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DIGITHÈQUE - Université Libre de Bruxelles

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U N I V E R S I T É L I B R E D E B R U X E L L E S , U N I V E R S I T É D ' E U R O P E<br />

<strong>DIGITHÈQUE</strong><br />

<strong>Université</strong> libre <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong><br />

___________________________<br />

TROUSSON Raymond, Thèmes et mythes. Questions <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>,<br />

<strong>Bruxelles</strong>, Editions <strong>de</strong> l’<strong>Université</strong> <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong>, 1981.<br />

___________________________<br />

Cette œuvre littéraire est soumise à la législation belge en<br />

matière <strong>de</strong> droit d’auteur.<br />

Elle a été publiée par les<br />

Editions <strong>de</strong> l’<strong>Université</strong> <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong><br />

http://www.editions-universite-bruxelles.be/<br />

Les règles d’utilisation <strong>de</strong> la présente copie numérique <strong>de</strong> cette<br />

œuvre sont visibles sur la <strong>de</strong>rnière page <strong>de</strong> ce document.<br />

L'ensemble <strong>de</strong>s documents numérisés mis à disposition par les<br />

Archives & Bibliothèques <strong>de</strong> l'ULB sont accessibles à partir du site<br />

http://digitheque.ulb.ac.be/<br />

Accessible à : http://digistore.bib.ulb.ac.be/2011/i2800407441_000_f.pdf


Thèmes et mythes<br />

Questions <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>


Paru chez le même éditeur :<br />

— Voyages aux Pays <strong>de</strong> Nulle Part. Histoire littéraire <strong>de</strong> la pensée<br />

utopique. Deuxième édition augmentée, 1979.


Raymond Trous son<br />

Thèmes et mythes<br />

Questions <strong>de</strong> métho<strong>de</strong><br />

Arguments et Documents<br />

Éditions <strong>de</strong> l'<strong>Université</strong> <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong>


Conformément aux statuts <strong>de</strong>s Éditions <strong>de</strong> l'<strong>Université</strong> <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong>,<br />

le manuscrit <strong>de</strong> la présente étu<strong>de</strong> a été soumis à un Comité <strong>de</strong><br />

lecture qui en a recommandé la publication.<br />

Ce Comité était composé <strong>de</strong> MM. J. BINGEN<br />

I.S.B.N. 2-8004-0744-1<br />

D/1981/0171/14<br />

© 1981 by Éditions <strong>de</strong> l'<strong>Université</strong> <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong><br />

Parc Léopold, 1040 <strong>Bruxelles</strong> (Belgique)<br />

R. MORTIER<br />

J. WEISGERBER<br />

Tous droits <strong>de</strong> traduction et <strong>de</strong> reproduction réservés pour tous pays<br />

Imprimé en Belgique


LES ÉTUDES DE THÈMES :<br />

HIER ET AUJOURD'HUI<br />

Quand Bene<strong>de</strong>tto Croce, dès 1904, saisissait le prétexte offert<br />

par le compte rendu d'un livre sur le thème <strong>de</strong> Sophonisbe « pour<br />

mettre en gar<strong>de</strong> contre les dangers <strong>de</strong> ces travaux <strong>de</strong> comparaison,<br />

sujets <strong>de</strong> prédilection <strong>de</strong> la vieille critique et souvent décorés <strong>de</strong><br />

l'appellation, quelque peu ambitieuse, d'étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> littérature<br />

comparée» 1 , il exprimait, un <strong>de</strong>s premiers, une opinion appelée,<br />

au fil <strong>de</strong>s années, à se généraliser. Un quart <strong>de</strong> siècle après le<br />

savant italien, Paul Van Tieghem écrivait à propos <strong>de</strong>s enquêtes<br />

thématologiques : « De pareilles étu<strong>de</strong>s sont ou paraissent faciles<br />

et intéressantes, et nous comprendrons pourquoi l'on compte par<br />

centaines les dissertations <strong>de</strong> doctorat étrangères, les articles, où<br />

un motif, un thème est étudié méthodiquement dans <strong>de</strong>ux, dans<br />

plusieurs, dans la totalité <strong>de</strong>s formes qu'il a reçues, <strong>de</strong> manière à<br />

amuser l'esprit, à satisfaire la curiosité, mais sans gran<strong>de</strong> utilité<br />

pour l'histoire <strong>de</strong> la littérature» 2 . Trente ans encore, et la troisième<br />

édition <strong>de</strong> la Littérature comparée <strong>de</strong> M.-F. Guyard ne leur<br />

réservait pas un meilleur accueil et, plus récemment, Etiemble<br />

concédait du bout <strong>de</strong> la plume, après beaucoup <strong>de</strong> réserves, que<br />

«l'étu<strong>de</strong> d'un thème peut servir [...] l'intelligence <strong>de</strong> la littérature<br />

» 3 . La méfiance, malgré les années et malgré la multiplication<br />

<strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thématologie, loin <strong>de</strong> diminuer, n'avait fait que croître.<br />

Phénomène paradoxal, la répugnance grandissante pour la thématologie<br />

— mieux connue peut-être sous le nom <strong>de</strong> Stoffgeschichte,<br />

son appellation d'outre-Rhin —, n'a pas empêché les<br />

chercheurs <strong>de</strong> continuer à s'intéresser à l'histoire <strong>de</strong>s thèmes,<br />

même quand ils se savaient condamnés d'avance à voir leurs


8 THEMES ET MYTHES<br />

enquêtes sur Sophonisbe ou Inès <strong>de</strong> Castro, sur Orphée ou Judas,<br />

considérées avec une défiance médiocrement flatteuse et pour euxmêmes,<br />

et pour leurs sujets.<br />

Un peu partout la thématologie était frappée d'exclusion : on la<br />

disait trop érudite ou superficielle, on lui reprochait <strong>de</strong>s cadres<br />

trop étroits ou une ambition démesurée, on la bannissait <strong>de</strong> la littérature<br />

comparée et — pourquoi pas ? — <strong>de</strong> la littérature tout<br />

court. La conviction qui avait soutenu jadis la Zeitschrifî fur vergleichen<strong>de</strong><br />

Literaturgeschichte <strong>de</strong> Max Koch (1886-1910), ou la<br />

collection <strong>de</strong>s Studien zur vergleichen<strong>de</strong>n Literaturgeschichte<br />

(1901-1909), ou encore la série <strong>de</strong> seize volumes, publiée <strong>de</strong> 1929 à<br />

1937 par Paul Merker, sur la Stoff- und Motivgeschichte <strong>de</strong>r<br />

<strong>de</strong>utschen Literatur, avait succombé <strong>de</strong>puis longtemps sous les<br />

critiques, l'indifférence et le dédain.<br />

Et pourtant la thématologie n'était pas morte, son vieux charme<br />

agissait toujours, que ce fût auprès <strong>de</strong> jeunes étudiants en quête<br />

d'un sujet <strong>de</strong> travail <strong>de</strong> fin d'étu<strong>de</strong>s, ou <strong>de</strong> maîtres chevronnés<br />

comme Robert Vivier ou Charles Dédéyan. C'est, après tout, à la<br />

fois heureux et peu surprenant, car l'homme vit <strong>de</strong> ses mythes où<br />

il se retrouve et se poursuit.<br />

Pourquoi éprouve-t-il le besoin d'inventorier sans cesse ces<br />

ancestrales légen<strong>de</strong>s ? C'est qu'étudier leur histoire, se pencher sur<br />

le secret <strong>de</strong> leurs mutations infinies, c'est aussi apprendre à connaître<br />

sa propre odyssée dans ce qu'elle a <strong>de</strong> plus élevé et souvent<br />

<strong>de</strong> plus tragique. Dans toute conscience éprise <strong>de</strong> justice il y a une<br />

Antigone, dans toute révolte un Prométhée, dans toute quête un<br />

Orphée ; nous frémissons <strong>de</strong>vant Médée, rêvons <strong>de</strong>vant Tristan,<br />

tremblons <strong>de</strong>vant Oedipe. Ces héros sont en nous et nous sommes<br />

en eux ; ils vivent <strong>de</strong> notre vie, nous nous pensons sous leur enveloppe.<br />

En tout homme sommeillent ou s'agitent un Oreste et un<br />

Faust, un Don Juan et un Saùl ; nos mythes et nos thèmes légendaires<br />

sont notre polyvalence, ils sont les exposants <strong>de</strong> l'humanité,<br />

les formes idéales du <strong>de</strong>stin tragique, <strong>de</strong> la condition humaine.<br />

De là le paradoxe: condamner les livres sur Oedipe et le Cid,


HIER ET AUJOURD'HUI 9<br />

mais revenir aux héros comme aux pôles <strong>de</strong> notre être et <strong>de</strong> notre<br />

culture, parce qu'ils incarnent ce qu'il y a en l'homme d'éternel et<br />

d'indéfiniment transmissible, la mesure <strong>de</strong> son humanité, sa gran<strong>de</strong>ur<br />

et sa faiblesse, ses combats contre lui-même et les dieux.<br />

Quand telle est la force vitale, quand telle est la puissance<br />

d'immortalité et d'évocation qui habitent les grands thèmes <strong>de</strong> la<br />

littérature européenne, l'indifférence ou l'hostilité témoignées aux<br />

étu<strong>de</strong>s qui leur sont consacrées n'est-elle pas faite pour surprendre<br />

? Les vieux mythes <strong>de</strong> notre civilisation ne contiennent-ils pas<br />

assez <strong>de</strong> richesses et <strong>de</strong> mystère pour tenter le chercheur le plus exigeant<br />

et la multiplicité <strong>de</strong> leurs incarnations n'a-t-elle pas <strong>de</strong> quoi<br />

solliciter l'esprit le moins curieux ? Au cœur <strong>de</strong> ces antiques légen<strong>de</strong>s<br />

veillent quelques-uns <strong>de</strong>s symboles primordiaux <strong>de</strong> la culture<br />

occi<strong>de</strong>ntale, quelques-uns <strong>de</strong>s signes exaltants ou terribles <strong>de</strong><br />

l'aventure humaine ; motif suffisant, peut-être, <strong>de</strong> se pencher sur<br />

eux.<br />

Or le désintérêt trop répandu, l'anathème jeté par <strong>de</strong>s savants<br />

aussi éminents que Paul Hazard 4 ou Bene<strong>de</strong>tto Croce conduisaient<br />

à penser que la thématologie recèle en réalité un attrait<br />

trompeur, un intérêt fallacieux qui, à l'épreuve, s'évanouit<br />

comme un mirage et l'on s'en convaincra mieux encore en<br />

déployant l'éventail <strong>de</strong>s reproches élevés contre elle pendant plus<br />

d'un <strong>de</strong>mi-siècle. Au mieux fournissait-elle au débutant un sujet<br />


10 THEMES ET MYTHES<br />

En d'autres termes, la médiocrité <strong>de</strong> nombreux travaux étaitelle<br />

inévitable dès qu'il s'agissait d'une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> thème, ou bien les<br />

étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes n'ont-elles souvent produit que <strong>de</strong>s fruits secs<br />

faute <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s et <strong>de</strong> principes adéquats ? Il y a là matière à<br />

réflexion et peut-être à examen <strong>de</strong> conscience ! S'il nous tombe<br />

entre les mains une monographie étriquée et sans rayonnement,<br />

mal construite et mal pensée, songeons-nous à condamner, non<br />

pas cette monographie, mais la Monographie ? Nous ferons grief<br />

à l'auteur <strong>de</strong>s insuffisances <strong>de</strong> son travail, nous nous en prendrons<br />

à son talent, à ses capacités, à sa métho<strong>de</strong>, à son information, à<br />

n'importe quoi enfin, sauf à ce type d'étu<strong>de</strong>, béni et consacré <strong>de</strong><br />

longue date, qu'est la monographie.<br />

Ne convenait-il pas alors, en toute justice, <strong>de</strong> chercher à savoir<br />

si la thématologie n'avait pas souffert arbitrairement <strong>de</strong> l'absence<br />

d'une réflexion préalable sur sa nature, son objet et ses métho<strong>de</strong>s<br />

? si les objections qui lui étaient faites ne relevaient pas, précisément,<br />

<strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s défectueuses qu'il suffisait <strong>de</strong> changer, d'un<br />

défaut d'organisation interne auquel on pouvait remédier ? était-il<br />

chimérique, enfin, <strong>de</strong> craindre qu'elle n'eût eu parfois à essuyer<br />

les critiques <strong>de</strong> comparatistes qui n'étaient pas thématologues, ou<br />

que <strong>de</strong>s thématologues qui n'étaient pas comparatistes n'eussent<br />

bafoué quelquefois <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong> base <strong>de</strong> la littérature comparée?<br />

Nous nous étions risqué, voici une quinzaine d'années, à rompre<br />

une lance en faveur <strong>de</strong> cette Stoffgeschichte si discréditée, à<br />

prononcer pour elle un « plaidoyer » et même à lui consacrer un<br />

petit volume <strong>de</strong> méthodologie 5 . Aujourd'hui, un bref état <strong>de</strong>s<br />

recherches permet <strong>de</strong> le constater, semblable défense et illustration<br />

a bien perdu — qui ne s'en réjouira? — <strong>de</strong> son caractère<br />

aventureux.<br />

Peu <strong>de</strong> disciplines, en effet, ont connu rétablissement aussi<br />

rapi<strong>de</strong> et aussi spectaculaire, au point qu'il serait difficile <strong>de</strong> dresser<br />

une liste <strong>de</strong>s travaux récents qui ont rendu à la thématologie<br />

«tout son lustre» 6 . Les thèmes les plus prestigieux, bénéficiant


HIER ET AUJOURD'HUI 11<br />

d'un perfectionnement <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s d'analyse, n'ont pas cessé <strong>de</strong><br />

retenir l'attention. L'histoire <strong>de</strong> Faust, racontée déjà en six volumes<br />

par Ch. Dédéyan, a été éclairée, pour le vingtième siècle, par<br />

A. Dabezies ; Prométhée, <strong>de</strong>puis le XIX e siècle l'une <strong>de</strong>s figures<br />

les plus glorieuses <strong>de</strong> la civilisation occi<strong>de</strong>ntale, a suscité les<br />

enquêtes <strong>de</strong> Ch. Kreutz pour le romantisme anglais, <strong>de</strong> L. Prémont<br />

pour la littérature française contemporaine, <strong>de</strong> J. Duchemin<br />

pour un survol <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong> son histoire. Orphée, étudié du<br />

Parnasse à la poésie contemporaine par E. Kushner, a eu les honneurs<br />

d'une journée du Congrès annuel <strong>de</strong> l'Association Internationale<br />

<strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s Françaises en 1969 et est présent tout au long<br />

du livre <strong>de</strong> B. Ju<strong>de</strong>n sur P«orphisme» dans le romantisme<br />

français 7 . Des ouvrages ou <strong>de</strong>s articles substantiels ont été consacrés<br />

à Hercule, à Job, à Phèdre, à Iphigénie 8 , tandis que, du côté<br />

<strong>de</strong>s personnages historiques, on s'intéressait au rôle <strong>de</strong> Socrate ou<br />

<strong>de</strong> Jeanne d'Arc dans la littérature militante <strong>de</strong>s Lumières, au <strong>de</strong>stin<br />

<strong>de</strong> Napoléon au XIX e et au XX e siècles, à Robespierre dans<br />

l'histoire du théâtre, ou à la fortune <strong>de</strong> Lorenzaccio, <strong>de</strong> Jérôme<br />

Cardan à Musset 9 . Faut-il rappeler encore, dans une collection<br />

spécialisée, <strong>de</strong>s travaux très neufs sur Electre, Antigone, Faust,<br />

Oedipe ou Don Juan 10 ?<br />

Le renouveau s'est étendu à <strong>de</strong>s personnages moins illustres,<br />

mais dont les avatars se sont révélés plus féconds qu'on ne supposait<br />

: à Narcisse, étudié par L. Vinge, ou à Daphné, dont le succès<br />

européen est éclairé par Y.F.-A. Giraud n . Et même <strong>de</strong>s silhouettes<br />

plus discrètes ont gagné le <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la scène : M. Bélier s'est<br />

attaché au vieux couple <strong>de</strong> Philémon et Baucis et à la métaphore<br />

mythologique du Jupiter tonans comme représentation <strong>de</strong> la puissance<br />

en poésie, H. Anton aux interprétations successives du rapt<br />

<strong>de</strong> Proserpine et H. Dôrrie a écrit <strong>de</strong> belles pages sur Galatée et<br />

Pygmalion dans la littérature et dans l'art 12 .<br />

Superficiel et incomplet, ce bilan n'en porte pas moins témoignage<br />

d'une véritable renaissance <strong>de</strong> la thématologie, qui a<br />

retrouvé une vigueur neuve et peut-être aussi un aplomb qu'elle


12 THÈMES ET MYTHES<br />

n'eût osé montrer à l'époque, encore proche, <strong>de</strong> sa disgrâce. Qui<br />

se fût risqué alors à écrire que les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes « sont vraisemblablement<br />

appelées à <strong>de</strong>venir Tune <strong>de</strong>s branches les plus riches et<br />

les plus actives du comparatisme, tout autant que les étu<strong>de</strong>s<br />

d'influence ou l'histoire <strong>de</strong>s mouvements littéraires internationaux<br />

» 13 ? Appelées à <strong>de</strong>venir. La formule a son poids : pour la<br />

première fois <strong>de</strong>puis un <strong>de</strong>mi-siècle, la Stoffgeschichte se découvre,<br />

non plus seulement un passé, mais un avenir.<br />

Au renouvellement <strong>de</strong> la discipline a répondu, chez les historiens<br />

et les théoriciens du comparatisme, un revirement <strong>de</strong> l'attitu<strong>de</strong><br />

critique.<br />

Ici encore, un coup d'oeil suffit. Dès 1967, Cl. Pichois et A.-M.<br />

Rousseau consacraient plusieurs pages favorables aux étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

thèmes et concluaient : « Si nous définissons le thème comme le<br />

point <strong>de</strong> rencontre d'un esprit créateur et d'une matière littéraire<br />

ou simplement humaine, la thématologie reprend tous ses droits ».<br />

L'année suivante, S. Jeune lui faisait une place <strong>de</strong> choix dans la<br />

littérature générale, tout comme J. Brandt-Corstius ; H. Levin en<br />

discutait dans un important article et, peu après, U. Weisstein lui<br />

réservait un chapitre entier. Depuis, F. Jost ou H. Dyserinck se<br />

sont plus à reconnaître son importance 14 . E. Frenzel, après avoir<br />

publié en 1966 une nouvelle étu<strong>de</strong> théorique, procurait la quatrième<br />

édition, considérablement augmentée, <strong>de</strong> son indispensable<br />

dictionnaire <strong>de</strong>s thèmes et, la même année, un précieux recensement<br />

<strong>de</strong>s «motifs » <strong>de</strong> la littérature mondiale 15 .<br />

Observons enfin que la thématologie a bénéficié d'une conception<br />

assouplie du comparatisme, où la notion <strong>de</strong> comparaison ou<br />

<strong>de</strong> confluence s'est implantée à côté <strong>de</strong> celle d'influence et <strong>de</strong> relation<br />

<strong>de</strong> fait. Dès lors que comparaisons et rapprochements obtenaient<br />

droit <strong>de</strong> cité et que la littérature comparée accueillait « tout<br />

thème ou motif qui permette <strong>de</strong> regrouper les œuvres sans considération<br />

<strong>de</strong> nationalité, en allant <strong>de</strong> la causalité la plus immédiate<br />

aux affinités indirectes » 16 , les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes pouvaient revendiques<br />

une importance nouvelle.


HIER ET AUJOURD'HUI 13<br />

Dans la théorie comme dans la pratique, la Stoffgeschichte s'est<br />

donc vu reconnaître une dignité insoupçonnée. Non pas que, du<br />

jour au len<strong>de</strong>main, toutes les réserves aient disparu, mais elles se<br />

sont atténuées, nuancées. Si Ton conseille encore la pru<strong>de</strong>nce<br />

<strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s synthèses qui embrassent plusieurs siècles et braconnent<br />

aux frontières <strong>de</strong> diverses disciplines, ce n'est plus méfiance<br />

ou scepticisme systématiques, mais simple mise en gar<strong>de</strong> contre les<br />

difficultés inhérentes à ce type <strong>de</strong> recherches. Le temps n'est plus<br />

où l'on pensait que l'histoire d'un thème se résume aune accumulation<br />

<strong>de</strong> fiches, à une collection <strong>de</strong> disparates.<br />

C'est pourquoi il ne nous a pas paru inopportun <strong>de</strong> publier une<br />

nouvelle version du petit livre paru voici quinze ans. Si nous nous<br />

en tenons, pour les principes essentiels, à la doctrine élaborée<br />

jadis, nous avons essayé ici <strong>de</strong> compléter et <strong>de</strong> mettre à jour notre<br />

information, d'abor<strong>de</strong>r les problèmes <strong>de</strong> définition et <strong>de</strong> terminologie,<br />

<strong>de</strong> faire une place aux récentes métho<strong>de</strong>s d'analyse.<br />

Notre objectif, cela va sans dire, <strong>de</strong>meure mo<strong>de</strong>ste. Ces pages<br />

<strong>de</strong>vraient servir d'introduction à une discipline particulière, qui a<br />

ses règles et ses exigences, constituer un manuel procédant par<br />

suggestions et non par décrets.<br />

Notre propos sera donc d'énoncer, non pas la charte <strong>de</strong> la thématologie,<br />

mais un certain nombre <strong>de</strong> conditions sans lesquelles<br />

elle n'est pas ce qu'elle peut être, quelques principes méthodologiques<br />

indispensables. Cet énoncé, nous ne le prétendons ni complet<br />

ni doué <strong>de</strong>s vertus d'un catéchisme. Chaque thème impose à la<br />

théorie <strong>de</strong>s nuances, <strong>de</strong>s variantes ou <strong>de</strong>s compléments, et cela<br />

pour la simple raison que chaque sujet porte en soi ses déterminants,<br />

sollicite la métho<strong>de</strong> qui lui convient seule parfaitement.<br />

Nous souhaitons présenter ici <strong>de</strong>s directives générales, <strong>de</strong>s<br />

réflexions inspirées par la pratique <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes et en particulier<br />

par celle que nous avons menée, il y a plusieurs années<br />

déjà, sur l'histoire européenne <strong>de</strong> Prométhée, l'une <strong>de</strong>s figures les<br />

plus éblouissantes et les moins connues du panthéon<br />

mythologique 17 . Nous ne reviendrons donc pas sur les considéra-


14 THÈMES ET MYTHES<br />

tions théoriques, historiques et philosophiques auxquelles s'est<br />

livrée Elisabeth Frenzel. On trouvera chez elle <strong>de</strong>s indications précieuses<br />

sur les instruments <strong>de</strong> travail, les travaux existants et l'histoire<br />

<strong>de</strong> la thématologie l8 . En ce qui nous concerne, nous en resterons<br />

à la pratique, à la métho<strong>de</strong>, nous efforçant <strong>de</strong> réfuter quelques<br />

objections traditionnelles, <strong>de</strong> signaler quelques voies possibles<br />

d'exploitation, quelques perspectives.


UNE TERMINOLOGIE AMBIGUË<br />

L'essor <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes, il faut le reconnaître, s'est<br />

déployé parfois dans une certaine confusion <strong>de</strong>s concepts et <strong>de</strong>s<br />

définitions 19 . La difficulté est rendue plus ardue par la nécessité<br />

<strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s équivalents en plusieurs langues, et Ton découvre<br />

vite que Stoff, thème ou thème n'ont pas nécessairement le même<br />

sens pour tout le mon<strong>de</strong> ; en outre, <strong>de</strong>s termes couramment<br />

employés — motif, type, fable, mythe, légen<strong>de</strong>, etc. — sont<br />

volontiers utilisés comme synonymes, usage peu propice à la précision.<br />

Il suffit d'ailleurs <strong>de</strong> passer en revue quelques-unes <strong>de</strong>s<br />

définitions existantes pour prendre conscience <strong>de</strong> la complexité <strong>de</strong><br />

la question.<br />

Lorsqu'il s'agit <strong>de</strong> retracer l'histoire d'un personnage, S. Jeune,<br />

par exemple, propose <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> types <strong>de</strong> diverses catégories :<br />

légendaires et mythologiques (Prométhée, Orphée), bibliques<br />

(Moïse), <strong>de</strong>s romans courtois (Tristan), littéraires (Don Juan), historiques<br />

(Alexandre, Jeanne d'Arc), sociaux et professionnels (le<br />

soldat, le laboureur, la prostituée). Les thèmes ou sujets (renvoyant<br />

selon lui à l'allemand Stoffgeschichte) désigneront une<br />

matière moins précise: l'océan, la montagne, <strong>de</strong>s sentiments<br />

(haine, amour), ou <strong>de</strong>s idées (progrès, justice). Dans cette perspective,<br />

pourquoi ne pas adjoindre le type «national » (l'Anglais, le<br />

Turc, l'Allemand), qui pourrait fort bien figurer, après tout, aux<br />

côtés du banquier et du magistrat ?<br />

Le même genre <strong>de</strong> distinctions se retrouve sous la plume <strong>de</strong> Cl.<br />

Pichois et A.-M. Rousseau, mais avec une différence <strong>de</strong> vocabulaire.<br />

Les types <strong>de</strong> S. Jeune <strong>de</strong>viennent ici <strong>de</strong>s personnages littéraires»<br />

tandis qu'aux types sociaux et professionnels viennent s'ajouter<br />

les types psychologiques (le fou, le misanthrope, l'avare). U.


16<br />

THÈMES ET MYTHES<br />

Weisstein, pour sa part, parle <strong>de</strong> thèmes dans le cas <strong>de</strong>s types individualisés<br />

et <strong>de</strong> motifs quand il s'agit d'une situation, en y joignant<br />

les catégories <strong>de</strong>s idées et <strong>de</strong>s sentiments — l'ancienne Problemgeschichte,<br />

rangée parmi les thèmes par S. Jeune.<br />

Quant à la thématologie, que P. Van Tieghem suggérait en 1931<br />

comme équivalent <strong>de</strong> Stoffgeschichte, il lui arrive d'être confondue,<br />

dans la critique contemporaine, avec la thématique, où le<br />

thème <strong>de</strong>vient «réseau organisé d'obsessions » selon R. Barthes, à<br />

moins qu'il ne soit, chez J.-P. Weber, «un événement ou une<br />

situation infantiles», ou, pour J.-P. Richard, «une constellation<br />

<strong>de</strong> mots, d'idées, <strong>de</strong> concepts», ou encore, pour G. Genot, «un<br />

élément verbal». Devant cette multiplicité <strong>de</strong> définitions, on est<br />

en droit <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si les rénovateurs <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes —<br />

pour bienvenus qu'ils soient — parlent bien toujours <strong>de</strong> la même<br />

réalité. Or F. <strong>de</strong> Saussure nous en avertit : « C'est une mauvaise<br />

métho<strong>de</strong> que <strong>de</strong> partir <strong>de</strong>s mots pour définir les choses » 20 .<br />

Comment s'étonner si même le terme traditionnel <strong>de</strong> Stoffgeschichte<br />

paraît aujourd'hui peu adéquat ? Aux yeux <strong>de</strong> M. Bélier,<br />

Stoff désigne la matière (ce que S. Jeune appelait sujet), alors<br />

que Thema lui semble concerner à la fois la matière et la forme<br />

expressive. Logiquement, Thema englobant Stoff, et M. Bélier<br />

souhaitant s'intéresser aux signifiants non moins qu'aux signifiés,<br />

il voudrait évincer Stoffgeschichte au profit <strong>de</strong> Thématologie,<br />

concept plus riche et plus complexe. Mais l'accord ne se fait pas<br />

davantage ici qu'ailleurs : la nouvelle appellation est contestée par<br />

J. Schulze et H. Levin n'y voit pas autre chose qu'«une approximation<br />

pseudo-scientifique » et rejette un néologisme superflu 2I .<br />

Nulle part cependant la confusion n'est plus gran<strong>de</strong> que dans<br />

l'emploi du terme mythe, lequel, perpétuellement soumis au traitement<br />

<strong>de</strong> Procuste, recouvre volontiers toutes les catégories énumérées<br />

ci-<strong>de</strong>ssus. On parle du mythe d'Orphée, autrefois lié aux<br />

mystères, <strong>de</strong>s mythes précolombiens affleurant dans les récits<br />

d'Asturias ou <strong>de</strong> Cortazar, du mythe du labyrinthe dans le roman<br />

contemporain, <strong>de</strong>s mythes comme structures permanentes <strong>de</strong>


UNE TERMINOLOGIE AMBIGUË 17<br />

l'imaginaire, du mythe <strong>de</strong> l'utopie — à moins que ce ne soit <strong>de</strong><br />

l'utopie du mythe... Ici il est image ou métaphore, là métalangage<br />

ou synonyme <strong>de</strong> légen<strong>de</strong>, texte, parole, récit, discours, etc.<br />

Dans le domaine <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong>s religions, le mythe, enseigne<br />

Mircea Elia<strong>de</strong>, « raconte une histoire sacrée », qui « sert <strong>de</strong> modèle<br />

au comportement humain » ; il est selon Marie Delcourt « un essai<br />

d'explication d'une réalité sentie comme mystérieuse » 22 . II a donc<br />

une portée étiologique : servant d'interprétation à <strong>de</strong>s phénomènes<br />

incompréhensibles, il émane d'une pensée préscientifique, et c'est<br />

dans ce sens que le conçoit encore G. Bachelard 23 . De leur côté, les<br />

psychologues se sont emparés du terme pour désigner une traduction<br />

<strong>de</strong>s pulsions inavouables refoulées par le surmoi. Dès 1904,<br />

dans sa Psychopathologie <strong>de</strong> la vie quotidienne, Freud l'entend<br />

ainsi, le mythe <strong>de</strong> Thésée dans le labyrinthe <strong>de</strong>venant représentation<br />

<strong>de</strong> la naissance, celui <strong>de</strong> Narcisse le symbole d'un processus<br />

d'introversion névrotique 24 . A sa suite, D. <strong>de</strong> Rougemont et M.<br />

Sauvage le définissent comme une procédé symbolique <strong>de</strong> transgression<br />

<strong>de</strong>s tabous 25 . Avec Charles Mauron, la focalisation <strong>de</strong>s<br />

métaphores obsédantes aboutit à la construction d'un mythe personnel<br />

— curieuse contradiction dans les termes, puisque la caractéristique<br />

du mythe est <strong>de</strong> relever d'un consensus collectif. Du côté<br />

<strong>de</strong> la sociologie, il est pour G. Sorel l'expression <strong>de</strong>s convictions<br />

d'une collectivité et R. Barthes s'en sert pour circonscrire un<br />

système <strong>de</strong> valeurs truquées. Et pourquoi ne pas l'accepter avec<br />

Etiemble comme synonyme d'image déformée pour découvrir,<br />

dans la conscience culturelle, un mythe <strong>de</strong> Rimbaud, ou encore au<br />

sens où le comparatisme parle <strong>de</strong> « mirage » ? Et l'on songera peutêtre,<br />

avec R. Barthes, que la tragédie racinienne étudiée dans son<br />

espace scénique et les relations qu'elle instaure entre les personnages,<br />

consacre « le mythe <strong>de</strong> l'échec du mythe » 26 ... On l'admettra<br />

sans peine, il serait peu raisonnable d'appliquer les mêmes métho<strong>de</strong>s<br />

d'analyse à <strong>de</strong>s réalités si différentes.<br />

Vaut-il mieux parler <strong>de</strong> mythes littéraires, comme le conseillait<br />

naguère Pierre Albouy dans un ouvrage remarquable 27 ? Rejetant


18 THEMES ET MYTHES<br />

le thème, c'est-à-dire «l'ensemble <strong>de</strong>s apparitions du personnage<br />

mythique dans le temps et l'espace littéraire envisagés » (p. 9), qui<br />

exigerait d'en relever jusqu'aux moindres allusions, P. Albouy<br />

veut s'en tenir au mythe littéraire, lequel implique «un récit, que<br />

l'auteur traite et modifie avec une gran<strong>de</strong> liberté» (p. 9) et qui<br />

n'existe que si l'artiste a réussi à lui donner une signification nouvelle<br />

: « Quand une telle signification ne s'ajoute pas aux données<br />

<strong>de</strong> la tradition, il n'y a pas <strong>de</strong> mythe littéraire » (p. 9).<br />

Sommes-nous sortis d'embarras ? D'abord, il n'est pas si sûr<br />

que tout mythe littéraire, en dépit <strong>de</strong> l'étymologie, implique un<br />

récit. Si le mythe <strong>de</strong> situation (Oedipe, Antigone) suppose un<br />

ensemble <strong>de</strong> données narratives, le mythe <strong>de</strong> héros (Prométhée) se<br />

rend vite indépendant d'un récit explicite, comme le montre P.<br />

Brunel 28 . Ensuite, refuser <strong>de</strong> tenir compte <strong>de</strong> «l'ensemble <strong>de</strong>s<br />

apparitions du personnage mythique», c'est ignorer la continuité<br />

<strong>de</strong> la tradition profon<strong>de</strong> pour ne retenir que <strong>de</strong>s œuvres élaborées<br />

et risquer <strong>de</strong> n'accepter pour mythe qu'une manifestation tardive<br />

du personnage. C'est ce qui conduit P. Albouy à observer: «La<br />

légen<strong>de</strong> [— est-ce un synonyme <strong>de</strong> mythe ? —] <strong>de</strong> Narcisse tient<br />

peu <strong>de</strong> place dans notre littérature, avant l'extrême fin du XIX e<br />

siècle » (p. 174), alors que L. Vinge a bien fait voir, au contraire,<br />

la permanence du thème <strong>de</strong>s origines au début du XIX e siècle.<br />

Ce n'est pas tout. « Même si le personnage mythique est dû à un<br />

créateur unique, écrit P. Albouy, il ne tourne au mythe que grâce<br />

à l'accueil étendu qui lui est fait par la postérité. Le mythe a toujours<br />

un aspect collectif» (p. 293). Sans doute, et telle est l'idée<br />

qu'en donnent Jung ou Lalan<strong>de</strong>. Mais où est l'accueil collectif fait<br />

aux «mythes personnels » <strong>de</strong> Hugo (océan, étoiles, cosmos) ou <strong>de</strong><br />

Michelet (le peuple) ? en quoi ont-ils engendré une tradition 29 ?<br />

Tiré à hue et à dia, le mythe est tantôt dépôt laissé dans l'esprit <strong>de</strong><br />

tous les hommes d'une époque donnée, tantôt expression d'une<br />

mentalité, d'une vision du mon<strong>de</strong> individuelle ou encore, comme<br />

chez Nerval, une image du mon<strong>de</strong> intérieur <strong>de</strong> l'écrivain. Et, une<br />

fois <strong>de</strong> plus, les signifiants se dissolvent, le mythe finissant par


UNE TERMINOLOGIE AMBIGUË 19<br />

embrasser toutes les catégories <strong>de</strong> l'imaginaire : il désigne Orphée<br />

ou Narcisse, mais aussi la littérature fantastique, le merveilleux,<br />

les contes <strong>de</strong> fées ou l'utopie 30 .<br />

Enfin, l'appellation <strong>de</strong> mythe littéraire n'entretient-elle pas une<br />

confusion supplémentaire? A nos yeux s'instaure volontiers une<br />

sorte d'équivalence entre mythe et littérature, sans doute parce<br />

que la mythologie gréco-latine, notre source principale, nous a été<br />

transmise sous une forme particulièrement achevée, c'est-à-dire<br />

littéraire. Nous avons tendance à le perdre <strong>de</strong> vue, lorsque nous<br />

abordons Eschyle, Ovi<strong>de</strong> ou Virgile, nous n'avons plus affaire à<br />

<strong>de</strong>s mythes, mais à une littérature mythologique, cristallisée et<br />

codifiée par <strong>de</strong>s artistes conscients sous un aspect très différent du<br />

matériau qui s'offre à l'ethnologue. Dans ces oeuvres, le mythe a<br />

déjà perdu sa fonction étiologique et religieuse, même si la structure<br />

du mythe continue <strong>de</strong> se manifester sous la structure narrative.<br />

M. Elia<strong>de</strong> y a insisté, les mythes grecs classiques représentent<br />

le triomphe <strong>de</strong> l'œuvre littéraire sur la croyance et le choix d'une<br />

version exclusive <strong>de</strong>s autres. Dans le cas d'Oedipe, par exemple,<br />

les versions archaïques ne contiennent aucune trace d'autopunition<br />

et le fils <strong>de</strong> Laïos, qui ne songe nullement à se crever les yeux,<br />

finit son existence sur le trône <strong>de</strong> Thèbes. Sophocle, lui, transforme<br />

le mythe en tragédie, c'est-à-dire en un texte élaboré possédant<br />

son sens et sa finalité propres. Il y a dès lors un abîme entre<br />

l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s mythes et l'histoire contée par Sophocle, dont l'Oedipe<br />

est l'un <strong>de</strong> bien d'autres possibles, et dont l'art a consisté à transformer<br />

une succession chronologique d'événements en <strong>de</strong>stin et à<br />

attribuer au récit <strong>de</strong>s étapes et une signification fixes. « Les tragédies,<br />

bien, entendu, ne sont pas <strong>de</strong>s mythes», conclut J.-P.<br />

Vernant 31 .<br />

Alors que R. Barthes assure que le mythe « ne se définit pas par<br />

l'objet <strong>de</strong> son message, mais par la façon dont il le profère », il est<br />

clair au contraire que l'importance originelle du mythe n'est pas<br />

littéraire : elle est dans les événements rapportés, dans le projet<br />

étiologique — pensons au mythe <strong>de</strong>s âges ou à celui <strong>de</strong> Pandore


20 THEMES ET MYTHES<br />

chez Hésio<strong>de</strong> — et non dans la forme. Pour le mythologue, toutes<br />

les versions appartiennent au mythe et s'additionnent pour composer<br />

un tout en perpétuelle mouvance ; en littérature, le Faust <strong>de</strong><br />

Goethe n'est pas une variante possible <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Marlowe, ni<br />

VAntigone d'Anouilh une version parmi d'autres du mythe<br />

d'Antigone.<br />

A l'ouverture indéfinie du mythe, matière brute, s'oppose la<br />

clôture <strong>de</strong> l'œuvre littéraire, produit fini 32 . Pour le comparatiste,<br />

il n'y a pas <strong>de</strong> Prométhée, d'Antigone ou <strong>de</strong> Phèdre extérieurs à<br />

Eschyle, à Sophocle, à Euripi<strong>de</strong>, c'est-à-dire hors <strong>de</strong>s textes littéraires.<br />

Le mythe cesse où commence la littérature, au point que J.-<br />

P. Vernant a pu montrer que la tragédie ne fait même son apparition,<br />

à la fin du VI e siècle, que lorsque le langage du mythe n'est<br />

plus réellement signifiant pour la Cité. Comme dit R. Caillois,<br />

«c'est précisément quand le mythe perd sa puissance morale <strong>de</strong><br />

contrainte qu'il <strong>de</strong>vient littérature » 33 . Nous avons donc à traiter<br />

<strong>de</strong> littérature, et non <strong>de</strong> mythes.<br />

Le souci <strong>de</strong> définir <strong>de</strong>s catégories claires ne relève pas, on s'en<br />

doute, d'une manie <strong>de</strong> la classification. Mais il est possible que<br />

l'existence <strong>de</strong> réalités différentes entraîne l'application <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s<br />

d'analyse différentes, nous aurons l'occasion d'y revenir.<br />

Pour notre part, nous choisirons <strong>de</strong> renoncer à l'emploi du terme<br />

mythe, décidément propice à toutes les confusions, pour conserver<br />

les notions <strong>de</strong> thème et <strong>de</strong> motif, quitte en préciser le contenu :<br />

ce sera l'objet du chapitre suivant.


THÈMES OU MOTIFS?<br />

Nous évoquions, dans les pages qui précè<strong>de</strong>nt, la confusion<br />

entre thème et mythe ; est-elle moindre entre thème et motif ?<br />

Une habitu<strong>de</strong> commune à nombre <strong>de</strong> manuels bibliographiques<br />

consiste à ranger sous une rubrique unique <strong>de</strong>s ouvrages fort différents,<br />

consacrés tantôt à la fortune du type <strong>de</strong> l'homme d'affaires<br />

dans le roman mo<strong>de</strong>rne, tantôt à la lune dans la poésie romantique,<br />

ou encore à la survivance, dans les lettres, <strong>de</strong> Cléopâtre ou<br />

<strong>de</strong> Samson. La pratique est générale, un coup d'œil suffit pour<br />

s'en convaincre. Déjà la bibliographie <strong>de</strong> L. Betz, dans un chapitre<br />

intitulé «Motifs, thèmes et types littéraires», agréait libéralement<br />

une étu<strong>de</strong> sur le Juif errant à côté d'une autre sur les traditions<br />

et légen<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la Belgique. Dans la Bibliography of Comparative<br />

Literature, les « Literary thèmes » englobent Orphée au<br />

temps du romantisme, le chat dans la littérature ou le féminisme<br />

dans VEnéi<strong>de</strong>. Dans le recueil annuel <strong>de</strong>s PMLA, le compartiment<br />

<strong>de</strong>s « Thèmes and Types » mentionne côte à côte le thème <strong>de</strong> Faust<br />

et un article sur le suici<strong>de</strong> dans la littérature <strong>de</strong>s Lumières. Même<br />

<strong>de</strong>s bibliographies plus spécialisées avouent ce goût du pêle-mêle :<br />

la Stoff- und Motivgeschichte <strong>de</strong>r <strong>de</strong>utschen Literatur <strong>de</strong> F.A.<br />

Schmitt confond volontiers dans le même intérêt <strong>de</strong>s travaux sur<br />

la patrie, le tabac, l'adieu, le mesmérisme, et <strong>de</strong>s enquêtes sur le<br />

thème <strong>de</strong> Saùl, d'Arminius ou <strong>de</strong> Daphné. De sorte qu'il se crée,<br />

entre les notions <strong>de</strong> thème et <strong>de</strong> motif, une manière d'équivalence<br />

tacitement acceptée, sinon reconnue, qui facilite sans doute quelque<br />

peu la tâche essentielle et ingrate <strong>de</strong>s bibliographes.<br />

Toutefois ce rapprochement, relativement peu important dans<br />

un répertoire bibliographique où il s'agit <strong>de</strong> rassembler le plus<br />

grand nombre possible <strong>de</strong> données dans un minimum d'espace et


22 THÈMES ET MYTHES<br />

d'éviter l'émiettement <strong>de</strong> l'information, risque d'aboutir à une<br />

imprécision regrettable lorsqu'il est pratiqué à propos d'étu<strong>de</strong>s<br />

particulières consacrées soit à un motif, soit à un thème. Ne<br />

s'expose-t-on pas ainsi à confondre <strong>de</strong>ux éléments, parents certes<br />

mais distincts, et à appliquer parfois à l'un <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s<br />

conclusions qui ne conviennent qu'à l'autre?<br />

A <strong>de</strong> nombreuses reprises déjà, la discussion a été ouverte sur la<br />

définition à donner <strong>de</strong> ces termes, sans qu'on ait pu cependant<br />

arriver à une précision satisfaisante 34 . En réalité, le débat portait<br />

souvent moins sur la nature <strong>de</strong>s éléments à faire entrer dans chaque<br />

catégorie, que sur les étiquettes à mettre sur les catégories<br />

elles-mêmes, querelle essentiellement verbale, qui consistait pour<br />

les uns à vouloir nommer thème ce que les autres nomment motif<br />

et vice-versa. Pour sortir <strong>de</strong> cette hésitation, peut-être suffira-t-il,<br />

au début <strong>de</strong> notre étu<strong>de</strong>, d'assigner à chacun <strong>de</strong> ces termes un contenu<br />

suffisamment défini.<br />

Qu'est-ce qu'un motif? Choisissons d'appeler ainsi une toile <strong>de</strong><br />

fond, un concept large, désignant soit une certaine attitu<strong>de</strong> — par<br />

exemple la révolte — soit une situation <strong>de</strong> base, impersonnelle,<br />

dont les acteurs n'ont pas encore été individualisés — par exemple<br />

les situations <strong>de</strong> l'homme entre <strong>de</strong>ux femmes, <strong>de</strong> l'opposition<br />

entre <strong>de</strong>ux frères, entre un père et un fils, <strong>de</strong> la femme abandonnée,<br />

etc. Nous avons affaire à <strong>de</strong>s situations déjà délimitées dans<br />

leurs lignes essentielles, à <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s déjà définies, à <strong>de</strong>s types<br />

même — par exemple le révolté ou le séducteur — mais qui restent<br />

à l'état <strong>de</strong> notions générales, <strong>de</strong> concepts. De là l'intérêt <strong>de</strong>s<br />

motifs pour la psychanalyse, qui désigne le motif général par le<br />

thème particulier qui en est issu : motif <strong>de</strong> la rivalité père-fils :<br />

complexe d'Oedipe ; motif <strong>de</strong> l'amour incestueux père-fille : complexe<br />

d'Electre, etc. Ces archétypes correspondaient pour C.G.<br />

Jung à <strong>de</strong>s démarches spontanées <strong>de</strong> l'esprit humain : c'est dire la<br />

distance qui les sépare du thème organisé dans la présentation<br />

littéraire 35 .<br />

Qu'est-ce qu'un thème ? Convenons d'appeler ainsi l'expression


THÈMES OU MOTIFS ? 23<br />

particulière d'un motif, son individualisation ou, si l'on veut, le<br />

passage du général au particulier. On dira que le motif <strong>de</strong> la séduction<br />

s'incarne, s'individualise et se concrétise dans le personnage<br />

<strong>de</strong> Don Juan ; le motif <strong>de</strong> la création artistique dans le thème <strong>de</strong><br />

Pygmalion; le motif <strong>de</strong> l'opposition entre la conscience individuelle<br />

et la raison d'Etat dans le thème d'Antigone ; le motif <strong>de</strong><br />

Tintolérance religieuse et philosophique dans le thème <strong>de</strong> Socrate.<br />

Par un processus i<strong>de</strong>ntique d'individualisation et <strong>de</strong> particularisation,<br />

la situation caractéristique <strong>de</strong> l'opposition entre <strong>de</strong>ux frères,<br />

qui est un motif, <strong>de</strong>vient thème lorsqu'elle a pour protagonistes<br />

Prométhée et Epiméthée, ou Etéocle et Polynice, ou Abel et Caïn ;<br />

l'amour incestueux et la rivalité père-fils se cristallisent dans le<br />

thème d'Oedipe; le motif <strong>de</strong> la femme trahie et délaissée dans<br />

Médée. C'est dire qu'il y aura thème lorsqu'un motif, qui apparaît<br />

comme un concept, une vue <strong>de</strong> l'esprit, se fixe, se limite et se définit<br />

dans un ou plusieurs personnages agissant dans une situation<br />

spécifique 36 , et lorsque ces personnages et cette situation auront<br />

donné naissance à une tradition littéraire.<br />

Comme l'observait W. Kayser 37 , «le thème est toujours lié à<br />

certaines figures, il est plus ou moins fixé dans l'événement,<br />

l'espace et la durée» et ces multiples conditions sont indispensables<br />

à le définir comme thème. Car certains motifs ne se décantent<br />

jamais jusqu'à <strong>de</strong>venir thèmes, s'arretant à un sta<strong>de</strong> d'évolution<br />

que l'on pourrait nommer celui du type : ainsi le motif <strong>de</strong> l'avarice<br />

conduit au type <strong>de</strong> l'avare, que l'on peut trouver dans Plaute ou<br />

dans Molière, dans Balzac ou dans Ghel<strong>de</strong>ro<strong>de</strong>, mais qui n'a pas<br />

engendré <strong>de</strong> tradition littéraire fixée dans un personnage unique,<br />

Harpagon, Gran<strong>de</strong>t ou l'Hiéronymus <strong>de</strong> Magie rouge étant<br />

<strong>de</strong>meurés <strong>de</strong>s incarnations isolées: alors qu'il y eut un<br />

Amphitryon 38, il n'y a pas d'Harpagon 2 38 . Pour recourir au<br />

langage mathématique, on pourrait dire que le thème apparaît, en<br />

quelque sorte, comme l'indice du motif.<br />

L'importance <strong>de</strong> cette distinction entre le thème et le motif 39 ,<br />

qui pourrait, à première vue, paraître relever d'une minutie assez


24 THEMES ET MYTHES<br />

gratuite, se révèle au contraire capitale face à <strong>de</strong>ux critiques<br />

importantes, fréquemment adressées à la thematologie; Tune<br />

porte sur la raison d'être même <strong>de</strong> cette discipline, l'autre sur sa<br />

justification en tant que type d'étu<strong>de</strong>s littéraires.<br />

La première <strong>de</strong> ces critiques prétend que la thematologie a pour<br />

objet, non pas la littérature, mais « la matière <strong>de</strong> la littérature » ^<br />

qu'elle ne saurait elle-même, par conséquent, être activité littéraire,<br />

puisqu'elle est censée « considérer les types avant leur promotion<br />

littéraire » 41 , et qu'il convient dès lors <strong>de</strong> la ranger parmi<br />

les étu<strong>de</strong>s folkloriques. La distinction thème-motif va nous permettre<br />

<strong>de</strong> constater que ce reproche est injustifié.<br />

En effet, à s'en tenir aux définitions que nous essayions <strong>de</strong> donner<br />

tout à l'heure, ce n'est pas le thème, mais bien le motif qui<br />

constitue la « matière <strong>de</strong> la littérature ». Si l'on entreprend d'étudier,<br />

par exemple, la femme malheureuse dans la littérature, on<br />

part d'une idée générale, d'une situation indéfinie. Le point <strong>de</strong><br />

départ, <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, n'a en soi rien <strong>de</strong> littéraire, pas plus que<br />

dans le cas où l'on s'attache à suivre la fortune <strong>de</strong> l'idée du bonheur,<br />

ou du luxe, ou du progrès, ou <strong>de</strong> la révolte, pas plus que<br />

dans le cas où l'on entend esquisser l'histoire <strong>de</strong> la situation <strong>de</strong>s<br />

frères ennemis, ou celle <strong>de</strong> la rivalité père-fils.<br />

En outre, s'il est aisé <strong>de</strong> déterminer à partir <strong>de</strong> quelle oeuvre et à<br />

quel moment un thème prend naissance, il n'en va pas <strong>de</strong> même<br />

lorsqu'il s'agit d'un motif. Abstrait, non incarné dans un personnage,<br />

il relève <strong>de</strong> l'expérience humaine, non <strong>de</strong> la littérature.<br />

Au contraire, qui étudie le thème, c'est-à-dire l'expression particulière<br />

et limitée d'un motif, part nécessairement d'un fait littéraire:<br />

l'œuvre qui a donné naissance à la tradition, œuvre première<br />

qui a dégagé d'un motif général, qui a sculpté dans la roche<br />

difforme du concept, la situation et les personnages appelés, dorénavant,<br />

à constituer le thème. Qui écrit une Antigone ou un Faust<br />

se réfère à un passé culturel, il a pour prédécesseurs i<strong>de</strong>ntifiables<br />

tous ceux qui ont traité le même sujet et qui forment, <strong>de</strong>puis<br />

l'œuvre éponyme jusqu'à lui, une chaîne ininterrompue dont il


THÈMES OU MOTIFS ? 25<br />

connaît au moins quelques maillons. Qui s'attar<strong>de</strong> à un motif —<br />

l'amitié ou l'avarice ou le tyrannici<strong>de</strong> — puise en lui-même bien<br />

plus que dans la tradition littéraire. Pour composer un Oreste, il<br />

faut connaître Eschyle, Sophocle, Euripi<strong>de</strong>, Crébillon, Leconte <strong>de</strong><br />

Lisle, Dumas, Sartre ou Hauptmann; mais l'auteur d'un drame<br />

<strong>de</strong> la vengeance n'est pas tributaire direct <strong>de</strong>s tragiques grecs, <strong>de</strong>s<br />

