De la neurophysiologie à la neurobiologie moléculaire - Neur-one
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2 ème partie : <strong>Neur</strong>obiologie molécu<strong>la</strong>ire<br />
Chapitre 1 – DE LA NEUROPHYSIOLOGIE A LA NEUROBIOLOGIE MOLECULAIRE<br />
1. Les grandes étapes<br />
Les phénomènes de bioélectricité étaient connus dès <strong>la</strong> plus haute Antiquité par les décharges produites par<br />
l'organe électrique de certains poissons. Bien que les mécanismes <strong>à</strong> leur origine fussent inconnus, ces décharges électriques<br />
de plusieurs dizaines de volts ont été décrites et utilisées comme thérapie dans <strong>la</strong> lutte contre <strong>la</strong> migraine ou <strong>la</strong> goutte (par<br />
Scribonius Largus, sous le règne de l'empereur C<strong>la</strong>ude, 41-54 ap. JC). L'électrothérapie était née…<br />
Au cours du XVIIIe siècle on tenta de découvrir l'origine de ces décharges électrique en disséquant l'organe<br />
électrique de torpille. En 1776, John Walsh parvint <strong>à</strong> rendre visible <strong>la</strong> décharge électrique de l'organe électrique au moyen<br />
d'un f<strong>la</strong>sh lumineux. On peut dire qu'il s'agit de <strong>la</strong> "naissance" de l'électrophysiologie…<br />
A <strong>la</strong> fin du XVIIIe siècle Alessandro Volta et Luigi Galvani démontrent, avec des points de vue différents, que les<br />
phénomènes électriques ne sont pas restreints <strong>à</strong> l'organe électrique, mais de manière plus général <strong>à</strong> l'activité des nerfs et<br />
des muscles. En 1791, Galvani montra que les muscles de grenouille se contractent quand ils sont mis en contact avec un<br />
arc de métal. Il interprétera ce phénomène, en analogie <strong>à</strong> l'organe électrique qui est un muscle modifié, comme <strong>la</strong> décharge<br />
dans le métal de l'énergie électrique contenue dans le muscle. Volta, quant <strong>à</strong> lui, pensait que l'utilisation de deux métaux<br />
produisait une différence de potentiel, et que l'électricité était transférée aux cellules muscu<strong>la</strong>ires. Cette interprétation le<br />
conduit <strong>à</strong> construire <strong>la</strong> pile électrique par l'empilement de disque. A noter que l'aspect de cette première pile ressemble<br />
beaucoup <strong>à</strong> <strong>la</strong> morphologie des colonnes de l'organe électrique...<br />
Dans les années 1840, le physicien italien Carlo Matteucci avait montré que sur <strong>la</strong> surface d'un muscle coupé de<br />
travers un courant existe entre <strong>la</strong> face coupée (l'intérieur de <strong>la</strong> cellule) et <strong>la</strong> surface non endommagée (milieu<br />
extracellu<strong>la</strong>ire). Au milieu du XIXe siècle, Emil du Bois-Reymond mesura pour <strong>la</strong> première fois un courant d'action sur des<br />
muscles et des nerfs stimulés. En améliorant ses instruments de mesure, il observa en effet une diminution temporaire du<br />
courant précédemment découvert (alors appelé "courant de blessure", c'est-<strong>à</strong>-dire le potentiel de repos). Il nomma cette<br />
diminution "négative" de courant "negative Schwankung". Cependant l'origine de ce "courant de blessure" et de cette<br />
"fluctuation négative" restait indéterminée. Ludimar Hermann, un élève de du Bois-Reymond développa en 1898 <strong>la</strong> théorie<br />
du "noyau conducteur" (Kernleitertheorie) selon <strong>la</strong>quelle les muscles et les fibres nerveuses seraient composés d'un noyau<br />
conducteur et d'une interface iso<strong>la</strong>nte (comme une "enveloppe"). Une excitation produirait un courant d'action qui<br />
po<strong>la</strong>riserait l'enveloppe iso<strong>la</strong>nte, et, par induction, activerait les fibres voisines. L'origine locale de l'excitation serait une<br />
réaction chimique de type explosive dans le noyau: une altération brutale du métabolisme (Alterationstheorie). Mais Julius<br />
Bernstein, un autre élève de du Bois-Reymond, montra en 1902 grâce <strong>à</strong> des mesure de dépendance <strong>à</strong> <strong>la</strong> température du<br />
potentiel de repos, que les phénomènes bioélectriques ne sont pas directement d'origine chimique. Ses expériences<br />
indiquaient au contraire qu'il y avait dans les fibres un électrolyte préexistant responsable du potentiel de repos et de <strong>la</strong><br />
"fluctuation négative". Il profita pour aboutir <strong>à</strong> cette conclusion de deux avancées récentes:<br />
Walther Nernst avait décrit le potentiel de diffusion entre deux solutions de concentration différente<br />
(1888/1889). Bernstein appliqua l'équation de Nernst au potentiel de repos qu'il mesurait.<br />
Wilhelm Ostwald obtint presque simultanément (1890) un potentiel électrique de part et d'autre d'une<br />
membrane artificielle semi-perméable aux ions.<br />
Bernstein pensa que l'enveloppe iso<strong>la</strong>nte décrite par Hermann est en fait une membrane semi-perméable. Il<br />
supposa alors que le courant observé entre <strong>la</strong> surface tranchée des muscles et <strong>la</strong> surface intacte est due au différence de<br />
concentration ionique, <strong>à</strong> l'électrolyte préexistant. L'intérieur des fibres est riche en phosphate de potassium (K2HPO4), et <strong>la</strong><br />
membrane perméable seulement au potassium. Il reprit sa "théorie membranaire" en 1912 dans sa monographie<br />
"Elektrobiologie". Il fonda ainsi un nouveau paradigme pour <strong>la</strong> compréhension de <strong>la</strong> bioélectricité qui resta inchangé pendant<br />
