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Conférence autour du film Persepolis de Marjane Satrapi et Vincent ...

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<strong>Conférence</strong> <strong>autour</strong> <strong>du</strong> <strong>film</strong> <strong>Persepolis</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>Marjane</strong> <strong>Satrapi</strong> <strong>et</strong> <strong>Vincent</strong> Paronnaud<br />

par Frédéric Sabouraud


Plan<br />

1) <strong>Marjane</strong> <strong>Satrapi</strong>, en phase avec une génération <strong>de</strong> nouveaux auteurs<br />

2) L’animation traditionnelle en <strong>de</strong>ux dimensions<br />

3) Les trois passages <strong>du</strong> récit<br />

4) L’adaptation, <strong>de</strong> la case au plan<br />

5) L’angle mort <strong>du</strong> cinéma


1) <strong>Marjane</strong> <strong>Satrapi</strong>, en phase avec une génération <strong>de</strong> nouveaux auteurs<br />

L’enfance, l’adolescence <strong>et</strong> la jeunesse <strong>de</strong> <strong>Marjane</strong> <strong>Satrapi</strong> sont en gran<strong>de</strong> partie<br />

racontées par le <strong>film</strong> lui-même <strong>de</strong> manière assez fidèle, aussi privilégierons-nous<br />

plutôt la dimension professionnelle <strong>de</strong> son parcours personnel : Née à Téhéran <strong>de</strong><br />

parents communistes, en 1969, elle fait ses étu<strong>de</strong>s au lycée français puis s’inscrit<br />

aux Beaux-Arts dans la capitale iranienne. Elle y obtient une maîtrise <strong>de</strong><br />

communication. En 1994, elle s’installe en France <strong>et</strong> entre à l’Ecole supérieure <strong>de</strong>s<br />

Arts décoratifs. Parallèlement à ses étu<strong>de</strong>s, elle fait partie d’un groupe <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ssinateurs appelé L’Atelier <strong>de</strong>s Vosges, fondé en 1995 <strong>et</strong> situé place <strong>de</strong>s Vosges à<br />

Paris, constituant une nouvelle génération abordant la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée <strong>autour</strong> <strong>de</strong><br />

thèmes a<strong>du</strong>ltes <strong>et</strong> inventant <strong>de</strong>s graphismes qui rompent avec les co<strong>de</strong>s habituels<br />

<strong>du</strong> genre. On trouve au sein <strong>de</strong> c<strong>et</strong> atelier <strong>de</strong>s auteurs tels que David B., Christophe<br />

Blain <strong>et</strong> Emile Bravo dont <strong>Marjane</strong> <strong>Satrapi</strong> reconnaît encore aujourd’hui qu’il lui a<br />

tout appris. La réalisatrice évoque souvent également l’influence qu’a eu sur elle Art<br />

Spiegelman <strong>et</strong> notamment son célèbre album Maus.<br />

Après avoir réalisé <strong>de</strong>s illustrations pour <strong>de</strong>s livres pour enfants ainsi que <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ssins dans <strong>de</strong>s journaux <strong>et</strong> <strong>de</strong>s fresques murales, elle réalise le premier tome <strong>de</strong><br />

<strong>Persepolis</strong>, sorti en 2001 aux éditions <strong>de</strong> L’Association, une maison fondée en 1990 à<br />

laquelle elle reste aujourd’hui fidèle. Ce récit autobiographique connaîtra trois<br />

autres tomes qui poursuivent le récit <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> l’enfant <strong>de</strong>venue adolescente <strong>et</strong><br />

jeune femme, amenée à voyager en Europe à l’instigation <strong>de</strong> ses parents pour<br />

échapper à la <strong>du</strong>r<strong>et</strong>é <strong>du</strong> régime <strong>de</strong>s religieux iraniens. C<strong>et</strong> ouvrage connaîtra une<br />

réédition <strong>et</strong> un succès important (plus d’un million d’exemplaires ven<strong>du</strong>s). Sortent<br />

ensuite Bro<strong>de</strong>rie (2003), album consacré au salon familial souvent rempli <strong>de</strong><br />

discussions vives <strong>et</strong> drôles, Poul<strong>et</strong> aux prunes (2004, prix <strong>du</strong> meilleur album au<br />

festival d’Angoulême) qu’elle cherche aujourd’hui à adapter sous forme <strong>film</strong>ique,<br />

non plus en animation mais avec <strong>de</strong>s comédiens c<strong>et</strong>te fois. C<strong>et</strong> album rend<br />

hommage à Nasser Ali Khan, un joueur <strong>de</strong> luth qui se laisse mourir après la perte<br />

