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ars amatoria ars moriendi - documents.pdf - ex-cie gospel

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L'ensemble de la corrida se présente tout d'abord comme une sorte de drame mythique dont le<br />

sujet est le suivant: la Bête domptée, puis tuée par le Héros. Les moments où passe le divin -<br />

où le sentiment d'une catastrophe perpétuellement frisée et rattrapée engendre un vertige au<br />

sein duquel horreur et plaisir coïncident - sont ceux où le torero en vient à jouer avec la mort,<br />

à n'y échapper que par miracle, à la charmer; par là il devient le Héros, en qui s'incarne toute<br />

la foule qui, par son truchement, atteint à l'immortalité, à une éternité d'autant plus enivrante<br />

qu'elle ne tient qu'à un fil.<br />

En ce qui concerne la Bête, il y a l'idée qu'elle est fatalement condamnée, complicité - ou<br />

communion - des spectateurs qui tous participent à ce meurtre, acclament ou conspuent le<br />

tueur selon qu'il est ou n'est pas assez grand pour qu'ils puissent s'identifier à lui,<br />

l'encouragent de leurs « olé!» qui ne sont pas une récompense mais une aide, comme celle<br />

qu'on apporterait, en hurlant, à une femme dans son accouchement.<br />

Entraînée de cape en pique, de pique en homme qui se métamorphose en cape, d'homme en<br />

banderille, de banderille en estoc et d'estoc en poignard, la grosse bête n'est bientôt plus qu'un<br />

monticule de chair fumante. S'il n'y avait que cet assassinat agrémenté de fioritures plus ou<br />

moins séduisantes, la corrida n'aurait pas cette beauté surhumaine, reposant sur le fait qu'entre<br />

le tueur et son taureau (la bête enrobée dans la cape qui la leurre, l'homme enrobé dans le<br />

taureau qui tourne autour de lui) il y a union en même temps que combat - ainsi qu'il en est de<br />

l'amour et des cérémonies sacrifi<strong>cie</strong>lles, dans lesquelles il y a contact étroit avec la victime,<br />

fusion de tous les officiants et assistants dans cette bête qui sera leur ambassadrice vers les<br />

puissances de l'au-delà, et -le plus souvent- absorption même de sa substance par la<br />

manducation de sa chair morte.<br />

Le cérémonial actuel des corridas ne pourrait, certes, être que difficilement interprété comme<br />

la survivance directe d'un culte, car l'on sait que la corrida fut d'abord une manifestation<br />

chevaleresque, de l'ordre des tournois, et qu'avant Pedro Romero, Costillares et Pepe Hillo,<br />

toreros professionnels qui vers le début du siècle dernier élaborèrent le code de la course<br />

moderne, tout se passait beaucoup plus grossièrement. Toutefois, divers faits peuvent être<br />

relevés qui appuient curieusement la thèse de sa signification sacrifi<strong>cie</strong>lle.<br />

D'abord la coïncidence des grandes courses avec les fiestas locales, qui correspondent à des<br />

fêtes religieuses. Puis l'usage de costumes spéciaux brillamment chamarrés, dits « costumes<br />

de lumières », qui font figure d'ornements sacerdotaux et transforment les protagonistes en<br />

une espèce de clergé; il n'est jusqu'à la coleta, petit chignon (aujourd'hui postiche) que les<br />

toreros portent comme signe de' leur profession, qui ne rappelle la tonsure des prêtres.<br />

Regardant plus au fond des choses, on ne peut manquer d'être frappé par l'<strong>ex</strong>trême minutie de<br />

l’étiquette, en ce qui concerne notamment la mise à mort. Du côté des acteurs, on constate<br />

qu'à l'inverse des règles sportives qui laissent un grand nombre de coups permis à côté d'un<br />

nombre restreint de coups défendus, le code de la tauromachie ne met à la disposition du<br />

joueur qu'un nombre très petit de coups permis par rapport à un nombre considérable de coups<br />

défendus; ainsi, l'on croirait se trouver en présence, non d'un jeu à caractère sportif dont les<br />

règles ne constituent qu'un canevas assez lâche, mais d'une opération magique au déroulement<br />

méticuleusement calculé, où les questions d'étiquette, de style priment l'immédiate efficacité.<br />

Du côté du public, on remarque que la mise à mort s'accomplit dans une atmosphère de nette<br />

solennité. Que le matador soit acclamé s'il a travaillé en homme courageux en même temps<br />

qu'en grand artiste ou qu'il soit accablé sous les sifIlets et les clameurs indignées de ceux qui<br />

l'accusent de ne pas avoir tué ainsi qu'il aurait fallu mais simplement assassiné, qu'on<br />

applaudisse le taureau qui s'est comporté vaillamment ou qu'on hue celui qui a fait montre de<br />

veulerie, il n'en reste pas moins que l'attitude du public à ce moment est une attitude religieuse<br />

à l'égard de la mort qu'une créature vient de subir, ainsi que pourrait tendre à le prouver le fait<br />

qu'en certaines plazas tous se lèvent sitôt l'animal écroulé et ne se rasseyent que pour l'entrée<br />

en lice de l'animal suivant. D'autre part, on pourrait citer des usages tels que l'alternative,<br />

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