environ 40 ans, jusqu'<strong>à</strong> ce que l'amélioration des instruments de mesure permette de mieux préciser les différents<br />
mécanismes de <strong>la</strong> bioélectricité. La <strong>neurophysiologie</strong>, et plus spécialement ce qui deviendra <strong>la</strong> <strong>neurophysiologie</strong><br />
cellu<strong>la</strong>ire, étaient en train de naître…<br />
La NEUROPHYSIOLOGIE est l’étude du fonctionnement du système nerveux. L'information en provenance des<br />
récepteurs périphériques qui nous renseignent sur l'environnement est analysée par le cerveau pour donner naissance aux<br />
perceptions, certaines d'entre elles pouvant être stockées en mémoire. Compte tenu de ces informations, le cerveau est en<br />
mesure de commander <strong>la</strong> contraction coordonnée de muscles (effecteurs), <strong>la</strong> sécrétion de g<strong>la</strong>ndes et d'une manière<br />
beaucoup plus générale de contrôler nos comportements. Or, <strong>la</strong> transmission des signaux nerveux le long d'un réseau -d'un<br />
récepteur <strong>à</strong> un effecteur- est <strong>à</strong> <strong>la</strong> base de l'activité fonctionnelle du système nerveux. Elle repose sur les propriétés<br />
d'excitabilité, de conduction et de transmission du signal généré par chaque cellule nerveuse ou NEURONE, unité structurale<br />
et fonctionnelle du système nerveux. La NEUROPHYSIOLOGIE CELLULAIRE est donc l'étude du fonctionnement du neur<strong>one</strong>.<br />
Comme l'activité du neur<strong>one</strong> s'exprime par des signaux électriques (ioniques), <strong>la</strong> méthode d'investigation repose sur<br />
l'utilisation des techniques électrophysiologiques. Par extension, <strong>la</strong> <strong>neurophysiologie</strong> cellu<strong>la</strong>ire est aussi l'étude de toutes les<br />
cellules dites "excitables" (cardiaques, muscu<strong>la</strong>ires, g<strong>la</strong>ndu<strong>la</strong>ires…).<br />
En effet, en 1939: K. C. Cole et H. J. Curtis effectuent des travaux de recherche en électrophysiologie sur l'ax<strong>one</strong><br />
de ca<strong>la</strong>mar. Dans les années 1950: A<strong>la</strong>n L. Hodgkin et Andrew Huxley utilisent une technique électrophysiologique qu'ils ont<br />
mise au point, <strong>la</strong> technique de potentiel imposé (voltage c<strong>la</strong>mp en ang<strong>la</strong>is), sur l'ax<strong>one</strong> géant de calmar, et postulent <strong>la</strong><br />
136
théorie ionique de l'excitation: l'existence de deux conductances ioniques membranaires indépendantes et activées par le<br />
potentiel de membrane, une conductance sélective des ions sodium, et l'autre des ions potassium. Ils peuvent ainsi<br />
modéliser ces deux conductances (que l'on a par <strong>la</strong> suite identifié <strong>à</strong> des canaux ioniques) et prédirent toutes les propriétés<br />
des potentiels d'action enregistrés. Ces résultats se sont révélés applicables <strong>à</strong> l'ensemble des neur<strong>one</strong>s, et on valu <strong>à</strong> ces<br />
deux chercheurs le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1963, partagé avec John Carew Eccles. Durant toute cette<br />
période, <strong>la</strong> <strong>neurophysiologie</strong> cellu<strong>la</strong>ire a considérablement progressé, grâce aussi au développement des techniques de <strong>la</strong><br />
microélectrophysiologie intracellu<strong>la</strong>ire: <strong>la</strong> première microélectrode de verre susceptible d'être insérée dans une cellule<br />
(neur<strong>one</strong>) pour en étudier son activité électrique a été présentée par Ling et Gerard en 1949.<br />
<strong>De</strong> 1976 <strong>à</strong> 1981 (et au-del<strong>à</strong>): Erwin Neher et Bert Sakmann (en col<strong>la</strong>boration avec Hamill, Marty et Sigworth)<br />
mettent au point <strong>la</strong> technique de patch-c<strong>la</strong>mp, pour <strong>la</strong>quelle ils reçoivent le prix Nobel de chimie en 1992. Cette technique<br />
repose sur l'utilisation de microélectrode de verre de forme et de caractéristiques électriques particulières (que l'on appelle<br />
plutôt "micropipette") et qui ne sont plus insérées dans <strong>la</strong> cellule, mais dont <strong>la</strong> pointe est appliquée "hermétiquement" sur <strong>la</strong><br />
face externe de <strong>la</strong> membrane p<strong>la</strong>smique. Avec Neher et Sackmann, les bases de <strong>la</strong> <strong>neurobiologie</strong> molécu<strong>la</strong>ire sont<br />
jetées…<br />
La technique de patch c<strong>la</strong>mp a connu des variantes; elle reste actuellement une technique d'investigation de <strong>la</strong><br />
conductance de chaque "protéine-canal membranaire" <strong>la</strong>rgement utilisée.<br />
Pour résumer, on peut diviser en 3 périodes l’histoire de <strong>la</strong> <strong>neurophysiologie</strong> liée <strong>à</strong> celle de l’étude des signaux<br />
nerveux :<br />
1) de <strong>la</strong> fin du 19 ème siècle <strong>à</strong> 1950, après <strong>la</strong>"bioélectricité, c’est <strong>la</strong> période de L’ELECTROPHYSIOLOGIE et <strong>la</strong><br />
<strong>neurophysiologie</strong> que l’on peut qualifier de MACROSCOPIQUE dans <strong>la</strong> mesure où elle ne s’intéresse <strong>à</strong> recueillir par des<br />
électrodes externes, pour l'interpréter, que l’activité électrique globale de différentes structures nerveuses,<br />
(cérébrales: électroencéphalogramme/EEG, électrocorticogramme/ECG; de nerfs périphériques; on parle parfois<br />
