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SI LOMÉ M'ÉTAIT CONTÉE...<br />

Tome III


République Togolaise<br />

Ministère de la Communication<br />

et de la Culture<br />

Institut fiançais de recherche<br />

scientifique en coopération pour<br />

le dkveloppement<br />

RADIO-LOMÉ Mission ORSTOM du Togo<br />

Yves MARGUERAT et Tchétchécou PÉLËI<br />

TI LOMÉ M~ÉTAIT CONTÉE ...it<br />

Dialogues avec les vieux Loméens<br />

Tome III<br />

PRESSES DE L'UNIVERSITÉ DU BÉ" (Lomé)<br />

1996


Presses de l'Université du Bénin, Lomé, 1996<br />

BP 1515, Lomé<br />

ISBN 2 - 909886 - 27 - 1<br />

O PUB et ORSTOM


INTRODUCTION<br />

Avec ce troisième tome des dialogues radiophoniques de l'émission<br />

"<strong>Si</strong> Lomé m'était contée...", nous continuons à parcourir, au hasard des<br />

rencontres, la vie quotidienne de Lomé autrefois, à travers ses activités, ses<br />

quartiers, ses communautés, ses hommes et ses femmes ... Le quatrième et<br />

dernier volume, lui, sera surtout consacré aux grandes institutions : cela<br />

donnera un autre angle d'approche aux réalités de la ville.<br />

Ces dialogues, enregistrés en 1988-89, ont ét& retranscrits par mon<br />

ami Tchétchékou "Daou" Pélgi, maintenant à la retraite mais toujours aussi<br />

actif et passionné par cette ville qu'il connaît si bien. Il a fallu ensuiteréécrire<br />

plus ou moins ces textes, pour les adapter du langage oral à la forme écrite, et<br />

réduire le nombre de "Bon", "Hein" et autres "N'est-ce pas ?" superflus. Je me<br />

suis efforcé, bien sûr, de ne pas perdre la spontanéité et le ton spécifique de<br />

chacun, langue parfaitement châtiée de l'intellectuel ou parler populaire de nos<br />

interlocuteurs plus modestes. I1 n'était cependant pas possible de laisser<br />

imprimer de grosses incorrections. Imagine-t-on qu'un élève puisse justifier<br />

une faute de français sanctionnée dans un devoir en disant : "Mais je l'ai lu<br />

dans <strong>Si</strong> Lomé m'était contke ..." ? En fait, les retouches indispensables ont<br />

essentiellement porté sur le maniement des nombreux temps du passé, si<br />

complexe et si subtil en français que bien des gens, pour ne pas trop<br />

s'embrouiller, préfèrent tout mettre au présent, ce qui ne facilite évidemment<br />

pas la compréhension de récits évoquant les époques passées. Chacun a<br />

ensuite-reçu le texte issu de son intervention enregistrée et a pu l'approuver<br />

~<br />

ou le corriger à son gré.<br />

Les Loméens pourront donc retrouver ici les voix qu'ils avaient aimé<br />

entendre, et dont certaines se sont depuis tues àjamais : le W Gbikpi, Albert<br />

"Fao", El Hadj Idrissou, El Hadj Issa, El Hadj Brym, El Hadj Ouro-Agouda,<br />

Lubin Christophe, Anani Creppy, Robert Cornevin ... Autant qu'à la ville,<br />

c'est à eux, qui ont tant contribué à la façonner, que ce livre rend hommage.<br />

7<br />

Yves Marguerat


- 1 - Façade de la cathédrale de Lom6 vers 1925. A droite, l'école catholique et le<br />

côté du siège de la mission (actuel archevêché).<br />

Cliché Mandat français, Archives nationales du Togo.<br />

8


nu 1<br />

LA CATHEDRALE DE LOMÉ<br />

avec<br />

le RP Jean GBIKPI-BÉNISSAN<br />

(né en 19 13 à Aného, préfecture des Lacs,<br />

décédé à Lomé le 9 juillet 1994)<br />

Aujourd'hui, nous visitons un bâtiment tout à fait<br />

caractéristique de la ville de Lorné : la catlzédrale, cette vieille<br />

catli.édrale qui est l¿ì depuis plus de 80 ans et dont les tours<br />

peuvelzt être considérées comme ' le symbole de la capitale du<br />

Togo.<br />

Nous sommes installés 2 l'intérieur, sur la tribune,<br />

cette partie surélevée qui se trouve h l'arrière de la nef, à mi-<br />

Itauteur, là où est l'orgue. Nous avons devant nous, à nos<br />

pieds, la nef avec ses hautes voûtes gothiques et ses rangées<br />

de colonnes qui ressemblent à du marbre, surmontées- d'une<br />

galerie où le public, à vrai dire, n'a pas accès. Les couleurs<br />

sont douces : le fond est blanc, jaune, rose, élégant. Les<br />

nervures des voûtes donnent une impression de gaieté, de<br />

lumière et d'espace. A l'autre extrémité de l'église, en face de<br />

nous, il y a le choeur, avec le grand autel, qui était à<br />

l'origine tourrié le dos au public et qui, maiwteizarit, permet de<br />

dire la messe face aux fidèles. Pour nous présenter cette<br />

catlzédrale, qui est l'un des inoiiuinents les plus anciens de<br />

Lomé, et l'un des mieux conservés, nous avons coinirie guide<br />

quelqu'un qui est particulièrement qualifié : le Père Gbikpi',<br />

qui en a été pendant très longtemps le curé.<br />

- En effet. J'ai connu la cathédrale dans ma prime jeunesse, avant<br />

d'entrer au séminaire en 1929. Revenu de Rome en 1947, j'ai été placé<br />

comme vicaire ici, à la cathédrale, pendant dix ans, de 1947 jusqu'à fin 1956.<br />

En 1957, je suis devenu curé d'Amoutivé. J'ai éte ramené ici par notre<br />

premier évêque africain, Mgr Dosseh2, en 1962. Je suis resté 17 ans curé de<br />

la cathédrale. C'est ainsi que je peux dire que j'ai passé une bonne partie de<br />

' Le RP Gbikpi nous a déjà raconté l'histoire de l'Église catholique à Lomé dans "<strong>Si</strong> Lomé<br />

m'était confie...", tome I, pages 105 i 114.<br />

De 1962 à 1992. Mgr Gbikpi lui succédera alors comme administrateur apoitolique de<br />

l'archidiocèse, jusqu'à la nomination de Mgr Kpodjro, le 22 décembre 1992.


ma vie sacerdotale dans cette enceinte, dan? cet édifice.<br />

- Q - Donc vous le connaissez parfaitement. Quelles sont les<br />

origines de cette cathédrale ?<br />

- Elle a kté édifiée par nos premiers missionnaires de la Société du<br />

Verbe Divin'. Vous savez que la toute première église -ou plut& la première<br />

chapelle- de Lomé avait été préfabriquée à Stey12 et apportée ici (c'était en<br />

1892) : une petite chapelle de 9 mètres sur 5, sur 2 mètres de hauteur3. Une<br />

année après, il fallut l'agrandir. Dès 1897, on a édifié une chapelle plus<br />

spacieuse, longue de 13 mètres, large de 6 et haute de 3 mètres.<br />

La cathédrale du Sacré-Coeur est donc la quatrième église, construite<br />

21 partir de 1901. La première pierre a été posée au mois de juin 1901, pour la<br />

fête de la Sainte Trinité, le 2 juin. La consécration eut lieu le 21 septembre<br />

1902, pour le ,dixième anniversaire du débarquement à Lomé4 et de la<br />

construction de'la toute première chapelle préfabriqute5.<br />

- Q - Comment le bâtìineitt a-t-il été transformé depuis cette<br />

inauguration de 1902 ?<br />

- Le bâtiment a été agrandi par la construction des galeries<br />

supérieures .en 1913-14. Depuis, il n'a plus été transformé. I1 y a eu des<br />

adaptations secondaires quant aux peintures ou des réfections, mais, pour<br />

l'essentiel, tel qu'il avait été bâti, le bâtiment est resté le même.<br />

- .Q - On a cependant mod$ìé les clochers en 1940 ...<br />

- En effet, en 1940, il a fallu refaire les clochers qui, à cause de la<br />

fabrication en bois et en métal, avaient été ruinés par le courant d'air marin<br />

que, peut-être, les fabricants n'avaient pas prévu. I1 a donc fallu les remplacer<br />

et leur donner leur forme actuelle. C'est l'oeuvre de Mgr Cessou6. Plus tard,<br />

Mgr Strebler7 a dû refaire la toiture telle qu'elle est actuellement, sans<br />

toucher à l'ensemble de Edifice au point de vue architectural. Ensuite, il a<br />

fallu remplacer les vitraux, que les écoliers, avec leurs espiègleries, leurs jeux<br />

de football, avaient cassés ...<br />

Son architecte fut le Frère Johannès (au Togo pendant toute la période de la mission<br />

allemande), principal bâtisseur des constructions catholiques du pays.<br />

Aux Pays-Bas (province de Limburg), siège des missions de la SVD depuis 1875.<br />

3 A l'emplacement de l'actuel supermarché "Hollando", entre la plage et l'ancienne route<br />

d'Aného.<br />

LÆ 27 août 1892.<br />

Le 18 septembre 1892.<br />

%icaire apostolique du Togo de 1920 à sa mort, le 3 mars 1945.<br />

Vicaire apostolique (puis archevêque) de 1945 à 1962.


- 2 - La cathédrale vers 1910, vue du sud-est, avec la nef supérieure étroite et le<br />

clocheton de la croisée du transept. A gauche, monument au Dr Wolf.<br />

Carte postale de la Mission catholique, collection ANT<br />

I1 est vrai que les premiers bâtisseurs avaient aussi mis des statues à<br />

l'intérieur de l'église : statue du Sacré-Coeur, de la sainte Vierge, de saint<br />

Joseph, de saint Louis de Gonzague, des Anges gardiens, Notre Dame des^<br />

Sept-Douleurs, etc. Mais, à partir de 1957-58, et surtout avec les<br />

transformations liturgiques prévues au concile de Vatican II1, les statues ont<br />

été sorties de l'église. Elles ont été remplacées par des peintures, du pinceau<br />

d'un grand artiste italien, Michellini, qui nous a donné de très belles peintures<br />

à l'Autel des Sacrements, dans l'alcôve de la Sainte Vierge, dans le choeur, et<br />

même à la devanture de l'église.<br />

- Q - Donc les peintures actuelles ont une trentaine d'années ?<br />

- Oui, elles ont été faites par le Père Michellini, qui a aussi été<br />

l'architecte de l'hôpital catholique d'Afagnan, dont il a aussi fait les peintures.<br />

- Q - Ainsi que celles de l'église de Togoville, n'est-ce pas ?<br />

1962-65.<br />

11


- Oui, celles de l'église de Togoville aussi, et aussi à Aného, à<br />

Kpalimé et en maints endroi ts... Il a parcouru un peu tout le diocèse. I1 nous<br />

a laissé les traces de son dévouement artistique.<br />

- Q - Avez-vous idée. de ce que sont devenues ces statues que<br />

l'on a enlevées de l'églhe ?<br />

- Notre Dame des Sept-Douleurs est allée trouver asile au noviciat de<br />

Notre-Dame de l'Église, à Noépél. Les autres ont été sorties non pas du<br />

temps où j'étais curé, mais avant : je n'ai pas pu suivre leurs pérégrinations<br />

et les refuges qu'elles ont trouvés.<br />

- Q - L'art religieux à la fin du XIXè siècle n'&tait pas<br />

toujours d'une beauté extraordinaire. Ces statues n 'étaient<br />

sans doute pas un patrimoine irremplaqable ...<br />

- Non ... C'étaient des statues comme on voit dans toutes les églises<br />

ordinaires d'Allemagne ou d'ailleurs. Mais certains, naturellement, avaient<br />

accroché leur piété à ces statues, et ont regretté leur départ, comme un peu<br />

partout en Europe, dans toute l'Église ... Ces choses qui ont servi à entretenir<br />

une piété, une dévotion, quand on les voit partir ... La dévotion est un peu<br />

accrochée à la matière ...(p etit rire), à ce qui nous rappelle où était fixée cette<br />

dévotion. Nous avons aussi souffert de cela ...<br />

- Q - Quelle était la statue la plus vénérée ?<br />

- C'est la statue de Notre Dame des Sept-Douleurs, et la statue du<br />

Sacré-Coeur, qui est restée là : vous la voyez là en haut, au dessus du<br />

choeur : elle représente le "patron" de l'église. Là, elle est si bien perchée<br />

qu'on n'a pas pu l'atteindre. Alors, elle est restée jusqu'à présent, comme<br />

dévotion de toute l'église. Nous avions aussi la belle statue de Notre Dame<br />

portant son enfant, une belle statue aussi de Saint Joseph. Mon âme était<br />

accrochée aussi à une statue de l'Ange gardien avec, devant lui, un enfant qu'il<br />

protégeait, aussi à une belle statue de Saint Louis de Gonzague à l'entrée du<br />

choeur, et d'autres ...<br />

- Q - Comme curé de la cathédrale, est-ce que vous trouviez<br />

-excusez-moi d'employer un terme tout cì fait technique- que le<br />

btîtìment est "fonctionnel " ? Est-il bien adapté aux fonctions<br />

religieuses d'aujourd'hicì ?<br />

A 25 km de Lomé, sur la route de Kpalimé. Les Petites-servantes du Sacré-Coeur (de<br />

Menton; dans le sud de la France) y fondèrent un noviciat en 1952, devenu par la suite la<br />

premiere congrégation de religieuses togolaises.<br />

12


- Oui, le bâtiment est fonctionnel, comme toutes les églises<br />

gothiques : le style ogival est très bien adapté ; il provoque la piété par son<br />

élévation. Je crois que, jusqu'à aujourd'hui, dans Lomé, c'est encore le<br />

bâtiment religieux que les chrétiens et les visiteurs apprécient -et même<br />

affectionnent- le plus.<br />

- Q - Il y fait tout de même trks chaud, vous ne trouvez pas ?<br />

Surtout dans le choeur ...<br />

- C'est certain qu'il fait bien chaud, mais on a essayé, ces temps<br />

derniers, de s'adapter grâce aux ventilateurs qu'on est en train d'installer.<br />

- Q - Quelle en est la capacité, le nombre de gens qui peuvent<br />

venir assister à un office ?<br />

- I1 y a facilement 500, 600 places ... moins de 1000 places. Tandis<br />

que l'église d'Amoutivé peut aisément faire asseoir 3000 personnes. Ici, c'est<br />

600. Avec les chaises qu'on installe parfois, on peut arriver à 700, mais pas<br />

davantage.<br />

- Q - La cathédrale est-elle pleine tous les dimanches ?<br />

- I1 y a quatre messes par dimanche. De mon temps, il y en avait<br />

cinq. On a diminué un peu parce que ça faisait trop comprimé : il y avait une<br />

messe à 5 heures et demie ; il fallait s'arranger pour qu'à 7 heures moins le<br />

quart une autre messe commence ; à 8 heures, une troisième messe, et à 9<br />

heures et quart la messe solennelle paroissiale, et puis le soir, à 18 heures 30,<br />

la dernière messe. (A 18 heures, il y avait une adoration du Saint-Sacrement).<br />

Ah, elle est bien employée ... Elle ne chôme jamais !<br />

De grands événements aussi se sont passés ici.<br />

- Q - Lesquels ont été particulièrement remarquables ?<br />

On peut citer comme premier grand événement, l'arrivée de Mgr<br />

Albert1, l'évêque qui a consacré cette église. Il y a eu aussi quelques<br />

événements tristes, comme le départ des missionnaires allemands ...<br />

- Q - En 1917. ..<br />

En octobre 1917. Dans le livre sur l'histoire de l'Église catholique<br />

Alors évêque de Cape Coast.<br />

14


au Togol, ce départ est raconté d'une façon pathétique. Permettez que je vous<br />

en donne un petit extrait.<br />

Le Père Müller raconte donc que "le 11 octobre 1917 fut le jour le<br />

plus sombre dans les annales de la mission", et celles de la cathédrale. En<br />

effet, "le matin un bateau arrivait à Lomé. C'était déjà quelque chose<br />

d'extraordinaire2. Dans le courant de la matinée, le pro-vicaire apostolique3<br />

était convoqué d'urgence pour 11 h 45 chez le commandant anglais4,<br />

événement encore plus extraordinaire.<br />

.<br />

Le Pere Witte rentra à la mission. La terrible nouvelle se répandit en<br />

quelques instants. Un quart d'heure plus tard, tout le monde savait que, dans<br />

quelques heures, le troupeau allait se trouver sans bergers. La population<br />

accourut à la mission pour voir une dernière fois les missionnaires, pour leur<br />

serrer la main, pour recevoir une dernière bénédiction. A deux heures, les<br />

officiers arrivèrent pour les formalités'prévues. Puis on accorda un délai de<br />

trois quart d'heures aux "prisonniers", qui purent manger rapidement quelque<br />

chose avant de partir. Les dernières minutes se passèrent à l'église. Les<br />

cloches avaient appelé tout le monde pour les adieux. On devine l'émotion de<br />

ces instants, de cette bénédiction que chaque père donnaità tous les chrétiens<br />

dans un silence où l'on n'entendait que les sanglots de la foule. Tous les<br />

chrétiens accompagnèrent les missionnaires jusqu'au port en chantant et en<br />

pleurant".<br />

* Du RP Karl Müller, SVD ; édition originale allemande en 1957, traduction française révisée<br />

en 1967 (Librairie du Bon-Pasteur, Lomé, 1968,253 p.. ici pages 92-93).<br />

2 ~a guerre avait pratiquement interrompu le trafic maritime.<br />

Il s'agit du Rp Witte, en l'absence de Mgr Wolf, le premier vicaire apostolique du Togo (ses<br />

prédécesseurs n'avaient que le rang de "préfets apostoliques") ; celui-ci avait quitté le Togo<br />

fin mai 1914 pour aller recevoir la consécration épiscopale 51 Steyl (le 28 juin), mais n'a jamais<br />

pu rejoindre son poste du fait de la déclaration de la guerre.<br />

LÆ major Rew, administrateur du Togo sous occupation britannique de 1915 à 1919.<br />

15<br />

\


Dans la tradition historique du diocèse, on sait que c'est le cantique<br />

no 126 de notre Dzifomol qu'on chantait, celui qui se rapporte à Notre Dame<br />

des Sept-Douleurs, une dévotion qui s'était installée dès les débuts de la<br />

mission.<br />

- Q - En dehors de cet épisode particulièrement dramatique, et<br />

d'autres tristes, la cathédrale a connu aussi bien des<br />

évéïientents heureux ...<br />

Ah oui, il y a eu des événements heureux ! I1 y a eu l'arrivée du Père<br />

Reymann et du Père Riebstein2 en janvier 19183, qui a consolé un peu les<br />

chrétiens, puis surtout l'arrivée du Père Jean-Marie Cessou, qui sera consacré<br />

dans cette cathédrale évêque du siège apostolique de Lomé4. I1 était alors<br />

accompagné du supérieur général des Missions africaines de Lyon, le Père<br />

Chabert, et de plusieurs missionnaires qui venaient en bonne équipe<br />

remplacer tant bien que mal les missionnaires partis.<br />

Autres événements très heureux : la première messe du Père Dogli<br />

en juillet 1922, le sacre de Mgr Cessou -grand événement !- le 15 juillet<br />

1923 (j'étais à Aného). C'est un événement qui a ému, secoué, tout le pays.<br />

Mes parents5 ont fait partie du convoi d'Aného venu assister à ce sacre. Ils en<br />

ont parlé pendant longtemps ... C'était la première fois que nos chrétiens du<br />

Togo assistaient à une cérémonie de grande ampleur et de grande majesté.<br />

Mgr Steinmetz6 -une belle stature d'évêque (grande taille, majestueux, avec<br />

une belle barbe)- présidait, entouré de l'évêque de Lagos et d'un autre (ils<br />

étaient trois Co-consécrateurs). I1 y a eu l'ordination du Révérend Père<br />

Kwakumé le 23 septembre 1928, le premier prêtre togolais (le premier prêtre,<br />

le Père Dogli, quoique formé par les Pères allemands, était rattaché à la Gold<br />

Coast. Prêtre, il est resté dans le diocèse de Keta). Le premier de notre diocèse<br />

apostolique, c'est le Père Henri Kwakumé7. Son ordination, sa première<br />

messe ont été des événements très consolants pour la chrétienté. Il y a eu<br />

aussi la célébration du jubilé de Mgr Cessou, le 3 septembre 1933* : messe<br />

Le "Chentirz du ciel", livre de prières et de cantiques en langue éWé, dû principalement au<br />

RP Karl Stangier (missionnaire SVD au Togo de 1896 B 1918). Première édition : 1905, en<br />

Europe. la deuxième fut imprimie B Lomé, en 1916, par l'école professionnelle de la mission<br />

catholique.<br />

Voir en particulier <strong>Si</strong> Lomé m'était contée ..., tome I, dialogues no 1 et surtout 10.<br />

Après l'expulsion des derniers missionnaires allemands (les plus âgés) le 1Ojanvier 1918 : il<br />

n'y eut même pas de "passation de service". Les Pères Reymann et Riebstein, missionnaires<br />

SMA en Gold Coast, étaient d'origine alsacienne, ce qui leur permettait de comprendre la<br />

langue de leur nouvelles ouailles.<br />

Le 15 juillet 1923.<br />

fi Ils avaient été le premier couple marié à la mission catholique d'Aného.<br />

Vicaire apostolique du Dahomey. I1 était secondé de Mgr Broderick, de Lagos, et de -Mgr<br />

Temen, de Benin-city.<br />

Né en 1892, décédé en 1960.<br />

* Pour ses 25 ans de prêtrise.<br />

16


pontificale ici, avec homélie de Mgr Hermann (de Keta), et l'après-midi la<br />

pose de la première pierre de l'église d'Amoutivé. Ce jour, jlai eu l'honneur,<br />

j'ai eu le plaisir d'y être : mes parents m'avaient amené ici, à Lomé. Il y a eu<br />

les funérailles de Mgr Cessou le 4 mars 1945l, l'arrivée de son successeur,<br />

Mgr Strebler, le 11 décembre 1945 ... Il y a eu ici des visites de grands<br />

personnages, comme le cardinal Tisserand2, qui est*venu installer Mgr<br />

Strebler comme archevêque de Lomé (jusque là, il était vicaire apostolique ;<br />

en septembre 1955, Rome a proclamé le vicariat apostolique de Lomé<br />

archidiocèse, avec la hiérarchie normale3). C'est le cardinal Tisserand qui est<br />

venu faire cette installation du nouvel archevêque4.<br />

Il y a eu aussi la visite de divers délégués apostoliques. Permettez<br />

que je mentionne le passage dans cette cathédrale, plusieurs fois (deux ou<br />

trois fois), dans les années 1950, du fameux -désormais très fameux- Mgr<br />

Lefebvre5 : il était alors délégué apostolique à Dakar, et c'est lui qui avait la<br />

supervision des missions d'ici. J'ai plusieurs fois célébré la messe avec lui ici<br />

même, à l'autel de cette église. Je me souviens de cela en ces heures tristes,<br />

douloureuses ... Je peux exhiber des photos6 où j'étais avec lui dans certaines<br />

cérémonies, par exemple à la pose de la première pierre du temple "The<br />

Knights of Marshall": c'est lui qui a posé cette première pierre ...<br />

Autre événement important de cette cathédrale, le 10 juin 1962, le<br />

sacre de Son Excellence Mgr Dosseh. A cause de l'affluence, le sacre qui<br />

devait se faire ici, à la cathédrale, a eu lieu dans la cour, dans l'immense cour<br />

de l'église d'Amoutivé. Mais, conformément aux exigences liturgiques, dès le<br />

lendemain, le nouvel évêque a dû venir ici prendre possession de son "siège",<br />

la cathédrale : c'est ici, à la cathédrale, que se trouve son siège officiel. Je<br />

donne un exemple : le pape réside au Vatican, mais son église, son siège7, se<br />

trouve à Saint-Jean-de-Latran. Un nouveau pape, une fois proclamé, doit, le<br />

jour le plus proche après son intronisation et sa manifestation publique au<br />

peuple, aller à la basilique Saint-Jean-de-Latran prendre possession de son<br />

siège. C'est ainsi que Mgr Dosseh, sacré le dimanche, est venu ici le<br />

lendemain prendre possession de son siège. Un grand événement, qui a rempli<br />

l'église ici de toutes les autorités civiles et naturellement religieuses, toute la<br />

population, toutes les sommités de ce pays !<br />

.<br />

I1 a été ente& dans "son" église Saint-Augustin d'Amoutivé.<br />

Alors doyen du Sacré-collège, c'est-à-dire second personnage de l'kglise catholique.<br />

Sokodé devenant alors diocèse "suffrageant" de Lomé.<br />

Le 24 février 1956.<br />

II sera par la suite (jusqu'à sa port, en 1991) IC chef de file des catholiques intdgristes<br />

opposés B la modernisation de l'Eglise, au point de rompre avec Rome. Fidele à la piété<br />

traditionnelle de son enfance, le Père Gbikpi souffrait bcaucoup de ces conflits.<br />

Hélas perdues. Le cher Père Gbikpi avait une excellente mémoire, mais pas toujours<br />

beaucoup dlordre ...<br />

Dont le riam grec -"cathedre"- 8 donné le mot "cath&drde".<br />

17


I1 faut rappeler que, au temps colonial, l'église connaissait<br />

l'assistance régulière à la messe dominicale du gouverneur. Sa voiture venait<br />

en ligne droite du palais (vous savez : par cette rue du Maréchal-Foch qui<br />

aboutit à la porte du palais du gouverneur). On savait que, le dimanche, à<br />

8 heures moins 5, on devait prendre toutes les dispositions : la voiture du<br />

gouverneur arrivait (du moins les gouverneurs qui étaient chrétiens...). C'était<br />

une chose de piété, mais aussi un peu protocolaire : presque tous les<br />

gouverneurs venaient ici à la messe le dimanche, à 8 heures du matin.<br />

Vous voyez c ode cette cathédrale a bien été au coeur de la vitalité<br />

religieuse et sociale du pays ...<br />

Notre ami Mgr Gbikpi, mémoire vivante et conscience<br />

morale de l'Église à Lomé, n'est maintenant plus des nôtres<br />

pour continuer à nous la raconter.<br />

Quant à la cathédrale, elle s'est terriblement dégradée<br />

au début des années 1990, au point qu'il a fallu la fermer au<br />

public, car la voûte laissait tomber des plaques de plâtre de<br />

plusieurs mètres carrés ... On s'est alors aperçu qu'elle avait,<br />

en fait, été construite de façon extrêmement légère : les murs<br />

de briques, les colonnes et les voûtes en bois de sapin sous<br />

un enduit de plâtre ... C'est déjà merveilleux qu'elle ait tenu<br />

ainsi pendant 90 ans ! Mais sa réfection est maintenant en<br />

chantier, pour la sauver, pour la rebâtir avec des techniques<br />

modernes1 qui, sans rien lui enlever de son caractère et de son<br />

charme, vont lui donner une nouvelle jeunesse pour affronter<br />

les siècles à venir.<br />

Armature en acier inoxydable pour les colonnes et les voûtes, qui seront recouvertes d'un<br />

plâtre capable de résister au temps. Les vitraux sont en cours de réparation en Pologne. Les<br />

travaux, sous la conduite bénévole gun architecte allemand, M. Stephan Frank, sont financés<br />

par l'archidiockse de Lomé, par l'Eglise catholique allemande et surtout par la République<br />

fédérale d'Allemagne, ainsi que par des dons des fidkles.


no 2<br />

LA MUSIQUE RELIGIEUSE<br />

avec<br />

le RP Jean GBIJWI-BÉNISSAN<br />

M. David. Kuessan ANANOU<br />

(né en 1917 àLomé)<br />

instituteur en retraite<br />

M. Aboki ESSIEN<br />

(né en 1917 à Kouénou, préfecture de Vo)<br />

directeur de la chorale "Christian Choir" de Lomé,<br />

président de la "Loyal Orange Associationtg1<br />

M. Michel Ohundété KETOWU<br />

(né en 1940 à Avété, préfecture de I'Ogou)<br />

conseiller pédagogique à la Direction<br />

de l'Enseignement catholique à Lomé<br />

Après notre description de la cathédrale, ROUS restons<br />

installés Ci la -tribune de la cathédrale du Sacré-Coeur pour<br />

parler de la musique religieuse Ci Lomé, et en particulier de<br />

ces chorales, qui sont quelque chose qui singularise nettement<br />

la vie de cette ville.<br />

Nous sommes avec une vieille connaissance, M.<br />

Ananou, avec qui nous avons déjà parlé de littérature et de<br />

peinture2 et qui a aussi un troisième talent, celui d'être<br />

musicien : il dirige la chorale "Saint Christophe" de la<br />

cathédrale. M. Michel Ketowu, dirige, lui deux chorales :<br />

"Saint-Casimir" de Tokoin et "Sainte-Cécile " de la cathédrale,<br />

tout en étant, comme professeur, conseiller pédagogique Ci la<br />

Direction de l'Enseignement catholique à Lomé. M. Aboki<br />

Essien, quant à lui, est choriste et chef de la chorale<br />

"Christian Choir" de la mission protestante de Lo"?<br />

- Q - Une première question, M. Ananou : combien y a-t-il de<br />

* Fratenit6 religieuse protestante mondiale (M. Essien est le premier Africain 21 occuper ce<br />

poste)..<br />

' Voir <strong>Si</strong> hmé m'était contée ..., tome II, dialogue no 13.<br />

19


chorales à Lomé?<br />

- A la cathédrale, nous avons cinq grandes chorales pour les adultes<br />

et deux pour les jeunes. Dans tout Lomé, il y a trente-trois chorales<br />

catholiques.<br />

- Q - Et combien de chorales protestantes, M. Essien ?<br />

- Nous avons une douzaine de paroisses à Lomé, et chaque paroisse<br />

est dotée de plusieurs chorales. Alors on peut avoir une quarantaine de<br />

chorales dans les églises évangéliquesl de Lomé.<br />

- Q - Selon vous, quelles sont les plus anciennes ?<br />

- Moi, je suis de la paroisse principale d'Apéganmé2 ; je peux<br />

seulement parler de cette paroisse. Nous y avons "Christian Choir",<br />

"Hadzihagan" et "Unity Choir". Notre chorale a été créée en 1907. Je crois<br />

que "Hadzihagan" a été créée en 1914, et "Unity Choir" plus tard. La plus<br />

vieille chorale de la paroisse dApéganmé, c'est bien "Christian Choir".<br />

- Q - Quel fut le premier organiste de la paroisse Apéganmé ?<br />

- Je crois, pour parler des années 1930, qu'il y avait d'abord un<br />

Camerounais, Monsieur Ernest Banda;: qui fut le directeur. Après lui, c'était<br />

moi. Mais avant Banda, il y a eu Monsieur Kadzékpo, Monsieur Acolatsé et<br />

Monsieur Köhl.<br />

- Q - Ce Camerounais était-il un employé de l'Église<br />

protestante ?<br />

- Non. Monsieur Banda était un fonctionnaire de l'administration<br />

coloniale française au Togo en ce temps-là. Les tout premiers dirigeants que,<br />

moi, j'ai connus pour "Hadzihagan", c'était papa Noa Kossivi, Fiawoo,<br />

Maître Moorhouse et Agbénou-père. Maintenant, c'est Agbénou-fils qui<br />

dirige la chorale.<br />

- Q - M. Agbénou-père, qui fut l'un des catéchistes<br />

d'Apéganmé ?<br />

- Oui.<br />

1 On precise aujourd'hui : presbytériennes.<br />

2 Mot-à-mot : la Grande Maison. §on temple, rue du Commerce, a éte construit en 1906-07.<br />

Sur l'histoire de l'Église évangélique B Lomé, voir <strong>Si</strong> Lomé mztait contée ..., tome I, dialogue<br />

no 15.<br />

20


- Q - Mais qui fut exactement le tout premier ?<br />

- Monsieur Noa, qui était magasinier à la UAC. Je ne peux pas dire<br />

exactement si c'était Noa qui a commencé avec la chorale "Hadzihagan", mais<br />

j'ai connu "Hadzihagan!' avec.papa Noa. "Unity Choir" a débuté avec Maître<br />

Moorhouse, qui était aidé de Monsieur Fiassé et de Monsieur Gaspard<br />

Nudékorl, maintenant décédé. Maintenant, c'est Monsieur Anthony qui dirige<br />

la chorale.<br />

- Q - Maître Moorhouse Apédo-Amah2 fut donc de la chorale<br />

"Hadzihagan I' avant de diriger "Unity Choir" ?<br />

- Exactement, c'est ça !<br />

- Q 7'A utrefois, y avait-il a.ussi des chorales profanes ? De<br />

nos jours, il y a celle de l'Université (qui est tout h fait<br />

remarquable). En connaissiez-vous d'autres, M. Ananou ?<br />

- I1 y en a quelques unes comme ça. I1 y a quelques chorales<br />

profanes ou, si vous voulez encore, oecuméniques, qui recrutent des gens de<br />

toutes les religions. Oui, I1 y en a comme ça dans Lomé.<br />

- Q - Mais qui chantent quand même des airs religieux ?<br />

- Oui, oui.<br />

- Q - Alors que la chorale de l'Université, elle, chante<br />

essentiellement des musiques profanes.<br />

- Oui, oui ... Ils chantent très, très bien !<br />

- Q - Cette multiplicité et cette qualité de chorales Ci Lomé (et<br />

ailleurs au Togo, bien sûr) est quelques chose d'assez rare en<br />

Afrique. D'où, vient, selon vous, cette prolifération des<br />

chorales ?<br />

- Les Togolais aiment beaucoup la musique, et, chaque fois qu'il y a<br />

une manifestation où une chorale doit chanter, c'est toujours avec grand<br />

intérêt que les gens y viennent.<br />

- Q - Dans la musique africaine traditionnelle telle qu'on la<br />

lPar ailleurs l'un des meilleurs tailleurs de la ville. Voir <strong>Si</strong> Lomé. .., tome II, didogue no 18.<br />

21nstituteur et musicien célèbre, frère de l'homme politique Georges ApBdo-Amah. Voir en<br />

particulier <strong>Si</strong> Lomé..., tome I, dialogue no 6.<br />

21


connaît au Togo, existe-t-il des effets de chorales, c'est-à-dire<br />

l'habitude de chanter à plusieurs voix en polyphonie ?<br />

- Avec le tam-tam, on chante généralement à l'unisson. Mais il y a<br />

des régions où l'on chante à deux voix : chez les Kotokoli, à Sokodé, par<br />

exemple. Eux, ils réussissent à chanter à deux voix, alors que, dans le Sud,<br />

pour les tam-tams, on chante à l'unisson.<br />

- Q - Donc la chorale est un apport nouveau. D'où est-il<br />

venu ?<br />

- C'est venu des premiers missionnaires, qui ont entraîné les<br />

chrétiens à chanter à deux, à trois, à quatre voix.<br />

- Q - Missionnaires protestants, missionnaires catholiques, ou<br />

les deux ensemble ?<br />

- Oui, oui. C'est ça. Dès le temps des Allemands, il a existé des<br />

chorales polyphoniques au Togo.<br />

- Q -. Qui chantaieltt en quelle langue ?<br />

- Ils chantaient soit en latin, soit en éWé.<br />

- Q - Est-ce que vous avez gardé le souvenir de ces premiers<br />

cantiques et de leurs auteurs ?<br />

- Les cantiques ont été officialisés et mis par écrit dans un livre de<br />

cantiques que nous appelons ''Dzifomoffl. A partir de cela, il y a des gens qui<br />

réussissent à composer des chants pour les offices et pour les cérémonies de<br />

mariages, de funérailles, etc. La toute première chorale de la cathédrale (la<br />

cathédrale étant l'église-mère du Togo), c'est la chorale "Saint-Grégoire", qui<br />

I<br />

existe encore jusqu'aujourd'hui.<br />

- Q - Père Gbikpi, pouvez-vous situer le moment où l'on ne<br />

s'est plus contenté de reproduire des cantiques écrits par des<br />

missionnaires éhangers, mais où l'on s'est mis à composer,<br />

au Togo, des musiques nouvelles ?<br />

- Dans le récit de l'inauguration de cette cathédrale, en 1902, on<br />

mentionne les exploits des chorales, d'abord folkloriques, qui sont allées<br />

rencontrer Mgr Albert à la frontière, avec des fanfares ; e! puis, le jour de<br />

l'inauguration, ça a été une belle exhibition des chorales formées par les<br />

lVoir dialogue pr6cUant, page 16, note 1.<br />

22


premiers missionnaires. Il paraît que ça a été extraordinaire : c'était la<br />

première fois que la Mission, la jeune chrétienté de Lomé, s'exhibait, non pas<br />

seulement avec sa belle cathédrale, mais aussi avec la musique de ses voix<br />

angéliques.<br />

- Q - A quelle frontière .avait-on accueilli Mgr Albert ?<br />

- A la frontière d'Aflao : il venait de Cape Coast pour inaugurer,<br />

pour bénir, pour consacrer l'église qui deviendra plus tard la cathédrale, la<br />

première grande église de Lomé. C'était pour la première fois qu'un évêque<br />

catholique venait au Togo, et il a été reçu avec enthousiasme et faste. Les<br />

fanfares et les chorales ont donné à pleine voix. D-ans les chroniques, ça a été<br />

remarqué ...<br />

- Q - Les fanfares ont une histoire distincte de celle des<br />

chorales, n'est-ce pas ?<br />

- Au moment des Français, la fanfare catholique a été monopolisée<br />

par l'école professionnelle, pour cette raison que les ouvriers pouvaient être<br />

réunis facilement par les frères. I1 y avait une grande discipline dans la<br />

maison, qui disciplinait aussi le groupe des fanfares. Mais avant, du temps<br />

des pères allemands, il y avait déjà une fanfare de la mission, qui s'est ensuite<br />

dispersée avec le départ des pères. Pendant longtemps, moi, j'ai encore connu<br />

des membres de cette fanfare. I1 y en avait un résidu, un reste, qui a duré<br />

longtemps : 1922, 23, 24, 25 ... Dans ma prime jeunesse, je voyais cette<br />

fanfare célèbre, qui venait de Lomé à Aného pour les grandes fêtes, patronales<br />

ou autres. .. C'était la première fois que je voyais le déploiement des fanfares,<br />

,et de grandes dimensions ! Avec aussi des instruments de grande dimension !<br />

Je me souviens bien qu'ils faisaient effort pour nous éblouir, pas seulement<br />

par la splendeur de leurs voix, mais aussi par l'éclat, le brillant des<br />

instruments.. .<br />

- Q - Qui en était le chef d'orchestre ?<br />

- Monsieur Pablo Kunkel. On avait plaisir à entendre la fanfare<br />

jouer, mais aussi un très grand plaisir encore à voir cet homme s'agiter, avec<br />

une grande dextérité. On voyait bien qu'il était un virtuose, et que les sons<br />

passaient par ses nerfs ...<br />

- Q - Il dirigeait seulement, ou bien il jouait aussi ?<br />

- I1 dirigeait seulement, il ne jouait pas d'instrument. Mais, quand il<br />

battait la mesure, on sentait dans ses nerfs, dans ses gestes, toutes les<br />

sinuosités de la musique qui passaient par là. Et malheur à qui s'élevait<br />

23


trop ... I1 savait d'un geste interrompre une escapade de voix ou de fanfare !<br />

Toutes les paroisses avaient des chorales, mais il n'y avait pas des<br />

fanfares partout. C'est peu à peu que les paroisses se sont organisées avec des<br />

fanfares. Celle qui, du temps des pères français, avait le mieux réussi, c'était<br />

la fanfare de l'école professionnelle. Mais après, elle s'est dispersée, et,<br />

maintenant, ce sont les congrégations qui ont pris la relève : å présent chaque<br />

congrégation a sa fanfare, d'où cette émulation culturelle.<br />

- Q - De même entre les chorales ?<br />

- Une belle émulation aussi entre les chorales, oui ! Dans chaque<br />

paroisse, il y a cinq ou six chorales. A certaines époques, ça a failli provoquer<br />

une certaine concurrence, désagréable. Mais à présent, la piété et la dévotion<br />

chrétiennes les informant, c'est une émulation qui les pousse à se dépasser.<br />

- Q - Quels ont été les premiers Togolais Ci composer des<br />

musiques (religieuses ou profanes) pour les chorales et pour<br />

les fanfares ?<br />

- Il me souvient d'avoir entendu de la musique, des chansons de jeux<br />

ou de récréation composées et traduites en éWé ou en mina par mes oncles;<br />

maîtres d'école et catéchistes å Aného. J'ai su plus tard que c'étaient des<br />

chansons de recueils allemands qu'ils avaient traduites en mina, fort<br />

agréablement. Ils ont pris le thème de la musique allemande, qu'ils ont<br />

adapté, surtout pour les rencontres de récréation et d'animation des<br />

associations d'anciens maîtres-catéchistes. Les pères allemands ont formé<br />

leurs catéchistes dans la connaissance de la religion, mais aussi, en même<br />

temps, de la musique. Le maître-catéchiste devait être en même temps le<br />

maître des chants, le maître de chorales plus ou moins perfectionnées.<br />

- Q - Et vous, M. Ketowu, qu'en pensez-vous ?<br />

- Nous parlerons ici des musiciens professionnels. Vous savez,<br />

l'école normale allemande de Gli-Bla (aujourd'hui au Ghana) a formé des<br />

musiciens, dont le père de notre archevêque, qui s'appelait Casimir Dosseh-<br />

Anyron. I1 y a eu, panpi tant d'autres, Monsieur Placca, le Révérend Père<br />

Kwakumé, Monsieur Kunkel, tous de regrettée mémoire ... Ceux-là, à leur<br />

tour, ont eux aussi formé drautres musiciens, dont Monsieur Gordon, qui a<br />

tenu les premières orgues ici, å la cathédrale, après avoir fait deux ans d'études<br />

en Allemagne. I1 y a eu ensuite Monsieur Lawson Dionis, encore vivant, l'un<br />

des fondateurs des chorales Saint-Grégoire et Sainte-Cécile de la cathédrale.<br />

L'actuel maître de chapelle de la cathédrale de Lomé, le professeur Alex<br />

24


Dosseh-Anyronl, a été d'abord initié par son papa ; il est ensuite passé par<br />

l'école normale de Togoville2, avant d'aller faire huit ans à l'école César-<br />

Franck en France ; il a appris le piano, l'orgue, l'harmonie. II a été professeur<br />

de musique au lycée de Tokoin ; il a fait des compositions musicales ...<br />

Monsieur Ferdinand Ocloo, qui est actuellement malade, a fait cinq ans<br />

d'études chez le facteur d'orgues Johannes Klais, à Bonn, en Allemagne, celui<br />

qui nous a fabriqué ces orgues "Saint-Esprit", ici présentes. Monsieur Ocloo<br />

a aussi fait des études en harmonies ; il est compositeur de morceaux<br />

religieux et de chansons populaires. En passant en revue les anciens<br />

musiciens, il faut aussi faire mémoire des feux Amadou Edouard et Daboni<br />

Ernest, qui ont travaillé essentiellement dans la Région des Plateaux, à<br />

Atakpamé.<br />

Tous ces musiciens ont eu des élèves qu'ils ont formés à leur tour.<br />

Pour parler aussi de certains de nos confrères protestants, nous avons déjà cité<br />

Maître Moorhouse, qui a fait aussi des stages de musique en France,<br />

Monsieur Kodjo, l'actuel professeur de musique du Collège protestant, et<br />

Monsieur Santos Pedro3, qui a été professeur au Conservatoire de Dakar.<br />

Pour les oeuvres, la plupart ont fait des oeuvres, des cantates ...<br />

Maître Dosseh a écrit des suites pour orchestre symphonique, des trio pour<br />

piano, violon et alto, et puis des oeuvres de musique religieuse, des motets ...<br />

Monsieur Ocloo a aussi écrit beaucoup de motets.<br />

- Q - Ces oeuvres sont-elles jouées actuelleinent ?<br />

- Mais oui, ces oeuvres sont jouées et interprétées par des chorales<br />

ou en musiques instrumentales, surtout par les fanfares, comme l'ancienne<br />

fanfare fondée à la cathédrale par Monsieur Kunkel.<br />

- Q - M. Essien, vous avez été l'un des promoteurs de la<br />

cantate4 à Lomé ?<br />

- Ouí ! Mais le premier, c'était feu Moorhouse Apédo-Amah. Après<br />

lui, c'était moi. Avec la chorale "Christian Choir", nous avons monté Le Roi<br />

Salomon5, qui a connu un succès formidable. Et puis, après cela, il y a eu<br />

d'autres présentations. Pas des cantates, mais de théâtre, parce que "cantate"<br />

'Frère de l'archevêque Robert Dosseh. On sait que les deux frères sont les auteurs de l'hymne<br />

national togolais "Terre de nos ai'eu'', Alex pour la musique, Robert pour les paroles.<br />

2Créée en 1927 comme école de catéchistes. Actuellement collège Saint-Augustin, confié h<br />

des fr&res des Ecoles chrétiennes espagnols<br />

3Longtemps professeur de musique du 1ycée.français de Lomé. Frère cadet de l'avocat et<br />

homme politique Me Anani Santos.<br />

Voir ci-dessous, dialogue no 19.<br />

Voir photo p. 304.


veut dire chanté.<br />

- Q - D'où vient ce mot ?<br />

- Je crois que c'est du latin. La cantate, généralement, ce sont des<br />

choses qui sont tirées de sujets religieux : ce sont des poèmes chantés sur des<br />

sujets bibliques, accompagnés de musique et de danses. Pour moi, Salomon<br />

vient démontrer strictement le jugement de Salomon, sa sagesse ... Il y avait<br />

la visite de la Reine de Saba chez Salomon, etc.<br />

- Q - Revenons, s'il vous plaît, Ci Maître Apédoh-Amah. D'où<br />

lui est venue cette idée de présenter des cantates ?<br />

- Je crois que c'était une chorale de l'Église évangélique de Keta qui<br />

avait fait une représentation ici, et Maître Apédo-Amah aurait été inspiré de<br />

cette représentation-là, et puis il a monté sa cantate ...<br />

Après la cantate Salomon, nous avons monté une autre scène que<br />

nous appelions Apollo, qui a connu beaucoup de succès également. Je me<br />

prépare maintenant pour en faire une représentation avant la fin de l'année.<br />

- Q - Pourquoi ce sujet vous tient-il tant à coeur ?<br />

- Ce nom d'Apollo, je l'ai inventé bien avant la naissance du<br />

vaisseau spatial Apollo ! Je l'avais en mémoire depuis mon enfance, et puis<br />

quand j'ai monté cette scène, je l'ai appliqué au premier acteur. La femme<br />

d'Apollo, c'est Apollonia. C'était en 1959. Mais notre première cantate<br />

proprement dite remonte à 1951.<br />

- Q - M. Ananou, savez-vous s'il y a. des travaux de<br />

composition qui essaient d'utiliser les rythmes de la musique<br />

populaire traditionnelle pour l'intégrer dans une musique<br />

moderne ?<br />

- Nous savons que dans,la région centrale du Togo, dans le Kloto<br />

particulièrement, il y a des compositeurs qui réussissent à sortir de très jolis<br />

morceaux adaptés de la musique locale, et qui ont beaucoup de succès. Dans<br />

le Kloto, dans I'Akpossb, dans I'Ogou, on rencontre des compositeurs<br />

éminents, vraiment éminents, qui nous sortent des choses très, très jolies.<br />

- Q - Surtout en musiques religieuses ?<br />

- Surtout en musiques religieuses, oui, mais aussi en musiques<br />

profanes. Pour les manifestations profanes, ils ont des chansons très<br />

26


harmonisées, qu'ils prksentent dans les compétitions.<br />

- Q - Les chorales ne chantent donc pas que dans les églises ?<br />

- Les chorales animent les veillées funèbres, les mariages, les fêtes<br />

populaires, etc. Les chorales n'ont pas seulement à chanter à l'église. Tout en<br />

apprenant les chansons à exécuter à l'église, elles apprennent également des<br />

chansons profanes pour les manifestations 'en dehors de l'église.<br />

- -Q - Autrejois, la messe solennelle était chantée tout en<br />

latin. Est-ce que les grandes chorales de Lomé, comme Saint-<br />

Grégoire Ci la cathédrale, chantaient en latin, M. Ketowu ?<br />

- Bien sûr ! En latin et en éWé : les cantiques étaient surtout<br />

composés en latín. Le Kyrie?, le Gloria, le Credo, le Sanctus et l'Agnus Dei<br />

sont exclusivement en latin. On interprète aussi des cantiques en latin comme<br />

les cantates. Et ensuite on peut chanter des airs profanes traduits du Dzìfumu,<br />

et même en français également.<br />

- Q - Faites-vous des essais pour introduire dans vos musiques<br />

des éléments nouveaux -du tam-tam traditionnel ou de la<br />

guitare moderne, par exemple-, pour avoir donc une musique<br />

qui continue à évoluer?<br />

- Oui ! A Atakpamé (i'ai fait longtemps dans le diocèse<br />

d'Atakpamé), le Père Obympé (de regrettée mémoire) est à l'origine d'une<br />

composition qu'il appelait "tam-tam liturgique". Il a composé des messes<br />

sous des formes un peu grégoriennes mais adaptées au folklore du pays, en<br />

éWé, et qu'on pouvait accompagner de tam-tams.<br />

- Q - Et dans l'Église évangélique, M. Essien ?<br />

- Nous, nous avons commencé à utiliser les gon-gons, les tam-tams<br />

africains, avec les chants depuis 1948. Quand j'ai repris la chorale comme<br />

directeur, nous avons utilisé des instruments de musique africains. Vous<br />

connaissez les psaumes : ce sont des poèmes religieux qui ont été composés<br />

pour être accompagnés de musique. Alors, c'est un moyen qui nous permet de<br />

promouvoir notre système d'adoration.<br />

- Q - Est-ce que votre public a vite reçu le message que vous<br />

aviez introduit à travers ces gon-gons et ces tam-tams ?<br />

- Bien sûr ! C'est pourquoi c'est devenu maintenant un système<br />

général en ville, et partout dans le Togo. Parce que l'Africain ne peut pas<br />

chanter sans instruments de musique ... Il ne peut pas chanter sans danser ...<br />

27


Alors chanter avec l'introduction d'instruments de musique, ça donne plus de<br />

plaisir aux gens.<br />

- Q - D'où vous était venue cette idée d'introduire tam-tams et<br />

gon-gons dans vos chorales ?<br />

- J'étais à l'école à Keta, et le pasteur chargé de la paroisse<br />

évangélique de Keta, le pasteur Ayikoutou, jouait des pièces religieuses et<br />

nous l'accompagnions avec des instruments de musique, des instruments<br />

africains. Là, jlai déjà "piqué" l'idée : ça m'a beaucoup intéressé et je l'ai<br />

introduite dans ma chorale depuis 1948.<br />

*<br />

* *<br />

- Q - A la tribune de la cathédrale oÙ nous nous trouvons, se<br />

dresse un superbe instrument : l'orgue. Depuis quand est-il<br />

installe' ici, M. Ketowu ?<br />

- I1 a été inauguré ici le 14 janvier 1966l. Ce sont des orgues<br />

"Saint-Esprit", avec trois claviers et un pédalier pour un ensemble de 36 jeux,<br />

totalisant 232 tuyaux en bois d'acajou, 108 tuyaux en cuivre et 2 232 tuyaux<br />

en zinc, soit 2 572 tuyaux au total.<br />

- Q - Chaque tuyau correspondant bien sûr à une note...<br />

- En effet. Ces grandes orgues "Saint-Esprit" de la cathédrale de<br />

Lomé, dû à la maison Klais, de Bonn, sont les plus belles de l'Afrique<br />

occidentale. L'orgue de la cathkdrale d'Accra, au Ghana, n'a actuellement que<br />

25 jeux sur les 35 prévus. Nous en exprimons ici notre profonde gratitude à<br />

notre vénéré père (de regrettée mémoire) Son-Éminence le Cardinal Döpfner,<br />

archevêque de Munich, qui nous a offert ces orgues comme cadeaux pour le<br />

sacre de notre archevêque Mgr Robert Dosseh-Anyron2.<br />

- Q - Conibien a-t-il fallu de temps pour l'installer, .M.<br />

Ananou ?<br />

- Il a fallu plus d'un an ! A l'origine, la tribune était plus haute que<br />

celle-ci, où nous sommes. On a dû casser cette première tribune pour la<br />

Avec un récital donné par le chanoine suisse Georges Athanasiadhs (par ailleurs connu pour<br />

sa traduction en français de l'Histoire de I'Eglise catholique au Togo du RP Müller, publiée en<br />

1968 par la Librairie du Bon Pasteur à Lomé).<br />

Sacré archevêque par le cardinal Döpfner en juin 1962, mais il a fallu le temps de construire<br />

et mettre en place un instrument si complexe.<br />

28


- 4 - Couverture de l'invitation à l'inauguration de l'orgue<br />

de la cathédrale de Lomé.<br />

Collection particulière.<br />

29


abaisser, compte tenu de la taille du nouvel orgue, et ça a pris du temps ...<br />

- Q - Y a-t-il Ci Lomé beaucoup de gens capables de jouer sur<br />

cet orgue ?<br />

- En principe, un grand orgue comme celu'i-ci n'est pas mis à la<br />

disposition de tous les joueurs. I1 y a un responsable qui détient les clefs de<br />

l'orgue. Pour les autres organistes, nous avons des harmoniums, de petites<br />

orgues plus modestes. Mais ces grandes orgues, dont la réparation revient très<br />

cher à notre archidiocèse, ne sont pas mises à la disposition de n'importe<br />

qui ...<br />

Q - Quelle est la valeur d'un orgue de cette taille ?<br />

- Actuellement on estime que cet orgue coûterait 160 millions !<br />

Vous voyez, c'est énorme. On n'en trouve de semblables qu'à Accra, et qui<br />

n'ont pas cette valeur ... Une simple réparation nous a récemment coûté un<br />

million de francs : les réparateurs et le matériel viennent d'Europe, à nos<br />

frais. Le travail revient très, très cher. Donc c'est un instrument dont il faut<br />

prendre grand soin.<br />

- Q - Et quel en est le titulaire actuel ?<br />

- Le titulaire actuel, c'est d'abord Maître Dosseh, le maître de<br />

chapelle, puis Monsieur Ketowu, ici à côté de nous, et Monsieur<br />

Gbadegbégnon Etienne, et puis le jeune Kpotogbey, le neveu de Maître<br />

Dosseh, qui joue déjà fort bien, alors qu'il n'a que 15 ans. C'est déjà un<br />

brillant musicien.<br />

- Q - Puisque ce dernier est venu nous rejoindre Ci cette<br />

tribune, aurait-il la gentillesse de nous interpréter quelque<br />

chose pour conclure cette émission ?<br />

Sous les doigts agiles du jeune Hervé Kpotogbey, les<br />

voûtes de la vieille cathédrale se mirent alors B résonner de la<br />

célèbre "toccata et fugue en ré" de Jean-Sébastien Bach. Mais<br />

cela, seule la radio pouvait le faire partager à ses auditeurs.<br />

30


no 3<br />

LES TAXIS<br />

(au siège de TUSYNDICTO)<br />

avec<br />

M. Yawovi GLÈ<br />

(né en 1938 à Nyivé, préfecture du Kloto,<br />

décédé le 21 février 1993 à Nyivé)<br />

secrétaire général de 1'USYNDICTO<br />

et MM.<br />

Adotévi AKUE<br />

(né en 1939 à Aného, préfecture des Lacs)<br />

Amouzou ASSOGBA<br />

(né en 1936 à Lomé)<br />

Mensan DOGBEY<br />

(né en 1922 à Aného, préfecture des Lacs)<br />

Émile Kotokoli TÉTÉ<br />

(né en 1903 à Bè-Hedjé, Lomé)<br />

Une profession très importante dans la ville de Lomé,<br />

dans sa vie quotidienne : les conducteurs de taxi. Nous<br />

sommes à I'USYNDICT'O, le Syndicat des conducteurs routiers<br />

du Togo, qui regroupe les membres de cette profession. Nous<br />

avons avec nous M. Yawovi Glè, qui est le secrétaire général<br />

de I'USYNDICTO, M. Amouzou Assogba, délégué de la<br />

station de Gbadago et ancien chauffeur, M. Adotévi Akué,<br />

membre du bureau exécutif et secrétaire à l'Organisation, M.<br />

Mensan Dogbey, qui a 66 ans et un permis de conduire qui<br />

remonte à 1948, vice-doyen de laprofession (parmi ceux qui<br />

sont encore en exercice actuellement), enfin M. Kotokoli<br />

Tété, qui est âgé aujourd'hui de 85 ans et qui a eu son permis<br />

de conduire en 1927 ; il a conduit jusqu'en 1987 : soixante<br />

ans au volant, non seulement à Lomé, mais aussi sur les<br />

routes du pays, car, évidemment, il n'y avait pas de chauffeurs<br />

de taxi dans les années où il a commencé Ci travailler. Il nous<br />

31


acontera ça. Est également à not côtés Mlle Garcia-Auriol,<br />

une étudiante franFaise en urbanisme qui fait actuellement un<br />

stage de recherche à I'ORSTOM sur, justement, le problème<br />

des taxis à Loiné.<br />

- Q - M. Tété, vous' êtes sans doute l'un des premiers<br />

Togolais à avoir eu le permis de conduire. Pouvez-vous nous<br />

raconter tout d'abord comment on passait le permis en 1927 ?<br />

Comment cela fonctionnait-il à l'époque ?<br />

- A l'époque oÙ j'ai passé mon permis de conduire, c'étaie,nt des<br />

Blancs qui nous faisaient passer notre examen, à l'emplacement de l'actuel<br />

Monument aux Morts1, au niveau du Petit-marché, notre Assivirné. Nous<br />

étions douze personnes, et j'ai été le premier des trois candidats admis ce jour-<br />

là.<br />

- Q - Y avait-il d.@à beaucoup de Togolais qui avaient eu leurs<br />

permis de conduire ?<br />

- Ah oui ! On avait commencé à faire passer l'examen du permis de<br />

conduire bien avant nous. Moi, j'avais le no 80 sur mon permis : il y avait<br />

donc déjà 79 personnes qui l'avaient passé avec succès avant moi.<br />

- Q - Mais les 79 autres n'étaieitt peut-être pas tous des<br />

Togolais ? Vous rappelez-vous de chauffeurs togolais plus<br />

âgés que vous ?<br />

- Dossou Massiguédé, qui est le doyen des chauffeurs, Kalatchi,<br />

Kokossou, Woussikpè, Modenou, Afawoubo ...<br />

- Q - Quelles étaient alors les épreuves du permis de conduire?<br />

Qu'est-ce qu'oit vous faisait faire ?<br />

- I1 fallait contourner une clôture, puis effectuer une marche arrière<br />

huit fois autour de cette clôture. <strong>Si</strong> vous n'aviez rien accroché, alors vous<br />

étiez admis ...<br />

- Q - Sans épreuve de code ?<br />

- I1 n'y avait pas d'bpreuve de code en ce temps-18. On prgférait voir<br />

si, réellement, le conducteur était habile à conduire son véhicule, puisque,<br />

quand on allait å l'examen, on amenait son propre véhicule ; ou alors, au<br />

I Construit en 1956. au milieu de la place située entre la gare et l'actuel ministère des Affaires<br />

étrangères.<br />

32


moins, il y avait un véhicule qu'on devait conduire devant l'examinateur.<br />

- Q - Donc il suffisait de faire en marche arrière huit fois le<br />

tour de la place devant la gare. Mais peut-être qu'on était très<br />

mauvais en marche avant... ? (Rires)<br />

- <strong>Si</strong> un conducteur arrivait à faire la marche arrière huit fois sans rien<br />

heurter, vous devez savoir qu'en marche avant, il était déjà habile. Pour la<br />

marche avant, on n'y donnait pas d'importance : on comptait sur la marche<br />

dere.<br />

- Q - OÙ aviez-vous appris ri conduire, avec qui et quel genre<br />

de véhicule ?<br />

- Mon patron s'appelait Carti. C'est chez lui que j'ai appris à<br />

conduire. I1 conduisait un véhicule Ford : un camion de transport en<br />

commun, et l'on voyageait un peu partout.<br />

- Q - Avez-vous passé votre permis avec un camion ?<br />

- Oui, j'ai passé mon permis avec un camion de marque Ford, qui<br />

avait une charge utile de trois tonnes.<br />

. - Q - Effectivement, une marche arrière avec un camion, c'est<br />

beaucoup plus compliqué qu'avec une voiture ... En 1927,<br />

qu'est-ce qu'un jeune homme de 24 ans qui a un permis de<br />

conduire peut faire pour gagner sa vie ? Qui peut<br />

l'embaucher ?<br />

- En ce temps-là, à l'âge de 24 ans, avec un permis de conduire, on<br />

vous accueillait un peu partout à bras ouverts, parce que vous saviez<br />

conduire ! Avec votre certificat là-dessus, vous étiez embauché tout de suite<br />

par des maisons de commerce, ou alors par des particuliers, pour le transport.<br />

- Q - Vous-même, qui vous a embauché ?<br />

- C'est la UAC'. Puis, après dix ans, j'ai quitté Ia UAC pour<br />

m'intégrer aux transpdrteurs particuliers.<br />

United Africa Company. Principale firme commerciale britannique au Togo et dans de<br />

nonibreux pays d'Afrique (sous divers noms). Voir ci-dessous didogue no 10.<br />

33


- UAC, Swanzy, c'était la même chose !<br />

- Q - A quoi vous employait-on ? A quel genre de transport<br />

étiez-vous affecté ?<br />

- En partant d'ici, on nous chargeait des 'produits en provenance<br />

d'Europe (des pagnes, du tabac, diverses denrkes) pour aller à Kpalimé, à<br />

Atakpamé, à Sokodé, jusqu'au-delà ... Au retour, nous chargions du café, du<br />

cacao et du karité, un peu partout, pour l'exportation.<br />

- Q - Quel était l'état des grandes routes à l'époque ?<br />

Comment est-ce que l'on circulait ?<br />

- Dans ces temps anciens, il n'y avait pas des routes bitumées, mais<br />

des routes boueuses, avec des barrages un peu partout : quand il pleuvait, il y<br />

avait des "barrières de pluie", où nous dormions pendant les heures des pluies,<br />

parce qu'il .y avait des contrôleurs qui y veillaient.<br />

- Q - C'étaient des barrières que l'on établissait pour protéger<br />

les routes en terre : quand il avait plu, on empêchait les<br />

camions de passer, car ils auraient défoncé le faible<br />

revêtement de latérite. M. Tété, vous avez donc quitté la UAC<br />

en 1937. Qu'avez-vous fait Ci ce moment-là ?<br />

- Après dix ans à la UAC, j'avais constaté que je ne gagnais pas<br />

assez ; alors j'ai préféré rejoindre les particuliers. Alors là, on m'avait remis<br />

un camion de transport en commun, avec lequel je transportais des clients,<br />

des passagers, qui allaient animer les marchés. Ainsi, j'étais mieux rémunéré<br />

que dans le commerce.<br />

- Q - Pendant la guerre, y avait-il encore beaucoup d'activités<br />

de transport, ou bien les chauffeurs ont-ils été obligés de<br />

changer de métier?<br />

- Le travail ne marchait plus ! Il n'y avait. plus de passagers, plus<br />

rien ... Alors, finalement, j'ai été obligé d'abandonner le véhicule pour me<br />

rendre en Gold Coast.<br />

- Q - Le problème était aussi qu'il n'y avait plus d'essence<br />

pour faire circuler les véhicrtles. Qn avait donc inventé les<br />

"gazogènes", des camions qsi marchaient avec du gaz de<br />

charbon de bois. Les avez-vous connus ?


- Oui, j'ai vu ces camions-là, chargés de charbons, qui marchaient à<br />

la chaleur des flammes. Mais moi, ne pouvant plus tenir, j'étais parti en<br />

Gold Coast.<br />

- Q - M. Dogbey, vous, vous avez eu votre permis de conduire<br />

vingt ans après M. Tité. Comment se passait lè permis en<br />

1948 ?<br />

- En 1948, nous avons passé notre permis normalement, comme on<br />

le passe aujourd'hui. Vous passiez tout d'abord le code de la route sur table,<br />

puis, après, vous partiez avec l'examinateur conduire sur la colline.<br />

- Q - Qu'entendez-vous par "la colline'' ?<br />

- Vous partiez du bas de la colline du Lycée1 en marche arrière, pour<br />

monter jusqu'au sommet. Là, vous tournez, et vous redescendez, encore en<br />

marche arrière.<br />

- Q - Qui était l'inspecteur ?<br />

- C'était Monsieur Attikosl<strong>Si</strong>.<br />

- Q - Et quelle a été votre activité après avoir démontré votre<br />

capacité à monter à Tokoin en marche arrière ?<br />

- Une fois que j'avais pu monter en marche arrière la colline, je me<br />

sentais capable de conduire les véhicules un peu partout au Togo. Vous<br />

voyez, si je n'avais pas été habile, je n'aurais pas pu franchir cet obstacle :<br />

j'allais tomber dans un ravin. Car, vous le savez, il y avait de grands trous à<br />

gauche et à droite de la route (c'étaient les anciennes carrières de fabrication de<br />

briques)2. Donc, si vous dérapiez un peu, vous tombiez dans le ravin ... Avant<br />

de passer l'examen, il fallait charger le véhicule avec des marchandises pour<br />

voir si, réellement, vous pouviez conduire ce type de véhicule. C'est ce que<br />

j'ai fait. J'ai réussi, et j'ai été embauché à la UAC. Nous allions ramasser des<br />

palmistes à Aného. Après, j'ai dû abandonner le travail à la UAC parce que,<br />

comme vous le savez, c'est toujours à cause de l'argent ... : cela ne suffisait<br />

pas ! Alors j'ai préféré me jeter dans le transport en commun, et c'est ce que<br />

j'ai fait jusqu'à ce jour. Je suis encore solide et en bonne santé, et je cod!nis<br />

toujours mon taxi.<br />

Lycée de Tokoin. I1 s'agit du début de la route d'Atakpamé (alors en pleine campagne), entre<br />

la lagune et le carrefour de la Colombe de la Paix.<br />

Comblées dans les années 1975 avec les ordures de la ville. La partie haute est aujourd'hui<br />

occupée par une petite gare routière.<br />

35


*<br />

* *<br />

- Q - Revenons à la ville de Lomé, et aux taxis. A partir de<br />

quel moment sont apparus les taxis à Lomé, M. Akué ?<br />

- Vers les années 1954-55, il y avait deux Européens, Monsieur<br />

Lesna et Monsieur Mogenierl, l'un Français, l'autre de nationalité suisse, qui<br />

avaient fait venir des taxis ici, à Lomé. C'étaient des voitures de marque<br />

Citroën, des "deux-chevaux", munies chacune d'un taximètre. A cette époque-<br />

là, la ville de Lomé n'était pas si évoluée : les gens étaient très peu intéressés<br />

pour ce genre de taxi. Ce qui fait que ça n'a pas duré très longtemps ...<br />

- Q - Comment ces taxis fonctionnaient-ils ? Sur une ligne<br />

régulière, comme aujourd'hui, ou bien simplement à la<br />

demande du client ?<br />

- Comme ils étaient .munis d'un taximètre, il n'y avait pas de<br />

stationnement, comme aujourd'hui. <strong>Si</strong> quelqu'un a besoin d'un taxi, il fait<br />

appel fi eux pour l'emmener là où il veut aller.<br />

- Q - OÙ étaient-ils bases ?<br />

-'Ils étaient non loin d'Agbadahonou, au centre-ville.<br />

- Q - OÙ allaient-ils le plus fréquemment ? Est-ce que c'était<br />

par exemple à l'hôpital, qui était quand même alors très<br />

excentré par rapport à la ville ?<br />

- Ils s'en allaient un peu partout, selon le désir du client ...<br />

- Q - Donc, cette première expérience a échoué ?<br />

- Oui, certainement.<br />

- Q - Pourquoi, d'après vous ? Était-ce trop cher ?<br />

- Ce n'était pas trop cher. C'est que la population n'était pas<br />

tellement intéressée. .<br />

- Il faut qu'on précise que c'étaient des taxis-compteurs, qui n'avaient<br />

pas de stationnement fixe. C'est comme les taxis de course d'aujourd'hui : des<br />

Michel-Mogenier, qui fut par la suite consul de Suisse au Togo, est resté àhmé jusque dans<br />

les ann& 1985.<br />

34


taxis ordinaires que chacun peut louer à 200 F pour se déplacer à son gré.<br />

Donc ces véhicules, ces deux-chevaux, étaient munis d'un compteur, c'est-à-<br />

dire d'un "taximètre" qui compte l'argent. Le départ c'était, je crois, 20 F.<br />

Vous arrêtez le taxi ; vous vous asseyez ; on vous tourne le compteur : ça<br />

compte déjà 20 F. Et puis après, à chaque cent mètres, ça vous compte de<br />

l'argent, jusque là où vous voulez aller. Ces taxis n'avaient pas de<br />

stationnement fixe, comme je l'ai dit ; ils se promenaient en ville pour<br />

chercher des clients. C'est après eux que sont venus les cars.<br />

- Oui, pour ce qui concerne les cars, il y avait un mécanicien, non<br />

loin du Grand-marché, appelé Monsieur Jonteur, qui avait fait venir deux cars<br />

de 40 à 50 places, que les gens prenaient du Petit-marché pour aller à<br />

l'hôpital. Ces cars n'ont pas résisté aussi longtemps. Ce n'est qu'après ces<br />

cars, vers les années 1956, que les nationaux ont commencé à exploiter des<br />

petites camionnettes ou, des voitures.<br />

- Q - Combien payait-on pour aller du Petit-marché à<br />

l'hôpital ?<br />

- On avait débuté à 5 F, puis, après, c'était 10 F.<br />

- Q - Donc, les premiers essais de taxis-compteurs ont échoué<br />

assez rapidement ...<br />

- Très rapidement !<br />

- Q - ... mais d'autres personnes se lancent alors dans un<br />

service d'autobus, qui, lui, réussit ?<br />

- Oh, ça aussi, ça n'a pas réussi longtemps ! Il n'y avait que ce Blanc<br />

qui avait fait venir deux cars, de vieux cars, qui n'avaient pas pu résister.<br />

- Q - On disait tout à l'heure que, avec le taxi, la prise en<br />

charge seule était déjà de 20 F, alors que là, avec ces cars,<br />

vous pouviez faire pour 10 F le trajet qui était à l'époque le<br />

plus important, c'est-à-dire, centre-ville/hÔpital.<br />

- Puisque, avec le car, c'est un transport collectif, tandis que le taxi,<br />

vous le demandez et il vous emmène seul ...<br />

- Q - Oui. Donc là, on avait un produit qui répondait<br />

beaucoup mieux aux possibilités financières et aux besoins de<br />

la clientèle ?<br />

37


- Oui.<br />

- Q - Pensez-vous que t'est Ga qui a donné l'idée d'organiser<br />

des systèmes de taxi dans ,Lomé, qui a montré aux gens que<br />

c'était possible ?<br />

- Ce n'est qu'en 1958 que le système de taxi a été organisé à Lomé,<br />

quand nos fières togolais rapatriés de la Côte d'Ivoire sont rentrés1. I1 y en<br />

avait un bon nombre qui étaient revenus avec leur voiture. Alors, rapidement,<br />

ils n'ont. pas hésité à les mettre en circulation.<br />

- Q - Ils étaient déjà chauffeurs de taxi en Côte d'Ivoire ?<br />

- Oui, en effet, ils étaient déjà chauffeurs de taxi en Côte d'Ivoire !<br />

- Q - Et la mode d'Abidjan s'est implantée àinsi à Lomé ?<br />

- Justement !<br />

- Q - Combien étaient-ils, à ce moment-là ?<br />

- Q - Oui.<br />

- Le nombre de véhicules ?<br />

- Oh ... (silence)<br />

- Q - Étaient-ils nombreux ?<br />

- Très ,nombreux !<br />

- Q - Alors, y a-t-il eu tout de suite une clientèle pour tous<br />

ces taxis ? (Qui étaient aussi des taxis "à l'aventure'' : ce<br />

n'était pas des taxis à ligne fixe, n'est-ce pas ?)<br />

-<br />

- <strong>Si</strong>, c'étaient des taxis à ligne fixe, telles que la ligne de Bè au<br />

Petit-marché, du Petit-marché à l'hôpital de Tokoin, du Petit-marché à<br />

Tokoin-Gbadago.. .<br />

- Q - Donc, le trafic s'est organisé tout de suite comme<br />

aujourd'hui, sous forme de lignes fixes ?<br />

Il y eut en 1958 une violente poussée de xénophobie B Abidjan contre les Dahoméens (et<br />

secöndairement les Togolais), qui, mieux formis, occupaient la plupart des postes techniques<br />

(comptables, dactylos, dessinateurs, chauffeurs ...) : les Ivoiriens se sentaient frustrés.<br />

38


- C'est ça !<br />

- Q - Mais le point central était alors plutôt le Petit-marché1,<br />

et non le Grand-marché, comme c'est le cas aujourd'hui.<br />

- Oui, le Petit-marché était le point central.<br />

- Q - Y a-t-il des chauffeurs qui ont commencé dans le métier<br />

à ce moment-là et qui sont toujours chauffeurs de taxi et<br />

membres de votre syndicat ?<br />

- Oui, oui ! Il y en a ! Même moi qui vous parle à l'heure actuelle,<br />

. j'en fais partie, avec d'autres camarades.<br />

- Bien avant la fondation de I'USYNDICTO, la station du Petit-<br />

marché servait à nos petites réunions, sous la conduite de Monsieur Akué-<br />

Adotévi Richard, à l'époque président des' chauffeurs de taxi (et ensuite<br />

directeur de l'imprimerie ATP2). J'en profite pour rappeler la niémoire de nos<br />

camarades comme les Veres jumeaux communément appelés "Venovi" Tadjin,<br />

Abalovi Ganto, Sèho Gaston, et bien d'autres, tous chauffeurs à la station<br />

Assivito-hôpital.<br />

- Q - Et vous, M. Glè, êtes-vous aussi de ceux qui sont<br />

revenus de Côte d'Ivoire en 1958 ?<br />

- Oui, moi aussi. Nous étions déjà taximen en Côte d'Ivoire ; on<br />

faisait la ligne Treichville-Adjamé3.<br />

Avec les pièces ivoiriennes que nous avions à bord de nos véhicules,<br />

on nous a permis tout de suite de les conduire, pour pouvoir nourrir nos<br />

familles. C'est ce qu'on avait commencé à faire, avant même de préparer les<br />

pièces qu'il fallait au Togo. On ne nous disait rien : nous circulions avec nos<br />

véhicules munis des plaques de police ivoiriennes : c'est tout ce que nous<br />

avions ...<br />

A Lomé-ville, en ce temps-là, il n'y avait pas des véhicules sur<br />

lesquels était placé !e feu "Taxi". Ce n'est qu'à notre arrivée qu'on a pensé à<br />

écrire "Taxi" sur un papier, pour le coller au front du véhicule (c'est-à-dire au<br />

toit), ou alors avec de la craie ... Ainsi quand vous voyez le véhicule venir,<br />

vous allez constater qu'on a marqué là-dessus "Taxi", mais pas à la peinture ...<br />

"Assivimé" était, du fait de la proXimit6 de la gare, plus important que le grand-march6<br />

avec lequel il fut regroupé en 1967).<br />

Voir <strong>Si</strong> Lonié m'était contée ... tome II, dialogue no 19.<br />

Les deux plus grands quartiers populaires, au sud et au nord du Plateau (centre Bconomique<br />

et administratif d'Abidjan).<br />

39


I1 y avait trois stations : celles de Bè, de Gbadago et Tokoin-hôpital, en<br />

partant toujours &Assivimé. On s'intéressait surtout à des gens qui venaient à<br />

nous pour louer les taxis, puisque la course, à ce moment-là, nous la faisions<br />

à 75 F. Mais quand on se précipitait sur les clients, que nous les soufflions à<br />

un autre, ou que nous leur disions carrément de venir, nous allions le faire à<br />

50 F, mais d'une certaine manière:Vous savez que nous appelons, dans notre<br />

langue vernaculaire, la pièce de 25 F, kponol. Alors nous disions aux<br />

clients : "Venez, nous allons vous amener kpono kpono vé" : nous allons<br />

vous conduire pour 50 F, en cassant le tarif de 75 F. Alors, ça marchait très<br />

bien. Ça marchait très fort, surtout quand on avait une Deux-chevaux ...<br />

Nous étions habitués à prendre surtout les femmes, puisqu'à cette<br />

époque, comme vous le savez, il n'y avait pas beaucoup de fonctionnaires, il<br />

n'y avait pas beaucoup de commis ... On s'intéressait surtout aux femmes<br />

revendeuses. En partant de Bè, par exemple, nous ne ramassions que les<br />

femmes qui amènent leurs denrées (piment, oignons...), vous savez, tout ce<br />

que les femmes amènent au marché pour vendre ... Alors nous ramassions<br />

toutes ces femmes à longueur de journée pour 5 F (le tarif, on vous l'a déjà<br />

dit, était de 5 F), des fois 10 F. Finalement, on s'est basé sur 10 F. Mais<br />

quand il pleuvait, voyant l'état de nos routes à ce moment-là, on essayait<br />

d'augmenter un peu, et on disait : "15 F !", quand il y avait des femmes en<br />

grand nombre. Des fois, le soir, quand elles sortaient du marché et voyaient<br />

que nous avions augmenté ça à 15 F, alors elles s'écriaient : "Eh bien ? D'ici<br />

à Bè ? Combien je vais manger en cours de route avant d'arriver chez moi ?<br />

Nous préférons marcher !" Et elles nous quittaient comme ça ... (rire)<br />

Finalement, on s'est retenu, et on a essayé de se baser sur 10 F<br />

pendant un long moment, avant de commencer à augmenter la course jusqu'à<br />

arriver, maintenant, à 50 F2.<br />

- Q - Qu 'aviez-vous comme véhicules, c'est-à-dire combien<br />

pouviez-vous prendre de passagers à la fois ?<br />

- Oh, à ce moment-là, moi, par exemple, je suis revenu du lieu dont<br />

je vous ai parlé avec un véhicule de cinq places. Mais on ne se basait pas<br />

même sur les véhicules, puisqu'il y avait de gros camions avec le toit en<br />

bois3 qui étaient mêlés avec nous, et on acceptait aussi de faire le tour avec<br />

eux. Ils chargeaient leurs quinze, leurs vingt places avant que nous nous<br />

chargions nos cinq places. On s'entendait comme ça ... Et finalement, nous<br />

avons constaté que c'était une tricherie, puisque, si vous chargiez cinq places,<br />

"Le chameau", animal qui figurait sur les pièces de 25 F cfa de l'époque (voir <strong>Si</strong> Lomé ...,<br />

tome II, dialogue no 15). "Vé" = abréviation de amévé = deux.<br />

Prix resté stable jusqu'h ces dernières années.<br />

Avec une vaste cabine en bois aménagée à la place de la plate-forme, sur le modèle des<br />

mmy-wagons du Ghana.<br />

40


le véhicule de vingt places avait quatre fois votre capacité. Alors, finalement,<br />

on a essayé de régler ça autrement ...<br />

- Q - Comment ?<br />

- Qu'est ce qu'on a fait ? On a essayé de mettre ces gros porteurs à<br />

l'écart des voitures, et nous avons dit : "<strong>Si</strong> un véhicule de vingt places<br />

charge, il faut que deux ou trois véhicules de cinq places partent avant qu'un<br />

autre gros véhicule parte à nouveau".<br />

- Q - Quel était le prix du litre d'essence dans ces années<br />

1958-60 ?<br />

- Le prix du litre d'essence s'élevait à 11 F, en ce temps-là. Ensuite,<br />

nous avons compté que, quand nous payons cinq litres, ça nous fait 125 F. A<br />

10 F la course, quand vous faites deux ou trois fois le tour, vous arrivez à<br />

retirer l'argent du carburant. Et l'huile à moteur coûtait 75 F le litre : avec les<br />

véhicules, sur des parcours moins bons, souvent ça fumait, et on<br />

consommait beaucoup d'huile à moteur. En ce temps-là, nous savions que<br />

nous ne gagnions pas beaucoup d'argent avec le taxi. Notre recette, c'étkit des<br />

fois 600 F par jour, des fois 1 O00 ou 1 200 F.<br />

- Q - Selon vous qui aviez l'expérience d'Abidjan, quel a été<br />

le comportement du public de Lomé vis-à-vis des taxis ? En<br />

1958, les gens se sont-ils adaptés tout de suite, alors qu'en<br />

1954 ils uvaient refusé les taxis ?<br />

- <strong>Si</strong>, ils les ont accueillis favorablement. Mais ce qui les gênait un<br />

peu, c'est l'argent ! Les gens n'avaient pas d'argent pour se déplacer : ils<br />

préféraient marcher que de prendre des taxis ; c'est le fond du problème ... Mais<br />

une fois qu'ils ont de l'argent, ils se déplacent, ils prennent même des<br />

véhicules en compte pour toute la journée. Voyez-vous ? On ne peut pas<br />

comparer Abidjan à Lomé, parce qu'il y avait eu un grand développement là-<br />

bas, avant que nous ne revenions ici.<br />

- Q - A l'époque, si je comprends bien, presque tous les taxis<br />

étaient conduits par leur propre propriétaire. Quand a-t-on<br />

commencé iì voir des chauffeurs possédant plusieurs taxis, ou<br />

bien des gens d'une autre profession qui achètent des véhicules<br />

et emploient des chauffeurs salariés, ou rétribués à la<br />

journée ?<br />

- Dès les débuts ! On n'avait pas beaucoup d'argent pour faire nos<br />

activités. De ceux qui sont revenus dans ce temps-là, nous savons que<br />

41


plusieurs possédaient leur propre véhicule. Mais il y avait aussi des<br />

transporteurs ou bien des acheteurs de taxi individuels. S'il faut dire quand les<br />

gens se sont intéressés davantage à l'achat de taxis en grand nombre, pour les<br />

exploiter, ce n'était qu'en 1975-80 Parce que, au départ, on n'achetait qu'un ou<br />

deux véhicules, pour les exploiter. Mais nous avons constaté que, dans ces<br />

derniers temps, il y a des gens qui achètent 10, 15 ou même 20 taxis, et ça<br />

marche bien ...<br />

- Q - Donc assez vite, il y a eu un nombre important de<br />

chauffeurs de taxi, les uns propriétaires et d'autres non. Les<br />

chauffeurs non-propriétaires arrivaient-ils h mettre<br />

suffisamment d'argent de côté pour s'acheter ensuite leur<br />

propre véhicule ?<br />

- Je ne peux pas savoir ... Cela dépend du conducteur lui-même ...<br />

(Et tout d'abord une rectification : nous ne voulons plus qu'on nous<br />

appelle "chaufleurs I', puisque nous ne "chauffons" rien1 ! Nous conduisons !)<br />

Donc je disais tout à l'heure que chacun travaille pour son bien, pour<br />

son propre compte. <strong>Si</strong> vous avez passé un contrat avec un propriétaire, ce qui<br />

est l'habitude chez nous ici, le propriétaire vous remet son véhicule et il vous<br />

dit : "A chaque fin de travail, venez me verser telle somme'' (c'est un contrat<br />

verbal). <strong>Si</strong> le conducteur est honnête, il sait qu'il est parti pour travailler, pas<br />

pour s'amuser. ILremplit les conditions, et chaque soir il 'vient verser la<br />

somme qu'on lui demande. S'il a gagné plus, il le garde. S'il n'y avait pas de<br />

profit, on ne travaillerait pas ... (petit rire)<br />

- Q - Ce système de contrat verbal entre propriétaires et<br />

chauffeurs a-t-il fonctionné dès le début, dès 1958, ou s 'est-il<br />

créé par la suite ?<br />

- I1 y a très longtemps que cela existe ! En voyant les dépenses,<br />

l'achat du véhicule, l'assurance et les autres frais pour le véhicule, le<br />

propriétaire, lui, quand il fait les calculs dans sa tete, il voudrait que l'argent<br />

lui revienne aussitôt. C'est pourquoi il essayera d'augmenter la recette<br />

journalière. <strong>Si</strong> vous cherchez du travail, vous venez vers lui ; il .vous pose la<br />

question de savoir si vous êtes capable de lui faire telle somme par jour. Et<br />

vous qui chômez, vous êtes obligé d'accepter, pour avoir.du travail. Des fois,<br />

qu&d les gens acceptent comme ça, le propriétaire constate au bout de quatre<br />

ou cinq jours que ça ne marche pas, et il retire son véhicule. Ou alors il<br />

calcule le manquant, puisque ça n'atteint pas la recette de son contrat ; il le<br />

L'expression vient des premières locomotives à vapeur, dont il fallait sans cesse alimenter la<br />

chaudière en charbon' ou en bois pour maintenir la pression.<br />

42


calcule et, à la fin du mois, on le retire de ton salaire ... Ce qui fait que, des<br />

fois, nos camarades n'ont pas de salaire du tout à la fin du mois, si ils ont<br />

manqué à remplir leur contrat. Voilà ce qui nous arrive ...<br />

- Q - Donc cela. a toujours fonctionné comme ça, dès le<br />

début ?<br />

- Oui, c'est ce que nous avons trouvé ; ça fonctionnait comme ça.<br />

C'est ce que j'avais fait à Abidjan. J'étais taximan ; j'avais finalement payé un<br />

véhicule ; je faisais Treichville-Adjamé. Cela m'a permis de revenir par la<br />

route avec mon véhicule depuis la Côte d'Ivoire. De 1958, quand nous étions<br />

revenus, jusqu'en 1960, on a essayé de se regrouper au niveau du Petit-<br />

marché, avec le camarade Dogbé Messan, pour organiser le stationnement. Et<br />

nous avions demandé le concours de la police. On nous avait assisté. C'est de<br />

là qu'a commencé l'organisation.<br />

Au moment de la réunion de I'OCAM', en 1972, on voulait<br />

distinguer les taxis des voitures personnelles. .Te vous avais déjà dit que,<br />

auparavant, nous écrivions "Taxi" sur un papier collé au front de la voiture,<br />

ou avec de la craie, qui ne tenait pas longtemps : on était obligé de<br />

recommencer le lendemain. On essayait d'acheter une craie pour aller encore<br />

plus vite ; on mettait la craie dedans pour pouvoir les distinguer. Finalement,<br />

on nous a dit d'acheter des feux de taxi à poser sur le toit des véhicules. Or<br />

nous n'avions pas ces feux de taxi à Lomé. Alors, avant d'aller en chercher à<br />

Aflao (au Ghana), nous avons cherché des verres de feu rouge de gabarit de<br />

camion. Bon, maintenant, nous essayons de tordre une tige de métal pour<br />

pouvoir le serrer sur le toit du véhicule ... C'est sur ça que nous avions écrit<br />

"Taxi I'... Finalement, on est parti à Aflao s'acheter des feux de taxi réels.<br />

Après ça, avant l'arrivée des chefs &États de I'OCAM, on nous a dit<br />

de distinguer les taxis des voitures personnelles. Premièrement on nous avait<br />

proposé de faire deux traits partant du garde-boue avant jusqu'au garde-boue<br />

arrière, deux traits jaunes des deux côtés du véhicule, ou alors de peindre le<br />

toit du véhicule en jaune (pour les Deux-chevaux sur les capotes, puisque le<br />

toit est en bâche), ou de peindre le capot de la malle arrière ... Finalement,<br />

nous avons adopté de peindre le toit du véhicule en jaune caterpilar, ce que<br />

vous voyez aujourd'hui, avec les disques sur les deux portes gauche et droite,<br />

et à l'arrière, avec un numéro dedans. C'est ce qui a été fait jusqu'à présent.<br />

- Q - Dans ces années 1970-72, quelles étaient les lignes<br />

principales ? Comment, à partir des trois lignes qui partaient<br />

Organisation Commune Africaine et Malgache, qui réunissait- une douzaine d'États<br />

francophones. Son sommet de Lomé, en 1972, a été l'occasion d'une importante modernisation<br />

de la ville.<br />

43


du Petit-marché, le réseau s'est-il développé ?<br />

- Nous avons augmenté notre réseau. Quand nous voulons entrer<br />

dans un quartier, nous allons voir les chefs du quartier, et nous leur donnons<br />

de l'argent pour faite faire l'annonce1, pour que les gens du quartier sachent<br />

que, à telle date, il y aura une station dans leur quartier pour le Grand-marché<br />

ou pour le Petit-marché ... Car on partait avec les véhicules, et on ne trouvait<br />

pas de clients ... Alors nous avons proposé à ceux qui ont leur propre voiture<br />

d'aller rester dans ces nouvelles stations. Comme elles étaient nouvellement<br />

créées, cela ne marchait pas : ceux qui conduisent les voitures d'un autre<br />

propriétaire étaient laissés sur les places qui donnent bien. Nous, nous<br />

sommes sacrifiés comme ça ! C'est ça ce qui a fait que, aujourd'hui, nous<br />

voyons des taxis un peu partout à Lomé.<br />

- Q - Quelles ont été les premières' lignes ouvertes, après les<br />

trois premières de 1958 ? Vous souvenez-vous quels ont été<br />

les premiers quartiers à être desservis ?<br />

- I1 y a eu la ligne Petit-marchtlAmoutivé, la ligne Grand-<br />

marché/Ablogamé, et puis sont venues ensuite les autres lignes ...<br />

- Q - Donc, très tôt, il y a eu un système de stations<br />

organisées, c'est-à-dire des points où l'on sait qu'on peut<br />

trouver des taxis, des stations qui 'sont maintenant gérées par<br />

le syndicat. Nous avons parmi nous un délégué de station. M.<br />

Assogba, pouvez-vous nous dire à partir de quel moment il y<br />

a eu des gens pour s'occuper effectivement, à plein temps, de<br />

ces stations ?<br />

- Après la naissance de notre centrale syndicale.<br />

- Le syndicat a été en retard. Avant sa création, nous nous étions<br />

déjà organisés en stations. Nous avons préféré nous organiser et, chaque fois<br />

qu'il y avait une nouvelle station, on mettait quelqu'un, un vieux, le doyen,<br />

pour superviser tout.<br />

- Q - Combien y a-t-il de taxis en service à Lomé ?<br />

- Ça, vous devez le voir sur les portières ... Nous n'allons pas vous<br />

donner un chiffre. Vous verrez les taxis nouvellement sortis.<br />

Par le "gongonier" du quaitier, le crieur public.<br />

44


- Q - On est actuellement dans les numéros 11 000, mais il y<br />

a beaucoup de taxis qui avaient porté les anciens numéros et<br />

qui ont disparu depuis. Combien pensez-vous qu'il y a de<br />

taxis effectivement en circulation à Lomé ?<br />

- Nous, nous ne pouvons pas connaître exactement le nombre ; c'est<br />

seulement le Service des mines l...<br />

- Q - Le Service des mines est informé des taxis que l'on met<br />

en circulation, mais pas de ceux qui quittent le travail. Il n'y<br />

a que vous qui pouvez savoir combien il y en a, combien sont<br />

vos adhérents, ou aussi, .peut-être, combien circulent sans être<br />

de vos adhérents ?<br />

- (Petit rire) Nous allons essayer de décompter au moins ceux qui<br />

sont en panne. Nous estimons en avoir 2 O00 en panne, les autres sont en<br />

circulation. Ceux qui sont venus chez nous, qui ont adhéré au syndicat,<br />

doivent être au moins 6 O00 conducteurs.<br />

- Q - Combien avez-vous de stations organisées dans la ville.<br />

de Lomé ?<br />

- Nous avons actuellement 53 stationnements en ville. Je dirais que<br />

presque toutes les cellules ont leur station de taxis. Nous, nous sommes<br />

prêts, chaque fois qu'on nous en fait la demande, à créer des stationnements<br />

dans les quartiers où le besoin se fera sentir.<br />

- Q - Comment ont été créés les "taxis-bagages" ?<br />

A Lomé, autrefois, il y avait toujours ces gens, les r'kékévito'a, les<br />

pousse-pousse : quand vous payiez des marchandises dans les boutiques,<br />

c'étaient ceux-là qui vous les transportaient jusqu'à chez vous dans leur<br />

charrette ou leur brouette. Une fois que l'Administration a constaté que cela<br />

perturbait le trafic, elle les a carrément fait sortir de la circulation. Et qu'est-ce<br />

qu'on a pensé faire après ? Une fois qu'il n'y avait plus ces kékévito qui<br />

gênaient la circulation, c'est à ce moment que nous avons pensé à créer les<br />

"taxis-bagages" que nous avons maintenant, et qui remplacent complètement<br />

les brouettes ou les charrettes, les kékévi. C'est donc à partir de là que les<br />

taxis-bagages sont nés.<br />

I Qui delivre les cartes grises et les numeros d'immatriculations.<br />

Ceux qui manipulent les "kékévi", chariots plats ?i bras, dot& de deux ou quatre roues<br />

munies de pneus, donc faciles à tirer. On a vu les kbkkvi rkappariître (venant sans doute<br />

d'Aflao) pendant les grhves de la pkriode. 1990-93, avec des prix imbattables par rapport aux<br />

taxis (a condition de ne pas être presse).<br />

45


- Q - Revenons aux conducteurs de taxis, puisque vous<br />

préférez qu'on n'emploie plus le mot chauffeurs. Est-ce une<br />

population particulière ? Je pense aux conducteurs de camion,<br />

qui sont souvent un monde assez original (notamment très<br />

largement converti à l'islam). Les conducteurs de taxi à Lomé<br />

sont-ils une société un peu h part, ou bien est-ce que c'est<br />

"Monsieur Tout-le-monde " ?<br />

- C'est "Monsieur Tout-le-monde" ! I1 y en a qui sont convertis à<br />

l'islam, mais ceux-là ne sont pas plus nombreux que nous, les chrétiens.<br />

- Q - Pour conclure, nous allons revenir h notre doyen, M.<br />

Tété, chauffeur pendant 60 ans. Après avoir longtemps<br />

bourlingué avec un camion, qu'avez-vous fait ?<br />

- Quand j'avais cessé mes activités de conducteur de camion, je me<br />

suis acheté un véhicule de transport urbain, un taxi, que jlai préféré exploiter<br />

moi-même, ici, à Lomé.<br />

- Q - Est-ce vraiment un bon métier, conducteur de taxi ? Est-<br />

ce que vous recommandez à des jeunes de se lancer dans cette<br />

activité ?<br />

, - Oui, c'est un bon métier, et je conseille à d'autres, plus jeunes, de<br />

se lancer dans ce métier qui peut vous aider à gagner honnêtement votre vie.<br />

Enfin ... Nous, les conducteurs, nous ne sommes pas toujours<br />

conscients, puisqu'on gagne au fil des jours - ça, vous le savez tous ! Quand<br />

l'argent vient à flots, on croit que cet argent restera comme ça ... Or, si un<br />

taximan, un conducteur de transport, ne travaille pas deux jours, ou cinq<br />

jours, déjà il commence à chômer, puisqu'on dépense sans calculer. C'est ce<br />

qu'il faut dire à ceux qui doivent nous suivre maintenant;à ceux qui abordent<br />

le métier des transports : Épargnez votre argent ! Épargnez l'argent pour faire<br />

quelque chose de concret plus tard !<br />

Tous approuvèrent ces sages conseils...<br />

----------<br />

46


no 4<br />

HANOUKOPE,<br />

UN QUARTIER PAS COMME LES AUTRES<br />

avec<br />

M. Louis' Komigan AMEGEE<br />

(né le 28 mars 1903 à Lomé)<br />

ancien commerçant<br />

Revenons h l'histoire d'un quartier : celui<br />

d'flanoukopé, un quartier tout h fait particulier, avec M.<br />

Louis Amegee, ancien commerçant, que nous retrouverons<br />

pour une autre émission que nous consacrerons aux grandes<br />

compagnies de commerce1.<br />

M. Amegee est aussi l'un des doyens des gens que nous<br />

avons interrogés pour cette émission, et l'un de nos<br />

interlocuteurs les mieux inform&.<br />

- Q - Quel âge avez-vous, M. Amegee ?<br />

- J'ai 85 ans.<br />

- Q - Etes-vous né Ci Lomé ?<br />

- En effet Te suis né à Lomé, le 28 mars 1903.<br />

- Q - OÙ habitait votre père, Ci cette époque ?<br />

- Mon père habitait auprès du grand-marché.<br />

- Q - Et votre famille était-elle installée depuis longtemps h<br />

Lomé?<br />

- Oui, oui, depuis longtemps.<br />

Ci-dessous, dialogue no 10.<br />

Son excellente mémoire en a aussi fait un informateur irremplaçable pour reconnaître les<br />

personnages sur les photographies anciennes : sans lui, beaucoup de visages disparus seraient<br />

rest& pour toujours anonymes. (Son nom se prononce "Amédji".)<br />

47


- Q - Consacrée surtout au commerce...<br />

- Oui, oui, c'est çal.<br />

- Q - Donc vous êtes un vrai Lbméen de souche, ce qui n'est<br />

pas fréquent. Avez-vous commencé l'école à l'époque<br />

allemande ?<br />

- Oui, à l'époque allemande, en 1909.<br />

- Q - A quelle école ?<br />

.<br />

- A l'école catholique. J'avais six ans ...<br />

- e--- A'côté de l'archevêché actuel ... ?<br />

- Oui. C'est toujours l'ancien bâtiment.<br />

- Q - Cette école a été construite en 1907.<br />

- Oui, par les pères allemands de ce temps-là.<br />

- Q - Avait-elle déjà ses trois étages ?<br />

- Non, non. C'est Mgr Cessou qui l'a fait agrandir2.<br />

- Q - Et vous avez continué le coun complémentaire<br />

catholique dans le bâtiment qui a été détruit récemment, en<br />

face de l'archevêché ?<br />

- C'est ça, oui !<br />

- Q - Quel diplôme avez-vous obtenu ?<br />

- J'ai obtenu le certificat comme quoi j'ai fréquenté le cours<br />

complémentaire allemand.<br />

- Q - Vous vous exprimiez couramment en allemand ?<br />

Voir les portraits de ses cousins Chrétien (homme d'affaires) et Mathieu (géomètre) vers<br />

I950 dans : Hommage ù Alex Acolatse, de Ph. David, collection "Images du Togo d'autrefois"<br />

no 3, Haho, Lomé, 1993 (p. 44). Son frère,Paul fut ministre dans les premières années de<br />

I'IndCpendance.<br />

En 1931.<br />

48


- Mais je parle encore l'allemand ! Et je l'écris aussi !<br />

- Q - En janvier 1918, arrivent des missionnaires alliés qui<br />

re mp 1 a c e n t 1 e s m is s i o it n a ir e s a Il e m a n d s, exp u 1 s és<br />

brutalement. Donc, tout ce que vous venez d'apprendre à<br />

l'école ne sert désormais à peu près plus à rien. Qu'est-ce qui<br />

se passe pour vous à ce moment-là ?<br />

- J'ai continué à me cultiver en allemand.<br />

- Q - Et, en même temps, vous reprenez une scolarité en<br />

anglais ?<br />

- Oui, oui, en anglais. Nous avons commencé l'école anglaise 9<br />

partir du ler janvier 1918 ici, à Lomé, toujours dzins la même école.<br />

- Q - Vous ït'avez tout de même pas repris Ci zéro, au cours<br />

préparatoire ? .<br />

- Nous qui avions été au cours complémentaire allemand, on nous a<br />

mis dans la cinquième classe, c'est-à-dire que nous avons fait deux ans<br />

seulement ... .<br />

- Q - Bien sûr, tout ce qui était calcul ou autre, vous le<br />

saviez déjà. Il n'y avait en fait que l'anglais à apprendre ...<br />

- C'était seulement la langue à apprendre.<br />

- Q - Mais voilà, quand vous arrivez au bout, en 1920,<br />

l'anglais n'est plus la langue officielle à Lomé.. . Alors ?<br />

- Alors nous avons dû recommencer pour la langue française. Nous<br />

avons été obligés d'apprendrede français ...<br />

- Q - En fait, vous n'étiez plus en Ûge d'être encore .sur les<br />

bancs de la maternelle, dans ces annies 1920-22 ?<br />

- Oui, j'avais 17 ans à ce moment-I&.<br />

- Aux cours du soir.<br />

49


- Q - Des cours qui étaient organisés par l'école de la mission<br />

également ?<br />

- Ah non ! Par le Gouvernement.<br />

- Q - Qui avait besoin d'avoir très vite quelques lettrés en<br />

français ...<br />

- C'est ça, oui.<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Venons-en donc à l'histoire de Hanoukopé. C'est 'ce<br />

quartier qui se trouve entre le Boulevard circulaire et la<br />

lagune, au nord de la vieille ville (le seul quarier ancien,<br />

justement, à être alors construit au-delà du Boulevard<br />

circulaire), à partir de 1928. Il a en fait une histoire qui<br />

remonte beaucoup plus huut. D'après ce que j'ai retrouvé, le<br />

premier administrateur allemand de Lomé, Richard Küasl,<br />

avait créé là une vaste cocoteraie, qui couvrait tout l'espace de<br />

Hanoukopé et du camp de la gendarmerie nationale actuelle.<br />

En fait, il n'avait pas le droit -étant fonctionnaire d'autorité-<br />

d'avoir des affaires privées. Quand il a dû quitter le Togo, en<br />

1895, son domaine est tombé en déshérence, et c'est<br />

l'administration allemande qui l'a repris. C'était donc un<br />

terrain domanial depuis très longtemps. En 1908, les<br />

Allemands y avaient établi un hippodrome (ils aimaient les<br />

courses de chevaux), d'une surface de 13 hectares. Il en est<br />

resté, ici, le vieux nom de la "rue du Champ de course".' Vous<br />

rappelez-vous avoir vu des chevaux courir ici ?<br />

I<br />

- <strong>Si</strong>, si, si ! J'Btais très jeune. I1 y en avait alors à ce moment,<br />

jusqu'en 1913-14 (j'avais neuf ans, dix ans...), pour la fête nationale ...<br />

- Q - Qui était l'anniversaire de l'empereur ...<br />

- De l'empereur Guillaume II, oui. La fête se célébrait le 27 janvier<br />

de chaque année. Alors, chaque 27 janvier, on allait 12-bas, à l'hippodrome,<br />

poi^ voir les chevaux faire la course.<br />

A hm6 de 1889 B 1894.


