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u t o p i e r a i s o n n é e p o u r l e s d r o i t s d e l a l i b e r t é e n a r t<br />

urdla ...ça presse...<br />

45 juin 2010<br />

m e s s i d o r – thermidor – fructidor<br />

« Nous sommes pleins de choses qui nous jettent au dehors » (Pascal).


«<br />

MétaMythique, ixion<br />

Le regard rivé sur un point omega pour esquiver la chausse-trape des éléments<br />

de langage, je me répète que toute la poésie du monde est le visible<br />

et que l’on ne saurait trop en prôner l’usage de crible en temps de crise.<br />

Céphalopode estampillé, ça presse de lâcher mon nuage d’encre, histoire d’attester<br />

mon rapport face au monde ; évidemment, dans ses murailles immatérielles,<br />

la porte s’efface une fois franchie : l’espace sans angles tourne-manège autour<br />

d’un axe allégorique. De l’ombre le jour se lève comme une jupe. Je me souviens<br />

confusément que jadis les événements avaient des couleurs de tragédie,<br />

alors qu’ils se sont mis à se répéter et se<br />

répéter en farce. Car du moyeu de mon<br />

logis-ciel, c’est bien de la rabâcheuse<br />

actualité que je parle, celle où la sarabande<br />

des savants fous de l’économie<br />

comptent rabaisser le grandiose problème<br />

grec à leurs petits tourniquets<br />

boutiquiers.<br />

Mais, palingénésie répétitive, il faut lâcher<br />

bride à la divagation et, tournant<br />

la page insipide des faits divers, feuilleter<br />

compulsivement l’iconographie<br />

mythologique bien plus tangible.<br />

Révélation, révolition, revouloir.<br />

Le réveil du volcan (je te salue, grand<br />

Eyjafjallajökull !) et l’incontinence<br />

sous-marine de l’or noir cliquettent à<br />

l’enclenchement d’un nouveau tour de<br />

désastres mondialisés tel celui où sombrèrent<br />

les dinosaures et se mitonnèrent<br />

les calcaires lithographiques. C’est ma<br />

défense du caractère résigné de cette<br />

La Roue d’Ixion, 1655, tableaux du temple des Muses.<br />

valse mythographique ! Et un aveu de la volupté à vriller autour de mythes<br />

anciens dans une volte d’anéantissement inachevable, rotative et sexuelle. J’en<br />

appelle à Platon qui, dans Cratyle ou de la Rectitude des mots, faisait spéculer les<br />

interlocuteurs sur la charge étymologique des dieux et des hommes.<br />

Socrate y suggère que de l’écoulement de l’air naît le vent. « Héra, dit-il, c’est une<br />

dame “ aimable ”, ératé, et de fait (ce que dit aussi la légende) Zeus l’a “ aimée ”,<br />

érasthéis, et il est son mari. Mais il est possible que, versé dans les choses d’en<br />

haut, le législateur ait, sous le nom d’Héra, dissimulé l’“ air ”, aèr, en mettant le<br />

commencement à la fin ! Tu t’en rends compte en redisant de suite plusieurs fois<br />

son nom : èraèraèr. »<br />

Ces souffles attestés par des strates opalescentes de poussière ne suspendront<br />

leur tournoiement que la terre soit céleste et le ciel terrestre.<br />

2 Schoendorff


Je me plais à supposer avoir causé le désarroi de mon auditoire avant d’y trouver,<br />

à la fin, quelque entente. Et sans doute y a-t-il dans cette attente quelque<br />

promesse de m’expliquer à moi-même.<br />

Pour apaiser les ahans de l’expérimentation, nous dit Marcel Duchamp : « En<br />

1913, j’eus l’heureuse idée de fixer une roue de bicyclette sur un tabouret de cuisine<br />

et de la regarder tourner » à l’instar des flammes d’une cheminée. Dix ans<br />

plus tôt (en 1903), à la flamme de sa chandelle verte, Alfred Jarry commentant<br />

le poème Ixion de Fagus conjecturait : « Heureusement, la roue d’Ixion, de par<br />

l’éternité qu’elle dure, “ prend du jeu ” : Ixion ne tourne plus dans le même plan<br />

[…] Que serait-ce si Ixion voilait sa roue ! »<br />

La scène se passe dans une très antique Thessalie, c’est-à-dire nulle part. « Nulle<br />

part est partout, et le pays ou l’on se trouve d’abord » (A. J.). L’idée est comme<br />

un nuage, elle existe sans même avoir une forme : avant de savoir la direction<br />

qu’elle prendra. Ici rôdent le sentiment bien connu de déjà vu et l’oppression<br />

d’être préalablement calculé ; d’être cloué à une roue chtonienne.<br />

Zeus avait accueilli sur l’Olympe, pour le purifier, Ixion, roi des Lapithes, premier<br />

Grec à tuer un parent (son beau-père venu réclamer la dot) en le poussant<br />

dans un puits de charbons ardents. La perfide Héra, si vivement voilée, dénonce<br />

le harcèlement d’Ixion. Zeus modèle un nuage ressemblant à sa femme, Ixion<br />

viole cette nuée (Néphélé) qui donne le jour à Centauros. En punition, Zeus<br />

l’enchaîne sur une roue enflammée tournant inflexiblement : Volvitur Ixion et se<br />

sequiturque fugitque, « Ixion tourne et à la fois se poursuit et se fuit » (Ovide, iv,<br />

461).<br />

Enfin je refuse ce ciel, drap trop blet ; je refuse la mer océane trop flegmatique,<br />

le silence obscène des abysses, la jungle géométrique, les forêts au ras du sol.<br />

On s’habitue aux avions de céramique, aux harengs et fous de Bassan sur la<br />

nappe de poix coagulée. La tête à l’envers sous la toupie nébuleuse, l’heure fuligineuse<br />

est venue du règlement de compte avec l’ersatz de vie, la société asociale<br />

et le monde immonde.<br />

J’ai entendu Héra faire miroiter à Hypnos les faveurs d’une jeune grâce pour<br />

qu’il l’aide à reconquérir Zeus son époux. Comme elle feint la crainte des<br />

voyeurs, dieux ou hommes...<br />

« … lui fit cette réponse Zeus l’assembleur de nuées,<br />

Héra, n’aie pas la crainte qu’un dieu ou que quelqu’un parmi les hommes<br />

te voie si épaisse est la nuée dont je te veux envelopper » (HOmère, IlIade).<br />

Ixion tourne encore et tourne la roue de l’infortune.<br />

« Et quand tu t’éteindras dans ta pourpre sanglante,<br />

Mêlant ta cendre aux cendres des soleils éteints,<br />

Ce sera pour comme eux et comme moi reprendre<br />

L’inexorable roue où tournent nos destins ! » (Fagus, IxIon, 1903).»Max Schoendorff<br />

3 Schoendorff


ça Tire<br />

Sarah Tritz<br />

1980, Lyon, France<br />

10-06 200.- €<br />

« Mes petites Modernités » Montagnes noires (1928),<br />

lithographie, 46 x 38 cm, 20 ex. / vélin d’Arches<br />

10-07 200.- €<br />

« Le poisson »,<br />

lithographie, 33 x 38 cm, 6 ex. / vélin de Rives<br />

10-08 300.- €<br />

« Mes petites Modernités » tB 303 (to W. Kandinsky and<br />

C. Carden), lithographie, 65 x 50 cm, 28 ex. / vélin de Rives<br />

10-09 300.- €<br />

« Mes petites Modernités » L’Angleterre de mes états d’âme,<br />

(to Cy twombly), lithographie, 50 x 65 cm,<br />

26 ex. / vélin de Rives<br />

10-10 300.- €<br />

« West Palm Beach (to D. hockney) », lithographie,<br />

65 x 50 cm, 26 ex. / vélin de Rives<br />

Éric Corne<br />

1962, Flixecourt, France<br />

10-11 350.- €<br />

« Lost heart », lithographie,<br />

coll. À main libre, 33 x 40 cm, 6 ex. / vélin de Rives<br />

10-12 350.- €<br />

« Darkness in Love », lithographie,<br />

coll. À main libre, 33 x 40 cm, 6 ex. / vélin de Rives<br />

10-13 éric Corne<br />

4 <strong>Ça</strong> tire<br />

10-13 350.- €<br />

« Black Fingers and Love Light », lithographie,<br />

coll. À main libre, 33 x 40 cm, 6 ex. / vélin de Rives<br />

10-14 450.- €<br />

« White nightmare », lithographie,<br />

50 x 65 cm, 20 ex. / vélin de Rives<br />

10-15 450.- €<br />

« Soul », lithographie + bois,<br />

50 x 65 cm, 22 ex. / vélin de Rives<br />

10-16 450.- €<br />

« Below My Love two », lithographie,<br />

50 x 65 cm, 20 ex. / vélin de Rives<br />

10-17 450.- €<br />

« Stigmates de l’amour », linogravure,<br />

65 x 50 cm, 20 ex. / vélin de Rives collection À main libre<br />

Elin O’Hara Slavick<br />

1965, new york, uSa<br />

10-18 150.- €<br />

« Resistants 1 », eau-forte, aquatinte, 2 couleurs,<br />

37 x 40 cm, 16 ex. / vélin d’Arches<br />

10-19 150.- €<br />

« Resistants 2 », eau-forte, aquatinte, 2 couleurs,<br />

37 x 40 cm, 16 ex. / vélin d’Arches<br />

10-20 150.- €<br />

« occupation Resistance 1 », gravure au sucre,<br />

37 x 40 cm, 16 ex. / vélin d’Arches<br />

10-21 150.- €<br />

« occupation Resistance 2 », gravure au sucre,<br />

37 x 40 cm, 16 ex. / vélin d’Arches<br />

agenCe de preSSe<br />

joseph ciesla, Dessins, pastels, sculptures,<br />

aïki galerie, Lyon ➞ 19 juin<br />

cristine guinamand, Démons et merveilles,<br />

galerie Le Realgar, St-étienne ➞ 3 juillet<br />

gudrun von maltzan, Maderei Zeichnung,<br />

galerie Foth, Fribourg, D. ➞ 9 juillet<br />

martine clerc<br />

De la danseuse à la guerrière,<br />

galerie artaé, Lyon ➞ 17 juillet


Vérité des images,<br />

Musée national de Port-Royal-des-Champs,<br />

Magny-les-hameaux ➞ 31 août<br />

rémy jacquier, Les Chemins du dessin,<br />

Centre d’art de l’Yonne,<br />

tanlay ➞ 26 septembre<br />

dominique d’acher, Rétrospective,<br />

Musée de l’Abbaye Saint-Germain,<br />

auxerre ➞ 3 octobre<br />

amiTiÉS empreSSÉeS<br />

joël roussiez, Voyage biographique,<br />

éd. La rumeur libre, 2010, 256 p., 18.- €<br />

patrick laupin, Le Courage des oiseaux,<br />

éd. La rumeur libre, 2010, 348 p., 21.- €<br />

daniel pozner, Le géographe est ailleurs,<br />

Éd. Passage d’encres, 2010, 6.- €<br />

daniel de roulet,<br />

Esthétique de la course à pied,<br />

éd. Virgile, 2010, 160 p., 15.- €<br />

michel bataillon, Sous le signe d’Éros,<br />

éd. Stéphane Bachès, 2010, 160 p., 29.- €<br />

sophie du colombier, L’Esprit & la Matière,<br />

entretiens avec Martine Clerc,<br />

Jacques andré éd., 2010, 172 p., 42.- €<br />

Meffre, soixante ans de peinture,<br />

éd. Berg international, 2010, 144 p., 50.- €<br />

gilbert garde<br />

La Cité industrielle Rive-de-Gier,<br />

éd. Mémoire sculptée, 2010, 782 p., 89.- €<br />

Hippocampe, « Signatures », n° 3,<br />

avril 2010, 158 p., 12.- €<br />

benjamin péret,<br />

Je ne mange pas de ce pain-là,<br />

présentation de Gérard Roche,<br />

Syllepse, 160 p., 13.- €<br />

michel surya, Excepté le possible,<br />

éd. Fissile, 2010, 102 p., 12.- €<br />

alain hobé, Lieu commun,<br />

préface de Michel Surya,<br />

éd. Fissile, 2010, 120 p., 15.- €<br />

béatrice seguin, Le Théâtre du hareng saur,<br />

La Fontaine éd., 2010, 198 p., 20.- €<br />

in memoriam<br />

roger-jean ségalat 1934— 2010<br />

raymond terracher 1943— 2010<br />

daniel charrier 1948— 2010<br />

ça presse paraît les 11 mars, 11 juin, 11 septembre, 11 décembre.<br />

Les textes doivent parvenir à l’<strong>URDLA</strong> au plus tard un mois plus tôt.<br />

