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JE ME SOUVIENDRAI 2012 Mouvement social au ... - La boîte à bulles

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ISBN : 978-2-84953-160-0<br />

21,0 €<br />

www.la-boite-a-<strong>bulles</strong>.com<br />

<strong>2012</strong>.<br />

Porté par un mouvement étudiant sans<br />

précédent <strong>au</strong> Canada, le Québec est<br />

depuis de longs mois, témoin, spectateur,<br />

détracteur ou acteur d’une crise<br />

<strong>social</strong>e qui, quoi qu’il arrive désormais,<br />

<strong>au</strong>ra marqué son histoire, <strong>au</strong> même titre<br />

qu’octobre 1970.<br />

Journalistes, chroniqueurs, photographes,<br />

<strong>au</strong>teurs de BD, illustrateurs,<br />

Français et Québécois joignent leur voix<br />

dans ce collectif pour affirmer h<strong>au</strong>t et<br />

fort : Je me souviendrai.<br />

<strong>JE</strong> <strong>ME</strong> <strong>SOUVIENDRAI</strong> <strong>2012</strong> <strong>Mouvement</strong> <strong>social</strong> <strong>au</strong> Québec COLLECTIF


Nous tenons <strong>à</strong> remercier tout particulièrement <strong>La</strong> Presse et Le Devoir,<br />

ainsi que Dominic <strong>La</strong>chance et Nicolas Pellerin pour leur soutien.<br />

Les droits d'<strong>au</strong>teur de cet ouvrage seront reversés <strong>à</strong> Amnistie Internationale<br />

et <strong>au</strong> Fond d’aide <strong>à</strong> l’ASSÉ (Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante).<br />

<strong>La</strong> <strong>boîte</strong> <strong>à</strong> <strong>bulles</strong><br />

5 villa du petit valet 92160 Antony - France<br />

Conception graphique : Thomas B. Martin<br />

Un ouvrage coordonné par : Soulman<br />

Direction artistique : Soulman et Thomas B. Martin<br />

Dessin de couverture et titre du recueil : Thomas B. Martin<br />

Révision : Simon Brousse<strong>au</strong>, Vincent Henry, Delphine Person, Marie-Eve Muller<br />

Dépôt légal : août <strong>2012</strong><br />

isbn : 978-2-84953-160-0<br />

© <strong>2012</strong> <strong>La</strong> Boîte <strong>à</strong> <strong>bulles</strong> & les <strong>au</strong>teurs du collectif<br />

Tous droits de reproduction réservés.<br />

www.la-boite-a-<strong>bulles</strong>.com<br />

vincent@la-boite-a-<strong>bulles</strong>.com<br />

Sommaire<br />

PRÉAMBULE 6-9<br />

DÉCEMBRE 2010 À FÉVRIER <strong>2012</strong> 10-21<br />

Des origines <strong>à</strong> la grève générale illimitée (GGI)<br />

MARS <strong>2012</strong> 22-55<br />

Le Québec se mobilise<br />

AVRIL <strong>2012</strong> 56-101<br />

Jour de la Terre et Plan Nord<br />

MAI <strong>2012</strong> 102-181<br />

Durcissement du conflit, loi 78 et casseroles<br />

JUIN <strong>2012</strong> 182-245<br />

Grand Prix de F1 de Montréal et Loi Omnibus C-38<br />

6


7<br />

« Le citoyen doit-il un seul instant, dans quelque mesure que ce<br />

soit, abandonner sa conscience <strong>au</strong> législateur ? Pourquoi, alors,<br />

chacun <strong>au</strong>rait-il une conscience ? Je pense que nous devons<br />

d’abord être des hommes, des sujets ensuite. »<br />

— Henry David Thore<strong>au</strong> - <strong>La</strong> loi, la conscience et le juste<br />

Préambule<br />

Soulman<br />

Porté par un mouvement étudiant sans précédent <strong>au</strong> Canada, le Québec<br />

est depuis de longs mois témoin, spectateur, détracteur ou acteur d’une<br />

crise <strong>social</strong>e qui, quoi qu’il arrive désormais, <strong>au</strong>ra marqué son histoire, <strong>au</strong><br />

même titre qu’octobre 1970. Pas une famille, pas une réunion de travail,<br />

pas une p<strong>au</strong>se cigarette n’<strong>au</strong>ra évité ce débat. Des amitiés en <strong>au</strong>ront souffert<br />

et d’<strong>au</strong>tres seront nées ; certains de nos voisins ne sont plus de parfaits<br />

étrangers alors que certains parents le sont devenus. Tout ou presque a été<br />

dit ou écrit sur le sujet, tellement différemment d’une source d’information<br />

<strong>à</strong> une <strong>au</strong>tre : tout le monde a donné son avis, pertinent ou non.<br />

Alors pourquoi ce collectif ?<br />

Parce que, tout d’abord, le monde<br />

d’<strong>au</strong>jourd’hui va vite, trop vite. Parce que<br />

la magie d’internet, de facebook, c’est qu’on<br />

peut lire tous les jours des textes qu’un ami<br />

ou l’ami d’un ami parfaitement inconnu a<br />

posté sur son mur, parce qu’on peut voir<br />

d’un simple clic un court-métrage, une<br />

photo, un article qui va nous informer,<br />

nous émouvoir, nous révolter, mais qui,<br />

deux heures après, sera déj<strong>à</strong> oublié.<br />

Parce qu’<strong>à</strong> peine sorties de l’e<strong>au</strong>, ces petites<br />

perles ont déj<strong>à</strong> disparu dans le courant<br />

d’une information continue et intarissable.<br />

Parce que les textes réunis ici méritent plus<br />

que le temps d’une simple p<strong>au</strong>se café avant<br />

une réunion, ces photos, ces illustrations<br />

méritent plus d’attention que quelques<br />

clics dans un bus, en attendant son arrêt.<br />

Parce qu’enfin, malgré tout ce qu’on nous<br />

en a dit, quand je repenserai <strong>à</strong> cette année<br />

<strong>2012</strong>, je ne me rappellerai non pas la<br />

moindre « violence » ni la moindre « intimidation<br />

» mais, <strong>au</strong> contraire, cette multitude<br />

de gestes de solidarité, ces carrés rouges,<br />

ces casseroles, ces immenses marches<br />

pacifiques où les sourires ont fleuri et<br />

où les générations se sont mêlées. Je me<br />

souviendrai de tous ces symboles, de tous<br />

ces jeunes qui se sont conscientisés et de<br />

ces adultes qui se sont souvenus qu’ils<br />

avaient eux <strong>au</strong>ssi rêvé.<br />

8


9<br />

« Eh bien, je voudrais dire <strong>au</strong>x jeunes gens que l’absence de<br />

foi désoriente : pour que ce monde rime <strong>à</strong> quelque chose,<br />

il ne tient qu’<strong>à</strong> vous.<br />

Il ne tient qu’<strong>à</strong> l’homme, et c’est de l’homme qu’il f<strong>au</strong>t<br />

partir. Le monde, ce monde absurde, cessera d’être absurde,<br />

il ne tient qu’<strong>à</strong> vous. Le monde sera ce que vous le ferez. »<br />

Cet ouvrage est né maintes fois.<br />

Une première fois, en janvier 2009, quand<br />

mon ami Maximilien Le Roy m’a demandé<br />

de participer <strong>au</strong> collectif Gaza, réuni<br />

et édité dans l’urgence d’un drame en<br />

Palestine où des milliers de civils<br />

mouraient dans l’indifférence pour<br />

l’injuste et inepte raison que personne<br />

n’entendait leur souffrance.<br />

Il est né <strong>au</strong> gré de ces discussions, de ces<br />

soirées mémorables où on refait le monde<br />

et où on a le sentiment qu’on peut changer<br />

les choses, passé une certaine heure et un<br />

certain nombre de bières. Des soirées où<br />

l’on regarde ses amis en se sentant fier<br />

d’eux et en les aimant encore un peu plus.<br />

— André Gide<br />

Il est né parce que, bien plus qu’une crise,<br />

c’est un éveil collectif que nous venons de<br />

vivre, la renaissance d’une identité et d’une<br />

conscience en tant qu’individus mais <strong>au</strong>ssi<br />

en tant que peuple. Ce livre n’est pas destiné<br />

<strong>à</strong> prêcher des convertis ni <strong>à</strong> exalter<br />

des « partisans » ; vous n’y trouverez ni<br />

haine, ni violence, ni m<strong>au</strong>vaise foi, peutêtre<br />

juste parfois un peu de frustration ou<br />

d’agacement. Il est l<strong>à</strong> pour tendre la main<br />

vers ceux qui ne comprennent pas encore,<br />

ouvrir le dialogue, informer et expliquer,<br />

calmement.<br />

J’ai préféré vous faire partager l’émotion<br />

ressentie en voyant cette petite-fille<br />

avec son grand-père dans Je marche <strong>à</strong><br />

nous de Samuel Matte<strong>au</strong> et Alexandre<br />

Isabelle, ou ce touchant regard d’amour<br />

dans J’entends quelqu’un qui se moque de<br />

Jimmy Be<strong>au</strong>lieu. J’espère que, vous <strong>au</strong>ssi,<br />

vous vous sentirez fiers de notre jeunesse<br />

et optimistes pour l’avenir en lisant avec<br />

un sourire la fougue et l’intelligence<br />

de Léa Clermont-Dion, en voyant ces illustrations,<br />

ces poèmes d’une nouvelle génération<br />

d’artistes ; que vous sortirez grandis,<br />

bouleversés et peut-être même transformés<br />

par la découverte des textes d’Hugo<br />

<strong>La</strong>tulippe, Normand Baillargeon, L<strong>au</strong>re<br />

Waridel ou Frédéric Dubois ; que vous<br />

aimerez la finesse et l’humour de Stéphane<br />

<strong>La</strong>porte, Adib Alkhalidey, Jackie San,<br />

Michel Falarde<strong>au</strong> ou Philippe Girard.<br />

Je pourrais vous citer tous les participants <strong>à</strong><br />

ce collectif un <strong>à</strong> un mais je vais plutôt vous<br />

laisser les découvrir, et nous espérons tous<br />

qu’après la lecture de Je me souviendrai<br />

vous refermerez ce livre avec une étincelle,<br />

une fierté, un espoir ou <strong>au</strong> moins un doute,<br />

une ouverture si son contenu n’est pas en<br />

harmonie avec vos convictions premières.<br />

En octobre 1961, suite <strong>au</strong> massacre de<br />

dizaines d’Algériens en France lors d’une<br />

manifestation pacifiste, le poète Kateb<br />

Yacine disait :<br />

« Peuple Français, tu as tout vu<br />

Oui, tout vu de tes propres yeux<br />

[...]<br />

Et maintenant vas-tu parler ?<br />

Et maintenant vas-tu te taire ? »<br />

Cinquante et un ans après, il pourrait<br />

nous demander <strong>à</strong> nouve<strong>au</strong> : gens du pays,<br />

maintenant que vous avez vu, que vous<br />

avez lu, allez-vous vous taire ?<br />

Vous souviendrez-vous ?<br />

10


11<br />

DÉCEMBRE 2010<br />

À FÉVRIER <strong>2012</strong><br />

Des origines<br />

<strong>à</strong> la grève générale illimitée (GGI)<br />

6 décembre 2010<br />

L’origine du conflit. Les syndicats et<br />

les associations étudiantes quittent la<br />

réunion entre Québec et les partenaires<br />

en éducation, furieux de la h<strong>au</strong>sse des<br />

frais de scolarité prévus pour améliorer<br />

le financement des universités en <strong>2012</strong>.<br />

Des milliers de personnes manifestent<br />

devant le Parlement.<br />

17 mars 2011<br />

Le ministre des Finances du Québec, dans<br />

son budget provincial, confirme la h<strong>au</strong>sse<br />

des frais de scolarité de 325$ par année<br />

pendant cinq ans <strong>à</strong> partir de l'<strong>au</strong>tomne<br />

<strong>2012</strong>. Les étudiants doivent payer leur<br />

« juste part » selon le gouvernement. Des<br />

centaines de personnes manifestent <strong>à</strong><br />

nouve<strong>au</strong>.<br />

10 novembre 2011<br />

À l’appel de la Coalition contre la tarification<br />

et la privatisation des services publics,<br />

une manifestation de 30 000 personnes a<br />

lieu <strong>à</strong> Montréal. Le premier ministre Jean<br />

Charest confirme que la h<strong>au</strong>sse sera maintenue.<br />

<strong>La</strong> Fédération Étudiante Collégiale<br />

du Québec (FECQ), la Fédération Étudiante<br />

Universitaire du Québec (FEUQ)<br />

et l’Association pour une Solidarité Syndicale<br />

Étudiante (ASSÉ) se positionnent<br />

déj<strong>à</strong> comme les leaders de la contestation<br />

étudiante.<br />

3 décembre 2011<br />

Création de la Coalition <strong>La</strong>rge de l’ASSÉ<br />

(CLASSE).<br />

13 février <strong>2012</strong><br />

Début de la grève, le mouvement de<br />

débrayage est amorcé. <strong>La</strong> grève générale<br />

illimitée est votée et compte <strong>à</strong> la mimars<br />

316 000 étudiants collégi<strong>au</strong>x et<br />

universitaires.<br />

L'École de la Montagne Rouge est créée.<br />

Leurs créations graphiques marqueront le<br />

mouvement pendant des mois.<br />

16 février<br />

Line Be<strong>au</strong>champ, ministre de l’éducation,<br />

envoie le mot d’ordre <strong>au</strong>x administrations<br />

collégiales et universitaires de ne pas tenir<br />

compte des votes de grève et enjoint les<br />

enseignants <strong>à</strong> franchir les piquets de grève.<br />

12


13<br />

Abécédaire populaire<br />

Hugo <strong>La</strong>tulippe<br />

le signal a été donné de nuit<br />

par nos ARTificiers<br />

Timing parfait…<br />

comme asphaltée par en-dedans,<br />

bouchée des deux bouttes<br />

l’espèce-civilisée avait commencé <strong>à</strong> traverser le siècle<br />

avec ses Lumières fermées !<br />

la BÊTE et ses courtiers trépignaient <strong>à</strong> genou<br />

pour le moindre petit pécule<br />

un bâtiment ami,<br />

venu du large<br />

nous a déversé des colonnes d’étoiles<br />

sur la batture…<br />

des barils de poètes !<br />

<strong>à</strong> cet endroit,<br />

lorsque le jour tombe et qu’il y a une percée de soleil<br />

le vent fait renverser les feuilles<br />

et comme par magie…<br />

nous avons défilé en cortège<br />

sur ce pays CRÉÉ<br />

serrés les uns sur les <strong>au</strong>tres, comme un très grand progrès<br />

dans le DÉSORDRE d’une chance incroyable<br />

aimantés par nos aspirations de toujours<br />

ÉTHERnelles, particulières…<br />

aspirés vers nos FOYERS anciens<br />

14


nos meilleurs philosophes<br />

postés<br />

(comme les GRECS)<br />

<strong>au</strong> milieu du torrent<br />

ont dit :<br />

<strong>à</strong> partir d’<strong>au</strong>jourd’hui,<br />

nous mènerons nos propres insurrections<br />

sur tous les lacs gelés du Nord et de l’intérieur<br />

nous marcherons <strong>à</strong> l’envers de l’époque <strong>au</strong> complet si il le f<strong>au</strong>t !<br />

le HOCKEY taillé dans l’épinette de nos gisements<br />

dégoupillés dans l’INDICIBLE<br />

mariés <strong>à</strong> l’air polaire d’<strong>au</strong>-travers nous<br />

JOUER dehors avec nos enfants-flèches<br />

nos enfants-fleuves<br />

connectés <strong>à</strong> ce qui permet de faire sens<br />

KEEP IT MOVING !<br />

nos petites écoles lumineuses cracheront des bataillons de petit monde pas un cade<strong>au</strong><br />

formés pour nous fendre<br />

nous fracturer<br />

formés pour nous contester L’ORDRE<br />

pour nous dire que le roi est nu !<br />

15<br />

ils seront une brèche<br />

une bravade<br />

un mouvement de chair<br />

comme <strong>au</strong> temps des hordes de caribous<br />

et avec eux,<br />

nous réapprendrons <strong>à</strong> MANGER le soir<br />

<strong>au</strong>tour de tables bondées d’amour<br />

le jour est venu d’imaginer d’<strong>au</strong>tres constellations<br />

d’<strong>au</strong>tres NORVÈGE, d’<strong>au</strong>tres Finlande, d’<strong>au</strong>tres Brésil, d’<strong>au</strong>tres Bolivie,<br />

de réveiller nos mots fragiles<br />

nos mots enfouis,<br />

bafoués ou enterrés<br />

nos mots carquois !<br />

nos voix qui disent OUI !<br />

qui demandent POURQUOI ?<br />

QU’EST-CE QUI EST SACRÉ pour un Québécois ?<br />

dans le grand effort de conscience que notre époque exige<br />

le jour est venu d’être ce qu’on RÊVE<br />

de faire ce qu’on dit<br />

le jour est venu de se bâtir une arche<br />

une arche comme un pays !<br />

<strong>au</strong> cas (SI)<br />

<strong>au</strong> cas où l’Alberta deviendrait notre TOMBEAU<br />

<strong>au</strong> cas où la déclaration UNIVERSELLE des droits de l’homme était brûlée<br />

sur l’<strong>au</strong>tel du commerce international<br />

une arche pour dire VOICI ! un peuple nourri de be<strong>au</strong>té<br />

et voici de quoi il est capable<br />

face <strong>au</strong>x géants<br />

<strong>à</strong> WALMART<br />

et la fin des temps<br />

vous verrez…<br />

nos filles et nos fils émergeront deboutte,<br />

comme une forme de l’art<br />

ils seront comme un vent ch<strong>au</strong>d, ils viendront de partout<br />

pour nous sortir le X des petites cases<br />

pour nous remettre le feu<br />

en arrière des YEUX<br />

nous serons ZAPATISTES de nouve<strong>au</strong><br />

nous nous interposerons par le rêve,<br />

Nous serons la marée<br />

et le Bouclier<br />

16


17<br />

18


21<br />

drea-portfolio.com<br />

22


23<br />

MARS <strong>2012</strong><br />

Le Québec se mobilise<br />

22 mars<br />

Près de 200 000 manifestants défilent<br />

pacifiquement dans les rues de Montréal<br />

contre la h<strong>au</strong>sse des frais de scolarité. C’est<br />

la plus grande manifestation étudiante<br />

dans l’histoire du Québec. Les images<br />

font le tour du monde. Le carré rouge est<br />

plus que jamais le symbole du mouvement<br />

contre la h<strong>au</strong>sse tandis que le carré vert<br />

rallie les étudiants en faveur du dégel.<br />

26 mars<br />

Court-métrage Je marche <strong>à</strong> nous de Samuel<br />

Matte<strong>au</strong> et Alexandre Isabelle.<br />

27 mars<br />

Plus de 2 300 enseignants signent le<br />

Manifeste des professeurs contre la h<strong>au</strong>sse,<br />

malgré les menaces de sanctions.<br />

Du 27 <strong>au</strong> 30 mars<br />

Les manifestants diversifient leurs<br />

actions. Ils tentent de bloquer le port et<br />

les ponts de Montréal, déroulent une<br />

banderole sur le toit des bure<strong>au</strong>x du<br />

Parti libéral du Québec, organisent des<br />

actions <strong>à</strong> Gatine<strong>au</strong>, Rimouski, Québec,<br />

se dénudent, se costument, manifestent <strong>à</strong><br />

vélo.<br />

<strong>La</strong> Fédération nationale des enseignantes<br />

et des enseignants du Québec exige un<br />

moratoire d’un an sur la h<strong>au</strong>sse.<br />

24


25<br />

Mémoires d’une journée rouge<br />

Bobby Aubé<br />

Les rayons du soleil s’infiltrent doucement<br />

par les fentes des ride<strong>au</strong>x. Je m’éveille <strong>à</strong><br />

nouve<strong>au</strong> seul dans ma chambre, tout juste<br />

sorti d’un rêve déj<strong>à</strong> oublié. Je regarde le<br />

cadran : il est neuf heures, ce qui me laisse<br />

suffisamment de temps pour terminer mes<br />

lectures. Bonheur d’occasion est resté sagement<br />

sur ma table de nuit, je l’ai laissé l<strong>à</strong> la<br />

veille avant de m’endormir en pensant <strong>à</strong> la<br />

mort du petit Daniel. Il est bien dommage<br />

que la jeunesse soit souvent hypothéquée<br />

avant de venir <strong>au</strong> monde.<br />

J’ouvre le livre ; je songe <strong>au</strong>x événements<br />

qui s’annoncent et cela m’empêche de<br />

me concentrer. Je réussis néanmoins <strong>à</strong> en<br />

terminer la lecture avant qu’il ne soit<br />

dix heures, et je me lève. Rapidement je<br />

déjeune, m’habille, me brosse les dents.<br />

Puis, j’empoigne mon sac sur lequel un<br />

petit carré rouge est accroché avec une<br />

épingle. Un soupir s’évade brusquement<br />

de mes poumons pendant que je regarde ce<br />

petit carré. Il f<strong>au</strong>t dire que depuis quelques<br />

jours, il me rend la vie difficile. Mais je<br />

l’assume, c’est mon choix, j’y ai réfléchi<br />

longtemps et j’ai décidé que je me battrais<br />

pour lui.<br />

Lorsque j’entre dans l’<strong>au</strong>tobus, plusieurs<br />

personnes me regardent. Certaines me<br />

sourient par solidarité, d’<strong>au</strong>tres semblent<br />

me mépriser ; je tente de ne pas m’en<br />

soucier. Je m’assieds sur un banc, en face<br />

d’un <strong>au</strong>tre étudiant ; il observe mon sac<br />

avant de lever le regard vers moi. Il semble<br />

hésiter quelques instants et me demande :<br />

— Dans quel programme que t’es ?<br />

Au ton de sa voix, je comprends bien qu’il<br />

n’est pas d’accord avec moi. Il voudra peutêtre<br />

me narguer lorsque je lui répondrai,<br />

mais tout de même, je me lance :<br />

— Littérature.<br />

Un sourire moqueur s’affiche sur ses lèvres.<br />

— Pour quoi faire ? reprend-il.<br />

— Enseigner.<br />

— Si t’as de la misère <strong>à</strong> payer tes études,<br />

pourquoi tu vas pas dans quelque chose<br />

qui peut te rapporter du cash pis où t’es sûr<br />

de te ramasser une job ?<br />

Je suis pris d’un soulèvement que je ne<br />

laisse pas paraître ; je ne pensais pas qu’il<br />

irait jusque-l<strong>à</strong>. Je décide de lui répondre<br />

simplement que c’est ce que je veux faire, ce<br />

qui clôt la conversation. Mais cela me laisse<br />

froid, et je songe : pourquoi la littérature ?<br />

26


Un professeur m’a dit un jour qu’une<br />

nation sans histoire ni littérature n’est rien,<br />

car c’est l<strong>à</strong> l’âme d’un peuple. L’histoire<br />

est née avec l’invention de l’écriture ; ce<br />

geste d’ouverture est <strong>au</strong> fondement de la<br />

mémoire collective, qui permet <strong>à</strong> l’être<br />

humain de préserver son passé afin de ne<br />

pas répéter les erreurs qu’il a déj<strong>à</strong> commises.<br />

Je pense <strong>à</strong> Voltaire, <strong>à</strong> Hugo, <strong>à</strong> Rousse<strong>au</strong>,<br />

<strong>à</strong> Dumas, <strong>à</strong> Zola et <strong>à</strong> tous ces grands<br />

hommes qui ont marqué notre conscience<br />

collective. Ces écrivains du XVIIIe et XIXe<br />

siècles qui ont façonné l’histoire, ceux<br />

qui, grâce <strong>à</strong> leur profondeur d’esprit, <strong>à</strong><br />

leurs idées novatrices, ont permis <strong>à</strong> leurs<br />

contemporains de se soulever contre une<br />

monarchie qui les avait trop longtemps<br />

écrasés dans la p<strong>au</strong>vreté et la misère.<br />

L’histoire défile en moi ; les idées des<br />

Lumières, la liberté de presse, la Révolution<br />

française, la Déclaration des droits<br />

de l’homme, la naissance de l’instruction<br />

publique qui a fait éclore la démocratie.<br />

27<br />

Mais alors que ces images me viennent <strong>à</strong><br />

l’esprit, que ces passions se soulèvent en<br />

moi comme elles l’ont si souvent fait, je<br />

remarque que l’étudiant devant se moque<br />

encore, et je l’entends murmurer :<br />

— Osties d’<strong>social</strong>istes.<br />

Quelle ironie ! Comment pouvons-nous<br />

mépriser ces hommes et femmes qui<br />

ont mené des mouvements afin de lutter<br />

contre les injustices, comme l’esclavage,<br />

l’homophobie, le racisme, le sexisme, la<br />

surexploitation des ouvriers, la p<strong>au</strong>vreté,<br />

l’intolérance religieuse, et j’en passe ?<br />

Comment pouvons-nous, sans remords,<br />

offenser la mémoire de ceux qui nous ont<br />

permis d’évoluer jusqu’<strong>à</strong> <strong>au</strong>jourd’hui ?<br />

Et il ose me parler d’argent ! D’abord estce<br />

que je vais <strong>à</strong> l’université seulement<br />

pour faire de l’argent ? Pour être riche ?<br />

Est-ce que je récolte un savoir dans le seul<br />

but d’obtenir un emploi bien rémunéré ?<br />

Cette instruction ne m’apporte-t-elle pas<br />

davantage ? Comme la liberté de penser,<br />

la capacité d’appréhender <strong>au</strong>trement<br />

ce qui m’entoure, de comprendre mon<br />

environnement ? Et ce développement<br />

personnel, humain, soutenu par la formation<br />

supérieure, n’est-ce pas l<strong>à</strong>, a priori, le<br />

rôle essentiel du système d’éducation ?<br />

Les réponses <strong>à</strong> ces questions devraient<br />

pourtant être évidentes. Malheureusement,<br />

il semble que quelque chose ait<br />

changé ces dernières années, du moins,<br />

pour certains. Hier, en visitant la page de<br />

l’ONU, je suis tombé sur l’article treize<br />

du Pacte international relatif <strong>au</strong>x droits<br />

économiques, soci<strong>au</strong>x et culturels où il est<br />

stipulé que depuis 1976, il y a cette obligation<br />

internationale :<br />

« L’enseignement supérieur doit être rendu<br />

accessible <strong>à</strong> tous en pleine égalité, en fonction<br />

des capacités de chacun, par tous les<br />

moyens appropriés et notamment par<br />

l’homme, Comité des droits économique, soci<strong>au</strong>x et culturels,<br />

