DIGITHÈQUE - Université Libre de Bruxelles
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U N I V E R S I T É L I B R E D E B R U X E L L E S , U N I V E R S I T É D ' E U R O P E<br />
<strong>DIGITHÈQUE</strong><br />
<strong>Université</strong> libre <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong><br />
___________________________<br />
TROUSSON Raymond, Thèmes et mythes. Questions <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>,<br />
<strong>Bruxelles</strong>, Editions <strong>de</strong> l’<strong>Université</strong> <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong>, 1981.<br />
___________________________<br />
Cette œuvre littéraire est soumise à la législation belge en<br />
matière <strong>de</strong> droit d’auteur.<br />
Elle a été publiée par les<br />
Editions <strong>de</strong> l’<strong>Université</strong> <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong><br />
http://www.editions-universite-bruxelles.be/<br />
Les règles d’utilisation <strong>de</strong> la présente copie numérique <strong>de</strong> cette<br />
œuvre sont visibles sur la <strong>de</strong>rnière page <strong>de</strong> ce document.<br />
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http://digitheque.ulb.ac.be/<br />
Accessible à : http://digistore.bib.ulb.ac.be/2011/i2800407441_000_f.pdf
Thèmes et mythes<br />
Questions <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>
Paru chez le même éditeur :<br />
— Voyages aux Pays <strong>de</strong> Nulle Part. Histoire littéraire <strong>de</strong> la pensée<br />
utopique. Deuxième édition augmentée, 1979.
Raymond Trous son<br />
Thèmes et mythes<br />
Questions <strong>de</strong> métho<strong>de</strong><br />
Arguments et Documents<br />
Éditions <strong>de</strong> l'<strong>Université</strong> <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong>
Conformément aux statuts <strong>de</strong>s Éditions <strong>de</strong> l'<strong>Université</strong> <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong>,<br />
le manuscrit <strong>de</strong> la présente étu<strong>de</strong> a été soumis à un Comité <strong>de</strong><br />
lecture qui en a recommandé la publication.<br />
Ce Comité était composé <strong>de</strong> MM. J. BINGEN<br />
I.S.B.N. 2-8004-0744-1<br />
D/1981/0171/14<br />
© 1981 by Éditions <strong>de</strong> l'<strong>Université</strong> <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong><br />
Parc Léopold, 1040 <strong>Bruxelles</strong> (Belgique)<br />
R. MORTIER<br />
J. WEISGERBER<br />
Tous droits <strong>de</strong> traduction et <strong>de</strong> reproduction réservés pour tous pays<br />
Imprimé en Belgique
LES ÉTUDES DE THÈMES :<br />
HIER ET AUJOURD'HUI<br />
Quand Bene<strong>de</strong>tto Croce, dès 1904, saisissait le prétexte offert<br />
par le compte rendu d'un livre sur le thème <strong>de</strong> Sophonisbe « pour<br />
mettre en gar<strong>de</strong> contre les dangers <strong>de</strong> ces travaux <strong>de</strong> comparaison,<br />
sujets <strong>de</strong> prédilection <strong>de</strong> la vieille critique et souvent décorés <strong>de</strong><br />
l'appellation, quelque peu ambitieuse, d'étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> littérature<br />
comparée» 1 , il exprimait, un <strong>de</strong>s premiers, une opinion appelée,<br />
au fil <strong>de</strong>s années, à se généraliser. Un quart <strong>de</strong> siècle après le<br />
savant italien, Paul Van Tieghem écrivait à propos <strong>de</strong>s enquêtes<br />
thématologiques : « De pareilles étu<strong>de</strong>s sont ou paraissent faciles<br />
et intéressantes, et nous comprendrons pourquoi l'on compte par<br />
centaines les dissertations <strong>de</strong> doctorat étrangères, les articles, où<br />
un motif, un thème est étudié méthodiquement dans <strong>de</strong>ux, dans<br />
plusieurs, dans la totalité <strong>de</strong>s formes qu'il a reçues, <strong>de</strong> manière à<br />
amuser l'esprit, à satisfaire la curiosité, mais sans gran<strong>de</strong> utilité<br />
pour l'histoire <strong>de</strong> la littérature» 2 . Trente ans encore, et la troisième<br />
édition <strong>de</strong> la Littérature comparée <strong>de</strong> M.-F. Guyard ne leur<br />
réservait pas un meilleur accueil et, plus récemment, Etiemble<br />
concédait du bout <strong>de</strong> la plume, après beaucoup <strong>de</strong> réserves, que<br />
«l'étu<strong>de</strong> d'un thème peut servir [...] l'intelligence <strong>de</strong> la littérature<br />
» 3 . La méfiance, malgré les années et malgré la multiplication<br />
<strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thématologie, loin <strong>de</strong> diminuer, n'avait fait que croître.<br />
Phénomène paradoxal, la répugnance grandissante pour la thématologie<br />
— mieux connue peut-être sous le nom <strong>de</strong> Stoffgeschichte,<br />
son appellation d'outre-Rhin —, n'a pas empêché les<br />
chercheurs <strong>de</strong> continuer à s'intéresser à l'histoire <strong>de</strong>s thèmes,<br />
même quand ils se savaient condamnés d'avance à voir leurs
8 THEMES ET MYTHES<br />
enquêtes sur Sophonisbe ou Inès <strong>de</strong> Castro, sur Orphée ou Judas,<br />
considérées avec une défiance médiocrement flatteuse et pour euxmêmes,<br />
et pour leurs sujets.<br />
Un peu partout la thématologie était frappée d'exclusion : on la<br />
disait trop érudite ou superficielle, on lui reprochait <strong>de</strong>s cadres<br />
trop étroits ou une ambition démesurée, on la bannissait <strong>de</strong> la littérature<br />
comparée et — pourquoi pas ? — <strong>de</strong> la littérature tout<br />
court. La conviction qui avait soutenu jadis la Zeitschrifî fur vergleichen<strong>de</strong><br />
Literaturgeschichte <strong>de</strong> Max Koch (1886-1910), ou la<br />
collection <strong>de</strong>s Studien zur vergleichen<strong>de</strong>n Literaturgeschichte<br />
(1901-1909), ou encore la série <strong>de</strong> seize volumes, publiée <strong>de</strong> 1929 à<br />
1937 par Paul Merker, sur la Stoff- und Motivgeschichte <strong>de</strong>r<br />
<strong>de</strong>utschen Literatur, avait succombé <strong>de</strong>puis longtemps sous les<br />
critiques, l'indifférence et le dédain.<br />
Et pourtant la thématologie n'était pas morte, son vieux charme<br />
agissait toujours, que ce fût auprès <strong>de</strong> jeunes étudiants en quête<br />
d'un sujet <strong>de</strong> travail <strong>de</strong> fin d'étu<strong>de</strong>s, ou <strong>de</strong> maîtres chevronnés<br />
comme Robert Vivier ou Charles Dédéyan. C'est, après tout, à la<br />
fois heureux et peu surprenant, car l'homme vit <strong>de</strong> ses mythes où<br />
il se retrouve et se poursuit.<br />
Pourquoi éprouve-t-il le besoin d'inventorier sans cesse ces<br />
ancestrales légen<strong>de</strong>s ? C'est qu'étudier leur histoire, se pencher sur<br />
le secret <strong>de</strong> leurs mutations infinies, c'est aussi apprendre à connaître<br />
sa propre odyssée dans ce qu'elle a <strong>de</strong> plus élevé et souvent<br />
<strong>de</strong> plus tragique. Dans toute conscience éprise <strong>de</strong> justice il y a une<br />
Antigone, dans toute révolte un Prométhée, dans toute quête un<br />
Orphée ; nous frémissons <strong>de</strong>vant Médée, rêvons <strong>de</strong>vant Tristan,<br />
tremblons <strong>de</strong>vant Oedipe. Ces héros sont en nous et nous sommes<br />
en eux ; ils vivent <strong>de</strong> notre vie, nous nous pensons sous leur enveloppe.<br />
En tout homme sommeillent ou s'agitent un Oreste et un<br />
Faust, un Don Juan et un Saùl ; nos mythes et nos thèmes légendaires<br />
sont notre polyvalence, ils sont les exposants <strong>de</strong> l'humanité,<br />
les formes idéales du <strong>de</strong>stin tragique, <strong>de</strong> la condition humaine.<br />
De là le paradoxe: condamner les livres sur Oedipe et le Cid,
HIER ET AUJOURD'HUI 9<br />
mais revenir aux héros comme aux pôles <strong>de</strong> notre être et <strong>de</strong> notre<br />
culture, parce qu'ils incarnent ce qu'il y a en l'homme d'éternel et<br />
d'indéfiniment transmissible, la mesure <strong>de</strong> son humanité, sa gran<strong>de</strong>ur<br />
et sa faiblesse, ses combats contre lui-même et les dieux.<br />
Quand telle est la force vitale, quand telle est la puissance<br />
d'immortalité et d'évocation qui habitent les grands thèmes <strong>de</strong> la<br />
littérature européenne, l'indifférence ou l'hostilité témoignées aux<br />
étu<strong>de</strong>s qui leur sont consacrées n'est-elle pas faite pour surprendre<br />
? Les vieux mythes <strong>de</strong> notre civilisation ne contiennent-ils pas<br />
assez <strong>de</strong> richesses et <strong>de</strong> mystère pour tenter le chercheur le plus exigeant<br />
et la multiplicité <strong>de</strong> leurs incarnations n'a-t-elle pas <strong>de</strong> quoi<br />
solliciter l'esprit le moins curieux ? Au cœur <strong>de</strong> ces antiques légen<strong>de</strong>s<br />
veillent quelques-uns <strong>de</strong>s symboles primordiaux <strong>de</strong> la culture<br />
occi<strong>de</strong>ntale, quelques-uns <strong>de</strong>s signes exaltants ou terribles <strong>de</strong><br />
l'aventure humaine ; motif suffisant, peut-être, <strong>de</strong> se pencher sur<br />
eux.<br />
Or le désintérêt trop répandu, l'anathème jeté par <strong>de</strong>s savants<br />
aussi éminents que Paul Hazard 4 ou Bene<strong>de</strong>tto Croce conduisaient<br />
à penser que la thématologie recèle en réalité un attrait<br />
trompeur, un intérêt fallacieux qui, à l'épreuve, s'évanouit<br />
comme un mirage et l'on s'en convaincra mieux encore en<br />
déployant l'éventail <strong>de</strong>s reproches élevés contre elle pendant plus<br />
d'un <strong>de</strong>mi-siècle. Au mieux fournissait-elle au débutant un sujet<br />
10 THEMES ET MYTHES<br />
En d'autres termes, la médiocrité <strong>de</strong> nombreux travaux étaitelle<br />
inévitable dès qu'il s'agissait d'une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> thème, ou bien les<br />
étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes n'ont-elles souvent produit que <strong>de</strong>s fruits secs<br />
faute <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s et <strong>de</strong> principes adéquats ? Il y a là matière à<br />
réflexion et peut-être à examen <strong>de</strong> conscience ! S'il nous tombe<br />
entre les mains une monographie étriquée et sans rayonnement,<br />
mal construite et mal pensée, songeons-nous à condamner, non<br />
pas cette monographie, mais la Monographie ? Nous ferons grief<br />
à l'auteur <strong>de</strong>s insuffisances <strong>de</strong> son travail, nous nous en prendrons<br />
à son talent, à ses capacités, à sa métho<strong>de</strong>, à son information, à<br />
n'importe quoi enfin, sauf à ce type d'étu<strong>de</strong>, béni et consacré <strong>de</strong><br />
longue date, qu'est la monographie.<br />
Ne convenait-il pas alors, en toute justice, <strong>de</strong> chercher à savoir<br />
si la thématologie n'avait pas souffert arbitrairement <strong>de</strong> l'absence<br />
d'une réflexion préalable sur sa nature, son objet et ses métho<strong>de</strong>s<br />
? si les objections qui lui étaient faites ne relevaient pas, précisément,<br />
<strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s défectueuses qu'il suffisait <strong>de</strong> changer, d'un<br />
défaut d'organisation interne auquel on pouvait remédier ? était-il<br />
chimérique, enfin, <strong>de</strong> craindre qu'elle n'eût eu parfois à essuyer<br />
les critiques <strong>de</strong> comparatistes qui n'étaient pas thématologues, ou<br />
que <strong>de</strong>s thématologues qui n'étaient pas comparatistes n'eussent<br />
bafoué quelquefois <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong> base <strong>de</strong> la littérature comparée?<br />
Nous nous étions risqué, voici une quinzaine d'années, à rompre<br />
une lance en faveur <strong>de</strong> cette Stoffgeschichte si discréditée, à<br />
prononcer pour elle un « plaidoyer » et même à lui consacrer un<br />
petit volume <strong>de</strong> méthodologie 5 . Aujourd'hui, un bref état <strong>de</strong>s<br />
recherches permet <strong>de</strong> le constater, semblable défense et illustration<br />
a bien perdu — qui ne s'en réjouira? — <strong>de</strong> son caractère<br />
aventureux.<br />
Peu <strong>de</strong> disciplines, en effet, ont connu rétablissement aussi<br />
rapi<strong>de</strong> et aussi spectaculaire, au point qu'il serait difficile <strong>de</strong> dresser<br />
une liste <strong>de</strong>s travaux récents qui ont rendu à la thématologie<br />
«tout son lustre» 6 . Les thèmes les plus prestigieux, bénéficiant
HIER ET AUJOURD'HUI 11<br />
d'un perfectionnement <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s d'analyse, n'ont pas cessé <strong>de</strong><br />
retenir l'attention. L'histoire <strong>de</strong> Faust, racontée déjà en six volumes<br />
par Ch. Dédéyan, a été éclairée, pour le vingtième siècle, par<br />
A. Dabezies ; Prométhée, <strong>de</strong>puis le XIX e siècle l'une <strong>de</strong>s figures<br />
les plus glorieuses <strong>de</strong> la civilisation occi<strong>de</strong>ntale, a suscité les<br />
enquêtes <strong>de</strong> Ch. Kreutz pour le romantisme anglais, <strong>de</strong> L. Prémont<br />
pour la littérature française contemporaine, <strong>de</strong> J. Duchemin<br />
pour un survol <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong> son histoire. Orphée, étudié du<br />
Parnasse à la poésie contemporaine par E. Kushner, a eu les honneurs<br />
d'une journée du Congrès annuel <strong>de</strong> l'Association Internationale<br />
<strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s Françaises en 1969 et est présent tout au long<br />
du livre <strong>de</strong> B. Ju<strong>de</strong>n sur P«orphisme» dans le romantisme<br />
français 7 . Des ouvrages ou <strong>de</strong>s articles substantiels ont été consacrés<br />
à Hercule, à Job, à Phèdre, à Iphigénie 8 , tandis que, du côté<br />
<strong>de</strong>s personnages historiques, on s'intéressait au rôle <strong>de</strong> Socrate ou<br />
<strong>de</strong> Jeanne d'Arc dans la littérature militante <strong>de</strong>s Lumières, au <strong>de</strong>stin<br />
<strong>de</strong> Napoléon au XIX e et au XX e siècles, à Robespierre dans<br />
l'histoire du théâtre, ou à la fortune <strong>de</strong> Lorenzaccio, <strong>de</strong> Jérôme<br />
Cardan à Musset 9 . Faut-il rappeler encore, dans une collection<br />
spécialisée, <strong>de</strong>s travaux très neufs sur Electre, Antigone, Faust,<br />
Oedipe ou Don Juan 10 ?<br />
Le renouveau s'est étendu à <strong>de</strong>s personnages moins illustres,<br />
mais dont les avatars se sont révélés plus féconds qu'on ne supposait<br />
: à Narcisse, étudié par L. Vinge, ou à Daphné, dont le succès<br />
européen est éclairé par Y.F.-A. Giraud n . Et même <strong>de</strong>s silhouettes<br />
plus discrètes ont gagné le <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la scène : M. Bélier s'est<br />
attaché au vieux couple <strong>de</strong> Philémon et Baucis et à la métaphore<br />
mythologique du Jupiter tonans comme représentation <strong>de</strong> la puissance<br />
en poésie, H. Anton aux interprétations successives du rapt<br />
<strong>de</strong> Proserpine et H. Dôrrie a écrit <strong>de</strong> belles pages sur Galatée et<br />
Pygmalion dans la littérature et dans l'art 12 .<br />
Superficiel et incomplet, ce bilan n'en porte pas moins témoignage<br />
d'une véritable renaissance <strong>de</strong> la thématologie, qui a<br />
retrouvé une vigueur neuve et peut-être aussi un aplomb qu'elle
12 THÈMES ET MYTHES<br />
n'eût osé montrer à l'époque, encore proche, <strong>de</strong> sa disgrâce. Qui<br />
se fût risqué alors à écrire que les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes « sont vraisemblablement<br />
appelées à <strong>de</strong>venir Tune <strong>de</strong>s branches les plus riches et<br />
les plus actives du comparatisme, tout autant que les étu<strong>de</strong>s<br />
d'influence ou l'histoire <strong>de</strong>s mouvements littéraires internationaux<br />
» 13 ? Appelées à <strong>de</strong>venir. La formule a son poids : pour la<br />
première fois <strong>de</strong>puis un <strong>de</strong>mi-siècle, la Stoffgeschichte se découvre,<br />
non plus seulement un passé, mais un avenir.<br />
Au renouvellement <strong>de</strong> la discipline a répondu, chez les historiens<br />
et les théoriciens du comparatisme, un revirement <strong>de</strong> l'attitu<strong>de</strong><br />
critique.<br />
Ici encore, un coup d'oeil suffit. Dès 1967, Cl. Pichois et A.-M.<br />
Rousseau consacraient plusieurs pages favorables aux étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />
thèmes et concluaient : « Si nous définissons le thème comme le<br />
point <strong>de</strong> rencontre d'un esprit créateur et d'une matière littéraire<br />
ou simplement humaine, la thématologie reprend tous ses droits ».<br />
L'année suivante, S. Jeune lui faisait une place <strong>de</strong> choix dans la<br />
littérature générale, tout comme J. Brandt-Corstius ; H. Levin en<br />
discutait dans un important article et, peu après, U. Weisstein lui<br />
réservait un chapitre entier. Depuis, F. Jost ou H. Dyserinck se<br />
sont plus à reconnaître son importance 14 . E. Frenzel, après avoir<br />
publié en 1966 une nouvelle étu<strong>de</strong> théorique, procurait la quatrième<br />
édition, considérablement augmentée, <strong>de</strong> son indispensable<br />
dictionnaire <strong>de</strong>s thèmes et, la même année, un précieux recensement<br />
<strong>de</strong>s «motifs » <strong>de</strong> la littérature mondiale 15 .<br />
Observons enfin que la thématologie a bénéficié d'une conception<br />
assouplie du comparatisme, où la notion <strong>de</strong> comparaison ou<br />
<strong>de</strong> confluence s'est implantée à côté <strong>de</strong> celle d'influence et <strong>de</strong> relation<br />
<strong>de</strong> fait. Dès lors que comparaisons et rapprochements obtenaient<br />
droit <strong>de</strong> cité et que la littérature comparée accueillait « tout<br />
thème ou motif qui permette <strong>de</strong> regrouper les œuvres sans considération<br />
<strong>de</strong> nationalité, en allant <strong>de</strong> la causalité la plus immédiate<br />
aux affinités indirectes » 16 , les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes pouvaient revendiques<br />
une importance nouvelle.
HIER ET AUJOURD'HUI 13<br />
Dans la théorie comme dans la pratique, la Stoffgeschichte s'est<br />
donc vu reconnaître une dignité insoupçonnée. Non pas que, du<br />
jour au len<strong>de</strong>main, toutes les réserves aient disparu, mais elles se<br />
sont atténuées, nuancées. Si Ton conseille encore la pru<strong>de</strong>nce<br />
<strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s synthèses qui embrassent plusieurs siècles et braconnent<br />
aux frontières <strong>de</strong> diverses disciplines, ce n'est plus méfiance<br />
ou scepticisme systématiques, mais simple mise en gar<strong>de</strong> contre les<br />
difficultés inhérentes à ce type <strong>de</strong> recherches. Le temps n'est plus<br />
où l'on pensait que l'histoire d'un thème se résume aune accumulation<br />
<strong>de</strong> fiches, à une collection <strong>de</strong> disparates.<br />
C'est pourquoi il ne nous a pas paru inopportun <strong>de</strong> publier une<br />
nouvelle version du petit livre paru voici quinze ans. Si nous nous<br />
en tenons, pour les principes essentiels, à la doctrine élaborée<br />
jadis, nous avons essayé ici <strong>de</strong> compléter et <strong>de</strong> mettre à jour notre<br />
information, d'abor<strong>de</strong>r les problèmes <strong>de</strong> définition et <strong>de</strong> terminologie,<br />
<strong>de</strong> faire une place aux récentes métho<strong>de</strong>s d'analyse.<br />
Notre objectif, cela va sans dire, <strong>de</strong>meure mo<strong>de</strong>ste. Ces pages<br />
<strong>de</strong>vraient servir d'introduction à une discipline particulière, qui a<br />
ses règles et ses exigences, constituer un manuel procédant par<br />
suggestions et non par décrets.<br />
Notre propos sera donc d'énoncer, non pas la charte <strong>de</strong> la thématologie,<br />
mais un certain nombre <strong>de</strong> conditions sans lesquelles<br />
elle n'est pas ce qu'elle peut être, quelques principes méthodologiques<br />
indispensables. Cet énoncé, nous ne le prétendons ni complet<br />
ni doué <strong>de</strong>s vertus d'un catéchisme. Chaque thème impose à la<br />
théorie <strong>de</strong>s nuances, <strong>de</strong>s variantes ou <strong>de</strong>s compléments, et cela<br />
pour la simple raison que chaque sujet porte en soi ses déterminants,<br />
sollicite la métho<strong>de</strong> qui lui convient seule parfaitement.<br />
Nous souhaitons présenter ici <strong>de</strong>s directives générales, <strong>de</strong>s<br />
réflexions inspirées par la pratique <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes et en particulier<br />
par celle que nous avons menée, il y a plusieurs années<br />
déjà, sur l'histoire européenne <strong>de</strong> Prométhée, l'une <strong>de</strong>s figures les<br />
plus éblouissantes et les moins connues du panthéon<br />
mythologique 17 . Nous ne reviendrons donc pas sur les considéra-
14 THÈMES ET MYTHES<br />
tions théoriques, historiques et philosophiques auxquelles s'est<br />
livrée Elisabeth Frenzel. On trouvera chez elle <strong>de</strong>s indications précieuses<br />
sur les instruments <strong>de</strong> travail, les travaux existants et l'histoire<br />
<strong>de</strong> la thématologie l8 . En ce qui nous concerne, nous en resterons<br />
à la pratique, à la métho<strong>de</strong>, nous efforçant <strong>de</strong> réfuter quelques<br />
objections traditionnelles, <strong>de</strong> signaler quelques voies possibles<br />
d'exploitation, quelques perspectives.
UNE TERMINOLOGIE AMBIGUË<br />
L'essor <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes, il faut le reconnaître, s'est<br />
déployé parfois dans une certaine confusion <strong>de</strong>s concepts et <strong>de</strong>s<br />
définitions 19 . La difficulté est rendue plus ardue par la nécessité<br />
<strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s équivalents en plusieurs langues, et Ton découvre<br />
vite que Stoff, thème ou thème n'ont pas nécessairement le même<br />
sens pour tout le mon<strong>de</strong> ; en outre, <strong>de</strong>s termes couramment<br />
employés — motif, type, fable, mythe, légen<strong>de</strong>, etc. — sont<br />
volontiers utilisés comme synonymes, usage peu propice à la précision.<br />
Il suffit d'ailleurs <strong>de</strong> passer en revue quelques-unes <strong>de</strong>s<br />
définitions existantes pour prendre conscience <strong>de</strong> la complexité <strong>de</strong><br />
la question.<br />
Lorsqu'il s'agit <strong>de</strong> retracer l'histoire d'un personnage, S. Jeune,<br />
par exemple, propose <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> types <strong>de</strong> diverses catégories :<br />
légendaires et mythologiques (Prométhée, Orphée), bibliques<br />
(Moïse), <strong>de</strong>s romans courtois (Tristan), littéraires (Don Juan), historiques<br />
(Alexandre, Jeanne d'Arc), sociaux et professionnels (le<br />
soldat, le laboureur, la prostituée). Les thèmes ou sujets (renvoyant<br />
selon lui à l'allemand Stoffgeschichte) désigneront une<br />
matière moins précise: l'océan, la montagne, <strong>de</strong>s sentiments<br />
(haine, amour), ou <strong>de</strong>s idées (progrès, justice). Dans cette perspective,<br />
pourquoi ne pas adjoindre le type «national » (l'Anglais, le<br />
Turc, l'Allemand), qui pourrait fort bien figurer, après tout, aux<br />
côtés du banquier et du magistrat ?<br />
Le même genre <strong>de</strong> distinctions se retrouve sous la plume <strong>de</strong> Cl.<br />
Pichois et A.-M. Rousseau, mais avec une différence <strong>de</strong> vocabulaire.<br />
Les types <strong>de</strong> S. Jeune <strong>de</strong>viennent ici <strong>de</strong>s personnages littéraires»<br />
tandis qu'aux types sociaux et professionnels viennent s'ajouter<br />
les types psychologiques (le fou, le misanthrope, l'avare). U.
16<br />
THÈMES ET MYTHES<br />
Weisstein, pour sa part, parle <strong>de</strong> thèmes dans le cas <strong>de</strong>s types individualisés<br />
et <strong>de</strong> motifs quand il s'agit d'une situation, en y joignant<br />
les catégories <strong>de</strong>s idées et <strong>de</strong>s sentiments — l'ancienne Problemgeschichte,<br />
rangée parmi les thèmes par S. Jeune.<br />
Quant à la thématologie, que P. Van Tieghem suggérait en 1931<br />
comme équivalent <strong>de</strong> Stoffgeschichte, il lui arrive d'être confondue,<br />
dans la critique contemporaine, avec la thématique, où le<br />
thème <strong>de</strong>vient «réseau organisé d'obsessions » selon R. Barthes, à<br />
moins qu'il ne soit, chez J.-P. Weber, «un événement ou une<br />
situation infantiles», ou, pour J.-P. Richard, «une constellation<br />
<strong>de</strong> mots, d'idées, <strong>de</strong> concepts», ou encore, pour G. Genot, «un<br />
élément verbal». Devant cette multiplicité <strong>de</strong> définitions, on est<br />
en droit <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si les rénovateurs <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes —<br />
pour bienvenus qu'ils soient — parlent bien toujours <strong>de</strong> la même<br />
réalité. Or F. <strong>de</strong> Saussure nous en avertit : « C'est une mauvaise<br />
métho<strong>de</strong> que <strong>de</strong> partir <strong>de</strong>s mots pour définir les choses » 20 .<br />
Comment s'étonner si même le terme traditionnel <strong>de</strong> Stoffgeschichte<br />
paraît aujourd'hui peu adéquat ? Aux yeux <strong>de</strong> M. Bélier,<br />
Stoff désigne la matière (ce que S. Jeune appelait sujet), alors<br />
que Thema lui semble concerner à la fois la matière et la forme<br />
expressive. Logiquement, Thema englobant Stoff, et M. Bélier<br />
souhaitant s'intéresser aux signifiants non moins qu'aux signifiés,<br />
il voudrait évincer Stoffgeschichte au profit <strong>de</strong> Thématologie,<br />
concept plus riche et plus complexe. Mais l'accord ne se fait pas<br />
davantage ici qu'ailleurs : la nouvelle appellation est contestée par<br />
J. Schulze et H. Levin n'y voit pas autre chose qu'«une approximation<br />
pseudo-scientifique » et rejette un néologisme superflu 2I .<br />
Nulle part cependant la confusion n'est plus gran<strong>de</strong> que dans<br />
l'emploi du terme mythe, lequel, perpétuellement soumis au traitement<br />
<strong>de</strong> Procuste, recouvre volontiers toutes les catégories énumérées<br />
ci-<strong>de</strong>ssus. On parle du mythe d'Orphée, autrefois lié aux<br />
mystères, <strong>de</strong>s mythes précolombiens affleurant dans les récits<br />
d'Asturias ou <strong>de</strong> Cortazar, du mythe du labyrinthe dans le roman<br />
contemporain, <strong>de</strong>s mythes comme structures permanentes <strong>de</strong>
UNE TERMINOLOGIE AMBIGUË 17<br />
l'imaginaire, du mythe <strong>de</strong> l'utopie — à moins que ce ne soit <strong>de</strong><br />
l'utopie du mythe... Ici il est image ou métaphore, là métalangage<br />
ou synonyme <strong>de</strong> légen<strong>de</strong>, texte, parole, récit, discours, etc.<br />
Dans le domaine <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong>s religions, le mythe, enseigne<br />
Mircea Elia<strong>de</strong>, « raconte une histoire sacrée », qui « sert <strong>de</strong> modèle<br />
au comportement humain » ; il est selon Marie Delcourt « un essai<br />
d'explication d'une réalité sentie comme mystérieuse » 22 . II a donc<br />
une portée étiologique : servant d'interprétation à <strong>de</strong>s phénomènes<br />
incompréhensibles, il émane d'une pensée préscientifique, et c'est<br />
dans ce sens que le conçoit encore G. Bachelard 23 . De leur côté, les<br />
psychologues se sont emparés du terme pour désigner une traduction<br />
<strong>de</strong>s pulsions inavouables refoulées par le surmoi. Dès 1904,<br />
dans sa Psychopathologie <strong>de</strong> la vie quotidienne, Freud l'entend<br />
ainsi, le mythe <strong>de</strong> Thésée dans le labyrinthe <strong>de</strong>venant représentation<br />
<strong>de</strong> la naissance, celui <strong>de</strong> Narcisse le symbole d'un processus<br />
d'introversion névrotique 24 . A sa suite, D. <strong>de</strong> Rougemont et M.<br />
Sauvage le définissent comme une procédé symbolique <strong>de</strong> transgression<br />
<strong>de</strong>s tabous 25 . Avec Charles Mauron, la focalisation <strong>de</strong>s<br />
métaphores obsédantes aboutit à la construction d'un mythe personnel<br />
— curieuse contradiction dans les termes, puisque la caractéristique<br />
du mythe est <strong>de</strong> relever d'un consensus collectif. Du côté<br />
<strong>de</strong> la sociologie, il est pour G. Sorel l'expression <strong>de</strong>s convictions<br />
d'une collectivité et R. Barthes s'en sert pour circonscrire un<br />
système <strong>de</strong> valeurs truquées. Et pourquoi ne pas l'accepter avec<br />
Etiemble comme synonyme d'image déformée pour découvrir,<br />
dans la conscience culturelle, un mythe <strong>de</strong> Rimbaud, ou encore au<br />
sens où le comparatisme parle <strong>de</strong> « mirage » ? Et l'on songera peutêtre,<br />
avec R. Barthes, que la tragédie racinienne étudiée dans son<br />
espace scénique et les relations qu'elle instaure entre les personnages,<br />
consacre « le mythe <strong>de</strong> l'échec du mythe » 26 ... On l'admettra<br />
sans peine, il serait peu raisonnable d'appliquer les mêmes métho<strong>de</strong>s<br />
d'analyse à <strong>de</strong>s réalités si différentes.<br />
Vaut-il mieux parler <strong>de</strong> mythes littéraires, comme le conseillait<br />
naguère Pierre Albouy dans un ouvrage remarquable 27 ? Rejetant
18 THEMES ET MYTHES<br />
le thème, c'est-à-dire «l'ensemble <strong>de</strong>s apparitions du personnage<br />
mythique dans le temps et l'espace littéraire envisagés » (p. 9), qui<br />
exigerait d'en relever jusqu'aux moindres allusions, P. Albouy<br />
veut s'en tenir au mythe littéraire, lequel implique «un récit, que<br />
l'auteur traite et modifie avec une gran<strong>de</strong> liberté» (p. 9) et qui<br />
n'existe que si l'artiste a réussi à lui donner une signification nouvelle<br />
: « Quand une telle signification ne s'ajoute pas aux données<br />
<strong>de</strong> la tradition, il n'y a pas <strong>de</strong> mythe littéraire » (p. 9).<br />
Sommes-nous sortis d'embarras ? D'abord, il n'est pas si sûr<br />
que tout mythe littéraire, en dépit <strong>de</strong> l'étymologie, implique un<br />
récit. Si le mythe <strong>de</strong> situation (Oedipe, Antigone) suppose un<br />
ensemble <strong>de</strong> données narratives, le mythe <strong>de</strong> héros (Prométhée) se<br />
rend vite indépendant d'un récit explicite, comme le montre P.<br />
Brunel 28 . Ensuite, refuser <strong>de</strong> tenir compte <strong>de</strong> «l'ensemble <strong>de</strong>s<br />
apparitions du personnage mythique», c'est ignorer la continuité<br />
<strong>de</strong> la tradition profon<strong>de</strong> pour ne retenir que <strong>de</strong>s œuvres élaborées<br />
et risquer <strong>de</strong> n'accepter pour mythe qu'une manifestation tardive<br />
du personnage. C'est ce qui conduit P. Albouy à observer: «La<br />
légen<strong>de</strong> [— est-ce un synonyme <strong>de</strong> mythe ? —] <strong>de</strong> Narcisse tient<br />
peu <strong>de</strong> place dans notre littérature, avant l'extrême fin du XIX e<br />
siècle » (p. 174), alors que L. Vinge a bien fait voir, au contraire,<br />
la permanence du thème <strong>de</strong>s origines au début du XIX e siècle.<br />
Ce n'est pas tout. « Même si le personnage mythique est dû à un<br />
créateur unique, écrit P. Albouy, il ne tourne au mythe que grâce<br />
à l'accueil étendu qui lui est fait par la postérité. Le mythe a toujours<br />
un aspect collectif» (p. 293). Sans doute, et telle est l'idée<br />
qu'en donnent Jung ou Lalan<strong>de</strong>. Mais où est l'accueil collectif fait<br />
aux «mythes personnels » <strong>de</strong> Hugo (océan, étoiles, cosmos) ou <strong>de</strong><br />
Michelet (le peuple) ? en quoi ont-ils engendré une tradition 29 ?<br />
Tiré à hue et à dia, le mythe est tantôt dépôt laissé dans l'esprit <strong>de</strong><br />
tous les hommes d'une époque donnée, tantôt expression d'une<br />
mentalité, d'une vision du mon<strong>de</strong> individuelle ou encore, comme<br />
chez Nerval, une image du mon<strong>de</strong> intérieur <strong>de</strong> l'écrivain. Et, une<br />
fois <strong>de</strong> plus, les signifiants se dissolvent, le mythe finissant par
UNE TERMINOLOGIE AMBIGUË 19<br />
embrasser toutes les catégories <strong>de</strong> l'imaginaire : il désigne Orphée<br />
ou Narcisse, mais aussi la littérature fantastique, le merveilleux,<br />
les contes <strong>de</strong> fées ou l'utopie 30 .<br />
Enfin, l'appellation <strong>de</strong> mythe littéraire n'entretient-elle pas une<br />
confusion supplémentaire? A nos yeux s'instaure volontiers une<br />
sorte d'équivalence entre mythe et littérature, sans doute parce<br />
que la mythologie gréco-latine, notre source principale, nous a été<br />
transmise sous une forme particulièrement achevée, c'est-à-dire<br />
littéraire. Nous avons tendance à le perdre <strong>de</strong> vue, lorsque nous<br />
abordons Eschyle, Ovi<strong>de</strong> ou Virgile, nous n'avons plus affaire à<br />
<strong>de</strong>s mythes, mais à une littérature mythologique, cristallisée et<br />
codifiée par <strong>de</strong>s artistes conscients sous un aspect très différent du<br />
matériau qui s'offre à l'ethnologue. Dans ces oeuvres, le mythe a<br />
déjà perdu sa fonction étiologique et religieuse, même si la structure<br />
du mythe continue <strong>de</strong> se manifester sous la structure narrative.<br />
M. Elia<strong>de</strong> y a insisté, les mythes grecs classiques représentent<br />
le triomphe <strong>de</strong> l'œuvre littéraire sur la croyance et le choix d'une<br />
version exclusive <strong>de</strong>s autres. Dans le cas d'Oedipe, par exemple,<br />
les versions archaïques ne contiennent aucune trace d'autopunition<br />
et le fils <strong>de</strong> Laïos, qui ne songe nullement à se crever les yeux,<br />
finit son existence sur le trône <strong>de</strong> Thèbes. Sophocle, lui, transforme<br />
le mythe en tragédie, c'est-à-dire en un texte élaboré possédant<br />
son sens et sa finalité propres. Il y a dès lors un abîme entre<br />
l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s mythes et l'histoire contée par Sophocle, dont l'Oedipe<br />
est l'un <strong>de</strong> bien d'autres possibles, et dont l'art a consisté à transformer<br />
une succession chronologique d'événements en <strong>de</strong>stin et à<br />
attribuer au récit <strong>de</strong>s étapes et une signification fixes. « Les tragédies,<br />
bien, entendu, ne sont pas <strong>de</strong>s mythes», conclut J.-P.<br />
Vernant 31 .<br />
Alors que R. Barthes assure que le mythe « ne se définit pas par<br />
l'objet <strong>de</strong> son message, mais par la façon dont il le profère », il est<br />
clair au contraire que l'importance originelle du mythe n'est pas<br />
littéraire : elle est dans les événements rapportés, dans le projet<br />
étiologique — pensons au mythe <strong>de</strong>s âges ou à celui <strong>de</strong> Pandore
20 THEMES ET MYTHES<br />
chez Hésio<strong>de</strong> — et non dans la forme. Pour le mythologue, toutes<br />
les versions appartiennent au mythe et s'additionnent pour composer<br />
un tout en perpétuelle mouvance ; en littérature, le Faust <strong>de</strong><br />
Goethe n'est pas une variante possible <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Marlowe, ni<br />
VAntigone d'Anouilh une version parmi d'autres du mythe<br />
d'Antigone.<br />
A l'ouverture indéfinie du mythe, matière brute, s'oppose la<br />
clôture <strong>de</strong> l'œuvre littéraire, produit fini 32 . Pour le comparatiste,<br />
il n'y a pas <strong>de</strong> Prométhée, d'Antigone ou <strong>de</strong> Phèdre extérieurs à<br />
Eschyle, à Sophocle, à Euripi<strong>de</strong>, c'est-à-dire hors <strong>de</strong>s textes littéraires.<br />
Le mythe cesse où commence la littérature, au point que J.-<br />
P. Vernant a pu montrer que la tragédie ne fait même son apparition,<br />
à la fin du VI e siècle, que lorsque le langage du mythe n'est<br />
plus réellement signifiant pour la Cité. Comme dit R. Caillois,<br />
«c'est précisément quand le mythe perd sa puissance morale <strong>de</strong><br />
contrainte qu'il <strong>de</strong>vient littérature » 33 . Nous avons donc à traiter<br />
<strong>de</strong> littérature, et non <strong>de</strong> mythes.<br />
Le souci <strong>de</strong> définir <strong>de</strong>s catégories claires ne relève pas, on s'en<br />
doute, d'une manie <strong>de</strong> la classification. Mais il est possible que<br />
l'existence <strong>de</strong> réalités différentes entraîne l'application <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s<br />
d'analyse différentes, nous aurons l'occasion d'y revenir.<br />
Pour notre part, nous choisirons <strong>de</strong> renoncer à l'emploi du terme<br />
mythe, décidément propice à toutes les confusions, pour conserver<br />
les notions <strong>de</strong> thème et <strong>de</strong> motif, quitte en préciser le contenu :<br />
ce sera l'objet du chapitre suivant.
THÈMES OU MOTIFS?<br />
Nous évoquions, dans les pages qui précè<strong>de</strong>nt, la confusion<br />
entre thème et mythe ; est-elle moindre entre thème et motif ?<br />
Une habitu<strong>de</strong> commune à nombre <strong>de</strong> manuels bibliographiques<br />
consiste à ranger sous une rubrique unique <strong>de</strong>s ouvrages fort différents,<br />
consacrés tantôt à la fortune du type <strong>de</strong> l'homme d'affaires<br />
dans le roman mo<strong>de</strong>rne, tantôt à la lune dans la poésie romantique,<br />
ou encore à la survivance, dans les lettres, <strong>de</strong> Cléopâtre ou<br />
<strong>de</strong> Samson. La pratique est générale, un coup d'œil suffit pour<br />
s'en convaincre. Déjà la bibliographie <strong>de</strong> L. Betz, dans un chapitre<br />
intitulé «Motifs, thèmes et types littéraires», agréait libéralement<br />
une étu<strong>de</strong> sur le Juif errant à côté d'une autre sur les traditions<br />
et légen<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la Belgique. Dans la Bibliography of Comparative<br />
Literature, les « Literary thèmes » englobent Orphée au<br />
temps du romantisme, le chat dans la littérature ou le féminisme<br />
dans VEnéi<strong>de</strong>. Dans le recueil annuel <strong>de</strong>s PMLA, le compartiment<br />
<strong>de</strong>s « Thèmes and Types » mentionne côte à côte le thème <strong>de</strong> Faust<br />
et un article sur le suici<strong>de</strong> dans la littérature <strong>de</strong>s Lumières. Même<br />
<strong>de</strong>s bibliographies plus spécialisées avouent ce goût du pêle-mêle :<br />
la Stoff- und Motivgeschichte <strong>de</strong>r <strong>de</strong>utschen Literatur <strong>de</strong> F.A.<br />
Schmitt confond volontiers dans le même intérêt <strong>de</strong>s travaux sur<br />
la patrie, le tabac, l'adieu, le mesmérisme, et <strong>de</strong>s enquêtes sur le<br />
thème <strong>de</strong> Saùl, d'Arminius ou <strong>de</strong> Daphné. De sorte qu'il se crée,<br />
entre les notions <strong>de</strong> thème et <strong>de</strong> motif, une manière d'équivalence<br />
tacitement acceptée, sinon reconnue, qui facilite sans doute quelque<br />
peu la tâche essentielle et ingrate <strong>de</strong>s bibliographes.<br />
Toutefois ce rapprochement, relativement peu important dans<br />
un répertoire bibliographique où il s'agit <strong>de</strong> rassembler le plus<br />
grand nombre possible <strong>de</strong> données dans un minimum d'espace et
22 THÈMES ET MYTHES<br />
d'éviter l'émiettement <strong>de</strong> l'information, risque d'aboutir à une<br />
imprécision regrettable lorsqu'il est pratiqué à propos d'étu<strong>de</strong>s<br />
particulières consacrées soit à un motif, soit à un thème. Ne<br />
s'expose-t-on pas ainsi à confondre <strong>de</strong>ux éléments, parents certes<br />
mais distincts, et à appliquer parfois à l'un <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s<br />
conclusions qui ne conviennent qu'à l'autre?<br />
A <strong>de</strong> nombreuses reprises déjà, la discussion a été ouverte sur la<br />
définition à donner <strong>de</strong> ces termes, sans qu'on ait pu cependant<br />
arriver à une précision satisfaisante 34 . En réalité, le débat portait<br />
souvent moins sur la nature <strong>de</strong>s éléments à faire entrer dans chaque<br />
catégorie, que sur les étiquettes à mettre sur les catégories<br />
elles-mêmes, querelle essentiellement verbale, qui consistait pour<br />
les uns à vouloir nommer thème ce que les autres nomment motif<br />
et vice-versa. Pour sortir <strong>de</strong> cette hésitation, peut-être suffira-t-il,<br />
au début <strong>de</strong> notre étu<strong>de</strong>, d'assigner à chacun <strong>de</strong> ces termes un contenu<br />
suffisamment défini.<br />
Qu'est-ce qu'un motif? Choisissons d'appeler ainsi une toile <strong>de</strong><br />
fond, un concept large, désignant soit une certaine attitu<strong>de</strong> — par<br />
exemple la révolte — soit une situation <strong>de</strong> base, impersonnelle,<br />
dont les acteurs n'ont pas encore été individualisés — par exemple<br />
les situations <strong>de</strong> l'homme entre <strong>de</strong>ux femmes, <strong>de</strong> l'opposition<br />
entre <strong>de</strong>ux frères, entre un père et un fils, <strong>de</strong> la femme abandonnée,<br />
etc. Nous avons affaire à <strong>de</strong>s situations déjà délimitées dans<br />
leurs lignes essentielles, à <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s déjà définies, à <strong>de</strong>s types<br />
même — par exemple le révolté ou le séducteur — mais qui restent<br />
à l'état <strong>de</strong> notions générales, <strong>de</strong> concepts. De là l'intérêt <strong>de</strong>s<br />
motifs pour la psychanalyse, qui désigne le motif général par le<br />
thème particulier qui en est issu : motif <strong>de</strong> la rivalité père-fils :<br />
complexe d'Oedipe ; motif <strong>de</strong> l'amour incestueux père-fille : complexe<br />
d'Electre, etc. Ces archétypes correspondaient pour C.G.<br />
Jung à <strong>de</strong>s démarches spontanées <strong>de</strong> l'esprit humain : c'est dire la<br />
distance qui les sépare du thème organisé dans la présentation<br />
littéraire 35 .<br />
Qu'est-ce qu'un thème ? Convenons d'appeler ainsi l'expression
THÈMES OU MOTIFS ? 23<br />
particulière d'un motif, son individualisation ou, si l'on veut, le<br />
passage du général au particulier. On dira que le motif <strong>de</strong> la séduction<br />
s'incarne, s'individualise et se concrétise dans le personnage<br />
<strong>de</strong> Don Juan ; le motif <strong>de</strong> la création artistique dans le thème <strong>de</strong><br />
Pygmalion; le motif <strong>de</strong> l'opposition entre la conscience individuelle<br />
et la raison d'Etat dans le thème d'Antigone ; le motif <strong>de</strong><br />
Tintolérance religieuse et philosophique dans le thème <strong>de</strong> Socrate.<br />
Par un processus i<strong>de</strong>ntique d'individualisation et <strong>de</strong> particularisation,<br />
la situation caractéristique <strong>de</strong> l'opposition entre <strong>de</strong>ux frères,<br />
qui est un motif, <strong>de</strong>vient thème lorsqu'elle a pour protagonistes<br />
Prométhée et Epiméthée, ou Etéocle et Polynice, ou Abel et Caïn ;<br />
l'amour incestueux et la rivalité père-fils se cristallisent dans le<br />
thème d'Oedipe; le motif <strong>de</strong> la femme trahie et délaissée dans<br />
Médée. C'est dire qu'il y aura thème lorsqu'un motif, qui apparaît<br />
comme un concept, une vue <strong>de</strong> l'esprit, se fixe, se limite et se définit<br />
dans un ou plusieurs personnages agissant dans une situation<br />
spécifique 36 , et lorsque ces personnages et cette situation auront<br />
donné naissance à une tradition littéraire.<br />
Comme l'observait W. Kayser 37 , «le thème est toujours lié à<br />
certaines figures, il est plus ou moins fixé dans l'événement,<br />
l'espace et la durée» et ces multiples conditions sont indispensables<br />
à le définir comme thème. Car certains motifs ne se décantent<br />
jamais jusqu'à <strong>de</strong>venir thèmes, s'arretant à un sta<strong>de</strong> d'évolution<br />
que l'on pourrait nommer celui du type : ainsi le motif <strong>de</strong> l'avarice<br />
conduit au type <strong>de</strong> l'avare, que l'on peut trouver dans Plaute ou<br />
dans Molière, dans Balzac ou dans Ghel<strong>de</strong>ro<strong>de</strong>, mais qui n'a pas<br />
engendré <strong>de</strong> tradition littéraire fixée dans un personnage unique,<br />
Harpagon, Gran<strong>de</strong>t ou l'Hiéronymus <strong>de</strong> Magie rouge étant<br />
<strong>de</strong>meurés <strong>de</strong>s incarnations isolées: alors qu'il y eut un<br />
Amphitryon 38, il n'y a pas d'Harpagon 2 38 . Pour recourir au<br />
langage mathématique, on pourrait dire que le thème apparaît, en<br />
quelque sorte, comme l'indice du motif.<br />
L'importance <strong>de</strong> cette distinction entre le thème et le motif 39 ,<br />
qui pourrait, à première vue, paraître relever d'une minutie assez
24 THEMES ET MYTHES<br />
gratuite, se révèle au contraire capitale face à <strong>de</strong>ux critiques<br />
importantes, fréquemment adressées à la thematologie; Tune<br />
porte sur la raison d'être même <strong>de</strong> cette discipline, l'autre sur sa<br />
justification en tant que type d'étu<strong>de</strong>s littéraires.<br />
La première <strong>de</strong> ces critiques prétend que la thematologie a pour<br />
objet, non pas la littérature, mais « la matière <strong>de</strong> la littérature » ^<br />
qu'elle ne saurait elle-même, par conséquent, être activité littéraire,<br />
puisqu'elle est censée « considérer les types avant leur promotion<br />
littéraire » 41 , et qu'il convient dès lors <strong>de</strong> la ranger parmi<br />
les étu<strong>de</strong>s folkloriques. La distinction thème-motif va nous permettre<br />
<strong>de</strong> constater que ce reproche est injustifié.<br />
En effet, à s'en tenir aux définitions que nous essayions <strong>de</strong> donner<br />
tout à l'heure, ce n'est pas le thème, mais bien le motif qui<br />
constitue la « matière <strong>de</strong> la littérature ». Si l'on entreprend d'étudier,<br />
par exemple, la femme malheureuse dans la littérature, on<br />
part d'une idée générale, d'une situation indéfinie. Le point <strong>de</strong><br />
départ, <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, n'a en soi rien <strong>de</strong> littéraire, pas plus que<br />
dans le cas où l'on s'attache à suivre la fortune <strong>de</strong> l'idée du bonheur,<br />
ou du luxe, ou du progrès, ou <strong>de</strong> la révolte, pas plus que<br />
dans le cas où l'on entend esquisser l'histoire <strong>de</strong> la situation <strong>de</strong>s<br />
frères ennemis, ou celle <strong>de</strong> la rivalité père-fils.<br />
En outre, s'il est aisé <strong>de</strong> déterminer à partir <strong>de</strong> quelle oeuvre et à<br />
quel moment un thème prend naissance, il n'en va pas <strong>de</strong> même<br />
lorsqu'il s'agit d'un motif. Abstrait, non incarné dans un personnage,<br />
il relève <strong>de</strong> l'expérience humaine, non <strong>de</strong> la littérature.<br />
Au contraire, qui étudie le thème, c'est-à-dire l'expression particulière<br />
et limitée d'un motif, part nécessairement d'un fait littéraire:<br />
l'œuvre qui a donné naissance à la tradition, œuvre première<br />
qui a dégagé d'un motif général, qui a sculpté dans la roche<br />
difforme du concept, la situation et les personnages appelés, dorénavant,<br />
à constituer le thème. Qui écrit une Antigone ou un Faust<br />
se réfère à un passé culturel, il a pour prédécesseurs i<strong>de</strong>ntifiables<br />
tous ceux qui ont traité le même sujet et qui forment, <strong>de</strong>puis<br />
l'œuvre éponyme jusqu'à lui, une chaîne ininterrompue dont il
THÈMES OU MOTIFS ? 25<br />
connaît au moins quelques maillons. Qui s'attar<strong>de</strong> à un motif —<br />
l'amitié ou l'avarice ou le tyrannici<strong>de</strong> — puise en lui-même bien<br />
plus que dans la tradition littéraire. Pour composer un Oreste, il<br />
faut connaître Eschyle, Sophocle, Euripi<strong>de</strong>, Crébillon, Leconte <strong>de</strong><br />
Lisle, Dumas, Sartre ou Hauptmann; mais l'auteur d'un drame<br />
<strong>de</strong> la vengeance n'est pas tributaire direct <strong>de</strong>s tragiques grecs, <strong>de</strong>s<br />
Edda, <strong>de</strong> Shakespeare, Marston ou Mérimée.<br />
Autrement dit, « dès le moment où nous les prenons, nos fables<br />
sont déjà littérature et non plus mythes » 42 . Aussi bien n'est-il pas<br />
indifférent <strong>de</strong> suivre l'évolution du motif <strong>de</strong>s frères ennemis ou<br />
celle <strong>de</strong>s couples Etéocle-Polynice, Abel-Caïn, Prométhée-<br />
Epiméthée : dans le premier cas, il s'agit d'une idée générale<br />
qu'illustreront parfaitement, entre autres, le roman Zwischen<br />
Himmel und Er<strong>de</strong> d'Otto Ludwig ou la tragédie <strong>de</strong> Grillparzer,<br />
Ein Bru<strong>de</strong>rzwist im Hause Habsburg; dans le second, d'une situation<br />
et d'événements bien précis : tous les frères ennemis ne sont<br />
pas Caïn et Abel, qui représentent, si l'on ose dire, une certaine<br />
façon d'être frères ennemis. De même, on notera la différence<br />
entre le thème d'Oedipe, centré sur <strong>de</strong>s composantes invariables,<br />
et le motif, infiniment plus général, <strong>de</strong> l'opposition père-fils qui<br />
connut une si belle vogue en Allemagne au début du siècle, chez<br />
W. Hasenclever, A. Bronnen, F. von Unruh ou F. Werfel 43 . Le<br />
motif <strong>de</strong>s amours contrariés, pour citer un <strong>de</strong>rnier exemple,<br />
embrassera à la fois le thème <strong>de</strong> Tristan et Yseult et celui <strong>de</strong><br />
Roméo et Juliette : il sera, encore une fois, une idée générale<br />
extra-littéraire, mais dont les « fixations », <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, relèvent<br />
immédiatement <strong>de</strong> la littérature.<br />
Bref, le motif, élément non littéraire, mais délimitant quelques<br />
situations et attitu<strong>de</strong>s fondamentales, est matière <strong>de</strong> la littérature :<br />
« Si je m'empare, écrivait E. Sauer, du motif qui repose <strong>de</strong>rrière le<br />
thème, je ne puis plus écrire <strong>de</strong> l'histoire littéraire, mais une histoire<br />
<strong>de</strong> l'humanité » 44 . Le thème, cristallisation et particularisation<br />
d'un motif, est d'emblée objet littéraire, parce qu'il n'existe<br />
qu'à partir du moment où le motif s'est exprimé dans une œuvre,
26 THÈMES ET MYTHES<br />
<strong>de</strong>venue le point <strong>de</strong> départ d'une série plus ou moins importante<br />
d'autres œuvres, le point <strong>de</strong> départ d'une tradition littéraire.<br />
La secon<strong>de</strong> critique volontiers dirigée contre notre discipline,<br />
consiste à contester purement et simplement le bien-fondé <strong>de</strong> toute<br />
enquête thématologique en alléguant que suivre à travers les littératures<br />
l'évolution d'un seul personnage ou d'une seule situation<br />
revient à séparer ce personnage ou cette situation d'autres qui leur<br />
sont en tous points parallèles et traduisent la même idée. Cette<br />
position était défendue, par exemple, par Paul Van Tieghem :<br />
«Comme le Satan <strong>de</strong> Carducci, écrivait-il, comme le Caïn <strong>de</strong><br />
Leconte <strong>de</strong> Lisle, le Prométhee <strong>de</strong> Shelley incarne la révolte <strong>de</strong><br />
l'esprit humain contre une religion qui l'opprime. Le même<br />
symbole, au fond, sous trois noms. Ce qui prouve en passant que<br />
la vraie thématologie se gui<strong>de</strong> plutôt par les affinités intimes <strong>de</strong>s<br />
idées que par l'i<strong>de</strong>ntité extérieure du sujet» 45 . Sur ce point, longtemps<br />
l'opinion n'a guère varié — on la retrouve telle quelle sous<br />
la plume <strong>de</strong> M.-F. Guyard — et la thématologie se voit donc accusée<br />
<strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à une dissociation arbitraire <strong>de</strong> l'unité apparente<br />
<strong>de</strong> plusieurs thèmes. Bref, au lieu <strong>de</strong> diviser, il faut unir, car,<br />
conclut-on, «mieux vaudrait en somme étudier le donjuanisme<br />
que Don Juan, découvrir sous <strong>de</strong>s masques divers, Faust, Manfred<br />
ou Caïn, la même révolte et la même affirmation <strong>de</strong> l'individu<br />
» 46 .<br />
On le voit, cette théorie <strong>de</strong>s thèmes apparentés revient à faire<br />
bon marché <strong>de</strong> l'individualité <strong>de</strong>s thèmes littéraires pour s'attacher<br />
à la généralité du motif non littéraire ! On en viendra, dans<br />
cette optique, à grouper <strong>de</strong>s personnages qui n'ont entre eux<br />
aucun rapport intime, sinon d'être <strong>de</strong>s émanations d'un lointain<br />
motif, d'une vague attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> base : si, dans une étu<strong>de</strong> consacrée<br />
au thème <strong>de</strong> Don Juan, l'on inclut tel héros <strong>de</strong> Crébillon fils ou <strong>de</strong><br />
Restif <strong>de</strong> la Bretonne, le Lovelace <strong>de</strong> Richardson, le Valmont <strong>de</strong><br />
Laclos, le Bel-Ami <strong>de</strong> Maupassant, le Costals <strong>de</strong> Montherlant et<br />
l'Ornifle d'Anouilh, on réduit le personnage à n'être plus l'expression<br />
que du motif général du séducteur. Car, la séduction mise à
THÈMES OU MOTIFS ? 27<br />
part, quels sont les caractères communs <strong>de</strong> ces personnages ? Ou<br />
bien Don Juan n'est-il que le séducteur ?<br />
Certes, on ne saurait le nier, un même motif est parfois la<br />
source unique où s'abreuvent plusieurs thèmes *, un lointain<br />
tronc commun aux multiples branches : ainsi, le motif <strong>de</strong> la<br />
femme délaissée, qui nourrit le thème <strong>de</strong> Médée, étaye encore ceux<br />
<strong>de</strong> Didon, Ariane, Bérénice ; le motif du libérateur <strong>de</strong> la patrie se<br />
fixe dans le thème d'Arminius, mais aussi dans ceux <strong>de</strong> Masaniello,<br />
Guillaume Tell ou Napoléon. Pour une conscience et une<br />
culture contemporaines, la révolte, motif aux cent facettes, est<br />
l'arc qui sous-tend <strong>de</strong>s thèmes nombreux : Prométhée, Caïn, Manfred,<br />
Hercule, Faust, Don Juan, Oreste, Antigone, Niobé, etc. Si<br />
cet apparentement ne peut, au premier abord, manquer <strong>de</strong><br />
s'imposer à nous, il appelle du moins quelques considérations qui<br />
montreront peut-être le danger qu'il y a, dans une perspective plus<br />
large, à rassembler sans nuances plusieurs thèmes dans une signification<br />
unique.<br />
En premier lieu, les thèmes ne peuvent s'apparenter — disons<br />
acquérir une signification commune — qu'à certaines époques, ce<br />
qui veut dire en réalité qu'un motif qui ne leur est pas nécessairement<br />
commun leur <strong>de</strong>vient commun, et cela en fonction <strong>de</strong>s courants<br />
d'idées du temps. Le Sturm und Drang, par exemple, et le<br />
romantisme, furent <strong>de</strong>s époques littéraires où domina l'esprit <strong>de</strong><br />
révolte. Aussi voit-on cette révolte, pendant le Sturm und Drang,<br />
portée à la fois par le Prométhée <strong>de</strong> Goethe, le Dios <strong>de</strong> Klinger ou<br />
la Niobé <strong>de</strong> « Maler » Mùller ; au romantisme, elle emplit l'âme <strong>de</strong><br />
Prométhée, <strong>de</strong> Faust, <strong>de</strong> Caïn, <strong>de</strong> Manfred, <strong>de</strong> Satan et même du<br />
Christ ! Autrement dit, l'attitu<strong>de</strong> intellectuelle du siècle, fondée<br />
* Dans ce sens, si le nombre <strong>de</strong>s thèmes peut varier à l'infini, celui <strong>de</strong>s motifs est<br />
beaucoup plus limité et G. Polti prétendait même le ramener aux Trente-six situations<br />
dramatiques (2 e éd., Paris, Mercure <strong>de</strong> France, 1912) dans une analyse en<br />
vérité assez artificielle, mais suggestive. Par exemple, le motif <strong>de</strong> la vengeance<br />
comprend, entre autres sous-motifs, celui <strong>de</strong> la situation où le héros venge son père<br />
sur sa mère, sous-motif qui inspire Eschyle, Sophocle, Euripi<strong>de</strong>, tous les Orestes et<br />
tous les Hamlets.
