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Mengue M'Ekomoe Léonie

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Résumé<br />

DU MYTHE AU DRAME<br />

<strong>Léonie</strong> MENGUE M’EKOMOE<br />

Université Omar Bongo<br />

Libreville (GABON)<br />

Le rite est l’objet de toutes les disciplines en sciences humaines. Toutes, cependant, ne traitent<br />

pas de la même chose. Notre approche du rite procède d’une déconstruction de la sorcellerie comme<br />

modèle explicatif de l’humain 1) sur le plan du Langage par le mythe, 2) sur le plan de l’Activité ou de<br />

l’Outil par le rite ou le drame, 3) sur le plan de la Société par la personne, 4) sur le plan du Droit ou de<br />

la Norme par le désir.<br />

Signalisation des concepts mythiques dont il procède, le rite est une écriture distincte de sa<br />

fonction déictique en tant que processus technique. Deux rites Fang mettent en exergue les possibilités<br />

de la rhétorique sur le plan de l’art ou de l’outil, où la pensée devient drame.<br />

Si le rite du sô est un exemple de production magique, la formule de bénédiction Fang est un<br />

exemple de production langagière toujours fabulatrice, allégorique et parabolique.<br />

Mots clés<br />

Abstract<br />

Rite, mythe, écriture, idéodrame, magie, déictique.<br />

Rite is the object of all the disciplines in the Human Sciences. All of them , however, do not deal with the<br />

same thing. We tackle the problem of rite through the deconstruction of witchcraft taken as an explanatory model of<br />

man.: 1) at the level of Language through myth, 2) at the level of Activity or Tool through rite or drama, 3) at the<br />

level of Society through the individual, 4) at the level of Rights or Norm through desire.<br />

Signals of mystical concepts from which it derives, rite is a script distinct from its deictic role as a technical<br />

process. Two Fang rites underline the possibilities of rhetoric at the level of Art or Tool, where thought becomes drama.<br />

If the rite of sô is an example of magic production, Fang formula of blessing is an example of language<br />

production which is always allegorical, parabolical, and fabrication.<br />

Key words : Rite, myth, script, ideodram, magic, deictic.<br />

Problématique<br />

Dans la mesure où le concept peut être mythe, science ou poème, la graphie du signe dans la<br />

mesure où elle se réfère d’une certaine manière directement au concept, est aussi variable que les visées<br />

par lesquelles rhétoriquement elles peuvent être conçues( science, mythe, poème). C’est à dire que<br />

l’écriture n’est pas envisageable que par rapport à la systématisation abstraite et grammaticale du signe.<br />

Quelle est donc l’écriture du mythe ? Il s’agit de se référer à cette hypostase que fait tout<br />

rhétoricien , tout locuteur, dans la mesure où il essaie de réifier les relations que le langage lui suggère<br />

par le mythe. Puisqu’il les réifie, il les inscrit dans la réalité perceptible, dans la réalité représentative,<br />

non pas par le gramme, mais par le drame. On peut obtenir de l’idéogramme, de l’idéodrame et de<br />

l’idéomètre.


Puisqu’il en est ainsi, il y a en effet plusieurs manières d’écrire et dans le cas particulier du<br />

mythe, celui-ci se danse: c’est de l’idéodrame qui est aussi une écriture, une écriture qui ne se dépose<br />

plus en bibliothèque, mais un mode d’écriture tout de même.<br />

S’il y a à traiter de l’idéodrame, il faut bien se rendre compte de tout cela, et même, il n’est plus<br />

question de dire comme certains : « il y a des peuples sans écriture, il y a des peuples à écriture »,<br />

finalement tout le monde écrit, mais de manière singulière.<br />

1. Méthodologie<br />

La voie inaugurée par la Théorie de la Médiation 1 nous préserve à la fois du symbolisme et de<br />

l’éphémérisme , elle est à notre humble avis la plus apte à rendre compte de la systématicité des rites<br />

qui, par eux-mêmes ne sont pas langage, mais en portent l’empreinte du fait que par le mythe , ils sont<br />

faits pour le signaler.<br />

Il s’agira de dissocier d’abord deux modalités rationnelles que sont le langage et l’activité,<br />

dissocier le mythe et le rite.<br />

Il y aura ensuite à dissocier l’analyse qu’on fait des moyens et l’analyse des finalités, Fabriquant et<br />