<strong>de</strong> son instrument.<br />

Dans ses ban<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssinées, le noir <strong>et</strong> blanc est pour <strong>Marjane</strong> <strong>Satrapi</strong> constitutif <strong>de</strong><br />

son style, un noir <strong>et</strong> blanc tranché <strong>et</strong> stylisé s’appuyant sur la frontalité, l’épure <strong>et</strong><br />

un récit n’hésitant pas à faire <strong>de</strong>s digressions historiques (sur l’histoire <strong>de</strong> l’Iran<br />

notamment) <strong>et</strong> lyriques (<strong>autour</strong> d’évènements tragiques comme la répression <strong>de</strong>s<br />

Mollahs contre les salles <strong>de</strong> cinéma <strong>et</strong> leurs spectateurs après la « Révolution<br />

islamique » <strong>de</strong> 1979, évoquée dans le premier album <strong>de</strong> <strong>Persepolis</strong>). Stylistiquement<br />

également, elle s’autorise le recours à <strong>de</strong>s formes hétérogènes qui citent parfois<br />

explicitement les graphismes persans anciens.<br />

<strong>Vincent</strong> Paronnaud, son co-réalisateur, est plus connu dans l’univers <strong>de</strong> la B.D.<br />

sous le pseudonyme <strong>de</strong> Winshluss. Il y est célèbre pour son humour très noir <strong>et</strong> a<br />

créé <strong>de</strong>s ouvrages qui se rattachent à la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée un<strong>de</strong>rground. Il a publié<br />

Super Négra (1999), Welcome to the Death Club (2001) <strong>et</strong> a réalisé également <strong>de</strong>s<br />

storyboards pour <strong>de</strong>s séries. Il a réalisé <strong>de</strong>s courts métrages d’animation avec son


comparse Cizo <strong>et</strong> a collaboré avec <strong>Marjane</strong> <strong>Satrapi</strong> en 2000 au sein <strong>du</strong> même<br />

atelier. C’est là qu’ils lancent tous <strong>de</strong>ux l’idée <strong>du</strong> proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>film</strong> d’animation<br />

<strong>Persepolis</strong>, adapté <strong>de</strong> la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée qu’elle a réalisée. Sa participation va consister<br />

à ai<strong>de</strong>r l’auteur à découper le récit en plans <strong>et</strong> lui proposera l’intro<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> décors<br />

en arrière-plan pour atténuer l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> contraste très tranché <strong>de</strong> la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée.<br />

Il prendra également en charge ponctuellement certaines séquences.<br />

<strong>Marjane</strong> <strong>Satrapi</strong> entend poursuivre c<strong>et</strong>te collaboration pour son prochain <strong>film</strong>,<br />

Poul<strong>et</strong> aux prunes.<br />

2) L’animation traditionnelle en <strong>de</strong>ux dimensions<br />

La technique utilisée pour <strong>Persepolis</strong> est celle, ancestrale, <strong>de</strong> l’animation en <strong>de</strong>ux<br />

dimensions, fondée sur le <strong>de</strong>ssin réalisé manuellement. Elle consiste à décomposer<br />

les mouvements <strong>et</strong> les gestes par une succession <strong>de</strong> croquis <strong>du</strong> même personnage<br />

qui, proj<strong>et</strong>ée à 24 images par secon<strong>de</strong>, donnera l’illusion <strong>du</strong> mouvement en<br />

s’appuyant sur l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> persistance rétinienne. Pour ce faire, la réalisatrice a dû<br />

faire appel à <strong>de</strong> nombreux traceurs, dont le travail consiste à réaliser ces <strong>de</strong>ssins<br />

intermédiaires à partir d’une position donnée <strong>du</strong> personnage <strong>et</strong> <strong>de</strong> son apparence,<br />

<strong>de</strong>ssinée par la réalisatrice. Ensuite, celle-ci avait pour habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> mimer les<br />

actions, les expressions, la gestuelle, <strong>de</strong> les jouer telle une actrice, pour donner ses<br />

indications aux traceurs.<br />

Le second point important à souligner dans ce travail, est la manière dont le<br />

graphisme <strong>de</strong> <strong>Marjane</strong> <strong>Satrapi</strong> a évolué entre la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée <strong>et</strong> le <strong>film</strong>. Dans ce<br />

<strong>de</strong>rnier, le trait est plus fin, <strong>et</strong> les à-plats <strong>de</strong> noir, quoique toujours présents, voient<br />

leur contraste d’avec les blancs atténué par le recours à <strong>de</strong>s arrière-plans, <strong>de</strong>ssinés<br />

par <strong>Vincent</strong> Paronnaud. Celui-ci a choisi d’y intro<strong>du</strong>ire <strong>de</strong>s teintes intermédiaires,<br />

