [« Cua<strong>de</strong>rnos <strong>de</strong> la Fundación M. Botín », 10], 2007, p. 19-38.<br />
— C. Ossola, Un espacio lleno <strong>de</strong> plenitud, in De la ciudad antigua a la cosmopolis, essais<br />
réunis par F. Jarauta, Santan<strong>de</strong>r, Fundación Marcelino Botín [« Cua<strong>de</strong>rnos <strong>de</strong> la Fundación<br />
M. Botín », 11], 2008, p. 61-70.<br />
— C. Ossola, Vom Glück, weiträumig zu <strong>de</strong>nken. Über Carlo Denina, in Die europäische<br />
« République <strong><strong>de</strong>s</strong> L<strong>et</strong>tres », essais réunis par Lea Ritter Santini, Göttingen, Wallstein, 2007,<br />
p. 83-99.<br />
— C. Ossola, « P<strong>et</strong>it triptyque romain », in Conférence, 26, 2008, p. 453-459.<br />
— C. Ossola, « Leopardi : prélu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> passions », dans AA.VV., La Conscience <strong>de</strong> soi <strong>de</strong><br />
la poésie, sous la direction <strong>de</strong> Yves Bonnefoy, Colloques <strong>de</strong> la Fondation Hugot du <strong>Collège</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>France</strong> (1993-2004), « Le Genre humain », n° 47, Paris, Seuil, 2008, pp. 235-268.<br />
— C. Ossola, « Della pubblica felicità, oggi » in Italianieuropei, 2008, 2, p. 10-13.<br />
— C. Ossola, «“Italia”. Una civiltà e un lascito », in Cenobio, LVII, 1 (janvier-mars<br />
2008), p. 37-39.<br />
41. M. <strong>de</strong> Certeau, La faiblesse <strong>de</strong> croire, texte établi <strong>et</strong> présenté par L. Giard, Paris, Seuil,<br />
1987, p. 208 [<strong>et</strong> p. 301 : « coupure instauratrice »] ; concept qui radicalise la formule précé<strong>de</strong>nte<br />
d’« “errances” inauguratrices » (M. <strong>de</strong> Certeau, « L’énonciation mystique », in Recherches <strong>de</strong> science<br />
religieuse, LXIV, 1976, p. 183-215 ; la citation à la p. 183).<br />
42. Luco, XXI, 18 ; <strong>et</strong> De Harmonia mundi, Cantici tertii tonus septimus, chap. XII,<br />
p. LXXVII.
LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 753<br />
— C. Ossola, Les raisons “en blanc” du baroque italien, in République <strong><strong>de</strong>s</strong> L<strong>et</strong>tres, République<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Arts. Mélanges en l’honneur <strong>de</strong> Marc Fumaroli, réunis <strong>et</strong> édités par Ch. Mouchel <strong>et</strong><br />
C. Nativel, Genève, Droz, 2008, p. 247-262.<br />
Colloques<br />
Activités <strong>de</strong> la Chaire<br />
Le 10 juin 2008, Création, Renaissance, ordre du mon<strong>de</strong>, en collaboration avec<br />
l’Institut d’Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> Italiennes (ISI) <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> la Suisse Italienne, Lugano,<br />
avec la participation <strong>de</strong> :<br />
— M. Carlo Ossola, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> :<br />
Introduction : origines <strong>et</strong> r<strong>et</strong>ours<br />
— M. Stefano Prandi, Université <strong>de</strong> Berne (Suisse) :<br />
« Deus artifex » : formes <strong>et</strong> histoire d’une métaphore<br />
— M. Agostino Paravicini Bagliani, Université <strong>de</strong> Lausanne (Suisse) :<br />
La papauté, la création <strong>et</strong> l’ordre <strong>de</strong> la nature (XII e -XIV e s.)<br />
— M. Piero Boitani, Université <strong>de</strong> Rome La Sapienza (Italie) :<br />
De Monreale à Michelangelo : le Moteur mobile<br />
— M. Victor Stoichita, Université <strong>de</strong> Fribourg (Suisse) :<br />
« Touche », « Coup <strong>de</strong> pinceau » <strong>et</strong> création picturale chez le Titien<br />
— M me Bened<strong>et</strong>ta Papasogli, Université LUMSSA <strong>de</strong> Rome (Italie) :<br />
« Création » <strong>et</strong> « créature » chez Fénelon<br />
— M. Michel Jeanner<strong>et</strong>, Université Johns Hopkins <strong>de</strong> Baltimore (U.S.A.) :<br />
Versailles, Chaosmos<br />
— M. Jürgen Maeh<strong>de</strong>r, Freie Universität <strong>de</strong> Berlin (Allemagne) :<br />
Olivier Messiaen au seuil <strong>de</strong> la musique sérielle : ordre numérique <strong>et</strong> création<br />
— M. Corrado Bologna, Université <strong>de</strong> Rome III (Italie) :<br />
Le geste « philosophique » <strong>de</strong> l’artiste <strong>et</strong> la création <strong>de</strong> l’ordre du mon<strong>de</strong><br />
Le 11 juin 2008, Autour <strong>de</strong> l’œuvre <strong>de</strong> Michel Butor, avec la participation <strong>de</strong> :<br />
— M. Antoine Compagnon, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />
Montaigne-Proust <strong>et</strong> r<strong>et</strong>our<br />
— M me Laura Barile, Université <strong>de</strong> Sienne (Italie),<br />
Franchir les frontières : écritures <strong>et</strong> structures mobiles <strong>de</strong> Michel Butor<br />
— M. Carlo Ossola, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />
Michel Butor : <strong><strong>de</strong>s</strong> chronotopes<br />
— M me Mireille Calle-Gruber, Université <strong>de</strong> Paris III-Sorbonne,<br />
Michel Butor, poète avec les peintres<br />
— M. Michel Butor, Université <strong>de</strong> Genève (Suisse),<br />
Conclusions<br />
Professeur invité<br />
M. Victor Stoichita, Université <strong>de</strong> Fribourg (Suisse), a donné quatre conférences,<br />
du 15 mai au 6 juin 2008, sur le suj<strong>et</strong> suivant : Des Larmes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Saints.
754 CARLO OSSOLA<br />
Travaux scientifiques <strong><strong>de</strong>s</strong> collaborateurs<br />
— Christine Jacqu<strong>et</strong>-Pfau, Maître <strong>de</strong> conférences au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />
Publications<br />
— « Lexicographie <strong>et</strong> terminologie au détour du xix e siècle : La Gran<strong>de</strong> Encyclopédie,<br />
dans Danielle Can<strong>de</strong>l <strong>et</strong> Dan Savatovsky, Genèse <strong>de</strong> la terminologie contemporaine, Langages,<br />
n° 168, 4/2007, pp. 24-38.<br />
— « Clau<strong>de</strong> Hagège, Combat pour le français. Au nom <strong>de</strong> la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> langues <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
cultures, 2007, in La Linguistique, vol. 43, fasc. 2/2007, pp. 150-151.<br />
Communications à <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques <strong>et</strong> journées d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
— « L’homme au travail », Séminaire <strong>de</strong> Doctorat, Paris 4, 26 octobre 2007, En l’honneur<br />
<strong>de</strong> Jean-Marie Zemb.<br />
— « Statut <strong>de</strong> la synonymie lexicale dans un corpus encyclopédique <strong>de</strong> la fin du<br />
xix e siècle : La Gran<strong>de</strong> Encyclopédie », Colloque international La Synonymie, 29 nov.-1 er déc.<br />
2007, Université Paris-Sorbonne, Ecole doctorale « Concepts <strong>et</strong> Langages », Equipe d’accueil<br />
Sens, Texte, Histoire, Ecole normale supérieure, GEHLF.<br />
— « Dictionnaires <strong>et</strong> correcteurs (informatiques) », 2 e Journée d’étu<strong>de</strong> du LDI-Cergy-<br />
Pontoise (UMR 7187), 17 mars 2008, De la lexicographie informatique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’actualité<br />
lexicographique.<br />
Exposition<br />
Directrice <strong>de</strong> l’Exposition éditoriale organisée à l’occasion <strong>de</strong> la Journée internationale <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
dictionnaires, Université <strong>de</strong> Cergy-Pontoise, 14 mars 2008, Dictionnaires <strong>et</strong> littérature.<br />
Paola Cattani, Université <strong>de</strong> Pise (Italie), Boursière Compagnia di San Paolo-<br />
<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
— Paul Valéry e le arti visive. Disegno, pittura, archit<strong>et</strong>tura e parola po<strong>et</strong>ica, Pisa, Ets,<br />
2007.<br />
— « Traces du dialogue <strong>de</strong> Valéry avec la critique vincienne dans le dossier génétique »,<br />
dans Valéry <strong>et</strong> Léonard : le drame d’une rencontre. Genèse <strong>de</strong> l’Introduction à la métho<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
Léonard <strong>de</strong> Vinci, éd. Ch. Vogel, Bern, P<strong>et</strong>er Lang, 2007.<br />
— « Il disegno di Leonardo da Vinci e la riflessione sulla creazione artistica in Paul<br />
Valéry e André Br<strong>et</strong>on », [sous presse] dans Immagine, immaginazione, creazione, a cura di<br />
A. Sanna, Roma, Istituti Poligrafici Italiani, 2008.<br />
— « Paul Valéry e i fiori di Jean Paulhan : tra r<strong>et</strong>orica e terrore », en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> publication<br />
dans la revue italienne « Il Confronto l<strong>et</strong>terario ».<br />
Gabriele Quaranta, Université <strong>de</strong> Rome « La Sapienza » (Italie), Boursier<br />
Compagnia di San Paolo - <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
— Bagliori dal Passato : il Palazzo Gallio in Alvito e i suoi dipinti tassiani, Rome, Bardi<br />
Editore, 2003.<br />
— « Don Chisciotte nel Castello di Cheverny. Un ciclo dipinto <strong>de</strong>l Seicento francese »<br />
Critica <strong>de</strong>l testo, IX / 1-2, 2006 (Actes du Colloque Itinerari chisciotteschi mo<strong>de</strong>rni. In<br />
margine al IV centenario, Rome 20-21 octobre 2006)<br />
— « Momenti di pittura. Gli affreschi quattrocenteschi <strong>de</strong>lla chiesa <strong>de</strong>lla Santa Croce a<br />
Genazzano » Universitates e Baronie. Arte e Archit<strong>et</strong>tura in Abruzzo e nel Regno al tempo <strong>de</strong>i<br />
Durazzo, (Actes du Colloque, Guardiagrele-Chi<strong>et</strong>i, 9-11 novembre 2006), [à paraître<br />
courant 2008].
Étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la création littéraire en langue anglaise<br />
M. Michael Edwards, professeur<br />
Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la première heure, Shakespeare : le poète au théâtre, eut pour point<br />
<strong>de</strong> départ une question que j’avais posée dans un <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> <strong>de</strong> 2005-2006 sur La<br />
Poétique en questions : pourquoi le plus grand poète anglais choisit-il d’écrire avant<br />
tout pour le théâtre ? Reprendre c<strong>et</strong>te réflexion en pensant à l’ensemble <strong>de</strong> ses<br />
pièces, comme aux Sonn<strong>et</strong>s qui leur sont intimement associés, incite à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />
aussi quel élargissement <strong>de</strong> l’idée même <strong>de</strong> la poésie ce choix implique, <strong>et</strong> quelle<br />
idée du théâtre le motivait.<br />
J’avais suggéré il y a <strong>de</strong>ux ans que, pour Shakespeare, le théâtre transforme la poésie<br />
en paroles, dites <strong>et</strong> échangées, <strong>et</strong> qu’il peut <strong>de</strong>venir ainsi la recherche <strong>de</strong> la parole <strong>de</strong><br />
l’autre ; que le théâtre invite le poète à renoncer au lyrisme du moi <strong>et</strong> à s’aventurer<br />
dans le je <strong><strong>de</strong>s</strong> autres, à chercher une vérité transpersonnelle dans une poésie proprement<br />
dramatique ; que Shakespeare avait, <strong>de</strong> manière remarquable, le don <strong>et</strong> le désir<br />
d’entrer dans la conscience <strong>de</strong> tous les personnages, même très secondaires ; que<br />
chacune <strong>de</strong> ses pièces est un poème qui l’encourage à multiplier les points <strong>de</strong> vue<br />
avant <strong>de</strong> se m<strong>et</strong>tre à les ordonner. Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année confirma ces suggestions,<br />
en leur donnant <strong><strong>de</strong>s</strong> perspectives nouvelles dans chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> pièces analysées ; il<br />
commença avec Les Deux gentilhommes <strong>de</strong> Vérone, qui pourrait être le tout premier<br />
ouvrage <strong>de</strong> Shakespeare, afin d’étudier les rapports qu’il crée dès le début, entre<br />
poésie <strong>et</strong> théâtre, <strong>et</strong> afin d’indiquer une idée inattendue, mais probablement très<br />
exacte, du théâtre qui s’esquisse déjà dans c<strong>et</strong>te œuvre <strong>de</strong> jeunesse.<br />
Abor<strong>de</strong>r ainsi la pièce perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> montrer qu’elle ne se contente pas <strong>de</strong> satiriser<br />
certaines conduites conventionnelles <strong><strong>de</strong>s</strong> amoureux <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> amis, avec le langage<br />
frelaté qui les accompagne. Malgré une psychologie <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> comportements pour la<br />
plupart volontairement superficiels, qui se placent au niveau auquel nous vivons le<br />
plus souvent, Shakespeare <strong><strong>de</strong>s</strong>cend par moments dans l’être <strong>de</strong> ses personnages,<br />
surtout quand l’être est en jeu. Banni <strong>et</strong> obligé <strong>de</strong> quitter Sylvia, Valentin comprend<br />
que c’est lui-même qu’il quitte, Sylvia n’étant pas l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> son amour mais le suj<strong>et</strong>
756 MICHAEL EDWARDS<br />
<strong>de</strong> son « essence » : « I leave to be, dit-il, / If I be not by her fair influence / Fostered,<br />
illumined […] » (« je cesse d’être / Si je ne suis pas par sa bonne influence / Nourri,<br />
illuminé […] »). Shakespeare attire déjà l’attention sur le verbe fondamental en le<br />
laissant en suspens à la fin du vers, <strong>et</strong> il augmente déjà la force ontologique du<br />
mot par l’hésitation <strong>de</strong> la syntaxe, où Valentin semble dire : « je cesse d’être si, par<br />
sa bonne influence, je ne suis pas ».<br />
En même temps, le théâtre est le seul genre littéraire qui soit matériel, visible,<br />
audible, <strong>et</strong> choisir l’espace théâtral, où œuvre, comédiens <strong>et</strong> spectateurs sont<br />
plongés dans le mon<strong>de</strong> immédiat <strong><strong>de</strong>s</strong> sens, perm<strong>et</strong> à Shakespeare <strong>de</strong> voir se dérouler<br />
en un milieu concr<strong>et</strong> toute la poésie dont il est capable <strong>et</strong> tout ce qu’il imagine,<br />
jusqu’aux rêves les plus éthérés. Son imagination s’exerçant toujours, du reste, à<br />
renouveler la réalité ordinaire, il semblerait que même ses êtres surnaturels habitent<br />
plus abondamment que nous le mon<strong>de</strong> naturel : la plainte <strong>de</strong> la reine <strong><strong>de</strong>s</strong> fées dans<br />
Le Songe d’une nuit d’été ne cesse d’évoquer la « source caillouteuse », le « ruisseau<br />
étoffé <strong>de</strong> joncs », <strong>et</strong> ainsi <strong>de</strong> suite. L’unité <strong>de</strong> ce Tout qui nous environne <strong>et</strong> qui<br />
nous pénètre est d’autant plus sensible, <strong>et</strong> les réalités les plus immatérielles d’autant<br />
mieux mises en relief. Le repentir, par exemple, qui intéresse Shakespeare dès le<br />
début. Proteus, surpris dans la forêt par Valentin au moment où il menace Sylvia<br />
<strong>de</strong> la violer, se repent par un <strong>de</strong> ces revirements rapi<strong><strong>de</strong>s</strong> mais parfaitement véritables<br />
qui dénouent souvent les pièces <strong>de</strong> Shakespeare, comiques ou tragiques, dans le<br />
sens <strong>de</strong> l’espoir <strong>et</strong> du nouveau, mais que les critiques hésitent à accepter. Proteus<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> pardon avec le vocabulaire du Livre <strong><strong>de</strong>s</strong> prières en commun, <strong>et</strong> il découvre<br />
en lui à la fois la « honte », qui peut enfermer en soi, <strong>et</strong> la « culpabilité », qui ouvre<br />
vers autrui. Et, si tôt dans sa réflexion, Shakespeare donne une perspective éclairante<br />
sur c<strong>et</strong> art théâtral pleinement présent <strong>de</strong>vant nous mais qui s’offre aussi comme<br />
un spectacle, un simulacre, une fiction qui s’incarne dans <strong><strong>de</strong>s</strong> faits (comédiens,<br />
costumes, décor) qui sont eux-mêmes fictifs. Devant la preuve soudaine <strong>et</strong> à peine<br />
croyable que son meilleur ami est en train <strong>de</strong> le trahir, Valentin se dit : « Comme<br />
ceci ressemble à un rêve ! Je vois, <strong>et</strong> j’entends… » On dirait la voix du spectateur,<br />
qui voit <strong>et</strong> qui entend, mais qui observe aussi une sorte <strong>de</strong> songe du réel. Un seul<br />
vers constitue déjà la mise en abyme <strong>de</strong> tout le théâtre shakespearien à venir, <strong>et</strong><br />
même <strong>de</strong> tout théâtre. Une situation critique <strong>et</strong> pénible conduira bientôt au<br />
repentir <strong>de</strong> Proteus <strong>et</strong> à une nouvelle générosité chez Valentin. Le rêve étrange du<br />
théâtre offre, en eff<strong>et</strong>, un lieu <strong>et</strong> un temps où tout change <strong>et</strong> peut continuer <strong>de</strong><br />
changer, car le théâtre est le signe artistique le plus palpable <strong>et</strong> le plus compl<strong>et</strong> du<br />
changement possible du mon<strong>de</strong>, <strong>et</strong> le miroir que la pratique du théâtre tend à la<br />
nature, selon Haml<strong>et</strong>, est un miroir transformant.<br />
Il importe aussi <strong>de</strong> comprendre que, dans ses premières pièces, Shakespeare ne<br />
dédaigne pas la poésie au sens le plus simple du mot en s’engageant dans l’écriture<br />
théâtrale. La foison <strong>de</strong> formes poétiques dans Peines d’amour perdues (vers 1594),<br />
où plusieurs personnages écrivent <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes <strong>et</strong> parlent spontanément, <strong>de</strong> temps<br />
à autre, en sonn<strong>et</strong>s, n’est le signe ni d’un désir <strong>de</strong> ridiculiser la poésie <strong>de</strong> l’époque,<br />
ni d’un besoin <strong>de</strong> se montrer supérieur à ses rivaux. Au moment même où Biron
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 757<br />
assure Rosaline qu’il renonce aux termes affectés <strong>et</strong> qu’il ne veut plus « faire la cour<br />
avec <strong><strong>de</strong>s</strong> rimes », sa déclaration d’amour prend néanmoins la forme d’un sonn<strong>et</strong>.<br />
Si les Navarrois se lancent dans <strong>de</strong> prodigieuses hyperboles, si Biron <strong>et</strong> Dumaine<br />
« s’émerveillent » <strong>de</strong> leurs bien-aimées, c’est parce que la beauté ravive qui la<br />
contemple, la beauté n’étant pas une affaire d’esthétique, mais <strong>de</strong> vie. Si l’amour<br />
mène à la poésie, c’est parce qu’il est le seuil <strong>de</strong> l’émerveillement <strong>et</strong> qu’il se répand<br />
naturellement en louanges ; les chansonniers <strong>et</strong> suites <strong>de</strong> sonn<strong>et</strong>s qui s’adressent à<br />
Laure, à Hélène, à Stella <strong>et</strong> à tant d’autres, sont au cœur <strong>de</strong> la poésie. En nous<br />
attirant <strong>de</strong> la prose vers la poésie, en ouvrant le réel au poétique, Shakespeare<br />
répond au vœu que le réel, que la vie, soient poésie, qu’une parole pleine nous place<br />
au sein <strong>de</strong> ce qui est <strong>et</strong> <strong>de</strong> ce que nous sommes.<br />
Le sérieux <strong>de</strong> la pièce se révèle surtout en ce qu’elle approfondit la comédie. La<br />
poésie surabondante ne conduit pas à l’échec <strong>de</strong> l’amour, mais au triomphe d’un<br />
amour luci<strong>de</strong> <strong>et</strong> d’une comédie avertie du mal d’exister. La pièce, où il se passe si<br />
peu <strong>de</strong> choses, est une suite <strong>de</strong> scènes comiques, <strong>de</strong> « plaisirs, danses, mascara<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>et</strong> heures <strong>de</strong> gai<strong>et</strong>é », où la gai<strong>et</strong>é s’appauvrit, cependant, en se transformant en<br />
raillerie, lorsque les Navarrois, comme les Françaises qu’ils courtisent, au lieu <strong>de</strong><br />
rire <strong>de</strong>vant l’exubérance <strong>de</strong> la vie, se moquent les uns <strong><strong>de</strong>s</strong> autres. Même les<br />
divertissements <strong>de</strong>viennent amers, <strong>et</strong> la langue <strong><strong>de</strong>s</strong> filles moqueuses « aussi<br />
tranchante / Que le fil du rasoir ». La comédie ne pouvant plus avancer après c<strong>et</strong>te<br />
chute dans le malheur, un messager survient pour annoncer la mort du roi <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong>, ce qui oblige la Princesse <strong>et</strong> ses amies à repartir <strong>et</strong> empêche les quatre<br />
mariages attendus d’avoir lieu. La mort ne fait pas avorter la pièce, cependant,<br />
comme la critique le prétend. La Princesse, en exigeant du roi <strong>de</strong> Navarre qu’il<br />
s’isole pendant un an dans un lieu éloigné <strong><strong>de</strong>s</strong> plaisirs du mon<strong>de</strong>, pour voir si son<br />
offre <strong>de</strong> mariage survivra aux « gels », aux « jeûnes » , au « ru<strong>de</strong> logement » <strong>et</strong> aux<br />
« maigres vêtements », lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, non pas d’étudier l’art <strong>de</strong> vivre (le but <strong>de</strong><br />
l’Académie qu’il voulait créer au début <strong>de</strong> la pièce), mais <strong>de</strong> vivre, <strong>et</strong> <strong>de</strong> s’étudier<br />
lui-même. Elle place sa main dans la sienne en prom<strong>et</strong>tant d’être à lui, <strong>et</strong>, selon la<br />
coutume <strong>de</strong> l’époque, les voilà, sous condition, mariés. La condition qu’impose<br />
Rosaline à Biron est <strong>de</strong> rendre visite aux mala<strong><strong>de</strong>s</strong> tous les jours pendant un an, <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> « Forcer les infirmes en tourment à sourire ». Elle veut qu’il per<strong>de</strong> son esprit <strong>de</strong><br />
dérision <strong>et</strong> qu’il se livre entièrement à son génie comique, à sa langue si douce <strong>et</strong><br />
sémillante, dit-elle, que les enfants <strong>et</strong> les vieillards s’arrêtent pour l’écouter. Elle<br />
veut qu’il quitte la moquerie pour le rire qui jaillit du bonheur d’exister, pour une<br />
vivacité d’esprit telle qu’un mourant même pourrait s’en réjouir. Peines d’amour<br />
perdues annonce ce que j’ai appelé chez Shakespeare les comédies <strong>de</strong> l’émerveillement,<br />
surtout par la juxtaposition saisissante, au moment où Rosaline <strong>et</strong> Biron se<br />
regar<strong>de</strong>nt dans les yeux, du rire <strong>et</strong> <strong>de</strong> la mort.<br />
Il convient <strong>de</strong> remarquer aussi que les Sonn<strong>et</strong>s, qui explorent les mêmes suj<strong>et</strong>s<br />
que les pièces <strong>de</strong> la maturité <strong>de</strong> Shakespeare <strong>et</strong> qui ne furent rassemblés qu’en<br />
1609, développent, en les assombrissant, certaines données <strong>de</strong> Peines d’amour<br />
perdues. Ils prennent au sérieux, surtout, <strong><strong>de</strong>s</strong> affirmations mi-sérieuses, mi-plaisantes
758 MICHAEL EDWARDS<br />
d’Armado : « Amour est un diable. Il n’est aucun mauvais ange sinon Amour »,<br />
afin d’explorer la dimension vraiment infernale <strong>de</strong> l’amour, ou plutôt la luxure. On<br />
pourrait appeler les Sonn<strong>et</strong>s, à plus juste titre que la pièce, à bien y penser, Peines<br />
d’amour perdues. Et si l’on sent, dans le travail <strong>de</strong> Shakespeare au théâtre, la présence<br />
d’un poète, qui inclut parfois <strong><strong>de</strong>s</strong> poèmes dans ses pièces, on comprend mieux les<br />
Sonn<strong>et</strong>s à les lire comme l’œuvre d’un dramaturge, qui introduit le théâtre dans la<br />
poésie. Quatre personnages, tous anonymes : un « je » qui parle <strong>et</strong> qui est luimême<br />
poète, un jeune célibataire, une femme mariée <strong>et</strong> un poète rival, participent<br />
à une histoire discontinue, incertaine <strong>et</strong> inachevée. Les Sonn<strong>et</strong>s ressemblent à la<br />
vie : nous découvrons <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> événements par fragments <strong>et</strong> selon une foule<br />
<strong>de</strong> perspectives, <strong>et</strong> tout frémit <strong>de</strong> significations sans que le sens en soit clair. Ils<br />
répètent, néanmoins, en chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> trois personnages principaux, le passage <strong>de</strong><br />
l’É<strong>de</strong>n à la Chute, d’une perfection à sa perte. On encourage le beau jeune homme,<br />
dans les dix-sept premiers sonn<strong>et</strong>s, à se marier <strong>et</strong> à avoir <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants, avec une<br />
générosité répondant à celle <strong>de</strong> la Nature, à prendre place dans le concert <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres<br />
(sonn<strong>et</strong> 8), à sortir, lui aussi, d’une conscience lyrique afin d’acquérir une conscience<br />
dramatique. Le refus du jeune homme, noté dès le début, le précipite dans la<br />
contemplation stérile <strong>de</strong> sa propre beauté. Il <strong>de</strong>vrait être aussi l’obj<strong>et</strong> irréprochable<br />
<strong>de</strong> la louange, l’occasion pour la poésie <strong>de</strong> redire le réel, d’en répéter sans cesse<br />
l’inépuisable perfection : <strong>de</strong> s’approcher <strong><strong>de</strong>s</strong> réitérations du soleil, « chaque jour<br />
nouveau <strong>et</strong> vieux » (sonn<strong>et</strong> 76), <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> prières quotidiennes <strong>de</strong> la liturgie, inchangées<br />
<strong>et</strong> toujours actuelles (sonn<strong>et</strong> 108). Celui qui paraît, cependant, « l’ornement jeune<br />
du mon<strong>de</strong> » (sonn<strong>et</strong> 1), <strong>et</strong> qui semble réunir en sa personne les charmes d’Adonis<br />
<strong>et</strong> d’Hélène, la beauté du printemps <strong>et</strong> la largesse <strong>de</strong> l’automne (sonn<strong>et</strong> 53), révèle<br />
peu à peu sa lai<strong>de</strong>ur morale, une « grâce lascive » (sonn<strong>et</strong> 40) qui masque à peine<br />
toute la litanie <strong><strong>de</strong>s</strong> « péchés », « vices », « souillures », « fautes », « erreurs » (sonn<strong>et</strong>s<br />
95 <strong>et</strong> 96) dont l’infecte malgré tout le mon<strong>de</strong> déchu. Et dans une histoire dont on<br />
ne nous livre que <strong><strong>de</strong>s</strong> aperçus, le jeune homme ne cesse <strong>de</strong> tomber, à cause d’un<br />
va-<strong>et</strong>-vient continuel entre l’éloge <strong>et</strong> le blâme, où <strong><strong>de</strong>s</strong> révélations <strong>de</strong> sa trahison <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> sa méchanc<strong>et</strong>é foncière peuvent être suivies <strong>de</strong> poèmes chantant la confiance du<br />
locuteur <strong>et</strong> l’excellence <strong>de</strong> celui qu’il aime.<br />
La dame brune du recueil, maîtresse du locuteur, est apparentée par ses cheveux<br />
<strong>et</strong> ses yeux noirs à la bien-aimée du Cantique <strong><strong>de</strong>s</strong> cantiques, à l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> amantes les<br />
plus fidèles <strong>de</strong> toutes les littératures. Elle aussi déchoit, cependant, en trahissant le<br />
locuteur avec le beau jeune homme <strong>et</strong> finalement avec tout le mon<strong>de</strong>. Shakespeare<br />
ne se livre pas à une misogynie futile <strong>et</strong> pathologique, mais choisit <strong>de</strong> renverser,<br />
avec tristesse <strong>et</strong> perspicacité, l’idéalisation <strong>de</strong> la femme qu’entreprennent en général<br />
les suites <strong>de</strong> sonn<strong>et</strong>s, afin <strong>de</strong> renforcer son examen sombre <strong>de</strong> la perte <strong>de</strong> l’É<strong>de</strong>n.<br />
Et cela culmine dans la chute du poète qui est censé composer le recueil. Constant,<br />
crédule, prompt à pardonner <strong>et</strong> à souffrir pour un ami qu’il considère comme un<br />
moi au même titre que son propre moi, on le voit aussi trouble <strong>et</strong> injuste, <strong>et</strong> il<br />
reconnaît peu à peu son « péché d’amour <strong>de</strong> soi » (sonn<strong>et</strong> 62), <strong>et</strong>, dans ses rapports<br />
avec sa maîtresse, son érotisme incontrôlé, son acquiescement aux plaisanteries
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 759<br />
licencieuses, à l’aveuglement inévitable <strong>et</strong> à la culpabilité partagée. Malgré quelques<br />
allusions au bien que nous fait la reconnaissance du péché <strong>et</strong> à « la mort <strong>de</strong> la<br />
mort » dans la ré<strong>de</strong>mption du mon<strong>de</strong> (sonn<strong>et</strong> 146), malgré aussi la fête <strong>de</strong><br />
l’inventivité que constitue c<strong>et</strong>te suite <strong>de</strong> sonn<strong>et</strong>s qui renouvelle le genre <strong>de</strong> fond<br />
en comble, avec une richesse d’expérience humaine qui excè<strong>de</strong> toute tentative<br />
d’interprétation, Shakespeare regar<strong>de</strong> fixement le mon<strong>de</strong> comme il va, en se<br />
pénétrant du pire, ou du moins du très mauvais, <strong>et</strong> en faisant apparaître l’élan vers<br />
le possible par moments seulement <strong>et</strong> <strong>de</strong> façon partielle.<br />
En écrivant un ouvrage qui s’éloigne <strong><strong>de</strong>s</strong> normes, Shakespeare procè<strong>de</strong> comme<br />
dans les trois pièces « à problème » : Troilus <strong>et</strong> Cressida, Mesure pour mesure <strong>et</strong> Tout<br />
est bien qui finit bien — qui pourraient dater <strong>de</strong> 1601-1604 <strong>et</strong> avoir accompagné<br />
la composition <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> sonn<strong>et</strong>s — où il choisit une perspective difficilement<br />
définissable afin <strong>de</strong> son<strong>de</strong>r la complexité <strong>de</strong> la condition humaine <strong>et</strong> <strong>de</strong> laisser la<br />
possibilité d’en sortir aussi problématique que dans la vie réelle. Il dérange surtout<br />
les dénouements, comme dans les Sonn<strong>et</strong>s, <strong>et</strong> semble réfléchir sur notre besoin<br />
d’une fin satisfaisante. La réflexion se précise dans Troilus <strong>et</strong> Cressida lorsque<br />
Agamemnon suppose que nul <strong><strong>de</strong>s</strong>sein <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes n’atteint sa plénitu<strong>de</strong>, étant<br />
formé « sur la terre, ici-bas », <strong>et</strong> que l’exécution <strong>de</strong> nos entreprises les tire « Bias<br />
and thwart » (« De biais <strong>et</strong> <strong>de</strong> travers »). Il situe ainsi, par une métaphore qui<br />
revient, à la fois les défauts <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages <strong>et</strong> la satire <strong>de</strong> ces défauts. Les<br />
personnages sont aussi insaisissables, par leur inconsistance, que ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> Sonn<strong>et</strong>s,<br />
le sens shakespearien <strong>de</strong> la nature multidimensionnelle <strong>et</strong> contradictoire <strong>de</strong> l’être<br />
humain <strong>de</strong>venant ici une vision <strong>de</strong> l’être, comme <strong>de</strong> l’action, désorganisés. Pensant,<br />
par exemple, à sa première nuit d’amour, imminente, avec Cressida, Troilus<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Pandarus d’être le « Charon » qui lui servira <strong>de</strong> gui<strong>de</strong> vers les délices<br />
<strong>de</strong> la mort. Cressida fait tout pour ne pas le trahir en cédant à Diomè<strong>de</strong>, <strong>et</strong> tout<br />
pour se laisser séduire. Même le jeu habituel entre vers <strong>et</strong> prose <strong>de</strong>vient troublant :<br />
la prose <strong>de</strong> certains personnages brise parfois l’élan <strong>de</strong> la poésie <strong><strong>de</strong>s</strong> autres, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
personnages qui parlent généralement en vers passent dans la prose <strong>de</strong>vant Ajax ou<br />
Thersite. Toute la pièce dévie à la fin. Les amants ne sont pas tragiquement séparés,<br />
puisque Cressida se donne aussitôt à un autre ; Hector ne meurt pas tragiquement,<br />
puisque les Myrmidons lui tombent <strong><strong>de</strong>s</strong>sus quand il est désarmé.<br />
La critique a tendance à y voir le signe <strong>de</strong> la désillusion <strong>de</strong> Shakespeare, le<br />
mon<strong>de</strong> n’ayant plus pour lui ni ordre ni sens, <strong>et</strong> il est vrai que le nombre <strong>de</strong> rôles<br />
satiriques est ici considérable. Mais il est important <strong>de</strong> découvrir la bonne<br />
perspective pour les observer. Thersite, par exemple, pratique moins la satire que<br />
le travestissement : il discerne le grotesque, mais s’aveugle sur tout le reste. Il passe<br />
sa vie à railler, <strong>et</strong> il lui convient que le mon<strong>de</strong> soit méprisable. Il sait qu’au fond<br />
<strong>de</strong> son être se trouvent « <strong>de</strong> l’esprit larvé <strong>de</strong> malveillance <strong>et</strong> <strong>de</strong> la malveillance farcie<br />
d’esprit » ; il reconnaît s’être perdu « dans le labyrinthe <strong>de</strong> [sa] fureur ». On<br />
comprend avec Pandarus que les allusions pornographiques abon<strong>de</strong>nt dans la pièce,<br />
comme dans les Sonn<strong>et</strong>s, à cause <strong>de</strong> l’absence <strong>de</strong> vrai amour. Sa satire, qui va, elle<br />
aussi, <strong>de</strong> travers, vient <strong>de</strong> sa maladie sexuelle, qu’il menace à la fin, par <strong><strong>de</strong>s</strong> paroles
760 MICHAEL EDWARDS<br />
extraordinaires <strong>et</strong> d’une rare violence, <strong>de</strong> transm<strong>et</strong>tre aux spectateurs. Comme les<br />
<strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers sonn<strong>et</strong>s, qui tournent sur les maladies vénériennes <strong>et</strong> sur la fièvre<br />
inextinguible du désir, le poème <strong>de</strong> Pandarus qui termine la pièce renvoie les<br />
spectateurs à leurs propres désirs <strong>et</strong> les engage dans le mon<strong>de</strong> déchu que la pièce<br />
a sondé. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la satire se trouvent aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> signes d’espoir, que l’œuvre <strong>de</strong> la<br />
pièce consiste à m<strong>et</strong>tre discrètement en valeur. Ajax, par exemple, est présenté<br />
comme un chaos <strong>de</strong> contradictions, comme le représentant <strong>de</strong> l’humanité déchue<br />
observé sous l’angle du burlesque, mais après une pause dans son combat singulier<br />
avec Hector il commence soudain à parler en vers, avec humilité <strong>et</strong> courtoisie, à<br />
exprimer le nouvel être qu’il a acquis en observant, chez son cousin, <strong><strong>de</strong>s</strong> qualités<br />
qu’il n’avait jamais rencontrées. Il continue <strong>de</strong> parler en vers jusqu’à la fin, en<br />
guidant les Grecs, dans une p<strong>et</strong>ite scène métaphorique, vers la lumière, <strong>et</strong> en disant<br />
pour la première fois son admiration pour Achille. Ajax, personnage relativement<br />
mineur, se transforme, <strong>et</strong> l’œuvre cachée <strong>de</strong> la pièce aboutit à l’aperçu qu’il offre<br />
d’un changement, d’un possible.<br />
On observe ici la poïèsis <strong>de</strong> Shakespeare, l’art <strong>de</strong> créer, <strong>de</strong> construire, que le poète<br />
partage avec d’autres sortes d’écrivains <strong>et</strong> qui lui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> travailler <strong><strong>de</strong>s</strong> matériaux<br />
même contraires en leur donnant un sens, une direction. Dans Mesure pour mesure<br />
on voit aussi que le poète en Shakespeare écrit certains passages ouvertement<br />
poétiques, qui portent les émotions <strong>de</strong> la pièce <strong>et</strong> qui en suggèrent la forme<br />
signifiante. Lucio, en annonçant que la fiancée <strong>de</strong> Claudio vient d’avoir un enfant,<br />
« sa matrice prodigue » attestant un « labour conjugal » comme la semaison amène<br />
la jachère à la « bonne foison », célèbre la fertilité <strong><strong>de</strong>s</strong> humains comme participant<br />
<strong>de</strong> celle <strong>de</strong> la terre, <strong>et</strong> toute la vie fécon<strong>de</strong> proclamée également par le nombre <strong>de</strong><br />
femmes enceintes que la pièce contient ou mentionne. Il évoque le début <strong>de</strong> la<br />
Genèse <strong>et</strong> le tout premier comman<strong>de</strong>ment : « Soyez féconds, multipliez », <strong>et</strong> fait<br />
penser aux dix-sept premiers sonn<strong>et</strong>s, qui ouvrent, eux aussi, sur l’exubérance au<br />
cœur <strong>de</strong> la création. Le coup <strong>de</strong> génie <strong>de</strong> Shakespeare est <strong>de</strong> faire prononcer ces<br />
vers par Lucio, qui représente l’autre face du désir : la prostitution, les maladies<br />
vénériennes, la séparation entre sexualité <strong>et</strong> amour, en rappelant également l’autre<br />
face <strong><strong>de</strong>s</strong> Sonn<strong>et</strong>s <strong>et</strong> en créant la nostalgie <strong>de</strong> l’innocence. Isabelle, en décrivant le<br />
vignoble puis le jardin par lesquels Angelo l’invite à passer afin <strong>de</strong> faire l’amour<br />
avec lui pour sauver son frère condamné à mort, fait voir que la sexualité corrompue<br />
d’Angelo nie, au cœur même <strong>de</strong> la nature, l’abondante réalité <strong>de</strong> celle-ci, <strong>et</strong> qu’elle<br />
apporte la luxure jusque dans le signe, le refl<strong>et</strong>, <strong>de</strong> l’É<strong>de</strong>n. Shakespeare revient si<br />
souvent à la sexualité parce que son abus frappe le principe même <strong>de</strong> la vie <strong>et</strong> altère<br />
l’élan originel <strong>et</strong> religieux <strong>de</strong> la nature : les Sonn<strong>et</strong>s commencent par l’engendrement<br />
<strong>et</strong> se terminent par les bains chauds où l’on cherche à guérir la syphilis. Le Duc,<br />
finalement, regardant par une fenêtre <strong>de</strong> la prison <strong>et</strong> voyant que l’étoile du berger<br />
l’appelle à sortir ses bêtes <strong>et</strong> qu’il « fait presque jour », aperçoit l’harmonie du Tout<br />
<strong>et</strong> la possibilité du nouveau au moment où il se prépare à dénouer l’action.<br />
Ces trois « poèmes » marquent les trois temps <strong>de</strong> l’œuvre : le bonheur, le malheur<br />
<strong>et</strong> leur dépassement. Celui-ci est rendu possible par une idée, un stratagème, à
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 761<br />
plusieurs fac<strong>et</strong>tes : la substitution. Tout procè<strong>de</strong> du remplacement temporaire du<br />
Duc par Angelo, appelé à gouverner la ville <strong>de</strong> Vienne pendant son absence. Le<br />
premier stratagème du Duc, qui revient déguisé en moine, est <strong>de</strong> substituer<br />
Marianne à Isabelle dans le lit d’Angelo, dont elle est la fiancée répudiée, <strong>et</strong> le<br />
<strong>de</strong>uxième, d’envoyer à Angelo la tête d’un autre prisonnier à la place <strong>de</strong> celle <strong>de</strong><br />
Claudio. Le poète en Shakespeare lui fait ajouter à ce motif répété <strong>et</strong> salutaire les<br />
substitutions comiques <strong>de</strong> mots perpétrées par le Clown, qui amène au tribunal<br />
« <strong>de</strong>ux bienfaiteurs notoires », <strong>et</strong> une doctrine théologique qui le place dans un<br />
contexte infini <strong>et</strong> éternel. Pour persua<strong>de</strong>r Angelo d’épargner Claudio, Isabelle<br />
soutient qu’il serait condamné lui-même par la loi divine, comme tous les hommes,<br />
si Dieu n’avait pas trouvé un « remè<strong>de</strong> ». En évoquant la Crucifixion au détour<br />
d’un vers, elle indique la réconciliation <strong>de</strong> la justice <strong>et</strong> <strong>de</strong> la miséricor<strong>de</strong> que toute<br />
la pièce recherche, <strong>et</strong> elle termine la liste <strong><strong>de</strong>s</strong> substitutions. L’œuvre salutaire <strong>de</strong> la<br />
comédie consiste également à transformer le titre <strong>de</strong> la pièce : Mesure pour mesure,<br />
qui commence par ressembler à la loi du talion (« œil pour œil »), mais qui finit<br />
par signifier, grâce à la lecture attentive que Shakespeare semble avoir consacrée à<br />
l’expression dans chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> Synoptiques, la bonne mesure que l’on donne <strong>et</strong> la<br />
très bonne mesure que l’on reçoit. Elle consiste aussi à perm<strong>et</strong>tre aux personnages<br />
<strong>de</strong> se connaître pleinement <strong>et</strong> <strong>de</strong> se renouveler. Angelo se repent, brièvement mais<br />
vraiment. Marianne trouve la profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> son amour, en se donnant à Angelo,<br />
malgré tout le mal qu’elle lui reconnaît, tel qu’il est <strong>et</strong> sans mesure. Isabelle accepte<br />
finalement <strong>de</strong> supplier le Duc d’épargner Angelo, qu’elle croit meurtrier <strong>de</strong> son<br />
frère, en pardonnant sans mesure <strong>et</strong> en se donnant entièrement dans son pardon.<br />
La comédie précise son œuvre lorsque la « résurrection » <strong>de</strong> Claudio impose l’idée<br />
d’une vie après la mort, <strong>et</strong> surtout sur la terre, après la mort du vieux moi.<br />
La critique suppose néanmoins que Shakespeare prend conscience, dans Mesure<br />
pour mesure comme dans Tout est bien qui finit bien, <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> douleurs, <strong>de</strong><br />
désirs, <strong>de</strong> fautes, que la comédie serait inapte à englober. Il est à noter d’abord,<br />
cependant, qu’il explore <strong>et</strong> rej<strong>et</strong>te <strong>de</strong> nouveau, dans l’intrigue secondaire <strong>de</strong> Tout<br />
est bien qui finit bien, la raillerie, lorsque Paroles, menacé <strong>de</strong> mort par <strong><strong>de</strong>s</strong> soldats<br />
qui feignent d’appartenir à l’ennemi, manifeste sa lâch<strong>et</strong>é en trahissant les secr<strong>et</strong>s<br />
<strong>de</strong> son camp. Shakespeare transforme le rire méprisant dont Paroles est la cible, en<br />
lui donnant <strong><strong>de</strong>s</strong> mensonges intarissables regorgeant d’inventivité qui font venir,<br />
sous le rire moqueur, un rire d’allégresse, <strong>et</strong> en lui perm<strong>et</strong>tant, une fois démasqué,<br />
d’accueillir sa disgrâce, <strong>de</strong> se connaître en profon<strong>de</strong>ur, <strong>et</strong> d’accepter, par une<br />
nouvelle humilité, d’être à jamais la cause du rire chez les autres. C<strong>et</strong>te pièce qu’on<br />
appelle communément une comédie sombre, critique <strong>et</strong> rachète l’idée qui fon<strong>de</strong> la<br />
comédie, non pas sur la joie (je ris avec vous), mais sur le ridicule (je ris <strong>de</strong> vous).<br />
Il est vrai que Bertrand, comte <strong>de</strong> Roussillon, est aussi peu aimable que le jeune<br />
aristocrate <strong><strong>de</strong>s</strong> Sonn<strong>et</strong>s. Mais n’est-ce pas parce que la comédie, pour prouver son<br />
aptitu<strong>de</strong> à introduire partout sa vérité, doit prendre le risque d’un héros mauvais ?<br />
La comédie le change, mais pas complètement. En lisant une l<strong>et</strong>tre qui lui prouve<br />
la bonté <strong>et</strong> l’humilité <strong>de</strong> sa femme — qui lui révèle une vie meilleure — « il a
762 MICHAEL EDWARDS<br />
presque été changé, dit un témoin, en un autre homme ». Il entrevoit la conversion<br />
totale <strong>de</strong> l’être, mais il n’est que « presque » changé, <strong>et</strong> cela seulement pendant un<br />
moment. Il se repent <strong>de</strong> ses actions (mépriser Hélène, débaucher Diane, mentir) à<br />
la <strong>de</strong>rnière scène, <strong>et</strong> prom<strong>et</strong> d’aimer toujours <strong>et</strong> ar<strong>de</strong>mment sa femme, mais il<br />
semble hésiter aussi, en attendant <strong>de</strong> savoir si les conditions apparemment<br />
impossibles qu’il avait posées avant <strong>de</strong> se réconcilier avec Hélène ont été satisfaites.<br />
Il <strong>de</strong>meure, comme le jeune homme <strong><strong>de</strong>s</strong> Sonn<strong>et</strong>s, énigmatique, insaisissable.<br />
Il est vrai aussi que la pièce semble partagée entre un conte magique <strong>et</strong> un récit<br />
réaliste. En guérissant le roi d’une maladie incurable, Hélène fait participer à son<br />
acte, par la poésie d’une incantation, la totalité <strong>de</strong> l’univers en mouvement <strong>et</strong> les<br />
fables (les chevaux du soleil, la lampe d’Hespérus) par lesquelles nous l’imaginons.<br />
En se substituant à Diane dans le lit <strong>de</strong> Bertrand, cependant, elle conçoit une ruse<br />
d’un réalisme, disons, médiéval (<strong>et</strong> qui vient, d’ailleurs, <strong>de</strong> Boccace). Mais si nous<br />
sommes conscients <strong>de</strong> passer entre le mon<strong>de</strong> surnaturel intermittent <strong>et</strong> le mon<strong>de</strong><br />
naturel <strong><strong>de</strong>s</strong> convoitises <strong>et</strong> les lâch<strong>et</strong>és, n’est-ce pas ce que Shakespeare cherche ? La<br />
discordance entre <strong><strong>de</strong>s</strong> types d’histoire <strong>et</strong> entre <strong><strong>de</strong>s</strong> styles d’écriture marque l’accès<br />
discontinu <strong>et</strong> provisoire à une réalité supérieure dans notre mon<strong>de</strong>.<br />
Tous ces signes contradictoires culminent dans le dénouement, qui refuse la<br />
profon<strong>de</strong> réconciliation entre Hélène <strong>et</strong> Bertrand à laquelle on s’attend, <strong>et</strong> qui laisse<br />
supposer, malgré le titre <strong>de</strong> la pièce, que tout ne finit pas bien pleinement <strong>et</strong> aussitôt.<br />
Shakespeare a déjà donné à un Deuxième Seigneur anonyme c<strong>et</strong>te pensée pascalienne<br />
avant la l<strong>et</strong>tre : « La trame <strong>de</strong> notre vie est tissée avec <strong><strong>de</strong>s</strong> fils mélangés […] ; nos<br />
vertus seraient fières si nos fautes ne les fou<strong>et</strong>taient pas, <strong>et</strong> nos vices désespéreraient<br />
s’ils n’étaient pas consolés par nos vertus », <strong>et</strong> il semble s’intéresser à écrire une<br />
comédie qui tient parfaitement compte <strong>de</strong> ce qu’elle opère ses transformations <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
êtres <strong>et</strong> <strong>de</strong> la vie entière dans un mon<strong>de</strong> divisé <strong>et</strong> radicalement imparfait. La pièce va<br />
bien <strong>de</strong> la mort vers la vie. Hélène, qui répand la rumeur <strong>de</strong> sa propre mort,<br />
« ressuscite » à la fin, comme le font tant <strong>de</strong> personnages shakespeariens afin <strong>de</strong><br />
représenter <strong>de</strong> la manière la plus n<strong>et</strong>te la transformation qui se situe au cœur <strong>de</strong> son<br />
œuvre, <strong>et</strong> elle est en outre enceinte. Mais en réfléchissant <strong>de</strong> nouveau sur l’idée <strong>de</strong><br />
dénouement, Shakespeare prend au sérieux, dans la pièce qui annonce l’idée dans<br />
son titre, le fait qu’à l’époque finir bien signifiait avant tout mourir bien, <strong>et</strong> que la<br />
vraie fin attendait après la mort. Il freine donc la résolution <strong>et</strong> la joie <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>rnières<br />
scènes afin <strong>de</strong> laisser personnages <strong>et</strong> spectateurs dans le vrai mon<strong>de</strong> contradictoire <strong>et</strong><br />
inaccompli que l’on r<strong>et</strong>rouve en quittant le théâtre.<br />
Dans Cymbeline, finalement, qui pourrait dater <strong>de</strong> 1609-1610 <strong>et</strong> qui figure<br />
parmi ses <strong>de</strong>rnières pièces, Shakespeare réfléchit continuellement sur la poésie <strong>et</strong><br />
sur le théâtre. Quand Iachimo décrit une tapisserie représentant la rencontre<br />
d’Antoine <strong>et</strong> Cléopâtre, où le fleuve Cydnus débor<strong>de</strong> à cause « soit du nombre <strong>de</strong><br />
barques, soit <strong>de</strong> son orgueil », il offre, en quelques mots, une p<strong>et</strong>ite leçon <strong>de</strong><br />
poétique : la recréation du réel la plus convaincante est celle qui respecte les faits.<br />
Lorsqu’il décrit une sculpture représentant le bain <strong>de</strong> Diane, en disant que les
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 763<br />
figures étaient si vivantes que l’artiste paraissait comme une puissance créatrice qui<br />
« dépassait la nature, / Hormis le mouvement <strong>et</strong> le souffle », il s’étonne que l’art<br />
soit en même temps supérieur à la nature, grâce à sa faculté <strong>de</strong> transformer le<br />
mon<strong>de</strong> par la neuve consonance <strong><strong>de</strong>s</strong> lignes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> volumes — on pourrait ajouter :<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> mots, <strong><strong>de</strong>s</strong> choses évoquées, <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages, <strong><strong>de</strong>s</strong> événements — <strong>et</strong> infiniment<br />
inférieur puisque l’artiste ne dispose pas du principe <strong>de</strong> la vie. L’art ne surpasse la<br />
vie que par sa capacité <strong>de</strong> suggérer, mais non pas <strong>de</strong> créer, une forme <strong>de</strong> vie<br />
supérieure, une terre <strong>et</strong> un ciel renouvelés.<br />
En sondant le théâtre dans Cymbeline, Shakespeare rassemble plusieurs idées <strong>et</strong><br />
pratiques qui sont <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments fondamentaux du génie théâtral. La pièce est<br />
remarquable par le nombre <strong>de</strong> déguisements. Bien <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages shakespeariens,<br />
dans les comédies comme dans les tragédies, se trouvent en se perdant sous <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>de</strong>hors d’emprunt, la voie vers l’être vrai passant nécessairement, dans un mon<strong>de</strong><br />
où l’être est en partie effacé, par l’être-autre. En voulant mourir vaillamment « To<br />
shame the guise o’ th’ world » (« Pour couvrir <strong>de</strong> honte les façons du mon<strong>de</strong> »),<br />
Posthumus fait penser que se dé-guiser, c’est refuser la guise, l’apparence d’un<br />
mon<strong>de</strong> corrompu, <strong>et</strong> chercher en soi, sous une autre apparence, le nouvel être dont<br />
le mon<strong>de</strong> aussi a besoin. Shakespeare associe l’acte <strong>de</strong> se déguiser à celui <strong>de</strong> passer,<br />
durant la pièce, dans une secon<strong>de</strong> réalité, comme le bois près d’Athènes dans Le<br />
Songe d’une nuit d’été, par exemple, ou la Bohême dans Le Conte d’hiver, lieux à la<br />
fois réels <strong>et</strong> autres qui sont l’occasion pour les personnages <strong>de</strong> découvrir d’autres<br />
dimensions du vécu <strong>et</strong> <strong>de</strong> changer, avant <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ourner dans le mon<strong>de</strong> ordinaire<br />
transformé par leur aventure. Dans Cymbeline, tous les personnages principaux se<br />
trouvent en se hasardant au pays <strong>de</strong> Galles. Shakespeare semble suggérer aussi que<br />
le théâtre même est un déguisement, qu’il fait honte aux usages du mon<strong>de</strong> en<br />
s’habillant d’une fiction à la fois heuristique <strong>et</strong> transfiguratrice, comme il est un<br />
lieu autre où les spectateurs peuvent également se trouver en changeant, avant <strong>de</strong><br />
sortir dans un mon<strong>de</strong> familier rendu étrange par la vision théâtrale. D’où la<br />
présence, dans c<strong>et</strong>te pièce qui constitue un résumé <strong>de</strong> son œuvre, d’un masque<br />
— rêve <strong>de</strong> Posthumus matérialisé <strong>de</strong>vant les spectateurs, où Jupiter <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> fantômes<br />
renforcent l’impression que participe à la pièce une puissance surnaturelle, une<br />
sorte <strong>de</strong> hasard provi<strong>de</strong>ntiel — <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> obsèques d’Imogène, que l’on croit morte<br />
mais qui n’est que droguée, qui ne sont pas nécessaires à l’action, mais qui<br />
représentent parfaitement le simulacre qu’est le théâtre, la fiction visible qu’il fait<br />
dérouler <strong>de</strong>vant nous. Avec la « résurrection » d’Imogène, finalement, <strong>et</strong> l’eff<strong>et</strong><br />
cumulatif, dans le dénouement, d’une série <strong>de</strong> révélations qui surprennent les<br />
personnages <strong>et</strong> qui peuvent étonner à un autre niveau les spectateurs, pourtant déjà<br />
dans les secr<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l’intrigue, nous pouvons trouver mystérieux, étrange, merveilleux,<br />
le mon<strong>de</strong> néanmoins explicable qui se révèle peu à peu, en nous disant que c’est<br />
peut-être cela, la poésie : l’apparition quasi magique <strong>de</strong> ce qui est.<br />
Le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième heure : Le Bonheur d’être ici, procéda également d’une<br />
réflexion déjà entamée, dans une communication <strong>de</strong> 2003 sur Clau<strong>de</strong>l <strong>et</strong> Bau<strong>de</strong>laire<br />
lors d’un congrès <strong>de</strong> l’Association Guillaume Budé, où j’avais mis en opposition
764 MICHAEL EDWARDS<br />
<strong>de</strong>ux expressions : « le bonheur d’être ici » <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong>l (dans « Un après-midi à<br />
Cambridge ») <strong>et</strong> « N’importe où hors du mon<strong>de</strong> » <strong>de</strong> Bau<strong>de</strong>laire (dans Le Spleen<br />
<strong>de</strong> Paris). Sans représenter intégralement la réflexion <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux poètes, elles<br />
expriment à la perfection <strong>de</strong>ux convictions existentielles : ou bien qu’ici est le lieu<br />
où vivre, en nous rapprochant <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres <strong>et</strong> du mon<strong>de</strong>, ou bien que le malheur <strong>de</strong><br />
l’ici nous oblige à chercher ailleurs le bonheur, le nouveau, le possible, l’inconnu.<br />
Je voulais étudier, dans le <strong>cours</strong>, comment la littérature, <strong>et</strong> accessoirement la<br />
peinture <strong>et</strong> la musique, découvrent <strong>et</strong> chantent le bonheur <strong>de</strong> l’ici dans un mon<strong>de</strong><br />
trop évi<strong>de</strong>mment malheureux <strong>et</strong> mala<strong>de</strong>, en examinant une variété <strong>de</strong> perspectives<br />
sur la question dans plusieurs ouvrages fort différents les uns <strong><strong>de</strong>s</strong> autres, <strong>et</strong> en<br />
réfléchissant à l’origine du mot bonheur, qui laisse penser que le bonheur vise<br />
l’avenir, <strong>et</strong> qu’être heureux, ce serait se trouver l’obj<strong>et</strong> d’un « présage favorable »<br />
qui commence déjà à se réaliser.<br />
Lors du célèbre acci<strong>de</strong>nt qu’il raconte au <strong>de</strong>uxième chapitre <strong><strong>de</strong>s</strong> Rêveries du<br />
promeneur solitaire (1782), Rousseau, renversé par un chien danois, perd<br />
connaissance <strong>et</strong> n’est conscient, quand il revient à lui, que du « ciel », <strong>de</strong> « quelques<br />
étoiles » <strong>et</strong> d’un « peu <strong>de</strong> verdure ». Il ne connaît que le « moment présent », <strong>et</strong> il<br />
dit même : « Je naissais dans c<strong>et</strong> instant à la vie. » Il existe une curieuse ressemblance<br />
entre c<strong>et</strong>te « naissance » <strong>et</strong> celle d’Adam dans Le Paradis perdu <strong>de</strong> Milton, telle qu’il<br />
la décrit pour l’ange Raphaël au livre 8. Adam pense se réveiller « du plus profond<br />
sommeil », il se trouve couché « sur l’herbe fleurie » <strong>et</strong> tourne les yeux « vers le<br />
ciel » afin <strong>de</strong> contempler « l’ample firmament ». Il dit, exactement comme<br />
Rousseau : « je ne savais ni qui j’étais ni où j’étais », <strong>et</strong> comme Rousseau éprouve<br />
un « calme ravissant », il regar<strong>de</strong> en haut avec <strong><strong>de</strong>s</strong> « yeux émerveillés ». Milton<br />
imagine, dans l’É<strong>de</strong>n, un bonheur d’être ici absolu <strong>et</strong> à peine concevable, dont il<br />
nous sait exclu ; Rousseau opère dans le mon<strong>de</strong> réel <strong>de</strong> la Chute <strong>et</strong> du malheur.<br />
S’il ne sent « ni mal, ni crainte, ni inquiétu<strong>de</strong> », il a néanmoins reçu <strong>de</strong> multiples<br />
blessures ; il voit l’É<strong>de</strong>n : la terre d’ici <strong>et</strong> la profon<strong>de</strong>ur du ciel nocturne, lorsque<br />
le malheur du mon<strong>de</strong> est pleinement présent, y compris la mort, un carrosse qui<br />
suivait le chien ayant failli lui passer sur le corps. Il est à remarquer finalement<br />
qu’il situe avec précision c<strong>et</strong>te expérience quasi mystique dans le temps <strong>et</strong> le lieu,<br />
en notant que cela lui arriva le « jeudi 24 octobre 1776 […] sur les 6 heures »,<br />
dans « la <strong><strong>de</strong>s</strong>cente <strong>de</strong> Ménilmontant presque vis-à-vis du Galant Jardinier ». Il place<br />
c<strong>et</strong>te révélation transcendante dans la trame du réel ordinaire, c<strong>et</strong> ici essentiel dans<br />
l’ici banal où il trouve son sens.<br />
Pour bien comprendre « Song of the Open Road » (« Chant <strong>de</strong> la route libre »),<br />
que le poète américain Walt Whitman ajouta à la <strong>de</strong>uxième édition (1856) <strong>de</strong> ses<br />
Leaves of Grass (Feuilles d’herbe), il convient <strong>de</strong> remarquer qu’il reprend, dans les<br />
premiers vers, les <strong>de</strong>rniers vers du Paradis perdu. Pour Milton, Adam <strong>et</strong> Ève<br />
découvrent que, malgré leur expulsion <strong>de</strong> l’É<strong>de</strong>n, « The world was all before them »<br />
(« Le mon<strong>de</strong> entier s’étendait <strong>de</strong>vant eux ») ; Whitman, s’élançant sur la route <strong>de</strong><br />
la vie, se trouve, dit-il, « free, the world before me » (« libre, le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>vant moi »).<br />
Si Adam <strong>et</strong> Ève avancent, cependant, « à pas incertains <strong>et</strong> lents », Whitman a « le
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 765<br />
cœur léger », <strong>et</strong> au lieu <strong>de</strong> se laisser gui<strong>de</strong>r par la « Provi<strong>de</strong>nce », il « choisit » sa<br />
direction, le chemin « me conduisant, dit-il, là où je veux ». Le vieux poète sent la<br />
présence <strong>de</strong> Dieu <strong>et</strong> reconnaît la tristesse d’un mon<strong>de</strong> compromis ; le nouveau<br />
poète que Whitman représente n’a pas besoin <strong>de</strong> Dieu, cherche avant tout le<br />
bonheur, <strong>et</strong> transforme la prosodie <strong>et</strong> la syntaxe <strong>de</strong> Milton en adoptant la liberté<br />
autre du vers<strong>et</strong> <strong>et</strong> d’une suite <strong>de</strong> phrases peu construites par la grammaire. (Il est<br />
instructif, <strong>et</strong> pas seulement pour l’histoire littéraire <strong>et</strong> l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> idées, <strong>de</strong><br />
noter que Wordsworth aussi revient aux <strong>de</strong>rniers vers du Paradis perdu dans les<br />
premiers vers du Prélu<strong>de</strong>, publié après sa mort en 1850, dans un désir semblable,<br />
mais différent, d’aggiornamento.) Pour Whitman, la terre est « suffisante »,<br />
« inépuisable » — d’où les nombreux catalogues qui s’enthousiasment du grain, du<br />
toucher, <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s du mon<strong>de</strong> — <strong>et</strong> en continuelle expansion. Il est convaincu que<br />
« L’est <strong>et</strong> l’ouest sont miens, <strong>et</strong> le nord <strong>et</strong> le sud sont miens », selon une exubérance<br />
<strong>de</strong> l’âme qui regar<strong>de</strong>, non pas <strong><strong>de</strong>s</strong> paysages, mais une géographie, non pas un pays,<br />
mais un continent, <strong>et</strong> qui remplace, en l’imitant, le mysticisme chrétien. Il est<br />
persuadé aussi, cependant, <strong>de</strong> la dimension « inaperçue » <strong>et</strong> « divine » du mon<strong>de</strong>,<br />
<strong>et</strong> qu’il ne nous est pas indifférent. « L’émanation <strong>de</strong> l’âme est le bonheur, écrit-il,<br />
le bonheur est ici, / Je pense qu’il se répand dans l’air, en attente à tous moments,<br />
/ Maintenant il pénètre en nous. » Le bonheur n’est pas une émotion, un état :<br />
c’est le mouvement <strong>de</strong> l’être vers ce qui est, <strong>et</strong> le mouvement <strong>de</strong> ce qui est vers<br />
nous. Conscient <strong>de</strong> ce qu’il doit à c<strong>et</strong>te réciprocité, Whitman s’adresse ainsi au<br />
mon<strong>de</strong> : « Toi, air qui me sers du souffle afin que je parle ! / Vous, obj<strong>et</strong>s qui<br />
appelez dans leur état diffus mes significations <strong>et</strong> qui leur donnez forme ! » Ce n’est<br />
plus le poète qui appelle les choses par leur nom, ni qui appelle le mon<strong>de</strong> pour<br />
qu’il vienne dans le poème, mais les obj<strong>et</strong>s qui appellent ce qui flotte dans l’esprit<br />
du poète. Donne forme, selon c<strong>et</strong>te poétique sage qui mérite que l’on y réfléchisse,<br />
non pas en premier lieu le travail que le poète effectue sur la langue <strong>et</strong> sur le vers,<br />
mais le rapport <strong>de</strong> plus en plus exact entre le poète <strong>et</strong> certaines présences du<br />
mon<strong>de</strong>. Même si on sent chez Whitman quelque optimisme « victorien » difficile<br />
à adm<strong>et</strong>tre, il trouve sûrement le bonheur d’être ici dans un aller continu, dans<br />
une réaction incessante à tout ce que font glisser vers nous le temps <strong>et</strong> l’espace.<br />
Il est utile aussi <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r les œuvres qui semblent plongées dans la misère,<br />
mais qui réussissent à évoquer le bonheur. L’Enfer <strong>de</strong> Dante concerne bien le<br />
malheur <strong>de</strong> l’ici : il son<strong>de</strong> moins la souffrance <strong><strong>de</strong>s</strong> damnés qu’il ne crée un angle<br />
<strong>de</strong> vue infernal sur la vie terrestre (en attendant les angles <strong>de</strong> vue purificateur puis<br />
paradisiaque <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux autres cantiques). Puisqu’il parle néanmoins <strong>de</strong> la vie après<br />
la mort <strong>et</strong> d’un lieu inconnu que nous peinons à imaginer, Dante se sert<br />
constamment <strong>de</strong> comparaisons avec notre vie, afin d’illuminer l’étrange par le<br />
familier. A-t-on remarqué, cependant, à quel point ces comparaisons sont<br />
nombreuses ? Et a-t-on compris, avec précision, leur rôle ? Pour T.S. Eliot, elles<br />
servent à nous faire voir plus clairement l’action que Dante raconte, comme lorsque<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> ombres prises sous une pluie <strong>de</strong> feu regar<strong>de</strong>nt Dante <strong>et</strong> Virgile en clignant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
yeux, « comme le vieux tailleur » qui cherche « le chas <strong>de</strong> l’aiguille » (chant 15).
766 MICHAEL EDWARDS<br />
Oui, mais le rapport avec la réalité ordinaire est bien plus complexe. Beaucoup <strong>de</strong><br />
comparaisons nous sortent <strong>de</strong> l’enfer pour nous placer dans l’ici malheureux.<br />
Virgile ordonne à Dante, par exemple, <strong>de</strong> monter sur le dos du monstre Géryon,<br />
<strong>et</strong> Dante écrit : « Tel celui qui, sentant le premier frisson <strong>de</strong> la fièvre quarte, a déjà<br />
les ongles blêmes <strong>et</strong> tremble tout entier en regardant l’ombre, tel je <strong>de</strong>vins à<br />
entendre ces paroles » (chant 17). Le monstre appartient au mythe <strong>et</strong> au cauchemar ;<br />
la fièvre quarte nous ramène à nos maladies dangereuses. Si le lecteur rencontre,<br />
cependant, bien <strong><strong>de</strong>s</strong> malheurs réels par l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> ces comparaisons, il rencontre<br />
aussi <strong>de</strong> très nombreux bonheurs. Au chant 16, par exemple, Dante sort d’un<br />
cercle <strong>de</strong> l’enfer : « J’étais déjà au lieu, écrit-il, où s’entendait le bruit <strong>de</strong> l’eau qui<br />
tombait dans l’autre cercle, pareil au bourdonnement que font les ruches. » Géryon<br />
commence son vol avec Virgile <strong>et</strong> Dante sur le dos, « Comme le p<strong>et</strong>it bateau sort<br />
du port à reculons », le p<strong>et</strong>it bateau (navicella), dans c<strong>et</strong>te scène agréable <strong>de</strong> bord<br />
<strong>de</strong> mer, étant même le contraire du monstre gigantesque. Dante fait dérouler<br />
<strong>de</strong>vant le lecteur, au fond <strong>de</strong> l’enfer, <strong><strong>de</strong>s</strong> moments <strong>de</strong> bonheur simple dans la vie<br />
ordinaire, <strong>et</strong> certaines comparaisons parlent même d’un malheur qui se transforme<br />
en bonheur. La plus extraordinaire occupe les quinze premiers vers du chant 24,<br />
<strong>et</strong> décrit « la très jeune année » où un villageois qui, prenant du givre pour <strong>de</strong> la<br />
neige, se lamente <strong>de</strong> ne pas pouvoir sortir ses troupeaux, r<strong>et</strong>rouve « l’espoir » un<br />
peu plus tard, en comprenant son erreur <strong>et</strong> en voyant que, sous l’eff<strong>et</strong> du soleil,<br />
« le mon<strong>de</strong> a changé <strong>de</strong> face ». Puisque la chose à comparer est toute simple <strong>et</strong> se<br />
dit en trois vers : Virgile se fâche d’avoir manqué le chemin, puis se calme en le<br />
trouvant, ce long passage existe pour parler <strong>de</strong> la vie à la campagne, <strong>et</strong> pour évoquer<br />
l’espoir, <strong>et</strong> la possibilité, même au fond <strong>de</strong> notre enfer, que le mon<strong>de</strong> change <strong>de</strong><br />
face. La <strong>de</strong>rnière image <strong>de</strong> l’Enfer : « je vis les belles choses que porte le ciel, par<br />
un pertuis rond. Et par là nous sortîmes à revoir les étoiles », est également l’image<br />
<strong>de</strong> ce que fait Dante dans son poème : abîmé dans le malheur <strong>et</strong> même l’enfer<br />
d’être ici, il ouvre sans cesse <strong><strong>de</strong>s</strong> fenêtres sur le bonheur <strong>et</strong> la beauté.<br />
Proust œuvre <strong>de</strong> manière semblable dans le récit merveilleusement stratifié <strong>de</strong> La<br />
Prisonnière (1923), qui ressemble à un cercle <strong>de</strong> l’Enfer par les sombres observations<br />
sur l’amour, le désir, le rêve, par la présence <strong>de</strong> la maladie, <strong>de</strong> la mort <strong>et</strong> surtout<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> mensonges incessants d’Albertine <strong>et</strong> du narrateur, mais où le bonheur d’être ici<br />
intervient souvent <strong>de</strong> façon soudaine, comme dans l’impatience <strong>de</strong> Bergotte <strong>de</strong>vant<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> tableaux d’un art factice « qui ne valait pas les courants d’air <strong>et</strong> <strong>de</strong> soleil d’un<br />
palazzo <strong>de</strong> Venise, ou d’une simple maison au bord <strong>de</strong> la mer ». L’art authentique<br />
est celui qui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> trouver un plaisir plus riche dans le réel commun : air,<br />
soleil, maison, mer, en le recréant comme le fait Proust, par ces « courants […] <strong>de</strong><br />
soleil », par c<strong>et</strong>te parole neuve qui fait voir à nouveau les refl<strong>et</strong>s ondoyants renvoyés<br />
par l’eau. L’intérêt du passage sur la mort <strong>de</strong> Bergotte ne se résume pas, en eff<strong>et</strong>,<br />
au « p<strong>et</strong>it pan <strong>de</strong> mur jaune » tant commenté, <strong>et</strong> il culmine dans les réflexions du<br />
narrateur, qui commencent ainsi : abattu, Bergotte « roula du canapé par terre<br />
[…]. Il était mort. Mort à jamais ? Qui peut le dire ? » Les <strong>de</strong>ux questions sont<br />
imprévisibles <strong>et</strong> étonnantes, <strong>et</strong> le narrateur continue en disant que, si rien ne
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 767<br />
prouve que l’âme subsiste, « tout se passe dans notre vie comme si nous y entrions<br />
avec le faix d’obligations contractées dans une vie antérieure ». La préexistence ne<br />
nous incite pas à nous élever jusqu’aux Idées platoniciennes, mais à respecter une<br />
certaine morale : faire du bien, être délicats, malgré le fait qu’il n’y a aucune raison<br />
dans notre vie sur terre « pour que nous nous croyions obligés […] même à être<br />
polis », <strong>et</strong> cela s’étend aussi à la vocation artistique, « l’artiste athée » n’ayant pas<br />
<strong>de</strong> raison non plus, « dans nos conditions <strong>de</strong> vie », <strong>de</strong> se croire tenu à « recommencer<br />
vingt fois un morceau ». Il ne s’agit pas ici <strong><strong>de</strong>s</strong> vertus salvatrices <strong>de</strong> l’art — au<br />
contraire : un certain bonheur émane <strong>de</strong> la pensée que nous obéissons à <strong><strong>de</strong>s</strong> lois<br />
inconnues, <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’intuition <strong>de</strong> la simple possibilité qu’il existe un autre mon<strong>de</strong>,<br />
intuition qui ne vient pas, comme ailleurs dans À la recherche du temps perdu, <strong>de</strong><br />
l’art, mais du sentiment <strong>de</strong> l’obligation. Il ne s’agit pas non plus <strong>de</strong> la survie <strong>de</strong><br />
l’œuvre <strong>et</strong> du nom, mais <strong>de</strong> la personne. Dans ce passage inséré au sein du roman,<br />
Proust s’aventure dans une autre sorte <strong>de</strong> spéculation, dans un « comme si » qui<br />
semble le travailler <strong>et</strong> qui ouvre l’ouvrage à un autre genre <strong>de</strong> possible. S’il le place<br />
ici, ce n’est pas pour fournir encore un exemple <strong>de</strong> la duplicité d’Albertine (dont<br />
le mensonge fait que le narrateur se trompe sur la date exacte <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong><br />
Bergotte), mais pour que c<strong>et</strong>te duplicité ajoute au passage une signification<br />
supplémentaire, en le situant dans le malheur du mon<strong>de</strong> connu.<br />
L’Ecclésiaste peut étonner encore davantage. Dans c<strong>et</strong> opuscule <strong>de</strong> l’Ancien<br />
Testament dont on r<strong>et</strong>ient surtout le refrain : « Vanité <strong><strong>de</strong>s</strong> vanités, tout est vanité »,<br />
l’auteur considère avec acuité <strong>de</strong> nombreuses fac<strong>et</strong>tes du malheur d’être ici, mais à<br />
la lumière du récit, dans la Genèse, <strong>de</strong> la désobéissance d’Adam <strong>et</strong> Ève <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur<br />
punition. Il se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si nous sommes <strong><strong>de</strong>s</strong>tinés à toujours travailler <strong>et</strong> mourir, <strong>et</strong><br />
il pose sans cesse une question pertinente : « Quel avantage revient-il à l’homme<br />
<strong>de</strong> tout le travail qu’il fait sous le soleil ? » Il ne trouve pas <strong>de</strong> sortie, mais il aperçoit<br />
un début <strong>de</strong> réponse en réfléchissant au mot hébreu towb, <strong>et</strong>, semble-t-il, au fait<br />
que dans le récit <strong>de</strong> la Création, où Dieu vit que tout ce qu’il créa fut towb, une<br />
multiplicité <strong>de</strong> sens qui sont, pour nous, séparés — bon, beau, vrai, réel, <strong>et</strong> que<br />
savons-nous encore ? — s’associaient dans l’unité originelle. En examinant « ce<br />
qu’il est bon (towb) pour les fils <strong>de</strong> l’homme <strong>de</strong> faire sous les cieux », il cherche ce<br />
qui <strong>de</strong>meure accessible <strong>de</strong> ce towb <strong>de</strong> l’origine. Sa réponse : « il est bon (towb) pour<br />
un homme <strong>de</strong> manger <strong>et</strong> <strong>de</strong> boire <strong>et</strong> <strong>de</strong> se réjouir <strong>de</strong> son travail », peut paraître<br />
décevante, si l’on ne comprend pas qu’il trouve un bonheur d’être ici dans<br />
l’approfondissement quotidien <strong>de</strong> la réalité ordinaire, qu’il s’enthousiasme en<br />
revenant constamment à l’idée pour lui ajouter <strong>de</strong> nouvelles précisions, <strong>et</strong> qu’il<br />
« loue la joie », ce qui donne <strong>de</strong> l’auteur une image très différente <strong>de</strong> celle d’un<br />
mélancolique désabusé <strong>de</strong> tout. En voyant que c’est Dieu qui « donne… la joie »,<br />
il transforme sa notion du temps ennuyeux, où tout revient <strong>et</strong> rien n’est nouveau,<br />
pour dire que Dieu préserve le passé <strong>et</strong> qu’il « fait toute chose belle en son temps »,<br />
ou, pour le redire dans une autre sorte <strong>de</strong> dis<strong>cours</strong> : rien n’est perdu, le passé revit<br />
dans le présent comme il revivra à l’avenir, <strong>et</strong> il est possible <strong>de</strong> rach<strong>et</strong>er le temps<br />
qui passe, <strong>de</strong> valoriser chaque moment du vécu. Même sa perspective sur la sagesse
768 MICHAEL EDWARDS<br />
change dès qu’il s’aperçoit qu’elle est supérieure à la folie comme la lumière aux<br />
ténèbres (autre allusion au début <strong>de</strong> la Genèse), <strong>et</strong> qu’elle « donne la vie » à ceux<br />
qui la possè<strong>de</strong>nt. Un ouvrage apparemment assombri par le pessimisme<br />
recomman<strong>de</strong>, comme une obligation réjouissante, le bonheur terrestre sous le signe<br />
<strong>de</strong> la « crainte » <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’« écoute » <strong>de</strong> Dieu, ou du Réel, <strong>et</strong> le rédacteur du texte finit<br />
par dire que l’auteur <strong>de</strong> ce « grand nombre <strong>de</strong> sentences » choisit ses mots « pour<br />
donner du plaisir ».<br />
Un poème <strong>de</strong> l’Ancien Testament, le passage du troisième chapitre <strong>de</strong> Daniel qui<br />
figure seulement dans la Bible grecque, mais qui est <strong>de</strong>venu le Benedicite <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
liturgies romaine <strong>et</strong> anglicane, peut ai<strong>de</strong>r à réfléchir sur certaines questions<br />
concernant l’ici <strong>et</strong> son bonheur. Pourquoi reconnaissons-nous l’obligation (pour<br />
rappeler Proust) <strong>de</strong> conserver les espèces ? Les p<strong>et</strong>ites choses sont-elles importantes ?<br />
— l’activité dans la rue au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> nos fenêtres, une lumière d’hiver qui argente<br />
les quais <strong>et</strong> qui <strong>de</strong>vient visible sur les vaguel<strong>et</strong>tes <strong>de</strong> la Seine — ou faut-il penser<br />
comme Fénelon, dans le <strong>de</strong>uxième <strong><strong>de</strong>s</strong> trois Dialogues sur l’éloquence (en utilisant,<br />
peut-être, un autre vocabulaire), que <strong>de</strong>puis « le péché originel, l’homme est tout<br />
enfoncé dans les choses sensibles ; c’est là son grand mal : il ne peut être longtemps<br />
attentif à ce qui est abstrait » ? Les détails du corps du mon<strong>de</strong> sont-ils à connaître<br />
<strong>et</strong> à aimer, ou le corps humain <strong>et</strong> la réalité matérielle sont-ils pour nous une<br />
prison ? Dans le Benedicite, les trois jeunes Hébreux que Nabuchodonosor a fait<br />
j<strong>et</strong>er dans une fournaise ar<strong>de</strong>nte, mais que les flammes épargnent, commencent par<br />
bénir Dieu avant <strong>de</strong> se lancer dans un chant passionné où ils <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt à tous<br />
les phénomènes <strong>de</strong> l’univers d’en faire autant. Ils s’adressent aux anges, aux cieux,<br />
au soleil, à la lune, puis tout à coup aux « Pluies <strong>et</strong> rosées », aux « Vents », aux<br />
« Feux <strong>et</strong> chaleurs <strong>de</strong> l’été », aux « Froids <strong>et</strong> rigueurs <strong>de</strong> l’hiver ». Ils passent <strong>de</strong><br />
façon vertigineuse entre les choses gran<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> p<strong>et</strong>ites, en associant « Lumière <strong>et</strong><br />
ténèbres » <strong>et</strong> « Rosées <strong>et</strong> bruines », « Mers <strong>et</strong> fleuves » <strong>et</strong> « fontaines ». Ils<br />
s’émerveillent <strong>de</strong> l’ici, <strong><strong>de</strong>s</strong> choses toutes proches : gelées, glaces, neiges, en prenant<br />
plaisir à s’enfoncer dans les choses sensibles. En parcourant c<strong>et</strong>te tout autre lecture<br />
<strong>de</strong> la Genèse, qui exalte les créatures en même temps qu’il les invite à exalter Dieu,<br />
on comprend pourquoi le chant est précédé <strong>de</strong> la prière <strong>de</strong> l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> trois adolescents,<br />
une confession, non pas personnelle mais collective, qui reconnaît que Dieu a agi<br />
avec justice en punissant les Hébreux par la captivité babylonienne. L’acte <strong>de</strong> se<br />
m<strong>et</strong>tre en rapport avec l’universalité du mon<strong>de</strong> ambiant est encore plus joyeux si<br />
l’on s’en sentait auparavant tout à fait séparé, <strong>et</strong> le moyen <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> la misère <strong>et</strong><br />
du désespoir se révèle être, précisément, <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> soi. Faire appel aux éclairs,<br />
aux nuages, aux poissons, aux baleines, c’est créer, non pas une conscience <strong>de</strong> soi,<br />
mais une conscience incessante <strong>de</strong> l’autre, un mouvement continu vers ce que<br />
Wordsworth appelle « les présences <strong>de</strong> la Nature » qui perm<strong>et</strong> à la personne <strong>de</strong> se<br />
comprendre dans ses relations avec le Tout. Donner ainsi à toute chose une<br />
importance en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> nous dans un ensemble numineux, c’est apercevoir<br />
l’É<strong>de</strong>n, le bonheur d’un ici immense <strong>et</strong> harmonieux. Notons finalement la<br />
profon<strong>de</strong>ur ici <strong>de</strong> l’acte poétique : en chantant ensemble leur poème, les trois
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 769<br />
adolescents évitent le lyrisme du moi ; en disant une poésie vocative, comme celle<br />
<strong>de</strong> Whitman, ils créent un rapport chaleureux entre le mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> ce qu’il y a <strong>de</strong><br />
plus profond en eux ; en visant, du cœur du feu créateur, la totalité <strong><strong>de</strong>s</strong> créatures<br />
qu’ils ne voient pas, ils renouvellent le mon<strong>de</strong> par la mémoire, l’imagination <strong>et</strong> la<br />
parole poétique.<br />
Certains ouvrages à moitié légendaires suggèrent à la fois le bonheur du réel <strong>et</strong> le<br />
bonheur du possible : les Voyages, par exemple, <strong>de</strong> John Man<strong>de</strong>ville. Écrit en anglonormand<br />
vers 1356, il figure parmi ces œuvres « françaises » peu connues en <strong>France</strong><br />
qu’un <strong><strong>de</strong>s</strong> plaisirs <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te chaire a été <strong>de</strong> rem<strong>et</strong>tre en valeur. Le livre commence<br />
comme un gui<strong>de</strong> pour les pèlerins <strong>de</strong> la « Terre <strong>de</strong> promesse », mais Man<strong>de</strong>ville<br />
quitte bientôt la géographie réelle afin <strong>de</strong> voyager, en imagination, vers son idée <strong>de</strong><br />
« l’Asie profon<strong>de</strong> », vers les royaumes du Grand Khan <strong>et</strong> <strong>de</strong> Prêtre Jean. Les<br />
« merveilles » qu’il raconte, qui sont d’abord <strong><strong>de</strong>s</strong> villes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> églises, <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong><br />
plus en plus prodigieuses, <strong>et</strong> leur nombre même se révèle démesuré, Man<strong>de</strong>ville<br />
signalant qu’il lui est impossible <strong>de</strong> les raconter toutes, comme il souligne par ailleurs<br />
la multiplicité <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres vivants qui peuplent le mon<strong>de</strong> selon l’élan irrépressible <strong>de</strong> la<br />
Création. En s’aventurant, non pas dans l’au-<strong>de</strong>là, mais dans ce qu’il appelle le « par<br />
<strong>de</strong>là », il découvre, à l’extrême orient <strong>de</strong> notre désir, le Paradis terrestre, qui est relié<br />
au mon<strong>de</strong> familier par ses fleuves qui divisent les terres <strong>de</strong> Prêtre Jean en plusieurs<br />
régions, <strong>et</strong> qui alimentent même le Nil <strong>et</strong> « toutes les eaux douces du mon<strong>de</strong> ». Ce<br />
désir étrange <strong>de</strong> croire que le Paradis est encore présent quelque part sur la terre vient<br />
sans doute en partie <strong>de</strong> notre impression que le mon<strong>de</strong> se présente réellement, par<br />
moments, comme édénique, grâce à une certaine lumière, ou à la beauté émerveillante<br />
<strong>de</strong> certains lieux. Le Paradis est <strong>de</strong> toute façon inaccessible — pour aller vers c<strong>et</strong>te<br />
clarté parfaite, il faudrait traverser « la région ténébreuse où l’on ne pourrait voir ni<br />
<strong>de</strong> jour ni <strong>de</strong> nuit » — <strong>et</strong> en écrivant un récit <strong>de</strong> voyage qui est en même temps un<br />
conte magique, Man<strong>de</strong>ville évoque le caractère fictif du réel, auquel nous mélangeons<br />
toujours notre imagination ou, au pire, notre fantaisie, <strong>et</strong> il laisse supposer que le réel<br />
cherche un sens — ici, la présence-absence du Paradis — comme une œuvre cherche<br />
un sens à composer. Puis, s’étant émerveillé du réel <strong>et</strong> <strong>de</strong> son possible, il r<strong>et</strong>ourne en<br />
Europe, au mon<strong>de</strong> familier, comme plus tard tant <strong>de</strong> personnages shakespeariens, à<br />
une réalité qu’il définit avec un certain génie. Il revient en vue <strong>de</strong> son ouvrage : « j’ai<br />
mis ces choses-là en écrit », <strong>et</strong> pour être mala<strong>de</strong> : il souffre <strong>de</strong> la goutte articulaire.<br />
Conscient que la Merveille n’abolit pas la maladie <strong>et</strong> la mort, il reconnaît en même<br />
temps le bonheur <strong>et</strong> le malheur d’être ici, <strong>et</strong> il termine en <strong>de</strong>mandant à ses lecteurs<br />
<strong>de</strong> prier Dieu <strong>de</strong> lui pardonner ses péchés. Après son grand voyage dans le fabuleux<br />
du possible, il revient au vrai lieu <strong>de</strong> l’écriture, au moi qui souffre <strong>et</strong> qui reconnaît ce<br />
dont il a besoin.<br />
La profon<strong>de</strong>ur du bonheur quotidien vient <strong>de</strong> ce que le vécu ne donne pas<br />
seulement, comme le rêve ou la recherche <strong>de</strong> l’idéal, sur autre chose, mais qu’il l’attire<br />
aussi dans la trame <strong><strong>de</strong>s</strong> événements <strong>et</strong> le temps qui passe. Le bain <strong>de</strong> mer, par exemple,<br />
que Valéry évoque dans une sorte <strong>de</strong> poème en prose inclus dans les Cahiers pour<br />
1921, <strong>de</strong>vient l’expérience d’un grand Tout, d’une « immense plage », d’un « ciel
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énorme », <strong>et</strong> surtout d’une « eau universelle » <strong>et</strong> d’un « jeu divin » où les adjectifs ne<br />
décrivent pas les substantifs mais les développent. « Se mouvoir dans le mouvement »,<br />
c’est <strong>de</strong>venir un esprit <strong>et</strong> un corps qui œuvrent ensemble, ressentir dans le tréfonds<br />
<strong>de</strong> l’être incessant l’animation <strong>de</strong> toutes choses, se trouver ici <strong>et</strong> en même temps dans<br />
une réalité qui s’élargit. En s’abandonnant au milieu, Valéry découvre que son corps<br />
renouvelle son esprit, qu’avec l’eau qu’il étreint il enfante « mille étranges idées »,<br />
que la réciprocité entre son corps <strong>et</strong> le corps du mon<strong>de</strong> donne naissance, plutôt que<br />
la réflexion, à la poésie. La poésie naît d’un regard qui imagine, grâce à une attention<br />
accrue <strong>et</strong> à une mémoire fertile. Lorsque le vent couvre les lames « d’écailles, <strong>de</strong><br />
tuiles », ou que Valéry, sorti <strong>de</strong> la mer, « marche sur le miroir sans cesse repoli par la<br />
couche mince d’eau qui se recontracte », on comprend que les métaphores,<br />
parfaitement exactes, ne procè<strong>de</strong>nt pas <strong>de</strong> la rhétorique, mais <strong>de</strong> la réalité. Dans<br />
« Quincaillerie » (Usage du temps, 1943), Jean Follain glisse dans un mon<strong>de</strong> encore<br />
plus ordinaire, où s’alignent vis, écrous, clous, verrous <strong>et</strong> croix <strong>de</strong> grilles, afin d’en<br />
révéler peu à peu la dimension extraordinaire <strong>et</strong> tout aussi réelle. Étant « virginales »,<br />
par exemple, ces croix <strong>de</strong> grilles sont toutes neuves comme au commencement. Il<br />
suffit <strong>de</strong> toucher les obj<strong>et</strong>s « pour sentir le poids du mon<strong>de</strong> inéluctable », pour<br />
éprouver l’existence, non pas <strong>de</strong> soi, mais <strong>de</strong> la réalité, soli<strong>de</strong> <strong>et</strong> toujours là, pour<br />
saisir que le quotidien n’est pas <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s en vrac, mais un mon<strong>de</strong> que l’on peut<br />
rencontrer. Puisque la quincaillerie « vogue vers l’éternel » <strong>et</strong> vend à satiété « les<br />
grands clous qui fulgurent », on passe, dans un magasin en province, par un ici qui<br />
voyage vers un temps inconnu, comme on passe, dans la lecture du poème, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
premiers mots : « Dans une quincaillerie », aux <strong>de</strong>rniers : « qui fulgurent », <strong>de</strong> la<br />
banalité à une gran<strong>de</strong> lumière qui irradie le quotidien bien vécu. Le poème est une<br />
leçon <strong>de</strong> vie, qui parle d’obj<strong>et</strong>s simples qui ne sont pas <strong>de</strong> simples obj<strong>et</strong>s.<br />
Milton explore le rôle <strong>de</strong> la poésie en ce domaine dans Comus, un masque joué<br />
au château <strong>de</strong> Ludlow en 1634 qui constitue une méditation persévérante <strong>et</strong><br />
admirablement multidimensionnelle sur le bonheur <strong>et</strong> l’ici. Milton évalue surtout<br />
la sensibilité à la beauté naturelle chez les <strong>de</strong>ux personnages principaux : Comus,<br />
fils <strong>de</strong> Circé <strong>et</strong> maître d’une drogue qui transforme la tête <strong>de</strong> l’homme en tête<br />
d’animal, <strong>et</strong> la jeune fille qui résiste à ses enchantements. Comus, habitant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
bois, perçoit la beauté du mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> prend plaisir à en rehausser l’éclat à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
la poésie. Par ses tout premiers mots, par exemple, il dit le soir avec beaucoup <strong>de</strong><br />
délicatesse : il évoque le rapport entre le haut du ciel <strong>et</strong> la vie sur terre en notant<br />
l’étoile qui enseigne au berger <strong>de</strong> rassembler son troupeau, se rappelle une figure<br />
<strong>de</strong> la poésie gréco-latine pour dire que le char du soleil rafraîchit son essieu brûlant<br />
dans les eaux <strong>de</strong> l’Atlantique, <strong>et</strong> observe que les rayons du soleil au couchant ne<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>cen<strong>de</strong>nt plus vers la terre mais montent jusqu’à la voûte du ciel. Sa sensibilité<br />
est détachée, cependant, <strong>de</strong> son être, qui <strong>de</strong>meure <strong><strong>de</strong>s</strong>tructeur, <strong>et</strong> son don poétique<br />
ne le conduit pas à honorer ni à aimer. La jeune fille aussi décrit le soir : « when<br />
the grey-hoo<strong>de</strong>d Even / Like a sad votarist in palmer’s weed / Rose from the hindmost<br />
wheels of Phoebus’ wain » (« quand le Soir au capuchon gris, / Comme un grave<br />
pèlerin portant sa palme, / S’élevait <strong><strong>de</strong>s</strong> roues disparues du char <strong>de</strong> Phébus »). Si
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 771<br />
elle pense à l’imagerie païenne, cependant, elle voit aussi un pèlerin, <strong>et</strong> se m<strong>et</strong> en<br />
rapport avec le réel en y apercevant le signe <strong>de</strong> sa croyance ; sa comparaison est<br />
profondément exacte, le soir étant réellement le moment où <strong><strong>de</strong>s</strong> pensées graves<br />
viennent à l’esprit ; elle renouvelle notre perception du soir, en observant qu’au<br />
moment où le soleil disparaît, une ombre s’élève, comparable, en eff<strong>et</strong>, à un pèlerin<br />
au capuchon gris. De la même façon, Comus reconnaît que les chants <strong>de</strong> Circé <strong>et</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Sirènes, qui prennent « l’âme emprisonnée » pour la bercer <strong>de</strong> « plaisirs<br />
élyséens », plongent la raison dans un « agréable sommeil » <strong>et</strong> une « douce folie ».<br />
Il décrit une certaine mauvaise écoute <strong>de</strong> la musique, ou une mauvaise lecture <strong>de</strong><br />
la poésie, un mauvais regard sur la peinture. Étonné par une chanson <strong>de</strong> la jeune<br />
fille, où il sent quelque chose <strong>de</strong> « saint », <strong>de</strong> « sacré », il y découvre, au contraire,<br />
« La si sobre certitu<strong>de</strong> d’un bonheur éveillé ». Il oppose, au sommeil provoqué par<br />
une poésie qui s’enchante d’elle-même, l’éveil provoqué par la poésie orientée vers<br />
le réel ; il apprend un bonheur éveillé qui est également un bonheur auquel on se<br />
réveille ; il éprouve la « certitu<strong>de</strong> » <strong>de</strong> qui se réveille à l’ici.<br />
Milton <strong>et</strong> Clau<strong>de</strong>l invitent à réfléchir aussi sur le rapport entre le poète <strong>et</strong> le<br />
bonheur d’être ici avant même la naissance du poème. Dans Les Muses (1900-<br />
1904), que j’avais commenté en 2006-2007 sous un autre angle, Clau<strong>de</strong>l, regardant<br />
sur un sarcophage un bas-relief représentant les Muses, écrit ceci : « dans le silence<br />
du silence / Mnémosyne soupire ». Le silence n’appartient pas, comme le bruit, au<br />
temps, <strong>et</strong> il suffit d’en <strong>de</strong>venir conscient pour avoir l’impression, ou bien d’être à<br />
un commencement où tout est possible, ou bien <strong>de</strong> se trouver au centre, <strong>de</strong> toucher<br />
à l’être. Entendre le silence du silence, ce serait voyager très loin dans ce qui est,<br />
vers le lieu où naît, pour le poète mais non pas en lui, le soupir qui précè<strong>de</strong> les<br />
mots. Et ce silence au fond du silence nous attire vers le cœur battant du réel, car<br />
Mnémosyne est « posée […] / Sur le pouls même <strong>de</strong> l’Être », l’Être n’étant pas une<br />
idée, mais une Vie. Clau<strong>de</strong>l parle aussi du « clair dialogue avec le silence<br />
inépuisable », en évoquant, en créant pour l’imagination, un vaste silence qui<br />
soutient tout, qui <strong>de</strong>meure après les bruits du mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> les sons du poème, <strong>et</strong> où<br />
l’on peut sans cesse trouver autre chose. Ce « dialogue » avec le silence serait à<br />
m<strong>et</strong>tre en rapport avec « l’interrogation » que le poète nouveau confie au « savant<br />
chœur <strong>de</strong> l’inextinguible Écho », <strong>et</strong> pour comprendre ces <strong>de</strong>ux échanges inattendus<br />
il convient <strong>de</strong> revenir à Comus, où la jeune fille <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Écho, dans sa chanson,<br />
où se trouvent ses <strong>de</strong>ux frères, perdus dans la forêt. Milton semble concevoir c<strong>et</strong>te<br />
situation singulière (Écho ne peut répondre, selon la fable, que les <strong>de</strong>rniers mots<br />
qu’elle entend) afin <strong>de</strong> réfléchir, comme Clau<strong>de</strong>l, à l’acte poétique, <strong>et</strong> <strong>de</strong> suggérer<br />
que, lorsqu’un poète interroge le silence ou l’écho, ce ne sont pas ses propres mots<br />
qui reviennent vers lui, mais <strong><strong>de</strong>s</strong> mots inouïs, différents <strong>de</strong> ceux qu’il avait eu<br />
l’intention d’écrire. S’il dit aussi qu’Écho habite près <strong><strong>de</strong>s</strong> « rives verdoyantes » du<br />
Méandre ou dans un vallon « brodé <strong>de</strong> viol<strong>et</strong>tes » <strong>et</strong> qu’elle dort sur « un lit <strong>de</strong><br />
mousse », c’est sans doute pour ne pas séparer le domaine mystérieux du silence <strong>et</strong><br />
du son du réel le plus palpable, comme lorsque Comus imagine que les notes <strong>de</strong><br />
la chanson se répan<strong>de</strong>nt dans la voûte nocturne, <strong>et</strong> qu’en lissant le « plumage <strong>de</strong>
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corbeau » <strong>de</strong> l’obscurité, elles le font sourire. (Il pense peut-être à la lune qui fait<br />
soudain luire un nuage.) La jeune fille pose, comme le poète, une question à<br />
l’Univers conçu comme une immense chambre <strong>de</strong> résonance, à un Silence qui<br />
capte d’autres voix <strong>et</strong> qui peut les répéter. Pour Milton, comme pour Clau<strong>de</strong>l, la<br />
poésie n’est faite ni d’idées ni <strong>de</strong> mots, mais <strong>de</strong> paroles, qui commencent comme<br />
un soupir <strong>et</strong> qui résonnent dans la chambre <strong>de</strong> résonance <strong>de</strong> l’oreille.<br />
La peinture établit <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports multiples avec le bonheur d’être ici, qui est<br />
souvent le suj<strong>et</strong> même du tableau, comme dans l’Impressionnisme, où l’ici est le<br />
mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne <strong><strong>de</strong>s</strong> gares, <strong><strong>de</strong>s</strong> cafés-concerts, <strong><strong>de</strong>s</strong> rues <strong>de</strong> Paris. Dans Un Bar aux<br />
Folies-Bergère, <strong>de</strong> 1881-1882, Man<strong>et</strong> continue <strong>de</strong> s’intéresser à la fraîcheur du<br />
maintenant, au chatoiement incessant <strong><strong>de</strong>s</strong> présences du mon<strong>de</strong>, mais pour son<br />
<strong>de</strong>rnier chef-d’œuvre il cherche aussi dans le lieu une profon<strong>de</strong>ur autre. Un miroir<br />
signifie notre désir <strong>de</strong> faire mirer la visibilité du mon<strong>de</strong> dans l’altérité d’une surface<br />
qui change tout sans violer les lois <strong>de</strong> la vision ; un tableau figuratif, même réaliste,<br />
tend à la nature un miroir magique. Ici, le tableau inclut un miroir, qui s’étend<br />
sur toute sa largeur, mais on sait qu’il ne reflète exactement ni les bouteilles sur le<br />
comptoir, ni la serveuse. Le refl<strong>et</strong> <strong>de</strong> celle-ci est déplacé à droite comme par un<br />
miroir courbe ou à fac<strong>et</strong>tes, mais une profusion <strong>de</strong> lignes horizontales montre que<br />
le miroir est droit, <strong>et</strong> la serveuse passée <strong>de</strong> l’autre côté du miroir est un peu plus<br />
corpulente, ses cheveux sont plus déployés sur sa nuque, <strong>et</strong> elle se penche davantage.<br />
L’ici <strong>de</strong>vient mystérieux : le tableau est partagé (comme Le Balcon ou Le Skating)<br />
entre un premier plan plein <strong>de</strong> la vie immédiate <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> un arrièreplan<br />
secr<strong>et</strong>, comme si le réel familier donnait sur un plus-loin étrange <strong>et</strong> attirant.<br />
La serveuse qui nous regar<strong>de</strong> <strong>et</strong> son refl<strong>et</strong> qui nous tourne le dos r<strong>et</strong>rouvent la<br />
disposition <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages dans Portrait <strong>de</strong> Zacharie Astruc <strong>et</strong> Le Chemin <strong>de</strong> fer<br />
(toiles, comme les autres que j’ai mentionnées, qu’Un Bar aux Folies-Bergère<br />
reprend, résume <strong>et</strong> dépasse), <strong>et</strong> on peut penser que la scène impossible, où la<br />
serveuse reflétée se penche vers un homme en haut-<strong>de</strong>-forme afin d’écouter, ou <strong>de</strong><br />
provoquer, <strong><strong>de</strong>s</strong> propositions sans doute louches, est la création <strong>de</strong> la serveuse réelle.<br />
Man<strong>et</strong> trouve ainsi le moyen <strong>de</strong> rendre visible la vie intérieure d’un personnage,<br />
en enfreignant les règles <strong>de</strong> la peinture figurative. L’homme du miroir, qui usurpe<br />
notre place, ou celle du peintre dans c<strong>et</strong>te nouvelle géométrie <strong>de</strong> l’espace, figure le<br />
nouveau regard <strong>de</strong> Man<strong>et</strong>, qui lui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> passer le seuil <strong>de</strong> la présence immédiate<br />
afin <strong>de</strong> son<strong>de</strong>r, non pas la présence <strong>de</strong> l’au-<strong>de</strong>là, mais un au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la présence. Il<br />
apporte aussi le temps qui dure <strong>et</strong> qui semble se libérer <strong><strong>de</strong>s</strong> moments qui passent,<br />
dans le coin d’un tableau où règne partout ailleurs la vivacité <strong>de</strong> l’instant. Notons<br />
finalement, dans ce tableau où le réel s’ouvre à son propre arrière-fond imaginé, la<br />
présence à la fois <strong>de</strong> la mélancolie — la saturation du bleu — <strong>et</strong> <strong>de</strong> la joie, <strong>et</strong><br />
surtout <strong>de</strong> l’humour. Man<strong>et</strong> signe l’ouvrage sur une bouteille, comme si Man<strong>et</strong><br />
était le nom du fabricant, du responsable <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te clairvoyante ivresse.<br />
Une <strong><strong>de</strong>s</strong> nombreuses façons d’associer la musique au bonheur d’être ici passe par<br />
les chants d’oiseaux. Musique du réel indépendante <strong>de</strong> nos idées <strong>et</strong> <strong>de</strong> nos émotions,<br />
ces chants parlent néanmoins, comme les poètes le sentent en les plaçant au point
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 773<br />
culminant <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> reverdies, du commencement, du possible, d’une joie qui renaît.<br />
Je suppose qu’ils fascinent les musiciens parce qu’ils ressemblent à la voix humaine <strong>et</strong><br />
qu’ils encouragent une musique désirable <strong>et</strong> impure, qui cherche, du Chant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
oiseaux <strong>de</strong> Janequin au Catalogue d’oiseaux <strong>de</strong> Messiaen, à se rapprocher <strong><strong>de</strong>s</strong> rumeurs<br />
du mon<strong>de</strong>. Pour son My Beloved Spake (Mon bien-aimé a parlé), composé vers 1680,<br />
Purcell choisit, au <strong>de</strong>uxième chapitre du Cantique <strong><strong>de</strong>s</strong> cantiques, une reverdie, où il<br />
est dit que l’hiver est parti, que la pluie a cessé <strong>et</strong> que les fleurs apparaissent. La<br />
musique change <strong>de</strong> rythme <strong>et</strong> s’enflamme aux mots tout simples : « <strong>et</strong> le temps du<br />
chant <strong><strong>de</strong>s</strong> oiseaux est venu », le chœur, dont on ne soupçonnait pas l’existence,<br />
intervient pour la première fois en les chantant après les solistes, l’orchestre prend la<br />
relève dans <strong><strong>de</strong>s</strong> phrases musicales qui rappellent la forme <strong>de</strong> l’expression, puis, tout à<br />
coup, les solistes suivis du chœur chantent « Alléluia ! » Dans une musique qui est en<br />
principe sacrée, Purcell s’enthousiasme pour le r<strong>et</strong>our <strong><strong>de</strong>s</strong> chants d’oiseaux <strong>et</strong> fait<br />
chanter un « alléluia », qui suit traditionnellement une mention <strong>de</strong> Dieu, à la pensée<br />
d’une musique printanière. Deux oiseaux figurent dans L’Allegro, il Penseroso ed il<br />
Mo<strong>de</strong>rato, où Haen<strong>de</strong>l étudie à sa manière, en 1740, <strong>de</strong>ux poèmes <strong>de</strong> Milton épissés<br />
intelligemment (<strong>et</strong> complétés médiocrement) par Charles Jennens. Si j’ai parlé <strong>de</strong><br />
Milton à plusieurs reprises dans ce <strong>cours</strong>, c’était en partie pour honorer le quatrième<br />
centenaire <strong>de</strong> sa naissance en 1608. Milton voit dans le chant <strong>de</strong> l’alou<strong>et</strong>te la victoire<br />
sur la nuit, l’annonce d’un commencement <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’espoir <strong>et</strong> le bonheur d’être ici « in<br />
spite of sorrow », « malgré la peine ». Haen<strong>de</strong>l ressent une joie très évi<strong>de</strong>nte à<br />
rapprocher les trilles <strong>de</strong> sa musique <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> l’oiseau, au-<strong>de</strong>là d’une simple<br />
imitation, <strong>et</strong> à faire dialoguer un chant d’oiseau avec le chant humain. Pour Milton,<br />
la voix du rossignol est celle, non pas <strong>de</strong> l’ici qui s’ouvre à l’avenir, mais <strong>de</strong> l’ici qui<br />
dure <strong>et</strong> qui s’approfondit ; venant du cœur obscur <strong>de</strong> la nuit, elle ne figure pas<br />
l’allégresse, mais la joie profon<strong>de</strong> <strong>et</strong> pensive. Chez Haen<strong>de</strong>l, la flûte baroque, tout en<br />
imitant le rossignol, l’intègre finalement à la phraséologie <strong>et</strong> à la structure musicales<br />
<strong>de</strong> l’époque, <strong>et</strong> la voix humaine, qui cherche, sans paroles, à entrer dans le jeu d’un<br />
chant extra-humain, impose à la longue sa supériorité. C’est comme si la musique<br />
exprimait la nature en l’embellissant, au lieu <strong>de</strong> s’en éloigner afin <strong>de</strong> créer, dans sa<br />
pur<strong>et</strong>é, le mon<strong>de</strong> autre <strong>de</strong> l’art.<br />
Au <strong>de</strong>rnier <strong>cours</strong>, qui fut aussi ma leçon <strong>de</strong> clôture, je n’ai pas parlé du bonheur<br />
d’être ici à propos d’une œuvre, mais d’un lieu en particulier, le Pont <strong><strong>de</strong>s</strong> Arts, <strong>et</strong> j’ai<br />
réfléchi également, dans ce contexte, sur la « création littéraire » à laquelle c<strong>et</strong>te<br />
chaire est consacrée. Le Pont <strong><strong>de</strong>s</strong> Arts est un lieu privilégié, mais une <strong><strong>de</strong>s</strong> leçons <strong>de</strong><br />
l’engagement dans l’ici est que tout lieu est privilégié dès qu’une sorte <strong>de</strong> besoin vital<br />
du mon<strong>de</strong> ambiant nous perm<strong>et</strong> d’en discerner la richesse. Nous sommes par notre<br />
rapport aux lieux, comme aux personnes ; nous sommes même ce rapport, nous<br />
vivons par notre langage, notre façon <strong>de</strong> voir <strong>et</strong> notre manière d’écouter, où nous<br />
soutiennent respectivement la poésie, la peinture <strong>et</strong> la musique. Devenus attentifs,<br />
nous apercevons les interventions du réel, les signes que nous fait la réalité<br />
quotidienne <strong>et</strong> qui sont différents pour chacun : les lumières, par exemple, qui, la<br />
nuit, étincellent sous les pieds, entre les planches du tablier, comme <strong>de</strong> fins sourires.
774 MICHAEL EDWARDS<br />
La littérature est donc toute proche, par ce très vieux genre littéraire qu’est l’éloge,<br />
passage vers ce qui est, mouvement <strong>de</strong> l’être vers l’être <strong>de</strong> l’autre, <strong>et</strong> chant par lequel<br />
nous rendons présente la présence du mon<strong>de</strong>. Elle est proche aussi en ce que chacune<br />
<strong>de</strong> ces interventions, en nous réveillant (la vie est un rêve dont il faut sans cesse se<br />
réveiller), en parlant du réel <strong>et</strong> du possible du réel, peut être à l’origine <strong>de</strong> la création<br />
d’une œuvre. Chacun <strong>de</strong> ses détails peut aussi éloigner <strong>de</strong> ce que Whitman appelle,<br />
dans le poème commenté, le « noir emprisonnement » dans le soi « autre » <strong>et</strong><br />
« louche » qui nous habite (ce n’est pas la mort que nous avons à craindre, mais la<br />
vie), <strong>et</strong> pour cela une pelure d’orange abandonnée sous un <strong><strong>de</strong>s</strong> bancs du Pont <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Arts peut être aussi efficace que la vue, sous <strong><strong>de</strong>s</strong> flots <strong>de</strong> lumière dorés, <strong>de</strong> la Cour<br />
Carrée du Louvre. Puis, le pont nous place entre l’immobilité <strong><strong>de</strong>s</strong> édifices <strong>et</strong> le<br />
mouvement <strong>de</strong> la Seine, entre le besoin <strong>de</strong> durer <strong>et</strong> le besoin également urgent <strong>de</strong><br />
changer, le fleuve associant à merveille les <strong>de</strong>ux quand, un soir d’hiver, <strong><strong>de</strong>s</strong> arbres<br />
sous forme d’ombres se déplacent lentement sur les immeubles proches au passage<br />
d’un bateau-mouche illuminé. Le pont partage aussi l’amont <strong>et</strong> l’aval, ces <strong>de</strong>ux sens à<br />
la fois prosaïques <strong>et</strong> figuratifs, l’amont étant l’origine, le passé, la mémoire, le<br />
bonheur du vécu <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’appris, l’aval étant l’avenir, l’aventure, le possible, la joie<br />
mélancolique du surcroît <strong>de</strong> réalité qui attend <strong>et</strong> <strong>de</strong> la disparition. On sent ici que<br />
« l’être qui <strong>de</strong>vient » (Antonio Machado), qui est en suspens entre l’amont <strong>et</strong> l’aval<br />
sur une passerelle <strong>de</strong> bois elle-même suspendue au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus <strong>de</strong> l’eau périlleuse, vit par<br />
le temps <strong>et</strong> sait que chaque instant est le moment opportun. On sent également que,<br />
si Whitman voit « la terre en expansion à droite <strong>et</strong> à gauche », c<strong>et</strong>te vision est à notre<br />
portée autant sur un pont <strong>de</strong> Paris que sur le continent américain, que tout lieu a<br />
une belle hauteur sous plafond, mais qu’un pont relie aussi la terre à la terre, l’ici-bas<br />
à l’ici-bas, dans un geste horizontal <strong>et</strong> humble. Fragile, il peut faire penser aussi à un<br />
ra<strong>de</strong>au, ou à un effondrement, à une perte <strong>de</strong> soi qui, dans le domaine <strong>de</strong> la création<br />
littéraire, est tout à fait salutaire. (Mourir, c’est sans doute voir les choses telles<br />
qu’elles sont, <strong>et</strong> pour mourir, on n’a pas besoin <strong>de</strong> cesser <strong>de</strong> vivre.) Sur le Pont <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Arts, finalement, on se trouve dans une œuvre d’art : parmi <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> architectures<br />
<strong>et</strong> au cœur du paysagisme urbain. Et les arts sont un pont, vers le réel, vers autre<br />
chose, vers l’autre rive. Lorsqu’on regar<strong>de</strong> le lieu changer, en remarquant la fumée<br />
verte du saule à la pointe du square du Vert Galant, ou le tout, malgré les réverbères,<br />
baigné <strong>de</strong> nuit, on sent qu’un poème pourrait commencer ici, ou un récit, une pièce<br />
<strong>de</strong> théâtre. Je ne sais pas si la sculpture attend dans la pierre, mais je sais que le poème<br />
attend dans le lieu, ou mieux, dans le rapport entre le lieu <strong>et</strong> le poète. Une <strong><strong>de</strong>s</strong> sources<br />
<strong>de</strong> la création littéraire, c’est le sentiment que le lieu aussi attend <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir poèmes,<br />
que le lieu veut dire quelque chose, qu’il cherche à <strong>de</strong>venir, sous nos yeux, poésie.<br />
Je voulais surtout que c<strong>et</strong>te leçon <strong>de</strong> clôture soit une leçon d’ouverture. Les<br />
auditeurs si sympathiques ayant <strong>de</strong>mandé un bis, j’ai lu mon poème « Le Pont <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Arts ».
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 775<br />
Activités <strong>de</strong> la chaire<br />
Publications<br />
De l’émerveillement, Paris, Fayard, 2008, 292 p.<br />
Préface, La Poésie <strong>de</strong> Geoffrey Hill <strong>et</strong> la mo<strong>de</strong>rnité, éd. Kilgore-Cara<strong>de</strong>c, Gall<strong>et</strong>, Paris,<br />
L’Harmattan, 2007.<br />
« Shakespeare : le poète au théâtre », Shakespeare poète, Paris, Société Française Shakespeare,<br />
2007, pp. 121-130.<br />
« Donald Davie <strong>et</strong> la difficulté d’être », Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> anglaises, juill<strong>et</strong>-septembre 2007,<br />
pp. 280-289.<br />
« L’Eutopie. La littérature <strong>et</strong> l’espoir du lieu », Étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, janvier 2008, pp. 69-79.<br />
« Autrement dit », La Conscience <strong>de</strong> soi <strong>de</strong> la poésie, sous la direction d’Yves Bonnefoy,<br />
Le Genre Humain, avril 2008, pp. 95-106.<br />
« Unpropitious : Christian Po<strong>et</strong>ry and ‘Now’ », Ecstacy and Un<strong>de</strong>rstanding, éd. Grafe,<br />
Harrison, Londres, New York, Continuum, 2008, pp. 192-202.<br />
« Le poème est … », La poésie, c’est autre chose, sous la direction <strong>de</strong> Gérard Pfister, Orbey,<br />
Arfuyen, 2008, p. 76.<br />
« Vues <strong>et</strong> revues <strong>de</strong> Paris » (cinq poèmes en versions française <strong>et</strong> anglaise), Le rêve <strong>et</strong> la<br />
ruse dans la traduction <strong>de</strong> la poésie, éd. Bonhomme, Syminton, Paris, Champion, 2008,<br />
pp. 19-29.<br />
« Yves Bonnefoy <strong>et</strong> les Sonn<strong>et</strong>s <strong>de</strong> Shakespeare », Littérature, n° 150, juin 2008,<br />
pp. 25-39.<br />
Colloques, lectures, entr<strong>et</strong>iens<br />
Lecture <strong>de</strong> poèmes, Crypte Ararat, le 15 mars 2008.<br />
« Variations sur L’Ecclésiaste », Littérature <strong>et</strong> vanité : la trace <strong>de</strong> L’Ecclésiaste en littérature<br />
<strong>de</strong> Montaigne à Beck<strong>et</strong>t, Port-Royal <strong><strong>de</strong>s</strong> Champs, le 7 juin 2008.<br />
Entr<strong>et</strong>iens à la télévision, à la radio, <strong>et</strong> dans plusieurs journaux français <strong>et</strong> anglais.<br />
Membre, Comité d’honneur <strong><strong>de</strong>s</strong> Amis <strong>de</strong> Rimbaud.<br />
Prix<br />
Prix Dagnan-Bouver<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences morales <strong>et</strong> politiques pour<br />
De l’émerveillement.
Histoire <strong>de</strong> l’art européen médiéval <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne<br />
M. Roland Recht, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres), professeur<br />
2007-2008 : Le <strong>cours</strong> n’a pas eu lieu c<strong>et</strong>te année.<br />
Nouvelles responsabilités scientifiques<br />
Activités du professeur<br />
— Comité <strong>de</strong> rédaction <strong>de</strong> la revue en ligne Histara.<br />
— Comité <strong>de</strong> rédaction <strong>de</strong> la revue en ligne artefakt.<br />
— Comité <strong>de</strong> rédaction <strong>de</strong> la revue Perspective.<br />
Participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques<br />
— Invité d’honneur aux Rencontres d’Archimè<strong>de</strong> consacrées à l’avenir du patrimoine,<br />
30 août 2007, Cluny.<br />
— « La réception du Romantisme allemand en <strong>France</strong> », communication au colloque<br />
Histoire <strong>de</strong> l’art du XIX e siècle (1848-1914), bilans <strong>et</strong> perspectives, Musée d’Orsay, Ecole du<br />
Louvre, 13-14 septembre 2007.<br />
— « Go<strong>et</strong>he <strong>et</strong> Falcon<strong>et</strong> », communication au colloque De la quête <strong><strong>de</strong>s</strong> règles au dis<strong>cours</strong><br />
sur les fins. Les mutations <strong><strong>de</strong>s</strong> dis<strong>cours</strong> sur l’art en <strong>France</strong> dans la secon<strong>de</strong> moitié du XVIII e siècle,<br />
Université <strong>de</strong> Lausanne 14-16 février 2008, Paris (Centre allemand d’histoire <strong>de</strong> l’art),<br />
10-12 avril.<br />
Conférences<br />
— « Parler <strong>de</strong> l’art en Europe », conférence dans le cadre <strong>de</strong> l’exposition Le grand atelier,<br />
Bruxelles, Académie royale <strong>de</strong> Belgique <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Arts, 29 novembre 2007.<br />
— « Gotische Architektur zwischen Abbild und Bauforschung. Gibt es eine französische<br />
Rezeption <strong>de</strong>r <strong>de</strong>utschen Kunstgeschichte ? », conférence pour le centenaire du Deutscher<br />
Verein für Kunstwissenschaft, Berlin, Kunstgewerbemuseum, 15 mars 2008.