Fabriqué dans la terminologie de la Théorie de la Médiation.<br />

Faire un rite suppose des moyens ; rien n’est fait artificiellement sans une analyse des moyens de<br />

faire et une analyse de la finalité que l’on se propose. C’est par cet appareillage que l’on peut<br />

transformer le monde et faire un ouvrage sous-tendu par une technique. Faire un ouvrage, ce n’est pas<br />

seulement lutter contre la nature c’est également lutter contre la technique dont on dispose et qui ne<br />

permet pas nécessairement de répondre à chacune des situations auxquelles on est confronté. Ne relève<br />

de la théorie analytique des moyens que ce qui correspond à une quelconque utilité pour ce qui est du<br />

fabriqué, il faut donc trouver du matériau. Le matériau par rapport à la matière, c’est le matériau utile,<br />

cette utilité est variable.<br />

Ce qui définit le matériau, ce n’est pas sa réalité physique , chimique ou biologique, le matériau<br />

est fonction de la technique dont dispose le technicien ou le maître de céans dans le cas du rite. Le<br />

matériau, même s’il s’agit de la même matière, représente différents matériaux. Le matériau a une<br />

existence abstraite, analytique et ne peut être confondu avec la matière dont parle le vétérinaire, le<br />

biologiste ou le physicien. Le matériau se définit donc par l’utilité que la technique lui confère et cette<br />

utilité fait que là où il y a une même matière on peut définir sur le critère de son utilité plusieurs<br />

matériaux.<br />

Ceci étant considéré : le matériau de l’écriture est l’encre , le matériau du rite est beaucoup plus<br />

variable. Tout peut servir à faire un rite, faune, flore, choses…etc. Pour que l’opération puisse être, il<br />

faut l’exploitation d’unités que le maître du rite n’a pas à inventer à chaque fois qu’il fait un rite, il le fait<br />

avec un animal, une parole, une plante…etc.<br />

1 Anthropologie clinique, la théorie de la médiation est un mode d’approche de l’homme mis au point par Jean Gagnepain à<br />

l’Université de Rennes 2. elle nous a servi pour la réalisation de notre thèse Contribution de la psychiatrie gabonaise à<br />

l’élaboration médiationniste d’un modèle de la Personne; elle nous a permis aussi de déconstruire la sorcellerie. Voire notre<br />

article « Ethnopsychanalyse de la sorcellerie », Cahiers d’Anthropologie, 2005.


Il n’empêche que pour faire un rite, cela suppose non seulement un matériau mais aussi de<br />

l’engin, c’est à dire des unités qui permettent la combinatoire de matériaux. Généralement, l’outillage<br />

est un ensemble d’engins (des éléments analysables dont la combinatoire fait l’existence du matériau), il<br />

n’y a pas de matériau pur.<br />

2. Définition du rite<br />

fait,<br />

Si d’un point de vue ergolinguistique, la technique n’est pas ordonnée à l’utilisation qu’on en<br />

Si l’écriture est la relation au signe d’un signal quelle que soit la façon dont il est<br />

constitué,<br />

S’il y a une équivalence rhétorique des trois modes de conceptualisation (science, mythe et<br />

poème) :<br />

Le rite est, symétriquement à l’écriture de la science, une écriture authentique du mythe. Il y a<br />

cependant problème de la part de ceux qui accordent le droit de chercher dans l’algèbre l’inscription<br />

d’un métalangage et qui refusent à envisager celle d’un métalangage dans le rite. La notion de rite a été<br />

occultée parce que le problème semblait résolu du seul fait que les auteurs ont parlé quelle que soit la<br />

matière du signal, d’une égale mythographie.<br />

Dans toute civilisation, il y a perpétuellement tendance à jouer, à dramatiser, c’est à dire à<br />

inscrire par hypostase 2 dans la réalité le rapport des mots. Or cette inscription est ce qui fait non plus<br />

l’idéogramme, mais l’ idéodrame. L’idéodrame est ce qu’est le rite. Rite(graphie), en latin ritus, arithmus<br />

en grec veut dire le chiffre, ils ont la même racine(rit). Entre arithmus et ritus, entre le chiffre et le rite,<br />

entre l’idéogramme et l’idéodrame, il y a un rapport : une mise en scène des rapports de mots, une<br />

forme d’écriture.<br />

C’est pourquoi souvent, quand les Africains dansent avec les masques…certains disent « ils<br />