<strong>de</strong>s nuances <strong>de</strong> gris, qui <strong>de</strong> ce fait limitent les eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> contraste qui risquaient<br />

d’apparaître comme trop prégnants dans la logique <strong>de</strong> la projection<br />

cinématographique. Elle a également souvent abandonné la frontalité au profit<br />

d’une vision plus cinématographique, en perspective relative (le fond conserve en<br />

partie c<strong>et</strong>te impression d’à-plat), selon <strong>de</strong>s axes <strong>de</strong> biais.<br />

Afin <strong>de</strong> pouvoir m<strong>et</strong>tre en place une structure <strong>de</strong> pro<strong>du</strong>ction suffisante nécessaire<br />

pour parvenir à ce mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> réalisation image par image, une société a été créée<br />

spécialement, nommée 2.4.7 Films.<br />

Nous reviendrons au moment <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’adaptation sur la différence<br />

fondamentale <strong>de</strong> perception qui existe entre l’image fixe, perçue par l’œil <strong>du</strong> lecteur<br />

sur une planche, dans un album, <strong>et</strong> celle <strong>du</strong> spectateur, prise dans le mouvement,<br />

inscrite dans la <strong>du</strong>rée <strong>du</strong> récit cinématographique, nourrie <strong>de</strong> sons, <strong>de</strong> musiques, <strong>de</strong><br />

voix <strong>et</strong> soumise à <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> recadrage, <strong>de</strong> zooms avant <strong>et</strong> arrière <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

travellings, qui dynamisent l’image.<br />

3) Les trois passages <strong>du</strong> récit


L’intrigue <strong>du</strong> <strong>film</strong> reprend les éléments autobiographiques déjà présents dans la<br />

ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée en les synthétisant, en les regroupant, <strong>et</strong> en éliminant certains<br />

fragments (par exemple, l’allusion à la femme <strong>de</strong> ménage qui culpabilise <strong>Marjane</strong><br />

dans la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée, ou encore le port <strong>du</strong> voile <strong>de</strong>venant obligatoire à l’école).<br />

D’autres éléments sont délibérément ré<strong>du</strong>its, comme par exemple toute la pério<strong>de</strong><br />

mystique <strong>de</strong> la p<strong>et</strong>ite <strong>Marjane</strong>, persuadée d’être un nouveau prophète, qui occupe<br />

une dizaine <strong>de</strong> pages dans la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée alors qu’il n’y ait fait que <strong>de</strong> brèves<br />

allusions dans le <strong>film</strong>.<br />

On peut rassembler c<strong>et</strong>te intrigue <strong>autour</strong> <strong>du</strong> thème <strong>du</strong> passage, qui va se décliner<br />

<strong>autour</strong> <strong>de</strong> trois axes, personnel, géographique politique. Le premier passage<br />

qu’appréhen<strong>de</strong> le <strong>film</strong> est celui qui mène une enfant à l’âge a<strong>du</strong>lte en passant par<br />

l’adolescence. Le second relate le passage <strong>du</strong> personnage <strong>de</strong> l’Iran à l’Europe<br />

(L’Autriche en particulier) <strong>et</strong> ce que c<strong>et</strong>te expérience pro<strong>du</strong>it comme<br />

désenchantement, découverte, inquiétu<strong>de</strong>, déception. Le troisième passage est celui<br />

qui mène l’Iran d’un régime dictatorial contemporain à une « République<br />

islamique », régime religieux autoritaire <strong>et</strong> dogmatique qui est toujours en place. Le<br />

<strong>film</strong> va ainsi enchevêtrer ces trois dimensions prises chacune dans leur propre<br />

dynamique, en articulant le politique, le culturel, le public <strong>et</strong> le privé, jusque dans<br />

l’intimité <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te jeune fille <strong>de</strong>venant jeune femme.<br />

Ce parcours teinté d’ironie est raconté sans faux semblants, sans idéalisation ni<br />

pathos, n’évacuant pas les épiso<strong>de</strong>s douloureux, les moments <strong>de</strong> crise, d’égarement,<br />

les errances, la solitu<strong>de</strong> <strong>et</strong> les moments <strong>de</strong> désespoir con<strong>du</strong>isant <strong>Marjane</strong> à vouloir<br />

se suici<strong>de</strong>r. Ils sont constitutifs <strong>de</strong> son être, comme <strong>de</strong>s passages parfois<br />

douloureux, qui une fois traversés, dépassés, lui perm<strong>et</strong>tent d’accé<strong>de</strong>r à l’âge a<strong>du</strong>lte.<br />