6 500 signes maximum, espaces compris / envoi par mail à urdla@urdla.com<br />

5 amitiés empressées<br />

10-07 Sarah tritz


Vous êtes un inconscient.<br />

françois michel<br />

Qu’un mot puisse être perdu, cela veut dire : la langue n’est pas<br />

nous-mêmes. Que la langue en nous est acquise, cela veut dire :<br />

nous pouvons connaître son abandon. Que nous puissions être<br />

sujets à son abandon, cela veut dire que le tout du langage peut<br />

refluer sur le bout de la langue.<br />

Pascal Quignard, in « Le Nom sur le bout de la langue », P.O.L.<br />

Jouons avec la ponctuation : « Vous<br />

êtes un inconscient ? Vous êtes un inconscient<br />

! Vous êtes un inconscient… »<br />

Soit :? !… Aujourd’hui, ce sera : « Vous<br />

êtes un inconscient. », la phrase est close<br />

par un point. C’est dire : « Vous êtes<br />

un inconscient, un point c’est tout ! » La<br />

même phrase prononcée par un neuro-<br />

scientiste prend un sens particulier :<br />

« Vous êtes un inconscient, que vous le<br />

vouliez ou non, que vous le sachiez ou<br />

non, un point c’est tout ! » Vous ne vous<br />

en rendez pas compte, mais pour l’essentiel<br />

votre fonctionnement mental s’exerce<br />

sans que vous en soyez conscient. Vous<br />

êtes d’abord un inconscient. Ah bon !, direz-vous,<br />

expliquez-nous ça.<br />

Vous cherchez le nom de ce révolutionnaire<br />

qui avait déclaré le bonheur être<br />

une idée neuve en europe. Vous avez son<br />

nom « sur le bout de la langue » puisque<br />

vous savez que ce nom est double et qu’il<br />

contient la lettre u. Votre cerveau sait des<br />

choses sur le nom, mais il vous laisse en<br />

plan, vous, le sujet. Vous vous heurtez à<br />

une sorte d’autonomie, d’indépendance<br />

de la part de votre cerveau, qui « n’en fait<br />

qu’à sa tête ».<br />

Vous dormez et voilà que le cerveau se<br />

raconte des histoires, vous rêvez. Pas sûr<br />

que vous vous en souviendrez au réveil, il<br />

aura imaginé sans vous et sans se donner<br />

la peine de mémoriser toute l’histoire.<br />

Vous êtes perplexe et votre mimique en té-<br />

6 Michel<br />

moigne. Est-ce que vous avez pensé qu’il<br />

fallait lever les sourcils pour témoigner de<br />

votre perplexité ? Votre cerveau s’en est<br />

occupé, il ne s’est pas trompé puisqu’il n’a<br />

pas esquissé une autre mimique fugitive<br />

comme un clin d’œil. Il n’a pas besoin de<br />

vous.<br />

Vous êtes maître d’hôtel, un client vous<br />

demande : « y en a-t-il encore ? » en pointant<br />

un plat sur la carte. Vous comprenez<br />

immédiatement qu’il vous demande s’il<br />

reste du coq au vin à la cuisine… Vous<br />

proposez la même phrase à Chomsky, il<br />

hésitera longtemps sur le modèle d’analyse<br />

syntaxique qui permettra de décoder<br />

cette courte phrase. Votre cerveau, que<br />

vous n’allez tout de même pas comparer<br />

à celui de Chomsky, réussit cette analyse<br />

sans effort.<br />

Bref, vous pouvez faire confiance à votre<br />

cerveau pour réussir les tâches les plus<br />

difficiles, et ce sans le moindre effort.<br />

Soyons fiers de notre cerveau, admirons<br />

notre machinerie cérébrale ! Depuis le dixneuvième<br />

siècle cette machinerie s’appelle<br />

l’inconscient cérébral. L’association de<br />

ces deux mots a été éclipsée au début du<br />

vingtième siècle par les écrits de Freud. Le<br />

fondateur de la psychanalyse (idole contestable<br />

depuis peu…) n’a pas été le premier<br />

à utiliser le mot d’inconscient, mais il a<br />

beaucoup fait pour le répandre, avec une<br />

signification particulière où le refoulement<br />

joue un rôle essentiel. Le mot, qui a gagné<br />

un I majuscule, a suscité l’ajout de voisins<br />

plus ou moins proches : le subconscient,<br />

le protoconscient, le préconscient, le nonconscient,<br />

le nouvel inconscient, l’inconscient<br />

collectif (Jung), etc.<br />

On trouvera l’histoire de l’inconscient cérébral<br />

dans le livre clef du philosophe Marcel<br />

Gauchet (L’Inconscient cérébral, Le<br />

Seuil, 1992).<br />

Et voilà qu’est apparu un nouvel adjectif,


auquel on peut prédire un bel avenir : l’inconscient<br />

cognitif. Certains neuro-scientistes<br />

se seraient contentés du vieil « inconscient<br />

cérébral », mais ils semblaient<br />

alors se limiter à des mécanismes neuronaux<br />

plus proches de réflexes que de<br />

mécanismes intelligents impliquant le psychisme.<br />

Les neuroscientistes de ces dix ou<br />

vingt dernières années n’entendent pas se<br />

limiter à un fonctionnement d’arcs réflexes<br />

de niveau supérieur, ceux d’un cerveaumachine<br />

à la Descartes. un cerveau qui<br />

assure les automatismes de la marche, la<br />

régulation thermique, le cycle veille-sommeil,<br />

la préhension, etc. ils veulent mettre<br />

au jour les mécanismes neuronaux qui<br />

ajoutent la qualité de conscience à certains<br />

mécanismes cérébraux.<br />

Aujourd’hui donc, le neuroscientiste ose<br />

s’attaquer au problème de la conscience<br />

comme produit du cerveau. C’est dire son<br />

ambition. Présomptueux ? on verra.<br />

Mais il doit expérimenter pour comprendre<br />

comment certains processus cérébraux,<br />

une minorité sans doute, ont une qualité<br />

particulière, celle d’être conscients, car<br />

ils viennent de moi (Je !), je peux les verbaliser,<br />

ils ne m’échapperont pas, je les<br />

contrôle au maximum…<br />

Le neuroscientiste n’aura certes pas la<br />

prétention de définir la conscience comme<br />

le tentent le philosophe analytique, le<br />

métaphysicien, le moraliste, l’humaniste,<br />

l’éthicologue, etc. Il se demande comment<br />

(oser) approcher l’énigme : qu’est-ce que<br />

la conscience ? Noble tâche, à peine accessible<br />

aujourd’hui.<br />

Dans l’immédiat, paradoxalement, le neuroscientiste<br />

va d’abord s’intéresser à l’inconscient<br />

et observer des processus cérébraux<br />

qui échappent à ce surplus qu’est<br />

la qualité de conscience. Les observations<br />

cliniques et les expérimentations proposent<br />

beaucoup d’exemples de processus<br />

7 Michel<br />

mentaux inconscients. Les neurologues<br />

rencontrent des malades qui, à la suite<br />

d’une lésion de la région pariétale de<br />

l’hémisphère droit, se désintéressent totalement<br />

du monde visuel à gauche alors<br />

même qu’ils n’ont pas de déficit visuel.<br />

ainsi peut-on voir un malade ne manger<br />

que la partie droite de son assiette ! Pour<br />

ces malades dits négligents, tout se passe<br />

comme si la partie gauche du monde visuel<br />

n’existait plus, et de cela ils ne sont pas au<br />

courant. Au point qu’on raconte l’histoire<br />

de ce médecin spécialiste des troubles de<br />

l’attention disant : « Je sais bien que, avec<br />

la lésion que j’ai, je devrais négliger le côté<br />

gauche, eh bien !, c’est curieux, mais ce<br />

n’est pas le cas, j’ai échappé à ce terrible<br />

déficit ! Étonnant, non ? »<br />

Donc la conscience peut ne pas être unitaire,<br />

elle peut être déficitaire de façon<br />

dissociée. Il y a bien d’autres observations<br />

cliniques qui montrent que tel ou tel processus<br />

peut avoir perdu la qualité d’être<br />

conscient. Certains grands amnésiques,<br />

malgré une intelligence conservée, ne se<br />

rendent pas compte qu’ils ont perdu la<br />

mémoire.<br />

Mais on ne saurait se suffire d’observations<br />

cliniques, il convient au scientifique<br />

d’aborder des recherches expérimentales.<br />

Les outils disponibles aujourd’hui (ordinateurs,<br />

imagerie, enregistrements divers)<br />

permettent d’observer le cerveau en action<br />

quand il réussit certaines tâches de haut<br />

niveau sans en être conscient.<br />

Soit une expérience dite d’amorçage, réalisée<br />

par des présentations très courtes<br />

sur écran (moins de 100 millisecondes).<br />

on demande au sujet de comparer le plus<br />

rapidement possible un nombre cible, situé<br />

au hasard entre 1 et 10, avec le nombre 5<br />

référence, qui est présenté immédiatement<br />

après. Sur le clavier d’ordinateur, le sujet<br />

tape à droite si le nombre cible est plus


grand que 5, à gauche s’il est plus petit<br />

que 5. Tâche facile. Mais voici l’expérience<br />

d’amorçage. Juste avant le nombre cible<br />

on présente un nombre dit « masqué »,<br />

c’est-à-dire un nombre qui est présenté<br />

dans un temps tellement court que le sujet<br />

nie l’avoir vu. La séquence est donc :<br />

nombre « masqué » parce que subliminal ;<br />

nombre cible ; nombre 5 référent. Bien que<br />

le sujet nie avoir perçu ce nombre masqué,<br />

il répond plus rapidement quand le nombre<br />

masqué est, comme le mot cible, plus petit<br />

que 5 (ou l’inverse). C’est dire que le mot<br />

masqué, qui est présenté de façon subliminale<br />

tant il passe vite, amorce quand<br />

même la réponse correcte, aide le sujet à<br />

faire le bon choix. un critère sémantique<br />

(ici : plus grand ou plus petit que 5) facilite<br />

donc la rapidité et la précision du choix, à<br />

l’insu du sujet.<br />

Cette expérience, ici dans sa forme la plus<br />

simple, est une porte d’entrée à une expérimentation<br />

sur les mécanismes inconscients.<br />

elle a été reproduite de nombreuses<br />

fois et sous des formes plus compliquées<br />

(amorçage de mots, de visages, de mots<br />

parlés). on ne se contente évidemment<br />

pas des réponses des sujets, en plus on<br />

regarde le cerveau travailler lors de ces<br />

expériences, grâce aux outils d’imagerie<br />

qui ne cessent de s’améliorer. Par exemple,<br />

on voit l’amygdale s’activer de façon<br />

bilatérale en réponse à des stimuli subliminaux<br />

évoquant la peur, comme lorsque le<br />

sujet est conscient.<br />

Voilà pour l’inconscient. Mais, bien sûr, les<br />

neuroscientistes se tournent maintenant<br />

vers les processus conscients et décodent<br />

la machinerie cérébrale qui les assure.<br />

Mais ceci est l’autre face de la recherche,<br />

une autre histoire…<br />

François Michel<br />

8 Chopin<br />

À visage découvert<br />

florent chopin<br />

Miroir ô mon miroir<br />

tiroir mon beau tiroir<br />

Juan Valverde de amusco,<br />

Anatomia del corpo humano, Rome, 1560<br />

Ce n’est rien que d’aller vers le nord. Les<br />

vagabonds ont quitté la planète. Je n’y<br />

suis que nomade.<br />

Comment savez-vous que je suis devenue<br />

folle, demanda alice ?<br />

Micro-fissures de l’inconscient…


La terre commence à bouger, un vrai bout<br />

de terre. Darwin fait un stop vers le soleil,<br />

la terre est pleine. entourée de ses<br />

oiseaux. J’étais un indien peint de rouge,<br />

le soleil de mes orbites.<br />

Je me suis souvent imaginé vivant au fond<br />

d’une boîte de conserve.<br />

Je regarde un film belge où cette femme à<br />

la valise s’est transformée en biche.<br />

Je regarde cette photo où j’ai dix ans, il y a<br />

un crâne au fond de moi, une goutte d’or où<br />

naissent tamanoirs et tamarins. J’entends<br />

nager sous les paupières où naissent des<br />

ânes chavirant des forêts d’os.<br />

Sacré, le monde est sacré, sacré Ginsberg,<br />

sacré !<br />

entends-tu respirer – arracher la cagoule…<br />

Papa – Maman. N’arrêtez pas, tu verras la<br />

ligne bleue dans le ciel bleu.<br />

Ma tête est ailleurs.<br />

Porte de la Villette, je vois cet homme marcher.<br />

une boule de cristal sur la tête.<br />

animal – toi.<br />

Enfant, j’étais le ciel.<br />

Ralentir – travaux : le soleil est un fruit<br />

rouge.<br />

Je transpire à grosses gouttes en sciant<br />

les anthropométriques.<br />

Se traverser ne va pas de soi.<br />

Boire le sang. La rouille d’une vieille Volkswagen<br />

bue à la paille.<br />

tandis que les vivants taillent la mort à des<br />

prix d’or, on nous met du plomb dans la<br />

tête à des prix fous.<br />

C’était une étoile pleine d’yeux et jamais<br />

vue.<br />

Une coulée fluo, un film amateur, un ours<br />

gominé vivant sur une peau de banane.<br />

J’avais la peau d’un singe.<br />

J’étais sa carte-mère.<br />

animal – moi, je débarque.<br />

9 Chopin<br />

Creuser sa tête avec une pelle.<br />

Comment les Japonaises se transformentelles<br />

en toiles blanches, les Corbeaux de<br />

tokyo – Stop – les Corneilles de Kyoto<br />

– Stop.<br />

La Schizophrénie, c’est quand Batman se<br />

prend pour toi. tu racontes des bobards.<br />

La guerre continue – tic-tac… tic-tac tictac,<br />

petite cerise, fin des icebergs, tu as<br />

des ailes en lilas rose.<br />

Frotte-toi de tous les piments du système<br />

solaire, je suis deux ailes de tôle, la Joconde<br />

s’est fait la malle, on essaie de joindre<br />

les deux bouts, je ramasse des zinzins,<br />

des trois fois rien, des poussières ventriloques,<br />

des confettis d’étoiles, des allées<br />

