Livret Pédagogique CNC de La Famille Tenenbaum - Les Yeux Verts
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<strong>de</strong> contrariété qui la ronge <strong>de</strong> l’intérieur. <strong>La</strong> mélancolie semble une donne <strong>de</strong><br />
départ et préexiste littéralement au récit, comme le suggèrent ces plans frontaux<br />
cadrés sur le visage attristé <strong>de</strong>s personnages (qui semblent bou<strong>de</strong>r en permanence),<br />
portraits figés dans l’hébétu<strong>de</strong> qui ponctuent la plupart <strong>de</strong>s séquences.<br />
Le passé apocalyptique <strong>de</strong> la famille, sur lequel vient buter tout le film, est mis<br />
en avant dès le flash-back programmatique <strong>de</strong> l’ouverture, résumé par cette<br />
remarque du narrateur empreinte <strong>de</strong> noirceur et <strong>de</strong> fatalisme : « toute trace du<br />
génie <strong>de</strong>s jeunes <strong>Tenenbaum</strong> avait été effacée par <strong>de</strong>ux décennies <strong>de</strong> trahison,<br />
d’échec et <strong>de</strong> désastre. » C’est qu’An<strong>de</strong>rson ne situe pas sa comédie dans le présent<br />
<strong>de</strong> la désintégration familiale mais dans un après du désastre qui conditionne<br />
tout le récit comme un vieux socle <strong>de</strong> pesanteur et d’inertie : il s’agit dès le départ<br />
<strong>de</strong> recoller les morceaux, <strong>de</strong> rassembler un collectif ayant explosé <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s<br />
lustres (22 ans exactement) à l’épicentre <strong>de</strong> son effondrement, le foyer familial.<br />
Evaporation mélancolique<br />
Le burlesque est par essence le lieu <strong>de</strong> la fracture et <strong>de</strong> l’explosivité : en choisissant<br />
<strong>de</strong> rompre avec sa temporalité classique (présent pur, instantanéité),<br />
An<strong>de</strong>rson exténue ses gran<strong>de</strong>s figures – le gag, la composition et la chorégraphie<br />
– dans un sfumato vaporeux. Face à cette évaporation mélancolique que provoque<br />
le choix <strong>de</strong> situer la comédie dans l’après-catastrophe, la réponse du père,<br />
une fois la famille réunie à nouveau, sonne comme une tentative <strong>de</strong> salut un peu<br />
désespérée (« rattraper le temps perdu »). Le burlesque <strong>de</strong> <strong>La</strong> <strong>Famille</strong> <strong>Tenenbaum</strong><br />
repose donc sur la tentative <strong>de</strong> forcer une donne <strong>de</strong> départ arbitraire (d’où son goût<br />
pour une certaine outrance dans les comportements, les accoutrements, à l’image<br />
du personnage enjoué et hyperactif <strong>de</strong> Royal) mais ce forçage semble quelque<br />
peu tourner à vi<strong>de</strong>, dilué dans l’atmosphère alanguie et volatile du film.<br />
De là cette hantise <strong>de</strong> la mort (la maladie imaginaire du père est décrite en <strong>de</strong>s<br />
termes concrets et scientifiques) et ces effets <strong>de</strong> ralentissement qui grippent la<br />
vitesse <strong>de</strong> la comédie. De là aussi cette impression d’enfermement qui domine,<br />
emblématisée par l’amour incestueux qui lie Margot et Richie – bien que Margot<br />
ne soit que fille adoptive <strong>de</strong> Royal. Même symbolique, l’inceste est l’un <strong>de</strong>s<br />
thèmes qui pèse avec le plus <strong>de</strong> force sur le film, non sans une certaine morbidité.<br />
Entre autres secrets familiaux qui rongent le récit, c’est lui qui amène<br />