d’électr<strong>one</strong>urogramme). Les enseignements de cette électrophysiologie mettent en évidence le fait que les neur<strong>one</strong>s sont<br />
capables de produire de l'énergie électrique (c'est <strong>à</strong> dire qu'ils sont le siège d'une électrogénèse importante) <strong>à</strong> l'origine de<br />
leurs propriétés d'excitabilité;<br />
2) de 1950 <strong>à</strong> 1980, c’est <strong>la</strong> période de <strong>la</strong> MICROELECTROPHYSIOLOGIE CELLULAIRE. Le développement de<br />
l’utilisation de <strong>la</strong> microélectrode intracellu<strong>la</strong>ire (Ling et Guerard, 1949) imp<strong>la</strong>ntée dans un neur<strong>one</strong> (ou dans un autre<br />
type de cellule) et connectée <strong>à</strong> des amplificateurs de tension (puis de courant) de plus en plus perfectionnés permet le<br />
recueil de signaux électriques émis par ce neur<strong>one</strong>. Ces signaux sont décrits comme des potentiels d’action (PA),<br />
des potentiels post-synaptiques excitateurs (PPSE) ou inhibiteurs (PPSI) ou des potentiels de récepteur (PR).<br />
Dès le début des années 50, on invoque des changements de perméabilité de <strong>la</strong> membrane p<strong>la</strong>smique pour expliquer<br />
l’électrogénèse transmembranaire <strong>à</strong> l’origine de ces signaux électriques neuronaux: c'est l'enregistrement des courants<br />
transmembranaires (d'une cellule"entière"). Ainsi s’é<strong>la</strong>bora "<strong>la</strong> théorie ionique de l'excitation" (Hodgkin et<br />
Huxley, 1952);<br />
3) de 1980 <strong>à</strong> nos jours, c'est <strong>la</strong> période d'investigation de l'électrogénèse membranaire par <strong>la</strong> TECHNIQUE<br />
ELECTROPHYSIOLOGIQUE DE PATCH CLAMP. Elle permet d'évoquer l'implication de protéines enchâssées dans l'épaisseur de <strong>la</strong><br />
membrane cytop<strong>la</strong>smique et formant des canaux ioniques pouvant être tour <strong>à</strong> tour ouverts ou fermés selon les conditions<br />
physico-chimiques de part et d'autre de <strong>la</strong> membrane cytop<strong>la</strong>smique. Grâce aux travaux de Neher et Sackmann (1981),<br />
l'étude des canaux ioniques par <strong>la</strong> technique de patch c<strong>la</strong>mp s'est considérablement développée pour permettre<br />
l'enregistrement de l'activité électrique d'un petit nombre de canaux d'une cellule "entière" même de petite<br />
taille, voire d'un seul canal (activité électrique unitaire) d'un fragment de membrane (patch).<br />
2. Définition des cellules excitables<br />
Il y a 50 ans on définissait les cellules excitables comme des cellules capables de générer des PA; ces PA<br />
pouvaient être enregistrés par <strong>la</strong>/les seule(s) technique(s) électrophysiologique(s) "disponible(s)"; <strong>la</strong><br />
microélectrophysiologie intracellu<strong>la</strong>ire a été longtemps <strong>la</strong> plus utilisée (fig. 1A).<br />
Traditionnellement, les cellules excitables comprennent:<br />
o les neur<strong>one</strong>s;<br />
o les cellules muscu<strong>la</strong>ires striées squelettiques, cardiaques et lisses;<br />
o les cellules sécrétrices (g<strong>la</strong>ndu<strong>la</strong>ires).<br />
Potentiel d'action, potentiel synaptique, potentiel récepteur: l'étude de ces phénomènes est réputée difficile. Cette<br />
réputation vient partiellement de <strong>la</strong> nécessité préa<strong>la</strong>ble de maîtriser quelques notions d'électricité mais surtout parce que les<br />
signaux électriques caractéristiques des cellules excitables étaient présentés comme d'obscures abstractions physiques dont<br />
<strong>la</strong> compréhension impliquait un formalisme mathématique souvent hermétique rendant compte de mystérieux voire<br />
hypothétiques "changements de perméabilité" de <strong>la</strong> membrane cytop<strong>la</strong>smique.<br />
En corol<strong>la</strong>ire de cette définition, toutes les cellules incapables de développer un PA -ou une quelconque<br />
électrogénèse, trop faible pour être facilement détectée par les techniques électrophysiologiques en vigueur- étaient<br />
considérées comme "cellules inexcitables". Toutefois, en même temps que les pionniers de l’électrophysiologie faisaient<br />
cette ségrégation en 2 catégories de cellules, ils devaient se rendre <strong>à</strong> l’évidence que toutes les cellules, excitables ou non,<br />
exhibaient une différence de potentiel transmembranaire au repos, entre les deux compartiments extra- et intra-cellu<strong>la</strong>ires,<br />
le potentiel de repos (PR). <strong>De</strong> plus, stimulées toutes les cellules développaient une électrogénèse, faible pour certaines<br />
d'entre elles, mais qui progressivement grâce <strong>à</strong> l'amélioration des techniques, devenait détectable. Ainsi, <strong>à</strong> partir de cet état<br />
de repos, toutes les cellules stimulées qui développaient un PA ou une électrogénèse même faible n'étaient plus c<strong>la</strong>ssées<br />
dans les cellules excitables ou non excitables; dés lors, <strong>la</strong> distinction entre les cellules excitables et les cellules non<br />
excitables perdaient de sa rigidité. <strong>De</strong> fait toutes les cellules sont plus ou moins excitables…<br />
<strong>De</strong>puis une vingtaine d’années, grâce <strong>à</strong> <strong>la</strong> mise en œuvre de <strong>la</strong> technique électrophysiologique de patch c<strong>la</strong>mp<br />
couplée au développement de celles de biophysique et de biochimie des membranes d’une part et <strong>à</strong> l’essor récent de <strong>la</strong><br />