Edda, <strong>de</strong> Shakespeare, Marston ou Mérimée.<br />

Autrement dit, « dès le moment où nous les prenons, nos fables<br />

sont déjà littérature et non plus mythes » 42 . Aussi bien n'est-il pas<br />

indifférent <strong>de</strong> suivre l'évolution du motif <strong>de</strong>s frères ennemis ou<br />

celle <strong>de</strong>s couples Etéocle-Polynice, Abel-Caïn, Prométhée-<br />

Epiméthée : dans le premier cas, il s'agit d'une idée générale<br />

qu'illustreront parfaitement, entre autres, le roman Zwischen<br />

Himmel und Er<strong>de</strong> d'Otto Ludwig ou la tragédie <strong>de</strong> Grillparzer,<br />

Ein Bru<strong>de</strong>rzwist im Hause Habsburg; dans le second, d'une situation<br />

et d'événements bien précis : tous les frères ennemis ne sont<br />

pas Caïn et Abel, qui représentent, si l'on ose dire, une certaine<br />

façon d'être frères ennemis. De même, on notera la différence<br />

entre le thème d'Oedipe, centré sur <strong>de</strong>s composantes invariables,<br />

et le motif, infiniment plus général, <strong>de</strong> l'opposition père-fils qui<br />

connut une si belle vogue en Allemagne au début du siècle, chez<br />

W. Hasenclever, A. Bronnen, F. von Unruh ou F. Werfel 43 . Le<br />

motif <strong>de</strong>s amours contrariés, pour citer un <strong>de</strong>rnier exemple,<br />

embrassera à la fois le thème <strong>de</strong> Tristan et Yseult et celui <strong>de</strong><br />

Roméo et Juliette : il sera, encore une fois, une idée générale<br />

extra-littéraire, mais dont les « fixations », <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, relèvent<br />

immédiatement <strong>de</strong> la littérature.<br />

Bref, le motif, élément non littéraire, mais délimitant quelques<br />

situations et attitu<strong>de</strong>s fondamentales, est matière <strong>de</strong> la littérature :<br />

« Si je m'empare, écrivait E. Sauer, du motif qui repose <strong>de</strong>rrière le<br />

thème, je ne puis plus écrire <strong>de</strong> l'histoire littéraire, mais une histoire<br />

<strong>de</strong> l'humanité » 44 . Le thème, cristallisation et particularisation<br />

d'un motif, est d'emblée objet littéraire, parce qu'il n'existe<br />

qu'à partir du moment où le motif s'est exprimé dans une œuvre,


26 THÈMES ET MYTHES<br />

<strong>de</strong>venue le point <strong>de</strong> départ d'une série plus ou moins importante<br />

d'autres œuvres, le point <strong>de</strong> départ d'une tradition littéraire.<br />

La secon<strong>de</strong> critique volontiers dirigée contre notre discipline,<br />

consiste à contester purement et simplement le bien-fondé <strong>de</strong> toute<br />

enquête thématologique en alléguant que suivre à travers les littératures<br />

l'évolution d'un seul personnage ou d'une seule situation<br />

revient à séparer ce personnage ou cette situation d'autres qui leur<br />

sont en tous points parallèles et traduisent la même idée. Cette<br />

position était défendue, par exemple, par Paul Van Tieghem :<br />

«Comme le Satan <strong>de</strong> Carducci, écrivait-il, comme le Caïn <strong>de</strong><br />

Leconte <strong>de</strong> Lisle, le Prométhee <strong>de</strong> Shelley incarne la révolte <strong>de</strong><br />

l'esprit humain contre une religion qui l'opprime. Le même<br />

symbole, au fond, sous trois noms. Ce qui prouve en passant que<br />

la vraie thématologie se gui<strong>de</strong> plutôt par les affinités intimes <strong>de</strong>s<br />

idées que par l'i<strong>de</strong>ntité extérieure du sujet» 45 . Sur ce point, longtemps<br />

l'opinion n'a guère varié — on la retrouve telle quelle sous<br />

la plume <strong>de</strong> M.-F. Guyard — et la thématologie se voit donc accusée<br />

<strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à une dissociation arbitraire <strong>de</strong> l'unité apparente<br />

<strong>de</strong> plusieurs thèmes. Bref, au lieu <strong>de</strong> diviser, il faut unir, car,<br />

conclut-on, «mieux vaudrait en somme étudier le donjuanisme<br />

que Don Juan, découvrir sous <strong>de</strong>s masques divers, Faust, Manfred<br />

ou Caïn, la même révolte et la même affirmation <strong>de</strong> l'individu<br />

» 46 .<br />

On le voit, cette théorie <strong>de</strong>s thèmes apparentés revient à faire<br />

bon marché <strong>de</strong> l'individualité <strong>de</strong>s thèmes littéraires pour s'attacher<br />

à la généralité du motif non littéraire ! On en viendra, dans<br />

cette optique, à grouper <strong>de</strong>s personnages qui n'ont entre eux<br />

aucun rapport intime, sinon d'être <strong>de</strong>s émanations d'un lointain<br />

motif, d'une vague attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> base : si, dans une étu<strong>de</strong> consacrée<br />

au thème <strong>de</strong> Don Juan, l'on inclut tel héros <strong>de</strong> Crébillon fils ou <strong>de</strong><br />

Restif <strong>de</strong> la Bretonne, le Lovelace <strong>de</strong> Richardson, le Valmont <strong>de</strong><br />

Laclos, le Bel-Ami <strong>de</strong> Maupassant, le Costals <strong>de</strong> Montherlant et<br />

l'Ornifle d'Anouilh, on réduit le personnage à n'être plus l'expression<br />

que du motif général du séducteur. Car, la séduction mise à


THÈMES OU MOTIFS ? 27<br />

part, quels sont les caractères communs <strong>de</strong> ces personnages ? Ou<br />

bien Don Juan n'est-il que le séducteur ?<br />

Certes, on ne saurait le nier, un même motif est parfois la<br />

source unique où s'abreuvent plusieurs thèmes *, un lointain<br />

tronc commun aux multiples branches : ainsi, le motif <strong>de</strong> la<br />

femme délaissée, qui nourrit le thème <strong>de</strong> Médée, étaye encore ceux<br />

<strong>de</strong> Didon, Ariane, Bérénice ; le motif du libérateur <strong>de</strong> la patrie se<br />

fixe dans le thème d'Arminius, mais aussi dans ceux <strong>de</strong> Masaniello,<br />

Guillaume Tell ou Napoléon. Pour une conscience et une<br />

culture contemporaines, la révolte, motif aux cent facettes, est<br />

l'arc qui sous-tend <strong>de</strong>s thèmes nombreux : Prométhée, Caïn, Manfred,<br />

Hercule, Faust, Don Juan, Oreste, Antigone, Niobé, etc. Si<br />

cet apparentement ne peut, au premier abord, manquer <strong>de</strong><br />

s'imposer à nous, il appelle du moins quelques considérations qui<br />

montreront peut-être le danger qu'il y a, dans une perspective plus<br />

large, à rassembler sans nuances plusieurs thèmes dans une signification<br />

unique.<br />

En premier lieu, les thèmes ne peuvent s'apparenter — disons<br />

acquérir une signification commune — qu'à certaines époques, ce<br />

qui veut dire en réalité qu'un motif qui ne leur est pas nécessairement<br />

commun leur <strong>de</strong>vient commun, et cela en fonction <strong>de</strong>s courants<br />

d'idées du temps. Le Sturm und Drang, par exemple, et le<br />

romantisme, furent <strong>de</strong>s époques littéraires où domina l'esprit <strong>de</strong><br />

révolte. Aussi voit-on cette révolte, pendant le Sturm und Drang,<br />

portée à la fois par le Prométhée <strong>de</strong> Goethe, le Dios <strong>de</strong> Klinger ou<br />

la Niobé <strong>de</strong> « Maler » Mùller ; au romantisme, elle emplit l'âme <strong>de</strong><br />

Prométhée, <strong>de</strong> Faust, <strong>de</strong> Caïn, <strong>de</strong> Manfred, <strong>de</strong> Satan et même du<br />

Christ ! Autrement dit, l'attitu<strong>de</strong> intellectuelle du siècle, fondée<br />

* Dans ce sens, si le nombre <strong>de</strong>s thèmes peut varier à l'infini, celui <strong>de</strong>s motifs est<br />

beaucoup plus limité et G. Polti prétendait même le ramener aux Trente-six situations<br />

dramatiques (2 e éd., Paris, Mercure <strong>de</strong> France, 1912) dans une analyse en<br />

vérité assez artificielle, mais suggestive. Par exemple, le motif <strong>de</strong> la vengeance<br />

comprend, entre autres sous-motifs, celui <strong>de</strong> la situation où le héros venge son père<br />

sur sa mère, sous-motif qui inspire Eschyle, Sophocle, Euripi<strong>de</strong>, tous les Orestes et<br />

tous les Hamlets.


28 THEMES ET MYTHES<br />

sur un credo <strong>de</strong> révolte, cherche à s'exprimer dans une forme littéraire<br />

et, pour arriver à ses fins, transforme <strong>de</strong>s thèmes existant<br />

antérieurement (Prométhée, Caïn, Satan, Jésus) ou en crée (Manfred,<br />

Mazeppa), rassemblant sous un étendard unique <strong>de</strong>s soldats<br />

<strong>de</strong> différentes armées ; la signification commune que l'on impose<br />

aux thèmes est le résultat d'une distorsion <strong>de</strong> leur signification<br />

antérieure sous la pression d'une certaine idéologie.<br />

Il y a donc, dans ce cas, action <strong>de</strong>s forces historiques et l'on a<br />

tort <strong>de</strong> négliger le fait que cette action est particulière à chaque<br />

époque. Où trouvera-t-on un Christ révolté contre son Père, un<br />

Caïn et un Satan réhabilités, symboles d'une exigence <strong>de</strong> justice en<br />

face d'une divinité criminelle, sinon au romantisme? Prométhée<br />

est, <strong>de</strong>puis le début du XIX e siècle, le héros <strong>de</strong> la révolte ; il Test<br />

resté pour nous. Mais songe-t-on qu'il incarne, au XVI e siècle, le<br />

savant hanté par le problème <strong>de</strong> la connaissance ou, encore, dans<br />

la poésie, l'amant tourmenté par une maîtresse cruelle? qu'il est<br />

rarement, au siècle <strong>de</strong>s Lumières, le signe du progrès, bien plutôt<br />

celui <strong>de</strong> la déca<strong>de</strong>nce? que, s'il s'apparente à Satan aux yeux du<br />

romantique, jamais cette i<strong>de</strong>ntification n'apparaît au cours <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux millénaires qui précè<strong>de</strong>nt ? Dès lors, Prométhée, Satan, Caïn<br />

et le Christ, apparentés au romantisme, qu'avaient-ils <strong>de</strong> commun<br />

pour l'homme du Moyen Age ou <strong>de</strong> la Renaissance? Concluons<br />

donc que les affinités présumées sont occasionnelles et non essentielles<br />

: elles dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s temps et non <strong>de</strong> la nature intime <strong>de</strong>s<br />

thèmes, elles ne peuvent exister qu'à <strong>de</strong>s moments donnés.<br />

N'hésitons pas à aller plus loin. A la même époque, chez <strong>de</strong>s<br />

écrivains <strong>de</strong> la même famille spirituelle et avec un motif général<br />

commun, les thèmes continuent à se différencier subtilement.<br />

Voyons par exemple Manfred, la saisissante création <strong>de</strong> Byron, si<br />

volontiers comparé à Prométhée. Sans doute, les Alpes peuvent<br />

faire un Caucase, la volonté <strong>de</strong> Manfred est inébranlable, son<br />

invocation aux éléments rappelle celle <strong>de</strong> Prométhée... Oui, mais<br />

où est Prométhée dans ce personnage méprisant, orgueilleux, qui<br />

se veut surhumain et préoccupé seulement <strong>de</strong> lui-même, aussi peu


THÈMES OU MOTIFS? 29<br />

philanthrope que possible? Révolté peut-être, mais pour son<br />

compte personnel ! Et Caïn ? Une conscience anxieuse, qui s'interroge<br />

sur le mal et la légitimité d'une divinité arbitraire, qui veut<br />

détruire, mais ne construit rien. Et Faust, fidèle à sa nature démonique,<br />

évoluant par-<strong>de</strong>là le bien et le mal, attentif seulement à<br />

absorber en lui l'univers, ou Satan enfin, <strong>de</strong>venu certes auxiliaire<br />

<strong>de</strong>s hommes, mais par «hybris » et ambition ! A les considérer <strong>de</strong><br />

plus près, ces thèmes sont-ils l'expression <strong>de</strong> la même révolte?<br />

Révolte soit, mais pas la même: hissés sur un pavois commun, ils<br />

gar<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s propres, <strong>de</strong>s révoltés «spécialisées ».<br />

L'apparentement, déjà fonction <strong>de</strong> l'évolution <strong>de</strong>s idées, ne<br />

sera donc jamais que relatif. Ajoutons encore qu'il variera selon<br />

les écrivains. Le titanisme du jeune Goethe, qui est motif, transparaît,<br />

c'est entendu, à la fois dans son Prométhée, son Mahomet et<br />

son Faust 47 ; mais s'agit-il bien chaque fois <strong>de</strong> la même nuance du<br />

titanisme, <strong>de</strong> la même direction <strong>de</strong> la révolte? Le croire serait<br />

négliger le poids énorme <strong>de</strong> la tradition littéraire qui alourdit le<br />

thème et l'empêche <strong>de</strong> jamais se confondre complètement avec un<br />

autre, fût-ce dans le même auteur : tout au plus les routes se<br />

croisent-elles quelquefois, non pas en raison d'un appel <strong>de</strong> la<br />

nature profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces thèmes arbitrairement séparés, mais en raison<br />

<strong>de</strong>s pressions extérieures qui peuvent un instant infléchir la<br />

courbe <strong>de</strong> leur évolution.<br />

Que déduire <strong>de</strong> tout cela, sinon que, dans la mesure où le thème<br />

modifie sa valeur et sa signification au gré <strong>de</strong>s siècles et <strong>de</strong>s écrivains,<br />

on ne saurait parler <strong>de</strong> donjuanisme ou <strong>de</strong> prométhéisme<br />

que dans <strong>de</strong>s circonstances et <strong>de</strong>s cadres bien précis ? Avant d'étudier,<br />

non pas même le donjuanisme mais les donjuanismes, entreprenons<br />

donc <strong>de</strong> définir d'abord Don Juan *. Ne l'oublions pas<br />

* C'est-à-dire les incarnations <strong>de</strong> Don Juan, puisque son symbole évolue selon<br />

les auteurs. Dans De l'amour, Stendhal disait que Don Juan «réduit l'amour à<br />

n'être qu'une affaire ordinaire»; pour Théophile Gautier, il représentait au contraire<br />

«l'aspiration à l'idéal»; G. Mara— non le disait symbole <strong>de</strong> l'homme<br />

dépourvu <strong>de</strong> véritable virilité, tandis qu'Ortega y Gasset en faisait la personnification<br />

<strong>de</strong> cette même virilité. Où serait après cela l'unité juanesque?


30 THÈMES ET MYTHES<br />

enfin, un seul thème peut, à la même époque — et parfois chez le<br />

même auteur — être porteur <strong>de</strong> plusieurs symboles : au romantisme,<br />

Prométhée, pour nous en tenir à cet exemple, représente<br />

l'artiste <strong>de</strong> génie pour Balzac, Byron, Hugo, mais il est aussi le<br />

précurseur païen du Christ chez Quinet, Pasquet, Grenier, ou le<br />

fondateur d'un ordre humain révolté contre l'ordre divin selon<br />

Byron encore, H. Coleridge, Des Essarts, L. Ménard, Defontenay...<br />

On le voit, la polyvalence du thème ne s'affirme pas seulement<br />

verticalement dans le temps, mais aussi horizontalement. Où<br />

y a-t-il encore apparentement dans cette complexité que peut seule<br />

révéler une enquête particulière et approfondie? Et comme le<br />

voilà loin et peu accusé, le motif commun !<br />

Disons-le: parler <strong>de</strong> thèmes apparentés n'est acceptable que<br />

dans une faible mesure, à déterminer avec pru<strong>de</strong>nce. Prétendre<br />

pousser les choses plus avant pour fondre à tout prix plusieurs thèmes<br />

dans le creuset d'un motif unique, c'est soutenir que tous les<br />

tableaux qui ont un fond bleu ont aussi le même sujet.<br />

Au total, la distinction à établir entre les notions <strong>de</strong> thème et <strong>de</strong><br />

motif apparaît <strong>de</strong> première importance, non seulement en soi, sur<br />

le plan <strong>de</strong> la terminologie littéraire, mais aussi parce qu'elle déterminera<br />

<strong>de</strong>s différences sensibles sur le plan méthodologique. Dans<br />

cette brève étu<strong>de</strong>, nous souhaitons nous en tenir aux principes qui,<br />

selon nous, doivent gouverner la stricte thématologie. Il s'agira,<br />

dans les pages qui suivent, non <strong>de</strong> motifs, mais <strong>de</strong> thèmes stricto<br />

sensu. Nos considérations ne s'appliqueront donc nullement à <strong>de</strong>s<br />

étu<strong>de</strong>s sur l'usage et le rôle, par exemple, <strong>de</strong>s nuages, <strong>de</strong> la lune ou<br />

<strong>de</strong>s montagnes dans la poésie, ni à <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s sur certains types littéraires<br />

non individualisés, comme le soldat, le bon prêtre ou<br />

l'avare dans le roman ou la comédie.


POUR ET CONTRE<br />

LES DÉNOMBREMENTS ENTIERS<br />

Le curieux qui s'aventure à feuilleter une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> thème a souvent<br />

l'impression <strong>de</strong> parcourir les pages d'un catalogue, <strong>de</strong> voir<br />

s'épuiser sous ses doigts une fastidieuse énumération <strong>de</strong> titres, <strong>de</strong><br />

noms et <strong>de</strong> dates. L'enquête sur la « fortune » du thème s'est bornée<br />

à un relevé du plus grand nombre possible d'oeuvres et, pour<br />

peu que l'auteur se révèle un esprit précis, il nous aura gratifiés <strong>de</strong><br />

courbes <strong>de</strong> pourcentages et <strong>de</strong> graphiques, négligeant qu'une<br />

étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> « fortune » est surtout une tentative <strong>de</strong> capter un écho en<br />

profon<strong>de</strong>ur.<br />

Nous avons été longtemps accoutumés à ce qu'un travail <strong>de</strong> ce<br />

genre consiste généralement en une succession <strong>de</strong> résumés suivis<br />

<strong>de</strong> quelques lignes <strong>de</strong> commentaire. Un lecteur moyen qui connaissait,<br />

au départ, les Iphigénie d'Euripi<strong>de</strong>, <strong>de</strong> Racine et <strong>de</strong> Goethe,<br />

sait maintenant — pour combien <strong>de</strong> temps? — qu'il y eut<br />

aussi celles <strong>de</strong> Rucellai, Rotrou, La Grange Chancel, J.—E.<br />

Schlegel, Fayart, G. Hauptmann ; avec un petit effort supplémentaire<br />

<strong>de</strong> mémoire, il retiendra aussi quelques opéras, ceux <strong>de</strong> Scarlatti,<br />

Traetta, Gluck, <strong>de</strong> vingt autres encore s'il est vraiment appliqué.<br />

La lecture achevée, <strong>de</strong> quoi donc s'est accru son bagage intellectuel?<br />

D'un arbre généalogique où l'unité familiale se fragmente<br />

en d'innombrables collatéraux, et voilà une tête bien faite en passe<br />

<strong>de</strong> n'être plus qu'une tête bien pleine, un savoir ordonné sur le<br />

point <strong>de</strong> tourner au bric-à-brac <strong>de</strong> l'antiquaire peu soigneux. Mais<br />

qu'a-t-il appris sur les éléments constitutifs du thème, sur les raisons<br />

et les modalités <strong>de</strong> son éternelle résurgence, sur ce fil millénaire<br />

tendu d'oeuvre en œuvre <strong>de</strong>puis Homère ? Rien, avouons-le,<br />

ou peu <strong>de</strong> chose, et il referme le livre avec la conviction que la thé-


32 THÈMES ET MYTHES<br />

matologie ne répond guère qu'à une curiosité gratuite, que tout<br />

cela est passe-temps d'érudit et <strong>de</strong> bibliographe. Reprochera-t-on<br />

sa sévérité à ce lecteur soucieux d'humanisme, quand telle fut<br />

l'impression <strong>de</strong> savants aussi avertis que B. Croce ou M.-F.<br />

Guyard, concluant que ces étu<strong>de</strong>s sont «trop ari<strong>de</strong>s et condamnées<br />

à l'érudition pure » et qu'elles n'exigent « pour être menées à<br />

bien que <strong>de</strong>s dénombrements entiers, étoffés par un commentaire<br />

plus ou moins lâche » 48 ?<br />

Convenons-en <strong>de</strong> bonne grâce : cette critique fut souvent fondée<br />

et il faut bien le reconnaître, nombre <strong>de</strong> travaux <strong>de</strong> thématologie<br />

s'arrêtent, en fait, là où ils <strong>de</strong>vraient commencer. Il en est, du<br />

reste, plusieurs catégories.<br />

Commençons cependant par rendre justice aux dictionnaires,<br />

aux répertoires organisés qui, s'avouant pour ce qu'ils sont, ne<br />

prêtent le flanc à aucun reproche : la Bibliography of Greek myth<br />

in Englishpoetry <strong>de</strong> Helen H. Law, la Stoff- undMotivgeschichte<br />

<strong>de</strong>r <strong>de</strong>utschen Literaîur <strong>de</strong> F. A. Schmitt ou les Stoffe <strong>de</strong>r Weltliteratur<br />

<strong>de</strong> E. Frenzel, pour ne citer que ces ouvrages, sont, comme<br />

tout dictionnaire, <strong>de</strong> la plus gran<strong>de</strong> utilité : ils épargnent bien <strong>de</strong>s<br />

tâtonnements préliminaires, donnent une vue superficielle du succès<br />

d'un thème et même un premier recensement <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s qui lui<br />

ont déjà été consacrées. Ce sont là <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> départ, <strong>de</strong>s travaux<br />

indispensables et méritoires, mais auxquels on ne peut<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> dépasser leur objectif: ils classent, dénombrent,<br />

ambitionnent — autant que possible — l'exhaustivité, mais ne<br />

préten<strong>de</strong>nt pas offrir une réflexion sur la matière rassemblée.<br />

Ces caractères, louables et hautement satisfaisants dans un dictionnaire,<br />

<strong>de</strong>viennent insuffisants lorsqu'il s'agit <strong>de</strong> retracer l'histoire<br />

d'un thème. W. Kayser l'observait très justement, un tel<br />

recensement « n'a rien fait pour les conceptions artistiques et très<br />

peu pour l'histoire littéraire. Le véritable travail <strong>de</strong>vrait commencer<br />

maintenant » 49 . Or il y a sans conteste plusieurs types <strong>de</strong> travaux<br />

qui ne sauraient être représentatifs <strong>de</strong> l'exercice bien compris<br />

<strong>de</strong> la thématologie. Quels sont-ils ?


LES DÉNOMBREMENTS ENTIERS 33<br />

Certains auteurs ont cru pouvoir réaliser une ambition excessive<br />

en s'aventurant à brosser la fresque immense <strong>de</strong> révolution <strong>de</strong><br />

plusieurs thèmes à travers toutes les littératures occi<strong>de</strong>ntales, victimes<br />

d'un «encyclopédisme » qui <strong>de</strong>vait les conduire à un simple<br />

survol. Le meilleur exemple <strong>de</strong> ce genre est sans doute le livre <strong>de</strong><br />

C. Heinemann : Die tragischen Gestalten <strong>de</strong>r Griechen in <strong>de</strong>r<br />

Weltliteratur (Leipzig, 1920). En trois cents pages, quinze thèmes<br />

voient retracée leur odyssée millénaire, évoquées leurs transformations<br />

les plus profon<strong>de</strong>s et les plus complexes. En conséquence,<br />

VIphigénie d'Euripi<strong>de</strong> a droit à une page, celle <strong>de</strong> Racine à trente<br />

lignes, autant que celle <strong>de</strong> Le Blanc du Roullet ou <strong>de</strong> Guimond <strong>de</strong><br />

La Touche, un peu moins que celle <strong>de</strong> Christoph Friedrich von<br />

Derschau, un peu plus que celle <strong>de</strong> Goethe ! Toute l'histoire du<br />

mythe <strong>de</strong> Prométhée tient en vingt-huit pages, Oedipe est dépêché<br />

en onze, Hercule en dix, Antigone expédiée en neuf...<br />

Bref, on dépasse à peine la notice sèche et décharnée du dictionnaire;<br />

l'ordre chronologique seul relie <strong>de</strong>s œuvres que rien, sauf<br />

leur titre, ne semble apparenter ; on ne trouve aucune considération<br />

sur les idées, sur le contexte historique et littéraire dans lequel<br />

s'inscrivent les auteurs, sur les sources et les influences éventuelles,<br />

aucun jugement <strong>de</strong> valeur. Une ambition démesurée a abouti à<br />

la nomenclature, à l'énumération condamnée par M.-F. Guyard ;<br />

un thème, cela va <strong>de</strong> soi, est à lui seul d'une telle richesse et d'une<br />

telle complexité qu'il nécessite une étu<strong>de</strong> particulière.<br />

Aussi d'autres auteurs, conscients <strong>de</strong> ne pouvoir venir à bout <strong>de</strong><br />

plusieurs thèmes, se sont-ils limités à un seul. Sage restriction,<br />

mais dont la portée est malheureusement faible, car ils ont cru<br />

souvent avoir assez d'un simple article, reprenant, somme toute,<br />

mais à propos d'un thème unique, la métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> C. Heinemann.<br />

Admettons-le à leur décharge, ils n'ont pas prétendu mener une<br />

enquête exhaustive, mais seulement poser <strong>de</strong>s jalons, préparer le<br />

terrain, ouvrir quelques perspectives. On est cependant amené à<br />

douter <strong>de</strong> l'efficacité <strong>de</strong> leur travail quand on voit vingt-cinq siècles<br />

prométhéens con<strong>de</strong>nsés en quatre pages ou l'histoire d'un


34 THEMES ET MYTHES<br />

thème poétique aussi riche que celui <strong>de</strong> Pandore esquissée en<br />

dix 50 . On cè<strong>de</strong> ici à la satisfaction d'évoquer quelques grands<br />

noms, mais on n'explique pas ; on schématise, on vole <strong>de</strong> sommet<br />

en sommet et, parfois, un remords d'exhaustivité — combien relative<br />

d'ailleurs — fait compléter l'énumération commentée d'une<br />

énumération tout court : on ajoute une liste <strong>de</strong>s auteurs que Ton<br />

n'a pas traités. Encore une fois, nous n'avons affaire qu'à <strong>de</strong>s<br />

esquisses, à <strong>de</strong>s travaux préliminaires : rien n'a encore été fait<br />

pour une véritable thématologie.<br />

D'aucuns enfin ont cru <strong>de</strong>voir se limiter à la fois dans le sujet,<br />

dans le temps et dans l'espace en se consacrant à l'examen d'un<br />

seul thème chez un seul auteur 51 , ou à une seule époque 52 ou<br />

encore dans une seule littérature 53 . L'ambition, certes, est à présent<br />

ramenée à <strong>de</strong>s proportions plus raisonnables, mais on ne saurait<br />

se faire d'illusions sur le résultat obtenu: l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>meure<br />

incomplète, elle détache le thème <strong>de</strong> ses tenants et aboutissants en<br />

pratiquant une césure arbitraire dans son histoire, elle risque <strong>de</strong><br />

proposer pour original ce qui est en réalité l'expression d'une longue<br />

tradition, <strong>de</strong> prendre le particulier pour le général et, même si<br />

elle fait place à une réflexion plus poussée sur la signification d'un<br />

thème à une époque ou dans un auteur, elle s'expose à <strong>de</strong>s généralisations<br />

abusives, à <strong>de</strong>s erreurs <strong>de</strong> perspective, à <strong>de</strong>s déductions<br />

erronées.<br />

Bref, ces trois types d'enquêtes, indépendamment du talent <strong>de</strong>s<br />

auteurs, révèlent par leurs faiblesses et leurs insuffisances que<br />

l'étu<strong>de</strong> satisfaisante d'un thème ne peut s'entreprendre, ni dans<br />

une conception démesurée, ni dans un cadre trop étroit : dans les<br />

<strong>de</strong>ux cas, on n'atteint qu'à <strong>de</strong>s dénombrements qui n'ont pas<br />

même le mérite d'être entiers, à un survol, au culte superstitieux<br />

d'un ordre chronologique, en fait, seule armature du travail.<br />

Cela acquis, quelles seront alors les conditions indispensables<br />

au dépassement <strong>de</strong> la nomenclature plus ou moins étoffée, <strong>de</strong><br />

l'énumération superficielle ?<br />

A la base — pourquoi le contester ? — la thématologie exigera


LES DENOMBREMENTS ENTIERS 35<br />

un dénombrement précis, préalable d'ailleurs à toute enquête littéraire.<br />

Elle partira donc <strong>de</strong> la consultation <strong>de</strong>s dictionnaires <strong>de</strong> thèmes<br />

et ceux-ci se trouveront rapi<strong>de</strong>ment dépassés par les résultats<br />

du recensement personnel, facilité à son tour par <strong>de</strong> nombreux<br />

instruments <strong>de</strong> travail. Qu'on songe aux sources importantes <strong>de</strong><br />

renseignements offertes par <strong>de</strong>s catalogues comme, par exemple,<br />

la Bibliothèque du théâtre françois <strong>de</strong> La Vallière, les Recherches<br />

sur les théâtres <strong>de</strong> France <strong>de</strong> Godard <strong>de</strong> Beauchamps, VHistoire<br />

du théâtre françois <strong>de</strong>s frères Parfaict, le Deutsche Titelbuch <strong>de</strong> F.<br />

Schnei<strong>de</strong>r, la Bibliographical list of plays in the French language<br />

<strong>de</strong> CD. Brenner, et bien d'autres, anglais, espagnols, italiens ; par<br />

les répertoires <strong>de</strong> traductions — M. Delcourt, R. Sturel, A. Chassang,<br />

M. Horn-Monval, C.H. Conley, H.B. Latrop, J.F. Degen,<br />

J.M. <strong>de</strong> Cossio, etc. — et d'adaptations innombrables. Voilà qui<br />

permettra d'élargir le champ <strong>de</strong> l'enquête bien plus qu'on ne l'eût<br />

imaginé à première vue. Et qu'on ne soutienne pas que ce dépouillement<br />

<strong>de</strong> catalogues et <strong>de</strong> répertoires est la caractéristique <strong>de</strong><br />

l'érudition stérile qu'entraîne l'exercice <strong>de</strong> la thématologie. Ou<br />

bien prétendra-t-on que pour étudier Spinoza et la pensée française<br />

avant la Révolution, ou L'Idée du bonheur au XVIII e siècle,<br />

ou encore Di<strong>de</strong>rot en Allemagne, il ait fallu à Paul Vernière,<br />

Robert Mauzi et Roland Mortier moins <strong>de</strong> fouilles et <strong>de</strong> fiches<br />

qu'il n'en faut pour se pencher sur le sort <strong>de</strong> Sophonisbe ou <strong>de</strong><br />

Marie Stuart? Le tout sera <strong>de</strong> ne pas s'en tenir aux dénombrements,<br />

première étape du travail.<br />

A cette préoccupation fondamentale d'une information aussi<br />

étendue que possible s'ajoutera tout naturellement celle d'une<br />

ordonnance chronologique <strong>de</strong>s textes, nécessaire même à l'intérieur<br />

<strong>de</strong> l'œuvre d'un seul auteur, car elle permet <strong>de</strong> suivre les étapes<br />

<strong>de</strong> l'évolution du thème, <strong>de</strong> déceler les possibilités d'influences.<br />

Encore une fois, ce n'est pas un trait spécifique <strong>de</strong> la thématologie<br />

: quand A. Py se penche sur la conception <strong>de</strong>s mythes grecs<br />

dans la poésie <strong>de</strong> Victor Hugo, quand l'abbé C. Grillet s'informe<br />

<strong>de</strong>s emplois <strong>de</strong> la Bible par ce même poète 54 , il n'est pas moins


36 THEMES ET MYTHES<br />

intéressant <strong>de</strong> déterminer, sur ces points et grâce à la stricte observance<br />

<strong>de</strong> la chronologie interne <strong>de</strong> l'œuvre, le cheminement <strong>de</strong> la<br />

pensée, <strong>de</strong> la philosophie et <strong>de</strong> l'art <strong>de</strong> l'auteur.<br />

En somme, la thématologie ne prétendra pas renier les dénombrements<br />

minutieux, pas plus que le respect <strong>de</strong> la chronologie,<br />

<strong>de</strong>ux éléments qui sont la base, la charpente osseuse du corps<br />

autonome que <strong>de</strong>viendra le travail achevé. Toutefois, ils ne seront<br />

jamais <strong>de</strong>s fins, comme on l'a cru trop souvent, mais seulement<br />

<strong>de</strong>s moyens. La succession <strong>de</strong>s œuvres reconnue, le <strong>de</strong>voir<br />

d'exhaustivité accompli, alors débute la véritable tâche du chercheur<br />

qui a entrepris <strong>de</strong> retracer l'aventure séculaire d'un thème.<br />

Car il va s'agir maintenant <strong>de</strong> dégager et <strong>de</strong> préciser les significations<br />

multiples du thème, d'isoler ses éléments constitutifs, <strong>de</strong><br />

définir les gran<strong>de</strong>s voies dans lesquelles il s'engage, <strong>de</strong> mettre à nu<br />

les fils conducteurs, <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r, à l'intérieur <strong>de</strong> la complexité et<br />

<strong>de</strong> l'enchevêtrement <strong>de</strong>s motifs, à une répartition thématique<br />

interne * qui seule donnera au travail sa réelle unité et permettra<br />

<strong>de</strong> respecter cet élément essentiel du thème : sa polyvalence.<br />

De quels éléments, par exemple, est fait le thème <strong>de</strong> Pandore ?<br />

Dès le premier examen, on y distingue les motifs <strong>de</strong> la punition <strong>de</strong>s<br />

hommes par les dieux, <strong>de</strong> la corruption <strong>de</strong> la société primitive, <strong>de</strong><br />

l'apparition <strong>de</strong> l'art et <strong>de</strong> la beauté dans la conscience humaine, <strong>de</strong><br />

la femme fatale, <strong>de</strong> l'origine légendaire du mal physique et moral.<br />

Tout cela est présent déjà, à l'état embryonnaire, chez Hésio<strong>de</strong>, et<br />

chacun <strong>de</strong> ces éléments est appelé à fon<strong>de</strong>r une tradition littéraire<br />

dont une Pandore sera le centre : le premier est capital chez<br />

Hésio<strong>de</strong>, le <strong>de</strong>uxième chez Lesage ou Houdar <strong>de</strong> La Motte, le troisième<br />

chez Goethe, le quatrième chez Colar<strong>de</strong>au, Voltaire, Parnell,<br />

le cinquième chez Voltaire encore ou Wieland, etc. Aussi<br />

s'aperçoit-on que l'unité apparente que recouvre le nom <strong>de</strong> Pan-<br />

* Ce serait plutôt une répartition « motivique », si l'on ose dire. Quand on voit,<br />

par exemple, Prométhée exprimer concurremment la révolte, l'aspiration au<br />

savoir, le génie, la souffrance amoureuse, etc., il s'agit <strong>de</strong> saisir la multiplicité <strong>de</strong>s<br />

motifs recouverts par l'unité du thème.


LES DÉNOMBREMENTS ENTIERS 37<br />

dore dissimule en réalité une diversité <strong>de</strong> significations qui est<br />

fonction <strong>de</strong> l'adaptation <strong>de</strong>s éléments constitutifs du thème aux<br />

transformations <strong>de</strong>s idées et <strong>de</strong>s mœurs. Comment et quand chacun<br />

<strong>de</strong> ces éléments s'est développé, chez qui et pourquoi, voilà les<br />

questions qu'il importe <strong>de</strong> se poser. C'est dire que suivre, dans<br />

toutes ses sinuosités, l'évolution du thème <strong>de</strong> Pandore, permettra<br />

<strong>de</strong> voir <strong>de</strong> quelle manière et dans quelle mesure un thème littéraire<br />

s'imprègne <strong>de</strong> l'idéologie <strong>de</strong>s époques traversées, comment il la<br />

restitue et ce qu'il a représenté dans les phases successives <strong>de</strong> la<br />

civilisation.<br />

On est donc loin <strong>de</strong> se satisfaire d'une nomenclature, fût-elle<br />

complète, <strong>de</strong> cette carcasse étique qui peut seule résulter du<br />

dénombrement mécanique. S'en tenir à cela reviendrait à condamner<br />

la thématologie à être une discipline sans âme 55 .<br />

Qu'apporterait en effet à l'histoire <strong>de</strong> la littérature et à l'histoire<br />

<strong>de</strong>s idées, <strong>de</strong> constater que l'Orphée <strong>de</strong> Rilke vient après celui <strong>de</strong><br />

Boèce et celui <strong>de</strong> Cocteau après celui du Politien? que le Saùl<br />

d'Alfieri précè<strong>de</strong> celui du prince <strong>de</strong> Ligne et le Narcisse <strong>de</strong> Cal<strong>de</strong>ron<br />

celui <strong>de</strong> Valéry, s'il ne s'agissait <strong>de</strong> découvrir le pourquoi et le<br />

comment <strong>de</strong>s différences et <strong>de</strong>s similitu<strong>de</strong>s ? Savoir que, dans le<br />

thème <strong>de</strong> Don Juan, Grabbe vient après Molière et Montherlant<br />

après Ghel<strong>de</strong>ro<strong>de</strong>, permet tout au plus les classiques et banales<br />

réflexions sur l'éternité et l'in<strong>de</strong>structibilité <strong>de</strong>s grands mythes <strong>de</strong><br />

la civilisation occi<strong>de</strong>ntale, traditionnelles tira<strong>de</strong>s qui n'expliquent<br />

rien. On <strong>de</strong>meurera ignorant <strong>de</strong>s raisons profon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la palingénésie<br />

du thème, si l'on ne cherche à l'analyser, à le réduire à ses<br />

composantes.<br />

En résumé, toute étu<strong>de</strong> composée d'une juxtaposition<br />

d'oeuvres, toute étu<strong>de</strong> qui n'est qu'un assemblage <strong>de</strong> monographies<br />

sans relief, sans arrière-plan et sans lien, qui groupe <strong>de</strong>s textes<br />

sur la seule parenté artificielle <strong>de</strong> leurs titres sans chercher à<br />

découvrir les réalités multiples qu'ils recouvrent, ne saurait être<br />

admise comme une enquête thématologique bien comprise ni bien<br />

menée.


38 THEMES ET MYTHES<br />

Respecter l'ordre chronologique, entasser <strong>de</strong>s documents, accumuler<br />

<strong>de</strong>s dates et <strong>de</strong>s noms, c'est le rôle d'un dictionnaire ; tracer<br />

<strong>de</strong>s pistes dans la jungle <strong>de</strong>s interprétations et <strong>de</strong>s transformations<br />

d'un thème dans le cadre <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong>s idées, c'est l'affaire <strong>de</strong> la<br />

thématologie. Constater la différence entre le Prométhée créateur,<br />

au sens le plus matériel, <strong>de</strong> l'espèce humaine, tel qu'il apparaît<br />

chez Philémon et Ménandre, puis chez les Pères <strong>de</strong> l'Eglise, et le<br />

Prométhée poète <strong>de</strong> génie qui se révèle au jeune Goethe, ne suffit<br />

pas : il faudra retrouver par quels cheminements obscurs s'est<br />

effectuée cette sublimation du symbole, en déceler les étapes <strong>de</strong><br />

Boccace à Marc-Jérôme Vida, <strong>de</strong> Chapman à Shaftesbury et à<br />

Her<strong>de</strong>r. Une date, un résumé, un commentaire <strong>de</strong> trois lignes <strong>de</strong>s<br />

nombreuses Phèdre <strong>de</strong>s lettres européennes ont pour nous moins<br />

d'intérêt que la compréhension <strong>de</strong> l'attention donnée au thème<br />

par Racine ou par Gi<strong>de</strong>.<br />

Comment et quand, sinon toujours pourquoi, doivent être les<br />

questions constamment présentes à l'esprit <strong>de</strong> quiconque tient à<br />

dépasser l'énumération stérile. Quand H. Le Maître, confronté<br />

avec le thème <strong>de</strong> Psyché, souligne qu'il lui a paru intéressant «<strong>de</strong><br />

rechercher quelle attitu<strong>de</strong> avaient adoptée en France <strong>de</strong>s artistes<br />

presque tous chrétiens, en face d'un thème païen si proche <strong>de</strong> leurs<br />

idées religieuses » 56 , soyons assurés qu'il se propose au moins un<br />

<strong>de</strong>s buts qui font <strong>de</strong> la thématologie autre chose que l'établissement<br />

d'une nomenclature. N'était-ce pas aller, voici trois quarts<br />

<strong>de</strong> siècle, bien au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s dénombrements entiers, que d'évoquer,<br />

comme le faisait Charles Ricci, le problème <strong>de</strong> Sophonisbe :<br />

Pourquoi la faiblesse générale <strong>de</strong> ces tragédies ? Telle est la question que<br />

nous nous proposons <strong>de</strong> résoudre. Sans doute, chaque auteur est responsable<br />

<strong>de</strong>s défauts <strong>de</strong> son œuvre. Mais lorsqu'il s'agit <strong>de</strong> Corneille, <strong>de</strong> Voltaire,<br />

d'Alfieri, il serait téméraire <strong>de</strong> faire retomber sur leur maladresse<br />

seule la médiocrité <strong>de</strong> leur Sophonisbe. Il se peut qu'il y ait <strong>de</strong>s raisons<br />

d'ordre plus général, tenant à l'essence même du sujet 57 .<br />

A-t-il réussi à donner une réponse satisfaisante ? Peut-être, mais<br />

c'est une autre affaire. L'important est avant tout que le critique


LES DÉNOMBREMENTS ENTIERS 39<br />

se soit interrogé sur la nature profon<strong>de</strong> du thème, qu'il en ait tiré<br />

une réflexion : à ce prix il peut y avoir une philosophie <strong>de</strong> la thématologie<br />

comme il y a une philosophie <strong>de</strong> l'histoire. Dans une<br />

telle optique, dénombrement et chronologie ne seront plus à la<br />

thématologie que ce que sont à la musique la portée et la clé <strong>de</strong><br />

sol: les assises indispensables, mais mo<strong>de</strong>stes, <strong>de</strong> la symphonie.


LA CONTINUITÉ DE LA TRADITION<br />

HISTORIQUE<br />

Tracer <strong>de</strong>s avenues, séparer les éléments constitutifs du thème,<br />

donc ses signifiants, suivre leur évolution, chercher le quand et le<br />

comment, parfois le pourquoi <strong>de</strong> leurs transformations, c'est,<br />

nous l'avons dit, insuffisant dans une époque ou un auteur sous<br />

peine <strong>de</strong> gauchissement <strong>de</strong>s perspectives ; <strong>de</strong> plus, la chronologie<br />

peut n'avoir à jouer un rôle, dans le problème <strong>de</strong>s sources et <strong>de</strong>s<br />

influences, que dans un registre quelquefois fort étendu. Dès lors,<br />

l'idéal <strong>de</strong> l'étu<strong>de</strong> thématologique ne serait-il pas l'enquête continue<br />

dans le temps ?<br />

Aussitôt triomphe l'opposition. «Trop souvent les rattachements<br />

<strong>de</strong> la Stoffgeschichte, écrivait F. Bal<strong>de</strong>nsperger, ignorant<br />

les intermédiaires oraux et indéterminés, satisfaisaient mal les<br />

esprits historiques, c'est-à-dire soucieux <strong>de</strong> séries continues : d'où<br />

le peu <strong>de</strong> sécurité offerte par tant d'Ahasvérus, <strong>de</strong> Griselidis ou <strong>de</strong><br />

Sept Dormants, le seul Don Juan offrant à peu près, dans sa carrière<br />

littéraire, la continuité souhaitable » 5 \ A ces esprits « historiques<br />

», la thématologie apparaissait comme un quartier <strong>de</strong> banlieue<br />

inachevé : comment prétendre en effet suivre <strong>de</strong>s avenues, là<br />

où il n'y a que chemins mal tracés débouchant soudain sur un terrain<br />

vague ou un reste <strong>de</strong> forêt, bien heureux quand le sentier ne<br />

finit pas en cul-<strong>de</strong>-sac ?<br />

Voyez le cas d'Hercule, précisent-ils, et l'historique en sera<br />

bientôt fait. D'Euripi<strong>de</strong> on passe à Sénèque, puis on saute à Villena<br />

(1417), à Cinzio (1557) ; <strong>de</strong> là à Rotrou (1632), à Marmontel<br />

(1761), à We<strong>de</strong>kind (1917), à Dùrrenmatt (1954). Quelle tradition<br />

littéraire offre-t-il? quelle continuité? quelle unité? Le thème est


42 THÈMES ET MYTHES<br />

brisé, tronçonné, épars. Choisira-t-on Orphée? Après les hymnes<br />

orphiques, après Ovi<strong>de</strong>, passons sans transition au Sir Orfeo du<br />

Moyen Age anglais (1330), à Henrysons (XV e siècle), à Poliziano<br />

(1480), à Cal<strong>de</strong>ron (1663), à Rilke (1905), à Cocteau (1926), à<br />

Anouilh (1941). Même atomisation, même pulvérisation que pour<br />

Hercule, même si l'on en vient, en désespoir <strong>de</strong> cause, à ajouter à<br />

ces œuvres les poèmes <strong>de</strong> Ronsard, Spenser, Milton, Quevedo,<br />

Pope, Novalis, Hôl<strong>de</strong>rlin, Goethe, Disparate, poussière <strong>de</strong> textes<br />

sans tradition !<br />

Reconnaissons-le : l'objection, cette fois, semble sérieuse, capitale,<br />

puisqu'elle dénonce l'impossibilité d'esquisser <strong>de</strong>s séries continues,<br />

<strong>de</strong> véritables traditions littéraires, qu'elle ruine l'espoir<br />

d'aboutir à une synthèse valable, la chimère d'une survivance<br />

réelle et constante, donc la possibilité <strong>de</strong> mettre à nu cette épine<br />

dorsale du thème dont nous évoquions l'existence à propos <strong>de</strong>s<br />

dénombrements entiers.<br />

Objection donc, et <strong>de</strong> poids. Mais ne peut-elle être écartée ? Ou<br />

plutôt, n'est-elle pas, une fois encore, née <strong>de</strong> l'examen critique <strong>de</strong><br />

travaux existants, <strong>de</strong> l'absence <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s appropriées? d'une<br />

indispensable réflexion préalable sur la nature <strong>de</strong> la matère traitée<br />

? Nous essaierons <strong>de</strong> montrer qu'elle fut trop souvent justifiée<br />

par la négligence d'une distinction capitale, faite cependant <strong>de</strong>puis<br />

longtemps à propos <strong>de</strong>s mythes par les psychanalystes et les historiens<br />

<strong>de</strong>s religions.<br />

Toutes les gran<strong>de</strong>s figures <strong>de</strong> la mythologie, <strong>de</strong> la Bible, <strong>de</strong>s traditions<br />

nationales et même <strong>de</strong> l'histoire ont atteint par leur fortune<br />

et leur portée significative, la valeur <strong>de</strong> mythes <strong>de</strong> notre culture,<br />

mythes littéraires ou philosophiques, s'entend, <strong>de</strong>puis belle<br />

lurette dépouillés <strong>de</strong> leur contenu religieux. S'ils furent à l'origine<br />

« le produit <strong>de</strong> la réaction <strong>de</strong> l'homme primitif <strong>de</strong>vant la vie » 59 ,<br />

ou l'exposé d'une «situation dramatique dont le caractère essentiel<br />

est <strong>de</strong> considérer dans un mon<strong>de</strong> spécifique certaines cristallisations<br />

<strong>de</strong> virtualités psychologiques 60 , ils ont aujourd'hui perdu<br />

cette valeur primordiale <strong>de</strong> projections, pourrait-on dire, <strong>de</strong>s don-


LA TRADITION HISTORIQUE 43<br />

nées immédiates <strong>de</strong> la conscience pour <strong>de</strong>venir les évocations<br />

caractéristiques <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> notre culture et <strong>de</strong> notre civilisation.<br />

Denis <strong>de</strong> Rougemont le rappelait à propos du thème <strong>de</strong> Tristan,<br />

«on pourrait dire d'une manière générale qu'un mythe est<br />

une histoire, une fable symbolique, simple et frappante, résumant<br />

un nombre infini <strong>de</strong> situations plus ou moins analogues. Le mythe<br />

permet <strong>de</strong> saisir d'un coup d'oeil certains types <strong>de</strong> relations constantes,<br />

et <strong>de</strong> les dégager du fouillis <strong>de</strong>s apparences<br />

quotidiennes» 61 . Parfois issus <strong>de</strong> lointains mythes religieux, les<br />

thèmes ont engendré une tradition littéraire et culturelle, dont le<br />

traitement fait l'objet <strong>de</strong> notre étu<strong>de</strong>. Enfin, on peut considérer<br />

que les thèmes sont <strong>de</strong>meurés la représentation symbolique d'une<br />

situation humaine exemplaire, d'un cas particulier haussé à la portée<br />

universelle.<br />

Le héros est, si l'on en croit R. Caillois 62 , celui qui donne à la<br />

situation une issue — fût-elle négative ou absur<strong>de</strong>, comme dans le<br />

cas d'Oedipe, où la situation absorbe le héros. Selon les cas, la<br />

situation ou le héros sera le centre du problème. L'histoire<br />

d'Oedipe, par exemple, appartient évi<strong>de</strong>mment au groupe <strong>de</strong>s thèmes<br />

<strong>de</strong> situation, parce qu'elle ne saurait avoir d'existence indépendante<br />

d'un certain contexte : pour illustrer ce drame, il faut un<br />

ensemble <strong>de</strong> faits, <strong>de</strong>s comparses traditionnels. Qui pense à<br />

Oedipe songe à Laïos et à Jocaste ; pas d'Oedipe sans sphinx, sans<br />

patrici<strong>de</strong>, sans oracle, sans la malédiction <strong>de</strong>s Labdaci<strong>de</strong>s : il se<br />

définit comme Oedipe par rapport à un ensemble en soi immuable<br />

sur le plan <strong>de</strong>s circonstances. En d'autres termes, ce n'est pas la<br />

personnalité individuelle du héros qui fait la situation ce qu'elle<br />

est, c'est une situation donnée qui, d'un homme ordinaire, fait un<br />

Oedipe. Ce serait donc une erreur <strong>de</strong> suivre le personnage partout<br />

où il apparaît sans qu'il soit placé dans sa situation spécifique.<br />

Que serait un Faust sans pacte, un Oreste sans vengeance? La<br />

signification du thème est conditionnée par un nœud <strong>de</strong> données<br />

caractérisantes, le personnage n'existe, dans sa portée symbolique,<br />

que par cet ensemble dont il est, comme en mathématiques,


44 THEMES ET MYTHES<br />

une fonction. On en dirait autant d'Antigone, <strong>de</strong> Pandore, <strong>de</strong><br />

Psyché, <strong>de</strong> Médée *.<br />

Dans le cas d'un thème <strong>de</strong> héros, le protagoniste dépasse la<br />

situation, la fait contingente ou la crée : qui dit Prométhée pense<br />

liberté, génie, progrès, connaissance, révolte. Sa polyvalence et<br />

son autonomie le mettent à l'abri d'une « fixation » et lui assurent,<br />

non seulement une complète indépendance, mais surtout un sens<br />

symbolique résumé dans le héros, quelles que soient son action et<br />

les circonstances dans lesquelles la fantaisie du poète choisira <strong>de</strong> le<br />

faire évoluer. Ainsi encore d'Hercule ou d'Orphée. Des nuances,<br />

cela va <strong>de</strong> soi, interviendront parfois dans cette distinction. On<br />

pourrait, par exemple, objecter que le héros n'est jamais, originellement,<br />

étranger à une situation donnée; on ajoutera même que<br />

tout héros tend à se détacher <strong>de</strong> la situation avec le temps, au fur<br />

et à mesure qu'il s'installe plus profond dans la conscience culturelle,<br />

surtout quand la psychologie s'en mêle, et à se faire valoir<br />

comme caractère ou même comme incarnation-type d'une<br />

«idée». Ce phénomène d'abstraction se décèle donc aussi quelquefois,<br />

mais <strong>de</strong> manière beaucoup moins nette, dans les thèmes<br />

<strong>de</strong> situation, et la distinction n'est pas toujours aussi évi<strong>de</strong>nte<br />

qu'entre Antigone et Prométhée. Faust, par exemple, peut être à<br />

la limite <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux genres, et il est souvent menacé <strong>de</strong> se dégra<strong>de</strong>r<br />

en héros du nationalisme ou du progrès. J. Rousset a bien observé<br />

que Don Juan, au cours <strong>de</strong> son évolution historique, a tendance à<br />

se transformer en thème <strong>de</strong> héros, c'est-à-dire à s'émanciper <strong>de</strong>s<br />

invariants qui constituaient la situation initiale. Phénomène intéressant<br />

car, on s'en doute, la signification du thème se modifie en<br />

* Il convient <strong>de</strong> noter ici que les thèmes construits sur <strong>de</strong>s personnages historiques<br />

sont presque toujours <strong>de</strong>s thèmes <strong>de</strong> situation parce que les auteurs disposent<br />

à leur égard <strong>de</strong> moins <strong>de</strong> liberté encore qu'en face <strong>de</strong>s thèmes légendaires, en raison<br />

<strong>de</strong> la pression <strong>de</strong>s réalités historiques qui s'exerce sur le temps (on ne peut placer<br />

Waterloo au XX e siècle), l'espace (on ne peut envoyer Cromwell en Amérique), la<br />

vraisemblance (on ne peut faire <strong>de</strong> Napoléon un lâche ou d'Alexandre un<br />

imbécile), la vérité <strong>de</strong>s faits (on ne peut faire Marie Stuart reine d'Angleterre).