notamment à la séquence la plus dérangeante du film, cette tentative <strong>de</strong> suici<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> Richie dont la violence graphique – le sang qui coule à flots, la tache pourpre<br />
sur le tee-shirt <strong>de</strong> Dudley – secoue l’esthétique par ailleurs volontiers enfantine<br />
d’An<strong>de</strong>rson. Dans cette perspective, même la scène <strong>de</strong> baiser entre Margot et<br />
Richie se couvre d’un voile d’échec et <strong>de</strong> désillusion, ponctuée par cette réplique<br />
amère et résignée (« s’en tenir à ça »).<br />
Tout le film joue ainsi d’une série d’oppositions entre fantaisie et gravité, fable<br />
enjouée et chronique dépressive d’un collectif qui refuse <strong>de</strong> prendre. Et c’est au<br />
couple que revient <strong>de</strong> prendre en charge cette dualité sur laquelle repose <strong>La</strong><br />
<strong>Famille</strong> <strong>Tenenbaum</strong>. Au père la rumination du passé, la tentative <strong>de</strong> fuite par l’imaginaire,<br />
le foyer familial transformé en super cabane d’enfants, la régression<br />
(lorsque Chas vient éteindre la lumière <strong>de</strong> la chambre <strong>de</strong> son père), le plaisir infernal<br />
du stratagème, du déguisement et <strong>de</strong>s 400 coups ; à la mère, au contraire,<br />
la raison, la mesure et le retour d’un principe <strong>de</strong> réalité qui agit comme un point<br />
d’équilibre à atteindre et un horizon possible <strong>de</strong> recommencement. Entre les<br />
<strong>de</strong>ux, un espace béant – celui du film – dans lequel réapprendre à vivre<br />
ensemble, à la recherche <strong>de</strong> ce temps perdu, idéal, dont les <strong>Tenenbaum</strong> portent<br />
le <strong>de</strong>uil permanent.<br />
O u v e r t u r e<br />
<strong>Pédagogique</strong> 1<br />
DU RIRE OU DES LARMES ?<br />
<strong>La</strong> <strong>Famille</strong> <strong>Tenenbaum</strong> a <strong>de</strong> quoi déconcerter.<br />
<strong>La</strong> mise en scène semble hésiter<br />
entre la comédie enlevée (vivacité du montage,<br />
costumes et décors clinquants) et le<br />
film d'auteur à sujet grave (fixité <strong>de</strong>s<br />
cadres, poses hiératiques <strong>de</strong>s personnages).<br />
Le casting promet bien une franche<br />
comédie mais la plupart <strong>de</strong>s personnages<br />
se révèlent dépressifs. L'indécision <strong>de</strong> ton<br />
étant le propre <strong>de</strong> l'univers <strong>de</strong> Wes<br />
An<strong>de</strong>rson, on pourra tirer parti du léger<br />
malaise qu'auront certainement ressenti<br />
les élèves pendant le film, pour étudier<br />
comment se met en place le style du<br />
cinéaste.<br />
On pourra d'abord revenir avec eux sur<br />
les sentiments qu'ils ont éprouvés à<br />
l'égard <strong>de</strong>s différents personnages. Royal<br />
<strong>Tenenbaum</strong> leur a-t-il été antipathique ou<br />
ont-ils été touchés par sa volonté <strong>de</strong><br />
reconstituer <strong>de</strong>s liens familiaux défaits ?<br />
Ont-ils trouvé Chas navrant dans son éternel<br />
survêtement rouge, ou ont-ils perçu sa<br />
détresse <strong>de</strong> veuf ? On essaiera ensuite <strong>de</strong><br />
trouver avec eux les éléments <strong>de</strong> mise en<br />
scène qui créent cette émotion ambivalente.<br />
Comment la gravité <strong>de</strong> certaines<br />
scènes est-elle perturbée par l'intrusion <strong>de</strong><br />
la comédie (Royal annonçant à ses enfants<br />
qu'il quitte la maison) ? Comment<br />
certains gags sont-ils désamorcés, provoquant<br />
un rire gêné (la simulation d'incendie<br />
chez Chas) ?<br />
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