- Oh oui !<br />

- Q - Le climat d'ici n'est pourtant pas très propice aux<br />

chevaux, n'est-ce pas ? Ils meurent assez vite.<br />

- Oui, oui !<br />

- Q - Qui montaient ces chevaux, des Togolais ou. des<br />

Allemands ?<br />

- Les Allemands.<br />

- Q - Est-ce que ta passionnait les foules ?<br />

- <strong>Si</strong>, si ! C'était tr&s intéressant !<br />

- Q - Les gens s'enthousiasmaient pour la victoire de tel ou<br />

tel cheval ...<br />

- Oui, oui ...<br />

- Q - Est-ce qu'on faisait des paris, d'aprks vous ? Mais peut- .<br />

être étiez-vous trop petit pour qu'on vous laisse jouer à ces<br />

choses-là ... (rires)<br />

- J'étais très jeune à ce moment-ià ; j'étais à l'éCole ...<br />

- Q - Y avait-il des équipements, c'est-à-dire des tribunes<br />

couvertes pour les spectateurs, ou bien tout le monde était-il<br />

par terre ?<br />

- 11 y avait des tribunes pour les adultes.<br />

- Q - Et pour les officiels ...<br />

- C'est ça. Nous, les jeunes, on allait là-bas en tant que curieux,<br />

pour voir ce qui se passait. C'était à partir de l'avenue de la Libération-<br />

prolongée jusqu'à la +oie ferrée, pratiquement jusqu'à la route de Kpalimé. Il<br />

n'y avait pas de rues à ce moment-là. Ce sont les Français qui ont tracé les<br />

rues dans ce quartier.<br />

- Q - A la gendarmerie, il y avait déjà un camp militaire,<br />

n'est-ce pas ?<br />

51


- Oui, il y avait un camp militaire.<br />

/<br />

Q - Auparavant, tout ceci avait été une forêt épaisse. Y<br />

avait-il encore des vestiges de cette forêt ancienne ? Ou bien<br />

des restes des cocotiers de Küas ? Ou était-ce un terrain nu ?<br />

.Dans vos souvenirs, y avait-il des arbres Ci cet endroit ?<br />

- Oui ... (silence). Mais je crois que c'est plutôt les Français qui ont<br />

planté ces arbres.<br />

- Q - On avait donc d&ì abattu toute la forêt primitive ?<br />

- Oui, oui, on avait abattu les arbres.<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Une chose curieuse, c'est qu'on donne Ci ce quartier deux<br />

noms : '%lanoukopé" ou "Ahanoukope"', qui correspondent ri<br />

deux étymologies différentes : soit le "Village de Monsieur<br />

Hanou" ...<br />

- Hanou, oui !<br />

- Q - Soit, autre étymologie, pour le nom employé en mina,<br />

"Ah an o u kop é 'I.. .<br />

- Ah non, non ! Ahanoukopé, c'est faux !<br />

- Q - Vous n'y croyez pas ? "Le lieu oÙ l'on va boire ?I'<br />

- C'est Hanoukopé, la ferme de la personne qui s'appelait Hanou !<br />

Ça éié transfomé ensuite.<br />

- Q - Qui était ce Hanou ? Quel rapport avait-il avec ce<br />

quartier ?<br />

- I1 s'était installé là comme ça, sans autorisation. C'était lui le<br />

premier à s'installer là-bas.<br />

- Q - C'était donc un clandestin, un "occupant sans titre",<br />

avant 1928?<br />

- Oui, oui. ('rire)<br />

52


- Q - D'après les dossiers qu'on trouve aux archives de Lomé,<br />

le ler juillet 1928, les FranGais vont lotir le quartier<br />

Hanoukopé, et ceci de faGon originale pour Lomé : c'est-à-dire<br />

qu'ils vont employer la pratique de la "concession". Il faut<br />

rappeler que, au Togo, cette procédure a été très rare : c'est en<br />

fait le seul quartier qui a été loti comme Ga (avec également<br />

six parcelles qui sont autour de la papeterie "Nopato"l, qui<br />

provenaient aussi d'un domaine public allemand). Alors que<br />

les autres grandes villes francophones (et, je crois, un bon<br />

nombre des villes anglophones) ont été loties selon cette<br />

méthode. Son origine est très ancienne : c'est un principe issu<br />

de la législation australienne du milieu du XIXè siècle, dont<br />

l'objectif était d'accélérer la mise en valeur des terres. C'est-à-<br />

dire qu'on vous donne le terrain pour pratiquement rien, mais<br />

à la condition que vous le mettiez en valeur.<br />

- C'est ça, oui !<br />

- Q - Pour Hanoukopé, on a divisé l'ancien champ de course<br />

en 90 lots de 25 ïnètres sur 25.<br />

- 25 sur 25, oui !<br />

- Q - D'après les documents que j'ai trouvés, l'Administration<br />

attribuait ces lots pour un loyer de 120 francs par an, mais<br />

avec l'obligation de construire une maison dans un délai fixé.<br />

Après quoi, on vous vendait le terrain pour 600 F...<br />

- Oui, oui, c'était comme ça.<br />

- Q - Ce qui était un très bon marché ...<br />

- Oui. On était dans l'obligation de construire une maison à<br />

concurrence de 10 O00 F.<br />

- Q - <strong>Si</strong> vous ne le faisiez pas, on pouvait vous reprendre le<br />

lot, et on le concédait à quelqu'un d'autre.<br />

- <strong>Si</strong>, si ... Dès que vous avez construit votre maison, vous signalez à<br />

I'Administration que vous avez terminé votre construction ; on vient là-bas ;<br />

on fait le constat ; et puis on vous donne un titre foncier.<br />

'- Angle rue du Chemin-de-fer I route d'Amoutivé.<br />

53


- Q - Alors qu'auparavant, ce n'était qu'une propriété<br />

conditionnelle ?<br />

- Conditionnelle, c'est ça.<br />

- Q - Ce n'est vraiment à vous qu'à partir du moment où vous<br />

l'avez mis en valeur ?<br />

- C'est ça, oui.<br />

- Q - Est-ce' que ce système a eu beaucoup de succès ? Les<br />

gens ont-ils été attirés par ce mode d'accession à la<br />

propriété ?<br />

- Oui, oui, parce que c'était un nouveau quartier<br />

- Q - Mais ce quartier-là n'était-il pas très isolé par rapport à<br />

la ville ?<br />

- Oui, à ce moment-là, c'était isolé ...<br />

- Q - A l'époque, la ville s'arrêtait au futur lycée<br />

Bonnecarrèrel , n'est-ce pas ?<br />

- Oui. Ici, c'était un quartier isolé, pour ainsi dire désolé ; il y avait<br />

beaucoup de mouches, beaucoup de moustiques ... Personne ne voulait y allcr.<br />

- Q - Entre I918 et 1928, est-ce qu'on avait continué à y faire<br />

des courses de chevaux ?<br />

- Non, non, non !<br />

- Q - C'était donc complètement à l'abandon ?<br />

rien.<br />

- A partir du moment où les Allemands sont partis, il n'y avait plus<br />

- Q - Ce terrain avait donc été reconquis par la brousse ?<br />

- Oui, oui.<br />

- Q - OÙ s'était installé le fermier Hanou ...<br />

I Actuelle ENA, en face de la grande poste.<br />

54


- Voila !<br />

- Q - Qui est-ce qui a acquis ce lot sur lequel vous êtes<br />

actuellement, vous-même ou votre père ?<br />

- C'est moi-même qui ai acquis le terrain.<br />

- Q - En quelle année ?<br />

-En 1933.<br />

- Q - Vous ri'étiez donc pas parmi les tout premiers<br />

adjudicataires ?<br />

- Oui. C'est-à-dire qu'il y avait déjà des locataires à ce moment-]à.qui<br />

avaient pris ce terrain, mais ils n'avaient pas les moyens de payer 120 francs<br />

par an comme loyer.<br />

- Q - Il faut donner à nos auditeurs une idée des coûts et des<br />

salaires dans ces années 1930. Combien gagnait un<br />

fonctionnaire ou un agent de commerce par mois Ci l'époque ?<br />

Est-ce que 120 F par an, c'était une grosse somme ?<br />

- Oui, c'était une grosse somme en ce temps-là.<br />

- Q - Combien gagnait un coininis d'administration, un<br />

instituteur ou un employé du commerce ?<br />

- Ah ça, jc ne saurais vous le dire, parce que je ne connais pas<br />

cxactemcnt IC salairc des fonctionnaires.<br />

- Q - Vous-même, en 1933, vous étiez'déjà un jeune salarie' ?<br />

- Je n'btais pas fonctionnaire ! Tétais toujours à la SCOA ; j'étais<br />

chef-comptablc iì la SCOA.<br />

- Q - Vous rappelez-vous de votre salaire à cette époque ?<br />

- Ça.. (silence) Jc ne pcux pas me rappeler ...<br />

- Q ,- J'ai trouvé dans des documents un peu plus récents (ils<br />

sont de 1937) que les salaires des fonctionnaires africains<br />

(infirmiers d 'État, instituteurs diplôme's, etc.) atteignaient<br />

18000 à 20000 F par an, donc I 500 à 1 700 F par mois.<br />

55


C'était ça les plus hauts salaires auxquels un Togolais<br />

pouvait prétendre à l'époque dans la fonction publique.<br />

- Oui, oui, oui !<br />

Q - Donc payer 10 F de loyer par mois Ci l'époque, si l'on en<br />

gagnait 1 SOO, c'était assez facile. Quelle est la population<br />

qui a pu acquérir ces terrains de Hanoukopé ? Quels étaient<br />

vos voisins ? Est-ce que c'étaient des fonctionnaires moyens,<br />

supérieurs, inférieurs ?<br />

- Non. A côté de moi, mon voisin immédiat était M. Koudawo.<br />

- Q - Que faisait-il ?<br />

- I1 était à la SCOA, comme moi. C'est lui qui m'a signalé le<br />

terrain, en me disant que le locataire ne payait pas.<br />

- Q - Il y avait donc aussi des gens du secteur privé parmi les<br />

adjudicataires ?<br />

- C'est ça, oui, oui !<br />

- Q - Mais il y avait, je crois, une majorité de<br />

fonctionnairesl.<br />

- La majorité était des fonctionnaires, oui.<br />

- Q - Quand vous êtes arrivés ici, est-ce que Gbadago2 était<br />

encore h Hanoukopé, ou avait-il déjà franchi la lagune pour<br />

s'installer à ce qu'on appelle aujourd'hui "Tokoin-Gbadago " ?<br />

- Il était déjà sur la colline.<br />

- Q - Toujours d'après les archives, en 1934, on a agrandi le<br />

L'enquête menée en 1990 sur les vieilles maisons du quartier a permis de retrouver la<br />

profession de 43 propriétaires originels : parmi eux, 79 % sont fonctionnaires (qui ont souvent<br />

fini leur carrière à des postes très élevés, y compris celui de ministre), 14 % sont gens du<br />

commerce, 7 % artisans. Seuls deux sont d'origine béninoise (les autres sont essentiellement<br />

mina, comme la première génération de la fonction publique togolaise). Les âges aussi étaient<br />

assez homogènes : sur 26 dates de naissance connues, 88 % s'échelonnent entre 1895 et 1907,<br />

62 % entre 1898 et 1906 (médiane = 1902) ; ils avaient donc, comme M. Amegee, 30 à 35 ans<br />

au moment de l'acquisition de leur terrain.<br />

Prêtre fkticheur installé d'abord au sud, puis au nord de la lagune, où les tout premiers<br />

habitants arriveront peu avant la Seconde guerre mondiale, et surtout après celle-ci, en<br />

utilisant la digue de la voie ferrée pour franchir la lagune. Voir <strong>Si</strong> Lomé ... tome I, dialogue<br />

no 8.<br />

56


quartier vers l'ouest, en créant les lots qui sont entre l'avenue<br />

de la Nouvelle-Marche (l'ancienne rue du Champ-de-course) et<br />

la voie ferrée.<br />

- Oui, oui, c'est ça, oui !<br />

- Q - On a créé encore une vingtaine de lots, et puis on a<br />

piévu des places, sur des espaces de quatre lots. Vous, vous<br />

aviez eu votre terrain en 1933. Dans votre souvenir, y avait-il<br />

déjh beaucoup de maisons construites ci l'époque ?<br />

- Non, il n'y avait pas beaucoup de maisons à ce moment-Ià.<br />

- Q - Peu de gens habitaient donc déjh ici. Vous-même, par<br />

exemple, oÙ habitiez-vous avant de venir à Hanoukopé ?<br />

- J'habitais dans la maison de mon père, rue de Kamina.<br />

- Q - Et vous vouliez votre maison personnelle ?<br />

- Oui, oui ! Bien sûr.<br />

- Q - Je crois que l'une des conditions, c'était que les<br />

adjudicataires ne devaient pas être propriétaires d'une autre<br />

maison à Lomé.<br />

- Oui, parce que, là, c'était de nouveaux lotissements. La plupart des<br />

fonctionnaires étaient des gens venus du Bénin (en ce temps, c'était le<br />

Dahomey).<br />

- Q - Parce que ces Dahoméens, eux, parlaient français ?<br />

- Oui, eux parlaient le français.<br />

- Q - Alors que les Togolais n'étaient pas encore en état de<br />

servir dans les cadres de l'adininistration française ...<br />

- Ah, on avait déjà formé des Togolais avant 1930 ! Les gens<br />

sortaient de 1'Ccole ...<br />

- Q - Oui, mais ils étaient encore tout jeunes ...<br />

- Tout jeunes, oui, tout jeunes !<br />

57


' -<br />

- Q - Ils n'étaient pas encore vraiment en âge de bâtir leur<br />

maison. ..<br />

- Oui.<br />

- Q - Vers quelle époque est-ce que le quartier s'est vraiment '<br />

construit ?<br />

- A partir de 1933. Jusqu'en 1940, c'était déjà fait ...<br />

- Q - En 1940, tout était entièrement bâti ?<br />

- Non, pas entièrement !<br />

- Q - Mais le gros du quartier était déjà construit ?<br />

- Le gros du quartier était construit, oui, oui !<br />

- Q - Donc il se crée une communauté composée de gens qui<br />

sont d'origines assez diverses. Pourtant, elle devient vite<br />

cohérente : Hanoukopé est, m'a-t-on dit, le seul quartier qui a<br />

aujourd'hui un "comité de quartier" pour s'occuper de son<br />

entretien. Est-ce que, dès l'origine, les gens se sont associés<br />

entre eux pour animer le quartier ?<br />

- Oui ! On avait une certaine solidarité ... Et on avait un chef, un<br />

tailleur, qui s'appelait Bamezonl.<br />

- Q - Et la rue du Champ-de-course, a-t-elle été construite à ce<br />

moment-là ?<br />

- Oui, on a fait la rue à ce moment-là.<br />

- Q - Mais elle s'arrêtait au bord de la lagune. Quand a-t-elle<br />

franchi cette lagune ?<br />

- Après la Deuxième guerre mondiale;<br />

Q - Et là, le quartier s'est encore développé.<br />

- Oui, oui !<br />

Akakpossa Bamezon (1893-1957). Jolie maison cue des Cavaliers, avec un fronton<br />

majestueux portmt la date de 1936.<br />

58


- Q - Dans les années 1940, il y avait donc des maisons ici,<br />

Mais y avait-il des commerces, des activités ? Ou bien est-ce<br />

que, pour n'importe quoi? il fallait toujours aller "en ville "?<br />

- I1 fallait venir à Lomé pour acheter des denrées alimentaires, à<br />

Assivito, c'est-à-dire au petit-marché, qui était près de la gare à ce moment-là.<br />

- Q - C'était le marché dës Haoussa, comme on l'appelait<br />

l'époque allemande.<br />

-.Oui, c'était le petit-marché des Haoussa. Il fallait venir là, ou alors<br />

aller au grand-marché.<br />

- Q - Pouvez-vous nous dire en quelle année l'éCole du<br />

Champ-de-course a été construite ?<br />

- Oh, il n'y a pas longtemps ! Je crois que c'est dans les années 1964<br />

ou 65 ...<br />

- Q - 11 faut rappeler que I'État n'avait pas tout loti : il s'était<br />

gardé la propriété une bande de terrain le long du Boulevard<br />

circulaire, là où l'on a construit ensuite la Bourse du Travail,<br />

le temple méthodiste de Salem, et cette école ...<br />

- C'est ça, oui !<br />

- Q - Mais tout cela a contribué à isoler encore plus votre<br />

quartier du reste de la ville ...<br />

- C'est ça !<br />

- Q - Cela devait quand même gêner les gens. Cet isolement<br />

n'a-t-il pas amené certains à laisser la famille à Hanoukopé et<br />

à continuer, eux, à habiter en ville pour rester plus près de<br />

leur lieu de travail ?<br />

- Moi, j'ai déménagé pour Hanoukopé seulement en 1954. J'avais<br />

construit ma maison là-bas, mais je l'ai d'abord louée.<br />

- Q - Ah ? Il y avait des gens qui y habitaient, mais ce n'était<br />

pas votre famille ?<br />

- Non. Je l'ai louée pendant longtemps.<br />

59


- Q - Pourquoi ne vouliez-vous pas aller habiter dans votre<br />

maison ? Parce qu'elle était trop éloignée ?<br />

- Oui, parce que c'était trop éloigné du grand-marché, où j'étais prks<br />

de mon trav ail...<br />

- Q - En 1954; aviez-vous un moyen de transport personnel ?<br />

- Yavais une motocyclette.<br />

- Q - Le- marché qui est en face de votre maison eristait-il<br />

déjd quand vous arriviez ici, en 1954 ?<br />

- Le marché existait, mais ce n'était pas important.<br />

- Q - De nos jours c'est le deuxième marché de la ville par le<br />

nombre de commergants, et le premier pour tout ce qui est<br />

fruits, légumes et produits frais. A quelle époque s'est-il<br />

vraiment développé ?<br />

- A partir de 1968, lorsqu'on a asséché la lagune.<br />

- Q - C'est seulement vers 1975 qu'on a vraiment asséché la<br />

lagune.<br />

- I1 y avait eu des travaux avant, de ce côté. Mais avant, le marché<br />

n'était pas développé.<br />

- Q - Justement, vous étiez ici presque au bord de la lagune.<br />

C'était une position dangereuse, parce que la lagune vous<br />

inondait de temps en temps, n'est-ce pas ?<br />

- Oui, mais, depuis, on n'a plus de problèmes.<br />

- Q - D'après vos souvenirs, quelles ont été les grandes<br />

inondations dont le quartier a le plus souffert ?<br />

-.En 1962, et puis en 1967 ... II y a eu ces deux grandes inondations.<br />

- Q - Quelle était la hauteur de l'eau dans votre maison ?<br />

- Ça doit faire ... comme ça !<br />

60


(Monsieur Amegee fait un geste qui lui met la main à<br />

peu près à 80 cm du sol.)<br />

- Oui, oui, ça faisait à peu près 80 cm. Ma maison est un peu<br />

élevée. L'eau n'était pas rentrée dans ma chambre.<br />

- Q - Mais la cour était inondée ?<br />

- Complètement inondée !<br />

- Q - Y avait-il eu des gens qui ont dû abandonner leur<br />

maison ?<br />

- Ouï, oui, il y avait des gens qui étaient obligés d'abandonner leur<br />

maison !<br />

- Q - Quelle avait été l'inondation la plus grave : 1962 ou<br />

1967 ?<br />

- Les deux ! Les deux étaient très importantes.<br />

- Q - Jusqu'où arrivait l'eau vers le centre-ville ?<br />

- Jusque dans la maison de M. Johnson.<br />

- Q - Jusqu'au Boulevard circulaire ?<br />

- Ah, non, non !<br />

- Q - Seul le quartier de Hanoukopé était inondé.<br />

- Oui, oui ! l'eau est arrivé jusqu'au niveau ... (hésitation) Je parle du<br />

Johnson qui a travaillé à la postel, hein ? C'est au niveau de M. Randolph2. ,<br />

- Q - C'est-à-dire toujours à l'intérieur du quartier ?<br />

- Oui, à l'intérieur du quartier. C'est-à-dire que depuis 1967,<br />

lorsqu'on a fait les rigoles ... '<br />

Rue des Manguiers. Le terrain appartenait å l'origine à son grand frère, le docteur Kokoroko<br />

Johnson, actuellement doyen de la famille Johnson.<br />

Grande maison å étage, å l'angle de l'avenue de la Nouvelle-Marche et de la rue du Pasteur-<br />

Akou (tout pr2s de la Bourse du travail), ob l'instituteur Uopold Randolph avait installe un<br />

cours privé ctlèbre.<br />

61


- Q - Ah ? Les caniveaux magonnés qui drainent le quartier<br />

ont été faits dès 1967, après l'inondation ?<br />

- Oui, oui !<br />

- Q - Ils sont donc plus vieux que les travaux d'assèchement<br />

de la lagune faits par les Hollandais en 1975 ?<br />

- Oui, ils sont plus vieux.<br />

- Q - Ne pensez-vous pas que les gens n'entretiennent pas<br />

assez ces caniveaux ? <strong>Si</strong> on les laisse se, boucher, ils ne<br />

servent plus à rien ...<br />

- L'eau qui vient après les pluies torrentielles s'en va facilement.<br />

- Q - Aujourd'hui, il n'y a plus d'angoisse d'inomdation<br />

comme autrefois, mais on a assez iiégligé l'entretien de ces<br />

caniveaux.<br />

- Oui. En 1975-76, il a plu beaucoup aussi, mais à ce moment-là,<br />

les rigoles étaient déjà construites. Alors l'eau passait : nous n'avions plus à<br />

nous inquiéter.<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Vous rappelez-vous de quelques-uns des premiers<br />

habitants de ce quartier qui aient laissé une trace particulière<br />

dans les mémoires ou dans les activités du quartier ?<br />

- Tout d'abord Monsieur Bamezon, le tailleur, qui était le chef du<br />

quartier ; il y avait aussi Monsieur Johnson, Monsieur Koudawo, Monsieur<br />

Hund, Monsieur Kponton ...<br />

- Q - Hubert Kpontonl, le créateur du Musée ?<br />

- Oui, oui, oui !<br />

I1 fut le premier Togolais à passer par l'bcole d'instituteurs William-Ponty de Dakar, puis<br />

homme politique (secrbtaire du dtputí5 Martin Akou de 1946 à 1951), enfin personnalité<br />

majeure de la vie culturelle togolaise jusqu'à sa mort, en 1980.<br />

62


Q - En fait, on oublie. trop souvent que le musée national a<br />

commencé ici, Ci Hanoukopé, chez luil ?<br />

- Chez lui, oui ! Il y a eu aussi Monsieur Randolph.<br />

- Q - Le fondateur de l'école Randolph ?<br />

- Oui, celui qui a créé l'école Randolph.<br />

- Q - Est-ce que cette école existe encore ?<br />

- Non, non... Il y avait aussi les deux Johnson (un qui travaillait à<br />

la poste et l'autre qui était commandant de cercle2), et Monsieur Gbikpi 3...<br />

- Q - Le frère du Père Gbikpi ?<br />

- Le grand-frère du Père Gbikpi, qui était fonctionnaire.<br />

- Q - C'était en fait des gens qui étaient à peu près tous du<br />

même âge et du même niveau social ?<br />

- Oui !<br />

- Q - Ce qui a fait un quartier extrêmement homogène ...<br />

- C'est ça, oui.<br />

- Q - Êtes-vous beaucoup de survivants de cette époque ? De<br />

ces gens que vous avez cités, y en a-t-il encore beaucoup qui<br />

vivent encore, et qui sont en bonne santé comme vous-même ?<br />

- Il y a Monsieur Gbikpi qui est toujours là ; il a sa maison tout<br />

près de l'école ...<br />

- Q - Mais la plupart des maisons sont aujourd'hui habitées<br />

par les fils de ceux qui les ont créées ?<br />

- Oui, oui ... Je me rappelle aussi de Monsieui Gbédey4, et puis tant<br />

d'autres.. .<br />

19 rue Kouassi-Bruce ; il n'en reste qu'un fronton décoré.<br />

André Johnson (1910-1967), rue Georges-Mensah.<br />

Norbert Gkikpi-Bénissan (né en 1909), rue Georges-Mensah.<br />

Robert Gbtdey (né en 1898), ancien commis des Finances, rue Georges-Mensah.<br />

63


- Q - Ce qui frappe, quand on visite ce quartier, c'est son<br />

homogénéité : les maisons sont construites à peu près de la<br />

même manière, avec les mêmes matériaux, d'où une grande<br />

harmonie de couleurs et de formed. Vous rappelez-vous qui<br />

construisaient ces maisons ? *<br />

- Chaque propriétaire a fait son plan selon son goût.<br />

- Q - Certains parfois avaient même un grand sens du<br />

pittoresque, comme pour ce porche charmant oÙ il y a un petit<br />

oiseau en ciment et la devise : "Petit å petit I'oiseau fait son<br />

nidtt2.<br />

- Ah oui, ah oui ... (rires)<br />

- Q - Les équipes de magons capables de construire de telles<br />

maisons. étaient-elles nombreuses ? Ou, en fait, était-ce<br />

toujours les mêmes équipes, qui ont tourné à travers le<br />

quartier ?<br />

- Oui, c'était à peu près les mêmes équipes.<br />

- Q - Ce qui explique donc l'homogénéité. Tout ceci a été<br />

construit en dix ans par des gens qui avaient le même niveau<br />

social, et par des artisans qui étaient plus ou inoins les<br />

mêmes. En dehors des fonctionnaires venus du Dahomey, y<br />

avait41 beaucoup de gens comme vous, c'est-à-dire dont le<br />

père était installé au centre-ville et qui représentaient déjà la<br />

deuxième génération des Loméens, ceux qui vont créer leur<br />

propre maison dans ce quartier périphérique ?<br />

- Eh non, ils ne sont pas nombreux.<br />

- Q - Maintenant, c'est un quartier qui a son marché, qui a des<br />

écoles, qui a des activités, qui est en quelque sorte devenu<br />

banal. .. Ce qui fait que les gens de Lomé ne se rendent pas<br />

bien compte de combien Hanoukopé est un quartier original.<br />

Merci, cher Monsieur Amegee, de nous l'avoir fait découvrir.<br />

Voir les constructions les plus remarquables dans Y. Marguerat et L. Roux : Trésors cachés<br />

du vieux Lomé, hitions Haho, 1993,164 p.<br />

Maison Locoh, 14 rue des Manguiers. Porche daté de 1935.<br />

64


no 5<br />

LA COMMUNAUTE LIBANAISE<br />

avec<br />

M. Nadim KALIFE<br />

(né en 1944 à Lomé)<br />

professeur d'économie<br />

à l'université du Bénin,<br />

consultant en politique économique africaine,<br />

g6rant des ateliers d'art du "Petit-Prince"<br />

Aujourd'hui, nous abordons une collectivité importante<br />

dans l'histoire et dans la vie économique de Loiné, bien que<br />

peu nombreuse et toujours discrète : la communauté libanaise.<br />

Nous sommes chez M. Nadiin Kalife, le directeur des<br />

établissements du "Petit-Prince ", qui est en même teinps<br />

professeur d'économie à l'Université du Bénin. Coinme nous<br />

sommes à côté de son atelier, nous entendrons de temps en<br />

temps des bruits qui viennent des machines de ses ateliers<br />

d'art, pendant que nous évoguerons avec lui l'origine et<br />

l'kvolution de' cette communauté.<br />

Tout d'abord un petit point de vocabulaire : on parle<br />

souvent des "Syro-Libanais". Y a-t-il des Syriens dans cette<br />

cominunauté, ou exclusivement des Libanais ?<br />

- A ma connaissance, il n'y a que deux Syriens dans la communauté<br />

dite libanaise du Togo. La dénomination de "Syriens" provient du temps de la<br />

colonisation française, où le Liban actuel était une partie du Territoire sous<br />

mandat de Syrie1. Le Liban actuel n'a connu son indépendance qu'en 1943, et<br />

la dénomination de "Liban" date de cette époque-18 seulement. Donc à<br />

l'époque d'avant 1943, c'était une partie de la grande "Syrie".<br />

- Q - Quel est le membre de votre .fanaille rpzd est arrivé Li le<br />

premier ?<br />

A la suite du traité de Versailles, tout con" le Togo (mais avec un autre type de mandat).


- Mon grand-père maternel, Assaad Michel Nassar. I1 a immigré à<br />

Lomé, en venant de Ketal, en 1916. Auparavant, le père de mon grand-père<br />

s'était établi à Keta en 1885. D'autres familles libanaises se sont établies dans<br />

la région de Lomé tout au début du X e siècle, à l'époque de la naissance de<br />

Lomé, notamment les Williams et les Jazzar.<br />

- Q - S'étaient-ils aussi implantés à Aného ou à Grand-Popo ?<br />

- Non, Williams et Jazzar, c'était à Lomé. De même, la famille fiasr<br />

(qui a évolué par déformation vers la forme Nassar, ou "Naza", comme on le<br />

prononce localement), qui est arrivée à Lomé seulement en 1916, venant de<br />

Keta. en Gold Coast. .<br />

- Q - Arrivaient-ils directement du Liban ou y avait-il eu des<br />

étapes migratoires intermédiaires ?'<br />

- Comme je vous l'ai dit, mon grand-père venait de Gold Coast : il y<br />

avait donc eu cette étape intermédiaire de Keta en 1885. Avant Keta, il venait<br />

directement du Liban. C'était dans l'antique tradition phénicienne, liée à<br />

l'aventure des mers. Ils étaient partis trois frères, du Liban jusqu'à Marseille.<br />

De Marseille, ils ont pris deux bateaux différents ; l'un est allé au Brésil, les<br />

deux autres sont venus sur la côte d'Afrique. Mon arrière-grand-père donc avait<br />

"échoué'' (si je puis dire) à Keta, et son frère, le troisième, est allé jusqu'au<br />

Cameroun, où il a donné une nombreuse descendance (qui s'est d'ailleurs<br />

alliée à la faniille du président Ahidjo).<br />

- Q - De quelle partie du Liban venaient-ils ?<br />

- Ils venaient du Liban-Nord, de la région de Meziara, non loin de la<br />

fameuse forêt des cèdres du Mont Liban.<br />

- Q - Ce sont donc des maronites ?<br />

- Des maronites, oui !<br />

- Q - C'est-à-dire des chrétiens rattachés ¿i Rome, mais de<br />

langue arabe ?<br />

- De langue arabe, bien sûr, oui !<br />

A 35 km B I'ouest de hmé. C'était alors le port ia. plus important de cette partie du littoral, B<br />

I'extrkmité orientale de la Gold Coast.<br />

66


- 5 - En 1943 : la communauté libanaise de Lomé célèbre l'accession<br />

du Liban à l'Indépendance.<br />

(De gauche à droite, assis au premier rang : Hattab, Biba Nassar, Renée Jazzar,<br />

Michel Assad ; deuxième rang : Abdallah (de Keta), un personnage non identifié,<br />

Joseph Williams, Antoine Nassif, Rémia Jazzar, Khalif Jazzar ; debout au<br />

troisième rang : Joseph Nassif, Michel Nassar, Elias Aoud, Jean Habib).<br />

On notera que les bandes (rouge-blanc-rouge) des drapeaux libanais -visiblement<br />

improvisés- sont verticales au lieu d'être horizontales.<br />

Photographie A. Acolatsé, Archives nationales du Togo.<br />

- Q - Est-ce que la plupart des Libanais actuels de Lomé sont<br />

aussi des maronites ?<br />

- Oui, dans leur grande majorité. Disons que, avant les événements<br />

de la guerre civile du Liban (qui a commencé en 1975), la quasi-totalité était<br />

maronite. Depuis ces événements, beaucoup de réfugiés sont venus s'installer<br />

sur la côte d'Afrique, dans les principales villes, notamment B Abidjan,<br />

Dakar, et un petit peu à Lomé. LI y a donc maintenant une nouvelle<br />

communauté libanaise musulmane (chiite, essentiellement) qui est venue<br />

s'installer ici.<br />

- Q - Ces nouveaux vews sat-ils ammg avec em kea<br />

dissensions du pays d'origine, QU mt-ih rkussi 2 s'et1 défaire<br />

en franchissant les océans ?<br />

67


- Je pense que la politique nationale qui existe au Togo, qui est une<br />

politique d'union, de non-dissension, leur ferme toute possibilité de faire<br />

éclore des sentiments peut-être cachés intérieurement. Ici, à Lomé, tout se<br />

passe bien. J'ai eu connaissance de troubles à Abidjan, oh le président<br />

Houphouët-Boigny a dû intervenir de façon ferme pour calmer les esprits, et,<br />

à ce'moment-là, les différentes communautés religieuses se sont assagies ...<br />

- Q - Revenons, si vous. le voulez bien, Ci votre grand-père, et<br />

li votre arrière-grand-père. Que faisaient-ils ? Qu'est-ce que la<br />

tradition familiale vous a légué de leur vie quotidienne ?<br />

- Ah, la tradition familiale ? Je peux dire que, au point oh j'en suis<br />

actuellement, je n'ai hérité que de l'esprit du commerce. Ce qui est très<br />

important, puisque j'ai cet esprit de façon "naturelle", sans l'avoir appris à<br />

l'école. Vous me voyez en train de pratiquer le commerce, mais je ne l'ai<br />

jamais appris à l'école ou à l'université. J'ai plut8t appris les moyens d'une<br />

politique économique générale, une science économique d'État, pas une<br />

économie privée. Mais par la tradition familiale, par l'environnement, je<br />

pratique le commerce, grâce, bien sûr, à l'héritage familial.<br />

Ce qu'ils faisaient, mes grands-parents ? A Keta, mon arrière-grand-<br />

père faisait du commerce des petits biens importés à l'époque, ce qui était<br />

importé par les bateaux qui débarqualent les marchandises au large (des tissus,<br />

du tabac, des alcools d'Europe ...) en échange des matières premières qu'ils<br />

emportaient, notamment les palmistes, le cacao, l'or, l'ivoire, etc.<br />

'Donc la communauté libanaise commercialisait tous ces biens de<br />

consommation courante : des pacotilles, des tissus qu'ils venaient vendre sur<br />

les marchés. A l'époque, les marchés n'étaient pas organisés comme<br />

maintenant : il n'y avait pas de boutiques. Donc ils allaient avec des valises,<br />

dont ils étalaient'le contenu sur le sol des marchés, et-ils vendaient au grand<br />

jour. Ils se faisaient aider par la population locale, à laquelle ils n'étaient pas<br />

encore intégrés (c'est par la suite que les anciens Libanais se sont intégrés à la<br />

population locale). Ils ont bâti un petit réseau commercial de distribution, qui<br />

a beaucoup contribué au développement du commerce des femmes, dont on<br />

parle tant. Ils ont eu beaucoup de relations de confiance et de crédit avec les<br />

femmes, alors que les anciens comptoirs coloniaux ne pratiquaient pas<br />

facilement le crédit, étant donné les principes de rigueur de gestion européens.<br />

Mais le Libanais, lui, pratiquait couramment le crédit, sur la base d'une<br />

confiance personnelle.<br />

- Q - Il servait en quelque sorte d'intermédiaire eritre les<br />

compagnies importatrices et les femmes ?<br />

68


- Exactement ! I1 a eu un rôle fondamental. C'est ce que me disait<br />

mon père (je ne l'ai pas oublié !) : la communauté libanaise a eu, au départ,<br />

un rôle fondamental de rouage de transmission entre les comptoirs coloniaux<br />

et la masse des petits commerçants du crû, en particulier les femmes.<br />

- Q - Ce qui exige une bonne pénétration du milieu et, en<br />

particulier, l'apprentissage précoce de la langue du pays.<br />

- Ah oui, oui ! Ça a été vraiment la langue véhiculaire : elle a servi<br />

de véhicule à l'introduction du commerçant libanais dans la population<br />

africaine en général, sur la côte togolaise en particulier.<br />

- Q - S'éloigrtaient-ils loin de la côte ?<br />

Oui, ils allaient à dos d'âne jusqu'à Atakpamé, à Sokodé, et même<br />

au-delà ... Ils mettaient de nombreux jours, même parfois des mois : ils<br />

s'éclipsaient des mois avec leurs marchandises à dos d'âne, comme cela se<br />

pratiquait encore (ie l'ai vu dans certains films) en Europe avant la Première<br />

guerre mondiale ...<br />

- Q - C'étaient des colporteurs ?<br />

- Des colporteurs ! Voilà ! C'étaient des colporteurs, à l'époque, qui<br />

allaient de village en village, pour vendre les marchandises dans les petits<br />

marchés.<br />

- Q - A cette époque, oÙ les transports intérieurs étaient lents<br />

et les transports extérieurs uniquement par bateau, leur<br />

arrivait-il de retourner au Liban ? Ou bien passaient-ils leur<br />

vie entière dans les pays africains où ils s'étaient implantés ?<br />

- Le retour au Liban était exceptionnel. Voyez par exemple le cas de<br />

mon arrière-grand-père. I1 n'a pas été enterré au Togo, comme mes grands-<br />

parents et mes parents, mais c'est parce qu'il avait eu une forte crise de<br />

malaria et qu'il avait dû repartir se faire soigner au Liban, parce que sa santé<br />

était vraiment déficiente.<br />

- Q - Il n'était donc jamais retourné au Liban depuis qu'il<br />

était arrivé ici ?<br />

- Oui. I1 a dû y repartir pour raisons de santé.<br />

- Q - Et il est mort là-bas ?<br />

69


- I1 est mort là-bas ... Mais avant, il avait renvoyé son fils Assaad<br />

Michel Nasr pour continuer son affaire à Keta, oÙ le commerce prospérait<br />

avec la Gold Coast britannique.<br />

- Q - Et vos parents, retournaient-ils de temps en temps au<br />

Liban, disons avant 1940 ?<br />

- Ils y sont retournés une seule fois, en 1952. Une fois seulement !<br />

(petit rire) Beaucoup de Libanais ne rentrent qu'une fois tous les dix ans, en<br />

moyenne ...<br />

- Q - Se mariaient-ils avec des filles qu'ils faisaient venir du<br />

Liban, ou bien retournaient-ils là-bas pour se marier ?<br />

- Ils allaient là-bas se marier. C'était la tradition, du fait que c'étaient<br />

les parents qui choisissaient les maris ou les femmes de leurs enfants, à un<br />

âge précoce. Par exemple, ma mère s'était mariée à l'âge de 14 ans, en 1928,<br />

avec un homme qu'elle ne connaissait pas, mais qui lui était destiné. C'était<br />

un de ses cousins, du nom d'Antoun Nasr.<br />

- Q - Ah ? Elle ry connaissait pas votre père avant son<br />

mariage ?<br />

'- Ce n'était pas mon père, c'était son premier mari, qu'elle a perdu en<br />

1940. Et puis elle s'est remariée -alors là, en toute connaissance de cause !-<br />

avec mon père, Michel Kalife, en 1943 ...<br />

- Q - C'était donc une communauté qui gardait sa cohérence et<br />

ses liens avec son pays d'origine même sans y retourner<br />

pendant dix ou vingt ans ?<br />

- Oui, oui ! Ça remonte à l'Antiquité, à l'esprit phénicien ... Comme<br />

les Phéniciens d'autrefois, la communauté libanaise est rkpandue à travers le<br />

monde entier : il y en a un million aux États-Unis, un million au Brésil, en<br />

Australie ... En Afrique occidentale, il doit y avoir 150 O00 Libanais, pas<br />

plus.<br />

- Q - On parle de 100 O00 rien qu'en Côte d'Ivoire ...<br />

- Pas possible ? Les Libanais, ce sont des Méditerranéens, ils<br />

exag2rent facilement ... I1 faudrait demancler vraiment l'effectif aux autorités<br />

ivoiriennes. Mais il se pourrait bien que ces derseres années, avec la guerre<br />

civile, il y ait eu un afflux massif.<br />

70


- Q - C'est ce que l'on m'a dit. Ici, à Lomé, au recensement de<br />

1981, on en a trouvé seulement 350. Cela a diì tout de même<br />

évoluer depuis ?<br />

- Je pense que ça doit être aux environs de 500, du fait de l'afflux<br />

provoqué par la guerre civile au Liban.<br />

- Q - Cette communauté a-t-elle gardé sa langue, ses<br />

traditions religieuses, ou bien s 'est-elle éloignée de son pays<br />

d 'origin e ?<br />

- Sauf les Libanais qui se sont assimilés, qui ont adopté les<br />

traditions du pays d'accueil ou se sont naturalisés, les autres, en général, ont<br />

conservé leurs traditions, leurs prières dans leur langue d'origine, dans le rite<br />

maronite.<br />

- Q - Par exemple, vous-même, parlez-vous encore l'arabe en<br />

famille ?<br />

- Moi-même ? Non. Mon père m'a envoyé au Liban à l'âge de 7 ans<br />

pour aller apprendre l'arabe, parce que, quand j'étais petit, je ne parlais que le<br />

mina et le français. Pour apprendre l'arabe, je suis resté sept années là-bas et<br />

j'ai oublié le mina. (rire) Je suis revenu ici à 14 ans. J'avais gagné une langue<br />

et jlen avais oublié une autre. (rire)<br />

- Q - Dans la communauté libanaise de Lomé continue-t-on ¿ì<br />

parler couramment l'arabe ?<br />

- Oui, pour les facilités de communication, et pour la langue<br />

commerciale elle-même. Vous savez bien que les affaires sont basées en<br />

général sur le secret : autant que chacun parle dans sa langue, dans une langue<br />

qui soit inconnue des autres.<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Revenons à la génération de vos grands-parents, qui sont<br />

installés à Lomé au début du siècle. D'après le Grundbuch l1<br />

allemand, le premier Libanais (et le seul avant la guerre de<br />

1914) à posséder un terrain, c'était Joseph Williams, qui était<br />

propriétaire d'une parcelle à côté du grand-marché.<br />

Livre foncier de l'époque allemande.<br />

71


Avait-il été l'un des tout premiers à s'installer à<br />

Lomé, ou plutôt le tout premier à s'être enrichi ? Que savez-<br />

vous de Joseph Williams ?<br />

- Joseph Williams ... Je ,sais que c'est l'un des premiers Libanais,<br />

avec mon grand-père Nassar. Je ne connais pas vraiment sa date d'arrivée.<br />

Vous avez dit avant 1914 ? Oui, c'est fort possible ...<br />

- Q - Il a immatriculé son terrain en 1913.<br />

- Ah bon ? Mòn grand-père a immatriculé le sien en 1916 : c'est le<br />

terrain qui se trouve au grand-marché1 ; il date de cette époque.<br />

- Q - J'ai trouvé aux archives d'Accra un rapport de l'officier<br />

anglais qui s'occupait- des affaires politiques de Lomé pendant<br />

la Première guerre mondiale. Le 7 octobre 1918, il y a eu un<br />

problème assez épineux. La farine était très rare à Lomé, et<br />

. elle était donc réservée aux Européens. Or la petite<br />

communauté libanaise consommait traditionnellement du pain<br />

sans levain comme aliment de base, et donc elle a protesté<br />

véhémentement contre cette décision qui la privait de farine.<br />

Le "district political officer" a fait un rapport au major Rew<br />

(qui gouvernait la zone d'occupation anglaise) où il signale<br />

qu'il a reçu le 5 octobre une délégation de "Syriens" dont il<br />

cite les noms : messieurs K. Jazzar, Nassar, John Jazzar,<br />

Williams et Ali Amine. Ce n'est peut-être pas toute la<br />

communauté, mais certainement ses représentants les plus<br />

éminents.<br />

Ces noms vous évoguent-ils quelque chose ?<br />

- Oui, je connais Jazzar, Williams et Nassar, mais Ali Amine ne me<br />

dit rien. Ils étaient effectivement les représentants de la communauté<br />

libanaise. Par la suite, elle a eu comme président M. Nassar, mon grand-père<br />

(les gens de Lomé prononcent "Naza"), qui est resté président de la<br />

communauté libanaise jusqu'à sa mort, en 1945.<br />

- Q - D'après le texte, ils sont venus pour protester, mais<br />

l'administrateur anglais les a reçus très sèchement, leur disant<br />

qu'ils sont officiellement sujets turcs (puisque le Liban<br />

faisait alors partie de l'empire ottoman, entré en guerre aux<br />

côtés de l'Allemagne), donc ils sont théoriquement des<br />

Au nord-est de. la cathédrale : pâté d'imeubles (oÙ SF trouvait autrefois la librairie Walter)<br />

entre la rue Foch, la rue du Grand-marché, la rue de 1'Eglise et le grand-marché.<br />

72


ennemis des Anglais, et qu'on est bien bon de ne pas les<br />

mettre dans des camps de concentration ... Bref, ils n'ont qu 'ti<br />

la boucler ! Mais l'officier continue son rapport en disant<br />

qu'il faut faire attention, parce que ces "Syriens" font<br />

beaucoup d'affaires avec les indigènes, aussi bien en ville que<br />

dans la campagne, et que toute expression de désapprobation<br />

de leur part envers les autorités anglaises pouvait être<br />

dangereuse pour le prestige britannique auprès de la<br />

population. Il ajoute à propos de Nassar qu'il l'a connu huit<br />

ans avant. Donc, en fait, il l'avait connu Ci Keta en 1910 ?<br />

- A Keta, exactement ! C'est de là que mon grand-père était venu<br />

pour s'installer à Lomé.<br />

- Q - Ce qui est intéressant pour l'histoire économique et<br />

rociale de Lomé, c'est que la guerre de 1914 a provoqué un<br />

afflux de commercants libanais. En nombre limité, bien sûr,<br />

mais ~i01i négligeable. Les cominergants allemands ayant été<br />

évincés du fait de la conquête alliéel, on peut penser que les<br />

Libanais ont occupé une partie de la brèche ?<br />

- Ah oui, absolument ! Votre document est aussi intéressant du<br />

point de vue de l'histoire économique, puisque cela signifie qu'à l'époque, la<br />

population africaine d'origine ne mangeait pas de pain : c'est maintenant que<br />

le pain est devenu la matière la plus consommée, avec le riz2. Cela explique<br />

en partie le déséquilibre alimentaire de la production agricole africaine, qui est<br />

l'une des causes de la crise Cconomique actuelle de l'Afrique : celle-ci s'est<br />

détournée largement de la production alimentaire traditionnelle.<br />

- Q - Aujourd'hui, les Libanais de Lomé continuent-ils à<br />

consommer leur pain traditionnel, sans levain ?<br />

- Ah oui ! Ce pain sans levain a une qualité digestive que les<br />

Européens apprécient très bien, de même que les Togolais, et partout en<br />

Afrique ... Quand un Africain découvre le pain libanais, il a l'habitude de<br />

l'adopter non pas comme pain quotidien, mais pour le plaisir de la<br />

dégustation.<br />

- Q - Qui le fabrique ?<br />

- Au départ, c'étaien les Libanais qui avaient monté les fours : il y a<br />

Les firmes allemandes furent autorisées i rester ouvertes, mais elles étaient désormais<br />

coupées de leurs sources d'approvisionnement. En 1916, leurs stocks étant épuisées, elles<br />

furent fermées, et leurs responsables déportés dans des camps de prisonniers.<br />

Depuis les années 1975-76.<br />

73


des boulangeries libanaises dans toutes les villes d'Afrique. Par la suite, il y a<br />

eu, comme pour) les tissus, des gestions de ce fonds de commerce par les<br />

Africains du milieu. Actuellement, il y a plusieurs petits boulangers togolais<br />

. qui fabriquent le pain sans levain libanais, qu'on trouve en vente dans les<br />

supermarchés et dans certaines boutiques de Lomé.<br />

- Q - C'est ce qu'on appelle ici "agouda kpono".<br />

- Voilà, exactement ! (rire)<br />

- Q - D'où vient ce terme d"'agouda" ?<br />

"Agouda", c'était le surnom donné à l'origine aux Portugais de<br />

Ouidah. Les Libanais étant basanés comme les .Portugais, ils ont été<br />

assimilés à ces derniers lors de leur arrivée à la fin du XMe siècle, alors que<br />

les Portugais sont arri.vés en Afrique dès le XVè siècle.<br />

- Q - Considérez-vous ce terme comme un peu péjoratq, ou<br />

simplement descriptif, comme " yovo" ?<br />

- C'est descriptif ! Bien sûr, il y a une pointe de péjoration, si je<br />

peux dire ... Ça dépend de celui qui le prononce, dans quel esprit ... (petit<br />

silence) Ce sont des phénomènes sociologiques qui existent partout (aussi<br />

bien aux États-Unis ou en France qu'en Afrique) : la communauté immigrée<br />

est toujours plus ou moins bien appréciée par ceux qui l'accueillent. Ce n'est<br />

pas méchant, c'est naturel, c'est humain ...<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Comment a évolué cette communauté entre les deux<br />

guerres mondiales ? A ce moment-là, les Libanais sont<br />

devenus sujets français (le Liban étant territoire sous mandat<br />

au même titre que le Togo). Donc ils peuvent circuler<br />

librement dans tout l'empire français. Arrivent-ils nombreux à<br />

cette époque-là ?<br />

- Oui. A ce moment-là, il y a eu une nouvelle vague, après la<br />

guerre, dans les années 1920-25. I1 y a eu notamment mon propre grand-père<br />

paternel, Kalife ; il y a eu Farah, Awad, Gebara, Tannous, Sémani, Koury ...<br />

Ils sont arrivés donc dans la foulée de la colonisation française, le Liban étant<br />

également placé sous mandat de la France<br />

Blanc, Européen au Togo et au Btnin.<br />

74


- Q - Ceux-là venaient-ils, eux aussi, directement du Liban,<br />

ou bien avaient-ils transité par ailleurs ?<br />

- Oh, ils sont simplement passés en bateau par Marseille, qui était<br />

le port de relais.<br />

- Q - Étaient-ils apparentés à ceux qui étaient déjà installés<br />

ici ?<br />

- Tout à fait ! Ils étaient des mêmes familles, ou alliés, ou du moins<br />

du même village.<br />

- Q - Il y avait donc des filières familiales de migration ?<br />

- Voilà ! Vous avez cité les noms de Nassar, Williams et Jazzar.<br />

Tous ceux qui sont arrivés par la suite sont venus par ces filières des villages<br />

d'origine de ceux-là : il n'y avait que deux villages d'origine, qui sont Hasroun<br />

et Meziara.<br />

- Q - A quel moment cette communauté a-t-elle été assez<br />

nombreuse sur place pour pouvoir se marier à Lomé ? Les<br />

hommes arrivaient sans doute tout seuls au début. Ou bien<br />

venaient-ils avec leur famille ?<br />

- C'était mitigé. Certains venaient avec une femme et donnaient<br />

naissance à leurs enfants sur place. D'autres étaient venus célibataires ; ils<br />

repartaient se marier au Liban pour revenir avec une femme et donner des<br />

enfants sur place.<br />

- Q - Les enfants qui vivaient sur place parlaient donc le mina<br />

et l'arabe ?<br />

- Et le français ! '<br />

- Q - Ont-ils été fortement scolarisés ?<br />

- A la française, oui. Mais leur niveau de scolarisation dépassait<br />

rarement le BEPC ou le baccalauréat.<br />

- Q - La crise économique des années 1930 a-t-elle amené un<br />

certain reflux de cette communauté ? Y a-t-il eu des Libanais<br />

qui ont quitté le Togo Ci ce moment-là ?


I -<br />

- Non ! Pas du tout ! Au contraire. L'Afrique, en ce temps-là, c'était<br />

vraiment le continent lointain, le monde de l'aventure, si vous voulez : il<br />

fallait avoir de l'audace pour y venir. Je crois que les gens ont été encouragés<br />

à venir s'y .installer parce qu'il y avait tout à créer du point de vue de<br />

l'économie moderne : l'achat des produits d'exportation et la vente des<br />

marchandises d'importation; en servant de relais aux comptoirs coloniaux.<br />

- Q - Peut-être les Libanais, qui avaient moins de frais<br />

généraux, ont-ils mieux supporté la crise que les grandes<br />

compagnies européennes, dont la gestion était lourde ?<br />

- Ah oui ! De toute façon, une micro-économie familiale est<br />

toujours mieux adaptée aux phénomènes de crise qu'une grande compagniequi<br />

comporte une bureaucratie, une certaine hiérarchie ... Ça, c'est tout à fait<br />

reconnu partout. De plus, le commerçant libanais peut facilement réorienter<br />

son activité vers des produits nouveaux, ou s'adapter à de nouveaux besoins<br />

de 1a.population locale, avec laquelle il est en contact direct et permanent, et<br />

où il est le plus souvent bien intégré socialement.<br />

- Q - Avez-vous connaissance d'une évolution dans ce<br />

commerce ? Un changement de produits, un changement de<br />

type de pratique ? Ou y a-t-il eu simplement une croissance ?<br />

- Il y a bien eu un changement de type de produits. Je me rappelle<br />

que, quand j'étais tout petit, il y avait beaucoup de tissus dans le magasin de<br />

mon père. Et quand je suis revenu après mes sept ans au Liban, il n'y avait<br />

plus que des alcools. I1 y a eu cette évolution dans les années 1950 : des<br />

tissus aux alcools. Les tissus étaient tombés dans les mains des femmes<br />

commerçantes. Et les Libanais se sont repliés sur les autres domaines qui<br />

étaient en pointe à l'époque : les alcools, les pièces détachées de voitures,<br />

etc., ceux qui n'étaient pas monopolisés par les anciens comptoirs, dont les<br />

Libanais devenaient alors concurrents.<br />

Q - Donc une spécialisation dans le commerce des produits<br />

qui échappent aux femmes ?<br />

- Voilà ! I1 y a toujours eu une pratique de session des parts de<br />

marchés en faveur des autres commerçants, qui étaient bien sûr les femmes.<br />

- Q - Y a-t-il eu alors une certaine "induration" de ce<br />

commerce, avec des structures plus lourdes, avec des .bureaux,<br />

des succursales ?<br />

76


- Bien sûr, il y a eu une nette évolution : ça fait partie du progrès<br />

social. I1 y a eu une évolution vers les boutiques bien établies, les bureaux,<br />

les services comptables, qui ne cessent de s'améliorer au fil des ans. La<br />

génération de mes parents se contentait d'une comptabilité grossière.<br />

- Q - Mais, aujourd'hui, l'activité essentielle de cette<br />

communauté reste axée sur le commerce ?<br />

.- Elle s'est diversifiée dans l'industrie. I1 y a eu toujours un<br />

phénomène que j'ai constaté (peut-être est-ce une loi générale) : dès qu'un<br />

commerçant libanais devient puissant commercialement, il a tendance à<br />

investir dans l'industrie ; il passe du commerce à l'industrie et, plus tard, il<br />

vise à investir dans la banque (là, ce sont quelques cas exceptionnels !).<br />

Disons qu'il y a cette évolution des richesses qui passent du service à la<br />

production matérielle, avant de passer à la concentration financière.<br />

- Q - Aujourd'hui, un siècle après sa première installation sur<br />

la côte africaine, cette . communauté reste-t-elle toujours aussi<br />

cohérente, notamment pour ce qui concerne le mariage, la<br />

langue ... Ou bien a-t-elle tendance à se fondre dans le pays<br />

d'accueil ?<br />

- Pour la communauté d'origine, celle qui est venue tout à fait au<br />

début du siècle, la cohérence n'existe plus ; elle s'est fondue dans la masse du<br />

pays d'accueil, dans la civilisation locale (qui est maintenant une synthese de<br />

la civilisation africaine et de la civilisation européenne), tout en maintenant,<br />

bien sûr, son apport d'origine. Mais la nouvelle vague -ceux qui sont venus,<br />

par exemple, dans les années 1950- est restée plus cohérente : elle ne s'est pas<br />

assez bien implantée, elle ne se sent pas encore entièrement africaine. Et<br />

encore moins la vague de 1975, celle de la guerre civile : elle n'a pas fait<br />

quinze ans ici, et quinze ans ne suffisent pas pour modifier le comportement<br />

social d'une communauté, n'importe laquelle.<br />

- Q - Y a-t-il beaucoup de mariages mixtes entre Libanais et<br />

Togolais ?<br />

- Ah oui ! Le mariage est mixte "tous-azimuths" depuis la guerre.<br />

Par exemple, mon propre grand-père avait divorcé de ma grand-mère pour<br />

prendre une femme noire, et j'ai des cousins qui sont métis, vous voyez ?<br />

Moi-même, j'ai eu une fiancée togolaise autrefois. Oh, bon ... Il y a eu un<br />

accident qui nous a empêché de nous marier, et jlai dû épouser une autre<br />

femme, mais ce n'est pas avec une Libanaise : c'est avec une Française, que<br />

jlai rencontrée au cours de mes études. Comme beaucoup d'autres Togolais<br />

qui ont pris épouse en France, je me suis marié avec une Française, du fait<br />

77


qu'on se trouvait sur les mêmes bancs que ces filles françaises qui<br />

frequentaient les mêmes universités. Donc il n'y a plus ce lien obligatoire. Je<br />

vous ai dit qu'il y a des Libanais qui se sont assimilés en Afrique, qui ont<br />

perdu cette ascendance et cette tradition d'origine, comme d'ailleurs partout<br />

clans le monde. Comme ceux qui oiit été assimilés aux États-Unis, etc. Ils<br />

ont pris femme sur place, dans d'autres communautés, et ainsi de'suite. Le<br />

Libanais a une structure sociale très ouverte ; il a une capacité d'assimilation<br />

extraordinaire, qui est rare dans le monde.<br />

- Q - En Côte d'Ivoire et au Sénégal, il semble que cette<br />

nouvelle immigration soit très différente de la précédente.<br />

Autrefois, on venait en- Afrique gagner de l'argent pour,<br />

finalement, repartir avec au Liban. Les nouveaux venus, au<br />

contraire, viennent s'installer en Afrique avec leurs capitaux.<br />

A Dakar et Ci Abidjan, ils ont acheté massivement des<br />

immeubles pour s'y implanter. Il y a donc eu, cette fois, un<br />

reflux des capitaux du Liban vers L'Afrique.<br />

- Oui. <strong>Si</strong> vous voulez, le Liban étant devenu une terre brûlante (et<br />

brûlée), ce sont tous les Libanais riches qui ont émigré, cette fois-ci. Alors<br />

qu'il y a un siècle, c'étaient les Libanais pauvres qui partaient à I'étranger, à la<br />

recherche de la fortune. Maintenant, c'est plutôt le Libanais riche qui cherche<br />

à investir ses capitaux à l'étranger. Et donc ces capitaux sont partis aussi bien<br />

à New York qu'à Paris, à Londres, à Melbourne ... ou en Afrique, et<br />

notamment, comme vous le dites, à Abidjan, où il y a un pôle économique<br />

intéressant, où il y a un marché industriel important. Je ne les connais pas,<br />

mais je suis sûr qu'ils ont investi dans l'immobilier et dans l'industrie, n'est-<br />

ce pas ?<br />

- Q - Oui, c'est exactement ça.<br />

- Q - Au moment de l'Indépendance du Togo, je crois qu'une<br />

partie. de la communauté libanaise a pris la citoyenneté<br />

togolaise, n'est-ce pas ?<br />

- Oui. Ceux qui ont pu justifier de leur implantation ancienne dans<br />

le pays. Nous sommes juste quelques rares citoyens togolais d'orïgine<br />

libanaise à avoir ainsi obtenu la citoyenneté. Ma mère l'avait demandée<br />

aussitôt après I.'Indépendance, mais la plupart des Libanais vivant au Togo (la<br />

grande majorité, à 98 % !) n'ont pas encore la citoyenneté togolaise. Mais il<br />

y en a. beaucoup qui souhaitent l'avoir ... sans réussir à l'obtenir !<br />

78


- Q - La désirer ou l'obtenir, cela signifie en tout cas une<br />

volonté d'intégration définitive dans le pays ?<br />

- Oui, comme cela s'est passé ailleurs depuis des millénaires. De<br />

tout temps le Phénicien -devenu le Libanais depuis 1943- est un homme qui<br />

s'intègre facilement dans le milieu d'accueil. I1 s'entend d'ailleurs beaucoup<br />

mieux, en général, dans le pays d'accueil, avec les ressortissants de ce pays<br />

qu'avec ses propres congénères ... C'est une particularité qui distingue les<br />

Libanais : contrairement à ce qu'on pense, ils ne sont pas du tout soudés.<br />

- Q - Mais,. dans une ville comme Lomé, votre communauté<br />

.forme un groupe relativement uni, iion ?<br />

- D'apparence ! Ne croyez pas tout I Je la connais très bien, je la<br />

fréquente, j'en fais partie moi-même ... Vous savez, l'argent divise les<br />

hommes ! Comme nous sommes tous commerçants, nous sommes tous<br />

concurrents les uns des autres. C'est le leitmotiv de tout : la concurrence<br />

matérielle. Bien sûr, il y a des sentiments qui jouent, etc. Mais où est<br />

l'unité '? La preuve en est le désordre qui règne au Liban depuis 1975 : depuis<br />

treize ans, ils n'arrivent pas à s'en sortir ...<br />

- Q - Même divisé, cela reste un groupe qùand même<br />

remarquablement dynamique ...<br />

- Ah ça oui ! Un Libanais ne rend jamais sa blouse, même s'il<br />

échoue dans son commerce. I1 prend une nouvelle entreprise. I1 a la foi dans<br />

son travail. C'est une forme millénaire, qui date d'au moins 4 O00 ans ! I1 en<br />

a vu d'autres dans sa famille qui ont échoué, qui ont réussi, qui ont rééchoué,<br />

qui ont encore repris le flambeau ... C'est un individualisme vraiment poussé<br />

à l'extrême. C'est, à mon avis, le peuple le plus individualiste qui existe au<br />

monde ! Qui dit individualiste dit compter sur soi-même ; donc le Libanais se<br />

débrouillera toujours par ses propres moyens ...<br />

- Q - Ici, ri Lomé, les Libanais réagissent-ils en vrais<br />

I Loméeiis (ce que je caractérise par le culte de la maison de<br />

I famille, qui se transmet de génération en génération suits la<br />

revendre, tandis que chaque génération doit fonder sa propre<br />

maison) ?<br />

- Eh bien, c'est ce qui s'est passé. Ainsi moi, je suis dans<br />

l'immeuble que mon grand-père avait légué à ma mère1, malgré toutes 'mes<br />

difficultés : j'ai vendu tout ce que j'avais comme biens immobiliers, mais j'ai<br />

gardé celui-ci. Ça, je ne le vendrai jamais, et j'espère que mes enfants y<br />

' 13 avenue du 24-Janvier, sur le côté ouest du Jardin FrCau..<br />

79


vivront heureux.<br />

- Q - Maintenant vous êtes donc devenu un vrai Loméen...<br />

- Oui, oui ! Ca, absolument ! Je l'affiche partout. Et les vrais<br />

Loméens le reconnaissent ... (rire)<br />

- Q - Et le terrain de votre grand-père au grand-marché ?<br />

- Au ,grand-marché ? Il est toujours là. I1 est possédé actuellement<br />

par les autres petits-enfants (parce que nous sommes nombreux), les autres<br />

petits-enfants du nom de Nassar. (Moi mon père, c'est Kalife ; Nassar était<br />

mon grand-père maternel). Ce sont ses propres arrière-petits-enfants qui sont<br />

actuellement propriétaires. L'un des tout premiers immeubles en ciment de<br />

Lomé a été construit là en 1916, en face de la cathédrale.<br />

- Q - Stcr la parcelle qui est devant la cathédrale, où il y avait<br />

autrefois la librairie Walter ? Cette parcelle, si je ne me<br />

trompe, appartenait à la iirme allemande Kulenkampff. Elle a<br />

été vendue aux enchères en 1924, quand l'Administration a<br />

liquidé tous les biens allemands.<br />

- Ah ça, c'est la secónde parcelle, la plus grande: Derrière celle-ci,<br />

tout près de là où il y avait le magasin Bata, ça appartient à Jazzar, l'un des<br />

premiers Libanais. Juste derrière Jazzar, sur la même ligne, il y a l'immeuble<br />

Nassar, qui était ce premier immeuble en dur.<br />

- Q - A propos de ces ventes aux enchères de 1924, le rapport<br />

de l'administration française, dit que les Libanais ont participé<br />

très fort aux enclères. J'ai retrouvé les chiffres : le prix de<br />

départ pour cette parcelle Kulenkampff était de 105 O00 F.<br />

Elle a été adjugée à 261 O00 h Michel Assaad Nassar.<br />

' - Mon grand-père ! Justement !<br />

- Q - Quelle était la valeur en francs contemporains du franc<br />

de 1924 ? Il doit falloir multiplier par cent ou deux cents.<br />

- Par 400 ou 500 ! Mon père avait acheté une voiture, en 1930, à<br />

1000 F (mais pas toute neuve, bien sûr : c'était une occasion à 1000 F).<br />

Actuellement vous achetez une voiture d'occasion à un million, un million et<br />

de mi... : il faut multiplier par 1000, ou 1500, mais aussi diviser par 3 ou 4<br />

pour tenir compte des gains de productivité ...<br />

80


*<br />

* *<br />

- Q - Revenons, M. Kalìfe, ci votre propre enfance de petit<br />

Libanais Ci Lomé. A quelle école . alliez-vous ? Comment vous<br />

intégriez-vous dans la communauté des enfants de votre &e ?<br />

- Là, je n'ai que deaès vagues souvenirs. Je me rappelle que je<br />

m'amusais avec les enfants du quartier, et qu'on parlait la même langue, la<br />

langue mina. Je fréquentais l'école des Soeurs ; je crois que ça doit être la<br />

même école que celle qu'avait fréquentée ma m&re, rue de la Mission1. J'étais<br />

tout petit, à l'âge de 5 ans. Aussitôt après, à l'âge de 6-7 ans, mon père nous<br />

a envoyé, mon frère et moi (mon frère avait 4 ans) à l'école des Weres des<br />

Écoles chrétiennes au Liban, à Tripoli2, pour apprendre l'arabe, pour renouer<br />

avec la tradition, justement pour ne pas perdre nos racines.<br />

- Q - Quand vous revenez, Ci l'âge de 14 ans, comment vous<br />

sentez-vous à Lomé ?<br />

- Ah, j'ai toujours eu Lomé dans l'esprit ! J'avais toujours eu l'envie<br />

de revenir ... Je me rappelle que j'en pleurais ... Quand je suis revenu à l'âge de<br />

13-14 ans, bien sûr j'avais perdu la langue mina, que je maniais parfaitement<br />

étant tout petit. Je me rappelle que la première chose que j'ai demandée en<br />

débarquant à Lomé, c'est une noix de coco ! Je voulais boire une noix de<br />

coco, parce que ça m'avait beaucoup manqué ...<br />

- Q - C'était ta le souvenir le plus marquant de votre petite<br />

enfance ?<br />

- Eh oui ! Quand j'ai débbarqué à l'aéroport, j'ai demandé au chauffeur<br />

de mon père d'arrêter et d'aller me décrocher une noix à un cocotier de la<br />

plage. Mais mon père m'a dit : "Non, ça ne nous appartient pas ! Tu n'as pas<br />

le droit d'y toucher". Ça m'a fait mal, mais il avait tout à fait raison. C'était<br />

une bonne éducation ... (rire)<br />

Écob des Soeurs (dite de la Plage), construite en 1907.<br />

Deuxihe ville du Liban, chef-lieu de sa partie sord.<br />

%1


UN DOCUMENT<br />

M. Georges Williams, installé à Lagos, a demandé à sa fille,<br />

commercante à Lomé, de E 'aider à obtenir le renouvellement de son passeport<br />

togolais. Dans sa lettre, il décrit ainsi l'histoire de son père, Joseph<br />

William(s), l'un des tout premiers Libanais de Lomé.<br />

L'histoire de la famille Williams<br />

Mon père, Joseph Williams, est arrivé à Lomé en 1896, venant de<br />

Sekondi' (au Ghana), où son frère aîné, Anthony Williams, l'avait précédé en<br />

1893. Il était âgé de 15 ans à peine.<br />

On doit s'imaginer ce que Lomé était en 1896. Les Allemands<br />

venaient à peine de tracer les rues de la future capitale2. L'administration<br />

allemande se trouvait encore à Zébé (Aného). Les conditions de vie étaient<br />

très dures. Pas d'habitations, pas d'eau, pas d'électricité, pas de vivres frais...<br />

En un mot : rien !<br />

En plus, il fallait éviter les moustiques, les mouches tsé-tsé, la<br />

fièvre jaune, et surtout le paludisme.<br />

La preuve : on n'a qu'à faire un tour aux cimetières de Porto-Seguro<br />

et de Lomé, pour avoir une idée de ce qu'était la vie dans ces temps :<br />

plusieurs centaines de jeunes Allemands fauchés par les fièvres.<br />

Donc, en arrivant à Lomé, Papa habitait dans une hutte, le long de<br />

la plage (au début de la route d'Aného). I1 n'y avait comme Blancs qu'un<br />

docteur allemand et un commissaire délégué par l'administration de Zébé3.<br />

C'est dans ces conditions difficiles que ton grand-père maternel<br />

commença son petit commerce de bibelots. Il retourna au Liban en 1907 pour<br />

se marier et revint la même année au Togo, avec sa femme Suzanne.<br />

Tous ses enfants, Constantin, Elvire, Blanche, Victor, Georges et<br />

Raymond, sont nés à LomB.<br />

~ ~~~ ~<br />

Principal port de la partie occidentale de la côte ghanéenne.<br />

Lom6 est deveme capitale du Togo le 6 mars 1897.<br />

Tout deux install& 3 l'emplacement de la gare souti&re du grand-marché.<br />

82


En 1914, durant la Première guerre mondiale, les Allemands se sont<br />

retirés de Lomé pour Kamina (près d'Atakpamé). Ils ont re& les clés de la<br />

ville à Papa, qui lui, à son tour, les a remises aux Alliés : les Anglais venant<br />

de la Gold Coast (Ghana) et les Français venant du Dahomey (Bénin)l.<br />

Pendant ce temps, la Mission catholique allemande confia toutes ses<br />

possessions ?i Papa, qui, bien.plus tard fie crois en 1920), les restitua à la<br />

même mission, mais tenue par un clergé français.<br />

Par son'labeur assidu et son honnêteté, il est devenu un symbole,<br />

estimé par tous let très aimé par les Togolais, pour lesquels il était un père,<br />

saout les pauvres. I1 était membre de la Chambre de commerce, doyen des<br />

commerçants et président de la communauté libanaise. Un vrai pionnier !<br />

Lors de sa mort, le 9 avril 1939, le gouverneur Lucien Montagné2 a<br />

tenu à suivre en personne ses funérailles et à faire son éloge funèbre3.<br />

C'est pour ces- raisons, et pour l'attachement que nous avons pour le<br />

- Togo, que nous nous considérons comme Togolais.<br />

*<br />

* *<br />

Quant à moi, je suis né le 13 juin 1920 à Lomé, dans la maison de<br />

Feu Emmanuel Ajavon (à Adawlato, près du grand-marché), fils de Joseph<br />

Williams et de Suzanne, née Jabre.<br />

J'ai fréquenté l'école de la mission catholique à Lomé (a l'église du<br />

Sacré-Coe&) jusqu'en 1928, date à laquelle mes parents m'envoyèrent au<br />

Liban parfaire mes études au collège français de la Sainte-Famille, tenu par<br />

les frères de Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle5. J'ai obtenu mon diplôme de fin<br />

d'études en arabe, anglais, français et espagnol.<br />

Petit enjolivement de l'histoire : c'est le commandant du district de Lomé, Clausnitzer, qui est<br />

rest6 sur place pour rendre la ville aux Britanrjaues, le 7 ao& à IS heures. Pour les biens<br />

immobiliers de la mission, il y eut dévolution par l'administrz~on militaire anglaise aux<br />

missionnaires SMA de Gold Coast. Mais il est possible qo'2 ieur départ, en janviee 191 8, les<br />

' &res allemands aient confi6 å WilIiillas burs avoirs cn argent liquide.<br />

Au Togo de 1936 61941.<br />

Joseph Williams est ented dans la partie ofrlcielfe du cimeti8re de B6niglat0, juste au-delà<br />

des tombes allemandes, sous une dalle trhs sobre (ce que ne sont pas toujours les tombes<br />

libanaises).<br />

C'est-%-dm la cath6drale.<br />

Ou MES des &coles cl-dtiennes.<br />

83


Je parle couramment éWé, et passablement haoussa et yorouba.<br />

En 1939, après la mort de Papa, je suis retourné à Lomé, et j'ai<br />

établi mon commerce, à I'âge de 19 ans. Mon numéro au registre du<br />

Commerce était le no 108. En 1943, j'ai été enrôlé dans l'armée française, et<br />

je ne suis plus revenu au Togo [...I.<br />

84


no 6<br />

LA BOXE<br />

avec<br />

M. Boukari DJASSO<br />

(né en 1937 à Kara, préfecture de la Kozah)<br />

ancien champion de France de boxe (1958-60),<br />

entraîneur de boxe<br />

M. Tatsé ADJE<br />

(né en 1932 à Kabou, préfecture de Bassa)<br />

commerçant à Lomé<br />

M. Dométo AGBIDI (dit "Danger")<br />

(né en 1915 àLomé)<br />

ancien chauffeur à Lomé<br />

Nous continuons notre promenade dans le passé de la<br />

ville de Lomé en sautant du coq Ci l'âne, et nous voici<br />

aujourd'hui avec les boxeurs. Nous revenons donc, après<br />

l'émission avec les footballeurs1, aux problèmes de la vie<br />

sportive h Lomé. Nous sommes en compagnie de :<br />

- M. Djasso, qui a été champion de France en 1958-60<br />

et qui est toujours entraîneur de boxe de nos jours,<br />

- M. Adjé, qui a été finaliste au championnat de France<br />

- M. Agbidi, dit "Danger", ancien boxeur qui s'est, par<br />

en 1958, qui est aujourd'hui commerGant,<br />

la suite, reconverti au métier de chauffeur,<br />

- Q - M. Djasso, qui a introduit la boxe au Togo ?<br />

Djoko.<br />

- La boxe a été introduite, à ma connaissance, par Monsieur Koffi<br />

- Q - Qui était Koffi Djoko ?<br />

I Voir <strong>Si</strong> Lomé m'érd contée ... tome II, dialogue no 10.<br />

85


- Monsieur Koffi Djoko était chauffeur à la Voirie, et il faisait en<br />

même temps la boxe, puisqu'il avait été engagé à la Voirie à cause de la<br />

boxe.<br />

- Q - Mais quel rapport pouvait41 y avoir entre la Voirie et la<br />

boxe ?<br />

- La Voirie, c'est l'Administration. Parce qu'au temps des colons, au<br />

temps des Européens, ou des Français par exemple, ils nous encourageaient<br />

tellement, nous, les sportifs ... <strong>Si</strong>,bien que, quand quelqu'un était dans un<br />

milieu sportif, ils cherchaient à le ramener à eux, pour que le sport se<br />

développe mieux. C'est comme ça que moi, quand j'ai commencé à boxer, j'ai<br />

été engagé à la Voirie aussi, comme les amis Adjé Tatsé et les autres. Ils ont<br />

tous été introduits à la Voirie comme chauffeurs, sportifs-chauffeurs ...<br />

- Q - OÙ avait-il appris la boxe, ce fondateur ?<br />

- Le fondateur venait du Ghana, mais c'était un Togolais. Quand il<br />

est revenu, comme les patrons aimaient bien la boxe, ils l'ont engagé à la<br />

Voirie, et il dirigeait en même temps la boxe ici.<br />

- Q - C'était en quelle année ?<br />

- Moi, j'ai commencé la boxe en 1952, et, en 1954, j'ai été<br />

champion du Togo.<br />

- Q - Étiez-vous la première promotion de boxeurs ?<br />

- Non, ce n'était pas la première promotion. I1 y a eu des boxeurs<br />

avant nous, comme "Danger", Agondjé, "Caporal", "Poison", Koffi Djoko,<br />

"Carpentervi", Afanou ... Bien d'autres boxeurs avant nous...<br />

- Q - A quelle époque avaient-ils boxé ?<br />

- Ils boxaient vers 1948-49-50 ... Avant nous ...<br />

- Q - Y avait-il déjà de la boxe au Togo avant la Deuxième<br />

guerre mondiale ?<br />

- (silence)<br />

- Q - M. "Danger", vous rappelez-vous qui vous dirigeait Ci<br />

l'époque ?<br />

86


- En 1952, notre patron, c'était Monsieur Popard.<br />

- Q - C'était un Français ?<br />

- (M. Djasso) : Oui, c'était un Français. Monsieur Popard était<br />

le chef de la Voirie.<br />

- Q - Lui-même passionné de sport ?<br />

- Il était passionné de sport, surtout de la boxe. Tous les sports en<br />

général, puisqu'il y avait les footballeurs, la boxe, le lawn-tennis, les<br />

cyclistes aussi ... Nous étions tous engagés à la Voirie -surtout les meilleurs-<br />

pour que nous améliorions notre technique dans ces domaines-là.<br />

- Q - Mais le football, lui, avait commencé beaucoup plus<br />

tôt, dès les années 1920 ?<br />

- C'est quand Monsieur Mermetl était à Lomé. C'était un<br />

commandant, un Français ; il aimait bien le sport ; c'est lui qui a lancé toutes<br />

les disciplines de sport à Lomé.<br />

- Q - A quelle époque ?<br />

- Je vous dis, pour moi, c'est en 1952-53. Monsieur Mermet était<br />

encore 1$.<br />

- Q - Avant la guerre, il y avait eu le capitaine de Roux qui,<br />

lui aussi, avait eu une action importante pour le sport, mais<br />

pas dans le domaine de la boxe ?<br />

- Ce n'était pas dans la boxe, je crois. Monsieur Mermet a fait venir<br />

les Camerounais, et on a boxé contre eux. Et puis beaucoup de Togolais -des<br />

entraîneurs- sont partis au Cameroun. Ils faisaient un échange de sportifs<br />

entre le Togo et le Cameroun, à ce moment-là. Même pour le football aussi.<br />

C'est ainsi que notre camarade, Monsieur Ayayi, est parti en France, avec les<br />

Tométy, tout ça là ... Quand il est revenu, on l'a envoyé au Cameroun comme<br />

entraîneur. Nous, nous sommes restés au Togo.<br />

- Q - Revenons iì Monsieur "Danger". Qui vous a appris la<br />

boxe ?<br />

- Friend Amaté. C'est lui qui m'a entraîné.<br />

~<br />

Philippe Mermet a été commandant du cercle de Lomé de décembre 1952 à décembre 1954.<br />

87


- Q - C'était en quelle année ?<br />

-En 1952.<br />

- Q - Mais vous n'étiez plus tout jeune en 1952 ...<br />

- En ce moment-là, j'étais jeune.<br />

- Q - Vous aviez 35 ans... Ce qui est quand même d.$à un âge<br />

assez avancé pour quelqu'un qui se lance dans le sport. Qui<br />

vous avait dÒnné l'envie de faire de la boxe ?<br />

- J'ai aimé la boxe quand j'étais tout petit.<br />

- Q - Parce que vous étiez bagarreur ou vraiment par amour du<br />

sport ?<br />

- (M. Djasso) :Tout jeune, il aimait la boxe, il ne faisait que la<br />

boxe. C'est pourquoi il s'est intégré dans la boxe.<br />

- Q - Mais quand il était jeune, il n'y avait pas<br />

d'entraînement, pas d'équipements ... Il fallait qu'il se<br />

débrouille tout seul ?<br />

- Nous tous, quand on était jeunes, on aimait la boxe, mais nous<br />

n'avions pas de matériel ... Mais, quand même, on a débuté comme ça ! C'est<br />

compte tenu de nos progrès que le commandant Mermet nous a équipés.<br />

- Q - C'est alors que vous avez commence' iì vous organiser ?<br />

- C'est ça. Nous étions quatre clubs à Lomé. I1 y avait<br />

l'lndomptable, l'Aigle d'Azur, la Dine et le Spider-club.<br />

- Q - Quì n'étaient que des clubs de boxe ? Ou bien<br />

comprenaient-ils aussi d'autres sports ?<br />

- Non, c'étaient des boxeurs seulement. Nous étions quatre clubs à<br />

Lomé. On se rencontrait entre les quatre clubs. Alors on faisait la sélection et<br />

on boxait contre le Dahomey, contre le Cameroun, et entre nous. On avait<br />

boxé aussi 51 Sokodé, à Tsévié, à Kpalimé, etc.<br />

- Q - Quatre clubs pour Lomé, cela me paraît représenter un<br />

nombre très important de boxeurs ... Y avait-il beaucoup de<br />

public à venir vous voir ?<br />

88


- I1 y avait beaucoup de public qui venait nous voir ! A ce moment-<br />

là, on boxait à Tonyéviadjil. Il y avait beaucoup de public qui venait nous<br />

voir, et qui nous encourageait aussi.<br />

- Q - Mais Tonyéviadji, c'était un dancing ...<br />

aussi.<br />

- On dansait là-bas tous les week-ends, mais nous y faisions la boxe<br />

- Q - Combien de spectateurs cela pepzettait-il de recevoir, Ù<br />

peu près ?<br />

- On arrivait à avoir au moins 50 à 75 spectateurs.<br />

- Q - Et vous, M. Adjé, de quel club étiez-vous ?<br />

- Je suis du club Indomptable, comme Monsieur Djasso. Moi, j'ai<br />

appris la boxe au Nigéria. Et puis après, je suis rentré au Togo. Et ils ont<br />

organisé un match au terrain. C'est là que Monsieur Mermet m'a vu, et il a<br />

dit : "Tiens ! Ce jeune homme a l'air sérieux ..." Et puis, ils m'ont engagé à<br />

la Voirie. J'ai continué à boxer, et j'ai été champion du Togo.<br />

- Q - Est-ce qu'on classait déjù les boxeurs par catégories<br />

suivant leur poids ?<br />

- Bien sûr ! J'étais "super-welter". (Quand ils ont introduit "super-<br />

welter". Dans le temps, il n'y avait pas "super-welter" : c'était "welter" et<br />

"moyen").<br />

- Q - Et vous, M. ,Danger, de votre temps, y avait-il déjù<br />

toutes ces différentes .catégories ?<br />

poids.<br />

- Au moment où nous boxions, il n'y avait jamais le problème du<br />

- Q - On ne faisait quand même pas boxer un léger contre un<br />

lourd ?<br />

- (M. Djasso) : C'est vrai. Au moment où j'ai commencé, il y<br />

avait les pesées : on pesait les gens. Seulement il y avait moins de<br />

catégories que maintenant, parce qu'il n'y avait pas de "super-welter". Quand<br />

on quittait le "welter", on allait au moyen. I1 n'y avait pas "mi-mouche" non<br />

Fameux dancing et lieu de réunion, en face de 1'école de la route d'An6ho.<br />

89


plus : il n'y avait que "mouche". II y a au moins deux ou trois catégories qui<br />

n'existaient pas. Après, quand ils ont vu qu'il y avait plus d'accidents, c'est là<br />

qu'ils ont réduit les poids plus minimes encore. Alors maintenant, on a dix<br />

catégories. Avant, je crois que c'était huit ou neuf. Et actuellement, avec le<br />

"super-mi-lourd" aussi, on a onze catégories.<br />

- Q - Mais déjà huit ou neuf catégories, pour quatre clubs,<br />

est-ce que Ca laissait un nombre de boxeurs suffisant dans<br />

chaque catégorie pour' qu'il y ait des rencontres qui soient<br />

diversifiées ?<br />

- Oui, il y en avait ! I1 y avait beaucoup de boxeurs ! On boxait<br />

assez en ce temps. Ce n'était pas comme aujourd'hui. En ce temps-là, les<br />

jeunes aimaient plus la bagarre qu'actuellement. La jeunesse d'aujourd'hui a<br />

trop peur ; elle ne veut plus prendre les coups ! De notre temps, on prenait,<br />

on cherchait à prendre les coups. C'est-à-dire on était plus courageux pour<br />

faire la boxe, pour faire le sport de combat. (rires)<br />

- Q - Aujourd'hui, il y a aussi la concurrence du karaté ou du<br />

judo, qui n'existaient pas de votre temps ...<br />

- Oui, le judo, le karaté n'existaient pas. C'est maintenant qu'ils<br />

viennent d'en créer. De notre temps, il n'y avait pas le judo et le karaté ...<br />

- Q - Donc tous les bagarreurs, ou ceux qui simplement<br />

aimaient le beau sport, faisaient de la boxe ?<br />

- Oui, ils n'aimaient que la boxe. Tous ceux qui aimaient la bagarre<br />

ne faisait que la boxe.<br />

- Q - Qui vous entraînait ?<br />

- Nous avions des entraîneurs, comme Monsieur Koffi Djoko, qu'on<br />

appelait "Master Poison", Monsieur Balou Godzé, qui était notre entraîneur<br />

du club Indomptable, et puis dans les autres clubs, il y avait des petits gars<br />

qui avaient appris un peu la boxe, qui venaient aussi avec nous.<br />

Q - Est-il fondamental pour un jeune boxeur d'avoir un bon<br />

entraîneur ?<br />

- C'est très fondamental pour un boxeur d'avoir un bon entraîneur,<br />

mais malheureusement, à ce moment-là, nous n'étions que des bagarreurs, et<br />

nous avons fait de notre mieux. C'est de là que nous sommes partis à<br />

Abidjan. C'est là qu'on s'est spécialisés, et puis, après, on est partis en<br />

90


France.<br />

- Q - D'où vous,avez ramené de l'Institut national des Sport<br />

UR diplôme que l'on voit là, accroché à votre mur ; il<br />

représente un boxeur, avec l'inscription "Fédération française<br />

de Boxe, fondée en 1903. Diplôme de prévôt de boxe anglaise,<br />

19 mai 1966, à M. Boukari Djasso". Qu'est-ce qu'un prévôt de<br />

boxe ?<br />

- Un prévôt de boxe, c'est un entraîneur du troisième degré.<br />

- Q - Pourquoi ce surnom de "Master Poison" pour Koffi<br />

Djoko ?<br />

- "Poison", c'est te poison ... I1 a pris ce surnom de ''poisonll parce<br />

qu'il était dangereux. Alors c'est comme Adjé Tatsé, qui avait pris "African<br />

Power". Dans l'ancien temps, nous avions des surnoms. ..<br />

- Q - Quel était le vôtre ?<br />

- Moi, c'est "Danger-Boy"<br />

- Q - A ne pas confondre avec "Danger-Aîné", celui qui est<br />

assis à côté de nous ?<br />

- Oui ... (rire général).<br />

- Q - Est-ce que vous étiez tellement dangereux, M. Agbidi ?<br />

- Vous savez, quand nous boxions, de notre temps, on ne tenait pas<br />

compte du poids. <strong>Si</strong> vous êtes habile, vous pouvez affronter un adversaire<br />

beaucoup plus puissant que vou5en poids et en pratique, afin de savoir si<br />

vous pouvez aller plus loin ... Mon premier entraîneur était Friend Amaté,<br />

puis, après son départ, Monsieur Nathaniel, un militaire, au camp, qui est<br />

déjà mort.<br />

- Q - Avez-vous gagné de nombreux combats ?<br />

- (M. Adjé) : S'il s'appelait "Danger", ça voulait dire que tous les<br />

combats qu'on lui présentait, il les gagnait. Voilà pourquoi on l'a surnommé<br />

"Danger", parce qu'il est dangere u... (rires)<br />

- Q - Y avait-il déjà un titre officiel de champion du Togo ?<br />

91


- De son temps, il n'y avait pas vraiment de titre de champion du<br />

Togo. On faisait la boxe parce qu'ils y avait des Blancs qui l'aimaient,<br />

comme Monsieur Mermet que nous avons cité. Monsieur Mermet, il aimait<br />

ça parce que c'est lui qui a bien travaillé à la boxe. Et puis il y avait aussi<br />

Monsieur Chevron, qui était le directeur de la Jeunesse et des Sports au<br />

Togo..,<br />

- Q - En quelle année a-t-on organisé le premier championnat<br />

de boxe du Togo?<br />

- A mon retour du Nigéria, il y avait déjà des champions, comme<br />

Monsieur Godzé. Moi, je suis revenu ici en 1951.<br />

- Q - Y avait-il une organisation officielle, avec une remise<br />

de coupes ?<br />

- Non, il n'y avait pas d'organisateurs, comme maintenant. C'était à<br />

l'occasion des fêtes du 14-Juillet. Monsieur Mermet, Monsieur Popard, et<br />

puis Monsieur Chevron s'arrangeaient à organiser des matches, et c'est là que<br />

nous boxions.<br />

- Q - Alors quand a-t-on organisé un véritable championnat du<br />

Togo, avec quelqu'un qu'on a consacré "champion du Togo'' ?<br />

- (M. Djasso) : En 1954. Nous avons eu des médailles, les vraies<br />

médailles de champions du Togo, en 1954. J'ai actuellement ces médailles.<br />

- Q - Combien y avait-il de champions? C'est ri dire combien<br />

de catégories? Vous rappelez-vous les noms des autres<br />

titu laires ?<br />

- Nous étions huit boxeurs qui avons reçu des médailles de<br />

champion du Togo.<br />

- Q - Vous rappelez-vous les noms de vos compagnons du<br />

championnat?<br />

- Il y avait -Djoko Amados, Sossou Segnikè, Abolo (qui est<br />

chauffeur maintenant), Séklé Koffi, le commissaire Agondjé, Afanou<br />

Kpadenou, Adjé Tatsé et moi-même.<br />

- Q - Le doyen Agbidi avait-ìl déjà raccroché les gants ?<br />

- I1 avait déjà raccroché les gants ... De son temps, il n'y avait pas de<br />

92


championnats ayec des médailles.<br />

- Q - De votre génération de jeunes boxeurs, la plupart sont<br />

ensuite partis dans des professions extrêmement diverses, de<br />

chauffeur à commissaire de police. Il n'y a donc que vous qui<br />

soyez restés professionnels du sport (ou à peu près) ?<br />

- (M. Djasso) : C'est Adjé Tatsé et moi qui sommes restés dans la<br />

boxe jusqu'au professionnalisme.<br />

- Q - Êtes-vous le seul Togolais à avoir fait VINS en boxe ?<br />

Et dans d'autres sports ?<br />

- On était nombreux ! Adjé Tatsé était aussi à U", pour améliorer<br />

notre spo rt... Mais je suis le seul qui ai fait 1'INS pour avoir mon diplôme<br />

d'entraîneur au Togo.<br />

- Q - Y a-t-il eu d'autres Togolais diplômés ?<br />

-.Il y en avait un autre qui a fait aussi l'INS, mais lui, après son<br />

diplôme, il a été envoyé au Cameroun, où il est actuellement.<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Je reviens sur vos quatre clubs. Où étaient-ils disposés<br />

dans la ville ?<br />

- Les quatre clubs étaient l'un au foyer Pie-XII1, l'autre au zongo ; le<br />

troisième était devant la pharmacie Lorne (l'ancienne pharmacie Lorne2, près<br />

du grand-marché), et la Dine était entre le zongo et la maison d'Albert FAO3.<br />

- Q - C'est-à-dire assez proches les uns des autres, dans le<br />

nord et le nord-est de la vieille ville. Ces clubs étaient-ils<br />

bien équipés ?<br />

- Il n'étaient pas bien équipés, mais on avait le courage de faire la<br />

boxe ... Même s'il n'y avait pas de gants, on emballait nos mains avec des<br />

chiffons pour boxer, parce que nous aimions faire la boxe.<br />

- Q - Quels étaient les règlements que vous suiviez ?<br />

Inaugur6 en janvier 1955 (derrière le commissariat central).<br />

Voir ci-dessous, dialogue no 15.<br />

A Adoboukomb, p&s de l'église Saint-Augustin (voir ci-dessous, dialogue no lobis).<br />

93


- Les règlements de boxe ? Nous n'avions pas assez de règlements,<br />

puisque nous n'avions pas des entraîneurs compétents comme aujourd'hui.<br />

Nous, on boxait comme on voulait ...<br />

- Q - Aviez-vous de bons arbitres ?<br />

- Oh oui ! Enfin, on avait des arbitres européens ...<br />

- Oui, des Européens qui aimaient la boxe, qui nous arbitraient,<br />

comme Monsieur Chevron et d'autres. Dans le temps, il n'y avait pas<br />

d'aibitres africains-: il n'y avait que des Européens qui nous jugeaient.<br />

- Q - Vous pardonnaient-ils vos manquements aux règlements,<br />

puisque vous ne pouviez pas les connaître puisqu'il n'y avait<br />

persorme pour vous les eiiseigner ?<br />

- On n'avait pas des entraîneurs compétents pour nous enseigner,<br />

mais nous faisions de notre mieux pour boxer.<br />

- Q - A l'exception des coups bas ?<br />

- Ah oui ! A l'exception des coups bas ! C'est ça ... Et puis, tourner<br />

le dos, non ! Mais on faisait la boxe normale : on ne cherchait pas à se faire<br />

du mal.<br />

pas ça.<br />

- Des bagarres comme des fous, des bagarres de rues, non, ce n'était<br />

- Q - M. Djasso, avec la technique que vous avez acquise<br />

mairitenant, pouvez-vous juger celle qu'avaient les jeunes de<br />

votre époque ? Était-elle correcte, faible, excellente ?<br />

- Nous n'avions pas une bonne technique, parce que nous n'avions<br />

pas de bons entraîneurs. On boxait courageusement.<br />

- Q - Qu'est-ce qui vous manquait le plus ?<br />

- L'entraîneur !<br />

- Q - Oui, mais qu'aurait41 dû vous apprendre que vous ne<br />

saviez pas ?<br />

- En boxe, il y a beaucoup de tactiques, beaucoup de règlements ... I1<br />

94


ne s'agit pas de boxer comme Fa. I1 y a une tactique, c'est-à-dire une<br />

intel.ligence de la boxe : comment éviter les coups, comment les parer, les<br />

esquiver ... Nous, nous boxions courageusement, sans esquiver, sans faire des<br />

feintes, etc.<br />

- Q - Vous saviez bien comment donner les coups, mais vous<br />

ne saviez pas comment éviter de les recevoir ?<br />

- Nous savions donner des coups, mais comment les éviter, nous ne<br />

savions pas.<br />

- Q - Mais enfin, vous avez quand même réussi, avec cette<br />

technique modeste, à arriver au championnat de France ?<br />

- J'ai été champion de France parce que j'ai continué jusqu'en Côte<br />

d'Ivoire, jusqu'en France. Et je vous fais savoir que j'ai gagné tous mes<br />

combats avant la limite. J'ai été champion du Togo, champion de la Côte<br />

d'Ivoire, champion d'AOF, jusqu'à champion de France ! J'ai toujours gagné<br />

tous mes adversaires avant la limite du temps. I1 n'y a aucun boxeur qui a pu<br />

faire trois rounds devant moi. J'étais du poids "welter".<br />

- Q - C'est-à-dire quel poids exactement ? ,<br />

- 67 kg (de 65 jusqu'à 67 kg).<br />

- Q - Qu'est-ce qui faisait principalement votre force ?<br />

- Ma force, c'est la droite, mon crochet droit ... <strong>Si</strong> je vous touche et<br />

même si je vous tape la @te, je vous mets au KO ! Vous voyez comment ma<br />

main est cassée ? Moi, je tape fort, oh oui, je tape fort ! (rire)<br />

- Q - Et vous esquiviez bien?<br />

- Ah oui, j'esquive, mais j'encaisse moins. On ne me touche pas,<br />

parce que comme je sais que je n'encaisse pas bien. Moi, j'aime gagner vite,<br />

avant que le type ne me touche ... Dans les combats, on m'a sollicité de<br />

montrer clairement mes tactiques, pour qu'ils sachent ce que je sais. Mais<br />

moi, je ne veux pas. Une fois que je suis avec mon adversaire et qu'il me<br />

touche une fois -"Pam !"-, et que les gens crient "Oh !" seulement, alors c'est<br />

fini ... Moi, je tape un coup, et le type descend ...<br />

- Q - Mais. ce n'était pus très bon pour les spectateurs Ca ! Ils<br />

paient, ils s'installent, vous montez, vous tapez, c'est fini :<br />

95


ils n'ont plus qu'à repartir ...<br />

- Ah oui ! (rires) D'autres venaient voir ma boxe des fois, mais ils<br />

viennent, ils ne voient rien, ils sontaobligés de partir sans avoir vu ma<br />

technique.<br />

- Q - Vous vous battiez donc durement. 'Et ensuite ?<br />

- Le sport, c'est une famille. Même nous, les boxeurs. I1 arrive des<br />

fois qu'on se bat, on se casse les yeux, on se casse les dents ... Mais, quand<br />

on descend du ring, on est comme des Feres, "même père - même mère I'... On<br />

s'embrasse ; on va boire ensemble ... On n'a pas de rancune, puisque c'est le<br />

sport.. .<br />

96


no 7<br />

L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE<br />

ET LES LYCEES<br />

avec<br />

M. Christian Ayitévi d'ALMEIDA<br />

(né en 1928 à Aného, préfecture des Lacs)<br />

ancien proviseur du lycée de Tokoin<br />

et<br />

Mme Justine Ayélé d'ALMEIDA-AHYI<br />

(née en 1936 à Porto-Novo)<br />

professeur d'histoire et géographie<br />

Il y a longtemps que nous n'avons plus parlé<br />

d'enseignement à. "<strong>Si</strong> Lomé m'était contée". Nous allons y<br />

revenir aujourd'hui à propos de l'enseignement secondaire,<br />

avec M. d'Almeida, qui a été le premier proviseur togolais du<br />

lycée Bonnecarrère de Lomé, devenu en 1964 le lycée de<br />

Tokoin, longtemps le seul établissemeiit public<br />

d'enseignement secondaire (et le plus prestigieux) du Togo. Il<br />

est ici, comme dans toute sa vie, accompagné de son épouse,<br />

Madame d'Almeida, elle-même ancienne enseignante dans ces<br />

deux établissements.<br />

- Q - M. d'Almeida, vous avez d'abord été enseignant. Quelle<br />

était votre spécialité ?<br />

- Je suis professeur de sciences physiques.<br />

- Q - A quelle époque uvez-vous exerck ?<br />

- J'ai exerce d'abord en France, en 1955, au lycée Champollion de<br />

Grenoble, et ensuite ici, à LomG? XI iyeée ~~uverneur-IC?,on~ec~~re, de 1957<br />

à février 1961.<br />

97


- Q - Il faut préciser qu'il y avait aussi des collèges religieux:<br />

Saint-Joseph pour les gargons catholiques, Notre-Dame<br />

d'Amoutivé pour les. filles, et le Collège protestant1.<br />

- C'est ça ...<br />

- Q - Mais comme établissement public, Bonnecarrère était le<br />

seul.<br />

- Oui, le lycée Bonnecarrère était le seul, mais il y avait aussi le<br />

collège moderne de Sokodé.<br />

- Q - Qui allait jusqu'à quelle classe ?<br />

1 <strong>Si</strong> mes souvenirs sont exacts, jusqu'en troisième. Peut-être<br />

jusqu'en seconde ... Je ne me souviens pas exactement. En tout cas, nous<br />

recevions ici les élèves de Sokodé en terminale.<br />

- Q - Combien étiez-vous alors de professeurs de physique et<br />

chimie togolais ?<br />

- J'avais comme collègue Monsieur Lassey.<br />

- Q - Qui a lui aussi fortement marqué les élèves qui l'ont eu<br />

à l'époque. A vous deux, vous avez donc formé la quasi-<br />

totalité de l'élite togolaise scolarisée en cette fin de l'époque<br />

colo ri ìale.. .<br />

- Ah, il y en a d'autres qui sont arrivés avec nous : Monsieur<br />

Herman Attignon (en histoire-géographie), Monsieur Antonio Koffi (en<br />

mathématiques), Monsieur Ajavon (en sciences naturelles), Monsieur Paul<br />

Ahyi (en dessin et arts plastiques) ... Bien d'autres encore. ..<br />

- Q - Quand vous avez pris votre poste au lycée Bonnecarrère,<br />

combien y avait-il d'élhes (Ci peu près) ?<br />

- Quand j'ai pris le poste de proviseur ?<br />

- Q - Non, le poste d'enseignant d'abord.<br />

Tous c& entre 1948 et 1953.<br />

98


- 6 - Le cours complémentaire vers 1930.<br />

Carté postale (cliché CM. Santo), collection Association France-Togo, Paris.<br />

- Ça, je ne peux pas le dire exactement. Mais je sais qu'en 1960, il y<br />

avait environ 520 élèves.<br />

- Q - Comment se présentait le lycée à l'époque ? Il y a<br />

toujours le très beau bâtiment remontant au gouverneur<br />

Bonnecarrère (il a été construit en 1928), qui est aujourd'hui<br />

l'ENA1. Puis, il y a, autour, une série de bâtiments divers,<br />

dont l'architecture est moins intéressante. Comment la<br />

situation se présentait-elle dans ces années 1957 ?<br />

- En 1957, quand je suis arrivé, il y avait l'actuel bâtiment principal<br />

de l'ENA : c'était le bâtiment qui abritait les classes terminales. Ensuite, dans<br />

le bâtiment occupé actuellement par l'inspection du Troisième degré, nous<br />

avions deux classes de sixième, plus une sixième. -si mes souvenirs sont<br />

exacts- dans le bâtiment occupé actuellement par 1',4TRS2, et aussi une<br />

cinquième. Dans le bâtiment occup6 par la direction des Examens et<br />

concours, nous avions la direction de I'êtablissement et ües salles de ciasses :<br />

École nationale d'Administration, en face de la grande poste.<br />

Association togolaise de la Recherche scientifique (qui sera racontée dans le futur tome IV),<br />

dans les bâtiments dits de l'ancien lycée technique, avenue de la Libération.<br />

99


les cinquième et les quatrième. Dans le bâtiment occupé actuellement par la<br />

direction du Troisième degré, nous avions au rez-de-chaussée les troisième ;je<br />

crois qu'il y avait aussi une première (la première classique). Dans le<br />

bâtiment occupé aujourd'hui par la direction du Second degré, nous avions les<br />

seconde et les première. .Voilà comment se présentait la situation quand je<br />

suis arrivé, en 1957. <strong>Si</strong> vous voulez, on peut faire un retour en arrière pour<br />

situer cet établissement.<br />

- Q - Très volontiers.<br />

- Le cours complémentaire de Lomé a été créé par l'arrêté no 179 du<br />

4 septembre 1922. Vous savez que, avec la crise économique mondiale de<br />

1929, la France a été contrainte de réunir en une seule entité juridique le Togo<br />

et le Dahomey. De ce fait, il y a eu transfert du cours complémentaire de<br />

Lomé à l'éCole primaire supérieure Victor-Ballot de Porto-Novo de 1935 à<br />

1937. I1 est revenu à Lomé en 1938. C'est ce que j'ai fait, moi, de 1942 à<br />

1945.<br />

- Q - C'était une formation en trois ans ?<br />

- C'est ça.<br />

- Q - Sans langues étrangères, je crois.<br />

- Ah oui, sans langues étrangères ! Nous étions bien formés en<br />

français, en sciences, en mathématiques ... Je crois que le diplôme' que nous<br />

passions pouvait être considéré comme équivalent au BEPC. Donc j'ai fait<br />

l'école primaire supérieure de Lomé de 1942 à 1945. Ce qu'il y a<br />

d'intéressant, c'est que l'entretien de la maison était confié aux élèves : il n'y<br />

avait qu'un seul manoeuvre, qui assurait le service à l'économat, tout cela ...<br />

En ce qui concerne les locaux, l'entretien de la cour, des jardins, tout cela était<br />

assuré par les élèves.<br />

Et nous étions structurés en conséquence : les élèves de troisième<br />

année étaient les responsables, les élèves des première et deuxième années<br />

assuraient leurs corvées sous la surveillance des troisième année.<br />

Je dois vous raconter une histoire amusante. Vous savez, les jeunes<br />

qui entraient dans l'établissement étaient appelés les ''bleus"2. Je me rappelle<br />

' Le brevet 818mentaire de l'enseignement primaire. (Le BEPC n'existait pas encore.) Les<br />

cours complémentaires étaient encadrés par. des membres du corps des instituteurs, qui<br />

logeaient sur place, comme le fameux "Maître Alex" (d'Almeida, oncle de M. Christian<br />

d'Almeida), qui assurait & la fois l'enseignement de la première année, l'économat et la<br />

surve4kmce de 1'8tablissement..<br />

Tradition h6rit8e de l'armée française (les uniformes neufs déteignaient'sur la peau des<br />

nouveaux conscrits, dit-on). Dans l'enseignement, on parle plutôt de "bizuths" (et de<br />

100


la définition qu'on donnait du "bleu" et qui est peut-être intéressante à<br />

connaître maintenant : on disait que le "bleu", c'est un animal sans queue et<br />

sans cervelle, qui s'est hasardé vers l'internat de I'EPS pour y quémander des<br />

miettes de pain, des cotylédons de haricot, et qui est placé (tenez-vous bien !)<br />

sous la protection d'un homme généreux appelé "Surveillant" !<br />

Ainsi donc, nous transmettions à nos camarades qui venaient après<br />

nous ce message, cette tradition, et de proche en proche tout le monde passait<br />

par là. Je me souviens qu'il y avait la "nuit du Sabbat" : en rentrant des<br />

études, vers 21 heures-22 heures, vous, "bleu" que vous étiez, vous ne saviez<br />

rien, et puis, brusquement, on éteignait la lumière et on commençait à vous<br />

tabasser pendant un bon moment. Et c'est seulement après avoir pris bon<br />

nombre de coups que vous vous aperceviez que, vraiment, c'était un<br />

traquenard ...<br />

(Mme d'Almeida) : I1 y avait parfois des séances de "douche" :<br />

on vous sortait du lit avec des seaux d'eau ! (rire) Ce n'était pas amusant !<br />

.<br />

C'était un réveil peut-être rafraîchissant, mais pas tellement amusant ...<br />

(M. d'Almeida) : Ce qui est intéressant, c'est que les premières<br />

années étaient dures (en tout cas, les premiers mois) pour les jeunes qui<br />

entraient, mais ça n'a pas empêché que des liens d'amitié se soient tissés entre<br />

nous1 et, quand on se revoit maintenant, c'est vraiment avec cordialité qu'on<br />

discute ... Je pense que c'était vraiment bon, cette formation qui nous a été<br />

donnée à cette époque-là ...<br />

Bon, je dois aussi situer les bâtiments à cette époque-là. Il y avait,<br />

bien sûr, le bâtiment principal dont j'ai parlé, et qui abritait au rez-de-<br />

chaussée les trois classes des trois promotions. Et puis ensuite, au premier<br />

étage à gauche, il y avait le domicile du directeur du cours complémentaire<br />

(ou bien de 1'EPS). A droite, il y avait le bureau du directeur. Ensuite, vous<br />

aviez l'internat, qui comprenait un dortoir (c'est l'actuelle salle des professeurs<br />

del'ENA). .<br />

- Q - Dans le même bâtiment ?<br />

- Non, non, dans un bâtiment séparé. Lorsque vous entrez dans<br />

l'ENA, vous avez à votre droite un premier bâtiment (c'est le secrétariat, je .<br />

crois, maintenant) : c'était notre réfectoire. Puis, vous avez, je crois, la<br />

direction d'un des cycles de l'ENA : c'était la cuisine. Au fond, nous avons un<br />

troisième bâtiment ; c'est lui qui servait de dortoir.<br />

"bizuthage" pour leur "initiation").<br />

L'objectif du bizuthage -ou, ici, "bleuissement"- était de souder la communauté des élèves<br />

toutes classes d'âges confondues.<br />

101


- Q - Combien étiez-vous d'élèves, toutes promotions<br />

confondues ?<br />

- Nous étions en moyenne vingt par promotion. Nous étions vingt-<br />

trois ou vingt-cinq en première année, mais les autres, ceux qui nous avaient<br />

précédés, étaient peut-être quinze ; et ceux qui venaient avant eux étaient à<br />

peine qurnze ou douze. Donc on ne faisait même pas les soixante.<br />

- Q - Tout le monde &tait interne ?<br />

- Oui, tout le monde interne.<br />

- Q - Même ceux qui avaient la famille à Lomé ?<br />

- Tout le monde interne ! C'était une sélection sur concours<br />

national !<br />

- Q - Et tout le monde était boursier ?<br />

- Oui, tout le monde boursier. On était habillé. On avait un<br />

uniforme qui nous distinguait des autres.<br />

- Q - Qui singularisait ceux du "Petit-Dakar"I ?<br />

- C'est ça ! C'était "Petit Dakar". (rires)<br />

- Q - Vous-même, après avoir fait ces trois années de cours<br />

supérieur, où avez-vous continué ?<br />

- J'ai fait deux ans à Bamako, h l'école des TP (à l'époque, on<br />

l'appelait l'ÉCole technique sGpéieure de Bamako). Ensbite, nous avons été<br />

tous transférés en France, tous les étudiants +togolais qui étaient en AOF. Je<br />

suis allé à Die2, dans un collège moderne3. J'y ai préparé mon bac I, puis<br />

mon bac II au lycée Champollion de Grenoble. Ensuite j'ai fait l'université de<br />