LA TRADITION HISTORIQUE 45<br />

même temps que sa structure. Selon les cas, il conviendra <strong>de</strong> déterminer<br />

ce qui constitue l'intérêt dominant <strong>de</strong> l'œuvre en question.<br />

Quelles conséquences peut-on tirer <strong>de</strong> cette distinction?<br />

D'abord, on conviendra que, <strong>de</strong> par leur nature, les thèmes <strong>de</strong><br />

situation exigent, pour trouver leur entière signification, <strong>de</strong> voir<br />

recréée leur situation caractéristique, ce qui ne peut se faire que<br />

dans une oeuvre <strong>de</strong> quelque étendue, souvent théâtrale. Ensuite, il<br />

apparaîtra que le thème <strong>de</strong> héros, infiniment plus indépendant,<br />

peut trouver une expression tout à fait satisfaisante, dans une<br />

œuvre bien sûr, mais aussi — et même le plus souvent — dans une<br />

simple phrase, une allusion, voire en quelques mots, parce qu'il<br />

est une sorte <strong>de</strong> symbole « con<strong>de</strong>nsé » dont le contenu répond à<br />

une idée donnée d'avance. Il faut une pièce à Corneille ou<br />

Anouilh pour donner une valeur significative au thème <strong>de</strong> Médée ;<br />

Théophile <strong>de</strong> Viau fait-il <strong>de</strong> Prométhée «le premier athée», ou<br />

Shaftesbury, désignant le poète sous les traits du Titan, le nommet-il<br />

«a second Maker, a just Prometheus un<strong>de</strong>r Jove», le thème<br />

s'inscrit aussitôt dans un contexte <strong>de</strong> pensée qu'il suffit à circonscrire<br />

et à exprimer. Enfin, puisque, <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, le thème <strong>de</strong><br />

héros sera beaucoup plus souvent évoqué que le thème <strong>de</strong> situation<br />

— qui, répétons-le, a besoin d'espace pour s'exprimer — il y<br />

aura nécessairement entre eux une nette différence sur le plan <strong>de</strong> la<br />

continuité <strong>de</strong> la tradition historique et cette tradition elle-même<br />

sera d'une autre nature.<br />

Poursuivons le raisonnement. Une fois admis le principe d'une<br />

différence essentielle entre les thèmes, prétendre leur appliquer<br />

une métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> travail unique revient à vouloir découvrir la panacée.<br />

Il y aura donc <strong>de</strong>ux métho<strong>de</strong>s ; quelles sont-elles ?<br />

Commençons par les thèmes <strong>de</strong> héros. Très tôt séparés d'un<br />

contexte fixe, d'un cadre défini, ils acquièrent spontanément une<br />

redoutable polyvalence, une multiplicité <strong>de</strong> significations qui,<br />

nous l'avons dit, peuvent se con<strong>de</strong>nser dans une expression très<br />

limitée: c'est le cas, par exemple, pour les interprétations du<br />

thème d'Orphée par les Pères, ou pour la vogue du thème <strong>de</strong> Pro-


46 THÈMES ET MYTHES<br />

méthée à la Renaissance, où les œuvres qui lui sont consacrées<br />

sont rarissimes, mais où les allusions, tant chez les penseurs que<br />

chez les poètes, sont extrêmement nombreuses et révélatrices <strong>de</strong>s<br />

courants <strong>de</strong> pensée <strong>de</strong> l'époque. Dès lors, il serait absur<strong>de</strong> <strong>de</strong> s'en<br />

tenir aux œuvres, aux sommets : ce serait chercher à <strong>de</strong>s thèmes <strong>de</strong><br />

héros <strong>de</strong>s cadres dont la nécessité ne s'impose que pour les thèmes<br />

<strong>de</strong> situation *. Du reste, même à propos <strong>de</strong> ces œuvres, on observerait<br />

une liberté d'affabulation bien plus gran<strong>de</strong> que dans le cas<br />

d'un thème <strong>de</strong> situation : centrées sur le mythe prométhéen, les<br />

trames d'Eschyle, <strong>de</strong> Cal<strong>de</strong>ron, <strong>de</strong> Goethe, <strong>de</strong> Shelley, <strong>de</strong> Bourges<br />

n'ont cependant aucune ressemblance, alors que les circonstances,<br />

les personnages, le contexte général sont beaucoup plus uniformes<br />

pour Antigone, Sophonisbe, Médée, Salomé, Marie Stuart, etc.<br />

Souple, protéiforme, polyvalent, indépendant <strong>de</strong>s cadres narratifs,<br />

le thème <strong>de</strong> héros est susceptible, par la multiplication quasi<br />

illimitée <strong>de</strong> ses manifestations, <strong>de</strong> s'intégrer aux caractéristiques<br />

<strong>de</strong> la pensée, <strong>de</strong>s mœurs et du goût d'un siècle, d'apparaître nanti<br />

<strong>de</strong> toutes les significations, voire les plus contradictoires **,<br />

s'adaptant à toutes les nuances <strong>de</strong> l'état présent <strong>de</strong>s idées, en<br />

épousant toutes les variations : la Sîoffgeschichte se révèle simultanément<br />

Geistesgeschichte.<br />

Le thème héroïque pouvant trouver son entière valeur expressive<br />

en peu <strong>de</strong> place, il s'ensuit que, dans <strong>de</strong> nombreux cas,<br />

l'importance du thème dépend moins <strong>de</strong> la qualité esthétique que<br />

<strong>de</strong> la portée idéologique. Comme on s'attache à l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s écri-<br />

* Quand M.-F. Guyard (op. cit., pp. 56-57) assure que « bien <strong>de</strong>s tira<strong>de</strong>s creuses<br />

sur la littérature prométhéenne cesseraient sans doute d'encombrer nos esprits le<br />

jour où nous pourrions suivre, guidés par Shelley, Goethe ou Gi<strong>de</strong>, les transformations<br />

<strong>de</strong> ce thème prestigieux », il néglige la distinction héros-situation : une étu<strong>de</strong><br />

qui ne passerait que par ces sommets ne révélerait pas grand-chose.<br />

** Au XVIII e siècle, par exemple, le thème <strong>de</strong> Prométhée évoque en même<br />

temps la corruption <strong>de</strong>s mœurs contemporaines (Lesage), la fondation criminelle<br />

<strong>de</strong> la société civile (Rousseau), le péché originel et la déca<strong>de</strong>nce (Lefranc <strong>de</strong> Pompignan,<br />

Brumoy, Tobler, Servandoni), le progrès (Voltaire, Wieland), le poète créateur<br />

(Shaftesbury, Chénier, Young), etc.


LA TRADITION HISTORIQUE 47<br />

vains «obscurs » <strong>de</strong>s Lumières, à cette foule <strong>de</strong> minores dépourvus,<br />

sans doute, <strong>de</strong> l'éclat et <strong>de</strong> la perfection <strong>de</strong>s gloires du panthéon<br />

littéraire mais qui, à leur place et à leur mesure, constituent<br />

la toile <strong>de</strong> fond à laquelle le siècle doit sa couleur et ses nuances<br />

véritables ; comme à côté <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot, il faut tenir compte du marquis<br />

d'Argens et <strong>de</strong> Saint-Foix à côté <strong>de</strong> Voltaire, il importera,<br />

dans l'étu<strong>de</strong> d'un thème <strong>de</strong> héros, <strong>de</strong> s'intéresser aussi aux œuvres<br />

secondaires, aux poèmes, aux allusions, même minimes en apparence,<br />

mais dont l'ensemble restitue un climat, une atmosphère,<br />

définit la réaction générale et complexe <strong>de</strong> l'époque en face du<br />

thème. Travail ingrat : combien <strong>de</strong> volumes lus ou parcourus pour<br />

rien ! Mais aussi quelle moisson finit par récompenser le chercheur<br />

patient et minutieux ! Quelle satisfaction <strong>de</strong> voir peu à peu se <strong>de</strong>ssiner<br />

la silhouette précise du thème ! Certes, cinq ou six vers <strong>de</strong><br />

Shakespeare sur Orphée, <strong>de</strong> Ronsard sur Hercule, <strong>de</strong> Jean <strong>de</strong><br />

Meung sur Pygmalion ou <strong>de</strong> Hugo sur le Christ, c'est peu <strong>de</strong><br />

chose. Mais lorsqu'on s'est astreint à réunir sur un tel thème, à<br />

telle époque, les quelques lignes que lui ont consacrées dix, vingt,<br />

cinquante, cent auteurs, Ton voit se profiler alors le visage<br />

authentique du thème, se définir chacun <strong>de</strong> ses traits, s'éclairer la<br />

moindre <strong>de</strong> ses expressions. Chaque citation, chaque allusion est<br />

un caillou distinct qui a sa place dans la mosaïque idéale à laquelle<br />

doit s'efforcer l'enquête thématologique. L. Vinge ou Y.F.-A.<br />

Giraud ont bien fait voir, à propos <strong>de</strong> Narcisse et <strong>de</strong> Daphné, tout<br />

l'intérêt <strong>de</strong> cette métho<strong>de</strong>.<br />

On s'empressera sans doute d'observer que l'exhaustivité est<br />

impossible: quelque minutieuse qu'ait été l'enquête, quelque<br />

systématique qu'ait été le dépouillement, quelque durée enfin<br />

qu'ait exigée le travail, on peut être sûr, surtout dans le cas d'un<br />

thème <strong>de</strong> héros, d'avoir laissé échapper nombre <strong>de</strong> passages,<br />

d'allusions, <strong>de</strong> citations. Comment s'en étonner ? Peut-on espérer<br />

— et même d'ailleurs s'il ne s'agissait que d'une seule époque et<br />

d'une seule littérature —, peut-on espérer n'oublier aucun auteur<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>uxième ou <strong>de</strong> troisième zone, aucune œuvre morte <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s


48<br />

THÈMES ET MYTHES<br />

siècles mais où brille par hasard, au creux d'une page sans intérêt,<br />

telle référence à Daphné, à Didon, à Phaéton ?<br />

En fait, semblable exhaustivité est une chimère, même dans<br />

d'autres types <strong>de</strong> travaux, et, sur le plan <strong>de</strong> la thématologie, elle<br />

n'aurait qu'un intérêt très relatif. Il s'agit avant tout d'étendre<br />

suffisamment les recherches pour pouvoir déployer un éventail <strong>de</strong><br />

significations assez riche pour n'être dépourvu d'aucune nuance<br />

d'interprétation. Ce résultat une fois atteint, le recensement n'a<br />

plus pour objet que d'établir dans quelle mesure une interprétation<br />

est originale ou commune à un moment donné (et d'éviter <strong>de</strong><br />

prendre pour original ce qui est commun !), mais il n'apportera<br />

plus rien <strong>de</strong> neuf. En somme, l'exigence d'exhaustivité doit être<br />

sévère, elle ne doit pas être intraitable.<br />

Veut-on un exemple ? Dans notre propre travail sur le thème <strong>de</strong><br />

Prométhée, nous utilisons, pour le seul XVIII e siècle, le témoignage<br />

<strong>de</strong> cent vingt-cinq auteurs ; nous pourrions aujourd 'hui y<br />

ajouter, toujours pour cette seule pério<strong>de</strong>, celui d'une soixantaine<br />

d'autres, <strong>de</strong> William Whitehead à Madame Roland et <strong>de</strong> Cartaud<br />

<strong>de</strong> la Villate à Louis-Sébastien Mercier. Mais il est significatif<br />

qu'aucun <strong>de</strong> ces témoignages, qui tous pourraient confirmer,<br />

compléter et enrichir ceux que nous citions déjà, ne puisse modifier<br />

quoi que ce soit à nos conclusions sur l'ensemble du siècle.<br />

C'est dire que l'exhaustivité dans la récolte <strong>de</strong>s textes, d'ailleurs<br />

irréalisable, ne possè<strong>de</strong> pas non plus <strong>de</strong> vertu spécifique. Au-<strong>de</strong>là<br />

d'un certain seuil, les dénombrements per<strong>de</strong>nt leur sens s'ils ne<br />

contribuent pas à élargir la gamme <strong>de</strong>s significations.<br />

Devant une étu<strong>de</strong> ainsi menée, n'y aurait-il pas mauvaise grâce<br />

à dénoncer la prétendue discontinuité <strong>de</strong> la tradition historique ?<br />

Un travail superficiel qui, au mépris <strong>de</strong> la nature profon<strong>de</strong> du<br />

thème, s'en tiendrait aux œuvres, ferait place peut-être à trente<br />

Hercules ; gageons qu'un examen conduit selon les critères du<br />

thème <strong>de</strong> héros révélerait plusieurs centaines d'expressions unies<br />

et cohérentes 63 . Prétendra-t-on rendre compte <strong>de</strong> la valeur réelle<br />

du thème prométhéen au XVII e siècle en ne retenant que la pièce


LA TRADITION HISTORIQUE 49<br />

du grand Cal<strong>de</strong>ron et celle <strong>de</strong> l'obscur André Catulle ? Non : on y<br />

ajoutera les témoignages <strong>de</strong> Corneille, La Fontaine, Racine, Von<strong>de</strong>l,<br />

Dry<strong>de</strong>n, Bracciolini, Gracian, Grimmelshausen, Milton, Bensera<strong>de</strong>,<br />

Hobbes, <strong>de</strong> cinquante autres encore. Alors l'histoire du<br />

thème offrira une continuité profon<strong>de</strong>, alors l'enquête révélera<br />

une image ni déformée ni tronquée, alors il y aura richesse et tradition,<br />

pourvu, naturellement, que cette poussière d'allusions soit<br />

ordonnée et chacune d'elles mise à sa place dans le contexte <strong>de</strong><br />

l'histoire <strong>de</strong>s idées.<br />

Avec le thème <strong>de</strong> situation, le problème change d'aspect. Il ne<br />

s'agit plus maintenant <strong>de</strong> glaner le plus grand nombre possible<br />

d'allusions, puisque le personnage étudié ne se définit comme<br />

symbolique et représentatif que dans la situation caractérisante,<br />

laquelle exige un développement, un exposé d'une certaine<br />

ampleur. Fixés dans un contexte légendaire ou historique aux<br />

composantes plus ou moins rigi<strong>de</strong>s, les thèmes <strong>de</strong> situation y per<strong>de</strong>nt<br />

en polyvalence et en fréquence d'apparition : il peut se passer<br />

longtemps avant qu'un auteur reprenne le schéma compliqué <strong>de</strong><br />

Phèdre ou d'Oreste. C'est donc à propos <strong>de</strong>s thèmes <strong>de</strong> situation<br />

seulement qu'on sera en droit <strong>de</strong> parler d'hiatus dans la continuité<br />

<strong>de</strong> la tradition littéraire, encore que <strong>de</strong>s recherches minutieuses et<br />

approfondies les révèlent souvent moins larges et moins fréquents<br />

qu on ne pense .<br />

En général, le thème <strong>de</strong> situation n'apparaîtra pas dans un<br />

poème, dont l'action n'est ni assez complexe, ni assez rapi<strong>de</strong>, ni<br />

davantage dans un roman, dont la structure narrative est trop<br />

lente ; ses apparitions les plus nombreuses se feront donc au théâtre.<br />

Il faut cependant se défier d'en faire une règle ou une constante<br />

: « Les thèmes et les motifs, écrit E. Frenzel 65 ont certaines<br />

caractéristiques qui les inféo<strong>de</strong>nt à tel ou tel genre littéraire. [...] Il<br />

est donc parfaitement possible <strong>de</strong> suivre l'histoire d'un thème ou<br />

d'un motif uniquement à l'intérieur d'un genre, dès lors qu'un<br />

rapport étroit entre le thème et le genre peut être établi». C'est<br />

aller un peu loin : VAnîigone et VOrphée <strong>de</strong> Ballanche sont <strong>de</strong>s


50 THEMES ET MYTHES<br />

épopées en prose, Jeanne d'Arc fait le sujet <strong>de</strong> poèmes chez Christine<br />

<strong>de</strong> Pisan ou Coleridge, d'un roman espagnol anonyme du<br />

XVI e siècle, d'épopées chez Chapelain ou Voltaire. Don Juan<br />

passe du théâtre, où il est né, à l'opéra, à la nouvelle, au roman,<br />

au poème. L'utilisation du thème <strong>de</strong> situation au théâtre est très<br />

fréquente, mais elle n'est pas une loi.<br />

Du moins un fait <strong>de</strong>meure-t-il établi : le thème <strong>de</strong> situation, au<br />

contraire du thème <strong>de</strong> héros, nécessite une exposition d'une certaine<br />

étendue. Dès lors, puisque son intérêt dépasse son contenu<br />

idéologique et sa signification, il exigera toujours l'étu<strong>de</strong> d'éléments<br />

qui n'intéressent qu'occasionnellement le thème <strong>de</strong> héros.<br />

En raison <strong>de</strong> sa nature particulière, il suggérera un examen sur le<br />

plan esthétique: construction <strong>de</strong>s œuvres, conception et utilisation<br />

<strong>de</strong>s motifs principaux, modifications apportées aux caractères<br />

<strong>de</strong>s personnages, exploitation plus ou moins poussée d'éléments<br />

tragiques, comiques ou romanesques, moyens d'expression,<br />

etc. Aux réflexions sur les transformations <strong>de</strong> la signification<br />

du thème doivent maintenant s'unir <strong>de</strong>s considérations proprement<br />

esthétiques. Quant aux éventuels hiatus dans la continuité <strong>de</strong><br />

la tradition, il importera, non <strong>de</strong> les accepter tels quels, mais d'en<br />

déterminer les raisons par l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s préférences d'auteurs,<br />

d'époques et <strong>de</strong> nations, étu<strong>de</strong> complexe sur laquelle nous reviendrons.<br />

A ce prix, les défaillances passagères du thème pourront<br />

être parfois aussi révélatrices que ses triomphes.<br />

Enfin, la littérature comparée s'est aussi attachée, ces <strong>de</strong>rnières<br />

années, à « la parenté entre les diverses manifestations <strong>de</strong> la sensibilité,<br />

<strong>de</strong> la pensée et du goût » 66 . Ne serait-il pas fructueux d'étudier<br />

les expressions simultanées <strong>de</strong> la littérature et <strong>de</strong>s autres arts :<br />

décloisonnement, pluri-disciplinarité et, dit U. Weisstein, wechselseitige<br />

Erhellung <strong>de</strong>s Kiïnste 61 . Une thématologie conçue<br />

comme discipline <strong>de</strong> synthèse se <strong>de</strong>vait <strong>de</strong> tirer parti <strong>de</strong> ces ouvertures.<br />

Un travail sur l'histoire <strong>de</strong> Didon et Enée s'enrichira par un<br />

recensement comparatif <strong>de</strong>s œuvres picturales qui, à travers les<br />

siècles, ont représenté la séparation douloureuse du couple 68 .


LA TRADITION HISTORIQUE 51<br />

Y.F.-A. Giraud y insiste avec raison, il est sans doute arbitraire <strong>de</strong><br />

dissocier <strong>de</strong>s domaines <strong>de</strong> l'activité créatrice qui se complètent et<br />

parfois s'expliquent l'un par l'autre : l'histoire littéraire <strong>de</strong> Faust<br />

s'adjoindra celle <strong>de</strong>s poèmes symphoniques (Berlioz ou Gounod),<br />

<strong>de</strong>s peintures et <strong>de</strong>s lithographies (Ary Scheffer ou Delacroix) ou<br />

même — pourquoi pas? — <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssinées. Le cinéma n'est<br />

pas oublié : A. Dabezies, P. Brunel ou J. Tulard lui ont fait place<br />

dans leurs livres sur Faust, Electre et Napoléon.<br />

Certains travaux ont donc débordé du domaine <strong>de</strong> la littérature<br />

pour s'intéresser aux concordances et similitu<strong>de</strong>s entre les lettres<br />

et les arts. H. Anton, dans son histoire du rapt <strong>de</strong> Proserpine, le<br />

montre fréquemment exploité par les graveurs et les sculpteurs, si<br />

bien que <strong>de</strong>s œuvres plastiques inspirent <strong>de</strong>s poèmes du Tasse, <strong>de</strong><br />

Milton, <strong>de</strong> Gi<strong>de</strong>. L'analyse <strong>de</strong> l'interaction <strong>de</strong>s arts, non seulement<br />

élimine les cloisons artificielles et associe les divers domaines<br />

<strong>de</strong> l'activité artistiques, mais souligne encore la continuité et la<br />

complexité <strong>de</strong> la tradition. A son tour, H. Dôrrie a suivi Galatée,<br />

puis Pygmalion, dans leurs expressions musicales et dans les arts<br />

plastiques <strong>de</strong>puis les fresques <strong>de</strong> Rome et <strong>de</strong> Pompéi.<br />

Quelques thèmes, bien sûr, se prêteront mieux que d'autres à<br />

ces étu<strong>de</strong>s comparatives. Par exemple celui <strong>de</strong> Daphné, qui trouve<br />

sa représentation idéale dans l'union <strong>de</strong>s paroles et <strong>de</strong> la musique,<br />

<strong>de</strong> l'image et du mouvement : d'où son succès à l'âge baroque.<br />

Les avis semblent cependant partagés sur ces questions. Selon<br />

Y.F.-A. Giraud, «étudier un thème n'a <strong>de</strong> sens que si l'on<br />

s'efforce <strong>de</strong> rendre compte en même temps <strong>de</strong> sa diffusion dans les<br />

arts figuratifs, dans l'histoire <strong>de</strong> la musique, dans la vie sociale et<br />

dans les ouvrages littéraires» 69 . En revanche, L. Vinge ne croit<br />

guère à cette interdépendance. Alors que le thème <strong>de</strong> Narcisse est à<br />

son apogée dans la poésie baroque et en même temps dans la peinture,<br />

elle considère que les œuvres littéraires peuvent servir l'interprétation<br />

<strong>de</strong> la peinture, alors que l'inverse est improbable 70 .<br />

Quoi qu'il en soit, il paraît difficile <strong>de</strong> nier l'intérêt d'une<br />

enquête globale: l'histoire du thème ne peut qu'y gagner en


52 THÈMES ET MYTHES<br />

richesse et en signification. Nous ne suivrons cependant pas Y.F.-<br />

A. Giraud lorsqu'il affirme qu'une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> thème n 'a <strong>de</strong> sens que<br />

si elle englobe toutes les formes possibles d'expression. Certes,<br />

pareille extension est toujours souhaitable, mais elle n'est indispensable<br />

que pour les thèmes — comme celui <strong>de</strong> Daphné — qui se<br />

prêtent moins à l'abstraction qu'à la représentation, à l'interprétation<br />

(qui sollicite davantage l'écriture) qu'à la figuration.<br />

Dans cette optique d'une enquête complexe et rigoureuse,<br />

l'argument <strong>de</strong> la discontinuité <strong>de</strong> la tradition est loin, nous<br />

semble-t-il, <strong>de</strong> représenter une objection aussi sérieuse qu'on pouvait<br />

le croire au premier abord. Insistons une fois <strong>de</strong> plus sur ce<br />

point : ce sont les métho<strong>de</strong>s trop souvent appliquées à la thématologie,<br />

et non la thématologie elle-même, qui méritent condamnation.<br />

La distinction entre thèmes <strong>de</strong> héros et thèmes <strong>de</strong> situation<br />

n'est peut-être pas moins importante que la distinction entre thèmes<br />

et motifs : elle seule permet <strong>de</strong> choisir et <strong>de</strong> mettre au point la<br />

méthodologie qui convient à chaque cas particulier, d'éclairer<br />

chaque thème <strong>de</strong> la lumière qui dissipera les ombres... et les<br />

malentendus.


THÉMATOLOGIE ET ŒUVRE EN SOI<br />

Procé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s dénombrements aussi complets que possible afin<br />

d'offrir à la réflexion un large éventail <strong>de</strong> significations et d'établir<br />

la continuité <strong>de</strong> la tradition littéraire, voilà qui rassure au<br />

moins les « esprits historiques ». Il n'en va peut-être pas <strong>de</strong> même<br />

pour les esprits soucieux avant tout <strong>de</strong> jugements <strong>de</strong> valeur. Bene<strong>de</strong>tto<br />

Croce, décidément adversaire irréductible <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s thématologiques,<br />

le déclarait sans ambages :<br />

Ces recherches sont <strong>de</strong> pure érudition et ne se prêtent jamais à un traitement<br />

organique. Elles ne nous conduisent jamais, par elles-mêmes, à comprendre<br />

une œuvre littéraire, elles ne nous font jamais pénétrer dans le vif<br />

<strong>de</strong> la création artistique. Leur sujet n'est pas la genèse esthétique <strong>de</strong><br />

l'œuvre littéraire, mais ou bien l'histoire externe <strong>de</strong> l'œuvre déjà formée<br />

(vicissitu<strong>de</strong>s, traductions, imitations, etc.), ou bien un fragment <strong>de</strong> la<br />

matière qui a contribué à la former (tradition littéraire). Les livres qui s'en<br />

tiennent strictement à cet ordre <strong>de</strong> recherches, prennent nécessairement<br />

l'aspect d'un catalogue ou d'une bibliographie 71 .<br />

A faire se succé<strong>de</strong>r œuvres célèbres et secondaires, textes<br />

fameux et allusions obscures, n'est-on pas sur le point <strong>de</strong> négliger<br />

l'œuvre en soi, ne court-on pas le risque d'aboutir à un regrettable<br />

nivellement <strong>de</strong>s valeurs? On a été jusqu'à dire que la Stoffgeschichte,<br />

s'intéressant davantage au contenu qu'à la forme, «ne<br />

porte pas <strong>de</strong> jugements <strong>de</strong> valeur, parce que tout doit lui paraître<br />

d'importance égale» 72 ; dès lors, chaque œuvre n'est plus qu'un<br />

maillon d'une longue chaîne et perd son individualité 73 . Aussi F.<br />

Bal<strong>de</strong>nsperger condamnait-il définitivement la thématologie sur la<br />

conviction que « moins soucieuse par nature <strong>de</strong> mettre en valeur et<br />

<strong>de</strong> définir la singularité d'une création que <strong>de</strong> remonter à <strong>de</strong>s formes<br />

simples, cette variété <strong>de</strong> la littérature comparée était sans<br />

doute vouée à quelque défaveur alors que s'affirmaient <strong>de</strong> nouveau,<br />

dans l'esthétique, les droits <strong>de</strong> l'individualité expressive » 74 .


54 THEMES ET MYTHES<br />

Sur ce point encore, le reproche fut souvent fondé, concédonsle,<br />

et les partisans <strong>de</strong> l'œuvre en soi ont beau jeu <strong>de</strong> défendre leur<br />

point <strong>de</strong> vue en soulignant la complète absence <strong>de</strong> considérations<br />

esthétiques dans <strong>de</strong>s ouvrages comme ceux <strong>de</strong> C. Heinemann.<br />

Mais une question se pose toujours : s'agit-il d'une faiblesse inhérente<br />

au genre — autrement dit, la thématologie n'est-elle pas susceptible<br />

<strong>de</strong> se concilier avec l'appréciation esthétique; ou bien<br />

s'agit-il <strong>de</strong> faiblesses et <strong>de</strong> lacunes méthodologiques, <strong>de</strong> maladresses<br />

dans la manière d'abor<strong>de</strong>r le genre? Car on ne peut songer,<br />

c'est évi<strong>de</strong>nt, à défendre la réduction <strong>de</strong>s individualités à un commun<br />

dénominateur, à prêter une importance égale à six mots <strong>de</strong><br />

Théophile <strong>de</strong> Viau et à une œuvre <strong>de</strong> Shelley ou <strong>de</strong> Goethe.<br />

D'autre part, que la thématologie présente une œuvre comme<br />

un maillon d'une chaîne, personne ne le niera; c'est cependant<br />

une autre affaire <strong>de</strong> soutenir que cette perspective historique<br />

empêche <strong>de</strong> porter un jugement <strong>de</strong> valeur. Certes, étudier séparément<br />

chaque Judas ou chaque Orphée en s'attardant à faire apparaître<br />

les étapes <strong>de</strong> la création littéraire reviendrait à composer une<br />

juxtaposition d'étu<strong>de</strong>s indépendantes, négation <strong>de</strong> la thématologie.<br />

Il convient aussi d'éviter <strong>de</strong> tomber dans l'erreur <strong>de</strong> faire<br />

d'une œuvre un phénomène frappé <strong>de</strong> « splendi<strong>de</strong> isolement » ; cet<br />

insularisme littéraire ne saurait se concevoir que comme une vue<br />

<strong>de</strong> l'esprit, dénuée <strong>de</strong> toute réalité, car l'étu<strong>de</strong> d'une œuvre en soi<br />

ne suffit pas à l'expliquer, ni même à la comprendre 75 .<br />

Imaginons une monographie qui ne situerait pas l'œuvre <strong>de</strong><br />

Hugo dans le contexte intellectuel et politique du romantisme et<br />

ne chercherait pas à savoir ce qu'elle doit à son siècle et au précé<strong>de</strong>nt.<br />

Nous satisfait-elle? Une œuvre fait toujours partie d'une<br />

chaîne, elle se détache toujours sur un arrière-plan et plus particulièrement<br />

peut-être lorsqu'elle traite un thème doté <strong>de</strong> sa tradition<br />

propre dans laquelle l'auteur a choisi <strong>de</strong> s'inscrire.<br />

Dans l'appréciation d'une œuvre consacrée à un thème, il y<br />

aura lieu cependant <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>ux types d'originalité,<br />

<strong>de</strong>ux affirmations <strong>de</strong> l'individualité expressive. La première est


THÉMATOLOGIE ET ŒUVRE EN SOI 55<br />

celle qui s'attache à tout grand écrivain imprimant sa marque à ce<br />

qui sort <strong>de</strong> sa plume : s'étonnera-t-on que la Marie Stuart <strong>de</strong> Schiller<br />

éclipse, au moins esthétiquement, celle d'un Pixerécourt? La<br />

secon<strong>de</strong> est celle qui dégage le caractère spécifique d'une œuvre<br />

dans le cadre <strong>de</strong> l'histoire du thème, qui fait qu'une Iphigénie est<br />

infiniment supérieure à une autre, non seulement en tant<br />

qu'oeuvre en soi, mais aussi en tant qu'Iphigénie. Ainsi, dans<br />

l'enquête thématologique, l'individualité expressive doit-elle être<br />

soulignée à la fois sur le plan général, où un Oreste est une œuvre,<br />

et sur le plan particulier du thème, où cette œuvre est un Oreste.<br />

Peut-être même est-il indispensable d'aller plus loin et <strong>de</strong> soutenir<br />

que l'examen <strong>de</strong>s modalités d'utilisation d'un thème permet <strong>de</strong><br />

mettre mieux en évi<strong>de</strong>nce la part d'originalité créatrice <strong>de</strong> chaque<br />

auteur, précisément parce que le thème constitue un fil conducteur,<br />

un point <strong>de</strong> référence, un premier terme idéal <strong>de</strong> comparaison,<br />

permettant <strong>de</strong> mesurer la puissance d'intervention <strong>de</strong> l'auteur<br />

sur la tradition qui avait cours jusqu'à lui. Dans ce sens, on a pu<br />

dire que « la prestation individuelle du poète en face <strong>de</strong> la force <strong>de</strong><br />

la tradition apparaît d'abord dans le choix du thème et ensuite<br />

dans son traitement particulier par la modification, l'élection et le<br />

nouvel agencement <strong>de</strong>s motifs» 76 . On n'appréciera vraiment la<br />

profon<strong>de</strong> originalité <strong>de</strong> Flaubert ou <strong>de</strong> Mallarmé confrontés avec<br />

le thème d'Hérodia<strong>de</strong> que si l'on a quelque idée <strong>de</strong> ce qu'était le<br />

thème dans la littérature antérieure, chez Pellico, Gellert ou<br />

Heine : dans cette mesure, le thème sera comme la pierre <strong>de</strong> touche<br />

<strong>de</strong> leur talent.<br />

Il ne saurait donc être question, dans l'exercice <strong>de</strong> la thématologie,<br />

<strong>de</strong> tout niveler, d'imposer aux œuvres et aux auteurs un commun<br />

dénominateur. Les monographies peuvent trouver leur place<br />

dans l'économie du plan général et, nous l'avons vu, elles s'imposent<br />

dans le cas <strong>de</strong>s thèmes <strong>de</strong> situation ; tout est ici question <strong>de</strong><br />

dosage, <strong>de</strong> proportions et <strong>de</strong> mise en œuvre. Bien loin <strong>de</strong> niveler<br />

les individualités expressives, la thématologie, quand ce ne serait<br />

que par la simple comparaison, aura constamment pour mission


56 THÈMES ET MYTHES<br />

<strong>de</strong> les mettre en évi<strong>de</strong>nce. Considérant les multiples traitements<br />

d'un thème, un commentateur observait : « L'on reste étonné <strong>de</strong> la<br />

marque personnelle, imprimée sur ces traitements, par <strong>de</strong> fortes<br />

individualités. C'est cela qu'il faudrait pouvoir dégager» 77 . Certes,<br />

et nul ne doutera qu'il importe <strong>de</strong> montrer comment le Faust<br />

<strong>de</strong> Goethe est supérieur à celui <strong>de</strong> Klinger ou <strong>de</strong> « Maler » Millier ;<br />

comment le Judas <strong>de</strong> L. Andréiev se distingue <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong>l ;<br />

comment la Marie Stuart <strong>de</strong> Schiller est plus belle que celle<br />

d'Alfieri. On ne saurait admettre que le dédain <strong>de</strong>s valeurs esthétiques<br />

soit la commune caractéristique <strong>de</strong>s amateurs <strong>de</strong> thématolotie,<br />

et R. Derche le montrait bien en manifestant, à propos <strong>de</strong><br />

Quatre mythes poétiques, son intention <strong>de</strong> « faire ressortir comment,<br />

à diverses époques et chez <strong>de</strong>s peuples différents, ou, au<br />

contraire, dans un même milieu littéraire, l'interprétation d'un<br />

thème i<strong>de</strong>ntique révélait la nature particulière du génie <strong>de</strong> chaque<br />

poète» 78 .<br />

Enfin, s'il convient sans doute d'éviter que la thématologie<br />

néglige les considérations d'ordre esthétique, il ne convient pas<br />

moins peut-être d'éviter toute vassalité à l'égard d'une critique<br />

strictement formaliste qui, envisageant l'œuvre comme un univers<br />

fermé et répondant à une ontologie propre, n'entend l'abor<strong>de</strong>r<br />

que par la stylistique et le jugement <strong>de</strong> valeur, après l'avoir coupée<br />

<strong>de</strong> ses tenants et aboutissants.<br />

Il paraît difficile <strong>de</strong> le contester, la critique et l'histoire littéraires<br />

ont eu souvent tendance à ramener l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'œuvre à l'étu<strong>de</strong><br />

du contexte biographique, <strong>de</strong>s sources et <strong>de</strong>s influences, et il n'est<br />

pas douteux, R. Wellek 79 l'a souligné, que cet examen «extrinsèque<br />

» ne suffit pas à en rendre compte. On ne niera pas davantage<br />

une propension exagérée, dénoncée par Rudolf Unger, à voir dans<br />

la littérature en général, et dans l'œuvre littéraire en particulier, le<br />

simple véhicule <strong>de</strong>s idées. Quand H. Ulrici 80 con<strong>de</strong>nsait la portée<br />

du Marchand <strong>de</strong> Venise dans la formule Summum jus summa<br />

injuria, on doit bien le reconnaître, il aboutissait tout simplement<br />

à supprimer l'œuvre d'art. Réduire le Mignonne allons voir ou le


THÉMATOLOGIE ET ŒUVRE EN SOI 57<br />

Quand vous serez bien vieille à la sèche <strong>de</strong>vise du Carpe diem,<br />

c'est respecter le sens, mais ignorer la poésie.<br />

Mais convenons aussi que l'autre extrême n'est pas plus souhaitable.<br />

Quand J. Scherer 81 assure qu'«il n'est pas indispensable <strong>de</strong><br />

comprendre exactement le sens d'une phrase pour étudier la forme<br />

<strong>de</strong> cette phrase», sans doute a-t-il raison; sous réserve qu'une<br />

phrase qui ne signifie rien, fût-ce seulement dans l'esprit <strong>de</strong> celui<br />

qui la lit, n'est plus rien qu'un vi<strong>de</strong> sonore. Ou bien un art acéphale<br />

serait-il préférable à une pensée amorphe ? On aimerait rappeler<br />

ici ce mot du roi dans Hamlet : « Words without thoughts<br />

never to heaven go ». La poésie, dit-on encore, ne gagne pas à être<br />

philosophique, et Ton a même envie d'ajouter : au contraire,<br />

quand on songe à <strong>de</strong>s poètes comme Houdar <strong>de</strong> La Motte ou J.B.<br />

Rousseau. Mais c'est moins vrai déjà si l'on pense à Scève ou<br />

Vigny et, quoi qu'il en soit, B. Croce allait peut-être un peu loin<br />

en soutenant qu'une poésie d'idées se dégra<strong>de</strong> en tant que poésie 82<br />

et T.S. Eliot forçait singulièrement la note à prétendre que «neither<br />

Shakespeare nor Dante did any real thinking » 83 .<br />

Il est heureusement assez d'esprits raisonnables pour montrer<br />

qu'« il ne peut y avoir <strong>de</strong> conflit entre la forme et le contenu [...]<br />

car aucun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux n'a d'existence sans l'autre et l'abstraction les<br />

tue tous les <strong>de</strong>ux » 84 .<br />

Parmi les premiers, Elisabeth Frenzel a insisté sur la possibilité<br />

d'un examen <strong>de</strong>s formes 85 . A sa suite — et l'innovation est heureuse<br />

— <strong>de</strong>s chercheurs ont entrepris <strong>de</strong> réagir contre les dichotomies<br />

arbitraires et <strong>de</strong> montrer que la Stoffgeschichte n'excluait ni<br />

les jugements <strong>de</strong> valeur ni l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s formes, elles-mêmes révélatrices<br />

<strong>de</strong> l'évolution du goût. Au lieu <strong>de</strong> voir dans le poète ou le<br />

dramaturge un simple agent <strong>de</strong> transmission, on en vient à analyser<br />

les moyens par lesquels il a modifié la tradition. Dès lors<br />

s'impose l'étu<strong>de</strong> minutieuse <strong>de</strong> l'œuvre dans toutes ses composantes,<br />

pour mettre en lumière le processus créateur.<br />

Ainsi, tout en précisant que l'histoire <strong>de</strong> Faust au XX e siècle<br />

s'articule sur les temps forts <strong>de</strong> l'Histoire et que le thème renvoie


58 THÈMES ET MYTHES<br />

aux idéologies fondamentales d'un <strong>de</strong>mi-siècle, A. Dabezies prend<br />

soin <strong>de</strong> rappeler la nécessité d'une analyse littéraire <strong>de</strong>s œuvres :<br />

«Il arrivera que, dans notre appréciation, la valeur littéraire<br />

prime la signification historique ; la construction parfaite du Docteur<br />

Faustus ou <strong>de</strong> Mon Faust mérite bien autant d'attention que<br />

leur actualité » 86 . C'est restituer leur légitime importance à <strong>de</strong>s<br />

critères esthétiques trop souvent négligés, sans doute, par<br />

l'ancienne thématologie. De son côté, M. Bélier, à propos <strong>de</strong> Philémon<br />

et Baucis, s'attache à faire voir comment le thème s'adapte<br />

aux formes les plus variées, <strong>de</strong> l'idylle à la satire, et comment la<br />

Stoffgeschichte peut à l'occasion se muer en une histoire <strong>de</strong>s<br />

mutations <strong>de</strong>s formes et <strong>de</strong>s styles par le biais d'un topos révélateur.<br />

«A côté <strong>de</strong> l'histoire du thème et <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong>s idées doit<br />

figurer l'histoire <strong>de</strong>s formes. [...] A la polysémie du thème [...]<br />

s'adjoint son polymorphisme» 87 . Sans doute est-ce un moyen<br />

d'émanciper la thématologie <strong>de</strong> la tutelle positiviste et <strong>de</strong> la libérer<br />

<strong>de</strong> la poigne exclusive <strong>de</strong> la Geistesgeschichte.<br />

De tels travaux l'ont démontré, il n'est nullement nécessaire <strong>de</strong><br />

se résigner à un choix appauvrissant, soit compter les vertèbres<br />

d'un squelette, soit œuvrer à même la chair littéraire. L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

variations <strong>de</strong> la forme peut s'unir à celle <strong>de</strong>s variations du contenu<br />

pour constituer une thématologie plus complète et plus riche.<br />

On prendra gar<strong>de</strong> toutefois que l'analyse interne <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s<br />

œuvres ne conduise pas à ne passer que par les sommets : remplacer<br />

la continuité du thème lui-même par la contiguïté d'analyses<br />

sérielles serait nier le propos fondamental <strong>de</strong> la discipline. Car,<br />

plus qu'une succession <strong>de</strong> monographies, une suite <strong>de</strong> critiques<br />

closes où les œuvres s'échelonnent comme <strong>de</strong>s mona<strong>de</strong>s, la thématologie<br />

suggère la possibilité d'une histoire institutionnelle d'un<br />

fait littéraire où, dans une vue globale, les écrivains apparaîtraient<br />

comme participant à l'existence continue d'un thème qui les<br />

dépasse individuellement, qui vit dans une sorte <strong>de</strong> conscience collective<br />

en perpétuel <strong>de</strong>venir, dont ils ne sont que les interprètes privilégiés.


THEMATOLOGIE ET ŒUVRE EN SOI 59<br />

Un thème le montre mieux encore que n'importe quel autre<br />

objet littéraire, il s'agit, non d'accentuer les différences entre le<br />

fond et la forme, entre le fond et le contexte idéologique et historique,<br />

mais <strong>de</strong> rapprocher ces prétendues antinomies, <strong>de</strong> chercher<br />

comment la forme porte le sens, ou comment le sens comman<strong>de</strong> la<br />

forme, comment le fond et la forme relèvent d'un cadre général et<br />

comment ils s'en distinguent. De toute manière, qu'elle soit ou<br />

non un maillon d'une chaîne thématique, une œuvre n'est pas une<br />

entité métaphysique, immanente et transcendante, explicable en<br />

elle-même et par elle-même, confinée dans l'égoïste et aveugle<br />

interdépendance <strong>de</strong> son « fond » et <strong>de</strong> sa « forme ».<br />

« L'œuvre en soi, n'hésitait pas à déclarer B. Munteano, me fait<br />

l'effet d'un mythe, d'une utopie » 88 ; et certes il y a un lien entre<br />

l'œuvre et son contexte littéraire et historique, ou alors il faut<br />

admettre le postulat d'une création ex nihilo, hérésie qui peut<br />

seule justifier le principe d'une monadologie littéraire qui refuserait<br />

à l'œuvre toute fenêtre sur le <strong>de</strong>hors.<br />

Tous les efforts pour atteindre, en thematologie, aux conditions<br />

premières <strong>de</strong> la littérature, doivent se déployer dans l'histoire, et<br />

non en <strong>de</strong>hors d'elle. Rétrécir la tradition au sens le plus noble du<br />

terme, c'est s'appauvrir et se mutiler, Sainte-Beuve nous l'enseignait<br />

déjà. Quels que soient la séduction et l'intérêt réel <strong>de</strong>s autres<br />

approches, la Stoffgeschichte reste avant tout une discipline <strong>de</strong><br />

synthèse, qui a sa légitimité à côté, et non contre l'analyse immanente.<br />

Bref, convenons-en <strong>de</strong> bonne grâce, la signification n'est pas<br />

tout, mais le jugement <strong>de</strong> valeur esthétique non plus: il y a là<br />

affaire d'équilibre et <strong>de</strong> proportions, d'adaptation <strong>de</strong> l'auteur au<br />

thème abordé. Il importera autant <strong>de</strong> veiller à situer l'œuvre dans<br />

son temps et son décor et d'en faire apparaître les structures constitutives<br />

que <strong>de</strong> l'apprécier comme une simple étape dans l'odyssée<br />

du thème ; la thematologie ne doit relever ni d'un cloisonnement<br />

arbitraire <strong>de</strong>s disciplines, ni <strong>de</strong>s préférences individuelles : il faut<br />

qu'elle soit fusion, union et, par là, unité.