« Pacte international relatif <strong>au</strong>x droits économiques, soci<strong>au</strong>x et culturels »,<br />

[en ligne]. http : //www2.ohchr.org/french/law/cescr.htm [Page consultée le 29 février <strong>2012</strong>].<br />

l’inst<strong>au</strong>ration progressive de la gratuité 1 ».<br />

Et quand je regarde cela et que je considère<br />

qu’<strong>au</strong> cours des dix dernières années, les<br />

frais de scolarité en Angleterre sont passés<br />

de la gratuité <strong>à</strong> un peu plus de trois mille<br />

euros par an, j’y vois une régression<br />

majeure. Sans parler du fait que la<br />

mobilité <strong>social</strong>e a complètement chuté <strong>au</strong><br />

Roy<strong>au</strong>me-Uni et que les études universitaires<br />

sont désormais hors de portée pour<br />

plusieurs. Mais pourquoi cette h<strong>au</strong>sse ?<br />

Pourquoi détruire l’espoir des moins<br />

nantis face <strong>à</strong> leur avenir ? Pour la compétition<br />

? Pour avoir une meilleure marchandise<br />

étudiante <strong>à</strong> offrir ? Et depuis quand<br />

l’université est-elle devenue une usine<br />

<strong>à</strong> production d’étudiants surendettés ?<br />

Depuis que les États-Unis ont fixé les règles<br />

du marché ? Ce pays où un enfant p<strong>au</strong>vre<br />

ne peut espérer faire de longues études,<br />

<strong>à</strong> moins bien sûr d’être un virtuose dans<br />

un sport quelconque. Et pour cette raison<br />

nous devrions mettre de côté ce que notre<br />

société a acquis <strong>au</strong> fil du temps ; ses principes<br />

d’équité et de justice ? Je ne savais<br />

pas encore qu’on pouvait outrepasser les<br />

lois internationales sous prétexte qu’elles<br />

peuvent nuire <strong>à</strong> la production…<br />

Au moins, il semble que ce ne soit pas<br />

encore l<strong>à</strong> l’avis de tous. Je pense <strong>à</strong> la France,<br />

la Suisse, la Norvège, le Mexique, l’Inde,<br />

le Danemark, l’Allemagne, et tous les<br />

<strong>au</strong>tres États où l’université ne coûte rien ou<br />

presque…<br />

Bref, j’en suis <strong>à</strong> ce point dans mes réflexions<br />

<strong>au</strong> moment de sortir de l’<strong>au</strong>tobus pour me<br />

rendre <strong>au</strong> pavillon Charles-De Koninck.<br />

28


Lorsque j’arrive <strong>au</strong> local de l’association<br />

étudiante, je vois la montagne de pancartes<br />

près des divans et je cherche celle que j’ai<br />

dessinée. Je la retrouve <strong>au</strong> bout de quelques<br />

minutes ; elle commence <strong>à</strong> s’user. Sur le<br />

carton, j’y avais inscrit les mots suivants :<br />

« Charest : démocrate contre la<br />

démocratisation ».<br />

Et <strong>au</strong> verso, la dernière phrase de<br />

Germinal, de Zola :<br />

« Des hommes poussaient, une armée<br />

noire, vengeresse, qui germait lentement<br />

dans les sillons, grandissant pour les récoltes<br />

du siècle futur, et dont la germination<br />

allait faire bientôt éclater la terre. »<br />

Elle sera appropriée lors de la manifestation.<br />

Zola défendait les droits de l’homme,<br />

après tout.<br />

Le temps passe, il reste quelques minutes<br />

avant d’aller piqueter. Une troupe entre<br />

dans le local : des étudiants de philo-<br />

sophie qui ont besoin d’aide pour bloquer<br />

l’accès <strong>à</strong> un cours dans un <strong>au</strong>tre pavillon.<br />

Le problème, disent-ils, c’est que ce cours,<br />

ouvert <strong>à</strong> tous les programmes, n’est<br />

pas seulement donné <strong>à</strong> des étudiants de<br />

philosophie. Mais il f<strong>au</strong>t tout de même le<br />

piqueter pour respecter le choix démocratique<br />

fait en assemblée générale. Je m’y<br />

rends donc avec eux. Une quinzaine<br />

d’<strong>au</strong>tres étudiants nous rejoignent en<br />

chemin, et nous arrivons devant le local<br />

près d’une demi-heure avant le début du<br />

cours.<br />

29<br />

Nous attendons un moment ; quelques<br />

étudiants passent et se rendent compte que<br />

leur cours est bloqué. Ils nous questionnent<br />

un peu : nous leur assurons que cela<br />

ne mettra pas leur session en péril, et ils<br />

repartent soulagés. Certains nous disent<br />

qu’ils <strong>au</strong>raient aimé faire comme nous,<br />

mais leur association n’a pas encore tenu<br />

d’assemblée générale pour se prononcer sur<br />

la grève. Plusieurs <strong>au</strong>tres restent en retrait <strong>à</strong><br />

attendre sans nous parler, ils semblent<br />

croire que le cours <strong>au</strong>ra lieu quand même.<br />

<strong>La</strong> professeure arrive finalement. Elle<br />

entame une discussion avec le président de<br />

l’association des étudiants en philosophie ;<br />

je peine <strong>à</strong> entendre ce qu’ils se disent, mais<br />

je vois bien que l’enseignante est très compréhensive<br />

face <strong>à</strong> la situation. Elle invite<br />

ensuite ses étudiants dans la discussion<br />

pour qu’il soit possible de parler de la grève<br />

et des conséquences de la h<strong>au</strong>sse des frais<br />

de scolarité. Tous semblent hésiter, mais<br />

l’un d’eux, un type habillé <strong>à</strong> l’Abercrombie,<br />

s’avance enfin et prend la parole avec un<br />

ton provocateur.<br />

— Ouais, moi je veux ben l<strong>à</strong>, dit-il avant<br />

de se retourner vers la ligne de piquetage.<br />

Genre, je comprends pas pourquoi vous<br />

faites ça l<strong>à</strong>, me semble que ça me nuit pas<br />

moi cette h<strong>au</strong>sse-l<strong>à</strong>, l<strong>à</strong>. T’sé, sérieux l<strong>à</strong>,<br />

est-ce que ça va réellement vous nuire ?<br />

Je me dis que si tous pouvaient se<br />

permettre d’appréhender cette h<strong>au</strong>sse<br />

ainsi, personne n’en serait venu <strong>à</strong> la grève.<br />

Mais un <strong>au</strong>tre piqueteur décide de lui<br />

répondre : il lui explique les impacts de<br />

cette h<strong>au</strong>sse. L’Abercrombie semble se<br />

moquer de son interlocuteur. Je me décide<br />

alors <strong>à</strong> prendre <strong>à</strong> mon tour la parole, je lui<br />

explique en quoi la démocratie est soutenue<br />

par le système public d’éducation et en<br />

quoi on brime cette démocratie lorsque<br />

l’on restreint l’accès <strong>à</strong> l’éducation. Il fronce<br />

le sourcil. Je lui fais un petit résumé historique<br />

de la montée de la démocratie et de<br />

l’instruction publique, et il se met <strong>à</strong> rire.<br />

Je lui parle du fondement de la démocratie<br />

et il rit de plus belle. Cela me fait constater<br />

qu’il n’est ni intéressé par le sujet, ni ouvert<br />

<strong>à</strong> la remise en question. Je décide donc de<br />

laisser tomber.<br />

<strong>La</strong> discussion se termine sèchement. Je<br />

retourne <strong>au</strong> local de mon association. Mes<br />

pensées sont encore envahies par le doute :<br />

je me demande si je fais la bonne chose.<br />

Chaque fois que je pèse le pour et le contre,<br />

je reviens toujours <strong>à</strong> la même conclusion<br />

et je ne comprends pas pourquoi je serais<br />

en faveur de cette h<strong>au</strong>sse. L’éducation sert<br />

d’abord <strong>à</strong> instruire un peuple, et non <strong>à</strong> lui<br />

permettre de mieux se vendre. Bien qu’il<br />

soit possible de faire les deux sans brimer la<br />

liberté des <strong>au</strong>tres, puisque cette liberté peut<br />

dépendre de notre façon de gérer l’argent,<br />

plutôt que d’imposer une h<strong>au</strong>sse arbitraire<br />

des frais de scolarité pour tous, <strong>au</strong>x p<strong>au</strong>vres<br />

comme <strong>au</strong>x riches. Pourquoi faire profiter<br />

la compétitivité monétaire <strong>au</strong> détriment de<br />

la compétitivité intellectuelle ?<br />

Et pensant <strong>à</strong> la p<strong>au</strong>vreté, je me rappelle<br />

l’époque où ma mère s’est blessée <strong>au</strong> dos en<br />

travaillant dans un club de golf, <strong>au</strong> même<br />

moment où le commerce de mon père a<br />

fait faillite. Je me souviens de ces deux ou<br />

trois années où je devais m’habiller avec<br />

des vêtements donnés, ces années pendant<br />

lesquelles nous avions peine <strong>à</strong> bien manger.<br />

À l’époque, j’avais un grave problème avec<br />

ma dentition ; presque tous les jours, on<br />

riait de moi parce que mes dents de devant<br />

étaient plus avancées que les <strong>au</strong>tres. On<br />

me traitait de lapin, je me sentais si laid.<br />

Un jour, ma mère a décidé de m’emmener<br />

voir un orthodontiste pour faire corriger<br />

ce problème parce que je revenais souvent<br />

en pleurant <strong>à</strong> la maison. L<strong>à</strong>-bas, on<br />

a fait plusieurs tests. J’étais assis sur la<br />

chaise de l’orthodontiste et j’étais heureux<br />

parce qu’on me donnait de l’espoir. Je me<br />

disais qu’on ne rirait plus de moi et qu’on<br />

me trouverait be<strong>au</strong>. Ma mère <strong>au</strong>ssi était<br />

enthousiaste, jusqu’<strong>au</strong> moment où elle a<br />

demandé les coûts associés <strong>au</strong> traitement.<br />

Deux mille dollars et des poussières. Je<br />

me souviens de l’accablement sur son<br />

visage. C’est trop cher, a-t-elle dit en me<br />

regardant. Les orthodontistes ne savaient<br />

que lui répondre, ils semblaient désolés.<br />

Ma mère m’a alors pris par la main,<br />

résignée, impuissante, nous avons marché<br />

vers la sortie en silence, et je me disais que<br />

toujours je serais laid.<br />

Heureusement, quelques années ont suffi<br />

<strong>à</strong> sortir mon père de la faillite. Bien qu’il<br />

fût encore assez p<strong>au</strong>vre, il décida de payer<br />

pour des broches, ce qui corrigea mon problème<br />

de dents, et d’estime. Ma mère, pour<br />

sa part, a réussi <strong>à</strong> décrocher un diplôme<br />

grâce <strong>à</strong> la formation continue et a pu se<br />

trouver un nouvel emploi. Aujourd’hui,<br />

je réalise que nous avons été chanceux de<br />

nous en sortir ainsi. Mais quand je pense<br />

30


<strong>à</strong> tous ces <strong>au</strong>tres qui n’ont pas cette même<br />

chance, <strong>à</strong> ces enfants qui étaient <strong>à</strong> mes côtés<br />

lorsque l’on recevait les dons de vêtements<br />

et de nourriture, un dégoût de la condition<br />

humaine me saisit. Rajouter 1625 dollars<br />

par an, certains disent que cela ne nuira<br />

<strong>à</strong> personne, mais ceux-l<strong>à</strong> ne réalisent pas<br />

que la valeur de l’argent n’est pas la même<br />

pour tous. Et ils déballent leurs arguments<br />

d’investissements dans les prêts et les<br />

bourses… Je sais pertinemment que cela<br />

n’atténuera pas le choc : j’ai vu des gens<br />

dépendre de cet endettement pour étudier,<br />

des gens qui devaient s’empêcher de manger<br />

trois repas par jour pour se permettre<br />

de payer leurs études, et ce, avant que les<br />

coûts commencent <strong>à</strong> <strong>au</strong>gmenter.<br />

Mais tout cela va bien <strong>au</strong>-del<strong>à</strong> des promesses<br />

futiles d’aide financière. Lorsque j’étais<br />

moniteur <strong>au</strong> camp de jour, je m’entendais<br />

très bien avec un jeune garçon <strong>à</strong> l’esprit vif<br />

qui s’intéressait constamment <strong>à</strong> tout ce que<br />

je pouvais lui apprendre. Un jour, je lui ai<br />

dit qu’il ferait bien d’étudier longtemps,<br />

car il pourrait apprendre be<strong>au</strong>coup de<br />

choses que je ne pouvais lui montrer.<br />

— Je pourrai pas aller <strong>à</strong> l’université,<br />

ma mère dit que ça coûte trop cher. De<br />

toute façon mon oncle travaille dans une<br />

épicerie pis y’est quand même capable de<br />

vivre, m’a-t-il répondu.<br />

De l’aide financière, qu’ils promettent…<br />

Alors que les coûts exorbitants conditionnent<br />

les enfants, même <strong>au</strong> plus jeune âge,<br />

<strong>à</strong> trouver des solutions alternatives, <strong>à</strong> se<br />

consoler de ne jamais pouvoir accomplir<br />

leur rêve en se disant qu’ils pourront tout<br />

de même « vivre ». Mais quelle perversion !<br />

31<br />

Une rage bouillonne en moi lorsque<br />

j’arrive <strong>au</strong> local de l’association. Cette rage<br />

s’atténue néanmoins tranquillement quand<br />

j’aperçois Marie, Joseph, Fabrice, Annie, et<br />

tous les <strong>au</strong>tres qui sont déj<strong>à</strong> l<strong>à</strong> et qui me<br />

soutiennent. Ça me soulage de savoir que<br />

je ne suis pas seul. Je jette un coup d’œil <strong>à</strong><br />

l’horloge ; il est presque dix-sept heures. Je<br />

dois aider mon entraineur de taekwondo <strong>à</strong><br />

donner les cours du soir <strong>au</strong>x enfants. Je dis<br />

<strong>au</strong> revoir <strong>à</strong> tout le monde et je file.<br />

Les enfants sont déj<strong>à</strong> tous <strong>au</strong> dojang, ils<br />

courent, ils rient, cela réduit de plus en plus<br />

ma rage et mon dégoût envers l’iniquité<br />

humaine. Le cours se passe bien, je leur<br />

fais réviser les techniques qu’ils doivent<br />

connaître pour passer leur prochain grade.<br />

À la fin du cours, les adultes arrivent ; je<br />

sais qu’ils sont pour la plupart en faveur<br />

d’une h<strong>au</strong>sse des frais de scolarité : après<br />

tout c’est <strong>à</strong> la mode de dire que les étu-<br />

diants doivent faire leur juste part. J’entame<br />

une discussion avec quelques-uns d’entre<br />

eux, ils me disent ce qu’ils en pensent. Une<br />

fillette nous regarde, elle ne comprend<br />

sûrement pas ce dont il est question.<br />

Quand tous les <strong>au</strong>tres quittent le gymnase,<br />

elle se tourne vers moi et me dit :<br />

— Moi je pense que l’école devrait<br />

toujours être gratuite, parce que tout le<br />

monde devrait avoir le droit d’y aller.<br />

Cela me prend par les sentiments, je lui<br />

souris en me disant qu’il est bien dommage<br />

que tous ne puissent comprendre cela…<br />

Puis j’empoigne mon sac et je retourne<br />

chez moi.<br />

Je m’affale sur la chaise devant l’ordinateur ;<br />

les journées de grève sont be<strong>au</strong>coup plus<br />

épuisantes que les journées de cours. Sur<br />

Facebook, je regarde une vidéo d’opinion<br />

qui circule depuis quelque temps. C’est<br />

une jeune étudiante en médecine de<br />

l’Université de Montréal qui expose son<br />

point de vue sur la grève et sur la h<strong>au</strong>sse<br />

des frais de scolarité. Elle dit qu’il f<strong>au</strong>t<br />

cesser de ne penser qu’<strong>à</strong> nous, qu’il<br />

f<strong>au</strong>t cesser de se comparer <strong>au</strong> pire ;<br />

nous devrions plutôt nous comparer <strong>au</strong><br />

meilleur. Elle explique pourquoi il est<br />

important de vivre dans une société équitable<br />

et elle incite ensuite les étudiants en<br />

médecine <strong>à</strong> faire une levée de cours ou <strong>à</strong><br />

déclencher la grève afin de venir en aide <strong>au</strong><br />

mouvement étudiant. Son message semble<br />

avoir porté ses fruits : l’association de<br />

médecine de l’Université de Montréal<br />

entre en grève générale illimitée <strong>à</strong> partir<br />

du 20 mars <strong>2012</strong>. Cette fille est un ange.<br />

Elle me fait penser <strong>à</strong> mon amoureuse qui<br />

étudie les sciences infirmières, qui hésite <strong>à</strong><br />

poursuivre ses études universitaires, f<strong>au</strong>te<br />

de moyens. Et pourtant elle performe dans<br />

ses cours, elle aime son travail, s’y dévoue.<br />

Enfin, il est temps d’aller dormir ; demain<br />

je participerai <strong>à</strong> la manifestation et me<br />

battrai pour mes convictions, pour cela et<br />

pour la santé de mon peuple.<br />

1 H<strong>au</strong>t-Commissariat des Nations Unies <strong>au</strong>x droits de<br />

32


« Si nous continuons de faire en sorte que rien d'essentiel ne s<strong>au</strong>rait être<br />

changé dans les règles du jeu <strong>social</strong>, si nous nous plions sans cesse devant<br />

les <strong>au</strong>torités qui déterminent d'en h<strong>au</strong>t l'orientation de notre travail,<br />

les conditions économiques de la production et de la consommation,<br />

si nous nous résignons <strong>à</strong> céder la part inconnue de nous-mêmes <strong>à</strong> une volonté<br />

rationnelle de réduction et de planification étatiques, jamais une révolution<br />

<strong>social</strong>e, violente ou non, ne pourra entamer le processus<br />

d'un changement réel de la vie. »<br />

33<br />

— Alain Jouffroy<br />

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<strong>JE</strong> MARCHE À NOUS<br />

Écrit par<br />

Alexandre Isabelle<br />

Inspiré par<br />

<strong>La</strong> Marche <strong>à</strong> l'amour<br />

de Gaston Miron<br />

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43<br />

1<br />

INT. SALLE À MANGER DE LA MAISON FAMILIALE - MATIN 1<br />

Dans une salle <strong>à</strong> manger, éclairée par les premiers<br />

rayons de soleil du matin, PAPI <strong>JE</strong>AN-LOUIS, un grand-père,<br />

revient s’asseoir avec sa petite fille, Adèle, <strong>à</strong> table. Il<br />

lave la bouche de sa petite fille, pleine de confiture.<br />

PAPI <strong>JE</strong>AN-LOUIS<br />

Qu’est-ce que t’en dis, Adèle, si on fait un<br />

brico <strong>à</strong> matin, pis qu’on sorte se promener<br />

après ?<br />

Oui !<br />

ADÈLE<br />

Papi Jean-Louis se lève, ouvre le tiroir d’une commode et<br />

prend les instruments de bricolage, cise<strong>au</strong>x, ruban adhésif<br />

et papier de construction.<br />

PAPI <strong>JE</strong>AN-LOUIS<br />

(Enthousiaste)<br />

On va faire un chape<strong>au</strong> !<br />

ADÈLE<br />

(Contente)<br />

Oui ! Un chape<strong>au</strong> de princesse !<br />

PAPI <strong>JE</strong>AN-LOUIS<br />

(Cachottier)<br />

Hmmm... Un chape<strong>au</strong> encore plus be<strong>au</strong>.<br />

Papi Jean-Louis déchire un carton rouge du carnet de<br />

cartons de construction. Il découpe rapidement une<br />

languette et la donne <strong>à</strong> Adèle.<br />

ON VOIT UNE SÉRIE<br />

D’ACTIONS DE BRICO<br />

(RUBAN SURTOUT)<br />

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2<br />

INT. HALL D’ENTRÉE DE LA MAISON FAMILIALE - MATIN 2<br />

Papi Jean-Louis s’habille ch<strong>au</strong>dement. Adèle l’attend toute<br />

emmitouflée avec son mortier par-dessus sa tuque.<br />

ADÈLE<br />

Y’est be<strong>au</strong> hein mon chape<strong>au</strong>, Papi ?<br />

PAPI <strong>JE</strong>AN-LOUIS<br />

(Un peu occupé, car il met son mante<strong>au</strong>)<br />

Oui, ma petite princesse !<br />

ADÈLE<br />

(Corrective)<br />

Bin non papi, je suis pas une<br />

princesse, je suis une étudiante.<br />

PAPI <strong>JE</strong>AN-LOUIS<br />

Ha ha ! T’as raison, ma petite<br />

étudiante ! (Comme pour se racheter)<br />

Tu vois t’es déj<strong>à</strong> forte. Y marche<br />

le chape<strong>au</strong> hein ? (Convaincant)<br />

Papi Jean-Louis se baisse <strong>à</strong> sa h<strong>au</strong>teur. Il met le mante<strong>au</strong><br />

<strong>à</strong> sa petite-fille et regarde dans les yeux de sa petite<br />

fille.<br />

PAPI <strong>JE</strong>AN-LOUIS (CONT’D)<br />

Pis si t’en veux un, un vrai, un<br />

jour, bin y f<strong>au</strong>t marcher ensemble<br />

<strong>au</strong>jourd’hui.<br />

Papi Jean-Louis lui donne un bisou sur la joue. Il met<br />

son mortier rouge lui <strong>au</strong>ssi sur sa propre tête. Il prend<br />

une pancarte de manifestant sur laquelle il est écrit :<br />

«Je marche <strong>à</strong> nous !»<br />

Il prend Adèle par la main et sort de la maison.<br />

Réalisation : Samuel Matte<strong>au</strong><br />

Scénario : Alexandre Isabelle<br />

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AVRIL <strong>2012</strong><br />