pour fantôme, ça roule pour le monde, pas<br />

de regard et tout s’écroule. Regarde un<br />

peu la mécanique.<br />

« Jusqu’à l’effacement »<br />

« L’effacement des parures »<br />

L’inconnu tout court.<br />

Repliez les gaules,<br />

La pesanteur, un gramme en moins,<br />

tu as les dents autour du cou.<br />

Pixellisé, il y a de la rumba dans l’air.<br />

Le soldat au Groënland, le bois du lit, les<br />

buveurs de pinceaux, le rempaillage du<br />

creux, j’ai hissé haut, les empailleurs petits-fils<br />

des orpailleurs, homo-sapiens – sapins<br />

de Noël.<br />

Dans la tente – igloo d’un grain de beauté<br />

dédié aux espèces rares.<br />

attention aux légendes, au monde couché<br />

sur un buvard. La beauté se fait par le<br />

vide, le haut par le bas.<br />

enfant des phares, des baleines et balises,<br />

le coucher de soleil, fraise tagada sur<br />

le tamamuschi.<br />

La concierge a les yeux bleus.<br />

Florent Chopin


Les petits rats en tutu<br />

abraham g. nemer<br />

14 mars 2010 – Sainte Mathilde. C’est<br />

aussi le premier tour des élections régionales.<br />

La stratégie de liste unique a étouffé<br />

la droite au point de ne pouvoir envisager<br />

un meilleur sort au second tour. quoique<br />

éclatée, la gauche sort vainqueur, comme<br />

lors des dernières régionales, ce qui ne l’a<br />

pas empêchée de perdre assez lamentablement<br />

trois présidentielles d’affilée. Depuis<br />

quelque temps, il appartient aux petits<br />

partis de gauche d’incarner individuellement<br />

la critique anticapitaliste, concourant<br />

ainsi à l’émiettement efficace de la<br />

contradiction sociale. Seul le score, plutôt<br />

élevé, du Front national obtient de nous<br />

quelques pincements de lèvres. 20 h 30<br />

environ, un homme public, de droite, disons-le,<br />

et certainement un peu émoussé<br />

par la réalité graphique qui martyrise ses<br />

couleurs, réclame « la mobilisation totale »<br />

pour le second tour. oups… je regarde à<br />

nouveau le petit écran sur lequel, en un<br />

bandeau rouge, défile l’appel « à la mobilisation<br />

totale ». Second pincement. tiens<br />

tiens… clin d’œil d’Ernst Jünger, La Mobilisation<br />

totale, qui prépare le grand œuvre<br />

Le Travailleur. Je cherche le livre… croyais<br />

l’avoir rangé du côté des ouvrages de philosophie<br />

politique… le retrouve au milieu<br />

des chantres de l’ontologie.<br />

1/ La mobilisation totale = la transformation<br />

de la structure sociale du travail en économie<br />

de guerre où « il n’y a plus aucune<br />

activité – fût-ce celle d’une employée domestique<br />

travaillant à sa machine à coudre<br />

– qui ne soit une production destinée,<br />

à tout le moins indirectement, à l’économie<br />

de guerre ». 2/ La mobilisation totale = la<br />

mobilisation des masses en vue d’établir<br />

10 nemer<br />

des masses guerrières et des masses de<br />

victimes car, « de même que toute vie porte<br />

en elle le germe de sa mort, ce phénomène<br />

nouveau que sont les grandes masses<br />

implique une sorte de démocratisation<br />

de la mort ». 3/ La mobilisation totale = un<br />

phénomène culturel qui annule toute politique<br />

au nom du fait qu’elle soumet l’esprit<br />

de l’époque à la légalité de la concentration<br />

« à travers nous ».<br />

On reconnaît à l’auteur de la citation du<br />

14 mars 2010 – Sainte Mathilde – un goût<br />

certain pour l’héroïsme. Mais, avouons-le,<br />

nous eussions goûté un héroïsme critique<br />

non satisfait des travers d’une époque qui<br />

puise son élégance dans le cynisme accepté,<br />

non résolu à observer dans le capitalisme<br />

d’État, se concrétiser l’État autoritaire<br />

du temps présent (horkheimer), non rompu<br />

à voir dans le travail un signe de « la nostalgie<br />

des chômeurs ». On aurait aimé…<br />

mais une sorte de pessimisme ambiant,<br />

nourri de solitude et où les sollicitations<br />

du caractère sont d’entrée soumises aux<br />

brimades, prive les contemporains d’une<br />

sorte d’espoir assidûment réclamé. La<br />

subjectivité est devenue celle qui consomme…<br />

mais si, au moins, elle consommait<br />

à l’excès, vivait sa consommation comme<br />

si elle se consumait passionnément. on<br />

observe dans l’art de la citation mal maîtrisée<br />

s’exprimer toute la détresse d’une<br />

classe politique sans classe, pliée au joug<br />

d’une économie régente et si assurément<br />

blasée qu’elle a fini par négliger le sens de<br />

la tournure. Et pourtant, s’amusant à nous<br />

rappeler Baltasar Gracián, un « petit mot,<br />

a souvent précipité, du faîte de la faveur,<br />

des gens qui n’avaient pas seulement été<br />

ébranlés des murmures de tout un peuple<br />

bandé contre eux ».<br />

Mais il y a autre chose. Se cache dans


cette manière virtuelle de transformer la<br />

structure de l’économie en une économie<br />

de guerre, dans la massification des<br />

hommes et dans la réification de leur<br />

consommation, l’espoir ou l’envie (on ne<br />

sait comment dire) de fomenter une petite<br />

guerre sociale du peuple monté contre<br />

lui-même. Pour le dominer peut-être, le<br />

faire voter utile certainement. Pour en annuler<br />

les ressources morales, on peut le<br />

penser. on se souvient pourtant du Pierre<br />

Klossowski de La Vocation suspendue, inlassablement<br />

: « qui veut dominer, dit le<br />

Père, veut l’industrie, qui veut l’industrie,<br />

veut le prolétariat, qui a voulu le prolétariat,<br />

suscitera le déracinement, la désolation<br />

des campagnes, la destruction des<br />

foyers, la détresse, la révolte ; qui suscite<br />

la révolte des masses, doit alors vouloir la<br />

répression inéluctable. » C’est à cela que<br />

mène la mobilisation totale, à la répression<br />

inéluctable, comme s’il fallait meubler le<br />

monde politique que l’initiative a fui.<br />

Dimanche 21 mars – Sainte Clémence.<br />

Le deuxième tour des élections régionales<br />

a fini de démontrer la faillite de ceux qui<br />

auraient bien aimé s’improviser Chefs des<br />

armées. encore une fois, vouloir mobiliser<br />

le peuple contre lui-même ne fut point<br />

payant. Malgré l’abstention, remarquable<br />

(et que d’aucuns diront organisée), on<br />

observe, non sans plaisir, qu’un peuple a<br />

refusé de se condamner lui-même et de<br />

suivre le joueur de flûte qui mena les petits<br />

rats en tutu à la rivière. Comme quoi, un<br />

peu partout, un peu tout le temps, des motifs<br />

de réjouissance se font jour, une résistance<br />

populaire s’organise pour faire front<br />

à l’esthétisation de la politique.<br />

À ceux qui violent ou tuent la passion politique,<br />

à ceux qui la dénient et ceux qui s’en<br />

amusent, répond une défiance venue du<br />

11 Pataut<br />

peuple. Il n’y a point d’obligation à incarner<br />

ce qu’une force (se croyant supérieure)<br />

aurait voulu que nous fussions ou que<br />

nous dissions. et voilà que, tout à coup, le<br />

peuple se substitua à la masse.<br />

L’éponge incestueuse<br />

fabrice pataut<br />

Abraham G. Nemer<br />

Je ne parle pas de sa cousine germaine<br />

qui se gonfle de l’eau salée du grand large,<br />

mais de cette petite variété qui trône au<br />

bord des baignoires et des éviers. Souvent<br />

rectangulaire avec un côté qui gratte, cette<br />

éponge-là vieillit vite et dégoûte sitôt que<br />

l’âge l’enlaidit de salissures et émiette ses<br />

bords trop fragiles. Moins sportive que<br />

l’autre, elle côtoie des frères sans avenir,<br />

s’amollit à leur contact, respire leurs<br />

mauvaises odeurs, s’accouple au bord<br />

d’une cuvette mouchetée de crasse. Aucun<br />

monstre, pourtant, n’en résulte jamais,<br />

aucune difformité ni retard d’intelligence.<br />

Cette éponge-là est toujours la même au fil<br />

des générations, verte en dessus, beige en<br />

dessous, utile, sans terre de promission,<br />

prompte à la tâche et criminelle. C’est<br />

l’éponge qui ne jure que par les siens,<br />

s’en contente et, même, s’en repaît dans<br />

la fange. Toujours d’humeur égale, mais à<br />

senestre.<br />

Fabrice Pataut


un parcours<br />

bernard chardère<br />

Sans faute, j’ai éteint les lampes en quittant<br />

les lieux le dernier, parce que je travaillais<br />

tard ;<br />

Sans faute, j’ai ramassé les épingles de<br />

nourrice tombées à terre, dans l’idée<br />

que le patron pourrait me remarquer, me<br />

convoquer pour me présenter sa fille,<br />

avec tout ce qui n’aurait pas manqué de<br />

s’ensuivre ;<br />

Sans faute, j’ai ciré mes souliers le soir,<br />

afin d’être chaque matin imperceptiblement<br />

plus impeccable que les autres ;<br />

Sans faute, j’ai vérifié mon nœud de<br />

cravate et me suis donné un coup de<br />

peigne avant d’entrer ;<br />

Sans faute, j’ai reculé la chaise de ma<br />

voisine, ne m’asseyant à table qu’après<br />

elle et essayant, malgré sa bêtise, de ne<br />

pas laisser tomber la conversation ;<br />

Sans faute, j’ai aidé à traverser la rue aux<br />

aveugles, aux boiteux, aux petits garçons,<br />

aux vieilles dames, indistinctement, sans<br />

m’impatienter, et pourtant qu’avaient-ils à<br />

faire, tous autant qu’ils étaient, justement<br />

de l’autre côté de la rue ?<br />

Sans faute, j’ai mis une piécette dans les<br />

sébiles, passé du bout des doigts l’eau<br />

bénite, les jours d’office funèbre, indiqué<br />

aux étrangers le nom des rues avoisinantes<br />

(plutôt à l’aveuglette, mais quand<br />

on ne sait pas où l’on va, pourquoi sortir de<br />

chez soi, ce n’est pas votre avis ?).<br />

Sans faute, j’ai écouté respectueusement<br />

mes aînés raconter les tranchées de 14-18,<br />

la promenade au soleil de 1940, les pavés<br />

de mai 68 – plus personne sur Sedan, à<br />

mon grand dam.<br />

Sans faute, j’ai fait la queue devant les<br />

musées dès qu’il s’agissait d’une exposition<br />

haut de gamme : ah ! L’or des<br />

pharaons, ah ! Les derniers dinosaures !<br />

12 Chardère<br />

on ne compte pas mes interventions dans<br />

les ciné-clubs pour y voir plus clair, sans<br />

couper la parole aux spécialistes. Le fait<br />

de tutoyer mes conscrits Chabrol, truffaut,<br />

Godard (Rohmer, quand même trop réac),<br />

facilitait les choses.<br />

Sans faute, je me suis hâté dans les<br />

escaliers, quand sonnaient les trompettes :<br />

il ne s’agissait pas de rater l’entrée de Vilar.<br />

après la distanciation brechtienne vint le<br />

temps où les acteurs, très déshabillés,<br />

se roulaient sur la scène en pleurant : au<br />

premier rang des enthousiastes, toujours<br />

moi. idem, ibidem avec Buffet, Boulez,<br />

Lacan, Pina Bausch, Beigbeder, et j’en<br />

oublie. Comment oublier ces moments<br />

inoubliables.<br />

Sans faute, je me suis fié plus que de<br />

raison au Monde, à Libé, à Télérama,<br />

alors que leurs journalistes, je m’en rends<br />

compte avec le recul, ne sont pas plus forts<br />

penseurs que moi. J’ai voté dans le bon<br />

sens – Mollet entonnant L’Internationale,<br />

Mendès buvant non du calva mais du<br />

lait, Mitterrand affichant ses convictions<br />

à l’aide de son chapeau – n’ai-je point,<br />

même, traîné les pieds dans l’une ou<br />

l’autre manif.<br />

Sans faute, tout bien considéré rétrospectivement<br />

et, s’entend, politiquement parlant,<br />

je me vois inefficace, bien qu’innocent. Me<br />

voilà au seuil de penser (mais dois-je aller<br />

jusque-là ?) qu’il me serait malvenu de<br />

dégager toute responsabilité personnelle<br />

si le bilan du siècle ne peut être tenu pour<br />

globalement positif.<br />

Sans faute…<br />

… et maintenant, voyez où j’en suis !<br />

Bernard Chardère


accroc À L’encrier<br />

olivier salon<br />

Le noir éclaire le ciel<br />

Il rayonne, cri lancé en l’air.<br />

Ce cri noir claironné à la noire corolle :<br />

il y caracole encore, coriace.<br />

Le crayon éclaire la colline à l’écorce calcinée<br />

L’encrier éclaire le ciel jalonné.<br />

L’acier acéré raye, lacère, écorne, écaille : l’accroc crée.<br />

Le roi nacré claironne,<br />

L’air canaille, joaillier en encre.<br />

Il a l’air royal :<br />

Œil, œil enclin à lire,<br />

oreille, oreille encline à la lyre,<br />

Cil, cil annelé,<br />

Crâne, crâne incliné,<br />

narine, narine cernée,<br />

Crinière, crinière royale,<br />

Collier, collier noir,<br />

Crayon, crayon noir enclin à écrire,<br />

Colère, colère encline à créer.<br />

Le roi crayonne. il encre, il encolle, il crée.<br />

Joie jolie,<br />

La joie canine carillonne,<br />

La crécelle aliène le cri,<br />

Croyance noyée, oracle renié.<br />

écrire, encore écrire : noircir, encore noircir.<br />

Loi ancienne, ancre enracinée, lien noir,<br />

noir colère — croire en la colère —<br />

noir corneille, noir ronce,<br />