biologie molécu<strong>la</strong>ire d’autre part, on a pu montrer qu’aussi bien le développement du PA que l’origine du PR reposent sur le<br />
fonctionnement de canaux ioniques membranaires dotés de propriétés spécifiques de perméabilité sélective<br />
aux ions (fig. 1B). C'est ainsi que <strong>la</strong> distinction entre cellules excitables et non-excitables s'est estompée: chez toutes<br />
celles qui ont été étudiées, les techniques de <strong>neurobiologie</strong> molécu<strong>la</strong>ire ont détecté <strong>la</strong> présence des mêmes types<br />
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de "canaux ioniques" dans les membranes de toutes les cellules. C’est <strong>la</strong> densité des uns et des autres qui<br />
diffère dans chaque catégorie cellu<strong>la</strong>ire. Ainsi notre appréciation subjective des mystérieux changements de<br />
perméabilité a évolué d'un concept hypothétique <strong>à</strong> <strong>la</strong> description d'objets molécu<strong>la</strong>ires, les "canaux ioniques" dont le mode<br />
de fonctionnement a été élucidé en rendant compte précisément de ces changements de perméabilité. Les canaux ioniques<br />
ont perdu leurs guillemets; ils ont été purifiés, leurs photographies ont été publiées, les gènes qui permettent leur synthèse<br />
sont séquencés les uns après les autres et <strong>la</strong> technique de patch c<strong>la</strong>mp permet d'observer "en direct" leur ouverture et leur<br />
fermeture.<br />
C'est ainsi qu'en quelques 5 décennies <strong>la</strong> physiologie des cellules excitables est passée de l'étude<br />
électrophysiologique des signaux "électriques" des cellules excitables (essentiellement des signaux nerveux) <strong>à</strong> celle de <strong>la</strong><br />
biologie molécu<strong>la</strong>ire des "canaux ioniques" de toutes les cellules (essentiellement des cellules excitables, et des neur<strong>one</strong>s<br />
en particulier, d'où l'appel<strong>la</strong>tion fréquemment utilisée de "<strong>neurobiologie</strong> molécu<strong>la</strong>ire")<br />
Fig. 1 - L’outil électrophysiologique appliqué <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>neurophysiologie</strong><br />
A - Microélectrophysiologie intracellu<strong>la</strong>ire, PA et courants ioniques; B - Représentation schématique d’un neur<strong>one</strong> et<br />
de ses nombreuses afférences synaptiques, patch c<strong>la</strong>mp, courants ioniques et courants unitaires<br />
3. Finalité de <strong>la</strong> physiologie des cellules excitables<br />
C’est avant tout de comprendre les mécanismes qui régissent leur excitabilité aussi bien de <strong>la</strong> genèse du PA <strong>à</strong> partir<br />
du PR, <strong>à</strong> <strong>la</strong> transmission synaptique en passant par <strong>la</strong> conduction (fig. 2)…<br />
Mais c’est aussi pour comprendre les liens complexes par lesquels l’excitabilité dont sont dotés les neur<strong>one</strong>s<br />
organisés en réseaux régissent les comportements…<br />
Après une période ou <strong>la</strong> <strong>neurophysiologie</strong> était <strong>à</strong> l’évidence trop descriptive (phénoménologique) et pas assez<br />
explicative (analytique), on connaît actuellement une période où <strong>la</strong> <strong>neurobiologie</strong> molécu<strong>la</strong>ire permet de rendre compte de<br />
processus les plus intimes du fonctionnement de molécules vivantes; un risque de dérive serait de ne pas intègrer<br />
suffisamment l’ensemble de ces processus pour rendre compte du fonctionnement d’un organe ou plus globalement du<br />
comportement d’un individu. Ce n’est pas parce qu’on sait faire exprimer des protéines cardiaques (des canaux par<br />
138
exemples) dans un ovocyte que l’on obtient un cœur ! comme ça n’est pas davantage, parce qu’on sait analyser toutes les<br />
phases comportementales de <strong>la</strong> schizophrénie, par exemple, que l’on en connaît les mécanismes molécu<strong>la</strong>ires <strong>à</strong> son origine !<br />
Fig. 2 - Arc réflexe et activité électrique des neur<strong>one</strong>s et des cellules annexes de l’arc réflexe.<br />
Le PA des cellules excitables: sa génèse, sa conduction, sa transmission, son rôle dans une action simple.<br />
Dans ce qui suit, le neur<strong>one</strong> est pris essentiellement comme modèle pour l'étude de l'électrophysiologie<br />
des cellules excitables et celle de <strong>la</strong> biologie molécu<strong>la</strong>ire des canaux ioniques.<br />
L'objet de ce cours est d'aborder l'étude du fonctionnement des neur<strong>one</strong>s en analysant les liens qui existent entre<br />
PA, PPSE ou PPSI, ou encore PR et les propriétés des canaux ioniques, protéines dont <strong>la</strong> "mécanique" peut être analysée et<br />
qui "fonctionnent" dans <strong>la</strong> membrane p<strong>la</strong>smique <strong>à</strong> côté d'autres protéines tels que les pompes ioniques, les enzymes<br />
catalysant des transferts ioniques ou encore les protéines G. Mais avant d’étudier l’électrophysiologie molécu<strong>la</strong>ire et dans <strong>la</strong><br />
mesure où les neur<strong>one</strong>s sont interconnectés pour former des réseaux nerveux, une façon d'aborder <strong>la</strong> <strong>neurophysiologie</strong><br />
cellu<strong>la</strong>ire est de considérer un réseau simple comme par exemple l'arc réflexe monosynaptique et d'analyser <strong>la</strong> nature des<br />
réponses électriques qui interviennent dans l'activité réflexe depuis <strong>la</strong> stimu<strong>la</strong>tion du récepteur jusqu'<strong>à</strong> <strong>la</strong> contraction<br />