SYNCHRONIE, DIACHRONIE ?<br />

LE THÈME ET LA STRUCTURE<br />

L'exigence d'une analyse plus rigoureuse <strong>de</strong>s œuvres s'est trouvée<br />

renforcée, ces <strong>de</strong>rnières années, par les résultats <strong>de</strong>s recherches<br />

menées dans le domaine <strong>de</strong> la linguistique et <strong>de</strong> l'ethnologie. La<br />

thématologie a donc cru pouvoir emprunter au structuralisme certaines<br />

métho<strong>de</strong>s, dans le but <strong>de</strong> cerner avec davantage <strong>de</strong> précision<br />

la portée originelle du thème et <strong>de</strong> permettre une nouvelle approche<br />

<strong>de</strong>s œuvres individuelles.<br />

Préalable à l'examen diachronique s'imposerait le démontage<br />

du « scénario » du thème, ramené à ses éléments constants :<br />

Vessence du thème, saisi dans sa formulation première, précé<strong>de</strong>rait<br />

son existence historique. Pour Don Juan, le schéma originel<br />

comporte l'Invité <strong>de</strong> pierre, le groupe féminin, le héros; pour le<br />

thème <strong>de</strong> l'E<strong>de</strong>n, c'est le contrat et sa rupture ; pour Faust, l'aspiration<br />

et le pacte, etc. Selon Didier Anzieu,<br />

le mythe est un récit composé par un enchaînement <strong>de</strong> phrases fondamentales<br />

distinctes ; ces « mythèmes » ou éléments mythiques <strong>de</strong> base sont communs<br />

à plusieurs mythes, un mythe particulier se caractérise par le choix<br />

<strong>de</strong>s mythèmes et par la façon <strong>de</strong> les organiser 89 .<br />

Le thème se verra donc décomposé en la série <strong>de</strong>s «grands<br />

moments» qui le constituent, laissant ainsi apparaître les<br />

«paquets <strong>de</strong> relations » qui en déterminent l'« harmonie », comme<br />

dans une sorte <strong>de</strong> partition orchestrale. Les épigones seront à leur<br />

tour rassemblés, moins selon la stricte suite chronologique, que<br />

selon la manière dont ils auront traité, modifié, développé chacun<br />

<strong>de</strong>s éléments constitutifs. Dès lors, l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> thème n'est plus seulement<br />

l'analyse d'une série continue dans une perspective diachronique,<br />

mais l'examen <strong>de</strong>s modulations <strong>de</strong>s relations entre les<br />

mythèmes. A l'interprétation du signifié d'un thème se substitue


62 THÈMES ET MYTHES<br />

(au moins momentanément) l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> son organisation rationnelle,<br />

et la succession <strong>de</strong>s faits cè<strong>de</strong> la place à l'exploration d'un<br />

faisceau <strong>de</strong> relations synchroniques. C'est, comme dit A.J. Greimas,<br />

définir « le statut structurel du mythe en tant que narration »<br />

et délimiter les « syntagmes » du récit 90 . A la linéarité historique<br />

succè<strong>de</strong> une vision kaléidoscopique du thème. Ainsi, dans l'étu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> la Matrone d'Ephèse selon F. Rastier 91 , les versions <strong>de</strong><br />

Pétrone, <strong>de</strong> Marie <strong>de</strong> France, du Novellino, <strong>de</strong> Brantôme ou <strong>de</strong> La<br />

Fontaine sont considérées dans la mesure où elles transforment le<br />

schéma initial <strong>de</strong>s cinq relations mises au jour, sans qu'il soit tenu<br />

compte <strong>de</strong> l'évolution <strong>de</strong>s mœurs, <strong>de</strong> la morale ou du goût.<br />

L'histoire d'un thème <strong>de</strong>vient donc «cette incessante reconstruction<br />

à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s mêmes matériaux» que Cl. Lévi-Strauss<br />

nomme « bricolage » et que M. Merleau-Ponty appelle, en linguistique.<br />

l'« arrangement » <strong>de</strong>s éléments en fonction d'une «intention<br />

significative» 92 . L'isolement d'un nœud <strong>de</strong> relations<br />

synchroniques met en évi<strong>de</strong>nce une structure permanente à<br />

laquelle la manipulation du bricolage conférera une valeur heuristique.<br />

L'intérêt n'est pas niable, d'une telle métho<strong>de</strong> qui autorise la<br />

compréhension en profon<strong>de</strong>ur du thème et <strong>de</strong> son fonctionnement,<br />

tout comme l'analyse poussée <strong>de</strong>s œuvres individuelles. On<br />

peut toutefois se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r — et <strong>de</strong>s spécialistes <strong>de</strong> l'antiquité y<br />

attirent notre attention 93 — si un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> lecture qui convient au<br />

décodage <strong>de</strong>s mythes s'applique avec autant <strong>de</strong> pertinence aux textes<br />

littéraires. En effet, l'analyse d'un mythe consiste à démanteler<br />

le récit pour en isoler les éléments premiers, à leur tour confrontés<br />

avec ceux <strong>de</strong>s autres versions du mythe, toutes mises sur le même<br />

plan. Le récit <strong>de</strong> départ, loin d'être un tout fermé, s'ouvre sans<br />

cesse à tous les autres récits possibles à partir <strong>de</strong>s mêmes données,<br />

dans un agencement organique où nulle combinaison n'est privilégiée.<br />

Cl. Lévi-Strauss l'a bien montré : « Il n'existe pas <strong>de</strong> version<br />

vraie dont toutes les autres seraient <strong>de</strong>s copies ou <strong>de</strong>s échos déformés.<br />

Toutes les versions appartiennent au mythe. [...] Un mythe


LE THEME ET LA STRUCTURE 63<br />

se compose <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong> ses variantes» . Au contraire,<br />

l'œuvre littéraire est homogène et autarcique, elle est fixation<br />

d'une version qui, précisément, exclut les autres. On ne saurait<br />

donc soutenir, comme C. Astier, et quelle que soit par ailleurs sa<br />

perfection, que la tragédie est le mythe.<br />

Après ses avantages, on voit les inconvénients <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong><br />

structurale.<br />

II y a d'abord le risque <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> l'étu<strong>de</strong> du thème une juxtaposition<br />

d'oeuvres closes, car, exigeant du thème la structure d'un<br />

discours, le procédé s'en tient forcément aux textes élaborés, complets,<br />

et ignore les simples références et allusions. Applicable sans<br />

doute à ce que nous avons défini comme thème <strong>de</strong> situation, il<br />

l'est beaucoup moins au thème <strong>de</strong> héros, plus indépendant à<br />

l'égard d'une quelconque structure narrative.<br />

Ensuite, à partir <strong>de</strong> quoi construire ce schéma? Est-ce à partir<br />

<strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong>s variantes du mythe à ses origines ? C'est accumuler<br />

<strong>de</strong>s données dont on aura bien du mal à déci<strong>de</strong>r lesquelles<br />

seront déterminantes pour l'évolution ultérieure. Est-ce à partir<br />

d'une oeuvre, celle <strong>de</strong> Sophocle pour Oedipe, celle d'Eschyle pour<br />

Prométhée ? Ce sera constituer un archétype sur la base <strong>de</strong> l'idéale<br />

et théorique perfection duquel on jugera les versions postérieures.<br />

Ainsi, dans son excellent Mythe d'Oedipe, Colette Astier, après<br />

une minutieuse analyse <strong>de</strong>s trois axes fondamentaux (la royauté,<br />

l'oracle, la famille), conclut que la tragédie <strong>de</strong> Sophocle représente<br />

un exemple achevé <strong>de</strong> cristallisation littéraire du mythe. « La<br />

tragédie, dit-elle, a donné sa voix au mythe, le mythe lui a donné<br />

sa force» (p. 42). Mais est-il légitime, nous en avons parlé plus<br />

haut, d'i<strong>de</strong>ntifier mythe et tragédie? Chez M me Astier, la perfection<br />

sophocléenne conditionne la suite <strong>de</strong> l'analyse, car cette tragédie<br />

révèle une si parfaite adéquation entre le mythe et sa formulation,<br />

qu'elle <strong>de</strong>vait en quelque sorte paralyser les épigones.<br />

L'auteur parle donc <strong>de</strong> « mort <strong>de</strong> la tragédie » pour <strong>de</strong>s œuvres<br />

qui, dès Sénèque, sont «entachées d'insignifiance» (p. 95) et ne<br />

sont que « dégradation, abâtardissement <strong>de</strong> la tragédie, refus du


64 THÈMES ET MYTHES<br />

tragique» (p. 99). Après Sophocle pullulent «grimaces, distorsions<br />

» (p. 145) et il faut attendre Les Gommes <strong>de</strong> Robbe-Grillet<br />

pour découvrir une œuvre <strong>de</strong> rupture où l'invention formelle va<br />

<strong>de</strong> pair avec la recréation <strong>de</strong> l'Oedipe, premier texte véritablement<br />

autonome qui refuse à la fois le roman, la tragédie et Sophocle.<br />

Si ferme et si riche que soit cette étu<strong>de</strong>, la meilleure et la plus<br />

complète sur le sujet, elle nous paraît procé<strong>de</strong>r d'une conception<br />

quelque peu platonicienne <strong>de</strong> l'histoire du mythe.<br />

Quand C. Astier condamne l'Oedipe <strong>de</strong> Voltaire, «noble,<br />

calme et grand, comme un Auguste rasséréné» et trouve dans<br />

l'œuvre un «refus <strong>de</strong> la tragédie» (p. 93), on ne peut s'empêcher<br />

<strong>de</strong> penser qu'il y a plutôt, <strong>de</strong> la part du critique, un refus <strong>de</strong> la<br />

perspective historique : ce qu'écarte Voltaire, ce n'est pas la tragédie,<br />

mais la tragédie grecque, et cela surprend peu quand on sait à<br />

quel point le XVIII e siècle français rejette la fatalité au nom du<br />

«système <strong>de</strong>s passions» et d'une intériorisation toute racinienne<br />

<strong>de</strong> l'action 95 . Dès lors, l'important n'est pas d'affirmer qu'Oedipe<br />

<strong>de</strong>vient un prétexte à véhiculer telles idées, mais <strong>de</strong> chercher à connaître<br />

les motifs <strong>de</strong> ces transformations. Après le christianisme, le<br />

jansénisme et les discussions sur le libre arbitre, le tragique <strong>de</strong><br />

YOedipe voltairien pouvait être différent <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Sophocle,<br />

sans en constituer pour autant la dégradation. Ou dira-t-on que<br />

Les mouches <strong>de</strong> Sartre, dont la philosophie est aux antipo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la<br />

pensée grecque, représente la déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> YOrestie ? De même, si<br />

Corneille ou Voltaire, ou Ducis se sont bien gardés <strong>de</strong> mettre<br />

l'accent sur l'union incestueuse, ce n'est pas que « les dramaturges<br />

ne sentaient pas à quel point la tragédie s'enracinait dans cette<br />

union» (p. 96) ou qu'ils esquivaient ce qu'on pourrait appeler la<br />

minute <strong>de</strong> vérité du thème, mais qu'ils étaient retenus par un co<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> la décence interdisant <strong>de</strong> s'appesantir sur ce point. C'est pour<br />

la même raison, et non par incompréhension, que, chez Voltaire<br />

ou Crébillon, Oreste tue Clytemnestre par erreur. A partir d'un<br />

tragique absolu réalisé par Sophocle, on se ferme à l'assimilation<br />

d'un autre tragique, fonction <strong>de</strong>s mœurs et <strong>de</strong> l'évolution


LE THÈME ET LA STRUCTURE 65<br />

philosophique : la richesse d'Oedipe est précisément dans cette<br />

malléabilié qui a permis à tant d'écrivains d'en modifier la portée.<br />

Car Sophocle n'est pas plus détenteur <strong>de</strong> la seule interprétation<br />

possible d'Oedipe qu'Eschyle ne détient la seule vérité surProméthée.<br />

Dès lors, parler <strong>de</strong> la pièce <strong>de</strong> Platen comme « du terme <strong>de</strong> la<br />

déca<strong>de</strong>nce progressive <strong>de</strong> la façon [dont Oedipe] est traité <strong>de</strong>puis<br />

Sophocle» (p. 113) n'a, littéralement, pas <strong>de</strong> sens, même s/il est<br />

<strong>de</strong>venu « prétexte à rire » ; pourquoi le sarcastique Prométhée<br />

gidien serait-il déca<strong>de</strong>nt par rapport à Eschyle ? M me Astier néglige<br />

peut-être trop qu'à partir du mythe cristallisé par Sophocle se<br />

dégage un thème littéraire dont les seules chances <strong>de</strong> survie sont<br />

dans ces mutations dénoncées comme <strong>de</strong>s abâtardissements. Ce<br />

thème consacré par la tradition, l'art consistait justement à<br />

l'investir, au moyen <strong>de</strong> modifications <strong>de</strong> détails, <strong>de</strong> nouvelles<br />

significations en accord avec d'autres conceptions du tragique :<br />

Corneille, Houdar <strong>de</strong> La Motte ou Voltaire, dans <strong>de</strong>s œuvres, certes,<br />

littérairement moins parfaites que celle <strong>de</strong> Sophocle, n'ont<br />

fait que lui appliquer cette perspective kaléidoscopique.<br />

Un autre exemple sera fourni par le remarquable ouvrage consacré<br />

par Jean Rousset au Mythe <strong>de</strong> Don Juan, où il propose, lui<br />

aussi, «une métho<strong>de</strong> structurale». Selon ce critique, les unités<br />

constitutives du thème ou invariants sont au nombre <strong>de</strong> trois : le<br />

Mort, le groupe féminin, le héros. Refusons ce « dispositif triangulaire<br />

minimal » et le mythe juanesque s'effondre, en dépit <strong>de</strong> sa<br />

plasticité ; car<br />

... il y a un revers à cette plasticité, à cette action <strong>de</strong> longue durée sur l'imagination<br />

collective : c'est l'usure et la dégradation, un donjuan ! Le donjuanisme<br />

! Voilà le déchet, le produit banalisé d'une dégénérescence ; que<br />

reste-t-il du prototype, du pécheur, du libertin et <strong>de</strong> ses affrontements avec<br />

le Ciel dans le petit-maître du XVIII e siècle, dans l'homme à femmes <strong>de</strong> la<br />

fin du XIX e ? La substance mythique s'est évaporée, l'i<strong>de</strong>ntité première<br />

s'est effacée sous l'effet d'une dislocation : l'ensemble initial et constitutif<br />

s'est désagrégé ; en accaparant l'intérêt pour lui seul, le héros s'est détaché<br />

du scénario global, il a perdu le contact avec l'Invité <strong>de</strong> pierre et le dénouement<br />

surnaturel. Mort du mythe — preuve aussi que le mythe a réussi, trop<br />

bien réussi (p. 8).


66 THÈMES ET MYTHES<br />

A l'origine, en effet, ce thème n'est pas celui du jouisseur, mais<br />

celui <strong>de</strong> l'offenseur <strong>de</strong> Dieu, du pécheur qui repousse toujours —<br />

et trop longtemps — le moment du repentir. C'est pourquoi il<br />

apparaît en quelque manière, observe finement Jean Rousset,<br />

comme «un sermon sur la grâce». En somme, le thème a la<br />

dimension du sacré et l'aventure <strong>de</strong> Don Juan, la gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> celle<br />

<strong>de</strong>s héros mythiques. Devenu le séducteur, l'homme à bonnes fortunes,<br />

il se banalise, se détruit ; à partir du moment où le héros<br />

l'emporte sur la situation, la gran<strong>de</strong>ur s'abolit. Donc, conclut<br />

Jean Rousset, «je souhaite éviter, dans la mesure du possible, <strong>de</strong><br />

construire mon Don Juan en personnage. [...] Don Juan sera<br />

traité, pour l'essentiel, comme énergie dans un réseau <strong>de</strong> forces<br />

qui se réalise par action et réaction, comme fonction dans un<br />

ensemble, comme nœud <strong>de</strong> relations» (p. 12).<br />

Soit. Dans quelle mesure cependant peut-on légitimement parler<br />

<strong>de</strong> la dégradation d'un thème à partir du moment où celui-ci<br />

dévie <strong>de</strong> sa portée initiale ? Evolution, mutation, métamorphose<br />

ne sont pas déca<strong>de</strong>nce. Tristan et Yseult exprime une problématique<br />

médiévale, courtoise et chrétienne ; quand Platen, en 1826, lit<br />

dans le thème la contemplation <strong>de</strong> la beauté entraînant dans le vertige<br />

<strong>de</strong> la mort, dira-t-on qu'il le dégra<strong>de</strong> ou qu'il l'interprète ?<br />

Tirso <strong>de</strong> Molina a créé son Don Juan dans un contexte espagnol et<br />

catholique au XVII e siècle ; pourquoi celui <strong>de</strong> Milosz ou <strong>de</strong> Max<br />

Frisch serait-il le même, pourquoi serait-il tenu au respect d'un<br />

quelconque schéma initial ?<br />

Ne l'oublions pas, le thème refuse la contrainte <strong>de</strong>s invariants.<br />

De quel droit interdira-t-on aux créateurs <strong>de</strong> glisser <strong>de</strong> la situation<br />

au héros, du nœud <strong>de</strong> relations au personnage, sous prétexte <strong>de</strong><br />

respecter une structure, un archétype? Nous n'avons pas à ramener<br />

le thème dans le droit chemin comme on prendrait par la main<br />

un enfant indiscipliné; l'historien n'a pas à canaliser le fleuve,<br />

mais à le suivre <strong>de</strong> la source à l'estuaire dans ses repentirs, ses<br />

caprices et ses méandres.<br />

La vraie question nous paraît bien plutôt <strong>de</strong> chercher à savoir


LE THÈME ET LA STRUCTURE 67<br />

pour quelles raisons l'accent, au fil du temps, s'est déplacé. Don<br />

Juan, <strong>de</strong>venu prédateur ou symbole sexuel, conserve le droit <strong>de</strong><br />

vivre, même sans Dieu, d'être ici nostalgie <strong>de</strong> l'inaccessible<br />

absolu, là rêve ou cauchemar d'une certaine condition féminine.<br />

Rappelons-nous d'ailleurs que le motif <strong>de</strong> la séduction coexiste,<br />

dès l'origine, avec celui du défi.<br />

Ici se révèlent les périls et les limites du formalisme manipulatoire,<br />

tenté <strong>de</strong> figer le thème dans un modèle. Don Juan, écrit<br />

encore J. Rousset, «tombe en poussière si son aventure ne<br />

s'achève par le combat nocturne avec l'apparition, ou tout autre<br />

équivalent fantastique » (p. 179). Non : ce qui tombe en poussière,<br />

c'est Don Juan selon Tirso, Molière ou Mozart. L'obsédé <strong>de</strong><br />

Montherlant est un avatar <strong>de</strong> Don Juan, parfaitement légitime,<br />

non un dégénéré, non un ange tombé qui se souviendrait mal <strong>de</strong>s<br />

cieux. Stirb und wer<strong>de</strong> : voilà l'essence du thème.<br />

L'analyse structurale, fructueuse lorsqu'il s'agit du mythe originel<br />

ou <strong>de</strong> sa première cristallisation littéraire, se révèle donc à nos<br />

yeux moins pertinente dans l'étu<strong>de</strong> du thème, c'est-à-dire lorsque<br />

la diachronie reprend ses droits 96 . L'étu<strong>de</strong> d'un thème suppose en<br />

effet un jeu perpétuel <strong>de</strong> comparaisons ; mais il s'agit <strong>de</strong> comparaisons<br />

dans l'histoire et non en <strong>de</strong>hors d'elle, non par référence à<br />

un quelconque paradigme suspendu dans l'intemporel. Si la Stoffgeschichte<br />

ne saurait aujourd'hui, sans risque d'appauvrissement,<br />

se refuser à l'intelligence <strong>de</strong> l'œuvre en tant que telle, dès lors<br />

qu'elle entend dépasser l'analyse <strong>de</strong> l'organisation initiale <strong>de</strong>s<br />

constituants d'un thème pour s'intéresser à son <strong>de</strong>venir, à ses<br />

modifications successives, elles-mêmes fonctions <strong>de</strong> facteurs<br />

divers, il lui faut se définir, essentiellement, comme discipline historique.<br />

Car le thème ne trouve sa dimension que dans l'histoire,<br />

où s'enracinent ses incarnations, et dans cette palingénésie qui<br />

constitue son être même. Il existe à la fois dans chaque œuvre qui<br />

l'exprime et en <strong>de</strong>hors d'elle, dans une tradition culturelle dont<br />

tout auteur est tributaire et dans laquelle il puise pour la modifier<br />

et la transmettre à son tour. Toutes les versions appartiennent au


68 THEMES ET MYTHES<br />

mythe, observe Cl. Lévi-Strauss, indiquant par là qu'il n'existe<br />

pas <strong>de</strong> version primitive originale, seule authentique, dont les<br />

autres ne seraient que <strong>de</strong>s contrefaçons ou <strong>de</strong>s copies infidèles. De<br />

même, toutes les versions appartiennent au thème. Les œuvres<br />

peuvent différer en valeur littéraire, mais elles ne peuvent être<br />

jugées que par rapport à une série <strong>de</strong> facteurs variables selon les<br />

temps, les esthétiques et les axes <strong>de</strong> pensée, non par référence à un<br />

intangible archétype.


LA RECHERCHE DES SOURCES<br />

ET DES INFLUENCES<br />

Considérer l'œuvre comme une unité artistique, porter sur elle<br />

et sur chacune <strong>de</strong> ses parties un jugement <strong>de</strong> valeur, détailler<br />

l'expressivité <strong>de</strong>s formes et <strong>de</strong>s structures n'est pas, on l'a vu,<br />

radicalement incompatible avec l'enquête thématologique, surtout<br />

lorsqu'elle est appliquée à un thème <strong>de</strong> situation qui, mieux<br />

que <strong>de</strong> tolérer cette approche esthétique, la sollicite.<br />

Toutefois, nous avons dit aussi qu'on ne saurait admettre<br />

l'œuvre existant par elle-même, conçue exnihiio, indépendante <strong>de</strong><br />

tout contexte et <strong>de</strong> toute tradition. En même temps qu'une expression<br />

propre à G.B. Shaw, la Jeanne d'Arc du dramaturge irlandais<br />

est aussi un maillon d'une chaîne qui passe par Shakespeare,<br />

Chapelain, Voltaire, Quincey, Soumet, Michelet, Péguy, France.<br />

Souvent tel détail imaginé par un auteur s'intègre à la tradition<br />

ultérieure : il importe <strong>de</strong> savoir à qui il est dû, quand il a pris naissance,<br />

comment et à qui il a été transmis.<br />

Or certains comparatistes, et parmi eux Paul Hazard, estiment<br />

que la thématologie fait rarement place aux questions <strong>de</strong> sources<br />

et d'influences et que, du reste, la succession <strong>de</strong>s œuvres bâties sur<br />

un même thème n'implique pas qu'il y ait eu influence : entre <strong>de</strong>ux<br />

Caïn, entre <strong>de</strong>ux Oreste, il n'y a le plus souvent que parallélisme,<br />

non contact ni influence. On déci<strong>de</strong>rait donc d'exclure, a priori, la<br />

thématologie <strong>de</strong>s cadres <strong>de</strong> la littérature comparée, dans la mesure<br />

où elle ne s'occupe que <strong>de</strong> juxtapositions et <strong>de</strong> comparaisons.<br />

Que penser <strong>de</strong> cette nouvelle condamnation ?<br />

Il est certain que les premières manifestations <strong>de</strong> la thématologie<br />

sont issues <strong>de</strong> la recherche <strong>de</strong> critères <strong>de</strong> valeur : comparer plusieurs<br />

œuvres construites sur un thème permettait d'aligner Goe-


70 THEMES ET MYTHES<br />

the avec Euripi<strong>de</strong>, Kleist avec Molière et Plaute, Shaw avec<br />

Byron, jeu séduisant, sans danger mais aussi sans véritable profit.<br />

C'est du souci <strong>de</strong> dresser <strong>de</strong> nouvelles échelles <strong>de</strong> valeur que procè<strong>de</strong>nt<br />

les comparaisons auxquelles se livrent Lessing entre Voltaire<br />

et le théâtre anglais, A.W. Schlegel entre la Phèdre <strong>de</strong> Racine et<br />

celle d'Euripi<strong>de</strong> ou, plus tôt, Voltaire entre son propre Oedipe et<br />

ceux <strong>de</strong> Sophocle et <strong>de</strong> Corneille, ou encore Racine entre son<br />

Andromaque et celle d'Euripi<strong>de</strong>.<br />

Convenons qu'en effet il ne s'agit pas là <strong>de</strong> littérature comparée,<br />

mais tout simplement <strong>de</strong> comparaison littéraire 97 , exercice<br />

assez rhétorique et aussi ancien que la littérature elle-même. De<br />

telles comparaisons ne s'attachent, en réalité, qu'à la mise en<br />

œuvre <strong>de</strong> sujets i<strong>de</strong>ntiques ; on compare une tragédie à une autre,<br />

non pas même dans l'esprit et la signification du thème traité,<br />

mais dans la manière dont il est abordé et exploité : Voltaire a plus<br />

ou moins <strong>de</strong> pathétique que Sophocle, ces personnages sont plus<br />

nobles ou plus vraisemblables, il respecte mieux les unités, etc. En<br />

somme, c'est une comparaison purement esthétique, qui <strong>de</strong>meure<br />

extérieure au thème, qui juxtapose les éléments communs pour en<br />

déduire le plus ou le moins <strong>de</strong> ceci ou <strong>de</strong> cela.<br />

Observons néanmoins qu'elle n'est pas dépourvue <strong>de</strong> tout intérêt<br />

— ne permet-elle pas <strong>de</strong> dégager l'apport individuel, en particulier<br />

dans le traitement du thème <strong>de</strong> situation ? —, même pour la<br />

littérature comparée, où Etiemble invite à nous souvenir qu'à côté<br />

<strong>de</strong> littérature, il y a comparée, et il serait certes aussi abusif<br />

qu'appauvrissant <strong>de</strong> définir cette discipline comme «un cas particulier<br />

<strong>de</strong> la critique d'influence » 98 . Mais nous ne saurions admettre<br />

davantage, avec E. Frenzel, que la simple comparaison constitue<br />

en tout cas «l'épine dorsale <strong>de</strong> la thematologie» 99 , car, au<br />

moins pour les thèmes <strong>de</strong> héros, où l'expression est parfois réduite<br />

à quelques mots, donc à la stricte portée significative, la comparaison,<br />

qui implique le jugement <strong>de</strong> valeur, ne trouverait pas<br />

l'occasion <strong>de</strong> s'exercer.<br />

Bref, en dépit <strong>de</strong> son intérêt éventuel, la comparaison, exercice


SOURCES ET INFLUENCES 71<br />

scolaire, ne peut être considérée comme suffisant à justifier<br />

l'étu<strong>de</strong> d'un thème et la question <strong>de</strong>s sources et influences doit se<br />

poser à tout chercheur soucieux <strong>de</strong> dépasser la juxtaposition d'éléments<br />

disparates. Du reste, un thème, ignorant les limites du<br />

temps et <strong>de</strong> l'espace, transmis <strong>de</strong> génération en génération, se<br />

trouve particulièrement bien placé pour être le lieu <strong>de</strong>s influences<br />

les plus diverses.<br />

Les sources ne seront cependant pas toujours du même ordre,<br />

selon qu'il s'agira d'un thème <strong>de</strong> héros ou <strong>de</strong> situation: dans le<br />

premier cas, elles seront volontiers moins larges et moins improtantes<br />

que dans le second, mais en général plus nombreuses et plus<br />

variées.<br />

De quel côté se tournera-t-on à propos d'un thème <strong>de</strong> héros ? Il<br />

y aura intérêt, parfois, à exploiter <strong>de</strong>s possibilités souvent ignorées<br />

ou négligées; H. Peyre observait très bien: «Grammaires, dictionnaires,<br />

morceaux choisis grecs et latins, manuels d'archéologie,<br />

tels sont [...] quelques-uns <strong>de</strong>s livres où nous <strong>de</strong>vrions chercher<br />

plus avi<strong>de</strong>ment à compléter notre connaissance <strong>de</strong>s écrivains,<br />

<strong>de</strong>s artistes et souvent même <strong>de</strong>s penseurs et <strong>de</strong>s hommes d'Etat<br />

du passé. Nous y ajouterions <strong>de</strong>ux groupes d'ouvrages [...] dont<br />

l'influence sur les mo<strong>de</strong>rnes a dû être très forte : manuels ou dictionnaires<br />

<strong>de</strong> mythologie gréco-romaine et pages et pensées morales<br />

tirées <strong>de</strong>s auteurs anciens » 10 °.<br />

Il s'agira <strong>de</strong> lire les préfaces <strong>de</strong> traducteurs, par exemple, pour<br />

les Grecs, du P. Brumoy, <strong>de</strong> Lefranc <strong>de</strong> Pompignan, <strong>de</strong> Rochefort,<br />

<strong>de</strong> Dupuis, etc., car il leur est arrivé <strong>de</strong> suggérer <strong>de</strong>s interprétations<br />

et <strong>de</strong>s idées appelées, par hasard, à une prodigieuse fortune.<br />

Edgar Quinet a lancé dans la critique le postulat, parfaitement<br />

faux, d'une assimilation <strong>de</strong> Prométhée au Christ par les<br />

Pères <strong>de</strong> l'Eglise ; il en avait trouvé l'idée dans la préface <strong>de</strong> Thomas<br />

Stanley (XVI e siècle) à une édition d'Eschyle. Petites causes,<br />

grands effets et naissance d'une tradition qui a traversé tout le<br />

XIX e siècle et se perpétue, toujours vivace, dans les lettres contemporaines.


72 THEMES ET MYTHES<br />

Pour étudier la fortune <strong>de</strong>s personnages <strong>de</strong> la mythologie —<br />

probablement les plus célèbres et les plus utilisés — il conviendra<br />

<strong>de</strong> fouiller les manuels, bien oubliés aujourd'hui, <strong>de</strong>s mythographes<br />

et les grands dictionnaires érudits, <strong>de</strong> Bayle à Y Encyclopédie,<br />

<strong>de</strong>s Estienne aux compilations <strong>de</strong> l'abbé <strong>de</strong> Feller. Sait-on toujours<br />

ce que les poètes et même les penseurs <strong>de</strong> la Renaissance doivent<br />

aux volumes <strong>de</strong> Calepinus, <strong>de</strong> Coelius Rhodiginus, <strong>de</strong> Thomas<br />

Cooper, <strong>de</strong> Ravisius Textor, d'Alessandro Sardi, <strong>de</strong> Vigenère,<br />

sans parler <strong>de</strong>s Estienne ou <strong>de</strong>s emblèmes <strong>de</strong> Reusner, Whitney<br />

ou Alciat ? Dans son admirable Survivance <strong>de</strong>s dieux antiques,<br />

Jean Seznec a bien montré que les hommes <strong>de</strong> la Renaissance<br />

n'avaient pas toujours une information <strong>de</strong> première main.<br />

Quant aux grands mythographes — consentons à négliger ici la<br />

foule <strong>de</strong>s minores — tels Cornes, Cartari et Gyraldi, leurs manuels<br />

se sont répandus à travers l'Europe entière, distillant ainsi<br />

l'influence <strong>de</strong> la Genealogia <strong>de</strong>orum <strong>de</strong> Boccace, elle-même inspirée<br />

<strong>de</strong>s Pères et <strong>de</strong>s écrivains <strong>de</strong> la basse époque. Dira-t-on tout ce<br />

que l'univers mythologique <strong>de</strong> Goethe doit au manuel <strong>de</strong> He<strong>de</strong>rich<br />

et au Panthéon myihicon du jésuite Francisco Pomey ? ce que les<br />

pièces mythologiques <strong>de</strong> Cal<strong>de</strong>ron empruntent à Baltasar <strong>de</strong> Victoria<br />

et à Juan Perez <strong>de</strong> Moya et ceux-ci aux mythographes italiens<br />

? ce que Ronsard prend à Cornes, Spencer à Cooper, Ben<br />

Jonson à Charles Estienne, Du Bartas à Cartari? Il y a là un<br />

réseau infiniment complexe <strong>de</strong> sources savantes assimilées par les<br />

auteurs et retransmises parfois à travers plusieurs siècles.<br />

Les exemples n'en manquent pas. C'est l'interprétation boccacienne<br />

du mythe <strong>de</strong> Prométhée qui irrigue toute la Renaissance et<br />

qu'on retrouve, adaptée à leurs préoccupations personnelles, chez<br />

Ficin, Bouelles, Erasme, Ronsard et bien plus tard encore. Dans la<br />

suite, les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s Vossius, Heinsius, Huet, Kircher, Desmarets<br />

<strong>de</strong> Saint-Sorlin pour le XVII e siècle, <strong>de</strong> Banier, Chompré, Boulanger,<br />

Lavaur ou Feijôo pour le XVIII e , livrent aux poètes <strong>de</strong>s interprétations<br />

qui, <strong>de</strong> révhémérisme à l'exégèse allégorique en passant<br />

par l'assimilation aux personnages <strong>de</strong> la Bible, constituent


SOURCES ET INFLUENCES 73<br />

une toile <strong>de</strong> fond, un climat dont témoignent œuvres et allusions<br />

littéraires. Le rôle sous-jacent <strong>de</strong> l'érudition, que B. Munteano a<br />

souvent souligné pour la rhétorique, n'est pas moins important<br />

quand il s'agit <strong>de</strong> la mythologie ou <strong>de</strong> la Bible.<br />

A côté <strong>de</strong> ces sources savantes, il ne manquera pas <strong>de</strong> sources<br />

littéraires, souvent nombreuses et complexes. Que l'on songe aux<br />

textes invoqués pour la genèse <strong>de</strong> la Pandora <strong>de</strong> Goethe, à<br />

l'influence probable <strong>de</strong> Ballanche sur Hugo dans la compréhension<br />

du thème d'Orphée, à la fortune surprenante du Prométhée<br />

<strong>de</strong> Shaftesbury, ce «second Maker, a just Prometheus un<strong>de</strong>r<br />

Jove », dont l'idée initiale vient <strong>de</strong> Chapman et chemine <strong>de</strong> l'un à<br />

l'autre chez Her<strong>de</strong>r, Goethe ou A.W. Schlegel, à l'influence <strong>de</strong> la<br />

Pandore <strong>de</strong> Lesage sur celles <strong>de</strong> Wieland ou <strong>de</strong> Kotzebue... N'y at-il<br />

pas là assez <strong>de</strong> problèmes <strong>de</strong> sources et d'influences pour satisfaire<br />

le comparatiste le plus exigeant ?<br />

Devant un thème <strong>de</strong> situation, nécessairement exprimé dans un<br />

contexte plus large et un cadre plus rigi<strong>de</strong>, on aura affaire à <strong>de</strong>s<br />

sources souvent moins subtiles et moins multiples, volontiers<br />

purement littéraires, mais aussi importantes ; il suffit <strong>de</strong> quelques<br />

exemples pour s'en convaincre.<br />

Quand H. Le Maître se consacre à la survivance du thème <strong>de</strong><br />

Psyché 101 , n'a-t-il pas aussi pour objectif <strong>de</strong> montrer un aspect <strong>de</strong><br />

l'influence <strong>de</strong> Fulgence au Moyen Age, <strong>de</strong> celle d'Apulée au XVI e<br />

siècle ? Qui ne voit qu'étudier l'histoire <strong>de</strong> l'enlèvement d'Europe,<br />

comme Ta fait A. Lombard 102 , ce n'est pas seulement juxtaposer<br />

et comparer <strong>de</strong>s œuvres, mais aussi contribuer à préciser les<br />

modalités <strong>de</strong> l'influence d'Ovi<strong>de</strong> au Moyen Age chez Jean <strong>de</strong> Garlan<strong>de</strong>,<br />

Bersuire, Chrétien Legouais <strong>de</strong> Sainte-More ; à la Renaissance<br />

chez Dolce ou Ronsard ; au XVII e siècle chez Du Ryer ou<br />

Bensera<strong>de</strong>. Pour ne rien dire <strong>de</strong> celle d'Horace sur Lebrun-<br />

Pindare et J.B. Rousseau, <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> Moschus sur J.-A. <strong>de</strong> Baïf et<br />

Chénier !<br />

Voilà pour les sources ; mais les influences, à l'intérieur <strong>de</strong> l'histoire<br />

d'un thème, ne sont pas moins évi<strong>de</strong>ntes. Devant le succès


74 THEMES ET MYTHES<br />

européen du personnage d'Inès <strong>de</strong> Castro, ne convient-il pas <strong>de</strong><br />

définir ce que Camoens doit à Resen<strong>de</strong>, Ferreira au Cancioneiro,<br />

ce que la fortune <strong>de</strong>s Lusia<strong>de</strong>s apporte aux interprétations du<br />

XVII e siècle, ce que Ferreira offre à Guevara, celui-ci à Houdar <strong>de</strong><br />

La Motte et ce <strong>de</strong>rnier au XVIII e siècle entier et même au XIX e ,<br />

jusqu'au jeune Hugo 103 ? Enfin, la véritable thématologie pourrat-elle<br />

se borner à énumérer <strong>de</strong>s Antigone, ou bien s'assignera-t-elle<br />

la tâche <strong>de</strong> préciser l'apport <strong>de</strong> Stace à Garnier, Rotrou, Alfieri ;<br />

la <strong>de</strong>tte d'Alamanni à Rucellai et <strong>de</strong> celui-ci à Sophocle, Euripi<strong>de</strong>,<br />

Sénèque ; les emprunts <strong>de</strong> Reboul à Sophocle, à Alfieri, à Rotrou ;<br />

les additions <strong>de</strong> Saint-Roman à Euripi<strong>de</strong>, Aristophane, Hygin...<br />

Ces quelques illustrations permettent, croyons-nous, <strong>de</strong> conclure<br />

qu'une thématologie bien comprise ne saurait être ramenée à<br />

la simple comparaison, au jeu assez gratuit <strong>de</strong>s appréciations individuelles<br />

et <strong>de</strong>s jugements <strong>de</strong> valeur changeants et toujours susceptibles<br />

d'appel. La comparaison peut certes être enrichissante,<br />

mais elle ne peut être considérée comme l'essentiel d'une discipline<br />

qui, contrairement à la conviction <strong>de</strong> certains comparatistes, ne se<br />

conçoit pas sans une constante recherche <strong>de</strong>s sources et <strong>de</strong>s<br />

influences, recherche qui, unie à la comparaison et à l'appréciation<br />

<strong>de</strong>s valeurs esthétiques, doit contribuer à mieux faire ressortir<br />

l'originalité <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s individualités en permettant d'évaluer <strong>de</strong><br />

plus près l'importance du fonds commun et la puissance d'intervention<br />

<strong>de</strong> chaque auteur sur le thème. Bannir la thématologie <strong>de</strong><br />

la littérature comparée sous prétexte qu'elle ne s'occupe pas <strong>de</strong>s<br />

influences littéraires, c'est appliquer les faiblesses et les insuffisances<br />

<strong>de</strong> quelques travaux superficiels et mal conduits à l'ensemble<br />

d'une discipline qui gagne à voir ses métho<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s principes<br />

définis dans une optique plus large et un esprit plus conscient <strong>de</strong> ce<br />

qu'elle peut révéler.


TRADITION ET CRÉATION<br />

La liberté du créateur, dans ce qu'elle a communément <strong>de</strong> plus<br />

apparent, est sans doute celle du choix d'un sujet et du traitement<br />

<strong>de</strong> celui-ci ltM . On l'a assez dit, il a le droit <strong>de</strong> prendre son bien là<br />

où il le trouve et <strong>de</strong> le manier à sa guise, soit qu'il le tire <strong>de</strong> son<br />

propre fonds, comme Rousseau qui, pour la Nouvelle Héloïse,<br />

n'entendait peupler sa solitu<strong>de</strong> que « d'êtres selon son cœur », soit<br />

qu'il l'emprunte à la réalité extérieure pour la transformer à son<br />

gré. Ainsi Stendhal lit un article <strong>de</strong> la Gazette <strong>de</strong>s Tribunaux, et<br />

c'est Le Rouge et le Noir; ainsi Flaubert, informé d'un fait-divers<br />

<strong>de</strong> province, écrit Madame Bovary. Ces supports fragiles, ces prétextes,<br />

ces points <strong>de</strong> départ renforcent encore l'impression d'indépendance<br />

; l'écrivain, <strong>de</strong>vant sa « matière première », se remémore<br />

volontiers ces vers <strong>de</strong> La Fontaine :<br />

Un bloc <strong>de</strong> marbre était si beau<br />

Qu'un statuaire en fit l'emplette.<br />

Qu'en fera, dit-il, mon ciseau?<br />

Sera-t-il Dieu, table ou cuvette?<br />

Ses personnages une fois imaginés, l'auteur <strong>de</strong>vient leur maître,<br />

sans restrictions. D'où que lui vienne son inspiration initiale, il<br />

n'en gar<strong>de</strong> pas tels quels les éléments ; il ajoute ou retranche, choisit,<br />

élague, modifie, transpose, bref joue au <strong>de</strong>spote, à Dieu le<br />

Père, il s'érige en fatalité. En somme, le créateur dépend tout au<br />

plus <strong>de</strong> lui-même.<br />

Mais en va-t-il <strong>de</strong> même lorsque le sujet choisi a déjà une existence<br />

propre, parfois séculaire, lorsque, au fil du temps, <strong>de</strong>s dizaines<br />

<strong>de</strong> créateurs lui ont déjà donné forme ? En vérité, le simple fait<br />

<strong>de</strong> poser la question sous-entend que la réponse, probablement,<br />

sera négative. Voyons cependant d'un peu plus près ce que <strong>de</strong>vient


76 THÈMES ET MYTHES<br />

la liberté du créateur lorsqu'il abor<strong>de</strong> un thème consacré par une<br />

longue tradition; en d'autres termes, cherchons à préciser où il<br />

conviendra <strong>de</strong> fixer les bornes <strong>de</strong> son indépendance en face <strong>de</strong><br />

Don Juan, <strong>de</strong> Faust, <strong>de</strong> Prométhée.<br />

Le problème se pose, cette fois, dans <strong>de</strong>s conditions fort différentes.<br />

D'avance, la liberté <strong>de</strong> l'auteur est entravée, limitée. Alors<br />

que le choix du sujet est habituellement le point <strong>de</strong> départ <strong>de</strong> son<br />

autonomie créatrice, ce choix marque maintenant l'instant initial<br />

<strong>de</strong> sa servitu<strong>de</strong>. D'emblée le thème lui impose ses composantes, les<br />

éléments constitutifs qui lui sont propres et sans lesquels il cesse<br />

d'être.<br />

Thème — est-il besoin <strong>de</strong> le dire ? — ne désigne pas seulement<br />

<strong>de</strong>s thèmes issus <strong>de</strong> la mythologie ou <strong>de</strong> la Bible, mais aussi ceux<br />

fournis par l'histoire et donnant matière à la littérature. Particulièrement<br />

contraignants seront même ces thèmes historiques, où<br />

l'histoire, la réalité remplacent ou renforcent la tradition purement<br />

littéraire. Faire d'Antigone une fille craintive ou <strong>de</strong> Médée<br />

une épouse complaisante, c'est dénaturer une légen<strong>de</strong>, une histoire<br />

inventée. Mais fera-t-on <strong>de</strong> Cromwell un colon américain ou<br />

<strong>de</strong> Waterloo une victoire française ? La rigidité <strong>de</strong>s cadres imposés<br />

à l'auteur est ici plus gran<strong>de</strong> encore que pour les thèmes d'origine<br />

littéraire. En somme, le seul choix d'un personnage, d'un nom,<br />

d'un fait empruntés au domaine <strong>de</strong> l'histoire entraîne automatiquement<br />

le créateur à renoncer à l'infini <strong>de</strong>s possibilités qui est le<br />

propre <strong>de</strong>s sujets d'imagination pure.<br />

Cette contrainte existe lors même que le thème, sans relever<br />

directement <strong>de</strong> l'histoire, doit plutôt son existence à la coutume, à<br />

l'usage. Songeons aux conventions qui régissent la peinture <strong>de</strong> certains<br />

types nationaux répandus dans les lettres à telle ou telle époque.<br />

Un auteur était-il vraiment libre <strong>de</strong> camper un Italien qui ne<br />

fût pas vindicatif, un Espagnol qui ne fût pas jaloux, un Anglais<br />

qui ne fût pas flegmatique ? Et que dire du Français inconstant,<br />

frivole et volage tel qu'il apparaît dans Le Français à Londres <strong>de</strong><br />

Boissy, en 1727, tel qu'il hante tout le XVIII e siècle pour aboutir à


TRADITION ET CRÉATION 77<br />

cette tête folle qu'est le comte d'Erfeuil dans la Corinne <strong>de</strong> M me <strong>de</strong><br />

Staël, ou encore tel qu'il se dégra<strong>de</strong> dans le Riccaut <strong>de</strong> la Marlinière<br />

décrit par Lessing? Parce qu'il est une fois pour toutes<br />

entendu que tous les Ecossais sont avares et que toutes les Françaises<br />

sont rousses, l'auteur se voit tenu <strong>de</strong> respecter une convention,<br />

fausse peut-être en soi, mais qui seule, aux yeux du lecteur, peut<br />

conférer au type sa vérité.<br />

Contraint, dans le cas <strong>de</strong>s thèmes historiques, par la réalité, par<br />

une vérité consignée dans tous les manuels, en quelque sorte par<br />

une vérité officielle, et tenu, dans le cas <strong>de</strong>s types nationaux, par<br />

un fiction à laquelle l'usage, le consensus omnium ont donné<br />

valeur <strong>de</strong> réalité, l'auteur sera-t-il plus indépendant lorsque le<br />

thème ne relève que d'une tradition exclusivement littéraire ?<br />

Prenons par exemple le cas d'Antigone. Le premier obstacle<br />

auquel se heurte la volonté d'émancipation du créateur est celui <strong>de</strong><br />

la situation : que <strong>de</strong>vient le thème d'Antigone si l'on supprime la<br />

guerre fratrici<strong>de</strong> entre Etéocle et Polynice, ou l'obligation morale<br />

<strong>de</strong> l'ensevelissement du frère défunt ? Deuxième obstacle : les personnages.<br />

Antigone cesse d'être Antigone si l'on escamote ses<br />

comparses, Créon, Ismène, Hémon. Troisième obstacle: la signification.<br />

Qui consentirait à retrouver une Antigone là où son<br />

opposition fondamentale avec ce que représente Créon aurait disparu?<br />

Bref, Antigone ne saurait avoir d'existence indépendante d'un<br />

certain contexte. La situation crée même Antigone à tel point que,<br />

pour nous, par un processus inverse, le seul fait d'appeler une<br />

héroïne Antigone implique obligatoirement cette situation. On en<br />

dirait autant d'Oedipe, <strong>de</strong> Pandore, <strong>de</strong> Psyché, <strong>de</strong> Médée...Et<br />

croirions-nous à un Adam dispensé du péché originel? à un<br />

Amphitryon que n'accompagneraient ni Jupiter ni Alcmène ?<br />

Ceci est valable pour les thèmes où la situation a une importance<br />

déterminante. N'en sera-t-il pas autrement pour les thèmes<br />

<strong>de</strong> héros, où la situation est contingente, où le personnage peut<br />

évoluer dans n'importe quelle situation? Ainsi pour Hercule,


78 THÈMES ET MYTHES<br />

pour Ulysse, pour Prométhée. Ne nous y trompons pas : ces thèmes<br />

ne sont pas grevés d'une moins lour<strong>de</strong> hypothèque. Simplement,<br />

l'accent se déplace <strong>de</strong> la situation à la personne. Alors que,<br />

la situation traditionnelle une fois acceptée, l'auteur était libre <strong>de</strong><br />

faire Antigone douce ou emportée, sentimentale ou romaine, religieuse<br />

ou simplement morale, il peut, en face d'Hercule ou <strong>de</strong><br />

Prométhée, varier les situations, non les caractéristiques du héros.<br />

Ou bien accepterons-nous un Prométhée indifférent ou un Hercule<br />

qui pactise avec le vice ?<br />

Bref, qu'il s'agisse d'une figure <strong>de</strong> l'histoire ou d'un type légendaire,<br />

l'auteur est enchaîné par le sujet même. Il lui faut en outre<br />

compter avec un public prévenu, prêt à la comparaison avec une<br />

sorte d'archétype culturel : écrit-on aujourd'hui un Faust sans<br />

redouter l'ombre <strong>de</strong> Goethe, un Prométhée sans s'inquiéter<br />

d'Eschyle ? Il lui faut respecter la tradition qui pèse sur lui comme<br />

un poids dont il lui est impossible <strong>de</strong> se décharger sous peine <strong>de</strong><br />

trahir ses propres intentions. Le grand critique anglais Samuel<br />

Johnson avait observé dès la fin du XVIII e siècle le dilemme offert<br />

à tout créateur : « Nous avons été <strong>de</strong> trop longue date familiarisés<br />

avec les héros poétiques pour attendre aucun plaisir <strong>de</strong> leur retour<br />

à la vie. Les montrer tels qu'ils ont déjà été, c'est écœurer par la<br />

répétition ; leur donner <strong>de</strong> nouvelles qualités ou <strong>de</strong> nouvelles aventures,<br />

c'est choquer en violant <strong>de</strong>s notions reçues» 105 .<br />

Le créateur se trouve donc limité dans le traitement du thème<br />

choisi, c'est-à-dire sur le plan même où s'exerçait en général sa<br />

plus gran<strong>de</strong> liberté. Reste-t-il libre au moins <strong>de</strong> choisir sa servitu<strong>de</strong><br />

? Ce n'est pas sûr, car il arrive que le choix même <strong>de</strong> son sujet<br />

lui soit comme imposé. Non seulement on pourrait dire que<br />

l'auteur ne choisit tel ou tel thème qu'en fonction <strong>de</strong> certaines<br />

affinités plus ou moins indépendantes <strong>de</strong> sa volonté, sous l'impulsion<br />

d'une sorte <strong>de</strong> déterminisme intérieur, mais peut-être se voitil<br />

encore parfois contraint par <strong>de</strong>s pressions extérieures à lui et<br />

qu'il subit sans en avoir toujours conscience.<br />

Certains thèmes, en effet, sont le reflet, dès l'origine, <strong>de</strong> conflits


TRADITION ET CRÉATION 79<br />

politiques ou sociaux. Dès lors, on peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s'ils ne se<br />

rencontrent pas plus volontiers aux époques où se pose, dans la<br />

réalité vécue et éprouvée par un auteur, le problème dont ils peuvent<br />

constituer, en quelque sorte, l'archétype, la représentation<br />

idéale. Nous reviendrons plus loin sur cette question, à propos<br />

d'Antigone et <strong>de</strong> Socrate.<br />

Bref, les thèmes sont bien autre chose que <strong>de</strong> simples sujets malléables<br />

et transformables à merci. Non seulement il n'est pas permis<br />

à l'auteur <strong>de</strong> les traiter en toute liberté, mais même il est souvent<br />

invinciblement attirés vers eux, bien plus qu'il ne les choisit ;<br />

ils recèlent une puissance d'appel qui les impose à sa conscience, si<br />

bien qu'en définitive il y a déterminisme, magnétisme ou, mieux,<br />

tropisme <strong>de</strong> l'acte créateur, limité à la fois dans son orientation et<br />

dans son exécution.<br />

Dans son exécution en effet, car, même pour la forme, le créateur<br />

se voit, <strong>de</strong>vant le thème, asservi à <strong>de</strong>s obligations qui dérivent,<br />

non <strong>de</strong> sa liberté <strong>de</strong> choix, mais <strong>de</strong> la nature du thème, nous<br />

y avons insisté plus haut.<br />

Ce qui précè<strong>de</strong> nous le montre : le créateur confronté avec le<br />

thème éprouve beaucoup plus <strong>de</strong> servitu<strong>de</strong> que d'indépendance.<br />

Nécessairement entravé dans le traitement du sujet par la préexistence<br />

<strong>de</strong>s personnages et <strong>de</strong>s situations, il l'est encore dans le choix<br />

<strong>de</strong> la forme littéraire qu'il prétend donner à son oeuvre, il l'est<br />

enfin, au moins dans certains cas, dans le choix même d'un sujet<br />

qui lui est presque imposé par la force d'une tradition. Nous y<br />

reviendrons à propos <strong>de</strong>s préférences d'auteurs, d'époques et <strong>de</strong><br />

nations.<br />

On sait toutefois que la tendance spontanée <strong>de</strong> l'auteur est <strong>de</strong> se<br />

rebiffer, <strong>de</strong> récuser cette tradition qui compte pour rien ses droits<br />

imprescriptibles <strong>de</strong> créateur.<br />

Un exemple d'une telle volonté d'indépendance nous est proposé<br />

par Montherlant auteur d'un Don Juan i06 . Rien <strong>de</strong> plus clair<br />

ici que l'intention <strong>de</strong> l'auteur qui, dans ses notes, dit <strong>de</strong> sa pièce :<br />

«Je l'avais écrite en réaction contre l'abondante littérature qui a


80<br />

THEMES ET MYTHES<br />

voulu faire <strong>de</strong> Don Juan un personnage complexe, un mythe ». En<br />

un mot, Montherlant souhaite libérer Don Juan <strong>de</strong> la gangue où<br />

Ta enfermé une ridicule tradition universitaire, fondée par les<br />

«cuistres» qui ont compliqué à plaisir l'image du séducteur<br />

banal. Dans ma pièce au contraire, assure-t-il, Don Juan «est un<br />

personnage simple ; il n'a pas d'envergure, je l'ai voulu ainsi ».<br />

Mais la lecture nous déçoit bientôt : ce Don Juan si neuf n'est, si<br />

Ton peut dire, qu'un Don Juan comme les autres. Il ne manque ni<br />

le meurtre du Comman<strong>de</strong>ur ni l'épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> la statue. Comme ses<br />

modèles, Don Juan ne poursuit pas les femmes, mais la Femme ;<br />

chacun <strong>de</strong> ses mensonges est une vérité <strong>de</strong> l'instant où il le profère,<br />

car Don Juan ne ment jamais, au sens vulgaire ; la séduction n'est<br />

pas chez lui un jeu mais un besoin, une manière d'être ; il éprouve<br />

cette perpétuelle angoisse, cette insatisfaction qui le pousse en<br />

avant, vers d'autres conquêtes. En outre, il n'est pas libre : il est<br />

l'homme du Destin, celui qui sait que rien ne peut lui arriver que<br />

son heure n'ait sonné ; et sa révolte contre Dieu, contre la société<br />

fait encore partie <strong>de</strong>s composantes traditionnelles. Il est bien,<br />

comme l'avoue paradoxalement Montherlant lui-même,<br />

«l'homme qui sans cesse risque le pire, et qui a choisi cela».<br />

Rien d'étonnant dans cet échec d'une tentative <strong>de</strong> «banalisation<br />

». L'auteur qui accepte <strong>de</strong> représenter les situations classiques<br />

où évolue le héros et surtout qui adopte le nom <strong>de</strong> Don Juan, se<br />

trouve automatiquement engagé dans le thème. Il y a si peu <strong>de</strong><br />

doute à cela que ceux qui ont voulu créer un Don Juan qui ne fût<br />

pas Don Juan ont très bien senti qu'il fallait changer ce nom pour<br />

ceux <strong>de</strong> Lovelace, Valmont, Bel-Ami ou Ornifle, qui sont <strong>de</strong>s<br />

séducteurs, qui sont même <strong>de</strong>s donjuans, mais ne sont pas Don<br />

Juan. Montherlant a confondu Casanova et Don Juan : l'un est ce<br />

séducteur vulgaire, interchangeable, qu'il voulait représenter,<br />

l'autre incarne une <strong>de</strong>s impatiences <strong>de</strong> l'âme ; l'un est le favori <strong>de</strong>s<br />

chroniques scandaleuses, l'autre la projection dans l'héroïque<br />

d'une angoisse tout humaine, projection à laquelle on ne saurait<br />

recourir sans accepter en même temps et le thème et le symbole.