28 THEMES ET MYTHES<br />
sur un credo <strong>de</strong> révolte, cherche à s'exprimer dans une forme littéraire<br />
et, pour arriver à ses fins, transforme <strong>de</strong>s thèmes existant<br />
antérieurement (Prométhée, Caïn, Satan, Jésus) ou en crée (Manfred,<br />
Mazeppa), rassemblant sous un étendard unique <strong>de</strong>s soldats<br />
<strong>de</strong> différentes armées ; la signification commune que l'on impose<br />
aux thèmes est le résultat d'une distorsion <strong>de</strong> leur signification<br />
antérieure sous la pression d'une certaine idéologie.<br />
Il y a donc, dans ce cas, action <strong>de</strong>s forces historiques et l'on a<br />
tort <strong>de</strong> négliger le fait que cette action est particulière à chaque<br />
époque. Où trouvera-t-on un Christ révolté contre son Père, un<br />
Caïn et un Satan réhabilités, symboles d'une exigence <strong>de</strong> justice en<br />
face d'une divinité criminelle, sinon au romantisme? Prométhée<br />
est, <strong>de</strong>puis le début du XIX e siècle, le héros <strong>de</strong> la révolte ; il Test<br />
resté pour nous. Mais songe-t-on qu'il incarne, au XVI e siècle, le<br />
savant hanté par le problème <strong>de</strong> la connaissance ou, encore, dans<br />
la poésie, l'amant tourmenté par une maîtresse cruelle? qu'il est<br />
rarement, au siècle <strong>de</strong>s Lumières, le signe du progrès, bien plutôt<br />
celui <strong>de</strong> la déca<strong>de</strong>nce? que, s'il s'apparente à Satan aux yeux du<br />
romantique, jamais cette i<strong>de</strong>ntification n'apparaît au cours <strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong>ux millénaires qui précè<strong>de</strong>nt ? Dès lors, Prométhée, Satan, Caïn<br />
et le Christ, apparentés au romantisme, qu'avaient-ils <strong>de</strong> commun<br />
pour l'homme du Moyen Age ou <strong>de</strong> la Renaissance? Concluons<br />
donc que les affinités présumées sont occasionnelles et non essentielles<br />
: elles dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s temps et non <strong>de</strong> la nature intime <strong>de</strong>s<br />
thèmes, elles ne peuvent exister qu'à <strong>de</strong>s moments donnés.<br />
N'hésitons pas à aller plus loin. A la même époque, chez <strong>de</strong>s<br />
écrivains <strong>de</strong> la même famille spirituelle et avec un motif général<br />
commun, les thèmes continuent à se différencier subtilement.<br />
Voyons par exemple Manfred, la saisissante création <strong>de</strong> Byron, si<br />
volontiers comparé à Prométhée. Sans doute, les Alpes peuvent<br />
faire un Caucase, la volonté <strong>de</strong> Manfred est inébranlable, son<br />
invocation aux éléments rappelle celle <strong>de</strong> Prométhée... Oui, mais<br />
où est Prométhée dans ce personnage méprisant, orgueilleux, qui<br />
se veut surhumain et préoccupé seulement <strong>de</strong> lui-même, aussi peu
THÈMES OU MOTIFS? 29<br />
philanthrope que possible? Révolté peut-être, mais pour son<br />
compte personnel ! Et Caïn ? Une conscience anxieuse, qui s'interroge<br />
sur le mal et la légitimité d'une divinité arbitraire, qui veut<br />
détruire, mais ne construit rien. Et Faust, fidèle à sa nature démonique,<br />
évoluant par-<strong>de</strong>là le bien et le mal, attentif seulement à<br />
absorber en lui l'univers, ou Satan enfin, <strong>de</strong>venu certes auxiliaire<br />
<strong>de</strong>s hommes, mais par «hybris » et ambition ! A les considérer <strong>de</strong><br />
plus près, ces thèmes sont-ils l'expression <strong>de</strong> la même révolte?<br />
Révolte soit, mais pas la même: hissés sur un pavois commun, ils<br />
gar<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s propres, <strong>de</strong>s révoltés «spécialisées ».<br />
L'apparentement, déjà fonction <strong>de</strong> l'évolution <strong>de</strong>s idées, ne<br />
sera donc jamais que relatif. Ajoutons encore qu'il variera selon<br />
les écrivains. Le titanisme du jeune Goethe, qui est motif, transparaît,<br />
c'est entendu, à la fois dans son Prométhée, son Mahomet et<br />
son Faust 47 ; mais s'agit-il bien chaque fois <strong>de</strong> la même nuance du<br />
titanisme, <strong>de</strong> la même direction <strong>de</strong> la révolte? Le croire serait<br />
négliger le poids énorme <strong>de</strong> la tradition littéraire qui alourdit le<br />
thème et l'empêche <strong>de</strong> jamais se confondre complètement avec un<br />
autre, fût-ce dans le même auteur : tout au plus les routes se<br />
croisent-elles quelquefois, non pas en raison d'un appel <strong>de</strong> la<br />
nature profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces thèmes arbitrairement séparés, mais en raison<br />
<strong>de</strong>s pressions extérieures qui peuvent un instant infléchir la<br />
courbe <strong>de</strong> leur évolution.<br />
Que déduire <strong>de</strong> tout cela, sinon que, dans la mesure où le thème<br />
modifie sa valeur et sa signification au gré <strong>de</strong>s siècles et <strong>de</strong>s écrivains,<br />
on ne saurait parler <strong>de</strong> donjuanisme ou <strong>de</strong> prométhéisme<br />
que dans <strong>de</strong>s circonstances et <strong>de</strong>s cadres bien précis ? Avant d'étudier,<br />
non pas même le donjuanisme mais les donjuanismes, entreprenons<br />
donc <strong>de</strong> définir d'abord Don Juan *. Ne l'oublions pas<br />
* C'est-à-dire les incarnations <strong>de</strong> Don Juan, puisque son symbole évolue selon<br />
les auteurs. Dans De l'amour, Stendhal disait que Don Juan «réduit l'amour à<br />
n'être qu'une affaire ordinaire»; pour Théophile Gautier, il représentait au contraire<br />
«l'aspiration à l'idéal»; G. Mara— non le disait symbole <strong>de</strong> l'homme<br />
dépourvu <strong>de</strong> véritable virilité, tandis qu'Ortega y Gasset en faisait la personnification<br />
<strong>de</strong> cette même virilité. Où serait après cela l'unité juanesque?
30 THÈMES ET MYTHES<br />
enfin, un seul thème peut, à la même époque — et parfois chez le<br />
même auteur — être porteur <strong>de</strong> plusieurs symboles : au romantisme,<br />
Prométhée, pour nous en tenir à cet exemple, représente<br />
l'artiste <strong>de</strong> génie pour Balzac, Byron, Hugo, mais il est aussi le<br />
précurseur païen du Christ chez Quinet, Pasquet, Grenier, ou le<br />
fondateur d'un ordre humain révolté contre l'ordre divin selon<br />
Byron encore, H. Coleridge, Des Essarts, L. Ménard, Defontenay...<br />
On le voit, la polyvalence du thème ne s'affirme pas seulement<br />
verticalement dans le temps, mais aussi horizontalement. Où<br />
y a-t-il encore apparentement dans cette complexité que peut seule<br />
révéler une enquête particulière et approfondie? Et comme le<br />
voilà loin et peu accusé, le motif commun !<br />
Disons-le: parler <strong>de</strong> thèmes apparentés n'est acceptable que<br />
dans une faible mesure, à déterminer avec pru<strong>de</strong>nce. Prétendre<br />
pousser les choses plus avant pour fondre à tout prix plusieurs thèmes<br />
dans le creuset d'un motif unique, c'est soutenir que tous les<br />
tableaux qui ont un fond bleu ont aussi le même sujet.<br />
Au total, la distinction à établir entre les notions <strong>de</strong> thème et <strong>de</strong><br />
motif apparaît <strong>de</strong> première importance, non seulement en soi, sur<br />
le plan <strong>de</strong> la terminologie littéraire, mais aussi parce qu'elle déterminera<br />
<strong>de</strong>s différences sensibles sur le plan méthodologique. Dans<br />
cette brève étu<strong>de</strong>, nous souhaitons nous en tenir aux principes qui,<br />
selon nous, doivent gouverner la stricte thématologie. Il s'agira,<br />
dans les pages qui suivent, non <strong>de</strong> motifs, mais <strong>de</strong> thèmes stricto<br />
sensu. Nos considérations ne s'appliqueront donc nullement à <strong>de</strong>s<br />
étu<strong>de</strong>s sur l'usage et le rôle, par exemple, <strong>de</strong>s nuages, <strong>de</strong> la lune ou<br />
<strong>de</strong>s montagnes dans la poésie, ni à <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s sur certains types littéraires<br />
non individualisés, comme le soldat, le bon prêtre ou<br />
l'avare dans le roman ou la comédie.
POUR ET CONTRE<br />
LES DÉNOMBREMENTS ENTIERS<br />
Le curieux qui s'aventure à feuilleter une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> thème a souvent<br />
l'impression <strong>de</strong> parcourir les pages d'un catalogue, <strong>de</strong> voir<br />
s'épuiser sous ses doigts une fastidieuse énumération <strong>de</strong> titres, <strong>de</strong><br />
noms et <strong>de</strong> dates. L'enquête sur la « fortune » du thème s'est bornée<br />
à un relevé du plus grand nombre possible d'oeuvres et, pour<br />
peu que l'auteur se révèle un esprit précis, il nous aura gratifiés <strong>de</strong><br />
courbes <strong>de</strong> pourcentages et <strong>de</strong> graphiques, négligeant qu'une<br />
étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> « fortune » est surtout une tentative <strong>de</strong> capter un écho en<br />
profon<strong>de</strong>ur.<br />
Nous avons été longtemps accoutumés à ce qu'un travail <strong>de</strong> ce<br />
genre consiste généralement en une succession <strong>de</strong> résumés suivis<br />
<strong>de</strong> quelques lignes <strong>de</strong> commentaire. Un lecteur moyen qui connaissait,<br />
au départ, les Iphigénie d'Euripi<strong>de</strong>, <strong>de</strong> Racine et <strong>de</strong> Goethe,<br />
sait maintenant — pour combien <strong>de</strong> temps? — qu'il y eut<br />
aussi celles <strong>de</strong> Rucellai, Rotrou, La Grange Chancel, J.—E.<br />
Schlegel, Fayart, G. Hauptmann ; avec un petit effort supplémentaire<br />
<strong>de</strong> mémoire, il retiendra aussi quelques opéras, ceux <strong>de</strong> Scarlatti,<br />
Traetta, Gluck, <strong>de</strong> vingt autres encore s'il est vraiment appliqué.<br />
La lecture achevée, <strong>de</strong> quoi donc s'est accru son bagage intellectuel?<br />
D'un arbre généalogique où l'unité familiale se fragmente<br />
en d'innombrables collatéraux, et voilà une tête bien faite en passe<br />
<strong>de</strong> n'être plus qu'une tête bien pleine, un savoir ordonné sur le<br />
point <strong>de</strong> tourner au bric-à-brac <strong>de</strong> l'antiquaire peu soigneux. Mais<br />
qu'a-t-il appris sur les éléments constitutifs du thème, sur les raisons<br />
et les modalités <strong>de</strong> son éternelle résurgence, sur ce fil millénaire<br />
tendu d'oeuvre en œuvre <strong>de</strong>puis Homère ? Rien, avouons-le,<br />
ou peu <strong>de</strong> chose, et il referme le livre avec la conviction que la thé-
32 THÈMES ET MYTHES<br />
matologie ne répond guère qu'à une curiosité gratuite, que tout<br />
cela est passe-temps d'érudit et <strong>de</strong> bibliographe. Reprochera-t-on<br />
sa sévérité à ce lecteur soucieux d'humanisme, quand telle fut<br />
l'impression <strong>de</strong> savants aussi avertis que B. Croce ou M.-F.<br />
Guyard, concluant que ces étu<strong>de</strong>s sont «trop ari<strong>de</strong>s et condamnées<br />
à l'érudition pure » et qu'elles n'exigent « pour être menées à<br />
bien que <strong>de</strong>s dénombrements entiers, étoffés par un commentaire<br />
plus ou moins lâche » 48 ?<br />
Convenons-en <strong>de</strong> bonne grâce : cette critique fut souvent fondée<br />
et il faut bien le reconnaître, nombre <strong>de</strong> travaux <strong>de</strong> thématologie<br />
s'arrêtent, en fait, là où ils <strong>de</strong>vraient commencer. Il en est, du<br />
reste, plusieurs catégories.<br />
Commençons cependant par rendre justice aux dictionnaires,<br />
aux répertoires organisés qui, s'avouant pour ce qu'ils sont, ne<br />
prêtent le flanc à aucun reproche : la Bibliography of Greek myth<br />
in Englishpoetry <strong>de</strong> Helen H. Law, la Stoff- undMotivgeschichte<br />
<strong>de</strong>r <strong>de</strong>utschen Literaîur <strong>de</strong> F. A. Schmitt ou les Stoffe <strong>de</strong>r Weltliteratur<br />
<strong>de</strong> E. Frenzel, pour ne citer que ces ouvrages, sont, comme<br />
tout dictionnaire, <strong>de</strong> la plus gran<strong>de</strong> utilité : ils épargnent bien <strong>de</strong>s<br />
tâtonnements préliminaires, donnent une vue superficielle du succès<br />
d'un thème et même un premier recensement <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s qui lui<br />
ont déjà été consacrées. Ce sont là <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> départ, <strong>de</strong>s travaux<br />
indispensables et méritoires, mais auxquels on ne peut<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> dépasser leur objectif: ils classent, dénombrent,<br />
ambitionnent — autant que possible — l'exhaustivité, mais ne<br />
préten<strong>de</strong>nt pas offrir une réflexion sur la matière rassemblée.<br />
Ces caractères, louables et hautement satisfaisants dans un dictionnaire,<br />
<strong>de</strong>viennent insuffisants lorsqu'il s'agit <strong>de</strong> retracer l'histoire<br />
d'un thème. W. Kayser l'observait très justement, un tel<br />
recensement « n'a rien fait pour les conceptions artistiques et très<br />
peu pour l'histoire littéraire. Le véritable travail <strong>de</strong>vrait commencer<br />
maintenant » 49 . Or il y a sans conteste plusieurs types <strong>de</strong> travaux<br />
qui ne sauraient être représentatifs <strong>de</strong> l'exercice bien compris<br />
<strong>de</strong> la thématologie. Quels sont-ils ?
LES DÉNOMBREMENTS ENTIERS 33<br />
Certains auteurs ont cru pouvoir réaliser une ambition excessive<br />
en s'aventurant à brosser la fresque immense <strong>de</strong> révolution <strong>de</strong><br />
plusieurs thèmes à travers toutes les littératures occi<strong>de</strong>ntales, victimes<br />
d'un «encyclopédisme » qui <strong>de</strong>vait les conduire à un simple<br />
survol. Le meilleur exemple <strong>de</strong> ce genre est sans doute le livre <strong>de</strong><br />
C. Heinemann : Die tragischen Gestalten <strong>de</strong>r Griechen in <strong>de</strong>r<br />
Weltliteratur (Leipzig, 1920). En trois cents pages, quinze thèmes<br />
voient retracée leur odyssée millénaire, évoquées leurs transformations<br />
les plus profon<strong>de</strong>s et les plus complexes. En conséquence,<br />
VIphigénie d'Euripi<strong>de</strong> a droit à une page, celle <strong>de</strong> Racine à trente<br />
lignes, autant que celle <strong>de</strong> Le Blanc du Roullet ou <strong>de</strong> Guimond <strong>de</strong><br />
La Touche, un peu moins que celle <strong>de</strong> Christoph Friedrich von<br />
Derschau, un peu plus que celle <strong>de</strong> Goethe ! Toute l'histoire du<br />
mythe <strong>de</strong> Prométhée tient en vingt-huit pages, Oedipe est dépêché<br />
en onze, Hercule en dix, Antigone expédiée en neuf...<br />
Bref, on dépasse à peine la notice sèche et décharnée du dictionnaire;<br />
l'ordre chronologique seul relie <strong>de</strong>s œuvres que rien, sauf<br />
leur titre, ne semble apparenter ; on ne trouve aucune considération<br />
sur les idées, sur le contexte historique et littéraire dans lequel<br />
s'inscrivent les auteurs, sur les sources et les influences éventuelles,<br />
aucun jugement <strong>de</strong> valeur. Une ambition démesurée a abouti à<br />
la nomenclature, à l'énumération condamnée par M.-F. Guyard ;<br />
un thème, cela va <strong>de</strong> soi, est à lui seul d'une telle richesse et d'une<br />
telle complexité qu'il nécessite une étu<strong>de</strong> particulière.<br />
Aussi d'autres auteurs, conscients <strong>de</strong> ne pouvoir venir à bout <strong>de</strong><br />
plusieurs thèmes, se sont-ils limités à un seul. Sage restriction,<br />
mais dont la portée est malheureusement faible, car ils ont cru<br />
souvent avoir assez d'un simple article, reprenant, somme toute,<br />
mais à propos d'un thème unique, la métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> C. Heinemann.<br />
Admettons-le à leur décharge, ils n'ont pas prétendu mener une<br />
enquête exhaustive, mais seulement poser <strong>de</strong>s jalons, préparer le<br />
terrain, ouvrir quelques perspectives. On est cependant amené à<br />
douter <strong>de</strong> l'efficacité <strong>de</strong> leur travail quand on voit vingt-cinq siècles<br />
prométhéens con<strong>de</strong>nsés en quatre pages ou l'histoire d'un
34 THEMES ET MYTHES<br />
thème poétique aussi riche que celui <strong>de</strong> Pandore esquissée en<br />
dix 50 . On cè<strong>de</strong> ici à la satisfaction d'évoquer quelques grands<br />
noms, mais on n'explique pas ; on schématise, on vole <strong>de</strong> sommet<br />
en sommet et, parfois, un remords d'exhaustivité — combien relative<br />
d'ailleurs — fait compléter l'énumération commentée d'une<br />
énumération tout court : on ajoute une liste <strong>de</strong>s auteurs que Ton<br />
n'a pas traités. Encore une fois, nous n'avons affaire qu'à <strong>de</strong>s<br />
esquisses, à <strong>de</strong>s travaux préliminaires : rien n'a encore été fait<br />
pour une véritable thématologie.<br />
D'aucuns enfin ont cru <strong>de</strong>voir se limiter à la fois dans le sujet,<br />
dans le temps et dans l'espace en se consacrant à l'examen d'un<br />
seul thème chez un seul auteur 51 , ou à une seule époque 52 ou<br />
encore dans une seule littérature 53 . L'ambition, certes, est à présent<br />
ramenée à <strong>de</strong>s proportions plus raisonnables, mais on ne saurait<br />
se faire d'illusions sur le résultat obtenu: l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>meure<br />
incomplète, elle détache le thème <strong>de</strong> ses tenants et aboutissants en<br />
pratiquant une césure arbitraire dans son histoire, elle risque <strong>de</strong><br />
proposer pour original ce qui est en réalité l'expression d'une longue<br />
tradition, <strong>de</strong> prendre le particulier pour le général et, même si<br />
elle fait place à une réflexion plus poussée sur la signification d'un<br />
thème à une époque ou dans un auteur, elle s'expose à <strong>de</strong>s généralisations<br />
abusives, à <strong>de</strong>s erreurs <strong>de</strong> perspective, à <strong>de</strong>s déductions<br />
erronées.<br />
Bref, ces trois types d'enquêtes, indépendamment du talent <strong>de</strong>s<br />
auteurs, révèlent par leurs faiblesses et leurs insuffisances que<br />
l'étu<strong>de</strong> satisfaisante d'un thème ne peut s'entreprendre, ni dans<br />
une conception démesurée, ni dans un cadre trop étroit : dans les<br />
<strong>de</strong>ux cas, on n'atteint qu'à <strong>de</strong>s dénombrements qui n'ont pas<br />
même le mérite d'être entiers, à un survol, au culte superstitieux<br />
d'un ordre chronologique, en fait, seule armature du travail.<br />
Cela acquis, quelles seront alors les conditions indispensables<br />
au dépassement <strong>de</strong> la nomenclature plus ou moins étoffée, <strong>de</strong><br />
l'énumération superficielle ?<br />
A la base — pourquoi le contester ? — la thématologie exigera
LES DENOMBREMENTS ENTIERS 35<br />
un dénombrement précis, préalable d'ailleurs à toute enquête littéraire.<br />
Elle partira donc <strong>de</strong> la consultation <strong>de</strong>s dictionnaires <strong>de</strong> thèmes<br />
et ceux-ci se trouveront rapi<strong>de</strong>ment dépassés par les résultats<br />
du recensement personnel, facilité à son tour par <strong>de</strong> nombreux<br />
instruments <strong>de</strong> travail. Qu'on songe aux sources importantes <strong>de</strong><br />
renseignements offertes par <strong>de</strong>s catalogues comme, par exemple,<br />
la Bibliothèque du théâtre françois <strong>de</strong> La Vallière, les Recherches<br />
sur les théâtres <strong>de</strong> France <strong>de</strong> Godard <strong>de</strong> Beauchamps, VHistoire<br />
du théâtre françois <strong>de</strong>s frères Parfaict, le Deutsche Titelbuch <strong>de</strong> F.<br />
Schnei<strong>de</strong>r, la Bibliographical list of plays in the French language<br />
<strong>de</strong> CD. Brenner, et bien d'autres, anglais, espagnols, italiens ; par<br />
les répertoires <strong>de</strong> traductions — M. Delcourt, R. Sturel, A. Chassang,<br />
M. Horn-Monval, C.H. Conley, H.B. Latrop, J.F. Degen,<br />
J.M. <strong>de</strong> Cossio, etc. — et d'adaptations innombrables. Voilà qui<br />
permettra d'élargir le champ <strong>de</strong> l'enquête bien plus qu'on ne l'eût<br />
imaginé à première vue. Et qu'on ne soutienne pas que ce dépouillement<br />
<strong>de</strong> catalogues et <strong>de</strong> répertoires est la caractéristique <strong>de</strong><br />
l'érudition stérile qu'entraîne l'exercice <strong>de</strong> la thématologie. Ou<br />
bien prétendra-t-on que pour étudier Spinoza et la pensée française<br />
avant la Révolution, ou L'Idée du bonheur au XVIII e siècle,<br />
ou encore Di<strong>de</strong>rot en Allemagne, il ait fallu à Paul Vernière,<br />
Robert Mauzi et Roland Mortier moins <strong>de</strong> fouilles et <strong>de</strong> fiches<br />
qu'il n'en faut pour se pencher sur le sort <strong>de</strong> Sophonisbe ou <strong>de</strong><br />
Marie Stuart? Le tout sera <strong>de</strong> ne pas s'en tenir aux dénombrements,<br />
première étape du travail.<br />
A cette préoccupation fondamentale d'une information aussi<br />
étendue que possible s'ajoutera tout naturellement celle d'une<br />
ordonnance chronologique <strong>de</strong>s textes, nécessaire même à l'intérieur<br />
<strong>de</strong> l'œuvre d'un seul auteur, car elle permet <strong>de</strong> suivre les étapes<br />
<strong>de</strong> l'évolution du thème, <strong>de</strong> déceler les possibilités d'influences.<br />
Encore une fois, ce n'est pas un trait spécifique <strong>de</strong> la thématologie<br />
: quand A. Py se penche sur la conception <strong>de</strong>s mythes grecs<br />
dans la poésie <strong>de</strong> Victor Hugo, quand l'abbé C. Grillet s'informe<br />
<strong>de</strong>s emplois <strong>de</strong> la Bible par ce même poète 54 , il n'est pas moins
36 THEMES ET MYTHES<br />
intéressant <strong>de</strong> déterminer, sur ces points et grâce à la stricte observance<br />
<strong>de</strong> la chronologie interne <strong>de</strong> l'œuvre, le cheminement <strong>de</strong> la<br />
pensée, <strong>de</strong> la philosophie et <strong>de</strong> l'art <strong>de</strong> l'auteur.<br />
En somme, la thématologie ne prétendra pas renier les dénombrements<br />
minutieux, pas plus que le respect <strong>de</strong> la chronologie,<br />
<strong>de</strong>ux éléments qui sont la base, la charpente osseuse du corps<br />
autonome que <strong>de</strong>viendra le travail achevé. Toutefois, ils ne seront<br />
jamais <strong>de</strong>s fins, comme on l'a cru trop souvent, mais seulement<br />
<strong>de</strong>s moyens. La succession <strong>de</strong>s œuvres reconnue, le <strong>de</strong>voir<br />
d'exhaustivité accompli, alors débute la véritable tâche du chercheur<br />
qui a entrepris <strong>de</strong> retracer l'aventure séculaire d'un thème.<br />
Car il va s'agir maintenant <strong>de</strong> dégager et <strong>de</strong> préciser les significations<br />
multiples du thème, d'isoler ses éléments constitutifs, <strong>de</strong><br />
définir les gran<strong>de</strong>s voies dans lesquelles il s'engage, <strong>de</strong> mettre à nu<br />
les fils conducteurs, <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r, à l'intérieur <strong>de</strong> la complexité et<br />
<strong>de</strong> l'enchevêtrement <strong>de</strong>s motifs, à une répartition thématique<br />
interne * qui seule donnera au travail sa réelle unité et permettra<br />
<strong>de</strong> respecter cet élément essentiel du thème : sa polyvalence.<br />
De quels éléments, par exemple, est fait le thème <strong>de</strong> Pandore ?<br />
Dès le premier examen, on y distingue les motifs <strong>de</strong> la punition <strong>de</strong>s<br />
hommes par les dieux, <strong>de</strong> la corruption <strong>de</strong> la société primitive, <strong>de</strong><br />
l'apparition <strong>de</strong> l'art et <strong>de</strong> la beauté dans la conscience humaine, <strong>de</strong><br />
la femme fatale, <strong>de</strong> l'origine légendaire du mal physique et moral.<br />
Tout cela est présent déjà, à l'état embryonnaire, chez Hésio<strong>de</strong>, et<br />
chacun <strong>de</strong> ces éléments est appelé à fon<strong>de</strong>r une tradition littéraire<br />
dont une Pandore sera le centre : le premier est capital chez<br />
Hésio<strong>de</strong>, le <strong>de</strong>uxième chez Lesage ou Houdar <strong>de</strong> La Motte, le troisième<br />
chez Goethe, le quatrième chez Colar<strong>de</strong>au, Voltaire, Parnell,<br />
le cinquième chez Voltaire encore ou Wieland, etc. Aussi<br />
s'aperçoit-on que l'unité apparente que recouvre le nom <strong>de</strong> Pan-<br />
* Ce serait plutôt une répartition « motivique », si l'on ose dire. Quand on voit,<br />
par exemple, Prométhée exprimer concurremment la révolte, l'aspiration au<br />
savoir, le génie, la souffrance amoureuse, etc., il s'agit <strong>de</strong> saisir la multiplicité <strong>de</strong>s<br />
motifs recouverts par l'unité du thème.
LES DÉNOMBREMENTS ENTIERS 37<br />
dore dissimule en réalité une diversité <strong>de</strong> significations qui est<br />
fonction <strong>de</strong> l'adaptation <strong>de</strong>s éléments constitutifs du thème aux<br />
transformations <strong>de</strong>s idées et <strong>de</strong>s mœurs. Comment et quand chacun<br />
<strong>de</strong> ces éléments s'est développé, chez qui et pourquoi, voilà les<br />
questions qu'il importe <strong>de</strong> se poser. C'est dire que suivre, dans<br />
toutes ses sinuosités, l'évolution du thème <strong>de</strong> Pandore, permettra<br />
<strong>de</strong> voir <strong>de</strong> quelle manière et dans quelle mesure un thème littéraire<br />
s'imprègne <strong>de</strong> l'idéologie <strong>de</strong>s époques traversées, comment il la<br />
restitue et ce qu'il a représenté dans les phases successives <strong>de</strong> la<br />
civilisation.<br />
On est donc loin <strong>de</strong> se satisfaire d'une nomenclature, fût-elle<br />
complète, <strong>de</strong> cette carcasse étique qui peut seule résulter du<br />
dénombrement mécanique. S'en tenir à cela reviendrait à condamner<br />
la thématologie à être une discipline sans âme 55 .<br />
Qu'apporterait en effet à l'histoire <strong>de</strong> la littérature et à l'histoire<br />
<strong>de</strong>s idées, <strong>de</strong> constater que l'Orphée <strong>de</strong> Rilke vient après celui <strong>de</strong><br />
Boèce et celui <strong>de</strong> Cocteau après celui du Politien? que le Saùl<br />
d'Alfieri précè<strong>de</strong> celui du prince <strong>de</strong> Ligne et le Narcisse <strong>de</strong> Cal<strong>de</strong>ron<br />
celui <strong>de</strong> Valéry, s'il ne s'agissait <strong>de</strong> découvrir le pourquoi et le<br />
comment <strong>de</strong>s différences et <strong>de</strong>s similitu<strong>de</strong>s ? Savoir que, dans le<br />
thème <strong>de</strong> Don Juan, Grabbe vient après Molière et Montherlant<br />
après Ghel<strong>de</strong>ro<strong>de</strong>, permet tout au plus les classiques et banales<br />
réflexions sur l'éternité et l'in<strong>de</strong>structibilité <strong>de</strong>s grands mythes <strong>de</strong><br />
la civilisation occi<strong>de</strong>ntale, traditionnelles tira<strong>de</strong>s qui n'expliquent<br />
rien. On <strong>de</strong>meurera ignorant <strong>de</strong>s raisons profon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la palingénésie<br />
du thème, si l'on ne cherche à l'analyser, à le réduire à ses<br />
composantes.<br />
En résumé, toute étu<strong>de</strong> composée d'une juxtaposition<br />
d'oeuvres, toute étu<strong>de</strong> qui n'est qu'un assemblage <strong>de</strong> monographies<br />
sans relief, sans arrière-plan et sans lien, qui groupe <strong>de</strong>s textes<br />
sur la seule parenté artificielle <strong>de</strong> leurs titres sans chercher à<br />
découvrir les réalités multiples qu'ils recouvrent, ne saurait être<br />
admise comme une enquête thématologique bien comprise ni bien<br />
menée.
38 THEMES ET MYTHES<br />
Respecter l'ordre chronologique, entasser <strong>de</strong>s documents, accumuler<br />
<strong>de</strong>s dates et <strong>de</strong>s noms, c'est le rôle d'un dictionnaire ; tracer<br />
<strong>de</strong>s pistes dans la jungle <strong>de</strong>s interprétations et <strong>de</strong>s transformations<br />
d'un thème dans le cadre <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong>s idées, c'est l'affaire <strong>de</strong> la<br />
thématologie. Constater la différence entre le Prométhée créateur,<br />
au sens le plus matériel, <strong>de</strong> l'espèce humaine, tel qu'il apparaît<br />
chez Philémon et Ménandre, puis chez les Pères <strong>de</strong> l'Eglise, et le<br />
Prométhée poète <strong>de</strong> génie qui se révèle au jeune Goethe, ne suffit<br />
pas : il faudra retrouver par quels cheminements obscurs s'est<br />
effectuée cette sublimation du symbole, en déceler les étapes <strong>de</strong><br />
Boccace à Marc-Jérôme Vida, <strong>de</strong> Chapman à Shaftesbury et à<br />
Her<strong>de</strong>r. Une date, un résumé, un commentaire <strong>de</strong> trois lignes <strong>de</strong>s<br />
nombreuses Phèdre <strong>de</strong>s lettres européennes ont pour nous moins<br />
d'intérêt que la compréhension <strong>de</strong> l'attention donnée au thème<br />
par Racine ou par Gi<strong>de</strong>.<br />
Comment et quand, sinon toujours pourquoi, doivent être les<br />
questions constamment présentes à l'esprit <strong>de</strong> quiconque tient à<br />
dépasser l'énumération stérile. Quand H. Le Maître, confronté<br />
avec le thème <strong>de</strong> Psyché, souligne qu'il lui a paru intéressant «<strong>de</strong><br />
rechercher quelle attitu<strong>de</strong> avaient adoptée en France <strong>de</strong>s artistes<br />
presque tous chrétiens, en face d'un thème païen si proche <strong>de</strong> leurs<br />
idées religieuses » 56 , soyons assurés qu'il se propose au moins un<br />
<strong>de</strong>s buts qui font <strong>de</strong> la thématologie autre chose que l'établissement<br />
d'une nomenclature. N'était-ce pas aller, voici trois quarts<br />
<strong>de</strong> siècle, bien au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s dénombrements entiers, que d'évoquer,<br />
comme le faisait Charles Ricci, le problème <strong>de</strong> Sophonisbe :<br />
Pourquoi la faiblesse générale <strong>de</strong> ces tragédies ? Telle est la question que<br />
nous nous proposons <strong>de</strong> résoudre. Sans doute, chaque auteur est responsable<br />
<strong>de</strong>s défauts <strong>de</strong> son œuvre. Mais lorsqu'il s'agit <strong>de</strong> Corneille, <strong>de</strong> Voltaire,<br />
d'Alfieri, il serait téméraire <strong>de</strong> faire retomber sur leur maladresse<br />
seule la médiocrité <strong>de</strong> leur Sophonisbe. Il se peut qu'il y ait <strong>de</strong>s raisons<br />
d'ordre plus général, tenant à l'essence même du sujet 57 .<br />
A-t-il réussi à donner une réponse satisfaisante ? Peut-être, mais<br />
c'est une autre affaire. L'important est avant tout que le critique
LES DÉNOMBREMENTS ENTIERS 39<br />
se soit interrogé sur la nature profon<strong>de</strong> du thème, qu'il en ait tiré<br />
une réflexion : à ce prix il peut y avoir une philosophie <strong>de</strong> la thématologie<br />
comme il y a une philosophie <strong>de</strong> l'histoire. Dans une<br />
telle optique, dénombrement et chronologie ne seront plus à la<br />
thématologie que ce que sont à la musique la portée et la clé <strong>de</strong><br />
sol: les assises indispensables, mais mo<strong>de</strong>stes, <strong>de</strong> la symphonie.
LA CONTINUITÉ DE LA TRADITION<br />
HISTORIQUE<br />
Tracer <strong>de</strong>s avenues, séparer les éléments constitutifs du thème,<br />
donc ses signifiants, suivre leur évolution, chercher le quand et le<br />
comment, parfois le pourquoi <strong>de</strong> leurs transformations, c'est,<br />
nous l'avons dit, insuffisant dans une époque ou un auteur sous<br />
peine <strong>de</strong> gauchissement <strong>de</strong>s perspectives ; <strong>de</strong> plus, la chronologie<br />
peut n'avoir à jouer un rôle, dans le problème <strong>de</strong>s sources et <strong>de</strong>s<br />
influences, que dans un registre quelquefois fort étendu. Dès lors,<br />
l'idéal <strong>de</strong> l'étu<strong>de</strong> thématologique ne serait-il pas l'enquête continue<br />
dans le temps ?<br />
Aussitôt triomphe l'opposition. «Trop souvent les rattachements<br />
<strong>de</strong> la Stoffgeschichte, écrivait F. Bal<strong>de</strong>nsperger, ignorant<br />
les intermédiaires oraux et indéterminés, satisfaisaient mal les<br />
esprits historiques, c'est-à-dire soucieux <strong>de</strong> séries continues : d'où<br />
le peu <strong>de</strong> sécurité offerte par tant d'Ahasvérus, <strong>de</strong> Griselidis ou <strong>de</strong><br />
Sept Dormants, le seul Don Juan offrant à peu près, dans sa carrière<br />
littéraire, la continuité souhaitable » 5 \ A ces esprits « historiques<br />
», la thématologie apparaissait comme un quartier <strong>de</strong> banlieue<br />
inachevé : comment prétendre en effet suivre <strong>de</strong>s avenues, là<br />
où il n'y a que chemins mal tracés débouchant soudain sur un terrain<br />
vague ou un reste <strong>de</strong> forêt, bien heureux quand le sentier ne<br />
finit pas en cul-<strong>de</strong>-sac ?<br />
Voyez le cas d'Hercule, précisent-ils, et l'historique en sera<br />
bientôt fait. D'Euripi<strong>de</strong> on passe à Sénèque, puis on saute à Villena<br />
(1417), à Cinzio (1557) ; <strong>de</strong> là à Rotrou (1632), à Marmontel<br />
(1761), à We<strong>de</strong>kind (1917), à Dùrrenmatt (1954). Quelle tradition<br />
littéraire offre-t-il? quelle continuité? quelle unité? Le thème est
42 THÈMES ET MYTHES<br />
brisé, tronçonné, épars. Choisira-t-on Orphée? Après les hymnes<br />
orphiques, après Ovi<strong>de</strong>, passons sans transition au Sir Orfeo du<br />
Moyen Age anglais (1330), à Henrysons (XV e siècle), à Poliziano<br />
(1480), à Cal<strong>de</strong>ron (1663), à Rilke (1905), à Cocteau (1926), à<br />
Anouilh (1941). Même atomisation, même pulvérisation que pour<br />
Hercule, même si l'on en vient, en désespoir <strong>de</strong> cause, à ajouter à<br />
ces œuvres les poèmes <strong>de</strong> Ronsard, Spenser, Milton, Quevedo,<br />
Pope, Novalis, Hôl<strong>de</strong>rlin, Goethe, Disparate, poussière <strong>de</strong> textes<br />
sans tradition !<br />
Reconnaissons-le : l'objection, cette fois, semble sérieuse, capitale,<br />
puisqu'elle dénonce l'impossibilité d'esquisser <strong>de</strong>s séries continues,<br />
<strong>de</strong> véritables traditions littéraires, qu'elle ruine l'espoir<br />
d'aboutir à une synthèse valable, la chimère d'une survivance<br />
réelle et constante, donc la possibilité <strong>de</strong> mettre à nu cette épine<br />
dorsale du thème dont nous évoquions l'existence à propos <strong>de</strong>s<br />
dénombrements entiers.<br />
Objection donc, et <strong>de</strong> poids. Mais ne peut-elle être écartée ? Ou<br />
plutôt, n'est-elle pas, une fois encore, née <strong>de</strong> l'examen critique <strong>de</strong><br />
travaux existants, <strong>de</strong> l'absence <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s appropriées? d'une<br />
indispensable réflexion préalable sur la nature <strong>de</strong> la matère traitée<br />
? Nous essaierons <strong>de</strong> montrer qu'elle fut trop souvent justifiée<br />
par la négligence d'une distinction capitale, faite cependant <strong>de</strong>puis<br />
longtemps à propos <strong>de</strong>s mythes par les psychanalystes et les historiens<br />
<strong>de</strong>s religions.<br />
Toutes les gran<strong>de</strong>s figures <strong>de</strong> la mythologie, <strong>de</strong> la Bible, <strong>de</strong>s traditions<br />
nationales et même <strong>de</strong> l'histoire ont atteint par leur fortune<br />
et leur portée significative, la valeur <strong>de</strong> mythes <strong>de</strong> notre culture,<br />
mythes littéraires ou philosophiques, s'entend, <strong>de</strong>puis belle<br />
lurette dépouillés <strong>de</strong> leur contenu religieux. S'ils furent à l'origine<br />
« le produit <strong>de</strong> la réaction <strong>de</strong> l'homme primitif <strong>de</strong>vant la vie » 59 ,<br />
ou l'exposé d'une «situation dramatique dont le caractère essentiel<br />
est <strong>de</strong> considérer dans un mon<strong>de</strong> spécifique certaines cristallisations<br />
<strong>de</strong> virtualités psychologiques 60 , ils ont aujourd'hui perdu<br />
cette valeur primordiale <strong>de</strong> projections, pourrait-on dire, <strong>de</strong>s don-
LA TRADITION HISTORIQUE 43<br />
nées immédiates <strong>de</strong> la conscience pour <strong>de</strong>venir les évocations<br />
caractéristiques <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> notre culture et <strong>de</strong> notre civilisation.<br />
Denis <strong>de</strong> Rougemont le rappelait à propos du thème <strong>de</strong> Tristan,<br />
«on pourrait dire d'une manière générale qu'un mythe est<br />
une histoire, une fable symbolique, simple et frappante, résumant<br />
un nombre infini <strong>de</strong> situations plus ou moins analogues. Le mythe<br />
permet <strong>de</strong> saisir d'un coup d'oeil certains types <strong>de</strong> relations constantes,<br />
et <strong>de</strong> les dégager du fouillis <strong>de</strong>s apparences<br />
quotidiennes» 61 . Parfois issus <strong>de</strong> lointains mythes religieux, les<br />
thèmes ont engendré une tradition littéraire et culturelle, dont le<br />
traitement fait l'objet <strong>de</strong> notre étu<strong>de</strong>. Enfin, on peut considérer<br />
que les thèmes sont <strong>de</strong>meurés la représentation symbolique d'une<br />
situation humaine exemplaire, d'un cas particulier haussé à la portée<br />
universelle.<br />
Le héros est, si l'on en croit R. Caillois 62 , celui qui donne à la<br />
situation une issue — fût-elle négative ou absur<strong>de</strong>, comme dans le<br />
cas d'Oedipe, où la situation absorbe le héros. Selon les cas, la<br />
situation ou le héros sera le centre du problème. L'histoire<br />
d'Oedipe, par exemple, appartient évi<strong>de</strong>mment au groupe <strong>de</strong>s thèmes<br />
<strong>de</strong> situation, parce qu'elle ne saurait avoir d'existence indépendante<br />
d'un certain contexte : pour illustrer ce drame, il faut un<br />
ensemble <strong>de</strong> faits, <strong>de</strong>s comparses traditionnels. Qui pense à<br />
Oedipe songe à Laïos et à Jocaste ; pas d'Oedipe sans sphinx, sans<br />
patrici<strong>de</strong>, sans oracle, sans la malédiction <strong>de</strong>s Labdaci<strong>de</strong>s : il se<br />
définit comme Oedipe par rapport à un ensemble en soi immuable<br />
sur le plan <strong>de</strong>s circonstances. En d'autres termes, ce n'est pas la<br />
personnalité individuelle du héros qui fait la situation ce qu'elle<br />
est, c'est une situation donnée qui, d'un homme ordinaire, fait un<br />
Oedipe. Ce serait donc une erreur <strong>de</strong> suivre le personnage partout<br />
où il apparaît sans qu'il soit placé dans sa situation spécifique.<br />
Que serait un Faust sans pacte, un Oreste sans vengeance? La<br />
signification du thème est conditionnée par un nœud <strong>de</strong> données<br />
caractérisantes, le personnage n'existe, dans sa portée symbolique,<br />
que par cet ensemble dont il est, comme en mathématiques,
44 THEMES ET MYTHES<br />
une fonction. On en dirait autant d'Antigone, <strong>de</strong> Pandore, <strong>de</strong><br />
Psyché, <strong>de</strong> Médée *.<br />
Dans le cas d'un thème <strong>de</strong> héros, le protagoniste dépasse la<br />
situation, la fait contingente ou la crée : qui dit Prométhée pense<br />
liberté, génie, progrès, connaissance, révolte. Sa polyvalence et<br />
son autonomie le mettent à l'abri d'une « fixation » et lui assurent,<br />
non seulement une complète indépendance, mais surtout un sens<br />
symbolique résumé dans le héros, quelles que soient son action et<br />
les circonstances dans lesquelles la fantaisie du poète choisira <strong>de</strong> le<br />
faire évoluer. Ainsi encore d'Hercule ou d'Orphée. Des nuances,<br />
cela va <strong>de</strong> soi, interviendront parfois dans cette distinction. On<br />
pourrait, par exemple, objecter que le héros n'est jamais, originellement,<br />
étranger à une situation donnée; on ajoutera même que<br />
tout héros tend à se détacher <strong>de</strong> la situation avec le temps, au fur<br />
et à mesure qu'il s'installe plus profond dans la conscience culturelle,<br />
surtout quand la psychologie s'en mêle, et à se faire valoir<br />
comme caractère ou même comme incarnation-type d'une<br />
«idée». Ce phénomène d'abstraction se décèle donc aussi quelquefois,<br />
mais <strong>de</strong> manière beaucoup moins nette, dans les thèmes<br />
<strong>de</strong> situation, et la distinction n'est pas toujours aussi évi<strong>de</strong>nte<br />
qu'entre Antigone et Prométhée. Faust, par exemple, peut être à<br />
la limite <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux genres, et il est souvent menacé <strong>de</strong> se dégra<strong>de</strong>r<br />
en héros du nationalisme ou du progrès. J. Rousset a bien observé<br />
que Don Juan, au cours <strong>de</strong> son évolution historique, a tendance à<br />
se transformer en thème <strong>de</strong> héros, c'est-à-dire à s'émanciper <strong>de</strong>s<br />
invariants qui constituaient la situation initiale. Phénomène intéressant<br />
car, on s'en doute, la signification du thème se modifie en<br />
* Il convient <strong>de</strong> noter ici que les thèmes construits sur <strong>de</strong>s personnages historiques<br />
sont presque toujours <strong>de</strong>s thèmes <strong>de</strong> situation parce que les auteurs disposent<br />
à leur égard <strong>de</strong> moins <strong>de</strong> liberté encore qu'en face <strong>de</strong>s thèmes légendaires, en raison<br />
<strong>de</strong> la pression <strong>de</strong>s réalités historiques qui s'exerce sur le temps (on ne peut placer<br />
Waterloo au XX e siècle), l'espace (on ne peut envoyer Cromwell en Amérique), la<br />
vraisemblance (on ne peut faire <strong>de</strong> Napoléon un lâche ou d'Alexandre un<br />
imbécile), la vérité <strong>de</strong>s faits (on ne peut faire Marie Stuart reine d'Angleterre).