muscu<strong>la</strong>ire (fig. 2).<br />
DOCUMENT 1: GRANDES ETAPES DE L'HISTOIRE DE LA NEUROBIOLOGIE MOLECULAIRE<br />
Moitié du XIX ème siècle: naissance de l'électrophysiologie<br />
1848, DU BOIS REYMOND, première mesure, <strong>à</strong> l'aide d'un galvanomètre <strong>à</strong> cadre mobile, d'un "courant de repos"<br />
(0.03V !) entre <strong>la</strong> surface intacte d'un nerf et sa section; il constate une diminution de ce courant lors de l'excitation du<br />
nerf:<br />
"<strong>la</strong> variation négative du courant de repos est le courant d'action ou l'influx nerveux"<br />
1850, HELMHOTZ, étudie <strong>la</strong> conducton de l'influx nerveux<br />
1871, BERNSTEIN, le premier <strong>à</strong> déterminer <strong>la</strong> forme de l'onde électrique qui se propage le long du nerf: pour lui:<br />
le "potentiel d'action" annule transitoirement le "potentiel de repos"<br />
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Début du XX ème siècle, avec le développement de l'utilisation de l'électricité et de l'électronique (éprouvée par les militaires<br />
pendant chaque guerre mondiale), naissance des techniques de mesures électrophysiologiques (sur tronc nerveux, faisceau<br />
d'ax<strong>one</strong>s, puis ax<strong>one</strong> isolé)<br />
1922-1937, ERLANGER et GASSER utilisent l'oscillographe cathodique et l'amplificateur <strong>à</strong> triodes pour l'étude des<br />
caractéristiques du PA et de sa vitesse deconduction le long d'un tronc nerveux<br />
1941, TASAKI et TAKEUCHI, puis, 1949, HUXLEY et STAMPFLI mettent en évidence <strong>la</strong> conduction saltatoire dans<br />
des ax<strong>one</strong>s myélinisés<br />
1945, HODGKIN et HUXLEY utilisent l'oscilloscope, un amplificateur <strong>à</strong> impédance d'entrée élevée (DC amplifier) et <strong>à</strong><br />
bas gain (bas bruit de fond) relié <strong>à</strong> une électrode métallique insérée dans l'ax<strong>one</strong> géant de calmar pour <strong>la</strong> première fois<br />
effectuer <strong>la</strong> mesure directe du PR et PA: le potentiel de pointe n'annule pas le potentiel de repos mais l'inverse<br />
transitoirement: c'est l'overshoot<br />
1949, avec <strong>la</strong> mise sur le marché de l'amplificateur opérationnel, naissance de <strong>la</strong> méthode de voltage imposé:<br />
HODGKIN, HUXLEY et KATZ: Théorie ionique de l'excitation construite <strong>à</strong> partir des résultats en voltage<br />
imposé obtenus sur l'ax<strong>one</strong> géant de calmar empalé par une électrode métallique…<br />
HODGKIN et STAMFLI: voltage imposé sur le nœud de Ranvier par <strong>la</strong> méthode du sucrose-gap.<br />
1949, naissance de <strong>la</strong> microélectrophysiologie cellu<strong>la</strong>ire<br />
1949, LING et GERARD, mise au point de <strong>la</strong> micropipette de verre remplie d'électrolyte pouvant être insérée sans<br />
lésion dans une cellule (de grande taille)<br />
1950-1980: grand essor de <strong>la</strong> microélectrophysiologie intra cellu<strong>la</strong>ire <strong>à</strong> associer aux perfectionnements des<br />
appareils électroniques (amplificateurs de voltage et stimu<strong>la</strong>teur <strong>à</strong> injection de courant <strong>à</strong> transistors, amplificateur<br />
opérationnel et développement de <strong>la</strong> méthode de voltage imposé):<br />
NASTUK et HODGKIN, Fibre muscu<strong>la</strong>ire de grenouille<br />
KATZ, MILEDI, DEL CASTILLO, KUFFLER, TAKEUCHI, jonction neuromuscu<strong>la</strong>ire<br />
BROCK, ALBE-FESSARD, BUSER, ECCLES, mot<strong>one</strong>ur<strong>one</strong>s, neur<strong>one</strong>s du cerveau<br />
ADRIAN, CHANDLER, fibre muscu<strong>la</strong>ires, voltage imposé par micro électrodes<br />
HAGIWARA, neur<strong>one</strong>s et fibres muscu<strong>la</strong>ires d'invertébrés (courants calciques)<br />
NOBLE, TRAUTWEIN, fibres muscu<strong>la</strong>ires cardiaques<br />
1981, naissance de l'électrophysiologie molécu<strong>la</strong>ire avec <strong>la</strong> méthode du patch c<strong>la</strong>mp<br />
1976, HAMILL, NEHER, MARTY, SACKMANN et SIGWORTH<br />
1981, NEHER, SACKMANN<br />
plusieurs configurations possibles de patch c<strong>la</strong>mp:<br />
- whole cell c<strong>la</strong>mp, voltage imposé par une seule pipette extracellu<strong>la</strong>ire sur petite<br />
cellule;<br />
- cell attached ou membrane excisée pour l'étude de courants unitaires.<br />
DOCUMENT 2 : TECHNIQUES ELECTROPHYSIOLOGIQUES<br />
TECHNIQUES ELECTROPHYSIOLOGIQUES<br />
La plupart de nos connaissances sur les propriétés<br />
électrophysiologiques des canaux ioniques proviennent<br />
d’expériences réalisées en voltage imposé. Cette technique a<br />
été introduite pour <strong>la</strong> première fois par Cole et ses collègues et<br />
reprise ensuite par Hodgkin et Huxley, en 1952. <strong>De</strong>puis<br />
plusieurs variantes ont été utilisées.<br />
En 1950, on avait en effet de bonnes raisons de penser<br />
que les potentiels d'action naissaient d'une augmentation<br />
transitoire de <strong>la</strong> perméabilité sodique suivie d'une<br />
augmentation, elle aussi transitoire, de <strong>la</strong> perméabilité<br />
potassique (fig. 1).<br />
Fig. 1 - A) Allure générale d'un PA recueilli par<br />
enregistrement intracellu<strong>la</strong>ire.<br />
Une électrode intracellu<strong>la</strong>ire est p<strong>la</strong>cée dans l'ax<strong>one</strong><br />
géant de calmar. La valeur du potentiel de repos est -50 mV.<br />
L'ax<strong>one</strong> est stimulé au temps t = 0 (artefact de stimu<strong>la</strong>tion)<br />