TRADITION ET CREATION 81<br />

Si même la volonté consciente du créateur se démembre parfois<br />

<strong>de</strong>vant la structure infrangible du thème, on mesure quelle<br />

peut être la puissance d'une tradition qui, siècle après siècle, s'est<br />

consolidée <strong>de</strong> son propre élan et à laquelle chaque auteur a payé<br />

tribut. En fait, le thème rayonne, éblouit ceux qui l'approchent ;<br />

<strong>de</strong> lui, du nom qui le résume, émane une sorte <strong>de</strong> flui<strong>de</strong>.<br />

Dans certains cas, son magnétisme est aisément observable. Il<br />

arrive que la situation, les personnages, la signification — au<br />

moins élémentaire — d'un thème soient si connus, que la tradition<br />

qui le soutient soit si puissante qu'elle influence même <strong>de</strong>s œuvres<br />

qui, au départ, n'avaient rien <strong>de</strong> commun avec le thème. Un bon<br />

exemple du genre est peut-être un roman <strong>de</strong> Franz Hellens :<br />

L'homme <strong>de</strong> soixante ans,<br />

L'histoire en soi est banale. Félicien Meurant, professeur à la<br />

Sorbonne, découvre, à soixante ans, la vanité <strong>de</strong> sa vie d'étu<strong>de</strong>.<br />

Attiré par Angélique, jeune servante fraîche et naïve qui est pour<br />

lui le rappel <strong>de</strong>s valeurs vitales, il quitte son épouse, abandonne sa<br />

chaire à l'<strong>Université</strong> pour mener une vie simple, proche <strong>de</strong>s joies<br />

<strong>de</strong> la nature.<br />

A première vue, on ne décèle, surtout dans un résumé aussi<br />

schématique, guère <strong>de</strong> traces du premier Faust <strong>de</strong> Goethe,<br />

d'autant plus que Franz Hellens déclare : « L'homme <strong>de</strong> soixante<br />

ans est le livre où j'ai mis le plus secret, mais aussi le plus vrai <strong>de</strong><br />

ma biographie réelle ». Pourtant, dès qu'on s'attache au détail l07 ,<br />

les similitu<strong>de</strong>s apparaissent, tant dans la trame que dans la signification<br />

et les personnages. Meurant, c'est Faust, un Faust bourgeois,<br />

simplifié, débarrassé <strong>de</strong> ses angoisses métaphysiques, et qui<br />

n'a conservé que la hantise d'une vie gâchée pour une science<br />

livresque, la nostalgie d'une existence plus vraie ; Angélique, c'est<br />

Gretchen, pure, neuve, la tentation <strong>de</strong> l'amour véritable. Il ne<br />

manque pas même un Wagner, dans la personne <strong>de</strong> Fenouille,<br />

l'élève <strong>de</strong> Meurant, toujours passionné <strong>de</strong> livres qu'il dévore sans<br />

trop les comprendre ; il ne manque pas même Méphisto, sous les<br />

traits du diabolique Hébrard, l'ami <strong>de</strong> Meurant. Des scènes <strong>de</strong>


82 THEMES ET MYTHES<br />

Faust figurent, transposées, dans le roman : Meurant découvre la<br />

chambrette d'Angélique comme Faust celle <strong>de</strong> Gretchen ; la jeune<br />

fille s'extasie <strong>de</strong>vant son savoir; même la scène du pacte est<br />

reprise, entre Meurant et Hébrard, et même la scène <strong>de</strong> l'Auerbachs<br />

Keller <strong>de</strong>venue une taverne-restaurant. Et ne manquent pas<br />

non plus les considérations sur la nature, sur le désir <strong>de</strong> vivre, sur<br />

l'éternelle insatisfaction, ni les similitu<strong>de</strong>s dans les propos, les dialogues.<br />

Et cependant, L'homme <strong>de</strong> soixante ans n'est pas exactement<br />

une adaptation et Hellens insiste avec raison sur la présence d'éléments<br />

autobiographiques, et ce n'est pas non plus une imitation<br />

inavouée : Hellens ne se cachait nullement d'avoir fait, dans les<br />

Mémoires d'Elseneur, une transposition d'Hamiet. En réalité, il<br />

est bel et bien parti <strong>de</strong> son expérience personnelle.<br />

Toutefois, en décrivant une situation classique — celle <strong>de</strong><br />

l'homme qui, à soixante ans, fait le bilan <strong>de</strong> sa vie et le trouve<br />

déficitaire — Hellens a rencontré <strong>de</strong>s données « faustiennes », celles<br />

d'un Faust simplifié, ramené à ses composantes les plus populaires<br />

: Gounod plutôt que Goethe. Certes, les réminiscences littéraires<br />

sont présentes, mais commandées par le thème, par le poids<br />

d'une tradition qui fait du thème faustien un élément culturel intégré<br />

à nos structures mentales, à notre vision du mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> la vie.<br />

Comme le remarque A. Dabezies, il est significatif que le romancier<br />

n'ait pas trouvé mieux, pour retracer son itinéraire vers la vie<br />

authentique, que le schéma dramatique <strong>de</strong> Faust.<br />

Le créateur ne saurait donc oublier le respect que lui impose le<br />

thème et, à travers lui, la tradition littéraire collective ; c'est que,<br />

si l'homme crée <strong>de</strong>s œuvres, il ne tar<strong>de</strong> pas à <strong>de</strong>venir le produit <strong>de</strong>s<br />

oeuvres qu'il a créées. Pour reprendre les termes <strong>de</strong> T.S. Eliot, « il<br />

y a donc, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> l'artiste, quelque chose dont il est<br />

vassal» 108 .<br />

Ne le perdons pas <strong>de</strong> vue, celui qui intitule un drame Antigone<br />

mais bouleverse les éléments constitutifs traditionnellement<br />

agréés, provoque à la lecture un indéfinissable malaise : le lecteur


TRADITION ET CREATION 83<br />

souffre <strong>de</strong> l'hétérogénéité <strong>de</strong> la tragédie et du contenu symbolique<br />

auquel son titre la fait prétendre. Ceci est vrai <strong>de</strong>s thèmes où la<br />

situation importe davantage que le héros. Inversement, certains<br />

thèmes sont soutenus, non par la situation, qui peut varier, mais<br />

par le héros : c'est alors celui-ci qui porte tout le poids symbolique.<br />

On peut aujourd'hui nommer un héros Faust, Don Juan ou<br />

Prométhée, même si aucune <strong>de</strong>s circonstances classiques n'apparaît<br />

dans l'œuvre ; il suffit <strong>de</strong> leur nom pour que nous les imaginons<br />

tels qu'ils doivent être par référence immédiate à l'archétype<br />

culturel que nous portons en nous.<br />

N'y a-t-il donc, à aucun <strong>de</strong>gré, indépendance du créateur?<br />

Disons qu'elle existe au moins pour celui qui fon<strong>de</strong> la tradition littéraire,<br />

qui cristallise les éléments du thème. Ainsi d'Eschyle pour<br />

Prométhée, <strong>de</strong> Plaute pour Amphitryon, <strong>de</strong> Sophocle pour Antigone.<br />

Encore pourrait-on dire que Sophocle lui-même n'a pu faire<br />

vraiment ce qu'il voulait, puisque les légen<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l'Oedipodie faisaient<br />

déjà partie d'un héritage traditionnel ; au moins est-il arrivé<br />

assez tôt pour fixer, sous une forme définitive, qui allait prendre<br />

désormais l'autorité d'une tradition, les récits épars <strong>de</strong> la Théogonie.<br />

Ce fondateur n'est pas nécessairement celui qui a traité le thème<br />

le premier : c'est Eschyle, et non Hésio<strong>de</strong>, qui crée littérairement<br />

Prométhée, comme, avant Goethe, il n'y a pas, à proprement parler,<br />

d'impérieuse tradition faustienne ; mais ils sont ceux qui ont<br />

donné à ces thèmes leur forme la plus fameuse, qui ont inséré Prométhée<br />

et Faust dans le patrimoine culturel universel.<br />

Dès lors, s'il ne choisit vraiment ni son sujet, ni le cadre où le<br />

traiter, il reste à l'auteur la manière, la forme, la nuance qui<br />

feront <strong>de</strong> son œuvre une œuvre neuve. Jean Rousset a bien montré,<br />

à propos <strong>de</strong> Don Juan, l'intérêt <strong>de</strong>s «métamorphoses latérales<br />

», c'est-à-dire <strong>de</strong>s glissements d'un genre à l'autre, qui impliquent<br />

l'adaptation du thème à un autre système formel. En passant<br />

du drame écrit à la commedia <strong>de</strong>ll'arte et du théâtre à l'opéra,<br />

comment le thème est-il modifié par les contraintes et les libertés


84 THEMES ET MYTHES<br />

<strong>de</strong> la mise en musique ? On constate ainsi que le seul système <strong>de</strong>s<br />

arias favorise l'amplification <strong>de</strong>s rôles féminins, leurs confessions<br />

chantées les soustrayant au quasi anonymat dans lequel les confinait<br />

la personnalité envahissante <strong>de</strong> leur séducteur : pendant quelques<br />

instants au moins, les figures féminines viennent au premier<br />

plan et l'économie du drame s'en trouve modifiée.<br />

Si souvent présent au théâtre, Don Juan l'est très peu dans le<br />

roman. Pourquoi? C'est bien, remarque à son tour H.G. Tan,<br />

parce qu'«un changement <strong>de</strong> genre amène une modification dans<br />

le traitement du thème » 109 . Au théâtre, l'essentiel est dans<br />

l'action, dont doivent se dégager, se déduire les traits juanesques ;<br />

la vie du héros y est une addition d'épiso<strong>de</strong>s menant à la punition<br />

finale. La nouvelle est proche encore <strong>de</strong> cette manière, assurant<br />

davantage, comme chez Mérimée, la juxtaposition <strong>de</strong>s scènes que<br />

la transition <strong>de</strong> l'une à l'autre. Au contraire, le roman développe<br />

le sujet, explique le personnage dans son <strong>de</strong>venir, impose un réalisme<br />

<strong>de</strong> l'espace et du temps, instaure <strong>de</strong>s relations complexes<br />

entre les actants et s'accommo<strong>de</strong> mal du schématisme initial du<br />

thème.<br />

On pourrait dire ainsi que la réussite dans le traitement d'un<br />

thème constitue la pierre <strong>de</strong> touche d'un talent, dans la mesure où,<br />

inféodé à une tradition, limité dans son expansion créatrice et soumis<br />

d'avance à un public automatiquement porté à la comparaison,<br />

l'auteur parvient à triompher <strong>de</strong> ces difficultés et à donner au<br />

thème une orientation nouvelle.<br />

Triomphe rare, et d'autant plus éclatant, car, plus qu'un héritage,<br />

c'est une hérédité qu'il lui a fallu combattre. Mais si, au<br />

cours <strong>de</strong>s siècles, <strong>de</strong> tous les auteurs qui se sont attaqués à <strong>de</strong>s thèmes,<br />

ne survivent dans notre mémoire que les noms <strong>de</strong> Racine, <strong>de</strong><br />

Goethe, <strong>de</strong> Shelley et <strong>de</strong> quelques autres du même rang, n'est-ce<br />

pas la preuve que, pour le génie, plus gran<strong>de</strong> est la servitu<strong>de</strong>, plus<br />

tentante est l'indépendance ?


LES LIMITES TEMPORELLES<br />

ET GÉOGRAPHIQUES DE L'ENQUÊTE<br />

Qu'il s'agisse <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s dénombrements ou <strong>de</strong> respecter<br />

la continuité véritable <strong>de</strong> la tradition littéraire, <strong>de</strong> situer les individualités<br />

expressives dans leur contexte ou <strong>de</strong> s'informer <strong>de</strong>s sources<br />

et <strong>de</strong>s influences éventuelles, il faudra toujours en venir à<br />

fixer, dans l'espace et le temps, les limites <strong>de</strong> l'enquête thématologique.<br />

Or un thème, à la différence <strong>de</strong> certains types <strong>de</strong> sujets, ne<br />

porte pas en soi les modalités <strong>de</strong> cette limitation. Quand Roland<br />

Mortier entreprend <strong>de</strong> suivre la fortune <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot en Allemagne,<br />

il sait que la connaissance <strong>de</strong> son auteur ne saurait guère remonter,<br />

outre-Rhin, en <strong>de</strong>çà <strong>de</strong> 1750, et il sait aussi que le travail <strong>de</strong><br />

Rosenkranz marque, vers le milieu du XIX e siècle, le début <strong>de</strong>s<br />

étu<strong>de</strong>s sérieuses et scientifiques où Di<strong>de</strong>rot n'est plus le prétexte <strong>de</strong><br />

polémiques hargneuses, n'excite plus les passions partisanes. En<br />

outre, l'Allemagne n'offrant pas, au XVIII e siècle, <strong>de</strong> physionomie<br />

politique bien définie, l'étu<strong>de</strong> s'étendra naturellement aux<br />

régions <strong>de</strong> langue alleman<strong>de</strong>, l'élément linguistique circonscrivant<br />

ici l'extension du travail dans l'espace. Dans ce cas, le sujet comporte<br />

ses propres limites et il définit lui-même le champ <strong>de</strong><br />

l'action. Il va sans dire que les cadres d'une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> thème sont<br />

loin d'être aussi évi<strong>de</strong>nts : la délimitation <strong>de</strong> ces cadres est donc<br />

une question à trancher.<br />

Commençons par l'extension dans le temps. Quoique l'étu<strong>de</strong><br />

particulière d'une œuvre ne soit nullement à exclure d'une thématologie<br />

bien comprise, on sait que le caractère premier d'un<br />

ouvrage construit sur un thème littéraire est <strong>de</strong> s'inscrire, à sa<br />

date, dans une certaine tradition, une lignée : en même temps que<br />

l'expression personnelle d'un artiste, il est aussi un maillon <strong>de</strong>


86<br />

THÈMES ET MYTHES<br />

cette longue chaîne qui part <strong>de</strong> la première formulation écrite du<br />

thème no . Dans ce sens, Anouilh confronté avec Antigone est le<br />

lointain héritier <strong>de</strong> Sophocle, Giraudoux père d'Amphitryon est<br />

fils <strong>de</strong> Plaute. Selon le thème traité, la tradition plongera plus ou<br />

moins profond dans le temps : Médée a vingt-cinq siècles, Jésus<br />

vingt, Ahasvérus sept, Faust quatre, Mazeppa <strong>de</strong>ux...<br />

En dépit <strong>de</strong> ce caractère essentiellement historique du thème, il<br />

ne manque pas <strong>de</strong> travaux qui ont voulu se borner à l'étu<strong>de</strong> d'une<br />

époque donnée : Ariane au XVIII e siècle, Orphée dans les lettres<br />

contemporaines, Ahasvérus au romantisme, etc. Ces limitations<br />

volontaires se justifient en général <strong>de</strong> plusieurs manières. Il y a<br />

d'abord parfois une raison pratique : l'auteur n'a pas le temps <strong>de</strong><br />

s'attaquer à une pério<strong>de</strong> plus étendue ; <strong>de</strong> là le grand nombre <strong>de</strong><br />

sujets ainsi traités pour un doctorat d'<strong>Université</strong>, une thèse complémentaire<br />

ou une inaugural Dissertation. En outre, il arguera du<br />

fait qu'il est plus à l'aise, plus sûr <strong>de</strong> ses connaissances dans telle<br />

époque restreinte in et qu'il faut se défier <strong>de</strong>s ambitions démesurées.<br />

Enfin, il précisera volontiers que le thème abordé a surtout<br />

connu un moment <strong>de</strong> gloire et qu'il était peu <strong>de</strong> chose, ou rien,<br />

avant ce moment privilégié ; on a affirmé vingt fois comme tombant<br />

sous le sens que Prométhée ne fait sa véritable apparition sur<br />

la scène littéraire et dans la pensée qu'après 1789. Dès lors, pourquoi<br />

l'étudier avant cette date, qui a du reste le double avantage<br />

d'offrir un point <strong>de</strong> départ précis et une valeur symbolique incontestable,<br />

la Marseillaise étant, comme chacun sait, d'inspiration<br />

évi<strong>de</strong>mment « prométhéenne » * !<br />

Voilà donc trois raisons non négligeables <strong>de</strong> limiter dans le<br />

* D'aucuns ajouteront encore que l'étu<strong>de</strong> d'une seule pério<strong>de</strong> permet <strong>de</strong> mettre<br />

en relief l'influence prépondérante, à tel moment donné, d'une œuvre particulière,<br />

celle, par exemple, du Faust <strong>de</strong> Goethe ou du Don Giovanni <strong>de</strong> Mozart. Observons<br />

cependant qu'une enquête plus étendue n'exclut nullement cette mise en évi<strong>de</strong>nce,<br />

laquelle, au surplus, si on lui donne trop d'importance, relève davantage <strong>de</strong>s<br />

cadres d'un Goethe en France ou d'un Mozart en Angleterre, que du propos d'une<br />

étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> thème.


LIMITES TEMPORELLES ET GÉOGRAPHIQUES 87<br />

temps l'étu<strong>de</strong> d'un thème, trois raisons hautement raisonnables et<br />

qui méritent d'être prises en considération par quiconque se propose<br />

<strong>de</strong> s'occuper <strong>de</strong> thematologie. Une question, cependant, se<br />

pose : ces conditions conviennent certes à l'auteur ; fort bien. Mais<br />

conviennent-elles au thème ? En d'autres termes, à se limiter ainsi,<br />

ne se condamne-t-on pas à fausser son étu<strong>de</strong> au départ, à pratiquer<br />

une thematologie falsifiée? Quels sont alors les arguments<br />

militant en faveur d'une enquête plus étendue, <strong>de</strong>puis les origines<br />

littéraires du thème ?<br />

Les époques successives sont <strong>de</strong>s prismes déformants sous lesquels<br />

le thème subit <strong>de</strong>s modifications profon<strong>de</strong>s. L'état <strong>de</strong>s idées,<br />

du goût et <strong>de</strong>s mœurs influence directement son évolution, conditionne<br />

sa signification : on n'a pas vu, cela va <strong>de</strong> soi, Orphée dans<br />

l'antiquité comme au XVIII e siècle, Judas au Moyen Age comme<br />

aujourd'hui ou Caïn au XVII e siècle comme au romantisme. Des<br />

transformations, ou mieux : <strong>de</strong>s transmutations se sont donc opérées,<br />

dont il peut être intéressant <strong>de</strong> suivre les modalités en déterminant<br />

comment les siècles antérieurs au nôtre ont conçu le<br />

thème, <strong>de</strong> quel message ils l'ont chargé. Comme l'observait<br />

Robert Vivier, «les motifs poétiques sont <strong>de</strong>s voyageurs caméléons<br />

qui changent selon le paysage. Si l'on continue à les reconnaître<br />

dans les sites nouveaux où les engage le pas du temps, c'est<br />

parce que leur structure narrative subsiste, mais la spéculation qui<br />

s'exerce sur eux fait varier leur signification, leur couleur morale,<br />

leur rôle expressif» 112 . Suivrait-on ces variations en pratiquant<br />

dans leur histoire une coupe arbitraire ? Le rusé Ulysse d'Homère<br />

<strong>de</strong>vient chez Dante ou John Gower un esprit tourmenté par la soif<br />

<strong>de</strong> connaître, chez Cal<strong>de</strong>ron un homme qui succompe au péché,<br />

puis en triomphe, chez G. Hauptmann une illustration du conflit<br />

père-fils. Quatre étapes entre cent, quatre Ulysses : quand, comment,<br />

pourquoi est-on passé <strong>de</strong> l'un à l'autre ? Une étu<strong>de</strong> limitée à<br />

une seule époque peut définir une conception d'Ulysse, non<br />

l'expliquer, non montrer comment elle est née, elle ne peindra<br />

jamais qu'un visage <strong>de</strong> l'éternel voyageur.


88 THEMES ET MYTHES<br />

La perspective historique s'imposera encore dans la mesure où<br />

Ton sera soucieux <strong>de</strong> traiter d'aussi près que possible la question<br />

<strong>de</strong>s sources et <strong>de</strong>s influences, <strong>de</strong> tracer les grands courants traditionnels<br />

qui irriguent le thème et peuvent disparaître parfois,<br />

comme un cours d'eau sous la terre, pour resurgir, inattendus, dix<br />

générations plus tard. Depuis le romantisme, Eschyle fournit la<br />

trame <strong>de</strong> base du thème prométhéen, mais la Ate/d'Elémir Bourges<br />

est construite sur l'argument, délaissé <strong>de</strong>puis la Renaissance,<br />

fourni par Apollonius <strong>de</strong> Rho<strong>de</strong>s et Valerius Flaccus.<br />

En outre, une étu<strong>de</strong> à partir <strong>de</strong>s origines permettra <strong>de</strong> le montrer,<br />

un thème, dans la plupart <strong>de</strong>s cas, a toujours été vivant et<br />

présent à la conscience européenne et les affirmations téméraires<br />

sur sa disparition complète à certaines époques sont, le plus souvent,<br />

<strong>de</strong>s affirmations gratuites. Que n'a-t-on dit <strong>de</strong> Prométhée,<br />

dont nous écrivions plus haut qu'il était aussi prestigieux que mal<br />

connu! En 1878, Oscar Mann assurait qu'«après qu'au Moyen<br />

Age [sic] l'écrivain espagnol Cal<strong>de</strong>ron eut traité le mythe dans un<br />

drame, [...] le mythe disparut jusqu'à la fin du XVIII e siècle» m ;<br />

trente ans après, M. Tresch écrivait avec emphase: «Pendant<br />

l'époque troublée du Moyen Age, la gran<strong>de</strong> voix du vieux rebelle<br />

se tait. Il n'y a pas <strong>de</strong> place pour lui » 1H . Certes, <strong>de</strong>puis le romantisme,<br />

Prométhée a acquis, dans le registre <strong>de</strong> la révolte, une fortune<br />

exceptionnelle ; mais il n'en est pas moins faux <strong>de</strong> prétendre<br />

qu'il n'était rien avant, ou qu'il a disparu entre Eschyle et Goethe.<br />

Tout simplement, il fut autre chose que ce qu'il est pour nous et<br />

jamais il n'a disparu <strong>de</strong> la pensée européenne, fût-ce au Moyen<br />

Age, nous avons essayé <strong>de</strong> le montrer.<br />

En fait, on a souvent parlé très à la légère <strong>de</strong> la disparition <strong>de</strong>s<br />

thèmes, surtout quand il s'agit <strong>de</strong> thèmes <strong>de</strong> héros, dont la diffusion<br />

est aussi large que subtile. Il est certain, par exemple, que<br />

c'est bien au siècle <strong>de</strong> Lumières que Pygmalion prend place dans le<br />

débat philosophique du matérialisme et il a, sur ce point particulier,<br />

suscité <strong>de</strong>s travaux 1I5 . Mais cette utilisation justifie-t-elle<br />

qu'on ne cherche pas à savoir ce qu'il fut dans les siècles précé-


LIMITES TEMPORELLES ET GÉOGRAPHIQUES 89<br />

<strong>de</strong>nts? La vogue d'une interprétation fait ignorer ou négliger<br />

l'emploi du thème par Arnobe, Eusèbe, Pru<strong>de</strong>nce, Ravisius Textor,<br />

le Roman <strong>de</strong> la Rose (où il est longuement développé), le<br />

Roman <strong>de</strong> Perceforest, John Gower, Jean Molinet, Dante, Charles<br />

Estienne, Thomas Nashe, Boccace, La Fontaine, Bensera<strong>de</strong>,<br />

Dry<strong>de</strong>n et cent autres encore ! Que représenta-t-il pour ces<br />

auteurs ? pour ces époques ? Telles sont les questions judicieusement<br />

posées par H. Dôrrie ou A. Dinter. Plus <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce et <strong>de</strong><br />

circonspection unies à une enquête historique auraient évité à E.<br />

Kushner, qui analyse le thème d'Orphée dans la littérature française<br />

et contemporaine» <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> « l'éclipsé médiévale » du personnage<br />

et <strong>de</strong> ne citer, en note, qu'un lai <strong>de</strong> Marie <strong>de</strong> France l16 .<br />

Sans vouloir déprécier son livre, du reste fort beau, permettonsnous<br />

<strong>de</strong> lui citer pêle-mêle quelques noms parmi d'innombrables<br />

autres: Eusèbe, Arnobe, saint Augustin, Tertullien, Fulgence,<br />

Lactance, Vincent <strong>de</strong> Beauvais, Baudri <strong>de</strong> Bourgueil, Dante, Boccace,<br />

Villon, Jean <strong>de</strong> Meung, Jean Molinet, Christine <strong>de</strong> Pisan,<br />

Guillaume <strong>de</strong> Machaut... Cette brève énumération donne une idée<br />

<strong>de</strong> ce qui resterait <strong>de</strong> l'« éclipse » après un examen approfondi " 7 .<br />

La thématologie ainsi comprise a ceci <strong>de</strong> commun avec l'enquête<br />

judiciaire, que pour elle la vérité doit être toujours un résultat,<br />

jamais une hypothèse.<br />

Conséquence <strong>de</strong> cette étu<strong>de</strong> approfondie et diachronique, on<br />

évitera la possibilité <strong>de</strong> prendre pour original et neuf le résultat et<br />

l'expression tardive d'une longue tradition. Oscar Walzel a jadis<br />

consacré un important travail ll8 à montrer combien Goethe, faisant<br />

<strong>de</strong> Prométhée le symbole du poète créateur, innovait vigoureusement.<br />

A l'appui <strong>de</strong> ses dires, il dressait une liste impressionnante<br />

<strong>de</strong> ceux qui, sur le même motif, n'utilisaient pas, au XVIII e<br />

siècle, le thème prométhéen. Mais outre que le savant allemand<br />

ignorait bon nombre <strong>de</strong> témoignages, au XVIII e siècle même, il<br />

ignorait tout à fait la lignée historique du Prométhée poète <strong>de</strong><br />

génie, partie, au XIV e siècle, du Florentin Filippo Villani pour<br />

arriver à Goethe en passant par Chapman, Akensi<strong>de</strong>, Young,


90 THEMES ET MYTHES<br />

Shaftesbury, Her<strong>de</strong>r. Ce n'est qu'en parcourant toutes les étapes<br />

d'un thème que Ton peut arriver à avoir <strong>de</strong> son évolution une<br />

vision complète et <strong>de</strong> son emploi par chaque auteur une évaluation<br />

exacte.<br />

Rappelons enfin que seule une étu<strong>de</strong> entreprise dans une perspective<br />

historique permettra <strong>de</strong> dénoncer l'existence, à propos <strong>de</strong><br />

certains thèmes, <strong>de</strong> véritables «mythes », comparables à ceux mis<br />

en évi<strong>de</strong>nce pour Rimbaud par Etiemble. On verra ainsi, par<br />

exemple, que Prométhée, en dépit <strong>de</strong> l'opinion courante,<br />

n'incarna guère, au XVIII e siècle, l'esprit <strong>de</strong>s Lumières, mais bien<br />

plutôt celui <strong>de</strong> leurs adversaires, que le héros <strong>de</strong> progrès qu'il est<br />

chez Voltaire ou Wieland fut largement éclipsé par le symbole <strong>de</strong><br />

la faute originelle, sur le plan historique chez Rousseau, sur le<br />

plan religieux chez Brumoy, Lefranc <strong>de</strong> Pompignan, Servandoni<br />

ou Tobler ; on découvrira enfin que Pandore, quoi qu'on en ait<br />

dit 119 , n'a jamais passé pour une préfiguration païenne du Sauveur...<br />

Brisons là. L'utilité, pour ne pas dire la nécessité <strong>de</strong> l'étu<strong>de</strong> à<br />

partir <strong>de</strong>s origines littéraires nous paraît évi<strong>de</strong>nte ; encore une<br />

fois, avant <strong>de</strong> contester l'intérêt <strong>de</strong> la thématologie, ne convient-il<br />

pas d'examiner si l'on en a toujours bien exploité toutes les ressources<br />

? Suivre, siècle après siècle, l'odyssée extraordinaire d'un<br />

thème, c'est se donner la possibilité d'en découvrir enfin la<br />

richesse et la complexité, d'en isoler les ramifications innombrables,<br />

<strong>de</strong> dépister la naissance et le développement <strong>de</strong>s traditions<br />

contemporaines ; c'est respecter, enfin, le caractère dynamique et<br />

évolutif qui est l'essence même du thème.<br />

A cette préoccupation <strong>de</strong> l'extension dans le temps s'unira celle,<br />

tout aussi fondamentale, d'une extension dans l'espace, qui a rencontré<br />

autrefois, elle aussi, nombre d'objections. D'aucuns ont<br />

soutenu que l'étu<strong>de</strong> d'un thème <strong>de</strong>vait servir à faire ressortir les<br />

caractéristiques d'un peuple à l'exclusion <strong>de</strong> celles du voisin:<br />

aussi, écrivait E. Sauer, « il faut que la thématologie se dissocie <strong>de</strong><br />

la littérature comparée, car, en réalité, il n'y a pas grand-chose à


LIMITES TEMPORELLES ET GÉOGRAPHIQUES 91<br />

gagner à incorporer l'étranger dans les cas où il ne s'agit pas <strong>de</strong> la<br />

situation particulière où un thème a manifestement subi, sous une<br />

influence étrangère, une transformation décisive. [...] La thématologie<br />

sera donc, au premier chef, exploitée exclusivement sur le<br />

plan national» 12 °. Ce qui instaure, à propos <strong>de</strong>s littératures, un<br />

nouvel insularisme ! En outre, on ne pouvait manquer d'ajouter,<br />

comme Sauer, que la schwere Uebersichtlichkeit qu'imposent les<br />

étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes les ren<strong>de</strong>nt d'un exercice difficile, puisqu'il faut,<br />

en principe, pouvoir dominer, non seulement plusieurs époques<br />

littéraires, mais aussi plusieurs langues et littératures. Notons en<br />

passant que c'est là une exigence que la littérature comparée a<br />

<strong>de</strong>puis longtemps acceptée.<br />

Ces objections, comme celles qu'on formulait à l'enquête historique,<br />

ne manquent pas <strong>de</strong> poids et ont <strong>de</strong> quoi faire réfléchir celui<br />

qui envisage <strong>de</strong> s'engager dans le domaine thématologique. Mais,<br />

ici aussi, ajoutons que ces difficultés, susceptibles <strong>de</strong> refroidir<br />

l'enthousiasme d'un auteur insuffisammant préparé, ne signifient<br />

pas que l'intérêt même <strong>de</strong> la discipline permette <strong>de</strong> les esquiver.<br />

Les grands thèmes littéraires font partie d'un patrimoine européen<br />

dont la première vertu est sans doute d'ignorer les frontières<br />

nationales m . Les situations et les personnages issus <strong>de</strong> la Bible et<br />

<strong>de</strong> la mythologie gréco-latine revêtent, d'emblée, ce caractère<br />

international. Répandus <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s siècles dans la culture européenne,<br />

certains ont pu parfois s'adapter plus étroitement à la<br />

nature d'un peuple, mais tous continuent à faire partie d'un héritage<br />

commun. Ce n'est pas moins vrai, même, <strong>de</strong>s thèmes nés <strong>de</strong><br />

traditions nationales mais doués d'une universalité suffisante<br />

pour accé<strong>de</strong>r à l'audience européenne : qu'on songe à Don Juan, à<br />

Faust, à Roméo et Juliette, à Tristan et Yseult ; et ce sera vrai<br />

encore <strong>de</strong>s personnages historiques dont l'histoire ou la légen<strong>de</strong><br />

ont fait <strong>de</strong>s symboles : Marie Stuart, Napoléon, Christophe<br />

Colomb, Mahomet 122 . Soutiendra-t-on que ces thèmes n'appartiennent<br />

pas à tout le mon<strong>de</strong> même si, à l'origine, ils étaient allemands,<br />

anglais, français, italiens ou espanols ? C'est peut-être au


92 THÈMES ET MYTHES<br />

niveau <strong>de</strong>s thèmes que se fait le mieux sentir la fraternité ou du<br />

moins le cousinage intellectuel <strong>de</strong>s peuples.<br />

Dès lors, tiendrons-nous pour légitime <strong>de</strong> confiner l'étu<strong>de</strong> critique<br />

dans un nationalisme littéraire auquel échappe, par nature, le<br />

sujet qu'elle traite ? Peut-on songer à se consacrer à l'Orphée allemand<br />

ou au Caïn anglais en ignorant délibérément ce qu'ils doivent<br />

aux autres nations ou ce qu'ils leur apportent ? L'étu<strong>de</strong> d'un<br />

thème doit dépasser ce particularisme au profit d'une enquête<br />

généralisée qui s'orchestrera sur un régime largement européen<br />

car, une fois le principe admis, il n'y a aucune raison, sinon celles<br />

que pourrait se trouver l'auteur, <strong>de</strong> s'en tenir à <strong>de</strong>ux ou trois<br />

littératures 123 . Répétons-le, une insuffisante connaissance <strong>de</strong>s langues<br />

et <strong>de</strong>s littératures étrangères sont <strong>de</strong>s motifs parfaitement<br />

honorables d'abstention 124 ; ce ne sont jamais <strong>de</strong>s raisons valables<br />

pour «truquer» la thématologie et fausser d'avance les résultats<br />

<strong>de</strong> l'examen.<br />

L'enquête à l'échelle européenne * donnera seule une idée vraiment<br />

complète <strong>de</strong> la fortune d'un thème : l'Europe littéraire est<br />

une scène assez vaste pour que le thème y soit toujours présent,<br />

trouve toujours sa place, et il est sans doute superflu d'insister sur<br />

ce que l'extension dans l'espace unie à l'extension dans le temps,<br />

peut faire gagner au relevé <strong>de</strong>s sources et <strong>de</strong>s influences, puisque<br />

les grands courants littéraires, essentiellement internationaux, se<br />

complètent et se recoupent au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s frontières. Don Juan naît<br />

en Espagne, passe en Italie, puis en France, en Allemagne, en<br />

Angleterre: que d'influences possibles, souvent doubles ou triples,<br />

quelle diffusion complexe ! Seule une telle conception aura<br />

assez d'ampleur, déploiera un assez large éventail pour rendre<br />

compte <strong>de</strong> toutes les nuances et <strong>de</strong> toutes les significations du<br />

* On pourra joindre à l'Europe <strong>de</strong>s pays qui furent autrefois ses « dérivés culturels<br />

», héritiers au second <strong>de</strong>gré, par culture importée, comme l'Amérique du Nord<br />

et du Sud, et qui constituent aujourd'hui l'ensemble culturel du mon<strong>de</strong> occi<strong>de</strong>ntal,<br />

les thèmes pouvant d'ailleurs y subir parfois <strong>de</strong>s transformations intéressantes sous<br />

l'apport d'éléments autochtones.


LIMITES TEMPORELLES ET GÉOGRAPHIQUES 93<br />

thème, pour assurer enfin la continuité véritable <strong>de</strong> la tradition<br />

historique, et faire apparaître, loin <strong>de</strong>s cloisonnements artificiels,<br />

les éventuelles préférences d'époques et <strong>de</strong> nations.<br />

Dans cette optique, la thématologie ne pourra que répondre au<br />

voeu formulé par Etiemble à l'endroit <strong>de</strong> la littérature comparée :<br />

que celle-ci étudie «non seulement les relations entre les différentes<br />

littératures <strong>de</strong> l'époque mo<strong>de</strong>rne et contemporaine, mais, dans<br />

son ensemble, l'histoire <strong>de</strong> ces relations, dût-elle remonter au<br />

passé le plus ancien» ,25 . C'est inviter à combiner judicieusement<br />

comparatisme horizontal et comparatisme vertical. Il y a cependant<br />

une restriction à apporter au point <strong>de</strong> vue d'Etiemble quand<br />

il suggère d'étendre les enquêtes comparatistes à l'Asie et à<br />

l'Orient, que ces littératures aient ou non <strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong> fait. De<br />

toute évi<strong>de</strong>nce, dans le cas <strong>de</strong> la thématologie, il convient <strong>de</strong> s'en<br />

tenir aux blocs <strong>de</strong> culture commune, car on ne voit grère ce<br />

qu'apporteraient au thème <strong>de</strong> Saùl ou <strong>de</strong> Pygmalion <strong>de</strong>s enquêtes<br />

dans les lettres marathes ou finno-ougriennes et suivre Orphée et<br />

Oedipe en Russie ou en Norvège ne serait sans doute guère plus<br />

rentable que d'étudier en France le sort d'un protagoniste <strong>de</strong>s bylines<br />

russes ou d'un héros <strong>de</strong>s poèmes eddiques norvégiens. Seul le<br />

motif — matière, nous l'avons vu, extra-littéraire, —justifie cette<br />

perspective. En ce qui concerne les thèmes, les relations <strong>de</strong> fait et<br />

l'unité culturelle sont <strong>de</strong>s conditions indispensables *.<br />

* En ce qui concerne les thèmes et non en ce qui concerne les motifs : la jalousie<br />

et l'avarice relèvent, non d'une unité culturelle, mais d'une unité psychologique<br />

nécessairement plus large. Si l'on étudie le motif <strong>de</strong> la conquête du feu, il va <strong>de</strong> soi<br />

qu'il faudra citer avec le Prométhée grec, le Loki <strong>de</strong> la mythologie germanique ou<br />

l'Agramanyus <strong>de</strong>s Iraniens qui représentent <strong>de</strong>s développements parallèles, au<br />

moins jusqu'à un certain niveau d'expression littéraire, mais sans aucun rapport<br />

que la référence à un archétype psychologique i<strong>de</strong>ntique. On en dirait autant du<br />

rôle <strong>de</strong> la femme dans le motif <strong>de</strong> la faute originelle qui peut relever, selon C.G.<br />

Jung, d'une démarche générale, propre à l'esprit humain; ici aussi, le motif est<br />

commun, mais les traditions littéraires <strong>de</strong>s héroïnes <strong>de</strong> la Thrymskrida, du Mahâbhârata<br />

ou du Bhâgavata-Purana ne sauraient trouver place dans une étu<strong>de</strong> consacrée<br />

au thème <strong>de</strong> Pandore né <strong>de</strong>s Travaux d'Hésio<strong>de</strong>.


94 THÈMES ET MYTHES<br />

Pour nous résumer, la double extension dans le temps et dans<br />

l'espace nous paraît indissociable d'une thématologie véritable,<br />

c'est-à-dire qui ne se soucie ni d'amputation ni <strong>de</strong> gauchissement ;<br />

cette manière <strong>de</strong> traiter le thème lui est nécessaire, elle correspond<br />

aux exigences <strong>de</strong> sa nature intime et permet seule d'établir la continuité<br />

authentique <strong>de</strong> la tradition littéraire. Concédons enfin que<br />

ces conditions font <strong>de</strong> la thématologie une discipline d'accès peu<br />

aisé, mais ce sont là <strong>de</strong>s caractères propres à la littérature comparée<br />

en général, non <strong>de</strong>s écueils particuliers aux étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes.<br />

Au moins la Stoffgeschichte est-elle assurée ainsi <strong>de</strong> répondre à<br />

cette «vocation encyclopédique » qu'Etiemble réclamait du comparatiste.


PRÉFÉRENCES D'AUTEURS,<br />

D'ÉPOQUES, DE NATIONS<br />

L'extension dans l'espace et le temps, en même temps qu'elle<br />

permet d'éclairer certaines questions, n'est pas cependant sans en<br />

soulever d'autres. A suivre un thème dans son évolution historique,<br />

à écrire son histoire au cœur <strong>de</strong> plusieurs nations, à le voir<br />

utilisé par <strong>de</strong>s auteurs très différents, quelques points d'interrogation<br />

supplémentaires apparaissent. Comment se fait-il que Hugo<br />

fasse si souvent appel au thème d'Orphée et Balzac si rarement ?<br />

que le thème d'Ariane connaisse un si franc succès au XVIII e siècle<br />

et en recueille si peu au romantisme ? qu'il se trouve tant <strong>de</strong><br />

Saùls en Allemagne et quelques-uns à peine en Italie ? Ces faits<br />

constatés, on en vient naturellement à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s'il n'existe<br />

pas, à l'égard <strong>de</strong>s thèmes, <strong>de</strong>s préférences plus ou moins nettes, et<br />

surtout plus ou moins définissables, d'auteurs, d'époques, <strong>de</strong><br />

nations, préoccupation importante mais qu'il convient <strong>de</strong> traiter<br />

avec pru<strong>de</strong>nce.<br />

Nous avons évoqué déjà les préférences individuelles: le seul<br />

choix, par un auteur, d'un thème à l'exclusion <strong>de</strong>s autres, est une<br />

première manifestation <strong>de</strong> son individualité, laquelle s'exprimera<br />

ensuite dans sa manière <strong>de</strong> le traiter, dans les modifications qu'il<br />

apportera à la forme comme au fond. L'élection d'un thème<br />

déterminé, observe E. Frenzel, «s'explique souvent par une affinité<br />

profon<strong>de</strong> » 126 . Cette affinité peut procé<strong>de</strong>r, le plus souvent,<br />

d'une sympathie inconsciente et spontanée *, parfois aussi d'une<br />

attirance motivée, très consciente au contraire et <strong>de</strong> longue date.<br />

Byron notait à propos <strong>de</strong> la tragédie d'Eschyle: «The Prome-<br />

* Dans ce cas, on parlerait, plutôt que d'une préférence, qui implique un choix,<br />

d'une sorte <strong>de</strong> « tropisme ».


96 THEMES ET MYTHES<br />

theus, if not exactly in my plan, has always been so much in my<br />

head, that I can easily conceive its influence over ail or any thing<br />

that I hâve written » ; Goethe, <strong>de</strong> son côté, confessait : « Der<br />

mythologische Punkt, wo Prometheus auftritt, [war] mir immer<br />

gegenwàrtig und zur belebten Fixi<strong>de</strong>e gewor<strong>de</strong>n ».<br />

Dans un cas comme dans l'autre, l'attirance existe et il s'agit<br />

maintenant <strong>de</strong> l'expliquer, d'en étudier aussi clairement que possible<br />

les raisons. Quelles sont les préoccupations <strong>de</strong> l'auteur, ses<br />

idées philosophiques, religieuses, morales, politiques, dans quel<br />

contexte sentimental, humain, vit-il au moment où il s'attaque au<br />

thème ? Qu'est-ce qui attirait Rousseau vers Pygmalion ? la quête<br />

intime <strong>de</strong> Y aller ego; Quinet vers Ahasvérus ? ses idées sur le provi<strong>de</strong>ntialisme<br />

historique ; Alfieri vers Saùl ? sa haine <strong>de</strong> la tyrannie.<br />

Bref, chacun s'est tourné vers le thème qui illustrait le mieux<br />

ses tendances profon<strong>de</strong>s, quoique nous ne donnions ici <strong>de</strong> cette<br />

attirance qu'une explication fort schématique et qui peut être<br />

beaucoup plus complexe : VAntigone <strong>de</strong> Ballanche con<strong>de</strong>nse<br />

l'aspiration à la ré<strong>de</strong>mption par l'expiation, l'allusion aux circonstances<br />

historiques et la passion pour Juliette Récamier. Si<br />

Rousseau est fasciné par la figure du Christ, ce n'est pas seulement<br />

parce qu'elle l'entraîne, comme les «philosophes», dans<br />

une discussion sur la foi et les miracles, mais parce qu'elle prend<br />

pour lui une signification existentielle, parce qu'il s'éprouve luimême<br />

comme un mo<strong>de</strong>rne messie qui, à travers épreuves et souffrances,<br />

a découvert sa voie. C'est bien ainsi, du reste, que l'ont<br />

salué nombre <strong>de</strong> ses contemporains 127 . Déceler les motifs <strong>de</strong><br />

l'emploi d'un thème est donc important, puisque ce seul choix<br />

jette une certaine lumière sur l'auteur et l'individualise par rapport<br />

aux autres dans la mesure où tel thème, qui convient à un<br />

poète, ne convient pas à un autre.<br />

Déterminer comment les composantes d'un thème ont pu représenter<br />

pour un écrivain une sorte <strong>de</strong> pôle magnétique permet donc<br />

parfois <strong>de</strong> mieux comprendre, et l'écrivain et son oeuvre. On ne<br />

saurait cependant tirer <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> préférence <strong>de</strong>s conséquen-


AUTEURS, ÉPOQUES, NATIONS 97<br />

ces trop lointaines. «L'œuvre, écrit E. Kushner, serait la rencontre<br />

<strong>de</strong> la pensée intime du poète avec le mythe le plus propre à<br />

l'exprimer <strong>de</strong> la manière la plus vivante, rencontre qui, pour être<br />

causée par les mobiles inconscients, ne serait toutefois pas fortuite.<br />

[...] A certains mythes correspondront certaines tendances<br />

inconscientes, et le choix d'un certain mythe serait comme un<br />

signe d'affinitqé entre certains écrivains » 128 . En d'autres termes,<br />

le fait qu'ils se soient intéressés à un même thème <strong>de</strong>vrait créer<br />

entre <strong>de</strong>ux ou plusieurs auteurs une sorte <strong>de</strong> parenté spirituelle,<br />

théorie qui autorise surtout <strong>de</strong>s considérations assez creuses sur la<br />

permanence et l'inaltérabilité <strong>de</strong> la nature humaine, mais qui a le<br />

tort <strong>de</strong> faire du thème la lampe fixe autour <strong>de</strong> laquelle volètent les<br />

papillons. Si cette parenté existe, dans quelles conditions existe-telle<br />

et comment la définir ?<br />

Est-on fondé, par exemple, à supposer <strong>de</strong>s affinités profon<strong>de</strong>s<br />

et secrètes entre Ghel<strong>de</strong>ro<strong>de</strong> et Montherlant parce qu'ils ont tous<br />

<strong>de</strong>ux écrit un Don Juanl et Faust rapproche-t-il le moins du<br />

mon<strong>de</strong> Ghel<strong>de</strong>ro<strong>de</strong> encore et Valéry, ou Klinger et Thomas<br />

Mann? Séduisante illusion! Dès lors, peut-on considérer cette<br />

prétendue parenté spirituelle comme un leurre ?<br />

La réponse est simple : elle ne pourrait exister que si la signification<br />

du thème était une constante invariable, toujours i<strong>de</strong>ntique à<br />

elle-même, ce qui, soit dit entre parenthèses, signifierait, à brève<br />

échéance, la mort du thème incapable <strong>de</strong> renouvellement —, c'està-dire<br />

si le thème était dépourvu <strong>de</strong> cette polyvalence que nous lui<br />

avons reconnue tout à l'heure. Si Cari Sternheim et Nikos Kazantzakis,<br />

bien que tous <strong>de</strong>ux auteurs d'un Judas, n'ont pas pour<br />

autant <strong>de</strong> parenté intellectuelle, c'est tout simplement parce qu'ils<br />

n'ont pas traité le même Judas, que leurs différences individuelles<br />

et les cinquante ans qui les séparent les ont fait charger le thème<br />

d'un autre sens, d'une autre portée. Il serait pour le moins inconsidéré<br />

d'imaginer que Boèce et Rilke, Poliziano et Cocteau ont<br />

<strong>de</strong>mandé la même chose au thème d'Orphée et qu'ainsi le fils <strong>de</strong><br />

Calliope les fasse «parents. Croit-on qu'il y ait quelque chose


98 THEMES ET MYTHES<br />

<strong>de</strong> commun entre Lefranc <strong>de</strong> Pompignan et Louis Ménard parce<br />

qu'ils ont fait tous <strong>de</strong>ux un Promethéel entre Voltaire et Sartre à<br />

cause du thème d'Oreste ?<br />

Vouloir étendre la cohérence interne du thème à un rapport<br />

d'unité entre les auteurs, c'est prétendre créer une unité parfaitement<br />

artificielle. La distance qui sépare les auteurs fait que leurs<br />

raisons <strong>de</strong> s'exprimer dans un thème peuvent être très différentes,<br />

voire contradictoires. Bref, les motifs <strong>de</strong>s préférences individuelles<br />

doivent être cherchés dans les individus et le contexte personnel<br />

et historique qui leur est propre, et non sur la base d'une filiation<br />

automatique et mythique que leur conférerait, <strong>de</strong> l'extérieur, le<br />

thème ; ce sera, au surplus, une manière <strong>de</strong> respecter leur individualité.<br />

Concluons donc qu'on ne saurait être trop pru<strong>de</strong>nt quand il<br />

s'agit <strong>de</strong> circonscrire <strong>de</strong>s «familles d'esprits» dont la prétendue<br />

filiation s'étalerait sur plusieurs siècles. Mais si la parenté préférentielle<br />

ne peut s'établir verticalement dans le temps, ne pourra-ton<br />

l'établir dans une coupe horizontale! Si l'utilisation d'un<br />

thème par un poète du XVI e siècle et un autre du XIX e ne prouve<br />

rien quant à leur parenté et à leurs affinités, en est-il <strong>de</strong> même<br />

quand il s'agit <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux poètes du XVI e siècle, ou <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux poètes du<br />

XIX e ?<br />

Les chances, c'est indéniable, sont beaucoup plus gran<strong>de</strong>s dans<br />

la secon<strong>de</strong> hypothèse. Chaque époque se fait une mythologie particulière,<br />

propre à exprimer ses préoccupations, à refléter ses aspirations<br />

et ses inquiétu<strong>de</strong>s ; le thème, toujours protéiforme et susceptible<br />

<strong>de</strong> renouvellement, prend plus ou moins d'importance<br />

selon que sa structure interne s'adapte plus ou moins bien aux exigences<br />

<strong>de</strong> la pensée nouvelle 129 . On peut penser que <strong>de</strong>s auteurs<br />

contemporains, se trouvant «situés» sur une toile <strong>de</strong> fond commune<br />

et acceptant une communauté <strong>de</strong>s évi<strong>de</strong>nces, utilisent le<br />

thème avec <strong>de</strong>s intentions i<strong>de</strong>ntiques et offrent donc, à un moment<br />

donné, une certaine parenté que l'usage du thème permet précisément<br />

<strong>de</strong> définir.