778 ROLAND RECHT<br />
Ouvrages :<br />
— Le grand atelier. Chemins <strong>de</strong> l’art en Europe (V e – XVIII e siècle), catalogue <strong>de</strong> l’exposition<br />
Europalia, palais <strong><strong>de</strong>s</strong> Beaux-Arts <strong>de</strong> Bruxelles, 5 octobre 2007-20 janvier 2008, Bruxelles<br />
2007, 336 pages ; édition anglaise : The grand atelier. Pathways of Art in Europe<br />
(5 th -18 th centuries), Bruxelles 2007 ; édition flaman<strong>de</strong> : H<strong>et</strong> meesterlijke atelier. Europese<br />
kunstroutes (5 <strong>de</strong> -18 <strong>de</strong> eeuw), Bruxelles 2007 ; édition alleman<strong>de</strong> : Atelier Europa. Meisterwerke -<br />
Kunst aus 1300 Jahren, Stuttgart 2007.<br />
— Relire Panofsky, (dir.), coll. Principes <strong>et</strong> théories <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’art, Cycle <strong>de</strong><br />
conférences au musée du Louvre du 19 novembre au 17 décembre 2001, Louvre - Beauxarts<br />
<strong>de</strong> Paris, Paris 2008, 200 pages.<br />
Articles<br />
— « Introductory Remarks on the Notion of Universality », dans Museum International,<br />
235, septembre 2007, p. 52-58.<br />
— « Buren sobre Ryman, Moritz sobre Winckelmann : a critica constitutive da historia<br />
da arte », dans Arte & Ensaios, Rio <strong>de</strong> Janeiro, Revista do Programa <strong>de</strong> Pos-Graduaçao em<br />
Artes Visuais EBA-UFRJ, XIV, n° 15, 2007, p. 166-173.<br />
— « Une stratégie culturelle exigeante », dans Un mon<strong>de</strong> à part. Dialogue entre art<br />
mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> art contemporain dans la collection Würth, dans le catalogue <strong>de</strong> l’exposition du<br />
Musée Würth <strong>France</strong>-Erstein, 2008, p. 157-159.<br />
— « L’historien <strong>de</strong> l’art est-il naïf ? Remarques sur l’actualité <strong>de</strong> Panofsky », dans Relire<br />
Panofsky, Paris 2008, p. 11-36.<br />
— « Louis Courajod <strong>et</strong> Salomon Reinach à l’Ecole du Louvre : <strong>de</strong>ux conceptions <strong>de</strong><br />
l’histoire <strong>de</strong> l’art », dans Les frères Reinach. Colloque réuni les 22 <strong>et</strong> 23 juin 2007 à<br />
l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres, (dir. S. Basch, M. Espagne, J. Leclant), Paris<br />
2008, p. 236-248.<br />
— « Go<strong>et</strong>he <strong>et</strong> la société mondiale <strong>de</strong> l’art », dans Clartés. Gran<strong><strong>de</strong>s</strong> signatures, n° 3, juil./<br />
août 2008, p. 62-73.<br />
Articles <strong>de</strong> presse <strong>et</strong> médias<br />
— Chronique mensuelle dans Le Journal <strong><strong>de</strong>s</strong> Arts.<br />
— <strong>France</strong>-Culture, Peinture fraîche, novembre 2007, invité <strong>de</strong> Jean Daive.<br />
— <strong>France</strong>-Culture, Du grain à moudre, vendredi 11 avril 2008.
IV. CHAIRES ANNUELLES
Le <strong>cours</strong> n’a pas eu lieu.<br />
Chaire <strong>de</strong> création artistique<br />
M me Ariane Mnouchkine, professeure associée
Chaire européenne<br />
M. Manfred Kropp, professeur associé<br />
Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> coraniques<br />
Dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> enseignements donnés par la chaire annuelle européenne<br />
« Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> coraniques » en 2007-2008, 14 heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong> <strong>et</strong> 14 heures <strong>de</strong> séminaire<br />
ont été tenues. En eff<strong>et</strong>, les heures du séminaire se révélèrent être, en pratique, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong>, <strong>et</strong> cela était dû aux suj<strong>et</strong>s particuliers qui furent abordés — mots<br />
d’origine éthiopienne dans le Coran, développement <strong>de</strong> l’orthographe coranique,<br />
définition <strong><strong>de</strong>s</strong> termes techniques clés dans le Coran à partir <strong>de</strong> leur origine<br />
étrangère, <strong>et</strong>c. — qui exigeaient une présentation faite par l’enseignant lui-même<br />
au premier plan <strong>et</strong> ne perm<strong>et</strong>taient l’intervention <strong><strong>de</strong>s</strong> participants que dans les<br />
discussions consécutives à l’intervention du professeur, celles-ci excédant, <strong>de</strong> par<br />
leur vivacité, le temps prévu. De la même façon, les discussions postérieures aux<br />
heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong> se distinguaient par l’engagement sérieux <strong><strong>de</strong>s</strong> intervenants qui<br />
étaient bien souvent <strong><strong>de</strong>s</strong> gens instruits <strong>et</strong> spécialistes dans <strong><strong>de</strong>s</strong> disciplines voisines.<br />
En conclusion, la réaction du public, du reste très assidu du début jusqu’à la fin<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong>, démontrait que le concept pédagogique <strong>de</strong> l’enseignement avait réussi<br />
<strong>et</strong> portait ses fruits <strong>de</strong> manière tangible au niveau <strong>de</strong> l’information <strong>et</strong> du savoir <strong>de</strong><br />
tous les participants, moi compris.<br />
Le <strong>cours</strong><br />
La leçon inaugurale ainsi que les trois premières heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong> formaient une<br />
unité méthodologique qui avait comme but <strong>de</strong> démontrer à travers l’exemple <strong>de</strong><br />
la sourate 85 Le Cercle zodiacal les diverses approches possibles du corpus <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
textes coraniques selon un « bricolage intellectuel » effectué par le philologue <strong>et</strong><br />
l’historien. D’abord, on situait <strong>et</strong> on définissait les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> coraniques comme étant<br />
une partie intégrante <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sémitiques. Donc, pas d’isolement splendi<strong>de</strong> d’un
784 MANFRED KROPP<br />
suj<strong>et</strong> singulier <strong>et</strong> extraordinaire, mais une collocation du phénomène coranique<br />
avec l’histoire religieuse, linguistique, littéraire, <strong>et</strong>c., du Proche-Orient antique <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> la Basse Antiquité. Ce qui implique une position tout à fait séculière <strong>et</strong><br />
rationnelle, voire positiviste, envers ce corpus <strong>de</strong> texte qui est considéré, par les<br />
croyants musulmans, comme étant à la fois une œuvre sacrée <strong>et</strong> une révélation<br />
directe <strong>et</strong> littérale <strong>de</strong> Dieu. C<strong>et</strong>te position peut se résumer dans la formulation<br />
suivante : nous cherchons ce que l’on peut savoir <strong>de</strong> l’origine, <strong>de</strong> la nature <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
la fonction primordiale <strong>de</strong> ce texte apparemment produit en langue arabe (mais<br />
laquelle ?), ce que l’on peut savoir <strong>de</strong> sa transmission orale <strong>et</strong> écrite, en écartant<br />
dans un premier temps tout ce que l’on croyait à propos <strong>de</strong> ce texte, bien que la<br />
tradition musulmane <strong>et</strong> d’autres traditions puissent aussi apporter <strong>de</strong> temps à autre<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> éléments valables concernant les témoins matériels <strong>et</strong> les sources primaires, à<br />
savoir les premiers manuscrits coraniques, les premières inscriptions <strong>et</strong> les papyrus<br />
en langue arabe. Ceci en citant ou en se référant au Coran, à partir du vii e siècle<br />
après J.-C. Ce qui semble une position <strong>et</strong> une approche évi<strong>de</strong>nte <strong>et</strong> naturelle pour<br />
un chercheur <strong>et</strong> scientifique. Mais là, il faut constater un fait surprenant : même<br />
la science <strong>et</strong> les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> occi<strong>de</strong>ntales coraniques n’ont pas toujours suivi ces principes,<br />
pour <strong><strong>de</strong>s</strong> raison diverses qu’il ne fallait pas trop exposer. La conséquence la plus<br />
éclatante d’un tel comportement dans la recherche est le fait qu’on ne dispose pas,<br />
jusqu’à maintenant, d’une édition historico-critique du texte coranique. En<br />
attendant c<strong>et</strong> opus magnum qui, on l’espère, va se réaliser durant le xxi e siècle, les<br />
exemples <strong>de</strong> critique textuelle appliquée aux passages choisis du Coran qui furent<br />
présentés durant les heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong> voulaient démontrer ce que l’on peut atteindre<br />
avec le matériel qui est déjà à notre disposition <strong>et</strong> avec les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> expérimentées<br />
<strong>et</strong> approuvées par la philologie historique, la linguistique comparée, les étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
littéraires <strong>et</strong> religieuses comparées, <strong>et</strong>c.<br />
Premier exemple : la sourate 85, 1-9 Le Cercle zodiacal<br />
Ce p<strong>et</strong>it texte <strong>de</strong> 9 vers<strong>et</strong>s s’est révélé emblématique <strong>et</strong> tout à fait pertinent soit<br />
pour démontrer les particularités <strong>de</strong> la tradition <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’interprétation musulmanes,<br />
soit pour exemplifier l’éventail <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> à appliquer afin <strong>de</strong> trouver une<br />
hypothèse plausible pour l’origine, la fonction première, la langue <strong>et</strong> le contenu<br />
du texte coranique. L’image suivante donne le texte en traduction française selon<br />
l’interprétation traditionnelle musulmane, suivie par la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> traducteurs<br />
occi<strong>de</strong>ntaux ; en même temps, on pointe les flèches vers les points névralgiques <strong>de</strong><br />
c<strong>et</strong>te interprétation.<br />
Les exégètes traditionnels y voient une référence du Coran à un événement<br />
historique, à savoir la persécution <strong><strong>de</strong>s</strong> Chrétiens arabes, dans la ville <strong>de</strong> Najran, par<br />
un roi himyarite juif qui s’est passée plus <strong>de</strong> cent ans avant la révélation coranique.<br />
Pour arriver à ce résultat ils doivent accepter quelques prémisses dans la<br />
compréhension du texte.
Au nom d'Allah, le Bienfaiteur<br />
miséricordieux<br />
1 Par le ciel renfermant les<br />
constellations<br />
2 par le jour promis !<br />
3 par celui qui témoigne <strong>et</strong> ce dont il est<br />
témoigné !‘<br />
4 [Ils] ont été tués, les Hommes du Four,<br />
5 – feu sans cesse alimenté –<br />
6 tandis qu'ils étaient assis autour,<br />
7 témoins <strong>de</strong> ce qu'ils faisaient aux<br />
Croyants ;<br />
8 ils ne les tourmentèrent que parce que<br />
ceux�ci croyaient en Allah, le Puissant,<br />
le Digne <strong>de</strong> Louanges,<br />
9 à qui revient la royauté <strong><strong>de</strong>s</strong> Cieux <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> la Terre. Allah, <strong>de</strong> toute chose est<br />
Témoin.<br />
CHAIRE EUROPÉENNE 785<br />
Vers<strong>et</strong>s 1-9 <strong>de</strong> la sourate 85 en discussion<br />
les points “névralgiques” qui <strong>de</strong>meurent<br />
Ou bien “qu’ils soient maudits”?<br />
Al-ukhduud: est-ce vraiment “le four”?<br />
Qui sont ces hommes?<br />
“Être assis” ou simplement “rester”?<br />
Ou bien “ce qu’ils font”?<br />
Qu’est-ce qu’ils ont vraiment fait?<br />
Qui sont “ils” <strong>et</strong> qui sont “ceux-ci”?<br />
Ou bien “(pour) qu’ils croient”?<br />
Il faut noter déjà maintenant que la récitation liturgique n’ai<strong>de</strong> nullement à<br />
l’interprétation <strong>et</strong> à la compréhension du texte. La récitation, dans son style<br />
solennel <strong>et</strong> surtout uniforme pour toutes les parties <strong>de</strong> ce corpus hétérogène,<br />
composé <strong>de</strong> pièces d’origine, <strong>de</strong> caractère <strong>et</strong> <strong>de</strong> fonctions très diverses <strong>et</strong> divergentes,<br />
est pensée pour donner au tout un caractère sacré <strong>et</strong> intouchable, n’invitant pas à<br />
la réception critique du contenu, mais à la contemplation <strong>et</strong> à la méditation<br />
religieuses sous l’influence <strong>de</strong> l’expérience esthétique du texte psalmodié. Et c’est,<br />
on va le voir, exactement le contraire <strong>de</strong> la nature du texte en question.<br />
Les trois serments, en guise d’introduction, sont pris dans leur sens littéral <strong>et</strong> on<br />
y voit une partie intégrale du texte. Néanmoins, la phrase suivante est comprise<br />
comme la constatation d’un fait du passé (« ils ont été tués »), tandis que les<br />
serments d’habitu<strong>de</strong> requièrent une promesse ou une menace postérieure. « Les<br />
hommes <strong>de</strong> la fosse, du four » résultent d’une interprétation ou bien d’une<br />
définition d’un mot rare <strong>et</strong> douteux en arabe (ukhduud), terme technique qui,<br />
ensuite, donne son nom à la localité présumée pour l’événement, près <strong>de</strong> la ville<br />
<strong>de</strong> Najran. En conséquence, le reste du texte est mis au passé, contre l’évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong><br />
l’emploi du temps du verbe concerné en arabe qui indique ou bien le présent ou<br />
bien le futur. « Reprocher, ou bien tourmenter », dans le vers<strong>et</strong> 8, est une définition<br />
arbitraire du verbe arabe naqama, qui d’habitu<strong>de</strong> veut dire « se venger <strong>de</strong> ».<br />
Pour arriver à une interprétation alternative, il faut d’abord essayer <strong>de</strong> définir la<br />
situation communicative <strong>de</strong> ce p<strong>et</strong>it texte, dans le cadre du corpus coranique
786 MANFRED KROPP<br />
naturellement. Il s’agit d’un énoncé bref <strong>et</strong> agité, très caractéristique <strong><strong>de</strong>s</strong> premières<br />
révélations. Là, on trouve <strong><strong>de</strong>s</strong> menaces du Jugement <strong>de</strong>rnier <strong>et</strong> <strong>de</strong> la punition<br />
éternelle pour les incroyants, mais aussi <strong>de</strong> belles promesses <strong>de</strong> paradis pour les<br />
croyants. Ce serait le caractère général ; le caractère particulier <strong>de</strong> ce texte, compris<br />
comme étant une constatation du présent <strong>et</strong> du futur, se révèle comme étant un<br />
coup, une explosion <strong>de</strong> colère intempérante d’un prédicateur ou d’un missionnaire<br />
qui voit son message rej<strong>et</strong>é par une partie — voire la gran<strong>de</strong> partie — <strong>de</strong> son<br />
public. Comment c<strong>et</strong>te explosion <strong>de</strong> rage a-t-elle été transmise à l’écrit ? On peut<br />
s’imaginer qu’il s’agit du début d’une oraison bien construite <strong>et</strong> bien formulée, par<br />
conséquent écrite comme un ai<strong>de</strong>-mémoire ; <strong>de</strong> même, il faut s’imaginer une<br />
longue suite <strong>et</strong> un long développement <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te oraison, improvisée sur le moment<br />
<strong>et</strong> non transmise jusqu’à l’écriture. Il est fort possible que c<strong>et</strong>te hypothèse s’applique<br />
à bien d’autres passages similaires du Coran.<br />
Disons dès maintenant que la sourate 85, telle qu’elle figure dans le corpus<br />
coranique, est une pièce hétérogène — la rupture se trouve après le vers<strong>et</strong> 9 —,<br />
composée après coup par <strong><strong>de</strong>s</strong> rédacteurs postérieurs qui m<strong>et</strong>taient ensemble ces<br />
différentes parties du fait <strong>de</strong> la rime i<strong>de</strong>ntique <strong>et</strong> du contenu similaire en<br />
quelque sorte.<br />
Le genre littéraire <strong>de</strong> ce texte explique les trois serments du début, utilisés comme<br />
un instrument rhétorique connu dans la littérature arabe pré-islamique, surtout dans<br />
les sermons <strong><strong>de</strong>s</strong> présages <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> poètes. Avec <strong>de</strong> grands mots énigmatiques, obscurs,<br />
très souvent sans relation logique avec ce qui suit, on espère attirer l’attention du<br />
public à un moment donné : cela a bien la fonction d’une « sonn<strong>et</strong>te ». Alors, il ne faut<br />
pas trop creuser pour trouver un sens à chaque mot, bien que dans le cas <strong>de</strong> la sourate<br />
85 <strong><strong>de</strong>s</strong> concepts religieux aient déjà pris partiellement la place d’autres expressions<br />
décrivant les grands phénomènes <strong>de</strong> la nature, <strong>de</strong> la terre <strong>et</strong> du ciel, <strong>et</strong>c. Mais il y a un<br />
lien logique <strong>et</strong> grammatical entre c<strong>et</strong>te introduction <strong>et</strong> ce qui suit. Comme on l’a déjà<br />
dit : une promesse ou une menace doit suivre. Dans le cas <strong>de</strong> la sourate 85, c’est bien la<br />
menace aux incroyants : « qu’ils périssent, les hommes <strong>de</strong>… » quoi ? !<br />
Avec le mot énigmatique ukhduud, on rejoint une autre astuce rhétorique <strong>de</strong><br />
l’orateur <strong>et</strong> du texte coranique en général : il veut impressionner son public, ajouter<br />
<strong>de</strong> l’importance à son message avec <strong><strong>de</strong>s</strong> mots recherchés, rares, voire étrangers ou<br />
inconnus. N’oublions pas que le corpus relativement restreint d’environ<br />
60 000 mots compte plus <strong>de</strong> 250 hapax legomena souvent <strong>de</strong> sens très douteux <strong>et</strong><br />
disputé, ou inconnu, ce qui correspond à une occurrence <strong>de</strong> tels hapax environ<br />
une page sur <strong>de</strong>ux dans le texte imprimé. Ainsi, ukhduud ne trouve pas d’explication<br />
satisfaisante à partir <strong>de</strong> l’arabe. Le fait qu’il s’agisse <strong>de</strong> quelque chose <strong>de</strong><br />
volontairement incompréhensible est bien indiqué par la phrase suivante, qui<br />
présuppose la présence <strong><strong>de</strong>s</strong> questions rhétoriques qu’on r<strong>et</strong>rouve souvent dans le<br />
Coran. Mais qui t’enseigne ce qu’est ce mot <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te chose inconnus du public ?<br />
Le vers<strong>et</strong> 5 n’est qu’une réponse, explication ou paraphrase du mot inconnu, au<br />
vers<strong>et</strong> précé<strong>de</strong>nt. On sait maintenant qu’il veut dire un grand feu sans cesse
CHAIRE EUROPÉENNE 787<br />
alimenté. Mais dans quelle langue ? Même si le mot araméen gdodaa n’est pas<br />
attesté pour le moment dans <strong><strong>de</strong>s</strong> textes religieux <strong>et</strong> parallèles au Coran, le sens <strong>de</strong><br />
la racine en araméen est, entre d’autres, « se lever (se dit <strong>de</strong> la poussière, d’une<br />
flamme) ». Ce qui conduit au changement d’un point diacritique dans le texte<br />
canonique <strong>et</strong> reçu ; <strong>et</strong> on lit, avec l’alif prosth<strong>et</strong>icum requis par la phonétique arabe,<br />
ujduud avec le sens requis « flamme embrasée ».<br />
C’est presque évi<strong>de</strong>nt, mais il faut le dire comme un principe <strong>de</strong> la critique<br />
textuelle dans les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> coraniques : bien qu’elle soit <strong><strong>de</strong>s</strong> milliers <strong>de</strong> fois correcte,<br />
la mise en place <strong><strong>de</strong>s</strong> points diacritiques du texte reçu <strong>et</strong> canonique est à rem<strong>et</strong>tre<br />
en question, du point <strong>de</strong> vue méthodologique, surtout pour les cas <strong><strong>de</strong>s</strong> mots <strong>et</strong><br />
expressions qui sont problématiques même pour la tradition musulmane, les<br />
premiers témoins matériels ne connaissant ni points diacritiques ni autres signes<br />
<strong>de</strong> lectures (voyelles, <strong>et</strong>c.). Et il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> incertitu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> la part <strong><strong>de</strong>s</strong> lecteurs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
exégètes musulmans dès le début <strong>de</strong> la tradition connue du texte, ce qui est bien<br />
un indice qu’on disposait <strong>de</strong> manuscrits du texte, mais pas d’une tradition orale<br />
authentique <strong>et</strong> ininterrompue.<br />
Notons au passage que le verbe qaCada « être assis » ne doit plus être compris<br />
dans le sens concr<strong>et</strong> (les persécuteurs sont assis autour du grand feu où ils<br />
tourmentent leurs victimes), mais il a le sens grammaticalisé d’un verbe <strong>de</strong> temps<br />
prolongé : « ils vont rester <strong>de</strong>dans (éternellement) ». Ce séjour est un témoignage<br />
<strong>de</strong> ce qu’ils infligent aux croyants (l’orateur compris, ce qui explique sa rage) dans<br />
le présent. Avec cela, on arrive au <strong>de</strong>rnier point névralgique pour le moment.<br />
L’interprétation du vers<strong>et</strong> 8 rési<strong>de</strong> dans la définition du mot arabe naqama « se<br />
venger ? » <strong>et</strong> dans l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> l’agent pour ce verbe qui est en combinaison<br />
avec la sphère temporelle dans laquelle la phrase est située. Si l’on continue, en<br />
concordance avec la grammaire arabe, avec présent ou futur, il faut d’abord traduire<br />
« pour qu’ils croient ». Et cela ouvre une perspective pour l’interprétation alternative<br />
<strong>de</strong> ce qui précè<strong>de</strong>. Qui invite à croire en Dieu ? Les croyants, <strong>et</strong> notamment le<br />
prédicateur, le missionnaire. Naqama, on le postule comme hypothèse, doit avoir le<br />
sens <strong>de</strong> « <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, chercher à, inviter ». Mais, <strong>de</strong> nouveau : dans quelle langue ?<br />
Pour ukhduud / ujduud, on a admis un mot étranger, araméen, adapté à l’arabe tout<br />
simplement. Le cas <strong>de</strong> naqama semble différent <strong>et</strong> plus compliqué. D’abord, il faut<br />
trouver une langue, <strong>et</strong> puis un mot dans c<strong>et</strong>te langue, qui peut signifier « <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r,<br />
chercher à » <strong>et</strong> « se venger » selon le contexte. L’araméen vient <strong>de</strong> nouveau à notre<br />
se<strong>cours</strong>. En syriaque, mais aussi dans d’autres langues araméennes, le verbe tbaC<br />
remplit les conditions requises. Ce qu’il faut supposer maintenant, c’est l’existence<br />
d’un calque linguistique en arabe qui serait mo<strong>de</strong>lé sur le verbe araméen, en étant<br />
peut-être le fruit <strong>et</strong> le résultat <strong>de</strong> traductions, — seulement mentales, ou bien<br />
écrites ? — : un individu <strong>de</strong> langue araméenne qui traduirait en arabe ou bien un<br />
Arabe qui traduirait <strong>de</strong> l’araméen en arabe ? Le verbe araméen tbaC : il est, selon le<br />
contexte, traduit correctement une fois par l’arabe naqama « se venger », <strong>et</strong> est<br />
traduit dans un autre contexte, où le sens <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rait un complément arabe, dans
788 MANFRED KROPP<br />
le sens <strong>de</strong> « <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r » (p.e. Talaba) d’une manière stéréotypée <strong>et</strong> mécanique<br />
toujours avec le même mot naqama, qui, en principe <strong>et</strong> dans l’usage répété, aurait pu<br />
prendre le sens secondaire <strong>de</strong> « <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r » en arabe courant. Ce n’était pas le cas <strong>et</strong><br />
le mot est resté un pseudo hapax legomenon <strong>et</strong> un mot énigmatique dans le Coran. La<br />
traduction proposée cherche à sauver le parfum d’un mot étranger, nouvellement<br />
arrivé — bien dans l’esprit du prédicateur qui veut impressionner avec ses mots<br />
choisis, rares <strong>et</strong> inconnus — en choisissant un sens entre « se venger » <strong>et</strong> « <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r »,<br />
le sens attesté pour le mot araméen étant « presser sur, harceler ».<br />
M<strong>et</strong>tons ensemble les pièces détachées <strong>de</strong> l’interprétation alternative <strong>de</strong> la<br />
sourate 85 « Le cercle zodiacal », vers<strong>et</strong>s 1-8 :<br />
1. Par le ciel avec (son cercle <strong>de</strong> zodiaque qui paraît être) <strong><strong>de</strong>s</strong> tours !<br />
2. Par le jour (du <strong>de</strong>rnier jugement) promis !<br />
3. Par le témoignage absolu <strong>et</strong> compl<strong>et</strong> !<br />
4. Qu’ils soient maudits, les gens <strong>de</strong> la flamma flagrans –<br />
5. – le feu (<strong>de</strong> l’enfer qui ne manquera jamais) d’alimentation ! –<br />
6. tandis qu’ils resteront <strong>de</strong>dans (pour toujours)<br />
7. en donnant témoignage (représenté par les tourments <strong>de</strong> la peine éternelle<br />
qui leur sera infligée) pour ce qu’ils font maintenant avec les croyants !<br />
8. Ceux-ci (les croyants), en fait, ne leur ont harcelé (<strong>de</strong>mandé) rien d’autre que<br />
<strong>de</strong> croire en Dieu, le Puissant, le Digne <strong>de</strong> Louanges.<br />
Deuxième exemple : la profession <strong>de</strong> foi <strong>de</strong> la sourate 112<br />
Si déjà le passage bref, mais bien construit, <strong>de</strong> la sourate 85, 1-8, se prêtait à être<br />
répété, voire même scandé dans les rues <strong>et</strong> sur les marchés comme un programme<br />
religieux, menace aux incroyants <strong>et</strong> infidèles, exhortation <strong>et</strong> encouragement aux<br />
croyants — dans ce cas-là, avec un rythme lourd <strong>et</strong> long <strong>et</strong> une rime <strong>de</strong> même nature<br />
(-uud), on va voir avec la profession <strong>de</strong> foi <strong>de</strong> la sourate un autre exemple <strong>de</strong> formule<br />
brève, rythmée <strong>et</strong> rimée, qui, considérée avec d’autres cas <strong>de</strong> textes coraniques, a<br />
toute la chance d’être « pré-coranique », d’être partie d’un héritage <strong>de</strong> textes religieux,<br />
polémiques, en langue arabe. C<strong>et</strong> héritage aurait pu se former dans les pério<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
antérieures à l’islam où l’Arabie connaissait <strong><strong>de</strong>s</strong> mouvements missionnaires <strong>de</strong> toutes<br />
sortes — juifs, chrétiens <strong>de</strong> diverses confessions — <strong>et</strong> serait le fruit linguistique <strong>et</strong><br />
littéraire <strong>de</strong> tels mouvements dont l’islam naissant se serait emparé.<br />
Le texte canonique en traduction :<br />
Sourate 112 Al-IkhlaaS « La Foi sincère »<br />
Au nom d’Allah, le Bienfaiteur miséricordieux.<br />
1. Dis : Il est Allah, unique (aHad),<br />
2. Allah le Seul (aS-Samad).<br />
3. Il n’a pas engendré <strong>et</strong> n’a pas été engendré.<br />
4. N’est égal à Lui personne.
CHAIRE EUROPÉENNE 789<br />
Sourate 112 Al-IkhlaaS « la dévotion sincère »<br />
Un credo musulman <strong>et</strong> ses problèmes linguistiques<br />
Les points névralgiques vralgiques:<br />
Le Texte Objectif <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> tu<strong>de</strong><br />
névralgiques vralgiques du point <strong>de</strong> vue linguistique ou philologique<br />
bien entendu. entendu<br />
– La construction du nom <strong>de</strong> nombre "aHad aHad" dans<br />
le premier vers<strong>et</strong> qui précis pr cisément ment par sa<br />
construction agrammaticale se révélera lera être un<br />
mot étranger tranger<br />
– La signification du mot Samad <strong>et</strong> le rôle du<br />
vers<strong>et</strong> 2 dans le contexte <strong>et</strong> la composition <strong>de</strong> la<br />
sourate<br />
– La forme <strong>et</strong> le sens du mot kufuc dans le<br />
quatrième quatri me vers<strong>et</strong>. vers<strong>et</strong><br />
M<strong>et</strong>tre en relief l’importance <strong>et</strong> le rôle<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> variantes <strong>de</strong> lecture canoniques<br />
(qiraa‘aat)<br />
Description <strong>et</strong> exemple du principe<br />
stylistique: mot étranger suivi par une<br />
traduction ou une paraphrase en arabe<br />
M<strong>et</strong>tre en relief le rôle du «faux ami»<br />
dans la traduction: un mot arabe dans le texte<br />
est lr calque d‘un mot étranger.<br />
En guise <strong>de</strong> conclusion: conclusion<br />
Essai <strong>de</strong> reconstruction du prototype oral du texte écrit crit actuel<br />
Les « points névralgiques » ont été traités durant les heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong>, dans la<br />
perspective <strong><strong>de</strong>s</strong> objectifs d’étu<strong>de</strong> qui avaient été formulés, <strong>et</strong> d’une manière<br />
exhaustive. Les résultats obtenus seront publiés sous la forme <strong>de</strong> divers articles<br />
séparés. Dans ce rapport, on se limitera à un résumé <strong>de</strong> l’essentiel.<br />
La tradition musulmane elle-même nous rapporte l’existence <strong>de</strong> doutes pour<br />
savoir si c<strong>et</strong>te pièce, comme les <strong>de</strong>ux autres sourates brèves qui la suivent à la fin<br />
<strong>de</strong> la rédaction canonique, <strong>et</strong> la première sourate, la faaTiHa — espèce <strong>de</strong> prière<br />
introductive — font vraiment partie du texte révélé. Cela va dans un sens<br />
d’interprétation qui a déjà été indiqué : il s’agit très probablement d’un p<strong>et</strong>it texte<br />
religieux, un slogan polémique tripartite (on le verra), mais anti-trinitaire. Un tel<br />
texte peut être conçu dans <strong><strong>de</strong>s</strong> milieux chrétiens hétérodoxes, ou bien juifs, les<br />
<strong>de</strong>ux étant présents dans l’Arabie pré-islamique. C<strong>et</strong>te hypothèse est corroborée<br />
par le fait que la tradition <strong><strong>de</strong>s</strong> lectures offre pour ces passages <strong>de</strong> véritables variantes<br />
qui semblent bien être le refl<strong>et</strong> d’une tradition orale vivante, contrairement à tant<br />
d’autres textes <strong>et</strong> passages coraniques, où, on l’a déjà dit, les soi disant variantes <strong>de</strong><br />
lecture <strong>et</strong> <strong>de</strong> tradition orale ne sont que le résultat du travail <strong><strong>de</strong>s</strong> philologues<br />
postérieurs. Leur action s’exerçait sur un texte dépourvu <strong>de</strong> points diacritiques <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> voyelles, mais aussi dépourvu d’une véritable tradition orale, texte qu’ils ne<br />
comprenaient plus <strong>et</strong> qu’ils cherchaient à expliquer <strong>de</strong> leur mieux <strong>et</strong> selon leurs<br />
possibilités. Un premier résultat <strong>de</strong> reconstruction d’une version originale orale <strong>de</strong><br />
ce texte à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> variantes attestées <strong>et</strong> selon les principes <strong>de</strong> la critique textuelle
790 MANFRED KROPP<br />
est que le vers<strong>et</strong> 2 serait une addition explicative postérieure qui se réfère au mot<br />
problématique, <strong>de</strong>rnier mot du vers<strong>et</strong> 1 : aHad (ou bien eHad ?). Ce qui reste en<br />
terme <strong>de</strong> structure est une formule en trois parties, bien construite <strong>et</strong> rimée sur la<br />
rime -ad (typique pour les formules anti-trinitaires) car les mots walad « fils » ou<br />
« engendrer », mais également le nombre aHad « un, unique » ont c<strong>et</strong>te rime.<br />
Là aussi, il s’agit d’un slogan facile à mémoriser <strong>et</strong> à scan<strong>de</strong>r dans le public contre<br />
les adversaires religieux.<br />
Le mot problématique aHad « un » du vers<strong>et</strong> 1 <strong>et</strong> sa construction grammaticale<br />
ont fait couler beaucoup d’encre <strong>de</strong>puis les premières étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur le Coran au début<br />
<strong>de</strong> l’exégèse musulmane jusqu’aux <strong>travaux</strong> scientifiques occi<strong>de</strong>ntaux — le <strong>de</strong>rnier<br />
vers la fin du xx e siècle. Lorsqu’il est lu <strong>et</strong> compris comme le nombre arabe « un »,<br />
il <strong>de</strong>meure <strong><strong>de</strong>s</strong> difficultés pour la construction syntaxique. Pour proposer<br />
simplement la solution choisie, disons que le vers<strong>et</strong> 1 est bien évi<strong>de</strong>mment une<br />
réminiscence du « SmaC Israel », la profession <strong>de</strong> foi juive en l’unicité <strong>de</strong> Dieu.<br />
Ainsi, le mot en question pourrait se révéler être une intarsia — « ornement<br />
étranger » — savante, l’hébreu eHad qui serait pris quasiment comme nom propre<br />
<strong>de</strong> Dieu en arabe.<br />
Le vers<strong>et</strong> 2, on l’a déjà dit, est une addition postérieure à la formule originale <strong>et</strong><br />
se veut bien une explication <strong>et</strong> paraphrase <strong>de</strong> eHad en arabe <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa construction.<br />
C’est bien une explication du type obscurum per obscurior, qui a fait couler autant<br />
d’encre que le mot qui <strong>de</strong>vrait être expliqué, parce que le mot arabe Samad est très<br />
rare <strong>et</strong> il fait partie plutôt du langage poétique ; son sens semble être « compact,<br />
non-vi<strong>de</strong>, dur, rocher, <strong>et</strong>c. », ce qui correspondrait au fond avec l’idée <strong>de</strong> l’unicité<br />
<strong>de</strong> Dieu.<br />
Le mot kufuc « égal » ouvre toute une série <strong>de</strong> questions, <strong><strong>de</strong>s</strong> quisquilia philologica,<br />
concernant d’abord l’orthographe <strong><strong>de</strong>s</strong> textes coraniques <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’arabe dit « classique »<br />
<strong>et</strong>, ensuite, <strong><strong>de</strong>s</strong> questions qui mènent finalement au problème fondamental : <strong>de</strong><br />
quelle langue (arabe) s’agit-il dans les premiers manuscrits coraniques ayant une<br />
orthographe purement consonantique, dépourvue <strong>de</strong> tout autre signe <strong>de</strong> lecture ?<br />
On peut ici seulement faire allusion au problème <strong>de</strong> l’existence d’un hamza dans<br />
c<strong>et</strong>te langue coranique, l’origine <strong>de</strong> l’alif otiosum <strong>et</strong> son usage, ainsi que la question<br />
<strong>de</strong> l’existence ou non d’une flexion désinentielle dans c<strong>et</strong>te langue, autant <strong>de</strong><br />
questions qui réclament une réponse avant qu’on puisse interpréter avec certitu<strong>de</strong><br />
le seul mot kufuc <strong>et</strong> sa fonction dans la phrase.<br />
Notons, en passant, que la construction <strong>de</strong> la négation lam (vers<strong>et</strong> 3) avec une<br />
forme du verbe préfixée pour le passé négatif, qui est r<strong>et</strong>enue comme étant hautement<br />
littéraire <strong>et</strong> classique en arabe mo<strong>de</strong>rne, <strong>et</strong> qui ne trouve pas <strong>de</strong> correspondant dans<br />
les langues arabes parlées mo<strong>de</strong>rnes, est bien attestée non seulement dans les<br />
premières inscriptions en langue arabe (par exemple celle d’en-Nemara, 328 A.D.),<br />
mais aussi dans <strong><strong>de</strong>s</strong> textes arabes chrétiens du viii e siècle (fragment <strong><strong>de</strong>s</strong> psaumes<br />
bilingues <strong>de</strong> Damas) dans lesquels la langue n’est certainement pas un arabe classique<br />
<strong>et</strong> l<strong>et</strong>tré, mais une sorte <strong>de</strong> vernaculaire local.
CHAIRE EUROPÉENNE 791<br />
Et pour conclure le travail <strong>de</strong> critique textuelle <strong>et</strong> <strong>de</strong> reconstruction, disons<br />
qu’avec les connaissances acquises <strong>et</strong> les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> éprouvées qui ont été appliquées,<br />
il a été possible <strong>de</strong> déceler une autre <strong>de</strong> ces formules tripartites <strong>et</strong> anti-trinitaires<br />
coraniques dans le vers<strong>et</strong> 3 <strong>de</strong> la sourate 72 Les Djinns. La version canonique cache<br />
bien par tous les moyens du camouflage philologique c<strong>et</strong>te structure originale dans<br />
un seul vers au lieu <strong>de</strong> trois, <strong>de</strong> même qu’elle efface un mot syriaque Had « unique,<br />
un », encore dite <strong>de</strong> Dieu, en le remplaçant par un incompréhensible <strong>et</strong> mal placé<br />
jadd « la fortune » ou par <strong><strong>de</strong>s</strong> formes similaires.<br />
Q 72, 3 Reconstruction <strong>de</strong> la formule originale<br />
<strong>et</strong> comparaison avec la version officielle<br />
l’application <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances acquises dans l’analyse <strong>de</strong> la sourate<br />
112 à un vers <strong>de</strong> la sourate 72 al-Jinn “Les Djinns”<br />
Version officielle<br />
Wa-canna-huu – taCaalaa jaddu rabbi-naa – maa ttakhada SaaHibatan wa-laa waladaa<br />
Et Lui donc – que soit exaltée la gran<strong>de</strong>ur<br />
. <strong>de</strong> Notre Seigneur! – n'a pas pris <strong>de</strong> compagne ou d'enfant.<br />
• Points névralgiques: Eulogie prèce<strong>de</strong> sa référence <strong>et</strong> se réfère à une <strong><strong>de</strong>s</strong> qualités <strong>de</strong> Dieu, qui, en outre,<br />
est exprimée par un mot étrange dans le contexte (jadd bonheur)!<br />
• Reconstruction:<br />
�1. Inna-huu - taCaalaa - Had! = 7<br />
1. Lui donc – exalté exalt soit-Il soit Il – est Un (Unique Unique)! )!<br />
�2. Rabb(a)-naa maa (i)ttakhad = 5(7) 2. Notre Seigneur n‘a pas pris<br />
�3. SaaHiba wa-laa walad! = 7 3. Ni compagne ni enfant! enfant<br />
� Eulogie en position correcte se référant à Dieu ; mot savant Had = Dieu Unique<br />
(mot connu dans sourate 112,1 sous form aHad) ; structure rythmique d’un slogan<br />
politico-religieux parfaitement équilibrée.<br />
Troisième exemple : la sourate 19 Maryam /Marie : poésie religieuse parallèle<br />
à la poésie syriaque <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mots arabes chimériques qui sont le résultat d’une<br />
fausse lecture d’une Vorlage « modèle » garshouni, c’est-à-dire <strong>de</strong> l’arabe écrit<br />
en l<strong>et</strong>tres syriaques. (Bloc thématique <strong><strong>de</strong>s</strong> cinq heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong><br />
du 6 mars au 17 avril 2008)<br />
La sourate 19 Maryam / Marie est une belle pièce narrative <strong>et</strong> poétique du Coran<br />
qui est composée <strong>de</strong> divers épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> relatifs aux prophètes, en premier rang <strong><strong>de</strong>s</strong>quels<br />
Jean Baptiste <strong>et</strong> Jésus (surtout l’histoire <strong>de</strong> sa naissance, d’où le nom <strong>de</strong> la sourate). Du<br />
point <strong>de</strong> vue littéraire, on y trouve tous les éléments essentiels <strong>de</strong> la poésie chrétienne<br />
syriaque, notamment le genre Soghito : structure en strophes avec un refrain constant<br />
<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> parties narratives qui alternent avec <strong><strong>de</strong>s</strong> parties en dialogue. En même temps, il<br />
faut constater que le genre est adapté à l’esprit <strong>de</strong> la langue arabe <strong>et</strong> <strong>de</strong> la littérature<br />
arabe. Il faut encore bien <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches comparées approfondies pour dresser un<br />
tableau <strong>de</strong> l’influence syriaque sur le Coran <strong>et</strong> surtout pour bien définir l’esprit <strong>et</strong> la<br />
structure <strong>de</strong> l’adaptation qui ne manque point <strong>de</strong> créativité <strong>et</strong> d’originalité.
792 MANFRED KROPP<br />
Le texte <strong>de</strong> la sourate se prête à d’autres observations philologiques. Des mots arabes<br />
plutôt très rares (ce n’est pas par hasard qu’il s’agit d’hapax legomena dans le Coran<br />
même), sinon chimériques, mal placés <strong>et</strong> difficiles à comprendre dans le contexte, se<br />
révèlent, vus sous l’angle <strong>de</strong> l’hypothèse d’une influence araméenne ou syriaque, non<br />
seulement linguistique mais aussi du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’écriture (n’oublions pas que<br />
l’écriture arabe n’est qu’une évolution particulière d’une ou <strong><strong>de</strong>s</strong> écritures araméennes),<br />
comme étant <strong><strong>de</strong>s</strong> fautes <strong>de</strong> lecture multiples. Et en plus <strong>de</strong> cela, ils j<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> la lumière<br />
sur <strong><strong>de</strong>s</strong> Vorlagen « modèles » matériels dont s’est servi l’auteur (ou les auteurs) <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
textes réunis dans le corpus coranique. En analysant les exemples présents dans les<br />
vers<strong>et</strong> 97-98 <strong>de</strong> la sourate, précisément les mots rikz « bruit faible, murmure » <strong>et</strong> ladd<br />
« adversaires, querelleurs », on arrive à proposer <strong><strong>de</strong>s</strong> conjectures ou émendations en<br />
supposant qu’il s’agit <strong>de</strong> fausses lectures <strong>de</strong> l<strong>et</strong>tres araméennes. Là, R <strong>et</strong> D sont<br />
i<strong>de</strong>ntiques (sinon distingués par <strong><strong>de</strong>s</strong> points diacritiques) ; L <strong>et</strong> Cayn sont très similaires<br />
<strong>et</strong> assez souvent confondus. L’affaire se complique car, comme <strong>de</strong>uxième étape dans<br />
l’hypothèse, il faut adm<strong>et</strong>tre que dans le cas <strong>de</strong> ces Vorlagen « modèles », il s’agissait <strong>de</strong><br />
textes écrits en écriture syriaque, mais composés en langue arabe ! Phénomène bien<br />
connu par ailleurs dans la littérature arabe chrétienne ; ce sont en eff<strong>et</strong> les textes dits<br />
garchouni, dont on pose l’origine en accord avec c<strong>et</strong>te hypothèse <strong>de</strong> travail dans le<br />
temps pré-islamique. Cela j<strong>et</strong>te une nouvelle lumière naturellement sur le suj<strong>et</strong><br />
hautement disputé <strong>de</strong> l’existence d’une littérature arabe chrétienne avant l’islam. Du<br />
reste, la transposition, mieux, la transcription <strong><strong>de</strong>s</strong> textes coraniques p<strong>résumés</strong><br />
garchouni produit d’autres fautes <strong>de</strong> lecture typiques : par exemple, le copiste voit la<br />
l<strong>et</strong>tre D/R araméenne <strong>et</strong> écrit mécaniquement non la l<strong>et</strong>tre arabe correspondante,<br />
mais la l<strong>et</strong>tre arabe proche dans la forme optique, c’est-à-dire W (processus qui<br />
engendre bien d’autres mots, voire racines, chimériques dans le texte coranique ; par<br />
exemple la racine WJL !). En tout cas, en multipliant les exemples <strong>de</strong> fautes <strong>de</strong> lecture,<br />
rendues évi<strong>de</strong>ntes par <strong><strong>de</strong>s</strong> conjectures évi<strong>de</strong>ntes <strong>et</strong> heureuses dans le texte, on arrivera<br />
dans le futur à bien consoli<strong>de</strong>r l’hypothèse en question.<br />
Araméen /syriaque D / R<br />
<strong>de</strong>ux l<strong>et</strong>tres i<strong>de</strong>ntiques<br />
à distinguer par <strong><strong>de</strong>s</strong> points diacritiques
CHAIRE EUROPÉENNE 793<br />
Quant à la substitution <strong><strong>de</strong>s</strong> mots pour la sourate 19, 97-98, on remplace rikz<br />
« le murmure » par dhikr « mémoire » <strong>et</strong>, en eff<strong>et</strong>, le contexte l’exige parce que<br />
l’effacement <strong>de</strong> la mémoire est une <strong>de</strong>uxième mort, pire que la mort physique !<br />
— <strong>et</strong> ladd « les querelleurs » remplacé par Cadd « en (grand nombre) », du point<br />
<strong>de</strong> vue stylistique, est beaucoup mieux dans son contexte.<br />
Reste, toujours dans les mêmes vers<strong>et</strong>s, un problème d’une autre nature, mais<br />
qu’on a déjà vu en traitant la sourate 85 (le mot naqama) : le calque linguistique.<br />
Sans pouvoir entrer trop dans les détails, il faut remarquer que <strong><strong>de</strong>s</strong> mots<br />
fréquemment utilisés dans le Coran <strong>et</strong> interprétés par « faciliter, éclaircir, éluci<strong>de</strong>r,<br />
<strong>et</strong>c. », font bien partie d’une manière métaphorique commune aux langues<br />
sémitiques. En eff<strong>et</strong>, selon le contexte, tous ces mots veulent simplement dire<br />
« traduire ».<br />
Certes, c<strong>et</strong>te interprétation, naturelle pour un linguiste sémitisant, sera<br />
difficilement acceptable dans le mon<strong>de</strong> musulman. Rappelons-nous que chacune<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> milliers <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> milliers <strong>de</strong> récitations coraniques quotidiennes dans le mon<strong>de</strong><br />
entier sont introduites par la phrase stéréotypée: maa tayassara min …, « ce qui a<br />
été facilité (par Dieu) dans (le Coran) ». C<strong>et</strong>te phrase, avec son mot clé yassara /<br />
tayassara (aussi en sourate 19, 98), doit être comprise dans bien <strong><strong>de</strong>s</strong> cas, dans le<br />
contexte coranique, comme « traduire ». Voici le résultat pour l’interprétation <strong>et</strong><br />
la traduction du Coran <strong>de</strong> ce qui précè<strong>de</strong> :<br />
Trad. Régis Blachère :<br />
Nous l’avons simplement facilité par ta voix<br />
pour que tu en fasses l’heureuse annonce<br />
aux Pieux <strong>et</strong> que tu en avertisses un peuple<br />
hostile.<br />
Sourate Maryam Q 19, 97<br />
Trad. M. Hamidullah :<br />
Nous l’avons rendu (le Coran) facile [à<br />
comprendre] en ta langue, afin que tu annonces<br />
la bonne nouvelle aux gens pieux, <strong>et</strong> que tu<br />
avertisses un peuple irréductible.<br />
Nous l‘avons avons traduit dans ta langue, langue afin que tu annonces la<br />
bonne nouvelle, nouvelle mais pas sans exhorter les gens pieux en grand<br />
nombre !
794 MANFRED KROPP<br />
Après ce tour <strong>de</strong> force dans la forêt sauvage <strong>de</strong> la philologie, <strong>de</strong> la critique<br />
textuelle, <strong><strong>de</strong>s</strong> fautes <strong>de</strong> lecture, <strong><strong>de</strong>s</strong> conjectures <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> émendations, le <strong>cours</strong> s’est<br />
conclu en ouvrant une perspective <strong>et</strong> un aperçu sur un champ <strong>de</strong> recherche quelque<br />
peu différent, mais hautement complémentaire. La nouvelle approche du Coran<br />
vise sa nature comme message religieux, comme acte <strong>de</strong> parole. Comment peut-on<br />
s’imaginer son rôle <strong>et</strong> sa place dans les circonstances historiques <strong>de</strong> sa première<br />
promulgation ? Est-il possible d’entrevoir le personnage <strong>et</strong> la psychologie <strong>de</strong> ce<br />
personnage qu’il faut présumer comme auteur ? Il semble que l’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> textes<br />
comme acte <strong>de</strong> parole, <strong>et</strong> notamment le concept <strong>de</strong> l’acte <strong>de</strong> parole « pluri-adressé »,<br />
est capable d’ouvrir <strong>de</strong> nouvelles perspectives <strong>et</strong> <strong>de</strong> nouvelles voies dans les étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
coraniques, comme elle l’a déjà fait dans les cas d’autres écrits religieux. Je me<br />
perm<strong>et</strong>s d’inclure ici le <strong>de</strong>rnier paragraphe du <strong>cours</strong> lu le 17 avril 2008.<br />
Ce que l’on a présenté, c’est bien une analyse <strong>de</strong> la fiction religieuse qui<br />
considère la source <strong>de</strong> l’inspiration comme étant un Dieu transcendant. Le <strong>cours</strong><br />
avait comme suj<strong>et</strong> le Coran en tant que document linguistique <strong>et</strong> historique.<br />
Pour le linguiste <strong>et</strong> pour l’historien, c’est un document provenant <strong>de</strong> la créativité<br />
humaine <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’histoire humaine <strong>de</strong> la même façon que les autres textes <strong>et</strong><br />
documents. Leur analyse <strong>de</strong> la structure du dis<strong>cours</strong> coranique sera par conséquent<br />
quelque peu différente <strong>de</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> religieux, bien que l’analyse <strong>de</strong> la structure<br />
proposée par la religion <strong>et</strong> par la foi puisse <strong>et</strong> doive <strong>de</strong>venir, à son tour, l’obj<strong>et</strong><br />
d’une analyse scientifique. La première réévaluation nécessaire <strong>de</strong> la structure <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> son analyse concerne, bien sûr, la nature <strong>de</strong> la source « d’inspiration ». On<br />
pourrait penser, pour sauver l’hypothèse d’une source externe, à <strong><strong>de</strong>s</strong> personnes<br />
qui instruisent l’auteur <strong>de</strong> ces textes. C’était déjà, comme on l’a vu, le reproche<br />
<strong>et</strong> la moquerie exprimés par <strong><strong>de</strong>s</strong> adversaires contemporains. C<strong>et</strong>te explication est<br />
valable du point <strong>de</strong> vue du contenu ; elle peut expliquer les parallèles avec les<br />
autres écritures sacrées <strong>de</strong> l’époque. Mais du point <strong>de</strong> vue du style <strong>et</strong> du rôle <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
locuteurs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> interlocuteurs, cela pose <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes, à moins qu’on veuille y<br />
voir une sorte <strong>de</strong> journal (actes) <strong>de</strong> l’enseignant anonyme <strong>de</strong> MuHammad,<br />
comme cela a été, en fait, proposé dans les années cinquante du siècle précé<strong>de</strong>nt<br />
par un chercheur français.<br />
Une autre solution pour formuler une approche scientifique <strong>et</strong> un programme<br />
<strong>de</strong> recherche sur c<strong>et</strong> aspect du document semble plus plausible <strong>et</strong> réalisable.<br />
M<strong>et</strong>tons la source d’inspiration à l’intérieur du medium, du messager, <strong>et</strong> faisons-en<br />
une fac<strong>et</strong>te <strong>de</strong> sa personnalité. Ainsi la psychologie, la psychanalyse <strong>et</strong> leurs<br />
métho<strong><strong>de</strong>s</strong> seront combinées à celles <strong>de</strong> la linguistique pragmatique <strong><strong>de</strong>s</strong> textes,<br />
notamment aux théories <strong>et</strong> aux approches <strong><strong>de</strong>s</strong> documents religieux <strong>de</strong> type<br />
coranique en tant qu’actes <strong>de</strong> parole. Ce sont, en fait, <strong><strong>de</strong>s</strong> actes <strong>de</strong> parole spécifiques,<br />
« poly-» ou « pluri-adressés » (avec <strong>de</strong> doubles ou multiples adresses) mais aussi<br />
avec un caractère particulier. Des actes <strong>de</strong> parole « pluri-adressés » (à plusieurs<br />
adresses) <strong>et</strong> leurs particularités peuvent être observés chaque jour dans la vie<br />
quotidienne. C’est, par exemple, une conversation à travers un téléphone portable,<br />
à haute voix dans un restaurant animé, donc un acte d’impolitesse <strong>de</strong> premier
CHAIRE EUROPÉENNE 795<br />
ordre ! (Au début <strong>de</strong> l’usage <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te manie, il était suffisant <strong>de</strong> poser le cellulaire<br />
« discrètement » sur la table.) C’est une conversation qui se déroule avec<br />
l’interlocuteur <strong>de</strong> l’autre côté <strong>de</strong> la chaîne <strong>de</strong> communication électronique, mais<br />
c’est aussi une conversation qui a pour <strong>de</strong>uxième but (souvent le premier !)<br />
d’impressionner les gens qui sont autour <strong>et</strong> qui sont obligés d’écouter la conversation<br />
« en cach<strong>et</strong>te ». Un autre exemple est le dis<strong>cours</strong> parlementaire. Certes, le dis<strong>cours</strong><br />
parlementaire s’adresse formellement aux collègues dans le parlement, le locuteur<br />
parle <strong>et</strong> discute avec eux. Mais l’autre aspect pragmatique <strong>de</strong> ce dis<strong>cours</strong>, <strong>et</strong> peutêtre<br />
le plus important, concerne les médias <strong>et</strong> donc un large public non déterminé,<br />
le peuple en tant qu’il est intéressé par la politique. Ces doubles <strong>et</strong> multiples<br />
fonctions d’un dis<strong>cours</strong> changent profondément sa nature, son style, son lexique<br />
<strong>et</strong> naturellement aussi sa réalisation concrète (l’énonciation). Le dis<strong>cours</strong> religieux,<br />
même s’il partage <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments importants avec ceux qu’on vient <strong>de</strong> décrire<br />
brièvement, est quelque peu différent <strong>et</strong> plus compliqué parce que <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments <strong>de</strong><br />
fiction (on pourrait dire plus respectueusement <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments d’inspiration, <strong>de</strong><br />
vision ou quelque chose <strong>de</strong> similaire), non seulement dans le contenu, mais aussi<br />
dans la nature <strong>de</strong> l’acte <strong>de</strong> parole, <strong>de</strong> ses acteurs <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs rôles respectifs, agissent<br />
ici <strong>et</strong> interviennent pour une gran<strong>de</strong> part. Et avec ces auteurs, on a affaire à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
personnages complexes <strong>et</strong> hors du commun dont l’étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> le déchiffrement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
caractéristiques n’exigent pas seulement la participation <strong><strong>de</strong>s</strong> philologues, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
historiens <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> linguistes pour étudier <strong>et</strong> pour analyser les énoncés (textes écrits<br />
<strong>et</strong> transmis), mais aussi l’essai, même à une distance <strong>de</strong> presque 1 500 ans, <strong>de</strong><br />
passer par une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’énonciation, c’est-à-dire l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> circonstances <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
situations qui ont produit ces énoncés, en m<strong>et</strong>tant ces éléments en relation avec la<br />
personne qui a effectué la première mise en forme du dis<strong>cours</strong>. Pour atteindre c<strong>et</strong><br />
objectif, il faut accomplir un travail interdisciplinaire en liaison avec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
psychologues <strong>et</strong> psychanalystes.<br />
Pour le dis<strong>cours</strong> religieux, dans bien <strong><strong>de</strong>s</strong> cas, il faut distinguer trois instances<br />
réparties sur <strong>de</strong>ux axes. Il y a la source du message (Dieu, les anges, <strong>et</strong>c.), le<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>tinataire particulier du message, à savoir le prophète, <strong>et</strong> les <strong><strong>de</strong>s</strong>tinataires <strong>de</strong> la<br />
prédication du messager (au fond naturellement les <strong><strong>de</strong>s</strong>tinataires indirects du<br />
premier message). L’axe vertical, <strong>de</strong> haut en bas, est caractéristique d’un dis<strong>cours</strong><br />
entre une source <strong>et</strong> un messager. L’axe horizontal est propre à la relation entre le<br />
messager <strong>et</strong> le peuple <strong><strong>de</strong>s</strong> croyants.<br />
Le premier acte <strong>de</strong> parole qui est annoncé est rendu public parce qu’il est un<br />
élément nécessaire à la légitimation du messager. Mais souvent ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> récits<br />
courts (« J’ai eu la vision <strong>et</strong> l’ange m’a dit, <strong>et</strong>c. »), ou <strong><strong>de</strong>s</strong> allusions (Jésus : « Comme<br />
le père m’a envoyé je vous envoie aussi, <strong>et</strong>c. »). Le message prend la forme adaptée<br />
au public <strong>et</strong> s’adresse directement à lui.<br />
Le cas du Coran est différent. Pour le dire d’une manière brutale : les <strong><strong>de</strong>s</strong>tinataires<br />
du message sont déclassés en voyeurs écoutant en cach<strong>et</strong>te les secr<strong>et</strong>s d’un acte <strong>de</strong><br />
parole divine qui est <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné, du moins dans certaines <strong>de</strong> ses parties, au medium
796 MANFRED KROPP<br />
seul. C’est bien là un élément d’authenticité <strong>et</strong> <strong>de</strong> vérité du message, on peut le<br />
dire, mais cela est fait à la manière d’une abstraction totale du phénomène <strong>de</strong><br />
l’expérience individuelle du medium avec son Dieu. Et cela provoque <strong><strong>de</strong>s</strong> réserves,<br />
du moins chez nous les Mo<strong>de</strong>rnes, qui y voyons, d’une manière naïve, mais<br />
instruite <strong>et</strong> avertie, trop <strong>de</strong> parallèles avec les fictions d’une réalité immédiate,<br />
dans l’historiographie <strong>de</strong> toutes les époques <strong>et</strong> dans une certaine presse politique<br />
<strong>et</strong> documentaire d’aujourd’hui. Si cela s’ajoute, en plus, à l’usage fréquent <strong>de</strong> la<br />
menace envers ceux qui, malgré c<strong>et</strong>te preuve d’authenticité, ne veulent pas croire<br />
(l’enfer <strong>et</strong> la punition se trouvent nommés trois fois plus que le paradis <strong>et</strong> la<br />
bonne récompense), la position <strong>de</strong> l’auditeur ou du lecteur perd encore en<br />
sympathie. Quant à la fiction (certes le dis<strong>cours</strong> coranique est bien construit,<br />
consciemment ou inconsciemment), l’inspiration artistique existe dans ses<br />
manifestations <strong>et</strong> elle est construite en vue <strong>de</strong> son eff<strong>et</strong> sur le public. Ainsi, l’acte<br />
<strong>de</strong> parole premier <strong>et</strong> fictif fait bien partie du <strong>de</strong>uxième vol<strong>et</strong> concr<strong>et</strong> dont on a les<br />
traces. La genèse du texte <strong>et</strong> son énonciation sont donc aussi un problème <strong>et</strong> un<br />
obj<strong>et</strong> pour les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> psychologiques, <strong>et</strong> peu importe pour l’instant si ces textes<br />
sont passés par écrit tout <strong>de</strong> suite (ce qui est probable) <strong>et</strong> furent prononcés <strong>et</strong><br />
récités sur la base d’un écrit par la suite. Prenons un premier exemple d’étu<strong>de</strong> <strong>et</strong><br />
d’interprétation psychologique en tant que tentative <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en relief un trait du<br />
dis<strong>cours</strong> coranique.<br />
Les réactions <strong>et</strong> les réponses éventuelles du public sur le message ne sont pas<br />
rapportées directement dans le texte. Pour la plupart, elles sont négatives <strong>de</strong> la part<br />
<strong>de</strong> ses adversaires. Mais on a vu l’exemple positif <strong>de</strong> la réaction <strong><strong>de</strong>s</strong> jinns envers le<br />
Coran. Le messager ne les présente pas comme émanant <strong>de</strong> son expérience directe<br />
<strong>et</strong> récente qu’il a sans doute, toutefois, faite. Il les transforme en observation <strong>de</strong><br />
Dieu, sa source, qui ensuite seulement lui fait part <strong>de</strong> la réalité vécue par luimême.<br />
C<strong>et</strong>te source dans l’interprétation psychologique constitue une partie, une<br />
fac<strong>et</strong>te <strong>de</strong> sa personnalité, qui semble scindée d’une manière profon<strong>de</strong>. En tout cas,<br />
le fait <strong>de</strong> transformer l’expérience personnelle en observation d’un troisième acteur,<br />
même fictif, avec toutes les conséquences engendrées par cela, me semble un indice<br />
<strong>et</strong> le phénomène d’une perte énorme <strong>de</strong> réalité <strong>et</strong> <strong>de</strong> contact avec elle. À cela<br />
s’ajoute le phénomène d’i<strong>de</strong>ntification graduelle <strong>et</strong> insidieuse du messager avec la<br />
source <strong>de</strong> son message, une méta-fiction dans la fiction.<br />
R<strong>et</strong>ournons au programme <strong>de</strong> recherche. La reconstruction <strong><strong>de</strong>s</strong> états historiques<br />
du texte <strong>de</strong>vra toujours être à la base <strong>de</strong> chaque étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> interprétation ultérieures,<br />
en plus raffiné. Mais sans un travail <strong>de</strong> bénédictin <strong>de</strong> la part <strong><strong>de</strong>s</strong> philologues <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
historiens, tout le reste n’aura aucune base. C’est ensuite seulement que l’on pourra<br />
penser sérieusement à un travail interdisciplinaire entre linguistes <strong>et</strong> psychologues<br />
ou psychanalystes. Sur c<strong>et</strong>te base, une fois bien établie, pourraient se construire ce<br />
qu’on peut appeler un psychogramme <strong>de</strong> la personnalité source ou bien <strong><strong>de</strong>s</strong> sources<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> textes contenus dans le corpus coranique.
S (source<br />
d’inspiration ou du texte)<br />
le “moi, nous, mon, notre”,<br />
mais parle aussi <strong>de</strong> soimême<br />
en 3.p.sg. “Il, son”<br />
� m monologue en Entrent dans m<br />
sens unique<br />
� contenu : histoires,<br />
exhortations,<br />
consolations,<br />
incitations, adressés à<br />
M ou à M <strong>et</strong> P<br />
� instructions pour la<br />
prédication à M<br />
M, le medium, le<br />
messager ; le “toi,<br />
ton…” <strong>et</strong>c.<br />
CHAIRE EUROPÉENNE 797<br />
Un acte <strong>de</strong> parole pluri-adressé<br />
sur <strong>de</strong>ux axes (verticale <strong>et</strong> horizontale) : la<br />
structure du dis<strong>cours</strong> coranique<br />
réactions,<br />
Bloqués !I réponses<br />
m transmis tel<br />
quel ; avec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
ajouts possibles<br />
Et si S <strong>et</strong> M n’étaient rien d’autre que <strong>de</strong>ux<br />
fac<strong>et</strong>tes d’une seule personnalité ?<br />
Les séminaires<br />
observés par S !<br />
Public du messager, les “vous, votre;<br />
ils, leur”<br />
� croyants, disciples<br />
� adversaires<br />
�Groupes divers : juifs, chrétiens <strong>et</strong>c.<br />
Les 14 séminaires accompagnant les heures <strong>de</strong> <strong>cours</strong> étaient dédiés en gran<strong>de</strong><br />
partie à l’approfondissement <strong><strong>de</strong>s</strong> questions <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes soulevés <strong>et</strong> traités dans<br />
le <strong>cours</strong>, avec l’objectif <strong>de</strong> présenter <strong><strong>de</strong>s</strong> détails supplémentaires à <strong><strong>de</strong>s</strong> étudiants <strong>et</strong><br />
à un public plus spécialisés.<br />
Néanmoins, il y avait là <strong><strong>de</strong>s</strong> blocs thématiques à part, ne faisant pas partie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
suj<strong>et</strong>s du <strong>cours</strong>. Ainsi les six premières heures traitaient en détail, <strong>et</strong> comme partie<br />
intégrante d’une recherche en <strong>cours</strong>, l’influence éthiopienne sur le Coran <strong>et</strong><br />
notamment les mots d’origine éthiopienne. Le résultat <strong>de</strong> ces sessions s’est con<strong>de</strong>nsé<br />
dans une intervention à un colloque international en avril 2004, dont la forme<br />
élaborée a fait l’obj<strong>et</strong> d’une publication (voir activités scientifiques <strong>et</strong> publications<br />
ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous). Entre autres, l’étu<strong>de</strong> traite le groupement assez particulier <strong><strong>de</strong>s</strong> mots<br />
éthiopiens dans le corpus coranique ainsi qu’un essai d’établissement d’une<br />
chronologie relative <strong>de</strong> leur apparition dans les textes.<br />
Ces <strong>de</strong>ux phénomènes caractéristiques sont assez signifiants pour l’histoire <strong>et</strong><br />
l’origine du corpus coranique. Le Coran désigne, dans une <strong>de</strong>rnière pério<strong>de</strong>,<br />
l’Ancien Testament <strong>et</strong> l’Évangile par les mots injiil <strong>et</strong> — dans la lecture traditionnelle<br />
<strong>et</strong> canonique — tawraat. Le travail a établi l’origine, ou bien la voie <strong>de</strong> transmission,<br />
éthiopienne <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux termes religieux techniques <strong>et</strong> a fourni, pour la première
798 MANFRED KROPP<br />
fois, soit une explication plausible <strong>de</strong> la forme arabe injiil à partir <strong>de</strong> l’éthiopien<br />
wängel, soit une nouvelle lecture du terme technique pour l’AT en yoriit, parallèle<br />
exact <strong>de</strong> l’éthiopien oriit. Ce <strong>de</strong>rnier, comme tant d’autres termes dans le langage<br />
religieux <strong>de</strong> l’ancien éthiopien, dérive à son tour <strong>de</strong> mots étrangers — en général<br />
grecs ou araméens. Et c’est ainsi que les zones d’influence sur le Coran (<strong>et</strong> la langue<br />
arabe en général) se croisent <strong>et</strong> se rejoignent. Il est, <strong>et</strong> il sera souvent, bien difficile<br />
<strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r si un emprunt lexical en arabe est passé directement d’un dialecte<br />
araméen ou bien a fait un détour à travers l’autre rive <strong>de</strong> la mer Rouge par<br />
l’éthiopien. La forme phonétique peut être décisive <strong>de</strong> temps à autre. Sinon il faut<br />
connaître — <strong>et</strong> hélas nos sources à disposition ne le perm<strong>et</strong>tent pas toujours — les<br />
circonstances historiques <strong>de</strong> chaque cas d’emprunt particulier.<br />
Avec la discussion <strong>de</strong> la lecture tawraat ou bien yoriit, on a ouvert un autre bloc<br />
thématique très épineux <strong>et</strong> vraiment <strong><strong>de</strong>s</strong> quisquilia philologica : l’orthographe <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
premiers manuscrits coraniques <strong>et</strong> son développement, que l’on peut partiellement<br />
suivre dans les témoins matériels. Il s’agit surtout <strong>de</strong> la question <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes<br />
matres lectionis utilisées pour noter la voyelle longue « a » (médiane), qui n’est pas<br />
notée dans la première étape du développement <strong>de</strong> l’écriture coranique. Mais là<br />
aussi, la perspective du problème, qui semblait apparaître tout à fait comme une<br />
question relevant <strong>de</strong> « l’art pour l’art », change rapi<strong>de</strong>ment quand le résultat d’une<br />
telle étu<strong>de</strong> repose sur la lecture d’un mot ou d’un terme technique clé. Un exemple :<br />
cela fait bien une différence dans nombre <strong>de</strong> textes coraniques si on lit baraacaa<br />
« immunité, exemption », concept <strong>et</strong> mot purement arabes, ou bien beriit (hébreu)<br />
ou barayt(aa) (araméen) « pacte (surtout <strong>de</strong> Dieu avec les hommes) ». Les résultats<br />
<strong>de</strong> ce bloc thématique sont en train d’être discutés <strong>et</strong> élaborés en contact direct<br />
avec <strong><strong>de</strong>s</strong> collègues <strong>et</strong> chercheurs spécialisés en la matière.<br />
Un troisième bloc abordait une partie plutôt anecdotique dans divers passages<br />
coraniques. Il s’agit <strong><strong>de</strong>s</strong> scènes reprises <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> l’auteur présumé <strong>de</strong> ces textes<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> ses relations avec <strong><strong>de</strong>s</strong> personnes juives. Un trait récurrent dans ces anecdotes,<br />
racontées non sans rage <strong>et</strong> indignation par l’auteur, est la moquerie exercée par les<br />
juifs qui profitent <strong>de</strong> la proximité <strong>de</strong> leur langue (sacrée) hébraïque, ou bien<br />
araméenne (vernaculaire), avec l’arabe pour forger <strong><strong>de</strong>s</strong> jeux <strong>de</strong> mots qui auraient<br />
bien pu insulter le personnage visé, qui ne se prive pas <strong>de</strong> réponses dures.<br />
L’hypothèse <strong>de</strong> travail posant qu’il s’agirait en eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> moqueries linguistiques<br />
réciproques a ainsi permis <strong>de</strong> résoudre une énigme d’exégèse coranique (Q 4, 46)<br />
<strong>et</strong> a proj<strong>et</strong>é un peu <strong>de</strong> lumière aussi sur les mécanismes (très humains) du progrès<br />
dans les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> la recherche. Le premier pas vers la solution proposée par moimême,<br />
qui va bientôt être publiée dans un journal scientifique, a été fait par un<br />
savant autrichien il y a plus <strong>de</strong> cent ans maintenant dans son compte rendu, plein<br />
d’humour du reste, d’une thèse <strong>de</strong> doctorat d’un rabbin juif sur Mohammed <strong>et</strong> le<br />
Coran (Aloys Sprenger, cr <strong>de</strong> J. Gastfreund, Mohamed nach Talmud <strong>et</strong> Midrasch.<br />
Berlin, 1875. Dans : ZDMG, 25, 1875, 654-659. On laisse le lecteur imaginer<br />
pourquoi ces lignes ont été oubliées si vite : l’œuvre volumineuse <strong>de</strong> Sprenger sur<br />
Mohammed, l’islam <strong>et</strong> le Coran, mise à l’écart par la science pendant longtemps,
CHAIRE EUROPÉENNE 799<br />
se révèle d’une actualité <strong>et</strong> d’une perspicacité considérables <strong>et</strong> elle est à ré<strong>de</strong>couvrir).<br />
Le <strong>de</strong>rnier essai, encore dans le xx e siècle, <strong>de</strong> résoudre l’énigme <strong>de</strong> ce passage<br />
coranique a été fait par feu l’éminent arabisant autrichien Arne A. Ambros (« Hoere,<br />
ohne zu hoeren — zu Koran 4/46 ». Dans ZDMG 136/1986, 15-22), paru dans<br />
le même journal que le compte rendu <strong>de</strong> Sprenger <strong>et</strong> précisément cent ans après<br />
lui. L’auteur dispose d’un savoir énorme <strong>et</strong> l’applique à son suj<strong>et</strong> en échafaudant<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> constructions <strong>de</strong> parallèles avec d’autres écritures sacrées, notamment l’AT,<br />
sans être capable toutefois <strong>de</strong> présenter une solution plausible, qu’il recherche<br />
toujours dans un sens religieux, sublime <strong>et</strong> caché <strong>de</strong> la phrase — selon la lecture<br />
canonique — « écoute sans écouter ». Il y est condamné parce que le respect absolu<br />
<strong>de</strong> chaque l<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> la version canonique (la conviction d’une tradition orale<br />
authentique y comprise) <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te écriture sacrée, <strong>et</strong> peut-être aussi un scrupule<br />
relevant <strong>de</strong> la foi, l’empêchent <strong>de</strong> voir la solution évi<strong>de</strong>nte <strong>et</strong> requise par tout le<br />
contexte qui consiste à changer les points diacritiques d’une l<strong>et</strong>tre <strong>et</strong> <strong>de</strong> changer<br />
<strong>de</strong>ux voyelles, ce qui donne le sens : « Ne t’adresse pas (à moi, Mohammed) en<br />
disant : iSmaC (avec la sifflante à l’hébreu ou l’araméenne, <strong>et</strong> non pas en arabe :<br />
ismaC !), ce n’est pas ainsi qu’on attire mon oreille (mon attention) ! »<br />
Articles<br />
Publications <strong>et</strong> activités <strong>de</strong> Manfred Kropp 2007-2008<br />
The Ethiopic Satan = Šaytān and its Quranic successor. With a note on verbal stoning.<br />
In : Christianisme Oriental. Kerygme <strong>et</strong> Histoire. Mélanges offerts au père Michel Hayek.<br />
Coordination Charles Chartouni. Paris, 2007, 331-341.<br />
Äthiopische Arabesken im Koran : afro-asiatische Perlen auf Band gereiht, einzeln o<strong>de</strong>r<br />
zu Paaren, diffus verteilt o<strong>de</strong>r an Glanzpunkten konzentriert. In : Schlaglichter. Die bei<strong>de</strong>n<br />
ersten islamischen Jahrhun<strong>de</strong>rte. Groß, Markus und Karl-Heinz Ohlig (Eds.). Berlin :<br />
Schiler, 2008. (Inaarah. Schriften zur frühen Islamgeschichte und zum Koran. 3.)<br />
384-410.<br />
Monumentalised Accountancy from Ancient Ethiopia : The Stele of Maryam Anza.<br />
Dans : 2 nd International Littmann Conference at Aksum — 100 Years German Aksum<br />
Expedition (DAE) 6.-10. Januar 2006 (Sous presse).<br />
Comptes rendus<br />
Wolf Leslau, Reference Grammar of Amharic. Wiesba<strong>de</strong>n, 1995. Dans Oriens Christianus.<br />
91, 2007, 252-254.<br />
Encyclopaedia A<strong>et</strong>hiopica. Wiesba<strong>de</strong>n : Harrassowitz. Volume 1 : A-C, 2003, Volume 2 :<br />
D-Ha, 2005. Dans Oriens Christianus. 91, 2007, 250-254.<br />
Articles dans dictionnaires<br />
‘Āmda-Seyon - Amharische Literatur - Äthiopischer Buchdruck - Äthiopien - Äthiopische<br />
Kirche - Äthiopische Klöster - Dabtarā - Eččagē - Galāwdēwos - Ignazio Guidi - Kebra Nagaśt<br />
- Lālibalā - Ludolf - Wissenschaft vom Christlichen Orient (Äthiopien) - Zar’a-Yā‘qob -<br />
Zeitrechnung in : Kleines Lexikon <strong><strong>de</strong>s</strong> Christlichen Orients. 2. Auflage <strong><strong>de</strong>s</strong> Kleinen Wörterbuchs<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Christlichen Orients. Herausgegeben von Hubert Kaufhold. Wiesba<strong>de</strong>n, 2007.
800 MANFRED KROPP<br />
Participations aux Congrès<br />
Symposium : Frühe Islamgeschichte und <strong>de</strong>r Koran /Early History of Islam<br />
and the Koran. 13.-16. März 2008, Otzenhausen. (Inaarah. 1.). Intervention<br />
« Äthiopische Arabesken im Koran : afro-asiatische Perlen auf Band gereiht, einzeln<br />
o<strong>de</strong>r zu Paaren, diffus verteilt o<strong>de</strong>r an Glanzpunkten konzentriert » (sous presse).<br />
Noms barbares 2, le 18 juin 2008. Séminaire-colloque organisé par le professeur<br />
Michel Tardieu en partenariat avec l’ANR, le CNRS <strong>et</strong> l’EPHE. Intervention<br />
« Noms magiques d’Ethiopie ». Publication en préparation. Résumé :<br />
La magie éthiopienne est représentée, la plupart du temps, par <strong><strong>de</strong>s</strong> talismans<br />
protecteurs (contre maladies <strong>et</strong> malheurs <strong>de</strong> toute sorte), il s’agit donc d’une magie<br />
« blanche », bien que <strong><strong>de</strong>s</strong> exemples <strong>de</strong> magie « noire » soient attestés. Il s’agit, en<br />
général, <strong>de</strong> rouleaux en cuir portés sur le corps ou bien suspendus aux murs <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
maisons. L’obj<strong>et</strong> magique est fait par un magicien <strong>de</strong> profession, généralement un<br />
dabtara, sorte <strong>de</strong> l<strong>et</strong>tré <strong>et</strong> érudit <strong>de</strong> l’église éthiopienne, qui n’est cependant pas<br />
prêtre. A côté <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>voirs comme poète <strong>de</strong> poésie religieuse <strong>et</strong> comme chantre<br />
<strong>et</strong> danseur dans la liturgie, il utilise sa connaissance <strong>de</strong> l’écriture <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> textes sacrés<br />
pour composer les textes magiques <strong><strong>de</strong>s</strong> rouleaux protecteurs <strong>et</strong> d’autres.<br />
Le nom propre joue un rôle éminent dans la culture éthiopienne <strong>et</strong> dans les<br />
croyances populaires, jusqu’au point que le nom se confon<strong>de</strong> avec la personne.<br />
Celui qui le détient a le pouvoir sur la personne. De même, les magiciens éthiopiens<br />
sont toujours à la recherche du vrai <strong>et</strong> puissant nom <strong>de</strong> Dieu, <strong><strong>de</strong>s</strong> anges, mais aussi<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> démons <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> esprits méchants <strong>et</strong> malfaisants. On trouve, dans les textes, toute<br />
sorte <strong>de</strong> noms arbitrairement créés par la fantaisie. Une autre catégorie est formée<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> noms parlants, tirés <strong>de</strong> diverses langues parlées, par exemple « celui qui frappe<br />
à midi », « celui qui frappe dans l’ombre » pour désigner certaines maladies. Mais<br />
la source la plus riche <strong>et</strong> la plus exploitée pour la création <strong><strong>de</strong>s</strong> noms magiques <strong>et</strong><br />
barbares sont <strong><strong>de</strong>s</strong> mots <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> textes en langues étrangères, transcrits en écriture<br />
éthiopienne, naturellement. C’est d’abord la Bible qui offre nombre <strong><strong>de</strong>s</strong> mots <strong>et</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> noms ; viennent ensuite les autres textes liturgiques <strong>et</strong> théologiques ; enfin, il<br />
ne faut pas oublier <strong><strong>de</strong>s</strong> traductions <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> adaptations <strong>de</strong> traités magiques, surtout<br />
<strong>de</strong>puis l’arabe.<br />
Voilà trois exemples typiques :<br />
– certains éléments <strong>de</strong> base (lis, pis, el, ahi, dahi, <strong>et</strong>c.) sont à ajouter aux mots ou<br />
bien à répéter librement pour former <strong><strong>de</strong>s</strong> termes nouveaux ; l’élément confère un<br />
sens général (guérison d’une certaine maladie ; partie <strong>de</strong> l’édifice d’une église, <strong>et</strong>c.) ;<br />
– le carré sator <strong>de</strong>vient sador arador danat a<strong>de</strong>ra rodas <strong>et</strong> est interprété comme<br />
les noms <strong><strong>de</strong>s</strong> clous <strong>de</strong> la sainte croix.<br />
– melos, mot tout à fait artificiel, qui n’a rien à voir avec le grec melos, <strong>et</strong> est,<br />
peut-être, le nom <strong>de</strong> Salomon lu à l’envers, figure dans beaucoup <strong>de</strong> textes<br />
magiques. On lui donne une signification arbitraire mais constante dans la
CHAIRE EUROPÉENNE 801<br />
tradition : « pierre précieuse », « épée ar<strong>de</strong>nte » (<strong>de</strong> Dieu) ou bien « Saint Esprit ».<br />
Ce mot <strong>et</strong> nom magique d’origine « barbare » a fait carrière, jusqu’à entrer dans la<br />
liturgie, <strong>et</strong> il est invoqué lors <strong>de</strong> la consécration <strong>de</strong> l’euchariste.<br />
38 th Seminar for Arabian Studies. London from Thursday 24th — Saturday<br />
26th July 2008. Intervention « People of powerful South Arabian kings or just<br />
“people like others” » (sous presse). Résumé :<br />
One recurring theme of the Qur’an narrates the fates of peoples called upon by<br />
God’s messengers, refusing the divine call to confess His unity and suffering the<br />
subsequent divine wrath and punishment. There are proper names given to some<br />
of these people, their regions or towns as well as to some of the messengers, while<br />
others remain anonymous. Behind these proper names are clearly known Biblical<br />
figures as Fir’awn (Pharao), Lut (Loth) <strong>et</strong>c. However, some of the messengers, e.g.<br />
Salih and Hud, and peoples, e.g. ‘Ad, are commonly thought to be part of an<br />
Arabian historical or legendary heritage. Other proper names have remained<br />
ambiguous or unclear since the beginning of the study of the Quranic texts, <strong><strong>de</strong>s</strong>pite<br />
the efforts of outstanding Muslim commentators.<br />
Thus I do not intend to go astray or g<strong>et</strong> lost in the « thick<strong>et</strong> » (al-Ayka) but try<br />
to give a different meaning to the « people of the Tubba » interpr<strong>et</strong>ed in the<br />
Muslim tradition as the powerful South Arabian, especially Sabaean or Himyarite,<br />
kings. Tradition takes it as a proper name in the sg. to which a pl. tababi’a is<br />
formed. And later « national » Yemenite tradition preserves the memory of the<br />
<strong>de</strong>eds and mis<strong>de</strong>eds of these kings. In general the allusion ma<strong>de</strong> twice in the<br />
Qur’an to the « people of the Tubba’ ? » is accepted as a vague historical memory<br />
of invasions or campaigns of South Arabian kings and armies into Central and<br />
Northwestern Arabia. But one g<strong>et</strong>s the feeling that these stories (rather than the<br />
Tubba’ !) are intru<strong>de</strong>rs and stand out from most other attested peoples of Biblical<br />
origin. Other allusions to South Arabia and Yemen, besi<strong><strong>de</strong>s</strong> the story of Queen<br />
Bilqis (this one also tributary to Biblical and Misdrashic sources), are likewise<br />
hypoth<strong>et</strong>ical (Sura 85 ; Sura 105).<br />
There is an alternative way to interpr<strong>et</strong> the presumed proper name. It may well<br />
originate in a common Arabic and can be explained by a common morphological<br />
pattern (participle or adjective in the plural). It would then be an attribute to the<br />
preceding qawm « people », an expression with several parallels at least as far as<br />
morphology and syntax are concerned. What remains of the common explanation<br />
is in the semantic field of the Arabic root, where, according to the context of the<br />
two passages, qawm tubba ? refers to « people who follow their example », « people<br />
who stick to them », « people of their kind ».<br />
The proposed m<strong>et</strong>hod is not new, but it needs to be applied more consistently<br />
in Quranic studies in or<strong>de</strong>r to gain new insights into the history of its text and to<br />
steer interpr<strong>et</strong>ation away from age-old beaten tracks.
Chaire internationale<br />
M. Pierre Magistr<strong>et</strong>ti, professeur associé<br />
L’enseignement dispensé au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année académique 2007-2008, dans le<br />
cadre <strong>de</strong> la Chaire internationale, intitulé : « Cellules gliales, neuroénergétique <strong>et</strong><br />
maladies neuropsychiatriques » a été centré sur les mécanismes cellulaires <strong>et</strong><br />
moléculaires du métabolisme énergétique cérébral <strong>et</strong> sur le rôle que les cellules<br />
gliales jouent dans ces processus en condition physiologiques <strong>et</strong> pathologiques.<br />
Outre l’enseignement ex-cathedra, un colloque, d’une journée, a été organisé en fin<br />
<strong>de</strong> <strong>cours</strong>, intitulé : « Neurosciences <strong>et</strong> psychanalyse : une rencontre autour <strong>de</strong><br />
l’émergence <strong>de</strong> la singularité ».<br />
Fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> la neuroénergétique<br />
Le <strong>cours</strong> a débuté par la définition d’un certain nombre <strong>de</strong> concepts fondamentaux<br />
<strong>de</strong> la neuroénergétique. La neuroénergétique est un terme dérivé <strong>de</strong> celui <strong>de</strong><br />
bioénergétique <strong>et</strong> qui se réfère aux mécanismes moléculaires <strong>et</strong> cellulaires <strong>de</strong> la<br />
production <strong>et</strong> <strong>de</strong> la consommation d’énergie qui sont directement liés à l’activité<br />
neuronale. En fait, la neuroénergétique représente l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> processus<br />
énergétiques qui sont liés au traitement <strong>de</strong> l’information, au sens large du terme,<br />
par le système nerveux. Le cerveau est un organe qui a d’importantes <strong>de</strong>man<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
énergétiques. En eff<strong>et</strong>, bien que ne représentant que 2 % du poids corporel total,<br />
son activité rend compte <strong>de</strong> 20 à 25 % <strong>de</strong> la consommation d’énergie totale <strong>de</strong><br />
l’organisme. La question qui se pose donc est celle <strong>de</strong> savoir quels sont les<br />
mécanismes propres au cerveau qui requièrent ces <strong>de</strong>man<strong><strong>de</strong>s</strong> importantes d’énergie ?<br />
Pour répondre à c<strong>et</strong>te question, le premier <strong>cours</strong> s’est focalisé sur ce que l’on appelle<br />
le budg<strong>et</strong> énergétique du cerveau <strong>et</strong>, en particulier, du cortex cérébral. Etant donné<br />
que 85 % <strong><strong>de</strong>s</strong> synapses <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones présents dans le cortex utilisent le glutamate<br />
comme neurotransm<strong>et</strong>teur, différents auteurs ont proposé <strong>de</strong> calculer le coût<br />
énergétique <strong>de</strong> la transmission glutamatergique dans le cortex cérébral [1]. Ainsi, si<br />
l’on prend en considération les différents processus moléculaires liés à la
804 PIERRE MAGISTRETTI<br />
neurotransmission glutamatergique, tels que les potentiels d’action, la libération<br />
présynaptique, la recapture <strong>et</strong> le recyclage par les astrocytes périsynaptiques <strong>et</strong><br />
l’action postsynaptique, les chiffres suivants ont été calculés. Pour recycler le<br />
glutamate libéré par 4 000 vésicules, ce recyclage impliquant la transformation du<br />
glutamate en glutamine par l’astrocyte ainsi que sa métabolisation en alphac<strong>et</strong>oglutarate<br />
<strong>et</strong> en aspartate, 11 000 molécules d’ATP sont nécessaires. Au niveau<br />
postsynaptique la libération d’une vésicule <strong>de</strong> glutamate active environ 15 à<br />
50 canaux non-NMDA ayant un temps d’ouverture moyen <strong>de</strong> 1 à 1,5 msec<br />
(millisecon<strong><strong>de</strong>s</strong>) <strong>et</strong> une capacitance d’environ 12 pS (picosiemens). En considérant<br />
une force électrochimique d’environ 120 mV, il ressort un coût d’environ<br />
67 000 molécules d’ATP par vésicule <strong>de</strong> glutamate. Pour ce qui est <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs<br />
NMDA, ce coût est <strong>de</strong> 70 000 molécules d’ATP <strong>et</strong> <strong>de</strong> 3 000 pour les récepteurs<br />
métabotropes. Le maintien <strong><strong>de</strong>s</strong> potentiels <strong>de</strong> repos au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones est estimé<br />
à 3,5 × 10 8 molécules d’ATP par secon<strong>de</strong> <strong>et</strong> au niveau astrocytaire 10 8 molécules<br />
d’ATP par secon<strong>de</strong>. Ramené à un coût par vésicule <strong>de</strong> glutamate libérée, la<br />
transmission glutamatergique, la signalisation pré <strong>et</strong> postsynaptique combinée au<br />
recyclage astrocytaire du glutamate est estimée à 1,6 × 10 5 molécules d’ATP par<br />
vésicule libérée. Pour ce qui est <strong>de</strong> la genèse <strong>et</strong> <strong>de</strong> la propagation du potentiel<br />
d’action, le coût énergétique est estimé à 3,9 8 molécules d’ATP. Dans la mesure où<br />
un potentiel d’action peut évoquer la libération <strong>de</strong> glutamate à partir d’environ<br />
8 000 vésicules synaptique <strong>et</strong> en considérant une fréquence <strong>de</strong> 4 Hz, on arrive à un<br />
coût global <strong>de</strong> 3,3 × 10 8 molécules d’ATP. Si l’on ajoute à ces coûts la consommation<br />
liée aux eff<strong>et</strong>s post-synaptiques on aboutit à un coût global <strong>de</strong> 7 × 10 8 molécules<br />
d’ATP par neurone par potentiel d’action. En intégrant ces coûts pour une<br />
fréquence <strong>de</strong> décharge à 4 Hz la consommation globale serait <strong>de</strong> 3,3 × 10 9 molécules<br />
d’ATP par neurone par secon<strong>de</strong>. Avec une <strong>de</strong>nsité au niveau cortical d’environ<br />
9,2 × 10 7 neurones par cm 3 , donc par gramme [2], on calcule une consommation<br />
globale d’énergie par la matière grise <strong>de</strong> 30 à 40 ATP/mmol/g/min. C<strong>et</strong>te valeur<br />
correspond bien à celle mesurée par la technique du 2-déoxyglucose [3], avec<br />
laquelle on obtient <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs <strong>de</strong> 30 à 50 mmol/g/min. Pour ce qui est <strong><strong>de</strong>s</strong> différents<br />
processus liés à la neurotransmission glutamatergique, leur contribution relative se<br />
répartirait <strong>de</strong> la manière suivante : 47 % pour les potentiels d’action, 35 % pour les<br />
réponses postsynaptiques, 12 % pour le maintien <strong><strong>de</strong>s</strong> potentiels <strong>de</strong> repos <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
gradients électrochimiques, 3 % pour le recyclage glial du glutamate <strong>et</strong> 3 % pour<br />
l’activité <strong>de</strong> libération à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> terminaisons [1]. Si l’on m<strong>et</strong> en relation c<strong>et</strong>te<br />
consommation liée à la transmission glutamatergique avec la consommation globale<br />
d’énergie par le cortex cérébral, il en résulte une consommation d’environ 15 % qui<br />
serait déterminée par <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes autres que la transmission glutamatergique,<br />
notamment par <strong><strong>de</strong>s</strong> processus <strong>de</strong> fonctionnement commun à toutes les cellules <strong>de</strong><br />
l’organisme. En résumé, il apparaît que la transmission glutamatergique constitue<br />
environ 85 % du coût énergétique cérébral. Des calculs analogues ont été effectués<br />
chez le primate, en prenant en compte la <strong>de</strong>nsité synaptique, le nombre <strong>de</strong> neurones<br />
par mm 3 , les fréquences <strong>de</strong> décharge <strong>et</strong> ont abouti à une estimation d’un coût
CHAIRE INTERNATIONALE 805<br />
énergétique <strong>de</strong> 2,5 × 10 9 molécules d’ATP par neurone par potentiel d’action, ce<br />
qui correspond à peu près à un coût <strong>de</strong> 2,5 fois inférieur à celui déterminé chez le<br />
rongeur [4].<br />
Le couplage métabolique neurone-glie<br />
Ayant déterminé quels sont les processus liés à l’activité neuronale qui<br />
consomment <strong>de</strong> l’énergie, le <strong>cours</strong> a abordé l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes qui sont à la<br />
base du couplage entre l’activité neuronale <strong>et</strong> la consommation d’énergie. En eff<strong>et</strong>,<br />
une <strong><strong>de</strong>s</strong> questions encore aujourd’hui ouvertes en neurobiologie <strong>et</strong> en<br />
neuroénergétique spécifiquement, est celle <strong>de</strong> savoir comment les événements<br />
électrochimiques qui se produisent au niveau neuronal <strong>et</strong>, en particulier, au niveau<br />
synaptique, se traduisent par une augmentation <strong>de</strong> la disponibilité <strong>de</strong> substrats<br />
énergétiques localement en lien direct avec l’activité neuronale. Dans c<strong>et</strong>te partie<br />
du <strong>cours</strong>, les <strong>travaux</strong> du laboratoire ont été présentés. Ces <strong>travaux</strong> ont permis <strong>de</strong><br />
m<strong>et</strong>tre en évi<strong>de</strong>nce un rôle central d’un type particulier <strong>de</strong> cellules gliales dans ce<br />
couplage métabolique. En eff<strong>et</strong>, les astrocytes ont une disposition morphologique<br />
particulière, possédant <strong><strong>de</strong>s</strong> processus qui entourent, en gran<strong>de</strong> partie, les profils<br />
synaptiques <strong>et</strong> d’autres qui recouvrent les parois <strong><strong>de</strong>s</strong> capillaires intraparenchymateux.<br />
Ces <strong>de</strong>rniers processus périvasculaires sont appelés les pieds astrocytaires. Au<br />
laboratoire, nous avons démontré que le glutamate libéré présynaptiquement est<br />
recapté, <strong>de</strong> manière très efficace, par les astrocytes au travers <strong>de</strong> transporteurs<br />
spécifiques dénommés EAAC1 <strong>et</strong> EAAC2 qui utilisent le gradient électrochimique<br />
du sodium comme force électrochimique pour transporter le glutamate à l’intérieur<br />
<strong>de</strong> l’astrocyte contre son gradient chimique. C<strong>et</strong>te entrée <strong>de</strong> sodium active la<br />
sodium/potassium-ATPase qui en consommant <strong>de</strong> l’ATP en diminue la disponibilité<br />
<strong>et</strong> donc active comme, par un mécanisme homéostatique, l’entrée <strong>de</strong> glucose dans<br />
l’astrocyte. De manière surprenante, le glucose recapté par ce mécanisme est<br />
relargué sous forme <strong>de</strong> lactate qui peut être consommé par le neurone après<br />
conversion en pyruvate. Le pyruvate peut intégrer le cycle <strong>de</strong> Krebs <strong>et</strong> produire par<br />
la phosphorylation oxydative à laquelle il est couplé 17 ATP par molécule [5].<br />
La nav<strong>et</strong>te lactate astrocyte-neurone<br />
Les différents éléments moléculaires <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te « nav<strong>et</strong>te lactate astrocyte-neurones »<br />
ont été caractérisés. Ainsi, les transporteurs au monocarboxylate (MCT) qui<br />
perm<strong>et</strong>tent le transfert intercellulaire du lactate sont sélectivement exprimés :<br />
MCT1 au niveau astrocytaire <strong>et</strong> MCT2 au niveau neuronal. De plus, l’expression<br />
<strong>de</strong> l’enzyme lactate <strong><strong>de</strong>s</strong>hydrogénase (LDH) présente aussi une distribution cellulaire<br />
sélective. Ainsi la forme LDH1, forme qui est exprimée dans <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus <strong>et</strong> cellules<br />
qui utilisent le lactate comme substrat comme, par exemple le myocar<strong>de</strong>, est<br />
sélectivement exprimée au niveau neuronal alors que la forme LDH5, qui elle est<br />
exprimée dans les tissus glycolytiques produisant du lactate, sont exprimés <strong>de</strong><br />
manière sélective au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> astrocytes. Ainsi il semble exister un mécanisme<br />
direct <strong>de</strong> couplage entre l’activité synaptique <strong>et</strong> la consommation <strong>de</strong> glucose qui
806 PIERRE MAGISTRETTI<br />
m<strong>et</strong> en jeu les astrocytes, le recaptage <strong>de</strong> glutamate par ces cellules <strong>et</strong> la production<br />
<strong>de</strong> lactate à partir <strong>de</strong> glucose importé <strong>de</strong>puis les capillaires, qui peut ensuite être<br />
utilisé comme substrat énergétique par les neurones [6].<br />
L’utilisation <strong>de</strong> souris chez lesquelles le gène codant pour le transporteur du<br />
glutamate glial a été invalidé a démontré clairement, qu’en l’absence <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />
molécule, le couplage entre l’activité synaptique glutamatergique <strong>et</strong> l’utilisation <strong>de</strong><br />
glucose n’a pas lieu [7]. Des expériences conduites par l’utilisation d’oligonucléoti<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
antisens ciblés contre le transporteur au glutamate glial ont donné <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats<br />
analogues [8]. Les expériences ont été conduites dans les <strong>de</strong>ux cas dans la voie<br />
somato-sensorielle qui connecte les vibrisses aux barrils.<br />
Le coût énergétique <strong>de</strong> la neurotransmission inhibitrice<br />
La question qui a été ensuite abordée dans le <strong>cours</strong> est celle du coût énergétique<br />
<strong>de</strong> la transmission inhibitrice. En eff<strong>et</strong>, environ 10 % <strong><strong>de</strong>s</strong> synapses corticales sont<br />
GABAergiques. Les résultats démontrent toutefois que le GABA, bien que recapté<br />
par l’astrocyte, ne modifie pas, <strong>de</strong> manière suffisante, l’homéostasie sodique, le<br />
signal principal pour l’activation <strong>de</strong> la sodium/potassium-ATPase <strong>et</strong> la réponse<br />
métabolique qui lui est couplée. Les augmentations <strong>de</strong> sodium induites par le<br />
recaptage <strong>de</strong> GABA sont marginales avec une cinétique lente qui n’aboutit pas à<br />
une activation rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la sodium/potassium-ATPase. Le GABA n’active donc pas<br />
la glycolyse astrocytaire. L’absence d’eff<strong>et</strong> métabolique du GABA au niveau <strong>de</strong><br />
l’astrocyte soulève la question du coût énergétique <strong>de</strong> la transmission inhibitrice <strong>et</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes <strong>de</strong> couplage pour faire face à ces besoins. L’organisation synaptique<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> neurones GABAergiques fournit une piste <strong>de</strong> réflexion. En eff<strong>et</strong>, la gran<strong>de</strong><br />
majorité <strong>de</strong> ces neurones sont <strong><strong>de</strong>s</strong> interneurones, notamment au niveau du cortex<br />
cérébral. Ces interneurones GABAergiques reçoivent eux-mêmes <strong><strong>de</strong>s</strong> afférences<br />
glutamatergiques. Une explication possible dès lors est que lors <strong>de</strong> la libération <strong>de</strong><br />
glutamate dans une région corticale, l’entrée <strong>de</strong> glucose dans le parenchyme<br />
médié par la transmission glutamatergique fournit suffisamment d’énergie<br />
localement pour également faire face aux besoins énergétiques <strong><strong>de</strong>s</strong> interneurones<br />
GABAergiques.<br />
Ce point <strong>de</strong> vue est d’ailleurs conforté par les expériences conduites au laboratoire<br />
qui ont démontré que le signal glutamatergique est amplifié du point <strong>de</strong> vue<br />
spatial par le biais <strong><strong>de</strong>s</strong> jonctions communicantes (gap junctions) qui existent entre<br />
les astrocytes. En eff<strong>et</strong>, le glutamate stimule la production d’une vague calcique<br />
qui se propage <strong>de</strong> proche en proche entre les astrocytes, notamment par le biais<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> jonctions communicantes ; divers laboratoires on démontré que c<strong>et</strong>te vague<br />
calcique stimule la libération locale <strong>de</strong> glutamate à partir <strong>de</strong> l’astrocyte [9]. Le<br />
glutamate ainsi libéré à partir d’astrocytes est recapté par les astrocytes adjacents<br />
produisant, comme cela pouvait être prévu, une entrée <strong>de</strong> sodium <strong>et</strong> une propagation<br />
d’une vague sodique. C<strong>et</strong>te même vague sodique déclenche par les mécanismes<br />
décrits précé<strong>de</strong>mment, l’entrée <strong>de</strong> glucose <strong>et</strong> produit donc une vague métabolique.
CHAIRE INTERNATIONALE 807<br />
Ainsi, suite à l’activation métabolique localisée produite par la libération synaptique<br />
<strong>de</strong> glutamate, le couplage qui aboutit à l’entrée <strong>de</strong> glucose localement, est amplifié<br />
par l’existence <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te vague métabolique produite par la libération <strong>de</strong> glutamate<br />
par les astrocytes. Ainsi ce mécanisme augmente considérablement le volume<br />
cortical au sein duquel le glucose est importé en réponse à l’activation<br />
synaptique [10]. C<strong>et</strong>te amplification du signal métabolique perm<strong>et</strong> également <strong>de</strong><br />
fournir les substrats énergétiques aux interneurones GABAergiques qui ne semblent<br />
pas avoir <strong>de</strong> mécanisme <strong>de</strong> couplage neurométabolique direct.<br />
Le lactate comme substrat énergétique pour l’activité neuronale<br />
L’utilisation <strong>de</strong> lactate comme substrat énergétique a également été discutée. En<br />
eff<strong>et</strong>, par <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences <strong>de</strong> résonance magnétique par spectroscopie (MRS) il a<br />
été possible <strong>de</strong> démontrer que les neurones, en présence <strong>de</strong> concentrations égales<br />
<strong>de</strong> lactate <strong>et</strong> <strong>de</strong> glucose, consomment <strong>de</strong> manière préférentielle le lactate, dans un<br />
rapport <strong>de</strong> 9 à 1 [11]. Dès lors, il semble que le lactate soit, non seulement un<br />
substrat utilisable par les neurones mais, qu’en fait, il s’agirait d’un substrat<br />
préférentiel.<br />
Kasischke <strong>et</strong> collaborateurs [12], ont analysé par microscopie biphotonique le<br />
signal NADH/NAD + comme marqueur <strong>de</strong> la glycolyse (augmentation du signal)<br />
ou <strong>de</strong> la phosphorylation oxydative (baisse <strong>de</strong> NADH), lors <strong>de</strong> l’activité synaptique.<br />
Ces expériences ont permis d’apporter <strong><strong>de</strong>s</strong> informations sur la cinétique <strong>et</strong> la<br />
séquence <strong><strong>de</strong>s</strong> processus qui constituent la nav<strong>et</strong>te lactate astrocyte neurone. D’après<br />
ces expériences, suite à une activation neuronale, il existe une utilisation rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
lactate <strong>et</strong> son oxydation par les neurones. À c<strong>et</strong>te première phase, illustrée par une<br />
diminution du signal NADH localisée sélectivement au niveau neuronal, suit une<br />
réponse glycolytique marquée par l’augmentation du signal NADH <strong>et</strong> qui est<br />
exclusivement localisé au niveau astrocytaire. Ainsi, il semble que lors <strong>de</strong> l’activation,<br />
les neurones utilisent rapi<strong>de</strong>ment les substrats énergétiques disponibles dans<br />
l’espace extracellulaire, vraisemblablement du lactate <strong>et</strong> que le mécanisme médié<br />
par le transporteur au glutamate reconstitue ce pool extracellulaire <strong>de</strong> lactate pour<br />
les utilisations subséquentes [13].<br />
La question <strong>de</strong> l’utilisation du lactate <strong>de</strong> manière préférentielle par les neurones<br />
a ensuite été abordée à la lumière <strong>de</strong> données bien établies <strong>de</strong> la biochimie ainsi<br />
que <strong>de</strong> données récentes fournies par la résonance magnétique spectroscopique.<br />
Ainsi, le lactate peut être utilisé sans aucun investissement d’ATP, contrairement<br />
au glucose, par une simple conversion en pyruvate sous l’action <strong>de</strong> la lactate<br />
déshydrogénase. Il apparaît dès lors que l’utilisation <strong>de</strong> ce substrat qui ne comporte<br />
pas investissement d’énergie, est avantageuse du point <strong>de</strong> vue énergétique.<br />
Lactate <strong>et</strong> transfert d’équivalents réducteurs<br />
D’autre part, le lactate est transporté à travers les membranes via les transporteurs<br />
en monocarboxylate par un mécanisme <strong>de</strong> co-transport avec <strong><strong>de</strong>s</strong> protons, donc
808 PIERRE MAGISTRETTI<br />
d’un pouvoir réducteur. Cerdan <strong>et</strong> collaborateurs ont démontré que la nav<strong>et</strong>te<br />
lactate astrocyte neurone perm<strong>et</strong>tait d’effectuer un transfert d’équivalents réducteurs<br />
entre les astrocytes <strong>et</strong> les neurones [14]. Ainsi, lorsque le lactate est capté par les<br />
neurones, la conversion <strong>de</strong> lactate en pyruvate consomme du NAD + <strong>et</strong> inhibe la<br />
consommation <strong>de</strong> glucose par les neurones. Les résultats <strong>de</strong> Barros <strong>et</strong><br />
collaborateurs [15] démontrent d’ailleurs une inhibition <strong>de</strong> la consommation <strong>de</strong><br />
glucose par les neurones lors <strong>de</strong> l’activation neuronale.<br />
Ainsi, l’utilisation <strong>de</strong> lactate par le neurone a le double avantage <strong>de</strong> fournir sous<br />
forme <strong>de</strong> lactate, <strong>de</strong> l’énergie rapi<strong>de</strong>ment utilisable pour la phosphorylation<br />
oxydative ainsi que <strong><strong>de</strong>s</strong> équivalents réducteurs. En quoi la disponibilité d’équivalents<br />
réducteurs est-elle importante pour les neurones ? Entre ici en jeu le fait que les<br />
neurones ont une activité oxydative importante qui a comme eff<strong>et</strong> collatéral une<br />
forte production <strong>de</strong> radicaux libres. Ainsi, l’activité <strong>de</strong> la phosphorylation oxydative<br />
<strong>et</strong> d’enzymes tels les oxygénases sont <strong><strong>de</strong>s</strong> contributeurs importants à la formation<br />
<strong>de</strong> ces molécules qui présentent un danger pour l’intégrité cellulaire. Des mécanismes<br />
d’inactivation <strong>de</strong> ces radicaux libres existent, notamment par l’activité <strong>de</strong> la<br />
superoxy<strong>de</strong> dismutase (SOD) qui perm<strong>et</strong> la formation <strong>de</strong> peroxy<strong>de</strong> d’hydrogène à<br />
partir <strong>de</strong> radicaux libres. Ce peroxy<strong>de</strong> d’hydrogène représente en soi encore une<br />
molécule potentiellement toxique ; elle est toutefois prise en charge par l’enzyme<br />
glutathion peroxydase qui utilise la capacité réductrice du glutathion réduit pour<br />
produire <strong>de</strong> l’eau en consommant <strong><strong>de</strong>s</strong> équivalents réducteurs. La glutathion<br />
réductase perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> régénérer le glutathion réduit. C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière réaction nécessite<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> équivalents réducteurs sous forme <strong>de</strong> NADPH. On voit donc que le neurone,<br />
site important <strong>de</strong> production <strong>de</strong> radicaux libres dépend <strong>de</strong> l’astrocyte pour la<br />
fourniture d’équivalents réducteurs. Il en dépend également pour la production <strong>de</strong><br />
glutathion. En eff<strong>et</strong>, les neurones ne peuvent pas capter la cystine, qui une fois<br />
transformée en cystéine, est un <strong><strong>de</strong>s</strong> aci<strong><strong>de</strong>s</strong> aminés qui constituent le glutathion avec<br />
la glycine <strong>et</strong> le glutamate. Les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Dringen <strong>et</strong> collaborateurs [16] ont montré<br />
que les neurones dépen<strong>de</strong>nt <strong><strong>de</strong>s</strong> astrocytes pour la synthèse <strong>de</strong> glutathion. En eff<strong>et</strong>,<br />
le glutathion synthétisé par l’astrocyte, est libéré dans l’espace extracellulaire au<br />
travers <strong>de</strong> transporteurs appartenant à la famille <strong><strong>de</strong>s</strong> multidrug resistance proteins<br />
(MRP). Une fois libéré dans l’espace extracellulaire, le glutathion est clivé en un<br />
dipepti<strong>de</strong>, la cystéine-glycine, qui peut être recaptée par le neurone. La cystéineglycine<br />
est couplée ensuite au glutamate ce qui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> produire le glutathion<br />
à l’intérieur du neurone.<br />
Un point qui a donc été particulièrement discuté dans le <strong>cours</strong>, est celui la<br />
dépendance <strong>de</strong> l’astrocyte <strong>de</strong> la part du neurone, non seulement du point <strong>de</strong> vue<br />
énergétique sous forme d’ATP mais également du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> sa capacité<br />
réductrice. De manière intéressante, <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> récents démontrent que le<br />
glutamate lui-même stimule la libération <strong>de</strong> glutathion à partir <strong>de</strong> l’astrocyte [17].<br />
Ainsi, un stimulus synaptique, le glutamate, déclenche la libération <strong>de</strong> lactate <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> glutathion à partir <strong>de</strong> l’astrocyte, ces <strong>de</strong>ux substrats métaboliques étant essentiels<br />
pour l’équilibre énergétique du neurone.