avec une seconde électrode p<strong>la</strong>cée loin de <strong>la</strong> première.<br />
L'amplitude du PA est 85 mV. La phase de repo<strong>la</strong>risation se<br />
prolonge par une hyperpo<strong>la</strong>risation durant environ 3 ms. B)<br />
Changements d'amplitude du PA en fonction de <strong>la</strong> concentration<br />
extracellu<strong>la</strong>ire de Na + appauvrie <strong>à</strong> 70%, 50% puis 33% de sa<br />
valeur normale. C) Représentation graphique de l'amplitude du<br />
pic du PA en fonction de <strong>la</strong> concentration extracellu<strong>la</strong>ire de Na+.<br />
La ligne droite est représentative de l'équation de Nernst pour<br />
une valeur intracellu<strong>la</strong>ire de Na de 17 mV.<br />
140
Ces changements semb<strong>la</strong>ient dus <strong>à</strong> <strong>la</strong> dépo<strong>la</strong>risation de <strong>la</strong> membrane. En effet, La façon <strong>la</strong> plus simple pour faire<br />
naître un potentiel d'action était de dépo<strong>la</strong>riser <strong>la</strong> membrane d'une cellule excitable; le stimulus parfaitement quantifiable<br />
susceptible de dépo<strong>la</strong>riser <strong>la</strong> membrane a été le courant électrique. En faisant passer des impulsions rectangu<strong>la</strong>ires de<br />
courant, de durée et d'intensité variable, au travers de <strong>la</strong> membrane, on était capable d'évoquer (fig. 2):<br />
• <strong>De</strong>s réponses électriques passives (potentiels électrotoniques) de <strong>la</strong> membrane, pour des<br />
courants entrants de quelque intensité que ce soit et pour des courants sortants infraliminaires;<br />
• <strong>De</strong>s PA (réponses actives membranaires) pour des courants sortants liminaires et<br />
supraliminaires.<br />
La technique électrophysiologique de courant imposé (current c<strong>la</strong>mp) était née. Dès 1949, l'invention de <strong>la</strong><br />
microélectrode de verre fut <strong>à</strong> l'origine de l'essor de <strong>la</strong> microélectrophysiologie intracellu<strong>la</strong>ire (fig. 2).<br />
Fig. 2 – Potentiels électrotoniques et potentiels<br />
d'action (PA) enregistrés dans les conditions de courant<br />
imposé par microélectrodes intracellu<strong>la</strong>ires;<br />
Toutefois, en l'absence d'une méthode permettant de maintenir constant le potentiel de membrane, on ne pouvait<br />
déterminer l'effet exact de <strong>la</strong> dépo<strong>la</strong>risation sur les perméabilités ioniques. En d'autres termes, l'hypothèse cruciale était que<br />
<strong>la</strong> perméabilité au Na + était régulée par le potentiel de membrane. Si <strong>la</strong> façon théoriquement <strong>la</strong> plus simple de tester cette<br />
hypothèse était de dépo<strong>la</strong>riser <strong>la</strong> membrane cellu<strong>la</strong>ire <strong>à</strong> différents niveaux et de mesurer <strong>la</strong> perméabilité au Na +<br />
correspondante, le problème était cependant que dès que <strong>la</strong> cellule était dépo<strong>la</strong>risée, <strong>la</strong> perméabilité au sodium changeait et<br />
qu'un PA était irrémédiablement déclenché ("loi du tout-ou-rien"). Pour des raisons pratiques, on ne disposait pas assez de<br />
temps pour mesurer le changement de perméabilité. C'était un obstacle majeur pour poursuivre plus avant l'analyse des<br />
mécanismes ioniques qui gouvernent le développement du potentiel d'action. C'est <strong>à</strong> ce moment l<strong>à</strong> qu'A<strong>la</strong>n Hodgkin et<br />
Andrew Huxley développèrent <strong>la</strong> technique du voltage imposé fondé sur des travaux plus anciens accomplis par Kenneth<br />
Cole et George Marmont.<br />
141
Principe de <strong>la</strong> technique de voltage imposé<br />
Il consiste <strong>à</strong> maintenir le potentiel de membrane <strong>à</strong> une valeur constante, choisie par l’expérimentateur. Le voltage<br />
ne peut plus alors changer librement avec le temps et suivant <strong>la</strong> région de <strong>la</strong> membrane, comme lors d’un enregistrement<br />
de potentiel. Avec cette technique, on mesure des courants souvent appelés macroscopiques ou globaux qui représentent <strong>la</strong><br />
somme des courants unitaires traversant plusieurs centaines de canaux. A <strong>la</strong> base de cette technique, il y a <strong>la</strong> découverte<br />
d'un composant électronique, l'amplificateur opérationnel ou "feed-back amplifier", dès le début des années 40, et son<br />
application <strong>à</strong> l'électrophysiologie, <strong>à</strong> <strong>la</strong> fin des années 40…<br />
Pour éviter que des courants locaux ne se produisent et faussent les valeurs du courant mesuré, il est important<br />
que <strong>la</strong> valeur du potentiel de membrane soit uniforme et contrôlée sur toute <strong>la</strong> surface membranaire. Cette uniformité<br />
spatiale du potentiel dans le cas de l’ax<strong>one</strong> géant de calmar est assurée par une électrode axiale très conductrice insérée <strong>à</strong><br />
l’intérieur de l’ax<strong>one</strong> (fig. 3). Dans le cas des cellules nerveuses, si leur diamètre le permet, 2 microélectrodes sont insérées<br />
dans le corps cellu<strong>la</strong>ire (fig. 4). <strong>De</strong>s variantes de ces techniques ont été mises au point pour dériver les courants d’un nœud<br />
de Ranvier (sucrose-gap, fig. 5) ou dans des portions de membrane de fibres muscu<strong>la</strong>ires (voltage c<strong>la</strong>mp par 3<br />
microélectrodes intracellu<strong>la</strong>ires).<br />