Grenoble pour avoir la licence de sciences physiques, puis le DES4 de<br />

sciences physiques, etc., et le CAPES5, pour devenir professeur de sciences<br />

physiques.<br />

* Allusion, bien sûr, aux prestigieuses écoles fédbrales de Dakar, qui formaient les instituteurs<br />

et les m6decins africains. Voir <strong>Si</strong> Lomé. .. tome I, dialogue no 16.<br />

Toute petite ville dans les Alpes, au sud de Grenoble.<br />

C'est-à-dire sans latin.<br />

Diplôme d'études supérieures (appelé aujourd'hui maîtrise).<br />

Certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du secondaire.<br />

102


- Q - Vous aviez quitté un cours complémentaire d'une<br />

soixantaine d'élèves, qui se résumait iì un grand bâtiment et<br />

quelques annexes. Et vous revenez dans un complexe qui a<br />

presque dix fois plus d'élèves, et qui a triplé ou quadruplé de<br />

surface ...<br />

- C'est ça, exactement.<br />

- Q - Vous l'avez reconnu ?<br />

(Rires) - <strong>Si</strong> vous voulez, je ne me suis plus reconnu d'ans l'enceinte<br />

que j'avais quittée ... Je vous avais déjà situé les classes. J'ai oublié de vous<br />

signaler qu'on avait construit entre temps un laboratoire, situ6 du cÔtE de la<br />

rue de l'Internat. Les constructions qui devaient abriter le collège moderne et<br />

le collège classique, ensuite le lycée, avaient débuté en 1948 et se sont<br />

terminées en 1950. Et moi, je suis revenu pour trouver ces bâtiments que je<br />

n'avais pas vu monter ... J'y ai enseigné pendant trois ans, pour prendre<br />

ensuite la direction de I'établissement en février 1961.<br />

- Q - Quand I'EPS a-t-elle été érigée en lycée ?<br />

- L'EPS a d'abord été transformée en collège moderne en 1947,<br />

ensuite, en 1949, en collège moderne et classiquel.<br />

- Q - Cela veut dire qu'on y enseignait le latin ?<br />

- Oui, on y enseignait le latin. Ceux qui ont commencé la sixième<br />

ont commencé avec le latin, et ils ont continué jusqu'en classe terminale.<br />

Nous avions la série classique ("classique A" : ils font le latin et le grec ;<br />

"classique B" : le latin et une deuxième langue étrangkre). A côté, il y avait<br />

la série moderne et la série moderne-prime. Vous aviez ensuite les classes<br />

terminales, qui avaient pour nom "philosophie", "sciences expérimentales" et<br />

"mathématiques élémentaires". (Avec le système actuel, on peut dire que la<br />

philosophie, c'est la terminale A, les sciences expérimentales la terminale D,<br />

et les, mathématiques élémentaires la terminale C).<br />

- Q - En quelle année a-t-on passé your la première fois le<br />

baccalauréat sur le territoire togolais ?<br />

- D'après les documents que j'ai en ma possession, c'est en 1950 :<br />

j'ai un texte qui dit qu'un centre de baccalauréat a été institué au Togo en<br />

1950. Ces gens qui ont passé le baccalauréat en 1950 occupent maintenant de<br />

grands postes dans le pays, mais je ne voudrais pas les citer ...<br />

II prend le nom de "lycée gouvemeur Bonnecarrère" le I9 maí 1953.<br />

103


- Q - Quand. vous revenez comme professeur, puis quand vous<br />

devenez proviseur, c'est un établissement qui est bien rôdé,<br />

qui a déjà ses traditions, puisqu'il y a déjà sept, huit<br />

générations de bacheliers qui y sont passées ...<br />

- Oui, quand je suis revenu, en 1957, ça faisait déjà sept générations<br />

de bacheliers.. .<br />

- Q - Avez-vous été le tout premier proviseur togolais ?<br />

- Oui, j'ai ét6 le premier proviseur togolais. J'ai remplacé Monsieur<br />

Moulin, qui avait remplacé lui-même Monsieur Bouvier. Je suis arrivé ici en<br />

même temps que Monsieur Bouvier, en 1957. Il est arrivé le 7 novembre, et<br />

moi je suis arrivé le 9, vous voyez ? Quand il est parti, après ses deux ans de<br />

séjour, il a été remplacé par Monsieur Moulin, et puis Monsieur Moulin a<br />

quitté en cours d'année scolaire. Je l'ai donc remplacé en février 196 1.<br />

- Q - Est-ce que cela n'a pas été un manque pour vous, que de<br />

ne plus avoir d'élèves, de ne plus avoir cette pédagogie directe<br />

de tous les jours ?<br />

- On peut dire que c'est un manque. Mais, vous savez, avoir la<br />

responsabilité pédagogique de l'établissement, c'est passionnant aussi : il faut<br />

suivre les jeunes professeurs, les conseiller, suivre leur travail ... <strong>Si</strong> bien que<br />

vous êtes obligés d'être au courant de tout ce qui se passe. Nous avons aussi<br />

institué des cours du soir pour les adultes qui exprimaient le désir de<br />

poursuivre leurs études pour passer le BEPC ou le bac. Avec nos collègues,<br />

aussi bien Togolais que Français, nous assumions ces cours du soir. J'ai<br />

toujours continué à enseigner les sciences physiques, si bien que je n'ai pas<br />

tellement perdu la main ...<br />

- Q - Dans ces années 1960-61, quand vous devenez proviseur,<br />

combien y a-t-il d'élèves ? Et combien d'enseignants ?<br />

- En 1960-61, il y avait environ 600-650 élèves. Je crois qu'il y<br />

avait 22 classes, et environ 33 professeurs, qui assuraient un service de 18<br />

heures chacun. Les professeurs qui étaient du corps des instituteurs faisaient<br />

un peu plus (20 heures, je crois).<br />

- Q - Quelle était la proportion de Togolais dans ce corps<br />

enseignant ?<br />

- Oh, nous n'étions pas nombreux ! Je crois que nous étions environ<br />

104


une demi-douzaine ... Avec les instituteurs, on peut atteindre une douzaine.<br />

- Q - Y avait-il des Togolais dans toutes les disciplines ?<br />

- Non, non ! Il y avait des Togolais seulement en sciences<br />

physiques, en mathématiques, en histoire-géographie, en anglais, en sciences<br />

naturelles ... (silence) Je crois que c'était tout. . ,<br />

- Q - Et le reste, était-ce des coopérants professionnels ou<br />

déjà des "coopérants militairesfr1 ?<br />

- Le reste, c'était des coopérants professionnels, mais aussi des<br />

épouses des directeurs des maisons de commerce qui étaient sur place. Les<br />

coopérants militaires sont venus quand nous avons déménagé pour aller au<br />

lycée de Tokoin, je crois.<br />

- Q - Vous deviez avoir peut-être uii problème de stabilité de<br />

ce corps enseignant où, à chaque rentrée (voire en cours<br />

d'année), les professeurs changeaient en grand nombre ?<br />

- Non, nous n'avons pas eu ce problème-là. Ils faisaient leur séjour<br />

de deux ans, et ils repartaient. A ce moment, on les renouvelait. Même avec<br />

les coopérants militaires par la suite, c'était la même chose : ils faisaient<br />

deux ans, et puis ensuite ils pouvaient soit continuer leur séjour, soit<br />

réintégrer la'France. On n'a pas eu de problème de gens qui partaient en cours<br />

d'année ... Ça a été rare. .. Je ne m'en souviens pas avoir eu de cas. ..<br />

- Q - Dans ce corps enseignant, quelle était la proportion des<br />

femmes, et, parmi ces femmes, la proportion des Togolaises ?<br />

- La proportion de femmes ? Oh, à peu près le tiers. Les Togolaises<br />

étaient à peine cinq ...<br />

- Q - Madame d'Almeida, vous étiez enseignante en même<br />

temps que votre mari, mais d'histoire et géographie. Combien<br />

étiez-vous d'historiens et d'historiennes togolais à l'époque ?<br />

- Tétais la seule de l'établissement. Il y avait aussi une Antillaise,<br />

Madame Lara, qui assurait aussi l'histoire-géographie (son mari était directeur<br />

des TP). C'était tout !<br />

- Q - Avec le recul, pensez-vous que vos élèves voyaient<br />

plutôt avec faveur ou plutôt avec méfiance l'arrivée d'un corpp<br />

enseignant togolais, et en particulier féminin ?<br />

Jeunes diplômés exerçant en coopdration 1 la place de leur service militaire français.<br />

1 05


- Non, je ne pense pas que les élèves aient eu quelque méfiance. Au<br />

contraire, je peux dire que, comme tout enfant, ils se sentaient plutôt<br />

rassurés, parce que nous, les femmes, nous avons tendance à faire preuve d'un<br />

peu de tendresse, si je peux m'exprimer ainsi..:Non, je ne pense pas qu'il y<br />

ait eu la moindre méfiance: Je doit ajouter qu'entre tous les professeurs, il y<br />

avait une vraie solidarité, et même une fraternité agissante.<br />

- Q - Et vous, Monsieur le Proviseur, quelle était, selon<br />

vous, l'opinion des élèves devant la togolisation progressive<br />

et la féminisation partielle du corps enseignant ?<br />

- Je pense qu'il n'y avait pas de problèmes. Au contraire, ils étaient<br />

encore plus en confiance qu'avec des professeurs coopérants. En ce qui<br />

concerne les femmes professeurs, il n'y avait pas de problèmes. C'est une<br />

question de qualification : quand les gens ont la qualification nécessaire, il n'y<br />

a pas de problèmes ...<br />

- Q - Pour vous proviseur, il y avait désormais l'avantage<br />

d'un corps d'enseignement stable ?<br />

- Oui, bien sûr ! C'ttait plus permanent. Le corps enseignant était<br />

permanent : si je dois quitter le lycée, c'est pour aller dans un autre<br />

établissement similaire et être remplacé, donc il y avait cette stabilité du<br />

personnel. <strong>Si</strong> bien que les résultats s'en ressentaient aussi : lorsque le<br />

personnel enseignant est permanent, il y a continuité dans le travail, et les<br />

résultats sont bons.<br />

3 Q - Pour vous, le risque, alors, c'étaient les créations de<br />

nouveaux établissements, pour lesquels on prélevait sur vos<br />

éléments (éventuellement les meilleurs) ?<br />

1<br />

- Oh non, je ne pense pas.<br />

- Q - Vous ne les laissiez pas partir ?<br />

- Non. Lorsqu'on doit créer un nouvel établissement, on prévoit le<br />

personnel en conséquence. C'est rare quand on fait des mutations<br />

d'établissement à établissement.<br />

- Q - Donc on créait les nouveaux établissements avec de<br />

nouveaux professeurs ?<br />

- Oui, oui, c'est ça : avec de nouveaux professeurs. Lorsque de<br />

106


nouveaux Togolais arrivaient, on les dirigeait vers les nouveaux<br />

établissements qui étaient créés.<br />

- Q - Et les élèves, étaient-ils tous Togolais ? Il n'y avait pas<br />

eu une importante arrivée. en provenance des pays voisins ?<br />

- I1 y avait des Togolais et quelques Africains. Non, il n'y avait pas<br />

beaucoup d'étudiants africains. Ceux qui venaient, c'étaient des Béninois (à<br />

l'époque des Dahoméens), pas nombreux. Mais il y avait des Français, les<br />

enfants des coopérants, des fonctionnaires, des coinmerçants, etc. J'ai essayé<br />

de faire des statistiques : une année, il y avait près de 50 élèves français.<br />

- Q A Sur environ 600 ?<br />

- Oui, sur 600. I1 y en avait beaucoup, puisque les programmes<br />

étaient les mêmes qu'en France ; on passait le même baccalauréat qu'en<br />

France. Même quand nous avons déménagé pour aller au lycée de Tokoin, Fa<br />

a continué. Jusqu'au moment où nous avons modifié nos programmes, qui ne<br />

correspondaient plus aux programmes français. A ce moment-là, ils ont dû<br />

quitter 1.<br />

- Q - Est-ce qu'il y avait encore un internat dans les années<br />

1960 ?<br />

- Dans les années 1960, nous avions toujours l'internat. Nous<br />

sommes allés au lycée de Tokoin avec l'internat. Je crois que c'est à partir de<br />

1965 ou 1966 que nous avons dû fermer les internats.<br />

- Q - Pourquoi ?<br />

- Parce que les élèves ne comprenaient pas qu'il y avait des<br />

contraintes en ce qui concerne l'entretien : les élèves de l'internat voulaient<br />

tout le temps vivre heureux, comme si les. conditions économiques n'avaient<br />

pas varié ! <strong>Si</strong> bien qu'on a fermé les internats pour instaurer, dans certains<br />

établissements, des foyers ; c'est-à-dire qu'on recevait les élkves, mais ils se<br />

débrouillaient pour leur nourriture.<br />

- Q - A l'extérieur des établissements scolaires ?<br />

- Oh non, dans certains établissements (pas au lyc&e, 09 nous<br />

n'avons pas gardé les internes). Ils se débrouillaient. Ils continuent à le faire<br />

encore dans certains établissements : il y a les locaux qu'ils utilisent, mais ils<br />

se débrouillent pour ce qui concerne la restauration.<br />

En 1974-75. C'est alors qu'on a créé l'école française (puis lycée français) de NyékonakpoB.<br />

107


- Q - Votre génération avait su balayer, arroser les fleurs,<br />

éventuellement repeindre ... Vingt ans plus tard, la tradition<br />

était perdue.<br />

- Oui, bien sûr ! Je me rappelle que lorsque nous avons intégré le<br />

lycée de Tokoin, nous avons eu des problèmes en ce qui concerne l'entretien<br />

des lieux. L'État avait fait de gros efforts pour recruter du personnel<br />

supplémentaire, afin de faire tourner dans de bonnes conditions<br />

l'établissement. Mais, vous savez, l'établissement était immense et il fallait<br />

solliciter la pdcipation des élèves. Je vous assure que des parents n'ont pas<br />

accepté de bon coeur cette participation des élèves. Mais nous avons tenu<br />

bon, avec l'appui des professeurs, et nous avons défendu ce point de vue<br />

jusqu'à la fin... <strong>Si</strong> bien que les gens ont pris l'habitude d'envoyer les enfants<br />

pour faire la corvée comme auparavant.<br />

- Q - Parce que le lycée de Tokoin Ci ses débuts, c'était un<br />

morceau de brousse qu'il fallait défricher ?<br />

- 11 fallait défricher, entretenir les bâtiments, tout ça ... I1 n'y avait<br />

pas suffisamment de manoeuvres pour le faire. I1 fallait obligatoirement faire<br />

intervenir les élèves. Je vous ait dit qu'au cours complémentaire, on le faisait<br />

de bon coeur. Moi, je ne comprenais pas que, dans un lycée très moderne, les<br />

enfants ne veuillent pas entretenir ce qui leur appartient. Parce que, en<br />

définitive, c'est leur bien commun ! Ils doivent apprendre à l'entretenir, à le<br />

soigner.<br />

- Q - Revenons donc Ci ce transfert du lycée Bonnecarrkre au<br />

lycée de Tokoitl. Pourquoi a-t-on pris cette décision, quand et<br />

sous quelle forme ?<br />

- Nous n'avons pas eu le temps de suivre l'évolution des effectifs au<br />

lycée Bonnecarrère. J'ai dit qu'en 1960-61, il y avait 520 élèves. Ensuite, ça a<br />

passé à 650, puis à 750. Et en 1964-65, nous avions déjà 864 élèves. Vous<br />

connaissez le domaine scolaire au lycée Bonnecarrère : il est petit, la cour est<br />

très petite ... Les classes étaient devenues insuffisantes pour recevoir les<br />

élèves, dont le nombre augmentait sans cesse. Vous savez, 600 à 800 élèves<br />

dans cette cour-là, c'était insupportable ! Ils vivaient consignés ... I1 fallait<br />

trouver un lieu où ils pourraient s'épanouir totalement. Alors, en 1962, on a<br />

débuté les travaux de construction du lycée de Tokoin. Et en 1964,<br />

l'inauguration a e; lieu. C'est en décembre 1964 que nous avons déménagé du<br />

lycée Bonnecarrère pour aller dans les locaux du lycée de Tokoinl.<br />

L'architecte en &tait le Français Georges CoustSre, auteur de tous les bâtiments importants de<br />

Lomi? dans les andes 1952-1965.<br />

108


- Q - Pendant les vacances de Noël ?<br />

- Oui, pendant Ies vacances de Noël, exactement.<br />

- Q - Après un premier trimestre dans les locaux du lycée<br />

Bonnecarrère ...<br />

- Oui, après un trimestre sans sièges en bas..: {rire) Vous voyez dans<br />

quelles conditions nous avions vécu, puisque le recrutement avait été fait<br />

pour intégrer le lycée de Tokoin ... Même après le déménagement, il restait<br />

des travaux à faire. <strong>Si</strong> bien que, pratiquement, leS.cours ont commencé dans<br />

le nouvel établissement en février 1965.<br />

- Q - Mais là, vous étiez enfin ri l'aise ...<br />

{soupir) - Vous dites à l'aise ? On était certainement à l'aise, mais il<br />

y avait pas mal de problèmes à résoudre !<br />

- Q - Par exemple ?<br />

- Par exemple, le problème de l'entretien, dont nous venons de parler<br />

tout à l'heure. Ensuite, il y avait le problème de l'ombrage, des espaces<br />

ombragés. I1 a fallu que nous nous mettions à l'oeuvre pour planter des<br />

arbres, comme on le fait actuellement le ler juin1. Ah, nous en avons<br />

plantés, des arbres ! Dans l'intérieur du lycée, vous avez une allée circulaire.<br />

Le long de cette allée circulaire, nous avons planté des neems, sur tout le<br />

pourtour. La cour d'honneur aussi ...<br />

Cette allée circulaire divise l'établissement en deux parties : la partie<br />

centrale est occupée par ce que je peux appeler l'ensemble culturel. Dans cet<br />

ensemble, vous avez le bâtiment F avec, au rez-de-chaussée, le foyer pour les<br />

conférences, à l'étage, la bibliotheque et la salle de dessin. Sur la façade est de<br />

ce bâtiment F, nous avons un écran de cinéma, une salle pour le théâtre et<br />

l'esplanade pour les spectateurs, et ensuite une cabine de projection. Face à ce<br />

bâtiment F, vous avez le dortoir G1, le bâtiment H, qui était initialement<br />

destiné aux élèves de l'ÉCole nationale d'Administration @arce qu'il faut vous<br />

dire que, au départ, cet ensemble culturel avait été conçu pour abriter et le<br />

lycée, et l'ÉCole nationale d'Administration). Donc le bâtiment H était prévu<br />

pour les cabines des élèves de l'ENA. Derrière le bâtiment F, nous avons un<br />

autre dortoir, G2, puis, vers le stade, nous avons un troisième dortoir qui,<br />

lui, n'est pas inclus dans le rond central : c'est le bâtiment G3. Ces trois<br />

dortoirs sont des bâtiments à trois niveaux. I1 y a des dortoirs à chaque<br />

Journée nationale de l'Arbre.<br />

1 o9


- 7 - Vue aérienne du lycée de Tokoin en mars 1965.<br />

Cliché J. M. Do Kokou. Archives nationales du Togo.<br />

niveau, avec deux salles d'études. Au total, à chaque bâtiment dortoir, il y<br />

-<br />

avait six études. La capacité de chaque dortoir était d'environ 144 élèves,-soit<br />

au total 432.<br />

- Q - L'ensemble du lycée était prévu pour accueillir quel<br />

nombre d'élèves ?<br />

- Pour l'ensemble des élèves, nous avions en tout 24 salles. Il était<br />

prévu, au départ, 36 élèves par classe. Ça en faisait environ 800 à 1000, au<br />

plus. Nous avons dépassé ce chiffre de 36 classes ; nous sommes allés jusqu'à<br />

42, compte tenu des besoins exprimés ... Ça fait plus de 1000 !<br />

- Q - Tous les b5timeats ont-ils été construits en une seule<br />

tranche ou hit-il p~kva des ugrundissements successifs ?<br />

f 10


- En une seule tranche. Dans la partie sud de cette allée centrale, à<br />

l'entrée principale de I'établissement, nous avons deux bâtiments : dans le<br />

bâtiment A, il y a les bureaux du proviseur, du censeur et celui du directeur de<br />

l'ÉCole nationale d'Administration (c'est ce bureau-là qu'occupe actuellement<br />

le proviseur du lycée). Dans le bâtiment B, il y avait la surveillance genérale<br />

et l'économat. <strong>Si</strong> nous continuons en suivant cette allée centrale, à l'est, nous<br />

avons un grand bâtiment -le bâtiment D- avec trois niveaux : au rez-de-<br />

chaussée, c'est le bloc des sciences physiques (avec deux amphithéâtres, aux<br />

deux extrémités du bâtiment et au centre les laboratoires). Au deuxième étage,<br />

vous avez encore deux amphis, et ensuite des salles de cours prévues pour les<br />

élèves de l'ENA Actuellement, ces locaux sont occupés par l'office du<br />

baccalauréat. Dans cette partie-là, vous avez deux blocs de 12 classes (donc au<br />

total 24 classes). C'est là où s.e trouve la cour d'honneur où, je vous le disais<br />

tout à l'heure, nous avons planté des neems pour résoudre le problème de<br />

l'ombrage. En continuant la marche, à droite, nous avons l'infirmerie, ensuite<br />

le réfectoire, la cuisine, la buanderie, la menuiserie ... Je crois que c'est tout<br />

du côté est.<br />

- Q - Cette menuiserie était-elle destinée aux travaux de<br />

fonctionnement du lycée, ou Ci enseigner la menuiserie ?<br />

- Non ! elle était destinée aux travaux du lycée, pour réparer les<br />

tables-bancs, ou bien pour faire de nouveaux meubles si on en a besoin ... J'ai<br />

oublié de vous dire qu'à l'école primaire supérieure, nous allions à l'atelier : il<br />

avait une formation manuelle. On allait à l'atelier une fois ou deux fois par<br />

semaine : on faisait de la menuiserie, ou bien de l'ajustage.<br />

- Q - Au moment de la conception du plan d'ensemble, vous,<br />

les enseignants, les responsables, avez-vous été consultés ?<br />

- Nous avons été sollicités pour aller voir comment les travaux se<br />

déroulaient, s'il y avait des conseils techniques à donner. Nous les avons<br />

donnés.<br />

- Q - Vous aviez ainsi entre les mains un outil qui était<br />

fonctionnel.<br />

- Ah oui, c'est sûr que c'était fonctionnel !<br />

- Q - Et qui vous décongestionnait considérablement par<br />

rapport au vieux Bonnecarrère ?<br />

- Oui ! Là, les élèves ont de l'espace, ils peuvent évoluer très<br />

111


librement. Pour les problèmes, nous avons parlé de l'ombrage : je vous ai dit<br />

que nous avons planté des arbres le long de l'allée centrale, puis les autres<br />

allées secondaires, aussi dans la cour d'honneur et dans d'autres cours.<br />

On a eu à résoudre un gros problème : c'est celui du transport des<br />

élèves. Tokoin n'est pas situé à égale distance de tous les quartiers, si bien<br />

que nous avons eu des problèmes pour le déplacement des élèves. Au départ,<br />

nous avons essayé de mettre au point un plan pour le transport : des circuits<br />

ont été prévus, on pensait même obtenir des cars et s'autofinancer à la<br />

longue ... Mais ce projet n'a pas vu le jour parce que la Régie municipale des<br />

transports a mis en service des bus, qui ont pu assurer le transport de nos<br />

élèves. Voilà comment cette question-là a été résolue ...<br />

Mais il y a eu un autre problème. Actuellement, nous avons la<br />

clôture du lycée faite en dur. Au départ, ce n'était pas Fa ; c'étaient des jeunes<br />

plants, qui avaient été plantés tout autour du lycée, avec des barbelés ; si bien<br />

que vous aviez'des allées et venues dans la concession aussi bien de la part<br />

des élèves que des gens de l'extérieur, et je vous assure que les gardiens ont eu<br />

du travail ! Mais nous pouvons les féliciter, parce qu'ils ont limité quand<br />

même les dégâts.<br />

- Q - Qu'est-ce qu'il y avait autour du lycée ?<br />

- Autour du lycée, il y avait des espaces vides, des champs ...<br />

- Q - Et le camp militaire du RIT. ..<br />

- Ah oui, ce n'est pas loin.<br />

- Q - De l'autre côté du carrefour, il y a le collège Saint-<br />

Joseph.<br />

- Entre Saint-Joseph et nous, il n'y avait rien ! C'étaient des champs<br />

abandonnés, qui n'étaient pas exploités, des champs vides.<br />

- Q - Être ainsi pratiquement Ci la campagne devait aussi vous<br />

poser des. problèmes d'entrée dans le lycée de bestioles<br />

indésirables (avec pattes ou sans pattes) ?<br />

- Bien sûr ! I1 y avait même des anecdotes là-dessus : les enfants<br />

disaient qu'ils avaient ramassé des serpents dans leur lit ou dans leur<br />

costume ... Tous ces problèmes, il fallait les résoudre, et nous avons pu le<br />

faire avec la compréhension des uns et des autres, surtout des professeurs, des<br />

professeurs togolais, qui, vraiment, nous ont aidé à diriger convenablement<br />

112


cet établissement.<br />

Vous avez dit qu'on avait désormais un endroit où les enfants<br />

pouvaient s'épanouir totalement. C'est vrai. J'ai constaté que les activités<br />

culturelles que nous menions dans l'enceinte très restreinte du lycée<br />

Bonnecarrère se sont vraiment développées une fois que nous avions intégré<br />

le lycée de Tokoin. Le club de théâtre, par exemple, a présenté de beaux<br />

spectacles aux Loméens. Nous avions l'orchestre du lycée, qui était l'un des<br />

meilleurs orchestres des jeunes de Lomé. Vous aviez également des tquipes de<br />

basket, de football, des Cquipes d'athlétisme, qui ont remporté des trophées au<br />

cours des championnats scolaires ... Je ne sais pas si le proviseur a toujours<br />

gardé les coupes ... En tout cas, quand j'y étais, nous avions une multitude de<br />

coupes dans mon bureau, qui témoignaient de l'effort des élèves pour faire du<br />

bon sport. Ah, j'ai oublié de vous dire que l'équipe de basket, lorsque nous<br />

étions en bas, s'appelait l'Entente scolaire. C'était déjà l'équipe championne<br />

de Lomé. Nous avions aussi un groupe folklorique qui animait les entractes<br />

au cours de nos manifestations culturelles.<br />

- Q - Vous faisiez donc du tliéâtre et de la musique ?<br />

(Mme d'Almeida) : I1 y avait un groupe théâtral au lycée, qui<br />

avait présenté plusieurs pièces, notamment La Mort de Chakal. I1 a eu à<br />

présenter aussi Andromaque2. I1 y avait différentes pièces, de differents<br />

auteurs, classiques comme africains. Nous avions de très bons acteurs. Je ne<br />

sais pas si je peux citer des noms, mais je sais que Monsieur Sama3 (c'est lui<br />

qui jouait Chaka) était vraiment excellent. Il y a eu beaucoup d'autres talents.<br />

Au moment de la présentation de La Mort de Chaka, il fallait une musique de<br />

fond. Notre regrettée artiste Bella-Bello4, qui était élève au lycée Bonnecarrère<br />

en ce temps-là, chantait déjà très bien :je crois qu'elle a commencé sa carrière<br />

dans les représentations du lycée de Tokoin. Au moment de la pièce de<br />

Chaka, elle a eu à chanter la musique de fond, qui était une musique de<br />

Myriam Makeba5. C'est ensemble, en décontracté, que nous avons appris la<br />

musique de cette chanson de Myriam Makeba avec laquelle elle a animé<br />

Chaka.. Nous avons monté plusieurs ballets, notamment un ballet antillais.<br />

Avec Madame Lara, qui était Antillaise (professeur d'histoire-géographie, je<br />

vous l'ai dit), nous avons confectionné les costumes pour les danseuses de ce<br />

ballet antillais. Nous avons aussi présent6 un ballet du folklore dahomten<br />

(actuellement béninois) : Les Porteuses d'eau. C'est toujours avec sa<br />

collaboration que nous avons habillé ces jeunes filles à l'époque. C'était<br />

De Seydou Eadian.<br />

De Racine<br />

Koffi Sama, enseignant de profession, a été ministre de la Jeunesse, des Sports et de la<br />

Culture dans les andes 1980-85.<br />

L'une des plus fameuses chanteuses togolaises, prémapuément disparue le 10 septembre<br />

1973.<br />

Grande chanteuse sud-africaine.<br />

i 13


quelque chose de très, très réussi. Beaucoup de ces anciens acteurs, danseuses<br />

et danseurs sont actuellement dans la vie active, et quand on se voit, c'est en<br />

amis que nous nous rencontrons.<br />

Nous avons oublié de mentionner, entre autres activités, notre<br />

journal, que nous avions baptisé 'Za Gazette du Lycée". C'était une tribune<br />

libre où les élèves pouvaient s'exprimer librement sur des sujets divers,<br />

touchant tous les domaines de la connaissance.<br />

- Q - C'étaient les élèves qui rédigeaient La Gazette ?<br />

- Oui, oui ! Les élèves faisaient leurs recherches, et ils rédigeaient<br />

eux-mêmes La Gazette. Nous jetions seulement un coup d'oeil pour voir la<br />

forme, et sur le fond pour que ça soit très intéressant ; c'est tout ...<br />

- Q - Combien avez-vous tenu de nuinh-os ?<br />

- Oh, beaucoup ! Au moins un numéro par mois, et. ça a duré<br />

pendant longtemps. Même quand je suis parti du lycée, ça a continué à<br />

paraître. Je ne sais pas si ça paraît encore maintenant ... Vous voyez, toutes<br />

ces activités se sont développés davantage lorsque nous avons intégré les<br />

locaux du lycée de Tokoin.<br />

Nous ne vivions pas repliés sur nous-memes, au lycée : il y avait<br />

des échanges culturels avec d'autres établissements, en particulier avec le<br />

lycée Béhanzin de Porto-Novo1. Les compétitions sportives avaient lieu<br />

alternativement à Lomé et à Porto-Novo, si bien que ça a permis des<br />

échanges, des contacts. Je pense qu'ils ont permis de nouer des liens<br />

intéressants autant pour nos élèves que pour nos pays.<br />

- Q - Et qu'est devenu le vénérable Petit-Dakaraprès le départ<br />

du lycée ?<br />

- Le "vénérable Petit-Dakar", comme vous dites, a abrité alors le<br />

collège technique de Lomé.<br />

- Q - Que l'on avait ci.é' à ce moment-hì ?<br />

- C'est-à-dire qu'il y avait dgà une section commerciale qui était, je<br />

crois, à Sokodé, et qu'on a transfért5.e. à Lamé. Elle &ait dirigée par Monsieur<br />

Seddsh*, celui qui kst maintenant å CICA. C'est lui qui a dirigé cet<br />

établissement ; il est resté là-bas pendant longtemps. Lorsque le nouveau<br />

* HMtier du vieux com Victor-Ballot.<br />

Voir ci-dessous, dialogue. no 10.<br />

114


lycée technique a été construit, ils ont déménagé à Adidogomé.<br />

- Q - C'est alors que l'ENA vous a quittés pour retourner aux<br />

sources...<br />

- L'ENA ne nous a pas quittés, parce que l'ENA n'a jamais intégré le lycée de<br />

Tokoin ... Elle avait été dans un autre bâtiment, puis elle a déménagé pour<br />

aller dans l'ancien lycée Gouverneur-Bonnec&ère. Après, nous avons eu<br />

l'Institut d'études supérieures du Bénin, qui a occupé les anciens locaux<br />

prévus pour l'ENA. Vous savez qu'au départ il y avait un centre d'études<br />

supérieures1 ...<br />

- Q - Qui est Ci l'origine de l'Université du Bénin ...<br />

- C'est ça. I1 y avait la partie littéraire à Lomé et la partie<br />

scientifique à Porto-Novo. Donc cette partie littéraire, qu'on a appelée<br />

"l'Institut d'études supérieures du Bénin", a pris les locaux qui étaient au<br />

départ prévus pour I'École nationale d'Administration de Lomé. Je vous ai dit<br />

que ces locaux sont actuellement occupés par l'office du baccalauréat, au<br />

deuxième étage du bâtiment D.<br />

- Q - C'est pour cela que le rectorat est demeuré dans<br />

l'enceinte du lycéey et non dans celle de'l'UB ?<br />

- Je crois, oui.<br />

- Q - Pendant une dizaine d'années, le lycée de Tokoin a donc<br />

été le seul lycée public de Lomé. Puis, d'autres lycées ont été<br />

créés.<br />

- Oui. En 1975, on a créé le lycée du "Deux-Février". Après, le<br />

lycée de Gbényédjikopé. Et ensuite, rétablissement <strong>Si</strong>tti a été transformé en<br />

lycée de Nyékonakpob ...<br />

- Q - En quelle année ?<br />

- En 1978.<br />

- Q - Donc quatre grands lycées publics ri Loinéy et combien<br />

A partir de 1965, B I'i@ative des gouvernements togolzis et dahoméen, avec l'aide de la<br />

France : ouverture d'une Ecole des Lettres B <strong>Lome</strong>, qui @pare eri un an au certificat d'6tudes<br />

littéraires générales. A partir de 1967-68, en conformité avec la réforme intervenue dans les<br />

universités françaises, préparation en deux ans du dipidme universitaire: d'&des littkraires,<br />

complété en 1969-70 par des certificats de licence. L'ensemble a pris le nom d'Universit6 du<br />

Bénin par le décret du 14 septembre 1970, nom resté depuis au seul établissement de Lomé<br />

(celui de Cotonou prenant celui d'université nationale du Bénin, ce qui ne manque pas de<br />

créer de fréquentes confusions k I'étranger).<br />

115


I<br />

1<br />

d'établìssements confessionnels ?<br />

- Le collège Saint-Joseph et le Collège protestant.<br />

- Q - En dehors de ces cbllèges religieux, il y avait, je crois,<br />

&autres collèges privés laïcs.<br />

- Oui, il y avait le collège privé laïc Atayi, qui a été créé en 1955.<br />

Après, ce collège privé laïc Atayi a été vendu à l'État. Il a servi pendant un<br />

moment comme école pour notre jeune université. C'est ensuite que cette<br />

école a été transformé en lycée du Deux-Février.<br />

Nous avions aussi l'école privée laïque Aquereburu, créée en 1957. I1<br />

y a eu le collège privé laïc <strong>Si</strong>tti' (on l'a dit, transformé maintenant en lycte<br />

de Nyékonakpoè). I1 y a eu aussi d'autres écoles, qui ont dû fermer leurs<br />

portes : il s'agit de l'école privée laïque "Dag-Hammarskjöld", de l'école<br />

"Kennedy", etc. -<br />

- Q - De nos jours, combien le lycée de- Tokoin compte-t-il<br />

d'élèves, par rapport aux 800 à 1000 que vous avez connus .?<br />

- Quand j'ai quitté le lycée de Tokoin, 11 y avait déjà 1 444 élèves.<br />

- Q - Alors que c'était prévu pour un millier ?<br />

- Oui, pour un millier ! (rire) En 1967-70, il y avait 1 444 élèves de<br />

la sixième à la terminale ... Actuellement, le lycée de Tokoin ne comporte<br />

plus que le troisième degré, c'est-à-dire les classes de seconde jusqu'aux<br />

terminales. Je ne sais pas exactement quel est l'effectifà l'heure actuelle.<br />

- Q - Il reste l'établisseinent le plus prestigieux du Togo,<br />

avec les meilleurs résultats aux examens.<br />

- Oui, c'est ça, en effet !<br />

- Q - Eh bien, nous espérons tous que cela durera, et que ce<br />

beau lycée rnai~tiendra cette tradition d'excellence que vous<br />

avez contribué h cra'er.<br />

1 Voir si ~oriz~.. tome I, dialogue no 5.<br />

114


no 8<br />

AMOUTIVÉ<br />

ET LA DYNASTIE ADJALLÉ<br />

avec<br />

Togbuil Koffi Messan Michel ADJALLE V<br />

(né en 1919 9 Lomé-Amoutivé)<br />

chef supérieur de la ville de Lomé,<br />

chef du canton d'Amoutivé I<br />

M. Amétogninou Ayaovi DADZIE-ADJALLÉ<br />

(ni en 1948 à Lomé-Amoutivé)<br />

instituteur<br />

et<br />

des aînés de leur famille<br />

De nouveau un quartier ancien de Lorné, plus aitcieit<br />

même que Lomé : après Kodjoviakopé2, après Bè3, voici<br />

Amoutivé, un quartier fort important dans l'histoire de la<br />

ville, en particulier par' la famille de ses chefs : celle-ci a<br />

joué un rôle essentiel à la naissance de Lomé, puis dans sa<br />

vie quotidienne, car elle est celle des chefs du canton de<br />

Lomé.<br />

Nous sommes aujourd'hui donc avec UA certain nombre<br />

de membres de cette famille, parini les plus âgés, ceux qui<br />

connaissent le mieux le passé. Tout d'abord, il y a le chef<br />

actuel de la famille, M. Koffi Messan Adjallb, ainsi que l'un<br />

de ses parents, plus jeune, mais qui s'exprime facilement en<br />

fraiiGais, car il est instituteur de son métier, M. Ayaovi<br />

Dadzie-Adjallé.<br />

Et, autour de nous, ce sont Messieurs ... ?<br />

Ancien, chef, roi ...<br />

<strong>Si</strong> Lom L.., tome I, dialogue no 17.<br />

<strong>Si</strong> hmé. .., tome II, dialogue no 1.<br />

117


- Ayigan Ndanou Akakpo,<br />

- Zokplonou Adzo,<br />

- Ayigan Kwaovi,<br />

- Dadzie Kplowodo Koffi,<br />

- Adjallé Ayaovi..<br />

- Q - Messieurs, qu'avez-vous en commun ? Êtes-vous tous<br />

descendants de ce Dadzie, qui vivait un peu avant l'arrivée des<br />

Allemands ?<br />

(Ayaovi' Dadzie) - Dadzie' vivait avant l'arrivée des Allemands.<br />

- Q - Pouvez-vous remonter de façon sûre, c'est-à-dire par la<br />

mémoire des plus vieux, aux ancêtres de Dadzie ?<br />

- A notre connaissance, Dadzie est un descendant du fondateur de la<br />

ville de Lomé, qui fut Dzitri.<br />

- Q - Et de Dadzie lui-même, que savez-vous ? Que signgie<br />

d'abord son nom ?<br />

- Je ne peux pas donner exactement la signification de ce nom. C'était<br />

"Dadje", qui a été transformé par les Blancs en "Dadzie". Avant, il s'appelait<br />

Dadje. '<br />

- Q - Et qu'est-ce que cela veut dire, "Dadje" ?<br />

(Messan Adjallé) - Dadzie, c'est le nom de notre grand-père.<br />

- Q - Est-ce que cela signifie "Cheveux-rouges"2, comme on<br />

l'a dit ?<br />

- Oh, vous savez, la signification ... On a dit qu'il s'appelait Dadje.<br />

Non, ka ne voulait pas dire "Cheveux-rouges".<br />

(Ayaovi Dadzie) - Dadzie, vous savez, c'est notre .grand-père, qui a<br />

enfanté sept garçons : Logbo, Gayi, Towoin, Adjallé, Tissan, Deklo et<br />

Agbokpui.<br />

- Q - Et deux de ses fils sont devenus successivement chefs de<br />

Lomé ?<br />

/i1 Rappel : le z se prononce ici comme un j ("Dadji").<br />

Da : cheveux, djen : rouge.<br />

118<br />

I


- 8 - Adjallé-Dadzie (photographie de l'époque allemande).<br />

Archives de la famille Adjallé, Amoutivé<br />

119


(Messan Adjallé) - Oui, ça a commencé avec le vieux Adjalle.<br />

- Q - Qui, lui, régnait à l'époque allemande. Dans les<br />

documents allemands, il est transcrit "Ahiale 'I, avec un "h ".<br />

Et ensuite, c'est son frère qui devient. Che& Agbokpui.<br />

- Après la mort d'Adjallé, Agbokpui avait pris la régence. Après la<br />

régence, qui a duré à peu près cinq ans, ce fut le tour du propre fils #Adjallé,<br />

Jacob Adjallé, qui a pris le pouvoir de 1908, jusqu'à 1943. Après Jacob<br />

Adjallé, c'est son fils Joseph Adjallé qui prit le pouvoir, de 1943 jusqu'h<br />

1980. Depuis son décès1 jusqu'à maintenant, la famille royale n'a qu'un<br />

régent ; il n'a pas encore eu de successeur2.<br />

- Q - Et tous ces membres de la famille Adjallé sont enterrés<br />

au cimetière familial qui se trouve en face de nous, à côté du<br />

marché d'Amoutivé : un petit cimetière que peu de gens<br />

&marquent, bien qu'il soit situé sur la grande route.<br />

- C'est un cimetière royal, où on peut voir le tombeau du feu Jacob<br />

Adjallé, le tombeau de son fils Joseph Adjallé, aussi de son grand Fere Peter<br />

Donou Adjallé et, en dernier, celui du cadet, Logossou Bertin Adjallé. Je<br />

peux dire qu'ils sont au nombre de quatre enterrés dans ce cimetière royal3.<br />

- Q - En face il y a donc la maison familiale : un grand<br />

complexe oÙ habitent toujours les Adjallé, dont le porche<br />

s'orne de deux lions en ciment (dont l'un, malheureusement, a<br />

perdu sa tête) et mène au sanctuaire des Adjallé. Qui est<br />

vénéré là ?<br />

- C'est la maison du feu Towoin, grand frère au feu Adjallé, ex-chef de<br />

Lomé. Alors cette famille était aussi une famille noble d'Amoutivé. Les<br />

lions en question, je peux dire qu'ils ne sont que des ornements témoignant<br />

de la grandeur de cette famille. L'arrière-grand-père, Towoin, était un guerrier<br />

ou bien un vrai chasseur, très courageux ! A la chasse, ou bien en lutte, ou<br />

en bataille, il peut affronter jusqu'à cent personnes ! C'est en'sa mémoire, ou<br />

bien pour symboliser sa prouesse, cette force en tant que héros, qu'on a érigé<br />

ces deux lions-là, c'est en sa mémoire.<br />

Q - Quel était son lien de parenté avec Dadzie ?<br />

'<br />

LÆ 11 février 1980.<br />

Messan Adjallé ne sera officiellement reconnu chef de canton (sous le nom d'Adjall6 V)<br />

den 1992.<br />

Il y en a eu d'autres depuis cet enregistrement.<br />

120


- Towoin est un fils de Dadzie.<br />

- Q -A côté de nous, en face du marché d'Amoutivé, il y a<br />

une très vieille maison avec une architecture tout à fait<br />

intéressante, des décorations remarquables (surtout sur la<br />

faGade arrière, celle qÙe l'on ne voit pas de la grande rue),<br />

mais, . hélas, très délabrée. Il est inscrit dessus : "Jacob<br />

Adjallé,' 1921"'. Quelle. est l'histoire de cette maison ?<br />

- Oui, cette maison à étage que vous avez vue à côté du marché a été<br />

construite par l'ancien chef Jacob Adjallé, à l'époque. Comme vous le savez,<br />

si vous êtes quelqu'un de remarquable, alors vous pouvez faire ce que vous<br />

pouvez pour honorer votre maison. C'est pourquoi il a construit l'étage-là.<br />

Mais à côté de ça, il a construit un tribunal pour juger les gens. Au temps<br />

d'EklÒu Joseph Adjallé, il a porté le siège2 chez lui, en face du dispensaire.<br />

- Q - Jusqu'à quand a-t-on habité cette superbe vieille maison<br />

en face du marché?<br />

- Cette vieille maison était habitée depuis sa construction, je peux dire<br />

de 1921 jusqu'à 1980. Ce fut l'habitation du fils aîné du feu Jacob Adjallé,<br />

Peter Donou Adjallé3. Après sa mort, jusqu'à présent, personne ne l'a plus<br />

habitée. Donc, je peux dire que ça fait partie des habitations de la maison<br />

royale. Un roi, un chef, pour s'honorer, c'est sa construction, sa parure qui<br />

montrent vraiment sa grandeur. Alors il s'est montré dans le temps en<br />

construisant cette maison à étage, montrant que, vraiment, il fut chef<br />

supérieur de la ville de Lomé.<br />

- Q - <strong>Si</strong> cette maison a vraiment autant de valeur symbolique<br />

par rapport Ci votre grand-père, n'est-il pas dommage de la<br />

laisser se délabrer comme elle l'est actuellement ?<br />

- La deuxième maison à étage servait de tombeaux à certains aïeux que<br />

nous sommes venus voir et qui existent de nos jours. Alors cette maison est<br />

appelée "Yoho''.<br />

- Q - Que veut dire "yoho" ?<br />

- "Yoho" veut dire là où sont enterrés les restes mortels des ancêtres4.<br />

C'est là aussi que se trouvent les sièges ancestraux des chefs qui ont passé.<br />

Vou Y. Marguerat et L. Roux, Trésors cachés du vieux Lorné, 1993, pp. 146-147.<br />

Trône, symbole du pouvoir. C'est toujours dans ce grand bâtiment, en face du dispensaire,<br />

le chef de canton rend la justice coutumibre.<br />

(1901-1980) Ancien comptable la UAC.<br />

Yo : depouille mortelle ; ho : maison.<br />

121


C'est .là aussi que se font nos cérémonies royales. Et c'est là que se trouve<br />

notre dieu protecteur, que nous appelons Aklobo.<br />

- Q - Il faut donc entretenir tout ceci avec le plus grand soin.<br />

- Oui ! Ceci n'est pas négligé, parce que cela servira d'histoire pour la<br />

génération future.<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Revenons sur les plus anciens de vos ancêtres connus<br />

directement, c'est-à-dire ceux de l'époque historique. J'ai<br />

trouvé aux archives de Londres le rapport de la commission<br />

anglo-allemande qui a défini, en mars 1885, la frontière entre<br />

ce qui est aujourd'hui Aflao d'un côté et Kodjoviakopé-<br />

Nyékonakpoè de l'autre. Il y avait à l'époque un litige à<br />

propos d'un petit hameau qui se trouvait à peu près à<br />

l'emplacement de l'actuel lycée de Nyékonakpoè, et qui était<br />

alors peuplé par des gens d'Aflao. Les Anglais, s'appuyant là-<br />

dessus, revendiquaient ce territoire comme faisant partie de la<br />

Gold Coast. Alors que les Allemands, s'appuyant eux sur les<br />

gens de Bè, disaient : "C'est une terre de Bè, donc cela<br />

appartient au Territoire du Togo". Sont donc venus sur place<br />

deux officiers (un de chacune des deux nations colonisatrices),<br />

et ils ont interrogé une douzaine de personnes pour recueillir<br />

les témoignages sur l'authenticité de l'appropriation de ce<br />

hameau d'Assagbo. (Dans le texte de Hugo Zöllerl, qui est un<br />

peu antérieur puisqu'il remonte à novembre 1884,<br />

l'orthographe hésite entre "Afoba", "Abofa", "Afabo" ou<br />

"Azabo". En 1885, ils avaient retenu "Asagbo" ou<br />

"Assagbo"). C'est apparemment le nom d'un homme, qui<br />

figure parmi ceux qui ont été interrogés : il se définit comme<br />

un homme d'Aflao, "chef de ce village depuis dix ans", où il<br />

n'y avait personne avant lui : "il n'y avait personne de Bè<br />

(écrit tantôt Bai, tantôt Beh, selon les textes) ici ; nous<br />

sommes trois chefs de famille, nous sommes tous d'hflao. Je<br />

n'ai jamais payé de loyer à Dadzie (écrit "Dajhi"), qui ne m'en<br />

a jamais demandé".<br />

Le deuxième témoin -je les sélectionne- est un certain<br />

Poovi, un homme d'Aflao, qui dit que "la terre d'Assagbokopé<br />

Édition d'origine : Berlin, 1885. Version française : "Les Chroniques anciennes du Togo",<br />

no 1, Lom6.,1990.<br />

1 22


(le hameau d'Assagbo) appartenait à mon grand-père Daitu,<br />

puis à mon père Atshu. La mère de Dadzie ("Daji") était<br />

d'hflao ; c'était une fille de mon grand-père Daitu (...).<br />

Dadzie vivait autrefois à Bè ; il est venu me demander un<br />

terrain, et je le lui ai donné, il y a dix-huit ou vingt ans de<br />

cela,Il l'a quitté l'an dernier, et je l'ai repris. Ce terrain (il<br />

désigne alors de la main la direction du nord) s'appelle Tokor"<br />

(ce qui serait la première mention du nom de Tokoin).<br />

Ensuite, nous avons le témoignage d'un homme de Bè:<br />

"Anyabo, l'un des chefs de Bè" : "Le terrain oÙ est construit<br />

le hameau appartenait au père de Dadzie, appelé Lusumjawe ;<br />

je sais cela depuis mon enfance".<br />

Sont également interrogés un certain nombre de<br />

commergants, anlo et mina, de la côte, dont "Ayamah" (c'est-<br />

à-dire Robert Adjama), "commerqant à Lomé" : "Cette terre<br />

n'appartient pas à Aflao, mais à Bè. C'est Dadzie qui me l'a<br />

dit. Dadzie m'a donné New-<strong>Si</strong>erra Leone (ri l'emplacement du<br />

poste frontière actuel) et Kédjébékofi (c 'est-à-dire<br />

Kodjoviakopé)". De même James Oklu : "Je vis à Lomé, je<br />

suis paysan et-collecteur de taxes pour Dadzie, chef à Lomé''<br />

(c'est la première, et à ma connaissance, la seule mention de<br />

Dadzie comme percevant un impôt sur le commerce qui se fait<br />

Ci Lomé1). "Dadzie habite Tamè, un village togo<br />

(vraisemblablement le quartier de Tamé, sur le plateau de<br />

Tokoin). Je sais que ce village, Assagbo, appartient à Dadzie,<br />

mais il n'y a jamais habité. Nous avons autorisé les Aflao à<br />

venir ici parce. que ce sont des amis, il y a environ huit ans.<br />

Je pense que Dadzie n'a pas dit aux gens d'Aflao que ce terrain<br />

est à lui". (On voit le diplomate, qui essaie d'harmoniser les<br />

affirmations des uns et des autres).<br />

Voici enfin, le témoignage de Dadzie lui-même : "Je suis<br />

Dadzie, chef de Bè, habitant à Bè. Le pays de Lomé<br />

m'appartient. La frontière entre les gens d'Aflao et de Bè est<br />

entre Aflao et Assagbo .; elle a été fixée par mon grand-père.<br />

Cet endroit m'appartient. 'Tous les gens de Bè le savent, les<br />

Aflao aussi ; s'ils disent que non, ils mentent. Assagbo est<br />

Dans une lettre B l'administration allemande du 14 sept.1888, Joachim Acolatsé raconte que,<br />

lorsqu'il est arrivé B Lomé pour la première fois, le 29 novembre 1880, le propriétaire des<br />

lieux, auquel il paye les taxes coutumières sur les marchandises qu'il débarque, est "Darghee",<br />

de "Amutivie", qui lui a ensuite Caé un trks vaste terrain en bord de mer (en plein centre-ville<br />

actuel), pour l'6quivalent de 9 livres sterling de marchandises (Archives nationales du Togo,<br />

Fonds allemand 1 / 606, p. 30). En juin 1880, "Dargie" avait vendu le terrain de la future gare<br />

routièie de la cathkdrale au <strong>Si</strong>ena-leonais G.B. Williams pour "quatre caisses de gin, vingt<br />

livres de tabac et deux douzaines de pagnes" (ANT, FA, 1 / 494, p. 8).<br />

123


'<br />

.<br />

l'un de mes parents ; c'est pour ça que je l'ai autorisé à venir<br />

s'installer ici. I1 ne m'a pas demandé, parce que c'est un<br />

membre de la famille. Dans ce pays, la propriété va de père<br />

en fils1 'l.<br />

Alors, que pensez-vous de ce document vieux de 103 ans<br />

et où est évoqué le père de Dadzie (un nom que je n'ai trouvé<br />

nulle part ailleurs) : Lusumjawe, et où il est dit que la mère<br />

de Dadzie venait d'Aflao. Est-ce que, dans la niémoire des<br />

descendants de Dadzie, tout ceci a laissé des traces ?<br />

- Ayant écouté votre intervention, en comparant l'histoire et en<br />

rapprochant les dates, nous constatons que cette affaire de délimitation de<br />

terrain ne se passait pas au moment du chef Dadzie, mais plutôt au moment<br />

de son fils Adjallé-Dadzie, car Adjallé a pris le pouvoir en 18822 et il est<br />

mort en 1901.<br />

- Q - Et "Lusumjawe", cela vous dit-il quelque chose ?<br />

- Lossounyavé -ce n'est pas ''Lusumjawe"- : oui, il fut l'un des chefs de<br />

Lomé. Son règne remontait à 1660 et il mourut en 16&&3. Le Lossounyavé<br />

en question fait partie de notre famille, il fut un ancien chef de Lomé ; donc<br />

ce n'est pas lui. Ce serait un autre Lossounyavé, d'ailleurs ...<br />

- Q - Il est très fréquent en histoire que l'on ait ce genre<br />

d'incertitudes ... Une chose qui me frappe aussi dans ce texte,<br />

c'est qu'oit ne parle jamais d'Amoutivé, mais toujours de Bè.<br />

- Nous ne pouvons pas relater l'histoire d'Amoutivé sans retourner un<br />

peu en arrière, pour parler un tout petit peu de l'histoire de Lod? de la<br />

fondation de Lomé. <strong>Si</strong> vous me permettez, ce que nous connaissgns, c'est<br />

que, avant la fondation d'Amoutivé, il y avait une guerre qui opposait les<br />

Fon à ceux qui étaient venus prendre refuge auprès du roi Dzitri et son fils<br />

Aglin. Ces derniers leur avaient donné l'hospitalité pour se cacher. Mais les<br />

ennemis dahoméens, ayant appris qu'ils s'étaient réfugiés chez les Loméens,<br />

étaient à leur poursuite. A leur arrivée, Dzitri et son fils Aglin étaient alertés<br />

qu'un danger les guettait, qu'il y avait des ennemis armés qui venaient lutter<br />

contre eux. A cet effet, eux aussi avaient alerté les leurs pour aller faire la<br />

guerre contre ces guerriers, les Dahoméens. Alors, au cours de cette guerre,<br />

Alors que chez les Anlo de Keta, l'heritage est souvent matrilinéaire.<br />

Petite imprécision habituelle dans la tradition orale : les archives attestent que "Dadje" est<br />

mort en 1892, selon un document du 27 octobre 1892 (ANT, FA 1 / 606, p. 106).<br />

Dans la "liste des rois d'Amoutiv6" publiée par R. Asmis en 1911 (document dont la<br />

crédibilité paraît, pour diverses raisons, assez douteuse), figure "Lossou", fils de Konou, en<br />

cinquième position après l'ancêtre fondateur Djitri.<br />

124


les guerriers ont été tués en grand nombre de part et d'autre, les partisans de<br />

Dzitri aussi bien que les Dahoméens. Il fallait les enterrer. Alors on a creusé<br />

une grande fosse où on les a tous enterrés, et ça faisait une petite colline, en<br />

sorte qu'ils avaient dénommée Kpoganl. Ce Kpogan, c'est l'actuel Baguida-<br />

Plantation2. Mais, parmi les guerriers de Dzitri qui avaient été tués, il y<br />

avait un fils unique d'une vieille. Alors, pour venger la mort de son fils,<br />

cette vieille avait empoisonné le puits public. Elle avait mis un régime de<br />

noix de palme empoisonné dans le puits public. Les habitants d'Alomé<br />

d'alors (actuellement Lomé), en buvant cette eau, mouraient.<br />

Qu'est-ce qu'il fallait faire, alors ? Il fallait chercher d'autres habitats<br />

ailleurs. C'est ainsi qu'ils ont quitté Alomé. Certains sont partis à Ekpui,<br />

Abobo-Kpoguédé, Tsévié ... D'autres étaient retournés à Notsé. Certains<br />

étaient revenus encore à Lomé. D'autres avaient pris le chemin de l'ouest,<br />

vers l'actuel Ghana : ils se sont installés à Agotimé, à Wayanou, et ils<br />

avaient dénommé ce nouvel habitat Alomé, en mémoire de l'ancien qu'ils<br />

avaient quitté. On peut remarquer aujourd'hui qu'il y a certains de ces<br />

habitants de Lomé qui avaient quitté qui se trouvent à Loumé, au Togo<br />

britannique. Alors, l'un des descendants de Gbagban, qui était aussi un<br />

descendant de Dzitri3, avait quitté Alomé pour aller s'installer à Adjrométi4,<br />

appelé alors Adélato. A la mort d'Aglin, fils de Dzitri, ils avaient repris le<br />

chemin de la lagune. Au bord de cette lagune, ils avaient trouvé deux arbres<br />

jumeaux qui végétaient, et ces arbres jumeaux s'appelaient "Amouti"-<br />

amout ti^é"^, d'où le nom de ce village jusqu'à nos jours. Alors les gens qui<br />

quittaient Bè ou Alomé, l'ancien zongo (qui s'appelait avant Togbi Glidzi),<br />

disaient qu'ils allaient à Amoutivé : - Où allez-vous ? - Nous allons à<br />

Amoutivé ... Raison pour laquelle ça a gardé ce nom jusqu'à nos jours :<br />

Amoutivé.. .<br />

- Q - Quand pensez-vous qu'Ainoutivé, qui semble donc avoir,<br />

été Ci l'origine UR quartier de Bè, s'est développé cornme un<br />

véritable village ?<br />

- Amoutivé, étant un quartier de Bè, a évolué rapidement. Pourquoi ?<br />

Nos ancCtres ayant quitté Adjrométi étaient venus s'installer à Amoutivé. Il y<br />

avait deux clans : le clan Konou et ,le clan Vodémé. Les gens de Vodémé<br />

sont les descendants de Gbagban. Avant, les Konou détenaient le pouvoir<br />

Kpo : butte, monticule ; gm : grand.<br />

A la limite des préfectures du Golfe et des Lacs, l'est d'hvépodzo. Ces episodes, bien<br />

connus dans la tradition éw6, correspondraient à l'offensive (et å la défaite) d'une annee du<br />

royaume d'Abomey en 1731-32.<br />

Troisième nom de la liste recueillie par Asmis (Ns d'Aglin, @re de Konou).<br />

Quartier à l'est de Bè, qui s'affirme le plus ancien. Sur toute cette tradition de BB, voir <strong>Si</strong><br />

Lorné. .. tome II, dialogue no 1.<br />

"Les deux arbres (ou l'arbre jumeau) dans l'eau".<br />

125


administratif (puisqu'il y avait des chefs administratifs et des chefs<br />

traditionnels). Aprks, le trône était revenu administrativement aux gens de<br />

Vodémé, et leur représentant fut Adjallé Fr. Son quartier est donc devenu un<br />

quartier royal. Ainsi, il y eu émancipation, développement et. changement<br />

jusqu'à nos jours.<br />

- Q - Ces deux clans, Konou et Vodémé, venaient tous les<br />

deux de Bè ?<br />

- Ce sont des clans du vieil habitat, Adjrométi, qui se sont installés à<br />

Amoutivé. Donc nous considérons toujours Adjrométi comme notre ancien<br />

habitat. Quand vous allez B Adjrométi actuellement, vous verrez Konou-<br />

komé et Vodomé.<br />

- Q - Oìì habitent aujourd'hui les Konou ?<br />

- Les 'Konou sont tous à côté de la lagune, ici. Quand vous arrivez à<br />

Amoutivé, à l'ancienne maison RAMCO, la rue Amemaka-Libla prolongée<br />

vers le camp', c'est là que les Konou se sont installés. Je peux dire que nous<br />

sommes tous ensemble ; ce ne sont que les rues qui nous ont un peu<br />

départagés.<br />

- Q - Le premier plan sur lequel figure Amoutivé remonte Ci<br />

1891 (c'est même le premier plan connu de la ville de Lomé,<br />

qui s'étend jusque là). On y dénombre 60 cases à Amoutivé.<br />

Alors qu'il nous montre la route Lomé-Amoutivé telle que<br />

nous la connaissons aujourd'hui (rebaptisée en 1987 l'avenue<br />

Maman-"Danida), le plan indique aussi une rue allant h Bè,<br />

mais qui n'est pas notre rue Amemaka-Libla : 'elle part à la<br />

hauteur du dispensaire, en biais. D'autre part, la rue qui<br />

traverse la lagune n'a pas norì plus le tracé actuel: elle est<br />

beaucoup plus en biais : elle part franchement vers le nord-<br />

est, elle coupe la lagune -assez curieusement- en travers<br />

(peut-être pour suivre des zones moins profondes, moins<br />

humides). Est-ce que, dans la mémoire des plus vieux, on<br />

garde traces de ces anciens chemins ?<br />

- Cette rue longe la lagune d'Amoutivé jusqu'à Bè-Kpota. Nous<br />

l'appelions avant la rue de Sassafé. "Sassafé", nous pouvons diviser cela :<br />

"Sa", c'est une sorte de cérémonie2. Après avoir consulté les oracles, peut-<br />

être on va vous demander à faire des sacrifices. Ces sacrifices, après les avoir<br />

faits, nous les déposons sur ces lieux, raison pour laquelle nous l'appelons<br />

De la gendarmerie nationale, à l'ouest d'Amoutivé.<br />

Sassa : offrande ;fé&! : emplacement.<br />

126


"Sassafé".<br />

- Q - La première description d'Amoutivé par un voyageur<br />

étranger se trouve dans le récit de voyage de Heinrich Klose,<br />

qui décrit le Togo des années 1894-97l. Il parle d'un petit<br />

village très joli, très agréable, sous les arbres, qui est la<br />

première étape quand l'on vient de Lomé ou la dernière quand<br />

oit arrive à Lomé2, et où s'est développé un petit marché. Y<br />

viennent en particulier les femmes de Bè, remarquables par la<br />

jupe blanche de percale qui est leur seul vêtement. Et il parle<br />

aussi d'une petite mission, d'une chapelle. Avez-vous<br />

souvenir de cette première chapelle d'Amoutivé ?<br />

- La chapelle était construite à côté du cimetière actuel d'Amoutivé.<br />

Cet emplacement est gardé jusqu'à nos jours, et les prêtres y ont construit<br />

une nouvelle école, dénommée Sainte-Rita, au côté nord du cimetière, en<br />

mémoire de cette chapelle.<br />

- Q - Les plus vieux d'entre vous se rappellent-ils quand elle<br />

a cessé de fonctionner ?<br />

(Messan Adjallé)3 - La chapelle avait été construite par les<br />

missionnaires allemands. Comme la ville se développait, on avait cessé de<br />

faire la messe là-bas. C'est pourquoi on avait créé la paroisse d'Amoutivé au<br />

bord de la route d'Amoutivé.<br />

- Q - Vous. voulez parlez de l'&lise Sairit-Augustin ?<br />

- Oui !<br />

- Q - Qui a été cditstruite en 1934 ?<br />

- Oui, en 1934.<br />

- Q - Donc c'est ri ce moment-là que l'oïi a supprimé la<br />

chapelle d'Amoutivé ?<br />

- Oui.<br />

- Q - Et les gens d'ici allaient Ci la inesse là-bas ?<br />

* "Les Chroniques anciennes du Togo", no 3, Lomé, 1992.<br />

Par une route qui, pour éviter l'angle que forme le territoire aujourd'hui ghanéen du côté de<br />

la centrale tlectrique d'Akossombo, traversait en biais le plateau de Tokoin pour rejoindre la<br />

route de Kpalimé vers Adidogomé.<br />

C'est désormais essentiellement lui qui parle.<br />

127


- Nous tous nous allions.à la messe à Amoutivé.<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Parlons maintenant de I'Amoutivé que vous avez connu<br />

il y a quelques dizaines d'années. A quoi ressemblait le<br />

village vers 1930-1940 ?<br />

- En 1940, nous étions encore de petits gosses, et nous allions en ce<br />

temps-là à la messe avec des pagnes.<br />

- Q - Vous souvenez-vous de l'époque où Amoutivé était isolé<br />

au milieu des cocoteraies et des champs ?<br />

- Oh non! Il y avait des cocoteraies de Felicio de Souza à côté1, mais<br />

c'était tout à fait derrière l'église d'Amoutivé.<br />

- Q - Les gens d'Amoutive' h cette époque, dans les années<br />

1940, étaient-ils encore surtout agriculteurs ?<br />

- Oui, ils étaient tous agriculteurs. Ils cultivaient leurs champs à<br />

Tokoin.<br />

- Q - Dans quelle partie du Tokoin d'aujourd'hui ?<br />

- Vous voyez le lycée de Tokoin, à gauche, tout au long, jusqu'à<br />

"Lomé II" ? C'est là qu'on cultivait nos cultures vivrières.<br />

- Q - Aujourd'hui, la plupart de ces terrains sont maintenant<br />

habités. Vous reste-t-il des champs ?<br />

- Aujourd'hui, je peux dire que tous ces champs sont devenus des<br />

maisons. Parce que les gens sont nombreux, et ils ont demandé des terrains<br />

pour construire des habitations. et on en a attribué à tout le monde, c'est ça !<br />

- Q - Alors de quoi vivent les gens d'Amoutivé aujourd'hui ?<br />

- I1 y a eu une évolution parmi les habitants d'Amoutivé. I1 y a<br />

certains qui sont des artisans : il y a des maçons, des charpentiers, des<br />

menuisiers, des bijoutiers ... Ceux qui continuaient avec l'agriculture se sont<br />

A l'est du village, autour de l'école qui porte toujours le nom de ce grand notable.<br />

128


procurés des terres ailleurs, hors de Lomé : à Tsévié, Davié, Adétikopé I... Et<br />

il y a d'autres qui sont partis même jusqu'à Chra (actuel Wahala)2 ; ils en<br />

ont achetées là-bas. Puisqu'ils sont agriculteurs, ils ne peuvent pas rester ici.<br />

- Q - Ceux-ci ne résident donc plus Ci Amoutivé ?<br />

- Ils résident à Amoutivé ! Au moment de la saison des pluies, ils<br />

quittent Amoutivé pour aller s'installer dans leurs champs et? après les<br />

récoltes, ils reviennent, puisque c'est un temps mort. Et au moment des<br />

cérémonies des décès, tout ça, ils reviennent ...<br />

- Q - Bè a gardé une forte originalité villageoise, mais<br />

Amoutivé, qui provient de Bè, n'a pas autant gardé ce<br />

caractère. Pourquoi ?<br />

- C'est à cause de notre fétiche, le fétiche Nyigblin. Bè a gardé cette<br />

originalitê à cause de ce fétiche. On ne peut pas urbaniser certains milieux<br />

parce que, en urbanisant, on peut détruire notre forêt sacrée. Nous avons des<br />

tabous, nous avons des interdits, nous avons gardé tout ça jusqu'alors à Bè.<br />

I I<br />

I I<br />

- Q - Jusqu'ici, Amoutivé dépend-il toujours de Bè sur le plan<br />

religieux ?<br />

- Non, on ne peut pas dire qu'Amoutivé dépend de Bè, puisque nous<br />

aussi, nous avons notre dieu que nous vénérons. Nous sommes des Aklobo,<br />

et non pas des Nyigblin. La plupart des Bè sont des Nyigblin:<br />

i<br />

- Q - Alors que vous venez pourtant d'Adjrométi ?<br />

s - 0ui;lnous venons d'Adjrométi pour nous installer à Amoutivé.<br />

- Q - Quel dieu adore-t-on h Adjrométi ?<br />

- Ils adorent le dieu Aklobo.<br />

- Q - Y a-t-il des gens d'Adjromdti qui ont toujours des terres<br />

h Amoutiv6, et des gens d'Arnom%ve' qui ont gardé des terres Ci<br />

Adjrome'ti ?<br />

- Oui ! L'oncle d'B c6t6, Komi Ayigan, il est d'Adjromkti, c ar"<br />

nous. Ils ont leur maison là-bas, ils ont leur maison aussi à Amoutivk. Le<br />

TstSvitS : 35 km au nord de LomB, Davi6 : 30 km, AdtStikop6 : 25 km, toujours sur la route<br />

d'Atakpan1-5.<br />

125 km au nord de LOIR&, mne de foltc immigration agricole.<br />

129


,<br />

vieux,Tokplonou, il vient d'Adjrométi: Ils ont leur maison ici. Nous aussi,<br />

c'est la même chose. C'est vice versa. Nous avons toujours gardé certaines<br />

maisons là-bas en souvenir de nos aïeux.<br />

- Q - Comme le disait Ci notre micro le député Etsè Amédonl,<br />

vous avez votre "pied h terre" h Bè ?<br />

- Oui. Vous connaissez I'école primaire de Bè-gare? C'est Adjrométi.<br />

Ce sont les gens d'Adjrométi qui ont donné ce terrain pour construire I'école.<br />

A côté, les maisons qui se trouvent au nord de cette école, c'est là que<br />

résidaient nos ancêtres, et c'est là qu'actuellement résident certains membres.<br />

C'est de ceux-là que je parlais : le vieux Atsou Tokplonou et le vieux Komi<br />

Ayigan.<br />

- Q - Existe-t-il un lien ,entre les deux familles "régnantes",<br />

Adjallé et Aklassou2 ?<br />

- Nous sommes des parents. <strong>Si</strong> nous remontons un peu à l'histoire, les<br />

Aklassou ont un lien de parenté avec notre vieux Agbokpui. Alors,<br />

Agbokpui étant d'Amoutivé et Aklassou ayant un lien de parenté avec ce<br />

dernier, nous pouvons dire que nous somrñës du même clan.<br />

- Q - Je pense que l'on peut expliquer l'histoire d'Amoutivé<br />

comme étant le lieu d'échange des gens de Bè : Bè, village<br />

très religieux, très refermé sur la tradition, refusait le contact<br />

avec l'extérieur. Amoutivé a été le lieu du commerce entre<br />

Lomé et le vieux Bè. N'est-ce pas cela qui a fait la fortune<br />

d'Amoutivé ?<br />

- Nous, on ne dirait pas que nous avons laissé nos traditions, nos<br />

coutumes. Nous les suivons même quand les étrangers sont venus chez nous.<br />

Comme ils sont des commerçants, ils avaient pris des terres chez nous.<br />

Alors en prenant ces terres-là, ils devaient donner quelque chose en redevance.<br />

Donc le fait de nous côtoyer, ça a fait des liens ; il y a eu des changements de<br />

mentalité. Ce qui a fait que nous avons changé un peu de mentalit6 : on<br />

remarquerait que les gens d'Amoutivé n'ont pas, à peu près, la même<br />

mentalité que nos fières de Bè.<br />

- Q - Aujourd'hui, en fait, il y a beaucoup d'étrangers qui<br />

habitent Amoutivé. Combien êtes-vous de vieilles familles<br />

qui se considèrent comme authentiquement originaires<br />

d'Amsutivé ?<br />

' <strong>Si</strong> Lomé ... , tome II, dialogue n01.<br />

Chefs du canton de BB depuis 1910.<br />

130


- Les étrangers étant venus, ils ont sollicité des refuges chez nous, ils<br />

ont voulu prendre des terrains chez nous : c'est ce qui fait qu'il y a eu un peu<br />

de changement. Mais ça n'empêche pas qu'il y a des autochtones, des vieilles<br />

familles ... I1 y a la famille Konou,.il y a la famille Adjallé-Dadzie ... Nous<br />

sommes toujours là. On ne peut pas dire que les étrangers nous ont dominé<br />

complètement. Nous existons !<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Les gens d'Amoutivé, en particulier la famille Adjallk,<br />

possédaient les terres et ont immatriculé selon les principes<br />

du droit moderne -avec des titres fonciers selon le droit<br />

frangais- de très vastes domaines de part et d'autre de la<br />

lagune, jusqu'à la frontière du Ghana. Ces terres ont été<br />

loties essentiellemeni après la Deuxième guerre mondiale.<br />

Pouvez-vous nous raconter comment cela s'est fait ?<br />

- Oui, nos grands pères, ne voulant pas vendre ces terrains, ont procédé<br />

par un lotissement et par des contrats de bail. Alors, les occupants donnent<br />

une redevance en argent et en boisson à la fin de chaque année..<br />

- Q - Quel est l'ordre de grandeur de cette redevance ?<br />

- Avant, ils payaient 500 francs avec deux bouteilles de boisson forte.<br />

Mais, comme il y a évolution, ceci a été changé à 1000 francs, plus -je<br />

crois- quatre bouteilles de boisson forte. Mais il y a la générosité du Trône :<br />

le chef étant très hospitalier envers ces derniers, même s'ils n'arrivent pas à<br />

payer ces redevances, il ne les poursuivait pas judiciairement. Il y a certains,<br />

depuis leurs grands-parents jusqu'alors, ils n'ont rien payé, mais, quand<br />

même, on ne leur dit rien ... C'est ça !<br />

- Q - Savez-vous Ci peu près combien il y a de gens comme<br />

ça, qui vous sont redevables de ce bail ?<br />

- Ah ça, c'est en nombre illimité, puisqu'il faut parler d'Adoboukomé,<br />

de Doulassamé, de Nyékonakpoè, de Tokoin-Gbadago, du cimetière, etc.<br />

Alors, vous voyez ?, ça, c'est très grand, c'est important ...<br />

- Q - N'avez-vous pas un registre o& tout ceci est inscrit ?<br />

- Oui, il y a un registre, mais je ne peux pas vous dire maintenant le<br />

nombre exact. Il faut que je consulte d'abord le registre.<br />

131


- Q -Maintenant, reste-t-il encore Ci la famille des terres h<br />

lotir, y compris pour elle-même, pour les jeunes comme<br />

vous ? <strong>Si</strong> vous voulez construire, disposez-vous encore de<br />

terrains libres ?<br />

-- - -<br />

- Oui, nous avons des terrains libres, en pagaille !, mais qui ne sont<br />

plus dans l'enceinte de la ville. C'est vers Kélégou, Agoènyivé, même au<br />

delà d'Agoènyivé l... Nous avons encore d'autres terres à partager après à la<br />

jeunesse.<br />

- Q - C'est-à-dire que vous avez vendu les terrains de Lomé<br />

pour acheter ailleurs ?<br />

- Non ! Ce sont toujours les propriétés Adjallé ! On n'a pas vendu la<br />

plupart des terrains : ce sont des terrains en bail. Les occupants, quand ils<br />

veulent venir voir le propriétaire pour qu'on leur fasse un prix, alors on le<br />

leur fait. .Mais nous ne faisons pas comme les autres : lotir et vendre en<br />

même temps, non !<br />

- Q - Mais certains de ceux qui ont eu des contrats de bail ont<br />

pu racheter les terrains qu'ils occupaient ?<br />

- Oui, certains d'entre eux reviennent voir le propriBtaire ; on leur fait<br />

le prix'et ils les achètent. Donc ils deviennent propriétaires.<br />

- Q - Sur. .quelle base fixez-vous le prix ? En suivant<br />

l'évolution du prix de vente- des terrains dans le temps ?<br />

- Oh, vous savez, en tant qu'anciens occupants, on leur fait un prix<br />

forfaitaire. Mais ce n'est pas sur la base actuelle. , .<br />

_ ~<br />

" _<br />

- Q - Revenons, s'il vous plaît, Messieurs Adjallé, Ci<br />

l'bvolutioa du quartier. Pour .vous, les plus vieux, qu'est-ce<br />

qui a le plus changé dans le paysage d'Amoutivé,. dans son<br />

kquipement, par rapport à l'époque où vous étiez petits<br />

garpns ?<br />

- Je peux dire que quand j'avais cinq à six ans, voire dix ans, les<br />

terrains étaient nus. Par la générosité du chef Adjallé, il les a répartis aux<br />

familles, à qui il a donné pour construire.<br />

Banlieue nord de Lorné.<br />

132<br />

-


- Q - Entre Amoutive' et Doulassamé, y avait-il encore des<br />

espaces vides ?<br />

- Oui, il y avait des terrains vides, tel que Lom-Naval, qui est une<br />

propriété de mon père. Mais il ne l'avait pas attribuée aux gens. Je peux dire<br />

que c'est vers 1945, après la mort de mon Papa, que le grand frère Joseph a<br />

réparti ces espaces vides aux gens. C'est à partir de ce temps-là qu'on a<br />

commencé à y construire les maisons.<br />

- Q - Ce qui dqférencie le plus le centre d'Amoutivé du centre<br />

de Bè, c'est que, ici, il y a des rues, alors qu'à Bè, en dehors<br />

de la grande rue Amemaka-Libla, il n' y a que des chemins<br />

pour piétons. A quand remonte ce réseau de rues relativement<br />

bien tracées d'Arnoutivé ?<br />

- Je sais que c'est le chef Joseph Adjallé qui a demandé à la Voirie ou à<br />

la Mairie de tracer ces rues.<br />

- Q - Vous rappelez-vòus h quel moment on les a tracées ?<br />

Quel âge aviez-vous ?<br />

- J'avais 29 ans à ce moment, et j'étais déjà fonctionnaire dans<br />

l'administration locale. Actuellement, j'ai 67ans2.<br />

- Q. - Coinme équipements, vous avez à Amoutive' UR<br />

dispensaire, un marché, un cimetière, des écoles ....<br />

- Vous voyez qu'on a un dispensaire ici, à côté, avec des latrines qui<br />

n'ont pas trouvé de place maintenant. C'est pourquoi on ne peut pas faire<br />

autre chose que ça.<br />

- Q - Depuis une douzaine d'années, il y a quand même eu un<br />

progrès important pour la qualité de la vie : c'est le contrôle<br />

de la lagunè, qui vous inondait de temps en temps en saison<br />

des pluies ...<br />

- Après l'assainissement de la lagune, l'inondation a diminué.<br />

Cependant, certaines maisons qui sont dans la dépression retiennent de l'eau<br />

après la pluie. Mais, avec le temps de la sécheresse, ça disparaît. Je peux dire<br />

que ce n'est plus comme avant. Grâce à l'assainissement, les maisons,<br />

maintenant, sont saines.<br />

- Q - Vous rappelez-vous de la grande inondation de 1962 ?<br />

Quartier construit dans les années 1950 au sud-est dAmoutivé, le long de la route de Bè.<br />

Donc en 1950.<br />

,133


- Ah oui !<br />

- Q - Y avait-il, par exemple, de l'eau dans la maison oÙ nous<br />

sommes ? Jusqu'à quelle hauteur ?<br />

- La grande inondation de 1962 avait fait un dégât très important.<br />

Certaines maisons, certains bâtiments se sont enlisés ; ces maisons se sont<br />

enfoncées : les fenêtres qui étaient à la hauteur de la tête se trouvent<br />

maintenant à la hauteur de nos reins. C'est à cause de cette grande inondation.<br />

I1 y avait de l'eau même au niveau de nos lits, quand l'eau rentrait dans nos<br />

maisons. C'est grâce à l'assainissement que cette eau se retire petit à petit, et<br />

on peut dire actuellement que cette inondation a diminué.<br />

- Q - Quelle importance avait la lagune pour les gens<br />

d'Amoutivé ?<br />

- La lagune d'Amoutivé jouait un rôle social et un rôle économique.<br />

Alors, au point de vue de son rôle social, les gens disaient que leurs<br />

cérémonies, leurs sacrifices, ils les faisaient et ils les déposaient au bord de la<br />

rue Sassafé, qui longeait cette lagune. Pour son rôle économique, à des<br />

.moments rituels (suivant l'autorisation des autorités de la forêt sacrée), il y a<br />

un moment où on autorise à pêcher dans la lagune. Alors les gens y allaient<br />

pêcher du poisson, qui leur servait de nourriture. Ils en vendaient et ils en<br />

faisaient du poisson frit, pour le conserver.<br />

- Q - Quels sont les quartiers qui dépendent d'Amoutivé ?<br />

- Les quartiers qui dépendent jusqu'ici d'Amoutivé sont très<br />

nombreux : il y a Bassadji, Biossé (que nous appelions aussi Sofé). Nous<br />

avons Lom-Nava, Abobokomé, Aguiarkomé, Assiganto, Assivito ... Nous<br />

avons aussi Nyékonakpoè, Kodjoviakopé, etc.l<br />

- Q - Les représentants de tous ces quartiers prêtaient<br />

allégeance au chef Adjallé ?<br />

- Tous ces représentants sont les chefs de quartiers que le chef supérieur<br />

de la ville de Lomé coiffe.<br />

- Q - Que signifie le nom du quartier qui est .votre plus .<br />

proche voisin, "Doulassamé" ?<br />

- Doulassamé, c'est-à-dire un coin ou bien un village, un quartier qui<br />

Successivement au nord-est, puis au centre, puis h l'ouest de la vieille ville, c'est-&-due tous<br />

les terrains qui ont été cédés & l'origine par la famille Adjallk.<br />

134


est à côté : "Dou-la-Samé". "Dou" veut dire ville ou population, qui se<br />

trouve "à côté" ("sa-mé'?.<br />

- Q - Ce sont des Amoutivé, ou bien des étrangers ?<br />

- Non, ils sont mélangés, puisque Doulassamé est incorporé dans<br />

Amoutivé. Les gens d'Amoutivé y sont, de même que certains étrangers.<br />

- Q - Savez-vous comment le vieil Octaviano Olympio (bien<br />

sûr, il était jeune ri l'époque) avait obtenu sa grande<br />

cocoteraie, qui est aujourd'hui le quartier ' Octaviano-Nétimé ?<br />

- Le vieux Octaviano est venu voir le chef Adjallél pour'lui demander<br />

de lui laisser cette parcelle pour faire des pépiseres de cocotiers, pour essayer<br />

si le cocotier peut résister ici, à Lomé (parce que la terre est sablonneuse : il<br />

n' y a pas de terre de barre2). Alors le vieux Adjallé a ordonné de lui donner<br />

la parcelle pour faire la pépinière. En échange, Olympio devait donner un<br />

boeuf chaque année au trône d'Amoutivé. Vous voyez comme les gens sont<br />

fidgles les uns les autres : ils l'ont laissé jusqu'à ce moment. Après le décès<br />

d'Olympio3, ses fils, sa famille voulaient lotir et vendre. Alors le vieux<br />

Adjallé Jacob, dans le temps, n'a rien dit. Il a dit que c'est son père qui le lui<br />

avait donné gratuitement. Et puis c'est fini.<br />

- Q' - Et quelle est l'origine de Tokoin-Gbadago ?<br />

- Tokoin-Gbadago, c'est toujours Amoutivé. Vous voyez ? Le vieux<br />

Gbadago était à Hanoukopé, à l'époque4. Alors, au moment qu'on voulait<br />

distribuer ce terrain aux fonctionnaires de l'Administration, on a dit au vieux<br />

Gbadago de se dégager et d'aller ailleurs. Alors, il est venu voir le chef<br />

Adjallé Jacob, qui lui a dit d'aller s'installer à Tokoin. Donc il est parti à<br />

Tokoin, avec ses fétiches, et les gens qui allaient chez lui disaient : "Nous<br />

allons à Tokoin, chez Gbadago". C'est pourquoi on l'appelle Tokoin-<br />

Gbadago.<br />

- Q - Et le nom même de Tokoin, d'où vient-il ?<br />

- "Tokoin", c'est "la colline". Comme la colline est un peu haute, on<br />

La plantation d'Olympia (90 ha) est creée en 1887 ; le terrain avait donc sans doute été<br />

acquis quelque temps avant . En 1887, il a obtenu de Dadji un terrain de l'autre côte de la<br />

lagune (pour y construire sa briqueterie), qu'il ach¿?te formellement à Adjalle en octobre<br />

1895, au prix de "diverses marchandises, comme du rhum et du tissu". (Archives nationales du<br />

Togo, Fonds allemand 1 I618, p. 85).<br />

L'argile rouge du plateau, beaucoup plus fertile. Mais le cocotier est un arbre trks sobre : le<br />

seul ii vraiment prospkrer sur les sols trks mkdiocres du cordon littoral.<br />

3-Le 21 ao& 1940. Le quartier Octaviano-Nétimé a été loti B partir de 1946-47.<br />

Voir ci-dessus, dialogue no 4. Voir aussi <strong>Si</strong> Lomé ..., tome I, dialogue no 8.<br />

135


dit 'Tokom .<br />

Q - "To", c'est la colline ?<br />

- Oui, To, c'est la colline.<br />

- Q - Et "Koin" ?<br />

- To-koin, c'est le nom qui le suit.<br />

- Q - Le vrai Tokoin d'origine, c'est le quartier de l'hôpital,<br />

n'est-ce pas ?<br />

- C'est tout ce qui se trouve au nord de la lagune, jusqu'au quartier de<br />

l'hôpital.<br />

- Q - Parlez-nous aussi de cette grande rue qui mène à Bè<br />

- C'est la rue Amemaka-Libla ! Amemaka Libla, c'est un vieux qui est<br />

venu de Viépél s'installer auprès des Amoutivé. Mais, avec l'évolution du<br />

temps, on le considère actuellement comme étant d'Amoutivé, de ce milieu ...<br />

- Q - Pourquoi a-t-on donné son nom à cette rue ?<br />

- Ah, c'est d'après l'influence de ce vieux. Comme il se trouvait tout<br />

juste dans l'angle de la rue, c'est pourquoi son nom a été donné à cette rue, le<br />

nom de ce vieux influent du quartier.<br />

- Q - A-t-il actuellement des descendants h Amoutivé ?<br />

- Ah oui, il y a ses descendants : il y a le vieux Nkoli, qui est le seul<br />

vivant de ses fils. Mais il y a aussi d'autres filles qui sont encore là. Il y a<br />

des arriêre-petits-fils et des plus-arrières-petits-fils.<br />

- Q - Il y a aussi ici des rues qui rappellent le nom de Bok0<br />

Aguédji et de Bok0 Soga, qui faisaient partie des propriétaires<br />

fonciers de Lomé à l'époque allemande. Qui étaient ces<br />

hommes ?<br />

Ayigan est un parent d'Aguédji, et de ce Soga-là. Donc ils sont des<br />

autochtones d'houtivé.<br />

Hameau entre Aflao et Denu, à quelques km au delà de la fronti5re du Ghana.<br />

136


- Q - Que veut dire exactement "Boko" ?<br />

- r'Bokono", c'est le féticheur, le devin, le voyant ... C'est lui qui<br />

consulte notre oracle traditionnel, le Fu1, et qui guérit par ce que Fa a dit.<br />

C'est une initiation qui est héréditaire de père en fils.<br />

- Q - Il y avait autrefois, en entrant Ci Amoutivé, un grand<br />

"legba"2, qui était comme le gardien de la ville. OÙ est-il<br />

aujourd'hui ?<br />

- Ah, vous savez, ce fétiche existe encore, à la même place, tout près<br />

d'ici, à droite, vers la montée, dans une petite case. Ce légba garde tout<br />

l'environnement d'houtivé.<br />

- I1 s'appelle communément, dans notre dialecte, "Doulégbu" . Ça veut<br />

dire "idole de la population". C'est à cette idole, après consultation des<br />

oracles, qu'ils vous disent d'aller faire des sacrifices, à ce dieu-là : vous les<br />

déposez là-bas. Ce n'est pas seulement pour les gens de Bè : un étranger<br />

aussi à qui, après consultation des oracles, on a dit d'aller faire des sacrifices à<br />

Doulégba peut le faire. Vous aussi, sans distinction de race ... Donc on peut<br />

dire que c'est une idole pour tout le monde, le Doulégbu.<br />

- Q - C'est la divinité tutélaire de tout Amoutivé ?<br />

- Non, je ne peux pas dire que c'est la divinité. C'est une idole<br />

protégeant la population d'Amoutivé. Quant à nos divinités, je l'avais déjà<br />

dit, nous avons le dieu Aklobo et le dieu Nyigblin.<br />

- Q - Les nombreux étrangers qui sont venus louer des<br />

maisons ou acheter des terrains autour d'Amoutivé<br />

participent-ils Ci ces cultes, ou bien ceux-ci sont-ils réservés<br />

aux gens d'Amoutivé, aux vrais autochtones ?<br />

- Les étrangers ne peuvent pas participer à ces cultes, puisqu'ils ne sont<br />

pas des adeptes. Qui est "Aklobo" fera ses sacrifices et qui est "Nyigblin"<br />

fera aussi ses cérémonies ... Mais je l'ai dit : après consultation de l'oracle, si<br />

on vous demande d'aller faire des sacrifices à ces divinités, vous pouvez y<br />

allez. Mais vous n'êtes pas de vrais adeptes.<br />

- Q - Aux environs du cimetière d'Amoutìvé, il y a un baobab<br />

MBthode principale de divination dans toute cette région : on jette des cordelettes ornés de<br />

noix de palme, dont la disposition permet de nombreuses combinaisons qui révèlent la volonté<br />

des forces surnaturelles.<br />

Statuette d'argile, grossièrement anthropomorphe, où s'incarne un fétiche, une puissance<br />

surnaturelle. Dou : village, population d'un village, peuple ...<br />

137


qui porte toujours deux drapeaux. Quelle est l'importance de<br />

ce baobab ?<br />

- Depuis mon enfance, j'entendais parler de ce baobab où, dit-on,,<br />

habitent de mauvais esprits. Raison pour laquelle, si vous allez à Bè et vous<br />

voulez revenir à Amoutivé, il faut revenir très tôt, pour ne pas rencontrer ces<br />

esprits malfaiteurs. Nous-mêmes, nous l'appelions Adjidofil. Tout petits, on<br />

le craignaient. On croyait qu'il y a aussi les sorciers, après leurs chasses, qui<br />

viennent aussi se reposer sur ce baobab. Donc ce fut un baobab que nous<br />

craignions. Mais, avec l'évolution, il y a un bar là-bas ; les gens y restent ;<br />

il y a de la lumière jusqu'à l'aube ; ildy a plus de crainte ... On ne sait pas<br />

actuellement où sont partis ces esprits, s'ils existent ou non...<br />

- Q - Les esprits n'aiment pas les bars ?<br />

- Ah oui ! Je peux dire que ces esprits-là, ils aiment plutôt l'obscurité ;<br />

ils n'aiment pas la lumière, puisque la lumière, ça les chasse ...<br />

- Q - Quels soitt les interdits propres Ci Amoutivé ?<br />

- Nous avons les mêmes interdits que les gens de Bè. Nous ne sifflons<br />

pas, nous ne balayons pas pendant la nuit. En sifflant pendant la nuit, nous<br />

craignons que nous aurons la variole, que nous appelons ''Agnìgbato''2. De<br />

même, nous ne pilons pas la nuit. Mais, avec l'évolution du temps et avec la<br />

science, nous qui sommes un peu évolués, nous savons ce qui est moderne,<br />

que la variole, ce n'est plus ce vodou dont on parle, mais plutôt que c'est une<br />

maladie. Alors on peut balayer la nuit, on peut siffler aussi sans l'avoir ...<br />

- Q - Et vous, le jeune M. Dadzie-Adjallé, respectez-vous<br />

toujours les interdits ?<br />

- Nous respectons toujours les interdits, puisqu'il y a toujours des<br />

aïeux parmi nous. Mais il y a toujours un conflit de générations. Moi, par<br />

exemple, je comprends très bien. Mais un vieux qui n'arrive pas à<br />

comprendre, il faut qu'on l'aborde avec tact. Sans quoi, il y aura toujours des<br />

conflits entre la jeunesse et la vieillesse ...<br />

"Le baobab" : arbre souvent chargé de valeurs surnaturelles (en général maléfiques) dans<br />

les traditions religieuses africaines.<br />

Mot-&-mot : propribtaire de la terre : mitaphore pour ne pas prononcer un nom redoutable,<br />

qui apporterait le malheur.<br />

138


no 9<br />

LA COMMUNAUTE MUSULMANE<br />

avec<br />

des membres de<br />

l'UNION MUSULMANE DU TOGO<br />

en particulier h4M.<br />

El Hadj Housséni ISSA<br />

(né en 1932 à Boko, préfecture de Vo,<br />

décédé le 13 novembre 1991)<br />

commerçant-transporteur,<br />

premier vice-président<br />

et<br />

EL Hadj Machioudi BRYM<br />

(né en 1916 àLomé, décédé le 25 avril 1992)<br />

fonctionnaire en retraite,<br />

chargé des affaires du Pélerinage<br />

Après avoir évoqué plusieurs professions, plusieurs<br />

quartiers, nous revenons maintenant à une confession<br />

religieuse : l'islam à Lomé. Nous en avons déjà eu des<br />

aperçus avec les Haoussa du zongo, avec les Nago<br />

d'Anagoko_m$,. Mais aujourd'hui, nous sommes avec des<br />

représentants très qualifiés : des membres du bureau de<br />

l'Union musulmane du Togo. M. El Hadj Housséni Issa en est<br />

le premier vice-président ; il est secondé de M. El Hadj<br />

Machioudi Brym, et de quelques collègues et amis.<br />

- Q - Selon vous, qui a introduit l'islam à Lomé ?<br />

- L'islam a été introduit ici, à Lomé, par les Yorouba et les Haoussa<br />

vers 1884.<br />

- Q - En effet, il semble que c'est dès les origines de la ville<br />

que des Haoussa viennent s'installer à Lomé, sans doute dès<br />

1882. C'était déjà une communauté de marchands musulmans,<br />

n'est-ce pas ?<br />

139


- Les Haoussa et les Yorouba sont venus à Lomé. Parmi les<br />

Yorouba, il y avait des ouvriers, des commerçants ... Parmi les Haoussa<br />

aussi, il y avait des ouvriers, il y avait des commerçants, qui vendaient des<br />

bricoles dans tous les lieux. Ils étaient restés à Aného et, comme c'est une<br />

petite ville, ils sont venus à Lomé, s'installer place Van-Vollenhoven l.<br />

- Q - Avez-vous gardé, dans votre communauté, le souvenir de<br />

la première mosquée et du premier imam2 de Lomé ?<br />

- La première mosquée est la mosquée d'Anagokomé et le premier<br />

imam est un Haoussa, Malam Mohammed Damraya.<br />

- Les Nago sont les premiers venus, avant les Haoussa. Les<br />

Haoussa se sont installés à la place de la BIAO : c'était le premier zongo.<br />

Après la BIAO, ils sont partis vers Nyékonakpob, puis ils sont revenus au<br />

petit-marché (c'est-à-dire Assivito). D'Assivito, ils sont venus au zongo<br />

qu'ils viennent de quitter maintenant, en 1977, pour Togblékopé. C'est donc<br />

le cinquième zongo actuellement à ~omé3.<br />

- Q - Chaque zongo avait-il une mosquée ?<br />

- Oui, chaque fois le zongo avait une mosquée, mais la première<br />

mosquée.esf celle d'Anagokomé. La deuxième que je connais est celle d'ici,<br />

qu'ils ont quittée récemment, ça fait dix ans.<br />

- Q - C'était celle du grand zongo. Nous sommes (nous ne<br />

l'avons pas encore précisé) au siège de l'Union musulmane du<br />

Togo, Ci côté de la mosquée actuelle, derrière la poste centrale,<br />

tout près de ce qui était l'ancien zongo, qui a été pendant<br />

trois quarts de siècle le coeur de la communauté musulmane à<br />

Lomé.<br />

- Le zongo qu'on vient de quitter ici a fait plus de cent ans !<br />

-. Q - Revenons, s'il vous plaît, sur cette histoire des zongo<br />

de Lomé. Vous nous avez dit que le premier était au centre-<br />

ville, à peu près sur Anagokomé actuel, et le deuxième vers<br />

'Actuels bltiment et jardin de I'UTB, rue du Grand-marché. Plus exactement, ces<br />

commerçants musulmans s'dtaient installés le long de la rue de la Gare (par laquelle ils<br />

arrivaient B Lomé, en prcyenance de la vallée de la Volta, via Kpalimé). C'est l'origine du<br />

premier quartier musulman : Anagokomd (voir <strong>Si</strong> Lomé. .., tome I, dialogue no 11). Voir aussi<br />

de Raymond Delval : Les Musulmans au Togo, Paris, POF-CHEAM, 1980, 340 p., dont les<br />

enquêtes sur le terrain remontent aux années 1970-74 : les mémoires étaient donc plus<br />

fraîches -qu'aujourd'hui.<br />

Premier responsable religieux d'une communanté musulmane.<br />

Voir <strong>Si</strong> Lomé..., tome II, dialogue no 14.<br />

140


Nyékonakpoè. Où exactem-ent ?<br />

- Vers Nyékonapkô2 là oÙ se trouve actuellement l'hôtel du Deux-<br />

Février1. C'était le camp des gardes-cercle. C'est quand les Allemands ont<br />

voulu construire un camp làTbas, pour les gardes-cercle, qu'ils ont chassé les<br />

Haoussa. Ils sont venus rester au petit-marché pendant deux ou trois ans,<br />

avant de venir au zongo ici, en 1910, et ils y sont restés jusqu'en 1977, avant<br />

d'aller à Togblékopé.<br />

- Q - Pendant toute cette période où le grand zongo était ici,<br />

en bordure du Boulevard circulaire, la vie religieuse<br />

musulmane était donc organisée avec une mosquée au zongo et<br />

une mosquée à Anagokomé ?<br />

- Oui, oui, c'est ça : une mosquée ici et une mosquée à Anagokomé.<br />

- Q - Quand la mosquée d'Aiiagokomé a-t-elle été construite<br />

en dur ?<br />

- La mosquée d'Anagokomé était construite en banko. C'est en 1926<br />

qu'elle a été reconstruite en dur2.<br />

I I ' I i l<br />

- La mosquée du zongo aussi était en banko. C'est en 1949 qu'elle a<br />

été reconhuite en dur3. , I<br />

* I .\<br />

- Q - Uri élément très important de la vie religieuse, *outre la<br />

prière, c'est la formation des enfants. Comment les enfants de<br />

la communauté musulmane de Lomé$ étaient-ils initiés à la<br />

religion de leurs pères ? L<br />

1<br />

- I1 y a quelques maisons qui enseignent la religion en même temps<br />

que l'école coranique. S'il y a 20 à 30 personnes, elles peuvent se réunir pour<br />

étudier le Coran.<br />

- Chaque quartier a des alfa 4qui forment les enfants ; ils leur font<br />

lire le Coran. Donc ils apprennent le Coran et la religion en même temps.<br />

I Plus exactement, le palais des Congrès.<br />

Elle aurait été, tout à fait à l'origine, en paillote. Selon R. Delval, son état actuel remonterait<br />

B 1940. Elle a été construite sur un terrain appartenant à Yessoufou Balogoun (décédé en<br />

1916), premier chef de la communauté nago de Lomé, dont les descendants sont toujours Ià.<br />

Voir Trésors cachés du vieux Lomé, 1993, p. 84.<br />

De 1946 i 1949, par le maître maçon (d'origine haoussa) Aoudou Kouami, à l'emplacement<br />

du bâtiment précédent. Les minarets avaient été terminés en 1971 seulement.. Voir p. 212.<br />

Savant (en matière religieuse principalement, éventuellement en médecine). Terme d'origine<br />

arabe.