LA TRADITION HISTORIQUE 45<br />
même temps que sa structure. Selon les cas, il conviendra <strong>de</strong> déterminer<br />
ce qui constitue l'intérêt dominant <strong>de</strong> l'œuvre en question.<br />
Quelles conséquences peut-on tirer <strong>de</strong> cette distinction?<br />
D'abord, on conviendra que, <strong>de</strong> par leur nature, les thèmes <strong>de</strong><br />
situation exigent, pour trouver leur entière signification, <strong>de</strong> voir<br />
recréée leur situation caractéristique, ce qui ne peut se faire que<br />
dans une oeuvre <strong>de</strong> quelque étendue, souvent théâtrale. Ensuite, il<br />
apparaîtra que le thème <strong>de</strong> héros, infiniment plus indépendant,<br />
peut trouver une expression tout à fait satisfaisante, dans une<br />
œuvre bien sûr, mais aussi — et même le plus souvent — dans une<br />
simple phrase, une allusion, voire en quelques mots, parce qu'il<br />
est une sorte <strong>de</strong> symbole « con<strong>de</strong>nsé » dont le contenu répond à<br />
une idée donnée d'avance. Il faut une pièce à Corneille ou<br />
Anouilh pour donner une valeur significative au thème <strong>de</strong> Médée ;<br />
Théophile <strong>de</strong> Viau fait-il <strong>de</strong> Prométhée «le premier athée», ou<br />
Shaftesbury, désignant le poète sous les traits du Titan, le nommet-il<br />
«a second Maker, a just Prometheus un<strong>de</strong>r Jove», le thème<br />
s'inscrit aussitôt dans un contexte <strong>de</strong> pensée qu'il suffit à circonscrire<br />
et à exprimer. Enfin, puisque, <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, le thème <strong>de</strong><br />
héros sera beaucoup plus souvent évoqué que le thème <strong>de</strong> situation<br />
— qui, répétons-le, a besoin d'espace pour s'exprimer — il y<br />
aura nécessairement entre eux une nette différence sur le plan <strong>de</strong> la<br />
continuité <strong>de</strong> la tradition historique et cette tradition elle-même<br />
sera d'une autre nature.<br />
Poursuivons le raisonnement. Une fois admis le principe d'une<br />
différence essentielle entre les thèmes, prétendre leur appliquer<br />
une métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> travail unique revient à vouloir découvrir la panacée.<br />
Il y aura donc <strong>de</strong>ux métho<strong>de</strong>s ; quelles sont-elles ?<br />
Commençons par les thèmes <strong>de</strong> héros. Très tôt séparés d'un<br />
contexte fixe, d'un cadre défini, ils acquièrent spontanément une<br />
redoutable polyvalence, une multiplicité <strong>de</strong> significations qui,<br />
nous l'avons dit, peuvent se con<strong>de</strong>nser dans une expression très<br />
limitée: c'est le cas, par exemple, pour les interprétations du<br />
thème d'Orphée par les Pères, ou pour la vogue du thème <strong>de</strong> Pro-
46 THÈMES ET MYTHES<br />
méthée à la Renaissance, où les œuvres qui lui sont consacrées<br />
sont rarissimes, mais où les allusions, tant chez les penseurs que<br />
chez les poètes, sont extrêmement nombreuses et révélatrices <strong>de</strong>s<br />
courants <strong>de</strong> pensée <strong>de</strong> l'époque. Dès lors, il serait absur<strong>de</strong> <strong>de</strong> s'en<br />
tenir aux œuvres, aux sommets : ce serait chercher à <strong>de</strong>s thèmes <strong>de</strong><br />
héros <strong>de</strong>s cadres dont la nécessité ne s'impose que pour les thèmes<br />
<strong>de</strong> situation *. Du reste, même à propos <strong>de</strong> ces œuvres, on observerait<br />
une liberté d'affabulation bien plus gran<strong>de</strong> que dans le cas<br />
d'un thème <strong>de</strong> situation : centrées sur le mythe prométhéen, les<br />
trames d'Eschyle, <strong>de</strong> Cal<strong>de</strong>ron, <strong>de</strong> Goethe, <strong>de</strong> Shelley, <strong>de</strong> Bourges<br />
n'ont cependant aucune ressemblance, alors que les circonstances,<br />
les personnages, le contexte général sont beaucoup plus uniformes<br />
pour Antigone, Sophonisbe, Médée, Salomé, Marie Stuart, etc.<br />
Souple, protéiforme, polyvalent, indépendant <strong>de</strong>s cadres narratifs,<br />
le thème <strong>de</strong> héros est susceptible, par la multiplication quasi<br />
illimitée <strong>de</strong> ses manifestations, <strong>de</strong> s'intégrer aux caractéristiques<br />
<strong>de</strong> la pensée, <strong>de</strong>s mœurs et du goût d'un siècle, d'apparaître nanti<br />
<strong>de</strong> toutes les significations, voire les plus contradictoires **,<br />
s'adaptant à toutes les nuances <strong>de</strong> l'état présent <strong>de</strong>s idées, en<br />
épousant toutes les variations : la Sîoffgeschichte se révèle simultanément<br />
Geistesgeschichte.<br />
Le thème héroïque pouvant trouver son entière valeur expressive<br />
en peu <strong>de</strong> place, il s'ensuit que, dans <strong>de</strong> nombreux cas,<br />
l'importance du thème dépend moins <strong>de</strong> la qualité esthétique que<br />
<strong>de</strong> la portée idéologique. Comme on s'attache à l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s écri-<br />
* Quand M.-F. Guyard (op. cit., pp. 56-57) assure que « bien <strong>de</strong>s tira<strong>de</strong>s creuses<br />
sur la littérature prométhéenne cesseraient sans doute d'encombrer nos esprits le<br />
jour où nous pourrions suivre, guidés par Shelley, Goethe ou Gi<strong>de</strong>, les transformations<br />
<strong>de</strong> ce thème prestigieux », il néglige la distinction héros-situation : une étu<strong>de</strong><br />
qui ne passerait que par ces sommets ne révélerait pas grand-chose.<br />
** Au XVIII e siècle, par exemple, le thème <strong>de</strong> Prométhée évoque en même<br />
temps la corruption <strong>de</strong>s mœurs contemporaines (Lesage), la fondation criminelle<br />
<strong>de</strong> la société civile (Rousseau), le péché originel et la déca<strong>de</strong>nce (Lefranc <strong>de</strong> Pompignan,<br />
Brumoy, Tobler, Servandoni), le progrès (Voltaire, Wieland), le poète créateur<br />
(Shaftesbury, Chénier, Young), etc.
LA TRADITION HISTORIQUE 47<br />
vains «obscurs » <strong>de</strong>s Lumières, à cette foule <strong>de</strong> minores dépourvus,<br />
sans doute, <strong>de</strong> l'éclat et <strong>de</strong> la perfection <strong>de</strong>s gloires du panthéon<br />
littéraire mais qui, à leur place et à leur mesure, constituent<br />
la toile <strong>de</strong> fond à laquelle le siècle doit sa couleur et ses nuances<br />
véritables ; comme à côté <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot, il faut tenir compte du marquis<br />
d'Argens et <strong>de</strong> Saint-Foix à côté <strong>de</strong> Voltaire, il importera,<br />
dans l'étu<strong>de</strong> d'un thème <strong>de</strong> héros, <strong>de</strong> s'intéresser aussi aux œuvres<br />
secondaires, aux poèmes, aux allusions, même minimes en apparence,<br />
mais dont l'ensemble restitue un climat, une atmosphère,<br />
définit la réaction générale et complexe <strong>de</strong> l'époque en face du<br />
thème. Travail ingrat : combien <strong>de</strong> volumes lus ou parcourus pour<br />
rien ! Mais aussi quelle moisson finit par récompenser le chercheur<br />
patient et minutieux ! Quelle satisfaction <strong>de</strong> voir peu à peu se <strong>de</strong>ssiner<br />
la silhouette précise du thème ! Certes, cinq ou six vers <strong>de</strong><br />
Shakespeare sur Orphée, <strong>de</strong> Ronsard sur Hercule, <strong>de</strong> Jean <strong>de</strong><br />
Meung sur Pygmalion ou <strong>de</strong> Hugo sur le Christ, c'est peu <strong>de</strong><br />
chose. Mais lorsqu'on s'est astreint à réunir sur un tel thème, à<br />
telle époque, les quelques lignes que lui ont consacrées dix, vingt,<br />
cinquante, cent auteurs, Ton voit se profiler alors le visage<br />
authentique du thème, se définir chacun <strong>de</strong> ses traits, s'éclairer la<br />
moindre <strong>de</strong> ses expressions. Chaque citation, chaque allusion est<br />
un caillou distinct qui a sa place dans la mosaïque idéale à laquelle<br />
doit s'efforcer l'enquête thématologique. L. Vinge ou Y.F.-A.<br />
Giraud ont bien fait voir, à propos <strong>de</strong> Narcisse et <strong>de</strong> Daphné, tout<br />
l'intérêt <strong>de</strong> cette métho<strong>de</strong>.<br />
On s'empressera sans doute d'observer que l'exhaustivité est<br />
impossible: quelque minutieuse qu'ait été l'enquête, quelque<br />
systématique qu'ait été le dépouillement, quelque durée enfin<br />
qu'ait exigée le travail, on peut être sûr, surtout dans le cas d'un<br />
thème <strong>de</strong> héros, d'avoir laissé échapper nombre <strong>de</strong> passages,<br />
d'allusions, <strong>de</strong> citations. Comment s'en étonner ? Peut-on espérer<br />
— et même d'ailleurs s'il ne s'agissait que d'une seule époque et<br />
d'une seule littérature —, peut-on espérer n'oublier aucun auteur<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>uxième ou <strong>de</strong> troisième zone, aucune œuvre morte <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s
48<br />
THÈMES ET MYTHES<br />
siècles mais où brille par hasard, au creux d'une page sans intérêt,<br />
telle référence à Daphné, à Didon, à Phaéton ?<br />
En fait, semblable exhaustivité est une chimère, même dans<br />
d'autres types <strong>de</strong> travaux, et, sur le plan <strong>de</strong> la thématologie, elle<br />
n'aurait qu'un intérêt très relatif. Il s'agit avant tout d'étendre<br />
suffisamment les recherches pour pouvoir déployer un éventail <strong>de</strong><br />
significations assez riche pour n'être dépourvu d'aucune nuance<br />
d'interprétation. Ce résultat une fois atteint, le recensement n'a<br />
plus pour objet que d'établir dans quelle mesure une interprétation<br />
est originale ou commune à un moment donné (et d'éviter <strong>de</strong><br />
prendre pour original ce qui est commun !), mais il n'apportera<br />
plus rien <strong>de</strong> neuf. En somme, l'exigence d'exhaustivité doit être<br />
sévère, elle ne doit pas être intraitable.<br />
Veut-on un exemple ? Dans notre propre travail sur le thème <strong>de</strong><br />
Prométhée, nous utilisons, pour le seul XVIII e siècle, le témoignage<br />
<strong>de</strong> cent vingt-cinq auteurs ; nous pourrions aujourd 'hui y<br />
ajouter, toujours pour cette seule pério<strong>de</strong>, celui d'une soixantaine<br />
d'autres, <strong>de</strong> William Whitehead à Madame Roland et <strong>de</strong> Cartaud<br />
<strong>de</strong> la Villate à Louis-Sébastien Mercier. Mais il est significatif<br />
qu'aucun <strong>de</strong> ces témoignages, qui tous pourraient confirmer,<br />
compléter et enrichir ceux que nous citions déjà, ne puisse modifier<br />
quoi que ce soit à nos conclusions sur l'ensemble du siècle.<br />
C'est dire que l'exhaustivité dans la récolte <strong>de</strong>s textes, d'ailleurs<br />
irréalisable, ne possè<strong>de</strong> pas non plus <strong>de</strong> vertu spécifique. Au-<strong>de</strong>là<br />
d'un certain seuil, les dénombrements per<strong>de</strong>nt leur sens s'ils ne<br />
contribuent pas à élargir la gamme <strong>de</strong>s significations.<br />
Devant une étu<strong>de</strong> ainsi menée, n'y aurait-il pas mauvaise grâce<br />
à dénoncer la prétendue discontinuité <strong>de</strong> la tradition historique ?<br />
Un travail superficiel qui, au mépris <strong>de</strong> la nature profon<strong>de</strong> du<br />
thème, s'en tiendrait aux œuvres, ferait place peut-être à trente<br />
Hercules ; gageons qu'un examen conduit selon les critères du<br />
thème <strong>de</strong> héros révélerait plusieurs centaines d'expressions unies<br />
et cohérentes 63 . Prétendra-t-on rendre compte <strong>de</strong> la valeur réelle<br />
du thème prométhéen au XVII e siècle en ne retenant que la pièce
LA TRADITION HISTORIQUE 49<br />
du grand Cal<strong>de</strong>ron et celle <strong>de</strong> l'obscur André Catulle ? Non : on y<br />
ajoutera les témoignages <strong>de</strong> Corneille, La Fontaine, Racine, Von<strong>de</strong>l,<br />
Dry<strong>de</strong>n, Bracciolini, Gracian, Grimmelshausen, Milton, Bensera<strong>de</strong>,<br />
Hobbes, <strong>de</strong> cinquante autres encore. Alors l'histoire du<br />
thème offrira une continuité profon<strong>de</strong>, alors l'enquête révélera<br />
une image ni déformée ni tronquée, alors il y aura richesse et tradition,<br />
pourvu, naturellement, que cette poussière d'allusions soit<br />
ordonnée et chacune d'elles mise à sa place dans le contexte <strong>de</strong><br />
l'histoire <strong>de</strong>s idées.<br />
Avec le thème <strong>de</strong> situation, le problème change d'aspect. Il ne<br />
s'agit plus maintenant <strong>de</strong> glaner le plus grand nombre possible<br />
d'allusions, puisque le personnage étudié ne se définit comme<br />
symbolique et représentatif que dans la situation caractérisante,<br />
laquelle exige un développement, un exposé d'une certaine<br />
ampleur. Fixés dans un contexte légendaire ou historique aux<br />
composantes plus ou moins rigi<strong>de</strong>s, les thèmes <strong>de</strong> situation y per<strong>de</strong>nt<br />
en polyvalence et en fréquence d'apparition : il peut se passer<br />
longtemps avant qu'un auteur reprenne le schéma compliqué <strong>de</strong><br />
Phèdre ou d'Oreste. C'est donc à propos <strong>de</strong>s thèmes <strong>de</strong> situation<br />
seulement qu'on sera en droit <strong>de</strong> parler d'hiatus dans la continuité<br />
<strong>de</strong> la tradition littéraire, encore que <strong>de</strong>s recherches minutieuses et<br />
approfondies les révèlent souvent moins larges et moins fréquents<br />
qu on ne pense .<br />
En général, le thème <strong>de</strong> situation n'apparaîtra pas dans un<br />
poème, dont l'action n'est ni assez complexe, ni assez rapi<strong>de</strong>, ni<br />
davantage dans un roman, dont la structure narrative est trop<br />
lente ; ses apparitions les plus nombreuses se feront donc au théâtre.<br />
Il faut cependant se défier d'en faire une règle ou une constante<br />
: « Les thèmes et les motifs, écrit E. Frenzel 65 ont certaines<br />
caractéristiques qui les inféo<strong>de</strong>nt à tel ou tel genre littéraire. [...] Il<br />
est donc parfaitement possible <strong>de</strong> suivre l'histoire d'un thème ou<br />
d'un motif uniquement à l'intérieur d'un genre, dès lors qu'un<br />
rapport étroit entre le thème et le genre peut être établi». C'est<br />
aller un peu loin : VAnîigone et VOrphée <strong>de</strong> Ballanche sont <strong>de</strong>s
50 THEMES ET MYTHES<br />
épopées en prose, Jeanne d'Arc fait le sujet <strong>de</strong> poèmes chez Christine<br />
<strong>de</strong> Pisan ou Coleridge, d'un roman espagnol anonyme du<br />
XVI e siècle, d'épopées chez Chapelain ou Voltaire. Don Juan<br />
passe du théâtre, où il est né, à l'opéra, à la nouvelle, au roman,<br />
au poème. L'utilisation du thème <strong>de</strong> situation au théâtre est très<br />
fréquente, mais elle n'est pas une loi.<br />
Du moins un fait <strong>de</strong>meure-t-il établi : le thème <strong>de</strong> situation, au<br />
contraire du thème <strong>de</strong> héros, nécessite une exposition d'une certaine<br />
étendue. Dès lors, puisque son intérêt dépasse son contenu<br />
idéologique et sa signification, il exigera toujours l'étu<strong>de</strong> d'éléments<br />
qui n'intéressent qu'occasionnellement le thème <strong>de</strong> héros.<br />
En raison <strong>de</strong> sa nature particulière, il suggérera un examen sur le<br />
plan esthétique: construction <strong>de</strong>s œuvres, conception et utilisation<br />
<strong>de</strong>s motifs principaux, modifications apportées aux caractères<br />
<strong>de</strong>s personnages, exploitation plus ou moins poussée d'éléments<br />
tragiques, comiques ou romanesques, moyens d'expression,<br />
etc. Aux réflexions sur les transformations <strong>de</strong> la signification<br />
du thème doivent maintenant s'unir <strong>de</strong>s considérations proprement<br />
esthétiques. Quant aux éventuels hiatus dans la continuité <strong>de</strong><br />
la tradition, il importera, non <strong>de</strong> les accepter tels quels, mais d'en<br />
déterminer les raisons par l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s préférences d'auteurs,<br />
d'époques et <strong>de</strong> nations, étu<strong>de</strong> complexe sur laquelle nous reviendrons.<br />
A ce prix, les défaillances passagères du thème pourront<br />
être parfois aussi révélatrices que ses triomphes.<br />
Enfin, la littérature comparée s'est aussi attachée, ces <strong>de</strong>rnières<br />
années, à « la parenté entre les diverses manifestations <strong>de</strong> la sensibilité,<br />
<strong>de</strong> la pensée et du goût » 66 . Ne serait-il pas fructueux d'étudier<br />
les expressions simultanées <strong>de</strong> la littérature et <strong>de</strong>s autres arts :<br />
décloisonnement, pluri-disciplinarité et, dit U. Weisstein, wechselseitige<br />
Erhellung <strong>de</strong>s Kiïnste 61 . Une thématologie conçue<br />
comme discipline <strong>de</strong> synthèse se <strong>de</strong>vait <strong>de</strong> tirer parti <strong>de</strong> ces ouvertures.<br />
Un travail sur l'histoire <strong>de</strong> Didon et Enée s'enrichira par un<br />
recensement comparatif <strong>de</strong>s œuvres picturales qui, à travers les<br />
siècles, ont représenté la séparation douloureuse du couple 68 .
LA TRADITION HISTORIQUE 51<br />
Y.F.-A. Giraud y insiste avec raison, il est sans doute arbitraire <strong>de</strong><br />
dissocier <strong>de</strong>s domaines <strong>de</strong> l'activité créatrice qui se complètent et<br />
parfois s'expliquent l'un par l'autre : l'histoire littéraire <strong>de</strong> Faust<br />
s'adjoindra celle <strong>de</strong>s poèmes symphoniques (Berlioz ou Gounod),<br />
<strong>de</strong>s peintures et <strong>de</strong>s lithographies (Ary Scheffer ou Delacroix) ou<br />
même — pourquoi pas? — <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssinées. Le cinéma n'est<br />
pas oublié : A. Dabezies, P. Brunel ou J. Tulard lui ont fait place<br />
dans leurs livres sur Faust, Electre et Napoléon.<br />
Certains travaux ont donc débordé du domaine <strong>de</strong> la littérature<br />
pour s'intéresser aux concordances et similitu<strong>de</strong>s entre les lettres<br />
et les arts. H. Anton, dans son histoire du rapt <strong>de</strong> Proserpine, le<br />
montre fréquemment exploité par les graveurs et les sculpteurs, si<br />
bien que <strong>de</strong>s œuvres plastiques inspirent <strong>de</strong>s poèmes du Tasse, <strong>de</strong><br />
Milton, <strong>de</strong> Gi<strong>de</strong>. L'analyse <strong>de</strong> l'interaction <strong>de</strong>s arts, non seulement<br />
élimine les cloisons artificielles et associe les divers domaines<br />
<strong>de</strong> l'activité artistiques, mais souligne encore la continuité et la<br />
complexité <strong>de</strong> la tradition. A son tour, H. Dôrrie a suivi Galatée,<br />
puis Pygmalion, dans leurs expressions musicales et dans les arts<br />
plastiques <strong>de</strong>puis les fresques <strong>de</strong> Rome et <strong>de</strong> Pompéi.<br />
Quelques thèmes, bien sûr, se prêteront mieux que d'autres à<br />
ces étu<strong>de</strong>s comparatives. Par exemple celui <strong>de</strong> Daphné, qui trouve<br />
sa représentation idéale dans l'union <strong>de</strong>s paroles et <strong>de</strong> la musique,<br />
<strong>de</strong> l'image et du mouvement : d'où son succès à l'âge baroque.<br />
Les avis semblent cependant partagés sur ces questions. Selon<br />
Y.F.-A. Giraud, «étudier un thème n'a <strong>de</strong> sens que si l'on<br />
s'efforce <strong>de</strong> rendre compte en même temps <strong>de</strong> sa diffusion dans les<br />
arts figuratifs, dans l'histoire <strong>de</strong> la musique, dans la vie sociale et<br />
dans les ouvrages littéraires» 69 . En revanche, L. Vinge ne croit<br />
guère à cette interdépendance. Alors que le thème <strong>de</strong> Narcisse est à<br />
son apogée dans la poésie baroque et en même temps dans la peinture,<br />
elle considère que les œuvres littéraires peuvent servir l'interprétation<br />
<strong>de</strong> la peinture, alors que l'inverse est improbable 70 .<br />
Quoi qu'il en soit, il paraît difficile <strong>de</strong> nier l'intérêt d'une<br />
enquête globale: l'histoire du thème ne peut qu'y gagner en
52 THÈMES ET MYTHES<br />
richesse et en signification. Nous ne suivrons cependant pas Y.F.-<br />
A. Giraud lorsqu'il affirme qu'une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> thème n 'a <strong>de</strong> sens que<br />
si elle englobe toutes les formes possibles d'expression. Certes,<br />
pareille extension est toujours souhaitable, mais elle n'est indispensable<br />
que pour les thèmes — comme celui <strong>de</strong> Daphné — qui se<br />
prêtent moins à l'abstraction qu'à la représentation, à l'interprétation<br />
(qui sollicite davantage l'écriture) qu'à la figuration.<br />
Dans cette optique d'une enquête complexe et rigoureuse,<br />
l'argument <strong>de</strong> la discontinuité <strong>de</strong> la tradition est loin, nous<br />
semble-t-il, <strong>de</strong> représenter une objection aussi sérieuse qu'on pouvait<br />
le croire au premier abord. Insistons une fois <strong>de</strong> plus sur ce<br />
point : ce sont les métho<strong>de</strong>s trop souvent appliquées à la thématologie,<br />
et non la thématologie elle-même, qui méritent condamnation.<br />
La distinction entre thèmes <strong>de</strong> héros et thèmes <strong>de</strong> situation<br />
n'est peut-être pas moins importante que la distinction entre thèmes<br />
et motifs : elle seule permet <strong>de</strong> choisir et <strong>de</strong> mettre au point la<br />
méthodologie qui convient à chaque cas particulier, d'éclairer<br />
chaque thème <strong>de</strong> la lumière qui dissipera les ombres... et les<br />
malentendus.
THÉMATOLOGIE ET ŒUVRE EN SOI<br />
Procé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s dénombrements aussi complets que possible afin<br />
d'offrir à la réflexion un large éventail <strong>de</strong> significations et d'établir<br />
la continuité <strong>de</strong> la tradition littéraire, voilà qui rassure au<br />
moins les « esprits historiques ». Il n'en va peut-être pas <strong>de</strong> même<br />
pour les esprits soucieux avant tout <strong>de</strong> jugements <strong>de</strong> valeur. Bene<strong>de</strong>tto<br />
Croce, décidément adversaire irréductible <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s thématologiques,<br />
le déclarait sans ambages :<br />
Ces recherches sont <strong>de</strong> pure érudition et ne se prêtent jamais à un traitement<br />
organique. Elles ne nous conduisent jamais, par elles-mêmes, à comprendre<br />
une œuvre littéraire, elles ne nous font jamais pénétrer dans le vif<br />
<strong>de</strong> la création artistique. Leur sujet n'est pas la genèse esthétique <strong>de</strong><br />
l'œuvre littéraire, mais ou bien l'histoire externe <strong>de</strong> l'œuvre déjà formée<br />
(vicissitu<strong>de</strong>s, traductions, imitations, etc.), ou bien un fragment <strong>de</strong> la<br />
matière qui a contribué à la former (tradition littéraire). Les livres qui s'en<br />
tiennent strictement à cet ordre <strong>de</strong> recherches, prennent nécessairement<br />
l'aspect d'un catalogue ou d'une bibliographie 71 .<br />
A faire se succé<strong>de</strong>r œuvres célèbres et secondaires, textes<br />
fameux et allusions obscures, n'est-on pas sur le point <strong>de</strong> négliger<br />
l'œuvre en soi, ne court-on pas le risque d'aboutir à un regrettable<br />
nivellement <strong>de</strong>s valeurs? On a été jusqu'à dire que la Stoffgeschichte,<br />
s'intéressant davantage au contenu qu'à la forme, «ne<br />
porte pas <strong>de</strong> jugements <strong>de</strong> valeur, parce que tout doit lui paraître<br />
d'importance égale» 72 ; dès lors, chaque œuvre n'est plus qu'un<br />
maillon d'une longue chaîne et perd son individualité 73 . Aussi F.<br />
Bal<strong>de</strong>nsperger condamnait-il définitivement la thématologie sur la<br />
conviction que « moins soucieuse par nature <strong>de</strong> mettre en valeur et<br />
<strong>de</strong> définir la singularité d'une création que <strong>de</strong> remonter à <strong>de</strong>s formes<br />
simples, cette variété <strong>de</strong> la littérature comparée était sans<br />
doute vouée à quelque défaveur alors que s'affirmaient <strong>de</strong> nouveau,<br />
dans l'esthétique, les droits <strong>de</strong> l'individualité expressive » 74 .
54 THEMES ET MYTHES<br />
Sur ce point encore, le reproche fut souvent fondé, concédonsle,<br />
et les partisans <strong>de</strong> l'œuvre en soi ont beau jeu <strong>de</strong> défendre leur<br />
point <strong>de</strong> vue en soulignant la complète absence <strong>de</strong> considérations<br />
esthétiques dans <strong>de</strong>s ouvrages comme ceux <strong>de</strong> C. Heinemann.<br />
Mais une question se pose toujours : s'agit-il d'une faiblesse inhérente<br />
au genre — autrement dit, la thématologie n'est-elle pas susceptible<br />
<strong>de</strong> se concilier avec l'appréciation esthétique; ou bien<br />
s'agit-il <strong>de</strong> faiblesses et <strong>de</strong> lacunes méthodologiques, <strong>de</strong> maladresses<br />
dans la manière d'abor<strong>de</strong>r le genre? Car on ne peut songer,<br />
c'est évi<strong>de</strong>nt, à défendre la réduction <strong>de</strong>s individualités à un commun<br />
dénominateur, à prêter une importance égale à six mots <strong>de</strong><br />
Théophile <strong>de</strong> Viau et à une œuvre <strong>de</strong> Shelley ou <strong>de</strong> Goethe.<br />
D'autre part, que la thématologie présente une œuvre comme<br />
un maillon d'une chaîne, personne ne le niera; c'est cependant<br />
une autre affaire <strong>de</strong> soutenir que cette perspective historique<br />
empêche <strong>de</strong> porter un jugement <strong>de</strong> valeur. Certes, étudier séparément<br />
chaque Judas ou chaque Orphée en s'attardant à faire apparaître<br />
les étapes <strong>de</strong> la création littéraire reviendrait à composer une<br />
juxtaposition d'étu<strong>de</strong>s indépendantes, négation <strong>de</strong> la thématologie.<br />
Il convient aussi d'éviter <strong>de</strong> tomber dans l'erreur <strong>de</strong> faire<br />
d'une œuvre un phénomène frappé <strong>de</strong> « splendi<strong>de</strong> isolement » ; cet<br />
insularisme littéraire ne saurait se concevoir que comme une vue<br />
<strong>de</strong> l'esprit, dénuée <strong>de</strong> toute réalité, car l'étu<strong>de</strong> d'une œuvre en soi<br />
ne suffit pas à l'expliquer, ni même à la comprendre 75 .<br />
Imaginons une monographie qui ne situerait pas l'œuvre <strong>de</strong><br />
Hugo dans le contexte intellectuel et politique du romantisme et<br />
ne chercherait pas à savoir ce qu'elle doit à son siècle et au précé<strong>de</strong>nt.<br />
Nous satisfait-elle? Une œuvre fait toujours partie d'une<br />
chaîne, elle se détache toujours sur un arrière-plan et plus particulièrement<br />
peut-être lorsqu'elle traite un thème doté <strong>de</strong> sa tradition<br />
propre dans laquelle l'auteur a choisi <strong>de</strong> s'inscrire.<br />
Dans l'appréciation d'une œuvre consacrée à un thème, il y<br />
aura lieu cependant <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>ux types d'originalité,<br />
<strong>de</strong>ux affirmations <strong>de</strong> l'individualité expressive. La première est
THÉMATOLOGIE ET ŒUVRE EN SOI 55<br />
celle qui s'attache à tout grand écrivain imprimant sa marque à ce<br />
qui sort <strong>de</strong> sa plume : s'étonnera-t-on que la Marie Stuart <strong>de</strong> Schiller<br />
éclipse, au moins esthétiquement, celle d'un Pixerécourt? La<br />
secon<strong>de</strong> est celle qui dégage le caractère spécifique d'une œuvre<br />
dans le cadre <strong>de</strong> l'histoire du thème, qui fait qu'une Iphigénie est<br />
infiniment supérieure à une autre, non seulement en tant<br />
qu'oeuvre en soi, mais aussi en tant qu'Iphigénie. Ainsi, dans<br />
l'enquête thématologique, l'individualité expressive doit-elle être<br />
soulignée à la fois sur le plan général, où un Oreste est une œuvre,<br />
et sur le plan particulier du thème, où cette œuvre est un Oreste.<br />
Peut-être même est-il indispensable d'aller plus loin et <strong>de</strong> soutenir<br />
que l'examen <strong>de</strong>s modalités d'utilisation d'un thème permet <strong>de</strong><br />
mettre mieux en évi<strong>de</strong>nce la part d'originalité créatrice <strong>de</strong> chaque<br />
auteur, précisément parce que le thème constitue un fil conducteur,<br />
un point <strong>de</strong> référence, un premier terme idéal <strong>de</strong> comparaison,<br />
permettant <strong>de</strong> mesurer la puissance d'intervention <strong>de</strong> l'auteur<br />
sur la tradition qui avait cours jusqu'à lui. Dans ce sens, on a pu<br />
dire que « la prestation individuelle du poète en face <strong>de</strong> la force <strong>de</strong><br />
la tradition apparaît d'abord dans le choix du thème et ensuite<br />
dans son traitement particulier par la modification, l'élection et le<br />
nouvel agencement <strong>de</strong>s motifs» 76 . On n'appréciera vraiment la<br />
profon<strong>de</strong> originalité <strong>de</strong> Flaubert ou <strong>de</strong> Mallarmé confrontés avec<br />
le thème d'Hérodia<strong>de</strong> que si l'on a quelque idée <strong>de</strong> ce qu'était le<br />
thème dans la littérature antérieure, chez Pellico, Gellert ou<br />
Heine : dans cette mesure, le thème sera comme la pierre <strong>de</strong> touche<br />
<strong>de</strong> leur talent.<br />
Il ne saurait donc être question, dans l'exercice <strong>de</strong> la thématologie,<br />
<strong>de</strong> tout niveler, d'imposer aux œuvres et aux auteurs un commun<br />
dénominateur. Les monographies peuvent trouver leur place<br />
dans l'économie du plan général et, nous l'avons vu, elles s'imposent<br />
dans le cas <strong>de</strong>s thèmes <strong>de</strong> situation ; tout est ici question <strong>de</strong><br />
dosage, <strong>de</strong> proportions et <strong>de</strong> mise en œuvre. Bien loin <strong>de</strong> niveler<br />
les individualités expressives, la thématologie, quand ce ne serait<br />
que par la simple comparaison, aura constamment pour mission
56 THÈMES ET MYTHES<br />
<strong>de</strong> les mettre en évi<strong>de</strong>nce. Considérant les multiples traitements<br />
d'un thème, un commentateur observait : « L'on reste étonné <strong>de</strong> la<br />
marque personnelle, imprimée sur ces traitements, par <strong>de</strong> fortes<br />
individualités. C'est cela qu'il faudrait pouvoir dégager» 77 . Certes,<br />
et nul ne doutera qu'il importe <strong>de</strong> montrer comment le Faust<br />
<strong>de</strong> Goethe est supérieur à celui <strong>de</strong> Klinger ou <strong>de</strong> « Maler » Millier ;<br />
comment le Judas <strong>de</strong> L. Andréiev se distingue <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong>l ;<br />
comment la Marie Stuart <strong>de</strong> Schiller est plus belle que celle<br />
d'Alfieri. On ne saurait admettre que le dédain <strong>de</strong>s valeurs esthétiques<br />
soit la commune caractéristique <strong>de</strong>s amateurs <strong>de</strong> thématolotie,<br />
et R. Derche le montrait bien en manifestant, à propos <strong>de</strong><br />
Quatre mythes poétiques, son intention <strong>de</strong> « faire ressortir comment,<br />
à diverses époques et chez <strong>de</strong>s peuples différents, ou, au<br />
contraire, dans un même milieu littéraire, l'interprétation d'un<br />
thème i<strong>de</strong>ntique révélait la nature particulière du génie <strong>de</strong> chaque<br />
poète» 78 .<br />
Enfin, s'il convient sans doute d'éviter que la thématologie<br />
néglige les considérations d'ordre esthétique, il ne convient pas<br />
moins peut-être d'éviter toute vassalité à l'égard d'une critique<br />
strictement formaliste qui, envisageant l'œuvre comme un univers<br />
fermé et répondant à une ontologie propre, n'entend l'abor<strong>de</strong>r<br />
que par la stylistique et le jugement <strong>de</strong> valeur, après l'avoir coupée<br />
<strong>de</strong> ses tenants et aboutissants.<br />
Il paraît difficile <strong>de</strong> le contester, la critique et l'histoire littéraires<br />
ont eu souvent tendance à ramener l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'œuvre à l'étu<strong>de</strong><br />
du contexte biographique, <strong>de</strong>s sources et <strong>de</strong>s influences, et il n'est<br />
pas douteux, R. Wellek 79 l'a souligné, que cet examen «extrinsèque<br />
» ne suffit pas à en rendre compte. On ne niera pas davantage<br />
une propension exagérée, dénoncée par Rudolf Unger, à voir dans<br />
la littérature en général, et dans l'œuvre littéraire en particulier, le<br />
simple véhicule <strong>de</strong>s idées. Quand H. Ulrici 80 con<strong>de</strong>nsait la portée<br />
du Marchand <strong>de</strong> Venise dans la formule Summum jus summa<br />
injuria, on doit bien le reconnaître, il aboutissait tout simplement<br />
à supprimer l'œuvre d'art. Réduire le Mignonne allons voir ou le
THÉMATOLOGIE ET ŒUVRE EN SOI 57<br />
Quand vous serez bien vieille à la sèche <strong>de</strong>vise du Carpe diem,<br />
c'est respecter le sens, mais ignorer la poésie.<br />
Mais convenons aussi que l'autre extrême n'est pas plus souhaitable.<br />
Quand J. Scherer 81 assure qu'«il n'est pas indispensable <strong>de</strong><br />
comprendre exactement le sens d'une phrase pour étudier la forme<br />
<strong>de</strong> cette phrase», sans doute a-t-il raison; sous réserve qu'une<br />
phrase qui ne signifie rien, fût-ce seulement dans l'esprit <strong>de</strong> celui<br />
qui la lit, n'est plus rien qu'un vi<strong>de</strong> sonore. Ou bien un art acéphale<br />
serait-il préférable à une pensée amorphe ? On aimerait rappeler<br />
ici ce mot du roi dans Hamlet : « Words without thoughts<br />
never to heaven go ». La poésie, dit-on encore, ne gagne pas à être<br />
philosophique, et Ton a même envie d'ajouter : au contraire,<br />
quand on songe à <strong>de</strong>s poètes comme Houdar <strong>de</strong> La Motte ou J.B.<br />
Rousseau. Mais c'est moins vrai déjà si l'on pense à Scève ou<br />
Vigny et, quoi qu'il en soit, B. Croce allait peut-être un peu loin<br />
en soutenant qu'une poésie d'idées se dégra<strong>de</strong> en tant que poésie 82<br />
et T.S. Eliot forçait singulièrement la note à prétendre que «neither<br />
Shakespeare nor Dante did any real thinking » 83 .<br />
Il est heureusement assez d'esprits raisonnables pour montrer<br />
qu'« il ne peut y avoir <strong>de</strong> conflit entre la forme et le contenu [...]<br />
car aucun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux n'a d'existence sans l'autre et l'abstraction les<br />
tue tous les <strong>de</strong>ux » 84 .<br />
Parmi les premiers, Elisabeth Frenzel a insisté sur la possibilité<br />
d'un examen <strong>de</strong>s formes 85 . A sa suite — et l'innovation est heureuse<br />
— <strong>de</strong>s chercheurs ont entrepris <strong>de</strong> réagir contre les dichotomies<br />
arbitraires et <strong>de</strong> montrer que la Stoffgeschichte n'excluait ni<br />
les jugements <strong>de</strong> valeur ni l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s formes, elles-mêmes révélatrices<br />
<strong>de</strong> l'évolution du goût. Au lieu <strong>de</strong> voir dans le poète ou le<br />
dramaturge un simple agent <strong>de</strong> transmission, on en vient à analyser<br />
les moyens par lesquels il a modifié la tradition. Dès lors<br />
s'impose l'étu<strong>de</strong> minutieuse <strong>de</strong> l'œuvre dans toutes ses composantes,<br />
pour mettre en lumière le processus créateur.<br />
Ainsi, tout en précisant que l'histoire <strong>de</strong> Faust au XX e siècle<br />
s'articule sur les temps forts <strong>de</strong> l'Histoire et que le thème renvoie
58 THÈMES ET MYTHES<br />
aux idéologies fondamentales d'un <strong>de</strong>mi-siècle, A. Dabezies prend<br />
soin <strong>de</strong> rappeler la nécessité d'une analyse littéraire <strong>de</strong>s œuvres :<br />
«Il arrivera que, dans notre appréciation, la valeur littéraire<br />
prime la signification historique ; la construction parfaite du Docteur<br />
Faustus ou <strong>de</strong> Mon Faust mérite bien autant d'attention que<br />
leur actualité » 86 . C'est restituer leur légitime importance à <strong>de</strong>s<br />
critères esthétiques trop souvent négligés, sans doute, par<br />
l'ancienne thématologie. De son côté, M. Bélier, à propos <strong>de</strong> Philémon<br />
et Baucis, s'attache à faire voir comment le thème s'adapte<br />
aux formes les plus variées, <strong>de</strong> l'idylle à la satire, et comment la<br />
Stoffgeschichte peut à l'occasion se muer en une histoire <strong>de</strong>s<br />
mutations <strong>de</strong>s formes et <strong>de</strong>s styles par le biais d'un topos révélateur.<br />
«A côté <strong>de</strong> l'histoire du thème et <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong>s idées doit<br />
figurer l'histoire <strong>de</strong>s formes. [...] A la polysémie du thème [...]<br />
s'adjoint son polymorphisme» 87 . Sans doute est-ce un moyen<br />
d'émanciper la thématologie <strong>de</strong> la tutelle positiviste et <strong>de</strong> la libérer<br />
<strong>de</strong> la poigne exclusive <strong>de</strong> la Geistesgeschichte.<br />
De tels travaux l'ont démontré, il n'est nullement nécessaire <strong>de</strong><br />
se résigner à un choix appauvrissant, soit compter les vertèbres<br />
d'un squelette, soit œuvrer à même la chair littéraire. L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />
variations <strong>de</strong> la forme peut s'unir à celle <strong>de</strong>s variations du contenu<br />
pour constituer une thématologie plus complète et plus riche.<br />
On prendra gar<strong>de</strong> toutefois que l'analyse interne <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s<br />
œuvres ne conduise pas à ne passer que par les sommets : remplacer<br />
la continuité du thème lui-même par la contiguïté d'analyses<br />
sérielles serait nier le propos fondamental <strong>de</strong> la discipline. Car,<br />
plus qu'une succession <strong>de</strong> monographies, une suite <strong>de</strong> critiques<br />
closes où les œuvres s'échelonnent comme <strong>de</strong>s mona<strong>de</strong>s, la thématologie<br />
suggère la possibilité d'une histoire institutionnelle d'un<br />
fait littéraire où, dans une vue globale, les écrivains apparaîtraient<br />
comme participant à l'existence continue d'un thème qui les<br />
dépasse individuellement, qui vit dans une sorte <strong>de</strong> conscience collective<br />
en perpétuel <strong>de</strong>venir, dont ils ne sont que les interprètes privilégiés.
THEMATOLOGIE ET ŒUVRE EN SOI 59<br />
Un thème le montre mieux encore que n'importe quel autre<br />
objet littéraire, il s'agit, non d'accentuer les différences entre le<br />
fond et la forme, entre le fond et le contexte idéologique et historique,<br />
mais <strong>de</strong> rapprocher ces prétendues antinomies, <strong>de</strong> chercher<br />
comment la forme porte le sens, ou comment le sens comman<strong>de</strong> la<br />
forme, comment le fond et la forme relèvent d'un cadre général et<br />
comment ils s'en distinguent. De toute manière, qu'elle soit ou<br />
non un maillon d'une chaîne thématique, une œuvre n'est pas une<br />
entité métaphysique, immanente et transcendante, explicable en<br />
elle-même et par elle-même, confinée dans l'égoïste et aveugle<br />
interdépendance <strong>de</strong> son « fond » et <strong>de</strong> sa « forme ».<br />
« L'œuvre en soi, n'hésitait pas à déclarer B. Munteano, me fait<br />
l'effet d'un mythe, d'une utopie » 88 ; et certes il y a un lien entre<br />
l'œuvre et son contexte littéraire et historique, ou alors il faut<br />
admettre le postulat d'une création ex nihilo, hérésie qui peut<br />
seule justifier le principe d'une monadologie littéraire qui refuserait<br />
à l'œuvre toute fenêtre sur le <strong>de</strong>hors.<br />
Tous les efforts pour atteindre, en thematologie, aux conditions<br />
premières <strong>de</strong> la littérature, doivent se déployer dans l'histoire, et<br />
non en <strong>de</strong>hors d'elle. Rétrécir la tradition au sens le plus noble du<br />
terme, c'est s'appauvrir et se mutiler, Sainte-Beuve nous l'enseignait<br />
déjà. Quels que soient la séduction et l'intérêt réel <strong>de</strong>s autres<br />
approches, la Stoffgeschichte reste avant tout une discipline <strong>de</strong><br />
synthèse, qui a sa légitimité à côté, et non contre l'analyse immanente.<br />
Bref, convenons-en <strong>de</strong> bonne grâce, la signification n'est pas<br />
tout, mais le jugement <strong>de</strong> valeur esthétique non plus: il y a là<br />
affaire d'équilibre et <strong>de</strong> proportions, d'adaptation <strong>de</strong> l'auteur au<br />
thème abordé. Il importera autant <strong>de</strong> veiller à situer l'œuvre dans<br />
son temps et son décor et d'en faire apparaître les structures constitutives<br />
que <strong>de</strong> l'apprécier comme une simple étape dans l'odyssée<br />
du thème ; la thematologie ne doit relever ni d'un cloisonnement<br />
arbitraire <strong>de</strong>s disciplines, ni <strong>de</strong>s préférences individuelles : il faut<br />
qu'elle soit fusion, union et, par là, unité.