La vie est ici montrée comme un apprentissage, une expérience risquée <strong>et</strong> parfois<br />

périlleuse qui amène l’être – la jeune fille - à peu à peu trouver son chemin, pris<br />

dans la tourmente <strong>de</strong> sa p<strong>et</strong>ite histoire <strong>et</strong> <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> histoire. Ainsi viennent<br />

émerger <strong>de</strong>s questions comme celles <strong>de</strong> l’engagement, <strong>de</strong> la différenciation par<br />

rapport à l’univers <strong>de</strong>s parents, la question <strong>de</strong> l’exil, <strong>de</strong> la sexualité, <strong>de</strong>s rapports<br />

d’amitiés <strong>et</strong> <strong>de</strong>s rapports amoureux, abordés dans une approche syncrétique où<br />

s’entrelacent cultures traditionnelles <strong>et</strong> originelles à <strong>de</strong>s formes plus<br />

contemporaines, bigarrées, liées à la jeunesse <strong>et</strong> aux influences occi<strong>de</strong>ntales (le<br />

rock, le punk par exemple).<br />

Pour parvenir à dresser un tableau qui r<strong>et</strong>race ces différentes expériences, le récit<br />

s’appuie sur une série <strong>de</strong> personnages récurrents, dans la sphère familiale, celle <strong>de</strong>s<br />

amis <strong>de</strong>s parents puis celle <strong>de</strong>s propres amis <strong>de</strong> <strong>Marjane</strong>, au gré <strong>de</strong> ses<br />

pérégrinations. D’autres figures apparaissent, comme dans la plupart <strong>de</strong>s familles,<br />

figures mythiques d’ancêtres héroïques ou d’amis disparus dont on conte les<br />

exploits <strong>et</strong> qui servent <strong>de</strong> modèles, d’appuis, <strong>de</strong> soutiens quand la relation aux<br />

parents s’avère difficile. Nous sommes ici dans un mon<strong>de</strong> singulier – celui d’une<br />

famille d’intellectuels communistes vivant <strong>de</strong> manière aisée à Téhéran jusqu’à la<br />

révolution <strong>de</strong> 1970, avec ses co<strong>de</strong>s, ses tics, ses contradictions, ses drôles<br />

d’assemblages culturels entre références ancestrales à la culture persane <strong>et</strong> lecture<br />

<strong>de</strong> Marx <strong>et</strong> <strong>de</strong> Lénine. Ainsi apparaît <strong>de</strong>vant nous un mon<strong>de</strong> qui se différencie <strong>de</strong>s


clichés que l’Occi<strong>de</strong>nt porte parfois sur l’Orient pourtant si proche, qui vient nous<br />

rappeler une fois <strong>de</strong> plus combien les échanges sont multiples <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s<br />

millénaires, <strong>et</strong> ce dans les <strong>de</strong>ux sens. On y trouve aussi une <strong>de</strong>scription précise <strong>de</strong> la<br />

manière dont beaucoup d’habitants <strong>de</strong> Téhéran parviennent à échapper aux diktats<br />

<strong>du</strong> nouveau régime en vivant une vie parallèle, recomposant dans la sphère privée<br />

ce que la vie publique n’autorise plus (les bars, les soirées, la danse, l’alcool, les<br />

rencontres, les discussions libres, l’écoute <strong>de</strong> musiques occi<strong>de</strong>ntales, le<br />

visionnement <strong>de</strong> <strong>film</strong>s, les débats d’idée <strong>et</strong>c.). Ainsi nous décrit-on <strong>de</strong> manière<br />

concrète <strong>et</strong> quotidienne comment une réalité sous-jacente parvient à maintenir <strong>de</strong>s<br />

fragments <strong>de</strong> liberté, dans <strong>de</strong>s limites bien définies <strong>et</strong> au risque parfois <strong>de</strong> se voir<br />

arrêter.<br />

C’est donc à la fois l’histoire d’une enfant unique é<strong>du</strong>qué par <strong>de</strong>s parents mo<strong>de</strong>rnes<br />

<strong>et</strong> compréhensifs, dans un milieu intellectuel éclairé <strong>et</strong> engagé qu’on nous conte,<br />

mais en même temps l’histoire d’une ville, d’un pays pris au piège d’un régime qui a<br />

su détourner à son profit une Révolution à forte dominante laïque. On y évoque<br />

aussi un <strong>de</strong>s grands traumatismes <strong>de</strong> l’Iran contemporain, la guerre avec l’Irak <strong>et</strong><br />

son exploitation par le régime <strong>de</strong>s Mollahs pour renforcer la répression contre les<br />

<strong>de</strong>rniers bastions <strong>de</strong> l’opposition <strong>et</strong> activer le fanatisme.<br />