AUTEURS, ÉPOQUES, NATIONS 99<br />

Avant <strong>de</strong> poursuivre, une <strong>de</strong>rnière réserve cependant. Admettre<br />

que l'utilisation d'un thème par <strong>de</strong>s écrivains contemporains crée<br />

la possibilité d'une parenté spirituelle et idéologique, est une<br />

hypothèse <strong>de</strong> travail qu'on ne peut accepter sans nuances. En<br />

effet, il ne faut pas l'oublier, un thème peut représenter, à la<br />

même époque, <strong>de</strong>s pensées très différentes, opposées même ; alors<br />

que, dans la secon<strong>de</strong> moitié du XIX e siècle, <strong>de</strong>s écrivains ralliés au<br />

scientisme font <strong>de</strong> Prométhée le champion <strong>de</strong> la révolte métaphysique,<br />

d'autres n'hésitent pas à faire du Titan le symbole <strong>de</strong> la soumission<br />

du pécheur repentant. Un classement thématique<br />

s'impose donc encore à l'intérieur <strong>de</strong> chaque pério<strong>de</strong> historique et<br />

littéraire où l'on relèvera, non pas une famille d'esprits rassemblée<br />

autour d'un thème, mais <strong>de</strong>s familles d'esprits groupées chacune<br />

autour d'une <strong>de</strong>s acceptions du thème.<br />

Comme il est toutefois possible <strong>de</strong> réunir sur l'une <strong>de</strong>s interprétations<br />

du thème une relative unanimité, on pourra enregistrer, à<br />

certaines époques, d'évi<strong>de</strong>ntes préférences.<br />

Y.F.-A. Giraud a bien montré la prédilection pour le thème <strong>de</strong><br />

Daphné à l'époque baroque, qui trouve en lui une illustration<br />

capitale <strong>de</strong> son esthétique du mouvement, <strong>de</strong> la fuite et <strong>de</strong> la métamorphose,<br />

elle-même expression d'un mon<strong>de</strong> en instabilité. M.<br />

Bélier, <strong>de</strong> son côté, a fait voir que le goût <strong>de</strong> l'idylle, symptomatique<br />

d'une nostalgie <strong>de</strong> paradis perdu dans une civilisation éprouvée<br />

comme décevante, se traduisait par une utilisation accrue du<br />

thème <strong>de</strong> Philémon et Baucis. De même, on pouvait s'attendre à<br />

voir Jeanne d'Arc passionner historiens et penseurs au XVIII e siècle,<br />

<strong>de</strong> la France à l'Espagne, <strong>de</strong> l'Allemagne à l'Angleterre. Le<br />

personnage, historique mais tôt déformé par les interprétations<br />

partisanes et l'hagiographie, mettait en question le caractère sacré<br />

<strong>de</strong> la monarchie, l'unité du royaume, la conception provi<strong>de</strong>ntialiste<br />

<strong>de</strong> l'histoire. Ici héroïne et messie national, là hystérique ou<br />

imposteur, son cas a retenu une centaine d'auteurs — historiens,<br />

philosophes, poètes ou dramaturges 13 °.<br />

Plus spectaculaire encore, peut-être, est le succès, au siècle <strong>de</strong>s


100 THEMES ET MYTHES<br />

Lumières, du thème <strong>de</strong> Socrate mourant : dans la mort <strong>de</strong> l'innocent,<br />

victime <strong>de</strong> la tyrannie et <strong>de</strong> l'intolérance religieuse, les «philosophes<br />

» reconnaissent leur <strong>de</strong>stin 13i . Pour Voltaire, Socrate est<br />

avant tout un sujet mobilisateur <strong>de</strong> la résistance à l'obscurantisme,<br />

sans qu'il admire réellement un héroïsme provocant,<br />

auquel il préfère une action plus subtile et plus efficace. Di<strong>de</strong>rot,<br />

au contraire, s'exalte au souvenir du maître <strong>de</strong> Platon, rêve parfois<br />

<strong>de</strong> conformer sa <strong>de</strong>stinée à la sienne, ramené cependant loin<br />

du martyre par un certain prosaïsme et l'amour <strong>de</strong> la vie. Rousseau<br />

enfin, après avoir sacrifié au professeur <strong>de</strong> morale, au saint<br />

laïc, rejette le modèle proposé par ses anciens amis pour se tourner<br />

vers Jésus, figure à ses yeux plus haute et plus noble à laquelle il<br />

s'i<strong>de</strong>ntifie. Le sort <strong>de</strong> Socrate n'a pas passionné que les trois<br />

«grands » : c'est tout le siècle, <strong>de</strong> Grimm à Mercier, <strong>de</strong> Fréron à<br />

La Harpe, qui en fait le symbole d'un combat. Socrate, au XVIII e<br />

siècle, a subi la loi qui gouverne les thèmes : polyvalent, il peut au<br />

besoin représenter <strong>de</strong>s aspirations diverses et même contradictoires.<br />

Il sera donc le reflet <strong>de</strong>s idées, <strong>de</strong> la morale, <strong>de</strong>s scrupules, du<br />

tempérament <strong>de</strong> chacun. L'obsession <strong>de</strong> Socrate, pour <strong>de</strong>s auteurs<br />

comme Di<strong>de</strong>rot ou Rousseau, c'est, bien sûr, la conséquence<br />

d'une attitu<strong>de</strong> philosophique, d'une prise <strong>de</strong> position, le prétexte<br />

d'un débat parfois violent entre une pensée neuve et hardie et les<br />

structures existantes qui préten<strong>de</strong>nt étouffer son cri ; mais c'est<br />

aussi le signe d'une authentique souffrance morale qui atteint<br />

l'homme au-<strong>de</strong>là du philosophe, qui met l'individu en face <strong>de</strong> luimême,<br />

qui affronte la vie et les principes, le tempérament et les<br />

idées, le cœur et l'esprit. C'est pourquoi Socrate est Tune <strong>de</strong>s plus<br />

intéressantes figures que pouvaient magnifier les Lumières ; il est<br />

aussi la preuve que ce siècle iconoclaste et ennemi <strong>de</strong>s idoles, a eu<br />

sa mythologie et un sens, tout nouveau, du sacré.<br />

Assurément, pour <strong>de</strong> telles utilisations, « les temps et les auteurs<br />

doivent être mûrs » l32 : ce qui pouvait n'être, au siècle précé<strong>de</strong>nt,<br />

qu'un tableau pathétique, reflète ici l'actualité, la réalité d'une<br />

idéologie militante. Les exemples <strong>de</strong> ce genre ne manquent pas :


AUTEURS, ÉPOQUES, NATIONS 101<br />

nous avons eu déjà l'occasion d'attirer l'attention sur l'importance<br />

et l'opportunité <strong>de</strong> la légen<strong>de</strong> <strong>de</strong> Pygmalion dans la philosophie<br />

matérialiste <strong>de</strong>s Lumières, ou <strong>de</strong> Prométhée sur le fond <strong>de</strong><br />

révolte métaphysique qui caractérise le romantisme.<br />

Il ressort donc <strong>de</strong> ces observations que, <strong>de</strong> même qu'un thème<br />

pouvait apparaître adéquat pour un auteur et inadéquat pour un<br />

autre, il peut également convenir mieux à telle époque qu'à telle<br />

autre. Ce sera la tâche <strong>de</strong> la thématologie d'essayer d'isoler et <strong>de</strong><br />

définir les éléments qui déterminent et expliquent cette fortune<br />

particulière, qui font qu'un thème est spécialement élu par une<br />

époque, par une certaine pensée: l'objectif est d'importance et<br />

révèle, une fois encore, combien la Stoffgeschichte est inséparable<br />

<strong>de</strong> la Geistesgeschichte. Rappelons seulement ce que nous disions<br />

plus haut à propos <strong>de</strong>s prétendues disparitions <strong>de</strong> thèmes : le succès<br />

exceptionnel d'un personnage ou d'une situation à une époque<br />

donnée n'autorise pas à conclure à son inexistence ou à son insignifiance<br />

avant ce moment priviléié. Certes, le Pygmalion matérialiste<br />

<strong>de</strong> Boureau-Deslan<strong>de</strong>s n'eût pu convenir au XVI e siècle, ni<br />

à une conscience religieuse ni à un esprit-néo-platonicien, mais<br />

l'inexistence à la Renaissance, <strong>de</strong> cette signification spécifique, ne<br />

permet pas le moins du mon<strong>de</strong> d'affirmer l'éclipsé du thème, poïkilotherme<br />

<strong>de</strong> nature.<br />

Ainsi donc, les raisons <strong>de</strong>s éventuelles préférences d'époques<br />

<strong>de</strong>vront être recherchées, cela va sans dire, avec autant <strong>de</strong> précaution<br />

et <strong>de</strong> réalisme que celles qui peuvent déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s préférences<br />

d'auteurs. Ecrire quelques phrases bien tournées sur l'impossibilité<br />

d'un Prométhée révolté au Moyen Age en se contentant <strong>de</strong><br />

parler, en termes généraux, d'incompatibilité d'esprits, est insuffisant<br />

et risque <strong>de</strong> conduire au verbalisme. La récession — d'ailleurs<br />

relative — du thème <strong>de</strong>vra trouver son explication dans l'étu<strong>de</strong> du<br />

contexte philosophique et religieux, dans le cadre <strong>de</strong> la lutte généralisée<br />

contre la mythologie et les survivances du paganisme ; elle<br />

s'expliquera aussi par la vaste diffusion d'Ovi<strong>de</strong> et <strong>de</strong> Virgile, les<br />

autorités au Moyen Age en matière <strong>de</strong> mythologie, et qui, précisé-


102 THÈMES ET MYTHES<br />

ment, accor<strong>de</strong>nt fort peu <strong>de</strong> place au thème propéthéen, d'où <strong>de</strong>s<br />

apparitions peu fréquentes dans les œuvres érudites et apologétiques<br />

qui recourent au témoignage d'auteurs moins connus, mais<br />

plus explicites sur Promethée, que les poètes <strong>de</strong>s Métamorphoses<br />

et <strong>de</strong> VEnéi<strong>de</strong>,<br />

Restons donc sur cette conclusion qu'il existe <strong>de</strong>s préférences<br />

d'époques comme <strong>de</strong>s préférences d'auteurs, parce qu'un thème<br />

peut, par son affabulation, en venir à représenter mieux telles<br />

dominantes que d'autres. C'est en tout cas un problème que Ton<br />

ne peut, dans une thématologie digne <strong>de</strong> ce nom, éviter d'abor<strong>de</strong>r<br />

: si l'on cherche à savoir pourquoi Racine rompit momentanément<br />

avec le théâtre après Phèdre et définitivement après Athalie,<br />

serait-il moins intéressant <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce qui, d'un siècle à<br />

l'autre, explique la fortune ou la déca<strong>de</strong>nce d'un thème?<br />

Sur ce plan, une question en amène une autre : après avoir réfléchi<br />

sur les motifs <strong>de</strong> l'adhésion d'un auteur ou d'une époque à un<br />

thème, on en vient vite à s'enquérir <strong>de</strong>s éventuelles préférences<br />

nationales, <strong>de</strong>s sujets <strong>de</strong> prédilection <strong>de</strong> tel peuple en particulier.<br />

Affaire délicate : la notion <strong>de</strong> Volksgeist, comme celle <strong>de</strong> Zeitgeist,<br />

exige d'être maniée avec précaution.<br />

Sans doute certains thèmes issus <strong>de</strong>s traditions nationales et se<br />

rapportant à un fait <strong>de</strong> l'histoire d'un peuple <strong>de</strong>meurent-ils assez<br />

volontiers la propriété <strong>de</strong> ce peuple. Le thème d'Arminius, à part<br />

ses apparitions chez Scudéry, Campistron ou Pin<strong>de</strong>monte, a été<br />

traité exclusivement par <strong>de</strong>s Allemands : ainsi encore, pour l'Italie,<br />

du personnage d'Ezzelino da Romano. Il s'agit le plus souvent,<br />

dans <strong>de</strong> tels cas, <strong>de</strong> personnages <strong>de</strong> l'histoire ou du folklore<br />

nationaux, dont la valeur exemplaire est insuffisante pour atteindre<br />

à l'universalité, comme les thèmes <strong>de</strong> Napoléon ou <strong>de</strong> Faust ;<br />

les raisons d'un intérêt particulier se conçoivent dès lors sans difficulté.<br />

En revanche, il est plus délicat <strong>de</strong> trouver pourquoi tel thème<br />

universellement célèbre a trouvé moins d'écho dans un pays que<br />

dans un autre. Antigone, par exemple, a eu très peu <strong>de</strong> succès en


AUTEURS, ÉPOQUES, NATIONS 103<br />

Angleterre, moins encore en Espagne: faut-il en conclure que le<br />

problème <strong>de</strong> l'opposition entre la conscience individuelle et la raison<br />

d'Etat ne s'est jamais posé dans ces pays? et pourquoi? ou<br />

bien le «tempérament» anglais est-il spécifiquement insensible à<br />

une situation tragique qui a au contraire beaucoup intéressé les<br />

Français et les Allemands ? inutile <strong>de</strong> dire que nous ne trouverons<br />

pas la réponse ici.<br />

Il faudra aussi veiller à ne pas prendre pour une inadéquation<br />

aux caractères nationaux un phénomène <strong>de</strong> diffusion tardive ou<br />

empêchée. Les sujets mythologiques rencontrèrent une opposition<br />

plus forte en Espagne ou au Portugal qu'en France en raison<br />

d'une attitu<strong>de</strong> religieuse plus rigi<strong>de</strong>, d'une influence plus nette <strong>de</strong><br />

l'Eglise. Les différences ne doivent pas être seulement constatées,<br />

mais, autant que possible, expliquées avec réalisme, car s'en tenir<br />

aux généralités sur les caractères et tempéraments nationaux<br />

n'apporte aucune certitu<strong>de</strong> et revient à justifier <strong>de</strong>s faits par <strong>de</strong>s<br />

éléments vagues et impondérables 133 .<br />

De toute manière, et quelle que soit la difficulté <strong>de</strong> trouver une<br />

réponse toujours satisfaisante à ces questions <strong>de</strong> préférences<br />

d'auteurs, d'époques et <strong>de</strong> nations, la thématologie, pour remplir<br />

son rôle et se légitimer, a le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> les poser, car ces problèmes,<br />

qui dépassent <strong>de</strong> loin le ressort du dictionnaire et <strong>de</strong> la nomenclature,<br />

représentent une part essentielle du véritable travail. Sur ces<br />

<strong>de</strong>rniers points plus encore que sur les autres, il faudra <strong>de</strong> la pru<strong>de</strong>nce<br />

et du doigté, une approche patiente et un examen minutieux,<br />

une méfiance quasi instinctive <strong>de</strong>s généralités et <strong>de</strong>s explications<br />

vagues qui apaisent trompeusement l'inquiétu<strong>de</strong> sans satisfaire<br />

le raisonnement. Fondus et unis dans une discipline souple et<br />

exigeante, les différents points <strong>de</strong> vue évoqués jusqu'ici restituent<br />

à la thématologie son intérêt et sa portée.


LE THÈME ET LE CONTEXTE<br />

HISTORIQUE<br />

Nous venons <strong>de</strong> le voir, il est possible <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> préférences<br />

d'époques dans le cas où les préoccupations dominantes d'une<br />

certaine pério<strong>de</strong> parviennent à s'inscrire dans les cadres d'un<br />

thème qui <strong>de</strong>vient l'expression symbolique, idéale, <strong>de</strong> ces préoccupations.<br />

Ce sont bien sûr les mouvements d'idées qui feront le plus<br />

souvent appel à ce pouvoir représentatif : on imagine sans peine la<br />

place et le sens que peuvent prendre, par exemple, le thème <strong>de</strong><br />

Prométhée, pour exprimer les théories du progrès ou du scientisme,<br />

celui d'Orphée dans la recherche néo-platonicienne <strong>de</strong> la<br />

connaissance.<br />

Ces positions « intellectuelles » ne sont cependant pas les seules<br />

que puisse, éventuellement, révéler l'utilisation d'un thème. Quel<br />

que soit son génie, l'auteur vit dans son milieu, subit, plus peutêtre<br />

que les autres, la pression <strong>de</strong>s forces historiques, le poids <strong>de</strong>s<br />

circonstances ; les guerres, les conflits religieux, politiques,<br />

sociaux <strong>de</strong> son temps composent une ambiance, l'atmosphère<br />

qu'il respire. La littérature, on l'a dit, peut être aussi l'expression<br />

<strong>de</strong> la société. L'importance du contexte historique est aujourd'hui<br />

reconnue, encore qu'on ait pu dire il n'y a guère que l'histoire littéraire<br />

«s'en tient encore trop souvent à la seule étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s hommes<br />

et <strong>de</strong>s oeuvres — biographie spirituelle et commentaire textuel<br />

— considérant le contexte collectif comme une sorte <strong>de</strong> décor,<br />

d'ornement abandonné aux curiosités <strong>de</strong> l'historiographie politi-<br />

134<br />

que » .<br />

Si personne ne songe à isoler Jacques Vingtras, les Thibault ou<br />

les Hommes <strong>de</strong> bonne volonté du climat historique particulier que


106<br />

THÈMES ET MYTHES<br />

connurent Jules Vallès, Roger Martin du Gard et Jules Romains,<br />

ou encore les œuvres <strong>de</strong> l'expressionnisme allemand du conflit <strong>de</strong><br />

générations qui en est une <strong>de</strong>s caractéristiques, il semble, à l'égard<br />

<strong>de</strong>s thèmes, que l'on ait fait moins souvent qu'il n'eût fallu le rapprochement<br />

nécessaire. Or certains offrent, par leur affabulation<br />

et leur contenu originel, <strong>de</strong>s possibilités exceptionnelles d'adaptation<br />

aux circonstances : qu'on songe à Saùl et à la question du<br />

pouvoir et <strong>de</strong>s prêtres, et l'on imaginera aussitôt ce qui pouvait<br />

attirer vers le monarque hébreu <strong>de</strong>s hommes comme Voltaire ou<br />

Alfieri ; à propos <strong>de</strong> Sophonisbe, un critique suggérait avec raison<br />

que l'on tentât «d'expliquer le traitement du thème par le contexte<br />

politique et social » l35 . Aussi spontanément qu'il se baigne<br />

dans les courants d'idées <strong>de</strong>s siècles traversés, le thème se charge<br />

<strong>de</strong>s composantes historiques ]36 . Une <strong>de</strong>s préoccupations constatantes<br />

<strong>de</strong> la thématologie consistera donc à examiner dans quelle<br />

mesure le thème est « engagé », dans quelle mesure la préférence<br />

que lui marque une époque n'est pas due à son aptitu<strong>de</strong> à exprimer<br />

les contingences politiques et sociales.<br />

Certes., nous ne prétendons pas que tous les thèmes sont au<br />

même <strong>de</strong>gré susceptibles d'être l'expression <strong>de</strong>s circonstances historiques.<br />

Peut-être n'est-il pas impossible <strong>de</strong> faire du thème <strong>de</strong><br />

Tristan ou <strong>de</strong> celui d'Hérodia<strong>de</strong> <strong>de</strong>s thèmes à résonance politique ;<br />

du moins n'y parviendra-t-on qu'au prix d'une singulière distorsion<br />

<strong>de</strong> leurs éléments constitutifs. En revanche, on concevra aisément<br />

le potentiel d'« engagement » dans l'actualité que recèlent les<br />

figures <strong>de</strong> Marie Stuart, Napoléon, Saùl, Savonarole ou Cola di<br />

Rienzo. Il existe en tout cas, à propos <strong>de</strong> chaque thème, une possibilité<br />

<strong>de</strong> cet ordre et la thématologie a le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> veiller à<br />

l'exploiter.<br />

Certains thèmes lui offriront d'ailleurs un terrain particulièrement<br />

riche : ce sont ceux qui sont le reflet, dès l'origine, <strong>de</strong> certains<br />

conflits politiques ou sociaux. Dès lors, on peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

si <strong>de</strong> tels thèmes ne se rencontrent pas plus volontiers aux époques<br />

où se pose, dans la réalité vécue et directement éprouvée par un


THÈME ET CONTEXTE HISTORIQUE 107<br />

auteur, le problème dont ils peuvent constituer, en quelque sorte,<br />

l'archétype, la représentation idéale. Nous ne saurions nous livrer<br />

ici à une analyse <strong>de</strong> ce genre, qui nécessite une étu<strong>de</strong> précise <strong>de</strong>s<br />

circonstances historiques où sont apparues chacune <strong>de</strong>s expressions<br />

d'un thème: ce serait procé<strong>de</strong>r à l'un <strong>de</strong> ces survols dont<br />

nous dénoncions tout à l'heure l'indigence. Arrêtons-nous cependant<br />

un instant à l'exemple du thème d'Antigone, sans doute l'un<br />

<strong>de</strong>s plus caractéristiques 137 .<br />

Le thème d'Antigone émerge pour la première fois <strong>de</strong> la confusion<br />

<strong>de</strong>s grands récits épiques et <strong>de</strong>s traditions orales en 441 avant<br />

J.-C. dans la tragédie <strong>de</strong> Sophocle, fondée sur le conflit entre<br />

l'exigence morale et religieuse et les contraintes <strong>de</strong> la raison<br />

d'Etat. Substituant aux oiseuses discussions <strong>de</strong>s sophistes sur les<br />

limites <strong>de</strong> la légitimité du pouvoir, la mise en action ou la mise en<br />

scène <strong>de</strong>s conséquences <strong>de</strong> l'autoritarisme, Sophocle donnait une<br />

leçon.<br />

Dans quel contexte ? La prospérité atteinte par Athènes pendant<br />

les quinze années où Périclès tient les rênes du pouvoir et la<br />

structure démocratique <strong>de</strong> la cité ne doivent pas faire perdre <strong>de</strong><br />

vue l'impérialisme très réel dans lequel elle s'engageait: l'extension<br />

<strong>de</strong> sa puissance politique et militaire, le «colonialisme» <strong>de</strong>s<br />

clérouquies, l'exploitation <strong>de</strong>s cités prétendument alliées, en réalité<br />

sujettes, laissent entrevoir à quels excès un pouvoir abusif<br />

pourrait conduire 138 . On a voulu soutenir 139 que Sophocle n'avait<br />

pas mis en scène une conscience en conflit avec le gouvernement,<br />

mais seulement le choc <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux caractères outranciers et intolérants<br />

qui se précipitent eux-mêmes dans le désastre. Vraie sur le<br />

plan <strong>de</strong> la psychologie, cette interprétation n'en rétrécit pas moins<br />

singulièrement l'optique, en substituant un conflit <strong>de</strong> personnes à<br />

un affrontement <strong>de</strong> principes.<br />

En fait, Antigone apparaît, non comme une tragédie religieuse,<br />

en dépit <strong>de</strong> la référence aux lois sacrées, mais comme une tragédie<br />

morale et politique. On a d'ailleurs pu montrer que, dans la tragédie,<br />

le politique et le religieux s'interpénétraient étroitement. Vers


108 THEMES ET MYTHES<br />

440, comme l'a souligné J.-P. Vernant 14 °, à une religion centrée<br />

sur le foyer domestique et le culte <strong>de</strong>s morts, commence à s'opposer<br />

une religion publique, une religion <strong>de</strong> la «polis», où «les<br />

dieux tutélaires <strong>de</strong> la cité ten<strong>de</strong>nt finalement à se confondre avec<br />

les valeurs suprêmes <strong>de</strong> l'Etat ». Antigone sort d'une réflexion sur<br />

cette confrontation <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux théologies antagonistes, Tune religieuse,<br />

l'autre civile 141 . Sophocle — à la différence <strong>de</strong> Platon,<br />

quelques décennies plus tard — se refuse encore à consacrer<br />

ï'hypostase <strong>de</strong> la cité ; donnant au culte <strong>de</strong>s morts la préséance sur<br />

les exigences civiles, sa tragédie était la preuve par l'exemple qu'il<br />

n'y a pas <strong>de</strong> limites à un pouvoir dont on a fait dépositaire un<br />

homme qui n'en est pas digne: c'était, en même temps qu'un<br />

appel à la sagesse et à la réflexion sur le plan <strong>de</strong> la philosophie<br />

politique, une mise en gar<strong>de</strong> contre une situation <strong>de</strong> fait dans<br />

laquelle Athènes l'impérialiste risquait <strong>de</strong> s'engager.<br />

Le thème d'Antigone prend donc, dès sa première formulation<br />

littéraire, une signification fondamentalement politique, dans le<br />

sens d'une méditation sur les bornes du pouvoir, sur le droit à la<br />

contestation, méditation immédiatement inspirée par le contexte<br />

historique où évoluait Sophocle. Reste à voir dans quelle mesure<br />

cette liaison entre le thème et l'histoire peut se présenter comme<br />

une constante.<br />

En France, la première Antigone originale est celle <strong>de</strong> Robert<br />

Garnier (1580), qui insiste particulièrement sur le conflit fratici<strong>de</strong><br />

entre Etéocle et Polynice. D'emblée se font entendre les échos <strong>de</strong><br />

la situation historique contemporaine. Les troubles civils et religieux<br />

— la Saint-Barthélémy a eu lieu huit ans plus tôt — qui<br />

transparaissent dans les tragédies « romaines » comme Porcie et<br />

Cornélie, se retrouvent ici en pleine lumière. Pour ce dramaturge<br />

royaliste et catholique, Polynice représente les protestants qui tentent<br />

<strong>de</strong> s'imposer au roi, au pouvoir centralisé et légitime, et son<br />

Antigone, dans son climat <strong>de</strong> crise dynastique, reflète la rivalité<br />

entre Henri III et le duc d'AJençon lors <strong>de</strong> la succession <strong>de</strong> Charles<br />

IX 142 . Comme le signalait R. Lebègue, « ce qui est au premier plan


THEME ET CONTEXTE HISTORIQUE 109<br />

<strong>de</strong>s Tragiques d'Aubigné, sert <strong>de</strong> toile <strong>de</strong> fond aux oeuvres du dramaturge<br />

catholique » 143 . L'héroïne <strong>de</strong> Garnier propose une cité où<br />

la loi politique se confondrait avec la loi naturelle, celle-ci n'étant<br />

que l'image <strong>de</strong> la loi divine 144 .<br />

Une soixantaine d'années plus tard, VAntigone <strong>de</strong> Rotrou<br />

(1637) situe à nouveau l'action dans un contexte où l'autorité est<br />

mise en cause. Créon représente non seulement le pouvoir absolu,<br />

mais aussi le risque <strong>de</strong> voir servir ce pouvoir à <strong>de</strong>s menées personnelles<br />

où l'intérêt <strong>de</strong> l'Etat sert <strong>de</strong> prétexte aux ambitions d'un<br />

homme 145 . A travers la révolte d'Antigone, Rotrou rappelle que<br />

l'exaltation du pouvoir absolu entraîne la négation <strong>de</strong> l'individu et<br />

la subordination <strong>de</strong>s valeurs morales aux nécessités <strong>de</strong> l'organisation<br />

politique et sociale. Faut-il rappeler que nous sommes à<br />

l'époque où se prépare l'affermissement définitif <strong>de</strong> la monarchie,<br />

où Richelieu concentre ses efforts sur une impitoyable centralisation<br />

du pouvoir, une « statolâtrie » inspirée <strong>de</strong> Machiavel, dont<br />

Antigone conteste la légitimité ? Chez Rotrou comme chez Garnier,<br />

le conflit Antigone-Créon est l'occasion d'une méditation<br />

sur l'histoire et les événements contemporains 14 \<br />

Le XVIII e siècle ne s'intéressa guère au thème, sinon dans les<br />

médiocres tragédies «romanesques » <strong>de</strong> A. Duhamel (1737) ou <strong>de</strong><br />

Doigny du Ponceau (1787) et dans une série d'opéras. Mais lorsque<br />

parut, en 1814, le long poème en prose <strong>de</strong> P.-S. Ballanche,<br />

intitulé Antigone, les contemporains n'eurent guère <strong>de</strong> peine à y<br />

découvrir nombre d'allusions aux récentes années <strong>de</strong> crise.<br />

L'œuvre était d'ailleurs dédiée à la duchesse d'Angoulême, fille<br />

du roi martyr, en qui, la même année, le panégyrique <strong>de</strong> Louis <strong>de</strong><br />

Saint-Hugues saluait «la nouvelle Antigone». Sans sacrifier la<br />

part <strong>de</strong> projection autobiographique ni les considérations philosophiques<br />

et religieuses, on observera que Ballanche n'hésitait pas<br />

<strong>de</strong>vant un parallèle explicite entre la France et l'ancienne Thèbes,<br />

entre Oedipe et Bonaparte, «nouveau roi <strong>de</strong> l'énigme», et désignait<br />

à son tour la duchesse d'Angoulême comme «PAntigone<br />

française».


110 THEMES ET MYTHES<br />

Un peu plus tard, c'est un ancien émigré, le comte <strong>de</strong> Saint-<br />

Roman, qui se propose <strong>de</strong> retracer, dans son Antigone (1823),<br />

« quelques-unes <strong>de</strong>s scènes <strong>de</strong> douleur et <strong>de</strong> perversité que le malheur<br />

<strong>de</strong>s temps vient tous les jours offrir à ses yeux ». Sans équivoque,<br />

Créon, pour ce légitimiste, c'est la Révolution, la Terreur,<br />

Robespierre, l'Usurpateur enfin, tandis qu'Antigone incarne<br />

l'ordre ancien et le droit divin persécutés par la folie révolutionnaire.<br />

Le XX e siècle, que ce soit dans <strong>de</strong>s œuvres obscures ou célèbres,<br />

n'échappe pas à l'engagement et à la politisation suggérés par le<br />

thème. L'Antigone (1922) <strong>de</strong> Louis Perroy est une protestation<br />

contre la guerre menée par un <strong>de</strong>spote inhumain : sous couleur <strong>de</strong><br />

lutter pour la gran<strong>de</strong>ur et l'indépendance <strong>de</strong> Thèbes, Créon a<br />

combattu par orgueil et désir <strong>de</strong> conquête, et la fille d'Oedipe conteste<br />

un pouvoir meurtrier et injuste, <strong>de</strong>structeur <strong>de</strong>s peuples, tandis<br />

que Perroy dédie sa pièce « à tous ceux qui sont morts pour la<br />

France, 1914-1918». Quelques années plus tard, VAntigone<br />

d'Armand Abel, créée le 20 février 1938 par le Jeune Théâtre <strong>de</strong><br />

l'<strong>Université</strong> <strong>Libre</strong> <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong> à la loge maçonnique Prométhée,<br />

se situe dans le contexte <strong>de</strong> la guerre civile espagnole et <strong>de</strong> la<br />

menace nazie. Une fois <strong>de</strong> plus, c'est un appel à la réflexion sur les<br />

circonstances, où Antigone défend les valeurs humaines et morales<br />

en face d'un Etat <strong>de</strong>structeur <strong>de</strong> l'individu. En 1941, au début<br />

d'une pério<strong>de</strong> fort sombre, c'est à Antigone que songe Léon<br />

Chancerel pour œuvrer à la « respiritualisation du pays » en faisant<br />

<strong>de</strong> l'héroïne le défenseur <strong>de</strong>s valeurs religieuses et patriotiques<br />

que prétendait restaurer le régime <strong>de</strong> Vichy. Faut-il rappeler<br />

enfin comment fut accueillie Y Antigone d'Anouilh (1944), les uns<br />

voyant dans le personnage le symbole <strong>de</strong> la Résistance française,<br />

les autres reprochant à l'auteur <strong>de</strong> témoigner à travers Créon sa<br />

sympathie par la Realpolitik <strong>de</strong> Vichy et <strong>de</strong> prendre la défense <strong>de</strong><br />

Pétain et Laval ? Une fois <strong>de</strong> plus, la résurgence du thème s'expliquait<br />

par <strong>de</strong>s circonstances historiques et politiques dont il apparaissait,<br />

en quelque sorte, comme l'archétype.


THÈME ET CONTEXTE HISTORIQUE 111<br />

Ce qui est vrai pour la France ne l'est pas moins ailleurs. En Italie,<br />

VAntigone <strong>de</strong> Luigi Alamanni, composée entre 1520 et 1527,<br />

porte la trace <strong>de</strong>s querelles intestines <strong>de</strong> Florence, tandis que<br />

Créon <strong>de</strong>vient une image <strong>de</strong>s Médicis, responsables <strong>de</strong> l'exil du<br />

poète qui a conspiré contre eux. Celle d'Alfieri (1783) témoigne du<br />

désir d'unité et d'originalité nationales et <strong>de</strong> la haine <strong>de</strong> la domination<br />

autrichienne qui animent la péninsule dans la secon<strong>de</strong> moitié<br />

du XVIII e siècle l47 .<br />

Quant à l'Allemagne, elle a multiplié elle aussi les œuvres engagées<br />

et militantes. La tragédie <strong>de</strong> Martin Opitz (1629) est explicitement<br />

composée pour convaincre les Prussiens <strong>de</strong> leur bonheur <strong>de</strong><br />

vivre sous un bon gouvernement, en leur présentant, par antithèse,<br />

le tableau <strong>de</strong>s guerres civiles et <strong>de</strong>s conflits qui pourraient<br />

déchirer le pays 148 . A l'occasion, le thème pourra servir l'illustration,<br />

et non la condamnation, <strong>de</strong> la raison d'Etat. En 1877, la<br />

médiocre Antigone <strong>de</strong> Eugen Reichel se situe dans la ligne officielle<br />

<strong>de</strong> l'époque bismarckienne et célèbre les exigences du pouvoir<br />

et <strong>de</strong> l'ordre, en déplorant l'insurrection d'Antigone, anarchiste<br />

irréfléchie qui met la nation en péril. Joué en 1915, le drame<br />

du pan-germaniste H.S. Chamberlain {Der Tod <strong>de</strong>r Antigone)<br />

renforce sous Guillaume II la leçon proposée par Reichel en montrant<br />

que toute morale individuelle doit être subordonnée à<br />

l'entité <strong>de</strong> l'Etat souverain et en faisant du <strong>de</strong>voir d'obéissance un<br />

impératif catégorique : aussi son Antigone se suici<strong>de</strong>-t-elle, convaincue<br />

d'avoir frayé la voie aux pires désordres. A un moment<br />

où, en dépit <strong>de</strong>s victoires alleman<strong>de</strong>s, l'échec <strong>de</strong> la Marne en septembre<br />

1914 et le blocus naval <strong>de</strong> l'Angleterre ont contraint le<br />

Reich à s'organiser en économie <strong>de</strong> guerre et déclenché les premières<br />

protestations du mécontentement général, l'oeuvre était un<br />

rappel direct du respect <strong>de</strong> Tordre et <strong>de</strong> l'autorité établie, <strong>de</strong> la<br />

nécessaire soumission au pouvoir. Deux ans plus tard, au contraire,<br />

W. Hasenclever fera entendre la voix <strong>de</strong> l'opposition. Son<br />

Antigone (1917) évoque un peuple naturellement bon et généreux,<br />

mais aveuglé par les mauvais maîtres et asservi à un Etat totali-


112 THÈMES ET MYTHES<br />

taire et conquérant. Antigone, image <strong>de</strong> la fraction saine <strong>de</strong> la<br />

nation, se dresse contre un Créon-Guillaume II, à l'instant où les<br />

succès militaires <strong>de</strong> Lu<strong>de</strong>ndorff ne suffisent plus à museler l'opinion.<br />

Dans cette œuvre aux accents apocalyptiques, Hasenclever a<br />

livré une allégorie transparente. A ses yeux, Thèbes, c'est l'Allemagne<br />

; les souffrances <strong>de</strong>s Thébains sont celles <strong>de</strong>s Allemands ;<br />

les cris <strong>de</strong> «Nie<strong>de</strong>r die Reichen ! » sont l'écho <strong>de</strong> ceux qui commençaient<br />

à se faire entendre au sein d'un prolétariat misérable et<br />

écrasé par l'industrialisation ; la libération du peuple thébain préfigure<br />

celle que l'auteur souhaitait pour son pays. En 1931,<br />

l'Autrichien Max Mell évoque les souvenirs <strong>de</strong> la guerre et<br />

exprime à travers le thème (Die Sieben gegen Theberi) ses inquiétu<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>vant l'effervescence politique en Allemagne. A son tour, B.<br />

Brecht ressuscite Antigone (Antigone-Mo<strong>de</strong>ll 1948) dans les ruines<br />

<strong>de</strong> Berlin en avril 1945 et utilise le thème pour rappeler les crimes<br />

du III e Reich et la faillite du totalitarisme. Une nouvelle <strong>de</strong> R.<br />

Hochhut (Die Berliner Antigone» 1963) reprend <strong>de</strong>s données i<strong>de</strong>ntiques,<br />

tandis que la pièce <strong>de</strong> K. Hubalek (Die Siun<strong>de</strong> <strong>de</strong>r Antigone,<br />

1962) représente dans la résistance <strong>de</strong> la fille d'Oedipe, la<br />

révolte individuelle contre un pouvoir policier.<br />

Sans même parler <strong>de</strong> l'époque où, dans le cadre <strong>de</strong> l'affaire<br />

Dreyfus, l'état-major français avait aux yeux <strong>de</strong> la gauche les<br />

traits <strong>de</strong> Créon, on n'aurait aucune peine, au XX e siècle, à multiplier<br />

les exemples <strong>de</strong> l'utilisation du thème dans l'actualité historique<br />

et politique la plus immédiate. En 1959, VAntigone créole <strong>de</strong><br />

Félix Morisseau-Leroy condamnait l'héroïne pour justifier le<br />

régime haïtien, tandis qu'en 1967 le Living Théâtre s'emparait <strong>de</strong><br />

la pièce <strong>de</strong> Brecht pour en tirer un bréviaire <strong>de</strong> la désobéissance<br />

civile et <strong>de</strong> la contestation. En Tchécoslovaquie enfin, les Antigone<br />

<strong>de</strong> Peter Karvas (1962) et <strong>de</strong> Milan Uh<strong>de</strong> (1967) trouvent<br />

dans le thème, ici l'occasion <strong>de</strong> célébrer la lutte communiste contre<br />

le fascisme, là celle <strong>de</strong> dénoncer l'ingérence <strong>de</strong> l'U.R.S.S. l49 .<br />

Ce survol historique, pour bref et schématique qu'il soit,<br />

<strong>de</strong>vrait cependant inviter à méditer sur les raisons profon<strong>de</strong>s <strong>de</strong>


THEME ET CONTEXTE HISTORIQUE 113<br />

cette actualisation régulière du thème d'Antigone et à en chercher<br />

une explication.<br />

Les œuvres évoquées ci-<strong>de</strong>ssus ont toutes reflété, plus ou moins<br />

littéralement, un aspect du contexte historique dans lequel elles<br />

ont vu le jour 15 °. Ne pas voir là un fait troublant, ce serait aussi<br />

faire la part trop belle aux hasards et aux coïnci<strong>de</strong>nces. Mais comment<br />

rendre compte <strong>de</strong> cet enracinement tenace du thème dans le<br />

terreau <strong>de</strong> l'événement, <strong>de</strong> cette sorte <strong>de</strong> symbiose entre le <strong>de</strong>venir<br />

d'Antigone et les acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> l'histoire ?<br />

Dans un livre récent, Simone Fraisse a habilement défini les<br />

gran<strong>de</strong>s étapes <strong>de</strong> l'évolution du thème, mettant en lumière les<br />

problèmes <strong>de</strong> sources et d'influences et multipliant avec justesse et<br />

brio les analyses littéraires. Sans contester la pertinence <strong>de</strong> son travail<br />

ni la subtilité <strong>de</strong> son analyse, nous souhaiterions nous interroger<br />

brièvement sur quelques-unes <strong>de</strong> ses conclusions.<br />

Il conviendrait, selon ce critique, <strong>de</strong> distinguer une évolution<br />

dans la conception même que nous nous faisons d'Antigone. « Le<br />

couple dont la tradition a d'abord retenu l'image, écrit S. Fraisse,<br />

c'est Antigone guidant les pas <strong>de</strong> son père aveugle. [...] Jusqu'au<br />

XIX e siècle, on dira une ' Antigone ' pour incarner la piété<br />

filiale » 151 . L'assertion n'est exacte que dans une certaine mesure.<br />

On observera qu'il s'agit là d'un trait du personnage, non d'une<br />

caractéristique <strong>de</strong> la situation exploitée par Sophocle dans son<br />

Antigone, où Oedipe n'apparaît même pas. Fille aimante, Antigone<br />

l'est dans VOedipe à Colone <strong>de</strong> Sophocle, dans les Thébaï<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> Stace et <strong>de</strong> Racine ou VOedipe chez Admète <strong>de</strong> Ducis, toutes<br />

œuvres dont est absent le conflit avec Créon et l'on notera même<br />

que, dans Oedipe à Colone, Ismène n'est pas moins dévouée ni<br />

moins aimante que sa sœur. Or qui pense à Antigone pense à<br />

Créon ; pas d'Antigone sans Créon, sans la lutte fratrici<strong>de</strong> d'Etéocle<br />

et Polynice : elle se définit comme Antigone par rapport à un<br />

nœud immuable <strong>de</strong> relations. En d'autres termes, la continuité du<br />

thème et les motifs <strong>de</strong> sa résurgence doivent s'étudier en fonction<br />

<strong>de</strong> la situation conflictuelle définie par Sophocle, non dans la


114 THÈMES ET MYTHES<br />

perspective d'un personnage qui, extrait <strong>de</strong> la situation qui le<br />

fon<strong>de</strong> comme symbole, est <strong>de</strong>venu ailleurs un simple comparse.<br />

En second lieu, selon S. Fraisse, la succession <strong>de</strong>s Antigone<br />

«constitue une histoire <strong>de</strong> la sensibilité française. [...] En France,<br />

Antigone a toujours eu raison contre Créon. [...] Quand par<br />

hasard un écrivain, Barrés ou Anouilh, a pris la défense <strong>de</strong> Créon,<br />

il n'a pas été suivi. [...] C'est que l'insurrection <strong>de</strong> la conscience<br />

individuelle, que [le thème] symbolise si parfaitement, est, <strong>de</strong>puis<br />

près <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux siècles, un trait <strong>de</strong> notre tempérament national » 152 .<br />

En somme, le thème d'Antigone serait particulièrement accordé<br />

au génie fron<strong>de</strong>ur et contestataire <strong>de</strong>s Français. Semblable explication<br />

peut s'avérer convaincante lorsqu'il s'agit <strong>de</strong> thèmes issus<br />

<strong>de</strong>s traditions nationales et se rapportant à un fait <strong>de</strong> l'histoire<br />

d'un peuple : Arminius, on l'a vu, n'a guère été traité que par <strong>de</strong>s<br />

Allemands. Elle nous paraît déjà moins pertinente pour Guillaume<br />

Tell ou Lorenzaccio, et moins encore quand le personnage<br />

a accédé, comme Antigone, à l'universalité. Antigone n'est pas<br />

moins fréquente en Allemagne qu'en France et, Reichel et Chamberlain<br />

mis à part, Créon n'a pas eu plus <strong>de</strong> partisans sur les bords<br />

du Rhin que sur les bords <strong>de</strong> la Loire. Ce n'est donc pas non plus<br />

le tempérament national qui nous fournira l'explication <strong>de</strong>s<br />

retours d'Antigone.<br />

Enfin, conclut S. Fraisse, le thème est particulièrement accordé<br />

aux «situations conflictuelles <strong>de</strong> notre temps», qui l'a violemment<br />

politisé. «Aujourd'hui, écrit-elle, pas <strong>de</strong> mythe d'Antigone<br />

sans un édit à violer, sans une transgression. La scène <strong>de</strong>s lois qui<br />

illustre et résume l'affrontement fondamental est capitale dans<br />

l'économie <strong>de</strong> la pièce » 153 . Ainsi, à l'explication par le Volksgeist<br />

succè<strong>de</strong> l'explication par le Zeitgeist : le retour d'Antigone au XX e<br />

siècle se justifie par la tendance caractéristique <strong>de</strong> notre époque à<br />

la politisation 154 . Il est vrai. Mais ne convient-il pas d'observer<br />

aussi que la « transgression » est le nœud même du drame <strong>de</strong>puis<br />

Sophocle et que la politisation du thème nous est apparue à plusieurs<br />

reprises <strong>de</strong>puis l'antiquité? En réalité, le XX e siècle a seule-


THÈME ET CONTEXTE HISTORIQUE 115<br />

ment marqué sa prédilection pour un thème qui, d'avance, répondait<br />

à ses préoccupations ; ce n'est pas le XX e siècle qui a politisé<br />

Antigone, mais Antigone qui a trouvé dans le XX e siècle son terrain<br />

d'élection.<br />

h'Antigone <strong>de</strong> Sophocle définissait déjà les termes d'un conflit<br />

moral et politique inséré dans l'histoire. Quand ce thème, perçu<br />

comme l'inéluctable opposition entre la conscience individuelle et<br />

l'autorité, aurait-il plus <strong>de</strong> chances <strong>de</strong> s'imposer à l'artiste créateur<br />

que lorsque se ranime, comme chez Garnier ou Rotrou, le<br />

débat sur la légitimité et les limites du pouvoir ? Expression, dès<br />

l'origine, d'un certain conflit <strong>de</strong> nature politique — au sens large<br />

du terme — le thème d'Antigone fonctionne, sur le plan <strong>de</strong> la<br />

conscience culturelle, comme une manière d'archétype. Chaque<br />

fois que se développe, dans la réalité historique, une situation<br />

d'affrontement entre une minorité opprimée et un pouvoir<br />

oppresseur, peut surgir une Antigone. Il ne n'agit nullement, on<br />

s'en doute, <strong>de</strong> réhabiliter la vieille théorie mécaniste du «reflet»,<br />

ni <strong>de</strong> restaurer la polémique <strong>de</strong> Plékhanov, partisan <strong>de</strong> la littérature<br />

«miroir <strong>de</strong> la vie sociale», contre G. Lanson, défenseur <strong>de</strong><br />

l'individualité littéraire. Transmis par la tradition, inséparable <strong>de</strong><br />

la culture occi<strong>de</strong>ntale, le thème s'impose à la conscience pour traduire<br />

idéalement une situation donnée et un conflit qui prend<br />

valeur <strong>de</strong> paradigme. Aussi bien, la force <strong>de</strong> cette tradition est<br />

telle que, quand bien même un auteur tenterait d'en secouer le<br />

joug, ses lecteurs en <strong>de</strong>meureraient prisonniers: alors que Jean<br />

Anouilh avait prétendu prêter à son Antigone une dimension<br />

purement existentielle, c'est le public qui s'empressa <strong>de</strong> la situer<br />

dans une perspective politique et historique.<br />

On voit enfin comment semblables considérations ramèneraient<br />

au problème, traité plus haut, <strong>de</strong> la liberté du créateur. N'est-il<br />

pas, dans le cas d'Antigone, invinciblement attiré vers un thème<br />

qui s'impose à lui bien plus qu'il ne le choisit, parce qu'il recèle<br />

une irrésistible puissance d'appel? Sans doute serait-il erroné <strong>de</strong><br />

parler, à propos <strong>de</strong> tous les thèmes, d'une dépendance aussi


116<br />

THÈMES ET MYTHES<br />

étroite à l'égard du contexte historique. Mais, parce que sa signification<br />

profon<strong>de</strong> est conditionnée, non par un personnage, mais<br />

par une situation, le thème d'Antigone, un <strong>de</strong>s moins malléables<br />

qui soient, constitue sans doute un exemple privilégié <strong>de</strong> ce que la<br />

perspective historique et diachronique peut apporter à la thématologie.<br />

« You can't make tragédies without social instability », écrivait<br />

Huxley dans Brave New World. L'exemple <strong>de</strong>s tragédies <strong>de</strong><br />

Racine invite à nuancer cette affirmation; l'exemple du thème<br />

d'Antigone invite à en tenir compte. En d'autres termes, il ne saurait<br />

être question <strong>de</strong> parler d'une dépendance inévitable, mais seulement<br />

<strong>de</strong> veiller à ce qu'une <strong>de</strong>s modalités <strong>de</strong> compréhension du<br />

thème ne soit pas ignorée. Sans que ce soit une règle, il est fréquent<br />

qu'un thème se comprenne mieux, une fois replacé dans son<br />

contexte historio-sociologique, qui permet d'en déterminer la<br />

fonction. Ce type d'analyse n'explique pas la beauté, c'est<br />

entendu. Mais il n'est pas question <strong>de</strong> le substituer à l'étu<strong>de</strong> esthétique,<br />

seulement <strong>de</strong> la compléter et d'éviter <strong>de</strong>s contresens.<br />

L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s circonstances politiques et sociales doit contribuer,<br />

au même titre que l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s sources et <strong>de</strong>s influences, à faire <strong>de</strong><br />

la thématologie une discipline étrangère à tout cloisonnement, à<br />

toute limitation, à inscrire le thème dans <strong>de</strong>s cadres souples et<br />

complexes. Découvrir comment et pourquoi un thème a, pendant<br />

<strong>de</strong>s siècles, hanté la conscience humaine, ce qu'il a exprimé, chez<br />

chaque artiste et à chaque époque, <strong>de</strong> profondément pensé ou <strong>de</strong><br />

douloureusement vécu, c'est le rôle d'une thématologie consciente<br />

<strong>de</strong> sa place et <strong>de</strong> son rôle véritables.<br />

En effet, toute œuvre consacrée à un thème apparaît, plus<br />

encore qu'une autre, comme le point géométrique d'un nombre<br />

élevé <strong>de</strong> facteurs <strong>de</strong> tous ordres. Situer le thème au lieu <strong>de</strong> rencontre<br />

<strong>de</strong> ces facteurs, ce n'est pas inféo<strong>de</strong>r le processus créateur à un<br />

déterminisme simpliste, mais seulement l'éclairer au cœur <strong>de</strong>s<br />

conditions dans lesquelles il a pris naissance. Comme l'observait<br />

A. Dabezies, «on ne peut donner un tableau <strong>de</strong> Faust au XX e siè-


THÈME ET CONTEXTE HISTORIQUE 117<br />

cle sans une incessante référence à la chronologie et aux événements<br />

les plus importants <strong>de</strong> l'histoire contemporaine » 155 . Il sera<br />

bon, pour n'importe quel thème, <strong>de</strong> se souvenir <strong>de</strong> ce rapport.