SYNCHRONIE, DIACHRONIE ?<br />
LE THÈME ET LA STRUCTURE<br />
L'exigence d'une analyse plus rigoureuse <strong>de</strong>s œuvres s'est trouvée<br />
renforcée, ces <strong>de</strong>rnières années, par les résultats <strong>de</strong>s recherches<br />
menées dans le domaine <strong>de</strong> la linguistique et <strong>de</strong> l'ethnologie. La<br />
thématologie a donc cru pouvoir emprunter au structuralisme certaines<br />
métho<strong>de</strong>s, dans le but <strong>de</strong> cerner avec davantage <strong>de</strong> précision<br />
la portée originelle du thème et <strong>de</strong> permettre une nouvelle approche<br />
<strong>de</strong>s œuvres individuelles.<br />
Préalable à l'examen diachronique s'imposerait le démontage<br />
du « scénario » du thème, ramené à ses éléments constants :<br />
Vessence du thème, saisi dans sa formulation première, précé<strong>de</strong>rait<br />
son existence historique. Pour Don Juan, le schéma originel<br />
comporte l'Invité <strong>de</strong> pierre, le groupe féminin, le héros; pour le<br />
thème <strong>de</strong> l'E<strong>de</strong>n, c'est le contrat et sa rupture ; pour Faust, l'aspiration<br />
et le pacte, etc. Selon Didier Anzieu,<br />
le mythe est un récit composé par un enchaînement <strong>de</strong> phrases fondamentales<br />
distinctes ; ces « mythèmes » ou éléments mythiques <strong>de</strong> base sont communs<br />
à plusieurs mythes, un mythe particulier se caractérise par le choix<br />
<strong>de</strong>s mythèmes et par la façon <strong>de</strong> les organiser 89 .<br />
Le thème se verra donc décomposé en la série <strong>de</strong>s «grands<br />
moments» qui le constituent, laissant ainsi apparaître les<br />
«paquets <strong>de</strong> relations » qui en déterminent l'« harmonie », comme<br />
dans une sorte <strong>de</strong> partition orchestrale. Les épigones seront à leur<br />
tour rassemblés, moins selon la stricte suite chronologique, que<br />
selon la manière dont ils auront traité, modifié, développé chacun<br />
<strong>de</strong>s éléments constitutifs. Dès lors, l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> thème n'est plus seulement<br />
l'analyse d'une série continue dans une perspective diachronique,<br />
mais l'examen <strong>de</strong>s modulations <strong>de</strong>s relations entre les<br />
mythèmes. A l'interprétation du signifié d'un thème se substitue
62 THÈMES ET MYTHES<br />
(au moins momentanément) l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> son organisation rationnelle,<br />
et la succession <strong>de</strong>s faits cè<strong>de</strong> la place à l'exploration d'un<br />
faisceau <strong>de</strong> relations synchroniques. C'est, comme dit A.J. Greimas,<br />
définir « le statut structurel du mythe en tant que narration »<br />
et délimiter les « syntagmes » du récit 90 . A la linéarité historique<br />
succè<strong>de</strong> une vision kaléidoscopique du thème. Ainsi, dans l'étu<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> la Matrone d'Ephèse selon F. Rastier 91 , les versions <strong>de</strong><br />
Pétrone, <strong>de</strong> Marie <strong>de</strong> France, du Novellino, <strong>de</strong> Brantôme ou <strong>de</strong> La<br />
Fontaine sont considérées dans la mesure où elles transforment le<br />
schéma initial <strong>de</strong>s cinq relations mises au jour, sans qu'il soit tenu<br />
compte <strong>de</strong> l'évolution <strong>de</strong>s mœurs, <strong>de</strong> la morale ou du goût.<br />
L'histoire d'un thème <strong>de</strong>vient donc «cette incessante reconstruction<br />
à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s mêmes matériaux» que Cl. Lévi-Strauss<br />
nomme « bricolage » et que M. Merleau-Ponty appelle, en linguistique.<br />
l'« arrangement » <strong>de</strong>s éléments en fonction d'une «intention<br />
significative» 92 . L'isolement d'un nœud <strong>de</strong> relations<br />
synchroniques met en évi<strong>de</strong>nce une structure permanente à<br />
laquelle la manipulation du bricolage conférera une valeur heuristique.<br />
L'intérêt n'est pas niable, d'une telle métho<strong>de</strong> qui autorise la<br />
compréhension en profon<strong>de</strong>ur du thème et <strong>de</strong> son fonctionnement,<br />
tout comme l'analyse poussée <strong>de</strong>s œuvres individuelles. On<br />
peut toutefois se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r — et <strong>de</strong>s spécialistes <strong>de</strong> l'antiquité y<br />
attirent notre attention 93 — si un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> lecture qui convient au<br />
décodage <strong>de</strong>s mythes s'applique avec autant <strong>de</strong> pertinence aux textes<br />
littéraires. En effet, l'analyse d'un mythe consiste à démanteler<br />
le récit pour en isoler les éléments premiers, à leur tour confrontés<br />
avec ceux <strong>de</strong>s autres versions du mythe, toutes mises sur le même<br />
plan. Le récit <strong>de</strong> départ, loin d'être un tout fermé, s'ouvre sans<br />
cesse à tous les autres récits possibles à partir <strong>de</strong>s mêmes données,<br />
dans un agencement organique où nulle combinaison n'est privilégiée.<br />
Cl. Lévi-Strauss l'a bien montré : « Il n'existe pas <strong>de</strong> version<br />
vraie dont toutes les autres seraient <strong>de</strong>s copies ou <strong>de</strong>s échos déformés.<br />
Toutes les versions appartiennent au mythe. [...] Un mythe
LE THEME ET LA STRUCTURE 63<br />
se compose <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong> ses variantes» . Au contraire,<br />
l'œuvre littéraire est homogène et autarcique, elle est fixation<br />
d'une version qui, précisément, exclut les autres. On ne saurait<br />
donc soutenir, comme C. Astier, et quelle que soit par ailleurs sa<br />
perfection, que la tragédie est le mythe.<br />
Après ses avantages, on voit les inconvénients <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong><br />
structurale.<br />
II y a d'abord le risque <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> l'étu<strong>de</strong> du thème une juxtaposition<br />
d'oeuvres closes, car, exigeant du thème la structure d'un<br />
discours, le procédé s'en tient forcément aux textes élaborés, complets,<br />
et ignore les simples références et allusions. Applicable sans<br />
doute à ce que nous avons défini comme thème <strong>de</strong> situation, il<br />
l'est beaucoup moins au thème <strong>de</strong> héros, plus indépendant à<br />
l'égard d'une quelconque structure narrative.<br />
Ensuite, à partir <strong>de</strong> quoi construire ce schéma? Est-ce à partir<br />
<strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong>s variantes du mythe à ses origines ? C'est accumuler<br />
<strong>de</strong>s données dont on aura bien du mal à déci<strong>de</strong>r lesquelles<br />
seront déterminantes pour l'évolution ultérieure. Est-ce à partir<br />
d'une oeuvre, celle <strong>de</strong> Sophocle pour Oedipe, celle d'Eschyle pour<br />
Prométhée ? Ce sera constituer un archétype sur la base <strong>de</strong> l'idéale<br />
et théorique perfection duquel on jugera les versions postérieures.<br />
Ainsi, dans son excellent Mythe d'Oedipe, Colette Astier, après<br />
une minutieuse analyse <strong>de</strong>s trois axes fondamentaux (la royauté,<br />
l'oracle, la famille), conclut que la tragédie <strong>de</strong> Sophocle représente<br />
un exemple achevé <strong>de</strong> cristallisation littéraire du mythe. « La<br />
tragédie, dit-elle, a donné sa voix au mythe, le mythe lui a donné<br />
sa force» (p. 42). Mais est-il légitime, nous en avons parlé plus<br />
haut, d'i<strong>de</strong>ntifier mythe et tragédie? Chez M me Astier, la perfection<br />
sophocléenne conditionne la suite <strong>de</strong> l'analyse, car cette tragédie<br />
révèle une si parfaite adéquation entre le mythe et sa formulation,<br />
qu'elle <strong>de</strong>vait en quelque sorte paralyser les épigones.<br />
L'auteur parle donc <strong>de</strong> « mort <strong>de</strong> la tragédie » pour <strong>de</strong>s œuvres<br />
qui, dès Sénèque, sont «entachées d'insignifiance» (p. 95) et ne<br />
sont que « dégradation, abâtardissement <strong>de</strong> la tragédie, refus du
64 THÈMES ET MYTHES<br />
tragique» (p. 99). Après Sophocle pullulent «grimaces, distorsions<br />
» (p. 145) et il faut attendre Les Gommes <strong>de</strong> Robbe-Grillet<br />
pour découvrir une œuvre <strong>de</strong> rupture où l'invention formelle va<br />
<strong>de</strong> pair avec la recréation <strong>de</strong> l'Oedipe, premier texte véritablement<br />
autonome qui refuse à la fois le roman, la tragédie et Sophocle.<br />
Si ferme et si riche que soit cette étu<strong>de</strong>, la meilleure et la plus<br />
complète sur le sujet, elle nous paraît procé<strong>de</strong>r d'une conception<br />
quelque peu platonicienne <strong>de</strong> l'histoire du mythe.<br />
Quand C. Astier condamne l'Oedipe <strong>de</strong> Voltaire, «noble,<br />
calme et grand, comme un Auguste rasséréné» et trouve dans<br />
l'œuvre un «refus <strong>de</strong> la tragédie» (p. 93), on ne peut s'empêcher<br />
<strong>de</strong> penser qu'il y a plutôt, <strong>de</strong> la part du critique, un refus <strong>de</strong> la<br />
perspective historique : ce qu'écarte Voltaire, ce n'est pas la tragédie,<br />
mais la tragédie grecque, et cela surprend peu quand on sait à<br />
quel point le XVIII e siècle français rejette la fatalité au nom du<br />
«système <strong>de</strong>s passions» et d'une intériorisation toute racinienne<br />
<strong>de</strong> l'action 95 . Dès lors, l'important n'est pas d'affirmer qu'Oedipe<br />
<strong>de</strong>vient un prétexte à véhiculer telles idées, mais <strong>de</strong> chercher à connaître<br />
les motifs <strong>de</strong> ces transformations. Après le christianisme, le<br />
jansénisme et les discussions sur le libre arbitre, le tragique <strong>de</strong><br />
YOedipe voltairien pouvait être différent <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Sophocle,<br />
sans en constituer pour autant la dégradation. Ou dira-t-on que<br />
Les mouches <strong>de</strong> Sartre, dont la philosophie est aux antipo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la<br />
pensée grecque, représente la déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> YOrestie ? De même, si<br />
Corneille ou Voltaire, ou Ducis se sont bien gardés <strong>de</strong> mettre<br />
l'accent sur l'union incestueuse, ce n'est pas que « les dramaturges<br />
ne sentaient pas à quel point la tragédie s'enracinait dans cette<br />
union» (p. 96) ou qu'ils esquivaient ce qu'on pourrait appeler la<br />
minute <strong>de</strong> vérité du thème, mais qu'ils étaient retenus par un co<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> la décence interdisant <strong>de</strong> s'appesantir sur ce point. C'est pour<br />
la même raison, et non par incompréhension, que, chez Voltaire<br />
ou Crébillon, Oreste tue Clytemnestre par erreur. A partir d'un<br />
tragique absolu réalisé par Sophocle, on se ferme à l'assimilation<br />
d'un autre tragique, fonction <strong>de</strong>s mœurs et <strong>de</strong> l'évolution
LE THÈME ET LA STRUCTURE 65<br />
philosophique : la richesse d'Oedipe est précisément dans cette<br />
malléabilié qui a permis à tant d'écrivains d'en modifier la portée.<br />
Car Sophocle n'est pas plus détenteur <strong>de</strong> la seule interprétation<br />
possible d'Oedipe qu'Eschyle ne détient la seule vérité surProméthée.<br />
Dès lors, parler <strong>de</strong> la pièce <strong>de</strong> Platen comme « du terme <strong>de</strong> la<br />
déca<strong>de</strong>nce progressive <strong>de</strong> la façon [dont Oedipe] est traité <strong>de</strong>puis<br />
Sophocle» (p. 113) n'a, littéralement, pas <strong>de</strong> sens, même s/il est<br />
<strong>de</strong>venu « prétexte à rire » ; pourquoi le sarcastique Prométhée<br />
gidien serait-il déca<strong>de</strong>nt par rapport à Eschyle ? M me Astier néglige<br />
peut-être trop qu'à partir du mythe cristallisé par Sophocle se<br />
dégage un thème littéraire dont les seules chances <strong>de</strong> survie sont<br />
dans ces mutations dénoncées comme <strong>de</strong>s abâtardissements. Ce<br />
thème consacré par la tradition, l'art consistait justement à<br />
l'investir, au moyen <strong>de</strong> modifications <strong>de</strong> détails, <strong>de</strong> nouvelles<br />
significations en accord avec d'autres conceptions du tragique :<br />
Corneille, Houdar <strong>de</strong> La Motte ou Voltaire, dans <strong>de</strong>s œuvres, certes,<br />
littérairement moins parfaites que celle <strong>de</strong> Sophocle, n'ont<br />
fait que lui appliquer cette perspective kaléidoscopique.<br />
Un autre exemple sera fourni par le remarquable ouvrage consacré<br />
par Jean Rousset au Mythe <strong>de</strong> Don Juan, où il propose, lui<br />
aussi, «une métho<strong>de</strong> structurale». Selon ce critique, les unités<br />
constitutives du thème ou invariants sont au nombre <strong>de</strong> trois : le<br />
Mort, le groupe féminin, le héros. Refusons ce « dispositif triangulaire<br />
minimal » et le mythe juanesque s'effondre, en dépit <strong>de</strong> sa<br />
plasticité ; car<br />
... il y a un revers à cette plasticité, à cette action <strong>de</strong> longue durée sur l'imagination<br />
collective : c'est l'usure et la dégradation, un donjuan ! Le donjuanisme<br />
! Voilà le déchet, le produit banalisé d'une dégénérescence ; que<br />
reste-t-il du prototype, du pécheur, du libertin et <strong>de</strong> ses affrontements avec<br />
le Ciel dans le petit-maître du XVIII e siècle, dans l'homme à femmes <strong>de</strong> la<br />
fin du XIX e ? La substance mythique s'est évaporée, l'i<strong>de</strong>ntité première<br />
s'est effacée sous l'effet d'une dislocation : l'ensemble initial et constitutif<br />
s'est désagrégé ; en accaparant l'intérêt pour lui seul, le héros s'est détaché<br />
du scénario global, il a perdu le contact avec l'Invité <strong>de</strong> pierre et le dénouement<br />
surnaturel. Mort du mythe — preuve aussi que le mythe a réussi, trop<br />
bien réussi (p. 8).
66 THÈMES ET MYTHES<br />
A l'origine, en effet, ce thème n'est pas celui du jouisseur, mais<br />
celui <strong>de</strong> l'offenseur <strong>de</strong> Dieu, du pécheur qui repousse toujours —<br />
et trop longtemps — le moment du repentir. C'est pourquoi il<br />
apparaît en quelque manière, observe finement Jean Rousset,<br />
comme «un sermon sur la grâce». En somme, le thème a la<br />
dimension du sacré et l'aventure <strong>de</strong> Don Juan, la gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> celle<br />
<strong>de</strong>s héros mythiques. Devenu le séducteur, l'homme à bonnes fortunes,<br />
il se banalise, se détruit ; à partir du moment où le héros<br />
l'emporte sur la situation, la gran<strong>de</strong>ur s'abolit. Donc, conclut<br />
Jean Rousset, «je souhaite éviter, dans la mesure du possible, <strong>de</strong><br />
construire mon Don Juan en personnage. [...] Don Juan sera<br />
traité, pour l'essentiel, comme énergie dans un réseau <strong>de</strong> forces<br />
qui se réalise par action et réaction, comme fonction dans un<br />
ensemble, comme nœud <strong>de</strong> relations» (p. 12).<br />
Soit. Dans quelle mesure cependant peut-on légitimement parler<br />
<strong>de</strong> la dégradation d'un thème à partir du moment où celui-ci<br />
dévie <strong>de</strong> sa portée initiale ? Evolution, mutation, métamorphose<br />
ne sont pas déca<strong>de</strong>nce. Tristan et Yseult exprime une problématique<br />
médiévale, courtoise et chrétienne ; quand Platen, en 1826, lit<br />
dans le thème la contemplation <strong>de</strong> la beauté entraînant dans le vertige<br />
<strong>de</strong> la mort, dira-t-on qu'il le dégra<strong>de</strong> ou qu'il l'interprète ?<br />
Tirso <strong>de</strong> Molina a créé son Don Juan dans un contexte espagnol et<br />
catholique au XVII e siècle ; pourquoi celui <strong>de</strong> Milosz ou <strong>de</strong> Max<br />
Frisch serait-il le même, pourquoi serait-il tenu au respect d'un<br />
quelconque schéma initial ?<br />
Ne l'oublions pas, le thème refuse la contrainte <strong>de</strong>s invariants.<br />
De quel droit interdira-t-on aux créateurs <strong>de</strong> glisser <strong>de</strong> la situation<br />
au héros, du nœud <strong>de</strong> relations au personnage, sous prétexte <strong>de</strong><br />
respecter une structure, un archétype? Nous n'avons pas à ramener<br />
le thème dans le droit chemin comme on prendrait par la main<br />
un enfant indiscipliné; l'historien n'a pas à canaliser le fleuve,<br />
mais à le suivre <strong>de</strong> la source à l'estuaire dans ses repentirs, ses<br />
caprices et ses méandres.<br />
La vraie question nous paraît bien plutôt <strong>de</strong> chercher à savoir
LE THÈME ET LA STRUCTURE 67<br />
pour quelles raisons l'accent, au fil du temps, s'est déplacé. Don<br />
Juan, <strong>de</strong>venu prédateur ou symbole sexuel, conserve le droit <strong>de</strong><br />
vivre, même sans Dieu, d'être ici nostalgie <strong>de</strong> l'inaccessible<br />
absolu, là rêve ou cauchemar d'une certaine condition féminine.<br />
Rappelons-nous d'ailleurs que le motif <strong>de</strong> la séduction coexiste,<br />
dès l'origine, avec celui du défi.<br />
Ici se révèlent les périls et les limites du formalisme manipulatoire,<br />
tenté <strong>de</strong> figer le thème dans un modèle. Don Juan, écrit<br />
encore J. Rousset, «tombe en poussière si son aventure ne<br />
s'achève par le combat nocturne avec l'apparition, ou tout autre<br />
équivalent fantastique » (p. 179). Non : ce qui tombe en poussière,<br />
c'est Don Juan selon Tirso, Molière ou Mozart. L'obsédé <strong>de</strong><br />
Montherlant est un avatar <strong>de</strong> Don Juan, parfaitement légitime,<br />
non un dégénéré, non un ange tombé qui se souviendrait mal <strong>de</strong>s<br />
cieux. Stirb und wer<strong>de</strong> : voilà l'essence du thème.<br />
L'analyse structurale, fructueuse lorsqu'il s'agit du mythe originel<br />
ou <strong>de</strong> sa première cristallisation littéraire, se révèle donc à nos<br />
yeux moins pertinente dans l'étu<strong>de</strong> du thème, c'est-à-dire lorsque<br />
la diachronie reprend ses droits 96 . L'étu<strong>de</strong> d'un thème suppose en<br />
effet un jeu perpétuel <strong>de</strong> comparaisons ; mais il s'agit <strong>de</strong> comparaisons<br />
dans l'histoire et non en <strong>de</strong>hors d'elle, non par référence à<br />
un quelconque paradigme suspendu dans l'intemporel. Si la Stoffgeschichte<br />
ne saurait aujourd'hui, sans risque d'appauvrissement,<br />
se refuser à l'intelligence <strong>de</strong> l'œuvre en tant que telle, dès lors<br />
qu'elle entend dépasser l'analyse <strong>de</strong> l'organisation initiale <strong>de</strong>s<br />
constituants d'un thème pour s'intéresser à son <strong>de</strong>venir, à ses<br />
modifications successives, elles-mêmes fonctions <strong>de</strong> facteurs<br />
divers, il lui faut se définir, essentiellement, comme discipline historique.<br />
Car le thème ne trouve sa dimension que dans l'histoire,<br />
où s'enracinent ses incarnations, et dans cette palingénésie qui<br />
constitue son être même. Il existe à la fois dans chaque œuvre qui<br />
l'exprime et en <strong>de</strong>hors d'elle, dans une tradition culturelle dont<br />
tout auteur est tributaire et dans laquelle il puise pour la modifier<br />
et la transmettre à son tour. Toutes les versions appartiennent au
68 THEMES ET MYTHES<br />
mythe, observe Cl. Lévi-Strauss, indiquant par là qu'il n'existe<br />
pas <strong>de</strong> version primitive originale, seule authentique, dont les<br />
autres ne seraient que <strong>de</strong>s contrefaçons ou <strong>de</strong>s copies infidèles. De<br />
même, toutes les versions appartiennent au thème. Les œuvres<br />
peuvent différer en valeur littéraire, mais elles ne peuvent être<br />
jugées que par rapport à une série <strong>de</strong> facteurs variables selon les<br />
temps, les esthétiques et les axes <strong>de</strong> pensée, non par référence à un<br />
intangible archétype.
LA RECHERCHE DES SOURCES<br />
ET DES INFLUENCES<br />
Considérer l'œuvre comme une unité artistique, porter sur elle<br />
et sur chacune <strong>de</strong> ses parties un jugement <strong>de</strong> valeur, détailler<br />
l'expressivité <strong>de</strong>s formes et <strong>de</strong>s structures n'est pas, on l'a vu,<br />
radicalement incompatible avec l'enquête thématologique, surtout<br />
lorsqu'elle est appliquée à un thème <strong>de</strong> situation qui, mieux<br />
que <strong>de</strong> tolérer cette approche esthétique, la sollicite.<br />
Toutefois, nous avons dit aussi qu'on ne saurait admettre<br />
l'œuvre existant par elle-même, conçue exnihiio, indépendante <strong>de</strong><br />
tout contexte et <strong>de</strong> toute tradition. En même temps qu'une expression<br />
propre à G.B. Shaw, la Jeanne d'Arc du dramaturge irlandais<br />
est aussi un maillon d'une chaîne qui passe par Shakespeare,<br />
Chapelain, Voltaire, Quincey, Soumet, Michelet, Péguy, France.<br />
Souvent tel détail imaginé par un auteur s'intègre à la tradition<br />
ultérieure : il importe <strong>de</strong> savoir à qui il est dû, quand il a pris naissance,<br />
comment et à qui il a été transmis.<br />
Or certains comparatistes, et parmi eux Paul Hazard, estiment<br />
que la thématologie fait rarement place aux questions <strong>de</strong> sources<br />
et d'influences et que, du reste, la succession <strong>de</strong>s œuvres bâties sur<br />
un même thème n'implique pas qu'il y ait eu influence : entre <strong>de</strong>ux<br />
Caïn, entre <strong>de</strong>ux Oreste, il n'y a le plus souvent que parallélisme,<br />
non contact ni influence. On déci<strong>de</strong>rait donc d'exclure, a priori, la<br />
thématologie <strong>de</strong>s cadres <strong>de</strong> la littérature comparée, dans la mesure<br />
où elle ne s'occupe que <strong>de</strong> juxtapositions et <strong>de</strong> comparaisons.<br />
Que penser <strong>de</strong> cette nouvelle condamnation ?<br />
Il est certain que les premières manifestations <strong>de</strong> la thématologie<br />
sont issues <strong>de</strong> la recherche <strong>de</strong> critères <strong>de</strong> valeur : comparer plusieurs<br />
œuvres construites sur un thème permettait d'aligner Goe-
70 THEMES ET MYTHES<br />
the avec Euripi<strong>de</strong>, Kleist avec Molière et Plaute, Shaw avec<br />
Byron, jeu séduisant, sans danger mais aussi sans véritable profit.<br />
C'est du souci <strong>de</strong> dresser <strong>de</strong> nouvelles échelles <strong>de</strong> valeur que procè<strong>de</strong>nt<br />
les comparaisons auxquelles se livrent Lessing entre Voltaire<br />
et le théâtre anglais, A.W. Schlegel entre la Phèdre <strong>de</strong> Racine et<br />
celle d'Euripi<strong>de</strong> ou, plus tôt, Voltaire entre son propre Oedipe et<br />
ceux <strong>de</strong> Sophocle et <strong>de</strong> Corneille, ou encore Racine entre son<br />
Andromaque et celle d'Euripi<strong>de</strong>.<br />
Convenons qu'en effet il ne s'agit pas là <strong>de</strong> littérature comparée,<br />
mais tout simplement <strong>de</strong> comparaison littéraire 97 , exercice<br />
assez rhétorique et aussi ancien que la littérature elle-même. De<br />
telles comparaisons ne s'attachent, en réalité, qu'à la mise en<br />
œuvre <strong>de</strong> sujets i<strong>de</strong>ntiques ; on compare une tragédie à une autre,<br />
non pas même dans l'esprit et la signification du thème traité,<br />
mais dans la manière dont il est abordé et exploité : Voltaire a plus<br />
ou moins <strong>de</strong> pathétique que Sophocle, ces personnages sont plus<br />
nobles ou plus vraisemblables, il respecte mieux les unités, etc. En<br />
somme, c'est une comparaison purement esthétique, qui <strong>de</strong>meure<br />
extérieure au thème, qui juxtapose les éléments communs pour en<br />
déduire le plus ou le moins <strong>de</strong> ceci ou <strong>de</strong> cela.<br />
Observons néanmoins qu'elle n'est pas dépourvue <strong>de</strong> tout intérêt<br />
— ne permet-elle pas <strong>de</strong> dégager l'apport individuel, en particulier<br />
dans le traitement du thème <strong>de</strong> situation ? —, même pour la<br />
littérature comparée, où Etiemble invite à nous souvenir qu'à côté<br />
<strong>de</strong> littérature, il y a comparée, et il serait certes aussi abusif<br />
qu'appauvrissant <strong>de</strong> définir cette discipline comme «un cas particulier<br />
<strong>de</strong> la critique d'influence » 98 . Mais nous ne saurions admettre<br />
davantage, avec E. Frenzel, que la simple comparaison constitue<br />
en tout cas «l'épine dorsale <strong>de</strong> la thematologie» 99 , car, au<br />
moins pour les thèmes <strong>de</strong> héros, où l'expression est parfois réduite<br />
à quelques mots, donc à la stricte portée significative, la comparaison,<br />
qui implique le jugement <strong>de</strong> valeur, ne trouverait pas<br />
l'occasion <strong>de</strong> s'exercer.<br />
Bref, en dépit <strong>de</strong> son intérêt éventuel, la comparaison, exercice
SOURCES ET INFLUENCES 71<br />
scolaire, ne peut être considérée comme suffisant à justifier<br />
l'étu<strong>de</strong> d'un thème et la question <strong>de</strong>s sources et influences doit se<br />
poser à tout chercheur soucieux <strong>de</strong> dépasser la juxtaposition d'éléments<br />
disparates. Du reste, un thème, ignorant les limites du<br />
temps et <strong>de</strong> l'espace, transmis <strong>de</strong> génération en génération, se<br />
trouve particulièrement bien placé pour être le lieu <strong>de</strong>s influences<br />
les plus diverses.<br />
Les sources ne seront cependant pas toujours du même ordre,<br />
selon qu'il s'agira d'un thème <strong>de</strong> héros ou <strong>de</strong> situation: dans le<br />
premier cas, elles seront volontiers moins larges et moins improtantes<br />
que dans le second, mais en général plus nombreuses et plus<br />
variées.<br />
De quel côté se tournera-t-on à propos d'un thème <strong>de</strong> héros ? Il<br />
y aura intérêt, parfois, à exploiter <strong>de</strong>s possibilités souvent ignorées<br />
ou négligées; H. Peyre observait très bien: «Grammaires, dictionnaires,<br />
morceaux choisis grecs et latins, manuels d'archéologie,<br />
tels sont [...] quelques-uns <strong>de</strong>s livres où nous <strong>de</strong>vrions chercher<br />
plus avi<strong>de</strong>ment à compléter notre connaissance <strong>de</strong>s écrivains,<br />
<strong>de</strong>s artistes et souvent même <strong>de</strong>s penseurs et <strong>de</strong>s hommes d'Etat<br />
du passé. Nous y ajouterions <strong>de</strong>ux groupes d'ouvrages [...] dont<br />
l'influence sur les mo<strong>de</strong>rnes a dû être très forte : manuels ou dictionnaires<br />
<strong>de</strong> mythologie gréco-romaine et pages et pensées morales<br />
tirées <strong>de</strong>s auteurs anciens » 10 °.<br />
Il s'agira <strong>de</strong> lire les préfaces <strong>de</strong> traducteurs, par exemple, pour<br />
les Grecs, du P. Brumoy, <strong>de</strong> Lefranc <strong>de</strong> Pompignan, <strong>de</strong> Rochefort,<br />
<strong>de</strong> Dupuis, etc., car il leur est arrivé <strong>de</strong> suggérer <strong>de</strong>s interprétations<br />
et <strong>de</strong>s idées appelées, par hasard, à une prodigieuse fortune.<br />
Edgar Quinet a lancé dans la critique le postulat, parfaitement<br />
faux, d'une assimilation <strong>de</strong> Prométhée au Christ par les<br />
Pères <strong>de</strong> l'Eglise ; il en avait trouvé l'idée dans la préface <strong>de</strong> Thomas<br />
Stanley (XVI e siècle) à une édition d'Eschyle. Petites causes,<br />
grands effets et naissance d'une tradition qui a traversé tout le<br />
XIX e siècle et se perpétue, toujours vivace, dans les lettres contemporaines.
72 THEMES ET MYTHES<br />
Pour étudier la fortune <strong>de</strong>s personnages <strong>de</strong> la mythologie —<br />
probablement les plus célèbres et les plus utilisés — il conviendra<br />
<strong>de</strong> fouiller les manuels, bien oubliés aujourd'hui, <strong>de</strong>s mythographes<br />
et les grands dictionnaires érudits, <strong>de</strong> Bayle à Y Encyclopédie,<br />
<strong>de</strong>s Estienne aux compilations <strong>de</strong> l'abbé <strong>de</strong> Feller. Sait-on toujours<br />
ce que les poètes et même les penseurs <strong>de</strong> la Renaissance doivent<br />
aux volumes <strong>de</strong> Calepinus, <strong>de</strong> Coelius Rhodiginus, <strong>de</strong> Thomas<br />
Cooper, <strong>de</strong> Ravisius Textor, d'Alessandro Sardi, <strong>de</strong> Vigenère,<br />
sans parler <strong>de</strong>s Estienne ou <strong>de</strong>s emblèmes <strong>de</strong> Reusner, Whitney<br />
ou Alciat ? Dans son admirable Survivance <strong>de</strong>s dieux antiques,<br />
Jean Seznec a bien montré que les hommes <strong>de</strong> la Renaissance<br />
n'avaient pas toujours une information <strong>de</strong> première main.<br />
Quant aux grands mythographes — consentons à négliger ici la<br />
foule <strong>de</strong>s minores — tels Cornes, Cartari et Gyraldi, leurs manuels<br />
se sont répandus à travers l'Europe entière, distillant ainsi<br />
l'influence <strong>de</strong> la Genealogia <strong>de</strong>orum <strong>de</strong> Boccace, elle-même inspirée<br />
<strong>de</strong>s Pères et <strong>de</strong>s écrivains <strong>de</strong> la basse époque. Dira-t-on tout ce<br />
que l'univers mythologique <strong>de</strong> Goethe doit au manuel <strong>de</strong> He<strong>de</strong>rich<br />
et au Panthéon myihicon du jésuite Francisco Pomey ? ce que les<br />
pièces mythologiques <strong>de</strong> Cal<strong>de</strong>ron empruntent à Baltasar <strong>de</strong> Victoria<br />
et à Juan Perez <strong>de</strong> Moya et ceux-ci aux mythographes italiens<br />
? ce que Ronsard prend à Cornes, Spencer à Cooper, Ben<br />
Jonson à Charles Estienne, Du Bartas à Cartari? Il y a là un<br />
réseau infiniment complexe <strong>de</strong> sources savantes assimilées par les<br />
auteurs et retransmises parfois à travers plusieurs siècles.<br />
Les exemples n'en manquent pas. C'est l'interprétation boccacienne<br />
du mythe <strong>de</strong> Prométhée qui irrigue toute la Renaissance et<br />
qu'on retrouve, adaptée à leurs préoccupations personnelles, chez<br />
Ficin, Bouelles, Erasme, Ronsard et bien plus tard encore. Dans la<br />
suite, les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s Vossius, Heinsius, Huet, Kircher, Desmarets<br />
<strong>de</strong> Saint-Sorlin pour le XVII e siècle, <strong>de</strong> Banier, Chompré, Boulanger,<br />
Lavaur ou Feijôo pour le XVIII e , livrent aux poètes <strong>de</strong>s interprétations<br />
qui, <strong>de</strong> révhémérisme à l'exégèse allégorique en passant<br />
par l'assimilation aux personnages <strong>de</strong> la Bible, constituent
SOURCES ET INFLUENCES 73<br />
une toile <strong>de</strong> fond, un climat dont témoignent œuvres et allusions<br />
littéraires. Le rôle sous-jacent <strong>de</strong> l'érudition, que B. Munteano a<br />
souvent souligné pour la rhétorique, n'est pas moins important<br />
quand il s'agit <strong>de</strong> la mythologie ou <strong>de</strong> la Bible.<br />
A côté <strong>de</strong> ces sources savantes, il ne manquera pas <strong>de</strong> sources<br />
littéraires, souvent nombreuses et complexes. Que l'on songe aux<br />
textes invoqués pour la genèse <strong>de</strong> la Pandora <strong>de</strong> Goethe, à<br />
l'influence probable <strong>de</strong> Ballanche sur Hugo dans la compréhension<br />
du thème d'Orphée, à la fortune surprenante du Prométhée<br />
<strong>de</strong> Shaftesbury, ce «second Maker, a just Prometheus un<strong>de</strong>r<br />
Jove », dont l'idée initiale vient <strong>de</strong> Chapman et chemine <strong>de</strong> l'un à<br />
l'autre chez Her<strong>de</strong>r, Goethe ou A.W. Schlegel, à l'influence <strong>de</strong> la<br />
Pandore <strong>de</strong> Lesage sur celles <strong>de</strong> Wieland ou <strong>de</strong> Kotzebue... N'y at-il<br />
pas là assez <strong>de</strong> problèmes <strong>de</strong> sources et d'influences pour satisfaire<br />
le comparatiste le plus exigeant ?<br />
Devant un thème <strong>de</strong> situation, nécessairement exprimé dans un<br />
contexte plus large et un cadre plus rigi<strong>de</strong>, on aura affaire à <strong>de</strong>s<br />
sources souvent moins subtiles et moins multiples, volontiers<br />
purement littéraires, mais aussi importantes ; il suffit <strong>de</strong> quelques<br />
exemples pour s'en convaincre.<br />
Quand H. Le Maître se consacre à la survivance du thème <strong>de</strong><br />
Psyché 101 , n'a-t-il pas aussi pour objectif <strong>de</strong> montrer un aspect <strong>de</strong><br />
l'influence <strong>de</strong> Fulgence au Moyen Age, <strong>de</strong> celle d'Apulée au XVI e<br />
siècle ? Qui ne voit qu'étudier l'histoire <strong>de</strong> l'enlèvement d'Europe,<br />
comme Ta fait A. Lombard 102 , ce n'est pas seulement juxtaposer<br />
et comparer <strong>de</strong>s œuvres, mais aussi contribuer à préciser les<br />
modalités <strong>de</strong> l'influence d'Ovi<strong>de</strong> au Moyen Age chez Jean <strong>de</strong> Garlan<strong>de</strong>,<br />
Bersuire, Chrétien Legouais <strong>de</strong> Sainte-More ; à la Renaissance<br />
chez Dolce ou Ronsard ; au XVII e siècle chez Du Ryer ou<br />
Bensera<strong>de</strong>. Pour ne rien dire <strong>de</strong> celle d'Horace sur Lebrun-<br />
Pindare et J.B. Rousseau, <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> Moschus sur J.-A. <strong>de</strong> Baïf et<br />
Chénier !<br />
Voilà pour les sources ; mais les influences, à l'intérieur <strong>de</strong> l'histoire<br />
d'un thème, ne sont pas moins évi<strong>de</strong>ntes. Devant le succès
74 THEMES ET MYTHES<br />
européen du personnage d'Inès <strong>de</strong> Castro, ne convient-il pas <strong>de</strong><br />
définir ce que Camoens doit à Resen<strong>de</strong>, Ferreira au Cancioneiro,<br />
ce que la fortune <strong>de</strong>s Lusia<strong>de</strong>s apporte aux interprétations du<br />
XVII e siècle, ce que Ferreira offre à Guevara, celui-ci à Houdar <strong>de</strong><br />
La Motte et ce <strong>de</strong>rnier au XVIII e siècle entier et même au XIX e ,<br />
jusqu'au jeune Hugo 103 ? Enfin, la véritable thématologie pourrat-elle<br />
se borner à énumérer <strong>de</strong>s Antigone, ou bien s'assignera-t-elle<br />
la tâche <strong>de</strong> préciser l'apport <strong>de</strong> Stace à Garnier, Rotrou, Alfieri ;<br />
la <strong>de</strong>tte d'Alamanni à Rucellai et <strong>de</strong> celui-ci à Sophocle, Euripi<strong>de</strong>,<br />
Sénèque ; les emprunts <strong>de</strong> Reboul à Sophocle, à Alfieri, à Rotrou ;<br />
les additions <strong>de</strong> Saint-Roman à Euripi<strong>de</strong>, Aristophane, Hygin...<br />
Ces quelques illustrations permettent, croyons-nous, <strong>de</strong> conclure<br />
qu'une thématologie bien comprise ne saurait être ramenée à<br />
la simple comparaison, au jeu assez gratuit <strong>de</strong>s appréciations individuelles<br />
et <strong>de</strong>s jugements <strong>de</strong> valeur changeants et toujours susceptibles<br />
d'appel. La comparaison peut certes être enrichissante,<br />
mais elle ne peut être considérée comme l'essentiel d'une discipline<br />
qui, contrairement à la conviction <strong>de</strong> certains comparatistes, ne se<br />
conçoit pas sans une constante recherche <strong>de</strong>s sources et <strong>de</strong>s<br />
influences, recherche qui, unie à la comparaison et à l'appréciation<br />
<strong>de</strong>s valeurs esthétiques, doit contribuer à mieux faire ressortir<br />
l'originalité <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s individualités en permettant d'évaluer <strong>de</strong><br />
plus près l'importance du fonds commun et la puissance d'intervention<br />
<strong>de</strong> chaque auteur sur le thème. Bannir la thématologie <strong>de</strong><br />
la littérature comparée sous prétexte qu'elle ne s'occupe pas <strong>de</strong>s<br />
influences littéraires, c'est appliquer les faiblesses et les insuffisances<br />
<strong>de</strong> quelques travaux superficiels et mal conduits à l'ensemble<br />
d'une discipline qui gagne à voir ses métho<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s principes<br />
définis dans une optique plus large et un esprit plus conscient <strong>de</strong> ce<br />
qu'elle peut révéler.
TRADITION ET CRÉATION<br />
La liberté du créateur, dans ce qu'elle a communément <strong>de</strong> plus<br />
apparent, est sans doute celle du choix d'un sujet et du traitement<br />
<strong>de</strong> celui-ci ltM . On l'a assez dit, il a le droit <strong>de</strong> prendre son bien là<br />
où il le trouve et <strong>de</strong> le manier à sa guise, soit qu'il le tire <strong>de</strong> son<br />
propre fonds, comme Rousseau qui, pour la Nouvelle Héloïse,<br />
n'entendait peupler sa solitu<strong>de</strong> que « d'êtres selon son cœur », soit<br />
qu'il l'emprunte à la réalité extérieure pour la transformer à son<br />
gré. Ainsi Stendhal lit un article <strong>de</strong> la Gazette <strong>de</strong>s Tribunaux, et<br />
c'est Le Rouge et le Noir; ainsi Flaubert, informé d'un fait-divers<br />
<strong>de</strong> province, écrit Madame Bovary. Ces supports fragiles, ces prétextes,<br />
ces points <strong>de</strong> départ renforcent encore l'impression d'indépendance<br />
; l'écrivain, <strong>de</strong>vant sa « matière première », se remémore<br />
volontiers ces vers <strong>de</strong> La Fontaine :<br />
Un bloc <strong>de</strong> marbre était si beau<br />
Qu'un statuaire en fit l'emplette.<br />
Qu'en fera, dit-il, mon ciseau?<br />
Sera-t-il Dieu, table ou cuvette?<br />
Ses personnages une fois imaginés, l'auteur <strong>de</strong>vient leur maître,<br />
sans restrictions. D'où que lui vienne son inspiration initiale, il<br />
n'en gar<strong>de</strong> pas tels quels les éléments ; il ajoute ou retranche, choisit,<br />
élague, modifie, transpose, bref joue au <strong>de</strong>spote, à Dieu le<br />
Père, il s'érige en fatalité. En somme, le créateur dépend tout au<br />
plus <strong>de</strong> lui-même.<br />
Mais en va-t-il <strong>de</strong> même lorsque le sujet choisi a déjà une existence<br />
propre, parfois séculaire, lorsque, au fil du temps, <strong>de</strong>s dizaines<br />
<strong>de</strong> créateurs lui ont déjà donné forme ? En vérité, le simple fait<br />
<strong>de</strong> poser la question sous-entend que la réponse, probablement,<br />
sera négative. Voyons cependant d'un peu plus près ce que <strong>de</strong>vient
76 THÈMES ET MYTHES<br />
la liberté du créateur lorsqu'il abor<strong>de</strong> un thème consacré par une<br />
longue tradition; en d'autres termes, cherchons à préciser où il<br />
conviendra <strong>de</strong> fixer les bornes <strong>de</strong> son indépendance en face <strong>de</strong><br />
Don Juan, <strong>de</strong> Faust, <strong>de</strong> Prométhée.<br />
Le problème se pose, cette fois, dans <strong>de</strong>s conditions fort différentes.<br />
D'avance, la liberté <strong>de</strong> l'auteur est entravée, limitée. Alors<br />
que le choix du sujet est habituellement le point <strong>de</strong> départ <strong>de</strong> son<br />
autonomie créatrice, ce choix marque maintenant l'instant initial<br />
<strong>de</strong> sa servitu<strong>de</strong>. D'emblée le thème lui impose ses composantes, les<br />
éléments constitutifs qui lui sont propres et sans lesquels il cesse<br />
d'être.<br />
Thème — est-il besoin <strong>de</strong> le dire ? — ne désigne pas seulement<br />
<strong>de</strong>s thèmes issus <strong>de</strong> la mythologie ou <strong>de</strong> la Bible, mais aussi ceux<br />
fournis par l'histoire et donnant matière à la littérature. Particulièrement<br />
contraignants seront même ces thèmes historiques, où<br />
l'histoire, la réalité remplacent ou renforcent la tradition purement<br />
littéraire. Faire d'Antigone une fille craintive ou <strong>de</strong> Médée<br />
une épouse complaisante, c'est dénaturer une légen<strong>de</strong>, une histoire<br />
inventée. Mais fera-t-on <strong>de</strong> Cromwell un colon américain ou<br />
<strong>de</strong> Waterloo une victoire française ? La rigidité <strong>de</strong>s cadres imposés<br />
à l'auteur est ici plus gran<strong>de</strong> encore que pour les thèmes d'origine<br />
littéraire. En somme, le seul choix d'un personnage, d'un nom,<br />
d'un fait empruntés au domaine <strong>de</strong> l'histoire entraîne automatiquement<br />
le créateur à renoncer à l'infini <strong>de</strong>s possibilités qui est le<br />
propre <strong>de</strong>s sujets d'imagination pure.<br />
Cette contrainte existe lors même que le thème, sans relever<br />
directement <strong>de</strong> l'histoire, doit plutôt son existence à la coutume, à<br />
l'usage. Songeons aux conventions qui régissent la peinture <strong>de</strong> certains<br />
types nationaux répandus dans les lettres à telle ou telle époque.<br />
Un auteur était-il vraiment libre <strong>de</strong> camper un Italien qui ne<br />
fût pas vindicatif, un Espagnol qui ne fût pas jaloux, un Anglais<br />
qui ne fût pas flegmatique ? Et que dire du Français inconstant,<br />
frivole et volage tel qu'il apparaît dans Le Français à Londres <strong>de</strong><br />
Boissy, en 1727, tel qu'il hante tout le XVIII e siècle pour aboutir à
TRADITION ET CRÉATION 77<br />
cette tête folle qu'est le comte d'Erfeuil dans la Corinne <strong>de</strong> M me <strong>de</strong><br />
Staël, ou encore tel qu'il se dégra<strong>de</strong> dans le Riccaut <strong>de</strong> la Marlinière<br />
décrit par Lessing? Parce qu'il est une fois pour toutes<br />
entendu que tous les Ecossais sont avares et que toutes les Françaises<br />
sont rousses, l'auteur se voit tenu <strong>de</strong> respecter une convention,<br />
fausse peut-être en soi, mais qui seule, aux yeux du lecteur, peut<br />
conférer au type sa vérité.<br />
Contraint, dans le cas <strong>de</strong>s thèmes historiques, par la réalité, par<br />
une vérité consignée dans tous les manuels, en quelque sorte par<br />
une vérité officielle, et tenu, dans le cas <strong>de</strong>s types nationaux, par<br />
un fiction à laquelle l'usage, le consensus omnium ont donné<br />
valeur <strong>de</strong> réalité, l'auteur sera-t-il plus indépendant lorsque le<br />
thème ne relève que d'une tradition exclusivement littéraire ?<br />
Prenons par exemple le cas d'Antigone. Le premier obstacle<br />
auquel se heurte la volonté d'émancipation du créateur est celui <strong>de</strong><br />
la situation : que <strong>de</strong>vient le thème d'Antigone si l'on supprime la<br />
guerre fratrici<strong>de</strong> entre Etéocle et Polynice, ou l'obligation morale<br />
<strong>de</strong> l'ensevelissement du frère défunt ? Deuxième obstacle : les personnages.<br />
Antigone cesse d'être Antigone si l'on escamote ses<br />
comparses, Créon, Ismène, Hémon. Troisième obstacle: la signification.<br />
Qui consentirait à retrouver une Antigone là où son<br />
opposition fondamentale avec ce que représente Créon aurait disparu?<br />
Bref, Antigone ne saurait avoir d'existence indépendante d'un<br />
certain contexte. La situation crée même Antigone à tel point que,<br />
pour nous, par un processus inverse, le seul fait d'appeler une<br />
héroïne Antigone implique obligatoirement cette situation. On en<br />
dirait autant d'Oedipe, <strong>de</strong> Pandore, <strong>de</strong> Psyché, <strong>de</strong> Médée...Et<br />
croirions-nous à un Adam dispensé du péché originel? à un<br />
Amphitryon que n'accompagneraient ni Jupiter ni Alcmène ?<br />
Ceci est valable pour les thèmes où la situation a une importance<br />
déterminante. N'en sera-t-il pas autrement pour les thèmes<br />
<strong>de</strong> héros, où la situation est contingente, où le personnage peut<br />
évoluer dans n'importe quelle situation? Ainsi pour Hercule,
78 THÈMES ET MYTHES<br />
pour Ulysse, pour Prométhée. Ne nous y trompons pas : ces thèmes<br />
ne sont pas grevés d'une moins lour<strong>de</strong> hypothèque. Simplement,<br />
l'accent se déplace <strong>de</strong> la situation à la personne. Alors que,<br />
la situation traditionnelle une fois acceptée, l'auteur était libre <strong>de</strong><br />
faire Antigone douce ou emportée, sentimentale ou romaine, religieuse<br />
ou simplement morale, il peut, en face d'Hercule ou <strong>de</strong><br />
Prométhée, varier les situations, non les caractéristiques du héros.<br />
Ou bien accepterons-nous un Prométhée indifférent ou un Hercule<br />
qui pactise avec le vice ?<br />
Bref, qu'il s'agisse d'une figure <strong>de</strong> l'histoire ou d'un type légendaire,<br />
l'auteur est enchaîné par le sujet même. Il lui faut en outre<br />
compter avec un public prévenu, prêt à la comparaison avec une<br />
sorte d'archétype culturel : écrit-on aujourd'hui un Faust sans<br />
redouter l'ombre <strong>de</strong> Goethe, un Prométhée sans s'inquiéter<br />
d'Eschyle ? Il lui faut respecter la tradition qui pèse sur lui comme<br />
un poids dont il lui est impossible <strong>de</strong> se décharger sous peine <strong>de</strong><br />
trahir ses propres intentions. Le grand critique anglais Samuel<br />
Johnson avait observé dès la fin du XVIII e siècle le dilemme offert<br />
à tout créateur : « Nous avons été <strong>de</strong> trop longue date familiarisés<br />
avec les héros poétiques pour attendre aucun plaisir <strong>de</strong> leur retour<br />
à la vie. Les montrer tels qu'ils ont déjà été, c'est écœurer par la<br />
répétition ; leur donner <strong>de</strong> nouvelles qualités ou <strong>de</strong> nouvelles aventures,<br />
c'est choquer en violant <strong>de</strong>s notions reçues» 105 .<br />
Le créateur se trouve donc limité dans le traitement du thème<br />
choisi, c'est-à-dire sur le plan même où s'exerçait en général sa<br />
plus gran<strong>de</strong> liberté. Reste-t-il libre au moins <strong>de</strong> choisir sa servitu<strong>de</strong><br />
? Ce n'est pas sûr, car il arrive que le choix même <strong>de</strong> son sujet<br />
lui soit comme imposé. Non seulement on pourrait dire que<br />
l'auteur ne choisit tel ou tel thème qu'en fonction <strong>de</strong> certaines<br />
affinités plus ou moins indépendantes <strong>de</strong> sa volonté, sous l'impulsion<br />
d'une sorte <strong>de</strong> déterminisme intérieur, mais peut-être se voitil<br />
encore parfois contraint par <strong>de</strong>s pressions extérieures à lui et<br />
qu'il subit sans en avoir toujours conscience.<br />
Certains thèmes, en effet, sont le reflet, dès l'origine, <strong>de</strong> conflits
TRADITION ET CRÉATION 79<br />
politiques ou sociaux. Dès lors, on peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s'ils ne se<br />
rencontrent pas plus volontiers aux époques où se pose, dans la<br />
réalité vécue et éprouvée par un auteur, le problème dont ils peuvent<br />
constituer, en quelque sorte, l'archétype, la représentation<br />
idéale. Nous reviendrons plus loin sur cette question, à propos<br />
d'Antigone et <strong>de</strong> Socrate.<br />
Bref, les thèmes sont bien autre chose que <strong>de</strong> simples sujets malléables<br />
et transformables à merci. Non seulement il n'est pas permis<br />
à l'auteur <strong>de</strong> les traiter en toute liberté, mais même il est souvent<br />
invinciblement attirés vers eux, bien plus qu'il ne les choisit ;<br />
ils recèlent une puissance d'appel qui les impose à sa conscience, si<br />
bien qu'en définitive il y a déterminisme, magnétisme ou, mieux,<br />
tropisme <strong>de</strong> l'acte créateur, limité à la fois dans son orientation et<br />
dans son exécution.<br />
Dans son exécution en effet, car, même pour la forme, le créateur<br />
se voit, <strong>de</strong>vant le thème, asservi à <strong>de</strong>s obligations qui dérivent,<br />
non <strong>de</strong> sa liberté <strong>de</strong> choix, mais <strong>de</strong> la nature du thème, nous<br />
y avons insisté plus haut.<br />
Ce qui précè<strong>de</strong> nous le montre : le créateur confronté avec le<br />
thème éprouve beaucoup plus <strong>de</strong> servitu<strong>de</strong> que d'indépendance.<br />
Nécessairement entravé dans le traitement du sujet par la préexistence<br />
<strong>de</strong>s personnages et <strong>de</strong>s situations, il l'est encore dans le choix<br />
<strong>de</strong> la forme littéraire qu'il prétend donner à son oeuvre, il l'est<br />
enfin, au moins dans certains cas, dans le choix même d'un sujet<br />
qui lui est presque imposé par la force d'une tradition. Nous y<br />
reviendrons à propos <strong>de</strong>s préférences d'auteurs, d'époques et <strong>de</strong><br />
nations.<br />
On sait toutefois que la tendance spontanée <strong>de</strong> l'auteur est <strong>de</strong> se<br />
rebiffer, <strong>de</strong> récuser cette tradition qui compte pour rien ses droits<br />
imprescriptibles <strong>de</strong> créateur.<br />
Un exemple d'une telle volonté d'indépendance nous est proposé<br />
par Montherlant auteur d'un Don Juan i06 . Rien <strong>de</strong> plus clair<br />
ici que l'intention <strong>de</strong> l'auteur qui, dans ses notes, dit <strong>de</strong> sa pièce :<br />
«Je l'avais écrite en réaction contre l'abondante littérature qui a
80<br />
THEMES ET MYTHES<br />
voulu faire <strong>de</strong> Don Juan un personnage complexe, un mythe ». En<br />
un mot, Montherlant souhaite libérer Don Juan <strong>de</strong> la gangue où<br />
Ta enfermé une ridicule tradition universitaire, fondée par les<br />
«cuistres» qui ont compliqué à plaisir l'image du séducteur<br />
banal. Dans ma pièce au contraire, assure-t-il, Don Juan «est un<br />
personnage simple ; il n'a pas d'envergure, je l'ai voulu ainsi ».<br />
Mais la lecture nous déçoit bientôt : ce Don Juan si neuf n'est, si<br />
Ton peut dire, qu'un Don Juan comme les autres. Il ne manque ni<br />
le meurtre du Comman<strong>de</strong>ur ni l'épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> la statue. Comme ses<br />
modèles, Don Juan ne poursuit pas les femmes, mais la Femme ;<br />
chacun <strong>de</strong> ses mensonges est une vérité <strong>de</strong> l'instant où il le profère,<br />
car Don Juan ne ment jamais, au sens vulgaire ; la séduction n'est<br />
pas chez lui un jeu mais un besoin, une manière d'être ; il éprouve<br />
cette perpétuelle angoisse, cette insatisfaction qui le pousse en<br />
avant, vers d'autres conquêtes. En outre, il n'est pas libre : il est<br />
l'homme du Destin, celui qui sait que rien ne peut lui arriver que<br />
son heure n'ait sonné ; et sa révolte contre Dieu, contre la société<br />
fait encore partie <strong>de</strong>s composantes traditionnelles. Il est bien,<br />
comme l'avoue paradoxalement Montherlant lui-même,<br />
«l'homme qui sans cesse risque le pire, et qui a choisi cela».<br />
Rien d'étonnant dans cet échec d'une tentative <strong>de</strong> «banalisation<br />
». L'auteur qui accepte <strong>de</strong> représenter les situations classiques<br />
où évolue le héros et surtout qui adopte le nom <strong>de</strong> Don Juan, se<br />
trouve automatiquement engagé dans le thème. Il y a si peu <strong>de</strong><br />
doute à cela que ceux qui ont voulu créer un Don Juan qui ne fût<br />
pas Don Juan ont très bien senti qu'il fallait changer ce nom pour<br />
ceux <strong>de</strong> Lovelace, Valmont, Bel-Ami ou Ornifle, qui sont <strong>de</strong>s<br />
séducteurs, qui sont même <strong>de</strong>s donjuans, mais ne sont pas Don<br />
Juan. Montherlant a confondu Casanova et Don Juan : l'un est ce<br />
séducteur vulgaire, interchangeable, qu'il voulait représenter,<br />
l'autre incarne une <strong>de</strong>s impatiences <strong>de</strong> l'âme ; l'un est le favori <strong>de</strong>s<br />
chroniques scandaleuses, l'autre la projection dans l'héroïque<br />
d'une angoisse tout humaine, projection à laquelle on ne saurait<br />
recourir sans accepter en même temps et le thème et le symbole.