Jour de la Terre<br />

et Plan Nord<br />

14 avril<br />

Environ 40 000 manifestants défilent <strong>à</strong><br />

Montréal. On parle désormais d’un « printemps<br />

québécois ». Gabriel Nade<strong>au</strong>-Dubois<br />

(GND), porte-parole de la CLASSE, appelle<br />

<strong>à</strong> la « mobilisation citoyenne contre les<br />

gouvernements de Québec et d’Ottawa. »<br />

17 <strong>au</strong> 19 avril<br />

Heurts <strong>à</strong> l’Université du Québec en<br />

Outaouais. Thib<strong>au</strong>lt Martin, un professeur,<br />

est arrêté le 17 pour entrave <strong>au</strong><br />

travail des policiers. Il s’oppose <strong>à</strong><br />

l’injonction de la direction pour un retour<br />

forcé en classe. Judith Émery-Brune<strong>au</strong> sera<br />

également expulsée le 19.<br />

19 avril<br />

Robert Dutil, ministre de la sécurité<br />

publique, déclare : « Les personnes qui<br />

ont pu être victimes de brutalité policière<br />

n’ont qu’<strong>à</strong> se plaindre <strong>au</strong>x instances<br />

compétentes. »<br />

20 avril<br />

Salon Plan Nord <strong>à</strong> Montréal. Le<br />

SPVM (Service de Police de la Ville de<br />

Montréal) est dépassé et se fait appuyer<br />

par la Sûreté du Québec. Des affrontements<br />

éclatent, les policiers repoussent <strong>à</strong><br />

coups de gaz lacrymogènes, de poivre de<br />

cayenne, d’armes non létales, de charges<br />

« stratégiques » les manifestants <strong>au</strong>x abords<br />

du Palais des Congrès. À l’intérieur,<br />

le premier ministre Jean Charest raille les<br />

étudiants dans son discours d’in<strong>au</strong>guration<br />

et s’attirera de nombreuses critiques dans<br />

la presse.<br />

22 avril<br />

Jour de la Terre. Véritable marée<br />

humaine <strong>à</strong> Montréal, plus de 250 000<br />

personnes marchent pacifiquement en<br />

famille et entre amis pour l’environnement.<br />

23 avril<br />

Le gouvernement appelle <strong>à</strong> une trêve et<br />

engage des pourparlers.<br />

24 avril<br />

Début des manifestations nocturnes<br />

quotidiennes, dans une atmosphère de<br />

fête, <strong>au</strong> départ de la place Émilie-Gamelin.<br />

Elles dureront des mois sous le slogan<br />

« Manif chaque soir jusqu’<strong>à</strong> la victoire ».<br />

25 avril<br />

Québec décide d’exclure la CLASSE des<br />

négociations, la FEUQ et la FECQ quitteront<br />

également la réunion par solidarité,<br />

marquant la fin des pourparlers.<br />

27 avril<br />

Québec propose par le biais des<br />

médias une offre globale <strong>au</strong>x associations<br />

étudiantes. Elle propose d’étaler la h<strong>au</strong>sse<br />

sur 7 ans <strong>au</strong> lieu de 5, d’<strong>au</strong>gmenter de<br />

1 778$ plutôt que les 1 625$ prévus. Les<br />

étudiants refusent cette proposition et<br />

la jugent insultante. <strong>La</strong> manifestation<br />

nocturne, en général très bon enfant les<br />

<strong>au</strong>tres soirs, entraîne quelques débordements<br />

qui aboutissent <strong>à</strong> 35 arrestations.<br />

30 avril<br />

Les manifestations nocturnes quoti-<br />

diennes commencent également <strong>à</strong> Québec.<br />

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59<br />

L’histoire du carré rouge en 2072<br />

Stéphane <strong>La</strong>porte<br />

L’action se déroule durant un cours<br />

d’histoire du Québec, dans un cégep, en<br />

2072. Le professeur s’adresse <strong>à</strong> sa classe :<br />

«Aujourd’hui, on va parler du conflit<br />

étudiant de <strong>2012</strong> surnommé la révolte des<br />

carrés rouges. Qui était le premier ministre<br />

du Québec en <strong>2012</strong> ? Oui, Marie-Bio ?<br />

— Scott Gomez !<br />

— Non, pas vraiment.<br />

— Euh... Tony Accurso ?<br />

— Non plus, Marie-Bio.<br />

C’était Jean Charest.<br />

— Ah ! le même nom que le nouvel échangeur<br />

qu’ils viennent tout juste de terminer...<br />

— C’est ça, l’ancien échangeur Turcot.<br />

Donc le gouvernement Charest voulait<br />

h<strong>au</strong>sser les droits de scolarité et les étudiants<br />

se sont farouchement opposés <strong>à</strong> la<br />

h<strong>au</strong>sse en arborant le carré rouge en signe<br />

de stop et en faisant la grève.<br />

— Une grève ?<br />

— Ouais, ben, ce n’est pas clair. Il y en a<br />

qui disaient que c’était une grève, d’<strong>au</strong>tres<br />

qui disaient que c’était un boycottage.<br />

— C’est quoi la différence entre une grève<br />

et un boycottage ?<br />

— Ben, une grève, c’est quand on refuse<br />

de travailler, pis un boycottage, c’est quand<br />

on refuse un service. Comme les étudiants<br />

travaillaient be<strong>au</strong>coup plus durant le<br />

conflit, en organisant des assemblées et<br />

des manifestations, que lorsqu’ils allaient<br />

<strong>à</strong> leurs cours, on peut dire que c’était<br />

un boycottage, quoique la qualité de<br />

l’enseignement dans ce temps-l<strong>à</strong>, ce n’était<br />

pas toujours un service qu’on leur rendait.<br />

Donc, on va dire que les étudiants n’étaient<br />

ni en grève ni en boycottage, ils étaient en<br />

sacrament !<br />

— Pourquoi ils n’ont pas négocié ?<br />

— Les étudiants voulaient négocier, mais<br />

<strong>au</strong> début, la ministre de l’Éducation, Line<br />

Be<strong>au</strong>champ, ne voulait rien savoir. C’était<br />

ça qui était ça. Les étudiants ont mis<br />

be<strong>au</strong>coup de pression en organisant plein<br />

de manifestations. Alors la ministre a dit<br />

qu’elle était prête <strong>à</strong> rencontrer les étudiants<br />

s’ils ne s’opposaient plus <strong>à</strong> la h<strong>au</strong>sse.<br />

— Pas rapport ! Ce n’est pas ça, négocier ;<br />

rencontrer quelqu’un seulement s’il a déj<strong>à</strong><br />

accepté ce qu’on lui impose.<br />

— Madame Be<strong>au</strong>champ était diplômée de<br />

l’école de négociation Régis <strong>La</strong>be<strong>au</strong>me.<br />

— L’ancien maire de Montréal ?<br />

60


— Exactement, Marie-Bio ! Pis avant ça,<br />

il était <strong>à</strong> Québec. Pour revenir <strong>au</strong>x carrés<br />

rouges, il y avait trois associations étu-<br />

diantes ; la FECQ dirigée par Léo Bure<strong>au</strong>-<br />

Blouin, la FEUQ dirigée par Martine<br />

Desjardins et la CLASSE dirigée par<br />

Gabriel Nade<strong>au</strong>-Dubois.<br />

— Le président de la Caisse de dépôt ?<br />

— C’est bien cela.<br />

— Il est mûr pour sa retraite bientôt.<br />

— Ça approche, l’âge de la retraite est<br />

maintenant <strong>à</strong> 89 ans. Donc, la CLASSE<br />

était le mouvement le plus radical et les<br />

manifestations sont devenues de plus en<br />

plus viriles. <strong>La</strong> police ne donnait pas sa<br />

place non plus. <strong>La</strong> situation a viré en chaos.<br />

— <strong>La</strong> ministre a donc accepté de négocier ?<br />

— Pas tout <strong>à</strong> fait. Madame Be<strong>au</strong>champ<br />

était prête <strong>à</strong> rencontrer les leaders étu-<br />

diants seulement s’ils condamnaient les<br />

actes de violence. Gabriel Nade<strong>au</strong>-Dubois<br />

n’a pas voulu, donc la ministre les a fait<br />

sécher.<br />

— Je ne comprends pas. <strong>La</strong> semaine<br />

dernière, quand vous nous avez raconté la<br />

crise du Camembert...<br />

— Non, Marie-Bio, pas la crise<br />

du Camembert, la crise d’Oka.<br />

— Oui, c’est ça ! Vous nous avez bien dit<br />

que le gouvernement libéral avait accepté<br />

de négocier avec des Mohawks en cagoule,<br />

armés. Et l<strong>à</strong>, ils ne voulaient pas négocier<br />

avec un sosie de Tintin, parce qu’il<br />

ne condamnait pas la violence. Ce n’est<br />

61<br />

pas juste. Me semble que c’est plus pédagogique<br />

de le rencontrer et de lui prouver<br />

que le dialogue est plus puissant que la<br />

violence.<br />

— Marie-Bio, tu ferais une excellente<br />

ministre dans le gouvernement de notre<br />

premier ministre Nelson Dion-Angélil.<br />

— Comment ça s’est terminé, la révolte<br />

des cônes orange ?<br />

— Les cônes orange, c’est une <strong>au</strong>tre affaire,<br />

ne te mêle pas dans tes formes et dans tes<br />

couleurs !<br />

— Désolée, comment s’est finie la crise des<br />

carrés rouges ?<br />

— On ne le sait pas, parce qu’<strong>au</strong> bout<br />

d’environ 90 jours, le Canadien de<br />

Montréal a nommé son nouve<strong>au</strong> directeur<br />

général, pis les journ<strong>au</strong>x n’ont plus<br />

parlé du conflit étudiant. Aucune trace.<br />

Nulle part, ni sur le web ni sur la vieille<br />

affaire qui s’appelait du papier.<br />

— Aaah, dommage.<br />

— Bon, le cours est fini. Bonne journée,<br />

Marie-Bio !<br />

— Vous <strong>au</strong>ssi !»<br />

Vous vous demandez sûrement pourquoi,<br />

pendant le cours, le professeur n’a échangé<br />

qu’avec l’élève nommée Marie-Bio ? Parce<br />

qu’elle est la seule élève inscrite <strong>à</strong> son cours,<br />

car les droits de scolarité ont continué de<br />

monter jusqu’en 2072.<br />

Je dédie cette humble chronique <strong>au</strong> grand Serge Grenier qui aimait bien, parfois, projeter<br />

notre société dans le temps. Paix <strong>à</strong> son âme. J’espère que l’éternité est <strong>au</strong>ssi drôle que lui.<br />

62


63<br />

« <strong>La</strong> liberté, c'est toujours la liberté<br />

de celui qui pense <strong>au</strong>trement. »<br />

— Rosa Luxemburg<br />

Les coups de matraque<br />

Léa Clermont-Dion<br />

Le rassemblement nocturne visant <strong>à</strong><br />

exprimer notre mécontentement face<br />

<strong>à</strong> l’expulsion de la CLASSE <strong>à</strong> la table des<br />

négociations a débuté calmement hier soir.<br />

Nous étions des milliers <strong>à</strong> marcher<br />

pacifiquement. Pa-ci-fi-que-ment comme<br />

dans tranquillement, doucement, flegmatiquement,<br />

froidement, paisiblement,<br />

posément, sagement, sereinement. Nous<br />

étions souriants. Oui, ai-je bien dit sou-<br />

riants. Souriants malgré l’impasse de la<br />

journée, souriants malgré toutes ces<br />

semaines de non-ouverture, souriants<br />

malgré, malgré et malgré.<br />

Mais le chaos a débuté sans crier gare.<br />

Nous avons alors arrêté de sourire. Un<br />

chaos parmi d’<strong>au</strong>tres ? Un chaos de<br />

trop créé artificiellement par le SPVM.<br />

Cette violence légitimisée (ah oui ?) était<br />

adressée <strong>à</strong> l’endroit de jeunes manifestants.<br />

Je récapitule pour ceux qui n’y étaient<br />

pas : nous marchions pacifiquement sur<br />

la rue Ste-Catherine quand plusieurs<br />

bombes lacrymogènes ont été lancées<br />

dans la foule. Incompréhension ? Certes,<br />

une incompréhension profonde devant<br />

une telle provocation alors que la calme<br />

régnait parmi nous.<br />

Pas d’avertissement clair de notre point<br />

de vue de la manifestation. <strong>La</strong> violence<br />

policière s’est alors fait sentir par les gaz et<br />

ce, trop rapidement.<br />

Résultat ? Un amoncellement de manifestants<br />

pacifiques agressés par les bombes<br />

lacrymogènes, entassés comme des<br />

sardines et cherchant désespérément leur<br />

souffle. L’air était empoisonné. Les uns<br />

pleuraient, les <strong>au</strong>tres toussaient. Bref : la<br />

routine ingrate.<br />

Permettez-moi cet aparté un peu plus<br />

personnel, une historiette parmi des<br />

centaines d’<strong>au</strong>tres hier soir.<br />

L<strong>au</strong>rent-Christophe de Ruelle est un<br />

ami, un garçon de vingt ans, un jeune<br />

comédien, un travailleur supportant<br />

les étudiants. Il m’accompagnait lors de<br />

ladite manifestation. Après avoir été<br />

étouffés par les gaz, nous marchions sur la<br />

rue Ste-Catherine lors du dispersement.<br />

De loin, nous avons pu voir l’anti-émeute<br />

arriver rapidement. Nous avons alors tenté<br />

de quitter la rue. Dommage. L’anti-émeute<br />

s’est mise <strong>à</strong> courir trop vite. Après la foule.<br />

Après nous.<br />

64


Nous avons alors été isolés près d’une<br />

église par quelques policiers. L<strong>au</strong>rent-<br />

Christophe a été pris d’ass<strong>au</strong>t par<br />

ceux-l<strong>à</strong>. À terre, sous mes yeux, il s’est<br />

fait battre violemment, sans raison<br />

particulière, <strong>à</strong> coups de matraque par ces<br />

« supposés agents de la paix ». J’ai alors<br />

imploré le policier de le laisser tranquille.<br />

À son tour de me répondre en me pointant<br />

sa matraque violemment : «Décalisse ostie<br />

de conne !» Les policiers ont alors quitté les<br />

lieux nous laissant en plan.<br />

65<br />

Je vous l’ai dit, nous étions des<br />

milliers <strong>à</strong> marcher pa-ci-fi-que-ment.<br />

Hier soir, le SPVM a agi de manière inacceptable.<br />

L’arrogance du gouvernement<br />

actuel a raisonné une fois de plus par de<br />

violents coups de matraque adressés <strong>à</strong> des<br />

citoyens pacifiques. Madame Be<strong>au</strong>champ,<br />

j’ai hâte que vous condamniez les violences<br />

abusives des brigades anti-émeutes du<br />

SPVM qui font preuve de provocation<br />

vraiment très peu subtile.<br />

66


67<br />

Nous sommes des millions<br />

Hugo <strong>La</strong>tulippe<br />

C’était l’hiver juste avant le basculement,<br />

nous avions le fleuve de gelé raide (nous, les plus vieux).<br />

Les rêves éméchés.<br />

Il f<strong>au</strong>t dire qu’un cynisme de grande amplitude<br />

menaçait de wiper l’Occident <strong>au</strong> grand complet.<br />

On avançait <strong>à</strong> tâtons, hésitants.<br />

Comme des loups dressés, touttes renvallés par en-dedans.<br />

Depuis 1995, peut-être avant.<br />

De l’Oural <strong>à</strong> l’Oregon, en passant par Saint-Raymond,<br />

le système cannibaliste achevait de nous fracturer l’âme en mille morce<strong>au</strong>x,<br />

de nous débrêler les mailles jusqu’en-dessous de la nappe.<br />

C’était l’hiver juste avant le basculement…<br />

Avant que nos enfants surgissent,<br />

qu’ils s’interposent une première fois,<br />

debouttes, comme un océan d’épinettes.<br />

*<br />

68


À Babylone,<br />

suivant leurs habitudes,<br />

les chacals ont tout de suite misé sur une décote.<br />

On gageait contre NOUS sur les marchés.<br />

10 contre 1 pour un premier genou <strong>à</strong> terre, en février !<br />

Ces jeunes révolutionnaires -mon œil- ne passeront pas<br />

l’hiver, qu’ils disaient.<br />

69<br />

Ah !<br />

Dans les grands médias, on ne parlait pas d’eux.<br />

On ne rapportait pas ce qu’ils disaient, ce qu’ils avaient de lumineux.<br />

Pas vraiment, je veux dire.<br />

Pas sérieusement.<br />

Depuis un moment, les grands médias ne travaillaient plus pour nous.<br />

Ils avaient pris le parti de l’argent,<br />

le parti des emplois steadys,<br />

le parti d’une certaine paresse intellectuelle,<br />

le parti de la loi et l’ordre.<br />

Les aboutis, les arrivés, wanabees, les survenus et les parvenus<br />

dormaient <strong>au</strong> gaz dans leurs quartiers.<br />

(Minimiser. Travailler. Oublier. Être sérieux. Produire. Faire du yoga, des étirements.<br />

Regarder un film d’action. Se changer les idées.)<br />

Un jour,<br />

leur homme de main,<br />

flasque comme une grimace,<br />

insecte ventripotent (plein de lui et de ses amis)<br />

dispensa son humour sinistre <strong>à</strong> une foule flasque, cohorte indigne…<br />

<strong>La</strong> foule a gloussé (pleine d’elle-même et de ses amis).<br />

Puis, raillé nos enfants insurgés.<br />

Minimisé l’envergure du geste, la largeur des idées.<br />

Minimisé les milliers d’entre eux dans la rue.<br />

Grave erreur.<br />

L’homme de main et ses vass<strong>au</strong>x<br />

ont finalement envoyé notre police<br />

dans les rues de notre ville.<br />

Notre police en habits pour la guerre.<br />

<strong>La</strong> guerre contre nos filles et nos fils ?<br />

Pourquoi ? Parce que.<br />

Les traquer, les infiltrer, les provoquer.<br />

Notre police pour frapper nos enfants.<br />

Grave erreur.<br />

À partir de l<strong>à</strong>, il y eut un froid polaire entre nous.<br />

Un froid comme sur le flanc nord.<br />

Un froid qui coupe (le souffle, l’allant, la parole, l<strong>à</strong> où il ne f<strong>au</strong>t pas).<br />

Un froid qui f<strong>au</strong>che (l’herbe sous les pieds).<br />

*<br />

70


Un mois plus tôt…<br />

À 1000 km de l<strong>à</strong>, en bas du fleuve,<br />

il y avait eut cette <strong>au</strong>tre brèche, un be<strong>au</strong> matin de février ;<br />

une grande fille du Nitassinan<br />

(dont nous tairons le nom mais pas la be<strong>au</strong>té)<br />

avait dit :<br />

71<br />

Ok les filles, on part <strong>à</strong> marcher.<br />

L’heure est venue de se vidanger les volcans,<br />

de se remettre le monde d’équerre.<br />

Cette fois, nous marcherons sans compter.<br />

Nous irons jusqu’<strong>à</strong> Montréal.<br />

Nous rallierons la horde.<br />

Nous allons leur montrer,<br />

ce qu’on mange en hiver.<br />

Devant nos yeux ravis, charmés,<br />

la belle avait crinqué sa robe <strong>à</strong> flambe<strong>au</strong>x d’une couple de pouces<br />

(pour être certaine de ne pas s’enfarger, cette fois-ci).<br />

Je me souviens, elle a remonté le Grand Rang jusqu’<strong>au</strong> premier surplomb du Bouclier.<br />

C’est l<strong>à</strong> qu’elle s’est dressée,<br />

de sorte que tout le monde <strong>au</strong> village puisse mesurer<br />

l’étendue de sa colère.<br />

Sa colère de 500 ans.<br />

De sorte que tout le monde puisse lire sur ses lèvres de s<strong>au</strong>vagesse.<br />

Sur ses lèvres pleines de mots en forme d’anim<strong>au</strong>x.<br />

Ses lèvres de 10 000 ans.<br />

Tous les garçons de la côte ont fissuré du cœur en la voyant.<br />

Et puis le feu a pris, l<strong>à</strong> <strong>au</strong>ssi.<br />

Instantanément.<br />

Il a couru jusqu’<strong>à</strong> nous.<br />

Nous tous.<br />

Comme si nous avions tous compris la même chose en même temps.<br />

Les blondes, les mères, les pères, les cousins, les cousines pis les aïeux.<br />

Derrière la belle et son peuple, les Québécois ont pris la route.<br />

Ils sont partis <strong>à</strong> marcher ensemble, vers leur grande ville.<br />

Comme en renfort.<br />

*<br />

72


Des jours et des nuits,<br />

la belle cheffe de cordée a avancé sur le pays interstellaire<br />

(malgré le frette, et les barbares).<br />

Sûre de son droit, inextinguible.<br />

Un sourire historique, l’irrésistible.<br />

À un passant qui demanda<br />

pourquoi, mais pourquoi donc ?<br />

elle dit ceci, l’enluminée :<br />

Monsieur.<br />

73<br />

Il y a ces clairières,<br />

<strong>à</strong> l’intérieur de nos terres.<br />

Ces champs de graminées,<br />

qui emb<strong>au</strong>ment déj<strong>à</strong> en juillet.<br />

Ces forêts magiques où nous nous sommes aimés de mères en filles<br />

depuis bien avant la France.<br />

Il y a ces talles de petits fruits dans la taïga<br />

ch<strong>au</strong>ffées par le soleil du mois d’août.<br />

Il y a le s<strong>au</strong>mon dans la fosse,<br />

en septembre,<br />

les oies et leur lumière.<br />

Et puis il y a nos rivières <strong>au</strong>x tonnerres,<br />

nos manicouagans nourricières…<br />

<strong>La</strong> Magpie, la Romaine, la Moisie.<br />

Il y a ces côtes bercées par la mer,<br />

cette baie où les parfums concordent<br />

et tous ces lieux sacrés où nous vivions des jours heureux<br />

(depuis bien avant l’invention de l’Occident).<br />

Ces lieux sont notre temple.<br />

Le passant a joint les rangs, catapulté.<br />

Remarié avec le vent.<br />

C’est ainsi que la belle a rallié tous nos amis des quatre coins,<br />

<strong>au</strong>trefois disséminés.<br />

Rallié nos feux,<br />

notre chapelet de phares.<br />

Et finalement rejoint nos enfants<br />

dans les rues de la métropole.<br />

Ainsi,<br />

comme par enchantement,<br />

comme si tout avait été planifié parfaitement,<br />

nous sommes venus des quatre coins de notre histoire pour être ensemble ce jour-l<strong>à</strong>,<br />

pour nous mélanger les sangs.<br />

Le 22 avril <strong>2012</strong>,<br />

le printemps a pris.<br />

À deux heures précises,<br />

les cloches de nos flèches ont résonné d’un bout <strong>à</strong> l’<strong>au</strong>tre du territoire<br />

pour annoncer ce monde vers lequel nous allons.<br />

Pour affirmer notre vigilance,<br />

notre dignité réalisée<br />

(et annoncée par le poète).<br />

Nous étions 300 000 ce jour-l<strong>à</strong>,<br />

serrés les uns sur les <strong>au</strong>tres (comme un très grand progrès).<br />

Nous avons marché en colonnes de lumières<br />

et nous sommes en quelque sorte engagés <strong>à</strong> ceci :<br />

*<br />

74


75<br />

Désormais,<br />

de l’archipel des Madeleines <strong>à</strong> la rivière des Odawas<br />

de Saint-Venant <strong>à</strong> la toundra,<br />

nous résisterons ensemble.<br />

Nous ferons corps.<br />

Nous serons solidaires les uns des <strong>au</strong>tres.<br />

Nous prendrons le parti de nos enfants.<br />

Si cela est nécessaire,<br />

nous fonderons des universités insoupçonnées,<br />

souterraines.<br />

(C’est nous qui avons le souffle le plus long).<br />

Nous sèmerons mille étoiles <strong>à</strong> l’arpent.<br />

Nous serons des gens de mille ans.<br />

Nous ferons les foins jusqu’après nous,<br />

pour préparer nos vies <strong>à</strong> venir,<br />

nos migrations vers d’<strong>au</strong>tres temps.<br />

Et comme <strong>à</strong> d’<strong>au</strong>tres moments de notre histoire,<br />

nous fonderons un pays sur l’espoir.<br />

Et un jour forcément… nous passerons en première République sans clotcher.<br />

*<br />

Lorsque nous ceinturions la montagne, la belle a regardé le jeune homme <strong>à</strong> ses côtés.<br />

(Nous tairons son nom ici, mais pas son courage. Disons simplement qu’il était dans la<br />

rue depuis le début. Nous l’appellerons l’étudiant inconnu.)<br />

Prenant la multitude <strong>à</strong> témoin, la belle a dit :<br />

Je t’espérais depuis longtemps, ce pays nous a tellement donné.<br />

Nos peuples ont cent fois fait la preuve qu’ils étaient capables<br />

du même génie que les océans.<br />

L'heure est venue de lui rendre ce qu'on lui doit.<br />

Nous sommes arrivés <strong>à</strong> ce qui commence.<br />

Le feu a pris pour de bon.<br />

Nous sommes des millions.<br />

* Les gens de la horde, les poètes Desjardins et Miron, les étudiants, les femmes de la côte, les photographes… excuseront,<br />

je l’espère, mes emprunts. J’ai cueilli tout ce que j’ai cueilli en connaissance de c<strong>au</strong>se et je leur suis reconnaissant.<br />

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-<br />

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103<br />

MAI <strong>2012</strong><br />

Durcissement du conflit,<br />

loi 78 et casseroles<br />

1er mai<br />

Plus de 200 artistes et personnalités<br />

demandent un moratoire de la h<strong>au</strong>sse des<br />

frais de scolarité, des états génér<strong>au</strong>x sur<br />

l’éducation supérieure et appuient le mouvement<br />

étudiant.<br />

4 mai<br />

Nouvelles négociations entre les associations<br />

étudiantes et le gouvernement<br />

pendant qu’éclatent <strong>à</strong> Victoriaville des<br />

affrontements entre manifestants et policiers<br />

en marge du congrès du PLQ.<br />

5 mai<br />

Une entente est conclue entre le<br />

gouvernement et les fédérations étudiantes<br />

mais très vite l’accord de principe sera<br />

rejeté par les associations.<br />

14 mai<br />

Démission surprise de Line Be<strong>au</strong>champ,<br />

ministre de l’Éducation et vice-première<br />

ministre du Québec. Michelle Courchesne,<br />

ancienne ministre de l’éducation de 2007 <strong>à</strong><br />

2010, lui succède le jour-même.<br />

15 mai<br />

Le Monde, grand quotidien français, donne<br />

une tribune <strong>à</strong> Jean Barbe et <strong>à</strong> Jocelyn<br />

Maclure pour parler de la h<strong>au</strong>sse des frais<br />

de scolarité et du mouvement de protestation<br />

<strong>au</strong> Québec.<br />

17 mai<br />

Des représentants étudiants appellent le<br />

gouvernement <strong>à</strong> négocier une dernière fois.<br />

18 mai<br />

Québec adopte le projet de loi 78, le PLQ<br />

obtenant l’appui de la CAQ (la Coalition<br />

avenir Québec). Dénoncée par be<strong>au</strong>coup<br />

comme une loi « matraque », abusive, elle<br />

restreint les droits d’association, de<br />

représentation et d’expression. Amnistie<br />

internationale et le Barre<strong>au</strong> du Québec,<br />

notamment, formulent de « sérieuses<br />

inquiétudes » <strong>au</strong> sujet de la loi 78 qui porte<br />

« des atteintes <strong>au</strong>x droits constitutionnels<br />

et fondament<strong>au</strong>x des citoyens ».<br />

19 mai<br />

Des témoins filment des abus du SPVM<br />

et les diffusent largement sur internet.<br />

20 mai<br />

Le SPVM durcit encore le ton, plus de<br />

300 manifestants sont arrêtés lors de la<br />

marche quotidienne, portant le nombre<br />

d’arrestations <strong>à</strong> plus de 2 000 depuis le<br />

début de la crise étudiante. Le bientôt<br />

célèbre « mouvement des casseroles » commence<br />

<strong>à</strong> s’installer dans les grandes villes,<br />

puis dans tout le Québec.<br />

104


22 mai<br />

Grande manifestation pour le 100e jour de<br />

la GGI, une habitude qui perdurera le 22 de<br />

chaque mois. 250 000 personnes marchent<br />

pacifiquement dans les rues de Montréal,<br />

mais, en soirée, des affrontements entre<br />

policiers et manifestants éclatent. Bilan :<br />

plus de cent arrestations et une dizaine de<br />

blessés. Les manifestations de soutien se<br />

multiplient partout dans le monde.<br />

23 mai<br />

<strong>La</strong> Police arrête cette fois plus de 500<br />

manifestants <strong>à</strong> Montréal et près de 200<br />

<strong>à</strong> Québec pendant les manifestations<br />

nocturnes, déclarées illégales dès le<br />

départ. CUTV, le rése<strong>au</strong> de télévision et<br />

d’information de l’Université Concordia<br />

présent tous les soirs dans les manifestations,<br />

filme de l’intérieur d’une souricière<br />

en direct. Le mouvement des casseroles<br />

prend de l’ampleur, tous les soirs <strong>à</strong> 8 heures<br />

des gens sortent avec des casseroles partout<br />

<strong>au</strong> Québec pour marcher et faire du bruit<br />

en signe de solidarité avec le mouvement<br />

étudiant.<br />

105<br />

24 mai<br />

Remise de prix pour la démocratie <strong>à</strong> l’hôtel<br />

de ville de Montréal. Les l<strong>au</strong>réats critiquent<br />

vivement le maire de Montréal, Gérald<br />

Tremblay et le gouvernement libéral.<br />

<strong>La</strong> policière <strong>au</strong> matricule 728, dont<br />

l’intervention filmée par un témoin a été<br />

vue plus de 400 000 fois, est retirée de<br />

son affectation. Les plaintes pour violence<br />

policière, zèle et abus de pouvoir affluent<br />

<strong>au</strong> SPVM.<br />

Le film Casseroles de Jérémie Battaglia sur<br />

une musique d’Avec pas d’casque est vu<br />

par tout le Québec et montre <strong>à</strong> l’étranger<br />

une image très pacifiste du mouvement.<br />

Anarchopanda, un panda qui distribue<br />

des calins <strong>au</strong>x policiers s’affiche tous les<br />

soirs dans les manifestations tandis que<br />

la Banane Rebelle est arrêtée. Elle sera<br />

arrêtée <strong>à</strong> nouve<strong>au</strong> le 28 mai.<br />

25 mai<br />

Des associations étudiantes, syndicales,<br />

commun<strong>au</strong>taires et environnementales<br />

contestent devant les tribun<strong>au</strong>x la loi<br />

spéciale 78 et déposent une requête de<br />

sursis d’exécution.<br />

26 mai<br />

Libération, un grand quotidien français,<br />

fait sa une avec le conflit.<br />

28 mai<br />

<strong>La</strong> Banane Rebelle accorde une entrevue<br />

<strong>à</strong> CHOI Radio X, lors de laquelle est lu le<br />

poème l’Ode <strong>à</strong> la Banane rebelle, écrit par<br />

Éric Fournier. Cette ouverture surprend<br />

tant les <strong>au</strong>diteurs que les détracteurs de<br />

la station de radio de Québec qui s’affiche<br />

contre le mouvement étudiant.<br />

De nouvelles négociations sont entreprises<br />

entre les principales fédérations étudiantes<br />

et le gouvernement. Une manifestation<br />

calme est organisée devant l’édifice qui<br />

accueille la réunion, mais plus de 80<br />

sympathisants sont arrêtés, dont deux<br />

négo-ciateurs de la CLASSE qui seront<br />

relâchés le soir même.<br />

500 juristes manifestent contre la loi 78.<br />

29 mai<br />

Deuxième jour des négociations, Jean<br />

Charest intervient pour la première fois<br />

directement dans les réunions, il passe<br />

près d’une heure avec les négociateurs étu-<br />

diants et la tendance semble <strong>à</strong> l’apaisement.<br />

30 mai<br />

Troisième journée des négociations.<br />

L’ambiance a changé, les leaders étu-<br />

diants et le gouvernement ne trouvent pas<br />

d’accord et le débat semble sans issue.<br />

L’ONU s’inquiète de la violence du SPVM<br />

lors des affrontements du 24 mai en marge<br />

de la manifestation.<br />

À l’initiative de la M<strong>au</strong>vaise Tête et de<br />

Cédric Plante, des centaines de mani-<br />

festants virtuels sont illustrés dans<br />

la Manif de bonhommes par toute la<br />

commun<strong>au</strong>té d’illustrateurs et de bédéistes<br />

du Québec, certains même de France.<br />

31 mai<br />

Au quatrième jour les négociations sont<br />

rompues. C’est un échec complet, les<br />

différentes parties ne peuvent s’entendre.<br />

Le Monde laisse une nouvelle tribune<br />

favorable <strong>au</strong> mouvement <strong>social</strong> en diffusant<br />