noir ironie,<br />

arc-en-ciel noir.<br />

13 Salon<br />

Olivier Salon


assurance vie<br />

christian petr<br />

La gitane, cheveux flottant autour de son<br />

visage abîmé, à qui je refuse de prêter ma<br />

main, me lance : « tu as peur que je te<br />

dise ton futur ? »<br />

Je file.<br />

tout le monde, chez moi, a pris une<br />

assurance avenir. Des juges, des policiers<br />

en avaient proposé le contrat au porte à<br />

porte. J’avais repoussé, avec constance,<br />

l’offre. Ma confiance a des limites.<br />

Je grimpe au belvédère voir venir le<br />

nouveau monde. Voyous et fripouilles<br />

le tirent en avant. Les valises emplies<br />

de l’espoir qu’ils ont dérobé étirent leur<br />

bras. Dans les night-clubs des stations de<br />

montagne, on fête chaque soir l’accession<br />

des riches à plus de richesses.<br />

Sur les murs de la ville un décret a été<br />

placardé qui interdit aux poètes de dormir<br />

afin que leurs rêves ne trahissent pas le<br />

monde réel et son cycle de désillusion.<br />

Dans les maternités des fortunés, on n’en<br />

finit pas d’accoucher l’argent qui fait des<br />

petits. Le progrès se hâte : ses souteneurs<br />

financent les bâtisseurs de ruines. Ils<br />

sentent le fric comme le cheval l’écurie.<br />

Dans les rues, je croise des spectres :<br />

ce sont ceux de personnes mortes<br />

injustement.<br />

Cela fait longtemps qu’on ne se souhaite<br />

plus le nouvel an sous le gui couleur de<br />

foutre.<br />

Mais comment abattre la tristesse, le mal,<br />

la souffrance ?, me demande une amie.<br />

Je ricane. La vie m’aura appris qu’une<br />

flûte traversière ne suffit pas à vaincre les<br />

assassins.<br />

De la grandeur de l’homme, ils ont fait<br />

table rase, murmure un clochard adossé à<br />

l’angle d’un porche. Pourquoi, poursuit-il,<br />

ne voir en autrui que son dompteur ou sa<br />

proie ?<br />

14 Petr<br />

Au café du Commerce, Pierre me confie :<br />

la vie est une paille. qui tire la plus courte<br />

a perdu. Je trinque à la santé du camarade<br />

Hasard et du présent.<br />

Puis je reviens chez moi par le centre de<br />

la cité. Devant les tribunaux, femmes et<br />

hommes font la queue : ils sont nombreux<br />

à vouloir divorcer d’avec leur existence<br />

– car sans espoir aucun de reprendre la<br />

vie commune.<br />

À la radio, j’entends des mots qui nous<br />

entraînent sur des chemins dangereux<br />

comme des labyrinthes. Retrouveronsnous,<br />

s’interroge Pierre, les paroles<br />

d’antan ? Je refuse de me pendre à ma<br />

nostalgie.<br />

Dans les librairies, il y a des livres orgueilleux<br />

qui lavent l’esprit et qui entendent expliquer<br />

notre vie.<br />

Ce dimanche, il a fait beau. nombreux ont<br />

été ceux qui sont allés voter comme ils font<br />

l’amour : parce qu’ils croient qu’il est de<br />

leur devoir de le faire.<br />

Pendant ce temps, à leurs ennemis si<br />

proches qu’ils ressemblent à leurs amis, les<br />

puissants offrent des ponts d’or. S’il m’en<br />

était proposé un, c’est le pont seul que je<br />

garderai pour rejoindre de l’autre côté du<br />

fleuve ce qui peut-être m’attend.<br />

Pourquoi reconnaître la défaite du désir ?<br />

Le long des berges d’un lac, quelques<br />

enfants s’essaient à faire des ricochets sur<br />

les arcs-en-ciel.<br />

hier, dans les rues de la périphérie, un<br />

groupe de manifestants a été fauché par<br />

une rafale d’idées vieilles ; au chevet des<br />

blessés, les chefs des tireurs d’élite avaient<br />

dans leur poche des flacons de larmes de<br />

théâtre.<br />

Dans la nuit, des sirènes hurlantes m’invitent<br />

à quitter mon refuge. Je me bouche<br />

les oreilles avec mes mots et m’attache à<br />

mon mât de cocagne.<br />

Je veux rester au monde.<br />

Christian Petr


éLoge des éLytres<br />

odile schoendorff<br />

Bruit de la porte qui se ferme<br />

Pas sur les dalles que l’on suit<br />

on ne suit plus<br />

Plus de bruit<br />

Gravier peut-être un peu<br />

Ce que tu voulais<br />

Pourquoi l’obtiens-tu au centuple ?<br />

tu aurais donné les étoiles<br />

et le printemps à ses débuts<br />

Même ton printemps préféré<br />

(tu vois lequel)<br />

Rien que pour respirer<br />

Sans poids sans ombre<br />

Sans cris sans personne<br />

Sans visage<br />

Sans doublage<br />

Sans sous-titrage<br />

Sans éléments figuratifs<br />

Ce soir la ville est comme un bas-relief<br />

Sculpté à même ta chair<br />

tu saignes<br />

tu saignes un peu !<br />

Sous le ciseau froid du compagnon tailleur<br />

de pierre<br />

Qui s’en lave les mains plus tard<br />

À la claire fontaine<br />

Sous les yeux des chevaux cabrés<br />

Tu n’en demandais pas tant cette nuit<br />

aux indécents les mains pleines !<br />

est-ce assez silencieux ma chère ?<br />

Sur la soie mon ouroboros<br />

Tu t’es enroulée comme un chat<br />

tu as du vent sous les paupières<br />

un livre hostile se dérobe<br />

a la suggestion de tes mains<br />

il y a des soirées de misère<br />

15 o. Schoendorff<br />

Des cathédrales de soucis<br />

Des synagogues de supplices<br />

Des temples de déréliction<br />

on prierait<br />

Si on savait faire<br />

Mais prier quoi<br />

Mais prier qui ?<br />

L’ombre d’un chat<br />

Là sur le mur<br />

un clochard<br />

en anamorphose<br />

N’importe quel humain<br />

Mon frère<br />

N’importe quel vivant<br />

Une plante qui s’incline<br />

Feuilles frôleuses<br />

un oiseau<br />

Sans rien de rare<br />

avec un chant de bas de gamme<br />

un insecte un peu fraternel<br />

Qui s’attarde à mon poignet<br />

Pour une brève morsure<br />

Du flou du furtif de l’aimable<br />

une blatte empathique<br />

un lépisme attachant<br />

il ne faut pas de tout<br />

Pour faire un monde<br />

il faut des insectes<br />

Et rien d’autre<br />

Des êtres sans mots ni reproches<br />

Des amis calmes et physiques<br />

tout menus dans leurs carapaces<br />

Lequel étais-je ?<br />

Mes camarades d’élytres<br />

Venus de loin<br />

Mes survivants.<br />

Odile Schoendorff


16 Dumas<br />

procla<br />

La campagne électorale de Dumas, en<br />

marxiste, fut mal comprise : sans doute<br />

ne sera pas élu. Heureusement, car il a


mation<br />

1848, d’un certain point de vue… préle<br />

prit-on pour un employeur ? Bref, il<br />

vait mieux à faire.<br />

B. Ch.<br />

17 Dumas


Gracchus Babeuf Joséphin Soulary<br />

gracchus et Joséphin<br />

serge gaubert<br />

Les hasards de la vie et du marché immobilier<br />

m’ont fait passer, d’une rue l’autre,<br />

de Joséphin en Gracchus. De Soulary en<br />

Babeuf. Deux adresses, deux identifiants,<br />

comme on dit. Deux référents. Joséphin et<br />

Gracchus, deux prénoms insolites assez<br />

pour troubler le préposé au tri postal. il est<br />

arrivé que ce fonctionnaire consciencieux<br />

raye de deux traits le prénom Gracchus,<br />

et, plus souvent, car la grande majorité<br />

de mes correspondants s’en tient au<br />

patronyme, corrige celui-ci en ajoutant un<br />

o qui met du bœuf et du bas bœuf dans le<br />

nom de ma rue. J’étais moins étonné ou<br />

je l’étais autrement quand on ajoutait un e<br />

muet à Joséphin. C’est que, si je savais un<br />

peu qui était Gracchus (j’avais une idée du<br />

babouvisme), j’ignorais tout de Joséphin.<br />

J’en ignorais tout mais j’aimais ce prénom.<br />

Aussi doux, apaisant, que Gracchus est<br />

dur, impérieux, dominateur. Plus fin que<br />

Joseph, moins retors que Joséphine, sa<br />

syllabe finale évite le clivage sexuel, l’angélise,<br />

évoque l’existence éthérée d’un<br />

séraphin. Mon adresse, rue Joséphin<br />

Soulary, posait sur les enveloppes qui<br />

m’étaient adressées un sourire bienveillant,<br />

une légèreté, une note de cordialité. Le<br />

patronyme, qui rappelle le vieux mot<br />

soulas, consolation, ajoutant sa touche.<br />

Ce nom était devenu un peu le mien, une<br />

partie de ma personne, une ligne sur ma<br />

18 Gaubert<br />

carte d’identité; je le partageais avec mes<br />

voisins comme un morceau de ciel bleu,<br />

un coin de terre, un bon cru, une origine<br />

garantie contrôlée. Une distinction.<br />

Personne dans la rue ne cherchait à identifier<br />

le parrain de notre adresse. Sur la<br />

plaque, le nom seul, ni dates, ni fonction.<br />

Les corrections portées par le préposé<br />

sur ma nouvelle adresse, l’ignorance dont<br />

elles témoignaient, me rendirent curieux<br />

d’identifier la précédente.<br />

J’allais, une fois de plus, vérifier une<br />

logique paradoxale. Dès qu’on se met à<br />

chercher, à bien chercher, d’un vrai désir,<br />

le hasard vous aide, les coïncidences se<br />

multiplient. Une phrase de Breton m’a<br />

souvent servi de sésame. il marche sur la<br />

plage (je l’ai parfois imité) et, dans un état<br />

réceptif, poétique, trouve d’étonnants bois<br />

flottés. Je cite de mémoire : « bois flottés à<br />

portée de ma main, vous êtes les précipités<br />

de mes désirs ». J’ai désiré remplir le<br />

vide de ma première adresse. Redonner<br />

du corps, de l’épaisseur à Joséphin.<br />

Parcourant, distrait, un livre consacré à la<br />

vie littéraire à Lyon au xix e siècle, je tombe<br />

sur ce nom Joséphin Soulary répété, ses<br />

dates (1815-1891). Celui qui m’avait servi<br />

d’adresse, simple enseigne vidée de sens,<br />

reprend du poids, retrouve vie, il échappe<br />

à l’enveloppe pour entrer dans le monde<br />

des lettres. En tant que poète d’abord, en<br />

tant que protagoniste éminent d’échanges<br />

épistolaires ; Sainte-Beuve lui écrit le 8<br />

janvier 1860 un remerciement pour ses<br />

« admirables sonnets » et ajoute : « je ne<br />

serai content que lorsque j’aurai dit tout<br />

haut ce que j’en pense ». Compliment<br />

qu’on peut soupçonner convenu, dilatoire<br />

et un peu tartuffe. en revanche, la lettre<br />

adressée par Baudelaire à armand Fraisse<br />

le 18 février de la même année est plus<br />

convaincante. « que M. Soulary soit un


grand poète, cela est évident aujourd’hui<br />

pour tout le monde, et cela a été évident<br />

pour moi dès les premiers vers que j’ai pu<br />

lire de lui. »<br />

L’enchaînement des découvertes ne devait<br />

pas s‘arrêter là. En vitrine de la boutique<br />

d’un bouquiniste sur mon chemin, parmi<br />

d’autres livraisons pour moi sans intérêt,<br />

un petit livre dont je ne vois que la tranche,<br />

un ouvrage ancien, un nom, un titre :<br />

Saulary, Sonnets. Mon poète ? Le poète<br />

de mon ancienne rue ? Ce a au lieu du<br />

o, une coquille ? Ou s’agit-il d’un presque<br />

homonyme ? J’entre dans la boutique,<br />

j’achète le livre, je l’ouvre aussitôt, c’est<br />

mon homme. une édition originale :<br />

Sonnets humouristiqes. Joséphin Soulary.<br />

Lyon, imprimerie de Louis Perrin. 1858.<br />

en première page, un portrait du poète<br />

au-dessus de sa signature, et, merveille<br />

des merveilles, hasard des hasards, méticuleusement<br />

pliée pour correspondre au<br />

format du livre, sur papier bleu, à l’encre<br />

noire, d’une écriture fine, vive, datée du<br />

15 mai 1862, une longue lettre adressée<br />

par le poète à un admirateur. trois pages<br />

serrées, de précisions et de confidences.<br />

Je suis devenu, par ricochets, destinataire<br />

d’une lettre de celui dont le nom a orienté<br />

vers moi la correspondance de nombreuses<br />

personnes aussi indifférentes que moi à la<br />

personne qui l’avait porté. Sa lettre, « ma »<br />

lettre, ne manque pas d’intérêt. Il répond<br />

à un lecteur admiratif mais vétilleux sur<br />

la prosodie. « Vous découvrez dans mes<br />

pages, Monsieur, vingt-deux morceaux<br />

presque irréprochables… Songez que ma<br />

situation première a été fort négligée. À<br />

l’âge de 15 ans, je faisais, comme enfant<br />

de troupe, l’exercice en 12 temps, dans<br />

une caserne. » On le sent moins flatté par<br />

l’éloge qu’irrité par les réserves. Il est vrai<br />

que même si notre – mon – poète a connu<br />

19 Gaubert<br />

une grande notoriété (un long article dans<br />

le Larousse du xx e siècle, plus long que<br />

celui consacré à Breton ou à Proust), ses<br />

sonnets humouristiques souffrent beau-<br />

coup de la comparaison avec Les Fleurs<br />

du mal qui leur sont contemporaines. De<br />

cet ensemble le chapitre intitulé « Pastels<br />

et mignardises » ne m’arrête guère. Si<br />

je devais choisir je citerais plusieurs des<br />

sonnets qui sont rangés sous la rubrique<br />

“ en train express ». Soulary témoigne de<br />

la fascination de sa génération devant la<br />

première grande accélération mécanique,<br />

la vitesse du chemin de fer, le « chevalvapeur<br />

». l’existence intensifiée, espace<br />

et temps concentrés, chance et risque.<br />

Il envisage l’hypothèse (c’est le titre d’un<br />