aiment danser, ils aiment la musique… » or ils n’ont pas de bibliothèque. Les chants qu’ils ont inventés,<br />

comment peuvent-ils les transmettre, s’ils ne chantent pas et s’ils ne les dansent pas ? Ainsi , la plupart<br />

des rituels cérémonials de beaucoup de peuples africains sont une écriture dansée- c’est –à- dire une<br />

idéodrame.<br />

Faute de savoir l’exacte articulation du mythe, donc du rite au langage, celui-ci a été renvoyé à<br />

autre chose qu’à lui-même, c’est à dire à des domaines ou des plans qui se recoupent (langage,<br />

technique, social, droit), mais sans l’expliquer. L’accent est souvent mis sur le caractère sacré des<br />

mythes et des rites dont l’ensemble est censé s’identifier à la religion. C’est l’une des raisons pour<br />

lesquelles beaucoup le rejettent catégoriquement ; le terme est plus employé pour désigner pêle-mêle<br />

tout ce qui, dans l’idée qu’on s’en fait depuis Comte, précède l’âge de raison d’une humanité évoluée 3 .<br />

Mythe ou science, il y a à justifier en dehors de ce qu’il annonce allégoriquement, ce qu’il énonce<br />

rhétoriquement par hypostase du signifié.<br />

On peut avoir une activité pour tout, y compris les gestes. Dans les boulangeries en Europe on<br />

faisait des traits sur un bout de bois pour dire que telle famille doit tant de pains et paiera à la fin du mois.<br />

Le médecin ne faisait pas payer les consultations - on faisait alors des nœuds au mouchoir pour payer le<br />

médecin à la fin du mois- le nœud au mouchoir ressortit à la déictique, montrer ce qu’on doit ou ce qui a<br />

été conclu.<br />

2 Faire de la métaphysique, fabriquer un univers qui a l’air de coïncider avec les mots qu’on a pour le dire.<br />

3 Voire TESSMAN, p.251-262, Fang, Musée DAPPER.


Dans la société Fang également, une raison, un motif, un argument, une objection est désigné(e)<br />

par le terme ébuckh 4 . Bibuckh au pluriel, des petits bouts de bambou que l’on a cassé exprès qui servent à<br />

compter les arguments ou une série d’objets. C’est une déictique, une forme d’écriture<br />

Le rite suppose une conduite qui est fonction des signaux qu’il se donne et qui n’ont d’autre<br />

finalité que l’ostension. Contrairement à l’icône, ce que le rite montre n’est pas chose mais cause, perçu,<br />

conçu, autrement-dit il est fruit du langage.<br />

L’on se rappelle l’encensement qui accompagne la prière d’anamnèse selon le Lévitique 5 . Le rite<br />

est l’ondoiement du baptême qui de lui-même en français ne saurait évoquer le bain. De même que le<br />

rite du dzôs en Fang, n’évoque pas un bain, mais une naissance sociale.<br />

Rite intégralement , la célébration chrétienne de la Pâque dont les lectures et les liturgies<br />

indiquent les trois sens du passage de l’ange épargnant les fils d’ Israël, du peuple qui franchit la mer, et<br />

de l’agneau partagé entre les commensaux.<br />

Rite aussi, plus qu’insignes, les tatouages et les masques de cérémonie démontrant en quelque<br />

façon l’identification mythique au totem. Mais rite aussi, parce que ni la coutume en soi, ni le cérémonial<br />

ne sont en cause, le lien n’est pas toujours évident, mais il est d’actualité permanente quoiqu’on ne<br />

l’envisage qu’au passé ( la bénédiction Fang est formulée au passé). L’espace et le temps ne permettent<br />

pas toujours de rapporter sociolinguistiquement la formule de bénédiction ni le rite du sô à leur source<br />

sinon d’interpréter circulairement le mythe par le rite ou le rite par le mythe, souvent en termes<br />

idéalistes de croyances ou de tendances posées d’emblée dans l’absolu et réputées universelles. Il reste<br />

malgré tout à les expliquer, la responsabilité en a été imputée au tabou. Tessman dans son livre Fang<br />

p.251 écrit que l’homme a instauré le rite pour trouver une solution à sa condition de pécheur et qu’il<br />

impute la faute à la nature qui comprend aussi la femme. Pour Tessman le rite s’explique par « l’union<br />

peccamineuse des sexes …».<br />

Souvent pris au pied de la lettre le rite est ethnologiquement classé selon qu’y domine le verbal<br />

ou la manipulation, qu’il soit obligatoire ou fait l’objet d’un interdit, qu’il célèbre la vie 6 , le rêve, la<br />

circoncision, voire la mort 7 .<br />

Il existe pourtant un moyen de sortir de cette impasse . Point n’est question de nier le caractère<br />

historiquement magique de ces opérations qui fétichisent le rite au même titre qu’enfermer les cheveux<br />

de sa victime dans une corne . Il n’est pas non plus question de nier les restrictions qui pèsent<br />