Le point <strong>de</strong> vue qui se dégage est à la fois autobiographique <strong>et</strong> auto-ironique,<br />

n’hésitant pas à abor<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s situations triviales <strong>et</strong> parfois dévalorisantes pour<br />

donner plus <strong>de</strong> réalité aux personnages <strong>et</strong> au récit. Le <strong>film</strong> se refuse à insister sur la<br />

dimension pathétique <strong>de</strong> certaines situations, au risque parfois, d’entr<strong>et</strong>enir une<br />

légèr<strong>et</strong>é un peu forcée <strong>et</strong> parfois ré<strong>du</strong>ctrice.<br />

On pourrait s’amuser à dresser un portrait <strong>de</strong> groupes à partir <strong>de</strong>s différents cercles<br />

qui gravitent <strong>autour</strong> <strong>de</strong> <strong>Marjane</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa famille, repérer les liens qui se font <strong>et</strong> se<br />

défont en fonction <strong>de</strong> l’apprentissage <strong>du</strong> personnage. De même, on pourrait<br />

dresser une sorte <strong>de</strong> catalogue sociologique <strong>de</strong>s différentes figures, <strong>et</strong> repérer, au<br />

<strong>de</strong>là <strong>du</strong> cliché, leur singularité (la grand-mère, par exemple, à la fois « pétroleuse »<br />

<strong>et</strong> traditionnelle sous certains aspects, compréhensive <strong>et</strong> autoritaire, complexe en<br />

somme).<br />

Le récit est construit en flash-back, à la différence <strong>de</strong> la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée, qui est à la<br />

fois chronologique <strong>et</strong> thématique (chaque chapitre est ainsi nommé, « Le foulard »,<br />

par exemple, qui ouvre le premier tome). La narration <strong>film</strong>ique est elliptique, passe<br />

beaucoup par la parole (récit <strong>de</strong>s dialogues <strong>et</strong> récit indirect <strong>de</strong> la voix off) <strong>et</strong> choisit<br />

souvent <strong>de</strong> styliser les séquences d’action, indivi<strong>du</strong>elles ou collectives (la tentative<br />

<strong>de</strong> suici<strong>de</strong>, l’amour, la guerre, les manifestations <strong>et</strong> la répression par exemple). Tout<br />

ce qui renvoie à la cruauté <strong>du</strong> régime va être représenté <strong>de</strong> manière encore plus<br />

stylisée, à travers le recours à <strong>de</strong>s formes expressionnistes ou les corps <strong>et</strong> les obj<strong>et</strong>s<br />

<strong>de</strong>viennent épurés, simplifiés, déformés, ren<strong>du</strong>s plus graphiques (les chars, les<br />

bombar<strong>de</strong>ments, les policiers masqués qui chargent, le manifestant agonisant <strong>et</strong>c.).<br />

Peu à peu, une dimension fantastique émerge au sein <strong>de</strong> la réalité, comme dans un<br />

songe ou un cauchemar, pour tra<strong>du</strong>ire les sentiments qui excè<strong>de</strong>nt le quotidien, la<br />

conscience, le supportable, le maîtrisé. Le tragique fait ainsi son apparition à travers


ces graphismes qui décollent explicitement d’une représentation réaliste pour<br />

<strong>de</strong>venir symboliques.<br />

D’une manière générale, le <strong>de</strong>ssin se veut stylisé, par son épure <strong>et</strong> par le recours<br />

assez fréquent à une semi-frontalité. On n’est pas tout à fait dans les axes <strong>de</strong>s<br />

champs/contre-champs habituels <strong>du</strong> cinéma, mais pas non plus dans la frontalité<br />

affirmée <strong>de</strong> la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée. Le trait <strong>du</strong> <strong>de</strong>ssin, dans le <strong>film</strong>, est délibérément<br />

simplifié, les corps <strong>et</strong> les volumes en général sont en à-plat <strong>et</strong> <strong>Marjane</strong> <strong>Satrapi</strong><br />

n’hésite pas à juxtaposer les styles <strong>de</strong> manière hétérogène : stylisation<br />

expressionniste, rappel <strong>de</strong>s gravures persanes, miniatures, enluminures, théâtre <strong>de</strong><br />

marionn<strong>et</strong>tes indiennes… Le <strong>film</strong> ainsi porte en lui le syncrétisme culturel <strong>du</strong><br />

personnage <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Iran en même temps, il en est l’écho, le miroir esthétique.<br />