Fig. 3 - Dispositif expérimental utilisé pour réaliser des expériences de voltage imposé dans l'ax<strong>one</strong><br />
géant de calmar. <strong>De</strong>ux électrodes axiales sont insérées dans le corps de l'ax<strong>one</strong>; (pour <strong>la</strong> légende, voir texte).<br />
Fig. 4 - Dispositif expérimental utilisé pour réaliser des expériences de voltage imposé dans un neur<strong>one</strong><br />
ou une cellule sphérique de grand diamètre.<br />
<strong>De</strong>ux microélectrodes intracellu<strong>la</strong>ires sont insérées dans le soma; (pour <strong>la</strong> légende, voir texte). Le dispositif<br />
expérimental adopté pour les fibres muscu<strong>la</strong>ires (courtes, de préférence) est dérivé de celui-ci et comprend 3<br />
microélectrodes insérées le plus proche possible l'une de l'autre, <strong>la</strong> microélectrode de mesure du courant étant <strong>à</strong> égale<br />
distance des 2 microélectrodes de "voltage".<br />
Fig. 5 - Dispositif expérimental utilisé pour réaliser des expériences de voltage imposé dans l'ax<strong>one</strong><br />
myélinisé.<br />
Le nœud de Ranvier est disposé entre les 2 ponts de sucrose et l'extrémité gauche de <strong>la</strong> fibre est immergée dans<br />
une solution physiologique intracellu<strong>la</strong>ire (KCl 140 mM ); (pour <strong>la</strong> légende, voir texte).<br />
142
Beaucoup de cellules n’ont pas une taille suffisante pour que deux microélectrodes soient introduites <strong>à</strong> l’intérieur du<br />
corps cellu<strong>la</strong>ire. On peut réaliser des expériences de voltage imposé avec une seule microélectrode. Le voltage imposé <strong>à</strong> une<br />
seule microélectrode implique un système électronique qui oscille rapidement d’un mode d'enregistrement en voltage <strong>à</strong> un<br />
mode d’enregistrement en courant (3-20 kHz), et un amplificateur de courant qui contrôle le taux de courant délivré. Les<br />
résultats obtenus sont moins précis que ceux obtenus avec 2 électrodes.<br />
Principe de <strong>la</strong> technique de patch c<strong>la</strong>mp dans <strong>la</strong> configuration cellule entière et dans les conditions de<br />
voltage imposé<br />
La technique de patch c<strong>la</strong>mp dans <strong>la</strong> configuration cellule entière (fig. 6) est souvent considérée comme une<br />
variante de <strong>la</strong> technique de voltage imposé <strong>à</strong> une électrode. Mais il existe une différence majeure entre les deux techniques:<br />
le voltage n’est jamais mesuré en mode voltage imposé dans le cas du patch c<strong>la</strong>mp, mais calculé.<br />
Fig. 6 - Dispositif expérimental utilisé pour réaliser des expériences de voltage imposé en patch c<strong>la</strong>mp.<br />
Configuration cellule entière (whole cell c<strong>la</strong>mp); (pour <strong>la</strong> légende, voir texte).<br />
Dans tous les cas, le montage expérimental de base consiste <strong>à</strong> disposer (réellement ou virtuellement) 2 électrodes<br />
intracellu<strong>la</strong>ires. L’une mesure le potentiel de membrane (Em). L’autre permet d’imposer un potentiel (Vréf) dont <strong>la</strong> valeur<br />
est choisie par l’expérimentateur. Un amplificateur (amplificateur opérationnel ou feed-back amplifier, FBA) détecte <strong>la</strong><br />
moindre différence entre le voltage recueilli (Em) et le voltage de référence (Vréf) et convertit instantanément cette<br />
différence en un courant dont l’intensité lui est directement proportionnelle. Ce courant est réinjecté au travers de <strong>la</strong><br />
membrane par l’électrode de référence, ce qui permet le maintien de son potentiel <strong>à</strong> <strong>la</strong> valeur choisie. Enregistré sur son<br />
trajet, ce courant est l’image du courant total qui traverse <strong>la</strong> membrane et né de <strong>la</strong> différence <strong>à</strong> chaque instant entre Em -<br />
Vréf (fig. 6 et 7).<br />
L’expérience de voltage imposée standard (fig. 7 et 8) consiste <strong>à</strong> porter le potentiel de membrane d’une valeur de<br />
maintien proche du potentiel de repos de <strong>la</strong> cellule (-60 mV par exemple) <strong>à</strong> une valeur moins négative (-50 mV par<br />
exemple), pendant quelques millisecondes ou plus. Si le potentiel de <strong>la</strong> membrane (Vm) de <strong>la</strong> cellule est égal au potentiel de<br />
commande Vréf (holding potential), il ne passe alors aucun courant par l’amplificateur opérationnel, indiquant que le courant<br />
de membrane Im est nul. Lorsque le potentiel imposé est soudainement porté <strong>à</strong> une valeur moins négative que celle du<br />
holding potential, dans un premier temps, l’amplificateur délivre des charges positives qui vont momentanément charger <strong>la</strong><br />
capacité de membrane et porté ainsi Em = Vréf = -50 mV. Ces charges positives, portées essentiellement par les ions K + ,<br />
vont ensuite traverser <strong>la</strong> membrane par les canaux ouverts au potentiel de repos et un courant sortant stable va s’établir<br />
tout le temps que Em sera égal <strong>à</strong> Vréf. Par convention, les courants sortants de charges positives sont positifs et dirigés<br />
vers le haut par rapport au niveau de contrôle, et les courants entrants de charges positives sont négatifs et dirigés vers le<br />
bas. Ce courant stable est souvent appelé courant de fuite (If). Le courant mesuré Im est donc égal <strong>à</strong> <strong>la</strong> somme de 2<br />
courants, le courant capacitif Ic et le courant de fuite If:<br />
Im = If+ Ic = If + Cm. dV/dt<br />