éventuellement sur leur usage et en réservent l’exercice à une classe particulière d’officiants.<br />

Le rapport du gramme et du drame est une complémentarité déictique. De même il y a à<br />

distinguer dans le gramme ce qui tient au dessin, de sa référence au langage. Le mime proprement dit<br />

n’est pas à confondre avec le jeu rituel d’un acteur par lequel le mythe est transcrit. Le terme<br />

d’idéodrame serait plus approprié qui évoque à la fois le sens dont il est conceptuellement investi et<br />

l’appareillage employé afin de le représenter. Il ne serait plus alors question de livre, mais de théâtre. Il<br />

est en effet compréhensible qu’à l’origine le rite ait pu passer pour religieux, toutes les confusions qui<br />

jalonnent la description du rite Sô dans Fang de Tessman p. 251 en sont un exemple : « …. On ne peut<br />

parler, dans les rites, de fins originellemnt sociales ; ils sont bien plutôt nés de conceptions fondamentales religieuses. ».<br />

C’est le contraire ici, tout commence précisément avec la répartition des activités. Pour le dire en<br />

termes d’actualité, avec la réglementation des activités et donc de la consommation, à l’origine des<br />

4 EBUKH : de bukh, casser, rompre.<br />

5 La prière d’anamnèse est comme la fumée du sacrifice ou de l’encens qui monte vers Dieu pour, afin qu’Il se souvienne.<br />

Lévitique 1 :9, La Bible de Jérusalem.<br />

6 La formule de bénédiction fang.<br />

7 Le rite du sô chez les Fang.


classements tribaux. Les tribus se sont spécialisées en se désignant par leurs activités, c’était le début de<br />

la spécialisation qui était elle-même fonction du genre 8 . Chez le Fang, la plupart des noms des clans sont<br />

fonctionnels, le nom définit la spécialité du clan qui le porte ( Nkodjé, Yéngui, Bekwè, Essangi) 9 .<br />

Les rites festifs, les fêtes de groupe sont toujours accompagnées de commensalité, meilleur<br />

mode d’écriture de la convivialité, de l’être-ensemble :<br />

L’initiation rituelle du sô se fait dès l’âge de 10 ans ; le mvôn (celui qui a été initié) reçoit trois<br />

scarifications indélébiles (bewu= les marques de la mort) sur le cou, et est ainsi autorisé à mangé<br />

l’antilope sô. « Dès qu’on a fait le tatouage, le lendemain on prépare un byan (fétiche) qui contient de l’antilope sô<br />

et on dit : « Kale a nyu sô emu » , un tel boit du sô aujourd’hui(car c’est liquide) ; désormais il a le droit de manger<br />

de l’antilope sô ». 10 Comme il s’agit de signaler la convivialité, sont donc exclus ceux qui n’appartiennent<br />

pas à la communauté (ici, les initiés au sô). La convivialité, écrite par le rite de commensalité, marque les<br />

limites de la civilisation concernée.<br />

2.1. Deux rites Fang<br />

Mythe ou science, cela n’empêche pas le message d’être discours, cela ne dispense pas non plus<br />

de justifier en dehors de ce qu’il annonce allégoriquement, ce qu’il énonce rhétoriquement par<br />

hypostase du signifié. L’efficacité du rite est mal comprise parce qu’elle est imputée à la magie, l’on en<br />

retient que la conventionnalité toutes aussi évidente qu’insuffisante.<br />

2.1.1. Le rite sô ( Awu sô 11 )<br />

Sô, Cephalophus castaneus, est une antilope nocturne de grandeur moyenne, avec de grands yeux.<br />