'<br />

, -<br />

- Q - C'était donc plutôt dans un cadre familial, avec quelques<br />

cousins ou quelques amis, mais il n'y avait pas d'école<br />

coranique proprement dite ?<br />

- Exactement ! C'est, en somme, une école familiale. I1 n'y avait<br />

pas d'école coranique proprement dite.<br />

- Q - Et l'enseignant était appelé un "alfa" ?<br />

- <strong>Si</strong>, tous les enseignants étaient appelés alfa.<br />

- On pouvait prendre n'importe qui. Mais le mieux, c'est des gens de<br />

chaque ethnie, parce .que, les enfants, c'est pour qu'ils puissent comprendre<br />

bien : il faut qu'alfa leur parle leur langue maternelle, pour mieux leur<br />

expliquer le Coran.<br />

- 'Hlfa" qu'on entend ici, c'est en langue mina. C'est les Mina qui<br />

l'appellent ainsi, alfa ... Nous, en haoussa, c'est "malam".<br />

- Q - L'alfa, c'est aussi un guérisseur, n'est-ce pas ?<br />

- Oui, oui, mais ce n'est pas que ça.<br />

- Q - Par exemple, vous-mêmes, Messieurs, qui êtes déjà des<br />

hommes mûrs, qui est-ce qui vous a formés aux rudiments de<br />

la religion ?<br />

- Je suis né dans l'islam. C'est un alfa (ou malam) qui-m'a formé :<br />

c'est Malam Issa. Mais ensuite, on m'a envoyé à l'école coranique chez<br />

Malam Alassani, à Koforidua (au Ghana), eP 1944, où j'ai fait pendant cinq<br />

ans avait de connaître le Coran.<br />

Q - Et vous, M. Brym ?<br />

- J'ai étudié le Coran depuis mon enfance chez Alfa Abdou Gafarou.<br />

- Q - Quelles, étaient les contraintes et les joies que vous<br />

éprouviez, quand vous étiez petits garçons autour de votre<br />

alfa ?<br />

- L'étude du Coran, c'est exactement comme l'étude française. En<br />

français, on commence par a, b, c, d... En arabe, on commence par alèt, ba,<br />

ta, cha ... Donc vous commencez par là, et ensuite vous avez des gens qui<br />

vont vous initier à étudier le reste. Là, vous faites exactement comme dans<br />

142


les classes. Au début, nous avons des ardoises sur lesquelles on écrit le texte<br />

à la main, et vous l'étudiez correctement, vous le lisez bien. Puis on l'efface<br />

pour en recopier encore d'autres, jusqu'à ce que vous arriviez à lire le Coran.<br />

Alors, si vous arrivez à le lire, vos parents vous surveillent. Ils vous<br />

achètent le Coran pour que vous puissiez mieux accélérer vos études.<br />

- Q - Vous avez donc appris le Coran et le français<br />

simultanément. Était-ce facile de faire les deux à la fois ?<br />

- Le matin de bonne heure, après avoir fait le ménage, vous allez<br />

chez Alfa, qui vous donne des leçons. Le soir, au lieu d'aller vous coucher et<br />

dormir sans rien faire, vous allez encore chez Alfa.<br />

- Q - Vous avez donc mené de front l'école officielle et l'école<br />

coranique ?<br />

- Nous avons appris les deux à la fois.<br />

- Q - Était-ce fréquent à l'époque, ou avez-vous été l'un des<br />

rares à faire les deux ?<br />

- Ce n'était pas fréquent ... C'est pendant les vacances que nous<br />

profitions pour aller à l'école coranique. Pendant toutes les- vacances, vous<br />

êtes obligé d'aller à l'éCole coranique.<br />

- Q - Et vous, M. Brym, quels souvenirs avez-vous de votre<br />

maître coranique ?<br />

- J'ai un bon souvenir de mon maître: Au début, c'était dur. .On<br />

taxait les maîtres coraniques de "méchants". Aujourd'hui, nous avons tiré<br />

beaucoup de plaisir là-dedans, et nous prions que le Seigneur leur pardonne<br />

ces coups, parce qu'ils nous ont enseignés, ils nous ont mis sur le bon<br />

chemin.<br />

- Q - 'II y a un texte littéraire fameux, que; ipus les jeunes<br />

étudient ici au collège : L'Aventure ' ambiguë, ' du Sénégalais<br />

Cheikh Amidou Kane, où l'on trouve un chapitre célèbre sur<br />

l'école coranique, et sur la manière forte :qu'on y employait.<br />

Est-ce que, en lisant ce livre, vous avez retrouvé ce que 'vous<br />

\<br />

aviez vécu vous-mêmes enfants ?<br />

- Nous avons trouvé cet enseignement trop dur, mais, aujourd'hui,<br />

nous savons qu'il ne l'était pas, parce que, s'il ne nous avait pas tenu comme<br />

ça, nous ne ferions rien de bon aujourd'hui. Parce que les enfants<br />

143


d'aujourd'hui, franchement, ce qu'ils apprennent ici1, c'est purement la langue<br />

arabe : ils ne sont pas aussi forts coÍnme les anciens. Ils parlent l'arabe<br />

correctement, mais lire le Coran, il n'y a pas un qui le sait ...<br />

- Q - Cette formation coranique que vous avez regue vous a-telle<br />

aussi été utile à l'école frangaise ?<br />

- Bien sûr ! Ça m'a servi même en tant que travailleur, parce que la<br />

façon dont ils nous ont éduqués à l'école coranique ... On croyait que c'était<br />

dur, alors que c'était une bonne éducation ...<br />

- Q - C'était une éducation à la rigueur ?<br />

- Oui, voilà, c'est ça !<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Revenons maintenant aux imams. Pouvez-vous nous<br />

rappeler les imams qui ont dirigé la communauté inusulmane<br />

de Lomé depuis sa naissance ?<br />

T I I I 8 II I', I . 8 I 111 , I ' , Y , ' , I<br />

- Du côté des Haoussa: je ne peux pas I vous !donner, la date de<br />

l'installation du premier imam. Mais le deuxième, Malam Aboubakar, c'est<br />

en 19372. En 1940, il a kté remplacé par Hamed Loumiou3. Jusqu'ici,<br />

Hamed Loumiou est là, mais c'est son adjoint qui remplit les fonctions<br />

d'imam. Du côté des Yorouba, le premier dont je me souviens, c'est Géraldo<br />

Moussé, intronisé vers 19264. Et le second, l'imam Nassirou Ibrahim, en<br />

1949. L'imam Yekini Tidjani, le troisième, en 1975. Comme les trois<br />

premiers sont morts déjà, nous avons provisoirement un autre, El, Hadj<br />

Bakari Liadi, qui remplit les fonctions de l'imam.<br />

I<br />

- Q - Pouvez-vous nous préciser quelles sont les conditions<br />

pour être nommé imam<br />

choisi ?<br />

? Selon quelle procédure est-il<br />

- Pour être imam, il faut connaître parfaitement le Coran, connaître<br />

les règlements, et que vous remplissiez les conditions physiques : ne pas être<br />

aveugle, ne pas être infirme ...<br />

Dans le collège coranique qui jouxte la mosquée.<br />

* Selon R. Delval, dès la période anglaise.<br />

Né à Lomé en 1905. II a fait le pèlerinage à la Mecque en 1945 (en camion : six mois de<br />

voyage aller-et-retour).<br />

En 1916, d'après R. Delval.<br />

144


, - Avant de mettre quelqu'un, il faut que le type soit efficace. On ne<br />

peut $as mettre n'importe qui pour diriger la prière !<br />

- Q - Concrètement, qui fait le choix ? Est-ce la communauté<br />

toute entière ? Ou bien plutôt les vieux de la communauté ?<br />

- C'est le peuple qui voit que celui-ci est bon : il faut le choisir.<br />

Donc on nomme un comité restreint pour étudier son cas, et alors on le<br />

choisit.<br />

- Q -Maintenant qu'il y a l'Union musulmane, est-ce Ci elle<br />

que revient ce rôle ?<br />

- Oui ! oui ! l'Union musulmane peut choisir, mais l'Union<br />

musulmane n'a pas le droit de l'imposer. Jamais ! Ce que le peuple dit, c'est<br />

ce que l'Union musulmane suit. Elle, elle est là pour adopter seulement. Elle<br />

n'a pas le droit d'imposer quelqu'un, jamais !<br />

- Q - En cas de vacance de la fonction d'imam, est-ce que<br />

l'imam d'Anagokomé peut venir officier ici ?<br />

- .Facile comme bonjour ! I1 ¡e fait même des fois, si l'imam n'est<br />

pas là : il assure l'interim jusqu'à son retour.<br />

- Q - Les imam actuellement en fonction ont-ils été formés<br />

entièrement à Lomé7 ou ont-ils circulé ? Sont-ils allés dans<br />

les grandes universités musulmanes, comme' El Azar en<br />

Égypte ?<br />

- Non, l'actuel imam n'a pas été 8 El Azar, ni ailleurs. Il a été formé<br />

ici. Il a été à l'école coranique. Le peuple l'a choisi et l'Union musulmane a<br />

l'adopté, et puis il a été intronisé, il y a de cela deux ans maintenant:Je parle<br />

du nouvel imam : on a trouvé qu'il a un bon caractère ; c'est un bon type ; il<br />

connaît le Coran ; il peut diriger la prière. Alors il a été intronisé<br />

officiellement ici.<br />

- Q - Les Mina et ÉWé ont-ib pu avoir accks ci la nauvelle<br />

communauté musulmane de Lomé à ses débuts ?<br />

- <strong>Si</strong> ! il y en a qui sont installés au zongo. C'est parmi eux que se<br />

trouve le père du vice-président.<br />

- Mon père est entré dans l'islam en 1910 ; il avait 30 ans à ce<br />

moment-:&. C'est lui-même qlri me I'a dit ; il y a même des papiers avec<br />

145


moi. I1 était grand féticheur avant d' entrer dans l'islam.<br />

- Q -A Lomé, il y a, rappelons-le, deux communautés<br />

musulmanes principales : la communauté de langue yorouba<br />

et celle de langue haoussa, qui regroupe aussi les gens du<br />

Sahel (les Mossi, les Djerma ...), en général assimilés aux<br />

Haoussa. Quand il y a des convertis -des ÉWé, par exemple,<br />

qui se convertissent à l'islam-, auquel des deux groupes vont-<br />

ils venir se joindre ?<br />

- L'islam n'est pas comme ça : il n'y a pas de groupes d'ethnies.<br />

Dans le passé, il n'y avait que les deux ethnies qui prédominaient au point de<br />

vue islam. Mais, actuellement, toutes les ethnies sont dans l'islam.<br />

- L'islam n'a pas de groupe à intégrer. Quand vous vous convertissez<br />

aujourd'hui, vous restez vous-même. Mais vous priez en groupe avec les<br />

autres, ce qui veut dire que les ÉWé convertis ne se sont pas ajoutés à un<br />

autre groupe. Ils sont musulmans, tout court, et ils pratiquent la religion<br />

comme tout le monde.<br />

- Q - M. Housséni Issa, votre pBre s'est converti à l'islam,<br />

avez-vous dit. Pourquoi a-t-il choisi de vivre avec les<br />

Haoussa au zongo ?<br />

- I1 est entré dans l'islam en 1910, parce que son papa résidait au<br />

zongo, parmi les Haoussa. Donc il a été converti par les Haoussa. Lui-<br />

même, il est né, je dirai, parmi les Haoussa, et jusqu'à présent il a presque<br />

une culture haoussa, quand bien même il est Éwe d'origine.<br />

- Q -Avec la croissance de la population musulmane, je pense<br />

que les deux mosquées originelles n'ont pas suffi et que,<br />

progressivement, on a dû en construire de nouvelles ?<br />

- C'est pour cette raison qu'il y a eu extension. Actuellement à<br />

Lomé, nous avons la grande-mosquée (celle-ci), la mosquée de Bè, la<br />

mosquée de Bè-Kpota, la mosquée de Gbossimé-Solidarité. L'ancienne<br />

mosquée d'Anagokomé continue de recevoir les fidèles, mais, depuis qu'il y a<br />

la mosquée de Bè en construction par les Nago, elle est décongestionnée.<br />

Ensuite, il y a une mosquée à Agobnyivé et une autre à Togblékopé. Je dirai<br />

qu'il y a même plus de six mosquées à Lomé abtuellementl.<br />

*Plus une petite i Aflao, où peuvent aller les musulmans de Kodjoviakopé et de Nyékonakpd.<br />

146


- Q - Qui ont chacune un imam et une école coranique ?<br />

- Qui ont chacune à sa tête un imam. Mais toutes n'ont pas d'école<br />

coranique.<br />

- Q - Vous évoluez donc vers une structure de paroisses,<br />

comme les Églises chrétiennes. C'est-à-dire que chaque grand<br />

quartier a, ou aura, sa mosquée, et les gens du quartier<br />

viennent y prier parce que c'est la mosquée la plus proche,<br />

quelle que soit leur tradition culturelle d'origine ?<br />

- Exactement ! Parce qu'il y a évolution, le nombre des fidèles a<br />

augmenté et les mosquCes, les anciennes mosquées, ne peuvent plus contenir<br />

tous les ficeles.<br />

- Q - Y a-t-il une évolution dans l'attribution des noms<br />

rnusulinans au sein de la communauté musulmane -de Lomé ?<br />

- Les noms musulmans sont restés tels. Bien sûr, leur appellation<br />

difere d'une région à une autre, c'est-à-dire la prononciation : par exemple,<br />

"Hussein" en arabe, "Fousséni" chez nous, vous voyez ? Tout comme vous<br />

trouverez ailleurs "Hotman" ou "Ousman". Donc ce qu'on a pu garder des<br />

Haoussa, ce que les Haoussa sont venus faire, c'est la conversion qu'ils ont<br />

donnée aux autochtones.<br />

- Q - Pour finir 'sur les caractères originaux de la communauté<br />

musulmane de Lomé, on constate qu'elle est composée surtout<br />

de commergants ou de transporteurs. Pensez-vous qu'il y a un<br />

lien particulier entre la pensée islamique et l'activité<br />

commerciale ?<br />

- C'est l'étranger qui vient de jour en jour. L'étranger vient du Mali,<br />

du Niger, du Burkina, du Nigéria ... C'est eux qui font le commerce. Le<br />

musulman n'est pas fonctionnaire : c'est un commerçant, et même c'est le<br />

commerce qui l'a amené ici pour s'installer. Les transporteurs ... oui, c'est ça,<br />

c'est leur boulot ...<br />

- Q -Il y avait quand même des fonctionnaires, puisque M.<br />

Brym en était ...<br />

- Avant, ici, à Lom6, les fonctionnaires n'étaient que des Yorouba,<br />

parce que les Haoussa n'aiment pas travailler dans l'Administration. Ils<br />

préfèrent mieux le commerce que l'Administration. Mais maintenant, il y a<br />

'<br />

beaucoup de fonctionnaires dans l'islam.<br />

147


- On croit que la plupart des musulmans sont commerçants. Ce n'est<br />

pas ça ! C'est-à-dire que les é&angers, ceux qui viennent des pays ciGs tout à<br />

l'heure par le vice-président, c'est des gens qui sont originaires de pays à<br />

majorit6 musulmane. Donc ils arrivaient ici avec cette religion qu'ils<br />

pratiquaient. Vous les trouvez en grand boubou ... (petit rire)<br />

- Q - Les religions traditionnelles de l'Afrique correspondaient<br />

en général à des sociétés de paysans, enracinées dans leur<br />

propre sol, qui divinisaient ici une source, là un arbre, plus<br />

loin un rocher ... Alors que les commerçants sont des gens qui<br />

circulent, qui voient le monde, et qui ont donc une autre<br />

philosophie : celle de l'universalité des hommes, avec un<br />

Dieu unique pour toute la terre.<br />

- C'est ça. Les commerçants qui viennent, ils ne sont pas des<br />

convertis. Ils étaient déjà enracinés dans la religion depuis chez eux. Quand<br />

ils viennent, ils ne font que prêcher l'unité de Dieu. Tandis que ceux qui<br />

plantent un caillou ou un arbre pour l'adorer ... C'est des nouveaux convertis,<br />

ils ne sont pas nés musulmans.<br />

- Q - M. Housséni, votre père a-t-il rejeté tous les fétiches<br />

qu'il adorait avant d'entrer dans l'islam ?<br />

- I1 a brûlé tout ! I1 a tout brûlé ! A ce moment-là, il était très jeune<br />

(il n'était pas marié). I1 a abandonné tout ! C'est dans leur village, Boko, à<br />

Vogan, là où il y a beaucoup de musulmans, qu'il s'est converti à l'islam. Il<br />

m'a dit qu'il a vu que, s'il restait là-bas, loin de l'islam, il ne pouvait pas<br />

évoluer. C'est comme ça qu'il a quitté son village. En ce temps-là, Lomé<br />

n'était qu'un petit village sur la mer. .. (rires)<br />

148


no 10<br />

LE GRAND COMMERCE<br />

avec<br />

M. Louis Komigan AMEGEE<br />

(né en 1903 àLomé)<br />

ancien chef-comptable à la SCOA<br />

M. Guido SAVI DE TOVE<br />

(né en 1932 àLomé)<br />

ancien chef-textiles à la CFAO,<br />

ancien directeur commercial de l'Industrie textile togolaise (TIT),<br />

P.-D.G. de l'Industrie des pâtes alimentaires "Ludo"<br />

et<br />

M. Georges SEDDOH<br />

(né en 1937 à Atakpamé, préfecture de rogou)<br />

directeur-adjoint de la CICA<br />

Nous avons jusqu'ici assez peu évogué ce qui a été<br />

l'une des bases -qui est toujours l'une des bases- de l'activité<br />

de Lomé : le commerce, cette fois vu par le biais des grandes<br />

compagnies. Celles-ci étaient là dès l'origine de la ville et<br />

elles sont toujours aussi importantes dans sa vie quotidienne.<br />

Nous en parlerons avec des représentants qualifiés de<br />

ce monde des commergants appartenant à trois générations<br />

différentes.<br />

-M. Amegee (que nous avions déjà interrogé dans<br />

l'histoire de Hanoukopél), qui est entré dans le<br />

commerce en 1921.<br />

-M. Savi de Tové, qui a commencé, lui, en 1956.<br />

-M. Seddoh, qui y est entré en 1975.<br />

Nous avons donc avec nous, dans cette "salle du tapis<br />

vert" de la Chambre de commerce, d'agriculture et d'industrie<br />

Ci-dessus, dialogue no 4.<br />

149


du Togo, trois générations séparées par pratiquement un quart<br />

de siècle les unes des autres.<br />

- Q - M. Amegee, vous qui êtes ici le doyen, pouvez-vous<br />

nous résumer quelle a été votre carrière dans les maisons de<br />

commerce de Lomé ?<br />

- J'ai été engagé à la SCOAl le 5 septembre 1921, comme aide-<br />

boutiquier, à l'âge de 18 ans. En 1923, j'ai été transféré au bureau comme<br />

aide-caissier. En 1929, j'ai été promu chef-comptable, et puis j'ai travaillé<br />

comme chef-comptable jusqu'en 1960 : ça me fait près de 31 ans comme<br />

chef-comptable à la SCOA.<br />

- Q - Quand avez-vous pris votre retraite ?<br />

- En 1960, exactement le 31 janvier 1960.<br />

- Q - OÙ la SCOA était-elle située Ci l'époque ?<br />

- La SCOA était tout près du grand-marché, dans l'ancienne maison<br />

d'Alfred Kuhlenkampff (c'était-une affaire personnellt de l'époque allemande).<br />

- Q - En quelle année la SCOA s'est-elle déplacée pour venir à<br />

la rue du Commerce, au chevet de la cathédrale ?<br />

- C'était en 1925, dans une maison qui appartenait à la firme Otto<br />

Wallbrecht, qui était aussi une maison allemande saisie par les Français<br />

comme "biens ennemis".<br />

- Q - Quel a été le premier directeur que vous ayez connu à la<br />

SCOA ?<br />

- J'ai connu Monsieur Albert Schweitzer, un Suisse2, lorsque j'ai<br />

été engagé en 1921. I1 était déjà là. I1 a dirigé la société de 1920 à 1923. I1<br />

avait été précédé par Monsieur Foling Warner, que j'ai connu seulement de<br />

nom, pas en personne. Après lui était venu Monsieur Edouard Rock, un<br />

Français, qui a pris la direction de 1923 à 1925. De 1925 à 1928, c'était<br />

Monsieur Pierre Alary, un Français également, ensuite Monsieur Louis<br />

Adami, de 1928 à 1930. De 1930 à 1943, c'était le tour de Monsieur Antoine<br />

Trosselly, qui a fait longtemps ici, au moins 13 ans. .. Ce dernier a ensuite<br />

été affecté à Cotonou comme directeur général pour le Dahomey et le Togo,<br />

Société commerciale de l'Ouest africain, fondée en 1907.<br />

2 La SCOA avait été fondée à !'origine par des commerçants suisses travaillant en Guinée<br />

française et au Sénégal (avec des capitaux suisses et français).<br />

150


jusqu'en 1953.<br />

- Q - M. Guido Savi de Tové, quel a été votre itinéraire<br />

professionnel ?<br />

- Après mes études commerciales, je suis rentré au Togo pour<br />

travailler, mais, en définitive, je me suis retrouvé au Sénégal, où j'ai été<br />

engagé par la CFAO1. Ce qui m'avait intéressé, c'est que le directeur général<br />

de la CFAO m'avait dit qu'ils allaient tenter une expérience d'africanisation<br />

des cadres. Alors j'ai été engagé le ler juin 1956 au Sénégal, à Dakar. Un<br />

jour, on m'a dit de faire l'expérience de la ''valise", ce que je ne comprenais<br />

pas ... Ça consistait à aller un peu partout à l'intérieur, dans les agences, les<br />

sous-agences, pour vivre la réalité de l'arrière-pays. Je l'ai fait pendant deux<br />

ans, et puis je suis revenu à Dakar. Je devais être affecté en Côte d'Ivoire,<br />

mais en définitive j'ai opté pour le Togo, et je suis arrivé ici en 1960. Au<br />

Togo, j'ai aussitôt été affecté au service textiles. J'ai remplacé le chef-<br />

textiles.. .<br />

- Q - Pourquoi vous avait-on choisi, vous Togolais, pour<br />

aller au Sénégal ? Parce qu'il n'y avait pas assez de cadres<br />

sénégalais, ou bien était-ce une volonté de mélanger les<br />

cadres originaires de plusieurs territoires ?<br />

- Je vous dirais que, quand je suis parti au Sénégal, ce n'était pas<br />

dans l'intention d'aller à la CFAO : je voulais travailler aux Affaires<br />

économiques de l'AOF. J'avais rencontré un monsieur qui était, à ce moment-<br />

là, le directeur fédéral des Postes et Télécommunications de l'AOF (Monsieur<br />

Rougerolles), qui m'avait pris en sympathie. Il m'a fait appeler et il m'a dit :<br />

"Écoutez, pourquoi voulez-vous aller dans l'Administration ? Là, vous faites<br />

un mauvais choix, parce que bientôt il y aura l'éclatement de l'AOF. Vous<br />

avez tout intérêt à travailler plutôt dans le privé, et à rentrer travailler chez<br />

vous. C'est plus sécurisant". Et j'ai donc accepté.<br />

Quand j'ai terminé mes études (ie suis diplômé de IlÉcole supérieure<br />

de Commerce de Paris) et que je suis revenu à Lomé, j'ai été sollicité par la<br />

UAC. C'était Monsieur aller, qui était le directeur-machandises de la UAC-<br />

Togo, qui m'a sollicité pour travailler avec lui, et il m'a fait remplir un<br />

contrat. Ce qui m'a frappé, c'est qu'on me demandait si j'étais déjà venu en<br />

Afrique, si je connaissais l'Afrique, etc. (petit rire) J'ai donc signé le contrat,<br />

mais voila, malheureusement, le directeur général n'a pas voulu m'engager,<br />

Compagnie française de l'Afrique occidentale. La CFAO, la SCOA et le groupe UAC étaient<br />

-les plus puissantes fumes commerciales de l'Afrique francophone.<br />

151


car mon père était le secrétaire général du CUT1, et le directeur de la UAC2,<br />

lui, était conseiller privé du haut-commissaire de la République ... Déçu, je<br />

suis parti au Sénégal.<br />

- Q - En ce temps-là, les grandes compagnies privées se<br />

battaient pour avoir les premiers cadres africains ...<br />

- Eh oui, visiblement !<br />

- Q - Et vous, M. Seddoh, vous êtes passé par la ,Fonction<br />

publique, je crois ?<br />

I<br />

- Oui. En somme, je suis venu très tard dans le commerce, puisque<br />

j'ai été recruté comme fonctionnaire en 1964, plus précisément comme<br />

professeur d'enseignement technique. Je suis passé dans le commerce<br />

précisément parce que j'avais formé beaucoup d'élèves, de cadres pour le<br />

secteur commercial, et, à force d'être avec ce secteur, j'ai fini par m'y<br />

retrouver moi-même. (rire)<br />

- Q - Vous retrouvez donc vos anciens disciples un peu<br />

partout, mais qui sont maintenant parfois quelque peu vos<br />

concurrents ?<br />

- Mais des concurrents et amis_, (rire) amis et collègues. (rires)<br />

- Q - Ce qui a pu aussi aider, c'est que vous êtes d'une famille<br />

#très liée au commerce depuis au moins trois générations ?<br />

- Oui, ça a facilité mon insertion dans le secteur commercial ou,<br />

plutôt, ça a limité le phénomène de rejet, parce que ce phénomène existe ;<br />

c'est un secteur assez particulier, où il faut avoir certaines habitudes plutôt<br />

que de les apprendre à l'école, voyez-vous ...<br />

- Q - Vous avez un frère aîné qui est maintenant retraité du<br />

commerce, un autre frère qui est secrétaire .général de la<br />

Chambre de commerce du Togo (c'est lui qui a la gentillesse<br />

Comité de l'unité Togolaise, principal parti nationaliste. Jonathan Savi de Tové (1895-1971) a<br />

eu une vie particulièrement mouvementée : grand polyglotte, interprète personnel du dernier<br />

gouverneur allemand du Cameroun (et exilé avec lui en Espagne), professeur d'éwé à la<br />

demande de l'administration française, homme d'affaires, directeur de journal et éditeur,<br />

secrétaire du conseil des notables de Lomé (et B ce titre attaqué par la foule pendant l'émeute<br />

de janvier 1933), chef des services d'information du commissaire de la République en 1936,<br />

co-fondateur du CUT en 1941 et dksormais l'un des principaux lieutenant de S. Olympio,<br />

député du CUT de 1946 à 1963, président de l'Assemblée nationale de 1958 à 1963, conseiller<br />

de l'Union française, ambassadeur du Togo en Allemagne en 1963-64 ...<br />

* Successeur de Sylvanus Olympio, qui avait été contraint à la démission en 1952.<br />

152


de nous accueillir aujourd'hui dans cette salle de réunion de la<br />

Chambre de commerce)l. Votre père était Ci Atakpamé, d&Ci<br />

représentant d'une grande compagnie de Lomé ...<br />

- Oui, oui, .il était le chef-secteur de la GB-Ollivant2. 'I1 avait<br />

voyagé jusque dans la région de Pagala, Blitta et autres ... C'était l'époque des<br />

"produits", de la campagne des produits agricoles ... Donc il sillonnait, il<br />

tournait, il tournait beaucoup ...<br />

- Q - A Atakpamé, il avait comme ami l'administrateur<br />

Robert Cornevin 3. Votre grand-père était déjà commerçant aux<br />

débuts de Lomé. Il y a une photo datant de 19054, prise du<br />

haut des tours de la cathédrale, oÙ l'on voit un petit nombre<br />

de bâtiments Ci étages, dont quelques-uns subsistent encore.<br />

Parmi ceux-ci, il y a une maison située rue de la Gare qui est<br />

indiquée comme "maison de l'indigène Patrick". Cet "indigène<br />

Patrick", c'est votre grand-père ...<br />

- C'est exactement ça. (rires)<br />

- Q - Et la maison existe toujours, bien que défigurée ...<br />

- Oui, elle existe : c'est la "Gazelle noiretf5. Mon grand-père s'était<br />

installé d'abord à Kpalimé, et puis après, en dernier lieu, à'Lomé, à côté de la<br />

CICA, rue de la Gare.<br />

- Q - Était-il commerqant indépekdant ou employé d'une<br />

grande compagnie ?<br />

- I1 était indépendant.<br />

- Q - Savez-vous quel genre d'activité il avait ?<br />

- M. Amegee doit le savoir plus que moi, non ? (rires)<br />

, - J'étais jeune à ce moment-là !.Les grands commerçants, Ià, ils<br />

achetaient les produits à l'intérieur et puis il les revendaient aux<br />

. Mais le frère cadet a pris une autre, direction : il est devenu géologue, universitaire, recteur<br />

de 1'UB (1986-95), ministre de I'Education nationale (1994-95), haut fonctionnaire de<br />

I'UNESCO ...<br />

Firme anglaise, qui sera absorbée ensuite par la UAC.<br />

Voir ci-dessous, dialogue no 20.<br />

Voir Trésors cachés du vieux Lomé, 1993, p. 14.<br />

Aujourd'hui mini-supermarché "Le Lifero", 13 rue de la Gare.<br />

153


compagnies ... Surtdut, ils faisaient le commerce du caoutchouc1, et puis<br />

ensuite les palmistes ... Parce que, à ce moment-là, il n'y avait pas beaucoup<br />

de cacao...<br />

- Ni de café.<br />

- Caoutchouc, palmistes surtout : trois ou quatre produits ...<br />

- Et puis ils vendaient du sel, du tabac, un peu de tissu, non ?<br />

- Oui, oui, et des cotonnades.<br />

- Des cotonnades, de la verroterie ...<br />

- Oui, de la verroterie ...<br />

- Et puis des émaillés : les services émaillés existaient déjà.<br />

- Ils emportaient aussi du sel, du tabac, d'ici à l'intérieur ...<br />

- Q - Quelles étaient' les principales maisons commerciales h<br />

votre époque, M. Amegee ?<br />

- 11 y avait F & A Swanzy2 ...<br />

- Q - Qui était anglaise ...<br />

- Oui, oui, anglaise. Il y avait la DTG3, Otto-Wallbrecht, la DWA<br />

(la Deutsche West Afrika Gesellschaft) ... J'étais jeune en ce temps-là : j'étais<br />

encore à l'école ...<br />

- Q - Il y avait encore la firme de Friedrich Olof& la Bremer<br />

Faktorei (dont le siège était h Ankho) ...<br />

- Oui, oui ! Et puis il y avait celle où travaillait le vieux Grunitzky,<br />

comme directeur général : la Böderker & Meyer.<br />

- Q - A quelle époque ?<br />

Caoutchouc sauvage, extrait de certaines lianes des forêts des Monts du Togo (du Kloto i<br />

1'AdéIé), jusqu'i ce qu'il soit ruiné par le caoutchouc des plantations d'hévéas, au début des<br />

années 1920.<br />

Vieille firme anglaise, de Liverpool, très active sur la côte au XVIIIè siècle, absorbée<br />

ensuite dans la UAC. Elle s'est installée i Lomé d8s 1882, représentée par le jeune Octaviano<br />

Olympio.<br />

Deutsche Togo Gesellschaft, la seule firme allemande i revenir au Togo après la Première<br />

guerre mondiale, puis après l'Indépendance.<br />

154


- Il était ici depuis 1900-1902, et puis il est mort ici, en 1912. I1<br />

avait beaucoup d'enfants métis I...<br />

- Q - Les factoreries étaient essentiellement installées dans<br />

nos rue du Commerce, rue Foch et rue du Grand-marché : c'est<br />

là qu'était concentré tout le grand commerce, n'est-ce pas ?<br />

- Tout le commerce était sur la rue du Commerce.<br />

- Au bord de la mer ...<br />

- Toutes les grandes maisons d'antan ...<br />

- I1 faut rappeler que, à cette époque, il y avait le wharf qui n'était<br />

pas loin non plus.<br />

- I1 y avait aussi la Deutsche Westafrikanische Bank.<br />

- Q - A l'emplacement de notre BIAO2, rue du Commerce ...<br />

- Oui, de la BIAO !<br />

Q - Il y avait urze petite voie ferrée qui suivait la rue du<br />

commerce.<br />

- Oui, oui, c'est ça, oui ! Pour transporter les marchandises depuis la<br />

douane3 jusque dans les maisons de commerce concernées.<br />

- Q - Matériellement, les factoreries, c'étaient des bâtiments<br />

avec le commerce en bas et le logement en haut, et des<br />

entrepôts derrière ...<br />

- C'est ça, oui.<br />

- Q - En 1921, quand vous entrez dans le métier, M. Amegee,<br />

quels étaient les principaux produits que la SCOA importait ?<br />

- Toute une gamme de marchandises, l'alcool, les tissus, la<br />

quincaillerie, de l'huile ...<br />

Dont Nicolas Grunitzky, futur président de la Rkpublique de 1963 à 1967. Harry Grunitzky<br />

est enterrk au cimeti2re de Béniglato.<br />

Voir <strong>Si</strong> Lamé ... tome II, dialogue no 15.<br />

3 Installée au bout du wharf de 1904 à 1983. Ce beau bâtiment fut alors malencontreusement<br />

détruit pour faire place l'hôtel Palm Beach.<br />

155


- 9 - La rue du Commerce (Hamburgerstrasse) en 1909 : la succession des<br />

factoreries et le wharf, vus du haut de la cathCdrale.<br />

Carte postale de la Mission catholique du Togo, collection ANT.<br />

- De l'huile d'alimentation de tout genre, d'une façon générale.<br />

- Des boîtes de conserve, des sardines, du corned-beef. ..<br />

- Certainement, il y avait les hardwarel aussi, c'est-à-dire ...<br />

- Les hardware, oui, oui ...<br />

- Les hardware : des matériaux de construction, du ciment ...<br />

- Q - Comment étaient conditionnées ces marchandises ?<br />

- On mettait tout ça dans les caisses. Ce n'est pas comme<br />

aujourd'hui, où on les met dans des conteneurs. A ce moment-là, il n'y avait<br />

pas de conteneurs.<br />

- Il y avait quand même les caisses, pour la sécurité du transpo rt...<br />

- Q - Faisait-on -comme doivent le faire aujourd'hui toutes<br />

les entreprises commerciales- un effort de présentation, de<br />

séduction par la présentation, ou est-ce qu'on se contentait de<br />

* Elements d'infrastructure, matériaux de consthtion ...<br />

156


dire aux clients : "Il y a du tissu", et les clients venaient<br />

prendre ce qu'il y avait, sans avoir le choix ?<br />

--_<br />

- En ce temps-là, la publicité n'était pas aussi forte que maintenant,<br />

ça va de soi. Ils avaient besoin des marchandises qu'ils emportaient à<br />

l'intérieur du pays.<br />

- Je ne pense pas qu'en ce temps, il y avait des vitrines, comme<br />

aujourd'hui ?<br />

- Ah non, non, non, non !<br />

- Ça, c'est normal. Je pense que là, c'était plutôt le cas des<br />

marchandises importées qui étaient destinées à la réexportation, Òu tout au<br />

moins à la diffusion dans l'intérieur du pays. Les grands commekants qui<br />

étaient sur place, eux, avaient accès à l'achat en gros -n'est-ce pas ?- de ces<br />

marchandises-là, qu'ils revendaient eux-mêmes dans les boutiques à Lomé et<br />

qu'ils dispersaient à l'intérieur.<br />

- Q - On peut penser qu'il y avait une petite partie de<br />

commerce au détail à Lomé, mais que le gros de l'activité,<br />

c'était la difficsion vers l'intérieur, c'est-à-dire la revente aux<br />

commerçants détaillants de l'intérieur.<br />

- Oui. En ce temps-là, les grands centres commerciaux, c'était<br />

Anécho, Atakpamé, Palimé, Tsévié, Assahoun, tout ça ...<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Rappelons que la guerre de 1914 a chassé les<br />

compagnies allemandes : toutes les firmes de cette époque<br />

disparaissent (sauf la Swanzy, qui était anglaise, et a donc<br />

subsisté jusqu'à nous, mais sous le nom d'UAC). Dès 1916,<br />

il y a reprise de leurs infrastructures et de leurs activités par<br />

des firmes anglaises (et quelques françaises). Mais au fond, en<br />

dehors du nom des compagnies et de leurs cadres, rien n'a<br />

véritablement changé, ni dans les - pratiques commerciales, ni<br />

dans les bâtiments, ni dans les marchandises ?<br />

- Les propriétés allemandes ont été confisquées par l'État, par le<br />

gouvemement français, et puis alors, elles,ont été revendues aux enchères à<br />

des maisons de commerce comme la SCGA, la CFAO, et puis ... '<br />

157


- Et puis la CICA', qui a été créée au Togo en 1919 ...<br />

- Oui, oui !<br />

- En 1919, sous le nom de SARI.<br />

- Oui, oui, la SARI !<br />

- Q - Quand ces nouvelles compagnies arrivent, elles<br />

commencent par louer les bâtiments des compagnies<br />

allemandes à l'Administration de l'Occupation. C'est en 1924<br />

que se fait la vente aux enchères des "biens ennemis". En fait,<br />

les compagnies qui ont pris la place des firmes allemandes<br />

rachètent sans véritable concurrence les bâtiments dans<br />

lesquels elles sont déjù installées depuis plusieurs années.<br />

Mais pour ce qui est de la pratique commerciale, vue<br />

par un employé de commerce ou par un client commergant, ou<br />

par un individu client consommateur, pensez-vous qu'il y a eu<br />

des différences sensibles entre le commerce tel qu'il était à<br />

Lomé vers 1912 et tel qu'il se pratique vers 1925 ?<br />

- Le pouvoir d'achat de la population a commencé à augmenter<br />

depuis 1920 -environ- jusqu'à maintenant. Ça a toujours été progressif.<br />

- Q - Une différence importante entre ces époques lointaines<br />

et nos jours,. c'est que les compagnies avaient autrefois tout<br />

un réseau d'agences Ù l'intérieur du pays. La capitale avait<br />

surtout une fonction de redistribution, alors qu'aujourd'hui les<br />

compagnies, pour la plupart, n'ont plus d'activités en dehors<br />

de Lomé ?<br />

- Entre 1920 et 1950-55, le commerce a évolué. On a ouvert<br />

beaucoup de succursales à l'intérieur. Mais, avec l'incertitude qu'on ne savait<br />

pas ce que' l'Indépendance apporterait, les commerçants étaient prudents : ils<br />

ont tout rétréci.<br />

- Avant, les succursales de la UAC étaient dans toutes les grandes<br />

villes du Togo. Celles de la CFA0 aussi. Toutes les sociétés existaient dans<br />

les grandes villes. Et puis, à un moment donné, il y a eu une promotion du<br />

commerce des "indigènes" (comme eux, les Blancs, ils disaient...), c'est-à-dire<br />

des nationaux. Et ces sociétés se sont repliées vers Lomé en s'orientant<br />

plutôt vers le gros. Au moment où j'étais gosse, je voyais mon père qui<br />

Sociét.6 commerciale et industrielle de la Côte d'Afrique, fondée en 1917.<br />

158


faisait des tournées. I1 y avait des boutiques de la GB-Ollivant à Anié ; il y<br />

avait une boutique à Pagala, un peu partout ... I1 y avait des "chefs de<br />

secteurs", qui avaient pour mission le contrôle de ces boútiques. Vers 1955-<br />

56 (ie crois), on avait vu un repli : les grandes sociétés commerciales ont<br />

abandonné le commerce de détail ; elles se sont cantonnées plutôt vers le<br />

commerce de gros. Sauf la SGGG, qui a maintenu sa structure, n'est-ce pas ?<br />

- I1 ne faut pas oublier aussi qu'il n'y avait pas que le commerce,<br />

c'est-à-dire les importations pour la vente. Tout cela était aussi sous-tendu<br />

par les produits.<br />

- Q - - C'est-à-dire les produits agricoles pour l'exportation.<br />

Une particularité des anciennes compagnies, c'est qu'elles<br />

étaient à la fois importatrices et exportatrices, n 'est-ce pas ?<br />

- Oui. C'est ka. Quand j'ai fait le secteur au Sénégal, nous avions,<br />

d'un côté, notre opération de commerce, et puis, de l'autre, nous avions les<br />

achats de produits (au Sénégal, c'étaient les arachides):<br />

- Q - Comme ici le café et le cacao ?<br />

- Oui, comme ici le café et le cacao. Comme M. Seddoh l'a dit, les<br />

commerçants togolais créaient eux-mêmes des boutiques un peu partout à<br />

l'intérieur. Ce qui venait en concurrence àtoutes ces sous-agences qui avaient<br />

été installées par les grandes compagnies. Et non seulement ça : il y a eu<br />

aussi, au Togo, l'apparition de l'OPAT1, qui a repris tous les produits<br />

d'exportation. Alors, évidemment, à un moment donné ... Moi, je me rappelle<br />

qu'à la CFAO ici, au Togo, on s'est posé la question : "Qu'est-ce qu'il faut<br />

faire ?" Continuer ? Mais ça devenait marginal ; on sentait que les résultats<br />

n'étaient plus les mêmes. Et on a imaginé des solutions;(ces solutions<br />

avaient été déjà ébauchées au Sénégal aussi) : c'était la mise en gérance libre<br />

des factoreries, qui a été une opération malheureuse.<br />

Ça n'a pas réussi parce que, de part et d'autre, on ne s'était pas bien<br />

compris. Parce que, de la part de la maison de commerce qui apportait son<br />

organisation en gérance libre, il aurait fallu quand même un appui financier<br />

au gérant libre. Parce qu'il était astreint à acheter -par exemple- à la CFAO<br />

qui lui avait donné son opération en gérance libre : le gérant "libre" était tenu<br />

d'acheter ses marchandises seulement à la CFAO. Alors si, par hasard, il<br />

pouvait trouver de meilleurs créneaux ailleurs, il ne pouvait pas y aller. Et<br />

non seulement ça : si, par hasard, les marchandises qu'il avait achetées à la<br />

CFAO ne se vendaient pas et qu'il manquait de fonds de roulement, il ne<br />

pouvait pas dépasser un certain plafond de crédit que lui avait alloué la<br />

* Office des produits agricoles du Togo, créé le 22 juin 1964.<br />

159


CFAO. Alors, ça faisait que ce gérant libre avait beaucoup de problèmes de<br />

gestion, parce qu'il manquait de fonds de roulement ... J'ai eu à contrôler des<br />

gérants libres. Souvent, vous entriez dans une boutique de gérant libre : il n'y<br />

avait que trois ou quatre boîtes de corned-beef, (rires) c'est tout ! Il n'y avait<br />

rien ! Alors vous lui demandez où est l'argent. I1 dit : "J'ai essayé d'acheter<br />

les produits, un peu partout, etc.'' Et, quand vous allez au fond des choses,<br />

c'est que -comme on dit vulgairement- il a bouffé son capital ... (rire général)<br />

C'est ça, le problkme ! Alors, de part et d'autre, nous sommes intervenus<br />

pour les gérants libres, pour qu'on leur donne beaucoup plus de moyens<br />

quand même, pour les relever, pour ne pas les laisser mourir comme ça ... On<br />

a essayé de leur donner les moyens, et ils n'ont pas réussi. A ces gérants<br />

libres-là, il leur manquait le savoir-faire. I1 y a eu ces trois Cléments<br />

conjugués : l'incompréhension de part et d'autre (gérant libre et donneur de la<br />

gérance), manque de capital de roulement, et puis le manque de formation<br />

technique des gérants libres, qui ont fait que l'opération n'a pas réussi.<br />

- Q - Un. autre facteur que j'ai étudié dans d'autres pays : le<br />

fait que, dans ces années 1950-55, se met en place, un<br />

véritable réseau routier, avec un nombre croissant de camions.<br />

Il est toujours beaucoup plus commode d'aller directement à<br />

la capitale avec un camion de produits agricoles, pour y<br />

acheter d'autres marchandises et pour revenir avec, plutôt que<br />

d'avoir des étapes intermédiaires, de devoir se ravitailler par<br />

le train; avec les ruptures de charge, etc. Il y a donc eu un<br />

phénomène de "court-circuitage " des villes de l'intérieur au<br />

profit de la capitale, qui se retrouve dans h peu près tous les<br />

pays d'Afrique de l'Ouest.<br />

- C'est très exact. Mais, vous avez, dans certains pays (je reviens<br />

toujours au Sénégal pour comparer avec ce qui s'est passé au Togo), au<br />

Sénégal, par exemple, les cultivateurs vendaient leurs arachides "en herbe".<br />

Pour en venir à ce que vous avez dit que, les communications étant plus<br />

faciles, les gens préféraient aller en ville pour vendre leurs produits et acheter<br />

. les marchandises manufacturées, dans le cas particulier du Sénégal, les gens,<br />

n'ayant pas beaucoup de moyens, vendaient leurs arachides on peut dire sur le<br />

champ lui-même. Ils disaient : "Je vous vends à tel prix" à un Libanais, et<br />

c'est conclu : ça devenait la propriété du Libanais. A la récolte, le Libanais<br />

ramassait tout. Et le vendeur, lui, prenait de la marchandise chez le Libanais<br />

jusqu'à concurrence du prix auquel il avait vendu son champ. Le<br />

gouvernement sénégalais a été obligé d'intervenir pour arrêter cette pratique,<br />

qui appauvrissait le paysan.<br />

- Q - On a vu le même phénomène au Togo, dans le Sud-Est,<br />

dans (a région de Vogara, entre les grosses commerçantes de<br />

160


Lomé et les paysans producteurs de manioc, qui, eux aussi,<br />

vendaient leur récolte sur pied, et qui, du coup, étaient<br />

contraints de ne commercer qu'avec ces femmes-là, parce<br />

qu'elles leur avaient avancé de l'argent. C'est ce qui a<br />

provoqué la faillite de l'usine de fécule de Ganavé : elle ne<br />

trouvait plus de manioc Ci acheter dans une région qui en<br />

produit pourtant tellement. ..<br />

- Au Togo, on a eu surtout le café et le cacao. On distribuait de<br />

l'argent aux "acheteurs" qui allaient dans les villages. Je me rappelle que mon<br />

père se promenait dans un pick-up1, avec des sacs, avec de l'argent qu'on<br />

mettait dans un sac de jute et qu'on distribuait, dans la brousse, aux acheteurs<br />

de produits, avec de grands risques.<br />

- Q - La très grande transformation des compagnies<br />

commerciales, c'est donc -en gros entre 1955 et 1965-<br />

l'abandon du commerce des produits agricoles d'exportation<br />

(qui généralement est repris par des entreprises d'dtat) et<br />

l'abandon des agences de l'intérieur pour concentrer leurs<br />

activités dans la capitale, mais en diversifiant ces activités,<br />

avec, par exemple, une branche automobile, une branche<br />

électroméiiager, une branche textiles ...<br />

Mais il y avait eu auparavant, dans les aititées 1930,<br />

une autre transformation, dans les structures et non pas dans<br />

les pratiques : avec la crise économique mondiale, il s'est<br />

produit une concentration assez brutale : la disparition de<br />

nombreuses petites sociétés et leur regroupement sous de<br />

nouvelles appellations. Il y LE eu, par exemple, le corzglomht<br />

de la UAC et, au Togo, l'apparition de la SGGG 2...<br />

- Oui, oui, c'est l'apparition à ce moment-là de la UAC, parce que,<br />

avant, il y avait la maison GB-Ollivant, la maison Millers, la Swanzy,<br />

1'African Association ... Alors ces quatre compagnies ont fait la fusion pour<br />

former une compagnie puissante : la UAC, qui existe toujours.<br />

- Q - M&ne chose fin 1929 wec la §GGG, qui regroupe<br />

Carbou, la COTOA et quelqzaes aatres petites compagnies ...<br />

- Oui, oui !<br />

'Voiture dotée d'une' plate-forme derrière la crcbine.<br />

Soeiétt? g6néraIe du Golfe de Guinée, officiellement cr6k Ie lw janvier 1930.


- Q - A Sokodé, par exemple, on appelle encore la SGGG du<br />

nom de Carbou. Que savez-vous de ce monsieur ?<br />

- Carbou' était un Français, le fondateur de la maison Carbou.<br />

- I1 a eu même un fils ici, un fils Carbou, un métis ...<br />

- Oui, un métis. Carbou était installé dans la maison Anthony.<br />

- Q - La belle maison Anthony de rue du Grand-marché ?<br />

- Oui, oui, c'est ça ! Après, ils ont fait la fusion qui a créé la<br />

SGGG. I1 y avait aussi la maison Lecomte. Monsieur Lecomte était l'oncle<br />

de Monsieur Eychenne2 : alors, à son départ, il a cédé le commerce à son<br />

neveu, Raymond Eychenne.<br />

- Q - Et c'est devenu les ktablissements R.-Eychenne (plus<br />

tard Unicomer), rue Galliéni, près de l'éCole Marius-Moutet ?<br />

- Oui, c'est ça.<br />

- Son commerce était florissant, à ce moment-là. I1 a travaillé ici<br />

pendant au moins 30 ans ...<br />

- Il a même été président de la Chambre de commerce3.<br />

- Après UNICOMER4, il a racheté les Établissements Rabe, qui<br />

n'ont pas marché. Et puis, il a repris tous ses capitaux pour rentrer en<br />

France.<br />

- Q - Avez-vous encore souvenir d'autres firmes qui ont<br />

disparu avant la Deuxième guerre mondiale ?<br />

- Seven Heart ...<br />

- Q - Encore une compagnie anglaise ? En fait, celles-ci<br />

étaient vraiment prédominantes dans les années 1920 ...<br />

- Oui, oui !<br />

Jean-Baptiste Carbou s'était installé à Atakpamé en 1916. I1 viendra ensuite à Lomé avec<br />

l'administration française.<br />

Au Togo de 1928 à 1960, il en fut une figure marquante ; grand mécène des sports togolais ;<br />

gendre de l'administrateur-maire de Lom6 Paul-Louis Mahoux. Alphonse Lecomte, arrivé du<br />

Senégal en mEme temps que son ami J.B. Carbou, est resté au Togo jusqu'en 1932.<br />

De 1936 h 1943. '<br />

Revendu par R. Eyclienne en 1956. Informations aimablement donnkees par sa fille, Mme<br />

René Sdvely, dont le mmi a longtemps dingé la SGGG après l'Indépendance.<br />

162


- 10 - La firme Carbou (future SGGG) vers 1925, représentante de Michelin et de<br />

Citroën, dans la maison Anthony, rue du Grand-marché<br />

Archives de la famille Sévely, Paris.<br />

- Q - Mais, parmi toutes celles-ci, seule la Swanzy -devenue '<br />

la UAC- a subsisté ?<br />

- I1 y avait aussi la John-Holt.<br />

- Oui, la John-Holt était indépendante elle aussi, oui.<br />

- Q - Elle occupait l'un des derniers bâtiments allemands qui<br />

subsistent rue du Commerce, construit en 1912. Maintenant,<br />

elle appartient cì un homme d'affaires togolais, je crois.<br />

- C'est ça, oui, à M. Sodji.<br />

- Je crois que la John-Holt a vendu ses affaires au Togo et au Bénin.<br />

- Q - Une autre société dotat OR ne parle plus : Gastonègre,<br />

dont les erltrepôts tombent en racines eitke la rue ,du<br />

Commerce et la Marim. QU'QR savez-vows ?<br />

- Gastonègre est toujours 12, hein '? Elk existe tsujeliïs, cette<br />

maison-là.<br />

- Gastonègre avait représente CitroEn, mais quand Citroën a eu des<br />

163


\<br />

difficultés de vente, parce que, vous savez, avec nos pistes ... (soupir) C'est<br />

un véhicule qui n'est pas tellement utilisé en Afrique. Alors ils ont pris<br />

Caterpillar.. .<br />

- C'est Fa, oui.<br />

- Qui leur a donné un second souffle, mais il se.trouve qu'ils ont<br />

perdu Caterpillar, qui est fait maintenant par la Manutention africaine. A<br />

Gastonègre, ils vendent des pièces détachées Caterpillar, mais ils n'ont pas la<br />

représentation, ce qui fait que la société s'est effondrée. Et puis Nègre est<br />

mort. Le décès de Gaston Nègre a porté un coup fatal à la société, aussi bien<br />

au Togo qu'au Bénin.<br />

- Q - Une autre compagnie anglaise qui était importante et qui<br />

a disparu : la GB-Ollivant.<br />

- Oui, c'était une filiale de la UAC.<br />

- Je crois que tout ça;c'est du groupe Unileverl.<br />

- C'est le groupe Unilever ! Au Zaïre, c'est GB-Ollivant qui<br />

représente Unilever, et qui fait les mêmes articles que la UAC à Lomé.<br />

- Oui, oui, c'est vrai.<br />

- Donc c'est le même groupe, quoi ...<br />

- Q - Il change de nom d'un pays ¿ì l'autre. Au Cameroun, il<br />

s'appelle R h W King (c'était le noin d'un vieux trafiquant<br />

d'esclaves anglais du XVIIIè siècle).<br />

- Ah oui, oui !<br />

- Q - De même au Bénin, oÙ elle a gardé le vieux nom de<br />

John- Walkden. En Côte d'Ivoire, c'est la CFCI. ..<br />

- Et la Compagnie du Niger !<br />

Q -. M, Seddoh, parlez-nous aussi de votre CICA.<br />

- La CICA, à un moment donné, s'appelait SAIU. Après la SARI a<br />

sombré, avec les affaires de M. Fraissinnet. Les affaires de M. Fraissinnet<br />

Tr2s puissant trust anglo-hollandais, fusionné en 1928, numéro un mondial des savons et<br />

d6tergents. La UAC, fondée en 1929, regroupe toutes ses filiales commerciales.


ont été reprises, rachetées par la CICA. Donc la dénomination CICA est une<br />

vieille dénomination : la Société commerciale et industrielle de la Côte<br />

d'Afrique:<br />

- Q - Ces compagnies s-oat, pour la plupart, des<br />

multinationales ; elles sont' présentes dañs- lã plupart des pays<br />

d'Afrique de l'Ouest et du Centre, francophones et<br />

anglophones. La SGGG, au contraire, n'existe qu'au Togo,<br />

n'est-ce pas<br />

- Oh oui, mais maintenant, ils ont certaines activités au Congo,.je<br />

crois, et ils ont essayé aussi de s'implanter en Centrafrique.<br />

- Q - Récemment ?<br />

- C'est récent, c'est récent, oui, oui !<br />

- Q .- Donc la différence majeure par rapport aux années 1920<br />

ou 1930, c'est que, maintenant, il n'existe plus qu'un tout<br />

petit nombre de grande; firmes (mais qui peuvent avoir<br />

plusieurs appellations diffe'rentes dans un même pays,<br />

correspondant Ci des branches d'activités différentes). En fait,<br />

maintenant, le commerce, le grand commerce d'export-import<br />

au Togo, c'est seulement quatre ou cinq grandes compagnies ?<br />

- Ce n'est pas évident, parce que vous avez les grandes compagnies,<br />

comme vous dites. Mais, à coté des grandes compagnies, vous en avez de<br />

nouvelles, nationales, montées par des nationaux, ou par d'autres, n'est-ce<br />

pas ? <strong>Si</strong> vous voulez, parlohs des grandes compagnies traditionnelles, qui<br />

existent toujours, mais, à côté d'elles,' vous avez quand même de nouvelles<br />

compagnies montées par des nationaux et qui sont aussi assez virulentes,<br />

assez fortes, qui gênent ... Vous savez que levogo est un pays de "porte<br />

ouverte", où l'on peut venir s'installer sans trop de complications. Vous avez<br />

même d'autres gens de la sous-région qui viennent s'in'staller et faire de<br />

grandes affaires ici, au Togo.<br />

- Dans la friperie, par exemple, c'est très souvent que de nouvelles<br />

sociétks se créent.<br />

- Ah ? C'est la friperie qu'il faut citer dans ce pays ? (rires) Mais<br />

c'est une réalité, c'est vrai, quoi !<br />

- La friperie gêne assez les grandes sociétés !<br />

165


- Ah oui, oui, d'accord, c'est exact !<br />

- Q - Le trafic des fripes, ce n'est pas vraiment un modèle de<br />

gestion moderne et rationnelle ...<br />

- C'est une réalité du pays ; ça fait partie du paysage commercial<br />

togolais, quoi ! (rires)<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Alors, Messieurs, comment se traitaient autrefois les<br />

affaìres entre les commerçants et les clients ?<br />

- On aurait dû laisser la parole à notre doyen pour vous parler de<br />

comment se traitait les affaires ... Je vais essayer. I1 rectifiera mes erreurs,<br />

n'est-ce pas ? D'une façon générale, le commerce, avant, se traitait sur la<br />

confiance, quoi ! C'était la confiance ! Moi, je me rappelle, quand j'ai fait<br />

mes expériences dans les factoreries, dans les sous-agences, au Sénégal, puis<br />

au Bénin, c'est les hommes qui vendaient, qui étaient les grands commerçants<br />

dans ces pays-là. Ils venaient avec un grand sac bourré d'argent ; ils vous<br />

disaient :<br />

-"Bonjòur. Ça va ?<br />

- Ça va bien ...<br />

- Mais, dis-donc, garde-moi ça ! J'anive, hein ?"<br />

Alors, vous ouvrez votre coffre, vous le mettez dedans. Ils reviennent, et<br />

alors vous comptez l'argent avec eux. C'est la confiance, quoi ! On n'y<br />

touchait pas ! Et je me rappelle à Lomé, ici, quand j'étais à la CFAO, les<br />

commerçantes qui sont encore là, qui peut-&tre nous écoutent ... (rires), qui<br />

venaient également avec des sacs pleins d'argent qu'elles n'avaient même pas<br />

compté,.. Compté ou non, moi, je ne sais pas ... Toujours est-il qu'elles me<br />

confiaient l'argent, elles me disaient :<br />

-"Est-ce que tu peux me garder ça dans ton coffre-là ? Je reviens ..."<br />

Etc. Bon, elle va faire son tour, elle revient deux heures de temps aprbs, et<br />

puis elle dit maintenant :<br />

-"Sors-moi l'argent. Je vais acheter."<br />

Et puis alors, on compte, on compte, elle achète. Bon, c'était sur la<br />

confiance, quoi ! Dans le temps, c'était comme ça que ça se pratiquait ...<br />

Alors donc, les relations avec les clients qui achètent des pagnes,<br />

c'était les mêmes relations qui se trouvaient dans les autres secteurs (pas<br />

seulement dans les pagnes, n'est-ce pas ?). Dans les autres secteurs, mais en<br />

particulier pour les pagnes : comme il s'agit de question de goût, de flair, de<br />

mode ... c'était un peu plus délicat ; il fallait une collaboration avec la<br />

clientèle, pour choisir. Ce n'est pas toutes les femmes. I1 y a une femme qui<br />

166


peut vous dire :<br />

-"Oh, ce pagne-là, il est formidable ! Oui, oui ! Prenez-le, ça va,<br />

c'est bon !'I<br />

Alors qu'après, ça ne marche pas ... Ça se fait en collaboration,<br />

personne ne détenait la vérité ! On faisait ça en collaboration pour une<br />

couleur : par exemple, un rouge, l'intensité d'un rouge ... Ça devenait tout un<br />

theme, un sujet autour duquel il faut discuter pendant longtemps pour savoir<br />

quelle intensité donner à ce rouge- là...<br />

- Q - Proposiez-vous aux femmes un tissu tout prêt, ou<br />

réfléchissiez-vous avec elle à partir d'un dessin sur le papier<br />

en disant : "On va faire ce rouge plus foncé, ou plus clair, ou<br />

bien le motif plus grand, ou avec plus d'oiseaux " ? Comment<br />

se faisait concrètement l'élaboration du choix des dessins ?<br />

- Un chef-textiles doit toujours proposer.<br />

- Q - A partir d'un tissu déjà fait ou à partir d'un dessin ?<br />

- A partir d'un tissu déjà fait. Par exemple, on modifie un tissu qui<br />

est déjà fait. On peut modifier, on peut aussi créer un tissu à partir d'un<br />

dessin déjà fait. On peut également créer un tout autre dessin. Et puis, nous<br />

ne créons pas tous les dessins : on nous en propose. Par exemple Vlisco<br />

(c'est un groupe industriel de la UAC en Hollande), qui nous en proposait à<br />

la CFAO, et puis plus tard à la CICA aussi. Le monsieur venait avec des<br />

échantillons de tissus et nous les proposait ; alors nous, nous choisissions<br />

ceux qui nous plaisaient.<br />

-Q - En collaboration avec les femmes du marché ?<br />

- Au premier stade, nous choisissons d'abord. Parce que, si vous<br />

montrez tous ces tissus aux revendeuses, elles vont tout rafler, elles vont dire<br />

que tout est bon, il faut tout prendre ! Alors il faut être très sélectif ... Nous<br />

sélectionnons d'abord ce que nous pensons être les meilleurs, et puis ensuite,<br />

nous revenons voir nos revendeuses, nos clientes, pour choisir définitivement<br />

ce que nous allons faire imprimer.<br />

- Q - En général, arriviez-vous, avec l'aide de ces femmes, à<br />

déterminer effectivement les modèles qui plaisaient ?. Ou bien<br />

était-ce quand même très aléatoire, avec certains qui marchent<br />

bien et d'autres pas du tout, sans qu'on comprenne vraiment<br />

pourquoi ?<br />

- Absolument ! C'est très aléatoire, très aléatoire ! Un tissu peut<br />

1 67


marcher peut-être à la première sortie. Alors tout le monde se rue sur ce<br />

tissu, c'est formidable ! Tout le monde en veut ! Et puis une semaine après,<br />

c'est fini, personne n'en veut plus ... Alors les tissus c'est quelque chose de ...<br />

(silence) Je ne sais pas comment vous dire ... Vous savez, ça prend ou ça ne<br />

prend pas ... C'est la mode, quoi !<br />

- Q - En Europe, ce sont les grands couturiers qui fabriquent<br />

la mode, qui vont imposer aux femmes d'avoir la jupe longue<br />

ou bien lu jupe' courte. Tandis qu'ici, vous êtes entièrement<br />

dépendants du goût des clientes ?<br />

- Nous sommes dépendants du goût des clients, mais, cependant, il<br />

y a la possibilité d'agir sur le goût des clients. C'est ce que nous avons fait à<br />

l'Industrie textilel. Avant, quand on vendait les tissus de l'Industrie textile,<br />

personne n'en voulait : on les appelait "datchavi, datchavi" ... Personne n'en<br />

voulait !<br />

- Q - Pourquoi ?<br />

- Ah, parce que nul n'est prophète chez soi ! C'est fabriqué au Togo,<br />

donc ça ne vaut rien ! C'est tout ! C'est bien simple ... C'est comme en<br />

France aussi : on préfêre le whisky au cognac. C'est ça ! (rires)<br />

- Q - On peut aimer les deux, non ? (rires)<br />

- Oui, d'accord ! Alors donc, personne ne voulait ces tissus-là,<br />

surtout pour faire les robes. Eh bien, on a fait des présentations de mode sur<br />

quatre ans, deux fois par an. On faisait des présentations de mode, et on avait<br />

demandé à des couturières de faire de belles robes dans des tissus (que nous<br />

leur donnions gratuitement) de l'Industrie textile. A partir de ces présentations<br />

de mode, nous avons remarqué que les robes se taillaient maintenant dans les<br />

tissus de l'Industrie textile. Alors, c'est pour vous dire qu'on peut le faire<br />

systématiquement. En Europe, il y a plusieurs facteurs qui jouent. I1 y a<br />

d'abord le goût : l'été, bon, c'est telle mode, etc., etc. Mais chez nous, ce<br />

n'est pas la même chose. Alors, ce que nous pouvons faire ici, c'est de nous<br />

faire admettre à côté de ce qui existe déjà.<br />

- Voyez : il y a une expérience qui se fait en ce moment avec la<br />

UAC, là, rue du Commerce.<br />

- Oui, oui !<br />

Complexe textile ITT de Dadja (ou Datcha), près d'Atakpam6, qui a produit des tissus de<br />

qualité modeste (par rapport aux pagnes de luxe venus de Hollande) de 1966 B la fin des<br />

années 1980. "Vi"= diminutif.<br />

168


- Ils ont fait des vitrines de présentation de modèles de tissus.<br />

- C'est ça ! J'ai remarqué. C'est très bien, c'est très bien fait. Oui,<br />

oui, voilà exactement l'exemple. Ça, c'est de l'éducation !<br />

- Les femmes s'en inspirent.<br />

- Ah oui, ça peut se faire ...<br />

- Q - Les 'noms des pagnes sur le marché sont souvent<br />

amusants. Il y a, par exemple, "Jalousie" ou "Mon mari est<br />

capable ". . .<br />

- Ça existe trks bien ! Et même, il y a souvent des noms nouveaux<br />

qui s'inventent, ça dépend ... Nos classiques existent, hein ?<br />

- Q - Est-ce qu'il y a longtemps qu'ils ont des noms<br />

populaires comme Ca ?<br />

- <strong>Si</strong> ! I1 y a très longtemps, depuis toujours ...<br />

- Q - Depuis toujours ?<br />

- Ça existe depuis toujours ! Ce sont les bonnes femmes qui<br />

.<br />

donnent des noms aux tissus, hein ?<br />

- "Mon mari est capable", par exemple, c'est venu de Côte d'Ivoire.<br />

Bon, vous avez le nom équivalent en togolais, mais "Mon mari est capable''<br />

a prédominé parce que c'est plus poétique ... (rires)<br />

- Q - M. Amegee, vous avez pu voir sur une très longue<br />

période comment évoluaient les tissus,. Y a-t-il de grosses<br />

dgférences entre ceux qui étaient à la mode dans les années<br />

1920 et ceux d'aujourd'hui, ou, au contraire, est-ce plutôt<br />

cyclique, avec les mêmes tissus qui reviennent ?<br />

- Oui, oui ! Avant, dans le temps, la UAC importait beaucoup de<br />

tissus classiques qu'on appelle les "wax printtf1. Mais, en ce moment, ces<br />

textiles ont disparu, ça n'existe plus ...<br />

- Je vous avais dit qu'on nous confiait de l'argent, qu'on gardait, etc.<br />

Dans la pratique aussi, on donnait des crédits. Ça se pratique toujours. On<br />

'11 s'agi't de wax (batiks indushiels) avec adjonction de motifs imprimés à la main.<br />

169


ouvrait un compte pour un client, on lui donnait un découvert de 200 000,<br />

etc., etc. Et voilà, le commerce se faisait, la cliente venait, payait. Soit elle<br />

avait un découvert, elle passait une partie sur son découvert, payait le reste au<br />

comptant, et elle trimbalait partout son argent avec elle ... Ce n'est pas<br />

tellement pour les aider, mais c'est les banquiers qui ont eu l'idée d'introduire<br />

le système des traites. Les banquiers nous ont demandé, à nous les<br />

commerçants ... On a fait une réunion avec eux ; on s'était mis d'accord qu'à<br />

partir de ... un mois (je ne sais pas), eh bien, on va maintenant créer le<br />

système des traites au Togo. Et moi, je me rappelle que, quand ça a été.<br />

introduit ... Oh la-là, ça a été terrible ! (rires) Personne ne voulait ! Aucune<br />

femme ne voulait acheter sur traites, parce qu'il fallait d'abord aller déposer<br />

son argent à la banque. Elles étaient très réticentes pour déposer leur argent à<br />

la banque. Personne ne voulait ! Elles ne voulaient pas ! C'est pour ça<br />

qu'elles venaient nous confier souvent leur argent. Et alors, bon, ce système<br />

de traites (qui les obligeait aussi à payer des agios, tout ça...), elles<br />

trouvaient ça vraiment bizarre ... Elles disaient : "Comment ? Moi, j'achète la<br />

marchandise, je paye et on me fait payer encore zéro virgule quelque chose<br />

pour cent ? Et on me dit de payer tel jour, on me donne un délai, etc.'' Alors,<br />

c'était assez pittoresque ... Ça, c'est apparu en 1964 (à peu près), quand ils ont<br />

créé le système des traites.<br />

- Q - On dit souvent que certaines revendeuses traitent des<br />

affaires de plusieurs milliards sans comptabilité écrite. Selon<br />

vous, est-ce que cela repose sur des réalités ?<br />

- Tout ce que je peux vous dire, c'est que, souvent, si vous prenez<br />

votre machine à calculer, avant mgme d'avoir le résultat sur votre machine,<br />

elles vous annoncent, elles, le total ... Ça, d'accord ! C'est-à-dire qu'elles ont<br />

de la mémoire, d'accord ! Mais des milliards sans comptabilité écrite, je ne<br />

crois pas. I1 doit avoir une trace, des traces ... Elles ont des cahiers, elles<br />

notent tout ça. Elles font beaucoup de calcul, surtout de calcul mental. Là,<br />

elles sont très fortes ! Vous compliquez, vous dites "2 895 virgule quelque<br />

chose, multiplie par...", elles vous donnent le résultat tout de suite !l (rires)<br />

*<br />

* *<br />

-. Q - Au .cours de la Seconde guerre mondiale, on a organisé<br />

au Togo des rationnements. Comment cela fonctionnait-il<br />

pour les commergants ?<br />

-<br />

- Avec les bons d'achats !<br />

'Sur le monde et l'activité des "nana-Benz", voir aussi <strong>Si</strong> Lomé ... tome II, dialogue no 5.<br />

170


- I1 y avait certains produits de première nécessité qui étaient rares.<br />

Alors on donnait tant de kilos de riz, de sucre, etc. Avec un coupon, vous<br />

pouviez acheter tant de kilos de riz... C'était ça, le rationnement.<br />

- Q - On ne fixait pas le prix ? Seulement la quantité que<br />

vous pouviez acheter-?<br />

- La quantité, oui, la quantité. Ça allait même jusqu'au pain aussi.<br />

Vous savez, il y avait une organisation qui s'appelait la Société indigène de<br />

prévoyance (la SIP)l, qui donnait des bons, des tickets, avec lesquels vous<br />

alliez à la boulangerie pour acheter votre pain. Sans ce ticket, vous ne<br />

pouviez pas acheter ! Et ça a occasionné un marché noir florissant, comme<br />

d'habitude ... (rires) C'est de là que vient l'expression "arè-kpètè"2... Vous<br />

voyiez des gens avec les petits sacs, là, et ils disaient qu'ils allaient faire des<br />

arrangements, quoi, des petites combines ... Bon ! Enfin, bref, c'est pour dire<br />

que c'était le rationnement du temps de guerre ...<br />

- Q - Pour les compagnies, Ca devait être dramatique : elles ne<br />

pouvaient plus guère exporter, faute de bateaux, et, pour la<br />

même raison, il n'y avait plus de marchandises importées à<br />

vendre. Comment ont-elles survécu pqndant la guerre, M.<br />

Amegee ?<br />

- Lorsque les marchandises arrivent, c'est tout d'abord rationné :<br />

chaque maison avait son contingent, et puis alors ...<br />

- Ça commençait d'abord avec les licences.<br />

- Oui, oui !<br />

- Parce qu'il y a des tableaux qui sortaient (ce n'est pas comme<br />

actuellement). On sortait un tableau, on dit "Bon ... Céréales, céréales...". I1 y<br />

avait tant de devises qui étaient prévues pour l'importation de céréales, tant de<br />

devises qui correspondaient à tant de tonnes ... Et alors, ça se répartissait entre<br />

les maisons de commerce : le tabac, les cigarettes, tout, tout, tout ce qui est<br />

importation. Donc, si vous voulez, le rationnement commençait par là. Et<br />

alors'vous savez que vous avez cent tonnes (par exemple) de riz à recevoir. A<br />

vous, maintenant, de savoir répartir, compte tenu de vos possibilités.<br />

- En ce temps, il y avait un marché noir foy ...<br />

'Systéme de coopératives rurales imposé dans les annnées 1930 par l'Administration, au<br />

niveau des cercles (rebaptisées Sociét6s africaines de prévoyance par la suite).<br />

Mot-&mot : "arrangement [dans] le sac", c'est-à-dire combine, magouille ...<br />

171<br />

I


- Q - La Gold Coast, elle, n'était pas rationnée. Donc les<br />

marchandises de contrebande devaient franchir la frontière par<br />

tous ses pores ?<br />

- Oui, oui ! La Gold Coast était florissante, à ce moment-là.<br />

- Et le trafic aussi !<br />

- A partir de 1960 aussi : le Togo avait refusé de se soumettre à ces<br />

exigences de la zone franc, qui astreignaient les gens à commander juste dans<br />

les limites qu'on leur donne1. Le Togo a commencé cela. C'est comme ça<br />

que nous avons commencbà importer les pagnes japonais, par exemple, les<br />

tissus japonais ...<br />

- Même les pagnes américains ...<br />

- Alors, c'est à partir de là, je peux dire, que nous avons rompu la<br />

solidarité de la zone franc. On a rompu, et on a continué comme ça jusqu'à<br />

maintenant, et les autres États nous ont suivis après.<br />

- Q - Pour conclure, revenons &notre doyen. M. Amegee,<br />

quand vous êtes entré dans le commerce en 1921, quelles<br />

étaient les possibilités de carrière qui étaient proposées Ci un<br />

jeune Togolais ? Pouvait-il monter haut dans la hiérarchie ?<br />

- Lorsque, moi, j'ai été engagé à la SCOA, la comptabilité était<br />

confiée aux Européens. Même la caisse. C'est progressivement que les<br />

autochtones ont accédé à ce poste-là. Mais chez nous, par exemple, à la<br />

SCOA, le poste le plus haut que vous pouviez imaginer, c'était chef-<br />

comptable, pas plus ! Le poste de chef-marchandises n'était pas confié aux<br />

autochtones.<br />

- Q - Et quels étaient les salaires dans les années 1920-30 ?<br />

- Ah ça, je ne pepx pas vous le dire ! J'étais enfant ... Je ne m'en<br />

souviens plus ... Moitié en francs, moitié en monnaie anglaise. Ça s'est fait<br />

comme ça jusqu'en 1930 ... La mqnnaie anglaise prédominait, en ce temps-là.<br />

-_<br />

- Q - Les employés préféraient-ils avoir leur salaire en livres<br />

sterling ?<br />

- En sterling, oui ! En sterling plutôt qu'en francs.<br />

Du fait des limitations àl'échange des devises étrangères.<br />

172


- Parce que le sterling était plus fortl.<br />

- Q - A Lomé, pouvait-on .commercer entièrement en livres<br />

sterling ? Ou. bien alliez-vous en Gold Coast les dépenser ?<br />

- Ah, ici même, le sterling était très recherché.<br />

- Q - Sauf pour payer les impôts, n'est-ce pas ?<br />

- - Ah oui ! Sauf pour payer les impôts ! Le franc que vous gagnez,<br />

vous payez l'impôt avec... (rires)<br />

- Q - Mais étiez-vous content de n'avoir que la moitié en<br />

livres sterling ?<br />

- oui, nous étions contents : on ne pouvait pas faire autrement !<br />

Petit à petit on a abandonné la zone sterling, et on a payé les gens<br />

exclusivement en francs.<br />

- Q - Pensez-vous que, pour un jeune homme qui s'engageait<br />

dans le commerce en 1920, c'était une bonne carrière ?<br />

- <strong>Si</strong>, si !<br />

- Q - Vous en êtes vous-même un exemple ?<br />

- Ah oui, oui ! A certains moments, le fonctionnaire gagnait plus<br />

que le commerçant. Mais c'était alternatif ... Maintenant, je crois qu'au<br />

commerce, on gagne plus, surtout le chef-comptable, le chef du personnel ...<br />

A ce moment-là, c'était la,UAC qui payait le plus parmi toutes les maisons<br />

de commerce.<br />

- Q - C'est peut-être qu'elle choisissait les meilleurs<br />

éléments ...<br />

- Ah non, ce n'est pas ça. Parce que le taux de salaire était fixé par le<br />

directeur général de Londres. De sorte qu'ils étaient plus libéraux que les<br />

Français.<br />

- Q - Vous tous, Messieurs, je crois que vous avez bien<br />

montré que les Togoluis (et pas seulement les Togolaises)<br />

savent être des gens de cominerce. Merci à tous. (rires prolongés)<br />

Du moins jusqu'A la dévaluation anglaise de septembre 1931.<br />

173


- 11 - Albert Doh "FAO" en tenue de député.<br />

Archives de la famille Doh, Loiné.<br />

- 12 - La maison au petit ange, 14 rue de France<br />

Photo Y. Margzierat.<br />

174


UNE VIE DE COMMERçANT<br />

M. Albert Aménouvor DOH, dit "Albert FAO"<br />

(né en 1905 à Agbélouvé, préfecture du Zio,<br />

décédé le 12 septembre 1993 àLomé)<br />

ancien gérant de la CFAO,<br />

ancien député de Notsé,<br />

ancien conseiller municipal de Lomé<br />

- Je ne suis pas né à Lomé. Je suis né à Agbélouvél. J'y ai fait mes<br />

études primaires. En ce temps-là, on n'enseignait qu'un peu d'éwé et un peu<br />

d'allemand. Quand j'ai fini l'éwé, je suis venu ici, à Lomé, en 1920.<br />

J'habitais le quartier Agbadahonou. Ma mère habitait à Agbélouvé. Elle m'a<br />

envoyé ici pour continuer mes études. J'ai fait un peu d'anglais et un peu<br />

d'allemand, je suis arrivé en Part 111 pour aller jusqu'à Stardart I.<br />

- Q - En quelle année avez-vous passé votre certificat de fin<br />

d'études ? Et qu'avez-vous fait ensuite ?<br />

- En 1927. Je n'ai pas fait d'études secondaires. J'ai été engagé à la<br />

Compagnie FAO, comme sous-boutiquier. C'est Monsieur Dole, Henri<br />

Dole, qui était le gérant. On m'a fait subir un examen avant de m'engager.<br />

C'est Monsieur Acolatsé et Monsieur Alfred Lamprun qui m'ont fait passer<br />

cet examen.<br />

- Q - Quel genre d'examen ? Un texte ? Une dictée ? Du<br />

calcul ?<br />

- Oui, on m'a fait faire une dictée, avec un calcul. J'ai réussi, et on<br />

m'a engagé comme sous-boutiquier. J'ai travaillé avec Monsieur Dole<br />

pendant longtemps. En ce temps-là, il n'y avait pas d'indigènes qui<br />

s'occupaient des magasins de vente, des boutiques. C'étaient les Européens<br />

qui s'en occupaient, qui étaient les gérants des boutiques.<br />

- Q - Duquel vous souvenez-vous le mieux ?<br />

- De Monsieur Jean Doyen, mon dernier patron, en 1932-1933 ...<br />

C'est lui qui m'a cédé sa place. Et je suis devenu gérant à la CFAO. On m'a<br />

confié tout. Alors c'est moi qui m'occupais des marchandises diverses, tout,<br />

tout, tout ! Depuis le déballage jusqu'aux marchandises qui se trouvent dans<br />

les magasins de vente. C'est moi qui m'occupais de tout ça, jusqu'à la<br />

guerre ... Après la guerre, je n'étais plus là-bas à Agbadahonou. Nous<br />

IEntre Tsévié et Notsé.<br />

175


sommes venus avenue des Alliés1, près d'ici, c'est-à-dire au poste de police,<br />

là où se 'trouve le cinéma Rex. A partir d'ici où nous sommes2, il n'y avait<br />

pas de maisons jusqu'à Amoutivé. Tout ici, c'était la cocoteraie plantée par<br />

les Allemands.<br />

- Q - A qui étaient les terrains de ce quartier ?<br />

- Je crois, au chef Adja11é3. Mais ce n'est pas à moi qu'il a vendu.<br />

Moi, j'ai acheté mon terrain chez une autre personne, Monsieur Ben Labane,<br />

un peintre.<br />

- Q - A quel p ~ix ?<br />

. ,<br />

- C'est' 100 livres que j'ai payées en ce temps-là, en monnaie "cash".<br />

- Q - Vous utilisiez encore les livres sterling, alors que vous<br />

étiez en zone française ?<br />

- X ce moment-là, on était encore en monnaie anglaise. Nous, nous<br />

étions payés en monnaie. anglaise.<br />

- Q - Quand vous avez été engagé, en 1927, quel était votre<br />

salaire ?<br />

- On comptait 120 F la livre. On touchait 240 F par mois. La<br />

CFAO payait beaucoup plus que toutes les autres maisons. Même aux<br />

Chemins-de-fer, en ce temps là, on payait au personnel 50 F par mois. I1 y<br />

en a qui gagnaient 75 F : les chefs de train, les chefs de gare ... Alors que la<br />

CFAO payait 240 F.<br />

- Q - Du moins pour les cadres comme vous ?<br />

- Oh moi, j'avais été engagé comme sous-boutiquier avant de<br />

devenir cadre. Tous les ans, il y avait une petite augmentation. Avant moi, je<br />

crois que le gérant blanc touchait 1 500 F pour son salaire mensuel. Ceux<br />

qui touchaient au moins 1 O00 F, c'étaient déjà des Blancs.<br />

- Q - Quand avez-vous construit votre maison4 ?<br />

- J'ai attendu jusqu'en 1939 avant de construire. J'ai commencé avec<br />

la guerre, le 7 septembre 1939.<br />

'Aujourd'hui avenue du 24-Janvier.<br />

A Adoboukomé, non loin de I'église Saint-Augustin &Amoutive.<br />

Chef d'Amoutivé. Voir ci-dessus, dialogue no 8.<br />

Grande maison très harmonieuse, 14 rue de France, dont le porche est omé d'un charmant<br />

petit angë en ciment. (Voir Trésors cachés du vieux Lomé, pages 138-140.)<br />

176


- Q - Était-il facile d'avoir les matériaux de construction, en<br />

ces temps de guerre ?<br />

- Oui ... C'était le début de la guerre ! J'ai acheté des briques et j'ai<br />

demandé du ciment à crédit à la CFAO, que j'ai stocké. Et j'ai pu achever les<br />

travaux de construction en 1940.<br />

Ici, à ce moment-là, il y avait seulement le propriétaire, celui qui<br />

m'avait cédé le terrain.<br />

- Q - M. Labane ?<br />

- Oui, et Monsieur Jules, qui était boulanger, et un certain<br />

Monsieur Amouzou. C'est après que d'autres sont venus acheter des lots.<br />

Alors on a appelé "Adoboukomé" là où se trouvait la cocoteraie, jusqu'au<br />

zongo. Le chef Adjallé disait à ceux à qu'il cédait des portions de terre de ne<br />

pas construire des maisons solides1 dessus.<br />

- Q - Pourquoi ?<br />

- Parce qu'ils n'avaient pas acheté : on leur avait loué. Vous donnez<br />

des bouteilles de boisson, on vous fait un petit lot, on vous le donne en<br />

location. Alors on vous dit de ne pas construire des maisons en dur là-dessus.<br />

C'est ça qu'on appelle "udobou", c'est-à-dire les briques non cuites. C'est<br />

pourquoi on appelle ce quartier Adoboukomé. Ici même, c'était "Quartier-<br />

' Neuf '.<br />

- Q - "Quartier-Neuf" ?<br />

- Oui, on l'appelait ici Quartier-Neuf, avant. Là-bas, à partir de la<br />

rue Gnyémenya, c'est Adoboukomé. Après le départ des Allemands, on a loti<br />

ça : vous donnez la boisson, on vous fixe un prix (je crois 200 F ou 500 F<br />

par mois), vous payez. I1 y en a qui sont toujours là sous ces conditions.<br />

- Q - Vous arrivez donc ici en 1939. La CFAO vous avait<br />

octroyé du ciment h crédit. Combien coíìtait, h cette époque,<br />

un paquet de ciment ?<br />

- C'étaient des barils.<br />

- Q - Un baril représentait comba'en de s@cs de cirnent ?<br />

- U$ baril de ciment, je crois, c'Ctait 100 kg. 'Vous avez 50 kg dans<br />

un sac. Je ne me rappelle plus le prix. C'était un prix bas, à ce moment-là.<br />

Mais ce n'est pas tout le monde qui peut en acheter, hein ? On gagnait 50 F<br />

par mois, ou 75 F. Même, je crois bien, Ias médecins, à leur arrivée, en ce<br />

En dur, par opposition à l'adobe (terre crue). Voir ci-dessous, dialogue no 11.<br />

I77


temps-là, ils touchaient 250 F ou 500 F par mois (les médecins africains)l.<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Monsieur Doh Aménouvor est beaucoup plus connu sous<br />

le nom d'Albert FAO.. Peut-on savoir. pourquoi ?<br />

- J'avais longtemps servi à la Compagnie FAO. Alors, quand on<br />

venait acheter là, tout le monde croyait que c'était mon nom de famille ...<br />

Mais non, c'est un surnom (rire). Les gens viennent, et ils disent : ''Donnez2<br />

moi çà, FAO'' ... Moi, je sers comme ça ...<br />

Même pendant la guerre, quand il fallait des tickets, quand les gens<br />

venaient, moi, je trouvais quand même à leur donner sans tickets ...<br />

- Q - Moyennant quelque chose en échange ?<br />

- Oh non, non, non ! Rien !<br />

- Q - OÙ sé trouvait la CFA0 à cette époque ?<br />

- La CFAO se trouvait toujours là où elle se trouve maintenantz.<br />

C'était construit avec du bois, Mage en bois. J'ai quitté la FAO en 1948. La<br />

FAO ne voulait pas me laisser partir, et ils m'ont donné du crédit pour avoir<br />

des boutiques. J'avais quatre boutiques ici, à Lomé, et aussi une boutique à<br />

Aflao. Quand j'étais à la FAO, j'étais chargé des tissus, et on a engagé 5<br />

Monsieur Kavéguè pour s'occuper du département des marchandises diverses.<br />

Nous avions des inspecteurs qui venaient d'Accra ici, et on passait la<br />

commande. Alors moi, j'avais engagé quelqu'un qui faisait des dessins, des<br />

croquis, qu'on envoyait à Accra pour qu'on fasse des tissus selon le goût du<br />

client. On les envoyait à Accra (c'est là que séjournait l'inspecteur). I1 venait<br />

ici et au Dahomey, mais il avait son bureau à Accra.<br />

- Q - Dans ces années 1948-50, les femmes de Lomé<br />

s'int~ressaient-elles déjà beaucoup à la vente des tissus ?<br />

- Ah oui! I1 y avait des femmes commerçantes qui achetaient des<br />

tissus, desfuncy-print, qui valaient moins eher, et les wax-print qui valaient<br />

cher. Le wax-print valait 240 F, et-lefancy-print 140.<br />

- Q - Combien la CFA0 comptaibelle d'employés au cours de<br />

ces andm 1930-1940 ?<br />

- Je n'ai aucune idée de ça. A ce moment-là, je m'occupais<br />

Form& Dakar en quatre ans (voir "<strong>Si</strong> L"..." tome I, dialogue 1173).<br />

A l'entí-ée de l'avenue du 24-Janvier en venant du quartier administratif.<br />

178


uniquement de la boutique. Moi, je travaillais dans la boutique avec plus de<br />

20 à 30 personnes : il y a des déballeurs qui font le déballage, qui envoient à<br />

l'expédition ; il y a des manoeuvres, il y a des sous-boutiquiers, il y a tout<br />

ça ... Mais aux bureaux, je ne sais pas combien ils étaient.<br />

- Q - Et qu'est-ce que la CFAO vendait ?<br />

- Ah, la FAO vend presque tout, tout, tout ! Tout ce qu'on peut<br />

vendre dans une boutique ... Nous vendions la droguerie (c'est-à-dire la<br />

pharmacie), là sucrerie, toutes les marchandises ... A part les tissus, on vend<br />

tout !<br />

- Q - C'est donc vous qui vendiez les médicaments Ci l'époque<br />

où ils n'y avait pas encore de pharmacies privées ?<br />

- Ah oui, on vend l'aspirine, de petits trucs comme ça, de la<br />

droguerie, des médicaments pour les pansements ...<br />

- Q - La pharmacie Loritel n'existait pas encore ?<br />

- Non, non ! Lorne est venue remplacer la pharmacie des Américains<br />

qui apportaient des médicaments2.<br />

- Q - Ah ? Ce sont des Américains qui ont commeiicé ?<br />

- La pharmacie, oui, là où se trouvait Lorne.<br />

- Q - A lamaison Kingsway3 ?<br />

- Kingsway, oui. C'est un Américain qui avait créé la pharmacie<br />

dans une petite maison là-bas, après Kingsway. Il paraît qu'on a fait sortir la<br />

loi comme quoi il n'avait pas de licence française, qu'il ne pouvait pas<br />

vendre ... I1 a fallu qu'il liquide toutes ses marchandises 21 Lorne. C'est ce que<br />

Lorne a acheté : ce n'est pas Lorne qui a créé. Ce n'est pas un Français qui a<br />

créé la pharmacie au Togo premièrement, c'est un Américain.<br />

- Q - Est-ce que les agents de la CFAO avaient une amicale,<br />

ou un syndicat ?<br />

- Nous avions des associations amicales entre nous dans la maison ;<br />

on se réunissait pour discuter entre nous. Mais, à ce moment-là, nous<br />

luttions pour le syndicalisme. Parce qu'il n'y avait pas de syndicats au Togo<br />

en gCnéral : ce n'était pas à la FAO seule. Les maisons de commerce<br />

'Voir ci-dessous, dialogue n" 15.<br />

Avec le retour de I'AOF dans la guerre, en 19434.<br />

Voir Trésors cuchés du viem Lorné, pages 63 ?i 65, et ci-dessous dialogue 11'15.<br />

179


n'avaient pas de syndicat1.<br />

- Q - Naturellement, Ci cette époque, pas de sécurité sociale<br />

non plus ?<br />

- Ah non, non ! Noùs n'avions pas ça ! C'est ça que je dis, moi : si<br />

cette guerre de 1939 n'avait pas éclaté, je pense qu'on n'aurait pas tout ça<br />

aujourd'hui ! Nous serions toujours comme ça, parce que avant, les<br />

Européens exploitaient les gens.<br />

- Q - Quelles. étaient les principales compagnies concurrentes<br />

de la CFAO au cours des années 1930 ?<br />

- UAC, GB-Ollivant, Millers, toutes ces boutiques ... Nous sommes<br />

tous des concurrents de l'un et de l'autre, On se renseignait des prix des autres<br />

maisons pour pouvoir vendre. <strong>Si</strong> vous avez des marchandises qui ne se<br />

vendent pas, vous devez envoyer quelqu'un à titre individuel pour aller se<br />

renseigner, pour savoir exactement combien ils vendent les mêmes<br />

marchandises, pour pouvoir vendre les vôtres ... Vous voyez ? C'est ça qui se<br />

faisait ...<br />

- Q - Quelle était la maison la plus florissante -?<br />

- La UAC.<br />

- Q - Vous nous avez dit que c'était la CFAO qui payait le<br />

mieux ses employés, mais certains disent que c'était la UAC.<br />

- En ce temps-là, la UAC payait mieux les cadres que les<br />

subalternes. Moi, j'étais un subalterne : j'ai été engagé comme sous-<br />

boutiquier, je n'étais pas cadre à ce moment-là.<br />

- Q - Il est resté une expression populaire Ci propos du travail<br />

pénible h la CFAO : "Ekpo do le FAOtf2.<br />

- "Ekpo do le FAO" ? Non, on disait plutôt "Egu WO da méyi<br />

FAOtr3, on disait ça. Vous connaissez Egou, le fétiche d'Agoué4 ? Un jour,<br />

le Blanc que j'ai remplacé, Monsieur Doyen, montait à cheval à la place de la<br />

Libération. Egou5 aussi venait par l'autre côté. Quand Egou venait, on<br />

empêchait les gens de l'approcher : ils devaient lui céder la place. Mais le<br />

Blanc, quand il est arrivé, il passe ; les gens ne veulent pas céder, mais il<br />

~~<br />

11s ne seront autorisés dans les colonies qu'aprhs la Seconde guerre mondiale.<br />

Litt6rrJement : "Tu as travaillé à la CFAO", sous-entendu : "Et tu y travailles encore", au<br />

sens :"Tu es engagé dans une routine, tu fais toujours la chose".<br />

(Le dieu) "Gou ne va pas àla CFAO", saus-entendu : sa puissance a des limites.<br />

Gou ou Egou, dieu de la guerre et de la forge, l'une des divinités les plus redoutées du<br />

panth6on-uaudou.<br />

C'est-Mire le corthge de ses adeptes.<br />

180<br />

h


passe. Les féticheurs viennent nombreux, et il y a beaucoup de gens qui<br />

écartent la foule. Quand le Blanc est ah-ivé là-bas, on a crié sur lui de<br />

retourner, mais il ne veut pas. Alors il frappe son cheval d'un coup de bâton,<br />

et il marche sur eux, et les Egou se dispersent ... C'est pour ça que les gens<br />

disent que "Egu WO da meyi FAO"<br />

- Q - Le Blanc de FAO a été plus fort que.Egou ...<br />

(rires) - Je ne sais pas! (rire) "Egu WO da meyì FAO I'...<br />

- Q - Et qu'est-ce qui est arrivé au Blanc après ?<br />

- On ne lui a rien fait, on ne lui a rien reproché. Les adeptes n'ont<br />

pas voulu aller à la FAO pour réclamer un petit quelque chose à l'Européen1.<br />

Alors, c'est pour ça qulon dit "Egu WO da meyi FAO" ...<br />

- Q - Est-ce que VOUS n'aviez pas eu peur pour ce Blanc, que<br />

Egou lui fasse du mal ?<br />

- Oh moi, je n'ai pas eu peur du tout, parce que_je ne suis pas<br />

partisan de ces choses-là. Je sais que, après, ça ne lui a rien fait. Il est resté<br />

jusqu'à son départ du Togo.<br />

- Q - La CFAO faisait aussi du pain à l'époque, paraît-il ?<br />

- La FAO faisait du pain. Avant qu'elle le fasse, c'est le<br />

gouvernement qui le faisait, à la prison2. Après, c'est la FAO qui a pris ça.<br />

- Q - En quelle année ?<br />

- Je ne me rappelle pas ... Mais c'est moi qui dirigeais le pain de la<br />

CFAO. Quand la FAO a pris le pain, j'ai engagé un boulanger, un Haoussa,<br />

pour le faire. C'est moi qui donnais la farine. En ce-temps là, je n'étais pas<br />

encore gérant ; j'étais toujours sous-boutiquier.<br />

- Q - Vous êtes devenu gérant en 1932-33, donc la CFAO a<br />

commencé à fabriquer le pain vers 1930 ?<br />

- C'est cette gérance de pain qu'on m'avait confiée qui m'a donné la<br />

chance de devenir gérant de la CFAO.<br />

- Q - Quel pqìn fabriquiez-vous ?<br />

- Le pain-baguette, avec du sel3. C'est moi qui donnais la farine. Le<br />

Comme indemnisation pour son sacrilège.<br />

Avec le travail des prisonniers de Ia prison civile.<br />

On trouvait déjà du pain sucré, à l'anglaise.<br />

181


matin, je suis là pour distribuer le pain à ceux qui vont le vendre dans la<br />

ville. Dans la boutique, on servait les Européens, qui avaient des carnets da<br />

bons pour le pain. C'est moi qui était chargé de les servir, voyez-vous ?<br />

Alors les gens croyaient que c'est moi qui vendait. Même le dimanche matin,<br />

je vais à la FAO pour servir les carnets de bons de ceux qui viennent prendre<br />

le pain. Après, je vends'lereste. Le soir, je vais donner la farine.<br />

- Q - Qu'est-ce que c'était exactement, ces "carnets de bons'' ?<br />

- Presque tous les Européens achetaient avec des bons, pour l'achat<br />

des marchandises diverses aussi, les boissons, tout ça ... Ils ne venaient<br />

jamais avec de l'argent pour payer. On leur donnait des carnets de bons que je<br />

servais, pour toutes les marchandises qu'ils peuvent prendre. Les Européens,<br />

eux, ils n'achetaient jamais avec l'argent liquide.<br />

- Q - Et les Togolais, aimaient4 déjà ce "pain-baguette" ?<br />

- Le pain FAO ? Oh oui, on s'y intéressait beaucoup. Parce que les<br />

femmes faisaient le pain sucré. C'est la FAO qui faisait les baguettes au sel.<br />

- Q - Combien coûtait une baguette Ci l'époque ?<br />

- Oh ... ? 1 franc, ou bien 50 centimes ...<br />

- Q - @and vous avez quitté la CFAO, en 1948; pour monter<br />

vos affaires personnelles, n 'avez-vous pas été tenté d'avoir<br />

aussi votre four pour continuer h fabriquer et h vendre du<br />

pain ?<br />

- Quand j'ai quitté, la FAO ne faisait plus de pain. Non, je n'ai pas<br />

pensé à le faire. Maintenant, ça fait de l'argent aux boulangers. <strong>Si</strong> j'avais su,<br />

j'aurais dû faire ça ... Mais je ne savais pas ... Je me suis accroché aux<br />

marchandises.. .<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Vous avez eu très tôt une automobile, paraît-il ?<br />

- J'ai commencé à conduire en 1936. J'avais une Bush Star, que<br />

j'avais achetée à Accra. C'était en monnaie anglaise : 100 livres, 150 livres,<br />

quelque chose comme ça ...<br />

- Q - Combien étiez-vous de Togolais Ci avoir une voiture au<br />

cours de ces années 1930 ?<br />

- Je ne sais pas ... (silence) <strong>Si</strong>, il y avait des gens qui avaient des<br />

182


voitures ... Je sais que Monsieur Occanseyl avait une voiture Fiat. Moi, j'ai<br />

eu mon permis en 1940, le 10 juin 1940.<br />

- Q - Quel genre d'épreuves avez-vous passées ?<br />

- Pour avoir le permis, on nous a fait monter le plateau<br />

d'Atakpamé2. Maintenant, on fait l'école de code. Pourtant les gens ne<br />

respectent pas le code ... Nous qui n'avons pas fait ça, nous respectons le code<br />

mieux qu'eux ! (rire)<br />

- Q - A 83 ans, est-ce que vous conduisez encore ?<br />

- Ah, si mes enfants ne me l'avaient pas refusé ... Ce sont mes<br />

enfants qui me disent de ne plus conduire. Je ne peux plus sortir, je ne peux<br />

plus marcher comme avant ... (soupir)<br />

- Q - Quelle était votre distractioii favorite quand vous étiez<br />

jeune ?<br />

- Moi, c'est la danse que je pratiquais. J'étais même directeur général<br />

de la danse, ici, à Lomé. J'étais président de notre club, "Rénovation". Je ne<br />

faisais que la danse. Je n'allais pas au cinéma.<br />

- Q - OÙ vous entraîniez-vous ?<br />

- On s'entraînait à Tonyéviadji. Des fois, on louait des maisons ...<br />

On en avait aussi construit une du côté de Gbényédjikopé 3...<br />

- Q - Quels ont été les promoteurs de la danse h Lomé ?<br />

- Ça avait été créé avant que j'y adhère. On dansait d6jà depuis<br />

longtemps avant nous.<br />

- Q - Place de la Libération, il y avait les séances de danses<br />

du "Kété-club". Est-ce que vous y assistiez aussi ?<br />

- C'est nous qui organisions ça ! On organisait ça à Tonyéviadji ou<br />

à la place de la Libération.<br />

- Q - Vous avez aussi fait de la politique : vous avez été<br />

député4, vous avez été membre du conseil municipal de<br />

Lomé. ..<br />

'Ludwig Occansey, membre du conseil des notables de Lomé entre les deux guerres<br />

mondiales.<br />

De Tokoin, par la route d'Atakpamé. Voir ci-dessus, dialogue no 3.<br />

Dans les cocoteraies de Venance Gbényédji, entre Bè et le port actuel.<br />

Dtputé de Notsé de 1958 ?i 1963.<br />

183


- Oui, j'ai été membre du conseil municipal, en 1952, au temps<br />

colonial.<br />

- Q - Qui le présidait ?<br />

. - C'était un Européen, Monsieur Mermetl, qui était notre président.<br />

Pendant la guerre, il était coìnmandant du cercle de Lomé, Tsévié et Anécho.<br />

- Q - Où se tenaient les séances du conseil municipal ?<br />

- Au Ministère de la Justice2.<br />

- Q - Et l'administrateur Fréau3 ? L'avez-vous connu ?<br />

- Très, très bien ! C'était un homme court, là, très court ! Je le<br />

connaissais bien. C'est lui qui s'occupait de la ville. Le petit kiosque que<br />

vous avez là4, c'est lui qui a fait ça. On allait faire les fanfares là-bas, pour<br />

les jeunes, de temps en temps ... C'est pourquoi on dit "FrCau-Jardin" : c'est<br />

lui qui l'a fait. Avant c'était une place publique oh on pesait les palmistes,<br />

tout ça, avant qu'on ne la transforme en terrain de tennis5.<br />

- Q - Et, en face, l'école Boubacar existait-elle déjà ?<br />

- Ah, non ! I1 n'y avait qu'un poste de police, là-bas. C'est après,<br />

très longtemps après, qu'on a construit l'école6.<br />

- Q - Et c'est plus tard aussi qu'on a créé le commissariat du<br />

ler arrondissement ?<br />

- C'est tout récemment, ça ! C.'est après l'Indépendance qu'on a fait le<br />

Ier arrondissement. Dans le temps, il n'y avait que le poste de police, là-bas.<br />

Puis on a construit l'école Boubacar. Je connaissais très bien Monsieur<br />

Boubacar. Moi, j'étais au coin de la maison de la "Police stationfr là-bas, en<br />

face ...<br />

Philippe Mermet, administrateur-maire de Lomé de décembre 1952 à décembre 1954,<br />

souvent rencontr6 dans ces souvenirs.<br />

Alors mairie et cercle de Lomé (depuis 1934).<br />

Nommé administrateur-maire de Lomé pendant les journées d'émeute de janvier 1933,<br />

jusqu'en mars 1935. I1 a beaucoup fait pour la ville de Lomé. I1 était effectivement de trks<br />

petite taille.<br />

A côt6 du Centre culturel français.<br />

Les Allemands avaient prévu d'installer là un nouveau grand-marché. Seul le commerce des<br />

noix de palme s'y était installé. En 1934, Henri Fréau en aménagea la partie est en jardin<br />

(avec le kiosque à musique), la partie ouest en terrains de tennis (voir ci-dessous, dialogue<br />

n" 14).<br />

A peu pds en face du CCF.<br />

184


no 11<br />

LES TECHNIQUES DE LA CONSTRUCTION<br />

avec<br />

M. Ambroise ADJAMAGBO<br />

(né en 1954 à Niamtougou, préfecture du Doufelgou)<br />

architecte,<br />

chargé de cours à I'EAMAUl<br />

Nous revenons aux problèmes de la construction à<br />

Lomé avec M. Adjamagbo, jeune architecte formé longuement<br />

en Union soviétique, puis en France, de retour au Togo depuis<br />

1984. M. Adjamagbo est un architecte pas tout Ci fait comme<br />

les autres, puisqu'il ne s'occupe pas spécialement de gratte-<br />

ciel, il ne cherche pas à couler du béton armé. Ce qui<br />

l'intéresse, c'est un habitat populaire rénové iì partir de<br />

l'architecture de terre, avec le Groupe de recherche et<br />

d'application pour l'habitat social, le "GRAHS" : des gens<br />

qui, comme lui, essayent de repenser un habitat qui suit iì la<br />

fois d'aujourd'hui et en harmonie avec le passé. Il ne se<br />

contente pas de faire des recherches, mais aussi des<br />

applications dont nous parlerons dans un instant.<br />

- Q - M. Adjamagbo, pourquoi cet intéri% pour l'architecture<br />

de tirre ?<br />

- Construire en terre, ce n'est pas seulement une volonté culturelle<br />

de retour aux sources. C'est aussi, et surtout, une nécessité face à la crise<br />

actuelle. La terre n'est pas un matériau nouveau : c'est le plus ancien des<br />

matériaux de construction ! La tour de Babel à Babylone, la grande muraille<br />

de Chine -entre autres- sont des architectures de terre. Plus près de nous,<br />

l'architecture traditionnelle africaine (les cases tamberma, par exemple) milite<br />

en faveur de cette architecture de terre. Aujourd'hui, face à la crise du<br />

logement, les populations à faibles revenus du Tiers-monde n'ont pas d'autres<br />

choix que de se tourner vers des solutions abordables pour leurs maigres<br />

ressources. Dans la gamme des matériaux locaux de construction, la terre<br />

stabilisée apparaît avant tout comme le matériau d'avenir, pourvu qu'on sache<br />

en maîtriser la technologie. Car, pour beaucoup, construire en terre, c'est<br />

prendre le risque de voir sa maison démolie après chaque saison de pluie. La<br />

École africaine des M6tiers de l'Architecture et de l'urbanisme.<br />

185


terre apparaît a priori comme le matériau du village, qui ne devrait pas avoir<br />

droit de cité en ville, parce que trop sensible aux aléas climatiques.<br />

.<br />

- Q - Mais l'architecture d'autrefois Ci Lomé résistait Ci ces<br />

aléas climatiques ...<br />

- Nous connaissons dans Lomé des maisons centenaires ! Avant<br />

d'aller plus loin dans cette technologie de la terre, nous devrons faire le point<br />

sur le mode de production du logement à Lomé par rapport à<br />

l'environnement.<br />

- Q - Quel était donc cet environnement ?<br />

- Cet environnement, c'était avant tout la cocoteraie. Les cartes<br />

anciennes montrent la ville ceinturée de cocoteraies depuis Kodjoviakopé<br />

jusqu'aux cocoteraies qui ont laissé leur nom aux quartiers actuels<br />

(notamment Souza Nétimél, Anthony Nétimé et autres). Bien sûr, cette<br />

cocoteraie, à l'époque, n'avait pas une vocation de matériaux de construction :<br />

c'était tout simplement une production agricole destinée à l'exportation, à la<br />

production du coprah.<br />

- Q - On voit bien que les palmes donnent effectivement, en<br />

les tressant, un matériau de construction. Mais quel rapport<br />

avec .l'architecture de terre ?<br />

- I1 convient de signaler au passage, avant de répondre à votre<br />

question, que ce commerce du coprah était si important que la premikre ligne<br />

de chemin de fer, Lomé-Aného2, était baptisée en fait la "ligne du coprah".<br />

Quel rapport entre la palmeraie et les constructions en terre ? Nous y<br />

arrivons. Le logement précaire, à l'époque, était construit en matériau<br />

végétal, en branchages. Les villages d'autrefois -Kodjoviakopé par exemple,<br />

village de pêcheurs- avaient une forte dominance de maisons en végétal, à<br />

partir des branches de cocotiers. Donc, le cocotier, dans un premier temps, a<br />

offert ses palmes pour la construction de maisons. Ensuite, la terre de barre<br />

existaient à Lomé, notamment les maisons en "adobe", c'est-à-dire en briques<br />

de terre.<br />

- Q - Pouvez-vous nous préciser ce que c'est exactement que<br />

l'adobe ?<br />

- C'est un mot espagnol, qui signifie la brique de terre séchée.<br />

L'adobe est.fabriquée à partir de la terre. On malaxe la terre, à laquelle on<br />

Né : noix, ti : arbre, néti : cocotier, -mé : dans, chez, panni...<br />

Cdnstruite en 1904-05.<br />

186


ajoute quelques déments, notamment de la paille hachée, pour la stabiliser et<br />

améliorer sa résistance. Ces briques étaient séchées au soleil. Une fois<br />

sèches, elles étaient utilisées telles quelles dans la construction. Nous avons<br />

à Lomé un quartier qui s'appelle Adoboukomé', hérité de ce vocable d'adobe.<br />

- Q - Ces briques avaient-elles la taille de nos briques<br />

actuelles ou étaient-elles beaucoup plus grosses ?<br />

- Non, elles étaient plus petites. De la même taille, en fait, que les<br />

briques cuites de 1'6poque, mais beaucoup plus petites que les "agglo" de<br />

ciments d'aujourd'hui.<br />

- Q - Donc ça n'a rien à voir avec la construction paysanne<br />

qui consiste b couler des blocs de près d'un mètre de longueur<br />

en argile, que l'on laisse sécher avant de poser le suivant au<br />

dessus ?<br />

- Non, non ! Là, nous abordons une autre technique, celle du pisé,<br />

ou de la terre petrie, que les paysans, maîtrisent très bien au Togo (et partout<br />

en Afrique), qui consiste donc à malaxer la terre et à la poser en couches<br />

successives. Ceci n'a rien à voir, en fait, avec la technique qui consiste, elle,<br />

à fabriquer des briques, mais beaucoup plus petites que celles qu'on utilise<br />

aujourd'hui.<br />

- Q - La technique de la terre pétrie ne se trouve plus nulle<br />

part à Lomé ?<br />

- La technique de la terre pétrie ? <strong>Si</strong>, on la trouve à Lomé, mais, en<br />

fait, dans la périphérie d'aujourd'hui : périphérie qui était un espace rural<br />

autrefois.<br />

- Q - Et la brique cuite ?<br />

- C'est la cocoteraie de Lomé, à travers la coque de noix de coco<br />

(qu'on appelle "neto"), qui a permis la cuisson de ces briques, qui a permis de<br />

produire à une très grande échelle la brique cuite à Lomé.<br />

- Q - Il semble que la brique cuite a été employée dans<br />

la construction à Lomé dès les années 18902, c'est-à-dire très<br />

' Entre l'ancien zongo et l'église St-Augustin d'Amoutivé.<br />

C'est Octaviano Olympio qui monta la première (et très rentable) briqueterie, avec de l'argile<br />

extraite du plateau de terre de barre sous l'actuel CHU, que l'on faisait cuire avec les résidus<br />

de sa cocoteraie d'octaviano Nétimé. I1 approvisionna ainsi pratiquement tous les chantiers de<br />

l'Administration et des missions. (Pour la construction de la cathédrale, il foumit Ies briques<br />

gratuitement.)<br />

187


précocement. Mais a-t-on utilisé simultanément l'adobe et la<br />

brique cuite ? (Et dans quelles proportions ?)<br />

Peut-on penser que c'étaient les couches les plus<br />

fortunées qui utilisaient la brique cuite et les couches plus<br />

pauvres l'adobe, ou y avait-il autres critères de choix ?<br />

- Forcément, la brique cuite coûtait un peu plus cher que l'adobe, qui<br />

est une brique simplement séchCe au soleil. Donc cette consommation<br />

énergétique faisait forcément la différence. Mais ce qu'il faut remarquer, c'est<br />

que ce "neto", à l'époque, la coque de noix de coco, était un combustible, en<br />

fait, pour tous les foyers de Lomé. Ces briques étaient cuites dans les<br />

carrières, qu'on trouvait au pied de la colline de Tokoin, depuis la frontière du<br />