sonnet) d’un accident où il mourrait :<br />

Prise dans l’anneau qui conduit la<br />

chaîne<br />

De l’heure écoulée à l’heure prochaine,<br />

Ces deux bouts du temps que<br />

l’Infini joint,<br />

Tu verrais comment, sous l’œil<br />

qui les fonde,<br />

L’Éternité tient dans une seconde,<br />

Et l’Immensité dans un petit point.<br />

Dans une autre pièce intitulée « au but »,<br />

le Lyonnais qu’il est revient sur un voyage<br />

à Paris, dans un train de nuit.<br />

Je m’endors, je rêve – ah ! le gai<br />

sommeil !<br />

Le cheval-vapeur tout à coup s’arrête ;<br />

Par le store ouvert je passe la tête,<br />

J’aperçois Paris ; – ho ! le laid réveil !<br />

Joséphin survit sur l’enveloppe, Baudelaire<br />

dans la lettre vivante. C’est sa revanche,<br />

car on lui a mesuré chichement la mémoire<br />

des rues. aucun Lyonnais ne reçoit de


lettre à son adresse. Je trouve sur mon<br />

ordinateur le tracé de la rue Baudelaire<br />

à Paris, dans le 12 e arrondissement, une<br />

transversale entre l’avenue Daumesnil et<br />

la rue du Faubourg-Saint-antoine, mais un<br />

gros indicateur des rues de Paris, daté de<br />

1979, ne connaît que la rue Baudelique.<br />

Les Stéphanois consacrent à Joséphin<br />

une allée (mon ancienne adresse), les<br />

Lyonnais se promènent dans « sa » rue,<br />

entre Rhône et Croix-Rousse. À sa mort<br />

en 1891 on fit au poète « des funérailles<br />

officielles et grandioses » (je cite un<br />

chroniqueur). inhumé au cimetière du<br />

Montparnasse, Baudelaire est identifié<br />

comme le beau-fils du général Aupick.<br />

on a préféré, pour les baptêmes urbains,<br />

le doux Joséphin au dandy parisien. et,<br />

dans le même esprit, témoigné d’une vraie<br />

méfiance à l’égard de celui que Engels<br />

et Marx ont salué comme le fondateur de<br />

l’idée communiste. Trop dangereux modèle<br />

sans doute que cette « conjuration des<br />

égaux» qu’il anime dans les années 1793-<br />

1794. Aussi n’a-t-il droit à une rue, autour<br />

de Paris, que précisément dans le 93, à<br />

Montreuil, et le 94 à Villejuif et au Kremlin-<br />

Bicêtre. À Saint-Étienne aussi, c’est vrai,<br />

mais peut-être parce qu’on l’imagine enfant<br />

de la place Villeboeuf, toute proche, avec<br />

ce o que mes correspondants lui ajoutent,<br />

sans doute pour le domestiquer.<br />

Serge Gaubert<br />

Friedrich engels Karl Marx<br />

20 allais-Viart<br />

étranger au paradis<br />

jean-claude allais-viart<br />

Quand l’heure de la retraite sonna enfin<br />

pour moi, je choisis de m’installer dans un<br />

joli village perdu, perché dans l’intérieur<br />

provençal, où je m’étais arrêté un jour en<br />

passant ; il m’avait plu de suite : il y avait là<br />

quelques commerces traditionnels, qu’on<br />

ne trouvait plus guère ailleurs pour certains,<br />

avec leurs odeurs et leur charme spécifique,<br />

épicerie, boulangerie, droguerie-quincail-<br />

lerie, boucherie, mercerie, café-tabac et<br />

même un cordonnier, une petite place avec<br />

une fontaine, des arbres et de l’ombre, des<br />

joueurs de boules débonnaires et des vieux<br />

qui se chauffaient au soleil en devisant<br />

sagement ; on n’y voyait presque jamais<br />

de touristes et le calme le plus profond y<br />

régnait, on se serait cru revenu un siècle<br />

en arrière.<br />

assez vite toutefois je découvris que<br />

l’endroit n’était curieusement habité que<br />

par des sourds-muets, des borgnes, des<br />

manchots, des unijambistes, des aveugles,<br />

des paralytiques, des amnésiques, des<br />

simples d’esprit et un cul-de-jatte : à tous<br />

il manquait quelque chose, j’entendis aussi<br />

parler de deux ou trois eunuques. Qu’est-ce<br />

qui expliquait cette amputation qui frappait<br />

la collectivité ?<br />

Je m’aperçus aussi à la longue que malgré<br />

toute ma bonne volonté, mon amabilité,<br />

mes sourires engageants, mes efforts<br />

constants pour leur plaire et m’intégrer à<br />

cette nouvelle communauté, on se méfiait<br />

de moi, on me boudait, on me fuyait, on<br />

me haïssait même, cela sautait aux yeux :<br />

on ne répondait jamais à mes bonjours ni<br />

à mes invitations, on ne me disait jamais<br />

merci dans les magasins, où on me servait<br />

toujours après les autres, on m’évitait, on<br />

me tournait ostensiblement le dos, on se<br />

détournait lorsque j’apparaissais…


Je cherchai désespérément à comprendre<br />

la raison de ce refus, de ce rejet, de cette<br />

attitude hostile : pourquoi faisais-je figure<br />

d’intrus, d’envahisseur ? Cela ne pouvait<br />

être simplement à cause de mon accent,<br />

si différent du leur ; de plus je ne dépossédais<br />

personne, je n’étais que locataire<br />

d’une maison fort modeste. Pourquoi donc<br />

cet ostracisme, cette quarantaine ? J’étais<br />

de race blanche comme eux, fréquentais<br />

sagement l’église le dimanche, pour faire<br />

comme tout le monde justement, et en me<br />

gardant bien du moindre sourire à l’écoute<br />

des sermons du curé bègue, payais mes<br />

achats et mes impôts rubis sur l’ongle, ne<br />

devais rien à personne, respectais tout<br />

le monde, ne gênais jamais qui que ce<br />

fût… alors pourquoi ne voulait-on pas de<br />

moi, qu’y avait-il en moi de si repoussant,<br />

de si abject, pour être traité de la sorte ?<br />

quelque chose en moi indisposait les gens<br />

et les faisait fuir, mais quoi ? Je ne trouvai<br />

aucune explication, jusqu’au jour où j’entendis<br />

quelqu’un marmonner sur mon<br />

passage : « C’est un monstre… » Cela me<br />

bouleversa bien sûr et je mis fort longtemps<br />

à comprendre ce que l’on pouvait bien dire<br />

par là, car je ne voyais aucune justification<br />

à un jugement aussi radical et négatif,<br />

nulle tare physique à citer comme preuve<br />

pour étayer cette énormité… Mais, en y<br />

réfléchissant bien, je finis par trouver un<br />

jour la clef de cette énigme, par saisir à<br />

quel vice abominable cet homme, que je<br />

ne connaissais que de vue et qui ne me<br />

connaissait pas non plus, faisait allusion : je<br />

n’étais pas comme les autres, ne souffrais<br />

extérieurement d’aucune infirmité, d’aucun<br />

handicap : seul « normal » parmi les<br />

anormaux, je devenais donc l’exception,<br />

l’anormal, tout comme le malheureux<br />

voyant du Royaume des aveugles de<br />

H. G. Wells, à qui l’on finit par enlever les<br />

yeux pour le rendre conforme.<br />

21 allais-Viart<br />

Je décidai donc de m’adresser à tous sur la<br />

place publique, avant que l’on n’en vienne<br />

à me faire à moi aussi un mauvais parti,<br />

et proclamai hautement : « Mes bons amis,<br />

chers concitoyens, braves compatriotes,<br />

vous ne me connaissez pas ou alors très<br />

mal et vous m’avez jugé hâtivement et sur<br />

des apparences trompeuses. Vous vous<br />

méprenez lourdement sur mon compte,<br />

je suis comme vous en réalité, je vous le<br />

jure ! Moi aussi je suis infirme et amputé,<br />

diminué, incomplet, même si cela ne peut<br />

pas se voir de prime abord : je n’ai pas de<br />

cœur… »<br />

alors ils se concertèrent tous, parfois par<br />

signes. J’attendais sagement à l’écart,<br />

anxieux et impatient de connaître leurs<br />

réactions et d’entendre leur jugement et<br />

leur verdict : allaient-ils encore me rejeter,<br />

m’exclure et me contraindre ainsi au départ,<br />

à l’exil, ou au contraire me comprendre et<br />

m’admettre enfin au sein de leur groupe ?<br />

À la fin de la délibération, ils déléguèrent<br />

pour me répondre celui qui manifestement<br />

commandait aux destinées de la<br />

communauté, l’idiot du village ; et il annonça<br />

solennellement : « Dans ce cas bien sûr<br />

c’est différent et tu nous as convaincus,<br />

étranger, tu es notre semblable et notre<br />

prochain, notre égal, notre frère et notre<br />

ami. Tu es des nôtres désormais, tu peux<br />

rester, tu es parfaitement normal et ta place<br />

est parmi nous, sois donc le bienvenu ! »<br />

J’offris alors à boire à tout le monde et la<br />

fête dura jusqu’à l’aube… Et, à partir de ce<br />

jour resté fameux dans les annales et les<br />

esprits, je vécus une vieillesse particulièrement<br />

heureuse en ce village, où chacun<br />

désormais me témoigne du respect et de<br />

la considération. Lorsque l’idiot mourut, ils<br />

finirent même par m’élire comme chef.<br />

Jean-Claude Allais-Viart


Les recherches patientes et l’obstination<br />

de Maurice heine (qui mourut en mai 1940)<br />

méritent une attention particulière : ce<br />

personnage séduisant, étrange et sagace,<br />

consacra sa vie à la mémoire de Sade.<br />

C’est pourquoi il convient de rappeler ici<br />

des traits de son caractère. Ce bibliophile<br />

et cet érudit scrupuleux (si scrupuleux que<br />

malheureusement il n’a presque rien publié)<br />

prenant la parole au congrès de Tours (où<br />

se consomma, après la guerre de 14, la<br />

scission entre communistes et socialistes<br />

français) sortit un revolver, tira au hasard<br />

et fit à sa femme une légère blessure<br />

au bras. Heine était cependant l’un des<br />

hommes les plus doux et les mieux élevés<br />

que j’aie connus. Cet acharné défenseur<br />

maurice Heine (1884 – 1940)<br />

22 heine<br />

de Sade, aussi intraitable que son idole,<br />

poussait le pacifisme à ses conséquences<br />

dernières. ayant pris parti pour Lénine<br />

en 1919, il quitta le parti communiste dès<br />

1921, en raison de la répression par trotsky<br />

de la mutinerie anarchiste des marins de<br />

Cronstadt. il gaspilla sa fortune à faire des<br />

recherches sur Sade et mourut dans la<br />

gêne, mangeant peu pour nourrir d’innombrables<br />

chats. Il poussait l’aversion de la<br />

peine de mort – qu’il avait en commun avec<br />

Sade – jusqu’à condamner gravement les<br />

courses de taureaux. Au demeurant, l’un<br />

des hommes qui ont le plus discrètement,<br />

mais le plus authentiquement, honoré son<br />

temps. Je suis fier d’en avoir été l’ami.<br />

Georges Bataille


23 heine<br />

« La porteuse de miroir », in La Mort posthume, 1917


christian limousin<br />

CREUSE ça la peinture là s’ouvre la marche dessus dessous devant derrière chaîne & trame<br />

dehors dedans peinture immense volume bariolé immense corps dilaté boursouflé où se réfugier<br />

où se perdre peinture ça remue ça rumine dans le labyrinthe ça avance par étapes remises<br />

en cause remises en creuse en bonds & rebonds parcours bosselé traversée des champs &<br />

des chambres chamboulement continue oui le chemin car jamais arrivé jamais arrimé jamais<br />

arrêté jamais au bout au but non pas de terme pas de système ça repart oui toujours par<br />

surprise sursaut & par sept ça redémarre sec sept comme exigence première résurgence<br />

le chemin alors se déplie se déplisse se déploie non le un non l’unaire non la stase mais ce<br />

qui se déplace & déporte le pluriel des galeries arborescentes rhizomatiques creuse profond<br />

en boucles en volutes à fond de ravin rivière de rochers eau pure à faro & à tan n’attends<br />

pas continue le chemin trepo veto je tourne je retourne je contourne croisée des chemins<br />

& croisée des temps au déboulé des combarelles l’énigmatique l’inépuisable origine comme<br />

pour la première fois soudain le fouillis de traits enchevêtraits & aussi d’après rembrandt trois<br />

arbres solitaires au milieu d’un champ rücblick présence du passé passé de la présence cette<br />

terre écorchée une bouige des bouiges ces formes en conflit au débouché confluent confolans<br />

eaux-semblantes eaux basses écumantes aux piles monet s’arrêta & planta son chevalet sur<br />

la pente de ce cirque chaos aux sombres beautés collines de mousse & de bruyère face<br />

au bloc dans cette configuration inattendue du sol & des eaux spectacle farouche s’arrêta là<br />

manipula les éléments formels formes limitées contours simplifiés palette resserrée couleurs<br />

discordantes rivière triangle pubien entre les collines pulpeuses comme un coin de bûcheron<br />

se glissant là & maintenant les parois écartées coin de chasteté creuse effet de soleil couchant<br />

s’arrêta & planta une première série de neuf surfaces fissurées au confluent vieillit un arbre<br />

noueux soleil levant encore puis repartit oui rencontres épousailles divorces mets au fond<br />

mais le fond est surface ça travaille ça repart les sèves encore & en corps ça fuse & par<br />

sept ça creuse de bonne creuserie ô creuse inoubliable & que j’avais aimée jadis mes aïeux<br />

bourgougniauds y limousinèrent à qui mieux mieux puis bourrés de châtaignes bouillies rôties<br />

grillées purent s’en extraire se dispersèrent aux quatre vents des mille vaches alors creuse me<br />

poursuit creuse me hante c’est trop c’est trope c’est davantage d’énergie davantage de relief<br />