Les flux métaboliques astrocytaires<br />
CHAIRE INTERNATIONALE 809<br />
Une autre question concernant le couplage métabolique astrocyte-neurone a été<br />
abordée, afin d’éclairer le fait que l’astrocyte, bien que présentant <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>nsités<br />
mitochondriales appréciables, produit du lactate en présence d’oxygène au lieu<br />
d’oxy<strong>de</strong>r le pyruvate. Diverses explications sont possibles. L’une d’entre elles<br />
implique le fait que l’enzyme clé pour l’entrée du pyruvate dans le cycle <strong>de</strong> Krebs,<br />
la pyruvate déshydrogénase, serait inhibée au niveau <strong>de</strong> l’astrocyte, du fait <strong>de</strong> son<br />
<strong>de</strong>gré <strong>de</strong> phosphorylation. Des résultats du groupe <strong>de</strong> Sokoloff, montrent que le<br />
dichloroacétate qui a comme action d’activer la pyruvate déshydrogénase, diminue<br />
considérablement la production <strong>de</strong> lactate à partir <strong>de</strong> l’astrocyte [18]. Récemment,<br />
la mesure directe <strong>de</strong> l’activité oxydative basale <strong>de</strong> l’astrocyte a pu être réalisée, en<br />
utilisant l’acétate. Ainsi, les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Waniewski ont montré que ce substrat est<br />
capté <strong>de</strong> manière sélective par les astrocytes [19]. L’acétate marqué par le carbone 13<br />
est actuellement utilisé dans <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences <strong>de</strong> résonance magnétique spectroscopique<br />
pour mesurer in vivo l’activité oxydative astrocytaire. Les résultats récents<br />
du groupe <strong>de</strong> Ne<strong>de</strong>rgaard [20] qui ont procédé à une analyse transcriptomique à<br />
partir <strong>de</strong> préparations d’astrocytes isolés <strong>de</strong> manière aiguë <strong>et</strong> sélective, ont démontré<br />
la présence d’enzymes du cycle <strong>de</strong> Krebs <strong>et</strong> <strong>de</strong> la phosphorylation oxydative. Dans<br />
ces mêmes expériences, les auteurs ont toutefois démontré une importante<br />
production <strong>de</strong> lactate à partir <strong>de</strong> glucose par les astrocytes. La conclusion qui peut<br />
être tirée à partir <strong>de</strong> ces expériences, est que l’astrocyte a une capacité oxydative<br />
réelle, mais qui est rapi<strong>de</strong>ment dépassée par l’augmentation du flux glycolytique<br />
stimulé par le glutamate qui <strong>de</strong> fait aboutit à la production <strong>et</strong> libération <strong>de</strong> lactate<br />
même en présence d’oxygène par l’astrocyte. Son activité oxydative est donc<br />
présente mais limitée.<br />
Rôle du glycogène astrocytaire<br />
Le <strong>cours</strong> a ensuite abordé une caractéristique particulière du métabolisme<br />
astrocytaire, à savoir la présence <strong>de</strong> glycogène. En eff<strong>et</strong>, le glycogène est<br />
exclusivement localisé au niveau astrocytaire, à l’exception <strong>de</strong> quelques neurones<br />
<strong>de</strong> gran<strong>de</strong> taille au niveau du tronc cérébral. Des expériences conduites au<br />
laboratoire ont démontré l’existence d’un nombre restreint <strong>de</strong> neurotransm<strong>et</strong>teurs<br />
qui mobilisent le glycogène astrocytaire <strong>et</strong> aboutissent à la production <strong>de</strong> lactate.<br />
Ces neurotransm<strong>et</strong>teurs sont le VIP, la noradrénaline <strong>et</strong> l’adénosine, tous agissant<br />
pour l’essentiel, via <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs spécifiques couplés à <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines G qui ellesmêmes<br />
aboutissent à l’activation <strong>de</strong> la casca<strong>de</strong> AMP cyclique [21]. Le rôle <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />
mobilisation du glycogène médié par certains neurotransm<strong>et</strong>teurs est <strong>de</strong> fournir,<br />
lors <strong>de</strong> l’activation, <strong><strong>de</strong>s</strong> substrats énergétiques aux neurones sous forme <strong>de</strong> lactate.<br />
Des expériences conduites en laboratoire ont permis <strong>de</strong> démontrer un eff<strong>et</strong><br />
biphasique dans la régulation du métabolisme du glycogène astrocytaire par les<br />
neurotransm<strong>et</strong>teurs. En eff<strong>et</strong>, suite à l’eff<strong>et</strong> glycogénolytique rapi<strong>de</strong> qui se déploie<br />
en quelques secon<strong><strong>de</strong>s</strong>, une resynthèse massive du glycogène est activée. C<strong>et</strong>te
810 PIERRE MAGISTRETTI<br />
resynthèse dépend <strong>de</strong> l’induction <strong>de</strong> gènes. Le gène qui est induit <strong>de</strong> manière<br />
significative est celui qui co<strong>de</strong> pour le protein targ<strong>et</strong>ing glycogen (PTG). Le PTG<br />
est une protéine <strong>de</strong> type « chaperone » qui favorise la compartimentalisation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
enzymes responsables <strong>de</strong> la resynthèse <strong>de</strong> glycogène. Ainsi, une induction <strong>de</strong><br />
l’expression <strong>de</strong> PTG aboutit à une orientation du métabolisme du glucose vers la<br />
synthèse <strong>de</strong> glycogène plutôt que vers la glycolyse. Une série d’expériences conduites<br />
au laboratoire a permis <strong>de</strong> montrer un rôle <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te resynthèse <strong>de</strong> glycogène induite<br />
par le PTG dans le cycle veille-sommeil. En eff<strong>et</strong>, le PTG présente une variation<br />
circadienne avec une augmentation <strong>de</strong> l’expression en fin <strong>de</strong> pério<strong>de</strong> d’éveil. Si<br />
c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> d’éveil est prolongée par une déprivation <strong>de</strong> sommeil, l’induction <strong>de</strong><br />
PTG est massive. Il ne s’agit pas seulement d’une augmentation <strong>de</strong> l’expression <strong>de</strong><br />
gène ; en eff<strong>et</strong> il s’en suit une conséquence fonctionnelle dans la mesure où l’activité<br />
<strong>de</strong> la glycogène synthase est fortement augmentée [22]. Une récupération <strong>de</strong><br />
sommeil <strong>de</strong> 3 heures rétablit les niveaux <strong>de</strong> PTG <strong>et</strong> l’activité <strong>de</strong> la glycogène<br />
synthase. Nous avons interprété ces résultats <strong>de</strong> la manière suivante : lors <strong>de</strong> la<br />
pério<strong>de</strong> d’éveil <strong>et</strong> d’activité, <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes transcriptionnels sont enclenchés par<br />
le VIP, la noradrénaline <strong>et</strong> l’adénosine qui aboutissent à l’induction <strong>de</strong> l’expression<br />
<strong>de</strong> PTG. C<strong>et</strong>te augmentation <strong>de</strong> l’expression <strong>de</strong> PTG prépare, du point <strong>de</strong> vue<br />
métabolique, le cortex cérébral à une phase d’endormissement. En eff<strong>et</strong>, dans ces<br />
conditions qui favorisent l’induction du sommeil, le glucose sera stocké<br />
préférentiellement sous forme <strong>de</strong> glycogène plutôt que d’être utilisé. C<strong>et</strong>te série<br />
d’observations est en ligne avec le constat général d’un rôle homéostatique<br />
énergétique du sommeil [23].<br />
Un nouveau paradigme : la plasticité métabolique<br />
Un aspect nouveau abordé récemment au laboratoire a été présenté <strong>et</strong> discuté<br />
dans le <strong>cours</strong>. Il s’agit <strong>de</strong> l’hypothèse selon laquelle le couplage neurométabolique<br />
entre astrocytes <strong>et</strong> neurones pourrait être suj<strong>et</strong> à <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes <strong>de</strong> plasticité<br />
comme le sont les mécanismes liés à la transmission synaptique. En d’autres termes<br />
la question posée est celle <strong>de</strong> savoir si <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes <strong>de</strong> plasticité métabolique<br />
localisés au niveau astrocytaire sont nécessaires, voire indispensables à l’expression<br />
<strong>de</strong> la plasticité synaptique. Pour illustrer ce point, <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats récents du<br />
laboratoire ont été présentés. Il s’agit d’expériences d’apprentissage spatial chez la<br />
souris, apprentissage dont on sait qu’il s’accompagne <strong>de</strong> modifications <strong>de</strong> la<br />
plasticité synaptique au niveau <strong>de</strong> diverses régions <strong>de</strong> l’hippocampe. Ces animaux<br />
ont été soumis à un apprentissage spatial <strong>de</strong> type labyrinthe à 8 bras, dont 3 sont<br />
appâtés par <strong>de</strong> la nourriture. En quelques jours, les souris apprennent à i<strong>de</strong>ntifier<br />
les bras appâtés à partir <strong>de</strong> repères spatiaux ; après 7 jours, ils atteignent l’objectif<br />
avec une précision proche <strong>de</strong> 100 %. Afin d’i<strong>de</strong>ntifier ce que l’on pourrait appeler<br />
une « trace métabolique » <strong>de</strong> la plasticité, les expériences d’autoradiographie au<br />
2-désoxyglucose ont été réalisées chez ces souris au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’apprentissage. Il a<br />
été mis en évi<strong>de</strong>nce une activation <strong>de</strong> différentes sous-régions <strong>de</strong> l’hippocampe qui<br />
varie selon le <strong>de</strong>gré d’apprentissage. De manière très frappante, lorsque l’on
CHAIRE INTERNATIONALE 811<br />
effectue une expérience <strong>de</strong> rappel, 5 jours après le <strong>de</strong>rnier jour d’apprentissage, le<br />
gyrus <strong>de</strong>ntelé est la seule sous-région <strong>de</strong> l’hippocampe activée, alors qu’à la fin <strong>de</strong><br />
9 jours d’apprentissage, lorsque la performance comportementale est i<strong>de</strong>ntique à<br />
celle observée au <strong>cours</strong> du rappel, les régions CA1 <strong>et</strong> CA3 sont activées [24].<br />
Ainsi, en présence d’une performance comportementale i<strong>de</strong>ntique, <strong><strong>de</strong>s</strong> régions<br />
différentes sont activées. Ces données laissent entrevoir la possibilité d’une<br />
plasticité métabolique qui s’installe au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’apprentissage. Actuellement, les<br />
expériences portent sur l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> gènes codant pour <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines<br />
impliquées dans le couplage métabolique neurone-glie, mesurées par PCR<br />
quantitative à partir <strong>de</strong> microdissections effectuées par microscopie à capture laser,<br />
dans l’hippocampe d’animaux ayant suivi les protocoles d’apprentissage en utilisant<br />
la « trace métabolique » fournie par l’autoradiographie au 2DG comme in<strong>de</strong>x<br />
<strong>de</strong> localisation.<br />
Un <strong>de</strong>uxième aspect <strong>de</strong> la plasticité métabolique potentielle a été également<br />
présenté, sur la base <strong>de</strong> résultats très récents, obtenus au laboratoire. La question<br />
posée était celle <strong>de</strong> savoir si <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions pathologiques pourraient modifier le<br />
phénotype métabolique astrocytaire. Afin d’abor<strong>de</strong>r c<strong>et</strong>te question, nous avons<br />
exposé chroniquement les astrocytes à un environnement pro-inflammatoire<br />
représenté par les cytokines pro-inflammatoires comme l’interleukine 1 bêta ou le<br />
TNF alpha. Ces expériences ont par ailleurs été conduites en présence <strong>de</strong> la forme<br />
pathologique <strong>de</strong> la bêta-amyloï<strong>de</strong>, la forme 1-42, qui est présente dans les plaques<br />
<strong>de</strong> patients présentant la maladie d’Alzheimer. Les résultats indiquent un eff<strong>et</strong><br />
important <strong>de</strong> l’environnement pro-inflammatoire qui aboutit à un profil<br />
métabolique <strong>de</strong> l’astrocyte considérablement différent. En eff<strong>et</strong>, les cytokines<br />
augmentent significativement le captage <strong>de</strong> glucose en conditions basales par<br />
l’astrocyte tout en diminuant aussi bien le contenu en glycogène que la production<br />
<strong>de</strong> lactate. On peut ainsi déduire qu’en présence d’un environnement proinflammatoire<br />
le rôle <strong>de</strong> l’astrocyte, comme stock énergétique <strong>et</strong> fournisseur <strong>de</strong><br />
substrat énergétiques aux neurones, est considérablement altéré. Pour ce qui est <strong>de</strong><br />
l’excès <strong>de</strong> glucose capté, il est traité par la voie <strong><strong>de</strong>s</strong> pentoses phosphates <strong>et</strong> par le<br />
cycle <strong>de</strong> Krebs <strong>et</strong> la phosphorylation oxydative qui sont fortement augmentés [25].<br />
Ainsi, la production <strong>de</strong> radicaux libres par la phosphorylation oxydative est stimulée<br />
en même temps que le mécanisme contre-régulateur, qui est la stimulation du<br />
shunt <strong><strong>de</strong>s</strong> pentoses qui représente la voie principale pour la production d’équivalents<br />
réducteurs qui perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> neutraliser les radicaux libres. L’astrocyte, en présence<br />
<strong>de</strong> cytokines, se trouve donc métaboliquement dans une sorte <strong>de</strong> cycle futile au<br />
<strong>cours</strong> duquel la production <strong>de</strong> radicaux libres est augmentée en même que les<br />
mécanismes <strong>de</strong> défense contre ces <strong>de</strong>rniers. On peut déduire également que la<br />
fonction neuroprotectrice <strong>de</strong> l’astrocyte se trouve ainsi diminuée. Ceci a été validé<br />
en démontrant qu’en présence d’astrocytes qui ont préalablement été exposés à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
cytokines, les neurones sont moins résistants à un stimulus potentiellement toxique<br />
comme un excès <strong>de</strong> glutamate. Il est à noter que tous les eff<strong>et</strong>s <strong><strong>de</strong>s</strong> cytokines sur<br />
le phénotype métabolique astrocytaire sont potentialisés par la présence
812 PIERRE MAGISTRETTI<br />
concomitante <strong>de</strong> bêta-amyloï<strong>de</strong> 1-42. Il semble dès lors que l’environnement<br />
extracellulaire qui caractérise la maladie d’Alzheimer au niveau cortical, à savoir la<br />
présence <strong>de</strong> cytokines pro-inflammatoires <strong>et</strong> <strong>de</strong> bêta-amyloï<strong>de</strong>, modifie la capacité<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> astrocytes à effectuer un soutien métabolique aux neurones.<br />
L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> la bêta-amyloï<strong>de</strong> dans sa forme toxique 1-42, nous a amenés<br />
à m<strong>et</strong>tre en évi<strong>de</strong>nce un mécanisme d’internalisation <strong>de</strong> la bêta-amyloï<strong>de</strong> par<br />
l’astrocyte, qui implique la mise en jeu <strong>de</strong> récepteurs <strong>de</strong> type « scavenger ». Ainsi,<br />
<strong>de</strong> manière sélective, la bêta-amyloï<strong>de</strong> dans une certaine forme d’agrégation<br />
fibrillaire uniquement est internalisée par les astrocytes. Des expériences récentes<br />
conduites au laboratoire indiquent que c<strong>et</strong>te internalisation <strong>de</strong> l’amyloï<strong>de</strong> par<br />
l’astrocyte est un mécanisme indispensable pour l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te protéine sur le<br />
phénotype métabolique <strong>de</strong> l’astrocyte. La voie reste donc ouverte pour étudier les<br />
mécanismes qui associent <strong>de</strong> manière causale l’internalisation <strong>de</strong> la bêta-amyloï<strong>de</strong><br />
par l’astrocyte <strong>et</strong> la modification <strong>de</strong> son phénotype métabolique.<br />
D’autres évi<strong>de</strong>nces <strong>de</strong> plasticité astrocytaire, notamment morphologiques, se<br />
déployant en parallèle à <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes <strong>de</strong> plasticité synaptique ont été fournies par<br />
divers laboratoires, Ainsi Welker <strong>et</strong> collaborateurs [26] ont démontré une<br />
augmentation considérable <strong>de</strong> la couverture astrocytaire <strong><strong>de</strong>s</strong> épines <strong>de</strong>ndritiques dans<br />
les barrils du cortex somato-sensoriel suite à une stimulation soutenue <strong><strong>de</strong>s</strong> vibrisses<br />
correspondantes. De manière intéressante, c<strong>et</strong>te augmentation <strong>de</strong> la couverture<br />
synaptique par <strong><strong>de</strong>s</strong> astrocytes s’accompagne également d’une surexpression <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
transporteurs au glutamate astrocytaire.<br />
Neuroénergétique <strong>et</strong> imagerie cérébrale fonctionnelle<br />
Dans la partie finale du <strong>cours</strong>, les implications du couplage métabolique neuroneglie<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> la neuroénergétique en général, ont été discutée en relation à la genèse<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> signaux qui sont détectés par les techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle.<br />
Le premier aspect discuté concernait la technique <strong>de</strong> tomographie à émissions <strong>de</strong><br />
positons (TEP) pour le 2-déoxyglucose marqué au 18Fluor. C<strong>et</strong>te technique perm<strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> visualiser la consommation <strong>de</strong> glucose en réponse à une activité synaptique. Sur<br />
la base <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats expérimentaux m<strong>et</strong>tant en évi<strong>de</strong>nce le rôle du couplage neuroastrocytaire,<br />
on en déduit que l’accumulation du traceur se produit essentiellement<br />
au niveau astrocytaire. C<strong>et</strong>te constatation n’enlève rien à la valeur <strong>de</strong> localisation<br />
<strong>de</strong> la technique dans la mesure où le signal <strong>de</strong> départ est un signal d’origine<br />
synaptique, le glutamate. Toutefois, c<strong>et</strong>te constatation m<strong>et</strong> en évi<strong>de</strong>nce le fait que<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> altérations au niveau astrocytaire <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes <strong>de</strong> couplage entre le transport<br />
<strong>de</strong> glutamate <strong>et</strong> la glycolyse qu’il déclenche <strong>et</strong> qui aboutit à la libération <strong>de</strong> lactate,<br />
pourraient être perturbées dans certaines pathologies <strong>et</strong> résulter en un signal en<br />
TEP altéré.<br />
Par ailleurs, l’existence d’une glycolyse transitoire lors <strong>de</strong> l’activation, perm<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
fournir <strong><strong>de</strong>s</strong> arguments pour proposer un rôle <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te glycolyse dans la production<br />
du signal BOLD (Blood ogygen level <strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt signal) qui est à la base <strong>de</strong> l’imagerie
CHAIRE INTERNATIONALE 813<br />
par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). En eff<strong>et</strong>, le signal BOLD est<br />
produit par un changement du rapport oxy/déoxyhémoglobine qui modifie les<br />
propriétés paramagnétiques du sang artériel qui irrigue la région activée. Il s’agit<br />
là d’un paradoxe car on pourrait s’attendre que lors <strong>de</strong> l’activation, il y ait une<br />
diminution <strong>de</strong> la concentration en oxyhémoglobine ; or il se produit <strong>de</strong> l’inverse,<br />
à savoir une augmentation relative <strong>de</strong> l’oxyhémoglobine par rapport à la<br />
déoxyhémoglobine. Ceci est toutefois cohérent par rapport au fait que, si durant<br />
l’activation il se produit un traitement du glucose dans la région activée sans<br />
consommation initiale d’oxygène (glycolyse), <strong>et</strong> que ce traitement du glucose est<br />
concomitant à l’arrivée <strong>de</strong> sang artériel en excès (hyperémie d’activation), on sera<br />
en présence d’un excès d’oxyhémoglobine dont l’oxygène n’est pas immédiatement<br />
consommé. Ainsi, il existerait un lien entre la glycolyse aérobie astrocytaire <strong>et</strong> la<br />
modification du rapport oxy-déoxyhémoglobine qui aboutit à la production du<br />
signal BOLD.<br />
L’existence <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te glycolyse transitoire qui aboutit à une production <strong>de</strong> lactate<br />
a été également discutée en termes du rôle potentiel <strong><strong>de</strong>s</strong> astrocytes dans le couplage<br />
neurovasculaire. En eff<strong>et</strong>, la glycolyse modifie le rapport NADH/NAD + au niveau<br />
astrocytaire. Selon les <strong>travaux</strong> du groupe <strong>de</strong> Raichle [27], ce changement <strong>de</strong> rapport<br />
entre NADH/NAD + pourrait jouer un rôle vasodilatateur, donc d’augmentation<br />
du débit sanguin. Ces <strong>travaux</strong> ont amené dans la discussion, d’autres mécanismes<br />
postulés concernant un rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> astrocytes dans le couplage neurovasculaire. L’un<br />
<strong>de</strong> ces mécanismes proposé par divers investigateurs [28], implique la formation<br />
<strong>de</strong> postanoï<strong><strong>de</strong>s</strong> astrocytaires faisant suite à l’activation <strong>de</strong> récepteurs métabotropiques<br />
au glutamate.<br />
On voit donc que tout un faisceau <strong>de</strong> résultats récents pointent vers un rôle <strong>de</strong><br />
l’astrocyte, non seulement dans le couplage neurométabolique, c’est-à-dire entre<br />
l’activité synaptique <strong>et</strong> la consommation <strong>de</strong> glucose mais également dans le<br />
couplage neurovasculaire, c’est-à-dire le couplage entre l’activité synaptique <strong>et</strong><br />
l’augmentation du débit sanguin local. Dans les <strong>de</strong>ux cas, l’astrocyte joue un rôle<br />
central dans ce couplage en détectant l’activité glutamatergique soit au moyen du<br />
transporteur au glutamate dans le cas du couplage neurométabolique, soit par<br />
l’activation <strong>de</strong> récepteurs métabotropes dans le cas du couplage neurovasculaire.<br />
Un paradoxe : la consommation d’énergie élevée en conditions « basales »<br />
Un autre aspect, lié à l’imagerie cérébrale fonctionnelle <strong>et</strong> aux mécanismes<br />
cellulaires <strong>et</strong> moléculaires qui la sous-ten<strong>de</strong>nt, a été discuté. En eff<strong>et</strong>, contrairement<br />
à ce que l’on pourrait penser, l’augmentation <strong>de</strong> la consommation d’oxygène, ou<br />
du débit sanguin, ou encore <strong>de</strong> la consommation <strong>de</strong> glucose dans les régions<br />
activées, sont relativement mo<strong><strong>de</strong>s</strong>tes par rapport aux régions non activées. En<br />
réalité, ces augmentations métaboliques <strong>et</strong> vasculaires ne correspon<strong>de</strong>nt qu’à une<br />
augmentation <strong>de</strong> 10 à 15 % par rapport au niveau basal. Dès lors, la question se<br />
pose <strong>de</strong> savoir quels sont les mécanismes impliqués dans la consommation très
814 PIERRE MAGISTRETTI<br />
élevée que le cerveau fait en condition dite basale. Diverses hypothèses sont<br />
évoquées. La première est celle d’un équilibre dynamique entre excitation <strong>et</strong><br />
inhibition. Il se peut, en eff<strong>et</strong>, que l’activation induite par le glutamate au niveau<br />
<strong>de</strong> circuits particuliers, soit contrecarrée par une activité inhibitrice prépondérante.<br />
La sortie <strong>de</strong> ce circuit, dans lequel excitation <strong>et</strong> inhibition s’annulent, pourrait être<br />
nulle du point <strong>de</strong> vue électrophysiologique. Toutefois, les mécanismes cellulaires<br />
<strong>et</strong> moléculaires liés au couplage métabolique précé<strong>de</strong>mment discuté, vont être<br />
opérationnels même si la sortie électrophysiologique est nulle. Dès lors, même sans<br />
activation particulière détectable électrophysiologiquement, <strong>de</strong> l’énergie sera<br />
consommée. Le <strong>de</strong>uxième mécanisme évoqué pour rendre compte <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />
consommation basale élevée, est l’activité hors ligne ou activité <strong>de</strong> post-processing<br />
<strong>de</strong> l’information, liée à la plasticité synaptique. En eff<strong>et</strong>, le cerveau ne fonctionne<br />
pas uniquement en ligne lors <strong>de</strong> l’activation, mais <strong><strong>de</strong>s</strong> processus <strong>de</strong> traitement <strong>de</strong><br />
l’information <strong>et</strong> <strong>de</strong> plasticité sont en action en permanence. C<strong>et</strong>te activité hors<br />
ligne consomme également <strong>de</strong> l’énergie.<br />
Des observations récentes <strong>de</strong> Raichle <strong>et</strong> collaborateurs, qui discutent la question<br />
<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te activité basale élevée, ont été évoquées [29]. En eff<strong>et</strong>, il existe certaines<br />
régions du cerveau dont l’activité augmente lorsque le suj<strong>et</strong> n’est pas concentré sur<br />
une tâche particulière. Par ailleurs, ces mêmes régions, lorsqu’une activité spécifique<br />
est mise en jeu, qu’elle soit sensorielle ou motrice, diminuent leur activité [30].<br />
Raichle a défini ce système comme un « <strong>de</strong>fault mo<strong>de</strong> » donc comme un mo<strong>de</strong> par<br />
défaut, dont la signification reste encore à définir. Le mo<strong>de</strong> par défaut concerne<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> régions corticales médianes, notamment le cortex préfrontal médian, le cortex<br />
cingulaire postérieur médian, le précuneus <strong>et</strong> certaines zones du cortex pariétal,<br />
latéral <strong>et</strong> médian. De manière fort intéressante, ce système présente <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques<br />
développementales particulières avec notamment une hypoactivité, voire une<br />
absence, chez <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants en <strong><strong>de</strong>s</strong>sous <strong>de</strong> 10 ans [31] ; c’est également un <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes<br />
qui présentent <strong><strong>de</strong>s</strong> diminutions importantes lors <strong>de</strong> la maladie d’Alzheimer [31].<br />
Neuroénergétique <strong>et</strong> maladies neuropsychiatriques<br />
En ce qui concerne les maladies psychiatriques en général, <strong>et</strong> spécifiquement la<br />
maladie d’Alzheimer, <strong>de</strong> nombreuses observations ont été réalisées par imagerie<br />
cérébrale fonctionnelle. En particulier, on observe une diminution considérable <strong>de</strong><br />
la consommation <strong>de</strong> glucose mesurée par TEP chez <strong><strong>de</strong>s</strong> patients souffrant d’une<br />
maladie d’Alzheimer. Ceci n’est pas surprenant dans la mesure où, avec la perte<br />
neuronale, la libération synaptique <strong>de</strong> glutamate, qui est responsable <strong>de</strong> l’importation<br />
<strong>de</strong> glucose au sein du parenchyme cérébral, est diminuée. Toutefois, ce qui est le<br />
plus frappant est que chez <strong><strong>de</strong>s</strong> patients qui sont à risque pour la maladie d’Alzheimer,<br />
par exemple, ceux exprimant un polymorphisme <strong>de</strong> l’apolipoprotéine 4 présentent<br />
déjà une baisse <strong>de</strong> la consommation <strong>de</strong> glucose dans <strong><strong>de</strong>s</strong> aires temporo-pariétales<br />
avant que l’on puisse m<strong>et</strong>tre en évi<strong>de</strong>nce une atrophie corticale ou même <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
troubles cognitifs [32]. C<strong>et</strong>te observation soulève la possibilité que <strong><strong>de</strong>s</strong> altérations<br />
du métabolisme astrocytaire soient à l’origine, ou en tout cas qu’elles puissent
CHAIRE INTERNATIONALE 815<br />
amplifier, un processus pathologique qui aboutirait ensuite à la mort neuronale.<br />
C’est dans c<strong>et</strong>te optique que nous avons conduit au laboratoire <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences <strong>de</strong><br />
stimulation <strong>de</strong> l’échange métabolique astrocyte-neurones au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>quels nous<br />
avons tenté d’augmenter l’augmentation du captage <strong>de</strong> glucose par l’astrocyte <strong>et</strong> le<br />
captage <strong>de</strong> lactate par les neurones. Ces expériences ont été conduites en réalisant<br />
la surexpression du transporteur au glucose GLUT1 <strong>et</strong> du transporteur au lactate<br />
MCT2 en transfectant les astrocytes avec <strong><strong>de</strong>s</strong> vecteurs viraux contenant le cDNA<br />
codant pour GLUT1 <strong>et</strong> les neurones avec <strong><strong>de</strong>s</strong> vecteurs aboutissant à la surexpression<br />
<strong>de</strong> MCT2. Ces résultats ont montré, dans <strong><strong>de</strong>s</strong> préparations in vitro, dans lesquelles<br />
les astrocytes sont cultivés en présence <strong>de</strong> neurones, que les neurones résistent<br />
mieux à <strong><strong>de</strong>s</strong> stimulations nocives <strong>de</strong> type excitotoxique [33]. On peut donc postuler<br />
qu’une activité accrue <strong>de</strong> la nav<strong>et</strong>te lactate-astrocyte-neurones aboutisse à un eff<strong>et</strong><br />
neuroprotecteur.<br />
L’implication du couplage métabolique médié par les astrocytes dans d’autres<br />
pathologies psychiatriques peut également être évoquée. Ainsi, dans une étu<strong>de</strong> par<br />
analyse <strong>de</strong> transcriptome, conduite sur <strong><strong>de</strong>s</strong> cerveaux post-mortem obtenus à partir<br />
<strong>de</strong> patients souffrant <strong>de</strong> dépression majeure, certains gènes se sont révélés être<br />
considérablement diminués dans leur expression, à savoir le gène codant pour le<br />
transporteur au glutamate glial <strong>et</strong> pour l’enzyme glutamique synthase, qui est<br />
impliquée dans le recyclage du glutamate sous forme <strong>de</strong> glutamine. C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière<br />
est ensuite recaptée par les neurones afin <strong>de</strong> rétablir le pool <strong>de</strong> glutamate<br />
vésiculaire [34]. Une diminution <strong>de</strong> la fonction <strong>de</strong> ce recyclage du glutamate <strong>de</strong>vrait<br />
aboutir à une diminution <strong>de</strong> la signalisation qui perm<strong>et</strong> l’importation <strong>de</strong> glucose<br />
dans le parenchyme cérébral <strong>et</strong> donc se traduire par une diminution du signal TEP,<br />
notamment dans le cortex dorsolatéral chez les patients dépressifs. Or, il se trouve<br />
que c’est exactement ce qui est observé par c<strong>et</strong>te technique d’imagerie. Il y a donc<br />
là une relation entre les niveaux d’expression <strong>de</strong> molécules spécifiques gliales, un<br />
signal par imagerie cérébrale fonctionnelle <strong>et</strong> une pathologie neuropsychiatrique.<br />
Colloque<br />
Un colloque <strong>de</strong> clôture du <strong>cours</strong> intitulé « Neurosciences <strong>et</strong> psychanalyse : une<br />
rencontre autour <strong>de</strong> l’émergence <strong>de</strong> la singularité » s’est tenu le 27 mai 2008 à<br />
l’auditoire Marguerite <strong>de</strong> Navarre. Les conférenciers invités étaient les suivants :<br />
François Anserm<strong>et</strong> <strong>et</strong> Pierre Magistr<strong>et</strong>ti :<br />
« Plasticité <strong>et</strong> homéostasie à l’interface entre neurosciences <strong>et</strong> à la psychanalyse ».<br />
Cristina Alberini :<br />
« The Dymanics of our Internal Representations : Memory Consolidation, Reconsolidation and<br />
the Integration of New Information with the Past ».<br />
Marcus Raichle : « Two Views of Brain Function ».<br />
Antonio Damasio : « A Neurobiology for Conscious and Unconscious Processing ».<br />
Marc Jeannerod : « La psychotérapie neuronale ».
816 PIERRE MAGISTRETTI<br />
Michel Le Moal :<br />
« De l’homéostasie aux processus opposants : une dynamique psychobiologique ».<br />
Alim Benabid : « Du Parkinson à l’humeur, le chemin questionnant du neurochirurgien ».<br />
Daniel Widlocher : « Neuropsychologie <strong>de</strong> l’imaginaire ».<br />
Lionel Naccache : « De l’inconscient fictif à la fiction consciente ».<br />
Eric Laurent : « Usages <strong><strong>de</strong>s</strong> neurosciences pour la psychanalyse ».<br />
L’existence <strong>de</strong> processus psychiques inconscients est un suj<strong>et</strong> d’intérêt <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
recherche commun aux neurosciences <strong>et</strong> à la psychanalyse. Toutefois le dialogue<br />
entre ces <strong>de</strong>ux disciplines a été pour le moins difficile. Quelles en sont les raisons ?<br />
Certes les cadres <strong>de</strong> référence sont sans commune mesure, le langage propre à<br />
chaque champ est différent <strong>et</strong> ces <strong>de</strong>ux disciplines ont <strong><strong>de</strong>s</strong> histoires divergentes,<br />
difficiles à concilier, qui font aussi leur originalité. Pourtant neurosciences <strong>et</strong><br />
psychanalyse partagent l’incontournable question <strong>de</strong> l’émergence <strong>de</strong> la<br />
singularité.<br />
C’est dans ce contexte que s’est inscrit le colloque « Neurosciences <strong>et</strong> psychanalyse :<br />
une rencontre autour <strong>de</strong> l’émergence <strong>de</strong> la singularité ». L’idée <strong>de</strong> ce colloque a été<br />
<strong>de</strong> réunir d’éminents spécialistes <strong><strong>de</strong>s</strong> neurosciences <strong>et</strong> <strong>de</strong> la psychanalyse pour<br />
explorer les points <strong>de</strong> convergence potentiels entre ces <strong>de</strong>ux disciplines que tout<br />
apparemment sépare <strong>et</strong> que l’on pourrait qualifier d’incommen surables. Dans ce<br />
type d’exercice il convient <strong>de</strong> bien se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> tomber dans un syncrétisme<br />
simplificateur dans lequel les principes <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux ordres pourraient être<br />
interchangeables <strong>et</strong> par lequel psychanalyse <strong>et</strong> neurosciences y perdraient leur nature<br />
<strong>et</strong> leur tranchant. La démarche qui a animé ce colloque a été plutôt d’i<strong>de</strong>ntifier <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
points d’intersection à partir <strong><strong>de</strong>s</strong>quels les concepts d’un domaine fertilisent la<br />
réflexion <strong>de</strong> l’autre, ouvrent vers <strong><strong>de</strong>s</strong> perspectives <strong>de</strong> recherche nouvelles. Un <strong>de</strong> ces<br />
points d’intersection est sans doute la notion <strong>de</strong> trace <strong>et</strong> <strong>de</strong> plasticité neuronale.<br />
D’autres, comme par exemple ceux qui concernent les états somatiques <strong>et</strong> le maintien<br />
<strong>de</strong> l’homéostasie, notions du champ biologique qui sont à rapprocher <strong>de</strong> celles <strong>de</strong><br />
pulsion <strong>et</strong> du principe <strong>de</strong> plaisir du champ freudien méritent d’être explorées. Ce<br />
sont ces points d’intersection potentiels qui ont été abordés par les représentants <strong>de</strong><br />
premier plan <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux disciplines invités à ce colloque.<br />
Publications<br />
Rappaz B., Barbul A., Emery Y., Korenstein R., Depeursinge C., Magistr<strong>et</strong>ti P.J.,<br />
Marqu<strong>et</strong> P. Comparative study of human erythrocytes by digital holographic microscopy,<br />
confocal microscopy, and impedance volume analyzer. Cytom<strong>et</strong>ry A. 2008 Jul 9. [Epub<br />
ahead of print].<br />
Wyss M.T., Weber B., Treyer V., Heer S., Pellerin L., Magistr<strong>et</strong>ti P.J., Buck A.<br />
Stimulation-induced increases of astrocytic oxidative m<strong>et</strong>abolism in rats and humans<br />
investigated with 1-(11)C-ac<strong>et</strong>ate. J Cereb Blood Flow M<strong>et</strong>ab. 2008 Aug 20. [Epub ahead<br />
of print].
CHAIRE INTERNATIONALE 817<br />
Chiry O., Fishbein W.N., Merezhinskaya N., Clarke S., Galuske R., Magistr<strong>et</strong>ti P.<br />
J., Pellerin L. Distribution of the monocarboxylate transporter MCT2 in human cerebral<br />
cortex : An immunohistochemical study. Brain Res. 2008, Jun 18.<br />
Badaut J., Brun<strong>et</strong> J.F., P<strong>et</strong>it J.M., Guérin C.F., Magistr<strong>et</strong>ti P.J., Regli L. Induction<br />
of brain aquaporin 9 (AQP9) in catecholaminergic neurons in diab<strong>et</strong>ic rats. Brain Res. 2008<br />
Jan 10 ; 1188 : 17-24. Epub 2007 Nov 7.<br />
Rappaz B., Charrière F., Depeursinge C., Magistr<strong>et</strong>ti P.J., Marqu<strong>et</strong> P. Simultaneous<br />
cell morphom<strong>et</strong>ry and refractive in<strong>de</strong>x measurement with dual-wavelength digital holographic<br />
microscopy and dye-enhanced dispersion of perfusion medium. Opt L<strong>et</strong>t. 2008 Apr 1 ;<br />
33(7) : 744-6.<br />
Gavill<strong>et</strong> M., Allaman I., Magistr<strong>et</strong>ti P.J. Modulation of astrocytic m<strong>et</strong>abolic<br />
phenotype by proinflammatory cytokines. Glia. 2008 Mar 27 ; [Epub ahead of print].<br />
Pellerin L., Bouzier-Sore A.K., Aubert A., Serres S., Merle M., Costalat R.,<br />
Magistr<strong>et</strong>ti P.J. Activity-<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt regulation of energy m<strong>et</strong>abolism by astrocytes: an<br />
update. Glia. 2007 Sep ; 55(12) : 1251-62. Review.<br />
Granziera C., Theven<strong>et</strong> J., Price M., Wiegler K., Magistr<strong>et</strong>ti P.J., Badaut J.,<br />
Hirt L. Thrombin-induced ischemic tolerance is prevented by inhibiting c-jun N-terminal<br />
kinase. Brain Res. 2007 May 7 ; 1148 : 217-25. Epub 2007 Feb 22.<br />
Badaut J., Brun<strong>et</strong> J.F., P<strong>et</strong>it J.M., Guérin C.F., Magistr<strong>et</strong>ti P.J., Regli L. Induction<br />
of brain aquaporin 9 (AQP9) in catecholaminergic neurons in diab<strong>et</strong>ic rats. Brain Res. 2007<br />
Nov 7.<br />
Kovacs K.A., Steull<strong>et</strong> P., Steinmann M., Do K.Q., Magistr<strong>et</strong>ti P.J., Halfon O.,<br />
Cardinaux J.R. TORC1 is a calcium- and cAMP-sensitive coinci<strong>de</strong>nce d<strong>et</strong>ector involved<br />
in hippocampal long-term synaptic plasticity. Proc Natl Acad Sci USA. 2007, 104(11) :<br />
4700-4705.<br />
Granziera C., Theven<strong>et</strong> J., Price M., Wiegler K., Magistr<strong>et</strong>ti P.J., Badaut J.,<br />
Hirt L. Thrombin-induced ischemic tolerance is prevented by inhibiting c-jun N-terminal<br />
kinase. Brain Res. 2007, 1148 : 217-25.<br />
Laughton J.D., Bittar P., Charnay Y., Pellerin L., Kovari E., Magistr<strong>et</strong>ti P.J.,<br />
Bouras C. M<strong>et</strong>abolic compartmentalization in the human cortex and hippocampus :<br />
evi<strong>de</strong>nce for a cell- and region-specific localization of Lactate Dehydrogenase 5 and Pyruvate<br />
Dehydrogenase. BMC Neuroscience 2007, 23 ; 8 (1) : 35.<br />
Aubert A., Pellerin L., Magistr<strong>et</strong>ti P.J., Costalat R.A. coherent neurobiological<br />
framework for functional neuroimaging provi<strong>de</strong>d by a mo<strong>de</strong>l integrating compartmentalized<br />
energy m<strong>et</strong>abolism. Proc Natl Acad Sci USA. 2007, 104(10) : 4188-4193.<br />
Commentaire, chapitre<br />
Magistr<strong>et</strong>ti P.J., Allaman I. Glycogen : a Trojan horse for neurons. Nat Neurosci.<br />
2007, 11, 1341-2.<br />
Magistr<strong>et</strong>ti P.J. Brain Energy M<strong>et</strong>abolism. In : Fundamental Neuroscience, 3rd Edition.<br />
Squire L., Berg, D., Bloom, F.e., du Lac S., Ghosh A., Spitzer N. Eds, Aca<strong>de</strong>mic Press,<br />
2008, 271-293.<br />
2008<br />
Conférences plénières <strong>et</strong> sur invitation<br />
— « Mind your Brain » Symposium, Lausanne.<br />
— 100 th me<strong>et</strong>ing of the Swiss Neurological Soci<strong>et</strong>y.<br />
— Club cellules gliales, Paris.
818 PIERRE MAGISTRETTI<br />
— École Normale Supérieure, Paris.<br />
— Institute for Research in Biomedicine, Barcelona.<br />
— Colloque <strong><strong>de</strong>s</strong> neurosciences cliniques, CHUV.<br />
— Symposium on « Neurosciences and Soci<strong>et</strong>y », FENS.<br />
— European Science Open Forum, Barcelona.<br />
— Gordon Research Conference on « Membrane transport proteins », Il Ciocco.<br />
2007<br />
— École Normale Supérieure, Paris.<br />
— 12 th Neuronal <strong>de</strong>generation workshop, Verbier.<br />
— Ac<strong>et</strong>tepe University, Ankara.<br />
— Wallenberg Symposium, Stockholm.<br />
— International Me<strong>et</strong>ing of ESCAP (European Soci<strong>et</strong>y for Child and Adolescent<br />
Psychiatry), Florence.<br />
— VIII European Me<strong>et</strong>ing on Glial Function, London.<br />
— Glaxo Smith Kline, Harlow.<br />
— Association Psicoanalitica <strong>de</strong> Argentina, Buenos Aires.<br />
— London Psychoanalytical Soci<strong>et</strong>y, London.<br />
— Yale University, Department of Physiology.<br />
— Mount Sinai School of Medicine, Department of Neuroscience.<br />
— Phyloct<strong>et</strong>es Center, New York Psychoanalytical Soci<strong>et</strong>y, New York.<br />
— University of Pennsylvania, Department of Pediatrics.<br />
— University of Ancona, Annual Lecture, Department of Neuroscience.<br />
Liste <strong><strong>de</strong>s</strong> articles cités dans le rapport d’activité<br />
[1] Attwell and Laughlin, J Cereb Blood Flow M<strong>et</strong>ab. 21 : 1133-1145, 2001.<br />
[2] Breitenberg <strong>et</strong> Schütz, Cortex : statistics and geom<strong>et</strong>ry of neuronal connectivity, 2 nd<br />
ed. Berlin : Springer, 1998.<br />
[3] Sokoloff <strong>et</strong> al., J Neurochem. 28 : 897-916, 1977.<br />
[4] Lennie, Current Biol 13 : 493-497, 2003.<br />
[5] Magistr<strong>et</strong>ti <strong>et</strong> al., Science 283 : 496-497, 1999.<br />
[6] Magistr<strong>et</strong>ti, J Exp Biol. 209 : 2304-2311, 2006.<br />
[7] Voutsinos-Porche <strong>et</strong> al., Neuron 37 : 275-286, 2003.<br />
[8] Chol<strong>et</strong> <strong>et</strong> al., J Cereb Blood Flow M<strong>et</strong>ab. 21 : 404-412, 2001.<br />
[9] Jourdain <strong>et</strong> al., Nat Neurosci. 10 : 331-339, 2007.<br />
[10] Bernardinelli <strong>et</strong> al., Proc Natl Acad Sci USA 101 : 14937- 14942, 2004.<br />
[11] Bouzier-Sore <strong>et</strong> al., J Cereb Blood Flow M<strong>et</strong>ab. 23 : 1298-306, 2003.<br />
[12] Kasischke <strong>et</strong> al., Science 305 : 99-103, 2004.<br />
[13] Pellerin <strong>et</strong> Magistr<strong>et</strong>ti, Science 305 : 50-52, 2004.<br />
[14] Ramirez <strong>et</strong> al., J Neurosci Res. 85 : 3244-3253, 2007.<br />
[15] Porras <strong>et</strong> al., J Neurosci. 24 : 9669-9673, 2004.<br />
[16] Dringen <strong>et</strong> Hirrlinger, Biol Chem. 384 : 505-516, 2003.
CHAIRE INTERNATIONALE 819<br />
[17] Fra<strong>de</strong> <strong>et</strong> al., J Neurochem. 105 : 1144-1152, 2008.<br />
[18] Itoh <strong>et</strong> al., Proc Natl Acad Sci USA. 100 : 4879-4884, 2003.<br />
[19] Waniewski <strong>et</strong> Martin, J Neurosci. 18 : 5225-5233, 1998.<br />
[20] Lovatt <strong>et</strong> al., J Neurosci. 27 : 12255-12266, 2007.<br />
[21] Sorg <strong>et</strong> Magistr<strong>et</strong>ti, J Neurosci. 12 : 4923-4931, 1992.<br />
[22] P<strong>et</strong>it <strong>et</strong> al., Eur J Neurosci. 16 : 1163-1167, 2002.<br />
[23] Cirelli <strong>et</strong> Tononi, PLoS Biology 6 : 1605-1611, 2008.<br />
[24] Ros <strong>et</strong> al., J Cereb Blood Flow M<strong>et</strong>ab. 26 : 468-477, 2006.<br />
[25] Gavill<strong>et</strong> <strong>et</strong> al., Glia. 56 : 975-989, 2008.<br />
[26] Genoud <strong>et</strong> al., PLoS Biol. 4 : 2057-2064 (e343), 2006.<br />
[27] Vlassenko <strong>et</strong> al., Proc Natl Acad Sci USA 103 : 1964-1969, 2006.<br />
[28] Ia<strong>de</strong>cola <strong>et</strong> Ne<strong>de</strong>rgaard, Nat Neurosci. 10 : 1369-1376, 2007.<br />
[29] Raichle <strong>et</strong> Gusnard, J Comp Neurol. 493 : 167-176, 2005.<br />
[30] Fox <strong>et</strong> al., Nat Rev Neurosci. 8 : 700-711, 2007.<br />
[31] Raichle <strong>et</strong> Mintun, Annu Rev Neurosci. 29 : 449-476, 2006.<br />
[32] Reiman, Ann NY Acad Sci. 1097 : 94-113, 2007.<br />
[33] Bliss <strong>et</strong> al., J Neurosci. 24 : 6202-6208, 2004.<br />
[34] Choudray <strong>et</strong> al., Proc Natl Acad Sci USA. 102 : 15653-15658, 2005.
1. Introduction<br />
Chaire d’innovation technologique — Liliane B<strong>et</strong>tencourt<br />
M. Gérard Berry<br />
Membre <strong>de</strong> l’Institut (Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences)<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> technologies,<br />
Professeur associé<br />
Pourquoi <strong>et</strong> comment le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>vient numérique<br />
Le <strong>cours</strong> « pourquoi <strong>et</strong> comment le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>vient numérique » a été donné<br />
dans le cadre <strong>de</strong> la chaire annuelle d’innovation technologique Liliane B<strong>et</strong>tencourt.<br />
Il a été le tout premier <strong>cours</strong> d’informatique jamais donné au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />
J’ai choisi <strong>de</strong> le conduire selon un point <strong>de</strong> vue non classique, plutôt grand public<br />
que technique. En eff<strong>et</strong>, mes collègues informaticiens <strong>et</strong> moi-même observons<br />
<strong>de</strong>puis longtemps un phénomène étonnant : si tout le mon<strong>de</strong> constate que le<br />
numérique transforme le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> façon très rapi<strong>de</strong> <strong>et</strong> très profon<strong>de</strong>, dans ses<br />
composantes quotidiennes, scientifiques, industrielles, <strong>et</strong> culturelles, ses racines<br />
restent largement inconnues ou incomprises. Il sort chaque mois <strong><strong>de</strong>s</strong> livres sur la<br />
« révolution numérique », analysant ses impacts <strong>de</strong> tous ordres, certains prêchant<br />
l’enthousiasme <strong>et</strong> d’autres la résistance ; si tous parlent <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s, pratiquement<br />
aucun ne parle du contenu <strong>et</strong> donc <strong><strong>de</strong>s</strong> causes, souvent même en revendiquant c<strong>et</strong>te<br />
omission. Or le non-savoir accepté est une cause <strong>de</strong> majeure <strong>de</strong> dépendance, <strong>et</strong> est<br />
donc dangereux à terme.<br />
C<strong>et</strong>te situation troublante doit être opposée à celle <strong>de</strong> la fin du 19 e siècle <strong>et</strong> du<br />
début du 20 e , où les grands progrès scientifiques considérables <strong>de</strong> l’époque étaient<br />
popularisés <strong>et</strong> vulgarisés dans d’excellents livres <strong>et</strong> revues. Ayant été lecteur assidu <strong>de</strong><br />
ce genre d’ouvrage, j’ai pensé que la même approche « leçon <strong>de</strong> choses » s’appliquerait<br />
parfaitement au numérique, à condition <strong>de</strong> trouver le bon niveau <strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>cription.<br />
J’avais déjà pratiqué <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences ou <strong><strong>de</strong>s</strong> enseignements selon ce point <strong>de</strong> vue en<br />
plusieurs circonstances. J’en citerai <strong>de</strong>ux : l’association « Art Science Pensée » <strong>de</strong> ma<br />
ville <strong>de</strong> Mouans-Sartoux, <strong>et</strong> l’école Montessori <strong><strong>de</strong>s</strong> Pouces Verts dans la même ville.<br />
Ces expériences m’ont permis d’entrevoir ce que les gens ne comprenaient pas, <strong>et</strong>
822 GÉRARD BERRY<br />
donc <strong>de</strong> commencer à construire un dis<strong>cours</strong> leur perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> comprendre — <strong>et</strong><br />
d’aimer — le suj<strong>et</strong>. Mon <strong>cours</strong> au <strong>Collège</strong> peut être vu comme une extension <strong>de</strong><br />
c<strong>et</strong>te approche. J’espère qu’il aura contribué à lever le voile.<br />
1.1. Conduite du <strong>cours</strong><br />
Le <strong>cours</strong> s’est composé <strong>de</strong> la leçon inaugurale <strong>et</strong> <strong>de</strong> huit séances, chacune<br />
consacrée à un grand sous-domaine <strong>de</strong> l’informatique : algorithmes, circuits,<br />
langages <strong>de</strong> programmation, systèmes embarqués, chasses aux bugs, réseaux, images,<br />
cryptologie <strong>et</strong> conclusion. D’autres suj<strong>et</strong>s importants comme les bases <strong>de</strong> données<br />
<strong>et</strong> systèmes d’informations n’ont pu être traités faute <strong>de</strong> temps. Chaque séance s’est<br />
composée <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux parties : le <strong>cours</strong> proprement dit, <strong>et</strong> un séminaire donné par une<br />
ou plusieurs personnalités extérieures, chercheurs ou industriels. C<strong>et</strong>te division m’a<br />
paru importante pour que ma relative ignorance <strong>de</strong> chaque suj<strong>et</strong> soit compensée<br />
par la gran<strong>de</strong> connaissance d’un spécialiste, <strong>et</strong> pour que mon <strong>cours</strong> général soit<br />
complété par une intervention concernant un aspect plus spécifique mais important<br />
en terme <strong>de</strong> compréhension ou d’impact. Sauf un (cryptologie), tous les <strong>cours</strong> <strong>et</strong><br />
séminaires ont été mis en ligne en vidéo. Il faut noter que 28 étudiants <strong>de</strong> diverses<br />
universités se sont inscrits au cycle <strong>de</strong> <strong>cours</strong>, validé pour leur formation. Après le<br />
<strong>cours</strong>, un colloque informatique <strong>et</strong> bio-informatique a été consacré à cinq suj<strong>et</strong>s<br />
spécifiques, chacun présenté par un grand spécialiste du domaine.<br />
1.2. Répétitions <strong>de</strong> la leçon inaugurale<br />
J’ai répété quatre fois la leçon inaugurale en d’autres lieux : à l’Université <strong>de</strong><br />
Grenoble, dans le cadre <strong>de</strong> la journée dédiée à Louis Bolli<strong>et</strong> (16 mai) ; à Sophia-<br />
Antipolis, sur invitation <strong>de</strong> l’école Polytech Nice <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’INRIA (26 mai) ; au Lycée<br />
Marcel Bloch <strong>de</strong> Strasbourg, <strong>de</strong>vant <strong><strong>de</strong>s</strong> classes <strong>de</strong> première, dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
journées <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences en Alsace (28 mai) ; au colloque INIST / CNRS<br />
<strong>de</strong> Nancy (18 juin). Je la répèterai encore en octobre à l’INRIA Rocquencourt<br />
(9 octobre) puis à l’INRIA Rennes (24 octobre), sur invitation <strong>de</strong> ces organismes, <strong>et</strong><br />
je donnerai un séminaire similaire à la CCI d’Amiens (30 septembre). La leçon<br />
inaugurale a également été proj<strong>et</strong>ée dans diverses gran<strong><strong>de</strong>s</strong> écoles sans ma présence.<br />
1.3. Actions sur l’enseignement<br />
Lors <strong>de</strong> la leçon inaugurale, j’ai insisté sur le r<strong>et</strong>ard considérable pris sur le thème<br />
général <strong>de</strong> l’informatique par l’enseignement pré-universitaire en <strong>France</strong>, peu<br />
compatible avec l’entrée dans le 21 e siècle. C<strong>et</strong>te affirmation a rencontré un écho<br />
certain dans diverses instances, <strong>et</strong> mon action se poursuit <strong>de</strong> plusieurs façons. J’ai<br />
répété ma leçon inaugurale dans un lycée à Strasbourg, <strong>et</strong> je compte le faire dans<br />
d’autres. J’ai donné une conférence « la révolution numérique dans les sciences » lors<br />
<strong>de</strong> la remise <strong><strong>de</strong>s</strong> prix <strong><strong>de</strong>s</strong> Olympia<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> mathématiques (12 juin). J’ai également été<br />
chargé d’une mission sur l’enseignement <strong>de</strong> l’Informatique au lycée par l’Académie<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> sciences. A ce titre, j’ai rencontré diverses associations <strong>de</strong> professeurs, <strong>et</strong> j’ai
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 823<br />
donné un séminaire à l’université d’été <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs <strong>de</strong> mathématiques à St Flour<br />
en août 2008. J’ai enfin présidé le jury <strong><strong>de</strong>s</strong> prix scientifiques collectifs <strong>de</strong> l’Ecole<br />
Polytechnique (30 juin).<br />
1.4. R<strong>et</strong>ombées médiatiques<br />
Le <strong>cours</strong> a eu un impact médiatique important. Au niveau radiophonique, j’ai<br />
participé aux émissions suivantes :<br />
— Les matins <strong>de</strong> <strong>France</strong> Culture, Ali Baddou, 17 janvier, le matin <strong>de</strong> la leçon<br />
inaugurale.<br />
— Mediapolis, Michel Field <strong>et</strong> Olivier Duhamel, Europe no 1 , 2 mars.<br />
— Travaux publics, Jean Lebrun, <strong>France</strong> Culture, 12 mars.<br />
— Science publique, Michel Alberganti, <strong>France</strong> Culture, 4 avril.<br />
— Le pudding, Nicolas Errera <strong>et</strong> Jean Croc, Radio Nova, 13 <strong>et</strong> 20 avril.<br />
— Place <strong>de</strong> la toile, Caroline Broué <strong>et</strong> Thomas Baumgartner, <strong>France</strong> Culture,<br />
23 mai.<br />
J’ai aussi participé à <strong><strong>de</strong>s</strong> émissions radio plus courtes (<strong>France</strong> Bleue, RFI,) <strong>et</strong> à<br />
<strong>de</strong>ux émissions <strong>de</strong> télévision (<strong>France</strong> 3 <strong>et</strong> LCI). Le <strong>cours</strong> a été annoncé <strong>et</strong> suivi par<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> articles dans nombreux journaux, revues <strong>et</strong> sites Intern<strong>et</strong>.<br />
2. Bref résumé <strong>de</strong> la leçon inaugurale<br />
Après avoir rappelé les très nombreux eff<strong>et</strong>s du passage au numérique <strong>et</strong><br />
l’ignorance généralisée <strong>de</strong> ses causes, j’ai présenté ma vision sous la forme d’une<br />
conjonction <strong>de</strong> quatre points :<br />
1. L’idée <strong>de</strong> numériser <strong>de</strong> façon homogène toutes sortes <strong>de</strong> données <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
phénomènes.<br />
2. Les fantastiques progrès <strong>de</strong> la machine à informations, faite <strong>de</strong> circuits <strong>et</strong><br />
logiciels.<br />
3. Ceux <strong>de</strong> la science <strong>et</strong> <strong>de</strong> la technologie <strong>de</strong> son utilisation.<br />
4. L’existence d’un espace d’innovation sans frein.<br />
L’idée <strong>de</strong> numérisation systématique est née dans les années 1950, avec un<br />
contribution fondamentale <strong>de</strong> Shannon qui a défini son sens <strong>et</strong> ses limites. La<br />
numérisation perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> s’affranchir <strong>de</strong> l’ancestrale dépendance d’une information<br />
vis-à-vis <strong>de</strong> son support : papier pour l’écriture, disque vinyle pour le son, film<br />
argentique pour l’image, <strong>et</strong>c. Une fois numérisées, toutes les informations prennent<br />
la forme unique <strong>de</strong> suites <strong>de</strong> nombres. On peut alors leur appliquer <strong>de</strong>ux types<br />
d’algorithmes combinables avec une totale liberté :<br />
— <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes génériques, indépendants du contenu, pour stocker, copier,<br />
comprimer (faiblement), encrypter <strong>et</strong> transporter l’information sans aucune perte,<br />
ce qui est impossible avec les représentations analogiques classiques.
824 GÉRARD BERRY<br />
— <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes spécifiques à un type <strong>de</strong> données : compression forte <strong>et</strong><br />
amélioration d’images <strong>et</strong> <strong>de</strong> sons, recherche dans les textes, recherche <strong>de</strong> chemins<br />
optimaux dans <strong><strong>de</strong>s</strong> graphes, algorithmes géométriques en robotique ou en imagerie<br />
médicale, algorithmes <strong>de</strong> calcul scientifique, la liste est interminable.<br />
La possibilité d’appliquer effectivement ces algorithmes à bas coût repose sur les<br />
progrès exponentiels <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits électroniques <strong>et</strong> les avancées scientifiques dans<br />
leur conception <strong>et</strong> dans celle <strong><strong>de</strong>s</strong> logiciels. Plutôt que le terme « ordinateur », qui<br />
évoque trop précisément l’utilisation d’un clavier <strong>et</strong> d’un écran, j’utilise le terme<br />
général <strong>de</strong> « machine à information » En eff<strong>et</strong>, la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits <strong>et</strong> logiciels<br />
sont maintenant enfouis dans <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> toutes sortes, <strong>de</strong> façon invisible à<br />
l’utilisateur.<br />
Insistons sur le point 4 ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus, l’espace d’innovation sans frein : dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
sciences physiques ou biologiques, il y a souvent loin <strong>de</strong> l’idée à la réalisation. Tout<br />
progrès <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’abord la compréhension d’un mon<strong>de</strong> préexistant extrêmement<br />
complexe. En informatique, la situation est bien différente. L’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
machines à informations <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs applications ne se heurte pas à la complexité<br />
<strong>de</strong> la nature, puisqu’elle en synthétise en quelque sorte une autre. La distance entre<br />
l’idée <strong>et</strong> l’application est très courte, <strong>et</strong> la vraie limite à l’expansion <strong><strong>de</strong>s</strong> innovations<br />
numériques est celle <strong>de</strong> l’imagination humaine. De nombreux exemples sont<br />
fournis par la profusion d’idées nouvelles contribuant à l’expansion du Web : pour<br />
l’innovation majeure qu’est le moteur <strong>de</strong> recherches, il a suffi <strong>de</strong> quelques mois<br />
pour passer <strong>de</strong> l’idée à la mise en service.<br />
Dans les sciences, le numérique conduit à une révolution généralisée, qui<br />
poursuit celle réalisée par l’introduction <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques. En eff<strong>et</strong>, l’informatique<br />
étend la notion mathématique <strong>de</strong> mise en équations en la notion bien plus générale<br />
<strong>de</strong> mise en calculs, <strong>et</strong> amplifie les possibilités très limitées du calcul manuel par<br />
celles quasi infinies du calcul automatique.<br />
La leçon s’est terminée par l’expression <strong>de</strong> l’inquiétu<strong>de</strong> sur les insuffisances<br />
massives <strong>de</strong> l’enseignement, <strong>et</strong> <strong>de</strong> façon plus générale <strong>de</strong> l’information scientifique<br />
<strong>et</strong> technique dans ce domaine crucial pour l’avenir.<br />
3. Cours algorithmes<br />
Les algorithmes sont les éléments centraux <strong>de</strong> l’informatique, <strong>et</strong> l’algorithmique<br />
en est la science. Son but est <strong>de</strong> construire <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes efficaces en fonction<br />
d’un jeu <strong>de</strong> primitives <strong>de</strong> base, <strong>et</strong> d’étudier leur coût ou complexité, mesuré suivant<br />
divers paramètres : temps <strong>de</strong> calcul, mémoire ou surface <strong>de</strong> circuit utilisée, énergie<br />
dépensée, <strong>et</strong>c.<br />
Le coût d’un algorithme dépend fortement <strong>de</strong> la nature machine d’exécution.<br />
L’algorithmique classique s’est concentrée sur les machines <strong>de</strong> type von Neumann,<br />
où une seule instruction est exécutée à chaque instant. L’algorithmique mo<strong>de</strong>rne
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 825<br />
s’intéresse aussi aux machines parallèles, qu’elles soient synchrones comme les<br />
circuits digitaux, ou asynchrones comme les supercalculateurs multiprocesseurs <strong>et</strong><br />
maintenant les processeurs multicœurs.<br />
Il existe <strong><strong>de</strong>s</strong> milliers d’algorithmes pour résoudre <strong><strong>de</strong>s</strong> milliers <strong>de</strong> problèmes <strong>de</strong><br />
natures extrêmement variées : traitement <strong>de</strong> textes (recherche, orthographe, <strong>et</strong>c.),<br />
traitement d’images, <strong>de</strong> sons <strong>et</strong> <strong>de</strong> films (amélioration, compression, analyse,<br />
recherche d’obj<strong>et</strong>s, <strong>et</strong>c.), traitement d’obj<strong>et</strong>s géométriques (imagerie médicale,<br />
synthèse d’image, conception assistée par ordinateur, robotique), calcul scientifique<br />
<strong>et</strong> mathématique, gestion <strong>de</strong> communications <strong>et</strong> <strong>de</strong> réseaux, contrôle en tempsréels<br />
<strong>de</strong> transports ou d’usines, <strong>et</strong>c. Des applications comme l’imagerie médicale<br />
utilisent une conjonction d’algorithmes complémentaires <strong>de</strong> types divers. C<strong>et</strong>te<br />
variété n’exclut pas une théorie générale : la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes reposent sur<br />
un p<strong>et</strong>it nombre <strong>de</strong> principes centraux illustrés dans le <strong>cours</strong> : dichotomie (diviser<br />
pour régner), procé<strong>de</strong>r récursivement ou itérativement, exploiter l’aléatoire, <strong>et</strong>c.<br />
3.1. Tri <strong>de</strong> listes<br />
Notre premier exemple est le tri-fusion sur machine séquentielle, qui illustre à lui<br />
seul <strong>de</strong> nombreux principes. On coupe la liste donnée en <strong>de</strong>ux parties égales (à 1<br />
près), on trie récursivement ces <strong>de</strong>ux listes avec le même algorithme, puis on fusionne<br />
les <strong>de</strong>ux listes triées en comparant itérativement leurs têtes. Le couple récursion/<br />
dichotomie assure que le coût maximal en temps est <strong>de</strong> n log(n) pour une liste <strong>de</strong><br />
taille n, ce qi est théoriquement optimal. Cependant, ce coût reste le même quelque<br />
soit la liste <strong>de</strong> départ, même si elle était déjà triée. D’autres algorithmes perm<strong>et</strong>tent<br />
d’améliorer le coût en moyenne, ce qui est important en pratique.<br />
3.2. Addition entière<br />
Notre second exemple est l’addition <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux entiers. Les algorithmes <strong>de</strong> l’école<br />
sont <strong>de</strong> coût linéaire dans le nombre <strong>de</strong> chiffres à cause <strong>de</strong> la propagation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
r<strong>et</strong>enues. Nous montrons comment faire mieux sur un circuit, en additionnant<br />
<strong>de</strong>ux nombres p <strong>et</strong> q par dichotomie/récursion : en supposant qu’ils ont 2n chiffres<br />
en base 2, on coupe p <strong>et</strong> q au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> poids forts <strong>et</strong> faibles, posant p = p’ + 2n p”<br />
<strong>et</strong> q = q’ + 2n q”. On calcule alors en parallèle les trois sommes s’ = p’ + q’, s” 0 = p” + q”<br />
<strong>et</strong> s” 1 = p” + q” + 1. Chaque somme est calculée récursivement avec un additionneur<br />
du même modèle La somme s’ <strong><strong>de</strong>s</strong> poids faibles contient n + 1 bits. On en extrait<br />
le nombre t’ formé <strong><strong>de</strong>s</strong> n premiers bits <strong>et</strong> le n + 1e bit <strong>de</strong> poids fort r’, qui est la<br />
r<strong>et</strong>enue intermédiaire. Le résultat final s est alors défini ainsi : s = t’ + 2n s” 0 si r’ = 0,<br />
ou s = t’ + 2n s” 1 si r’ = 1. La sélection entre s” 0 <strong>et</strong> s” 1 se fait en temps unitaire dans<br />
un circuit à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> multiplexeurs parallèles. Grâce à la dichotomie <strong>et</strong> à la<br />
récursion, le coût en temps <strong>de</strong> l’algorithme est logarithmique, ce qui est beaucoup<br />
mieux que le coût usuel linéaire.<br />
L’addition dichotomique illustre <strong>de</strong>ux principes fondamentaux <strong>de</strong> l’algorithmique<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> circuits, l’anticipation <strong>et</strong> l’échange temps-espace. Pour les poids forts, on anticipe le
826 GÉRARD BERRY<br />
calcul <strong>de</strong> la r<strong>et</strong>enue intermédiaire ; quand celle-ci est connue, les <strong>de</strong>ux poids forts<br />
possibles sont déjà disponibles. Le gain <strong>de</strong> temps est considérable, mais au prix d’une<br />
perte en espace, puisqu’on utilise trois sous-additionneurs parallèles au lieu <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux<br />
strictement nécessaires, <strong>et</strong> d’une dépense supplémentaire d’énergie, puisque l’un <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>de</strong>ux résultats <strong>de</strong> poids forts pré-calculés sera simplement j<strong>et</strong>é aux oubli<strong>et</strong>tes.<br />
3.3. Algorithmes géométriques<br />
Notre troisième exemple concerne le calcul <strong>de</strong> l’enveloppe convexe d’un ensemble<br />
<strong>de</strong> points du plan. C<strong>et</strong> algorithme est fondamental en géométrie algorithmique,<br />
par exemple pour calculer l’intérieur d’un obj<strong>et</strong>. Il se fait en plusieurs étapes :<br />
calcul du point le plus bas, tri <strong><strong>de</strong>s</strong> angles entre ce point <strong>et</strong> les autres points, puis<br />
par<strong>cours</strong> itératif <strong><strong>de</strong>s</strong> points dans l’ordre ainsi établi pour déterminer les segments<br />
<strong>de</strong> l’enveloppe convexe. L’algorithme est illustré par une animation dans la vidéo<br />
<strong>et</strong> les transparents du <strong>cours</strong>. Son analyse est remarquable sur un point : l’étape<br />
chère <strong>de</strong> l’algorithme est le tri <strong><strong>de</strong>s</strong> angles, en n log2(n) s’il y a n somm<strong>et</strong>s. Les autres<br />
étapes sont linéaires, ce qui n’est pas évi<strong>de</strong>nt a priori. L’analyse d’algorithmes recèle<br />
beaucoup <strong>de</strong> surprises, même pour <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes simples !<br />
Les diagrammes <strong>de</strong> Voronoï constituent une structure fondamentale <strong>de</strong> la géométrie<br />
algorithmique. Etant donné un ensemble E <strong>de</strong> points du plan, le diagramme <strong>de</strong><br />
Voronoï associé découpe le plan en polygones contenant chacun un point p <strong>de</strong> E,<br />
<strong>et</strong> tels que chaque point <strong>de</strong> l’intérieur d’un polygone est plus près <strong>de</strong> p que <strong>de</strong> tout<br />
autre point p’ <strong>de</strong> E. La structure duale, formées <strong>de</strong> segments qui joignent les points<br />
<strong>de</strong> E perpendiculairement aux arêtes <strong><strong>de</strong>s</strong> polygones, est appelée triangulation <strong>de</strong><br />
Delaunay. Les arêtes <strong><strong>de</strong>s</strong> polygones <strong>de</strong> Voronoï sont les médiatrices <strong><strong>de</strong>s</strong> côtés <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
triangles <strong>de</strong> Delaunay, eux-mêmes caractérisés par le fait que leur cercle circonscrit<br />
ne contient aucun autre point <strong>de</strong> l’ensemble. Les diagrammes <strong>de</strong> Voronoï ont <strong>de</strong><br />
très nombreuses applications. Ils ont été introduits par Descartes pour étudier la<br />
répartition <strong><strong>de</strong>s</strong> constellations dans le ciel, utilisés par John Snow pour modéliser la<br />
propagation <strong><strong>de</strong>s</strong> épidémies dans les années 1850, <strong>et</strong> le sont maintenant à gran<strong>de</strong><br />
échelle pour le calcul <strong>de</strong> maillages efficaces en calcul numérique, pour la<br />
représentation <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s 3D en synthèse d’image, <strong>et</strong>c.<br />
Nous montré leur construction à l’ai<strong>de</strong> d’un p<strong>et</strong>it logiciel fourni par l’INRIA,<br />
également idéal pour illustrer les notions d’algorithme incrémental <strong>et</strong> d’algorithme<br />
itératif. Ajouter un nouveau point à un diagramme existant se fait <strong>de</strong> façon<br />
incrémentale au voisinage <strong>de</strong> ce nouveau point, sans perturber le reste. L’efficacité<br />
est excellente, ce qu’on voit en cliquant <strong>et</strong> bougeant la souris à gran<strong>de</strong> vitesse. On<br />
peut aussi minimiser l’énergie d’un diagramme, comptée comme l’intégrale <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
carrés <strong><strong>de</strong>s</strong> distances <strong>de</strong> chaque point du domaine au point caractéristique du<br />
polygone auquel il appartient. C<strong>et</strong>te énergie n’est pas minimale quand le point<br />
caractéristique d’un polygone est distinct <strong>de</strong> son centre <strong>de</strong> gravité. L’algorithme <strong>de</strong><br />
Lloyd fournit une métho<strong>de</strong> itérative <strong>de</strong> minimisation par déplacement <strong><strong>de</strong>s</strong> points<br />
initiaux vers le centre <strong>de</strong> gravité. Il est très beau à voir fonctionner sur la
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 827<br />
démonstration. Il se rencontre effectivement dans la nature, par exemple pour<br />
expliquer le déplacement <strong><strong>de</strong>s</strong> soles cachées sous le sable pour gu<strong>et</strong>ter leur proie<br />
lorsqu’il faut laisser <strong>de</strong> la place à une nouvelle arrivante.<br />
3.4. Le problème SAT <strong>et</strong> les algorithmes NP-compl<strong>et</strong>s<br />
Le <strong>cours</strong> a ensuite présenté le problème SAT <strong>de</strong> satisfaction Booléenne, dont<br />
l’obj<strong>et</strong> est <strong>de</strong> savoir si une formule Booléenne (écrite avec <strong><strong>de</strong>s</strong> variables <strong>et</strong> les<br />
opérations vrai, faux, <strong>et</strong>, ou <strong>et</strong> non) peut être rendue vraie par un jeu <strong>de</strong> valeurs<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> variables. Ce problème élémentaire est en fait très difficile <strong>et</strong> mal compris. Il<br />
est central pour la vérification formelle <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits <strong>et</strong> programmes, <strong>et</strong> il fait l’obj<strong>et</strong><br />
d’une véritable compétition industrielle. Il <strong>de</strong> plus caractéristique <strong>de</strong> la classe <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
problèmes NP-compl<strong>et</strong>s, qui en comprend <strong><strong>de</strong>s</strong> centaines d’autres (emploi du temps,<br />
horaires <strong>de</strong> train, <strong>et</strong>c.). Pour ces problèmes, on ne connaît que <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes<br />
exponentiels dans le cas le pire. Savoir s’il existe <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes toujours<br />
polynomiaux pour SAT <strong>et</strong> les problèmes NP-compl<strong>et</strong>s est considéré comme un <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
problèmes les plus difficiles <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques actuelles.<br />
3.5. Machines chimiques <strong>et</strong> nombres premiers<br />
Les algorithmes parallèles peuvent être très différents <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes séquentiels.<br />
Nous avons présenté une variante parallèle du crible d’Eratosthène pour le calcul<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> nombres premiers. Intuitivement, on m<strong>et</strong> tous les nombres sauf 1 dans un<br />
grand chaudron, <strong>et</strong> on les laisse être agités par le mouvement brownien. Un nombre<br />
p peut manger ses multiples quand il les rencontre, <strong>et</strong> tous les combats peuvent se<br />
faire en parallèle. Les nombres premiers sont les seuls à survivre. Ce modèle ultrasimple<br />
s’étend en une machine chimique générale, introduite par J.P. Banâtre <strong>et</strong> Le<br />
Métayer puis perfectionnée par G. Boudol <strong>et</strong> l’auteur. Les machines chimiques<br />
sont utilisées pour modéliser les réseaux <strong>de</strong> types Intern<strong>et</strong>, la migration <strong><strong>de</strong>s</strong> calculs<br />
dans les réseaux, <strong>et</strong> certains phénomènes biologiques (cf. section 11).<br />
3.6. Séminaire : algorithmes probabilistes sur <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> masses <strong>de</strong> données<br />
Le séminaire donné par Philippe Flajol<strong>et</strong>, directeur <strong>de</strong> recherches à l’INRIA, a été<br />
consacré aux algorithmes probabilistes sur <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> masses <strong>de</strong> données. Il a illustré<br />
un autre grand principe algorithmique, l’exploitation positive <strong>de</strong> l’aléa, reposant ici<br />
sur l’utilisation <strong>de</strong> fonctions <strong>de</strong> hachage pseudo-aléatoires. Une telle fonction va associer<br />
une information <strong>de</strong> taille fixe (par exemple 32 ou 64 bits) à n’importe quelle<br />
information d’entrée (mot, texte, image, son, <strong>et</strong>c.). Etant pseudo-aléatoire, elle va<br />
répartir équitablement les informations d’entrée dans les valeurs hachées, en cassant<br />
leurs régularités potentielles. P. Flajol<strong>et</strong> a montré l’efficacité <strong>de</strong> ces algorithmes dans<br />
un grand nombre <strong>de</strong> problèmes apparemment dissociés : le comptage approché <strong>de</strong><br />
mots dans un livre avec très peu <strong>de</strong> mémoire <strong>et</strong> sans dictionnaire, le classement d’un<br />
grand nombre <strong>de</strong> documents selon leur similarité, la détection d’intrusions <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
virus dans un réseau, <strong>et</strong>c. Bien que ces algorithmes soient très simples, leur analyse<br />
fait appel à <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques particulièrement sophistiquées.
828 GÉRARD BERRY<br />
4. Cours circuits<br />
Les circuits électroniques sont le moteur du mon<strong>de</strong> numérique. Depuis les années<br />
1970, ils se sont développés suivant la loi <strong>de</strong> Moore 1 : le nombre <strong>de</strong> transistors sur<br />
une puce double tous les 18 mois. C<strong>et</strong>te loi exponentielle est due aux progrès <strong>de</strong> la<br />
physique <strong><strong>de</strong>s</strong> transistors <strong>et</strong> à l’amélioration continuelle <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques <strong>de</strong> fabrication.<br />
Elle a <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences étonnantes : un microprocesseur comportait quelques<br />
milliers <strong>de</strong> transistors en 1975, quelque centaines <strong>de</strong> milliers en 1985, une dizaines<br />
<strong>de</strong> millions en 1995, <strong>et</strong> un milliard en 2005, tout cela à prix décroissant. Elle se<br />
poursuit pour l’instant, <strong>et</strong> sera probablement freinée plus par <strong><strong>de</strong>s</strong> considérations<br />
énergétiques <strong>et</strong> économiques que par <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes physiques <strong>de</strong> miniaturisation.<br />
M<strong>et</strong>tre autant <strong>de</strong> transistors sur une puce perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> fabriquer <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits<br />
hétérogènes appelés systèmes sur puce (System on Chip ou SoCs en anglais), qui<br />
intègrent <strong><strong>de</strong>s</strong> processeurs <strong>de</strong> calcul, <strong><strong>de</strong>s</strong> accélérateurs (graphique, cryptage, <strong>et</strong>c.),<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> mémoires, <strong><strong>de</strong>s</strong> processeurs d’entrées/sorties, <strong><strong>de</strong>s</strong> ém<strong>et</strong>teurs récepteurs radio,<br />
tous reliés par <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux hiérarchiques. Il s’en fait <strong><strong>de</strong>s</strong> milliards par an, <strong>et</strong> le<br />
volume ne cesse d’augmenter. Ils se trouvent dans les obj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> tous genres :<br />
téléphones, voitures, trains, avions, vélos, maisons, prothèses médicales, jou<strong>et</strong>s, <strong>et</strong>c.<br />
On prévoit qu’il y aura <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> mille circuits par humain d’ici une quinzaine<br />
d’années, la plupart reliés en réseau.<br />
4.1. Les principes <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits digitaux synchrones<br />
Les circuits digitaux synchrones fonctionnent sur le mo<strong>de</strong> binaire 0/1 en étant<br />
ca<strong>de</strong>ncés par une horloge. Ce sont les plus importants <strong>et</strong> les seuls étudiés ici. Ils<br />
sont complétés par les circuits analogiques, utilisés pour la radio <strong>et</strong> la communication<br />
avec le mon<strong>de</strong> physique, <strong>et</strong> par quelques circuits asynchrones sans horloges.<br />
Un circuit digital synchrone se comporte électriquement comme un réseau<br />
acyclique <strong>de</strong> portes logiques reliées par <strong><strong>de</strong>s</strong> fils qui peuvent être portés à <strong>de</strong>ux<br />
potentiels stables 0 <strong>et</strong> 1 Volt. Les portes calculent les fonctions Booléennes <strong>et</strong>, ou,<br />
non, briques <strong>de</strong> base avec lesquelles on peut co<strong>de</strong>r tout autre calcul. Le circuit<br />
comporte aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> mémoires, commandées toutes en même temps par l’horloge.<br />
Le principe est simple <strong>et</strong> quasiment inchangé <strong>de</strong>puis les premiers ordinateurs:<br />
pendant un cycle d’horloge, l’environnement maintient les entrées à 0 ou 1, <strong>et</strong> les<br />
mémoires maintiennent leurs sorties vers les portes à 0 ou 1. Les signaux se<br />
propagent dans le réseau <strong>de</strong> portes jusqu’à <strong>de</strong>venir stables aux sorties du circuit <strong>et</strong><br />
aux entrées <strong><strong>de</strong>s</strong> mémoires. Au front montant suivant <strong>de</strong> l’horloge, l’environnement<br />
échantillonne les sorties, <strong>et</strong> les mémoires basculent : leurs entrées au front<br />
<strong>de</strong>viennent leurs nouvelles sorties pour tout le cycle suivant. La fréquence maximale<br />
<strong>de</strong> l’horloge est déterminée par la nécessité d’avoir stabilisé tous les fils au front<br />
montant.<br />
1. Du nom <strong>de</strong> Gordon Moore, co-fondateur d’Intel.
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 829<br />
Les portes sont organisées en blocs architecturaux. Par exemple, un microprocesseur<br />
comporte <strong><strong>de</strong>s</strong> déco<strong>de</strong>urs d’instructions, <strong><strong>de</strong>s</strong> unités <strong>de</strong> calcul arithmétique <strong>et</strong> logique,<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> unités <strong>de</strong> gestion mémoire <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> entrées/sorties. Il lit un programme en langage<br />
machine <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> données, <strong>et</strong> exécute les calculs spécifiés. L’accélération par pipeline<br />
est un concept architectural fondamental i<strong>de</strong>ntique à celui développé par Henry<br />
Ford pour ses usines <strong>de</strong> voitures : chaque opération est découpée en phases qui se<br />
suivent dans le temps, <strong>et</strong> toutes les phases d’instructions consécutives s’exécutent<br />
en parallèle. L’accélération par spéculation repose sur <strong><strong>de</strong>s</strong> calculs réalisés en avance<br />
<strong>de</strong> phase mais potentiellement inutiles, comme expliqué pour l’addition à la<br />
section 3.2. Les mémoires caches perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> pallier la lenteur <strong><strong>de</strong>s</strong> mémoires<br />
externes (RAM) en utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> tampons locaux. Des exemples animés sont montré<br />
dans la vidéo <strong>et</strong> les transparents. Beaucoup <strong>de</strong> détails fins doivent être réglés pour<br />
un fonctionnement efficace <strong>et</strong> sûr <strong><strong>de</strong>s</strong> pipelines, spéculations <strong>et</strong> caches. L’architecture<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> processeurs mo<strong>de</strong>rnes est vraiment aux limites <strong><strong>de</strong>s</strong> capacités humaines, <strong>et</strong> celle<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes sur puce <strong>de</strong> tous ordres la rejoint en termes <strong>de</strong> difficultés.<br />
4.2. Electronic Design Automation : la synthèse <strong>de</strong> circuits<br />
La conception <strong>de</strong> circuits aussi gigantesques ne se fait évi<strong>de</strong>mment plus à la<br />
main, Les étapes ont été successivement automatisées, donnant naissance à une<br />
industrie spécifique, l’EDA (Electronic Design Automation). Les outils EDA<br />
perm<strong>et</strong>tent une synthèse continue <strong>et</strong> automatique, allant <strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux abstraits du<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>ign fonctionnel vers le <strong><strong>de</strong>s</strong>sin concr<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> masques lithographiques qui servent<br />
à fabriquer les circuits. On part <strong>de</strong> langages <strong>de</strong> haut niveau pour générer <strong><strong>de</strong>s</strong> portes<br />
logiques, qu’on va dimensionner, placer <strong>et</strong> router sur le rectangle <strong>de</strong> silicium,<br />
déterminant alors à quelle vitesse peut tourner l’horloge. Il faut en fait une dizaine<br />
d’étapes logicielles, dont le bon fonctionnement est aussi vérifié par logiciel.<br />
L’outillage est très cher <strong>et</strong> très gourmand, <strong>et</strong> sa complexité ne fait qu’augmenter.<br />
Comme le circuit est fabriqué en une fois, le moindre bug <strong>de</strong> conception peut<br />
le rendre entièrement inopérant. Il faut donc être sûr <strong>de</strong> son bon fonctionnement<br />
avant la mise en fabrication. La vérification fonctionnelle se fait soit par simulation,<br />
soit avec les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> formelles étudiées en 7.2. Elle revient couramment à 70 %<br />
du coût total, <strong>et</strong> est <strong>de</strong> moins en moins exhaustive. C’est donc un goulot<br />
d’étranglement fondamental.<br />
4.3. Séminaire : la fabrication <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits<br />
La fabrication <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits a été présentée dans le séminaire donné par Laurent<br />
Thénié, <strong>de</strong> Ca<strong>de</strong>nce Systems Design. Il a détaillé le principe lithographique <strong>de</strong> la<br />
fabrication, les longues <strong>et</strong> nombreuses étapes nécessaires, <strong>et</strong> les usines <strong>et</strong> leurs<br />
machines. Une génération <strong>de</strong> circuits est caractérisée par la taille du transistor,<br />
actuellement 65 ou 50 nanomètres. Des complications considérables sont induites<br />
par le caractère non-linéaire <strong><strong>de</strong>s</strong> gravures mo<strong>de</strong>rnes, qui reposent sur <strong><strong>de</strong>s</strong> images<br />
bien plus fines que la longueur d’on<strong>de</strong> <strong>de</strong> leurs sources lumineuses. Enfin, il faut
830 GÉRARD BERRY<br />
tester un à un tous les circuits fabriqués, car un seul problème <strong>de</strong> fabrication (par<br />
exemple, une seule poussière) suffit à rendre un circuit inopérant. Les tests sont<br />
faits à partir <strong>de</strong> longues séquences fournies par les outils EDA.<br />
La fabrication est <strong>de</strong> fait très dissociée <strong>de</strong> la conception : les outils EDA définissent<br />
exactement ce qui doit être fabriqué <strong>et</strong> testé, <strong>et</strong> le fabriquant n’est pas du tout<br />
concerné par ce que fait le circuit.Un problème majeur est que le prix <strong>de</strong> l’usine<br />
augmente considérablement avec chaque génération, <strong>et</strong> atteindra bientôt <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
dizaines <strong>de</strong> milliards d’euros. Bien que l’obj<strong>et</strong> qu’elle fabrique soit l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> plus<br />
légers, l’industrie est une <strong><strong>de</strong>s</strong> plus lour<strong><strong>de</strong>s</strong> !<br />
4.4. Le futur <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits<br />
De nombreuses difficultés <strong>de</strong> tous ordres risquent <strong>de</strong> ralentir l’évolution<br />
exponentielle : sur le plan technique, citons la difficulté <strong>de</strong> monter encore en fréquence,<br />
les limites posées aux circuits par la chaleur dissipée, <strong>et</strong> les problèmes posés par la<br />
gestion d’horloges multiples ; sur le plan humain, citons la complexité <strong>de</strong> la conception,<br />
qui peut <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong><strong>de</strong>s</strong> milliers <strong>de</strong> personnes, le coût extrême <strong><strong>de</strong>s</strong> investissements, <strong>et</strong> la<br />
nécessité <strong>de</strong> rentabiliser une fabrication par <strong>de</strong> très grands volumes.<br />
De nouvelles solutions apparaissent pour contourner ces problèmes. Le FPGA<br />
(Field Programmable Gate Array) a été introduit dans les années 1980. C’est un<br />
méta-circuit transformable à volonté en circuit précis par téléchargement d’une<br />
configuration binaire. Un même circuit physique peut être ainsi rapi<strong>de</strong>ment<br />
configuré en un très grand nombre <strong>de</strong> circuits logiques par l’utilisateur, au prix d’un<br />
coût plus élevé <strong>et</strong> d’une <strong>de</strong>nsité moindre. D’autres propositions étudient <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits<br />
à grand nombre <strong>de</strong> processeurs simples programmables par logiciel. Mais bien les<br />
programmer reste un grand défi intellectuel. Enfin, il ne sera bientôt plus possible <strong>de</strong><br />
fabriquer <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits zéro défaut. On s’oriente vers <strong><strong>de</strong>s</strong> formes <strong>de</strong> redondance<br />
perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> ne pas utiliser <strong><strong>de</strong>s</strong> parties <strong>de</strong> circuits non fonctionnelles.<br />
Pour gagner <strong><strong>de</strong>s</strong> ordres <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>urs en taille <strong>et</strong> complexité <strong>de</strong> circuits, l’industrie<br />
<strong>de</strong> l’EDA évolue vers l’Electronic System Design ou ESL. Il s’agit <strong>de</strong> grimper encore<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> niveaux d’abstraction, par exemple pour synthétiser complètement un circuit<br />
à partir <strong>de</strong> spécifications <strong>de</strong> type logiciel <strong>et</strong> prouver mathématiquement son bon<br />
fonctionnement 2 .<br />
5. Cours langages <strong>de</strong> programmation<br />
Les langages <strong>de</strong> programmation sont l’instrument indispensable pour l’écriture<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> programmes. Leur genèse précè<strong>de</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> ordinateurs : les logiciens comme<br />
Frege, Russel, Turing <strong>et</strong> Church se sont intéressé au problème <strong>de</strong> la définition<br />
précise du langage mathématique, qui est <strong>de</strong> même nature. Les premiers langages<br />
ont été les langages machines <strong><strong>de</strong>s</strong> ordinateurs, bientôt rendu symboliques sous le<br />
2. Ce qui est le suj<strong>et</strong> principal du travail <strong>de</strong> l’auteur.
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 831<br />
nom d’assembleurs. Un tournant a été apporté dans les années 1950 par FORTRAN<br />
(Formula Translator), qui a augmenté le niveau d’abstraction en utilisant directement<br />
les expressions mathématiques comme (A + B) ∗ C pour programmer, avec comme<br />
primitives l’affectation <strong>de</strong> type X = (A + B) ∗ C, la mise en séquence d’instructions,<br />
les boucles DO, <strong>et</strong> l’appel <strong>de</strong> fonctions définies elles-mêmes par <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes.<br />
Il faut alors un programme appelé compilateur pour traduire ces programmes <strong>de</strong><br />
plus haut niveau en langage machine. Ce schéma est toujours valable.<br />
5.1. Le mon<strong>de</strong> Darwinien <strong><strong>de</strong>s</strong> langages<br />
FORTRAN sera suivi dans les années 1960-70 par <strong><strong>de</strong>s</strong> langages plus riches <strong>et</strong><br />
développés plus scientifiquement, comme ALGOL <strong>et</strong> PASCAL, <strong>et</strong> par le langage<br />
C né avec Unix. En parallèle, <strong><strong>de</strong>s</strong> langages très différents verront le jour comme<br />
LISP, dédié au calcul pour l’intelligence artificielle. Ce langage fonctionnel (sans<br />
affectation) <strong>et</strong> d’exécution interactive sera suivi par SMALLTALK, SCHEME, puis<br />
ML, qui a donné naissance au populaire <strong>et</strong> rigoureux langage Caml développé à<br />
l’INRIA, <strong>et</strong> au puissant langage fonctionnel Haskell. L’augmentation permanente<br />
<strong>de</strong> la taille <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes a conduit à l’ajout <strong>de</strong> systèmes <strong>de</strong> modules ou <strong>de</strong><br />
classes obj<strong>et</strong> perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> définir <strong>et</strong> <strong>de</strong> maintenir <strong>de</strong> vraies architectures logicielles<br />
(Modula, ADA, C++, Java, Caml, <strong>et</strong>c.).<br />
Tous les langages précités perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> programmer n’importe quel algorithme<br />
sur une machine monoprocesseur. Avec les réseaux <strong>et</strong> la comman<strong>de</strong> <strong>de</strong> processus<br />
temps-réel est apparu la nécessité d’écrire <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes parallèles s’exécutant sur<br />
une ou plusieurs machines, d’où la naissance <strong>de</strong> langages asynchrones comme CSP<br />
puis ADA, <strong>de</strong> langages synchrones comme Esterel <strong>et</strong> Lustre (cf. 6.3), <strong>et</strong> l’ajout <strong>de</strong><br />
techniques <strong>de</strong> programmation parallèles dans les langages classiques (en général au<br />
moyen <strong>de</strong> threads, ou flots d’exécutions coordonnés). D’autres langages sont plus<br />
spécifiques. Basic, p<strong>et</strong>it langage interactif <strong><strong>de</strong>s</strong> années 60, est <strong>de</strong>venu Visual Basic,<br />
présent dans toutes les applications bureautiques <strong>de</strong> Microsoft. APL est dédié à<br />
l’écriture très compacte d’algorithmes matriciels. FORTH, originellement <strong><strong>de</strong>s</strong>tiné<br />
aux programmes temps-réel, a introduit les co<strong><strong>de</strong>s</strong> compacts embarqués (byte-co<strong>de</strong>),<br />
repris par Java <strong>et</strong> Caml. Prolog a introduit la programmation par règles logiques<br />
<strong>et</strong> fait naître la famille <strong><strong>de</strong>s</strong> langages à contraintes. Les langages <strong>de</strong> scripts, inaugurés<br />
par le shell d’Unix, sont <strong>de</strong>venus très populaires pour les manipulations systèmes<br />
<strong>et</strong> le Web (tcl, perl, python, php, <strong>et</strong>c.).<br />
Si l’on ajoute la présence <strong>de</strong> plusieurs dialectes pour chaque langage (<strong><strong>de</strong>s</strong> centaines<br />
pour LISP), on voit que le paysage linguistique est extrêmement complexe.<br />
L’évolution est Darwinienne : la survie d’un langage dépend <strong>de</strong> la création au bon<br />
moment d’un groupe grandissant d’utilisateurs écrivant <strong>de</strong> nouvelles applications :<br />
C est né d’Unix, Java a crû avec le Web, <strong>et</strong>c. Les guerres <strong>de</strong> religion ont abondé :<br />
les gens du fonctionnel ne supportaient pas l’impératif <strong>et</strong> réciproquement, les<br />
amateurs <strong>de</strong> langages interactifs ne supportaient pas <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir attendre la fin d’une<br />
compilation, <strong>et</strong>c. Tout ceci s’est bien calmé, car concevoir un nouveau langage <strong>et</strong>
832 GÉRARD BERRY<br />
l’ensemble <strong>de</strong> son outillage (compilateur, débogueur, <strong>et</strong>c.) <strong>de</strong>man<strong>de</strong> un<br />
investissement <strong>de</strong> plus en plus considérable.<br />
5.2. Pourquoi tant <strong>de</strong> langages ?<br />
Le nombre <strong><strong>de</strong>s</strong> langages est une conséquence normale <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> nombreux<br />
styles pour exprimer un algorithme ou une classe d’algorithmes. Chaque style<br />
exprime un niveau d’abstraction particulier : le style fonctionnel décrit le résultat à<br />
obtenir plus que la façon <strong>de</strong> le calculer, le style impératif fait exactement l’inverse, le<br />
style logique définit les algorithmes par <strong><strong>de</strong>s</strong> combinaisons <strong>de</strong> règles individuellement<br />
simples, le style obj<strong>et</strong> encapsule les données dans <strong><strong>de</strong>s</strong> classes fournissant <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>de</strong> traitement locales, le style parallèle abandonne l’idée <strong>de</strong> suivre un programme<br />
avec un doigt, le style graphique propose une programmation plus visuelle que<br />
textuelle ; la gestion <strong>de</strong> la mémoire est soit explicite soit implicite, les pointeurs sont<br />
autorisés ou non, <strong>et</strong>c. Par ailleurs, il existe plusieurs styles syntaxiques capables à eux<br />
seuls <strong>de</strong> faire se battre les gens : C est piquant <strong>et</strong> impératif, LISP est rond <strong>et</strong> récursif,<br />
CAML est mathématique <strong>et</strong> récursif, <strong>et</strong>c. Comme en art, chaque style a son intérêt<br />
<strong>et</strong> combiner <strong>de</strong>ux styles n’est jamais simple.<br />
5.3. Syntaxe, types <strong>et</strong> sémantiques<br />
Tout langage a trois composantes fondamentales : une syntaxe, qui définit les<br />
programmes bien écrits, un système <strong>de</strong> types, qui assure avant d’exécuter les<br />
programmes qu’on n’additionnera pas <strong><strong>de</strong>s</strong> choux <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> carottes, <strong>et</strong> une sémantique,<br />
qui définit le sens <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes.<br />
L’analyse syntaxique est un problème magnifiquement réglé <strong>de</strong>puis longtemps. Le<br />
typage évolue encore. Il est fondamental pour détecter les erreurs avant l’exécution <strong>et</strong><br />
donc avant qu’elles n’aient <strong><strong>de</strong>s</strong> conséquences. FORTRAN n’avait que <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres<br />
entiers <strong>et</strong> flottants. LISP n’avait pas <strong>de</strong> types du tout. Pascal, C, Ada, C ++ , <strong>et</strong>c. ont<br />
incorporé <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> types <strong>de</strong> plus en plus riches, perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> définir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
structures <strong>de</strong> données complexes tout en détectant beaucoup d’erreurs. ML a fait un<br />
pas important en introduisant un système <strong>de</strong> types qui garantit mathématiquement<br />
l’absence d’erreur à l’exécution, avec inférence <strong>de</strong> types pour éviter d’écrire les types à<br />
la main, <strong>et</strong> généricité pour écrire par exemple <strong><strong>de</strong>s</strong> files d’attente bien typées<br />
fonctionnant sur types paramétriques. La théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> types est bien établie<br />
mathématiquement mais peut encore progresser pratiquement.<br />
La sémantique <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes définit ce qu’ils doivent faire. Elle est souvent<br />
traitée un peu par <strong><strong>de</strong>s</strong>sus la jambe : exécutez donc votre programme pour voir ce<br />
qu’il fait ! Pourtant, avoir une sémantique claire est indispensable pour avoir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
programmes portables d’une machine à une autre, être sûr <strong>de</strong> ce qu’ils font, <strong>et</strong> les<br />
prouver formellement. La communauté théorique sait maintenant définir<br />
complètement la sémantique d’un langage, pourvu qu’il soit conçu pour. Par<br />
exemple, <strong><strong>de</strong>s</strong> langages comme Caml, Lustre <strong>et</strong> Esterel sont définis <strong>de</strong> façon<br />
mathématique <strong>et</strong> ne peuvent donner lieu à <strong><strong>de</strong>s</strong> erreurs d’interprétation.
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 833<br />
5.4. Séminaire : du langage à l’action<br />
Xavier Leroy, Directeur <strong>de</strong> Recherches à l’INRIA a présenté la compilation <strong>de</strong><br />
programmes <strong>de</strong> haut niveau en co<strong>de</strong> machine. Il en a détaillé les différentes étapes :<br />
analyse syntaxique, analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> types, allocation <strong><strong>de</strong>s</strong> données, en mémoire,<br />
mécanismes d’exécution par piles, allocation <strong>de</strong> registres, optimisation, <strong>et</strong> génération<br />
<strong>de</strong> co<strong>de</strong>. Il a montré qu’optimiser un programme <strong>de</strong>mandait souvent <strong>de</strong> spéculer<br />
pour compenser la lenteur <strong><strong>de</strong>s</strong> mémoires, en dépliant les boucles <strong>et</strong> en<br />
réordonnançant le co<strong>de</strong> expansé obtenu pour pré-charger les données avant d’en<br />
avoir réellement besoin. Il a enfin montré la possibilité d’écrire <strong><strong>de</strong>s</strong> compilateurs<br />
mathématiquement prouvés correct, exploit que son groupe a été le premier à<br />
réaliser <strong>et</strong> qui pourra avoir <strong><strong>de</strong>s</strong> impacts pratiques considérables à l’avenir.<br />
6. Cours systèmes embarqués<br />
Un système embarqué est un système informatique logiciel <strong>et</strong> matériel enfoui dans<br />
un obj<strong>et</strong> afin <strong>de</strong> contrôler son activité <strong>et</strong> sa sécurité, d’offrir <strong><strong>de</strong>s</strong> services à ses utilisateurs<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> communiquer avec d’autres obj<strong>et</strong>s. Les systèmes embarqués sont extrêmement<br />
nombreux <strong>et</strong> variés : téléphones portable, avions, trains, voitures, <strong>et</strong> même vélos,<br />
appareils photos <strong>et</strong> lecteurs MP3, obj<strong>et</strong>s domotique, stimulateurs cardiaques <strong>et</strong><br />
prothèses intelligentes, <strong>et</strong>c. Le domaine est en croissance très rapi<strong>de</strong> <strong>et</strong> va aller en<br />
s’unifiant avec celui <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux, car les obj<strong>et</strong>s seront <strong>de</strong> plus en plus reliés entre eux,<br />
soit par <strong><strong>de</strong>s</strong> communications spécifiques, soit tout simplement par Intern<strong>et</strong>.<br />
Bien que leurs principes fondamentaux soient les mêmes que ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> ordinateurs<br />
à clavier <strong>et</strong> écrans, la façon <strong>de</strong> concevoir <strong>et</strong> <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre au point les systèmes<br />
embarqués est très différente. Ils sont le plus souvent soumis à <strong><strong>de</strong>s</strong> contraintes<br />
d’autonomie, <strong>de</strong> fiabilité <strong>et</strong> <strong>de</strong> sécurité bien supérieures, surtout s’ils sont <strong><strong>de</strong>s</strong>tinés<br />
à fonctionner en environnement hostile : il est clair que le taux <strong>de</strong> bugs acceptable<br />
pour le pilotage d’un avion soit être absolument minimal.<br />
6.1. Parallélisme <strong>et</strong> déterminisme<br />
Les systèmes embarqués doivent le plus souvent concilier <strong>de</strong>ux caractéristiques<br />
fondamentales : le parallélisme <strong>et</strong> le déterminisme. Le parallélisme résulte <strong>de</strong> la<br />
présence <strong>de</strong> nombreux composants <strong>de</strong>vant agir <strong>de</strong> façon simultanée <strong>et</strong> coordonnée.<br />
Ainsi, dans un système <strong>de</strong> pilotage, il faut simultanément gérer les capteurs, calculer<br />
la trajectoire, corriger la comman<strong>de</strong> en fonction <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te trajectoire, solliciter les<br />
actionneurs, <strong>et</strong>c. Le déterminisme est une contrainte sur le comportement du<br />
système, qui exprime que toute exécution à partir <strong>de</strong> la même séquence d’entrées<br />
doit produire le même comportement. Il est clair que la réaction d’une voiture à un<br />
coup <strong>de</strong> frein ou à un mouvement du volant doit être toujours la même dans les<br />
mêmes conditions <strong>de</strong> route. Bien gérer le parallélisme déterministe est fondamental.<br />
Le parallélisme est partagé par bien d’autres applications non embarquées, par<br />
exemple par les applications Intern<strong>et</strong>. La situation est différente pour le
834 GÉRARD BERRY<br />
déterminisme. S’il est naturel pour les systèmes embarqués, il ne l’est pas pour<br />
d’autres applications parallèles. Par exemple, on ne peut évi<strong>de</strong>mment pas <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />
à un moteur <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> répondre toujours <strong>de</strong> la même façon à une question<br />
donnée, puisqu’il doit au contraire se m<strong>et</strong>tre à jour en continu.<br />
6.2. Métho<strong><strong>de</strong>s</strong> classiques <strong>de</strong> programmation<br />
Les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> classiques pour la programmation <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes embarqués sont<br />
fondées sur une extension directe <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> programmation séquentielle au<br />
cas parallèle. Le parallélisme peut être introduit <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manières :<br />
1. Au moyen d’un système <strong>de</strong> tâches séquentielles gérées par un ordonnanceur.<br />
Celui-ci peut être dynamique, conduisant à du non-déterminisme, ou pré-calculé<br />
<strong>et</strong> statique, alors déterministe. Mais le raisonnement sur un système <strong>de</strong> tâche <strong>et</strong> sa<br />
vérification sont difficiles.<br />
2. Par introduction directe dans un langage séquentiel : tasks en ADA, threads<br />
en Java, <strong>et</strong>c. Dans ce cas, les exécutions <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes actions parallèles se font <strong>de</strong><br />
façon asynchrone <strong>et</strong> non-déterministe, ce qui est contraire à la contrainte <strong>de</strong><br />
déterminisme. Dans certains cas (Spark ADA), <strong><strong>de</strong>s</strong> restrictions perm<strong>et</strong>tent d’assurer<br />
le déterminisme.<br />
6.3. Les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> synchrones<br />
Les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> synchrones sont fondées sur un principe complètement différent,<br />
né au début <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1980 dans trois laboratoires français. Elles supposent que<br />
les différents composants du système sont ca<strong>de</strong>ncés par la même horloge logique<br />
<strong>et</strong> savent communiquer en temps zéro. C<strong>et</strong>te simplification théorique est analogue<br />
à celle <strong>de</strong> la vision logique <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits électriques synchrones. Elle perm<strong>et</strong> le<br />
développement <strong>de</strong> langages <strong>et</strong> formalismes graphiques parallèles particulièrement<br />
simples <strong>et</strong> élégants, ayant <strong><strong>de</strong>s</strong> sémantiques mathématiques parfaitement définies.<br />
Le développement <strong><strong>de</strong>s</strong> théories mathématiques associées dans les 25 <strong>de</strong>rnières<br />
années a montré comment compiler efficacement les programmes synchrones <strong>de</strong><br />
façon efficace, soit en programmes C ou ADA séquentiels, soit en circuits<br />
électroniques, <strong>et</strong> comment les vérifier formellement.<br />
Les langages Lustre (CNRS Grenoble) <strong>et</strong> Esterel (Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> Mines <strong>et</strong> INRIA<br />
Sophia-Antipolis) sont développés <strong>et</strong> commercialisés par la société <strong>de</strong> l’auteur, avec<br />
leurs ateliers logiciels compl<strong>et</strong>s : éditeurs, simulateurs, générateurs <strong>de</strong> co<strong>de</strong>,<br />
vérifieurs, <strong>et</strong>c. Ils sont utilisés par <strong>de</strong> nombreuses sociétés industrielles dans les<br />
domaines avioniques, ferroviaires, nucléaire, industrie lour<strong>de</strong> <strong>et</strong> électronique grand<br />
public. A titre d’exemple, plusieurs millions <strong>de</strong> lignes <strong>de</strong> co<strong>de</strong> générées par SCADE<br />
assurent <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions essentielles dans l’Airbus A380 : pilotage, comman<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
réacteurs, freinage, <strong>et</strong>c.
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 835<br />
6.4. Séminaire : La certification, ou comment faire confiance au logiciel pour<br />
l’avionique critique<br />
Gérard Ladier, responsable <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> la qualité logicielle chez Airbus<br />
Industries, a présenté les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> certification du logiciel critique en avionique.<br />
La norme imposée est la DO-178B, qui définit les processus <strong>de</strong> vérification à<br />
appliquer à ces logiciels. C<strong>et</strong>te norme reconnaît clairement la spécificité du logiciel<br />
par rapport aux autres composants <strong>de</strong> l’avion, <strong>et</strong> donc le besoin d’un traitement<br />
spécifique. La vérification se fait par une conjonction d’activités concernant le<br />
processus <strong>de</strong> développement :<br />
— revues <strong><strong>de</strong>s</strong> co<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> documentations ;<br />
— tests intensifs, autonomes ou sur le simulateur avion ;<br />
— caractérisation <strong>de</strong> la couverture <strong><strong>de</strong>s</strong> exigences fonctionnelles (haut niveau) <strong>et</strong><br />
du co<strong>de</strong> (bas niveau) apportée par les tests ;<br />
— traçabilité complète entre toutes les étapes, <strong><strong>de</strong>s</strong> exigences fonctionnelles au<br />
co<strong>de</strong> <strong>et</strong> aux tests.<br />
Elle fait intervenir <strong><strong>de</strong>s</strong> autorités extérieures, qui vérifient la validité <strong>et</strong> la<br />
complétu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> vérifications faites par le constructeur.<br />
G. Ladier a montré comment le processus <strong>de</strong> certification logicielle est mis en<br />
place chez Airbus, <strong>et</strong> comment il a permis d’obtenir <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats exceptionnels :<br />
zéro bug détecté en vol sur l’A320 en plus <strong>de</strong> 50 millions d’heures <strong>de</strong> vol. Une<br />
nouvelle norme DO-178C est définie par un groupe <strong>de</strong> travail international <strong>de</strong><br />
120 personnes fonctionnant sur le principe du consensus total. Elle m<strong>et</strong>tra<br />
davantage l’accent sur un approche orientée produit, avec la qualification d’outils<br />
<strong>de</strong> haut niveau, conception fondé sur <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles abstraits, métho<strong><strong>de</strong>s</strong> orientées<br />
obj<strong>et</strong>, génération automatique <strong>de</strong> co<strong>de</strong> <strong>et</strong> vérification formelle.<br />
7. Cours « la chasse aux bugs », ou la vérification <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes<br />
L’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> a insisté sur la notion centrale <strong>de</strong> bug en informatique.<br />
L’ignorer ou la sous-estimer, c’est s’exposer à <strong>de</strong> graves conséquences. La vérification<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> circuits <strong>et</strong> logiciels a pour but d’assurer la conformité aux spécifications, <strong>et</strong><br />
donc l’absence <strong>de</strong> bugs. Elle effectue <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manières complémentaires, par test<br />
ou par calcul formel. Les tests reposent sur une exécution directe du circuit ou du<br />
programme dans son environnement réel ou simulé, avec observation <strong>de</strong> son<br />
comportement. Les stimuli sont produits manuellement ou <strong>de</strong> façon aléatoire<br />
guidée, <strong>et</strong> l’on observe les résultats, la couverture du co<strong>de</strong> <strong>et</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong> spécifications<br />
pour mesurer ce qui a été vérifié. Comme le nombre <strong>de</strong> cas d’exécution est a priori<br />
non borné, le test ne peut jamais être exhaustif.<br />
A l’opposé, la vérification formelle s’effectue sans exécuter le programme, mais<br />
en calculant <strong><strong>de</strong>s</strong>sus manuellement ou automatiquement à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> différentes<br />
logiques associées au langage <strong>de</strong> programmation. Elle perm<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> garanties à<br />
100 %, mais se heurte à <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes <strong>de</strong> complexité algorithmique dès que les<br />
questions sont trop dures ou les obj<strong>et</strong>s trop gros.
836 GÉRARD BERRY<br />
7.1. Qu’est-ce qu’une spécification ?<br />
La notion même <strong>de</strong> vérification pose immédiatement une difficulté essentielle :<br />
que veut réellement dire spécifier une application ? Dans les bons cas, les choses sont<br />
simples : spécifier qu’une liste <strong>de</strong> nombres est triée est trivial : il s’agit <strong>de</strong> fournir une<br />
liste triée comportant les mêmes éléments avec la même multiplicité. La correction<br />
totale du programme sera alors assurée. Mais les choses sont beaucoup plus complexes<br />
pour le pilotage d’un avion ou le bon fonctionnement d’un microprocesseur ou d’un<br />
système d’exploitation. On s’intéresse alors à <strong><strong>de</strong>s</strong> spécifications partielles, exigeant le<br />
respect <strong>de</strong> propriétés individuellement simples. Citons quelques exemples : l’ascenseur<br />
ne voyagera jamais la porte ouverte <strong>et</strong> finira par passer par tous les étages ; le train<br />
d’atterrissage ne pourra jamais être rétracté quand l’avion est au sol ; le système<br />
d’exploitation ne pourra jamais se geler <strong>et</strong> <strong>de</strong>venir perpétuellement inactif. Une<br />
conjonction <strong>de</strong> telles propriétés peut quelquefois <strong>de</strong>venir une spécification complète.<br />
7.2. La vérification <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes d’états finis<br />
Le cas le plus favorable pour la vérification est celui <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes d’états finis, qui<br />
ne peuvent prendre qu’un nombre fini d’états distincts. Ils sont très nombreux<br />
dans les applications industrielles : circuits à mémoire limitée, interfaces hommemachine,<br />
systèmes <strong>de</strong> contrôle/comman<strong>de</strong> embarqués, <strong>et</strong>c. Leur vérification<br />
formelle a fait récemment <strong><strong>de</strong>s</strong> progrès considérables, grâce aux avancées majeures<br />
sur le problème SAT discutées en 3.4, ainsi qu’à l’introduction <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques <strong>de</strong><br />
vérification par mo<strong>de</strong>l checking pour raisonner sur l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes dans le<br />
temps 3 . Une propriété comme « l’ascenseur ne voyagera jamais la porte ouverte »<br />
se montre maintenant sans difficulté à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> systèmes <strong>de</strong> vérification standard,<br />
ce qui a été démontré dans le <strong>cours</strong> avec l’outil Esterel Studio. Ce type <strong>de</strong><br />
vérification <strong>de</strong>vient clef pour les systèmes embarqués critiques.<br />
En conception assistée <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits, pratiquement toutes les transformations<br />
élémentaires intervenant dans les étapes <strong>de</strong> synthèse mentionnées en 4.2 sont<br />
vérifiées formellement. Des propriétés <strong>de</strong> sous-systèmes critiques comme les caches<br />
<strong>et</strong> les pipelines sont aussi vérifiées formellement autant que possible mais restent<br />
très difficile. Pour toutes les applications industrielles, le grand problème ouvert<br />
reste la prédictibilité du coût <strong>de</strong> la vérification, industriellement nécessaire pour<br />
allouer les budg<strong>et</strong>s correspondants.<br />
7.3. L’indécidabilité <strong>de</strong> la vérification <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes généraux<br />
Les programmes généraux peuvent être d’états infinis, <strong>et</strong> donc hors <strong>de</strong> portée <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
techniques précé<strong>de</strong>ntes. Prenons une propriété élémentaire comme « le programme p<br />
s’arrête-t-il quand on lui donne une donnée d ? ». Turing a montré que c<strong>et</strong>te<br />
3. Joseph Sifakis, du CNRS Grenoble, a obtenu le prix Turing 2007 pour la co-invention du<br />
mo<strong>de</strong>l-checking.
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 837<br />
propriété est indécidable en général, c’est-à-dire non vérifiable par un algorithme<br />
prenant p <strong>et</strong> d comme données <strong>et</strong> s’exécutant toujours en temps fini.<br />
Montrons ce résultat historique. On utilise d’abord le principe <strong>de</strong> numérisation<br />
<strong>de</strong> Gö<strong>de</strong>l, voyant tout programme <strong>et</strong> toute donnée comme <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres entiers p<br />
<strong>et</strong> d, <strong>et</strong> toute machine ϕ comme une fonction partielle sur les entiers définie si <strong>et</strong><br />
seulement si p s’arrête sur d. Ecrivons ϕ p(d) pour l’application <strong>de</strong> p à d. On<br />
généralise le vieux paradoxe du menteur 4 <strong>de</strong> la façon suivante : supposons qu’il<br />
existe un programme a tel que le calcul ϕ a (2 p 3 q ) s’arrête toujours <strong>et</strong> répon<strong>de</strong> 0 si<br />
ϕ p(d) s’arrête <strong>et</strong> 1 si ϕ p(d) ne s’arrête pas ; le programme a fournirait alors un test<br />
total d’arrêt <strong>de</strong> p sur d. Construisons un autre programme m ainsi :<br />
ϕ m(d) = 0 si ϕ a (2 d 3 d ) = 1<br />
= ϕ m(d) si ϕ a (2 d 3 d ) = 0<br />
Par construction, ϕ m(d) boucle si <strong>et</strong> seulement si <strong>et</strong> seulement si ϕ d(d) ne boucle<br />
pas. Poser d = m fournit immédiatement une contradiction, démontrant par<br />
l’absur<strong>de</strong> que a ne peut exister.<br />
Beaucoup d’autres propriétés élémentaires peuvent être montrées indécidables<br />
par réduction au problème <strong>de</strong> l’arrêt, par exemple l’équivalence <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux programmes<br />
p <strong>et</strong> q pour toutes données.<br />
7.4. Systèmes d’ai<strong>de</strong> à la preuve interactive<br />
Bien qu’elle pose une frontière fondamentale à la vérification, l’indécidabilité est<br />
contournable dans beaucoup <strong>de</strong> cas, car beaucoup <strong>de</strong> propriétés peuvent se prouver<br />
par récurrence. Par exemple, la preuve d’arrêt <strong>de</strong> l’algorithme <strong>de</strong> tri présenté en 3.1<br />
est simple, puisque chaque appel récursif réduit la longueur <strong><strong>de</strong>s</strong> listes arguments.<br />
En pratique, les preuves <strong>de</strong> terminaison ou <strong>de</strong> correction d’algorithmes généraux<br />
peuvent être très techniques. Elles ont donc été mécanisées très tôt dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
systèmes d’assistance à la démonstration. Partant <strong>de</strong> systèmes assez rudimentaires<br />
comme Boyer-Moore (U. Texas) <strong>et</strong> LCF (Stanford), on est allé vers <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes<br />
beaucoup plus sophistiqués comme ACL-2 (MIT), HOL (Cambridge), Isabelle<br />
(Cambridge), PVS (Stanford Research Institute) ou Coq (INRIA).<br />
Des succès importants ont été obtenus récemment : la vérification <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
arithmétiques flottantes <strong><strong>de</strong>s</strong> microprocesseurs d’Intel <strong>et</strong> AMD, la vérification d’un<br />
compilateur C en Coq par Xavier Leroy mentionnée en 5.4, la vérification <strong>de</strong><br />
protocoles <strong>de</strong> sécurité pour cartes à puce, <strong>et</strong> l’authentique exploit qu’est la<br />
vérification formelle du théorème <strong><strong>de</strong>s</strong> 4 couleurs par Georges Gonthier 5 . A l’avenir,<br />
4. L’homme qui affirme « je mens » ne peut ni mentir ni dire la vérité.<br />
5. Il est intéressant <strong>de</strong> noter que la partie la plus dure <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te preuve était celle d’un lemme<br />
considéré comme « folk result » par les mathématiciens qui avaient publiée la première preuve<br />
agréé par la communauté.