Ghana jusqu'au quartier Adakpamé, au delà de l'aéroport.<br />

Jusque dans les années 1965-70, il y avait encore des briquetiers qui<br />

exerçaient leur fonction,dans ces carrières, qui ont été aujourd'hui remblayées<br />

pour la plupart et aménagées en espaces verts pour la ville.<br />

- Q - Donc la cocoteraie ayant été remplacée par les quartiers<br />

de la ville,' il n'y avait plus ce combustible pratiquement<br />

gratuit qui permettait de cuire les briques Ci un prix<br />

rais on it ab 1 e. . .<br />

- Voilà ! C'est avec la disparition de la cocoteraie que l'activité des<br />

briquetiers s'est estompée dans la ville de Lomé.<br />

- Q - Et les magons sont donc passés de la brique de terre aux<br />

parpaings. de ciment. Pensez-vous que la .transition a été<br />

facile ?<br />

- Oh ... oui. Ça s'est fait facilement !<br />

- Q - Dans cette progression extrêmement rapide, dans cette<br />

victoire spectacu[aire du parpaing sur l'adobe, n'y avait-il pas<br />

aussi des phénomènes de mode ? Le parpaing de ciment<br />

n'était-il pas synonyme de modernité ? Et aussi -Ci tort ou à<br />

ráison (nous demandons son avis technique à l'architecte)-<br />

synonyme de confort ?<br />

- Modernité ? Sûrement, ! Confort ? J'en doute beaucoup !<br />

Modernité, parce qu'il y a une transition qui s'opère de la migration de<br />

l'espace rural vers la ville. On fait peau neuve. On veut donc construire en<br />

dur, et non plus en terre. Le ciment reste avant t0u.t synonyme de réussite.<br />

188


Mais ce n'est pas un gain face aux problèmes du confort thermique de la<br />

maison.<br />

- Q - C'est-à-dire au problème de la chaleur ...<br />

- Oui, de la chaleur. La maison en terre a une propriété d'isolation<br />

thermique que n'a pas la brique en parpaing de ciment. La couverture en paille<br />

aussi permettait, par rapport à la tôle ondulée, de couper le rayonnement<br />

solaire, et donc d'améliorer ce confort thermique à l'intérieur de la pièce. Mais<br />

le problème qui se pose à la construction en terre en général (et ceci est très<br />

net dans les villages), c'est que, à chaque saison des pluies, il faut reprendre<br />

sa maison, la remettre à neuf (en partie au moins).<br />

Dans le cadre rural ancien, ceci faisait partie d'un rythme de vie où<br />

alternaient la saison pluvieuse pour les cultures et la saison sèche pour<br />

d'autres activités, comme la pêche et comme, précisément, la réfection de sa<br />

maison. Mais ce rythme, que je dirais naturel, pose aujourd'hui un problème<br />

à la ville, où l'on ne peut pas se permettre de vivre avec le soleil, avec la<br />

nature. On a d'autres contraintes, qui font qu'on a besoin d'une maison<br />

presque pour toujours. Donc tout naturellement, on s'est tourné vers le<br />

parpaing. Le ciment est maintenant produit sur place, mais, dans un premier<br />

temps, il a fallu l'importer. I1 y a eu une bousculade de modes de vie, de<br />

modes de production ... Aujourd'hui, force est de reconnaître que le ciment est<br />

bien ancré dans les traditions, avant tout'parce que c'est du définitif par<br />

rapport à la terre.<br />

Mais la terre, on sait la construire pour qu'elle dure. Ça, c'est le<br />

principe de la "terre stabilisée", sa différence par rapport au banko qui, lui, a<br />

une durée de vie beaucoup plus courte.<br />

- Q - En fait, ce n'est pas du tout le retour pur et simple à la<br />

terre traditionnelle que vous préconisez ; c'est une terre<br />

nouvelle. Qu'est-ce exactement que la "terre stabilisée" ?<br />

- Une terre nouvelle, c'est beaucoup dire aussi ... La construction en<br />

terre est très ancienne, nous l'avons déjà soulignée. La mise en oeuvre de la<br />

terre, elle, est multiple. La terre stabilisée, c'est avant tout un produit qui a<br />

été réalisé à partir de la terre, mais par un processus physique ou physico-<br />

chimique qui a changé la nature de cette terre. On obtient désormais une<br />

brique de terre stabilisée qui n'a plus rien à voir avec la terre traditionnelle,<br />

soumise aux aléas climatiques. C'est en fait une brique qui a droit de cité<br />

parmi les matériaux de construction modernes, parce qu'elle offre toutes les<br />

garanties au niveau de la résistance par rapport au poids propre du bâtiment,<br />

au vent et autres charges qui pourraient s'exercer sur la maison.<br />

189


- Q - Comment fabrique-t-on la terre stabilisée ?<br />

- La fabrication de la terre stabilisée est simple. I1 faut d'abord une<br />

terre stabilisable, c'est-à-dire une terre offrant un créneau granulométrique<br />

acceptable, parce que,, quand nous disons "terre", nous avons à la fois de<br />

l'argile, du sable et aussi des gravillons ... I1 faut dire une juste proportion.<br />

- Q - Mais que fait-on subir h cette terre pour la stabiliser ?<br />

- Nous disions que la construction traditionnelle de la terre la pétrit,<br />

la sèche ou alors la cuit. Aujourd'hui, la brique de terre stabilisée exclut la<br />

cuisson, qui, vous le reconnaîtrez, est un fléau, à la longue, pour nos pays<br />

menacés par la déforestation. A la place de cette cuisson, on utilise désormais<br />

une compression mécanique, avec un mélange d'un peu de ciment (4 %, 6 %<br />

ou 10 %), qui fait de notre produit un produit durable, un produit moderne au<br />

niveau de toutes ses caractéristiques techniques.<br />

- Q - Donc vous économisez le problème de la cuisson, mais<br />

il faut quand même du travail humain pour faire le mélange<br />

entre le ciment et cette argile ?<br />

- Oui. Au lieu de consommer du bois (ou plutôt des coques de noix<br />

de coco) pour la cuisson, on "consomme" plutôt de la force musculaire pour<br />

compresser la brique et pour travailler la terre qui est stabilisable (c'est-à-dire<br />

offrant une certaine garantie dans ses éléments). Cette terre est tamisée, dans<br />

un premier temps, toujours dans le souci d'obtenir un meilleur créneau<br />

possible de stabilisation.<br />

Elle est ensuite mélangée à un peu de ciment, ou de la chaux. I1 y a,<br />

en fait, toute une gamme de stabilisants, mais les stabilisations courantes à<br />

Lomé, aujourd'hui, c'est avec le ciment et les déchets de chaux. On mélange<br />

avec un peu de ciment dans une proportion.de 4, 6 ou 10 %, et ensuite on<br />

comprime dans des presses qui sont soit fabriquées sur place par l'UPROMA1<br />

(ou d'autres industries de la place), ou alors avec des presses qu'on commande<br />

à l'extérieur.<br />

- Q - Ces expériences, je crois, sont issues du Centre de la<br />

construction et du logement de Caccavelli ?<br />

- Absolument ! Le Centre de la construction et du logement de<br />

Caccavelli est un organisme qui est en place depuis longtemps maintenant2<br />

et qui a pris sur lui la charge d'innover au niveau de cette technique de la<br />

Uqité de production de matériel agricole (société &État).<br />

Depuis 1972.<br />

190


construction en terre, et qui a réalisé une série d'expériences sur le sol<br />

national (et même en dehors du territoire). 11 a eu à réaliser des cités,<br />

notamment à Akoumapé, à AnéhoNessil et sur d'autres sites sur le territoire<br />

togolais.<br />

- Q - A Tabligbo aussi, par exemple, pour la cité de la mine<br />

L /<br />

de calcaire ...<br />

- Oui, à Tabligbo entre autres ... Donc le CCL reste l'ancêtre de<br />

l'intervention sur la terre stabilisée au Togo. Nous, au niveau du GRAHS,<br />

nous avons eu à réfléchir sur un certain nombre de problèmes qui se posent à<br />

la construction en terre dans nos milieux, à réfléchir surtout sur la<br />

couverture, à la possibilité d'une couverture en terre, ce qui est une gageure<br />

dans un milieu où l'hygrométrie tourne autour de 90 %.<br />

- Q - Vous ne faites pas que réfléchir. Vous construisez ...<br />

- Oui, oui, nous construisons ! Nous avons eu à réaliser un certain<br />

nombre d'ouvrages, qui sont des équipemeñts collectifs dans la zone de Bè.<br />

Nous avons eu surtout à réaliser des latrines publiques, des bornes-fontaines<br />

et des abris, toujours dans cette optique d'introduire la terre et d'essayer des<br />

principes de couvertures à partir de la terre stabilisée, et ceci sans précautions<br />

excessives en ce qui concerne l'étanchéité.<br />

- Q - Quand vous parlez de couverture, il ne s'agit<br />

évidemment pas de toits Ci deux pentes comme nous en avons<br />

l'habitude. Il s'agit de voûtes, de coupoles ...<br />

- Oui. Parce que, couvrir en terre, c'est avant tout respecter certains<br />

principes de cette terre. Le principe de base de la terre, c'est qu'elle est<br />

excellente en compression et nulle en traction. C'est-à-dire qu'on ne pourrait<br />

pas, par exemple, couvrir une maison en terre en mettant une dalle en beton<br />

armé,,,comme on en voit partout dans Lomé. La terre ne peut pas résister<br />

dans ces conditions-là. Donc il faut absolument passer par une forme arquée,<br />

donc des voûtes, des coupoles ...<br />

- Q - Mais, là, ce sont des formes auxquelles les gens d'ici ne<br />

sont pas habitués. A Bè, vous avez réalisé un abri composé<br />

ainsi, de deux coupoles, sous lesquelles on voit régulièrement<br />

des gens en train de se reposer. Quel- a été l'accueil des<br />

habitants de Bè ? N'ont-ils pas trouvé Ca complètement<br />

étranges, ces formes qu'ils n'avaient jamais vues ?<br />

' A l'ouest de la ville, quartier pilote construit pour loger le personnel de l'usine de phosphate<br />

de Kpémé.<br />

191


13 - L'abri de Bè-Hédjé.<br />

Photo Y. Marguerat.<br />

- Oui. 'Là, nous abordons le proolème de ,l'assise culturelle locale.<br />

C'est vrai que les dômes, les coupoles ne sont pas courants dans nos milieux,<br />

et beaucoup se sont interrogés quand nos premiers plans étaient prêts.<br />

Beaucoup de gens nous ont dit : "Ça fait très musulman ! Qu'est-ce que<br />

c'est ? C'est islamisant...". Mais c'est une question de temps. Un jour, quand'<br />

les gens seront habitués à cette forme d'architecture, et surtout quand on aura<br />

prouvé la possibilité de construire, d'offrir toutes les garanties techniques<br />

possibles avec un effet économique convaincant, eh bien, peut-être alors, par<br />

la force des choses, la toiture de terre en voûte ou en coupole s'imposera<br />

d'elle-même.<br />

- Q - Depuis un ou deux ans que vous avez fait cette<br />

réalisation, est-elle entrée dans les moeurs ? Pensez-vous que<br />

c'est devenu quelque chose de naturel à Bè ?<br />

- Pour les gens de BB ? Oui. Mais c'est encore un phénomène<br />

marginal, malheureusement.. .<br />

- Q - Sachant combien la construction est une question<br />

importante aux coeurs des Loméens, avez-vous déjà des gens<br />

qui ont construit des maisons avec les briques qrce vous<br />

fabriquez dans votre briqueterie de BB ? Et, du côté des prix,<br />

est-ce vraiment moins clter de construire une maison en<br />

briques de terre plutôt qu'en parpaings de ciment ?<br />

- Assurément ! I1 est beaucoup moins cher 'de construire sa maison'<br />

192


en briques de terre qu'en ciment ! Mais le problème aujourd'hui se pose avant<br />

tout au niveau de la disponibilité du matériau. Et aussi -et surtout- au niveau<br />

des maçons formés pour ce genre d'activité. Aujourd'hui, malheureusement,<br />

ils sont très peu nombreux, les maçons qui savent manier la terre stabilisée.<br />

En tant que tels -c'est de bonne guerre-, ils font un peu de la surenchère : ils<br />

s'estiment non pas des maçons comme on en rencontre partout, mais comme<br />

des spécialistes, qui réclament (pourquoi pas ?) des prix un peu plus élevés<br />

que la pratique normale ... Ce qui fait qu'il y a, pour une construction en terre<br />

stabilisée, un gain quant aux matériaux et un surcoût quant à la main-<br />

d'oeuvre.. .<br />

Quand même, dans l'ensemble, il est toujours moins cher de<br />

construire en terre stabilisée qu'en parpaings. I1 est raisonnable, en ces temps<br />

de crise, de tenir compte de ce facteur économique. Mais, forcément, si la<br />

terre ne fait pas ses preuves quant au gain sur la réalisation, eh bien, .ce sera<br />

un handicap certain ... (petit soupir)<br />

- Q - Pouvez-vous prédire que, d'ici .une. vingtaine d'années<br />

peut-être, Lomé va cì nouveau changer de couleur ? Après la<br />

ville ocre des origines et la ville grise d'aujourd'hui, nous<br />

aurons la ville rose, la ville de 'vos briques de terre<br />

stabilisée ?<br />

- Assurément ! (rire) Assurément ! Aussi longtemps que ce pari<br />

économique sera máintenu., Le pari de la construction, de la couverture en<br />

terre est plus qu'un pari, c'est une gageure. Construire sa maison en terre, les<br />

fondations en terre, les murs en terre, c'est déjà un progrès énorme, même si<br />

l'on emploie un autre matériau pour la couverture. Pas forcément la tôle<br />

ondulée, dont on connaît la malléabilité, mais aussi, malheureusement,<br />

l'inconfort thermique et le bruit en cas de pluie ! D'autres matériaux de<br />

couverture existent, qu'on peut chercher sur place, qu'on peut produire sur<br />

place. Notamment les tuiles en fibrociment, ou alors d'autres alternatives,<br />

qu'il conviendra de chercher ensemble, en sachant dès le départ que ce n'est<br />

pas gagné, que ce n'est pas donné tout seul. Mais à force de réfléchir, à force<br />

de vouloir, on peut arriver à une substitution de ces produits qu'on estime<br />

inadaptés, et à aller vers d'autres qui répondront mieux aux besoins<br />

climatiques du milieu, et qui résoudraient aussi, dans une certaine mesure, le<br />

problème économique de nos populations.<br />

- Q - Nous le souhaitons toas.<br />

- Bien sûr ...<br />

193


- 14 - Le inonde judiciaire de Lomé vers 1950.<br />

Sur les marches du palais de Justice (de gauche à droite) :<br />

le pracerrsur Haag, le gouverneur Cédile (au Togo de 1948 à 1950), le président du<br />

tribunal Laloum (derrikre lui : 2 gauche Me Gaëtan, à droite Me f.,iensol), un<br />

. magistrat non identifié, Me Viale.<br />

Clichd Alex Acolatsé, Archives nationales du Togo.<br />

B 94


no 12<br />

LES AVOCATS<br />

avec<br />

Me Kokou Joseph KOFFIGBH<br />

(né en 1948 à Kpélé-Dafo, préfecture du Kloto)<br />

avocat à la cour,<br />

à l'époque membre du conseil de l'ordre des avocats,<br />

bâtonnier de l'ordre des avocats de 1989 à 1991,<br />

Premier ministre du Togo de 1991 à 1994.<br />

- Q - Une catégorie professionnelle importante dont izolys<br />

n'avions pas encore parlé : les avocats.'l\rous sommes avec<br />

Maître Koffigoh, l'un des avocats les plus connus de la ville,<br />

membre du conseil de l'ordre des avocats : c'est ce demisr qui<br />

l'a mandaté pour nous parler de leur histoire.<br />

Maître Koffigoh, peut-être pourriez-vous d'abord<br />

éclairer nos auditeurs sur ce qu'est exactement un avocat,<br />

notamment sur ce qui le distingue des autres professions<br />

juridiques : ..les- notaires, les avoués, les magistrats ... ?<br />

- Oui, l'avocat est un professionnel du Droit, mais ce qui le<br />

distingue des autres professionnels du Droit, c'est que l'avocat est quelqu'un<br />

qui a fait au minimum sa maitrise en droit, ou la licence que nous appelons<br />

"licence ancienne formule'' (c'est-à-dire celle qui était faite en quatre ans) et<br />

qui, à la suite d'une préparation qu'on appelle le stage -effectué auprès d'un<br />

confrère ancien- a qualité pour conseiller, assister et représenter les parties en<br />

matière juridique et en matière judiciaire.<br />

- Q - Je crois que votre titre véritable est "avocat-défeiEseur" ?<br />

- C'est ça ! Dans les anciens textes, ceux qui regissent la profession<br />

d'avocats au Togo (et également dans les anciennes colonies françaises<br />

d'Afrique), on parlait d'avocats-défenseurs. Notre rôle, c'est d'être des<br />

conseillers juridiques. Mais nous somes surtout connus pour notre rôle de<br />

défenseurs de ceux qui comparaissent devant les tribunaux.<br />

- Q .. Car, mlme s'ils ont commia &es crimes les plus affreux,<br />

ils ont droit Ci I ~ R<br />

avocat. ..<br />

195


- Absolument ! C'est ce que veut la Loi. Et ce n'est pas seulement<br />

la Loi qui le veut, c'est le bon sens, parce que, même si le crime le plus<br />

affreux a été commis, le ciiminel a besoin d'être jugé. Cela signifie que le<br />

criminel a le droit de se défendre et, comme il est souvent difficile de se<br />

défendre tout seul, il a besoin d'un professionnel pour le conseiller et pour<br />

assurer sa défense. C'est à ce'tte condition que le jugement sera équitable.<br />

- Q - Vous avez dit que, entre autres rôles, vous servez aussi<br />

de conseiller, Pour qui et dans quels domaines précisément ?<br />

- Toute personne qui, dans sa vie quotidienne, ou bien dans sa vie<br />

professionnelle, ou dans n'importe quel domaine, éprouve des difficultés de<br />

caractère juridique peut recourir aux conseils d'un avocat. Et je dois vous dire<br />

que, au Togo, ici, les avocats donnent généralement leurs conseils<br />

gratuitement, surtout lorsqu'il s'agit d'un conseil verbal. Donc, dès qu'une<br />

personne a des difficultés qui peuvent présenter des aspects juridiques : la<br />

compréhension d'un texte de loi, ou des litiges de nature familiale, ou un<br />

conflit professionnel, ou des problèmes commerciaux, et autres ... eh bien,<br />

elle peut recourir à un avocat, qui est censé connaître la Loi et qui peut lui<br />

donner des conseils.<br />

- Q - Et vous êtes organisés en "ordre" ?<br />

- Oui.<br />

- Q - Comme, par exemple, les médecins ?<br />

- Exactement !<br />

- Q - Alors, comment fonctionne un ordre des avocats ?<br />

- L'ordre des avocats est en quelque sorte l'organe administratif de<br />

l'ensemble de la profession. Au Togo, la profession d'avocat fait partie des<br />

professions organisées (depuis 1980). Traditionnellement, dans de nombreux<br />

pays, c'est une profession organisée. Notre organisation s'appelle l'ordre des<br />

avocats, qui est administré par un conseil de l'ordre, àla tête duquel se trouve<br />

le "bâtonnier de l'ordre des avocats", assisté des membres du conseil de<br />

l'ordre.<br />

- Q - Le bâtonnier actuel est Maître Agboyibor, n'est-ce pas ?<br />

- Le bâtonnier actuel est Maître Ya0 Agboyibor, oui.<br />

-'Q Bien connu par sa présence d la t2te de la Commission<br />

-.<br />

196<br />

- .-<br />

~ _--


nationale des droits de l'Homme1 ?<br />

- Exactement.<br />

- Q - Quelles sont les attributions précises du bâtonnier?<br />

- C'est d'abord de gouverner l'ordre des avocats, d'administrer cette<br />

institution publique. Son attribution principale (que le bâtonnier partage avec<br />

' les membres du conseil), c'est d'assurer la discipline des avocats. Car c'est<br />

une profession qui est strictement réglementée, qui requiert une moralité très<br />

surveillée par la Loi et par les pouvoirs publics. C'est le conseil de l'ordre qui<br />

a pour mission justement d'assurer cet encadrement disciplinaire. Donc le<br />

conseil de l'ordre et, à sa tête, le bâtonnier assurent à la fois une fonction<br />

d'administration et une fonction disciplinaire.<br />

- Q - Mais que signvie exactement ce terme de "bâtonnier" ? .<br />

- Le terme de bâtonnier vient d'une traditjon frangaise ancienne.<br />

Celui qui administrait l'ordre détenait un bâton qui était le symbole de son<br />

pouvoir. Lorsqu'il yuittqit sa fonction, il transmettait ce bâton au nouveau<br />

''bâtonnier".<br />

'\<br />

- Q - Revenons, si vous le voulez bien, au cas du Togo.<br />

Combien êtes-vous d'avocats exerçant à Lomé ?<br />

-Actuellement, l'effectif est exactement de 60 avocats, stagiaires<br />

compris : 43 avocats inscrits au "grand tableau", et 17 stagiaires. On appelle<br />

avocats inscrits ceux qui ont déjà accompli leur stage, et qui sont titulaires de<br />

leur certificat de fin de stage. Les stagiaires, ce sont en quelque sorte les<br />

apprentis ... (petit rire)<br />

- Q - Y en a-t-il dans 'd'autres villes du Togo, ou seulement à<br />

Lomé ?<br />

- Notre rkglementation ne prévoit pas -pour l'instant- l'installation<br />

officielle d'avocats à l'intérieur du pays. Mais le règlement intérieur est sur le<br />

point d'être changé sur ce point.<br />

- Q - Donc, quand il y a un procès dans un tribunal- de<br />

l'intérieur, ce sont les avocats de Lomé qui font le<br />

déplacement - ? , .<br />

De 1987 à 1990.<br />

197<br />

I


- Oui, les avocats de Lomé font le déplacement, régulièrement. Les<br />

confrères se déplacent généralement une fois par mois pour aller apporter leur<br />

assistance juridique à l'intérieur du Togo.<br />

- Q - Donc 40 avocats en 1988. Combien étaient-ils à l'aube<br />

des Indépendances ?<br />

- A l'indépendance du Togo, en 1960, il y en avait trois.<br />

- Q - Qui était-ce ?<br />

- Me Santos, Me Viale, Me Liensol.<br />

- Q - Essayons de remonter encore plus haut. Pouvez-vous<br />

tenter de nous esquisser comment est apparue cette notion de<br />

défenseur au Togo, et quels ont été les tout premiers<br />

avocats ?<br />

- Ah ! J'ai oublié de dire tout à l'heure qu'il y avait également Me<br />

d'Alméida ! Donc il y en avait quatre1.<br />

- Q - A l'époque allemande, quelle était la situation ?<br />

.- A époque allemande, nous n'avons pas de souvenir de l'existence<br />

d'avocats. Les recherches que nous avons faites ne nous ont pas permis de<br />

découvrir qu'il y ait eu alors des avocats au Togo.<br />

- Q - D'après ce que j'ai trouvé, il y avait un juge, mais<br />

seulement pour les affaires entre Européens. C'était les<br />

commandants de cercle qui réglaient les problèmes des<br />

indigènes, souvent avec une certaine brutalité d'ailleurs ...<br />

- Tout récemment, j'ai eu à discuter avec un jeune chercheur<br />

allemands, Martin Klein, qui prépare une thèse de doctorat sur ce sujet. Il est<br />

venu à Lomé pendant plusieurs mois pour faire des recherches aux Archives<br />

sur la justice répressive pendant la période allemande. Il a aussi effectué un<br />

petit stage dans mon cabinet, et il m'a révélé comment fonctionnait cette<br />

justice à l'époque. I1 n'y avait pas d'avocats, et les punitions étaient surtout<br />

corporelles : c'étaient des coups de fouet2. J'ai posé la question de savoir si<br />

En 1965, selon l'annuaire officiel des PTT, ils sont six : Anani Santos, Barthtlémy d'Alméida,<br />

Max Liensol, Raymond Vide, Noé Kutuklui (qui se lancera dans la politique et partira en exil<br />

fin 1966) et Guy Kouassigan (qui bifurquera vers l'enseignement du Droit).<br />

En général au nombre de 25 (le dernier plus violent, "au nom de l'empereur" : "One for<br />

Kaiser !"). Les conditions de ce rude châtiment furent progressivement de plus en plus<br />

ttroitement réglementtes (avec, par exemple, la prtsence dun mtdecin - du moins à Lomé).<br />

198


ces punitions corporelles étaient prévues par le code pénal a11emand. lil<br />

m'avait dit que rien n'était prévu de tel en Allemagne. Le pouvoir de punir<br />

appartenait à l'empereur ; l'empereur déléguait ce pouvoir au chancelier, je<br />

crois ... (petit silence) Je ne sais pas s'il existait un "chancelier" B I'6proqnne ?<br />

- Q - C'était le titre du premier ministre de l'empire,<br />

- Exactement ! Et de délégation en délégation, ce pouvoir revenait en<br />

fin de compte au responsable du cercle . Donc, c'est en vertu de ce pomvoir<br />

délégué par l'empereur que les ch5timents corporels étaient inflig6s B ceux gui<br />

enfreignaient la Loi.<br />

- Q - Il n'y avait pas non plus de palais de justice, Cela se<br />

passait dans les bureaux du commandant de cercle (l'w~ctuekrlc<br />

école de la Marina). Avec l'arrivée des Franqais, est gaas4<br />

à un autre système juridique, fondé aaotamntewb suds Ka<br />

publicité des débats. Dom il faut désormais un lieil 5p&ct3qt4e<br />

pour rendre la justice. Ce sera d'abord le vieil k6td Kaimu4'm.f<br />

(¿i l'emnplaceïnent de la BTCI de la rue drr Conmaerw)<br />

servira de palais de justice, avant que l'on x?e COV~S~FU~SC !c<br />

beau palais du bord de mer, en 1926.<br />

Mais, selona vous, quaad apparaissent les gswm7?1Ze-~<br />

avocats au Togo ?<br />

-Justement ! Les premiers avocats sont apparus avec la c~l~ni~ntion<br />

française. I1 faut ajouter que, à l'époque, les tribunaux de Lor& dépendaknt dc<br />

la cour d'appel de Dakar, puisque il y avait déjà la grande f6dkraLbn dc<br />

l'Afrique occidentale française, dont la capitale se trouvait à Daka- Donc, IC<br />

début de justice -française ou francophone- qui existait à Lona6 i3 I'6poq~ic<br />

dépendait de la cour d'appel de Dakar. Les quelques avocats qui ont com~e'ilc~<br />

à s'installer ici (je pense à Me Viale, et aux autres) allaient p,mfois plaider h la<br />

cour d'appel de Dakar.<br />

- Q - Alors que, Ci l'époque allemande, la COUP d'appel &@it i<br />

Buea, au Caineroun.<br />

- Effectivement !<br />

- Q - D'après les documents, il semble que le lnvt ,m-"fer<br />

avocat installé ici s'appelait 3Wtre Vittini, di?? [qv psrmE~s<br />

1920. Que sait-or8 de lui ?<br />

- Pour l'instant, pas grand cbose ! Mais 811 niveau ?al w~~ei! Je<br />

199


l'ordre, nous avons décidé de faire des recherches pour savoir exactement qui<br />

était ce confrère Vittini, et de quoi il s'occupait. Les recherches nous<br />

conduisent à fouiller dans les archives du greffe du tribunal de Lomé, pour<br />

savoir, avec les anciens dossiers, quels genres d'affaires il traitait. Dès que<br />

nous aurons les résultats de ces recherches, nous vous en ferons part.<br />

- Q - Il a été notamment membre du conseil d'administration<br />

du territoire, et ensuite du conseil municipal de Lomé. C'est<br />

comme ça que je l'ai vu apparaître dans l'histoire du pays.<br />

- Oui.<br />

- Q - Maître Viale a donc 6th le deuxième avocat à venir<br />

s'installer au Togo ?<br />

- Oui ! Me Viale avait d'abord été un collaborateur de<br />

l'administration coloniale. Je l'ai connu personnellement, puisque, à mon<br />

retour au Togo, en 1976, après avoir terminé mon stage en France, j'ai<br />

travaillé pendant deux ans dans son cabinet. J'ai donc pu discuter avec lui, et<br />

il m'a révélé qu'il avait d'abord été administrateur colonial. C'est ainsi qu'il a<br />

servi à Lomé et à Mango, puis il a servi dans les douanes, pour enfin se<br />

laisser tenter par la profession d'avocat. Comme il avait une licence en droit,<br />

il a pu s'installer à Lomé en tant qu'avocat.<br />

- Q - Dès avant la deuxième guerre mondiale ?<br />

- Bien avant la deuxième guerre mondialel !<br />

- Q - Et c'est pendant cette guerre qu'il a fait construire le<br />

fameux "château Viale'l, au dessus de la ville de Kpalimé ...<br />

- Oui, il a construit son fameux château, qui est toujours là et qui<br />

s'appelait jusqu'à une date récente le "château Viale", que les gens continuent<br />

à appeler le "château Viale", mais qui a maintenant été racheté par l'État<br />

togolais, pour en faire une résidence officielle.<br />

- Q - En fait, plutôt qu'un château, c'est une grande maison de<br />

style proveqal. Lui-même était d'origine provençale, semble-<br />

t-il ...<br />

- Nous avons d'ailleurs fait visiter récemment le château Viale à la<br />

En novembre 1942, il eut de sérieuses difficultés avec le gouverneur vichyste pour avoir pris<br />

la défense de Sylvanus Olympio, arrêté (en même temps que six commerçants français) pour<br />

"agissements" en faveur des gaullistes et des Alliés, qui venaient de débarquer en Afrique du<br />

Nord. Mais Me Viale savait se défendre, et le vent de l'Histoire tournait rapidement.


délégation des avocats francophones, lors de la conférence internationale des<br />

barreaux qui s'est tenue à Lomé en 1987.<br />

- Q - Son cabinet, à l'époque oÙ vous l'avez connu, était-il<br />

toujours Ci son endroit d'origine ?<br />

- Toujours ...<br />

- Q - C'est-à-dire ... ?<br />

- Sur l'avenue du 24-Janvier1. C'est le bâtonnier Agboyibor qui a<br />

pris sa succession. .<br />

- Q - Parce que les cabinets d'avocats sont, en fait, quelque<br />

chose qui dure, qui peut se retransmettre d'avocat à avocat,<br />

comme ceux 'des médecins ?<br />

Non. Légalement, il n'y a pas de transmission d'un cabinet à un<br />

autre confrère, successeur officiellement désigné comme tel. Cette<br />

transmission se fait en fait parce que, pour être avocat, il faut avoir les<br />

qualifications nécessaires (c'est comme pour les pharmaciens, par exemple).<br />

Donc seul un avocat peut prendre la succession d'un cabinet. I1 n'y a pas de<br />

réglementation concernant cette transmission. Mais, dans la pratique, quand<br />

un jeune avocat a collaboré avec un aîné qui veut cesser ses fonctions, si le<br />

collaborateur veut continuer à s'occuper de la clientèle ... On entre alors dans<br />

le cadre d'une transmission, mais ça ne se fait pas comme la vente d'un fonds<br />

de commerce, par exemple.<br />

- Q - De quoi s'occupait surtout Me Viale, principal avocat de<br />

Lomé dans les années 1940-1950 ?<br />

- D'après les archives, les affaires dont les avocats s'occupaient à<br />

l'époque n'étaient pas très différentes de celles dont nous nous occupons<br />

maintenant, même si le contexte a changé. I1 y avait des affaires de terrains.<br />

Vous qui avez fait des recherches sur la ville de Lomé et sur les questions<br />

foncières, vous savez que Lomé s'est énormément développée et quels<br />

problèmes se sont posés lors de l'extension de la ville, d'où de nombreux<br />

litiges, qui finissaient peu ou prou au tribunal, et qui étaient traités par les<br />

avocats ... I1 y avait également des affaires commerciales, avec les anciens<br />

comptoirs : les marchandises qui étaient débarquées au port de Lomé et qui<br />

avaient subi des avaries (vous connaissez les conditions de débarquement de<br />

ces marchandises, avec les installations rudimentaires du wharf à l'époque). Il<br />

C'est un beau bâtiment construit dans les années 1926-27 par le commerçant français Paul<br />

Fauconnet., sur un terrain loué au pasteur Robert Bakta.<br />

20 1


y avait donc des problèmes de ce genre, les litiges maritimes ... I1 y avait les<br />

affaires commerciales proprement dites, entre fournisseur et client.. .I1 y<br />

avaient Bgalement les affaires pénales, les affaires criminelles ... Par contre, le<br />

contentieux des accidents n'était pas aussi développé que maintenant ...<br />

- Q - Faute de voïtures. ..<br />

- Oui, faute de voitures ! (rire) Mais, en revanche, il y avait les<br />

d&ts de droit commun, les coups et blessures volontaires, les crimes<br />

(quelques cas de crimes), des affaires politiques ...<br />

- Q - Et les affaires Sataailiales ? Y avait-il par exemple des<br />

jqpments de divorce ?<br />

- A l'époque, sauf dans les zones urbaines, les mariages étaient<br />

surtout des mariages traditionnels, et donc les divorces se faisaient devant les<br />

juges traditionnels : très peu venaient devant les juridictions de droit<br />

modeme.<br />

- Q - De mEme les querelles d'héritage ?<br />

- les héritages également. C'est progressivement, avec le<br />

dCve1oppement des zones urbaines, et aussi avec le développement de<br />

l'immatriculation foncière, que les successions, progressivement, ont<br />

commene6 à se régler devant les tribunaux.<br />

- Q - Il y a eu en mai 1933 un véritable procès politique, qui<br />

ss8 & peu près le seul de toute cette époque : celui des<br />

&nzeutiers de janvier 1933. Est-ce qu'on en a gardé la trace<br />

pami km avocats aujourd'hui ? .<br />

- Parmi les avocat, non ! Mais j'ai personnellement cherché à savoir<br />

ce qui s'est passé à l'époque. Vous le trouverez dans un ouvrage écrit par un<br />

Togolais : Le gouvemeur Bonnecarrère au Togol.<br />

- Q = Par le professeur Gbédéma, avec Mme <strong>Si</strong>livi<br />

d QAlm'Egìda<br />

...<br />

- Oui. JJ y a tout un chapitre consacré 8 ce fameux procès. C'était un<br />

proch politique : c'était la révolte de la population de Lomé, à la suite de la<br />

condamnation de deux Togolais, messieurs Garthey et Johnson. La révolte a<br />

LO^, Nouvelles hitions Africaines, 1982, 128 pages. Est paru depuis (beaucoup plus<br />

d6taiM) da,Mme S. d'Alméida : LQ Révolte des Loméennes (24-25 janvier 1933), Lomé,<br />

I~~o~~ve~las Editi~ns Africaines-Togo, 1992, 166 pages (on trouvera le rkcit du proces des<br />

&QWO paps 99-107).<br />

202


-<br />

pris les allures d'une manifestation jusqu'aux jardins du gouverneur. Les gens<br />

ont saccagé les jardins, insulté les autorités publiques ... Évidement, tout cela<br />

s'est terminé au tribunal par des condamnations, mais très, très symboliques.<br />

Malgr6 l'ampleur dela manifestation, ce qui me frappe dans ce.procès, c'est<br />

que, justement, les condamnations n'ont été que symboliques1.<br />

- Q - En fait, c'était bien un procès politique et nora pas<br />

vraiment pénal.<br />

- Tout à fait !<br />

- Q - On a jugé les gens officiellement selon le droit civil, et<br />

on les a condamnés à des peines légères de manière à atthiuer<br />

la. tension dans la population. C'est-à-dire que ce sont des<br />

critères non juridiques qui ont amené cette décision.<br />

- Oui, c'est exact.<br />

- Q - Heureusement, d'ailleurs, pour ceux qui en ont<br />

bénéficié ...<br />

- Oui ! (rires)<br />

- Q - 'Venons-en maintenant à la période qui s'ouvre avec la<br />

fin de la Deuxième guerre mondiale et l'apparition d'avocats<br />

citoyens togolais. Quel a été le tout premier ?<br />

- Le tout premier, c'est Maître Anani Santos2, qui est mort,<br />

malheureusement, il y'a deux ans.<br />

- Q - Il avait été de la toute première génération des Togolais<br />

partis passer le baccalauréat en France, en 1931, avec le<br />

docteur Akakpo, le docteur Ajavon et Nicolas Grunitzky. Lui<br />

avait choisi .l'orientation juridique. En quelle année est-il<br />

revenu s'installer au Togo ?<br />

- Me Santos s'est installé ici en 1947.<br />

Sauf pour les deux accuses principaux, jugés par contumace, les sanctions n'étaient que des<br />

amendes modestes (de 25 à 100 francs pour la plupart), et quelques peines de prison<br />

couvertes par la periode de detention provisoire).<br />

1912-1986. Docteur en droit en 1943, delegue du CUT aux Nations-Unies en 1954 et 1957,<br />

leader du parti Juvento, diu d6put6 en 1958, ministre de la Justice de mai 1958 àjuin 1959,<br />

emprisonne de 1961 à 1963. Durement marqué par les sévices subis en prison, il ne reprit<br />

jamais d'activites politiques. Son cabinet etait installe dans le bâtiment (contemporain de la<br />

Premi&re guerre mondiale ?) qui abrite actuellement le restaurant "Gattobar", avenue du 24-<br />

Janvier.


- Q On dit qu'il a fait sa notoriété en défendant en France<br />

les rntdrgés malgaches1, ce qui, évidemment, l'avait fait<br />

extrêmement mal voir des milieux colonialistes2 ?<br />

- Oui, c'est exact. I1 avait défendu ces insurgés malgaches. Mais, au<br />

Togo, Me Santos est surtout connu à la fois comme ayant été un brillant<br />

avocat, mais également comme très actif sur le plan politique pendant la<br />

période qui a précédé l'Indépendance. Il était militant de la "Juvento", un parti<br />

politique de l'époque3. Après l'Indépendance, il ne s'est pas très bien entendu<br />

avec le premier régime, et il a été emprisonné. I1 a été libéré en 1963, ce qui<br />

lui a permis de reprendre sa carrière au barreau. Je connaissais Santos<br />

personnellement ; je le connais' surtout comme ayant été un très brillant<br />

avocat, un avocat de génie ! I1 n'y avait pas de grande cause au palais de<br />

justice de Lomé sans que le nom de Me Santos y soit attaché. Et c'était<br />

également un avocat d'une grande probité. C'est surtout en cela que je me<br />

souviens de lui.<br />

- Q - On m'a aussi dit qu'il avait laissé le souvenir de<br />

"l'avocat des pauvres", celui qui ne faisait jamais payer<br />

quelqu'un qui avait besoin d'un avocat mais qui manquait<br />

d'argent ?<br />

- Certainement, mais ce genre d'avocat existe toujours ! (rire) Je<br />

peux vous assurer qu'étant donné les structures économiques dans nos pays, il<br />

est difficile pour un avocat d'exiger absolument d'être pay6 avant de défendre<br />

les gens ... Beaucoup d'entre nous consacrent quotidiennement un service<br />

gratuit au profit des plus démunis. ,<br />

- Q - Dans les années 1950, d'autre avocats togolais vont<br />

donc venir rejoindre Me Santos ?<br />

- En 1957, Me d'Alméida est revenu s'inscrire au barreau de Lomé.<br />

C'est lui qui deviendra en 1980, quand l'ordre des avocats de Lomé a été<br />

officiellement créé, notre premier bâtonnier. I1 est d'ailleurs toujours inscrit<br />

au barreau de hmé:<br />

- Q - A partir du moment oÙ les avocats deviennent plus<br />

nombreux, ne va-t-il pas s'exercer entre eux d'une part une<br />

concurrence et d'autre part une spécialisation ? (Les uns<br />

Après la sanglante r6bellion anti-coloniale de 1947,<br />

I1 est caricatur6 sous le nom de l'avocat politicien Anani Kadjala -affreux sous tous rapports-<br />

dans le roman très colonialiste (et très drôle) d'Henri Crouzat : AzizaA de Niamkoko (voir ci-<br />

dessous dialogues no 16 et 20).<br />

A l'origine simple mouvement de jeunesse du ComitB de l'Unit6 togolaise, mais de plus en<br />

plus radical dans ses orientations politiques, d'où un affrontement avec le CUT dès 1959.<br />

204


plutôt les affaires de terrains, les autre plutôt les affaires<br />

commerciales, par exemple). Comment cela s 'est-il passé ?<br />

- Lorsque les avocats sont nombreux, il y ,a toujours une<br />

Concurrence. Mais c'est pour atténuer les effets de cette concurrence qu'une<br />

règle traditionnelle dè la profession impose le "devoir de confraternité". La<br />

concurrence existe, mais elle doit s'exercer dans la dignité. De ce point de<br />

vue, les avocats ne doivent pas se compromettre, par exemple, dans la<br />

recherche effrénée de la clientèle. La Loi, les usages veulent que ce soit plutôt<br />

le client qui recourtà l'avocat de son choix.<br />

- Q - Est-ce qu'il y a quand même eu une certaine<br />

spécialisation ?<br />

- La spécialisation, pour l'instant, est difficile chez nous. Je ne<br />

connais pas d'avocats spécialisés dans telle ou telle procédure, parce que nous<br />

ne sommes pas nombreux, parce que le pays est petit. I1 est enfin<br />

extrêmement dificile de se spécialiser parce que les relations familiales sont<br />

telles que chacun est'connu de tous, et, lorsque des parents, des amis ou des<br />

relations ont des problèmes (quelle que soit la nature du problème), vous êtes<br />

obligé de les aider à les résoudre.<br />

- Q - Avec l'arrivée sur le terrain des avocats togolais, est-ce<br />

que les justiciables togolais ont continué à faire confiance<br />

aux avocats étrangers, ou bien était-ce l'inverse ?<br />

Accordaient-ils le même crédit, la même confiance aux uns et<br />

aux autres ?<br />

- Q - Oui.<br />

- Vous parlez de l'époque où il y avait encore des avocats étrangers ?<br />

- Les avocats étrangers ... I1 n'y en avait pas beaucoup ! D'abord, il<br />

n'y avait pas beaucoup d'avocats, et, comme étrangers, il n'y en avait que<br />

deux : Me Viale et Me Liensol l... Mais ces étrangers étaient tellement<br />

intégrés à la population que, finalement ... (silence) Moi, j'ai travaillé pendant<br />

deux ans chez Viale, comme je vous l'ai dit. Les Togolais allaient chez les<br />

uns ou chez les autres -qu'ils soient d'origine togolaise ou qu'ils soient<br />

étrangers- sans aucune discrimination. Ce problème ne s'est pas<br />

véritablement posé au barreau de Lomé.<br />

- Q - En quelles langues se déroulaient les audiences ?<br />

D'origine antillaise : il était Français de nationalité, mais tout à.fait noir.<br />

205


- La Loi veut que l'audience se déroule en français.<br />

- Q - C'est écrit tel quel dans la Loi ?<br />

- Oui, il est écrit que l'audience est publique et se déroule en<br />

frangais. Mais comme ceux qui viennent au tribunal ne parlent pas tous<br />

frangais, la Loi impose l'assistance d'interprètes. Je crois, d'ailleurs, que<br />

l'origine de cette loi vient de deux ryisons : la première est que, autrefois, il y<br />

avait des magistrats français :&'avaient besoin de comprendre ce que disaient<br />

les justiciables. I1 y adaussi une deuxième raison. Vous connaissez le<br />

nombre d'ethnies au Togo : il était difficile de choisir, parmi toutes ces<br />

langues, une ou deux qui auraient, à l'époque, été comprises par tous les<br />

magistrats. Donc le plus simple, c'était d'adopter une langue commune, si<br />

j'ose dire, et c'est le français qui a été adopté. Mais il y a toujours un<br />

interprète pour assurer le travail de compréhension.<br />

- Q - Et il y a aussi, je pense, que vous êtes tenus par des<br />

accords internationaux qui permettent à un avocat français de<br />

vmir plaider à Lomé, tout comme à vous, avocats togolais,<br />

d'aller plaider en France.<br />

- Oui, c'est la convention judiciaire franco-togolaise qui autorise<br />

cela, et un avocat français peut venir s'installer au Togoi comme, d'ailleurs,<br />

des avocat togolais sont installés en France : il y a un accord de réciprocité.<br />

Avec d'autres pays africains francophones, il n'y a pas d'accord d'installation :<br />

nous pouvons aller y plaider, mais sans pouvoir nous y installer.<br />

- Q - Pour revenir aux premiers avocats togolais, est-ce qu'ils<br />

ont pu s'imposer tout de suite face aux magistrats, ou ils ont<br />

eu quelques problèmes au début ?<br />

- Un avocat n'a pas à "s'imposer face aux magistrats" ! Un avocat a<br />

pour devoir de convaincre le magistrat de la justesse de la cause qu'il défend,<br />

c'est tout ! Cette conviction qu'il veut faire partager, qu'il doit faire partager<br />

au magistrat, dépend d'abord de sa connaissance juridique, mais elle dépend<br />

aussi des faits qui lui sont soumis par son client ; et cela dépend, enfin, du<br />

talent, de la compétence, des capacités de l'avocat. Donc, si l'avocat réussit<br />

dans cette mission : pouvoir convaincre, arriver à faire partager sa conviction<br />

au juge, à ce moment vous pouvez appeler ça "s'imposer au magistrat". Mais<br />

ce n'est pas une domination intellectuelle ; c'est plutôt le partage d'une<br />

conviction.<br />

- Q - L'avocat jouit d'un grand prestige dans la population. A<br />

Lomé, le "lawyer", c'est toujours quelqu'un d'important ...<br />

206


- Oui, l'avocat, chez nous, on l'appelle "lawyer" : c'est un mot qui<br />

vient de l'anglais. Vous savez qu'entre la période allemande el la pCriode<br />

française, il y a eu une petite période anglaise ...<br />

- Q - <strong>Si</strong>x années d'occupation, de 1914 Ci 1920 ...<br />

- Eh oui ! Bm plus de l'occupation anglaise, les contacts étdalrt trks<br />

étroits avec les anglophones : avec le Togo britannique de l'@oque, avec la<br />

Gold Coast (qui est devenue le Ghana). Là-bas, les avocats éttdent d6jà t&s<br />

connus, et on les appelait "Zawyers". Le mot est resté dans nos langceg<br />

locales. Vous demandez s'ils jouissent d'un grand prestige ? Ca, ce n'est pas. 2<br />

moi de le dire ! (rire) Je crois que l'avocat a un rôle àjouer dans la sociCtr3, et<br />

les avocats, sous la direction de l'ordre des avocats, s'efforcent de le jouer au<br />

mieux possible. Bon, ils ne réussissent pas toujours, mais, pour l'essentiel,<br />

je crois que le bilan est globalement positif, et je crois le prestige das avocats<br />

n'est pas usurpé.<br />

- Q - Ce qui frappe aussi, c'est? quand IBZ~%IW, la croissanc6<br />

rapide des effectifs depuis dix ci quinze ans P de quatre avocats<br />

en 1960 å soixante moins de trente ans plus tard. Est-ce qas<br />

la croissance n'est pas plus rapide que les besoins ? Ou, au<br />

contraire, les besoins se développent-il d'une fagon telk que<br />

les avocats ne suffisent pas å la tâche ?<br />

- Sur ce point la réponse est claire, je ne pense pas que ce soie<br />

strictement les besoins qui expliquent la croissance, bien que cette croissance<br />

des besoins n'y soit pas étrangère. Mais je crois que l'explication, c'est plutBt<br />

l'actuel garde des Sceaux, le ministre de la Justice, M. Kpotivi Laclé, qui l'a<br />

donnée récemment, lors de la première rentrée solennelle du barreau de Lomé.<br />

Le ministre de la Justice, dans son discours d'ouverture, expliquait le<br />

développement de la profession d'avocat par diverses causes. L'une de ces<br />

causes est la création d'une faculté de Droit à Lomé : auparavant (jusque dans<br />

les années 1970), l'étudiant qui voulait faire ses études de Droit était oblige<br />

de s'expatrier. pour cela, il fallait avoir une bourse ; et celui qui n'avait pas de<br />

bourse ne pouvait pas faire d'études, à moins que ses parents soient<br />

suffisamment fortunés. La création de l'université du Bénin a permis & un<br />

grand nombre de jeunes Togolais de faire des études de Droit. gvidemment,<br />

lorsqu'on fait ces études, les carrières auxquelles on pense d'abord, ce sont les<br />

professions juridiques ou judiciaires, et notamment la profession d'avocat.<br />

- Q - Quand sont arrivés en activité les premiers avocats<br />

entièrement formés à Lomé ?<br />

- Après les années 1970, et beaucoup plus dans les années 1980.<br />

207


- Q - Maintenant, les jeunes avocats viennent-ils pour<br />

l'essentiel de l'université de Lomé ?<br />

- Oh oui, surtout depuis les années 1980.<br />

- Q - Mais les jeunes ne deviennent pas avocats dès leur<br />

sortie de l'université : ils ont d'abord des stages Ci effectuer,<br />

dans les cabinets de la ville ou Ci l'étranger, n'est-ce pas ?<br />

- Jusqu'en 1988, il fallait quatre années de Droit, sanctionnées par la<br />

maîtrise, et deux années de stage dans un cabinet d'avocat. Une fois que le<br />

stage est effectué, on devient avocat, après avoir obtenu, évidemment, le<br />

certificat de fin de stage. Mais depuis 1988, depuis une série de lois votées<br />

par l'Assemblée, il faut, avant d'être admis à faire. le stage -en plus de la<br />

licence et de la maîtrise en Droit- être titulaire du "certificat d'aptitude à la<br />

profession d'avocat'', qu'on appelle 1e.dAPA. La loi a donc institué ce<br />

certificat d'aptitude, mais, en attendant les décrets d'application et la mise en<br />

place effective de cette formation par la faculté de Droit de l'université du<br />

Bénin, la loi a institué un examen d'aptitude. Donc, le jeune aspirant doit<br />

avoir sa maîtrise en Droit, passer avec succès l'examen d'aptitude au stage du<br />

barreau, et, après cela, trouver une place de stage dans un cabinet. Le premier<br />

examen a été passé le 12 décembre 1987. Les résultats ont été proclamés :je<br />

crois qu'il y a eu 4 admis sur 3 1 candidats.<br />

Vous avez demandé tout à l'heure quels étaient les facteurs de cet<br />

accroissement de l'effectif ; je vous ai dit que l'un des facteurs, c'est la<br />

création de la faculté de Droit de l'université du Bénin. Un autre facteur, c'est<br />

une très grand prise de conscience par nos concitoyens de leurs droits, et cette<br />

plus grande conscience n'a été possible que parce que la politique de<br />

scolarisation commence à porter ses fruits depuis un certain nombre d'années.<br />

Le nombre d'écoles et de collèges a augmenté, et les Togolais ne sont plus<br />

illettrés et ignorants de leurs droits comme par le passé. Donc, forcément,<br />

tout cela pousse les gens à revendiquer, à défendre leurs droits lorsque ces<br />

droits sont lésés. Et aussi, il y a le développement des moyens de<br />

communication modernes, des moyens d'information modernes : les gens ne<br />

sont plus isolés, il y a la radio, il y a la télévision; et donc il y a une très<br />

grande ouverture d'esprit. Les gens éprouvent le besoin de faire les choses de<br />

plus en plus légalement, et ils recourent aux conseils d'un spécialiste.<br />

- Q - Avez-vous vu une transformation importante du type<br />

d'affaires que vous avez Ci traiter sur -disons- les quinze<br />

dernières années ? Y a-t-il des genres de problèmes qui<br />

n'étaient pas du tout traités de façon juridique, et qui<br />

maintenant le sont ?<br />

208<br />

i


- Oui, surtout durant ces dernières années. I1 y a une plus grande<br />

conscience des gens en ce qui concerne les problèmes tòuchant aux droit de<br />

l'Homme. Avant, les gens n'osaient pas aborder ce genre de questions.<br />

Maintenant c'est abordé de plus en plus ouvertement. Donc ça fait partie, si<br />

vous voulez. de I'évolution.<br />

- Q - Et les questions d'héritage, de divorces, qui autrefois<br />

étaient réglées coutumièrement, arrivent sans doute de plus en<br />

plus chez vous, maintenant ?<br />

- Bien sûr qu'elles arrivent devant les tribunaux ! Vous savez que, en<br />

1980, le Togo s'est doté d'un code de la Famille, qui sert maintenant de<br />

référence lorsqu'un litige naît au sein des familles. Ce genre de questions<br />

nous arrive de plus en plus. Bon ! Les affaires de terrains existent toujours.<br />

Le contentieux commercial s'est énormément développé, avec le grand<br />

mouvement économique que connaît la ville de Lomé. Depuis un certain<br />

nombre d'années, les affaires commerciales ont pris beaucoup d'ampleur.<br />

L'accroissement de la population aussi fait que les tribunaux souffrent d'un<br />

engorgement qui retarde l'issue des procès. C'est un phénomène qui est<br />

suffisamment connu. Avec la reprise des recrutements dans la Fonction<br />

I<br />

,publique, la magistrature a recommencé à prendre de I'étoffe. Mais, pendant<br />

beaucoup d'années, nous avons souffert d'un manque d'effectifs dans la<br />

magistrature1. Maintenant, il y a tendance à corriger ce phénomène, et de<br />

plus en plus de jeunes magistrats -d'ailleurs formés à l'ÉCole nationale<br />

d'administration à Lomé- viennent gonfler les effectifs des tribunaux. On peut<br />

donc espérer une amélioration dans la conduite des affGres.<br />

- Q - Le recours au droit moderne est-il maintenant bien passé<br />

dans les moeurs, ou reste-t-il exceptionnel ?<br />

- C'est passé dans les moeurs ! Qu'il s'agisse d'affaires de famille,<br />

d'affaires commerciales ou de litiges entre employeurs et employés, les gens<br />

éprouvent de plus le besoin de recourir aux conseils d'un avocat, aux<br />

tribunaux. Vous savez, il y a une particularité chez nous : c'est que,<br />

finalement, ce ne sont pas seulement les avocats qui sont les conseillers<br />

juridiques. Les avocats sont les conseillers juridiques officiels, mais le<br />

Togolais qui a des problèmes a de multiples conseillers juridiques officieux.<br />

Et même, quant les gens estiment que la Justice ne fait pas correctement son<br />

travail, ils vont directement voir le chef de 1'8tat ... Donc, il y a différents<br />

niveaux de conseils, et, dès que les gens ont des prablèmes, tout de suite ils<br />

font appel à eux .<br />

- Q - Peut-il arriver qu'wt avocat refaso de prêter son<br />

I Sur l'histoire de la magistrature, voir <strong>Si</strong> Lotné. .. tome II. dialogue no 7.<br />

209


concours à un client?<br />

- La profession d'avocat s'exerce dans un cadre libéral, libre (c'est<br />

pourquoi on l'appelle une "profession libérale"). Un avocat, sur le choix de<br />

ses affaires, n'est comptable que devant sa conscience. Donc l'avocat peut<br />

parfaitement refuser une cause si elle se heurte à sa conscience.<br />

Q - On constate qu'il y a depuis longtemps un certain<br />

engouement chez les gens à s'adresser Ci leur avocat pour un<br />

oui ou pour un non...<br />

- D'après les renseignements que nous avons eus auprès de nos<br />

aînés, les avocats togolais ont toujours accompli leur mission correctement<br />

vis à vis de nos concitoyens. Et donc celui qui s'est adressé à un avocat et qui<br />

a obtenu satisfaction en parle autour de lui, et la prochaine fois, lorsqu'un<br />

ami ou un parent a des problèmes similaires (ou d'autres), il lui dit : "Allez<br />

voir Untel ; il trouvera la solution à votre problème ..." €1 faut aussi dire que<br />

l'avocat a toujours joui, traditionnellement, d'un certain prestige. Quelle en<br />

est la cause ? Peut-être les historiens trouveront-ils l'explication ...<br />

- Q - Aux États-Unis, on dit aujourd'hui que chaque<br />

Américain a un psychiatre et un avocat. (rires) Pensez-vous<br />

qu'on s'oriente Ci Lomé vers une situation où chaque Loméen<br />

aura non pas un psychiatre -je ne crois pas qu'ils en aient<br />

besoin !- mais chacun un avocat ? (rires)<br />

- Non, je ne crois pas qu'on atteindra le même niveau de besoins que<br />

les Américains. La société américaine est une société très complexe, et ses<br />

traditions remontent aux origines, n'est-ce pas ? Mais je crois que<br />

l'évolution est quand même assez remarquable chez nous, que de plus en plus<br />

on parle des droit de l'Homme (même si parfois les gens font l'amalgame<br />

entre les droits de l'Homme et tout autre chose...). En fait, il faut dire aussi<br />

que, autrefois, le Droit était essentiellement coutumier : c'était la<br />

communauté coutumière qui pouvait apporter la réponse aux problèmes qui<br />

se posaient. Mais le Droit est devenu de plus en plus un Droit écrit ; les<br />

textes sont de plus en plus nombreux ... Le contenu du Droit et le langage<br />

même dans lequel ce Droit est formulé sont perçus parfois comme quelque<br />

chose de totalement réservé à des spécialistes. (C'est d'ailleurs pourquoi le<br />

législateur doit toujours faire un effort pour rendre les termes juridiques<br />

beaucoup plus accessibles à la population). Ainsi, quand on va voir son<br />

médecin (pas le psychiatre !) parce qu'on a des maux de tête, le médecin parle<br />

de'képhalées I'... Pour le juriste, l'avocat ou le magistrat, lorsque quelqu'un est<br />

convoqué au tribunal, on dit qu'il est "assigné devant le tribunal", on lui<br />

"adresse une requête", etc. Donc le citoyen a besoin de comprendre tout cela,<br />

210


et il éprouve le besoin de recourir aux conseils d'un avocat.<br />

- Q - Alors, avocat, c'est une profession d'avenir ?<br />

- D'avenir ? Je ne sais pas, mais une profession du présent, ah oui !<br />

Je vais nuancer ce point, parc6 que la profession s'exerce dans un cadre<br />

libéral. Le pays est petit, et je pense que cette profession sera une profession<br />

d'avenir si les jeunes acceptent de s'installer à l'intérieur du pays. Mais si<br />

tous les avocats s'installent à Lomé, si, d'ici quelques années, on est 200 ou<br />

300, je ne sais pas si les jeunes qui viendront après nous pourront travailler<br />

dans de bonnes conditions. Un avocat a besoin de la clientèle, comme la<br />

clienthle a besoin de l'avocat ! <strong>Si</strong> les avocats s'installent et qu'ils n'ont pas de<br />

clients, et comme il est interdit à l'avocat d'exercer un autre métier en dehors<br />

de sa profession ... Eh bien je crois donc que nos jeunes auront intérêt, dans<br />

un proche avenir, à commencer à s'installer à l'intérieur du pays. D'ailleurs, il<br />

y a un nouveau concept qui est véhiculé par la commission internationale des<br />

juristes (qui a,. d'ailleurs, eu à présider des séminaires à Lomé durant les<br />

années passées), qui est "l'assistance juridique en milieu rural". Un projet de<br />

création d'une association en vue de cette assistance juridique en milieu rural<br />

a été lancé par M. Adama Dieng, qui était le délégué de la commission<br />

internationale des juristes, pour que nos parents -les paysans qui sont dans les<br />

campagnes- puissent davantage bénéficier de l'assistance des juristes. Donc,<br />

s'il y a un avenir pour la profession, je pense qu'il devrait se situer surtout à<br />

l'int6rieur du pays, à Sokodé, à Kara, à Dapaong, à Kpalimé et ailleurs, où<br />

les citoyens ont autant besoin de l'assistance juridique que ceux qui sont dans<br />

la capitale.<br />

- Q - Donc un avenir national ?<br />

- ouí !<br />

- Q - C'est ce que nous souhaitons de tout coeur aux avocats<br />

togolais.<br />

-Nous vous en remercions.<br />

21 1


- 15 - La grande mosquée du zongo (vers 1972).<br />

Haut-commissariat au Tourisme (éd. Delroisse).<br />

212


no 13<br />

LA COMMUNAUTE KOTOKOLI<br />

avec<br />

El Hadj Idrissou Moumouni OURO-AGOUDA<br />

(né en 1913 à Paratao, préfecture du Tchaoudjo,<br />

décédé le 7 juin 1995)<br />

président d'honneur de l'Amicale des ressortissants<br />

du Tchaoudjo à Lomé<br />

El Hadj Issaka ZAKARI<br />

(né en 1932 à Sokodé, préfecture du Tchaoudjo)<br />

président en exercice de l'Amicale des ressortissants<br />

du Tchaoudjo à Lomé<br />

M. Amadou Yacoubou TCHAKOURA<br />

(né en 1931 à Sokodé)<br />

chef traditionnel des ressortissants<br />

du Tchaoudjo à Lomé<br />

et quelques uns de leurs amis.<br />

Encore une communauté ethnique de Lomé :<br />

aujourd'hui, celle des Kotokoli, que l'on peut considérer<br />

comme la troisième de la ville, derrière le groupe éwé-mina,<br />

puis celui des Kabyè'. Nous voici donc avec les responsables<br />

de l'Amicale des ressortissants du Tchaoudjo à Lomé, et les<br />

chefs traditionnels' de cette communauté.<br />

- Q - M. El Hadj Idrissou, depuis quand êtes-vous à Lomé ?<br />

- Je suis à Lomé depuis le 15 octobre 1929.<br />

- Q - Ce qui fait de vous l'un des ressortissants les plus<br />

anciens, , non seulement de la communauté kotokoli, mais<br />

' Au recensement de 1981, Lomé'comptait à peu près 70 % d'habitants du groupe éwé-mina-<br />

ouatchi-adja-etc., 5 % de Kabyè et 3 7% de Kotokoli, soit environ 12 O00 personnes.<br />

(L'émission sur la communauté kabyè, jugée peu satisfaisante par les responsables de celle-ci,<br />

a été retirée des archives de Radio-Lomé.)<br />

213


aussi de beaucoup de gens immigrés Ci Lomé.<br />

- Je crois bien. (rire)<br />

- Q - Quelle était votre activité professionnelle ?<br />

- J'étais employé de commerce, maintenant en retraite.<br />

- Q - Dans quelle compagnie aviez-vous travaillé ?<br />

- J'ai travaillé à la UAC. Mais tout d'abord j'ai commencé avec la<br />

"GBO", la G.B.-Ollivant, de 1937 à 1960. A partir de 1960, la GBO a<br />

fusionné avec la UAC. La GBO a disparu, et la UAC a continuk à exercer ses<br />

activités jusqu'à ce jour.<br />

- Q - Pourquoi ce choix d'une firme anglaise ? Parliez-vous<br />

l'anglais ?<br />

- Je n'ai pas fait à proprement dit l'école anglaise, mais je l'ai appris<br />

au travail, parce que tous les livres étaient en anglais:<br />

- Q - M. El Hadj Zakari, quelle était votre fonction ?<br />

- Je suis un cadre de l'Agriculture, responsable de la phytopathologie<br />

au Service de la protection des végétaux. J'ai pris ma retraite en 1985.<br />

- Q - Et vous, M. Ouro-Tchakoura ?<br />

- J'étais tailleur avant de venir à Lomé. Puis j'ai été engagé à la<br />

Voirie de Lomé en 1955. Actuellement, je suis en retraite. Et c'est dans ma<br />

retraite que j'ai été nommé comme chef traditionnel des originaires du<br />

Tchaoudjo à Lomé.<br />

- Q - Vous avez donc tous, Messieurs, une très grande<br />

longévité à Lomé. D'après la tradition que vous conservez,<br />

quels ont été les premiers Kotokoli h venir dans cette ville,<br />

El Hadj Idrissou ?<br />

- Le premier Kotokoli à venir s'installer à Lomé a été Madame<br />

Foulera Mola, aujourd'hui décédée.<br />

- Q - Que faisait cette dame ?<br />

- Elle était commerçante.<br />

214


- Q - Vous-même, qui vous a donné l'hospitalité dans les<br />

premiers jours de votre arrivée à Lomé ?<br />

. - J'étais venu comme élève de l'école régionalel, en provenance de<br />

Sokodé, le 15 octobre 1929. Je suis resté chez mon patron, qui était un<br />

instituteur et qui avait fait'Sokodé.<br />

- Q - Avec cette dame, vous étiez les seuls ressortissants<br />

kotokoli de la ville ?<br />

- Non, 'ce n'est pas ça, il y en avait tellement d'autres ! I1 y avait<br />

Boukari Ali, dit "London Ba" ... Il était cheminot : il travaillait aux chemins-<br />

defer.<br />

- Q - Qui d'autres y avait-il encore comme personnalités<br />

notables, El Hadj Zakari ?<br />

- Idrissou Akpo, El Hadj Atcha Assoumanou, EL Hadj Issa<br />

Samarou ... Le premier, Idrissou Akpo, était employé aux chemins-de-fer<br />

comme cheminot. C'est à ce poste qu'il était quand il est devenu le tout<br />

premier chef des originaires du Tchaoudjo à Lomé, au cours des années 1940.<br />

Quant à El Hadj Atcha Assoumanou Zato, il a été maître d'hôtel au palais du<br />

gouvernement, au temps colonial. I1 est aujourd'hui retraité ; il réside<br />

toujours à Lomé.<br />

- Q - C'est un homme qui a nourri les gouverneurs ?<br />

- Exactement ! (rires) C'est quelqu'un qui a vécu avec les<br />

gouverneurs.<br />

- Q - M. Idrissou, quand vous arrivez jeune garçon à l'école de<br />

la route d'Aného, combien de temps vous a-t-il fallu pour<br />

retrouver des gens parlant la même langue que vous ?<br />

- Quand je suis arrivé, j'ai été envoyé à l'éCole d'Amoutivé. De<br />

l'école d'Amoutivé, après, j'ai été envoyé à l'école de la route d'Aného. De<br />

l'école de la route d'Aného, j'ai été envoyé à l'Ccole de la Petite-vitesse (ou<br />

aujourd'hui école Marius-Moutet). J'ai eu mon certificat le 20 novembre<br />

1933.<br />

J'ai mis un peu de temps avant de découvrir des ressortissants ou des<br />

congénères kotokoli comme moi dans le zongo. Je ne restais pas dans le<br />

zongo, mais ailleurs, chez une parente, au camp militaire. C'est après que j'ai<br />

De ia route d'An6ho. Voir <strong>Si</strong> Lomé. .. tome I, dialogue no 6.<br />

215


découvert qu'il y a des congénères comme moi, des Kotokoli, dans le zongo.<br />

- Q - Parce que, les Kotokoli étant musulmans, ils sont<br />

d'abord venus s'installer dans le quartier des musulmans,<br />

n'est-ce pas ?<br />

- Exactement ! Zongo est par excellence le quartier des musulmans,<br />

le quartier des &angers. C'était pour cela.<br />

- Q - Il y avait aussi de vieilles associations commerciales<br />

entre les Haoussa et les Kotokoli. Et d'autres étaient donc<br />

aussi des militaires, recrutés par l'administration coloniale ?<br />

- Non ! La parente chez qui j'étais resté était la femme d'un<br />

militaire. Ce militaire n'était pas togolais ; il était nigérianl.<br />

- Q - En général, quelles étaient les activités des premiers<br />

Kotokoli de la ville ?<br />

- Je dirai que, pour les premiers Kotokoli installés à Lomé, la<br />

plupart travaillaient aux chemins-de-fer.<br />

- Q - Y en avait-il aussi qui étaient des commeqants déjà<br />

aisés, qui sont venus s'installer à Lomé pour y développer<br />

leurs affaires ?<br />

- Ah oui ! Ceux-là venaient de Sokodé. I1 y avait des commerçants<br />

qui venaient de Sokodé. Ils transitaient par ici pour aller au Ghana acheter la<br />

noix de cola, et vice-versa.<br />

- Comme commerçants, nous pouvons citer Madame Foulera Mola,<br />

dont on a parlé tout à l'heure. Elle était installée comme commerçante, et elle<br />

avait plusieurs collaborateurs kotokoli.<br />

- Q , -<br />

<strong>Si</strong> l'on se situe cette fois une quinzaine ou lune<br />

vingtaine d'années plus tard (dans les années 1945-1950 par<br />

exemple), à l'époque où M. Ouro-Tchakoura arrive à Lomé,<br />

les Kotokoli sont-ils toujours concentrés dans le zongo ?<br />

Comment avait évolué cette communauté ?<br />

, .<br />

- Au cours des années 1945-50, les Kotokoli formaient déjà une<br />

collectivité assez importante, installée principalement dans le zongo. On<br />

' I! y avait alors beaucoup de Haoussa dans les forces coloniales, tant françaises qu'anglaises<br />

I illemandes.<br />

216


pouvait trouver certains dans les autres quartiers, mais c'est le zongo qui était<br />

leur principal habitat. Comme activités, il faut dire que les tout premiers<br />

venus ont servi comme manoeuvres. Ensuite, certains ont commencé à faire<br />

du commerce et, par la suite, certains ont été des fonctionnaires1 dans les<br />

sociétés privées. OB peut citer Monsieur Idrissou Maman David,<br />

fonctionnaire en retraite, qui a surtout servi dans les Finances, au<br />

Gouvernement d'alors. On peut parler de Boukari Idrissou, qui a été<br />

longtemps employé du parquet de la Justice, qui est actuellement décédé. On<br />

peut parler de Tchédré Soulé qui a servi à la Sûreté comme officier de police.<br />

- Q - Cette communauté est-elle restée close sur elle-même ?<br />

Je prends un exemple-: les filles kotokoli se marient-elles<br />

uniquement Ci des garçons kotokoli, ou bien h d'autres ? Avez-<br />

vous des échanges matrimoniaux surtout avec les musulmans,<br />

ou plus largement ouverts ?<br />

- Les filles kotokoli marient les musulmans. Quelqu'un qui n'est<br />

pas Kotokoli et qui est musulman peut marier une fille kotokoli.<br />

- Q - N'y a-t-il pas, alors, tendance Ci une certaine dissolution<br />

des Kotokoli dans un ensemble musulman uni par la religion,<br />

mais qui n'aurait plus de caractère ethnique spécifique ?<br />

- L'essentiel, c'est d'être musulman ! Une fois que vous êtes<br />

musulman, vous pouvez épouser une Kotokoli. Mais c'est très rare parce que<br />

les filles kotokoli, la plupart, n'aiment pas se marier avec des non-Kotokoli.<br />

- Q - Cela n'a-t-il pas changé de nos jours ?<br />

- Effectivement. On peut dire qu'à partir des années 1960, le<br />

malaxage des ethnies est devenu beaucoup plus fréquent, et on voit des filles<br />

kotokoli mar?er des hommes d'autres ethnies.<br />

- Q - Vous-mêmes, Messieurs, vos épouses sont-elles toutes<br />

kotokoli ?<br />

- J'ai eu trois femmes. Les deux premières femmes sont kotokoli.<br />

La troisième femme est d'Anagokomé, c'est-à-dire de coutume yorouba.<br />

- Q - Et musulmane ?<br />

- Et musulmane ! Absolument ! Elle est musulmane.<br />

Comprendre : des salariés (le langage populaire ne fait pas la distinction entre secteur public<br />

et secteur privé : tout le monde "fonctionne").<br />

217


- Q - Et quelle est votre langue commune ?<br />

- Eh bien, écoutez !, le français est là pour aider ; le mina surtöut<br />

est là ... Mais on s'efforce de comprendre chacun la langue de son partenaire :<br />

ma femme apprend un peü le kotokoli ; j'essaie d'apprendre aussi le nago.<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Dans les années 1960-65, quelle est alors l'importance<br />

de la communauté kotokoli iì Lomé?<br />

- Je suis rentré de l'extérieur (du Sénégal, précisément)' en 1960.<br />

Déjà, en 1960, la communauté kotokoli était très importante ici, sous<br />

l'action conjugué$ d'El Hadj Idrissou Moumouni, ici présent, et de feu Mama<br />

Fousséni'. Ça formait déjà une communauté, qui avait une association<br />

d'entraide.<br />

- Q - Y avait-il toujours une forte proportion des Kotokoli<br />

qui habitait le zongo ?<br />

- Évidemment, oui. Dans les années 1960, c'est le zongo qui<br />

abritait, je peux dire, au moins 80 % des Kotokoli. Ceux qui habitaient<br />

ailleurs étaient surtout des employés, des fonctionnaires, qui habitaient dans<br />

les quartiers périphériques.<br />

- Q - Alors que s'est-il passé pour votre communauté en<br />

1977, Ci la suppression de l'ancien zongo ?<br />

- Oh, évidemment ! C'est l'éclatement de la collectivité ! Chacun<br />

s'est arrangé, s'est débrouillé un peu partout. Mais, heureusement, le<br />

Gouvernement avait trouvé une solution : il a offert gracieusement un<br />

nouveau quartier à Togblékopé. Le Gouvernement a offert un terrain gratuit à<br />

Togblékopé aux occupants de l'ancien zongo, où ils se sont installés<br />

maintenant.<br />

- Q - Y avait-il de nombreux Kotokoli parmi eux ?<br />

<strong>Si</strong>, ils sont assez nombreux, les Kotokoli ! Mais le Kotokoli étant<br />

surtout un commerçant, beaucqup ont choisi d'être dans la ville de Lomé<br />

pour mener leurs activités commerciales.<br />

L'un des plus importants des hommes politiques d'origine kotokoli de la génération de<br />

l'Indépendance, né à Sokodé en 1924, instituteur, député, ministre (1956-58, puis 1963-67), l'un<br />

des fondateurs de l'Union musulmane du Togo en 1963, dont il fut élu président (1970-72).<br />

puis président d'honneur.<br />

218


- Q - Il n'y a pas eu de regroupement dans certains quartiers ?<br />

Non, on ne peut pas dire que les Kotokoli sont regroupés comme<br />

dans l'ancien zongo ; ils sont un peu partout. Il y en a qui sont à Agoènyivé,<br />

à Akodésséwa ... un peu partout dans les nouveaux quartiers de Lomé.<br />

- Q - Cette disparition du lieu qui regroupait la .plupart<br />

d'entre vous n'est-elle pas l'une des causes de l'attention que<br />

vous portez h la tradition, qui fait qu'e, Ci côté de votre<br />

amicale de forme moderne (avec président, secrétaire,<br />

trésorier), vous avez aussi un "chef träditionnel" ?<br />

- Oui. Vous savez, la tradition, en Afrique; est un trésor qu'il faut<br />

conserver soigneusement. Donc, quelles que soient les circonstances, la<br />

tradition doit demeurer ; elle doit être protégée. Par contre, les liens de<br />

solidarité sont demeurés entre tous les fils du Tchaoudjo. C'est le but,<br />

d'ailleurs, de l'Amicale du Tchaoudjo à Lomé.<br />

- Q - Quelles sont les fonctions exactes du chef traditionnel<br />

des Kotokoli de Lomé ?<br />

- Enfin ... C'est le gardien de la tradition kotokoli, des traditions dans<br />

la vie courante : les mariages, le jugement de différents petits problèmes qui<br />

peuvent surgir entre eux, et surtout essayer de regrouper tous les enfants du<br />

Tchaoudjo, qu'ils puissent s'aider réciproquement, qu'il y ait la solidarité entre<br />

eux... C'est ça, en gros, le rôle principal du chef traditionnel : c'est le gardien<br />

de la tradition tem1.<br />

- Q - A-t-il également un rôle dans l'organisation des<br />

festivités qui se tiennent chaque année pour les fêtes de<br />

"Maouloudou"2 Ci Sokodé ?<br />

- Oui, c'est là même où ils font beaucoup d'activités.<br />

- Q - Avez-vous ici, h Lomé, des groupes de danse, des<br />

groupes de musique qui vous soient spéccifiques ?<br />

- Oui, nous avons plusieurs groupes ! Nous avons, par exemple,<br />

d'abord les "Griots du Tchaoudjo", qui sont aussi gardiens de la tradition des<br />

chefs. Nous avons aussi différents groupements, comme, par exemple, le<br />

"Sympa", le "<strong>Si</strong>oh" ... J'ai failli oublier de parler du jeu principal que nous<br />

avons ici : c'est le takayi. Le takayi, c'est sous le contrôle de notre chef<br />

Nom !e plus ancien de la communautk dite kotokoli, et surtout de sa langue.<br />

Anniversaire de la naissance du Proph&te.<br />

219


traditionnel Yacoubou.<br />

i<br />

- Q - Qu'est-ce exactement que le "takayi"? l<br />

i<br />

- Le tukuyi, c'est une danse coutumière qui consiste àifrapper, à<br />

donner des coups de bâton à droite et à gauche. Je peux dire qu'elle est<br />

coutumière à notre ethnie, depuis au pays. A l'occasion des grandes<br />

réjouissances, on organise cette danse-là. Il suffit que vous dites "Takayi !",<br />

et tout Kotokoli comprend ce que c'est.<br />

- Q - Comme un cri de guerre ?<br />

- Un cri de guerre ? Oh non, c'est un cri de réjouissance populaire.<br />

- Q - Cette danse s'effectue en jonglant avec des bâtons :<br />

chacun s'évertue à donner un coup dans le bâton de son<br />

partenaire, comme s'il s'agissait d'une épée. C'est bien GU ?<br />

- Il faut une certaine adresse pour ne pas louper de donner le bâton à<br />

votre partenaire. Lui aussi, il ne faut pas qu'il loupe !<br />

- Q - Et si quelqu'un rate s.on coup, qu'est-ce qu'on fait ?<br />

- Évidemment, ceux qui le font sont déjà entraînés. Ils sont très<br />

entraînés, et il est rare qu'ils loupent. S'il doit louper, l'autre peut dévier son<br />

coup, dévier son bois ; donc le bois va dans l'air ...<br />

- Q - Comment faites-vous, avec les jeunes qui sont nés Ci<br />

Lomé, qui vont à l'éCole à Lomé, pour les initier à ces<br />

traditions ?<br />

- La, c'est le rôle du chef. Il a un groupement des jeunes qui sont<br />

organisés pour le maintien et le développement du folklore kotokoli à Lomé.<br />

Les jeunes s'entraînent dans sa propre cour, chez lui, à la maison. La<br />

musique traditionnelle tem, c'est une musique populaire mais améliorée, avec<br />

des instruments modernes.<br />

- Q - A quelle taille estimez-vous cette communauté de Lomé<br />

aujourd'hui ?<br />

- Évaluer les Kotokoli à Lomé, ce n'est pas facile ! I1 y a<br />

évidemment une collectivité installée, qui est fixe à Lomé. Mais la plupart<br />

des Tchaoudjo qui viennent ici pour des activités commerciales ou autres<br />

rentrent. Ce que je peux vous dire, c'est que la collectivité du Tchaoudjo est<br />

220


assez nombreuse à Lomé. Vous donner un chiffre, ce n'est pas facile ... Mais<br />

nous constituons quand même une collectivité très importante à Lomé.<br />

- Q - Mais les originaires du Tchaoudjo ne sont pas la seule<br />

collectivité kotokoli ?<br />

- Évidemment il y a d'autres collectivités : Kotokoli du Tchaoudjo,<br />

Kotokoli de I'Assolil, Kotokoli de &ikiri2, Kotokoli de Fazao 3...<br />

- Q - Combien de membres compte votre Amicale ?<br />

Je vais me baser sur certaines assemblées générales qui sont tenues à<br />

Lomé ... Je peux me permettre d'avancer un chiffre qui avoisine 1 500. Mais<br />

alors là, c'est avec toutes réserves, parce que tous ne viennent pas aux<br />

assemblées générales. C'est ceux qui assistent régulièrement aux assemblées<br />

générales que nous tenons.<br />

- Q - A l'ancien zongo, les Kotokoli qui s'y étaient implantés<br />

étaient-ils souvent propriétaires, comme les Haoussa ?<br />

- Franchement parlant, quand les Kotokoli venaient, ils se<br />

constituaient comme des locataires. Ils n'avaient pas de maisons. Il y en avait<br />

deux : la défunte Foulera Mola, qui avait une maison, et puis Zato Mola (lui,<br />

il est Kotokoli de I'Assoli) ; lui aussi avait une maison. I1 n'y avait que deux<br />

Kotokoli qui avaient chacun une maison, une femme et un homme. Les<br />

autres se faisaient locataires : ils logeaient chez des Haoussa ou chez d'autres<br />

propriétaires habitant le zongo.<br />

- Q - Parce qu'ils n'en avaient pas eu les moyens ou parce<br />

qu'ils n'a'vaient pas voulu construire dans le zoiigo ?<br />

- Ah ... Ils n'avaient pas. les moyens, premièrement !<br />

Deuxièmement, ils ne voulaient pas construire parce qu'ils se disaient que :<br />

"Moi, je suis de Sokodé ; je suis venu m'installer ici, mais j'en ai pour<br />

combien de temps ? Je ne peux pas rester longtemps ; je vais bientôt<br />

repartir". Mais c'est après qu'ils se sont rendu compte, maintenant, que c'était<br />

une erreur. Quand on est Togolais, on peut être du Tchaoudjo ou de Lomé ;<br />

l'essentiel c'est d'être toujours au Togo. Maintenant, ils ont compris que<br />

c'était comme ça.<br />

Chef-lieu : Bafilo. I1 s'agit des communantés kotokoli que le royaume du Tchaoudjo n'avait<br />

8% absorbées dans sa phase d'expansion, quand celle-ci fut stoppée par la conquête coloniale.<br />

Dans la partie nord de la préfecture de Tchamba.<br />

Préfecture de Sotouboua.<br />

221


- Q - Et donc, actuellement, les Kotokoli construisent ?<br />

- Oui, actuellement, les Kotokoli construisent ! Pourquoi ? Parce<br />

qu'ils ont des activités ici, parce qu'il y en a qui sont installés définitivement<br />

ici, comme commerçants ou comme fonctionnaires. Ils savent qu'ils ne<br />

peuvent pas rester à payer toujours le loyer. Ils ont compris. Ils ont<br />

commencé à construire des maisons.<br />

- Q - Une caractéristique de votre communauté aujourd'hui, Ci<br />

Lomé, c'est de compter beaucoup de transporteurs, n'est-ce<br />

pas ?<br />

,<br />

- Je peux avoir une idée sur les commerçants venant de Sokodé.<br />

Mais implantés à Lomé ? Je ne pense pas, franchement parlant, qu'il y a eu<br />

des transporteurs de Sokodé implantés à Lomé. Tous viennent de Sokodé ; ils<br />

viennent faire leurs affaires ici ; ils font le chargement, et ils repartent. Mais<br />

ils ne sont pas définitivement implantés à Lomé.<br />

- Q - Il y a dans la communauté haoussa un système original<br />

pour les commerçants itinérants. Un commerçant qui vient,<br />

s'installe chez un maigidal, chez un "hôte", qui doit en<br />

principe le guider aussi dans les affaires, lui trouver des<br />

clients ou des fournisseurs, éventuellement du crédit et qui<br />

est récompensé par un ''cadeau". Ce n'est pas véritablement un<br />

pourcentage sur l'affaire réalisée, mais, enfin, il y a quand<br />

même une proportion entre le bénéfice qu'a fait le commerçant<br />

et le cadeau qu'il donne Ci son maigida en repartant.<br />

- La plupart des transporteurs kotokoli de Sokodé, quand ils<br />

viennent ici, ils essaient de copier un peu la méthode des Haoussa.<br />

- Q - Par exemple,' vous, M. Idrissou, quand vous étiez Ci la<br />

GB-Ollivant, vous arrivait-il de servir d'intermédiaire entre<br />

votre patron et des commerçants kotokoli ?<br />

- Ah oui, j'ai servi d'intermédiaire. Chaque fois que les commerçants<br />

viennent me voir, je les conduis chez notre chef-marchandises, pour faire des<br />

affaires. J'ai servi aussi d'interprète. C'était comme ça ...<br />

- Q - Et cela vous rapportait un pourcentage ?<br />

- Ah non, ça ne me rapportait rien (rires).<br />

Chef de maison (terme haoussa). Voir <strong>Si</strong> Lomé... tome II, dialogue n014.<br />

222


- I1 n'y a pas un pourcentage B verser au niaigida comme chez les<br />

Haoussa, parce que le Kotokoli prend souvent hospitalité chez un parent ou<br />

un proche. Celui-là l'aide, simplement ; il le loge ; il l'aide peut-être à<br />

trouver des clients pour son affaire et en partant -s51 veut bien- celui-ci lui<br />

donne quelque chose, ou alors aux enfants ou à la femme de la maison, mais<br />

il n'y a pas un pourcentage.fixé, comme chez les Haoussa.<br />

- Q - On dit que les Kotokoli sont très volontiers chauffeurs,<br />

que ce soit sur les transports à longue distance ou que ce soit<br />

pour les taxis. Est-ce exact ?<br />

- On dit communément que les Kotokoli sont des chauffeurs ; c'est<br />

exact. Je crois que c'est comme ça : ce sont de bons chauffeurs. La plupart<br />

sont des chauffeurs.<br />

- Q - Avez-vous une explication .pour cet amdur de la route<br />

chez les Kotokoli ?<br />

- Dans le temps, dans le Nord du Togo, le transport a commencé à<br />

Sokodé. La plupart des El Hadj1 de Sokodé avaient comme activité principale<br />

le transport ; ils avaient des camions, et cela a permis aux jeunes de la région<br />

-n'est-ce pas ?- d'apprendre ce métier. <strong>Si</strong> bien qu'ils s'y sont toujours attachés<br />

jusqu'à présent, et, partout où vous passez, la plupart du temps, c'est les<br />

Kotokoli que vous trouvez comme chauffeurs. J'ai même rencontré un copain<br />

qui dit que : "Dans la ville de Lomé, quand vous arrêtez un taxi, parlez<br />

kotokoli : on vous répondra".<br />

- Q - N'est-ce pas uussi un heritage du grand commerce de la<br />

cola, autrefois2, qui aurait suscité ce goût des voyages ?<br />

- Dans ¡e vieux temps, les activites n'étaient pas nombreuses. Mais<br />

un commerçant qui a vendu des cola et qui s'est fait une petite fortune, s'il ne<br />

sait où l'investir, il pense automatiquement à l'achat d'un véhicule. Oui, c'est<br />

ainsi que les transporteurs sont devenus très nombreux à Sokodé.<br />

- Q - Quelles sont les activités propres aux femmes kotokoli<br />

à Lomé ?<br />

I Ce sont bien sûr les gens fortunés qui font le plus facilement le pèlerinage à La Mecque.<br />

Dans le monde des grands commerçants musulmans, c'est pratiquement une obligation de rang<br />

social.<br />

Au XIXè siècle, les Kotokoli se sont structurés en chefferies en fonction des pistes<br />

caravanières qui traversaient leur territoire du sud-ouest au nord-est, sur le chemin entre le<br />

grand marché de Salaga (centre-nord du Ghana actuel) et les cités haoussa du nord du<br />

Nigéria. Voir 5 ce sujet les recherches de Jean-Claude Barbier (ORSTOM).<br />

223


- C'est le commerce, le commerce de certaines marchandises, de<br />

certaines denrées, par exemple lès vivres : tout ce qui est ignames, maïs,<br />

haricots, les cossettes de manioc ... Les femmes s'adonnent à ce commerce. I1<br />

ne faut pas oublier aussi le commerce de la cola. Ce commerce -très<br />

florissant- est tenu par plusieurs femmes du Tchaoudjo. Indépendamment de<br />

ça, il faut vous dire qu'évidemment, avec I'évolution de toutes les<br />

collectivités ici, nous avons aussi des femmes qui sont des employées de<br />

bureau, des fonctionnaires, des cadres.. .<br />

- Q - Pensez-vous que la femme kotokoli est aussi<br />

indépendante, économiquement, que la femme de la Région<br />

maritirne' ? Ou fait-elle davantage' "budget commun" avec son<br />

mari ?<br />

- D'une manière générale, i! faut dire que le budget commun entre<br />

l'époux et I'épouse en Afrique -et principalement au Togo- est plutôt rare.<br />

Néanmoins, il y a une certaine collaboration, une certaine solidarité. La<br />

femme aide le mari quand c'est nécessaire. Quant à la'liberté, évidemment,<br />

nous, nous suivons le statut musulman, qui reconnaît à la femme une<br />

certaine liberté. Cela, dans le vieux temps, c'était un peu plus difficile. Mais<br />

actuellement, avec I'évolution, le développement des activités, la femme est<br />

-<br />

un peu libre dans ses activités, comme l'homme.<br />

- Q - Pourquoi aime-t-on toujours tellement la cola dans la<br />

tradition kotokoli ?<br />

La cola est un symbole d'amitié. C'est pour ça, d'ailleurs, que, dans<br />

la plupart de nos cérémonies (par exemple les mariages, les baptgmes, les<br />

décès ...), la cola entre toujours dans les cérémonies. C'est toujours le signe<br />

de l'amitié. C'est notre tradition ...<br />

224


no 14<br />

LE TENNIS<br />

avec<br />

M. Koffi KPAYEDO-TOMETY<br />

(né en1935 G Lomé)<br />

ancien champion de tennis du Togo<br />

M. Vioto Mensavi LAWSON<br />

(né en 1922 à Lomé)<br />

ancien champion de tennis du Togo<br />

M. Yaka PASMAL<br />

(né en 1940 à Glidji, préfecture des Lacs)<br />

ancien champion de tennis du Togo<br />

Encore un sport à Lomé : cette fois-ci le tennis, avec<br />

M. Kpayedo (dit autrefois Tomety), M. Lawson et M. Pasmal,<br />

qui ont été des champions du Togo et qui ont marqué leur<br />

époque dans ce sport.<br />

Le tennis, en général, est plutôt un sport d'élites, un<br />

sport qui, en Afrique, était -et reste dans beaucoup de pays-<br />

réservé aux expatriés : il y a très peu de nationaux qui y<br />

jouent. Alors qu'au Togo, c'est un sport relativement<br />

populaire, et depuis longtemps. Nous allons donc essayer de<br />

savoir, si ce n'est pourquoi (car .c'est difficile), du moins<br />

comment tout ceci s'esf mis en place.<br />

- Q - Que savez-vous, Messieurs, des tout premiers tennis qui<br />

ont existé à Lomé ?<br />

- Dans le temps passé, il y avait trois clubs : l'Athlétique, la<br />

Cosmopolite, la Moderne.<br />

- Q - <strong>Si</strong> nous remontons encore plus haut, à l'époque<br />

allemande, on voit par exemple, sur le plm de la ville en<br />

1913, qu'il y avait deux terrains. L'un, celui de la firme<br />

Goedelt, a dispam en faraw8 que Bermin de teenitis : il zs6 dmwm<br />

le dancing Tonyéviadji, en face de l'ide de la route d'Aného.<br />

L'autre, c'est le terrain qui est aujourd'hui celui de l'AATI,<br />

Association Amicale de Tennis, tout près de l'ancien palais des gouvemeurs<br />

225


créé dès 1903, et qui était celui des gouverneurs allemands,<br />

puis des gouverneurs français. C'est l'endroit oÙ l'on a joué<br />

depuis le plus longtemps au tennis au Togo. Les clubs dont<br />

vous parlez, à quel moment ont-ils été créés ?<br />

- Pour le club AAT, je peux vous dire franchement que je ne sais<br />

pas au juste la date qu'ils ont commencé. Mais nous avons tous participé à la<br />

formation de tous ces clubs que j'ai cités tout à l'heure : l'Athlétique, la<br />

Cosmopolite, la Moderne.<br />

- Q - C'était à quelle époque ?<br />

'<br />

- Je peux donner la date de la naissance de la Moderne : c'est le 16<br />

novembre 1922.<br />

- Q - Et qui l'a constituée ?<br />

I1 y avait un club de football, l'Union sportive togolaise. C'était sa<br />

section : c'est ce club qui l'a constituée, et après on a donné un nom à ce club<br />

de tennis.<br />

- Q - Qui étaiertt alors les joueurs ? Était-ce déjà des<br />

Togolais, ou essentiellenient des Francais ?<br />

- Les Togolais !<br />

- Q - OÙ avaient-ils appris à jouer au tennis ?<br />

- Q - Oui.<br />

- Les Togolais ?<br />

- En voyant jouer.<br />

- Q - C'est seulement en regardant jouer les Européens qu'ils<br />

avaient appris la teclinique ?<br />

- Oui, oui ...<br />

- Q - Peut-être avaient-ils commencé par ramasser les balles,<br />

comme beaucoup de jeunes aujourd'hui ...<br />

- Oui, c'est ça.<br />

- .Q - Et ils ont hérité de quelques vieilles raquettes et,<br />

conme ça, ils se sont lancés ... Messieurs, vous rappelez-vous<br />

le ?2om - de ces premiers joueurs ?<br />

226


- Tossoukpé, Amekpovi, Romawo ...<br />

- Nous avions aussi d'autres bons joueurs, qui ont participé au<br />

championnat du Togo, tels que Messieurs Mensan, Lawson, Adjété, qui ont<br />

suivi Messieurs Tossoukpé et Amekpodi. C'étaient des Africains qui jouaient<br />

normalement, comme des Européens. Et nous, les ramasseurs de balles, c'est<br />

là qu'on a appris àjouer, avec notre plaquette en bois ... On copiait les<br />

meilleurs joueurs sur le terrain. C'est à ce moment que nous sommes<br />

devenus des champions.<br />

- Q - Vous pensez donc que l'on peut devenir champion<br />

comme ça, en étant uniquement autodidacte, en regardant faire<br />

des joueurs (qui ne sont pas tous bons, à vrai dire), sans<br />

prendre de leçons de la part de professionnels du tennis ?<br />

- Aujourd'hui, le tennis est devenu un sport tellement difficile qu'on<br />

ne peut plus devenir champion sans une formation. Mais dans le temps, le<br />

tennis était arrivé comme ça. Nos doyens pouvaient en témoigner. C'était de<br />

la civilisation anglaise. I1 n'y avait pas tellement de joueurs. Et ceux qui<br />

avaient la possibilité de jouer en voyant jouer les autres ont appris àjouer,<br />

mais pas avec les techniques qu'il y a maintenant. Le tennis a beaucoup<br />

évolué ...<br />

- Q - Est-ce que, comme pour le football,1 il y a eu le rôle<br />

de gens qui avaient appris en Gold Coast et qui étaient<br />

ensuite venus à Lomé pour travailler avec les compagnies<br />

anglaises du Togo ?<br />

- Il y a eu plusieurs Cquipes comme ça. I1 y a eu Heart of Oak...<br />

- Q - C'était aussi une équipe de football , n'est-ce pas ?<br />

- De football, oui.<br />

- Q - Et qui avait donc une section de tennis ?<br />

- Non, ils étaient mélangés, comme ça. Mais il y avait des gens qui<br />

jouent au tennis, comme les Fiawóo ... Ils jouaient au tennis, mais dans<br />

l'Athlétique. Vous voyez ? Il y a beaucoup de clubs de football venus de la<br />

Gold Coast. Mais les joueurs de tennis sont éparpiIlCs comme ça.<br />

- Q - Donc trois clubs dans l'e~~~.e-ds~Px-guerres. 06 joanientils<br />

?<br />

Voir <strong>Si</strong>*hm 6.. tome II, diaìogue no 10.<br />

227


- 16 - Octobre 1942 : le vingtième anniversaire de la Cosmopolite,<br />

au terrain du jardin Fréau.<br />

Centre des Archives d'outre-Mer, Aix-en-Provence.<br />

- A la place de la Libération1. I1 y avait deux clubs là-bas. I1 y avait<br />

quatre courts.<br />

- Q - C'était déjà un terrain de football. On pouvait aussi y<br />

jouer au tennis ?<br />

- A Côté.<br />

- Dans le Fréau-jardin, c'est là qu'il y avait le terrain de football.<br />

- Q - C'est-à-dire là oh il y a maintenant le kiosque à<br />

musique ?<br />

- C'est ça !<br />

- C'était un terrain de football, et à côté nous avions quatre courts de<br />

tennis.<br />

- Q - De i'autre c6tb de l'avenue de la Libbration ?<br />

Aménagée en 1934 p;w I'adiiiinistrareur-m~r~ Henri Mau.<br />

228


- C'est ça ! Nous avions le club Athlétique et la Cosmopolite. La<br />

Moderne se trouvait sur le terrain du Chemin-de-fer.<br />

- Q - Les Chemins-de-fer n'avaient-ils pas eux aussi leur<br />

équipe de tennis?<br />

- Non. C'était sur une réserve du Chemin-de-fer. Deux courts de<br />

tennis. Actuellement, c'est le Service des mines. C'était une réserve<br />

administrative.<br />

- Q - Il y avait donc suffisamment de terrains pour que tout le<br />

monde puisse jouer ?<br />

- Non, ce n'était pas suffisant pour que tout le monde puisse jouer,<br />

mais ceux qui avaient ce privilège étaient des gens qui n'étaient pas très loin<br />

du quartier et qui faisaient du ramassage de balles. C'est à partir de ce moment<br />

qu'ils ont commencé à faire du tennis eux aussi, mais ce n'était pas comme<br />

aujourd'hui, où tous les petits ont le privilège de jouer. Ce n'était pas comme<br />

ça.. .<br />

- A 1'AAT aussi, avant, il y avait seulement trois courts.<br />

- Q - L'AAT, c'était alors le club des Européens ?<br />

- Oui, des Européens ! I1 y avait trois courts. Moi, je suis devenu<br />

joueur de tennis, champion du Togo, à cause du ramassage. J'ai ramassé 9<br />

1'AAT aussi dans les années 1948-49-50. J'avais ramassé à la Moderne depuis<br />

1940, quand j'avais coupé la rue...<br />

- Q - M. Lawson, avez-vous aussi commencé coinine Ga, en<br />

ramassant les balles ?<br />

- Moi, j'ai commencé en 1935.<br />

- Q - A jouer ?'<br />

- A ramasser !<br />

- Q - Sur quel terrain ?<br />

- Sur le terrain de la Cosmopolite, place de la Libération.<br />

- Q - Et vous, M. Pasma1 ?<br />

- Oui, moi aussi j'ai fait le ramassage, mais à un niveau très bas :<br />

j'ai fait plutôt du ping-pong ! (rires) Et c'est du ping-pong que j'ai dévié au<br />

tennis. Mais je n'ai pas ramassé comme les autres pendant un an, deux ans...<br />

Non, c'était quelque chose qui a duré peut-être un mois, deux mois ...<br />

229


- Q - Entre le ping-pong et le tennis, les mouvements et les<br />

réflexes sont quand même très différents ...<br />

- Oui. C'est pourquoi, moi, je n'ai pas beaucoup progressé. <strong>Si</strong> j'ai<br />

fait un peu de rage en tennis, c'est peut-être parce que, déjà au ping-pong,<br />

j'avais les réflexes et autres ... Je suis venu comme ça, j'ai commencé àjouer.<br />

Les mouvements n'étaient pas tellement bons. Mais toujours est-il que j'ai<br />

essayé de faire passer les balles de l'autre côté des filets et de feinter<br />

l'adversaire. C'est comme ça que, moi, je suis arrivé à faire du tennis.<br />

- Q - Mais il vous fallait aussi, quand même, un minimum<br />

d'équipement : des chaussures, des raquettes ... Comment<br />

pouviez-vous vous les procurer ?<br />

- Ces matériels nous étaient donnés par nos parents, par les<br />

bienfaiteurs et tous ceux qui aiment le tennis.<br />

- Q - Vous aviez un public ?<br />

- Un public assez nombreux !<br />

- I1 y avait un public très passionné. En ce temps-là, il n'y avait que<br />

le football et le tennis, et. la boxe, et le cyclisme. I1 n'y avait pas le handball,<br />

il n'y avait pas le basket-ball ... Donc après le football, c'était le tennis.<br />

- Q - Y avait-il, comme pour le football, des compagnies de<br />

commerce qui vous "sponsorisaient" - comme on ne disait pas<br />

encore à l'époque ?<br />

- Oui.<br />

- Q - Qui, par exemple ?<br />

- La SGGG ...<br />

- La UAC ...<br />

- Q' - Raymond Eychenne ne s'occupait pas de tennis ?<br />

- Non, du football seulement..<br />

- Q - Est-ce qu'il avait aussi des administrateurs coloniaux ou<br />

.des officiers qui, comme pour la boxe, se passionnaient pour<br />

la formation des jeunes Togolais, et les encourageaient de<br />

toutes sortes de manière ?<br />

230


- Oui. Nous avons eu comme ça le commandant Mermetl, le<br />

gouverneur Montagné2, le gouverneur Péchoux3 et le directeur de cabinet,<br />

Monsieur Bugia ...<br />

- Q - C'était aussi eux qui s'intéressaient au football ?<br />

- Oui.<br />

- Q - Pendant que vous, les équipes togolaises, vous jouiez; y<br />

avait-il aussi un club pour les Européens ? Comment<br />

s'appelait-il ?<br />

- Avant, il y avait le club des commandants.<br />

- Q - c'est-à-dire des administrateurs. Est-ce lui qui est<br />

devenu 1'AAT ?<br />

- Oui, oui !<br />

- Q -'Ils jouaient juste à côté du palais des gouverneurs ?<br />

- C'est ça !<br />

- Q - A quelle époque a-t-il pris ce nom plus sportif d'AAT<br />

(c'est-à-dire "Association Amicale de Tennis") ?<br />

- Depuis que I'AAT a été fondée, il n'y a pas eu de changement de<br />

nom.<br />

- Q - A quelle époque a-t-elle .été fondée sous ce nom-là ?<br />

- Je crois que c'est dans les années 27, en 1927 ...<br />

- Q - Eux, ils jouaient entre eux, et vous, vous jouiez entre<br />

vous. Mais arrivait-il que vous fassiez des rencontres entre<br />

les clubs togolais et le club des Européens ?<br />

- Très sérieusement ! Même jusqu'à Sokodé, Aného, KpalimC ! Les<br />

Européens d'ici-jouent, les Européens de Sokodé viennent jouer ici. Entre<br />

nous, il y a des compétitions. C'est là que nous avons reçu une bonne<br />

formation.<br />

- Q - Parce que les Européens, eux, avaient suivi des cours,<br />

alors que vous, vous étiez autodidactes ?<br />

I Commandant du cercle de Lomé de décembre 1952 iì décembre 1954.<br />

D'octobre 1936 i mars 1941.<br />

De mai 1952 àjuin 1954.<br />

23 1


- Oui ! Et on copie. Moi aussi, je dis : je vais prendre le style de ce<br />

monsieur-là ...<br />

- Q - Quels étaient ces messieurs que vous admiriez ?<br />

- I1 y a Monsieur Picolet, par exemple, Monsieur Blanchet,<br />

Monsieur Crouzat, qui était architecte l...<br />

- Q - L'illustre auteur d'Azizah de Niamkoko jouait aussi au<br />

tennis ?<br />

- Oui. I1 y a aussi Monsieur Pussin, l'ancien directeur des PTT,<br />

Monsieur Lancier ...<br />

- Q - Tout Ca, c'est dans les armées 1950 ?<br />

- Oui, c'est Fa, avant l'Indépendance.<br />

- Q - Ils jouaient vraiment très bien ?<br />

- Très bien !<br />

- Q - Vous arrivait-il quand-même de les battre ?<br />

- Eh, des fois, on les bat ! Des fois, ils nous battent aussi ... (rires)<br />

- Q - A partir de quel moment les Togolais ont-ils commencé<br />

à avoir accès Ci l'AAT ?<br />

- Lawson, Tomety, Anani Téko, Ajavon ont été pris comme<br />

membres d'honneur dans les années 1956, par là ...<br />

- Q - Parce qu'ils jouaient remarquablement bien ?<br />

- C'est ça.<br />

- Q - C'étaient vraiment les meilleurs ...<br />

- Oui, les meilleurs !<br />

- Q - Est-ce que c'étaient des gens qui, simplement, étaient<br />

très bons au tennis et donc avaient été choisis, mais qui, darts<br />

la vie, étaient de condition sociale modeste ou est-ce qu'ils<br />

correspondaient Ci une certaine aristocratie de l'argent et des<br />

diplômes ?<br />

Au Togo de 1946 B 1952. Voir ci-dessous dialogues no 16 et 20.<br />

232


- Par exemple, nous, nous étions toujours aidés. Nous étions<br />

beaucoup aidés : nous jouions à I' AAT sans payer.<br />

- Vous savez, il n'y avait pas d'accès pour les Togolais à 1'AAT.<br />

Mais une fois que ces champions togolais ont commencé à faire du' bon<br />

tennis dans leurs clubs, à avoir des numéros qui sont vus un peu partout,<br />

donc, ces Blancs qui sontà 1'AAT se sont dit : "Mais quels sont ces jeunes<br />

Togolais qui jouent si bien ? Et si on les prenait pour jouer parmi nous ?"<br />

C'est comme ça qu'ils sont arrivés à prendre nos champions et à les mettre au<br />

club, pour leur donner des possibilités qu'ils n'auraient pas s'ils étaient restés<br />

dans les autres clubs.<br />

- Q - C'étaient donc des jeunes qui avaient un grand talent<br />

sportq, mais qui n'étaient pas forcément de familles aisées ?<br />

' - C'est ça, oui.<br />

- Q - Parce qu'en Europe, pendant longtemps (c'est beaucoup<br />

moins .vrai maintenant), le tennis était un sport très élitiste,<br />

réservé aux gens qui avaient beáucoup d'argent. Tandis qu'ici,<br />

au contraire, il suffisait d'avoir du talent ?<br />

- C'est ça. Ici, il suffisait d'avoir du talent. C'est à.ce moment qu'ils<br />

ont dit : "Bon, voilà, mais si ces jeunes peuvent jouer comme ça, on peut les<br />

mettre dans notre club ; ils peuvent nous aider, nous apporter quelque peu ...I'<br />