Les femmes ne doivent pas en manger, ni les garçons qui n’ont pas les trois traits (bewu, littéralement les<br />

morts) sur le cou. Au Gabon, le rite sô , est désigné par les Fang eux-mêmes en termes de Awu sô , la<br />

mort du sô. Le rite du sô est reconnu comme le plus important de tous les rites Fang et Ewondo. S‘il<br />

comporte des particularités assez différentes d’un groupe à l’autre de ces deux groupes, celles-ci ne<br />

remettent pas en cause la fonction du rite.<br />

D’après Tessman, le rite du sô commence par une danse ; les hommes du village se réunissent la<br />

nuit pour exécuter une danse phallique, tandis que les novices et les femmes se trouvent dans une<br />

maison fermée.<br />

Après la présentation du sô et de sa suite, plusieurs jeunes gens se déguisent avec des pagnes<br />

qu’ils remontent sur le dos et par dessus la tête, semblables à des ombres, ils parcourent tout le village à<br />

une vitesse effrénée, heurtent les spectateurs, se jettent à terre comme s’ils voulaient ramper. Puis<br />

apparaît le personnage central (parfois ils sont plusieurs, 2 ou 3) : un homme portant un masque à<br />

cornes ; les déguisé viennent entourer leur maître et seigneur, se mettent à quatre pattes, font des va- et<br />

-vient, en folâtrant.<br />

Tous ces gens ainsi que les porteurs de masques, s’appellent bisis ( singulier ésis, du verbe a sis<br />

qui veut dire effrayer, faire peur ), ceux qui font peur.<br />

Quand les porteurs de masques ont fini leur numéro dans un vacarme de tambour assourdissant<br />

et de cris de joie des assistants, les adultes amènent les novices, les ombres ou les déguisés les effraient en<br />

leur montrant les porteurs de masques. Les novices subissent des tortures et des épreuves d’endurance :<br />

8 Le classement des sexes à l’origine de la division du travail<br />

9 Odjé est une sorte d’antilope, à peine moins grosse qu’une gazelle ; Ngui est le sanglier ; kwè est le singe ; ngi est le gorille.<br />

Chaque préfixe lié à chaque animal signifie lignée, clan, famille de.<br />

10 GALLEY Samuel: Dictionnaire Fang-Français et Français-Fang, Neuchâtel, Editions HENRI MESSEILER, p.67.<br />

11 Awu sô : la mort de l’antilope sô,


soumis à toutes sortes de vexations, et de provocations, ils doivent boire un mélange de plantes et de<br />

matières nauséabondes. Les initiés munis de haches et de couteaux crient sur eux en disant « vous aller<br />

mourir »! Alors que le porteur de masque s’esquive et disparaît dans l’obscurité près de la case de<br />

réunion, les novices rampent sous les hurlements dans la hutte à fourmis, les guides courent dehors.<br />

Ensuite vient la dernière épreuve : les initiés se prosternent avec des couteaux près de la hutte à<br />

fourmis et accueillent les novices qui leurs sont amenés avec des cris comme : « Nous vous<br />

tuons , maintenant vous allez mourir ». Quand ils sont suffisamment terrifiés, les novices doivent les uns<br />

après les autres, passer en rampant dans la hutte à fourmis où ils sont piqués de part en part. Ils ont assez<br />

souffert et ils sont prêts à mourir ; mais avant, on leur donne à manger. Chaque garçon était pris par un<br />

homme sur les épaules et tous les novices étaient scarifiés (trois tatouages sur le cou) devant la case de<br />

réunion.<br />

Après le repas, les novices sont conduits à la mort, c’est à dire hébergés dans des huttes<br />

spéciales, nus, à même le sol, où ils doivent demeurer entièrement pendant un mois, loin des humains.<br />

Ils ne reçoivent rien de spécial, ni supplice ni enseignement, mais ils sont nourris abondamment.<br />

Le lendemain matin, les initiés nettoient la place du village, font disparaître les restes de<br />

nourriture, les feuilles etc. C’est ce qu’on appelle « a bôme ekop sô » ( étaler ou faire la peau du sô 12 ). On<br />

débrousse derrière la case de réunion et on installe un lieu rituel à l’écart du chemin. Puis on creuse un<br />

fossé à côté, qu’on recouvre partiellement avec des troncs d’arbres ; par-devant on installe un marécage<br />

en versant du jus de banane entre deux couples de tige de cardamome entre le fossé et le marécage,<br />

parterre on pose en travers un tronc d’arbre. Tandis que les novices restent dans une pièce de la case de<br />