838 GÉRARD BERRY<br />
il est hautement souhaitable <strong>de</strong> pouvoir disposer <strong>de</strong> bibliothèques d’algorithmes<br />
vérifiés formellement par ces métho<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />
7.5. Lien avec les langages <strong>de</strong> programmation<br />
L’objectif <strong>de</strong> la vérification formelle est <strong>de</strong> prouver la correction <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes<br />
que l’on écrit effectivement. Or, on ne peut rien prouver sur un programme si on<br />
ne sait pas dire exactement ce qu’il fait. Il faut donc que le langage dans lequel il<br />
est écrit ait une sémantique formelle au sens présenté en 5.3. Diverses métho<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong><br />
définitions sémantiques sont adaptées à la vérification formelle. Citons la logique<br />
<strong>de</strong> Floyd-Hoare à base <strong>de</strong> pré- <strong>et</strong> post conditions (prédicats vali<strong><strong>de</strong>s</strong> avant <strong>et</strong> après<br />
l’exécution d’une instruction), celle <strong>de</strong> Scott fondées sur la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> treillis, <strong>et</strong><br />
la sémantique opérationnelle structurelle <strong>de</strong> Plotkin fondée sur la définition d’une<br />
logique directement associée aux instructions du langage. Conçues théoriquement<br />
dans les années 1970-1980, ces logiques voient leurs applications fleurir dans les<br />
systèmes d’ai<strong>de</strong> à la vérification.<br />
7.6. Séminaire : l’interprétation abstraite<br />
Patrick Cousot, professeur à l’Ecole Normale Supérieure, a présenté l’interprétation<br />
abstraite, qu’il développe avec son équipe <strong>de</strong>puis trente ans. L’idée est <strong>de</strong> faire<br />
calculer symboliquement le programme selon les mêmes lois d’exécution mais sur<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> données plus abstraites, comme <strong><strong>de</strong>s</strong> intervalles ou <strong><strong>de</strong>s</strong> polygones au lieu <strong>de</strong><br />
nombres individuels. On peut alors approximer supérieurement l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
calculs possibles en temps fini, <strong>et</strong> détecter l’impossibilité <strong>de</strong> certaines erreurs<br />
critiques : accès à un tableau hors <strong>de</strong> ses bornes, division par zéro, débor<strong>de</strong>ment<br />
arithmétique (erreur qui a conduit à l’explosion d’Ariane 501).<br />
L’interprétation abstraite repose sur un cadre général mathématiquement<br />
sophistiqué <strong>et</strong> sur le développement d’une collection <strong>de</strong> domaines abstraits<br />
(intervalles, octogones, ellipsoï<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong>et</strong>c.). Son implémentation <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une<br />
ingénierie subtile pour bien combiner les propriétés <strong><strong>de</strong>s</strong> différents domaines. Elle<br />
a été industrialisée par plusieurs sociétés (Polyspace, AbsInt, <strong>et</strong>c.). L’équipe <strong>de</strong> P.<br />
Cousot a développé le logiciel Astrée, utilisé par Airbus pour vérifier l’absence<br />
d’exception arithmétique dans le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> pilotage <strong>de</strong> l’A380, ce qui constitue un<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> plus grands succès actuels <strong>de</strong> la vérification formelle.<br />
7.7. Séminaire : preuve <strong>et</strong> calcul, <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports intimes<br />
Gilles Dowek, professeur à l’Ecole Polytechnique, est l’auteur du livre « Les<br />
métamorphoses du calcul », Grand Prix <strong>de</strong> philosophie <strong>de</strong> l’Académie Française en<br />
2007. Il a discuté les relations entre calcul <strong>et</strong> preuve, évi<strong>de</strong>mment centrales pour la<br />
vérification <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes. Il a montré que les algorithmes ont historiquement<br />
précédé les démonstrations, comme le prouvent <strong>de</strong> nombreuses tabl<strong>et</strong>tes d’argile <strong>de</strong><br />
diverses origines, <strong>et</strong> que ces algorithmes étaient probablement prouvés corrects <strong>de</strong><br />
façon non écrite. La notion <strong>de</strong> démonstration formelle a été introduite plus tard par
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 839<br />
les Grecs, probablement à partir d’algorithmes déjà existants ou inventés pour<br />
résoudre <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes précis, avant d’être développée pour son intérêt propre <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
fon<strong>de</strong>r les mathématiques. Des théorèmes bien connus comme Thalès <strong>et</strong> Pythagore<br />
correspon<strong>de</strong>nt effectivement à <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes algorithmiques. L’analyse <strong>de</strong> la preuve<br />
d’Eucli<strong>de</strong> pour l’algorithme du calcul du pgcd par soustraction montre sa relation<br />
très étroite avec les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> preuves <strong>de</strong> programmes, qui s’intéressent<br />
bien sûr à <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s beaucoup plus gros, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> démonstrations corrélativement<br />
beaucoup plus grosses qu’il est nécessaire <strong>de</strong> vérifier elles-mêmes par ordinateur.<br />
8. Cours réseaux<br />
Les réseaux connectent les machines à informations entre elles. Ils ont été introduits<br />
dans <strong>de</strong>ux mon<strong><strong>de</strong>s</strong> différents : celui <strong><strong>de</strong>s</strong> télécommunications, passé au numérique<br />
dans les années 1960/70, <strong>et</strong> celui <strong><strong>de</strong>s</strong> ordinateurs. Les réseaux <strong>de</strong> télécommunication<br />
avaient alors pour seul objectif la transmission <strong>de</strong> la voix, avec multiplexage <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
communications sur les fils. Leur développement a permis <strong><strong>de</strong>s</strong> progrès techniques<br />
essentiels en matière <strong>de</strong> transmission d’informations, dont la transmission par<br />
paqu<strong>et</strong>s <strong>de</strong> bits, maintenant généralisée. Les réseaux d’ordinateurs avaient un objectif<br />
initial bien différent : la transmission <strong>de</strong> fichiers entre machines distantes. Un<br />
tournant a été l’introduction publique d’Intern<strong>et</strong> au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1990, après<br />
son expérimentation chez les militaires <strong>et</strong> les chercheurs. Ce réseau <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux a très<br />
vite gagné en capacité, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> applications <strong>de</strong> transfert <strong>de</strong> voix y sont apparues dans<br />
les années 2000. Elles balayent maintenant les télécommunications fixes. Dans le<br />
même temps, l’industrie <strong><strong>de</strong>s</strong> télécommunications a évolué vers les services mobiles<br />
(GSM, <strong>et</strong>c.), <strong>et</strong> fourni <strong><strong>de</strong>s</strong> entrées rapi<strong><strong>de</strong>s</strong> sur Intern<strong>et</strong> ADSL <strong>et</strong> le câble. C<strong>et</strong>te histoire<br />
complexe repose sur <strong><strong>de</strong>s</strong> bases scientifiques <strong>et</strong> techniques que nous décrivons ici.<br />
8.1. La transmission point à point<br />
La brique <strong>de</strong> base est la transmission <strong>de</strong> l’information numérique d’un point à<br />
une autre par une liaison avec ou sans fil. Elle peut se faire un bit à la fois ou<br />
plusieurs bits en parallèle, avec ou sans transmission d’horloges, par échantillonnage<br />
<strong>de</strong> niveaux ou détection <strong>de</strong> fronts, <strong>et</strong>c. La tendance mo<strong>de</strong>rne est la transmission<br />
sérielle bit par bit, les bits étant codés par <strong><strong>de</strong>s</strong> fronts suffisamment nombreux pour<br />
reconstituer l’horloge <strong>de</strong> transmission sans la transm<strong>et</strong>tre explicitement. Par<br />
exemple, le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> Manchester différentiel associe au moins un front par bit, avec<br />
toujours un front en milieu <strong>de</strong> cycle plus un front en début <strong>de</strong> cycle pour 0. La<br />
multiplicité <strong><strong>de</strong>s</strong> fronts fournit une quasi-horloge qui perm<strong>et</strong> un décodage aisé. On<br />
peut aussi multiplexer les communications sur un seul fil en travaillant en parallèle<br />
sur <strong>de</strong> nombreuses ban<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> fréquences. L’ADSL en utilise 255.<br />
8.2. Rattrapage d’erreurs : les turboco<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
La transmission point à point n’est jamais parfaite <strong>et</strong> peut altérer les bits. La théorie<br />
<strong>de</strong> l’information <strong>de</strong> Shannon définit la quantité maximale d’information qu’on peut
840 GÉRARD BERRY<br />
transm<strong>et</strong>tre sur une ligne ayant un rapport signal sur bruit donné. La théorie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
co<strong><strong>de</strong>s</strong> correcteurs fournit le moyen <strong>de</strong> corriger les erreurs. Son principe est d’ajouter<br />
au message <strong><strong>de</strong>s</strong> bits redondants, qui perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> reconstituer le message initial<br />
même altéré par la transmission. La question est <strong>de</strong> savoir combien <strong>de</strong> bits il faut<br />
ajouter en fonction du rapport signal/bruit <strong>et</strong> comment les calculer. De nombreux<br />
co<strong><strong>de</strong>s</strong> aux propriétés mathématiques diverses ont été proposés. La TNT (Télévision<br />
Numérique Terrestre), qui représentait l’état <strong>de</strong> l’art en 1994 quand sa norme a été<br />
définie, utilise <strong>de</strong>ux co<strong><strong>de</strong>s</strong> successifs. On savait alors ce double codage non optimal<br />
au sens <strong>de</strong> Shannon, mais on ne pensait pas pouvoir faire mieux.<br />
L’introduction <strong><strong>de</strong>s</strong> turboco<strong><strong>de</strong>s</strong> par Clau<strong>de</strong> Berrou <strong>et</strong> Alain Glavieux dans les<br />
années 1990 a résolu le problème en pratique. Au lieu <strong>de</strong> séquentialiser les <strong>de</strong>ux<br />
co<strong><strong>de</strong>s</strong>, ce qui est asymétrique, on les m<strong>et</strong> en parallèle. Au décodage, chaque<br />
information apportée par un co<strong>de</strong> ai<strong>de</strong> l’autre, comme toute découverte sur une<br />
horizontale ou une verticale d’un problème <strong>de</strong> mots croisés ai<strong>de</strong> l’autre direction.<br />
C<strong>et</strong>te restauration <strong>de</strong> la symétrie perm<strong>et</strong> d’atteindre pratiquement la limite <strong>de</strong><br />
Shannon, <strong>et</strong> les turboco<strong><strong>de</strong>s</strong> sont en voir <strong>de</strong> généralisation.<br />
8.3. Les réseaux locaux<br />
Les réseaux locaux ont une portée <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> la centaine <strong>de</strong> mètres. On les<br />
trouve dans les bâtiments, les usines, les automobiles, trains ou avions. Leurs temps<br />
<strong>de</strong> transmissions élémentaires sont faciles à borner, ce qui est impossible dans les<br />
réseaux globaux.<br />
La question centrale est <strong>de</strong> régler les conflits entre stations désirant parler sur le<br />
réseau, qui produisent <strong><strong>de</strong>s</strong> collisions <strong>de</strong> messages. La première solution est d’éviter<br />
les collisions. Dans les réseaux à j<strong>et</strong>ons, on fait tourner un j<strong>et</strong>on virtuel unique<br />
entre les stations, sous forme <strong>de</strong> message spécial ou <strong>de</strong> bits spéciaux dans les<br />
messages, <strong>et</strong> seule la station qui possè<strong>de</strong> le j<strong>et</strong>on peut parler. C’est apparemment<br />
simple, mais insérer dynamiquement une station dans le réseau peut être complexe,<br />
<strong>et</strong> connecter <strong>de</strong>ux réseaux l’est encore plus car il faut tuer un <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux j<strong>et</strong>ons. Une<br />
autre technique pour éviter les collisions est <strong>de</strong> discriminer a priori les ém<strong>et</strong>teurs<br />
en leur attribuant une fenêtre temporelle précise, déterminée par exemple par une<br />
station <strong>de</strong> base à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> tirages aléatoires. C’est la technique TDMA utilisée dans<br />
le téléphone GSM.<br />
Les réseaux à collision comme Ethern<strong>et</strong> acceptent les collisions entre stations<br />
parlant sur le réseau. Une station détecte une collision en comparant ce qu’elle<br />
ém<strong>et</strong> avec ce qu’elle entend. Elle arrête alors son émission normale <strong>et</strong> ém<strong>et</strong> une<br />
trame <strong>de</strong> brouillage détectable par les autres stations. Chaque station ém<strong>et</strong>trice<br />
attend un temps aléatoire avant <strong>de</strong> reparler, avec l’idée que l’aléatoire va séparer les<br />
ém<strong>et</strong>teurs <strong>et</strong> supprimer les collisions. Si une collision se reproduit immédiatement,<br />
chaque station double la taille <strong>de</strong> sa fenêtre aléatoire, <strong>et</strong>c. Une métho<strong>de</strong> plus<br />
efficace serait que chaque station tire au sort si elle reparle immédiatement ou pas,
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 841<br />
diminuant probabilistiquement <strong>et</strong> itérativement la taille <strong>de</strong> l’ensemble en collision<br />
par 2 (protocole <strong>de</strong> Kap<strong>et</strong>anakis).<br />
Toutes les techniques précitées présentent un certain <strong>de</strong>gré d’indéterminisme qui<br />
peut être inacceptables pour les réseaux <strong>de</strong>vant offrir <strong><strong>de</strong>s</strong> garanties <strong>de</strong> temps réel,<br />
par exemple pour synchroniser les freins <strong>et</strong> la suspension d’une voiture. Des réseaux<br />
locaux plus déterministes sont en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> déploiement en automobile ou<br />
avionique : citons TTP <strong>et</strong> FlexRay, qui utilisent <strong><strong>de</strong>s</strong> protocoles fondés sur le temps<br />
absolu <strong>et</strong> la synchronisation d’horloges, <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> variantes déterministes d’Ethern<strong>et</strong>.<br />
8.4. Les réseaux globaux<br />
Il existe <strong>de</strong>ux gran<strong><strong>de</strong>s</strong> technologies <strong>de</strong> réseaux globaux : l’allocation <strong>de</strong> ressources<br />
<strong>et</strong> le routage dynamique. L’allocation <strong>de</strong> ressources est la base <strong>de</strong> la téléphonie<br />
classique. Une transmission commence par l’établissement d’une communication,<br />
avec choix d’un chemin d’acheminement <strong>et</strong> allocation <strong>de</strong> ressources dans chacun<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> nœuds du chemin. Une fois l’allocation faite, la transmission <strong><strong>de</strong>s</strong> paqu<strong>et</strong>s est<br />
très simple <strong>et</strong> la qualité garantie. Cependant, l’établissement <strong>de</strong> la communication<br />
est complexe <strong>et</strong> doit être repris à zéro cas <strong>de</strong> panne sur le chemin ; il peut être<br />
refusé en cas <strong>de</strong> saturation <strong><strong>de</strong>s</strong> ressources ; <strong><strong>de</strong>s</strong> ressources sont bloquées inutilement<br />
en cas <strong>de</strong> silence sur la ligne ; enfin, le système passe difficilement à l’échelle<br />
gigantesque <strong><strong>de</strong>s</strong> liaisons mondiales actuelles.<br />
Le routage dynamique <strong><strong>de</strong>s</strong> paqu<strong>et</strong>s a été introduit initialement dans le réseau<br />
Cycla<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> L. Pouzin, <strong>et</strong> repris dans le réseau ARPA puis dans le réseau Intern<strong>et</strong>.<br />
La transmission repose sur un système d’adressage mondial hiérarchique <strong>et</strong> universel<br />
(adresses IP = Intern<strong>et</strong> Protocol). Chaque paqu<strong>et</strong> contient l’adresse complète <strong>de</strong><br />
son <strong><strong>de</strong>s</strong>tinataire <strong>et</strong> est transmis par <strong><strong>de</strong>s</strong> routeurs sans allocation <strong>de</strong> ressources. Les<br />
routeurs maintiennent à jour <strong><strong>de</strong>s</strong> tables <strong>de</strong> routage, qui leurs disent à quel autre<br />
routeur ou équipement terminal transm<strong>et</strong>tre un paqu<strong>et</strong> reçu en fonction <strong>de</strong> son<br />
adresse. Les tables <strong>de</strong> routage sont échangées dynamiquement sur le réseau entre<br />
les routeurs, assurant ainsi une gestion quasi-optimale <strong>de</strong> tous les changements<br />
dans le réseau. Celui-ci n’a jamais <strong>de</strong> vision exacte <strong>de</strong> sa propre configuration. Il<br />
n’y a donc pas <strong>de</strong> garantie <strong>de</strong> qualité, mais un mécanisme « best effort » simple,<br />
souple <strong>et</strong> extensible. Les réseaux <strong>de</strong> ce type sont robustes aux pannes, mais restent<br />
vulnérables aux attaques, par exemple par surcharge <strong><strong>de</strong>s</strong> routeurs. Ils ten<strong>de</strong>nt à<br />
supplanter les réseaux <strong>de</strong> télécommunications classiques, qui peuvent cependant<br />
servir aussi à transporter les paqu<strong>et</strong>s Intern<strong>et</strong>.<br />
Pour gérer <strong><strong>de</strong>s</strong> centaines <strong>de</strong> milliards d’obj<strong>et</strong>s sur le réseau, il faudra introduire un<br />
adressage beaucoup plus riche (celui d’IP v6, qui entre progressivement en fonction),<br />
augmenter considérablement les ban<strong><strong>de</strong>s</strong> passantes par tous les moyens utilisables<br />
(radio, fibre optique, satellites, <strong>et</strong>c.), augmenter la résistance aux attaques, <strong>et</strong>c.<br />
Mais le plus spectaculaire reste l’extraordinaire panoplie d’innovations qu’ont<br />
permis les réseaux : courrier électronique, sites Web, commerce électronique,
842 GÉRARD BERRY<br />
moteurs <strong>de</strong> recherche, travail coopératif, <strong>et</strong>c. Nous en avons sélectionnées <strong>de</strong>ux<br />
pour le séminaire associé au <strong>cours</strong>.<br />
8.5. Séminaire : qu’est-ce qu’un moteur <strong>de</strong> recherches ?<br />
François Bourdoncle, co-fondateur <strong>de</strong> la société Exalead, a présenté l’anatomie<br />
d’un moteur <strong>de</strong> recherche, qui comprend trois sous-fonctions : le rapatriement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
pages à collecter sur Intern<strong>et</strong>, leur in<strong>de</strong>xation, <strong>et</strong> le calcul <strong>et</strong> la présentation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
réponses aux questions. Le premier moteur Altavista, tenait dans une grosse machine<br />
<strong>et</strong> in<strong>de</strong>xait 100 millions <strong>de</strong> pages. Les moteurs mo<strong>de</strong>rnes utilisent <strong><strong>de</strong>s</strong> milliers <strong>de</strong><br />
PCs <strong>et</strong> in<strong>de</strong>xent <strong><strong>de</strong>s</strong> dizaines <strong>de</strong> milliards <strong>de</strong> pages multilingues <strong>et</strong> bientôt multimedia.<br />
La collecte <strong><strong>de</strong>s</strong> pages exploite la structure particulière du graphe <strong><strong>de</strong>s</strong> pages Web en<br />
« nœud papillon », avec les grands portails comme centres d’aiguillage. L’in<strong>de</strong>xation<br />
repose sur un codage efficace <strong><strong>de</strong>s</strong> listes inverses mots vers documents. F. Bourdoncle<br />
a expliqué les algorithmes <strong>de</strong> construction <strong>et</strong> <strong>de</strong> consultation <strong>de</strong> l’in<strong>de</strong>x, ainsi que le<br />
calcul <strong>de</strong> l’ordre <strong><strong>de</strong>s</strong> pages dans la réponse qui a construit la suprématie <strong>de</strong> Google. Il<br />
a enfin discuté les immenses enjeux économiques associés.<br />
8.6. Séminaire : le pair à pair <strong>et</strong> la transmission épidémique d’information<br />
François Massoulié, <strong>de</strong> Thomson, a présenté la transmission d’information <strong>de</strong> pair à<br />
pair, qui est dominante pour la distribution (légale ou illégale) <strong><strong>de</strong>s</strong> films ou <strong>de</strong> la<br />
musique sur Intern<strong>et</strong>, <strong>et</strong> occupe maintenant 80 % <strong>de</strong> la ban<strong>de</strong> passante du Web. L’idée<br />
est <strong>de</strong> ne pas utiliser <strong>de</strong> serveur centralisé, mais <strong>de</strong> transformer chaque récepteur d’un<br />
flux en un relais <strong>de</strong> transmission pour ce flux. Les virus ont été la première application<br />
<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te technique ; leur nom montre bien qu’ils se propagent <strong>de</strong> façon épidémique. F.<br />
Massoulié a détaillé le problème central du choix <strong><strong>de</strong>s</strong> paqu<strong>et</strong>s d’information à relayer à<br />
chaque instant par un terminal. Des variations subtiles d’algorithmes peuvent donner<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> résultats très différents. Le meilleur algorithme semble être d’envoyer le <strong>de</strong>rnier<br />
paqu<strong>et</strong> utile <strong>de</strong> l’ém<strong>et</strong>teur à une cible aléatoire, ce qui est loin d’être intuitif. C<strong>et</strong>te<br />
diffusion fournit un débit arbitrairement proche <strong>de</strong> l’optimal, avec délai optimal.<br />
Le pair à pair est très simple <strong>et</strong> très efficace, bien que reposant sur <strong><strong>de</strong>s</strong> décisions<br />
aléatoires <strong>et</strong> décentralisées. La recherche s’oriente maintenant vers d’autres<br />
applications, comme la réalisation <strong>de</strong> grands calculs distribués sur <strong>de</strong> très nombreux<br />
processeurs distants.<br />
9. Cours images<br />
Le <strong>cours</strong> image s’est composé d’une courte présentation suivie <strong>de</strong> trois séminaires<br />
décrits ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous.<br />
9.1. Séminaire : <strong>de</strong> l’imagerie médicale au patient virtuel<br />
Nicholas Ayache, directeur <strong>de</strong> recherches à l’INRIA, a présenté les progrès <strong>de</strong> la<br />
mé<strong>de</strong>cine <strong>et</strong> <strong>de</strong> la chirurgie induits par l’imagerie médicale <strong>et</strong> la modélisation
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 843<br />
numérique du corps humain. Les nouvelles techniques d’imagerie (Scanner, IRM,<br />
TEP, <strong>et</strong>c.) fournissent <strong><strong>de</strong>s</strong> images aux caractéristiques distinctes <strong>et</strong> complémentaires.<br />
Il est possible <strong>de</strong> fusionner ces images à l’ai<strong>de</strong> d’algorithmes mathématiques pour<br />
obtenir <strong><strong>de</strong>s</strong> images résultantes 3D ou 4D donnant beaucoup plus d’informations que<br />
les images séparées. Ceci améliore le diagnostic <strong>et</strong> fournit une ai<strong>de</strong> à la thérapie<br />
médicamenteuse ou chirurgicale : planification, simulation, contrôle <strong>de</strong> la réalisation<br />
<strong>et</strong> suivi. N. Ayache a présenté <strong>de</strong> nombreux exemples d’applications: neurochirurgie<br />
<strong>et</strong> chirurgie du foie assistées par ordinateur, anatomie algorithmique du cerveau ou<br />
du cœur, suivi <strong>de</strong> l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs, modèles électromécaniques du cœur avec<br />
simulations <strong>de</strong> pathologies, <strong>et</strong>c. Le séminaire s’est terminé par la présentation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
nouvelles techniques d’imagerie microscopique in vivo, qui perm<strong>et</strong>tent par exemple<br />
d’explorer en temps réel les alvéoles pulmonaires au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules individuelles.<br />
9.2. Séminaire : pourquoi le numérique révolutionne la photographie<br />
Ce séminaire a été donné par Frédéric Guichard, directeur scientifique <strong>de</strong> la<br />
société DxO Labs. La photographie numérique repose sur un couple optique/<br />
logiciel, où le logiciel joue le rôle le plus important. En numérique, il est possible<br />
<strong>de</strong> défaire par logiciel les déformations <strong><strong>de</strong>s</strong> objectifs <strong>et</strong> capteurs : distorsions<br />
géométriques, aberrations chromatiques, certains types <strong>de</strong> flous, amélioration du<br />
contraste, réduction du bruit. C’est ce que fait le logiciel DxO Optics Pro, dont<br />
la puissance a été montrée par <strong>de</strong> nombreux exemples.<br />
C<strong>et</strong>te nouvelle approche révolutionne l’optique. Plutôt que <strong>de</strong> concevoir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
zooms chers à beaucoup <strong>de</strong> lentilles ayant <strong><strong>de</strong>s</strong> distorsions modérées mais complexes,<br />
il sera meilleur <strong>de</strong> concevoir <strong><strong>de</strong>s</strong> zooms très simples <strong>et</strong> bon marché, ayant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
distorsions plus fortes mais faciles à défaire. On peut aussi fabriquer <strong><strong>de</strong>s</strong> objectifs<br />
numériques à gran<strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> champ, en profitant du fait qu’on peut rendre<br />
une photo globalement n<strong>et</strong>te si une seule <strong>de</strong> trois couleurs primaires (rouge, vert,<br />
bleu) est n<strong>et</strong>te. Au lieu d’essayer <strong>de</strong> diminuer l’aberration chromatique longitudinale<br />
<strong>de</strong> l’objectif, qui fait que les couleurs ne focalisent pas à la même distance, on<br />
l’augmente par <strong><strong>de</strong>s</strong> matériaux adaptés, séparant au mieux les hyperfocales <strong>de</strong><br />
chaque couleur. On obtient ainsi une bonne n<strong>et</strong>t<strong>et</strong>é <strong>de</strong> 20 cm à l’infini, chose<br />
impossible en optique non-numérique.<br />
9.3. Séminaire : traitement d’image pour télévision haute définition<br />
Stéphane Mallat, professeur à l’Ecole Polytechnique <strong>et</strong> fondateur <strong>de</strong> la société L<strong>et</strong><br />
It Wave, a présenté divers algorithmes fondamentaux pour la télévision haute<br />
définition (TVHD) <strong>et</strong> leur implémentation matérielle. La TVHD <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
puissances <strong>de</strong> calcul considérables qui se comptent en téra-opérations par secon<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
(10 12 ops). Un bon exemple est le redimensionnement spatio-temporel <strong><strong>de</strong>s</strong> images,<br />
qui change le nombre <strong>de</strong> points <strong>et</strong> la fréquence temporelle <strong>de</strong> leur flux, passant par<br />
exemple une séquence vidéo standard en résolution supérieure <strong>et</strong> à 100 Hz. Les<br />
interpolations adaptées à l’expansion dans l’espace sont bien connues en
844 GÉRARD BERRY<br />
photographie. L’expansion dans le temps est plus complexe, car elle <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une<br />
interpolation dynamique fine entre les images données pour créer les images<br />
manquantes, sous peine <strong>de</strong> sautillements désagréables. S. Mallat a présenté <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
techniques d’estimation <strong>de</strong> mouvement pixel par pixel, bien plus fines que les<br />
techniques classiques qui opèrent sur <strong><strong>de</strong>s</strong> blocs, <strong>et</strong> a montré comment les implémenter<br />
efficacement sur <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits dédiés. Il a également montré les faiblesses <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
algorithmes <strong>de</strong> compressions classiques <strong>de</strong> type MPEG <strong>et</strong> comment les éliminer à<br />
l’ai<strong>de</strong> d’une nouvelle transformée en ban<strong>de</strong>l<strong>et</strong>tes.<br />
10. Séminaire : la cryptologie<br />
Jacques Stern, professeur à l’Ecole Normale Supérieure <strong>et</strong> prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la société<br />
Ingenico, a présenté les concepts fondamentaux <strong>de</strong> la cryptologie, qui est la science<br />
du transfert sûr <strong>de</strong> l’information entre parties. Un élément essentiel en est le<br />
chiffrement <strong><strong>de</strong>s</strong> messages, qui doit obéir à plusieurs critères : facilité <strong>de</strong> chiffrement<br />
<strong>et</strong> difficulté <strong>de</strong> déchiffrement, sécurisation <strong><strong>de</strong>s</strong> échanges <strong>de</strong> clefs, <strong>et</strong>c. Il y a <strong>de</strong>ux<br />
types principaux <strong>de</strong> protocoles : ceux à clef partagées, efficaces mais susceptibles<br />
d’attaques lors du partage <strong>de</strong> la clef, <strong>et</strong> ceux à clef publique, dont le fameux RSA<br />
(Rivest-Shamir-Adleman), très employé sur Intern<strong>et</strong>. J. Stern a présenté les<br />
propriétés mathématiques <strong><strong>de</strong>s</strong> algorithmes sous-jacents, puis les nouveaux<br />
algorithmes fondés sur les fonctions elliptiques, qui peuvent être plus efficaces que<br />
ceux fondés sut les grands nombres premiers comme RSA. Il a montré les nouveaux<br />
types d’attaque <strong>et</strong> leurs contre-mesures. Il a enfin expliqué un cas pratique : la<br />
validation d’une transaction <strong>de</strong> carte bleue sur un terminal portable.<br />
11. Colloque informatique <strong>et</strong> bio-informatique<br />
Le 23 mai 2008 un colloque informatique <strong>et</strong> bio-informatique a terminé le <strong>cours</strong>.<br />
La matinée a été consacrée à la bio-informatique, qui est en plein bouillonnement, <strong>et</strong><br />
sera incontestablement un <strong><strong>de</strong>s</strong> très grands suj<strong>et</strong>s d’avenir <strong>de</strong> la recherche scientifique.<br />
Les échanges entre biologie <strong>et</strong> informatique sont doubles. D’abord, la biologie n’est<br />
évi<strong>de</strong>mment pas qu’une affaire <strong>de</strong> molécules. Celles-ci servent à transporter<br />
information <strong>et</strong> énergie dans le corps, notions elles-mêmes physiquement reliées <strong>et</strong><br />
obj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l’informatique. En r<strong>et</strong>our, la biologie <strong>de</strong>vrait à terme fournir <strong>de</strong> nouvelles<br />
idées en termes <strong>de</strong> moyens <strong>de</strong> calcul. Malgré leur extraordinaire efficacité, ceux <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
ordinateurs restent en eff<strong>et</strong> bien rudimentaires, puisque limités à faire très vite <strong>et</strong> très<br />
exactement <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations individuellement stupi<strong><strong>de</strong>s</strong>. La biologie offre une<br />
vision exactement inverse : faire lentement, <strong>de</strong> façon pas très fiable mais massivement<br />
parallèle <strong>et</strong> probabiliste <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations bien plus variées. Comme les circuits actuels<br />
dépassent allègrement le milliard <strong>de</strong> transistors, les limitations <strong>de</strong> taille sont <strong>de</strong> moins<br />
en moins présentes. Passer à <strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> calculs <strong>de</strong> type plus biologique est donc<br />
particulièrement tentant ; mais il faudra se méfier <strong><strong>de</strong>s</strong> idées simplistes, qui ont<br />
toujours échoué par échec du passage à l’échelle.<br />
S’abstraire <strong>de</strong> la nature précise <strong><strong>de</strong>s</strong> molécules pour comprendre <strong>de</strong> façon plus<br />
globale les chemins d’information auxquels elles participent est la première étape
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 845<br />
indispensable pour ne pas être noyé par les détails. Dans le premier exposé, Philippe<br />
Kourilsky, professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, a analysé comment cela pourrait se faire<br />
pour le système immunitaire vu comme un grand système d’informations. Mais le<br />
système immunitaire un très grand système d’informations faisant intervenir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
milliers <strong>de</strong> processus <strong>et</strong> <strong>de</strong> médiateurs dans <strong>de</strong> nombreux types <strong>de</strong> communications,<br />
<strong>et</strong> sa compréhension informationnelle prendra certainement beaucoup <strong>de</strong> temps.<br />
L’informatique fournit <strong>de</strong> nouveaux moyens d’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> processus biologiques.<br />
Le séquençage du génome est un exemple bien connu. Le second exposé, par<br />
François Fages, directeur <strong>de</strong> recherches à l’INRIA, en a présenté un autre : l’étu<strong>de</strong><br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> réactions chimiques dans la cellule au moyen <strong>de</strong> techniques originellement<br />
introduites pour la vérification formelle <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits <strong>et</strong> programmes (cf. 7.2). L’idée<br />
est <strong>de</strong> présenter ces réactions dans le cadre conceptuel <strong>de</strong> la machine chimique<br />
(cf. 3.5) <strong>de</strong>venue ici BIOCHAM, d’instrumenter les équations <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te machine<br />
avec <strong><strong>de</strong>s</strong> lois cinétiques probabilistes, <strong>et</strong> <strong>de</strong> faire calculer <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> résolution<br />
<strong>de</strong> contraintes Booléennes ou numériques pour répondre à beaucoup <strong>de</strong> questions<br />
inaccessibles à l’étu<strong>de</strong> manuelle sur les chaînes réactionnelles.<br />
Le cerveau est évi<strong>de</strong>mment un <strong><strong>de</strong>s</strong> organes les plus fascinants au niveau bioinformatique.<br />
Alexandre Poug<strong>et</strong>, professeur à l’université <strong>de</strong> Rochester <strong>et</strong> en année<br />
sabbatique au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, a exposé la nouvelle vision <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes<br />
globaux <strong>de</strong> calcul dans le cerveau fournie par les neurosciences computationnelles.<br />
A travers une série d’exemples, il a montré que le cerveau fait essentiellement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
évaluations probabilistes rapi<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> choix assez simples, en particulier pour les<br />
activités motrices <strong>de</strong>mandant <strong>de</strong> prendre <strong><strong>de</strong>s</strong> décisions non-triviales. Le cerveau<br />
brille également par ses capacités d’apprentissage, dues à la fois à la modification<br />
permanente <strong><strong>de</strong>s</strong> connections synaptiques en fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> sollicitations externes <strong>et</strong><br />
à l’ajustage permanents <strong><strong>de</strong>s</strong> critères d’évaluation probabilistes employés. La<br />
modélisation informatique <strong>de</strong> ces mécanismes apportera <strong><strong>de</strong>s</strong> contributions<br />
fondamentales à leur compréhension <strong>et</strong> à leur simulation informatique.<br />
L’après-midi du colloque a été consacrée à <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s plus directement<br />
informatiques. Alberto Sangiovanni-Vincentelli, professeur à Berkeley <strong>et</strong> directeur<br />
du GIE Para<strong><strong>de</strong>s</strong> à Rome, a présenté l’évolution inéluctable du Web vers l’intégration<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s physiques. D’ici une quinzaine d’années, il pourrait y avoir <strong>de</strong> l’ordre d’un<br />
millier d’obj<strong>et</strong>s informatisés <strong>et</strong> mis en réseau par être humain. Le Web comptera<br />
alors <strong><strong>de</strong>s</strong> téra-clients (téra = 10 12 ), qui iront <strong><strong>de</strong>s</strong> obj<strong>et</strong>s audio-visuels classiques aux<br />
prothèses médicales, en passant par tous les composants <strong><strong>de</strong>s</strong> maisons ou <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes<br />
<strong>de</strong> transports (cf. 6). Les pucerons électroniques correspondants effectueront <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
fonctions <strong>de</strong> surveillance, <strong>de</strong> conduite, d’optimisation, <strong>et</strong> <strong>de</strong> communication. C<strong>et</strong>te<br />
nouvelle extension du mon<strong>de</strong> numérique <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra une nouvelle approche<br />
pluridisciplinaire, intégrant informatique, nanotechnologies, <strong>et</strong> biotechnologies, <strong>et</strong><br />
donc <strong>de</strong> nouvelles techniques <strong>de</strong> constructions d’obj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong> systèmes.<br />
Martin Abadi, professeur à l’Université <strong>de</strong> Santa Cruz (Californie) <strong>et</strong> chercheur<br />
à Microsoft Research, a enfin présenté les problèmes posés par la sécurité <strong><strong>de</strong>s</strong>
846 GÉRARD BERRY<br />
données <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions informatiques. Ces problèmes sont <strong>de</strong>venus cruciaux<br />
avec la généralisation <strong><strong>de</strong>s</strong> échanges sur support banalisé <strong>de</strong> type Intern<strong>et</strong> avec ou<br />
sans fil. Les solutions reposent sur <strong><strong>de</strong>s</strong> protocoles <strong>de</strong> sécurité utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques<br />
cryptographiques. Mais les co<strong><strong>de</strong>s</strong> secr<strong>et</strong>s sont loin <strong>de</strong> suffire à garantir la sécurité.<br />
Leur utilisation doit être encadrée par <strong><strong>de</strong>s</strong> protocoles très fins pour résister aux<br />
tentatives d’intrusions malignes <strong>de</strong> toutes sortes, fruits d’imaginations sans limites.<br />
L’étu<strong>de</strong> serrée <strong><strong>de</strong>s</strong> protocoles <strong>et</strong> standards à clefs publiques ou privées successivement<br />
proposés a permis d’augmenter considérablement leur sécurité. Le suj<strong>et</strong> reste<br />
évi<strong>de</strong>mment très actif en raison <strong>de</strong> son importance stratégique.<br />
12. Conclusion<br />
Ce <strong>cours</strong> général sur le mon<strong>de</strong> numérique a représenté un défi important. Il n’était<br />
évi<strong>de</strong>mment pas simple <strong>de</strong> présenter <strong>de</strong> façon pertinente les suj<strong>et</strong>s individuellement<br />
très vastes <strong>de</strong> chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> en <strong>de</strong>ux heures. Mais j’ai jugé que c’était indispensable,<br />
car il faut absolument tordre le cou à l’ignorance sur un suj<strong>et</strong> qui façonne autant<br />
notre vie quotidienne, <strong>et</strong> donc faire mieux connaître la science informatique.<br />
Remerciements : je remercie le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, institution merveilleuse <strong>et</strong><br />
seul endroit (au mon<strong>de</strong> ?) où donner ce genre <strong>de</strong> <strong>cours</strong> est possible, ainsi que la<br />
Fondation B<strong>et</strong>tencourt-Schueller pour son soutien à la chaire d’innovation<br />
technologique. Je souhaite enfin remercier très chaleureusement Marie Chéron <strong>et</strong><br />
Cécile Barnier qui m’ont aidé (supporté, comme on dit en anglais) pendant tout<br />
le <strong>cours</strong>, Marion Susini <strong>et</strong> son équipe pour la rapidité <strong>et</strong> la qualité <strong>de</strong> l’installation<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> vidéos sur le Web, <strong>et</strong> tous les personnels du <strong>Collège</strong> qui m’ont aidé avec<br />
gentillesse <strong>et</strong> efficacité.<br />
Bibliographie<br />
G. Berry, Pourquoi <strong>et</strong> comment le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>vient numérique, Fayard/<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />
2008.<br />
D. Harel, Algorithmics, The Spirit of Computing, Addison-Wesley Publishing co., 2004.<br />
F. Anceau. Y. Bonnassieux, Conception <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits VLSI, Dunod, 2007.<br />
G. Dowek, J.-J. Lévy, Introduction à la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> langages <strong>de</strong> programmation, Les éditions<br />
<strong>de</strong> l’Ecole Polytechnique, 2006.<br />
L. Zaffalon, Programmation synchrone <strong>de</strong> systèmes réactifs avec Esterel <strong>et</strong> les SyncCharts,<br />
Presses Polytechniques Roman<strong><strong>de</strong>s</strong>, 2005.<br />
G. Dowek, Les métamorphoses du calcul, Le Pommier, 2007.<br />
J.-M. Sepulchre, DxO pour les photographes, Eyrolles, 2008.<br />
J. Stern, La science du secr<strong>et</strong>, Editions Odile Jacob, 1998<br />
Publication<br />
G. Berry, Pourquoi <strong>et</strong> comment le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>vient numérique, Fayard/<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />
2008.
1. Livres<br />
PROFESSEURS HONORAIRES<br />
ACTIVITÉS, PUBLICATIONS<br />
M. Yves Bonnefoy<br />
Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> comparées <strong>de</strong> la fonction poétique, 1981-1993<br />
Principales publications <strong>de</strong>puis le 1 er octobre 2007<br />
— Raymond Mason, la liberté <strong>de</strong> l’esprit, Galilée, 2007, 100 p.<br />
— Il gran<strong>de</strong> spazio (Le grand espace), édition bilingue (traduction en italien <strong>de</strong> Feliciano<br />
Paoli), suivi d’un entr<strong>et</strong>ien avec Daniel Bergez <strong>et</strong> d’un essai <strong>de</strong> Flavio Ermini, Bergame,<br />
Mor<strong>et</strong>ti & Vitali, 2008. 128 p.<br />
— Le Grand Espace, Galilée, 2008, 72 p.<br />
— La Longue Chaîne <strong>de</strong> l’ancre, Mercure <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 2008, 170 p.<br />
— Traité du pianiste <strong>et</strong> autres écrits anciens, Mercure <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 2008, 194 p.<br />
— Shakespeare, Les Sonn<strong>et</strong>s précédés <strong>de</strong> Vénus <strong>et</strong> Adonis <strong>et</strong> du Viol <strong>de</strong> Lucrèce, présentation<br />
<strong>et</strong> traduction d’Yves Bonnefoy, Poésie/Gallimard, 2007, 348 p.<br />
— Aller, aller encore, avec <strong>de</strong>ux eaux-fortes <strong>de</strong> Masafumi Yamamoto, Chênes-Bougerie,<br />
Cercle <strong><strong>de</strong>s</strong> Amis d’Éditart, 2008, 12 p.<br />
— Farhad Ostovani <strong>et</strong> le livre, éd. Kimé, les Cahiers <strong>de</strong> Marge, n° 5, Paris, 2008, 96 p.<br />
2. Quelques publications en revue ou dans <strong><strong>de</strong>s</strong> ouvrages collectifs<br />
— « Quelques propositions quant aux Sonn<strong>et</strong>s <strong>de</strong> Shakespeare » dans Shakespeare poète,<br />
Actes du congrès 2006 <strong>de</strong> la Société française Shakespeare, Paris, 2007, p. 13-38.<br />
— « Préface » à : François Lallier, La Voix antérieure, Bau<strong>de</strong>laire, Poe, Mallarmé, Rimbaud,<br />
Bruxelles, La l<strong>et</strong>tre volée, 2007, p. 7-12.<br />
— « Gilbert Lely le poète », dans Gilbert Lely, la poésie dévorante, textes réunis par<br />
Emmanuel Rubio, L’Âge d’homme, 2007, p. 13-24.<br />
— « Une vie toujours attentive », préface à : Eugenio De Signoribus, Ron<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> convers,<br />
Verdier, 2007, p. 7-9.
848 PROFESSEURS HONORAIRES<br />
— « Le regard d’Yves Bonnefoy » (titre ajouté par l’éditeur), dans Charles Auffr<strong>et</strong>,<br />
M. Archimbaut <strong>et</strong> J.-C. Auffr<strong>et</strong> dir., Somogy éditions d’art, 2007, p. 14-43.<br />
— « Au ren<strong>de</strong>z-vous <strong><strong>de</strong>s</strong> amis », « Apparentements <strong>et</strong> filiations », « L<strong>et</strong>tre du 26 octobre<br />
2001 », « Paroles d’introduction (2002) », dans La conscience <strong>de</strong> soi <strong>de</strong> la poésie, colloques <strong>de</strong><br />
la Fondation Hugot du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (1993-2004) sous la direction <strong>de</strong> Yves Bonnefoy,<br />
Le Seuil, coll. Le Genre humain, 2008, 432 p.<br />
— « Dessins d’Hélène Garache », dans Conférence, n° 25, automne 2007.<br />
— « Les Caprices, nuit <strong>et</strong> lumière », dans Goya, Les Caprices, & Chapman, Morimura,<br />
Pondick, Schütte, Paris, Somogy/Lille, Palais <strong><strong>de</strong>s</strong> Beaux-Arts, 2008, p. 11-13.<br />
— « Ceux que tentent la religion <strong>de</strong>vraient réfléchir à la poésie » (titre ajouté par l’éditeur),<br />
entr<strong>et</strong>ien avec Natacha Polony, Le Magazine littéraire, n° 474, avril 2008, p. 92-96.<br />
— « Nous sommes <strong>de</strong> simples étincelles » (titre ajouté par l’éditeur), entr<strong>et</strong>ien avec<br />
Didier Jacob, Le Nouvel Observateur, n° 2277, 28 juin 2008, p. 91-92.<br />
— « La traduction au sens large. A propos d’Edgar Poe <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses traducteurs », dans<br />
Littérature, n° 150, juin 2008 (Yves Bonnefoy, traduction <strong>et</strong> critique poétique), p. 9-24.<br />
— « Beel<strong>de</strong>n van h<strong>et</strong> absolute » (L’absolu <strong>et</strong> ses effigies) dans Nexus, 2008, n° 50,<br />
traduction en neerlandais par Rokus Hofste<strong>de</strong>, p. 465-477.<br />
— « Enzo », dans Yves Bonnefoy, Lucio Mariani, Rosanna Warren, Per Enzo, Edizioni<br />
<strong>de</strong>ll’Elefante, Rome, 2008, pp. 5-10.<br />
— « Ut musica pictura » dans Farhad Ostovani, Ut musica pictura, Morat Institut für<br />
Kunst und Kunstwissenschaft, Fribourg-en-Brisgau, 2008, p. 3-8.<br />
— « Critique <strong>et</strong> poésie », dans Poétique <strong>et</strong> ontologie, colloque international Yves Bonnefoy,<br />
Bor<strong>de</strong>aux, 2007, Ardua <strong>et</strong> William Blake & Co éd., p. 15-19.<br />
3. Traductions en volume<br />
— Oblà Prkna (Les Planches courbes), Prague, Opus 2007, trad. en tchèque <strong>et</strong> postface<br />
<strong>de</strong> Jiri Pelán, 136 p.<br />
— Ukrivljene <strong><strong>de</strong>s</strong>ke (Les Planches courbes), trad. en slovène par Nadja Dobnik <strong>et</strong> Ivan<br />
Dobnik, Po<strong>et</strong>ikonove Lire, Ljubljana, Hisa poezije, 2007, 128 p.<br />
— Kép és jelenlét, Yves Bonnefoy válogatott írásai, Budapest, Argumentum, 2007,<br />
traductions diverses, présentation <strong>de</strong> Sepsi Enikö, 240 p.<br />
— Tarea <strong>de</strong> esperanza, Antologia po<strong>et</strong>ica, trad. en esp. par Arturo Carrera, Valence,<br />
Éditions Pre-Textos, 2007, 568 p.<br />
— Rome, 1630, traduction en arménien par Chouchanik Thamrazian, éd. Naïri, Erevan,<br />
2007, 248 p. (en préface : « mes souvenirs d’Arménie », p. 7-15).<br />
4. Quelques autres activités<br />
— 18 octobre, exposé au Colloque « Quatre poètes » (organisé par Stéphane Michaud)<br />
à Paris III, salle Bourjac.<br />
— 30 octobre, réception du prix Kafka à la Vieille Mairie <strong>de</strong> Prague. Dis<strong>cours</strong> sur<br />
« Kafka <strong>et</strong> la poésie ».<br />
— 1 er novembre, rencontre au Collegium <strong>de</strong> Budapest, à l’occasion <strong>de</strong> la publication<br />
d’une anthologie.<br />
— 2 novembre, conférence <strong>et</strong> lecture à l’Institut français <strong>de</strong> Budapest. Avec Jérôme<br />
Thélot.<br />
— 12 novembre, attribution du Grand Prix <strong>de</strong> poésie <strong>de</strong> l’Académie chinoise, à<br />
Beijing.<br />
— 13 novembre, attribution du prix Horst Bienek <strong>de</strong> l’Académie <strong>de</strong> Bavière.
PROFESSEURS HONORAIRES 849<br />
— 9-10 avril 2008, conférence <strong>et</strong> lecture à l’Université Stendhal à Grenoble.<br />
— 17 mai, participation à La poésie <strong>et</strong> autres pensées <strong>de</strong> l’être au mon<strong>de</strong>, journée d’étu<strong>de</strong><br />
à la Bibliothèque Municipale <strong>de</strong> Tours. Avec Marlène Zara<strong>de</strong>r, Jérôme Thélot, François<br />
Trémolières, Patrick Née, Daniel Lançon.<br />
— 24 mai, « Jean-Pierre Vernant <strong>et</strong> la poésie » à la journée d’hommage à Jean-Pierre<br />
Vernant, Maison <strong>de</strong> l’Amérique latine.<br />
— 25 mai, lecture à la librairie Tschann.<br />
— 27 mai, rencontre au lycée Henri IV, « Le latin <strong>et</strong> la poésie française ».<br />
— 18 juin, Doctorat Honoris Causa <strong>de</strong> l’Université d’Oxford.<br />
Résumé <strong>de</strong> l’activité scientifique<br />
M. Pierre Chambon, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences)<br />
Génétique moléculaire, 1993-2003<br />
Les <strong>travaux</strong> effectués au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année écoulée, dans le cadre <strong>de</strong> l’équipe que je codirige<br />
à l’IGBMC avec le Dr. Daniel M<strong>et</strong>zger, ont porté comme les années précé<strong>de</strong>ntes sur<br />
le rôle joué par les voies <strong>de</strong> signalisation faisant intervenir la superfamille <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs<br />
nucléaires. D’intéressants résultats, certains en collaboration avec <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs français ou<br />
étrangers, ont été obtenus concernant la compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes moléculaires <strong>et</strong><br />
cellulaires qui sous-ten<strong>de</strong>nt le rôle joué par les récepteurs nucléaires, d’une part dans le<br />
contrôle du métabolisme énergétique, dans la voie <strong>de</strong> signalisation <strong><strong>de</strong>s</strong> estrogènes <strong>et</strong> dans la<br />
voie <strong>de</strong> signalisation <strong>de</strong> l’aci<strong>de</strong> rétinoique, <strong>et</strong> d’autre part dans la pathogénie <strong><strong>de</strong>s</strong> maladies<br />
atopiques, la <strong>de</strong>rmatite atopique <strong>et</strong> l’asthme. Les recherches concernant la pathogénie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
maladies atopiques sont actuellement activement poursuivies. L’ensemble <strong>de</strong> nos <strong>travaux</strong><br />
seront exposés en détail dans le prochain rapport d’activité.<br />
Articles originaux<br />
Liste <strong><strong>de</strong>s</strong> principales publications (juin 2007 – juill<strong>et</strong> 2008)<br />
G. McLean, H. Li, D. M<strong>et</strong>zger, P. Chambon and M. P<strong>et</strong>kovich : Apoptotic extinction<br />
of germ cells in testes of Cyp26b1 knockout mice. Endocrinology (2007) 148, 4560-<br />
4567.<br />
A. Berry, P. Balard, A. Coste, D. Olagnier, C. Lagane, H. Auhier, F. Benoit-<br />
Vical, J.C. Lepert, J.P. Seguela, J.F. Magnaval, P. Chambon, D. M<strong>et</strong>zger,<br />
B. Desvergne, W. Wahli, J. Auwerx and B. Pipy : IL-13 induces expression of C36 in<br />
human monocytes through PPARgamma activation. Eur. J. Immunol. (2007) 37, 1642-<br />
1652.<br />
M. Slezak, C. Goritz, A. Niemiec, J. Frisen, P. Chambon, D. M<strong>et</strong>zger and<br />
F. Pfrieger : Transgenic mice for conditional gene manipulation in astroglial cells. GLIA<br />
(2007) 55, 1565-1576.<br />
M.A. McDevitt*, C. Gli<strong>de</strong>well-Kenney, J. Weiss, P. Chambon, J.L. Jameson and<br />
J.E. Levine : ERE-in<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt ERα signaling does not rescue sexual behavior but restores
850 PROFESSEURS HONORAIRES<br />
normal testosterone secr<strong>et</strong>ion in male ERαKO mice. Endocrinology (2007) 148, 5288-<br />
5294.<br />
K. Kh<strong>et</strong>choumian, M. Tel<strong>et</strong>in, M. Mark, B. Herquel, J. Tisserand, F. Cammas,<br />
T. Lerouge, D. M<strong>et</strong>zger, P. Chambon and R. LOSSON : Loss of the transcriptional<br />
intermediary factor 1 α (TIF1α) gene confers oncogenic activity to r<strong>et</strong>inoic acid receptor<br />
α (RARα).Nature Gen<strong>et</strong>ics (2007) 39, 1500-1506.<br />
T. Nakamura, Y. Imai, T. Matsumoto, S. Sato, K. Takeuchi, K. Igarashi, Y. Harada,<br />
Y. Azuma, A. Krust, Y. Yamamoto, H. Nishina, S. Takeda, H. Takayanagi, D. M<strong>et</strong>zger,<br />
J. Kanno, K. Takaoka, Y.J. Martin, P. Chambon and S. Kato : Estrogen prevents bone<br />
loss via estrogen recepor alpha and induction of Fas ligand in osteoclasts. Cell (2007) 130,<br />
811-823.<br />
H.J. Kim, M.C. Gieske, S. Hudgins, B.G. Kim, A. Krust, P. Chambon and C. Ko :<br />
Estrogen receptor alpha-induced cholecystokinin type A receptor expression in the female<br />
mouse pituitary. J. Endocrinology (2007) 195, 393-405.<br />
C.R. Ce<strong>de</strong>rroth, O. Schaad, P. Descombes, P. Chambon, J.-D. Vassalli and S. Nef :<br />
Estrogen receptor alpha is a major contributor to estrogen-mediated f<strong>et</strong>al testis dysgenesis<br />
and cryptorchidism.Endocrinology (2007) 148, 5507-5519.<br />
M.C. Gieske, H.J. Kim, S.J. Legan, Y. Koo, A. Krust, P. Chambon and C. Ko :<br />
Pituitary gonadotroph estrogen receptor alpha is necessary for fertility in females.<br />
Endocrinology (2008) 149, 20-27.<br />
M.C. Antal, A. Krust, P. Chambon and M. Mark : Sterility and absence of<br />
histopathological <strong>de</strong>fects in non-reproductive organs of a novel mouse ERb<strong>et</strong>a-null mutant.<br />
Proc. Natl. Acad. Sci. USA (2008) 105, 2433-2438.<br />
C.K. Ratnacaram, M. Tel<strong>et</strong>in, M. Jiang, X. Meng, P. Chambon and D. M<strong>et</strong>zger :<br />
Temporally-controlled ablation of PTEN in adult mouse prostate epithelium generates a<br />
mo<strong>de</strong>l of invasive prostatic a<strong>de</strong>nocarcinoma. Proc. Natl. Acad. Sci. USA (2008) 105, 2521-<br />
2526.<br />
M. Ignat, M. Tel<strong>et</strong>in, J. Tisserand, K. Kh<strong>et</strong>choumian, C. Dennefeld, P. Chambon,<br />
R. Losson and M. Mark : Arterial calcifications and increased expression of vitamin D<br />
receptor targ<strong>et</strong>s in mice lacking TIF1alpha. Proc. Natl. Acad. Sci. USA (2008) 105, 2598-<br />
2603.<br />
J. Orengo, P. Chambon, D. M<strong>et</strong>zger, D.R. Mosier, J. Snipes and T.A. Cooper :<br />
Expan<strong>de</strong>d CTG repeats within the DMPK 3’ UTR causes severe skel<strong>et</strong>al muscle wasting in<br />
an inducible mouse mo<strong>de</strong>l for myotonic dystrophy. Proc. Natl. Acad. Sci. USA (2008) 105,<br />
2646-2651.<br />
I. Malanchi, H. Peinado, D. Kassen, T. Hussen<strong>et</strong>, D. M<strong>et</strong>zger, P. Chambon,<br />
M. Huber, D. Hohl, A. Cano, W. Birchmeier, and J. Huelsken : Cutaneous cancer<br />
stem cell maintenance is <strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt on b<strong>et</strong>a-catenin signallig. Nature (2008) 452, 650-<br />
653.<br />
V. Drouin-Echinard, S. Laffont, C. Seill<strong>et</strong>, L. Delpy, A. Krust, P. Chambon,<br />
P. Gourdy, J.F. Arnal, and J.C. Guery : Estrogen receptor alpha, but not b<strong>et</strong>a, is required<br />
for optimal <strong>de</strong>ndritic cell differentiation and CD40-induced cytokine production.<br />
J. Immunol. (2008) 180, 3661-3669.<br />
M. Konishi, H. Nakamura, H. Miwa, P. Chambon, D.M. Ornitz and N. Itoh : Role<br />
of Fgf receptor 2c in adipocyte hypertrophy in mesenteric white adipose tissue. Mol. Cell<br />
Endocrinol. (2008), in press.<br />
S. Claxton, V. Kostourou, S. Ja<strong>de</strong>ja, P. Chambon, K. Hodivala-Dilke and<br />
M. Fruttiger : Efficient, inducible Cre-recombinase activation in vascular endothelium.<br />
Genesis (2008) 46, 47-80.<br />
S. Mandillo, V. Tucci, S.M. Holter, H. Meziane, M. Al Banchaabouchi,<br />
M. Kallnik, H.V. Lad, P.M. Nolan, A.M. Ouagazzal, E.L. Coghill, K. Gale,
PROFESSEURS HONORAIRES 851<br />
E. Golini, S. Jacquot, W. Krezel, A. Parker, F. Ri<strong>et</strong>, I. Schnei<strong>de</strong>r, D. Marazziti,<br />
J.H. Auwerx, S.D. Brown, P. Chambon, N. Rosenthal, G. Tocchini-Valentini and<br />
W. Wurst : Reliatbility, robustness and Reproducibility in mouse behavioral phenotyping :<br />
a cross-laboratory study. Physiol Genomics (2008) in press.<br />
E. Küppers, A. Krust, P. Chambon and C. Beyer : Fonctional alterations of the<br />
nigrostriatal dopamine system in estrogen receptor-alpha knockout (ERKO) mice.<br />
Psychoneuroendocrinology (2008) in press.<br />
W.L. Liao, H.C. Tsai, H.F. Wang, J. Chang, K.M. Lu, H.L. Wu, Y.C. Lee, T.F. Tsai,<br />
H. Takahashi, M. Wagner, N.B. Ghyselinck, P. Chambon and F.C. Liu : Modular<br />
patterning of structure and funtion of the striatum by r<strong>et</strong>inoid receptor signaling. PNAS<br />
(2008) 105(18), 6765-6770.<br />
Juin 2007-Juill<strong>et</strong> 2008<br />
Conférences données sur invitation par Pierre Chambon<br />
dans le cadre <strong>de</strong> congrès <strong>et</strong> colloques<br />
— 4th Me<strong>et</strong>ing of Bone Biology Forum, Mount Fuji (Japan) August 24-25, 2007.<br />
P. Chambon (Plenary Lecture) : « Involvement of nuclear receptors (VDR, RAR, RXR) in<br />
the pathogenesis of atopic diseases ».<br />
— 66th Annual Me<strong>et</strong>ing of the Japanese Cancer Association, Yokohama, (Japan)<br />
October 3, 2007. P. Chambon (Plenary Lecture) : « The role of Nuclear Receptors in<br />
atopic diseases ».<br />
— 66th Annual Me<strong>et</strong>ing of the Japanese Cancer Association, Yokohama, (Japan)<br />
October 4, 2007. (Luncheon Seminar) P. Chambon : « Efficient engineering of cancer<br />
mo<strong>de</strong>ls through spatio-temporally-controlled somatic mutagenesis in the mouse»<br />
— Séance Statutaire <strong>de</strong> l’Académie <strong>de</strong> Sciences, Strasbourg, (<strong>France</strong>) May 26-28, 2008.<br />
(Plenary Lecture) P. Chambon : « Implication <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs nucléaires <strong>de</strong> la vitamine D<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’aci<strong>de</strong> rétinoique dans la pathogénie <strong><strong>de</strong>s</strong> affections atopiques (eczéma <strong>et</strong> asthme) »<br />
— 15th MTA Anniversary at Karolinska Institut<strong>et</strong>, Stockholm, (Swe<strong>de</strong>n) June 3-5,<br />
2008. (Plenary Lecture) P. Chambon : « Role of Nuclear Receptors RXRs, VDR and RARγ<br />
in atopic diseases (<strong>de</strong>rmatitis and asthma)»<br />
Juin 2007-Juill<strong>et</strong> 2008)<br />
Séminaires donnés sur invitation par Pierre Chambon<br />
— IMCB (Prof. Shigeaki Kato), Tokyo, Japon, le 23 août 2007. « Involvement of<br />
Nuclear Receptors in Atopic diseases (Atopic <strong>de</strong>rmatitis and asthma) »<br />
— Department of Immunology, Faculty of Medicine (Prof. Tada Taniguchi), Tokyo,<br />
Japon, le 28 août 2007. « Involvement of Nuclear Receptors and TSLP in the pathogenesis<br />
of atopic diseases ».<br />
— TEIJIN Pharma Limited (Prof. Shigeyuki Ishii), Tokyo, Japon, le 29 août 2007.<br />
« Involvement of Nuclear Receptors (VDR, RAR, RXR) in the pathogenesis of atopic<br />
diseases ».<br />
— Department of Life Sciences, Tokyo Institute of Technology (Prof. Hiroshi Ichinose),<br />
Yokohama, le 2 oct 2007. « Involvement of Nuclear Receptors and TSLP in the pathogenesis<br />
of atopic diseases ».
852 PROFESSEURS HONORAIRES<br />
— Department of Gen<strong>et</strong>ics and Development, Medical School, Columbia University<br />
(Prof. Gérard Karsenty), New York, le 9 octobre 2007. « Role of Nuclear Receptors RXRs,<br />
VDR and RARγ in atopic diseases (<strong>de</strong>rmatitis and asthma) ».<br />
— Faculté <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine Toulouse-Rangueil (Dr. J-F Arnal), Toulouse, le 24 juin 2008.<br />
« Implication <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs nucléaires <strong>de</strong> la vitamine D <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’aci<strong>de</strong> rétinoique dans la<br />
pathogénie <strong><strong>de</strong>s</strong> affections atopiques (eczéma <strong>et</strong> asthme) ».<br />
M. Jean-Pierre Changeux, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences)<br />
Communications cellulaires, 1975-2006<br />
The neuronal workspace mo<strong>de</strong>l : conscious processing and learning<br />
Changeux J.P., Dehaene S. In : R. Menzel (Ed.), Learning Theory and Behavior,<br />
Vol. 1 of Learning and Memory : A Comprehensive Reference.<br />
J. Byrne Editor, 2008, pp. 729-758. Oxford : Elsevier.<br />
C<strong>et</strong>te revue reprend l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> articles publiés avec Stanislas Dehaene sur la<br />
théorie <strong>de</strong> l’espace neuronal conscient <strong>et</strong> sur sa récente mise à l’épreuve expérimentale<br />
par le groupe <strong>de</strong> Stanislas Dehaene <strong>et</strong> par d’autres groupes dans le mon<strong>de</strong>. Les<br />
implications médicales possibles <strong>de</strong> la théorie sont discutées, en particulier à propos<br />
<strong>de</strong> la schizophrénie <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’autisme (restriction <strong>de</strong> l’accès à la conscience) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />
sclérose en plaque (lésions <strong>de</strong> la substance blanche altérant la capacité <strong>de</strong> l’espace<br />
conscient).<br />
Nicotinic receptors, allosteric proteins and medicine<br />
Changeux J.-P. & Taly A. Trends in Mol. Med. 2008, 14 : 93-102.<br />
C<strong>et</strong>te revue traite <strong>de</strong> l’application du modèle <strong>de</strong> Monod-Wyman-Changeux aux<br />
récepteurs canaux en général <strong>et</strong>, plus spécifiquement, au modèle <strong>de</strong> « torsion<br />
quaternaire » qui fait intervenir un mouvement global <strong>de</strong> la molécule <strong>de</strong> récepteur<br />
nicotinique qui modifie simultanément les sites <strong>de</strong> liaison <strong>de</strong> l’acétylcholine dans<br />
le domaine synaptique <strong>et</strong> le canal ionique dans le domaine membranaire, sites qui<br />
tous se trouvent situés à l’interface entre sous-unités.<br />
Sevoflurane anesthesia alters exploratory and anxi<strong>et</strong>y-like behavior in mice<br />
lacking the β2 nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine receptor subunit<br />
Wiklund A., Granon S., Cloëz-Tayarani I., Faure P., Le Sourd A.-M., Sundman<br />
E., Changeux J.-P., Eriksson L. Anesthesiology, 2008 (sous presse).<br />
L’anesthésie générale entraîne <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s secondaires qui se manifestent par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
troubles cognitifs dont l’ampleur s’aggrave avec l’âge <strong>et</strong> à la suite <strong>de</strong> lésions<br />
génétiques. Les conséquences <strong>de</strong> l’anesthésie par le sevoflurane sont étudiées chez
PROFESSEURS HONORAIRES 853<br />
les souris invalidées pour la sous-unité β 2 du récepteur nicotinique cérébral. On<br />
trouve que, chez les souris β 2 -/- , certains traits <strong>de</strong> l’organisation spatio-temporelle<br />
du comportement sont altérés <strong>et</strong> que l’anxiété s’accroît, suggérant un rôle protecteur<br />
<strong>de</strong> la transmission cholinergique nicotinique contre l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’anesthésie.<br />
Brain activation by short-term nicotine exposure in anesth<strong>et</strong>ized wild-type<br />
and β2-nicotinic receptors knockout mice : a BOLD fMRI study<br />
Suarez S.V., Amadon A., Giacomini E., Wiklund A., Changeux J.-P.,<br />
Le Bihan D., Granon S. Psychopharmacology, 2008 (sous presse).<br />
Les territoires cérébraux activés par la nicotine injectée <strong>de</strong> manière systémique<br />
aiguë sont examinés par résonance magnétique fonctionnelle « Bold » chez la souris<br />
<strong>de</strong> type sauvage anesthésiée <strong>et</strong> chez son homologue invalidé pour la sous-unité β2<br />
du récepteur nicotinique cérébral. Les territoires activés incluent le cortex préfrontal<br />
antérieur, moteur <strong>et</strong> somatosensoriel ainsi que l’aire tegmentale ventrale <strong>et</strong> la<br />
substance noire. Chez les souris β 2 -/- c<strong>et</strong>te activation disparaît, à l’exception du<br />
circuit méso-cortico-limbique vraisemblablement sous le contrôle <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs<br />
nicotiniques <strong>de</strong> type α 7.<br />
Intracellular complexes of the β 2 subunit of the nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine<br />
receptor in brain i<strong>de</strong>ntified by proteomics<br />
Kabbani N., Woll M.P., Levenson R., Lindstrom J.M., Changeux J.-P.<br />
Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 2007, 104 : 20570-20575.<br />
L’interaction <strong>de</strong> la sous-unité β 2 du récepteur nicotinique cérébral avec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
protéines cytoplasmiques est suivie par spectrographie <strong>de</strong> masse après purification<br />
à partir <strong>de</strong> la boucle intracellulaire <strong>de</strong> β 2 ou immunoprécipitation. L’association<br />
avec <strong><strong>de</strong>s</strong> protéines Gα, l’inducteur <strong>de</strong> croissance neuritique 1 réglé par les protéines<br />
G <strong>et</strong> le canal K + activé par les protéines G suggère un lien entre récepteur<br />
nicotinique <strong>et</strong> signalisation intracellulaire par les protéines G.<br />
Publication 2007 (fin)<br />
Publications<br />
Article<br />
— Kabbani N, Woll M.P., Levenson R., Lindstrom J.M., Changeux J.-P. Intracellular<br />
complexes of the β2 subunit of the nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine receptor in brain i<strong>de</strong>ntified by<br />
proteomics. Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 204 : 20570-20575.<br />
Publications 2008<br />
Articles<br />
— Taly A., Changeux J.-P. Functional organization and conformational dynamics of the<br />
nicotinic receptor: a plausible structural interpr<strong>et</strong>ation of myasthenic mutations. Ann. NY Acad.<br />
Sci. 1132 : 42-52.
854 PROFESSEURS HONORAIRES<br />
— Jackson K.J., Martin B.R., Changeux J.-P., Damaj M.I. Differential role of nicotinic<br />
ac<strong>et</strong>ylcholine receptor subunits in physical and affective nicotine withdrawal signs. J. Pharmacol.<br />
Exp. Ther. 325(1) : 302-312.<br />
— Putz G., Kristufek D., Orr-Urtreger A., Changeux J.-P., Huck S., Scholze P. Nicotinic<br />
ac<strong>et</strong>ylcholine receptor-subunit mRNAs in the mouse superior cervical ganglion are regulated by<br />
<strong>de</strong>velopment but not by <strong>de</strong>l<strong>et</strong>ion of distinct subunit genes. J. Neurosci. Res. 8 : 972-981.<br />
— Evrard A., Changeux J.-P. Abnormal response of dopaminergic neurons to nicotine<br />
without perturbation of nicotinic receptors in αCGRP knock-out mice. Brain Res. 1228 : 89-<br />
96.<br />
— Araoz R., Herdman M., Rippka R., Ledreux A., Molgo J., Changeux J.-P., Tan<strong>de</strong>au<br />
<strong>de</strong> Marsac N., Nghiêm Ho. A non-radioactive ligand-binding assay for d<strong>et</strong>ection of<br />
cyanobacterial anatoxins using Torpedo electrocyte membranes. Toxicon, 52 : 163-174.<br />
— Avale M.E., Faure P., Pons S., Robledo P., Deltheil T., David D.J., Gardier A.M.,<br />
Maldonado R., Granon S., Changeux J.-P., Maskos U. Interplay of b<strong>et</strong>a2* nicotinic receptors<br />
and dopamine pathways in the control of spontaneous locomotion. Proc. Natl. Acad. Sci. USA,<br />
41 : 15991-15996.<br />
— Besson M., Suarez S., Cormier A., Changeux J.-P., Granon S. Chronic nicotine<br />
exposure has dissociable behavioural effects on control and β2 -/- mice. Behav. Gen<strong>et</strong>., 38(5) :<br />
503-514.<br />
— Even N., Cardona A., Soudant M., Corringer P.J., Changeux J.-P., Cloëz-Tayarani I.<br />
Regional differential effects of chronic nicotine on brain α4 and α6-containing receptors.<br />
NeuroReport, 19(15) : 1545-1550.<br />
— Wiklund A., Granon S., Cloëz-Tayarani I., Faure P., Le Sourd A.-M., Sundman E.,<br />
Changeux J.-P., Eriksson L. Sevoflurane anesthesia alters exploratory and anxi<strong>et</strong>y-like behavior<br />
in mice lacking the β2 nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine receptor subunit. Anesthesiology (sous presse).<br />
— Suarez S.V., Amadon A., Giacomini E., Wiklund A., Changeux J.-P., Le Bihan D.,<br />
Granon S. Brain activation by short-term nicotine exposure in anesth<strong>et</strong>ized wild-type and β2nicotinic<br />
receptors knockout mice : a BOLD fMRI study. Psychopharmacology (sous presse).<br />
Revues<br />
— Changeux J.-P., Taly A. Nicotine receptors, allosteric proteins and medicine. Trends in<br />
Mol. Med. 14 : 93-102.<br />
— Corringer P.J., Changeux J.-P. Nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine receptors. Scholarpedia, 3(1) :<br />
3468<br />
— Changeux J.-P., Dehaene S. The neuronal workspace mo<strong>de</strong>l : conscious processing and<br />
learning. In : R. Menzel (Ed.), Learning Theory and Behavior. Vol. 1 of Learning and<br />
Memory : A Comprehensive Reference. J. Byrne Editor, pp. 729-758. Oxford : Elsevier.<br />
Corringer P.J., Changeux J.-P. Nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine receptors. In : Larry R. Squire,<br />
Editor-in-Chief, Encyclopedia of Neuroscience, Aca<strong>de</strong>mic Press, Oxford (sous presse).<br />
Distinctions<br />
— Pioneer Award for the fundamental discoveries concerning « The structure and<br />
function of the nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine receptor », <strong>Collège</strong> International <strong>de</strong> Neuro-<br />
Psychopharmacologie (CINP), Munich (2008).
PROFESSEURS HONORAIRES 855<br />
— Neuronal Plasticity prize for the outstanding work in the domain of the Molecular<br />
Targ<strong>et</strong>s of Drug Abuse : « Short & long-term effects of nicotine on nicotinic receptors : a<br />
mo<strong>de</strong>l of drug addiction », Fondation Ipsen, 6 th Forum of the European Neuroscience,<br />
Genève (2008).<br />
Principales conférences données sur invitation<br />
à <strong><strong>de</strong>s</strong> congrès, colloques <strong>et</strong> symposia internationaux<br />
— Séance inaugurale du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> en Belgique, Bruxelles : « Vers une conception<br />
nouvelle <strong>de</strong> la chimie du cerveau », 27 novembre 2007.<br />
— Conférences du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> à Tunis : « Le récepteur <strong>de</strong> l’acétylcholine : une protéine<br />
allostérique membranaire engagée dans la transmission synaptique », Académie Tunisienne <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Sciences, <strong><strong>de</strong>s</strong> L<strong>et</strong>tres <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Arts Beït al-Hikma, Carthage, Tunisie, 10 mars 2008. « Vers une<br />
neuroscience <strong>de</strong> la personne humaine », Bibliothèque Nationale, Tunis, 11 mars 2008.<br />
— Conférence plénière : « Toward a neuroscience of the capable person : unity, diversity<br />
and oneself-as-another », « The 13th International Conference on Thinking », Norrköping,<br />
Suè<strong>de</strong>, 17-21 juin 2007.<br />
— Conférence plénière : « The nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine receptor : from molecular biology to<br />
cognition », « Cholinergic signaling : from genes to environment », à l’occasion du 60e anniversaire<br />
du Pr Hermona Soreq, Jérusalem, Israël, 20-22 août 2007.<br />
— Conférence principale (Keynote) « Nicotinic receptors in the brain : from molecular<br />
level to cognition », Sp<strong>et</strong>ses Summer School on Nuclear receptor signalling : from molecular<br />
mechanisms to integrative physiology, Ile <strong>de</strong> Sp<strong>et</strong>saï, Grèce, 26-31 août 2007.<br />
— Conférence : « Mo<strong>de</strong>ling access to consciousness and its consequences for brain imaging »,<br />
« 1st INCF Workshop on neuroimaging database integration », Stockholm, Suè<strong>de</strong>, 30-<br />
31 août 2007.<br />
— Conférence d’ouverture : « The preclinical point of view : Nicotine and nicotinic<br />
receptors : from molecular biology to cognition », 9th Annual conference of the SRNT Europe,<br />
Madrid, Espagne, 3-5 octobre 2007.<br />
— Conférence : « Toward a neuroscience of the capable person : unity, diversity and oneselfas-another<br />
», Vienna Biocenter PhD symposium « Molecules to mind », Vienne, Autriche,<br />
15 novembre 2007.<br />
— Conférence principale (Keynote) « Evolution of human intellect and culture : emotions,<br />
body, and brain plasticity consequences in artistic contemplation and creation », « International<br />
forum on intellectual unity II », Tokyo, Japon, 8 décembre 2007.<br />
— Conférence invité : ASPET’s Centennial me<strong>et</strong>ing « Nicotinic receptors : a mo<strong>de</strong>l for<br />
allosteric membrane protein », San Diego Convention Center, USA, 5-9 avril 2008.<br />
— Conférence spéciale : « The logic of allosteric receptors and its consequences for chemical<br />
therapeutics », « Nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine receptors 2008 », The Wellcome Trust Conference<br />
Centre, Hinxton, Cambridgeshire, UK, 23-26 avril 2008.<br />
— Conférence : « Is the brain the organ of truth ? », International Balzan Foundation,<br />
Symposium « Truth in the Humanities, Science and Religion », Lugano, Suisse, 16-17 mai<br />
2008.<br />
— Conférence : « La dépendance <strong>de</strong> la nicotine : un modèle <strong>de</strong> mémoire à long terme ? » <strong>et</strong><br />
Conclusions, Séance commune Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences/Académie nationale <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine<br />
« La Mémoire », Paris, 3 juin 2008.<br />
— Conférence : « Nicotinic receptors and their role in brain function », Nobel symposium<br />
« Genes, Brain and Behavior », Karolinska Institute, Stockholm, Suè<strong>de</strong>, 12-14 juin 2008.
856 PROFESSEURS HONORAIRES<br />
— Conférence : « Le rôle <strong>de</strong> la bungarotoxine dans l’i<strong>de</strong>ntification <strong>et</strong> l’élucidation <strong>de</strong> la<br />
structure du récepteur nicotinique », Journée scientifique organisée par le Muséum national<br />
d’Histoire naturelle <strong>et</strong> le Commissariat à l’énergique atomique, Hommage au Professeur<br />
André Ménez « De l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> toxines à l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> espèces », Muséum d’Histoire<br />
naturelle, Paris, 23 juin 2008.<br />
— Conférence : « The nicotinic ac<strong>et</strong>ylcholine receptor : a mo<strong>de</strong>l of allosteric neurotransmittergated<br />
ion channel », 33 rd FEBS Congress & 11 th IUBMB Conference, Athènes, Grèce,<br />
29 juin-1 er juill<strong>et</strong> 2008.<br />
— Conférence d’ouverture : « Short and long-term effect of nicotine on nicotinic receptors »,<br />
XIII International Symposium on Cholinergic Mechanisms, Iguassu Falls, Brésil, 16-<br />
20 août 2008.<br />
M. Clau<strong>de</strong> Cohen-Tannoudji, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences)<br />
Physique atomique <strong>et</strong> moléculaire, 1973-2004<br />
Publications<br />
— Rédaction, en collaboration avec David Guéry-O<strong>de</strong>lin d’un ouvrage ayant pour titre :<br />
« Advances in Atomic Physics — An overview », à paraître chez World Scientific, Singapour.<br />
— Enregistrement pour la collection : « A voix haute » / <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> d’un CD<br />
intitulé « Lumière <strong>et</strong> Matière ».<br />
Conférences invitées à <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences internationales<br />
Conférences spéciales <strong>et</strong> commémoratives<br />
— Conférence internationale organisée par la Royal Soci<strong>et</strong>y <strong>de</strong> Londres, « Photons, Atoms<br />
and Qubits 2007 (PAQ07) », P<strong>et</strong>er Knight’s 60th birthday, Londres, UK, 2 au 5 septembre<br />
2007 : « Manipulating Atoms with Light M<strong>et</strong>hods and Perspectives ».<br />
— Wokshop dédié aux <strong>travaux</strong> <strong>et</strong> à la vie du Professeur Maurice Jacob, Genève, Suissse,<br />
11 septembre 2007 : « A few personal recollections of the time spent with Maurice at Ecole<br />
Normale ».<br />
— Symposium international en l’honneur d’Alain Aspect à l’occasion <strong>de</strong> ses 60 ans,<br />
Palaiseau, Campus Polytechnique, <strong>France</strong>, « From Entangled Photons to Atom Lasers »,<br />
14 septembre 2007 : « Thirty years of friendship and collaboration with Alain. »<br />
— Conférence INFM à Rome, Italie, 16 au 17 septembre 2007.<br />
— Cérémonie <strong>de</strong> Remise <strong>de</strong> Diplôme (2e année du Master <strong>de</strong> Physique, voies Recherche<br />
<strong>et</strong> Professionnelle), Lyon, <strong>France</strong>, 5 octobre 2007.<br />
— Participation à la conférence « The Future of Science and Technology in Europe »,<br />
« Promoting and Attracting Human Resources in S&T », Lisbonne, Portugal, 8 au<br />
10 octobre 2007.<br />
— Conférence inaugurale <strong>de</strong> l’année universitaire 2007-2008 à l‘Institut Rachi, « Les<br />
gran<strong><strong>de</strong>s</strong> conférences », Troyes, <strong>France</strong>, 17 octobre 2007 : « Une brève histoire <strong>de</strong> la lumière ».<br />
— C. N. Yang’s Symposium, Conférence internationale en l’honneur du 85e anniversaire<br />
<strong>de</strong> CN Yang, République <strong>de</strong> Singapour, 29 octobre au 3 novembre 2007 : « Ultracold<br />
atoms: Achievements and Perspectives ».
PROFESSEURS HONORAIRES 857<br />
— <strong>France</strong>-Hong Kong Distinguished Lectures Series, série <strong>de</strong> 10 <strong>cours</strong> dans le cadre <strong>de</strong><br />
la Chaire « Professor at Large » <strong>de</strong> la « City University » <strong>de</strong> Hong Kong, Chine, 3 au<br />
17 novembre 2007 : « Laser cooling and trapping ».<br />
— Conférence invitée à l’Ecole Supérieure <strong>de</strong> Physique <strong>et</strong> Chimie <strong>de</strong> la Ville <strong>de</strong> Paris<br />
– 125 e anniversaire <strong>de</strong> l’ESPCI — colloque dédié à la mémoire <strong>de</strong> Pierre-Gilles <strong>de</strong> Gennes,<br />
Paris, <strong>France</strong>, 21 au 22 novembre 2007 : « Atomes ultrafroids, applications à la mesure du<br />
temps ».<br />
— 2 nd me<strong>et</strong>ing of the High-level Scientific Policy Advisory Committee (HISPAC), à<br />
l‘European Space Agency (ESA), à Paris, <strong>France</strong>, 11 janvier 2008.<br />
— Journées Scientifiques Inaugurales du Centre <strong>de</strong> Microéléctronique <strong>de</strong> Provence<br />
Georges Charpak, Gardanne, Saint-Etienne, <strong>France</strong>, 29 <strong>et</strong> 30 janvier 2008 : « Du pompage<br />
optique aux atomes ultrafroids ».<br />
— Conférence <strong>de</strong>vant les élèves <strong>de</strong> l’Ecole supérieure <strong>de</strong> Gestion, Paris, <strong>France</strong>, 26 mars<br />
2008 : « Matière <strong>et</strong> lumière ».<br />
— Conférence à Nancy-Université, <strong>France</strong>, 3 avril 2008 : « Manipulation d’atomes par la<br />
lumière ».<br />
— 37 th Me<strong>et</strong>ing of the ICTP Scientific Council, Trieste, Italie, 8 au 9 mai 2008.<br />
— Hyman and Irène Kreitman Annual Memorial Lecture, Ben-Gurion University of the<br />
Negev, Beer-Sheva, Israël, 27 mai 2008 : « Light and Matter, The Mo<strong>de</strong>rnity of Einstein’s<br />
I<strong>de</strong>as ».<br />
— Conférence au Lycée Français <strong>de</strong> Londres, UK, 02 juin 2008.<br />
— Conférence internationale : « Third Nobel Prize Laureates Me<strong>et</strong>ing — Science and<br />
Soci<strong>et</strong>y », St P<strong>et</strong>ersbourg, Russie, 22 au 27 juin 2008: « Ultracold Atoms — A mo<strong>de</strong>l system<br />
for new investigations in physics ».<br />
Responsabilités diverses<br />
Prési<strong>de</strong>nt d’honneur du Conseil Scientifique <strong>de</strong> la Fondation <strong>France</strong>-Israël.<br />
Secrétaire du CODHOS (Comité <strong>de</strong> Défense <strong><strong>de</strong>s</strong> Hommes <strong>de</strong> Science, <strong>de</strong> l’Académie<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences).<br />
Membre du Comité Exécutif <strong>de</strong> l’International Human Rights N<strong>et</strong>work of Aca<strong>de</strong>mies<br />
and Scholarly Soci<strong>et</strong>ies (IHRNASS).<br />
Membre du forum d’initiative franco-espagnol, <strong>de</strong>puis 2006.<br />
Membre <strong>de</strong> l’HISPAC, (High-level Science Policy Advisory Committee).<br />
Membre du Comité pour le Prix International pour l’alphabétisation scientifique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
enfants <strong>de</strong> la planète.<br />
Membre du Comité <strong>de</strong> Pilotage « Science à l’Ecole » <strong>de</strong>puis 2004.<br />
Membre du Conseil Scientifique <strong>de</strong> la Scuola Normale Superiore, Pise.<br />
Membre du Conseil Scientifique <strong>de</strong> l’IFRAF (Institut Francilien <strong>de</strong> Recherche sur les<br />
Atomes froids) <strong>de</strong>puis 2004.<br />
Membre du Conseil Scientifique <strong>de</strong> l’ICTP (International Centre of Theor<strong>et</strong>ical Physics),<br />
Trieste.<br />
Membre du Conseil Scientifique <strong>de</strong> l’« IPSO » (Israeli-Palestinian Science Organisa tion).<br />
Distinctions<br />
8 novembre 2007 — Docteur Honoris Causa <strong>de</strong> la City University <strong>de</strong> Hong Kong,<br />
Chine.
858 PROFESSEURS HONORAIRES<br />
M. François-Xavier Coquin, professeur<br />
Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine du mon<strong>de</strong> russe (1993-2001)<br />
22-30 juin 2007. Moscou : Participation au colloque : « la guerre russo-turque. 1877-<br />
1878 ». Communication : « attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la <strong>France</strong> face au conflit russo-turc, <strong>et</strong> au Congrès<br />
<strong>de</strong> Berlin », (sous presse).<br />
A.N. Sakharov, Rossija, narod, praviteli, civilizacija (La Russie : le peuple, les dirigeants,<br />
la civilisation), Institut d’histoire russe (Acad. <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences), Moscou, 2005, 960 p. Compte<br />
rendu critique, Nationalities Papers, 2007, vol. 35, n° 3, p. 581-591.<br />
27 février-5 mars 2008. Moscou : Observateur étranger à Moscou <strong>et</strong> dans sa région à<br />
l’occasion <strong><strong>de</strong>s</strong> élections prési<strong>de</strong>ntielles du 2 mars 2008.<br />
Préface (p. 9-27) à la traduction française <strong>de</strong> l’ouvrage <strong>de</strong> Natalija A. Narotchnitskïa<br />
« Que reste-t-il <strong>de</strong> notre victoire ? », Paris, 2008, Les Syrtes éd.<br />
8-9 septembre 2008. Paris : Communication au colloque « La <strong>de</strong>uxième guerre mondiale :<br />
causes <strong>et</strong> résultats <strong>de</strong> la remise en cause <strong><strong>de</strong>s</strong> acquis <strong>de</strong> 1945 », organisé par divers instituts<br />
russes <strong>et</strong> ukrainiens sous le patronage du Centre culturel russe, <strong>et</strong> interview donnée à ce<br />
suj<strong>et</strong> à Radio Moscou.<br />
M. Yves Coppens, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences)<br />
Paléoanthropologie <strong>et</strong> préhistoire 1983-2005<br />
Recherche<br />
Outre quelques suj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> recherches en <strong>cours</strong> <strong>de</strong>puis plusieurs années (rôle <strong>de</strong><br />
l’environnement dans l’histoire <strong>de</strong> l’homme, par exemple), j’ai engagé une<br />
prospection en Mongolie à la suite <strong>de</strong> la découverte d’une calotte crânienne<br />
humaine associée à du Rhinocéros laineux, dans le nord-est du pays (mission sur<br />
le terrain au mois d’août 2007 <strong>et</strong> contrat <strong>de</strong> 5 ans avec le gouvernement mongole).<br />
La problématique <strong>de</strong> ce proj<strong>et</strong> est <strong>de</strong> progresser dans la compréhension <strong>de</strong> l’origine<br />
<strong>de</strong> l’Homme mo<strong>de</strong>rne : déploiement à partir d’un foyer africain unique ou<br />
évolution sur place <strong>de</strong> l’Homo erectus là où il est.<br />
Nous avons poursuivi par ailleurs la collecte <strong>de</strong> nouveaux restes <strong>de</strong> Mammouths<br />
<strong>et</strong> la gestion <strong>de</strong> leur analyse (en ce moment celle <strong>de</strong> Lyuba, p<strong>et</strong>ite femelle <strong>de</strong> 3 mois<br />
découverte dans la presqu’île <strong>de</strong> Yamaal <strong>et</strong> âgée <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 40 000 ans) <strong>et</strong> préparé<br />
la 5 e conférence internationale sur les Mammouths <strong>et</strong> leur famille (prési<strong>de</strong>nce,<br />
session <strong>de</strong> préparation à Weimar en février 2008).<br />
Muséologie<br />
A la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’un cabin<strong>et</strong> d’architectes français qui en avait gagné l’appel<br />
d’offre international, nous nous sommes employés, un collaborateur, Fabrice
PROFESSEURS HONORAIRES 859<br />
Dem<strong>et</strong>er, <strong>et</strong> moi, à concevoir en Corée, un musée <strong>de</strong> site, sur un gisement,<br />
Jeongok, qui avait livré un outillage paléolithique (beaucoup <strong>de</strong> bifaces) <strong>de</strong> plus<br />
<strong>de</strong> 300 000 ans (accueil au Museum national d’Histoire naturelle <strong>de</strong> Paris <strong>et</strong> au<br />
Musée d’Archéologie nationale <strong>de</strong> Saint-Germain-en-Laye d’une délégation<br />
coréenne, juill<strong>et</strong> 2007).<br />
Je suis par ailleurs toujours lié à certains proj<strong>et</strong>s du Museum national d’Histoire<br />
naturelle (conseil scientifique), du Musée d’Archéologie nationale <strong>de</strong> Saint-<br />
Germain-en-Laye <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Cité <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Industrie <strong>de</strong> Paris, à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
programmes en <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Museums ou Sociétés d’Histoire naturelle <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux,<br />
<strong>de</strong> Toulouse, <strong><strong>de</strong>s</strong> Musées <strong>de</strong> Vannes, <strong>de</strong> Carnac, du Puy (Crozatier), <strong>de</strong> la Chapelleaux-Saints,<br />
<strong>de</strong> Villers-sur-mer mais aussi du Transvaal Museum <strong>de</strong> Pr<strong>et</strong>oria<br />
(exposition en 2007) du Musée d’Anthropologie préhistorique <strong>de</strong> la Principauté<br />
<strong>de</strong> Monaco (prési<strong>de</strong>nce du Comité international), <strong>et</strong>c.<br />
Gestion <strong>de</strong> la recherche<br />
Je suis membre du Haut Conseil <strong>de</strong> la Science <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Technologie (j’y ai été<br />
rapporteur du dossier sur la baisse d’attractivité <strong>de</strong> la Science), <strong>de</strong> l’Office parlementaire<br />
d’évaluation <strong><strong>de</strong>s</strong> choix scientifiques <strong>et</strong> technologiques, du Comité international<br />
d’évaluation <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes Revealing Hominid Origins Initiative <strong>de</strong> la National<br />
Science Foundation (USA), du programme HOPSEA, Human Origins Patrimony<br />
South East Asia, <strong>de</strong> recherches en Asie <strong>et</strong> du programme HOPE, Human origins and<br />
past environments <strong>de</strong> recherche en Afrique du sud. Je suis aussi Administrateur (pour le<br />
patrimoine) <strong><strong>de</strong>s</strong> TAAF, Terres Australes <strong>et</strong> Antarctiques françaises.<br />
Publications (juin 2007-juin 2008)<br />
Anonyme (Yves Coppens), Francis Clark Howell, Membres <strong>de</strong> l’Académie disparus,<br />
Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences, Annuaire 2008, p. 199-200.<br />
Yves Coppens, Paléoanthropologie <strong>et</strong> préhistoire, 1983-2005, Annuaire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong>, <strong>résumés</strong> 2006-2007, 2008, p. 952-956.<br />
Yves Coppens, Préface, Le Quaternaire, limites <strong>et</strong> spécificités, Quaternaire, volume 18,<br />
n° 1, 2 <strong>et</strong> 4, mars, juin <strong>et</strong> décembre 2007, p. 7.<br />
Yves Coppens, Préface, in Sylvie Mercier <strong>de</strong> Flandre, Nature <strong>et</strong> rêveries, éditions du Signe,<br />
Strasbourg, 2007, 3 pages non paginées.<br />
Yves Coppens, Quand le Singe est-il <strong>de</strong>venu Homme ?, Sciences <strong>et</strong> Avenir, novembre<br />
2007, p. 106-107.<br />
Yves Coppens, Préface, in Bernard Van<strong>de</strong>rmeersch <strong>et</strong> Bruno Maureille eds, Les<br />
Néan<strong>de</strong>rtaliens, Biologie <strong>et</strong> Culture, Editions du Comité <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> historiques <strong>et</strong> scientifiques,<br />
2007, p. 9-10.<br />
Yves Coppens, Postface, in Patrick Norbert <strong>et</strong> Tanino Liberatore, Lucy, l’espoir, Capitol<br />
edition, 2007, p. 72-73 (ban<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>sinée).<br />
Yves Coppens, Avant propos in Michel Signoli, Dominique Chevé, Gilles Boëtsch <strong>et</strong><br />
Olivier Dutour, Peste : entre Epidémies <strong>et</strong> Sociétés, Plague : Epi<strong>de</strong>mics and Soci<strong>et</strong>ies, Firenze<br />
University Press, 2007, p. 9.
860 PROFESSEURS HONORAIRES<br />
Yves Coppens, Lucy, Australopithèque afarensis, Addis Abeba, 2001 in Titouan Lamazou,<br />
Zoe : femmes du Mon<strong>de</strong>, Gallimard 2007, T. 1, p. 17-25.<br />
Yves Coppens, Damdinsuren Tseveendorj, Fabrice Dem<strong>et</strong>er, Tsagaan Turbat, Pierre-<br />
Henri Giscard, Découverte d’une calotte crânienne d’un Homo sapiens archaïque dans le<br />
Nord-Est <strong>de</strong> la Mongolie, C.R. Palevol. 7 (2008), p. 51-60.<br />
Yves Coppens, L’East Si<strong>de</strong> story n’est plus, Homo sapiens, l’Odyssée <strong>de</strong> l’espèce,<br />
Taillandier, 2005, p. 40-48.<br />
Emmanuel-Alain Cabanis, Jackie Badawi-Fayad, Marie-Thérèse Iba-Zizen, Adrian Istoc,<br />
Henry <strong>et</strong> Marie-Antoin<strong>et</strong>te <strong>de</strong> Lumley <strong>et</strong> Yves Coppens, Scanner à rayons X <strong>et</strong><br />
paléoanthropologie crânienne, Bull. Acad. Natle <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine, 2007, 191, 6, 1069-1089.<br />
Yves Coppens in Les secr<strong>et</strong>s du cerveau, Les mystères du XXI e siècle à Saint Tropez,<br />
1-3 décembre 2006, DVD vi<strong>de</strong>o 2007.<br />
Yves Coppens, L’Homme <strong>et</strong> l’environnement, climat subi, climat conquis, climat meurtri,<br />
in Le Climat dans tous ses états, Les mystères du XXI e siècle à Saint-Tropez, 7-9 décembre 2007,<br />
DVD vi<strong>de</strong>o 2008 (DVD n° 1/4).<br />
Yves Coppens, Le pied, la roue, AT Magazine, n° 1, 2008, p. 73-75.<br />
Hassane Taïsso Mackaye, Yves Coppens, Patrick Vignaud, Fabrice Lihoreau, Michel<br />
Brun<strong>et</strong>, De nouveaux restes <strong>de</strong> Primelephas dans le Mio-Pliocène du Nord du Tchad <strong>et</strong><br />
révision du genre Primelephas, C.R. Palevol. 7 (2008), p. 227-236.<br />
Yves Coppens, In Memoriam : Francis Clark Howell, Bull. <strong>et</strong> Mens. <strong>de</strong> la Soc. Anthrop.<br />
<strong>de</strong> Paris, n.s., t. 19, 2007, 1-2, p. 5-6.<br />
Yves Coppens, avant-propos in Yves Coppens, prési<strong>de</strong>nt, Origine <strong>de</strong> l’Homme <strong>et</strong> peuplement<br />
<strong>de</strong> la Terre, éd. du Musée d’Anthropologie préhistorique <strong>de</strong> Monaco, 2008, p. 6-7.<br />
Yves Coppens, Préhumains <strong>et</strong> origine <strong>de</strong> l’Homme in Yves Coppens, prési<strong>de</strong>nt, Origine<br />
<strong>de</strong> l’Homme <strong>et</strong> peuplement <strong>de</strong> la Terre, éd. du Musée d’Anthropologie préhistorique <strong>de</strong><br />
Monaco, 2008, p. 12.<br />
Livres<br />
Patrick Norbert <strong>et</strong> Tanino Liberatore, conseiller scientifique Yves Coppens, Lucy, l’espoir,<br />
Capitol Editions, Paris, 2007, 74 pages (ban<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>sinée).<br />
Hubert Reeves, Joël <strong>de</strong> Rosnay, Yves Coppens, Dominique Simonn<strong>et</strong>, La plus belle<br />
histoire du mon<strong>de</strong>, Le Seuil, 1996 ; édition basque, 2007.<br />
Yves Coppens, Soizik Moreau, Sacha Gepner, Le origini <strong>de</strong>ll’Uomo, Editoriale Jaca Book,<br />
Milan, 2008, 61 pages ; édition française, Yves Coppens raconte l’Homme, ed. Odile Jacob,<br />
2008.<br />
Yves Coppens, L’Histoire <strong>de</strong> l’Homme, 22 ans d’amphi au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (1983-2005),<br />
éditions Odile Jacob, 2008, 246 pages ; édition club pour le Grand Livre du Mois, 2008 ;<br />
édition italienne, Editoriale Jaca Book, Milan, 2008.<br />
Yves Coppens (prési<strong>de</strong>nce), Origine <strong>de</strong> l’Homme <strong>et</strong> peuplement <strong>de</strong> la Terre, Comité<br />
scientifique international du Musée d'Anthropologie préhistorique <strong>de</strong> Monaco, éd. du<br />
Musée d’Anthropologie préhistorique <strong>de</strong> Monaco, 2008, 64 pages.
PROFESSEURS HONORAIRES 861<br />
Audiovisuel<br />
Le climat dans tous ses états, Les Mystères du XXI e siècle à Saint Tropez (8 e édition),<br />
invités d’honneur, Hubert Reeves <strong>et</strong> Yves Coppens, 4 DVD vi<strong>de</strong>o 2008.<br />
L’odyssée <strong>de</strong> l’espèce, Homo sapiens, Le sacre <strong>de</strong> l’Homme, <strong>France</strong> Télévision distribution,<br />
Jacques Malaterre réalisation, Yves Coppens, directeur scientifique, coffr<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> 3 DVD,<br />
2007.<br />
36 Chroniques « Histoire d’Homme », Yves Coppens <strong>et</strong> Marie-Odile Monchicourt, 5 fois<br />
chaque lundi <strong>de</strong> juin 2007 à août 2007, 5 fois un dimanche sur <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> septembre 2007<br />
à juin 2008.<br />
Conférences, communications, allocutions<br />
Conférences à Pr<strong>et</strong>oria, Transvaal Museum (7 novembre 2007), à Saint Germain-en-Laye<br />
(15 septembre 2007), à Nancy, Opéra (20 septembre 2007), à Nancy, aux Élus, Hôtel <strong>de</strong><br />
Ville (22 septembre 2007), à Paris, salle Olympe <strong>de</strong> Gouge, pour la mairie du<br />
11 e arrondissement (30 octobre 2007), à Paris, au restaurant le Doyen, pour le groupe Vinci<br />
(28 mars 2008), à Paris, au Musée <strong>de</strong> l’Homme, pour la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Amis du Musée <strong>de</strong><br />
l’Homme (19 mai 2008), à Marseille (10 octobre 2007), à Tautavel, Pyrénées orientales<br />
(2 novembre 2007), à Dinard (19 <strong>et</strong> 20 janvier 2008), à Rueil (7 février 2008), à Villers-surmer<br />
(9 février 2008), aux Angles, Pyrénées-Orientales (3 mars 2008), à Monaco, à la<br />
Fondation Prince Pierre (17 mars 2008), à Ajaccio (21 avril 2008), aux Rencontres <strong>de</strong> Porto<br />
Vecchio (30 avril 2008), à Toulouse au Muséum d’Histoire naturelle (19 juin 2008), à<br />
Cannes, au Symposium <strong>de</strong> l’Eau (24 juin 2008), à Quiberon, 5 fois (30 juin-4 juill<strong>et</strong> 2008).<br />
Conférences sur le Costa Marina (2), croisière en Norvège, 30 mai-11 juin 2008.<br />
Participation à la 1 st International Conference, Archaeological Research in Mongolia,<br />
13-23 août 2007, Ulaanbaatar (communication le 20 août 2007, en anglais) ; au mois <strong>de</strong><br />
la préhistoire du Musée d’Archéologie nationale <strong>de</strong> Saint-Germain-en-Laye, 15 septembre-<br />
15 octobre 2007 (conférence inaugurale le 15 septembre 2007) ; au 9 e Congrès <strong>de</strong><br />
l’International Ocular Inflammation Soci<strong>et</strong>y, Musée du Quai Branly, Paris (allocution le<br />
19 septembre 2007, en anglais) ; aux Rencontres <strong>de</strong> Paris sur les Primates <strong>et</strong> leurs habitats,<br />
20 e Colloque <strong>de</strong> la Société francophone <strong>de</strong> Primatologie, Muséum national d’Histoire<br />
naturelle, 22-26 octobre 2007 (conférence le 24 octobre 2007) ; à la conférence Human<br />
Origins Patrimony, Studies in Southeast Asia, Paris, 10-12 décembre 2007 (HOP sea n<strong>et</strong>work<br />
conference) (keynote address, en anglais, prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la session au Musée <strong>de</strong> l’Homme le<br />
11 décembre 2007 <strong>et</strong> address for conclusion, en anglais, au Museum national d’Histoire<br />
naturelle, le 12 décembre 2007) ; à la 8 e édition <strong><strong>de</strong>s</strong> Mystères du XXI e siècle à Saint Tropez,<br />
Le climat dans tous ses états, 7-9 décembre 2007 (invité d’honneur, communication le<br />
8 décembre <strong>et</strong> conclusion, le 9 décembre 2007) ; au symposium international, Des collections<br />
anatomiques aux obj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> culte : conservation <strong>et</strong> exposition <strong><strong>de</strong>s</strong> restes humains dans les musées,<br />
Musée du Quai Branly, 22-23 février 2008 (communication le 22 février 2008) ; au<br />
Colloque IPSEN (Innovation for patient care), Translations cortico-motrices, mouvement <strong>et</strong><br />
risque, Abbaye <strong>de</strong> Royaumont, 28-29 mars 2008 (conférence inaugurale le 28 mars 2008) ;<br />
à l’Interdisciplinary workshop on 3D Paleo-Anthropology, Anatomy, Computer Science<br />
and Engineering Synergies for the future, Muséum <strong>de</strong> Toulouse, 19-20 juin 2008<br />
(prési<strong>de</strong>nce, allocution d’ouverture).<br />
Exposés dans <strong><strong>de</strong>s</strong> écoles : aux élèves <strong>de</strong> CM1-CM2 <strong><strong>de</strong>s</strong> écoles primaires <strong>de</strong> Nancy, à l’Hôtel<br />
<strong>de</strong> ville (2 sessions successives le 21 septembre 2007), au lycée français Jules Verne <strong>de</strong><br />
Johannesburg (9 novembre 2007), au <strong>Collège</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Francs-Bourgeois, Paris 4 e (6 e , 28 novembre<br />
2007), à l’Ecole Yves Coppens <strong>de</strong> Grand-Champ (Morbihan) (2 janvier 2008), aux élèves <strong>de</strong><br />
plusieurs établissements (1 res <strong>et</strong> Terminales) réunis au Casino <strong>de</strong> Trouville (8 février 2008),
862 PROFESSEURS HONORAIRES<br />
aux élèves <strong>de</strong> l’Ecole élémentaire <strong><strong>de</strong>s</strong> Angles (Pyrénées-Orientales) (6 mars 2008) ; aux élèves<br />
<strong>de</strong> secon<strong><strong>de</strong>s</strong>, premières <strong>et</strong> terminales <strong>de</strong> Saint-Sigisbert <strong>de</strong> Nancy (22 septembre 2007), aux<br />
étudiants étrangers <strong>de</strong> l’IUEFM à l’Hôtel <strong>de</strong> Ville <strong>de</strong> Nancy (22 septembre 2007), aux élèves<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Prépas du lycée Poincaré <strong>de</strong> Nancy (21 septembre 2007).<br />
Allocutions à la remise <strong><strong>de</strong>s</strong> insignes <strong>de</strong> Chevalier dans l’ordre <strong>de</strong> la Légion d’Honneur à<br />
Monsieur François Raulin, Professeur <strong><strong>de</strong>s</strong> Universités (Observatoire <strong>de</strong> Paris, 20 février 2008),<br />
à la remise <strong><strong>de</strong>s</strong> insignes <strong>de</strong> Comman<strong>de</strong>ur dans l’ordre <strong>de</strong> la Légion d’Honneur à Madame<br />
Coquery-Vidrovitch, Professeur <strong><strong>de</strong>s</strong> Universités (Université <strong>de</strong> Paris VII, 14 avril 2008).<br />
Allocutions à la mairie d’Ajaccio (27 septembre 2007), au Palais <strong><strong>de</strong>s</strong> Arts <strong>de</strong> Dinard, pour<br />
l’ouverture <strong>de</strong> l’exposition Quel avenir pour les Grands Singes ? (19 janvier 2008), au Musée<br />
du Quai Branly, pour le 60 e anniversaire <strong>de</strong> Sciences <strong>et</strong> Avenir, Quel avenir pour l’Homme ?,<br />
Quel avenir pour la planète ? (12 novembre 2007), au Club <strong>de</strong> la Chasse <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Nature,<br />
Paris 3 e , pour la délégation <strong>de</strong> scientifiques chinois en voyage d’étu<strong>de</strong>, Pékin-Lascaux,<br />
23 mai 2008. Allocution pour l’ouverture <strong>de</strong> l’exposition Mother Africa and Mrs Ples, en<br />
qualité d’Honorary Patron, 8 novembre 2007 ; allocution au Salon du Livre <strong>de</strong> Nancy (sous<br />
le chapiteau), pour l’ouverture du Livre sur la Place, en qualité <strong>de</strong> Prési<strong>de</strong>nt 2007 ; allocution<br />
à l’Ecole Yves Coppens <strong>de</strong> Grand-Champ (Morbihan) à l’occasion <strong>de</strong> la cérémonie <strong>de</strong><br />
dénomination <strong>de</strong> l’Ecole, 26 janvier 2008.<br />
Présentation du livre L’Histoire <strong>de</strong> l’Homme aux représentants <strong><strong>de</strong>s</strong> éditions Odile Jacob,<br />
septembre 2007 ; présentation du même livre à la presse, 17 avril 2008 ; présentation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
films Stantari au Palais <strong><strong>de</strong>s</strong> Congrès d’Ajaccio, 27 septembre 2007 ; présentation du livre<br />
d’Emmanuel Anati, L’Odysée <strong><strong>de</strong>s</strong> Premiers Hommes en Europe, Musée <strong>de</strong> l’Homme,<br />
22 octobre 2007.<br />
Rencontre <strong>et</strong> dédicace <strong>de</strong> l’album Lucy, l’espoir avec Tanino Liberatore, Fnac Saint-Lazare,<br />
31 janvier 2008 ; dédicace <strong>de</strong> mes livres les plus récents, Musée <strong>de</strong> Tautavel, 30 octobre 2007 ;<br />
dédicace <strong>de</strong> mes livres disponibles, Le livre sur la place, Nancy, 20, 21, 22, 23 septembre 2007<br />
dédicace <strong>de</strong> L’Histoire <strong>de</strong> l’Homme, librairie Nicole Maruani, Paris 13 e , 26 juin 2008.<br />
Participation à un débat avec Henry <strong>de</strong> Lumley, Palais <strong><strong>de</strong>s</strong> Congrès, Tautavel, sur les<br />
Premiers Hommes <strong>de</strong> l’Europe, 31 octobre 2007, à un débat avec quelques collègues sur<br />
les changements climatiques, Opéra <strong>de</strong> Nancy, 22 septembre 2007 ; participation au<br />
séminaire docu-fiction <strong>de</strong> <strong>France</strong> 2, 16 avril 2008.<br />
Enseignement extérieur<br />
Master « Evolution, Patrimoine naturel <strong>et</strong> sociétés », Museum national d’Histoire<br />
naturelle, 17 septembre 2007.<br />
Participation à 5 jurys :<br />
Diplôme <strong>de</strong> fin d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> d’architecture<br />
Magalie Rayebois : Un musée <strong>de</strong> paysage à Jeongok (Corée du Sud), Ecole d’architecture <strong>de</strong><br />
Paris La Vill<strong>et</strong>te, septembre 2007, Yves Coppens, membre du jury.<br />
Doctorat d’Université<br />
Anne-Elisab<strong>et</strong>h Lebatard, « Datations radiochronologiques <strong><strong>de</strong>s</strong> séries sédimentaires à<br />
Hominidés du Paléolac Tchad, <strong>de</strong>puis le Miocène supérieur », Université <strong>de</strong> Poitiers, novembre<br />
2007, Yves Coppens rapporteur <strong>et</strong> prési<strong>de</strong>nt.<br />
Noëlle Perez Christiaens, « Porter sur soi, se porter, porter, se comporter, transporter, se<br />
charger <strong>et</strong> se décharger sans dommage. Contribution à l’étu<strong>de</strong> d’une catégorie universelle <strong>de</strong>
PROFESSEURS HONORAIRES 863<br />
techniques : le transport <strong><strong>de</strong>s</strong> charges sur soi », Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> en Sciences sociales,<br />
mai 2008, Yves Coppens, rapporteur.<br />
Guillaume Nicolas, « Des données anatomiques à la simulation <strong>de</strong> la locomotion bipè<strong>de</strong>.<br />
Application à l’homme, au Chimpanzé <strong>et</strong> à Lucy (Al 288.1) », Université <strong>de</strong> Rennes 2,<br />
octobre 2007, Yves Coppens, prési<strong>de</strong>nt.<br />
Bekele M<strong>et</strong>asebia, « Pierres dressées <strong>et</strong> coutumes funéraires dans les sociétés Konso <strong>et</strong> Gewada<br />
du Sud <strong>de</strong> l’Ethiopie », Université <strong>de</strong> Paris 1, Panthéon-Sorbonne, décembre 2007, Yves<br />
Coppens, prési<strong>de</strong>nt.<br />
Responsabilités diverses <strong>et</strong> fonctions nouvelles<br />
Membre du Haut Conseil <strong>de</strong> la Science <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Technologie (Prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la République),<br />
membre du Conseil d’Analyse <strong>de</strong> la Société (Premier Ministre) ; membre du Conseil<br />
scientifique <strong>de</strong> l’Office parlementaire d’évaluation <strong><strong>de</strong>s</strong> choix scientifiques <strong>et</strong> technologiques<br />
(Assemblée nationale <strong>et</strong> Sénat). Membre du Conseil scientifique du Muséum national<br />
d’Histoire naturelle ; membre <strong>de</strong> la Commission d’avancement <strong><strong>de</strong>s</strong> personnels scientifiques<br />
du Museum ; membre <strong>de</strong> la commission du patrimoine historique <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> sites archéologiques<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Terres australes <strong>et</strong> antarctiques françaises (TAAF).<br />
Prési<strong>de</strong>nt du Comité scientifique pour l’étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> la valorisation du site <strong>de</strong> Carnac<br />
(Ministère <strong>de</strong> la Culture <strong>de</strong> la Communication) ; prési<strong>de</strong>nt du Comité scientifique<br />
international du Musée d’Anthropologie préhistorique <strong>de</strong> la Principauté <strong>de</strong> Monaco ;<br />
prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> Vocations patrimoine, l’héritage du futur (en collaboration avec l’Unesco).<br />
Honorary Research Associate of the Human Origins and past environments programme<br />
(HOPE) Transvaal Museum, 2007 ; membre d’Honneur <strong>de</strong> l’Association Rayonnement du<br />
CNRS, Associations <strong><strong>de</strong>s</strong> anciens <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> amis du CNRS, 2008 ; membre du Comité scientifique<br />
d’honneur du Festival <strong><strong>de</strong>s</strong> Primates <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Liège, 2007 ; membre du Comité<br />
d’honneur <strong>de</strong> la Fondation Nationale <strong>de</strong> Gérontologie <strong>et</strong> membre du Comité d’Honneur<br />
<strong>de</strong> son Prix Chronos <strong>de</strong> littérature, 2007.<br />
Membre <strong>de</strong> Comité d’orientation <strong>de</strong> la revue, Clartés, Gran<strong><strong>de</strong>s</strong> Signatures, 2008 ; membre<br />
du Comité <strong>de</strong> parrainage international <strong>de</strong> la Cité du livre <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’écriture, La Colle-sur-<br />
Loup, Alpes-Maritines, 2008.<br />
Membre <strong>de</strong> la Fondation pour l’Institut européen d’histoire <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures <strong>de</strong> l’alimentation<br />
(IEHCA) (renouvellement) ; membre du comité <strong>de</strong> parrainage du Réseau Mémoire <strong>de</strong><br />
l’Environnement (renouvellement) ; parrain du proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> Chaîne <strong>de</strong> télévision publique<br />
scientifique en TNT, la chaîne comprendre (LCC), 2007 ; membre du Comité <strong>de</strong> soutien<br />
pour la création d’une chaîne généraliste <strong>de</strong> Télévision nationale TNT consacrée à tous les<br />
patrimoines, 2007.<br />
Membre d’honneur <strong>de</strong> la Fondation Teilhard <strong>de</strong> Chardin, 2007 ; membre d’honneur <strong>de</strong><br />
l’UPR 2147 du CNRS, Dynamique <strong>de</strong> l’Evolution humaine, 2007 ; membre d’honneur <strong>de</strong><br />
la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Amis du Palais <strong>de</strong> la Découverte (SAPADE), 2008.<br />
Co-vice-prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la Fondation Geneviève Laporte à Pierrebourg pour la protection<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> grands singes, 2007.<br />
Membre du Comité d’honneur du Comité scientifique pour l’étu<strong>de</strong> du bébé Mammouth<br />
Lyuba, découvert en Sibérie occi<strong>de</strong>ntale, Institut <strong>de</strong> Zoologie <strong>de</strong> Saint P<strong>et</strong>ersbourg, 2007 ;<br />
prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la 5 e Conférence internationale sur les Mammouths <strong>et</strong> leur famille, Musée<br />
Crozatier, Le Puy-en-Velay (Haute-Loire), 30 août-4 septembre 2010 (première réunion <strong>de</strong><br />
travail, Weimar, février 2008).<br />
Conseiller scientifique <strong>de</strong> l’expo-dossier Quoi <strong>de</strong> neuf en paléoanthropologie ?, Cité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Sciences <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Industrie, 2008, février 2009 ; parrain du mois <strong>de</strong> la Préhistoire 2007 du<br />
Musée d’Archéologie nationale, Saint-Germain-en-Laye ; parrain <strong><strong>de</strong>s</strong> films Stantari, Ajaccio,
864 PROFESSEURS HONORAIRES<br />
Porto-Vecchio, 2007-2008 ; parrain <strong>de</strong> la Fondation pour la Recherche en Santé respiratoire,<br />
2008.<br />
Prési<strong>de</strong>nt d’honneur du XIV e colloque international <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong> Biométrie humaine<br />
I<strong>de</strong>ntification <strong>et</strong> authentification <strong><strong>de</strong>s</strong> personnes, Museum national d’Histoire naturelle,<br />
novembre 2007 ; prési<strong>de</strong>nt d’honneur du XV e Colloque Avancées en Biométrie humaine,<br />
Museum national d’Histoire naturelle, novembre 2008 ; prési<strong>de</strong>nt d’honneur <strong>de</strong> l’Institut<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Déserts, 2007. Prési<strong>de</strong>nt du salon du livre <strong>de</strong> Nancy, Le livre sur la place, 20-23 septembre<br />
2007 ; prési<strong>de</strong>nt d’honneur <strong><strong>de</strong>s</strong> célébrations du centenaire <strong>de</strong> la découverte <strong>de</strong> l’Homme <strong>de</strong><br />
la Chapelle-aux-Saints, 3 août 2008.<br />
Création <strong><strong>de</strong>s</strong> entr<strong>et</strong>iens Yves Coppens-Michel Serres, 2008 (suite aux Rencontres Sciences<br />
<strong>et</strong> Sociétés d’Evian), Paris, 2007, prochains entr<strong>et</strong>iens à Lyon en octobre 2008.<br />
Parrain <strong><strong>de</strong>s</strong> célébrations à Bor<strong>de</strong>aux du tricentenaire <strong>de</strong> la naissance <strong>de</strong> Linné, Museum<br />
d’Histoire naturelle <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux, exposition Le voyage en Laponie <strong>de</strong> Carl von Linné,<br />
26 janvier-30 septembre 2007, Bibliothèque municipale <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux-Méria<strong>de</strong>ck, exposition<br />
Voici <strong><strong>de</strong>s</strong> fruits, <strong><strong>de</strong>s</strong> fleurs, <strong><strong>de</strong>s</strong> feuilles <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> branches, 28 septembre-22 décembre 2007, Société<br />
Linéenne <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux, exposition Linné-trois siècles <strong>de</strong> Sciences naturelles, salle capitulaire <strong>de</strong><br />
la Cour Mably, 13 octobre-27 octobre 2007, Jardin Botanique <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux-Basti<strong>de</strong>,<br />
exposition Salon du Champignon, 27 octobre-29 octobre 2007, <strong>et</strong> baptême <strong>de</strong> l’Esplana<strong>de</strong><br />
Linné, inauguration 25 octobre 2007. Parrain du proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> traversée Ouest-Est du Sahara<br />
<strong>de</strong> Régis Belleville, 2007.<br />
Membre du Comité scientifique internatinal du Colloque Global change Social Sciences<br />
and humanities facing the Climate change challenges <strong>et</strong> keynote speaker, Paris 22-23 septembre<br />
2008 ; membre du comité scientifique <strong>de</strong> l’exposition universelle <strong>de</strong> Milan, 2015, Feeding<br />
the Plan<strong>et</strong>, Energy for Life, forum Working tog<strong>et</strong>her for Food saf<strong>et</strong>y, Food security and Health<br />
Lifestyles, 4 <strong>et</strong> 5 février 2015 ; membre du Comité scientifique du Colloque, Déserts d’Afrique<br />
<strong>et</strong> d’Arabie, environnement, climat <strong>et</strong> impact sur les populations <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong><br />
l’Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 8-9 septembre 2008 ; membre du Comité scientifique du Colloque<br />
vieillissement <strong><strong>de</strong>s</strong> Mystères du XXI e siècle, Saint-Tropez, décembre 2008. Invité par la<br />
Pontifical Aca<strong>de</strong>my of Sciences pour participer au colloque Scientific Insights into the<br />
evolution of the Universe and of Life, Rome, 31 octobre-4 novembre 2008 ; invité par la<br />
Pontificia Università Gregoriana pour participer à la conférence internationale Evolution<br />
and Evolution Theories, Rome, 3-7 mars 2009.<br />
Distinctions<br />
Comman<strong>de</strong>ur du Mérite culturel <strong>de</strong> la Principauté <strong>de</strong> Monaco, 2007, médailles <strong><strong>de</strong>s</strong> villes<br />
d’Ajaccio, 2007 <strong>et</strong> <strong>de</strong> Grand-Champ (Morbihan), 2008.<br />
Ecole élémentaire « Yves Coppens » <strong>de</strong> Grand-Champ (Morbihan), 2008 ; rue Yves<br />
Coppens, Franqueville-Saint-Pierre (agglomération rouennaise) (Seine maritime), 2008.<br />
Honorary patron <strong>de</strong> l’exposition du Transvaal Museum « Mother Africa and Mrs Ples »,<br />
novembre 2007 ; Patrón <strong>de</strong> Honor <strong>de</strong> la Fundación Josep Gibert, Espagne, février 2008.<br />
Astéroï<strong>de</strong> Coppens 172850 (Union astronomique internationale, 2008).<br />
Prix An<strong>de</strong>rsen, il mondo <strong>de</strong>ll’infanzia, « miglior libro di divulgazione » pour Yves Coppens<br />
(avec la collaboration <strong>de</strong> Soizik Moreau <strong>et</strong> Sacha Gepner), Yves Coppens racconta le origini<br />
<strong>de</strong>ll’Uomo, editoriale Jaca Book, Milan, 2008.<br />
« Yves Coppens », une <strong><strong>de</strong>s</strong> 7 personnalités r<strong>et</strong>enues pour l’exposition Des Collections <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Hommes, voyageurs, savants, artistes, Musée <strong>de</strong> Vannes, juin-décembre 2008.
PROFESSEURS HONORAIRES 865<br />
M. Gilbert Dagron, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres)<br />
Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong> byzantin, 1975-2001<br />
Publications<br />
— « Vérité du miracle », Rivista di Storia e L<strong>et</strong>teratura Religiosa, 42/3, 2006 (Atti <strong>de</strong>l<br />
Convegno Internazionale : Pellegrinaggi santuari miracoli nel mondo cristiano tra storia e<br />
l<strong>et</strong>teratura), p. 475-493.<br />
— « Une rhétorique <strong>de</strong> l’événement : l’astrologie », dans Faire l’événement au Moyen Âge,<br />
sous la direction <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Carozzi <strong>et</strong> Hugu<strong>et</strong>te Taviani-Carozzi, Le temps <strong>de</strong> l’histoire,<br />
Publications <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Provence, 2007, p. 193-200.<br />
— « From the mappa to the akakia : Symbolic drift », dans From Rome to Constantinople.<br />
Studies in Honour of Averil Cameron, éd. Hagit Amirav <strong>et</strong> Bas Ter Haar Romeny, Louvain,<br />
2007, p. 203-219.<br />
— « Couronnes impériales. Forme, usage, couleur <strong><strong>de</strong>s</strong> stemmata dans le cérémonial<br />
impérial du X e siècle », dans Byzantina Mediterranea. Festschrift für Johannes Ko<strong>de</strong>r zum 65.<br />
Geburtstag, éd. Klaus Belke, Ewald Kislinger, Andreas Külzer, Maria A. Stassinopoulou,<br />
Vienne, Cologne, Weimar, 2007, p. 157-174.<br />
— « La <strong>France</strong> au miroir <strong>de</strong> Byzance. Quelques remarques sur l’historiographie française<br />
du Moyen Âge au XVIII e siècle », dans Rossijskaja Aka<strong>de</strong>mia Nauk, Sankt-P<strong>et</strong>erburgskoe<br />
Ot<strong>de</strong>lenie, Vspomogatel’nye istoričeskie discipliny XXX (Mélanges Igor Medve<strong>de</strong>v), Saint-<br />
Pétersbourg, 2007, p. 264-272.<br />
— « L’icône, un portrait parlé », dans Sciences humaines. Les grands dossiers : Entre image<br />
<strong>et</strong> écriture, 11 (juin-août 2008), p. 50-55.<br />
Activités<br />
— 14 mai 2008, remise du prix <strong>de</strong> l’essai attribué par la Revue <strong><strong>de</strong>s</strong> Deux Mon<strong><strong>de</strong>s</strong> pour<br />
Décrire <strong>et</strong> peindre. Essai sur le portrait iconique (Gallimard, Bibliothèque <strong><strong>de</strong>s</strong> Histoires,<br />
2007).<br />
— 21 mai 2008, séminaire à l’Université d’Oxford, « À propos du Livre <strong><strong>de</strong>s</strong> cérémonies<br />
<strong>de</strong> Constantin Porphyrogénète ».<br />
M. Jean Delumeau, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres)<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> mentalités religieuses dans l’Occi<strong>de</strong>nt mo<strong>de</strong>rne, 1975-1994<br />
Conférences <strong>et</strong> publications<br />
Jean Delumeau a donné en 2007-2008 <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences à Paris <strong>et</strong>, en outre, à<br />
Aubervilliers, Caen, Châteaulin, Nice, Rennes, Saint-Brieuc <strong>et</strong> Tunis.
866 PROFESSEURS HONORAIRES<br />
Il a publié Le Mystère Campanella (Paris, Fayard, 2008, 592 p.). Sont sorties les<br />
traductions suivantes <strong>de</strong> ses livres : en portugais (Brésil) <strong>de</strong> Gu<strong>et</strong>ter l’aurore ; en<br />
russe <strong>de</strong> La Civilisation <strong>de</strong> la Renaissance ; en polonais <strong>de</strong> La plus belle histoire du<br />
bonheur.<br />
M. Marc Fumaroli, membre <strong>de</strong> l’Académie française<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions <strong>et</strong> belles-l<strong>et</strong>tres<br />
Rhétorique <strong>et</strong> société en Europe (XVI e -XVII e siècles), 1987-2002<br />
Conférences <strong>et</strong> séminaires<br />
25-27 février 2008 : Rome, Acca<strong>de</strong>mia <strong>de</strong>i Lincei, présentation <strong>de</strong> la Revue République<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> L<strong>et</strong>tres, dirigée par Mina Fattori, directrice <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> philosophie <strong>de</strong> La<br />
Sapienza.<br />
5 avril : Chantilly avec Mireille Huchon : Louise Labbé est-elle le prête-nom <strong>de</strong> Maurice<br />
Scève ?<br />
7 avril : Mairie <strong>de</strong> Nancy, Pour une antenne <strong>de</strong> l’Institut d’Histoire <strong>de</strong> la République <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
L<strong>et</strong>tres.<br />
26 avril : Académie d’Aix en Provence, Peiresc à Aix.<br />
28-29 avril : Fondation Gulbenkian à Lisbonne, Le comte <strong>de</strong> Caylus <strong>et</strong> le style « à la<br />
grecque ».<br />
3 mai : Conseil scientifique <strong>de</strong> l’ISU à Florence.<br />
Livres<br />
Publications<br />
El Estado cultural, ensayo sobre una religión mo<strong>de</strong>rna, traducción <strong>de</strong> Eduardo Gil Berra,<br />
Barcelona, Acantilado, 2007, 461 pages. Traduit en espagnol : La educación <strong>de</strong> la libertad,<br />
Epílogo <strong>de</strong> Carlos García Gual, Arcadia, 2007, 54 pages.<br />
Préfaces<br />
<strong>de</strong> Jean-Baptiste Alexandre Le Blond, Architecte 1679-1719. De Paris à Saint-Pétersbourg,<br />
Alain Baudry <strong>et</strong> C ie éditeur, 2007.<br />
<strong>de</strong> Michel David-Weill, L’esprit en fête, Paris, Robert Laffont, 2007, 266 pages.<br />
<strong>de</strong> Estienne Perr<strong>et</strong>, XXV fables <strong><strong>de</strong>s</strong> animaux, PUF, Fondation Martin Bodmer, collection<br />
Sources, 2007, p. 9-23.<br />
De Négociations européennes d’Henri IV à l’Europe <strong><strong>de</strong>s</strong> 27, « L’esprit <strong>de</strong> la diplomatie<br />
européenne », sous la direction A. Pekar Lempereur <strong>et</strong> A. Colson, Le Cercle <strong><strong>de</strong>s</strong> Négociateurs,<br />
Perspectives, Paris, A2C Medias éditeur, 2008, p. 15-21.
Postfaces<br />
PROFESSEURS HONORAIRES 867<br />
<strong>de</strong> Chateaubriand, Amour <strong>et</strong> Vieillesse, Paris, Rivages Poche/p<strong>et</strong>ite Bibliothèque, 2007,<br />
p. 23-61.<br />
<strong>de</strong> Chateaubriand, Amor y vejez, traducción <strong>de</strong> José Ramon Monreal, Acantilado, 2008,<br />
p. 21-52.<br />
Compte rendu<br />
<strong>de</strong> Les Disparus <strong>de</strong> Daniel Men<strong>de</strong>lsohn, Paris, Flammarion, 642 pages, Le Point 1825,<br />
6 septembre 2007, p. 94 : « Le Temps r<strong>et</strong>rouvé <strong>de</strong> Men<strong>de</strong>lsohn ».<br />
Articles scientifiques<br />
« Chateaubriand <strong>et</strong> Go<strong>et</strong>he », Die europäische République <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres in <strong>de</strong>r Zeit <strong>de</strong>r Weimarer<br />
Klassik, Wallstein Verlag, 2007, p. 151-173.<br />
« La Republica <strong>de</strong>llel<strong>et</strong>tere e l’i<strong>de</strong>ntità europea », Intersezioni, Rivista di storia <strong>de</strong>lle i<strong>de</strong>e, Il<br />
Mulino, Anno XXVII, Agosto 2007, p. 157-168.<br />
« Le comte <strong>de</strong> Caylus <strong>et</strong> les origines françaises du ‘r<strong>et</strong>our à l’Antique’ européen », Roma<br />
triumphans ? L’attualità dnell Francia <strong>de</strong>l S<strong>et</strong>tec<strong>et</strong>o, Roma, Edizioni di Storia e L<strong>et</strong>teratura,<br />
2007.<br />
« Das Vermächtnis <strong>de</strong>r europäischen république <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres », Die europäische République<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres in <strong>de</strong>r Zeit <strong>de</strong>r Weimarer Klassik, Wallstein Verlag, 2007, p. 11-30.<br />
« L’invention <strong>de</strong> l’enfance chez Rousseau <strong>et</strong> Chateaubriand », Studi Veneziani, N.S. LI<br />
(2006), Fabrizio Serrra editore, 2007, p. 17-30.<br />
« L’esprit <strong>de</strong> la diplomatie européenne », Préface <strong>de</strong> Négociations européennes d’Henri IV à<br />
l’Europe <strong><strong>de</strong>s</strong> 27, sous la direction A. Pekar Lempereur <strong>et</strong> A. Colson, Le Cercle <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Négociateurs, Perspectives, Paris, A2C Medias éditeur, 2008, p. 15-21.<br />
« La ‘herencia <strong>de</strong> Amyot’ : La crítica <strong>de</strong> la novela <strong>de</strong> caballería y los orígenes <strong>de</strong> la novela<br />
mo<strong>de</strong>rna », Anales Cervantinos, vol. XXXIX, Enero - Diciembre 2007, p. 235-262.<br />
Introduction journée Paul-Louis Courier, Cahiers <strong>de</strong> l’Association internationale <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
françaises, Mai 2008, n° 60, p. 73-77.<br />
« Cézanne tel que je le vois, à rebours <strong>de</strong> sa légen<strong>de</strong> », Ce que Cézanne donne à penser,<br />
Actes du colloque d’Aix-en-Provence, Juill<strong>et</strong> 2006, Paris, Gallimard, 2008, p. 11-19.<br />
Articles <strong>de</strong> presse<br />
« Montaigne, r<strong>et</strong>our aux sources », Le Mon<strong>de</strong>, Vendredi 15 juin 2007, p. 3.<br />
« Pèlerinage à Ise », Revue <strong><strong>de</strong>s</strong> Deux Mon<strong><strong>de</strong>s</strong>, Juill<strong>et</strong>-août 2007, p. 97-119.<br />
« Pour une relecture critique <strong>de</strong> « Tartuffe » », Le Mon<strong>de</strong>, Vendredi 6 juill<strong>et</strong> 2007, p. 7.<br />
« Pour une Europe unie <strong>de</strong> l’esprit », Valeurs actuelles, 2 novembre 2007, p. 60-61.<br />
« Oublier Saint-Simon », Le Point, n° 1844, 17 janvier 2008, p. 42.<br />
« Une civilisation mondiale est une contradiction… », Le spectacle du mon<strong>de</strong>, n° 541,<br />
Janvier 2008, p. 47-49.<br />
« Tocqueville. Perchè amò l’America », La Repubblica, mercoledì 26 marzo 2008,<br />
p. 46-47.<br />
« Le misanthrope humaniste », L’Express, n° 2964, 24/4/2008, p. 110-112.<br />
« Tocqueville <strong>et</strong> ses arrières-pensées », Le Point, n° 1854, 27 mars 2008, p. 108-109.
868 PROFESSEURS HONORAIRES<br />
« L’invention <strong>de</strong> l’enfance chez Rousseau <strong>et</strong> Chateaubriand », Gran<strong><strong>de</strong>s</strong> signatures, n° 1,<br />
Avril 2008, p. 14-27.<br />
« Stendhal, ou le ‘Rêve américain’ », Le Point, 22 mai 2008, p. 122-123.<br />
Entr<strong>et</strong>iens – interview<br />
<strong>de</strong> Bened<strong>et</strong>ta Craveri, « Il vecchio e la sirena », La Repubblica, Sabato 11 agosto 1007,<br />
p. 51.<br />
avec Sophie Lannes, « L’Italie <strong>et</strong> le don <strong>de</strong> la beauté », Géopolitique n° 97, Janvier 2007,<br />
p. 121-127.<br />
avec Juan Pedro Quironero « Voe dificil que Sarkozy se atreava a romper con la vaca<br />
sagrada <strong>de</strong>l Ministerio <strong>de</strong> Cultura », ABC International, Sabado 1 IX 2007.<br />
M. Jacques Gern<strong>et</strong>, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres)<br />
Histoire sociale <strong>et</strong> intellectuelle <strong>de</strong> la Chine, 1975-1992<br />
Publications<br />
— Société <strong>et</strong> pensée chinoises aux XVI e <strong>et</strong> XVII e siècles, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>/Fayard, 2007,<br />
202 p.<br />
— La Vie quotidienne en Chine à la veille <strong>de</strong> l’invasion mongole (1250-1276), rééd. Éd.<br />
Philippe Picquier, 2007, 420 p.<br />
— Kniecki sv<strong>et</strong>, trad. serbe corrigée du Mon<strong>de</strong> chinois, Armand Colin, 2003, Clio,<br />
Belgra<strong>de</strong>, 2007, 844 p.<br />
— Zhongguo shehui shi, rééd. <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière trad. chinoise du Mon<strong>de</strong> chinois, Armand<br />
Colin, 2003, Nankin, 2008, 644 p.<br />
— « Remarques sur le contexte chinois <strong>de</strong> l’inscription <strong>de</strong> la stèle nestorienne <strong>de</strong> Xi’an »,<br />
in Jullien, C. (éd.), Controverses <strong><strong>de</strong>s</strong> chrétiens dans l’Iran sassani<strong>de</strong>, coll. Studia Iranica.<br />
Cahier 36, Paris, 2008, 227-243.<br />
— Présentation <strong>de</strong> livre, CR <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres, avril-juin 2006,<br />
766-70.<br />
Divers<br />
— Allocution pour la remise d’épée à M. Jean-Noël Robert, Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions<br />
<strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres, 30 janv. 2008.<br />
— Communication au Colloque Les Signes, instruments <strong>de</strong> la pensée, 14-18 juill<strong>et</strong> 2008,<br />
Château Mercier, Sierre, Suisse. J. Gern<strong>et</strong> : « Langage, mathématiques, rationalité. Catégorie<br />
ou fonction ».