TRADITION ET CREATION 81<br />
Si même la volonté consciente du créateur se démembre parfois<br />
<strong>de</strong>vant la structure infrangible du thème, on mesure quelle<br />
peut être la puissance d'une tradition qui, siècle après siècle, s'est<br />
consolidée <strong>de</strong> son propre élan et à laquelle chaque auteur a payé<br />
tribut. En fait, le thème rayonne, éblouit ceux qui l'approchent ;<br />
<strong>de</strong> lui, du nom qui le résume, émane une sorte <strong>de</strong> flui<strong>de</strong>.<br />
Dans certains cas, son magnétisme est aisément observable. Il<br />
arrive que la situation, les personnages, la signification — au<br />
moins élémentaire — d'un thème soient si connus, que la tradition<br />
qui le soutient soit si puissante qu'elle influence même <strong>de</strong>s œuvres<br />
qui, au départ, n'avaient rien <strong>de</strong> commun avec le thème. Un bon<br />
exemple du genre est peut-être un roman <strong>de</strong> Franz Hellens :<br />
L'homme <strong>de</strong> soixante ans,<br />
L'histoire en soi est banale. Félicien Meurant, professeur à la<br />
Sorbonne, découvre, à soixante ans, la vanité <strong>de</strong> sa vie d'étu<strong>de</strong>.<br />
Attiré par Angélique, jeune servante fraîche et naïve qui est pour<br />
lui le rappel <strong>de</strong>s valeurs vitales, il quitte son épouse, abandonne sa<br />
chaire à l'<strong>Université</strong> pour mener une vie simple, proche <strong>de</strong>s joies<br />
<strong>de</strong> la nature.<br />
A première vue, on ne décèle, surtout dans un résumé aussi<br />
schématique, guère <strong>de</strong> traces du premier Faust <strong>de</strong> Goethe,<br />
d'autant plus que Franz Hellens déclare : « L'homme <strong>de</strong> soixante<br />
ans est le livre où j'ai mis le plus secret, mais aussi le plus vrai <strong>de</strong><br />
ma biographie réelle ». Pourtant, dès qu'on s'attache au détail l07 ,<br />
les similitu<strong>de</strong>s apparaissent, tant dans la trame que dans la signification<br />
et les personnages. Meurant, c'est Faust, un Faust bourgeois,<br />
simplifié, débarrassé <strong>de</strong> ses angoisses métaphysiques, et qui<br />
n'a conservé que la hantise d'une vie gâchée pour une science<br />
livresque, la nostalgie d'une existence plus vraie ; Angélique, c'est<br />
Gretchen, pure, neuve, la tentation <strong>de</strong> l'amour véritable. Il ne<br />
manque pas même un Wagner, dans la personne <strong>de</strong> Fenouille,<br />
l'élève <strong>de</strong> Meurant, toujours passionné <strong>de</strong> livres qu'il dévore sans<br />
trop les comprendre ; il ne manque pas même Méphisto, sous les<br />
traits du diabolique Hébrard, l'ami <strong>de</strong> Meurant. Des scènes <strong>de</strong>
82 THEMES ET MYTHES<br />
Faust figurent, transposées, dans le roman : Meurant découvre la<br />
chambrette d'Angélique comme Faust celle <strong>de</strong> Gretchen ; la jeune<br />
fille s'extasie <strong>de</strong>vant son savoir; même la scène du pacte est<br />
reprise, entre Meurant et Hébrard, et même la scène <strong>de</strong> l'Auerbachs<br />
Keller <strong>de</strong>venue une taverne-restaurant. Et ne manquent pas<br />
non plus les considérations sur la nature, sur le désir <strong>de</strong> vivre, sur<br />
l'éternelle insatisfaction, ni les similitu<strong>de</strong>s dans les propos, les dialogues.<br />
Et cependant, L'homme <strong>de</strong> soixante ans n'est pas exactement<br />
une adaptation et Hellens insiste avec raison sur la présence d'éléments<br />
autobiographiques, et ce n'est pas non plus une imitation<br />
inavouée : Hellens ne se cachait nullement d'avoir fait, dans les<br />
Mémoires d'Elseneur, une transposition d'Hamiet. En réalité, il<br />
est bel et bien parti <strong>de</strong> son expérience personnelle.<br />
Toutefois, en décrivant une situation classique — celle <strong>de</strong><br />
l'homme qui, à soixante ans, fait le bilan <strong>de</strong> sa vie et le trouve<br />
déficitaire — Hellens a rencontré <strong>de</strong>s données « faustiennes », celles<br />
d'un Faust simplifié, ramené à ses composantes les plus populaires<br />
: Gounod plutôt que Goethe. Certes, les réminiscences littéraires<br />
sont présentes, mais commandées par le thème, par le poids<br />
d'une tradition qui fait du thème faustien un élément culturel intégré<br />
à nos structures mentales, à notre vision du mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> la vie.<br />
Comme le remarque A. Dabezies, il est significatif que le romancier<br />
n'ait pas trouvé mieux, pour retracer son itinéraire vers la vie<br />
authentique, que le schéma dramatique <strong>de</strong> Faust.<br />
Le créateur ne saurait donc oublier le respect que lui impose le<br />
thème et, à travers lui, la tradition littéraire collective ; c'est que,<br />
si l'homme crée <strong>de</strong>s œuvres, il ne tar<strong>de</strong> pas à <strong>de</strong>venir le produit <strong>de</strong>s<br />
oeuvres qu'il a créées. Pour reprendre les termes <strong>de</strong> T.S. Eliot, « il<br />
y a donc, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> l'artiste, quelque chose dont il est<br />
vassal» 108 .<br />
Ne le perdons pas <strong>de</strong> vue, celui qui intitule un drame Antigone<br />
mais bouleverse les éléments constitutifs traditionnellement<br />
agréés, provoque à la lecture un indéfinissable malaise : le lecteur
TRADITION ET CREATION 83<br />
souffre <strong>de</strong> l'hétérogénéité <strong>de</strong> la tragédie et du contenu symbolique<br />
auquel son titre la fait prétendre. Ceci est vrai <strong>de</strong>s thèmes où la<br />
situation importe davantage que le héros. Inversement, certains<br />
thèmes sont soutenus, non par la situation, qui peut varier, mais<br />
par le héros : c'est alors celui-ci qui porte tout le poids symbolique.<br />
On peut aujourd'hui nommer un héros Faust, Don Juan ou<br />
Prométhée, même si aucune <strong>de</strong>s circonstances classiques n'apparaît<br />
dans l'œuvre ; il suffit <strong>de</strong> leur nom pour que nous les imaginons<br />
tels qu'ils doivent être par référence immédiate à l'archétype<br />
culturel que nous portons en nous.<br />
N'y a-t-il donc, à aucun <strong>de</strong>gré, indépendance du créateur?<br />
Disons qu'elle existe au moins pour celui qui fon<strong>de</strong> la tradition littéraire,<br />
qui cristallise les éléments du thème. Ainsi d'Eschyle pour<br />
Prométhée, <strong>de</strong> Plaute pour Amphitryon, <strong>de</strong> Sophocle pour Antigone.<br />
Encore pourrait-on dire que Sophocle lui-même n'a pu faire<br />
vraiment ce qu'il voulait, puisque les légen<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l'Oedipodie faisaient<br />
déjà partie d'un héritage traditionnel ; au moins est-il arrivé<br />
assez tôt pour fixer, sous une forme définitive, qui allait prendre<br />
désormais l'autorité d'une tradition, les récits épars <strong>de</strong> la Théogonie.<br />
Ce fondateur n'est pas nécessairement celui qui a traité le thème<br />
le premier : c'est Eschyle, et non Hésio<strong>de</strong>, qui crée littérairement<br />
Prométhée, comme, avant Goethe, il n'y a pas, à proprement parler,<br />
d'impérieuse tradition faustienne ; mais ils sont ceux qui ont<br />
donné à ces thèmes leur forme la plus fameuse, qui ont inséré Prométhée<br />
et Faust dans le patrimoine culturel universel.<br />
Dès lors, s'il ne choisit vraiment ni son sujet, ni le cadre où le<br />
traiter, il reste à l'auteur la manière, la forme, la nuance qui<br />
feront <strong>de</strong> son œuvre une œuvre neuve. Jean Rousset a bien montré,<br />
à propos <strong>de</strong> Don Juan, l'intérêt <strong>de</strong>s «métamorphoses latérales<br />
», c'est-à-dire <strong>de</strong>s glissements d'un genre à l'autre, qui impliquent<br />
l'adaptation du thème à un autre système formel. En passant<br />
du drame écrit à la commedia <strong>de</strong>ll'arte et du théâtre à l'opéra,<br />
comment le thème est-il modifié par les contraintes et les libertés
84 THEMES ET MYTHES<br />
<strong>de</strong> la mise en musique ? On constate ainsi que le seul système <strong>de</strong>s<br />
arias favorise l'amplification <strong>de</strong>s rôles féminins, leurs confessions<br />
chantées les soustrayant au quasi anonymat dans lequel les confinait<br />
la personnalité envahissante <strong>de</strong> leur séducteur : pendant quelques<br />
instants au moins, les figures féminines viennent au premier<br />
plan et l'économie du drame s'en trouve modifiée.<br />
Si souvent présent au théâtre, Don Juan l'est très peu dans le<br />
roman. Pourquoi? C'est bien, remarque à son tour H.G. Tan,<br />
parce qu'«un changement <strong>de</strong> genre amène une modification dans<br />
le traitement du thème » 109 . Au théâtre, l'essentiel est dans<br />
l'action, dont doivent se dégager, se déduire les traits juanesques ;<br />
la vie du héros y est une addition d'épiso<strong>de</strong>s menant à la punition<br />
finale. La nouvelle est proche encore <strong>de</strong> cette manière, assurant<br />
davantage, comme chez Mérimée, la juxtaposition <strong>de</strong>s scènes que<br />
la transition <strong>de</strong> l'une à l'autre. Au contraire, le roman développe<br />
le sujet, explique le personnage dans son <strong>de</strong>venir, impose un réalisme<br />
<strong>de</strong> l'espace et du temps, instaure <strong>de</strong>s relations complexes<br />
entre les actants et s'accommo<strong>de</strong> mal du schématisme initial du<br />
thème.<br />
On pourrait dire ainsi que la réussite dans le traitement d'un<br />
thème constitue la pierre <strong>de</strong> touche d'un talent, dans la mesure où,<br />
inféodé à une tradition, limité dans son expansion créatrice et soumis<br />
d'avance à un public automatiquement porté à la comparaison,<br />
l'auteur parvient à triompher <strong>de</strong> ces difficultés et à donner au<br />
thème une orientation nouvelle.<br />
Triomphe rare, et d'autant plus éclatant, car, plus qu'un héritage,<br />
c'est une hérédité qu'il lui a fallu combattre. Mais si, au<br />
cours <strong>de</strong>s siècles, <strong>de</strong> tous les auteurs qui se sont attaqués à <strong>de</strong>s thèmes,<br />
ne survivent dans notre mémoire que les noms <strong>de</strong> Racine, <strong>de</strong><br />
Goethe, <strong>de</strong> Shelley et <strong>de</strong> quelques autres du même rang, n'est-ce<br />
pas la preuve que, pour le génie, plus gran<strong>de</strong> est la servitu<strong>de</strong>, plus<br />
tentante est l'indépendance ?
LES LIMITES TEMPORELLES<br />
ET GÉOGRAPHIQUES DE L'ENQUÊTE<br />
Qu'il s'agisse <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s dénombrements ou <strong>de</strong> respecter<br />
la continuité véritable <strong>de</strong> la tradition littéraire, <strong>de</strong> situer les individualités<br />
expressives dans leur contexte ou <strong>de</strong> s'informer <strong>de</strong>s sources<br />
et <strong>de</strong>s influences éventuelles, il faudra toujours en venir à<br />
fixer, dans l'espace et le temps, les limites <strong>de</strong> l'enquête thématologique.<br />
Or un thème, à la différence <strong>de</strong> certains types <strong>de</strong> sujets, ne<br />
porte pas en soi les modalités <strong>de</strong> cette limitation. Quand Roland<br />
Mortier entreprend <strong>de</strong> suivre la fortune <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot en Allemagne,<br />
il sait que la connaissance <strong>de</strong> son auteur ne saurait guère remonter,<br />
outre-Rhin, en <strong>de</strong>çà <strong>de</strong> 1750, et il sait aussi que le travail <strong>de</strong><br />
Rosenkranz marque, vers le milieu du XIX e siècle, le début <strong>de</strong>s<br />
étu<strong>de</strong>s sérieuses et scientifiques où Di<strong>de</strong>rot n'est plus le prétexte <strong>de</strong><br />
polémiques hargneuses, n'excite plus les passions partisanes. En<br />
outre, l'Allemagne n'offrant pas, au XVIII e siècle, <strong>de</strong> physionomie<br />
politique bien définie, l'étu<strong>de</strong> s'étendra naturellement aux<br />
régions <strong>de</strong> langue alleman<strong>de</strong>, l'élément linguistique circonscrivant<br />
ici l'extension du travail dans l'espace. Dans ce cas, le sujet comporte<br />
ses propres limites et il définit lui-même le champ <strong>de</strong><br />
l'action. Il va sans dire que les cadres d'une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> thème sont<br />
loin d'être aussi évi<strong>de</strong>nts : la délimitation <strong>de</strong> ces cadres est donc<br />
une question à trancher.<br />
Commençons par l'extension dans le temps. Quoique l'étu<strong>de</strong><br />
particulière d'une œuvre ne soit nullement à exclure d'une thématologie<br />
bien comprise, on sait que le caractère premier d'un<br />
ouvrage construit sur un thème littéraire est <strong>de</strong> s'inscrire, à sa<br />
date, dans une certaine tradition, une lignée : en même temps que<br />
l'expression personnelle d'un artiste, il est aussi un maillon <strong>de</strong>
86<br />
THÈMES ET MYTHES<br />
cette longue chaîne qui part <strong>de</strong> la première formulation écrite du<br />
thème no . Dans ce sens, Anouilh confronté avec Antigone est le<br />
lointain héritier <strong>de</strong> Sophocle, Giraudoux père d'Amphitryon est<br />
fils <strong>de</strong> Plaute. Selon le thème traité, la tradition plongera plus ou<br />
moins profond dans le temps : Médée a vingt-cinq siècles, Jésus<br />
vingt, Ahasvérus sept, Faust quatre, Mazeppa <strong>de</strong>ux...<br />
En dépit <strong>de</strong> ce caractère essentiellement historique du thème, il<br />
ne manque pas <strong>de</strong> travaux qui ont voulu se borner à l'étu<strong>de</strong> d'une<br />
époque donnée : Ariane au XVIII e siècle, Orphée dans les lettres<br />
contemporaines, Ahasvérus au romantisme, etc. Ces limitations<br />
volontaires se justifient en général <strong>de</strong> plusieurs manières. Il y a<br />
d'abord parfois une raison pratique : l'auteur n'a pas le temps <strong>de</strong><br />
s'attaquer à une pério<strong>de</strong> plus étendue ; <strong>de</strong> là le grand nombre <strong>de</strong><br />
sujets ainsi traités pour un doctorat d'<strong>Université</strong>, une thèse complémentaire<br />
ou une inaugural Dissertation. En outre, il arguera du<br />
fait qu'il est plus à l'aise, plus sûr <strong>de</strong> ses connaissances dans telle<br />
époque restreinte in et qu'il faut se défier <strong>de</strong>s ambitions démesurées.<br />
Enfin, il précisera volontiers que le thème abordé a surtout<br />
connu un moment <strong>de</strong> gloire et qu'il était peu <strong>de</strong> chose, ou rien,<br />
avant ce moment privilégié ; on a affirmé vingt fois comme tombant<br />
sous le sens que Prométhée ne fait sa véritable apparition sur<br />
la scène littéraire et dans la pensée qu'après 1789. Dès lors, pourquoi<br />
l'étudier avant cette date, qui a du reste le double avantage<br />
d'offrir un point <strong>de</strong> départ précis et une valeur symbolique incontestable,<br />
la Marseillaise étant, comme chacun sait, d'inspiration<br />
évi<strong>de</strong>mment « prométhéenne » * !<br />
Voilà donc trois raisons non négligeables <strong>de</strong> limiter dans le<br />
* D'aucuns ajouteront encore que l'étu<strong>de</strong> d'une seule pério<strong>de</strong> permet <strong>de</strong> mettre<br />
en relief l'influence prépondérante, à tel moment donné, d'une œuvre particulière,<br />
celle, par exemple, du Faust <strong>de</strong> Goethe ou du Don Giovanni <strong>de</strong> Mozart. Observons<br />
cependant qu'une enquête plus étendue n'exclut nullement cette mise en évi<strong>de</strong>nce,<br />
laquelle, au surplus, si on lui donne trop d'importance, relève davantage <strong>de</strong>s<br />
cadres d'un Goethe en France ou d'un Mozart en Angleterre, que du propos d'une<br />
étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> thème.
LIMITES TEMPORELLES ET GÉOGRAPHIQUES 87<br />
temps l'étu<strong>de</strong> d'un thème, trois raisons hautement raisonnables et<br />
qui méritent d'être prises en considération par quiconque se propose<br />
<strong>de</strong> s'occuper <strong>de</strong> thematologie. Une question, cependant, se<br />
pose : ces conditions conviennent certes à l'auteur ; fort bien. Mais<br />
conviennent-elles au thème ? En d'autres termes, à se limiter ainsi,<br />
ne se condamne-t-on pas à fausser son étu<strong>de</strong> au départ, à pratiquer<br />
une thematologie falsifiée? Quels sont alors les arguments<br />
militant en faveur d'une enquête plus étendue, <strong>de</strong>puis les origines<br />
littéraires du thème ?<br />
Les époques successives sont <strong>de</strong>s prismes déformants sous lesquels<br />
le thème subit <strong>de</strong>s modifications profon<strong>de</strong>s. L'état <strong>de</strong>s idées,<br />
du goût et <strong>de</strong>s mœurs influence directement son évolution, conditionne<br />
sa signification : on n'a pas vu, cela va <strong>de</strong> soi, Orphée dans<br />
l'antiquité comme au XVIII e siècle, Judas au Moyen Age comme<br />
aujourd'hui ou Caïn au XVII e siècle comme au romantisme. Des<br />
transformations, ou mieux : <strong>de</strong>s transmutations se sont donc opérées,<br />
dont il peut être intéressant <strong>de</strong> suivre les modalités en déterminant<br />
comment les siècles antérieurs au nôtre ont conçu le<br />
thème, <strong>de</strong> quel message ils l'ont chargé. Comme l'observait<br />
Robert Vivier, «les motifs poétiques sont <strong>de</strong>s voyageurs caméléons<br />
qui changent selon le paysage. Si l'on continue à les reconnaître<br />
dans les sites nouveaux où les engage le pas du temps, c'est<br />
parce que leur structure narrative subsiste, mais la spéculation qui<br />
s'exerce sur eux fait varier leur signification, leur couleur morale,<br />
leur rôle expressif» 112 . Suivrait-on ces variations en pratiquant<br />
dans leur histoire une coupe arbitraire ? Le rusé Ulysse d'Homère<br />
<strong>de</strong>vient chez Dante ou John Gower un esprit tourmenté par la soif<br />
<strong>de</strong> connaître, chez Cal<strong>de</strong>ron un homme qui succompe au péché,<br />
puis en triomphe, chez G. Hauptmann une illustration du conflit<br />
père-fils. Quatre étapes entre cent, quatre Ulysses : quand, comment,<br />
pourquoi est-on passé <strong>de</strong> l'un à l'autre ? Une étu<strong>de</strong> limitée à<br />
une seule époque peut définir une conception d'Ulysse, non<br />
l'expliquer, non montrer comment elle est née, elle ne peindra<br />
jamais qu'un visage <strong>de</strong> l'éternel voyageur.
88 THEMES ET MYTHES<br />
La perspective historique s'imposera encore dans la mesure où<br />
Ton sera soucieux <strong>de</strong> traiter d'aussi près que possible la question<br />
<strong>de</strong>s sources et <strong>de</strong>s influences, <strong>de</strong> tracer les grands courants traditionnels<br />
qui irriguent le thème et peuvent disparaître parfois,<br />
comme un cours d'eau sous la terre, pour resurgir, inattendus, dix<br />
générations plus tard. Depuis le romantisme, Eschyle fournit la<br />
trame <strong>de</strong> base du thème prométhéen, mais la Ate/d'Elémir Bourges<br />
est construite sur l'argument, délaissé <strong>de</strong>puis la Renaissance,<br />
fourni par Apollonius <strong>de</strong> Rho<strong>de</strong>s et Valerius Flaccus.<br />
En outre, une étu<strong>de</strong> à partir <strong>de</strong>s origines permettra <strong>de</strong> le montrer,<br />
un thème, dans la plupart <strong>de</strong>s cas, a toujours été vivant et<br />
présent à la conscience européenne et les affirmations téméraires<br />
sur sa disparition complète à certaines époques sont, le plus souvent,<br />
<strong>de</strong>s affirmations gratuites. Que n'a-t-on dit <strong>de</strong> Prométhée,<br />
dont nous écrivions plus haut qu'il était aussi prestigieux que mal<br />
connu! En 1878, Oscar Mann assurait qu'«après qu'au Moyen<br />
Age [sic] l'écrivain espagnol Cal<strong>de</strong>ron eut traité le mythe dans un<br />
drame, [...] le mythe disparut jusqu'à la fin du XVIII e siècle» m ;<br />
trente ans après, M. Tresch écrivait avec emphase: «Pendant<br />
l'époque troublée du Moyen Age, la gran<strong>de</strong> voix du vieux rebelle<br />
se tait. Il n'y a pas <strong>de</strong> place pour lui » 1H . Certes, <strong>de</strong>puis le romantisme,<br />
Prométhée a acquis, dans le registre <strong>de</strong> la révolte, une fortune<br />
exceptionnelle ; mais il n'en est pas moins faux <strong>de</strong> prétendre<br />
qu'il n'était rien avant, ou qu'il a disparu entre Eschyle et Goethe.<br />
Tout simplement, il fut autre chose que ce qu'il est pour nous et<br />
jamais il n'a disparu <strong>de</strong> la pensée européenne, fût-ce au Moyen<br />
Age, nous avons essayé <strong>de</strong> le montrer.<br />
En fait, on a souvent parlé très à la légère <strong>de</strong> la disparition <strong>de</strong>s<br />
thèmes, surtout quand il s'agit <strong>de</strong> thèmes <strong>de</strong> héros, dont la diffusion<br />
est aussi large que subtile. Il est certain, par exemple, que<br />
c'est bien au siècle <strong>de</strong> Lumières que Pygmalion prend place dans le<br />
débat philosophique du matérialisme et il a, sur ce point particulier,<br />
suscité <strong>de</strong>s travaux 1I5 . Mais cette utilisation justifie-t-elle<br />
qu'on ne cherche pas à savoir ce qu'il fut dans les siècles précé-
LIMITES TEMPORELLES ET GÉOGRAPHIQUES 89<br />
<strong>de</strong>nts? La vogue d'une interprétation fait ignorer ou négliger<br />
l'emploi du thème par Arnobe, Eusèbe, Pru<strong>de</strong>nce, Ravisius Textor,<br />
le Roman <strong>de</strong> la Rose (où il est longuement développé), le<br />
Roman <strong>de</strong> Perceforest, John Gower, Jean Molinet, Dante, Charles<br />
Estienne, Thomas Nashe, Boccace, La Fontaine, Bensera<strong>de</strong>,<br />
Dry<strong>de</strong>n et cent autres encore ! Que représenta-t-il pour ces<br />
auteurs ? pour ces époques ? Telles sont les questions judicieusement<br />
posées par H. Dôrrie ou A. Dinter. Plus <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce et <strong>de</strong><br />
circonspection unies à une enquête historique auraient évité à E.<br />
Kushner, qui analyse le thème d'Orphée dans la littérature française<br />
et contemporaine» <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> « l'éclipsé médiévale » du personnage<br />
et <strong>de</strong> ne citer, en note, qu'un lai <strong>de</strong> Marie <strong>de</strong> France l16 .<br />
Sans vouloir déprécier son livre, du reste fort beau, permettonsnous<br />
<strong>de</strong> lui citer pêle-mêle quelques noms parmi d'innombrables<br />
autres: Eusèbe, Arnobe, saint Augustin, Tertullien, Fulgence,<br />
Lactance, Vincent <strong>de</strong> Beauvais, Baudri <strong>de</strong> Bourgueil, Dante, Boccace,<br />
Villon, Jean <strong>de</strong> Meung, Jean Molinet, Christine <strong>de</strong> Pisan,<br />
Guillaume <strong>de</strong> Machaut... Cette brève énumération donne une idée<br />
<strong>de</strong> ce qui resterait <strong>de</strong> l'« éclipse » après un examen approfondi " 7 .<br />
La thématologie ainsi comprise a ceci <strong>de</strong> commun avec l'enquête<br />
judiciaire, que pour elle la vérité doit être toujours un résultat,<br />
jamais une hypothèse.<br />
Conséquence <strong>de</strong> cette étu<strong>de</strong> approfondie et diachronique, on<br />
évitera la possibilité <strong>de</strong> prendre pour original et neuf le résultat et<br />
l'expression tardive d'une longue tradition. Oscar Walzel a jadis<br />
consacré un important travail ll8 à montrer combien Goethe, faisant<br />
<strong>de</strong> Prométhée le symbole du poète créateur, innovait vigoureusement.<br />
A l'appui <strong>de</strong> ses dires, il dressait une liste impressionnante<br />
<strong>de</strong> ceux qui, sur le même motif, n'utilisaient pas, au XVIII e<br />
siècle, le thème prométhéen. Mais outre que le savant allemand<br />
ignorait bon nombre <strong>de</strong> témoignages, au XVIII e siècle même, il<br />
ignorait tout à fait la lignée historique du Prométhée poète <strong>de</strong><br />
génie, partie, au XIV e siècle, du Florentin Filippo Villani pour<br />
arriver à Goethe en passant par Chapman, Akensi<strong>de</strong>, Young,
90 THEMES ET MYTHES<br />
Shaftesbury, Her<strong>de</strong>r. Ce n'est qu'en parcourant toutes les étapes<br />
d'un thème que Ton peut arriver à avoir <strong>de</strong> son évolution une<br />
vision complète et <strong>de</strong> son emploi par chaque auteur une évaluation<br />
exacte.<br />
Rappelons enfin que seule une étu<strong>de</strong> entreprise dans une perspective<br />
historique permettra <strong>de</strong> dénoncer l'existence, à propos <strong>de</strong><br />
certains thèmes, <strong>de</strong> véritables «mythes », comparables à ceux mis<br />
en évi<strong>de</strong>nce pour Rimbaud par Etiemble. On verra ainsi, par<br />
exemple, que Prométhée, en dépit <strong>de</strong> l'opinion courante,<br />
n'incarna guère, au XVIII e siècle, l'esprit <strong>de</strong>s Lumières, mais bien<br />
plutôt celui <strong>de</strong> leurs adversaires, que le héros <strong>de</strong> progrès qu'il est<br />
chez Voltaire ou Wieland fut largement éclipsé par le symbole <strong>de</strong><br />
la faute originelle, sur le plan historique chez Rousseau, sur le<br />
plan religieux chez Brumoy, Lefranc <strong>de</strong> Pompignan, Servandoni<br />
ou Tobler ; on découvrira enfin que Pandore, quoi qu'on en ait<br />
dit 119 , n'a jamais passé pour une préfiguration païenne du Sauveur...<br />
Brisons là. L'utilité, pour ne pas dire la nécessité <strong>de</strong> l'étu<strong>de</strong> à<br />
partir <strong>de</strong>s origines littéraires nous paraît évi<strong>de</strong>nte ; encore une<br />
fois, avant <strong>de</strong> contester l'intérêt <strong>de</strong> la thématologie, ne convient-il<br />
pas d'examiner si l'on en a toujours bien exploité toutes les ressources<br />
? Suivre, siècle après siècle, l'odyssée extraordinaire d'un<br />
thème, c'est se donner la possibilité d'en découvrir enfin la<br />
richesse et la complexité, d'en isoler les ramifications innombrables,<br />
<strong>de</strong> dépister la naissance et le développement <strong>de</strong>s traditions<br />
contemporaines ; c'est respecter, enfin, le caractère dynamique et<br />
évolutif qui est l'essence même du thème.<br />
A cette préoccupation <strong>de</strong> l'extension dans le temps s'unira celle,<br />
tout aussi fondamentale, d'une extension dans l'espace, qui a rencontré<br />
autrefois, elle aussi, nombre d'objections. D'aucuns ont<br />
soutenu que l'étu<strong>de</strong> d'un thème <strong>de</strong>vait servir à faire ressortir les<br />
caractéristiques d'un peuple à l'exclusion <strong>de</strong> celles du voisin:<br />
aussi, écrivait E. Sauer, « il faut que la thématologie se dissocie <strong>de</strong><br />
la littérature comparée, car, en réalité, il n'y a pas grand-chose à
LIMITES TEMPORELLES ET GÉOGRAPHIQUES 91<br />
gagner à incorporer l'étranger dans les cas où il ne s'agit pas <strong>de</strong> la<br />
situation particulière où un thème a manifestement subi, sous une<br />
influence étrangère, une transformation décisive. [...] La thématologie<br />
sera donc, au premier chef, exploitée exclusivement sur le<br />
plan national» 12 °. Ce qui instaure, à propos <strong>de</strong>s littératures, un<br />
nouvel insularisme ! En outre, on ne pouvait manquer d'ajouter,<br />
comme Sauer, que la schwere Uebersichtlichkeit qu'imposent les<br />
étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes les ren<strong>de</strong>nt d'un exercice difficile, puisqu'il faut,<br />
en principe, pouvoir dominer, non seulement plusieurs époques<br />
littéraires, mais aussi plusieurs langues et littératures. Notons en<br />
passant que c'est là une exigence que la littérature comparée a<br />
<strong>de</strong>puis longtemps acceptée.<br />
Ces objections, comme celles qu'on formulait à l'enquête historique,<br />
ne manquent pas <strong>de</strong> poids et ont <strong>de</strong> quoi faire réfléchir celui<br />
qui envisage <strong>de</strong> s'engager dans le domaine thématologique. Mais,<br />
ici aussi, ajoutons que ces difficultés, susceptibles <strong>de</strong> refroidir<br />
l'enthousiasme d'un auteur insuffisammant préparé, ne signifient<br />
pas que l'intérêt même <strong>de</strong> la discipline permette <strong>de</strong> les esquiver.<br />
Les grands thèmes littéraires font partie d'un patrimoine européen<br />
dont la première vertu est sans doute d'ignorer les frontières<br />
nationales m . Les situations et les personnages issus <strong>de</strong> la Bible et<br />
<strong>de</strong> la mythologie gréco-latine revêtent, d'emblée, ce caractère<br />
international. Répandus <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s siècles dans la culture européenne,<br />
certains ont pu parfois s'adapter plus étroitement à la<br />
nature d'un peuple, mais tous continuent à faire partie d'un héritage<br />
commun. Ce n'est pas moins vrai, même, <strong>de</strong>s thèmes nés <strong>de</strong><br />
traditions nationales mais doués d'une universalité suffisante<br />
pour accé<strong>de</strong>r à l'audience européenne : qu'on songe à Don Juan, à<br />
Faust, à Roméo et Juliette, à Tristan et Yseult ; et ce sera vrai<br />
encore <strong>de</strong>s personnages historiques dont l'histoire ou la légen<strong>de</strong><br />
ont fait <strong>de</strong>s symboles : Marie Stuart, Napoléon, Christophe<br />
Colomb, Mahomet 122 . Soutiendra-t-on que ces thèmes n'appartiennent<br />
pas à tout le mon<strong>de</strong> même si, à l'origine, ils étaient allemands,<br />
anglais, français, italiens ou espanols ? C'est peut-être au
92 THÈMES ET MYTHES<br />
niveau <strong>de</strong>s thèmes que se fait le mieux sentir la fraternité ou du<br />
moins le cousinage intellectuel <strong>de</strong>s peuples.<br />
Dès lors, tiendrons-nous pour légitime <strong>de</strong> confiner l'étu<strong>de</strong> critique<br />
dans un nationalisme littéraire auquel échappe, par nature, le<br />
sujet qu'elle traite ? Peut-on songer à se consacrer à l'Orphée allemand<br />
ou au Caïn anglais en ignorant délibérément ce qu'ils doivent<br />
aux autres nations ou ce qu'ils leur apportent ? L'étu<strong>de</strong> d'un<br />
thème doit dépasser ce particularisme au profit d'une enquête<br />
généralisée qui s'orchestrera sur un régime largement européen<br />
car, une fois le principe admis, il n'y a aucune raison, sinon celles<br />
que pourrait se trouver l'auteur, <strong>de</strong> s'en tenir à <strong>de</strong>ux ou trois<br />
littératures 123 . Répétons-le, une insuffisante connaissance <strong>de</strong>s langues<br />
et <strong>de</strong>s littératures étrangères sont <strong>de</strong>s motifs parfaitement<br />
honorables d'abstention 124 ; ce ne sont jamais <strong>de</strong>s raisons valables<br />
pour «truquer» la thématologie et fausser d'avance les résultats<br />
<strong>de</strong> l'examen.<br />
L'enquête à l'échelle européenne * donnera seule une idée vraiment<br />
complète <strong>de</strong> la fortune d'un thème : l'Europe littéraire est<br />
une scène assez vaste pour que le thème y soit toujours présent,<br />
trouve toujours sa place, et il est sans doute superflu d'insister sur<br />
ce que l'extension dans l'espace unie à l'extension dans le temps,<br />
peut faire gagner au relevé <strong>de</strong>s sources et <strong>de</strong>s influences, puisque<br />
les grands courants littéraires, essentiellement internationaux, se<br />
complètent et se recoupent au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s frontières. Don Juan naît<br />
en Espagne, passe en Italie, puis en France, en Allemagne, en<br />
Angleterre: que d'influences possibles, souvent doubles ou triples,<br />
quelle diffusion complexe ! Seule une telle conception aura<br />
assez d'ampleur, déploiera un assez large éventail pour rendre<br />
compte <strong>de</strong> toutes les nuances et <strong>de</strong> toutes les significations du<br />
* On pourra joindre à l'Europe <strong>de</strong>s pays qui furent autrefois ses « dérivés culturels<br />
», héritiers au second <strong>de</strong>gré, par culture importée, comme l'Amérique du Nord<br />
et du Sud, et qui constituent aujourd'hui l'ensemble culturel du mon<strong>de</strong> occi<strong>de</strong>ntal,<br />
les thèmes pouvant d'ailleurs y subir parfois <strong>de</strong>s transformations intéressantes sous<br />
l'apport d'éléments autochtones.
LIMITES TEMPORELLES ET GÉOGRAPHIQUES 93<br />
thème, pour assurer enfin la continuité véritable <strong>de</strong> la tradition<br />
historique, et faire apparaître, loin <strong>de</strong>s cloisonnements artificiels,<br />
les éventuelles préférences d'époques et <strong>de</strong> nations.<br />
Dans cette optique, la thématologie ne pourra que répondre au<br />
voeu formulé par Etiemble à l'endroit <strong>de</strong> la littérature comparée :<br />
que celle-ci étudie «non seulement les relations entre les différentes<br />
littératures <strong>de</strong> l'époque mo<strong>de</strong>rne et contemporaine, mais, dans<br />
son ensemble, l'histoire <strong>de</strong> ces relations, dût-elle remonter au<br />
passé le plus ancien» ,25 . C'est inviter à combiner judicieusement<br />
comparatisme horizontal et comparatisme vertical. Il y a cependant<br />
une restriction à apporter au point <strong>de</strong> vue d'Etiemble quand<br />
il suggère d'étendre les enquêtes comparatistes à l'Asie et à<br />
l'Orient, que ces littératures aient ou non <strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong> fait. De<br />
toute évi<strong>de</strong>nce, dans le cas <strong>de</strong> la thématologie, il convient <strong>de</strong> s'en<br />
tenir aux blocs <strong>de</strong> culture commune, car on ne voit grère ce<br />
qu'apporteraient au thème <strong>de</strong> Saùl ou <strong>de</strong> Pygmalion <strong>de</strong>s enquêtes<br />
dans les lettres marathes ou finno-ougriennes et suivre Orphée et<br />
Oedipe en Russie ou en Norvège ne serait sans doute guère plus<br />
rentable que d'étudier en France le sort d'un protagoniste <strong>de</strong>s bylines<br />
russes ou d'un héros <strong>de</strong>s poèmes eddiques norvégiens. Seul le<br />
motif — matière, nous l'avons vu, extra-littéraire, —justifie cette<br />
perspective. En ce qui concerne les thèmes, les relations <strong>de</strong> fait et<br />
l'unité culturelle sont <strong>de</strong>s conditions indispensables *.<br />
* En ce qui concerne les thèmes et non en ce qui concerne les motifs : la jalousie<br />
et l'avarice relèvent, non d'une unité culturelle, mais d'une unité psychologique<br />
nécessairement plus large. Si l'on étudie le motif <strong>de</strong> la conquête du feu, il va <strong>de</strong> soi<br />
qu'il faudra citer avec le Prométhée grec, le Loki <strong>de</strong> la mythologie germanique ou<br />
l'Agramanyus <strong>de</strong>s Iraniens qui représentent <strong>de</strong>s développements parallèles, au<br />
moins jusqu'à un certain niveau d'expression littéraire, mais sans aucun rapport<br />
que la référence à un archétype psychologique i<strong>de</strong>ntique. On en dirait autant du<br />
rôle <strong>de</strong> la femme dans le motif <strong>de</strong> la faute originelle qui peut relever, selon C.G.<br />
Jung, d'une démarche générale, propre à l'esprit humain; ici aussi, le motif est<br />
commun, mais les traditions littéraires <strong>de</strong>s héroïnes <strong>de</strong> la Thrymskrida, du Mahâbhârata<br />
ou du Bhâgavata-Purana ne sauraient trouver place dans une étu<strong>de</strong> consacrée<br />
au thème <strong>de</strong> Pandore né <strong>de</strong>s Travaux d'Hésio<strong>de</strong>.
94 THÈMES ET MYTHES<br />
Pour nous résumer, la double extension dans le temps et dans<br />
l'espace nous paraît indissociable d'une thématologie véritable,<br />
c'est-à-dire qui ne se soucie ni d'amputation ni <strong>de</strong> gauchissement ;<br />
cette manière <strong>de</strong> traiter le thème lui est nécessaire, elle correspond<br />
aux exigences <strong>de</strong> sa nature intime et permet seule d'établir la continuité<br />
authentique <strong>de</strong> la tradition littéraire. Concédons enfin que<br />
ces conditions font <strong>de</strong> la thématologie une discipline d'accès peu<br />
aisé, mais ce sont là <strong>de</strong>s caractères propres à la littérature comparée<br />
en général, non <strong>de</strong>s écueils particuliers aux étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes.<br />
Au moins la Stoffgeschichte est-elle assurée ainsi <strong>de</strong> répondre à<br />
cette «vocation encyclopédique » qu'Etiemble réclamait du comparatiste.
PRÉFÉRENCES D'AUTEURS,<br />
D'ÉPOQUES, DE NATIONS<br />
L'extension dans l'espace et le temps, en même temps qu'elle<br />
permet d'éclairer certaines questions, n'est pas cependant sans en<br />
soulever d'autres. A suivre un thème dans son évolution historique,<br />
à écrire son histoire au cœur <strong>de</strong> plusieurs nations, à le voir<br />
utilisé par <strong>de</strong>s auteurs très différents, quelques points d'interrogation<br />
supplémentaires apparaissent. Comment se fait-il que Hugo<br />
fasse si souvent appel au thème d'Orphée et Balzac si rarement ?<br />
que le thème d'Ariane connaisse un si franc succès au XVIII e siècle<br />
et en recueille si peu au romantisme ? qu'il se trouve tant <strong>de</strong><br />
Saùls en Allemagne et quelques-uns à peine en Italie ? Ces faits<br />
constatés, on en vient naturellement à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s'il n'existe<br />
pas, à l'égard <strong>de</strong>s thèmes, <strong>de</strong>s préférences plus ou moins nettes, et<br />
surtout plus ou moins définissables, d'auteurs, d'époques, <strong>de</strong><br />
nations, préoccupation importante mais qu'il convient <strong>de</strong> traiter<br />
avec pru<strong>de</strong>nce.<br />
Nous avons évoqué déjà les préférences individuelles: le seul<br />
choix, par un auteur, d'un thème à l'exclusion <strong>de</strong>s autres, est une<br />
première manifestation <strong>de</strong> son individualité, laquelle s'exprimera<br />
ensuite dans sa manière <strong>de</strong> le traiter, dans les modifications qu'il<br />
apportera à la forme comme au fond. L'élection d'un thème<br />
déterminé, observe E. Frenzel, «s'explique souvent par une affinité<br />
profon<strong>de</strong> » 126 . Cette affinité peut procé<strong>de</strong>r, le plus souvent,<br />
d'une sympathie inconsciente et spontanée *, parfois aussi d'une<br />
attirance motivée, très consciente au contraire et <strong>de</strong> longue date.<br />
Byron notait à propos <strong>de</strong> la tragédie d'Eschyle: «The Prome-<br />
* Dans ce cas, on parlerait, plutôt que d'une préférence, qui implique un choix,<br />
d'une sorte <strong>de</strong> « tropisme ».
96 THEMES ET MYTHES<br />
theus, if not exactly in my plan, has always been so much in my<br />
head, that I can easily conceive its influence over ail or any thing<br />
that I hâve written » ; Goethe, <strong>de</strong> son côté, confessait : « Der<br />
mythologische Punkt, wo Prometheus auftritt, [war] mir immer<br />
gegenwàrtig und zur belebten Fixi<strong>de</strong>e gewor<strong>de</strong>n ».<br />
Dans un cas comme dans l'autre, l'attirance existe et il s'agit<br />
maintenant <strong>de</strong> l'expliquer, d'en étudier aussi clairement que possible<br />
les raisons. Quelles sont les préoccupations <strong>de</strong> l'auteur, ses<br />
idées philosophiques, religieuses, morales, politiques, dans quel<br />
contexte sentimental, humain, vit-il au moment où il s'attaque au<br />
thème ? Qu'est-ce qui attirait Rousseau vers Pygmalion ? la quête<br />
intime <strong>de</strong> Y aller ego; Quinet vers Ahasvérus ? ses idées sur le provi<strong>de</strong>ntialisme<br />
historique ; Alfieri vers Saùl ? sa haine <strong>de</strong> la tyrannie.<br />
Bref, chacun s'est tourné vers le thème qui illustrait le mieux<br />
ses tendances profon<strong>de</strong>s, quoique nous ne donnions ici <strong>de</strong> cette<br />
attirance qu'une explication fort schématique et qui peut être<br />
beaucoup plus complexe : VAntigone <strong>de</strong> Ballanche con<strong>de</strong>nse<br />
l'aspiration à la ré<strong>de</strong>mption par l'expiation, l'allusion aux circonstances<br />
historiques et la passion pour Juliette Récamier. Si<br />
Rousseau est fasciné par la figure du Christ, ce n'est pas seulement<br />
parce qu'elle l'entraîne, comme les «philosophes», dans<br />
une discussion sur la foi et les miracles, mais parce qu'elle prend<br />
pour lui une signification existentielle, parce qu'il s'éprouve luimême<br />
comme un mo<strong>de</strong>rne messie qui, à travers épreuves et souffrances,<br />
a découvert sa voie. C'est bien ainsi, du reste, que l'ont<br />
salué nombre <strong>de</strong> ses contemporains 127 . Déceler les motifs <strong>de</strong><br />
l'emploi d'un thème est donc important, puisque ce seul choix<br />
jette une certaine lumière sur l'auteur et l'individualise par rapport<br />
aux autres dans la mesure où tel thème, qui convient à un<br />
poète, ne convient pas à un autre.<br />
Déterminer comment les composantes d'un thème ont pu représenter<br />
pour un écrivain une sorte <strong>de</strong> pôle magnétique permet donc<br />
parfois <strong>de</strong> mieux comprendre, et l'écrivain et son oeuvre. On ne<br />
saurait cependant tirer <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> préférence <strong>de</strong>s conséquen-
AUTEURS, ÉPOQUES, NATIONS 97<br />
ces trop lointaines. «L'œuvre, écrit E. Kushner, serait la rencontre<br />
<strong>de</strong> la pensée intime du poète avec le mythe le plus propre à<br />
l'exprimer <strong>de</strong> la manière la plus vivante, rencontre qui, pour être<br />
causée par les mobiles inconscients, ne serait toutefois pas fortuite.<br />
[...] A certains mythes correspondront certaines tendances<br />
inconscientes, et le choix d'un certain mythe serait comme un<br />
signe d'affinitqé entre certains écrivains » 128 . En d'autres termes,<br />
le fait qu'ils se soient intéressés à un même thème <strong>de</strong>vrait créer<br />
entre <strong>de</strong>ux ou plusieurs auteurs une sorte <strong>de</strong> parenté spirituelle,<br />
théorie qui autorise surtout <strong>de</strong>s considérations assez creuses sur la<br />
permanence et l'inaltérabilité <strong>de</strong> la nature humaine, mais qui a le<br />
tort <strong>de</strong> faire du thème la lampe fixe autour <strong>de</strong> laquelle volètent les<br />
papillons. Si cette parenté existe, dans quelles conditions existe-telle<br />
et comment la définir ?<br />
Est-on fondé, par exemple, à supposer <strong>de</strong>s affinités profon<strong>de</strong>s<br />
et secrètes entre Ghel<strong>de</strong>ro<strong>de</strong> et Montherlant parce qu'ils ont tous<br />
<strong>de</strong>ux écrit un Don Juanl et Faust rapproche-t-il le moins du<br />
mon<strong>de</strong> Ghel<strong>de</strong>ro<strong>de</strong> encore et Valéry, ou Klinger et Thomas<br />
Mann? Séduisante illusion! Dès lors, peut-on considérer cette<br />
prétendue parenté spirituelle comme un leurre ?<br />
La réponse est simple : elle ne pourrait exister que si la signification<br />
du thème était une constante invariable, toujours i<strong>de</strong>ntique à<br />
elle-même, ce qui, soit dit entre parenthèses, signifierait, à brève<br />
échéance, la mort du thème incapable <strong>de</strong> renouvellement —, c'està-dire<br />
si le thème était dépourvu <strong>de</strong> cette polyvalence que nous lui<br />
avons reconnue tout à l'heure. Si Cari Sternheim et Nikos Kazantzakis,<br />
bien que tous <strong>de</strong>ux auteurs d'un Judas, n'ont pas pour<br />
autant <strong>de</strong> parenté intellectuelle, c'est tout simplement parce qu'ils<br />
n'ont pas traité le même Judas, que leurs différences individuelles<br />
et les cinquante ans qui les séparent les ont fait charger le thème<br />
d'un autre sens, d'une autre portée. Il serait pour le moins inconsidéré<br />
d'imaginer que Boèce et Rilke, Poliziano et Cocteau ont<br />
<strong>de</strong>mandé la même chose au thème d'Orphée et qu'ainsi le fils <strong>de</strong><br />
Calliope les fasse «parents. Croit-on qu'il y ait quelque chose
98 THEMES ET MYTHES<br />
<strong>de</strong> commun entre Lefranc <strong>de</strong> Pompignan et Louis Ménard parce<br />
qu'ils ont fait tous <strong>de</strong>ux un Promethéel entre Voltaire et Sartre à<br />
cause du thème d'Oreste ?<br />
Vouloir étendre la cohérence interne du thème à un rapport<br />
d'unité entre les auteurs, c'est prétendre créer une unité parfaitement<br />
artificielle. La distance qui sépare les auteurs fait que leurs<br />
raisons <strong>de</strong> s'exprimer dans un thème peuvent être très différentes,<br />
voire contradictoires. Bref, les motifs <strong>de</strong>s préférences individuelles<br />
doivent être cherchés dans les individus et le contexte personnel<br />
et historique qui leur est propre, et non sur la base d'une filiation<br />
automatique et mythique que leur conférerait, <strong>de</strong> l'extérieur, le<br />
thème ; ce sera, au surplus, une manière <strong>de</strong> respecter leur individualité.<br />
Concluons donc qu'on ne saurait être trop pru<strong>de</strong>nt quand il<br />
s'agit <strong>de</strong> circonscrire <strong>de</strong>s «familles d'esprits» dont la prétendue<br />
filiation s'étalerait sur plusieurs siècles. Mais si la parenté préférentielle<br />
ne peut s'établir verticalement dans le temps, ne pourra-ton<br />
l'établir dans une coupe horizontale! Si l'utilisation d'un<br />
thème par un poète du XVI e siècle et un autre du XIX e ne prouve<br />
rien quant à leur parenté et à leurs affinités, en est-il <strong>de</strong> même<br />
quand il s'agit <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux poètes du XVI e siècle, ou <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux poètes du<br />
XIX e ?<br />
Les chances, c'est indéniable, sont beaucoup plus gran<strong>de</strong>s dans<br />
la secon<strong>de</strong> hypothèse. Chaque époque se fait une mythologie particulière,<br />
propre à exprimer ses préoccupations, à refléter ses aspirations<br />
et ses inquiétu<strong>de</strong>s ; le thème, toujours protéiforme et susceptible<br />
<strong>de</strong> renouvellement, prend plus ou moins d'importance<br />
selon que sa structure interne s'adapte plus ou moins bien aux exigences<br />
<strong>de</strong> la pensée nouvelle 129 . On peut penser que <strong>de</strong>s auteurs<br />
contemporains, se trouvant «situés» sur une toile <strong>de</strong> fond commune<br />
et acceptant une communauté <strong>de</strong>s évi<strong>de</strong>nces, utilisent le<br />
thème avec <strong>de</strong>s intentions i<strong>de</strong>ntiques et offrent donc, à un moment<br />
donné, une certaine parenté que l'usage du thème permet précisément<br />
<strong>de</strong> définir.