Le récit va se dérouler en affrontant tous les « passages obligés » liés au contexte <strong>de</strong><br />

l’Iran contemporain : le port obligatoire <strong>du</strong> voile <strong>et</strong> son évolution, la guerre avec<br />

l’Irak, les manifestations <strong>de</strong> protestation, le soirées clan<strong>de</strong>stines, l’alcool, la<br />

répression au quotidien, l’incohérence <strong>et</strong> l’absurdité <strong>du</strong> totalitarisme, le mariage<br />

comme stratégie <strong>de</strong> survie, la complexité <strong>du</strong> divorce, le trafic <strong>de</strong> CD <strong>et</strong> <strong>de</strong> DVD<br />

illégaux <strong>et</strong>c. De même, tous les suj<strong>et</strong>s ayant trait à l’adolescence sont plus ou moins<br />

abordés, la relation aux parents (par exemple le conflit avec la mère par rapport au<br />

mariage, la relation critique au père jugé trop larmoyant), les premiers amours, la<br />

sexualité, la tentation <strong>du</strong> suici<strong>de</strong>, le reniement… Nous voyons se <strong>de</strong>ssiner, en<br />

même temps que le portrait en métamorphose <strong>de</strong> <strong>Marjane</strong>, celui d’une génération<br />

en train d’émerger, faite <strong>de</strong> refus idéologique, mue par un nihilisme revendiqué, une<br />

forme <strong>de</strong> désenchantement affichée <strong>de</strong> manière ostentatoire <strong>et</strong> nourrie d’une forme<br />

<strong>de</strong> repli narcissique <strong>et</strong> souvent mutique, hantée par la solitu<strong>de</strong> aussi. Ainsi le<br />

recours à la couleur est-il utilisé délibérément <strong>de</strong> manière très limitée au début pour<br />

mieux plonger le <strong>film</strong> <strong>et</strong> le spectateur par la suite dans un univers plus contrasté <strong>et</strong><br />

souvent assez noir. Vont s’y mêler réalisme (<strong>de</strong>s dialogues, <strong>de</strong>s situations) <strong>et</strong><br />

stylisation, épure, simplification délibérée <strong>du</strong> graphisme, <strong>du</strong> découpage, <strong>de</strong>s<br />

mouvements <strong>de</strong> recadrage, <strong>de</strong> travellings, <strong>de</strong> panoramique dans l’image. On y<br />

multiplie les référents – musicaux, cinématographiques, littéraires – pour mieux<br />

exprimer la dimension d’éparpillement d’une génération privée <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> pensée<br />

unique (religieux, culturel ou politique ou philosophique).<br />

4) L’adaptation, <strong>de</strong> la case au plan<br />

Toute adaptation cinématographique est une appropriation. Il s’agit à la fois <strong>de</strong><br />

respecter l’univers <strong>de</strong> l’œuvre initiale <strong>et</strong> <strong>de</strong> la transformer, avec une autre structure,<br />

un autre langage, d’autres signes, qui ne peuvent être équivalents, correspondants.<br />

Même les dialogues n’ont pas le même eff<strong>et</strong> d’être lus ou enten<strong>du</strong>s lorsqu’ils sont<br />

prononcés par un acteur. La question posée par l’adaptation <strong>de</strong> <strong>Persepolis</strong> est<br />

singulière à plus d’un titre puisqu’il s’agit <strong>de</strong> passer <strong>de</strong> la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée au <strong>film</strong>, <strong>de</strong><br />

reprendre un premier récit autobiographique <strong>et</strong> <strong>de</strong> le transposer à l’écran, par le<br />

cinéma d’animation. Ce qui pourrait sembler <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> l’évi<strong>de</strong>nce – le passage<br />

<strong>de</strong> la B.D. au cinéma, tous d’eux constitués d’images - est en fait un leurre (un peu


comme le théâtre ne peut être adapté mécaniquement au cinéma). Une case n’est<br />

pas un plan. L’œil <strong>et</strong> le cerveau ne fonctionnent pas <strong>de</strong> la même façon face à une<br />

planche (elliptique, créant un eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> manque par rapport à la réalité, compensée<br />

ensuite par <strong>de</strong>s eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> style, un travail sur l’ellipse <strong>et</strong> la perception globale d’une<br />

ou <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux pages) <strong>et</strong> face à une succession <strong>de</strong> plans, <strong>de</strong> sons qui élaborent, font<br />

entendre immédiatement <strong>de</strong>s timbres <strong>de</strong> voix <strong>et</strong> <strong>de</strong>s sons, montrent dans l’instant<br />

paysages, corps, visages. Par ailleurs, le cinéma, art <strong>du</strong> mouvement, est aussi, par<br />

conséquence celui qui entr<strong>et</strong>ient, d’une manière encore plus forte que la<br />

photographie, un lien très fort avec la réalité. C<strong>et</strong>te puissance <strong>de</strong> réalisme inhérente<br />

au cinéma a aussi ses contraintes, qui ont obligé <strong>Marjane</strong> <strong>Satrapi</strong> à recomposer une<br />