PROFESSEURS HONORAIRES 869<br />
M. Jean Guilaine<br />
Civilisations <strong>de</strong> l’Europe au Néolithique <strong>et</strong> à l’Âge du bronze, 1994-2007<br />
a. Ouvrages<br />
Publications<br />
J. Guilaine : Les racines <strong>de</strong> la Méditerranée <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Europe, Fayard, 2008, 95 p., 14 fig.<br />
J. Guilaine, M. Barbaza, M. Martzluff (dirs.) : Prehistória d’Andorra. Les excavacions a la<br />
Balma <strong>de</strong> la Margineda (1979-1991). Les fouilles à l’abri <strong>de</strong> la Margineda, Tome IV, Govern<br />
d’Andorra, 2007, 600 p., 226 fig., 67 tableaux, 9 plans.<br />
J. Guilaine, C. Manen, J.-D. Vigne (dirs.) : Pont <strong>de</strong> Roque Haute. Nouveaux regards sur<br />
la néolithisation <strong>de</strong> la <strong>France</strong> méditerranéenne, Centre <strong>de</strong> Recherche sur la Préhistoire <strong>et</strong> la<br />
Protohistoire <strong>de</strong> la Méditerranée/Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> en Sciences Sociales, Toulouse,<br />
2007, 332 p., 134 fig.<br />
A. Langaney, J. Clottes, J. Guilaine, D. Simonn<strong>et</strong> : La plus belle histoire <strong>de</strong> l’homme,<br />
Editions du Seuil, Points 779, 2007, 202 p.<br />
b. Articles<br />
J. Guilaine : Jalons historiographiques : le Néolithique, entre matériel <strong>et</strong> idéel,<br />
XXVI e Congrès Préhistorique <strong>de</strong> <strong>France</strong> (Avignon, 21-25 septembre 2004), Société Préhistorique<br />
Française, 2007, pp. 441-448.<br />
J. Guilaine : Les enjeux <strong>de</strong> Sidari, in G. Arvanitou-M<strong>et</strong>allinou (dir.) : Prehistoric Corfù<br />
and its adjacent areas. Problems-Perspectives, Proceedings of the Conference Dedicated to<br />
Augustus Sordinas, (Corfu, 17 décembre 2004), Kepkypa, 2007, pp. 91-96, 1 fig.<br />
J. Guilaine : Ô Bonne Mère…, Archéopages, Constructions <strong>de</strong> l’archéologie, INRAP, Paris,<br />
février 2008, pp. 22-27, 3 fig.<br />
J. Guilaine : Des pèlerinages dès la Préhistoire ? in J. Chélini (dir.) : Les pèlerinages dans<br />
le mon<strong>de</strong> à travers le temps <strong>et</strong> l’espace, Fondation Singer-Polignac, Picard, Paris, 2008,<br />
pp. 13-20.<br />
J. Guilaine : Le Néolithique <strong>et</strong> la naissance <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés complexes (Annales, 60 e année,<br />
septembre-octobre 2005), Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres, Comptes rendus, 2006,<br />
juill<strong>et</strong>-octobre 2008, pp. 1651-1652.<br />
J. Guilaine : Préface in J. Vaquer, M. Gan<strong>de</strong>lin, M. Remicourt, Y. Tchérémissinoff : Défunts<br />
néolithiques en Toulousain, Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> en Sciences Sociales/Centre <strong>de</strong> Recherche<br />
sur la Préhistoire <strong>et</strong> la Protohistoire <strong>de</strong> la Méditerranée, Toulouse, 2008, pp. 9-10.<br />
J. Guilaine <strong>et</strong> C.-A. <strong>de</strong> Chazelles : Les premières architectures <strong>de</strong> Chypre in A. Bou<strong>et</strong><br />
(dir.) : D’Orient <strong>et</strong> d’Occi<strong>de</strong>nt. Mélanges offerts à Pierre Aupert, Ausonius Editions, Bor<strong>de</strong>aux,<br />
2008, pp. 79-86, 4 fig.<br />
J. Guilaine <strong>et</strong> J. Malaterre : Le Néolithique. Naissance <strong><strong>de</strong>s</strong> Civilisations in M. Vidard (dir.) :<br />
Abécédaire scientifique pour les curieux. Les têtes au carré, Sciences Humaines Editions, 2008,<br />
pp. 127-132.<br />
J. Guilaine <strong>et</strong> C. Manen : From Mesolithic to Early Neolithic in the Western<br />
Mediterranean in A. Whittle <strong>et</strong> V. Cummings : Going Over. The Mesolithic-Neolithic<br />
Transition in North-West Europe, The British Aca<strong>de</strong>my, Oxford University Press, 2007,<br />
pp. 21-51, 10 fig.<br />
J. Martinez Moreno, M. Martzluff, R. Mora, J. Guilaine : D’une pierre <strong>de</strong>ux coups :<br />
entre percussion posée <strong>et</strong> plurifonctionnalité, le poids <strong><strong>de</strong>s</strong> comportements “opportunistes”<br />
dans l’Epipaléolithique-Mésolithique pyrénéen in L. Astruc, F. Bon, V. Léa, P.-Y. Milcent
870 PROFESSEURS HONORAIRES<br />
<strong>et</strong> S. Philibert (dirs.) : Normes techniques <strong>et</strong> pratiques sociales. De la simplicité <strong><strong>de</strong>s</strong> outillages<br />
pré <strong>et</strong> protohistoriques, XXVI e Rencontres internationales d’archéologie <strong>et</strong> d’histoire d’Antibes,<br />
Editions APDCA, Antibes, 2006, pp. 147-160, 6 fig.<br />
Audio-visuel<br />
Films commentaires autour du « Sacre <strong>de</strong> l’Homme », Pixcom/Boréales/<strong>France</strong> 2/<strong>France</strong> 5,<br />
3 films <strong>de</strong> 52’ (co-direction scientifique avec Yves Coppens) (Diffusion <strong>France</strong> 5, 3, 10 <strong>et</strong><br />
17 décembre 2007)<br />
La Prehistoria à Moia (Barcelona), film <strong>de</strong> X. Juncosa, 2007 (interview)<br />
La Cité <strong>de</strong> Carcassonne, au cœur <strong>de</strong> l’histoire, film <strong>de</strong> Ph. Satgé <strong>et</strong> F. Soul<strong>et</strong>, CRDP,<br />
Montpellier, 2007 (séquence sur le site <strong>de</strong> Carsac)<br />
Otzi, l’homme <strong><strong>de</strong>s</strong> glaces, <strong>et</strong> son temps, Editions Gallimard, Col. « A voix haute »<br />
(enregistrement 28 mars 2008)<br />
Colloques/Réunions scientifiques<br />
EHESS/Université d’été, Carcassonne, 14-15 septembre 2007 : « L’archéologie comme<br />
discipline » (Ph. Boissinot dir.), communication : « L’archéologie, une discipline ? ».<br />
Colloque <strong><strong>de</strong>s</strong> Palynologues <strong>de</strong> langue française, Toulouse, 2-4 octobre 2007 : « Les<br />
réchauffements climatiques. Réponses <strong><strong>de</strong>s</strong> Ecosystèmes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Sociétés », communication : « Sociétés<br />
néolithiques <strong>et</strong> environnements ».<br />
Colloque international <strong>de</strong> Préhistoire maghrebine, Tamanrass<strong>et</strong> (Algérie), 5-7 novembre<br />
2007, communication : « Entre Europe, Asie <strong>et</strong> Afrique au Néolithique : la Méditerranée, lien<br />
ou frontière culturelle ? » <strong>et</strong> prési<strong>de</strong>nce d’une session.<br />
Colloque « Archéologies frontalières : Alpes du sud, Côte d’Azur, Piémont, Ligurie », Nice,<br />
13-15 décembre 2007, prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> séance <strong>et</strong> synthèse finale (Néolithique, Âge du<br />
bronze).<br />
Colloque <strong>de</strong> la Société d’Anthropologie <strong>de</strong> Paris « Autour <strong>de</strong> la Méditerranée <strong>de</strong> la<br />
Préhistoire à nos jours », Marseille, 23-25 janvier 2008, conférence inaugurale : « Du<br />
Néolithique à l’Âge du bronze en Méditerranée » <strong>et</strong> prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> session.<br />
Colloque « First Great Migrations of Peoples in History » UNESCO, Paris, 19 juin 2008,<br />
communication : « The First Villagers to Conquer Europe : Migrations or Cultural<br />
Diffusions ? ».<br />
Colloque Interdisciplinaire « Sciences <strong>et</strong> Politique », Université Paul Sabatier/ADREUC,<br />
27-29 juin 2008, communication : « Archéologie, Idéologie, Politique ».<br />
Administration <strong>de</strong> la recherche<br />
Prési<strong>de</strong>nce du Comité d’AERES <strong><strong>de</strong>s</strong> UMR 5197 (Archéozoologie, archéobotanique :<br />
sociétés, pratiques <strong>et</strong> environnements) <strong>et</strong> 5198 (Histoire naturelle <strong>de</strong> l’homme préhistorique),<br />
Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris, 17 janvier 2008.<br />
Commission <strong><strong>de</strong>s</strong> prési<strong>de</strong>nts, AERES, 27 mars 2008.<br />
Prési<strong>de</strong>nce du Comité Scientifique International <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> Préhistoire <strong>de</strong> l’Université<br />
<strong>de</strong> Cantabrie, Santan<strong>de</strong>r, 27-30 avril 2008.
PROFESSEURS HONORAIRES 871<br />
Conférences/Débats<br />
Portiragnes, 18 octobre 2007 : présentation <strong>de</strong> l’ouvrage « Pont <strong>de</strong> Roque Haute. Nouveaux<br />
regards sur la néolithisation du Sud <strong>de</strong> la <strong>France</strong> » (allocution).<br />
Tautavel, Palais <strong><strong>de</strong>s</strong> Congrès, 26 octobre 2007 : conférence autour du film « Le Sacre <strong>de</strong><br />
l’Homme » (J. Malaterre).<br />
Tautavel, Palais <strong><strong>de</strong>s</strong> Congrès, 27 octobre 2007 : débat sur le thème « L’homme,<br />
l’environnement <strong>et</strong> l’agriculture ».<br />
Saint-Pons : Inauguration du Musée <strong>de</strong> la Préhistoire <strong>et</strong> <strong>de</strong> la sculpture mégalithique<br />
(allocution), 16 février 2008.<br />
Paris, Société psychanalytique <strong>de</strong> Paris, séminaire d’E. Smadja, 2 avril 2008 :<br />
Communication « Manifestations religieuses néolithiques ».<br />
Principauté d’Andorre (Farga Rossell), à l’occasion <strong>de</strong> la présentation <strong>de</strong> l’ouvrage « Les<br />
excavacions a la Balma <strong>de</strong> la Margineda (1979-1991) » : conférence « Aux racines <strong>de</strong> l’Andorre.<br />
La Balma <strong>de</strong> la Margineda ».<br />
Autres activités<br />
— Jurys <strong>de</strong> thèses ou d’HDR <strong>de</strong> C. Rougé-Maillard (EHESS), L. Salanova (Université<br />
<strong>de</strong> Paris I, prési<strong>de</strong>nce), A. Theodoropoulou (Université <strong>de</strong> Paris I, prési<strong>de</strong>nce), L. Nespoulous<br />
(INALCO), N. Buchez (EHESS).<br />
— Membre du Comité scientifique du Musée d’Anthropologie Préhistorique (Principauté<br />
<strong>de</strong> Monaco).<br />
— Membre d’honneur <strong>de</strong> la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Amis du Palais <strong>de</strong> la Découverte, Paris<br />
(SAPADE).<br />
— Membre du Comité scientifique du Colloque en l’honneur du 25 e anniversaire du<br />
Séminaire International « Représentations préhistoriques » (Musée <strong>de</strong> l’Homme, Paris,<br />
19-21 juin 2008).<br />
— Membre du jury du prix « Clio-Archéologie » (20 juin 2008).<br />
M me Françoise Héritier<br />
Étu<strong>de</strong> comparée <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés africaines, 1982-1998<br />
Publications parues<br />
— « Chimères, artifice <strong>et</strong> imagination », pp. 39-59 in Jean-Pierre Changeux (sous la<br />
direction <strong>de</strong>) L’Homme artificiel. Colloque annuel du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> (12-13 octobre<br />
2006). Paris, Odile Jacob, 2007.<br />
— « Une anthropologue dans la Cité. Entr<strong>et</strong>ien avec Françoise Héritier par Michèle<br />
Fiéloux, Claire Mestre, Marie-Rose Moro », L’Autre. Cliniques, cultures <strong>et</strong> sociétés 9 (1),<br />
2008 : 11-36.<br />
— « Saisir l’insaisissable <strong>et</strong> le transm<strong>et</strong>tre », L’Homme. L’anthropologue <strong>et</strong> le contemporain :<br />
autour <strong>de</strong> Marc Augé, 185-186, 2008 : 45-54.
872 PROFESSEURS HONORAIRES<br />
— « Françoise Héritier » 9, pp. 149-166 in Anne Dhoquois (sous la direction <strong>de</strong>),<br />
Comment je suis <strong>de</strong>venue <strong>et</strong>hnologue. Paris, Éditions Le Cavalier bleu, 2008.<br />
— « Il était beau, grand, brun, les cheveux coiffés en arrière, un peu ondulés, avec un<br />
beau regard… », pp. 175-192 in Olivia Benhamou, éd. Le premier homme <strong>de</strong> ma vie. Onze<br />
femmes racontent leur père. Paris, Robert Laffont, 2008.<br />
— avec Jacques Delcuvellerie <strong>et</strong> Ann<strong>et</strong>te Wieviorka, « Pour le meilleur <strong>et</strong> pour le pire :<br />
l’homme entre culture <strong>et</strong> barbarie », pp. 118-131 in Le Théâtre <strong><strong>de</strong>s</strong> idées. 50 penseurs pour<br />
comprendre le XXI e siècle, ouvrage dirigé par Nicolas Truong avec le Festival d’Avignon.<br />
Paris, Flammarion, 2008.<br />
— « Masculin/féminin : raisons <strong>de</strong> la hiérarchie, voies vers l’égalité », pp. 177-214 in<br />
Marx contemporain. Acte 2. Paris, Éditions Syllepses <strong>et</strong> Espaces Marx, 2008. Collection<br />
Espaces Marx : Explorer, confronter, innover.<br />
— À voix haute. Paris, Gallimard-<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 2008. Collection audio. TDK.<br />
CD-R80.<br />
— L’I<strong>de</strong>ntique <strong>et</strong> le différent. Entr<strong>et</strong>iens avec Caroline Broué. Paris, Éditions <strong>de</strong> l’Aube,<br />
2008, 112 p. Collection Mon<strong>de</strong> en <strong>cours</strong>, Série À voix nue.<br />
— Maschile e femminile, Il pensiero <strong>de</strong>lla differenza. Editori Laterza, 2000. Prima edizione<br />
Nei Sag<strong>et</strong>tari Laterza, 1997. Biblioteca universale Laterza, 2000 ; Economica Laterza, 2002.<br />
Réédition 2007, Collection Odile Jacob bibliothèque.<br />
Internationaux<br />
Colloques<br />
— Réseau entre la ville <strong>et</strong> l’hôpital pour l’orthogénie. Paris, Sorbonne, 8 mars 2008.<br />
Conférence : « Transparence <strong>et</strong> clan<strong><strong>de</strong>s</strong>tinité ».<br />
Conférences<br />
— Centre <strong><strong>de</strong>s</strong> jeunes dirigeants d’entreprise, Paris, 8 octobre 2007. Conférence-débat sur<br />
la féminisation dans l’entreprise.<br />
— Total, Eurosites Georges V, Paris, 9 octobre 2007. Séminaire Diversités plurielles.<br />
Conférence plénière : « Hommes, femmes : les mécanismes <strong>de</strong> la différence ».<br />
— Centre Georges Pompidou, Paris, 24 octobre 2007. Les Revues parlées. Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Trente (1977-2007). Conférence-anniversaire <strong>de</strong> la parution <strong>de</strong> Masculin/féminin. La Pensée<br />
<strong>de</strong> la différence.<br />
— Théâtre <strong>de</strong> l’Odéon, Paris, 23 janvier 2008. Atelier <strong>de</strong> la pensée, sur le thème Femmes<br />
empêchées, avec Laure Adler, Elisab<strong>et</strong>h Guigou, Julia Kristeva, Taslima Nasreen <strong>et</strong> Jean-Pierre<br />
Vincent.<br />
— EHESS, Paris, 14 mars 2007. Séminaire Corps <strong>et</strong> sciences sociales sous la direction<br />
<strong>de</strong> Dominique Memmi <strong>et</strong> Florence Bellivier. Débat autour <strong>de</strong> l’ouvrage Corps <strong>et</strong> Affects.<br />
Séminaires<br />
— Dans le cadre du Laboratoire d’anthropologie sociale, direction <strong>de</strong> l’atelier mensuel<br />
<strong>de</strong> l’équipe Corps <strong>et</strong> Affects avec Margarita Xanthakou.
PROFESSEURS HONORAIRES 873<br />
Activités diverses<br />
— Vice-Prési<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> la Fondation Médéric-Alzheimer.<br />
— Membre du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences <strong>de</strong> la vie.<br />
— Membre <strong>de</strong> l’Académie universelle <strong><strong>de</strong>s</strong> cultures.<br />
— Membre du Comité <strong>de</strong> vigilance <strong>de</strong> l’Institut Pasteur.<br />
— Membre du Conseil d’Administration du <strong>Collège</strong> international <strong>de</strong> philosophie.<br />
Distinctions<br />
— Comman<strong>de</strong>ur dans l’Ordre national <strong>de</strong> la Légion d’Honneur.<br />
M. Jean Leclant, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions <strong>et</strong> belles-l<strong>et</strong>tres)<br />
Égyptologie, 1979-1990<br />
Missions <strong>et</strong> activités<br />
Secrétaire perpétuel <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions <strong>et</strong> belles-l<strong>et</strong>tres. Vice-prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la<br />
Commission nationale française <strong>de</strong> l’UNESCO, prési<strong>de</strong>nt honoraire du Haut-comité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Célébrations nationales, prési<strong>de</strong>nt d’honneur <strong>de</strong> la Société asiatique, <strong>de</strong> la Société<br />
internationale <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> nubiennes <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Société française d’égyptologie.<br />
Participation à plusieurs colloques <strong>et</strong> conférences (Paris, Beaulieu).<br />
Publications<br />
— Les frères Reinach, sous la direction <strong>de</strong> S. Basch, M. Espagne <strong>et</strong> J. Leclant, Paris,<br />
2008.<br />
— Adresse à la XI e Conférence internationale <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> nubiennes, dans B<strong>et</strong>ween the<br />
Cataracts, Proceedings of the 11 th Conference for Nubian Studies, Warsaw University, 27 August-<br />
2 September 2006, Varsovie, 2008, p. 11.<br />
— Allocution d’ouverture au XVIII e colloque <strong>de</strong> la Villa Kerylos, 4-6 octobre 2007 :<br />
« Pratiques <strong>et</strong> dis<strong>cours</strong> alimentaires en Méditerranée <strong>de</strong> l’Antiquité à la Renaissance », dans<br />
Cahiers <strong>de</strong> la Villa Kerylos XIX, 2008.<br />
— Préface à La correspondance entre Mikhail Rostovtzeff <strong>et</strong> Franz Cumont, Mémoires <strong>de</strong><br />
l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres, t. XXXVI, Paris, 2007.<br />
— Préface à Les Pyrénées orientales (C.A.G.66), par J. Kotarba, G. Castellvi <strong>et</strong> Fl. Mazière,<br />
Paris, 2007.<br />
— Préface à Arles, Crau, Camargue (C.A.G. 13/5, par M.-P. Rothé <strong>et</strong> M. Heijmans,<br />
Paris, 2008.<br />
— « Missions <strong>et</strong> activités, publications <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs honoraires », Résumé <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> <strong>et</strong><br />
<strong>travaux</strong>, AnnCdF 2006-2007, p.<br />
— Nombreux hommages d’ouvrages récents à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong><br />
Belles-l<strong>et</strong>tres.
874 PROFESSEURS HONORAIRES<br />
— Allocution à la Journée d’hommage à François Chamoux, 11 janvier 2008, AIBL,<br />
Palais <strong>de</strong> l’Institut.<br />
— Allocution d’accueil à la IV e Journée d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> nord-africaines : « Les monuments <strong>et</strong><br />
les cultes funéraires », AIBL/SEMPAM, 28 mars, Palais <strong>de</strong> l’Institut.<br />
— Allocution, Journée <strong>France</strong>-Japon, 23 mai 2008, AIBL, Palais <strong>de</strong> l’Institut.<br />
Distinctions<br />
Le 16 novembre 2007, J. Leclant a reçu le diplôme <strong>de</strong> docteur honoris causa <strong>de</strong> l’Université<br />
<strong>de</strong> Vienne, Autriche.<br />
M. Emmanuel Le Roy Ladurie, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences morales <strong>et</strong> politiques)<br />
Histoire <strong>de</strong> la civilisation mo<strong>de</strong>rne, 1973-1999<br />
Pourquoi, près d’une quarantaine d’années après l’Histoire du climat <strong>de</strong>puis l’An<br />
Mil (1967), remise à jour ensuite à plusieurs reprises, ai-je récidivé, au titre d’une<br />
histoire humaine <strong>et</strong> comparée du climat, parue chez Fayard ces temps-ci en <strong>de</strong>ux<br />
volumes, <strong>résumés</strong> en un Abrégé d’Histoire du Climat (2007, Fayard, i<strong>de</strong>m) ? C’est que<br />
<strong>de</strong>puis c<strong>et</strong>te date du siècle précé<strong>de</strong>nt, bien <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches nouvelles sont apparues ;<br />
elles ont rajeuni la question en tout ou partie. Et puis en sept ou huit lustres <strong>de</strong><br />
travail sur ce thème <strong>et</strong> sur <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s proches (histoire rurale, <strong>et</strong>c.) j’ai eu le temps<br />
d’accumuler <strong><strong>de</strong>s</strong> données. Mon maître Brau<strong>de</strong>l, notre illustre collègue, en sa<br />
Méditerranée, fit allusion le premier (sur la base <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> italiens, peu connus, du<br />
géographe U. Monterin) à la poussée du p<strong>et</strong>it âge glaciaire (alpin) au terme du<br />
xvi e siècle. Jean Meuvr<strong>et</strong> <strong>et</strong> Micheline Baulant ont beaucoup fait eux aussi pour<br />
établir la chronologie multiséculaire… <strong>et</strong> quotidienne <strong><strong>de</strong>s</strong> prix du blé (fort influencés<br />
par le climat <strong>de</strong> chaque année) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> dates <strong>de</strong> vendanges. Les marxistes, avec leurs<br />
conceptions matérialistes, eussent dû être à l’avant-gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> telles enquêtes : le climat,<br />
comme l’a souligné l’un d’entre eux, Kautsky, n’est-il pas lui aussi, selon le vocabulaire<br />
du vieux Karl, une « force <strong>de</strong> production » ? À vrai dire, même si la contribution<br />
marxienne en ce domaine fut insuffisante, on citera néanmoins, historico-climatiques,<br />
les noms respectés d’Alain Croix, Guy Lemarchand <strong>et</strong> <strong>de</strong> Guy Bois, auxquels<br />
s’ajoutent, hors marxisme, les contributions majeures <strong>de</strong> François Lebrun, Jean<br />
Nicolas, Jean-Yves Grenier, grands dépen<strong>de</strong>urs d’archives. Mes trois livres très<br />
récents, après quelques autres, posent les bases d’une chronologie : celle du p<strong>et</strong>it<br />
optimum médiéval alias POM, allant du ix e siècle au xiii e , parfaitement exploré<br />
aussi grâce aux <strong>travaux</strong> (belges) <strong>de</strong> Pierre Alexandre, complémentaires <strong><strong>de</strong>s</strong> miens <strong>de</strong><br />
l’époque 2000-2008. M’aidant <strong><strong>de</strong>s</strong> enquêtes <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> Berne (Pfister, Luterbacher,<br />
Holzhauseer) j’ai décrit le p<strong>et</strong>it âge glaciaire (FAG, allant <strong>de</strong> 1300 à 1860, dates<br />
larges), avec sa variabilité considérable. J’ai affiné divers détails, tout en esquissant les<br />
gran<strong><strong>de</strong>s</strong> lignes du phénomène, ou certaines d’entre elles. J’ai remis ce FAG en
PROFESSEURS HONORAIRES 875<br />
chantier dans mes <strong>de</strong>rnières contributions <strong>et</strong> j’ai tenté par ailleurs d’en préciser<br />
l’impact humain, par météo trop froi<strong>de</strong> <strong>et</strong> trop humi<strong>de</strong> ; famines, <strong>et</strong>c., avec leur<br />
prélèvement mortel sur les populations, 1 300 000 morts français en 1693 ; <strong>et</strong><br />
600 000 en 1709. Et puis la canicule <strong>de</strong> 1718-1719 avec ses 450 000 morts surtout<br />
infantiles (dysenterie, déshydratation, <strong>et</strong>c.) J’ai proposé, au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la Fron<strong>de</strong> un ou<br />
plusieurs concepts <strong>de</strong> politisation du climat. Ils <strong>de</strong>viennent infiniment plus évi<strong>de</strong>nts<br />
en 1788-1789 <strong>et</strong> en 1845-1846-1848, du moins quant à l’inscription chronologique<br />
<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux pré-révolutions <strong>et</strong> révolutions dont les causalités profon<strong><strong>de</strong>s</strong> nonécologiques,<br />
(politiques, culturelles, <strong>et</strong>c.), nous sont exposées par ailleurs dans les<br />
grands <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> Fur<strong>et</strong>, Ozouf, Soboul… Politisation, bien sûr, qui va revenir à<br />
l’ordre du jour lors <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> chaleurs <strong>de</strong> 2003 ; anticipatrices du global warming ?<br />
Avec sa vaste base CLIM-HIST, Christian Pfister nous a offert une superbe<br />
histoire du climat suisse <strong>de</strong> 1530 à nos jours. En <strong>France</strong>, les données disponibles ou<br />
enfouies dans les Archives sont littéralement innombrables. On attend toujours, <strong>et</strong><br />
sans doute suis-je le premier coupable, que soit créée dans le même esprit pfistérien<br />
une data bank à la française, recensant les faits climatiques bon an mal an, mois par<br />
mois, saison par saison, <strong>de</strong>puis dix siècles. Mes <strong>travaux</strong> susdits, mes ouvrages <strong>de</strong> ces<br />
<strong>de</strong>rnières années, y compris 2007-2008, ainsi que ceux <strong>de</strong> Pascal Yiou <strong>et</strong> <strong>de</strong> Madame<br />
Daux sur les dates <strong>de</strong> vendanges constituent <strong><strong>de</strong>s</strong> pierres d’attente à c<strong>et</strong> égard.<br />
Ils justifient, me semble-t-il, leur brève mention dans le présent annuaire, compte<br />
tenu <strong>de</strong> l’existence, par ailleurs, d’une prestigieuse Chaire d’Evolution du climat <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> l’océan dont notre éminent collègue Edouard Bard est le titulaire. Sur ce point,<br />
l’Histoire doit donc cé<strong>de</strong>r le pas aux sciences dures.<br />
Livres<br />
Histoire humaine <strong>et</strong> comparée du climat, 2 vol., Fayard, 2004 <strong>et</strong> 2006.<br />
Abrégé <strong>de</strong> l’Histoire du Climat du Moyen Age à nos jours. Entr<strong>et</strong>iens avec Anouchka Vasak,<br />
Fayard, 2007.<br />
a) Travaux en <strong>cours</strong><br />
M. Jean-Clau<strong>de</strong> Pecker, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences)<br />
Astrophysique théorique, 1964-1988<br />
I. Travaux <strong>et</strong> publications<br />
Mes <strong>travaux</strong> se poursuivent dans les directions suivantes :<br />
(i) L’étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> la publication <strong><strong>de</strong>s</strong> correspondances <strong>de</strong> Jérôme Lalan<strong>de</strong> (en<br />
collaboration avec Mme Simone Dumont, astronome à l’Observatoire <strong>de</strong> Paris),
876 PROFESSEURS HONORAIRES<br />
continuent par l’analyse <strong>de</strong> la correspondance <strong>de</strong> Lalan<strong>de</strong> avec ses correspondants<br />
<strong>de</strong> l’Académie <strong>de</strong> Berlin, notamment les Bernouilli, <strong>et</strong> von Zach, <strong>et</strong> se complètent<br />
par <strong><strong>de</strong>s</strong> textes (sous presse) sur Lalan<strong>de</strong>, <strong>et</strong> sur Voltaire.<br />
(ii) Histoire du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, volume II, pour ce qui concerne l’astronomie ;<br />
Histoire <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences, pour ce qui concerne l’astronomie.<br />
(iii) Détermination <strong>de</strong> la contribution locale (stellaire <strong>et</strong> galactique) au<br />
rayonnement <strong>de</strong> fond du ciel dans les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> longueurs d’on<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> « microon<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
» radioélectriques, <strong>et</strong> les conséquences cosmologiques <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te détermination<br />
(collaboration avec les Professeurs J.V. Narlikar, Pune, In<strong>de</strong>, <strong>et</strong> C. Wickramasinghe,<br />
Cardiff, UK).<br />
(iv) Évaluation <strong>de</strong> l’influence <strong>de</strong> l’évolution stellaire dans les premières phases<br />
<strong>de</strong> la formation <strong><strong>de</strong>s</strong> planètes.<br />
(v) Continuation <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’origine astronomique <strong><strong>de</strong>s</strong> pétroglyphes du<br />
Mont Bégo (Alpes-Maritimes), perm<strong>et</strong>tant leur datation (avec M me A. Échassoux<br />
<strong>et</strong> le Professeur H. <strong>de</strong> Lumley, du Laboratoire <strong>de</strong> Paléo-anthropologie du Lautar<strong>et</strong><br />
à Nice).<br />
b) Ouvrages<br />
Simone Dumont & J.-C. P., Lalandiana I, Correspondances <strong>de</strong> Jérôme Lalan<strong>de</strong>, 1, L<strong>et</strong>tres<br />
à sa chère Pantomaté ; 2, L<strong>et</strong>tres à l’astronome Honoré Flaugergues, Vrin éd., 2007.<br />
c) Préfaces <strong><strong>de</strong>s</strong> ouvrages suivants<br />
Simone Dumont, Lalan<strong>de</strong>, un astronome <strong><strong>de</strong>s</strong> Lumières, Vuibert éd., 2007.<br />
Pierre Bayart, La Méridienne <strong>de</strong> <strong>France</strong>, Baleares éd., 2007.<br />
Françoise Launay, Jules Janssen, globe-trotter <strong>de</strong> la physique solaire, Vuibert éd., 2008.<br />
d) Articles divers<br />
J.-C. P. Galaxies <strong>de</strong> marée, dans : L’Astronomie, mai 2007.<br />
J.-C. P. Les astronomes du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, dans : L’astronomie, 2007 ; c<strong>et</strong> article a été<br />
reproduit dans La L<strong>et</strong>tre du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, n° 22 <strong>et</strong> n° 23, 2008.<br />
De Lumley, H., Echassoux, A., J.-C. P., Romain, O., Figurations <strong>de</strong> l’amas stellaire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Pléia<strong><strong>de</strong>s</strong> sur <strong>de</strong>ux roches gravées <strong>de</strong> la région du Mont Bégo, dans : L’anthropologie, 111, 2007,<br />
p. 755-824.<br />
J.-C. P., Le Programme <strong>de</strong> Versailles, dans : Les débuts <strong>de</strong> la Recherche Spatiale Française :<br />
Au temps <strong><strong>de</strong>s</strong> fusées–son<strong><strong>de</strong>s</strong>, Institut Français d’Histoire <strong>de</strong> l’Espace éd., 2008, p. 229-230.<br />
J.-C. P. Interview par Mme Pinhas, pour l’Histoire du CNRS : P<strong>et</strong>ite <strong>et</strong> gran<strong>de</strong> histoire<br />
d’astrophysique, sous presse.<br />
J.-C. P. Interview par Christian Seguin, Au ciel <strong>de</strong> l’enfance, dans le quotidien Sud-Ouest,<br />
20 juin 2008.
PROFESSEURS HONORAIRES 877<br />
II. Missions diverses, conférences <strong>et</strong> colloques<br />
(1) 13 juin 2007, Observatoire <strong>de</strong> Paris, Colloque Lalan<strong>de</strong> – Loewy. Contribution :<br />
Napoléon contre Lalan<strong>de</strong>.<br />
(2) Hendaye, 2 août 2007 : Conférence publique à l’Observatoire d’Abbadia : Les matins<br />
d’un astronome solaire.<br />
(3) Bourg-en-Bresse, 9-10 octobre 2007, à l’occasion <strong>de</strong> l’exposition Lalan<strong>de</strong>, conférence :<br />
Lalan<strong>de</strong> <strong>et</strong> Bourg-en-Bresse.<br />
(4) Beijing, Chine, 15-21 novembre 2007, Science and human <strong>de</strong>velopment, colloque<br />
organisé par le Center of Inquiry Transnational <strong>de</strong> Beijing. Deux conférences en anglais sur<br />
Popularisation of science, <strong>et</strong> sur Creationism in cosmology.<br />
(5) Shanghai, Chine, 21-29 novembre 2007 : participation au Symposium <strong>de</strong> l’Union<br />
Astronomique Internationale, Astronomy of the microsecond.<br />
(6) Cardiff (Wales, UK) 11-18 décembre 2007 : discussions scientifiques à l’Université<br />
avec mon collègue anglais Ch.Wickramasinghe. Rédaction d’un mémoire en commun sur<br />
le rayonnement cosmologique.<br />
(7) École normale supérieure, Paris, 2008, colloque en hommage à Robert Dautray sur<br />
Le transfert radiatif. Contribution : Les modèles <strong><strong>de</strong>s</strong> atmosphères solaire <strong>et</strong> stellaires : construction<br />
<strong>et</strong> limites.<br />
(8) Strasbourg, 28 avril 2008, Observatoire <strong>de</strong> Strasbourg. Réunion mensuelle <strong>de</strong> l’Union<br />
Rationaliste. Conférence : Le débat sur le « big bang ».<br />
(9) Strasbourg, 29 avril 2008, IRIST, Université <strong>de</strong> Strasbourg. Conférence: Le traitement<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> images <strong>et</strong> les observations <strong>de</strong> galaxies.<br />
(10) Bor<strong>de</strong>aux, 29-30 mai 2008, colloque à l’Observatoire <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux-Floirac, sur La<br />
(re)fondation <strong><strong>de</strong>s</strong> observatoires astronomiques sous la III e République. J.-C. P. a présidé<br />
l’ensemble du Colloque <strong>et</strong> prononcé une Allocution d’ouverture ; en fin <strong>de</strong> colloque, il en a<br />
tiré les Conclusions. Ces <strong>de</strong>ux textes seront publiés dans les Actes du colloque.<br />
M. Daniel Roche<br />
Histoire <strong>de</strong> la <strong>France</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Lumières, 1999-2005<br />
Activités <strong>de</strong> recherches<br />
Mes activités <strong>de</strong> recherches se poursuivent dans trois directions principales.<br />
1) La participation à <strong><strong>de</strong>s</strong> activités d’organisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> coordination éditoriale<br />
ou <strong>de</strong> diffusion. Je prési<strong>de</strong> le Comité éditorial <strong>de</strong> la Revue d’Histoire Mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong><br />
Contemporaine qui a mis en chantier plusieurs numéros spéciaux importants<br />
(fascisme italien, maladies professionnelles, histoire du climat, genèse au temps <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
révolutions). Je dirige <strong>et</strong> participe à l’édition <strong><strong>de</strong>s</strong> Mémoires, Mes loisirs ou Journal<br />
d’événements tels qu’ils parviennent à ma connaissance (1753-1783). Ce texte<br />
fondamental pour la culture <strong>et</strong> l’histoire du XVIII e siècle français <strong>et</strong> européen a été<br />
publié dans le cadre d’une coopération <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, commencée en 2000
878 PROFESSEURS HONORAIRES<br />
avec l’association <strong>de</strong> l’IHMC (CNRS-ENS), <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Laval au Canada <strong>et</strong><br />
la collaboration <strong>de</strong> l’équipe du Professeur Pascal Bastien <strong>de</strong> l’Université du Québec<br />
à Montréal. Le tome 1 est sorti au premier trimestre 2008, il sera suivi d’une<br />
dizaine <strong>de</strong> volumes que complèteront les actes <strong>de</strong> rencontres organisées au <strong>Collège</strong><br />
autour du texte.<br />
2) Je poursuis mon travail dans le domaine <strong>de</strong> la culture équestre. Un premier<br />
tome, le Cheval moteur, a été publié chez Fayard. Il montre l’accroissement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
chevaux suscité par le besoin d’énergie entre le XVI e <strong>et</strong> le XIX e siècle <strong>et</strong> il inverse<br />
l’habituelle analyse <strong>de</strong> l‘histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> chevaux <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes en conférant à l’utilité,<br />
à la ville, au mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> producteurs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> utilisateurs le rôle premier. Le suj<strong>et</strong><br />
souligne l’importance d’une histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques confrontée au<br />
vivant, à l’aléa agricole dans l’élevage, à l’aléa social dans les usages. Au centre du<br />
livre, du village à la cité, <strong>de</strong> la route aux auberges, on r<strong>et</strong>rouve les acteurs <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
révolutions majeures, celle du triomphe <strong><strong>de</strong>s</strong> véhicule, celles <strong>de</strong> la sélection <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
nouveaux chevaux. La prochaine étape consiste à r<strong>et</strong>rouver autrement ces<br />
transformations en reprenant l’analyse <strong>de</strong> l’économie matérielle <strong>et</strong> sociale <strong>de</strong> la<br />
distinction. Pouvoir, pédagogie, guerres seront d’abord les trames principales <strong>de</strong><br />
c<strong>et</strong>te histoire socio-culturelle <strong>de</strong> la culture équestre.<br />
3) Dans le cadre <strong>de</strong> l’IHMC, après avoir achevé l’enquête sur les capitales<br />
culturelles <strong>et</strong> contribué à conclure le volume, dirigé par C. Charle, Le Temps <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
capitales culturelles européennes (XVIII e -XX e siècle) (sous presse aux Editions<br />
Champvallon), je participe à la mise en route d’une nouvelle entreprise consacrée<br />
à l’Histoire <strong>de</strong> l’internationalisation culturelle en Europe <strong>de</strong> 1750 à 1950. Il s’agit<br />
<strong>de</strong> mesurer les circulations internationales <strong>et</strong> transnationales, les échanges <strong>et</strong> les<br />
refus culturels. Dans une première étape, le séminaire <strong>de</strong> l’IHMC sera consacré à<br />
une réflexion générale critique sur l’historiographie <strong>et</strong> les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> à utiliser dans<br />
le proj<strong>et</strong>. Parallèlement, il définira autour <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre axes principaux le choix <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
problèmes à abor<strong>de</strong>r : ceux du livre <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> traductions, ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> usages politiques<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> circulations culturelles dans la construction <strong><strong>de</strong>s</strong> empires européens, ceux <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
savoirs sociaux <strong>et</strong> techniques, enfin les questions <strong><strong>de</strong>s</strong> circulations artistiques.<br />
Livres<br />
Publications<br />
A Cheval ! Ecuyers, amazones <strong>et</strong> cavaliers du XVIe au XXIe siècle, sous la direction <strong>de</strong><br />
D. Roche <strong>et</strong> D. Reytier, Paris, Association pour l’Académie équestre <strong>de</strong> Versailles, 2008,<br />
400 p.<br />
La culture équestre occi<strong>de</strong>ntale, XVIe-XIXe siècles, L’Ombre du cheval, T. 1, Le cheval moteur,<br />
Paris, A. Fayard, 479 p.<br />
Simeon Prosper Hardy, Mes loisirs, vol. 1, 1753-1770, Québec Presses <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong><br />
Laval, sous la direction <strong>de</strong> D. Roche <strong>et</strong> P. Bastien, 2008, 836 p.
Articles<br />
PROFESSEURS HONORAIRES 879<br />
« Voltaire, du voyage à la philosophie », Studies on Voltaire, Oxford, 2008, pp. 43-60.<br />
« Ménétra <strong>et</strong> la femme », Mélanges Maurice Gress<strong>et</strong>, P. Delsalle ed., Besançon, Annales <strong>de</strong><br />
l’Université <strong>de</strong> Franche-Comté, 2008, 820, 28, pp. 349-357.<br />
1) Livres<br />
M me Jacqueline <strong>de</strong> Romilly, <strong>de</strong> l’Académie française<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres<br />
La Grèce <strong>et</strong> la formation <strong>de</strong> la pensée morale <strong>et</strong> politique, 1973-1984<br />
— Le sourire innombrable, éd. De Fallois, janvier 2008, 125 p.<br />
2) Conférences<br />
— « Osons parler <strong>de</strong> la vertu ! », conférence d’introduction au colloque sur la vertu, à<br />
l’Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong>, le 12 décembre 2007.<br />
3) Autres activités<br />
— Divers articles sur la Grèce, <strong>et</strong> diverses introductions ou l<strong>et</strong>tres d’introduction à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
livres d’enseignement <strong>et</strong> <strong>de</strong> culture grecque ou <strong>de</strong> langue française. Nombreuses interviews<br />
sur ces divers suj<strong>et</strong>s.<br />
— Participation au film <strong>de</strong> la série Empreintes pour <strong>France</strong> 5, le 25 janvier 2008.<br />
M. Jean-Pierre Serre, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences)<br />
Algèbre <strong>et</strong> géométrie, 1956-1994<br />
Publications<br />
— Three l<strong>et</strong>ters to Walter Feit on group representations and quaternions, J. Algebra 319<br />
(2008), 549-557.<br />
— Two l<strong>et</strong>ters to Jaap Top, in “Algebraic Geom<strong>et</strong>ry and its Applications” (J. Chaumine,<br />
J. Hirschfeld & R. Rolland edit.), World Sci.Publ.Co. (2008), pp. 84-87.<br />
Cours<br />
— Finite Groups in Number Theory (10 exposés), Harvard, septembre-octobre 2007.
880 PROFESSEURS HONORAIRES<br />
Exposés<br />
— Discr<strong>et</strong>e groups of rotations in 3-space, Harvard, septembre 2007.<br />
— Variation with p of the number of solutions mod p of a system of polynomial equations,<br />
Brown University, octobre 2007; Vancouver, mai 2008.<br />
— Comment utiliser les corps finis pour <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes concernant les corps infinis, C.I.R.M.,<br />
Luminy, novembre 2007.<br />
— L’arithmétique <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes <strong>de</strong> Cremona, C.I.R.M., Luminy, décembre 2007.<br />
— Représentations linéaires <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes finis en caractéristique p > 0, Marseille, décembre<br />
2007 ; E.P.F.L., Lausanne, décembre 2007 (2 exposés).<br />
— Sous-groupes finis du groupe <strong>de</strong> Cremona (propriétés arithmétiques), Chevaler<strong>et</strong>, janvier<br />
2008.<br />
— Finite subgroups of G(k) where G is a reductive group, Bielefeld, février 2008.<br />
— Finite subgroups of Cr(k), where Cr is the Cremona group in 2 variables, Bielefeld,<br />
février 2008.<br />
— Lie groups and prime numbers, Vancouver, mai 2008.<br />
— Le groupe <strong>de</strong> Cremona, Montréal, juin 2008.<br />
Distinction<br />
Doctorat honoris causa <strong>de</strong> l’université McGill, Montréal, mai 2008.<br />
M. Jacques Thuillier<br />
Histoire <strong>de</strong> la création artistique 1977-1998<br />
Durant l’année <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> <strong>et</strong> <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> 2005-2006 notre attention a été requise<br />
par un événement exceptionnel autant qu’inattendu : la restauration complète <strong>de</strong><br />
la Galerie <strong><strong>de</strong>s</strong> Glaces au château <strong>de</strong> Versailles. Une occasion unique s’offrait<br />
d’examiner <strong>de</strong> tout près les peintures <strong>de</strong> Le Brun, les sculptures <strong>et</strong> les ornements.<br />
De c<strong>et</strong>te expérience sont issus à la fin <strong>de</strong> 2007 un p<strong>et</strong>it fascicule en couleurs <strong>de</strong><br />
128 pages publié par les éditions Gallimard, <strong>et</strong> dans le grand volume imprimé par<br />
les éditions Faton, un chapitre d’introduction : Charles Le Brun <strong>et</strong> la Galerie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Glaces : un moment <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’art français (p. 22-29).<br />
Les temps <strong>de</strong> parution, qui se croisaient avec <strong>de</strong> malencontreuses difficultés <strong>de</strong><br />
santé, nous ont empêché <strong>de</strong> faire état ici <strong>de</strong> ces <strong>travaux</strong>.<br />
Après le contact direct avec les œuvres, nous avons cru opportun <strong>de</strong> revenir<br />
durant c<strong>et</strong>te année 2006-2007 au domaine <strong>de</strong> la réflexion, <strong>et</strong> nous avons tenu à<br />
reprendre <strong>et</strong> conduire à sa fin un proj<strong>et</strong> longtemps caressé, mais que <strong><strong>de</strong>s</strong> circonstances<br />
diverses nous avaient plusieurs fois contraint d’interrompre. Il s’agit <strong>de</strong> la publication<br />
<strong>de</strong> la correspondance <strong>de</strong> Nicolas Poussin.
PROFESSEURS HONORAIRES 881<br />
Le public <strong>et</strong> les érudits ne disposent que d’une édition qui remonte à 1911. Elle<br />
est due à Charles Jouanny, <strong>et</strong> par conséquent savante <strong>et</strong> intelligente. Mais elle n’a<br />
jamais été réimprimée <strong>et</strong> il est <strong>de</strong>venu malaisé d’en trouver un exemplaire. En un<br />
siècle seules peu <strong>de</strong> l<strong>et</strong>tres nouvelles sont apparues ; mais en revanche <strong>de</strong> nombreux<br />
documents ou <strong><strong>de</strong>s</strong> fragments importants sont venus compléter notre savoir.<br />
D’autre part le public <strong><strong>de</strong>s</strong> « poussinistes » s’est multiplié. Il dépasse largement la<br />
<strong>France</strong>, l’Allemagne, l’Italie, l’Angl<strong>et</strong>erre <strong>et</strong> le Japon. Or ce public souhaite un<br />
texte minutieusement établi à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> originaux <strong>de</strong> l’artiste. En même temps il<br />
a bien souvent quelque peine à pénétrer l’orthographe <strong>et</strong> le vocabulaire du vieil<br />
artiste. Nous n’avons pas cru que doubler le texte <strong>de</strong> Poussin d’une version<br />
mo<strong>de</strong>rnisée serait une offense ou une pru<strong>de</strong>nce superflue.<br />
Nous pensons livrer ainsi une approche commo<strong>de</strong> <strong>de</strong> la correspondance qui nous<br />
reste <strong>de</strong> Poussin. L’expérience <strong>de</strong> l’enseignement nous a trop prouvé l’utilité d’une<br />
annotation en marge <strong>de</strong> tous les textes anciens pour que nous ayons cru <strong>de</strong>voir nous<br />
contenter <strong>de</strong> brefs renvois. De plus, il nous a semblé qu’il convenait <strong>de</strong> compléter la<br />
correspondance par la réunion <strong><strong>de</strong>s</strong> multiples testaments <strong>de</strong> l’artiste. On les avait<br />
jusqu’ici négligés. En marge <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres, ils offrent une image <strong>de</strong> Poussin, tout compte<br />
fait, non moins sincère. Il en va pareillement <strong>de</strong> l’inventaire après décès.<br />
En 1911, la Correspondance <strong>de</strong> Nicolas Poussin <strong>de</strong> Charles Jouanny comportait<br />
déjà xvi – 524 pages. On ne s’étonnera pas qu’après cent ans la remise au point nous<br />
ait réclamé plus d’une année <strong>de</strong> travail. Nous souhaitons seulement qu’elle puisse<br />
réveiller la critique. Ainsi, en 1960, la gran<strong>de</strong> exposition Poussin voulue par André<br />
Chastel <strong>et</strong> organisée au Louvre par Sir Anthony Blunt a multiplié les manifestations<br />
consacrées aux peintures <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>sins <strong>de</strong> l’artiste. Peut-être une relecture <strong>de</strong> ses textes<br />
pourra-t-elle pareillement ai<strong>de</strong>r à nous rapprocher <strong>de</strong> sa pensée.<br />
I — Missions <strong>et</strong> activités<br />
M. Pierre Toubert, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
(Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres)<br />
Histoire <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt méditerranéen au Moyen Âge<br />
Rapport d’activité 2007-2008<br />
— Les 3-6 mai 2007, le professeur a participé à Madrid à la réunion du Comité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Publications <strong>de</strong> la Casa <strong>de</strong> Velázquez dont il est d’autre part membre du Conseil<br />
d’Administration.<br />
— Du 16 au 30 mai 2007, il a donné une série <strong>de</strong> conférences à l’Université <strong>de</strong> Nagoya<br />
(Japon). Le 22 mai, il a reçu le Prix spécial (Award) pour 2007 <strong>de</strong> la Japan Soci<strong>et</strong>y for<br />
Promotion of Science qui lui a été remis par le professeur Ono, directeur du J.S.P.S. <strong>et</strong><br />
secrétaire d’Etat à la Recherche.
882 PROFESSEURS HONORAIRES<br />
— Du 18 au 23 juin, il a co-dirigé avec le professeur Michel Zink un séminaire <strong>de</strong><br />
recherches <strong>de</strong> la Fondation <strong><strong>de</strong>s</strong> Treilles qui avait pour obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre au point la publication<br />
par les Editions Fayard <strong>de</strong> l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> leçons inaugurales <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong> relatives au Moyen Age <strong>et</strong> à la Renaissance.<br />
— Le 25 septembre, il a participé au jury qui a décerné le Grand Prix <strong>de</strong> l’Histoire<br />
Augustin-Thierry, prix annuel du Centre européen <strong>de</strong> Promotion <strong>de</strong> l’Histoire (Blois).<br />
— Du 4 au 8 octobre, il a participé au Colloque International organisé à la Villa Kerylos<br />
<strong>de</strong> Beaulieu sur Mer par l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres. Il y a donné une<br />
communication intitulée : « Dis<strong>et</strong>tes, famines <strong>et</strong> contrôle du risque alimentaire dans le<br />
mon<strong>de</strong> méditerranéen au Moyen Age ».<br />
— Du 8 au 12 novembre, il a participé à Rome au Colloque International organisé par<br />
l’Istituto storico italiano per il Medioevo pour célébrer l’achèvement du Repertorium Fontium<br />
Medii Aevi, dit « le nouveau Potthast ». Il a à c<strong>et</strong>te occasion donné la conférence d’ouverture<br />
sur « L’œuvre d’August Potthast, 1862-1895 ».<br />
— Du 23 au 25 novembre, il a participé à Madrid à la réunion périodique du Comité<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Publications <strong>de</strong> la Casa <strong>de</strong> Velázquez.<br />
— Le professeur a été nommé en octobre 2007 membre du Conseil Scientifique <strong>de</strong> la<br />
Fondation <strong><strong>de</strong>s</strong> Treilles (Fondation Schlumberger – Grüner) <strong>et</strong> il a participé à la réunion<br />
dudit Conseil le 11 février 2008.<br />
— Les 14 mars <strong>et</strong> 26 juin 2008, il a participé aux réunions du Conseil Scientifique <strong>de</strong><br />
l’Ecole Nationale <strong><strong>de</strong>s</strong> Chartes dont il fait partie au titre <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong>.<br />
— Le 17 mars 2008, il a organisé au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> la réunion <strong><strong>de</strong>s</strong> membres belges<br />
<strong>et</strong> français du Comité <strong>de</strong> Rédaction <strong>de</strong> la revue Le Moyen Age dont il est l’un <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
co-directeurs.<br />
— Du 8 au 12 mai 2008, il a accompli une mission à Madrid <strong>et</strong> participé au Comité<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Publications <strong>de</strong> la Casa <strong>de</strong> Velázquez.<br />
— Le 23 juin 2008, il a participé à la réunion du Conseil d’Administration <strong>de</strong> l’Ecole<br />
Normale Supérieure <strong>de</strong> Lyon (E.N.S. – L.S.H.).<br />
II — Publications sous presse<br />
1) « La perception sociale du risque dans le mon<strong>de</strong> méditerranéen au Moyen Age », dans les<br />
Actes du colloque sur Les sociétés méditerranéennes <strong>de</strong>vant le risque, réuni à la Casa <strong>de</strong><br />
Velázquez (Madrid) du 29 septembre au 1 er octobre 2003, sous la direction <strong>de</strong> G.<br />
Chastagnar<strong>et</strong> (éd.).<br />
2) « La percezione <strong>de</strong>l rischio nella pastorizia <strong>de</strong>l mondo mediterraneo nord-occi<strong>de</strong>ntale »,<br />
dans les Actes du congrès international La pastorizia nel Mediterraneo, Storia e dirrito<br />
(sec. XI-XX), Alghero (Sassari), 7-11 novembre 2006, en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> publication sous la<br />
direction d’A. Mattone, Publications <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Sassari.<br />
3) « Dis<strong>et</strong>tes, famines <strong>et</strong> contrôle du risque alimentaire dans le mon<strong>de</strong> méditerranéen au<br />
Moyen Age », à paraître dans les Actes <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques <strong>de</strong> la Villa Kerylos, vol. XIX, Pratiques<br />
<strong>et</strong> dis<strong>cours</strong> alimentaires en Méditerranée <strong>de</strong> l’Antiquité à la Renaissance », Académie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres, éd. De Boccard, octobre 2008.
Université <strong>de</strong> la Rochelle<br />
ENSEIGNEMENT DES PROFESSEURS<br />
EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER<br />
EN FRANCE<br />
M. Christian G OUDINEAU (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Antiquités nationales) a<br />
donné au printemps 2008, 6 <strong>cours</strong> sur : Questions relatives à l’économie <strong>et</strong> à<br />
la religion <strong>de</strong> la Gaule.<br />
Université <strong>de</strong> Nice Sophia-Antipolis<br />
M. Antoine Labeyrie (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Astrophysique observationnelle) a<br />
donné en mars 2008, 3 <strong>cours</strong> sur : Exo-planètes, étoiles <strong>et</strong> galaxies : progrès <strong>de</strong><br />
l’observation <strong>et</strong> 3 séminaires sur : Séminaire général d’astrophysique.<br />
Institut <strong>de</strong> génétique <strong>et</strong> <strong>de</strong> biologie moléculaire <strong>et</strong> cellulaire (IGBMC) -<br />
Strasbourg<br />
M me Christine P<strong>et</strong>it (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Génétique <strong>et</strong> Physiologie cellulaire)<br />
a donné en avril 2008, 2 <strong>cours</strong> sur : Audition <strong>et</strong> surdités héréditaires :<br />
1. Traitement <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux acoustiques dans la cochlée ; 2. Des gènes à la<br />
physiologie moléculaire <strong>de</strong> la cochlée.<br />
Université Marc Bloch <strong>de</strong> Strasbourg<br />
M. John Scheid (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Religion, Institutions <strong>et</strong> Société <strong>de</strong> la<br />
Rome antique) a donné au printemps 2008, 4 séminaires sur : Les cultes <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
eaux.
884 ENSEIGNEMENT DES PROFESSEURS EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER<br />
Université Louis Pasteur <strong>de</strong> Strasbourg<br />
M. Jean-Marie Lehn (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions<br />
moléculaires) a donné en décembre 2007 - janvier 2008, 3 <strong>cours</strong> sur : Autoorganisation<br />
supramoléculaire. Systèmes organiques <strong>et</strong> inorganiques <strong>et</strong> 7 séminaires,<br />
d’octobre 2007 à juin 2008, sur : Progrès récents en chimie moléculaire <strong>et</strong><br />
supramoléculaire.<br />
M. Jean-Louis Man<strong>de</strong>l (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Génétique humaine) a donné<br />
1 <strong>cours</strong> sur : Génétique <strong>de</strong> la dégénérescence maculaire liée à l’âge.<br />
Faculté <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> Rangueil,Toulouse<br />
M. Pierre Corvol (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine expérimentale) a donné<br />
en mars 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : Système rénine <strong>et</strong> angiogenèse.<br />
Université <strong>de</strong> Toulouse-le Mirail<br />
M. Michel Zink (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale)<br />
a donné du 26 novembre au 1 er décembre 2007, 2 <strong>cours</strong> sur : Poèmes raisonneurs<br />
<strong>et</strong> récits poétiques : novas occitanes <strong>et</strong> Pais br<strong>et</strong>ons.<br />
ALLEMAGNE<br />
ENSEIGNEMENT À L’ÉTRANGER<br />
Université <strong>de</strong> Bonn (Chaire Ernst Robert Curtius)<br />
M. John Scheid (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Religion, Institutions <strong>et</strong> Société <strong>de</strong> la<br />
Rome antique) a donné en janvier 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : Le sens <strong><strong>de</strong>s</strong> rites dans la<br />
religion romaine <strong>et</strong> 1 séminaire en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>.<br />
M. Michel Zink (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale)<br />
a donné en mai 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : La poésie comme récit. Exemples<br />
médiévaux.<br />
Université <strong>de</strong> Kiel<br />
M. Édouard Bard (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan) a<br />
donné en octobre 2007, 1 <strong>cours</strong> sur : The tropical record of abrupt climate<br />
changes.
BELGIQUE<br />
ENSEIGNEMENT DES PROFESSEURS EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER 885<br />
Université Libre <strong>de</strong> Bruxelles<br />
M. Édouard Bard (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan) a<br />
donné en février 2008, 1 <strong>cours</strong> <strong>et</strong> 2 séminaires sur : Climats du passé <strong>et</strong> du futur.<br />
BRÉSIL<br />
Université <strong>de</strong> São-Paulo (Chaire Levi-Strauss)<br />
M me Mireille Delmas-Marty (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques <strong>et</strong><br />
internationalisation du droit) a donné en octobre 2007, 4 <strong>cours</strong> sur : Le droit<br />
pénal <strong>de</strong> l’inhumain <strong>et</strong> 2 séminaires en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>.<br />
CANADA<br />
Université <strong>de</strong> Montréal - Université <strong>de</strong> Vancouver<br />
M. Alain Berthoz (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
l’action) a donné en mai 2008, 4 <strong>cours</strong> sur : Principes simplificateurs dans les<br />
mécanismes cérébraux <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action.<br />
CHINE<br />
Institute of Otolaryngology, Chinese PLA General Hospital, Beijing<br />
M me Christine P<strong>et</strong>it (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Génétique <strong>et</strong> physiologie cellulaire)<br />
a donné 5 <strong>cours</strong> sur : Hearing and <strong>de</strong>afness.<br />
City University of Hong Kong<br />
M. Jean-Marie Lehn (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions<br />
moléculaires) a donné en octobre 2007, 4 <strong>cours</strong> sur : Supramolecular Chemistry -<br />
From Molecular Recognition towards Self-Organization.<br />
GRANDE-BRETAGNE<br />
Maison française d’Oxford<br />
M. Pierre Briant (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong><br />
achéméni<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’empire d’Alexandre) a donné en novembre 2007, 2 <strong>cours</strong> sur :<br />
Recherches récentes sur l’empire achéméni<strong>de</strong>.
886 ENSEIGNEMENT DES PROFESSEURS EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER<br />
Université <strong>de</strong> Cambridge<br />
M. Édouard Bard (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan) a<br />
donné en janvier 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : The ocean record of the last <strong>de</strong>glaciation.<br />
ÉTATS-UNIS<br />
Université <strong>de</strong> Chicago<br />
M. Édouard Bard (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan) a<br />
donné en octobre 2007, 3 <strong>cours</strong> sur : High latitu<strong>de</strong> and tropical records of rapid<br />
climate changes.<br />
M. Stanislas Dehaene (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Psychologie cognitive<br />
expérimentale) a donné en février 2008, 3 <strong>cours</strong> sur : « Reading in the brain » :<br />
1 - The visual word form area : myth or reality ?<br />
2 - Mirror errors : evi<strong>de</strong>nce for neuronal recycling in reading acquisition.<br />
3 - Subliminal and supraliminal processing of words and digits.<br />
M. Serge Haroche (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Physique quantique) a donné en<br />
septembre-octobre 2007, 4 <strong>cours</strong> sur : Exploring the quantum dynamics of<br />
atoms and photons in cavities.<br />
M. Michel Zink (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale)<br />
a donné en avril 2008, 2 <strong>cours</strong> sur : Poésie courtoise, nouvelles courtoises, <strong>et</strong><br />
4 séminaires sur : Ce que la poésie raconte.<br />
Massachus<strong>et</strong>ts Institute of Technology - Université <strong>de</strong> Harvard -<br />
Université <strong>de</strong> Portland<br />
M. Alain Berthoz (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
l’action) a donné en mai 2008, 5 <strong>cours</strong> sur : Principes simplificateurs dans les<br />
mécanismes cérébraux <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action.<br />
Université <strong>de</strong> Yale, New Haven<br />
M. Michel Devor<strong>et</strong> (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Physique mésoscopique) a donné<br />
en octobre 2007, 3 <strong>cours</strong> sur : « Single Electron Effects in Mesoscopic Systems ».
GRÈCE<br />
Université d’Athènes<br />
ENSEIGNEMENT DES PROFESSEURS EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER 887<br />
M. Spyros Artavanis-Tsakonas (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Biologie <strong>et</strong> génétique<br />
du développement) a donné en février 2008, 3 <strong>cours</strong> sur : The <strong>de</strong>velopment<br />
biology and evolutionary implications of Notch signaling crosstalk.<br />
ITALIE<br />
Université Ca’Foscari, Venise<br />
M. Pierre-Étienne Will (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne<br />
a donné en mai 2008, 2 <strong>cours</strong> sur : 1. Militarism and the revolutionary<br />
connection in late-Qing and early Republican Shaanxi province ; 2. Engineers<br />
and state-building : Li Yizhi (1882-1938) and his circle, <strong>et</strong> 2 séminaires :<br />
Discussion <strong>de</strong> sources en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>.<br />
PAYS-BAS<br />
Université d’Utrecht<br />
M. Édouard Bard (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan) a<br />
donné en septembre 2007, 1 <strong>cours</strong> sur : The last <strong>de</strong>glaciation.<br />
SINGAPOUR<br />
Agency for Science and Technology<br />
M. Pierre Corvol (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine expérimentale) a donné<br />
en mars 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : Normal and abnormal angiogenesis.<br />
RUSSIE<br />
M.V. Lomonossov Moscow State University<br />
M. Jean-Marie Lehn (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions<br />
moléculaires) a donné en septembre-octobre 2007, 4 <strong>cours</strong> sur : Supramolecular<br />
Chemistry - From Molecular Recognition towards Self-Organization.
888 ENSEIGNEMENT DES PROFESSEURS EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER<br />
SUÈDE<br />
Université d’Uppsala<br />
M. Jean-Marie Lehn (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions<br />
moléculaires) a donné 3 <strong>cours</strong> sur : From Supramolecular Chemistry to<br />
Constitutional Dynamic Chemistry.<br />
M. Jacques Livage (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée) a<br />
donné une série <strong>de</strong> <strong>cours</strong> sur : Soft chemistry synthesis of advanced materials.<br />
M me Christine P<strong>et</strong>it (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Génétique <strong>et</strong> physiologie cellulaire)<br />
a donné 2 <strong>cours</strong> sur : Hereditary <strong>de</strong>afness : from the genes to the cellular and<br />
molecular mechanisms of hearing.<br />
SUISSE<br />
Université <strong>de</strong> la Suisse Italienne Lugano<br />
M. Carlo Ossola (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Littératures mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’Europe<br />
néolatine) a donné <strong>de</strong> septembre 2007 à mars 2008, ses <strong>cours</strong> sur : « Renaissance »<br />
<strong>et</strong> « création » au XVI e siècle.<br />
TUNISIE<br />
Université <strong>de</strong> Tunis<br />
M. Jacques Livage (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée) a<br />
donné en avril 2008, 6 <strong>cours</strong> sur : Nouvelles avancées en chimie du soli<strong>de</strong>
COURS ET CONFÉRENCES<br />
SUR INVITATION<br />
DE L’ASSEMBLÉE DES PROFESSEURS<br />
I.<br />
Chaires d’état réservées à ses savants étrangers<br />
M. Nicholas Purcell, Professeur, St. John’s College, Oxford (Gran<strong>de</strong>-Br<strong>et</strong>agne)<br />
a donné les 23 <strong>et</strong> 30 octobre, 6 <strong>et</strong> 13 novembre 2007, une série <strong>de</strong> leçons sur les<br />
suj<strong>et</strong>s suivants : 1. Devenir maritime ; 2. Les pentes <strong>de</strong> la connectivité ; 3. Aux<br />
marges <strong>de</strong> la Méditerranée : écologie, réseaux, interdépendances ; 4. Le couloir<br />
<strong>de</strong> Téthys <strong>et</strong> les problèmes <strong>de</strong> la Transeuphratène.<br />
M. Diego Gamb<strong>et</strong>ta, Professeur à Nuffield College, Université d’Oxford<br />
(Gran<strong>de</strong>-Br<strong>et</strong>agne) a donné les 27 novembre, 4, 11 <strong>et</strong> 18 décembre 2007, une série<br />
<strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong> suivant : The theory of signals and its application to<br />
human behaviour.<br />
M me Elaine Fuchs, Professeur à l’Université Rockefeller <strong>de</strong> New York (États-<br />
Unis), a donné les 8, 15, 18 <strong>et</strong> 22 janvier 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur les suj<strong>et</strong>s<br />
suivants : 1. Stem Cells : Biology, Ethics and potential for Medicine ; 2. The<br />
Biology and Gen<strong>et</strong>ics of Skin and Hair ; 3. Cell adhesion, Migration and<br />
Cancer ; 4. Stem Cells of the Skin and their Lineages.<br />
M. Orly Goldwasser, Professeur à l’Université hébraïque <strong>de</strong> Jérusalem (Israël)<br />
a donné les 22, 29 janvier, 5 <strong>et</strong> 12 février 2008, sur le suj<strong>et</strong> suivant : L’archéologie<br />
<strong>de</strong> la pensée égyptienne : classification <strong>et</strong> catégories <strong><strong>de</strong>s</strong> anciens égyptiens.<br />
M me Maria Giovanna Biga, Professeur à l’Université « La Sapienza » <strong>de</strong> Rome<br />
(Italie) a donné les 5, 12, 19 <strong>et</strong> 26 février 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong><br />
suivant : La Syrie au III e millénaire av. J.-C. d’après les archives d’Ebla. 1. La<br />
vie à la cour d’Ebla ; 2. L’organisation <strong>de</strong> l’État eblaite ; la royauté <strong>et</strong> la gestion<br />
du pouvoir ; 3. Le royaume d’Ebla <strong>et</strong> ses voisins ; 4. La religion d’Ebla.<br />
M. Leonid Kogan, Professeur à l’Université d’État <strong>de</strong> Russie, a donné les 4, 11,<br />
18 <strong>et</strong> 25 mars 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong> suivant : Les noms <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes<br />
akkadiennes dans leur contexte sémitique : 1. Introduction : terminologie
890 COURS ET CONFÉRENCES<br />
botanique générale <strong>et</strong> noms <strong><strong>de</strong>s</strong> parties <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes ; 2. Plantes sauvages ;<br />
3. Plantes domestiquées : les céréales <strong>et</strong> les légumes ; 4. Plantes domestiquées :<br />
les arbres <strong>et</strong> la vigne.<br />
M. Jose Alexandre Scheinkman, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Princ<strong>et</strong>on (États-<br />
Unis) a donné les 10, 17, 26 <strong>et</strong> 31 mars 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong><br />
suivant : Long Term Risk.<br />
M. Albert <strong>de</strong> Jong, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Lei<strong>de</strong>n (Pays-Bas) a donné les 6,<br />
13, 20 <strong>et</strong> 27 mai 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong> suivant : Les quatre phases<br />
<strong>de</strong> la religion mazdéenne.<br />
M. Ahmad Beydoun, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Beyrouth (Liban) a donné les<br />
6, 22, 27 <strong>et</strong> 29 mai 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur les suj<strong>et</strong>s suivants : 1. Du pacte<br />
<strong>de</strong> 1943 à l’accord <strong>de</strong> Taef : les résistances à la déconfessionnalisation ; 2. Ce<br />
qu’ « indépendance » voulait dire… 3. Une nouvelle donne inter-communautaire<br />
? 4. Le système politique libanais a-t-il un avenir ?<br />
M. José Emilio Burucúa, Professeur à l’Université San Martín (Argentine) a<br />
donné les 7, 14, 19 <strong>et</strong> 26 mai 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur les suj<strong>et</strong>s suivants :<br />
1. Le concept d’altérité <strong>et</strong> la représentation picturale <strong>de</strong> l’histoire d’Ulysse<br />
<strong>de</strong>puis la Renaissance ; 2. Le massacre ancien <strong>et</strong> le massacre mo<strong>de</strong>rne :<br />
problèmes d’historiographie <strong>et</strong> <strong>de</strong> représentation ; 3. Les pathosformeln du rire<br />
<strong>et</strong> la gravure européenne au début <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité ; 4. Les gravures du<br />
Quichotte en <strong>France</strong> du XVII e siècle.<br />
M. P<strong>et</strong>er Gol<strong>de</strong>n, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Rutgers, New Jersey (États-Unis)<br />
a donné les 7, 14, 21 <strong>et</strong> 28 mai 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur les suj<strong>et</strong>s suivants :<br />
1. The origins and shaping of the Turks of medieval Eurasia ; Ethnicity in<br />
Medieval Eurasia ; 2. The origins of the Khazars and their conversion to<br />
judaism in a Eurasian context, i.e. the adoption of universal faiths by the<br />
Turkic nomads ; 3. Sacral kingship among the early Turkic peoples with<br />
particular reference to the khazars ; 4. The Qïpchaqs : origins and<br />
migrations.<br />
M me Jean Cohen, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Columbia, New York (États-Unis)<br />
a donné les 7, 14, 21 <strong>et</strong> 28 mai 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong> suivant :<br />
R<strong>et</strong>hinking Sovereignty, Rights and International Law in the Epoch of<br />
Globalization : 1. Sovereignty and International Law : A Dualist Perspective ;<br />
2. Cosmopolitanism and Empire ; 3. Intervention, Occupation and Human<br />
Rights ; 4. Towards the Constitutionalization of International Law.<br />
M. Victor Stoichita, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Fribourg (Suisse) a donné les<br />
15, 23, 30 mai <strong>et</strong> 6 juin 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong> suivant : Des larmes<br />
<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Saints.
COURS ET CONFÉRENCES 891<br />
M. Gyorgy Buzsáki, Professeur à l’Université Rutgers, Newark (États-Unis) a<br />
donné les 12, 19 <strong>et</strong> 26 juin 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong> suivant : Rythms<br />
of the Brain :<br />
Neuronal synchrony :<br />
1. M<strong>et</strong>abolic and wiring costs of excitatory and inhibitory systems ;<br />
2. Oscillatory and non-Oscillatory emergence of cell assemblies ;<br />
3. Internally advancing assemblies in the hippocampus ;<br />
4. Coupling of hippocampal and neocortical systems.<br />
II.<br />
Fondation Clau<strong>de</strong>-Antoine Peccot<br />
M me Karine Beauchard, Chargée <strong>de</strong> Recherches au CNRS, a donné les 9, 16,<br />
23 <strong>et</strong> 30 janvier 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong> suivant : Contrôle d’équations<br />
<strong>de</strong> Schrödinger.<br />
M. Gaëtan Chenevier, Chargé <strong>de</strong> Recherches au CNRS, a donné les 17,<br />
31 mars, 7 <strong>et</strong> 14 avril 2008, une série <strong>de</strong> leçons sur le suj<strong>et</strong> suivant : Variétés <strong>de</strong><br />
Hecke <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes unitaires <strong>et</strong> représentations galoisiennes.<br />
III.<br />
Fondation Antoine Laccassagne<br />
M. Thomas Bourgeron, Professeur à l’Université Paris VII, a donné les 4 <strong>et</strong><br />
11 avril, <strong>de</strong>ux conférences sur les suj<strong>et</strong>s suivants : 1. La vulnérabilité génétique à<br />
l’autisme : les altérations synaptiques ; 2. La vulnérabilité génétique à<br />
l’autisme : les altérations <strong>de</strong> l’horloge circadiennes.<br />
IV.<br />
Conférence Michonis<br />
M. Philippe Borgeaud, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Genève (Suisse) a donné le<br />
8 octobre 2007, une conférence sur le suj<strong>et</strong> suivant : Une rhétorique antique du<br />
blâme <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’éloge : la religion <strong><strong>de</strong>s</strong> autres.<br />
V.<br />
Conférences du don en souvenir <strong>de</strong> Winnar<strong>et</strong>ta Singer :<br />
Princesse Edmond <strong>de</strong> Polignac<br />
M. Dong-Hyun Son, Professeur, Sungkyunkwan University, Séoul (Corée) a<br />
donné le 20 novembre 2007, une conférence sur le suj<strong>et</strong> suivant : Une anthropologie<br />
philosophique <strong><strong>de</strong>s</strong> technologies <strong>de</strong> l’information <strong>et</strong> <strong>de</strong> la communication : une<br />
réflexion taoïste sur la réalité virtuelle.
892 COURS ET CONFÉRENCES<br />
M me Maria Luisa Menegh<strong>et</strong>ti, Professeur à l’Università <strong>de</strong>gli Studi di Milano<br />
(Italie) a donné le 4 février 2008, une conférence sur le suj<strong>et</strong> suivant : Les frontières<br />
du grand chant courtois.<br />
M. Gunter Gebauer, Professeur à la Freie Universität <strong>de</strong> Berlin (Allemagne) a<br />
donné le 8 février 2008, une conférence sur le suj<strong>et</strong> suivant : « L’Anthropologie »<br />
<strong>de</strong> Wittgenstein.<br />
M. Atsuo Takanishi, Professeur à l’Université Waseda <strong>de</strong> Tokyo (Japon) a donné<br />
les 25 <strong>et</strong> 27 février 2008, <strong>de</strong>ux conférences sur les suj<strong>et</strong>s suivants : 1. Relations<br />
entre la robotique <strong><strong>de</strong>s</strong> humanoï<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> la culture <strong>et</strong> la société au Japon ; 2. Les<br />
robots humanoï<strong><strong>de</strong>s</strong> comme outils pour l’étu<strong>de</strong> scientifique du comportement<br />
humain.<br />
M. Yasuaki Onuma, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Tokyo (Japon) a donné les 6 <strong>et</strong><br />
14 mars 2008, <strong>de</strong>ux conférences sur le suj<strong>et</strong> suivant : Human rights in a Multipolar<br />
and Multi-civilizational world of the 21st century - A view from a transcivilizational<br />
Perspective.<br />
M. Geoffrey Hill, Professeur honoraire <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Boston (États-Unis)<br />
a donné le 18 mars 2008, une conférence sur le suj<strong>et</strong> suivant : A reading and<br />
discussion of my own writings in the context of contemporary British<br />
Philosophy and peotry.<br />
M me Kapila Vatsyayana, Former secr<strong>et</strong>ary (culture) to the India government,<br />
Foun<strong>de</strong>r and former head of the Indira Gandhi National Centre for the Arts<br />
(In<strong>de</strong>) a donné le 4 avril 2008, une conférence sur le suj<strong>et</strong> suivant : The building<br />
of the Main Cultural Institutions in In<strong>de</strong>pendant India.<br />
M. Martin Schwartz, Professeur à l’Université <strong>de</strong> California, Berkeley (États-<br />
Unis) a donné les 20 <strong>et</strong> 27 mai 2008, <strong>de</strong>ux conférences sur le suj<strong>et</strong> suivant : The<br />
po<strong>et</strong>ry of the Gathas : Mysteries of composition, and the composition of<br />
mysteries : 1. Compositional techniques of the individual poems, and of the<br />
serial generation of the corpus ; 2. The esoteric dimensions of gathic style.<br />
M. Karl Friston, Professeur, University College London (Gran<strong>de</strong> Br<strong>et</strong>agne) a<br />
donné les 29, 30 mai <strong>et</strong> 2 juin 2008, trois conférences sur le suj<strong>et</strong> suivant : A freeenergy<br />
principle for the brain : 1. Action, perception and free-energy ;<br />
2. Perceptual inference and learning ; 3. Variational filtering and inference.<br />
M. David Warnock, Professeur à l’Université d’Alabama, Birmingham (États-<br />
Unis) a donné les 3 <strong>et</strong> 18 juin 2008, <strong>de</strong>ux conférences sur les suj<strong>et</strong>s suivants :<br />
1. Stroke, CV disease and chronic kidney disease ; 2. Proteinuria and blood<br />
pressure control and progression of chronic kidney disease.
COURS ET CONFÉRENCES<br />
RÉSUMÉS<br />
M. Nicholas Purcell<br />
Professeur, St. John’s College, Oxford (Gran<strong>de</strong>-Br<strong>et</strong>agne)<br />
Les quatre leçons données en octobre <strong>et</strong> novembre 2007 sont intitulées :<br />
1. Devenir maritime<br />
2. Les pentes <strong>de</strong> la connectivité<br />
3. Aux marges <strong>de</strong> la Méditerranée : écologie, réseaux, interdépendances<br />
4. Le couloir <strong>de</strong> Téthys <strong>et</strong> les problèmes <strong>de</strong> la Transeuphratène<br />
La Méditerranée : avec ce concept, peut-on <strong>et</strong> doit-on faire <strong>de</strong> l’histoire<br />
intéressante ? Si oui, quel genre d’histoire ? Telles sont les questions qui soustendaient<br />
The Corrupting Sea. A Study of Mediterranean History (Oxford, 2000).<br />
Les conférences présentées au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ont exploré la manière dont on<br />
pourrait abor<strong>de</strong>r les relations entre les histoires <strong>de</strong> la Méditerranée <strong>et</strong> celles du<br />
mon<strong>de</strong> qui entourait la région méditerranéenne. Elles se concentraient sur l’histoire<br />
antique, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> incursions dans l’histoire plus récente.<br />
Dans la pensée antique, le terrestre <strong>et</strong> le maritime étaient strictement distingués.<br />
C<strong>et</strong>te distinction est bien comprise. Nous avons exploré la manière dont les auteurs<br />
<strong>de</strong> l’Antiquité entendaient réduire la séparation en parlant <strong>de</strong> « <strong>de</strong>venir maritime »,<br />
contrairement à l’orientation normale <strong>de</strong> la vie humaine tournée vers la terre. Le<br />
locus classicus se trouve dans Hérodote 7, 144 : anankasas thalassious genesthai<br />
Athenaious (« forçant les Athéniens à <strong>de</strong>venir maritimes »), un précé<strong>de</strong>nt<br />
spectaculairement développé par la stratégie <strong>de</strong> Rome contre Carthage lors <strong>de</strong> la<br />
Première Guerre punique. Ce topo a une longue histoire <strong>et</strong> on le r<strong>et</strong>rouve dans <strong>de</strong><br />
nombreux récits <strong>de</strong> victoires militaires inattendues. On peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r comment<br />
c<strong>et</strong>te conception bien connue peut être reliée à l’histoire sociale <strong>et</strong> politique plus<br />
réaliste <strong><strong>de</strong>s</strong> gens <strong>de</strong> mer <strong>de</strong> la Méditerranée. L’enquête conduit à une vision <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
moyens <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> objectifs d’une mobilisation plus ou moins forcée <strong>de</strong> gens dans un
894 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />
milieu maritime. Ce <strong>de</strong>rnier acquiert <strong>de</strong> ce fait une personnalité historique distincte,<br />
<strong>et</strong> établit en même temps <strong><strong>de</strong>s</strong> relations particulières avec les terres où sont recrutés<br />
les marins. En r<strong>et</strong>our, la comparaison éclaire d’un autre jour les épiso<strong><strong>de</strong>s</strong> bien<br />
connus du « <strong>de</strong>venir maritime » dans l’histoire antique.<br />
Nous avons commencé par tracer la frontière entre les lieux où l’on recrutait les<br />
gens <strong>de</strong> mer <strong>et</strong> la mer sur laquelle ils se déployaient. En tant qu’espace, celle-ci<br />
était définie par c<strong>et</strong>te mobilisation, <strong>et</strong> plus largement par sa connectivité. Ceux qui<br />
vivaient le plus près <strong>de</strong> la mer pouvaient être mobilisés aisément <strong>et</strong> <strong>de</strong> façon<br />
répétée. Pourtant dans certains cas, ce sont les plus improbables <strong><strong>de</strong>s</strong> habitants <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
terres qui sont « <strong>de</strong>venus maritimes » : les montagnards <strong>et</strong> les barbares venus <strong>de</strong><br />
territoires éloignés <strong><strong>de</strong>s</strong> côtes. « Devenir maritime » apparaît alors comme un<br />
mouvement unique orienté vers la mer <strong>et</strong> son niveau élevé <strong>de</strong> connectivité, selon<br />
un gradient qui peut être calculé en fonction <strong>de</strong> la connectivité, <strong>et</strong> surtout en<br />
fonction <strong>de</strong> la mobilisation <strong><strong>de</strong>s</strong> biens <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> personnes. Les zones terrestres <strong>de</strong><br />
l’intérieur ont aussi leur propre régime <strong>de</strong> connectivité. Nous avons donc étudié<br />
l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> polarités changeantes, dans les zones situées entre la mer <strong>et</strong> le<br />
continent, qui peuvent être dominées à la fois par <strong><strong>de</strong>s</strong> formations d’origine maritime<br />
ou terrestre, selon <strong><strong>de</strong>s</strong> mouvements récurrents qui nous poussent à les nommer<br />
« sociétés du ressac ». La dynamique <strong>de</strong> ces changements peut être étroitement<br />
reliée au développement <strong><strong>de</strong>s</strong> États, <strong>et</strong> nous avons entrepris <strong>de</strong> rechercher <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
dénominateurs communs dans le développement <strong>de</strong> p<strong>et</strong>ites entités politiques à la<br />
périphérie <strong>de</strong> l’espace méditerranéen, entre l’âge du bronze <strong>et</strong> le Moyen Âge.<br />
Après l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> « pentes <strong>de</strong> la connectivité », nous nous sommes concentré sur<br />
l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> principales dynamiques <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions explorées dans la précé<strong>de</strong>nte<br />
conférence : les échanges commerciaux. Le but <strong>de</strong> l’exercice était <strong>de</strong> réévaluer une<br />
partie <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances sur les commerçants grecs <strong>et</strong> romains, dans l’espoir qu’une<br />
approche plus écologique apportera une meilleure compréhension <strong>de</strong> la diversité<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> contextes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> formes du commerce antique que ne le font les modèles<br />
mo<strong>de</strong>rnisants que nous employons habituellement. De même que pour les<br />
formations <strong><strong>de</strong>s</strong> États, il est fécond <strong>de</strong> considérer les diasporas commerciales <strong>et</strong> les<br />
réseaux marchands <strong>de</strong> l’Antiquité comme <strong><strong>de</strong>s</strong> caractéristiques <strong>de</strong> la périphérie<br />
méditerranéenne. Non seulement elles sont intimement reliées à la connectivité,<br />
mais il s’avère que, du fait <strong>de</strong> l’importance du trafic d’esclaves, elles ont un rapport<br />
spécial avec la mobilisation forcée qui apparaît comme une caractéristique essentielle<br />
d’une histoire spécifiquement méditerranéenne.<br />
Dans un premier temps, nous n’avons pas essayé <strong>de</strong> comparer les zones terrestres<br />
(ou d’autres espaces maritimes) dont les histoires peuvent être juxtaposées à celles<br />
<strong>de</strong> la Méditerranée. Pour conclure, nous avons revisité les thèmes <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences<br />
précé<strong>de</strong>ntes pour examiner les rapports entre le mon<strong>de</strong> méditerranéen <strong>et</strong> ses voisins<br />
<strong>de</strong> l’Est. Nous considérons le couloir <strong>de</strong> basses terres qui inclut la Mésopotamie <strong>et</strong><br />
qui s’étend <strong>de</strong> la Syrie jusqu’à Élam <strong>et</strong> l’entrée du golfe Persique à la fois comme<br />
un espace connectif spécifique, dont on peut explorer la périphérie <strong>de</strong> la même
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 895<br />
manière que la périphérie <strong>de</strong> la Méditerranée que nous avons examinée, <strong>et</strong> comme<br />
un important prolongement <strong>de</strong> l’espace méditerranéen. Il forme une entité unique :<br />
le couloir <strong>de</strong> Téthys. La Méditerranée <strong>de</strong> The Corrupting Sea revendique sa place<br />
en tant qu’unité dotée d’un régime propre <strong>de</strong> connectivité, que l’on peut rapprocher<br />
d’autres unités semblables pour les comparer ou en faire l’obj<strong>et</strong> d’« histoires<br />
connectées » reliant plusieurs d’entre elles. La zone charnière du Levant cesse d’être<br />
une frontière entre royaumes étrangers pour <strong>de</strong>venir un espace <strong>de</strong> transition entre<br />
entités étroitement comparables. Ce type d’analyse peut produire <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats<br />
intéressants pour d’autres espaces méditerranéens en marge <strong>de</strong> zones complexes<br />
mais essentiellement connectives, telles que le Sahara ou la faça<strong>de</strong> atlantique. Il<br />
laisse entrevoir une Méditerranée qui continue d’être un obj<strong>et</strong> fécond <strong>et</strong> spécifique<br />
pour la réflexion historique, sans qu’il soit besoin <strong>de</strong> la monter en épingle, <strong>de</strong> façon<br />
inacceptable, comme une exception.<br />
(Traduit <strong>de</strong> l’anglais par Marc Kirsch)<br />
M. Diego Gamb<strong>et</strong>ta<br />
Professeur à Nuffield College, Université d’Oxford (Gran<strong>de</strong>-Br<strong>et</strong>agne)<br />
Signalling theory and its applications<br />
My <strong>cours</strong>e, which comprised 4 lectures, was an introduction to the principles of<br />
signalling theory, its history, and its common misconceptions. I also presented two<br />
applications: to trust <strong>de</strong>cisions and to interpersonal violence. Herewith, I give a<br />
brief overview of the theory and of the range of its applications, without going<br />
into the d<strong>et</strong>ails of the two particular applications which I presented in my<br />
lectures.<br />
Signalling theory (ST) tackles a fundamental problem of communication: how<br />
can an agent, the receiver, establish wh<strong>et</strong>her another agent, the signaller, is telling<br />
or otherwise conveying the truth about a state of affairs or event which the signaller<br />
might have an interest to misrepresent? And, conversely, how can the signaller<br />
persua<strong>de</strong> the receiver that he is telling the truth, wh<strong>et</strong>her he is telling it or not?<br />
This two-pronged question potentially arises every time the interests b<strong>et</strong>ween<br />
signallers and receivers diverge or colli<strong>de</strong> and there is asymm<strong>et</strong>ric information,<br />
namely the signaller is in a b<strong>et</strong>ter position to know the truth than the receiver is.<br />
ST, which is only a little more than 30 years old, has now become a branch of<br />
game theory. In economics it was introduced by Michael Spence in 1973. In<br />
biology it took off not so much when Amotz Zahavi first introduced the i<strong>de</strong>a in<br />
1975, but since, in 1990, Alan Grafen proved formally that ‘honest’ signals can be<br />
an evolutionarily stable strategy.
896 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />
Typical situations that signalling theory covers have two key features:<br />
(i) there is some action the receiver can do which benefits a signaller, wh<strong>et</strong>her<br />
or not he has the quality k, for instance marry him, but<br />
(ii) this action benefits the receiver if and only if the signaller truly has k, and<br />
otherwise hurts her — for instance, marry an unfaithful man.<br />
This applies to conflict situations too: if we know that our opponent is going<br />
to win a fight we may choose to yield without fighting at a lesser cost for both.<br />
Thus k signallers and receivers share an interest in the truth, but the interests of<br />
non-k signallers and receivers are opposed: non-k signallers would like to <strong>de</strong>ceive<br />
receivers into thinking they have k, in or<strong>de</strong>r to receive the benefit, while receivers<br />
have an interest in not being <strong>de</strong>ceived. (The interests of k’s and non-k’s are also<br />
usually opposed because the activity of the latter damages the credibility of the<br />
signals of the former.)<br />
The main result in signalling theory is that there is a solution in which at least<br />
some truth is transmitted, provi<strong>de</strong>d that among the possible signals is one, s,<br />
which is cheap enough to emit, relatively to the benefit, for signallers who have k,<br />
but costly enough to emit, relatively to the benefit, for those who do not. If it is<br />
too costly to fake for all or most non-k signallers then observing s is good evi<strong>de</strong>nce<br />
that the signaller has k.<br />
It is hard to think of another theory that in recent times has been <strong>de</strong>veloping so<br />
fast across all behavioural sciences. In economics applications have concerned<br />
Spence’s mo<strong>de</strong>l of education as a signal of productivity, and practices, such as<br />
product guarantees, financial mark<strong>et</strong>s, advertising, charity donations, scientific<br />
publications fun<strong>de</strong>d by private firms. In political science applications inclu<strong>de</strong>, ways<br />
of credibly signalling foreign policy interests; how different political arrangements<br />
can favour more discriminating signals of high quality politicians; un<strong>de</strong>r what<br />
conditions bargaining mediators are credible; wh<strong>et</strong>her the size of terrorist attacks<br />
can be a signal of terrorist organisation resources; and wh<strong>et</strong>her the theory can shed<br />
light on <strong>et</strong>hnic mimicry. Anthropologists have used the theory to make sense of<br />
« wasteful » or « inefficient » practices in pre-mo<strong>de</strong>rn cultures, such as redistributive<br />
feasts, big yam displays, and hunting difficult preys ; they have also used the theory<br />
to investigate the cooperative effects of differentially costly rituals and requirements<br />
in religious groups. In sociology applications have concerned the attraction that a<br />
group of <strong>de</strong>viant youth display for the punishment beatings they receive from the<br />
IRA, the signals taxi drivers rely on when <strong>de</strong>ciding wh<strong>et</strong>her to pick up hailers or<br />
callers in dangerous cities, criminals’ strategies to i<strong>de</strong>ntify bona fi<strong>de</strong> criminals, the<br />
patterns of prison fights and the use of self-harm.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 897<br />
M me Elaine Fuchs<br />
Professeur, université Rockefeller <strong>de</strong> New York (États-Unis)<br />
La série <strong>de</strong> <strong>cours</strong> donnés les 8, 15, 18 <strong>et</strong> 22 janvier 2008 a porté sur les suj<strong>et</strong>s<br />
suivants :<br />
1. Stem Cells: Biology, Ethics and potential for Medicine;<br />
2. The Biology and Gen<strong>et</strong>ics of Skin and Hair;<br />
3. Cell adhesion, Migration and Cancer;<br />
4. Stem Cells of the Skin and their Lineages.<br />
1. Stem Cells: Biology, Ethics and potential for Medicine<br />
The remarkable ability to generate an embryo from a single fertilized oocyte, to<br />
periodically replace dying cells within tissues and to repair tissues damaged during<br />
injury, is a direct consequence of stem cells, nature’s gift to multicellular organisms.<br />
The gold standard of stem cells is the fertilized egg, which produces an organism<br />
repl<strong>et</strong>e with ~ 220 specialized cell types, including reproductive germ stem cells.<br />
As the embryo first <strong>de</strong>velops, an outer protective shell of support cells, referred to<br />
as the trophecto<strong>de</strong>rm, encases an undifferentiated mass (the inner cell mass) of<br />
pluripotent embryonic stem (ES) cells that will make the animal. As tissues and<br />
organs <strong>de</strong>velop, stem cells become more restricted in their options (Fuchs <strong>et</strong> al.<br />
2004 ; Fuchs 2007) 1.<br />
Although cell type specification is largely compl<strong>et</strong>e at or shortly after birth,<br />
organs must possess a mechanism to replenish those cells within the tissue that die<br />
or become damaged with age. This process of cell replacement by natural wear<br />
and tear is referred to as homeostasis, and is fueled by adult stem cells which<br />
typically resi<strong>de</strong> within a tissue. Some tissues, like the skin epi<strong>de</strong>rmis or intestinal<br />
epithelium, un<strong>de</strong>rgo constant turnover and rejeuvenation involving the entire<br />
tissue. For other tissues/organs, e.g. the brain, it has only been recently that<br />
scientists have appreciated the existence of stem cells that have the ability to<br />
replenish specialized neurons, glial cells and oligo<strong>de</strong>ndrocytes over time, even if<br />
this capacity is much reduced in comparison to the hematopoi<strong>et</strong>ic system or<br />
epithelial tissues. Increasing evi<strong>de</strong>nce is pointing to the view that most tissues of<br />
the body have adult stem cells.<br />
Like ES cells, adult stem cells un<strong>de</strong>rgo self-renewal, the ability to divi<strong>de</strong> to<br />
generate self, and the ability to generate cells that will differentiate to produce<br />
tissues. Adult stem cells, however, typically give rise to only a few different types<br />
of tissues, a feature often referred to as multipotent. Some stem cells, e.g. germ<br />
stem cells, are thought to give rise to only one lineage, in this case, either oocyte<br />
1. Les références complètes sont indiquées dans la version qui peut être téléchargée sur le site<br />
Intern<strong>et</strong> du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> : http://www.college-<strong>de</strong>-france.fr, page du professeur Christine<br />
P<strong>et</strong>it, ongl<strong>et</strong> Conférenciers invités.
898 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />
(female germ stem cells) or sperm (male germ stem cells). Given the fountain of<br />
youth ability of adult stem cells to generate tissues during normal homeostasis and<br />
wound-repair, these stem cells are typically s<strong>et</strong> asi<strong>de</strong> in protected reservoirs within<br />
the <strong>de</strong>veloping tissue. They are often used sparingly, and hence un<strong>de</strong>rgo fewer<br />
divisions than their activated progeny. The protective niches are composed not only<br />
of stem cells but also a complex “microenvironment” of neighboring differentiated<br />
cell types which secr<strong>et</strong>e and organize a diverse range of extracellular matrix and<br />
other factors that allow stem cells to manifest their unique intrinsic properties<br />
(Fuchs <strong>et</strong> al. 2004; Moore and Lemischka 2006; Morrison and Kimble 2006).<br />
Harnessing adult stem cells for regenerative medicine has long been a major<br />
focus of scientists and clinicians alike. Examples of the successful use of stem cells<br />
for regenerative medicine inclu<strong>de</strong> bone marrow transplants to replace cells of the<br />
hematopoi<strong>et</strong>ic system and cultured epi<strong>de</strong>rmal she<strong>et</strong>s for the replacement of<br />
epi<strong>de</strong>rmis lost in badly burned skin (Weissman 2000; De Luca <strong>et</strong> al. 2006). ES<br />
cells have received more attention because of their broa<strong>de</strong>r potential and hence<br />
greater promise for generating cell types to treat injuries and <strong>de</strong>generative conditions<br />
for which we presently have no cures. With the promise are also <strong>et</strong>hical<br />
consi<strong>de</strong>rations <strong>de</strong>aling with the use of fertilized eggs for research necessary to<br />
harness this potential. Scientists have countered with technology referred to as<br />
nuclear transfer, often mistakenly referred to as human cloning. This technology<br />
involves making a hybrid somatic cell from an unfertilized oocyte whose nucleus<br />
was removed and replaced by an adult somatic cell (Hochedlinger and Jaenisch<br />
2006). In collaboration with the laboratory of P<strong>et</strong>er Mombaerts at the Rockefeller<br />
University, my laboratory has used this technology to <strong>de</strong>monstrate that ES cells<br />
and in fact healthy viable mice could be generated from hybrid diploid totipotent<br />
cells, each composed of an unfertilized enucleated mouse oocyte and an adult hair<br />
follicle stem cell, normally able to differentiate into only epi<strong>de</strong>rmis, hair follicles<br />
and sebaceous glands (Blanpain and Fuchs 2006; Li <strong>et</strong> al. 2007). Although nuclear<br />
transfer technology has not y<strong>et</strong> been successful for generation of human ES cells,<br />
scientists recently succee<strong>de</strong>d in generating primate ES cells through nuclear transfer<br />
(Byrne <strong>et</strong> al. 2007).<br />
Can adult skin cells be utilized to generate ES cells directly, without the use of an<br />
unfertilized oocyte? Breakthroughs over the past year have led scientists to predict<br />
that this may be possible in the future. In a pioneering study published in summer,<br />
2007, Yamanaka and coworkers reported the generation of germline comp<strong>et</strong>ent<br />
“induced pluripotent stem cells” (iPS cells) generated by r<strong>et</strong>roviral infection of<br />
mouse skin fibroblasts to force the expression of four transcription factors normally<br />
expressed by ES cells but not by adult somatic cells (Meissner <strong>et</strong> al. 2007; Okita <strong>et</strong> al.<br />
2007). Unfortunately, one of the transcription factors was a potent cell cycle<br />
stimulator and the mice generated <strong>de</strong>veloped tumors with time. Since this time,<br />
however, researchers have now succee<strong>de</strong>d in eliminating this gene from the mix, and<br />
now only three transcription factors appear to be sufficient (Nakagawa <strong>et</strong> al. 2008;<br />
Park <strong>et</strong> al. 2008). Moreover, in animal mouse mo<strong>de</strong>ls of human disease, iPS cells
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 899<br />
have already shown promise for treatments (Hanna <strong>et</strong> al. 2007), and in the past<br />
several months, two groups have in<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>ntly succee<strong>de</strong>d in generating human iPS<br />
cells from adult skin cells (Takahashi <strong>et</strong> al. 2007; Yu <strong>et</strong> al. 2007).<br />
This explosion of research bo<strong><strong>de</strong>s</strong> well for the future of human regenerative<br />
medicine. The challenge now will be how to avoid the gen<strong>et</strong>ic manipulation (in<br />
some cases, > 50 integrated r<strong>et</strong>roviral DNAs) that occurs in generating iPS cells<br />
and/or overcoming the present hurdles in generating human ES cells by nuclear<br />
transfer. While nuclear transfer is preferable in using epigen<strong>et</strong>ic reprogramming<br />
rather than gen<strong>et</strong>ic manipulation, it still uses unfertilized oocytes. That said, the<br />
excitement and promise of stem cells for regenerative medicine continues to grow<br />
and 2007 has been a very successful year in overcoming technological barriers that<br />
less than a <strong>de</strong>ca<strong>de</strong> ago were thought to be insurmountable.<br />
2. The Biology and Gen<strong>et</strong>ics of Skin and Hair<br />
The skin epi<strong>de</strong>rmis and its appendages provi<strong>de</strong> a protective barrier that is<br />
impermeable to harmful microbes and also prevents <strong>de</strong>hydration. To perform their<br />
functions while being confronted with the physico-chemical traumas of the<br />
environment, these tissues un<strong>de</strong>rgo continual rejuvenation through homeostasis<br />
and in addition, they must be primed to un<strong>de</strong>rgo wound-repair in response to<br />
injury. The skin’s fountain of youth for maintaining tissue homeostasis, regenerating<br />
hair and repairing the epi<strong>de</strong>rmis following injury is its stem cells, which resi<strong>de</strong> in<br />
the adult hair follicle, sebaceous gland and epi<strong>de</strong>rmis. Stem cells have the remarkable<br />
capacity to both self-perp<strong>et</strong>uate and also give rise to the differentiating cells that<br />
constitute one or more tissues. In recent years, researchers have begun to uncover<br />
the properties of skin stem cells, and unravel the mysteries un<strong>de</strong>rlying their<br />
remarkable capacity to perform these feats.<br />
The adult skin epithelium is composed of molecular building blocks, consisting of<br />
a pilosebaceous unit (HF and sebaceous gland) and its surrounding<br />
interfollicularepi<strong>de</strong>rmis (IFE) (Blanpain and Fuchs 2006). Both the IFE and the<br />
sebaceous gland contain their own progenitor cells for normal homeostasis in the<br />
absence of injury (Levy <strong>et</strong> al. 2005; Horsley <strong>et</strong> al. 2006; Levy <strong>et</strong> al. 2007). HFs<br />
contain a niche of relatively quiescent follicle stem cells that are normally activated<br />
at the start of each new hair cycle. Upon wounding, these cells are able to repair the<br />
epi<strong>de</strong>rmis and sebaceous glands. Like many other adult stem cells of the body, skin<br />
epithelial stem cells were predicted to be relatively infrequently utilized, and hence<br />
slow-cycling (Taylor <strong>et</strong> al. 2000; Oshima <strong>et</strong> al. 2001). Like other stratified squamous<br />
epithelia and many glandular epithelia, the skin epithelial cells with proliferative<br />
activity were known to express keratins 5 and 14 (Fuchs and Green 1980 ; Vassar <strong>et</strong><br />
al. 1989). On the basis of these two characteristics, we <strong>de</strong>vised a pulse-chase strategy<br />
with a fluorescent histone to i<strong>de</strong>ntify and fluorescently mark the slow-cycling K5/<br />
K14-positive cells of mice (Tumbar <strong>et</strong> al. 2004). Located in a region of the hair<br />
follicle known as the bulge, special cells within this niche could be activated to
900 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />
proliferate and divi<strong>de</strong> with each new hair cycle and could be mobilized to repair<br />
wounds to the epi<strong>de</strong>rmis. Using fluorescence activated cell sorting, cell culture, and<br />
skin engraftments with clonally <strong>de</strong>rived progeny of single bulge cells, we showed<br />
that these cells are in fact stem cells, and they have multipotent capacity (Blanpain <strong>et</strong><br />
al. 2004; Morris <strong>et</strong> al. 2004; Tumbar <strong>et</strong> al. 2004; Ito <strong>et</strong> al. 2005).<br />
We’ve used transcriptional profiling and gen<strong>et</strong>ic analyses to un<strong>de</strong>rstand how<br />
these stem cells maintain quiescence and become activated upon initiation of a<br />
new hair cycle. We’ve revealed roles for the Wnt signaling pathway in stem cell<br />
activation, self renewal, hair shaft production and tumorigenesis (Zhou <strong>et</strong> al. 1995;<br />
Gat <strong>et</strong> al. 1998; Chan <strong>et</strong> al. 1999; DasGupta and Fuchs 1999; Merrill <strong>et</strong> al. 2001;<br />
McLean <strong>et</strong> al. 2004; Lowry <strong>et</strong> al. 2005; Nguyen <strong>et</strong> al. 2006). We’ve revealed roles<br />
for the BMP pathway in controlling stem cell quiescence (Kobielak <strong>et</strong> al. 2003;<br />
Kobielak <strong>et</strong> al. 2007; Horsley <strong>et</strong> al. 2008). Collectively, the studies from my<br />
laboratory and others (Huelsken and Birchmeier 2001 ; Van Mater <strong>et</strong> al. 2003;<br />
Andl <strong>et</strong> al. 2004; Lo Celso <strong>et</strong> al. 2004; Ito <strong>et</strong> al. 2007) suggest a working mo<strong>de</strong>l<br />
for stem cell quiescence, self-renewal and activation in the hair follicle during<br />
normal homeostasis and wound repair.<br />
3. Cell adhesion, Migration and Cancer<br />
The skin epi<strong>de</strong>rmis is an excellent example for exploring homeostasis and injury<br />
repair in a stratified epithelium. The epi<strong>de</strong>rmis maintains a single inner (basal)<br />
layer of proliferative cells that adhere to an un<strong>de</strong>rlying basement membrane rich<br />
in extracellular matrix (ECM) and growth factors (Fuchs 2007). Basal cells express<br />
a number of characteristic markers including keratins and transcription factors.<br />
Periodically, these cells withdraw from the cell cycle, commit to differentiate<br />
terminally, move outward and are eventually shed from the skin surface. This<br />
architecture allows the epi<strong>de</strong>rmis to generate a self-perp<strong>et</strong>uating barrier that keeps<br />
harmful microbes out and essential body fluids in.<br />
Upon commitment to terminally differentiate, an epi<strong>de</strong>rmal keratinocyte<br />
progresses through three distinct differentiation stages : spinous, granular and<br />
stratum corneum. Major changes in transcription, morphology and function occur<br />
at the basal/spinous layer transition and again at the granular/stratum corneum<br />
transition, such that differentiated cells reaching the skin surface are enucleated,<br />
cellular skel<strong>et</strong>ons that are packed with cables of keratin filaments encased by an<br />
in<strong><strong>de</strong>s</strong>tructible envelope of proteins. An additional final step in the differentiation<br />
process is the extrusion of a lipid bilayer that seals and protects the body surface<br />
from <strong>de</strong>hydration and harmful microbes. The process is in a continual homeostasis,<br />
so that surface cells are continually sloughed and replaced by inner cells<br />
differentiating and moving outward. In human epi<strong>de</strong>rmis, the self-renewing<br />
capacity of epi<strong>de</strong>rmal stem cells is enormous, and within 4 weeks, a basal cell has<br />
terminally differentiated and exited at the skin surface. In mice, the epi<strong>de</strong>rmis<br />
becomes thinner and proliferation slows substantially as the hair coat <strong>de</strong>velops.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 901<br />
To coordinate epi<strong>de</strong>rmal homeostasis and wound-repair and to maintain a single<br />
layer of dividing cells and multiple layers of differentiating cells, the epi<strong>de</strong>rmis<br />
displays an elaborate cytoskel<strong>et</strong>al architecture. Ten nanom<strong>et</strong>er wi<strong>de</strong> intermediate<br />
filaments composed of keratin proteins are the major cytoskel<strong>et</strong>al component of the<br />
epi<strong>de</strong>rmis and its appendages. Dividing cells express keratins 5 and 14, while<br />
differentiating epi<strong>de</strong>rmal cells express keratins 1 and 10 (Fuchs and Green 1980).<br />
The basic subunit structure of the keratin filament is an obligatory h<strong>et</strong>erodimer of<br />
type I and type II keratins (Fuchs <strong>et</strong> al. 1981; Hanukoglu and Fuchs 1982;<br />
Hanukoglu and Fuchs 1983; Coulombe and Fuchs 1990)). The function of these<br />
keratins is to impart mechanical integrity to the epi<strong>de</strong>rmis, without which the cells<br />
become fragile and prone to rupturing upon physical stress (Albers and Fuchs 1987;<br />
Albers and Fuchs 1989; Coulombe <strong>et</strong> al. 1990; Vassar <strong>et</strong> al. 1991; L<strong>et</strong>ai <strong>et</strong> al. 1992)).<br />
First discovered in mice and then in humans, the blistering skin disease epi<strong>de</strong>rmolysis<br />
bullosa simplex (EBS) is a gen<strong>et</strong>ic disor<strong>de</strong>r of keratins 14 and 5 (Bonifas <strong>et</strong> al. 1991;<br />
Coulombe <strong>et</strong> al. 1991; Lane <strong>et</strong> al. 1992; Fuchs and Weber 1994), and the blistering<br />
disor<strong>de</strong>r epi<strong>de</strong>rmolytic hyperkeratosis is a gen<strong>et</strong>ic disor<strong>de</strong>r of keratins 1 and 10<br />
(Cheng <strong>et</strong> al. 1992; Chipev <strong>et</strong> al. 1992; Rothnagel <strong>et</strong> al. 1992). There are now more<br />
than 20 different IF disor<strong>de</strong>rs in humans, and many of these s<strong>et</strong> the paradigm first<br />
discovered for EBS (Fuchs and Cleveland 1998; Omary <strong>et</strong> al. 2004).<br />
To form a cytoskel<strong>et</strong>on, keratin filaments associate with α6β4 integrin-rich<br />
hemi<strong><strong>de</strong>s</strong>mosomes at the base of the basal epi<strong>de</strong>rmal cell, and <strong><strong>de</strong>s</strong>mosomal-cadherinrich<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>mosomes to make cell-cell junctions. When these IF-adhesive connections<br />
are <strong>de</strong>fective, mechanical fragility and <strong>de</strong>generative disor<strong>de</strong>rs also occur. By contrast,<br />
the actin cytoskel<strong>et</strong>on associates with α3β1 integrin-rich focal adhesions and to<br />
E-cadherin rich adherens junctions (Perez-Moreno <strong>et</strong> al. 2006). We’ve used gene<br />
targ<strong>et</strong>ing to conditionally mutate the genes encoding E-cadherin, α-catenin and<br />
p120-catenin from the skin epi<strong>de</strong>rmis(Vasioukhin <strong>et</strong> al. 2000; Vasioukhin <strong>et</strong> al.<br />
2001; Tinkle <strong>et</strong> al. 2004; Kobielak and Fuchs 2006; Perez-Moreno <strong>et</strong> al. 2006)).<br />
Intriguingly, mutations in all of these genes ren<strong>de</strong>r the skin epithelium prone to<br />
squamous cell carcinomas and/or proinflammatory responses. We’ve shown that<br />
α-catenin is particularly important not only for coordinating adhesion-actin<br />
dynamics but also proliferation, invasion, and inflammation (Vaezi <strong>et</strong> al. 2002;<br />
Jamora <strong>et</strong> al. 2003; Kobielak and Fuchs 2006).<br />
Interestingly, it is also required for proper spindle orientation in the epi<strong>de</strong>rmis,<br />
a process which requires actin-microtubule polarization. During embryonic<br />
<strong>de</strong>velopment as the epi<strong>de</strong>rmis transits from a single layer to a stratified layered<br />
epithelium, spindle orientation changes to become asymm<strong>et</strong>ric relative to the<br />
basement membrane. Mechanistically, the process appears to involve many of the<br />
proteins used by fly neuroblasts in as ymm<strong>et</strong>ric divisions that generate neurons<br />
(Lechler and Fuchs 2005).<br />
In addition to requiring α-catenin, the process of asymm<strong>et</strong>ric divisions in the<br />
epi<strong>de</strong>rmis also relies upon β1 integrin (Lechler and Fuchs 2005). We’ve targ<strong>et</strong>ed β1
902 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />
and its downstream tyrosine kinase effector, focal adhesion kinase (FAK) for ablation<br />
in the skin (Raghavan <strong>et</strong> al. 2000; Raghavan <strong>et</strong> al. 2003; Schober <strong>et</strong> al. 2007).<br />
Without β1 integrin, basement membrane assembly is <strong>de</strong>fective and hair follicles<br />
cannot invaginate. Epi<strong>de</strong>rmal cells also fail to activate FAK and focal adhesion<br />
turnover, necessary for efficient cell migration, is impaired (Schober <strong>et</strong> al. 2007).<br />
Without FAK, the skin epi<strong>de</strong>rmis becomes more resistant to tumorigenesis (McLean<br />
<strong>et</strong> al. 2004; Schober <strong>et</strong> al. 2007). Interestingly, TGFβ signaling may also be linked to<br />
focal adhesions, as without TGFβ signaling, the skin is more susceptible to<br />
tumorigenesis and FAK is upregulated (Guasch <strong>et</strong> al. 2007).<br />
In summary, in the nearly three <strong>de</strong>ca<strong><strong>de</strong>s</strong> of skin biology research conducted by<br />
my laboratory, an un<strong>de</strong>rstanding is beginning to emerge of how multipotent stem<br />
cells receive external signals to change their programs of transcription and gene<br />
expression, remo<strong>de</strong>l their cytoskel<strong>et</strong>al-adhesive contacts and generate tissues. In the<br />
case of skin, one of the remarkable features of these multipotent stem cells is their<br />
ability to generate the epi<strong>de</strong>rmis, hair follicle and sebaceous gland, three fascinating<br />
and strikingly distinct tissue structures. With the future promise of the skin as a<br />
possible source for generating embryonic stem cells, the skin may well not only<br />
prove to be our largest organ and our largest immune system of the body, but also<br />
our most important source of material for the future of regenerative medicine.<br />
Mme Maria Giovanna Biga<br />
Professeur, université « La Sapienza » <strong>de</strong> Rome (Italie)<br />
La Syrie au III e millénaire av. J.-C. d’après les archives d’Ebla<br />
Les textes <strong><strong>de</strong>s</strong> Archives du palais royal G d’Ebla (Tell Mardikh, 60 km au sudouest<br />
d’Alep, dans la Syrie septentrionale) du xxiv e siècle av. J.-C. perm<strong>et</strong>tent<br />
désormais d’écrire l’histoire politique, économique <strong>et</strong> sociale <strong>de</strong> la Syrie du<br />
III e millénaire av. J.-C., totalement inconnue auparavant. Ils documentent la<br />
présence en Syrie, déjà à partir du début du troisième millénaire, d’une urbanisation<br />
intense ainsi que beaucoup <strong>de</strong> royaumes qui avaient d’intenses rapports politiques<br />
<strong>et</strong> commerciaux avec celui d’Ebla.<br />
Après plus <strong>de</strong> trente ans d’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> textes d’Ebla <strong>et</strong> surtout la détermination <strong>de</strong><br />
la chronologie relative <strong><strong>de</strong>s</strong> textes, lesquels sont datés seulement par le nom du mois<br />
<strong>et</strong> qu’il faut donc ranger en recourant avant tout à <strong><strong>de</strong>s</strong> critères prosopographiques,<br />
il est aujourd’hui possible <strong>de</strong> décrire pour une cinquantaine d’années dans le <strong>cours</strong><br />
du xxiv e siècle av. J.-C. l’histoire <strong>de</strong> la Syrie, <strong>de</strong> la Haute-Mésopotamie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />
Mésopotamie.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 903<br />
Les textes perm<strong>et</strong>tent aussi <strong>de</strong> connaître la vie <strong>de</strong> la première <strong>et</strong> plus ancienne<br />
cour du Proche-Orient que l’on connaisse ; c’est une cour très riche <strong>et</strong> vivante que<br />
gagnent <strong><strong>de</strong>s</strong> messagers envoyés par beaucoup <strong>de</strong> royaumes syriens y compris ceux<br />
<strong>de</strong> Mari sur le Moyen-Euphrate, mais aussi <strong>de</strong> Kish en Mésopotamie <strong>et</strong> <strong>de</strong> Nagar<br />
dans la haute vallée du Khabur.<br />
Beaucoup d’événements tenants à la vie privée <strong>de</strong> ces <strong>cours</strong> (parmi lesquels on<br />
compte naissances, mariages <strong>et</strong> morts) ou à <strong><strong>de</strong>s</strong> engagements militaires entre les<br />
autres royaumes ou encore les nouvelles <strong><strong>de</strong>s</strong> victoires <strong>de</strong> l’armée éblaïte sont portés<br />
à la connaissance du roi.<br />
La Syrie se présente, à c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong>, comme divisée en royaumes structurés à la<br />
façon <strong>de</strong> celui d’Ebla, dirigés par un roi (qu’on désigne par le titre sumérien <strong>de</strong><br />
« en »), aidé par un certain nombre d’Anciens <strong>et</strong> <strong>de</strong> fonctionnaires-mashkim ; le<br />
roi d’Ebla a ainsi à son service un nombre variable (qui oscille entre quinze <strong>et</strong><br />
vingt-cinq) <strong>de</strong> « seigneurs » attestées dans le seul royaume d’Ebla <strong>et</strong> qui paraissent<br />
avoir été <strong><strong>de</strong>s</strong> superviseurs <strong><strong>de</strong>s</strong> grands secteurs productifs <strong>de</strong> l’économie ou <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
collecteurs <strong>de</strong> taxes. Ce sont eux qui acheminent au palais les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> quantités <strong>de</strong><br />
biens, surtout <strong>de</strong> l’argent <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’or.<br />
La reine, à la cour, avait un grand rôle, ainsi qu’à une certaine pério<strong>de</strong> d’Ebla,<br />
la reine-mère aussi.<br />
L’histoire <strong>de</strong> la cour d’Ebla pendant le règne <strong><strong>de</strong>s</strong> trois rois qui se sont succédé<br />
dans la pério<strong>de</strong> documentée dans les archives, est désormais connue par <strong>de</strong> multiples<br />
détails.<br />
S’il n’y a pas beaucoup <strong>de</strong> textes concernant son prédécesseur, le roi Igrish-Kalab,<br />
pendant le règne duquel on a rédigé le premier traité international connu, celui<br />
entre Ebla <strong>et</strong> Abarsal, beaucoup plus <strong>de</strong> textes documentent le règne <strong>de</strong> l’avant<strong>de</strong>rnier<br />
roi, Irkab-damu. Avec lui, Ebla intensifie son expansion politique en<br />
cherchant à contrer la prédominance <strong>de</strong> Mari.<br />
Les rapports diplomatiques, les alliances matrimoniales mêmes qui s’instaurent<br />
avec beaucoup <strong>de</strong> souverains <strong><strong>de</strong>s</strong> royaumes <strong>de</strong> la Syrie, les dons envoyés par le roi<br />
éblaïte, contribuent à renforcer le réseau commercial d’Ebla. Il est évi<strong>de</strong>nt qu’Ebla<br />
assure le transport <strong>de</strong> ses précieux tissus dans une bonne partie du Proche-Orient,<br />
mais qu’elle est aussi un centre <strong>de</strong> commerce du lapis-lazzuli <strong>et</strong> autres biens, comme<br />
les bois précieux <strong>de</strong> la côte méditerranéenne, en recevant, en échange, <strong>de</strong> l’or, <strong>de</strong><br />
l’argent <strong>et</strong> d’autres biens comme <strong><strong>de</strong>s</strong> équidés nécessaires pour les transports.<br />
Dans les <strong>de</strong>rnières années du règne d’Irkab-damu, une femme appelée Dusigu<br />
obtient la première place à la cour parmi les femmes <strong>de</strong> du harem; elle est sûrement<br />
<strong>de</strong>venue la <strong>de</strong>rnière épouse du roi.<br />
Probablement avec l’ai<strong>de</strong> d’un membre <strong>de</strong> sa famille, Ibrium, qui <strong>de</strong>vint vizir,<br />
elle réussit, à la mort du souverain, à m<strong>et</strong>tre sur le trône son fils, Ishar-damu,<br />
<strong>de</strong>rnier né du roi, encore un enfant.