dans l’expression mets ta fore & perce débonde oui la peinture ça CREUSE<br />

(Joël Desbouiges, musée de la vallée de la Creuse, Eguzon, printemps 2010)<br />

24 Limousin


une Journée maussade<br />

joël roussiez<br />

Une journée maussade où nous étions en<br />

rade dans le doux ar Ménez, toute voile<br />

pendue ainsi que du linge mouillé, en<br />

attente du vent au milieu des coteaux, un<br />

jour de printemps où le clapot même était<br />

sans force ; un jour donc où nous étions<br />

venus là pour aborder la côte en baie de<br />

Trez où se trouve une passe pour gagner la<br />

mer des Gascons en évitant le tour du Nez,<br />

gagnant ainsi du temps sur l’Amiral pour le<br />

rejoindre après un repos qu’il ne voulait<br />

accorder. Les hommes étaient dans un<br />

état lamentable, leurs corps se traînaient<br />

sur le pont ; dix jours de navigation dans<br />

la tempête les avaient mollis... et voici que<br />

le temps nous était venu à propos, maintenant<br />

nous balancions notre ennui en<br />

regardant la terre. une journée maussade<br />

donc enveloppait le navire et glissait son<br />

humeur dans le bastingage et les mâtures,<br />

le balancement du grand mât comme un<br />

pendule métronome nous comptait les<br />

heures qui ne passaient que lentement ; et<br />

le grincement des bois qui irritait nos nerfs<br />

s’immisçait dans les cales parmi les rats qui<br />

se montraient tout étonnés à la face des<br />

matelots qui leur jetaient des boulets du<br />

charbon que nous avions chargé à Monléo.<br />

nous allions avec le vent et sans vent nous<br />

n’allions pas, nous sentions des mollesses<br />

sous nos pieds comme si elles nous remontaient<br />

par les jambes, forçant nos marches<br />

désœuvrées à peu de stabilité, chacun en<br />

conséquence titubant sans aucune raison<br />

puisque le navire sur l’étale ne bougeait<br />

pas d’un brin. C’est ainsi que vint au milieu<br />

de nos corps s’installer une sorte de peur.<br />

on vit des rats passer par les haussières et<br />

se couler dans l’eau; des poissons vinrent<br />

tourner autour de la coque ne montrant que<br />

leurs dos aux lueurs de fuel et la journée<br />

25 Roussiez<br />

balança ses heures comme on compte les<br />

gouttes après l’averse ; nous comptâmes<br />

les nôtres, maussades à notre tour dans<br />

notre repos ce jour... temps étrange et<br />

plus obscur, avec le crachin qui se mit à<br />

descendre en nappes mouvementées,<br />

gonflant parfois les voiles qui claquaient un<br />

peu tandis que le navire sembla se mettre<br />

à suer. Les hommes comme étouffés de<br />

l’intérieur s’abattaient sur les bancs, les<br />

sièges et les rouleaux de filins, exténués<br />

par le froissement de l’eau contre l’étrave<br />

et le bruissement de la pluie incessant. Des<br />

vagues de torpeurs berçaient en nous des<br />

songes de malheur qui nous fermaient les<br />

yeux ; et le temps étrange où l’on comptait<br />

les heures passées et celles qui restaient<br />

en écartant nos doigts, une, deux et trois<br />

heures encore, le temps semblait reculer<br />

au milieu des poulies et des cabestans<br />

dans lesquels il s’empêtrait comme il<br />

nous arrivait de nous empêtrer dans des<br />

sommeils furtifs qui nous collaient les yeux.<br />

Le navire mollissait, les bois regorgeaient<br />

d’humidité gluante et douce, on ne savait où<br />

poser les mains ; il nous venait des démangeaisons<br />

aux bras et, sous les cheveux, il<br />

nous semblait sentir s’étendre quelque<br />

champignon plat. Sur le pont, le long de<br />

canaux dendritiques d’où s’écoulait un jus,<br />

de minuscule crustacés s’accrochaient en<br />

cliques à quelques rugosités du bois ; le<br />

pont ainsi se couvrait pour nous d’une vie<br />

infime comme si devant les yeux dansaient<br />

des fibrilles de limaille rouillée ; au loin,<br />

la lande envahie de lichens dansait aussi<br />

sous les nuées et tout ceci nous basculait<br />

dans le maussade d’une journée où nous<br />

avions pensé prendre du repos... L’Amiral<br />

arriva par le fond de la baie, son navire à<br />

l’étrave d’acier fendit les eaux sans nous<br />

voir, nous éperonnant par le tribord, ce qui<br />

nous bascula dans le temps étrange, c’est<br />

son nom.<br />

Joël Roussiez


Ferdinand von Rayski (Pegen, Saxe, 1808 – Dresde, 1890), Suicide de l’artiste dans son atelier<br />