nouvelle œuvre avec ses propres co<strong>de</strong>s, à partir <strong>de</strong> l’ancienne. Premier problème<br />

posé, celui <strong>de</strong> la <strong>du</strong>rée : on ne peut raconter cinq volumes <strong>de</strong> ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée en<br />

une heure trente. Il faut donc sélectionner, synthétiser, simplifier. Au risque<br />

parfois, <strong>et</strong> le <strong>film</strong> en souffre à certains moments, <strong>de</strong> perdre les subtilités que le<br />

graphisme, la déconstruction, la symbolique <strong>de</strong> la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée autorisait. Autre<br />

nécessité pour le cinéma, fut-il d’animation : l’incarnation. La voix <strong>de</strong>s acteurs <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong>s actrices, les sons d’ambiance, la musique diégétique <strong>et</strong> extra diégétique vont<br />

contribuer à c<strong>et</strong>te dimension, au risque d’en faire parfois un peu trop en faisant<br />

surjouer par les voix <strong>et</strong> les expressions ce que le texte <strong>et</strong> les dialogues disent déjà <strong>de</strong><br />

manière implicite. Ce travail d’incarnation court aussi le risque, à trop incarner <strong>et</strong> à<br />

trop con<strong>de</strong>nser, <strong>de</strong> rendre trop trivial, trop léger ce qui, dans la tête <strong>de</strong> la p<strong>et</strong>ite<br />

<strong>Marjane</strong>, est une question grave. Il semble que le <strong>film</strong> a parfois <strong>du</strong> mal à r<strong>et</strong>rouver<br />

c<strong>et</strong> équilibre plus subtil <strong>de</strong> la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée entre auto-ironie <strong>et</strong> prise au sérieux<br />

<strong>de</strong>s questionnements <strong>du</strong> personnage, particulièrement dans l’enfance. Il suffit pour<br />

s’en convaincre <strong>de</strong> lire dans la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée tout ce qui concerne la pério<strong>de</strong><br />

« mystique » <strong>de</strong> <strong>Marjane</strong> (dans ses dialogues avec Dieu, Marx ou Descartes), traitée<br />

avec une ironie distante <strong>et</strong> une gran<strong>de</strong> vitesse par le <strong>film</strong>, pour mieux comprendre à<br />

quel point l’adaptation parfois ré<strong>du</strong>it certains suj<strong>et</strong>s, à trop vouloir en dire en un<br />

temps limité. Pour autant, on r<strong>et</strong>rouve beaucoup <strong>de</strong> l’esprit <strong>de</strong> la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée <strong>et</strong><br />

on découvre <strong>de</strong> belles inventions graphiques en mouvement propres au cinéma <strong>de</strong><br />

manière souvent réussie. Lorsqu’on analyse certaines planches ou parties <strong>de</strong><br />

planches <strong>de</strong> la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée reprises par le <strong>film</strong>, on peut mesurer le travail qui a<br />

été fait, notamment pour dépasser la frontalité initiale <strong>et</strong> intro<strong>du</strong>ire un découpage<br />

<strong>de</strong> l’espace cinématographique (<strong>de</strong>s champs/contre-champs ou <strong>de</strong>s travellings par<br />

exemple). On peut aussi observer comment le graphisme en mouvement autorise<br />

les personnages à avoir <strong>de</strong>s expressions changeantes, à se mouvoir, à exprimer par<br />

<strong>de</strong>s gestes leurs émotions <strong>et</strong> <strong>de</strong> ce fait user d’une nouvelle pal<strong>et</strong>te <strong>de</strong> signes.<br />

5) L’angle mort <strong>du</strong> cinéma<br />

Si <strong>Persepolis</strong> nous intéresse, c’est aussi parce que ce <strong>film</strong> s’inscrit dans une série <strong>de</strong><br />

pro<strong>du</strong>ctions cinématographiques récentes ayant en commun le fait d’inventer <strong>de</strong>s<br />

formes <strong>de</strong> représentation qui perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> contourner certaines impossibilités ou<br />

certains interdits <strong>du</strong> cinéma classique. Ainsi, pour <strong>Marjane</strong> <strong>Satrapi</strong>, faire un <strong>film</strong>


d’animation lui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> raconter une histoire dont la reconstitution se serait<br />

avérée complexe, coûteuse <strong>et</strong> problématique si il s’était agi <strong>de</strong> tourner sur le lieu<br />

même <strong>de</strong> l’action <strong>et</strong> <strong>de</strong> trouver son alter-ego au cinéma. On peut dire à ce titre que<br />

la dimension poétique, expressionniste <strong>et</strong> métaphorique qui fait le charme <strong>de</strong><br />