AUTEURS, ÉPOQUES, NATIONS 99<br />
Avant <strong>de</strong> poursuivre, une <strong>de</strong>rnière réserve cependant. Admettre<br />
que l'utilisation d'un thème par <strong>de</strong>s écrivains contemporains crée<br />
la possibilité d'une parenté spirituelle et idéologique, est une<br />
hypothèse <strong>de</strong> travail qu'on ne peut accepter sans nuances. En<br />
effet, il ne faut pas l'oublier, un thème peut représenter, à la<br />
même époque, <strong>de</strong>s pensées très différentes, opposées même ; alors<br />
que, dans la secon<strong>de</strong> moitié du XIX e siècle, <strong>de</strong>s écrivains ralliés au<br />
scientisme font <strong>de</strong> Prométhée le champion <strong>de</strong> la révolte métaphysique,<br />
d'autres n'hésitent pas à faire du Titan le symbole <strong>de</strong> la soumission<br />
du pécheur repentant. Un classement thématique<br />
s'impose donc encore à l'intérieur <strong>de</strong> chaque pério<strong>de</strong> historique et<br />
littéraire où l'on relèvera, non pas une famille d'esprits rassemblée<br />
autour d'un thème, mais <strong>de</strong>s familles d'esprits groupées chacune<br />
autour d'une <strong>de</strong>s acceptions du thème.<br />
Comme il est toutefois possible <strong>de</strong> réunir sur l'une <strong>de</strong>s interprétations<br />
du thème une relative unanimité, on pourra enregistrer, à<br />
certaines époques, d'évi<strong>de</strong>ntes préférences.<br />
Y.F.-A. Giraud a bien montré la prédilection pour le thème <strong>de</strong><br />
Daphné à l'époque baroque, qui trouve en lui une illustration<br />
capitale <strong>de</strong> son esthétique du mouvement, <strong>de</strong> la fuite et <strong>de</strong> la métamorphose,<br />
elle-même expression d'un mon<strong>de</strong> en instabilité. M.<br />
Bélier, <strong>de</strong> son côté, a fait voir que le goût <strong>de</strong> l'idylle, symptomatique<br />
d'une nostalgie <strong>de</strong> paradis perdu dans une civilisation éprouvée<br />
comme décevante, se traduisait par une utilisation accrue du<br />
thème <strong>de</strong> Philémon et Baucis. De même, on pouvait s'attendre à<br />
voir Jeanne d'Arc passionner historiens et penseurs au XVIII e siècle,<br />
<strong>de</strong> la France à l'Espagne, <strong>de</strong> l'Allemagne à l'Angleterre. Le<br />
personnage, historique mais tôt déformé par les interprétations<br />
partisanes et l'hagiographie, mettait en question le caractère sacré<br />
<strong>de</strong> la monarchie, l'unité du royaume, la conception provi<strong>de</strong>ntialiste<br />
<strong>de</strong> l'histoire. Ici héroïne et messie national, là hystérique ou<br />
imposteur, son cas a retenu une centaine d'auteurs — historiens,<br />
philosophes, poètes ou dramaturges 13 °.<br />
Plus spectaculaire encore, peut-être, est le succès, au siècle <strong>de</strong>s
100 THEMES ET MYTHES<br />
Lumières, du thème <strong>de</strong> Socrate mourant : dans la mort <strong>de</strong> l'innocent,<br />
victime <strong>de</strong> la tyrannie et <strong>de</strong> l'intolérance religieuse, les «philosophes<br />
» reconnaissent leur <strong>de</strong>stin 13i . Pour Voltaire, Socrate est<br />
avant tout un sujet mobilisateur <strong>de</strong> la résistance à l'obscurantisme,<br />
sans qu'il admire réellement un héroïsme provocant,<br />
auquel il préfère une action plus subtile et plus efficace. Di<strong>de</strong>rot,<br />
au contraire, s'exalte au souvenir du maître <strong>de</strong> Platon, rêve parfois<br />
<strong>de</strong> conformer sa <strong>de</strong>stinée à la sienne, ramené cependant loin<br />
du martyre par un certain prosaïsme et l'amour <strong>de</strong> la vie. Rousseau<br />
enfin, après avoir sacrifié au professeur <strong>de</strong> morale, au saint<br />
laïc, rejette le modèle proposé par ses anciens amis pour se tourner<br />
vers Jésus, figure à ses yeux plus haute et plus noble à laquelle il<br />
s'i<strong>de</strong>ntifie. Le sort <strong>de</strong> Socrate n'a pas passionné que les trois<br />
«grands » : c'est tout le siècle, <strong>de</strong> Grimm à Mercier, <strong>de</strong> Fréron à<br />
La Harpe, qui en fait le symbole d'un combat. Socrate, au XVIII e<br />
siècle, a subi la loi qui gouverne les thèmes : polyvalent, il peut au<br />
besoin représenter <strong>de</strong>s aspirations diverses et même contradictoires.<br />
Il sera donc le reflet <strong>de</strong>s idées, <strong>de</strong> la morale, <strong>de</strong>s scrupules, du<br />
tempérament <strong>de</strong> chacun. L'obsession <strong>de</strong> Socrate, pour <strong>de</strong>s auteurs<br />
comme Di<strong>de</strong>rot ou Rousseau, c'est, bien sûr, la conséquence<br />
d'une attitu<strong>de</strong> philosophique, d'une prise <strong>de</strong> position, le prétexte<br />
d'un débat parfois violent entre une pensée neuve et hardie et les<br />
structures existantes qui préten<strong>de</strong>nt étouffer son cri ; mais c'est<br />
aussi le signe d'une authentique souffrance morale qui atteint<br />
l'homme au-<strong>de</strong>là du philosophe, qui met l'individu en face <strong>de</strong> luimême,<br />
qui affronte la vie et les principes, le tempérament et les<br />
idées, le cœur et l'esprit. C'est pourquoi Socrate est Tune <strong>de</strong>s plus<br />
intéressantes figures que pouvaient magnifier les Lumières ; il est<br />
aussi la preuve que ce siècle iconoclaste et ennemi <strong>de</strong>s idoles, a eu<br />
sa mythologie et un sens, tout nouveau, du sacré.<br />
Assurément, pour <strong>de</strong> telles utilisations, « les temps et les auteurs<br />
doivent être mûrs » l32 : ce qui pouvait n'être, au siècle précé<strong>de</strong>nt,<br />
qu'un tableau pathétique, reflète ici l'actualité, la réalité d'une<br />
idéologie militante. Les exemples <strong>de</strong> ce genre ne manquent pas :
AUTEURS, ÉPOQUES, NATIONS 101<br />
nous avons eu déjà l'occasion d'attirer l'attention sur l'importance<br />
et l'opportunité <strong>de</strong> la légen<strong>de</strong> <strong>de</strong> Pygmalion dans la philosophie<br />
matérialiste <strong>de</strong>s Lumières, ou <strong>de</strong> Prométhée sur le fond <strong>de</strong><br />
révolte métaphysique qui caractérise le romantisme.<br />
Il ressort donc <strong>de</strong> ces observations que, <strong>de</strong> même qu'un thème<br />
pouvait apparaître adéquat pour un auteur et inadéquat pour un<br />
autre, il peut également convenir mieux à telle époque qu'à telle<br />
autre. Ce sera la tâche <strong>de</strong> la thématologie d'essayer d'isoler et <strong>de</strong><br />
définir les éléments qui déterminent et expliquent cette fortune<br />
particulière, qui font qu'un thème est spécialement élu par une<br />
époque, par une certaine pensée: l'objectif est d'importance et<br />
révèle, une fois encore, combien la Stoffgeschichte est inséparable<br />
<strong>de</strong> la Geistesgeschichte. Rappelons seulement ce que nous disions<br />
plus haut à propos <strong>de</strong>s prétendues disparitions <strong>de</strong> thèmes : le succès<br />
exceptionnel d'un personnage ou d'une situation à une époque<br />
donnée n'autorise pas à conclure à son inexistence ou à son insignifiance<br />
avant ce moment priviléié. Certes, le Pygmalion matérialiste<br />
<strong>de</strong> Boureau-Deslan<strong>de</strong>s n'eût pu convenir au XVI e siècle, ni<br />
à une conscience religieuse ni à un esprit-néo-platonicien, mais<br />
l'inexistence à la Renaissance, <strong>de</strong> cette signification spécifique, ne<br />
permet pas le moins du mon<strong>de</strong> d'affirmer l'éclipsé du thème, poïkilotherme<br />
<strong>de</strong> nature.<br />
Ainsi donc, les raisons <strong>de</strong>s éventuelles préférences d'époques<br />
<strong>de</strong>vront être recherchées, cela va sans dire, avec autant <strong>de</strong> précaution<br />
et <strong>de</strong> réalisme que celles qui peuvent déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s préférences<br />
d'auteurs. Ecrire quelques phrases bien tournées sur l'impossibilité<br />
d'un Prométhée révolté au Moyen Age en se contentant <strong>de</strong><br />
parler, en termes généraux, d'incompatibilité d'esprits, est insuffisant<br />
et risque <strong>de</strong> conduire au verbalisme. La récession — d'ailleurs<br />
relative — du thème <strong>de</strong>vra trouver son explication dans l'étu<strong>de</strong> du<br />
contexte philosophique et religieux, dans le cadre <strong>de</strong> la lutte généralisée<br />
contre la mythologie et les survivances du paganisme ; elle<br />
s'expliquera aussi par la vaste diffusion d'Ovi<strong>de</strong> et <strong>de</strong> Virgile, les<br />
autorités au Moyen Age en matière <strong>de</strong> mythologie, et qui, précisé-
102 THÈMES ET MYTHES<br />
ment, accor<strong>de</strong>nt fort peu <strong>de</strong> place au thème propéthéen, d'où <strong>de</strong>s<br />
apparitions peu fréquentes dans les œuvres érudites et apologétiques<br />
qui recourent au témoignage d'auteurs moins connus, mais<br />
plus explicites sur Promethée, que les poètes <strong>de</strong>s Métamorphoses<br />
et <strong>de</strong> VEnéi<strong>de</strong>,<br />
Restons donc sur cette conclusion qu'il existe <strong>de</strong>s préférences<br />
d'époques comme <strong>de</strong>s préférences d'auteurs, parce qu'un thème<br />
peut, par son affabulation, en venir à représenter mieux telles<br />
dominantes que d'autres. C'est en tout cas un problème que Ton<br />
ne peut, dans une thématologie digne <strong>de</strong> ce nom, éviter d'abor<strong>de</strong>r<br />
: si l'on cherche à savoir pourquoi Racine rompit momentanément<br />
avec le théâtre après Phèdre et définitivement après Athalie,<br />
serait-il moins intéressant <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce qui, d'un siècle à<br />
l'autre, explique la fortune ou la déca<strong>de</strong>nce d'un thème?<br />
Sur ce plan, une question en amène une autre : après avoir réfléchi<br />
sur les motifs <strong>de</strong> l'adhésion d'un auteur ou d'une époque à un<br />
thème, on en vient vite à s'enquérir <strong>de</strong>s éventuelles préférences<br />
nationales, <strong>de</strong>s sujets <strong>de</strong> prédilection <strong>de</strong> tel peuple en particulier.<br />
Affaire délicate : la notion <strong>de</strong> Volksgeist, comme celle <strong>de</strong> Zeitgeist,<br />
exige d'être maniée avec précaution.<br />
Sans doute certains thèmes issus <strong>de</strong>s traditions nationales et se<br />
rapportant à un fait <strong>de</strong> l'histoire d'un peuple <strong>de</strong>meurent-ils assez<br />
volontiers la propriété <strong>de</strong> ce peuple. Le thème d'Arminius, à part<br />
ses apparitions chez Scudéry, Campistron ou Pin<strong>de</strong>monte, a été<br />
traité exclusivement par <strong>de</strong>s Allemands : ainsi encore, pour l'Italie,<br />
du personnage d'Ezzelino da Romano. Il s'agit le plus souvent,<br />
dans <strong>de</strong> tels cas, <strong>de</strong> personnages <strong>de</strong> l'histoire ou du folklore<br />
nationaux, dont la valeur exemplaire est insuffisante pour atteindre<br />
à l'universalité, comme les thèmes <strong>de</strong> Napoléon ou <strong>de</strong> Faust ;<br />
les raisons d'un intérêt particulier se conçoivent dès lors sans difficulté.<br />
En revanche, il est plus délicat <strong>de</strong> trouver pourquoi tel thème<br />
universellement célèbre a trouvé moins d'écho dans un pays que<br />
dans un autre. Antigone, par exemple, a eu très peu <strong>de</strong> succès en
AUTEURS, ÉPOQUES, NATIONS 103<br />
Angleterre, moins encore en Espagne: faut-il en conclure que le<br />
problème <strong>de</strong> l'opposition entre la conscience individuelle et la raison<br />
d'Etat ne s'est jamais posé dans ces pays? et pourquoi? ou<br />
bien le «tempérament» anglais est-il spécifiquement insensible à<br />
une situation tragique qui a au contraire beaucoup intéressé les<br />
Français et les Allemands ? inutile <strong>de</strong> dire que nous ne trouverons<br />
pas la réponse ici.<br />
Il faudra aussi veiller à ne pas prendre pour une inadéquation<br />
aux caractères nationaux un phénomène <strong>de</strong> diffusion tardive ou<br />
empêchée. Les sujets mythologiques rencontrèrent une opposition<br />
plus forte en Espagne ou au Portugal qu'en France en raison<br />
d'une attitu<strong>de</strong> religieuse plus rigi<strong>de</strong>, d'une influence plus nette <strong>de</strong><br />
l'Eglise. Les différences ne doivent pas être seulement constatées,<br />
mais, autant que possible, expliquées avec réalisme, car s'en tenir<br />
aux généralités sur les caractères et tempéraments nationaux<br />
n'apporte aucune certitu<strong>de</strong> et revient à justifier <strong>de</strong>s faits par <strong>de</strong>s<br />
éléments vagues et impondérables 133 .<br />
De toute manière, et quelle que soit la difficulté <strong>de</strong> trouver une<br />
réponse toujours satisfaisante à ces questions <strong>de</strong> préférences<br />
d'auteurs, d'époques et <strong>de</strong> nations, la thématologie, pour remplir<br />
son rôle et se légitimer, a le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> les poser, car ces problèmes,<br />
qui dépassent <strong>de</strong> loin le ressort du dictionnaire et <strong>de</strong> la nomenclature,<br />
représentent une part essentielle du véritable travail. Sur ces<br />
<strong>de</strong>rniers points plus encore que sur les autres, il faudra <strong>de</strong> la pru<strong>de</strong>nce<br />
et du doigté, une approche patiente et un examen minutieux,<br />
une méfiance quasi instinctive <strong>de</strong>s généralités et <strong>de</strong>s explications<br />
vagues qui apaisent trompeusement l'inquiétu<strong>de</strong> sans satisfaire<br />
le raisonnement. Fondus et unis dans une discipline souple et<br />
exigeante, les différents points <strong>de</strong> vue évoqués jusqu'ici restituent<br />
à la thématologie son intérêt et sa portée.
LE THÈME ET LE CONTEXTE<br />
HISTORIQUE<br />
Nous venons <strong>de</strong> le voir, il est possible <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> préférences<br />
d'époques dans le cas où les préoccupations dominantes d'une<br />
certaine pério<strong>de</strong> parviennent à s'inscrire dans les cadres d'un<br />
thème qui <strong>de</strong>vient l'expression symbolique, idéale, <strong>de</strong> ces préoccupations.<br />
Ce sont bien sûr les mouvements d'idées qui feront le plus<br />
souvent appel à ce pouvoir représentatif : on imagine sans peine la<br />
place et le sens que peuvent prendre, par exemple, le thème <strong>de</strong><br />
Prométhée, pour exprimer les théories du progrès ou du scientisme,<br />
celui d'Orphée dans la recherche néo-platonicienne <strong>de</strong> la<br />
connaissance.<br />
Ces positions « intellectuelles » ne sont cependant pas les seules<br />
que puisse, éventuellement, révéler l'utilisation d'un thème. Quel<br />
que soit son génie, l'auteur vit dans son milieu, subit, plus peutêtre<br />
que les autres, la pression <strong>de</strong>s forces historiques, le poids <strong>de</strong>s<br />
circonstances ; les guerres, les conflits religieux, politiques,<br />
sociaux <strong>de</strong> son temps composent une ambiance, l'atmosphère<br />
qu'il respire. La littérature, on l'a dit, peut être aussi l'expression<br />
<strong>de</strong> la société. L'importance du contexte historique est aujourd'hui<br />
reconnue, encore qu'on ait pu dire il n'y a guère que l'histoire littéraire<br />
«s'en tient encore trop souvent à la seule étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s hommes<br />
et <strong>de</strong>s oeuvres — biographie spirituelle et commentaire textuel<br />
— considérant le contexte collectif comme une sorte <strong>de</strong> décor,<br />
d'ornement abandonné aux curiosités <strong>de</strong> l'historiographie politi-<br />
134<br />
que » .<br />
Si personne ne songe à isoler Jacques Vingtras, les Thibault ou<br />
les Hommes <strong>de</strong> bonne volonté du climat historique particulier que
106<br />
THÈMES ET MYTHES<br />
connurent Jules Vallès, Roger Martin du Gard et Jules Romains,<br />
ou encore les œuvres <strong>de</strong> l'expressionnisme allemand du conflit <strong>de</strong><br />
générations qui en est une <strong>de</strong>s caractéristiques, il semble, à l'égard<br />
<strong>de</strong>s thèmes, que l'on ait fait moins souvent qu'il n'eût fallu le rapprochement<br />
nécessaire. Or certains offrent, par leur affabulation<br />
et leur contenu originel, <strong>de</strong>s possibilités exceptionnelles d'adaptation<br />
aux circonstances : qu'on songe à Saùl et à la question du<br />
pouvoir et <strong>de</strong>s prêtres, et l'on imaginera aussitôt ce qui pouvait<br />
attirer vers le monarque hébreu <strong>de</strong>s hommes comme Voltaire ou<br />
Alfieri ; à propos <strong>de</strong> Sophonisbe, un critique suggérait avec raison<br />
que l'on tentât «d'expliquer le traitement du thème par le contexte<br />
politique et social » l35 . Aussi spontanément qu'il se baigne<br />
dans les courants d'idées <strong>de</strong>s siècles traversés, le thème se charge<br />
<strong>de</strong>s composantes historiques ]36 . Une <strong>de</strong>s préoccupations constatantes<br />
<strong>de</strong> la thématologie consistera donc à examiner dans quelle<br />
mesure le thème est « engagé », dans quelle mesure la préférence<br />
que lui marque une époque n'est pas due à son aptitu<strong>de</strong> à exprimer<br />
les contingences politiques et sociales.<br />
Certes., nous ne prétendons pas que tous les thèmes sont au<br />
même <strong>de</strong>gré susceptibles d'être l'expression <strong>de</strong>s circonstances historiques.<br />
Peut-être n'est-il pas impossible <strong>de</strong> faire du thème <strong>de</strong><br />
Tristan ou <strong>de</strong> celui d'Hérodia<strong>de</strong> <strong>de</strong>s thèmes à résonance politique ;<br />
du moins n'y parviendra-t-on qu'au prix d'une singulière distorsion<br />
<strong>de</strong> leurs éléments constitutifs. En revanche, on concevra aisément<br />
le potentiel d'« engagement » dans l'actualité que recèlent les<br />
figures <strong>de</strong> Marie Stuart, Napoléon, Saùl, Savonarole ou Cola di<br />
Rienzo. Il existe en tout cas, à propos <strong>de</strong> chaque thème, une possibilité<br />
<strong>de</strong> cet ordre et la thématologie a le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> veiller à<br />
l'exploiter.<br />
Certains thèmes lui offriront d'ailleurs un terrain particulièrement<br />
riche : ce sont ceux qui sont le reflet, dès l'origine, <strong>de</strong> certains<br />
conflits politiques ou sociaux. Dès lors, on peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />
si <strong>de</strong> tels thèmes ne se rencontrent pas plus volontiers aux époques<br />
où se pose, dans la réalité vécue et directement éprouvée par un
THÈME ET CONTEXTE HISTORIQUE 107<br />
auteur, le problème dont ils peuvent constituer, en quelque sorte,<br />
l'archétype, la représentation idéale. Nous ne saurions nous livrer<br />
ici à une analyse <strong>de</strong> ce genre, qui nécessite une étu<strong>de</strong> précise <strong>de</strong>s<br />
circonstances historiques où sont apparues chacune <strong>de</strong>s expressions<br />
d'un thème: ce serait procé<strong>de</strong>r à l'un <strong>de</strong> ces survols dont<br />
nous dénoncions tout à l'heure l'indigence. Arrêtons-nous cependant<br />
un instant à l'exemple du thème d'Antigone, sans doute l'un<br />
<strong>de</strong>s plus caractéristiques 137 .<br />
Le thème d'Antigone émerge pour la première fois <strong>de</strong> la confusion<br />
<strong>de</strong>s grands récits épiques et <strong>de</strong>s traditions orales en 441 avant<br />
J.-C. dans la tragédie <strong>de</strong> Sophocle, fondée sur le conflit entre<br />
l'exigence morale et religieuse et les contraintes <strong>de</strong> la raison<br />
d'Etat. Substituant aux oiseuses discussions <strong>de</strong>s sophistes sur les<br />
limites <strong>de</strong> la légitimité du pouvoir, la mise en action ou la mise en<br />
scène <strong>de</strong>s conséquences <strong>de</strong> l'autoritarisme, Sophocle donnait une<br />
leçon.<br />
Dans quel contexte ? La prospérité atteinte par Athènes pendant<br />
les quinze années où Périclès tient les rênes du pouvoir et la<br />
structure démocratique <strong>de</strong> la cité ne doivent pas faire perdre <strong>de</strong><br />
vue l'impérialisme très réel dans lequel elle s'engageait: l'extension<br />
<strong>de</strong> sa puissance politique et militaire, le «colonialisme» <strong>de</strong>s<br />
clérouquies, l'exploitation <strong>de</strong>s cités prétendument alliées, en réalité<br />
sujettes, laissent entrevoir à quels excès un pouvoir abusif<br />
pourrait conduire 138 . On a voulu soutenir 139 que Sophocle n'avait<br />
pas mis en scène une conscience en conflit avec le gouvernement,<br />
mais seulement le choc <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux caractères outranciers et intolérants<br />
qui se précipitent eux-mêmes dans le désastre. Vraie sur le<br />
plan <strong>de</strong> la psychologie, cette interprétation n'en rétrécit pas moins<br />
singulièrement l'optique, en substituant un conflit <strong>de</strong> personnes à<br />
un affrontement <strong>de</strong> principes.<br />
En fait, Antigone apparaît, non comme une tragédie religieuse,<br />
en dépit <strong>de</strong> la référence aux lois sacrées, mais comme une tragédie<br />
morale et politique. On a d'ailleurs pu montrer que, dans la tragédie,<br />
le politique et le religieux s'interpénétraient étroitement. Vers
108 THEMES ET MYTHES<br />
440, comme l'a souligné J.-P. Vernant 14 °, à une religion centrée<br />
sur le foyer domestique et le culte <strong>de</strong>s morts, commence à s'opposer<br />
une religion publique, une religion <strong>de</strong> la «polis», où «les<br />
dieux tutélaires <strong>de</strong> la cité ten<strong>de</strong>nt finalement à se confondre avec<br />
les valeurs suprêmes <strong>de</strong> l'Etat ». Antigone sort d'une réflexion sur<br />
cette confrontation <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux théologies antagonistes, Tune religieuse,<br />
l'autre civile 141 . Sophocle — à la différence <strong>de</strong> Platon,<br />
quelques décennies plus tard — se refuse encore à consacrer<br />
ï'hypostase <strong>de</strong> la cité ; donnant au culte <strong>de</strong>s morts la préséance sur<br />
les exigences civiles, sa tragédie était la preuve par l'exemple qu'il<br />
n'y a pas <strong>de</strong> limites à un pouvoir dont on a fait dépositaire un<br />
homme qui n'en est pas digne: c'était, en même temps qu'un<br />
appel à la sagesse et à la réflexion sur le plan <strong>de</strong> la philosophie<br />
politique, une mise en gar<strong>de</strong> contre une situation <strong>de</strong> fait dans<br />
laquelle Athènes l'impérialiste risquait <strong>de</strong> s'engager.<br />
Le thème d'Antigone prend donc, dès sa première formulation<br />
littéraire, une signification fondamentalement politique, dans le<br />
sens d'une méditation sur les bornes du pouvoir, sur le droit à la<br />
contestation, méditation immédiatement inspirée par le contexte<br />
historique où évoluait Sophocle. Reste à voir dans quelle mesure<br />
cette liaison entre le thème et l'histoire peut se présenter comme<br />
une constante.<br />
En France, la première Antigone originale est celle <strong>de</strong> Robert<br />
Garnier (1580), qui insiste particulièrement sur le conflit fratici<strong>de</strong><br />
entre Etéocle et Polynice. D'emblée se font entendre les échos <strong>de</strong><br />
la situation historique contemporaine. Les troubles civils et religieux<br />
— la Saint-Barthélémy a eu lieu huit ans plus tôt — qui<br />
transparaissent dans les tragédies « romaines » comme Porcie et<br />
Cornélie, se retrouvent ici en pleine lumière. Pour ce dramaturge<br />
royaliste et catholique, Polynice représente les protestants qui tentent<br />
<strong>de</strong> s'imposer au roi, au pouvoir centralisé et légitime, et son<br />
Antigone, dans son climat <strong>de</strong> crise dynastique, reflète la rivalité<br />
entre Henri III et le duc d'AJençon lors <strong>de</strong> la succession <strong>de</strong> Charles<br />
IX 142 . Comme le signalait R. Lebègue, « ce qui est au premier plan
THEME ET CONTEXTE HISTORIQUE 109<br />
<strong>de</strong>s Tragiques d'Aubigné, sert <strong>de</strong> toile <strong>de</strong> fond aux oeuvres du dramaturge<br />
catholique » 143 . L'héroïne <strong>de</strong> Garnier propose une cité où<br />
la loi politique se confondrait avec la loi naturelle, celle-ci n'étant<br />
que l'image <strong>de</strong> la loi divine 144 .<br />
Une soixantaine d'années plus tard, VAntigone <strong>de</strong> Rotrou<br />
(1637) situe à nouveau l'action dans un contexte où l'autorité est<br />
mise en cause. Créon représente non seulement le pouvoir absolu,<br />
mais aussi le risque <strong>de</strong> voir servir ce pouvoir à <strong>de</strong>s menées personnelles<br />
où l'intérêt <strong>de</strong> l'Etat sert <strong>de</strong> prétexte aux ambitions d'un<br />
homme 145 . A travers la révolte d'Antigone, Rotrou rappelle que<br />
l'exaltation du pouvoir absolu entraîne la négation <strong>de</strong> l'individu et<br />
la subordination <strong>de</strong>s valeurs morales aux nécessités <strong>de</strong> l'organisation<br />
politique et sociale. Faut-il rappeler que nous sommes à<br />
l'époque où se prépare l'affermissement définitif <strong>de</strong> la monarchie,<br />
où Richelieu concentre ses efforts sur une impitoyable centralisation<br />
du pouvoir, une « statolâtrie » inspirée <strong>de</strong> Machiavel, dont<br />
Antigone conteste la légitimité ? Chez Rotrou comme chez Garnier,<br />
le conflit Antigone-Créon est l'occasion d'une méditation<br />
sur l'histoire et les événements contemporains 14 \<br />
Le XVIII e siècle ne s'intéressa guère au thème, sinon dans les<br />
médiocres tragédies «romanesques » <strong>de</strong> A. Duhamel (1737) ou <strong>de</strong><br />
Doigny du Ponceau (1787) et dans une série d'opéras. Mais lorsque<br />
parut, en 1814, le long poème en prose <strong>de</strong> P.-S. Ballanche,<br />
intitulé Antigone, les contemporains n'eurent guère <strong>de</strong> peine à y<br />
découvrir nombre d'allusions aux récentes années <strong>de</strong> crise.<br />
L'œuvre était d'ailleurs dédiée à la duchesse d'Angoulême, fille<br />
du roi martyr, en qui, la même année, le panégyrique <strong>de</strong> Louis <strong>de</strong><br />
Saint-Hugues saluait «la nouvelle Antigone». Sans sacrifier la<br />
part <strong>de</strong> projection autobiographique ni les considérations philosophiques<br />
et religieuses, on observera que Ballanche n'hésitait pas<br />
<strong>de</strong>vant un parallèle explicite entre la France et l'ancienne Thèbes,<br />
entre Oedipe et Bonaparte, «nouveau roi <strong>de</strong> l'énigme», et désignait<br />
à son tour la duchesse d'Angoulême comme «PAntigone<br />
française».
110 THEMES ET MYTHES<br />
Un peu plus tard, c'est un ancien émigré, le comte <strong>de</strong> Saint-<br />
Roman, qui se propose <strong>de</strong> retracer, dans son Antigone (1823),<br />
« quelques-unes <strong>de</strong>s scènes <strong>de</strong> douleur et <strong>de</strong> perversité que le malheur<br />
<strong>de</strong>s temps vient tous les jours offrir à ses yeux ». Sans équivoque,<br />
Créon, pour ce légitimiste, c'est la Révolution, la Terreur,<br />
Robespierre, l'Usurpateur enfin, tandis qu'Antigone incarne<br />
l'ordre ancien et le droit divin persécutés par la folie révolutionnaire.<br />
Le XX e siècle, que ce soit dans <strong>de</strong>s œuvres obscures ou célèbres,<br />
n'échappe pas à l'engagement et à la politisation suggérés par le<br />
thème. L'Antigone (1922) <strong>de</strong> Louis Perroy est une protestation<br />
contre la guerre menée par un <strong>de</strong>spote inhumain : sous couleur <strong>de</strong><br />
lutter pour la gran<strong>de</strong>ur et l'indépendance <strong>de</strong> Thèbes, Créon a<br />
combattu par orgueil et désir <strong>de</strong> conquête, et la fille d'Oedipe conteste<br />
un pouvoir meurtrier et injuste, <strong>de</strong>structeur <strong>de</strong>s peuples, tandis<br />
que Perroy dédie sa pièce « à tous ceux qui sont morts pour la<br />
France, 1914-1918». Quelques années plus tard, VAntigone<br />
d'Armand Abel, créée le 20 février 1938 par le Jeune Théâtre <strong>de</strong><br />
l'<strong>Université</strong> <strong>Libre</strong> <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong> à la loge maçonnique Prométhée,<br />
se situe dans le contexte <strong>de</strong> la guerre civile espagnole et <strong>de</strong> la<br />
menace nazie. Une fois <strong>de</strong> plus, c'est un appel à la réflexion sur les<br />
circonstances, où Antigone défend les valeurs humaines et morales<br />
en face d'un Etat <strong>de</strong>structeur <strong>de</strong> l'individu. En 1941, au début<br />
d'une pério<strong>de</strong> fort sombre, c'est à Antigone que songe Léon<br />
Chancerel pour œuvrer à la « respiritualisation du pays » en faisant<br />
<strong>de</strong> l'héroïne le défenseur <strong>de</strong>s valeurs religieuses et patriotiques<br />
que prétendait restaurer le régime <strong>de</strong> Vichy. Faut-il rappeler<br />
enfin comment fut accueillie Y Antigone d'Anouilh (1944), les uns<br />
voyant dans le personnage le symbole <strong>de</strong> la Résistance française,<br />
les autres reprochant à l'auteur <strong>de</strong> témoigner à travers Créon sa<br />
sympathie par la Realpolitik <strong>de</strong> Vichy et <strong>de</strong> prendre la défense <strong>de</strong><br />
Pétain et Laval ? Une fois <strong>de</strong> plus, la résurgence du thème s'expliquait<br />
par <strong>de</strong>s circonstances historiques et politiques dont il apparaissait,<br />
en quelque sorte, comme l'archétype.
THÈME ET CONTEXTE HISTORIQUE 111<br />
Ce qui est vrai pour la France ne l'est pas moins ailleurs. En Italie,<br />
VAntigone <strong>de</strong> Luigi Alamanni, composée entre 1520 et 1527,<br />
porte la trace <strong>de</strong>s querelles intestines <strong>de</strong> Florence, tandis que<br />
Créon <strong>de</strong>vient une image <strong>de</strong>s Médicis, responsables <strong>de</strong> l'exil du<br />
poète qui a conspiré contre eux. Celle d'Alfieri (1783) témoigne du<br />
désir d'unité et d'originalité nationales et <strong>de</strong> la haine <strong>de</strong> la domination<br />
autrichienne qui animent la péninsule dans la secon<strong>de</strong> moitié<br />
du XVIII e siècle l47 .<br />
Quant à l'Allemagne, elle a multiplié elle aussi les œuvres engagées<br />
et militantes. La tragédie <strong>de</strong> Martin Opitz (1629) est explicitement<br />
composée pour convaincre les Prussiens <strong>de</strong> leur bonheur <strong>de</strong><br />
vivre sous un bon gouvernement, en leur présentant, par antithèse,<br />
le tableau <strong>de</strong>s guerres civiles et <strong>de</strong>s conflits qui pourraient<br />
déchirer le pays 148 . A l'occasion, le thème pourra servir l'illustration,<br />
et non la condamnation, <strong>de</strong> la raison d'Etat. En 1877, la<br />
médiocre Antigone <strong>de</strong> Eugen Reichel se situe dans la ligne officielle<br />
<strong>de</strong> l'époque bismarckienne et célèbre les exigences du pouvoir<br />
et <strong>de</strong> l'ordre, en déplorant l'insurrection d'Antigone, anarchiste<br />
irréfléchie qui met la nation en péril. Joué en 1915, le drame<br />
du pan-germaniste H.S. Chamberlain {Der Tod <strong>de</strong>r Antigone)<br />
renforce sous Guillaume II la leçon proposée par Reichel en montrant<br />
que toute morale individuelle doit être subordonnée à<br />
l'entité <strong>de</strong> l'Etat souverain et en faisant du <strong>de</strong>voir d'obéissance un<br />
impératif catégorique : aussi son Antigone se suici<strong>de</strong>-t-elle, convaincue<br />
d'avoir frayé la voie aux pires désordres. A un moment<br />
où, en dépit <strong>de</strong>s victoires alleman<strong>de</strong>s, l'échec <strong>de</strong> la Marne en septembre<br />
1914 et le blocus naval <strong>de</strong> l'Angleterre ont contraint le<br />
Reich à s'organiser en économie <strong>de</strong> guerre et déclenché les premières<br />
protestations du mécontentement général, l'oeuvre était un<br />
rappel direct du respect <strong>de</strong> Tordre et <strong>de</strong> l'autorité établie, <strong>de</strong> la<br />
nécessaire soumission au pouvoir. Deux ans plus tard, au contraire,<br />
W. Hasenclever fera entendre la voix <strong>de</strong> l'opposition. Son<br />
Antigone (1917) évoque un peuple naturellement bon et généreux,<br />
mais aveuglé par les mauvais maîtres et asservi à un Etat totali-
112 THÈMES ET MYTHES<br />
taire et conquérant. Antigone, image <strong>de</strong> la fraction saine <strong>de</strong> la<br />
nation, se dresse contre un Créon-Guillaume II, à l'instant où les<br />
succès militaires <strong>de</strong> Lu<strong>de</strong>ndorff ne suffisent plus à museler l'opinion.<br />
Dans cette œuvre aux accents apocalyptiques, Hasenclever a<br />
livré une allégorie transparente. A ses yeux, Thèbes, c'est l'Allemagne<br />
; les souffrances <strong>de</strong>s Thébains sont celles <strong>de</strong>s Allemands ;<br />
les cris <strong>de</strong> «Nie<strong>de</strong>r die Reichen ! » sont l'écho <strong>de</strong> ceux qui commençaient<br />
à se faire entendre au sein d'un prolétariat misérable et<br />
écrasé par l'industrialisation ; la libération du peuple thébain préfigure<br />
celle que l'auteur souhaitait pour son pays. En 1931,<br />
l'Autrichien Max Mell évoque les souvenirs <strong>de</strong> la guerre et<br />
exprime à travers le thème (Die Sieben gegen Theberi) ses inquiétu<strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong>vant l'effervescence politique en Allemagne. A son tour, B.<br />
Brecht ressuscite Antigone (Antigone-Mo<strong>de</strong>ll 1948) dans les ruines<br />
<strong>de</strong> Berlin en avril 1945 et utilise le thème pour rappeler les crimes<br />
du III e Reich et la faillite du totalitarisme. Une nouvelle <strong>de</strong> R.<br />
Hochhut (Die Berliner Antigone» 1963) reprend <strong>de</strong>s données i<strong>de</strong>ntiques,<br />
tandis que la pièce <strong>de</strong> K. Hubalek (Die Siun<strong>de</strong> <strong>de</strong>r Antigone,<br />
1962) représente dans la résistance <strong>de</strong> la fille d'Oedipe, la<br />
révolte individuelle contre un pouvoir policier.<br />
Sans même parler <strong>de</strong> l'époque où, dans le cadre <strong>de</strong> l'affaire<br />
Dreyfus, l'état-major français avait aux yeux <strong>de</strong> la gauche les<br />
traits <strong>de</strong> Créon, on n'aurait aucune peine, au XX e siècle, à multiplier<br />
les exemples <strong>de</strong> l'utilisation du thème dans l'actualité historique<br />
et politique la plus immédiate. En 1959, VAntigone créole <strong>de</strong><br />
Félix Morisseau-Leroy condamnait l'héroïne pour justifier le<br />
régime haïtien, tandis qu'en 1967 le Living Théâtre s'emparait <strong>de</strong><br />
la pièce <strong>de</strong> Brecht pour en tirer un bréviaire <strong>de</strong> la désobéissance<br />
civile et <strong>de</strong> la contestation. En Tchécoslovaquie enfin, les Antigone<br />
<strong>de</strong> Peter Karvas (1962) et <strong>de</strong> Milan Uh<strong>de</strong> (1967) trouvent<br />
dans le thème, ici l'occasion <strong>de</strong> célébrer la lutte communiste contre<br />
le fascisme, là celle <strong>de</strong> dénoncer l'ingérence <strong>de</strong> l'U.R.S.S. l49 .<br />
Ce survol historique, pour bref et schématique qu'il soit,<br />
<strong>de</strong>vrait cependant inviter à méditer sur les raisons profon<strong>de</strong>s <strong>de</strong>
THEME ET CONTEXTE HISTORIQUE 113<br />
cette actualisation régulière du thème d'Antigone et à en chercher<br />
une explication.<br />
Les œuvres évoquées ci-<strong>de</strong>ssus ont toutes reflété, plus ou moins<br />
littéralement, un aspect du contexte historique dans lequel elles<br />
ont vu le jour 15 °. Ne pas voir là un fait troublant, ce serait aussi<br />
faire la part trop belle aux hasards et aux coïnci<strong>de</strong>nces. Mais comment<br />
rendre compte <strong>de</strong> cet enracinement tenace du thème dans le<br />
terreau <strong>de</strong> l'événement, <strong>de</strong> cette sorte <strong>de</strong> symbiose entre le <strong>de</strong>venir<br />
d'Antigone et les acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> l'histoire ?<br />
Dans un livre récent, Simone Fraisse a habilement défini les<br />
gran<strong>de</strong>s étapes <strong>de</strong> l'évolution du thème, mettant en lumière les<br />
problèmes <strong>de</strong> sources et d'influences et multipliant avec justesse et<br />
brio les analyses littéraires. Sans contester la pertinence <strong>de</strong> son travail<br />
ni la subtilité <strong>de</strong> son analyse, nous souhaiterions nous interroger<br />
brièvement sur quelques-unes <strong>de</strong> ses conclusions.<br />
Il conviendrait, selon ce critique, <strong>de</strong> distinguer une évolution<br />
dans la conception même que nous nous faisons d'Antigone. « Le<br />
couple dont la tradition a d'abord retenu l'image, écrit S. Fraisse,<br />
c'est Antigone guidant les pas <strong>de</strong> son père aveugle. [...] Jusqu'au<br />
XIX e siècle, on dira une ' Antigone ' pour incarner la piété<br />
filiale » 151 . L'assertion n'est exacte que dans une certaine mesure.<br />
On observera qu'il s'agit là d'un trait du personnage, non d'une<br />
caractéristique <strong>de</strong> la situation exploitée par Sophocle dans son<br />
Antigone, où Oedipe n'apparaît même pas. Fille aimante, Antigone<br />
l'est dans VOedipe à Colone <strong>de</strong> Sophocle, dans les Thébaï<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> Stace et <strong>de</strong> Racine ou VOedipe chez Admète <strong>de</strong> Ducis, toutes<br />
œuvres dont est absent le conflit avec Créon et l'on notera même<br />
que, dans Oedipe à Colone, Ismène n'est pas moins dévouée ni<br />
moins aimante que sa sœur. Or qui pense à Antigone pense à<br />
Créon ; pas d'Antigone sans Créon, sans la lutte fratrici<strong>de</strong> d'Etéocle<br />
et Polynice : elle se définit comme Antigone par rapport à un<br />
nœud immuable <strong>de</strong> relations. En d'autres termes, la continuité du<br />
thème et les motifs <strong>de</strong> sa résurgence doivent s'étudier en fonction<br />
<strong>de</strong> la situation conflictuelle définie par Sophocle, non dans la
114 THÈMES ET MYTHES<br />
perspective d'un personnage qui, extrait <strong>de</strong> la situation qui le<br />
fon<strong>de</strong> comme symbole, est <strong>de</strong>venu ailleurs un simple comparse.<br />
En second lieu, selon S. Fraisse, la succession <strong>de</strong>s Antigone<br />
«constitue une histoire <strong>de</strong> la sensibilité française. [...] En France,<br />
Antigone a toujours eu raison contre Créon. [...] Quand par<br />
hasard un écrivain, Barrés ou Anouilh, a pris la défense <strong>de</strong> Créon,<br />
il n'a pas été suivi. [...] C'est que l'insurrection <strong>de</strong> la conscience<br />
individuelle, que [le thème] symbolise si parfaitement, est, <strong>de</strong>puis<br />
près <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux siècles, un trait <strong>de</strong> notre tempérament national » 152 .<br />
En somme, le thème d'Antigone serait particulièrement accordé<br />
au génie fron<strong>de</strong>ur et contestataire <strong>de</strong>s Français. Semblable explication<br />
peut s'avérer convaincante lorsqu'il s'agit <strong>de</strong> thèmes issus<br />
<strong>de</strong>s traditions nationales et se rapportant à un fait <strong>de</strong> l'histoire<br />
d'un peuple : Arminius, on l'a vu, n'a guère été traité que par <strong>de</strong>s<br />
Allemands. Elle nous paraît déjà moins pertinente pour Guillaume<br />
Tell ou Lorenzaccio, et moins encore quand le personnage<br />
a accédé, comme Antigone, à l'universalité. Antigone n'est pas<br />
moins fréquente en Allemagne qu'en France et, Reichel et Chamberlain<br />
mis à part, Créon n'a pas eu plus <strong>de</strong> partisans sur les bords<br />
du Rhin que sur les bords <strong>de</strong> la Loire. Ce n'est donc pas non plus<br />
le tempérament national qui nous fournira l'explication <strong>de</strong>s<br />
retours d'Antigone.<br />
Enfin, conclut S. Fraisse, le thème est particulièrement accordé<br />
aux «situations conflictuelles <strong>de</strong> notre temps», qui l'a violemment<br />
politisé. «Aujourd'hui, écrit-elle, pas <strong>de</strong> mythe d'Antigone<br />
sans un édit à violer, sans une transgression. La scène <strong>de</strong>s lois qui<br />
illustre et résume l'affrontement fondamental est capitale dans<br />
l'économie <strong>de</strong> la pièce » 153 . Ainsi, à l'explication par le Volksgeist<br />
succè<strong>de</strong> l'explication par le Zeitgeist : le retour d'Antigone au XX e<br />
siècle se justifie par la tendance caractéristique <strong>de</strong> notre époque à<br />
la politisation 154 . Il est vrai. Mais ne convient-il pas d'observer<br />
aussi que la « transgression » est le nœud même du drame <strong>de</strong>puis<br />
Sophocle et que la politisation du thème nous est apparue à plusieurs<br />
reprises <strong>de</strong>puis l'antiquité? En réalité, le XX e siècle a seule-
THÈME ET CONTEXTE HISTORIQUE 115<br />
ment marqué sa prédilection pour un thème qui, d'avance, répondait<br />
à ses préoccupations ; ce n'est pas le XX e siècle qui a politisé<br />
Antigone, mais Antigone qui a trouvé dans le XX e siècle son terrain<br />
d'élection.<br />
h'Antigone <strong>de</strong> Sophocle définissait déjà les termes d'un conflit<br />
moral et politique inséré dans l'histoire. Quand ce thème, perçu<br />
comme l'inéluctable opposition entre la conscience individuelle et<br />
l'autorité, aurait-il plus <strong>de</strong> chances <strong>de</strong> s'imposer à l'artiste créateur<br />
que lorsque se ranime, comme chez Garnier ou Rotrou, le<br />
débat sur la légitimité et les limites du pouvoir ? Expression, dès<br />
l'origine, d'un certain conflit <strong>de</strong> nature politique — au sens large<br />
du terme — le thème d'Antigone fonctionne, sur le plan <strong>de</strong> la<br />
conscience culturelle, comme une manière d'archétype. Chaque<br />
fois que se développe, dans la réalité historique, une situation<br />
d'affrontement entre une minorité opprimée et un pouvoir<br />
oppresseur, peut surgir une Antigone. Il ne n'agit nullement, on<br />
s'en doute, <strong>de</strong> réhabiliter la vieille théorie mécaniste du «reflet»,<br />
ni <strong>de</strong> restaurer la polémique <strong>de</strong> Plékhanov, partisan <strong>de</strong> la littérature<br />
«miroir <strong>de</strong> la vie sociale», contre G. Lanson, défenseur <strong>de</strong><br />
l'individualité littéraire. Transmis par la tradition, inséparable <strong>de</strong><br />
la culture occi<strong>de</strong>ntale, le thème s'impose à la conscience pour traduire<br />
idéalement une situation donnée et un conflit qui prend<br />
valeur <strong>de</strong> paradigme. Aussi bien, la force <strong>de</strong> cette tradition est<br />
telle que, quand bien même un auteur tenterait d'en secouer le<br />
joug, ses lecteurs en <strong>de</strong>meureraient prisonniers: alors que Jean<br />
Anouilh avait prétendu prêter à son Antigone une dimension<br />
purement existentielle, c'est le public qui s'empressa <strong>de</strong> la situer<br />
dans une perspective politique et historique.<br />
On voit enfin comment semblables considérations ramèneraient<br />
au problème, traité plus haut, <strong>de</strong> la liberté du créateur. N'est-il<br />
pas, dans le cas d'Antigone, invinciblement attiré vers un thème<br />
qui s'impose à lui bien plus qu'il ne le choisit, parce qu'il recèle<br />
une irrésistible puissance d'appel? Sans doute serait-il erroné <strong>de</strong><br />
parler, à propos <strong>de</strong> tous les thèmes, d'une dépendance aussi
116<br />
THÈMES ET MYTHES<br />
étroite à l'égard du contexte historique. Mais, parce que sa signification<br />
profon<strong>de</strong> est conditionnée, non par un personnage, mais<br />
par une situation, le thème d'Antigone, un <strong>de</strong>s moins malléables<br />
qui soient, constitue sans doute un exemple privilégié <strong>de</strong> ce que la<br />
perspective historique et diachronique peut apporter à la thématologie.<br />
« You can't make tragédies without social instability », écrivait<br />
Huxley dans Brave New World. L'exemple <strong>de</strong>s tragédies <strong>de</strong><br />
Racine invite à nuancer cette affirmation; l'exemple du thème<br />
d'Antigone invite à en tenir compte. En d'autres termes, il ne saurait<br />
être question <strong>de</strong> parler d'une dépendance inévitable, mais seulement<br />
<strong>de</strong> veiller à ce qu'une <strong>de</strong>s modalités <strong>de</strong> compréhension du<br />
thème ne soit pas ignorée. Sans que ce soit une règle, il est fréquent<br />
qu'un thème se comprenne mieux, une fois replacé dans son<br />
contexte historio-sociologique, qui permet d'en déterminer la<br />
fonction. Ce type d'analyse n'explique pas la beauté, c'est<br />
entendu. Mais il n'est pas question <strong>de</strong> le substituer à l'étu<strong>de</strong> esthétique,<br />
seulement <strong>de</strong> la compléter et d'éviter <strong>de</strong>s contresens.<br />
L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s circonstances politiques et sociales doit contribuer,<br />
au même titre que l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s sources et <strong>de</strong>s influences, à faire <strong>de</strong><br />
la thématologie une discipline étrangère à tout cloisonnement, à<br />
toute limitation, à inscrire le thème dans <strong>de</strong>s cadres souples et<br />
complexes. Découvrir comment et pourquoi un thème a, pendant<br />
<strong>de</strong>s siècles, hanté la conscience humaine, ce qu'il a exprimé, chez<br />
chaque artiste et à chaque époque, <strong>de</strong> profondément pensé ou <strong>de</strong><br />
douloureusement vécu, c'est le rôle d'une thématologie consciente<br />
<strong>de</strong> sa place et <strong>de</strong> son rôle véritables.<br />
En effet, toute œuvre consacrée à un thème apparaît, plus<br />
encore qu'une autre, comme le point géométrique d'un nombre<br />
élevé <strong>de</strong> facteurs <strong>de</strong> tous ordres. Situer le thème au lieu <strong>de</strong> rencontre<br />
<strong>de</strong> ces facteurs, ce n'est pas inféo<strong>de</strong>r le processus créateur à un<br />
déterminisme simpliste, mais seulement l'éclairer au cœur <strong>de</strong>s<br />
conditions dans lesquelles il a pris naissance. Comme l'observait<br />
A. Dabezies, «on ne peut donner un tableau <strong>de</strong> Faust au XX e siè-
THÈME ET CONTEXTE HISTORIQUE 117<br />
cle sans une incessante référence à la chronologie et aux événements<br />
les plus importants <strong>de</strong> l'histoire contemporaine » 155 . Il sera<br />
bon, pour n'importe quel thème, <strong>de</strong> se souvenir <strong>de</strong> ce rapport.