Le pseudonyme<br />

katherine l. battaiellie<br />

L’adoption d’un pseudonyme, dans laquelle<br />

on n’abandonne pas son nom d’état civil,<br />

est quelque chose de bien différent du<br />

changement de nom autorisé par le seul<br />

Conseil d’État. Elle laisse à celui qui le<br />

prend son patronyme d’origine où il n’est<br />

pour rien, par lequel il peut continuer à<br />

s’identifier dans l’anonymat, l’insignifiance,<br />

ou au contraire des fonctions officielles.<br />

Autre nom que l’on se donne (et livré<br />

en cela à une entière liberté), le pseudonyme,<br />

que l’on peut multiplier, ouvre<br />

la jouissance du dédoublement, de la<br />

duplicité. usurpation légale (sans aucune<br />

loi pour la régir qu’une simple formalité), il<br />

26 Battaiellie<br />

offre royalement la possibilité d’une double<br />

vie, à laquelle il renvoie, avec l’assentiment<br />

de tous. on vous demande parfois de vous<br />

justifier, mais avec bienveillance, de ce qui<br />

est une imposture, à la fois dans l’emprunt<br />

d’un autre nom que celui de l’état civil, et<br />

par le fait que le nom emprunté peut être<br />

celui, légalement, de quelqu’un d’autre.<br />

Cependant, cette imposture est ressentie<br />

profondément comme l’exercice d’un droit<br />

naturel pour un artiste.<br />

Le pseudonyme donne l’illusion d’utiliser<br />

deux fois (ou plus !) sa vie, une fois sous<br />

un nom, une fois sous un autre. Peut-être<br />

qu’une de ces deux vies sera vaine, mais<br />

on garde espoir que l’autre… Il permet<br />

d’échapper, au moins par instants, à « la<br />

fatigue d’être soi 1 ». il marque la recon-


naissance de la dualité de chacun de<br />

nous : on est l’un ou l’autre, selon ses interlocuteurs,<br />

selon les circonstances. il nous<br />

brûle de dire parfois à qui l’ignore : je suis<br />

aussi cet autre, mais se taire est un plaisir<br />

délicieux, au goût de secret d’enfance, que<br />

pimente l’excitation d’une supériorité : la<br />

plupart des gens n’ont qu’un nom, même<br />

composé. Seule la plaque sur notre boîte<br />

aux lettres donne une clé du mystère, sans<br />

le révéler : les deux noms peuvent correspondre<br />

à des habitants différents.<br />

Deux noms, à quoi correspondent deux<br />

corps : le corps réel, quotidien, soumis à<br />

la grippe, aux malaises, aux courbatures,<br />

parfois mal habillé, et le corps fantasmatique<br />

que les lecteurs, les spectateurs<br />

lient au pseudonyme et aux œuvres<br />

produites, le corps maquillé, magnifié, qu’ils<br />

découvrent au cinéma, au théâtre. Dans le<br />

pseudonyme s’incarne ce deuxième corps,<br />

échappatoire à l’autre.<br />

Le choix d’un pseudonyme ne se fait<br />

généralement pas sans hésitation, tâtonnements,<br />

travaux pratiques en quelque<br />

sorte, même si l’infinité des possibles se<br />

rétrécit rapidement ; on a rarement, d’une<br />

seule inspiration, le prénom et le nom qui<br />

s’accordent ensemble et nous conviennent.<br />

C’est une affaire qu’on remue longtemps<br />

dans sa tête ; on expérimente, on visualise,<br />

on passe par l’énonciation à haute voix.<br />

Parfois provoqué par un manque de<br />

confiance en soi, en même temps que par<br />

l’ambition, le désir de survivre, ou par la<br />

nécessité de la discrétion dans son activité<br />

artistique, le pseudonyme se teste d’abord<br />

comme timidement.<br />

Le pseudonyme arrive parfois tardivement<br />

dans une vie, qui semble alors se diviser,<br />

se ramifier. Il brouille la chose la plus<br />

ancienne et la plus certaine à chaque<br />

individu : son identité. on (re)naît avec son<br />

27 Battaiellie<br />

pseudonyme à l’âge que l’on veut. Il nous<br />

inscrit dans l’intemporalité, nous sort de<br />

la place temporelle assignée dans notre<br />

généalogie.<br />

Message adressé aux lecteurs et spectateurs,<br />

que ceux-ci saisiront, décrypteront<br />

(ou pas), au hasard de la lecture d’un<br />

article, d’une conversation, d’une flânerie<br />

dans une librairie, le pseudonyme est<br />

affirmation d’une fidélité, d’un ancrage,<br />

revendication de lieux et ascendances<br />

symboliques (avec lui nos racines<br />

s’étendent), de proximités, accointances<br />

fantasmatiques, jeux avec la langue, ou<br />

d’un écart, d’une fuite de sa vie, du refus<br />

d’un nom et d’un héritage. C’est après tout<br />

le nom du Père dont on se débarrasse,<br />

mais le nom choisi peut aussi redonner<br />

vie à ce que le temps avait effacé, faire<br />

revivre les morts. Il confirme hautement<br />

nos goûts ou nos refus. il correspondrait<br />

davantage à soi-même, mettrait en relief<br />

une part de soi par où l’on serait sinon<br />

plus aimable, du moins plus authentique.<br />

Ce choix veut indiquer des aspects de soi<br />

aux autres, aux lecteurs, aux spectateurs,<br />

mais découvre aussi l’auteur du choix à<br />

ses propres yeux.<br />

Katherine L. Battaiellie<br />

1. alain ehrenberg, La fatigue d’être soi. Dépression et<br />

société. odile Jacob, 1998


Je suis… cLaude Bernard<br />

christian petr<br />

odile NguyeN-schoeNdorff<br />

Je suis... Claude Bernard<br />

Préface de François Dagognet<br />

Jacques andré éditeur,<br />

Lyon, 2009, 78 pages, 8.-€<br />

quand je est un autre, quand odile<br />

nguyen-Schoendorff devient Claude<br />

Bernard, cela donne un bien excitant petit<br />

livre, une passionnante autobiographie<br />

fictive d’un savant. Claude Bernard montre,<br />

avec rigueur, comment un chercheur<br />

s’approprie des notions et des catégories,<br />

qui l’amènent à la détermination d’une<br />

démarche de travail et à la définition d’un<br />

programme d’observation du réel, tout au<br />

long d’un apprentissage scandé, aussi,<br />

par une succession de ratages : au bac,<br />

à l’agrégation, puis dans sa vie d’artiste (il<br />

aurait aimé être dramaturge) et affective<br />

– et l’on se dit, chemin faisant, qu’il faudra<br />

bien, un jour, s’attacher à exalter les<br />

bienfaits de l’échec. Mais ce qui retient<br />

avant tout, dans ce court récit, c’est la<br />

manière d’Odile Nguyen-Schoendorff de<br />

se glisser dans la misérable gousse de<br />

chair du savant et de lui prêter sa voix et<br />

sa lucidité. Voilà qui lui permet de mettre au<br />

jour une précieuse archéologie du savoir<br />

de Bernard et d’en faire apparaître les<br />

28 Petr<br />

enjeux, ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui<br />

– et s’il fallait n’en mentionner qu’un, ce<br />

serait celui d’ouvrir un continent nouveau :<br />

le corps humain. Dans le même temps, le<br />

ton juste que l’essayiste a su trouver la<br />

conduit à révéler quelques impensés du<br />

cher Claude – lui qui surtout voulait ne pas<br />

sauver les apparences –, ceux qui touchent<br />

aux relations qu’il noue et avec le corps de<br />

l’autre (corps qui s’offre à son scalpel, qui<br />

fuit ses caresses ou qu’il n’ose effleurer,<br />

corps de ses fils morts, de ses filles folles,<br />

corps sacrifiés de ses cobayes) et avec<br />

les rapports sociaux : « son »silence sur la<br />

Commune de Paris fait à cet égard pas mal<br />

de bruits. Mais il est des révolutionnaires<br />

– et ce douteur fondamental, qui eut le bon<br />

œil, celui de la connaissance, et le bon<br />

pied, celui, dans une certaine mesure, de<br />

la dialectique, le fut par sa méthode, ses<br />

découvertes, son souci de transformer<br />

l’enfer en paradis, le poison en remède<br />

– qui, sous la paupière, gardent, hélas,<br />

des rêves bien conformistes – ceux, en<br />

l’occurrence, des salons de Napoléon<br />

iii. Ce délicieux et instructif Je suis, est<br />

accompagné de photos d’Yves Neyrolles<br />

et d’une illustration de Max Schoendorff :<br />

« il était un foie »… on ne saurait mieux<br />

dire.<br />

Paul Klee, Groupe W, 1930<br />

Christian Petr


nénette<br />

freddy buache<br />

Nicolas Philibert (réal.)<br />

Nénette<br />

coprod. : Les Films d’Ici /<br />

Forum des images, 2010,<br />

70 mn<br />

en se promenant à la ménagerie du Jardin<br />

des plantes à Paris, nicolas Philibert<br />

s’arrête et regarde un orang-outan derrière<br />

le mur vitré de sa cage. Ce gros animal au<br />

poil soyeux uniquement préoccupé de<br />

l’espace où se tient son enfermement<br />

fascine le cinéaste, car il est connu par ses<br />

films qui, précisément, s’intéressent aux<br />

moments extrêmes du psychisme et qui<br />

forcent le spectateur à recentrer ses<br />

émotions sur des réalités dont certains<br />

cotés étranges l’obligent à se penser luimême<br />

dans son apparente normalité plutôt<br />

que de se fuir au bord de l’esthétique<br />

servile des modes ou des spectacles<br />

complaisants.<br />

né à nancy en 1951, nicolas Philibert<br />

travaille depuis vingt-cinq ans dans le<br />

domaine du cinéma pour tenter d’extraire<br />

de la fonction documentaire autre chose<br />

qu’une information (discutable !) de type<br />

spécifiquement télévisuel ou journalistique.<br />

Son intention première et non complice<br />

relève toujours de la singularité du moyen<br />

d’expression mis entre ses mains par le<br />

moyen d’une caméra liée aux postes d’enregistrement<br />

du son. Autant dire qu’il ne<br />

participe d’aucune manière aux jeux de<br />

la vidéo que certains artistes distribuent,<br />

à de simples fins décoratives, sur les<br />

murs de leurs expositions à prétention<br />

contemporaine.<br />

Il suffit de mentionner pour cela quelquesuns<br />

de ses ouvrages fameux : La Voix de<br />

son maître, avec Gérard Mordillat (1978),<br />

Le Pays des sourds (1992), La moindre<br />

des choses, à propos des patients de la<br />

clinique de la Borde (1996), et surtout<br />

29 Buache<br />

Être et avoir, sur une école d’un village de<br />

montagne (2002) – énorme succès.<br />

Sa conscience et son œil, placés devant<br />

l’animal saisi dans la brousse de Bornéo<br />

vers 1969, puis emmené jusqu’à sa<br />

démonstration devant le public dans la<br />

capitale française, marié trois fois en<br />