une lettre signée par des enseignantschercheurs<br />

québécois et français.<br />

106


Hier ou demain<br />

Sam Garne<strong>au</strong><br />

J’ai le goût de crier. Vraiment crier, hurler comme un fou. Crier <strong>à</strong> m’en faire mal <strong>à</strong> la<br />

gorge. Crier, juste crier ; je n’ai rien de précis <strong>à</strong> dire. J’ai envie de détruire quelque chose,<br />

n’importe quoi pour me calmer, mais je ne suis pas en colère. C’est <strong>au</strong>tre chose, un <strong>au</strong>tre<br />

nive<strong>au</strong> et je n’ai pas les mots qu’il me f<strong>au</strong>drait. Ce qui me met dans cet état, ce sont les<br />

arrestations arbitraires que je vois <strong>à</strong> la télé, que je lis dans les journ<strong>au</strong>x, qu’on me martèle<br />

dans les médias soci<strong>au</strong>x. Celles qu’ils justifient de façon stupide du genre « obstruction<br />

d’un coup de matraque » ou refus d’ouvrir les yeux pour administration de poivre de<br />

« cayenne ». Pas parce que je les vois trop, juste parce que ça arrive. Ici. Dans ce que j’avais<br />

l’<strong>au</strong>dace d’appeler mon pays, malgré que ce ne soit qu’une province. Une province que<br />

j’appelais pays, parce que je me sens différent du reste du Canada. Mais quand je vois ce<br />

qui se passe <strong>au</strong>jourd’hui, que selon des sondages une quantité majoritaire de gens appuient<br />

le gouvernement, je me dis que je suis un peu orphelin de contrée. Ça, ça me donne envie<br />

de crier. De pleurer <strong>au</strong>ssi, des larmes de rage, des larmes qui ne coulent que lorsque l’on<br />

a les mâchoires serrées. C’est la loi 78 <strong>au</strong>ssi, qui me révolte, qui me donne des n<strong>au</strong>sées.<br />

Une loi que je ne croyais pas possible chez moi, fallait-il que je sois naïf. Je pense que c’est<br />

ça <strong>au</strong>ssi, la naïveté, ma naïveté qui me donne des n<strong>au</strong>sées. C’est la dilapidation de nos<br />

ressources naturelles <strong>au</strong> coût de rien, c’est Anticosti, c’est le plan Nord. C’est la non-<br />

nationalisation des ressources. C’est la non-nationalisation d’un espoir économique<br />

pour ma province, pour mon futur pays, pour un monde plus égalitaire. 3000 milliards<br />

de dollars. Ça dépasse de loin la dette ça. Je ne comprends pas comment le gouvernement<br />

pense. En fait, oui, je le sais. Il ne pense pas <strong>au</strong>x gens. Et ça me donne envie de crier. Ça<br />

me donne envie de m’ouvrir en me fendant le sternum pis en m’écartelant les côtes. Pour<br />

que ça sorte un peu, un peu plus qu’en criant, parce que ça ne me fait plus grand-chose de<br />

crier, pis que si je garde ça en dedans, m’a finir par vouloir en poser des bombes. Ça me fait<br />

penser <strong>au</strong> Grand Prix ça, les bombes. Vraiment, c’était débile. Une chasse <strong>au</strong>x ch<strong>au</strong>drons<br />

et <strong>au</strong>x carrés rouges dans les métros. Après l’inquisition espagnole, la chasse <strong>au</strong>x sorcières<br />

du Québec. En <strong>2012</strong>. Si un jour il y en a une bombe de posée, je suis certain que cette<br />

bombe le sera par quelqu’un comme moi. Une personne qui <strong>à</strong> force, ne savait plus comment<br />

sortir son trop-plein et qui n’a pas eu le courage de s’ouvrir de h<strong>au</strong>t en bas.<br />

108


109<br />

J’m’en sacre du titre de celui-l<strong>à</strong><br />

Jackie San<br />

Le débat est rendu ailleurs.<br />

Moi, mes études, elles sont terminées. Non<br />

seulement elles sont terminées, mais elles<br />

sont payées.<br />

Les frais de scolarité <strong>au</strong>gmentent<br />

demain matin, ça me calice rien du tout.<br />

Personnellement. À moi. À moi pis mon<br />

portefeuille.<br />

« On s’en calice ! »<br />

— Moi et mon portefeuille<br />

Mais l<strong>à</strong>, le débat, il est rendu ailleurs. En<br />

tout cas, je pense. En tout cas, je l’espère.<br />

C’est pu’ juste geler les frais, dégeler les<br />

frais, indexer les frais ou brûler les frais.<br />

C’est refuser de se faire diriger de façon<br />

malhonnête. C’est reprendre conscience du<br />

pouvoir de la rue, c’est rappeler <strong>au</strong> monde<br />

les choix de société que nous avons faits.<br />

T’aimes pas Gabriel Nade<strong>au</strong>-Dubois ? Fine.<br />

Ça te fait chier de voir des jeunes péter des<br />

vitres ? J’peux comprendre. T’es contre le<br />

gel ? Tu préfères l’indexation ? Ok, correct.<br />

Mais enlève-moi ton esti de carré vert de<br />

sur ta chemise, bonyenne !<br />

Tu ne peux pas être pour une <strong>au</strong>gmentation<br />

de 75 % des frais de scolarité.<br />

TU PEUX JUSTE PAS.<br />

Dans ta p’tite tête de noix, l’éducation ne<br />

peut pas être gratuite ? Parfait, buddy. On<br />

pourrait en débattre longtemps. Mais ça ne<br />

justifie pas de faire un rattrapage de 10-15<br />

ans sur le dos de 5 cohortes étudiantes.<br />

« Ouin, écoute…<br />

ça fait une décennie qu’on charge<br />

pas assez cher <strong>au</strong> monde…<br />

F<strong>au</strong>drait que tu compenses pour<br />

notre gestion de marde des 10<br />

dernières années.<br />

On peut compter sur toé, j’espère ? »<br />

Ben voyons donc !<br />

— Le gouvernement<br />

Tu laisses les universités se graisser <strong>à</strong> même<br />

les frais afférents (pas réglementés, by the<br />

way) pour des salaires de pas d’allure et<br />

des primes de départ qui me donneraient<br />

le goût de partir où tu veux, et t’espères que<br />

moé, Ti-Coune, je fasse ma juste part ?<br />

Euh. Écrase !<br />

« Euh. Écrase. »<br />

— Les étudiants<br />

110


Non.<br />

111<br />

« Euh. Écrase. »<br />

— Le Québec, esti.<br />

T’as une job ? Une maison ? Une famille <strong>à</strong><br />

nourrir ? Des responsabilités de marde ?<br />

Parfait, man. Moi, je comprends que tu<br />

peux pas toute sacrer ça l<strong>à</strong> pour venir<br />

manifester avec nous.<br />

Les étudiants, eux, ils ont rien <strong>à</strong> perdre.<br />

Ils vont la faire la job sale <strong>à</strong> ta place.<br />

« On va la faire la job sale<br />

<strong>à</strong> ta place. »<br />

— Les étudiants<br />

Mais que je te vois pas leur mettre des<br />

bâtons dans les roues.<br />

Mettre des bâtons dans les roues des jeunes,<br />

c’est pas juste appeler la police quand ça<br />

s’attroupe dans ton quartier.<br />

« Tout d’un coup la banque se fait<br />

briser ses belles vitrines. »<br />

— Esti De Colon<br />

Mettre des bâtons dans les roues <strong>au</strong>x<br />

jeunes. M’a t’en donner des exemples, tu<br />

vas capoter.<br />

Discréditer les initiatives régionales. C’est<br />

cave en sacrament. Colporter qu’<strong>à</strong> Québec,<br />

on sort dans la rue seulement pour une<br />

rédio ou pour une équipe de hockey allergique<br />

<strong>à</strong> la victoire quand elle joue icitte.<br />

Nous <strong>au</strong>tres, <strong>au</strong> moins, on a réussi <strong>à</strong> rentrer<br />

quelque part. Complexe G. Assis dans le<br />

lobby, on criait Fonctionnaires, avec nous !<br />

Ben imagine-toi donc qu’on a pas passé<br />

<strong>à</strong> ton bulletin de nouvelles de la métropole…<br />

Scuse. Faque si vous croisez François<br />

Parente<strong>au</strong>, dites-lui donc que ces jeunesl<strong>à</strong><br />

rêvent pas de vivre dans une annonce<br />

de pick-up en faisant des donuts sur du<br />

Metallica. Pis que des douchebags, il a pas<br />

besoin de se taper 250 km de Bixi pour en<br />

trouver. <strong>La</strong>val va faire l’affaire.<br />

Bref, arrêtons de diviser le Québec en<br />

disant que le village voisin est rempli<br />

d’étranges qui pensent pas comme nous<br />

<strong>au</strong>tres. Pis l<strong>à</strong>, j’parle de Québec parce<br />

que c’est l<strong>à</strong> que je vis. Des épais, y en a<br />

partout. Faisons fi des épais, pis battonsnous,<br />

calvaire.<br />

Autre exemple. Être convaincu qu’un<br />

cellulaire, c’est du luxe. C’est quand même<br />

ben juste un téléphone, viarge. Ils peuvent<br />

toujours bien utiliser les téléphones<br />

publics, mais <strong>à</strong> 50 cennes la shot (haha,<br />

t’aimes ça les 50 cennes, Johnny), ça<br />

revient plus cher qu’un cellulaire. Alors<br />

tes memes gossés sur MS Paint de GND<br />

tenant une clope et un téléphone, tu<br />

s<strong>au</strong>ras que ça m’insulte pas mal moins que<br />

de savoir que la Be<strong>au</strong>champ déjeune avec<br />

la mafia, pis qu’elle calice probablement la<br />

facture dans ses frais de fonctionnement.<br />

Tsé, le budget que les élus reçoivent<br />

chaque année, de facto, financé <strong>à</strong> même tes<br />

impôts… Oui. Ce budget-l<strong>à</strong>.<br />

Écouter, lire ou partager Richard<br />

Martine<strong>au</strong>. Même si c’est pour exposer <strong>à</strong><br />

quel point c’est un psychotique dangereux.<br />

Arrête, esti. Si t’as rien <strong>à</strong> lui répondre<br />

pour le casser, un contre-argumentaire<br />

<strong>à</strong> sa vomissure, ben farme ta yeule. Mets<br />

tes efforts sur la résistance, sur l’ouverture<br />

de yeux et d’esprits, sur des pancartes<br />

drôles et intelligentes, sur la ruse <strong>au</strong> lieu<br />

de la confrontation, sur un discours<br />

sensé, éclairé et responsable. Pis l<strong>à</strong>, r’garde<br />

moi pas d’même. Moi, je coach l’équipe. Je<br />

patinerai pas <strong>à</strong> ta place.<br />

Renseigne-toi sur le Plan Nord. Les<br />

prochaines années vont dépendre de ça.<br />

Toute est sur le Web, t’as même pas besoin<br />

de sortir ou de t’habiller. Lis. Les « pour »<br />

comme les « contre ». F<strong>au</strong>t juste que tu<br />

saches. Après, tu penseras ce que tu<br />

voudras. J’te fais confiance.<br />

Prochaine élection, va voter. Oui, parce<br />

que pas voter, ça met des bâtons dans<br />

les roues des jeunes qui se tapent la job<br />

sale <strong>à</strong> ta place. Si tu veux continuer de la<br />

prendre dans l’cul, parfait. On va se<br />

rasseoir pis on va te sacrer patience avec<br />

nos ballounes rouges, notre feutrine, nos<br />

pancartes pis nos trompettes. On va brailler<br />

sur notre stock pendant que tu penses que<br />

t’as pris la bonne décision pour tes enfants.<br />

Tes enfants qui pourront pas full étudier<br />

longtemps, parce que t’<strong>au</strong>ras dit <strong>au</strong>x jeunes<br />

d’<strong>au</strong>jourd’hui de se la farmer. Ils seront<br />

pas l<strong>à</strong> pour payer les impôts nécessaires <strong>à</strong><br />

l’éducation de ta marmaille.<br />

Bah, tu pourras toujours nationaliser tes<br />

ressources naturelles…<br />

Oh fuck, non. Elles vont appartenir <strong>à</strong><br />

kekun d’<strong>au</strong>tre.<br />

Faque chiale contre les bébés gâtés si tu<br />

veux, contre les artisses opportunistes,<br />

contre tout ce que tu voudras, mais arrête<br />

de discréditer un mouvement SOCIAL<br />

conduit et dirigé par des étudiants qui<br />

voient <strong>au</strong>-del<strong>à</strong> du « moi et mon portefeuille<br />

», <strong>au</strong>-del<strong>à</strong> de la session prochaine. Ils<br />

sont la clé vers des méthodes de gestion<br />

plus saines, une gouvernance plus transparente,<br />

des dirigeants fair play. Et comme<br />

disait ma mère avant que je parte pour<br />

l’école : Perds la pas, ta clé.<br />

112


117<br />

<strong>La</strong> fêlure<br />

G<strong>au</strong>tier <strong>La</strong>ngevin<br />

Le Québec est perturbé. Comme une<br />

trentenaire <strong>à</strong> peine sortie de l’adolescence<br />

qui vient d’apprendre que son patron met<br />

du GH dans ses drinks <strong>à</strong> tous les cinq <strong>à</strong><br />

sept, pour mieux la baiser <strong>à</strong> son insu.<br />

Le Québec n’est pas en train de changer.<br />

Quelques citoyens sortent de leur torpeur<br />

orgasmique, agressés par la pénétration<br />

trop brutale et par les mécanismes de<br />

contrôle qui tentent de les étrangler maintenant<br />

de manière évidente. À force de<br />

gémir, la gag ball s’est enfoncée trop<br />

profondément dans leurs bouches, et les a<br />

réveillés en surs<strong>au</strong>t.<br />

Et Pourtant !<br />

<strong>La</strong> majorité continue de prendre un plaisir<br />

malsain <strong>à</strong> être créative dans l’horreur,<br />

assiégée par un pernicieux et lucratif syndrôme<br />

de Stockholm. Le sadomasochisme<br />

est <strong>à</strong> la mode. À ceux qui n’en peuvent plus<br />

et qui tentent, tragiquement, de se libérer<br />

de son étreinte, l’agresseur ne fait que donner<br />

quelques baffes de plus qu’<strong>à</strong> l’habitude.<br />

Mais la majorité aime ça, <strong>à</strong> mort.<br />

Se passe-t-il quelque chose ?<br />

Vraiment ?<br />

Nous, qui nous nous débattons tant bien<br />

que mal afin d’éviter l’ivresse de l’abandon,<br />

sommes-nous prêts <strong>à</strong> nous défendre ?<br />

Vraiment ?<br />

Présentement, nous n’avons rien <strong>à</strong> dire, ou<br />

si peu. À entendre nos contemporains, il<br />

f<strong>au</strong>drait se laisser faire, être « pacifiques ».<br />

Accepter de changer de position, <strong>au</strong> mieux.<br />

On aime tous baiser, mais il y a des<br />

limites. Notre chatte n’en peut plus, et ils<br />

sont si nombreux <strong>à</strong> écarter les jambes. Le<br />

Québec n’est pas en train de changer. Il est<br />

perturbé, meurtri. Loin d’être cicatrisé. Il<br />

se peut même que nous jouissions encore,<br />

bien malgré nous, entre deux sanglots. Ce<br />

sera peut-être assez pour nous faire oublier<br />

la cire ch<strong>au</strong>de et les menottes. Peu importe.<br />

L’agresseur ira jusqu’<strong>au</strong> bout. Tant que<br />

les jouets de toutes sortes exerceront sur<br />

nous un pouvoir d’attraction charmeur, la<br />

foreuse s’en donnera <strong>à</strong> cœur joie.<br />

118


Débandons, nous <strong>au</strong>ssi !<br />

L’étreinte romantique dont nous rêvons<br />

implique trop de changements radic<strong>au</strong>x<br />

dans la manière selon laquelle nos<br />

systèmes politiques et économiques se<br />

déploient. Dans cette société huilée <strong>au</strong><br />

désir, la rationalité, la sagesse, la transparence,<br />

l’humilité, l’équité ne sont pas<br />

sexy. Le petit Jérémy ne chantera jamais la<br />

justice <strong>social</strong>e. <strong>La</strong> lenteur et la réflexion<br />

énervent. Ils se font raccrocher la ligne <strong>au</strong><br />

nez par Simon Durivage. <strong>La</strong> plus grande<br />

contestation socio-écologique de l’histoire<br />

de l’Amérique du Nord est ignorée par le<br />

journal le plus lu <strong>au</strong> Québec. Les mouvements<br />

soci<strong>au</strong>x où <strong>au</strong>cune fenêtre n’est<br />

brisée ne sont pas rapportés. Au souper de<br />

famille du dimanche, on se fait dire de se<br />

calmer.<br />

119<br />

C’est vrai, finalement, que le Québec n’est<br />

plus le même. Son masque est tombé,<br />

et le visage qu’il dévoile est paniquant.<br />

L’agresseur est <strong>au</strong>ssi victime. Ses traits<br />

étirés par l’insomnie lui donnent des airs<br />

de spectre. Il n’en peut plus, mais il ne<br />

sait pas quoi faire d’<strong>au</strong>tre. Comme nous,<br />

il est né parmi les panne<strong>au</strong>x réclame, les<br />

carrosseries luisantes, les sièges en cuir<br />

et les jambes de cinq pieds de Barbie. On<br />

<strong>au</strong>rait presque envie de le prendre dans<br />

nos bras, de le consoler. De lui dire que l’on<br />

comprend sa souffrance, et la haine qu’il<br />

recrache <strong>à</strong> notre visage comme une bile<br />

toxique.<br />

Et puis… si ça peut lui faire du bien. On<br />

aime bien baiser. Après tout… non ?<br />

Délit collectif de quadrature écarlate<br />

Moïse Marcoux-Chabot<br />

Délit de rêver d'une société instruite<br />

Délit d'avoir posé trop de questions<br />

Délit de se promener dans un parc<br />

Délit de couleur de ses vêtements<br />

Délit de vouloir prendre le métro<br />

Délit de ne pouvoir se disperser<br />

Délit de désirer le changement<br />

Délit de nez de clown insolent<br />

Délit de ne pas avoir entendu<br />

Délit de désobéissance civile<br />

Délit de marcher sans trajet<br />

Délit de déranger les chars<br />

Délit de rester dans la rue<br />

Délit de filmer la violence<br />

Délit de dire non <strong>à</strong> l'abus<br />

Délit de nudité publique<br />

Délit de la cinquantaine<br />

Délit de visage masqué<br />

Délit d'avoir l'air jeune<br />

Délit de langue déliée<br />

Délit d'éveil politique<br />

Délit par association<br />

Délit pour solidarité<br />

Délit de conscience<br />

Délit de présences<br />

Délit de sac <strong>à</strong> dos<br />

Délit d'itinéraires<br />

Délit de klaxons<br />

Délit casseroles<br />

Délit d'opinion<br />

Délit présumé<br />

Délit de bruit<br />

Délit d'idées<br />

Délit pensé<br />

Délit rouge<br />

Délit vécu<br />

Délit noir<br />

Délit ouï<br />

Délit vu<br />

Délit lu<br />

Délits<br />

Des livres<br />

Délivrons-nous<br />

Délivrons-nous du roi<br />

Délivrons-nous des chefs<br />

Délivrons-nous de leur pouvoir<br />

Délivrons-nous de l'élite corrompue<br />

Délivrons-nous de cette police politique<br />

Délivrons-nous de l'oppression, TABARNAK !<br />

120


121<br />

Coming-out d’une étudiante <strong>à</strong> boutte<br />

Léa Clermont-Dion<br />

Définition de « solidarité » : du latin<br />

solidus, « qui forme une seule masse ».<br />

Relation entre personnes unies par un<br />

sentiment de commun<strong>au</strong>té d’intérêts qui<br />

les pousse <strong>à</strong> se porter aide mutuelle.<br />

Se lever tôt, prendre son café, ouvrir son<br />

ordinateur ; des leaders étudiants solides,<br />

une ministre marionnette, parfois un<br />

premier ministre arrogant, toujours des<br />

policiers, des étudiants manifestant,<br />

des journalistes… rarement même, des<br />

tout-nus.<br />

Il y a <strong>au</strong>ssi quelques droitistes, quelques<br />

g<strong>au</strong>chistes, quelques centristes, des parents,<br />

des artistes, des médecins, des vieux<br />

sages, des syndicalistes, des solidaires, des<br />

lucides, des libertariens, des anarchistes…<br />

Il y a les lettres d’opinion, les memes, les<br />

statuts Facebook, les tweets, les hashtag, les<br />

caricatures, les forums, les messages dans<br />

le métro…<br />

Il y a les couvertures du Journal de Montréal,<br />

du Devoir, de la Presse…Il y a les<br />

chroniqueurs, les éditorialistes, les spécialistes,<br />

les blogueurs, les commentateurs, les<br />

opinioneux, les sophistes, les généraliseux,<br />

les intellectuels, les érudits, les cancres, les<br />

ignares…<br />

Il y a les carrés rouges, blancs et verts…<br />

Il y a les débats de fonds, les f<strong>au</strong>x-débats,<br />

les négos, les ententes de principes, les<br />

offres, les refus, le chantage, les solutions,<br />

les insultes, les contre-offres, les stratégies,<br />

l’impasse, l’ouverture, l’espoir, la<br />

déception, les demandes, les exigences,<br />

les commissions, les moratoires, les états<br />

génér<strong>au</strong>x, les voltes-face, les démissions…<br />

Il y a les coups de matraque, les gaz, les<br />

bombes fumigènes et lacrymogènes…<br />

les arrestations, les injonctions, les<br />

emprisonnements, les casiers criminels.<br />

Il y a le « terrorisme » ? (Ah, ça, non.)<br />

Il y a la SQ, le SPVM, les trucks, les<br />

camions, les <strong>au</strong>tos, les gyrophares, le bruit,<br />

les sirènes, les slogans, les cris, les injures,<br />

la violence…<br />

Il y a Maxence Valade et Francis Grenier<br />

qui ont perdu la vue d’un œil, il y a Alex<br />

Allard qui a été dans le coma.<br />

Il y a les manifestations, la foule, le<br />

mécontentement.<br />

Il y a cette cessation volontaire et<br />

collective afin de défendre des intérêts<br />

communs qu’on appelle « grève ».<br />

122


Il y a 1000, 2000, 200 000 personnes <strong>à</strong> la<br />

rue.<br />

Et la solidarité perdure. Mais le silence<br />

demeure.<br />

Se lever tôt, ouvrir son ordinateur, prendre<br />

son café et subir perpétuellement ce<br />

m<strong>au</strong>vais jour de la marmotte qui finit<br />

toujours par un sentiment de déception.<br />

Il y a l’écoeurantite aiguë face <strong>à</strong> ce gouvernement<br />

qui n’est pas en mesure de<br />

mettre fin <strong>à</strong> cette crise <strong>social</strong>e. Le statu quo<br />

perdure dur comme fer. C’est inacceptable.<br />

Et c’est difficile. Pour tout le monde.<br />

On en parle peu, très peu, on se veut des<br />

surhommes et des surfemmes, mais<br />

avouons-le, nous sommes fatigués. On ne<br />

veut pas s’avouer vaincus. Avec raison,<br />

nous ne sommes pas vaincus, seulement<br />

épuisés. Un peu, en tout cas.<br />

Il y a ces réels surhommes et surfemmes<br />

qui tous les jours se rendent très tôt pour<br />

le piquetage, il y a ces organisateurs, ces<br />

étudiants de l’ombre, ces militants d’assos<br />

qui donnent tout leur jus. Ils sont tenaces<br />

les étudiants. Je les admire sérieusement.<br />

Et les porte-parole ? Nous leur devons un<br />

respect sans mot. Ils sont solides. Pas facile<br />

de négocier dans un contexte où le manque<br />

de moyens ancre une inégalité des forces<br />

obligatoire.<br />

Je sais, il f<strong>au</strong>t garder espoir. Ce qui est<br />

inspirant, c’est probablement cette force<br />

qu’on retrouve avec le nombre. Parce que la<br />

force du mouvement, c’est nous tous.<br />

123<br />

Alors que les cent jours de grève<br />

approchent, la crise qui touche le<br />

Québec nous donne une sérieuse leçon<br />

sur la démocratie. Démocratie ? Ou plutôt<br />

celle <strong>à</strong> laquelle on tente de croire, mais<br />

qui s’apparente ces jours-ci <strong>à</strong> un drôle de<br />

mirage.<br />

J’ai un espoir parmi d’<strong>au</strong>tres, celui que<br />

nous irons voter en masse <strong>au</strong>x prochaines<br />

élections générales. 58 % de participation<br />

en 2008, 78 % en 1998. Et si nous avions<br />

droit nous <strong>au</strong>ssi <strong>à</strong> notre 80 % <strong>au</strong> prochain<br />

suffrage ? Nous avons une responsabilité,<br />

nous les étudiants, pour la suite des choses.<br />

Je fantasme qu’en me levant demain matin,<br />

il y ait un moratoire sur la h<strong>au</strong>sse des frais<br />

de scolarité et la tenue d’États génér<strong>au</strong>x sur<br />

l’éducation supérieure. Chacun ses rêves,<br />

vous avez droit <strong>au</strong>x vôtres.<br />

Ah, j’oubliais : il y a <strong>au</strong>ssi les lois spéciales.<br />

124


125<br />

126


127<br />

128


129<br />

D'après la citation d'Helder Pessoa Câmara,<br />

archevêque brésilien, nominé <strong>au</strong> prix Nobel de la paix<br />

130


131<br />

Je porterai dorénavant un carré noir<br />

Normand Baillargeon<br />

« Quand la vérité n’est pas libre, la liberté n’est pas vraie.<br />

Les vérités de la Police sont les vérités d’<strong>au</strong>jourd’hui. »<br />