904 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />
Dusigu <strong>de</strong>vint alors la reine-mère <strong>et</strong> Ibrium fut le vizir qui, avec elle, <strong>de</strong>vait tenir<br />
les rênes du pouvoir pour <strong>de</strong> nombreuses années.<br />
Ibrium entama une série <strong>de</strong> guerres pour punir <strong><strong>de</strong>s</strong> alliés rebelles, tant pour<br />
renforcer le réseau commercial que pour l’étendre, pour gui<strong>de</strong>r les armées éblaïtes<br />
dans <strong><strong>de</strong>s</strong> campagnes militaires annuelles.<br />
Sous le long règne <strong>de</strong> son <strong>de</strong>rnier roi, Ishar-Damu, grâce aux victoires d’Ibrium<br />
d’abord, puis <strong>de</strong> son fils Ibbi-zikir, renforcées par une politique d’alliances, mariages<br />
interdynastiques, pactes jurés, Ebla <strong>de</strong>vient une puissance régionale considérable<br />
avec <strong><strong>de</strong>s</strong> frontières qui s’étendaient au Nord-Est jusqu’à Karkémish sur l’Euphrate,<br />
au Sud à Hama, à l’Est à Emar sur l’Euphrate, arrivant même jusqu’à à Alalakh,<br />
<strong>et</strong> donc à la mer Méditerranée.<br />
Des royaumes importants comme celui <strong>de</strong> Harran, dans la Turquie actuelle,<br />
étaient liés à Ebla par un lien <strong>de</strong> parenté <strong>et</strong>, à la fin <strong>de</strong> l‘existence d’Ebla, le puissant<br />
royaume <strong>de</strong> Nagar en Haute-Mésopotamie, lui aussi, <strong>de</strong>vait se lier à Ebla par un<br />
lien matrimonial entre la fille du roi d’Ebla, Tagrish-Damu, <strong>et</strong> le fils du roi du<br />
Nagar. Dans le royaume <strong>de</strong> Kish en Mésopotamie, également, on <strong>de</strong>vait envoyer<br />
comme épouse la princesse Keshdut, fille du couple royal.<br />
Malgré les liens avec les royaumes les plus puissants <strong>de</strong> l’époque <strong>et</strong> une gran<strong>de</strong><br />
victoire en rase campagne, Ebla, après quelques années, fut détruite par un ennemi<br />
qui, selon certains, pourrait être venu <strong>de</strong> la Mésopotamie <strong>et</strong> avoir été le roi Sargon<br />
d’Akkad, selon d’autres, aurait été un ennemi syrien, comme Mari ou Armi, un<br />
État avec lequel les rapports ont toujours été difficiles ou fluctuants.<br />
Grâce aux archives, on peut avoir aussi une connaissance <strong>de</strong> la plus ancienne<br />
religion syrienne avec un panthéon <strong>de</strong> divinités qui <strong>de</strong>vaient être, ensuite, bien<br />
documentées dans la Syrie du <strong>de</strong>uxième millénaire comme Dagan <strong>et</strong> Hadad,<br />
Rasap, Ishkhara <strong>et</strong> Ishtar, ainsi que d’autres divinités comme le dieu-Soleil <strong>et</strong> Enki,<br />
déjà connues dans le mon<strong>de</strong> sumérien ; mais <strong><strong>de</strong>s</strong> divinités comme le dieu dynastique<br />
Kura, sa parèdre Barama <strong>et</strong> le dieu Adabal semblent avoir disparu par la suite du<br />
panthéon sémitique occi<strong>de</strong>ntal.<br />
On a r<strong>et</strong>rouvé à Ebla aussi quelques rituels importants parmi lesquels le grand<br />
rituel <strong>de</strong> renouvellement <strong>de</strong> la royauté pourrait avoir été connu même en Égypte,<br />
où la fête Sed représentait également un rituel <strong>de</strong> renouvellement <strong>de</strong> la royauté.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 905<br />
M. Leonid Kogan<br />
Professeur à l’Université d’État <strong>de</strong> Russie, Moscou (Russie)<br />
Les noms <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes akkadiennes dans leur contexte sémitique<br />
I.<br />
Dans chaque langue, ancienne ou mo<strong>de</strong>rne, morte ou vivante, les lexèmes qui<br />
appartiennent au vocabulaire <strong>de</strong> base peuvent être classifiés comme provenant<br />
d’une <strong><strong>de</strong>s</strong> trois sources diachroniques fondamentales : (1) mots hérités <strong>de</strong> la protolangue<br />
; (2) « mots nouveaux », produits au sein <strong>de</strong> la langue au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> son<br />
histoire ; (3) mots empruntés aux autres langues. La terminologie botanique<br />
akkadienne n’offre pas d’exception. Dans ce stratum du vocabulaire akkadien on<br />
découvre facilement les trois sources diachroniques en question, à illustrer par (1)<br />
kanû ‘canne’ < proto-sémitique *kanaw-, (2) aršātum ‘blé’ ou ‘orge’ < aršu ‘cultivé’<br />
< erēšum (assyrien arāšum) ‘cultiver’; (3) gišimmarum ‘palmier dattier’ < sumérien<br />
gišimmar. Dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre conférences en question, la présentation a été<br />
restreinte aux 50-55 termes appartenant au premier groupe — les termes botaniques<br />
akkadiens qui remontent au proto-sémitique.<br />
La recherche sur les origines sémitiques du vocabulaire botanique n’a jamais été<br />
particulièrement intense, malgré le fait que quelques illustres assyriologues <strong>et</strong><br />
sémitisants y aient pris part, tels que Bedřich Hrozný, Pelio Fronzaroli ou Marten<br />
Stol. Plusieurs questions théorétiques en rapport avec ce suj<strong>et</strong> ont à peine été<br />
touchées (par ex. le problème <strong><strong>de</strong>s</strong> emprunts lexicaux ou la reconstruction interne<br />
du vocabulaire botanique proto-sémitique), sans parler <strong><strong>de</strong>s</strong> multiples étymologies<br />
concrètes.<br />
II.<br />
Dans le domaine <strong>de</strong> la terminologie botanique générale, l’origine sémitique est<br />
évi<strong>de</strong>nte pour isu ‘arbre’ < *¢iT, kīštu ‘bois, forêt’ < *kayS- <strong>et</strong> dīšu ‘herbe’ < *da£¿-.<br />
La désignation plus générale <strong>de</strong> l’herbe (šammu) reste étymologiquement obscure,<br />
le seul parallèle convaincant étant l’égyptien sm.w, dont la sémantique générale est<br />
plus ou moins i<strong>de</strong>ntique à celle du mot akkadien (‘herbe’ en opposition à ‘arbre’).<br />
Parmi les noms <strong><strong>de</strong>s</strong> parties <strong><strong>de</strong>s</strong> plantes, šuršu ‘racine’, zēru ‘graine, semence’, per¿u<br />
‘pousse, germe’, šubultu ‘épi’ <strong>et</strong> tibnu ‘paille’ remontent à <strong><strong>de</strong>s</strong> prototypes communs<br />
transparents, à savoir *SVrš-, *Dar ¢-, *parγ-, *šu(n)bul-at- <strong>et</strong> *tibn-. Le concept <strong>de</strong><br />
‘feuille’, une notion importante du vocabulaire <strong>de</strong> base dans les langues du mon<strong>de</strong>,<br />
est peu développé dans le lexique akkadien, le seul candidat étant aru (artu), dont<br />
l’étymologie reste peu claire (à comparer avec l’arabe γār- ‘feuilles <strong>de</strong> la vigne’?).<br />
L’akkadien ašnan, une désignation générale (souvent déifiée) <strong>de</strong> grain ou <strong>de</strong> céréale,<br />
a été comparé avec le soqotri šane ‘grain’ autant qu’à quelques termes <strong>de</strong> même<br />
sens dans les langues couchitiques (Oromo saňňi, Somali šuni).
906 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />
III.<br />
La terminologie proto-sémitique <strong><strong>de</strong>s</strong> herbes sauvages est pauvre, <strong>et</strong> seule une<br />
p<strong>et</strong>ite partie <strong>de</strong> ces termes communs sont préservés par la langue akkadienne. Les<br />
cinq lexèmes suivants sont les plus certains <strong><strong>de</strong>s</strong> points <strong>de</strong> vue philologique <strong>et</strong><br />
étymologique : daddaru ‘chardon’ < *dardar-, ašlu ‘jonc’ < *¿ašal-, kanû ‘roseau,<br />
canne’ < *kanaw-, elp<strong>et</strong>u ‘alfa’ < *hVlp(-at)-, pekû, pekkūtu ‘coloquinte’ < *pVkV¢-.<br />
Les désignations <strong><strong>de</strong>s</strong> arbres sauvages remontant à <strong><strong>de</strong>s</strong> prototypes sémitiques<br />
assurés ne sont pas beaucoup plus nombreuses : butnu, butumtu ‘térébinthe’<br />
< *butm(-at)-, bīnu ‘tamaris’ < *bayan-, <strong>et</strong>t<strong>et</strong>tu ‘un arbrisseau épineux’ < *¿atad-,<br />
ilēpu ‘saule’ < *ilāp-, burāšu ‘genièvre’ < *burā£-. Pour quelques autres termes<br />
akkadiens appartenant à ce groupe on trouve <strong><strong>de</strong>s</strong> apparentements sémitiques<br />
prom<strong>et</strong>teurs, mais les données disponibles ne sont pas suffisantes pour une<br />
reconstruction cohérente : tarpa¿u ‘tamaris’ — l’arabe tarfā¿-, allānu ‘chêne’ —<br />
l’hébreu ¿ēlā ‘térébinthe’ <strong>et</strong> ¿allōn ‘chêne’, l’araméen commun *¿īlān- ‘arbre’, sarbatu<br />
‘peuplier d’Euphrate’ — l’hébreu ¢ărābā, le syriaque ¢arbtā, l’arabe γarab-, erēnu<br />
‘cèdre’ ou ‘genièvre’ — l’arabe ¢ar ¢ar- ‘genièvre’, l’hébreu ¢ar ¢ar ‘genièvre’ ou<br />
‘tamaris’.<br />
En ce qui concèrne les champignons, le seul terme d’importance est l’akkadien<br />
kam¿atu, traduit traditionnellement comme ‘truffle’ mais plus probablement<br />
désignant une autre espèse mycologique. Le terme akkadien ne peut pas être séparé<br />
<strong>de</strong> quelques désignations <strong><strong>de</strong>s</strong> champignons dans les langues ouest-sémitiques (à<br />
savoir, l’arabe kam¿at- <strong>et</strong> l’hébreu rabbinique kemēhīm), mais la nature <strong>de</strong> leur<br />
rapport (cognats ou emprunts ?) reste à eclaircir.<br />
IV.<br />
Les noms akkadiens <strong><strong>de</strong>s</strong> céréales ayant une étymologie sémitique assurée sont<br />
peu nombreux : buklu ‘malt’ < *bVkl-, utt<strong>et</strong>u ‘céréale ? ’, ‘orge ? ’, ‘blé ? ’ < *hint-at-,<br />
possiblement burru ‘blé’ < *bVrr-, dunu ‘mil’ < *dun- <strong>et</strong> kunāšu ‘épeautre’<br />
< *kunā£-. De même pour la terminologie proto-sémitique <strong><strong>de</strong>s</strong> légumes, dont les<br />
réflexes akkadiens se bornent à šūmū ‘ail’ < *£ūm- (le rapport entre ce terme<br />
commun <strong>et</strong> le sumérien sum reste contestable), karašu ‘poireau’ < *kara£-, kiššû<br />
‘concombre ? ’ < *kV£(£)V¿-, assū ‘laitue’ < *ass-. Parmi les désignations akkadiennes<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> arbres cultivés, celles qui remontent à <strong><strong>de</strong>s</strong> prototypes sémitiques assurés ne<br />
sont que <strong>de</strong>ux : šikdu ‘amandier’ < *£akid- <strong>et</strong> tittu ‘figuier’ < *ta¿in(-at)-.<br />
L’importance <strong>de</strong> la viniculture dans la Mésopotamie étant assez réduite, on ne<br />
s’étonne pas d’observer que la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> termes ouest-sémitiques communs ayant<br />
rapport à la vigne sont absents ou marginalisés en akkadien. Ainsi, le protosémitique<br />
*gapn- ‘vigne’, bien attesté dans les langues sémitiques centrales, pourrait<br />
correspondre aux termes akkadiens gapnu <strong>et</strong> gupnu, attestés dans les sources tardives<br />
<strong>et</strong> avec un sens visiblement différent (‘arbre’, ‘tronc’). Le proto-sémitique *¢inab-<br />
‘raisin’ (l’hébreu ¢ēnāb, le syriaque ¢enbtā, l’arabe ¢inab-) doit être en rapport avec
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 907<br />
l’akkadien inbu, attesté cependant avec un sens plus général (‘fruit’). Le protosémitique<br />
*¿V£kāl- ‘un racème <strong>de</strong> fruits, une grappe <strong>de</strong> vigne’ est bien attesté dans<br />
les listes lexicales éblaïtes (áš-kà-lum, iš 11-kà-um), tandis que la forme paléobabylonienne<br />
isunnatum, traditionellement mise en rapport avec ce terme<br />
commun, présente <strong><strong>de</strong>s</strong> irrégularités phonologiques graves <strong>et</strong> inexplicables.<br />
M. Albert <strong>de</strong> Jong<br />
Professeur, université <strong>de</strong> Ley<strong>de</strong> (Pays-Bas)<br />
Les quatre phases <strong>de</strong> la religion mazdéenne<br />
Quatre leçons au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> : 6 - 13 - 20 - 27 mai 2008<br />
Le mazdéisme (connu aussi comme zoroastrisme ou religion <strong>de</strong> Zarathoustra) est<br />
l’une <strong><strong>de</strong>s</strong> plus anciennes religions du mon<strong>de</strong>. Ses origines historiques <strong>et</strong> géographiques<br />
sont fortement contestées. L’historicité <strong>de</strong> son fondateur, Zarathoustra, a été mise en<br />
doute, ainsi que l’interprétation traditionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> textes fondateurs <strong>de</strong> la religion,<br />
l’Avesta. L’antiquité <strong>de</strong> la religion l’a assurée d’une place importante parmi les<br />
historiens qui s’occupent <strong><strong>de</strong>s</strong> religions du mon<strong>de</strong> ancien. Ceci n’est pas le cas pour<br />
l’histoire non-impériale du mazdéisme, qui commence avec les conquêtes arabes <strong>de</strong><br />
l’Iran <strong>et</strong> l’islamisation du mon<strong>de</strong> iranien. Le fait que les communautés mazdéennes<br />
n’occupaient qu’une place marginale dans la société iranienne islamisée (<strong>et</strong> dans la<br />
société indienne pour les parsis) jusqu’à leur « redécouverte » par les voyageurs<br />
européens <strong>et</strong> leur émancipation dans le xixe (pour les parsis) <strong>et</strong> xxe (pour les<br />
communautés <strong>de</strong> l’Iran) siècle, a permis aux historiens <strong>de</strong> les voir comme un « reste »<br />
d’un passé plus grand, <strong>de</strong> les oublier ou les ignorer.<br />
Ainsi, presque la moitié <strong>de</strong> l’histoire du mazdéisme a été laissée à quelques<br />
spécialistes ou n’est pas du tout étudiée. La religion est connue substantiellement<br />
comme elle était dans la pério<strong>de</strong> sassani<strong>de</strong> tardive <strong>et</strong> les premiers siècles <strong>de</strong> l’Islam. C<strong>et</strong><br />
image <strong>de</strong> la religion a été employé tant pour l’interprétation <strong><strong>de</strong>s</strong> expressions religieuses<br />
antérieures (surtout <strong><strong>de</strong>s</strong> achéméni<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> parthes), que pour mesurer les développements<br />
postérieurs. Ceci a produit une image stationnaire <strong>de</strong> toute la religion.<br />
Dans les décennies passées, l’histoire générale (<strong><strong>de</strong>s</strong> origines jusqu’au présent) du<br />
mazdéisme a néanmoins été écrite <strong>de</strong>ux fois, par Mary Boyce <strong>et</strong> par Michael<br />
Stausberg. La première en a apporté toutes ses puissances historiques <strong>et</strong><br />
philologiques, mais sa thèse d’une gran<strong>de</strong> continuité historique produite par les<br />
enseignements du prophète Zarathoustra a provoqué beaucoup d’objections. Le<br />
<strong>de</strong>uxième s’est largement limité à une approche <strong><strong>de</strong>s</strong>criptive. Nous nous trouvons<br />
encore face à la question posée il y a presque cinquante ans par Marijan Molé :<br />
une histoire du mazdéisme est-elle possible ?
908 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />
Dans ces quatre leçons, une réponse à Molé sera formulée : une histoire du<br />
mazdéisme est seulement possible quand on y reconnaît quatre phases distinctes <strong>et</strong><br />
s’efforce à penser quels ont pu être les liens entre ces phases. Première place doit être<br />
donné aux considérations sociologiques <strong>et</strong> au proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> repenser l’importance <strong>et</strong><br />
l’emploi <strong><strong>de</strong>s</strong> textes dits sacrés, qui ont été au centre <strong>de</strong> l’intérêt savant occi<strong>de</strong>ntal.<br />
Première leçon : La formation <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité mazdéenne<br />
La première leçon sert comme introduction méthodologique à l’histoire<br />
proprement dite, qui ne commence qu’avec les achéméni<strong><strong>de</strong>s</strong>. Avec le rej<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
l’historicité <strong>de</strong> Zarathoustra par quelques savants mo<strong>de</strong>rnes vient aussi le rej<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
la notion d’une « conversion » <strong><strong>de</strong>s</strong> iraniens au mazdéisme. Il est important <strong>de</strong><br />
séparer l’un <strong>de</strong> l’autre, car l’existence <strong>de</strong> l’Avesta établit qu’une conversion a<br />
effectivement eu lieu. L’historicité <strong>de</strong> Zarathoustra n’est pas exclusivement une<br />
question <strong>de</strong> foi, mais aussi une question <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>. Pour étudier la formation <strong>de</strong><br />
l’i<strong>de</strong>ntité mazdéenne, la question la plus importante est <strong>de</strong> savoir comment<br />
expliquer les « nouveautés » <strong>de</strong> la religion mazdéenne, une autre question est <strong>de</strong><br />
métho<strong>de</strong>. Il est évi<strong>de</strong>nt que les règles doivent être établies <strong>de</strong> nouveau. Ceci n’est<br />
possible que quand on donne <strong><strong>de</strong>s</strong> définitions acceptables <strong>de</strong> toutes ces catégories<br />
qui jouent un rôle du premier plan : prophète, prêtre, conversion <strong>et</strong> la notion <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
« limites » d’une tradition religieuse. Toute approche historique est une approche<br />
comparative <strong>et</strong> il faut aussi nous unir sur les règles <strong>de</strong> la comparaison.<br />
Deuxième leçon : Le mazdéisme religion impériale<br />
Le mazdéisme commence dans une société sans rois <strong>et</strong> il survit dans une société<br />
sans roi (mazdéen). Entre les <strong>de</strong>ux se trouve la longue pério<strong>de</strong> du mazdéisme<br />
impérial, qui commence avec Darius <strong>et</strong> s’éteint avec le <strong>de</strong>rnier roi sassani<strong>de</strong>,<br />
Yaz<strong>de</strong>gerd III. Entre le vie siècle avant notre ère <strong>et</strong> le viie siècle <strong>de</strong> notre ère, on<br />
distingue quatre dynasties : les Achéméni<strong><strong>de</strong>s</strong>, (Alexandre <strong>et</strong>) les Séleuci<strong><strong>de</strong>s</strong>, les<br />
Arsaci<strong><strong>de</strong>s</strong> (Parthes) <strong>et</strong> les Sassani<strong><strong>de</strong>s</strong>. Les Séleuci<strong><strong>de</strong>s</strong>, d’origine macédonienne,<br />
n’étaient pas <strong><strong>de</strong>s</strong> mazdéens, mais le mazdéisme <strong><strong>de</strong>s</strong> Achéméni<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong><strong>de</strong>s</strong> Arsaci<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong><br />
même <strong><strong>de</strong>s</strong> Sassani<strong><strong>de</strong>s</strong>, a aussi été mis en doute. Ceci n’est possible que quand on<br />
les approche avec une définition stricte <strong>de</strong> la religion, qui est toujours fondée sur<br />
une combinaison <strong>de</strong> l’information fournie par l’Avesta avec les données <strong><strong>de</strong>s</strong> livres<br />
pehlevis. C<strong>et</strong>te combinaison ignore le rôle que les rois eux-mêmes ont joué dans<br />
le développement <strong>de</strong> la religion. Ainsi, le rapport <strong>de</strong> forces royales <strong>et</strong> religieuses a<br />
été fatalement renversé : les activités royales sont jugées comme si elles étaient<br />
déterminées par la religion, tandis qu’on doit (aussi) reconstruire comment les rois<br />
ont exercé leur pouvoir dans le domaine religieux.<br />
Troisième leçon : le quiétisme mazdéen<br />
Les conquêtes arabes <strong>de</strong> l’empire Sassani<strong>de</strong> ont, d’un seul coup, dérobé tout<br />
pouvoir profane aux mazdéens <strong>de</strong> l’Iran. Le succès <strong>de</strong> ces conquêtes est vu dans la
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 909<br />
tradition (<strong>et</strong> l’historiographie) musulmane comme une <strong><strong>de</strong>s</strong> preuves <strong>de</strong> la supériorité<br />
<strong>de</strong> l’Islam. Pour les mazdéens, elles étaient une catastrophe. Les historiens mo<strong>de</strong>rnes<br />
ont largement suivi un modèle historique qui est dominé par notre connaissance<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> événements ultérieurs : le r<strong>et</strong>rait <strong><strong>de</strong>s</strong> mazdéens <strong>de</strong> l’Iran dans les déserts du<br />
centre du pays, avec l’émigration <strong>de</strong> la communauté <strong>de</strong> Khorasan à l’In<strong>de</strong> (les<br />
Parsis). Ce modèle dénie le fait que dans les premiers siècles <strong>de</strong> l’Hégire, les<br />
mazdéens <strong>de</strong> l’Iran ont participé à <strong>et</strong> bénéficié <strong>de</strong> la vie culturelle du nouvel empire<br />
Abbasi<strong>de</strong>. Le r<strong>et</strong>rait <strong><strong>de</strong>s</strong> mazdéens, <strong>et</strong> le quiétisme mazdéen, ne s’est produit<br />
qu’après les rai<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Saljûq <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Mongols. Après le xiii e siècle, les mazdéens<br />
— définis comme une minorité religieuse tolérée — continuent à démontrer leur<br />
participation à la culture iranienne, mais le transfert aux régions marginales est<br />
accompagné par une « émigration interne ». Dès le xv e siècle, les communautés <strong>de</strong><br />
l’Iran <strong>et</strong> d’In<strong>de</strong> échangent <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>tres <strong>et</strong> traités religieux. Ceci a souvent été présenté<br />
comme indicatif du fait que la communauté iranienne avait une position d’autorité<br />
spirituelle sur la communauté indienne. Le fait que les sources pour l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Parsis n’ont que très partiellement été publiées <strong>et</strong> encore moins étudiées rend toute<br />
tentative d’interprétation provisoire, mais du côté <strong><strong>de</strong>s</strong> Parsis on trouve aussi <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
fortes indications <strong>de</strong> participation à la société Indienne.<br />
Quatrième leçon : L’émancipation <strong><strong>de</strong>s</strong> mazdéens<br />
Les <strong><strong>de</strong>s</strong>tins <strong><strong>de</strong>s</strong> communautés indiennes <strong>et</strong> iraniennes suivent <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> distincts :<br />
pour les Parsis, le xixe siècle est le temps <strong>de</strong> l’émancipation <strong>et</strong> <strong>de</strong> la richesse. Pour<br />
les mazdéens <strong>de</strong> l’Iran, le xixe siècle est un temps <strong>de</strong> répression <strong>et</strong> <strong>de</strong> perte. C’est<br />
ainsi que les parsis se sont occupés d’améliorer la situation <strong><strong>de</strong>s</strong> mazdéens <strong>de</strong> l’Iran.<br />
Le haut-point <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te tentative est l’abolition du jizya, suivi par l’organisation <strong>de</strong><br />
l’éducation. On a souvent vu dans ce développement les germes <strong>de</strong> la réforme qui<br />
a pris place dans le xxe siècle. Dans le xxe siècle <strong>et</strong> encore plus dans les temps<br />
mo<strong>de</strong>rnes, les communautés mazdéennes du mon<strong>de</strong> se trouvent confrontés avec <strong>de</strong><br />
multiples difficultés sociales <strong>et</strong> religieuses. La question <strong>de</strong> l’influence <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
occi<strong>de</strong>ntales <strong>de</strong> la religion mazdéenne doit y être apportée.<br />
En conclusion, les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> lignes d’une histoire trimillénaire ont été revisitées.
910 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />
M. Ahmad Beydoun<br />
Professeur, université <strong>de</strong> Beyrouth (Liban)<br />
1. Du pacte <strong>de</strong> 1943 à l’accord <strong>de</strong> Taef : les résistances à la déconfessionnalisation<br />
;<br />
2. Ce qu’« indépendance » voulait dire…<br />
3. Une nouvelle donne inter-communautaire ?<br />
4. Le système politique libanais a-t-il un avenir ?<br />
La crise systémique qui menace <strong>de</strong> désintégrer l’État Libanais, <strong>et</strong> déjà en paralyse les<br />
institutions, est-elle une simple réédition <strong>de</strong> crises antérieures qui ont jalonné, plus ou<br />
moins régulièrement, l’histoire contemporaine <strong>de</strong> ce pays ? Sans nier les régularités<br />
que l’on constate en se plaçant à un niveau très élevé (<strong>et</strong> – croyons-nous – peu<br />
productif) d’abstraction, nous pensons qu’une approche singularisante <strong>de</strong> la crise en<br />
<strong>cours</strong> serait plus appropriée pour en cerner les mécanismes effectifs <strong>et</strong> tenter <strong>de</strong> mesurer<br />
son impact présent <strong>et</strong>, surtout, prévisible, sur le pays <strong>et</strong> son système politique.<br />
En eff<strong>et</strong>, dans la configuration <strong>de</strong> chaque crise libanaise, se trouve incorporé (à<br />
tout le moins) le « travail » du conflit précé<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses len<strong>de</strong>mains. C’est dire<br />
que la Guerre <strong>de</strong> 1975-1990 a bien eu lieu, que l’après-guerre qui s’est étendu sur<br />
une décennie <strong>et</strong> <strong>de</strong>mie imprime aussi son cach<strong>et</strong> à la conjoncture présente qui,<br />
ayant assimilé l’une <strong>et</strong> l’autre, ne peut les répéter. En nous exerçant à aller le plus<br />
loin possible dans le démantèlement <strong>de</strong> la fameuse aporie libanaise où il est question<br />
<strong>de</strong> « Nous » <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> « Autres », nous tenterons d’interroger sur la nouvelle donne<br />
intra- <strong>et</strong> intercommunautaire issue <strong><strong>de</strong>s</strong> développements <strong><strong>de</strong>s</strong> trois ou quatre <strong>de</strong>rnières<br />
décennies, la vacance potentielle <strong>de</strong> la fonction d’arbitrage politique, gérée <strong>et</strong>, du<br />
même coup, dissimulée par le tuteur syrien, la conjonction inédite d’un chiisme<br />
libanais en voie <strong>de</strong> cristallisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’alliance irano-syrienne – conjonction qui<br />
redéfinit les perspectives stratégiques <strong>de</strong> la donne su-mentionnée, <strong>et</strong>c.<br />
Compte sera tenu, pour ce faire, du système politique dans son entièr<strong>et</strong>é, c’est-àdire<br />
d’une société politique aux multiples clivages mais <strong>de</strong> plus en plus musclée <strong>et</strong><br />
ombrageuse <strong>et</strong> d’un État aux institutions déliquescentes mais plus âprement<br />
convoitées que jamais. La question serait alors <strong>de</strong> savoir si ce système possè<strong>de</strong> encore,<br />
dans la conjoncture durablement défavorable qui a déclenché sa crise, les ressources<br />
aptes à lui ménager une sortie <strong>de</strong> crise raisonnablement viable. Autrement libellée, la<br />
question serait <strong>de</strong> savoir si les forces politiques en présence, travaillées déjà par leur<br />
préparation à <strong><strong>de</strong>s</strong> conflits probables, voudront ou pourront, à un moment supposé<br />
opportun, se résigner aux lour<strong><strong>de</strong>s</strong> conditions, en termes <strong>de</strong> réforme institutionnelle<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> refonte politique <strong>et</strong> organisationnelle, d’un compromis stratégique.<br />
Les titres proposés pour chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> conférences ne départageront que très<br />
approximativement les quatre étapes <strong>de</strong> l’analyse. À la fin du cycle, les thèmes<br />
indiqués auront été plus ou moins développés. On ne s’interdira pas, toutefois, <strong>de</strong> les<br />
faire empiéter les uns sur les autres, en vue <strong>de</strong> donner une cohérence à l’ensemble.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 911<br />
M. José Emilio Burucúa<br />
Professeur, université San Martín (Argentine)<br />
1. Le concept d’altérité <strong>et</strong> la représentation picturale<br />
<strong>de</strong> l’histoire d’Ulysse <strong>de</strong>puis la Renaissance<br />
La conférence s’attachera à la réception <strong>et</strong> au traitement du mythe d’Ulysse <strong>et</strong><br />
du récit <strong>de</strong> l’Odyssée dans la peinture italienne <strong>et</strong> flaman<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> xvi e <strong>et</strong> xvii e siècles.<br />
Elle montrera qu’une interprétation comique <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te histoire allait <strong>de</strong> pair avec<br />
l’idée d’un Ulysse découvreur, symbole <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong>ur intellectuelle <strong>et</strong> morale que<br />
la connaissance du prochain pouvait fournir aux hommes engagés dans la<br />
construction du mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne. L’étu<strong>de</strong> détaillée <strong><strong>de</strong>s</strong> fresques peintes par Pellegrino<br />
Tibaldi vers 1551 dans le Palais Poggi à Bologne sera placée au centre <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />
conférence qui considérera les interprétations iconographiques <strong>de</strong> l’histoire entre la<br />
décoration <strong>de</strong> Pinturicchio dans la gran<strong>de</strong> salle du Palais P<strong>et</strong>rucci à Sienne en 1509<br />
<strong>et</strong> les tapisseries du cycle d’Ulysse <strong><strong>de</strong>s</strong>sinées par Jacob Jordaens autour <strong>de</strong> 1640.<br />
2. Le massacre ancien <strong>et</strong> le massacre mo<strong>de</strong>rne :<br />
problèmes d’historiographie <strong>et</strong> <strong>de</strong> représentation<br />
Le massacre est un événement <strong>de</strong> l’histoire humaine dont le récit a présenté pour<br />
les historiens grecs <strong>et</strong> romains d’énormes difficultés tant pour sa construction<br />
narrative que pour son explication rationnelle. C<strong>et</strong>te conférence montrera, en<br />
premier lieu, comment l’historiographie <strong>et</strong> l’art qui se sont occupés <strong>de</strong> l’expérience<br />
contemporaine <strong><strong>de</strong>s</strong> génoci<strong><strong>de</strong>s</strong> ont réédité, approfondi <strong>et</strong> dépassé ces dilemmes que<br />
les Anciens ont vécus avec perplexité scientifique <strong>et</strong> angoisse émotionnelle. En<br />
second lieu, à partir du recueil d’images <strong><strong>de</strong>s</strong> Histoires diverses qui sont mémorables<br />
touchant les guerres, massacres, & troubles, advenues en <strong>France</strong> ces <strong>de</strong>rnieres annees <strong>de</strong><br />
Perrissin <strong>et</strong> Tortorel (1569), elle présentera les mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> compréhension <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
représentation <strong>de</strong> quelques massacres mo<strong>de</strong>rnes qui, aux temps <strong><strong>de</strong>s</strong> guerres <strong>de</strong><br />
religion en <strong>France</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> la guerre <strong><strong>de</strong>s</strong> Trente Ans en Europe, reprennent les exemples<br />
anciens <strong>et</strong> les images du martyre chrétien.<br />
3. Les Pathosformeln du rire <strong>et</strong> la gravure européenne<br />
au début <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité<br />
Pour Aby Warburg, une Pathosformel est un ensemble <strong>de</strong> formes représentatives <strong>et</strong><br />
signifiantes, historiquement déterminées au moment <strong>de</strong> leur première synthèse, qui<br />
renforce la compréhension du sens <strong>de</strong> ce qui est représenté par la mobilisation du<br />
champ affectif dont une culture dispose pour accomplir les expériences fondamentales<br />
<strong>de</strong> la vie sociale. Chaque Pathosformel se transm<strong>et</strong> à travers les générations qui<br />
construisent un même horizon <strong>de</strong> civilisation, <strong>et</strong> elle connaît <strong><strong>de</strong>s</strong> temps <strong>de</strong> latence,<br />
<strong>de</strong> récupération, d’appropriations <strong>et</strong> <strong>de</strong> métamorphoses. L’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te conférence<br />
est la recherche <strong><strong>de</strong>s</strong> Pathosformeln sur lesquelles la première mo<strong>de</strong>rnité européenne a<br />
fondé les représentations <strong>de</strong> ses expériences du rire <strong>et</strong> du comique. La peinture <strong>de</strong> la
912 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />
Renaissance tardive sera explorée mais le champ privilégié <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> sera consacré à<br />
la production <strong><strong>de</strong>s</strong> gravures drôles <strong>et</strong> satiriques qui ont connu une très large circulation<br />
dans l’Italie <strong>et</strong> la <strong>France</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> xvi e <strong>et</strong> xvii e siècles.<br />
4. Les gravures du Quichotte dans le XVII e siècle français :<br />
les estampes <strong>de</strong> Jacques Lagni<strong>et</strong><br />
Il n’y a pas beaucoup <strong>de</strong> textes qui, comme le Quichotte, ont suscité, parmi les<br />
artistes du visuel, un élan si intense <strong>et</strong> si fréquent vers le désir ou la nécessité <strong>de</strong><br />
l’illustration. En Occi<strong>de</strong>nt, seulement la Bible <strong>et</strong> la Divine Comédie pourraient peutêtre<br />
se comparer au Quichotte dans le processus <strong>de</strong> génération d’images <strong><strong>de</strong>s</strong>tinées à<br />
accompagner ou, quelquefois, à suppléer <strong>et</strong> remplacer la lecture. Dans tous les cas,<br />
soit la représentation d’un récit proposé par un texte dont elle est une suite visuelle,<br />
soit la représentation <strong>de</strong> ce qui est raconté comme un point <strong>de</strong> départ pour la création<br />
d’un obj<strong>et</strong> séparé du texte même, il faudra se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r quelle est la place <strong>de</strong> chaque<br />
œuvre visuelle entre les <strong>de</strong>ux pôles possibles qui définissent les relations entre image<br />
<strong>et</strong> narration écrite, i.e. le pôle <strong>de</strong> l’illustration pure <strong>et</strong> subordonnée <strong>et</strong> le pôle <strong>de</strong> la<br />
recréation visuelle. La conférence essaiera <strong>de</strong> déterminer la position <strong><strong>de</strong>s</strong> trente-huit<br />
gravures <strong><strong>de</strong>s</strong> aventures <strong>de</strong> Don Quichotte <strong>et</strong> Sancho Panza, publiées par Jacques<br />
Lagni<strong>et</strong> entre 1650 <strong>et</strong> 1652, par rapport à c<strong>et</strong>te polarité. Les liens <strong>et</strong> les distances<br />
entre l’image <strong>et</strong> le texte chez Lagni<strong>et</strong> ont, en eff<strong>et</strong>, établi un mo<strong>de</strong> d’appropriation <strong>de</strong><br />
l’histoire du Quichotte qui va au-<strong>de</strong>là du grotesque pour atteindre une joyeuse<br />
abondance <strong>de</strong> significations dont la convergence <strong>de</strong>meure impossible.<br />
M. P<strong>et</strong>er Gol<strong>de</strong>n<br />
Professeur, université <strong>de</strong> Rutgers, New Jersey (États-Unis)<br />
Lecture I : The Question of Türk Origins<br />
The question of the ancient homeland of the Turkic peoples and the origins of the<br />
distinct grouping that bore the <strong>et</strong>hnonym Türk remain a topic of <strong>de</strong>bate. The earliest<br />
references to peoples that are presumed to be Turkic date to the era of the Xiongnu<br />
(2 nd century BC), well before the appearance of the Türks proper (mid-6 th century<br />
AD). The breakup of the Xiongnu (whose <strong>et</strong>hno-linguistic affiliations remain a<br />
matter of conjecture) produced the migrations of Oghuric-Turkic speaking peoples<br />
to the Kazakhstanian and then western Eurasian (Ponto-Caspian) steppes (4 th and<br />
5 th centuries AD). The rise of the Ashina, the ruling clan of the Türks, its origins in<br />
the poly<strong>et</strong>hnic bor<strong>de</strong>rlands of China and connections with the East Iranian world,<br />
were also ultimately a by-product of the migrations touched off by the collapse of<br />
the Xiongnu. Interestingly, none of the early Türk Qaghans bear Turkic names. The<br />
fall of the First Türk Qaghanate in 630 in the east brought about by the Tang led to
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 913<br />
the close interaction of key elements of the Eastern Türks with China. The Tang<br />
emperor Taizong, calling himself “Heavenly Qaghan” in the Türk style and his<br />
successor, preserved the Türks for a time from steppe foes while attempting to use<br />
them as bor<strong>de</strong>r forces. The Türks broke free and foun<strong>de</strong>d the Second Türk Qaghanate<br />
(682-742). The <strong>et</strong>hnonym Türk spread as a generic term for Turkic (and some non-<br />
Turkic) steppe peoples among their neighbors and was used as a cultural marker by<br />
some Turkic peoples that had been part of the Türk Qaghanate.<br />
Lecture II : Successors of the Türks in the Western Eurasian Steppes-<br />
The Khazars and their Conversion to Judaism<br />
The Khazars (ca. mid-7 th century to 965-969), centered in the lower Volga with<br />
their capital at Atïl, created one of the largest polities of medieval Eurasia, extending<br />
from the Middle Volga in the north to the North Caucasus and Crimea in the south<br />
and from the western Eurasian steppes to western Kazakhstan and Uzbekistan in the<br />
east. It was a poly<strong>et</strong>hnic state with a population of Turkic, Iranian, Finno-Ugric,<br />
Slavic and Palaeo-Caucasian elements. Khazaria had an ongoing entente with<br />
Byzantium, serving as its partner in wars (during the latter part of the 7 th to mid-8 th<br />
century) with the Arabian Caliphate and as Constantinople’s first line of <strong>de</strong>fense in<br />
the steppes. During the 9 th and 10 th centuries, it was one of the major arteries of<br />
commerce b<strong>et</strong>ween Northern Europe and the Middle East as well as a connection to<br />
the Silk Road. The question of Khazar origins, a successor state of the Western Türks,<br />
and linguistic affiliations within Turkic remain problematic. Various Turkic<br />
groupings speaking Oghuric and Common Turkic composed the Khazar union. The<br />
belief system of the Khazars before their conversion to Judaism, as can be<br />
reconstructed from archaeological finds, <strong><strong>de</strong>s</strong>criptions of kindred subject peoples<br />
(e.g. the North Caucasian “Huns”) brief mentions in the Islamic geographers and<br />
other sources indicates Tengri (the celestial supreme <strong>de</strong>ity of the Turkic and Mongolic<br />
peoples) worship and shamanism. The lecture conclu<strong><strong>de</strong>s</strong> with a discussion of the<br />
much <strong>de</strong>bated dating of the conversion (most probably early 9 th century), the<br />
conversion narratives and the spread of Judaism among the population of Khazaria.<br />
Lecture III : Sacral Kingship in the Turkic World: The Khazar Mo<strong>de</strong>l<br />
Various forms of sacral kingship were wi<strong><strong>de</strong>s</strong>pread across Eurasia. It was known<br />
among the Türks and elements of it are reported among the Uyghurs (744-840)<br />
their successors in the east. Among the Khazars, the sacral kingship took on a<br />
somewhat different character leading to the transformation of the Khazar Qaghan<br />
into a ritually isolated, tabuized figure that reigned, but did not rule. The actual<br />
governance of the state was given to the Qaghan Beg/Ishâd, although the Qaghan<br />
r<strong>et</strong>ained great authority as the bearer of qut (heaven-sent good fortune). Even in<br />
<strong>de</strong>ath, he continued to be venerated. This transformation occurred in the 9 th<br />
century, as the Qaghan is noted in the sources as an active, governing figure before<br />
then. It was not connected with Judaization as ol<strong>de</strong>r Türk traditions of sacral<br />
kingship (e.g. the ritual strangulation of the Qaghan at investiture) of shamanic
914 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />
origin continued. One of the possible sources for this transformation may have<br />
been the Ors guard force of the Qaghans. The Ors were Khwârazmian in origin<br />
and a number of the practices associated with the later Khazar Qaghans are similar<br />
to Iranian (cf. Sasanid) traditions.<br />
Lecture IV : The Shaping of the Cuman-Qïpchaqs and their World<br />
The Cuman-Qïpchaqs constituted an acephalous, loosely held tribal union that<br />
dominated an area extending from the Pontic Steppes to Western Siberia and<br />
Uzbekistan, a region termed the Qïpchaq Steppe (cf. Pers. Dasht-i Qipchâq). The<br />
Cuman-Qïpchaqs integrated themselves into the regional political systems, serving<br />
as difficult, occasionally predatory neighbors and som<strong>et</strong>imes allies (cemented by<br />
marital ties) of the Rus’, Byzantium, Georgia, Khwârazm and Hungary. Cuman-<br />
Qïpchaq origins remain an ongoing question of Turkic Studies. They are known<br />
by a vari<strong>et</strong>y of names in a wi<strong>de</strong> range of Turkic, Mongol, European, Transcaucasian,<br />
Islamic and Chinese sources. The Cuman-Qïpchaqs <strong>de</strong>rived from elements of the<br />
Kimek confe<strong>de</strong>ration in Western Siberia (which contained Turkic and Mongolic<br />
elements) that was broken up (first half of the 11th century) by a series of<br />
migrations that began in the steppe bor<strong>de</strong>rlands of China. The contours of these<br />
events are preserved in the 12th century authors, al-Marwazî (repeated by Aufî –<br />
early 13th century) and Matthew of E<strong><strong>de</strong>s</strong>sa. This lecture suggests some new<br />
i<strong>de</strong>ntifications of the peoples mentioned in these accounts. It conclu<strong><strong>de</strong>s</strong> with a<br />
brief overview of the Cuman-Qïpchaq religious system.<br />
M me Jean Louise Cohen<br />
Professeur, université <strong>de</strong> Columbia (États-Unis)<br />
R<strong>et</strong>hinking Sovereignty,<br />
Rights and International Law in the Epoch of Globalization<br />
Two <strong>de</strong>velopments associated with globalization challenge the way we think about<br />
rights, sovereignty and international law. The first is the increasingly influential<br />
dis<strong>cours</strong>e of international human rights. This dis<strong>cours</strong>e has led cosmopolitan legal<br />
and moral theorists to argue that the “sovereignty” and external legitimacy of<br />
governments should be contingent on their being both non-aggressive and minimally<br />
just. A radical i<strong>de</strong>a is at stake : that the international community may enforce moral<br />
principles and legal rules regulating the conduct of governments toward their own<br />
citizens. The second <strong>de</strong>velopment is the expanding reach of global governance<br />
institutions that make authoritative policies and coercive legal rules regulating the<br />
actions of state and non-state actors. The global political system centered in the<br />
U.N. now acts in response to the proliferation of new threats to international peace<br />
and security coming from civil wars, failing states, transnational terrorism and the
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 915<br />
risk that private individuals will acquire weapons of mass <strong><strong>de</strong>s</strong>truction. The dangers<br />
these threats pose to “human security” seem to indicate the necessity to transcend the<br />
state centric, sovereignty oriented mo<strong>de</strong>l of international relations and international<br />
law. In<strong>de</strong>ed many have argued that we are witnessing the constitutionalisation of<br />
international law, and that the <strong>de</strong>coupling of that law from the state, means that the<br />
latter has lost legal as well as political sovereignty. Sovereignty is <strong>de</strong>emed an<br />
anachronistic concept, ina<strong>de</strong>quate for un<strong>de</strong>rstanding the new world or<strong>de</strong>r<br />
characterized by global politics and global law. Developments such as humanitarian<br />
intervention, transformative occupation regimes, and legislation by the United<br />
Nations Security Council to counter the “emergency” posed by global terrorism are<br />
seen as the key constitutional moments in the <strong>de</strong>velopment of a new world or<strong>de</strong>r.<br />
This lecture series will challenge the notion that we are en route to a cosmopolitan<br />
world or<strong>de</strong>r without the sovereign state. Instead of <strong>de</strong>fending a “state-centric”<br />
sovereigntist position, however, I will argue in favor of a dualist conception of the<br />
new world or<strong>de</strong>r, for which the concept of changing “sovereignty regimes” is more<br />
appropriate than cosmopolitanism. I will embrace the project of the “further<br />
constitutionalisation” of international law, as the only acceptable alternative to<br />
empire or to the disintegration of the international or<strong>de</strong>r into regional “grossraume”,<br />
but I will do so on the basis of a constitutional pluralist, rather than a monist<br />
perspective. The first lecture will address the theor<strong>et</strong>ical issues involved in r<strong>et</strong>hinking<br />
the relation b<strong>et</strong>ween sovereignty, and the globalization/constitutionalisation of<br />
international law. The second will address the question of how to think about the<br />
relation b<strong>et</strong>ween human rights and sovereign equality, the two key principles of the<br />
global legal or<strong>de</strong>r, in the epoch of humanitarian intervention, construed as the<br />
enforcement by the international community of human rights. The third will address<br />
the paradoxes involved in the transformative occupations that follow upon<br />
humanitarian intervention regarding the concepts of sovereignty, popular sovereignty<br />
and self-d<strong>et</strong>ermination. The last will take up the dilemmas produced the fact that the<br />
Security Council has started legislating in the global war on terror, in ways that<br />
un<strong>de</strong>rmine human rights in the name of human security and threaten both domestic<br />
as well as global constitutionalism. In each case I will argue that the legitimacy of<br />
global governance and of global governance institutions <strong>de</strong>pends now on formal legal<br />
reform involving the participation of all member states, of the new world or<strong>de</strong>r.<br />
l. Sovereignty and International Law Revisited : A Pluralist Perspective.<br />
2. R<strong>et</strong>hinking Human Rights and Sovereign Equality in the epoch of<br />
Humanitarian Intervention.<br />
3. Toward a Jus Post Bellum for Transformative and/or Humanitarian<br />
Occupations.<br />
4. A Global State of Emergency or the Further Constitutionalisation of<br />
International Law.
916 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />
M. Victor I. Stoichita<br />
Professeur à l’université <strong>de</strong> Fribourg (Suisse)<br />
Des Larmes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> saints<br />
Le mot « vision », disait Thomas d’Aquin, peut avoir <strong>de</strong>ux sens : dans le premier, il<br />
signifie la perception par l’organe <strong>de</strong> la vue ; dans le second, il est appliqué à la perception<br />
interne due à l’imagination ou à l’intellect (Summa theologica, I, q. LVII, a, 1).<br />
Au sens mystique, l’épreuve visionnaire n’est pas nécessairement une expérience<br />
optique, tout en étant une expérience <strong>de</strong> l’image. C<strong>et</strong>te image peut revêtir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
<strong>de</strong>grés <strong>de</strong> clarté variables. La plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> mystiques sont pourtant d’accord sur le<br />
fait que la rencontre avec le transcendant est, dans son essence, ineffable, inénarrable,<br />
irreprésentable, ce qui n’empêche pas que la culture occi<strong>de</strong>ntale dispose d’innombrables<br />
textes littéraires <strong>et</strong> d’autant d’œuvres d’art qui en parlent. Il s’agit pourtant<br />
d’images <strong>et</strong> <strong>de</strong> textes problématiques <strong>et</strong> paradoxaux puisqu’ils représentent ce qui,<br />
a priori, ne peut être ni vu, ni représenté.<br />
C’est justement le grand problème <strong>de</strong> la « représentation <strong>de</strong> l’irreprésentable »<br />
que c<strong>et</strong>te série <strong>de</strong> conférence se propose d’abor<strong>de</strong>r. La peinture espagnole du xvi e<br />
<strong>et</strong> du xvii e siècles fournira la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> exemples, mais l’enjeu <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te recherche<br />
est plus vaste. Il s’agit, en fait, d’abor<strong>de</strong>r un cas extrême <strong>de</strong> la représentation<br />
figurative, dans un espace géographique limité mais sur une toile <strong>de</strong> fond très<br />
ample. C<strong>et</strong>te toile <strong>de</strong> fond est constituée, d’un côté, par l’art occi<strong>de</strong>ntal <strong>de</strong> la même<br />
époque <strong>et</strong>, <strong>de</strong> l’autre, par la spiritualité <strong>de</strong> la Contre-Réforme, qui redécouvre le<br />
rôle <strong>de</strong> l’imaginaire dans l’exercice <strong>de</strong> la foi.<br />
Pour assumer c<strong>et</strong>te tâche, les conférences emprunteront le chemin le plus direct :<br />
interroger la langue originaire <strong><strong>de</strong>s</strong> images, essayer <strong>de</strong> déchiffrer le mécanisme <strong>de</strong><br />
leur fonctionnement en tant qu’images relatant une expérience d’image (une<br />
« vision »). Elles s’arrêteront sur les mécanismes <strong>de</strong> dédoublement métapictural à<br />
l’œuvre dans les tableaux <strong>de</strong> visions, interrogeront le rôle du corps en extase dans<br />
la communication d’une expérience inénarrable. La démarche interprétative, simple<br />
quant à son point <strong>de</strong> départ, ne sera exempte ni <strong>de</strong> risques ni <strong>de</strong> difficultés, car les<br />
caractéristiques fondamentales <strong>de</strong> l’imaginaire occi<strong>de</strong>ntal se trouvent ici<br />
indéniablement poussées jusque dans leurs <strong>de</strong>rniers r<strong>et</strong>ranchements.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 917<br />
M. Gyorgy Buzsáki<br />
Professeur à l’Université Rutgers, Newark (États-Unis)<br />
1. Neuronal synchrony : m<strong>et</strong>abolic and wiring costs of excitatory<br />
and inhibitory systems<br />
The major part of the brain’s energy budg<strong>et</strong> (~ 60-80%) is <strong>de</strong>voted to its<br />
communication activities. While inhibition is critical to brain function, relatively<br />
little attention has been paid to its m<strong>et</strong>abolic costs. Un<strong>de</strong>rstanding how inhibitory<br />
interneurons contribute to brain energy consumption (brain work) is not only of<br />
interest in un<strong>de</strong>rstanding a fundamental aspect of brain function but also in<br />
un<strong>de</strong>rstanding functional brain imaging techniques which rely on measurements<br />
related to blood flow and m<strong>et</strong>abolism. I this talk I will examine issues relevant to<br />
an assessment of the work performed by inhibitory interneurons in the service of<br />
brain function.<br />
2. Neuronal synchrony : oscillatory and non-oscillatory emergence<br />
of cell assemblies<br />
Timing of spikes within the th<strong>et</strong>a cycle has been shown to reflect the spatial<br />
position of the animal (“phase precession”). The phase of spikes correlates more<br />
strongly with distance than with the time elapsed from the point the rat enters the<br />
place field. We show here that at faster running speeds place cells are active for fewer<br />
th<strong>et</strong>a cycles but oscillate at a higher frequency and emit more spikes per cycle. As a<br />
result, the phase shift of spikes from cycle to cycle (i.e., temporal precession slope) is<br />
faster. Interneurons also show transient phase precession and contribute to the<br />
formation of coherently precessing assemblies. Thus, the speed-correlated increase<br />
of place cell oscillation is responsible for the phase-distance invariance of hippocampal<br />
place cells.We report that temporal spike sequences from hippocampal “place”<br />
neurons on an elevated track recur in reverse or<strong>de</strong>r at the end of a run but in forward<br />
or<strong>de</strong>r in anticipation of the run, coinciding with sharp waves. Vector distances<br />
b<strong>et</strong>ween the place fields are reflected in the temporal structure of these sequences.<br />
This bidirectional reenactment of temporal sequences may contribute to the<br />
establishment of higher or<strong>de</strong>r associations in episodic memory.<br />
3. Neuronal synchrony : internally advancing assemblies<br />
in the hippocampus<br />
Five key topics have been reverberating in hippocampal-entorhinal cortex<br />
research over the past five <strong>de</strong>ca<strong><strong>de</strong>s</strong>: episodic and semantic memory, path integration<br />
(“<strong>de</strong>ad reckoning”) and landmark (“map”) navigation, and th<strong>et</strong>a oscillation. We<br />
suggest that the systematic relations b<strong>et</strong>ween single cell discharge and the activity<br />
of neuronal ensembles reflected in local field th<strong>et</strong>a oscillations, provi<strong>de</strong> a useful
918 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />
insight into the relationship among these terms. In rats trained to run in directiongui<strong>de</strong>d<br />
(1-dimensional) tasks, hippocampal cell assemblies discharge sequentially,<br />
with different assemblies active on opposite runs, that is place cells are unidirectional.<br />
Such tasks do not require map representation and are formally i<strong>de</strong>ntical with<br />
learning sequentially occurring items in an episo<strong>de</strong>. Hebbian plasticity, acting<br />
within the temporal window of the th<strong>et</strong>a cycle, converts the travel distances into<br />
synaptic strengths b<strong>et</strong>ween the sequentially activated and unidirectionally connected<br />
assemblies. In contrast, place representations by hippocampal neurons in<br />
2-dimensional environments are typically omnidirectional, characteristic of a map.<br />
Generation of a map requires exploration, essentially a <strong>de</strong>ad reckoning behavior. I<br />
suggest that orthogonal and omnidirectional navigation through the same places<br />
(junctions) during exploration gives rise to omnidirectional place cells and,<br />
consequently, maps free of temporal context. Analogously, multiple crossings of<br />
common junction(s) of episo<strong><strong>de</strong>s</strong> convert the common junction(s) into context-free<br />
or semantic memory. Th<strong>et</strong>a oscillation can hence be conceived as the navigation<br />
rhythm through both physical and mnemonic space, facilitating the formation of<br />
maps and episodic/semantic memories.<br />
A longstanding conjecture in neuroscience is that aspects of cognition <strong>de</strong>pend on<br />
the brain’s ability to self-generate sequential neuronal activity. We found that reliably<br />
and continually-changing cell assemblies in the rat hippocampus appeared not only<br />
during spatial navigation but also in the absence of changing environmental or<br />
body-<strong>de</strong>rived inputs. During the <strong>de</strong>lay period of a memory task each moment in<br />
time was characterized by the activity of a unique assembly of neurons. I<strong>de</strong>ntical<br />
initial conditions triggered a similar assembly sequence, whereas different conditions<br />
gave rise, uniquely, to different sequences, thereby predicting behavioral choices,<br />
including errors. Such sequences were not formed in control, non-memory, tasks.<br />
We hypothesize that neuronal representations, evolved for encoding distance in<br />
spatial navigation, also support episodic recall and the planning of action sequences.<br />
4. Neuronal synchrony : coupling of hippocampal<br />
and neocortical systems<br />
Both the thalamocortical and limbic systems generate a vari<strong>et</strong>y of brain state<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt<br />
rhythms but the relationship b<strong>et</strong>ween the oscillatory families is not well<br />
un<strong>de</strong>rstood. Transfer of information across structures can be controlled by the<br />
offs<strong>et</strong> oscillations. I suggest that slow oscillation of the neocortex, temporally<br />
coordinates the self-organized oscillations in the neocortex, entorhinal cortex,<br />
subiculum and hippocampus. Transient coupling b<strong>et</strong>ween rhythms can gui<strong>de</strong><br />
bidirectional information transfer among these structures and might serve to<br />
consolidate memory traces.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 919<br />
M. Gaëtan Chenevier<br />
Chargé <strong>de</strong> recherches au CNRS<br />
Variétés <strong>de</strong> Hecke <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes unitaires <strong>et</strong> représentations galoisiennes<br />
Soient E un corps <strong>de</strong> nombres, p un nombre premier, S un ensemble fini <strong>de</strong><br />
premiers <strong>de</strong> E (contenant ceux divisant p), <strong>et</strong> G S le groupe <strong>de</strong> Galois d’une<br />
extension algébrique maximale <strong>de</strong> E non ramifiée hors <strong>de</strong> S. Nous nous intéressons<br />
à l’espace analytique p-adique X d paramétrant les représentations (semi-simples) <strong>de</strong><br />
G S <strong>de</strong> dimension d <strong>et</strong> à coefficients p-adiques. Un sous-ensemble dénombrable<br />
naturel Z <strong>de</strong> X d est donné par les représentations dites « géométriques », qui<br />
apparaissent (à torsion près) dans la cohomologie étale <strong><strong>de</strong>s</strong> variétés projectives lisses<br />
sur E, <strong>et</strong> la question s’est posée <strong>de</strong> comprendre ce lieu. En 1995, Gouvêa-Mazur<br />
<strong>et</strong> Coleman ont démontré que pour E = �, l’ensemble Z est Zariski-<strong>de</strong>nse dans<br />
certaines composantes connexes <strong>de</strong> X 2 (qui sont <strong><strong>de</strong>s</strong> boules ouvertes <strong>de</strong> dimension 3).<br />
L’objectif du <strong>cours</strong> est d’étudier le cas <strong>de</strong> la dimension supérieure, notamment la<br />
contribution <strong>de</strong> la partie Z u <strong>de</strong> Z provenant <strong><strong>de</strong>s</strong> variétés <strong>de</strong> Shimura associées aux<br />
groupes unitaires sur �. Nous supposons pour cela que E est un corps quadratique<br />
imaginaire (dans lequel p est décomposé) <strong>et</strong> que toutes les représentations en jeu<br />
satisfont <strong>de</strong> plus une condition d’auto-dualité. Le théorème principal est alors que<br />
Z u est Zariski-<strong>de</strong>nse dans certaines composantes <strong>de</strong> X 3 (qui sont <strong><strong>de</strong>s</strong> boules ouvertes<br />
<strong>de</strong> dimension 6). Nous développons <strong>de</strong> plus un ensemble <strong>de</strong> résultats perm<strong>et</strong>tant<br />
<strong>de</strong> « minorer » l’adhérence <strong>de</strong> Zariski <strong>de</strong> Z u en toutes les dimensions d, <strong>et</strong> nous<br />
étudions un analogue <strong>de</strong> ces questions pour le groupe <strong>de</strong> Galois absolu <strong>de</strong> � p.<br />
Le <strong>cours</strong> s’est composé <strong>de</strong> quatre séances <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux heures chacune, dont nous<br />
décrivons maintenant brièvement le contenu.<br />
D’après les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> nombreux auteurs, aux points <strong>de</strong> Z u sont associées <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
représentations automorphes pour divers groupes unitaires à d variables attachés à<br />
E/� ; la première partie du <strong>cours</strong> a consisté en une analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> congruences<br />
modulo une puissance <strong>de</strong> p entre celles-ci. Nous travaillons avec <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes<br />
unitaires U dont les points réels sont compacts, <strong>et</strong> l’objectif est d’étendre à ces<br />
<strong>de</strong>rniers les résultats sur les familles p-adiques <strong>de</strong> formes modulaires obtenus par<br />
Hida, Coleman <strong>et</strong> Coleman-Mazur dans le cadre du groupe GL 2 sur �. Pour un<br />
tel groupe U, nous définissons ce qu’est une « représentation automorphe p-adique<br />
<strong>de</strong> pente finie » <strong>et</strong> nous démontrons que l’ensemble <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières forme un<br />
espace analytique p-adique naturel : la « variété <strong>de</strong> Hecke » <strong>de</strong> U. C<strong>et</strong> espace,<br />
disons noté Y d (U ), est d’équi-dimension d. Il peut être vu comme une interpolation<br />
p-adique d’une partie du spectre automorphe (discr<strong>et</strong>) <strong>de</strong> U. En eff<strong>et</strong>, à chaque<br />
paire (Π, R) formée d’une représentation automorphe Π <strong>de</strong> U telle que Π p est non<br />
ramifiée, <strong>et</strong> d’un « raffinement » R <strong>de</strong> Π p (essentiellement, un ordre total sur les<br />
valeurs propres <strong>de</strong> la classe <strong>de</strong> Langlands <strong>de</strong> Π p), est associé un point dit « classique »<br />
<strong>de</strong> Y d (U ) ; les points classiques sont Zariski-<strong>de</strong>nses dans Y d (U ).
920 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />
Lorsque nous savons associer aux représentations automorphes <strong>de</strong> U les<br />
représentations galoisiennes prédites par Langlands <strong>et</strong> Arthur (par exemple quand<br />
d ≤ 3 ou sous certaines hypothèses locales), nous obtenons par interpolation un<br />
morphisme Yd (U ) → Xd, qui se trouve être quasi-fini. Il envoie les points classiques<br />
<strong>de</strong> Yd (U ) dans Zu, mais son image, disons notée Fd, est assez complexe. En eff<strong>et</strong>,<br />
d( d )<br />
l’espace Xd est <strong>de</strong> dimension +1 en général alors que Y<br />
2<br />
d (U ) est <strong>de</strong> dimension<br />
d ; <strong>de</strong> plus, en chaque point x <strong>de</strong> Zu qui est l’image d’un point classique <strong>de</strong> Yd (U )<br />
passe en général d ! branches <strong>de</strong> Fd, correspondant aux différents choix <strong>de</strong><br />
raffinements associés aux antécé<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> x dans Yd (U ). Il en résulte que Fd adm<strong>et</strong><br />
une structure <strong>de</strong> type fractal. L’obj<strong>et</strong> analogue dans le cadre <strong>de</strong> GL2 avait été mis<br />
en évi<strong>de</strong>nce par Gouvêa <strong>et</strong> Mazur, qui lui ont donné le nom <strong>de</strong> « fougère infinie »<br />
(que l’on reprendra pour Fd) pour en illustrer c<strong>et</strong> aspect.<br />
La secon<strong>de</strong> partie du <strong>cours</strong> a constitué en l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Fd. L’objectif est <strong>de</strong><br />
comprendre les positions relatives <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes branches <strong>de</strong> la fougère Fd au<br />
voisinage d’un point x <strong>de</strong> Zu comme plus haut. Le résultat principal est que sous<br />
une condition purement locale en p <strong>de</strong> « généricité » sur x que nous définissons,<br />
la somme <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces tangents <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes branches <strong>de</strong> Fd en x est <strong>de</strong> dimension<br />
d( d )<br />
au moins +1 ; nous en déduisons les résultats annoncés au premier paragraphe.<br />
2<br />
Pour démontrer c<strong>et</strong> énoncé, nous étudions tout d’abord la restriction au groupe <strong>de</strong><br />
Galois absolu <strong>de</strong> �p <strong>de</strong> la famille p-adique naturelle <strong>de</strong> représentations <strong>de</strong> GS portée par Yd (U ). Ses propriétés s’interprêtent <strong>de</strong> manière naturelle à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />
théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> (ϕ, Γ)-modules <strong>et</strong> <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> représentations « triangulines »<br />
(Colmez), qui perm<strong>et</strong>tent notamment <strong>de</strong> comprendre le pendant galoisien <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
« raffinements » intervenus plus haut. En dimension 2, ces résultats sont dus à<br />
Kisin <strong>et</strong> Colmez ; les généralisations nécessaires à la dimension supérieure présentées<br />
dans le <strong>cours</strong> sont un travail en commun avec Joël Bellaïche. Ceci étant fait, nous<br />
nous ramenons à démontrer un énoncé purement local, concernant la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
représentations cristallines <strong>de</strong> Fontaine : « Toute déformation à l’ordre un d’une<br />
représentation cristalline générique est combinaison linéaire <strong>de</strong> déformations<br />
triangulines ».<br />
À la fin du <strong>cours</strong>, nous avons illustré nos résultats par un exemple explicite <strong>de</strong><br />
composante <strong>de</strong> X 3 attachée au carré symétrique <strong>de</strong> la courbe elliptique X 0(19).
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 921<br />
M. Dong-Hyun Son<br />
Professeur, Sungkyunkwan University, Séoul (Corée du Sud)<br />
Une anthropologie philosophique <strong><strong>de</strong>s</strong> technologies <strong>de</strong> l’information<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> la communication : une réflexion taoïste sur la réalité virtuelle<br />
Conférence donnée le 20 novembre 2007<br />
La culture post-mo<strong>de</strong>rne contemporaine, qu’on appelle aujourd’hui la « société<br />
<strong>de</strong> l’information », est saturée <strong>de</strong> réalité virtuelle. Les technologies <strong>de</strong> l’information<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> la communication constituent le moteur <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te réalité virtuelle qui établit<br />
un nouveau Lebenswelt. C’est la « révolution digitale » qui a rendu possible ces<br />
nouvelles technologies, qui résultent <strong>de</strong> la fusion <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux technologies différentes :<br />
la technologie <strong>de</strong> l’intelligence artificielle <strong>et</strong> la technologie <strong>de</strong> la sensation. La<br />
première consiste dans l’intensification <strong>de</strong> la faculté humaine <strong>de</strong> « penser », qui<br />
nous perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> dépasser les restrictions organiques dues au corps dans le corps<br />
lui-même. La secon<strong>de</strong> est l’extension <strong>de</strong> la faculté humaine <strong>de</strong> « sentir » : elle<br />
perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> dépasser les restrictions spatio-temporelles en <strong>de</strong>hors du corps.<br />
La caractéristique absolument nouvelle du mélange <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux technologies rési<strong>de</strong><br />
dans sa capacité à associer « noesis » <strong>et</strong> « aisthesis » : l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la pensée (l’unité<br />
logico-mathématique) <strong>et</strong> l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la sensation (sense data) se transforment l’un dans<br />
l’autre. Le cyber-espace, base ontologique <strong>de</strong> la réalité virtuelle, trouve son origine<br />
dans c<strong>et</strong>te convergence technologique. La réalité virtuelle, fondée sur le cyber-espace,<br />
peut s’éloigner du mon<strong>de</strong> naturel en dépassant les restrictions naturelles qui ont été<br />
si longtemps associées à la condition humaine. Le cyber-espace n’est pas réellement<br />
un espace : il n’y subsiste ni extensionalité ni distance. Et là où nulle distance ne<br />
subsiste, le temps aussi disparaît. Dans c<strong>et</strong> espace hybri<strong>de</strong>, où l’i<strong>de</strong>ntité <strong>et</strong> la différence<br />
coexistent sans pouvoir être distinguées, rien <strong>de</strong> substantiel ne <strong>de</strong>meure. La<br />
simultanéité <strong>et</strong> l’instantanéité provoquent la « déterritorialisation » <strong><strong>de</strong>s</strong> choses.<br />
La culture, considérée comme le produit <strong><strong>de</strong>s</strong> activités spirituelles humaines, est<br />
fondamentalement une transformation ou une variation <strong>de</strong> la nature. Et même si<br />
la culture transcen<strong>de</strong> la nature, elle ne peut pas apparaître si elle en est coupée. La<br />
« culture <strong>de</strong> l’information », qui repose ontologiquement sur la réalité virtuelle,<br />
peut échapper au contrôle humain, dans la mesure où la réalité virtuelle outrepasse<br />
les limites <strong>de</strong> n’importe quelle expérience humaine concevable. Au contraire, la<br />
culture au sens ordinaire renvoie à l’esprit humain qui est objectivé dans la réalité<br />
naturelle. Elle reste ainsi dans le domaine <strong><strong>de</strong>s</strong> activités humaines, qui ne lui<br />
perm<strong>et</strong>tent pas <strong>de</strong> transcen<strong>de</strong>r la nature.<br />
La réalité virtuelle apparaît donc comme une production très artificielle, dans la<br />
perspective <strong>de</strong> l’enseignement <strong>de</strong> Lao-Tseu. Celui-ci affirmait en eff<strong>et</strong> que nous ne<br />
<strong>de</strong>vrions rien ajouter d’artificiel au mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> laisser les choses telles qu’elles sont, <strong>de</strong><br />
manière à connaître la réalité telle qu’elle est vraiment pour ensuite agir droitement.
922 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />
Pour ce qui est <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres humains, le Mon<strong>de</strong> entendu comme un tout n’est pas<br />
un fait, mais seulement une idée. Ce qui nous est donné au travers <strong>de</strong> nos activités<br />
n’est pas le mon<strong>de</strong> lui-même mais plusieurs « mon<strong><strong>de</strong>s</strong> » ou seulement quelques<br />
aspects du mon<strong>de</strong>. La technologie, à l’instar <strong>de</strong> n’importe quelle autre activité<br />
humaine, constitue, ou plutôt nous révèle, un mon<strong>de</strong> unique, qui a sa nature <strong>et</strong><br />
ses caractéristiques propres. Les technologies <strong>de</strong> l’information <strong>et</strong> <strong>de</strong> la communication<br />
ont donné naissance à un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> réalité virtuelle, qui n’a pas besoin <strong>de</strong> suivre<br />
les principes du mon<strong>de</strong> naturel ordinaire. Grâce à son « hyper-réalité », nous<br />
pouvons maintenant découvrir <strong>de</strong> nombreux mon<strong><strong>de</strong>s</strong> possibles <strong>et</strong> étendre<br />
indéfiniment le domaine <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> l’humanité.<br />
Aujourd’hui, la « digitalisation » <strong>de</strong> la variété <strong><strong>de</strong>s</strong> activités <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences<br />
humaines dans un co<strong>de</strong> neutre, qui se diffuse dans tout le cyber-espace, est <strong>de</strong>venue<br />
en quelque sorte routinière. À première vue, ce mouvement apparaît comme un<br />
progrès pour le bien-être <strong>de</strong> l’humanité. Pourtant, il masque le danger que ne<br />
soient détruites <strong>et</strong> fragmentées la subjectivité <strong>et</strong> l’i<strong>de</strong>ntité personnelle. L’enseignement<br />
<strong>de</strong> Lao-Tseu, quand il nous enjoint <strong>de</strong> « ne rien faire », suppose « l’équilibre <strong>et</strong><br />
l’harmonie » au sein <strong><strong>de</strong>s</strong> différents points <strong>de</strong> vue, <strong><strong>de</strong>s</strong> différents « mon<strong><strong>de</strong>s</strong> », dans<br />
l’intérêt du tout, c’est-à-dire du Mon<strong>de</strong>. Le fait que le cyber-mon<strong>de</strong>, qui n’est<br />
qu’un <strong><strong>de</strong>s</strong> mon<strong><strong>de</strong>s</strong>, s’impose au détriment <strong><strong>de</strong>s</strong> autres mon<strong><strong>de</strong>s</strong> constitués par la<br />
variété <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences humaines, doit être examiné d’un point <strong>de</strong> vue ontologique.<br />
Sans un fon<strong>de</strong>ment ontologique soli<strong>de</strong>, le cyber-mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>meurera fragile. Et la<br />
démarcation entre le mon<strong>de</strong> réel <strong>et</strong> le mon<strong>de</strong> imaginaire se révélera <strong>de</strong> plus en plus<br />
obscure, porteuse <strong>de</strong> risques qui nous sont encore inconnus.<br />
M me Maria Luisa Menegh<strong>et</strong>ti<br />
Professeur, Università <strong>de</strong>gli Studi di Milano (Italie)<br />
Les frontières du grand chant courtois<br />
Le concept <strong>de</strong> grand chant courtois, <strong>de</strong> même que son antécé<strong>de</strong>nt plus générique<br />
– mais plus « fort » du point <strong>de</strong> vue théorique –, celui <strong>de</strong> poésie formelle, a conditionné,<br />
en bien ou en mal, la réflexion sur la poésie lyrique médiévale <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre ou cinq<br />
<strong>de</strong>rnières décennies. On a cependant l’impression que <strong>de</strong>puis longtemps, dans la<br />
communis opinio <strong><strong>de</strong>s</strong> critiques, les <strong>de</strong>ux concepts ont été tellement simplifiés <strong>et</strong><br />
vulgarisés qu’ils ont prêté le flanc à toute une série d’objections, notamment <strong>de</strong> la<br />
part <strong><strong>de</strong>s</strong> partisans d’une approche plus sensible à l’épaisseur idéologique <strong>et</strong> culturelle<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> textes <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs auteurs. Ce n’est donc qu’à partir d’un réexamen du sens primitif<br />
donné à ces <strong>de</strong>ux concepts par leur inventeur, Robert Gui<strong>et</strong>te, que l’on peut essayer<br />
<strong>de</strong> montrer dans quelle mesure ils pourront encore se révéler utiles <strong>et</strong> efficaces dans le<br />
cadre <strong>de</strong> la recherche actuelle.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 923<br />
Lorsque l’on s’en tient aux principes les plus généraux <strong>de</strong> la réflexion <strong>de</strong> Gui<strong>et</strong>te,<br />
on se rend d’abord compte qu’il considérait, en principe, la poésie formelle comme<br />
une modalité stylistique typiquement médiévale, dans laquelle la structure rhétoricomusicale<br />
apparaît inséparable d’un contenu déterminé pour ainsi dire<br />
idéologiquement, tandis que le grand chant courtois aurait été, à son avis, un<br />
véritable genre, qui se développa dans un milieu historique <strong>et</strong> culturel très précis<br />
– celui <strong><strong>de</strong>s</strong> poètes aristocratiques d’oïl d’avant la troisième décennie du xiii e siècle –,<br />
sans aucune possibilité d’extension abusive à d’autres réalités lyriques. Deuxièmement,<br />
Gui<strong>et</strong>te voyait l’élément fondateur <strong>de</strong> la poésie formelle dans une typologie<br />
communicative que l’on pourrait, d’après les acquisitions <strong>de</strong> la critique postbachtinienne,<br />
appeler « interdiscursive » ; cela signifie que, pour comprendre le<br />
sens <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te poésie, il est nécessaire <strong>de</strong> fixer son attention non pas sur le texte<br />
isolé, mais sur la série textuelle dont celui-ci fait partie : pour le créateur <strong>de</strong> poésie<br />
comme pour son public, ce qui compte vraiment est l’expérience <strong>de</strong> la sérialité.<br />
Cela dit, on peut ajouter que <strong>de</strong>ux éléments ont contribué à renforcer la<br />
« conscience du genre » chez les poètes d’oïl <strong>et</strong> le public contemporain du grand<br />
chant courtois : en premier lieu, l’évi<strong>de</strong>nte homogénéité structurelle <strong>et</strong> thématique<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> textes, puisqu’avec la forme <strong>de</strong> la chanson ne sont réalisées que <strong><strong>de</strong>s</strong> œuvres dont<br />
le suj<strong>et</strong> est <strong>de</strong> nature amoureuse, exprimé selon les formules <strong>de</strong> l’effusion <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
sentiments <strong>et</strong> traité dans le cadre consolidé <strong>de</strong> l’idéologie <strong>de</strong> l’amour courtois ; en<br />
second lieu, l’opposition, n<strong>et</strong>te <strong>et</strong> essentiellement binaire, entre la chanson <strong>et</strong> les<br />
genres poétiques à forme fixe qui sont souvent (mais pas uniquement) d’origine<br />
populaire. Par contre, la canso occitane, qui est pourtant la concrétisation d’un art<br />
formel fondé sur <strong><strong>de</strong>s</strong> bases fort semblables à celles du grand chant <strong><strong>de</strong>s</strong> trouvères, ne<br />
peut pas être définie aussi catégoriquement comme la « forme-type » <strong>de</strong> la poésie<br />
d’amour <strong><strong>de</strong>s</strong> troubadours, puisque, tout en restant pratiquement inaltérée tout au<br />
long du par<strong>cours</strong> <strong>de</strong> la littérature d’oc, elle n’accueille pas exclusivement le thème<br />
érotique, mais draine une gamme <strong>de</strong> contenus bien plus riches <strong>et</strong> plus variés.<br />
Ce qui rend la canso occitane quelque chose <strong>de</strong> tout à fait différent par rapport<br />
au grand chant courtois, c’est le « quotient d’hétéroréférence » – c’est-à-dire la<br />
capacité d’accueillir dans le texte poétique une série d’indications, <strong>de</strong> références <strong>et</strong><br />
d’impulsions étrangères à la ligne <strong>de</strong> l’auto-anamnèse typique du dis<strong>cours</strong> lyrique –<br />
qui la caractérise. La présence d’un « quotient d’hétéroréférence » très élevé fait que<br />
la canso s’ouvre à toute une série <strong>de</strong> thématiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> stratégies rhétoriques <strong>et</strong><br />
discursives que le grand chant courtois, en principe, ignore. En particulier, tandis<br />
que chez les trouvères le rapport qui s’instaure entre chaque texte appartenant au<br />
genre du grand chant courtois <strong>et</strong> ses « confrères » peut aisément être décrit, comme<br />
on vient <strong>de</strong> le dire plus haut, en ayant re<strong>cours</strong> à la notion d’interdiscursivité, les<br />
troubadours semblent privilégier, pour leurs textes, les liens <strong>de</strong> nature intertextuelle,<br />
plus marqués précisément du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la référence.
924 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />
M. Yasuaki Onuma<br />
Professeur à l’université <strong>de</strong> Tokyo (Japon)<br />
Human Rights in a Multipolar and Multi-civilizational World<br />
of the 21 st century.<br />
A View from a Trans-civilizational Perspective<br />
Lecture I. The trans-civilizational perspective : a cognitive framework<br />
for viewing the 21 st century world<br />
I. From a State-centric and West-centric International Soci<strong>et</strong>y<br />
to a Multi-polar and Multi-civilizational Global Soci<strong>et</strong>y<br />
1. The State-centric and West-centric International Soci<strong>et</strong>y of the 20 th Century.<br />
2. Conflicts Destabilizing the International Or<strong>de</strong>r.<br />
(1) The Conflict b<strong>et</strong>ween the Transnationalization of Economics and Information,<br />
and the Sovereign States System.<br />
(2) The Conflict b<strong>et</strong>ween the Global Quest for Human Dignity and the Sense<br />
of Humiliation Shared by Developing Nations.<br />
(3) Emerging Discrepancies b<strong>et</strong>ween Asian Economic Power and Western<br />
Intellectual/Informational Hegemony in Global Soci<strong>et</strong>y.<br />
II. The Trans-civilizational Perspective as Compared with the International<br />
and Transnational Perspectives<br />
1. The International Perspective.<br />
2. The Transnational Perspective.<br />
(1) Significance of the Transnational Perspective.<br />
(2) Problems with the International and Transnational Perspectives.<br />
3. The Trans-civilizational Perspective.<br />
(1) Civilizational Factors and Perspectives as Preserved and Utilized within the<br />
Sovereign States System.<br />
(2) Decline of the Non-Intervention Principle and the Problematization of<br />
Civilizations.<br />
(3) The Need to Minimize Conflicts b<strong>et</strong>ween Egocentric, Unilateral<br />
Universalisms.<br />
(4) The Functional Trans-civilizational Perspective.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 925<br />
Lecture II. human rights from a trans-civilizational perspective<br />
I. “Universality vs. Relativity” in Human Rights<br />
1. The Scope of “Universality” of Human Rights.<br />
2. Problematic Features of the Theory of the Universal Origin of Human<br />
Rights.<br />
II Conditions for Globally Legitimate Standards and Frameworks<br />
of Human Rights<br />
1. Human Rights as the Most Effective Means for Protecting the Values and<br />
Interests of Individuals against Sovereign States and the Capitalist Economy.<br />
2. Liberation from West-centrism.<br />
3. Liberation from Liberty-Centrism.<br />
4. Liberation from Individualism.<br />
III. The Search for Trans-Civilizational Human Rights<br />
1. Significance of Current International Human Rights Norms.<br />
2. Modification and Supplementation of International Human Rights Norms<br />
from a Transnational Perspective.<br />
3. Modification and Supplementation of International Human Rights Norms<br />
from a Trans-civilizational Perspective.<br />
M. Martin Schwartz<br />
Professeur, université <strong>de</strong> Californie, Berkeley (Etats-Unis)<br />
The po<strong>et</strong>ry of the Gathas :<br />
Mysteries of composition, and the composition of mysteries<br />
1. Compositional techniques of the individual poems, and of the serial<br />
generation of the corpus.<br />
2. The esoteric dimensions of gathic style.<br />
Like other early Indo-European po<strong>et</strong>ries, the Gathas, in addition to and alongsi<strong>de</strong><br />
their direct communicative aspect, are characterrized by a cryptic aspect of style,<br />
at once mystagogic and ludic. I shall illustrate the various <strong>de</strong>vices which constitute<br />
this latter aspect — intentionally ambiguous syntax, morphology, and lexicon
926 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />
(word-play), and various cryptic uses of co<strong>de</strong>d initial sounds — a kind of phonic<br />
cabbalism — as well as oral acrostics.<br />
I shall focus particularly on Yasna 32, bringing tog<strong>et</strong>her my various insights<br />
about this amazing text, as it figures in the early histor yof Zoroastrianism, and<br />
and its general interest for cognitive issues.<br />
In my talk I shall summarize my discoveries about the composition of the Gathas<br />
— ring composition of first-stage (protopoems) and second-stage final poems, and<br />
serial generation of the corpus, from poem to poem (as indicated below).<br />
In addition I shall a new, and I hope somewhat astonishing <strong>de</strong>monstration of<br />
the teleological nature of the Gathic corpus. This will provi<strong>de</strong> material for<br />
discussion of the question of the authorship of the Gathas. Subject to minor<br />
adjustments in translation, the following <strong><strong>de</strong>s</strong>cribes this new view of the gathas<br />
which I shall present.<br />
Yasna 53 is a wedding poem in the po<strong>et</strong> (stanzas 3-5) addresses the bri<strong>de</strong> as<br />
“Pouruchista Haechataspana, the youngest of Zarathushtra’s daughters”, says that<br />
“he will give her (a benefactor) as<br />
mate’ and states further, “I will entrust *her with the zeal whereby she<br />
will attend to father, husband, pasturers, and family”.<br />
The formulation of the foregoing would ordinarily be thought dictated merely<br />
by the realia of the occasion at hand. However, I shall show that everything here<br />
(and most else in the poem) <strong>de</strong>rives its wording from earlier poems in accordance<br />
with a very precise s<strong>et</strong> of gamelike rules of composition. Beginning with the first<br />
poem in the corpus (<strong>de</strong>monstrably Yasna 29), every compl<strong>et</strong>ed poem (in an or<strong>de</strong>r<br />
different from that of the present Gathic canon) contributes a s<strong>et</strong> of two strings<br />
of words, whereby each poem gives, stanza by stanza in each direction , a series of<br />
words whose formal equivalents (i.e. i<strong>de</strong>ntical forms or cognates or homonyms)<br />
enter the next poem, stanza by stanza, both backwards and forwards, with each<br />
new poem cumulatively bearing the word-strings of all the preceding poems. In<br />
addition, each poem had to be composed according to patterns of concentric ring<br />
composition. I have presented these principles and illustrated them with charts in<br />
The Bull<strong>et</strong>in of the Asia Institute, Volumes 16 and 17.<br />
Yasna 53, the last poem composed, thus contains the lexical strings of all the<br />
poems composed earlier (hence the irregular length of lines in Y53), which would<br />
obligatorily serve as the basic « vertical » word pool for the poem’s phraseology.<br />
Thus the contents summarized in my first paragraph above, including words<br />
quoted (and even the elements of the proper names), which refer to practicalities<br />
of a real wedding, recapitulate words used earlier in other poems in contexts which<br />
are theological/mythological and eschatological.<br />
The many odd, virtually labyrinthine, formal constraints which the Gathic po<strong>et</strong><br />
imposed upon his compositions present us with new tools for the study of the
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 927<br />
relative chronology of his poems, for the lexicographical problems they pose, and<br />
for assessing the connection of his po<strong>et</strong>ic with his religious thought. For a broa<strong>de</strong>r<br />
perspective on of what this all amounts to (and I confess feeling still too close to<br />
the data to have a <strong><strong>de</strong>s</strong>irable perspective), I look forward to the reactions and<br />
insights to be provi<strong>de</strong>d by the discussion.<br />
M. Karl Friston<br />
Professeur, University College London (Gran<strong>de</strong> Br<strong>et</strong>agne)<br />
A Free energy principle for the brain<br />
Thursday May 29 th : Action, perception and free-energy<br />
Value-learning and perceptual learning have been an important focus over the<br />
past <strong>de</strong>ca<strong>de</strong>, attracting the concerted attention of experimental psychologists,<br />
neurobiologists and the machine learning community. Despite some formal<br />
connections; e.g., the role of prediction error in optimising some function of<br />
sensory states, both fields have <strong>de</strong>veloped their own rh<strong>et</strong>oric and postulates. In<br />
work, we show that perceptual learning is, literally, an integral part of value<br />
learning ; in the sense that perception is necessary to integrate out <strong>de</strong>pen<strong>de</strong>ncies<br />
on the inferred causes of sensory information. This enables the value of sensory<br />
trajectories to be optimised through action. Furthermore, we show that acting to<br />
optimize value and perception are two aspects of exactly the same principle; namely<br />
the minimisation of a quantity [free energy] that bounds the probability of sensory<br />
input, given a particular agent or phenotype. This principle can be <strong>de</strong>rived, in a<br />
straightforward way, from the very existence of agents, by consi<strong>de</strong>ring the<br />
probabilistic behaviour of an ensemble of agents belonging to the same class.<br />
This treatment unifies value and perceptual learning and suggests that value is<br />
simply the probability of sensory input expected by an agent. This means that<br />
acting to maximise value is the same as acting to minimise surprise; in other words,<br />
sampling the environment so that is conforms to our expectations. In this way,<br />
exchange or interactions with the environment are maintained within bounds that<br />
preserve the integrity of the agent. Clearly, the surprise of a sensory exchange<br />
<strong>de</strong>pends on some representation or perceptual mo<strong>de</strong>l of that exchange. We show<br />
that this mo<strong>de</strong>l emerges naturally as the internal states of the agent optimise the<br />
free energy bound above.<br />
This formulation is important because it places the mechanisms of value-learning<br />
and reinforcement in the larger context of perceptual learning. For example,<br />
conditioning paradigms (both classical and operant) can be regar<strong>de</strong>d as introducing
928 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />
statistical regularities into the sensorium. These are learned in the same way we<br />
learn the causal structure of sensory contingencies. In this view, rewards are simply<br />
predictable stimuli (and aversive stimuli are, be <strong>de</strong>finition, surprising). Furthermore,<br />
the neurobiological substrates of value-learning become accountable to the larger<br />
problem of perceptual inference in the brain. For example, dopamine may not just<br />
signal reward but have a much more generic and role encoding the conditional<br />
certainty or precision of our predictions. This is consistent with a role in modulating<br />
the balance b<strong>et</strong>ween bottom-up sensory information and top-down empirical<br />
priors, during perp<strong>et</strong>ual inference.<br />
Friday May 30th : (NeuroSpin) : Variational filtering and inference<br />
We present a variational treatment of dynamic mo<strong>de</strong>ls that furnishes the time<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt<br />
conditional <strong>de</strong>nsities of a system’s states and the time-in<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt<br />
<strong>de</strong>nsities of its param<strong>et</strong>ers. These obtain by maximising the variational free energy<br />
of the system with respect to the conditional <strong>de</strong>nsities. The ensuing free energy<br />
represents a lower-bound approximation to the mo<strong>de</strong>ls marginal likelihood or logevi<strong>de</strong>nce<br />
required for mo<strong>de</strong>l selection and averaging. This approach rests on<br />
formulating the optimisation of free energy dynamically, in generalised co-ordinates<br />
of motion. The resulting scheme can be used for online Bayesian inversion of<br />
nonlinear dynamic causal mo<strong>de</strong>ls and eschews some limitations of existing<br />
approaches, such as Kalman and particle filtering. We refer to this approach as<br />
dynamic expectation maximisation (DEM).<br />
Monday June 1st : Perceptual inference and learning<br />
This talk summarizes our recent attempts to integrate action and perception<br />
within a single optimization framework. We start with a statistical formulation of<br />
Helmholtz’s i<strong>de</strong>as about neural energy to furnish a mo<strong>de</strong>l of perceptual inference<br />
and learning that can explain a remarkable range of neurobiological facts. Using<br />
constructs from statistical physics it can be shown that the problems of inferring<br />
what cause our sensory inputs and learning causal regularities in the sensorium can<br />
be resolved using exactly the same principles. Furthermore, inference and learning<br />
can proceed in a biologically plausible fashion. The ensuing scheme rests on<br />
Empirical Bayes and hierarchical mo<strong>de</strong>ls of how sensory information is generated.<br />
The use of hierarchical mo<strong>de</strong>ls enables the brain to construct prior expectations in<br />
a dynamic and context-sensitive fashion. This scheme provi<strong><strong>de</strong>s</strong> a principled way to<br />
un<strong>de</strong>rstand many aspects of the brain’s organization and responses.<br />
Here, we suggest that these perceptual processes are just one aspect of systems<br />
that conform to a free-energy principle. The free-energy consi<strong>de</strong>red here represents<br />
a bound on the surprise inherent in any exchange with the environment, un<strong>de</strong>r<br />
expectations enco<strong>de</strong>d by its state or configuration. A system can minimize freeenergy<br />
by changing its configuration to change the way it samples the environment,<br />
or to change its expectations. These changes correspond to action and perception
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 929<br />
respectively and lead to an adaptive exchange with the environment that is<br />
characteristic of biological systems. This treatment implies that the system’s state<br />
and structure enco<strong>de</strong> an implicit and probabilistic mo<strong>de</strong>l of the environment and<br />
that its actions suppress surprising exchanges with it. Furthermore, it suggests that<br />
free-energy, surprise and [negative] value are all the same thing. We will look at<br />
mo<strong>de</strong>ls entailed by the brain and how minimization of free-energy can explain its<br />
dynamics and structure.<br />
M. David Warnock<br />
Professeur à l’Université d’Alabama, Birmingham (États-Unis)<br />
Stroke, CV Disease and Chronic Kidney Disease<br />
The inci<strong>de</strong>nce of end-stage renal disease (ESRD) is increasing in the United<br />
States (US) population USRDS, and the prevalence of chronic kidney disease also<br />
appears to be increasing, in parallel with increased surveillance, routine reporting<br />
of estimated glomerular filtration rates (eGFR) with the MDRD equation, as well<br />
as increasing prevalence of hypertension and diab<strong>et</strong>es in the general population.<br />
These same <strong>et</strong>iologic factors are also increasing at the global level; the increasing<br />
prevalence of CKD in the US population mirrors what is happening at the global<br />
level.<br />
There is an increasing realization that CKD is associated with cardiovascular<br />
outcome events, and that this association is more marked with more advanced<br />
CKD. This association has been <strong><strong>de</strong>s</strong>cribed with short-term outcomes in patients<br />
with acute myocardial infarction, as well as longer term outcome measures,<br />
including mortality rates, hospitalization rates and cardiovascular event rates.<br />
Anemia is frequently associated with CKD, and when present, serves as an<br />
in<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt risk factor for cardiovascular morbidity and mortality associated.<br />
Abramson <strong>et</strong> al. reported that CKD and anemia (hemoglobin < 12 gm/dl in<br />
women, and < 13 gm/dl in men) were in<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt risk factors for stroke in a<br />
middle-aged community-based population in the Atherosclerosis Risk in the<br />
Community (ARIC) study, with a relative risk of 7.49 in those subjects who are<br />
anemic and had creatinine clearance < 60 ml/min compared to the non-anemic<br />
participants with creatinine clearances > 60 ml/min. Similarly, the combination of<br />
anemia and CKD has a significant impact on survival after acute myocardial<br />
infarction in a study of Medicare recipients in Georgia. There are 3 large samples of<br />
patients in the US that provi<strong>de</strong> estimates of the prevalence of CKD, with stratification<br />
according to the <strong>de</strong>gree of impairment of kidney function: a) the Renal REGARDS<br />
cohort is the focus of our current efforts at the University of Alabama at Birmingham ;
930 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES<br />
b) the National Kidney Foundation Kidney Early Evaluation Program (KEEP) ; and<br />
c) the National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES) 1999-2004.<br />
All three cohorts also provi<strong>de</strong> prevalence estimates for co-morbidities such as<br />
cardiovascular and cerebrovascular disease.<br />
The REGARDS and KEEP cohorts are ol<strong>de</strong>r than the NHANES cohort, and<br />
have slightly greater prevalence of more advanced CKD (Stage 3) than the<br />
NHANES cohort. These cohorts are the un<strong>de</strong>rgoing longitudinal evaluation to<br />
prospectively d<strong>et</strong>ermine the inci<strong>de</strong>nce of cardiovascular disease (MI and CHF),<br />
cerebrovascular disease (strokes and TIAs), and progressive CKD and ESRD. Based<br />
on self-reported history of co-morbidities, there appears to be an association<br />
b<strong>et</strong>ween CKD (eGFR < 60 ml/min/1.73 m 2 ) and AMI and stroke, with an<br />
increased risk, adjusted for traditional (e.g., Framingham) risk factors of 35%.<br />
These prevalence estimates and associations will be converted to actual hazard<br />
ratios and d<strong>et</strong>ailed <strong>de</strong>finition of the importance of traditional (i.e., systolic<br />
hypertension, diab<strong>et</strong>es, smoking, cholesterol, age, gen<strong>de</strong>r) and non-traditional<br />
(CKD stage, anemia, inflammation, <strong>et</strong>hnicity) risk factors for the occurrence of<br />
stroke, cardiovascular events and ESRD.<br />
Proteinuria, Hypertension and Chronic Kidney Disease Progression<br />
Effective blood pressure control, especially of the systolic component, is of<br />
primary importance in both primary and secondary prevention of Cardiovascular<br />
and Cerebrovascular Events. Similarly, systolic blood pressure control is important<br />
in the primary and secondary prevention of chronic kidney disease (CKD), and in<br />
patients for whom kidney function is already affected, the focus is on preventing the<br />
worsening of their current condition, which is <strong><strong>de</strong>s</strong>cribed as slowing the “progression”<br />
of CKD. Progression of CKD is usually quantified as the linear slope with time<br />
of changes in the glomerular filtration rate, expressed as ml/min/1.73 m 2 /year. In<br />
addition to systolic blood pressure, control of hyperlipi<strong>de</strong>mia, anemia management,<br />
smoking cessation and di<strong>et</strong>ary salt intake at the recommen<strong>de</strong>d daily allowance of<br />
2.4 grams of sodium are part of the general approach to optimizing outcomes in<br />
patients with CKD.<br />
Proteinuria is an important biomarker is many forms of CKD, including type<br />
I, and type II diab<strong>et</strong>es mellitus. Even in forms of CKD not usually associated with<br />
proteinuria (e.g., autosomal dominant polycystic kidney disease), reduction of<br />
urine protein excr<strong>et</strong>ion with “anti-proteinuric” therapy can have a beneficial effect<br />
on the rate of progression CKD. Proteinuria is a biomarker of kidney damage, and<br />
may also directly contribute to the ongoing damage to the kidney in CKD<br />
associated with proteinuria. Angiotensin converting enzyme inhibitors (ACEIs),<br />
and angiotensin type 1-receptor blockers (ARBs), used either alone or in<br />
combination are the mainstays of antiproteinuric therapy. This effect is well<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>cribed, and seems greater than that seen with other classes of antihypertensive
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 931<br />
therapy, giving rise to the feeling that these agents have beneficial effects above and<br />
beyond what can be achieved with blood pressure control alone.<br />
At present, there is a balancing act b<strong>et</strong>ween the control of blood pressure and<br />
control of proteinuria. Even in the most well <strong>de</strong>fined outcome studies of type I,<br />
and type II diab<strong>et</strong>es, the outcomes with respect to slowing the rate of progression<br />
of CKD, though significant, do not achieve the ultimate goal of reducing the<br />
progression rate to < 1 ml/min/1.73 m 2 /year.<br />
A new paradigm is emerging that focuses directly on the control of proteinuria to<br />
less than 0.5 grams/day with ACEI/ARB therapy and also other non-traditional<br />
forms of therapy including other forms of RAS blockers, vitamin D, and other<br />
agents.<br />
These issues will be put in focus for the case of Fabry nephropathy. Fabry disease<br />
is a rate multi-system disease caused by a mutation in the alpha-galactosidase A<br />
gene on the X-chromosome. It is a progressive form of proteinuric CKD, but in<br />
contrast to diab<strong>et</strong>es, the systolic blood pressure is not usually elevated, which<br />
makes the utilization of traditional anti-proteinuric therapy challenging.<br />
In conclusion, the importance of control of proteinuria in slowing the progression<br />
of CKD will be emphasized with the use of a combination of treatment approaches<br />
to achieve this goal. In this context, control of proteinuria, per se, rather than<br />
lowering the systolic blood pressure to an arbitrary, fixed goal becomes the primary<br />
outcome measure. While this approach clearly has merit, long-term outcome<br />
studies are need before reduction of urinary protein excr<strong>et</strong>ion can be accepted as<br />
a surrogate endpoint for slowing the progression of CKD.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES<br />
AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
Le mon<strong>de</strong> indien : textes, sociétés, représentations<br />
EA 2723, EPHE/<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
Membres EPHE : Lyne Bansat-Boudon, Gerdi Gerschheimer, Cristina Scherrer-<br />
Schaub (Directeurs d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong>), Rosita De Selva (Ingénieur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong>), Martine van<br />
Woerkens (Ingénieur <strong>de</strong> recherche), Silvia d’Intino (post-doctorante).<br />
Doctorants : Stéphanie Bourla, Hugo David, Julia Estève, Kathia Juhel, Isabelle<br />
Ratié (ATER à l’EPHE), Vincent Tournier, Eva Szily, Seiji Kumagai (Ecole<br />
doctorale franco-japonaise).<br />
Membre hors EPHE : Judit Törzsök (Maître <strong>de</strong> conférences, univ. Lille 3, chargée<br />
<strong>de</strong> conférences à l’EPHE).<br />
L’équipe compte également 16 membres associés <strong>et</strong> 4 doctorants associés<br />
appartenant à d’autres institutions <strong>de</strong> recherche <strong>et</strong> d’enseignement.<br />
Responsable : L. Bansat-Boudon.<br />
I<br />
Domaines, recherches<br />
Les recherches <strong>de</strong> l’équipe portent sur l’In<strong>de</strong> <strong>et</strong> les espaces asiatiques concernés<br />
par la diffusion <strong>de</strong> sa culture (Asie centrale, Tib<strong>et</strong>, Asie du Sud-Est notamment),<br />
ses savoirs, religions <strong>et</strong> systèmes politiques à travers les siècles. Centrés en premier<br />
sur l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> sources textuelles <strong>et</strong> le repérage <strong>de</strong> manuscrits <strong>et</strong> autres documents<br />
inédits, les <strong>travaux</strong> portent sur les religions <strong>et</strong> philosophies indiennes (brahmanique,<br />
jaina <strong>et</strong> bouddhique), les belles-l<strong>et</strong>tres <strong>et</strong> l’histoire. Ils s’enrichissent d’enquêtes <strong>de</strong><br />
terrain (anthropologie), <strong>de</strong> recherches comparatives (en histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> religions par
934 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
exemple) <strong>et</strong> <strong>de</strong> réflexions méthodologiques (histoire textuelle, technique éditoriale,<br />
théorie <strong>de</strong> la traduction, codicologie, <strong>et</strong>c.).<br />
1. Philosophie, exégèse<br />
1.1. Trois membres <strong>de</strong> l’équipe poursuivent <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches importantes dans le<br />
domaine du Shivaïsme non dualiste du Cachemire <strong>et</strong> du tantrisme. L. Bansat-<br />
Boudon achève actuellement une édition <strong>et</strong> une traduction commentée d’une <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
sources majeures <strong>de</strong> l’école çivaïte dite du Trika, le Pâramârthasâra (« L’Essence <strong>de</strong><br />
la réalité ultime ») d’Abhinavagupta (xe-xie s. <strong>de</strong> n. è.) <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa glose par Yogarâja<br />
(xie s.) (parution prévue en 2009). La comparaison <strong>de</strong> ce texte <strong>et</strong> du Pâramârthasâra<br />
d’Âdiçesha, texte d’obédience philosophique différente dont il constitue la réécriture<br />
çivaïte, contribue à l’étu<strong>de</strong> du thème <strong>de</strong> « la réécriture », inscrit au quadriennal <strong>de</strong><br />
l’équipe.<br />
1.2. I. Ratié poursuit, dans le cadre d’une thèse (soutenance prévue en 2008),<br />
l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> pratyabhijñâ chez Abhinavagupta, sur la base <strong>de</strong> nouveaux<br />
matériaux repérés en In<strong>de</strong>.<br />
1.3. Enfin, l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> textes les plus anciens sur le culte <strong><strong>de</strong>s</strong> yoginî, le Picumata-<br />
Brahmayâmala Tantra, est le suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la troisième recherche (J. Törzsök).<br />
1.4. L’œuvre <strong>de</strong> Skandasvâmin (vii e s. <strong>de</strong> n. è.) fait l’obj<strong>et</strong> d’une étu<strong>de</strong> sur la<br />
tradition exégétique du Rgveda (S. d’Intino), proj<strong>et</strong> en <strong>cours</strong> auprès <strong>de</strong> la Gonda<br />
Foundation (IIAS, Ley<strong>de</strong>).<br />
2. Les recherches <strong>de</strong> G. Gerschheimer se sont concentrées c<strong>et</strong>te année sur la<br />
notion <strong>de</strong> divinité, tant en Exégèse védique (mîmâmsâ) qu’en Nouvelle logique<br />
(navya-nyâya). H. David a entamé une thèse <strong>de</strong> doctorat sur l’épistémologie <strong>de</strong> la<br />
connaissance verbale <strong>et</strong> la théorie <strong>de</strong> l’exégèse dans la branche dite Vivarana <strong>de</strong><br />
l’école d’Advaita Vedânta. A. Clavel, doctorante associée, achèvera bientôt sa thèse<br />
consacrée à l’épistémologie d’Akalanka, célèbre docteur jaina du viii e s. <strong>de</strong> n. è.<br />
3. Le programme <strong>de</strong> Corpus <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions khmères (CIK), dirigé par<br />
G. Gerschheimer, poursuit sur son forum électronique l’inventaire <strong>et</strong> l’édition<br />
annotée <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions du Cambodge ancien, majoritairement en sanskrit <strong>et</strong> en<br />
vieux khmer. Bénéficiant <strong>de</strong> moultes collaborations internationales, il est aussi,<br />
<strong>de</strong>puis 2008, partenaire du proj<strong>et</strong> plus vaste d’Espace khmer ancien <strong>de</strong> Constitution<br />
d’un corpus numérique <strong>de</strong> données archéologiques <strong>et</strong> épigraphiques (EFEO/EPHE),<br />
financé par l’ANR ‘Corpus’ (2008-2010). Une partie <strong><strong>de</strong>s</strong> énergies <strong>de</strong> l’année a été<br />
investie dans trois directions : la mise au point d’une chronologie fiable <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
inscriptions ; la mise en place d’une nouvelle présentation <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions du<br />
musée national <strong>de</strong> Phnom Penh (Cambodge), qui sera inaugurée en oct. 2008 ; la<br />
préparation d’un atelier spécifique <strong>de</strong> la 12 e conférence <strong>de</strong> la EurASAA (Ley<strong>de</strong>,<br />
Pays-Bas, sept. 2008), consacré aux sanctuaires dits Çivapâda du Cambodge<br />
ancien.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 935<br />
Les <strong>de</strong>ux doctorants rattachés à l’équipe, principalement (J. Estève) ou à titre<br />
d’associé (D. Soutif, Paris III), achèveront leurs thèses en 2008.<br />
4. Complément important aux recherches précé<strong>de</strong>ntes, la réflexion<br />
anthropologique, sous la direction <strong>de</strong> M. van Woerkens, concerne d’une part<br />
l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> structures <strong>de</strong> pouvoir <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> articulations <strong><strong>de</strong>s</strong> différences (genres,<br />
sociétés, religions), d’autre part celle <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports entre oralité <strong>et</strong> écriture dans le<br />
cadre <strong>de</strong> pratiques rituelles ou ordinaires. L’année passée a permis <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre au<br />
point, pour publication, les textes <strong><strong>de</strong>s</strong> interventions aux journées d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sur La<br />
louange en In<strong>de</strong> organisées par l’équipe l’an <strong>de</strong>rnier (6-7 mars 2007) <strong>et</strong> d’avancer<br />
dans la rédaction d’une histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes indiennes <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs résistances aux<br />
xix e -xxi e siècles, (M. van Woerkens).<br />
5. Quatre membres <strong>de</strong> l’équipe travaillent dans le domaine du bouddhisme<br />
indien <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa transmission en Asie centrale <strong>et</strong> au Tib<strong>et</strong> (C. Scherrer-Schaub,<br />
K. Juhel, V. Tournier, S. Kumagai), collaborent <strong>de</strong> manière suivie avec d’autres<br />
équipes en <strong>France</strong> (ENS, CNRS, EFEO) <strong>et</strong> participent activement à <strong><strong>de</strong>s</strong> proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong><br />
recherche internationaux (Autriche, USA).<br />
5.1. L’étu<strong>de</strong> raisonnée <strong><strong>de</strong>s</strong> traités <strong>de</strong> philosophie Madhyamaka par le savant<br />
tibétain Ron ston (1367-1449) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Vigrahavyâvartanî du philosophe indien<br />
Nâgârjuna (iie-iiie s. <strong>de</strong> n. è.) ont fait l’obj<strong>et</strong> du séminaire d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> bouddhiques<br />
EPHE 2007/2008 (C. Scherrer-Schaub & S. Kumagai). Deux publications sont<br />
annoncées pour 2009 (S. Kumagai).<br />
5.2. K. Juhel <strong>et</strong> V. Tournier (doctorants) poursuivent l’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> matériaux du<br />
Mahâvastu (école Lokottaravâdin-Mahâsâmghika). La recherche bénéficie <strong>de</strong><br />
lectures commentées <strong>de</strong> mahâyânasûtra, ainsi que <strong>de</strong> l’analyse critique <strong>de</strong> sources<br />
supposées avoir circulé en In<strong>de</strong> dans <strong><strong>de</strong>s</strong> milieux proches <strong>de</strong> ladite école (séminaires<br />
<strong>de</strong> G. Fussman au CdF <strong>et</strong> <strong>de</strong> C. Scherrer-Schaub à l’EPHE), ainsi que <strong>de</strong> séjours<br />
d’étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> recherche à l’étranger (avec le soutien du CdF, voir ci-après). Une<br />
partie <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches en <strong>cours</strong> a fait l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> communications lors <strong>de</strong> colloques<br />
<strong>et</strong> congrès internationaux (voir ci-après).<br />
5.3. Le proj<strong>et</strong> sur l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> documents servant à l’histoire politique <strong>et</strong> militaire<br />
du Tib<strong>et</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses monastères à l’époque impériale (viie-ixe s. <strong>de</strong> n. è.) a porté,<br />
c<strong>et</strong>te année, sur les documents concernant le legs <strong>de</strong> serfs, le droit d’héritage <strong>et</strong> la<br />
gestion <strong>de</strong> biens <strong><strong>de</strong>s</strong> communautés bouddhiques du Tarim.<br />
5.4. L’approche méthodologique <strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong>et</strong> <strong>de</strong> datation relative <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
documents tibétains par C. Scherrer-Schaub (EPHE) <strong>et</strong> G. Bonani (ETH, Zürich)<br />
a fait l’obj<strong>et</strong> d’une communication en juin 2007 au CTRC <strong>de</strong> Pékin <strong>et</strong> est<br />
actuellement en <strong>cours</strong> <strong>de</strong> traduction en chinois.<br />
5.5. Les premiers résultats <strong>de</strong> la recherche portant sur différents aspects <strong>de</strong> la<br />
théorie politique indienne aux premiers siècles <strong>de</strong> n. è., son adaptation en milieu<br />
bouddhique <strong>et</strong> ses rapports avec l’idéologie sous-jacente ont fait l’obj<strong>et</strong> d’une<br />
publication.
936 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
II<br />
Activités, échanges internationaux<br />
1. Les activités <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> enseignants chercheurs se caractérisent par<br />
<strong>de</strong>ux traits principaux : (1) sur le plan local (<strong>France</strong>), la collaboration suivie avec<br />
d’autres équipes <strong>et</strong> d’autres institutions (participation aux séminaires, voire<br />
organisations <strong>de</strong> journées d’étu<strong>de</strong>, colloques, conférences dites “transversales”) ; (2)<br />
sur le plan international, une gran<strong>de</strong> mobilité <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs (<strong>et</strong> en particulier <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
jeunes chercheurs, doctorants <strong>et</strong> post-docs) dans le cadre <strong>de</strong> stages d’étu<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
recherche, colloques, congrès (en 2007/2008 : Angl<strong>et</strong>erre, Autriche, Chine, In<strong>de</strong>,<br />
Italie, Pays-Bas, Japon, Thaïlan<strong>de</strong>, USA), <strong>de</strong> missions (étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> monuments,<br />
fouilles archéologiques, enquêtes <strong>de</strong> terrain en In<strong>de</strong>, dans les régions himalayennes<br />
<strong>et</strong> en Russie), voir ci-après § III.<br />
2. Une dynamique s’est ainsi créée <strong>et</strong> les échanges internationaux <strong>de</strong> doctorants<br />
sont au cœur <strong><strong>de</strong>s</strong> proj<strong>et</strong>s : Seiji Kumagai (Université <strong>de</strong> Kyoto, Japon) a été choisi<br />
en tant que premier chercheur en visite à l’EPHE dans le cadre <strong>de</strong> la nouvelle école<br />
doctorale franco-japonaise. V. Tournier, <strong>de</strong> son côté, a obtenu un subsi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />
Japan Foundation for the Promotion of Science qui lui a permis <strong>de</strong> séjourner à<br />
Tokyo en 2008, auprès du Prof. S. Karashima qui sera du reste l’année prochaine<br />
invité au CdF (chaire du Prof. G. Fussman).<br />
K. Juhel a effectué un séjour d’étu<strong>de</strong> à Rome (La Sapienza, Museo di arte<br />
orientale <strong>et</strong> IsIAO) en 2008. De même, S. d’Intino (post-doc) séjourne actuellement<br />
à l’IIAS <strong>de</strong> Ley<strong>de</strong> au titre <strong>de</strong> la bourse Gonda.<br />
3. I. Ratié (EPHE <strong>et</strong> Oxford) a effectué une mission en In<strong>de</strong> (repérage <strong>de</strong><br />
manuscrits). H. David a passé une année entière en In<strong>de</strong> afin d’approfondir sa<br />
compréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> textes majeurs <strong>de</strong> l’Advaita-vedânta ou <strong>de</strong> diversifier ses<br />
compétences auprès <strong>de</strong> divers l<strong>et</strong>trés indiens.<br />
K. Juhel a continué, en août <strong>et</strong> sept. 2007, son stage <strong>de</strong> fouilles à Termez,<br />
Ouzbékistan (Mafouz <strong>de</strong> Bactriane, P. Leriche, dir.) : fouilles du Complexe Cultuel<br />
<strong>et</strong> ai<strong>de</strong> à la mise en place d’une prospection géophysique autour du stûpa <strong>de</strong> Karatepe<br />
(dir. Shakir Pidaev).<br />
Deux autres doctorants (J. Estève <strong>et</strong> D. Soutif) ont présenté leurs <strong>travaux</strong> dans<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> colloques <strong>et</strong> journées d’étu<strong>de</strong>, voir infra.<br />
L. Bansat-Boudon, membre <strong>de</strong> l’« Atelier Chicago-Paris sur les religions<br />
anciennes », collabore à un proj<strong>et</strong> d’envergure, <strong>et</strong> J. Törzsök contribue à la rédaction<br />
du vol. 3 du dictionnaire tantrique Tântrikâbhidhâna kosha.
1. Organisation<br />
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 937<br />
III<br />
Colloques <strong>et</strong> Journées d’étu<strong>de</strong><br />
Des colloques ou journées d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> (3) ont été (co)organisés par l’équipe : (1)<br />
« Les ‘esclaves’ dans l’épigraphie du Cambodge ancien » (12/09/07, Naples, Italie).<br />
Interventions <strong>de</strong> J. Estève, G. Gerschheimer, D. Soutif ; (2) Journées d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
d’épigraphie asiatique qui se sont tenues au CdF les 16-17 oct. 2007. Interventions<br />
<strong>de</strong> G. Gerschheimer, C. Scherrer-Schaub, D. Soutif ; (3) « Edition, Editions :<br />
l’écrit au Tib<strong>et</strong>, évolution <strong>et</strong> <strong>de</strong>venir ». Intervention <strong>de</strong> C. Scherrer-Schaub.<br />
2. Participation<br />
Un post-doc, trois doctorants <strong>et</strong> un DE sont intervenus lors <strong>de</strong> colloques ou<br />
congrès internationaux qui se sont tenus en 2007-08, à Ley<strong>de</strong>, Bangkok, Atlanta,<br />
Paris.<br />
IV. Publications<br />
— Bansat-Boudon, L., CR <strong>de</strong> l’ouvrage : Nâga<strong>de</strong>va, La Défaite d’Amour. Poème narratif,<br />
trad. du sanskrit <strong>et</strong> présenté par N. Balbir <strong>et</strong> J.-P. Osier, Paris, dans Revue <strong>de</strong> l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
religions 224/3 (2007), p. 379-383.<br />
— Billard, R. <strong>et</strong> Ea<strong>de</strong>, J.C. , « Dates <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions du pays khmer », BEFEO 93<br />
(2006), 33 p. [document augmenté par J.C. Ea<strong>de</strong>, édité par le CIK].<br />
— D’Intino, S., « Meaningful mantras. The introductory portion of the Rgvedabhâshya<br />
by Skandasvâmin », dans W. Slaje (dir.), Çâstrârambha : inquiries into the Preamble in<br />
Sanskrit, Wiesba<strong>de</strong>n, 2008, p. 149-170.<br />
— Ea<strong>de</strong>, J.C., « Computers vs Tables, Billard vs Golzio : Two New Date-Lists of the<br />
Inscriptions of Kamboja », ZDMG 158/1 (2008), p. 73-104.<br />
— Ratié, I., « Otherness in the Pratyabhijñâ Philosophy », JIP 35/4, 2007, p. 313-<br />
370.<br />
— Scherrer-Schaub, C., « Revendications <strong>et</strong> re<strong>cours</strong> hiérarchique : contributions à<br />
l’histoire <strong>de</strong> Ça cu sous administration tibétaine », dans Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> Dunhuang <strong>et</strong> Turfan.<br />
Textes réunis par J.-P. Drège avec la collaboration d’O. Venture. Genève, 2007, p. 257-<br />
326.<br />
— « Immortality extolled with reason : Philosophy and politics in Nâgârjuna », dans<br />
Pramânakîrtih. Papers <strong>de</strong>dicated to Ernst Steinkellner on the occasion of his 70th birthday,<br />
Part 2, B. Kellner <strong>et</strong> alii (éd.), Wien, 2007, p. 757-793.<br />
— Törzsök, J., « Créer sans procréer : problèmes <strong>de</strong> la procréation divine dans le<br />
Skandapurâna », dans Représentations mythologiques du sentiment familial : autour <strong>de</strong> la haine<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’amour, J. Boulogne (éd.), Lille, p. 99-108.<br />
— Van Woerkens, M. : « Ecrire pour soi, écrire pour les autres. Trois femmes écrivains<br />
au xix e siècle », dans G. Charuty <strong>et</strong> B. Baptandier (éd.), Du corps au texte, Nanterre, 2008,<br />
25 p.
938 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
Centre <strong>de</strong> recherche sur les civilisations chinoise, japonaise <strong>et</strong> tibétaine<br />
(UMR 8155)<br />
Responsable : Alain Thote<br />
Formé <strong>de</strong> trois équipes, le centre a été créé en janvier 2006 (présentation dans<br />
la L<strong>et</strong>tre du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, n o 22, février 2008, p. 12-13). Il comprend<br />
maintenant cinquante-trois chercheurs (hors associés). Ses activités, en relation<br />
étroite avec les bibliothèques <strong><strong>de</strong>s</strong> Instituts d’Extrême-Orient, se partagent entre<br />
plusieurs programmes collectifs <strong>de</strong> recherches, auxquels participent aussi les<br />
membres associés <strong>de</strong> l’UMR <strong>et</strong> <strong>de</strong> nombreux collaborateurs étrangers.<br />
Chine<br />
L’équipe « Civilisation chinoise » poursuit, <strong>de</strong>puis <strong>de</strong> nombreuses années, une<br />
politique d’acquisition <strong>de</strong> livres, tous mis à la disposition <strong><strong>de</strong>s</strong> lecteurs <strong>de</strong> la<br />
bibliothèque <strong>de</strong> l’Institut <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> Chinoises (IHEC, dirigé par Pierre-<br />
Etienne Will).<br />
Activités principales dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes collectifs :<br />
–– Séminaire « La fabrique du lisible » (responsable : Jean-Pierre Drège),<br />
dépendant du programme sur « La matérialité du texte. Mise en page <strong>et</strong> mise en<br />
texte du livre manuscrit en Chine, <strong><strong>de</strong>s</strong> Royaumes combattants au début <strong><strong>de</strong>s</strong> Song<br />
(v e s. av. J.-C. - x e s. <strong>de</strong> notre ère.) ».<br />
Ce séminaire régulier vise à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la mise en texte <strong><strong>de</strong>s</strong> manuscrits chinois<br />
selon les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> définies à partir <strong>de</strong> l’expérience lancée par Henri-Jean Martin<br />
sur les manuscrits, puis sur les imprimés occi<strong>de</strong>ntaux. Il s’agit <strong>de</strong> déceler les<br />
transformations qui s’opèrent dans la présentation même <strong><strong>de</strong>s</strong> textes chinois<br />
manuscrits au <strong>cours</strong> du temps, en relation ou non avec les changements <strong>de</strong> supports.<br />
L’objectif est précisément <strong>de</strong> chercher à montrer comment le dis<strong>cours</strong> écrit se<br />
détermine autant par les conditions matérielles <strong>de</strong> sa production que par sa<br />
structure interne.<br />
–– Programme <strong>de</strong> recherche sur la tombe <strong>de</strong> l’empereur Qianlong (1736-1796)<br />
(responsable : Françoise Wang-Toutain). Dans ce programme transversal sont<br />
associés sinologues <strong>et</strong> tibétologues. Il repose sur un partenariat entre l’UMR, une<br />
équipe établie à Marseille spécialisée dans l’usage <strong>de</strong> technologies nouvelles pour<br />
l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments anciens (UMR 694) <strong>et</strong> les responsables chinois <strong>de</strong> l’Institut<br />
du patrimoine culturel <strong>de</strong> Dongling (province du Hebei), site classé en l’an 2000<br />
au patrimoine mondial <strong>de</strong> l’humanité par l’Unesco. L’étu<strong>de</strong> porte sur une tombe<br />
dont l’architecture, le programme iconographique <strong>et</strong> les inscriptions (plus <strong>de</strong><br />
30 000 signes en écriture tibétaine <strong>et</strong> indienne) témoignent d’une double<br />
appartenance culturelle, chinoise <strong>et</strong> tibétaine, en étroite association avec le<br />
bouddhisme. Elle perm<strong>et</strong>tra notamment une modélisation en trois dimensions <strong>de</strong>
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 939<br />
la tombe <strong>et</strong> un relevé compl<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions (80 % environ <strong><strong>de</strong>s</strong> graphies sont<br />
déchiffrées) grâce à l’utilisation <strong>de</strong> techniques <strong>de</strong> pointe.<br />
–– Programme international en partenariat avec l’Institut archéologique <strong>et</strong> du<br />
patrimoine du Zhejiang (Chine) : « The Potter’s Villages of Longquan District in<br />
Zhejiang: Decoding a Traditional Local Craft Soci<strong>et</strong>y » (responsable : Zhao Bing).<br />
Il s’agit d’un <strong><strong>de</strong>s</strong> six vol<strong>et</strong>s du programme interdisciplinaire 2006-2009 « Professional<br />
cultures and the transmission of specialized knowledge : Artisans and merchants in<br />
local soci<strong>et</strong>y » (direction scientifique : Christian Lamouroux, Centre Chine,<br />
EHESS). C<strong>et</strong>te opération, qui a fait l’obj<strong>et</strong> d’une convention <strong>de</strong> recherche entre<br />
l’EPHE, l’EHESS <strong>et</strong> l’Institut d’archéologie du Zhejiang en 2007, a donné lieu à<br />
plusieurs missions <strong>de</strong> terrain en Chine. D’autre part, un collègue chinois, M. Shen<br />
Yueming (Institut d’archéologie <strong>et</strong> du patrimoine du Zhejiang), a été invité en<br />
<strong>France</strong> à l’automne 2007. Lors <strong>de</strong> son séjour, un atelier a été organisé pour présenter<br />
les premiers résultats <strong>de</strong> travail, notamment sur les archives locales en rapport avec<br />
la production <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> républicaine (1911-1949).<br />
Colloque<br />
–– Paris, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 16-17 octobre 2007 : Journées d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> d’épigraphie<br />
asiatique.<br />
Ces journées ont été organisées conjointement par l’UMR 8155, l’UMR 8173 « Chine,<br />
Corée, Japon » (CNRS/EHESS/Université Paris 7), l’EA 518 « Le mon<strong>de</strong> indien : textes,<br />
sociétés, représentations » (EPHE) <strong>et</strong> la JE 2342 « Archéologie du mon<strong>de</strong> khmer » (EFEO).<br />
Il s’agissait <strong>de</strong> confronter les différentes approches dans le domaine épigraphique <strong>de</strong> l’Asie,<br />
<strong>de</strong> l’In<strong>de</strong> au Japon.<br />
Organisateurs : Jean-Pierre Drège (EPHE), Yannick Brun<strong>et</strong>on (université Denis Di<strong>de</strong>rot/<br />
Paris 7) <strong>et</strong> Gerdi Gerschheimer (EPHE).<br />
Ouvrages collectifs <strong>et</strong> livres :<br />
–– Michela Bussotti <strong>et</strong> Jean-Pierre Drège, éd., « Chine-Europe : Histoires <strong>de</strong> livres (viiie /<br />
xve - xxe siècles) », dossier édité dans Histoire <strong>et</strong> civilisation du livre, 2007.<br />
–– Jacques Gern<strong>et</strong>, La vie quotidienne à la veille <strong>de</strong> l’invasion mongole (1250-1276), Paris,<br />
Editions Philippe Picquier, 2007 (3e édition), 419 p.<br />
–– Jacques Gern<strong>et</strong>, Société <strong>et</strong> pensée chinoises aux XVIe <strong>et</strong> XVIIe siècles, Paris, Fayard, 2007,<br />
201 p.<br />
— Rémi Mathieu, Laozi, le Dao<strong>de</strong> jing, « Livre <strong>de</strong> la Voie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Vertu », selon les <strong>de</strong>rnières<br />
découvertes archéologiques, traduction <strong>et</strong> commentaires, Paris, Albin Michel, 2007.<br />
— Christine Mollier, Buddhism and Taoism Face to Face : Scripture, Ritual, and Iconographic<br />
Exchange in Medieval China, Honolulu, University of Hawaii Press, 2008, 280 p. [prix<br />
Stanislas Julien 2008 <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres].<br />
— Michèle Pirazzoli-t’Serstevens, Anne Kerlan-Stephens, éd., Collections <strong>et</strong> collectionneurs<br />
en Chine du XVe au XIXe siècle, Paris/Lausanne, EPHE/Droz, 2008, 230 p. [Actes du colloque<br />
Autour <strong><strong>de</strong>s</strong> collections d’art en Chine au xviiie siècle, INHA, 23 <strong>et</strong> 24 juin 2006].<br />
— Michèle Pirazzoli-t’Serstevens, Giuseppe Castiglione 1688-1766 - Peintre <strong>et</strong> architecte à<br />
la cour <strong>de</strong> Chine, Paris, Thalia, 2007, 258 p.