réunion fermée par des branches de palmiers.<br />

Au village tout le groupe exécute la danse du sô, après quoi tous les participants se rendent au<br />

lieu rituel : on enlève le tronc d’arbre entre le fossé et le marécage, et on entasse de la cendre près de<br />

chaque branche de cardamome ; on ôte aux novices leurs pagnes de reins et on leur fait contourner le<br />

marécage et on le traîne sur le ventre dans la boue et on en enduit le garçon sur le dos depuis les fesses<br />

jusqu’aux épaules. Ensuite le garçon qui ressemble vraiment au sô caractérisé par un long trait noir sur le<br />

dos se lève et s’éloigne par l’entrée principale du lieu rituel.<br />

Ils devront ensuite passer trois mois dans la brousse et ne devront pas se laisser voir par les<br />

femmes. Ils devront signaler leur présence par un sifflet. Ils pourront aller se promener au village et<br />

même participer aux danses. Ils porteront un cache-sexe et des petits paniers tressés (ébat) en feuilles de<br />

Pandanus. Si par malheur les femmes les voient, elles tombent malades, il faudra immoler une chèvre ou<br />

un poulet selon le cas pour conjurer le mal.<br />

Comme tout rite, le rite sô ci-dessus comporte deux aspects : un aspect mythique et un aspect<br />

rituel. Mythe d’une antilope aux grands yeux et à la robe châtain. D’où le rituel de sa mort, de sa<br />

consommation, de la réglementation de celle-ci et donc de l’habilitation de l’homme à consommer la<br />

viande de sô. Le sô est devenu précieux en raison non de sa rareté dans la forêt mais du fait de ses<br />

habitudes de vie : c’est un animal tout à fait nocturne, les hommes ne sont pas nombreux à chasser la<br />

nuit, le seul moment où il peut être pris. De ce fait, le sô est devenu une denrée rare et précieuse. Il ne<br />

s’agit plus de l’antilope qui est une viande mais de ce qu’il va servir de matériau à une technique rituelle.<br />

2.1.2. La formule de bénédiction Fang<br />

me kyê ane evyan /moi/enlever/comme/anneau de cuivre/<br />

12 A bôme mot ékop a nseng : littéralement « étaler la peau de quelqu’un dans la cour » dire du mal de quelqu’un, lui faire du<br />

mal psychologiquement.


me nyme ane anguek /moi/redresser/comme/ « anguek » /<br />

nkakua melen /chaos/palmiers/<br />

me lebe ebè dzan /moi/éplucher/bambou raphia/<br />

e mvu wu ma yan nkale<br />

/lechien/qui/mourir/moi/étendre/colonne<br />

vertébrale/<br />

aso tare bidzugdzuga /moi/ramener/ mon fils/des eaux<br />

troubles/<br />

me ke à we bingengen /moi/conduire lui/les eaux claires /<br />

me ken ane meko /moi/raser/comme les teignes /<br />

a balan a tè /plat/hermétique/<br />

ôswiny nkyaan e maam /rivière/aval/fini/<br />

Ici, comme dans le rite du sô, il faut faire apparaître la complémentarité entre le mythe et le rite.<br />

S’agissant d’une formule pour des besoins thérapeutiques, mettant en scène un tradi-praticien et<br />

un malade venu consulter au sujet de sa maladie. Le tradi-praticien répond allégoriquement au malade.<br />

Le terme allégorie vient du grec a gore qui veut dire parler, et d’alla qui veut dire parler d’autre<br />

chose. Il s’agit toujours de langage ou plus exactement de passer par le langage, c’est à dire par ce<br />

vouloir-dire, cette volonté d’exprimer. Il y a une intention cachée derrière la formulation qui est une<br />

allégorie !<br />

Les métaphores utilisées dans la formule de bénédiction sont des figures explicatives qui<br />

supposent un principe de similarité mais pas d’intention, alors que l’allégorie est une figure<br />

explicative qui suppose de l’intention qu’il faut décrypter : il faut entendre dans la formule cidessus<br />