Je porterai dorénavant un carré noir.<br />

[Ajout : sans enlever le rouge, bien entendu.Et<br />

les deux ensemble font un bien be<strong>au</strong><br />

drape<strong>au</strong>]<br />

Je le porterai d’abord en solidarité avec<br />

ces jeunes gens que l’on a sans répit humiliés,<br />

battus, matraqués, et gazés et pour ne<br />

jamais oublier ce qu’on leur a fait.<br />

Je le porterai pour me rappeler que je suis<br />

en deuil de la démocratie, pour dire <strong>à</strong><br />

tous et <strong>à</strong> toutes ma tristesse devant ce qui<br />

ressemble désormais plus, et je pèse mes<br />

mots, <strong>à</strong> une association de malfaiteurs qu’<strong>à</strong><br />

un Gouvernement, <strong>à</strong> un rassemblement<br />

— Jacques Prévert<br />

de mafieux gangrénés par la corruption et<br />

<strong>au</strong>tour desquels flotte, immanquable, la<br />

n<strong>au</strong>séabonde odeur du scandale et du<br />

mépris de la société civile.<br />

Je le porterai pour me rappeler qu’on m’a<br />

menti en assurant que le débat sur les frais<br />

de scolarité a eu lieu : les étudiants et les<br />

professeurs se sont en effet retirés de ces<br />

consultations bidon organisées par les<br />

Libér<strong>au</strong>x et durant lesquelles il ne pouvait<br />

être sereinement traité ; et pour me rappeler<br />

que ce gouvernement a ensuite refusé<br />

de discuter de cette question dans toute<br />

son ampleur et avec sérieux, ce que seuls<br />

des états génér<strong>au</strong>x peuvent accomplir.<br />

132


Je le porterai pour me rappeler ces<br />

efforts de dissolution du politique dans<br />

le juridique.<br />

Je le porterai pour me rappeler votre trop<br />

longtemps maintenu refus de négocier et,<br />

ce moment venu, votre inébranlable refus<br />

d’aborder les questions que posaient les<br />

étudiants et les étudiantes en grève.<br />

Je le porterai pour me rappeler que je suis<br />

en deuil de la démocratie délibérative,<br />

assassinée par des faiseurs d’opinion<br />

que je ne peux me résoudre <strong>à</strong> appeler des<br />

journalistes et dont les excès de langage ont<br />

dépassé de loin tout ce que j’ai vu dans ma<br />

vie.<br />

Je le porterai pour me rappeler ces sondages<br />

non probabilistes qui ont, c’est une<br />

honte, été ce que nous avons eu de mieux <strong>à</strong><br />

nous offrir dans le cadre de notre conversation<br />

démocratique sur un enjeu de cette<br />

importance.<br />

Je le porterai <strong>au</strong>ssi en deuil de ces mots<br />

de la langue qui ont été bien malmenés<br />

ces derniers temps : grève, démocratie,<br />

accessibilité, et pour ne pas oublier que ces<br />

perversions du langage ont consisté <strong>à</strong> faire<br />

d’un enjeu collectif et politique une affaire<br />

individuelle, marchande et économique<br />

133<br />

Je le porterai pour la liberté d’expression,<br />

d’association et de manifestation que cette<br />

inique loi spéciale poignarde <strong>au</strong> coeur.<br />

Je le porterai en solidarité avec mes compagnons<br />

libertaires qu’on humilie, qu’on bat,<br />

qu’on matraque, et qu’on gaze, comme les<br />

<strong>au</strong>tres, mais qu’on calomnie <strong>au</strong>ssi.<br />

Je le porterai donc pour me rappeler<br />

l’immense et noble espoir que l’anarchisme<br />

n’a cessé de porter : celui d’une société<br />

libre, démocratique, égalitaire et sans<br />

pouvoir illégitime, pour me rappeler cet<br />

idéal que j’aime infiniment et dont ne<br />

connaissent manifestement rien ceux et<br />

celles qui lui crachent <strong>au</strong>jourd’hui dessus.<br />

Je le porterai enfin et surtout pour me<br />

souvenir que des jeunes gens, un moment,<br />

chez nous, ont incarné cet idéal : et que si<br />

les gouvernements passent, cet idéal, lui,<br />

ne mourra jamais.<br />

Je porterai dorénavant un carré noir.<br />

Et je vous invite <strong>à</strong> en porter un, vous <strong>au</strong>ssi :<br />

les raisons pour ce faire ne manquent hélas<br />

pas.<br />

134


135<br />

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139<br />

« Le langage politique est destiné <strong>à</strong><br />

rendre vraisemblables les mensonges,<br />

respectables les meurtres, et <strong>à</strong> donner<br />

l’apparence de la solidité <strong>à</strong> ce qui<br />

n’est que vent. »<br />

— George Orwell<br />

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<strong>La</strong> jeunesse expliquée <strong>au</strong>x vieux<br />

Stéphane <strong>La</strong>porte<br />

<strong>La</strong> crise que traverse le Québec est exceptionnelle,<br />

encore plus que la loi déposée<br />

jeudi, parce qu’elle touche <strong>à</strong> ce qu’un pays<br />

possède de plus précieux : sa jeunesse.<br />

Voil<strong>à</strong> pourquoi il ne f<strong>au</strong>t pas la gérer<br />

comme on gère Rambo.<br />

Bien sûr, ce n’est pas toute la jeunesse du<br />

Québec qui est dans la rue. C’est 150 000<br />

jeunes sur un million et demi. Mais 150<br />

000 personnes, c’est quand même une<br />

grosse gang, surtout quand on pense que<br />

50 individus, c’est assez, selon le projet de<br />

loi 78, pour mettre en danger la société. Et<br />

c’est sans compter tous les jeunes qui ne<br />

marchent pas, mais qui se cherchent eux<br />

<strong>au</strong>ssi.<br />

Quand la jeunesse se révolte, il f<strong>au</strong>t savoir<br />

l’écouter. Il f<strong>au</strong>t savoir l’apprivoiser.<br />

Bien sûr, Léo, Martine et Gabriel n’ont pas<br />

toujours raison. Parfois, ils sont dans le<br />

champ, dans le be<strong>au</strong> champ, même. Mais<br />

ils y sont par principe, et pas par intérêt. Ils<br />

n’y sont pas pour trouver du gaz de schiste,<br />

mais pour trouver la vérité. Et Dieu sait<br />

qu’il f<strong>au</strong>t creuser.<br />

« On devient vieux<br />

quand les jeunes nous<br />

abandonnent. »<br />

— Marcel Pagnol<br />

Ils sont jeunes. C’est pourquoi on ne peut<br />

être contre eux, car ce serait être contre<br />

notre avenir. Ce serait être contre ce que<br />

nous avons fait de mieux : eux.<br />

Si la jeunesse n’a pas toujours raison,<br />

la société qui la frappe a toujours tort.<br />

Cette citation est de François Mitterrand.<br />

Il a fait cette déclaration <strong>à</strong> l’Assemblée<br />

nationale française en mai 1968. Elle n’a<br />

pas vieilli d’une seconde. Elle est toujours<br />

actuelle.<br />

Un gouvernement a le devoir d’aimer sa<br />

jeunesse comme les parents ont le devoir<br />

d’aimer leurs enfants. Le pire est <strong>à</strong> craindre<br />

d’une jeunesse mal aimée.<br />

Certains diront que la jeunesse québécoise<br />

est faite d’enfants-rois trop gâtés qui méritent<br />

la méthode forte.<br />

Nos jeunes aiment le luxe, ont de m<strong>au</strong>vaises<br />

manières, se moquent de l’<strong>au</strong>torité<br />

et n’ont <strong>au</strong>cun respect pour l’âge. À notre<br />

époque, les enfants sont des tyrans.<br />

156


Ce n’est pas un chroniqueur montréalais<br />

qui s’est exprimé de la sorte cette semaine ;<br />

c’est Socrate qui a dit cela, 450 ans avant<br />

Jésus-Christ. C’est pour dire...<br />

C’est le propre des jeunes, depuis toujours,<br />

de tout vouloir. Et de déranger. Les cheveux<br />

gominés des années 50, les cheveux longs<br />

des années 60, les barbus <strong>à</strong> la P<strong>au</strong>l Piché<br />

des années 70 tapaient <strong>au</strong>tant sur les nerfs<br />

des plus vieux que les petits poils hirsutes<br />

de Nade<strong>au</strong>-Dubois irritent les bien rasés.<br />

Si on pouvait recouvrer l’intransigeance de<br />

la jeunesse, ce dont on s’indignerait le plus,<br />

c’est de ce qu’on est devenu.<br />

Celle-l<strong>à</strong>, elle est d’André Gide. Dans le<br />

fossé entre jeunes et vieux, il y a be<strong>au</strong>coup<br />

de cela. Comme si les plus âgés avaient<br />

oublié comment ils étaient <strong>à</strong> l’âge de Léo.<br />

Je suis assez vieux pour me souvenir d’un<br />

jeune député conservateur, mais fringant,<br />

<strong>au</strong>x cheveux bouclés comme Peter Pringle,<br />

qui disait parler <strong>au</strong> nom de la jeunesse.<br />

Aujourd’hui, il est premier ministre,<br />

responsable du dossier jeunesse, et il évite<br />

de rencontrer les leaders étudiants.<br />

Père absent, négociation manquée.<br />

Pourquoi ? Parce que les trois intrépides<br />

jeunes gens sont trop impétueux ? C’est leur<br />

nature. C’est leur âge. F<strong>au</strong>t les comprendre.<br />

<strong>La</strong> plus inquiétante jeunesse est celle qui<br />

n’a pas d’opinions extrêmes.<br />

157<br />

Ces propos furent tenus par le comte<br />

de Chambord, qu’on peut difficilement<br />

assimiler <strong>à</strong> Amir Khadir puisqu’il fut<br />

prétendant <strong>à</strong> la couronne de France <strong>au</strong><br />

milieu du XIXe siècle. Cet homme avait<br />

comme dessein de s’asseoir sur le trône<br />

après la prise de la Bastille et, pourtant,<br />

il se méfiait d’un jeune qui n’était pas<br />

révolutionnaire. Notre politique manque<br />

dramatiquement de philosophes.<br />

L’homme n’est pas fait pour vivre longtemps<br />

: l’expérience le corrompt. Le monde<br />

n’a besoin que de jeunesse et de poètes.<br />

Encore l<strong>à</strong>, vous serez surpris de savoir que<br />

cette citation ne provient point d’Ariane<br />

Moffatt, mais d’un <strong>au</strong>teur de droite né en<br />

1884 : Jacques Chardonne.<br />

Pour purifier ce monde corrompu, on a<br />

besoin de jeunes idéalistes. C’est le seul<br />

antidote possible. F<strong>au</strong>t pas les museler, f<strong>au</strong>t<br />

les écouter. Et leur parler.<br />

Les jeunes vont en bandes, les adultes en<br />

couples et les vieux, tout seuls (proverbe<br />

suédois).<br />

Je ne sais pas quelles seront les<br />

conséquences de la loi spéciale, mais<br />

empêcher les jeunes de se rassembler, c’est<br />

comme empêcher Jean-François Br<strong>au</strong>lt<br />

de chanter avec Marie-Ève Janvier. C’est<br />

impossible. Et c’est surtout bien mal les<br />

connaître.<br />

Chaque coup de colère est un coup de<br />

vieux, chaque sourire est un coup de jeune.<br />

(proverbe chinois)<br />

Je nous souhaite que les jeunes sachent<br />

répondre pacifiquement <strong>à</strong> la tournure des<br />

événements. Sinon, j’ai bien peur que le<br />

Québec prenne un méchant coup de vieux.<br />

Question de garder espoir, je terminerai<br />

mon cours de jeunesse 101 avec la célèbre<br />

phrase de Picasso : «Il f<strong>au</strong>t longtemps pour<br />

devenir jeune.»<br />

Je nous souhaite <strong>à</strong> tous, carrés rouges,<br />

carrés verts, carrés blancs et carrés <strong>au</strong>x<br />

dattes, de l’être très bientôt.<br />

<strong>La</strong> jeunesse et l’été vont si bien ensemble.<br />

158


159<br />

160


161<br />

162


163


Ode <strong>à</strong> la banane rebelle<br />

Éric Fournier<br />

Venez tous ! <strong>La</strong>issez-moi vous conter<br />

L'histoire inspirante d'un fruit de la libre-pensée ;<br />

Prêtez oreille <strong>à</strong> l'épopée exceptionnelle<br />

De Bananarchie, la première Banane Rebelle !<br />

Depuis plus de 100 jours elle se trouvait<br />

Dans l'oreille g<strong>au</strong>che de l'ignoble Charest ;<br />

Et ainsi protégeait ses tympans corrompus<br />

De la clameur qui retentissait dans la rue.<br />

Mais son coeur de banane ressentait toute l'injustice<br />

À laquelle elle se faisait implicitement complice ;<br />

Mais enchaînée <strong>à</strong> l'oligarche libéral,<br />

Qu'<strong>au</strong>rait-elle pu devant cette crise nationale ?<br />

Mais alors vint la loi 78,<br />

Loi noire, loi injuste, loi inique,<br />

C'est cet édit fétide et sardonique<br />

Qui enflamma en elle son âme héroïque !<br />

"Assez, dit-elle, du goût infect de la cire<br />

Et de l'abject vol de notre avenir !<br />

Assez, cria-t-elle, de ce lobe gonflé de pots-de-vin<br />

D'arrogance et de noirs desseins !"<br />

166


Et ainsi la Banane partit-elle en croisade<br />

Contre les libér<strong>au</strong>x et leur régime malade ;<br />

Et ainsi la Banane descendit-elle dans la rue<br />

Appuyer un peuple qui en avait plein le cul !<br />

Mais ne vous méprenez point, car sous cette pe<strong>au</strong> amère,<br />

Se cache une tendre et savoureuse chaire ;<br />

Et bien que maintenant elle porte le carré écarlate,<br />

<strong>La</strong> Banane n'en demeure pas moins une excellente source de phosphate !<br />

Et c'est justement ce qui la différencie<br />

De ces anciens maîtres et de leur parti<br />

Qui derrière leur rhétorique abrasive<br />

N'ont en fait <strong>au</strong>cune valeur nutritive !<br />

Allez tous, répétez <strong>au</strong>x quatre vents<br />

L'épopée de ce fruit militant ;<br />

Racontez <strong>à</strong> tous l'histoire exceptionnelle<br />

De Bananarchie, la première Banane Rebelle !<br />

167<br />

168


169<br />

Affiche de mai 68, toujours pertinente en <strong>2012</strong>.<br />

« Remastérisée » pour la postérité par Moïse Marcoux-Chabot<br />

170


171<br />

172


« Si vous n'êtes pas vigilants, les medias arriveront<br />

<strong>à</strong> vous faire détester les gens opprimés et aimer<br />

ceux qui les oppriment. »<br />

— MalcomX<br />

174


175<br />

Cri de terrain<br />

Samuel Matte<strong>au</strong> - Cinéaste et Citoyen<br />

Depuis plusieurs mois nous parlons be<strong>au</strong>coup<br />

du conflit étudiant, de la prise de<br />

conscience actuelle qui semble annoncer<br />

les débuts d’une nouvelle ère pour le<br />

Québec : d’un éveil. Ce qui se déroule sous<br />

nos yeux n’est pas seulement une transformation<br />

<strong>social</strong>e, c’est <strong>au</strong>ssi une révolution<br />

individuelle.<br />

<strong>La</strong> force du mouvement naît du paradoxe<br />

suivant : c’est la génération d’enfants postréférendaire,<br />

nés dans la solitude de la<br />

société du divorce et du « spectacle », qui se<br />

retrouvent <strong>à</strong> devoir opérer un changement<br />

de fond et un rapprochement collectif.<br />

Nous découvrons notre état de présence,<br />

nous découvrons, ébahis, que l’émotion<br />

d’être ensemble nous pousse vers l’intime.<br />

Les événements que nous vivons sont<br />

certainement très révélateurs de notre<br />

identité en tant que peuple, mais le sont<br />

donc tout <strong>au</strong>tant de notre identité individuelle.<br />

Ces transformations marqueront<br />

sans doute le reste de nos vies.<br />

<strong>La</strong> jeunesse est-elle en train de vivre une<br />

sorte de rite de passage ?<br />

Depuis le début du mouvement, je suis<br />

bouleversé. À vingt-cinq ans, je suis en<br />

train de faire mienne des expériences qui<br />

m’exigent de désapprendre des notions<br />

telles que démocratie, politique, société,<br />

individu, pour les re-fonder <strong>à</strong> partir d’une<br />

impasse. Voil<strong>à</strong> le travail qui nous est<br />

imparti.<br />

Nous vivons les changements soci<strong>au</strong>x <strong>à</strong><br />

200 milles <strong>à</strong> l’heure, de plein front. Nous<br />

avons vécu Victoriaville, nous avons vécu<br />

la «répression». Nous avons senti les pavés<br />

s’envoler ; la glace se casser. Nous avons<br />

vécu la rage et la haine, la violence des<br />

policiers, et la nôtre <strong>au</strong>ssi. Nous avons été<br />

gazés, poivrés, matraqués, nous avons vu<br />

et senti des corps qui se battent, s’aident,<br />

se serrent les coudes. Nous avons vécu<br />

le chaos, la panique, la be<strong>au</strong>té du mouvement.<br />

Nous assumons la force de nos<br />

convictions.<br />

Ce qui se passe dans nos rues rend visible<br />

un concentré de sentiments humains qui<br />

cherchent <strong>à</strong> s’exprimer, s’incarner dans<br />

une parole. Ces expériences qui prennent<br />

naissance en marge sont belles, dures et<br />

souvent intransigeantes. Nous sommes<br />

dans ce que j’appellerais une forme<br />

d’éducation populaire où nous goûtons<br />

enfin concrètement <strong>à</strong> une forme de commun<strong>au</strong>té,<br />

<strong>à</strong> un sentiment d’appartenance.<br />

L’individualisme se fissure, notre zone de<br />

confort est investie par l’<strong>au</strong>tre qu’on<br />

apprend <strong>à</strong> aimer.<br />

176


Je me rends compte que nous avons le<br />

devoir d’avoir des objectifs communs<br />

et une destination semblable pour survivre<br />

<strong>à</strong> la violence de la vie qui frappe.<br />

<strong>La</strong> solidarité plus que jamais nécessaire<br />

ne sonne plus comme un mot creux.<br />

Arrêtés en masse lors d’une manifestation<br />

pacifique, pris en souricière dans les rues<br />

de Québec, nous avons su garder la tête<br />

h<strong>au</strong>te, rester unis malgré l’intimidation des<br />

policiers et l’arrogance du gouvernement.<br />

Je suis reconnaissant envers cet homme,<br />

vivant <strong>au</strong> 3e étage d’un appartement sur la<br />

rue St-Jean et spectateur de cette situation<br />

malgré lui, d’avoir organisé un système de<br />

corde avec un bac pour nous donner de la<br />

nourriture et de l’e<strong>au</strong> <strong>à</strong> l’intérieur de ce<br />

périmètre.<br />

Dans l’urgence, nous nous organisons,<br />

nous développons des stratégies, nous<br />

créons nos propres médias citoyens. Nous<br />

vivons la politique en temps réel, nous<br />

débattons et discutons sur de nouvelles<br />

manières de gouverner, nous apprenons<br />

la responsabilité d’être éduqués, informés<br />

et lucides. Nous développons notre créativité.<br />

Nous sentons l’exaltation de l’énergie<br />

partagée qui pourrait être porteuse de<br />

changement. Faire l’expérience de la<br />

symbiose de 200 000 - 250 000 personnes<br />

le 22 mars, le 22 avril et le 22 mai a changé<br />

notre rapport <strong>au</strong> monde. Nous sommes<br />

continuellement <strong>au</strong> travail dans la panique<br />

comme dans le consentement <strong>à</strong> la be<strong>au</strong>té<br />

du mouvement. Suivre notre instinct nous<br />

<strong>à</strong> fait prendre conscience de nos déchirures<br />

intérieures entre désir de chaos, de violence<br />

et celui d’harmonie et de bon sens.<br />

177<br />

Be<strong>au</strong>té d’un peuple en éveil, de l’humanité<br />

blessée qui n’abdique pas.<br />

Avec un peu de recul, ces événements<br />

nous permettent d’apprendre <strong>à</strong> connaître<br />

nos réelles motivations, <strong>à</strong> identifier nos<br />

valeurs fondamentales. Face <strong>à</strong> l’imprévu,<br />

le « je » découvre sa force intérieure, son<br />

vrai visage en même temps que le soin <strong>à</strong><br />

donner <strong>au</strong> bien commun. En fait, cette<br />

période de chamboulements oblige chacun<br />

<strong>à</strong> se positionner face <strong>au</strong> groupe, facilitant<br />

ainsi l’émergence de nouve<strong>au</strong>x acteurs et<br />

de nouve<strong>au</strong>x symboles.<br />

De ces épreuves libératrices émaneront<br />

très certainement des éléments insoupçonnés,<br />

enfouis très loin dans l’inconscient<br />

collectif et jusqu’ici soigneusement<br />

oubliés. Le désir d’un pays ? Le désir d’une<br />

culture québécoise francophone forte ?<br />

Le désir d’un changement de paradigme ?<br />

Chose certaine, sur le plan individuel, le<br />

mouvement <strong>social</strong> actuel a déj<strong>à</strong> laissé sa<br />

trace dans la conscience des jeunes qui<br />

assureront la suite des choses. Nous<br />

formons une génération de citoyens militants,<br />

conscients et politisés qui découvre<br />

la force de sa parole. J’ai confiance qu’avec<br />

les récents bouleversements, le meilleur est<br />

<strong>à</strong> venir. Le Québec ne pourra faire moins<br />

que de s’en porter mieux. À l’image d’un<br />

individu qui se réveille (parce qu’il a assez<br />

longtemps rêvé) ; parfois maladroitement,<br />

un peu confus et pas toujours cohérent,<br />

laissons le temps <strong>au</strong> mouvement de prendre<br />

forme, de se tenir debout de manière<br />

solide.<br />

Comme citoyen québécois et comme<br />

jeune cinéaste, je ferai tout en mon<br />

pouvoir pour nourrir cette force et<br />

m’assurer de l’alimenter, de la documenter,<br />

de la réfléchir et surtout de continuer <strong>à</strong> la<br />

vivre. Il est clair que nous sommes <strong>à</strong> l’<strong>au</strong>be<br />