940 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
Japon<br />
Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année, un professeur japonais a été accueilli pour une durée d’un<br />
an : Monsieur Umeyama Hi<strong>de</strong>yuki, titulaire <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> la littérature japonaise<br />
<strong>de</strong> l’Université Momoyama Gakuin (Kyoto).<br />
Activités dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes collectifs :<br />
L’équipe « Civilisation japonaise » a poursuivi ses activités dans le cadre<br />
d’une dizaine <strong>de</strong> programmes collectifs, parmi lesquels on soulignera plus<br />
particulièrement :<br />
— « Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> savoirs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> représentations du Japon pré-mo<strong>de</strong>rne, xvii e -xix e<br />
siècles » (responsable Annick Horiuchi). Le groupe <strong>de</strong> recherches sur l’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
savoirs a travaillé en collaboration avec le Centre <strong>de</strong> recherches sur le Japon <strong>de</strong><br />
l’EHESS pour animer le séminaire « Culture <strong>et</strong> société <strong>de</strong> l’époque pré-mo<strong>de</strong>rne ».<br />
L’objectif <strong>de</strong> ce séminaire a été d’éclairer les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> orientations <strong>de</strong> la production<br />
l<strong>et</strong>trée au <strong>cours</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux siècles <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi du pouvoir Tokugawa <strong>et</strong> les évolutions<br />
intervenues à partir du xviii e siècle, avec le rôle moteur joué par les savoirs dits<br />
« hollandais ». Les chercheurs <strong>de</strong> l’équipe se sont interrogés sur les pratiques l<strong>et</strong>trées<br />
(mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> vecteurs <strong>de</strong> communication, structuration en réseaux, organisation <strong>de</strong><br />
rassemblements, constitution <strong>de</strong> salons), sur les rapports que les l<strong>et</strong>trés entr<strong>et</strong>iennent<br />
avec le pouvoir, sur l’émergence d’une i<strong>de</strong>ntité l<strong>et</strong>trée. L’équipe a co-organisé avec<br />
l’Université <strong>de</strong> Lei<strong>de</strong>n une journée d’étu<strong>de</strong>, <strong>et</strong> une publication est à paraître aux<br />
In<strong><strong>de</strong>s</strong> Savantes (Savoirs <strong>et</strong> pratiques <strong><strong>de</strong>s</strong> l<strong>et</strong>trés au Japon <strong>et</strong> en Chine, sous la direction<br />
d’Annick Horiuchi, Collection Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> Japonaises, Paris, Les In<strong><strong>de</strong>s</strong> savantes,<br />
2008).<br />
Par l’intermédiaire <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses membres, l’UMR a participé à <strong>de</strong>ux programmes<br />
<strong>de</strong> recherche CHORUS, programmes <strong>de</strong> coopération scientifique franco-japonaise,<br />
financés par le Ministère <strong><strong>de</strong>s</strong> Affaires Etrangères <strong>et</strong> par la Japan Soci<strong>et</strong>y for the<br />
Promotion of Science (JSPS) :<br />
— « Mo<strong>de</strong>rnités multiples : l’individu <strong>et</strong> la communauté en <strong>France</strong> <strong>et</strong> au Japon »,<br />
coordonné par Michel Wieviorka (EHESS), Miura Nobutaka (université Chûô) <strong>et</strong><br />
Yatabe Kazuhiko (UMR 8155).<br />
— « La question <strong>de</strong> la santé au travail <strong>et</strong> les politiques publiques en <strong>France</strong> <strong>et</strong><br />
au Japon : genèse <strong>et</strong> métamorphoses », coordonné par Annie Thebaud-Mony (Dr.<br />
Inserm), Isao Hirota (Pr., Université <strong>de</strong> Niigata), Paul Jobin (UMR 8155) <strong>et</strong><br />
Bernard Thomann (MC, Inalco). Ce proj<strong>et</strong> reçoit une ai<strong>de</strong> complémentaire <strong>de</strong><br />
l’ANR (2006-2008), en synergie avec le proj<strong>et</strong> « Sociologie <strong>de</strong> la production <strong>de</strong><br />
connaissance sur les atteintes liées au travail ; étu<strong>de</strong> comparée : <strong>France</strong>, Brésil,<br />
Japon, Québec », également sous la responsabilité d’Annie Thébaud-Mony pour<br />
l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre équipes <strong>de</strong> chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> pays, <strong>et</strong> dirigé par Paul Jobin (UMR<br />
8155) pour la partie sur le Japon.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 941<br />
Colloques internationaux<br />
— « Linguistique du Kango » (responsables Hiroko Ôshima <strong>et</strong> Akiko Nakajima), colloque<br />
international organisé les 14 <strong>et</strong> 15 mars 2008 à l’Université Paris Di<strong>de</strong>rot. Les kango, que<br />
l’on s’accor<strong>de</strong> à définir comme les constructions à base <strong>de</strong> morphèmes d’origine chinoise<br />
écrits en kanji dans l’usage courant, occupent une place importante en japonais, <strong>et</strong> posent<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes d’analyse spécifiques. Le proj<strong>et</strong> avait pour objectif <strong>de</strong> faire un bilan <strong>de</strong><br />
l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances relatives aux kango <strong>et</strong> d’ouvrir <strong>de</strong> nouvelles pistes <strong>de</strong> recherches<br />
dans tous les domaines concernés : phonologie, morphologie, syntaxe, sémantique,<br />
psycholinguistique, pragmatique, acquisition (langue première ou secon<strong>de</strong>), <strong>et</strong>c., tant dans<br />
leurs aspects diachroniques que synchroniques.<br />
— « Matters untranslatable – Ce qui ne peut être traduit » (responsable Josef Kyburz),<br />
colloque international organisé conjointement avec l’université Hôsei (Japon), au Centre<br />
Européen d’Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> Japonaises d’Alsace (CEEJA), Kientzheim, 21-24 novembre 2007.<br />
Journées d’étu<strong>de</strong><br />
— « La vie culturelle à l’époque d’Edo », journée organisée par Annick Horiuchi, en<br />
collaboration avec le département d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> japonaises <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Lei<strong>de</strong>n (30 novembre<br />
2007, Université <strong>de</strong> Paris Di<strong>de</strong>rot).<br />
— « Les 150 ans <strong><strong>de</strong>s</strong> relations diplomatiques <strong>France</strong>-Japon », sous la responsabilité <strong>de</strong><br />
Jean-Noël Robert (23 mai 2008, Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> belles L<strong>et</strong>tres).<br />
— « Autour du Dit <strong><strong>de</strong>s</strong> Heike : narration épique <strong>et</strong> théâtralité » sous la responsabilité <strong>de</strong><br />
Claire Briss<strong>et</strong>, Arnaud Brotons <strong>et</strong> Daniel Struve (6 <strong>et</strong> 7 juin 2008, Université <strong>de</strong> Paris<br />
Di<strong>de</strong>rot).<br />
Ouvrages collectifs <strong>et</strong> livres :<br />
— Jean-Jacques Tschudin, traduction du japonais : Scènes d’été, <strong>de</strong> Nagai Kafû, Paris,<br />
Edition du Rocher, 2007.<br />
— Jean-Jacques Tschudin <strong>et</strong> Clau<strong>de</strong> Hamon (sous la direction <strong>de</strong>), La société japonaise<br />
<strong>de</strong>vant la montée du militarisme. Culture populaire <strong>et</strong> contrôle social dans les années 1930,<br />
Arles, Editions Philippe Picquier, 2007, 238 pages.<br />
Tib<strong>et</strong><br />
Activités <strong>de</strong> l’équipe « Civilisation tibétaine » dans le cadre <strong><strong>de</strong>s</strong> programmes<br />
collectifs :<br />
–– « Rituels <strong>et</strong> représentations dans le mon<strong>de</strong> tibétain » (responsable : Katia<br />
Buff<strong>et</strong>rille).<br />
Colloque : « La transformation <strong><strong>de</strong>s</strong> rituels dans l’aire tibétaine à l’époque contemporaine »<br />
(organisateur : K. Buff<strong>et</strong>rille), les 8 <strong>et</strong> 9 novembre 2007 au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>. Les actes<br />
seront publiés dans la collection <strong>de</strong> la Bibliothèque <strong><strong>de</strong>s</strong> Hautes-Etu<strong><strong>de</strong>s</strong>, Section <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences<br />
religieuses, en 2009. Une présentation en a été donnée dans L<strong>et</strong>tre du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
(n° 22, février 2008, p. 27-28).<br />
D’autre part, le séminaire a poursuivi ses <strong>travaux</strong> sur l’émergence <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité<br />
au Tib<strong>et</strong> <strong>et</strong> dans les pays <strong>de</strong> l’aire tibétaine, avec une réunion trimestrielle d’une<br />
journée, comportant, outre les exposés <strong><strong>de</strong>s</strong> participants, une conférence invitée.<br />
–– « Histoire <strong>et</strong> interprétation <strong><strong>de</strong>s</strong> textes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> doctrines » (responsables : Jean-<br />
Luc Achard, Anne Chay<strong>et</strong>).
942 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
Dans le cadre <strong>de</strong> ce programme, un numéro <strong>de</strong> la Revue d’Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> Tibétaines,<br />
dirigée par Jean-Luc Achard <strong>et</strong> ouverte aux membres statutaires <strong>de</strong> l’unité aussi<br />
bien qu’à <strong><strong>de</strong>s</strong> collaborateurs réguliers ou occasionnels, a été publié :<br />
Revue d’Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> tibétaines, n° 13, février 2008 : 1. Guillaume Jacques (Paris V, CRLAO) :<br />
« Deux noms tangoutes dans une légen<strong>de</strong> tibétaine », p. 4-10 ; 2. Etienne Bock (INALCO) :<br />
« Coiffe <strong>de</strong> pandit », p. 11-43; 3. Richard Whitecross (Edimburgh) : « Transgressing the<br />
Law : Karma, Theft and its Punishment », p. 45-74 ; 4. Jean-Luc Achard : « L’irruption <strong>de</strong><br />
la nescience — la notion d’errance samsarique dans le rDzogs chen », p. 75-107.<br />
Deux numéros d’hommage sont en préparation <strong>et</strong> seront publiés au <strong>cours</strong> <strong>de</strong><br />
l’été 2008.<br />
Colloque : « Edition, éditions : l’écrit au Tib<strong>et</strong>, évolution <strong>et</strong> <strong>de</strong>venir », 29-31 mai 2008,<br />
Ecole normale supérieure. Organisation : A. Chay<strong>et</strong>, C. Scherrer-Schaub, F. Robin, F. Jagou,<br />
J.-L. Achard, H. Stoddard. Le thème <strong>de</strong> ce colloque, qui s’inscrit dans un programme<br />
nouveau <strong>de</strong> l’équipe, <strong>et</strong> donnera lieu à plusieurs réalisations collectives sur les nombreux<br />
suj<strong>et</strong>s abordés, doit être poursuivi <strong>et</strong> développé en collaboration avec certains <strong>de</strong> nos<br />
collègues étrangers présents, qui en ont exprimé le souhait.<br />
–– « Bhoutan : une marche du mon<strong>de</strong> tibétain » (responsable : Françoise<br />
Pommar<strong>et</strong>).<br />
En dépit du détachement (MAE) <strong>de</strong> Françoise Pommar<strong>et</strong> au Bhoutan (Ministère<br />
<strong>de</strong> l’Education), le programme a poursuivi ses <strong>travaux</strong> sur l’histoire, la société <strong>et</strong><br />
les traditions du Bhoutan. J. Ardussi <strong>et</strong> F. Pommar<strong>et</strong> ont publié un volume<br />
collectif (actes d’un colloque) : Bhutan. Traditions and Changes. Proceedings of the<br />
Tenth Seminar of the International Association for Tib<strong>et</strong>an Studies, Oxford, 2003,<br />
Brill, Lei<strong>de</strong>n-Boston, 2007.<br />
Ouvrages collectifs <strong>et</strong> livres :<br />
–– Achard, Jean-Luc, 2007. La Pratique <strong><strong>de</strong>s</strong> Six Points Essentiels <strong>de</strong> l’Esprit <strong>de</strong> Parfaite<br />
Pur<strong>et</strong>é, Editions Khyung-lung, 2007, 182 p.<br />
–– Matthew Kapstein <strong>et</strong> Brandon Dotson, éds., Contributions to the Cultural History of<br />
Early Tib<strong>et</strong>. Lei<strong>de</strong>n, Brill, 2007.<br />
–– Françoise Robin, L’artiste tibétain, <strong>de</strong> Thöndrubgyäl, Présentation <strong>et</strong> traduction, Paris,<br />
Bleu <strong>de</strong> Chine, 2007.<br />
–– Brigitte Steinmann (dir.), « P<strong>et</strong>its obj<strong>et</strong>s, grands enjeux, ou le terrain comme attente<br />
<strong>de</strong> l’<strong>et</strong>hnologue », Socio-Anthropologie, Revue interdisciplinaire <strong>de</strong> sciences sociales, n° 20<br />
(2007).<br />
Anne Chay<strong>et</strong>, Nicolas Fiévé <strong>et</strong> Alain Thote
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 943<br />
Laboratoire <strong><strong>de</strong>s</strong> Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> sémitiques anciennes<br />
(composante <strong>de</strong> l’Unité mixte <strong>de</strong> recherche<br />
« Orient <strong>et</strong> Méditerranée », UMR 8167)<br />
Directeur (du LESA <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’UMR 8167) : Christian Julien Robin<br />
En juin 2008, le LESA comptait 27 membres statutaires : 8 chercheurs CNRS<br />
(plus 1 émérite), 1 ITA CNRS <strong>et</strong> 17 enseignants chercheurs. Au <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année<br />
écoulée, il a reçu le renfort d’un nouveau chercheur CNRS, Robert Hawley,<br />
historien du mon<strong>de</strong> syrien au iie millénaire avant l’ère chrétienne, <strong>de</strong> nationalité<br />
étatsunienne ; Jérémie Shi<strong>et</strong>tecatte, archéologue <strong>de</strong> l’Arabie antique, a été recruté<br />
sur un poste <strong>de</strong> post-doc CNRS pour une durée <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans ; Isabelle Sach<strong>et</strong>,<br />
archéologue spécialiste du mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> morts en Arabie antique, a obtenu un poste<br />
d’ATER du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> pour <strong>de</strong>ux ans.<br />
Les recherches du LESA portent sur le mon<strong>de</strong> sémitique occi<strong>de</strong>ntal ancien, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
débuts <strong>de</strong> l’écriture jusqu’à la conquête islamique. Si les recherches du LESA<br />
s’intéressent principalement aux textes, qu’ils soient épigraphiques ou littéraires,<br />
l’archéologie occupe une place importante.<br />
Les chercheurs du LESA participent à un programme collectif propre au<br />
laboratoire intitulé « Syncrétismes religieux : bilan <strong>et</strong> perspectives » (2006-2009),<br />
dont la direction est assurée par M me Hedwige Rouillard-Bonraisin (DE EPHE V).<br />
Il s’agit <strong>de</strong> comprendre, par-<strong>de</strong>là les différences <strong>de</strong> situations <strong>et</strong> d’époques, quels<br />
sont les mécanismes à l’œuvre dans les phénomènes <strong>de</strong> synchrétismes religieux,<br />
tout particulièrement au Proche-Orient à l’époque romaine. Les chercheurs du<br />
LESA contribuent également aux activités d’une dizaine <strong>de</strong> missions archéologiques<br />
<strong>et</strong> aux programmes collectifs <strong>de</strong> l’UMR, en tout premier lieu le proj<strong>et</strong> ANR « De<br />
l’Antiquité tardive à l’Islam » (2006-2008) dirigé par Christian Robin. Par ailleurs,<br />
l’activité <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs du LESA s’inscrit dans une spécialité, exigeant la<br />
connaissance <strong>de</strong> langues rares <strong>et</strong> une fréquentation régulière du terrain. Ces<br />
spécialités peuvent être regroupées en huit ensembles :<br />
— l’Arabie (Mounir Arbach, François Bron, Guillaume Charloux, Iwona Gajda,<br />
Laïla Nehmé, Christian Robin, Isabelle Sach<strong>et</strong>, Jérémie Shi<strong>et</strong>tecatte) ;<br />
— la Syrie <strong>de</strong> l’Euphrate (Pascal Butterlin, Béatrice Muller-Margueron, Maria<br />
Grazia Mas<strong>et</strong>ti-Rouault) ;<br />
— Ougarit (Pierre Bordreuil, Robert Hawley, Jacques Lagarce, Hedwige<br />
Rouillard-Bonraisin, Arnaud Sérandour) ;<br />
— les textes fondateurs <strong><strong>de</strong>s</strong> religions monothéistes, Bible, Qumrân, Coran<br />
(Françoise Briquel-Chatonn<strong>et</strong>, Maria Gorea, Jean-Michel Poff<strong>et</strong>, Emile Puech,<br />
Hedwige Rouillard-Bonraisin, Arnaud Sérandour, Christian Robin) ;
944 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
— les mon<strong><strong>de</strong>s</strong> cananéen, phénicien <strong>et</strong> punique (Catherine Apicella, Pierre<br />
Bordreuil, Françoise Briquel-Chatonn<strong>et</strong>, François Bron, Guillaume Charloux,<br />
Sandrine Crouz<strong>et</strong>, Maria Gorea) ;<br />
— les mon<strong><strong>de</strong>s</strong> araméens (Pierre Bordreuil, Maria Gorea, Laïla Nehmé) ;<br />
— les débuts du christianisme, l’Orient chrétien (notamment <strong>de</strong> langue syriaque)<br />
(Marie-Françoise Baslez, Françoise Briquel-Chatonn<strong>et</strong>, Alain Desreumaux, Maria<br />
Gorea, Etienne Nod<strong>et</strong>) ;<br />
— la linguistique sémitique (François Bron, Antoine Lonn<strong>et</strong>, Bernad<strong>et</strong>te<br />
Leclercq-Neveu, Christophe Rico) ;<br />
— l’archéologie du Proche-Orient <strong><strong>de</strong>s</strong> époques hellénistique, romaine <strong>et</strong><br />
byzantine (Alain Desreumaux, Jean-Baptiste Humbert, Laïla Nehmé, Isabelle<br />
Sach<strong>et</strong>).<br />
Pour les principaux résultats <strong>de</strong> l’année, voir la bibliographie, ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous.<br />
Organisation <strong>de</strong> colloques<br />
— Christian Robin <strong>et</strong> Isabelle Sach<strong>et</strong> : « Dieux <strong>et</strong> déesses d’Arabie : images <strong>et</strong><br />
représentations », Paris, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 1 er <strong>et</strong> 2 octobre 2007 (dans le cadre du<br />
proj<strong>et</strong> ANR « De l’Antiquité tardive à l’Islam »).<br />
— Préparation <strong>de</strong> sept colloques (novembre <strong>et</strong> début décembre 2008) qui<br />
concluront le proj<strong>et</strong> ANR « De l’Antiquité tardive à l’Islam ».<br />
Fouilles archéologiques <strong>et</strong> missions <strong>de</strong> terrain<br />
— Yémen<br />
1. Christian Robin, Jérémie Schi<strong>et</strong>tecatte, Guillaume Charloux : dans le cadre<br />
<strong>de</strong> la mission archéologique <strong>et</strong> épigraphique dans l’antique royaume <strong>de</strong> Qatabān,<br />
dirigée par Christian Robin, poursuite <strong>de</strong> la fouille <strong>de</strong> Hasî (février - mi-mars<br />
2008).<br />
2. Iwona Gajda : dans le même cadre, poursuite <strong>de</strong> la prospection épigraphique<br />
<strong>et</strong> archéologique sur le territoire <strong>de</strong> Madhâ (février - mi-mars 2008).<br />
— Arabie saoudite<br />
1. Laïla Nehmé : création <strong>et</strong> co-direction <strong>de</strong> la mission archéologique <strong>de</strong> Madâ’in<br />
Sâlih, l’ancienne Hégra (Arabie saoudite), dont la première campagne a eu lieu<br />
début 2008, en collaboration avec la Commission supérieure pour le tourisme<br />
d’Arabie saoudite. Ont également participé à c<strong>et</strong>te campagne Isabelle Sach<strong>et</strong> <strong>et</strong><br />
Guillaume Charloux.<br />
2. Christian Robin (directeur), Mounir Arbach, Guillaume Charloux <strong>et</strong> Jérémie<br />
Schi<strong>et</strong>tecatte : prospection épigraphique dans la région <strong>de</strong> Najrân (mars-avril<br />
2008).
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 945<br />
— Syrie<br />
1. Maria-Grazia Mas<strong>et</strong>ti-Rouault : direction <strong>de</strong> la Mission archéologique française<br />
dans le site <strong>de</strong> Tell Masâ’ikh, bas Moyen-Euphrate syrien (niveaux halafien, obeïdien,<br />
Bronze Moyen II-III, Fer II-III — néo-assyrien <strong>et</strong> néo-babylonien —, romanoparthe<br />
<strong>et</strong> islamique ; réalisation d’un programme <strong>de</strong> prospections <strong>et</strong> sondages dans le<br />
bas Moyen-Euphrate (région <strong>de</strong> Terqa) (octobre-novembre 2007).<br />
2. Jacques Lagarce : achèvement <strong>de</strong> la mise en état, entreprise en 2003, du site<br />
<strong>de</strong> Ra’s Ibn Hânî (Lattaquié).<br />
3. Ougarit : missions <strong>de</strong> Pierre Bordreuil, Hedwige Rouillard-Bonraisin, Robert<br />
Hawley (chargé <strong>de</strong> la publication <strong>de</strong> tabl<strong>et</strong>tes épistolaires, juridiques <strong>et</strong> scolaires),<br />
membres <strong>de</strong> l’équipe épigraphique <strong>de</strong> la Mission archéologique franco-syrienne <strong>de</strong><br />
Ra’s Shamra-Ougarit.<br />
4. Françoise Briquel-Chatonn<strong>et</strong> <strong>et</strong> Alain Desreumaux : dans le cadre <strong>de</strong> la<br />
mission franco-syrienne qui prépare le volume « Syrie » du Recueil <strong><strong>de</strong>s</strong> inscriptions<br />
syriaques (Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres), prospection épigraphique en<br />
Syrie du Nord (juin 2008).<br />
— Liban<br />
Françoise Briquel-Chatonn<strong>et</strong> <strong>et</strong> Alain Desreumaux : catalogage <strong><strong>de</strong>s</strong> manuscrits<br />
syriaques du patriarcat syro-catholique à Charf<strong>et</strong>, en collaboration avec <strong>de</strong>ux<br />
chercheurs <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> Recherche <strong>et</strong> d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> Textes <strong>et</strong> <strong>de</strong>ux chercheurs<br />
syriens (juin 2008).<br />
Collaboration à <strong><strong>de</strong>s</strong> Equipes internationales<br />
— Laïla Nehmé : participation au proj<strong>et</strong> d’exploration <strong>de</strong> la piste caravanière<br />
reliant Hégra à Pétra en collaboration avec une équipe <strong>de</strong> la Commission supérieure<br />
pour le tourisme d’Arabie saoudite, sous la direction <strong>de</strong> ‘Alî Ghabbân.<br />
— Christian Robin : direction <strong>de</strong> l’équipe française du réseau « Religions of<br />
Pre-Islamic Arabia in the Middle Eastern Cultural Context », INTAS (International<br />
Association for the promotion of co-operation with scientists from the New<br />
In<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt States of the former Sovi<strong>et</strong> Union), Bruxelles, 2006-2008 (2 équipes<br />
russes, 2 équipes italiennes, 1 équipe alleman<strong>de</strong> <strong>et</strong> 1 équipe française).<br />
Ouvrages<br />
Publications<br />
— Arbach, M. <strong>et</strong> Audouin, R., San’â’ national Museum : collection of epigraphic and<br />
archaeological artifacts from al-Jawf sites, Part II, Sanaa, 2007, 160 p.<br />
— Baslez, M.-F. (éditeur), Economies <strong>et</strong> sociétés, Grèce ancienne, 478-88 av. J.-C., Neuilly<br />
sur Seine, 2007, 507 p.
946 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
— Baslez, M.-F., Les Persécutions dans l’Antiquité. Victimes, héros, martyrs, Paris, 2007,<br />
418 p.<br />
— Briquel-Chatonn<strong>et</strong>, F., Bordreuil, P. <strong>et</strong> Michel, C. (éditeurs), Les débuts <strong>de</strong><br />
l’histoire. Le Proche-Orient, <strong>de</strong> l’invention <strong>de</strong> l’écriture à la naissance du monothéisme, Paris,<br />
2008, 420 p.<br />
— Puech, E., Hilhorst, A. <strong>et</strong> Tigchelaar, E. (éditeurs), Flores Florentino : Dead Sea<br />
Scrolls and other early Jewish studies in honour of Florentino Garcia Martinez, Supplements to<br />
the Journal for the study of Judaism 122, Lei<strong>de</strong>n-Boston, 2007, 710 p.<br />
— Schi<strong>et</strong>tecatte, J., Chevalier, P. <strong>et</strong> Martignon, V. (éditeurs), Yémen : territoires <strong>et</strong><br />
i<strong>de</strong>ntités, Revue <strong><strong>de</strong>s</strong> mon<strong><strong>de</strong>s</strong> musulmans <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Méditerranée 121-122, Aix-en-Provence,<br />
2008, 287 p.<br />
Articles (revues, actes <strong>de</strong> colloques, mélanges)<br />
— Arbach, M. <strong>et</strong> Jâzim, M., « Makhtût mafâkhir Qahtân wa-’l-Yaman laysa Kitâb al-<br />
Iklîl », al-Thawâbit, 2007 (novembre), 83-96.<br />
— Bordreuil, E., « Numération <strong>et</strong> unités pondérales dans les textes administratifs <strong>et</strong><br />
économiques en ougaritique <strong>et</strong> dans les tabl<strong>et</strong>tes métrologiques en cunéiforme suméroakkadien<br />
», dans J. Michaud (éditeur), Le royaume d’Ougarit <strong>de</strong> la Crète à l’Euphrate.<br />
Nouveaux axes <strong>de</strong> recherche. Actes du Colloque International <strong>de</strong> Sherbrooke, 5-8 juill<strong>et</strong> 2005,<br />
Proche-Orient <strong>et</strong> Littérature Ougaritique, Sherbrooke, 2007, 381-421.<br />
— Bordreuil, P., « De Qadmos vers (l’)Europe : à propos <strong><strong>de</strong>s</strong> cheminements <strong>de</strong><br />
l’alphab<strong>et</strong> vers l’Occi<strong>de</strong>nt », Bull<strong>et</strong>in <strong>de</strong> la SELEFA, 2007, 13-20.<br />
— Bordreuil, P., « L’antidote au venin dans le mythe ougaritique <strong>de</strong> “Horon <strong>et</strong> les<br />
serpents” <strong>et</strong> le serpent d’airain <strong>de</strong> Nombres 21:4-9 », dans W. WATSON (éditeur), « He<br />
unfurrowed his brow and laughed », essays in honor of Professor Nicolas Wyatt, Alter Orient<br />
und Altes Testament 299, Münster, 2007, 35-38.<br />
— Bordreuil, P., « Noé, Dan(i)el <strong>et</strong> Job en Ezékiel XIV, 14.20 <strong>et</strong> XXVIII, 3 : entre<br />
Ougarit <strong>et</strong> Babylone », dans J. Michaud (éditeur), Le royaume d’Ougarit <strong>de</strong> la Crète à<br />
l’Euphrate. Nouveaux axes <strong>de</strong> recherche. Actes du Colloque International <strong>de</strong> Sherbrooke,<br />
5-8 juill<strong>et</strong> 2005, Proche-Orient <strong>et</strong> Littérature Ougaritique, Sherbrooke, 2007, 567-578.<br />
— Bordreuil, P., « Ugarit and the Bible : New data from the house of Urtenu », dans<br />
K. L. Yourger (éditeur), Ugarit at seventy-Five : proceedings of the Symposium held at Trinity<br />
international University, Deerfiels, Illinois, Feb. 18-20 2005, Winona Lake, 2007, 89-97.<br />
— Briquel-Chatonn<strong>et</strong>, F., « De l’Ahiqar araméen à l’Ahiqar syriaque : les voies <strong>de</strong><br />
transmission d’un roman », dans S. G. Vashalomidze <strong>et</strong> L. Greisiger (éditeurs), Der<br />
christliche Orient in seiner Umwelt : Gesammelte Studien zu Ehren Jürgen Tubachs anlässlich<br />
seines 60. Geburtstags, Wiesba<strong>de</strong>n, 2007, 51-57.<br />
— Briquel-Chatonn<strong>et</strong>, F. <strong>et</strong> Fauveaud-Brassaud, C., « Ad majorem scientiae fructum.<br />
Le Corpus inscriptionum semiticarum dans les correspondances conservées à l’Institut <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong> », dans C. Bonn<strong>et</strong> <strong>et</strong> V. Krings (éditeurs), S’écrire <strong>et</strong> écrire sur l’Antiquité : l’apport<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> correspondances à l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>travaux</strong> scientifiques, Horos, Grenoble, 2008, 215-228.<br />
— Desreumaux, A., « Enseigner, prêcher, évangéliser : le kérygme dans la Doctrina<br />
Addai », dans Miscellanea Patristica reverendissimo domino Marco Starowieyski septuagenario<br />
professori illustrissimo vero amplissimo ac doctissimo oblata, Warszawskiej Studia Teologiczne<br />
XX/2, Warszawa, 2007, 51-62.<br />
— Desreumaux, A., « Ephrem, la musique <strong>et</strong> les apocryphes », dans Saint Ephrem. Un<br />
poète pour notre temps, Patrimoine syriaque XI. Actes du colloque, Antelias (Liban), 2007,<br />
134-142.<br />
— Desreumaux, A., « Trois inscriptions é<strong><strong>de</strong>s</strong>séniennes du Louvre sur mosaïque », dans<br />
S. G. Vashalomidze <strong>et</strong> L. Greisiger (éditeurs), Der christliche Orient in seiner Umwelt :
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 947<br />
Gesammelte Studien zu Ehren Jürgen Tubachs anlässlich seines 60. Geburtstags, Wiesba<strong>de</strong>n,<br />
2007, 123-136.<br />
— Gorea, M., « Note sur une dédicace palmyrénienne au dieu Abgal », Semitica 52-53,<br />
2007, 162-164.<br />
— Gorea, M., Contributions à La Collection Clermont-Ganneau. Ostraca, épigraphes sur<br />
jarre, étiqu<strong>et</strong>tes <strong>de</strong> bois, éd. H. Lozachmeur (Mémoires <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong><br />
Belles-L<strong>et</strong>tres, XXXV), Paris (De Boccard), 2007, 2 vol., vol. 1, 427-433 ; vol. 2, pl. 298-<br />
300, 304, 306.<br />
— Hawley, R., « On the Alphab<strong>et</strong>ic Scribal Curriculum at Ugarit », dans R. D. Biggs,<br />
J. Myers <strong>et</strong> M. T. Roth (éditeurs), Proceedings of the 51st Rencontre Assyriologique<br />
Internationale Held at the Oriental Institute of the University of Chicago, July 18-22, 2005,<br />
Studies in Ancient Oriental Civilization, 62, Chicago, Illinois, 2008, 57-67.<br />
— Lonn<strong>et</strong>, A., « Arabic loanwords in Mo<strong>de</strong>rn South Arabian », dans C. Versteegh<br />
(éditeur), Encyclopedia of the Arabic Language and Linguistics, Lei<strong>de</strong>n, 2008.<br />
— Mas<strong>et</strong>ti-Rouault, M. G., « Economie <strong>de</strong> redistribution <strong>et</strong> économie <strong>de</strong> marché au<br />
Proche-Orient ancien », dans Y. Roman <strong>et</strong> J. Dalaison (éditeurs), L’économie antique, une<br />
économie <strong>de</strong> marché ? Actes <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux tables ron<strong><strong>de</strong>s</strong> tenues à Lyon les 4 février <strong>et</strong> 30 novembre<br />
2004, Mémoires <strong>de</strong> la Société <strong><strong>de</strong>s</strong> Amis <strong>de</strong> Jacob Spon, Paris, 2008, 49-67.<br />
— Mas<strong>et</strong>ti-Rouault, M. G., « La route du Moyen-Euphrate à la fin <strong>de</strong> l’Âge du<br />
Bronze : un essai <strong>de</strong> reconstitution », dans J. Michaud (éditeur), Le royaume d’Ougarit <strong>de</strong><br />
la Crète à l’Euphrate. Nouveaux axes <strong>de</strong> recherche. Actes du Colloque International <strong>de</strong> Sherbrooke,<br />
5-8 juill<strong>et</strong> 2005, Proche-Orient <strong>et</strong> Littérature Ougaritique, Sherbrooke, 2007, 141-161.<br />
— Mas<strong>et</strong>ti-Rouault, M. G., « L’apkallu-poisson <strong>et</strong> son image : note sur la conservation<br />
<strong>et</strong> la diffusion d’éléments <strong>de</strong> la culture mésopotamienne au Proche-Orient à l’époque<br />
préclassique », Semitica 52-53, 2007, 37-55.<br />
— Mas<strong>et</strong>ti-Rouault, M. G., « Living in the valley : State, Irrigation and Colonization<br />
in the Middle Euphrates Valley », dans H. Kühne, R. M. Czichon <strong>et</strong> F. J. Krepper<br />
(éditeurs), Proceedings of the 4th International Congress of the Archaeology of the Ancient Near<br />
East, 29 March-3 April 2004, Freie Universität Berlin, Vol. I, The Reconstruction of the<br />
Environment : Natural Resources and Human Interrelations through Time. Art History : Visual<br />
Communication, Wiesba<strong>de</strong>n, 2008, 129-141.<br />
— Mas<strong>et</strong>ti-Rouault, M. G. <strong>et</strong> Poli, P., « La céramique du chantier F <strong>de</strong> Terqa-Ashara »,<br />
Akh Purattim 1, 2007, 63-111.<br />
— Mas<strong>et</strong>ti-Rouault, M. G., Robert, B., Bland, C. <strong>et</strong> Chapoulie, R., « Characterizing<br />
the Halaf-Ubaid Transitional Period by studying Ceramic from Tell Masaikh, Syria.<br />
Archaeological data and Archaeom<strong>et</strong>ry investigations », dans H. Kühne, R. M. Czichon<br />
<strong>et</strong> F. J. Krepper (éditeurs), Proceedings of the 4th International Congress of the Archaeology of<br />
the Ancient Near East, 29 March-3 April 2004, Freie Universität Berlin, Vol. II, Social and<br />
Cultural transformation : the Archaeology of Transitional Periods and Dark Ages. Excavations<br />
Reports, Wiesba<strong>de</strong>n, 2008, 225-234.<br />
— Nehmé, L., « Introduction » <strong>et</strong> « Catalogue <strong><strong>de</strong>s</strong> monuments », dans J. Bessac <strong>et</strong><br />
L. Nehmé (éditeurs), Le travail <strong>de</strong> la pierre à Pétra. Technique <strong>et</strong> économie <strong>de</strong> la taille rupestre,<br />
Paris, 2007, 27 <strong>et</strong> 146-170.<br />
— Nehmé, L., « La langue <strong>et</strong> l’écriture <strong><strong>de</strong>s</strong> Nabatéens », dans J. Dentzer-Feydy <strong>et</strong> al.<br />
(éditeurs), Bosra, aux portes <strong>de</strong> l’Arabie, Gui<strong><strong>de</strong>s</strong> archéologiques <strong>de</strong> l’Institut Français du<br />
Proche-Orient 5, Beyrouth, 2007, 16-18.<br />
— Nehmé, L. <strong>et</strong> Dentzer-Feydy, J., « Les dieux avant la province d’Arabie », dans<br />
J. <strong>de</strong>ntzer-Feydy <strong>et</strong> al. (éditeurs), Bosra, aux portes <strong>de</strong> l’Arabie, Gui<strong><strong>de</strong>s</strong> archéologiques <strong>de</strong><br />
l’Institut Français du Proche-Orient 5, Beyrouth, 2007, 19-20.<br />
— Nod<strong>et</strong>, E., « De Josué à Jésus, via Qumrân <strong>et</strong> le “pain quotidien” », Revue biblique<br />
114, 2007, 208-236.
948 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
— Poff<strong>et</strong>, J., « Bible <strong>et</strong> histoire : enjeux <strong>et</strong> chance d’une révision », dans D. Doré<br />
(éditeur), Comment la Bible saisit-elle l’histoire : XXI e congrès <strong>de</strong> l’Association catholique<br />
française pour l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Bible, Issy-les-Moulineaux, 2005, Lectio divina 215, Paris, 2007,<br />
7-11.<br />
— Rico, C., « Traduire une langue morte », dans J. E. Achilar-Chiu, K. J. O’Mahony<br />
<strong>et</strong> M. Roger (éditeurs), Bible <strong>et</strong> Terre Sainte. Mélanges Marcel Beaudry, New York, 2008,<br />
509-513.<br />
— Robin, Ch. J., « La nature du judaïsme <strong>de</strong> Himyar à la lumière <strong>de</strong> nouveaux<br />
documents », dans M. H. Fantar (éditeur), Osmose <strong>et</strong>hno-cultuelle en Méditerranée, actes du<br />
colloque organisé à Mahdia du 26 au 29 juill<strong>et</strong> 2003, Tunis, 2007, 243-274.<br />
— Robin, Ch. J., « A propos <strong><strong>de</strong>s</strong> “Filles <strong>de</strong> Dieu” », Semitica 52-53, 2007, 139-148.<br />
— Robin, Ch. J., « [Rescue Excavation al-‘Arâfa, Tomb Ar 1] The inscriptions », dans<br />
Paul Yule, Kristina Franke, Cornelius Meyer, G. Wilhelm Nebe, Christian Robin <strong>et</strong><br />
Carsten Witzel, « Zafâr, Capital of Himyar, Ibb Province, Yemen », dans Archäologische<br />
Berichte aus <strong>de</strong>m Yemen, XI, 2007, 479-547 <strong>et</strong> pl. 1-47 (543-544).<br />
— Robin, Ch. J., « L’Arabie <strong>et</strong> les parfums », dans Une histoire mondiale du parfum,<br />
Afrique, Amérique, Europe, Océanie, Orient, <strong><strong>de</strong>s</strong> origines à nos jours, sous la direction <strong>de</strong><br />
Marie-Christine Grasse, Paris (Somogy, Editions d’art), 2007, 79-82.<br />
— Robin, Ch. J., « Préface », dans Marie-Louise Inizan <strong>et</strong> Madiha Rachad, Art rupestre<br />
<strong>et</strong> peuplements préhistoriques au Yémen, avec les contributions <strong>de</strong> Bruno Marcolongo,<br />
Anne-Marie Lézine, Djillali Hadjouis, Frank Braemer, Pierre Bodu, Rémy Crassard,<br />
Muhamad Manqūsh, Sanaa (CEFAS), 2007, 7.<br />
— Robin, Ch. J., Sznycer, M., Teixidor, J. <strong>et</strong> Sérandour, A., « André Caquot. In :<br />
memoriam », Semitica 52-53, 2007, 7-9.<br />
— Schi<strong>et</strong>tecatte, J., « La population <strong><strong>de</strong>s</strong> villes sudarabiques préislamiques : entre<br />
‘asabiyya <strong>et</strong> hadarî », dans P. Chevalier, V. Martignon <strong>et</strong> J. Schi<strong>et</strong>tecatte (éditeurs),<br />
Yémen : territoires <strong>et</strong> i<strong>de</strong>ntités, Revue <strong><strong>de</strong>s</strong> mon<strong><strong>de</strong>s</strong> musulmans <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Méditerranée 121-122,<br />
Aix-en-Provence, 2008, 35-51.<br />
— Schi<strong>et</strong>tecatte, J., « S<strong>et</strong>tlement Process in Ancient Hadramawt », dans T. Sasaki <strong>et</strong><br />
H. Sasaki (éditeurs), Proceedings of the 13th Conference on Hellenistic and Islamic Archaeology,<br />
2007.<br />
— Schi<strong>et</strong>tecatte, J., « Urbanization and S<strong>et</strong>tlement pattern in Ancient Hadramawt<br />
(1st mill. BC) », Bull<strong>et</strong>in of Archaeology of the Kanazawa University 28, 2007, 11-28.<br />
— Schi<strong>et</strong>tecatte, J., Benoist, A., Mouton, M. <strong>et</strong> Lavigne, O., « Chronologie <strong>et</strong><br />
évolution <strong>de</strong> l’architecture à Makaynûn : la formation d’un centre urbain à l’époque<br />
sudarabique dans le Hadramawt », Proceedings of the Seminar for Arabian Studies 37, 2007,<br />
17-35.<br />
— Sérandour, A., « Alfred Loisy face à l’histoire d’Israël », dans F. Laplanche,<br />
C. Biagioli <strong>et</strong> C. Langlois (éditeurs), Alfred Loisy cent ans après. Autour d’un p<strong>et</strong>it livre,<br />
Actes du colloque international <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>-EPHE, 23-24 mai 2003, Bibliothèque <strong>de</strong><br />
l’Ecole <strong><strong>de</strong>s</strong> hautes étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, sciences religieuses 131, [série] Histoire <strong>et</strong> prosopographie <strong>de</strong> la<br />
section <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences religieuses 4, Turnhout, 2007, 107-120.<br />
— Sérandour, A., « Des dieux <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> étoiles à Ougarit <strong>et</strong> dans la Bible », dans<br />
J. Michaud (éditeur), Le royaume d’Ougarit <strong>de</strong> la Crète à l’Euphrate. Nouveaux axes <strong>de</strong><br />
recherche. Actes du Colloque International <strong>de</strong> Sherbrooke, 5-8 juill<strong>et</strong> 2005, Proche-Orient <strong>et</strong><br />
Littérature Ougaritique, Sherbrooke, 2007, 315-325.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 949<br />
Groupe <strong>de</strong> théorie neurale<br />
(Group for Neural Theory)<br />
Le Groupe <strong>de</strong> théorie neuronale s’articule autour <strong>de</strong> trois chercheurs permanents<br />
(Sophie Denève, Boris Gutkin <strong>et</strong> Christian Machens) <strong>et</strong> d’un chercheur invite<br />
(M. Tsodyks). Nous utilisons <strong><strong>de</strong>s</strong> métho<strong><strong>de</strong>s</strong> issues <strong><strong>de</strong>s</strong> mathématiques, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
statistiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> la physique pour modéliser la dynamique <strong><strong>de</strong>s</strong> processus neuronaux<br />
<strong>et</strong> leurs principes computationnels.<br />
Théorie bayesienne <strong>de</strong> la biophysique <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> calculs neuronaux<br />
Nous avons développé une théorie probabiliste du codage neuronal dans le cas<br />
<strong>de</strong> neurones « à spikes ». C<strong>et</strong>te théorie explique la gran<strong>de</strong> variabilité <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses<br />
neuronales observées dans le cortex cérébral, ainsi que la gran<strong>de</strong> précision dont est<br />
capable le système sensoriel. Nous avons développé un modèle <strong>de</strong> détecteur optimal<br />
<strong>de</strong> changement, implémenté par un micro-circuit canonique faisant le pont entre<br />
l’anatomie <strong>et</strong> la physiologie <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits corticaux <strong>et</strong> la théorie <strong>de</strong> l’information.<br />
Ce modèle nous a permis <strong>de</strong> proposer un nouveau rôle pour l’inhibition divisive<br />
(« shunting ») dans les réseaux <strong>de</strong> neurones. Nous avons également développé une<br />
théorie du transfert optimal d’information avec les neurones à spikes. Le but est<br />
<strong>de</strong> déterminer combien d’information un neurone à spikes peut véhiculer à propos<br />
d’un stimulus variable dans le temps, étant donnés la variabilité <strong>de</strong> son entrée <strong>et</strong><br />
<strong>de</strong> sa sortie. A un niveau d’analyse plus élevé, nous avons développé une théorie<br />
suggérant que la réponse en spikes <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones visuels au contexte extérieur (ici,<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> séquences naturelles) reflète une inférence <strong>et</strong> un apprentissage probabilistes.<br />
Théories <strong>et</strong> modèles <strong>de</strong> la mémoire <strong>de</strong> travail<br />
Les humains <strong>et</strong> les animaux ne se contentent pas <strong>de</strong> percevoir puis <strong>de</strong> réagir à<br />
leur information sensorielle ; ils sont également capables <strong>de</strong> manipuler c<strong>et</strong>te<br />
information à leur guise. C<strong>et</strong>te capacité <strong>de</strong> manipuler librement l’information est<br />
au coeur même <strong>de</strong> notre vie mentale. Un acteur fondamental <strong>de</strong> ce processus est<br />
le système en charge <strong>de</strong> notre mémoire <strong>de</strong> travail : c’est là que l’information est<br />
stockée sur le court terme, avec la possibilité d’être librement restituée <strong>et</strong> manipulée.<br />
Comment ce système fonctionne-t-il ?<br />
Pour étudier la mémoire <strong>de</strong> travail, nous combinons l’analyse <strong>de</strong> données<br />
électrophysiologiques avec <strong>de</strong> la modélisation computationnelle. Nous avons<br />
travaillé sur la base <strong>de</strong> données enregistrées par Ranulfo Romo (UNAM, Mexique)<br />
chez <strong><strong>de</strong>s</strong> singes, pendant une tâche paramétrique simple sollicitant la mémoire <strong>de</strong><br />
travail. Nous avons constaté que les activités <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules du cortex préfrontal sont<br />
difficilement réconciliables avec les modèles standard <strong>de</strong> réseaux pour la mémoire<br />
<strong>de</strong> travail. En particulier, les courbes <strong>de</strong> réponse <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones individuels forment<br />
une fonction monotone <strong>de</strong> la valeur (paramétrique) mémorisée, en opposition avec<br />
l’hypothèse traditionnelle d’une fonction « en cloche ». Dans un travail publié
950 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
l’année <strong>de</strong>rnière, nous avons montré comment ces données peuvent être expliquées<br />
par <strong><strong>de</strong>s</strong> principes <strong>de</strong> symétrie au niveau <strong>de</strong> la connectivité neuronale. Ce travail<br />
propose <strong><strong>de</strong>s</strong> perspectives mathématiques sur différentes architectures possibles <strong>de</strong><br />
systèmes <strong>de</strong> mémoire <strong>de</strong> travail. Un travail en <strong>cours</strong> cherche à affiner ces modèles<br />
<strong>de</strong> réseaux, afin <strong>de</strong> mieux reproduire les données expérimentales, <strong>et</strong> <strong>de</strong> proposer<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> prédictions pour <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences futures.<br />
Nous avons développé une théorie nouvelle pour expliquer les courbes <strong>de</strong><br />
mémoire à court terme. Dans c<strong>et</strong>te théorie, la mémoire <strong>de</strong> travail est entr<strong>et</strong>enue<br />
par <strong>de</strong> la facilitation synaptique basée sur le calcium, au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> connections<br />
récurrentes dans les réseaux du néo-cortex. Le calcium présynaptique résiduel<br />
jouerait alors le rôle d’un tampon, contrôlé, renouvelé <strong>et</strong> « lu » par les activités<br />
« spikantes » <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones. Du fait <strong><strong>de</strong>s</strong> longues constantes <strong>de</strong> temps <strong>de</strong> la cinétique<br />
du calcium, le taux <strong>de</strong> renouvellement peut être bas, menant à un mécanisme<br />
efficace <strong>et</strong> robuste. La durée <strong>et</strong> la stabilité <strong>de</strong> la mémoire à court terme peuvent<br />
être contrôlées en modulant l’activité spontanée au sein du réseau. Ce travail a<br />
conduit à une publication dans Science.<br />
Dynamique <strong>de</strong> la neuromodulation <strong>et</strong> <strong>de</strong> la fonction <strong>de</strong>ndritique<br />
En collaboration avec le Experimental and Theor<strong>et</strong>ical Neuroscience Laboratory <strong>et</strong><br />
le Salk Institute, nous avons mené une série d’expériences pour tester l’influence <strong>de</strong><br />
l’ac<strong>et</strong>ylcholine sur la dynamique <strong>de</strong> la génération <strong>de</strong> spikes dans les neurones<br />
corticaux. Ces expériences révèlent une influence non-linéaire assez surprenante <strong>de</strong><br />
l’ac<strong>et</strong>ylcholine sur l’excitabilité <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones pyramidaux du cortex, via la<br />
modulation <strong><strong>de</strong>s</strong> multiples canaux potassium contrôlant l’adaptation à la fréquence<br />
<strong>de</strong> décharge. Nous développons <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles théoriques <strong>de</strong> ces eff<strong>et</strong>s, <strong>et</strong> examinons<br />
l’interaction <strong><strong>de</strong>s</strong> multiples mécanismes d’adaptation lors du calcul neuronal.<br />
Nous avons développé une nouvelle théorie <strong>et</strong> un cadre mathématique pour<br />
étudier la dynamique <strong><strong>de</strong>s</strong> arbres <strong>de</strong>ndritiques possédant <strong><strong>de</strong>s</strong> oscillateurs intrinsèques.<br />
Nous avons montré sous quelles conditions l’arbre <strong>de</strong>ndritique se comporte comme<br />
une seule unité globale <strong>de</strong> traitement du signal. Nous appliquons ce cadre théorique<br />
pour étudier le traitement probabiliste <strong>de</strong> l’information au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ndrites,<br />
l’apprentissage <strong>et</strong> la formation <strong>de</strong> champs <strong>de</strong> grilles (« grid fields ») dans le cortex<br />
entorhinal, qu’on sait en relation avec les facultés animales <strong>de</strong> navigation.<br />
Théories <strong>et</strong> modèles <strong>de</strong> la dépendance aux drogues<br />
Le tabac, qui instaure un comportement compulsif <strong>et</strong> <strong>de</strong> dépendance, reste un<br />
problème majeur <strong>de</strong> santé publique. La nicotine est le principal facteur <strong>de</strong><br />
dépendance contenu dans la fumée <strong>de</strong> tabac. Bien que les cibles moléculaires <strong>de</strong> la<br />
nicotine sont maintenant bien connues, ainsi que ses eff<strong>et</strong>s aux niveaux moléculaire,<br />
cellulaire <strong>et</strong> comportemental, les mécanismes précis reliant ces différentes échelles<br />
ne sont pas encore bien cernés. Nous avons approché ce problème à travers <strong>de</strong>ux<br />
modèles complémentaires <strong>de</strong> dynamique neuronale.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 951<br />
La première approche est un modèle hypothétique d’auto-administration <strong>de</strong> la<br />
nicotine, qui combine un ensemble <strong>de</strong> circuits neuronaux aux échelles moléculaire,<br />
cellulaire <strong>et</strong> systémique, qui rend correctement compte <strong>de</strong> différent processus<br />
neurobiologiques <strong>et</strong> comportementaux menant à la dépendance. Nous avons<br />
suggéré que le comportement d’auto-administration <strong>de</strong> la nicotine apparaît<br />
naturellement <strong>de</strong> la combinaison <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux éléments : <strong><strong>de</strong>s</strong> changements dans la<br />
réponse <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones dopaminergiques <strong>de</strong> l’aire ventrale tegmentale<br />
(VTA), <strong>et</strong> un apprentissage modulé par la dopamine au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits <strong>de</strong><br />
sélection d’action. Nous avons montré qu’un processus d’opposition, accentué par<br />
la prise persistente <strong>de</strong> nicotine, rend l’auto-administration rigi<strong>de</strong> <strong>et</strong> habituelle en<br />
inhibant le processus d’apprentissage, ce qui mène à <strong><strong>de</strong>s</strong> handicaps durables en cas<br />
d’absence <strong>de</strong> la drogue.<br />
Une <strong>de</strong>uxième approche a été d’étudier les mécanismes par lesquels la nicotine<br />
usurpe le signal dopaminergique dans le VTA. Nous avons conçu <strong>et</strong> analysé un<br />
modèle <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits neuronaux dans le VTA qui inclut les principales caractéristiques<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine, telles que leurs distributions relatives<br />
sur les différents types cellulaires, leur affinité, leurs possibilités <strong>de</strong> sensibilisation<br />
<strong>et</strong> d’inactivation. Nous avons montré comment la nicotine mène à une augmentation<br />
persistante <strong>de</strong> la sortie dopaminergique. Nous avons enfin montré comment les<br />
donnés in vivo <strong>et</strong> in vitro, considérées jusqu’à présent contradictoires, peuvent être<br />
réconciliées.<br />
Publications 2007-2008<br />
(en ordre alphabétique <strong>et</strong> par année)<br />
Denève, S., Bayesian Spiking Neurons I : Inference. Neural Computation, 20, 91-117<br />
(2008).<br />
Denève, S., Bayesian Spiking Neurons II : Learning. Neural Computation, 20, 118-145<br />
(2008).<br />
Gutkin, B.S., Tuckwell, H., and Jost, J., Random perturbations of spiking activity in<br />
a pair of coupled neurons. Theory in the Biosciences (in press), (2008).<br />
Gutkin, B.S., Tuckwell, H., and Jost, J., Transient termination of synaptically sustained<br />
firing by noise. Euro Physics L<strong>et</strong>ters, 81, 20005 (2008).<br />
Lochmann, T. and Denève, S., Information transmission with spiking Bayesian neurons.<br />
New Journal of Physics, 10, article ID : 055019 (2008).<br />
Mongillo, G., Barak, O., and Tsodyks, M., Synaptic theory of working memory.<br />
Science, 319, 1543-1546 (2008).<br />
Machens, C.K. and Brody, C.D., Design of continuous attractor n<strong>et</strong>works with<br />
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Ahmed, S., Bobashev, G., and Gutkin, B.S., The simulation of addiction :<br />
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Depend, 90(2-3), 304-11 (2007).
952 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
Benda, J., Gollisch, T., Machens, C.K., and Herz, A.V.M., From response to stimulus:<br />
adaptive sampling in sensory physiology. Current Opinion in Neurobiology, 17(4), 430-436<br />
(2007).<br />
Bobashev, G., Costenba<strong>de</strong>r, E., and Gutkin, B.S., Comprehensive mathematical<br />
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Brumberg, J.C. and Gutkin, B.S., Cortical pyramidal cells as non-linear oscillators :<br />
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Denève, S., Duhamel, J., and Poug<strong>et</strong>, A., Optimal sensorimotor integration in recurrent<br />
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GABAergic reversal potentials. Neural Computation, 19 (3), 706-729 (2007).<br />
Mongillo, G. and Denève, S., Online Learning with Hid<strong>de</strong>n Markov Mo<strong>de</strong>ls. Neural<br />
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Rouger, J., Lagleyre, S., Fraysse, B., Denève, S., Deguine, O., and Barone, P.,<br />
Evi<strong>de</strong>nce that cochlear-implanted <strong>de</strong>af patients are b<strong>et</strong>ter multisensory integrators.Proceedings<br />
of the National Aca<strong>de</strong>my of Sciences USA, 104(17), 7295-7300 (2007).<br />
Neuropepti<strong><strong>de</strong>s</strong> centraux <strong>et</strong> régulations hydrique <strong>et</strong> cardiovasculaire<br />
INSERM U 691<br />
Responsable : Catherine Llorens-Cortes<br />
Le Système Rénine-Angiotensine (SRA) Cérébral<br />
Nous avons montré dans ce système que l’aminopeptidase A (APA) est impliquée<br />
dans la conversion <strong>de</strong> l’angiotensine (Ang) II en AngIII, développé les premiers<br />
inhibiteurs spécifiques <strong>et</strong> sélectifs <strong>de</strong> l’APA, inexistants jusqu’à ce jour <strong>et</strong> i<strong>de</strong>ntifié<br />
le pepti<strong>de</strong> effecteur du SRA cérébral qui est l’AngIII <strong>et</strong> non l’AngII comme établi<br />
à la périphérie. L’AngIII au niveau central exerce un eff<strong>et</strong> stimulateur tonique sur<br />
le contrôle <strong>de</strong> la pression artérielle (PA) chez le rat hypertendu. Ainsi le blocage<br />
central <strong>et</strong> non systémique <strong>de</strong> l’APA diminue fortement la PA dans différents<br />
modèles expérimentaux d’hypertension artérielle (HTA), suggérant que l’APA<br />
cérébrale constituerait une cible thérapeutique potentielle pour le traitement <strong>de</strong><br />
certaines formes d’HTA. L’HTA touche près <strong>de</strong> 7 millions <strong>de</strong> personnes en <strong>France</strong>.<br />
Après 50 ans, un Français sur 4 est concerné. Aux US, sa prévalence est considérée<br />
autour <strong>de</strong> 15-20 %. L’HTA est un facteur <strong>de</strong> risque majeur <strong>de</strong> nombreuses maladies<br />
telles que les affections coronariennes, les acci<strong>de</strong>nts vasculaires cérébraux,<br />
l’insuffisance cardiaque <strong>et</strong> l’insuffisance rénale. L’importance <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te maladie a<br />
justifié le développement <strong>de</strong> nombreuses familles thérapeutiques, cependant, elle<br />
reste difficile à contrôler. Les monothérapies sont insuffisantes dans plus <strong>de</strong> la<br />
moitié <strong><strong>de</strong>s</strong> cas, <strong>et</strong> les réponses individuelles à un composé donné — quelle que soit
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 953<br />
sa famille — sont très variables. Il y a donc un besoin <strong>de</strong> thérapies complémentaires.<br />
Notre proj<strong>et</strong> vise à développer un nouvel antihypertenseur avec un mo<strong>de</strong> d’action<br />
différent <strong>de</strong> ceux utilisés jusqu’à présent. Pour cela, notre objectif est <strong>de</strong> développer<br />
<strong>de</strong> nouveaux inhibiteurs <strong>de</strong> l’APA, puissants <strong>et</strong> sélectifs capables <strong>de</strong> passer les<br />
barrières intestinale, hépatique <strong>et</strong> hématoencéphalique après administration par<br />
voie orale avec un in<strong>de</strong>x thérapeutique élevé <strong>et</strong> peu <strong>de</strong> risques <strong>de</strong> toxicité. Nous<br />
venons d’obtenir en collaboration avec l’équipe du Pr B.P. Roques (INSERM<br />
U640) une telle molécule, le RB150 (1 brev<strong>et</strong> licence exclusive Société Quantum<br />
Genomics) qui après administration par voie intraveineuse ou orale chez le rat<br />
hypertendu, pénètre dans le cerveau, inhibe l’activité du SRA cérébral <strong>et</strong> a un eff<strong>et</strong><br />
hypotenseur qui dure plusieurs heures. De plus, le RB150 ne présente pas <strong>de</strong><br />
risque <strong>de</strong> toxicité cardiaque <strong>et</strong> hépatique, <strong>de</strong> génotoxicité <strong>et</strong> d’interactions<br />
médicamenteuses. Nous poursuivons ce programme <strong>de</strong> recherche en partenariat<br />
avec la Société Quantum Genomics afin d’une part, <strong>de</strong> finaliser le développement<br />
pré-clinique du RB150 <strong>et</strong> d’autre part, <strong>de</strong> développer <strong>de</strong> nouvelles molécules<br />
capables <strong>de</strong> se substituer au RB150 si ce composé ne répondait pas à tous les<br />
critères nécessaires pour une évaluation chez l’homme. Si le RB150 obtient les<br />
autorisations nécessaires, cela perm<strong>et</strong>tra d’initier les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> cliniques <strong>de</strong> Phase I au<br />
CIC <strong>de</strong> l’HEGP, dirigé par le Pr. M. Azizi afin <strong>de</strong> déterminer la tolérance, la<br />
sécurité <strong>et</strong> la pharmacocinétique du RB150 chez l’homme (dose unique <strong>et</strong> doses<br />
répétées croissantes). Une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> pharmacodynamie réalisée au CIC en<br />
collaboration avec notre laboratoire chez <strong><strong>de</strong>s</strong> suj<strong>et</strong>s soumis à <strong><strong>de</strong>s</strong> régimes enrichis<br />
ou appauvris en sodium, déterminera l’efficacité du RB150 sur différents<br />
biomarqueurs pertinents <strong>de</strong> l’HTA.<br />
Ce programme <strong>de</strong> recherche a été soutenu par une ANR émergence 2006-2007<br />
<strong>et</strong> sélectionné pôle <strong>de</strong> compétitivité par l’INSERM. Un contrat <strong>de</strong> collaboration<br />
avec la Société Quantum-Genomics a été signé avec INSERM Transfert en mai<br />
2007 pour 18 mois avec une possibilité <strong>de</strong> prolongation en fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats<br />
obtenus. Ces <strong>travaux</strong> ont fait l’obj<strong>et</strong> d’un article <strong>et</strong> d’un éditorial dans la revue<br />
Hypertension <strong>et</strong> d’un communiqué <strong>de</strong> presse par l’INSERM.<br />
Le Système Apélinergique<br />
En recherchant un récepteur spécifique <strong>de</strong> l’AngIII, nous avons isolé chez le rat<br />
un récepteur couplé aux protéines G, partageant 95 % d’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> séquence avec<br />
le récepteur orphelin humain APJ qui s’est révélé être le récepteur d’un nouveau<br />
pepti<strong>de</strong>, l’apéline. Nous avons caractérisé pharmacologiquement ce récepteur, établi<br />
dans le cerveau <strong>de</strong> rat la distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones apélinergiques ainsi que celle<br />
<strong>de</strong> l’ ARNm du récepteur <strong>de</strong> l’apéline <strong>et</strong> observé que l’apéline <strong>et</strong> son récepteur sont<br />
co-exprimés avec la vasopressine (AVP) dans les neurones magnocellulaires<br />
vasopressinergiques. Nous avons mis en évi<strong>de</strong>nce que l’apéline, injectée par voie<br />
centrale chez la rate en lactation, diminue l’activité électrique <strong>de</strong> ces neurones <strong>et</strong><br />
la sécrétion d’AVP dans la circulation sanguine, provoquant une diurèse aqueuse.<br />
Enfin nous avons établi chez le rat déshydraté que l’apéline <strong>et</strong> l’AVP sont régulées
954 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
<strong>de</strong> façon opposée afin <strong>de</strong> maintenir l’équilibre hydrique <strong>de</strong> l’organisme, en<br />
optimisant la sécrétion d’AVP dans la circulation sanguine <strong>et</strong> évitant ainsi une perte<br />
d’eau supplémentaire par les reins. Afin <strong>de</strong> poursuivre c<strong>et</strong>te exploration chez<br />
l’homme, nous avons initialisé, en collaboration avec le CIC <strong>de</strong> l’HEGP dirigé par<br />
le Pr M. Azizi, la première étu<strong>de</strong> clinique sur l’apéline réalisée chez le volontaire<br />
sain. Nous avons montré que la restriction hydrique associée à la surcharge en sel,<br />
chez les cinq suj<strong>et</strong>s chez qui l’étu<strong>de</strong> a été réalisée, induit une augmentation <strong>de</strong><br />
l’osmolalité plasmatique parallèlement à une baisse <strong><strong>de</strong>s</strong> taux d’apéline dans le plasma<br />
alors que ceux <strong>de</strong> l’AVP augmentent <strong>de</strong> façon linéaire. Ces résultats nous ont<br />
conduits à effectuer une exploration complémentaire visant à augmenter la sécrétion<br />
d’apéline par une charge orale hydrique. A l’inverse, dans ce second protocole réalisé<br />
sur cinq suj<strong>et</strong>s, la baisse <strong>de</strong> l’osmolalité plasmatique induite par une charge hydrique<br />
diminue les taux d’AVP dans le plasma alors que ceux <strong>de</strong> l’apéline augmentent<br />
rapi<strong>de</strong>ment. En conclusion, ces données montrent que les sécrétions d’apéline <strong>et</strong><br />
d’AVP sont régulées <strong>de</strong> façon opposée par les stimuli osmotiques suggérant que<br />
l’apéline comme l’AVP joue un rôle crucial dans le maintien <strong>de</strong> l’équilibre hydrique<br />
chez l’homme comme chez le rongeur. Finalement, nous avons montré que l’apéline<br />
injectée par voie iv chez le rat diminue la PA <strong>et</strong> plusieurs laboratoires ont découvert<br />
que l’apéline augmentait la force contractile du myocar<strong>de</strong> suggérant que ce nouveau<br />
pepti<strong>de</strong> joue un rôle dans le contrôle <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions cardiovasculaires. Par ailleurs,<br />
nous avons étudié chez le rat, la distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> ARNms du récepteur <strong>de</strong> l’apéline<br />
ainsi que le rôle <strong>de</strong> ce pepti<strong>de</strong> sur la fonction rénale. Les ARNms du récepteur <strong>de</strong><br />
l’apéline ont été détectés dans les cellules endothéliales <strong>et</strong> les cellules musculaires<br />
lisses <strong><strong>de</strong>s</strong> artérioles glomérulaires, dans les glomérules, les canaux collecteurs ainsi<br />
que dans la zone interne <strong>de</strong> la médullaire externe, région richement vascularisée.<br />
L’apéline induit une vasorelaxation-NO dépendante <strong><strong>de</strong>s</strong> artérioles afférentes <strong>et</strong><br />
efférentes glomérulaires préalablement contractées par l’Ang II. D’autre part,<br />
l’apéline injectée par voie iv exerce un eff<strong>et</strong> diurétique dose-dépendant qui pourrait<br />
être lié à un eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’apéline au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux collecteurs où sont présents ses<br />
récepteus ainsi que ceux <strong>de</strong> l’AVP. Ces données suggèrent un rôle régulateur <strong>de</strong><br />
l’apéline dans l’hémodynamique rénale <strong>et</strong> la fonction tubulaire.<br />
Enfin, il est important <strong>de</strong> préciser qu’à l’heure actuelle aucun agoniste ou<br />
antagoniste du récepteur <strong>de</strong> l’apéline n’a été développé. Notre proj<strong>et</strong> vise donc à<br />
obtenir <strong>de</strong> telles molécules qui <strong>de</strong>vraient perm<strong>et</strong>tre d’explorer plus avant le rôle <strong>de</strong><br />
ce pepti<strong>de</strong> dans <strong><strong>de</strong>s</strong> pathologies comme l’insuffisance cardiaque ou rénale <strong>et</strong> les<br />
secrétions inappropriées d’AVP.<br />
Recherche <strong>de</strong> ligands endogènes <strong>de</strong> récepteurs orphelins<br />
Nos <strong>travaux</strong> ont été consacrés en collaboration avec l’unité INSERM U413<br />
dirigée par le Pr H Vaudry <strong>et</strong> l’Institut <strong>de</strong> Recherche SERVIER à la recherche du<br />
ligand naturel du récepteur GPR39 à partir d’un extrait <strong>de</strong> cerveaux <strong>de</strong> grenouille,<br />
en m<strong>et</strong>tant à profit la propriété qu’ont la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs à 7 domaines<br />
transmembranaires couplé aux protéines G <strong>de</strong> s’internaliser sous l’action <strong>de</strong> ligands
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 955<br />
agonistes. En réalisant 4 étapes <strong>de</strong> purification <strong>et</strong> <strong>de</strong> tests d’internalisation successifs,<br />
nous avons isolé une fraction correspondant à un pic bien individualisé, qui a<br />
provoqué l’internalisation <strong>de</strong> ce récepteur dans 80 % <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules testées. La<br />
spectrométrie <strong>de</strong> masse réalisée sur c<strong>et</strong>te fraction a révélé qu’elle contenait 3 pepti<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
majeurs qui ont été séquencés mais aucune <strong><strong>de</strong>s</strong> répliques synthétiques ne s’est<br />
révélée active sur l’internalisation du GPR39, montrant que le ligand du GPR39<br />
était bien présent dans c<strong>et</strong>te fraction mais en quantité trop faible pour être séquencé<br />
dans nos conditions expérimentales. Fin 2005, un article dans Science publié par<br />
Zhang <strong>et</strong> coll i<strong>de</strong>ntifiait par prédiction bioinformatique, l’obestatine, comme étant<br />
un nouveau pepti<strong>de</strong> dérivé du précurseur <strong>de</strong> la ghréline. Ce pepti<strong>de</strong> a été purifié<br />
à partir d’un extrait d’estomacs <strong>de</strong> rat <strong>et</strong> sa réplique synthétique a montré <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
propriétés anorexigènes <strong>et</strong> induit une perte <strong>de</strong> poids chez la souris. De plus<br />
l’obestatine était i<strong>de</strong>ntifiée comme le ligand endogène du récepteur orphelin<br />
humain GPR39, majoritairement exprimé dans le SNC. Afin <strong>de</strong> caractériser<br />
pharmacologiquement le GPR39, nous avons synthétisé l’obestatine humaine ainsi<br />
que différents fragments <strong>de</strong> ce pepti<strong>de</strong>. Les eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> ces pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> ont été évalués<br />
sur les cellules exprimant <strong>de</strong> manière stable le GPR39. Ils ne se lient pas au GPR39<br />
<strong>et</strong> ne modifient pas la production <strong>de</strong> seconds messagers (production d’AMPc,<br />
mobilisation du calcium intracellulaire), ni l’internalisation du GPR39. Par contre,<br />
nous avons montré que l’obestatine injectée par voie icv diminue légèrement la<br />
prise <strong>de</strong> nourriture chez la souris. Ces résultats montraient que l’obestatine n’est<br />
pas le ligand endogène du GPR39. Ils ont remis en cause les résultats obtenus par<br />
Zhang <strong>et</strong> al. concernant la nature du récepteur impliqué dans les eff<strong>et</strong>s biologiques<br />
<strong>de</strong> l’obestatine. Ce travail a été publié dans la revue Science sous la forme d’un<br />
« Technical Comment ».<br />
Publications 2007-2008<br />
Publications originales dans <strong><strong>de</strong>s</strong> journaux à comité <strong>de</strong> lecture<br />
Chartrel N., Alvear-Perez R., Leprince J., Iturrioz X., Reaux-Le Goazigo A.,<br />
Audinot V., Chomarat P., Cogé F., Nosjean O., Rodriguez M., Galizzi J.P., Boutin J.<br />
A., Vaudry H., Llorens-Cortes C. Comment on « obestatin, a pepti<strong>de</strong> enco<strong>de</strong>d by the<br />
ghrelin gene, opposes ghrelin’s effects on food intake ». Science, 2007, 315(5813) : 766.<br />
Reaux-Le Goazigo A., Alvear-Perez R., Zizzari P., Epelbaum J., Blu<strong>et</strong>-Pajot M.T.,<br />
Llorens-Cortes C. Cellular localization of apelin and its receptor in the anterior pituitary :<br />
Evi<strong>de</strong>nce for a direct stimulatory action of apelin on ACTH release. Am J Physiol Endocrinol<br />
M<strong>et</strong>ab. 2007, 292(1) : E7-15.<br />
Azizi M., Iturrioz X., Blanchard A., Peyrard S., De Mota N., Chartrel N.,<br />
Vaudry H., Corvol P., Llorens-Cortes C. Osmotic stimulation induces opposite<br />
regulation of plasma apeline and vasopressin levels in human. J Am Soc Nephrol. 2008<br />
May ;19(5) : 1015-24.<br />
Bodineau L., Frugiere A., Marc Y., Inguimbert N., Fassot C., Roques B., Llorens-<br />
Cortes C. Orally active aminopeptidase A inhibitors reduce blood pressure by inhibiting
956 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
the brain-renin-angiotensin system : a new strategy for treating hypertension. Hypertension.<br />
2008 May ; 51(5) : 1318-25.<br />
De Mota N., Iturrioz X., Claperon C., Bodineau L., Fassot C., Roques B.P.,<br />
Palkovits M., Llorens-Cortes C. Human brain aminopeptidase A : biochemical properties<br />
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Int. 2008 Aug ; 74(4) : 486-94.<br />
Publications <strong>de</strong> revues dans <strong><strong>de</strong>s</strong> journaux à comité <strong>de</strong> lecture ou chapitres <strong>de</strong> livre<br />
Iturrioz X., El Messari S., De Mota N., Fassot C., Alvear-Perez R., Maigr<strong>et</strong> B.,<br />
Llorens-Cortes C. Functional dissociation b<strong>et</strong>ween apelin receptor signaling and<br />
endocytosis : implications for the effects of apelin on arterial blood pressure. Arch Mal Cœur<br />
Vaiss. 2007 Aug ; 100(8) : 704-8.<br />
Llorens-Cortes C., Kordon C. Jacques Benoit lecture : the neuroendocrine view of the<br />
angiotensin and apelin systems. J Neuroendocrinol. 2008 Mar ; 20(3) : 279-89.<br />
Bodineau L., Frugiere A., Marc Y., Claperon C., Llorens-Cortes C. Aminopeptidase<br />
A inhibitors as centrally acting antihypertensive agents. Heart Fail Rev. 2008 Sep ; 13(3) :<br />
311-9.<br />
Reaux-Le Goazigo A., Iturrioz X., Llorens-Cortes C. Apelin. In : The New<br />
Encyclopedia of Neuroscience, Larry R. Squire (Ed), Aca<strong>de</strong>mic Press, Oxford, 2008.<br />
Llorens-Cortes C., Moos F. Opposite potentiality of hypothalamic coexpressed<br />
neuropepti<strong><strong>de</strong>s</strong>, apelin and vasopressin in maintaining body-fluid homeostasis. In : Progress<br />
in Brain Research, I.D Neumann and R. Landgraf (Eds.), vol. 170, chapter 43, 559-570.<br />
Iturrioz X., Reaux-Le Goazigo A., Moos F., Llorens-Cortes C. Apelin and<br />
Vasopressin. In : Cardiovascular Hormone Systems. From Molecular Mechanisms to Novel<br />
Therapeutics. Ba<strong>de</strong>r, M. (ed.) Wiley-VCH Verlag GmbH & Co. KGaA, Weinheim,<br />
chapter 8, 193-208.<br />
Brev<strong>et</strong>s<br />
1. Dérivés <strong>de</strong> 4,4′-dithiobis-(3-aminobutane-1-sulfonates) nouveaux<br />
<strong>et</strong> compositions les contenant<br />
Apport en santé : Lutte contre l’hypertension <strong>et</strong> les maladies cardiovasculaires<br />
Deman<strong>de</strong> <strong>de</strong> Brev<strong>et</strong> FR n° 02 08977 déposé au nom <strong>de</strong> l’INSERM le 16 Juill<strong>et</strong> 2002.<br />
Brev<strong>et</strong> Français n° FR2842522 (A1) publié le 23-01-2004<br />
Deman<strong>de</strong> Internationale PCT/FR03/02242 le 16/07/2003<br />
Brev<strong>et</strong> américain n° US 7,235,687 B2 délivré le 26/06/2007;<br />
Inventeurs : Fournie-Zaluski M.C., Llorens-Cortes C., Roques B.P., Corvol P.,<br />
Licence exclusive avec Glaxo-Smith Kline Beecham, n° 98299 (2000-2003)<br />
Licence exclusive avec la Société Quantum Genomics (2007-2009), n° 06296A10<br />
2. Dérivés <strong>de</strong> 4,4′-dithiobis-(3-aminobutane-1-sulfonates) nouveaux<br />
<strong>et</strong> compositions les contenant<br />
Apport en santé : Lutte contre l’hypertension <strong>et</strong> les maladies cardiovasculaires<br />
Deman<strong>de</strong> <strong>de</strong> Brev<strong>et</strong> FR n° 03 09 700 déposé au nom <strong>de</strong> l’INSERM le 6 août 2003<br />
Brev<strong>et</strong> Français n° FR2858617 (A1) publié le 2-11-2005
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 957<br />
Deman<strong>de</strong> Internationale PCT/FR04/02106 du 6/08/2004<br />
Passage en phases nationales/régionale : Europe, japon, Canada <strong>et</strong> Etats-Unis<br />
Inventeurs : Roques B.P., Inguimbert N., Fournie-Zaluski M.C., Corvol P., Llorens-<br />
Cortes C.<br />
Licence exclusive avec Glaxo-Smith Kline Beecham, n° 98299 (2000-2003)<br />
Licence exclusive avec la Société Quantum Genomics (2007-2009), n° 06296A10<br />
Génétique moléculaire Neurophysiologie <strong>et</strong> comportement<br />
UMR CNRS/<strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> 7148<br />
Directeur : François Tronche<br />
Equipe Tronche. Chercheurs : A. Bailly, J. Barik, S. Mhaouty-Kodja, S. Vyas,<br />
F. Tronche. Etudiants : M.A. Carrillo-Conesa, G. Maroteaux, A. Mil<strong>et</strong>,<br />
S. Parnau<strong>de</strong>au, K. Raskin ; ITA : C. Benstaali, N. Hu<strong>et</strong>, E. Massouri<strong><strong>de</strong>s</strong>, A. Saint-<br />
Amaux.<br />
Equipe Tassin. Chercheurs : V. Houa<strong><strong>de</strong>s</strong>, J.P. Tassin, Etudiants : C. Lanteri,<br />
ITA : G. Go<strong>de</strong>heu, P. Babouram.<br />
L’équipe <strong>de</strong> François Tronche s’intéresse aux mécanismes transcriptionnels qui<br />
sous-ten<strong>de</strong>nt les réponses nécessaires à l’adaptation <strong>de</strong> l’organisme aux variations<br />
<strong>de</strong> l’environnement, avec un intérêt particulier pour la physiologie cérébrale. Dans<br />
ce contexte, elle étudie, d’une part, les mécanismes moléculaires qui sous-ten<strong>de</strong>nt<br />
l’eff<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> androgènes sur le comportement sexuel <strong>et</strong>, d’autre part, les mécanismes<br />
par lesquels les hormones glucocorticoï<strong><strong>de</strong>s</strong> libérées en réponse au stress affectent<br />
divers comportements <strong>et</strong> peuvent conduire à <strong><strong>de</strong>s</strong> pathologies graves telles certaines<br />
dépressions, <strong><strong>de</strong>s</strong> troubles <strong>de</strong> l’anxiété <strong>et</strong> l’addiction.<br />
Les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> l’équipe sont centrés sur la fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes <strong>de</strong> trois facteurs <strong>de</strong><br />
transcription (le récepteur <strong><strong>de</strong>s</strong> androgènes — AR, le récepteur <strong><strong>de</strong>s</strong> glucocorticoï<strong><strong>de</strong>s</strong> —<br />
GR <strong>et</strong> Stat5 qui interagit avec GR) activés par la libération d’hormones. L’équipe<br />
développe pour cela <strong><strong>de</strong>s</strong> approches <strong>de</strong> génétique moléculaire, chez la souris. Des<br />
modèles murins dans lesquels les gènes GR ou AR sont invalidés, dans une<br />
population cellulaire ciblée, sont établis. Leurs étu<strong><strong>de</strong>s</strong> physiologique,<br />
comportementale <strong>et</strong> anatomique comparative perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> définir le rôle <strong>de</strong> ces<br />
récepteurs nucléaires ainsi que la nature <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules qui sous-ten<strong>de</strong>nt les eff<strong>et</strong>s <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
glucocorticoï<strong><strong>de</strong>s</strong> ou <strong><strong>de</strong>s</strong> androgènes. Une approche complémentaire qui repose sur<br />
la surexpression réversible du gène GR a également été développée.<br />
Concernant le lien entre « stress » GR <strong>et</strong> addiction, c<strong>et</strong>te année les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong><br />
J. Barik, S. Parnau<strong>de</strong>au, A. Bailly <strong>et</strong> A. Saint-Amaux ont élargi l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
conséquences <strong>de</strong> l’absence du GR dans les neurones dopaminoceptif. Ils ont<br />
montré qu’elle diminue très fortement la sensibilisation <strong>et</strong> la préférence <strong>de</strong> place à
958 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
la cocaïne confirmant le rôle essentiel <strong>de</strong> ce facteur <strong>de</strong> transcription pour l’expression<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s comportementaux <strong>de</strong> la cocaïne. Il semble en revanche que le GR, dans<br />
ces neurones n’est pas impliqué dans les eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> la morphine ou <strong>de</strong> l’alcool.<br />
Les glucocorticoï<strong><strong>de</strong>s</strong> sont essentiels pour la répression <strong>de</strong> l’inflammation. C’est<br />
pourquoi MA Carrillo-Conesa <strong>et</strong> S Vyas ont étudié le rôle du GR dans la microglie.<br />
Son absence, dans ces cellules <strong>de</strong> type macrophage, conduit à une augmentation<br />
<strong>de</strong> la mort neuronale dans <strong>de</strong>ux situations d’inflammation : l’injection <strong>de</strong> LPS dans<br />
le cortex <strong>et</strong> un modèle <strong>de</strong> maladie <strong>de</strong> Parkinson induit par le MPTP. Concernant<br />
le rôle du gène AR dans le cerveau, S Mhaouty-Kodja <strong>et</strong> K Raskin ont engendré<br />
<strong>et</strong> étudié <strong><strong>de</strong>s</strong> souris dépourvues d’AR dans le cerveau. Chez le mâle, l’absence d’AR<br />
provoque une dérégulation <strong>de</strong> l’axe endocrinien <strong><strong>de</strong>s</strong> hormones sexuelles, une<br />
diminution légère mais significative <strong>de</strong> la masse corporelle <strong>et</strong> affecte profondément<br />
le comportement sexuel <strong>et</strong> l’agression.<br />
L’équipe <strong>de</strong> Jean-Pol Tassin étudie <strong>de</strong>puis plusieurs années les modifications neurochimiques<br />
à long terme dues à la prise répétée <strong>de</strong> drogues d’abus. En 2006, c<strong>et</strong>te<br />
équipe a montré qu’il existe, chez les animaux non dépendants, une régulation<br />
réciproque <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones noradrénergiques <strong>et</strong> sérotoninergiques par l’intermédiaire<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs a1b-adrénergiques (contrôle noradrénergique <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones sérotoninergiques)<br />
<strong>et</strong> 5-HT 2A (contrôle sérotoninergique <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones noradrénergiques).<br />
Les prises répétées <strong>de</strong> psychostimulants — comme l’amphétamine ou la cocaïne —,<br />
d’opiacés — comme la morphine ou l’héroïne —, ou d’alcool, dissocient c<strong>et</strong>te<br />
régulation mutuelle (5). Chaque système, noradrénergique ou sérotoninergique,<br />
<strong>de</strong>vient alors autonome <strong>et</strong> hyper-réactif. C<strong>et</strong>te dissociation (ou découplage) se<br />
maintient plusieurs mois après la <strong>de</strong>rnière prise <strong>de</strong> drogue, est indépendante <strong>de</strong> la<br />
libération <strong>de</strong> dopamine <strong>et</strong> n’apparaît pas si les animaux sont pré-traités par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
antagonistes <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs a1b-adrénergiques <strong>et</strong> 5-HT 2A avant chaque prise <strong>de</strong><br />
drogue d’abus. Ce travail a donné lieu à la proposition d’un nouveau concept <strong>de</strong><br />
la pharmaco-dépendance (2,4) selon lequel le découplage, vraisemblablement présent<br />
chez les toxicomanes, entraîne une autonomisation <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones noradrénergiques<br />
<strong>et</strong> sérotoninergiques qui réagissent <strong>de</strong> façon indépendante <strong>et</strong> hyper-réactive<br />
aux stimuli externes. Reprendre <strong>de</strong> la drogue perm<strong>et</strong>trait un recouplage artificiel<br />
<strong>de</strong> ces neurones, créant ainsi un soulagement temporaire susceptible d’expliquer la<br />
rechute <strong>de</strong> la consommation.<br />
C<strong>et</strong>te année, l’équipe a plus particulièrement travaillé sur la tabaco- <strong>et</strong> l’alcoolodépendance.<br />
Des résultats qu’elle avait déjà obtenus suggérant que la nicotine seule<br />
n’agissait pas comme une drogue d’abus mais qu’elle pouvait le <strong>de</strong>venir en présence<br />
d’inhibiteurs <strong>de</strong> monoamine oxydases (IMAOs), contenus dans le tabac ont été<br />
précisés. Il s’avère effectivement que, bien que ni la prise répétée <strong>de</strong> nicotine ni<br />
celle d’IMAOs n’entraîne <strong>de</strong> découplage, la prise répétée <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux composés,<br />
nicotine <strong>et</strong> IMAO, déclenche un découplage, ce qui explique que le tabac,<br />
contrairement à la nicotine seule, ait un fort pouvoir addictif. Un travail très récent<br />
<strong>de</strong> Christophe Lanteri indique que les IMAOs agissent en désensibilisant le
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 959<br />
récepteur 5-HT 1A perm<strong>et</strong>tant ainsi à la nicotine d’activer les neurones sérotoninergiques<br />
(6). Enfin, l’utilisation <strong>de</strong> souris dépourvues <strong>de</strong> récepteurs μ-opioï<strong><strong>de</strong>s</strong>,<br />
confiées à l’équipe par Brigitte Kieffer (Strasbourg), a permis à Emilie Douc<strong>et</strong>, au<br />
<strong>cours</strong> <strong>de</strong> son stage <strong>de</strong> M2, <strong>de</strong> montrer que le découplage induit par l’éthanol<br />
nécessite la stimulation <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs μ-opioï<strong><strong>de</strong>s</strong>, ce qui confirme la convergence,<br />
déjà constatée en clinique, entre les eff<strong>et</strong>s addictifs <strong>de</strong> l’éthanol <strong>et</strong> celle <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
opiacés.<br />
Equipe Tronche : publications 2007-2008<br />
Stress and addiction, i<strong>de</strong>ntification of a specific neuronal cell-type for glucocorticoid<br />
receptor-induced facilitation of cocaine seeking. F. Ambroggi A., M. Turiault M., Au<strong>de</strong><br />
Mil<strong>et</strong> A., V. Deroche-Gamon<strong>et</strong>, S. Parnau<strong>de</strong>au, E. Balado, T. Lemberger, G. Schütz,<br />
M. Lazar, M. Marinelli, P.V. Piazza, F. Tronche. Soumis.<br />
Conditional inactivation of androgen receptor gene in the nervous system impairs<br />
masculine behaviors and androgen feedback on LH release. Raskin K., <strong>de</strong> Gendt K.,<br />
Duittoz A., Verhoeven G., Tronche F., Mhaouty-Kodja S. En révision.<br />
Decaens T., Godard C., <strong>de</strong> Reyniès A., Rickman D.S., Tronche F., Couty J.P.,<br />
Perr<strong>et</strong> C., Colnot S. Stabilization of b<strong>et</strong>a-catenin affects mouse embryonic liver growth<br />
and hepatoblast fate. Hepatology, 47 : 247-58.<br />
Tronche F. Corticosteroid receptor genes : functional dissection in mice. In : Encyclopedia<br />
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594.<br />
Sahly I., Fabre V., Vyas S., Mil<strong>et</strong> A., Rouzeau J.D., Hamon M., Lazar M., Tronche F.<br />
5-HT1A-iCre, a new transgenic mouse line for gen<strong>et</strong>ic analyses of the serotonergic pathway.<br />
Mol Cell Neurosci., 2007 36 : 27-35.<br />
M. Turiault, S. Parnau<strong>de</strong>au, A. Mil<strong>et</strong>, R. Parlato, J.D. Rouzeau, M. Lazar and<br />
F. Tronche. Analysis of dopamine transporter gene expression pattern : generation of DATiCre<br />
transgenic mice. FEBS Journal, 2007, 274 : 3568-77.<br />
Sainte-Marie Y., Cat A., Perrier R., Mangin L., Soukaseum C., Peuchmaur M.,<br />
Tronche F., Farman N., Escoub<strong>et</strong> B., Benitah J.P., Jaisser F. Conditional glucocorticoid<br />
receptor expression in the heart induces atrio-ventricular block. FASEB J., 2007, 21(12) :<br />
3133-41.<br />
Engblom D., Kornfeld J.W., Schwake L., Tronche F., Reimann A., Beug H.,<br />
Hennighausen L., Moriggl R., Schütz G.. Direct glucocorticoid receptor-Stat5<br />
interaction in hepatocytes controls body size and maturation-related gene expression. Genes<br />
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Tuckermann J.P., Kleiman A., Moriggl R., Spanbroek R., Neumann A., Illing A.,<br />
Clausen B.E., Stri<strong>de</strong> B., Forster I., Habenicht A.J., Reichardt H.M., Tronche F.,<br />
Schmid W., Schütz G. Macrophages and neutrophils are the targ<strong>et</strong>s for immune suppression<br />
by glucocorticoids in contact allergy. J. Clin. Invest., 2007, 117 : 1381-1390.<br />
Lemberger T., Parlato R., Dassesse D., Westphal M., Casanova E., Turiault M.,<br />
Tronche F., Schiffmann S.N., Schütz G. Expression of Cre recombinase in<br />
dopaminoceptive neurons. BMC Neurosci., 2007, 3 ; 8 : 4.<br />
Muller O., Pra<strong>de</strong>rvand S., Berger S., Centeno G., Mil<strong>et</strong> A., Nicod P.,<br />
Pedrazzini T., Tronche F., Schütz G., Chien K., Rossier B.C., Firsov D. I<strong>de</strong>ntification<br />
of corticosteroid-regulated genes in cardiomyocytes by serial analysis of gene expression.<br />
Genomics, 2007, 89 : 370-377.
960 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
Equipe Tassin : publications 2007-2008<br />
Salomon L., Lanteri C., Go<strong>de</strong>heu G., Blanc G., Gingrich J., Tassin J.P. Paradoxical<br />
constitutive behavioral sensitization to amph<strong>et</strong>amine in mice lacking 5-HT(2A) receptors.<br />
Psychopharmacology (Berl), 2007, 194 : 11-20.<br />
Tassin J.P. Neurobiologie <strong>de</strong> l’addiction : Proposition d’un nouveau concept. In :<br />
« Neurosciences en 2007 ». L’information Psychiatrique, 2007, vol. 83, 91-97.<br />
Tassin J.P., Torrens Y., Salomon L., Lanteri C., Seeman P. Elevated dopamine<br />
D2(High) receptors in alpha-1b-adrenoceptor knockout supersensitive mice. Synapse, 2007,<br />
61 : 569-72.<br />
Tassin J.P. Uncoupling b<strong>et</strong>ween noradrenergic and serotonergic neurons as a molecular<br />
basis of stable changes in behavior induced by repeated drugs of abuse. Biochem Pharmacol.,<br />
2008, 75 : 85-97.<br />
Lanteri C., Salomon L., Glowinski J., Tassin J.P. Drugs of abuse specifically sensitize<br />
noradrenergic and serotonergic neurons via a non dopaminergic mechanism.<br />
Neuropsychopharmacology, 2008, 33, 1724-1734.<br />
Lanteri C., Salomon L., Go<strong>de</strong>heu G., Douc<strong>et</strong> E., Torrens Y. and Tassin J.P.<br />
Inhibition of Monoamine Oxidases <strong><strong>de</strong>s</strong>ensitizes 5-HT1A receptor and allows Nicotine to<br />
induce a neurochemical and behavioral sensitization. Soumis.<br />
Communication jonctionnelle<br />
<strong>et</strong> interactions entre réseaux neuronaux <strong>et</strong> gliaux<br />
INSERM U840<br />
Directeur : D r Christian Giaume<br />
Les <strong>travaux</strong> <strong>de</strong> notre équipe ont porté sur différents aspects <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions entre<br />
neurones <strong>et</strong> cellules gliales, avec comme obj<strong>et</strong> principal d’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés <strong>et</strong><br />
le rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> jonctions communicantes entre cellules gliales dans <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions<br />
normales <strong>et</strong> pathologiques. Dans le système nerveux central, les connexines,<br />
protéines constituantes <strong><strong>de</strong>s</strong> jonctions communicantes (gap junctions), sont<br />
exprimées en gran<strong>de</strong> quantité dans les cellules gliales. Ces jonctions définissent une<br />
organisation en réseaux <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules communicantes, en particulier dans les<br />
astrocytes. Plus précisément, nos recherches se sont concentrées sur les interactions<br />
entre les circuits neuronaux <strong>et</strong> les réseaux astrogliaux dans <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions normales <strong>et</strong><br />
pathologiques.<br />
1. Régulation intracellulaire <strong><strong>de</strong>s</strong> canaux jonctionnels<br />
(Martine Tencé, Edwige Amigou, Pascal Ezan)<br />
Nous avons poursuivi l’i<strong>de</strong>ntification <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes intracellulaires responsables<br />
du contrôle <strong>de</strong> la communication jonctionnelle dans un modèle <strong>de</strong> culture primaire
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 961<br />
d’astrocytes. L’incubation <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules avec l’endothéline-1, la sphingosine-1phosphate<br />
ou <strong><strong>de</strong>s</strong> inhibiteurs métaboliques, traitements qui miment une inflammation<br />
ou une ischémie, induisent une inhibition totale <strong>de</strong> la communication. Celle-ci<br />
s’accompagne d’une déphosphorylation, par les serine/thréonine phosphatases PP2B<br />
<strong>et</strong> PP1/ PP2A, <strong>de</strong> la connexine43 (Cx43) présente dans les canaux jonctionnels <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
membranes. C<strong>et</strong>te déphosphorylation dépend d’une voie <strong>de</strong> signalisation médiée par<br />
une protéine Gi qui n’implique pas les protéines kinases ERK, p38, PI3-K ou ROCK.<br />
Les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> en immunofluorescence <strong>et</strong> microscopie confocale montrent que la Cx43<br />
membranaire est co-localisée avec ZO-1 <strong>et</strong> l’occludine. La Cx43 co-immunoprécipite<br />
avec ZO-1, indiquant que ces <strong>de</strong>ux protéines font partie d’un même échafaudage<br />
protéique. Enfin, récemment nous avons obtenu <strong><strong>de</strong>s</strong> données biochimiques suggèrant<br />
qu’une partie importante <strong><strong>de</strong>s</strong> Cx43 astrocytaires sont localisées dans les rafts qui<br />
constituent <strong><strong>de</strong>s</strong> domaines membranaires considérés comme <strong><strong>de</strong>s</strong> plateformes <strong>de</strong><br />
signalisation <strong>et</strong> impliqués dans l’internalisation <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs.<br />
2. Interactions entre compartiments neuronaux <strong>et</strong> réseaux astrocytaires<br />
dans les glomérules olfactifs (Lisa Roux)<br />
Les propriétés <strong>de</strong> communication entre astrocytes, <strong>et</strong> l’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> Cx43 <strong>et</strong><br />
Cx30, ont été étudiées dans les glomérules du bulbe olfactif. C<strong>et</strong>te région du<br />
cerveau a été choisie car les glomérules olfactifs sont caractérisés par une forte<br />
compartimentation anatomo-fonctionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones qui les composent. Nous<br />
avons cherché à définir comment s’organisent les réseaux astrocytaires dans ces<br />
compartiments neuronaux. Dans c<strong>et</strong>te structure, nous avons observé une expression<br />
différentielle <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux connexines astrocytaires Cx43 <strong>et</strong> Cx30, ainsi qu’une<br />
communication jonctionnelle favorisée dans les glomérules. Ces résultats indiquent<br />
que les réseaux astrocytaires présentent une organisation qui est étroitement liée à<br />
celle <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones. C<strong>et</strong>te observation nous a amené à poser la question d’un<br />
contrôle <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux astrocytaires par l’activité neuronale, pour cela<br />
<strong>de</strong>ux situations ont été considérées. A court terme (heures), la mise sous silence<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> neurones par la TTX diminue le nombre <strong>de</strong> cellules couplées. A long terme<br />
(semaines), l’occlusion d’une narine réduit l’activité <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones dans la couche<br />
glomérulaire <strong>et</strong> diminue l’inci<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> couplage.<br />
L’ensemble <strong>de</strong> ces observations indique que dans les glomérules olfactifs, les<br />
astrocytes forment <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux plastiques <strong>et</strong> dynamiques dont les propriétés sont<br />
contrôlées par l’activité neuronale. Par conséquent, ces réseaux pourraient contribuer<br />
à la définition d’un glomérule comme unité fonctionnelle.<br />
3. Réseaux métaboliques astrocytaires <strong>et</strong> activité synaptique dans<br />
l’hippocampe (Nathalie Rouach, Ulrike Pannasch, Mickael Derangeon)<br />
L’utilisation d’un dérivé fluorescent du glucose (2-NBDG) a permis la mise en<br />
évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> réseaux métaboliques astrocytaires dans la région CA1 <strong>de</strong> l’hippocampe.<br />
Leur étendue dépend <strong>de</strong> l’activité <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones puisqu’elle est réduite en présence
962 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
<strong>de</strong> TTX <strong>et</strong> augmentée lors <strong>de</strong> décharges <strong>de</strong> type épileptique, induites<br />
pharmacologiquement. C<strong>et</strong>te régulation fait intervenir le glutamate <strong>et</strong> les récepteurs<br />
<strong>de</strong> type AMPA. En absence <strong>de</strong> glucose dans le milieu extérieur, l’activité neuronale<br />
est progressivement supprimée. Cependant, c<strong>et</strong>te perte d’excitabilité peut-être<br />
maintenue en injectant le réseau astrocytaire avec du glucose ou du lactate. C<strong>et</strong>te<br />
propriété n’est pas observée en utilisant <strong><strong>de</strong>s</strong> souris transgéniques dans lesquelles<br />
l’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux connexines astrocytaires a été supprimée.<br />
Ces résultats démontrent que les réseaux astrocytaires peuvent pourvoir au<br />
soutien métabolique <strong>de</strong> l’activité neuronale en perm<strong>et</strong>tant le transfert <strong>de</strong> composés<br />
énergétiques <strong>de</strong>puis la circulation sanguine vers les neurones.<br />
4. Rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> connexines astrocytaires dans la mise en place <strong>et</strong> le maintien<br />
<strong>de</strong> la barrière hématoencéphalique (Martine Cohen-Salmon)<br />
Dans le cerveau, les astrocytes forment <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux fonctionnels sous-tendus par<br />
la présence <strong>de</strong> jonctions communicantes intercellulaires connexines Cx43 <strong>et</strong> Cx30.<br />
Nous avons montré que ces jonctions sont en particulier remarquablement<br />
concentrées au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> extensions astrocytaires périvasculaires, qui constituent<br />
un <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments <strong>de</strong> structure <strong>de</strong> la barrière hémato-encéphalique (BHE).<br />
Actuellement, nous nous posons la question du rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> Cx30 <strong>et</strong> Cx43 à l’interface<br />
gliovasculaire au niveau <strong>de</strong> laquelle les pieds astrocytaires entourent les vaisseaux<br />
sanguins. L’injection intrajugulaire <strong>de</strong> peroxidase (horse raddish peroxidase,<br />
MW 40 000 Kda) chez <strong><strong>de</strong>s</strong> souris délétées en Cx30 montre que la BHE <strong>de</strong> ces<br />
animaux est endommagée, en particulier au niveau <strong>de</strong> l’hippocampe, du thalamus<br />
<strong>et</strong> du striatum. Par ailleurs, une étu<strong>de</strong> du transcriptôme dans l’hippocampe <strong>de</strong> ces<br />
souris montre <strong><strong>de</strong>s</strong> dérégulations <strong>de</strong> l’expression <strong>de</strong> plusieurs gènes impliqués dans<br />
la physiologie du système vasculaire. Une approche i<strong>de</strong>ntique sur un modèle murin<br />
délété en Cx43 astrocytaire est actuellement en <strong>cours</strong>.<br />
Ces résultats démontrent que les jonctions communicantes astrocytaires sont<br />
impliquées directement dans le maintien <strong>de</strong> la BHE. Notre étu<strong>de</strong> se poursuit pour<br />
comprendre <strong>et</strong> i<strong>de</strong>ntifier les bases moléculaires <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te fonction.<br />
5. Changements d’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> connexines astrocytaires dans un modèle<br />
murin <strong>de</strong> maladie d’Alzheimer (Xin Mei, Pascal Ezan, Ann<strong>et</strong>te Koulakoff)<br />
Dans diverses atteintes cérébrales, aigues ou chroniques, <strong><strong>de</strong>s</strong> altérations<br />
différentielles d’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> connexines astrocytaires, qui dépen<strong>de</strong>nt du type <strong>de</strong><br />
lésion <strong>et</strong> du temps post-lésionnel, ont été décrites. Dans la maladie d’Alzheimer<br />
(MA), <strong><strong>de</strong>s</strong> dépôts <strong>de</strong> pepti<strong>de</strong> β-amyloi<strong>de</strong> (Aβ) s’accumulent dans le cortex <strong>et</strong><br />
l’hippocampe <strong><strong>de</strong>s</strong> patients où ils forment <strong><strong>de</strong>s</strong> lésions caractéristiques, les plaques<br />
séniles. Des lésions semblables se développent dans <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles murins <strong>de</strong> MA,<br />
en particulier dans <strong><strong>de</strong>s</strong> souris double transgéniques APP/PS1, qui portent <strong>de</strong>ux<br />
mutations rencontrées dans <strong><strong>de</strong>s</strong> cas familiaux <strong>de</strong> MA. Dans ce modèle, nous avons<br />
analysé la distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux connexines astrocytaires, Cx43 <strong>et</strong> Cx30, par une
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 963<br />
approche immunohistochimique en microscopie confocale sur coupes <strong>de</strong> cerveau,<br />
puis quantifié leur expression. A 2 mois, comme chez les souris contrôle, ces souris<br />
ne présentent ni activation gliale, ni dépôt Aβ <strong>et</strong> la distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> Cx43 <strong>et</strong> Cx30<br />
est similaire au tissu contrôle. Dès le quatrième mois, <strong><strong>de</strong>s</strong> dépôts Aβ entourés <strong>de</strong><br />
microglies activées <strong>et</strong> d’astrocytes réactifs GFAP+ apparaissent dans le cortex <strong>et</strong><br />
l’hippocampe <strong>et</strong> leur nombre augmente avec l’âge. Au niveau <strong>de</strong> ces plaques,<br />
l’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux connexines, examinée à 4 <strong>et</strong> 6 mois, est modifiée dans les<br />
prolongements astrocytaires qui infiltrent les plaques : augmentée dans la majorité<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> plaques (75 % pour Cx30, 90 % pour Cx43), mais dans 5 % d’entre elles, une<br />
diminution d’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux Cxs est observée, préférentiellement dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
plaques <strong>de</strong> p<strong>et</strong>ite taille. Des doubles marquages Cx30/Cx43 montrent dans la<br />
majorité <strong><strong>de</strong>s</strong> plaques (70 %) une régulation parallèle <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux Cxs. Les conséquences<br />
fonctionnelles <strong>de</strong> ces modifications d’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> Cx43 <strong>et</strong> Cx30 sur l’étendue<br />
du réseau astrocytaire <strong>et</strong>/ou l’activation locale d’hémicanaux, susceptibles d’interférer<br />
avec la survie neuronale dans c<strong>et</strong>te pathologie, sont en <strong>cours</strong> d’étu<strong>de</strong>.<br />
Publications<br />
Nadrigny F., Li D., Kemnitz K., Ropert N., Koulakoff A., Rudolph S., Vitali M.,<br />
Giaume C., Kirchhoff F. and Oheim M. (2007) Systematic colocalization errors b<strong>et</strong>ween<br />
acridine orange and EGFP in astrocyte vesicular organelles. Biophys. J., 93 : 969-980.<br />
Giaume C., Kirchhoff F., Matute C., Reichenbach A. and Verkhratsky A. (2007)<br />
Glia : the fulcrum of brain diseases. Cell Death Differ., 14 : 1324-1335.<br />
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astrocytic n<strong>et</strong>works in the mouse barrel cortex. Journal of Neuroscience, 28 : 5207-17.<br />
R<strong>et</strong>amal M.A., Froger N., Palacios-Prado N., Ezan P., Sáez P.J., Sáez J.C., Giaume C.<br />
(2007) Cx43 hemichannels and gap junction channels in astrocytes are regulated oppositely<br />
by proinflammatory cytokines released from activated microglia. Journal of Neuroscience,<br />
27 : 13781-92.<br />
Li D., Ropert N., Koulakoff A., Giaume C., Oheim M. (2008) Lysosomes are the<br />
major vesicular compartment un<strong>de</strong>rgoing Ca 2+ -regulated exocytosis from cultured cortical<br />
astrocytes. Journal of Neuroscience, 28 : 7648-58.<br />
Herrero-González S., Valle-Casuso J.C., Sánchez-Alvarez R., Giaume C.,<br />
Medina J.M., Tabernero A. (2008) Connexin43 is involved in the effect of endothelin-1<br />
on astrocyte proliferation and glucose uptake. Glia (sous presse).<br />
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30 and Connexin 43 in mouse cortical astrocytes. Glia, 56 : 1299-311.
964 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
Dynamique <strong>et</strong> physiopathologie <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux neuronaux<br />
(Inserm U 667)<br />
Responsable : Jean-Michel Deniau<br />
Nos recherches portent sur les ganglions <strong>de</strong> la base, structures sous corticales<br />
impliquées dans le contrôle adaptatif du comportement. Connectées au système<br />
limbique <strong>et</strong> aux centres <strong>de</strong> planification <strong>et</strong> d’exécution motrice, les ganglions <strong>de</strong> la<br />
base participent à la sélection <strong><strong>de</strong>s</strong> actions appropriées au contexte environnemental<br />
en tenant compte <strong>de</strong> facteurs motivationnels <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’expérience passée. Le<br />
dysfonctionnement pathologique <strong><strong>de</strong>s</strong> ganglions <strong>de</strong> la base est responsable <strong>de</strong><br />
troubles moteurs <strong>et</strong> cognitifs. Dans une perspective à la fois fondamentale<br />
<strong>et</strong> thérapeutique, notre groupe étudie les propriétés fonctionnelles normales <strong>et</strong><br />
pathologiques <strong>de</strong> ces réseaux neuronaux.<br />
Interactions synaptiques <strong>et</strong> transfert <strong><strong>de</strong>s</strong> informations corticales<br />
dans le striatum (E. Fino, C. Gras, V. Paillé, V. Goubard, C. Bosch, L. Venance)<br />
Interactions entre neurones striataux<br />
Le striatum est la structure d’accès <strong><strong>de</strong>s</strong> informations corticales aux ganglions <strong>de</strong><br />
la base. Les neurones <strong>de</strong> projection striataux (NETM, neurones épineux <strong>de</strong> taille<br />
moyenne), sont interconnectés par <strong><strong>de</strong>s</strong> synapses chimiques <strong>et</strong> électriques. Afin <strong>de</strong><br />
déterminer l’organisation <strong>de</strong> ces interactions locales par rapport à l’organisation<br />
anatomo-fonctionnelle du striatum, nous utilisons <strong><strong>de</strong>s</strong> souris D1/EGFP <strong>et</strong> D2/<br />
EGFP (Gensat Project) qui perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> visualiser les NETM exprimant les<br />
récepteurs dopaminergiques <strong>de</strong> type D1 ou D2. Les NETM engagés dans les <strong>de</strong>ux<br />
circuits <strong>de</strong> sortie du striatum, les voies directe <strong>et</strong> indirecte expriment respectivement<br />
les récepteurs D1 <strong>et</strong> D2. Par <strong><strong>de</strong>s</strong> enregistrements en double patch-clamp sur<br />
tranches <strong>de</strong> cerveau, nous avons montré que les NETM <strong>de</strong> la voie directe <strong>et</strong> ceux<br />
<strong>de</strong> la voie indirecte sont couplés par <strong><strong>de</strong>s</strong> synapses GABAergiques unidirectionnelles.<br />
Par ailleurs, nous étudions l’impact <strong><strong>de</strong>s</strong> interneurones striataux sur le transfert <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
informations cortico-striatales.<br />
Interactions neurone-glie <strong>et</strong> transfert cortico-striatal<br />
Le concept <strong>de</strong> synapse tripartite (éléments pré-, post-synaptiques <strong>et</strong> gliaux)<br />
reconnaît aux cellules gliales un rôle majeur dans la transmission synaptique. D’un<br />
point <strong>de</strong> vue thérapeutique, il est important <strong>de</strong> considérer l’état du réseau glial car,<br />
assurant le lien entre le milieu intérieur <strong>et</strong> les neurones, les cellules gliales participent<br />
à l’acheminement <strong>de</strong> molécules métaboliques ou thérapeutiques vers le réseau<br />
neuronal. Par <strong><strong>de</strong>s</strong> enregistrements en double patch-clamp d’un astrocyte <strong>et</strong> d’un<br />
NETM associés à une stimulation corticale, nous avons enregistré <strong>et</strong> caractérisé<br />
pharmacologiquement les courants astrocytaires générés par le transport du
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 965<br />
glutamate <strong>et</strong> du GABA. Nous étudions désormais l’impact <strong>de</strong> ces transports gliaux<br />
sur la transmission <strong>et</strong> les plasticités synaptiques cortico-striatales, ainsi que les<br />
phénomènes <strong>de</strong> plasticité au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules gliales.<br />
Plasticité synaptique cortico-striatale <strong>de</strong> type « spike-timing <strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt-plasticity »<br />
(STDP)<br />
La rencontre quasi-coïnci<strong>de</strong>nte d’une activation pré-synaptique avec la rétropropagation<br />
d’un potentiel d’action dans l’arbre <strong>de</strong>ndritique, entraîne <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
changements d’efficacité synaptique à long terme. Classiquement, un décalage<br />
négatif <strong>de</strong> la stimulation post-synaptique par rapport à celle pré-synaptique induit<br />
une dépression synaptique, tandis qu’un décalage positif induit une potentialisation.<br />
De manière surprenante, nous avons observé une plasticité « inverse » au niveau<br />
cortico-striatal : un décalage négatif induit une potentialisation à long terme (LTP)<br />
<strong>et</strong> un décalage positif une dépression (LTD). C<strong>et</strong>te plasticité « inverse », observée<br />
pour la première fois chez les mammifères indique une spécificité du codage au<br />
niveau <strong>de</strong> l’axe cortico-striatal.<br />
En plus <strong><strong>de</strong>s</strong> NETM, le striatum est composé d’interneurones cholinergiques <strong>et</strong><br />
GABAergiques. Ces interneurones ont un poids synaptique important sur les NETM<br />
<strong>et</strong> moduleraient efficacement la transmission cortico-striatale. Nous avons montré<br />
que les interneurones striataux peuvent développer <strong>de</strong> puissantes plasticités synaptiques<br />
<strong>de</strong> type STDP <strong>et</strong> que celles-ci montrent <strong><strong>de</strong>s</strong> spécificités cellulaires. Les interneurones<br />
cholinergiques montrent une STDP « inverse », similaire à celle <strong><strong>de</strong>s</strong> NETM, tandis<br />
que les interneurones GABAergiques développent une STDP classique, similaire à<br />
celle décrite dans différentes structures du SNC <strong><strong>de</strong>s</strong> mammifères.<br />
Plasticité intrinsèque dans le cortex somatosensoriel<br />
<strong>et</strong> intégration sensorielle dans le circuit corticostriatal<br />
(S. Mahon, S. Charpier, M. Pidoux, J. Paz)<br />
Il est admis que les processus d’apprentissage <strong>et</strong> <strong>de</strong> mémorisation résultent <strong>de</strong><br />
modifications « expérience-dépendante » dans la force <strong><strong>de</strong>s</strong> connexions synaptiques.<br />
Des étu<strong><strong>de</strong>s</strong> in vitro ont révélé que l’excitabilité intrinsèque neuronale peut être<br />
modifiée durablement par l’activité préalable, suggérant un rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés<br />
électriques non synaptiques dans les mécanismes <strong>de</strong> mémorisation. L’existence<br />
d’une telle plasticité intrinsèque <strong>et</strong> ses propriétés d’induction <strong>et</strong> d’expression dans<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> conditions physiologiques restaient à préciser. Par <strong><strong>de</strong>s</strong> enregistrements<br />
intracellulaires in vivo chez le rat, nous avons montré que <strong><strong>de</strong>s</strong> conditionnements<br />
cellulaires, « mimant » l’activité <strong>de</strong> décharge naturelle <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones du cortex<br />
somatosensoriel, induisaient <strong><strong>de</strong>s</strong> changements durables dans l’excitabilité intrinsèque<br />
<strong>de</strong> ces cellules. C<strong>et</strong>te plasticité intrinsèque s’exprimait <strong>de</strong> manière bidirectionnelle<br />
(dépression ou potentialisation) en modifiant l’intensité du courant liminaire<br />
(« seuil ») pour le déclenchement <strong>de</strong> potentiels d’action, ou la pente <strong>de</strong> la relation
966 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
courant injecté-fréquence moyenne <strong>de</strong> décharge (« gain »). Ces modifications<br />
d’excitabilité pouvaient favoriser la genèse <strong>de</strong> potentiels d’action sur les réponses<br />
évoquées par <strong><strong>de</strong>s</strong> stimulations naturelles <strong><strong>de</strong>s</strong> vibrisses sans modifier la force<br />
synaptique.<br />
Rôle du cortex somatosensoriel dans la genèse <strong><strong>de</strong>s</strong> crises d’absence<br />
(S. Charpier, S. Mahon, PO. Polack)<br />
Nous étudions les mécanismes <strong>de</strong> déclenchement <strong>et</strong> <strong>de</strong> contrôle <strong><strong>de</strong>s</strong> épilepsiesabsences<br />
en utilisant le rat GAERS (Gen<strong>et</strong>ic Absence Epilepsy Rats from Strasbourg)<br />
comme modèle expérimental. Nous avons mis en évi<strong>de</strong>nce que les neurones du<br />
cortex somatosensoriel présentent <strong><strong>de</strong>s</strong> décharges épileptiques précédant celles <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
autres neurones corticaux <strong>et</strong> thalamiques. Par <strong><strong>de</strong>s</strong> blocages pharmacologiques <strong>de</strong><br />
l’activité du cortex somatosensoriel <strong>et</strong> <strong>de</strong> régions corticales distantes, nous avons<br />
montré que la région faciale du cortex somatosensoriel était suffisante <strong>et</strong> nécessaire<br />
pour initier les crises, démontrant ainsi que c<strong>et</strong>te région corticale constitue un<br />
véritable « foyer » épileptique. De plus, les drogues « anti-absence » utilisées en<br />
clinique humaine pouvaient « convertir » les neurones ictogéniques du foyer en<br />
neurones « normaux ».<br />
synchronisation excessive dans la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> fréquence bêta<br />
<strong>et</strong> interruption <strong>de</strong> la transmission dopaminergique<br />
(B. Degos, N. Maurice)<br />
Chez les patients parkinsoniens comme dans les modèles animaux <strong>de</strong> la maladie,<br />
on note une synchronisation excessive <strong>de</strong> l’activité électro-encéphalographique<br />
(EEG) dans la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> fréquence bêta (15-35 Hz). Il a été proposé que c<strong>et</strong>te<br />
synchronisation excessive joue un rôle central dans la mise en place <strong>de</strong> l’akinésie<br />
parkinsonienne.<br />
Nous avons révélé que la synchronisation excessive dans la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> fréquence<br />
bêta apparaît <strong>de</strong> façon progressive <strong>et</strong> r<strong>et</strong>ardée suite à la lésion <strong><strong>de</strong>s</strong> neurones<br />
dopaminergiques <strong>de</strong> la substance noire. L’expression <strong>de</strong> ce phénomène dépend <strong>de</strong><br />
l’état <strong>de</strong> vigilance <strong>de</strong> l’animal. Elle apparait durant l’éveil <strong>et</strong> le sommeil paradoxal,<br />
mais jamais durant le sommeil lent. Nous avons démontré pour la première fois<br />
un décalage temporel n<strong>et</strong> entre la mise en place <strong>de</strong> l’akinésie, observée dès le<br />
premier jour post-lésionnel, <strong>et</strong> la synchronisation excessive dans la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
fréquence bêta qui nécessite plusieurs jours pour apparaître. La synchronisation<br />
excessive dans la ban<strong>de</strong> bêta était plus forte dans le cortex moteur que dans le<br />
cortex somatosensoriel <strong>et</strong> chez les animaux lésés unilatéralement par rapport aux<br />
animaux lésés bilatéralement. C<strong>et</strong>te synchronisation excessive était accompagnée<br />
par une augmentation <strong>de</strong> cohérence entre l’activité <strong><strong>de</strong>s</strong> cortex moteur <strong>et</strong><br />
somatosensoriels.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 967<br />
Ces données suggèrent que l’hyper-synchronisation bêta est générée par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
processus <strong>de</strong> plasticité dont le dé<strong>cours</strong> temporel est r<strong>et</strong>ardé par rapport à l’akinésie.<br />
Ce phénomène ne reflète pas uniquement les changements plastiques induits par<br />
l’interruption <strong>de</strong> la transmission dopaminergique au sein <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux reliant le<br />
cortex cérébral aux ganglions <strong>de</strong> la base, mais traduit également l’état cérébral<br />
nécessaire à son expression.<br />
Rôle <strong><strong>de</strong>s</strong> interneurones cholinergiques <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> circuits locaux striataux<br />
dans la physiopathologie <strong><strong>de</strong>s</strong> ganglions <strong>de</strong> la base<br />
(M.L. Kemel, S. Pérez, V. Aliane, C. Deschamps)<br />
Impact <strong>de</strong> la dénervation dopaminergique nigro-striatale ou d’un traitement<br />
par la cocaïne sur l’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> MORs <strong>et</strong> la régulation enképhaline/MOR<br />
<strong>de</strong> la libération <strong>de</strong> l’acétylcholine<br />
Dans le territoire limbique du striatum, les récepteurs opioï<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> type mu<br />
(MORs) sont présents sur les neurones efférents <strong><strong>de</strong>s</strong> striosomes <strong>et</strong> les interneurones<br />
cholinergiques (Jabourian <strong>et</strong> al. 2005). L’expression <strong>de</strong> ces récepteurs est inversement<br />
régulée par la transmission dopaminergique : en absence <strong>de</strong> dopamine (DA), les<br />
neurones efférents n’expriment plus <strong>de</strong> MORs alors qu’ils sont toujours présents sur<br />
les interneurones cholinergiques. Une régulation inverse est obtenue en présence <strong>de</strong><br />
cocaïne qui provoque une augmentation <strong><strong>de</strong>s</strong> taux extracellulaires <strong>de</strong> DA. Les<br />
régulations enképhaline (ENK)/MORs <strong>de</strong> la libération <strong>de</strong> l’acétylcholine (ACh)<br />
sont en accord avec l’expression <strong><strong>de</strong>s</strong> MORs dans les différentes situations analysées.<br />
Interaction entre les régulations ENK/MOR <strong>et</strong> tachykinines/NK1 <strong>de</strong> la libération<br />
<strong>de</strong> l’ACh dans le territoire limbique/PF du striatum dorsal<br />
Les récepteurs NK1 aux tachykinines sont co-exprimés avec les MORs dans les<br />
interneurones cholinergiques du territoire limbique du striatum dorsal. Le blocage<br />
simultané <strong><strong>de</strong>s</strong> contrôles DA/D2 <strong>et</strong> ENK/MORs inhibiteurs <strong>de</strong> la transmission<br />
cholinergique a permis <strong>de</strong> révéler la facilitation tachykinines/NK1 <strong>de</strong> la libération<br />
<strong>de</strong> l’ACh via le sous-type du récepteur NK1, le « new NK1 sensitive » qui présente<br />
un profil pharmacologique particulier. Dans ce territoire, les tachykinines participent<br />
à l’hypercholinergie striatale observée lors <strong>de</strong> la dégénérescence du système nigrostrié.<br />
Les antagonistes ayant une bonne affinité pour le récepteur « new NK1<br />
sensitive » pourraient contribuer au rétablissement <strong>de</strong> ce déséquilibre.<br />
Ces données montent le rôle important que jouent les pepti<strong><strong>de</strong>s</strong>, opioï<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong><br />
tachykinines, dans le contrôle <strong>de</strong> la « balance DA-ACh » au niveau du striatum<br />
dorsal <strong>et</strong> tout particulièrement lors <strong>de</strong> l’altération <strong>de</strong> la transmission dopaminergique.<br />
Ils pourraient être à l’origine <strong>de</strong> nouvelles perspectives thérapeutiques dans le<br />
traitement symptomatique <strong>de</strong> certaines pathologies associées au dysfonctionnement<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> ganglions <strong>de</strong> la base.