EN GUISE DE CONCLUSION<br />
Nombre <strong>de</strong> travaux, au cours <strong>de</strong>s dix <strong>de</strong>rnières années, ont fait<br />
la preuve <strong>de</strong> la richesse <strong>de</strong> la thématologie, défriché <strong>de</strong>s terres nouvelles,<br />
expérimenté d'autres métho<strong>de</strong>s. C'est dire que les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />
thèmes n'ont plus guère besoin aujourd'hui d'un plaidoyer, et H.<br />
Dyserinck n'hésite pas à leur reconnaître « une fonction importante<br />
dans le programme <strong>de</strong> développement du comparatisme»<br />
156 . La diversité <strong>de</strong>s recherches, la multiplication <strong>de</strong>s discussions<br />
terminologiques et méthodologiques, l'utilisation <strong>de</strong><br />
nouveaux mo<strong>de</strong>s d'analyse confirment cette assertion.<br />
Nous aurons donc moins que jamais la prétention d'offrir les<br />
observations qui précè<strong>de</strong>nt comme un bréviaire ou un catéchisme<br />
par questions et réponses susceptibles, à la manière d'une encyclopédie<br />
ménagère, <strong>de</strong> proposer une solution à tous les problèmes.<br />
Mieux que quiconque peut-être, nous soupçonnons ce qu'elles ont<br />
d'incomplet, <strong>de</strong> schématique, <strong>de</strong> trop général ou parfois <strong>de</strong> trop<br />
particulier. Aussi bien d'ailleurs est-ce, après tout, préférable<br />
ainsi. Qu'importe que ce soit par l'accord ou le refus que nos<br />
réflexions contribuent à entretenir le renouveau d'intérêt pour la<br />
thématologie ? Suggérant <strong>de</strong>s principes méthodologiques, non <strong>de</strong>s<br />
recettes infaillibles, nous ne saurions que nous réjouir <strong>de</strong> la discussion<br />
et même <strong>de</strong> la contradiction : pour discuter, pour contredire,<br />
il faut connaître, opposer une réflexion à une autre ; la thématologie<br />
ne peut qu'y gagner.<br />
L'avenir apportera peut-être la solution <strong>de</strong> certains problèmes<br />
embarrassants. Sans doute la terminologie finira-t-elle par se préciser<br />
et <strong>de</strong>s définitions plus rigoureuses prendront-elles droit <strong>de</strong><br />
cité? Bien <strong>de</strong>s contestations oiseuses cesseraient le jour où, à
120 THÈMES ET MYTHES<br />
chaque mot, correspondrait un contenu aussi délimité que possible.<br />
Mais ne nous berçons pas <strong>de</strong> la rassurante illusion qu'un dictionnaire<br />
tranchera la question. En matière d'étu<strong>de</strong>s littéraires, les<br />
frontières sont mouvantes, les lignes <strong>de</strong> démarcation indécises.<br />
Qu'au moins chacun prenne soin <strong>de</strong> cerner <strong>de</strong> près son propos et<br />
<strong>de</strong> ne pas s'abandonner aux facilités d'une trompeuse synonymie.<br />
Pour venir à bout <strong>de</strong>s difficultés <strong>de</strong>s recherches préalables, pour<br />
procé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong> vastes dénombrements, la thématologie <strong>de</strong>vrait<br />
aussi, à première vue, s'assurer les bénéfices du travail collectif.<br />
Dix chercheurs recueilleront bien plus d'allusions à Prométhée ou<br />
à Orphée qu'un investigateur solitaire: à l'un le Moyen Age, à<br />
l'autre le XVIII e siècle, à celui-ci la France, à celui-là<br />
l'Allemagne... Cela va sans dire, mais le travail en groupe s'arrête<br />
à la collecte <strong>de</strong>s textes et, nous l'avons vu, l'exhaustivité ne doit<br />
pas <strong>de</strong>venir un... mythe. La synthèse, elle, exige une vision<br />
d'ensemble, suppose une unité <strong>de</strong> conception qui assure la continuité<br />
<strong>de</strong> l'explication l57 .<br />
Toutes les questions soulevées ici, cela va <strong>de</strong> soi, ne se poseront<br />
sans doute pas toujours en même temps pour tous les thèmes : on<br />
peut fort bien concevoir, par exemple, que la mise en rapport avec<br />
l'actualité n'apprenne rien, ou encore que l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s sources et<br />
<strong>de</strong>s influences se révèle quelquefois moins enrichissante et moins<br />
complexe que dans les cas évoqués. Nous croyons cependant que<br />
l'on gagnera à respecter sans restriction quelques-uns <strong>de</strong>s principes<br />
énoncés qui constituent la base indispensable d'un travail<br />
satisfaisant : ainsi du dépassement <strong>de</strong> la nomenclature et <strong>de</strong> la simple<br />
comparaison littéraire, ainsi encore <strong>de</strong> la nécessité d'une extension<br />
<strong>de</strong> l'enquête dans l'espace et le temps. Tous les thèmes, du<br />
reste, ne sont pas appelés non plus à fournir la matière d'étu<strong>de</strong>s<br />
également riches ; habent suafata libelli: les thèmes aussi, qui ont<br />
leurs parents pauvres. Nous sommes persuadé néanmoins que, en<br />
dépit <strong>de</strong> la diversité <strong>de</strong>s cas, il y aura toujours intérêt à essayer sur<br />
un thème les propositions <strong>de</strong> recherche définies dans ces pages,<br />
parce qu'elles forment un ensemble, un tout organique où chaque
EN GUISE DE CONCLUSION 121<br />
élément s'enchaîne au précé<strong>de</strong>nt et dépend <strong>de</strong> lui : c'est par <strong>de</strong>s<br />
dénombrements minutieux qu'on parviendra à établir la continuité<br />
réelle <strong>de</strong> la tradition littéraire ; les apports individuels ressortiront<br />
d'autant mieux que sera faite la part <strong>de</strong>s sources et <strong>de</strong>s<br />
influences, lesquelles, à leur tour, ne révéleront leur richesse et<br />
leur multiplicité que dans une large extension dans le temps et<br />
l'espace qui, restituant à l'enquête thématologique sa dimension<br />
propre, permettra <strong>de</strong> mieux définir et expliquer les préférences<br />
d'époques et <strong>de</strong> nations. Ainsi l'étu<strong>de</strong> d'un thème apparaît-elle<br />
comme une mosaïque compliquée, où chaque pierre a sa place et<br />
sa signification.<br />
Nous croyons donc ces principes essentiels. Répétons-le cependant,<br />
il y a plus important que <strong>de</strong> les respecter et <strong>de</strong> les suivre, surtout<br />
aveuglément : nous souhaitons plutôt, aujourd'hui comme il<br />
y a quinze ans, qu'ils fassent naître en l'amateur <strong>de</strong> thématologie<br />
une réflexion personnelle sur la matière qu'il traite, qu'ils lui servent<br />
à ébaucher, en quelque sorte, une philosophie <strong>de</strong> sa discipline<br />
qui le conduira à dépasser l'enquête myope au profit d'une conception<br />
humaniste soucieuse <strong>de</strong> n'établir la matérialité <strong>de</strong>s fais que<br />
pour dégager d'eux la leçon supérieure et continue dont ils sont<br />
l'expression fragmentaire et occasionnelle. Ce souci, qui est celui<br />
<strong>de</strong> la monographie intelligente, doit l'être plus encore d'un type <strong>de</strong><br />
travail qui requiert constamment la synthèse et la vue d'ensemble.<br />
Que la thématologie ait déjà cessé d'être considérée comme juste<br />
digne <strong>de</strong> « fournir <strong>de</strong>s dissertations inaugurales à <strong>de</strong>s candidats au<br />
doctorat qui ne sont bons qu'à amasser <strong>de</strong>s fiches » I58 , que peuton<br />
souhaiter <strong>de</strong> mieux, et pour elle-même et pour les étu<strong>de</strong>s littéraires<br />
en général ?<br />
Bref, ces quelques principes observés — et peut-être d'autres<br />
encore que nous n'avons pas su découvrir — la thématologie se<br />
définira, non comme une discipline auxiliaire ou secondaire, non<br />
comme un amusement <strong>de</strong> l'esprit ou une collation <strong>de</strong> disparates<br />
arbitrairement réunies, mais comme un genre en soi, qui s'inscrit<br />
évi<strong>de</strong>mment dans les cadres <strong>de</strong> la littérature comparée, mais con-
122 THÈMES ET MYTHES<br />
tient cependant ses exigences particulières et peut prétendre à<br />
l'autonomie.<br />
Peut-être verra-t-on mieux alors combien elle est richesse et<br />
complexité puisque, essentiellement humaniste, elle exclut le cloisonnement<br />
stérile entre les époques littéraires et entre les littératures,<br />
entre la littérature et les autres arts. Peut-être même pourra-telle<br />
constituer un excellent terrain <strong>de</strong> rencontre et favoriser un<br />
oecuménisme <strong>de</strong>s disciplines, trop souvent schismatiques.<br />
Le thème est un fil conducteur, éternel à travers la durée, qui se<br />
charge, au long <strong>de</strong>s siècles, <strong>de</strong> tout le butin artistique et philosophique<br />
amassé, sur sa route illimitée, par l'aventurier humain ;<br />
c'est pourquoi il préserve et restitue à travers ses innombrables<br />
transmutations, quelques constantes, quelques préoccupations<br />
fondamentales, en un mot quelque chose <strong>de</strong> l'essentiel <strong>de</strong> la nature<br />
humaine.<br />
De là peut-être la possibilité d'une question passionnante, mais<br />
qui dépasse le cadre <strong>de</strong> cet essai : pourquoi les mêmes thèmes<br />
reviennent-ils <strong>de</strong> génération en génération ? Jadis l'imitation était<br />
un principe d'art, et l'on écrivait une Iphigénie d'après Euripi<strong>de</strong>,<br />
un Agamemnon d'après Eschyle. Mais aujourd'hui, on n'« imite »<br />
plus et pourtant Amphitryon survit, comme Oreste, comme Electre,<br />
comme Ulysse. Et cela sous-entend sans doute toute une théorie<br />
<strong>de</strong> la création littéraire, et même toute une théorie <strong>de</strong>s archétypes<br />
mentaux ou existentiels. L'étu<strong>de</strong> d'un thème, <strong>de</strong> ses emplois,<br />
<strong>de</strong> ses acceptions, pourrait ai<strong>de</strong>r à l'édifier.<br />
On s'accor<strong>de</strong> volontiers à penser que la thématologie constitue<br />
un secteur déjà bien exploré du comparatisme 159 et quelques centaines<br />
<strong>de</strong> dissertations et d'articles semblent confirmer cette opinion.<br />
On peut douter cependant <strong>de</strong> l'efficacité <strong>de</strong> certaines <strong>de</strong> ces<br />
étu<strong>de</strong>s anciennes, non seulement à cause du réel discrédit que telles<br />
d'entre elles, trop ambitieuses ou trop pauvres, ont contribué à<br />
jeter sur la discipline, mais aussi parce que rares sont celles qui ont<br />
donné au sujet traité une ampleur suffisante, un approfondissement<br />
assez minutieux. Certes, Don Juan et Faust continuent, mal-
EN GUISE DE CONCLUSION 123<br />
gré les beaux travaux <strong>de</strong> Gendarme <strong>de</strong> Bévotte, L. Weinstein, Ch.<br />
Dédéyan, A. Dabezies ou J. Rousset, à tenter les chercheurs : ils<br />
rassurent par l'abondance <strong>de</strong>s chefs-d'œuvre qu'ils ont suscités.<br />
Mais il était temps, précisément, non pas peut-être <strong>de</strong> renoncer<br />
une fois pour toutes à ces cobayes classiques <strong>de</strong> la thématologie,<br />
mais au moins <strong>de</strong> se souvenir que nombre <strong>de</strong> thèmes atten<strong>de</strong>nt<br />
encore une étu<strong>de</strong> exhaustive, que <strong>de</strong> vastes domaines sont toujours<br />
inexplorés ou laissés en friche après les premiers coups <strong>de</strong><br />
pioche.<br />
D'aucuns ont assurément connu un certain succès : conflits tragiques<br />
saisissants, comme ceux d'Agamemnon, d'Oreste, <strong>de</strong><br />
Médée, d'Inès <strong>de</strong> Castro, <strong>de</strong> Sophonisbe ; lieux poétiques éternels,<br />
qu'évoquent Amour et Psyché, Icare, Tristan. Mais il s'agit trop<br />
souvent <strong>de</strong> dissertations qui n'ont pas même connu les honneurs<br />
<strong>de</strong> la publication, ou d'enquêtes fragmentaires limitées à quelques<br />
auteurs, à une ou <strong>de</strong>ux littératures, à telle époque donnée, ou<br />
encore d'explorations audacieusement menées in <strong>de</strong>r Weltliteratur<br />
et qui ne sont, en fait, que <strong>de</strong>s survols et <strong>de</strong>s nomenclatures. Plusieurs<br />
d'entre elles sont à compléter, à préciser, à élargir ou, tout<br />
simplement, à refaire.<br />
D'autres thèmes offrent un champ d'exploitation presque<br />
vierge, oubliés ou dédaignés d'un panthéon innombrables qui promettent<br />
cependant <strong>de</strong> passionnantes recherches. Que l'on songe<br />
aux grands héros <strong>de</strong> la Bible : à Adam et Eve au Moyen Age, puis<br />
<strong>de</strong> Hans Sachs à Lipiner, <strong>de</strong> Lope <strong>de</strong> Vega à Strindberg, d'Imre<br />
Madach à W. Whitman 160 ; à Samson <strong>de</strong> S. Brant à H. Bernstein,<br />
<strong>de</strong> Milton à We<strong>de</strong>kind, <strong>de</strong> Pallavicini à Von<strong>de</strong>l 161 ; à Saùl, du Mistère<br />
du viel Testament à Gi<strong>de</strong>, <strong>de</strong> Des Masures à Gutzkow, <strong>de</strong><br />
Byron à Lamartine 162 . Que l'on songe, aussi, à Judas, David,<br />
Job, Jésus... 163 .<br />
Pour les figures <strong>de</strong> la mythologie gréco-romaine, on attend toujours<br />
les enquêtes définitives sur Endymion, Hélène 164 , Iphigénie.<br />
Et que dire d'Hercule, animé par Euripi<strong>de</strong>, Sophocle, Sénèque, les<br />
Pères, Villena, Cinzio, Rotrou, Marmontel, Klinger, Schiller,
124 THÈMES ET MYTHES<br />
Goethe et cent autres 165 ! Quand saurons-nous l'histoire<br />
d'Orphée, la plus riche peut-être qui soit, la plus vaste aussi et la<br />
plus complexe, qui a suscité <strong>de</strong>s dizaines d'œuvres, <strong>de</strong>s centaines<br />
<strong>de</strong> poèmes, <strong>de</strong>s milliers d'allusions 166 ? Quand pourrons-nous suivre<br />
enfin les tribulations d'Ulysse, l'éternel voyageur, dans sa<br />
quête millénaire 167 ? Et faisons bon marché encore <strong>de</strong>s géants <strong>de</strong><br />
l'histoire dont on ignore la véritable fortune littéraire européenne:<br />
Jeanne d'Arc, Robespierre, Spartacus, Savonarole,<br />
Colomb ou Philippe II, toujours vivants, toujours encensés ou<br />
combattus ; et négligeons encore les Hamlet, les Francesca da<br />
Rimini, les Eulenspiegel et tant d'autres dont l'odyssée se tisse<br />
<strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s siècles et qui ont porté quelques-unes <strong>de</strong>s hautes pensées,<br />
quelques-uns <strong>de</strong>s espoirs, quelques-unes <strong>de</strong>s souffrances <strong>de</strong><br />
l'humanité. Tous atten<strong>de</strong>nt ces étu<strong>de</strong>s détaillées, attentives, que<br />
nous avons essayé <strong>de</strong> définir et <strong>de</strong> décrire dans les pages qui<br />
précè<strong>de</strong>nt 168 .<br />
Au prix <strong>de</strong> cet effort continu pour respecter et mettre en lumière<br />
la richesse et la polyvalence du thème, la thématologie pourra se<br />
révéler une discipline nécessaire et jeune, cousine <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong>s<br />
idées comme elle est fille <strong>de</strong> l'histoire littéraire. Elle apparaîtra<br />
également comme un exercice difficile, aussi éloignée <strong>de</strong> la poussiéreuse<br />
érudition que <strong>de</strong> la portée <strong>de</strong>s débutants, une tâche souvent<br />
exigeante et ardue, ingrate quelquefois, toujours exaltante et<br />
neuve, révélatrice <strong>de</strong> la vie secrète et forte <strong>de</strong>s hautes figures dont<br />
nous avons, siècle après siècle, fait nos doubles glorieux.
NOTES<br />
(1) «... per mettere in guardia contro i pericoli di questi lavori di confronto,<br />
prediletti dalla vecchia critica e che ora vengono <strong>de</strong>corati sovente col titolo,<br />
alquanto ambizioso, di studi di letteratura comparata». B. Croce, compte rendu<br />
<strong>de</strong> : Charles Ricci, Sophonisbe dans la tragédie classique italienne et française<br />
(Torino, G.B. Paravia, 1904), La Critica, II, 1904, p. 486.<br />
(2) P. VAN TIEGHEM, La littérature comparée, Paris, A. Colin, 1931, pp. 87-88.<br />
(3) ETIEMBLE, Comparaison n'est pas raison. La crise <strong>de</strong> la littérature comparée,<br />
Paris, Gallimard, 1963 («Les Essais», CIX), p. 80.<br />
(4) Il voyait dans les étu<strong>de</strong>s thématologiques un jeu qui peut aboutir « à <strong>de</strong>s rapprochements<br />
curieux, à <strong>de</strong>s différences amusantes » (« Les récents travaux en littérature<br />
comparée», Revue Universitaire, XXIII, 1914, p. 220).<br />
(5) «Plaidoyer pour la Stoffgeschichte», Revue <strong>de</strong> littérature comparée,<br />
XXXVIII,n° 1, 1964, pp. 101-114; Un problème <strong>de</strong> littérature comparée : les étu<strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong> thèmes. Essai <strong>de</strong> méthodologie, Paris, Lettres Mo<strong>de</strong>rnes, 1965.<br />
(6) A.-M. ROUSSEAU, «Vingt ans <strong>de</strong> littérature comparée en France», L'Information<br />
littéraire, nov.-déc. 1969, p. 201. Voir aussi : R. TROUSSON, «Les thèmes»,<br />
dans : Problèmes et métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l'histoire littéraire, Paris, A. Colin, 1974, pp. 28-<br />
35 (Actes du Colloque <strong>de</strong> la Société d'Histoire Littéraire <strong>de</strong> la France, 18 novembre<br />
1972).<br />
(7) A. DABEZIES, Visages <strong>de</strong> Faust au XX e siècle. Littérature, idéologie et<br />
mythes, Paris, P.U.F., 1967 ; Ch. KREUTZ, DOS Prometheussymbol in <strong>de</strong>r Dichtung<br />
<strong>de</strong>r Englischen Romantik, Gôttingen, Van<strong>de</strong>nhoeck und Ruprecht, 1963 ; L.<br />
PRÉMONT, Le mythe <strong>de</strong> Prométhée dans la littérature française contemporaine,<br />
Québec, Presses <strong>de</strong> l'<strong>Université</strong> Laval, 1964 ; J. DUCHEMIN, Prométhée, Paris, Belles<br />
Lettres, 1974; «Le mythe d'Orphée au XIX e et au XX e siècles». Cahiers <strong>de</strong><br />
l'Association Internationale <strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s Françaises, 22, 1970, pp. 137-248; B.<br />
JUDEN, Traditions orphiques et tendances mystiques dans le romantisme français,<br />
Paris, Klincksieck, 1971.<br />
(8) H.J. TSCHIEDEL, Phaedra und Hippolytus. Variationen eines tragischen<br />
Konfîikîes, Diss. Erlangen, 1969; R.R. HEITNER, «The Iphigenia in Tauris thème<br />
in the drama of the XVIIIth century», Comparative Literature, 1964, pp. 289-<br />
305 ; A. HAUSEN, Hiob in <strong>de</strong>r franzosischen Literatur, Bern-Frankfurt/M., Lang,<br />
1972; M.R. JUNG, Hercule dans la littérature française du XVI e siècle, Genève,<br />
Droz, 1966.
126<br />
THEMES ET MYTHES<br />
(9) R. TROUSSON, Socrate <strong>de</strong>vant Voltaire, Di<strong>de</strong>rot et Rousseau. La conscience<br />
en face du mythe, Paris, Lettres Mo<strong>de</strong>rnes, 1967 ; J. VERCRUYSSE, « Jeanne d'Arc<br />
au siècle <strong>de</strong>s Lumières », Studies on Voltaire and the Eighteenth century, XC,<br />
1972, pp. 1659-1729 ; M. DESCOTES, La légen<strong>de</strong> <strong>de</strong> Napoléon et les écrivains français<br />
du XIX e siècle, Paris, Lettres Mo<strong>de</strong>rnes, 1967 ; J. TULARD, Le mythe <strong>de</strong> Napoléon,<br />
Paris, A. Colin, 1971 ; G.P. KNAPP, «Robespierre. Prolegomena zu einer<br />
Stoffgeschichte <strong>de</strong>r Franzôsischen Révolution», dans: Elemente <strong>de</strong>r Literatur.<br />
Beitrâge zur Stoff-, Motiv- und Themenforschung. Elisabeth Erenzel zum 65.<br />
Geburtstag, Stuttgart, Krôner, 1980, 2 vol., t. I, pp. 129-154; H.G. BROMFIELD,<br />
De Lorenzino <strong>de</strong> Médicis à Lorenzaccio. Etu<strong>de</strong> d'un thème historique, Paris,<br />
Didier, 1972.<br />
(10) P. BRUNEL, Le mythe d'Electre, Paris, A. Colin, 1971 ; A. DABEZIES, Le<br />
mythe <strong>de</strong> Faust. Ibid., 1972; S. FRAISSE, Le mythe d'Antigone. Ibid., 1974; C.<br />
ASTIER, Le mythe d'Oedipe. Ibid., 1974; J. ROUSSET, Le mythe <strong>de</strong> Don Juan.<br />
Ibid., 1978.<br />
(11) L. VINGE, The Narcissus thème in Western European Literature up to the<br />
early I9th century, Lund, Gleerups, 1967 ; Y.F.-A. GIRAUD, La fable <strong>de</strong> Daphné,<br />
Genève, Droz, 1969.<br />
(12) M. BELLER, Philemon und Baucis in <strong>de</strong>r europàischen Literatur, Hei<strong>de</strong>lberg,<br />
C. Winter, 1967 ; ÏD., Jupiter tonans. Studien zur Darstellung <strong>de</strong>r Macht in<br />
<strong>de</strong>r Poésie. Ibid., 1979; H. ANTON, Der Raub <strong>de</strong>r Proserpina. Ibid., 1967; H.<br />
DORRIE, Die schone Galatea, Mùnchen, Francke Verlag, 1968; ID., Pygmalion,<br />
West<strong>de</strong>utscher Verlag Opla<strong>de</strong>n, 1974. Voir aussi A. DINTER, Der Pygmalion-Stoff<br />
in <strong>de</strong>r europàischen Literatur. Rezeptionsgeschichte einer Ovid-Fabel, Hei<strong>de</strong>lberg,<br />
C. Winter, 1979.<br />
(13) Y.F.-A. GIRAUD, op. cit., p. 7.<br />
(14) Cl. PiCHOiset A.-M. ROUSSEAU, La littérature comparée, Paris, 1967, pp.<br />
145-154; S. JEUNE, Littérature générale et littérature comparée, Paris, Lettres<br />
Mo<strong>de</strong>rnes, 1968, pp. 61-71 ; J. BRANDT-CORSTIUS, Introduction to the comparative<br />
study of literature, New York, Random House, 1968, pp. 115-127 ; U. WEISSTEIN,<br />
Einfuhrung in die vergleichen<strong>de</strong> Literaturwissenschaft, Stuttgart, 1968, pp. 163-<br />
183 ; H. LEVIN, «Thematics and criticism », dans : Essays in literary theory, interprétation<br />
and history, New Haven and London, 1968, pp. 125-145 ; F. JOST, Introduction<br />
to comparative literature, New York, The Bobbs-Merril Company, 1974,<br />
pp. 175-187 ; H. DYSERINCK, Comparatistik. Fine Einfuhrung, Bonn, Bouvier Verlag,<br />
H. Grundmann, 1977, pp. 102-112.<br />
(15) E. FRENZEL, Stoff- und Motivgeschichte, Berlin, E. Schmidt Verlag, 1966 ;<br />
Stoffe <strong>de</strong>r Weltliteratur, 4. Auflag. Stuttgart, Krôner, 1976 ; Motive <strong>de</strong>r Weltliteratur.<br />
Ibid., 1976.<br />
(16) Cl. PiCHOiset A.-M. ROUSSEAU, op. cit., p. 153.<br />
(17) Le thème <strong>de</strong> Prométhée dans la littérature européenne, Genève, Droz,<br />
1964, 2 vol. (2 e édition augmentée, 1976).
NOTES 127<br />
(18) Cf. « Stoff- und Motivgeschichte », dans : Deutsche Philologie itn Aufriss,<br />
Berlin, E. Schmidt Verlag, 1957-1960, 2 vol., t. I, pp. 281-332. Avec quelques<br />
remaniements, ce texte a paru sous le titre : Stoff-, Motiv- und Symbolforschung,<br />
Stuttgart, J.B. Metzlersche Verlagsbuchhandlung, 1963 (4 e éd. 1978).<br />
(19) Elle est signalée par E. FRENZEL {Stoff- und Motivgeschichte, p. 11), M.<br />
BELLER («Von <strong>de</strong>r Stoffgeschichte zur Thematologie », Arcadia, V, 1970, pp. 1-<br />
38), A.J. BISANZ (« Zwischen Stoffgeschichte und Thematologie », Arcadia, VIII,<br />
1973, pp. 148-166).<br />
(20) F. DE SAUSSURE, Cours <strong>de</strong> linguistique générale, Ed. crit. Wiesba<strong>de</strong>n, 1968,<br />
p. 42.<br />
(21) M. BELLER {Von <strong>de</strong>r Stoffgeschichte zur Thematologie, p. 36): «Da<br />
' Stoff ' auf die Materialbeziehung beschrânkt bleibt, ' Thema ' dagegen sowohl die<br />
Stoffbehandhing umfassen als auch ' Materie ' nàher bestimmen kann, ergibt das<br />
allgemeine sprachliche Verstàndnis unserer Begriffe : ' Stoff ' ist nicht gleich<br />
'Thema', aber 'Thema' schliesst 'Stoff mit ein». Aussi: J. SCHULZE, «Geschichte<br />
o<strong>de</strong>r Systematik ? », Arcadia, X, 1975, pp. 76-82; H. LEVIN, op. cit., p.<br />
128.<br />
(22) M. ELIADE, Mythes, rêves et mystères, Paris, 1957, p. 18; Aspects du<br />
mythe, Paris, 1962, p. 15; M. DELCOURT, Oedipe ou la légen<strong>de</strong> du conquérant,<br />
Paris, 1944, p. 223.<br />
(23) Cf. H.J. ROSE, Oxford classical dictionary, Oxford, 1970: «a prescientific<br />
and imaginative attempt to explain some phenomenon, real or supposed,<br />
which excites the curiosity of the myth-maker ».<br />
(24) K.K.RUTHWEN, Myth, London, 1976, p. 18.<br />
(25) D. DE ROUGEMONT, L'amour et l'Occi<strong>de</strong>nt (Paris, 1939, p. 4) : « Le mythe<br />
paraît lorsqu'il serait dangereux ou impossible d'avouer clairement un certain<br />
nombre <strong>de</strong> faits sociaux ou religieux, ou <strong>de</strong> relations affectives » ; M. SAUVAGE, Le<br />
cas Don Juan (Paris, 1953, p. 183) : « Pour qu'il y ait mythe, il faut une croyance<br />
qui ne puisse s'affirmer ouvertement ».<br />
(26) R. BARTHES, Sur Racine, Paris, 1963, p. 68. On pourrait en ajouter: «Le<br />
mythe est un récit allégorique, qui fait partie d'un système à la fois religieux et poétique»<br />
(H. MORIER, Dictionnaire <strong>de</strong> poétique et <strong>de</strong> rhétorique, Paris, 1961, p.<br />
265) ; ou bien : « exposition d'une idée ou d'une doctrine sous une forme volontairement<br />
poétique et quasi religieuse, où l'imagination se donne carrière et mêle ses<br />
fantaisies aux vérités sous-jacentes » (LALANDE, Vocabulaire technique et critique<br />
<strong>de</strong> la philosophie, 7 e éd., Paris, 1956), etc.<br />
(27) Mythes et mythologies dans la littérature française, Paris, 1969.<br />
(28) « Le mythe peut fort bien être présent en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> tout récit : il est là, sur le<br />
vase grec qui représente Ulysse tenté par la voix <strong>de</strong>s Sirènes, dans une image qui<br />
tout au plus fait référence à un récit » (P. BRUNEL, « Le mythe et la structure du<br />
texte», Revue <strong>de</strong>s Langues Vivantes, XLIII, 1977, p. 519). Du reste, P. Albouy est
128 THÈMES ET MYTHES<br />
conduit à le reconnaître lui-même : « Si le mythe est toujours un récit, il peut, chez<br />
les mo<strong>de</strong>rnes, l'être seulement par allusion; ainsi le mythe <strong>de</strong> Narcisse, dès le<br />
Moyen Age, va réduisant le récit pour laisser la plus gran<strong>de</strong> place à la situation <strong>de</strong><br />
l'éphèbe se mirant et languissant » (« Quelques gloses sur la notion <strong>de</strong> mythe littéraire»,<br />
dans: Mythographies, Paris, 1976, p. 267). En fait, au cours <strong>de</strong> l'évolution,<br />
il y a presque toujours tendance à déplacer l'accent <strong>de</strong> la situation au héros.<br />
(29) A. DABEZIES ( Visages <strong>de</strong> Faust au XX e siècle, p. 23) observe très justement :<br />
«Que le poète accepte <strong>de</strong> vivre intensément l'aventure intérieure définie par un<br />
schéma donné, cela ne le mène pas encore à formuler un mythe, mais simplement<br />
une symbolique qui lui reste personnelle ».<br />
(30) C'est aboutir à une regrettable confusion ; le mythe est une référence collective,<br />
il est étiologique pour un groupe, alors que l'utopie est un essai <strong>de</strong> solution<br />
individuelle à une situation donnée. Cf. R. TROUSSON, Voyages aux Pays <strong>de</strong> Nulle<br />
part. Histoire littéraire <strong>de</strong> la pensée utopique, 2 e éd., <strong>Bruxelles</strong>, 1979.<br />
(31) J.-P. VERNANT et P. VIDAL-NAQUET, Mythe et tragédie dans la Grèce<br />
ancienne, Paris, 1973, p. 7. Cf. aussi A. DABEZIES, «Mythes romantiques et<br />
mythes d'aujourd'hui. Quelques exemples », Revue <strong>de</strong>s Langues Vivantes, XLIII,<br />
1977, pp. 463-467.<br />
(32) Cf. K.K. RUTHWEN, op. cit., p. 58.<br />
(33) R. CAILLOIS, Le mythe et l'homme, Paris, 1958, p. 181.<br />
(34) Rappelons, entre autres tentatives, celles <strong>de</strong> A. CHRISTENSEN (Motif et<br />
thème. Plan d'un dictionnaire <strong>de</strong>s motifs <strong>de</strong> contes populaires, <strong>de</strong> légen<strong>de</strong>s et <strong>de</strong><br />
fables, Helsinki, Aca<strong>de</strong>mia Scientiarum Fennica, 1925), P. MERKER («Stoff»,<br />
« Stoffgeschichte », in : Reallexikon <strong>de</strong>r <strong>de</strong>utschen Literaturgeschichte, Berlin, W.<br />
<strong>de</strong> Gruyter, 1928-1929, 4 vol., t. III, p. 307), J. PETERSEN (Die Wissenschaft von<br />
<strong>de</strong>r Dichtung, Berlin, Jûnker und Dùnnhaupt, 1944, pp. 110-112), W. KAYSER<br />
(Dos sprachliche Kunstwerk, 7. AufL, Bern und Mùnchen, Francke Verlag, 1961,<br />
pp. 59-60). E. Frenzel a fait l'historique <strong>de</strong> ces discussions (cf. Stoff-, Motiv- und<br />
Symbolforschung, pp. 21-32).<br />
(35) J.-P. Vernant a très justement attiré l'attention sur les risques d'interprétation<br />
psychanalytique <strong>de</strong> la tragédie grecque. Pour Freud, dans Die Traum<strong>de</strong>utung<br />
(1900), Oedipe-Roi n'est pas une tragédie <strong>de</strong> la fatalité, mais la représentation du<br />
désir parrici<strong>de</strong> et incestueux <strong>de</strong> notre enfance, que nous nous efforcions d'oublier.<br />
En fait, la théorie freudienne, élaborée à partir <strong>de</strong> cas cliniques mo<strong>de</strong>rnes, cherche<br />
sa confirmation dans un texte d'une autre époque et situé dans un tout autre contexte.<br />
L'induction <strong>de</strong> Freud suppose évi<strong>de</strong>nt ce qu'il eût fallu préalablement<br />
démontrer (J.-P. VERNANT et P. VIDAL-NAQUET, op. cit., p. 78).<br />
(36) Cf. E. SAUER, « Die Verwertung stoffgeschichtlicher Metho<strong>de</strong>n in <strong>de</strong>r Literaturforschung»,<br />
Euphorion, XXIX, 1928, p. 225. P. Merker (op. cit., p. 307)<br />
résume très bien cette conception en rappelant que «E. Sauer [...] vertreten hat,<br />
die bei<strong>de</strong>n Begriffe Motiv und Stoff im literarwissenschathchen Gebrauche dahin
NOTES 129<br />
abzugrenzen, dass Motiv die allgemeinere thematische Vorstellung umfasst, wàhrend<br />
das Wort 'Stoff die beson<strong>de</strong>re Anwendungs- und Auspràgungsart<br />
darstellt ». Dans le même sens, mais à propos <strong>de</strong> la musique, Littré note que le<br />
motif est « la phrase du chant qui domine dans tout le morceau », et que le thème<br />
est «un motif suffisamment caractérisé, qui peut servir <strong>de</strong> sujet [...} pour <strong>de</strong>s<br />
variations».<br />
(37) W. KAYSER, op. cit., p. 56 (« Der Stoff ist immer an bestimmten Figuren<br />
gebun<strong>de</strong>n, ist vorgangsmàssig und zeitlich und ràumlich mehr o<strong>de</strong>r weniger<br />
fixiert»). Comme le dit très bien M. Wehrli (AUgemeine Literaturwissenschaft,<br />
Bern, A. Francke, 1951, p. 104), Faust est motif dans la mesure où il donne lieu à<br />
un pacte diabolique, thème si on le considère comme l'histoire du seul docteur<br />
Faust (« Faust ist als Geschichte eines Teufelpaktes ein Motiv, als Geschichte vom<br />
Doktor Faustus ein Stoff»).<br />
(38) De même encore, le motif mé<strong>de</strong>cine a fourni <strong>de</strong> nombreux types <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins,<br />
<strong>de</strong> Diafoirus à Knock, sans se cristalliser cependant en un thème unique ; il<br />
n'y a pas non plus <strong>de</strong> tradition littéraire « fixée » qui unisse le Monsieur Fleurant<br />
<strong>de</strong> Molière, le Monsieur Homais <strong>de</strong> Flaubert et l'apothicaire bavard <strong>de</strong> Hermann<br />
und Dorothea. Comme le notait H. GOUHIER (Le théâtre et l'existence, Paris,<br />
Aubier, 1952, p. 141) : « Le type se définit non par l'absence d'individualité mais<br />
par la disparition <strong>de</strong> la personnalité engagée dans une histoire ».<br />
(39) Il va <strong>de</strong> soi que la distinction n'est pas toujours aussi facile à établir et que,<br />
dans certains cas, on peut passer <strong>de</strong> l'un à l'autre. Comme le note E. FRENZEL<br />
(Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, pp. 42-43), thème et motif peuvent se présenter<br />
parfois comme <strong>de</strong>s sta<strong>de</strong>s distincts <strong>de</strong> développement d'un organisme complexe,<br />
mais unique. (« Die Begriffe ' Stoffe ', ' Motiv ' und ' Symbol ' stehen als terminologische<br />
Bereiche zwar sachlich scheidbar nebeneinan<strong>de</strong>r, sind aber nicht<br />
nebeneinan<strong>de</strong>r existieren<strong>de</strong> Phànomene verschie<strong>de</strong>ner Herkunft, son<strong>de</strong>rn eher<br />
unterschiedliche Entwicklungstadien o<strong>de</strong>r Spielarten eines komplizierten Organismus<br />
»).<br />
(40) P. VAN TIEGHEM, op. cit., p. 88 ; cf. aussi R. WELLEK et A. WARREN,<br />
Theory of titerature, London, Cape, 1955, p. 39; R. WELLEK, Concepts ofcriticism,<br />
New Haven, Yale University Press, 1963, p. 57 ; W. KAYSER, op. cit., p. 58.<br />
(41) M.-F. GUYARD, La littérature comparée, 3 e éd., Paris, P.U.F., 1961, p. 49.<br />
(42) R. VIVIER, Frères du ciel. Quelques aventures poétiques d'Icare et <strong>de</strong> Phaéton,<br />
<strong>Bruxelles</strong>, La Renaissance du Livre, 1962, p. 8; cf. aussi H.H.H. REMAK,<br />
«Comparative literature, its définition and function», in: Comparative Literature:<br />
method and perspective, Edited by N.P. Stallknecht and H. Frenz, Southern<br />
Illinois University Press, 1961, p. 8.<br />
(43) Aussi K.T. Wais était-il très conscient d'étudier un motif et non un thème<br />
en suivant l'opposition père-fils dans la littérature, puisque, <strong>de</strong> Walter von <strong>de</strong>r<br />
Vogelwei<strong>de</strong> à M. Barrés, <strong>de</strong> Lope <strong>de</strong> Vega à Emile Augier, <strong>de</strong> Hans Sachs à H.
130<br />
THÈMES ET MYTHES<br />
Bor<strong>de</strong>aux en passant par Grabbe, Klinger, Immermann, Wil<strong>de</strong>nbruch ou Delgado,<br />
aucun <strong>de</strong> ces auteurs n'a créé une situation caractéristique appelée à fon<strong>de</strong>r une<br />
tradition, «une lignée littéraire» (cf. K.T. WAIS, DOS Vater-Sohn Motiv in <strong>de</strong>r<br />
Dichtung bis 1880, Berlin und Leipzig, W. <strong>de</strong> Gruyter, 1931 ; 1880-1930, Berlin<br />
und Leipzig, W. <strong>de</strong> Gruyter, 1931).<br />
(44) E. SAUER, op. cit., p. 223 («Nehme ich das hinter <strong>de</strong>m Stoffe liegen<strong>de</strong><br />
Motiv, dann kann ich nicht mehr Literaturgeschichte, dann muss ich Menschheitsgeschichte<br />
schreiben »). Cf. aussi E. FRENZEL, Stoffe <strong>de</strong>r Weltliteratur, p. v.<br />
(45) P. VANTIEGHEM, op. cit., p. 96.<br />
(46) M.-F. GUYARD, op. cit., p. 53.<br />
(47) E. FRENZEL, Stoff-, Motiv- und Symboiforschung, p. 57.<br />
(48) M.-F. GUYARD, op. cit., p. 21.<br />
(49) W. KAYSER, op. cit., p. 58 (« Tatsàchlich ist damit nichts fur die kùnstlerische<br />
Auffassung und noch sehr wenig fur die literarhistorische getan. Die eigentliche<br />
Arbeît mùsste jetzt beginnen »).<br />
(50) Cf. J. KEUNEN, «Prometheus in <strong>de</strong> letteren», Kultuurleven, maart-april<br />
1946, pp. 203-206 ; H. ROUSSEAU, « Les métamorphoses <strong>de</strong> Pandore », Revue <strong>de</strong>s<br />
Sciences Humaines, OU, 1961, pp. 323-333. Cf. encore, par exemple, G. STORZ,<br />
« Jeanne d'Arc in <strong>de</strong>r europàischen Dichtung », Jahrbuch <strong>de</strong>r <strong>de</strong>utschen Schillergesellschaft,<br />
1962, pp. 107-148.<br />
(51) Cf. nos propres articles sur «Le mythe <strong>de</strong> Prométhée et <strong>de</strong> Pandore chez<br />
Ronsard» (Bulletin <strong>de</strong> l'Association Guliaume Budé, 1961, n° 3, pp. 351-359),<br />
«Ronsard et la légen<strong>de</strong> d'Hercule» (Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance,<br />
XXIV, 1962, pp. 77-87), «Quelques aspects du mythe <strong>de</strong> Prométhée dans l'œuvre<br />
poétique <strong>de</strong> Victor Hugo » (Bulletin <strong>de</strong> l'Association Guillaume Budé, 1963, n° 1,<br />
pp. 86-98).<br />
(52) Cf. L. CELLIER, «Le romantisme et le mythe d'Orphée», Cahiers <strong>de</strong><br />
l'Association Internationale <strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s Françaises, n° 10, 1958, pp. 138-157; A.<br />
BUCK, « Ueber einige Deutungen <strong>de</strong>s Prometheus-Mythos in <strong>de</strong>r Renaissance », in :<br />
Romanica. Festschrift fur G. Rohlfs, Halle, 1958, pp. 86-96; «Der Orpheus-<br />
Mythos in <strong>de</strong>r italienischen Renaissance », Krefeld, 1961 (« Schriften und Vortràge<br />
<strong>de</strong>s Petrarca-Instituts Kôln» 15), etc.<br />
(53) Cf. A. BUCHNER, Judas Ischariot in <strong>de</strong>r <strong>de</strong>utschen Dichtung vom Mittelalter<br />
zur Gegenwart, Freiburg, 1920 ; M.L. DE BRADI, Jeanne d'Arc dans la littérature<br />
anglaise, Paris, 1921 ; J.D. FITZGERALD, «La historia <strong>de</strong> Judit y Holofernes<br />
en la literatura espanola», Hispania, 14, 1931 ; W. NEWTON, Le thème <strong>de</strong> Phèdre<br />
et d'Hippolyte dans la littérature française, Diss. Paris, 1939; P. NEWMAN-<br />
GORDON, Hélène <strong>de</strong> Sparte. La fortune du mythe en France, Paris, 1968, etc.<br />
(54) C. GRILLET, La Bible dans Victor Hugo, Lyon, E. Vitte, 1910; A. PY, Les<br />
mythes grecs dans la poésie <strong>de</strong> Victor Hugo, Genève, Droz, 1963.
NOTES 131<br />
(55) Et pas seulement la thématologie. J. Starobinski le rappelait à propos <strong>de</strong>s<br />
étu<strong>de</strong>s littéraires en général : « Le positivisme <strong>de</strong> la fiche [...] est loin <strong>de</strong> satisfaire<br />
aux exigences mêmes <strong>de</strong> la science positive ; seul un positivisme à la petite semaine,<br />
sans vigueur et sans fécondité, se croit dispensé <strong>de</strong> réfléchir sur sa métho<strong>de</strong> et sur<br />
ses fins » (« Les directions nouvelles <strong>de</strong> la recherche critique », Cahiers <strong>de</strong> l'Association<br />
Internationale <strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s Françaises, n° 16, 1964, p. 124).<br />
(56) H. LE MAÎTRE, Essai sur le mythe <strong>de</strong> Psyché dans la littérature française,<br />
Paris, Boivin, 1946, p. 4.<br />
(57) Ch. RICCI, op. cit., p. 5.<br />
(58) F. BALDENSPERGER, « Littérature comparée : le mot et la chose », Revue <strong>de</strong><br />
Littérature Comparée, I, 1921, p. 23. Même opinion sur la discontinuité <strong>de</strong> la tradition<br />
chez R. Wellek et A. Warren (op. cit., p. 272). « L'histoire d'un thème sera<br />
nécessairement composée <strong>de</strong> morceaux discontinus », disait déjà P. VANTIEGHEM<br />
(«La notion <strong>de</strong> littérature comparée», Revue du Mois, I, 1906, p. 280).<br />
(59) H. BROCHER, Le mythe du héros et la mentalité primitive, Paris, 1932, p.<br />
31.<br />
(60) R. CAILLOIS, Le mythe et l'homme, p. 27.<br />
(61) D. DE ROUGEMONT, Op. cit., p. 5.<br />
(62) Op. cit., pp. 27-28.<br />
(63) On s'en convaincra en lisant <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s consacrées pourtant à la seule<br />
pério<strong>de</strong> médiévale, comme celle, remarquable, <strong>de</strong> P. SAGE, Hercule et le Christianisme<br />
(Publications <strong>de</strong> la Fac. <strong>de</strong>s Lettres <strong>de</strong> l'Univ. <strong>de</strong> Strasbourg. Série : « Art et<br />
Littérature» 19, Paris, 1955) ou celle <strong>de</strong> F.PFISTER, «Herakles und Christus»<br />
(Archiv fur Religionswissenschaft, Bd. XXXIV, Heft 1/2, pp. 49-60).<br />
(64) Un exemple, qui certes est loin d'être unique : sur le thème d'Antigone, E.<br />
FRENZEL (Stoffe <strong>de</strong>r Weltliteratur, pp. 45-47) signale quinze œuvres. Un recensement<br />
plus poussé (cf. S. Fraisse) en révèle une bonne cinquantaine.<br />
(65) «Stoffe und Motive haben gewisse Charakteristiken, die sie dieser o<strong>de</strong>r<br />
jener literarischen Gattung zuordnen. (...) Daher ist es durchaus môglich, die Geschichte<br />
eines Stoffes o<strong>de</strong>r eines Motives nur innerhalb einer Gattung zu verfolgen,<br />
sobald ein innerer Zusammenhang zwischen Stoff und Gattung festgestellt wer<strong>de</strong>n<br />
kann» («Stoff- und Motivgeschichte», p. 310; cf. aussi Stoff-, Motiv- und<br />
Symbolforschung, p. 81).<br />
(66) S. JEUNE, op. cit., p. 24.<br />
(67) Cf. U. WEISSTEIN, op. cit., pp. 184-197.<br />
(68) Ce complément fait cependant défaut au livre très fouillé <strong>de</strong> E. LEUBE, Fortuna<br />
in Karthago. Die Aeneas-Dido-Mythe Vergils in <strong>de</strong>n romanischen Literaturen<br />
vom 14. bis zum 16. Jahrhun<strong>de</strong>rt, Hei<strong>de</strong>lberg, 1969.<br />
(69) Y.F.-A. GIRAUD, op. cit., p. 7.
132<br />
THÈMES ET MYTHES<br />
(70) L. VINGE, op. cit., p. 48 : « In my opinion the literary material may possibly<br />
contribute to the interprétation of the workd of art, but the opposite is hardly possible.<br />
The history of art, however, can contribute indirectly to the history of literary<br />
thèmes in so far as new material is <strong>de</strong>rived from literature for illuminating a<br />
picture ».<br />
(71) «Queste ricerche sono di mera erudizione, e non si prestano mai ad una<br />
trattazione organica. Esse non ci conducono mai, da sole, a compren<strong>de</strong>re un'opera<br />
letteraria, non ci fanno penetrare mai nel vivo délia creazione artistica. Il loro<br />
subietto non è la genesi estetica <strong>de</strong>ll'opera letteraria ; ma o la storia esterna<br />
<strong>de</strong>ll'opéra già formata (vicen<strong>de</strong>, traduzioni, imitazioni, etc.), o un frammento <strong>de</strong>l<br />
vario materiale che ha contribuito a formarla (tradizione letteraria). I libri, che si<br />
tengono strettamente in quest'ordine di ricerche, prendono, di nécessita, la forma<br />
<strong>de</strong>l catalogo o délia bibliografia » (B. CROCE, « La ' letteratura comparata ' », La<br />
Critica, I, 1903, p. 78).<br />
(72) «Sie [die Stoffgeschichte] hat kein Werturteil, weil îhr ailes gleichwichtig<br />
sein muss». — E. SAUER, op. cit., p. 224. Cf. aussi J. STAROBINSKI, op. cit., p.<br />
138: «si l'on veut suivre dans le détail l'expansion d'un thème, [...] rien n'oblige à<br />
octroyer aux grands auteurs et aux œuvres réussies une situation privilégiée : les<br />
minores et les minuscules auront également droit à toute notre considération ».<br />
(73) W. KAYSER, op. cit., p. 59; cf. aussi R. WELLEK, «The crisis of comparative<br />
literature », Proceedings of the second Congress of the International Comparative<br />
Literature Association, University of North Carolina Press, Chapel Hill,<br />
1959, 2 vol., t. I, p. 152.<br />
(74) Op. cit., p. 23.<br />
(75) «C'est la priver en quelque sorte <strong>de</strong> sa troisième dimension, écrivait H.<br />
Roddier, que <strong>de</strong> l'étudier hors <strong>de</strong> tout contexte sociologique. On a peut-être trop<br />
oublié qu'à travers la multiplicité <strong>de</strong>s formes littéraires s'exprime l'âme <strong>de</strong> tout un<br />
peuple, ou même d'un groupe <strong>de</strong> peuples. N'étudier que la forme en soi, c'est le<br />
plus souvent ne considérer que les qualité du violon sans se soucier du violoniste. Si<br />
l'histoire <strong>de</strong> l'art apporte <strong>de</strong>s révélations essentielles sur l'évolution <strong>de</strong> l'humanité,<br />
que dire <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong>s littératures ? » (« De l'emploi <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> génétique en<br />
littérature comparée », Proceedings of the second Congress of the International<br />
Comparative Literature Association, University of North Carolina Press, Chapel<br />
Hill, 1959, 2 vol., t. I, p. 123.<br />
(76) « Die individuelle Leistung <strong>de</strong>s Dichters gegenùber <strong>de</strong>r Macht <strong>de</strong>r Tradition<br />
zeigt sich bereits in <strong>de</strong>r Wahl <strong>de</strong>s Stoffes und danach in <strong>de</strong>ssen beson<strong>de</strong>rer Gestaltung<br />
durch Aen<strong>de</strong>rung, Auslese und neue Verknùpfung <strong>de</strong>r Motive » (E. FRENZEL,<br />
Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, p. 51).<br />
(77) F. DE BACKER, «Littérature comparée: questions <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>», Bulletin<br />
<strong>de</strong> l'Académie Royale <strong>de</strong> Belgique, Classe <strong>de</strong>s Lettres, 5 e série, t. XLV, 1959, p.<br />
209.
NOTES 133<br />
(78) R. DERCHE, Quatre mythes poétiques (Oedipe - Narcisse - Psyché -Lorelei),<br />
Paris, Se<strong>de</strong>s, 1962, pp. 6-7. Un même souci animait le travail <strong>de</strong> H. Grâce Zagona,<br />
dont le seul titre fait apparaître l'importance, pour ce thème particulier, <strong>de</strong> la formulation<br />
esthétique : The legend ofSalome and the principle of Art fort Art's sake<br />
(Genève, Droz, 1960). Aussi insistait-elle sur le rôle <strong>de</strong> «révélateur» du thème:<br />
« Never does the artist's manner émerge so clearly as when his treatment of a traditional<br />
subject is closely studied. For this reason the comparison of diverse treatments<br />
of a single thème can be most significant and illuminating. Few literary projetas<br />
offer such excellent opportunity to follow the processes of artistic minds and<br />
few bring one so near to that unattainable idéal of perceiving the form of a work in<br />
its relationship to the subject matter» (p. 11).<br />
(79) Concepts of criticism, pp. 256 et 285.<br />
(80) Ueber Shakespeares dramatische Kunst, 1839. Cité par R. WELLEK et A.<br />
WARREN, op. cit., p. 107.<br />
(81) L'expression littéraire dans l'œuvre <strong>de</strong> Mallarmé, Paris, 1947, p. 10.<br />
(82) Cf. Goethe, 2a éd. Bari, Laterza, 1921, p. 116: «Una poesia, quando<br />
diventa superiore a questo modo, cioè superiore a se stessa, discen<strong>de</strong> di grado<br />
corne poesia, e sarebbe da dire piuttosto, 'poesia inferiore' ».<br />
(83) Selected Essays, New York, 1932, pp. 115-116.<br />
(84) H. OSBORNE, Aesthetics and criticism, London, Routledge and Kegan<br />
Paul, 1955, p. 285. Cf. aussi P. DELBOUILLE, Poésie et Sonorités: la critique contemporaine<br />
<strong>de</strong>vant le pouvoir suggestif <strong>de</strong>s sons, Paris, P.U.F., 1961 («Bibliothèque<br />
<strong>de</strong> la Fac. <strong>de</strong> Philosophie et Lettres <strong>de</strong> l'Univ. <strong>de</strong> Liège » CLXIII), p. 228 : « Si<br />
la valeur suggestive <strong>de</strong>s sonorités existe, elle est nécessairement secondaire, soumise<br />
au sens ; elle ne peut exister sans lui et l'on ne peut pas oublier que l'essentiel<br />
<strong>de</strong> l'œuvre, le noyau d'où partent et où reviennent tous les effets, reste toujours le<br />
sens et ses suggestions ».<br />
(85) E. FRENZEL, Stoff- und Motivgeschichte (Berlin, 1966, pp. 152-153) : « Die<br />
Stoff- und Motivgeschichte kann sowohl literar-historische als auch literarpsychologische<br />
und poetoiogische Ergebnisse zeitigen. Das Idéal wàre, dass in einer<br />
Arbeit auf aile drei zugesteuert wiir<strong>de</strong>, obwohl einem von ihnen <strong>de</strong>r Vorrang eingeràumt<br />
wird. Auch sollten neben <strong>de</strong>n grôsseren stoffgeschichtlichen Zusammenhàngen<br />
die Einheit <strong>de</strong>s Kunstwerks und das Antlitz <strong>de</strong>s Dichters noch sichtbar bleiben,<br />
die Langsschnitt-Technik also mit <strong>de</strong>r Querschnitt-Technik und <strong>de</strong>m personalmonographischen<br />
Aspekt kombiniert wer<strong>de</strong>n ». A.J. BISANZ (op. cit., p. 158) va dans<br />
le même sens : « So kann das Literaturhistorische, o<strong>de</strong>r das Geistesgeschichtliche,<br />
o<strong>de</strong>r das Poetoiogische niemals durch einer <strong>de</strong>r bei<strong>de</strong>n an<strong>de</strong>ren ersetzt, son<strong>de</strong>rn<br />
nur komplementiert wer<strong>de</strong>n».<br />
(86) Visages <strong>de</strong> Faust au XX e siècle, p. 24.<br />
(87) M. BELLER, Von <strong>de</strong>r Stoffgeschichte zur Thematologie, p. 37.