de quelque chose d’important et que les<br />

changements désirés ne peuvent s’effectuer<br />

<strong>à</strong> court terme. Il sera alors important de<br />

créer des traces actives, des documents<br />

et des œuvres libres qui relateront toute<br />

l’énergie et l’ardeur déployées <strong>au</strong>jourd’hui.<br />

Nous assurerons de laisser un lègue <strong>à</strong> la<br />

h<strong>au</strong>teur de notre vision qui transcendera la<br />

révolte et amènera la révolution <strong>à</strong> agir dans<br />

le temps.<br />

Notre génération refuse d’être sacrifiée<br />

pour la maintenance d’un monde qui se<br />

meurt et d’un ordre sans gouvernance<br />

fiable. Si nous <strong>au</strong>rons été le déclencheur, ce<br />

sera nos enfants et nos petits enfants qui<br />

perpétueront le changement et assureront<br />

une relève vivante et fiable. Ce n’est peutêtre<br />

pas nous qui changerons le monde,<br />

mais nous <strong>au</strong>rons <strong>au</strong> moins le mérite de<br />

leur laisser un monde d’amour, d’espoir et<br />

de possibilités.<br />

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183<br />

JUIN <strong>2012</strong><br />

Grand Prix de F1 de Montréal<br />

et Loi Omnibus C-38<br />

1er juin<br />

Léo Bure<strong>au</strong>-Blouin achève son deuxième<br />

mandat <strong>à</strong> la tête de la FECQ, Éliane<br />

<strong>La</strong>berge le remplace.<br />

4 juin<br />

Arrestation d’Amir Khadir, député et<br />

leader de Québec Solidaire, par la police<br />

de Québec. Il avait pris part <strong>à</strong> une manifestation<br />

pacifique mais jugée illégale.<br />

7 juin<br />

Le Directeur général des élections du<br />

Québec propose que des bure<strong>au</strong>x de<br />

scrutin soient implantés dans les cégeps et<br />

les universités, pour faciliter l’accès <strong>au</strong> vote<br />

pour les jeunes et diminuer l’abstention.<br />

Le Parti libéral s’y oppose.<br />

Daniel Cohn-Bendit, leader étudiant de<br />

mai 68 en France et député européen signe<br />

un texte en faveur du mouvement dans<br />

Le Nouvel observateur.<br />

En marge du grand prix de Formule 1<br />

<strong>à</strong> Montréal, Jacques Villeneuve, ancien<br />

pilote, déclare que les étudiants sont selon<br />

lui « mal élevés, par des parents qui n’ont<br />

jamais appris <strong>à</strong> dire “non” ». Il conclue<br />

en les exhortant <strong>à</strong> arrêter « de faire les<br />

fainéants ».<br />

Les employés de l’École nationale de police<br />

du Québec se mettent <strong>à</strong> leur tour en grève.<br />

8 juin<br />

Le conteur Fred Pellerin refuse par lettre<br />

de recevoir l’Ordre national du Québec,<br />

sans vouloir créer de polémique. « Manquer<br />

<strong>à</strong> ces convictions, pour l’urgence de la<br />

médaille, serait pour moi déj<strong>à</strong> un f<strong>au</strong>x-pas<br />

dans ma neuve chevalerie. Mon coeur suit<br />

mon peuple, et ce peuple n’a pas le cœur <strong>à</strong><br />

la fête. »<br />

Le Monde parle encore une fois du conflit<br />

étudiant. Il publie un dossier qui donne la<br />

parole <strong>à</strong> de nombreux Québécois, notamment<br />

Jean Charest, Richard Desjardins et<br />

Normand Baillargeon.<br />

10 juin<br />

En marge du Grand-Prix de<br />

Formule 1 de Montréal, le SPVM est<br />

dénoncé pour des abus, notamment du<br />

« profilage » contre quiconque porte le<br />

carré rouge et de nombreuses arrestations<br />

préventives arbitraires.<br />

184


12 juin<br />

Le Parti Québécois remporte une<br />

élection partielle dans la circonscription<br />

d’Argenteuil. Le Parti libéral du<br />

Québec perd l’un de ses bastions historiques,<br />

détenu depuis 46 ans.<br />

Christine St-Pierre, ministre de la<br />

Culture, présente des excuses publiques.<br />

Elle avait associé le carré rouge, symbole<br />

du mouvement étudiant, <strong>à</strong> la « violence »<br />

et <strong>à</strong> « l’intimidation ». Le mal est fait, le<br />

journal Le Devoir publie le jour-même une<br />

lettre signée par plus de 2 500 artistes qui<br />

condamnent cette assimilation utilisée très<br />

couramment par le PLQ.<br />

18 juin<br />

<strong>La</strong> loi spéciale 78 est <strong>à</strong> nouve<strong>au</strong> très sévèrement<br />

critiquée par l’ONU.<br />

185<br />

19 juin<br />

<strong>La</strong> Ville de Québec et son maire Régis<br />

<strong>La</strong>be<strong>au</strong>me, en prévision des festivités<br />

de la Saint-Jean Baptiste, resserrent les<br />

règles encadrant les manifestations et<br />

portent encore d’avantage atteinte <strong>au</strong>x<br />

droits constitutionnels et fondament<strong>au</strong>x<br />

des citoyens. Elles interdisent entre <strong>au</strong>tres<br />

les attroupements de 23 h <strong>à</strong> 5 h du matin.<br />

M<strong>au</strong>vaise nouvelle pour l’environnement,<br />

la loi omnibus C-38 sur la mise en œuvre<br />

du budget est adoptée par le gouvernement<br />

conservateur de Stephen Harper malgré la<br />

protestation de plus de 50 000 Canadiens<br />

et Canadiennes. Décrite par l’opposition<br />

comme un « cheval de Troie », elle<br />

comprend de nombreuses mesures controversées,<br />

notamment le retrait du protocole<br />

de Kyoto, des modifications apportées <strong>au</strong>x<br />

lois sur les opérations pétrolières et sur les<br />

Pêches, <strong>à</strong> l’assurance emploi, <strong>à</strong> la sécurité<br />

de la vieillesse, etc.<br />

22 juin<br />

Nouvelle marche de protestation, notamment<br />

<strong>à</strong> Québec et <strong>à</strong> Montréal. Des milliers<br />

de manifestants, mais la mobilisation est<br />

légèrement en baisse.<br />

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* Service de police de la ville de Montréal<br />

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Banane rebelle <strong>au</strong> cœur du danger<br />

Gabriel Marcoux-Chabot alias la Banane Rebelle<br />

5 juin <strong>2012</strong> - Alors que la ville de<br />

Québec devient le théâtre d’arrestations<br />

plus massives les unes que les <strong>au</strong>tres,<br />

Banane Rebelle publie cette entrevue<br />

exclusive réalisée la semaine dernière avec<br />

un de ceux sans qui les manifestations ne<br />

seraient que de vastes et bienheureuses<br />

festivités déambulatoires, de joyeuses et<br />

inoffensives cacophonies carnavalesques,<br />

pacifiques et populaires. Un de ceux par<br />

qui la paix <strong>social</strong>e est sans cesse troublée,<br />

un extrémiste en son genre, un casseur par<br />

excellence : un policier du SPVQ.<br />

Fred (nous l’appellerons ainsi afin de lui<br />

attirer un minimum de sympathie) a 32<br />

ans, une femme, deux enfants, une maison<br />

en banlieue, une tondeuse, un char<br />

et des paiements. Patrouilleur pour le<br />

SPVQ depuis 9 ans, il alterne sans grand<br />

enthousiasme les shifts de jour, de soir et<br />

de nuit. Il participait le 28 mai dernier <strong>à</strong> sa<br />

première arrestation massive et s’en câlisse<br />

un peu, comme il se câlisse d’ailleurs de<br />

pas mal de choses.<br />

C’est ce que vous <strong>au</strong>rez l’occasion de<br />

découvrir dans cette entrevue exclusive<br />

que Fred a accordé <strong>à</strong> Banane Rebelle lors<br />

d’un périple en <strong>au</strong>tobus qui devait les<br />

conduire de l’édifice de la Banque nationale,<br />

où ils se sont rencontrés, jusqu’<strong>au</strong> fin<br />

fond du cul de Charlesbourg, où le fruit géant<br />

a été vulgairement abandonné dans un<br />

stationnement.<br />

Les mains menottées de votre sympathique<br />

héros fruité compliquant sérieusement la<br />

prise de notes, il est <strong>à</strong> noter que l’entretien<br />

a été retranscrit de mémoire. De plus,<br />

inspiré par l’approche pour le moins innovante<br />

du Journal de Montréal, Banane<br />

Rebelle s’est permis de présenter sous<br />

forme d’entrevue suivie ce qui ne constituait<br />

<strong>au</strong> départ qu’une vague esquisse de<br />

conversation entre deux individus plus<br />

ou moins heureux de se rencontrer. Mais<br />

considérant l’état du journalisme contemporain,<br />

cela ne devrait pas trop détonner<br />

dans le paysage médiatique actuel.<br />

Banane Rebelle (d’une voix calme et mâle) :<br />

Dites-moi, mon brave, n’avez-vous pas<br />

honte de ce que vous faites ?<br />

Fred (sur la défensive) : Honte de quoi ?<br />

As-tu été brutalisé ? Y en as-tu un ici qui a<br />

été brutalisé ?<br />

204


Banane Rebelle (réconfortant) : À votre<br />

défense, je dois dire que non, quoique<br />

ces Tyraps soient assez inconfortables et<br />

que j’aie encore dans la bouche le goût de<br />

l’asphalte où vous m’avez délicatement<br />

étendu avant de vous mettre <strong>à</strong> deux pour<br />

me menotter… mais l<strong>à</strong> n’est pas la question.<br />

N’avez-vous pas honte d’être utilisé<br />

<strong>à</strong> des fins partisanes par un gouvernement<br />

corrompu qui n’a rien <strong>à</strong> faire de la justice et<br />

de l’ordre <strong>social</strong> ?<br />

Fred (l’air hargneux) : J’fais ma job.<br />

Banane Rebelle (alliant dédain et compassion)<br />

: Et vous l’aimez, votre job ?<br />

Fred (t<strong>au</strong>tologique) : Une job c’t’une job.<br />

Banane Rebelle (alliant dédain et curiosité)<br />

: Que voulez-vous dire ?<br />

Fred (sentant soudain le besoin de se confier)<br />

: Ben, j’vas te dire une affaire : y a<br />

dix ans, quand j’étais encore <strong>au</strong>x études,<br />

j’manifestais comme toi.<br />

Banane Rebelle (amusé) : Dans un costume<br />

de banane ?<br />

Fred (ne saisissant nullement le caractère<br />

ironique de la question) : Non. Mais c’que<br />

j’veux dire, c’est que les idé<strong>au</strong>x du début,<br />

les illusions, ça part assez vite. Un moment<br />

donné, tu te contentes de faire c’qu’on te<br />

demande, pis c’est toute.<br />

Banane Rebelle (alliant dédain et incrédulité)<br />

: Et vous trouvez ça normal ?<br />

205<br />

Fred (se découvrant une passion soudaine<br />

pour les mathématiques) : T’sais, ma job,<br />

c’est pas ma vie. J’travaille 40 heures par<br />

semaine. Dans une semaine, y a 168 heures.<br />

Ça fait quoi ? 25 % du temps, même<br />

pas ? Ça fait que ma job, c’est 25 % de ma<br />

vie. Le reste du temps, j’m’en crisse.<br />

Banane Rebelle (dubitatif) : Le fait de<br />

savoir que vous êtes l’instrument du pouvoir<br />

politique, ça ne vous affecte pas ?<br />

Fred (ferme dans son néant réflexif) : Pour<br />

être ben franc avec toi, j’suis plutôt apolitique.<br />

Peu importe qui est <strong>au</strong> pouvoir, peu<br />

importe c’qu’y disent avant les élections, on<br />

s’fait toujours crosser de toute façon. Moi,<br />

j’ai une femme, deux enfants. J’veux qu’y<br />

manquent de rien. Le reste, j’m’en câlisse.<br />

Banane Rebelle (curieux) : Ça prendrait<br />

quoi pour que vous arrêtiez de vous en<br />

câlisser ?<br />

Fred (soudain plus sympathique) : J’sais<br />

pas. Une proportionnelle. Des élections <strong>à</strong><br />

date fixe. L<strong>à</strong>, on commencerait <strong>à</strong> parler.<br />

Banane Rebelle (conciliant) : Je vous<br />

rejoins l<strong>à</strong>-dessus, mon brave. Mais en ce<br />

qui concerne les manifestations ? Qu’est-ce<br />

que ça prendrait pour que vous cessiez de<br />

nous arrêter comme du bétail ? Qu’est-ce<br />

que ça prendrait pour que vous arrêtiez de<br />

vous en crisser, comme vous le dites si bien.<br />

Fred (qui, décidemment, <strong>au</strong>rait pu faire<br />

un mathématicien fort enthousiaste) :<br />

Y a combien d’population <strong>à</strong> Québec ?<br />

500 000 ? Le soir, vous êtes combien ?<br />

200 ? 300 ? Quand vous serez 125 000, on<br />

commencera <strong>à</strong> vous prendre <strong>au</strong> sérieux.<br />

Banane Rebelle (de mystérieuses lueurs<br />

brillant dans ses yeux sombres et décidés) :<br />

Je vais voir ce que je peux faire.<br />

Fred (revenant <strong>à</strong> des considérations<br />

moins philosophiques) : Bon. À c’t’heure,<br />

laisse-moi zigonner sur tes Tyraps<br />

pendant cinq ou dix minutes avec des<br />

pinces inappropriées. Si tu ne bouges pas<br />

trop <strong>à</strong> c<strong>au</strong>se de la douleur, elles devraient<br />

finir par péter.<br />

Banane Rebelle (étonné) : Vous êtes équipé<br />

pour nous menotter, et pas pour nous<br />

libérer ? Ne devriez-vous pas disposer de<br />

matériel plus adéquat ?<br />

Fred (qui mène ses propres combats) : Pour<br />

ça, f<strong>au</strong>drait qu’t’en parles <strong>à</strong> Régis.<br />

206


207<br />

Crise <strong>social</strong>e<br />

Le long souffle du printemps érable<br />

L<strong>au</strong>re Waridel<br />

Vous connaissez le trille rouge, cette<br />

vivace extraordinaire <strong>à</strong> floraison printanière<br />

de nos sous-bois ? Elle peut<br />

demeurer dans le sol durant des années<br />

sans qu’on la remarque. Ses graines doivent<br />

survivre <strong>à</strong> plusieurs hivers rigoureux<br />

avant qu’elle puisse enfin germer. Elle ne<br />

fleurira que 10 ans plus tard.<br />

Ne possédant pas de nectar, elle utilise<br />

des stratégies créatives de pollinisation.<br />

Son rouge intense et son odeur forte et<br />

résistante attirent les insectes qui assurent<br />

sa reproduction. Comme toutes les espèces,<br />

elle est le fruit d’un écosystème <strong>au</strong>x<br />

interactions complexes souvent invisibles<br />

<strong>à</strong> l’oeil nu.<br />

Le trille rouge est <strong>à</strong> l’image du mouvement<br />

étudiant <strong>au</strong> sein de la société. Une<br />

(r)évolution <strong>au</strong> sein de notre (éco)système.<br />

Les c<strong>au</strong>ses profondes<br />

Il y a longtemps que le « printemps érable »<br />

se prépare, et pas seulement pour le trille<br />

rouge. D’<strong>au</strong>tres espèces dorment encore,<br />

mais il semble que nous sommes <strong>à</strong> l’<strong>au</strong>be<br />

d’un grand réveil. Le nôtre.<br />

Depuis plus d’une décennie, certains<br />

diront trois, de longs hivers rigoureux<br />

nous avaient comme endormis. Sous les<br />

bourrasques du libre marché, les priorités<br />

de la société ont été renversées. <strong>La</strong> croissance<br />

économique est devenue une fin en soi, <strong>au</strong><br />

profit d’une minorité, plutôt qu’un moyen<br />

d’épanouissement individuel et collectif<br />

comme le promettaient tant d’économistes<br />

depuis la Seconde Guerre mondiale. Si<br />

nous pouvions jadis croire <strong>à</strong> cette utopie,<br />

il est <strong>au</strong>jourd’hui évident que nous nous<br />

sommes trompés. L’<strong>au</strong>gmentation des<br />

inégalités, l’app<strong>au</strong>vrissement de la classe<br />

moyenne et la multiplication des crises <strong>social</strong>es,<br />

environnementales et économiques<br />

sont les symptômes d’une crise devenue<br />

systémique. Nous savons que le roi est nu,<br />

mais le mensonge persiste.<br />

208


De manière insidieuse, nous sommes<br />

devenus les variables d’un marché en tant<br />

que « ressource humaine », « producteur de<br />

biens ou de services », « investisseur »,<br />

« consommateur » et « bénéficiaire ». Pour<br />

faire rouler la machine du consommerjeter-consommer-jeter,<br />

si profitable <strong>à</strong><br />

l’économie dominante, il f<strong>au</strong>t des<br />

ressources. Toujours plus de ressources<br />

matérielles et humaines <strong>au</strong> moindre coût<br />

économique possible.<br />

Ce « moindre coût » a pourtant un prix,<br />

tant environnemental que <strong>social</strong>. En<br />

économie, on parle d’externalités. Dans<br />

ce mot fourre-tout se trouve un ensemble<br />

de problèmes pouvant être générés par le<br />

modèle économique dominant : la pollution<br />

de l’air, de l’e<strong>au</strong> et du sol, la précarité et<br />

les pertes d’emploi, les maladies physiques<br />

et mentales (dont les dépressions et les<br />

suicides), les changements climatiques, la<br />

p<strong>au</strong>vreté des travailleurs <strong>à</strong> faibles revenus,<br />

la perte de biodiversité, etc.<br />

Pour résumer la chose simplement, le<br />

système économique et politique dominant<br />

privatise les profits et <strong>social</strong>ise les<br />

coûts. Cette façon de faire a mené les<br />

États comme les ménages <strong>à</strong> des records<br />

d’endettement, et ce, non seulement sur<br />

le plan économique, mais <strong>au</strong>ssi sur le plan<br />

<strong>social</strong> et environnemental.<br />

209<br />

<strong>La</strong> goutte qui a fait<br />

déborder le vase<br />

Les porteurs de carré rouge, blanc ou noir<br />

que je connais ne sont pas dans la rue<br />

seulement <strong>à</strong> c<strong>au</strong>se de la h<strong>au</strong>sse des droits de<br />

scolarité. Loin de l<strong>à</strong>. Ils y sont pour ce que<br />

cela symbolise comme choix de société. Ils<br />

croient encore en la valeur du mot « équitable<br />

», et pas seulement pour leur café.<br />

Le gouvernement veut aller chercher 300<br />

millions dans les poches des étudiants<br />

alors qu’en 2011, des allégements fisc<strong>au</strong>x<br />

de 3,6 milliards ont été accordés <strong>au</strong>x<br />

entreprises <strong>au</strong> Québec. D’<strong>au</strong>tres milliards<br />

s’envolent dans des paradis fisc<strong>au</strong>x f<strong>au</strong>te<br />

de rigueur et de volonté politique. Que<br />

dire du 25 % supplémentaire payé pour nos<br />

infrastructures ?<br />

On ne s’étonne plus d’entendre parler de<br />

collusion et de corruption tant les cas sont<br />

devenus nombreux. Tout cela pour dire<br />

que les ressources, nous les avons. Il s’agit<br />

de choisir nos priorités.<br />

Ainsi, la loi 78 <strong>au</strong>ra été la goutte qui a fait<br />

déborder le vase, mais force est de constater<br />

qu’il était déj<strong>à</strong> bien plein. Les Québécois<br />

ont be<strong>au</strong> chérir la paix <strong>social</strong>e, ils ne sont<br />

pas dupes. Les arguments économiques<br />

lancés par nos gouvernements, tant <strong>à</strong><br />

Québec qu’<strong>à</strong> Ottawa, sont une insulte<br />

<strong>à</strong> notre intelligence.<br />

Démocratiser l’économie<br />

Rappelons-nous que l’économie est une<br />

construction <strong>social</strong>e. Elle opère grâce <strong>à</strong> des<br />

institutions que nous avons créées dans<br />

un cadre juridique et politique que nous<br />

pouvons contrôler. Ainsi, contrairement<br />

<strong>à</strong> ce que nos dirigeants actuels prétendent,<br />

nous avons le choix. Les voies sont<br />

multiples.<br />

Les idées abondent dans le Québec<br />

moderne. Quand l’Histoire ouvre ses<br />

portes comme elle le fait maintenant, tout<br />

est possible. Nous avons l’intelligence, les<br />

ressources et le courage nécessaires pour<br />

entreprendre une transition. À nous de<br />

choisir laquelle, et comment.<br />

Nous pourrions, par exemple, nous<br />

inspirer de l’Islande qui, <strong>à</strong> la suite de la<br />

crise financière de 2008, s’est dotée d’une<br />

nouvelle Constitution rédigée par et pour<br />

le peuple. Entamer un tel processus est tout<br />

<strong>à</strong> fait possible ici.<br />

Cette idée recueille d’ailleurs de plus<br />

en plus d’appuis. D’<strong>au</strong>tant plus que le<br />

Québec, contrairement <strong>au</strong> Canada, n’a pas<br />

encore de Constitution. Ce serait l’occasion<br />

d’amorcer une réforme de nos institutions<br />

démocratiques, une contribution certaine<br />

<strong>à</strong> la démocratisation de notre économie<br />

puisqu’elle permettrait <strong>à</strong> une pluralité de<br />

voix d’être entendues. Pensons <strong>au</strong> potentiel<br />

d’un mode de scrutin proportionnel<br />

par exemple et <strong>à</strong> l’importance de revoir<br />

le financement des partis politiques afin<br />

d’éviter les dérives connues ces dernières<br />

années.<br />

Résistants <strong>au</strong> changement<br />

Certes, s’approprier la démocratie<br />

peut être insécurisant. Je pense <strong>à</strong> mon<br />

arrière-grand-mère qui s’est farouchement<br />

opposée <strong>au</strong> droit de vote des femmes. Elle<br />

avait ses raisons, comme en ont ceux et<br />

celles qui s’opposent <strong>à</strong> la démocratisation<br />

politique et économique actuellement. Les<br />

humains sont naturellement résistants <strong>au</strong><br />

changement.<br />

Il <strong>au</strong>ra fallu <strong>à</strong> l’époque de mon aïeule une<br />

(r)évolution, un changement de paradigme<br />

pour légitimer le droit de vote des femmes.<br />

C’est <strong>à</strong> mon avis ce qui est en train de se<br />

passer <strong>au</strong> Québec concernant le conflit<br />

étudiant. Celui-ci cristallise un ras-le-bol<br />

général <strong>à</strong> l’égard d’un système qui carbure <strong>à</strong><br />

l’exploitation <strong>social</strong>e et environnementale.<br />

Je pense que nous pouvons avancer la tête<br />

h<strong>au</strong>te dans ce processus de transition qui<br />

s’amorce. Le Québec a fait maintes fois la<br />

preuve de sa capacité <strong>à</strong> mener de grands<br />

chantiers, avec sérieux et intelligence. Nos<br />

révolutions sont tranquilles. Mais elles sont<br />

de vraies révolutions. L’heure est venue de<br />

choisir ce que sera le Québec de demain.<br />

Le trille rouge n’en est pas <strong>à</strong> son premier<br />

printemps. L’été finit toujours par arriver.<br />

210


212


213<br />

214


215 216


217<br />

Moi j’suis un plus meilleur révolutionnaire<br />

Adib Alkhalidey<br />

À quoi bon lutter si <strong>au</strong> sein même du mouvement<br />

se trouvent des pseudos « super-<br />

activistes » qui profitent de la moindre<br />

occasion pour complexer ceux qui sont<br />

moins actifs ? À quoi bon hiérarchiser<br />

la valeur des actions, du courage, de la<br />

dévotion…<br />

Je me souviens de mes cours d’histoire<br />

<strong>au</strong> cégep : souvent, je me plaignais<br />

silencieusement d’être né <strong>à</strong> une époque<br />

ennuyante, morose, amorphe. Sur les<br />

bancs d’écoles, des bancs <strong>au</strong>xquels j’avais<br />

accès <strong>à</strong> prix ”modique”, on me racontait<br />

ces histoires de mouvements populaires,<br />

ces récits de millions de citoyens dévoués,<br />

ces anecdotes relatant l’impact de la<br />

désobéissance et démontrant l’importance<br />

d’un instinct de collectivité développé. Le<br />

contraste décevant d’un passé bouillonnant<br />

et d’un présent endormi évoquait en<br />

moi un véritable sentiment de tristesse.<br />

Je n’étais pas le seul : nous voyions bien<br />

qu’<strong>au</strong>tour de nous, il y avait place <strong>à</strong> amélioration,<br />

place <strong>à</strong> l’insurrection, <strong>à</strong> la révolte.<br />

Seulement, il est difficile de s’investir dans<br />

une lutte citoyenne lorsque celle-ci n’est<br />

qu’abstraite. Je dois admettre que depuis 4<br />

mois, depuis le début de cette révolution, je<br />

suis fier de vivre <strong>à</strong> mon époque. Je suis fier<br />

de pouvoir inscrire une virgule dans les<br />

livres d’histoire que les prochains liront.<br />

Fier de pouvoir dire que notre révolution<br />

n’est pas tranquille, qu’elle dérange, qu’elle<br />

gueule et scande, qu’elle percute les casseroles<br />

<strong>au</strong>tant que les esprits atrophiés.<br />

Que désormais, le mot ”intelligent” nous<br />

appartient, et pas seulement quand vient<br />

le temps de qualifier son téléphone cellulaire<br />

(f<strong>au</strong>t d’ailleurs faire attention <strong>à</strong> ce<br />

phénomène, les compagnies de téléphones<br />

sont en train de kidnapper le terme, mais<br />

un sujet <strong>à</strong> la fois…).<br />

Les gens sont créatifs, réfléchis, structurés<br />

et ambitieux. J’ai déj<strong>à</strong> hâte d’être vieux<br />

et de raconter cette période. J’ai déj<strong>à</strong> hâte<br />

d’être vieux et me souvenir que la jeunesse<br />

est en mesure d’aiguiller la collectivité vers<br />

un avenir meilleur. Ce mouvement est,<br />

<strong>à</strong> mes yeux, bien plus qu’un mouvement :<br />

c’est un hapax existentiel.<br />

Mais… F<strong>au</strong>t quand même faire attention.<br />

Dans une conversation l’<strong>au</strong>tre jour,<br />

j’entendais mon interlocuteur s’écrier :<br />

“Moi j’suis un meilleur révolutionnaire<br />

que tous ceux qui ont marché deux, trois<br />

fois pis qui prennent le crédit d’avoir<br />

participé <strong>à</strong> la lutte…”. J’ai dit « interlocuteur<br />

»car ce n’est pas un ami. Je ne suis<br />

pas doté de suffisamment de patience pour<br />

dealer avec les problèmes d’attention et<br />

218


de narcissisme dont ce type de personne<br />

est accablé, mais je trouve tout de même sa<br />

déclaration intéressante.<br />

Parce que depuis 4 mois les gens se battent.<br />

Parce que depuis 4 mois les gens se<br />

mobilisent. Parce que depuis 4 mois les<br />

gens tentent de trouver des moyens de<br />

rallier le plus grand nombre possible.<br />

Pour toutes ces raisons, je trouve qu’il est<br />

important de se souvenir qu’il s’agit d’une<br />

lutte, et non d’un concours de popularité.<br />

Ce n’est pas parce que tu as des ampoules<br />

<strong>au</strong>x pieds que tu es un “plus meilleur<br />

révolutionnaire”.<br />

Ce n’est pas parce que tu traversais un<br />

nuage de fumée de lacrymo et que tu<br />

n’étais pas en mesure de respirer <strong>à</strong> plein<br />

poumon un avant-midi que tu es un “plus<br />

meilleur révolutionnaire”. Personne ne<br />

va faire de t-shirt <strong>à</strong> ton effigie parce que<br />

tu t’es pris une balle de plastique. Che<br />

Guevara, c’est pas son idée, que celle de<br />

commercialiser sa tronche. Ce n’était<br />

pas son objectif, que celui de scotcher sa<br />

gueule sur les torses de jeunes colériques<br />

pré pubères en quête identitaire. Si c’est<br />

des chandails que tu veux, je connais un<br />

Palestinien <strong>à</strong> St-L<strong>au</strong>rent qui fait ça pour<br />