sa prison et contraint d’organiser son<br />

existence devant les badauds avec ses trois<br />

enfants nés loin de leur forêt originelle, ne<br />

pouvaient que frapper sa propre liberté de<br />

citoyen envisageant la critique du monde<br />

par sa représentation.<br />

Sa contemplation de solitaire flâneur lui<br />

donne l’occasion de considérer cette<br />

situation d’isolement tandis que ses oreilles<br />

écoutent les discussions banales ou surprenantes<br />

de la foule des visiteurs qui, plus ou<br />

moins bien, apprécient un tel événement :<br />

étrangers en voyage touristique avec leurs<br />

phrases rapportées en sous-titres, écoliers<br />

avec leur professeur, cris et bruits venus de<br />

la rue qui se mêlent devant nénette alors<br />

que l’objectif ni le micro n’abandonnent<br />

l’ambiance. Ainsi, la vision s’ordonne<br />

face à la vie souple qui se dégage du<br />

désordre par des gestes, par ces deux<br />

yeux longuement offerts à l’admiration dès<br />

le début du poème : ils ne disent rien de<br />

compréhensible et cependant semblent<br />

interroger ceux qui les fixent à travers une<br />

bousculade de sentiments contradictoires.<br />

L’immense intérêt de ce film, par ailleurs<br />

d’une subtilité prodigieuse de ses plans<br />

et de son montage, consiste à ne jamais<br />

quitter le sujet afin de créer de fausses<br />

ventilations descriptives rompant l’unité<br />

fondamentale pour aérer bêtement sa<br />

lecture. Car le cinéaste invente une ponctuation<br />

par de nets signes au noir et par<br />

une disparité de tons des commentaires<br />

extérieurs.


après un texte de Buffon, la biographie<br />

du singe opère la fixation des dates, le<br />

système parental et sa manière d’accepter<br />

le désœuvrement obligatoire quand<br />

intervient le mouvement de ses muscles<br />

sur un fouillis d’épicéa, l’arrière d’un tapis,<br />

les cordes et les balançoires avec le plaisir<br />

de la dévoration d’une salade verte ou sa<br />

curieuse façon de boire une bouteille de<br />

thé : le discours d’une psychanalyste, d’un<br />

gardien et l’aspect d’une musique chantée<br />

inattendue gagnent une seule présence<br />

lourde informe qui parle pourtant de nousmêmes<br />

parce que son silence remplace<br />

notre voix par la superposition de celle,<br />

intérieure, que nous refusons maintes fois<br />

d’entendre.<br />

Freddy Buache<br />

30 hoss<br />

continuons Le déBat !<br />

QuelQues réflexions a posteriori<br />

dietrich hoss<br />

nous nous sommes rencontrés lors des<br />

« Journées critiques » en mars au campus<br />

de Bron et à l’<strong>URDLA</strong> pour mettre en<br />

commun nos efforts de réflexion à propos<br />

des désastres de ce monde fou et impitoyable<br />

dans lequel nous sommes forcés<br />

de vivre et à propos des sorties de secours<br />

qui s’offrent pour mener peut-être un jour à<br />

une « dissidence collective » généralisée.<br />

Le projet était ambitieux : décloisonner<br />

les discours spécialisés de la critique<br />

économique, esthétique et sociale pour les<br />

faire converger dans un débat autour de la<br />

question de l’action. Et nous avons réussi à<br />

le faire. Venant de différents horizons nous<br />

avons débattu dans un esprit commun,<br />

Max disait de « complicité », Gérard Briche<br />

d’« amitié philosophique ». Les exposés<br />

étaient stimulants et les débats riches 1 .<br />

Les réactions des intervenants et des<br />

participants dans la salle après le colloque<br />

étaient en général positives. néanmoins<br />

il y eut aussi la critique de deux intervenants<br />

qui, après coup, exprimaient un<br />

refus catégorique des cadres et de l’objectif<br />

du colloque. D’autres participants<br />

formulaient des doutes et des objections<br />

moins tranchées concernant surtout le fait<br />

que, même là où il n’y avait pas de divergences<br />

de fond, il s’est souvent produit au<br />

colloque seulement une juxtaposition des<br />

thèses. Il s’est avéré extrêmement difficile<br />

de déclencher un processus de réflexion<br />

collective, de commencer à penser collec-


tivement. un tel exercice demande une<br />

prise de risque, une baisse de garde. on<br />

se passe des protections parce qu’on a<br />

confiance que l’autre a le même objectif :<br />

concentrer toutes les énergies réflexives<br />

dispersées pour produire du nouveau,<br />

une vision commune des tâches qui nous<br />

attendent. C’est le contraire d’une attitude<br />

« blindée » qui ne cherche qu’à imposer, à<br />

faire briller son point de vue, comme c’est<br />

l’habitude dans le milieu académique.<br />

Bien sûr il y a des positions qui s’excluent.<br />

Il y a des questions de fond qu’il faut<br />

trancher. Je pense principalement à deux<br />

questions, liées, posées dans le cadre de<br />

notre colloque, et qu’il faut clarifier avec<br />

urgence à sa suite :<br />

Face à la reproduction d’un ordre répressif<br />

par la séparation du penser et du sentir,<br />

de l’esprit et du corps, du calcul et des<br />

sentiments, une séparation mise en œuvre<br />

à l’aide de la gigantesque machinerie d’industrie<br />

culturelle anesthésiant, abrutissant<br />

ou surchauffant les sens : quelles voies<br />

pour une réappropriation des sens, une<br />

« insoumission sensible » appelée de ses<br />

vœux par Annie Le Brun dans son dernier<br />

livre (Si rien avait une forme, ce serait cela,<br />

Gallimard, 2010) ?<br />

Vu que les sens sont développés et<br />

enrichis par l’activité imaginaire, que le<br />

langage esthétique des images et des<br />

métaphores constitue un support précieux<br />

pour aborder les problèmes fondamentaux<br />

de l’époque, de quelle manière le langage<br />

esthétique peut-il exercer aujourd’hui cette<br />

fonction clef ?<br />

un exemple de la pertinence de la dimension<br />

esthétique pour la réflexion critique dans le<br />

contexte actuel a été donné par François<br />

Laplantine au colloque. il a fait référence à<br />

plusieurs artistes qui réclament l’urgence<br />

de « faire réapparaître les lucioles »,<br />

31 hoss<br />

des petites lumières à l’écart des grands<br />

projecteurs, pour aider à comprendre<br />

aujourd’hui « ce que recèle l’ordinaire de<br />

l’extraordinaire », pour produire des illuminations.<br />

Dans cette optique, le levier de<br />

la critique théorique et pratique de l’état<br />

actuel de la société ne peut pas prendre la<br />

forme du grand, du grandiose. La grande<br />

action politique ou syndicale n’est pas à<br />

la portée des foyers contestataires à ce<br />

moment. toute tentative dans ce sens ne<br />

sert en dernière instance qu’à reproduire<br />

l’existant, au mieux dans des conditions<br />

temporairement moins pénibles. Pour<br />

maintenir ouverte la perspective d’un<br />

changement radical, il ne nous reste que<br />

la création et la défense acharnée des<br />

« espaces publics oppositionnels » à<br />

l’écart ou en marge des institutions. C’est<br />

ici seulement que peut se développer une<br />

prise de conscience claire des tâches qui<br />

s’imposent dans une telle perspective et la<br />

réalisation des formes alternatives de vie.<br />

L’expérience des « Journées critiques »<br />

a montré que, même relativement petit<br />

et conçu dans une orientation « antiacadémique<br />

», un tel colloque est peut-être<br />

encore « trop grand » comme cadre, trop<br />

exposé aux projecteurs de l’institution,<br />

pour déclencher une telle dynamique. il y a<br />

et il y aura d’autres lieux. Les formes et les<br />

contenus actuels d’une critique radicale<br />

font débat dans une multitude d’initiatives,<br />

revues, publications, forums... il faut éviter<br />

que le renfermement sectaire et l’actionnisme<br />

arrêtent ce débat avant qu’il ait<br />

pris la forme d’une réflexion collective.<br />

Dietrich Hoss<br />

(1) il serait vain de vouloir les résumer ici. une publication<br />

d’un format nouveau à large distribution les présentera à la<br />

rentrée. D’ici là il y a toujours le blog pour s’informer : http://<br />

journcritiques.canalblog.com/.


u t o p i e r a i s o n n é e p o u r l e s d r o i t s d e l a l i b e r t é e n a r t<br />

urdla ...ça presse...<br />

45 juin 2010<br />

au sommaire<br />

max Schoendorff Métamythique, Ixion, 2.<br />

<strong>Ça</strong> tire, Agence de presse, 4.<br />

François michel Vous êtes un inconscient, 6.<br />

Florent chopin À visage découvert, 8.<br />

abraham G. nemer Les petits rats en tutu, 10.<br />

Fabrice pataut L’éponge incestueuse, 11.<br />

Bernard chardère Un parcours, 12.<br />

olivier Salon Accroc à l’encrier, 13.<br />

christian petr Assurance vie, 14.<br />

odile Schoendorff Éloge des élytres, 15.<br />

alexandre Dumas Proclamation, 16.<br />

Serge Gaubert Gracchus et Joséphin, 18.<br />

Jean-claude allais-Viart Étranger au paradis, 20.<br />

maurice Heine La porteuse de miroir, 23.<br />

christian limousin Joël Desbouiges, 24.<br />

Joël roussiez Une journée maussade, 25.<br />

Katherine l. Battaiellie Le pseudonyme, 26.<br />

christian petr Je suis… Claude Bernard, 28.<br />

Freddy Buache Nénette, 29<br />

Dietrich Hoss Continuons le débat !, 30.<br />

illustrations tableaux du temple des Muses, éric Corne,<br />

Sarah tritz, Valverde, Ferdinand von Rayski, Paul Klee<br />

couverture Philipp otto Runge (1777-1810), Découpage papier<br />

blanc sur fond noir, Feuillage et lis martagon, ca 1800<br />

max Schoendorff direction<br />

cyrille noirjean rédaction (assisté de Fabienne Gantin)<br />

marie-claude Schoendorff correction<br />

David Bourguignon impression<br />

urDla 207, rue Francis-de-pressensé 69100 villeurbanne<br />

tél. 04 72 65 33 34 – fax 04 78 03 95 57<br />

www.urdla.com – urdla@urdla.com<br />

dépôt légal 2 e trimestre 2010 — issN 1639-2302 — tirage 1300 exemplaires — abonnement annuel, 4 numéros : 6.- €<br />

ça presse n° 45 / juin 2 0 1 0 / bulletin trimestriel de l’UrDLa 2.-€

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