134 THEMES ET MYTHES<br />
(88) B. MUNTEANO, « Situation <strong>de</strong> la littérature comparée. Sa portée humaine et<br />
sa légitimité », Proceedings of the second Congress of International Comparative<br />
Literature Association, University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1959, 2<br />
vol., t. I, p. 130.<br />
(89) D. ANZIEU, «Freud et la mythologie», Inci<strong>de</strong>nces <strong>de</strong> la psychanalyse, I,<br />
1970, p. 124.<br />
(90) A.J. GREIMAS, «Eléments pour une théorie <strong>de</strong> l'interprétation du récit<br />
mythique», Communications, VIII, 1966, p. 29.<br />
(91) F. RASTIER, «La morale <strong>de</strong> l'histoire. Notes sur la Matrone d'Ephèse»,<br />
Latomus, XXX, 1971, pp. 1025-1056.<br />
(92) Cl. LÉVI-STRAUSS, La pensée sauvage, Paris, 1962, p. 31; M. MERLEAU-<br />
PONTY, «Sur la phénoménologie du langage», dans: Eloge <strong>de</strong> la philosophie,<br />
Paris, 1963, p. 97. Pour un exemple <strong>de</strong> ce type d'analyse, voir K. STIERLE,<br />
« Mythos als Bricolage und zwei Endstufen <strong>de</strong>s Prometheusmythos », dans : Terror<br />
und Spiel. Problème <strong>de</strong>s Mythenrezeption. Hrsg. von M. Fuhrmann, Mûnchen,<br />
1971, pp. 455-472. Ou encore D. BEYERLE, «Die feindlichen Brù<strong>de</strong>r von<br />
Aeschylus bis Alfieri» (I), dans: Aufsàtze zur Themen- und Motivgeschichte.<br />
Festschrift fur H. Petriconi, Hamburg, 1965, pp. 9-42; (II) Romanistisches Jahrbuch,<br />
XVI, 1965, pp. 77-93.<br />
(93) J.-P. VERNANTet P. VIDAL-NAQUET, op. cit., pp. 7-8.<br />
(94) CI. LÉVI-STRAUSS, Anthropologie structurale, Paris, 1958, p. 242.<br />
(95) Voir R. TROUSSON, « Le théâtre tragique grec au siècle <strong>de</strong>s Lumières », Studies<br />
on Voltaire and the Eighteenth century, CLV, 1976, pp. 2113-2136.<br />
(96) Cf. P. BRUNEL, Le mythe d'Electre, p. 45: «La diachronie reprend ses<br />
droits à partir du moment où l'on s'intéresse à la <strong>de</strong>stinée littéraire du mythe ».<br />
(97) «S'occuper <strong>de</strong> littérature comparée, écrivait P. Hazard, ce n'est pas se<br />
livrer au petit jeu <strong>de</strong>s comparaisons », Civilisation Française, sept. 1919, p. 346.<br />
(98) G. RUDLER, Les techniques <strong>de</strong> la critique et <strong>de</strong> l'histoire littéraire, Oxford,<br />
Impr. <strong>de</strong> l'<strong>Université</strong>, 1923, p. 160.<br />
(99) « Das Riickgrat <strong>de</strong>r Stoff- und Motivforschung » {Stoff-, Motiv- und Symbolforschung,<br />
p. 3).<br />
(100) H. PEYRE, L'influence <strong>de</strong>s littératures antiques sur la littérature française<br />
mo<strong>de</strong>rne: état <strong>de</strong>s travaux, Yale University Press, 1939, p. 10.<br />
(101) H. LE MAÎTRE, Essai sur le mythe <strong>de</strong> Psyché dans la littérature française,<br />
Paris, Boivin, 1946.<br />
(102) A. LOMBARD, Un mythe dans la poésie et dans l'art. L'enlèvement<br />
d'Europe, Neuchâtel, La Baconnière, 1946.<br />
(103) Cf. S. CORNIL, Inès <strong>de</strong> Castro. Contribution à l'étu<strong>de</strong> du développement<br />
du thème dans les littératures romanes, <strong>Bruxelles</strong>, 1952 (« Mémoires <strong>de</strong> l'Académie
NOTES 135<br />
Royale <strong>de</strong> Belgique, Classe <strong>de</strong>s Lettres et <strong>de</strong>s Sciences Morales et Politiques », t.<br />
XLVII, fasc. 2).<br />
(104) Nous avons abordé cette question dans : «Servitu<strong>de</strong> du créateur en face<br />
du mythe», Cahiers <strong>de</strong> l'Association Internationale <strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s Françaises, 20,<br />
1968, pp. 85-98.<br />
(105) «We hâve been too early acquainted with the poetical heroes to expect<br />
any pleasure from their revival ; to show them as they already hâve been shown, is<br />
to disgust by répétition ; to give them new qualities or new adventures, is to offend<br />
by violating received notions ». — S. JOHNSON, Lives of the Engtish poets, Nicholas<br />
Rowe, Ed. by G.B. Hill, Oxford, 1935, t. II, p. 68.<br />
(106) Nous avons étudié cette question <strong>de</strong> manière détaillée dans : «Montherlant<br />
et la légen<strong>de</strong> <strong>de</strong> Don Juan », Le Flambeau, 1962, 3-6, pp. 201-210.<br />
(107) Voir R. TROUSSON, « Franz Hellens et Goethe ou l'attraction du mythe »,<br />
Revue <strong>de</strong>s Langues Vivantes, XXIX, 1963, pp. 499-509.<br />
(108) T.S. ELIOT, « La fonction <strong>de</strong> la critique», dans : Essais choisis. Trad. par<br />
H. Fluchère, Paris, 1950, p. 39.<br />
(109) H.G. TAN, La matière <strong>de</strong> Don Juan et les genres littéraires, p. 113.<br />
(110) Cf. E. FRENZEL, Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, p. 44.<br />
(111) Encore ne l'avoue-t-il pas toujours. A propos d'Oedipe, on s'est référé<br />
pendant près d'un siècle à l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> L. CONSTANS, La légen<strong>de</strong> d'Oedipe étudiée<br />
dans l'antiquité, au moyen-âge et dans les temps mo<strong>de</strong>rnes (Paris, Maisonneuve,<br />
1881) dont le titre alléchant promet beaucoup plus qu'il ne tient, un coup d'ceil à la<br />
table <strong>de</strong>s matières suffit pour s'en convaincre : Antiquité, pp. 3-92 ; Moyen Age,<br />
pp. 93-372 ; Renaissance et temps mo<strong>de</strong>rnes, pp. 373-388 ! Il s'agit en fait d'une<br />
étu<strong>de</strong> approfondie du Roman <strong>de</strong> Thèbes.<br />
(112) R. VIVIER, op. cit., p. 7.<br />
(113) «Nach<strong>de</strong>m im Mittelalter <strong>de</strong>r spanische Dichter Can<strong>de</strong>ron <strong>de</strong>n Mythus in<br />
einem Drama behan<strong>de</strong>lt [...] hatte, ruhte <strong>de</strong>r Mythus bis zum En<strong>de</strong> <strong>de</strong>s 18. Jahrhun<strong>de</strong>rts<br />
» (O. MANN, Der Prometheus-Mythus in <strong>de</strong>r mo<strong>de</strong>rnen Dichtung, Programm<br />
<strong>de</strong>r Oberschule Frankfurt a.O., 1878, Nr 84, p. 7).<br />
(114) M. TRESCH, Prométhée et sa race, Satan, Cai'n et Faust dans la poésie.<br />
Ecole industrielle et commerciale <strong>de</strong> Luxembourg. Programme publié à la clôture<br />
<strong>de</strong> l'année scolaire 1908-1909, p. 49.<br />
(115) Cf. les articles <strong>de</strong> W. BUSKE, « Pygmaliondichtungen <strong>de</strong>s 18. Jahrhun<strong>de</strong>rts<br />
», Germanisch-romanische Monatsschrift, VII, 1915-1919, pp. 345-354 ; J.L.<br />
CARR, « Pygmalion and the Philosophes. The animated statue in Eighteenth Century<br />
France», Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, XXIII, 1960, pp.<br />
239-255.<br />
(116) E. KUSHNER, Le mythe d'Orphée dans la littérature française contemporaine,<br />
Paris, Nizet, 1962, p. 67.
136 THEMES ET MYTHES<br />
(117) Un simple coup d'œil à l'ouvrage si utile <strong>de</strong> L.-F. FLUTRE, Table <strong>de</strong>s noms<br />
propres avec toutes leurs variantes dans les romans du Moyen Age écrits en français<br />
ou en provençal (Poitiers, Centre d'étu<strong>de</strong>s supérieures <strong>de</strong> civilisation médiévale,<br />
1962) permettrait encore <strong>de</strong> relever <strong>de</strong>s citations, parfois très intéressantes,<br />
d'Orphée dans les romans <strong>de</strong> VEscouffe, <strong>de</strong> la Violette, d'Enéas, <strong>de</strong> Flamenca, <strong>de</strong><br />
Dolopathos, <strong>de</strong> Floire et Blanche/leur, etc.<br />
(118) O. WALZEL, Das Prometheussymbol von Shaftesbury zu Goethe, 2. Aufl.<br />
Munchen, Hueber, 1932.<br />
(119) H. ROUSSEAU, op. cit., p. 334.<br />
(120) « Wie von <strong>de</strong>r Motivgeschichte, so muss sich die Stoffgeschichte auch von<br />
<strong>de</strong>r vergleichen Literaturgeschichte loslôsen, <strong>de</strong>nn es wird in <strong>de</strong>r Tat durch die<br />
Hereinziehung <strong>de</strong>s Auslan<strong>de</strong>s nicht allzuviel gewonnen, falls es sich nicht gera<strong>de</strong><br />
um <strong>de</strong>n beson<strong>de</strong>ren Fall han<strong>de</strong>lt, dass eine Stoffgestaltung nachweislich unter auslandischem<br />
Einfluss eine entschei<strong>de</strong>ne Aen<strong>de</strong>rung erfàhrt. [...] Stoffgeschichte<br />
sollte daher in erster Linie nur auf nationaler Grundlage betrieben wer<strong>de</strong>n» (E.<br />
SAUER, op. cit., p. 223). A ce point <strong>de</strong> vue étroit, on est heureux d'opposer celui,<br />
infiniment plus réaliste, d'Etiemble : « La première <strong>de</strong>s tâches qui s'imposent donc<br />
aux comparatistes, désormais, c'est <strong>de</strong> renoncer à toute variété <strong>de</strong> chauvinisme et<br />
<strong>de</strong> provincialisme, <strong>de</strong> reconnaître enfin que la civilisation <strong>de</strong>s hommes, où les<br />
valeurs s'échangent <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s millénaires, ne peut être comprise, goûtée, sans<br />
référence constante à ces échanges, dont la complexité interdit à qui que ce soit<br />
d'ordonner notre discipline par rapport à une langue ou un pays, entre tous privilégiés»<br />
(pp. cit., p. 15).<br />
(121) Cf. E. FRENZEL, Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, p. 44.<br />
(122) On se fera une idée du potentiel d'universalité <strong>de</strong>s thèmes nationaux en<br />
parcourant, par exemple, le bel article <strong>de</strong> C. CLAVERIA, « Les mythes et les thèmes<br />
espagnols dans la littérature universelle », Cahiers d'Histoire Mondiale, VI, 1961<br />
pp. 969-989.<br />
(123) Cela dit sans vouloir restaurer la distinction <strong>de</strong> P. Van Tieghem entre littérature<br />
comparée et littérature générale (cf. « La synthèse en histoire littéraire : littérature<br />
comparée et littérature générale», Revue <strong>de</strong> Synthèse Historique, XXI,<br />
1921).<br />
(124) Sur ce point, Etiemble est plus sévère et plus exigeant : « Tout se tient dans<br />
l'histoire <strong>de</strong>s littératures, et celui-là n'en comprendra jamais une seule, j'entends<br />
comprendre, qui n'aura pas un peu mieux que <strong>de</strong>s lumières sur un assez grand<br />
nombre d'autres» (op. cit., p. 29).<br />
(125) Op. cit., p. 21.<br />
(126) «Die Wahl <strong>de</strong>s Stoffes und seine Wie<strong>de</strong>rbelebung durch einen Dichter<br />
làsst sich hàufig durch innere Verwandtschaft und durch eine verwandte geistige<br />
o<strong>de</strong>r gefùhlsmàssige Situation erklàren » (Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, p.<br />
53).
NOTES 137<br />
(127) Voir R. TROUSSON, «Le Christ dans la pensée <strong>de</strong> Jean-Jacques<br />
Rousseau», Problèmes d'Histoire du Christianisme, 7, 1976-1977, pp. 31-56.<br />
(128) E. KUSHNER, op. cit., p. 18.<br />
(129) Cf. E. FRENZEL, Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, pp. 67 et 69; J.<br />
PETERSEN, « Nationale o<strong>de</strong>r vergleichen<strong>de</strong> Literaturgeschichte ? », Deutsche Vierteljahrsschrift<br />
fiir Literatunvissenschaft und Geistesgeschichte, 1928, Heft 1, p.<br />
51.<br />
(130) Voir J. VERCRUYSSE, « Jeanne d'Arc au siècle <strong>de</strong>s Lumières », Studies on<br />
Voltaire and the Eighteenth Century, XC, 1972, pp. 1659-1729.<br />
(131) Voir R. TROUSSON, Socrate <strong>de</strong>vant Voltaire, Di<strong>de</strong>rot et Rousseau. La<br />
conscience en face du mythe, Paris, Lettres Mo<strong>de</strong>rnes, 1967.<br />
(132) E. FRENZEL, Stoff- und Motivgeschichte, p. 306.<br />
(133) C'est à cela qu'aboutissent les considérations <strong>de</strong> E. FRENZEL {Stoff-,<br />
Motiv- und Symbolforschung, p. 65) sur les «caractéristiques» <strong>de</strong>s goûts nationaux<br />
: dans le traitement d'un thème, les Italiens introduiront la passion, les Français<br />
la jalousie, les Espagnols <strong>de</strong>s substitutions et <strong>de</strong>s déguisements, les Anglais <strong>de</strong>s<br />
tira<strong>de</strong>s politiques, les Allemands <strong>de</strong> la morale ou <strong>de</strong> la philosophie.<br />
(134) R. ESCARPIT, Sociologie <strong>de</strong> la littérature, Paris, P.U.F., 1958, p. 6.<br />
(135) M. DÉCAUDIN, compte rendu <strong>de</strong> A. J. AXELRAD, Le thème <strong>de</strong> Sophonisbe<br />
dans les principales tragédies <strong>de</strong> la littérature occi<strong>de</strong>ntale (Lille, Bibliothèque Universitaire,<br />
1956), Revue <strong>de</strong>s Sciences Humaines, LXXXI, 1957, pp. 231-232.<br />
(136) Cf. E. FRENZEL, Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, p. 70.<br />
(137) Il s'agira ici, non d'un historique du thème, impossible à tracer en quelques<br />
lignes ou même en quelques pages, mais d'une simple réflexion sur la nature<br />
du thème d'Antigone, sur sa faculté d'adaptation aux circonstances. Nous avons<br />
déjà esquissé ailleurs une courbe schématique <strong>de</strong> son évolution (« Le thème et l'histoire<br />
: le cas d'Antigone », Revue <strong>de</strong>s Langues Vivantes, XLIII, 1977, pp. 452-462)<br />
et consacré quelques étu<strong>de</strong>s à <strong>de</strong>s expressions isolées du thème en rapport avec le<br />
contexte historique (cf. «U Antigone <strong>de</strong> Bertolt Brecht et l'engagement», Le<br />
Flambeau, 1960, 5-6, pp. 361-369; «UAntigone <strong>de</strong> Pierre-Simon Ballanche»,<br />
Synthèses, 1960, 167, pp. 96-104 ; « La philosophie du pouvoir dans VAntigone <strong>de</strong><br />
Sophocle », Revue <strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s Grecques, LXXVII, 1964, pp. 23-33). Le travail <strong>de</strong><br />
C. MOLINARI (Storia di Antigone da Sofocle al Living Théâtre, Bari, De Donato,<br />
1977) étudie la succession chronologique <strong>de</strong>s œuvres, mais sans examen du contexte<br />
historique.<br />
(138) On ne saurait d'ailleurs négliger qu'il existait une opposition à Périclès,<br />
née du mécontentement <strong>de</strong> sa politique impérialiste et même <strong>de</strong> la lour<strong>de</strong> fiscalité<br />
imposée par ses grands travaux d'urbanisme. Cf. J.B. BURY, A history ofGreece,<br />
London, 1963, p. 365; B. VICKERS, Towards Greek tragedy, Bristol, 1973, pp.<br />
526-546.
138<br />
THÈMES ET MYTHES<br />
(139) W.R. AGARD, «Antigone 904-920», Classical Philology, 1937, pp. 263-<br />
265.<br />
(140) J.-P. VERNANT et P. VIDAL-NAQUET, op. cit., p. 34.<br />
(141) On se souvient que Hegel, dans ses Principes <strong>de</strong> la philosophie du droit et<br />
dans ses Leçons d'esthétique, avait déjà vu dans la tragédie un conflit <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
droits légitimes qui <strong>de</strong>vraient coexister pour que fût réalisée l'harmonie.<br />
(142) Cf. M.-M. MOUFLARD, Robert Garnier. La Ferté-Bernard, 1961-1964, 3<br />
vol., t. II, p. 137; G. JONDORF, Robert Garnier and the thèmes of poiitical tragedy<br />
in the Sixteenth century, Cambridge, 1969, pp. 104-105.<br />
(143) R. LEBÈGUE, La tragédie française <strong>de</strong> la Renaissance, <strong>Bruxelles</strong>, 1944, p.<br />
43; cf. aussi V.-L. SAULNIER, La littérature française <strong>de</strong> la Renaissance, Paris,<br />
1942, p. 92.<br />
(144) J. MOREL, « Le personnage d'Antigone, <strong>de</strong> Garnier à Racine », Actes du<br />
VIP Congrès <strong>de</strong> l'Association Guillaume Budé, Paris, 1964, p. 104.<br />
(145) J. VAN BAELEN, Rotrou. Le héros tragique et la révolte, Paris, 1965, p. 62.<br />
(146) Cf. K. HEISIG, «Antigone im Draina <strong>de</strong>r romanischen Vôlker», Die<br />
Neueren Sprachen, 1963, pp. 160-169; J. MOREL, Jean Rotrou dramaturge <strong>de</strong><br />
l'ambiguïté, Paris, 1968, pp. 101-102.<br />
(147) Cf. M. BARATTO, « Tyrannie et liberté dans les tragédies d'Alfieri », dans :<br />
Le théâtre tragique, Publ. par le C.N.R.S., Paris, 1962, p. 302.<br />
(148) J. DEGEN, Literatur <strong>de</strong>r <strong>de</strong>utschen Uebersetzungen <strong>de</strong>r Griechen, Erlangen,<br />
1801, 3 vol., t. I, p. 419.<br />
V<br />
(149) Voir M. KAÇ «Der Antigone-Mythos auf <strong>de</strong>r tschechischen Bûhne <strong>de</strong>r<br />
Gegenwart », dans : Terror und Spiel, pp. 435-454.<br />
(150) On ne tient pas compte ici <strong>de</strong>s traductions ou adaptations (Meurice et Vacquerie,<br />
Hofmannsthal, Cocteau, etc.) qui ren<strong>de</strong>nt hommage aux qualités esthétiques<br />
<strong>de</strong> la tragédie <strong>de</strong> Sophocle, non au contenu idéologique du thème.<br />
(151) S. FRAISSE, Le mythe d'Antigone, Paris, 1974, p. 15.<br />
(152) S. FRAISSE, « Le thème d'Antigone dans la pensée française au XIX e et au<br />
XX e siècles », Bulletin <strong>de</strong> l'Association Guillaume Budé, 1966, p. 287.<br />
(153) S. FRAISSE, Le mythe d'Antigone, p. 82.<br />
(154) C'est aussi l'opinion <strong>de</strong> M. Kac(op. cit., pp. 452-453).<br />
(155) A. DABEZIES, Visages <strong>de</strong> Faust au XX e siècle, p. 5.<br />
(156) H. DYSERINCK, Komparatistik. Eine Einfuhrung, Bonn, Bouvier Verlag<br />
Herbert Grundmann, 1977, p. 103.<br />
(157) On s'en convaincra en lisant le beau travail intitulé : L'empereur Julien.<br />
De l'histoire à la légen<strong>de</strong> (331-1715). Etu<strong>de</strong>s rassemblées par R. Braun et J. Richer.<br />
Paris, Les Belles Lettres, 1978. Quelle que soit sa qualité, il manque à cette recherche<br />
collective une véritable conception d'ensemble.
NOTES 139<br />
(158) P. VAN TIEGHEM, La littérature comparée, p. 92.<br />
(159) P. VAN TIEGHEM, ibid., p. 99; M.-F. GUYARD, op. cit., p. 57.<br />
(160) Sur ce beau sujet, on ne retiendra guère que: J.E. PARISH, Pre-Miltonic<br />
représentations of Adam as a Christian, Rice Institute Pamphlet, 40, 1953; G.<br />
MIKSCH, Der Adam-und-Eva-Stoff in <strong>de</strong>r <strong>de</strong>utschen Literatur, Diss. Wien, 1954;<br />
R.W.B. LEWIS, The American Adam, Chicago, 1955.<br />
(161) Citons : K. GERLACH, Der Simsonstoff im <strong>de</strong>utschen Drama, Hei<strong>de</strong>lberg,<br />
1929; W. TISSOT, Simson und Herkules in <strong>de</strong>n Gestaltungen <strong>de</strong>s Barock. Diss.<br />
Greifswald, 1932. Trop rapi<strong>de</strong>: W. KIRKCONNEL, Thaï invincible Samson. The<br />
thème of Samson Agonisies in World literature, Toronto, 1964.<br />
(162) L. HIRSCHBERG, « Saul-Tragôdien », Allgemeine Zeitung <strong>de</strong>s Ju<strong>de</strong>ntums,<br />
74, 110; M. A. THIEL, La figure <strong>de</strong> Saùl et sa représentation dans la littérature dramatique<br />
française, Diss. Amsterdam, H.J. Paris, 1926.<br />
(163) Pour Job, il faudrait élargir le travail <strong>de</strong> A. Hausen (Hiob in <strong>de</strong>r franzôsischen<br />
Literatur, Bern-Frankfurt/M., H. und P. Lang, 1972) ; pour Jésus, le beau<br />
Christ romantique <strong>de</strong> F. Bowman (Genève, Droz, 1973) <strong>de</strong>vrait être précédé d'une<br />
étu<strong>de</strong> qui partirait, au moins, du libertinage du premier tiers du XVII e siècle.<br />
(164) Le livre <strong>de</strong> P. NEWMAN-GORDON (Hélène <strong>de</strong> Sparte. La fortune du mythe<br />
en France, Paris, Nouvelles Editions Debresse, 1968) ne répond pas aux exigences<br />
d'une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> thème.<br />
(165) Sur la fortune d'Hercule, il n'y a, sauf pour l'antiquité et la Renaissance,<br />
rien d'important à signaler.<br />
(166) Outre les travaux déjà cité, tous partiels, notons encore: J. WIEL,<br />
Orpheus in <strong>de</strong>r englischen Literatur, Wien, W. Braumuller, 1913 ; P. CABANAS, El<br />
mito <strong>de</strong> Orfeo en la literatura espanola, Madrid, Consejo Superior <strong>de</strong> Investigaciones<br />
cientificas, 1948.<br />
(167) Seule étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> quelque étendue : W.B. STANFORD, The Ulysses thème.<br />
A study in the adaptability of a traditional hero (Oxford, Blackwell, 1954). Pour<br />
un bref survol du théâtre allemand 1904-1925, citons: R.B. MATZIG, Odysseus.<br />
Studie zu antiken Stoffen in <strong>de</strong>r mo<strong>de</strong>rnen Literatur, beson<strong>de</strong>rs im Drama, Diss.<br />
St Gallen, Pflugverlag Thaï, 1949.<br />
(168) Signalons encore, paru trop tard pour être utilisé ici, le <strong>de</strong>rnier livre <strong>de</strong> E.<br />
FRENZEL, Vom Inhalt <strong>de</strong>r Literatur. Stoff-, Motiv-, Thema, Basel-Wien, 1980.
A bel 23, 25<br />
Adam 77, 123<br />
Ahasvérus 41, 86, 96<br />
Akensi<strong>de</strong> (M.) 89<br />
Alamanni (L.) 74, 111<br />
Abouy (P.) 17,18, 127<br />
Alciat (A.) 72<br />
Alexandre 15, 44<br />
Alfieri (V.) 38, 56, 74, 96, 106, 111<br />
Amphitryon 23, 83, 86, 122<br />
Andréiev (L.) 56<br />
Andromaque 70<br />
Anouilh (J.) 20, 26, 42, 45, 86, 110,<br />
114, 115<br />
Anligone 8, 11, 18, 20, 23, 24, 27, 33,<br />
44, 46, 49, 74, 76, 77, 78, 79, 82,<br />
83, 86, 96, 102, 107, 108, 109, 110,<br />
111, 112, 113, 114, 115, 116, 131<br />
Anton (H.) Il, 51, 126<br />
Anzieu (D.) 51, 134<br />
Apollonius <strong>de</strong> Rho<strong>de</strong>s 88<br />
Apulée 73<br />
Ariane 27, 86, 95<br />
Aristophane 74<br />
Arminius 21, 27, 102, 114<br />
Arnobe 89<br />
Astier (C.) 63, 64, 65, 126<br />
Augustin 89<br />
Bachelard (G.) 17<br />
Baïf (J.A. <strong>de</strong>) 73<br />
Bal<strong>de</strong>nsperger (F.) 41, 53, 131<br />
Ballanche (P.S.) 49, 73, 96, 109<br />
Balzac (H. <strong>de</strong>) 23, 30, 95<br />
Banier (A.) 72<br />
Barthes (R.) 16, 17, 19, 127<br />
INDEX<br />
Baucis 11, 58, 99<br />
Baudri <strong>de</strong> Bourgueil 89<br />
Bayle (P.) 72<br />
Bélier (M.) 11, 16, 58, 99, 126, 127,<br />
133<br />
Bensera<strong>de</strong> (L.) 49, 73, 89<br />
Bérénice 27<br />
Berlioz (V.) 51<br />
Bersuire (P.) 73<br />
Betz (L.P.) 21<br />
Bisanz (A.J.) 127, 133<br />
Boccace (J.) 38, 72, 89<br />
Boèce 37, 97<br />
Bouelles (Ch.) 72<br />
Boulanger (N.A.) 72<br />
Bourges (E.) 46, 88<br />
Bracciolini (F.) 49<br />
Brandt-Corstius (J.) 12, 126<br />
Bronnen (A.) 25<br />
Brumoy (P.) 46, 71, 90<br />
Brunel (P.) 18, 51, 126, 127, 134<br />
Byron (G.G.) 28, 30, 70, 95, 123<br />
Caillois (R.) 20, 43, 128, 131<br />
Cain 23, 25, 26, 27, 28, 29, 69, 87, 92<br />
Cal<strong>de</strong>ron (P.) 37, 42, 46, 49, 72, 87,<br />
88<br />
Camoens (L.) 74<br />
Campistron (J.) 102<br />
Cardan (J.) 11<br />
Carducci (J.) 26<br />
Cartari (V.) 72<br />
Cartaud <strong>de</strong> la Villate 48<br />
Catulle (A.) 49<br />
Chapelain 50, 69<br />
Chapman (G.) 38, 73, 89
INDEX 141<br />
Chassang (A.) 35<br />
Chénier (A.) 46, 73<br />
Chompré (N.) 72<br />
Christine <strong>de</strong> Pisan 50, 89<br />
Cinzio(G.)41, 123<br />
Clau<strong>de</strong>l (P.) 56<br />
Cléopâtre 21<br />
Clytemnestre 64<br />
Cocteau (J.) 37, 42, 97<br />
Colar<strong>de</strong>au 36<br />
Coleridge (S.T.) 50<br />
Colomb 91, 124<br />
Cornes (N.) 72<br />
Conley (C.H.) 35<br />
Cooper (Th.) 72<br />
Corneille (P.) 38, 45, 49, 64, 65, 70<br />
Cortazar (J.) 16<br />
Cossio (J.M. <strong>de</strong>) 35<br />
Crébillon 25, 26, 64<br />
Croce (B.) 7, 9, 32, 53, 57, 125, 132,<br />
133<br />
Cromwell 44, 76<br />
Dabezies (A.) 11, 51, 58, 82, 116,<br />
123, 125, 126, 128, 138<br />
Dante 57, 87, 89<br />
Daphné 11, 21, 47, 48, 51, 52<br />
Dédéyan(Ch.) 8, 11, 123<br />
Degen (J.F.) 35, 138<br />
Delcourt (M.) 17, 35<br />
Derche (R.) 56, 133<br />
Desmarets <strong>de</strong> Saint-Sorlin 72<br />
Di<strong>de</strong>rot (D.) 47, 85, 100<br />
Didon 27, 48, 50<br />
Dinter (A.) 89, 126<br />
Dolce (L.) 73<br />
Don Juan 8, 9, 11, 15, 23, 26, 27, 29,<br />
37, 41, 44, 50, 61, 65, 66, 67, 76,<br />
78, 80, 83, 84, 86, 91, 92, 97, 122<br />
Dôrrie(H.) 11, 51, 89, 126<br />
Dry<strong>de</strong>n (J.) 49, 89<br />
Duchemin(J.) 11, 125<br />
Ducis (J.F.) 64, 113<br />
Duhamel (P.) 109<br />
Dumas (A.) 25<br />
Dùrrenmatt (F.) 41<br />
Du Ryer (P.) 73<br />
Dyserinck (H.) 12, 119, 126, 138<br />
Electre 11, 22, 51, 122<br />
Elia<strong>de</strong> (M.) 17, 19, 127<br />
Eliot (T.S.) 57, 82, 135<br />
Enée 50<br />
Epiméthée 23, 25<br />
Erasme 72<br />
Eschyle 19, 20, 25, 27, 46, 63, 65, 71,<br />
78, 83, 88, 95, 122<br />
Estienne (R.) 72, 89<br />
Etéo<strong>de</strong>23, 25, 77, 108, 113<br />
Etiemble (R.) 7, 17, 70, 90, 93, 94,<br />
125, 136<br />
Euripi<strong>de</strong> 20, 25, 27, 31, 33, 41, 70,<br />
74, 122, 123<br />
Eusèbe 89<br />
Faust 8, 9, 11, 21, 24, 26, 27, 29, 43,<br />
44, 51, 56, 57, 61, 76, 78, 81, 82,<br />
83, 86, 91, 97, 102, 116, 122<br />
Feijoo (B.G.) 72<br />
Feller (F.X.) 72<br />
Ficin (M.) 72<br />
Flaubert (G.) 55, 75<br />
Fraisse(S.) 113, 114, 126, 138<br />
France (A.) 69<br />
Frenzel (E.) 12, 14, 32, 49, 57, 70,<br />
95, 126, 127, 128, 130, 131, 132,<br />
133, 135, 136, 137, 139<br />
Freud (S.) 17, 128<br />
Frisch (M.) 66<br />
Fulgence 73, 89<br />
Galatée 11, 51<br />
Garlan<strong>de</strong> (J. <strong>de</strong>) 73<br />
Garnier (R.) 74, 108, 109, 115<br />
Gautier (Th.) 29<br />
Gendarme <strong>de</strong> Bévotte (G.) 123<br />
Genot (G.) 16<br />
Ghel<strong>de</strong>ro<strong>de</strong> (M. <strong>de</strong>) 23, 37, 97<br />
Gi<strong>de</strong> (A.) 38, 46, 51, 123<br />
Giraud (Y.F.-A.) 11, 47, 51, 52, 99,<br />
126, 131<br />
Giraudoux (J.) 86<br />
Goethe (J.W.) 20, 27, 29, 31, 33, 36,<br />
38, 42, 46, 54, 56, 69, 72, 73, 78,<br />
81, 83, 84, 86, 88, 89, 96, 124<br />
Gounod (Ch.) 51, 82<br />
Gower (J.) 87, 89
142<br />
Grabbe (CD.) 37<br />
Gracian (B.) 49<br />
Greimas (A.J.) 62, 134<br />
Grillparzer (F.) 25<br />
Grimmelshausen 49<br />
Grisélidis 41<br />
Guillaume <strong>de</strong> Machaut 89<br />
Guillaume Tell 21, 114<br />
Guyard (M.F.) 7, 26, 32, 33, 46, 129,<br />
130, 139<br />
Gyraldi (L.G.) 72<br />
Hamlet 27, 57, 82, 124<br />
Hasenclever (W.) 25, 111<br />
Hauptmann (G.) 25, 31, 87<br />
Hausen (A.) 125<br />
Hazard (P.) 9, 69<br />
He<strong>de</strong>rich (B.) 72<br />
Heine (H.) 55<br />
Heinemann (C.) 33, 54<br />
Heinsius (D.) 72<br />
Heitner (R.R.) 125<br />
Hellens (F.) 81, 82<br />
Hé mon 11<br />
Hercule 11, 27, 33, 41, 44, 47, 48, 77,<br />
78, 123<br />
Her<strong>de</strong>r (J.G.) 38, 73, 90<br />
Hérodia<strong>de</strong> 55, 106<br />
Hésio<strong>de</strong> 20, 36, 83, 93<br />
Hobbes (J.) 49<br />
Hôl<strong>de</strong>rlin (F.) 42<br />
Homère 31, 87<br />
Horace 73<br />
Horn-Monval (M.) 35<br />
Huet (D.) 72<br />
Hugo (V.) 18, 30, 35, 47, 54, 73, 74,<br />
95, 130<br />
Hygin 74<br />
Inès <strong>de</strong> Castro 8, 74, 123<br />
Iphigénie 11, 31, 33, 55, 122, 123<br />
Jean <strong>de</strong> Meung 47, 89<br />
Jeanne d'Arc 11, 15, 50, 69, 99, 124<br />
Jésus 27, 28, 30, 47, 71, 86, 96, 123<br />
Jeune (S.) 12, 15, 16, 126, 131<br />
JobU, 123<br />
Johnson (S.) 78<br />
Jonson (B.) 72<br />
Jost (F.) 12, 126<br />
Judas 8, 54, 56, 87, 97, 123<br />
Ju<strong>de</strong>n (B.) 11, 125<br />
Jung (C.G.) 18, 22, 93<br />
Jung (M.R.) 125<br />
INDEX<br />
Kayser (W.) 23, 32, 129, 130, 132<br />
Kazantzakis (N.) 97<br />
Kircher (A.) 72<br />
Kleist (F. von) 70<br />
Klinger (F.M. von) 27, 56, 97, 123<br />
Koch (M.) 8<br />
Kotzebue (A.) 73<br />
Kreutz(Ch.) 11, 125<br />
Kushner(E.) 11, 89, 97, 135<br />
Lactance 89<br />
La Fontaine (J. <strong>de</strong>) 49, 62, 75, 89<br />
La Motte (H. <strong>de</strong>) 36, 57, 65, 74<br />
Latrop (H.B.) 35<br />
Lavaur (G. <strong>de</strong>) 72<br />
Law (H.H.) 32<br />
Leconte <strong>de</strong> Lisle 25, 26<br />
Lefranc <strong>de</strong> Pompignan 46, 71, 90, 98<br />
Le Maître (H.) 38, 73, 131, 134<br />
Lesage (A.R.) 36, 46, 73<br />
Lessing (G.E.) 70, 77<br />
Levin (H.) 12, 16, 126, 127<br />
Lévi-Strauss (Cl.) 62, 68, 134<br />
Lombard (A.) 73, 134<br />
Ludwig (O.) 25<br />
Mahomet 29, 91<br />
Mallarmé (S.) 55<br />
Manjred26, 27, 28<br />
Mann (O.) 88, 135<br />
Mann (Th.) 97<br />
Maranon (G.) 29<br />
Marie <strong>de</strong> France 62, 89<br />
Marie Stuart 35, 44, 46, 55, 56, 91,<br />
106<br />
Marmontel (J.F.) 41, 123<br />
Masaniello 27<br />
Mauron(Ch.) 17<br />
Mauzi (R.) 35<br />
Mazeppa 28, 86<br />
Médée 8, 23, 27, 44, 45, 46, 76, 77,
INDEX 143<br />
86, 123<br />
Ménandre 38<br />
Ménard (L.) 98<br />
Mercier (L.S.) 48, 100<br />
Mérimée (P.) 25, 84<br />
Merker (P.) 8, 128<br />
Merleau-Ponty (M.) 62<br />
Michelet (J.) 18, 69<br />
Milton (J.)42, 49, 51, 123<br />
Moïse 15<br />
Molière 23, 37, 67, 70<br />
Molinet (J.) 89<br />
Montherlant (H. <strong>de</strong>) 26, 37, 67, 78,<br />
80, 97<br />
Mortier (R.) 35, 85<br />
Moschus 73<br />
Mozart (W.A.) 67, 86<br />
Munteano (B.) 59, 73, 134<br />
Musset (A. <strong>de</strong>) 11<br />
Napoléon 11, 27, 44, 51, 91, 102,<br />
106, 109<br />
Narcisse 11, 17, 18, 19, 37, 47, 51,<br />
128<br />
Nashe (Th.) 89<br />
Niobé 27<br />
Novalis 42<br />
Oedipe 8, 11, 18, 19, 22, 23, 25, 33,<br />
43, 63, 64, 65, 70, 77, 93, 109, 113,<br />
135<br />
Oreste 8, 25, 27, 43, 49, 55, 64, 69,<br />
122, 123<br />
Orphée 8, 11, 15, 16, 19, 21, 37, 42,<br />
44, 45, 47, 49, 54, 73, 86, 87, 89,<br />
91, 93, 95, 97, 105, 120, 124<br />
Ovi<strong>de</strong> 19, 42, 73, 101<br />
Pandore 19, 34, 36, 37, 44, 77, 90,<br />
93<br />
Parnell (Th.) 36<br />
Péguy (Ch.) 69<br />
Pellico (S.) 55<br />
Perez <strong>de</strong> Moya (J.) 72<br />
Pétrone 62<br />
Peyre(H.)71, 134<br />
Phaéton 48<br />
Phèdre 11, 20, 38, 49, 70, 102<br />
Philémon 11, 38, 58<br />
Pichois (CI.) 12, 15, 126<br />
Pin<strong>de</strong>monte (I.) 102<br />
Pixerécourt (G. <strong>de</strong>) 55<br />
Platon 100, 108<br />
Plaute 23, 70, 83, 86<br />
Poliziano (A.) 37, 42, 97<br />
Polti (G.) 27<br />
Polynice23, 25, 77, 108, 113<br />
Pomey (F.) 72<br />
Pope (A.) 42<br />
Prémont (L.) 11, 125<br />
Prométhée 8, 11, 13, 15, 18, 20, 23,<br />
25, 27, 28, 29, 30, 33, 36, 38, 44,<br />
45, 46, 48, 63, 65, 71, 73, 76, 78,<br />
83, 86, 88, 89, 90, 93, 96, 99, 101,<br />
105, 120<br />
Proserpine 11,51<br />
Psyché 38, 44, 73, 77, 123<br />
Py (A.) 35, 130<br />
Pygmalion 11, 23, 47, 51, 88, 93, 96,<br />
101<br />
Quevedo (F.) 42<br />
Quincey (Th. <strong>de</strong>) 69<br />
Quinet (E.) 30, 71,96<br />
Racine (J.) 31, 33, 38, 49, 70, 84,<br />
102, 113, 116<br />
Rastier (F.) 62, 134<br />
Ravisius Textor 72, 89<br />
Restif <strong>de</strong> la Bretonne 26<br />
Reusner (N.) 72<br />
Ricci (Ch.) 38, 125, 131<br />
Richard (J.P.) 16<br />
Richardson (S.) 26<br />
Rilke (R.M.) 37, 42, 97<br />
Robbe-Grillet (A.) 64<br />
Roman <strong>de</strong> Perceforest 89<br />
Roman <strong>de</strong> la Rose 89<br />
Roméo 25, 91<br />
Ronsard (P. <strong>de</strong>) 42, 47, 72, 73, 130<br />
Rotrou (J. <strong>de</strong>) 41, 74, 109, 115, 123<br />
Rougemont (D. <strong>de</strong>) 17, 43, 127, 131<br />
Rousseau (A.M.) 12, 15, 125, 126<br />
Rousseau (J.B.) 57, 73<br />
Rousseau (J.J.) 46, 75, 90, 96, 100<br />
Roussel (J.) 44, 65, 66, 67, 83, 123,<br />
126
144<br />
Ruccellai (G.) 74<br />
Ruthwen (K.K.) 120, 128<br />
Salomé 46<br />
Samson 21, 123<br />
Sardi (A.) 72<br />
Sartre (J.P.) 64<br />
Satan 26, 27, 28, 29<br />
Saw/8, 21, 93, 95, 106, 123<br />
Sauer (E.) 25, 90, 91, 128, 130, 132<br />
Saussure (F.<strong>de</strong>) 16<br />
Sauvage (M.) 17, 127<br />
Savonarole 106, 124<br />
Scève (M.) 57<br />
Schérer(J.) 57<br />
Schiller (F.) 55, 56, 123<br />
Schlegel (A.W.) 70, 73<br />
Schmitt(F.A.)21, 32<br />
Schulze (J.) 16, 127<br />
Scudéry (G.) 102<br />
Sénèque41, 63, 74, 123<br />
Servandoni (J.N.) 46, 90<br />
Seznec (J.) 72<br />
Shaftesbury 38, 45, 46, 73, 90<br />
Shakespeare (W.) 25, 47<br />
Shaw (G.B.) 69, 70<br />
Shelley (P.B.) 26, 46, 54, 84<br />
Socrate 11, 23, 79, 100<br />
Sophocle 19, 20, 25, 27, 63, 64, 65,<br />
70, 74, 83, 107, 108, 113, 115, 123<br />
Sophonisbe 7, 8, 35, 38, 46, 106, 123<br />
Sorel (G.) 17<br />
Soumet (A.) 69<br />
Spenser (E.) 42<br />
Stace74, 113<br />
Staël (G. <strong>de</strong>) 77<br />
Stanley (Th.) 71<br />
Starobinski (J.) 131, 132<br />
Stendhal 29, 75<br />
Sternheim (C.) 97<br />
Sturel (R.) 35<br />
Tan(H.G.) 84, 135<br />
Tasso(T.)51<br />
Tertullien 89<br />
Thésée 17<br />
Tirso <strong>de</strong> Molina 66, 67<br />
Tobler (Ch.) 46, 90<br />
INDEX<br />
Tresch (M.) 88<br />
Tschie<strong>de</strong>l (H.J.) 125<br />
Tristan 8, 15, 25, 43, 66, 91, 106, 123<br />
Trousson (R.) 13, 48, 125, 126, 128,<br />
130, 134, 135, 137<br />
Tulard(J.) 51, 126<br />
Ulrici (H.) 56<br />
Ulysse 78, 87, 122, 124<br />
Unger (R.) 56<br />
Unruh (F. von) 25<br />
Valerius Flaccus 88<br />
Valéry (P.) 37, 97<br />
Van Tieghem (P.) 7, 16, 26, 125, 129,<br />
130, 136, 139<br />
Vercruysse (J.) 126, 137<br />
Vernant (J.P.) 19, 20, 107, 128, 134,<br />
138<br />
Vernière (P.) 35<br />
Viau (Th. <strong>de</strong>) 45, 54<br />
Victoria (B. <strong>de</strong>) 72<br />
Vida (M.J.) 38<br />
Vigenère (B. <strong>de</strong>) 72<br />
Vigny (A. <strong>de</strong>) 57<br />
Villani (F.) 89<br />
Villena(E.)41, 123<br />
Villon (F.) 89<br />
Vincent <strong>de</strong> Beauvais 89<br />
Vinge (L.) 11, 18, 47, 51, 126, 132<br />
Virgile 19, 101<br />
Vivier (R.) 8, 87, 129, 135<br />
Voltaire 36, 38, 46, 47, 50, 64, 65, 70,<br />
90, 100, 106<br />
Von<strong>de</strong>l 49, 123<br />
Vossius (G.J.) 72<br />
Walzel (O.) 89, 136<br />
Weber (J.P.) 16<br />
We<strong>de</strong>kind (F.) 41, 123<br />
Weinstein (L.) 123<br />
Weisstein (U.) 12, 16, 50, 126, 131<br />
Wellek (R.) 56, 129, 132, 133<br />
Werfel (F.) 25<br />
Wieland (Ch.M.) 36, 46, 73, 90<br />
Young (E.) 46, 89<br />
Yseult 25, 66, 91
TABLE DES MATIÈRES<br />
Les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes : hier et aujourd'hui 7<br />
Une terminologie ambiguë 15<br />
Thèmes ou motifs ? 21<br />
Pour et contre les dénombrements entiers 31<br />
La continuité <strong>de</strong> la tradition historique 41<br />
Thématologie et œuvre en soi 53<br />
Synchronie, diachronie ? Le thème et la structure 61<br />
La recherche <strong>de</strong>s sources et <strong>de</strong>s influences 69<br />
Tradition et création 75<br />
Les limites temporelles et géographiques <strong>de</strong> l'enquête 85<br />
Préférences d'auteurs, d'époques, <strong>de</strong> nations 95<br />
Le thème et le contexte historique 105<br />
En guise <strong>de</strong> conclusion 119<br />
Notes 125<br />
In<strong>de</strong>x 140
L'auteur<br />
Raymond Trousson, professeur à l'<strong>Université</strong> <strong>Libre</strong> <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong>, et membre <strong>de</strong><br />
l'Académie Royale <strong>de</strong> Langue et <strong>de</strong> Littérature françaises, s'est particulièrement<br />
intéressé au XVIII* siècle. Divers articles ont étudié la survivance <strong>de</strong> la<br />
culture antique dans les lettres mo<strong>de</strong>rnes (Di<strong>de</strong>rot, Rousseau, Montesquieu,<br />
Clau<strong>de</strong>l, etc.). un livre a analysé la signification du mythe <strong>de</strong> Socrate dans la<br />
littérature militante <strong>de</strong>s Lumières [Socrate <strong>de</strong>vant Voltaire, Di<strong>de</strong>rot et Rousseau,<br />
1967). Il a consacré <strong>de</strong> nombreuses étu<strong>de</strong>s à l'influence <strong>de</strong> Rousseau, en<br />
Allemagne ou sur Grétry, Sand, Michelet, Balzac, Maurras, ou à la fortune <strong>de</strong>s<br />
Confessions au XIX e siècle ; un ouvrage (Rousseau et sa fortune littéraire, 1971,<br />
2* éd. 1977) a esquissé une étu<strong>de</strong> d'ensemble, <strong>de</strong> 1750 à nos jours. Il a publié<br />
<strong>de</strong>s textes <strong>de</strong> Fougeret <strong>de</strong> Monbron (Le Cosmopolite, 1970) et <strong>de</strong> L.S. Mercier<br />
{L'an 2440, 1971). Auteur d'une histoire internationale <strong>de</strong> l'utopie (Voyages<br />
aux Pays <strong>de</strong> Nulle part. Histoire littéraire <strong>de</strong> la pensée utopique, 1975, 2 éd.<br />
1979), il a également publié, dans le cadre d'une Bibliothèque <strong>de</strong>s utopies, <strong>de</strong>s<br />
textes <strong>de</strong> Gabriel <strong>de</strong> Foigny, L.S. Mercier, Tiphaigne <strong>de</strong> la Roche, Tyssot<br />
<strong>de</strong> Patot, Denis Veiras. Dans le domaine <strong>de</strong> la littérature comparée, Raymond<br />
Trousson a encore retracé l'histoire européenne du mythe <strong>de</strong> Prométhée (Le<br />
frième cfe Prométhée dans la littérature européenne, 1964, 2 e éd. 1976) et<br />
consacré un livre aux problèmes théoriques <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes (Un problème<br />
<strong>de</strong> littérature comparée: les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes, 1965).<br />
Le sujet<br />
Les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes — aussi appelées Stoffgeschichte ou thématologie —<br />
constituent aujourd'hui l'un <strong>de</strong>s secteurs les plus actifs <strong>de</strong> la recherche en<br />
littérature comparée. La présente étu<strong>de</strong> se propose d'offrir une métholologie<br />
<strong>de</strong> ce type <strong>de</strong> travaux, particulièrement complexes et qui relèvent à la fois<br />
<strong>de</strong> l'analyse <strong>de</strong>s mythes, <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong>s idées et <strong>de</strong> l'histoire littéraire. Elle<br />
s'efforce <strong>de</strong> faire le point sur l'état actuel <strong>de</strong>s travaux et d'éclairer diverses<br />
questions fondamentales : distinction entre mythe, thème, type, motif ; thèmes<br />
<strong>de</strong> situation et <strong>de</strong> héros ; synchronie et diachronie ; structuralisme ; histoire et<br />
critique * immanente » ; tradition et création ; extension temporelle et géographique<br />
<strong>de</strong> l'enquête ; le thème et le déterminisme historique, etc. Esquissant<br />
une méthodologie, ce travail souhaite susciter une réflexion et non imposer<br />
un point <strong>de</strong> vue. Situées au carrefour <strong>de</strong> plusieurs disciplines, les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />
thèmes apparaissent ici comme une recherche <strong>de</strong> synthèse, excluant le<br />
cloisonnement stérile entre les époques littéraires et entre les littératures, entre<br />
la littérature et les autres arts.<br />
295 FB.
Règles d’utilisation <strong>de</strong> copies numériques d‘œuvres littéraires<br />
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certaines défectuosités peuvent y subsister – telles, mais non limitées à, <strong>de</strong>s incomplétu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s erreurs<br />
dans les fichiers, un défaut empêchant l’accès au document, etc. -. Les EUB et les Archives &<br />
Bibliothèques <strong>de</strong> l’ULB déclinent toute responsabilité concernant les dommages, coûts et dépenses, y<br />
compris <strong>de</strong>s honoraires légaux, entraînés par l’accès et/ou l’utilisation <strong>de</strong>s copies numériques. De plus,<br />
les EUB et les Archives & Bibliothèques <strong>de</strong> l’ULB ne pourront être mis en cause dans l’exploitation<br />
subséquente <strong>de</strong>s copies numériques ; et la dénomination <strong>de</strong>s EUB et <strong>de</strong>s ‘Archives & Bibliothèques <strong>de</strong><br />
l’ULB’, ne pourra être ni utilisée, ni ternie, au prétexte d’utiliser <strong>de</strong>s copies numériques mises à<br />
disposition par eux.<br />
3. Localisation<br />
Chaque copie numérique dispose d'un URL (uniform resource locator) stable <strong>de</strong> la forme<br />
qui permet d'accé<strong>de</strong>r au document ;<br />
l’adresse physique ou logique <strong>de</strong>s fichiers étant elle sujette à modifications sans préavis. Les Archives &<br />
Bibliothèques <strong>de</strong> l’ULB encouragent les utilisateurs à utiliser cet URL lorsqu’ils souhaitent faire référence<br />
à une copie numérique.<br />
Utilisation<br />
4. Gratuité<br />
Les EUB et les Archives & Bibliothèques <strong>de</strong> l’ULB mettent gratuitement à la disposition du public les<br />
copies numériques d’œuvres littéraires sélectionnées par les EUB : aucune rémunération ne peut être<br />
réclamée par <strong>de</strong>s tiers ni pour leur consultation, ni au prétexte du droit d’auteur.<br />
5. Buts poursuivis<br />
Les copies numériques peuvent être utilisés à <strong>de</strong>s fins <strong>de</strong> recherche, d’enseignement ou à usage privé.<br />
Quiconque souhaitant utiliser les copies numériques à d’autres fins et/ou les distribuer contre<br />
rémunération est tenu d’en <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r l’autorisation aux EUB, en joignant à sa requête, l’auteur, le titre,<br />
et l’éditeur du (ou <strong>de</strong>s) document(s) concerné(s). Deman<strong>de</strong> à adresser aux Editions <strong>de</strong> l’<strong>Université</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>Bruxelles</strong> (editions@admin.ulb.ac.be).<br />
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6. Citation<br />
Pour toutes les utilisations autorisées, l’usager s’engage à citer dans son travail, les documents utilisés,<br />
par la mention « <strong>Université</strong> <strong>Libre</strong> <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong> – Editions <strong>de</strong> l’<strong>Université</strong> <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong> et Archives &<br />
Bibliothèques » accompagnée <strong>de</strong>s précisions indispensables à l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s documents (auteur,<br />
titre, date et lieu d’édition).<br />
7. Liens profonds<br />
Les liens profonds, donnant directement accès à une copie numérique particulière, sont autorisés si les<br />
conditions suivantes sont respectées :<br />
a) les sites pointant vers ces documents doivent clairement informer leurs utilisateurs qu’ils y ont accès<br />
via le site web <strong>de</strong>s Archives & Bibliothèques <strong>de</strong> l’ULB ;<br />
b) l’utilisateur, cliquant un <strong>de</strong> ces liens profonds, <strong>de</strong>vra voir le document s’ouvrir dans une nouvelle<br />
fenêtre ; cette action pourra être accompagnée <strong>de</strong> l’avertissement ‘Vous accé<strong>de</strong>z à un document du site<br />
web <strong>de</strong>s Archives & Bibliothèques <strong>de</strong> l’ULB’.<br />
Reproduction<br />
8. Sous format électronique<br />
Pour toutes les utilisations autorisées mentionnées dans ce règlement le téléchargement, la copie et le<br />
stockage <strong>de</strong>s copies numériques sont permis ; à l’exception du dépôt dans une autre base <strong>de</strong> données,<br />
qui est interdit.<br />
9. Sur support papier<br />
Pour toutes les utilisations autorisées mentionnées dans ce règlement les fac-similés exacts, les<br />
impressions et les photocopies, ainsi que le copié/collé (lorsque le document est au format texte) sont<br />
permis.<br />
10. Références<br />
Quel que soit le support <strong>de</strong> reproduction, la suppression <strong>de</strong>s références aux EUB et aux Archives &<br />
Bibliothèques <strong>de</strong> l’ULB dans les copies numériques est interdite.<br />
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