pas cher. Et si t’es chanceux, il peut même<br />

te raconter des histoires de son pays, ou de<br />

ce qu’il en reste : il s’est pris des balles et<br />

c’est pas avec ça qu’il se fait un plus grand<br />

nombre d’amis Facebook.<br />

C’est arrivé <strong>à</strong> plus d’une reprise lors du<br />

dernier mois : <strong>à</strong> la dernière manif <strong>à</strong> laquelle<br />

je participais, j’entendais un groupe<br />

“d’activistes” scander des slogans dont<br />

219<br />

l’intention était de se moquer de Québec<br />

Solidaire : un des seuls partis qui participent<br />

de manière active <strong>au</strong> mouvement…<br />

Ils gueulaient quelque chose comme :<br />

“C’est pas Québec Solidaire, c’est Québec<br />

Stationnaire !” Je regarde un des criards et<br />

lui demande : “C’est quoi le but ?”.<br />

— Quoi ?<br />

— L’objectif ! Le projet derrière ce genre de<br />

slogan ?<br />

— Ben, nous on trouve que Québec<br />

Solidaire pourrait en faire plus…<br />

— Tant qu’<strong>à</strong> y être, achète du poivre de<br />

cayenne pis spray leur la gueule. Si ce sont<br />

des méthodes de divisions qui t’excitent…<br />

— Ta yeule man.<br />

— Ok, man.<br />

À la lumière de cette altercation, je trouve<br />

qu’il est essentiel de se souvenir, de se<br />

ramener <strong>à</strong> l’ordre, de se répéter que la<br />

glorification de l’activiste parfait ne fait que<br />

ralentir le mouvement. Il n’est en <strong>au</strong>cun<br />

cas bénéfique de complexer nos confrères<br />

et nos consoeurs de révolution en rabaissant<br />

constamment le nive<strong>au</strong> d’intensité et<br />

la valeur des actions posées par ceux-ci et<br />

celles-ci. On est pas en train de comparer<br />

la grosseur de nos billes, ou le nombre de<br />

pogs qu’on a gagnés <strong>à</strong> la récré. Non plus en<br />

train de définir <strong>à</strong> quel point on est “bad”<br />

parce que cette semaine un tel s’est pris<br />

trois retenues…<br />

Quand j’étais <strong>au</strong> primaire, je me souviens,<br />

les “amis” se moquaient de moi parce que<br />

je portais de espadrilles de marque Pony,<br />

alors que tous les <strong>au</strong>tres “amis” portaient<br />

des Nike, des Adidas, des Reebok et des<br />

Fila (oui c’était encore hot <strong>à</strong> l’époque). Je<br />

pouvais marcher <strong>au</strong>tant que ces garçons,<br />

courir avec la même vigueur, me rendre <strong>au</strong><br />

même endroit… <strong>La</strong> seule différence : mes<br />

ch<strong>au</strong>ssures étaient moins “flamboyantes”.<br />

On s’en contre-fout de la manière dont<br />

tu t’y rends, pourvu que tu t’y rendes. Ne<br />

faisons pas avec nos idées ce que les gros<br />

vendeurs ont fait avec nos espadrilles. Ne<br />

jouons pas <strong>au</strong> jeu du “Mon carré est plus<br />

rouge que le tien !”.<br />

“Moi je suis un plus meilleur révolutionnaire<br />

!” c’est <strong>au</strong>ssi utile que de dire “Est-ce<br />

que je peux avoir un <strong>au</strong>tre berlingot ? !”…<br />

Ok, fin de la récré… ou de l’analogie…<br />

peu importe.<br />

Peu importe les couleurs, le costume, le<br />

masque que tu utilises pour personnifier<br />

ton adhésion <strong>à</strong> la lutte, peu importe si tu<br />

t’es fait charcuter par la police, qu’on t’ait<br />

poivré la figure et qu’on t’ait fait bretter six<br />

heures dans le saladier, peu importe si la<br />

seule chose que tu fais, c’est partager les<br />

vidéos qui évoquent chez toi un sentiment<br />

d’injustice, peu importe si tout ce que tu<br />

fais c’est être en accord et rien de plus…<br />

Peu importe. Il me semble qu’ils font partie<br />

de l’équipe. On porte pas la même marque<br />

de ch<strong>au</strong>ssures, mais on vise le même<br />

ballon, non ? Où les mêmes têtes ?<br />

Oh merde, et voil<strong>à</strong>, je viens de déclarer que<br />

je veux kicker des têtes, ça sent l’arrestation<br />

préventive… À ma défense : pour kicker la<br />

tête d’un dirigeant, f<strong>au</strong>drait d’abord que<br />

j’trouve le rectum dans lequel ladite tête<br />

est logée.<br />

220


221<br />

Sans titre<br />

Frédéric Dubois<br />

J’ai un souvenir fort de moi tout petit<br />

Qui traverse le parc des L<strong>au</strong>rentides<br />

Et qui arrive <strong>à</strong> Québec.<br />

Vous dire combien j’avais l’impression de me retrouver devant l’immensité.<br />

Il y avait<br />

Le vertige<br />

Le plaisir<br />

De tout ce qui se cachait sous toutes ses lumières de la « grande » ville.<br />

Tranquillement, le monde s’est ouvert.<br />

Québec donc.<br />

Et après Montréal.<br />

Puis l’océan.<br />

C’était <strong>à</strong> Old Orchard (c’est pas très exotique) mais l’émotion devant l’infini a façonné<br />

mon univers et ses possibles.<br />

Puis, Paris. le Caire. Tokyo.<br />

Et le fleuve. Toujours le fleuve. Notre axe, notre direction. Qui, <strong>au</strong>-del<strong>à</strong> de bien des<br />

mondes, m’a toujours vite ramené dans le mien.<br />

Mais <strong>au</strong>ssi Ducharme, Ronfard, Tremblay, Robert Lepage, Joël Pommerat, Murakami.<br />

Autant de vertiges.<br />

Rien sans vertige.<br />

Alors, les chemins s’ouvrent.<br />

et vivement<br />

les détours.<br />

Le printemps qui se termine<br />

Et son carré rouge<br />

Rouge hurlant<br />

Rouge brûlant<br />

Est un vertige de plus <strong>à</strong> la liste<br />

Un chemin nouve<strong>au</strong><br />

Un axe<br />

Une lumière<br />

222


Je ressens une fierté<br />

Nouvelle<br />

Bien qu’elle ne soit pas partagée<br />

Bien qu’elle soit fissurée<br />

Jetée<br />

Ignorée<br />

Bien qu’elle nous divise<br />

Et qu’elle vienne avec son lot de désastres et de remontrances<br />

De grossièretés et d’ignorances<br />

Mais<br />

Toutes les rues de Québec n’étaient pas belles derrière les lumières <strong>au</strong> sortir du Parc<br />

Toutes les vitrines de Montréal ne valait pas la peine de s’attarder<br />

<strong>La</strong> gorgée d’e<strong>au</strong> salée (et certainement pas propre) de l’océan de cette ville si laide du<br />

Maine, lève le coeur pour <strong>au</strong> moins le reste de l’après midi<br />

Et Dieu que les parisiens font chier<br />

Et Le Caire c’est sale.<br />

Et toutes les pièces de théâtre ne sont pas bonnes <strong>à</strong> voir<br />

Et le fleuve, bordé de maisons mobiles, c’est pas chic.<br />

Le carré rouge est devenu passeport pour les chemins cahoteux, le laid.<br />

J’aime que nous soyons laids<br />

que nous soyons divisés<br />

que nous soyons perdus<br />

j’aime les moments de honte<br />

de l’étourdissement<br />

Le chaos nous va bien<br />

le chaos nous fait du bien<br />

parce que «si nous nous endormons ici,<br />

nous rêverons si mal que plus rien ne sera possible»*<br />

*Réjean Ducharme<br />

223<br />

Un jour nous serons grands<br />

et nous changerons le monde<br />

Lysanne Martin<br />

Ma fille de 12 ans est rentrée de l'école un<br />

soir, me suppliant de lui prêter un ch<strong>au</strong>dron<br />

et une cuillère de bois pour manifester<br />

dans notre quartier avec ses amis.<br />

Cette journée <strong>à</strong> l'école, son professeur leur<br />

avait expliqué pourquoi les manifestations<br />

devenaient illégales.<br />

Elle me dit donc en colère :<br />

« Maman je refuse d'accepter que dans<br />

mon pays, on a plus le droit de s'exprimer !<br />

Moi <strong>au</strong>ssi je veux protester pour changer<br />

les choses ! »<br />

224


225<br />

« <strong>La</strong> propagande est<br />

<strong>au</strong>x démocraties ce que la violence<br />

est <strong>au</strong>x dictatures. »<br />

— Noam Chomsky<br />

226


227<br />

kabochenook01.blogspot.ca<br />

Bouilloire<br />

Marie-Ève Muller<br />

Je suis <strong>à</strong> l’e<strong>au</strong> qui bout<br />

Je suis <strong>à</strong> l’<strong>au</strong>tre bout<br />

Au pied de la vigne<br />

De la fleur du pot<br />

J’ai la casserole<br />

À ras le mot<br />

Je suis <strong>à</strong> pierre<br />

Au pas de la côte, <strong>à</strong> terre<br />

Je me fais cent de billes<br />

À coup de roule<strong>au</strong><br />

Au bout, <strong>au</strong> fond du fil<br />

Je vais Saint-Roch nu-pied<br />

Sous le ciel embrasé<br />

Par l’embrasure du bas du mur<br />

Je m’y peins <strong>au</strong> coin<br />

Demain<br />

Je suis <strong>à</strong> point turbine<br />

Sombre ciel turlupine<br />

Je crie <strong>au</strong>x gens charriés<br />

Et puis je t’avachis<br />

Je suis vraiment <strong>à</strong> bout<br />

À bout de nerfs<br />

Les nerfs en boule<br />

Au bout du roule<strong>au</strong><br />

Je ne tiens qu’<strong>à</strong> un fil<br />

Je crie Oh Jean Charest<br />

Ostie que tu me fais chier !<br />

Je suis <strong>à</strong> fleur de pe<strong>au</strong><br />

Au pied du mur<br />

À ras le bol<br />

Je cogne<br />

Encore<br />

Ce soir<br />

Sur ma casserole.<br />

228


229<br />

230


231<br />

232


233<br />

234


235<br />

— Pardon ? Les « occuper » ? Tu veux quoi ? Que je<br />

demande des élections anticipées ? Ça ne suffira pas, <strong>au</strong><br />

contraire même, on risque de…<br />

— Non, je veux que tu mettes tes jeunes dans la rue.<br />

— Pardon ?<br />

— Provoque une crise <strong>social</strong>e comme le Québec n’en a pas<br />

vue depuis des années, des décennies. Divise ton peuple,<br />

mets ta police dans la rue, l’armée si il le f<strong>au</strong>t, je veux qu’<strong>au</strong><br />

printemps prochain toutes les caméras soient braquées sur<br />

ta province.<br />

— Mais… c’est de la folie ? Comment tu veux que je fasse<br />

ça ? Des manifestations, ça ne se commande pas sur mesure.<br />

— Allons, rien de très compliqué. Tu as déj<strong>à</strong> parlé de<br />

h<strong>au</strong>sser les frais de scolarité l’année dernière, provoque les<br />

jeunes, affiche de l’arrogance, refuse le dialogue, ils n’<strong>au</strong>ront<br />

pas le choix de descendre dans la rue.<br />

— Mais tu me demandes de me sacrifier ? Après ça c’est<br />

certain que je ne serai pas réélu !<br />

236


237<br />

— Rappelle-moi tes pourcentages de satisfaction, Jean ?<br />

Tu es <strong>au</strong> plus bas, les gens ne croient plus en toi et les scandales<br />

sortent dans la presse les uns après les <strong>au</strong>tres. Même<br />

ton électorat de base ne croit plus en toi et be<strong>au</strong>coup d’entre<br />

eux ne voteront plus pour toi dans l’état actuel des choses.<br />

Ce ne sont pas les jeunes qui vont t’élire <strong>à</strong> nouve<strong>au</strong>, Jean, de<br />

toute façon. Montre <strong>à</strong> leurs parents que tu sais être ferme,<br />

que le capitaine est revenu <strong>au</strong>x commandes. Si la presse les<br />

décrit comme des agitateurs, des enfants gâtés et que tu les<br />

remets <strong>au</strong> pas, tu vas regagner le respect de tes électeurs<br />

fidèles et plus personne ne parlera de ton plan Nord, de gaz,<br />

de corruption ou de tout ce qui accompagne ton nom en<br />

ce moment.<br />

— Et s’ils ne se révoltent pas ? Si personne ne descend dans<br />

la rue ?<br />

— Finance quelques groupuscules anarchistes, infiltre-les<br />

si besoin, un peu de casse ne tuera personne. C’est plus<br />

facile de provoquer soi-même le chaos, tu peux l’arrêter<br />

quand tu sentiras que c’est assez, que les gens ont peur. Tu<br />

sais, ça marche bien, ça, la peur. Regarde Sarkozy, en France,<br />

ça lui a plutôt bien réussi.<br />

— Et comment tout cela va-t-il finir ?<br />

— Fais traîner les choses <strong>au</strong> maximum, propose des<br />

négociations, reviens en arrière en pointant les étudiants,<br />

recommence encore, ça finira par énerver les jeunes et par<br />

persuader les <strong>au</strong>tres que les étudiants ne veulent pas sortir<br />

de la crise.<br />

— Et quand ta loi C38 sera passée ?<br />

— Accepte de repousser la h<strong>au</strong>sse, de remettre ça dans<br />

quelques années. Les gens ne sont pas solidaires, ils<br />

arrêteront de se battre si ça ne les concerne plus directement.<br />

Tu vas peut-être même passer pour un chic type, <strong>au</strong><br />

bout du compte, et peut-être même aller gagner quelques<br />

voix chez les jeunes. Tu <strong>au</strong>ras montré que tu sais être ferme<br />

mais <strong>au</strong>ssi ouvert.<br />

— Mais qu’est-ce qui les empêchera de descendre <strong>à</strong> nouve<strong>au</strong><br />

dans la rue, cette fois pour manifester contre ton projet de<br />

loi ? Ils vont y prendre goût, tu sais.<br />

— Non, non. Quand tu accepteras de repousser la h<strong>au</strong>sse,<br />

ça va interrompre net le mouvement et après ça ils n’<strong>au</strong>ront<br />

plus la volonté de réagir. Les jeunes iront tranquillement<br />

reprendre leur petite vie et sans eux personne ne bougera.<br />

Les moins impliqués en sortiront vaguement satisfaits,<br />

conscients qu’ils <strong>au</strong>ront attiré l’attention, les purs et durs<br />

<strong>au</strong> pire seront frustrés en sachant dans le fond qu’ils n’ont<br />

rien obtenu. Et quand des manifestations éclateront des années<br />

plus tard, ils seront les premiers <strong>à</strong> dire que si eux n’ont<br />

pas pu changer les choses, ce ne sont pas les jeunes qui y<br />

arriveront.<br />

238


239<br />

Je me souviendrai du spectre du printemps rouge<br />

Éric Pine<strong>au</strong>lt<br />

« Il y a des groupes radic<strong>au</strong>x qui systématiquement veulent<br />

déstabiliser l’économie de Montréal. Ce sont des groupes<br />

anticapitalistes, marxistes, ça n’a rien <strong>à</strong> voir avec les frais<br />

de scolarité. »<br />

Un spectre hante l'élite du pouvoir et<br />

de l'accumulation <strong>au</strong> Québec. Dans la<br />

foulée du plus important mouvement de<br />

masse que le Québec ait connu depuis la<br />

révolution tranquille, l'anticapitalisme<br />

et le radicalisme ont refait irruption<br />

dans l'espace public. <strong>La</strong> rumeur libérale<br />

veut que des « radic<strong>au</strong>x, marxistes, anti-<br />

capitalistes et communistes » soient apparus<br />

<strong>au</strong> sein d'une partie du mouvement<br />

étudiant de ce printemps <strong>2012</strong> et que,<br />

depuis, « la grève qui est étudiante » tend <strong>à</strong><br />

devenir « une lutte qui est populaire ».<br />

— Raymond Bachand, 15 mai, <strong>2012</strong><br />

« Il y a une lutte des classes,<br />

et c'est ma classe qui la gagne. »<br />

— Warren Buffet, 2006<br />

Ce qui devait se présenter comme une<br />

lutte entre un gouvernement lucide et<br />

responsable qui impose une réforme <strong>au</strong><br />

nom du progrès économique et un groupe<br />

de privilégiés égoïstes qui défendent bec<br />

et ongle un acquis dépassé de l'état providence,<br />

a complètement dérapé. Les uns,<br />

le gouvernement libéral, ont certes réussi <strong>à</strong><br />

polariser, comme voulu, la société québécoise,<br />

entre porteurs et sympathisants<br />

du carré rouge et les <strong>au</strong>tres, rapidement<br />

associés <strong>à</strong> une « majorité silencieuse » ;<br />

du « wedge politics 101 » typique des<br />

240


néoconservateurs nord-américains. Mais<br />

c'est l'<strong>au</strong>tre camp qui a refusé de jouer<br />

leur rôle attendu. Le mouvement étu-<br />

diant ne s'est pas replié sur la défense d'un<br />

privilège, ne s'est pas divisé <strong>au</strong>tour d'une<br />

h<strong>au</strong>sse négociée entre raisonnables et radic<strong>au</strong>x,<br />

mais a su <strong>au</strong> contraire canaliser un<br />

refus profond de la révolution culturelle de<br />

l'<strong>au</strong>stérité que souhaite imposer le gouvernement<br />

libéral. Une révolution culturelle<br />

concoctée comme réponse <strong>à</strong> la crise financière<br />

de 2008 et imposée un peu partout en<br />

occident, comme si des politiques <strong>social</strong>es<br />

insoutenables étaient <strong>à</strong> l'origine de cette<br />

crise. Le mouvement étudiant a réussi <strong>à</strong> se<br />

faire le porteur d'un ras-le-bol élargi envers<br />

les politiques économiques néolibérales<br />

imposées comme seule et unique solution<br />

<strong>au</strong>x problèmes d'orientation du développement<br />

économique et <strong>social</strong> du Québec,<br />

qu'il s'agisse du plan Nord, de la politique<br />

de tarification des services soci<strong>au</strong>x et de<br />

réingénierie de l'État ou de la politique énergétique<br />

centrée sur le gaz et l'exportation<br />

massive d’électricité. Il a su élargir le<br />

conflit et en faire une question de vision,<br />

de principe et d'orientation idéologique<br />

de l'avenir du Québec. Et c'est ainsi que<br />

la grève étudiante est devenue un conflit<br />

<strong>social</strong> où effectivement une certaine forme<br />

d'anticapitalisme et de radicalisme <strong>social</strong><br />

a pu sortir de la marge et s'y exprimer<br />

comme phénomène de masse.<br />

Quel est donc ce spectre qui hante notre<br />

élite et pousse le ministre des finances <strong>à</strong><br />

dire tout h<strong>au</strong>t ce que l'ensemble de sa classe<br />

pense tout bas ? Il ne s'agit pas d'un parti,<br />

ni d'un groupuscule ou d'une idéologie<br />

241<br />

<strong>au</strong> sens strict, il s'agit d'une praxis, d'une<br />

façon de concevoir l'action politique<br />

basée sur la rupture légitime avec l'ordre<br />

d'économie politique établi. Bref, c'est le<br />

spectre d'un mouvement <strong>social</strong> qui prend<br />

la rue pour sortir du néolibéralisme, qui<br />

refuse le jeu de l'alternance parlementaire<br />

et propose un changement radical, <strong>au</strong><br />

moment même où le paradigme néolibéral<br />

est usé et incapable de se renouveler.<br />

Les conflits soci<strong>au</strong>x <strong>au</strong> Québec sont depuis<br />

plusieurs décennies contenus <strong>à</strong> l'intérieur<br />

d'un modèle de la négociation concertée<br />

où les paramètres des possibles étaient<br />

strictement délimités par le cadre établi<br />

du néolibéralisme : déficit zéro, croissance<br />

économique d'abord, partage de la richesse<br />

ensuite et surtout un développement<br />

économique qui passe par une mondialisation<br />

qui garantit l'<strong>au</strong>tonomie <strong>au</strong>x grandes<br />

corporations multinationales, étrangères<br />

(Rio Tinto, feu Alcan) ou québécoises<br />

(Québécor, Bombardier) et soutient un<br />

espace de circulation et d'accumulation<br />

financière contrôlé par une poignée de<br />

grandes banques et de fonds. Et c'est<br />

précisément ce modèle qui est tombé en<br />

crise en 2008. Crise, il f<strong>au</strong>t le rappeler,<br />

qu'on entrevoyait dès son début comme un<br />

épisode be<strong>au</strong>coup plus long dans ses effets<br />

qu'une simple récession de deux ans.<br />

En effet, la crise de 2008, et la réponse<br />

<strong>à</strong> cette crise depuis par le biais d'une<br />

combinaison de s<strong>au</strong>vetage des banques,<br />

de refus de réglementer la finance et de<br />

poursuite des politiques fiscales régressives<br />

ne pouvaient que déboucher sur une<br />

période prolongée d'instabilité financière<br />

chronique et de stagnation économique<br />

durable. Et, en ce sens, dans l'ensemble des<br />

pays touchés par cette crise et assujettis <strong>à</strong><br />

l'<strong>au</strong>stérité, ce n'était qu'une question de<br />

temps avant que se manifeste un sentiment<br />

anticapitaliste et un désir de rompre<br />

avec l'économie politique néolibérale qui<br />

institutionnalisa le contexte, les structures<br />

et l'espace qui ont permis <strong>au</strong> capitalisme<br />

financiarisé de se développer. <strong>La</strong> politique<br />

de rupture manifeste donc un refus de<br />

cet encadrement néolibéral des conflits<br />

soci<strong>au</strong>x.<br />

Ici <strong>au</strong> Québec les sommets socioéconomiques<br />

organisés par le Parti<br />

Québécois de Lucien Bouchard pendant<br />

les années 90 avaient consacré cet encadrement<br />

néolibéral des conflits soci<strong>au</strong>x.<br />

Les libér<strong>au</strong>x de Jean Charest ont tout<br />

simplement radicalisé ces prémisses et,<br />

surtout, se sont débarrassés de la lourdeur<br />

qu'impliquait le modèle de concertation<br />

avec des partenaires soci<strong>au</strong>x cher <strong>au</strong><br />

Parti Québécois. L'élite que représente le<br />

Parti Libéral pense pouvoir gouverner le<br />

Québec seule, pense ne pas avoir besoin<br />

d'alliés organisés outre ceux provenant du<br />

milieu des affaires licites et illicites, se<br />

pense bien assis sur le dos d'une classe<br />

moyenne qui adhère passivement <strong>à</strong><br />

son programme de baisses d'impôt, de<br />

coupures de services <strong>au</strong>x particuliers et<br />

de construction d'<strong>au</strong>toroutes. Le spectre<br />

rouge du printemps érable, c'est de<br />

voir une partie, certes minoritaire mais<br />

significative et surtout déterminée de<br />

cette dite classe moyenne, sortir dans la<br />

rue avec les étudiants, casserole <strong>à</strong> la main,<br />

contester ses politiques les plus répressives<br />

plutôt que d'attendre des élections, et de le<br />

faire en mobilisant les mêmes valeurs et<br />

principes de justice <strong>social</strong>e, de démocratie,<br />

de souveraineté économique et de développement<br />

écologique que la frange dite<br />

radicale du mouvement étudiant.<br />

Le néolibéralisme :<br />

une lutte de classe unilatérale<br />

en trois temps<br />

On peut dire que toute crise <strong>social</strong>e ou<br />

économique, toute crise en générale, révèle<br />

<strong>à</strong> sa manière des structures ou rapports<br />

soci<strong>au</strong>x qui <strong>au</strong>trement demeurent invisibles.<br />