:<br />

« J’enlève comme on enlève un gros morceau de cuivre »<br />

Toutes tes transgressions.<br />

J’étends comme on étend un gros morceau de fer.<br />

Je te rends droit comme une flèche d’arbalète<br />

Je remis la colonne vertébrale du chien mort.<br />

Je ramène mon fils des lieux de souffrances<br />

Je te conduis vers une vie de bonheur<br />

Je te nettoie comme on nettoie les teignes<br />

Que tout soit complètement enlevé !<br />

Que tout soit complètement nettoyé ! Que tout s’en aille en aval de la rivière ! Tout,<br />

complètement !<br />

Le tradi-praticien prend la parole pour la restituer métaphoriquement au malade. Il s’annonce<br />

comme un puissant, il a par le passé réglé ce genre de cas : il a rendu la vie à un chien en remettant sa<br />

colonne vertébrale en place. Il fait en somme une prescription de ce qu’il a l’intention de faire pour le


malade ; l’intention est de le purifier, le rendre fort, le rendre propre physiquement et moralement. Il<br />

lui donne l’assurance d’une sécurité dans la vie. Il enlève tout le mal qu’il tient bien éloigné du jeune<br />

homme qui est complètement guéri.<br />

2.1.3. La fonction du rite<br />

Le sô et la formule de bénédiction Fang sont des idéodrames qui ont une fonction déictique et de<br />

transmission dans la société Fang. Où le sens est négocié dans le rapport social, plus précisément dans<br />

l’interlocution qui confirme l’expéditeur du message et le récepteur, « co-énonciateurs » de ce récit. Il ne<br />

s’agit plus en cela du « sens propre », mais du « sens commun ».<br />

Mais le partage du sens ne s’explique pas seulement par le statut social des protagonistes, et par<br />

le devenir qu’ils produisent historiquement par leurs paroles et leurs silences qui sont des aspects de la<br />

fabrication et de la production. La communauté de compréhension s’étend aussi aux formes<br />

d’implication sociale. On se comprend dans la mesure où il y a co-responsabilité de ce qui est déclaré.<br />

On se met d’accord dans la mesure où le déclarant parle dans l’exercice de ses fonctions voire revêtu de<br />

son masque dans le cas du rite sô et où le répondant (le novice dans le sô, ou le malade dans la formule de<br />

bénédiction) participe conventionnellement de cette fonction, de ce ministère qu’est le service. C’est ce<br />

que classiquement on appelle la portée pragmatique , qui s’explique sociologiquement par les rapports<br />

de service qui confèrent contractuellement pouvoir légal à celui qui énonce ou à celui qui officie, et<br />

responsabilité à son partenaire. Le rite du sô est un acte d’artifice délimité par la portée industrielle 13 qui<br />

fait techniquement une production de ce qui est dans l’ordre technique, un ouvrage. La Formule de<br />

bénédiction est un acte de langage délimité par la portée du contrat qui fait socialement une déclaration<br />

de ce qui est, dans l’ordre logique, un message. Hors de ce contrat, il n’y a que du message ; hors de<br />

cette portée industrielle, il n’y a que de l’ouvrage. Sur un autre plan que le sens propre s’exerce non<br />

seulement le sens commun mais encore l’empire du sens : Comprendre une déclaration, comprendre<br />

un rite, c’est en fait non seulement situer celui qui les fait, et du coup se situer ; c’est encore en saisir<br />

l’importance, et ne pas se méprendre sur sa portée. L’aphorisme de Wittgenstein est à compléter, qui<br />

prétendait que le sens c’est l’usage, c’est aussi l’événement.<br />

La compréhension d’un sens fait apparaître un déterminisme supplémentaire, même si elle<br />

suppose une raison logique et une raison sociale.<br />

La compréhension implique ici un troisième type de déterminisme irréductible au balayage des<br />

références et des situations sociales. Le novice qui va à la recherche, à la poursuite d’un sous-entendu<br />

qui, bien entendu, est ce qu’il y a à saisir : La mort du sô ou la célébration de la mort du sô , cérémonie<br />

de retrait de deuil, puisque le même terme awu désigne aussi bien la mort (obsèques et tous les rituels<br />

qui l’y accompagnent) que les cérémonies visant à rompre le deuil ; A wu ( coûter), prix d’un bien, par<br />

exemple : ékone dzi dz’a wu toyin ébegn ; ce régime de banane coûte ou vaut deux mille francs cfa. A wu :<br />