EN GUISE DE CONCLUSION<br />

Nombre <strong>de</strong> travaux, au cours <strong>de</strong>s dix <strong>de</strong>rnières années, ont fait<br />

la preuve <strong>de</strong> la richesse <strong>de</strong> la thématologie, défriché <strong>de</strong>s terres nouvelles,<br />

expérimenté d'autres métho<strong>de</strong>s. C'est dire que les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

thèmes n'ont plus guère besoin aujourd'hui d'un plaidoyer, et H.<br />

Dyserinck n'hésite pas à leur reconnaître « une fonction importante<br />

dans le programme <strong>de</strong> développement du comparatisme»<br />

156 . La diversité <strong>de</strong>s recherches, la multiplication <strong>de</strong>s discussions<br />

terminologiques et méthodologiques, l'utilisation <strong>de</strong><br />

nouveaux mo<strong>de</strong>s d'analyse confirment cette assertion.<br />

Nous aurons donc moins que jamais la prétention d'offrir les<br />

observations qui précè<strong>de</strong>nt comme un bréviaire ou un catéchisme<br />

par questions et réponses susceptibles, à la manière d'une encyclopédie<br />

ménagère, <strong>de</strong> proposer une solution à tous les problèmes.<br />

Mieux que quiconque peut-être, nous soupçonnons ce qu'elles ont<br />

d'incomplet, <strong>de</strong> schématique, <strong>de</strong> trop général ou parfois <strong>de</strong> trop<br />

particulier. Aussi bien d'ailleurs est-ce, après tout, préférable<br />

ainsi. Qu'importe que ce soit par l'accord ou le refus que nos<br />

réflexions contribuent à entretenir le renouveau d'intérêt pour la<br />

thématologie ? Suggérant <strong>de</strong>s principes méthodologiques, non <strong>de</strong>s<br />

recettes infaillibles, nous ne saurions que nous réjouir <strong>de</strong> la discussion<br />

et même <strong>de</strong> la contradiction : pour discuter, pour contredire,<br />

il faut connaître, opposer une réflexion à une autre ; la thématologie<br />

ne peut qu'y gagner.<br />

L'avenir apportera peut-être la solution <strong>de</strong> certains problèmes<br />

embarrassants. Sans doute la terminologie finira-t-elle par se préciser<br />

et <strong>de</strong>s définitions plus rigoureuses prendront-elles droit <strong>de</strong><br />

cité? Bien <strong>de</strong>s contestations oiseuses cesseraient le jour où, à


120 THÈMES ET MYTHES<br />

chaque mot, correspondrait un contenu aussi délimité que possible.<br />

Mais ne nous berçons pas <strong>de</strong> la rassurante illusion qu'un dictionnaire<br />

tranchera la question. En matière d'étu<strong>de</strong>s littéraires, les<br />

frontières sont mouvantes, les lignes <strong>de</strong> démarcation indécises.<br />

Qu'au moins chacun prenne soin <strong>de</strong> cerner <strong>de</strong> près son propos et<br />

<strong>de</strong> ne pas s'abandonner aux facilités d'une trompeuse synonymie.<br />

Pour venir à bout <strong>de</strong>s difficultés <strong>de</strong>s recherches préalables, pour<br />

procé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong> vastes dénombrements, la thématologie <strong>de</strong>vrait<br />

aussi, à première vue, s'assurer les bénéfices du travail collectif.<br />

Dix chercheurs recueilleront bien plus d'allusions à Prométhée ou<br />

à Orphée qu'un investigateur solitaire: à l'un le Moyen Age, à<br />

l'autre le XVIII e siècle, à celui-ci la France, à celui-là<br />

l'Allemagne... Cela va sans dire, mais le travail en groupe s'arrête<br />

à la collecte <strong>de</strong>s textes et, nous l'avons vu, l'exhaustivité ne doit<br />

pas <strong>de</strong>venir un... mythe. La synthèse, elle, exige une vision<br />

d'ensemble, suppose une unité <strong>de</strong> conception qui assure la continuité<br />

<strong>de</strong> l'explication l57 .<br />

Toutes les questions soulevées ici, cela va <strong>de</strong> soi, ne se poseront<br />

sans doute pas toujours en même temps pour tous les thèmes : on<br />

peut fort bien concevoir, par exemple, que la mise en rapport avec<br />

l'actualité n'apprenne rien, ou encore que l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s sources et<br />

<strong>de</strong>s influences se révèle quelquefois moins enrichissante et moins<br />

complexe que dans les cas évoqués. Nous croyons cependant que<br />

l'on gagnera à respecter sans restriction quelques-uns <strong>de</strong>s principes<br />

énoncés qui constituent la base indispensable d'un travail<br />

satisfaisant : ainsi du dépassement <strong>de</strong> la nomenclature et <strong>de</strong> la simple<br />

comparaison littéraire, ainsi encore <strong>de</strong> la nécessité d'une extension<br />

<strong>de</strong> l'enquête dans l'espace et le temps. Tous les thèmes, du<br />

reste, ne sont pas appelés non plus à fournir la matière d'étu<strong>de</strong>s<br />

également riches ; habent suafata libelli: les thèmes aussi, qui ont<br />

leurs parents pauvres. Nous sommes persuadé néanmoins que, en<br />

dépit <strong>de</strong> la diversité <strong>de</strong>s cas, il y aura toujours intérêt à essayer sur<br />

un thème les propositions <strong>de</strong> recherche définies dans ces pages,<br />

parce qu'elles forment un ensemble, un tout organique où chaque


EN GUISE DE CONCLUSION 121<br />

élément s'enchaîne au précé<strong>de</strong>nt et dépend <strong>de</strong> lui : c'est par <strong>de</strong>s<br />

dénombrements minutieux qu'on parviendra à établir la continuité<br />

réelle <strong>de</strong> la tradition littéraire ; les apports individuels ressortiront<br />

d'autant mieux que sera faite la part <strong>de</strong>s sources et <strong>de</strong>s<br />

influences, lesquelles, à leur tour, ne révéleront leur richesse et<br />

leur multiplicité que dans une large extension dans le temps et<br />

l'espace qui, restituant à l'enquête thématologique sa dimension<br />

propre, permettra <strong>de</strong> mieux définir et expliquer les préférences<br />

d'époques et <strong>de</strong> nations. Ainsi l'étu<strong>de</strong> d'un thème apparaît-elle<br />

comme une mosaïque compliquée, où chaque pierre a sa place et<br />

sa signification.<br />

Nous croyons donc ces principes essentiels. Répétons-le cependant,<br />

il y a plus important que <strong>de</strong> les respecter et <strong>de</strong> les suivre, surtout<br />

aveuglément : nous souhaitons plutôt, aujourd'hui comme il<br />

y a quinze ans, qu'ils fassent naître en l'amateur <strong>de</strong> thématologie<br />

une réflexion personnelle sur la matière qu'il traite, qu'ils lui servent<br />

à ébaucher, en quelque sorte, une philosophie <strong>de</strong> sa discipline<br />

qui le conduira à dépasser l'enquête myope au profit d'une conception<br />

humaniste soucieuse <strong>de</strong> n'établir la matérialité <strong>de</strong>s fais que<br />

pour dégager d'eux la leçon supérieure et continue dont ils sont<br />

l'expression fragmentaire et occasionnelle. Ce souci, qui est celui<br />

<strong>de</strong> la monographie intelligente, doit l'être plus encore d'un type <strong>de</strong><br />

travail qui requiert constamment la synthèse et la vue d'ensemble.<br />

Que la thématologie ait déjà cessé d'être considérée comme juste<br />

digne <strong>de</strong> « fournir <strong>de</strong>s dissertations inaugurales à <strong>de</strong>s candidats au<br />

doctorat qui ne sont bons qu'à amasser <strong>de</strong>s fiches » I58 , que peuton<br />

souhaiter <strong>de</strong> mieux, et pour elle-même et pour les étu<strong>de</strong>s littéraires<br />

en général ?<br />

Bref, ces quelques principes observés — et peut-être d'autres<br />

encore que nous n'avons pas su découvrir — la thématologie se<br />

définira, non comme une discipline auxiliaire ou secondaire, non<br />

comme un amusement <strong>de</strong> l'esprit ou une collation <strong>de</strong> disparates<br />

arbitrairement réunies, mais comme un genre en soi, qui s'inscrit<br />

évi<strong>de</strong>mment dans les cadres <strong>de</strong> la littérature comparée, mais con-


122 THÈMES ET MYTHES<br />

tient cependant ses exigences particulières et peut prétendre à<br />

l'autonomie.<br />

Peut-être verra-t-on mieux alors combien elle est richesse et<br />

complexité puisque, essentiellement humaniste, elle exclut le cloisonnement<br />

stérile entre les époques littéraires et entre les littératures,<br />

entre la littérature et les autres arts. Peut-être même pourra-telle<br />

constituer un excellent terrain <strong>de</strong> rencontre et favoriser un<br />

oecuménisme <strong>de</strong>s disciplines, trop souvent schismatiques.<br />

Le thème est un fil conducteur, éternel à travers la durée, qui se<br />

charge, au long <strong>de</strong>s siècles, <strong>de</strong> tout le butin artistique et philosophique<br />

amassé, sur sa route illimitée, par l'aventurier humain ;<br />

c'est pourquoi il préserve et restitue à travers ses innombrables<br />

transmutations, quelques constantes, quelques préoccupations<br />

fondamentales, en un mot quelque chose <strong>de</strong> l'essentiel <strong>de</strong> la nature<br />

humaine.<br />

De là peut-être la possibilité d'une question passionnante, mais<br />

qui dépasse le cadre <strong>de</strong> cet essai : pourquoi les mêmes thèmes<br />

reviennent-ils <strong>de</strong> génération en génération ? Jadis l'imitation était<br />

un principe d'art, et l'on écrivait une Iphigénie d'après Euripi<strong>de</strong>,<br />

un Agamemnon d'après Eschyle. Mais aujourd'hui, on n'« imite »<br />

plus et pourtant Amphitryon survit, comme Oreste, comme Electre,<br />

comme Ulysse. Et cela sous-entend sans doute toute une théorie<br />

<strong>de</strong> la création littéraire, et même toute une théorie <strong>de</strong>s archétypes<br />

mentaux ou existentiels. L'étu<strong>de</strong> d'un thème, <strong>de</strong> ses emplois,<br />

<strong>de</strong> ses acceptions, pourrait ai<strong>de</strong>r à l'édifier.<br />

On s'accor<strong>de</strong> volontiers à penser que la thématologie constitue<br />

un secteur déjà bien exploré du comparatisme 159 et quelques centaines<br />

<strong>de</strong> dissertations et d'articles semblent confirmer cette opinion.<br />

On peut douter cependant <strong>de</strong> l'efficacité <strong>de</strong> certaines <strong>de</strong> ces<br />

étu<strong>de</strong>s anciennes, non seulement à cause du réel discrédit que telles<br />

d'entre elles, trop ambitieuses ou trop pauvres, ont contribué à<br />

jeter sur la discipline, mais aussi parce que rares sont celles qui ont<br />

donné au sujet traité une ampleur suffisante, un approfondissement<br />

assez minutieux. Certes, Don Juan et Faust continuent, mal-


EN GUISE DE CONCLUSION 123<br />

gré les beaux travaux <strong>de</strong> Gendarme <strong>de</strong> Bévotte, L. Weinstein, Ch.<br />

Dédéyan, A. Dabezies ou J. Rousset, à tenter les chercheurs : ils<br />

rassurent par l'abondance <strong>de</strong>s chefs-d'œuvre qu'ils ont suscités.<br />

Mais il était temps, précisément, non pas peut-être <strong>de</strong> renoncer<br />

une fois pour toutes à ces cobayes classiques <strong>de</strong> la thématologie,<br />

mais au moins <strong>de</strong> se souvenir que nombre <strong>de</strong> thèmes atten<strong>de</strong>nt<br />

encore une étu<strong>de</strong> exhaustive, que <strong>de</strong> vastes domaines sont toujours<br />

inexplorés ou laissés en friche après les premiers coups <strong>de</strong><br />

pioche.<br />

D'aucuns ont assurément connu un certain succès : conflits tragiques<br />

saisissants, comme ceux d'Agamemnon, d'Oreste, <strong>de</strong><br />

Médée, d'Inès <strong>de</strong> Castro, <strong>de</strong> Sophonisbe ; lieux poétiques éternels,<br />

qu'évoquent Amour et Psyché, Icare, Tristan. Mais il s'agit trop<br />

souvent <strong>de</strong> dissertations qui n'ont pas même connu les honneurs<br />

<strong>de</strong> la publication, ou d'enquêtes fragmentaires limitées à quelques<br />

auteurs, à une ou <strong>de</strong>ux littératures, à telle époque donnée, ou<br />

encore d'explorations audacieusement menées in <strong>de</strong>r Weltliteratur<br />

et qui ne sont, en fait, que <strong>de</strong>s survols et <strong>de</strong>s nomenclatures. Plusieurs<br />

d'entre elles sont à compléter, à préciser, à élargir ou, tout<br />

simplement, à refaire.<br />

D'autres thèmes offrent un champ d'exploitation presque<br />

vierge, oubliés ou dédaignés d'un panthéon innombrables qui promettent<br />

cependant <strong>de</strong> passionnantes recherches. Que l'on songe<br />

aux grands héros <strong>de</strong> la Bible : à Adam et Eve au Moyen Age, puis<br />

<strong>de</strong> Hans Sachs à Lipiner, <strong>de</strong> Lope <strong>de</strong> Vega à Strindberg, d'Imre<br />

Madach à W. Whitman 160 ; à Samson <strong>de</strong> S. Brant à H. Bernstein,<br />

<strong>de</strong> Milton à We<strong>de</strong>kind, <strong>de</strong> Pallavicini à Von<strong>de</strong>l 161 ; à Saùl, du Mistère<br />

du viel Testament à Gi<strong>de</strong>, <strong>de</strong> Des Masures à Gutzkow, <strong>de</strong><br />

Byron à Lamartine 162 . Que l'on songe, aussi, à Judas, David,<br />

Job, Jésus... 163 .<br />

Pour les figures <strong>de</strong> la mythologie gréco-romaine, on attend toujours<br />

les enquêtes définitives sur Endymion, Hélène 164 , Iphigénie.<br />

Et que dire d'Hercule, animé par Euripi<strong>de</strong>, Sophocle, Sénèque, les<br />

Pères, Villena, Cinzio, Rotrou, Marmontel, Klinger, Schiller,


124 THÈMES ET MYTHES<br />

Goethe et cent autres 165 ! Quand saurons-nous l'histoire<br />

d'Orphée, la plus riche peut-être qui soit, la plus vaste aussi et la<br />

plus complexe, qui a suscité <strong>de</strong>s dizaines d'œuvres, <strong>de</strong>s centaines<br />

<strong>de</strong> poèmes, <strong>de</strong>s milliers d'allusions 166 ? Quand pourrons-nous suivre<br />

enfin les tribulations d'Ulysse, l'éternel voyageur, dans sa<br />

quête millénaire 167 ? Et faisons bon marché encore <strong>de</strong>s géants <strong>de</strong><br />

l'histoire dont on ignore la véritable fortune littéraire européenne:<br />

Jeanne d'Arc, Robespierre, Spartacus, Savonarole,<br />

Colomb ou Philippe II, toujours vivants, toujours encensés ou<br />

combattus ; et négligeons encore les Hamlet, les Francesca da<br />

Rimini, les Eulenspiegel et tant d'autres dont l'odyssée se tisse<br />

<strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s siècles et qui ont porté quelques-unes <strong>de</strong>s hautes pensées,<br />

quelques-uns <strong>de</strong>s espoirs, quelques-unes <strong>de</strong>s souffrances <strong>de</strong><br />

l'humanité. Tous atten<strong>de</strong>nt ces étu<strong>de</strong>s détaillées, attentives, que<br />

nous avons essayé <strong>de</strong> définir et <strong>de</strong> décrire dans les pages qui<br />

précè<strong>de</strong>nt 168 .<br />

Au prix <strong>de</strong> cet effort continu pour respecter et mettre en lumière<br />

la richesse et la polyvalence du thème, la thématologie pourra se<br />

révéler une discipline nécessaire et jeune, cousine <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong>s<br />

idées comme elle est fille <strong>de</strong> l'histoire littéraire. Elle apparaîtra<br />

également comme un exercice difficile, aussi éloignée <strong>de</strong> la poussiéreuse<br />

érudition que <strong>de</strong> la portée <strong>de</strong>s débutants, une tâche souvent<br />

exigeante et ardue, ingrate quelquefois, toujours exaltante et<br />

neuve, révélatrice <strong>de</strong> la vie secrète et forte <strong>de</strong>s hautes figures dont<br />

nous avons, siècle après siècle, fait nos doubles glorieux.


NOTES<br />

(1) «... per mettere in guardia contro i pericoli di questi lavori di confronto,<br />

prediletti dalla vecchia critica e che ora vengono <strong>de</strong>corati sovente col titolo,<br />

alquanto ambizioso, di studi di letteratura comparata». B. Croce, compte rendu<br />

<strong>de</strong> : Charles Ricci, Sophonisbe dans la tragédie classique italienne et française<br />

(Torino, G.B. Paravia, 1904), La Critica, II, 1904, p. 486.<br />

(2) P. VAN TIEGHEM, La littérature comparée, Paris, A. Colin, 1931, pp. 87-88.<br />

(3) ETIEMBLE, Comparaison n'est pas raison. La crise <strong>de</strong> la littérature comparée,<br />

Paris, Gallimard, 1963 («Les Essais», CIX), p. 80.<br />

(4) Il voyait dans les étu<strong>de</strong>s thématologiques un jeu qui peut aboutir « à <strong>de</strong>s rapprochements<br />

curieux, à <strong>de</strong>s différences amusantes » (« Les récents travaux en littérature<br />

comparée», Revue Universitaire, XXIII, 1914, p. 220).<br />

(5) «Plaidoyer pour la Stoffgeschichte», Revue <strong>de</strong> littérature comparée,<br />

XXXVIII,n° 1, 1964, pp. 101-114; Un problème <strong>de</strong> littérature comparée : les étu<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> thèmes. Essai <strong>de</strong> méthodologie, Paris, Lettres Mo<strong>de</strong>rnes, 1965.<br />

(6) A.-M. ROUSSEAU, «Vingt ans <strong>de</strong> littérature comparée en France», L'Information<br />

littéraire, nov.-déc. 1969, p. 201. Voir aussi : R. TROUSSON, «Les thèmes»,<br />

dans : Problèmes et métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l'histoire littéraire, Paris, A. Colin, 1974, pp. 28-<br />

35 (Actes du Colloque <strong>de</strong> la Société d'Histoire Littéraire <strong>de</strong> la France, 18 novembre<br />

1972).<br />

(7) A. DABEZIES, Visages <strong>de</strong> Faust au XX e siècle. Littérature, idéologie et<br />

mythes, Paris, P.U.F., 1967 ; Ch. KREUTZ, DOS Prometheussymbol in <strong>de</strong>r Dichtung<br />

<strong>de</strong>r Englischen Romantik, Gôttingen, Van<strong>de</strong>nhoeck und Ruprecht, 1963 ; L.<br />

PRÉMONT, Le mythe <strong>de</strong> Prométhée dans la littérature française contemporaine,<br />

Québec, Presses <strong>de</strong> l'<strong>Université</strong> Laval, 1964 ; J. DUCHEMIN, Prométhée, Paris, Belles<br />

Lettres, 1974; «Le mythe d'Orphée au XIX e et au XX e siècles». Cahiers <strong>de</strong><br />

l'Association Internationale <strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s Françaises, 22, 1970, pp. 137-248; B.<br />

JUDEN, Traditions orphiques et tendances mystiques dans le romantisme français,<br />

Paris, Klincksieck, 1971.<br />

(8) H.J. TSCHIEDEL, Phaedra und Hippolytus. Variationen eines tragischen<br />

Konfîikîes, Diss. Erlangen, 1969; R.R. HEITNER, «The Iphigenia in Tauris thème<br />

in the drama of the XVIIIth century», Comparative Literature, 1964, pp. 289-<br />

305 ; A. HAUSEN, Hiob in <strong>de</strong>r franzosischen Literatur, Bern-Frankfurt/M., Lang,<br />

1972; M.R. JUNG, Hercule dans la littérature française du XVI e siècle, Genève,<br />

Droz, 1966.


126<br />

THEMES ET MYTHES<br />

(9) R. TROUSSON, Socrate <strong>de</strong>vant Voltaire, Di<strong>de</strong>rot et Rousseau. La conscience<br />

en face du mythe, Paris, Lettres Mo<strong>de</strong>rnes, 1967 ; J. VERCRUYSSE, « Jeanne d'Arc<br />

au siècle <strong>de</strong>s Lumières », Studies on Voltaire and the Eighteenth century, XC,<br />

1972, pp. 1659-1729 ; M. DESCOTES, La légen<strong>de</strong> <strong>de</strong> Napoléon et les écrivains français<br />

du XIX e siècle, Paris, Lettres Mo<strong>de</strong>rnes, 1967 ; J. TULARD, Le mythe <strong>de</strong> Napoléon,<br />

Paris, A. Colin, 1971 ; G.P. KNAPP, «Robespierre. Prolegomena zu einer<br />

Stoffgeschichte <strong>de</strong>r Franzôsischen Révolution», dans: Elemente <strong>de</strong>r Literatur.<br />

Beitrâge zur Stoff-, Motiv- und Themenforschung. Elisabeth Erenzel zum 65.<br />

Geburtstag, Stuttgart, Krôner, 1980, 2 vol., t. I, pp. 129-154; H.G. BROMFIELD,<br />

De Lorenzino <strong>de</strong> Médicis à Lorenzaccio. Etu<strong>de</strong> d'un thème historique, Paris,<br />

Didier, 1972.<br />

(10) P. BRUNEL, Le mythe d'Electre, Paris, A. Colin, 1971 ; A. DABEZIES, Le<br />

mythe <strong>de</strong> Faust. Ibid., 1972; S. FRAISSE, Le mythe d'Antigone. Ibid., 1974; C.<br />

ASTIER, Le mythe d'Oedipe. Ibid., 1974; J. ROUSSET, Le mythe <strong>de</strong> Don Juan.<br />

Ibid., 1978.<br />

(11) L. VINGE, The Narcissus thème in Western European Literature up to the<br />

early I9th century, Lund, Gleerups, 1967 ; Y.F.-A. GIRAUD, La fable <strong>de</strong> Daphné,<br />

Genève, Droz, 1969.<br />

(12) M. BELLER, Philemon und Baucis in <strong>de</strong>r europàischen Literatur, Hei<strong>de</strong>lberg,<br />

C. Winter, 1967 ; ÏD., Jupiter tonans. Studien zur Darstellung <strong>de</strong>r Macht in<br />

<strong>de</strong>r Poésie. Ibid., 1979; H. ANTON, Der Raub <strong>de</strong>r Proserpina. Ibid., 1967; H.<br />

DORRIE, Die schone Galatea, Mùnchen, Francke Verlag, 1968; ID., Pygmalion,<br />

West<strong>de</strong>utscher Verlag Opla<strong>de</strong>n, 1974. Voir aussi A. DINTER, Der Pygmalion-Stoff<br />

in <strong>de</strong>r europàischen Literatur. Rezeptionsgeschichte einer Ovid-Fabel, Hei<strong>de</strong>lberg,<br />

C. Winter, 1979.<br />

(13) Y.F.-A. GIRAUD, op. cit., p. 7.<br />

(14) Cl. PiCHOiset A.-M. ROUSSEAU, La littérature comparée, Paris, 1967, pp.<br />

145-154; S. JEUNE, Littérature générale et littérature comparée, Paris, Lettres<br />

Mo<strong>de</strong>rnes, 1968, pp. 61-71 ; J. BRANDT-CORSTIUS, Introduction to the comparative<br />

study of literature, New York, Random House, 1968, pp. 115-127 ; U. WEISSTEIN,<br />

Einfuhrung in die vergleichen<strong>de</strong> Literaturwissenschaft, Stuttgart, 1968, pp. 163-<br />

183 ; H. LEVIN, «Thematics and criticism », dans : Essays in literary theory, interprétation<br />

and history, New Haven and London, 1968, pp. 125-145 ; F. JOST, Introduction<br />

to comparative literature, New York, The Bobbs-Merril Company, 1974,<br />

pp. 175-187 ; H. DYSERINCK, Comparatistik. Fine Einfuhrung, Bonn, Bouvier Verlag,<br />

H. Grundmann, 1977, pp. 102-112.<br />

(15) E. FRENZEL, Stoff- und Motivgeschichte, Berlin, E. Schmidt Verlag, 1966 ;<br />

Stoffe <strong>de</strong>r Weltliteratur, 4. Auflag. Stuttgart, Krôner, 1976 ; Motive <strong>de</strong>r Weltliteratur.<br />

Ibid., 1976.<br />

(16) Cl. PiCHOiset A.-M. ROUSSEAU, op. cit., p. 153.<br />

(17) Le thème <strong>de</strong> Prométhée dans la littérature européenne, Genève, Droz,<br />

1964, 2 vol. (2 e édition augmentée, 1976).


NOTES 127<br />

(18) Cf. « Stoff- und Motivgeschichte », dans : Deutsche Philologie itn Aufriss,<br />

Berlin, E. Schmidt Verlag, 1957-1960, 2 vol., t. I, pp. 281-332. Avec quelques<br />

remaniements, ce texte a paru sous le titre : Stoff-, Motiv- und Symbolforschung,<br />

Stuttgart, J.B. Metzlersche Verlagsbuchhandlung, 1963 (4 e éd. 1978).<br />

(19) Elle est signalée par E. FRENZEL {Stoff- und Motivgeschichte, p. 11), M.<br />

BELLER («Von <strong>de</strong>r Stoffgeschichte zur Thematologie », Arcadia, V, 1970, pp. 1-<br />

38), A.J. BISANZ (« Zwischen Stoffgeschichte und Thematologie », Arcadia, VIII,<br />

1973, pp. 148-166).<br />

(20) F. DE SAUSSURE, Cours <strong>de</strong> linguistique générale, Ed. crit. Wiesba<strong>de</strong>n, 1968,<br />

p. 42.<br />

(21) M. BELLER {Von <strong>de</strong>r Stoffgeschichte zur Thematologie, p. 36): «Da<br />

' Stoff ' auf die Materialbeziehung beschrânkt bleibt, ' Thema ' dagegen sowohl die<br />

Stoffbehandhing umfassen als auch ' Materie ' nàher bestimmen kann, ergibt das<br />

allgemeine sprachliche Verstàndnis unserer Begriffe : ' Stoff ' ist nicht gleich<br />

'Thema', aber 'Thema' schliesst 'Stoff mit ein». Aussi: J. SCHULZE, «Geschichte<br />

o<strong>de</strong>r Systematik ? », Arcadia, X, 1975, pp. 76-82; H. LEVIN, op. cit., p.<br />

128.<br />

(22) M. ELIADE, Mythes, rêves et mystères, Paris, 1957, p. 18; Aspects du<br />

mythe, Paris, 1962, p. 15; M. DELCOURT, Oedipe ou la légen<strong>de</strong> du conquérant,<br />

Paris, 1944, p. 223.<br />

(23) Cf. H.J. ROSE, Oxford classical dictionary, Oxford, 1970: «a prescientific<br />

and imaginative attempt to explain some phenomenon, real or supposed,<br />

which excites the curiosity of the myth-maker ».<br />

(24) K.K.RUTHWEN, Myth, London, 1976, p. 18.<br />

(25) D. DE ROUGEMONT, L'amour et l'Occi<strong>de</strong>nt (Paris, 1939, p. 4) : « Le mythe<br />

paraît lorsqu'il serait dangereux ou impossible d'avouer clairement un certain<br />

nombre <strong>de</strong> faits sociaux ou religieux, ou <strong>de</strong> relations affectives » ; M. SAUVAGE, Le<br />

cas Don Juan (Paris, 1953, p. 183) : « Pour qu'il y ait mythe, il faut une croyance<br />

qui ne puisse s'affirmer ouvertement ».<br />

(26) R. BARTHES, Sur Racine, Paris, 1963, p. 68. On pourrait en ajouter: «Le<br />

mythe est un récit allégorique, qui fait partie d'un système à la fois religieux et poétique»<br />

(H. MORIER, Dictionnaire <strong>de</strong> poétique et <strong>de</strong> rhétorique, Paris, 1961, p.<br />

265) ; ou bien : « exposition d'une idée ou d'une doctrine sous une forme volontairement<br />

poétique et quasi religieuse, où l'imagination se donne carrière et mêle ses<br />

fantaisies aux vérités sous-jacentes » (LALANDE, Vocabulaire technique et critique<br />

<strong>de</strong> la philosophie, 7 e éd., Paris, 1956), etc.<br />

(27) Mythes et mythologies dans la littérature française, Paris, 1969.<br />

(28) « Le mythe peut fort bien être présent en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> tout récit : il est là, sur le<br />

vase grec qui représente Ulysse tenté par la voix <strong>de</strong>s Sirènes, dans une image qui<br />

tout au plus fait référence à un récit » (P. BRUNEL, « Le mythe et la structure du<br />

texte», Revue <strong>de</strong>s Langues Vivantes, XLIII, 1977, p. 519). Du reste, P. Albouy est


128 THÈMES ET MYTHES<br />

conduit à le reconnaître lui-même : « Si le mythe est toujours un récit, il peut, chez<br />

les mo<strong>de</strong>rnes, l'être seulement par allusion; ainsi le mythe <strong>de</strong> Narcisse, dès le<br />

Moyen Age, va réduisant le récit pour laisser la plus gran<strong>de</strong> place à la situation <strong>de</strong><br />

l'éphèbe se mirant et languissant » (« Quelques gloses sur la notion <strong>de</strong> mythe littéraire»,<br />

dans: Mythographies, Paris, 1976, p. 267). En fait, au cours <strong>de</strong> l'évolution,<br />

il y a presque toujours tendance à déplacer l'accent <strong>de</strong> la situation au héros.<br />

(29) A. DABEZIES ( Visages <strong>de</strong> Faust au XX e siècle, p. 23) observe très justement :<br />

«Que le poète accepte <strong>de</strong> vivre intensément l'aventure intérieure définie par un<br />

schéma donné, cela ne le mène pas encore à formuler un mythe, mais simplement<br />

une symbolique qui lui reste personnelle ».<br />

(30) C'est aboutir à une regrettable confusion ; le mythe est une référence collective,<br />

il est étiologique pour un groupe, alors que l'utopie est un essai <strong>de</strong> solution<br />

individuelle à une situation donnée. Cf. R. TROUSSON, Voyages aux Pays <strong>de</strong> Nulle<br />

part. Histoire littéraire <strong>de</strong> la pensée utopique, 2 e éd., <strong>Bruxelles</strong>, 1979.<br />

(31) J.-P. VERNANT et P. VIDAL-NAQUET, Mythe et tragédie dans la Grèce<br />

ancienne, Paris, 1973, p. 7. Cf. aussi A. DABEZIES, «Mythes romantiques et<br />

mythes d'aujourd'hui. Quelques exemples », Revue <strong>de</strong>s Langues Vivantes, XLIII,<br />

1977, pp. 463-467.<br />

(32) Cf. K.K. RUTHWEN, op. cit., p. 58.<br />

(33) R. CAILLOIS, Le mythe et l'homme, Paris, 1958, p. 181.<br />

(34) Rappelons, entre autres tentatives, celles <strong>de</strong> A. CHRISTENSEN (Motif et<br />

thème. Plan d'un dictionnaire <strong>de</strong>s motifs <strong>de</strong> contes populaires, <strong>de</strong> légen<strong>de</strong>s et <strong>de</strong><br />

fables, Helsinki, Aca<strong>de</strong>mia Scientiarum Fennica, 1925), P. MERKER («Stoff»,<br />

« Stoffgeschichte », in : Reallexikon <strong>de</strong>r <strong>de</strong>utschen Literaturgeschichte, Berlin, W.<br />

<strong>de</strong> Gruyter, 1928-1929, 4 vol., t. III, p. 307), J. PETERSEN (Die Wissenschaft von<br />

<strong>de</strong>r Dichtung, Berlin, Jûnker und Dùnnhaupt, 1944, pp. 110-112), W. KAYSER<br />

(Dos sprachliche Kunstwerk, 7. AufL, Bern und Mùnchen, Francke Verlag, 1961,<br />

pp. 59-60). E. Frenzel a fait l'historique <strong>de</strong> ces discussions (cf. Stoff-, Motiv- und<br />

Symbolforschung, pp. 21-32).<br />

(35) J.-P. Vernant a très justement attiré l'attention sur les risques d'interprétation<br />

psychanalytique <strong>de</strong> la tragédie grecque. Pour Freud, dans Die Traum<strong>de</strong>utung<br />

(1900), Oedipe-Roi n'est pas une tragédie <strong>de</strong> la fatalité, mais la représentation du<br />

désir parrici<strong>de</strong> et incestueux <strong>de</strong> notre enfance, que nous nous efforcions d'oublier.<br />

En fait, la théorie freudienne, élaborée à partir <strong>de</strong> cas cliniques mo<strong>de</strong>rnes, cherche<br />

sa confirmation dans un texte d'une autre époque et situé dans un tout autre contexte.<br />

L'induction <strong>de</strong> Freud suppose évi<strong>de</strong>nt ce qu'il eût fallu préalablement<br />

démontrer (J.-P. VERNANT et P. VIDAL-NAQUET, op. cit., p. 78).<br />

(36) Cf. E. SAUER, « Die Verwertung stoffgeschichtlicher Metho<strong>de</strong>n in <strong>de</strong>r Literaturforschung»,<br />

Euphorion, XXIX, 1928, p. 225. P. Merker (op. cit., p. 307)<br />

résume très bien cette conception en rappelant que «E. Sauer [...] vertreten hat,<br />

die bei<strong>de</strong>n Begriffe Motiv und Stoff im literarwissenschathchen Gebrauche dahin


NOTES 129<br />

abzugrenzen, dass Motiv die allgemeinere thematische Vorstellung umfasst, wàhrend<br />

das Wort 'Stoff die beson<strong>de</strong>re Anwendungs- und Auspràgungsart<br />

darstellt ». Dans le même sens, mais à propos <strong>de</strong> la musique, Littré note que le<br />

motif est « la phrase du chant qui domine dans tout le morceau », et que le thème<br />

est «un motif suffisamment caractérisé, qui peut servir <strong>de</strong> sujet [...} pour <strong>de</strong>s<br />

variations».<br />

(37) W. KAYSER, op. cit., p. 56 (« Der Stoff ist immer an bestimmten Figuren<br />

gebun<strong>de</strong>n, ist vorgangsmàssig und zeitlich und ràumlich mehr o<strong>de</strong>r weniger<br />

fixiert»). Comme le dit très bien M. Wehrli (AUgemeine Literaturwissenschaft,<br />

Bern, A. Francke, 1951, p. 104), Faust est motif dans la mesure où il donne lieu à<br />

un pacte diabolique, thème si on le considère comme l'histoire du seul docteur<br />

Faust (« Faust ist als Geschichte eines Teufelpaktes ein Motiv, als Geschichte vom<br />

Doktor Faustus ein Stoff»).<br />

(38) De même encore, le motif mé<strong>de</strong>cine a fourni <strong>de</strong> nombreux types <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins,<br />

<strong>de</strong> Diafoirus à Knock, sans se cristalliser cependant en un thème unique ; il<br />

n'y a pas non plus <strong>de</strong> tradition littéraire « fixée » qui unisse le Monsieur Fleurant<br />

<strong>de</strong> Molière, le Monsieur Homais <strong>de</strong> Flaubert et l'apothicaire bavard <strong>de</strong> Hermann<br />

und Dorothea. Comme le notait H. GOUHIER (Le théâtre et l'existence, Paris,<br />

Aubier, 1952, p. 141) : « Le type se définit non par l'absence d'individualité mais<br />

par la disparition <strong>de</strong> la personnalité engagée dans une histoire ».<br />

(39) Il va <strong>de</strong> soi que la distinction n'est pas toujours aussi facile à établir et que,<br />

dans certains cas, on peut passer <strong>de</strong> l'un à l'autre. Comme le note E. FRENZEL<br />

(Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, pp. 42-43), thème et motif peuvent se présenter<br />

parfois comme <strong>de</strong>s sta<strong>de</strong>s distincts <strong>de</strong> développement d'un organisme complexe,<br />

mais unique. (« Die Begriffe ' Stoffe ', ' Motiv ' und ' Symbol ' stehen als terminologische<br />

Bereiche zwar sachlich scheidbar nebeneinan<strong>de</strong>r, sind aber nicht<br />

nebeneinan<strong>de</strong>r existieren<strong>de</strong> Phànomene verschie<strong>de</strong>ner Herkunft, son<strong>de</strong>rn eher<br />

unterschiedliche Entwicklungstadien o<strong>de</strong>r Spielarten eines komplizierten Organismus<br />

»).<br />

(40) P. VAN TIEGHEM, op. cit., p. 88 ; cf. aussi R. WELLEK et A. WARREN,<br />

Theory of titerature, London, Cape, 1955, p. 39; R. WELLEK, Concepts ofcriticism,<br />

New Haven, Yale University Press, 1963, p. 57 ; W. KAYSER, op. cit., p. 58.<br />

(41) M.-F. GUYARD, La littérature comparée, 3 e éd., Paris, P.U.F., 1961, p. 49.<br />

(42) R. VIVIER, Frères du ciel. Quelques aventures poétiques d'Icare et <strong>de</strong> Phaéton,<br />

<strong>Bruxelles</strong>, La Renaissance du Livre, 1962, p. 8; cf. aussi H.H.H. REMAK,<br />

«Comparative literature, its définition and function», in: Comparative Literature:<br />

method and perspective, Edited by N.P. Stallknecht and H. Frenz, Southern<br />

Illinois University Press, 1961, p. 8.<br />

(43) Aussi K.T. Wais était-il très conscient d'étudier un motif et non un thème<br />

en suivant l'opposition père-fils dans la littérature, puisque, <strong>de</strong> Walter von <strong>de</strong>r<br />

Vogelwei<strong>de</strong> à M. Barrés, <strong>de</strong> Lope <strong>de</strong> Vega à Emile Augier, <strong>de</strong> Hans Sachs à H.


130<br />

THÈMES ET MYTHES<br />

Bor<strong>de</strong>aux en passant par Grabbe, Klinger, Immermann, Wil<strong>de</strong>nbruch ou Delgado,<br />

aucun <strong>de</strong> ces auteurs n'a créé une situation caractéristique appelée à fon<strong>de</strong>r une<br />

tradition, «une lignée littéraire» (cf. K.T. WAIS, DOS Vater-Sohn Motiv in <strong>de</strong>r<br />

Dichtung bis 1880, Berlin und Leipzig, W. <strong>de</strong> Gruyter, 1931 ; 1880-1930, Berlin<br />

und Leipzig, W. <strong>de</strong> Gruyter, 1931).<br />

(44) E. SAUER, op. cit., p. 223 («Nehme ich das hinter <strong>de</strong>m Stoffe liegen<strong>de</strong><br />

Motiv, dann kann ich nicht mehr Literaturgeschichte, dann muss ich Menschheitsgeschichte<br />

schreiben »). Cf. aussi E. FRENZEL, Stoffe <strong>de</strong>r Weltliteratur, p. v.<br />

(45) P. VANTIEGHEM, op. cit., p. 96.<br />

(46) M.-F. GUYARD, op. cit., p. 53.<br />

(47) E. FRENZEL, Stoff-, Motiv- und Symboiforschung, p. 57.<br />

(48) M.-F. GUYARD, op. cit., p. 21.<br />

(49) W. KAYSER, op. cit., p. 58 (« Tatsàchlich ist damit nichts fur die kùnstlerische<br />

Auffassung und noch sehr wenig fur die literarhistorische getan. Die eigentliche<br />

Arbeît mùsste jetzt beginnen »).<br />

(50) Cf. J. KEUNEN, «Prometheus in <strong>de</strong> letteren», Kultuurleven, maart-april<br />

1946, pp. 203-206 ; H. ROUSSEAU, « Les métamorphoses <strong>de</strong> Pandore », Revue <strong>de</strong>s<br />

Sciences Humaines, OU, 1961, pp. 323-333. Cf. encore, par exemple, G. STORZ,<br />

« Jeanne d'Arc in <strong>de</strong>r europàischen Dichtung », Jahrbuch <strong>de</strong>r <strong>de</strong>utschen Schillergesellschaft,<br />

1962, pp. 107-148.<br />

(51) Cf. nos propres articles sur «Le mythe <strong>de</strong> Prométhée et <strong>de</strong> Pandore chez<br />

Ronsard» (Bulletin <strong>de</strong> l'Association Guliaume Budé, 1961, n° 3, pp. 351-359),<br />

«Ronsard et la légen<strong>de</strong> d'Hercule» (Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance,<br />

XXIV, 1962, pp. 77-87), «Quelques aspects du mythe <strong>de</strong> Prométhée dans l'œuvre<br />

poétique <strong>de</strong> Victor Hugo » (Bulletin <strong>de</strong> l'Association Guillaume Budé, 1963, n° 1,<br />

pp. 86-98).<br />

(52) Cf. L. CELLIER, «Le romantisme et le mythe d'Orphée», Cahiers <strong>de</strong><br />

l'Association Internationale <strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s Françaises, n° 10, 1958, pp. 138-157; A.<br />

BUCK, « Ueber einige Deutungen <strong>de</strong>s Prometheus-Mythos in <strong>de</strong>r Renaissance », in :<br />

Romanica. Festschrift fur G. Rohlfs, Halle, 1958, pp. 86-96; «Der Orpheus-<br />

Mythos in <strong>de</strong>r italienischen Renaissance », Krefeld, 1961 (« Schriften und Vortràge<br />

<strong>de</strong>s Petrarca-Instituts Kôln» 15), etc.<br />

(53) Cf. A. BUCHNER, Judas Ischariot in <strong>de</strong>r <strong>de</strong>utschen Dichtung vom Mittelalter<br />

zur Gegenwart, Freiburg, 1920 ; M.L. DE BRADI, Jeanne d'Arc dans la littérature<br />

anglaise, Paris, 1921 ; J.D. FITZGERALD, «La historia <strong>de</strong> Judit y Holofernes<br />

en la literatura espanola», Hispania, 14, 1931 ; W. NEWTON, Le thème <strong>de</strong> Phèdre<br />

et d'Hippolyte dans la littérature française, Diss. Paris, 1939; P. NEWMAN-<br />

GORDON, Hélène <strong>de</strong> Sparte. La fortune du mythe en France, Paris, 1968, etc.<br />

(54) C. GRILLET, La Bible dans Victor Hugo, Lyon, E. Vitte, 1910; A. PY, Les<br />

mythes grecs dans la poésie <strong>de</strong> Victor Hugo, Genève, Droz, 1963.


NOTES 131<br />

(55) Et pas seulement la thématologie. J. Starobinski le rappelait à propos <strong>de</strong>s<br />

étu<strong>de</strong>s littéraires en général : « Le positivisme <strong>de</strong> la fiche [...] est loin <strong>de</strong> satisfaire<br />

aux exigences mêmes <strong>de</strong> la science positive ; seul un positivisme à la petite semaine,<br />

sans vigueur et sans fécondité, se croit dispensé <strong>de</strong> réfléchir sur sa métho<strong>de</strong> et sur<br />

ses fins » (« Les directions nouvelles <strong>de</strong> la recherche critique », Cahiers <strong>de</strong> l'Association<br />

Internationale <strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s Françaises, n° 16, 1964, p. 124).<br />

(56) H. LE MAÎTRE, Essai sur le mythe <strong>de</strong> Psyché dans la littérature française,<br />

Paris, Boivin, 1946, p. 4.<br />

(57) Ch. RICCI, op. cit., p. 5.<br />

(58) F. BALDENSPERGER, « Littérature comparée : le mot et la chose », Revue <strong>de</strong><br />

Littérature Comparée, I, 1921, p. 23. Même opinion sur la discontinuité <strong>de</strong> la tradition<br />

chez R. Wellek et A. Warren (op. cit., p. 272). « L'histoire d'un thème sera<br />

nécessairement composée <strong>de</strong> morceaux discontinus », disait déjà P. VANTIEGHEM<br />

(«La notion <strong>de</strong> littérature comparée», Revue du Mois, I, 1906, p. 280).<br />

(59) H. BROCHER, Le mythe du héros et la mentalité primitive, Paris, 1932, p.<br />

31.<br />

(60) R. CAILLOIS, Le mythe et l'homme, p. 27.<br />

(61) D. DE ROUGEMONT, Op. cit., p. 5.<br />

(62) Op. cit., pp. 27-28.<br />

(63) On s'en convaincra en lisant <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s consacrées pourtant à la seule<br />

pério<strong>de</strong> médiévale, comme celle, remarquable, <strong>de</strong> P. SAGE, Hercule et le Christianisme<br />

(Publications <strong>de</strong> la Fac. <strong>de</strong>s Lettres <strong>de</strong> l'Univ. <strong>de</strong> Strasbourg. Série : « Art et<br />

Littérature» 19, Paris, 1955) ou celle <strong>de</strong> F.PFISTER, «Herakles und Christus»<br />

(Archiv fur Religionswissenschaft, Bd. XXXIV, Heft 1/2, pp. 49-60).<br />

(64) Un exemple, qui certes est loin d'être unique : sur le thème d'Antigone, E.<br />

FRENZEL (Stoffe <strong>de</strong>r Weltliteratur, pp. 45-47) signale quinze œuvres. Un recensement<br />

plus poussé (cf. S. Fraisse) en révèle une bonne cinquantaine.<br />

(65) «Stoffe und Motive haben gewisse Charakteristiken, die sie dieser o<strong>de</strong>r<br />

jener literarischen Gattung zuordnen. (...) Daher ist es durchaus môglich, die Geschichte<br />

eines Stoffes o<strong>de</strong>r eines Motives nur innerhalb einer Gattung zu verfolgen,<br />

sobald ein innerer Zusammenhang zwischen Stoff und Gattung festgestellt wer<strong>de</strong>n<br />

kann» («Stoff- und Motivgeschichte», p. 310; cf. aussi Stoff-, Motiv- und<br />

Symbolforschung, p. 81).<br />

(66) S. JEUNE, op. cit., p. 24.<br />

(67) Cf. U. WEISSTEIN, op. cit., pp. 184-197.<br />

(68) Ce complément fait cependant défaut au livre très fouillé <strong>de</strong> E. LEUBE, Fortuna<br />

in Karthago. Die Aeneas-Dido-Mythe Vergils in <strong>de</strong>n romanischen Literaturen<br />

vom 14. bis zum 16. Jahrhun<strong>de</strong>rt, Hei<strong>de</strong>lberg, 1969.<br />

(69) Y.F.-A. GIRAUD, op. cit., p. 7.


132<br />

THÈMES ET MYTHES<br />

(70) L. VINGE, op. cit., p. 48 : « In my opinion the literary material may possibly<br />

contribute to the interprétation of the workd of art, but the opposite is hardly possible.<br />

The history of art, however, can contribute indirectly to the history of literary<br />

thèmes in so far as new material is <strong>de</strong>rived from literature for illuminating a<br />

picture ».<br />

(71) «Queste ricerche sono di mera erudizione, e non si prestano mai ad una<br />

trattazione organica. Esse non ci conducono mai, da sole, a compren<strong>de</strong>re un'opera<br />

letteraria, non ci fanno penetrare mai nel vivo délia creazione artistica. Il loro<br />

subietto non è la genesi estetica <strong>de</strong>ll'opera letteraria ; ma o la storia esterna<br />

<strong>de</strong>ll'opéra già formata (vicen<strong>de</strong>, traduzioni, imitazioni, etc.), o un frammento <strong>de</strong>l<br />

vario materiale che ha contribuito a formarla (tradizione letteraria). I libri, che si<br />

tengono strettamente in quest'ordine di ricerche, prendono, di nécessita, la forma<br />

<strong>de</strong>l catalogo o délia bibliografia » (B. CROCE, « La ' letteratura comparata ' », La<br />

Critica, I, 1903, p. 78).<br />

(72) «Sie [die Stoffgeschichte] hat kein Werturteil, weil îhr ailes gleichwichtig<br />

sein muss». — E. SAUER, op. cit., p. 224. Cf. aussi J. STAROBINSKI, op. cit., p.<br />

138: «si l'on veut suivre dans le détail l'expansion d'un thème, [...] rien n'oblige à<br />

octroyer aux grands auteurs et aux œuvres réussies une situation privilégiée : les<br />

minores et les minuscules auront également droit à toute notre considération ».<br />

(73) W. KAYSER, op. cit., p. 59; cf. aussi R. WELLEK, «The crisis of comparative<br />

literature », Proceedings of the second Congress of the International Comparative<br />

Literature Association, University of North Carolina Press, Chapel Hill,<br />

1959, 2 vol., t. I, p. 152.<br />

(74) Op. cit., p. 23.<br />

(75) «C'est la priver en quelque sorte <strong>de</strong> sa troisième dimension, écrivait H.<br />

Roddier, que <strong>de</strong> l'étudier hors <strong>de</strong> tout contexte sociologique. On a peut-être trop<br />

oublié qu'à travers la multiplicité <strong>de</strong>s formes littéraires s'exprime l'âme <strong>de</strong> tout un<br />

peuple, ou même d'un groupe <strong>de</strong> peuples. N'étudier que la forme en soi, c'est le<br />

plus souvent ne considérer que les qualité du violon sans se soucier du violoniste. Si<br />

l'histoire <strong>de</strong> l'art apporte <strong>de</strong>s révélations essentielles sur l'évolution <strong>de</strong> l'humanité,<br />

que dire <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong>s littératures ? » (« De l'emploi <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> génétique en<br />

littérature comparée », Proceedings of the second Congress of the International<br />

Comparative Literature Association, University of North Carolina Press, Chapel<br />

Hill, 1959, 2 vol., t. I, p. 123.<br />

(76) « Die individuelle Leistung <strong>de</strong>s Dichters gegenùber <strong>de</strong>r Macht <strong>de</strong>r Tradition<br />

zeigt sich bereits in <strong>de</strong>r Wahl <strong>de</strong>s Stoffes und danach in <strong>de</strong>ssen beson<strong>de</strong>rer Gestaltung<br />

durch Aen<strong>de</strong>rung, Auslese und neue Verknùpfung <strong>de</strong>r Motive » (E. FRENZEL,<br />

Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, p. 51).<br />

(77) F. DE BACKER, «Littérature comparée: questions <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>», Bulletin<br />

<strong>de</strong> l'Académie Royale <strong>de</strong> Belgique, Classe <strong>de</strong>s Lettres, 5 e série, t. XLV, 1959, p.<br />

209.


NOTES 133<br />

(78) R. DERCHE, Quatre mythes poétiques (Oedipe - Narcisse - Psyché -Lorelei),<br />

Paris, Se<strong>de</strong>s, 1962, pp. 6-7. Un même souci animait le travail <strong>de</strong> H. Grâce Zagona,<br />

dont le seul titre fait apparaître l'importance, pour ce thème particulier, <strong>de</strong> la formulation<br />

esthétique : The legend ofSalome and the principle of Art fort Art's sake<br />

(Genève, Droz, 1960). Aussi insistait-elle sur le rôle <strong>de</strong> «révélateur» du thème:<br />

« Never does the artist's manner émerge so clearly as when his treatment of a traditional<br />

subject is closely studied. For this reason the comparison of diverse treatments<br />

of a single thème can be most significant and illuminating. Few literary projetas<br />

offer such excellent opportunity to follow the processes of artistic minds and<br />

few bring one so near to that unattainable idéal of perceiving the form of a work in<br />

its relationship to the subject matter» (p. 11).<br />

(79) Concepts of criticism, pp. 256 et 285.<br />

(80) Ueber Shakespeares dramatische Kunst, 1839. Cité par R. WELLEK et A.<br />

WARREN, op. cit., p. 107.<br />

(81) L'expression littéraire dans l'œuvre <strong>de</strong> Mallarmé, Paris, 1947, p. 10.<br />

(82) Cf. Goethe, 2a éd. Bari, Laterza, 1921, p. 116: «Una poesia, quando<br />

diventa superiore a questo modo, cioè superiore a se stessa, discen<strong>de</strong> di grado<br />

corne poesia, e sarebbe da dire piuttosto, 'poesia inferiore' ».<br />

(83) Selected Essays, New York, 1932, pp. 115-116.<br />

(84) H. OSBORNE, Aesthetics and criticism, London, Routledge and Kegan<br />

Paul, 1955, p. 285. Cf. aussi P. DELBOUILLE, Poésie et Sonorités: la critique contemporaine<br />

<strong>de</strong>vant le pouvoir suggestif <strong>de</strong>s sons, Paris, P.U.F., 1961 («Bibliothèque<br />

<strong>de</strong> la Fac. <strong>de</strong> Philosophie et Lettres <strong>de</strong> l'Univ. <strong>de</strong> Liège » CLXIII), p. 228 : « Si<br />

la valeur suggestive <strong>de</strong>s sonorités existe, elle est nécessairement secondaire, soumise<br />

au sens ; elle ne peut exister sans lui et l'on ne peut pas oublier que l'essentiel<br />

<strong>de</strong> l'œuvre, le noyau d'où partent et où reviennent tous les effets, reste toujours le<br />

sens et ses suggestions ».<br />

(85) E. FRENZEL, Stoff- und Motivgeschichte (Berlin, 1966, pp. 152-153) : « Die<br />

Stoff- und Motivgeschichte kann sowohl literar-historische als auch literarpsychologische<br />

und poetoiogische Ergebnisse zeitigen. Das Idéal wàre, dass in einer<br />

Arbeit auf aile drei zugesteuert wiir<strong>de</strong>, obwohl einem von ihnen <strong>de</strong>r Vorrang eingeràumt<br />

wird. Auch sollten neben <strong>de</strong>n grôsseren stoffgeschichtlichen Zusammenhàngen<br />

die Einheit <strong>de</strong>s Kunstwerks und das Antlitz <strong>de</strong>s Dichters noch sichtbar bleiben,<br />

die Langsschnitt-Technik also mit <strong>de</strong>r Querschnitt-Technik und <strong>de</strong>m personalmonographischen<br />

Aspekt kombiniert wer<strong>de</strong>n ». A.J. BISANZ (op. cit., p. 158) va dans<br />

le même sens : « So kann das Literaturhistorische, o<strong>de</strong>r das Geistesgeschichtliche,<br />

o<strong>de</strong>r das Poetoiogische niemals durch einer <strong>de</strong>r bei<strong>de</strong>n an<strong>de</strong>ren ersetzt, son<strong>de</strong>rn<br />

nur komplementiert wer<strong>de</strong>n».<br />

(86) Visages <strong>de</strong> Faust au XX e siècle, p. 24.<br />

(87) M. BELLER, Von <strong>de</strong>r Stoffgeschichte zur Thematologie, p. 37.