Lorsque <strong>la</strong> capacité de membrane Cm est chargée <strong>à</strong> sa nouvelle valeur de potentiel, Ic est nul et le courant mesuré<br />
Im est égal au courant If traversant les canaux ioniques ouverts <strong>à</strong> cette nouvelle valeur de potentiel.<br />
Si le potentiel de référence est porté <strong>à</strong> une nouvelle valeur plus importante (0 mV), les canaux sensibles au<br />
potentiel vont s’ouvrir.<br />
Supposons que l’ax<strong>one</strong> ou <strong>la</strong> cellule baigne dans un milieu ionique et pharmacolo-gique tel que seuls les canaux<br />
Na + puissent s’ouvrir. Lors d’un tel saut de potentiel, les ions Na + vont traverser <strong>la</strong> membrane et entrer dans <strong>la</strong> cellule. Ainsi<br />
lorsque le courant entrant est porté par les ions Na + , des charges positives sont immédiatement enlevées de <strong>la</strong> cellule par le<br />
système de contrôle de façon <strong>à</strong> garder le potentiel de membrane constant. Si l’ampli-ficateur opérationnel est correct, cet<br />
ajustement se fait en quelques microsecondes et se maintient tout le temps que les ions Na + entrent dans <strong>la</strong> cellule. Le<br />
courant mesuré Im représente alors <strong>la</strong> somme de 2 courants (lorsque Ic est nul), le courant de fuite If et le courant Na + , INa,<br />
entrant.<br />
Les courants non spécifiques étant identifiés ils peuvent être corrigés; <strong>la</strong> détermination des courants ioniques<br />
spécifiques devient alors accessible: l'outil pharmacologique permet l'identification des courants spécifiques, sodiques,<br />
potassiques, calciques etc...(fig. 10). A partir de chacune des familles de tracés de courants spécifiques, l'intensité<br />
maximum du courant pour chacun des niveaux de dépo<strong>la</strong>risation est mesurée et reportée pour établir <strong>la</strong> courbe I-V (fig.<br />
11).<br />
143
Fig. 7 - P<strong>la</strong>cé dans <strong>la</strong> configuration "CELLULE ENTIERE" du<br />
"PATCH CLAMP" et en voltage imposé, un neur<strong>one</strong> dépo<strong>la</strong>risé par<br />
des sauts de potentiel successifs évoque des courants ioniques<br />
transmem-branaires visualisés par l'intermédiaire de l'amplificateur<br />
de "Patch"comme des variations du courant recueilli par <strong>la</strong><br />
pipette. En règle générale ce courant dit "macroscopique" se<br />
compose d'un courant initial, précoce et entrant suivi courant qui se<br />
stabilise tardivement et qui est sortant. L'utilisation de drogues<br />
bloquant sélective-ment le courant "sodium" voltage-sensible,<br />
comme <strong>la</strong> térodotoxine (TTX), ou le courant "potassium voltagesensible",<br />
comme le tétra-éthy<strong>la</strong>mmonium (TEA) ou <strong>la</strong> 4aminopyridine<br />
(4-AP), permet d'identifier le courant entrant<br />
précoce comme un courant sodique voltage sensible et le courant<br />
sortant tardif comme un courant potassium voltage-sensible.<br />
Fig. 8 - Protocole expérimental d'une expérience de voltage imposé réalisée sur l'ax<strong>one</strong> géant de<br />
calmar (protocole expérimental de <strong>la</strong> figure 3).<br />
1- Lorsque le potentiel de référence (Vréf) fixé par l'expérimentateur est égal au potentiel de repos de <strong>la</strong> cellule<br />
(Vm), aucun courant ne traverse <strong>la</strong> membrane;<br />
2- Lorsque Vréf est fixé <strong>à</strong> une valeur légèrement plus positive que Vm, un courant sortant (Im) s'établit. Ce courant<br />
est égal <strong>à</strong> <strong>la</strong> somme de deux courants, le courant capacitif Ic et le courant dit de fuite If.<br />
144
3- Si Vréf est fixé <strong>à</strong> une valeur suffisamment positive, les canaux Na + sensibles au voltage sont susceptibles de<br />
s'ouvrir. On enregistre alors un courant entrant qui se superpose <strong>à</strong> If et Ic.<br />
Fig. 9 Courants macroscopiques (voltage imposé) en correspondance des niveaux de potentiel de membrane<br />
(courant imposé) lors d'un PA du nœud de Ranvier d'ax<strong>one</strong> myélinisé de grenouille<br />
(Bergman, Thèse de Doctorat d'Etat, Université d'Orsay, 1971).<br />
Fig. 10 - Identification des courants sodiques et potassiques du nœud de Ranvier (séparation<br />
pharmacologique des courants ioniques spécifiques).<br />
Un nœud de Ranvier p<strong>la</strong>cé dans les conditions de voltage imposé (potentiel de maintien –95 mV) est hyperpo<strong>la</strong>risé<br />
durant 40 ms jusqu'<strong>à</strong> –120 mV puis dépo<strong>la</strong>risé <strong>à</strong> différents niveaux de potentiels entre –60 et +60 mV, en 15 sauts (Les<br />
courants de fuite et de capacité ont été soustraits par l'ordinateur. A) Courants macroscopiques évoqués dans une solution<br />
de Ringer ordinaire. B) Courants évoqués dans le même nœud de Ranvier qu'en A) mais après addition de 300 nM TTX<br />
(d'après Hille, 1966). C) Mesures de contrôle dans un autre nœud de Ranvier. D) Courants évoqués dans le même nœud de<br />
Ranvier qu'en C) mais après addition de 6 mM TEA (d'après Hille, 1967).<br />
145
A partir de <strong>la</strong> courbe I-V pour chacun des courants spécifiques, il devient possible de déterminer l'évolution des<br />
conductances membranaires en fonction du potentiel, et du temps (fig. 11); pour le sodium et le potassium, on a:<br />
INa = gNa . (Em - ENa) ce qui donne gNa = INa / (Em - ENa)<br />
IK = gK . (Em - EK) ce qui donne gK = IK / (Em - EK)<br />
Fig. 11(ci-dessous) - Courants macroscopiques (A), courants spécifiques (B) et courbes I-V (C).<br />
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