Mourir soi-même pour manger le sô,<br />

Le chemin de la Mort du sô fait de la fosse de boue une tombe, un avertissement, un appel à<br />

réfléchir; le repère de celui-ci ou toute autre intention que l’on voudra (ou que çà voudra), y compris<br />

une manière de vérifier si l’on est prêt à continuer après avoir pris un bain de boue qui peut être<br />

l’excrément du sô.<br />

Pour manger le sô, il faut être initié, il faut mourir la même mort que le sô. La mort du sô est la<br />

mort du novice, le prix qu’il paie pour faire partie des initiés au sô : le fossé de boue qui représente la<br />

13 Transformation du matériau ; exemple dans le cas du rite sô, l’antilope sô est un matériau pour le rite et subit une<br />

transformation non pas scientifique, mais magique.


tombe, passage obligé ; les vexations, les provocations, le dépouillement matériel…Les tatouages (bewu)<br />

sur son cou représentent le titre qui lui donne droit à la consommation du sô.<br />

C’est ce mode de fonctionnement que Jean Gagnepain appelle le plan du discours, c’est à dire<br />

du détour , qui n’est que l’illustration dans le langage du fonctionnement culturel de la satisfaction,<br />

laquelle n’est pas l’émergence directe, immédiate, de l’intention, mais procède selon des règles de<br />

contournement d’un interdit constitutif. L’expression langagière (la formule de bénédiction) qui le<br />

produit est donc toujours allégorique, parabolique, fabulatrice ; et le rite un modèle de production<br />

magique. Puisque le désir ne s’y délivre qu’à travers une réticence qui impose une stratégie de mise en<br />

tropes. Sur ce plan « axio-logique » (et non plus glosso ou socio-logique), il n’y a pas de « sens sans cens »,<br />

dit Jean. Gagnepain. Ou, comme dirait Freud , sans « travail psychique », sans Witz , sans esprit .<br />

Au sens propre et au sens commun vient s’articuler un sens libre , celui que l’on s’autorise en se<br />

jouant d’un interdit qui contradictoirement le fonde comme tel.<br />

3. Y a-t-il un trouble du rite ?<br />

De même que l’écriture est signal de la pensée, de même le rite est signal de la pensée, signal du<br />

signe. En parler c’est s’intéresser aux phénomènes qui intéressent la manipulation de l’outillage, c’est à<br />

dire aux atechnies. Si celles-ci peuvent être mises en évidence par la linguistique clinique expérimentale<br />

auprès de malades aphasiques, grâce à des tests d’écriture et de lecture, ce n’est pas encore le cas du rite.<br />

Puisque l’équivalence de l’écriture et du rite est théoriquement affirmée, on pourrait<br />

expérimenter un protocole de danse par exemple chez les malades frontaux. L’idée est de voir comment<br />

le malade arrive à réaliser une opération gestuelle dans une situation donnée. Ce qui permettrait<br />

d’observer des atechnies ou non, cela serait aussi intéressant du point de vue de la clinique.<br />

Conclusion<br />

Mettre le rite à la place du mythe, ou le drame à la place du gramme, permet de ne plus<br />

continuer à mêler cet aspect de l’écriture au mythe, le rite procède du mythe en tant qu’écriture de<br />

celui-ci. Il est signal de la pensée parce qu’il ressortit à la fabrication et à la reproduction du drame, mais<br />

ce qui est fabriqué c’est du langage et donc la pensée, c’est à dire outillage du sens. L’outillage est un<br />

ensemble d’engins ou d’unités qui composent le matériau défini par la technicité du maître du rite et non<br />

par la réalité physique de la matière. Le rite a une fonction déictique et une fonction de transmission de<br />

la pensée . S’il est l’équivalent de l’écriture, aucun trouble du rite ou atechnie n’a été expérimenté<br />

jusqu’à présent comme c’est le cas dans la production industrielle qu’est l’écriture.<br />

Bibliographie<br />

BONN, Gisela, L’Afrique quitte la brousse (traduit de l’allemand par Pierre Kammitzer), Paris,<br />

Robert Laffont, 1996.<br />

GAGNEPAIN, Jean, Du vouloir-dire Traité d’épistémologie des Sciences Humaines, T.1, Du Signe, De<br />

l’Outil, Paris, Oxford, Pergamon, Press. 1982.<br />

GALLEY, Samuel , Dictionnaire Fang-Français et Français-Fang, Neuchatel, Editions Henri<br />

Messeiller.<br />

NGUEMA-OBAM, Paulin, Aspects de la religion Fang, Paris, Edition Khartala, 1991.<br />

TESSMAN, Gunter, Fang, Edition Dapper, 1991.

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