<strong>La</strong> crise de 2008 révéla l'ampleur<br />

de la financiarisation de nos économies<br />

capitalistes, la réponse politique <strong>à</strong> cette<br />

crise révéla l'emprise et l'hégémonie sur<br />

nos États de l'élite de l'accumulation qui<br />

contrôle les grandes corporations et institutions<br />

financières. Le Printemps érable a<br />

révélé l'existence d'une structure de domination<br />

de classe propre <strong>au</strong> Québec basée sur<br />

l'alliance étroite entre une élite du pouvoir<br />

concentrée essentiellement dans le Parti<br />

Libéral du Québec, mais présente dans les<br />

<strong>au</strong>tres partis, et une élite de l'accumulation<br />

capitaliste. Rappelons-nous des mille gens<br />

d'affaire ricaneux venus entendre Jean<br />

Charest <strong>au</strong> salon du plan Nord.<br />

<strong>La</strong> période néolibérale, marquée pour la<br />

majorité par la transformation régressive<br />

de notre fiscalité, par la réingénierie<br />

de l'état, par la politique des PPP, par la<br />

fragilisation des protections <strong>social</strong>es est<br />

242


<strong>au</strong>ssi et surtout une période où ces deux<br />

élites ont travaillé de concert dans une<br />

lutte de classe unilatérale afin d'asseoir leur<br />

hégémonie en transformant l'économie<br />

politique du Québec. Car derrière le discours<br />

qui s'adresse <strong>à</strong> la classe moyenne<br />

« la plus taxée en Amérique du Nord »,<br />

il y a les faits et gestes concrets qui sont<br />

venus consolider les assises du pouvoir<br />

d'une mince élite, largement en minant les<br />

conditions de vie de cette même classe<br />

moyenne.<br />

On peut classer les politiques qui découlent<br />

de cette lutte de classe de l'élite contre le<br />

reste de la société québécoise en trois catégories.<br />

<strong>La</strong> première renvoie <strong>au</strong>x politiques<br />

classiques qui articulent la régression dans<br />

le champ de la protection <strong>social</strong>e avec la<br />

répression du pouvoir des mouvements<br />

soci<strong>au</strong>x, en particulier le mouvement syndical<br />

mais <strong>au</strong>ssi le mouvement écologiste.<br />

Que ce soit <strong>au</strong> nom de l'efficience, de la<br />

mondialisation ou <strong>au</strong> nom de l'<strong>au</strong>stérité<br />

ce sont les mesures que nous associons<br />

naturellement avec le néolibéralisme. Elles<br />

ont affaibli les salariés, précarisé plusieurs<br />

couches <strong>social</strong>es, les jeunes, les femmes,<br />

les personnes racisées et contribué <strong>à</strong> individualiser<br />

notre rapport <strong>à</strong> l'avenir et <strong>à</strong> la<br />

richesse.<br />

Au Québec, bien que de tels politiques<br />

soient <strong>à</strong> l'œuvre depuis les années 1980,<br />

leur avancée est be<strong>au</strong>coup moins importante<br />

qu'ailleurs en Amérique du Nord.<br />

Nous demeurons largement une société<br />

solidaire possédant de fortes institutions<br />

<strong>social</strong>es permettant l'action collective,<br />

243<br />

comme en témoignent les structures<br />

instituées du mouvement étudiant. Mais<br />

ces institutions sont maintenant directement<br />

la cible des politiques répressives du<br />

gouvernement libéral, comme en témoigne<br />

la loi 12 (issu du projet de loi 78) qui<br />

porte atteinte <strong>au</strong> droit de manifestation et<br />

d'association ainsi que de représentation.<br />

Leur but manifeste étant de « normaliser »<br />

sur le plan <strong>social</strong> le Québec par rapport <strong>au</strong><br />

reste de l'Amérique du Nord.<br />

Et, étant déj<strong>à</strong> largement intégrés sur le plan<br />

économique avec le reste de l'Amérique du<br />

Nord, il y a un effet de ces politiques <strong>au</strong>quel<br />

nous n’échappons pas. Il s'exprime sous la<br />

forme d'une progression de l'écart entre les<br />

revenus des plus riches et la grande majorité<br />

des Québécois et Québécoises qui<br />

vivent de leur travail. Les revenus que<br />

la vaste majorité tire de l'économie sous<br />

la forme de salaire stagnent alors que<br />

l'économie croit et que leur travail devient<br />

plus productif. C'est-<strong>à</strong>-dire que leur droit <strong>à</strong><br />

une juste part d'une richesse <strong>social</strong>e qu'ils<br />

produisent diminue d'année en année alors<br />

que les revenus de l'élite économique, ou<br />

l'élite de l'accumulation, ceux que le mou-<br />

vement Occupy a baptisés les 1 %, <strong>au</strong>gmentent<br />

<strong>à</strong> une vitesse vertigineuse. Les politiques<br />

publiques sont certes un instrument de<br />

redistribution de cette richesse <strong>social</strong>e,<br />

mais dans le contexte néolibéral, les écarts<br />

et ponctions sont tels qu'elles peuvent <strong>au</strong><br />

plus atténuer les écarts entre salariés de la<br />

classe moyenne et les moins nantis, sans<br />

affecter la logique plus fondamentale de<br />

constitution d'une élite de l'accumulation.<br />

Et ce n'est pas tout. <strong>La</strong> part de richesse<br />

accaparée par les grandes corporations<br />

multinationales connait <strong>au</strong>ssi une forte<br />

expansion, les profits et rendements des<br />

institutions et acteurs financiers ont<br />

littéralement explosé. On peut définir<br />

l'élite de l'accumulation comme cette classe<br />

qui non seulement voit ses revenus exploser,<br />

mais qui domine ces grandes corporations<br />

et institutions financières, ce sont leurs<br />

PDG et <strong>au</strong>tres cadres supérieurs, membres<br />

du conseil, grands consultants, opérateurs<br />

financiers et gestionnaires de portefeuille,<br />

c'est-<strong>à</strong>-dire ceux qui ont le pouvoir de<br />

décider du nive<strong>au</strong> et de l'allocation de<br />

ses profits et rentes. Or ces revenus et<br />

profits, qu'ils soient de nature industriels<br />

ou financiers, ne tombent pas du ciel,<br />

ils sont générés par l'activité économique<br />

où se rencontrent capital et travail. Tout<br />

cela pour dire que les conditions du<br />

monde du travail sont telles, dans le néo-<br />

libéralisme, que le partage initial de la<br />

richesse produite défavorise systématiquement<br />

la grande majorité, les travailleurs<br />

et les salariés et favorise l'extraction<br />

de richesse sous la forme de profits et<br />

rentes financières et spéculatives. Ce cadre<br />

d'économie politique n’est ni naturel, ni un<br />

accident. Il est le fruit de 30 ans de néolibéralisme,<br />

il est un produit de cette lutte<br />

de classe unilatérale que l'élite mène contre<br />

la société.<br />

Et c'est d'ailleurs peut-être l'aspect le plus<br />

connu de cette lutte, passons <strong>au</strong>x politiques<br />

plus subtiles. Il y a un second ensemble de<br />

mesures qui, elles, visent expressément<br />

<strong>à</strong> « émanciper » l'élite ainsi constituée<br />

de ses liens économiques d'obligation<br />

et d'interdépendance avec le reste de la<br />

société. Alain Dene<strong>au</strong>lt dans « Offshore »<br />

et d'<strong>au</strong>tres ouvrages tels que Noir Canada,<br />

a exploré une partie de ces politiques,<br />

essentiellement celles qui permettent <strong>à</strong><br />

l'élite d'accumuler ou de transférer de<br />

la richesse <strong>à</strong> l'extérieur du Québec dans<br />

des juridictions de complaisance, juridictions<br />

qui agissent <strong>au</strong>ssi comme lieu<br />

d'action économique où on peut, par<br />

exemple, enregistrer une flotte de navires<br />

commerci<strong>au</strong>x ou établir une filiale où<br />

seront engrangés <strong>à</strong> l'abris de l'impôt des<br />

profits. Mais il y a <strong>au</strong>ssi derrière l'écran<br />

des « baisses d'impôts pour la classe<br />

moyenne » le menu détail des transformations<br />

du système fiscal de la dernière<br />

décennie. Elles ont libéré <strong>à</strong> toutes fins<br />

pratiques les grandes institutions financières<br />

ainsi que les grandes entreprises de<br />

l'impôt sur leurs bénéfices et revenus du<br />

capital, elles ont allégé la ponction fiscale<br />

sur les formes de revenus typiques <strong>au</strong>x plus<br />

riches et membres de l'élite, h<strong>au</strong>ts salaires,<br />

gains en capital et <strong>au</strong>tre revenus financiers.<br />

Un système fiscal progressiste, tout comme<br />

l'accès gratuit et universel <strong>à</strong> des services<br />

soci<strong>au</strong>x, ont pour objectif de forcer la<br />

solidarisation des plus nantis avec le reste<br />

de la société. C'est ce dont le Québec<br />

s'est doté dans le cadre de la révolution<br />

tranquille et de la constitution d'un état<br />

providence et c'est précisément ce que les<br />

politiques néolibérales tentent de démanteler.<br />

Résultat recherché, permettre <strong>au</strong>x<br />

élites qui exercent une hégémonie politique<br />

et économique d'échapper <strong>à</strong> leurs<br />

244


obligations envers la société par le biais<br />

de ces mécanismes d'<strong>au</strong>to exclusion, tout<br />

en maintenant le reste de la société dans<br />

un régime de solidarisation fiscale sousfinancé<br />

et dysfonctionnel.<br />

Troisième et dernière catégorie, les politiques<br />

d'appropriation privative du monde<br />

commun. Un aspect essentiel des politiques<br />

néolibérales est la privatisation et<br />

l'expansion du marché dans la société <strong>au</strong><br />

détriment de ce qui relève d'une logique<br />

publique. Quel est la logique de lutte de<br />

classe qui se tient derrière cette propension<br />

<strong>au</strong> « tout <strong>au</strong> marché ». Pensons <strong>au</strong><br />

fameux Partenariat-Public-Privé (PPP),<br />

<strong>au</strong>x ressources pétrolières et gazières de<br />

l'Île d'Anticosti, <strong>au</strong>x ressources minérales<br />

du grand nord, <strong>au</strong> savoir que génèrent<br />

nos universités, <strong>au</strong>x routes, <strong>au</strong>x ponts,<br />

<strong>au</strong>x services de santé, <strong>à</strong> l'e<strong>au</strong>, tout cela a<br />

longtemps été conçu comme un patrimoine<br />

commun <strong>au</strong>x québécois et <strong>au</strong>x com-<br />

mun<strong>au</strong>tés des premières nations. Une des<br />

modalités privilégiées de développement<br />

du capitalisme passe par la conversion de<br />

ce qui est commun en propriété privée,<br />

dans la mesure où cette conversion permet<br />

la valorisation de ce qui est converti<br />

en richesse, en base d'une future croissance,<br />

cela est présenté comme légitime.<br />

Ce qu'on oublie souvent c'est que ce transfert<br />

du public et du commun vers le privé,<br />

en vue d'une création de richesse, se fait<br />

en transférant ce patrimoine <strong>à</strong> un acteur<br />

privé, un appropriateur. Et donc derrière<br />

le discours sur l'importance du marché et<br />

de la concurrence, sur le dynamisme du<br />

secteur privé, il y a les faits et gestes par<br />

245<br />

lesquels l'élite du pouvoir transfère <strong>à</strong> l'élite<br />

de l'accumulation des pans entiers du<br />

patrimoine public <strong>au</strong> point où certaines<br />

grandes entreprises, firmes d'ingénieurs,<br />

consultants et investisseurs en font la<br />

base de leur stratégie de croissance et<br />

d'accumulation. Dans les médias on a<br />

appelé cela « collusion », « corruption ».<br />

Les mots sont trop faibles, il s'agit d'une<br />

stratégie délibérée d'accumulation par<br />

expropriation qui encore une fois concourt<br />

<strong>à</strong> la consolidation de la puissance<br />

économique de l'élite.<br />

Ce sont l<strong>à</strong> trois pans, trois dimensions de la<br />

lutte de classe que mènent nos élites dans<br />

le cadre du néolibéralisme. Cette lutte s'est<br />

radicalisée depuis la crise de 2008, mais est<br />

demeurée jusqu'<strong>à</strong> ce jour unilatérale. Les<br />

grands conflits soci<strong>au</strong>x étant circonscrits<br />

par le cadre d'économie politique néolibérale.<br />

C'est ce que le printemps de <strong>2012</strong><br />

vient de changer.<br />

<strong>La</strong> lutte c'est classe !<br />

Pendant les mois préparatoires du mouvement<br />

de grève en 2010 et 2011, de simples<br />

affiches arborant ce slogan énigmatique<br />

étaient omniprésentes dans les corridors<br />

de mon université. Dès la fin de l'<strong>au</strong>tomne<br />

2011 l'ASSÉ, considérée comme cette<br />

frange rouge du mouvement étudiant<br />

qui donna naissance <strong>à</strong> la CLASSE, avait<br />

développé un argumentaire qui fondait la<br />

lutte contre la h<strong>au</strong>sse sur une critique du<br />

régime d'économie politique néolibéral.<br />

Le mouvement ciblait précisément les<br />

politiques par lesquelles l'élite du pouvoir<br />

et de l'accumulation consolidait son<br />

emprise économique sur la société<br />

québécoise et nous sortait du modèle<br />

de solidarité <strong>social</strong>e hérité de la révolution<br />

tranquille. Elle invitait d'emblée les<br />

mouvements soci<strong>au</strong>x et plus largement<br />

la société civile <strong>à</strong> transformer la grève<br />

étudiante en soulèvement populaire contre<br />

l'<strong>au</strong>stérité et pour une rupture avec le<br />

modèle de développement économique<br />

néolibéral. Les liens entre l'<strong>au</strong>stérité, les<br />

politiques d'affaiblissement des syndicats,<br />

les PPP, le plan Nord, les gaz de schiste<br />

et la refonte du système fiscal avait tous<br />

largement été faits. <strong>La</strong> reconnaissance que<br />

le néolibéralisme était de fait une lutte de<br />

classe sans adversaire était largement comprise.<br />

Il s'agissait de transformer des constats<br />

théoriques en mouvement <strong>social</strong>, leur<br />

donner une voie, leur donner la rue....<br />

Bref, rallumer le flambe<strong>au</strong> du conflit <strong>social</strong><br />

progressiste, voil<strong>à</strong> ce que visait d'emblée<br />

le mouvement étudiant. Voil<strong>à</strong> le spectre<br />

rouge qui hante nos élites depuis ce<br />

printemps <strong>2012</strong>.<br />

Que dans ce contexte on se pose la<br />

question du dépassement du capitalisme<br />

me semble évident, qu'il y ait une certaine<br />

écoute pour les idéologies ou pensées<br />

qui se sont constituées dans ce but, com-<br />

munisme, anarchisme, marxisme, anticapitalisme<br />

me semble évident <strong>au</strong>ssi. Mais<br />

que le mouvement trouvera son propre<br />

chemin, bâtira ses propres idéologies, les<br />

unes plus ouvertes, les <strong>au</strong>tres plus fermées,<br />

me semble <strong>au</strong>ssi une évidence ... rassurante<br />

pour l'avenir du Québec.<br />

246


247<br />

248


Liste des Participants<br />

Adib Alkhalidey 217-219<br />

Auteur, humoriste et comédien<br />

(« nous avons les images », « Un gars le soir »)<br />

Bobby Aubé 25-31<br />

Étudiant et écrivain (Le cracheoir de Fl<strong>au</strong>bert)<br />

Tony Aubé 26-27<br />

Illustrateur et artiste digital<br />

Estelle Bachelard 39, 181<br />

Auteure BD et illustratrice (Bach illustrations)<br />

Normand Baillargeon 131-132<br />

Professeur <strong>à</strong> l'UQAM, essayiste, chroniqueur<br />

(« De la philo derrière les gros titres », Petit cours d'<strong>au</strong>todéfense intellectuelle, Le Devoir)<br />

Clément Baloup 124<br />

Auteur BD<br />

(Le club du suicide, <strong>La</strong> vie en rouge T1 et 2, Quitter Saïgon, Mong Khéo, Little Saïgon)<br />

Joseph Baril 33-37, 158-161<br />

Auteur BD (Cubesfactory)<br />

Jimmy Be<strong>au</strong>lieu 112-115<br />

Éditeur et <strong>au</strong>teur BD<br />

(Le temps des siestes, À la faveur de la nuit, Ma voisine en maillot,<br />

Côte Nord, Appalaches, etc.)


Philippe Boisvert Dufresne 178<br />

Auteur BD (Digestifs)<br />

P<strong>au</strong>l Bordele<strong>au</strong> 61<br />

Illustrateur et éditorialiste (Voir, <strong>La</strong> Presse), <strong>au</strong>teur BD (Faüne T1, 2 et 3)<br />

Miguel Bouchard 18-19<br />

Auteur BD (Front Froid)<br />

Chantale Boudre<strong>au</strong> 201<br />

Illustratrice<br />

Simon Brousse<strong>au</strong> 78-101<br />

Auteur (Les Soubres<strong>au</strong>ts), directeur adjoint de Salon double<br />

Léa Clermont-Dion 63-65, 121-122<br />

Étudiante en science politique, journaliste, photographe et réalisatrice (Sandra)<br />

Antoine Corrive<strong>au</strong> 139-149, 186-199<br />

Auteur-compositeur-interprète (St M<strong>au</strong>rice/Logan, Ni vu ni connu, Entre quatre murs) et<br />

<strong>au</strong>teur BD (MensuHell, Le Trait Noir)<br />

Philippe D’Amours 130, 200<br />

Illustrateur<br />

Jérôme D’Avi<strong>au</strong> 219<br />

Auteur BD<br />

(Ce qu'il en reste, Inès, Nous n'irons plus ensemble <strong>au</strong> canal Saint-Martin, Le trop grand<br />

vide d'Alphonse Tabouret, Premières fois, etc.)<br />

Julie Delporte 134-137, 169-172<br />

Illustratrice<br />

Francis Desharnais 48, 163-164<br />

Réalisateur et <strong>au</strong>teur BD (Burquette T1 et 2, Motel Galactic T1 et 2)<br />

Jeik Dion 216, 225<br />

Réalisateur (Froide), illustrateur et <strong>au</strong>teur BD (Caze, Loading, <strong>La</strong> Grande illusion)<br />

Frédéric Dubois 221-222<br />

Metteur en scène (Ha ha !, En pièces détachées, <strong>La</strong> cerisaie, Les Misérables, <strong>La</strong> librairie,<br />

etc.) et directeur artistique du Théâtre des Fonds de Tiroirs<br />

Michel Falarde<strong>au</strong> 53-55<br />

Auteur BD (Mertownville T1, 2 et 3, Luck, French Kiss 1986)<br />

Julie Fontaine Ferron 123<br />

Illustratrice<br />

Éric Fournier 165-166<br />

Auteur<br />

Sam Garne<strong>au</strong> 107<br />

Auteur<br />

Chloe Germain-Thérien 133, 229<br />

Cinéaste documentaire et d'animation, illustratrice<br />

Martin Giralde<strong>au</strong> 129<br />

Concepteur et comédien (Phylactère Cola) et illustrateur<br />

Philippe Girard alias Phlppgrrd 17, 210-213<br />

Auteur de nouvelles et <strong>au</strong>teur BD (Béatrice, Des crayons de douleur, Les Ravins,<br />

Tuer Velasquez, <strong>La</strong> visite des morts, Rewind, <strong>La</strong> m<strong>au</strong>vaise fille, etc.)<br />

Pierre Girard alias Pishier 247-248<br />

Illustrateur et <strong>au</strong>teur BD (Le marcheur anonyme)<br />

André-Anne Guay alias Drea 20-21<br />

Illustratrice et graphiste<br />

Jacques Hébert 214<br />

Illustrateur et <strong>au</strong>teur BD (Safarir)


Alexandre Isabelle 41-45<br />

Scénariste (Je marche <strong>à</strong> nous)<br />

Fred Jourdain 16, 78-101, 108, 116, 230-231<br />

Peintre, illustrateur (Dragon bleu, interprétations d'artistes), <strong>au</strong>teur BD<br />

(Round Midnight, Citations), réalisateur (Acupofty)<br />

Nicolas <strong>La</strong>chapelle 125-128<br />

Auteur BD (Cubesfactory)<br />

Geneviève <strong>La</strong>fleur-<strong>La</strong>plante 154<br />

Illustratrice<br />

G<strong>au</strong>tier <strong>La</strong>ngevin 117-118<br />

Auteur et scénariste (M.I.C.H.E.L. T.R.E.M.B.L.A.Y., Strictement Confidentiel, Ouvrir <strong>au</strong><br />

diable, Contes et légendes du Québec, etc.)<br />

Stéphane <strong>La</strong>porte 59-61, 155-157<br />

Scénariste, chroniqueur journalistique (Chroniques du dimanche T1, 2 et 3),<br />

réalisateur et directeur artistique<br />

Hugo <strong>La</strong>tulippe 13-15, 67-75<br />

Auteur (Mettre le feu, Le corps de la horde, Bacon – le livre, etc.) et cinéaste (Alphée des<br />

étoiles, République : un abécédaire populaire, <strong>La</strong> Part d’ombre, la reine malade, etc.)<br />

Maximilien LeRoy 12, 62, 138, 173, 224<br />

Auteur, scénariste et <strong>au</strong>teur BD (Dans la nuit, la liberté nous écoute, faire le mur,<br />

les Chemins de traverse, Nietzsche, Hosni, etc.)<br />

Frederik Levesque 120<br />

Auteur BD<br />

Vincent Longhi 40<br />

Illustrateur<br />

Gabriel Marcoux-Chabot alias Banane Rebelle 202-205<br />

Éditeur, sculpteur et écrivain (Le rire du fou, Thésée&cie, Le chien, etc.)<br />

Moïse Marcoux-Chabot 119, 168<br />

Anthropologue visuel et cinéaste documentaire (Plume blanche, <strong>La</strong> Trilogie du regard)<br />

Lysanne Martin 223<br />

Illustratrice<br />

Thomas B. Martin Couverture, 3, 38<br />

Illustrateur et designer graphique, scénariste (<strong>La</strong> Cité), DJ (Jewish Deli)<br />

Samuel Matte<strong>au</strong> 41-45, 106, 167, 174-177, 220<br />

Auteur, photographe et réalisateur (Je marche <strong>à</strong> nous, Le combat silencieux, Pranas, etc.)<br />

L<strong>au</strong>reline Mattiussi 215<br />

Auteure BD (<strong>La</strong> Lionne, L’île <strong>au</strong> poulailler T1 et 2, Petites hontes enfantines)<br />

Valérie Morency 226<br />

Illustratrice<br />

Marie-Hélène Morin Fafard 215<br />

Illustratrice<br />

Mikaël 111<br />

Auteur BD (Circus, <strong>La</strong> Neige, Les Nuages, etc.)<br />

Marie-Ève Muller 227<br />

Journaliste et poétesse<br />

Jean-Gabriel Nade<strong>au</strong> Fortin 118<br />

Illustrateur<br />

Oil 214<br />

Illustrateur<br />

Julien Paré-Sorel 38<br />

Auteur BD (<strong>La</strong> cité de Säng. Front Froid)


Éric Pine<strong>au</strong>lt 239-245<br />

Auteur, sociologue, professeur <strong>à</strong> l’UQAM, directeur de recherche<br />

Julie Rochele<strong>au</strong> 206, 209<br />

Illustratrice, bédéiste (<strong>La</strong> Fille Invisible, Charlie – <strong>La</strong> Baignoire, Le projectionniste<br />

ambulant – etc.), et cinéaste d’animation (Les saintes pelures, One,<br />

<strong>La</strong> ballade des enfarinés, etc.)<br />

Eva Rollin 152, 179, 180, 228<br />

Auteure BD (Mademoiselle, Les Citadines, Chloë arrive en ville, C’est mieux <strong>à</strong> deux)<br />

Jackie San 109-111<br />

<strong>au</strong>teure (L’axe du Mad)<br />

Djanice St-Hilaire 50-52<br />

Bédéiste (Placenta), illustratrice<br />

Soulman 7-9, 31, 64-65, 67, 70, 77, 131, 151, 233-237<br />

Auteur BD (Les Chemins de traverse, Comme un Papillon, Les Challengers de la Dernière<br />

Chance, Salade Verte, Scorpion, Vol <strong>au</strong> musée, Amour&Désir, Gaza, etc.)<br />

Johanna Schipper 153<br />

Auteure BD (Une par une, Le Printemps refleurira T1 et2, Nos âmes s<strong>au</strong>vages,<br />

Née quelque part, etc.)<br />

Mélissa Tremblay 46, 157<br />

Illustratrice et animatrice<br />

Richard Vallerand 49, 162<br />

Illustrateur et <strong>au</strong>teur BD<br />

Karine Vezina 66, 205<br />

Illustratrice et <strong>au</strong>teure (50 nuanciers tendance)<br />

L<strong>au</strong>re Waridel 207-209<br />

Sociologue, doctorante en anthropologie et sociologie du développement, <strong>au</strong>teure<br />

(Une c<strong>au</strong>se café, L’envers de l’assiette, Acheter, c’est voter)


• (A)MÈRE<br />

• 46XY<br />

de Raphaël Terrier<br />

• Passage afghan<br />

• <strong>La</strong> Route de la soie...<br />

en lambe<strong>au</strong>x<br />

de Ted Rall<br />

• Dans la secte<br />

de Pierre Henri et Louis Alloing<br />

• Kaboul Disco T.1<br />

Comment je ne me suis pas<br />

fait kidnapper en Afghanistan<br />

• Kaboul Disco T.2<br />

Comment je ne suis pas<br />

devenu opiomane en<br />

Aghanistan<br />

• Ainsi se tut Zaratoustra<br />

(<strong>à</strong> paraître 2013)<br />

de Nicolas Wild<br />

• Litost<br />

• 3 minutes<br />

• Souvenirs de moments<br />

uniques<br />

de Domas<br />

• Gaza<br />

décembre 2008 - janvier 2009<br />

• Je me souviendrai<br />

par collectif<br />

• Les belles années<br />

de Bernard Grandjean<br />

• Le Carnet de rêves<br />

de Théa Rojzman<br />

• Hosni<br />

de Maximilien Le Roy<br />

• Résurgences<br />

de Sandrine Revel<br />

• Les chemins de traverse<br />

de Soulman & MaximilienLe<br />

Roy<br />

• Mémoires de Viet kieu vol.1<br />

Quitter Saigon<br />

• Mémoires de Viet kieu vol.2<br />

Little Saigon<br />

de Clément Baloup<br />

• Le journal d’une bipolaire<br />

de Patrice et Émilie Guillon,<br />

Sébastien Samson<br />

• Corps de rêves<br />

de Capucine<br />

• AD,<br />

<strong>La</strong> Nouvelle-Orléans<br />

après le déluge<br />

de Josh Neufeld<br />

• Little Joséphine<br />

de Valérie Villieue t<br />

Raphaël Sarfati<br />

Achevé d’imprimer en août <strong>2012</strong> par les imprimeries Marquis (Canada)

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