- Q - Du sang frais ?<br />

- Oui. Et nous aussi, on peut les aider : quand ils sont là, dans leur<br />

club, ils ne feront pas de progrès comme s'ils viennent à I'AAT.<br />

- Q - Peut-être aussi, la plupart de ces Européens étaient-ils<br />

des gens d'un âge moyen, et vous, vous étiez jeunes et<br />

beaucoup plus vigoureux ?<br />

- Oh, il y avait des jeunes vigoureux parmi les Blancs, comme<br />

Dalwin, qui embêtait beaucoup Monsieur Lawson : il lui donnait du fil à<br />

retordre ... (rire) Il y avait des jeunes : Blanchet était un jeune, Picolet était un<br />

jeune ... Mais Monsieur Lawson était un crocodile, en ce temps-là : il était<br />

fort ! C'est pourquoi il arrivait à battre les Européens.<br />

- Q - C'étaient dans des tournois amicaux. A partir de quel<br />

moment s 'est-on mis Ci organiser de véritables compétitions<br />

dans les formes, avec des coupes et des titres ?<br />

- Moi, j'ai vu une coupe qui est plus âgée que moi : 1933 ! La<br />

233


coupe "Cigarette nationa1e"l. Je ne sais pas quand on a commencé de vrais<br />

tournois.<br />

- Q - Qui avait gagné cette coupe de 1933 ?<br />

- La Moderne. L'Athlétique aussi l'a gagnée. Quand on gagne, on<br />

grave le nom dessus.<br />

- Q - OÙ est-elle aujourd'hui, cette coupe ?<br />

- Avec nous, avec la Moderne. Deux coupes des "Cigarette<br />

nationale".. .<br />

- En 1963, je crois, le Togo avait organisé la "West African<br />

Championship", simple et double. Le simple a été gagné par le Nigérian<br />

Patrick Obi, et le double a été gagné par les Togolais Lawson et Tomety, en<br />

1963.<br />

- Q - Était-ce votre première compétition internationale, M.<br />

Pasmal ?<br />

- Je me souvtens que c'était un truc organisé par le chargé d'affaires<br />

de l'ambassade des Etats-Unis, Monsieur Hansey. Lui, il avait invité le<br />

Ghana, le Nigéria et le Togo. Ils avaient joué ici. En ce temps, le Nigéria<br />

était très fort ; l'équipe nigériane était très forte. En simple, ils avaient<br />

gagné. Vraiment, quand on donne le nom "crocodile" à notre doyen, ici,<br />

Monsieur Lawson Mensavi, je crois que, vraiment, il était un crocodile ! Je<br />

les ai vu jouer : j'étais là moi-même. Monsieur Tomety était derrière lui ; il<br />

retournait les balles ; et Monsieur Lawson était au filet et terminait tous les<br />

points, comme ça ... Les Patrick Obi et Olta Obianou étaient étontlés que des<br />

Togolais puissent jouer comme ça, et les battre dans une compétition de si<br />

grande importance internationale !<br />

- Q - Vos adversaires principaux, c'étaient les Nigérians ?<br />

- C'étaient les Nigérians en finale.<br />

- Q - Et en finale du simple, qui a été battu ?<br />

- Un Ghanéen, Anthony Dpve<br />

- Q - Quelle était la place du premier Togolais ?<br />

- J'ai été battu en demi-finale ...<br />

- Q - C'était quand même très honorable ...<br />

Qui avait alors un quasi monopole du tabac en Afrique française.<br />

234


- Par le Ghanéen Anthony Dove<br />

- Q - Vous étiez donc troisième ?<br />

- Troisième, c'est ça.<br />

- Q - Quels autres pays étaient 'représentés Ci cette cornpétition<br />

inter-africaine, à part le Nigéria et le Ghana ?<br />

- C'est tout. Le Togo était le seul pays francophone<br />

- Q - Le Bénin et la Côte d'Ivoire n'avaient pas envoyé de<br />

représentants ?<br />

- Non, non ! Ils n'avaient pas de joueurs àl'époque.<br />

- Q - M. Lawson, avant cette époque (clest-à-dire 1963), il n'y<br />

avait pas eu d'autres compétitions internationales ?<br />

- I1 y avait eu d'autres compétitions à l'extérieur. On nous avait<br />

envoyés à Dakar, Tomety et moi.<br />

- Q - Pour jouer contre qui ?<br />

' - Pour jouer contre des Européens, en 1954-56. Parce qu'en 1955,<br />

on était parti en France pour un stage à l'INSf, avec Adjanké.<br />

- Q - En 1954, à.Dakar, qui ramassait les balles ? Y avait-il<br />

des petits Sénégalais qui faisaient comme vous vous aviez<br />

faità Lomé ?<br />

- Oui, il y avait des petits ramasseurs, là-bas aussi, mais c'était des<br />

débutants.<br />

- I1 y avait des petits ramasseurs sénégalais, mais ils ne<br />

s'intéressaient pas au tennis ... A Dakar, c'était pour le classement : nous<br />

sommes partis pour nous faire classer en tant que joueurs français.<br />

- Q - Qu'avez-vous obtenu coinine résultat ?<br />

- Quatrième série.<br />

- Q - Je suppose que la première série, elle, regroupait les<br />

meilleurs joueurs de France ?<br />

- Oui, c'est ça. En 1963, j'ai participé en simple et en double. J'ai<br />

' Institut national des Sports, au Bois de Vincennes, aux portes de Paris.<br />

235


fait plusieurs fois le championnat du Togo. J'ai été pendant dix ans champion<br />

du Togo.<br />

- Q - Y avait-il un tournoi aniiuel ? Ou une série de tournois<br />

pour le titre de chainpion du Togo ?<br />

- Nous étions trois clubs ; il y avait trois sociétés en ville. Alors<br />

chaque année, on s'organise pour fairë des championnats entre nous-mêmes. ,<br />

- C'est le Gouvernement qui organisait li, Cigarette nationale". Ça<br />

se jouait en septembre, toujours en septembre : quatre doubles, un simple.<br />

La coupe Crouzat se jouait vers la fin de l'année : novembre-décembre. Le<br />

championnat, c'était au début de l'année.<br />

- Q - Où se déroulaient ces compétitiÒns ? Sur quel terrain ?<br />

- Sur les terrains Athlétique, Moderne et Cosmo.<br />

- Q - Et jamais Ci I'AAT ?<br />

- Jamais à I'AAT. avant.<br />

- Q - Entre cette époque des années 1963-70 (où vous étiez,<br />

Messieurs, ri l'apogée de votre forme) et aiijourd'hui, les<br />

techniques ont-elles beaucoup évolué ?<br />

- Actuellement, les techniques ont évolué, parce qu'ils ont des<br />

entraîneurs, maintenant. Alors qu'avant, nous n'avions pas d'entraîneurs. On<br />

s'entraînait nous-mêmes, et nous avions des techniques personnelles. Comme<br />

j'ai dit, nous copiions les bons joueurs qui sont sur le terrain, et nous<br />

adoptions .leur style. Des fois, nous leur demandions comment ils arrivent à<br />

faire le bon revers, ou bien le coup droit, ou bien la volée ... On leur<br />

demande, et ils nous expliquent, ils nous enseignent ... Je vous ai déjà dit<br />

qu'après leurs matches, leurs entraînements, à nous les ramasseurs, on nous<br />

donne des petites raquettes, et nous jouons avec eux.<br />

- Q - Certains d'entre vous soiit-ils devenus entraîneurs ?<br />

Certains d'entre vous, de ces jeunes qui avaient commencé en<br />

ramasant les balles, sont-ils devenus des professionnels ?<br />

- Je suis devenu entrgîneur. J'étais maître d'éducation physique : je<br />

n'ai fait que du sport. Alors j'ai été envoyé en France pour faire un stage de<br />

six mois à l'INS, au Bois de Vincennes. Nous étions deux, Ayayi Adjanké et<br />

moi, partis en France pour le stage. A notre retour, on nous a nommés<br />

entraîneurs nationaux, pour entraîner les jeunes.<br />

- Q - Pensez-vous que, en vingt-cinq ans, il y a eu<br />

effectivement de grandes transforinations de la manière de<br />

236


jouer au tennis ?<br />

- La technique a beaucoup changé pqce que, périodiquement, il y<br />

avait des stages qui étaient organisés, surtout par l'ambassade d'Amérique. Ils<br />

viennent pour deux semaines, ou quelques semaines, montrer vraiment la<br />

technique aux gens. C'est à ce moment que les choses ont changé.<br />

- Q - Mais est-ce par ,une meilleure connaissance des<br />

techniques ou est-ce que les techiiiques oiit changé ?<br />

- Les techniques ont changé, mais les connaissances aussi, parce<br />

que, pour dire, la vérité, c'est grâce à un commandant de cercle, Monsieur<br />

Mermet, que j'ai su jouer du revers. Je ne savais pas jouer du revers.<br />

Monsieur Picolet -un bon joueur de tennis- nous a aussi montré. Maintenant,<br />

les jeunes d'aujourd'hui apprennent tout en même temps : le revers, le service<br />

et le coup droit, comment faire la volée ... Tout en même temps, et avec des<br />

raquettes convenables, pas de planchettes comme Lawson et moi ...<br />

- Q - Imaginons que vous vous retrouyiez avec vos jambes de<br />

vingt ans face aux jeunes qui jouent aujourd'hui. Pensez-<br />

vous, que vous jouiez mieux qu'eux ou est-ce que, avec leurs<br />

techniques beaucoup plus performantes, ils vous battraient ?<br />

- Avec leurs techniques je crois bien qu'ils vont nous battre. (rires)<br />

Mais avec l'expérience, nous allons tenir un peu.<br />

- Q - Par la suite, cominerit ont évolué ces nombreuses<br />

sociétés de tennis de Lorné, avec des terrains relativement<br />

nombreux ? Qu'est-ce qui s'est passé avec la croissarice de la<br />

ville, en particulier la transfor!nation d'un certain riombre de<br />

terrains pour les besoins de 1'Etat ou du développement de la<br />

ville ?<br />

- Je crois que cela a beaucoup perturbé le progrès du tennis dans<br />

notre pays. Les clubs comme la Cosmo, la.Moderne, l'Athlétique n'existent<br />

plus. C'est vraiment dommage, parce qu'il y a beaucoup de joueurs qui<br />

étaient sortis de ces clubs, et les clubs que nous avons actuellement : la Cité<br />

de Bénin', le club AAT et, en plus, quelques clubs des hôtels, ce n'est pas<br />

assez. Puisque le club de 1'AAT est bien situé, vers le cenbe-ville, tous ces<br />

gars qui sont à Kodjoviakopé viennent envahir le club de I'AAT. S'il y avait<br />

plus de clubs, je crois quand même que le tennis aurait beaucoup fait parler de<br />

lui.<br />

- Q - C'est donc d'abord UR problème de place ?<br />

- Oui, c'est un problème de place.<br />

Residence (locative) en face de l'Universit6, où logeaient beaucoup d'expatries.<br />

237


- Q - Par exemple, qu'est-ce qui s'est passé quand on a<br />

construit les terrains où se situe maintenant le Service des<br />

mines ? Où sont allés les joueurs ?<br />

- La Fédération, dans le temps, avait donné un terrain municipal<br />

demère l'AAT, que nous appelons le court de compétition.<br />

- Nous sommes venus prendre le court de compétition<br />

- Q - C'est-à-dire une partie de I'AAT ?<br />

- Oui, une partie de I'AAT. C'est un club qui a été créé en 1956.par<br />

la Fédération, le court de compétition. Nous sommes là-bas pour former les<br />

jeunes : les Ségbaya, Ayéboua ... ont été formés là-bas. On ne nous a rien<br />

dit. Monsieur Lawson, lui, a pris le club du Stade municipal pour former les<br />

gens. Comme dit Monsieur Yaka, les clubs n'existent plus, sauf I'AAT, qui<br />

prépare les jeunes : l'espoir, la relève du Togo !<br />

- Q - Est-ce que I'AAT sélectionne vraiment les meilleurs et<br />

forment des jeunes qui seront des champions ?<br />

- Nous parlons de l'AAT dans ce sens que c'est le club qui est<br />

vraiment en vue, mais il y a la Fédération qui a ses entraîneurs, qui entraîne<br />

les jeunes. Les deux clubs, la Fédération et l'AAT, se complètent : ce sont<br />

les mêmes joueurs, en tout cas.<br />

- Q - Et ils sont prometteurs.<br />

- Ah, oui, il y en a qui sont prometteurs ! (rires)<br />

238


no 15<br />

LA PHARMACIE<br />

ET LES MÉDICAMENTS<br />

avec<br />

M. Ayigan d'ALMÉIDA<br />

(né en 1946 à Cotonou, Rép. du Bénin)<br />

de la Pharmacie Pour Tous (a Octaviano Nétimé),<br />

docteur en médecine, en pharmacie et en biologie,<br />

président de 1'ASPHARTO<br />

M. Horatio JOHNSON<br />

(né en 1928 à Aného, préfecture des Lacs)<br />

de la Pharmacie du Château-d'eau, àBè<br />

M. Azankpo AHODIKPÈ<br />

(né en 1916 à Cabinda, Rép. d'Angola)<br />

de la Pharmacie Améssiamé, au marché de Bè<br />

Nous voici à la Pharmacie Pour Tous, chez le Dr<br />

d'Alméida, le président de I'ASPHARTO (l'Association des<br />

pharmaciens du Togo), entouré de M. Johnson, de la<br />

Pharmacie du Château-d'eau et de M. AhodikpÈ, qui est le<br />

doyen des pharmaciens encore en activité, puisqu'il a 72 ans,<br />

et donc une très longue expérience derrière lui.<br />

- Q - M. Ahodikpk, pouvez-vous nous rappeler comment<br />

fonctionnait la pharmacie entre les deux guerres mondiales, à<br />

l'époque où il n'y avait pas encore de pharmacies privées à<br />

Lomé.<br />

- A l'époque, quand il n'y avait pas encore de pharmacies privées,<br />

I'État fournissait gratuitement les médicaments à la plupart des malades.<br />

Quand nous étions jeunes, (vers 1930, par exemple), quand on allait à<br />

l'hôpital, on était soigné gratuitement. Il n'était pas question de vendre des<br />

médicaments. Au départ, le médicament était donné gratuitement dans les<br />

hôpitaux et les dispensaires.<br />

239


- Q - Et l'on vous donnait juste la dose nécessaire ? S'il<br />

fallait prendre, par exemple, douze comprimés, on vous<br />

donnait juste les douze comprimés ?<br />

- C'est ça ! Ce qu'il fallait pour vous soigner.<br />

- Q - Donc il n'y avait pas d'"auto-médication". <strong>Si</strong> vous aviez<br />

mal à la tête, vous ne pouviez pas aller chercher un cachet<br />

d'aspirine sans passer par le médecin de l'hôpital ?<br />

- Non. Pour ça, il y avait quand même des aides-médecins, il y avait<br />

des infirmiers, qui pouvaient également vous soigner ... Mais, à l'époque, il<br />

n'y avait pas la possibilité d'acheter des médicaments ailleurs.<br />

- Q - Pensez-vous que le recours à la médecine moderne et à<br />

ses médicaments concernait beaycoup de gens ? Ou bien la<br />

plupart des Loméens continuaient-ils à se traiter "à<br />

l'indigène'', comme on disait ?<br />

- Bien sûr ! I1 y en a eu toujours, et ça continue toujours. I1 y a des<br />

gens qui y sont attachés, qui ont utilisé des médicaments traditionnels et qui<br />

continuent de le faire. Mais, vous savez, la nouveauté, ça intéresse toujours.<br />

I1 y en a qui allaient à l'hôpital se faire soigner ; d'autres s'adressaient à des<br />

gukrisseurs. I1 faut dire que, à l'époque, il y avait beaucoup de guérisseurs,<br />

puisque les gens ne vivaient que de ça, ne connaissaient que ça: Par<br />

conséquent, il s'est formé des gens qui étaient spécialistes. Par exemple, je<br />

peux dire que ma mère connaissait beaucoup de plantes médicinales, bien<br />

qu'elle ne soit pas d'ici (elle vient du Cabinda, en Angola). Elle connaissait<br />

tellement de médicaments qu'elle-même se permettait de faire des<br />

accouchements à domicile, et elle réussissait bien ...<br />

- Q - Est-ce qu'elle retrouvait dans le climat du Togo les<br />

plantes qu'elle connaissait au Cabinda, qui est en région de<br />

forêt humide, donc dans un milieu naturel assez différent ?<br />

- <strong>Si</strong>, elle a trouvé des médicaments ici. Je me souviens que, un jour<br />

(il n'y a pas très longtemps de cela), on était allé à l'hôpital d'Afagnan.<br />

Quand on est sorti, à côté de l'entrée, il y avait un peu de broussailles. Elle<br />

est partie là-bas, et elle a duré ... On s'inquiétait et puis, quand elle est<br />

revenue, elle avait rempli le pagne qu'elle portait d'une herbe qu'elle avait<br />

cueillie là-bas. Et elle a dit que, voilà, quand elle est arrivée ici (ça faisait déjà<br />

à l'époque plus de 30 ans), elle avait cherché cette plante-là, ce médicament-<br />

là, et jamais encore elle ne l'avait rencontrée ... Elle était très heureuse !<br />

240


- Q - Ce rôle de médecin officieux de votre mère a-t-il été<br />

pour quelque chose dans le déclenchement de votre vocation de<br />

pharmacien ? Est-ce elle qui vous a donné l'envie de sdigner<br />

les gens ?<br />

- Non ... Je peux dire que, quand j'ai fait ça, ce n'était pas tellement<br />

par vocation ... J'aurais dû faire autre chose. Mais, à l'époque, quand on nous<br />

a envoyés à Dakar, le Togo avait exigé que nousX1ions à I'École de<br />

Médecine : on était "orientés". Ce n'était pas ma vocation. (rires)<br />

- Q - Mais vous l'avez accepté ?<br />

- Oui, je l'ai accepté ...<br />

- Q - Votre mère vous a-t-elle transmis quelques-uns de ses<br />

secrets ?<br />

- Non, non ! C'était des choses qui ne m'avaient pas beaucoup<br />

intéressé, et je le regrette. <strong>Si</strong> cela avait été ma vocation, je suis convaincu<br />

que je serais un grand herboriste moi aussi. Malheureusement, ce n'était pas<br />

quelque chose qui .m'intéressait tellement -surtout les plantes médicinales-<br />

quand on est parti à Dakar, en 1936.<br />

- Q - Le Togo, 13 l'époque, était très pauvre en personnel<br />

médical. Etait-ce la première promotion ainsi "orientée"<br />

autoritairement ?<br />

-<br />

.I -<br />

- Oui. I1 n'y avait pas assez de médecins, il n'y avait pas de<br />

pharmaciens.. Alors, on a exigé que nous allions à l'ÉCole de Médecine.<br />

Nous étions deux : le docteur Fiadjoel et moi.<br />

- Q - Les tout premiers ?<br />

- Non, il y en avait eu d'autres avant nous, qui ont fait autre chose.<br />

Personne d'entre eux n'avait choisi la pharmacie.<br />

- Q - En quelle année e^tes-vsus revenu ici, une f5Ls<br />

pharmacien diplfime' ?<br />

- En 1941.<br />

Robert Fiadjoe (nC en 1911 à Lomi), fondateur de la clinique Biassa. maire adjoint de Lom6<br />

de 1959 h 1963, deputt? de 1961 à 1963.<br />

241


- Q - La circulation était-elle facile, en 1941, entre Dakar et<br />

Lomé ?<br />

- On voyageait par bateau.<br />

- Q - 'A ce moment-là, le nombre des bateaux était tombé Ci<br />

très peu de chose. Vous n'avez pas eu de difficultés pour<br />

revenir ?<br />

- En 1939, en revenant en vacances, on est passé par l'intérieur du<br />

continent parce que, vous savez, le voyage par mer n'était plus sûr, à cause<br />

des navires de guerre qui infestaient les lieux.<br />

- Q - C'est donc ainsi, M. Ahodikpè, que vous êtes devenu le<br />

premier pharmacien togolais. A ce moment-là, Ci quoi va-t-on<br />

vous employer ?<br />

- J'ai été affecté à l'hôpital. Mon rôle consistait à donner au détail<br />

les médicaments pour les malades hospitalisés. Chaque matin, on nous<br />

envoyait la liste des médicaments, avec leurs quantités, qui devaient aller aux<br />

malades hospitalisés, et on les servait. Et puis, par la suite, puisqu'on ne<br />

pouvait plus continuer à donner gratuitement les médicaments à tout le<br />

monde (il y avait déjà eu une certaine évolution), on a créé une section des<br />

médicaments pour le public. Alors, il y avait certains malades à qui on<br />

vendait quelques produits de l'hôpital, qui étaient initialement destinés à<br />

l'hôpital.<br />

- Q - Vous nous avez dit que les malades de l'hôpital<br />

recevaient gratuitement les médicaments. Mais comment<br />

fonctionnait la seule clinique privée qui existait, la clinique<br />

"Bon-Secours " ? Donnait-elle aussi les médicaments ?<br />

- Ah, c'est tout récent, la clinique Bon-Secours !<br />

- Q - Elle date des années 1930-32, tout de même ...<br />

- Mais luil, il avait des médicaments, il recevait directement des<br />

médicaments d'Allemagne, et il les cédait à ses malades. A cette époque-là, en<br />

1932, je n'exerçais pas. Il n'y avait pas encore de pharmacies privées. Je crois<br />

qu'il était autorisé à importer directement les mkdicaments, qu'il cédait à ses<br />

malades.<br />

* Le H3s Pedro Olympio (1898-1969), fils d'octaviano O., premier médecin togolais (formé en<br />

Albmirgne et en France), qui fera aussi plus tard de la politique (mais dans le camp opposé à<br />

celui de son cousin germain Sylvanus). Aprhs sa mort, la clinique Bon-Secours est devenue<br />

une annexe de I'hôpitai, confike à la coopération médicale chinoise.<br />

242


- Q - Et vous, M. Johnson, où avez-vous été formé?<br />

- Je suis arrivé à Lomé en 1951, après avoir fait mes études à Dakar<br />

de 1946 à 1951.<br />

- Q - Donc en suivant la même filière que M. Ahodikpè.<br />

- Oui, la même filière.<br />

- Q - Y avait-il eu d'autres Togolais entre vous deux ?<br />

- Non ! A l'Ecole de Dakar, non ! Je n'en connaissais pas pour la<br />

pharmacie. Mais pour la médecine, il y avait aussi des confrères qui venaient<br />

du Togo.<br />

- Q - Mais il devait y avoir alors aussi des Togolais qui<br />

commençaient à se former dans les facultés de pharmacie en<br />

France.<br />

- Certainement. Je ne les connaissais pas. I1 a fallu que M.<br />

Djabakoul vienne ici le premier pour qu'on sache que c'était le premier sorti<br />

de la Faculté.<br />

- Q - Quand est-il revenu au Togo ?<br />

- Je crois qu'il est revenu en 1955, ou en 56, par là ...<br />

- Q - A ce moment-là, la pharmacie privée avait déjà fait son<br />

apparition au Togo, n'est-ce pas ?<br />

- Oui, puisqu'il y avait déjà, si mes souvenirs sont exacts, la<br />

pharmacie <strong>Lome</strong>.<br />

- Q - Qui était exactement M. Lorne ?<br />

- C'est un Français antillais.<br />

- Il y avait aussi la pharmacie Lavaissière.<br />

- Q - Laquelle des de& avtait dt6 ka premi4re ?<br />

Albert Djabakdu, nk à Tskvik en 1919, form6 en France, fondateur de la pharmacie<br />

Centrale (à Assivito, en face de la SGGG). Premier prksident togolais de la Chambre 'de<br />

commerce, agriculture et industrie du Togo (juin 1964 - avril 1977).<br />

243


~<br />

- 17 - La pharmacie Lorne à Kokétimé, vers 1960.<br />

Cliché Alex Acolatsé, archives de lu famille Acolatsé.<br />

- C'est Lorne.<br />

- Q - Sa pharmacie était installée dans ce bâtiment très<br />

curieux qui se trouve au carrefour de la rue Aniko-Pallako et<br />

de la rue d'Amoutivé : un bâtiment li colonnades, très<br />

spectaculaire1. Est-ce que c'était une pharmacie bien équipée,<br />

où l'on trouvait facilement ce que l'on voulait ?<br />

- A cette époque, oui ! Je crois que M. Lorne a fait de belles affaires.<br />

C'était très renommé, au point que, à un moment donné, il s'est transféré<br />

vers le Ghana.<br />

- Q - Il a créé une succursale li Accra ?<br />

- Il a créé une succursale au Ghana, qui doit exister encore.<br />

- Q - Un ami qui était autrefois instituteur dans l'intérieur du<br />

pays m'a raconté qu'on pouvait facilement lui passer<br />

commande. On envoyait les commandes par la poste, et les<br />

médicaments revenaient par le train da lendemain. Donc<br />

c'était bien Crrgareise' ?<br />

Construit en 1924 par Moise Adjévi Lassey, sur le modkle de l'hôpital Korle-Bu d'Accra.<br />

Voir Trésors cachés du vieux Loiné, pp. 63-65. La pharmacie Lorne fut fermee vers 1962, en<br />

raison, semble-t-il, d'une accusation de complot contre le regime.<br />

244


- C'était très bien organis6 ! Et comme les gens n'avaient pas<br />

d'autres moyens de s'approvisionner, ils y allaient.<br />

- Q - Dans ces années 1950, y avait-il toujours à l'hôpital<br />

une certaine fourniture de médicaments gratuits.<br />

- Ah oui, oui !<br />

- Q - Comment se faisa-it la répartition entre les pharmaciens<br />

qui faisaient payer les médicaments et l'hôpital qui les<br />

donnait ?<br />

- A la pharmacie de détail, il y avait une section qui était chargée de<br />

ravitailler l'hôpital. Et il y avait une autre section qui fournissait des<br />

médicaments au public contre payement.<br />

- Q - Il n'Y avait pas de dépôts pharmaceutiques pour la vente<br />

à cette époque ?<br />

- Non, les médicaments, on les vendait surtout à des fonctionnaires,<br />

à des salariés, des gens qui avaient un certain revenu ...<br />

- Q - Et les petites gens, eux, étaient soignés gratuitement ?<br />

- Oui, ils étaient soignés gratuitement.<br />

- Q - Vous, responsable de la pharmacie de l'hôpital, sans<br />

esprit lucrats comment avez-vous ressenti cette apparition de<br />

la concurrence d'une pharmacie privée ?<br />

- Oh ! Nous n'avons pas senti une concurrence, parce qu'ils avaient<br />

leur clientèle à eux : ils s'adressaient surtout à des gens qui avaient les<br />

moyens de payer une certaine quantité de médicaments. Nous, on n'en avait<br />

pas assez.<br />

- Q - Les Européens allaient-ils plutôt chez Lorile ?<br />

- Oui !<br />

- Q - Avait-il, lui, des médicaments que vous n'aviez pas ?<br />

- Bien sûr. Il avait plus de spécialitks que nous, puisqu'il avait la<br />

liberté de commander tout ce qu'il voulait, tout ce qu'il jugeait intéresser la<br />

clientèle. Tandis que nous, nous étions limités. Et puis on avait un certain<br />

245


crédit annuel : chaque année, vous êtes limité par le budget. Il fallait prévoir.<br />

Vous choisissez les produits essentiels : ce sont ces produits-là que vous<br />

commandez, tandis-que, dans le privé, il y a des gens qui tiennent à certains<br />

médicaments : même quand le médecin leur a ffie que ce n'est pas tellement<br />

indispensable, ils y tiennent ...<br />

- Q - Ce qu'on appelle les "médicaments de confort" ?<br />

- Oui ...<br />

- Q - Qui vous réconfortent plutôt qu'ils ne vous soignent. ..<br />

- C'est ça !<br />

- Q - M. Johnson, où se trouvait la pharmacie de 'l'hôpital ?<br />

- Vous voyez le grand bâtiment qui longe une rue qui va vers le<br />

terrain de sport ? Ce grand bâtiment était l'hôpital européen1 - tout au moins<br />

l'étage. Le rez-de chaussée abritait la pharmacie, quand je suis revenu de<br />

Dakar, en 1951.<br />

- Q - Ce qui est aujourd'hui l'annexe des ministères de la<br />

Fonction Publique et de 1'Éducation nationale.<br />

- Oui, la pharmacie était sous l'étage, là, à côté du téléphoniste'de<br />

l'hôpital.<br />

- Q - Quant à la toute première pharmacie, à l'époque<br />

allemande, eh bien, c'était l'actuelle ambassade de France,<br />

tout à côté.<br />

- Entendons-nous bien. Je parle de la pharmacie de détail de<br />

l'kfôpit'al. Mais il y avait la pharmacie d'approvisionnement, qui occupait le<br />

'bâtiment perpendiculaire, tandis que, de l'autre côté, c'était la pharmacie de<br />

détail de l'hôpital. Voyez-vous ? La pharmacie d'approvisionnement était<br />

pour tout le territoire. C'est de là qu'on envoyait les produits, les<br />

médicaments, par caisses, à l'intérieur du pays, dans les hôpitaux.<br />

- Q - Ces entrepôts étuient-ils climatisés ?<br />

- Oh, non !<br />

Construit en 1909, abandonne en 1954 au profit du CHU actuel (voir <strong>Si</strong> Lom L.. tome I,<br />

dialogue no 13).<br />

246


- Q - Est-ce qu'il n'y avait pas des précautions particulières à<br />

prendre pour préserver les médicaments I d'une détérioration par<br />

la chaleur ?<br />

- Les magasins étaient plus ou moins ventilés. C'était tout.<br />

- On mettait les vaccins dans les Frigidaires. Mais il n'y avait pas de<br />

climatisation dans les salles. Ça n'existait même pas.<br />

- Q - Il devait alors y avoir beaucoup de produits rapidement<br />

pérìmés ?<br />

- A notre niveau, les produits n'étaient pas périmés. Les produits<br />

étaient peut-être avariés, que ce soit par la chaleur ou par l'humidité : on les<br />

mettait de côté. A part les vaccins et les sérums, on ne pouvait pas vérifier<br />

les péremptions.<br />

- Q - Au cours de ces années-là, il y avait certains produits<br />

qui étaient très utilisés, comme le Thiazomide, qu 'aujourd'liuì<br />

on ne trouve plus. Pourquoi ?<br />

- La science évolue très rapidement, et des médicaments, on en<br />

invente de plus en.plus. Alors, au fur et B mesure, on en abandonne certains.<br />

Remarquez qu'il y a des gens qui utilisent encore ces produits-là. Mais on les<br />

a abandonnés parce que, actuellement, la vogue est aux antibiotiques.<br />

- Ah oui, les Thiazomide, Stovarsol, Dagenan ... C'étaient trois<br />

produits qui étaient très en vogue au cours des années 1940-50. C'étaient des<br />

produits importants.<br />

= Q - Mais si certains ont disparu, ce qui frappe surtout, c'est<br />

l'accroissement du nombre de médicaments. Il y en a<br />

aujourd'hui des milliers ! Étaient-ils déjà très nombreux dans<br />

les années 1940-50 ?<br />

- Dans ces années 1950, il n'y avait pas beaucoup de spécialités<br />

pharmaceutiques. La liste était très restreinte. C'est au fur et à mesure que les<br />

spécialités se sont multipliées. Actuellement, nous avons bien plus de<br />

spécialités qu'avant.<br />

- Q - Aviez-vous parfois des problèmes de ruptures de stock ?<br />

- Oui, mais pas souvent, parce qu'on faisait beaucoup de prévisions,<br />

et on les faisait correctement. Parce que les approvisionnements arrivaient par<br />

247


ateau. Donc, il fallait prévoir, et cela se faisait assez bien. Les commandes<br />

étaient faites semestriellement, je crois. I1 m'est difficile de donner un chiffre.<br />

Mais imaginez-vous que, pour tout le Togo, en ce temps-là, il fallait quand<br />

mgme quelque chose d'important ! Les commandes se faisaient deux fois par<br />

an, et on les livrait à l'intérieur du pays aussi deux fois par an. Tous les six<br />

mois, on faisait des expéditions qui, parfois, occupaient une dizaine de<br />

wagons ! Mais ce n'était pas d'un seul coup : on les envoyait au fur et à<br />

mesure, selon le calendrier. A la pharmacie d'approvisionnement, on était<br />

bien une trentaine en ce temps-là. I1 y avait beaucoup de manoeuvres, le<br />

patron, un ou deux pharmaciens ... Parce qu'on n'était que deux : il y avait M.<br />

Ahodikpè, qui était à la pharmacie de l'hôpital, et moi, à la pharmacie<br />

d'approvisionnement.<br />

- Q - Vous n'aviez pas de pharmaciens expatriés avec vous ?<br />

- Le seul expatrié, c'était le pharmacien-chef, qui était en général un<br />

pharmacien militaire. C'était le seul expatrié. C'était lui le patron.<br />

*<br />

* *<br />

- Q - La deuxième pharmacie privée a donc été celle de<br />

Lavaissière, qui est l'actuelle pharmacie du Grand-marché ?<br />

- Du Grand-marché ... Oui !<br />

- Q - C'est donc le plus ancien bâtiment faisant fonction de<br />

pharmacie qui n'a jamais cessé de l'être. Quì était ce<br />

Lavaissière ?<br />

- C'était une Française, une dame ; c'est son mari qui s'appelait<br />

Monsieur de Lavaissière.<br />

- Q - Et elle était pharmacienne ?<br />

- Oui, c'était elle qui était la pharmacienne. .T'oublie son nom de<br />

famille.<br />

- Q - Elle était très bien placée, là, tout près du grandmarché<br />

?<br />

- Très bien placée, oui ...<br />

- Q - Mais le bâtiment est petit. Y a-t-il eu une nette<br />

248


concurrence avec la pharmacie Lorne, ou bien y avait-il<br />

suffisamment d'activités pour les deux à la fois ?<br />

- Je crois que chacun avait sa clientèle. I1 y en avait suffisamment :<br />

le marché était assez important. Par conséquent, ils n'avaient pas à se manger<br />

le nez. Je crois qu'ils s'entendaient bien.<br />

- Q - Avez-Yous en tête les années exactes où se sont créées<br />

ces deux pharmacies, Lorne et de Lavaissière ?<br />

- C'est en 1956 pour de Lavaissière.<br />

- Q - Et Lorne ?<br />

- Je suppose deux ans plus tôt, je lui donnerais 1954, à peu près..,<br />

- Q - Ce qui coïncide avec le transfert de l'hôpital, du vieil<br />

hôpital allemand au grand CHU de Tokoin ?<br />

- Oui, ouî.<br />

- Q - Donc, pour les gens, il 'y avait désormais une plus<br />

grande difficulté pour aller s'approvisionner en médicaments<br />

depuis le centre-ville : il fallait maintenant faire un long<br />

chemin, traverser la lagune ...<br />

- Je pense que oui. Du temps où il y avait l'hôpital ici,<br />

évidemment, la plupart des gens qui voulaient se soigner à leur propre<br />

compte allaient acheter leurs médicaments chez <strong>Lome</strong> ou chez de Lavaissière<br />

(mais surtout chez Lorne, puisque c'était le premier installé : de Lavaissibre<br />

est venue après). Mais le transfert de l'hôpital, évidemment, a dû contribuer<br />

un peu à baisser son chiffre d'affaires.<br />

- Q - Et la troisième pharmacie privée, c'était celle d!dlbert<br />

Djabakou ?<br />

-.Oui, c'est la pharmacie Djabakou, ouverte en 1957.<br />

- Q - Avec, pour la première fois, un bâtiment conçu comme<br />

une pharmacie, vraiment créé pour cela ? -<br />

- Oui, le bâtiment est moderne, et très bien placé1.<br />

~~ ~<br />

' Mais il a fermé à la fin des années 1980.<br />

249


- Q - Dans ces années-là, de la fin de l'époque coloniale,<br />

comment se faisait l'approvisionnement des pharmacies ?<br />

Chacune pouvait-elle commander en France comme elle<br />

l'entendait ?Ou bien devait-on passer par une administration<br />

centrale ? Les médicaments arrivaient-ils par avion, par<br />

bateau ?<br />

- Ils commandaient directement la plupart de leurs médicaments par<br />

bateau, ou par avion quandil s'agit de produits légers.<br />

- Q - Quels étaient les prix par rapport aux prix francais ?<br />

Etaient-ils lourdement grevés par le transport ?<br />

- Non, il y avait un boefficient qu'on appliquait. Le prix public<br />

français était multiplié par un coefficient : si j'ai bonne mémoire, par 0,70.<br />

- Q - C'est-à-dire une multiplication par un peu moins d'un et<br />

demi ?<br />

- Oui, ça faisait une augmentation de 40 %. Un médicament que<br />

vous achetiez à 1000 F CFA en France, on le vendait ici à 1400 F, avec ce<br />

barème qu'on appliquait.<br />

- Q - <strong>Si</strong> vous aviez un besoin en extrême urgence, 'combien de<br />

temps vous fallait-il pour l'obtenir ? Un médicament que<br />

personne n'a à Lomé et qu'il faut faire venir de France ?<br />

- Par' avion ?<br />

- Q - Par le mDyen le plus court.<br />

- Ça dépend des laboratoires. Je me souviens qu'on pouvait<br />

téléphoner, télégraphier ... Selon les laboratoires, ça prenait de deux semaines<br />

à un mois.<br />

- Q - En cas d'urgence, deux semaines, Ca fait quand même<br />

beaucoup, non ? On a tout le temps de mourir entre-temps ...<br />

- On n'avait pas les moyens .de faire autrement.<br />

B<br />

* *<br />

- Q - Au moment de l'Indépendance, on a donc de plus en plus<br />

250


de pharmacies privées Ci Lomé, et l'hôpital continuait à<br />

distribuer, mais désormais en faisant payer pour l'essentiel.<br />

C'est bien celà ?<br />

- Oui.<br />

- Q - Quelles sont les autres pharmacies qui se sont créées<br />

dans ces années-là ?<br />

- Il y a eu la pharmacie Drackey-Lawson, qui s'est créée en 1957 à<br />

Kpalimé, et la pharmacie Amégna Comlan, à Atakpamé.<br />

- Q - Et Ci Lomé, pas d'autres créations ?<br />

- Oh si ! II y a eu beaucoup d'autres pharmacies ...<br />

- I1 y a eu la pharmacie Gonçalves en 1959, Quashie en 1959, la<br />

pharmacie Améssiamé en 70 ... Je suis venu àLomé en 1970.<br />

- Q - Après une tentative dans une autre ville ....<br />

- Oui, j'étais d'abord à Aného, en 1960 ...<br />

- Q - Le marché y était-il suffisant ?<br />

- A cause de la concurrence, je me suis replié sur Lomé. Je suis<br />

rentré à Lomé en 1970.<br />

- Q - Et vous vous êtes installé tout de suite à ceté du marché<br />

de Bè, là oh vous êtes actuellement ?<br />

- Oui, oui, à Bè.<br />

- Q - Pouvez-vous rappeler, pour les gens qui ne maîtrisent<br />

pas l'éwé, ce que veut dire "Améssiamé" ?<br />

- "Améssiamé" ? Ca veut dire "tout le monde".<br />

- Q - Alors, quelles sont les pharmacies qui se sont créées à<br />

partir des années 1960 ?<br />

- Il y a la pharmacie du Bénin en 1957.<br />

- Q - Avenue de la Libéralion, près de la grande p'oste<br />

25 1


(ouverte elle aussi en 1957). Mais n'y avait-il pas déjà une<br />

autre pharmacie en facs de la poste ?<br />

- Oui, c'était la pharmacie de la Poste, qui était tenue par un<br />

Français, M. Picolet, qui a dû partir parce que, entre temps, la pharmacie du<br />

Bénin s'est rapprochée. Alors il y a eu, évidemment, un petit probl6me entre<br />

les deux confrères, qui s'est terminé par le départ de M. Picolet. Ensuite, il y<br />

a eu la pharmacie Populaire en 1959.<br />

- Q --Près de la gare routière. ..<br />

- Oui. La pharmacie de Lomé-Tokoin, aussi en 1959.<br />

- Q - Donc la première à passer la lagune. A l'époque, il y<br />

avait déjà près de 10 O00 habitants de l'autre côté. ..<br />

- La pharmacie de Lomé-Tokoin n'était pas à l'emplacement actuel ;<br />

elle était sur la route de Kpalimé, juste à côté d'ici ...<br />

- Q - Là oÙ nous sommes, à Octaviano-Nétimé ?<br />

- Voilà ! La où, plus tard, s'est installée la pharmacie Pour Tous.<br />

- Q - Alors, h quelle époque la pharmacie de Tokoin est-elle<br />

allée h Tokoin ?<br />

- C'était en 1972, parià ...<br />

- Q - A un moment où il y avait déjà au moins 50 O00<br />

habitants sur le plateau.<br />

- C'est ça.<br />

- Q - A l'époque, on a donc encore essentiellement des<br />

pharmacies h l'intérieur du Boulevard circulaire, ou du moins<br />

à faible distance. A quel moment les pharmacies commencent-<br />

elles vraiment à bourgeonner en dehors de la vieille ville ?<br />

- Déjà en 1980, on note la création de la pharmacie de l'Université,<br />

tenue par Mme Vovor. La même année, il y a une autre pharmacie qui se<br />

crèe, dans le quartier de I'OCAM, tenue par Mme d'Almeida. On note une<br />

tendance vers la périphérie l'année d'après, en 1981, avec le transfert de la<br />

252


pharmacie Moderne de Madame Amédomél vers le quartier Tokoin-<br />

Cassablanca. La même année 1981, on note la création d'une nouvelle<br />

pharmacie tenue par Mme Nimon au quartier de Tokoin-Trésor. Cette<br />

tendance se précise d'année en année. En 1982, il y a la pharmacie de<br />

Kpéhénou, tenue par M. Massougbodji ; la même année, il y a la création,<br />

rue du Chemin-de-fer, de la 'pharmacie de la Santé, tenue par le confrère<br />

Adjovi (à proximité de l'ancienne pharmacie Moderne de Mme Amédomé, qui<br />

avait transféré son officine, comme je l'ai dit tout à l'heure). La même année,<br />

en 1982, on note la création de la pharmacie du IIIème Arrondissement, tenue<br />

par Mme Aho. I1 est à noter que, quelque temps avant, il y avait une<br />

pharmacie à côté, la pharmacie du Golfe, tenue par Soarès. Compte tenu du<br />

fait que le confrère 'a cessé d'exploiter son officine, la distance jouant, ce<br />

confrère a pu s'installer à côté. Toujours en 1982, on note enfin la création<br />

d'une autre pharmacie, la pharmacie Akofa, tenue par Mme d'Alméida.<br />

- Q - A Amoutivé ?<br />

- A Amoutivé ! Le mouvement se pr'ecise en 1983, avec la création<br />

de la pharmacie du Château-d'eau, créée par le confrère Johnson à côté du<br />

château d'eau de Bè. La même année, on note la création d'une seconde<br />

pharmacie, celle du Séminaire, tenue par le confrère Kuévi Bekou.<br />

- Q - A Tokoin-Ouest ?<br />

- A Tokoin Ouest, c'est ça. L'année d'après, deux nouvelles<br />

pharmacies voient le jour : la pharmacie du Port, sur la route qui mène à<br />

Aného, en face de l'hôtel Sarakawa, et celle de la Paix, tenue par le confrère<br />

Ahadji, qui est au sein du centre commercial de la Résidence du Bénin, non<br />

loin du campus universitaire. En 1985, deux nouvelles pharmacies : celle de<br />

la Providence, créée par le conwere Franck, la pharmacie Patience, du confriere<br />

Assou ...<br />

- Q - Depuis-les années 1970-80, les créations se sont donc<br />

multipliées (de l'ordre de deux ou trois par an), et surtout<br />

dans la périphérie de Loiné, qui était particulièrement pauvre<br />

en Lquipement jusque là. Combien y a-t-il de pharmacies<br />

actuellement ?<br />

- On peut dénombrer quelque 34 officines privées, plus deux<br />

officines d'État (tenues par Togopharma).<br />

- Q - Trois fois plus qu'il y a dix ans ?<br />

Alors ministre des Affaires sociales et de la Condition féminine. Sa pharmacie était<br />

auparavant au carrefour de la rue de la Mission et de la rue du Chemin-de-fer.<br />

253


- Tout calcul fait, ça fait pratiquement trois fois plus, oui ...<br />

- Q - Pensez-vous que cela a correspondu au rattrapage d'un<br />

besoin provoqué par l'expansion de la ville (qui a doublé de<br />

populations en dix ans, mais dont la surface est accrue encore<br />

plus vite), ou bien pensez-vous qu'on a pu dépasser des<br />

limites raisonnables ?<br />

- Non, je pense qu'il y a eu, certainement, une adéquation entre<br />

l'accroissement de la population de Lomé et l'accroissement du nombre des<br />

officines privées. Cela correspondait certainement à un besoin, et je crois que<br />

ce chiffre auquel nous sommes arrivés en 1988 me paraît pour le moment<br />

raisonnable.<br />

- Q - Parmi vos collègues, beaucoup sont des femmes de<br />

médecins. ..<br />

- Ou de pharmaciens ! (rires) Cela vient sans doute de ce qu'ils ont<br />

fait de longues études ensemble.<br />

- Q - Comment fait-on pour ouvrir une pharmacie ? .Est-ce<br />

vraiment comme pour une épicerie : on achète un bâtiment et<br />

on met de l'aspirine dedans ? Je pense qu'il y a des règles ...<br />

- Naturellement ! C'est la législation française qui prévaut. Le droit<br />

français a posé qu'une pharmacie, c'est un fonds de commerce, mais pas<br />

comme les autres, en ce sens que la profession est assujettie à un ordre. C'est<br />

le seul fonds de commerce pour lequel il est requis d'être affilié à un ordre, ce<br />

qui a été longtemps discuté par les tribunaux : est-ce que le pharmacien est<br />

un commerçant ou pas ? Cela est maintenant tranché : le pharmacien est un<br />

commerçant, mais un commerçant qui, en même temps, exerce une activité<br />

libérale, assujettie à l'ordre des pharmaciens. Effectivement, au Togo, il y a<br />

un ordre mixte pharmaciens/médecins/dentistes et vétérinaires. Pour l'exercice<br />

plein de la profession de pharmacien, il faut donc d'abord être diplômé d'une<br />

faculté de pharmacie ou d'une école de pharmacie. La plupart de nos confrères<br />

sont sortis, soit de la faculté de Dakar, soit de facultés de France et, depuis un<br />

certain temps, des écoles de pharmacies des pays de l'Est.<br />

- Q - Donc, première règle : il faut être diplômé pharmacien ?<br />

- C'est ça !<br />

- Q - Peut-on alors s'implanter n'importe oÙ ?<br />

254


- Non, bien sûr. I1 y a des textes qui régissent l'implantation des<br />

pharmacies à Lomé. C'est tous les 400 mètres, Au point de vue de la<br />

..population desservie, c'est 10 O00 habitants par officine.<br />

- Q - Donc on ne peut pas venir s'installer juste à côté d'un<br />

collègue, pour lui faire concurrence ?<br />

- Non, ce n'est pas permis ! C'est tous les 400 mètres à vol<br />

d'oiseau.<br />

-_ Q - Vous dites une pharmacie pour 10 O00 habitants. Lomé<br />

doit atteindre maintenant les 600 O00 citadins. Donc il y a<br />

théoriquement place pour soixante pharmacies ...<br />

- Je pense, oui !<br />

- Q - Ce serait peut-être beaucoup, tout de même ?<br />

- Evidemment ! (rires)<br />

*<br />

* *<br />

.- Q - Vous souffrez d'une concurrence assez particulière :<br />

c.elle de bonnes femmes qui vendent les médicaments<br />

librement sur les marchés, par exemple des antibiotiques bien<br />

vieillis et bien chauffés au soleil, qu'on vous propose dans de<br />

grands paniers. Qu'en pensez-vous, M. Johnson ?<br />

- Oui, c'est ce que nous constatons. Je me souviens que, quand<br />

j'étais chargé de l'inspection des pharmacies, j'ai dû me rendre au marché pour<br />

constater. Après, j'ai fait un rapport là-dessus, mais, vous savez, les bonnes<br />

femmes sont ici assez bien achalandées, puisque les médicaments qu'elles<br />

vendent proviennent souvent des pays étrangers, notamment des pays<br />

voisins.<br />

- Q - Comment font-elles pour se procurer les médicaments h<br />

ce prix ? Ou bien s'agit-il de mddicaments périmés et soldés ?<br />

- Evidemment, il nous est difficile de répondre. On ne sait pas par<br />

quels moyens elles s'approvisionnent. Souvent, nous n'avons pas eu la<br />

possibilité de vérifier si ces médicaments sont périmés ou non.<br />

- Q - Ils sont souvent dans des conditions de conservation qui<br />

255


sont -disons- au moins inquiétantes ...<br />

- Ah, oui !<br />

- Q - Surtout s'il s'agit d'antibiotiques ...<br />

- Ça, c'est ce que nous avons déploré quand nous étions en<br />

inspection.<br />

- Q - <strong>Si</strong> les gens les utilisent en mettant la poudre sur une<br />

plaie, Ca ne peut pas leur faire grand mal, mais s'ils soignent<br />

une infection (notamment une infection vénérienne) avec Ga,<br />

ils risquent en fait de renforcer la résistance de la maladie,<br />

n'est-ce pas ?<br />

- Je pense que, de plus en plus, les gens se rendent compte que ces<br />

médicaments vendus au marché ne font pas toujours l'affaire. C'est<br />

l'impression que j'ai. De plus en plus, ils ont tendance à revenir aux<br />

pharmacies privées. D'autant plus que les prix pratiqués dans toutes les<br />

pharmacies sont uniformes : ces prix sont imposées par Togopharma. Ils<br />

sont les mêmes depuis Lomé jusqu'à Dapaong. Les gens trouvent quand<br />

même qu'il vaut mieux venir se soigner à ce prix-là, et être sûr d'avoir un<br />

médicament bien conservé, que d'aller au marché.<br />

- Q - M. d'Alméida, en quelle année a-t-on créé cette<br />

pharmacie d'Etat, "Togopharma".<br />

- Togophanna a été créé en 1967.<br />

- Q - Quel est le principe de son fonctionnement ?<br />

- Au départ, Togopharma ravitaillait les pharmacies privées et les<br />

différents points de vente qu'il a créés. Par la suite, Togopharma a eu le<br />

monopole de l'importation des médicaments.<br />

- Q - En quelle année ?<br />

- C'est l'ordonnance du 29 mars 1977 qui a posé le principe du<br />

monopole de l'importation de spécialités pharmaceutiques. Avant 1977, les<br />

officines privées du Togo avaient la possibilité d'importer les spécialités, soit<br />

directement des laboratoires, soit des grossistes répartiteurs, comme il y en<br />

avait par exemple à Cotonou. A partir de 1977, de fait et de droit, à partir du<br />

moment où le monopole a été posé comme principe, la seule.source de<br />

ravitaillement des officines privées est donc devenue le service du chaland de<br />

256


Togopharma.<br />

- Q - Cependant il y a toujours certains produits qu'on ne<br />

peut trouver que dans les pharmacies privées ?<br />

- En fait, il y a eu quelques aménagements, au début, à ce principe<br />

du monopole. I1 a été'discuté la possibilité de commandes directes. Les<br />

pharmaciens pouvaient passer voir le chaland, et puis s'accommoder sur la<br />

possibilité d'importer certaines spécialités à la demande.<br />

- Q - Dans l'opinion publique, on dit parfois que les<br />

pharmaciens et les médecins font cause commune, et que les<br />

listes des médicaments que ceux-ci prescrivent aux malades<br />

ont certaines "répercussions I'...<br />

- (rires). Bon, je suis à l'aise pour vous en parler parce que je suis à<br />

la fois médecin et pharmacien. En Droit, ça s'appelle le "compérage". Ce<br />

compérage-là est prohibé. Donc ce que vous dites là n'est pas fondé.<br />

- Q - En trente ou quarante ans, les médicaments ont<br />

beaucoup changé. Votre pratique a-t-elle changé aussi ?<br />

- Oui, l'arsenal thérapeutique a beaucoup évolué. Vous savez, dans<br />

les années 1950, il n'y avait que les sulfamides en Afrique : le Dagenan, le<br />

Thiazomide, le Ganidan, le Stovarsol ... Après la découverte de la pénicilline<br />

et de ses dérivés, il y a eu des modifications au niveau des structures des<br />

pénicillines résistantes aux pénicillinases. L'arsenal thérapeutique, depuis une<br />

vingtaine d'années, s'est considérablement développé, et la médecine aussi a<br />

beaucoup progressé. Dans le temps, on faisait surtout de la médecine<br />

symptomatique : vous aviez mal à la tête, votre médecin vous prescrivait un<br />

antalgique1. Après échec de l'antalgique, il pouvait se révéler que ce n'était<br />

pas un simple mal de tête, mais une mtningite cérébro-spinale : il fallait<br />

vous emmener à l'hôpital, recourir aux sulfamides. Avec l'introduction des<br />

sciences fondamentales dans les études de médecine, il s'est développé une<br />

médecine de diagnostic différentiel. Après avoir éliminé les autres hypotheses<br />

grâce aux examens de biologie ou de radiologie, le médecin pose un<br />

diagnostic positif et, là, il traite rationnellement.<br />

Le fait est que, pour les pays jeunes, pour les pays en<br />

développement, vu nos maigres revenus, nous ne pouvons pas nous muser à<br />

importer toutes les spécialités. C'est ce qui a amené justement les autorités à<br />

mettre sur pieds une commission de la "nomenclature". Ea nomenclature,<br />

c'est une liste limitative qui a kté proposée par l'organisation mondiale de la<br />

Mkdicament qui calme la dou!eur, sans effets sur la cause de cette douleur.<br />

257


Santé, et le médecin s'inspire de cette liste-là pour prescrire des médicaments<br />

dits "essentiels". Justement, Togopharma s'est organisé pour que ces<br />

médicaments dits essentiels soient généralement disponibles à son niveau.<br />

- Q - Ce qu'on observe quotidiennement dans les pharmacies,<br />

c'est que les gens arrivent avec de très longues prescriptions.<br />

Le pharmacien leur marque le prix, en<br />

médicament prescrit. Les gens, souvent,<br />

d'argent pour tout acheter. Alors, ils vont<br />

cher, c'est-à-dire peut-être l'aspirine ou le<br />

l'antibiotique qui seul les sauverait ...<br />

face de chaque<br />

n'ont pas assez<br />

prendre le moins .<br />

fortifiant, et pas<br />

- Oui, ça fait partie de nos réalités, et c'est sur ce point là que la<br />

fonction sociale du pharmacien doit etre importante, déteminante. Parce que,<br />

si le pharmacien est à son comptoir (ou, à la limite, s'il a bien formé son<br />

personnel), c'est à ce pharmacien ou à ce personnel qu'il revient d'expliquer<br />

gentiment au patient. Parce que celui-ci ne sait pas qu'il y a le traitement<br />

symptomatique et le traitement étiologique', que c'est l'antibiotique seul qui<br />

va soigner son infection.<br />

- Q - Il doit orienter les choix des clients ?<br />

- Voilà, c'est ça ! Mais il ne peut pas modifier l'ordonnance du<br />

médecin.<br />

- Q - M. Ahodikpè, les herboristes représentent-ils une vraie<br />

concurrence pour la pharmacie moderne ?<br />

- Non. Moi, je ne pense pas qu'il s'agisse de concurrence. Pour moi,<br />

je considère qu'ils ont aussi parfois leur rôle, parce que nous sommes dans un<br />

pays au pouvoir d'achat faible. Ma mère utilisait quelques tisanes qui sont<br />

efficaces, que je continue à utiliser ... par conséquent, je suis mal placé pour<br />

dire non. (petit rire) Evidemment dans le groupe de ceux qui sont herboristes,<br />

il y en a qui ne sont pas sërieux. I1 y a toujours quelques brebis galeuses ...<br />

Bon, on ne peut pas généraliser.<br />

- Q - M. d'Alméida, il y a à Togopharma toute une équipe qui<br />

essaie de rechercher, selon les mkthodes de la pharmacologie<br />

moderne, quelles sont les vertus de ces plantes<br />

traditionnelles, n'est-ce pas ?<br />

- Oui, il y a une équipe de ch.ercheurs à Togopharma. Ils ont un<br />

laboratoire bien étoffé, bien structuré, avec une équipe de jeunes scientifiques.<br />

Symptomatique : qui traite des effets ; étiologique : qui traite les causes.<br />

258


Depuis un certain temps, ils font pas mal d'extractions de produits actifs.<br />

C'est encore de la recherche fondamentale, mais c'est déjà un début.<br />

- Q - Donc, il n'y a pas encore, dans vos rayons, de<br />

médicament qui soit fabriqués iì partir de ces plantes,<br />

devenues un médicament moderne ?<br />

- Je dois vous avbuer que moi-même, pendant une quinzaine<br />

d'années, j'ai fait de la recherche fondamentale dans ce domaine. Ma thèse de<br />

doctorat en médecine a été consacrée à ce sujet. Le titre d'ailleurs, c'est<br />

"Plantes magiques d'Afrique hier, remèdes modemes aujourd'hui''. Déjà nous<br />

utilisons pas mal de spécialités pharmaceutiques qui sont originaires<br />

d'Afrique. Ces médicaments, des fois, ont échappé à certains médecins ou à<br />

certains pharmaciens africains. J'ai eu à me déplacer à l'intérieur du pays ; il y<br />

avait un jeune confrère médecin qui avait un malade hypertendu, et il n'avait<br />

aucun médicament contre l'hypertension sous la main. Juste derrière sa porte,<br />

il y avait des plantes de Rauwolfia ; or ce Rauwolfia a donné l'occasion aux<br />

firmes européennes de fabriquer pas mal de spécialités qui sont revendues dans<br />

le monde entier comme anti-hypertenseur.<br />

I1 y a un autre exemple : le prunier d'Afrique, qui nous vient<br />

d'Afrique centrale et qui donne un médicament qui s'utilise beaucoup dans le<br />

troisième âge (c'est le Tadenan). Un monsieur d'un certain âge avait un<br />

adénome de la prostate (jusque dans les années 1950, la seule cure pour<br />

l'adénomateux, c'était la chirurgie). Donc ce monsieur, comme tout Africain<br />

d'une certaine époque qui se respecte, avait beaucoup d'enfants, mais il<br />

n'entendait pas passer sur la table d'opération. Alors il a fondu dans la nature,<br />

et, trois mois après, il est revenu voir son médecin qui lui avait vivement<br />

recommandé l'intervention chirurgicale (il se trpuve que c'était un Français)<br />

et il lui a dit : - "Ah, móÏÏ cher médecin, maintenant je n'ai plus mon<br />

problème." Avant, il était en rétention (l'adénome, vous savez, ça comprime<br />

l'urètre : le malade ne peut plus uriner). Au bout des trois mois, il est revenu<br />

sans intervention, et il se portait mieux. Le médecin, qui n'avait pas de<br />

préjugés, a essayé de lui soutirer son petit secret. C'est comme ça qu'on est<br />

remonté à l'écorce de cet arbre-là, et, maintenant, de par le monde entier, il y<br />

a du Tadenan français fabriqué avec l'écorce du prunier d'Afrique. I1 n'y a pas<br />

mal de spécialités que nous utilisons : par exemple, l'Hépax, c'est à base du<br />

combretum ; le combretum, c'est le quinqueliba que nos aînés de William-<br />

Pontyl utilisaient en guise de thé, qui a dû consolider leur foie sans qu'ils<br />

s'en soient doutés ...<br />

Donc, cette médecine traditionnelle se cherche (elle n'est pas<br />

La fameuse &ole fkdbrale d'instituteurs de Dakar, oh sont passees bien des élites<br />

africaines.<br />

259


nouvelle, hein ? C'est celle de nos aïeux, de nos grands parents, etc.). En<br />

marge de la sélection naturelle, il y a cette médecine traditionnelle, qui était<br />

autrefois la seule, et qui demeure vivace. Elle a encore beaucoup d'adeptes.<br />

Vous allez à l'hôpital, vous soignez des malades dans la journée, vous leur<br />

prescrivez des médicaments, les parents vont les acheter, mais le soir, quand<br />

vous revenez, vous soulevez le lit, bon, il y a des "ingrédients" sous le lit ...<br />

Ça, c'est nos réalités ... (rires)<br />

- Q - Il y a quelques années, un sociologue américain, <strong>Si</strong>ri<br />

Gian Khalsa, a fait une enquête sur ces problèmes à Lomé. Il<br />

a montré, d'après les dires des gens, que 2 % seulement se<br />

soignent uniquement avec les méthodes traditionnelles, 18 %<br />

se soignent uniquement avec la médecine moderne, et 80 %<br />

des Loméens se .soignent avec les deux médecines Ci la fois.<br />

- Personnellement, je n'ai pas eu connaissance de ce travail, mais je<br />

crois que ça reflète une certaine réalité.<br />

- Q - Dans quels types de maladies pensez-vous que<br />

l'herboristerie traditionnelle est la plus efficace ?<br />

- Bien que nous disposions actuellement de tout un arsenal<br />

thérapeutique, et que nous arrivions à étiqueter correctement les maladies en<br />

posant des diagnostics positifs, il existe encore des domaines où il n'y a pas<br />

encore réellement de thérapeutique. Prenons, par exemple, le cas de l'hépatite<br />

virale : il y a des tests valables qui nous permettent de poser ce diagnostic.<br />

Mais la médecine moderne n'a pas encore de vrai traitement. Que proposons-<br />

nous aux malades ? Le repos, un régime sans graisses et sans alcool ... Or<br />

nous savons que, dans notre arsenal thérapeutique traditionnel, l'hépatite est<br />

couramment soignée, avec plus ou moins de succès. Je me souviens d'un<br />

brillant professeur de "fac." de médecine qui était en fin de séjour. Juste avant<br />

de partir, il a eu une hépatite virale, une maligne ! Au bout de deux semaines<br />

de mise au repos et de régime sans graisses, sans alcool, etc., son hépatite<br />

avec ictère s'aggravait. Tout cartésien qu'il était, il a accepté le prixipe de se<br />

faire soigner par certaines de nos plantes et, au bout d'une semaine déjà, il<br />

allait mieux ...<br />

- Q - Monsieur Ahodikpè, vous dont la mère était herboriste,<br />

vous est-il arrivé de dire à un patient : "Non, je n'ai pas de<br />

pilutes pour votre cas ; allez plut& voir ma mire" ?<br />

- Vous me posez là une question assez embarrassante ... (rire) Non,<br />

il ne m'arrixJe jamais de dire à un malade : "Je n'ai pas ceci pour vous". Mais<br />

je peux lui recommander, s'il n'a pas les moyens, d'utiliser les plantes<br />

260


médicinales, parce que, sur le marché de Bè, à côté de moi, il y a pas mal de<br />

plantes médicinales qui se vendent, et il arrive des fois, quand même, que ça<br />

agisse bien, efficacement. Moi-même, comme je l'ai dit tout à l'heure, eh<br />

bien, il m'est arrivé de prendre certaines tisanes que j'achète au marché.<br />

- Q - Messieurs les pharmaciens, pour conclure, comment<br />

voyez-vous la complémentarité entre la médecine et la<br />

pharmacologie modernes, que vous représentez, et la<br />

pharmacologie traditionnelle, qui est une réalité bien vivante<br />

à Lomé ?<br />

- Ce que l'on peut dire, c'est qu'il y a des traits caractéristiques pour<br />

cette médecine traditionnelle. Vous savez que, pour la médecine moderne, il y<br />

a des données codifiées, des études qui sont codifiées. Alors que le tradi-<br />

praticien, souvent, c'est un leg, hein ? Souvent, c'est de père en fils. Ils sont<br />

formés au sein de la population. Pour ].e moment, c'est un domaine qui n'est<br />

pas encore rationalisé. Nous savons que telle plante (ou telle partie de plante)<br />

a tel effet thérapeutique. Mais le problème étemel, qui est souvent mis sur le<br />

tapis, c'est celui des dosages, celui des indications ! I1 se trouve que les<br />

pharmaciens, qui ont fait des études de pharmacie chimique, de botanique, de<br />

pharmacie galénique, etc., sont les mieux placés pour aider les tradi-praticiens<br />

à avancer dans la rationalisation.<br />

La, je dois le dire, les pharmaciens africains ont failli à cette tâche-<br />

là, ils ont failli à cette mission ! I1 faudrait certainement qu'ils se<br />

ressaisissent. Des fois, on dit que c'est une question de manque de moyens.<br />

Chacun de nous vient d'un terroir, et, dans ce terroir, il y a une flore<br />

botanique ; il y a aussi des substances minérales ... (Vous savez que l'arsenal<br />

thérapeutique procède destrois règnes : le règne animal, le règne végétal et le<br />

règne minéral). Ne serait-ce que le pharmacien qui va chez lui, au village, et<br />

qui fait un herbier, qui essaie de faire une petite enquête ethno-botanique<br />

auprès du tradi-praticien de son coin, pour voir quelle partie de plante, ou<br />

quelle plante fait ceci ou cela : il fait déjà un petit travail qui peut servir et la<br />

médecine modeme et la médecine traditionnelle. Alors que beaucoup de gens<br />

pensent que celle-ci doit être phagocytée par la médecine moderne ...<br />

- Q - Ne pensez-vous pas que la confiance que le patient a<br />

dans son guérisseur est un élément très important de sa<br />

guérison ?<br />

- C'est très important, c'est ça ! Je pense que l'effet "p1acebo"l ne se<br />

discute plus.<br />

Utilisation d'un produit sans aucune effcacitk chimique, mais qui agit par la persuasion, par<br />

la confiance que le malade a en lui.<br />

26 1


- Q - Pensez-vous que, dans quelques années, sur vos<br />

rayonnages entre les gélules et les comprimés importés, il y<br />

aurait place pour une herbe mise en sachets par Togopharma<br />

et qui pourrait 2tre prescrite par un médecin, alors qu'elle a<br />

été cueillie à vingt-cinq kilomètres d'ici ?<br />

- Vous savez, le pharmacien a le monopole du diplôme, et ce n'est<br />

pas un maigre privilège. Pourquoi ? Parce que c'est le professionnel qui a fait<br />

le plus d'études en rapport avec la botanique, les plantes (en particulier les<br />

plantes médicinales), la pharmacie chimique, la chimie organique, etc. La<br />

législation pharmaceutique lui permet d'employer des remèdes sous forme de<br />

substances soit animales, soit minérales, soit végétales. Pr&entement, dans<br />

les pays développés (par exemple en France), dans les pharmacies, il y a un<br />

rayon d'herboristerie. C'est encourageant. Je crois que, si ce n'est pas le cas<br />

ici présentement, c'est parce que les pharmaciens -qui sont les professionnels<br />

les mieux placés- ne font pas ce qu'ils devraient faire. Toutefois, recourir aux<br />

plantes pour se soigner, c'est bien, mais il faut savoir ce que beaucoup de<br />

gens perdent de vue : c'est que les plantes, ce n'est pas seulement de la<br />

"médecine douce".<br />

- Q - C'est qu'il y en a de très dangereuses ?<br />

- Très dangereuses ! Vous savez, ceux qui cueillent les champignons<br />

savent qu'il y en a de vénéneux. Certains poisons sont d'origine végétale,<br />

comme la ciguë ; c'est bien connu. Il ne faut pas croire que, parce qu'on<br />

s'adresse à une plante, il s'agit forcément d'une médecine douce. Ceux qui<br />

sont les mieux placés pour étudier cela, ce sont les pharmaciens. Prenons une<br />

plante : le ricin ; il sert comme laxatif, et aussi comme vermifuge. I1 y a une<br />

plante qui lui ressemble énormément, c'est le croton1, qui, lui, est un produit<br />

toxique : c'est un poison. Donc, il ne faut pas, parce qu'on veut faire de la<br />

médecine traditionnelle, prendre le croton pour le ricin ! Sur ce plan-là, le<br />

pharmacien a un rôle important àjouer. I1 ne suffit pas de présenter des<br />

plantes au malade ; il faut que ces plantes offrent le maximum de garanties<br />

pour ceux qui vont s'en servir. C'est pour cela qu'il est à souhaiter que cela se<br />

fasse sous contrôle d'une autorité centrale, pour que des essais de toxicologie<br />

soient faits, des essais de pharmacologie, comme ça se fait ailleurs, pour que<br />

nous puissions aussi revaloriser la flore médicinale de chez nous.<br />

~~<br />

Ricin et croton sont de la même famille des Euphorbiacbes.<br />

262


no 16<br />

UN FRANçAIS A LOME<br />

avec<br />

M. Lubin CHRISTOPHE<br />

(né en 1910 en Bulgarie, décédé àLomé le 9 mars 1993)<br />

l'un des doyens des Français du Togo,<br />

ingénieur civil des Ponts-et-chaussées,<br />

entrepreneur en travaux publics, industriel,<br />

ancien ministre de la République autonome (1956-58)<br />

. Q - M. Christophe, vous êtes l'un des doyens -peut-être le<br />

doyen- des Français de Lomé. Depuis quand êtes-vous ici ?<br />

- Mon premier voyage a été en mai 1948 : j'ai fait un périple de<br />

quatre mois chez des amis africains d'Afrique francophone. Le dernier point,<br />

c'était le Togo, où je suis resté pendant quinze jours. Je suis allé à<br />

Atakpamé, Lama-Kara, et quelques brousses avoisinantes ... Ce qui m'avait<br />

frappé tout de suite, c'est que, à quatre heures du matin, aux endroits oÙ je<br />

couchais, il y avait du bruit. Je me réveille : des femmes qui balayent ! La<br />

propreté ! Ensuite, à trois ou quatre endroits, vers le petit lever du jour, je<br />

vois des femmes, des enfants, qui chantent, qui s'en vont avec des bassines<br />

sur la tête, chercher l'eau : la propreté ! A Lama-Kara, M. Malazouél m'a<br />

promené. Je me rappelle : on tourne à droite du pont ; on'grimpe dans la<br />

montagne, où jlai vu des gradins (comme du côté de Nice), des terrasses, oÙ<br />

les gens portaient le fumier d'en bas jusqu'en haut, pour fertiliser le sol ...<br />

Donc des gens travailleurs, et d'une austérité hors de pair. En rentrant, ici, à<br />

Lomé, j'ai dit : j'établis mon centre à Lomé.<br />

- Q - Ce premier voyage vous a donc donné le goût du Togo ?<br />

- Le goût du Togo, c'est ça !<br />

- Q - Et quand revenez-vous pour vous installer ici ?<br />

- En 1949<br />

Homme politique important de la premibre Assemblb reprksentative du Togo, en tant que<br />

"dklkgu6" de (Lama-)Kara.<br />

263


- Q - Pour quelle activité ?<br />

- J'ai refait le terrain d'aviation.<br />

- Q - Vous étiez déjà entrepreneur en travaux publics ?<br />

- En France, oui ! Donc il fallait refairele terrain d'aviation. C'était<br />

le premier terrain d'aviation bitumé entre Dakar et Douala.<br />

- Q - Il s'agissait déjà de notre aéroport actuel ?<br />

- Oui. I1 a été refait plusieurs fois, en fonction du poids des avions.<br />

On a fait d'abord un terrain d'aviation sur les normes d'antan.<br />

- Q - Comment était Lomé l'époque ?<br />

- Lomé, c'était une petite ville. I1 y avait quelques maisons, jolies<br />

pour l'époque, qui existent toujours, notamment la maison du vieux Paass,<br />

où il faisait des soirées dansantes. Avec ma femme, on y allait ... Les amis<br />

avec qui j'étais étaient musiciens ; ils m'ont dit : "Tu vas aller écouter de la<br />

musique chez le vieux Amorinl, là-bas". J'y vais : du Haydn2, du Mozart3,<br />

du Tchailowsky 4... et vraiment bien exécutés ! I1 y avait donc des gens qui<br />

étaient déjà très cultivés. D'ailleurs, je me demande où ils trouvaient les<br />

livres que je voyais chez eux, qu'ils se passaient de mains en mains ... Il y<br />

avait déjà un désir de développement, de culture. Ce qui était loin de ce que je<br />

pensais autrefois de l'Afrique.<br />

- Q - Quelles autres images de Lomé avez-vous en mémoire ?<br />

- I1 y avait la rue du Commerce, avec son chemin de fer : "Tof, tof,<br />

tof, tof, tof, tof !", (rire) qui amenait les marchandises à la UAC, la John-<br />

Holt, etc., je ne sais pas encore qui ... Et puis, là-bas, il y avait une maison<br />

coloniale en bois : c'était la Société générale du Golfe de Guinée, qui<br />

maintenant est devenue quelque chose ... Rue du Commerce, il y avait aussi<br />

un hôtel.. .<br />

- Q - L'hôtel du Golfe ?<br />

- Oui ! C'est là qu'on allait déjeuner. C'était le seul endroit où l'on<br />

pouvait déjeuner. ..<br />

Avenue de la Liberation (alors rue Thiers), B Kokétime.<br />

Compositeur autrichien (1732-1809).<br />

Compositeur autrichien (1756-1791).<br />

Compositeur russe (1840-1893).<br />

264


- Q - C'était le seul hôtel de Lomé ?<br />

- Oui, le seul hôtel, chez Minétol. On disait : "On va chez<br />

Minéto" ... <strong>Si</strong>, il y avait un autre hôtel (avec quatre chambres, en banko) au<br />

terrain d'aviation : des murs épais de 30 à 40 cm, le plafond en nattes, les<br />

araignées qui étaient des centaines ... C'était quand même intéressant,<br />

pittoresque ... (petit rire) On allait déjeuner et dîner chez Minéto. I1 y avait<br />

très peu de voitures. Quand il pleuvait, n'en parlons pas ! Certains passaient<br />

assez vite, trop vite ('je dis : 60 km à l'heure). Et ils éclaboussaient les<br />

bonnes femmes, et ils se faisaient "attraper" par les bonnes femmes, qui<br />

savent parler depuis toujours ...<br />

Lomé finissait à l'actuel Boulevard circulaire. Au-delà, c'étaient des<br />

champs de maïs, etc. I1 y avait les maisons qu'ils construisaient à ce<br />

moment-là, avenue des Eucalyptus2. C'est deux ans après qu'ils ont<br />

commencé à construire ces petites maisons3, là-bas ...<br />

- Q - C'était l'actuelle avenue de Duisbourg, dans le quartier<br />

administratif.<br />

- Oui ! C'était vide, il y avait des arbres ... Pour aller au palais du<br />

gouverneur (on disait "le gouvernement"), on prenait l'avenue Albert-<br />

Sarraut4, qui était poussiéreuse, en très mauvais état ... Ah j'oublie ! (silence)<br />

Mes souvenirs ... (rire) A l'est, ça finissait à la palmeraie de Souza ;<br />

actuellement, c'est le Boulevard circulaire, là-bas.<br />

- Q - La plantation de Souza commengait à peu près au<br />

cimetière de Béniglato, n'est-ce pas ?<br />

- Oui ... Il y avait, je crois, une poudrière là-bas5. Mais c'était déjà<br />

dans la palmeraie. I1 y avait à gauche une deuxième palmeraie qui s'arrête<br />

actuellement toujours au Boulevard circulaire. Alors là-bas, c'était la brousse<br />

aussi. Donc Lomé était une petite ville, mais propre ! Surtout parce que les<br />

gens balayaient toujours devant la maison, chez eux. Évidemment, quand il<br />

pleuvait, c'était autre chose ...<br />

- Q - Les rues du centre étaient-elles encore surtout en sable<br />

ou déjà couvertes de latérite ?<br />

Louis Minéto (né en 1911) a possédé l'hôtel du Golfe de 1945 B 1981.<br />

Aujourd'hui avenue de Duisbourg, B Yovokomé.<br />

Des logements de fonction, dont certains existent toujours.<br />

Avenue de la Présidence<br />

Depuis l'époque allemande, d'où le nom du quartier où le Boulevard circulaire rejoint le<br />

boulevard de Ia République, Zi l'est de la vieille ville.<br />

265


- Certaines étaient latéritées (en terre de barre), d'autres en sable.<br />

- Q - Avez-vous vous-même participé au goudronnage des<br />

premières rues ?<br />

- Oui ! En 1951. On a bitumé plusieurs rues pour des circulations<br />

légères (pas pour un camion lourd, comme un T 45, qui vous chargeait cinq<br />

tonnes et demi de sable !). On a fait, je crois, une trentaine de kilomètres de<br />

rues. Ce qùi a sauvé de la poussière beaucoup de gens ...<br />

- Q - Quels sont les principaux axes que vous avez<br />

go udro ïi n és ?<br />

- Ah ... Je vous dirai les noms d'antan. I1 y avait donc l'avenue<br />

Albert-Sarraut, qui mène au gouvernement. Ensuite, on a fait la rue du<br />

Colonel-Maroix (actuellement la rue des Kokéti). On a fait la rue qui allait du<br />

wharf (là, il y avait un magasin de la chambre de commerce) aux Affaires<br />

étrangères actuelles.<br />

- Q - L'actuelle avenue Georges-Pompidou ?<br />

- C'est ça. Enduite sur le côté droit aussi il y avait une rue qu'on a<br />

bitumée'. C'étaient ces axes qui desservaient les marchandises ... Oh, je ne<br />

me rappelle plus le reste ... C'est de vi'eux souvenirs ...<br />

- Q - Revenons, s'il vous plaît, ri l'aéroport. A l'origine; en<br />

1931, il était situé à l'emplacement de l'actuel hôpital. Quand<br />

est-il venu s'installer Ci Tokoin-Est, là oÙ il est aujourd'hui ?<br />

- Quand je suis arrivé à Lomé en DC 32, on a atterri là-bas, à<br />

l'emplacement de l'actuel aérodrome.<br />

- Q - Qu'y avait-il, à l'époque, comme infrastructures à<br />

l'aéroport ? Y avait-il déjà la radio, des balises ?<br />

- I1 y avait une radio, toujours, et la météo. Quand on travaillait là-<br />

bas, on allait voir le temps qu'il va faire. I1 y avait donc la radio et la<br />

prévision météo. L'aérogare était un bâtiment en banko, qui faisait<br />

péniblement 80 m2. qui était à la hauteur de l'actuel CERFER, à peu près.<br />

Et il s'y trouyait aussi un hôtel, toujours en banko.<br />

- Q - Combien cet avion, le DC 3, prenait-il de passagers ?<br />

* Rue Galliéni, du petit-march6 à la plage.<br />

Ou Dakota, petit bimoteur américain extrêmement robuste, alors utilisé partout.<br />

266


- 32, 35 ...<br />

- Q - Et le DC 4, qui lui a succédé ?<br />

- Quelque 65, 70 ...<br />

- Q - Ce qui est très loin des 250-280 passagers du DC 10<br />

d'aujourd'hui ...<br />

- Oui, avec ses 300 tonnes de charge totale.<br />

- Q - L'aéroport avait été construit très loin de la ville.' Il n'y<br />

avait aucune maison aux alentours, bien sûr.,.<br />

- I1 y n'avait que le manioc et le maïs ... Plus les briqueteries, dont<br />

j'oubliais de parler : sur la gauche, en descendant de l'akroport, il y avait une<br />

série de briqueteries. Les gens pétrissaient la terre de barre ou le kaolin. Ils<br />

pétrissaient, mettaient dans des boîtes, ils les séchaient et les cuisaient à la<br />

noix de'coco vide. Et ils vendaient les briques, plus ou moins bonnes ...<br />

- Q - Il y a encore une grande carrière tout au bout de<br />

l'aéroport, avant la piste quand oit vient de la ville. Était-elle<br />

déjà en fonction ?<br />

- Non. Elle a été creusée plus tard, et pour autres raisons : pour<br />

recueillir les eaux qui ruissellent.<br />

- Q - N'était-il pas dangereux de construire cette piste<br />

exactement dans l'axe du centre de la ville ?<br />

- I1 n'y a aucun danger, parce que les avions en pleine vitesse, s'il<br />

arrive quelque chose, ils iront droit dans la mer, pas sur la ville. Disons, les<br />

avions qui vont sur Lagos, si vous voulez, ceux qui vont à l'est, ils vont<br />

tout droit sur quelques kilomètres, puis ils tournent sur la mer à gauche. Sur<br />

les cartes, on peut voir pour quelle raison la piste a été orientée comme ça :<br />

c'est suivant les vents dominants. I1 n'y a aucun danger. Dans le temps, les<br />

gens pensaient que si un avion se "crashe", il va tomber sur la ville. Ce n'est<br />

pas possible ... pas possible !<br />

- Q - A l'époque, vous aviez votre entreprise personnelle.<br />

Combien aviez-vous d'employés ?<br />

- Je suis arrive à ce moment-là avec une quinzaine d'Européens.<br />

267


- Q - C'était l'une des plus grosses entreprises de Lomé ?<br />

- Oui ! Et on a formé progressivement des conducteurs de "graders",<br />

des conducteurs d'engins ... Dans les deux ans, le nombre d'Européens est<br />

tombé à dix, de douze-quinze, puis à six.<br />

- Q - Vous aviez donc recruté des chefs de travaux togolai! ?<br />

- Des Togolais, oui ! Peu à peu, on prenait des gens, mais ils<br />

n'avaient pas fait beaucoup d'études,.à ce moment-là. S'ils avaient fait des<br />

études, ils sortaient du rang ! Tandis que, maintenant, nous avons des gens<br />

jeunes qui ont leur bac ... Ça a changé complètement : ils ont une base, ils<br />

peuvent or ganiser.. .<br />

- Q - Vous étiez en période de plein emploi, d'essor des<br />

affaires; où l'on devait se battre pour trouver la main-d'oeuvre<br />

qualifiée ...<br />

- I1 n'y avait pas beaucoup de main-d'oeuvre qualifiée ! On payait les<br />

manoeuvres 80 F par jour, à ce moment-là. Ça, je me le rappelle très bien ...<br />

Et l'essence ... on nous donnait l'essence avec des bons : on avait<br />

besoin de tant pour le travail, et on vous donnait tant de bons,, et puis on se<br />

débrouillait ... (Les Travaux publics regardaient si on ne dépensait pas trop,<br />

en brousse, pour des choses qui n'étaient pas en relation avec les travaux). <strong>Si</strong><br />

je ne me trompe pas, elle coûtait 15 F le litre.<br />

J<br />

- Q - Quel était le salaire d'un chef de travaux togolais de<br />

bonne qualification ?<br />

- Le chef de travaux devait gagner 4 à 5 fois plus qu'un manoeuvre.<br />

- Q - Et combien gagnaient les Européens Ci l'époque ?<br />

_- Un chef gagnait 30 O00 F CFA par mois, plus une indemnité<br />

d'expatriation.<br />

- Q - OÙ logeaient-ils ? Et vous-même, oÙ logiez-vous ?<br />

- On logeait tous à l'hôtel du terrain d'aviation, dans les quatre<br />

chambres. Moi, j'en avais une pour moi, et les autres s'étaient casés par deux<br />

ou trois.<br />

- Q - Mais vous n'avez pas passé votre vie dans cet hôtel ?<br />

268


Au bout d'un moment, vous vous êtes installé ...<br />

- Un an et demi après ! I1 y a eu un logement disponible à<br />

Nyékonakpoè actuel. Tout autour, il n'y avait que des palmiers. J'étais chez<br />

Creppy, le même Creppy qui avait été directeur de I'UAC autrefois. (A la<br />

place, c'est le bâtiment de la DTG). Alors j'ai logé là-bas. Je me rappelle<br />

qu'il y avait 36 fenêtres, qu'il fallait que je ferme tous les soirs.<br />

- Q - C'était près de la Pharmacie pour Tous ?<br />

- <strong>Si</strong> vous voulez, c'était le commencement de la rue Franz-Joseph-<br />

Strauss. Au début, là-bas, c'était une palmeraie.<br />

- Q - On avait construit ri l'époque des logements dans le<br />

quartier administratif, mais ils étaient réservés aux<br />

fonctionnaires.<br />

- Exactement, réservés aux fonctionnaires ! Je vais vous dire une<br />

chose : à ce moment-là, un fonctionnaire (et il y avait des fonctionnaires<br />

togolais), c'était quelqu'un de très respecté, quel que soit son emploi. Je me<br />

rappelle, une fois, en bitumant les rues de Lomé (je dirais ... deux ans plus<br />

tard), il y a un monsieur qui vient, et il marche sur le bitume qui reste<br />

épandu. Je vais le voir, il me dit :<br />

- "Mais, je suis employé aux PTT !<br />

- Ah, si vous êtes fonctionnaire, excusez-moi ! Je ne vous dérange<br />

pas. Continuez votre chemin."<br />

Tout le monde respectait le fonctionnaire ...<br />

- Q - Donc les Européens non fonctionnaires logeaient avec le<br />

reste de la population ?<br />

- L'UAC, par exemple, avait ses logements.<br />

- Q - Installés où ?<br />

- Installés chez Octavianol, là-bas, je crois.<br />

- Q - Sur la route de Kpalimé ?<br />

- Non, près de la mer2. La CFA0 aussi logeait son personnel, la<br />

Olympio (1859-1940).<br />

Actuel complexe CCOO, entre la rue Foch et la rue du Grand-marché.<br />

269


SCOA aussi. Ils avaient des maisons ... La John-Holt habitait à I'étage'.<br />

Plus tard, on a construit des maisons, des logements en ville, en 1950-51.<br />

- Q - Une des principales originalités de. la ville de Lomé,<br />

c'est de ne pas avoir de ségrégation sociale et raciale selon<br />

ses quartiers. Était-ce. déjà comme ça à l'époque ? Il n'y avait<br />

pas de "quartier blanc'' en dehors du quartier administratif ?<br />

- Non, il n'y avait pas de "quartier blanc", comme il y en avait dans<br />

d'autres pays à l'époque.<br />

- Q - Vous-mgme, vous aviez une vie sociale composée aussi<br />

d'amis togolais ?<br />

- C'est à cause de mes amis que je suis arrivé ici.<br />

- Q - Était-ce habituel que les expatriés de l'époque<br />

fréquentent assidûment la bourgeoisie loméenne ?<br />

- C'était assez rare. {rire) Mais ça provient de ce que, moi, j'ai fait le<br />

Maquis2, et j'en suis sorti anti-raciste, anti-colonialiste. Et puis j'avais eu<br />

des amis africains là-bas, en France. Pour moi, ça ne faisait rien d'aller danser<br />

avec eux. I1 y avait aussi de jolies filles togolaises, mais éduquées dans les<br />

traditions !<br />

- Q - Qui savaient bien danser, mais qui savaient aussi rester<br />

sages ?<br />

- Ah oui, alors ! {rires) C'est qu'il y avait les soeurs et les mères qui<br />

surveillaient ... On allait de temps en temps danser chez Minéto, à l'hôtel du<br />

Golfe. I1 y avait de la musique ... I1 y avait déjà, je crois, un orchestre qui<br />

commençait à se former. Ça doit provenir probablement d'Amorin, qui avait<br />

dû apprendre à des jeunes àjouer des instruments ... Je présume.<br />

- Q - Jouaient-ils de la musique classique aussi, ou bien<br />

seulement de la musique de danse ?<br />

- La musique de danse, avec les saxo.<br />

- Q - Alliez-vous aussi dans les dancings populaires, comme<br />

celui de Tonyéviadji ?<br />

De son immeuble de la rue du Commerce.<br />

Dans la Résistance, en France occupée.<br />

270


- I1 n'y en avait pas ... Tonyéviadji, c'est relativement récent, dans<br />

les années 1958-60.<br />

- Q - Oh non ! Il y avait déjà quelque chose depuis les années<br />

1925l. Par exemple, en 1933, c'est de là qu'est partie la<br />

manifestation qui a marché sur le palais du gouverneur.<br />

- Peut-être ... Ah, .en 1933 ? J'ai appris qu'il y avait eu une<br />

manifestation, du temps d'un gouverneur qui avait dû augmenter les taxes du<br />

marché.<br />

- Q - Oui, c'est ça.<br />

.._<br />

- Ah, les femmes togolaises, toujours à l'avant-garde ! (rire) Elles<br />

ont fait une manifestation, et après ça le gouvernement a été changé.<br />

- Q - Oui, et même supprimé, à vrai dire : le Togo a été alors<br />

rattaché au Dahomey pour deux aim<br />

- C'était Robert de Guise ...<br />

- Q - Le gouverneur Robert de Guise2, oui. La manifestation<br />

était partie de Tonyéviadji, disent tes documents à l'époque.<br />

- Les Togolaises : toujours à la tête du progrès ! (rire)<br />

Commerçantes dès ce moment-là, elles défendaient leur gagne-pain ...<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Revenons Ci vous, jeune Français arrivant au Togo après<br />

la Seconde guerre mondiale, et partageant des idées généreuses<br />

qui ïc'étaient pas très fréquentes en Afrique. Comment cela se<br />

passait-il ? C'est un moment où tout bouge : l'écoaomie,<br />

mais aussi les idées. On ne parle pas encore d'indépeïtdance,<br />

mais on parle en tout cas d'émancipation des Peuples noirs,<br />

de négritude ... Je suppose que les discussions devaient aller<br />

bon train ?<br />

- Les Européens qui étaient avec moi, ceux avec lesquels je parlais,<br />

John Albert Mensah, dit Tonyéviadji, avait racheté en 1924 l'ancien tennis de la firme<br />

Goedelt, saisi comme "bien ennemi", vendu aux encheres par l'administration française.<br />

Depuis 1980, le terrain est loué à la compagnie IMEXAF, qui a construit un immeuble<br />

commercial dessus.<br />

Commissaire de la Rdpublique au Togo de décembre 1931 à octobre 1933.<br />

27 1


ils trouvaient ça normal. Pour les autres, je ne sais pas ... Mais je sais autre<br />

chose. Tétais allé plus tard à Dapangol (comme on disait à ce moment-là). I1<br />

y avait un chef, Barnabo, qui sortait avec une ombrelle, trois ou quatre<br />

hommes devant et derrière, une série de médailles dont la Légion d'honneur (il<br />

avait fait l'armée de Leclerc2). I1 m'avait invité ; il était très lettré. I1 y a eu<br />

un commandant de cercle qui s'est révélé ensuite un bon historien du<br />

Togo 3... C'est lui qui l'a fait déplacer. (rire) C'était le chef qui commandait<br />

vraiment, avec son prestige. (rire)<br />

- Q - Il était difficile de faire cohabiter un chef aussi puissant<br />

avec un adntinistrateur colonial qui avait des velléités d'action<br />

et de réforme ?<br />

- Oui, autre que le traditionnel ... Ce qu'il faut dire aussi, c'est que<br />

les commandants de cercle étaient des gens honnêtes.<br />

- Q - Je reviens Ci votre vie de jeune Français dans les années<br />

1950 Ci Lomé. L'Administration voyait-elle d'un très bon oeil<br />

que, coinme ça, vous ayez des relations suivies (sachant que<br />

vous aviez des idées -disons- "de gauche") avec les indigènes,<br />

qui allaient ïïtal penser, peut-être mal voter... C'était l'une<br />

des thèses du camp "colonialiste" que cette idée d'une<br />

manipulation des indépendantistes africains par d'affreux<br />

gauchistes, qui étaient venus de France pour leur enseigner de<br />

mauvaises idées que les braves Africains n'auraient jantais eu<br />

tout seuls ?<br />

- Pas tellement, parce que le Togo, c'était un "tr~steeship"~ : ce<br />

n'était pas une colonie. C'était un pays de gens qui étaient déjà pas mal<br />

développés sur le plan intellectuel. D'ailleurs pour les votes, il y avait très<br />

peu de gens qui votaient ... Mais il y avait des Togolais qui votaient en ce<br />

temps-là pour l'Assemblée territoriale. Ce n'était pas très mordant5. Ils<br />

cherchaient le développement, surtout à voir augmenter le niveau de vie de<br />

l'intérieur, de la brousse. C'est ce qu'avait fait mon ami Malazoué (un géant :<br />

2,05 m !), qui était à l'Assemblée et qui obtenait avec le sourire et la<br />

diplomatie beaucoup de choses du gouverneur, en ce temps-là.<br />

- Q - Avez-vous fréquenté (au moins professionitellemeitt)<br />

* Dapaong, la plus septentrionale des préfectures du Togo.<br />

Dans sa fameuse campagne du Tchad en Libye, puis en Tunisie, en France et en Allemagne.<br />

On laissera au lecteur le soin de deviner de qui il s'agit.<br />

Terme employé dans les années 1945-46, avant celui de "tutelle" (des Nations-Unies).<br />

<strong>Si</strong> : les relations entre la première AssemblBe représentative (1946-51), présidée par<br />

Sylvanus Olympio, et l'administration coloniale furent souvent très tendues.<br />

272


l'architecte Crouzatl, dont le roman Azizah de Niamkoko est<br />

quand même l'un des livres les plus colonialistes qui soit (ce<br />

qui ne l'empêche pas d'être un excellent roman, très amusant<br />

et très instructif sur le Togo de l'époque) ?<br />

- C'était un excellent architecte. Ce livre était assez colonialiste,<br />

mais c'est un roman, un roman dans lequel il malmène d'ailleurs aussi pas<br />

mal les Européens ! Les d.ames se demandaient entre elles à propos des<br />

personnages :<br />

- "Ah oui, c'est une telle !<br />

- M&s non, c'est une telle !"<br />

Et ainsi de suite ... Mais je ne pense pas que, dans l'esprit de<br />

Crouzat, c'était pour être colonialiste : c'était surtout pour écrire un livre, en<br />

mêlant toutes sortes de choses dedans. Parce que, pour nous, Crouzat ne<br />

l'était pas. I1 savait que j'avais des amis togolais. Je lui parlais (on se<br />

tutoyait même) ;je n'ai rien à lui reprocher.<br />

- Q - Ces amitiés togolaises et ce désir d'aider Ci<br />

l'émancipation du Territoire vous ont amené Ci avoir aussi une<br />

carrière politique au Togo ...<br />

- En partie ! En partie, parce que, dans les années 1950, il y avait<br />

déjà des députés togolais. Étant un ancien de la Résistance, j'ai contacté des<br />

amis en France pour obtenir une autonomie, parce que, en ce temps-là, une<br />

autonomie se préparait déjà au Ghana. On obtient une autonomie ; une fois<br />

l'autonomie obtenue, on aura l'indépendance, sans effusion de sang, ni de<br />

rien : c'est l'autonomie pacifique ! Ce qui s'est produit ensuite n'était pas<br />

suivant notre idée. La voie qui a été prise a été différente ...<br />

- Q - Et vous vous êtes donc retrouvé l'un des responsables de<br />

cette autonomie2 ?<br />

- Oui! Je dirais que ça m'ennuyait un peu, parce que j'avais mes<br />

affaires : J'ai ét6 obligé d'abandonner toute mon entreprise au Togo, de me<br />

séparer de mes associés, et de ne garder que la partie qui était au Dahomey.<br />

Ici, je ne faisais plus rien : avec ma fonction, ça m'était défendu ! Par contre,<br />

j'ai pu obtenir que les chemins-de-fer soient motorisés. On devait avoir de<br />

petites locomotives à bois ; on a eu des locomotives Diesel, et tout le<br />

reste.. .<br />

- Q - Quelle a été votre r81e exact dam cette affaire ?<br />

Au Togo de 1946 B 1952, constructeur en particulier de Factuel CHU de Lom6Tokoin.<br />

Dans le gouvernement dirig6 par Nicolas Grunitzky (1956-58).<br />

273


- Je suis allé en France plusieurs fois pour voir Pierre Moussa<br />

notamment, qui était au Plan (le futur directeur de la Banque de Paris et des<br />

Pays-Bas, dont on a beaucoup parlé). I1 était directeur du Plan àParis, Avec<br />

lui, on a convenu de pouvoir changer le matériel. Il y a un monsieur qui était<br />

à la Régie des chemins-de-fer de l'Afrique de l'Ouest qui est venu ici :<br />

- "Ah, il faut changer le chemin-de-fer. Toutes ces vieilleries du<br />

Moyen-âge ! Il faut les changer contre des tracteurs Diesel !"<br />

C'est comme ça que ça s'est modernisé ...<br />

- Q - Parce que, comme ministre des Travaux publics, vous<br />

étiez aussi responsable des chemins-de-fer ?<br />

- Et du Plan aussi, en même temps.<br />

- Q - Combien votre ministère comptait41 de fonctionnaires Ci<br />

l'époque ? Cela devait être quand même encore une assez<br />

petite administration ?<br />

- Une toute petite administration, oh oui ! (rire) On faisait beaucoup<br />

de choses nous-mêmes. Mais, dès qu'il y eu l'autonomie, il a eu des Français<br />

et des étrangers qui ont commencé à arriver ... Le soir, il y avait donc les<br />

cocktails. Le jour, on faisait beaucoup de travail ; le soir, on était à moitié<br />

morts de faiigue, mais il fallait aller aux cocktails ... Alors on buvait un petit<br />

quelque chose, sans le finir ... C'était très fatigant ! J'avais à ce moment-là un<br />

directeur de cabinet qui était un Européen, mais j'avais trois attachés<br />

africains. On avait beaucoup de travail, parce qu'il y avait des routes à faire en<br />

brousse, des voies d'accès à tel ou tel endroit ... I1 fallait organiser le travail<br />

au wharf, ce qui était très difficile parce que la main-d'oeuvre à manier était<br />

très politisée ...<br />

. - Q - C'est-à-dire pas de votre bord politique ?<br />

- C'est ça ! (rire) Ils étaient nationalistes ... C'était très difficile, mais<br />

on a quand même fait du bon travail ... (rire)<br />

M. Christophe-Tchakaloff n'a pas mentionné qu'il<br />

avait aussi fondé, en 1953, l'un des premières usines du<br />

Togo, la "Savonnerie-parfumerie du Bè", à l'extrémité de la<br />

cocoteraie de Souza, tout contre la petite forêt sacrée. C'est<br />

aussi lui qui, en 1967-68, a construit l'aérogare actuelle, et<br />

bien d'antres choses encore... Ses affaires ont ensuite perdu de<br />

leur importance, mais il a tenu à rester à Lomé, où il a<br />

terminé paisiblement ses. jours au sein de sa famille<br />

togolaise.<br />

274


no 17<br />

LES GÉOMÈTRES ET LA PROPRIÉTÉ<br />

FONCIÈRE<br />

avec<br />

M. Kodjo Emmanuel BRUCE<br />

(né en 1918 àhého, préfecture des Lacs)<br />

ancien directeur de la Conservation foncière,<br />

ancien fonctionnaire intemational<br />

des Nations-Unies (FAO)<br />

et<br />

M. Anani Mawunadé Parfait CREPPY<br />

(né en 193 1 à Aného, prdfecture des Lacs,<br />

décédé le 17 septembre 1992)<br />

géomètre en retraite à Lomé<br />

Parmi les problèmes qui intéressent le plus les gens de<br />

Lomé, il y a, on le sait, les histoires de terrains. La propriété<br />

foncière, c'est vraiment une grande passion pour les Loméens.<br />

Pour l'historien, c'est aussi un instrument de travail très<br />

intéressant, puisqu'il est ainsi possible de remonter<br />

pratiquement aux origines de la ville, avant même l'époque<br />

coloniale. Et c'est une question qui est toujours d'actualité.<br />

Nous allons nous en entretenir avec M. Creppy, qui est<br />

géomètre (autrefois public, maintenant privé), et avec un de<br />

ses grands anciens, M. Bruce, qui a fait beaucoup de choses :<br />

il est grand polyglotte, il a travaillé h la FAO, mais,<br />

auparavant, il a été directeur de la Conservation foncière du<br />

Togo, c'est-à-dire le responsable du maintien de la propriété<br />

privée.<br />

- Q - Comment étiez-vous devenu conservateur, M. Bruce ?<br />

- J'ai commencé ma carrière comme archiviste-traducteur au Service<br />

des domaines, pour la raison que les domaines renferment des dossiers<br />

allemands, qui traitent surtout de la propriété, aussi bien des collectivités que<br />

des particuliers. Je voudrais expliquer l'origine du droit foncier au Togo. Le<br />

droit foncier moderne a été introduit au lendemain de l'instauration du<br />

protectorat allemand sur notre pays, en 1884. @i'apr¿?s les dossiers fonciers<br />

allemands dont j'ai eu la charge au Service des domaines (de 1944 en 1961),<br />

j'ai pu constater que les premiers titres fonciers au Togo ont été créés vers<br />

275


1903 l. La création de titres fonciers, qui distinguent juridiquement une<br />

propriété d'une autre, marquait une certaine évolution dans la propriété de la<br />

terre qui, de prime abord, était une possession indivise, appartenant à telle ou<br />

telle collectivité, dont les membres n'avaient qu'un droit d'usufruit.<br />

Dès l'arrivée des Européens, avec la nécessité de commercer avec eux<br />

en présentant des garanties sûres telles que des hypothèques sur les biens<br />

immobiliers, il était devenu évident qu'il fallait obtenir des titres de propriété<br />

qui ne puissent être contestés par de tierces personnes. Ce qui entraînait<br />

également la nécessité de sortir de l'indivision des terres collectives<br />

d'autrefois. Aujourd'hui encore, beaucoup de familles togolaises ont recours à<br />

ces titres fonciers allemands pour prouver de façon incontestable leurs droits<br />

de propriété.<br />

Avec l'arrivée des Français, la législation allemande en matière de<br />

droit foncier a été pleinement reconnue et confirmée. En effet, les Français<br />

avaient une législation foncière pareille depuis 1906 dans les territoires<br />

dépendants de l'ancienne AOF : c'était le fameux décret du 24 juillet 1906. A<br />

l'époque, évidemment, le Togo était encore allemand ... Au moment, donc, où<br />

la France s'est vu confier par la Société des Nations le mandat "€3" sur le<br />

Togo, la puissance mandataire a aussitôt promulgué le décret du 24 juillet<br />

1906 dont je viens de parler, par un arrêté d'application de 1923. C'est cet<br />

arrêté de 1923 qui a formé l'ossature de notre droit foncier jusqu'à notre<br />

Indépendance, et continue jusqu'à ce jour. I1 est vrai que j'ai quitté<br />

l'administration de la Conservation foncière en 1961, mais je ne pense pas<br />

qu'il y ait eu depuis des modifications substantielles de la législation foncière<br />

en vigueur avant l'Indépendance. C'est ainsi que les droits de propriété restent<br />

garantis "définitifs'' et "inattaquables''. La procédure d'immatriculation<br />

aboutissant à la création des titres fonciers est restée la même, et les droits<br />

fonciers établis par les Allemands continuent à être respectés.<br />

- Q - Pour compléter votre rappel historique, c'est à partir de<br />

1904 qu'on a produit les premiers titres fonciers. Mais, en<br />

fait, la propriété privée à Lomé est plus ancienne : c'est dès<br />

les origines de la ville, en 1880, puisque l'on trouve ainsi<br />

aux archives des contrats d'achat et de location, dès 1880-82,<br />

qui sont formulés dans des termes pratiquement modernes.<br />

- C'est exact !<br />

- Q - Ceci donc avant même l'arrivée des Allemands ! Le tout<br />

premier document cartographique que l'on a sur la ville de<br />

Lomé, c'est un plan de 1891, et c'est déjà un cadastre, un<br />

manifeste d'appropriation de terrains. A ce qu'on m'a raconté,<br />

dans les vieilles familles, la tradition est que les Allemands<br />

auraient dit aux gens : "Nous ne voulons pas qu'il y ait des<br />

Les titres fonciers allemands ont ét6 créés par l'ordonnance du 21 novembre 1902 et les<br />

arrêt& d'application des 19 juillet et septembre 1904.<br />

276


conflits entre vous pour ces problèmes de terrains ; donc on<br />

va tout mettre dans un livre". Dans la mémoire populaire,<br />

l'Administration a pour rôle essentiel de garantir cette<br />

propriété, en la transcrivant dans un livre. Ce qui est, au<br />

fond, assez juste ...<br />

1 C'est tout à fait raisonnable !<br />

- Q - Pourriez-vous nous expliquer s'il y avait des différences<br />

sensibles entre le droit'allemand et le droit franqais, ou est-ce<br />

que le second a pu se substituer au premier sans difficulté<br />

parce qu'il était semblable ?<br />

- Yen suis très étonné, mais il n'y a pas de différence du tout ! Par<br />

exemple, en matière de procédure d'immatriculation, les Allemands avaient la<br />

même méthode, la même procédure que celle que les Français ont instaurée<br />

après la prise du mandat.<br />

- Q - C'est une procédure qui est longue, coûteuse, mais qui<br />

offre énormément de garanties pour les gens, n'est-ce pas ?<br />

- Justement ! Cette procédure, mon avis, est nécessairement<br />

longue. Et ce n'est pas trop long, car, une fois terminé sans opposition, le<br />

titre de propriété devient inattaquable.<br />

- Q - Parlez-nous un péu de la procédure allemande.<br />

- 11 fallait d'abord adresser au préfet (enfin ... ce qu'on appelle préfet<br />

aujourd'hui) une demande d'enquête. Cette enquête était faite en invitant tous<br />

les occupants limitrophes du terrain, les chefs du quartier ou les chefs du<br />

canton, à se réunir un certain jour sur le terrain. Au cours de cette visite, on a<br />