968 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
Modulation dopaminergique du transfert <strong><strong>de</strong>s</strong> informations<br />
au niveau du cortex préfrontal (CPF)<br />
Les comportements ciblés résultent du transfert d’informations à partir d’aires<br />
sous-corticales sensorielles <strong>et</strong> limbiques vers le cortex préfrontal où elles sont<br />
intégrées <strong>et</strong> transférées vers les aires motrices pour l’accomplissement d’un<br />
comportement donné.<br />
Après avoir établi <strong><strong>de</strong>s</strong> critères d’i<strong>de</strong>ntification électrophysiologique <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
interneurones du CPF, nous avons montré que l’hippocampe active directement<br />
les interneurones préfrontaux qui en r<strong>et</strong>our court-circuitent l’activité <strong><strong>de</strong>s</strong> cellules<br />
pyramidales par un mécanisme d’inhibition directe. Nous avons pour la première<br />
fois in vivo révélé l’eff<strong>et</strong> induit par l’application <strong>de</strong> DA ou la stimulation <strong>de</strong> l’aire<br />
tegmentale ventrale (ATV) sur l’activité <strong><strong>de</strong>s</strong> interneurones du PFC. L’application<br />
iontophorétique <strong>de</strong> DA ou la stimulation <strong>de</strong> l’ATV réduit la fréquence <strong>de</strong> décharge<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> interneurones <strong>et</strong> c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> implique les récepteurs D1 <strong>et</strong> D2. C<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> dépresseur<br />
est parfois bloqué par un antagoniste <strong><strong>de</strong>s</strong> récepteurs GABAA, suggérant que la DA<br />
peut agir au niveau post-synaptique, mais également pré-synaptique. Nous avons<br />
étudié l’eff<strong>et</strong> modulateur <strong>de</strong> la DA sur les entrées issues <strong>de</strong> l’hippocampe.<br />
L’application locale <strong>de</strong> DA ou la stimulation <strong>de</strong> l’ATV réduit l’intensité <strong>de</strong> la<br />
réponse excitatrice évoquée au niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> interneurones (probabilité <strong>de</strong> décharge<br />
<strong>et</strong> nombre <strong>de</strong> potentiels d’action par réponse). C<strong>et</strong>te réduction d’intensité est<br />
souvent accompagnée par une focalisation temporelle <strong>de</strong> la réponse.<br />
Ces résultats suggèrent que les processus d’inhibition directe au niveau du CPF<br />
concourent à une augmentation du rapport signal-bruit, <strong>et</strong> la modulation<br />
dopaminergique <strong>de</strong> la réponse <strong><strong>de</strong>s</strong> interneurones aux afférences hippocampiques<br />
entraîne une plus gran<strong>de</strong> précision temporelle <strong><strong>de</strong>s</strong> signaux inhibiteurs. D’un point<br />
<strong>de</strong> vue pathologique, l’hypodopaminergie du CPF décrite dans la schizophrénie<br />
pourrait provoquer une perte <strong>de</strong> la modulation temporelle <strong>de</strong> l’activité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
interneurones <strong>et</strong> donc altérer les traitements cognitifs par les circuits préfrontaux.<br />
Bibliographie<br />
Fino, E., Glowinski, J., Venance, L. Effects of acute dopamine <strong>de</strong>pl<strong>et</strong>ion on the<br />
electrophysiological properties of striatal neurons. Neuroscience Research, 58, 30-316<br />
(2007).<br />
Polack, P.O., Guillemain I., Hu E., Deransart, C.V., Depaulis, A., Charpier, S.<br />
Deep layer somatosensory cortical neurons initiate spike and wave in a gen<strong>et</strong>ic mo<strong>de</strong>l of<br />
absence seizures. J Neurosci, 27 (24) 6590-6599 (2007).<br />
Perez, S., Soucy, A., Deniau, J.M., Kemel, M.L. Tachykinin regulation of cholinergic<br />
transmission in the limbic/prefrontal territory of the rat dorsal striatum : implication of new<br />
neurokinine 1-sensitive receptor binding and interaction with enkephalin/mu opioid<br />
receptor transmission. J Neurochem, 103 : 2153-2169 (2007).
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 969<br />
Fino, E., Deniau, J.M., Venance, L. Cell-specific spike-timing-<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt plasticity in<br />
GABAergic and cholinergic interneurons in corticostriatal rat brain slices. J Physiol, 586.1,<br />
265-282 (2008).<br />
Van<strong>de</strong>casteele, M., Glowinski, J., Deniau, J.M., Venance, L. Chemical transmission<br />
b<strong>et</strong>ween dopaminergic neuron pairs. Proc Natl Acad Sci USA, 105 n° 12, 4904-4909<br />
(2008).<br />
Degos, B., Deniau, J.M., Le Cam J., Mailly P., Maurice N. Evi<strong>de</strong>nce for a direct<br />
subthalamo-cortical loop circuit in the rat. Eur J Neurosci, 27, 2599-2610 (2008).<br />
Gras C., Amilhon B., Lepicard E., Poirel O., Vinatier J., Herbin M., Dumas S.,<br />
Tzavara E., Wa<strong>de</strong> M.R., Nomikos G., Hanoun N., Saurini F., Kemel M.L., Gasnier B.,<br />
Giros B., El Mestikawy S. The vesicular glutamate transporter VGLUT3 synergizes<br />
striatal ac<strong>et</strong>ylcholine tone. Nature Neuroscience, 1-9 (2008).<br />
Responsable : Xavier Jeunemaitre<br />
Gênes <strong>et</strong> pression artérielle<br />
INSERM 772 / <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
EQUIPE 1 – Responsable : Xavier Jeunemaitre<br />
Thème 1 : I<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> gènes <strong>et</strong> <strong>de</strong> variants impliqués<br />
dans la régulation du métabolisme hydrosodé, l’hypertension artérielle<br />
<strong>et</strong> ses conséquences vasculaires<br />
G. Beaurain, X. Jeunemaitre, H. Louis-dit-Picard, J. Perdu, P.F. Plouin,<br />
R. Vargas-Poussou, X. Zhou.<br />
L’objectif <strong>de</strong> notre proj<strong>et</strong> est d’i<strong>de</strong>ntifier <strong>de</strong> nouveaux gènes ou <strong>de</strong> nouveaux<br />
variants qui influencent <strong>de</strong> façon significative le métabolisme hydrosodé,<br />
l’hypertension artérielle (HTA) ou <strong><strong>de</strong>s</strong> pathologies vasculaires cause ou conséquence<br />
<strong>de</strong> l’HTA.<br />
En 2007-8, les résultats les plus significatifs concernent :<br />
1. La mise en place d’un PHRC hospitalier visant à rechercher les conséquences<br />
chez l’homme d’un polymorphisme fonctionnel <strong>de</strong> la protéine Nedd4-2, protéine<br />
impliquée dans la régulation du canal sodium épithélial. Le protocole s’effectue au<br />
CIC <strong>de</strong> l’HEGP <strong>et</strong> comprend une étu<strong>de</strong> en régime riche ou pauvre en Na+/K+,<br />
un test pharmacologique en aigu <strong>et</strong> en chronique (amilori<strong>de</strong>).<br />
2. La poursuite <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong> relations génotype-phénotype dans l’HTA<br />
essentielle, avec en particulier l’analyse du cortisol libre urinaire (5) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations<br />
responsables <strong>de</strong> pathologies du tubule rénal affectant la réabsorption hydro-sodée<br />
(32).
970 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
3. La poursuite <strong>de</strong> nos <strong>travaux</strong> sur la dysplasie fibromusculaire (DFM),<br />
artériopathie systémique pour le moment d’origine inconnue, cause classique<br />
d’HTA secondaire (37). Notre cohorte unique <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 350 cas <strong>de</strong> DFM a<br />
permis <strong>de</strong> <strong>de</strong> confirmer une agrégation familiale compatible avec un eff<strong>et</strong> gène<br />
majeur (14) <strong>et</strong> <strong>de</strong> tester <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes <strong>de</strong> la matrice extracellulaire. Une analyse<br />
protéomique différentielle sur <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus sains <strong>et</strong> pathologiques est en <strong>cours</strong>. Notre<br />
équipe mène <strong>de</strong>ux proj<strong>et</strong>s qui ont obtenus un financement du PHRC <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />
Fondation <strong>de</strong> Recherche en HTA en 2008. L’un porte sur la recherche <strong>de</strong> facteurs<br />
prédictifs d’évolution <strong>de</strong> la sévérité (protocole PHRC Profile), l’autre vise à obtenir<br />
une collection transversale supplémentaire <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 500 suj<strong>et</strong>s atteints (Etu<strong>de</strong><br />
Arcadia) avec l’objectif d’une étu<strong>de</strong> d’association pangénomique.<br />
4. La mise en place <strong>de</strong> réseaux européens sur l’HTA essentielle (Réseau<br />
Hypergenes, PI Prof. D. Cusi, Milan, Italie), sur les maladies rares rénales (Réseau<br />
Eunefron, PI Prof A Devuyst, Louvain Belgique) <strong>et</strong> sur les maladies artérielles<br />
aortiques disséquantes (FAD, J.B. Michel) financés par le FP7 <strong>et</strong> auxquels notre<br />
unité participe.<br />
Thème 2 : Gènes <strong>et</strong> pathologies héréditaires associées à l’aldostérone.<br />
S. Boulkroun, M. Caprio, E. Hubert, F.L. Fernan<strong><strong>de</strong>s</strong> Rosa, B. Samson-Couterie,<br />
S. Tareen, M.C. Zennaro<br />
L’aldostérone <strong>et</strong> le récepteur minéralocorticoï<strong>de</strong> (MR) jouent un rôle fondamental<br />
dans la régulation <strong>de</strong> la volémie <strong>et</strong> <strong>de</strong> la pression artérielle, dont les altérations<br />
aboutissent au pseudohypoaldostéronisme <strong>de</strong> type 1 (PHA1) <strong>et</strong> à l’hypertension<br />
artérielle (HTA). L’objectif <strong>de</strong> mon programme <strong>de</strong> recherche est d’explorer les<br />
mécanismes génétiques sous-jacents aux pathologies liées à l’aldostérone.<br />
La coordination d’un réseau clinique <strong>et</strong> <strong>de</strong> recherche sur le PHA1, PHA1NET<br />
(GIS–maladies rares), qui est partie intégrante du réseau MARHEA (AP-HP), a<br />
permis la mise en place du seul diagnostic génétique <strong>de</strong> routine du PHA1 en<br />
<strong>France</strong> (service <strong>de</strong> génétique, HEGP). Ce diagnostic comprend l’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> gènes<br />
NR3C2, SCNN1A, SCNN1B <strong>et</strong> SCNN1G ainsi que la détection <strong>de</strong> larges<br />
délétions <strong>de</strong> NR3C2 (15, 21). L’étu<strong>de</strong> fonctionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations du MR<br />
i<strong>de</strong>ntifiées est également réalisée <strong>et</strong> nous développons actuellement <strong>de</strong> nouveaux<br />
outils d’analyse ex vivo. Une étu<strong>de</strong> visant à explorer le système cardiovasculaire chez<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> patients adultes porteurs <strong>de</strong> mutations du MR est actuellement en <strong>cours</strong><br />
(PHRC 2007, coordinateur : Dr. B. Escoub<strong>et</strong>, CHU Bichat, Paris).<br />
L’analyse génétique <strong>de</strong> différentes cohortes <strong>de</strong> patients nous a permis <strong>de</strong> montrer<br />
que <strong><strong>de</strong>s</strong> SNP fonctionnels du gène NR3C2 codant pour le MR étaient impliqués<br />
à la fois dans la réabsorption sodée ou la réponse au stress <strong>et</strong> un état <strong>de</strong> dépression<br />
chez le suj<strong>et</strong> âgé.<br />
Enfin, nous avons mis en évi<strong>de</strong>nce le rôle clé du MR dans la différenciation<br />
adipocytaire, notamment dans les eff<strong>et</strong>s <strong><strong>de</strong>s</strong> hormones glucocorticoï<strong><strong>de</strong>s</strong>. Ces
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 971<br />
résultats ouvrent <strong><strong>de</strong>s</strong> perspectives originales pour <strong><strong>de</strong>s</strong> approches thérapeutiques <strong>de</strong><br />
l’obésité <strong>et</strong> du syndrome métabolique <strong>et</strong> sur l’interaction entre régulation <strong>de</strong> la<br />
balance sodée <strong>et</strong> différenciation adipocytaire (4).<br />
Thème 3 : Paragangliomes <strong>et</strong> Phéochromocytomes<br />
N. Burnichon, J. Favier, A.P. Gimenez-Roqueplo, B. d’Hayer, P.F. Plouin,<br />
J. Rivière.<br />
L’objectif <strong>de</strong> notre groupe <strong>de</strong> recherche est d’éluci<strong>de</strong>r les mécanismes moléculaires<br />
en cause dans la tumorigenèse <strong><strong>de</strong>s</strong> paragangliomes (PGL) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> phéochromocytomes<br />
(PH) SDH dépendants qui impliquent notamment le métabolisme mitochondrial <strong>et</strong><br />
les voies <strong>de</strong> réponse à l’hypoxie (25). En 2007-2008, nous avons poursuivi le<br />
développement <strong>de</strong> modèles expérimentaux, cellulaires <strong>et</strong> animaux, <strong>de</strong> la maladie.<br />
Nous disposons d’une lignée <strong>de</strong> cellules ES où le gène SDHB est inactivé, ainsi que<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> lignées <strong>de</strong> souris KO dans lesquelles le gène SDHB est inactivé soit dans les<br />
cellules germinales (KO ubiquitaire), soit <strong>de</strong> façon conditionnelle (KO tissuspécifique)<br />
uniquement dans les cellules dérivées <strong><strong>de</strong>s</strong> crêtes neurales. Nous avons<br />
développé les outils nécessaires à la caractérisation <strong>de</strong> ces modèles qui est en <strong>cours</strong>.<br />
Sur le plan clinique, nous avons participé à <strong>de</strong>ux étu<strong><strong>de</strong>s</strong> internationales. La première a<br />
révélé que <strong><strong>de</strong>s</strong> tumeurs gastro-intestinales sarcomateuses (GIST) pouvaient aussi être<br />
induites par <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations SDHs (11, 29). La secon<strong>de</strong> a montré que <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations<br />
du gène SDHD pouvaient aussi être associées à un phénotype malin (31). Enfin, les<br />
résultats <strong>de</strong> l’analyse du transcriptome par microarray <strong>et</strong> <strong>de</strong> la caractérisation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
pertes d’hétérozygotie par CGH-array <strong>de</strong> la collection PH/PGL du réseau COMETE<br />
qui ont été réalisés sur les plate-formes <strong>de</strong> la Ligue Nationale contre le Cancer<br />
(programme CIT-3) sont en <strong>cours</strong> d’analyse statistique.<br />
EQUIPE 2– Responsable Frédéric Jaisser<br />
Thème 1 : Rôle du récepteur minéralocorticoï<strong>de</strong> en physiologie<br />
cardiovasculaire<br />
V. Charhbili, N. Farman, F. Jaisser, C. Latouche, A. N’Guyen Dinh Cat,<br />
N. Panek-Hu<strong>et</strong>, C. Soukaseum, A. Zhang.<br />
Notre objectif est <strong>de</strong> définir le rôle <strong>de</strong> l’aldostérone (aldo) <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> glucocorticoï<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
(gluco) ainsi que <strong>de</strong> leurs récepteurs, les récepteurs minéralocorticoï<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong><br />
glucocorticoï<strong><strong>de</strong>s</strong> (RM <strong>et</strong> RG) dans les systèmes cardiovasculaire, rénal ou autre, en<br />
conditions physiologiques <strong>et</strong> pathologiques.<br />
En 2007-2008, nous avons abordé plusieurs points :<br />
— la surexpression conditionnelle du RG dans le cœur nous a permis d’établir : i)<br />
le rôle <strong>de</strong> l’activation du GR dans le cœur (induction <strong>de</strong> troubles <strong>de</strong> conduction<br />
majeurs, remo<strong>de</strong>lage ionique), 2) l’implication spécifique du RM <strong>et</strong> dans diverses<br />
fonctions cardiomyocytaires (contraction, rythme, remo<strong>de</strong>lage ionique) par
972 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
comparaison avec le modèle <strong>de</strong> surexpression du GR (17) ; ii) l’importance <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
interactions locales entre aldo <strong>et</strong> angiotensine II (travail soumis) ; iii) la signalisation<br />
spécifique RM/RG dans le cœur avec l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> gènes spécifiquement modulés<br />
par le RM dans le cœur, certains d’entre eux étant proposés comme biomarqueurs <strong>de</strong><br />
l’activation du RM (dépôt <strong>de</strong> brev<strong>et</strong> <strong>et</strong> étu<strong>de</strong> cliniques <strong>de</strong> validation en <strong>cours</strong>) ;<br />
— le rôle physiopathologique du couple aldo/RM dans différents organes cibles<br />
dit non-classiques comme les vaisseaux (endothélium <strong>et</strong> cellules musculaires lisses).<br />
Les résultats ont montré un eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’aldo sur la pression artérielle indépendamment<br />
<strong>de</strong> l’eff<strong>et</strong> rénal classique sur le contrôle <strong>de</strong> la balance hydrosodée. La modulation<br />
<strong>de</strong> la réactivité vasculaire, in vivo <strong>et</strong> ex vivo aux agents vasoconstricteurs que nous<br />
avons observée pourrait expliquer ces observations ;<br />
— le rôle nouveau <strong>de</strong> l’activation du MR dans les kératinocytes <strong>et</strong> le follicules<br />
pileux, démontrant un rôle jusqu’alors insoupçonné dans la physiologie cutanée<br />
(16).<br />
Thème 2 : Rôle <strong>de</strong> WNK1 en physiopathologie cardiovasculaire <strong>et</strong> rénale<br />
Sonia Bergaya, Emilie Elvira, Juli<strong>et</strong>te Hadchouel.<br />
L’Hypertension Hyperkaliémique Familiale (HHF) est une forme rare<br />
d’hypertension artérielle, autosomique dominante, associant hyperkaliémie, acidose<br />
métabolique hyperchlorémique <strong>et</strong> fonction rénale normale (Hadchouel J., J Am Soc<br />
Nephol 2006). Notre laboratoire a contribué à l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux premiers<br />
gènes responsables <strong>de</strong> la maladie : WNK1 <strong>et</strong> WNK4. Plusieurs étu<strong><strong>de</strong>s</strong> in vitro<br />
récentes ont montré que ces gènes peuvent réguler l’activité <strong>de</strong> plusieurs<br />
transporteurs <strong>et</strong> canaux du néphron distal.<br />
Nous avons montré que le gène WNK1 est à l’origine <strong>de</strong> plusieurs isoformes<br />
(Delaloy C., Mol Cell Biol. 2003). L’isoforme KS-WNK1, dépourvue d’activité<br />
kinase, est exprimée spécifiquement dans le tubule contourné distal (DCT) <strong>et</strong> le<br />
tubule connecteur. Les isoformes L-WNK1 possè<strong>de</strong>nt une activité kinase <strong>et</strong> sont<br />
exprimées <strong>de</strong> façon ubiquitaire, en particulier dans le système cardiovasculaire<br />
(Delaloy C, Am J Pathol. 2006). Les mutations i<strong>de</strong>ntifiées chez les patients HHF au<br />
locus WNK1 sont <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> délétions <strong>de</strong> l’intron 1 (41 <strong>et</strong> 22 kb sur un intron qui<br />
en fait 60) (Delaloy C., Hypertension 2005). Grâce à un modèle transgénique, nous<br />
avons montré que L-WNK1 <strong>et</strong> KS-WNK1 sont surexprimés dans le néphron distal<br />
<strong>et</strong> que KS-WNK1 est exprimé <strong>de</strong> façon ectopique dans l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> tissus (Delaloy<br />
C., Hypertension 2008, accepté). Nous avons commencé à étudier le rôle <strong>de</strong> L-WNK1<br />
dans le système cardiovasculaire. Nos résultats préliminaires indiquent que L-WNK1<br />
jouent un rôle clé dans le développement cardiovasculaire <strong>et</strong> la régulation du tonus<br />
vasculaire. Nous avons également étudié le rôle <strong>de</strong> KS-WNK1 dans le rein <strong>et</strong> nos<br />
résultats préliminaires indiquent que, comme WNK4, c<strong>et</strong>te isoforme joue un rôle<br />
important dans la régulation du transport sodé au niveau du DCT.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 973<br />
Publications 2007<br />
1. Amar L., Baudin E., Burnichon N., Peyrard S., Silvera S., Bertherat J.,<br />
Bertagna X., Schlumberger M., Jeunemaitre X., Gimenez-Roqueplo A.P.*, Plouin<br />
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Jeunemaitre X.. Clin J Am Soc Nephrol. 2007 ; 2(2) : 320-5.<br />
3. Bri<strong>et</strong> M., Collin C., Laurent S., Tan A., Azizi M., Agharazii M., Jeunemaitre<br />
X., Alhenc-Gelas F., Boutouyrie P. Hypertension. 2007 ; 50(5) : 970-6.<br />
4. Caprio M., Feve B., Claes A., Viengchareun S., Lombes M., Zennaro M.C. Faseb<br />
J 2007 ; 21(9) : 2185-94.<br />
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J., Murphey L.J., Jeunemaitre X., Williams G.H. J Clin Endocrinol M<strong>et</strong>ab. 2007 ; 92(4) :<br />
1340-6<br />
6. Cazabat L., Libè R., Perlemoine K., René-Corail F., Burnichon N., Gimenez-<br />
Roqueplo A.P., Dupasquier-Fediaevsky L., Bertagna X., Clauser E., Chanson P.,<br />
Bertherat J., Raffin-Sanson M.L. Eur J Endocrinol. 2007 ; 157(1) : 1-8.<br />
7. Daly A.F., Vanbellinghen J.F., Khoo S.K., Jaffrain-Rea M.L., Naves L.A.,<br />
Guitelman M.A., Murat A., Emy P., Gimenez-Roqueplo A.P., Tamburrano G., Raverot<br />
G., Barlier A., De Her<strong>de</strong>r W., Penfornis A., Ciccarelli E., Estour B., Lecomte P.,<br />
Gatta B., Chabre O., Sabate M.I., Bertagna X., Garcia Basavilbaso N., Stall<strong>de</strong>cker G.,<br />
Colao A., Ferolla P., Wemeau J.L., Caron P., Sadoul J.L., On<strong>et</strong>o A., Archambeaud F.,<br />
Calen<strong>de</strong>r A., Sinilnikova O., Montanana C.F., Cavagnini F., Hana V., Solano A.,<br />
Del<strong>et</strong>tieres D., Luccio-Camelo D.C., Basso A., Rohmer V., Brue T., Bours V., Teh B.<br />
T., Beckers A. Aryl J Clin Endocrinol M<strong>et</strong>ab. 2007 ; 92 : 1891-6.<br />
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10. Kudo F.A., Muto A., Maloney S.P., Pimiento J.M., Bergaya S., Fitzgerald T.N.,<br />
Westvik T.S., Frattini J.C., Breuer C.K., Cha C.H., Nishibe T., Telli<strong><strong>de</strong>s</strong> G., Sessa W.<br />
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Carney-Stratakis Syndrome Consortium*. N Engl J Med. 2007 ; 357 : 1054-6.(* Pasini B.,<br />
McWhinney S.R., Bei T., Matyakhina L., Stergiopoulos S., Muchow M., Boikos S.A.,<br />
Ferrando B., Pacak K., Assie G., Baudin E., Chompr<strong>et</strong> A., Ellison J.W., Briere J.J., Rustin P.,<br />
Gimenez-Roqueplo A.P., Eng C., Carney, J.A., Stratakis C.A.)<br />
12. Messadi-Laribi E., Griol-Charhbili V., Pizard A., Vincent M.P., Heu<strong><strong>de</strong>s</strong> D.,<br />
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13. Pacak K., Eisenhofer G., Ahlman H., Bornstein S.R., Gimenez-Roqueplo A.P.,<br />
Grossman A.B., Kimura N., Mannelli M., McNicol A.M., Tischler A.S. Nat Clin<br />
Pract Endocrinol M<strong>et</strong>ab. 2007 ; 3 : 92-102.<br />
14. Perdu J., Boutouyrie P., Bourgain C., Stern N., Laloux B., Bozec E., Azizi<br />
M., Bonaiti-Pellié C., Plouin P.F., Laurent S., Gimenez-Roqueplo A.P., Jeunemaitre<br />
X. J Hum Hypertens. 2007 ; 21(5) : 393-400.<br />
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Zennaro M.C. Hum Mutat. 2007 ; 28(1) : 33-40.<br />
16. Sainte Marie Y., Toulon A., Paus R., Maubec E., Cherfa A., Grossin M.,<br />
Descamps V., Clemessy M., Gasc J.M., Peuchmaur M., Glick A., Farman N., Jaisser F.
974 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE<br />
Targ<strong>et</strong>ed Skin Overexpression of the Mineralocorticoid Am J Pathol. 2007 ; 171 (3) : 846-<br />
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17. Sainte-Marie Y., N’Guyen Dinh Cat A., Perrier R., Mangin L., Soukaseum C.,<br />
Peuchmaur M., Tronche F., Farman N., Escoub<strong>et</strong> B., Benitah J.P., Jaisser F. FASEB J.<br />
2007 ; 21 (12) : 3133-3141;<br />
18. Thouënnon E., Elkahloun A.G., Guillemot J., Gimenez-Roqueplo A.P.,<br />
Bertherat J., Pierre A., Ghzili H., Grumolato L., Muresan M., Klein M., Lefebvre H.,<br />
Ouafik L., Vaudry H., Plouin P.F., Yon L., Anouar Y. J Clin Endocrinol M<strong>et</strong>ab. 2007 ;<br />
92 : 4865-72.<br />
19. Wielpütz M.O., Lee I.H., Dinudom A., Boulkroun S., Farman N., Cook D.I.,<br />
Korbmacher C., Rauh R. J Biol Chem. 2007 21 ; 282(38) : 28264-73.<br />
20. Zhu L., Bonn<strong>et</strong> D., Boussion M., Vedie B., Sidi D., Jeunemaitre X. Cardiol<br />
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2008<br />
21. Belot A., Ranchin B., Fichtner C., Pujo L., Rossier B.C., Liutkus A.,<br />
Morlat C., Nicolino M., Zennaro M.C., Cochat P. Nephrol Dial Transplant. 2008 ;<br />
23(5) : 1636-41.<br />
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11(3) : 258-64.<br />
23. Gellen B., Fernán<strong>de</strong>z-Velasco M., Briec F., Vin<strong>et</strong> L., LeQuang K., Rou<strong>et</strong>-<br />
Benzineb P., Bénitah J.P., Pez<strong>et</strong> M., Palais G., Pellegrin N., Zhang A., Perrier R.,<br />
Escoub<strong>et</strong> B., Marniqu<strong>et</strong> X., Richard S., Jaisser F., Gómez A.M., Charpentier F.,<br />
Mercadier J.J. Circulation. 2008 ; 117(14) : 1778-86.<br />
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28. Loyer X., Gómez A.M., Milliez P., Fernan<strong>de</strong>z-Velasco M., Vangheluwe P.,<br />
Vin<strong>et</strong> L., Charue D., Vaudin E., Zhang W., Sainte-Marie Y., Robi<strong>de</strong>l E., Marty I.,<br />
Mayer B., Jaisser F., Mercadier J.J., Richard S., Shah A.M., Bénitah J.P., Samuel J.L.,<br />
Heymes C. Circulation. 2008 ; 117(25) : 3187-98.<br />
29. Pasini B., McWhinney S.R., Bei T., Matyakhina L., Stergiopoulos S.,<br />
Muchow M., Boikos S.A., Ferrando B., Pacak K., Assie G., Baudin E., Chompr<strong>et</strong> A.,<br />
Ellison J.W., Briere J.J., Rustin P., Gimenez-Roqueplo A.P.*, Eng C.*, Carney J.A.*,<br />
Stratakis C.A*. Eur J Hum Gen<strong>et</strong>. 2008 ; 16 : 79-88.<br />
30. Pons S., Griol-Charhbili V., Heymes C., Fornes P., Heu<strong><strong>de</strong>s</strong> D., Hagege A.,<br />
Loyer X., Men<strong>et</strong>on P., Giudicelli J.F., Samuel J.L., Alhenc-Gelas F., Richer C. Eur J<br />
Heart Fail. 2008 ; 10(4) : 343-51.<br />
31. Timmers H.J., Pacak K., Bertherat J., Len<strong>de</strong>rs J.W., Du<strong>et</strong> M., Eisenhofer G.,<br />
Stratakis C.A., Niccoli-Sire P., Huy P.T., Burnichon N., Gimenez-Roqueplo A.P.<br />
Clin Endocrinol (oxf). 2008 ; 68(4) : 561-6.<br />
32. Vargas-Poussou R., Cochat P., Le Pottier N., Roncelin I., Liutkus A.,<br />
Blanchard A., Jeunemaître X. Pediatr Nephrol. 2008 Jan ; 23(1) : 149-53.
Revues <strong>et</strong> Ouvrages<br />
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 975<br />
33. Gimenez-Roqueplo A.P., Froissart M., Halimi P. Hernigou 2007 Paragangliomes.<br />
Dans Traité d’Endocrinologie, p. 387-91, Mé<strong>de</strong>cine-Sciences Flammarion éditeur.<br />
34. Gimenez-Roqueplo A.P., Amar L., Jeunemaitre X., Plouin P.F. 2007<br />
Phéochromocytome : données récentes. Dans Cardiologie <strong>et</strong> maladies vasculaires, p. 417-9,<br />
édité sous l’égi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Société Française <strong>de</strong> Cardiologie.<br />
35. Nguyen D.C., Sainte-Marie Y., Jaisser F.. Animal mo<strong>de</strong>ls in cardiovascular<br />
diseases : new insights from conditional mo<strong>de</strong>ls. Handb Exp Pharmacol. 2007 ; (178) : 377-<br />
405.<br />
36. Plouin P.F., Perdu J., La Bati<strong>de</strong>-Alanore A., Boutouyrie P., Gimenez-Roqueplo<br />
A.P., Jeunemaitre X. Fibromuscular dysplasia. Orphan<strong>et</strong> J Rare Dis. 2007 Jun 7 ; 2 : 28.<br />
37. Messadi-Laribi E., Griol-Charhbili V., Gaies E., Vincent M.P., Heu<strong><strong>de</strong>s</strong> D.,<br />
Men<strong>et</strong>on P., Alhenc-Gelas F., Richer C. Cardioprotection and kallikrein-kinin system<br />
in acute myocardial ischaemia in mice. Clin Exp Pharmacol Physiol. 2008 35(4) :<br />
489-93. Re.
MAÎTRES DE CONFÉRENCES<br />
ET ATTACHÉS TEMPORAIRES D’ENSEIGNEMENT<br />
ET DE RECHERCHE (ATER)<br />
RATTACHÉS AU COLLÈGE DE FRANCE EN 2007-2008<br />
Jean-Baptiste Amadieu, ATER, chaire <strong>de</strong> Littératures mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’Europe néolatine.<br />
Au<strong>de</strong> Bandini, ATER, chaire <strong>de</strong> Philosophie du langage <strong>et</strong> <strong>de</strong> la connaissance.<br />
Mélanie Baroni, ATER, chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan.<br />
Fabrice Bessiere, ATER, chaire <strong>de</strong> Religion, institutions <strong>et</strong> société <strong>de</strong> la Rome antique.<br />
Philipp Böning, ATER, chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan.<br />
Estelle Bourdon, ATER, chaire <strong>de</strong> Biologie historique <strong>et</strong> évolutionnisme.<br />
Jacques Bout<strong>et</strong> <strong>de</strong> Monvel, maître <strong>de</strong> conférences associé, chaire <strong>de</strong> Génétique <strong>et</strong><br />
physiologie cellulaire.<br />
Sophie Cal<strong>de</strong>rari, ATER, chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine expérimentale.<br />
Florent Carn, ATER, chaire <strong>de</strong> Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée.<br />
Thierry Chatelain, ATER, chaire d’Épigraphie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> cites grecques.<br />
Clau<strong>de</strong> Chevaleyre, ATER, chaire d’Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne.<br />
Cédric Claperon, ATER, équipe <strong>de</strong> Neuropepti<strong><strong>de</strong>s</strong> centraux <strong>et</strong> régulations hydrique <strong>et</strong><br />
cardiovasculaire.<br />
Igor Dotsenko, maître <strong>de</strong> conférences associé, chaire <strong>de</strong> Physique quantique.<br />
Jean-Clau<strong>de</strong> Dupont, ATER, chaire <strong>de</strong> Philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences biologiques <strong>et</strong><br />
médicales.<br />
Raphaël Etournay, ATER, chaire Génétique <strong>et</strong> physiologie cellulaire.<br />
Judith Favier, ATER, équipe <strong>de</strong> Gènes <strong>et</strong> pression artérielle, institut <strong>de</strong> biologie.<br />
Elodie Fino, ATER, laboratoire <strong>de</strong> Dynamique <strong>et</strong> physio-pathologie <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux<br />
neuronaux.<br />
Luc Foubert, ATER, laboratoire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action
978 MAÎTRES DE CONFÉRENCES ET ATER<br />
Isabelle Fouchard, ATER, chaire d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives <strong>et</strong><br />
internationalisation du droit.<br />
Claire Gren<strong>et</strong>, ATER, chaire d’Épigraphie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> cites grecques.<br />
Wouter Henkelman, maître <strong>de</strong> conférences associé, chaire d’Histoire <strong>et</strong> civilisation<br />
du mon<strong>de</strong> achéméni<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’empire d’Alexandre.<br />
Halim Hicheur, ATER, laboratoire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action.<br />
Karim Hnia, ATER, chaire <strong>de</strong> Génétique humaine.<br />
Hana Jaber, ATER, chaire d’Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine du politique.<br />
Tobias Jäger, maître <strong>de</strong> conférences associé, chaire d’Équations différentielles <strong>et</strong><br />
systèmes dynamiques.<br />
Marc Kirsch, maître <strong>de</strong> conférences associé, chaire <strong>de</strong> Philosophie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
concepts scientifiques.<br />
Hélène Lan<strong>de</strong>more, ATER, chaire <strong>de</strong> Rationalité <strong>et</strong> sciences sociales.<br />
Jing-Yi Lin, ATER, chaire <strong>de</strong> Géodynamique.<br />
Alessandro Mancuso, maître <strong>de</strong> conférences associé, chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la<br />
nature.<br />
Dimitri Mavridis, ATER, chaire <strong>de</strong> Théorie économique <strong>et</strong> organisation sociale.<br />
Édouard M<strong>et</strong>enier, ATER, chaire d’Histoire contemporaine du mon<strong>de</strong> arabe.<br />
Sébastien Parnau<strong>de</strong>au, ATER, institut <strong>de</strong> biologie.<br />
Alexandre Poug<strong>et</strong>, maître <strong>de</strong> conférences associé, équipe <strong>de</strong> Neurosciences<br />
théoriques.<br />
Sarah Rey, ATER, chaire d’Antiquités nationales.<br />
Yves Ruff, ATER, chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions moléculaires.<br />
Jean-Jacques Rosat, maître <strong>de</strong> conférences associé, chaire <strong>de</strong> Philosophie du langage<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> la connaissance.<br />
Isabelle Sach<strong>et</strong>, ATER, laboratoire <strong><strong>de</strong>s</strong> Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> sémitiques anciennes.<br />
Lucia Sau<strong>de</strong>lli, ATER, chaire d’Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> syncrétismes <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> l’Antiquité.<br />
Marie Wattenhofer-Donze, ATER, chaire <strong>de</strong> Génétique humaine.<br />
Xavier Wertz, ATER, chaire d’Immunologie moléculaire.<br />
Cédric Yvinec, ATER, chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la nature.
PERSONNEL<br />
DU COLLÈGE DE FRANCE<br />
Professeurs titulaires<br />
Artavanis-Tsakonas Spyros.<br />
Bard Édouard, [a].<br />
Berthoz Alain, [a, O. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Bouveresse Jacques.<br />
Briant Pierre, ["].<br />
Brun<strong>et</strong> Michel, [a, O. l, O. "].<br />
Chartier Roger.<br />
Cheng Anne, [a].<br />
Compagnon Antoine, [a, O. "].<br />
Connes Alain, membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Corvol Pierre, [C. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Dehaene Stanislas, [l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Delmas-Marty Mireille, [C. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences<br />
morales <strong>et</strong> politiques.<br />
Descola Philippe, [a, O. l, "].<br />
Devor<strong>et</strong> Michel.<br />
Durand Jean-Marie, [a, O. "].<br />
Edwards Michael.<br />
Elster Jon.<br />
Fagot-Largeault Anne, [O. a, O. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Fussman Gérard.<br />
Goudineau Christian, [O. a].<br />
Grimal Nicolas, [a, l, "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions<br />
<strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres.<br />
Guesnerie Roger, [a, l].<br />
Haroche Serge, [O. a], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.
980 PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE<br />
Kellens Jean.<br />
Knoepfler Denis.<br />
Kourilsky Philippe, [O. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Labeyrie Antoine, [l].<br />
Laurens Henry.<br />
Lehn Jean-Marie, [C. a, l, "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Le Pichon Xavier, [O. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Lions Pierre-Louis, [O. a]membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Livage Jacques, [a], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Man<strong>de</strong>l Jean-Louis, [a].<br />
Ossola Carlo.<br />
P<strong>et</strong>it Christine, [a, O. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Prochiantz Alain.<br />
Recht Roland, [O. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres.<br />
Ricqlès Armand <strong>de</strong>, [a].<br />
Römer Thomas.<br />
Rosanvallon Pierre.<br />
Scheid John.<br />
Tardieu Michel, [a].<br />
Veinstein Gilles, ["].<br />
Veneziano Gabriele.<br />
Will Pierre-Étienne.<br />
Yoccoz Jean-Christophe, [a, O. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Zagier Don.<br />
Zink Michel, [a, O. "].<br />
Professeurs associés<br />
(Chaires européenne, internationale, <strong>de</strong> création artistique <strong>et</strong><br />
d’innovation technologique — Liliane B<strong>et</strong>tencourt)<br />
Berry Gérard, [O. l].<br />
Kropp Manfred.<br />
Magistr<strong>et</strong>ti Pierre.<br />
Mnouchkine Ariane.<br />
Administrateurs honoraires<br />
Dagron Gilbert, [O. a, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong><br />
Belles-L<strong>et</strong>tres.
PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE 981<br />
Glowinski Jacques, [C. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Laporte Yves, [C. a, k 39-45, S, G.O. l, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Sciences.<br />
Miquel André, [C. a, O. l, C. A, C. "].<br />
Professeurs honoraires<br />
Abragam Anatole, [C. a, G.C. l, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Agulhon Maurice, [O. a, O. A, O. "].<br />
Baulieu Étienne-Émile, [G.O. a, l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
l’Académie <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine.<br />
Blin Georges, [O. a, O. "].<br />
Bonnefoy Yves, [C. A].<br />
Boulez Pierre.<br />
Chambon Pierre, [C. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Changeux Jean-Pierre, [G.O. a, G.C. l, C. A, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Cohen-Tannoudji Clau<strong>de</strong>, [C. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Coppens Yves, [C. a, C. l, O. A, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Sciences.<br />
Coquin François-Xavier.<br />
Dauss<strong>et</strong> Jean, [G.C. a, G.C. l, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Delumeau Jean, [C. a, C. l, C. A, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres.<br />
Froissart Marcel.<br />
Fumaroli Marc, [O. a, C. l, C. A, O. "], membre <strong>de</strong> l’Académie française<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres.<br />
Gern<strong>et</strong> Jacques, [a, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-<br />
L<strong>et</strong>tres.<br />
Glowinski Jacques, [C. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Granger Gilles Gaston.<br />
Gros François, [C. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Guilaine Jean, [a, l, A].<br />
Hacking Ian.<br />
Hadot Pierre.<br />
Hagège Clau<strong>de</strong>, [O. a, A, O. "].<br />
Héritier Françoise, [C. a, G.O. l, C. A, ", J].<br />
Jacob François, [G.C. a, L, k 39-45, G.O. l], membre <strong>de</strong> l’Académie<br />
française <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Joliot Pierre, [C. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.
982 PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE<br />
Le Douarin Nicole, [G.O. a, G.C. l, O. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Sciences.<br />
Leclant Jean, [G.O. a, G.O. l, C. A, C. "], secrétaire perpétuel <strong>de</strong> l’Académie<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres.<br />
Le Ri<strong>de</strong>r Georges [O. a, O. l, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions<br />
<strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres.<br />
Le Roy Ladurie Emmanuel, [C. a, C. A], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences<br />
morales <strong>et</strong> politiques.<br />
Lévi-Strauss Clau<strong>de</strong>, [G.C. a, C. l, C. A, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie<br />
française.<br />
Malinvaud Edmond, [C. a, G.C. l, C. "].<br />
Nozières Philippe, [O. a, C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Pecker Jean-Clau<strong>de</strong>, [C. a, G.C. l, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Sciences.<br />
Prentki Jacques.<br />
Roche Daniel, [l, C. A, "].<br />
Romilly Jacqueline <strong>de</strong>, [G.O. a, G.C. l, C. A, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie<br />
française <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions <strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres.<br />
Serre Jean-Pierre, [G.O. a, G.C. l], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Teixidor Javier.<br />
Thuillier Jacques, [O. a, G.O. l, C. A].<br />
Tits Jacques, [a, O. l, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences.<br />
Toubert Pierre, [O. a, O. l, A, C. "], membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions<br />
<strong>et</strong> Belles-L<strong>et</strong>tres.<br />
Veyne Paul, [a, O. l, O. A].<br />
Wachtel Nathan, [a, "].<br />
Weinrich Harald, [C. "].<br />
Yoyotte Jean, [a, l, A, "].<br />
A - Sous-directeurs <strong>de</strong> laboratoire<br />
Gasc Jean-Marie.<br />
Magnan Christian, [l].<br />
Magre Solange.<br />
Studler Jeanne-Marie.<br />
Teboul-Imbert Martine.<br />
Personnels scientifiques
PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE 983<br />
Sous-directeurs <strong>de</strong> laboratoire honoraires<br />
Amiel Charles.<br />
Butlen Daniel.<br />
Devillers-Thiéry Anne.<br />
Dubois Régis, ["].<br />
Frontisi Françoise.<br />
Goldman Maurice, ["].<br />
Haguenau Françoise, [a, l].<br />
Herv<strong>et</strong> Hubert.<br />
Jouffroy Jacqueline.<br />
Le Gal Yves, [l, m, "].<br />
Moch Raymond, [O. a, k 39-45, S, C. "].<br />
Ober Raymond.<br />
Riv<strong>et</strong> Pierre.<br />
Sentis Philippe, [O. l].<br />
Tits Marie-Jeanne, ["].<br />
B - Maîtres <strong>de</strong> conférences<br />
Ang Isabelle, chaire d’Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne.<br />
Bombar<strong>de</strong> Odile, chaire <strong>de</strong> Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale.<br />
Bouy Christian, chaire d’Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne.<br />
Delahaye Hubert, chaire d’Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne.<br />
Dolbeau Jean, chaire <strong>de</strong> Physique corpusculaire.<br />
Fabre Catherine, chaire <strong>de</strong> Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale.<br />
Jacqu<strong>et</strong>-Pfau Marie-Christine, chaire <strong>de</strong> Littératures mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’Europe néolatine.<br />
Koulakoff Ann<strong>et</strong>te, chaire <strong>de</strong> Neuropharmacologie.<br />
Krikorian Ralph, chaire d’Astrophysique observationnelle.<br />
Lamandé Noël, chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine expérimentale.<br />
Lewinski Liliana, chaire d’Histoire <strong>et</strong> anthropologie <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés méso- <strong>et</strong><br />
sud-américaines.<br />
Maisant Corinne, chaire d’Histoire <strong>de</strong> l’art européen médiéval <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne.<br />
Miller<strong>et</strong> Chantal, chaire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> l’action <strong>et</strong> <strong>de</strong> la perception.<br />
Monsoro Anne-Hélène, chaire <strong>de</strong> Biologie <strong>et</strong> génétique du développement.<br />
Pernot Jean-François, chaire d’Histoire <strong>de</strong> la <strong>France</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> Lumières.<br />
Pickford Martin, chaire <strong>de</strong> Paléoanthropologie <strong>et</strong> préhistoire.<br />
Picq Pascal, chaire <strong>de</strong> Paléoanthropologie <strong>et</strong> préhistoire.<br />
Solinas <strong>France</strong>sco, chaire d’Histoire <strong>de</strong> l’art européen médiéval <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne.<br />
Spicq Delphine, chaire d’Histoire <strong>de</strong> la chaire mo<strong>de</strong>rne.<br />
Szelagowski Isabelle, chaire d’Histoire du mon<strong>de</strong> indien.<br />
Vialles Noëlie, chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la nature.
984 PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE<br />
Personnels <strong>de</strong> Direction <strong>de</strong> l’Établissement<br />
Rigoni Jean-François, Terrasse-Riou Florence.<br />
Ingénieurs <strong>et</strong> personnels techniques<br />
Ingénieurs <strong>de</strong> recherche :<br />
Lecoq Anne-Marie, L’Hôte Gilles.<br />
Ingénieurs d’étu<strong>de</strong> :<br />
Personnels <strong>de</strong> Recherche <strong>et</strong> <strong>de</strong> Formation<br />
Armstrong Angela, Beaupoil Clau<strong>de</strong>, Castelnau Christine, Cazal Nathalie,<br />
Delangle Marie-Christine, Farres Jos<strong>et</strong>te, Geller Philippe, Grougn<strong>et</strong> Félicie,<br />
Guilbard Jean-Jacques, Hus Ann<strong>et</strong>te, Jan<strong>de</strong>au Gilles, Jestin Marie-Françoise,<br />
Laurens Patrick, Le Gall Jean-Yves, Leung Wing Fong, Morel Agathe, Méric<br />
Robert, Mour<strong>et</strong> Sandrine, Ollivier Éric, Perdu Olivier, Poulin Françoise,<br />
Quenech’du Nicole, Rayati-Moghaddam Fatemeh, Sauvageot Agathe,<br />
Segers Françoise, Spagnoli Monique, Thomas Marie-Annick, <strong>de</strong> Vasconcelos<br />
Cruz Eduardo.<br />
Assistants-ingénieurs :<br />
Benitta Sophie, Donnier Christophe, Dupraz Yves, Imbert Patrick, Lallias<br />
Stéphane, Lemarie Marylène, Llegou Patricia, Le Poupon Chantal, Queguiner<br />
Isabelle, Quenehen Danièle.<br />
Techniciens :<br />
Amigou Edwige, Bidois Dominique, Brunier Patricia, Crepin Françoise, David<br />
Françoise, Debonne Gilles, Dejonghe Julien, Delizy Aline, Espérandieu<br />
Daniel, Étienne Éric, Fang Ling, Fassi Jean-Louis, Gérard Patrice, Gibert<br />
Marie-Christine, Jeanne Bruno, Koch Catherine, Larabi Salima, Le Bras<br />
Christian, Le Tenaff Bérangère, Malvaud Françoise, Mangin d’Hermantin<br />
Jean, Marques-Joaquim Gordana, Pérez Sylvie, Piequ<strong>et</strong> Fatine, Sainz<br />
Véronique, Soupault Jacqueline, Sportouch Sylvie, Susini Marion, Tembely<br />
Fanta-Taga, Vern<strong>et</strong> David.<br />
Adjoints techniques :<br />
Ah-P<strong>et</strong> Marie-Claudine, André Françoise, Aouabed Samir, Azzedine Khadija,<br />
Babouram Marie-Ange, Ben Zai<strong>et</strong> Yessia, Blon<strong>de</strong>l Valérie, Bo<strong>de</strong>lle Andrée,<br />
Borne Roger, Boudjelal Ahmed, Boulanger Nathalie, Bourge Murielle,<br />
Bosser Sophie, Brossaud Joëlle, Cabraja Alexandra, Cazères Joséphine,<br />
Chaslerie Marie-Françoise, Cheng Shao Pierre, Cougnot Patricia, Deffoun
PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE 985<br />
Alain, Dei Daniel, Douglas Francis, Doutremer Suz<strong>et</strong>te, Duriez Lucienne,<br />
Éloire Gérard, Ézan Pascal, Fe<strong>de</strong>l Philippe, Gaspaldy Patrick, Gérin René,<br />
Ghanès Mustapha, Gillot Jean, Guingnier Lydie, Haddad Samia, Ibrahim<br />
Hassani, Julien Christian, Khaldi Ab<strong>de</strong>lla Ali, Kiourtzian Georges, Korn-<br />
Gentilini Soy, Kotowicz Gin<strong>et</strong>te, Labirin Joselita, Lamrous Hayat, Le Coupé<br />
Grainville Chantal, Lehoux Béatrice, Le Méhauté Marie-Jeanne, Le Mercier<br />
Patricia, Lesage Matthieu, Maillard Karine, Maloumian <strong>France</strong>, Mangin<br />
Jean, Marie Aroquiaradjo Sandanam, Mary Claudine, Mathen Muriel,<br />
Maury Évelyne, Maussion Sophie, Mégoeuil Bernard, Mégoeuil Martine,<br />
Montlouis Miguel, Morvany Marie-Line, Moudjeniba Madani, Munoz<br />
Christophe, Néchal Serge, Noton Jean-Jacques, Pagesse Bruno, Palin Aurélie,<br />
Panek-Hu<strong>et</strong> Nathalie, P<strong>et</strong>ges Romain, Phoudiah Florian, Picco Nadia,<br />
Raborio Jean-François, Rigole Gilbert, Rigole Brigitte, Robez Chia-Chian,<br />
Robouant Corinne, Séry Jean-Marc, Sittie Célestine, Smith Denise, Smith<br />
Étienne, Smith Ombline, Sousa I<strong>de</strong>rlinda, Ton<strong>de</strong>leir Sébastien, Thos Eugène,<br />
To<strong>de</strong>rasc Carmen, Urbe Jean-Pierre, Urbe Robert, Val<strong>de</strong>rrama Francisco,<br />
Vasseur Philippe, Zoundi Brigitte.<br />
Personnels <strong>de</strong> l’Administration Scolaire <strong>et</strong> Universitaire<br />
A - Personnels administratifs<br />
Attachée principale d’administration :<br />
Campinchi Catherine ("), Roche Isabelle.<br />
Attachés d’administration :<br />
Beaucourt Nadine, Fer<strong>et</strong> Lorea.<br />
Secrétaires d’administration :<br />
Bernard Martine, Delmer Évelyne, Gudin Véronique, Labruna Laurence, Lam<br />
Suong, Lataguerra Sylvie, Torregrossa Martine, Van Zandt Éric.<br />
Adjoints administratifs :<br />
Aurousseau Émilie, Belhamri Jedjiga, Colin Pascal, Etch<strong>et</strong>to Sandrine,<br />
Laborie Maryse, Lebot Dominique, Maïga Halimatan, Michel Jocelyne,<br />
Pautrat Valérie, Quillin Inès, Salagnac Françoise, Sfez Annie, Soltani<br />
Stéphane, Tramcourt Fabienne.
986 PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE<br />
B - Personnel <strong>de</strong> santé<br />
Infirmière :<br />
Dumas Marie.<br />
Conservateurs :<br />
Personnels <strong><strong>de</strong>s</strong> Bibliothèques<br />
Bodéré Nicole, Cazabon Marie-Renée, Piganiol Catherine.<br />
Bibliothécaires :<br />
Alemany Carmen, Blanch<strong>et</strong> Marie-Hélène, Koczorowski Marie-Catherine.<br />
Bibliothécaires adjoints spécialisés :<br />
Ferreux Jenny, Marqu<strong>et</strong> Françoise, Rabaud Julien.<br />
Magasinier spécialisé :<br />
Adjedj Daniel.
INSTANCES STATUTAIRES<br />
ET<br />
ADMINISTRATIVES<br />
DU COLLÈGE DE FRANCE 1<br />
(11, place Marcelin-Berthelot, 75231 Paris Ce<strong>de</strong>x 05)<br />
Téléphone : 01.44.27.12.11.<br />
Intern<strong>et</strong> : www.college-<strong>de</strong>-france.fr<br />
Tous les Professeurs titulaires.<br />
Pierre Corvol, administrateur, prési<strong>de</strong>nt.<br />
Michel Zink, vice-prési<strong>de</strong>nt.<br />
Jean-Christophe Yoccoz, secrétaire.<br />
Prési<strong>de</strong>nt :<br />
Pierre Corvol, administrateur.<br />
Membres élus :<br />
Pierre Briant, professeur.<br />
Nicolas Grimal, professeur.<br />
Serge Haroche, professeur.<br />
Jean Kellens, professeur.<br />
Jacques Livage, professeur.<br />
1. Au 1 er septembre 2008<br />
ASSEMBLÉE DES PROFESSEURS<br />
BUREAU DE L’ASSEMBLÉE<br />
CONSEIL D’ÉTABLISSEMENT
988 INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES<br />
Christine P<strong>et</strong>it, professeur.<br />
John Scheid, professeur.<br />
Jean-Christophe Yoccoz, professeur.<br />
Michel Zink, professeur.<br />
Jeanne-Marie Studler, sous-directeur.<br />
Marie-Christine Jacqu<strong>et</strong> Pfau, maître <strong>de</strong> conférences.<br />
Catherine Fabre, maître <strong>de</strong> conférences.<br />
Arnaud Serandour, maître <strong>de</strong> conférences.<br />
Iwona Gadja, chargée <strong>de</strong> recherches.<br />
Juli<strong>et</strong>te Hadchouel, chargée <strong>de</strong> recherches.<br />
Judith Favier, ATER.<br />
Jean-Jacques Guilbard, ingénieur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />
Danièle Quénéhen, technicienne.<br />
Marie-Annick Thomas, ingénieur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />
Pierre Le Coupé Grainville, ingénieur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />
Mohamed Zaoui, ingénieur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />
Constantin Zuckerman, directeur d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />
Personnalités extérieures :<br />
1. Représentants d’organismes scientifiques :<br />
Gilles Sentise, délégué régional CNRS Paris Michel-Ange.<br />
Hervé Douchin, secrétaire général <strong>de</strong> l’INSERM.<br />
Maurice Gross, directeur <strong><strong>de</strong>s</strong> partenariats, CNRS Paris Michel-Ange.<br />
2. Représentant <strong><strong>de</strong>s</strong> activités économiques :<br />
Pierre Gasc, Prési<strong>de</strong>nt du directoire <strong>et</strong> directeur général <strong>de</strong> Finter Bank <strong>France</strong>.<br />
Pierre Corvol.<br />
Michel Zink.<br />
Catherine Fabre.<br />
Danièle Quénéhen.<br />
Jeanne-Marie Studler.<br />
Mohamed Zaoui<br />
BUREAU DU CONSEIL D’ÉTABLISSEMENT<br />
ADMINISTRATEUR<br />
Pierre Corvol, [C. a, O. l], (Professeur), poste 16.75 1 .<br />
Assistante <strong>de</strong> Direction :<br />
Nicole Braure, poste 16.75. Télécopie : 01.44.27.16.91.<br />
1. Indicatif du poste téléphonique.
INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES 989<br />
AFFAIRES CULTURELLES ET RELATIONS EXTÉRIEURES<br />
Directrice : Florence Terrasse-Riou, poste 11.01.<br />
Télécopie : 01.44.27.11.09.<br />
Secrétariat : Évelyne Delmer, poste 11.07.<br />
Télécopie : 01.44.27.11.09.<br />
Courrier institutionnel : Christine Castelnau, poste 11.06.<br />
Télécopie : 01.44.27.11.09.<br />
Communication institutionnelle : Martine Torregrossa, poste 12.47.<br />
Relations avec la presse<br />
<strong>et</strong> Communication : Marie Chéron, poste 11.78.<br />
Cécile Barnier, poste 11.68.<br />
Télécopie : 01.44.27.12.95.<br />
Enseignements<br />
<strong>et</strong> organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> colloques : Sophie Benitta, poste 11.45.<br />
Télécopie : 01.44.27.11.44.<br />
Coordination <strong><strong>de</strong>s</strong> chaires<br />
annuelles : Sophie Grandsire-Rodriguez, poste 11.60.<br />
Diffusion <strong>et</strong> gestion <strong>de</strong> fichiers : Claudine Mary, poste 11.43.<br />
Secteur édition : Jean-Jacques Rosat, poste 14.12.<br />
Publications : Céline Vautrin, poste 13.45.<br />
Télécopie : 01.44.27.11.44.<br />
Station d’Édition : Patricia Llegou, poste 11.42.<br />
Télécopie : 01.44.27.11.44.<br />
Site Intern<strong>et</strong> : Marion Susini, poste 14.53.<br />
David Adjemian, poste 10.18.<br />
Télécopie : 01.44.27.11.44.<br />
AFFAIRES ADMINISTRATIVES ET FINANCIÈRES<br />
Directeur : Jean-François Rigoni, [l, "], poste 11.02.<br />
Télécopie : 01.44.27.11.09.<br />
Secrétariat : Christophe Munoz, poste 11.04.<br />
Télécopie : 01.44.27.11.09.<br />
SERVICE DES AFFAIRES GÉNÉRALES ET BUDGÉTAIRES :<br />
Télécopie : 01.44.27.11.09.<br />
Affaires budgétaires : Martine Bernard, poste 11.10.
990 INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES<br />
Comptabilité<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Services généraux : Françoise Salagnac, poste 11.20.<br />
SERVICE DES RESSOURCES HUMAINES ET DES TRAITEMENTS :<br />
Télécopie : 01.44.27.12.63.<br />
Chef <strong>de</strong> service : Nadine Beaucourt, poste 11.23.<br />
Gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> bibliothèques -<br />
Organisation <strong><strong>de</strong>s</strong> élections : Éric Van Zandt, poste 11.84.<br />
Fichier <strong><strong>de</strong>s</strong> personnels extérieurs : Karine Maillard, poste 10.95.<br />
Gestion du personnel ITARF : Bérangère Le Tenaff, poste 11.25.<br />
Gestion du personnel ATOS<br />
<strong>et</strong> contractuels : Maryse Laborie, poste 12.64.<br />
Gestion du personnel enseignant : Véronique Gudin, poste 11.86.<br />
Formation continue <strong>et</strong> con<strong>cours</strong> : Monique Spagnoli, poste 11.24.<br />
Sylvie Ahier, poste 12.51.<br />
Sandrine Etch<strong>et</strong>to, poste 11.62.<br />
Gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> traitements : Lorea Fer<strong>et</strong>, poste 11.26 (chef <strong>de</strong> service).<br />
Fatine Piequ<strong>et</strong>, poste 12.51.<br />
Jean-Louis Fassi, poste 11.21.<br />
Rémunérations<br />
sur budg<strong>et</strong> propre : Françoise Crépin, poste 11.27.<br />
Karine Maillard, poste 10.95.<br />
SERVICE DES AFFAIRES FINANCIÈRES :<br />
Télécopie : 01.44.27.12.35.<br />
Chef <strong>de</strong> service : Isabelle Roche, poste 11.03.<br />
Contrats, marchés : Françoise Grougn<strong>et</strong>, poste 11.34.<br />
Bruno Jeanne, poste 13.13.<br />
Suong Lam Ngoc, poste 13.03.<br />
Dépenses <strong>et</strong> missions : Émilie Aurousseau, poste 12.80.<br />
Dominique Le Bot, poste 11.31.<br />
Célestine Sittie, poste 13.04.<br />
Carmen To<strong>de</strong>rasc, poste 11.33.<br />
SERVICE MÉDICAL :<br />
Mé<strong>de</strong>cins du travail : D r Bernard Jouanjean, poste 11.52.<br />
Infirmière : Marie Dumas, poste 11.51.
INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES 991<br />
SERVICE PHOTOGRAPHIQUE :<br />
Photographe : Patrick Imbert, postes 11.39/11.40.<br />
SERVICE INFORMATIQUE DE GESTION :<br />
Informaticien : Gilles Jan<strong>de</strong>au, poste 14.00.<br />
Adjoints : Patrick Gaspaldy, poste 10.71.<br />
Lionel Mangin, poste 10.71.<br />
SERVICE TECHNIQUE :<br />
Télécopie : 01.44.27.10.90.<br />
Coordonnateur : Gilles Cottebrune, poste 14.98.<br />
Secrétariat :<br />
Adjoints :<br />
Valérie Pautrat, poste 11.22.<br />
— Logistique : Pascal Colin, poste 11.48.<br />
— Bâtiment <strong>et</strong> maintenance : Stéphane Lallias, poste 13.28.<br />
— Logistique électricité : Jean Mangin d’Hermantin, poste 11.28.<br />
Régisseurs<br />
(postes 10.35 <strong>et</strong> 19.74) : Gilles Debonne.<br />
Denis Jacquin<strong>et</strong><br />
Miguel Monlouis.<br />
Bruno Pagesse.<br />
Francisco Val<strong>de</strong>rrama.<br />
Ateliers :<br />
— Peintres (poste 11.54) : Alain Deffoun.<br />
Roger Borne.<br />
— Plombiers (poste 11.57) : Mustapha Ghanes.<br />
Florian Phoudiah.<br />
— Menuisier (poste 11.53) : Christian Julien.<br />
— Serrurier-menuisier<br />
(poste 11.53) : Jean-Marc Séry.<br />
— Électriciens (poste 11.55) : Daniel Deï.<br />
Jean Gillot.<br />
Jean Mangin d’Hermantin.<br />
Pôle réseau VDI : Jean-François Choll<strong>et</strong>, poste 10.22.<br />
Christophe Trehen, poste 10.22.<br />
Van Trung Truong, poste 12.20.<br />
Téléphone/annuaire : Gordana Joaquim, poste 15.98.
992 INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES<br />
SERVICE HYGIÈNE ET SÉCURITÉ :<br />
Télécopie : 01.44.27.16.00.<br />
Coordinateur : Gilles Cottebrune, poste 14.98.<br />
Chef <strong>de</strong> service : Agathe Morel, poste 11.28.<br />
Secrétariat : Valérie Pautrat, poste 11.22.<br />
SERVICE INTÉRIEUR :<br />
Télécopie : 01.44.27.11.17.<br />
Chef <strong>de</strong> service : Catherine Campinchi, poste 11.05.<br />
Adjoints : Jedjiga Belhamri, postes 11.13/11.35.<br />
Françoise Chaslerie, postes 11.13/11.16.<br />
Daniel Espérandieu, poste 11.14/11.13.<br />
Lydie Guingnier, poste 12.75/11.13.<br />
Intendance annexes<br />
(Lemoine <strong>et</strong> Ulm) : Daniel Espérandieu, poste 11.74.<br />
Télécopie : 01.44.27.11.70.<br />
Loges - Concierges :<br />
— Site Berthelot : M. <strong>et</strong> M me Smith, poste 11.11.<br />
— Site Ulm : M. <strong>et</strong> M me Mégoeuil, poste 11.72.<br />
Télécopie : 01.44.27.11.85.<br />
— Site rue du<br />
Cardinal Lemoine : M. <strong>et</strong> M me Rigole, poste 11.63.<br />
Télécopie : 01.44.27.11.70.<br />
M. Gérard Eloire, poste 11.63.<br />
— Site Nogent : M. Thos, 01.45.14.15.15.<br />
— Site Meudon : M. Noton, 01.45.07.18.62.<br />
Accueil : Julie Chedly, poste 11.47.<br />
Marie-Jeanne Le Méhauté, poste 11.47.<br />
Fabienne Tramcourt, poste 19.72.<br />
Khaleed Benhammad, poste 19.72.<br />
Courrier - Reprographie<br />
(poste 11.19) : Francis Douglas.<br />
Bertrand Crepin.<br />
Marie-Line Morvany.
INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES 993<br />
Livraisons (poste 15.82/19.28) : Françoise Andre.<br />
Pierre Cheng Shao.<br />
Hervé Saint-Aur<strong>et</strong>.<br />
Magasinier<br />
(poste 15.97/19.78) : Soy Korn-Gentilini.<br />
Sécurité (poste 11.47) : Sandanam Marie Aroquiaradjo.<br />
Antony Lefevre.<br />
Chauffeurs : Romain P<strong>et</strong>ges, poste 10.88.<br />
Philippe Vasseur, poste 11.56.<br />
Chef <strong><strong>de</strong>s</strong> agents : Christian Le Bras, poste 11.49.<br />
Agents d’entr<strong>et</strong>ien<br />
(poste 19.14) : Marie-Line Ayela<br />
Khadija Azzedine.<br />
Hanisu Debr<strong>et</strong>sion.<br />
Mathil<strong>de</strong> Gago.<br />
Patricia Lemercier.<br />
Muriel Mathen.<br />
(poste 19.13) : Samir Aouabed.<br />
Madani Moudjeniba.<br />
Lingerie : Aurélie Palin, poste 17.24.<br />
AGENCE COMPTABLE<br />
Télécopie : 01.44.27.12.81<br />
Agent Comptable : Jean-Paul Guigny, poste 13.93.<br />
Adjointes : Marylène Lemarié, poste 11.37.<br />
Sylvie Lataguerra, poste 11.87.<br />
Assistantes : Inès Quillin, poste 13.92.<br />
DIRECTEUR HONORAIRE DES AFFAIRES CULTURELLES<br />
ET DES RELATIONS EXTÉRIEURES<br />
Jean-Pierre <strong>de</strong> Morant, [a, l, C. "].<br />
Pierre Develay, [a, O. "].<br />
Robert Pfau, [O. l, O. "].<br />
SECRÉTAIRES GÉNÉRAUX HONORAIRES
994 INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES<br />
SERVICE DES BIBLIOTHÈQUES ET DES ARCHIVES<br />
Chef <strong>de</strong> service : Marie-Renée Cazabon, conservatrice générale,<br />
poste 17.92.<br />
Télécopie : 01.44.27.17.93.<br />
Chef <strong>de</strong> service adjoint : Catherine Piganiol, conservatrice en chef,<br />
poste 17.97.<br />
Télécopie : 01.44.27.11.70.<br />
BIBLIOTHÈQUE GÉNÉRALE<br />
Directeur : Marie-Renée Cazabon, conservatrice générale,<br />
poste 17.92.<br />
Bibliothécaires : Carmen Alemany, poste 13.68<br />
(responsable section L<strong>et</strong>tres).<br />
Françoise Marqu<strong>et</strong>, poste 17.94 (périodiques).<br />
Julien Rabaud, poste 17.96<br />
(prêt entre bibliothèques).<br />
Jacqueline Soupault, poste 10.52<br />
(section Sciences).<br />
Documentalistes : Sandrine Mour<strong>et</strong>, poste 12.62<br />
(responsable section Sciences).<br />
Jos<strong>et</strong>te Come-Garry, poste 17.95<br />
(section Sciences).<br />
Magasiniers spécialisés : Daniel Adjedj, poste 14.05.<br />
Bastien Cazabon, poste 14.05.<br />
Secrétariat : Halimatou Maïga, poste 17.88.<br />
Claire Güttinger, poste 10.36.<br />
Évelyne Maury, poste 10.36.<br />
Institut d’égyptologie<br />
Télécopie : 01.44.27.10.44.<br />
ARCHIVES<br />
BIBLIOTHÈQUES SPÉCIALISÉES<br />
INSTITUTS D’ORIENT<br />
Directeur : Nicolas Grimal, professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />
poste 10.46.
INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES 995<br />
Bibliothèque : Marie-Catherine Koczorowski, poste 10.47.<br />
Dominique Lefèvre, poste 10.47.<br />
Elsa Rickal, poste 10.47.<br />
Archives : Olivier Perdu, poste 17.68.<br />
Institut du Proche-Orient Ancien<br />
Télécopie : 01.44.27.11.70.<br />
Directeur : Jean-Marie Durand, professeur<br />
au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, poste 16.04.<br />
Bibliothèque d’assyriologie<br />
Télécopie : 01.44.27.11.70<br />
Directeur : Jean-Marie Durand,<br />
professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, poste 16.04.<br />
Bibliothèque : Antoine Jacqu<strong>et</strong>, poste 10.43.<br />
Ilya Arkhipov, poste 10.43.<br />
Bibliothèque d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ouest-sémitiques<br />
Télécopie : 01.44.27.16.03.<br />
Bibliothèque : Catherine Fauveaud, poste 10.51.<br />
Bibliothèque d’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> christianismes orientaux<br />
Télécopie : 01.44.27.11.70.<br />
Directeur : Michel Tardieu, professeur<br />
au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, poste 10.34.<br />
Bibliothèque : Florence Jullien, poste 18.75.<br />
Ab<strong>de</strong>lla Khaldi, poste 18.75.<br />
Institut d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> arabes, turques <strong>et</strong> islamiques<br />
Télécopie : 01.44.27.11.70.<br />
Directeur : Gilles Veinstein, professeur<br />
au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, poste 17.80.<br />
Bibliothèque : Nasrine Rayati, poste 17.86.<br />
Institut d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> byzantines<br />
Télécopie : 01.44.27.11.70. <strong>et</strong> 18.85.<br />
Directeur : Jean-Clau<strong>de</strong> Cheyn<strong>et</strong>, poste 17.73.
996 INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES<br />
Bibliothèque : Catherine Piganiol, conservatrice en chef,<br />
poste 17.97.<br />
Marie-Hélène Blanch<strong>et</strong>, poste 17.97.<br />
Thierry Ganchou, poste 17.76.<br />
Georges Kiourtzian, poste 17.97.<br />
Institut d’Extrême-Orient<br />
Prési<strong>de</strong>nt : Pierre-Étienne Will, professeur<br />
au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, poste 10.06.<br />
Information scientifique : Hubert Delahaye, poste 18.48.<br />
Secrétariat : Christine Gibert, poste 10.98.<br />
Service général : Jean-François Raborio, poste 18.11.<br />
Civilisation indienne<br />
Télécopie : 01.44.27.18.54.<br />
Directeur : Gérard Fussman, professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>,<br />
poste 18.29.<br />
Bibliothèque : Christian Bouy, poste 18.07.<br />
Chantal Duhuy, poste 18.10.<br />
Publications : Isabelle Szelagowski, poste 18.28.<br />
Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> tibétaines<br />
Télécopie : 01.44.27.18.54.<br />
Directeur : Anne Chay<strong>et</strong>, poste 18.30.<br />
Bibliothèque : Jenny Ferreux, poste 18.30.<br />
Hautes étu<strong><strong>de</strong>s</strong> chinoises<br />
Télécopie : 01.44.27.18.54.<br />
Directeur : Pierre-Étienne Will,<br />
professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, poste 10.06.<br />
Bibliothèque : Lucienne Duriez, poste 18.09.<br />
Kiang Hua, poste 18.08.<br />
Gin<strong>et</strong>te Kotowicz, poste 18.09.<br />
Wing Fang Leung, poste 18.79.<br />
Chia-Chian Robez, poste 10.97.<br />
Esther Rosolato, poste 18.94.<br />
Denise Smith, poste 18.08.<br />
Delphine Spicq, poste 18.08.
INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES 997<br />
Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> coréennes<br />
Télécopie : 01.44.27.18.54.<br />
Directeur : Martine Prost, poste 18.32.<br />
Bibliothèque : Mi-Sug No, poste 18.14.<br />
Hautes étu<strong><strong>de</strong>s</strong> japonaises<br />
Télécopie : 01.44.27.18.54.<br />
Responsable : Sekiko P<strong>et</strong>itmangin-Matsusaki, poste 18.24.<br />
Bibliothèque : Nathalie Cazal, poste 18.06.<br />
AUTRES BIBLIOTHÈQUES<br />
Anthropologie sociale<br />
Télécopie : 01.44.27.17.66.<br />
Directeur : Philippe Descola, professeur au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>France</strong>, poste 10.12.<br />
Bibliothèque : Marion Abélès, poste 17.46.<br />
Marie-Christine Vickridge, poste 17.64.<br />
Société asiatique<br />
Télécopie : 01.44.27.11.70.<br />
Directeur : Jean-Pierre Mahé, membre <strong>de</strong> l’Institut.<br />
Bibliothèque : Jeanne-Marie Allier, poste 18.04.
PROGRAMME DES COURS<br />
DE L’ANNÉE 2008 – 2009<br />
Les <strong>cours</strong>, accessibles à tous librement, sans inscription,<br />
dans la limite <strong><strong>de</strong>s</strong> places disponibles, commencent à partir du 1 er octobre 2008. Les<br />
auditeurs ne sont admis dans les salles que 20 minutes au plus tôt<br />
avant les <strong>cours</strong>.<br />
Le programme <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> <strong>et</strong> les modifications éventuelles sont communiqués<br />
sur intern<strong>et</strong> www.college-<strong>de</strong>-france.fr<br />
11, place Marcelin Berthelot, Paris V e – Tél. : 01 44 27 11 47<br />
I. SCIENCES MATHÉMATIQUES, PHYSIQUES ET NATURELLES<br />
Analyse <strong>et</strong> géométrie<br />
M. Alain Connes, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : Thermodynamique <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces non commutatifs, les jeudis, <strong>de</strong> 14 h 30<br />
à 16 h 30, salle 5 (ouverture : 8 janvier).<br />
Équations différentielles <strong>et</strong> systèmes dynamiques<br />
M. Jean-Christophe Yoccoz, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : Échanges d’intervalles affines, les mercredis, <strong>de</strong> 9 heures à 11 heures, salle<br />
<strong>de</strong> conférences, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 3 rue d’Ulm, Paris 5 e (ouverture : 12 novembre).<br />
Équations aux dérivées partielles <strong>et</strong> applications<br />
M. Pierre-Louis Lions, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> jeux <strong>de</strong> champ moyen <strong>et</strong> applications (suite), les vendredis,<br />
<strong>de</strong> 9 heures à 11 heures, salle 5 (ouverture : 24 octobre).<br />
Séminaire : Mathématiques appliquées, les vendredis, <strong>de</strong> 11 h 15 à 12 h 30, salle 5<br />
(ouverture : 24 octobre).
1000 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009<br />
Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres<br />
M. Don Zagier<br />
Cours : Topologie, combinatoire <strong>et</strong> formes modulaires, les lundis, <strong>de</strong> 16 h 15 à<br />
18 h 15, salle 2 (ouverture : 6 octobre).<br />
Le <strong>cours</strong> n’aura pas lieu.<br />
Physique quantique<br />
M. Serge Haroche, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Physique mésoscopique<br />
M. Michel Devor<strong>et</strong>, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : Circuits <strong>et</strong> signaux quantiques (II), les mardis, à 9 h 30, amphithéâtre<br />
Maurice Halbwachs (ouverture : 12 mai).<br />
Séminaire : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les mardis, à 11 heures, amphithéâtre<br />
Maurice Halbwachs (ouverture : 12 mai).<br />
Particules élémentaires, gravitation <strong>et</strong> cosmologie<br />
M. Gabriele Veneziano<br />
Cours : Gravitation <strong>et</strong> Cosmologie : le Modèle Standard, les vendredis, à<br />
9 h 45, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 9 janvier).<br />
Séminaire : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les vendredis, à 11 heures, amphithéâtre<br />
Maurice Halbwachs (ouverture : 9 janvier).<br />
Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan<br />
M. Édouard Bard<br />
Cours : Les <strong>cours</strong> auront lieu à l’étranger.<br />
Séminaire : Bilan scientifique <strong>de</strong> l’Année Polaire Internationale, sous la forme d’un<br />
symposium, le vendredi 15 mai, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong><br />
Navarre.<br />
Astrophysique observationnelle<br />
M. Antoine Labeyrie, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : Exo-planètes, étoiles <strong>et</strong> galaxies : progrès <strong>de</strong> l’observation, les<br />
mercredis, à 16 h 30, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 4 février).
PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009 1001<br />
Séminaire : Séminaire général d’astrophysique, les mercredis, à 17 h 30, amphithéâtre<br />
Maurice Halbwachs (ouverture : 4 février).<br />
Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> processus biologiques<br />
M. Marc Fontecave, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 26 mars, à 18 heures, amphithéâtre<br />
Marguerite <strong>de</strong> Navarre.<br />
Cours : La chimie du vivant : enzymes <strong>et</strong> métalloenzymes, <strong><strong>de</strong>s</strong> bio-catalyseurs<br />
fascinants, les mercredis, à 10 heures, salle 5 (ouverture : 1 er avril).<br />
Séminaire : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les mercredis, à 11 heures, salle 5<br />
(ouverture : 1 er avril).<br />
Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions moléculaires<br />
M. Jean-Marie Lehn, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : Autoorganisation <strong>et</strong> dynamique moléculaires (la date <strong>de</strong> l’ouverture <strong>et</strong><br />
la salle seront annoncées ultérieurement).<br />
Séminaire : Progrès récents en chimie moléculaire <strong>et</strong> supramoléculaire, (la date <strong>de</strong><br />
l’ouverture <strong>et</strong> la salle seront annoncées ultérieurement).<br />
Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée<br />
M. Jacques Livage, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : Les <strong>cours</strong> auront lieu à l’étranger.<br />
Séminaire : histoire <strong>de</strong> la chimie au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, sous la forme d’un colloque, le<br />
lundi 4 mai, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.<br />
Génétique humaine<br />
M. Jean-Louis Man<strong>de</strong>l, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : Maladies affectant les fonctions cognitives : progrès récents dans les<br />
approches génétiques, les mercredis 11, 18 <strong>et</strong> 25 mars, <strong>de</strong> 16 heures à 18 h 15,<br />
salle 2.<br />
Séminaire : Trinucleoti<strong>de</strong> repeat expansion diseases : from mechanisms to therapeutic<br />
strategies, sous la forme d’un colloque (la date <strong>et</strong> le lieu seront annoncés<br />
ultérieurement).
1002 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009<br />
Génétique <strong>et</strong> physiologie cellulaire<br />
M me Christine P<strong>et</strong>it, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : Localisation <strong>de</strong> la source sonore : traitement binaural du signal<br />
acoustique, les jeudis 11 <strong>et</strong> 18 décembre, 15 <strong>et</strong> 22 janvier, <strong>de</strong> 10 heures à 11 h 30,<br />
salle 2.<br />
Séminaire : Physiologie cochléaire : actualités, les jeudis 11 <strong>et</strong> 18 décembre,<br />
15 <strong>et</strong> 22 janvier, <strong>de</strong> 11 h 30 à 13 heures, salle 2.<br />
Biologie <strong>et</strong> génétique du développement<br />
M. Spyros Artavanis-Tsakonas<br />
Cours : Génétique du développement <strong>et</strong> Génomique fonctionnelle (une<br />
approche théorique <strong>et</strong> pratique), les jeudis 5, 12, 19 <strong>et</strong> 26 mars, <strong>de</strong> 14 heures à<br />
16 heures, amphithéâtre Guillaume Budé.<br />
Séminaire : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les vendredis 6, 13 <strong>et</strong> 20 mars, <strong>de</strong><br />
9 heures à 13 heures, amphithéâtre Guillaume Budé.<br />
Processus morphogénétiques<br />
M. Alain Prochiantz, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : Évolution du système nerveux : robustesse <strong>et</strong> plasticité, les lundis, à<br />
17 heures, amphithéâtre Guillaume Budé (ouverture : 6 octobre).<br />
Séminaire 1 : Formes, déformations, transformations, sous la forme d’un colloque<br />
organisé en commun avec la chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la Nature, le vendredi 20 mars,<br />
<strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.<br />
Séminaire 2 : Cartes cérébrales, sous la forme d’un colloque organisé en commun avec<br />
la chaire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> la Perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Action, le mardi 28 avril, <strong>de</strong> 9 heures à<br />
18 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.<br />
Immunologie moléculaire<br />
M. Philippe Kourilsky, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : Le soi <strong>et</strong> l’autre : compatibilité <strong>et</strong> incompatibilité immunologiques,<br />
les mercredis, <strong>de</strong> 17 heures à 19 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs<br />
(ouverture : 19 novembre).<br />
Séminaire : Symposium Bernard Halpern d’Immunologie, le jeudi 9 <strong>et</strong> le vendredi<br />
10 octobre, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre.
PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009 1003<br />
Microbiologie <strong>et</strong> maladies infectieuses<br />
M. Philippe Sanson<strong>et</strong>ti, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 20 novembre, à 18 heures, amphithéâtre<br />
Marguerite <strong>de</strong> Navarre<br />
Cours : Des microbes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes : guerre <strong>et</strong> paix aux surfaces muqueuses,<br />
les jeudis, <strong>de</strong> 16 heures à 17 h 30, salle 2 (ouverture : 27 novembre).<br />
Séminaire 1 : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les jeudis 27 novembre <strong>et</strong> 15 janvier,<br />
à 17 h 30, salle 2.<br />
Séminaire 2 : Seeing is believing : imaging infectious processes in vitro and in vivo,<br />
sous la forme d’un symposium, le lundi 27 avril, <strong>de</strong> 9 heures à 18 h 30, amphithéâtre<br />
Marguerite <strong>de</strong> Navarre.<br />
Psychologie cognitive expérimentale<br />
M. Stanislas Dehaene, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : L’inconscient cognitif <strong>et</strong> la profon<strong>de</strong>ur <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations subliminales,<br />
les mardis, à 9 h 30, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 6 janvier).<br />
Séminaire : «Neuro-économie», sous la forme d’un colloque organisé en commun avec<br />
la chaire Théorie économique <strong>et</strong> organisation sociale, le lundi 4 mai, <strong>de</strong> 9 heures à<br />
18 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre.<br />
Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action<br />
M. Alain Berthoz, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : Fon<strong>de</strong>ments cognitifs <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité : entre mémoire <strong>et</strong> anticipation, les<br />
mercredis, à 16 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 7 janvier).<br />
Séminaire 1 : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les mercredis, à 17 heures,<br />
amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 7 janvier).<br />
Séminaire 2 : Cartes cérébrales, sous la forme d’un colloque organisé en commun avec<br />
la chaire Processus morphogénétiques, le mardi 28 avril, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures,<br />
amphithéâtre Maurice Halbwachs.<br />
Séminaire 3 : Métiers <strong>et</strong> Travail, sous la forme d’un colloque, le lundi 22, mardi 23<br />
<strong>et</strong> le mercredi 24 juin, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong><br />
Navarre.<br />
Mé<strong>de</strong>cine expérimentale<br />
M. Pierre Corvol, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : Nouveaux pepti<strong><strong>de</strong>s</strong> vasoactifs : adrénomédulline <strong>et</strong> urotensine, les<br />
lundis 12, 19 <strong>et</strong> 26 janvier, <strong>de</strong> 17 heures à 19 heures, amphithéâtre Guillaume<br />
Budé.
1004 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009<br />
Séminaire : Les élèves <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Bernard : continuité <strong>de</strong> pensée <strong>et</strong> évolutions<br />
disciplinaires, sous la forme d’un symposium, le lundi 30 mars, <strong>de</strong> 9 heures à<br />
18 heures, amphithéâtre Guillaume Budé.<br />
Biologie historique <strong>et</strong> évolutionnisme<br />
M. Armand <strong>de</strong> Ricqlès<br />
Cours : 1) L’adaptation secondaire <strong><strong>de</strong>s</strong> tétrapo<strong><strong>de</strong>s</strong> à la vie aquatique (suite <strong>et</strong><br />
fin) : Diapsida, Chelonia ; 2) Problèmes d’actualité, les vendredis, à 16 heures,<br />
amphithéâtre Guillaume Budé (ouverture : 9 janvier).<br />
Séminaire : Cent cinquante ans après « l’Origine <strong><strong>de</strong>s</strong> espèces » : du darwinisme <strong>de</strong><br />
Darwin à l’évolutionnisme contemporain, sous la forme d’un colloque, le mercredi 10, le<br />
jeudi 11 <strong>et</strong> le vendredi 12 juin, <strong>de</strong> 9 heure à 18 heures, amphithéâtre Maurice<br />
Halbwachs.<br />
Paléontologie humaine<br />
M. Michel Brun<strong>et</strong><br />
Cours : Les hominidés anciens… Une nouvelle histoire à la lumière <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
découvertes récentes, les jeudis, à 10 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre<br />
(ouverture : 26 mars).<br />
Séminaire : en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les jeudis, à 11 heures, amphithéâtre<br />
Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 26 mars).<br />
II. SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET SOCIOLOGIQUES<br />
Philosophie du langage <strong>et</strong> <strong>de</strong> la connaissance<br />
M. Jacques Bouveresse<br />
Cours : Dans le labyrinthe : nécessité, contingence <strong>et</strong> liberté chez Leibniz, les<br />
mercredis, à 14 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 7 janvier).<br />
Séminaire : Usages <strong>de</strong> Wittgenstein, les mercredis, à 16 h 30, salle 5 (ouverture :<br />
7 janvier).
PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009 1005<br />
Philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences biologiques <strong>et</strong> médicales<br />
M me Anne Fagot-Largeault, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : Ontologie du <strong>de</strong>venir (3), les jeudis, <strong>de</strong> 10 h 30 à 12 h 30, amphithéâtre<br />
Maurice Halbwachs (ouverture : 29 janvier).<br />
Séminaire 1 : La biologie <strong>de</strong> synthèse, sous la forme d’un colloque international en<br />
collaboration avec le Professeur. C. Galperin <strong>de</strong> l’Université Lille 3, le jeudi 14 mai, <strong>de</strong><br />
9 heures à 18 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.<br />
Séminaire 2 : les méthodologies <strong>de</strong> recherche en psychiatrie, sous la forme d’une série<br />
<strong>de</strong> séminaires à raison <strong>de</strong> 3 heures par mois (la salle <strong>et</strong> les dates seront annoncées<br />
ultérieurement).<br />
Anthropologie <strong>de</strong> la nature<br />
M. Philippe Descola<br />
Cours : Ontologie <strong><strong>de</strong>s</strong> images, les mercredis, à 14 heures, amphithéâtre<br />
Guillaume Budé (ouverture : 4 mars).<br />
Séminaire : Formes, déformations, transformations, sous la forme d’un colloque<br />
organisé en commun avec la chaire Processus morphogénétiques, le vendredi 20 mars, <strong>de</strong><br />
9 heures à 18 heures, dans l’amphithéâtre Maurice Halbwachs.<br />
Théorie économique <strong>et</strong> organisation sociale<br />
M. Roger Guesnerie<br />
Cours : L’équilibre général, le panorama actuel (suite <strong>et</strong> fin), les mercredis, à<br />
16 h 30, amphithéâtre Guillaume Budé (ouverture : 15 octobre).<br />
Séminaire 1 : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les mercredis, à 17 h 30,<br />
amphithéâtre Guillaume Budé (ouverture : 22 octobre).<br />
Séminaire 2 : « Neuro-économie », sous la forme d’un colloque organisé en commun<br />
avec la chaire <strong>de</strong> Psychologie cognitive <strong>et</strong> expérimentale, le lundi 4 mai, <strong>de</strong> 9 heures à<br />
18 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre.<br />
Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine du politique<br />
M. Pierre Rosanvallon<br />
Le <strong>cours</strong> n’aura pas lieu.
1006 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009<br />
Écrit <strong>et</strong> cultures dans l’europe mo<strong>de</strong>rne<br />
M. Roger Chartier<br />
Cours : Circulations textuelles <strong>et</strong> pratiques culturelles dans l’Europe <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
XVI e -XVIII e siècles. Car<strong>de</strong>nio II. Entre Cervantès, Shakespeare <strong>et</strong> Theobald, les<br />
jeudis, <strong>de</strong> 10 heures à 12 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture :<br />
23 octobre).<br />
Séminaire : La fabrique du texte. Écriture, publication <strong>et</strong> lecture aux XVI e <strong>et</strong><br />
XVII e siècles. Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> cas, les jeudis, <strong>de</strong> 16 heures à 18 heures, salle 4 (ouverture :<br />
30 octobre).<br />
Histoire contemporaine du mon<strong>de</strong> arabe<br />
M. Henry Laurens<br />
Cours : La question <strong>de</strong> Palestine à partir <strong>de</strong> 1969, les mercredis, <strong>de</strong> 15 heures à<br />
17 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 5 novembre).<br />
Séminaire : Autobiographie politique arabe, les mercredis, <strong>de</strong> 11 heures à 12 h 30,<br />
salle <strong>de</strong> conférences, <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>, 3 rue d’Ulm, Paris 5 e (ouverture :<br />
5 novembre).<br />
Rationalité <strong>et</strong> sciences sociales<br />
M. Jon Elster<br />
Cours : Les décisions collectives, les jeudis, à 15 heures, amphithéâtre Guillaume<br />
Budé (ouverture : 15 janvier).<br />
Séminaire : en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les lundis, <strong>de</strong> 17 heures à 19 heures,<br />
salle 4 (ouverture : 9 mars).<br />
Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives <strong>et</strong> internationalisation du droit<br />
M me Mireille Delmas-Marty, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : Libertés <strong>et</strong> sûr<strong>et</strong>é dans un mon<strong>de</strong> dangereux, les mardis, à 14 h 30,<br />
amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 20 janvier).<br />
Séminaire : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, sous la forme d’une journée d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> (la<br />
date <strong>et</strong> la salle seront annoncées ultérieurement).
PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009 1007<br />
III. SCIENCES HISTORIQUES, PHILOLOGIQUES<br />
ET ARCHÉOLOGIQUES<br />
Civilisation pharaonique : archéologie, philologie, histoire<br />
M. Nicolas Grimal, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : Le temple d’Amon-Rê à Karnak : Héliopolis <strong>et</strong> l’Empire (suite), les<br />
lundis, à 14 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 5 janvier).<br />
Séminaire : Les annales <strong>de</strong> Thoutmosis III (suite), les lundis, à 15 heures,<br />
amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 5 janvier).<br />
Assyriologie<br />
M. Jean-Marie Durand<br />
Cours : Divination <strong>et</strong> pouvoir (suite), les jeudis, <strong>de</strong> 16 heures à 17 h 30,<br />
amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 5 février).<br />
Séminaire : Le jeune héros, sous la forme d’un colloque en commun avec la chaire<br />
Milieux bibliques, le lundi 6 <strong>et</strong> le mardi 7 avril, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre<br />
Guillaume Budé.<br />
Milieux bibliques<br />
M. Thomas Römer<br />
La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 5 février, à 18 heures, amphithéâtre<br />
Marguerite <strong>de</strong> Navarre<br />
Cours : La construction d’un ancêtre : la formation du cycle d’Abraham, les<br />
mercredis, à 14 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 11 février).<br />
Séminaire : Le jeune héros, sous la forme d’un colloque en commun avec la chaire<br />
d’Assyriologie, le lundi 6 <strong>et</strong> le mardi 7 avril, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre<br />
Guillaume Budé.<br />
Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong> achéméni<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’empire d’alexandre<br />
M. Pierre Briant<br />
Le <strong>cours</strong> n’aura pas lieu.
1008 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009<br />
Épigraphie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> cités grecques<br />
M. Denis Knoepfler, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : Le fédéralisme antique en question : renouveau <strong>et</strong> transformation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
confédérations hellénistiques sous la domination <strong>de</strong> Rome, les vendredis, à<br />
9 h 45, salle 2 (ouverture : 13 février).<br />
Séminaire : Documents anciens <strong>et</strong> nouveaux sur le fonctionnement <strong><strong>de</strong>s</strong> États Fédéraux<br />
en Grèce <strong>et</strong> en Asie Mineure, les vendredis, à 11 heures, salle 1 (ouverture :<br />
13 février).<br />
Religion, institutions <strong>et</strong> société <strong>de</strong> la rome antique<br />
M. John Scheid<br />
Cours : La religion, la cité, l’individu. La piété chez les Romains, les jeudis, à<br />
14 h 30, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 30 octobre).<br />
Séminaire : Les paysages religieux. À propos <strong><strong>de</strong>s</strong> inventaires <strong>de</strong> lieux <strong>de</strong> culte (Italie,<br />
Afrique, Gaule <strong>et</strong> Chine), sous la forme d’un colloque, le jeudi 9 avril, <strong>de</strong> 9 heures à<br />
18 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.<br />
Langues <strong>et</strong> religions indo-iraniennes<br />
M. Jean Kellens<br />
Cours : La notion d’âme préexistante, les vendredis, à 9 h 30, salle 2 (ouverture :<br />
21 novembre).<br />
Séminaire : Lecture <strong>de</strong> textes en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les vendredis, à<br />
11 heures, salle 2 (ouverture : 21 novembre).<br />
Histoire du mon<strong>de</strong> indien<br />
M. Gérard Fussman<br />
Cours <strong>et</strong> séminaire : Lecture du texte sanskrit du Vimalakirtinir<strong><strong>de</strong>s</strong>ha (suite),<br />
les mardis, <strong>de</strong> 15 heures à 17 heures, salle 7 (ouverture : 6 janvier).<br />
Histoire intellectuelle <strong>de</strong> la Chine<br />
Mme Anne Cheng<br />
La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 11 décembre, à 18 heures, amphithéâtre<br />
Marguerite <strong>de</strong> Navarre<br />
Cours : Confucius revisité : textes anciens, nouveaux dis<strong>cours</strong>, les mercredis, à<br />
11 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 14 janvier).
PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009 1009<br />
Séminaire : Lectures <strong>de</strong> textes <strong>et</strong> exposés en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les jeudis, à<br />
17 heures, salle 1 (ouverture : 15 janvier).<br />
Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne<br />
M. Pierre-Étienne Will<br />
Cours : Documents autobiographiques <strong>et</strong> histoire, 1640-1930, les mercredis, à<br />
14 heures, salle 2 (ouverture : 21 janvier).<br />
Séminaire : Les manuels d’administration <strong>de</strong> la Chine impériale : conclusions <strong>et</strong><br />
comparaisons, sous la forme d’un colloque, le jeudi 4 <strong>et</strong> le vendredi 5 juin, dans la<br />
salle 4.<br />
Antiquités nationales<br />
M. Christian Goudineau<br />
Cours : La Gaule au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> la conquête césarienne, les lundis (tous les<br />
quinze jours), <strong>de</strong> 14 h 30 à 16 h 30, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture :<br />
6 octobre).<br />
Séminaire : Actualité <strong>de</strong> la recherche, les lundis (tous les quinze jours), <strong>de</strong> 14 h 30 à<br />
16 h 30, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 27 octobre).<br />
Histoire turque <strong>et</strong> ottomane<br />
M. Gilles Veinstein<br />
Cours : Les esclaves du Sultan dans l’Empire ottoman, les mardis, à 14 h 30,<br />
amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 6 janvier).<br />
Séminaire : La supplique (arz-u hal), outil administratif <strong>et</strong> diplomatique dans<br />
l’Empire ottoman, les mardis, à 16 heures, salle 4 (ouverture : 6 janvier).<br />
Littératures <strong>de</strong> la france médiévale<br />
M. Michel Zink, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : Non pedum passibus, sed <strong><strong>de</strong>s</strong>i<strong>de</strong>riis quaeritur Deus (Saint Bernard).<br />
Que cherchaient les quêteurs du Graal ?, les jeudis, à 10 h 30, amphithéâtre<br />
Guillaume Budé (ouverture : 4 décembre).<br />
Séminaire 1 : en relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les jeudis, à 11 h 30, amphithéâtre<br />
Guillaume Budé (ouverture : 4 décembre).
1010 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009<br />
Séminaire 2 : Lire un livre vieilli, du Moyen Âge à nos jours, sous la forme d’un<br />
colloque, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, le jeudi 2 avril, salle 5 <strong>et</strong> le vendredi 3 avril,<br />
Amphithéâtre Guillaume Budé.<br />
Littérature française mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine :<br />
histoire, critique, théorie<br />
M. Antoine Compagnon<br />
Cours : Écrire la vie : Montaigne, Stendhal, Proust, les mardis, à 16 h 30,<br />
amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 6 janvier).<br />
Séminaire : Témoigner, les mardis, à 17 h 30, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre<br />
(ouverture : 6 janvier).<br />
Littératures mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’europe néolatine<br />
M. Carlo Ossola<br />
Le <strong>cours</strong> n’aura pas lieu.<br />
Histoire <strong>de</strong> l’art européen médiéval <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne<br />
M. Roland Recht, membre <strong>de</strong> l’Institut<br />
Cours : L’image médiévale, les vendredis, <strong>de</strong> 10 heures à 12 heures, amphithéâtre<br />
Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture : 31 octobre).<br />
Séminaire : Les métho<strong><strong>de</strong>s</strong> en histoire <strong>de</strong> l’art : bilan actuel, sous la forme d’un colloque<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux journées, les lundis 18 mai <strong>et</strong> 25 mai, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre<br />
Maurice Halbwachs.<br />
Chaire <strong>de</strong> création artistique<br />
Pierre-Laurent Aimard, professeur associé, pianiste<br />
La leçon inaugurale aura lieu le 22 janvier, à 18 heures, amphithéâtre Marguerite<br />
<strong>de</strong> Navarre <strong>et</strong> portera sur : Rôle <strong>et</strong> responsabilités <strong>de</strong> l’interprète aujourd’hui.<br />
Cours : Paramètres <strong>et</strong> dimensions <strong>de</strong> l’interprétation musicale, les mercredis<br />
18 février, 11, 18 mars, 8 avril, 6, 13 <strong>et</strong> 27 mai, à 18 heures, amphithéâtre Marguerite<br />
<strong>de</strong> Navarre.<br />
Séminaire : Élaboration d’une interprétation, les 5, 14, 25 <strong>et</strong> 28 mai, à 18 heures,<br />
amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre.
PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009 1011<br />
Chaire européenne – Développement durable<br />
M. Henri Leridon, professeur associé,<br />
professeur à l’Institut national d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> démographiques<br />
La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 5 mars, à 18 heures, amphithéâtre Marguerite<br />
<strong>de</strong> Navarre <strong>et</strong> portera sur : De la croissance zéro au développement durable.<br />
Cours : Démographie, fin <strong>de</strong> la transition, les mercredis, à 10 heures,<br />
amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 18 mars)<br />
Séminaire 1 : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, les mercredis 8, 29 avril <strong>et</strong> 6 mai, à<br />
11 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.<br />
Séminaire 2 : En relation avec le suj<strong>et</strong> du <strong>cours</strong>, sous la forme d’un colloque<br />
international, le jeudi 4 <strong>et</strong> le vendredi 5 juin, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre<br />
Maurice Halbwachs.<br />
Chaire internationale – Savoirs contre pauvr<strong>et</strong>é<br />
Mme Esther Duflo, professeure associée,<br />
professeure au Massachus<strong>et</strong>ts Institute of Technology, Cambridge, USA<br />
La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 8 janvier, à 18 heures, amphithéâtre<br />
Marguerite <strong>de</strong> Navarre <strong>et</strong> portera sur : Expérience, science <strong>et</strong> lutte contre la<br />
pauvr<strong>et</strong>é.<br />
Cours : Pauvr<strong>et</strong>é <strong>et</strong> développement dans le mon<strong>de</strong>, les lundis, <strong>de</strong> 17 heures à<br />
19 heures, amphithéâtre Marguerite <strong>de</strong> Navarre (ouverture le 12 janvier).<br />
Séminaire : Évaluation <strong><strong>de</strong>s</strong> politiques <strong>de</strong> lutte contre la pauvr<strong>et</strong>é, sous la forme d’un<br />
colloque, le lundi 8 <strong>et</strong> le mardi 9 juin, <strong>de</strong> 9 heures à 18 heures, amphithéâtre<br />
Marguerite <strong>de</strong> Navarre.<br />
Chaire d’Innovation Technologique – Liliane B<strong>et</strong>tencourt<br />
M. Mathias Fink, professeur associé, membre <strong>de</strong> l’Institut,<br />
professeur à l’École supérieure <strong>de</strong> physique <strong>et</strong> chimie industrielles<br />
La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 12 février, à 18 heures, amphithéâtre<br />
Marguerite <strong>de</strong> Navarre <strong>et</strong> portera sur : Renversement du temps, on<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong><br />
innovation.<br />
Cours : On<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> images, les lundis, à 16 heures, amphithéâtre Maurice<br />
Halbwachs (ouverture : 2 mars).<br />
Séminaire : On<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong> Images, les lundis, à 17 heures, amphithéâtre Maurice<br />
Halbwachs (ouverture : 2 mars).
Université d’amiens<br />
PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009 1013<br />
ENSEIGNEMENT À L’EXTÉRIEUR<br />
EN FRANCE<br />
M. Jacques Livage (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée)<br />
donnera en novembre-décembre 2008, 3 <strong>cours</strong> sur : Bio-inspired materials.<br />
Université <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux<br />
M. Jacques Livage (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée)<br />
donnera 3 <strong>cours</strong> sur : Le chimiste à l’école <strong>de</strong> la nature.<br />
Université <strong>de</strong> Dijon<br />
M. Christian Goudineau (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Antiquités nationales) donnera<br />
au printemps 2009, 6 <strong>cours</strong> sur : Questions relatives à la société <strong>et</strong> l’économie <strong>de</strong><br />
la Gaule.<br />
Université Louis Pasteur<br />
M. Jean-Marie Lehn (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions<br />
moléculaires) donnera en décembre 2008 — janvier 2009, 3 <strong>cours</strong> sur :<br />
Autoorganisation moléculaire <strong>et</strong> supramoléculaire <strong>et</strong> 7 séminaires, d’octobre 2008 à<br />
juin 2009, sur : Progrès récents en chimie moléculaire <strong>et</strong> supramoléculaire.<br />
Université Marc Bloch <strong>de</strong> Strasbourg<br />
M. John Scheid (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Religion, institutions <strong>et</strong> société <strong>de</strong> la<br />
Rome antique) donnera en février 2009, 4 séminaires sur : Les réformes d’Auguste.<br />
Forme <strong>et</strong> contenu.<br />
Institut <strong>de</strong> recherche pour le développement <strong>et</strong> université <strong>de</strong> la Nouvelle-<br />
Calédonie<br />
M. Édouard Bard (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> l’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan)<br />
donnera en août 2008, 3 <strong>cours</strong> sur : 1) Événements climatiques rapi<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>et</strong><br />
leur expression dans l’océan ; 2) Activité solaire <strong>et</strong> forçage climatique ;<br />
3) Changement climatique <strong>et</strong> niveau marin <strong>et</strong> 4 séminaires sur : Changement<br />
climatique <strong>et</strong> niveau marin.
1014 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009<br />
ALLEMAGNE<br />
Université <strong>de</strong> Bonn 1*<br />
À L’ÉTRANGER<br />
M. Pierre Corvol (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine expérimentale) donnera en<br />
mai 2009, 1 <strong>cours</strong> sur : Tumoral Angiogenesis.<br />
AUTRICHE<br />
Université <strong>de</strong> Vienne<br />
M. Michel Zink (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale)<br />
donnera du 15 au 29 avril 2009, 2 <strong>cours</strong> <strong>et</strong> 2 séminaires sur : « Lecture du Graal ».<br />
BELGIQUE<br />
Université Libre <strong>de</strong> Bruxelles*<br />
M me Mireille Delmas-Marty (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques <strong>et</strong><br />
internationalisation du droit) donnera à partir du 16 décembre 2008, 4 <strong>cours</strong> sur :<br />
Les valeurs universelles en questions : le « laboratoire européen ».<br />
M me Anne Fagot-Largeault (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences<br />
biologiques <strong>et</strong> médicales) donnera au printemps 2009, 3 <strong>cours</strong> sur : Ontologie du<br />
<strong>de</strong>venir.<br />
Université <strong>de</strong> Liège<br />
M. Antoine Labeyrie (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Astrophysique observationnelle)<br />
donnera au printemps 2009, 3 <strong>cours</strong> sur : L’émergence <strong><strong>de</strong>s</strong> hypertélescopes pour<br />
mieux voir les étoiles <strong>et</strong> l’univers lointain <strong>et</strong> 3 séminaires sur : Astrophysique.<br />
BRÉSIL<br />
Instituto <strong>de</strong> Matematica Pura e Aplicada - Rio <strong>de</strong> Janeiro<br />
M. Jean-Christophe Yoccoz (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong><strong>de</strong>s</strong> Équations différentielles <strong>et</strong><br />
systèmes dynamiques) donnera en janvier 2009, une série <strong>de</strong> 16 <strong>cours</strong> sur : Quelques<br />
résultats récents dans la théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes dynamiques.<br />
* Dans le cadre d’une convention signée avec le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>.
CANADA<br />
Université du Québec*<br />
PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009 1015<br />
M. Gilles Veinstein (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Histoire turque <strong>et</strong> ottomane) donnera<br />
du 29 septembre au 11 octobre 2008, 4 <strong>cours</strong> sur : Introduction aux institutions<br />
<strong>de</strong> l’État ottoman <strong>et</strong> 4 séminaires sur : Étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> documents d’archive ottomans<br />
(XVI e -XVIII e s.)<br />
CHINE<br />
City University of Hong Kong*<br />
M. Jean-Marie Lehn (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions<br />
moléculaires) donnera en octobre 2008, 3 <strong>cours</strong> sur : Molecular and Supramolecular<br />
Self-Organization.<br />
Université <strong>de</strong> Pékin<br />
Mme Christine P<strong>et</strong>it (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Génétique <strong>et</strong> Physiologie cellulaire)<br />
donnera au printemps 2009, 4 <strong>cours</strong> sur : Hereditary <strong>de</strong>afness – Molecular<br />
physiology of the cochlea.<br />
ESPAGNE<br />
Université Complutense <strong>de</strong> Madrid<br />
M. Roger Chartier (titulaire <strong>de</strong> la Chaire Ecrit <strong>et</strong> cultures dans l’Europe mo<strong>de</strong>rne)<br />
donnera 2 <strong>cours</strong> sur : Culture écrite <strong>et</strong> littérature au Siècle d’Or.<br />
ÉTATS-UNIS<br />
Université <strong>de</strong> Californie – San Diego<br />
M. Philippe Descola (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la nature) donnera<br />
en octobre 2008, 1 séminaire sur : Complex relationships.<br />
Université <strong>de</strong> Chicago*<br />
M. Philippe Descola (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la nature) donnera<br />
en octobre 2008, 2 <strong>cours</strong> <strong>et</strong> 2 séminaires sur : The institution of beings.
1016 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009<br />
Université Harvard<br />
M. Philippe Descola (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la nature) donnera<br />
en novembre 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : The anthropology of images.<br />
Université <strong>de</strong> Princ<strong>et</strong>on<br />
M. Philippe Descola (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la nature) donnera<br />
en novembre 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : Towards a monist anthropology.<br />
M. Pierre-Etienne Will (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne)<br />
donnera en novembre 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : Are there Political Resources for<br />
Democratic Institutions in Chinese History <strong>et</strong> 1 séminaire sur : The Penal Co<strong>de</strong><br />
and its Commentaries in the Ming and Qing Dynasties.<br />
Reed College – Portland<br />
M. Philippe Descola (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Anthropologie <strong>de</strong> la nature) donnera<br />
en octobre 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : Anthropology and ontology <strong>et</strong> 1 séminaire sur :<br />
New trends in the anthropology of nature.<br />
Université Stanford<br />
M. Michel Zink (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale)<br />
donnera du 5 au 13 mars 2009, 2 séminaires sur : « Chercher Dieu <strong>et</strong> le Graal ».<br />
Woods Hole Oceanographic Institution – Massachus<strong>et</strong>ts<br />
M. Édouard Bard (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan)<br />
donnera en octobre 2008, 1 <strong>cours</strong> sur : The last <strong>de</strong>glaciation.<br />
Université Yale – New Haven<br />
M. Michel Devor<strong>et</strong> (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Physique mésoscopique) donnera<br />
les 6, 8 <strong>et</strong> 13 octobre 2008, 3 <strong>cours</strong> sur : Quantum Noise in Mesoscopic Systems.<br />
INDE<br />
Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences <strong>de</strong> l’In<strong>de</strong> – Bangalore<br />
M. Marc Fontecave (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> processus biologiques)<br />
donnera en mai 2009, 3 <strong>cours</strong> <strong>et</strong> 3 séminaires sur : Chimie du vivant : enzymes <strong>et</strong><br />
m<strong>et</strong>alloenzymes (Biological chemistry : enzymes and m<strong>et</strong>alloenzymes).
ISRAËL<br />
PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009 1017<br />
Institute for Advanced Studies – Jerusalem*<br />
M. Gabriele Veneziano (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Particules élémentaires,<br />
gravitation <strong>et</strong> cosmologie) donnera entre le 15 mars <strong>et</strong> le 3 avril 2009, 3 <strong>cours</strong> <strong>et</strong><br />
3 séminaires sur : Transplanckian Scattering : A Gedanken Experiment for 21st<br />
Century Physics ?<br />
Université Hébraïque <strong>de</strong> Jérusalem*<br />
M. John Scheid (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Religion, institutions <strong>et</strong> société <strong>de</strong> la<br />
Rome antique) donnera en mars 2009, 2 <strong>cours</strong> sur : Statut civique <strong>et</strong> obligation<br />
religieuse.<br />
ITALIE<br />
Université <strong>de</strong> Gènes<br />
M. Alain Berthoz (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
l’action) donnera 1 <strong>cours</strong> sur : Peut-on donner une i<strong>de</strong>ntité à un humanoï<strong>de</strong> ?<br />
Université <strong>de</strong> Naples « L’Orientale »<br />
M. Gérard Fussman (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Histoire du mon<strong>de</strong> indien) donnera<br />
en décembre 2008, 4 <strong>cours</strong> sur : Pour une nouvelle histoire <strong>de</strong> l’In<strong>de</strong>.<br />
Université « La Sapienza » <strong>de</strong> Rome - Istituto italiano per l’Africa e l’Oriente<br />
M. Jean Kellens (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Langues <strong>et</strong> religions indo-iraniennes)<br />
donnera au printemps 2009, 3 <strong>cours</strong> sur : L’Avestique ancien à la lumière du corpus<br />
récent : question <strong>de</strong> chronologie relative <strong>et</strong> 3 séminaires en relation avec le <strong>cours</strong>.<br />
Université <strong>de</strong> Sienne<br />
M. Alain Berthoz (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
l’action) donnera 1 <strong>cours</strong> sur : Fon<strong>de</strong>ments cognitifs <strong>et</strong> pathologie <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité.<br />
PORTUGAL<br />
Université <strong>de</strong> Coimbra – Institut <strong>de</strong> systèmes <strong>et</strong> robotique<br />
M. Alain Berthoz (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
l’action) donnera 1 <strong>cours</strong> sur : Problèmes communs entre Robotique <strong>et</strong><br />
Neurosciences : la relation entre perception <strong>et</strong> action.
1018 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 2008-2009<br />
SUÈDE<br />
Université d’Uppsala*<br />
M. Jean-Marie Lehn (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions<br />
moléculaires) donnera en juin 2009, 4 <strong>cours</strong> sur : From Supramolecular Chemistry<br />
towards Adaptative Chemistry.<br />
M. Pierre Corvol (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine expérimentale) donnera en<br />
mars 2009, 2 <strong>cours</strong> sur : 1) Angiotensin and hematopoiesis ; 2) Angiogenic effects<br />
of vasoactive pepti<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />
SUISSE<br />
Université <strong>de</strong> Berne<br />
M. Édouard Bard (titulaire <strong>de</strong> la Chaire d’Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan)<br />
donnera au printemps 2009, 10 <strong>cours</strong> sur : Changements climatiques brusques <strong>et</strong><br />
glaciations.<br />
TCHÉQUIE<br />
Université Charles – Prague*<br />
M. Jean-Marie Lehn (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions<br />
moléculaires) donnera en septembre 2008, 4 <strong>cours</strong> sur : Molecular and<br />
Supramolecular Chemistry – Towards Self-Organization.<br />
M. Michel Zink (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale)<br />
donnera du 30 avril au 7 mai 2009, 2 <strong>cours</strong> <strong>et</strong> 2 séminaires sur : Qu’est-ce que la<br />
quête du Graal ?<br />
TUNISIE<br />
Université <strong>de</strong> Tunis<br />
M. Jacques Livage (titulaire <strong>de</strong> la Chaire <strong>de</strong> Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée)<br />
donnera en février 2009, 3 <strong>cours</strong> sur : Chimie douce <strong>et</strong> matériaux.
Table <strong><strong>de</strong>s</strong> matières<br />
Le <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ................................................................................ 5<br />
Chronique <strong>de</strong> l’année académique 2007-2008 ........................................... 69<br />
Nécrologie ................................................................................................. 71<br />
Résumés <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> <strong>et</strong> <strong>travaux</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs<br />
pour l’année académique 2007-2008 ............................................... 75<br />
I. Sciences mathématiques, physiques <strong>et</strong> naturelles ................................ 75<br />
Analyse <strong>et</strong> Géométrie (M. Alain Connes) ................................................. 77<br />
Équations différentielles <strong>et</strong> systèmes dynamiques<br />
(M. Jean-Christophe Yoccoz) ............................................................. 87<br />
Équations aux dérivées partielles <strong>et</strong> applications (M. Pierre-Louis Lions) ... 95<br />
Théorie <strong><strong>de</strong>s</strong> nombres (M. Don Zagier) ..................................................... 105<br />
Physique quantique (M. Serge Haroche) .................................................. 115<br />
Physique mésoscopique (M. Michel Devor<strong>et</strong>) .......................................... 127<br />
Particules élémentaires, gravitation <strong>et</strong> cosmologie (M. Gabriele Veneziano) 135<br />
Géodynamique (M. Xavier Le Pichon) ..................................................... 143<br />
Évolution du climat <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’océan (M. Édouard Bard)................................ 149
1020 TABLE DES MATIÈRES<br />
Astrophysique observationnelle (M. Antoine Labeyrie) ............................. 163<br />
Chimie <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions moléculaires (M. Jean-Marie Lehn) ..................... 169<br />
Chimie <strong>de</strong> la matière con<strong>de</strong>nsée (M. Jacques Livage) ................................. 187<br />
Génétique humaine (M. Jean-Louis Man<strong>de</strong>l) ........................................... 195<br />
Génétique <strong>et</strong> physiologie cellulaire (M me Christine P<strong>et</strong>it) ......................... 217<br />
Biologie <strong>et</strong> génétique du développement (M. Spyros Artavanis-Tsakonas) 245<br />
Processus morphogénétiques (M. Alain Prochiantz) ................................ 253<br />
Immunologie moléculaire (M. Philippe Kourilsky) .................................. 267<br />
Psychologie cognitive expérimentale (M. Stanislas Dehaene) .................... 277<br />
Physiologie <strong>de</strong> la perception <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’action (M. Alain Berthoz) ................. 303<br />
Mé<strong>de</strong>cine expérimentale (M. Pierre Corvol)............................................. 329<br />
Biologie historique <strong>et</strong> évolutionnisme (M. Armand <strong>de</strong> Ricqlès) ................ 349<br />
Paléontologie humaine (M. Michel Brun<strong>et</strong>) ............................................. 375<br />
II. Sciences philosophiques <strong>et</strong> sociologiques ......................................... 393<br />
Philosophie du langage <strong>et</strong> <strong>de</strong> la connaissance (M. Jacques Bouveresse) ..... 395<br />
Philosophie <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences biologiques <strong>et</strong> médicales<br />
(M me Anne Fagot-Largeault) ............................................................ 407<br />
Histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> syncrétismes <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> l’Antiquité (M. Michel Tardieu) ...... 435<br />
Anthropologie <strong>de</strong> la nature (M. Philippe Descola) ................................... 447<br />
Chaire théorie économique <strong>et</strong> organisation sociale (M. Roger Guesnerie) .. 449<br />
Histoire mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine du politique (M. Pierre Rosanvallon) 459<br />
Écrit <strong>et</strong> cultures dans l’Europe mo<strong>de</strong>rne (M. Roger Chartier) .................. 469<br />
Histoire contemporaine du mon<strong>de</strong> arabe (M. Henry Laurens) .................. 497<br />
Rationalité <strong>et</strong> sciences sociales (M. Jon Elster) ......................................... 505<br />
Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> juridiques comparatives <strong>et</strong> internationalisation du droit<br />
(Mireille Delmas-Marty) ................................................................... 521
TABLE DES MATIÈRES 1021<br />
III. Sciences historiques, philologiques <strong>et</strong> archéologiques .................... 547<br />
Civilisation pharaonique : archéologie, philologie, histoire<br />
(M. Nicolas Grimal) ........................................................................... 549<br />
Assyriologie (M. Jean-Marie Durand) ....................................................... 565<br />
Histoire <strong>et</strong> civilisation du mon<strong>de</strong> achéméni<strong>de</strong><strong>et</strong> <strong>de</strong> l’empire d’Alexandre<br />
(M. Pierre Briant) .............................................................................. 581<br />
Épigraphie <strong>et</strong> histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> cités grecques (M. Denis Knoepfler) ................ 593<br />
Religion, institutions <strong>et</strong> société <strong>de</strong> la Rome antique (M. John Scheid) ....... 621<br />
Langues <strong>et</strong> religions indo-iraniennes (M. Jean Kellens) ............................ 639<br />
Histoire du mon<strong>de</strong> indien (M. Gérard Fussman) ....................................... 643<br />
Histoire <strong>de</strong> la Chine mo<strong>de</strong>rne (M. Pierre-Étienne Will) ............................ 651<br />
Antiquités nationales (M. Christian Goudineau) ...................................... 673<br />
Histoire turque <strong>et</strong> ottomane (M. Gilles Veinstein) .................................... 679<br />
Littératures <strong>de</strong> la <strong>France</strong> médiévale (M. Michel Zink) ................................ 705<br />
Littérature française mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> contemporaine :<br />
histoire, critique, théorie (M. Antoine Compagnon) ........................... 723<br />
Littératures mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> l’Europe néolatine (M. Carlo Ossola) ................ 741<br />
Étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la création littéraire en langue anglaise (M. Michael Edwards) .... 755<br />
Histoire <strong>de</strong> l’art européen médiéval <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne (M. Roland Recht) .......... 777<br />
IV. Chaires annuelles .............................................................................. 779<br />
Chaire <strong>de</strong> création artistique (M me Ariane Mnouchkine) ......................... 781<br />
Chaire européenne (M. Manfred Kropp) ................................................... 783<br />
Chaire internationale (M. Pierre Magistr<strong>et</strong>ti) ......................................... 803<br />
Chaire d’innovation technologique-Liliane B<strong>et</strong>tencourt<br />
(M. Gérard Berry) .............................................................................. 821
1022 TABLE DES MATIÈRES<br />
Professeurs honoraires (activités, publications) .................................... 847<br />
Enseignement <strong><strong>de</strong>s</strong> Professeurs en province <strong>et</strong> à l’étranger ............... 883<br />
Cours <strong>et</strong> conférences sur invitation <strong>de</strong> l’Assemblée <strong><strong>de</strong>s</strong> professeurs 889<br />
Cours <strong>et</strong> conférences (<strong>résumés</strong>) ............................................................ 893<br />
Les équipes accueillies au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ..................................... 933<br />
Maîtres <strong>de</strong> conférences <strong>et</strong> ater rattachés au <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
en 2007-2008 ...................................................................................... 977<br />
Personnel du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ......................................................... 979<br />
Instances statutaires <strong>et</strong> administratives du <strong>Collège</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> ....... 987<br />
Programme <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l’année académique 2008-2009.................... 999<br />
Table <strong><strong>de</strong>s</strong> matières ...................................................................................... 1019
Conception graphique, mise en page <strong>et</strong> impression<br />
bialec, nancy (<strong>France</strong>)<br />
Dépôt légal n° 69755 - décembre 2008