<strong>Persepolis</strong> s’appuie sur le recours au <strong>de</strong>ssin animé <strong>et</strong> sur ses possibilités, dans le style<br />

affirmé <strong>de</strong> son auteur qui s’ouvre ici à d’autres tentatives, d’autres perspectives par<br />

rapport à son travail <strong>de</strong> ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée. On peut faire un parallèle entre <strong>Persepolis</strong> <strong>et</strong><br />

d’autres réalisations telles que Valse avec Bachir d’Ari Folman (2008) qui raconte en<br />

recourant au cinéma d’animation le massacre <strong>de</strong>s camps <strong>de</strong> réfugiés palestiniens <strong>de</strong><br />

Sabra <strong>et</strong> Chatila par les Phalangistes au Liban, avec le soutien plus ou moins actif<br />

<strong>de</strong> l’armée israélienne à laquelle l’auteur appartenait. Il s’agit, avec l’animation, à la<br />

fois <strong>de</strong> raconter l’histoire cachée mais aussi <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en question, en recourant à<br />

certains eff<strong>et</strong>s stylistiques propres à ce type <strong>de</strong> cinéma, la notion <strong>de</strong> mémoire <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l’oubli par ceux qui ont été témoins <strong>de</strong> telles horreurs, jouant là encore en partie <strong>de</strong><br />

la dimension autobiographique. D’une autre manière, le <strong>film</strong> d’Avi Mograbi, Z32<br />

(2009), recourt au trucage numérique (en fabriquant un faux visage pour masquer le<br />

vrai visage d’un jeune homme ayant participé à un massacre <strong>de</strong> l’armée israélienne<br />

perpétrée contre <strong>de</strong>s policiers palestiniens). Ce visage factice, montré comme tel<br />

par la révélation <strong>de</strong>s trucages au spectateur (la main qui passe <strong>et</strong> efface<br />

momentanément le visage) est une autre forme <strong>de</strong> représentation, entre la réalité<br />

<strong>film</strong>ée <strong>et</strong> la fiction fabriquée <strong>de</strong> toute pièce par reconstitution numérique, <strong>et</strong><br />

donnée à voir comme telle, pour révéler une vérité récente en l’incarnant, autant<br />

que faire se peut, en contournant les impossibilités ou plutôt en les exploitant pour<br />

créer <strong>de</strong> nouvelles formes qui se chargent d’un poids symbolique (redonner un<br />

visage à celui qui en est privé). On pourrait ajouter à c<strong>et</strong>te liste le récent <strong>film</strong> <strong>de</strong><br />

Brian <strong>de</strong> Palma, Redacted (2007), qui est uniquement constitué <strong>de</strong> fausses images<br />

documentaires aux différents statuts (journal <strong>film</strong>é, documentaire audiovisuel, blog,<br />

caméras <strong>de</strong> surveillance, vidéos d’amateurs, reportages télévisés, images infrarouges<br />

<strong>et</strong>c.) utilisées pour rem<strong>et</strong>tre en scène le processus lent <strong>de</strong> révélation d’une<br />

information – le viol d’une jeune Irakienne <strong>et</strong> le massacre <strong>de</strong> toute sa famille par<br />

<strong>de</strong>s militaires américains – à travers différents médias jusqu’à ce que l’affaire éclate<br />

au grand jour. Même si les démarches <strong>de</strong> ces réalisateurs sont très différentes les<br />

unes <strong>de</strong>s autres, elles ont en commun d’inventer <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> narration parfois<br />

hétérogènes où s’entrelacent documentaire <strong>et</strong> fiction d’une manière pas toujours<br />

simple à discerner, pour pouvoir relater <strong>de</strong>s évènements qu’une mise en scène <strong>de</strong><br />

fiction classique peinerait à obtenir ou n’y parviendrait pas, <strong>du</strong> fait <strong>de</strong>s interdits ou<br />

<strong>de</strong>s coûts qu’elle engendrerait. Ce cinéma <strong>de</strong> « l’angle mort » 1 , qui recourt à <strong>de</strong>s<br />

mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> représentation spécifiques (auxquels le cinéma d’animation appartient),<br />

entre réalité <strong>et</strong> fiction, entre <strong>de</strong>ssin <strong>et</strong> cinéma, nous perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> saisir une réalité<br />

contemporaine qui resterait sans ces <strong>film</strong>s en gran<strong>de</strong> partie inaccessible au<br />

spectateur.<br />

1 Je renvoie à un article que j’ai écrit sur le suj<strong>et</strong>, « L’angle mort », dans la revue Trafic n°69,<br />

printemps 2009, éd. P.O.L, Paris, p.5 <strong>et</strong> suiv.

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