à vérifier les limites du terrain. <strong>Si</strong> tout le monde est d'accord, le préfet dresse<br />

un rapport, établit un certificat administratif auprès du conservateur de la<br />

propriété foncière. Celui-ci est chargé de la publication de cette réquisition<br />

d'immatriculation au Journal officiel. Après parution de ce journal, le<br />

découpage et l'extrait de cette réquisition sont affichés au tribunal du lieu où<br />

se trouve le terrain.<br />

- Q - Et Ci la Conservation foncière aussi ...<br />

- Oui, naturellement, pendant trois mois. <strong>Si</strong>, au bout de ces trois<br />

mois, il n'y avait pas eu d'opposition, le conservateur est libre -il est même<br />

obligé- de créer le titre foncier. Mais s'il y a eu opposition, le dossier est<br />

transmis au tribunal, qui devra statuer sur le bien fondé des prétentions de<br />

l'opposant. <strong>Si</strong> l'opposant a gain de cause, évidemment, la procédure est<br />

interrompue, et le jugement donnant gain de cause à l'opposant servira de<br />

pièce maîtresse pour la procédure d'immatriculation par l'opposant. <strong>Si</strong><br />

l'opposant est débouté, le tribunal ordonne au conservateur de créer<br />

277


immédiatement le titre foncier au nom du premier requérant.<br />

- Q - Quel était Ci l'époque le délai maximum pour avoir un<br />

titre foncier ?<br />

- La procédure était longue également du temps des Allemands. Je<br />

ne peux pas dire si c'était deux ou trois mois de plus ou de moins, mais elle<br />

était longue aussi. D'après les dossiers qu'on a, à partir du moment où les<br />

contrats ont été conclus et le titre foncier établi, ça faisait aussi une année,<br />

comme maintenant, à peu près ...<br />

- Q - Qu'en pensez-vous, M. Creppy ?<br />

- J'allais intervenir pour parler du rôle du géomètre au cours de la<br />

procédure d'immatriculation. Vingt et un jours au moins avant l'expiration du<br />

délai de trois mois, le conservateur envoie sur le terrain une équipe de<br />

géomètres, pour aller procéder au bornage d'immatriculation. Le bornage,<br />

dans le langage technique, signifie une reconnaissance des limites du terrain<br />

en présence du propriétaire requérant, des propriétaires limitrophes et tous les<br />

ayants droit éventuels.<br />

- Q - Est-ce que l'on plante effectivement des bornes en même<br />

temps ?<br />

- Non. Les bornes ont toujours été plantées préalablement par les<br />

propriétaires, avant l'établissement même du certificat administratif. Ça, c'est<br />

l'abornement, qui est différent du bornage, au sens technique du mot.<br />

- Q - SaveZTvous quel était le montant des frais de bornage Ci<br />

Pipoque allemande ?<br />

- I1 n'y avait pas de frais pour le bornage à l'époque allemande : le<br />

bornage était fait par les fonctionnaires. Il n'y avait pas de géomètres privés.<br />

Il était fait par les géomètres officiels allemands.<br />

- Q - Gratuitement ?<br />

- I1 y avait les frais d'établissement des contrats, mais je n'ai pas<br />

trouvé de traces du payement de frais de bornage.<br />

- Effectivement, il y a eu, entre temps, quelques petits frais à partir<br />

du moment où certains plans annexés au dossier d'immatriculation s'avéraient<br />

- faux : la section topographique du Service des domaines, à l'époque, était<br />

obligée de reprendre tous ces travaux, aux frais du requérant. Donc, comme<br />

frais, il y avait les frais de publication, mais qui n'étaient rien du tout à<br />

l'époque.<br />

- Q - A la conservation foncière de Lomé, on a toujours 513<br />

278


"Grund Akten", c'est-à-dire les "actes fonciers " allemands,<br />

dont le papier a bien jauni. Ils contiennent l'ensemble des<br />

dossiers. Dedans, il y a toujours un plan de la parcelle dont le<br />

papier, lui, n'a pas bougé : il est resté blanc comme au<br />

premier jour, et les couleurs remarquablement conservées.<br />

Savez-vous quel est ce papier ?<br />

- Ah, je l'ai observé aussi ! Je me demandais bien quelle est cette<br />

encre qui ne pâlit pas, parce que, alors, on employait l'encre de Chine dans<br />

toutes les écritures. Celle-là, c'est une écriture qui paraît neuve aujourd'hui<br />

comme à l'époque !<br />

- Q - C'est surtout le papier des doèuments qui a jauni, mais,<br />

pour ces plans-là, il y avait un papier spécial. Peut-être<br />

l'équivalent du papier des billets de banque ?<br />

- Je crois que c'est un calque spécial, parce que, à l'heure actuelle,<br />

nos calques jaunissent aussi. Alors que les calques de l'@oque sont restés<br />

jusqu'à ce jour très propres, très blancs.<br />

- Effectivement, c'étaient des papiers spéciaux. Je pense que, à<br />

l'heure actuelle, on emploie des papiers calque qui ne tiennent pas aussi bien<br />

que les papiers qui étaient utilisés par les Allemands. Et puis, il y avait aussi<br />

les papiers toilés : c'est des toiles sur lesquels on faisait des plans, qui<br />

étaient indéformables, qui se conservaient parfaitement bien.<br />

- Q - Et qui surtout ne bougeaient pas à la température : pas<br />

de rétrécissement, ni d'élargissement ...<br />

- MSme avec les intempéries, ça ne bougeait pas !<br />

- Q - Donc une procédure d'immatriculation qui est très<br />

ancienne, avec peu de modifications entre l'époque allemande<br />

et l'époque française : une mécanique d'établissement de la<br />

propriété foncière qui est pratiquement aussi vieille que le<br />

siècle. Mais ce qui a sans doute changé depuis, c'est la<br />

profession de géomètre. A l'époque allemande, il n'y avait<br />

donc -que des géomètres publics. M. Creppy, quand sont.<br />

apparus les géomètres privés ?<br />

- J'ai ouï dire que le premier géomètre privé était un certain Ahyée,<br />

qui aurait participé à la délimitation de la frontière franco-britannique<br />

(actuellement Togo-Ghana), en 1927-29. Celui-là travaillait aussi .bien au<br />

Ghana-qú'ici, au Togo. Après, il a eu à s'installer au Togo. I1 a pris des<br />

apprentis. Son premier apprenti est un certain "Mensah-Ancien", comme on<br />

I'apEelait : d'Alméida Mensah, qui est toujours en vie. A partir de lui, il y a<br />

eu un certain Gomez, qui s'est installé bien après Monsieur Ahyée. Monsieur<br />

Gomez était au départ un enseignant, qui s'est formé sur le tas : il aurait<br />

279


suivi des cours par correspondance avant de devenir géomètre. Ensuite un<br />

agent d'affaires, Monsieur Kponton, mais qui a travaillé avec le concours de<br />

certains agents des Travaux publics (Monsieur Gbényédji, par exemple). Un<br />

certain Monsieur Soulé Amadou aussi, que ses amis ont formé comme<br />

topographe; en fait comme croquiseur et chaîneur, un agent d'affaires qui s'est<br />

installé. ..<br />

- Q - Un parent du fameux Hubert Kponton, le fondateur du<br />

musée national ?<br />

- Oui, je crois qu'il doit être son frère, ou son cousin ... Donc,<br />

presque tous ces géomètres togolais, à l'époque, n'étaient effectivement que<br />

des croquiseurs, comme je viens de le dire, des chaîneurs : ils faisaient les<br />

croquis des terrains, qu'ils présentaient au conservateur. Parce qu'il n'existait<br />

pas un Service topographique : c'était une section topographique de la<br />

Conservation fonci6re. Alors ces croquis, comme je viens de le dir?, étaient<br />

repris entièrement au moment des bornages par les agents de I'Etat, qui,<br />

étaient en ce temps des Européens des TP spécialement envoyés ici, comme<br />

Monsieur Georges Lalondrelle, qui était le premier géomètre en titre au<br />

Togo, à la Conservation foncière.<br />

- Q - Je comprends mal comment ces géomètres privés ont pu<br />

s'installer dans cette procédure, qui était auparavant contrôlée<br />

entièrement par les services publics. Puisqu 'il fallait- mesurer<br />

h nouveau les parcelles au moment de l'immatricul&on, Ci<br />

quoi cela servait-il de les faire mesurer une première fois par<br />

des géomètres privés ?<br />

- Oui, évidemment ... Beaucoup de Togolais voulaient des titres<br />

fonciers ; ils s'adressaient à quelqu'un qui pouvait présenter un croquis qui<br />

indiquait la situation du terrain pour lequel ils demandaient l'immatriculation.<br />

Alors, I'État ne pouvant pas faire face à toutes ces demandes, le géomètre<br />

privé, à l'époque, faisait ce travail.<br />

- Les futurs propriétaires togolais devaient s'adresser à la première<br />

personne qu'ils avaient devant eux : c'était ce qu'on appelait les agents<br />

d'affaires. Eux confectionnaient d'abord les contrats ; ils savaient rédiger une<br />

deinande d'immatriculation. En même temps, ils faisaient le plan. Le plan<br />

était faux, c'était évident, parce que, par la suite, la section topographique<br />

devait reprendre tous ces plans. Mais cela importait peu, puisqu'il n'y avait<br />

pas d'autres moyens de faire.<br />

- Q - Est-ce qu'ils étaient gravement faux, ou bien c'était une<br />

affaire de 5 ou 10 % ?<br />

- Oh, ce n'était pas gravement faux, au fond. Ils se servaient des<br />

moyens du bord ...<br />

280


- Q - <strong>Si</strong>mplement imprécis ?<br />

- Imprécis, mais pas faux.<br />

- Q - C'est dire que, au cours des années 1940-50, vous avez<br />

eu Ci faire beaucoup d'intervention de rectification dans le<br />

bornage d'immatriculation ?<br />

- <strong>Si</strong> ! Presque chaque point était repris par le géomètre officiel.<br />

Parce que le géomètre officiel, lui, est assermenté (le géomètre privé ne l'était<br />

pas). Donc l'Administration avait foi en ce géomètre assermenté. Le titre<br />

foncier étant une pièce précieuse, il fallait que le plan soit entièrement<br />

inattaquable sur le plan de la forme et de la précision.<br />

- J'allais préciser que le décret foncier du 24 juillet 1906 faisait<br />

obligation aux géomètres assermentés, désignés pour procéder au bornage, de<br />

reprendre toutes les mesures de terrains et d'en établir un procès verbal séance<br />

tenante. Voilà ! Je peux être sollicité comme expert par le tribunal pour aller<br />

procéder à une délimitation. Ce qui n'a absolument rien à voir avec un<br />

bornage d'immatriculation proprement dit : ça peut être pour une cause<br />

quelconque (pour un partage ou une expertise du tribunal). Au moment du<br />

bornage, je suis obligé de reprendre entièrement les mesures.<br />

- Q - Peut-être avec des instrument plus précis ?<br />

- Oui, mais même peut-être avec les mêmes instruments, puisque la<br />

loi me fait obligation de reprendre ces mesures devant l'assistance. C'est<br />

l'ensemble de cette opération qui constitue le bornage proprement dit, c'est-à-<br />

dire la reconnaissance de la mesure des limites en présence des propriétaires<br />

du terrain, du requérant, du propriétaire vendeur et des propriétaires<br />

I imitrophes.<br />

- Ce qu'on appelle le "bornage contradictoire", parce que toutes les<br />

personnes sont Ià pour contester le travail s'il est en quelque sorte douteux.<br />

- Q - Était-il fréquent qu'il y eût contestation ?<br />

- Sur le plan technique, je ne pense pas : il y avait des contestations<br />

sur le plan du droit de propriété sur la parcelle. Ça, ça arrivait très<br />

fréquemment ! Les géomètres officiels devaient consigner les observations<br />

des opposants dans le procès verbal et faire signer toutes les parties pour faire<br />

foi de leurs déclarations.<br />

- Parfois, quand-même, il y avait certaines protestations du fait que<br />

le géomètre n'est pas toujours tenu de suivre les lignes courbes indiquées par<br />

les propriétaires sur le terrain. On rectifie au mieux et, parfois, au cours de<br />

ces rectifications, il y a des oppositions. Mais la conciliation a toujours été<br />

possible sur le terrain.<br />

28 I


- Q - Par exemple, dans une semaine normale (à l'époque oÙ<br />

vous étiez géomètre chargé de ces immatriculations<br />

définitives), combien y avait-il de contestations ?<br />

- Au cours du bornage d'immatriculation, quand il y a opposition,<br />

c'est sur la totalité du terrain.<br />

- Q - Quelqu'un dit : "On est tous d'accord que ça commence Ci<br />

tel arbre et que ça s'arrête à tel autre, mais ce n'est pas h lui,<br />

c'est à moi !" Ou, bien : "Le vendeur autorisé n'est pas celui-<br />

là ; c'est moi le seul vendeur légitime "... Mais sur les<br />

limites mêmes du terrain, on contestait rarement ?<br />

- On ne contestait pas, parce que les limites ont toujours été<br />

préalablement délimitées par les propriétaires, et en présence des limitrophes.<br />

Au moment de la délivrance du certificat administratif, toutes les collectivités<br />

locales coutumières sont convoquées et sont présentes. S'il y a contestation<br />

sur le champ, on rectifie avant l'établissement du certificat administratif.<br />

- Q - Mais ces contestations étaient-elles fréquentes, ou bien<br />

c'était seulement un petit nombre de cas ?<br />

- Non, non ! I1 y a en souvent dans certaines régions ! (rires) Quand<br />

vous vous trouvez dans la région d'Aflao, c'est très fréquent : les enfants qui<br />

contestent les terrains qui ont été vendus par les parents ... Je peux dire que<br />

c'est classique dans certaines régions.<br />

- Q - Comment travaille le géomètre ? Concrètement, qu'est-<br />

ce qu'un borpage ? Voulez-vous nous expliquer quelle est la<br />

démarche ?<br />

- Le bornage ? I1 y a deux phases. D'abord la phase administrative,<br />

qui consiste à vérifier en arrivant sur le terrain l'identité de tous ceux qui ont<br />

été dûment convoqués par le conservateur et qui doivent assister au bornage.<br />

Ces vérifications faites, le propriétaire requérant, c'est-à-dire celui qui requiert<br />

l'immatriculation. ...<br />

- Q - Le candidat pròpriétaire ?<br />

- Oui !<br />

- Q - Puisqu'il ne l'est pas encore officiellement ... (rires).<br />

- Bon, il prend \e devant des opérations ; il indique au géoinètre et à<br />

tcus ceux qui assistent au bornage les limites de sa propriété : les bornes.<br />

Voilà, par exemple, la première borne ; il quitte ici, il va là-bas, on le suit,<br />

et on parcourt tout le périmètre du terrain ... Une fois cela terminé, et sans<br />

contestation (ou même avec contestation), le geomètre, maintenant, prend ses<br />

282


instruments topographiques, la chaîne' et le goniomètre2 (maintenant, c'est<br />

un théodolite3). On les prend et on lève à la fois les angles et les distances.<br />

Même en cas de contestation, le géomètre est tenu immédiatement de faire<br />

sur le terrain le levé de la parcelle litigieuse.<br />

- Q - On ne peut pas prendre en compte le relief, les pentes ?<br />

- Non, non. Ici il n'y a que de la planimétrie, c'est-à-dire de la<br />

projection horizontale.<br />

- Q - Donc on parcourt deux fois le périmètre, une fois pour<br />

voir où sont les bornes, une deuxième fois avec la chaîne<br />

d'arpenteur pour mesurer...<br />

- Oui. Une première fois : formule administrative pour la<br />

reconnaissance des limites. Une deuxième fois : les mesures pour voir si le<br />

plan déposé par le requérant (le candidat propriétaire, comme vous l'appelez)<br />

est conforme au plan du terrain.<br />

- Q - Et à chaque angle, avec le goniomètre, on refait les<br />

calculs ?<br />

- On calcule la surface, les distances ... I1 arrive parfois qu'on arrive<br />

dans des coins inaccessibles. (rires) Enfin ... Avec des méthodes de géométrie,<br />

on arrive à déterminer ces distances.<br />

- Q - Quand il s'agit d'un lot standard de 20 mètres sur 30, ce<br />

n'est pas un travail difficile. Mais quand vous aviez à mesurer<br />

170 hectares4, ga ne devait pas se faire dans la matinée ?<br />

- Non ! Voilà ! (rire) Le bornage peut durer plusieurs jours. Mais<br />

pas le bornage proprempnt dit, c'est-à-dire reconnaître les limites des<br />

propriétés en présence de tous les assistants : ça, on peut le faire au cours de<br />

la même journée. Vous parcourez toutes les limites d'abord, pour voir s'il y a<br />

ou s'il n'y a pas contestation. Une fois cette phase achevée, le bornage<br />

administratif est donc terminé. Maintenant, il reste le levé topographique, qui<br />

n'est pas le bornage, qui est le contrôle du plan déposé à l'appui de la<br />

réquisition d'immatriculation.<br />

- Q - De nos jours, la plupart des parcelles sont<br />

rectangulaires, donc relativement simples à lever. Mais vous<br />

devez parfois vous trouver devant des parcelles extrêmement<br />

compliquées. Je pense aux cas des collectivités<br />

traditionnelles, dont le terrain est d'origine coutumière ?<br />

Chaîne d'arpenteur, robuste et indéformable, longue de vingt mktres.<br />

Instrument de mesures des angles.<br />

Appareil de visée qui mesure les angles aussi bien verticalement qu'horizontalement.<br />

Surface de l'ancienne cocoteraie d'Augustin0 de Souza, à l'origine du quartier Souza NétimB.<br />

283


- Oui ... Enfin ... Les parcelles régulières de 30 m sur 20, les lots qui<br />

ont été implantés par des géomètres, la plupart du temps (à la tolérance près),<br />

c'est correct. Quand on va sur le terrain, parfois, on n'est pas obligé de<br />

parcourir les limites ; ces limites sont bâties par d'autres procédés<br />

topographiques : on contrôle, par exemple, en mesurant la diagonale, quand<br />

ce sont des rectangles. Les diagonales doivent être égales. Avec une distance<br />

de 30 sur 20, selon le théorème de Pythagore, la diagonale doit mesurer<br />

tant1, et puis on s'en va. On n'est pas tenu obligatoirement de parcourir<br />

toutes les limites, dans ce cas.<br />

- Q - Un géomètre doit donc être un bon mathématicien ...<br />

- Oh, c'est beaucoup dire ! (rires). Un géomètre a des notions qui lui<br />

permettent de déterminer d'une façon exacte les mesures du terrain.<br />

- Q - De votre temps, M. Bruce, quel était le nombre moyen<br />

des enregistrements chaque année ?<br />

- Ça a dû beaucoup changer, puisque avec l'évolution, les gens se<br />

rendent compte de la nécessité croissante d'avoir des terrains immatriculés.<br />

C'est difficile à dire maintenant, après un tel recul ... Vous savez, j'ai quitté<br />

les Domaines il y a vingt-sept ans ! Je ne peux plus dire exactement combien<br />

de titres fonciers on créait en moyenne ... Mais je pense que, comme les<br />

formalités, autrefois, étaient plus légères qu'aujourd'hui, il a dû y avoir plus<br />

de créations de titres à l'époque. Parce que les gens, je pense, ont maintenant<br />

beaucoup de difficultés à faire établir les plans, à les faire réviser, à payer les<br />

droits (qui ont augmenté légèrement par rapport à l'ancien temps). Je crois<br />

qu'il a dû y avoir plus de titres créés à l'époque que maintenant. '<br />

- Q - Actuellement, il s'en crée Ci peu près un millier par an<br />

-ou un peu moins d'un millier- pour tout le Togo (dont 80 ou<br />

90% Ci Lomé). On doit être actuellement Ci un total de 18 O00<br />

environ, n'est-ce pas, M. Creppy ?<br />

- Le nombre total de titres fonciers avoisine maintenant les 20 000.<br />

C'est dû aussi essentiellement au fait que beaucoup de jeunes fonctionnaires,<br />

qui veulent avoir leur maison à eux, ont sollicité des prêts immobiliers. Les<br />

organismes financiers, prudents qu'ils sont, ont toujours exigé un titre<br />

dGfinitif avant d'accorder les prêts. C'est ce qui a poussé à la hausse :<br />

beaucoup ont demandé le titre foncier ces derniers temps. Moi, quand je suis<br />

arrivé au Service, il y a vingt-cinq ans, on était à 4 000-5 O00 ... A l'heure<br />

actuelle, on est à une vingtaine de mille, hein ?<br />

- J'ai quitté le domaine au moment où on avait 5 O00 titres créés. <strong>Si</strong><br />

aujourd'hui il y a une vingtaine de mille, ça fait 15 O00 de plus en l'espace de<br />

vingt-cinq ans. J'ai commencé à la conservation à partir de 1957, mais il y<br />

' 36,05 m.<br />

284


avait avant moi déjà des titres créés : je parle du chiffre total, qui atteignait<br />

5 O00 au moment où j'ai quitté le Service.<br />

- Q - Il y en avait, si j'ai boitne mémoire, à peu près 6 O00 à<br />

l'Indépendance.<br />

- Je suis arrivé au Service des domaines au moment où Monsieur<br />

Bruce partait. Effectivement, ça coïncide avec les chiffres quej'ai donnés. La<br />

durée, pour l'obtention d'un titre foncier, c'est capital. Parce que, dans ce<br />

système de l'établissement d'immatriculation, il y a un point qui reste encore<br />

à améliorer : c'est que les avis d'immatriculation et les avis de bornage ont<br />

été toujours publiés au Journal officiel, mais en fait, Dieu seul sait, même<br />

parmi l'intelligentsia togolaise, combien de gens lisent le Journal officiel ...<br />

(rires). Alors, je crois que, à l'avenir, on trouvera une certaine formule pour<br />

faire connaître au paysan qui est dans son petit village qu'on veut<br />

immatriculer un terrain chez lui, et qu'il en tienne compte, qu'il se prépare<br />

pour recevoir les gens ... Sans quoi, avec les seules publications au Journal<br />

officiel, on a parfois des surprises désagréables sur le terrain ...<br />

- Q - Une autre fonction des géomètres (et ceci, je crois, dès<br />

les années 1950), Fa a été, en fait, devant l'absence de<br />

services publics compétents, de faire les lotissements, de<br />

transformer la périphérie de Lomé -les cocoteraies du cordon<br />

littoral, puis les champs du plateau de Tokoin- en quartiers<br />

habités. Comment cela s'est-il produit ?<br />

- Ça vient du fait que l'État n'était pas en mesure de procéder à ces<br />

lotissements, parce qu'il n'avait pas le personnel nécessaire. Et puis, il y<br />

avait aussi, il faut le souligner, ce droit fondamental de propriété qu'on<br />

reconnaît aux autochtones. Alors, le propriétaire d'un terrain est libre de<br />

choisir lui-même le géomètre qui va lotir son terrain, et il est libre aussi<br />

d'imposer ce qu'il veut comme dimensions de ses lots (du moins, à l'époque).<br />

Or le géomètre, lui, y a tout intérêt : plus il y a de lots, plus ses honoraires<br />

augmentent ! Alors, dans ces conditions ... D'ailleurs vous l'avez constaté,<br />

dans certaines régions de la ville de Lomé, il y a eu des lots qui sont de 20<br />

mètres sur 20, ensuite des lots de 25 sur 20, des lots de 25 sur 25, et, à<br />

l'heure actuelle, on trouve des lots de 20 sur 30. (Je dis "20" en premier,<br />

parce que c'est la largeur sur rue, pour pouvoir donner l'accès à beaucoup de<br />

lots sur les grandes artères).<br />

- Q - Ce qui fait des lots de 600 m2. Les urbanistes trouvent<br />

que c'est trop grand, que cela étire démesurément la ville ...<br />

- Ces 600 m2, c'est une moyenne, ce n'est pas obligatoire ! I1 n'y a<br />

dans aucun bouquin une surface obligatoire pour un lot !<br />

- Q - C'est une habitude, mais pas très ancienne : autrefois,<br />

les terrains étaient plus petits. Mais maintenant, on considère<br />

285


ces 600 m2 comme la norme. L'enquête que j'ai faite sur les<br />

propriétés à Lomé (portant sur 3 O00 parcelles à travers tous<br />

les quartiers) m'a donné une moyenne de 550 m2 sur<br />

l'ensemble de la ville. Donc on n'en est pas loin...<br />

- Oui, oui. L'État lui-même, quand il a commencé à faire certains<br />

lotissements (par exemple à Hanoukopé'), c'était 25 sur 25.<br />

- Et des rues de 6 à 8 mètres, au lieu de 10 à 12 comme on fait<br />

aujourd'hui.<br />

- A l'époque, il n'y avait pas d'urbanistes et le peu qu'on avait était<br />

venu "trop tard dans un monde trop vieux". (rires) Mais, depuis un certain<br />

temps, quand même, il y a des Togolais très compétents qui ont été formés,<br />

qui ont pris le problème en main. Souvent sur la demande des propriétaires :<br />

quand le terrain n'est pas grand, on veut le plus grand nombre possible de<br />

lots. Mais après, avec les urbanistes, on tient compte quand même de la<br />

viabilité de la région, et du standard de villas qu'on veut construire là-bas,<br />

pour déterminer les dimensions. Ce n'est plus sur la demande (ou sur l'esprit<br />

de gain) du propriétaire que les distances sont déterminées.<br />

- Q - Ce qui s'est produit, c'est que la ville de Lomé s'est<br />

développée énormément en espace : entre 1970 et 1981, elle a<br />

doublé de population, mais triplé de superficie. Ce qui pose<br />

des problèmes d'aménagement_ difficiles : quand vous avez une<br />

maison tous les 100 mètres, amener l'eau, l'électricité ou le<br />

goudron coûte extrêmement cher. 11 est probable que, dans<br />

l'avenir, il y aura des pressions pour réduire la taille des lots.<br />

Dans des villes comme Abidjan ou Kinshasa, les grands lots<br />

ont des surfaces de 300 ou 400 m2 (et les petits 100 ou 150).<br />

Les 600 m2 de Lomé, c'est un luxe!<br />

- Oui. A Abidjan, quand même, ce n'est pas pareil, parce que, l'État<br />

prend les devants pour faire le lotissement, sans même l'avis des<br />

propriétaires. On fait le lotissement, et c'est 1'Etat qui donne des autorisations<br />

d'occuper ces terrains-là, avec des cahiers des charges. Bon, ici, il y a aussi<br />

l'esprit togolais : chacun veut être propriétaire de sa maison, et on n'aime pas<br />

beaucoup les "Habitats"*. Un Togolais préfère aller s'installer à cinq<br />

kilomètres plus loin, mais sur son propre terrain, plutôt que d'habiter à côté<br />

d'un autre Togolais dans un même immeuble. L'esprit d'immeuble ne<br />

convient pas à l'esprit togolais ! (rires)<br />

- La raison pour laquelle, dans les pays autres que le Togo, l'État<br />

prenait sur lui de faire le lotissement (comme on vient de le constater par<br />

exemple en Côte d'Ivoire), c'est parce que les terrains étaient de prime abord<br />

-<br />

-<br />

/<br />

-/<br />

Voir ci-dessus dialogue no 4.<br />

Cit6s construites h l'instigation des pouvoirs publics.<br />

286<br />

\ ì<br />

\<br />

I<br />

-


domaniaux. Or, au Togo, les terrains (surtout dans la ville de Lomé)<br />

appartenaient à des collectivités : c'étaient des propriétés privées. Pour cette<br />

raison, le propriétaire privé qui avait u?e grande surface et qui voulait faire<br />

lotir son terrain n'avait pas besoin de 1'Etat pour le lotir.<br />

- Q - Dans la création de ces nouveaux quartiers, il y a<br />

parfois eu des problèmes de coordination entre géomètres, ce<br />

qui fait que le quadrillage des rues de l'un ne s'adapte pas<br />

toujours au quadrillage des rues de l'autre, n'est-ce pas ?<br />

- C'est que, au départ, les géomètres privés avaient fait des<br />

lotissements 'clandestins. L'urbaniste a eu du mal à assembler ces<br />

lotissements, surtout quand il n'y a pas eu un système de levé unique. C'est-<br />

à-dire que chacun part d'un système de coordonnées de son propre choix : c'est<br />

qu'il n'y avait aucune coordination dans les levés, dans les travaux<br />

topographiques. Donc l'urbaniste avait du mal à assembler les plans. Ce qui<br />

fait que l'on a, dans certains quartiers, des rues qui se chevauchent, qui<br />

finissent en queue de poisson, des impasses ...<br />

'- Q - Ce qui, maintenant, n'est en principe plus possible,<br />

grâce au schéma directeur adopté en 1981, sur lequel les<br />

lotissements doivent s'adapter.<br />

- Pas seulement le schéma directeur ! Lomé, sur sa plus grande<br />

partie, est maintenant couvert par un réseau de polygonation auquel tous les<br />

géomètres sont tenus de se rattacher. Donc en donnant par exemple les<br />

coordonnées d'un point, le Service de la cartographie est à même de vous dire<br />

où se trouve précisément le terrain.<br />

--Q - Selon ce que racontent les gens, on laisse entendre que,<br />

fact? li des paysans analphabètes, certains géomètres se<br />

faisaient payer non pas en argent, mais en nombre de lots et<br />

que, parfois, ils ont quelque peu abusé ...<br />

- Oui, c'est vrai. En revenant ici, au Togo, en 1960, moi-même j'ai<br />

été surpris par ce phénomène, parce que ça a été une manière d'escroquer les<br />

propriétaires analphabètes, qui ne sont pas au courant de notre métier. Parce<br />

que, quand le géomètre demande 200 O00 F, par exemple, pour un<br />

lotissement à un propriétaire, le propriétaire n'a pas ces 200 O00 F : il trouve<br />

ça énorme ! Mais lui-même ne donne aucune valeur à son terrain. Le<br />

géomètre propose :<br />

- "<strong>Si</strong> vous n'avez pas 200 O00 F, je vais vous prendre quatre lots sur<br />

le lotissement.<br />

- Et combien de lots j'aurai après le lotissement ?<br />

- Vous aurez quarante lots ;je n'en prendrai que quatre !<br />

- Ah bon, c'est rien ! Prenez les quatre lots ..."<br />

Or, après, le géomètre vend chaque lots à 100 O00 F ou à<br />

200 O00 F ! Ça lui faisait 800 O00 F ! Ça, c'est dû au fait que les<br />

287


propriétaires, au départ, n'ont jamais eu d'argent pour financer leurs<br />

lotissements.<br />

- Q - Maintenant, il existe une organisation de géomètres,<br />

l'ordre des géomètres, pour éviter ce genre d'abus.<br />

- L'ordre des géomètres ? C'est tout récent ! Ce n'est que depuis le<br />

2 mai dernier1 que l'ordre des géomètres a été officiellement créé. Mais,<br />

compte tenu du sérieux avec lequel cet ordre a été fait, ce texte a été fait, je<br />

crois que, dès qu'il sera mis en application, ces abus seront du coup arrêtés.<br />

- Q - Un autre élément de sécurité pour le public, c'est que<br />

n'importe quj ne peut pas s'improviser géomètre : il faut être<br />

agréé par I'Etat, n'est-ce pas ?<br />

- Oui,.parce que, avant, pour être géomètre, il suffisait d'acheter une<br />

patente aux Contributions directes. On a vu des tailleurs, des forgerons, qui<br />

sont devenus des géomètres, parce que ça payait plus que leur métier ... Et<br />

déjà en 1976, le président de la République lui-même a pris ce problème en<br />

mains : on a pris le premier texte qui réorganisait totalement la profession de<br />

géomètres, qui rendait obligatoire l'agrément avant l'exercice de la profession.<br />

On devait en même temps, six mois après la publication de ce texte, former<br />

l'ordre des géomètres, ce qui vient d'être fait après deux années de travail<br />

laborieux, et, Dieu merci !, je crois que d'ici quelques mois, ça va se mettre<br />

en place, et qu'on va arrêter beaucoup d'abus. S'appellera géomètre seulement<br />

celui qui est vraiment géomètre.<br />

- Q - En 1977, on a créé une Direction générale de<br />

l'urbanisme et de l'habitat. Qu'est-ce que cela a modifié pour<br />

vous dans la pratique de la création des terrains ?<br />

- Eh bien, ça a modifié beaucoup de chose, parce qu'on a eu des<br />

jeunes gens très capables qui sont arrivés, qui ont pris sérieusement le<br />

problème à coeur. Par exemple, avant, il suffisait au géomètre privé de<br />

présenter un plan au chef du Service topographique pour avoir un visa et faire<br />

immatriculer un terrain. L'avis du Service de l'urbanisme, qui n'existait<br />

presque pas, n'était pas demandé. En ce moment-ci, avant même que le<br />

Cadastre ne soit saisi, le plan doit être visé par le directeur du Service de<br />

l'urbanisme. C'est très important, et ça a assaini beaucoup la situation.<br />

I<br />

- Q - On a la garantie que_la vente du terrain est valable ?<br />

- I1 a la garanti? que le terrain se trouve dans une zone régulièrement<br />

lotie et approuvée par l'Etat.<br />

- Q - Et que les propriétaires qui vendent ont, effectivement,<br />

1988.<br />

288


le droit de vendre ?<br />

- Non, non ! Ça n'a rien à voir avec le droit de propriété. Le vjsa,<br />

sut le plan de l>rbanisme, ça veut dire que l'urbanisation a été faite par 1'Etat<br />

ou au su de I'Etat, hein ? Le visa par le Service de la cartographie et du<br />

cadastre, ça, c'est pour voir l'exactitude du travail du géomètre, mais ça ne<br />

confère aucun droit de propriété, parce qu'il peut arriver que le même terrain<br />

fasse en même temps l'objet de visas de ces différents services. Ça ne veut<br />

pas dire, à partir du moment où le chef du Service de l'urbanisme ou du<br />

cadastre ont visé ces plans, que celui qui présente le plan devient propriéta$e.<br />

Non, il faut que toute la procédure d'immatriculation soit engagée. Et c'est<br />

cette procédure qui révèle -et qui confme- le droit de propriété.<br />

- Je dois dire que c'est un point très important que M. Creppy vient<br />

de soulever, parce que beaucoup de gens croient que, au moment oh le plan<br />

est visé par le Cadastre, ça confère à celui qui a demandé le visa le droit de<br />

propriété. Or ce n'est pas le cas : le visa du cadasire, comme il l'a dit,<br />

confirme tout simplement l'exactitude du plan, mais pas le droit de propriété.<br />

- En même temps, le Service de la cartographie (enfin ... à l'époque,<br />

le Service topographique, dont je faisais partie) vérifiait si, le terrain présenté<br />

ne se trouvait pas dans un domaine public ou prive de 1'Etat. Nous veillons.<br />

sur ça aussi ! Mais, pour ce qui est du droit de propriété même, non, ce<br />

n'était pas l'affaire de la Cartographie et du Cadastre. C'était plutôt l'affaire du<br />

conservateur.<br />

- Q - Ne pensez-vous pas que les services publics vont<br />

développer leur production de dessins de lotissement et que,<br />

ainsi, la profession de géomètre risque de voir réduire ses<br />

attributions ? La production des lotissements, qui ont étZ-<br />

longtemps faits par les géomètres, ne va-t-elle pas maintenant<br />

leur échapper ? Il ne leur resterait plus que le travail de<br />

bornage ...<br />

- Non. En somme, le Service de l'urbanisme et le Service du<br />

cadastre ne seront que des services coordinateurs.<br />

- Q - Donc, avec la croissance de la ville qui va continuer, la<br />

profession de géomètre a encore un bel avenir devant elle ?<br />

- Ah oui! Je crois ! Et le nombre de géomètres augmentant sans<br />

cesse, chacun, enfin, aura son travail. Il y en aura pour tout le monde !<br />

- Q - Nous n'avons pas encore évoquk la formation des<br />

géomètres. Vous-même, M. Creppy, comment êtes-vous venu<br />

à cette profession ?<br />

- J'ai fait mes études primaires ici, au Togo ; ensuite mes études<br />

289


secondaires au Bénin (ancien Dahomey), à l'école Victor-Ballot', et, de là, j'ai<br />

passé le concours pour aller à l'école fédérale publique de l'AOF, qui groupait<br />

à l'époque huit États (le concours était passé au niveau de ces Etab-là). On se<br />

retrouvait au nombre d'une quinzaine-vingtaine dans cette école, et, après<br />

quatre ans de formation, on sortait, soit géomètre ou agent technique de<br />

Travaux publics, soit adjoint technique des Mines, mis à la disposition du<br />

gouvernement général et affecté partout où besoin sera.<br />

- Q - Apparemment, c'est dès les années 1940-1950 qu'il y a<br />

eu Ci Lomé des ateliers avec une multitude d'élèves-géomètres,<br />

qui devaient payer une certaine somme d'argent avant d'avoir<br />

leur diplôme.<br />

- Ça s'est calqué un peu sur le système d'apprentissage de tous les<br />

métiers, ici, au Togo. Avant d'être initié, on vous demandait de remplir<br />

certaines formalités pécuniaires et, après, vous restiez en apprentissage. Vous<br />

restiez corps et âme à la merci du patron (qui vous utilisait même à la<br />

maison pour ses affaires personnelles), et qui vous apprenait le métier<br />

pendant trois, quatre ou cinq ans. Et après, il vous demandait de remplir<br />

encore d'autres formalités, en donnant une certaine quantité de boissons, de<br />

l'argent, et puis on vous conférait, devant une assistance de vieux maîtres-<br />

maçons, de vieux maîtres-forgerons ou tailleurs, le titre de géomètre ... On<br />

vous libérait, quoi !<br />

- Q -- Il n'existait donc que cette formation sur le tas ?<br />

- Oui, il n'y avait que cette formation sur le tas, que les géomètres<br />

ont calqué pour leurs apprentis. On les prenait comme-ça. Surtout que c'est<br />

un métier qui, à l'époque, était lucratif. Ceux qui s'étaient installés comme<br />

géomètres avaient certaines apparences d'aisance, et tout le monde voulait être<br />

géomètre. Mais d'abord, ne peut pas être apprenti géomètre qui veut : il faut<br />

avoir un minimum de culture de base, il faut avoir un certain niveau. Moi,<br />

j'estime que, à l'heure actuelle, pour faire apprenti comme on le faisait avant,<br />

il faut que le jeune homme qui veut faire apprenti ait au moins le niveau du<br />

brevet é1émentaire2. Et puis, après, qu'il ait au moins quatre ans de<br />

formation. Tout dernièrement, de 1985 à 1988 (donc cette année), on a eu à<br />

former des géomètres. On a pris alors des jeunes gens qui ont fait un ou deux<br />

ans à l'université, et on les a formés, pendant deux ans, avec le concours<br />

d'assistants techniques allemands et français. Ils ont été sérieusement formés.<br />

Ils n'ont vraiment rien à envier aux anciens géomètres qui avaient été formés<br />

à l'école fédérale supérieure de l'AOF.<br />

* A Porto-Novo, le seul collkge public du Dahomey colonial.<br />

BEPC.<br />

290


.- .<br />

no 18<br />

UNE COMMUNAUTE IMMIGREE :<br />

LES YOROUBA<br />

avec le<br />

Chef El Hadj LAWANI<br />

(né vers 1913 à Edjigbo, État d'Oyo, Nigéria)<br />

chef de la communauté yorouba de Lomé<br />

Nous rendons visite h une autre communauté ethnique<br />

de Lomé.: les Yorouba, et h son chef, El Hadj Lawani'.<br />

- Q - Chef Lawani, pouvez-vous tout d'abord nous expliquer<br />

si, pour vous, ''Nago" et "Yorouba", c'est la même chose, ou<br />

bien deux notions différentes ?<br />

- Il y a deux races : il y a les Yorouba et il y a les Nago. Les Nago<br />

sont des anciens esclaves2 en provenance du Nigéria, qui sont revenus<br />

s'installer au Bénin, tandis que les Yorouba viennent directement du Nigéia,<br />

précisément de l'ouest du Nigéria. Ils ont franchi beaucoup d'étapes dans leurs<br />

aventures. Les uns ont choisi les petits villages du Bénin ; les autres -ont<br />

poursuivi plus loin et sont parvenus à Lomé et dans les villages<br />

environnants.<br />

- Q - Comment les Yorouba s'appellent-ils eux-mêmes, dans<br />

leur propre langue ? Quel est le mot juste pour les désigner ?<br />

- Dans notre propre dialecte, c'est l'yorouba''.<br />

~<br />

- Q - Alors d'où vient le mot "nago" ?<br />

- Le mot "nago" est un dérivé des coutumes traditionnelles. C'est<br />

par ces coutumes que certains ont pris ce nom de nago.<br />

- Q - Chef Lawani, vous êtes donc le chef de la communauté<br />

yorouba. Est-elle surtout composés de citoyens nigérians ?<br />

- Oui, elle est composée de citoyens nigérians. Nous sommes tous<br />

Traduction simultanée assurée par son fils, et par M. Adjefina, fils du pricédent chef.<br />

Au Brésil, revenus B partir de 1835, surtout B Lagos, Porto-Novo et Agoué. Voir <strong>Si</strong> Lomé. ..<br />

tome II, dialogue n-11.<br />

291


Nigérians.<br />

- Q - Depuis quelle époque sont-ils installés h Lomé ?<br />

- Depuis l'époque des Allemands., La date n'est pas précise.<br />

- Q - Quels sont les premiers h être venus ?<br />

- Le premier Yorouba qui s'était installé à Lomé fut Adédoyi<br />

Adjayil.<br />

- Q - Que faisait-il ?<br />

- I1 était venu à l'aventure, et il avait pris l'hospitalité chez<br />

Awousso, un Togolais, le grand frère d'Adjallé2, à Amoutivé, loin des<br />

anciens quartiers de Lomé. I1 a vécu longtemps avec Awousso, et il<br />

s'adonnait aux travaux champêtres. -'<br />

- Q - Il était donc venu comme paysan ?<br />

a ' - I1 était venu comme paysan.<br />

- Q - Car on dit en général que la communauté yorouba est<br />

surtout composée d'artisans et de commeqants ?<br />

- De commerçants, oui.<br />

- Q - Mais lui est resté Ci Amoutivé comme-paysan ?<br />

-_<br />

- I1 est resté à Amoutivé comme paysan, je peux dire, puisque c'est<br />

aux travaux champêtres qu'il s'adonnait ; il ne faisait que ça.<br />

- Q - A des cultures vivrières ou Ci des cocoteraies ?<br />

- C'était la culture vivriere, le maïs, tout ça ...<br />

- Q - Comment est venu ensuite le reste de la communauté ?<br />

- Donc, c'est Adjayi qui était le premier venu. C'était un homme<br />

très fort, bien bati, de nature calme et sympathique. Monsieur Awousso lui<br />

confia certaines responsabilités, il lui donna des parcelles de terre, et il<br />

parvint même à lui donner en mariage sa petite soeur Alougba. Ils vécurent<br />

longtemps et eurent beaucoup d'enfants, dont deux sont encore vivants<br />

actuellement.<br />

- Q - Ils habitent toujours Amoutivé ?<br />

D'autres traditions, dans la communautk yorouba de Lom6, hoquent les noms de Bello<br />

Kayode, Bussari Akim Ola, Tidjani Bolagade, Adekola Adessina ...<br />

Ci-dessus, digbgue n'8.<br />

292 .


- Oui. Celk que je connais très bien s'appelle Kossi Nago.<br />

- Q - Quelle activité a-t-il ?<br />

- Il est commerçant à Lomé.<br />

- Q - Le vieux fonds commercial a donc repris le dessus après<br />

une génération paysanne ?<br />

- Oui ... C'est avec le temps, au fil des jours, qu'arrivèrent d'autres<br />

Yorouba, mais qui, au lieu de rester à Lomé, se dirigeaient plutôt vers<br />

d'autres localités : Assahoun, Kpalimé, Agou, Tsévié, Batomé1, etc. Mais,<br />

vu l'ampleur que prenait Lomé dans le domaine commercial, tous ces derniers<br />

qui étaient partis un peu plus loin revinrent s'installer à Lomé, et ils eurent<br />

comme chef Adjayi.<br />

- Q - Était-ce encore à l'époque allemande, ou déjà Ei l'époque<br />

françaisè ?<br />

- Déjà à l'époque française. Mais il y avait déjà eu des Yorouba qui<br />

circulaient comme commerçants dans les villes du Togo bien avant l'arrivée<br />

des Allemands.<br />

- Q - Donc on avait là désormais une communauté<br />

essentiellement commerçante.<br />

- Commerçante, c'est ça.<br />

- Q - Et ensuite ?<br />

- Adjayi est devenu ainsi le premier chef des Yorouba à Lomé.<br />

Tous, hommes et femmes, pratiquaient le commerce. Ils vendaient des<br />

articles de predere nécessité, et surtout des tissus.<br />

- Q - Est-ce que cette communauté était tout entière<br />

musulmane, .ou était-elle partagée entre plusieurs religions ?<br />

- Oui, cette communauté est partagée entre deux religions : le<br />

christianisme et l'islam.<br />

- Q - Dans quelle proportion à peu près ? Moitié-moitié ?<br />

- C'est l'islam qui domine. Mais ce qui a débuté, c'est le<br />

christianisme. C'est après que l'islam a pris le dessus. Mais il y a aussi des<br />

animistes.<br />

* On remarque qu'il s'agit des localités situées sur le chemin de fer, qui se développaient alors<br />

autour des gares construites B l'époque allemande. La sélection entre celles qui ont continué B<br />

croître et celles qui ont perdu toute importance économique ne s'est faite que plus tard.<br />

293


- Q - Ces premières familles étaient-elles apparentées entre<br />

elles ? C'est-à-dire que l'on faisait venir un petit frère, un<br />

lointain cousin, quelqu'un du village ... Ou bien y a-t-il eu de<br />

nombreux courants tout à fait séparés, qui ont amené des gens<br />

de plusieurs villes yorouba jusqu'à Lomé ?<br />

- Tres souvent, c'est par le hasard. Par exemple, vous avez un<br />

cousin quelque part ; vous apprenez que ça va, que son commerce marche<br />

bien : vous êtes attiré ... Bon ! Il vous fait venir, peut-être avec l'un de 'ses<br />

frères ou l'un de ses cousins ...<br />

- Q - Donc ce sont surtout des filières familiales ?<br />

- Des filières familiales, oui, il y en a. Mais il y a ici des gens<br />

venus de plusieurs villes du Nigéria, qui ne sont pas du tout apparentés entre<br />

eux.<br />

- Q - Au début, m'y avait-il que des hommes seuls à venir, ou<br />

leurs femmes . étaient-elles venues avec eux ?<br />

- Ils venaient souvent avant leurs femmes.<br />

- Q - Mais il y avait là la concurrence des femmes de Lomé.<br />

Comment 'se répartissait le marché ?<br />

- Ce sont les femmes yorouba qui exerçaient le plus ce métier ;.ce<br />

sont elles qui ont dominé.<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Les Yorouba sont-ils éparpillés dans toute la ville, ou<br />

plutôt regroupés dans un seul quartier ?<br />

- Ils sont répartis dans tous les quartiers de la ville, mais les<br />

quartiers les plus habités par les Yorouba sont les quartiers qui sont proches<br />

de la mer, ou près du marché, par exemple Assivito, Adjangbakomé,<br />

Adawlato, Béniglato, ainsi de suite ...<br />

- Q - Est-ce qu'il y en a à Anagokomé ?<br />

- Oui, il y en a, puisqu'il y a un quartier qui s'appelle Anagokomé !<br />

- Q - Mais c'est les quartiers des Nago, c'est-à-dire pas des<br />

vrais Yorouba...<br />

- Pas des vrais Yorouba, oui ... Mais le dialecte est presque le<br />

294


meme : on se comprend par le parler et par les coutumes, si bien qu'il y a<br />

des Yorouba et des Nago qui vivent ensemble.<br />

- Q - Ici, nous sommes à Assivito, au "Petit-marché", entre<br />

la gare et la SGGG. Autrefois, à l'époque allemande, ce<br />

quartier s'appelait "marché des Haoussa". Mais il y avait<br />

quand même aussi des Yorouba qui y commergaient ?<br />

- Quand on appelait Assivito le "quartier des Haoussa", il y avait<br />

effectivement des Yorouba. Les Haoussa étaient nombreux. Mais les<br />

Allemands ne faisaient pas de différences entre Haoussa et Yorouba.<br />

- Q - Ensuite les Haoussa sont partis et les Yorouba sont<br />

restés ?<br />

- Oui.<br />

- Q - Et dans l'ancien zongo, y avait-il des Yorouba ?<br />

- Il y en avait !<br />

- Q - Sont-ils partis eux aussi au nouveau zongo ?<br />

- Ils sont partis, céux qui avaient leurs parcelles1, ou bien ceux qui<br />

vivaient depuis longtemps avec les Haoussa. Ils ont quitté ensemble pour<br />

aller s'installer au nouveau zongo.<br />

- Q - Il y a donc maintenant deux communautés : celle du<br />

nouveau zongo et celle de la vieille ville ?<br />

- Actuellement, c'est confondu, il n'y a plus les 'anciens et les<br />

nouveaux : tout est mélangé. C'est le nouveau zongo qu'ils forment<br />

maintenant.<br />

- Q - Y a-t-il encore des jeunes Yorouba qui continuent à<br />

venir du Nigéria s'intégrer dans cette communauté ?<br />

- Toujours, toujours, il y a des jeunes qui viennent ! Mais nous qui<br />

sommes ici, nous avons nos enfants ici, et les enfants de nos enfants ...<br />

- Q - Et les vieux, repartent-ils 'terminer leurs vieux jours au<br />

Nigéria ?<br />

- Vous savez, dans le temps, les Yorouba étaient animés de l'esprit<br />

des nomades : c'est-bdke on vient aujourd'hui, et demain on peut rep artir...<br />

Avant, quand un Yorouba atteint l'âge de 60 ou 65 ans,, on l'obligeait à<br />

Le zongo, en. 1909,10, &ait un domaine public, mais on avait attribue des droits d'usage<br />

sur les temns, qui ont et6.la seule chosehdemnisk lors de l'expulsion de 1977. Voir <strong>Si</strong><br />

Lomk.. tome II, dialogue no 14.<br />

295


quitter pour rentrer chez lui, dans son village nad. Mais actuellement, ce<br />

n'est plus ça.<br />

- Q - Certains vieux Yorouba restent donc maintenant Ci<br />

Lomé, et même se font enterrer ici ?<br />

- A Lomé, oui, là où Dieu les rappelle à.Lui.<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Quelles sont les activités principales de votre<br />

communauté?<br />

- L'activité principale, c'est le commerce.<br />

- Q - Le commerce de quoi ?<br />

- Le commerce des produits de première nécessité, je peux dire : tout<br />

ce qu'on utilise souvent, c'est ça. Mais, principalement, c'est sur les tissus<br />

que ça se passe.<br />

- Q - Les pagnes, ou bien les tissus spéciaux, du genre<br />

nylon?<br />

- Les tissus spéciaux qui sont traditionnels, .ou bien qui sont utilisés<br />

dans nos milieux au Nigéria, et que l'on trouve ici attrayants.<br />

- Q - Par exemple ? .<br />

- Par exemple, les dentelles ...<br />

- Q - Ce qu'on appelle les dentelles d'Angleterre ?<br />

- Oui, tout ça ...<br />

- Q - Mais par exemple le nylon, les ''tissus artificiels et<br />

synthétiques" ?<br />

- Oui. Ils commandent ça du Nigéria, ou bien à l'extérieur, et ils les<br />

vendent dans les boutiques.<br />

- Q - La plupart des commerçants sont-ils installés dans les<br />

boutiques, ou est-ce que beaucoup sont des commerçants<br />

ambulants, qui se promènent le long des rues avec leur pile de<br />

tissus sur la tête ?<br />

- Ce sont surtout les femmes qui sont des commerçantes (je veux<br />

296


dire des revendeuses) qui circulent un peu partout. C'est avec la construction<br />

du grand-marché d'Adawlatol qu'elles ont pu avoir des places pour s'installer<br />

et vendre. Mais les hommes, en général, ont des boutiques. Ce ne sont pas<br />

des commerçants ambulants.<br />

- Q - Et ceux qui ne sont pas commergants, que font-ils ?<br />

- Certains sont tailleurs, ou artisans. mais il y a aussi des<br />

fonctionnaires parmi noÙs, maintenant. (silence) Beaucoup des nôtres sont<br />

transporteurs. Dans le temps, comme le trafic se développait, ils ont fait<br />

aussi le transport routier entre Lomé, le Nigéria et le Ghana.<br />

- Q - Ils possèdent de nombreux camions ?<br />

- Beaucoup de camions !<br />

- Q - Qui les conduit ? Des chauffeurs yorouba ?<br />

- .Oh, des autochtones parfois ... L'essentiel est qu'ils soient de bons<br />

chauffeurs.. .<br />

- Q - Donc, c'est une communauté qui est installée depuis<br />

longtemps à Lomé, et qui est installée durablement. Les gens<br />

ont-ils acheté des terrains, ont-ils construit des maisons ?<br />

- Certains parmi nous ont même des immeubles assez importants.<br />

- Q - Voit-on des mariages de jeunes Yorouba ,avec des filles<br />

de Lomé, ou bien des filles yorouba avec des Ew6, des Mina,<br />

ou des gens du Nord du Togo ?<br />

- Beaucoup se marient entre eux, mais c'est fréquent aussi, les<br />

Yorouba qui prennent en mariage des autochtones. Souvent ! Mais il est très<br />

difficile que les femmes yorouba se marient avec les autochtones : ce sont des<br />

cas très rares.<br />

- Q - Alors que fait-on des filles ? Les renvoie-t-on se marier<br />

au pays d'origine ?<br />

- Non, parce que ... (silence) A cause de la religion ... Elles restent ici<br />

et se marient avec des Yorouba d'ici.<br />

- Q - Vos contacts avec le pays d'origine sont-ils fréquents ?<br />

Retournez-vous régulièrement au Nigéria pour des cérémonies<br />

ou pour des vacances, que ce soit pour quelques jours ou pour<br />

quelques années ?<br />

Ouv& en 1967.<br />

297


- I1 y a une ligne directe entre Lomé et le Nigéria : même si vous<br />

voulez partir tout de suite, vous allez, et vous pouvez revenir. Alors oui, il y<br />

a des contacts frequents ! Il y a des enfants qui viennent en vacances ici. Nous<br />

aussi, nous allons pour les funérailles, ou bien pour les mariqes ... Donc<br />

oui, il y a des contacts fréquents.<br />

- Q - Il vous suffit en effet de quelques heures de taxi pour<br />

retrouver votre pays d'origine ...<br />

- Oui. A peu près trois ou quatre heures de temps, et on est au<br />

Nigéria.<br />

- Q - Les Yorouba d'ici renvoient-ils de l'argent au pays<br />

d'origine ?<br />

- Ils envoient de l'argent s'ils ont leurs parents là-bas. Ceux qui ont<br />

leur père, leur mère, ou bien leurs enfants là-bas sont obligés de subvenir à<br />

leurs besoins : ils envoient de l'argent pour qu'ils puissent vivre. Mais ceux<br />

qui ont leur famille ici gardent leur argent ici. C'est avec ça qu'ils font leur<br />

commerce, qu'ils achètent des terrains, qu'ils construisent ...<br />

- Q - Vous-même, vous avez maintenant fait votre vie ici ...<br />

- Oui. Le milieu differe, aussi : ceux qui sont habitués à vivre au<br />

Nigéria, par exemple, ne peuvent pas s'adapter vite ici. C'est comme pour<br />

nous qui sommes ici : c'est très difficile de vivre là-bas ! Je ne peux pas faire<br />

deux ou trois semaines là-bas, parce que je ne suis pas habitué. C'est ça ...<br />

C'est une question de milieu ...<br />

- Q - Continuez-vous à parler yorouba entre vous ?<br />

Notamment à l'enseigner comme langue. maternelle à vos<br />

enfants ?<br />

- Q - Ici.<br />

- Ici ou bien au Nigéria ?<br />

- Ici, on parle le ybrouba en famille, mais on ne l'enseigne pas.<br />

- Q - Donc vos enfants ont le yorouba comme première<br />

langue.<br />

- Oui, comme langue maternelle.<br />

- Q - Est-ce que, dans votre communauté, on pousse les<br />

enfants à faire des études longues ?<br />

- Avec le temps, quand on a compris qu'on peut résider ici<br />

298


longtemps, les enfants ont fait de longues études. Nous avons actuellement<br />

des frères qui sont de grands fonctionnaires, de hauts cadres ... Nous avons<br />

beaucoup de jeunes qui vontà l'Université ...<br />

. - Q .- Ici, au Togo ?<br />

- Oui.<br />

- Q - Il semble que, chez vous, les enfants soient très tôt<br />

associés au commerce, et pas seulement les petites filles : les<br />

petits -garçons aussi mènent très jeunes une activité<br />

commerciale, n'est-ce pas ?<br />

- Oui, je peux vous dire que, dans ce domaine, le Yorouba est très<br />

ambitieux, parce qu'on aime beaucoup de choses. <strong>Si</strong> bien que, très souvent,<br />

après avoir fait des études de quelques années, on préfère entrer<br />

immédiatement dans le commerce.<br />

- Q - Il semble qu'il y a même de très petits enfants (de 6<br />

ans, 8 ans, 10 ans) qui, après l'école, vont dans la rue vendre<br />

des sacs en-plastique. ou des boîtes d'allumettes ...<br />

.-<br />

- Oui, il y en a ! Dans le marché, on les trouve un peu partout, dans<br />

tous les coins presque ... C'est une initiative qu'on leur donne dès le bas-ãge,<br />

pour qu'ils sachent au moins compter, additionner, faire un calcul rapide.:<br />

C'est tout, au départ. Donc c'est dès le bas-âge'qu'ils doivent apprendre ça.<br />

---.<br />

- Q - La plupart des petits garçons que l'on voit faire du<br />

commerce au centre-ville sont des Yorouba, n'est-ce pas ?<br />

- Ah, il y a des autochtones aussi, parce que c'est un commerce que<br />

l'on pratique sur le tas. C'est à partir de là que les aptitudes se développent. II %<br />

y a beaucoup d'enfants, quand ils ne brillent plus à l'école, ils veulent euxmêmes<br />

s'intéresser au commerce.<br />

- Q - Ce+-sont les parents qui fournissent le capital de départ?. '<br />

- Oui, ce sont les parents.<br />

- Q - Dans ce cas, l'enfant garde-t-il pour lui le bénéfice ou<br />

est-ce qu'il le partage avec les parents ?<br />

- Non. Au départ, le parent fournit le capital, ou bien, s'il a des<br />

marchandises, il en fournit une quantité donnée. Quand il vend, l'enfant vient<br />

faire le compte. A un certain ãge, on lui donnera la liberté. Alors, on peut le<br />

lancer avec un montant donné, soit 50 000, 100 O00 francs, et il se<br />

démerde ...<br />

299


- Q - Il ne doit pas rembourser cette somme a ses parents ?<br />

- Non, il ne rembourse rien.<br />

,<br />

- Q - C'est, pour toute sa vie, la bask de son capital ?<br />

'- Oui, c'est la base. S'il perd les rails, une fois, deux fois ... on<br />

l'aide. La troisième fois, on ne l'aide plus.<br />

- Q - Une de mes amies sociologue1 a travaillé sur les<br />

problèmes d'éducation dans les pays de cette région. Elle<br />

affirme que l'éducation en pays yorouba est particulièrement<br />

sévère. Quand - les enfants reviennent .de l'école, ils doivent<br />

faire énormément de corvées domestiques : nettoyer la<br />

maison, puiser l'eau, aller faire du commerce, etc. On leur<br />

laisserait très peu de temps pour jouer, pour se détendre ...<br />

- Non, j-e ne crois pas. Enfin ... Ça, c'est l'ancien temps ... Dans ce<br />

milieu, ce que je sais, c'est qu'on accorde peut-être peu de temps à l'étude, par<br />

rapport aux autres activités. Enfin, les habitudes sont différentes ... Ainsi, ça<br />

dépend de l'éducation de base que chacun a reçue : c'est sur ce rythme48 qu'il<br />

éduque son enfant. De nos jours, on laisse à l'enfant tout le temps pour<br />

étudier, on l'aide à étudier.<br />

- Q - Comment peut-on caractériser l'éducation yorouba . ?<br />

- Ça dépend du milieu où est né l'enfant ! Bon, nous qui sommes<br />

nés ici, on a pris les habitudes des Togolais. C'est comme si un Togolais, au<br />

Nigéria, fait des enfants là-bas : ces enfants aussi seront rythmés sur<br />

l'éducation de là-bas. Ils s'adapteront au pays. I1 en est de même pour les<br />

Yorouba au Togo. Mais il ya des traditions qui restent. D'après mon vieux2,<br />

si, en venant du Nigéria, vous vous &tes marié et que l'enfant naît ici, alors<br />

on ne doit pas raser ses cheveux : vous devez attendre jusqu'au moment où<br />

vous retournez au pays. C'est là seulement qu'on doit lui raser les cheveux.<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Vous-même, Chef Lawani, quand vous êtes venu Ci<br />

Lomé, où vous êtes-vous installé ?<br />

1<br />

- Je mg suis installé dans la maison d'okpatah, à Assivito. En ce<br />

temps, la SGGG, la pharmacie Djabakou, tout ça n'existait pas ... Ça fait à<br />

1<br />

peu près cinquante ans que je suis venu ici. Vous savez, je n'ai pas d'acte de<br />

I<br />

naissance. Je crois avoir au moins 75 ans maintenant.<br />

I ,.<br />

I ' Danièle Poitou, du CNRS (Paris).<br />

t<br />

Sous-entendu : pè e.<br />

300


- Q - Vous êtes donc venu jeune. homme à Lomé. Vous êtes-<br />

vous marié ici ?<br />

- Oui, je suis venu jeune homme ici, mais déjà marié. J'avais un<br />

enfant avant. Je me suis installé à Assivito, dans la maison d'okpatah, sur la<br />

rue de la Gare.<br />

- Q - Vous faisiez déjà du commerce ?<br />

- Oui, je faisais du commerce. Je suis arrivé ici avant la guerre. Le<br />

jour où la guerre a cessél, c'est ce jour-là qu'on a lancé un feu d'artifice, à la<br />

plage. Dans toute la ville, nous avòns entendu des détonations ...<br />

- Q - Mais, pendant la guerre, vous, les Yorouba, vous étiez<br />

des ressortissants anglais, puisque venant du Nigéria. Est-ce<br />

qu'on ne vous a pas un peu embêtés dans la période où la<br />

France s'était retirée de la guerre et se méfiait beaucoup des<br />

Anglais ?<br />

- Non, nous n'étions pas gênés. C'est seulement les autochtones<br />

qu'on emmenait dans les pays d'outre-mer pour l'armée.<br />

- Q - Vous êtes donc resté à Lomé toute votre vie à faire du<br />

commerce ?<br />

- Oui, toujours du commerce.<br />

- Q - Comme les jeunes de votre époque ?<br />

- Oui. Enfin ... D'autres aussi étaient artisans, tisserands ... Moi,<br />

j'étais commerçant. Quand on est venu, on vendait les tissus ou les choses à<br />

crédit, pour cinq ou huit jours. Alors le jour venu, vous savez, le Yorouba<br />

demande son argent : il dit que son père est mort au pays, qu'il doit retourner<br />

au pays, que le véhicule est tout prêt, tout à côté, qu'il est pressé ... "Donc,<br />

donne moi mon argent ! Je vais rentrer au pays ...I' Il donne des arguments<br />

pour convaincre son créancier, son client ... C'est comme ça que les choses se<br />

déroulaient, dans le temps ... (rire)<br />

- Q - En quoi étiez-vous spécialisé ?<br />

- J'ai fait le commerce général, l'alimentation gtnérale ...<br />

- Q - Depuis quand êtes-vous chef des Yorouba de Lomé ?<br />

8 mai 1945.<br />

- Depuis 198 1,<br />

301<br />

8


- Q - Combien y a-t-il eu de chefs avant vous ?<br />

- Après le chef Adjayi, il y avait le chef Okè. Après Okè, il y a eu<br />

Alfa Taïrou. Après lui, le chef Adekola et, après celui-là, c'est mon tour.<br />

- Q - Donc vous êtes le cinquième chef des Yorouba de Lomé.<br />

- En fait, les premiers étaient plutôt des représentants des divers<br />

groupes yorouba. C'est Adekola qui a été le premier chef de toute la<br />

communauté des Yorouba du Togo. Mais, comme il n'était pas instruit, il<br />

fut remplacé par Alfa Taïrou au moment de l'Indépendance. Ensuite, le vieux<br />

Adekola a été réélu chef dela communauté yorouba. Moi aussi, je suis chef<br />

des Yorouba du Togo.<br />

- Q - Avez-vous été désigné par la communauté yorouba elle-<br />

même ? Comment se fait la sélection ?<br />

- C'est après le départ du chef Adekola, qui est retourné au village et<br />

qui est mort là-bas, qu'on m'a nommé chef, suivant mes aptitudes, mon<br />

comportement, ma cordialité ... Nous sommes ici, au Togo, des Yorouba<br />

venus de 52 villes différentes. Chacune de ces communautés a un président.<br />

C'est eux qui m'ont choisi comme chef.<br />

- Q - Donc votre prédécesseur n'est pas décédé ici ; il était<br />

reparti au Nigéria ...<br />

- I1 était reparti pour des cérémonies, mais, arrivé là-bas, il est<br />

clécédé. .<br />

- Q .- Et les chefs précédents ? Sont-ils *morts b Lomé ou<br />

avaient-ils, comme le chef Adekola, repris le chemin du pays<br />

d'origine ?<br />

- Non. Tous sont morts ici, sauf le chef Adekola.<br />

- Q - Vous avez le titre d'El Hadj. Cela veut dire'que vous<br />

avez fait le pèlerinage à La Mecque.<br />

- Oui, j'ai fait le pèlerinage à La Mecque en 1976.<br />

- Q - Y a-t-il beaucoup de vieux commerçants yorouba de<br />

Lomé qui sont El Hadj comme vous ?<br />

- Beaucoup. Il y a même des jeunes qui sont déjà El Had!.<br />

- Q - Le pays yorouba, c'est très grand. De quelle partie<br />

proprement dite venez-vous ?<br />

302


- Oui, il y a une multitude de villes. La plupart $entre nous<br />

viennent de l'Ouest, d'Oyo-City. Mais il y en a d'autres d'Ilorin, Oshogbo,<br />

Ibadan, tout ça..: De tout le pays yorouba ... Moi, je suis venu de la ville<br />

d'Edjigbol .<br />

- Q - Maintenant, vous êtes visiblement une communauté<br />

bien intigrée ici : vous vous sentez autant Togolais que<br />

Nigérians, n'est-ce pas ?<br />

- C'est ça ! Nous avons le coeur tranquille. Autrefois, il n'y avait<br />

pas ça : les enfants, on les renvoyait au pays. Et même pour les études,<br />

quand un enfant arrivait en CE1, CE2 : allez ! C'est au pays ! Maintenant, on<br />

est libre. Ils peuvent fréquenter, terminer les études ici, et même continuerà<br />

l'université, tout ça ... Ils travaillent comme les Togolais. I1 n'y a pas de<br />

problèmes. Ça nous va. Oui, nous nous sentons autant Togolais que<br />

Nigérians.<br />

A quelques dizaines de km 21 l'est de la ville d'Oyo.<br />

303


POE


no 19<br />

LE THEATRE ET LA DANSE<br />

avec<br />

M. Sénouvo Agbota ZINSOU<br />

(né en 1946 à Lomé)<br />

auteur dramatique,<br />

directeur de la Troupe nationale du Togo<br />

M. Sénouvo Agbota Zinsou est, d'une part, le<br />

directeur de la Troupe nationale, d'autre part l'auteur bien<br />

connu des pièces de théâtre qui sont les plus jouées au Togo,<br />

et aussi parmi les pièces africaines les plus jouées en dehors<br />

du Togo. Tout le monde connaît La Tortue qui chante, qui a<br />

obtenu récemment un grand succès, mais il y a eu aussi Le<br />

Club, Akakpovi reviendra, On' joue. la' comédie...<br />

- Q - M. Zinsou, êtes-vous,chronologiquement, le premier<br />

auteur dramatique togolais ? Ou d'autres avaient-ils commencé<br />

à écrire*des pikes avant vous ?<br />

- Non, je ne suis pas le premier auteur dramatique togolais. Je<br />

pense, par exemple, à des gens qui avaient écrit des pièces qui étaient jouées<br />

par les établissements scolaires. En particulier il y avait eu une pièce qui<br />

s'appelait Kétéwili, l'étudiant noir, et qui avait été écrite par deux étudiants,<br />

deux élèves togolais, Modeste d'Alméida et Gilbert Laclé. Je pense aussi à<br />

d'autres jeunes auteurs qui avaient participé à un concours de pièces de théâtre<br />

organisé par le Centre culturel français en 1971. Evidemment, en 1971, moi,<br />

j'écrivais déjà, mais je suppose que, comme moi, ces jeunes avaient des<br />

manuscrits dans leurs affaires, dans leurs tiroirs ... Et si je prends le cas du<br />

théâtre religieux (parce que le théâtre religieux est également écrit), il y avait<br />

des auteurs très connus. Je peux dire que le premier auteur dramatique<br />

togolais, c'est certainement Apedo-Amah, que tout le monde appelait Maître<br />

Moorhouse. Je suis sûr que c'est lui le premier auteur dramatique togolais.<br />

Q - Qu'écrivait-il ?<br />

- I1 écrivait des "cantatestB1. Ses deux cantates les plus célbbres<br />

étaient Le mariage d'Isaac et de Rebecca, qui date de 1943, et Ruth et Naomi,<br />

qui date de 1945.<br />

- Q - Qu'est-ce exactement qu'une "cantate" ?<br />

Ci-dessus, dialogue n"2.<br />

305


- Une cantate (ou "cantata"), c'est un théâtre d'inspiration religieuse,<br />

donc avec un sujet biblique, qui mêlait le texte parlé au chant et à la danse.<br />

- Q - En quelle langue ?<br />

- En éWé.<br />

- Q - Toujours ?<br />

- Oui, tout en éWé.<br />

- Q - C'est une pratique d'origine protestante, n'est-ce pas ?<br />

- Apedo Amah était protestant, de même que le second auteur de<br />

cantates, Aboki Essienl, est également protestant. Leurs troupes étaient des<br />

troupes de paroisse, des chorales plus précisément. Mais il y avait également<br />

des troupes catholiques, comme, par exemple, la troupe de l'église Saint-<br />

Augústin, . qui s'appelle Notre-Dame du Perpétuel-Secours : une troupe<br />

catholique. En dehors de ça, il y avait des troupes qui étaient simplement des<br />

associations regroupant aussi bien des catholiques que des protestants. Je<br />

pense en particulier à l'une qui s'appelait "Association Espoir", et qui jouait<br />

une pièce inspirée par les contes des Mille-et-une nuits : Ali Baba et les<br />

quarante voleurs, une pièce qui a eu beaucoup de succès dans les années 1940-<br />

45 à Lomé.<br />

- Q - Lri, nous sortons du domaine religieux.<br />

- Oui, mais la cantate garde quand même un cachet religieux, ou<br />

tout au moins moral.<br />

- Q - Cela se jouait-il essentiellement dans les églises, ou du<br />

moins dans des locaux paroissiaux ?<br />

- Ça se jouait dans les cours des Bglises, où l'on montait des scènes<br />

avec des troncs de cocotier ; on mettait des planches dessus : ça faisait la<br />

scène. Ça se jouait également dans des centres c oke le Foyer Pie-XI12, ou<br />

le Foyer protestant, et d'autres qui sont venus après. Les premières troupes<br />

ont joué dans les cours des églises, ou même dans les cours d'écoles<br />

catholiques. Je pense par exemple à l'éCole catholique de Kokétimé, où il y<br />

avait une célèbre troupe qui jouait une cantate qui s'appelait La Vie de Job.<br />

- Q - Ces troupes étaient-elles composées d'élèves ou<br />

d'adultes ?<br />

- C'étaient des adultes, des paroissiens : c'étaient les membres des<br />

De-même ci-dessus, dialogue no 2.<br />

Construit en 1955 ; c'&ait la premibre vraie salle de spectacle de la ville.<br />

306


chorales. Ce n'étaient pas des enfants.<br />

- Q - Le texte était-il totalement écrit, ou partiellement<br />

improvisé ?<br />

- Pour certaines cantates, le texte était écrit. Par exemple, j'$ ici le<br />

texte du Mariage d'Isaac et de Rébécca. J'ai cherché à avoir le texte de Ruth et<br />

Naomi ;je ne l'ai pas trouvé, mais je sais qu'il existe. Ces debx cantates<br />

étaient entièrement chantées. Les autres textes, par exemple ceux d'Aboki<br />

Essien -je pense à dès pièces comme Apollo ou comme Fia Salomo (c'est-à-<br />

dire Le roi Salomon)-, étaient des pièces à la fois chantées, parlées et dansées,<br />

mais sur la base de textes écrits.<br />

- Q - Avec une musique composée spécialement ?<br />

- Oui, la musique était composée spécialement. I1 y a une musique<br />

spéciale des cantates, il y a une danse spéciale des cantates. Cette danse était<br />

supposée être d'origine orientale ... Enfin, ce n'était pas tout à fait vrai, pas<br />

tout à fait justifié ...<br />

- Q - Pourriez-vous nous la décrire en quelques mots ?<br />

- C'est une danse surtout basée sur les mouvements des bras, des<br />

mouvements de va-et-vient des bras, avec un léger sautillement sur la pointe<br />

des pieds ou une flexion du genou, suivant un rythme bien déterminé.<br />

- Q - La musique s'apparentait-elle Ci celle des cantiques<br />

d'église ?<br />

- Oui, à la musique des cantiques, mais sur un rythme un peu plus<br />

vivant, de façon à permettre aux danseurs et aux danseuses (c'était surtout des<br />

danseuses) de danser, d'exécuter les mouvements.<br />

- Q - Avec des instruments de musique européens ou<br />

africains ?<br />

- Les deux, avec des pianos ... (l'instrument européen. le plus<br />

employé, c'était le piano). Les autres instruments, c'étaient les tam-tams, les<br />

castagnettes, etc.<br />

- Q - Donc l'apogée du genre se situe dans les années 1940?<br />

- Disons que la cantate est née au Togo dans les années 1940. Il<br />

paraît que la première pièce de cantate qui a ét6 jouée à Lomé était celle d'une<br />

troupe venue de Keta, qui avait joué David le Berger. A la suite de cette<br />

représentation, Moorhouse Apedo Amah, qui éit compositeur et directe? de<br />

chorale, a eu l'idée d'écrire Le Mariage d'Isaac et de Rébécca, ceci dans les<br />

années 1943. En 1945, il a écrit Ruth et Naomi. L'apogée de la cantate peut<br />

307


se situer, à peu près, avant les années 1960, avant l'apparition du phénomène<br />

du "concert-party". A partir de cette époque-là, il va y avoir de moins en<br />

moins de cantates et de plus en plus de concert-parties.<br />

- Q - Le concert-party, c'est une sorte de comédie musicale,,<br />

plus ou moins improvisée. A priori, elle n'a ni les mêmes<br />

auteurs, ni les mêmes acteurs, ni le même public ?<br />

- Ce ne sont pas les mêmes auteurs, pas les mêmes acteurs, mais,<br />

en ce qui concerne le public, si : on retrouve largement une bonne partie du<br />

public des cantates au concert-party, parce que, en fait, le public des cantates<br />

était composé de qui ? I1 était composé de la même communauté religieuse,<br />

des gens qui habitaient le quartier où est implantée l'église, le quartier où l'on<br />

va jouer ... On retrouve à peu près le même public, sauf qu'il n'y a pas cette<br />

forte proportion de paroissiens et des membres de la même église. Mais ce<br />

sont pratiquement les mêmes, c'est-à-dire qu'on aura les petits fonctionnaires,<br />

on aura les femmes du marché, les enfants ... Peut-être un peu moins d'élèves<br />

et étudiants ...<br />

- Q - Le concert-party, lui, est quelque chose de tout à fait<br />

profane ?<br />

- Oui. Le concert-party est complètement inspiré des histoires de la<br />

vie de tous les jours, des faits divers, et parfois également des contes, mais<br />

c'est très tourné vers le monde moderne, c'est-à-dire que, même lorsque les<br />

auteurs. partent des contes traditionnels, eh bien, ils adaptent ces contes à la<br />

réalité contemporaine, à la société d'aujourd'hui.<br />

- Q - C'est une caricature de la vie quotidienne ?<br />

- Ah, oui ! C'est un théâtre très satirique.<br />

- Q - Mais qui se veut moralisant, tout comme Molière<br />

s 'affirmait "moral" ?<br />

- Le concert-party avait pour caractéristique de faire rire le public, ce<br />

qui n'est pas le cas de la cantate. La cantate voulait toucher le public, le<br />

toucher en créant l'émotion esthétique, en créant la beauté sur la scène, en<br />

présentant des héros, des personnages qui souffrent, des personnages qui sont<br />

écrasés par le destin ou bien par les hommes, ou encore des gens qui sont<br />

tourmentés par les méchants, par ceux qui représentent le Diable, etc. Ça, on<br />

ne le retrouve pas forcément dans le concert-party, ou, lorsqu'on le retrouve,<br />

c'est sous des traits purement humains. On peut comparer, par exemple, le<br />

thème de l'orphelin traité dans la cantate el dans le concert-party. Dans la<br />

cantate, ce thi3me est traité de faqon à montrerzomment l'orphelin souffre et,<br />

pendant toute la pièce, les gens vont pleurer. Tandis que, dans les concert-<br />

party, on insiste beaucoup plus sur la caricature de celui qui fait souffrir<br />

l'orphelin : on Insiste moins sur la souffrance de l'orphelin que sur la<br />

308


méchanceté de l'autre. Ce qui fait rire, c'est la méchanceté de la marâtre, par<br />

exemple.<br />

- Q - D'après votre propre expérience de dramaturge, qu'est-ce<br />

qui est le plus efficace pour le public loméen ? L'aspect<br />

pathétique ou l'aspect caricatural ?<br />

- Je crois que le public a besoin des deux ! Vous savez, il y a<br />

justement une pièce sur le thème de l'orphelin qui est jouée par une troupe de<br />

l'église évangélique de Tokoin-Centre, qui s'appelle Dzigbodi. Cette pièce-là<br />

est souvent jouée à la Toussaint ; on comprend que c'est fait exprès, pour que<br />

le public puisse pleurer au maximum, et cette pièce remplit les salles ... Je<br />

prends l'autre type de spectacle, qui est le concert-party ; il est joué tous les<br />

vendredis soirs, tous les samedis, même parfois en semaine. A qui s'adresse-t-<br />

il ? A des gens qui ont besoin de se divertir, qui ont besoin de s'amuser.<br />

Donc les auteurs et les acteurs tiennent compte de ces deux besoins du<br />

public.<br />

- Q - C'est pour cela que vous m'étonnez en disant qu'il y a<br />

une rivalité, et que le concert-party a fait délaisser la cantate.<br />

Ce sont des genres parallèles et non pas concurrents, non ?<br />

- Non, ce ne sont pas des concurrents. Les gens ignoraient.le<br />

concert-party jusqu'aux années 1960. Le seul genre populaire qui existait,<br />

c'était la cantate. D'ailleurs, tout ce qui est théâtre (en dehors du théâtre<br />

scolaire, du théâtre en français), on l'appelait ''cantate", que ce soit des pièces<br />

d'inspiration religieuse, des pièces d'inspiration sociale et même d'inspiration<br />

historique. I1 y a une pièce, par exemple, qui s'appelle Assiongbon Dadjin et<br />

qui raconte l'histoire du prince tougban Assiongbon Dadjin'. C'est toute une<br />

épopCe : comment il a quitté Glidji, comment il s'est rendu à la cour<br />

d'Abomey, ses démêlées avec le roi d'Abomey, son reto ur... Ca, c'est une<br />

épopée, mais les gens l'appellent cantate. Pourquoi ? Parce qu'il n'y avait pas<br />

d'autre nom à cette époque-là. Jusqu'aux années 1960, il n'y avait pas d'autre<br />

nom pour désigner le théâtre, vous voyez ? Donc, l'apparition du concert-<br />

party a été quelque chose de très marquant pour le public.<br />

- Q - D'où est-il venu, ce concert-party, et comment ?<br />

- Eh bien, ce concert-party est venu, nous dit-on, du Ghana. Le<br />

phénomène est apparu au Ghana. I1 y avait, je crois, trois personnes qui<br />

jouaient un spectacle à la fois chanté, parlé et dansé, qu'on appelait concert,'<br />

qui se maquillaient (il y avait un des hommes qui se déguisait en femme), et<br />

puis qui racontaient des histoires: Mais c'était surtout la musique qui prenait<br />

la plus grande partie du spectacle. Ce phénomène se serait transporté au<br />

Togo,. en particulier à Lomé et à Kpalimé. Donc nous avons eu nos<br />

premières troupes de concert-party vers les années 1960.<br />

Fondateur, apr& Foli B6b6, du royaume de Glidji, à la fin du XVIIè siMe, aprks une vie<br />

très aventureuse.<br />

309


- Q - Étaient-ce des bénévoles, comme les troupes des<br />

cantates, ou bien des gens un peu plus professionnels ?<br />

- Je crois que, au départ, ils n'étaient pas professionnels du tout :<br />

c'étaient des gens qui voulaient jouer, qui voulaient s'amuser. Ils avaient leur<br />

profession, ou bien iis n'avaient pas d'emploi ... En tout cas, au départ, ce<br />

n'étaient pas des troupes professionnelles.<br />

- Q - Est-ce que l'entrée était gratuite ? Et dans les cantates ?<br />

- Non, non ! Ni dans les cantates, ni dans les concert-party, l'entrée<br />

n'a jamais été gratuite.<br />

- Q - Pour les cantates, il s'agissait peut-être de rembourser<br />

les costumes et les frais des décors, mais le concert-party<br />

était quand même une entreprise de type commercial, n'est-ce<br />

pas ?<br />

- Le concert-party est devenu une entreprise commerciale par la<br />

suite, mais je crois que, au départ, ce n'était pas commercial. Parmi les<br />

acteurs, il y en avaient quand même qui en avaient fait leur métier.<br />

- Q - Vous rappelez-vous quels ont éte' les premiers acteurs et<br />

les premiers auteurs des concert-party ?<br />

- Je peux citer la troupe du Happy Star concert band qui ... (silence)<br />

Enfin, c'est la première connue.<br />

- Q - Cette troupe avait-elle un théâtre Ci elle, ou bien est-ce<br />

qu'elle circulait de quartier en quartier ?<br />

- Elle jouait dans des bars ; mais son théâtre particulier, c'était<br />

surtout ce lieu qu'on appelait Tonyéviadji, "l'hôtel Tonyéviadji", qui n'était<br />

pas du tout un hôtel. (rire)<br />

- Q - Qui était plutôt un dancing ...<br />

- Un dancing ... Oui, c'est ça.<br />

- Q - Quels étaient les auteurs principaux ? Ou bien était-ce<br />

les acteurs eux-mêmes qui écrivaient ce qu'ils jouaient ?<br />

- Le concert-party n'est pas un théâtre d'auteur, c'est un théâtre<br />

d'improvisation. Les acteurs avqent au départ un sujet. Sur la base du sujet,<br />

ils élaboraient un canevas, et ils improvisaient ... Chaque acteur inventait ses<br />

propres répliques ... Parfois même, la fin de l'histoire pouvait être modifiée en<br />

fonction de la réaction du public, parce que le public participait beaucoup, au<br />

concert-party .<br />

3 10


- Q - hait-ce en éWé littéraire, comme la cantate, ou plutôt<br />

en mina populaire ?<br />

- C'était un mélange ... C'était dans la langue de Lomé, c'est-à-dire ce<br />

mélange d'éwé et de pina, avec des emprunts au français, à l'anglais ...<br />

Parfois même, on jouait sur les mots, sur le sens des mots : par exemple, un<br />

acteur pouvait dire, au beau milieu d'une phrase en éWé, "Je veux faire<br />

marions'', c'est-à-dire je veux faire le mariage. Il y avait des choses comme<br />

ça, ou alors au beau milieu d'une phrase, un acteur pouvait dire "OK", ou<br />

employer même un mot pseudo-espagnol, quelque chose comme ça ...<br />

- Q - Et la musique ? Était-elle aussi improvisée ?<br />

- Il y a une musique du concert-party tout comme il y une musique<br />

de la cantate. La musique du concert-party est inspirée du "high-life"'. La<br />

troupe "Happy Star" -que je connaissais bien- avait d'ailleurs même un<br />

"indicatif' : elle commençait àjouer par cet indicatif. La musique joue un<br />

rôle très important dans le concert party. Le spectacle lui-même commence<br />

par un long prologue musical, qui peut durer parfois deux heures. C'est-à-dire<br />

que, si le spectacle doit commencer vers 21 heures, à 19 heures, les<br />

musiciens sont déjà dans la salle : ils s'installent, ils jouent de la musique,<br />

très amplifiée, de façon à attirer les gens du quartier, à faire se décider les gens<br />

qui hésitaient encore, et puis, vers 21 heures, on commence le spectacle<br />

proprement dit. Et celui-ci est entrecoupé de musique : toutes les entrées et<br />

les sorties des acteurs, des personnages, sont marquées par la musique. La<br />

musique intervient également dans les moments de grandes émotions, et<br />

aussi à la fin.<br />

- Q - Quels types d'instruments utilisait-on ?<br />

- Là, c'étaient des instruments modernes. Surtout des guitares<br />

électriques et des batteries de jazz, etc. Surtout ces deux types d'instruments :<br />

guitare et batterie. Pour avoir une troupe de concert-party, il faut d'abord<br />

avoir des instruments. Parfois, iky a même des gens qui sont simplement<br />

propriétaires d'instruments, sans être artistes du tout, et qui deviennent<br />

présidents d'une troupe de concert-party parce qu'ils peuvent donner les<br />

instruments aux musiciens, aux artistes.<br />

- Q - "Happy Star" a été la troupe la plus célèbre dans les<br />

années 1960-65, semble-t-il ?<br />

- Dans les années 1960-70, et même jusqu'en 1974. En 1974, le<br />

"Happy Star" a été invité au festival international de théâtre de Nancy. Je<br />

crois que c'est la seule troupe de concert-party togolaise qui soit parvenue à ce<br />

niveau !<br />

..- Q - Avait-elle diì traduire en français son spectacle ?<br />

Musique de danse moderne au Ghana et au Nigeria.<br />

311


- Il s'est passé quelque chose d'intéressant. Quand les acteurs sont<br />

arrivb, j'étais en France, à cette époque. Et j'ai été sollicité pour travailler<br />

avec eux. Ils avaient déjà appris leurs rôles en français. Je ne sais pas<br />

comment ils s'étaient arrangés, mais, en tout cas, ils avaient fait traduire<br />

certaines choses, ils avaient appris leurs rôles en français, ils voulaient jouer<br />

en français. On leur a dit que ce n'était pas nécessaire, que ce n'était pas<br />

avantageux pour eux, dans la mesure où, en dehors du langage purement<br />

verbal, ils avaient d'autres possibilités : ils pouvaient s'exprimer par le<br />

corps, s'exprimer par la danse, par la mimique, etc. Ils ont refusé. Ils ne nous<br />

ont pas écouté, et ils ont joué en français, devant un public français ... qui ne<br />

comprenaient rien du tout ! Parce que, d'abord, ce n'était pas un français très<br />

châtié, et ensuite parce qu'ils avaient sacrifié toutes les autres possibilités<br />

d'expression à l'expression purement verbale. Donc les gens ne comprenaient<br />

rien du tout ... Ils étaient mauvais ...<br />

- Q - Ils avaient perdu leur spontanéité ?<br />

- Ils avaient perdu toute leur spontanéité ! Alors, en tenant compte<br />

de cela, ils ont accepté, pour le second spectacle, de jouer en éWé, en faisant<br />

le mélange d'éwé-mina avec quelques mots de français. Comme j'étais là,<br />

j'annonçais les titres en français, et ils ont joué. Je crois que c'était un bon<br />

spectacle.<br />

- Q - Qu'est devenu "Happy Star" ?<br />

- I1 n'existe plus. I1 a essayé de se reconstituer ... (C'est votre<br />

collègue Alain Ricardl qui a vraiment suivi le "Happy Star"). Le "Happy<br />

Star" a essayé de se reconstituer après. Je crois qu'ils ont changé de nom : ils<br />

se sont fait appeler "Happiness Concert Band", "Happy Star-nouvelle<br />

formule", etc. Mais ça n'a plus vraiment marché.'Ils se sont dispersés.<br />

Certains ont créé leur propre troupe. I1 y a en particulier cet acteur qui est<br />

devenu très, très célèbre, qui est Kokouvito, qui faisait partie également de la<br />

troupe qui était venue à Nancy.<br />

- Q - Donc ensuite, il s'est créé plusieurs troupes ?<br />

- Oh oui, d'autres troupes avaient été créées. Disons que le "Happy<br />

Star'' n'avait pas le monopole : ce n'était pas la seule troupe qui existait,<br />

mais c'était la plus connue. 'Après la dispersion des acteurs, certains ont créé<br />

leur propre troupe, en particulier Kokouvito, qui s'appelait de son vrai nom<br />

Kodjo Adégnon. I1 est mort maintenant ...<br />

- Q - Avec ses spectacles, il faisait courir les foules ...<br />

- Ah oui, ah oui !<br />

Chercheur B l'université de Bordeaux, spécialiste du th6âtre africain (il a réalisé un film sur<br />

le "Happy Star").<br />

3 12


- Q - Pensez-vous qu'il a été le plus grand succès de ce<br />

genre ?<br />

- Oui, oui ! Sans conteste ! Kokouvito est devenu le plus grand, le<br />

plus cékbre acteur de concert-party.<br />

- Q - Actuellement, y a-t-il encore des concert-party qui<br />

ressemblent vraiment au modèle primitif ?<br />

- Oui, le concert-party a gardé son style.<br />

- Q - Quelles sont les troupes (et quels sont les acteurs) qui,<br />

actuellement, vous paraissent particulièrement intéressants ?<br />

- I1 y a les troupes comme "Booggy's Band", comme "Ayamam-<br />

Band", etc. Actuellement, l'acteur du concert-party le plus connu, c'est Azé<br />

Kokovivina.<br />

- Q - Qui continue à' attirer les foules ?<br />

- Ah oui, oui !<br />

- Q - Et qui fait aussi des émissions très appréciées sur les<br />

ondes de Radio-Lomé. ..<br />

- C'est ça. (petit rire)<br />

- Q - Mais la cantate, elle, s'est éclipsée ?<br />

- Non, la cantate ne s'est pas éclipsée : la cantate continue ! Tout<br />

récemment, Aboki Essien, le deuxième auteur togolais de cantate, a fait jouer<br />

sa pièce Apollo, il n'y a pas longtemps. La cantate continue de vivre, mais<br />

ce n'est plus comme dans les années 1940 à 60 ...<br />

- Q - Vous-même, auteur de ttiéâtre de type moderne, n'avez-<br />

vous jamais été tenté d'écrire une cantate ou un concert-<br />

party ?<br />

- (rires) Je n'ai peut-être pas les talents ... Je dois beaucoup à ces<br />

formes, mais ... (silence)<br />

- Q - C'est un esprit très différent ?<br />

- Oui. Je crois que je me situe entre ces deux genres, et aussi entre<br />

eux et le théâtre moderne ... Mais je n'ai pas la prétention de faire de la cantate<br />

ou du concert-party. Bon, si moi je fais du concert-party, ce serait un concert-<br />

party écrit, ce qui, déjà, n'est pas conforme à l'esprit du genre, qui doit,<br />

normalement, être improvisé.<br />

313


- Q - Le théâtre de type européen (ou international), lui, a été<br />

pendant très longtemps essentiellement réalisé par les troupes<br />

scolaires ?<br />

- Par des troupes scolaires et parascolaires. I1 y avait une troupe<br />

assez connue à Lomé, dans les années 1970, qui s'appelait "Le Cercle de<br />

l'Amitié", et qui rassemblait de très bons acteurs.<br />

- Q - Qui. étaient tous togolais ?<br />

- Ah oui, oui ! Les acteurs étaient Togolais. Ils ont joué un certain<br />

nombre de pièces au Centre culturel français.<br />

- Q - Il faut aussi rappeler à nos auditeurs la troupe du Centre<br />

culturel français des années 1980-85 : une trentaine de lycéens<br />

et d'étudiants (tous togolais) menés par le directeur du CCF,<br />

Jean-Claude Cassier, qui avait su leur communiquer sa<br />

passion du théatre. Il a organisé de somptueux spectacles<br />

Camùs, Molière, 'Victor Hugo ou Saint-Exupéry, tout en<br />

costumes d'époque (la Comédie française de Paris en avait<br />

prêtés de splendides, dont une extraordinaire perruque pour le<br />

Bourgeois gentilhomme ; les autres avaient été faits sur place<br />

avec des trésors d'imagination et de dévouement). Jls ont eu<br />

des triomphes comme on en a rarement vus à Lomé ...<br />

- C'est tout-à-fait vrai. (rire)<br />

- Q - Et vos premières pièces, qui les a jouées ?<br />

- Mes premières pièces ont été jouées par des troupes scolaires, des<br />

troupes que j'avais créées moi-même avec des camarades, surtout pendant les<br />

vacances. Quand j'étais à l'université du Bénin, je faisais partie de la Troupe<br />

de l'université (en 1970-72 ...). J'ai eu à diriger cette troupe.<br />

- Q - Est-ce ainsi que vous avez appris l'essentiel du métier,<br />

en dirigeant les acteurs dans les pièces des autres avant d'en<br />

éwire vous-même ?<br />

- Non, non, j'ai écrit avant de diriger les pièces des autres. J'avais<br />

écrit dans les années 1967 déjà. C'est pendant les vacances de 1967-68, alors<br />

que je venais de faire la terminale, que j'ai fait jouer ma première pièce par<br />

des camarades.<br />

- Q - <strong>Si</strong> vous la jugez maintenant, vingt ans après, tenait-elle<br />

la route techniquement ou faudrait41 la réécrire ?<br />

- (Rire) Ça dépend ! Il y a des choses que j'aime encore là-dedans. Je<br />

3 14


me juge parce que j'avais forcément moins d'expérience que maintenant. Mais<br />

ça ne veut pas dire que j'ai fait plus de ... Enfin, je fais de meilleures pièces<br />

maintenant qu'avant. Par exemple, si je prends une pièce comme On joue lu<br />

comédie, je l'ai écrite'en 1972, alors que j'étais étudiant. Entre 1972 et 1982-<br />

83, je ne crois pas avoir fait une pièce à succès ...<br />

- Q - En 1978, les autorités ont créé la Troupe nationale du<br />

Togo, dont vous avez pris la direction. Elle succédait à un<br />

ballet national, n'est-ce pas ?<br />

- Disons que la Troupe nationale a été créée officiellement en 1973,<br />

par décret du président de la République. En 1974, il y a eu un premier<br />

noyau, composé de danseurs. En 1975, lorsque nous préparions la<br />

participation du Togo au festival culturel de Lagos, nous avons mis en place<br />

également la section "théâtre" et la section "ensemble vocal". Mais cette<br />

troupe ne s'appelait pas encore "Troupe nationale" ; il n'y avait pas un<br />

directeur de l'ensemble de ces trois sections. Bon, j'en étais chargé en tant que<br />

chef de la division des spectacles, à la Direction des Affaires culturelles. C'est<br />

en 1978 que j'ai été nommé directeur de la Troupe nationale. A ce moment-<br />

là, les trois sections existaient déjà.<br />

- Q - Quelle est donc la vocation principale de la Troupe<br />

nationale ? De diffuser une culture togolaise moderne ?<br />

- Oui, diffuser une culture togolaise, promouvoir les arts du<br />

spectacle, sélectionner les meilleurs artistes dans les domaines du théâtre, de<br />

la danse, de la musique, en vue de donner des spectacles aussi bien sur le plan<br />

national que sur le plan international.<br />

- Q - En dix ans, vous avez eu des réalisations nombreuses ...<br />

- Je pense. (petit rire)<br />

- Q - Le théâtre au Togo a-t-il aussi été inspiré par les<br />

spectacles offerts par les troupes étrangères de passage à<br />

Lomé ?<br />

- La, je dirais : pas vraiment. Pas vraiment, parce que, vous savez,<br />

les échanges des troupes sur le plan international ne se font pas. On a plus<br />

souvent des artistes africains (je veux dire d'autres pays que le Togo) qui<br />

viennent jouer à Lomé que des troupes étrangères. De temps en temps, il y a '<br />

une troupe du Bénin qui vient, de temps en temps, une troupe de Côte<br />

d'Ivoire, du Ghana ... La troupe du Ghana la plus célèbre à Lomé, c'est<br />

certainement cette troupe qui s'appelle "Agbedefu-Concert", qui fait un genre<br />

entre la cantate et le concert-party ; elle est très connue à Lomé.<br />

- Q - C'est-à-dire un genre mi-sérieux, mi-plaisant ?<br />

_-- - - - __<br />

3 15<br />

__


- Oui, c'est ça. En ce qui concerne les troupes étrangères non<br />

africaines, on peut surtout citer les troupes françaises en tournée. Nous avons<br />

eu la chance d'accueillir ici la Comédie françaisel, mais avant cela il y a eu<br />

d'autres troupes.<br />

- Q - Qui sont en général composées d'un très petit nombre<br />

d'acteurs ?<br />

- Dun très petit nombre d'acteurs, oui !<br />

- Q - Alors que vous, les troupes nationales, vous avez la<br />

possibilité de déployer de vastes effectifs ?<br />

- (Rire} Nous pouvons déployer de vastes effectifs, oui, mais c'est ce<br />

qui fait notre handicap, parce que, quand on a cinq ou six acteurs, on se<br />

déplace plus facilement que quand on en a vingt.<br />

- Q - Plus trente danseurs et musiciens.. .<br />

- Ah oui, ah oui ! (rire) Le problème, c'est que, lorsqu'il s'agit du<br />

ballet, il est difficile d'avoir une troupe de moins de vingt danseurs-musiciens<br />

pour produire vraiment un spectacle de qualité. Maintenant, nous essayons de<br />

réduire le nombre des acteurs des troupes, surtout dans le but de pouvoir faire<br />

des tournées internationales avec eux.<br />

- Q - Arrivez-vous Ci leur assurer un certain -disons-<br />

professionnalisme ? Ou sont-ils encore obligés d'avoir des<br />

activités ailleurs pour se nourrir ?<br />

- Enfin ... Ceux qui sont ici sont presque professionnels. De temps<br />

en temps, ils s'occupent d'animation culturelle : ce sont vraimentides gens<br />

qui n'ont à s'occuper que de ça. Mais comme ils ne sont pas nombreux, et<br />

qu'ils ne sont pas forcément les meilleurs acteurs, eh bien, de temps en<br />

temps, nous faisons appel à des gens qui ont leur profession, qui sont<br />

employés de bureau, qui sont artisans, ouvriers, femmes du marché, etc., et<br />

qui viennent jouer avec nous.<br />

*<br />

* *<br />

- Q - M. Zinsou, une autre activité de votre direction de la<br />

Troupe nationale consiste Ci organiser les groupes<br />

folkloriques. Combien y en a-t-il Ci Lomé ?<br />

- On a recensé une soixantaine de groupes qui ont adhéré à<br />

l'Association des groupes folkloriques du Togo, mais il doit y en avoir plus<br />

Pour un magnifique spectacle Molière.<br />

316


d'une centaine, parce qu'on n'a pas tout recensé. Ces groupes sont répartis<br />

suivant les danses ; il y a ceux qui jouent le tam-tam "atimévu", qui consiste<br />

en une danse basée sur le déplacement de l'axe des épaules. Il y a ceux qui<br />

font une danse qui s'appelle "akpè'' ou "akpesse" (qui est venue du Klouto),<br />

qui est plutôt une danse basée sur le mouvement des pieds, des bras. Et puis<br />

il y a les groupes "adjogbo", qui font une danse très chorégraphiée, une danse<br />

acrobatique mimant des scènes de la vie, etc. Et, bien sûr, il y a les groupes<br />

du Nord ... On a toute une gamme, qui présente un certain nombre de<br />

similitudes.<br />

- Q - Ces groupes ont en principe une danse dans laquelle ils<br />

excellent, et leur répertoire se limite à cette seule danse ? .<br />

- Lorsque vous dites une seule danse, ce n'est pas tout à fait vrai,<br />

parce que, si je prends la danse tamberma (car il y a une danse tamberma),<br />

nous avons toutes les peines du monde à la nommer : nous l'appelons<br />

'Ifaméfé", mais en fait 'Ifam&é" n'est qu'une phase des onze variations de cette<br />

danse, c'est-à-dire qu'on pourrait l'appeler "koupiakou", ou par un autre<br />

nom... On pourrait l'appeler onze fois, vous voyez ? Ces onze noms<br />

correspondent à onze variations, et chaque variation correspond à une étape<br />

précise d'une cérémonie.<br />

- Q - Pensez-vous que, dans ces groupes, il y ait une vraie<br />

création artistique ? Est-ce qu'on se contente de bien danser,<br />

de perfectionner un type de danse traditionnel, ou arrive-t-il<br />

que l'on c.rée de nouveaux pas, de nouveaux mouvements ?<br />

- Dans les ballets, on essaie de créer ...<br />

- Q - Mais dans les groupes traditionnels ... ?<br />

- Dans les groupes traditionnels ? Non. Les groupes traditionnels<br />

sont des groupes ... comment dire ?<br />

- Q - Par définition conservateurs ?<br />

- Par définition conservateurs, oui.<br />

- Q - Ce ne sont pas des groupes professionnels ?<br />

- Bien sûr. Dans les ballets, il y a des professionnels, mais dans les<br />

groupes folkloriques, ce sont ou bien des groupes régionaux, ou bien des<br />

associations de gens qui veulent s'entraider (ce sont souvent des associations<br />

d'entraide). Par exemple, à Lomé, vous avez de ces groupes (surtout<br />

composés de femmes) qui se réunissent pour faire du tam-tam, mais, en<br />

même temps, c'est pour s'entraider dans les cas de maladie, de décès d'un<br />

parent, etc.<br />

317


- Q - Quel est votre rôle vis-à-vis de ces groupes ? Quels<br />

services leur rendez-vous ? Et quels services en attendez-<br />

vous ?<br />

- Ce que nous leur apportons, c'est que nous les avons réunis en<br />

association. Nous servons également d'intermédiaire entre eux et le<br />

Ministère, l'Administration. Lorsque, par exemple, il y a une manifestation<br />

officielle à laquelle ces groupes veulent participer, c'est à nous de les<br />

organiser. Ils participent à la vie culturelle du pays. En particulier lorsqu'il y<br />

a une manifestation nationale, une fête nationale : on les sollicite pour<br />

l'animer.<br />

- Q - Et, en même temps, ils ont le rôle immense d'être le<br />

conservatoire vivant de la tradition musicale togolaise.<br />

- Oui, de la tradition musicale et de la tradition de danse, la tradition<br />

chorégraphique.<br />

- Q - Pensez-vous que l'ensemble des danses du Togo est<br />

représenté actuellement à Lomé, ou y a-t-il d'autres groupes à<br />

créer ?<br />

- Les ballets -qui sait ?- peuvent présenter un échantillonnage des<br />

danses du Togo, mais ça ne représente presque rien par rapport à toute la<br />

richesse du répertoire national. Par exemple, au ballet national, il nous<br />

arrive, au cours d'un même spectacle, de présenter une vingtaine, une<br />

trentaine de danses, mais qu'est-ce que ça représente par rapport aux 800<br />

danses (ou plus !) qui existent sur toute l'étendue du territoire et qui ont été<br />

recensées, qui existent réellement ...<br />

- Q - Qui sont toutes dansées ?<br />

- Oui, qui sont toutes. dansées ! Donc, on peut varier de temps en<br />

temps, mais on ne peut pas avoir la prétention de tout représenter.<br />

- Q - Pour les ballets nationaux, vous inspirez-vous de ces<br />

danses traditionnelles ?<br />

- Oui !<br />

- Q - Mais ces groupes, eux,' ne profitept jamais des<br />

réalisations que vous, vous pouvez imaginer ?<br />

- Les groupes folkloriques ? Non, ce n'est pas la même vocation.<br />

On ne s'adresse pas au même public, on n'exécute pas les danses dans le<br />

même cadre. Nous, on présente les spectacles sur des scènes modernes. Eux,<br />

c'est dans le village ... Quelquefois, les danses dans les villages ne sont<br />

des occasions bien précises : en dehors de ces occasions-là, il<br />

exécutées - I qu'à<br />

318


est interdit deles présenter. Et même, il y a des moments de la journée pour<br />

certaines danses ... Vous voyez, c'est entouré d'un cedain nombre de<br />

conditions, qui ne sont pas les mêmes que celles dans lesquelles nous les<br />

présentons ici.<br />

- Q - Il s'agit donc pour vous de faire le lien enbe la tradition<br />

et la modernité.<br />

- Oui, oui, en quelque sorte ...<br />

- Q - La Troupe nationale pratique donc le théâtre, la musique<br />

et la danse. A-t-elle encore d'autres activités ?<br />

- Oui, il y a les marionnettes ! Les marionnettes togolaises qui sont<br />

faites par Danaye, et qui sont inspirées de la tradition. Ces marionnettes sont<br />

fabriquées le plus souvent à partir de matériel pris sur place, ou de matériel de<br />

récupération. Les marionnettistes montent des histoires qui s'inspirent du<br />

folklore national, des contes, etc. (le plus souvent des contes) ...<br />

- Q - Mais- cela existait4 dans les villages, cette technique de<br />

spectacle consistant à avoir de petits personnages aniinés par<br />

- des ficelles ?<br />

- Mais oui, bien sûr ! Bien sûr que ça existe dans la tradition ! Ça<br />

existe également à Lomé. Dans les années 1950-60, lorsque nous Ctions<br />

petits, pendant les vacances, il y avait des garçons, des enfants, qui se<br />

promenaient dans la rue avec des marionnettes qu'on appelait les "titchervi"',<br />

qu'ils faisaient danser pour des petites pièces de 5 francs, 10 francs ... Donc,<br />