134 THEMES ET MYTHES<br />

(88) B. MUNTEANO, « Situation <strong>de</strong> la littérature comparée. Sa portée humaine et<br />

sa légitimité », Proceedings of the second Congress of International Comparative<br />

Literature Association, University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1959, 2<br />

vol., t. I, p. 130.<br />

(89) D. ANZIEU, «Freud et la mythologie», Inci<strong>de</strong>nces <strong>de</strong> la psychanalyse, I,<br />

1970, p. 124.<br />

(90) A.J. GREIMAS, «Eléments pour une théorie <strong>de</strong> l'interprétation du récit<br />

mythique», Communications, VIII, 1966, p. 29.<br />

(91) F. RASTIER, «La morale <strong>de</strong> l'histoire. Notes sur la Matrone d'Ephèse»,<br />

Latomus, XXX, 1971, pp. 1025-1056.<br />

(92) Cl. LÉVI-STRAUSS, La pensée sauvage, Paris, 1962, p. 31; M. MERLEAU-<br />

PONTY, «Sur la phénoménologie du langage», dans: Eloge <strong>de</strong> la philosophie,<br />

Paris, 1963, p. 97. Pour un exemple <strong>de</strong> ce type d'analyse, voir K. STIERLE,<br />

« Mythos als Bricolage und zwei Endstufen <strong>de</strong>s Prometheusmythos », dans : Terror<br />

und Spiel. Problème <strong>de</strong>s Mythenrezeption. Hrsg. von M. Fuhrmann, Mûnchen,<br />

1971, pp. 455-472. Ou encore D. BEYERLE, «Die feindlichen Brù<strong>de</strong>r von<br />

Aeschylus bis Alfieri» (I), dans: Aufsàtze zur Themen- und Motivgeschichte.<br />

Festschrift fur H. Petriconi, Hamburg, 1965, pp. 9-42; (II) Romanistisches Jahrbuch,<br />

XVI, 1965, pp. 77-93.<br />

(93) J.-P. VERNANTet P. VIDAL-NAQUET, op. cit., pp. 7-8.<br />

(94) CI. LÉVI-STRAUSS, Anthropologie structurale, Paris, 1958, p. 242.<br />

(95) Voir R. TROUSSON, « Le théâtre tragique grec au siècle <strong>de</strong>s Lumières », Studies<br />

on Voltaire and the Eighteenth century, CLV, 1976, pp. 2113-2136.<br />

(96) Cf. P. BRUNEL, Le mythe d'Electre, p. 45: «La diachronie reprend ses<br />

droits à partir du moment où l'on s'intéresse à la <strong>de</strong>stinée littéraire du mythe ».<br />

(97) «S'occuper <strong>de</strong> littérature comparée, écrivait P. Hazard, ce n'est pas se<br />

livrer au petit jeu <strong>de</strong>s comparaisons », Civilisation Française, sept. 1919, p. 346.<br />

(98) G. RUDLER, Les techniques <strong>de</strong> la critique et <strong>de</strong> l'histoire littéraire, Oxford,<br />

Impr. <strong>de</strong> l'<strong>Université</strong>, 1923, p. 160.<br />

(99) « Das Riickgrat <strong>de</strong>r Stoff- und Motivforschung » {Stoff-, Motiv- und Symbolforschung,<br />

p. 3).<br />

(100) H. PEYRE, L'influence <strong>de</strong>s littératures antiques sur la littérature française<br />

mo<strong>de</strong>rne: état <strong>de</strong>s travaux, Yale University Press, 1939, p. 10.<br />

(101) H. LE MAÎTRE, Essai sur le mythe <strong>de</strong> Psyché dans la littérature française,<br />

Paris, Boivin, 1946.<br />

(102) A. LOMBARD, Un mythe dans la poésie et dans l'art. L'enlèvement<br />

d'Europe, Neuchâtel, La Baconnière, 1946.<br />

(103) Cf. S. CORNIL, Inès <strong>de</strong> Castro. Contribution à l'étu<strong>de</strong> du développement<br />

du thème dans les littératures romanes, <strong>Bruxelles</strong>, 1952 (« Mémoires <strong>de</strong> l'Académie


NOTES 135<br />

Royale <strong>de</strong> Belgique, Classe <strong>de</strong>s Lettres et <strong>de</strong>s Sciences Morales et Politiques », t.<br />

XLVII, fasc. 2).<br />

(104) Nous avons abordé cette question dans : «Servitu<strong>de</strong> du créateur en face<br />

du mythe», Cahiers <strong>de</strong> l'Association Internationale <strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s Françaises, 20,<br />

1968, pp. 85-98.<br />

(105) «We hâve been too early acquainted with the poetical heroes to expect<br />

any pleasure from their revival ; to show them as they already hâve been shown, is<br />

to disgust by répétition ; to give them new qualities or new adventures, is to offend<br />

by violating received notions ». — S. JOHNSON, Lives of the Engtish poets, Nicholas<br />

Rowe, Ed. by G.B. Hill, Oxford, 1935, t. II, p. 68.<br />

(106) Nous avons étudié cette question <strong>de</strong> manière détaillée dans : «Montherlant<br />

et la légen<strong>de</strong> <strong>de</strong> Don Juan », Le Flambeau, 1962, 3-6, pp. 201-210.<br />

(107) Voir R. TROUSSON, « Franz Hellens et Goethe ou l'attraction du mythe »,<br />

Revue <strong>de</strong>s Langues Vivantes, XXIX, 1963, pp. 499-509.<br />

(108) T.S. ELIOT, « La fonction <strong>de</strong> la critique», dans : Essais choisis. Trad. par<br />

H. Fluchère, Paris, 1950, p. 39.<br />

(109) H.G. TAN, La matière <strong>de</strong> Don Juan et les genres littéraires, p. 113.<br />

(110) Cf. E. FRENZEL, Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, p. 44.<br />

(111) Encore ne l'avoue-t-il pas toujours. A propos d'Oedipe, on s'est référé<br />

pendant près d'un siècle à l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> L. CONSTANS, La légen<strong>de</strong> d'Oedipe étudiée<br />

dans l'antiquité, au moyen-âge et dans les temps mo<strong>de</strong>rnes (Paris, Maisonneuve,<br />

1881) dont le titre alléchant promet beaucoup plus qu'il ne tient, un coup d'ceil à la<br />

table <strong>de</strong>s matières suffit pour s'en convaincre : Antiquité, pp. 3-92 ; Moyen Age,<br />

pp. 93-372 ; Renaissance et temps mo<strong>de</strong>rnes, pp. 373-388 ! Il s'agit en fait d'une<br />

étu<strong>de</strong> approfondie du Roman <strong>de</strong> Thèbes.<br />

(112) R. VIVIER, op. cit., p. 7.<br />

(113) «Nach<strong>de</strong>m im Mittelalter <strong>de</strong>r spanische Dichter Can<strong>de</strong>ron <strong>de</strong>n Mythus in<br />

einem Drama behan<strong>de</strong>lt [...] hatte, ruhte <strong>de</strong>r Mythus bis zum En<strong>de</strong> <strong>de</strong>s 18. Jahrhun<strong>de</strong>rts<br />

» (O. MANN, Der Prometheus-Mythus in <strong>de</strong>r mo<strong>de</strong>rnen Dichtung, Programm<br />

<strong>de</strong>r Oberschule Frankfurt a.O., 1878, Nr 84, p. 7).<br />

(114) M. TRESCH, Prométhée et sa race, Satan, Cai'n et Faust dans la poésie.<br />

Ecole industrielle et commerciale <strong>de</strong> Luxembourg. Programme publié à la clôture<br />

<strong>de</strong> l'année scolaire 1908-1909, p. 49.<br />

(115) Cf. les articles <strong>de</strong> W. BUSKE, « Pygmaliondichtungen <strong>de</strong>s 18. Jahrhun<strong>de</strong>rts<br />

», Germanisch-romanische Monatsschrift, VII, 1915-1919, pp. 345-354 ; J.L.<br />

CARR, « Pygmalion and the Philosophes. The animated statue in Eighteenth Century<br />

France», Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, XXIII, 1960, pp.<br />

239-255.<br />

(116) E. KUSHNER, Le mythe d'Orphée dans la littérature française contemporaine,<br />

Paris, Nizet, 1962, p. 67.


136 THEMES ET MYTHES<br />

(117) Un simple coup d'œil à l'ouvrage si utile <strong>de</strong> L.-F. FLUTRE, Table <strong>de</strong>s noms<br />

propres avec toutes leurs variantes dans les romans du Moyen Age écrits en français<br />

ou en provençal (Poitiers, Centre d'étu<strong>de</strong>s supérieures <strong>de</strong> civilisation médiévale,<br />

1962) permettrait encore <strong>de</strong> relever <strong>de</strong>s citations, parfois très intéressantes,<br />

d'Orphée dans les romans <strong>de</strong> VEscouffe, <strong>de</strong> la Violette, d'Enéas, <strong>de</strong> Flamenca, <strong>de</strong><br />

Dolopathos, <strong>de</strong> Floire et Blanche/leur, etc.<br />

(118) O. WALZEL, Das Prometheussymbol von Shaftesbury zu Goethe, 2. Aufl.<br />

Munchen, Hueber, 1932.<br />

(119) H. ROUSSEAU, op. cit., p. 334.<br />

(120) « Wie von <strong>de</strong>r Motivgeschichte, so muss sich die Stoffgeschichte auch von<br />

<strong>de</strong>r vergleichen Literaturgeschichte loslôsen, <strong>de</strong>nn es wird in <strong>de</strong>r Tat durch die<br />

Hereinziehung <strong>de</strong>s Auslan<strong>de</strong>s nicht allzuviel gewonnen, falls es sich nicht gera<strong>de</strong><br />

um <strong>de</strong>n beson<strong>de</strong>ren Fall han<strong>de</strong>lt, dass eine Stoffgestaltung nachweislich unter auslandischem<br />

Einfluss eine entschei<strong>de</strong>ne Aen<strong>de</strong>rung erfàhrt. [...] Stoffgeschichte<br />

sollte daher in erster Linie nur auf nationaler Grundlage betrieben wer<strong>de</strong>n» (E.<br />

SAUER, op. cit., p. 223). A ce point <strong>de</strong> vue étroit, on est heureux d'opposer celui,<br />

infiniment plus réaliste, d'Etiemble : « La première <strong>de</strong>s tâches qui s'imposent donc<br />

aux comparatistes, désormais, c'est <strong>de</strong> renoncer à toute variété <strong>de</strong> chauvinisme et<br />

<strong>de</strong> provincialisme, <strong>de</strong> reconnaître enfin que la civilisation <strong>de</strong>s hommes, où les<br />

valeurs s'échangent <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s millénaires, ne peut être comprise, goûtée, sans<br />

référence constante à ces échanges, dont la complexité interdit à qui que ce soit<br />

d'ordonner notre discipline par rapport à une langue ou un pays, entre tous privilégiés»<br />

(pp. cit., p. 15).<br />

(121) Cf. E. FRENZEL, Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, p. 44.<br />

(122) On se fera une idée du potentiel d'universalité <strong>de</strong>s thèmes nationaux en<br />

parcourant, par exemple, le bel article <strong>de</strong> C. CLAVERIA, « Les mythes et les thèmes<br />

espagnols dans la littérature universelle », Cahiers d'Histoire Mondiale, VI, 1961<br />

pp. 969-989.<br />

(123) Cela dit sans vouloir restaurer la distinction <strong>de</strong> P. Van Tieghem entre littérature<br />

comparée et littérature générale (cf. « La synthèse en histoire littéraire : littérature<br />

comparée et littérature générale», Revue <strong>de</strong> Synthèse Historique, XXI,<br />

1921).<br />

(124) Sur ce point, Etiemble est plus sévère et plus exigeant : « Tout se tient dans<br />

l'histoire <strong>de</strong>s littératures, et celui-là n'en comprendra jamais une seule, j'entends<br />

comprendre, qui n'aura pas un peu mieux que <strong>de</strong>s lumières sur un assez grand<br />

nombre d'autres» (op. cit., p. 29).<br />

(125) Op. cit., p. 21.<br />

(126) «Die Wahl <strong>de</strong>s Stoffes und seine Wie<strong>de</strong>rbelebung durch einen Dichter<br />

làsst sich hàufig durch innere Verwandtschaft und durch eine verwandte geistige<br />

o<strong>de</strong>r gefùhlsmàssige Situation erklàren » (Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, p.<br />

53).


NOTES 137<br />

(127) Voir R. TROUSSON, «Le Christ dans la pensée <strong>de</strong> Jean-Jacques<br />

Rousseau», Problèmes d'Histoire du Christianisme, 7, 1976-1977, pp. 31-56.<br />

(128) E. KUSHNER, op. cit., p. 18.<br />

(129) Cf. E. FRENZEL, Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, pp. 67 et 69; J.<br />

PETERSEN, « Nationale o<strong>de</strong>r vergleichen<strong>de</strong> Literaturgeschichte ? », Deutsche Vierteljahrsschrift<br />

fiir Literatunvissenschaft und Geistesgeschichte, 1928, Heft 1, p.<br />

51.<br />

(130) Voir J. VERCRUYSSE, « Jeanne d'Arc au siècle <strong>de</strong>s Lumières », Studies on<br />

Voltaire and the Eighteenth Century, XC, 1972, pp. 1659-1729.<br />

(131) Voir R. TROUSSON, Socrate <strong>de</strong>vant Voltaire, Di<strong>de</strong>rot et Rousseau. La<br />

conscience en face du mythe, Paris, Lettres Mo<strong>de</strong>rnes, 1967.<br />

(132) E. FRENZEL, Stoff- und Motivgeschichte, p. 306.<br />

(133) C'est à cela qu'aboutissent les considérations <strong>de</strong> E. FRENZEL {Stoff-,<br />

Motiv- und Symbolforschung, p. 65) sur les «caractéristiques» <strong>de</strong>s goûts nationaux<br />

: dans le traitement d'un thème, les Italiens introduiront la passion, les Français<br />

la jalousie, les Espagnols <strong>de</strong>s substitutions et <strong>de</strong>s déguisements, les Anglais <strong>de</strong>s<br />

tira<strong>de</strong>s politiques, les Allemands <strong>de</strong> la morale ou <strong>de</strong> la philosophie.<br />

(134) R. ESCARPIT, Sociologie <strong>de</strong> la littérature, Paris, P.U.F., 1958, p. 6.<br />

(135) M. DÉCAUDIN, compte rendu <strong>de</strong> A. J. AXELRAD, Le thème <strong>de</strong> Sophonisbe<br />

dans les principales tragédies <strong>de</strong> la littérature occi<strong>de</strong>ntale (Lille, Bibliothèque Universitaire,<br />

1956), Revue <strong>de</strong>s Sciences Humaines, LXXXI, 1957, pp. 231-232.<br />

(136) Cf. E. FRENZEL, Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, p. 70.<br />

(137) Il s'agira ici, non d'un historique du thème, impossible à tracer en quelques<br />

lignes ou même en quelques pages, mais d'une simple réflexion sur la nature<br />

du thème d'Antigone, sur sa faculté d'adaptation aux circonstances. Nous avons<br />

déjà esquissé ailleurs une courbe schématique <strong>de</strong> son évolution (« Le thème et l'histoire<br />

: le cas d'Antigone », Revue <strong>de</strong>s Langues Vivantes, XLIII, 1977, pp. 452-462)<br />

et consacré quelques étu<strong>de</strong>s à <strong>de</strong>s expressions isolées du thème en rapport avec le<br />

contexte historique (cf. «U Antigone <strong>de</strong> Bertolt Brecht et l'engagement», Le<br />

Flambeau, 1960, 5-6, pp. 361-369; «UAntigone <strong>de</strong> Pierre-Simon Ballanche»,<br />

Synthèses, 1960, 167, pp. 96-104 ; « La philosophie du pouvoir dans VAntigone <strong>de</strong><br />

Sophocle », Revue <strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s Grecques, LXXVII, 1964, pp. 23-33). Le travail <strong>de</strong><br />

C. MOLINARI (Storia di Antigone da Sofocle al Living Théâtre, Bari, De Donato,<br />

1977) étudie la succession chronologique <strong>de</strong>s œuvres, mais sans examen du contexte<br />

historique.<br />

(138) On ne saurait d'ailleurs négliger qu'il existait une opposition à Périclès,<br />

née du mécontentement <strong>de</strong> sa politique impérialiste et même <strong>de</strong> la lour<strong>de</strong> fiscalité<br />

imposée par ses grands travaux d'urbanisme. Cf. J.B. BURY, A history ofGreece,<br />

London, 1963, p. 365; B. VICKERS, Towards Greek tragedy, Bristol, 1973, pp.<br />

526-546.


138<br />

THÈMES ET MYTHES<br />

(139) W.R. AGARD, «Antigone 904-920», Classical Philology, 1937, pp. 263-<br />

265.<br />

(140) J.-P. VERNANT et P. VIDAL-NAQUET, op. cit., p. 34.<br />

(141) On se souvient que Hegel, dans ses Principes <strong>de</strong> la philosophie du droit et<br />

dans ses Leçons d'esthétique, avait déjà vu dans la tragédie un conflit <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

droits légitimes qui <strong>de</strong>vraient coexister pour que fût réalisée l'harmonie.<br />

(142) Cf. M.-M. MOUFLARD, Robert Garnier. La Ferté-Bernard, 1961-1964, 3<br />

vol., t. II, p. 137; G. JONDORF, Robert Garnier and the thèmes of poiitical tragedy<br />

in the Sixteenth century, Cambridge, 1969, pp. 104-105.<br />

(143) R. LEBÈGUE, La tragédie française <strong>de</strong> la Renaissance, <strong>Bruxelles</strong>, 1944, p.<br />

43; cf. aussi V.-L. SAULNIER, La littérature française <strong>de</strong> la Renaissance, Paris,<br />

1942, p. 92.<br />

(144) J. MOREL, « Le personnage d'Antigone, <strong>de</strong> Garnier à Racine », Actes du<br />

VIP Congrès <strong>de</strong> l'Association Guillaume Budé, Paris, 1964, p. 104.<br />

(145) J. VAN BAELEN, Rotrou. Le héros tragique et la révolte, Paris, 1965, p. 62.<br />

(146) Cf. K. HEISIG, «Antigone im Draina <strong>de</strong>r romanischen Vôlker», Die<br />

Neueren Sprachen, 1963, pp. 160-169; J. MOREL, Jean Rotrou dramaturge <strong>de</strong><br />

l'ambiguïté, Paris, 1968, pp. 101-102.<br />

(147) Cf. M. BARATTO, « Tyrannie et liberté dans les tragédies d'Alfieri », dans :<br />

Le théâtre tragique, Publ. par le C.N.R.S., Paris, 1962, p. 302.<br />

(148) J. DEGEN, Literatur <strong>de</strong>r <strong>de</strong>utschen Uebersetzungen <strong>de</strong>r Griechen, Erlangen,<br />

1801, 3 vol., t. I, p. 419.<br />

V<br />

(149) Voir M. KAÇ «Der Antigone-Mythos auf <strong>de</strong>r tschechischen Bûhne <strong>de</strong>r<br />

Gegenwart », dans : Terror und Spiel, pp. 435-454.<br />

(150) On ne tient pas compte ici <strong>de</strong>s traductions ou adaptations (Meurice et Vacquerie,<br />

Hofmannsthal, Cocteau, etc.) qui ren<strong>de</strong>nt hommage aux qualités esthétiques<br />

<strong>de</strong> la tragédie <strong>de</strong> Sophocle, non au contenu idéologique du thème.<br />

(151) S. FRAISSE, Le mythe d'Antigone, Paris, 1974, p. 15.<br />

(152) S. FRAISSE, « Le thème d'Antigone dans la pensée française au XIX e et au<br />

XX e siècles », Bulletin <strong>de</strong> l'Association Guillaume Budé, 1966, p. 287.<br />

(153) S. FRAISSE, Le mythe d'Antigone, p. 82.<br />

(154) C'est aussi l'opinion <strong>de</strong> M. Kac(op. cit., pp. 452-453).<br />

(155) A. DABEZIES, Visages <strong>de</strong> Faust au XX e siècle, p. 5.<br />

(156) H. DYSERINCK, Komparatistik. Eine Einfuhrung, Bonn, Bouvier Verlag<br />

Herbert Grundmann, 1977, p. 103.<br />

(157) On s'en convaincra en lisant le beau travail intitulé : L'empereur Julien.<br />

De l'histoire à la légen<strong>de</strong> (331-1715). Etu<strong>de</strong>s rassemblées par R. Braun et J. Richer.<br />

Paris, Les Belles Lettres, 1978. Quelle que soit sa qualité, il manque à cette recherche<br />

collective une véritable conception d'ensemble.


NOTES 139<br />

(158) P. VAN TIEGHEM, La littérature comparée, p. 92.<br />

(159) P. VAN TIEGHEM, ibid., p. 99; M.-F. GUYARD, op. cit., p. 57.<br />

(160) Sur ce beau sujet, on ne retiendra guère que: J.E. PARISH, Pre-Miltonic<br />

représentations of Adam as a Christian, Rice Institute Pamphlet, 40, 1953; G.<br />

MIKSCH, Der Adam-und-Eva-Stoff in <strong>de</strong>r <strong>de</strong>utschen Literatur, Diss. Wien, 1954;<br />

R.W.B. LEWIS, The American Adam, Chicago, 1955.<br />

(161) Citons : K. GERLACH, Der Simsonstoff im <strong>de</strong>utschen Drama, Hei<strong>de</strong>lberg,<br />

1929; W. TISSOT, Simson und Herkules in <strong>de</strong>n Gestaltungen <strong>de</strong>s Barock. Diss.<br />

Greifswald, 1932. Trop rapi<strong>de</strong>: W. KIRKCONNEL, Thaï invincible Samson. The<br />

thème of Samson Agonisies in World literature, Toronto, 1964.<br />

(162) L. HIRSCHBERG, « Saul-Tragôdien », Allgemeine Zeitung <strong>de</strong>s Ju<strong>de</strong>ntums,<br />

74, 110; M. A. THIEL, La figure <strong>de</strong> Saùl et sa représentation dans la littérature dramatique<br />

française, Diss. Amsterdam, H.J. Paris, 1926.<br />

(163) Pour Job, il faudrait élargir le travail <strong>de</strong> A. Hausen (Hiob in <strong>de</strong>r franzôsischen<br />

Literatur, Bern-Frankfurt/M., H. und P. Lang, 1972) ; pour Jésus, le beau<br />

Christ romantique <strong>de</strong> F. Bowman (Genève, Droz, 1973) <strong>de</strong>vrait être précédé d'une<br />

étu<strong>de</strong> qui partirait, au moins, du libertinage du premier tiers du XVII e siècle.<br />

(164) Le livre <strong>de</strong> P. NEWMAN-GORDON (Hélène <strong>de</strong> Sparte. La fortune du mythe<br />

en France, Paris, Nouvelles Editions Debresse, 1968) ne répond pas aux exigences<br />

d'une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> thème.<br />

(165) Sur la fortune d'Hercule, il n'y a, sauf pour l'antiquité et la Renaissance,<br />

rien d'important à signaler.<br />

(166) Outre les travaux déjà cité, tous partiels, notons encore: J. WIEL,<br />

Orpheus in <strong>de</strong>r englischen Literatur, Wien, W. Braumuller, 1913 ; P. CABANAS, El<br />

mito <strong>de</strong> Orfeo en la literatura espanola, Madrid, Consejo Superior <strong>de</strong> Investigaciones<br />

cientificas, 1948.<br />

(167) Seule étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> quelque étendue : W.B. STANFORD, The Ulysses thème.<br />

A study in the adaptability of a traditional hero (Oxford, Blackwell, 1954). Pour<br />

un bref survol du théâtre allemand 1904-1925, citons: R.B. MATZIG, Odysseus.<br />

Studie zu antiken Stoffen in <strong>de</strong>r mo<strong>de</strong>rnen Literatur, beson<strong>de</strong>rs im Drama, Diss.<br />

St Gallen, Pflugverlag Thaï, 1949.<br />

(168) Signalons encore, paru trop tard pour être utilisé ici, le <strong>de</strong>rnier livre <strong>de</strong> E.<br />

FRENZEL, Vom Inhalt <strong>de</strong>r Literatur. Stoff-, Motiv-, Thema, Basel-Wien, 1980.


A bel 23, 25<br />

Adam 77, 123<br />

Ahasvérus 41, 86, 96<br />

Akensi<strong>de</strong> (M.) 89<br />

Alamanni (L.) 74, 111<br />

Abouy (P.) 17,18, 127<br />

Alciat (A.) 72<br />

Alexandre 15, 44<br />

Alfieri (V.) 38, 56, 74, 96, 106, 111<br />

Amphitryon 23, 83, 86, 122<br />

Andréiev (L.) 56<br />

Andromaque 70<br />

Anouilh (J.) 20, 26, 42, 45, 86, 110,<br />

114, 115<br />

Anligone 8, 11, 18, 20, 23, 24, 27, 33,<br />

44, 46, 49, 74, 76, 77, 78, 79, 82,<br />

83, 86, 96, 102, 107, 108, 109, 110,<br />

111, 112, 113, 114, 115, 116, 131<br />

Anton (H.) Il, 51, 126<br />

Anzieu (D.) 51, 134<br />

Apollonius <strong>de</strong> Rho<strong>de</strong>s 88<br />

Apulée 73<br />

Ariane 27, 86, 95<br />

Aristophane 74<br />

Arminius 21, 27, 102, 114<br />

Arnobe 89<br />

Astier (C.) 63, 64, 65, 126<br />

Augustin 89<br />

Bachelard (G.) 17<br />

Baïf (J.A. <strong>de</strong>) 73<br />

Bal<strong>de</strong>nsperger (F.) 41, 53, 131<br />

Ballanche (P.S.) 49, 73, 96, 109<br />

Balzac (H. <strong>de</strong>) 23, 30, 95<br />

Banier (A.) 72<br />

Barthes (R.) 16, 17, 19, 127<br />

INDEX<br />

Baucis 11, 58, 99<br />

Baudri <strong>de</strong> Bourgueil 89<br />

Bayle (P.) 72<br />

Bélier (M.) 11, 16, 58, 99, 126, 127,<br />

133<br />

Bensera<strong>de</strong> (L.) 49, 73, 89<br />

Bérénice 27<br />

Berlioz (V.) 51<br />

Bersuire (P.) 73<br />

Betz (L.P.) 21<br />

Bisanz (A.J.) 127, 133<br />

Boccace (J.) 38, 72, 89<br />

Boèce 37, 97<br />

Bouelles (Ch.) 72<br />

Boulanger (N.A.) 72<br />

Bourges (E.) 46, 88<br />

Bracciolini (F.) 49<br />

Brandt-Corstius (J.) 12, 126<br />

Bronnen (A.) 25<br />

Brumoy (P.) 46, 71, 90<br />

Brunel (P.) 18, 51, 126, 127, 134<br />

Byron (G.G.) 28, 30, 70, 95, 123<br />

Caillois (R.) 20, 43, 128, 131<br />

Cain 23, 25, 26, 27, 28, 29, 69, 87, 92<br />

Cal<strong>de</strong>ron (P.) 37, 42, 46, 49, 72, 87,<br />

88<br />

Camoens (L.) 74<br />

Campistron (J.) 102<br />

Cardan (J.) 11<br />

Carducci (J.) 26<br />

Cartari (V.) 72<br />

Cartaud <strong>de</strong> la Villate 48<br />

Catulle (A.) 49<br />

Chapelain 50, 69<br />

Chapman (G.) 38, 73, 89


INDEX 141<br />

Chassang (A.) 35<br />

Chénier (A.) 46, 73<br />

Chompré (N.) 72<br />

Christine <strong>de</strong> Pisan 50, 89<br />

Cinzio(G.)41, 123<br />

Clau<strong>de</strong>l (P.) 56<br />

Cléopâtre 21<br />

Clytemnestre 64<br />

Cocteau (J.) 37, 42, 97<br />

Colar<strong>de</strong>au 36<br />

Coleridge (S.T.) 50<br />

Colomb 91, 124<br />

Cornes (N.) 72<br />

Conley (C.H.) 35<br />

Cooper (Th.) 72<br />

Corneille (P.) 38, 45, 49, 64, 65, 70<br />

Cortazar (J.) 16<br />

Cossio (J.M. <strong>de</strong>) 35<br />

Crébillon 25, 26, 64<br />

Croce (B.) 7, 9, 32, 53, 57, 125, 132,<br />

133<br />

Cromwell 44, 76<br />

Dabezies (A.) 11, 51, 58, 82, 116,<br />

123, 125, 126, 128, 138<br />

Dante 57, 87, 89<br />

Daphné 11, 21, 47, 48, 51, 52<br />

Dédéyan(Ch.) 8, 11, 123<br />

Degen (J.F.) 35, 138<br />

Delcourt (M.) 17, 35<br />

Derche (R.) 56, 133<br />

Desmarets <strong>de</strong> Saint-Sorlin 72<br />

Di<strong>de</strong>rot (D.) 47, 85, 100<br />

Didon 27, 48, 50<br />

Dinter (A.) 89, 126<br />

Dolce (L.) 73<br />

Don Juan 8, 9, 11, 15, 23, 26, 27, 29,<br />

37, 41, 44, 50, 61, 65, 66, 67, 76,<br />

78, 80, 83, 84, 86, 91, 92, 97, 122<br />

Dôrrie(H.) 11, 51, 89, 126<br />

Dry<strong>de</strong>n (J.) 49, 89<br />

Duchemin(J.) 11, 125<br />

Ducis (J.F.) 64, 113<br />

Duhamel (P.) 109<br />

Dumas (A.) 25<br />

Dùrrenmatt (F.) 41<br />

Du Ryer (P.) 73<br />

Dyserinck (H.) 12, 119, 126, 138<br />

Electre 11, 22, 51, 122<br />

Elia<strong>de</strong> (M.) 17, 19, 127<br />

Eliot (T.S.) 57, 82, 135<br />

Enée 50<br />

Epiméthée 23, 25<br />

Erasme 72<br />

Eschyle 19, 20, 25, 27, 46, 63, 65, 71,<br />

78, 83, 88, 95, 122<br />

Estienne (R.) 72, 89<br />

Etéo<strong>de</strong>23, 25, 77, 108, 113<br />

Etiemble (R.) 7, 17, 70, 90, 93, 94,<br />

125, 136<br />

Euripi<strong>de</strong> 20, 25, 27, 31, 33, 41, 70,<br />

74, 122, 123<br />

Eusèbe 89<br />

Faust 8, 9, 11, 21, 24, 26, 27, 29, 43,<br />

44, 51, 56, 57, 61, 76, 78, 81, 82,<br />

83, 86, 91, 97, 102, 116, 122<br />

Feijoo (B.G.) 72<br />

Feller (F.X.) 72<br />

Ficin (M.) 72<br />

Flaubert (G.) 55, 75<br />

Fraisse(S.) 113, 114, 126, 138<br />

France (A.) 69<br />

Frenzel (E.) 12, 14, 32, 49, 57, 70,<br />

95, 126, 127, 128, 130, 131, 132,<br />

133, 135, 136, 137, 139<br />

Freud (S.) 17, 128<br />

Frisch (M.) 66<br />

Fulgence 73, 89<br />

Galatée 11, 51<br />

Garlan<strong>de</strong> (J. <strong>de</strong>) 73<br />

Garnier (R.) 74, 108, 109, 115<br />

Gautier (Th.) 29<br />

Gendarme <strong>de</strong> Bévotte (G.) 123<br />

Genot (G.) 16<br />

Ghel<strong>de</strong>ro<strong>de</strong> (M. <strong>de</strong>) 23, 37, 97<br />

Gi<strong>de</strong> (A.) 38, 46, 51, 123<br />

Giraud (Y.F.-A.) 11, 47, 51, 52, 99,<br />

126, 131<br />

Giraudoux (J.) 86<br />

Goethe (J.W.) 20, 27, 29, 31, 33, 36,<br />

38, 42, 46, 54, 56, 69, 72, 73, 78,<br />

81, 83, 84, 86, 88, 89, 96, 124<br />

Gounod (Ch.) 51, 82<br />

Gower (J.) 87, 89


142<br />

Grabbe (CD.) 37<br />

Gracian (B.) 49<br />

Greimas (A.J.) 62, 134<br />

Grillparzer (F.) 25<br />

Grimmelshausen 49<br />

Grisélidis 41<br />

Guillaume <strong>de</strong> Machaut 89<br />

Guillaume Tell 21, 114<br />

Guyard (M.F.) 7, 26, 32, 33, 46, 129,<br />

130, 139<br />

Gyraldi (L.G.) 72<br />

Hamlet 27, 57, 82, 124<br />

Hasenclever (W.) 25, 111<br />

Hauptmann (G.) 25, 31, 87<br />

Hausen (A.) 125<br />

Hazard (P.) 9, 69<br />

He<strong>de</strong>rich (B.) 72<br />

Heine (H.) 55<br />

Heinemann (C.) 33, 54<br />

Heinsius (D.) 72<br />

Heitner (R.R.) 125<br />

Hellens (F.) 81, 82<br />

Hé mon 11<br />

Hercule 11, 27, 33, 41, 44, 47, 48, 77,<br />

78, 123<br />

Her<strong>de</strong>r (J.G.) 38, 73, 90<br />

Hérodia<strong>de</strong> 55, 106<br />

Hésio<strong>de</strong> 20, 36, 83, 93<br />

Hobbes (J.) 49<br />

Hôl<strong>de</strong>rlin (F.) 42<br />

Homère 31, 87<br />

Horace 73<br />

Horn-Monval (M.) 35<br />

Huet (D.) 72<br />

Hugo (V.) 18, 30, 35, 47, 54, 73, 74,<br />

95, 130<br />

Hygin 74<br />

Inès <strong>de</strong> Castro 8, 74, 123<br />

Iphigénie 11, 31, 33, 55, 122, 123<br />

Jean <strong>de</strong> Meung 47, 89<br />

Jeanne d'Arc 11, 15, 50, 69, 99, 124<br />

Jésus 27, 28, 30, 47, 71, 86, 96, 123<br />

Jeune (S.) 12, 15, 16, 126, 131<br />

JobU, 123<br />

Johnson (S.) 78<br />

Jonson (B.) 72<br />

Jost (F.) 12, 126<br />

Judas 8, 54, 56, 87, 97, 123<br />

Ju<strong>de</strong>n (B.) 11, 125<br />

Jung (C.G.) 18, 22, 93<br />

Jung (M.R.) 125<br />

INDEX<br />

Kayser (W.) 23, 32, 129, 130, 132<br />

Kazantzakis (N.) 97<br />

Kircher (A.) 72<br />

Kleist (F. von) 70<br />

Klinger (F.M. von) 27, 56, 97, 123<br />

Koch (M.) 8<br />

Kotzebue (A.) 73<br />

Kreutz(Ch.) 11, 125<br />

Kushner(E.) 11, 89, 97, 135<br />

Lactance 89<br />

La Fontaine (J. <strong>de</strong>) 49, 62, 75, 89<br />

La Motte (H. <strong>de</strong>) 36, 57, 65, 74<br />

Latrop (H.B.) 35<br />

Lavaur (G. <strong>de</strong>) 72<br />

Law (H.H.) 32<br />

Leconte <strong>de</strong> Lisle 25, 26<br />

Lefranc <strong>de</strong> Pompignan 46, 71, 90, 98<br />

Le Maître (H.) 38, 73, 131, 134<br />

Lesage (A.R.) 36, 46, 73<br />

Lessing (G.E.) 70, 77<br />

Levin (H.) 12, 16, 126, 127<br />

Lévi-Strauss (Cl.) 62, 68, 134<br />

Lombard (A.) 73, 134<br />

Ludwig (O.) 25<br />

Mahomet 29, 91<br />

Mallarmé (S.) 55<br />

Manjred26, 27, 28<br />

Mann (O.) 88, 135<br />

Mann (Th.) 97<br />

Maranon (G.) 29<br />

Marie <strong>de</strong> France 62, 89<br />

Marie Stuart 35, 44, 46, 55, 56, 91,<br />

106<br />

Marmontel (J.F.) 41, 123<br />

Masaniello 27<br />

Mauron(Ch.) 17<br />

Mauzi (R.) 35<br />

Mazeppa 28, 86<br />

Médée 8, 23, 27, 44, 45, 46, 76, 77,


INDEX 143<br />

86, 123<br />

Ménandre 38<br />

Ménard (L.) 98<br />

Mercier (L.S.) 48, 100<br />

Mérimée (P.) 25, 84<br />

Merker (P.) 8, 128<br />

Merleau-Ponty (M.) 62<br />

Michelet (J.) 18, 69<br />

Milton (J.)42, 49, 51, 123<br />

Moïse 15<br />

Molière 23, 37, 67, 70<br />

Molinet (J.) 89<br />

Montherlant (H. <strong>de</strong>) 26, 37, 67, 78,<br />

80, 97<br />

Mortier (R.) 35, 85<br />

Moschus 73<br />

Mozart (W.A.) 67, 86<br />

Munteano (B.) 59, 73, 134<br />

Musset (A. <strong>de</strong>) 11<br />

Napoléon 11, 27, 44, 51, 91, 102,<br />

106, 109<br />

Narcisse 11, 17, 18, 19, 37, 47, 51,<br />

128<br />

Nashe (Th.) 89<br />

Niobé 27<br />

Novalis 42<br />

Oedipe 8, 11, 18, 19, 22, 23, 25, 33,<br />

43, 63, 64, 65, 70, 77, 93, 109, 113,<br />

135<br />

Oreste 8, 25, 27, 43, 49, 55, 64, 69,<br />

122, 123<br />

Orphée 8, 11, 15, 16, 19, 21, 37, 42,<br />

44, 45, 47, 49, 54, 73, 86, 87, 89,<br />

91, 93, 95, 97, 105, 120, 124<br />

Ovi<strong>de</strong> 19, 42, 73, 101<br />

Pandore 19, 34, 36, 37, 44, 77, 90,<br />

93<br />

Parnell (Th.) 36<br />

Péguy (Ch.) 69<br />

Pellico (S.) 55<br />

Perez <strong>de</strong> Moya (J.) 72<br />

Pétrone 62<br />

Peyre(H.)71, 134<br />

Phaéton 48<br />

Phèdre 11, 20, 38, 49, 70, 102<br />

Philémon 11, 38, 58<br />

Pichois (CI.) 12, 15, 126<br />

Pin<strong>de</strong>monte (I.) 102<br />

Pixerécourt (G. <strong>de</strong>) 55<br />

Platon 100, 108<br />

Plaute 23, 70, 83, 86<br />

Poliziano (A.) 37, 42, 97<br />

Polti (G.) 27<br />

Polynice23, 25, 77, 108, 113<br />

Pomey (F.) 72<br />

Pope (A.) 42<br />

Prémont (L.) 11, 125<br />

Prométhée 8, 11, 13, 15, 18, 20, 23,<br />

25, 27, 28, 29, 30, 33, 36, 38, 44,<br />

45, 46, 48, 63, 65, 71, 73, 76, 78,<br />

83, 86, 88, 89, 90, 93, 96, 99, 101,<br />

105, 120<br />

Proserpine 11,51<br />

Psyché 38, 44, 73, 77, 123<br />

Py (A.) 35, 130<br />

Pygmalion 11, 23, 47, 51, 88, 93, 96,<br />

101<br />

Quevedo (F.) 42<br />

Quincey (Th. <strong>de</strong>) 69<br />

Quinet (E.) 30, 71,96<br />

Racine (J.) 31, 33, 38, 49, 70, 84,<br />

102, 113, 116<br />

Rastier (F.) 62, 134<br />

Ravisius Textor 72, 89<br />

Restif <strong>de</strong> la Bretonne 26<br />

Reusner (N.) 72<br />

Ricci (Ch.) 38, 125, 131<br />

Richard (J.P.) 16<br />

Richardson (S.) 26<br />

Rilke (R.M.) 37, 42, 97<br />

Robbe-Grillet (A.) 64<br />

Roman <strong>de</strong> Perceforest 89<br />

Roman <strong>de</strong> la Rose 89<br />

Roméo 25, 91<br />

Ronsard (P. <strong>de</strong>) 42, 47, 72, 73, 130<br />

Rotrou (J. <strong>de</strong>) 41, 74, 109, 115, 123<br />

Rougemont (D. <strong>de</strong>) 17, 43, 127, 131<br />

Rousseau (A.M.) 12, 15, 125, 126<br />

Rousseau (J.B.) 57, 73<br />

Rousseau (J.J.) 46, 75, 90, 96, 100<br />

Roussel (J.) 44, 65, 66, 67, 83, 123,<br />

126


144<br />

Ruccellai (G.) 74<br />

Ruthwen (K.K.) 120, 128<br />

Salomé 46<br />

Samson 21, 123<br />

Sardi (A.) 72<br />

Sartre (J.P.) 64<br />

Satan 26, 27, 28, 29<br />

Saw/8, 21, 93, 95, 106, 123<br />

Sauer (E.) 25, 90, 91, 128, 130, 132<br />

Saussure (F.<strong>de</strong>) 16<br />

Sauvage (M.) 17, 127<br />

Savonarole 106, 124<br />

Scève (M.) 57<br />

Schérer(J.) 57<br />

Schiller (F.) 55, 56, 123<br />

Schlegel (A.W.) 70, 73<br />

Schmitt(F.A.)21, 32<br />

Schulze (J.) 16, 127<br />

Scudéry (G.) 102<br />

Sénèque41, 63, 74, 123<br />

Servandoni (J.N.) 46, 90<br />

Seznec (J.) 72<br />

Shaftesbury 38, 45, 46, 73, 90<br />

Shakespeare (W.) 25, 47<br />

Shaw (G.B.) 69, 70<br />

Shelley (P.B.) 26, 46, 54, 84<br />

Socrate 11, 23, 79, 100<br />

Sophocle 19, 20, 25, 27, 63, 64, 65,<br />

70, 74, 83, 107, 108, 113, 115, 123<br />

Sophonisbe 7, 8, 35, 38, 46, 106, 123<br />

Sorel (G.) 17<br />

Soumet (A.) 69<br />

Spenser (E.) 42<br />

Stace74, 113<br />

Staël (G. <strong>de</strong>) 77<br />

Stanley (Th.) 71<br />

Starobinski (J.) 131, 132<br />

Stendhal 29, 75<br />

Sternheim (C.) 97<br />

Sturel (R.) 35<br />

Tan(H.G.) 84, 135<br />

Tasso(T.)51<br />

Tertullien 89<br />

Thésée 17<br />

Tirso <strong>de</strong> Molina 66, 67<br />

Tobler (Ch.) 46, 90<br />

INDEX<br />

Tresch (M.) 88<br />

Tschie<strong>de</strong>l (H.J.) 125<br />

Tristan 8, 15, 25, 43, 66, 91, 106, 123<br />

Trousson (R.) 13, 48, 125, 126, 128,<br />

130, 134, 135, 137<br />

Tulard(J.) 51, 126<br />

Ulrici (H.) 56<br />

Ulysse 78, 87, 122, 124<br />

Unger (R.) 56<br />

Unruh (F. von) 25<br />

Valerius Flaccus 88<br />

Valéry (P.) 37, 97<br />

Van Tieghem (P.) 7, 16, 26, 125, 129,<br />

130, 136, 139<br />

Vercruysse (J.) 126, 137<br />

Vernant (J.P.) 19, 20, 107, 128, 134,<br />

138<br />

Vernière (P.) 35<br />

Viau (Th. <strong>de</strong>) 45, 54<br />

Victoria (B. <strong>de</strong>) 72<br />

Vida (M.J.) 38<br />

Vigenère (B. <strong>de</strong>) 72<br />

Vigny (A. <strong>de</strong>) 57<br />

Villani (F.) 89<br />

Villena(E.)41, 123<br />

Villon (F.) 89<br />

Vincent <strong>de</strong> Beauvais 89<br />

Vinge (L.) 11, 18, 47, 51, 126, 132<br />

Virgile 19, 101<br />

Vivier (R.) 8, 87, 129, 135<br />

Voltaire 36, 38, 46, 47, 50, 64, 65, 70,<br />

90, 100, 106<br />

Von<strong>de</strong>l 49, 123<br />

Vossius (G.J.) 72<br />

Walzel (O.) 89, 136<br />

Weber (J.P.) 16<br />

We<strong>de</strong>kind (F.) 41, 123<br />

Weinstein (L.) 123<br />

Weisstein (U.) 12, 16, 50, 126, 131<br />

Wellek (R.) 56, 129, 132, 133<br />

Werfel (F.) 25<br />

Wieland (Ch.M.) 36, 46, 73, 90<br />

Young (E.) 46, 89<br />

Yseult 25, 66, 91


TABLE DES MATIÈRES<br />

Les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes : hier et aujourd'hui 7<br />

Une terminologie ambiguë 15<br />

Thèmes ou motifs ? 21<br />

Pour et contre les dénombrements entiers 31<br />

La continuité <strong>de</strong> la tradition historique 41<br />

Thématologie et œuvre en soi 53<br />

Synchronie, diachronie ? Le thème et la structure 61<br />

La recherche <strong>de</strong>s sources et <strong>de</strong>s influences 69<br />

Tradition et création 75<br />

Les limites temporelles et géographiques <strong>de</strong> l'enquête 85<br />

Préférences d'auteurs, d'époques, <strong>de</strong> nations 95<br />

Le thème et le contexte historique 105<br />

En guise <strong>de</strong> conclusion 119<br />

Notes 125<br />

In<strong>de</strong>x 140


L'auteur<br />

Raymond Trousson, professeur à l'<strong>Université</strong> <strong>Libre</strong> <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong>, et membre <strong>de</strong><br />

l'Académie Royale <strong>de</strong> Langue et <strong>de</strong> Littérature françaises, s'est particulièrement<br />

intéressé au XVIII* siècle. Divers articles ont étudié la survivance <strong>de</strong> la<br />

culture antique dans les lettres mo<strong>de</strong>rnes (Di<strong>de</strong>rot, Rousseau, Montesquieu,<br />

Clau<strong>de</strong>l, etc.). un livre a analysé la signification du mythe <strong>de</strong> Socrate dans la<br />

littérature militante <strong>de</strong>s Lumières [Socrate <strong>de</strong>vant Voltaire, Di<strong>de</strong>rot et Rousseau,<br />

1967). Il a consacré <strong>de</strong> nombreuses étu<strong>de</strong>s à l'influence <strong>de</strong> Rousseau, en<br />

Allemagne ou sur Grétry, Sand, Michelet, Balzac, Maurras, ou à la fortune <strong>de</strong>s<br />

Confessions au XIX e siècle ; un ouvrage (Rousseau et sa fortune littéraire, 1971,<br />

2* éd. 1977) a esquissé une étu<strong>de</strong> d'ensemble, <strong>de</strong> 1750 à nos jours. Il a publié<br />

<strong>de</strong>s textes <strong>de</strong> Fougeret <strong>de</strong> Monbron (Le Cosmopolite, 1970) et <strong>de</strong> L.S. Mercier<br />

{L'an 2440, 1971). Auteur d'une histoire internationale <strong>de</strong> l'utopie (Voyages<br />

aux Pays <strong>de</strong> Nulle part. Histoire littéraire <strong>de</strong> la pensée utopique, 1975, 2 éd.<br />

1979), il a également publié, dans le cadre d'une Bibliothèque <strong>de</strong>s utopies, <strong>de</strong>s<br />

textes <strong>de</strong> Gabriel <strong>de</strong> Foigny, L.S. Mercier, Tiphaigne <strong>de</strong> la Roche, Tyssot<br />

<strong>de</strong> Patot, Denis Veiras. Dans le domaine <strong>de</strong> la littérature comparée, Raymond<br />

Trousson a encore retracé l'histoire européenne du mythe <strong>de</strong> Prométhée (Le<br />

frième cfe Prométhée dans la littérature européenne, 1964, 2 e éd. 1976) et<br />

consacré un livre aux problèmes théoriques <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes (Un problème<br />

<strong>de</strong> littérature comparée: les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes, 1965).<br />

Le sujet<br />

Les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> thèmes — aussi appelées Stoffgeschichte ou thématologie —<br />

constituent aujourd'hui l'un <strong>de</strong>s secteurs les plus actifs <strong>de</strong> la recherche en<br />

littérature comparée. La présente étu<strong>de</strong> se propose d'offrir une métholologie<br />

<strong>de</strong> ce type <strong>de</strong> travaux, particulièrement complexes et qui relèvent à la fois<br />

<strong>de</strong> l'analyse <strong>de</strong>s mythes, <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong>s idées et <strong>de</strong> l'histoire littéraire. Elle<br />

s'efforce <strong>de</strong> faire le point sur l'état actuel <strong>de</strong>s travaux et d'éclairer diverses<br />

questions fondamentales : distinction entre mythe, thème, type, motif ; thèmes<br />

<strong>de</strong> situation et <strong>de</strong> héros ; synchronie et diachronie ; structuralisme ; histoire et<br />

critique * immanente » ; tradition et création ; extension temporelle et géographique<br />

<strong>de</strong> l'enquête ; le thème et le déterminisme historique, etc. Esquissant<br />

une méthodologie, ce travail souhaite susciter une réflexion et non imposer<br />

un point <strong>de</strong> vue. Situées au carrefour <strong>de</strong> plusieurs disciplines, les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

thèmes apparaissent ici comme une recherche <strong>de</strong> synthèse, excluant le<br />

cloisonnement stérile entre les époques littéraires et entre les littératures, entre<br />

la littérature et les autres arts.<br />

295 FB.


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certaines défectuosités peuvent y subsister – telles, mais non limitées à, <strong>de</strong>s incomplétu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s erreurs<br />

dans les fichiers, un défaut empêchant l’accès au document, etc. -. Les EUB et les Archives &<br />

Bibliothèques <strong>de</strong> l’ULB déclinent toute responsabilité concernant les dommages, coûts et dépenses, y<br />

compris <strong>de</strong>s honoraires légaux, entraînés par l’accès et/ou l’utilisation <strong>de</strong>s copies numériques. De plus,<br />

les EUB et les Archives & Bibliothèques <strong>de</strong> l’ULB ne pourront être mis en cause dans l’exploitation<br />

subséquente <strong>de</strong>s copies numériques ; et la dénomination <strong>de</strong>s EUB et <strong>de</strong>s ‘Archives & Bibliothèques <strong>de</strong><br />

l’ULB’, ne pourra être ni utilisée, ni ternie, au prétexte d’utiliser <strong>de</strong>s copies numériques mises à<br />

disposition par eux.<br />

3. Localisation<br />

Chaque copie numérique dispose d'un URL (uniform resource locator) stable <strong>de</strong> la forme<br />

qui permet d'accé<strong>de</strong>r au document ;<br />

l’adresse physique ou logique <strong>de</strong>s fichiers étant elle sujette à modifications sans préavis. Les Archives &<br />

Bibliothèques <strong>de</strong> l’ULB encouragent les utilisateurs à utiliser cet URL lorsqu’ils souhaitent faire référence<br />

à une copie numérique.<br />

Utilisation<br />

4. Gratuité<br />

Les EUB et les Archives & Bibliothèques <strong>de</strong> l’ULB mettent gratuitement à la disposition du public les<br />

copies numériques d’œuvres littéraires sélectionnées par les EUB : aucune rémunération ne peut être<br />

réclamée par <strong>de</strong>s tiers ni pour leur consultation, ni au prétexte du droit d’auteur.<br />

5. Buts poursuivis<br />

Les copies numériques peuvent être utilisés à <strong>de</strong>s fins <strong>de</strong> recherche, d’enseignement ou à usage privé.<br />

Quiconque souhaitant utiliser les copies numériques à d’autres fins et/ou les distribuer contre<br />

rémunération est tenu d’en <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r l’autorisation aux EUB, en joignant à sa requête, l’auteur, le titre,<br />

et l’éditeur du (ou <strong>de</strong>s) document(s) concerné(s). Deman<strong>de</strong> à adresser aux Editions <strong>de</strong> l’<strong>Université</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>Bruxelles</strong> (editions@admin.ulb.ac.be).<br />

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6. Citation<br />

Pour toutes les utilisations autorisées, l’usager s’engage à citer dans son travail, les documents utilisés,<br />

par la mention « <strong>Université</strong> <strong>Libre</strong> <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong> – Editions <strong>de</strong> l’<strong>Université</strong> <strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong> et Archives &<br />

Bibliothèques » accompagnée <strong>de</strong>s précisions indispensables à l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s documents (auteur,<br />

titre, date et lieu d’édition).<br />

7. Liens profonds<br />

Les liens profonds, donnant directement accès à une copie numérique particulière, sont autorisés si les<br />

conditions suivantes sont respectées :<br />

a) les sites pointant vers ces documents doivent clairement informer leurs utilisateurs qu’ils y ont accès<br />

via le site web <strong>de</strong>s Archives & Bibliothèques <strong>de</strong> l’ULB ;<br />

b) l’utilisateur, cliquant un <strong>de</strong> ces liens profonds, <strong>de</strong>vra voir le document s’ouvrir dans une nouvelle<br />

fenêtre ; cette action pourra être accompagnée <strong>de</strong> l’avertissement ‘Vous accé<strong>de</strong>z à un document du site<br />

web <strong>de</strong>s Archives & Bibliothèques <strong>de</strong> l’ULB’.<br />

Reproduction<br />

8. Sous format électronique<br />

Pour toutes les utilisations autorisées mentionnées dans ce règlement le téléchargement, la copie et le<br />

stockage <strong>de</strong>s copies numériques sont permis ; à l’exception du dépôt dans une autre base <strong>de</strong> données,<br />

qui est interdit.<br />

9. Sur support papier<br />

Pour toutes les utilisations autorisées mentionnées dans ce règlement les fac-similés exacts, les<br />

impressions et les photocopies, ainsi que le copié/collé (lorsque le document est au format texte) sont<br />

permis.<br />

10. Références<br />

Quel que soit le support <strong>de</strong> reproduction, la suppression <strong>de</strong>s références aux EUB et aux Archives &<br />

Bibliothèques <strong>de</strong> l’ULB dans les copies numériques est interdite.<br />

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