ça existait !<br />

- - Q - Mais maintenant, vous en avez fait un art Ci part '<br />

entière ?<br />

-<br />

- Ah oui ! Un art à part entière ! I1 faut dire que le Togo a, sur ce<br />

plan, fait beaucoup de progrès. Nos marionnettes sont sollicitées non<br />

seulement en Afrique, mais aussi dans plusieurs pays d'Europe, pour<br />

participer i des festivals, et même pour donner des stages.<br />

% ><br />

- Q - Merci, M. Zinsou, pour tout ce que vous faites pour la<br />

culture au Togo, la culture traditionnelle et celle que vous<br />

créez avec vos amis de la Troupe nationale. Merci pour toute<br />

ld beauté que vous nous donnez. (Rires)<br />

' Mélange anglo-CwC = tetrcher (professeur) .t le diminutif -vi.<br />

319


- 19 - Robert Cornevin.<br />

(26 août 1919 - 14 décembre 1988)<br />

320


no 20<br />

LES SOUVENIRS DE LOMÉ<br />

DE ROBERT CORNEVIN<br />

(1919 - 1988)'<br />

historien du Togo,<br />

ancien administrateur de la France d'outre-mer<br />

(au Togo de 1948 à 1956),<br />

secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences d'outre-mer,<br />

président de l'Association des écrivains<br />

de langue française .<br />

M. Cornevin, nous avons la chance de vous avoir avec<br />

nous aujourd'hui Ci Lomé, où vous êtes venu présenter la<br />

quatrième édition de votre fameuse Histoire du Togo, qui<br />

s'àppelle maintenant Le Togo des origines à nos jours2, et<br />

qui commence par ces lignes : "J'ai passé huit des plus belles<br />

années de ma vie au Togo comme administrateur,<br />

successivement à Atakpamé (1948-1952), Bassar (1952-53)<br />

Dapaong ' (1954-55) et enfin 21 Lomé (1955-56), comme<br />

inspecteur du Travail et des Lois sociales".<br />

Nous voudrions profiter de votre présence ici pour que<br />

vous nous parliez de la ville de. Lomé que vous avez connue.<br />

Vous racontez aussi dans votre livre que, en fait, ce n'est pas<br />

en 1948 que vous êtes arrivé pour la première fois au Togo,<br />

mais bien avant.<br />

Quel avait été votre premier contact avec Lomé ?<br />

- C'est en 1939. Je conduisais la croisière des Auberges de Jeunesse3<br />

à Pointe-Noire, au Congo, et nous avons été reçus en août 1939 à Lomé, sur<br />

le wharf, par l'administrateur Mouragues, qui était l'administrateur-maire de<br />

Lomé B l'époque4. Mouragues avait rassemblé les enfants des écoles de<br />

Lomé, qui agitaient des drapeaux tricolores, très sympathiques, et il y avait<br />

une grande banderole "Bienvenue aux ambassadeurs de la jeunesse française".<br />

Ce qui avait fait une grãnìe impression à mes camarades "ajisres",<br />

Texte revu par Mme Marianne Comevin.<br />

ASOM, Paris, 1987,556 pages.<br />

En abdg6 "AJ", mouvement de jeunesse (alors en plein essor) qui permettait aux jeunes de<br />

voyager il peu de frais et qui pratiquait un idhl d'amitié entre les jeunes du monde entier.<br />

Jean Mouragues, commandant du cercle de Lom6 de janvier 1939 5 mai 1940.<br />

321


instituteurs ou étudiants - ceux qui pouvaient avoir six semaines de congé,<br />

puisque la croisière durait du ler août au 14 ou 15 septembre (Bordeaux -<br />

Pointe-Noire - Bordeaux). Ces premiers contacts furent extraordinaires pour<br />

mes camarades et pour moi. Mes camarades ont rencontré les instituteurs<br />

togolais, qui étaient remarquables. Ils ont vu M. <strong>Si</strong>raut, qui était adjoint au<br />

directeur de l'Enseignement (M. Imbert' était en congé à l'époque). M. <strong>Si</strong>raut<br />

leur a fait un petit "amphi" sur l'enseignement au Togo et la façon dont ça se<br />

présentait. Et puis, M. Mouragues nous a fait faire un tour de ville, et nous a<br />

emmenés voir la station de pompage2, et d'autres réalisations qu'un<br />

administrateur-maire de Lomé pouvait montrer. Plein le coeur, plein la vie,<br />

évidemment, pour les "ajistes" qui, pour la première fois, voyaient l'Afrique,<br />

voyaient le Togo ! Je crois qu'il y avait là quelque chose d'assez extra-<br />

ordinaire. C'était cela, mon premier contact avec Lomé.<br />

Je précise qu'à l'époque, il n'y avait pas de port : il y avait un wharf,<br />

et que l'on descendait par un petit panier (qui n'était pas si petit, puisqu'il y<br />

avait quatre personnes qui tenaient dedans) dans une barcasse ; la barcasse<br />

était amenée jusqu'au bas du wharf, et ensuite une grue vous remontait sur le<br />

wharf. D'ailleurs il s'est passé, le jour de notre débarquement, un incident<br />

tout à fait pittoresque : le dernier panier, qui contenait le commandant du<br />

navire, en superbe uniforme (il allait déjeuner chez le gouverneur), et trois<br />

bonnes-soeurs, tout de blanc vêtues, a reçu au passage la vidange du bateau ...<br />

(petit rire) Vous savez que les bateaux, à ce moment-là, avaient des vidanges<br />

régulières, et vous imaginez les matières qui se sont déversées sur le<br />

malheureux commandant et les malheureuses religieuses ... On a entendu des<br />

hurlements, des bruits de chaînes ... La nacelle a remonté, et le commandant a<br />

prescrit qu'on lave de toute urgence le linge des bonnes-soeurs et le sien<br />

propre. Nous, nous avions doucement rigolé, du fond de la barque,..<br />

Nous avons, pendant cette escale, visité lè marché de Lomé, qui a<br />

beaucoup impressionné nos ajistes. Puisque nous n'étions pas nourris di,<br />

on a acheté des beignets, et je me souviens avec émotion du ,cri d'horreur<br />

poussé par une des ajistes (une institutrice) lorsqu'elle a découvert que les<br />

beignets étaient fabriqués par les vendeuses et .que l'une d'elles, pour les<br />

façonner, les frottait sur sa poitrine, entre ses seins ! I1 est certain que ça a<br />

fait une certaine impression sur nos touristes ... C'était en 1939, il y a<br />

pratiquement 50 ans...<br />

Yen garde un souvenir extrêmement précis et passionné. Lomé était<br />

une ville qui était bien tracée. Cela m'a frappé de voir que les Allemands<br />

avaient tracé Lomé de façon tout à fait exceptionnelle, avec le quartier<br />

administratif et le quartier commerçant, avec les églises et, naturellement, la<br />

voie ferrée qui aboutissait au wharf. Une ville remarquablement tracée, voilà<br />

la première impression que j'ai eue 2 Lomé. Au retour, les menaces de guerre<br />

Robert linbert, premier inspecteur de l'Enseignement au Togo (et auteur de manuels de<br />

lecture, en particulier le fameux Mon ami KoD, tr&s longtemps en usage au Togo), avait en<br />

fait quitt6 le pays en 1934, au moment de la fusion administrative avec le Dahomey.<br />

De Caccavelli : l'eau potable sera mise en service ?i <strong>Lome</strong> en 1940.<br />

322


se précisaient : on était fin août 1939l. Mouragues m'a simplement invité à<br />

déjeuner, moi tout seul, avec des gens, en nous disant : "Je crois qu'il va y<br />

avoir la guerre, et que c'est le dernier déjeuner paisible que nous avons". En<br />

effet, quelques jours plus tard, la guerre a été déclarée. Le Kerguelen, le<br />

bateau sur lequel nous avons fait la croisière, a fait halte à Freetown, en<br />

<strong>Si</strong>erra Leone ; et puis on a fait les escales de guerre, c'est-à-dire tous feux<br />

éteints et en convoi, avec un accompagnement de navires de guerre. On a<br />

donc fait escale à Conakry (trois jours), à Dakar (trois jours), à Casablanca<br />

(deux jours), et nous sommes arrivés le 24 septembre 1939 à Bordeaux, après<br />

avoir laissé à Dakar plusieurs de nos camarades ajistes qui étaient officiers de<br />

réserve mobilisés.<br />

Voila ma toute première impression de Lomé, en 1939. C'est une<br />

impression qui m'a marqué très fort. Ailleurs aussi, nous avions été bien<br />

reçus : on a nettoyé un peu les voitures de la voirie municipale, on y a mis<br />

des bancs et on nous a promenés aussi bien à Abidjan (où l'on a visité la<br />

forêt du Banco), Bingerville, Grand-Bassam 2... qu'à Cotonou, où<br />

l'administrateur Pévèle nous a fait visiter Cotonou et Ouidah. Mais Lomé a<br />

été l'escale qui a marqué le plus mes camarades ajistes, surtout en raison des<br />

conversations qu'ils avaient pu avoir avec les instituteurs togolais. Je précise<br />

que ces ajistes étaient en général "de gauche", anti-colonialistes par essence.<br />

Leurs conversations avec les instituteurs togolais les ont beaucoup<br />

impressionnés par la qualité du français parlé et par l'élévation de pensée que<br />

présentaient ces hommes, qui avaient pour la plupart été élèves de William-<br />

Ponty3 et qui représentaient un capital de connaissances en français et sur les<br />

civilisations africaines que mes camarades ne soupçonnaient pas.<br />

- Q - En 1948, vous revenez donc au Togo, cette fois zour<br />

une affectation dans l'intérieur. Quand vous parlez des plus<br />

belles années de votre vie, vous pensez Ci ces .grandes<br />

randonnées dans les villages du "Togo profond", beaucoup<br />

plus sans doute qu'à votre séjour dans une ville qui devait<br />

vous paraître une Afrique un peu artificielle. Mais, quand<br />

même, comment avez-vous vu Lomé quand vous y passiez<br />

pour rejoindre votre poste ou en revenir ?<br />

- Lomé était restée à peu près identique depuis l'époque allemande.<br />

Mon premier séjour a coïncidé avec les premières constructions nouvelles<br />

faites à Lomé. Un architecte avait été désigné par le gouverneur Noutary, qui<br />

était Henri Crouzat4, qui a écrit un roman, Azizah de Niamkoko, un<br />

excellent roman sur la période coloniale de l'Union française. Cet architecte<br />

I L'Allemagne va attaquer la Pologne le ler septembre 1939, et déclencher ainsi la Seconde<br />

guerre mondiale.. ' Grand-Bassam fut la première capitale de la Côte d'Ivoire. Bingerville la seconde (de 1900<br />

à 1934).<br />

Grande kcole de formation des instituteurs pour toute I'AOF (et le Togo h partir de 1920). 5<br />

Dakar.<br />

Au Togo de 1946 à 1952 (voir plus loin).<br />

323


était, je crois, de Pau. I1 a eu la charge de construire d'abord l'hôpital, et puis<br />

quelques autres bâtiments. Les autres constructions, c'&aient les<br />

missionnaires qui les faisaient : le collhge Saint-Joseph, par exemple, éhit<br />

en construction à ce moment-là1 . C'est de cette période-là que gate l'extension<br />

.de Lomé au delà de la lagune. Mais moi, je.n'ai pas suivi la question. Quand<br />

je venais à Lomé, je descendais chez des amis et j'allais voir le gouvemeur et<br />

les chefs de service, et puis c'était tout. Je n'allais pas souvent à Lomé<br />

d'ailleurs, parce que j'étais adjoint au commandant de cercle d'Atakpamé,<br />

Monsieur Frémolle2. C'est lui qui descendait à Lomé pour les questions de<br />

service. Moi, je faisais la brousse d'Atakpamé. J'étais très heureux comme<br />

ça : je n'avais aucune envie de descendre à Lomé ...<br />

Lomé, c'était une capitale que nous ne détestions pas, mais pour<br />

moi, c'étaient les Blancs, c'étaient des gens d'un monde different du mien. J'ai<br />

vécu en brousse, pour la brousse, pour les Africains. J'ai fréquenté beaucoup<br />

d'Européens de la brousse, qui étaient des missionnaires, des agronomes, qui<br />

se donnaient, eux aussi, à fond au travail de développement de la btousse.<br />

Pour moi, Lomé c'était un monde à part, qui n'était pas antipathique, mais<br />

qui était différent ...<br />

Ceci pour les premières années dk mon séjour. Après, je suis revenu<br />

à Lomé plus longuement, mais il est certain que, pour moi, Lomé était<br />

d'abord une ville de chef-lieu, où l'on pouvait faire des courses. A l'époque,<br />

dans les postes de brousse, nous avions des réfrigérateurs (à pétrole, bien<br />

sûr). Donc les achats que nous faisions, c'était ce que nous n'avions pas : les<br />

vivres frais. Nous avions les fruits d'Atakpamé : des mangues, des goyaves,<br />

quelquefois des oranges, pendant la saison ... I1 n'y avait pas cette manie des<br />

"fruits de France" qui a envahi la vie coloniale par la suite. Nous vivions sur<br />

le pays, dans des conditions qui n'étaient pas mauvaises, d'ailleurs.<br />

Personnellement, je garde un très bon souvenir de cela. Lomé, c'était la ville<br />

où il y avait l'électricité, l'eau courante, où il y avait tout le confort, alors<br />

que chez nous, 5 Atakpamé, l'eau était montée par les prisonniers dans le<br />

château d'eau de la résidence de von Doering (presque pas m~difiée)~. Nous<br />

avions des lampes à pression qui nous servaient pour nous éclairer le soir. <strong>Si</strong><br />

on voulait la radio, on débranchait la batterie de l'auto pour y mettre des<br />

pinces et obtenir les émissions de radio (il y avait trks peu d'émissions de<br />

radio, et donc on n'avait pas le goût, ni le souci de les écouter). Nous vivions<br />

-comment dirai-je ?- sur nous mêmes. Je précise que le cercle d'Atakpamé<br />

desceidait jusqu'au Haho, donc extrêmement près de Lomé, mais je n'ai<br />

jamais été tenté de descendre à Lomé pendant les quatre années que j'ai<br />

passées à Atakpamé.<br />

Lomé était pour moi une ville Ctrangère, une ville d'Européens, de<br />

y le RP Joseph Fürst SUT des plans de Crouzat.<br />

Commence en mars 1948 (ouvert aux classes de 6ème dès novembre de la même année)<br />

Alfred Frémolle, à Atakpame de 1949 à ao& 1950.<br />

Le futur dernier oouverneur du Togo allemand avait fond6 le cercle d'Atakpam6 en juin<br />

1898, et y était rest67usqu'en mars 1909.<br />

324


chefs de service, de gouverneurs (qui nous recevaient très gentiment quand on<br />

venait), celle d'une Assemblée territorialel qui n'aimait pas les gens de la<br />

brousse, considérés comme des colonialistes déplaisants ... On n'était pas en<br />

odeur de sympathie absolue avec Lomé. J'ai eu d'excellentes relations avec<br />

tous les Africains de Lomé par la suite, mais les premières années n'étaient<br />

pas faciles, et les chefs de service européens nous considéraient, nous les<br />

gens de la brousse, comme une race à part, un petit peu une race de gêneurs,<br />

des gens qui avaient des idées pas comme les autres ... Donc je n'avais<br />

personnellement aucune envie de descendre 2 Lomé. J'y suis descendu quand<br />

même pour la naissance de mon fils Etienne. Ses frères et soeurs aînés ont dû<br />

être confiés à des amis de Lomé ... Tout au moins les premières années de<br />

mon séjour au Togo, je n'avais aucune attirance pour Lomé, quel que soit le<br />

charme que pouvait avoir la ville, quelle que soit la gentillesse de la majorité<br />

des Togolais de Lomé ...<br />

- Q - En 1955, vous y ëtes finalement affecté. C'est une<br />

promotion professionnelle, mais ce n'est peut-être pas pour<br />

vous une. qualité de la vie supérieure. Quoi qu'il en soit, vous<br />

vous retrouvez ,habitant de Lomé. Comment était la ville ri ce<br />

moment-là ? Comment était la vie des habitants en général, et<br />

comment était cette catégorie très particulière, dont nous<br />

avons peu parlé dans nos émissions, les Blancs de Lomé ?<br />

- J'ai été affecté ici en 1955 comme inspecteur du Travail. Oui,<br />

c'était une promotion : ça voulait dire que j'étais la troisième personnalité<br />

française du Togo, après le gouverneur et le secrétaire génér al... Ce n'était pas<br />

fait exprès, c'était dans les statuts de l'Inspection du Travail ! Pourquoi avais-<br />

je été nomme à ce poste ? I1 faut que je vous dise qu'au Cambodge, en 1947,<br />

j'avais été inspecteur du Travail et des Lois sociales du Cambodge. A ce titre,<br />

j'avais dû régler des grèves qui se passaient sur les plantations de caoutchouc.<br />

Dans mon dossier, il y avait donc que j'avais kté inspecteur du Travail. En ce<br />

temps là, on mettait en ordre les arrêtés d'application du code du Travail<br />

d'Outre mer, qui avait été pris en décembre 1952, si mes souvenirs sont<br />

exacts2. Donc le Conseil de gouvernement, qui venait d'être créé3, discutait<br />

des arrêtés d'application du code du Travail d'outre-mer. Ceuxxi passaient<br />

d'abord devant les instances syndicales, puis ensuite ils étaient discutés en<br />

Conseil de gouvernement. Cela m'ennuyait profondément ...<br />

Je l'ai fait par devoir; mais je dois dire que j'ai eu un certainplaisir à<br />

être à Lomé, car mes enfants étaient-plus grands, donc en âge d'aller au lycée<br />

pour les aînés ou à l'école primaire pour les plus jeunes. Je précise qu'ils<br />

avaient été à I'école primaire dans l'intérieur dans des conditions excellentes.<br />

Puisque vous me donnez l'opportunité de le dire, je voudrais rendre hommage<br />

Elue en 1946 ; dominée par les nationalistes du CUT jusqu'en 1951, puis par les membres du<br />

Parti Togolais du Pro&s.<br />

Loi du 15 décembre 1952.<br />

Par la loi du 16 avril 1955 : cinq membres élus par l'Assemblée territoriale, quatre autres<br />

dgsignés par l'Administration.<br />

325


aux instituteurs africains du Togo qui ont formé mes enfants. Quand ceux-ci<br />

sont arrivés en France, fin 1956, ils ont trouvé des instituteurs français dont<br />

la formation n'&tait pas supérieure à celle des Togolais, loin s'en faut- ! Et<br />

même, pour beaucoup d'entre eux (au niveau de l'orthographe, en particulier),<br />

les professeurs togolais étaient très supérieurs à la majorité des professeurs<br />

français ! Je tiens à le dire et à remercier au passage ces pédagogues<br />

remarquables qui ont formé mes enfants.<br />

Arrivé à Lomé en 1955, c'était donc pour ce travail, qui était<br />

puissamment embêtant, je le dis comme je le pense. Comme vous le savez,<br />

le code du Travail d'outre-mer était un avantage énorme qu'on donnait aux<br />

Anglais contre nous : on donnait aux travailleurs certes des avantages (qu'ils<br />

ne réclamaient pas tellement...), mais, en fait, on alourdissait les coûts de<br />

production des entreprises togolaises, alors que, chez les Britanniques, ça<br />

n'existait pas du tout.<br />

Je voudrais dire que j'ai profité de ce séjour à Lomé comme<br />

inspecteur du Travail pour lancer, avec mon ami Louis Domissy, qui était<br />

administrateur-maire de Lomé (un homme remarquable), les "restaurants<br />

d'apprentis''. Car inspecteur de Travail, ça voulait dire que j'avais aussi<br />

compétence sur les Togolais. En réalité, l'inspection du Travail française<br />

-coloniale, si vous voulez- ne traitait réellement que les entreprises<br />

françaises, européennes. Or les apprentis travaillaient chez les artisans<br />

togolais, qui étaient des gangsters affreux, je le dis comme je le pense ! Les<br />

artisans togolais de cette période-là étaient des exploiteurs honteux de la<br />

misère des enfants ! L'apprenti devait payer pour devenir apprenti, il n'était<br />

pas nourri, il crevait de faim, il travaillait gratuitement pour le patron ... J'ai<br />

voulu mettre de l'ordre là-dedans ! C'était impossible parce que les artisans<br />

étaient des puissances politiques, et on m'a fait comprendre que je m'attaquais<br />

à une forteresse inexpugnable, que je m'y briserai les dents, que c'était<br />

vraiment un effort inutile ...<br />

Mais ce que j'ai pu faire avec Domissy, c'est de créer un restaurant<br />

d'apprentis, c'est-à-dire trouver un local, payer les cuisinières et donner à 30,<br />

40,50 apprentis, à chaque midi, un repas avec de la viande et de la pâte (de<br />

manioc, d'igname ou de maïs). Cette nourriture était payée par l'apprenti<br />

25 F, ce qui n'était pas cher, vous en conviendrez ... En tout cas, ils avaient<br />

le ventre plein, ce qui était tout de même essentiel. Je rends hommage aussi à<br />

l'Association amicale des apprentis de Lomé. C'étaient des garçons qui<br />

avaient souvent le certificat d'études, qui étaient très supérieurs intel-<br />

lectuellement et moralement.à leurs patrons, lesquels ne cherchaient qu'à les<br />

exploiter, et leur donnaient, après deux, trois ou quatre ans, un parchemin en<br />

anglais ou en français, où l'on disait que cet apprenti avait été quelqu'un de<br />

tout à fait sensationnel ... J'ai essayé de mettre de l'ordre là-dedans, de trouver<br />

une formule de contrat d'apprentissage décent (un certificat de bon travail pour<br />

l'apprenti en fin de course), de réglementer la durée de l'apprentissage ...<br />

* De juillet 1955 àjuillet 1957.<br />

326<br />

I


Peines perdues' ! Je me suis cassé les dents, et, au demeurant, je<br />

crois me souvenir que le gouverneur m'a dit de ne pas faire de zèle dans ce<br />

domaine ... Mais le restaurant d'apprentis, je l'ai créé ! Nous l'avons créé<br />

ensemble avec des apprentis togolais et avec Louis Domissy, et ça a marché.<br />

Quand je suis parti, ça marchait encore. Est-ce que ça a marché longtemps<br />

après, je n'en sais rien ... Mais ce que je sais, c'est que les apprentis nous en<br />

ont été reconnaissants. Nous avions aussi été soutenus, à l'époque, par les<br />

catholiques, par le Secrétariat social catholique du Togo, qui avait été fondé<br />

quelques années auparavant par Ernest Nissan. Dans l'histoire du restawant<br />

d'apprentis, je veux rendre hommage aussi à Faustin Gbaguidi, qui a été<br />

ensuite homme politique au Dahomey (il a été ambassadeur du Dahomey au<br />

Canada), qui est décédé malheureusement il y a quelques .années. Faustin<br />

Gbaguidi et le Secrétariat social nous ont beaucoup aidés. Voilà pour l'action<br />

que j'ai men&.<br />

Quant au reste de l'inspection du Travail, inutile de dire que ça<br />

n'avait aucun intérêt. Toutes les entreprises européennes étaient en règle.<br />

Bon, il y avait des consignes : tels instruments de toilette pour tant<br />

d'ouvriers, etc. Tout ça.marchait : il n'y a jamais eu problème dans ce<br />

domaine. Le problème, c'était la condition des travailleurs non salariés, des<br />

travailleurs -comment dirais-je ?- coutumiers, desktisans de Lomé ... Et ça,<br />

j'ai tenu à le faire. La condition des artisans, je ne sais pas ce qu'elle est<br />

maintenant. Mais à ce moment-là, nous avons essayé de donner un coup de<br />

barre pour que ça se redresse.<br />

Lomé, en 1955-56, était déjà bien développée. Des Constructions<br />

avaient été faites sur les fonds du FIDES2, et des maisons avaient 'été<br />

édifiées, assez nombreuses mêmes. Ça n'avait rien à voir avec ce qui est venu<br />

après ; c'était encore largement le tracé allemand : quartier administratif,<br />

quartier commerçant, et les quartiers nouveaux qui se développaient à la<br />

périphérie de Lomé, notamment du côté de Tokoin. I1 y avait eu l'aéroport,<br />

qui s'était développé aussi, beaucoup, mais le wharf était encore là, avec ses<br />

problèmes. J'ai eu, pendant que j'étais inspecteur de Travail, une grève des<br />

dockers du wharf, qui a été résolue en liaison avec les syndicats, sans<br />

difficultés.<br />

Lomé, dans ces années-là, c'était une ville agréable, sympathique,<br />

où les enfants étaient heureux de jouer. I1 y avait la plage, on allait au tennis,<br />

il y avait un club de bridge ... La vie des Européens de Lomé était une vie de<br />

travail et de distractions, sans problèmes. Je les fréquentais très peu, parce<br />

que j'avais d'autres travaux en cours. Les relations avec les Africains étaient<br />

très bonnes. Nous avions toute la bourgeoisie loméenne, dont la majorité<br />

était dans le Comité d'unité togolaise3, donc hostile à la présence française.<br />

Mais la gentillesse togolaise était là, et nous ne ressentions pas du tout<br />

I 11 faudra attendre 1989 pour voir publier des décrets ministériels dans ce domaine.<br />

Fonds d'investissement pour le développement économique et social.<br />

Parti nationaliste, minoritaire à l'Assemblée de 1951 B 1958, mais qui menait une guérilla<br />

verbale constante contre l'administration coloniale.<br />

327


-?<br />

d'hostilité à notre égard. Nous avons été extrêmement bien accueillis, et il<br />

n'y avait pas de problhmes importants pour les Européens de LomQ.<br />

- Q - Nous essayons de faire revivre à nos auditeurs ce<br />

qu'était la vie quotidienne des gens il y a trente ou quarante<br />

ans. Comment viviez-vous ? Où vos enfants allaient-ils à<br />

l'école ? Où alliez-vous vous approvisionner ? Pouvez-vous<br />

nous décrire ce qu'était votre vie quotidienne à l'époque ?<br />

- Nous avions une villa relativement spacieuse (nous avions cinq<br />

enfants avec nous, et donc il fallait loger tout ce petit monde), avec un petit<br />

jardin, qui était agréable. Les enfants allaient à l'école : notre fille aînée au<br />

lycée de Lomé ; les autres allaient à l'école primaire, sauf la dernière, Hélène,<br />

trop petite. Nous allions aussi au culte le dimanche. Je me souviens du<br />

pasteur Perrier, qui était le pasteur de Lomé à ce moment-là, qui était très<br />

sympathique ; il vit encore en France (il a quelque 80 ans maintenant). Il<br />

représentait un élément d'autant plus précieux qu'il avait été membre de<br />

l'Assemblée temtoriale du Gabon avant de venir à Lomé. Nos relations avec<br />

les protestants de Lomé -nos coreligionnaires- étaient excellentes. Nos<br />

relations avec les catholiques aussi d'ailleurs : j'étais très lié avec Mgr<br />

Strehler', qui est resté mon ami jusqu'à sa mort. Je suis resté en relations<br />

constantes avec lui, et il m'a beaucoup aidé dans mes recherches.<br />

Je ne sais que dire sur la vie de Lomé. Pour le ravitaillement, le<br />

cuisinier allait faire le marché. On achetait ce qui devrait être acheté dans les<br />

boutiques. J'avais une voiture de service qui me permettait d'aller en brousse<br />

en inspection du Travail : j'ai parcouru quand même tout le Togo comme<br />

inspecteur du Travail en ce temps-là : ça m'a permis de voir les<br />

circonscriptions que je n'avais pas bien visitées auparavant, des<br />

circonscriptions comme Anécho, que je connaissais très mal, comme Palimé,<br />

et puis le Nord : Lama-Kara, que je n'avais pas vraiment vue, Mango ... et je<br />

suis retourné à Dapaong deux fois, au cours de cette année d'inspection du<br />

Travail.<br />

La vie de Lomé ? Je jouais au tennis ; j'étais jeune à l'époque,<br />

relativement, et je jouais assez bien (ça m'a passé, malheureusement...).<br />

Voilà, c'était une vie assez simple, Outre le club de bridge où les Européens<br />

se réunissaient, il y avait un cercle, avec une bibliothèque (si mes souvenirs<br />

sont exacts), que je fréquenta@ relativement peu parce que j'avais les livres<br />

qui me suffisaient à la maison. Enfin ... je ne veux pas apparaître comme un<br />

ours ! Nous nous recevions les uns chez les autres trhs volontiers, avec<br />

beaucoup de plaisir. Je dois vous dire que je n'ai jamais été très mondain,<br />

mon épouse non plus. Nous vivions normalement chez nous le plus<br />

souvent. Marianne, ma fe"$, était médecin à la polyclinique pendant cette<br />

année de Lomé, ce qui était un élément précieux pour nous, puisque nous<br />

n'avions jamais eu beaucoup d'économies pendant nos séjours, compte tenu<br />

Archevêque de Lom6 de 1945 A 1962.<br />

Devenue par la suite historienne avec lui.<br />

328


de nos nombreux enfants. Le salaire touché par Marianne nous a permis une<br />

p.etite aisance supplémentaire, en particulier d'acheter enfin une voiture, en<br />

1956. Oui, j'ai attendu 1956 pour acheter ma première voiture. Les<br />

administrateurs ne roulaient pas sur l'or ; ils e roulaient pas du tout même,<br />

puisqu'ils n'avaient pas de voiture ... (rire) 1<br />

Nous avions donc les réunions du Conseil de gouvernement,<br />

l'Assemblée territoriale, oÙ certaines réunions avaient lieu et auxquelles nous<br />

étions conviés, Louis Domissy et moi, ainsi que son prédécesseur, Philippe<br />

Mermet, qui avait poursuivi avec ténacité la balustrade de la Marina le long<br />

de la plage', qui était tout de même un plus pour Lomé. Auparavant, c'était<br />

la plage : le sable arrivait sur la chaussée ... Ils ont fait cette balustrade, qui a<br />

. été prolongée loin, un très bon élément dans l'urbanisme de Lomé. I1 y avait<br />

toujours le wharf, mais on prenait l'avion de plus en plus, puisque, pour les<br />

fonctionnaires, ça cobit moins cher de les expédier par avion et e leur faire<br />

passer un congé moins long, puisque, vous savez, pour les fonctionnaires,<br />

naguère, le séjour sur le bateau était compté en dehors du congé : c'était un<br />

congé supplémentaire, oÙ l'on était fort bien nourri et où la traversée était<br />

souvent très agréable. Mais l'Administration, jalouse d'exploiter au<br />

maximum les fonctionnaires, les expédiait maintenant par avion et les<br />

ramenait par avion. (rire) Je crois que j'ai fait quand même'un voyage par<br />

bateau, qui m'a permis de rédiger un certain nombre de choses que j'avais dans<br />

mes cartons, dans des conditions tout de même très agréables ...<br />

Lomé était une ville accueillante. Nous avions souvent des visites.<br />

Nous avons eu des congrès : le congrès du syndicat chrétien en 1956, dont je<br />

me suis occupé comme inspecteur du Travail. La réunion se faisait au foyer<br />

Pie-XII*, que Mgr Strebler avait réussi à faire construire. Nous avons donc<br />

reçu tous les syndicalistes de la côte d'Afrique, depuis la Mauritanie jusqu'au<br />

Congo-Brazzaville, et jusqu'au Zaire. Et puis des Cléments internationaux du<br />

Travail, dont M. Vanistendael, un Belge, qui était le secrétaire général de la<br />

Confédération international des travailleurs chrétiens, et d'autres<br />

fonctionnaires et syndicalistes de qualité. Je garde un bon souvenir de cette<br />

rencontre de syndicalistes. Il faut saluer la personnalité de Gérard Espéré, un<br />

des grands syndicalistes chrétiens français, qui a ensuite animé la CFDT3 à<br />

Paris. Je précise que Gérard Espéré tenait à ce que I'égalité soit respectée, et<br />

lui-même dormait dans le dortoir des syndicalistes africains. Ce n'était pas le<br />

grand confort, vous voyez ! 11 n'y avait pas les hôtels si sympathiques et si<br />

luxueux qu'a Lomé maintenant. Quand il y avait un congrès de cet ordre,<br />

pour des gens qui étaient des syndicalistes relativement âgés (ils avaient<br />

souvent 45-50 ans), le couchage en dortoir (mixte, comme je précise) n'était<br />

pas forcément très drôle, mais ils le supportaient avec beaucoup de constance.<br />

I Établie pour l'essentiel en 1953. On l'a déjà dit, Ph. Mermet dirigea le cercle de Lomé de<br />

décembre 1952 5 décembre 1954.<br />

Complexe de sal1)es dk réunion, bureaux et logements, inaugue le 16 janvier 1955. Pie XII<br />

fut un pape très prestigieux de 1939 à 1958.<br />

Confédération française démocratique du Travail, le deuxième des syndicats français par<br />

ordre d'importance numérique.<br />

329<br />

P


~ territoriale<br />

Dans la ville de Lomé, vous aviez l'imprimerie catholique' qui<br />

fonctionnait depuis les Allemands et qui s'était un tout petit peu améliorée<br />

depuis. -Certaines maisons s'étai&dmodernisées. Des garages s'étaient<br />

installés. Je n'ai pas le sentiment que la poussée urbaine était très grande<br />

durant cette période. Les crédits FIDES permettaient des constructions, mais<br />

je n'ai pas le sentiment qu'il y ait eu une formidable extension. La ville était<br />

toujours limitée du côté de la Gold Coast par la frontière, donc il n'y avait<br />

pas de croissance.possible de ce côté-là. Par ailleurs, la lagune était aussi une<br />

barrière : elle n'était pas encore assainie. Dès qu'il y avait un peu de pluie, il<br />

y avait des moustiques, beaucoup, beaucoup, beaucoup ... L'hôpital était tout<br />

à fait construit, modernisé2. Par bonheur, nous n'avons pas été malades à ce<br />

moment-là, ni nos enfants, ni nous-mêmes. Nous avons gardé de Lomé un<br />

souvenir agréable, sympathique, mais j'ai le sentiment que Lomé n'a pas<br />

compté pour moi, voyez vous ?<br />

Je n'ai pas eu le sentiment, en arrivant de la brousse à Lomé, de dire<br />

"Enfin Lomé ! Quelle promotion merveilleuse pour moi, je suis le troisième<br />

fonctionnaire du Togo !" Ça ne m'a fait ni chaud ni froid ... J'étais en fait<br />

furieux de quitter Dapaong, qui était ma circonscription et oh j'étais heureux.<br />

Je suis descendu de Dapaong en pleine saison des pluies, en août 1955. C'est<br />

un camion-benne qui a descendu mes bagages : comme la benne faisait<br />

. réservoir, mes cantines flottaient dans la benne du camion, vous voyez le<br />

tableau ! I1 a fallu faire sécher les livres je ne sais combien de temps pour<br />

qu'ils reprennent "figure humaine", ou approximativement ... J'avais été<br />

furieux de descendre. J'ai fait contre mauvaise fortune bon coeur. Et,<br />

finalement, je n'ai pas été malheureux à Lomé. <strong>Si</strong>mplement Lomé n'a pas été<br />

pour moi le paradis que vous pouvez imaginez : c'était un lieu de travail..+<br />

Et ce n'était pas un service mince que l'inspection du Travail ! I1 y<br />

avait beaucoup de travail, beaucoup de papiers, beaucoup de documents:.. Je<br />

faisais mon travail avec conscience, de mon mieux. Je n'allais pas plus loin,<br />

mais ça m'a permis de participer aux travaux du Conseil du gouvernement,<br />

avec le Rp Riegert3, qui était "ministre de la Santé" dans le Conseil issu des<br />

nouvelles réformes du Togo4. On discutait avec les membres du Conseil de<br />

gouvernement, c'est-à-dire des gens pas toujours très agréables pour nous,<br />

mais je dois dire que je n'en ai pas gardé de mauvais souvenirs. Pas un<br />

souvenir ébloui non plus ... Je pense que ce qui en est sorti, ce sont les<br />

arrêtés d'application, qui ont concerné essentiellement les maisons de<br />

commerce européennes, et très peu les maisons de commerce africaines. Par<br />

conséquent, cela accroissait plutôt les différences entre Africains et<br />

Européens, et, à mon avis, c'était mauvais. Ceci dit, moi, j'étais un<br />

fonctionnaire discipliné. Que pouvais-je faire ? Quand j'avais donné mon<br />

De I'école professionnelle, qui a imprimé toutes les publications officielles jusqu'à la<br />

création d'Editogo, après l'Indépendance.<br />

L'actuel CHU est terminé en 1954.<br />

Au Togo depuis 1937. 11 a longtemps dirigé l'enseignement catholique. Élu à I'Assembl&<br />

au collège des citoyens français de 1946 en 1951. Membre du premier Conseil de<br />

gouvernement (juin 1955-septembre 1956), chargé des questions sociales.<br />

Loi de 16 avril 1955, comme on l'a vu plus haut.<br />

330


point de vue au gouverneur ou au secrétaire général (ie crois c'é&t Monsieur<br />

Thomas à l'époque, qui était un type remarquable), quand j'avais donné mon<br />

sentiment, bon, j'avais vidé mon sac, et on me disait : "Oui, mon pauvre<br />

vieux, on est bien d'accord avec toi. Mais ce sont les ordres : il faut le faire'!<br />

C'est comme ça, l'Administration". Je n'avais ni le droit, ni le pouvoir, ni<br />

même le goût -il faut bien le dire- de stopper une-opération, même si elle me<br />

paraissait absurde, même si elle me paraissait peut-être faire du mal aux<br />

Togolais eux-mêmes. Puisque les Togolais décidaient de promouvoir ces<br />

arrêtés, je ne vois pas pourquoi j'aurais été contre ...<br />

- Q - Quel avait été exactement votre rôle dans cette grève des<br />

dockers du wharf ?<br />

- Ce n'était pas difficile, vous savez. Avec l'administrateur-maire de<br />

Lomé, qui était aussi concerné dans cette affaire, je suis allé au port, j'ai<br />

rassemblé les chefs syndicaux, et j'ai demandé ce qu'ils voulaient. Ils m'ont<br />

dit. " On veut .... Ge ne sais quelle histoire), et on veut ... (je ne sais quelle<br />

augmentation de salaire)". Bon, j'ai convoqué les responsables des Chemins-<br />

sde-fer, pour ceux qui étaient sous la responsabilité des Chemins-de-fer du<br />

Togo, et puis j'ai demandé s'ils pouvaient envisager une augmentation des<br />

salaires dans le cadre de leurs compétences. Je crois qu'il y a eu une petite<br />

augmentation, et puis la grève s'est arrêtée, parce que, il faut dire, les<br />

grévistes n'avaient pas tellement envie de continuer la grève. Les dockers du<br />

wharf, c'était des privilégiés par rapport aux chômeurs de la ville ...<br />

Finalement, ils gagnaient peu d'argent, certes, mais ils gagnaient de l'argent,<br />

tandis qu'il y avait beaucoup de gens dans la ville qui n'en gagnaient pas ou,<br />

en tout cas, beaiicoup moins. Donc ça n'a pas duré, puisque ça n'avait pas de<br />

raison de durer. Ils ont essayé, ils ont gagné un tout petit quelque chose, et<br />

puis ils se sont remis au travail, finalement. C'était très grave, les grèves des<br />

dockers, parce que les bateaux restaient en rade : ça coûtait des milliers de<br />

francs, des dizaines, des centaines de milliers de francs par jour de rade devant<br />

Lomé, comme c'était le cas à Lagos, au Nigéia, où il y a eu des problèmes<br />

terribles avec des navires qui restaient en rade une semaine, deux semaines,<br />

trois semaines ... et ça.coQtait des sommes monumentales ! C'est pour ça<br />

qu'il fallait régler cette affaire rapidement, ce que nous avons fait de notre<br />

mieux, et on a réussi.<br />

- Q - Vous habitiez le quartier administratif et vous étiez<br />

membre. de cette corporation très particulière qu 'étaient les<br />

fonctionnaires. Quelles étaient vos relations avec le monde du<br />

commerce (commerce européen et commerce africain) ?<br />

- Elles étaient ce qu'elles devraient être ... Nous avions reçu les<br />

commerçants européens dans leur tournée en brousse, auparavant. On les<br />

avait reçus à déjeuner à Atakpamé, à Bassar, à Dapaong ... Par conséquent, ils<br />

étaient un peu nos obligés. Ils nous ont invités gentiment à déjeuner ou à<br />

dîner quand nous sommes arrivés à Lomé. Nos relations étaient bonnes. Et<br />

puis, comme j'étais l'inspecteur du Travail, malgré tout, s'il y avait un pépin<br />

331


dans le travail, un accident, n'importe quoi, ils savaient que j'étais<br />

responsable : ils pouvaient compter sur moi pour tenter d'arranger les choses<br />

si c'était possible. Mais ils pouvaient aussi compter sur moi, s'ils avaient<br />

commis une faute, pour qu'elle soit sanctionnée ! J'avais, paraît-il, la<br />

réputation, d'être tri% sév2re. Je ne crois pas, mais enfin on m'a dit ça, on a<br />

dit que j'étais "un type qui ne rigolait pas" ... Moi, je me trouve assez<br />

rigolo ... Enfin, c'est comme ça !<br />

Les relations avec les autres fonctionnaires ? C'était des relations de<br />

camarades. Avec les fonctionnaires africains ? Nous avions des relations avec<br />

les enseignants de noS.enfantS. Elles étaient bonnes : les enfants étaient<br />

modérément chahuteurs (sauf le dernier, Etienne, qui faisait des siennes un<br />

peu partout...). Disons que ça se passait très bien. Mais ça n'a rien de<br />

particulier : on était des gens de bonne compagnie. On aimait bien le Togo.<br />

Le Togo était une grande famille. Vous savez, les Français qui étaient au<br />

Togo revenaient toujours : nous avions les mêmes Français depuis des<br />

années. Vous aviez par exemple à Lomé un homme étonnant qui s'appelait<br />

Monsieur Alexandre Robert, qui a fondé le Service du conditionnement au<br />

Togo. Alexandre Robert était un ancien sous-officier de la Coloniale, qui<br />

s'était fait manger deux doigts par les Canaques des Nouvelles-Hébrides, vers<br />

1902 ... I1 était venu au Togo après son service militaire, à la fin de la<br />

Pre&ere guerre mondiale. Il avait fait un travail formidable en brousse : il a<br />

réussi à faire faire aux paysans togolais, aux planteurs togolais, le<br />

conditionnement de leurs produits', ce qui était tout à fait exceptionnel.<br />

J'avais de très bonnes relations avec lui, d'autant plus qu'il était d'un patelin<br />

qui était voisin du-mien, Vermenton2. Quand Alexandre Robert est mort, en<br />

1959, à Lomé, tout le gouvernement togolais a suivi ses funérailles : plus de<br />

mille Togolais ont été accompagner Alexandre Robert à sa dernière demeure.<br />

Hélas, le gouverneur français au Togo n'était pas là, et l'intérimaire ne savait<br />

pas qui était Monsieur Alexandre Robert : il y a eu un seul représentant du<br />

gouverneur qui est venu présenter les condoléances, ce qui était tout de même<br />

très peu ! Voilà un grand Français, de condition modeste certes, mais qui a<br />

fait énormément pour la réputation des produits du Togo dans le monde, en<br />

particulier dans les ports, et les Togolais lui ont été reconnaissants. Mais,<br />

apparemment, le représentant du gouvernement français ne l'a pas été de la<br />

même façon3.<br />

- Q - Le "Cercle des amitié frangaises" existait-il encore ?<br />

- C'est un cercle qui avait été fondé à la veille de la guerre par un<br />

magistrat qui s'appelait Thébaut4. I1 avait été fondé contre les revendications<br />

Afin que les sacs de café ou de cacao arrivent en bon état en Europe.<br />

En Bourgogne.<br />

Sur le personnage pittoresque d'Alexandre Robert, voir aussi les souvenirs de Claude<br />

Lestrade dans Regards français' sur le Togo des années 1930, Les Chroniques anciennes du<br />

Togo, 11~5,1995 ; pages 173-174,202,205.<br />

Le 5 septembre 1936, avec le procureur génBral E.P. Th6baut comme prksident et S.<br />

Olympio comme vice-pdsident. I1 a servi de base au Comité de l'Unité togolaise, fondé en<br />

mars 1941.<br />

332


-<br />

coloniales allemandes, pour valoriser l'action de la France au Togo. Ce<br />

Cercle des amitiés françaises a fonctionné avant la guerre. Il a cessé d'exister<br />

au moment de la guerre ou à la fin.de la guerre. Ce Cercle des amitiés<br />

françaises a été un moment de l'histoire de Lomé, du Togo, où des<br />

commerçants hostiles à l'Allemagne (ils l'étaient presque tous, soit par<br />

sympathie pour les Britanniques, soit par hostilité aux Allemands) se sont<br />

retrouvés dans ce cercle avec des Français de France et M. Thébaut (qui a écrit<br />

I -<br />

I aussi<br />

un très bon article sur l'histoire de l'arrivée des Allemands au Togo' ; il avait<br />

beaucoup écrit sur les coutumes malgaches). C'était un homme<br />

remarquable ; il n'était plus là quand je suis venu. Les années 1945-1946 (la<br />

fin de la guerre, l'affaire éwé, les élections qui avaient vu le triomphe du<br />

Comité de l'unité togolaise et donné une Assemblée territoriale qui avait une<br />

majorité hostile à la France) ont fait que ce Cercle des amitiés franco-<br />

togolaises n'existait plus.<br />

Je précise qu'il y avait à cette époque, à Lomé, une presse non<br />

négligeable, une presse très hostile à la présence française. Je pense au Guide<br />

du Togo, qui était très engagé contre nous. <strong>Si</strong> vous reprenez la collection,<br />

vous verrez comment nous étions traités, nous, les administrateurs : comme<br />

des colonialistes affreux, etc. (petit rire) Ça faisait partie de la vie ... Mais,<br />

pour moi, ça n'avait pas d'importance. Je considérais que nos relations étaient<br />

bonnes avec ces gens, même s'ils nous disaient très clairement qu'ils<br />

souhaitaient que les Français s'en aillent. Nos relations étaient quand même<br />

des relations de courtoisie, tout à fait sympathiques.<br />

Je pense que c'est assez exceptionnel, en Afrique, qu'une Assemblée<br />

territoriale ait été en majorité hostile à la présence française, et que, malgré<br />

tout, les relations aient été si courtoises. .<br />

(<br />

Q - Parmi les commergants, il y avait des gens qui avaient<br />

sur vous l'avantage de rester extrêmement longtemps dans le<br />

pays, qui devaient donc en être des connaisseurs privilégiés,<br />

et qui étaient aussi des figures pittoresques. Pourriez-vous<br />

nous parler de gens comme Me Viale, ou le commergant<br />

Raymond Eychenne, qui ont été parmi les grandes notablilités<br />

frangaises de l'époque ?<br />

- Oui, bien sûr. Me Viale était un avocat qui avait fait fortune au<br />

Togo (il avait d'ailleurs édifié une sorte de château à Palimé, qu'on appelle le<br />

Château-Viale). Me Viale était un homme de bonne compagnie, c'était l'un<br />

des avocats de Lomé. Les avocats jouaient un rôle important dans les affaires<br />

de terrains, de cocoteraies, etc.2. Me Santos jouait aussi un grand rôle dans<br />

ces affaires au tribunal. J'ai été juré au tribunal de Lomé, comme<br />

fonctionnaire, et nous avions connaissance de ces affaires. Moi, j'étais déjà<br />

surchargé de travail, je n'avais aucune envie de me mettre comme figurant<br />

' "La fondation de la colonie allemande du Togo", in : Revue polirique et parletnentuire.<br />

-1939, pp.102-120.<br />

Voir ci-dessus, dialogue no 12.<br />

333


dans un ju ry... Enfin, il se trouve que j'ai',beaucoup fréquenté ces instances !<br />

I1 y avait un procureur de la République qui était extrêmement gentil, qui<br />

faisait sòh travail correctement. Vous dites que nous étions désavantagés par<br />

rapports aux commerçants qui restaient longtemps, mais les fonctionnaires<br />

français du Togo y sont aussi restés longtemps ! C'est une des rares colonies<br />

françaises où les fonctionnaires restaient très longtemps. Vous aviez de!<br />

familles dont les parents étaient arrivés en 1919 et, en 1950, vous aviez<br />

encore les enfants qui étaient là, notamment aux Chemins-de-fer : vous aviez<br />

des dynasties ferroviaires françaises de cheminots, qui ont fait les Chemins-<br />

de-fer du Togo tels qu'ils ont été. Donc les fonctionnaires revenaient au Togo<br />

régulièrement : ils s'y plaisaient, ils y revenaient.<br />

Des gens y ont fait carrière, comme Péchoux, qui a été gouverneur<br />

du Togo' ; il avait été auparavant administrateur à Anécho et à Atakpamé.<br />

D'autres sont restés très longtemps, ont fait plusieurs séjours. Ces gens-là se<br />

sont accrochés au pays ; ils ont aimé le pays, quelles que soient leurs actions<br />

(et leur brutalité parfois). Dans l'ensemble, je crois que ça a été tout de même<br />

très bénéfique au Togo. Quand on connaît un pays, quand on l'aime, on<br />

travaille quand même beaucoup mieux.<br />

Les missionnaires représentaient aussi un Clément très important.<br />

Eux, ils restaient très longtemps. Je me suis recueilli la semaine dernière sur<br />

la tombe du Père Cothez2, à Tomégbé3, qui a été un des grands missionnaires<br />

du Togo. Mgr Strebler était un homme exceptionnel. Je garde de lui une<br />

merveilleuse image, celle d'un homme d'une immense qualité humaine,<br />

travailleur, passionnément travailleur, qui n'aimait pas les fainéants ... Moi<br />

non plus, je n'aimais pas les fainéants : on se rencontrait très bien ...<br />

- Q - L'un de vos tout premiers travaux de recherche a porté,<br />

je crois, sur le rôle des métis dans la colonisation. Vous<br />

aviez à Lomé une catégorie très particulière, les descendants<br />

d'Allemands, qui étaient relativement nombreux. Comment ce<br />

groupe s'intégrait-il (ou non) dans la société franco-<br />

togolaise ?<br />

- Ce travail sur le? métis que vous avez la gentillesse d'évoquer,<br />

c'était mon mémoire de 1'Ecole de la France d'outre-mer. J'étais un anti-<br />

raciste convaincu dès mon jeune âge, et dpnc lorsque s'est posé le devoir de<br />

faire un mémoire, en troisième année de l'Ecole de la France d'Outre-Mer, j'ai<br />

eu l'idée de faire une recherche, sur "le rôle des métis dans la colonisation<br />

française". Je voulais montrer premièrement la qualité humaine des métis,<br />

deuxièmement le rôle d'un grand nombre d'entre eux dans la colonisation<br />

française : le général Dodds, par exemple, qui a été le conquérant du<br />

~<br />

1952-1954. Mais avec un passage comme gouverneur de la Côte d'Ivoire de 1950 B 1952,<br />

où il s'dtait violemmment affront6 B Fklix Houphouet-Boigny.<br />

Missionnaire SMA, trks populaire dans tout le Togo (1900-1983).<br />

Prks de Badou, mission où il dtait arrivd en 1936, et où il fut ented en 1983.<br />

334


Dahomey' ; au Canada, Louis Ariel (dans les guerres franco-anglaises du<br />

XVIIIB sibcle, les métis de peaux-rouges se sont battus aux côtés des<br />

Français) ... Aux Indes, la femme de Dupleix2 était une métis ; elle a tenu un<br />

grand rôle dans la politique locale ... Bref, jlai tenté avec quelques exemples de<br />

montrer le rôle particulier desmétis : les métis alliés de la colonisation, les<br />

métis dans la littérature, etc. C'est un mémoire d'une soixantaine de pages,<br />

dont je ne suis pas exagérément fier : c'est un document de jeunesse. Mais je<br />

ne rougis pas de l'avoir écrit.<br />

Alors, bien sûr, quand je suis arrivé ici, j'ai trouvé des métis qui<br />

étaient particulièrement intéressants : les métis d'Allemands, qui s'intégraient<br />

très bien à la société togolaise ; ils avaient retrouvé les métis de Brésiliens :<br />

les familles Olympio, de Souza, da Costa, de Medeiros, Bruce, etc. .. qui<br />

étaient installées là depuis longtemps. Ils se mariaient d'ailleurs souvent<br />

entre eux. C'était un élément privilégié, qui se considérait un petit peu au-<br />

dessus des élites togolaises proprement dites, mais qui s'intégrait très bien. Je<br />

n'ai pas eu connaissance de difficultés entre les métis allemands ou les métis<br />

brésiliens et les Africains.4.s s'intégraient à la société africaine, où ils<br />

restaient quand même des éléments à part. En général, politiquement, ils<br />

avaient pris le parti du colonisateur. Il me semble me souvenir que, dans les<br />

membres dirigeants du Parti togolais du Progrès, il y avait plusieurs métis.<br />

J'ai bien connu certains : parfois je suis intervenu auprès de mes relations en<br />

Allemagne pour les aider à retrouver leur père, quand ils avaient des<br />

difficultés à le faire. J'y suis paryenu plusieurs fois, notamment pour un<br />

remarquable. fonctionnaire de l'Elevage, qui s'appelait Jean Rincklif, à<br />

Sokodé3. J'ai pu retrouver son pbre à Heidelberg : il a pu revoir son père à<br />

trois ou quatre reprises avant la mort de celui-ci. Je considérais que ça faisait<br />

partie de mon travail de faire cela.<br />

Les métis au Togo avaient tout de même des caractéristiques<br />

p&.iculières. Dans les missions de d61imitation4, au début du siècle, Fourn et<br />

von Seefried étaient tous deux très portés sur les Africaines. Et alors, j'ai le<br />

sentiment que, quand un enfant naissait du côté dahoméen de la frontière, il<br />

s'appelait Fourn ; quand il naissait du côté togolais, il s'appelait Seefried ...<br />

Mais ceci est dû sans doute aux bonnes-soeurs qui les ont appelés comme ça,<br />

parce que leurs pères ne les avaient pas reconnus ... (rire) Les bonnes-soeurs<br />

considéraient que c'était un crime abominable de faire des enfants comme ça,<br />

mais, enfin, quand on avait fait des enfants, on ne pouvait pas ne pas les<br />

reconnaître. Par conséquent, elles inscrivaient elles-mêmes sur les registres de<br />

En 1892-1894.<br />

Fondateur d'un empire français aux Indes au XVIIB si8cle.<br />

Voir J.-C. Barbier et B. Klein : Sokodé. ville multicentré du Nord-Togo, Paris, ORSTOM,<br />

1995, page 121.<br />

Mlimitation de la-frontière, au nord, entre le Dahomey français et le Togo allemand (191 I-<br />

1913), par des officiers des deux puissances coloniales. Gaston Fourn sera par la suite le<br />

premier commissaire de la République française au Togo, en 1916-17, puis gouverneur du<br />

Dahomey (1917-1929). Un de ses fils fut maire de Lomé dans les années 1974-84. Le baron<br />

Adolf von Seefried a séjournt5 au Togo de 1895 à 1913,. I1 fut chef de la troupe du<br />

Protectorat, puis comman$ìnt des cercles de Kete-Kratschi et de Mango.<br />

335


leur école ou de leur pouponnière les enfants avec le nom de leur père. Encore<br />

une fois, ces métis français ou allemands ont été notables comme élite<br />

bourgeoise, parmi les fonctionnaires ou les commerçants. Je ne crois pas<br />

qu'on ait grand-chose d'autre à dire sur eux.<br />

I1 faut surtout parler, bien sûr des "deux cents familles"'. Ce qu'on<br />

appelait les deux cents familles de la côte, entre Anécho et Lomé, représentait<br />

évidemment un potentiel financier, commercial et de solidarité familiale d'une<br />

immense importance. Je me souviens que le directeur des Affaires politiques<br />

du Togo, quand quelqu'un était affecté dans le Sud, lui faisait passer des<br />

examens sur ce qu'on appelait les deux cents familles togolaises (qui n'étaient<br />

pas deux cents, bien sûr). M. Aubanel, qui a été longtemps dans le Sud, était<br />

chargé de faire l'initiation des administrateurs qui devaient travailler dans ces<br />

régions, afin qu'ils s'y retrouvent dans le réseau complexe des parentés entre<br />

familles métis ou brésiliennes, comme on disait ...<br />

Il y avalt non pas deux cents familles, mais quelques dizaines tout<br />

au plus : on a parlé des deux cents familles d'Anécho parce que c'était un<br />

thème politique à la mode en France ... C'est un terme qui était faux, mais qui<br />

était resté ... (rire) Ce sont des familles bourgeoises, parfois héritières de la<br />

traite des esclaves, parfois simplement héritières du commerce légitime de<br />

l'huile de palme, mais qui représentent quelque chose de tout à fait particulier,<br />

une _cohésion familiale, des relations de mariage entre parents, etc. Ces<br />

familles venaient du Brésil, elles descendaient de métis de Portugais et<br />

d'Indiens ou de Noirs, assez souvent, d'où des physionomies très<br />

particulières. L'un des oncles de Sylvanus Olympio ressemblait totalement à<br />

un Chinois ... Quand des gens de l'ONU sont arrivés ici, les Chinois qui en<br />

faisaient partie (c'était la période de la Chine nationaliste), quand ils ont vu<br />

l'oncle de Sylvanus Olympio, se sont dit : "Qu'est-ce que c'est que celui-là ?<br />

Est-ce que, par hasard, ce serait la Chine populaire qui est déjà arrivée ?"<br />

C'est vous dire le caractère physique particulier des métis brésiliens, et la<br />

variété des physionomies qui pouvaient se dégager. I1 y avait au total<br />

probablement cinquante familles, et on les connaissait toutes, les anciennes<br />

familles de la bourgeoise commerçante de Lomé, les familles des Brésiliens<br />

d'Anécho, de Porto-Séguro et d'Agoué, les familles des métis ... Tout cela<br />

présentait une bourgeoisie tout à fait importante. I1 fallait les connaître ...<br />

- Q - Dans ces dernières années de la période coloniale<br />

frangaise, que restait-ìl comme trace de l'influence allemande<br />

au Togo ? Y avait-il encore beaucoup de partisans d'un<br />

éventuel retour de l'Allemagne ?<br />

- Tout cela a été très bien étudié dans une these remarquable sur Le<br />

souvenir allemand au Togo. Tétais dans le jury de l'auteur de'cette thèse2, qui<br />

Avant la Seconde guerre mondiale, on prétendait que toute la richesse industrielle et<br />

bancaire de la France était aux mains de 200 familles, symboles du capitalisme égoïste et<br />

conservateur.<br />

Dadja <strong>Si</strong>mtaro, du Département d'allemand de I'UB.<br />

336


a vraiment fait le tour de la question. I1 ne restait pas grand chpse, à vrai dire,<br />

du souvenir allemand au Togo. I1 restait les pasteurs de 1'Eglise éwé, qui<br />

.étaient tous encore vivants -presque tous-, ceux qui,avaient été formés à<br />

. Westheim', qui représentaient la vieille garde de 1'Eglise évangélique du<br />

Togo. Nous avons vécuila période au cours da-laquelle l'influence des<br />

théologiens franç8s prdestants a changé le cours des choses. De jeunes<br />

Togolais allaient faire des études dans les facultés ,de théologie protestante de<br />

Yaoundé, de Montpellier, de Shbourg ou ,be Paris. Ils revenaient avec des<br />

idées nouvelles ; ils revenaient avec surtoút le sentiment (parfaitement<br />

i<br />

légitime) qu'ils étaient beaucoup plus forts en théologie que les vieilles<br />

barbes.. .<br />

L'époque du "souvenir allemand", c'était le bon vieux temps de leur<br />

jeunesse. Quand vous avez été'à l'école allemande, vous en avez bavé, mais<br />

vous aviez 14 ans, 15 ans : c'était le bon temps, quand on en a quarante de<br />

plus ! Mais je crois que le souvenir allemand était relativement peu<br />

important. I1 n'y avait pas d'agents allemands au Togo à l'époque où nous<br />

étions ici. Le dirigeant de la DTG, qui était parti au moment de la guerre,<br />

n'était pas revenu et, pratiquement, il n'y a pas eu d'Allemands sur place<br />

avant l'Indépendance, Les souvenirs allemands ont été quand même<br />

importants, puisque lorsque le premier diplomate allemand est arrivé au<br />

Togo, il a eu, dit-on, la visite d'une délégation de ce qu'il a appelé les "néo-<br />

nazi togolais" ; c'étaient $es anciens de l'époque allemande, qui lui ont<br />

demandé la partition du Horst- Wessellied -le chant nazi le plus violent- pour<br />

en faire l'hymne national togolais,! C'est vous dire qu'on l'a échappé belle au<br />

Togo ... (rire) Le souvenir allemand, c'était une nostalgie qui s'est<br />

matérialisée quand les Allemands sont revenus, au moment de l'Indépendance.<br />

Gar les Allemands, je crois, ont payé toutes les pensions des policiers<br />

togolais qui avaient servi de leur temps.., Cette nouvelle génération a<br />

transformé complètement le souvenir allemand. Le-Togo-Bund 2, c'était le<br />

souvenir allemand du Togo pour des gens qui parlaient allemand, qui savaient<br />

. d'ailleurs l'allemand assez bien (je parlais l'allemand avec de nombreux<br />

Togolais : ils parlaient une langue très çorrecte). Les souvenirs qu'ils avaient<br />

gardés restaient assez bons, dans l'ensemble. Les Togolais me disaient : "Ah,<br />

les Allemands ! Le temps des Allemands ! Ils étaient durs, mais ils étaient<br />

justes. Ils pendaient des gens ; ils pendaientks criminels : ils avaient raison<br />

de pendre les criminels.Sce-quc+répondaient les Togolais et, bon, on<br />

enregistrait ... -En fait3e souvenir allemand était resté fort entre les deux<br />

guerresi Au lendemain de !a Deuxième guerre mondiale, il était à peu près<br />

nul. Les Allemands ne sont pasrevenus au Togo sous la Tutelle ; donc il n'y<br />

a plus de présence ãllemande.<br />

Je dois dire que certains_ fonctionnaires allemands avaient laissé un<br />

tel souvenir qu'on leur demandait conseil en Allemagne. Ainsi le docteur<br />

Gruner, qui avait été longtemps à Palimé3, était encore questionné par lettres<br />

II y en avait eu une vingtaine entre 1880 et 1900. formée dans ce village du Wurtternberg.<br />

Groupe germanophile organisé j, Accra dans les années 1925 H 1935.<br />

D'octobre 1899 B août 1914.<br />

337


par les gens de cette région. Ce qui est tout en son honneur, et tout à<br />

l'honneur des Togolais. Mais ceci dit, pour les autres Allemands, c'était<br />

terminé : il n'y avait plus de relations. Quand aux anciens soldats, ils<br />

n'avaient pas reçu de pensions de retraite à l'époque française, bien entendu'.<br />

Les Allemands ont fait ce geste-là. Ça a permis de recenser les anciens.<br />

La thèse de notre ami <strong>Si</strong>mtaro sur le souvenir allemand au Togo est<br />

remarquable. Il a fait le bilan, aussi bien par &rit que par magnétophone, de<br />

ce qu'il en restait chez les Togolais de base. Le souvenir de chansons, en<br />

particulier : ils chantaient vblontier des chansons allemandes. Mais<br />

autrement, ils savaient de moins en moins l'allemand, 'puisqu'ils n'en avaient<br />

plus la pratique.<br />

- Q - Lomé est une ville frontiire. Quelles étaient, à votre<br />

époque, les relations commerciales -officielles et surtout<br />

officieuses- avec la Gold Coast ?<br />

- C'était la période de la livre (avant l'indépendance du Ghana, c'était<br />

la livre ouest-africaine), qui était beaucoup plus puissante que le franc CFA.<br />

La livre ouest-africaine valait 750 F, quelque chose comme ça : 750 F ou<br />

plus, ce qui était considérable. Il y avait une surévaluation de la livre. Donc<br />

les relations étaient très bonnes pour la Gold Coast, et très mauvaises pour<br />

nous, puisque nous avions des voitures (par exemple Dodge ou Ford) dont les<br />

pièces de rechange ont été longtemps disponibles-seulement à Accra : il<br />

fallait avoir recours à un "contrebandier officiel", qui allait chercher les pièces<br />

de rechange et qui vous les rapportait ... C'était la queue de l'effort de guerre,<br />

si vous voulez, au cours duquel c'est en Gold-Coast que les Africains<br />

trouvaient les cuvettes, les pagnes, etc., alors que, en territoire français, il n'y.<br />

avait pas tout cela : c'était moins riche, beaucoup moins ! C'était une période<br />

où la súpériorité monétaire de la Gold Coast2 était écrasante.<br />

- Q - En dehors des produits et des pièces détachées que vous<br />

alliez chercher là-bas, il y avait aussi des services. On m'a dit<br />

que les gens allaient se faire soigner les dents h Ho ...<br />

- Je n'ai jamais entendu parler de ça ! Au contraire, pour les soins,<br />

c'étaient les gens de Gold Coast qui venaient se faire soigner au Togo, parce<br />

que, au Togo, c'était gratuit, alors qu'en Gold-Coast, c'était payant ! Qu'il y<br />

ait eu un dentiste de génie à Ho, c'est possible, mais le mouvement était<br />

surtout inverse. C'était toujours les Ghanéens [en tout cas dans le Nord et à<br />

Atakpamé) qui venaient se faire soigner au Togo. Ici, il y avait la clinique du<br />

docteur Olympio, la clinique "Bon secours'', qui était très importante : c'était<br />

plein de gens qui venaient du Ghana. Les gens du Ghana avaient de l'argent,<br />

et ils venaient se faire soigner par des médecins qu'ils estimaient. Les<br />

-<br />

En fait, un bon nombre avaient été. recrutés dès 1915 dans les forces d'occupation<br />

françaises et anglaises qui ont assuré I'ordre aprCs le départ des troupes qui avaient fait la<br />

conquête.<br />

A l'époque, premier producteur mondial de cacao.<br />

338


médecins du Ghana étaient peu appréciés, alors que les médecins français du<br />

Togo (et les médecins togolais) étaient très estimés.<br />

*<br />

* *<br />

- Q - Au début de cette émission, vous avez évoqué un roman<br />

qui a été écrit Ci cette époque, Azizah de Niamkoko', par<br />

l'architecte du CHU de Lomé, et qui est un roman h clés.<br />

Vous, vous savez quelles sont ces clés, qui étaient en réalité<br />

les personnages d'Azizah ...<br />

- Les clés étaient composites : c'était plusieurs personnages. Pour le<br />

gouverneur, la clé est évidente : le gouverneur du roman s'appelle "Jihenne" ;<br />

"JN", c'est Jean Noutary2, c'est bien sa physionomie ... Le heros du livre, qui<br />

est un noble, un grand chasseur, etc., c'est en partie Henri Crouzat, l'auteur<br />

lui-même. Les autres, c'est la représentation de la société coloniale de<br />

l'époque. C'est tout à fait bien vu ; les conversations sont bien rendus, etc. Je<br />

crois que c'est l'un des rares romans qui aient bien évoqué cela.<br />

- Q - Quels autres romanciers aviez-vous rencontrés au Togo,<br />

Monsieur le président de l'Association des écrivains de langue<br />

fraqaise ?<br />

- A cette époque, nous avons aussi eu Va-t-en avec les tiens !, he<br />

Christine Garnier3, qui signait Doellé (un nom africain). Son éditeur lui avait<br />

dit : "<strong>Si</strong> vous signez de votre nom de Christine Garnier, personne n'achetera ;<br />

tandis que si vous signez d'un nom africain, ça se vendra mieux". C'est<br />

comme ça qu'elle a signé "Doéllé" son Va-t-en av'c Les tiens !, qui est une<br />

belle histoire d'amour, tout à fait sympathique, qui se passe en partie à<br />

Aného, en partie ailleurs. I1 y eu aussi d'Alain Le Breton, avec Etrange<br />

pourszs,ite4, qui se passe dans 1'Adélé. C'est une partie de chasse, où il raconte<br />

sa vie à Lomé. La littérature coloniale de l'époque est extrêmement modeste :<br />

il y a eu très peu d'auteurs ... Le capitaine Baudenon était un grand spécialiste<br />

des animaux5. Paul Baudenon a Ccrit de très brillants poèmes, mais en<br />

France, par la suite : il ne les a pas publiés au Togo - mais certains<br />

concernent le Togo. Henri Crouzat a fait Azizah de Nianzkoko. C'est un très<br />

bon livre ; il a été d'ailleurs réédité en "Livre de poche". Henri Crouzat est<br />

mort il y a plus de vingt ans maintenant6. C'était un homme d'une très<br />

grande gentillesse, d'un abord agréable, qui souffrait de voir sa femme et ses<br />

1959, réédition Presses de la Cité, Paris, 1983,416 pages.<br />

Gouverneur de 1944_ i% 1948.<br />

Grasset, Paris, 1951,308 pages. Claude Lestrade (Rzgurdsfrunpais sur le Togo des années<br />

1930, déjà cité), dont les parents ont bien connu Christige Gamier (qui a utilise leurs traits<br />

pour les personnages de son livre), en donne une image sévère. Mais le roman n'est pas<br />

mauvais (et assez bien document&).<br />

Guilde du livre, Lausanne, 1957,257 pages.<br />

La chasse, volume "Cameroun-Togo", 1951, pp. 553-560.<br />

Ci En 1966.<br />

339


trois filles restées en Europe, alors que lui était obligé de rester au Togo. I1 a<br />

été remplacé par Georges Coustère, qui était son camarade d'études et qui lui a<br />

succédé comme architecte du gouvernement à Lomé'. Son roman Azizah de<br />

Niamkoko, c'est effectivement tout à fait ça, tout à fait la vie de Henri<br />

Crouzat, qui avait tendance à se considérer comme un chasseur exceptionnel.<br />

I1 avait donc un livre des records de chasse. Je me souviens de cette fameuse<br />

histoire du "céphalophe de Maxwell"2 (ou une autre antilope, peu importe).<br />

Donc, un jour, il tue un céphalophe, il mesure l'espace entre les cornes, et<br />

voilà qu'il dit : "J'ai le record du monde ! Avec ce céphalophe, j'ai le record du<br />

monde !" Et il convoque tout Lomé à sabler le champagne ... A la fin de la<br />

réception, voilà le capitaine Baudenon qui arrive de tournée, et qui vient à son<br />

tour, et dit à Crouzat : "Très belle bête, mais ce n'est pas un céphalophe de<br />

Maxwell, c'est un tout autre céphalophe ..." Ce n'était pas du tout un record !<br />

Le pauvre Crouzat en a fait une véritable dépression ... I1 y avait comme ça<br />

des épisodes pittoresques, à Lomé ... Henri Crouzat était un homme<br />

merveilleux3, mais il évoquait quelquefois Tartarin de Tarascon4.. . (rires)<br />

- Q - Avez-vous aussi connu Félix Couchoro ?<br />

- Félix Couchoro était le grand écrivain du Togo5. Félix Couchoro<br />

est né Dahoméen, à Ouidah. I1 a fait ses études au séminaire. On l'a utilisé<br />

longtemps comme moniteur de l'enseignement. Puis il est parti au Togo ; il<br />

est devenu rédacteur en chef d'un journal, et ensuite il est devenu agent<br />

d'affaires : commerçant d'abord, puis agent d'affaires. Il a livré des romans qui<br />

ont commencé avec L'Esclave6, puis beaucoup d'autres. Félix Couchoro a<br />

livré en tout dix-sept romans, dont quatorze en feuilletons dans Togo-Presse.<br />

Ces romans sont d'une très grande qualité ; ils représentent la vie sociale des<br />

paysans de la cocoteraie de la &te, ou bien de la palmeraie qui est plus au<br />

nord, ou bien la vie des bourgeois de Lomé, etc. I1 avait une très grande<br />

connaissance des familles ; il était tout à fait capable d'en parler pour en dire<br />

les cheminements. Les livres, à l'époque, n'étaient pas faciles à éditer. Quand<br />

quelqu'un avait &rit quelque chose, il fallait payer pour se faire éditer. J'ai vu<br />

le cas d'un écrivain qui a fait éditer ses livres ainsi, à son compte. Ça avait<br />

été payé par la famille, et il avait donné des exemplaires à celle-ci, à vendre<br />

parmi leurs relations. Je me souviens qu'il y avait un planton du<br />

gouvernement qui avait un stock de ces bouquins, et, quand les gens<br />

attendaient, se morfondaient sur les fauteuils, le brave planton disait : "Tu ne<br />

veux pas lire ?" Et il offrait pour une somme relativement modique le roman<br />

du cousin ... (rire)<br />

De 1954 1 1965. Il est l'auteur, entre beaucoup d'autres belles réalisations, du monument de<br />

l'Ind6pendance.<br />

T&s petite antilope, de couleur grise et marron (Philuntomba maxwell¿).<br />

D'autre témoignages de gens qui ont bien connu Crouzat confirment cependant ce que<br />

laisse pressentir son livre : I'homme était brillant, mais méchant. Mais Robert Cornevin était si<br />

gentil qu'il embellissait tout le monde.<br />

D'Alphonse Daudet : modMe du chasseur vantard.<br />

1900-1968. Au Togo ?i partir de 1939.<br />

Premi&= tdition en 1930. Rgdition par les Editions Akpagnon, Lomé, 1983,301 p.<br />

340


Félix Couchoro est un grand auteur. Je regrette simplement qu'il<br />

n'ait pas eu Ia chance d'être mis au cinéma, ni au théâtre. Je m'étais arrangé<br />

pour que L'Héritage, cette peste', son dernier roman, puisse être monté en<br />

pièce de théâtre à la radio : cela avait été fait à Paris par un spécialiste, qui<br />

avait fait le montage complet, découpage compris. Tout était prêt, lorsque la<br />

famille de Couchoro a (paraît4 : ce sont les réalisateurs qui me l'ont dit)<br />

refusé de signer le contrat : ils ont exigé des sommes monumentales, qu'il<br />

était hors de question de leur verser. C'est dommage ! Plusieurs des livres de<br />

Couchoro mériteraient d'être mis en films. C'est une partie du patrimoine<br />

togolais tout à fait importante2.<br />

- Q - Terminons, si vous le voulez bien, sur cette société<br />

loinéenne. Pour vous, habitué Ci la brousse, habitué aux<br />

sociétés bien enracinées dans leur terroir, comment réagissiez-<br />

vous dans .ce monde loméen ? Est-ce que cela vous paraissait<br />

une tribu comme les autres, ou au contraire, un monde<br />

cosmopolite, sans grand intérêt ?<br />

- C'était au contraire des gens d'une qualité humaine tout à fait<br />

remarquable. On n'était. pas d'accord politiquement, mais ça ne nous<br />

empêchait pas, par exemple, de jouer au tennis ensemble ... Le Togo était<br />

d'ailleurs l'un des rares pays où lis Noirs et les Blancs jouaient au tennis sans<br />

complexe les uns contre les autres, ou les uns avec les autres. Je dois dire que<br />

les relations étaient vraiment excellentes. On se recevait. On invitait les gens<br />

à dîner chez nous à l'occasion du passage de quelqu'un, ou bien tout<br />

simplement pour le plaisir, et puis ils nous invitaient chez eux après. C'était<br />

un Clément très important dans les relations sociales : on se recevait, on<br />

déjeunait ensemble, on dînait ensemble ... Les relations étaient vraiment<br />

excellentes. C'était ça, la valeur de Ia vie à Lomé ... Et, Dieu merci, c'est<br />

toujoyrs vrai de nos jours ! (rires)<br />

~~ ~~ ~<br />

I Editogo. Lomé. 1963.<br />

N'est pas venu dans la conversation le souvenir de Christian Mégret. qui fut un (modeste)<br />

employé de l'administration française h AtakpamC dans les années 1920, avant de devenir un<br />

roniancier h succks. II a tiré de ses souvenirs togolais un roman, Les Ant/~rqJo~/J/ZaRe.~ (Paris,<br />

Fayard. 1937, 318 p.). qui ne décrit, en fait. que le petit monde -plutôt sordide- dune poignée<br />

de Blancs dans un poste h peine romancé, mais il atteint une indéniable grandeur épique dans<br />

le récit de I'épopée que fut la construction de la route de I'Akposso (Atakpamé-Kougnohau,<br />

aujourd'hui délaissée).<br />

34 I


Index des<br />

NOMS DE PERSONNE S<br />

Abalovi Ganto : 39 Almeida (d') (divers) : 252,<br />

Abdallah : 67 253,271<br />

Abolo : 92 Alongba : 292<br />

Aboubakar (malam) : 144 Amadou Edouard : 25<br />

Acolatsé Alex : 48 Amaté Friend : 87,91<br />

Acolatsé Joachim : 123 Amédomé (Mme) : 253<br />

Acolatsé (divers) : 20, 175 Améga Comlan : 251<br />

Adami Louis : 150 Amegee Louis : 47-64, 149-<br />

Adekola Adessina : 292, 302 173<br />

Adjallé Bertin : 120 Amegee Paul : 48<br />

Adjallé Jacob (chef) : 118- Amekpovi : 227<br />

121, 124, 125, 132-135, 176, Amemaka Libla : 136<br />

177,292 Amine Ali : 72<br />

Adjallé Joseph (chef) : 120, Amouzou : 177<br />

121,132,133 Anani Tèko : 232<br />

Adjallé Messan Michel : 1 U- Ananou David : 19-30<br />

138 Anthony : 21, 162<br />

Adjallé Peter : 120, 121 Apedo-Amah Georges : 21<br />

Adjallé (divers) : 132, 134 Apedo-Amah Moorhouse :<br />

Adjama Robert : 123 20,21,25,26,305-307<br />

Adjamagbo- Ambroise : 185- Ariel Louis : 335<br />

193 Assad Michel : 67<br />

Adjanké :235,236 Asmis Rudolph : 124, 125<br />

Adjayi (chef) : 292,293,302 Assiongbon Dadjin : 309<br />

Adjété : 227 Assogba Amouzou : 31-46<br />

Adjovi : 253 Assou : 253<br />

Afanou : 86.92' Atcha Assoumanou : 215<br />

Afawoubo : 32 Athanasiadès (RP) : 28<br />

Agbénou : 20,21 Atshu : 123<br />

Agbokpui (chef) : 118, 120, Attignon Hermann : 98 I<br />

Chevron :92,94<br />

Cristophe Lubin : 7,263,274<br />

Clauznitser (cdt) : 83<br />

Cornevin Marianne : 321,<br />

328,329<br />

Comevin Robert .: 7, 153,<br />

321-341<br />

Costa (da) : 335<br />

Cothez (RP) : 334<br />

Couchoro Félix : 340,341<br />

Coustère Georges : 108, 340<br />

Crouzat Henri : 204,231,<br />

273,323,339,340<br />

Creppy : 269<br />

Daboni Ernest : 25 .<br />

Dadzie (chef) : 118, 122-124<br />

Dadzie Koffi : 1 18<br />

Dadzie-Adjallé Ayaovi :<br />

117-138<br />

Daïtu : 122<br />

130<br />

Agboyibor (Me) : 196,201<br />

Aglin : 124,125<br />

Agondjé : 86,92<br />

Aguédji "Boko" : 136<br />

Ahadji : 253<br />

Ahidjo (présid.) : 66<br />

Aho (Mme) : 253<br />

Ahodikpé Azankpo : 239-262<br />

Ahyée : 279<br />

Ahyi Paul : 98<br />

Ajavon : 98,232<br />

Ajavon (Dr) : 203<br />

Ajavon Emmanuel : 83<br />

Akakpo (Dr) : 203<br />

Aklassou (chef) : 130<br />

Aklobo (divinité) : 129,137<br />

Akué-Adotévi Richard : 31-<br />

46<br />

Alary Pierre : 150<br />

Alassani (malam) : 142<br />

Albert (Mgr) : 14,22,23<br />

Alfa Taïrou : 302<br />

Almeida (d') Alex : 100<br />

Almeida -(d) Ayigan : 239-<br />

262<br />

Almeida (d'- Me) : 198,204<br />

Almeida (d') Christian : 97-<br />

116<br />

Almeida (d') Mensah<br />

"l'Ancien" : 279<br />

Almeida (d') Modeste : 305<br />

Attikossi : 35<br />

Aoud Elias : 67<br />

Aubanel : 336<br />

Awad : 74<br />

Awousso : 292<br />

Ayayi : 87<br />

Ayéboua : 238<br />

Ayigan 118, 129, 130, 136<br />

Ayikoutou (pasteur) : 28<br />

Badian Seydou : 113<br />

Bamezon Akakpossa : 58<br />

Banda Ernest : 20<br />

Bamabo (chef) : 272<br />

Baudenon (capit.) : 339,340<br />

Bella Bello : 113<br />

Bello Kayode : 292<br />

Blanchet : 231,233<br />

Bonnecarère (gouv.) : 202<br />

Boubacar Ndiaye : 184<br />

Boukari Ali : 215<br />

Boukari Idrissou : 217<br />

Bouvier : 104<br />

Bruce Emmanuel : 275-290<br />

Bruce (divers) : 335<br />

Brodeick (Mgr) : 16<br />

Brym El Hadj : 7,139-148<br />

Bugia : 231<br />

Bussari A. O. : 292<br />

Carbou Jean-Bapt. : 161, 162<br />

Carti:33<br />

Cassier Jean-Cl. : 314<br />

Cessou (Mgr) : 10,16,17,48<br />

Chabert (RP) : 16<br />

Danaye : 319<br />

Deklo : 118<br />

Dieng (Me) : 21 1<br />

Djabakou Albert : 243,249,<br />

300<br />

Djasso Boukari : 85-96<br />

Djoko Amados : 92<br />

Djoko Koffi : 85,86,90,91<br />

Dodds (colonel) : 335<br />

Doering (von) H. G. : 324<br />

Dogbé Messan : 43<br />

Dogli (RP) : 16<br />

Domissy Louis : 326,327,<br />

329<br />

Dosseh Alex : 24,25,30<br />

Dosseh Casimir : 24,25<br />

Dosseh (Mgr) : 9, 17,24,25.<br />

28<br />

Döpfher (Mgr) : 28<br />

Dossou Massiguédé : 32<br />

Doyen Jean : 175,180,181<br />

Draké-Lawson : 251 ,<br />

Dzitri :W3,'124, 125<br />

Egou (divinité) : 180, 181<br />

Espéré Gérard : 329<br />

Essien Aboki : 17-30,306,<br />

307,313<br />

Eychenne Raymond : 132,<br />

230,333<br />

"FAO" Albert : 7,175-184<br />

Farah : 74<br />

Fauconnet Paul : 201<br />

Fiadjoe (Dr) : 241<br />

Fiassé : 21<br />

Fiawoo -20,227<br />

Foulera Mola : 214,216,221<br />

Franck : 253<br />

Frank Stefan : 17<br />

Fréau Henri : 184<br />

Fürst (RP) : 324<br />

GafarÒu Ábdou : 142<br />

Gayi : 118<br />

Gbadago : 56, 135<br />

342


Gbadégbégnon Etienne : 30<br />

Gbagban : 125<br />

Gbaguidi Faustin : 327<br />

Gbédema Seth : 202<br />

Gbédey Robert : 63<br />

Gbényédji : 280<br />

Gbikpi (RP) : 7,9-30,63<br />

Gbikui Norbert : 63<br />

GebaÎa : 74<br />

Geraldo Moussé : 144<br />

Glé Yawovi : 31-46<br />

Godjé Balou : 90.92<br />

Gomez : 279<br />

Gonçalves : 251<br />

Gordon : 24<br />

Gruner (Dr) : 338<br />

Grunitzky Harry : 154, 155<br />

Grunitzky Nicolas : 155,203,<br />

273<br />

Guillaume II : 50<br />

Guise (de - gouv.) : 271<br />

Habib lean : 67<br />

Hanou : 52,54<br />

Hattab : 67<br />

Hansey : 234<br />

Hermann (Mgr) : 17<br />

Houphoët-Boigny (présid.) : ,<br />

68,334<br />

Hund : 62<br />

Idrissou Akpo : 215<br />

Idrissou David : 217<br />

Imbert Robert : 322<br />

Issa Housseini : 139-148<br />

Issa Samarou : 215<br />

Issa (malam) : 142<br />

Jazzar : 66,67,72,75<br />

Johannès (Fr) : 10<br />

Johnson André : 62<br />

Johnson Horatio : 239-262<br />

Johnson Kokoroko : 61<br />

Johnson (divers) : 61,62,202<br />

Jonteur : 37<br />

Kadzekpo : 20<br />

Kalatchi : 32<br />

Kalife Michel : 69-71, 74,76,<br />

80,81<br />

Kalife Nadim : 65-81<br />

Khalsa S. Gian : 260<br />

Kane Ch. Amidou : 143<br />

Kpotogbey Hervé : 30<br />

Kiias Richard : 50,52<br />

Kuevi Békou : 253<br />

Kunkel Pablo : 23-25<br />

Kutuklui (Me) : 198<br />

Kwakumé (RP) : 16,24<br />

Labane Ben : 176,177<br />

Laclé Gilbert. : 305'<br />

Laclé Kpotivi : 207<br />

Lalondrelle : 280<br />

Lamorun : 175<br />

LanAer : 232<br />

Lara (Mme) : 105, 113<br />

Lavaissière (de - Mme) :<br />

243.248-249<br />

Lawson Dionis : 24<br />

Lawson Vioto : 225-238 .<br />

Lawson (divers) : 227,232,<br />

233<br />

Le Breton Alain : 339<br />

Leclerc (Gal) : 272<br />

Lecomte : 162<br />

Lefebvre (Mgr) : 17<br />

Lesna : 36<br />

Lestrade claude : 332,339<br />

Liensol (Me) : 198,205<br />

Logbo : 11 8<br />

<strong>Lome</strong> : voir index entreprises<br />

Loussounyavé : 123,124<br />

Loumiou Hamed : 144<br />

Makéba Myriam : 113<br />

Malazoué Paul : 263,272<br />

Mama Fousséni : 218<br />

Massougbodji : 253<br />

Medeiros (de) : 335<br />

Mégret Christian : 341<br />

Mermet (cdt) : 87-89,92,<br />

231,329<br />

Mensan : 227<br />

Michellini (RP) : 11<br />

Minéto Louis : 265,270<br />

Modenou : 32<br />

Mogenier Michel : 36<br />

Montagnié (gouv.) : 231<br />

Moulin : 104<br />

Mouragues (cdk ) : 321-323<br />

Moussa Pierre : 274<br />

Müller (RP) : 14, 15,28<br />

Nasr Antoun : 70<br />

Kavégu6 : 178 Nassar (divers) : 66-68, 70-<br />

Ketowu Michel : 17-30 75,177-90<br />

Klein Martin : 198 . Nas'sif : 67<br />

Klosr Heinrich : 127 Nassirou Ib& : 144<br />

Kodjo : 25<br />

Nathaniel : 91 ,<br />

Koffi Antonio : 98<br />

Nègre gaston : 164<br />

Koffigoh (Me) : 195-211 Nimon (Mme) : 253<br />

Köhl : 20<br />

Nissan Emest : 327<br />

Kokossou : 32<br />

Nkoli : 136<br />

Kokouvito : 312,313 Noa Kossivi : 20,21<br />

Kokovivina Azé : 313 Noutary (gouv.) : 323,239<br />

Konou (clan) : 124-126,136 Nudekor Gasnard : 21<br />

Kossi Nago : 293<br />

Nyigblin (divhité) : 129,137<br />

Kouassigan (Me) : 198 Obi Patrick : 234<br />

Koudawo : 56,62<br />

Obianou Olta : 234<br />

Koury : 74<br />

Obym& (RP) : 27<br />

Kpadeyo-Tomety : 225-238 Occan'sev : 183<br />

Kponton Hubert : 62,62,280 Ocloo J&es : 25<br />

343<br />

Ok6 (chef) : 302<br />

. OkDatah Charles : 300.301<br />

Olimpio Octaviano : 1'35,<br />

154,187,242,269,335<br />

Olymuio Sylvanus : 152,200<br />

242,272,333,336<br />

Olympio Pedro : 242,339<br />

Ouro Agouda : 7,213-224<br />

Paass : 264<br />

Pasmal Yaka : 225-238<br />

Péchoux (eouv.) : 231.234<br />

Perrier (pàiteurj : 328<br />

Pévèle : 323<br />

Picolet Jean : 232,233,252<br />

Placca : 24<br />

Popard : 87,92<br />

Pussin : 232<br />

Quashie : 251<br />

Randolph LRopold : 61,63<br />

Reymann (RP) : 16 ,<br />

Rew (major) : 15,72<br />

Ricard Alain : 312<br />

Riebstein (RP) : 16<br />

Riegert (W) : 330<br />

Rincklif Jean : 335<br />

Robert Alexandre : 332<br />

Rock Edouard : 150<br />

Romawo : 229<br />

Rougerolles : 151<br />

Sama Koffi : I I3<br />

Santos (Me) : 25,198,3203,<br />

334<br />

Santos Pedro : 25<br />

Savi de Tové Guido : 149-<br />

173<br />

Savi de Tové Jonathan : 152<br />

Schweitzer A. : 150<br />

Seddoh Georges : 114,149-<br />

173<br />

Seddoh Komlavi F. : 153<br />

Seddoh Patrick : 153<br />

Seefried (von A.) : 335<br />

Segbaya : 238<br />

S&ho Gant0 : 39<br />

SekE Koffi : 92<br />

Semani : 74<br />

<strong>Si</strong>mtaro Dadja : 337,338<br />

<strong>Si</strong>raut : 322<br />

Soarès : 253<br />

Sodji Ahlin : 163<br />

Soga "Boko" : 136<br />

So&ou Ségniké : 92<br />

Soulé Amadou : 280<br />

Souza (de) Félicio : 128<br />

Stangier (RP) : 16<br />

Steinmetz (Mgr) : 16<br />

Strebler (Mgr) : 10, 17,328,<br />

329,334<br />

Tadjin Vénovi : 39<br />

Tannous : 74<br />

Tchakoura Amadou : 213-<br />

224<br />

Tch6dré Soulé : 217<br />

Temen (Mgr) : 16 .<br />

Tété Ende : 31-46<br />

Thkbaud (procur.) : 333<br />

Tidjani Bagolade : 292


Tissan : 118 Vanistendael : 329 Witte (RP) : 15<br />

Tisserand (Mgr) : 17 Viale (Me) : 198-201,205, Wolf (Mgr) : 15<br />

Thomas : 33 1 333 Woussikpé : 36<br />

Tokplonou : 129,130 Vittini (Me) : 199<br />

Yekini Tidjani : 144<br />

Tomety : 87 Vodémé : 125; 126<br />

Zakari Issaka : 213-224<br />

Tonyéviadji (J. A. Mensah) : Vovor (Mme) : 252<br />

Zato Mola : 22 1<br />

27 1<br />

Warner Foling : 150 aller : I5 1<br />

Tossoukpé : 227 Williams : 66,67,7 1,72,75, Zokplonoui Adz0 : 11 8<br />

Towoin : 118,120 82-84 Zöller Hugo : 122<br />

Trossely Antoine : 150 Williams G.B. : 123<br />

African Association : 161<br />

Aquereburu (collège) : 116<br />

Atayi (collège) : 116<br />

Bata : 80<br />

BIAO : 55<br />

Bödecker & Meyer : 154<br />

CCL: 190.191<br />

CFA0 : 149,151, 157-160,<br />

166,167,175-182,269,327<br />

'CFCI : 164<br />

CICA : 114.149.153.158.<br />

. , , ,<br />

,164. 165<br />

DWH : 154<br />

Gastonègre : 163, 164<br />

Goedelt : 225<br />

Golfe (hôtel du) : 265,270<br />

à Lomé<br />

Ablogamé : 44<br />

Abobokomé : 134<br />

Adakpamé : 188<br />

Adawlato : 83,294,297<br />

-Adélato (Bè) :125<br />

Adidogomé : 114,127<br />

Adjangbakomé : 294<br />

Adjrométi : 125, 126, 129,<br />

130<br />

Adoboukomé : 93, 131, 177,<br />

,187<br />

Agbadahonou : 36, 175<br />

Agoènyivé : 132,219<br />

Aguiarkomé : 134<br />

Akodesséwa : 219<br />

'Amoutivé : 17, 44, 98, 117-<br />

139,176,215,253,292,293<br />

Anagokomé : 139-141, 145,<br />

146,217,294<br />

Anthony-Nétimé : 186<br />

Assagbo : 122<br />

Assiganmé (Assiganto) : 37,<br />

39, 44, 47, 60, 72, 93, 134,<br />

322<br />

Index des<br />

ENTREPRISES ET INSTITUTIONS<br />

Hollando : 10<br />

IMEXAF : 27 1<br />

ITT: 168<br />

John-Holt : 163,264.270<br />

John-Walkden : 164<br />

King (R & W) : 164<br />

Kingsway : 179<br />

Kulenkampff : 80, 150<br />

Manutentibn Africaine : 164<br />

Millers : 161, 180<br />

NOPATO : 53<br />

SCOA : 55,56, 149-151, 155,<br />

157. 172.270<br />

Seven heart : 161<br />

SGGG : 159,161,164,165,<br />

230,264,295,300<br />

SIP : 171<br />

<strong>Si</strong>tti (collèpe) : 115<br />

Swanzy : f3,'34, 154, 157,<br />

161, 163<br />

UAC : 21,33-35, 151-154,<br />

157, 158, 161-164, 167-169,<br />

Ollivant (GB) : 153,159,161, 173,180,214,230,264,269<br />

164,180,214,222<br />

Oloff : 154<br />

OPAT : 159<br />

RABE: 162<br />

Randolf (école) : 61,63<br />

RAMC0 : 126<br />

SARI : 158,164<br />

Savonnerie de Bè : 274<br />

UNICOMER : 162<br />

UNLEVER : 164<br />

UPROMA : 190<br />

Vlisco : 167<br />

Wallbrecht : 450,154<br />

Walter : 72, 80<br />

Index des<br />

NOMS DE LIEUX<br />

Assivimé (Assivito) : 32, 37- Kodjoviakopd : 117, 122,<br />

40,43,44,59, 134, 140,294, 123,134,140,141,146,269<br />

295,300,301 Kokétimé : 244, 264, 266,<br />

Bassadii : 134 306<br />

Bè : 58, 40, 117, 122-130,<br />

138,146, 191,251,261,274<br />

Bè Kpota : 126, 146<br />

Béniglato : 83, 131,265<br />

Biossé : 134<br />

Caccavelli : 190,322<br />

Cassablanca : 253<br />

Cité du Bénin : 237,253<br />

Chiîteau d'eau de BB : 253<br />

Doulassamk : 131-135<br />

Fréau-Jardin : 184,228, 229<br />

Foyer Pie-XII : 93,306,329<br />

Gbadago : 38, 40, 56, 131,<br />

135<br />

Gbényiédjikopé : 115,183<br />

Gbossimé : 146<br />

Grand-march6 : voir<br />

Assiganmé<br />

Hanoukopé : 47-64,135,199,<br />

286<br />

Kélégougan : 132<br />

Kpéh6ììu : 253 '<br />

344<br />

LÖm Nava : 133, 134<br />

Lycée Bonnecarrère : 97-<br />

104,328<br />

Lycée de Tokoin : 25,35,107-<br />

116<br />

Nyékonakpoè : 107, 115,<br />

116, 122, 131, 134, 140, 141,<br />

146,269<br />

Octaviano Nétimé : 135, 187,<br />

252<br />

Petit-marché : voir Assivimé<br />

Résidence du Bénin : voir<br />

cité du Bénin<br />

Souza-Nétime : 186,265<br />

Tokoin : 112, 123, 127, 128,<br />

135, 136, 183, 188,252, 253,<br />

266.309<br />

Tokoin-CHU : 3740,249<br />

Tonyéviadji : 89, 183, 225,<br />

270,271,310<br />

Yovokomé : 265.327


Zongo (ancien) : 93, '139,<br />

141, 145, 146, 177, 215-218,<br />

295<br />

Zoflgo (nouveau) : 140, 141,<br />

146,218<br />

autres lieux au Togo<br />

Abobo : 125<br />

Adétikopé : 128<br />

Afagnan : 1 1,240<br />

Agbélouvé : 175<br />

Agbodrafo : 82,336<br />

Agou : 293<br />

Agotimé : 125<br />

Akoumapé : 19 I<br />

Akposso : 26<br />

Aného : 12, 16, 23, 24, 35,<br />

66, 82, 140, 154, 157, 183-<br />

186, 191, 231, 251, 328, 334,<br />

336<br />

Ani6 : 159<br />

Assoli : 221<br />

Atakpamé : 25, 27, 34, 69,<br />

83, 153, 157, 168, 251, 263,<br />

324,334,339,341<br />

Assahoun : 157,293<br />

Badou : 334<br />

Bafilo : 21 1<br />

Baguida : 125<br />

Basar : 331<br />

Batomé : 293<br />

Blitta : 153<br />

Dadja : 168<br />

Davié : 128<br />

Dapaong : 21 I, 256, 272,<br />

328,330,331<br />

Ekpui : 135<br />

Ganavé : 161<br />

Glidii : 309<br />

Kara : 21 1,263,328<br />

Kloto : 26.3 I7<br />

Kougnohdu : 341<br />

Kpalimé : 12, 34, 88, 153,<br />

157,200,211,231,251,293,<br />

309,328,331,333,338<br />

KDBmé : 191<br />

Kpogan : 125<br />

Krikri : 211<br />

Mango : 200,328 .<br />

Noépé : 12<br />

Nobé : 175, 183<br />

Ogou : 26<br />

Pigala : 153, 159<br />

Sokodé : 17, 22, 34, 69, 88,<br />

98, 114, 211, 215-219. 222.<br />

223,231,235<br />

Sotouboua : 2 I I<br />

Tomézbé : 334<br />

Tsé& : 88, 125, 128, 157,<br />

175,184,243,293<br />

Vogan : 148, 160<br />

W&da : 129<br />

Wayanou : 125<br />

hors du Togo<br />

Bénin<br />

Abomey : 309<br />

Agout : 180,336<br />

345<br />

Cotonou : 115,150,323<br />

Grand-Popo : 66<br />

Ouidah : 74,323,340<br />

Porto-Novo : 100, 114, 115,<br />

290<br />

Cameroun<br />

Buea : 199<br />

Douala : 264<br />

Côte d'Ivoire<br />

Abidjan : 38-43, 67, 68, 78,<br />

90,286,323<br />

Grand-Bassam : 323<br />

Ghana<br />

Accra : 72, 178, 182, 244,<br />

338<br />

Aflao : 43,45, 122, 124, 146,<br />

282<br />

Gbi Bla : 24<br />

Ho : 338.339<br />

Keta : 16, 26, 28, 66-68, 70,<br />

73,124,307<br />

Koforidua : 142<br />

Maga : 223<br />

Sekondi : 82<br />

Viépé : 136<br />

Nigeria<br />

Benin-City : 16<br />

Edjigbo : 303<br />

Ilorin : 303<br />

Lagos : 16,267<br />

Oyo : 302,303<br />

Sénégal<br />

Dakar : 17, 62, 67, 78, 151,<br />

178, 199,235,241,242, 254,<br />

259,264,323


1 - La cathCdrale de Lom6, vers 1925.<br />

2 - La cathédrale vers 1910, vue du sud-est.<br />

3 - L'intérieur de la cathédrale en 1913.<br />

4 2 L'orgue de la cathédrale.<br />

5 - La communanté libanaise en 1943.<br />

6 - Le cours complémentaire en 1929.<br />

7 - Vue aérienne du lyc6e de Tokoin en 1964.<br />

8 - AdjallC-Dadzie.<br />

9 - La rue du commerce et le wharf en 1909.<br />

10 - La société Carbou et la maison Anthony vers 1925.<br />

11 - Albert Doh "FAO" vers 1960.<br />

12 - La maison au petit ange.<br />

13 - L'abri de Bè-Hkdjé.<br />

14 - Le monde judiciaire vers 1950.<br />

15 - La grande mosquCe du zongo (1972).<br />

16 - Le vingti8me anniversaire de la Cosmopolite.<br />

17 - La pharmacie Lorne vers 1960.<br />

18 - Le roi Salomon, par la troupe "Christian Choir" (1950).<br />

19 - Robert Cornevin.<br />

346<br />

8<br />

11<br />

13<br />

30<br />

67<br />

99<br />

110<br />

119<br />

156<br />

163<br />

174<br />

174<br />

192<br />

194<br />

212<br />

228<br />

244<br />

304<br />

320


Introduction<br />

1 - La cathddrale<br />

2 - La musique religieuse<br />

3- Lestaxis<br />

TABLE DES<br />

4 - Hanoukopé, un quartier pas comme les autres<br />

5 - La communauté libanaise<br />

6- Laboxe<br />

7 - L'enseignement secondaire et les lycées<br />

8 - Le quartier Amoutivd et la famille Adjalle<br />

9 - La communauté musulmane<br />

10 - Le grand commerce<br />

1Obis - Une vie de commerqant : Albert "FAO"<br />

11 - Les techniques de la construction<br />

12 - Les avocats<br />

13 - La communauté kotokoli<br />

14 - Le tennis<br />

15 - La pharmacie et les médicaments<br />

16 - Un vieux Français de <strong>Lome</strong><br />

17 - Les geomètres et la propriet6 foncière<br />

18 - Une communaute irnmigrke : les Yorouba<br />

19 - Le théatre et la danse<br />

20 - Les souvenirs de Lomé de Robert Cornevin<br />

Index des noms de personnes<br />

Index des nom d'entreprises<br />

Index des noms de lieux<br />

Table des illustrations<br />

Carte des quartiers de Lomé<br />

347<br />

7<br />

9<br />

1-9<br />

31<br />

47<br />

65<br />

85<br />

97<br />

117<br />

139<br />

149<br />

175'<br />

185<br />

195<br />

213<br />

225<br />

239<br />

263 '<br />

275<br />

29 1<br />

305<br />

32 1<br />

342<br />

344<br />

344<br />

346<br />

348


_.<br />

La cathédrale de Lomé vers 1980 Mgr Jean GKIKPI-B~NISSAN<br />

(carte postale IRIS) - .-<br />

David ANANOU Aboki ESSIEN Michel KETOWU


Yaovi GLÉ D. AKUÉ-ADOTÉVI<br />

A. ASSOGBA<br />

Émile KOTOKOLI Dogbey MENSAH AGBIDI-"Danger"<br />

Adj6 TATSÉ Boukq DJASSO ~


11 -décembre 1963 : inauguration du lycée de Tokoin. Le président<br />

Grunitzky signe le livre d’or. A gauche : le proviseur Christian d’Almeida.<br />

(Archives du CINEATO, cliché C. Lawson)<br />

Christian d’ALMEIDA Mme Ayélé Nadim KALIFE<br />

d’AT_;MEIDA-AHYI


Togbui Messari ADJALLÉ V,<br />

chef du canton'd'houtivé ' '<br />

, .. . . . -. . . ._ . . . . .<br />

EH Machioudi BRYM<br />

-_<br />

EH Housseni ISSA<br />

Maison de Jacob Adjallé à Amoutivé (1921). La façade arrière en 1988.<br />

I


Louis AMEGEE G. SAVI DE TOVÉ Georges SEDDOH<br />

I .<br />

Ambroise ADJWGBO<br />

Me Joseph<br />

K. KOJ?FIGOH


EH Idrissou<br />

OURO-AGOUDA<br />

Voto LAWSON<br />

EH Issaka ZAKARY Chef Yacoubou<br />

TCHACOURA<br />

Yaka PASMAI<br />

K. KPADEYO-<br />

TOMETY<br />

Azankpo AHODIKPF Dr Ayigan d’ALMEIDA Horatio JOHNSON


Emmanuel K. BRUCE<br />

Lubin CHRlSTOPHE<br />

i<br />

Anani P. CREPPY<br />

Sénouvo A. ZINSOU


Achevk d'imprimer sur les presses Offset C.T.C.E.<br />

B.P. 378 Lomé - Togo<br />

4*ine trimestre 1996

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